1 - LE DÉCLENCHEMENT DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE

March 6, 2018 | Author: Anonymous | Category: Histoire, Histoire de l'Europe, World War II (1939-1945)
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1 - LE DÉCLENCHEMENT DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE  1er septembre 1939 : l’Allemagne envahit la Pologne après avoir annexé les mois précédents l’Autriche (Anschluss 12 mars 1938), la région des Sudètes (1er octobre 1938) puis la Bohème Moravie (15 mars 1939). 3 septembre, onze heures : l’Angleterre déclare la guerre à l’Allemagne. 3 septembre, dix-sept heures : la France déclare la guerre à l’Allemagne. Après des années d’atermoiement et de dérobades des démocraties occidentales face aux revendications expansionnistes d’Adolf Hitler, la Seconde Guerre mondiale éclate le 3 septembre. En Dordogne, rares sont les personnes qui disposent d’un poste radio TSF en cette fin d’été 1939. Comme en 1914, c’est par le tocsin qui retentit dans les villages que les populations apprennent la nouvelle de la mobilisation générale des réservistes aux armées. La dégradation du climat politique international et les différentes crises qui secouent l’Europe depuis déjà plusieurs années ont préparé le terrain. Mais le choc n’en est pourtant pas moins violent, suscitant un sentiment où se mêlent stupeur et résignation. Marie Solange Bodet (née Raynaud), 21 ans, vit alors à Saint-Laurent-des-Hommes et s’apprête à assurer son premier poste d’institutrice à Beaupouyet. Elle évoque « l’effondrement général » qui s’empare des villageois : « J’en ai pleuré… Mon père avait fait la guerre de 14. Il en parlait beaucoup... Ça devait être la “ der des ders ” .» Jean Marotin (1875-1947), venu de la région parisienne rendre visite à son fils Robert, qui travaille à la gare de Mussidan, a laissé un récit poignant du départ à la guerre de ces fils, pères ou frères : « Des femmes pleurent, certaines bruyamment. Plus tard,  c’est un vieux paysan qui voit partir son fils, lui aussi, et qui sanglote. Désormais, après chaque départ de train emmenant des Mussidanais, des pères, des mères, des femmes, des enfants défileront sur l’avenue, accablés, en larmes, le mouchoir sur les yeux ou sur la bouche. C’est le retour du cimetière après l’enterrement. » Tous ces hommes rejoignent leur centre mobilisateur, passent par l’instruction, puis sont dirigés vers leur lieu d’affectation. Alphonse Dureisseix, de Sourzac, est âgé de 20 ans lorsqu’il est envoyé à Bassens (Gironde). Il y découvre l’impréparation de l’armée française, car « certains réservistes n’ont ni fusil, ni habillement. » François Bouthier est âgé de 23 ans. Originaire de Saint-Michel-de-Double, il est affecté au 20eme Régiment de Dragons de Limoges comme mitrailleur. A peine achevé son temps de service, il est affecté avec son unité à Sarreguemines, au-dessus de la ligne Maginot. C’est là, le long de la frontière allemande, que s’est positionnée une grande partie de l’armée française qui s’attend à une offensive des armées d’Hitler, elles-mêmes repliées derrière la ligne Siegfried. Mais, à l’exception de quelques escarmouches et coups de main, la ligne de front reste relativement calme pendant neuf mois, du 3 septembre 1939 au 10 mai 1940. Durant cette longue période d’attente surnommée la « drôle de guerre », les soldats sombrent dans la routine et l’ennui. Léon Bouillé, affecté au Hochwald, l’ouvrage le plus important de la Ligne Maginot, décrit ainsi une journée type : « Le matin, j’allais à la centrale électrique. Nous nettoyions les moteurs et les cuves à gaz-oil et nous lavions le sol. L’après-midi, nous prenions des bains de soleil sur les casemates. » La guerre psychologique constitue un élément majeur de la « drôle de guerre ». L’armée allemande envoie sur les routes des unités de propagande qui diffusent avec leurs haut-parleurs des messages « bienveillants » à l’attention des soldats français. Alphonse Dureisseix se souvient de soldats ennemis postés près des lignes françaises et qui « parlaient en français dans des hautparleurs, saluaient et… souhaitaient la bienvenue… ». Cette drôle de guerre, sans combats majeurs, prend fin le 10 mai 1940.

La déclaration de guerre à Mussidan : témoignage de Jean Marotin (1875-1947) Vendredi 1er septembre 1939 : «  À table, 12h20 ou 12h30 TSF. Revue de presse. Deux phrases du speaker annoncent la catastrophe : “ À l’heure où l’alternative était encore possible» ; et «quelques heures après, l’Allemagne attaquait la Pologne ”. - un quart d’heure d’angoisse, mais, déjà de certitude. 12h45 : informations. Ça y est, la mobilisation générale est décrétée. L’atroce réalité nous bouleverse. Robert partira demain. Ce soir, courte promenade à nous deux avant d’aller au lit. Pour ne pas dormir. Dès hier soir cinq femmes venant de Strasbourg avec quelques bagages et leurs masques à gaz sont arrivées ici pour se réfugier chez des parents à Eglise-Neuve. L’une d’elles a 80 ans. Elle aura vu 3 guerres. Française, puis Allemande en 1871 et de nouveau française en 1918. Deux fils tués dans l’armée allemande en 1914-18. Des petits-fils et gendres actuellement dans l’armée française. Samedi 2 septembre 1939 : J’ai accompagné au train de 8h30 mon pauvre Robert, déjà en uniforme. C’est le sergent Robert Marotin qui rejoint Périgueux. J’ai peine à maîtriser mon intense émotion et je ne pense pas être parvenu à la lui cacher. De son côté, il fait bien ce qu’il peut, mais je sais bien tout ce que dissimule son apparente résignation. Quand nous reverrons-nous ? Nous reverrons-nous ? Dans quelles conditions ?  Lui parti, j’écris en hâte à Maurice [le fils aîné de Jean Marotin, alors instituteur en Bretagne]. Je lui dis le départ de notre cher Robert, mon intention de monter aussi tôt que possible à Villeneuve le Roi et mon désir partagé par Robert, d’aller au plus tôt à Lorient près de Josette. Assez tôt pour voir, en m’arrêtant au Mans, embrasser mon grand comme disait sa mère. À 10h je porte ma lettre au train. Nouveaux départs. Entre 11h et midi rangement de la chambre de Robert avec l’atroce impression de ranger les affaires d’un mort.  L’après-midi, face à l’hôtel de la gare, on creuse une longue tranchée que l’on masque de toile et de feuillage, sans doute pour en justifier l’appellation : des fusillés. W.C. militaires de campagne.  Je dépose à la mairie pour légalisation, la procuration que Robert m’a signée en vue d’éventuels retraits de la Caisse d’Épargne.  Des trains chargés de mobilisés commencent à passer dans les deux sens : Bordeaux et Périgueux. Tous s’arrêtent ici pour en prendre et en déposer qui vont à Bergerac. Il y a aussi des requis pour la procédure de cette ville. Un certain nombre vient demander à boire et à manger.   Dimanche 3 septembre : Le bruit court d’un tamponnement en gare des Aubrais. Il y aurait 60 morts.  Ce chiffre sera ramené à 30 dans la journée. Un mobilisé aurait (été) ramassé à l’état de cadavre. Sa femme et ses 4 enfants, partis avec lui pour se réfugier quelque part. TSF et journaux restent muets à cet égard. 12h40 : la radio annonce la déclaration de guerre de l’Angleterre à 11h, celle de la France pour 17h. Les trains des mobilisés et de requis continuent de s’arrêter et de repartir un peu plus chargés. Les lignes de Ribérac et de Bergerac fonctionnent à nouveau, supprimées quelques mois, concurremment avec les autocars qui les avaient remplacées. Mais les trains sont très espacés, les mobilisés et requis devant attendre ici de longues heures. Ce qui vaut à l’hôtel Janet et à d’autres de nombreux clients.  Le temps, très orageux depuis le matin, change brusquement l’après-midi. Il pleut à verse et la température s’abaisse brusquement. Je dois changer de vêtement. J’apprends par la gare qu’il ne m’est pas possible d’espérer rentrer à Villeneuve de sitôt. Les trains marchent avec lenteur (30 km/heure) et transportent avant tout des militaires. Les journaux de Paris ne sont pas arrivés hier, samedi. Aujourd’hui, seuls sont parvenus le Petit Parisien et peut-être le Matin. Ni l’Aurore, ni le Populaire. On s’attend à ce que Paris soit bombardé dès cette nuit. »   Jean Baptiste Erasme Marotin

2 - D’ALSACE EN PÉRIGORD : L’ÉVACUATION 1er septembre 1939 : mobilisation générale, ordre d’évacuation des populations civiles alsaciennes. 13 septembre 1939 : arrivée des premiers réfugiés alsaciens en gare de Mussidan. Juin 1940 : défaite de la France, annexion de l’Alsace et de la Moselle par le Troisième Reich. Août-octobre 1940 : les réfugiés alsaciens retournent chez eux. Le 1er septembre, l’état-major français active un plan d’évacuation des populations alsaciennes et mosellanes, ainsi que de l’administration, vers l’intérieur du pays. Préparé de longue date, ce plan vise à épargner les populations tout en facilitant le mouvement des troupes. L’opération concerne 600 000 habitants dans le Haut-Rhin, le Bas-Rhin et la Moselle, avec comme destination le sud-ouest de la France. Le voyage en train dure une douzaine de jours. Il est éprouvant : manque de commodité et d’hygiène, l’alimentation est insuffisante. Choisi comme lieu d’accueil pour une partie des habitants du Bas-Rhin, dont les Strasbourgeois, le département de la Dordogne n’est pas préparé à recevoir les Alsaciens. Devenue centre de transit, la gare de Périgueux accueille jusqu’à 10 000 réfugiés par jour. En quelques jours, le canton de Mussidan (8 017 habitants) compte 3 023 réfugiés au début de l’année 1940. En septembre 1939, Périgueux accueille quinze à vingt mille Alsaciens. En attendant l’attribution d’une pièce dans un des logements réquisitionnés par les autorités, les réfugiés sont nombreux à dormir dans le cinéma de Mussidan ou dans la salle de bal de Noëla Malard, à Beaupouyet. Les huit baraquements construits pour pouvoir accueillir 200 personnes, ne sont pas suffisants. Logés dans des hameaux isolés, au cœur de la forêt de la Double, les nouveaux arrivants, souvent des gens de la ville, doivent s’adapter à des conditions de la vie rurale dont ils ignorent tout. Mais très vite, une école alsacienne est créée à Mussidan. Une mairie annexe de Strasbourg voit également le jour. Le barrage le plus important demeure celui de la langue. De nombreux Alsaciens (environ 44 %) ne parlent que le dialecte, proche de l’allemand. D’autres n’osent pas s’exprimer en français, une langue qui n’est pas leur langue maternelle. Cela crée de l’incompréhension, voire de la méfiance. Cela permet aussi les découvertes. Paulette, l’épouse de Raymond Malard, se souvient du sapin de Noël, alors inconnu en Dordogne, installé dans une maison de Saint-Laurent-desHommes pour célébrer le Noël de l’année 1939. Après l’annexion de l’Alsace et de la Moselle par le Troisième Reich, la plupart des réfugiés décident de rentrer chez eux. D’autres choisissent de rester : les citoyens de confession juive, mais aussi ceux qui n’admettent ni la défaite de la France ni l’annexion de l’Alsace. C’est le cas de Charles Mangold, alias Vernois, et de Victor Nessmann, alias Noiret. Ces figures de la Résistance en Dordogne furent victimes de la répression nazie en 1943 et 1944. D’autres intègrent le groupe formé par Antoine Diener, alias Ancel, futur bataillon Strasbourg de la Brigade Indépendante Alsace-Lorraine qu’André Malraux eut l’honneur de commander. Les dix mois de présence des Alsaciens en Dordogne ont durablement marqué les esprits comme en témoignent les nombreux jumelages entre communes d’Alsace et de Dordogne.

Témoignage de Marcelle Sorbé, âgée de 17 ans en 1939 « Nous avons accueilli une famille, mais nous n’avions que deux chambres et une cuisine. Nous, les enfants, nous couchions à côté de mes parents et eux dormaient dans ma chambre. C’était la famille Schneider. Ils étaient formidables ! Cela s’est très bien passé. Quand nous nous sommes revus, 50 ans après, nous sommes tombés dans les bras les uns des autres. »

Communes du canton de Mussidan Beaupouyet Bourgnac Mussidan Saint-Étienne-de-Puycorbier Saint-Front-de-Pradoux Saint-Laurent-des-Hommes Saint-Louis-en-l’Isle Saint-Martin-l’Astier Saint-Médard-de-Mussidan Saint-Michel-de-Double Sourzac Total

Population d’après le recensement Nombres de réfugiés de Strasbourg de 1936 en janvier 1940 575 220 311 149 2653 1199 179 271 591 37 971 307 194 74 152 44 1004 348 510 139 877 235 8017 3023

3 - LA DÉFAITE ET L’OCCUPATION ALLEMANDE 10 mai 1940 : offensive allemande sur le front ouest (guerre-éclair ou Blitzkrieg). 16 juin : le Président du conseil Paul Reynaud démissionne. Il est remplacé par Philippe Pétain. 18 juin : le général Charles de Gaulle prononce à la BBC son appel. 22 juin : capitulation de l’armée française. 22 juin : signature de l’Armistice. 27 juin : les premières troupes allemandes arrivent en Dordogne de Castillon, en Gironde, et d’Angoulême en Charente. 10 juillet : le Parlement vote les pleins pouvoirs à Philippe Pétain, par 569 voix contre 80. 24 octobre : Philippe Pétain et Adolf Hitler se rencontrent à Montoire-sur-le-Loir (Loir-etCher) et officialisent la Collaboration. À l’aube du 10 mai 1940, l’armée allemande déclenche une offensive de grande ampleur sur le front occidental en attaquant simultanément les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et la France. La surprise est totale dans le camp des alliés. L’armée française s’effondre en quelques semaines devant la supériorité stratégique et matérielle des troupes allemandes. La débâcle est générale : « Un commandant est arrivé et nous a demandé de nous sauver. Nous avons détruit notre matériel et nous sommes partis » raconte Robert Bordes, de Bourgnac. Lui et son ami Clovis Longaud [ce dernier est fusillé le 11 juin 1944 à Mussidan] décident alors de rejoindre la Dordogne à pied dans le flot des milliers de civils en exode et de militaires en débandade. Tous deux parviennent à Périgueux où ils sont démobilisés. Entre le 17 et le 25 juin 1940, les deux tiers des soldats français, soit près d’un million et demi d’hommes, sont faits prisonniers par les armées allemandes. 100 000 autres sont tués dans les combats. S’ajoutent les 6 à 10 millions de personnes qui fuient les bombardements de l’aviation allemande et se dirigent vers le sud de la France. Les premières troupes allemandes font leur apparition en Dordogne vers le 27 juin 1940, cinq jours après la signature de l’armistice entre le IIIe Reich et les représentants du gouvernement de Philippe Pétain. Elles arrivent de Castillon, en Gironde, et d’Angoulême, en Charente. C’est de sa ferme des Tuilières, à Vanxains, que René Pazat aperçoit au début du mois de juillet les premiers soldats allemands. Ils ont quitté Ribérac restée en zone libre. Les soldats occupent le bourg de Vanxains et réquisitionnent des logements. A l’image du pays, le département de la Dordogne est divisé par la ligne de démarcation. Nouveau chef de l’Etat, Philippe Pétain imprime sa marque. Son portrait est partout présent, dans les écoles où les enfants entonnent « Maréchal nous voilà », dans les places de villages rebaptisées à son nom. La Collaboration entre le régime de Vichy et l’Allemagne nazie se met en place. En parallèle, le 18 juin 1940, le général Charles de Gaulle, sous-Secrétaire d’État à la Défense du gouvernement de Paul Reynaud, prononce à Londres, où il s’est envolé la veille, un discours resté célèbre sous le nom de l’Appel du 18 juin. Il invite ceux qui refusent la défaite à se joindre à lui. L’appel est peu entendu en France et les effectifs des forces qui ont rallié l’Angleterre sont dérisoires : à peine 7 000 hommes et femmes à la fin du mois de juillet 1940. C’est pourtant le début de la « France libre ». Encadré : Les clauses de l’armistice signé le 25 juin 1940 • l’occupation par l’armée allemande de la moitié du pays (dont sa côte atlantique), • la création d’une ligne de démarcation qui coupe le pays en deux (et le département de la Dordogne), • le versement journalier d’une indemnité de 400 millions de francs pour subvenir à l’entretien des troupes allemandes, • l’annexion, une nouvelle fois, de l’Alsace et de la Moselle au IIIe Reich, • le maintien en détention pour une durée indéterminée de plus d’un million et demi de soldats prisonniers.

L’offensive allemande du 10 mai 1940 par Henri Besançon, sous-officier dans un régiment de tirailleurs algériens « Le 10 mai, nous avons reçu l’ordre de nous porter sur la Belgique. Nous avions peu d’artillerie et avancions à pied. Nous avions l’impression d’être préparés comme pour la guerre précédente. Les routes étaient encombrées de réfugiés et nous devions passer par les petites routes. Quand nous sommes arrivés, il était trop tard. La percée était faite. Nous n’avions plus grand-chose à faire. Nous avons tous les trois [lui et ses deux frères] été faits prisonniers en Belgique le 18 mai 1940. » La bataille de France par François Bouthier, de Saint-Michel-de-Double, rescapé de la poche de Dunkerque « À cinq, nous avons traversé toute la ville de Dunkerque côté mer. Nous nous sommes dirigés vers une grande jetée. Non loin de là, des soldats étaient positionnés dans des abris creusés dans le sable. Ils nous ont indiqué qu’un bateau anglais devait bientôt embarquer au bout de la jetée. Nous y sommes allés et nous avons effectivement réussi à embarquer, non sans difficultés. En effet, des Anglais nous refusaient l’accès et voulaient nous rejeter à la mer. Il n’y avait pratiquement que des Anglais présents. Nous redoutions une attaque de l’aviation allemande, mais la traversée s’est finalement bien passée jusqu’à Douvres où nous avons débarqué. » L’exode à Mussidan vu par le journal La France de Bordeaux et du Sud-Ouest, 27 juin 1940 « À Mussidan, l’animation était plus grande encore : les convois avaient absorbé toute la route, les odeurs de pétrole brûlé empestaient l’air, le bruit des moteurs s’allongeait en un sourd bourdonnement dont on ne savait plus trouver ni le point de départ, ni la direction. La route de Bergerac ne formait bientôt plus qu’une immense ligne mouvante, dont la mobilité se brisait parfois en de longues stations d’arrêt… » L’exode à Mussidan par Lucie Escaudemaison « Alors que des régiments entiers stationnaient en ville, les réfugiés arrivaient de toutes parts, à bicyclette ou en voiture, avec un matelas fixé sur le toit. Les trains, bondés de voyageurs, refusaient de quitter notre gare, ne voulant pas poursuivre leur exode. Devant cet afflux massif de population, le maire de Mussidan avait fait appel à la préfecture. Comment nourrir tout ce monde ? Il n’y avait plus de pain dans les boulangeries. L’eau était coupée plusieurs heures par jour. Pour permettre aux passants d’écouter les nouvelles, de nombreux habitants laissaient ouvertes leurs fenêtres sur rue ,avec le poste de radio branché tout auprès.»

4 - LA MISE EN PLACE DE LA LIGNE DE DÉMARCATION 1er juillet 1940 : création des Forces françaises libres (Forces Françaises Libres) à Londres. Juillet : mise en place de la ligne de démarcation. 3 juillet : La marine anglaise coule la flotte française basée à Mers el-Kébir (Algérie). 1 297 marins sont tués. Le Royaume-Uni, alors seul face à l’ennemi allemand et italien, craignait que l’armistice signé par le gouvernement français avec l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste ne fasse tomber la flotte française dans les mains d’Hitler. Longue de 1 200 km, la ligne de démarcation instaurée en France par les forces d’occupation traverse treize départements, dont la Dordogne. Les troupes allemandes occupent près de 10 % du département, soit 46 communes rattachées administrativement à la Gironde et à la Charente. La partie est de la Dordogne, la plus importante, est intégrée à la zone dite libre, directement contrôlée par le régime de Vichy. Le long de cette frontière, les forces d’occupation installent des guérites et des chicanes sur lesquelles flottent des drapeaux nazis. Barrages sur les routes secondaires et poteaux plantés dans les prés signalent la présence de la ligne de démarcation. Des panneaux, rédigés en allemand et en français, interdisent son franchissement en dehors des lieux autorisés. Tout contrevenant risque une incarcération d’une douzaine de jours au fort du Hâ, à Bordeaux, ou à la prison de Libourne ou d’Angoulême. L’occupant accorde avec parcimonie un Ausweis (carte d’identité) ou un Passierschein (laissez-passer). Une fois obtenu, le précieux document a une validité temporaire. La mise en place de la ligne de démarcation perturbe considérablement la vie quotidienne des « frontaliers ». Des agriculteurs se retrouvent avec des parcelles situées sur les deux zones. Des écoliers n’ont plus accès à leur école car des villages comme Saint-Barthélémy-de-Bellegarde ou Echourgnac sont coupés en deux. Situé tout près de la ligne de démarcation, l’hôtel-restaurant de Noëla Malard, le Jeanne d’Arc, à Beaupouyet, constitue un des maillons du réseau du Musée de l’Homme. Fondé à Paris en juillet 1940, l’action du réseau s’organise autour de trois activités principales : l’acheminement de prisonniers évadés en Espagne ; la diffusion de tracts et de journaux ; le renseignement militaire à destination des Alliés. Des documents secrets à caractère politique et militaire hautement sensibles destinés aux Alliés sont déposés dans l’établissement de Noëla Malard qui sert aussi de lieu de transit et d’accueil. Lors du démantèlement du réseau du Musée de l’Homme, en février 1941, par les services allemands, Noëla Malard n’est pas inquiétée, vraisemblablement grâce au silence des résistants arrêtés. Fernande Escudié (née Daguin) de Montpon, s’illustre également pendant cette période. Détentrice d’un laissez-passer allemand (Ausweis), elle est active dès l’été 1940. Elle rend d’abord service à des amis en apportant à bicyclette des lettres à Mussidan. Sa probité et son efficacité lui valent d’être contactée au début de l’année 1943 par Roger Girard, un membre important du réseau de résistance Organisation Civile et Militaire (OCM). Devenue une passeuse homologuée par l’OCM, la jeune femme est active jusqu’en juillet 1943, date de son arrestation par des policiers français. Déportée au camp de concentration pour femmes de Ravensbrück, puis à Bergen Belsen, elle est libérée en 1945.

La rigueur des contrôles de l’occupant à Montpon « Nous signalons à nouveau les rigueurs dont font preuve les douaniers allemands en gare de Montpont [orthographe de l’époque] à l’égard des usagers des trains sans considération d’âge et de sexe. Les femmes, les enfants et même les vieillards sont soumis depuis ces derniers 15 jours à des fouilles très sévères à corps et à bagages, circonstances qui occasionnent des retards variables allant jusqu’à 45 minutes aux trains à destination de la zone libre. Il a été remarqué par certains voyageurs frontaliers que les mesures vexatoires ont surtout lieu lorsque l’inspecteur des douanes ENGEL….. […] est de service à Montpont. Il s’agirait d’un fonctionnaire d’une trentaine d’années, très craint de ses subordonnés. » Stratagème ennemi sur la ligne de démarcation « D’après deux habitants demeurant près de la ligne de démarcation qui ont tous deux confirmé ce renseignement, des Allemands, mal habillés, se disant évadés, ont ces jours derniers demandé le passage et des indications à différents civils d’un village proche de la ligne. Après avoir obtenu satisfaction, ces faux évadés ont fait arrêter les civils en question, et ceux-ci ont été dirigés sur la ville importante la plus proche, en zone occupée. » Provocations sur la ligne de démarcation « Arrivés par la route de Villefranche [de-Lonchat] nous nous approchions du barrage « au poteau de Carsac » lorsque nous vîmes une patrouille allemande composée de deux hommes. Aussitôt ils nous interpellèrent en allemand […]. Je leur répondis en allemand, ce qui parut les surprendre, et leur demandai ce qu’ils voulaient. Ils me dirent que nous n’avions pas le droit de passer par cette route qui était en zone occupée et qu’on avait… arraché la pancarte qui, selon eux, devait se trouver à un endroit qu’ils désignaient vaguement. […] Comme [l’un des deux] continuait à me tutoyer je lui ai demandé s’il savait à qui il avait affaire et qu’il n’avait qu’à être poli à mon endroit. […] Il me dit : « Fussiez-vous le parent de l’Empereur de Chine, ça m’est bien égal ». » Rapport du brigadier-chef des douanes du poste de Saint-Rémy-sur-Lidoire, octobre 1940. Les débuts de l’activité de passeur de la ligne de démarcation de Fernande Escudié « Mon frère aîné, Gaston, vivait à Bordeaux. Il travaillait dans la succursale d’un magasin de tissus de luxe qui appartenait à un propriétaire juif. Le magasin principal était à Paris. À l’automne 1940, mon frère m’a demandé de faire passer le directeur en zone libre. Ce monsieur est arrivé un jour muni d’une canne à pêche et d’une musette pour donner le change. J’ai demandé de l’aide à un ami militaire qui habitait Mussidan, mais dont les parents habitaient Saint-Barthélémy-de-Bellegarde. Il circulait en moto et connaissait parfaitement les endroits pour passer la ligne de nuit à Saint-Barthélémy-de-Bellegarde. Le passage a été effectué sans problème. Ensuite mon frère m’a demandé si je pouvais faire passer d’autres juifs. » L’arrestation de Fernande Escudié (16 juillet 1943) « Un jour, je revenais de Libourne. Ma mère m’a dit qu’il y avait une quinzaine de jeunes qui étaient là et que, ne sachant quoi en faire, elle les avait envoyés au bord de la rivière [l’Isle], dans un endroit broussailleux. Quelques-uns sont passés par Saint-Barthélemy-de-Bellegarde, d’autres par ailleurs. Quelques jours après, un de ces jeunes s’est fait prendre. Il a indiqué son itinéraire et le lieu de passage de la ligne. J’ai été arrêtée le 16 juillet 1943. On m’a emmenée à la gendarmerie où j’ai été interrogée. Je n’ai pas pu nier. J’ai bien confirmé avoir fait passer des réfractaires, mais je n’ai bien sûr pas indiqué mon appartenance à l’OCM. On m’a emmenée à la gare en partance pour Bordeaux. Un inspecteur, venu de Limoges, m’a alors dit : « Madame, vous allez partir en Allemagne. Il y a trois cas : un cas où l’on revient, un cas où on revient avec un peu de chance, un cas où on ne revient pas du tout. » Il a visité toute la maison. Dans l’armoire, il a trouvé un livre de

messe. Il a demandé s’il était à moi. Je lui ai répondu que oui. Il m’a dit que j’avais de la chance, car il m’avait prise pour une juive. Nous sommes arrivés à Bordeaux et j’ai été emmenée dans un dépôt. C’était une pièce noire. J’y suis restée une ou deux nuits. Puis est arrivée une prostituée. Elle voulait fumer, discuter… Ensuite, on m’a emmenée au camp de Mérignac. Mon frère était lui aussi détenu. Je l’ai retrouvé au camp de Mérignac. Nous y sommes restés 15 jours. Notre mère est venue nous voir de Montpon. Ensuite, nous sommes allés au fort du Hâ. J’y suis restée six mois, car il y avait l’affaire Grandclément et les Allemands remontaient le réseau. Nous étions 60 rassemblés dans une grande salle prévue pour 30 personnes. Il paraît que parmi nous, il y avait un mouton. Quand je descendais à l’interrogatoire, c’était les Allemands qui nous interrogeaient. Je n’étais pas maltraitée, car j’étais en cause seulement pour le passage des réfractaires. Mais ils ont fini par savoir que j’étais membre de l’OCM. » L’accueil des membres du réseau du Musée de l’Homme à Beaupouyet par Noëla et Raymond Malard Raymond Malard : « René Sénéchal [membre du réseau] venait deux fois par mois, chaque fois avec une vingtaine de personnes. Elles arrivaient chez nous la nuit en franchissant la ligne de démarcation à pied. Nous avions un chien qui couchait dans la cuisine. Quand il commençait à grogner, ma mère disait : « C’est Sénéchal qui arrive. » Quelques minutes après, on tapait effectivement à la porte. Les arrivants allaient alors dans la salle de bal et on leur apportait la soupe. Ils couchaient là, sur des matelas qui avaient accueilli les Alsaciens quelques mois auparavant. Ils repartaient le lendemain matin. J’ignore comment Sénéchal avait eu notre adresse, mais il venait chez nous en toute confiance. » L’ouverture de valises contenant des documents secrets Raymond Malard : « Un jour, René Sénéchal a dit à ma mère qu’il laissait deux valises et qu’il reviendrait les chercher dans quinze jours. Il n’est jamais revenu. Plus tard, nous avons appris que Sénéchal avait été pris et qu’il avait été fusillé. Nous avons gardé ces valises plusieurs mois dans le grenier, peut-être un an. Nous nous doutions bien qu’il y avait quelque chose d’important dans ces valises, car nous savions ce qu’il faisait, mais nous ignorions ce qu’elles contenaient. Ma mère a décidé d’ouvrir les valises. Nous y avons trouvé des plans de la base aérienne de Strasbourg, des plans du mur de l’Atlantique et d’autres documents. Nous les avons laissés au grenier, mais nous avons alors compris que nous aurions pu nous faire tuer.

5 - L’EXIL DES MOSELLANS À MUSSIDAN (17 NOVEMBRE 1940 - 18 AVRIL 1945) 11 novembre 1940 : manifestation d’étudiants et lycéens à Paris pour commémorer la victoire contre l’Allemagne lors de la Première guerre mondiale. 17 novembre : raid nocturne de 150 appareils de la Luftwaffe sur Southampton (Angleterre). 17 novembre : expulsion de 247 habitants de Vigy (Moselle) vers Mussidan. 18 avril 1945 : les expulsés de Vigy retrouvent leur terre natale. Aucune clause de l’armistice signé le 22 juin 1940 ne mentionne le sort de l’Alsace et de la Moselle. Trois départements, le Haut-Rhin, le Bas-Rhin et la Moselle sont pourtant annexés de fait et intégrés au Reich le 25 juillet 1940. Une administration allemande est mise en place à la fin du mois de juin et les anciennes bornes frontières de 1871 sont aussitôt réactivées. Le préfet de la Moselle, Charles Bourrat, est arrêté le 16 juin puis séquestré, avant d’être finalement expulsé le 8 août. Désormais le Gauleiter allemand Josef Bürckel, nommé administrateur civil de la Moselle, dirige le département. Lors de son entrée dans Metz, le 21 septembre, Josef Bürckel parcourt à cheval les rues jonchées de livres français déchirés avant de se faire remettre solennellement les clés de la ville par l’ancien maire allemand de 1918. Le signal est clair. Toute référence à la culture française est bannie. Les livres écrits dans cette langue sont d’ailleurs détruits, et la pratique du français interdit. Et sont expulsés tous les « indésirables » et les « non assimilables ». Cela n’empêche pas la population mosellane de manifester à plusieurs reprises son attachement à la France. Le 15 août 1940, les fêtes de l’Assomption donnent ainsi lieu à d’importantes manifestations patriotiques sur la place Saint-Jacques de Metz. La réaction des nazis ne se fait pas attendre. Plus de 57 000 Mosellans sont expulsés entre le 11 et le 21 novembre 1940. En quelques mois, 40 % des habitants ont été contraints de quitter le département. Ils sont remplacés par des colons allemands venus de Bessarabie ou du Palatinat. La germanisation accélérée des territoires annexés au Reich a démarré. Les expulsés de Vigy arrivent en gare de Mussidan le 26 novembre. La commission de contrôle postal de Périgueux précise, dans son rapport bimensuel du 16 novembre au 1er décembre, que « l’arrivée des Lorrains a produit une véritable vague de haine contre l’Allemagne et [qu’elle] a aussi déclenché un vif sentiment d’admiration pour les expulsés dont le courage et le sentiment d’amour pour la France sont vraiment magnifiques ». Les nouveaux arrivants s’intègrent rapidement en Dordogne. Ils sont bientôt suivis par des Mosellans qui fuient l’incorporation forcée dans les rangs de l’armée allemande après avoir effectué leur temps au Service du travail (Reichsarbeitsdienst ou RAD). Tous savent qu’ils sont là pour une longue période. Beaucoup d’entre eux travaillent dans les usines locales et dans les fermes environnantes. Le Trait d’Union, journal de la communauté mosellane, joue un rôle majeur pour maintenir le lien avec sa région d’origine. La Moselle connaît quatre années particulièrement difficiles sous l’autorité du Reich, entre la transplantation forcée en Silésie ou en Tchécoslovaquie des francophones « non assimilables », et l’incorporation forcée des jeunes dans l’armée allemande (les « Malgré nous »). Quant aux expulsés, ils vivent, comme tous les autres Mussidanais, les événements tragiques de l’année 1944. Plusieurs d’entre eux sont déportés en camp de concentration à la suite des rafles du 16 janvier et du 26 mars. Huit d’entre eux font partie des 52 victimes du massacre du 11 juin à Mussidan. La Dordogne est officiellement libérée le 25 août 1944. Mais les exilés mosellans ne rejoingent leur terre natale que plus de six mois plus tard. Les combats qui ont continué jusqu’en avril 1945, les voies de communication détruites et les problèmes de ravitaillement ont été autant d’obstacles à leur retour. Les liens indéfectibles tissés entre les deux communautés durant les années noires n’ont pas été brisés. Le comité de jumelage créé en 1990 entre Mussidan et Vigy en est la preuve.

Les manifestations patriotiques de l’été 1940 à Metz Georges Guérin : « Le 15 août à Metz, sur la place Saint-Jacques - il y a une grande colonne surmontée d’une vierge réalisée après le retour de la Moselle à la France en 1918-, j’étais présent avec mes parents. Il y a eu des chants religieux et patriotiques. » Josette Grandidier-Léonard : « Nous boudons leurs défilés, leurs organisations. Nous fêtons avec plus de ferveur la fête de l’Assomption, religieuse mais aussi patriotique parce qu’elle commémore la consécration de la France à la Vierge par Louis VIII. Des bouquets de bleuets, marguerites et coquelicots sont déposés aux pieds de la Vierge. Les Allemands comprennent. » L’arrivée des expulsés de Vigy à Mussidan (26 novembre 1940) Extrait du rapport du commissaire spécial de la surveillance du territoire en résidence à Mussidan : « Le poste a fourni son concours au service des évacués au moment de l’arrivée du train, pour assurer l’ordre et aider les infirmes et les vieillards à descendre des compartiments, avec le concours de la Gendarmerie. Une dizaine de Lorrains malades ont été hébergés par l’hôpital de Mussidan. Il y a lieu de noter, parmi ces derniers, la présence d’une femme de 94 ans, presque entièrement paralysée et qui a, malgré tout, fait l’objet d’une expulsion. » Témoignages d’expulsés sur la vie en Mussidanais Josette Grandidier-Léonard : « La municipalité de Mussidan […] met à notre disposition matelas, couvertures, poêles et ustensiles de cuisine. Ensuite, aidé par des bénévoles, chacun se cherche un logement, soit chez des particuliers, soit dans des baraquements […] On nous appelle « les réfugias ». Nous nous considérons comme des exilés ; nous passons par des phases de dépression quand nous réfléchissons sur notre sort, mais nous connaissons aussi des moments d’optimisme quand nous nous réunissons les uns chez les autres et que nous évoquons notre Vigy […] Nous avons également notre insigne, tricolore naturellement, frappé de la croix de Lorraine et de l’hirondelle, symbole du retour au foyer. » Jean-Marie Genevaux : « Nous avons été immédiatement bien accueillis par les Mussidanais, contrairement à ce qui s’était passé avec les Alsaciens : ceux-ci parlaient un patois que les gens assimilaient à la langue allemande […]. Les Mosellans parlaient français, et comme ils savaient qu’ils étaient en Dordogne pour un certain temps, ils ont cherché du travail. Ils se sont ainsi mêlés à la population et l’intégration a été très rapide.

6 - L’INVASION DE LA ZONE LIBRE (11 NOVEMBRE 1942) 8 novembre 1942 : débarquement des troupes anglo-américaines en Afrique du Nord. 11 novembre : Lors de l’opération Anton, les Allemands et les Italiens envahissent la zone dite libre, désormais appelée « zone sud ». La zone occupée est appelée « zone nord ». Des unités de la Wehrmacht s’installent à Périgueux. 27 novembre : Sabordage de la flotte française dans la rade de Toulon sur l’ordre de l’Amirauté du régime de Vichy pour éviter sa capture intacte par le IIIe Reich. 30 novembre : des unités de la Wehrmacht et de la Luftwaffe s’installent à Bergerac. Le 11 novembre 1942, en Dordogne, les soldats français du 26e Régiment d’Infanterie positionnés sur la ligne de démarcation reçoivent l’ordre de ne pas résister à l’invasion de la zone occupée par les troupes allemandes. Ils assistent impuissants au franchissement de la ligne de démarcation par des éléments de la 3e division blindée SS Totenkopf. Les 100 000 hommes de l’armée d’armistice, présents en zone libre, sont démobilisés et renvoyés dans leurs foyers. À leur réveil, les habitants de Mussidan découvrent les convois allemands qui passent en grand nombre en direction de Périgueux. Une quinzaine de soldats s’installent en ville pour assurer la surveillance de la station de pompage et du pont de chemin de fer. Dès le 11 novembre, une formation de soldats allemands prend position à la caserne du 35e régiment d’Artillerie à Périgueux. Quelques jours plus tard, la Police de Sûreté allemande ou Sipo-SD, plus connue sous le nom de « Gestapo », s’installe au premier étage de l’immeuble du Crédit Lyonnais. Enfin, le 30 novembre, des unités de la Wehrmacht s’installent à Bergerac pendant qu’une unité de la Luftwaffe prend possession de l’aérodrome de Roumanière. En arrivant en zone libre, les autorités allemandes découvrent des stocks considérables d’armes et de véhicules de l’armée française. En effet, depuis la défaite, le Camouflage du Matériel (CDM), organisation clandestine créée à l’été 1940 au sein de l’état-major, dissimulait armes, munitions, véhicules et équipements divers pour préparer la revanche contre l’Allemagne. En Dordogne, les militaires du CDM opèrent notamment sous la protection de Joachim Clech, commandant de la compagnie de la gendarmerie du département. Ce dernier est par ailleurs responsable de la section périgourdine du réseau Vénus-Kleber, un réseau de renseignement de l’armée. Arrêté par la Gestapo en juillet 1943, il est déporté. Le CDM est d’ailleurs rapidement démantelé après l’invasion de la zone libre. Hubert Faure, employé à la mairie de Ribérac pour s’occuper de la commission de ravitaillement, compte parmi les membres du CDM. Sur une zone qui s’étend de Ribérac à Beauronne, près de Mussidan, il a pour mission de vérifier le bon entretien du matériel de l’armée camouflée. À la suite d’une imprudence de son chef de secteur, « arrêté avec tout l’organigramme du CDM écrit noir sur blanc sur un carnet » se souvient Hubert Faure, il doit prendre la fuite. Après un long périple qui le fait passer par l’Espagne, Hubert Faure rejoint Londres, puis la France Libre. Il s’engage dans le légendaire commando Kieffer qui débarque le 6 juin 1944 sur les plages de Normandie.

Le passage des troupes allemandes à Mussidan le 11 novembre 1942 « Il y avait une nuée de soldats sur la place. Les convois circulaient sur la route nationale 89 et traversaient donc la ville. À partir de là, cela n’a plus cessé. (...) au bout de quelque temps, il n’est resté dans la ville qu’une petite garnison d’une quinzaine d’hommes. C’étaient des soldats de la territoriale qui gardaient la station de pompage et le pont de chemin de fer. » L’appel au calme adressé à la population par le Préfet Rivière après l’entrée des troupes allemandes à Périgueux « Ce matin, à 9h30, une formation allemande est entrée à Périgueux où elle doit s’installer au quartier de l’artillerie. Cette formation placera à la périphérie de Périgueux des postes armés ayant strictement une mission militaire de sécurité. Le commandant de cette formation m’a donné l’assurance qu’aucune restriction ne sera apportée à la vie normale de la cité et m’a assuré de la correction absolue de ses troupes. A mon tour, je fais un appel pressant à la population pour qu’elle conserve tout le calme et le sang-froid nécessaires et qu’elle évite absolument tout incident. » Le sabordage de la flotte de Toulon raconté par le Périgourdin Raymond Pauly, charpentier sur le torpilleur « Le  Bordelais » « Les Allemands sont arrivés le 27 novembre 1942 à 4h du matin. Ils ont commencé à larguer des mines dans la passe, mais des sous-marins ont réussi à fuir. Cela faisait deux mois environ que nous étions sous pression, prêts à l’appareillage. Les équipes de sécurité ont fait le nécessaire pour faire sauter les bâtiments en plaçant des explosifs. Les portes des coursives ont été laissées ouvertes pour faire entrer l’eau et nous sommes partis à la nage. Les Allemands nous attendaient sur le quai et ce ne fut pas drôle pour nous. La Kriegsmarine [marine de guerre allemande] était prête à prendre en main les bâtiments. Les Allemands nous ont faits prisonniers et nous ont gardés jusqu’en avril 1943. Je faisais 48 kilos quand je suis sorti ». Témoignage d’Hubert Faure, responsable du camouflage et l’entretien du matériel sous les ordres de l’organisation Camouflage du CDM « Il ne devait y avoir aucune trace écrite de notre activité. Le 26e Régiment d’Infanterie, les artilleurs du 35e également, ne devaient pas posséder de matériel de transport d’après les conventions d’armistice. Mais tout leur matériel était (…) dissimulé dans les bois. Il y en avait beaucoup dans le secteur de Ribérac. Le matériel devait être vu et tourner au moins une fois par mois pour être maintenu en bon état de marche. Mon travail était de vérifier que cela était bien effectué. Nous avons également dissimulé des pièces introuvables comme des pompes à injections de diesel (...) dans des châteaux. »

7 - L’INSTAURATION DU SERVICE DU TRAVAIL OBLIGATOIRE (STO) ET LA CRÉATION DES MAQUIS 16 février 1943 : Annonce de l’instauration du Service du Travail Obligatoire (STO) par Pierre Laval Automne : création des premiers maquis de réfractaires dans la Double En Dordogne, l’activité de la Résistance est relativement modeste jusqu’au début de l’année 1943. L’annonce par le chef du gouvernement de Vichy, Pierre Laval, de la création du Service du Travail Obligatoire (STO) sert de détonateur. Il agit sous la pression du Gauleiter Fritz Sauckel, le plénipotentiaire général pour l’emploi de la main-d’œuvre européenne en Allemagne, surnommé le « négrier de l’Europe ». Le STO remplace le système de la Relève, fondé sur le principe du volontariat. Instaurée en juin 1942 par Pierre Laval et prévoyant le retour d’un prisonnier de guerre français pour trois ouvriers volontaires français en Allemagne, la Relève, malgré la propagande vichyste et nazie, ne fournit pas à l’Allemagne la main-d’œuvre attendue. Désormais, tous les jeunes nés entre 1920 et 1922 sont requis pour une période de deux ans. Ils partent travailler au cœur du Reich ou, plus rarement, dans des usines en France sous la coupe de l’occupant. Nombreux sont ceux qui ne reviennent qu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les réfractaires au STO n’ont pas d’autres choix que de se cacher. Ils le font sous le regard souvent bienveillant de la population qui les ravitaille et garde le silence. Ils peuvent aussi compter sur le soutien de gendarmes acquis à la cause de la Résistance comme le maréchal des logis-chef Auguste Depelchin, de la brigade de Mussidan, et le maréchal des logis-chef Gérard Mignon, de la Brigade d’Echourgnac. Leur aide est précieuse, car ils communiquent régulièrement des informations de premier ordre sur l’activité des collaborateurs ou sur les opérations en préparation contre le maquis. Les « Légaux » sont aussi importants. Ce nom désigne les personnes qui, tout en participant à l’action menée par la Résistance, n’ont rien changé à leur vie professionnelle et familiale. Leur représentant le plus emblématique en Mussidanais est Émile Bazillou, le responsable du Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France (mouvement de résistance à l’occupation allemande, créé à l’instigation du Parti communiste français). Dans la région de Mussidan, l’épaisse forêt de la Double, qui s’étend sur près de 500 kilomètres carrés, est un lieu de refuge idéal pour les réfractaires. Ils sont ravitaillés, voire « camouflés » dans des fermes « amies » comme travailleurs. Progressivement, une partie des réfractaires s’organisent en maquis pris en charge par la Résistance. La « communauté maquisarde » possède ses propres codes et rituels. Une fois entré au maquis, le nouveau venu doit effacer tous les signes distinctifs de sa vie antérieure. Ses papiers d’identité sont détruits et son nom de famille disparaît au profit d’un « nom de maquis » qu’il choisit ou qu’on lui attribue. Les particularités de certains d’entre eux sont souvent à l’origine de leur nouvelle identité. Ainsi, Christian Michaud devient Zazou, car il entonne régulièrement cette chanson d’Andrex. Une fois entré au maquis, le jeune réfractaire apprend le maniement des armes et la garde du camp. La capacité à assurer la garde sans s’endormir conditionne en effet l’intégration au groupe. Occupant des fermes abandonnées, huttes, cabanes, sapes, et plus tard camps de tentes confectionnées en toile de parachute appelées marabouts, les maquisards ont des conditions de vie sommaires. Cela n’empêche pas ces jeunes hommes de goûter à cette aventure collective exceptionnelle.

Extrait de la convocation au STO reçue par Abel Brouage au mois de mai 1943 « Brouage Abel […] se présentera le 7 juin 1943, avant 12h, au camp du Palais, Route du Palais, Limoges (Haute-Vienne), pour passer une visite médicale. Il devra arriver avec le bagage nécessaire pour un départ éventuel en France ou en Allemagne. L’inexécution du présent ordre entraînera l’application des sanctions prévues par la loi. » Témoignage de Marc Boyer, des Lèches, requis pour le STO au mois de mai 1943 « Nous avons pris la direction de Limoges en passant par Périgueux. Avec certains camarades nous avons alors envisagé de nous “ tailler ”, mais la Milice était là, de chaque côté du train, et nous n’avions pas le droit d’ouvrir une porte. De là, nous sommes partis pour Limoges où nous avons été internés dans le camp du Palais sur Vienne. Nous étions coincés. Nous avons passé une série d’examens médicaux. On nous a fait déshabiller afin de vérifier si nous n’étions pas juifs. Puis, on nous a à nouveau embarqués, bien surveillés, en direction de Dijon. Là, nous avons été logés dans des casernes. À notre grande surprise, nous étions libres ! Nous avons essayé de fuir en allant à la gare, mais elle était très surveillée. Nous ne savions absolument pas ce qui nous attendait en Allemagne. » L’inertie de certains gendarmes face aux réfractaires au STO : Témoignage de Gaston Sussac, de Saint-Michel-de-Double « En mai 1943, mon frère aîné est requis au STO. Les gendarmes ont porté la convocation en trouvant malheureux d’aller aider l’ennemi. Mon frère est alors allé à 500 mètres de chez nous dans une vieille maison. On a installé un lit et quelques bricoles, mais il ne faisait pas de feu. On lui apportait à manger. Il était avec un copain de Saint-Michel-de-Double, Yves Redon. Ils ne sortaient que la nuit pour aller dans les maisons. Ils mangeaient et repartaient en emportant des victuailles pour la journée. Nous nous entendions bien avec un gendarme de la brigade de Saint-Vincent-deConnezac qui se nommait Prud’homme. Voici ce qu’il a fait faire à mon frère : “ Tu fais une lettre en disant qu’arrivé à la gare de Périgueux, tu as changé d’avis et de direction et que tu n’es pas parti en Allemagne. Il va y avoir une enquête. ” Les gendarmes passaient souvent boire le café ou casser la croûte. Nous n’avions aucun problème avec eux. Ils ne savaient pas où mon frère était, mais ils savaient qu’il n’était pas parti et ne voulaient rien savoir d’autre. Une quinzaine de jours plus tard, les gendarmes sont revenus pour faire une enquête. Nous avons montré la lettre de mon frère. Cela a duré du mois de juin 1943 au 26 mars 1944. » À la recherche du maquis : témoignage d’Albert Laborie, alias Théo « Je travaillais avec un ami dans une propriété de Saint-Michel-de-Double, où j’étais domestique. J’avais 19 ans. Un jour de février 1944, nous avons entendu une détonation. Nous nous sommes dit qu’il s’agissait peut-être du maquis et des Allemands qui venaient de se rencontrer. J’ai dit à mon ami que si je savais où le maquis était, j’irais le retrouver. Il m’a dit : “ Cela t’intéresse ? ” J’ai acquiescé et il m’a répondu : “ Tu vas à tel endroit trouver telle personne qui t’indiquera où sont les maquis. ” Nous étions un samedi. Le dimanche matin, je suis parti en vélo chez la personne qu’il m’avait indiquée, un homme nommé Tamarel. En arrivant chez lui, j’ai vu sa sœur qui m’a dit qu’il n’était pas là ; elle m’a recommandé de revenir dans l’après-midi. Je suis donc revenu l’après-midi, Tamarel était là, et je lui ai expliqué ce que je voulais, mais il ne savait pas à qui il avait affaire. À cette époque, on ne parlait pas du maquis. Il m’a proposé de revenir le samedi suivant, à l’occasion d’une représentation de théâtre, à Saint-Michel-de-Double. […] Je suis allé voir d’autres personnes et, de fil en aiguille, je suis arrivé à la ferme de Devassine, près d’Echourgnac. Celui-ci m’a dit : “ Tu arrives un peu tard, car il y a 5 minutes ils étaient là ”. Devassine m’a conseillé de me rendre chez un dénommé Berthier, qui était garagiste à Echourgnac, en pensant que les maquisards étaient encore chez lui. Me revoilà parti en vélo à Echourgnac. Arrivé chez Berthier, celui-ci m’a dit qu’ils allaient revenir, mais que je devais attendre jusqu’au soir. Le soir, ils sont effective-

ment passés chez Berthier. Ils m’ont pris. Nous sommes ensuite passés à la ferme Devassine en prendre un autre, puis encore d’autres chez Alice Barrat, à Saint-André-de-Double. » L’entrée au maquis, témoignage de Jean Vitrac, alias Jeannot « Doublemètre stationnait dans une grange pas loin. Nous sommes allés le voir. Il était là, avec au moins une vingtaine de personnes. Nous sommes ainsi rentrés dans ce maquis là. Arrivé dans une ferme, j’ai ensuite connu Roland, Alfred, Arthur. Je suis resté ensuite avec Roland. Nous étions une vingtaine et nous avions deux ou trois tractions. » La vie au maquis. Témoignage de Christian Michaud, alias Zazou « L’ambiance était absolument fraternelle. La discipline était toute naturelle : nous étions là de notre plein gré, rien ne nous obligeait à rester. Obéir était donc normal, quel que soit celui qui donnait l’ordre, sans se préoccuper de voie hiérarchique (nous n’en connaissions pas le détail, d’ailleurs). Nous aimions nos chefs, ils nous aimaient, chacun était prêt à risquer sa vie pour un copain. On ne songeait d’ailleurs pas au danger ».

8 - LA MONTÉE EN PUISSANCE DE LA RÉSISTANCE 1er janvier 1944 : Joseph Darnand, chef de la Milice, est nommé Secrétaire d’État au maintien de l’ordre 8 janvier : exécution à Mussidan de Jacques Binger, indicateur du SD, par la Résistance. 11 juin : un détachement de la Sipo-SD (ou «Gestapo») de Périgueux, renforcé par un peloton de la Brigade nord-africaine de la sinistre bande Bonny-Lafont, fusille 52 personnes à Mussidan, dont Raoul Grassin, le maire de la commune. La Résistance effectue ses premiers sabotages à l’été 1943. Les cibles sont les batteuses (afin d’empêcher les livraisons de blé aux Allemands), les voies ferrées, les usines ou, plus généralement, toutes les infrastructures nécessaires au fonctionnement de la machine de guerre allemande. Des actions à la portée plus symbolique marquent également les esprits. Ainsi, à Mussidan, dans la nuit du 6 au 7 octobre 1944, un drapeau français orné d’une croix de Lorraine et d’un V de la victoire est déposé devant le monument aux morts avec un carton portant l’inscription : « À nos libérateurs ». Les réquisitions de matériel et de vivres chez les Chantiers de jeunesse (organisation paramilitaire du régime de Vichy), ou chez des individus réputés hostiles à la Résistance sont d’autres exemples de l’action menée par les maquisards. A partir du mois de novembre 1943, les groupes de résistance, mieux structurés et organisés, montent en puissance, d’abord pour équiper nourrir leurs hommes, mais aussi pour réagir aux lettres de dénonciation et autres actions des agents favorables au régime de Vichy. Le maquis vit en effet sous la menace permanente de se faire repérer et dénoncer notamment par les membres du Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot et de la Milice de Joseph Darnand. En quelques mois, les autorités sont complètement dépassées par la situation. Le nombre d’actions de la Résistance en Dordogne (sabotages, réquisitions, exécutions sommaires) passant de 72 en décembre 1943 à 369 en février 1944. Dans la nuit du 6 au 7 décembre 1943, par exemple, les résistants volent 1 200 litres d’essence et 1 000 litres de gasoil au dépôt de M. L., à Mussidan. Un mois plus tard, le 8 janvier 1944, Jacques Binger, fils de l’explorateur Louis-Gustave Binger, est exécuté après avoir fait arrêter un jeune résistant par la Milice. La population de Mussidan le considérait comme un indicateur du SD. Plus tard, dans la nuit du 11 au 12 janvier 1944, quatre hommes armés et masqués réquisitionnent 14 canadiennes et un blouson à la manufacture des frères Gilfriche, à Mussidan. La Résistance s’en prend aussi aux troupes d’occupation. Le 9 octobre, des résistants de la e 35 brigade FTP-MOI (Francs-Tireurs et Partisans - Main d’Œuvre Immigrée) Marcel Langer, venus de Toulouse, déposent à Périgueux deux bombes devant le siège de la Kommandantur ainsi que deux autres dans le couloir des locaux du SD. Les dégâts matériels sont importants. La réaction des forces d’occupation ne se fait pas attendre. Le 11 juin 1944, un détachement du SD de Périgueux, renforcé par un peloton de la Brigade nord-africaine de la sinistre bande Bonny-Lafont, fusille 52 personnes à Mussidan, dont Raoul Grassin, le maire de la commune. Ils agissent en représailles à une attaque par des résistants d’un train blindé en gare de Mussidan et à un accrochage avec un convoi de la 11e Panzerdivision de la Wehrmacht.

Extraits des comptes-rendus mensuels adressés par le préfet de la Dordogne Jean Popineau au préfet régional Marc Freund-Valade à Limoges 27 septembre 1943 : « L’opinion publique devient toujours de plus en plus mauvaise […] De passive qu’elle était, elle devient active dans le sens antigouvernemental. Les gens commencent à dire tout haut ce qu’ils ne disaient qu’en sourdine et à braver ce qui apparaît à beaucoup d’entre eux comme les vestiges d’un régime qui ne durera pas. » 31 janvier 1944 : « La situation intérieure du département continue à être particulièrement trouble. Des groupes de réfractaires poursuivent leurs opérations avec une audace croissante, car ils constatent tous les jours que les effectifs de police insignifiants stationnés en Dordogne ne peuvent les inquiéter. La population, tantôt terrorisée, mais surtout favorable à ce “ maquis ”, manifeste parfois ouvertement son approbation. C’est ainsi que dans le courant de la semaine dernière, un groupe de réfractaires s’est emparé dans la journée, et en présence de 150 personnes, de titres d’alimentation de la commune de Terrasson. Les gendarmes, prévenus, se sont immédiatement rendus sur les lieux. Ils ont été tournés en dérision par ces 150 personnes qui ont refusé de donner le numéro de la voiture dans laquelle les auteurs de cet attentat s’étaient enfuis. De même, à La Coquille, la population a applaudi au vol des tickets d’alimentation par un groupe de réfractaires. Telles sont deux attitudes qui me paraissent bien graves : elles sont l’indice d’une coupure profonde entre une bonne partie de la population et les pouvoirs publics. » 2 mars 1944 : « Pendant le mois de février, la Dordogne a été le théâtre de multiples attentats terroristes […] dont le nombre s’est accru par rapport au mois précédent. » 16 mars 1944 : « À plusieurs reprises, j’ai eu l’honneur d’attirer votre attention sur le terrorisme qui sévissait en Dordogne et de vous faire part de mes craintes de voir la situation s’aggraver si des mesures d’ordres importantes n’étaient pas prises dans le plus bref délai. Malheureusement, les événements confirment ces appréhensions. La situation devient de plus en plus inquiétante. Les cambriolages, les vols, les agressions de toutes sortes se multiplient, ainsi que vous pouvez le constater par mes comptes-rendus quotidiens. Dans presque toute l’étendue du département, les hors-la-loi agissent en maîtres, par bandes de 20, 30, 40 individus, sous le regard impuissant des gendarmes : leur audace devient de plus en plus grande. Avant-hier, à Saint-Pardoux, ils ont organisé un barrage sur la route, avec fusils mitrailleurs et contrôlaient la situation. Le sous-préfet de Nontron fut lui-même arrêté et ne put passer qu’en montrant une carte d’identité sur laquelle ne figurait pas sa profession. Hier, c’était une voiture de ravitaillement de GMR qui était arrêtée près de Thiviers, et deux gardiens désarmés. Le nombre des assassinats se multiplie. Je vous en adresse la liste depuis le 1er mars. […] Malgré leur activité, les opérations entreprises par les forces de l’ordre n’ont pas donné jusqu’à ce jour d’intéressants résultats en raison de la mobilité des groupes de terroristes, de leur puissant armement, de la fragilité des renseignements obtenus, ainsi que du manque de moyens mis à notre disposition (manque d’essence et d’armement). Ne possédant aucune base de calcul, il est très difficile d’évaluer le nombre des hors-la-loi. Cependant, on peut dire que ceux-ci sont plusieurs milliers. Parmi eux, et principalement dans les cadres FTP communistes, il y a beaucoup d’Espagnols. Afin de mener des opérations qui dépassent maintenant le cadre d’actions de police pour devenir une véritable entreprise de guerre, il est absolument nécessaire d’envoyer en Dordogne de nombreux effectifs comprenant au moins deux mille hommes avec des moyens puissants […] J’insiste très vivement sur la gravité d’une situation qui devient chaque jour plus alarmante. Le tableau que je viens de brosser n’est pas noirci à dessein. Il n’est que le reflet de la stricte réalité. Si on attend trop longtemps pour prendre les mesures qui s’imposent, les hors-la-loi et les bandes communistes finiront par devenir entièrement les maîtres du terrain. »

Audition du chef du SD (Gestapo) de Périgueux Michaël Hambrecht, qui relate l’inquiétude des autorités d’occupation face à la montée en puissance de la Résistance en Dordogne en 1943 et 1944 « Dès mon arrivée en Dordogne, le 3 juillet 1943, la Dordogne était connue comme le coin le plus mauvais de toute la région du Kommando de Limoges. Le premier temps, jusqu’au printemps 1944 environ, l’activité des mouvements de résistance s’est bornée aux actions de personnes isolées contre des membres des troupes d’occupation et leurs installations à savoir : attaques à main armée de soldats isolés, sabotages de chemins de fer, surtout des trains transportant des troupes et des matériels allemands, de voitures et camions allemands et de maisons habitées par des services allemands. Ainsi, peut-être en octobre 1943, une bombe a éclaté dans la maison où notre service était installé. Les auteurs de ces actes de sabotage agissaient toujours seuls ou en petits groupes. La répression de cette activité pouvait être effectuée encore efficacement par les moyens d’un travail policier et à l’aide de mes propres faibles forces. Mais même dans cette époque, je n’ai pas réussi à remplir ma tâche cent pour cent à cause de mes effectifs trop faibles. »

9 - LA RAFLE POLITIQUE DU 16 JANVIER 1944 À MUSSIDAN 6 janvier 1944 : Philippe Henriot devient Secrétaire d’État à l’Information et à la propagande. 16 janvier : le général américain Eisenhower assure officiellement les fonctions de commandant en chef des forces expéditionnaires alliées. Rafle de Mussidan. Première opération de représailles de grande ampleur en Dordogne. 38 personnes envoyées en camp de concentration. Au matin du dimanche 16 janvier 1944, plusieurs centaines de soldats allemands encerclent Mussidan. Le SD de Périgueux coordonne l’opération. La Milice de Mussidan, qui connaît parfaitement le secteur et les habitants, les seconde. Elle leur a remis une liste précise des personnes à interpeller. L’ordre est donné à la population de rester chez elle. Tout homme surpris dans les rues est immédiatement appréhendé. Au cours de la matinée, l’occupant arrête une centaine de personnes. Au même moment, près de 600 hommes du 3e bataillon du 95e régiment de sécurité (Sicherungs-Regiment 95) et de l’Ost Bataillon 799 circulent sur les routes des communes voisines de Saint-Front-de-Pradoux, Saint-Médard-de-Mussidan, Bourgnac et Sourzac. D’autres membres du SD interceptent par hasard les passagers d’une traction dans laquelle ils découvrent une importante quantité d’armes et de munitions. Ses occupants sont Jean Laurière, de Sourzac, et deux de ses hommes, Claude Coustillières et André Rebès. Ils etaient activement recherchés. Jeannot commande en effet un groupe de résistants particulièrement actif, à l’origine de l’exécution de plusieurs collaborateurs dans le département au cours des mois de novembre et décembre 1943. Les trois hommes sont conduits à pied, mains en l’air et le visage ensanglanté, jusqu’à la mairie de Mussidan où sont rassemblés tous ceux qui ont été arrêtés. Roger Sirventon est, par exemple, pris à la place de Jean Besançon, tout comme Jean Arnaud qui porte presque le même nom que les deux frères Marcel et Jules Arnault. Ne trouvant pas ces derniers, la Gestapo capture leurs épouses, Berthe et Andrea, ainsi que Mélanie Huet, mère du résistant Pierre Huet, qui est parvenu à s’échapper. Malgré l’importance des moyens déployés, plusieurs résistants actifs, dont Pierre Huet, Robert Crouzille, Jules et Marcel Arnault, réussissent à s’échapper. Ils rejoignent aussitôt le maquis, où ils forment des groupes armés. Pour ceux qui ont été interpellés, l’interrogatoire du SD est sévère. La soixantaine de personnes relâchées doivent écouter les remontrances et les menaces d’un officier qui leur déclare : « Les habitants de Mussidan ne font rien contre le maquis qui pille les magasins et attaque les gendarmes. Si les Français ne savent pas où est l’intérêt de la France, cela est regrettable pour eux. Nous vous donnons une première leçon. Si elle ne suffit pas, nous reviendrons et cette fois nous ne vous relâcherons pas. » Les 38 personnes maintenues en détention sont conduites à Périgueux puis à Limoges, au siège du SD où elles arrivent dans la nuit. Après avoir passé la nuit dans la prison de Limoges, tous les hommes sont transférés par train dans l’immense camp d’internement de Royallieu, à Compiègne (Oise). Globalement, la rafle de Mussidan du 16 janvier 1944 est un succès. Elle permet aux autorités allemandes de neutraliser une grande partie de ceux qu’elles soupçonnaient d’apporter leur soutien ou d’appartenir à la Résistance. En revanche, elle ne permet pas d’atteindre le second objectif, qui visait à désolidariser la population civile de ceux que l’occupant nomme les « terroristes ».

Témoignage de Jean Serventie. Membre de la Résistance FTP. Il est arrêté dans la maison qu’il occupe avec sa famille, à Saint-Front-de-Pradoux « C’était un dimanche, sous un épais brouillard. Un officier, deux sous-officiers, Willy [Gersbach], l’interprète de la Gestapo de Périgueux, et trois soldats allemands nous tenaient en joue à environ cinquante mètres de la maison et sont venus nous arrêter. J’ai demandé à embrasser mon fils qui dormait dans la chambre au premier étage, un sous-officier m’a accompagné. J’ai embrassé ma femme ; à ce moment-là, l’officier lui a fait avec son pouce le signe de croix sur son front. Nous sommes partis en direction du pont de Mussidan, où un camion nous attendait. » Témoignage de Jacques Lachaud, instituteur à Mussidan « Sous le préau, le garde-à-vous le plus rigide est de rigueur. Le fait d’avoir les mains dans les poches, de s’appuyer au mur, vaut à son auteur gratification d’une gifle ou d’un coup de poing de la part des sentinelles. Dans la salle de classe [qui jouxte la mairie], le traitement infligé est plus dur encore. Des gémissements et des cris de douleur sortent de cette chambre de torture. Le lendemain des plaques de sang maculaient le plancher et les murs. À douze heures et demie, l’interrogatoire individuel du groupe du préau commence. Les questions insidieuses au possible, s’orientent toujours vers le maquis. »

10 - LE PASSAGE À LA LUTTE ARMÉE ET AUX SABOTAGES 16 mars 1944 : attaque d’un char allemand à Servanches par les maquisards de La Double. Après le temps des réquisitions, des intimidations et des exécutions des collaborateurs, arrive celui des sabotages, pour ralentir la machine de guerre allemande, et les actions de guérilla contre les troupes d’occupation. Pour mener à bien ce plan d’actions décidé par l’état-major interrégional des Francs-Tireurs et Partisans (FTP), il faut des armes et des explosifs. Il faut aussi structurer la Résistance. En janvier 1944, André Bonnetot, alias Vincent, commissaire régional aux effectifs des FTP, décide ainsi d’envoyer dans la région de Mussidan le Corrézien Henri Borzeix, alias Alfred ou Fredo. Ce dernier vient d’être formé à l’école clandestine interrégionale des cadres de Fanlac et sa mission est d’organiser et de structurer les différents groupes de réfractaires du secteur de Mussidan et de la Double, sous la bannière des FTP. Henri Borzeix rallie Robert Crouzille, alias Roland. Avec le groupe de Marcel Legendre, alias Valmy, qui est basé près de Bergerac dans la forêt du Landais, ainsi que le groupe de Jean Mignon, alias Kléber, et celui des frères Jules et Marcel Arnault, il forme ce qui devient alors la 3e compagnie FTPF. C’est le début de l’action armée et des sabotages dans la région. Par exemple, dans la nuit du 16 au 17 février, la voie ferrée Bordeaux-Périgueux est sabotée près de la gare de Beaupouyet : « Un rail de chaque voie a été coupé à deux endroits sur une longueur de 70 à 80 centimètres », indique le rapport de la gendarmerie de Mussidan. Les responsables militaires allemands estiment qu’ils ne sont plus en mesure d’éradiquer ni même de contenir la Résistance en Dordogne. Ainsi, 489 actions, dont 36 attaques mortelles contre des personnes et 30 sabotages contre les installations ferroviaires, sont enregistrées pour le seul mois de mars. D’après les aveux mêmes du colonel Bohmer, qui commande une partie des troupes opérant contre le maquis dans le Centre-Ouest de la France (dont la Dordogne), ses hommes sont peu armés, peu équipés et trop peu nombreux pour intervenir dans une zone d’opération qui couvre un huitième du territoire national. Les autorités allemandes décident alors de reprendre l’initiative en organisant une opération de terreur de grande ampleur en Dordogne, en Corrèze et en Haute-Vienne. Avertis par leur réseau de renseignement, les responsables du maquis de la Double décident de se replier avec leurs hommes vers des bases plus sûres dans le sud du département. Ils ne rejoignent le Mussidanais qu’après le débarquement allié en Normandie, le 6 juin 1944. Pendant ce temps, Émile Bazillou reste sur place et continue d’organiser et d’orienter les réfractaires dans l’attente de circonstances plus favorables.

Le sabotage des forges de Coly (commune du Pizou) dans la nuit du 6 au 7 mars 1944 : témoignage de Guy Léger Guy Léger : « Nous fabriquions des ronds à béton et des pointes pour la construction du mur de l’Atlantique. Étant donné que nous travaillions pour les Allemands, nous avons décidé, moi et un ami, Guy Lambert, d’essayer de contacter la Résistance pour faire quelque chose. Nous avons alors pris contact avec Achille et Alfred [Henri Borzeix] pour leur dire que nous travaillions pour les Allemands et pour leur demander s’ils pouvaient venir nous aider, ne connaissant rien aux explosifs. Ils sont effectivement venus dans la nuit du 6 au 7 mars 1944. Nous avons fait sauter la machine à vapeur qui entraînait le volant d’inertie du laminoir. Ils ont également crevé tous les bidons d’huile qui étaient stockés. La production a été arrêtée pendant un mois et demi. Ils n’ont pas pu faire sauter la turbine, mais nous lui avons cassé quelques dents. Un agent de l’organisation Todt surveillait notre travail. C’était un Belge habillé en tenue kaki avec un brassard à croix gammée. Nous lui avons sauvé la vie, car Achille nous a demandé si nous avions à nous plaindre de lui et nous avons répondu que non, car c’était vrai. » Compte-rendu de la gendarmerie de Ribérac après l’embuscade des Eymouchères (10 mars 1944) « Le 10 mars 1944, vers 15 heures, un engagement par le feu a eu lieu entre un groupe du maquis et des militaires de l’armée d’occupation, au lieu-dit “L’étang des Eymouchères” [sic], commune d’Echourgnac […]. Cette fusillade a duré 30 minutes environ, et s’est passée près de l’habitation de monsieur Devassine […]. Après la scène, monsieur Devassine a vu plusieurs individus inconnus s’enfuir en bordure des bois environnants ; il s’agirait d’individus du maquis. Des militaires allemands tiraient sur les fuyards. Le calme revenu, monsieur Devassine s’est dirigé sur les lieux, où il n’a remarqué aucun cadavre ou blessé ; néanmoins de nombreuses taches de sang et des étuis de cartouches de mitraillettes se trouvaient sur les lieux. Monsieur Devassine suppose que les individus du maquis s’étaient postés en embuscade et ont ouvert le feu sur les Allemands venant de vers Echourgnac […] pour récupérer un de leurs camions en panne sur la rive de l’Étang des Eymouchères […]. Les gendarmes [de Saint-Vincent-de-Connezac] ont appris qu’après l’échange de coups de feu, deux militaires allemands blessés demandèrent des soins au bourg d’Echourgnac ». Sabotage du pont ferroviaire de Mussidan (nuit du 21 mars 1944) : témoignage d’Henri Barol, alias Bébert « L’arche du pont a été complètement ébranlée. Nous avions placé une grande quantité de plastic dans un trou d’écoulement d’eau. Nous “ travaillions ” avec du plastic. Il se présentait comme des bougies emballées dans du papier. Ensuite, il fallait le modeler. Puis nous mettions un ou plusieurs détonateurs et une mèche, lente ou rapide en fonction des besoins. Il fallait “ récupérer ” les gardes-voies, car il y en avait un tous les cinquante mètres. Quand nous arrivions, nous sifflions pour les prévenir. Nous les emmenions alors assez loin du lieu de l’explosion et nous les ligotions. »

11 - LA DÉPORTATION : AU COEUR DU SYSTÈME CONCENTRATIONNAIRE NAZI Mars 1933 : création des premiers camps de concentration. 20 janvier 1942 : conférence de Wannsee (banlieue de Berlin). Les hauts dirigeants nazis décident de le solution finale pour les Juifs et les Tziganes. 22 janvier 1944 : arrestation à Paris de Charles et Charlotte Serre, Résistants de la première heure en Dordogne Nord. Départ en déportation des Mussidanais arrêtés lors de la rafle du 16 janvier 1944. 31 janvier : départ du plus important transport de femmes déportées suite à la rafle du 16 janvier 1944. Engagé dans une guerre totale sur le front de l’Est à partir de 1943, le IIIe Reich a besoin de main-d’oeuvre servile qu’il fait travailler dans les camps de concentration, dont certains ont été créés en 1933 dès l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler. Il y interne d’abord les opposants allemands et autrichiens au régime nazi, puis, pendant la Seconde guerre mondiale, les Résistants, les Juifs et les Tziganes des pays occupés. En France, près de 90 000 personnes sont déportées par « mesure de répression » entre 1940 et 1944. Créé en août 1943 comme dépendance du camp de Buchenwald, au centre de l’Allemagne, le camp de Mittelbau-Dora, également appelé Nordhausen-Dora, était, par exemple, destiné à la fabrication de missiles V2. Les déportés au Kommando de Gusen 2, annexe du camp de concentration de Mauthausen, en Haute-Autriche, ont été employés à creuser des tunnels pour y abriter les usines de fabrication des avions Messerschmitt ME 109, puis des avions à réaction. Mauthausen-Gusen était plus particulièrement destiné à l’élimination par le travail des résistants politiques des pays occupés par l’Allemagne. Dans cette annexe parfois surnommée « l’enfer de l’enfer », l’espérance de vie est en moyenne de quatre à cinq semaines. Sur les 2 000 déportés partis de Compiègne le 22 janvier 1944, près de 500 sont envoyés au camp de Dora. Les 350 autres le sont à Gusen 2-Mauthausen. En font partie les Mussidanais arrêtés lors de la rafle du 16 janvier 1944. Parmi les déportés de Dordogne, on compte Andrea et Berthe Arnault ainsi que Mélanie Huet. Elles quittent Compiègne le 31 janvier 1944 dans le « convoi des 27 000 », ainsi baptisé en raison du numéro matriculaire. Il compte 959 femmes. Elles arrivent au camp de concentration de Ravensbrück, le 3 février 1944. Situé à 80 kilomètres de Berlin, Ravensbrück est le seul camp de concentration réservé presque exclusivement aux femmes. Andrea et Berthe Arnault ne restent pas à Ravensbrück. Le 10 mars 1994, elles font partie d’un groupe de 132 femmes dirigé vers le Kommando d’Holleichen, annexe du KL Flossenburg situé dans la région des Sudètes, en Tchécoslovaquie. Là, elles sont affectées à la poudrerie des usines Skoda, qui fabriquent des munitions anti-aériennes. Celles qui sont considérées comme trop faibles ou trop âgées pour travailler et qui ne meurent pas assez vite de faim et de froid sont éliminées par injection ou par arme à feu. Les cadavres sont ensuite brûlés dans un crématoire construit dans le camp en 1943. C’est vraisemblablement dans ces circonstances que Mélanie Huet est gazée, peu de temps avant la libération du camp, le 6 avril 1945. Malgré le climat de terreur et les exécutions, les SS ne peuvent pas venir à bout de la volonté et de la solidarité qui unissent de nombreux déportés. Certains n’hésitent d’ailleurs pas à pratiquer le sabotage. Mais la machine concentrationnaire, qui broie hommes comme femmes, a fait effet. Au printemps 1945, 40 % des déportés ont disparu.

Témoignage de Jean Boijentin, déporté à Mauthausen (matricule n° 53 636) « Il fallait impérativement se souvenir du matricule parce que lorsqu’il y avait un appel, c’était avec le matricule qu’il fallait répondre. Personne ne connaissait trop bien l’allemand. Inutile de vous dire que 53 636, c’était mon numéro, en allemand ça veut dire drei und fünfzig tausend sechs hundert sechs und dreissig . Mais si on ne répondait pas automatiquement, c’était un coup de schlague, parce que nous n’avions pas répondu. Nous n’avions plus de nom. Les noms n’existaient plus. » Témoignage de Jean Serventie, déporté à Mauthausen (matricule n° 42 545) « On nous a fait arrêter devant l’entrée un certain temps. Un déporté espagnol qui parlait français nous a demandé si nous étions tous français. Nous lui avons répondu affirmativement et lui avons posé des questions. La seule chose qu’il nous a répondu : “ Ici on rentre par la porte, et on sort par la cheminée. ” La porte s’est ouverte, on nous a fait rentrer. Le spectacle fut terrible. J’ai eu peur. Des mourants, des morts, partout dans la neige. » Témoignage d’André Fortané, déporté à Buchenwald, puis Dora (matricule n° 41 631) « Nous travaillions aussi peu et aussi mal que nous pouvions. Sur 25 V2 terminés quotidiennement au montage, 15 environ étaient refusés au contrôle de sortie. Pour réprimer ce sabotage larvé et insaisissable, les SS se mirent à pendre. De février à avril 1945, 550 déportés furent pendus au camp, à l’usine ou dans les Kommandos dépendant de Dora. Nous devions assister à la mort de nos camarades. » Témoignage de Fernande Escudié, déportée au camp de Ravensbrück (matricule n° 27 646) après son arrestation en juillet 1943, à Montpon, en raison de son activité de passeur sur la ligne de démarcation pour le compte de l’Organisation civile et militaire (OCM). « Nous sommes arrivées à Ravensbrück dans la nuit. Nous sommes descendues sous les cris et les injures, les chiens… Nous ne pouvions plus marcher… Quand nous sommes arrivées au camp, il y avait des blocks et des femmes aux fenêtres qui demandaient si nous étions françaises. Elles avaient leur costume. Ce qui nous frappait surtout, c’était leur regard. » Témoignage de Germaine Tillion, ethnologue, déportée à Ravensbrück (matricule n° 24588) « Le camp ne fournissait pas seulement la main-d’oeuvre bon marché aux chefs d’entreprise dont les ateliers étaient à proximité de Ravensbrück, il en expédiait aussi, sur commande, dans toute l’Allemagne. C’était ce qu’on appelait les transports. Pour le prix convenu, le commerçant ou l’industriel recevait les 500 ou 1 000 femmes demandées, ainsi que les Aufseherinnen [gardiennes auxiliaires] armées de gourdins et les chiens dressés, capables de faire travailler douze heures par jour des femmes épuisées et pas nourries, jusqu’à ce qu’elles en meurent. Elles étaient alors remplacées par d’autres, sans supplément de dépense pour l’employeur. Mais, grâce aux chiens et aux coups, elles étaient allées, avant de mourir, jusqu’au bout de leur force, et il n’y avait aucune déperdition dans cet impeccable circuit. »

12 - LES CRIMES DE LA DIVISION BREHMER 26 mars 1944 : La division Brehmer démarre son opération de ratissage à la recherche des maquisards. Dans la nuit du 2 au 3 avril : la division Brehmer quitte la Dordogne avec pour bilan 271 fusillés, dont 116 Juifs, environ 260 déportés, et des centaines de requis pour le STO. 4 avril : nouvelles opérations de ratissage autour d’Echourgnac et de Saint-Laurent-desHommes par la 273e Panzer division de réserve commandés par le général Hellmut Von der Chevallerie. Le SD de Bordeaux et la section des affaires politiques (SAP) la secondent. En ce début d’année 1944, l’état-major allemand décide d’envoyer en Dordogne la 325e division de Sécurité (325. Sicherungs-Division) pour éradiquer les mouvements de résistance dans le sud-ouest. Plus connue sous le nom de division Brehmer ou division B, l’unité est placée sous le commandement du général Walter Brehmer. Elle est la seule division de sécurité engagée contre la résistance sur le front de l’ouest pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle a une double mission : mettre hors d’état de nuire la résistance et ses soutiens présumés en s’attaquant aux populations civiles, ainsi que de faire la chasse aux Juifs. « L’ordonnance Sperrle » du 3 février 1944 et son décret d’application du 4 mars encouragent « l’exécution des “ francs-tireurs ”, l’incendie des maisons, fermes et villages entiers, et surtout l’élargissement des mesures de répression à la population civile. » Elle préfigure les actions systématiques menées, au printemps et à l’été 1944, par la 2e Panzer Division SS Das Reich et la 11e division blindée de la Wehrmacht. L’état-major prend ses quartiers à l’Hôtel du Commerce à Ribérac. Le 26 mars, à l’aube, depuis les postes de commandement installés dans les bourgs et hameaux, des petites unités ratissent le terrain. C’est un échec. Bien informés, les maquisards ont pu quitter la forêt de la Double. Les forces d’occupation s’en prennent alors aux civils. Ce 26 mars, 20 personnes sont tuées de façon arbitraire, des femmes violées, de nombreuses habitations pillées et incendiées, des rafles organisées. Dans ce contexte, les réfugiés mosellans sont particulièrement en danger. Nés en Moselle et en Alsace, annexées par le IIIe Reich en 1940, ils sont incorporables dans l’armée allemande. Devant leur refus, ils sont nombreux à avoir été déportés aux camps de Buchenwald et de Dora le 12 mai 1944. Dans la nuit du 2 au 3 avril, la division Brehmer retourne à Paris après avoir semé l’effroi pendant dix jours. Le bilan est lourd : 271 fusillés, dont 116 Juifs, environ 260 déportés (essentiellement des femmes et des enfants Juifs), et des centaines de requis pour le STO. Son départ ne met pas fin aux exactions. Le 4 avril, lui succèdent les 10 000 soldats de la 273e Panzer division de réserve commandés par le général Hellmut Von der Chevallerie. L’objectif est de ratisser les secteurs qui ne l’ont pas été une semaine plus tôt à la recherche des « terroristes. », maquisards ou des réfractaires au STO. Il est secondé par le SD de Bordeaux et la section des affaires politiques (SAP) menée par le commissaire Pierre Poinsot. Connu pour sa cruauté dans la traque des Résistants, il est fusillé après la Libération. L’occupant vise notamment Echourgnac et Saint-Laurent-des-Hommes. L’occupant procède à d’autres arrestations et déportations. Parmi les victimes, on peut citer Gérard Mignon et Sylvain Colombet, deux gendarmes de la brigade d’Echourgnac, Jeanne Mazeau, alias Nanou, et son père Hippolyte. Sept Juifs, dont les frères Henri et Théodore Aspis, sont arrêtés. Ils sont fusillés comme otages au camp de Souges (Gironde), le 19 avril.

Témoignage d’André Faure, agriculteur à Saint-Etienne-de-Puycorbier « Nous avons vu des centaines, voire plusieurs milliers d’Allemands qui ont tout fait brûler. Ils mettaient le feu avec des petites fusées incendiaires. Ils ont commencé à Saint-Michel-de-Double puis cela a brûlé ici vers 14 heures. Ils ont tout fouillé. Ils disaient : “ Terroristes ! Terroristes ! ”. Ils piquaient les meules de foin avec leurs baïonnettes. Les soldats buvaient dans la cave. Ils avaient ouvert les robinets, ils buvaient. Ils ont brûlé toute la Double, de Saint-Barthélémy-de-Bellegarde jusqu’à Saint-Vincent-de-Connezac, à 95 %. » Témoignage de Marie-Solange Raynaud, institutrice à Beaupouyet, également membre du groupe de Résistance Marcel (Organisation de résistance de l’armée) «  À 18 heures, les Allemands sont entrés par toutes les portes, comme dans toutes les maisons de Mussidan, en disant : “ Papier ! Papier ! ” Ils ont pris les papiers, raflé tous les hommes qui étaient dans le bar, puis ils les ont emmenés vers la petite rue qui descend vers les abattoirs [rue de Gorry]. Les Allemands les ont regroupés là-bas. Ils ont groupé tous ces hommes pour les emmener à la gare. Les Allemands les encadraient avec des mitraillettes. Il y avait les femmes qui hurlaient, qui pleuraient avec les enfants qui criaient : “ Papa ! Papa ! ”. Ça brûlait encore dans la Double et je me souviens avoir dit “ Mon Dieu quelle catastrophe ”. J’entends alors derrière moi : “ Madame, c’est la guerre ! ” Je me retourne. C’était un officier allemand qui parlait très bien le français. » Témoignage de Raymond Roffé, expulsé de Moselle arrêté lors de la rafle du 26 mars « Nous avions à faire à un gestapiste qui était très dur. Il sortait un fusil et nous disait que nous étions tous des terroristes. Nous étions Lorrains et ils voulaient nous enrôler dans l’armée allemande… […] Après contrôle de mes papiers, il fut reconnu que j’étais déserteur à la Wehrmacht [et que j’avais] certaines relations avec le maquis et maquisards habitant à Mussidan. »

12 BIS - LES EXACTIONS ALLEMANDES DANS LA FORÊT DE LA DOUBLE (26 MARS ET 4 AVRIL 1944) : TÉMOIGNAGE DE GASTON SUSSAC Gaston Sussac est un jeune homme de 17 ans en 1944. Il vit avec ses parents, Nelly et Jean, qui sont agriculteurs au hameau de la Font-du-Chose, à Saint-Michel-de-Double situé au cœur de la forêt de la Double. Gaston a deux frères un peu plus âgés que lui, Marcel et Léon, qui se cachent dans les environs, car ils sont tous deux réfractaires au STO. Une situation de clandestinité potentiellement dangereuse, mais somme toute banale et vécue par beaucoup de jeunes en ces temps troublés. D’autant plus que les deux frères savent qu’ils peuvent bénéficier de la complicité de la population. Jusqu’au 26 mars 1944, rien ne laisse présager que la vie de cette paisible famille d’agriculteurs va être définitivement bouleversée par une guerre que l’isolement dans l’épaisse forêt semblait tenir à distance. Le témoignage de Gaston Sussac constitue un témoignage historique de premier plan qui reflète parfaitement ce qu’ont vécu les populations civiles qui vivaient dans la Double et, plus généralement, en Dordogne au printemps 1944. Ces populations se retrouvent constamment sous la menace d’arrestations arbitraires, d’interrogatoires « musclés », de maisons incendiées, de détentions et d’assassinats. Plus de soixante années se sont écoulées au moment du recueil de son témoignage, mais le récit de Gaston Sussac est précis, tant ces terribles journées sont demeurées à jamais gravées dans sa mémoire. Lorsqu’au matin du 26 mars, la famille Sussac voit des soldats allemands investir le secteur et se disperser dans la campagne, puis ensuite des officiers allemands se présenter à leur domicile, les choses se passent le moins mal possible. Les soldats sont même plutôt courtois. Toutefois, les événements prennent une tout autre tournure lorsque ces mêmes officiers reviennent chez les Sussac après avoir appris que les deux frères de Gaston sont réfractaires au STO. Gaston Sussac évoque la spirale infernale vécue par lui et sa famille au cours de cette journée dramatique. « Le jour commençait à poindre quand ma mère entendit du bruit. Mon frère, Marcel, vivait chez une tante à “ La Barrière ”, à Saint-André-de-Double. La veille, il était venu en vélo pour passer la nuit et la journée à la maison. Il devait repartir le dimanche soir. Ma mère entendait beaucoup de bruit, des camions. Les Allemands ont débarqué et ils se sont répartis un peu partout. Ma mère est venue très vite pour nous prévenir que les Allemands étaient là. Nous nous sommes habillés en vitesse et je suis vite allé trouver mon second frère pour lui dire de s’en aller. Heureusement, Marcel et lui sont partis tous les deux dans le bon sens, celui où les Allemands ne sont pas allés. Moi, je reviens vite à la maison. Le jour commençait à vouloir paraître. Ma mère se demandait ce que nous allions faire. Nous avions quelques rangs de vignes. Certains rangs n’étaient pas encore attachés et elle m’a dit que nous allions y monter pour terminer le travail. De là, on voyait bien le hameau de la Font-du-Chose. Nous avons lié les vignes. Alors que nous finissions, nous avons vu trois soldats allemands qui descendaient le chemin vers chez nous. Nous sommes allés à leur rencontre, à travers le pré. Ils nous ont vus arriver. Ils nous ont salués et étaient corrects. Ils avaient une trentaine d’années. Peut-être, pour un, la quarantaine. Ils nous ont expliqué qu’ils voulaient manger. Ils ont voulu entrer dans la maison. Il n’y a pas eu de réquisitions. Ils étaient tout à fait polis et corrects. Des jambons étaient suspendus dans le couloir. Ça leur faisait envie. Ma mère m’a dit : “ Tu vas leur couper du jambon. ” Il fallait un peu aller au-devant, nous étions bien obligés… À contrecœur, mais enfin, il fallait le faire… Nous leur avons servi du confit, ils étaient contents, ainsi que du bon pain que Mathieu, le boulanger de Festalemps, préparait [il est arrêté le 4 avril, puis déporté et meurt en Allemagne]. Les Allemands ont ensuite demandé du café puis du schnaps. Je me suis demandé ce qui allait se passer s’ils buvaient trop d’eau de vie, mais ils ont été corrects. Ils avaient l’air très satisfaits. Quand ils eurent bien mangé, ils nous ont remerciés. Celui qui était le plus gradé des trois a sorti son portefeuille et a dit : “ Nous revenir à midi et nous payer ! ” En fait, c’est nous qui avons payé. Ils nous ont brûlé tous nos bâtiments ! Ils sont donc repartis, toujours aussi corrects. Moi, je suis parti soigner des vaches. Vers 8 heures 15 ou 8 heures 30, j’étais dans la grange où je donnais du foin aux vaches. J’ai alors enten-

du crier. Je me suis demandé ce qui se passait. J’ai entendu un grand coup de crosse sur le portail. Un coup de pied en passant à la porte également. C’était les trois mêmes. On venait de leur dire que mes deux frères étaient au maquis. Mon père était là. C’était un grand blessé de la guerre de 14. Il était souvent alité et se levait quand il pouvait, car il était neurasthénique. Il y avait aussi ma grand-mère de 78 ans, qui était cardiaque, et ma mère. Un d’entre eux est arrivé en hurlant, en donnant un coup de pied dans le seau de lait qui était à mes pieds. Il me faisait signe avec le fusil et la baïonnette en me poussant et nous voilà partis. Ils avaient sorti mon père du lit. Ma grandmère se demandait ce qu’il se passait. Ma mère était dehors. Dans le village, ils étaient des centaines d’Allemands dans les prés, les routes. Mais les maquis avaient été prévenus et n’étaient plus là. Partis de là, ils nous ont fait monter au hameau de la Font-du-Chose, à 300 mètres de chez nous. Nous montons au village, vers une maison où vivaient un grand-père et une grand-mère qui étaient assez âgés. Ils les ont fait sortir de chez eux puis ils s’y sont installés. Ils nous ont questionnés. Quand nous sommes arrivés, j’ai vu un copain, Roger Rieublanc. Les deux qui étaient présents, le père et le fils Rieublanc, venaient de “ la Conquête ” [autre hameau situé non loin]. Ils ont questionné ma mère en premier, sans brutalité. Ensuite ils ont appelé mon père. Il avait fait la guerre de 14, il avait souffert et avait eu trois blessures. Il avait eu les pieds gelés et il avait été gazé. Il était devenu neurasthénique et ne pouvait presque plus travailler. Il détestait les Allemands. J’ai eu peur de son attitude… rien. Ensuite, ce fut à moi, mais cela ne s’est pas passé pareil : “ Léon, Marcel ? où ? Terroristes ! Terroristes ! Où ? ” Ils étaient bien renseignés. C’était toujours les trois mêmes soldats. Ils avaient complètement changé d’attitude. Comme nous avions été dénoncés, ils se sont sans doute dit qu’ils étaient tombés sur une famille de maquisards. Ils m’ont tabassé tant qu’ils ont pu : des grands coups de pied dans les jambes, dans le ventre, partout. J’ai pensé qu’ils allaient me tuer. J’avais 17 ans depuis le 27 février. J’avais une hémorragie nasale, j’avais du sang partout. J’en ai eu des hématomes et des écorchures… parce que les bottes, ça fait mal sur les côtes, hein ! J’ai eu une côte cassée. Puis ils m’ont relâché. Je suis ressorti et je suis allé m’asseoir à coté de ce copain, Roger Rieublanc, qui était déjà là quand nous sommes arrivés. Ce copain, Roger Rieublanc - nous faisions souvent équipe pour couper de la litière et autres, nous nous entraidions beaucoup - avait 16 ans. Il était parti à travers bois le matin du 26 mars avec une autre personne plus âgée, Louis Lestrade, pour se rendre à La Jemaye, commune située après la Font-du-Chose, pour apporter de la litière chez quelqu’un avec deux charrettes et quatre vaches. Je voyais qu’il y avait de très grands risques. Nous entendions des coups de fusil. Les soldats tiraient beaucoup en l’air, peut-être pour faire peur. Lorsqu’ils sont arrivés à la Font-duChose avec les vaches, ils ont été obligés de s’arrêter. Le jour du 26 mars, Roger Rieublanc est parti avec ses vaches et sa charrette et il a pris un pistolet [qui lui aurait été confié par un jeune Espagnol] avec des balles dans sa poche alors que les Allemands étaient partout sur les routes. Louis Lestrade a été relâché et a pu repartir pour “ la Conquête ” avec les quatre vaches et les deux charrettes. À son retour Henri Rieublanc a demandé où était son fils Roger. Louis Lestrade, n’osant lui dire ce qu’il se passait, lui a dit qu’il était resté à la Font-du-Chose. Le père est parti le chercher en vélo. Quand il est arrivé, il a été jeté à terre avec son vélo. Moi, j’étais sur le bord d’un talus. Deux sentinelles nous gardaient. Roger Rieublanc s’est fait interroger peut-être 20 minutes. Tout d’un coup, des soldats sont arrivés avec fusils à baïonnette et mitraillettes. C’était des SS. Ils nous ont fait traverser la route, fusils et baïonnettes dans le dos, et nous sommes allés au bord d’un mur. Je me suis dit que c’était terminé. Finalement non. Ils discutaient. Nous entendions tirer de tous côtés. Il régnait chez les soldats une forme d’excitation et de peur. Au bout de cinq minutes, nous entendions toujours tirer. Les soldats s’agitaient. Ils nous ont fait monter au bout du hameau en séparant les vieux des plus jeunes. Ils nous ont fait signe de ne pas regarder sur notre droite. Nous ne comprenions pas très bien. Les Rieublanc n’étaient plus avec nous. En fait, ils étaient déjà morts. Ils les ont fait s’allonger sur le sol sous un chêne, près de la route, et les ont mitraillés. Il était environ dix heures du matin. Une automitrailleuse est arrivée, avec fusils mitrailleurs à l’avant et à l’arrière. Ils nous ont fait monter avec mon père et ma mère. Ils nous ont emmenés au hameau du “ Perrier ”, commune de Saint-Michel-de-Double, dans un triangle de pré. Il y avait une sentinelle allemande. Une table était installée dehors et quelques

officiers questionnaient des civils. À un moment, ce soldat nous a fait signe. Nous avons alors vu une grosse fumée noire au loin. Nous n’imaginions pas que c’était nos bâtiments qui brûlaient. Ils avaient quand même détaché toutes les bêtes. Il y avait trois cochons qu’ils ont tués et dépouillés pour les manger. Ils ont laissé les moutons, mais tué toutes les volailles, sauf une. Une autre maison a été brûlée à proximité, car le fermier, Marcel Eclancher, qui a vu la fumée sortir de nos bâtiments, a voulu venir chez nous pour venir détacher les bêtes. Il a été arrêté une centaine de mètres avant. Des voisins l’ont vu repartir, remonter entre deux ou trois soldats. Ils sont passés dans la Font-du-Chose puis ils sont allés sur la route de la Jemaye, juste après le carrefour. Là, ils l’ont fait allonger par terre dans un chemin puis ils l’ont tué. Il s’appelait Marcel Eclancher. Il avait 36 ans. Il n’était pas dans la Résistance, j’en suis certain. La sentinelle passait et disait : “ Guerre ! Guerre ! ” Elle en avait marre. Vers 16 heures, ils nous ont emmenés dans une Citroën 402. Nous n’avons finalement pas été questionnés. Ils nous ont emmenés à Saint-Front-de-Pradoux. Ça brûlait, dans les bois, sur la route, partout. Nous passions dans la fumée. Nous sommes arrivés à Saint-Front-de-Pradoux, où il y avait déjà une vingtaine de personnes, peut-être plus, dans le petit pré qui est devant l’église. Il était environ 16 heures 30. Nous étions gardés par deux ou trois fusils-mitrailleurs. Le soir, on est venu nous chercher. Le soir, vers 19 heures, le soleil baissait beaucoup, ils sont arrivés avec un camion puis ont fait un tri. Mes parents sont repartis à pied à la Font-du-Chose. Ils ont découvert leur maison brûlée en arrivant… Moi je l’ai appris à Périgueux par ma belle-sœur. Elle avait été arrêtée à la Font-duChose puis avait pris la direction de Périgueux, au manège du 35e Régiment d’artillerie, comme les autres. Là-bas, il y avait des femmes, desJuives, des gosses. Elle m’a dit : “ Tout brûle, tout crame là-bas ! ” Quand je suis rentré, je savais donc. Nous sommes descendus des camions à la gare de Mussidan pour prendre le train jusqu’à Périgueux. Il y avait des rangées de soldats. Nous ne risquions pas de nous évader. Nous sommes partis et nous sommes arrivés à Périgueux vers les 2 heures 30 ou 3 heures du matin. Pendant le trajet, le train s’arrêtait souvent : ça gueulait, ça tirait, coups de fusil, de mitraillette. Nous sommes arrivés au manège d’artillerie et on nous a accueillis à grands coups de pied dans le derrière. Il y avait beaucoup de gens d’ici. Moi, ils m’ont tourné autour trois ou quatre fois. Ils voulaient m’expédier en Allemagne. Il y avait un interprète alsacien qui m’a sauvé deux fois en me renvoyant à l’intérieur du manège alors que je n’avais aucun papier. Dans la nuit du jeudi au vendredi, ils nous ont porté des grands bouteillons avec des petits pois tièdes. Sur les quatre cents et quelques que nous étions, il y avait deux assiettes en aluminium et une cuillère à soupe. Nous avions droit à une louche chacun. Nous étions en file et le précédent donnait l’assiette au suivant. Ils ont fini par nous libérer et nous ont emmenés à la gare de Périgueux. Nous n’étions pas très nombreux, car il y en avait déjà pas mal qui étaient partis avant moi. Je suis parti parmi les derniers. Plusieurs fois, j’ai craint d’être envoyé en Allemagne. Ils nous ont fait sortir quatre fois, je crois, pour trier ceux qui devaient partir en Allemagne. Plusieurs copains sont d’ailleurs partis (Delteuil, Bellet de Beauronne, etc.). Moi, je n’avais pas de papier. Je paraissais une vingtaine d’années du fait de ma corpulence. Je disais mon âge, mais… L’interprète m’a dit que si je pouvais trouver un témoin qui pouvait certifier mon âge et mon nom, je serais relâché. Je regarde autour de moi et je vois le frère de mon oncle, un homme qui connaissait donc la famille. Il n’a jamais pu dire mon nom ! L’officier qui était là m’a remis avec les autres. Nous étions une quinzaine sur le côté et 150 ou 200 qui rentraient à nouveau dans le manège. J’ai vu l’Alsacien qui venait, il a regardé autour de moi et m’a poussé dans le manège avec les autres. J’étais sauvé une fois de plus. Mon père a attendu que je sois rentré de Périgueux pour se suicider. Il ignorait ce que j’étais devenu. Nous avons mangé ensemble à midi. Quand mes parents sont revenus, ils sont allés loger dans une petite baraque à proximité. C’était la maison d’un voisin. Notre maison a été reconstruite par l’État plus tard. Mais nous avions perdu tout le mobilier et le matériel agricole. Nous n’avions plus rien. Ils avaient tout brûlé, tout pillé, les conserves, etc. Mon père ne pouvait plus travailler et il n’a pas pensé à une aide possible. Quand je suis arrivé, il m’a fait sentir qu’il était content de me voir. Puis nous avons mangé ensemble le midi (j’étais arrivé à onze heures). Après le repas, il est parti et nous ne l’avons pas revu. Entre temps, mes deux frères se sont rendus et sont allés à la gendarmerie. Ils ont fait une nuit de prison. Début avril

[le 4], les Allemands sont revenus. J’ai à nouveau été embarqué à Echourgnac et tapé, tapé… Le 5 avril, j’ai retrouvé le corps d’Étienne Cardona [un ancien officier de l’armée républicaine espagnole] à Saint-André-de-Double. Il était carbonisé dans un chemin... comme s’il avait été arrosé d’essence. »

13 - LES RÉSISTANTS DU MUSSIDANAIS : DE LA FORÊT DE LA DOUBLE AUX CONFINS DU QUERCY 21 mai 1944 : opération de ratissage de la Division SS Das Reich dans la vallée de Gavaudun. Rafle de 118 personnes dont 47 hommes du village de Lacapelle-Biron (Lot et Garonne). 26 reviennent des camps de la mort. 6 juin 1944 : les Résistants du Mussidanais quittent leur camp de Marminac (Lot). Les Alliés débarquent en Normandie. En ce printemps 1944, fuyant les exactions de la division Brehmer, les groupes commandés par Robert Crouzille, Jean Mignon et Marcel Arnault rejoignent les confins de la Dordogne où ils se sentent plus en sécurité pour réorganiser leurs effectifs. Ils prennent position à Lacapelle-Biron (Lot-et-Garonne), Besse (Dordogne) et Marminiac (Lot) jusqu’au débarquement des Alliés en Normandie le 6 juin 1944. Les Mussidanais établissent alors des contacts avec des résistants communistes du Lot-et-Garonne qui assurent aux Périgourdins renseignement et soutien logistique Leurs effectifs grossissent avec l’arrivée de nombreux volontaires. On peut citer Jean Vitrac, alias Jeannot, qui est entré en résistance le 20 avril 1944. Fuyant Toulouse où il était affecté dans une usine d’armement dans le cadre du STO, il a rejoint son hameau natal de La Brame (commune de Vergt-de-Biron). Il sait qu’il peut trouver refuge dans les fermes des environs et bénéficier du soutien de la population qui le nourrit et le cache. Jacques Chapet, un jeune Parisien qui vit depuis le début de la guerre chez ses grands-parents, à Villefranche-du-Périgord, rejoint le 18 mai 1944 le groupe Roland. D’autres comme André Balès, Roger Wagner et les frères Robert et Yves Cavaillé, originaires du village de Blanquefort-sur-Briolance (Lot-et-Garonne), rejoignent le groupe Roland à la suite d’actions de représailles de l’ennemi. Ainsi, le 21 mai 1944, la 2e Panzer Division SS Das Reich mène une grande opération de ratissage dans la vallée de Gavaudun. Au village de Lacapelle-Biron, 18 hommes entre 18 et 60 ans ont été arrêtés. Tous ne sont pas des Résistants. 54 habitent à Lacapelle. Amenés à Agen, ils sont déportés à Dachau et Mauthaüsen. Des Capelains, seulement 26 en sont revenus. Fort de ces nouveaux effectifs, le 4e bataillon FTPF de la Dordogne naît au cours du mois de mai 1944. Secondé par Jean-Florian Collin, (Docteur) et Henri Darré (Arthur), Henri Borzeix commande la nouvelle unité. Elle intègre un détachement du Lot-et-Garonne, commandé par Gérard Thomas (Didier). Ce dernier décide de réintégrer le Lot-et-Garonne au moment du débarquement allié. Lors de leur séjour à Marminiac (Lot), les hommes du 4e bataillon reçoivent la visite d’un certain « colonel Berger », le célèbre écrivain André Malraux. Se présentant comme le chef d’un important Poste de Commandement (PC) interallié, ce dernier cherche à les rallier à sa cause. Les maquisards, qui appartiennent à l’organisation des Francs-Tireurs et Partisans (FTP), refusent sa proposition. Jusqu’à leur départ du secteur, ils multiplient les actions : réquisitions de véhicules, récupération dans des banques de fonds nécessaires à l’alimentation du groupe, attaques de collaborateurs …

Témoignage de Jean Vitrac, alias Jeannot, entré en résistance le 20 avril 1944 « Doublemètre stationnait dans une grange pas loin. Nous sommes allés le voir. Il était là, avec au moins une vingtaine de personnes. Nous sommes ainsi entrés dans ce maquis là. Arrivé dans une ferme, j’ai ensuite connu Roland, Alfred, Arthur. Je suis resté ensuite avec Roland. Nous étions une vingtaine et nous avions deux ou trois tractions. Nous restions une journée dans une ferme puis nous repartions. » Témoignage de Jacques Chapet, entré en résistance le 18 mai 1944 « J’ai su qu’il y avait le groupe Roland dans le secteur. Une nuit, je suis parti et je suis allé le rejoindre à quelques kilomètres de là. Je me suis intégré dans un groupe d’une trentaine de personnes. C’était le 18 mai. » Extrait d’un tract distribué par le 4e bataillon FTPF suite à l’attaque d’un milicien à son domicile de Monflanquin (Lot-et-Garonne). Opération dirigée par Jean Regazzoni (Jeannot) « Jeudi, le 11 mai 1944, un groupe composé de Jeannot (chef), Francis, Gustave, Yves, Jim, Ali, Olive, Charles, Noël, Ruta, Johnni (il s’agit certainement de noms de guerre) [sic] a attaqué le château des B. à Monflanquin. Nous avons intimé à B. l’ordre d’ouvrir la porte, il nous répondit par des coups de mitraillette, nous avons répondu par des coups de mitraillette, des pistolets et des fusils. Après être rentrés, B. ne se montrait toujours pas, nous avons donc incendié le château, nous admettons que B. a péri lors de l’incendie du château. À remarquer que, pendant vingt minutes, B. a sonné la cloche du château pour appeler de l’aide. Mais il n’est venu aucune aide. »

14 - LE DÉBARQUEMENT ALLIÉ EN NORMANDIE ET LE DÉCLENCHEMENT DE L’INSURRECTION NATIONALE 6 juin 1944 : débarquement allié en Normandie, insurrection nationale déclenchée par la Résistance française Ce 6 juin 1944, à l’aube, plus de 5 000 navires alliés en provenance de la Grande-Bretagne se présentent devant les côtes normandes. Ils transportent une gigantesque armée chargée de prendre pied sur la « forteresse Europe » dans le cadre d’une action mobilisant près de 150 000 hommes. Overlord, la plus grande opération de débarquement jamais organisée, doit permettre de soulager les armées soviétiques engagées sur le front de l’Est en créant un second front à l’Ouest. Originaire de Neuvic, Hubert Faure est l’un des 177 Français du légendaire commando Kieffer (France Libre) à participer à cette action décisive. Ils ont pour mission de débarquer sur la plage « Sword », à Colleville (Calvados), et de se rendre maîtres des blockhaus du mur de l’Atlantique, puis de faire jonction avec les parachutistes anglais de la 6e division aéroportée britannique. Depuis Londres, à la radio, le général de Gaulle s’adresse aux Français : « La Bataille suprême est engagée ! Après tant de combats, de fureurs, de douleurs, voici venu le choc décisif, le choc tant espéré. Bien entendu, c’est la bataille de France et c’est la bataille de la France ! […] Pour les fils de France, où qu’ils soient, le devoir simple et sacré est de combattre par tous les moyens dont ils disposent. Il s’agit de détruire l’ennemi, l’ennemi qui écrase et souille la patrie […] ». L’annonce du débarquement allié et l’afflux de volontaires qui veulent combattre aux côtés de maquisards imposent une nouvelle organisation pour lancer l’insurrection nationale. Fin mai 1944, les responsables FTP de Dordogne et le délégué militaire de la zone sud des FTP, Marcel Godefroy (Rivière), découpent le département de la Dordogne en trois sous-secteurs d’opérations. Les FTP du Mussidanais sont intégrés au sous-secteur C, qui couvre le sud-ouest de la Dordogne. Il est commandé par trois hommes : Pierre Legendre (Henri Payot), commandant militaire, Pierre Huet (Hugues), commissaire technique (CT), et Roger Faure (Jim), commissaire aux effectifs (CE). Barrages, attaques, sabotage des voies ferrées, des lignes téléphoniques et électriques, embuscades sont les opérations conduites par les Résistants en Dordogne pour retarder la remontée vers le front de Normandie des troupes allemandes. Ces hommes ont aussi pour mission d’occuper les chefs-lieux de canton. La IVe République est proclamée. En Dordogne, le 7 juin 1944, le préfet de Vichy, Jean Popineau, quitte précipitamment son poste. Le sous-préfet de Bergerac, Callard, est désigné par le préfet régional pour le remplacer. Le 8 juin 1944, à Breuilh, Maxime Roux, inspecteur d’Académie, est désigné par le premier Comité départemental de Libération comme « préfet du maquis ». Au Fleix, par exemple, les maquisards verrouillent la vallée de la Dordogne sur la ligne de Mussidan-Le Fleix-Eymet. L’action doit permettre l’atterrissage d’une division aéroportée et ensuite la protection en flanc de la colonne en opération vers l’ouest. Bien plus tard, ils apprennent que l’opération alliée annoncée par Radio-Londres n’était en fait qu’un plan d’intoxication destiné à retenir les troupes allemandes dans le sud-ouest de la France, loin des plages du Débarquement. Au bout de deux jours de combat, les 8 et 9 juin, les blindés allemands rebroussent chemin et rejoignent Castillon (Gironde).

15 - L’ATTAQUE D’UN TRAIN DE SÉCURITÉ ALLEMAND À MUSSIDAN 11 juin 1944 : attaque d’un train de sécurité allemand à Mussidan À Mussidan, la Résistance s’est donnée comme priorité de neutraliser la Route nationale 89 et la voie ferrée. Les deux voies, qui relient Périgueux à Bordeaux, représentent un enjeu stratégique pour l’armée allemande. La voie ferrée dessert, à Saint-Astier, une usine souterraine (SNCASO) contrôlée par l’occupant et qui assemble des pièces d’avions. Par ailleurs, privé du réseau ferroviaire en Corrèze, endommagé par les Résistants, l’ennemi doit trouver d’autres voies de transport pour y embarquer ses chars à destination des plages de Normandie. Le général Lammerding, commandant la 2e division blindée SS Das Reich, porte son choix sur la ligne Périgueux-Coutras. Intacte, elle ne comporte pas de tunnels et d’ouvrages d’art importants empêchant l’acheminement des chars. Pour assurer la sécurité de la ligne, le lieutenant Zimmer, qui commande à Saint-Astier une compagnie appartenant au 50e régiment d’aviation de la Luftwaffe (Flieger Regiment 50), décide de faire patrouiller entre Saint-Astier et Montpon un convoi de wagons équipés de mitrailleuses et dans lequel se trouvent une vingtaine d’élèves aspirants. C’est donc une cible stratégique pour les responsables FTP du sous-secteur C qui donnent ordre à Henri Borzeix, le commandant du 4e bataillon, d’occuper Mussidan le dimanche 11 juin. Secondé par Robert Crouzille (Roland) et Henri Darré (Arthur), il a pour consigne de saboter le pont de chemin de fer qui traverse l’Isle et de détruire le train de protection allemand s’il se présente à la gare. Partis de leur campement à Saint-Georges-Blancaneix vers 8 heures, la centaine d’hommes arrivent à Mussidan deux heures plus tard. Ils sont pour la plupart jeunes et inexpérimentés. Alors qu’ils viennent d’occuper les points stratégiques de la ville (gare, mairie, gendarmerie), le train de sécurité allemand fait son entrée en gare. À l’issue d’un affrontement de près d’une heure, aussi violent qu’incertain, les Résistants prennent l’ascendant sur les soldats allemands et peuvent s’approcher du train qu’ils font exploser. On compte onze morts chez les Résistants, ainsi qu’une dizaine de morts et une dizaine de prisonniers du côté allemand. Mais le combat n’est pas terminé. Un groupe de combat du 111e régiment de grenadiers (Kampfgruppe Wilde) de la 11e Panzer Division de la Wehrmacht fait son apparition au passage à niveau de la route de Bordeaux, à quelques centaines de mètres de là. Redoutable unité qui a combattu sur le front de l’Est, elle se dirige vers le Limousin pour prendre la relève de la 2e Panzer Division SS Das Reich. Les soldats attaquent immédiatement les Résistants qui viennent juste de charger leurs morts et leurs blessés sur les camions. Pendant ce temps, les hommes commandés par François Hugon sont arrivés de Colombat (commune de Saint-Étienne-de-Puycorbier) et se sont postés comme convenu à proximité du pont de chemin de fer (côté Saint-Front-de-Pradoux). Leur objectif est de le faire sauter, mais, pour eux aussi, les événements ne se passent pas comme prévu car l’artificier qui doit faire sauter le pont est absent. Enfin, les quelques soldats allemands qui gardent l’ouvrage se défendent énergiquement et, le temps passant, la situation devient toujours plus délicate pour les maquisards de François. Ces derniers doivent finalement se replier sous le feu nourri de ceux qui viennent de recevoir le renfort inespéré de leurs camarades de la 11e Panzer Division Malgré la présence des blindés allemands, les maquisards restés en ville, arrivent à rejoindre leurs camions et à prendre la direction de Saint-Georges-Blancaneix. Leurs poursuivants préfèrent faire demi-tour à la lisière de la forêt car ils n’osent pas s’aventurer dans un environnement propice à une embuscade.

Témoignage d’André Balès, alias Mickey, jeune maquisard de 17 ans de la compagnie Roland « L’après-midi du 10 juin, Roland [Robert Crouzille] nous réunit, une cinquantaine, et en désigne une quarantaine qui ira à Mussidan le lendemain. Les autres resteront garder le camp. Je fais partie du convoi, on m’a un peu appris à me servir d’un FM [fusil mitrailleur]. Avec moi, deux autres jeunes, James et Torpille, chargeurs et pourvoyeurs du FM. Le 11 juin au matin, départ pour Mussidan. On ne sait pas trop pourquoi et tout le monde est anxieux. » Témoignage de Jacques Chapet, alias Jacques Cœur, du groupe Roland « Nous sommes partis sur un camion. On m’a mis un bazooka dans les mains. Je n’en avais jamais vu auparavant […] On m’a simplement dit : “ Tu le mets sur l’épaule, tu as un pourvoyeur avec toi [Roger Lamothe]. ” » Témoignage de Georges Lestang, alias Simon, du groupe Roland « Le bazooka devait tirer le premier. C’est ce qui s’est passé. » Jean Vitrac, alias Jeannot, du groupe Kléber, poursuit : « Un homme avec un fusil mitrailleur a voulu traverser la voie pour atteindre le train et il a été tué net […]. Kléber s’est élancé vers la locomotive. Il a été fauché par une rafale […]. William, avec son fusil mitrailleur, était bien visible. Une mitrailleuse ennemie l’a vite repéré. Il s’est effondré sur son arme. Henri Rode, alias Doré, qui l’a remplacé, est mort aussi. »

16 - LE MASSACRE DE 52 CIVILS 9 juin 1944 : 99 otages pendus aux balcons de Tulle (Corrèze) et 149 hommes sont déportés dont 101 ne reviennent pas des camps de concentration. 10 juin : massacre de 642 personnes à Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne). 11 juin : exécution de 52 otages à Mussidan. La destruction le 11 juin 1944 à Mussidan du train de protection allemand par le 4e bataillon FTP a d’immédiates répercussions. Arrivé sur les lieux, le lieutenant-colonel Traugott Wilde, commandant du 111e régiment blindé de grenadiers, ordonne à ses hommes d’arrêter 300 hommes de la ville et des environs. Il prend également contact avec l’état-major de liaison à Périgueux, et demande le renfort de policiers afin d’identifier parmi les otages ceux qui ne sont pas en règle. La nouvelle de l’attaque remonte jusqu’au siège du SD (BdS) à Paris. Le long de la Route nationale 89, les soldats arrêtent tous les hommes âgés de 16 à 60 ans. A Mussidan, ils fouillent les maisons et emmènent les hommes pour une vérification des pièces d’identité à la mairie, où ils sont parqués dans une cour. Un rapport de gendarmerie rédigé le 8 novembre 1944 indique que les hommes « sont frappés à coups de pied et à coups de crosse [et que] dès leur arrivée, il faut qu’ils se couchent sur le ventre, les bras allongés, le nez dans la terre. » Le capitaine Henrich Wilsmann, chef de la 5e compagnie du 19e bataillon SS de Police basé à Limoges, mène les interrogatoires. Ne prenant pas la peine de consulter tous les papiers d’identité, les soldats constituent deux groupes : « Ceux qui devaient être exécutés et ceux qui devaient être déportés ou relâchés. » Vers 19 heures, les hommes de plus de soixante ans et les mutilés de guerre sont relâchés. Les autres sont rassemblés, toujours en deux groupes distincts, dans des salles de classe à l’intérieur de la mairie. Entre-temps, le maire de Mussidan, Raoul Grassin, qui n’a pas ménagé ses efforts pour protéger ses concitoyens en donnant toutes les précisions demandées, reçoit l’autorisation de rentrer chez lui. Il doit attendre l’arrivée depuis Périgueux d’une commission qui doit statuer sur le sort des otages. Elle fait son entrée à Mussidan vers 20 heures. Il s’agit en fait du chef du SD, Michaël Hambrecht venu avec pratiquement tous ses hommes. Les suivent des auxiliaires nord-africains commandés par le proxénète Raymond Monange, tous issus de la pègre parisienne (plus connue sous le nom de Carlingue, « Gestapo française de la rue Lauriston » ou « bande Bonny-Lafont »). Le SD sélectionne 48 hommes. Ils sont exécutés sur le chemin de Gorry, à une centaine de mètres de la mairie. Le maire et son adjoint, Camille Christman, connaissent un sort tout aussi tragique. Venus dans la soirée à la mairie s’enquérir à nouveau du sort des otages, ils sont interrogés, puis abattus après avoir été frappés à mort. Le corps ensanglanté de Camille Christman est retrouvé dans la cour de la mairie. Le maire, lui, est, abattu dans la rue. Jusqu’à leur départ, soldats allemands et auxiliaires nord-africains pillent maisons et magasins et commettent des viols. Le lendemain, à la levée du couvre-feu, les Mussidanais découvrent les nombreux cadavres. Le bilan est lourd : 52 personnes exécutées, dont 6 dans la rue. Le massacre du 11 juin constitue le plus important massacre de civils commis en Dordogne durant la Seconde Guerre mondiale. Il est aussi l’un des dix plus importants en France.

Témoignage de Paul Fauriaux, arrêté le 10 juin 1944 et soupçonné d’être un « terroriste » « Quand nous étions à l’intérieur, un officier a contrôlé les identités. Mon père, mutilé de guerre, est écarté et se retrouve dans le groupe de gauche. Lorsque vient mon tour.[…] J’avais des souliers neufs, mais ma carte d’identité indiquait que je n’étais pas de la Dordogne, mais de la Creuse… Il me regarde - je l’entends encore comme si c’était hier- puis il me dit : “ Terroriste ! ” Et aussitôt, il me fait signe d’aller de l’autre côté. Mon père m’a vu partir… Un moment après, ils nous ont fait mettre sur trois rangs et nous restons pendant deux heures face à ce qui ressemble à un peloton d’exécution. Une douzaine de soldats sont arrivés avec leurs fusils et ils ont disposé une mitrailleuse de chaque côté…» Témoignage de Marcel Charpentier, un des deux rescapés du massacre « Il est 20h45 environ, nous sortons par le grand portail, toujours sur deux rangs, encadrés de vingt à vingt-cinq “ bicots ” sous le commandement du chef de la Gestapo, Hambrecht. Ils nous dirigent rapidement par la rue de Bordeaux vers le chemin de Gorry ; au moment où nous entrons dans ce chemin, je me rends compte que nous allons être fusillés. “ Par un, à gauche ” commande le chef et, dès que nous sommes en place, il ajoute pour ses assassins : “ Fusillez-moi tout ça. Feu ! ” Les mitraillettes crépitent à deux mètres de distance dans notre dos. Tout le monde est tombé à la fois et j’ai perdu connaissance. » Témoignage d’Antoine Villechanoux, le deuxième rescapé sur les 48 fusillés « Tous sont tombés, mais je n’ai pas perdu connaissance. Je n’ai entendu ni cri, ni plainte. Cependant retentit ce nouvel ordre : achevez ceux qui ne sont pas morts. Les bicots ont alors achevé leur œuvre en passant par deux fois derrière nous. J’avais le nez dans la terre et je retins ma respiration quand ils passèrent près de moi. J’ai entendu une quinzaine de détonations ; ils devaient tirer sur ceux qui respiraient encore, puis ils partirent enfin et ce fut le silence […]. Ma première pensée fut de rechercher mon fils. Je l’ai retrouvé, hélas ! parmi les morts et je ne pouvais plus rien, que le pleurer. » La nuit du 11 au 12 juin, témoignage de Marie Lafaye « Plusieurs Nord-Africains au service des Allemands se sont présentés chez moi et, sous la menace de leurs armes, m’ont obligée d’ouvrir ma porte. Ils m’ont demandé si j’avais des armes et de l’argent. Je leur ai donné 1 400 francs et leur ai certifié que je ne possédais pas d’armes. C’est là qu’ils m’ont brutalisée, m’ont traitée de terroriste et de communiste. Ils se sont mis ensuite à fouiller les armoires et m’ont soustrait ce qui suit : un pardessus d’une valeur de 4 000 F, un costume tout neuf, un costume usagé, un gilet de laine, deux paires de souliers, divers objets de première nécessité, deux mouchoirs, deux litres de rhum, du tabac et des cigarettes. J’évalue le préjudice à environ 15 000 francs. » Témoignage d’Adrienne Vieilleville, une habitante de Mussidan « J’ai vu madame Mathrat qui emmenait son mari sur une brouette. Nous avons découvert dans une haie le garçon du Grand Café [Marcel Charpentier]. Nous l’avons emmené comme nous avons pu à la maison. Nous l’avons enveloppé dans une couverture et un camion l’a conduit à l’hôpital de Périgueux. »

17 - LE 4e BATAILLON FTP DU 11 JUIN 1944 À LA LIBÉRATION DE LA DORDOGNE 11 juin 1944 : massacre de Mussidan. 15 août 1944 : débarquement d’un important contingent de troupes américaines et françaises sur les plages de Provence (opération Anvil-Dragoon). 16 août 1944 : Hitler donne l’ordre à ses troupes de se retirer à l’ouest d’une ligne Orléans / Clermont-Ferrand / Montpellier. Le général Blaskowitz, commandant du groupe d’armée G, répercute ces directives aux différentes unités concernées le lendemain. 19 août 1944 : les troupes allemandes quittent Périgueux. 25 août 1944 : libération de Paris, libération de la Dordogne. Deux mois et demi s’écoulent entre le débarquement allié en Normandie et la libération de la Dordogne, le 25 août 1944. Pendant cette période, la Résistance change de stratégie privilégiant désormais les actions de guérilla. Elles minent le moral de l’ennemi qui s’enferme dans les villes les plus importantes du département et ne se déplace plus qu’en convois sur les grands axes. Après l’épisode malheureux des représailles de Mussidan, le 11 juin 1944, un changement est effectué au sein de la direction du 4e bataillon FTP. François Hugon remplace Henri Borzeix, qui rejoint l’équipe des responsables du sous-secteur C. Cette réorganisation, qui exprime la volonté du commandement FTP de faire de ses hommes des combattants d’une armée de libération nationale, ne se fait pas sans clivages. La promesse de la libération de la France, avec le débarquement allié en Normandie, suscite de nouveaux engagements. A l’été 1944, les Résistants reçoivent un afflux de volontaires venus des villages environnants de la Double, des départements voisins de la Gironde et de la Charente. Cela oblige le commandement à réorganiser les unités. Constitué initialement par les prisonniers politiques libérés le 27 juillet de la prison de Bergerac (voir le panneau consacré à cet événement), le 14e bataillon est créé au début du mois d’août. Fragilisées, les forces d’occupation allemandes ne désarment pas pour autant. Le 27 juillet 1944, à Saint-Germain-du-Salembre, les groupes François et Roland perdent, par exemple, 29 hommes attirés dans un piège (voir le panneau consacré à cet événement). Le 6 août 1944, le camp des résistants de la Double, à Virolle, est démantelé suite à l’attaque des Allemands. Ils sont attendus par plusieurs centaines de maquisards, la plupart non armés. Les tirs d’obus de mortiers et de balles explosives retentissent toute la journée. L’ennemi prend en otage des habitants de Saint-Étienne-de-Puycorbier, dont il se sert comme boucliers humains. Mais il ne parvient pas à s’emparer du camp. Avant la tombée de la nuit, il se retire. Les maquisards des 4e et 14e bataillons, qui déplorent la perte de deux des leurs, se replient, eux, près de la Trappe de Bonne Espérance, à Echourgnac. Ils s’installent ensuite à la Latière et au Grand-Brégout, près de Saint-Aulaye. En ce mois d’août 1944, fragilisées par l’ouverture du front en Normandie, les troupes allemandes, basées dans le sud-ouest de la France, le sont encore plus avec le débarquement de troupes américaines et françaises sur les plages de Provence, le 15 août 1944 (opération Anvil-Dragoon). La décision d’Adolf Hitler, le 16 août, de retirer toutes ses troupes à l’ouest d’une ligne Orléans/Clermont-Ferrand/Montpellier, conduit les dernières troupes allemandes à quitter Périgueux le 19 août 1944. Elles laissent derrière elles un charnier de 45 hommes, résistants et Juifs, dont 40 fusillés entre le 9 et le 17 août. Ribérac, Mussidan et Montpon sont libérées le 18, le 22 puis le 23 août 1944 par des unités du 4e bataillon. La Dordogne est officiellement déclarée libérée le 25 août 1944.

18 - MASSACRE DE 29 MAQUISARDS À ESPINASSE, COMMUNE DE SAINT-GERMAIN-DU-SALEMBRE (27 JUILLET 1944) 26 juillet 1944 : les Résistants de Dordogne interceptent en gare de Neuvic un train de la Banque de France transportant 2 milliards 280 millions de francs (426 857 248, 26 euros). 27 juillet 1944 : la 1ère armée américaine libère les villes de Lessay et Periers (Manche, Normandie) ; massacre à Espinasse de 29 Résistants du 4e bataillon Francs-Tireurs et Partisans (FTP) et de quatre habitants. Le 26 juillet 1944, le boulanger de Chantérac observe qu’un certain Duriez, habitant Saint-Germain-du-Salembre, dispose d’un grand nombre de tickets de pain. Méfiant, il alerte aussitôt le groupe Paul Henri de l’Armée secrète (AS), caché à la Martinière, sur la commune de Saint-Germain-du-Salembre. Le jour même, ces maquisards arrêtent Duriez et le conduisent au camp. Le sergent-chef Schaffner le présente à un adjudant-chef, Denis, qui le connaît et se porte garant de lui. Duriez est alors relâché. Mais c’est un traître. Il va rapporter à l’occupant le lieu d’implantation du camp. Le 27 juillet 1944, aux aurores, la 3e compagnie du deuxième bataillon du 50e régiment d’aviation de la Luftwaffe de Saint-Astier, guidée par Duriez, se dirige droit sur le camp de la Martinière. Elle est appuyée par des membres de la Brigade nord-africaine, auxiliaires issus de la pègre parisienne. Rendus sur place, ils attaquent le groupe Paul Henri. En difficulté, les maquisards parviennent à se replier, laissant à terre l’un des leurs, Raymond Raudier, gravement blessé. Torturé, il sera exécuté. Les résistants choisissent de se rabattre sur le lieu-dit la cabane de Cranillère et se mettent en embuscade. Prudents, ils appellent en renfort leurs camarades des camps voisins. Sitôt informés, des hommes du groupe Roland, stationnés aux Jacques, se mettent en route. D’autres hommes du camp FTP de Virolle rejoignent l’expédition dirigée par Guy Caulet, alias Barnabé, et René Daniès, alias Olive, son second. Une cinquantaine de maquisards prennent alors la direction de Saint-Germain-du-Salembre guidés par Jean Magne, qui connaît bien le pays. Arrivés à Saint-Germain-du-Salembre, ils ne trouvent ni leurs camarades de l’AS ni trace de l’ennemi. Vers 14 heures, au lieu-dit la Fontaine de Maillepot, ils croisent un certain Bénard, surnommé Paris Soir car il vend des journaux. Circulant à vélo de village en village pour son commerce, il est connu de tout le pays. Bénard leur suggère de se dissimuler dans le lit du Salembre, d’attendre le passage de l’ennemi, et de l’attaquer par surprise. Paris Soir, à la solde de l’occupant, leur tend un piège. Sitôt ses conseils prodigués, il s’empresse de les rapporter à l’ennemi. Le temps passant, Olive, le second de l’expédition, trouve leur position trop dangereuse. Il convainc le chef, Barnabé, de gagner le plateau où se dresse le hameau d’Espinasse. Alors qu’ils marchent à découvert, les résistants sont rapidement encerclés par des soldats allemands alertés par Paris Soir. Au total, 29 hommes périssent sur le plateau ou dans les maisons du hameau. Il faut y ajouter des habitants, Pierre et Augustin Grégoire, Élie Bonnet et Émile Beau, exécutés et leurs maisons incendiées. Ce même soir Paris Soir est surpris sur les lieux du massacre, occupé à détrousser les cadavres. Il est arrêté pour être fusillé par les résistants du groupe Paul Henri. Quant à Armand Duriez, il quitte la région. Retrouvé après la Libération, il sera arrêté, jugé et fusillé à Périgueux. Le massacre d’Espinasse a profondément marqué les esprits. Tous les ans, le 27 juillet, est organisée une commémoration devant le monument sur lequel sont gravés les noms des victimes de cette double trahison.

Témoignage de Joseph, un des chefs survivants « Des mitrailleuses et des mortiers tirent de la route pendant que des fantassins cherchent à nous tourner. […] J’ai alors donné à mon détachement l’ordre de repli. Une hésitation s’est produite chez certains de mes hommes, devant la nécessité de battre en retraite et de traverser un terrain découvert d’une trentaine de mètres continuellement balayé par les armes automatiques de l’ennemi qui nous arrosaient de toutes parts. J’ai moi-même traversé ce découvert, appelant mes hommes à ma suite. Ceux qui m’ont suivi ont été sauvés. Les autres ont été tués sur place, ou achevés blessés, ou fusillés comme Francs-Tireurs ».

19 - LA LIBÉRATION DE 89 DÉTENUS POLITIQUES DE LA PRISON DE BERGERAC PAR LES FTP - 30 JUILLET 1944 L’opération de libération des détenus de la prison de Bergerac est préparée dans l’urgence le 29 juillet, lors d’une réunion au PC du sous-secteur C des FTP à Bellacaud (Saint-Jean-d’Eyraud). Elle répond à une demande de la hiérarchie départementale des FTP. La Résistance craint que l’occupant n’exécute les prisonniers politiques avant son départ. Participent à la réunion les responsables FTP du triangle de direction du sous-secteur C : Pierre Legendre, alias Henri ; Pierre Huet, alias Hugues ; Roger Faure, alias Jim ; le Commissaire aux opérations régionales (COR), Édouard Valery, alias Lecoeur ; Michel Schneersohn, alias Michel, responsable du service de renseignement des FTP (service B) pour le sous-secteur. Pierre Pascaud et Max Moulinier, qui connaissent bien la ville de Bergerac, sont également présents. Le temps leur est compté. Mais les FTP peuvent compter sur un ancien gardien de la prison et sur plusieurs de ses collègues en poste. L’opération n’est pas sans risque. La prison est située en plein centre de Bergerac. La caserne Chanzy, où logent les troupes allemandes, est éloignée d’à peine quelques centaines de mètres. Il faut donc choisir des hommes de confiance pour accomplir cette mission délicate. Jean Clerc fait partie, avec trois autres de ses camarades, des quatre personnes désignées par Michel Schneersohn, le concepteur de l’opération, pour pénétrer dans la prison. Une fois libérés, les anciens prisonniers sont conduits au camp de Virolle, à Saint-Étiennede-Puycorbier, où ils sont placés sous la protection du 4e bataillon FTP. Au début du mois d’août, la majorité d’entre eux intègrent le 14e bataillon FTP qui vient d’être créé. L’opération a été un succès. Tous les prisonniers ont été libérés sans effusion de sang, grâce à l’efficacité du plan d’action et au sang-froid de Jean Clerc et de ses compagnons.

Témoignage de Jean Clerc, acteur de la libération des 89 détenus « Michel Schneersohn est venu nous chercher, car nous devions partir en mission. Il nous a choisis moi, Tintin [Auguste Chanseau], Roger Boisserie [ou Boissière] et Georges Musquin [Georges]. Tout était prêt pour libérer les détenus de la prison de Bergerac. Il avait fallu avoir des relations avec l’extérieur, avec les gardiens, avec les éléments susceptibles de nous communiquer toutes les informations nécessaires. Nous sommes partis vers 4 ou 5 heures de l’après-midi. On nous a emmenés en voiture jusqu’à la Brunetière [un faubourg de Bergerac] chez un boulanger puis nous sommes partis à pied. Nous avons traversé des terrains, des prés avant de traverser le Caudeau. Chacun a ensuite emprunté un itinéraire différent. Boisserie, qui était de Bergerac, avait imaginé que deux d’entre nous seraient déguisés en pêcheurs avec des cannes à pêche et des épuisettes et les deux autres en jardiniers. Nous avons emporté dans des sacs des grenades et des revolvers puis nous sommes partis. Nous avons traversé le Caudeau, nous sommes passés derrière les abattoirs et puis nous nous sommes séparés en deux. J’étais accompagné par Boisserie alors que Tintin et Georges sont partis de l’autre côté. Le rendez-vous était fixé avec les responsables qui étaient chargés de nous contacter dans le jardin public à la tombée de la nuit. Nous sommes partis directement pour le jardin public. La prison était juste en face de la caserne Chanzy, il ne fallait pas faire de faux pas. Nous avons camouflé nos sacs dans une haie de laurières, derrière les toilettes publiques. Nous nous sommes promenés dans le jardin. Voilà que s’amènent une dizaine de miliciens avec des filles… Ils chahutaient. Nous, nous sommes partis sur la pointe des pieds. Je me disais que si nous restions là trop longtemps, nous allions nous faire repérer et c’est certainement ce qu’il s’est passé, car un groupe de miliciens est arrivé par le bas du jardin public. Cette fois-ci, il n’y avait plus de filles. Nous nous sommes cachés dans les bambous. Les miliciens sont passés deux fois et ils semblaient nous chercher. Sur le coup des 22 heures 30, il faisait presque noir. Nous avons entendu des pas de souliers qui marchaient sur les allées. Je suis sorti et j’ai vu un des gardiens de la prison qui devait nous faire entrer. C’était bien lui. Nous sommes entrés dans la prison. Le gardien avait les clés. Nous avons séquestré le chef de la prison puis nous avons parlementé. Nous avons mis les détenus au courant de ce qui allait se passer, leur avons demandé de se préparer, d’embarquer le moins d’affaires possible, nous avons demandé à ceux qui avaient de grosses godasses de les mettre sur l’épaule. Après le plus dur, cela a été de fixer l’heure du départ. Cela n’a pas été chose facile et les avis étaient contradictoires, car il y avait des patrouilles toute la nuit dans les rues de Bergerac et là où nous devions passer, il y avait un poste de garde allemand tout près du pont du Caudeau, sur la route Mussidan-Bergerac. Tout le monde était en file indienne et nous avons traversé Bergerac pour rejoindre notre point de rendez-vous… Boisserie conduisait le défilé. Nous sommes passés par des petites ruelles pour atterrir à la gare. Nous avons rejoint les abattoirs puis le Caudeau. Il a fallu passer tous les prisonniers sur le dos parce qu’ils n’avaient pas la force de traverser. Comme il faisait clair de lune, on les a fait descendre le long du Caudeau à l’ombre des vergnes pour ne pas être aperçus. Seulement les camions qui devaient venir n’étaient pas là. Nous avons attendu un moment. J’ai dit aux autres de rester là et je suis parti au PC du sous-secteur à Bellacaud. Seulement, cela faisait un chemin. Je suis allé réveiller Maumont, le boulanger de la Brunetière, pour qu’il me prête un vélo, puis j’ai rejoint Henri (Pierre Legendre) pour l’avertir de ce qu’il se passait. Il m’a dit de rester sur place pour me reposer et il est parti en voiture. Il a finalement trouvé les camions du côté de Saint-Sauveur-de-Bergerac. Ils étaient en train de rôder sur la route, mais, en définitive, tout s’est bien passé. Ils ont récupéré tous les prisonniers. Le lendemain matin, tout le monde était là sain et sauf. Mais nous avions frôlé la catastrophe la veille quand nous sommes arrivés devant un bâtiment qui était un poste de garde allemand. Les soldats avaient fait un tas de boîtes de conserve vides. C’était leur dépôt d’ordures. Un des prisonniers est rentré dedans. Cela a fait un bruit ! Les Allemands avaient des chiens qui se sont mis à aboyer. Personne n’a bronché. Un vrai miracle ! »

Témoignage de Guy Delcoral. Il conduisait un des camions chargés d’accompagner les prisonniers libérés vers la forêt de la Double « Il y avait des prisonniers qui ne marchaient pas très bien. Alors, j’en faisais monter un groupe et je les emmenais à 4 ou 5 kilomètres, puis je revenais en chercher d’autres. Nous nous sommes arrêtés aux Betoux, aux Lèches, dans une maison isolée. Tout était organisé. Il y avait de grosses tourtes de pain, des grattons de cochon dans une grosse terrine. Il y avait à boire, il y avait tout ce qu’il fallait. Nous avons passé la journée dans ce petit bois. »

20 - DE LA « SORTIE DES BOIS » AU « FRONT DES OUBLIÉS » Eté 1944 : Adolf Hitler ordonne à ses troupes de prendre position sur la côte Atlantique. 7 septembre : le 4e bataillon FTP arrive aux portes de La Rochelle. 15 septembre : début de la guerre de position à La Rochelle. 18 octobre : accord entre le général Edgard de Larminat, commandant des Forces françaises en opération sur le front de l’Ouest (devenu Détachement d’Armée de l’Atlantique) et le vice-amiral Ernst Schirlitz, responsable du commandement de la côte Atlantique et de celui de La Rochelle depuis 1944, pour ne pas détruire la ville malgré les ordres de l’état-major d’Hitler. 30 avril 1945 : Hitler se suicide à Berlin. 7 mai 1945 : signature, à Reims, par le Troisième Reich, d’un acte de reddition militaire. 8 mai 1945 : le vice-amiral Schirlitz signe la capitulation à La Rochelle. La Dordogne est libérée. Mais le combat n’est pas terminé. Le 28 août, les maquisards du 4e bataillon FTP et ceux du 14e bataillon se rejoignent à Libourne, en Gironde. Ils sont sur les traces des troupes allemandes qui refluent vers Bordeaux. Sur le chemin, à Libourne, elles quittent la ville sans combat, mais font sauter le pont de la Dordogne et celui de l’Isle. Fin août, une grande partie d’entre elles ont réussi à gagner le centre et l’est de la France. Sur ordre du Führer, plusieurs milliers de soldats sont restés retranchés dans les ports stratégiques de la côte Atlantique. L’objectif est de ralentir au maximum l’approvisionnement des armées alliées et leur avancée, tout en conservant la maîtrise des bases sous-marines. Près de 15 000 hommes vont ainsi bloquer pendant neuf mois La Rochelle, un des plus importants ports du pays, transformé en camp retranché. Les unités du 4e bataillon FTP de la forêt de la Double et celles du 6e bataillon du Bergeracois jouent leur part dans cette guerre de position conduite par le général Edgard de Larminat. Nommé en octobre 1944 commandant des Forces françaises sur le front de l’Ouest, il a pour mission de réduire les poches de Lorient, Saint-Nazaire, La Rochelle et Royan-Pointe de Grave. Soucieux d’éviter la destruction des précieuses installations portuaires de La Pallice, près de La Rochelle, et d’épargner la vie des civils, le général charge le capitaine de frégate Hubert Meyer d’engager des pourparlers avec le vice-amiral Ernst Schirlitz. Ils concluent un accord tacite adopté le 18 octobre 1944. Les Alliés s’engagent à ne pas franchir les limites de la poche. De leur côté, les troupes allemandes promettent de ne pas détruire les installations portuaires et la ville de La Rochelle. Par ailleurs, une zone de belligérance est définie. Les Allemands ne manquent pas d’exploiter cet avantage en multipliant les coups de force dans les lignes des résistants. Ces derniers n’apprennent l’existence d’un tel accord que bien après la guerre, et ils ont alors le sentiment d’avoir été dupés. Entre septembre 1944 et mai 1945, les Résistants tiennent un front de près de cinquante kilomètres dans des conditions particulièrement difficiles. Non seulement les effectifs et l’armement sont très insuffisants, mais les circonstances sanitaires sont déplorables et la nourriture insuffisante. Ils affrontent de plus un hiver rigoureux. Certains seront même faits prisonniers lors des incursions allemandes. Le 8 mai 1945, un jour après la capitulation du Reich, le vice-amiral Schirlitz accepte la reddition de la poche de La Rochelle. Le lendemain, les résistants de la forêt de la Double subissent un dernier affront. On leur interdit d’entrer les premiers dans les rues de La Rochelle. Ce sont les hommes du 4e Régiment de Zouaves, unité considérée comme plus « présentable » par le commandement, qui ont ce privilège. Tous les anciens résistants, excepté ceux qui ont souscrit un engagement dans l’armée, sont démobilisés à la fin de l’année 1945, date à laquelle ils retrouvent leurs foyers.

La situation sur le front de La Rochelle. Témoignage de Christian Michaud « (…), la situation était franchement révoltante : face à un ennemi parfaitement équipé, nous n’avions toujours que nos mitraillettes ! Les hautes sphères nous avaient proprement oubliés, sauf pour revoir nos grades. Mais d’armement, d’uniformes, et même de ravitaillement, zéro. Une honte !» Témoignage d’Henri Rode, capturé lors du siège de La Rochelle, le 4 novembre 1944  « Nous nous sommes retrouvés encerclés. J’ai été fouillé et ils ont trouvé mes papiers, dont celui qui mentionnait ma citation [relative à son action héroïque à Saint-Front-de-Pradoux le 8 juin 1944]. J’ai été considéré comme un terroriste et j’ai été frappé ainsi que d’autres camarades. J’étais méconnaissable. Je me suis retrouvé à l’hôpital. » Reddition des Allemands à La Rochelle. Témoignage d’Albert Laborie « Les Allemands voulaient se rendre à une armée de métier, car ils nous considéraient comme des terroristes. »

21 - LA LIBÉRATION DES CAMPS DE LA MORT : LE TEMPS DES DERNIERS MASSACRES ET LE RETOUR À LA VIE Au début de l’année 1945, après l’échec de la contre-offensive des Ardennes, à l’ouest, et la dislocation du front à l’est, le IIIe Reich est proche de l’effondrement. Dans ce contexte, les dirigeants nazis décident d’évacuer les déportés vers les camps de concentration les plus au centre pour les soustraire aux Alliés. Ils ont encore besoin de cette main-d’oeuvre servile pour poursuivre leur effort de guerre. Le transfert des déportés se fait dans l’urgence, en train ou à pied par marches forcées, sous les températures glaciales de l’hiver continental. Tous ceux qui ne peuvent plus marcher sont achevés d’une balle dans la tête. Les exécutions sont si nombreuses qu’une partie seulement des déportés parviennent à destination. Le camp d’extermination de Maidanek, en Pologne, est le premier vidé de ses détenus. Les troupes soviétiques le découvrent le 24 juillet 1944 : il est abandonné. Sur le front occidental, c’est au tour du camp du Struthof, en Alsace, d’être découvert par les troupes américaines, le 23 novembre 1944. Là aussi, le camp est vide. La majorité des détenus ont été transférés vers celui de Dachau. Les autres ont été exécutés. Le 15 avril 1945, les troupes britanniques libèrent le camp de Bergen-Belsen. Dans cet ancien camp de prisonniers, transformé en camp de concentration en décembre 1944, le nombre de déportés a triplé au fur et à mesure de l’avancée des Alliés : de 22 000 en février 1945 à 60 000 en avril 1945. Les déportés sont entassés et abandonnés dans des conditions abominables. L’objectif des nazis est de les faire disparaître par la faim et les épidémies. Une épidémie de typhus s’est d’ailleurs déclarée. En raison du risque de contamination, les déportés ne quittent Bergen-Belsen qu’au début du mois de juin. Entre-temps, 15 000 déportés ont trouvé la mort. Le camp de Mauthausen est libéré le 6 mai 1945 par les Américains. Les libérateurs font une première apparition mais ne s’attardent pas. Ils partent rejoindre le front. Craignant le retour des SS, le Comité international de la résistance clandestine du camp entre en action. Composé de membres de différents pays, il sait défendre le camp que les SS reviennent effectivement investir dans la nuit pour éliminer les déportés. Fragiles, pesant à peine 35 kg pour certains, de nombreux déportés meurent dans les jours et les semaines qui suivent leur libération. Ensuite, les survivants ne sont rapatriés en France par avion qu’après quelques jours, voire plusieurs semaines pour les cas les plus graves. Arrivés à Paris, ils sont pris en charge par la Croix-Rouge à l’hôtel Lutetia, transformé en centre d’accueil. Parmi ceux-là, on compte Fernande Escudié, rapatriée après avoir été soignée du typhus. Elle arrive le 6 juin 1945 en gare de Montpon, où son pantalon trop large maintenu par une corde en guise de ceinture ne passe pas inaperçu. Le retour à la vie « normale » se fait progressivement. La santé des survivants est fragile, compte-tenu des grandes privations. Il faut réapprendre les gestes simples du quotidien. Les témoignages des anciens déportés suscitent l’incompréhension, voire la suspicion et le rejet d’une réalité gênante. Ils sont nombreux à garder le silence. Les années passant, ils prennent cependant conscience de la nécessité de témoigner de leur expérience aux jeunes générations.

Témoignage d’André Fortané, évacué avec ses camarades du tunnel de Dora le 4 avril 1945, alors que des éléments de la 3e armée américaine approchent du camp « Nous avons évacué Dora le 4 avril. Mon groupe, après un voyage épouvantable de 12 jours, pendant lequel l’herbe des fossés fut notre seule nourriture, échoua au camp de Ravensbrück. 600 de nos camarades tombèrent encore, la plupart achevés sur la route d’un coup de revolver dans la nuque. Quelques jours après, l’avance russe nous obligeait à évacuer Ravensbrück. » Témoignage de Fernande Escudié, déportée évacuée à Bergen-Belsen « À Bergen-Belsen, nous étions complètement livrées à nous-mêmes. On nous avait mises dans la grande salle d’un block, sans plancher. Nous sommes restées là pendant deux jours. Nous ne savions pas ce que nous faisions là. Nous n’avions aucune nourriture. […] Sachant que les Anglais allaient arriver, les Allemands nous ont dit qu’il fallait mettre les cadavres dans les fosses communes. […] Des hommes ont été obligés de le faire. Certains étaient tellement épuisés qu’ils tombaient avec les cadavres dans la fosse. [...]  Le docteur qui m’a soignée à mon retour en Dordogne a dit à ma mère que mon cœur était tout petit, de même que mon estomac. Il ne fallait pas manger beaucoup pour qu’il n’éclate pas. […] La première fois que j’ai pu dormir dans un lit, j’ai dû en sortir, car je n’arrivais pas à dormir. J’ai donc dormi par terre, car je n’étais plus habituée. [...] Après la guerre, nous n’avons rien dit. Quand les prisonniers sont rentrés à Montpon, je me suis retrouvée à un repas. J’y avais été invitée. Deux personnes discutaient à côté de moi. L’une d’entre elles disait à l’autre : “ Tu as vu dans quel état elle est ! ”. L’autre lui a dit : “ C’est de sa faute, elle n’avait qu’à rester tranquille. ” Quand j’ai entendu cela, je me suis dit que ce n’était pas la peine, qu’ils ne comprendraient jamais. » Témoignage de Jean Serventie, déporté : l’arrivée des Américains « Le 5 mai 1945, nous avons été libérés par les Américains qui, avec des autos blindées, ont fait une percée dans les lignes allemandes de 25 kilomètres. Les SS qui nous gardaient ont fui (400 environ). Seuls quelques vieux gendarmes de Vienne sont restés, mais ont déposé les armes sans résistance. Le soir, les Américains sont repartis rejoindre leur ligne de front. Dans la nuit du 5 au 6 mai, une centaine de SS sont revenus au camp pour y mettre le feu et nous exterminer. Mais un groupe de déportés de toutes nationalités montait la garde dans les miradors et autour du camp. Ils ont repoussé les SS, il y a eu plusieurs tués parmi eux. Le lendemain, les Américains étaient là, avec leurs blindés. […] Le 16 mai 1945, des camions américains sont venus nous chercher et nous ont conduits à Linz, au terrain d’aviation qui était en partie détruit. Seule une piste avait été réparée. Le lendemain, les avions sont arrivés. Les forteresses volantes nous ont embarqués à 30 par avion et ont fait la navette entre Paris et Linz. Nous étions 1 200 rescapés sur 6 000 Français rentrés au camp de Mauthausen, en grande majorité des jeunes. »

L’ALIMENTATION DES MAQUISARDS L’alimentation des maquisards constitue un facteur déterminant qui conditionne leur moral et leur efficacité. Dans le Périgord, terre de polyculture, ils peuvent compter sur le soutien de la population qui élève volailles et bétail et cultive céréales et légumineuses. Ainsi comme l’indique Christian Michaud, « sauf accident (attaque, déménagement imprévu) nous mangions à notre faim, grâce aux fermes des environs, ou aux commerçants d’un village. » Le boulanger de Festalemps, Ernest Mathieu ou le boucher d’Echourgnac, Henri Gilson font partie des sympathisants qui fournissent aux maquisards les vivres nécessaires. Ils seront tous deux arrêtés par les troupes allemandes le 4 avril 1944, puis déportés en camp de concentration. Seul Henri Gilson survit. Les réquisitions chez les collaborateurs ou chez les agriculteurs qui pratiquent le marché noir sont une autre façon de se procurer des vivres. « On se débrouillait comme on pouvait. Nous étions ravitaillés par les réquisitions que nous faisions chez les collaborateurs. Le chef et quatre personnes partaient dans une maison et, selon les renseignements que nous avions sur les propriétaires, nous prenions jambons, pâtés, etc. », raconte Albert Laborie, alias Théo. Parfois, la saisie d’un camion ou d’un wagon en partance pour l’Allemagne apportait de quoi se nourrir comme l’indique Christian Michaud : « Parfois, nous arrêtions un camion ou un wagon dans son voyage vers l’Allemagne, ce qui nous valait 15 jours ou plus à manger un seul ingrédient : œufs et sucre, sardines à l’huile, ou - pire - foie gras [sans pain]. » Toutes marchandises prélevées se font en échange de bons de réquisition à signer. Les « fournisseurs » seront généralement payés après la Libération à l’exception des collaborationnistes ou des personnes considérées comme hostiles à la Résistance. C’est Albert Laborie qui assure la fonction de cuisinier des maquisards à la suite d’une « prestation » culinaire particulièrement appréciée par ses camarades : « on nous avait donné un agneau, mais personne ne savait le faire cuire. J’ai essayé de m’inspirer de ma mère. J’ai fait un agneau à la ficelle. » Par la suite, Théo est nommé à l’intendance de la compagnie, ce qui consiste à « aller chercher du ravitaillement au [Poste de Commandement] et gérer ce qu’il y avait en pain, viande, ce qu’il y avait. Puis je l’emmenais et le cuisinais à la compagnie. » Les maquisards manquent d’ustensiles. Ceux en leur possession sont souvent usés et se limitent à une grande marmite, quelques couverts et vieilles gamelles. Le ravitaillement, déjà difficile, devient problématique à l’été 1944. Or, à ce moment, le maquis de Virolle abrite près de 600 maquisards. Les responsables du ravitaillement doivent alors se rendre jusqu’en Gironde et en Charente pour trouver suffisamment de subsistance.

LES VÉHICULES DU MAQUIS Avant la Seconde Guerre mondiale, la voiture est encore rare en Dordogne et seuls quelques notables privilégiés en possèdent une. Ensuite, le recensement des véhicules imposé par le gouvernement de Vichy à des fins de réquisition dissuade leurs propriétaires de les utiliser. S’ajoute la pénurie en matière de pneumatiques, de pièces de rechange et d’essence réservés à quelques professions (comme les médecins) ou aux collaborateurs. Cette situation oblige dans un premier temps les maquisards à se déplacer à pied ou en charrettes tirées par des bœufs ou des chevaux. « Nous n’avions qu’une voiture. Nous avions également un camion de marque Studebaker, dont “ Soupape ” était souvent le conducteur, mais c’était plus tard. », se souvient Abel Brouage, maquisard dans la forêt de la Double. Progressivement, les Résistants complètent leur équipement par des tractions et des camions réquisitionnés. Ils utilisent également des camionnettes empruntées à des transporteurs. Les noms de quelques uns d’entre eux nous sont parvenus : les frères Guy et Edmond Delcoral de Mussidan, eux-mêmes maquisards par la suite, un nommé Allain de Montpon, Raymond Laporte des Lèches. Comme les carburants sont rares, une partie des véhicules du maquis fonctionnent au gazogène, système qui permet de produire un gaz combustible à partir de bois ou de charbon de bois. Les Résistants utilisent également des alcools mélangés à des essences de térébenthine, ce qui entraîne souvent des ratés et des pétarades. Maurice Denoix, du groupe Roland, se souvient avoir utilisé du benzol, qui servait aux établissements Mercier de Mussidan pour la fabrication de la cire : « Cela marchait très bien dans les voitures, mais cela consommait beaucoup plus ! » Quant aux vélos et aux rares motos possédés par les résistants, ils sont surtout utilisés par les agents de liaison du maquis. Leur rôle est essentiel, car ils assurent le contact avec les autres groupes et organisations des environs, et entre leur organisation et leur direction. Il est également nécessaire que les agents de liaison soient dotés d’une bonne mémoire pour se souvenir des lieux, des pseudonymes des personnes qu’ils doivent rencontrer et de l’information qu’ils doivent transmettre. Enfin, il leur faut une bonne condition physique pour parcourir des dizaines, voire des centaines de kilomètres de routes et de chemins en plus ou moins bon état. L’activité des agents de liaison est particulièrement risquée, car ils peuvent à tout moment se retrouver face à des véhicules ou à un barrage ennemis. C’est le cas de Maurice Bonnet, du groupe Kléber, tué le 23 juin 1944 près de Villamblard alors qu’il assurait le contact avec un groupe de résistants du secteur.

LES ARMES DU MAQUIS Fusils de chasse et revolvers en mauvais état, cachés par l’armée française après la débâcle de juin 1940, sont les rares armes ou équipements dont disposent au départ les premiers hommes engagés dans la Résistance. La situation s’améliore à partir de la fin de l’année 1943. Au printemps 1944, ils reçoivent les armes parachutées par les Anglais du Special Operation Executive (SOE). Créée au mois de juillet 1940 par le Premier ministre anglais Winston Churchill, la « Direction des Opérations Spéciales » a pour objectif de « mettre le feu à l’Europe » et est chargée des actions de sabotage et du soutien à la Résistance intérieure française. Ensuite, à partir du débarquement en Normandie, le 6 juin 1944, les parachutages des Alliés à destination des maquis s’intensifient pour notamment couper les lignes ferroviaires et engager des actions de guérilla destinées à retarder la montée des troupes allemandes vers le front de Normandie. Ignorant au début en majorité tout du maniement des armes, les maquisards disposent bientôt de mitraillettes Sten, de carabines anglaises (Lee Enfield) ou américaines (M1), de pistolets colts américains et de fusils mitrailleurs anglais (Bren). Ils sont également équipés de grenades défensives (Mills), mais aussi de puissantes grenades Gammon pouvant contenir une charge de 750 grammes de plastic (capables de retourner un véhicule) et de pains de plastic nécessaires aux sabotages. Plus rarement, ils utilisent des armes antichar portables comme le PIAT (projector infantry anti tank). La livraison des armes se fait selon des critères bien précis : taille, éloignement des villages et des grands axes routiers. Les terrains doivent ensuite être homologués par Londres qui leur attribue un code associé à deux messages personnels à l’instar de ceux adressés aux résistants de la Double : « Aux audacieux les mains pleines » et « Robert a bien soigné Dick ». Christian Michaud décrit la réception des parachutages et l’immense joie qu’elle suscitait : « On attendait au lieu convenu. On allumait des feux de balisage avec quelques pains de plastic. Ça brûle tout de suite, juste le temps qu’il faut et ça ne laisse pas de braises. L’avion passait, puis revenait et lâchait ses parachutes, lestés de lourds containers cylindriques. Si par malheur un parachute s’accrochait aux arbres, pas question de le laisser, c’était trop précieux. On trouvait de tout dans les containers. La moindre chose était accueillie avec joie : nous n’avions rien. Parfois, les Anglaises glissaient un bouquet de fleurs parmi les cordons Bickford et les mitraillettes. » Les maquisards présents dans la Double appartiennent majoritairement aux Francs- Tireurs et Partisans Français (FTPF). D’obédience communiste, ils constituent une des principales organisations de la Résistance française, mais les Alliés sont réticents à armer convenablement ceux qu’ils soupçonnent de vouloir prendre le pouvoir au moment de la libération du territoire national. Les bons contacts de Jacques Poirier, responsable du SOE pour une grande partie de la Dordogne, avec André Bonnetot, dit Vincent, de la direction des FTP de Dordogne permettent néanmoins l’obtention de quelques parachutages. Les FTP doivent cependant souvent ruser pour se procurer des armes. Il arrive ainsi qu’ils émettent des signaux lumineux vers le ciel afin de « détourner » des livraisons d’armes destinées à d’autres groupes mieux équipés qu’eux. A Bellacaud, commune de Saint-Jean-d’Eyraud, dans la nuit du 28 au 29 juillet 1944, les résistants interceptent ainsi plusieurs containers remplis de munitions. Transférées au camp des maquisards à Virolle (Saint-Étienne-de-Puycorbier), elles permettent de repousser le 6 août une importante attaque allemande.

LES CONDITIONS DE VIE DES MAQUISARDS Au maquis, le confort est inexistant, l’habillement problématique et l’hygiène rudimentaire. Les nombreuses cachettes en Dordogne où les maquisards peuvent trouver refuge sont très diverses : ruines ou maisons abandonnées, cabanes, bories, grottes ou souterrains-refuges nommés cluzeaux dans le Périgord. Dans la Double, les maquisards occupent ponctuellement des fermes abandonnées comme celle des Jacques (Saint-André de Double) ou de Virolle (Saint-Étienne-de-Puycorbier). A Farcerie (Saint-André-de-Double), en mars 1944, ils entreprennent de creuser une sape, mais l’imminence d’une opération allemande les arrête. Ils peuvent aussi dormir dans des camps de tentes confectionnées en toile de parachute appelées « marabouts ». André Balès, alias Mickey, en décrit les inconvénients : « Ce sont les parachutes qui ont servi au parachutage d’armes, de munitions et de ravitaillement. Là dessous, tantôt il fait très chaud le jour et très froid la nuit. Quand il pleut fort, si tu touches la toile, c’est une gouttière qui te tombe dessus… » Le plus souvent, les hommes sont partis au maquis avec les vêtements qu’ils portaient. C’est pourquoi les maquisards organisent, quand ils en ont l’occasion, des opérations de récupération de stocks de blousons, de pantalons, ou de chaussures dans les Chantiers de jeunesse de la région. Au cours de l’été 1944, les maquisards du groupe François saisissent un stock de vêtements bleu foncé destiné aux pensionnaires de l’asile d’aliénés de Vauclaire (Montpon-Menesterol). A l’automne 1944, après la libération de la Dordogne, les maquisards positionnés sur le front de La Rochelle changent de tenue. « Nous avons reçu un uniforme anglais, le blouson et le pantalon puis le casque… », se souvient Albert Laborie. Le savon est rare et les feux sont limités pour éviter que les campements soient repérés. André Balès se souvient des conditions d’hygiène particulièrement mauvaises lors de son stationnement en juin 1944 avec ses camarades à Saint-Georges-Blancaneix, un petit village du Landais situé entre Bergerac et Mussidan : « [...]Le matin au réveil, pour faire la toilette, nous sommes au bord d’un grand étang très sale. Si tu es courageux, tu te laves un peu. Sinon, tu attends au lendemain. […]. Il y aura une épidémie de gale et de poux. Il n’y a rien pour soigner la gale et pour les poux, à poil, tondre les poilus et les chevelus et se chercher les poux les uns les autres. Nous ne pouvions jeter ou brûler les vêtements, car nous n’en avions pas d’autres de rechange. » Les maquisards implantent toujours leur camp, quand ils le peuvent, près d’un point d’eau. À Virolle, ils peuvent ainsi s’alimenter grâce à la proximité du ruisseau de la Boulbène dans lequel ils peuvent également se laver. Quant aux besoins naturels, chacun se débrouille comme il le peut.

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