Amylose cardiaque - John Libbey Eurotext

February 25, 2018 | Author: Anonymous | Category: Science, Médecine, Cardiologie
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Revue mt cardio 2006 ; 2 (2) : 208-14

Amylose cardiaque Gilles Grateau Hôpital Tenon, Service de médecine interne, Faculté de médecine, Université Paris VI, 4 rue de la Chine, 75970 Paris Cedex 20

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Résumé. La cardiopathie amyloïde se manifeste par une insuffisance cardiaque diastolique et des troubles du rythme et de la conduction. Le diagnostic précoce de l’atteinte cardiaque requiert un haut degré de suspicion et repose sur l’échocardiographie couplée au Doppler. Le diagnostic de l’amylose requiert un prélèvement histologique et la biopsie de glandes salivaires accessoires est maintenant l’examen de première intention pour le diagnostic de l’amylose. Un diagnostic précis de la nature de l’amylose est crucial, car le pronostic et le traitement y sont directement liés. Il est établi après confrontation des données cliniques (incluant l’histoire familiale), biochimiques, hématologiques, génétiques et immunohistochimiques. Les deux principales variétés d’amylose qui atteignent le cœur sont l’amylose immunoglobulinique ou amylose AL, et l’amylose de la transthyrétine ou amylose ATTR dans ses deux formes, héréditaire et sénile. Le pronostic de l’amylose cardiaque reste sombre, particulièrement pour l’amylose AL, parce que les médicaments cardiotropes sont peu efficaces et que le traitement de la maladie amyloïde sous-jacente, de plus en plus intensif, reste insuffisant, que ce soit dans l’amylose AL ou dans l’amylose ATTR. Divers dépôts amyloïdes, de nature biochimique variée, existent dans la paroi des vaisseaux et dans les oreillettes. Les mécanismes qui conduisent à la formation de ces lésions, leur relation avec le vieillissement et leur toxicité éventuelle, restent à préciser. Mots clés : amylose, cœur, insuffisance cardiaque diastolique, échocardiographie

Abstract. Cardiac amyloidosis. Conduction blocks, arrhythmias and diastolic cardiac failure are the main manifestations of amyloid cardiomyopathy. An early diagnosis of cardiac involvement requires a high degree of suspicion and is essentially based on Doppler echocardiography. Labial salivary gland biopsy is now the first way to diagnose amyloidosis. A thorough diagnosis of the detailed nature of the amyloidosis is needed, as it is directly linked to the prognosis and treatment. It is supported by clinical data, including familial history, biochemistry, hematology, genetics and immunohistochemistry. Two main varieties of amyloidosis involve the heart: immunoglobulinic or AL amyloidosis and transthyretin or ATTR amyloidosis, in two modalities: hereditary and senile. The prognosis of cardiac amyloidosis remains poor, particularly in AL amyloidosis, as cardiovascular drugs are not very efficient, and even toxic, and because treatment of the underlying amyloid disorders, although more and more intensive, remain disappointing both in AL and ATTR amyloidoses. Various amyloid deposits, of various biochemical natures, are found in large vessels and atrium. The mechanisms leading to these deposits, their clinical significance and their relationship with ageing remain to be further characterized. Key words: amyloid, amyloidosis, diastolic heart failure, echocardiography

L’

amylose est la voie finale commune d’un processus d’autoagrégation d’une vingtaine de protéines amyloïdes dans l’espèce humaine, dont les conséquences sont d’une très grande diversité sur les organes et leur fonction (tableau 1) [1]. Nous restreindrons ce chapitre aux manifestations cardiovasculaires des amyloses, qui restent dominées pour leur localisation par l’atteinte myocardique et pour leur nature par l’amylose immunoglobulinique ou amylose AL [2].

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mtc Correspondance : G. Grateau

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Signes de l’amylose cardiaque Signes cliniques Ils sont identiques quelle que soit la nature biochimique de l’amylose. Nous nous référerons à l’amylose AL mt cardio, vol. 2, n° 2, mars-avril 2006

qui est la plus fréquente, la plus rapidement évolutive, et la plus grave des variétés d’amyloses multisystémiques qui se complique d’atteinte cardiaque. L’amylose cardiaque se révèle le plus souvent par une insuffisance cardiaque, qui représente la « partie émergée de l’iceberg » si ce dernier représente le processus progressif des dépôts amyloïdes dans le myocarde. L’amylose découverte à l’occasion d’une insuffisance cardiaque est donc une des formes les plus graves de cette maladie. Les signes de l’insuffisance cardiaque de l’amylose peuvent être à prédominance droite ou gauche, comme le montre le tableau 2. L’asthénie est fréquente au cours de l’amylose AL et probablement liée dans la majorité des cas à l’insuffisance cardiaque.

Protéine amyloïde AL AH AA

Précurseur chaîne légère d’Ig (j, k) chaîne lourde d’IgG (c) apoSAA

Diffusion G, L G, L G, L

ATTR Ab2M

transthyrétine mutée transthyrétine normale b2-microglobuline

G G G

AApoAI

apolipoprotéineAI

AApoAII AApoAIV AGel ALys AFib ACys Ab APrPsc ACal AANF AIAPP

apolipoprotéineAII apolipoprotéineAIV gelsoline lysozyme fibrinogène cystatine C AbPP PrPC procalcitonine facteur atrial natriurétique amyline

G L G G G G G L L L L L L

AIns APro ABri A? A? A?

insuline prolactine BRI kératoépithéline lactoferrine séménogéline

L L L L L L

Syndromes ou tissus atteints (primitive) isolée ou associée au myélome isolée (secondaire) infection, inflammation chronique, tumeur héréditaire sénile associée à l’insuffisance rénale chronique terminale héréditaire aortique héréditaire sénile héréditaire héréditaire héréditaire hémorragie cérébrale héréditaire maladie d’Alzheimer encéphalopathies spongiformes cancer médullaire de la thyroïde amylose auriculaire isolée îlots de Langerhans du diabète de type 2, insulinome iatrogénique prolactinome, hypophyse sénile démence héréditaire britannique dystrophie cornéenne grillagée dystrophie cornéenne sous-épithéliale vésicule séminale

G : amylose généralisée ; L : amylose localisée ; Préc : précurseur.

Les autres signes sont plus rares : troubles de la conduction auriculoventriculaire, fibrillation auriculaire, participant avec l’hypotension orthostatique à la survenue

de syncopes. Les mécanismes de l’hypotension orthostatique sont souvent mixtes, associant neuropathie végétative et hypovolémie secondaire à un syndrome néphroti-

Tableau 2. Fréquence des signes cliniques dans l’amylose AL (d’après [5]) Patients Signes cliniques Dyspnée à l’effort Fatigue ou faiblesse Douleur thoracique Orthopnée ou dyspnée paroxystique nocturne Syncope Palpitations Thromboses artérielles périphériques Hypertension artérielle (définie par PA > 160/90) Hypotension (définie PA systolique < 100 mmHg) Fibrillation auriculaire Tachycardie > 100 bpm Œdèmes périphériques B3 Souffle systolique Râles crépitants

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n = 232 146 131 59 51 47 39 6 9 33 25 43 190 75 108 68

% 63 57 25 22 20 17 3 4 14 11 19 82 32 47 29

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Tableau 1. Nomenclature et classification des amyloses

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Amylose cardiaque

Tableau 3. Fréquence des signes échocardiographiques dans l’amylose AL (d’après [5]) Patients

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Critères échocardiographiques Septum interventriculaire épaissi Aspect « granité » du myocarde Paroi libre du ventricule droit épaissie Épanchement péricardique Oreillette gauche dilatée Dilatation biauriculaire Septum interauriculaire épaissi Feuillets valvulaires épaissis

n = 232 201 149 102 101 107 109 91 154

que et/ou au traitement diurétique. Une douleur angineuse est exceptionnelle, en rapport avec des dépôts amyloïdes dans les petits vaisseaux myocardiques. La coronarographie est dans ce cas normale. L’embolie artérielle est considérée comme rare, alors que plusieurs facteurs la favorisant sont souvent associés : insuffisance cardiaque avec dilatation de l’oreillette gauche, fibrillation auriculaire, tendance à l’hypercoagulabilité en cas de syndrome néphrotique [3]. Les signes cliniques d’épanchement péricardique sont rares, alors qu’un discret épanchement est fréquent à l’échographie.

Radiographie thoracique La silhouette cardiaque est le plus souvent normale, sauf quand il existe une dilatation uni- ou biventriculaire. Il peut exister un épanchement pleural et un syndrome interstitiel. Ces anomalies peuvent être liées à la défaillance cardiaque, mais aussi à une atteinte directe de la plèvre ou du parenchyme pulmonaire, qui peut prendre de multiples aspects. Elle est probablement sous-estimée et doit être systématiquement évoquée lorsqu’il existe une anomalie à la radiographie thoracique [4]. Électrocardiogramme Il est anormal dans 90 % des cas de la série de Dubrey et al. [5]. Les signes les plus évocateurs sont l’aspect de pseudo-infarctus, essentiellement dans le territoire antéroseptal, et le microvoltage, ces deux aspects n’ayant en eux-mêmes aucun caractère spécifique. En revanche l’association d’un microvoltage électrocardiographique à une hypertrophie ventriculaire gauche échocardiographique, sensibilisée par le rapport de ces deux dimensions, offre une forte spécificité diagnostique [6].

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Échographie Doppler L’échographie Doppler est le temps essentiel de l’exploration cardiaque dans l’amylose. L’échographie montre dans les formes typiques un aspect de granular sparkling, ou granité et brillant, du myocarde épaissi, directement lié à la présence de l’infiltration par l’amylose. La taille normale, ou diminuée, des cavités ventricu-

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% 87 64 44 44 46 47 39 66

laires, contraste avec l’épaississement des parois et du septum interventriculaire, l’oreillette gauche est dilatée et il existe un petit épanchement péricardique (tableau 3). Dans les formes plus précoces, l’aspect typique est absent et seul l’épaississement du septum interventriculaire est présent. L’examen Doppler montre des indices d’anomalies de la fonction diastolique du myocarde (stiff heart syndrome) alors que la fonction systolique est longtemps conservée. Les anomalies de la fonction diastolique sont variées et forment un continuum jusqu’à l’aspect de type restrictif en rapport avec une infiltration avancée de la maladie. Les techniques les plus récentes obtenues par le Doppler tissulaire et par les mesures de l’étirement régional du myocarde permettent de déceler des signes de dysfonctionnement myocardique « régional » plus précoce [7]. Ces résultats, qui requièrent un appareillage très pointu et qui émanent d’équipes très spécialisées dans ce domaine, ne peuvent actuellement s’appliquer au dépistage de routine de la cardiopathie amyloïde, qui repose toujours sur l’échographie Doppler standard.

Diagnostic de l’amylose cardiaque Diagnostic d’amylose Le diagnostic d’amylose requiert un prélèvement histologique, comportant le moindre risque pour le malade. C’est pourquoi on a habituellement recours aux biopsies de glande salivaire accessoire labiale, rectale ou gastroduodénale, ou à l’aspiration de graisse sous-cutanée abdominale, qui sont très souvent le siège de dépôts en l’absence de symptômes cliniques [8]. Dans un deuxième temps, on a recours à la biopsie d’un organe cliniquement atteint : peau, rein, foie, nerf, ganglion, voire cœur. L’atteinte cardiaque isolée est exceptionnelle au cours de l’amylose AL et le recours à la biopsie endomyocardique est donc limité. Il n’en est pas de même pour les amyloses de la transthyrétine, que ce soit dans la forme héréditaire où l’atteinte cardiaque peut être révélatrice ou isolée, ou dans la forme sénile où l’atteinte cardiaque est pratiquement toujours isolée [9].

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Signe clinique d’atteinte cardiaque

Échographie cardiaque et Doppler évocatrice d’amylose

Diagnostic d’amylose (biopsie des glandes salivaires accessoires)

Amylose AA

Amylose AL

Amylose ATTR Mutation du gène de la TTR ?

oui

non

Amylose ATTR héréditaire

Amylose ATTR sénile

Figure 1. Les différents types d’amylose.

Diagnostic de la variété d’amylose C’est un point crucial car le pronostic et le traitement sont directement liés à la nature de l’amylose (figure 1). L’amylose de l’inflammation (amylose AA) se complique tardivement d’amylose cardiaque. Le diagnostic de l’amylose et sa nature sont alors déjà établis, en présence le plus souvent d’une atteinte rénale de type glomérulaire évoluant dans un contexte d’inflammation chronique. Le diagnostic d’amylose cardiaque repose essentiellement alors sur les arguments échocardiographiques. Le diagnostic d’amylose AL est le plus souvent simple, car c’est la forme d’amylose qui atteint le plus d’organes et systèmes. Certaines manifestations sont quasi pathognomoniques de l’amylose AL : l’atteinte cutanée avec ses diverses variétés, la macroglossie, le syndrome hémorragique par déficit acquis en facteur X. D’autres sont communes avec d’autres variétés : l’atteinte du tube digestif, du foie, de la rate, du rein et du nerf périphérique avec une composante végétative majeure. Le diagnostic d’amylose AL est donc le plus souvent évoqué cliniquement en présence des signes spécifiques et/ou de la multiplicité des organes atteints. Il est étayé par la présence dans le sang et/ou l’urine d’une immunoglobuline ou d’une chaîne légère d’immunoglobuline monoclonale. En complément, des anticorps dirigés contre la chaîne légère monoclonale fixent électivement les dépôts amyloïdes en immunohistochimie.

Le diagnostic d’amylose de la transthyrétine dans sa forme héréditaire est facilement évoqué quand il existe des antécédents familiaux d’amylose touchant le cœur, le nerf périphérique, parfois l’œil avec sa localisation vitréenne, plus rarement le système nerveux central. L’immunochimie peut orienter le diagnostic en montrant la fixation élective des anticorps anti-transthyrétine par les dépôts amyloïdes. Le diagnostic doit être confirmé par la mise en évidence d’une mutation de la transthyrétine, soit sur la protéine sérique par technique de protéomique, soit sur l’ADN génomique, plus habituellement [10]. La distinction entre l’amylose AL et l’amylose héréditaire de la transthyrétine peut être difficile, en particulier lorsque les circonstances suivantes sont réunies : forme sporadique, début tardif, atteinte limitée au cœur et à une autre localisation commune aux deux variétés comme le nerf périphérique, absence de résultat concluant à l’immunohistochimie qui est une technique délicate. Le dosage des chaînes légères libres dans le sang, mis au point récemment, permet de mettre en évidence un composant monoclonal circulant là où les techniques classiques d’immunoélectrophorèse et d’immunofixation peuvent être mises en défaut (autour de 5 % des cas). Un résultat positif apporte alors un élément en faveur de l’amylose AL [11]. L’utilisation plus large des anticorps antitransthyrétine en immunochimie, alors que cette pratique se limite le plus souvent à la recherche de fixation des

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Maladie inflammatoire Chaînes légères d’Ig monoclonales Immuno-histochimie

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Amylose cardiaque

anticorps antiprotéine SAA et anti-chaînes légères d’immunoglobulines, pourrait permettre d’évoquer plus le diagnostic d’amylose de la transthyrétine sous toutes ses formes. Il faut ajouter qu’une autre difficulté vient du fait qu’à l’âge de l’amylose AL, autour de 60 ans, la fréquence dans la population générale d’une immunoglobuline monoclonale de signification indéterminée est de l’ordre de 5 %, et que son association à une amylose ne signifie pas ipso facto que l’amylose est de nature immunoglobulinique. Tout élément qui ne cadre pas avec le diagnostic d’amylose AL doit être relevé et un autre diagnostic évoqué. En marge de l’amylose de la transthyrétine, qui est de loin la plus fréquente des formes héréditaires d’amylose de transmission autosomique dominante, il existe plusieurs autres variétés dont l’une au moins peut comporter une cardiopathie amyloïde : l’amylose liée à des mutations de l’apolipoprotéine AI [12]. En présence d’une amylose cardiaque, lorsqu’il n’y a pas d’arguments ni pour une amylose AL ni pour une amylose de la transthyrétine génétiquement déterminée, on peut évoquer le diagnostic d’amylose cardiaque sénile, dont les dépôts sont formés de transthyrétine sauvage.

Pronostic L’atteinte cardiaque est le facteur pronostique majeur des amyloses. Dans l’amylose AL, en présence d’une insuffisance cardiaque, la survie moyenne est nettement plus courte (4 mois) qu’en son absence (16 mois) [13]. En l’absence d’insuffisance cardiaque, les données échographiques et Doppler peuvent contribuer au pronostic, dont l’indice de Tei, qui combine les intervalles de temps systolique et diastolique [14]. Mais les marqueurs pronostiques les plus intéressants sont biochimiques. Ainsi la combinaison des mesures du N-terminal pro-brain natriuretic peptide (NT-proBNP) et des troponines cardiaques cTnT et cTnI, constitue le plus puissant index pronostique chez les malades atteints d’amylose AL [15, 16].

Traitement de l’amylose cardiaque

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Traitement de la maladie amyloïde Il est naturellement sous-tendu par la nature de l’amylose. Une question préliminaire mérite toutefois d’être posée auparavant : celle des mécanismes de toxicité des dépôts amyloïdes sur les organes et tissus. La vision classique d’une maladie de surcharge « étouffant » les organes massivement infiltrés par les dépôts amyloïdes ne peut plus être retenue aussi simplement. Certains faits suggèrent que la toxicité des dépôts n’est pas proportionnée à leur étendue. On peut légitimement déduire de ces données simples qu’il existe une sensibilité cellulaire variable d’un tissu à l’autre et/ou que la toxicité est indépendante

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des dépôts et qu’elle s’exerce alors par un autre mécanisme. Cette question, qui est au centre du débat sur les mécanismes de la maladie d’Alzheimer et des autres maladies avec agrégats intracellulaires du système nerveux central, n’est soulevée que depuis peu pour les amyloses multisystémiques. Plusieurs résultats suggèrent qu’ici ce sont des oligomères de fibrilles ou des protofibrilles qui seraient les effecteurs de la toxicité neuronale et pas les dépôts amyloïdes qui seraient alors d’innocents agrégats. Quelques travaux ont été d’ores et déjà été conduits sur les mécanismes de la toxicité cellulaire des protéines impliquées dans les amyloses multisystémiques. Ainsi, les chaînes légères d’immunoglobuline entraînent in vitro une toxicité sur les cellules myocardiques [17]. Amylose AL

L’amylose AL est une maladie du plasmocyte qui produit des chaînes légères d’immunoglobulines monoclonales dotées d’une capacité d’autoagrégation, ici sous forme d’amylose. Le traitement actuel de l’amylose AL repose sur la réduction voire la suppression du clone plasmocytaire pourvoyeur de chaînes légères monoclonales amylogènes. Ce principe comporte l’avantage de s’appliquer quel que soit le mécanisme exact de la toxicité des chaînes légères. C’est pourquoi le traitement de l’amylose AL est calqué sur le traitement du myélome, dont il suit la progression vers des modalités de plus en plus puissantes. L’association melphalan-prednisone, traitement historique du myélome multiple, est utilisée depuis longtemps dans l’amylose AL. Plusieurs études ont montré que ce traitement pouvait entraîner, dans 20 % des cas, une réponse associée à une régression des signes cliniques de l’atteinte de plusieurs organes, principalement le rein mais aussi le foie et le cœur. Cependant, les résultats globaux restent modestes comme l’a montré en 1997 l’étude de la Mayo Clinic qui a comparé 3 traitements chez 220 malades : colchicine, melphalan (0,15 mg/kg/j) et prednisone (0,8 mg/kg/j) pendant 7 jours toutes les 6 semaines, et l’association des trois médicaments. Les durées médianes de survie ont été respectivement de 8,5, 18 et 17 mois. Ce travail a aussi montré que la colchicine n’a pas d’intérêt dans l’amylose AL [18]. En outre l’utilisation du melphalan comporte un risque leucémogène non négligeable. Compte tenu de ces résultats médiocres, un traitement plus agressif du clone plasmocytaire par de fortes doses de melphalan intraveineux, suivi d’une autogreffe de cellules souches hématopoïétiques, a été proposé ces dernières années. L’expérience acquise par l’équipe de Boston suggère l’intérêt de cette stratégie, en même temps que ses limites, en particulier une sélection des malades les moins graves. Dans ce travail, 701 malades atteints d’amylose AL ont été évalués, seuls 394 (56 %) ont été sélectionnés pour un traitement intensif (melphalan 100 à 200 mg/m2) suivi d’autogreffe. Pour les 312 malades qui ont finalement pu être traités, la médiane de survie a été de

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Amylose de la transthyrétine

Dans les formes héréditaires de l’amylose ATTR, le traitement actuel est la transplantation hépatique, qui supprime la quasi-totalité de la transthyrétine mutée [21]. Les résultats actuels sont satisfaisants, chez les malades porteurs de la mutation V30M, et seulement dans les formes précoces puisque la transplantation ne s’accompagne pas de franche régression des signes cliniques installés, exception faite de la neuropathie végétative. L’atteinte cardiaque peut continuer de progresser malgré la transplantation, surtout pour les mutations autres que V30M, ce qui peut amener à discuter une transplantation combinée foie-cœur [22].

Traitement de la cardiopathie Le traitement médicamenteux est limité aux diurétiques et aux inhibiteurs de l’enzyme de conversion. La toxicité des digitaliques, qui serait particulièrement marquée dans la cardiopathie amyloïde, avec trouble de la conduction et risque de mort subite, n’est pas formellement établie, mais leur intérêt est de toute façon faible. Les inhibiteurs calciques sont aussi contre-indiqués en raison de leur effet inotrope négatif [2]. La transplantation cardiaque dans l’amylose AL est potentiellement limitée par le risque de récidive de l’amylose, en l’absence de maîtrise du clone plasmocytaire sous-jacent. Les résultats obtenus dans l’ensemble sont médiocres, et pour certains l’amylose AL reste une contreindication à la transplantation cardiaque. L’efficacité des traitements intensifs de l’amylose AL n’étant pas prouvée, il n’est pas certain que la place de la transplantation cardiaque s’élargisse [23, 24].

Autres formes d’amyloses impliquées dans le système cardiovasculaire L’amylose vasculaire associée au vieillissement est-elle associée à des manifestations cliniques ? Est exclue de ce chapitre l’angiopathie amyloïde du système nerveux central, avec sa diversité biochimique, dont la responsabilité dans certaines manifestations ischémiques et hémorragiques est parfaitement établie. Certaines formes d’amylose vasculaire sont une des composantes du vieillissement. Les dépôts amyloïdes qui se forment dans les parois vasculaires sont de petite taille et difficile à étudier. Cela explique pourquoi ce sont les dépôts aortiques, relativement gros, qui sont les mieux

connus. L’amylose aortique est pratiquement universelle à l’autopsie des malades âgés de plus de 50 ans. On en distingue trois formes par la topographie des dépôts, intimaux, médiaux, et adventiciels, qui diffèrent également par leur composition chimique. La plus fréquente est l’amylose de la média, présente dans près de 100 % des aortes à l’autopsie de sujets âgés de plus de 50 ans, mais aussi dans d’autres artères de gros calibre. Cette variété d’amylose est donc la plus fréquente des amyloses humaines. La protéine qui forme ces dépôts est appelée médine et dérive par clivage de la lactadhérine, synthétisée par les cellules musculaires lisses de la média aortique, où son rôle est inconnu [25]. L’amylose de l’intima aortique est présente chez 35 % des autopsies des sujets âgés de plus de 60 ans [26]. L’amylose intimale est associée aux lésions athéroscléreuses, alors que l’amylose de la média ne l’est pas. La protéine amyloïde de l’amylose intimale est un fragment N-terminal de l’apolipoprotéine AI [27]. Une délétion de la lysine en position 107 de l’apo AI a été identifiée chez un malade ayant une athérosclérose et des dépôts amyloïdes intimaux particulièrement étendue [28]. À l’instar des formes d’amylose héréditaire qui sont associées à des mutations de l’apolipoprotéine AI, des mutations ou polymorphismes de l’apolipoprotéine AI pourraient ainsi jouer un rôle dans la survenue de dépôts amyloïdes aortiques. Cette forme d’amylose vasculaire liée à l’âge est analogue dans sa nature biochimique à l’amylose vasculaire pulmonaire des chiens âgés, dont la protéine amyloïde est aussi un fragment de l’Apo A1 normale du chien [29]. Elle constitue un point de contact intéressant ente l’amylose et l’athérosclérose. L’amylose de l’adventice pourrait être une manifestation de l’amylose généralisée sénile formée de transthyrétine [30].

Quels sont les liens entre la fibrillation atriale et les dépôts amyloïdes dans les oreillettes ? Une dernière forme d’amylose liée au vieillissement se développe dans les oreillettes, où elle est présente chez 90 % des sujets de plus de 80 ans à l’autopsie. La protéine amyloïde impliquée dans cette variété d’amylose dérive du peptide natriurétique atrial. La fréquence de la fibrillation auriculaire augmente aussi avec l’âge et est associée à diverses altérations histologiques intéressant notamment la matrice extracellulaire. Plusieurs études, fondées sur l’analyse histologique de prélèvements obtenus par chirurgie, suggèrent qu’il existe un lien entre les dépôts amyloïdes dans l’oreillette droite et gauche et la fibrillation auriculaire. Les dépôts amyloïdes sont plus développés en présence de fibrillation auriculaire, et l’ancienneté de la fibrillation est corrélée à la présence des dépôts, particulièrement chez la femme [31, 32]. La place exacte des dépôts amyloïdes dans la physiopathologie de la fibrillation auriculaire, cause ou conséquence, facteur aggravant ou protecteur, reste à préciser.

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4,6 années [19]. D’autre part une étude cas-témoins a conclu à une efficacité supérieure, en termes de survie, du traitement intensif [20]. Les résultats de l’essai français comparant l’association melphalan-dexaméthasone au traitement intensif sont attendus avec impatience.

Amylose cardiaque

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Conclusion Les relations entre les dépôts amyloïdes et le système cardiovasculaire sont multiples et illustrent bien la plupart des questions liées à cette pathologie : diagnostic tardif de l’atteinte cardiaque au cours des amyloses généralisées, essentiellement de l’amylose AL ; pronostic qui reste sombre malgré les progrès des traitements de la maladie sous-jacente ; nécessité de disposer de traitements complémentaires plus spécifiques du processus amyloïde. Ailleurs, les multiples dépôts localisés dans divers sites des vaisseaux et du cœur posent le problème de leur innocence et plus généralement du rôle de diverses lésions observées au cours du vieillissement.

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mt cardio, vol. 2, n° 2, mars-avril 2006

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