Bactériologie : Actualités sur les infections mixtes

February 5, 2018 | Author: Anonymous | Category: Science, Biologie, Microbiologie
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Actualités sur les infections mixtes ! A. Sédallian*, S. Bland*, L. Dubreuil**

RÉSUMÉ. Les infections à anaérobies sont le plus souvent des infections mixtes, c’est-à-dire des infections à flore bactérienne mixte associant bactéries anaérobies strictes et bactéries aéro-anaérobies facultatives. Ces bactéries proviennent des différentes flores endogènes de l’homme à l’occasion d’une rupture des barrières muqueuses ou cutanées. Outre les interactions synergiques mises en jeu dans ces infections mixtes, des facteurs de virulence ont été caractérisés pour certaines bactéries. La connaissance de ces flores est donc importante, car elle permet de prévoir les espèces bactériennes isolées au site infectieux et, à partir de là, d’adapter l’antibiothérapie. Mots-clés : Anaérobies stricts - Flores microbiennes endogènes - Résistance aux antibiotiques.

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es bactéries anaérobies strictes sont des procaryotes dont les réactions de biosynthèse et de production d’énergie ne peuvent pas utiliser l’oxygène comme accepteur d’électrons. Cet oxygène leur est d’ailleurs toxique. Les anaérobies rencontrés en pathologie infectieuse ne peuvent se diviser dans une atmosphère contenant plus de 1 % d’oxygène. En fait, plus que la teneur en oxygène, c’est le potentiel d’oxydoréduction d’un milieu qui permet ou non le développement de ces bactéries anaérobies. Les bactéries aéro-anaérobies facultatives tolèrent jusqu’à un taux minimal de 2 à 8 % d’oxygène. Les anaérobies sont responsables d’une grande variété d’infections, localisées ou systématiques. Dans plus de 80 % des cas, il s’agit d’infections mixtes, c’est-à-dire d’infections associant des bactéries anaérobies strictes et des bactéries aéro-anaérobies facultatives. Ces bactéries proviennent des différentes flores endogènes de l’homme, à l’occasion d’une rupture physique ou fonctionnelle des barrières muqueuses ou cutanées. La connaissance de ces flores est donc importante, car elle permet de prévoir quelles espèces bactériennes seront isolées au site infectieux, et, à partir de là, d’adapter l’antibiothérapie. Outre les interactions synergiques mises en jeu dans ces infections mixtes, des facteurs de virulence on été caractérisés pour certaines bactéries telles Bacteroides fragilis, Porphyromonas gingivalis, Fusobacterium necrophorum ou Peptostreptococcus magnus.

FACTEURS DE VIRULENCE Notion d’infection mixte Les quatre grands réservoirs de bactéries chez l’homme (peau, vagin, bouche, tube digestif) comptent environ 1014 bactéries, parmi lesquelles les bactéries anaérobies strictes sont les plus nombreuses (rapport de 1 à 1 000 dans le côlon). Ces bactéries n’ont certes pas de pouvoir invasif, mais leur déplacement vers un tissu avoisinant peut être le point de départ d’une infection locale. Elles se comportent donc comme des bactéries opportunistes. L’incision chirurgicale, le patient ventilé ou comateux qui déglutit et ne tousse plus, la simple plaie chez le neutropénique, les phénomènes ischémiques ou inflammatoires, les déficits immunitaires sont autant de conditions favorables à la translocation de ces bactéries. Il en est de même des infections à flore anaérobie d’origine exogène : flore anaérobie d’origine buccale lors de morsures humaines ou animales, Clostridium d’origine tellurique après blessure. La synergie bactérienne joue un rôle important. L’infection primaire peut d’ailleurs commencer par le développement des bactéries aérobies, qui vont contribuer à abaisser le potentiel redox via notamment l’ischémie et la nécrose, amener des facteurs de croissance, éventuellement réduire l’activité de phagocytose et faire le lit des anaérobies stricts, qui se développent progressivement. L’examen direct du pus anaérobie montre alors un grand nombre de bactéries de morphotypes extrêmement variés correspondant à la flore endogène de départ. Le traitement antibiotique doit cibler les aérobies, mais aussi l’espèce anaérobie dominante pour rompre cette synergie bactérienne. FACTEURS DE PATHOGÉNICITÉ SPÉCIFIQUES

* Fédération de microbiologie clinique et d’infectiologie, Centre hospitalier d’Annecy. ** Laboratoire de bactériologie, Faculté de pharmacie de Lille.

La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIV - n° 2 - février 1999

Au site de l’infection mixte, la composition microbiologique n’est pas tout à fait celle de la flore endogène du réservoir de proximité. Seules certaines espèces s’implantent, du fait de 55

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conditions locales particulières, de l’inoculum, mais aussi parce que certains facteurs de virulence ne sont présents que chez des espèces déterminées et leur confèrent un avantage. Ainsi, Peptostreptococcus productus, qui est le plus fréquent des cocci à Gram positif de la flore digestive, n’est que rarement isolé en situation pathologique. À l’inverse, Bacteroides fragilis, qui ne représente que 1 % des Bacteroides du groupe fragilis, est de loin le plus souvent isolé. Ces facteurs de virulence sont maintenant bien abordés pour certaines espèces. ! Peptostreptococcus

magnus. C’est le cocci à Gram positif anaérobie le plus souvent isolé en pathologie. Ce n’est certes pas le plus fastidieux à cultiver, mais on le rencontre également souvent en situation monomicrobienne (abcès du poumon, ostéite), ce qui, dans une certaine mesure, conforte sa pathogénicité. Il a été montré que les souches de P. magnus isolées à partir d’un pied diabétique ou d’un abcès pulmonaire sont significativement plus souvent productrices de collagénase que les isolats de sepsis abdominaux (1). Certaines souches de P. magnus expriment à leur surface une protéine L, capable de se lier aux chaînes légères kappa d’immunoglobuline, de la même manière que la protéine A de Staphylococcus aureus. Deux autres protéines de surface capables de se lier à l’albumine ont été caractérisées. P. magnus est capable d’adhérer aux collagène de types I et III, au fibrinogène, avec une capacité d’adhésion au fibrinogène plus fréquente avec les isolats ostéoarticulaires (2). ! Fusobacterium

necrophorum. Sur des arguments taxonomiques, F. necrophorum a été séparé, en 1991, en trois espèces très proches, F. necrophorum, F. funduliforme et F. pseudonecrophorum (en fait proche de F. varium), en toute cohérence avec les données cliniques et de pathogénicité. L’espèce necrophorum est, en effet, la plus souvent isolée lorsque le tableau clinique est sévère (syndrome angine-infarctus de Lemierre). Elle est responsable d’une létalité importante dans un modèle de péritonite expérimentale et est douée d’une grande hydrophobicité ainsi que de propriétés d’adhérence ; elle produit une DNAse, des hémolysines, des facteurs d’agrégation plaquettaire, des lipases et une phosphatase alcaline qui sont exceptionnelles chez F. funduliforme (3). ! Porphyromonas gingivalis. P. gingivalis est le premier agent incriminé dans la périodontopathie chronique de l’adulte, maladie inflammatoire chronique conduisant à la dégradation de l’os alvéolaire et donc à la perte de la dent. De nombreuses oxoenzymes ont été caractérisées chez cette bactérie : enzyme à activité “trypsin-like”, collagénase, hexosaminidase, mais absence de hyaluronidase. Dans cette maladie où la composante inflammaroire est majeure, il est intéressant de noter que l’activité biologique du LPS de P. gingivalis est très faible comparativement à celle de Escherichia coli. Plusieurs hémagglutinines et fimbriae sont décrits (gènes hagA, fimA) ; ils sont impliqués dans la dysrégulation de métalloprotéases de la matrice extracellulaire du périodonte de l’hôte et dans les phénomènes

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d’adhésion. il est montré que cette bactérie est capable de se multiplier dans la cellule épithéliale gingivale et que des variants dépourvus de fimbriae voient non seulement leur capacité d’adhérence réduite de 50 %, mais surtout leur capacité d’invasion divisée par huit (4). ! Bacteroides fragilis. Il s’agit de la bactérie anaérobie stricte

la plus fréquemment isolée, toutes situations pathologiques confondues. B. fragilis tolère probablement mieux l’oxygène que la plupart des autres anaérobies stricts du fait de la présence non spécifique d’une catalase et d’une superoxyde dismutase. De nombreux facteurs de virulence ont été étudiés chez B. fragilis : absence de sidérophore mais présence de systèmes de captation du fer à partir de l’hémine, capsule pour laquelle un modèle expérimental montre qu’elle est indispensable à la formation d’abcès, LPS, quoique d’activité biologique relativement faible, diverses hémagglutinines et adhésines, et de nombreuses enzymes classiquement impliquées dans les phénomènes de destruction cellulaire (hyaluronidase, collagénase, DNAse, diverses protéases). L’activité antichimiotactique du peptidoglycane de B. fragilis, si elle se confirme, jouerait probablement un rôle important dans la constitution progressive d’abcès (5). Plus spécifiquement, une entérotoxine a été récemment reconnue et fait de B. fragilis un agent possible de diarrhée chez l’homme, ce qui reste à confirmer (6). Dans un travail récent portant sur 187 souches, il est montré qu’il y a significativement plus de B. fragilis entérotoxinogènes dans les bactériémies que dans les autres types de prélèvements (29 % versus 20 %) (7). Cette toxine est une métalloprotéase zincdépendante qui agit directement sur la jonction ténue des espaces intercellulaires, sans pénétration préalable dans la cellule épithéliale, comme le feraient les toxines de Clostridium difficile par exemple (8). ! Cas particulier des Clostridium. Il convient de séparer ces

bacilles sporulés en deux groupes : le groupe des espèces telluriques (C. tetani, C. botulinum...), sécrétrices d’exotoxines puissantes, mais n’appartenant pas à la flore endogène humaine, et le groupe des autres Clostridium, que l’on retrouve au sein d’infections mixtes, car ils sont des éléments à part entière de la flore digestive normale. C. difficile et C. perfringens sont à la fois largement répandus dans l’environnement et présents dans la flore digestive normale, notamment C. perfringens. C. difficile exprime deux toxines à activité entérotoxique et cytotoxique, responsables de diarrhée post-antibiotique allant jusqu’au tableau de colite pseudomembraneuse, dont le diagnostic de laboratoire, la prévention primaire et secondaire et le traitement sont actuellement bien codifiés. C. perfringens produit au moins cinq facteurs toxiniques, dont le plus puissant est la phospholipase C, et diverses enzymes ; il est responsable de tableaux cliniques variés et souvent graves : gangrène gazeuse, entérite nécrosante, toxi-infections alimentaires, infections mixtes abdominales... FLORES ENDOGÈNES DE L’HOMME (tableau I) Les bactéries anaérobies strictes font partie des flores endogènes normales de l’homme, tapissant muqueuses et revêteLa Lettre de l’Infectiologue - Tome XIV - n° 2 - février 1999

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Tableau I. Espèces anaérobies composant les principales flores endogènes de l’homme. Flore

– Espèces dominantes – Flore sous-dominante

Peau

– Propionibacterium (acnes, avidum, granulosum) [BGP] – Peptostreptococcus (magnus, asaccharolyticus, vaginalis) [CGP]

Vagin

– Lactobacillus et Bifidobacterium [BGP] – Prevotella (dont bivia et disiens), Porphyromonas asaccharolytica, Bacteroides [BGN], Peptostreptococcus [CGP]

Oropharynx

– Fusobacterium, Prevotella et Porphyromonas [BGN], Peptostreptococcus [CGP] et Veillonella [CGN] – Actinomyces, Bifidobacterium, Eubacterium, Lactobacillus [BGP]

Tube digestif

– Bacteroides [BGN], Clostridium, Bifidobacterium, Eubacterium [BGP], Peptostreptococcus [CGP] – Fusobacterium, Prevotella [BGN], Actinomyces [BGP]

BGP : bacille à Gram positif. BGN : bacille à Gram négatif. CGP : cocci à Gram positif. CGN : cocci à Gram négatif.

ment cutané, jouant un rôle de barrière essentiel vis-à-vis de bactéries plus invasives ou de métabolites toxiques. La connaissance de ces flores et de la prévalence des différentes espèces anaérobies au sein de chacune d’elles permet, en général, de prédire les espèces présentes au site infectieux de contiguïté. Cela oriente le traitement antibiotique des infections mixtes, qui ne peut être qu’empirique du fait des délais nécessaires à l’isolement et à l’identification de ces bactéries. ! Flore cutanée anaérobie. Le genre Propionibacterium, bacille à Gram positif non sporulé, y est dominant. Les trois espèces commensales du follicule pileux (P. acnes, P. avidum, P. granulosum) sont celles retrouvées en situation pathologique, mais aussi en tant que contaminant des hémocultures. Il n’est pas anodin de noter que Propionibacterium produit une catalase, et que l’espèce P. avidium pousse volontiers en aérobiose, la faisant confondre avec une corynébactérie bêtahémolytique. Le genre Peptostreptococcus, cocci à Gram positif, est présent, mais de façon moins abondante. P. magnus, P. asaccharolyticus, P. vaginalis sont les principales espèces dans ce site. Ce genre est cependant difficile à quantifier, car il n’existe pas de bon milieu sélectif pour l’isoler. Les Clostridium ne font pas partie de la flore cutanée. ! Flore

bucco-pharyngée. Un millilitre de salive peut contenir jusqu’à 1010 bactéries. Cette flore est dominée d’une part par trois genres de bacilles à Gram négatif : – Fusobacterium, l’espèce majoritaire étant F. nucleatum et non F. necrophorum, espèce la plus virulente ; – Porphyromonas, avec les espèces principales non retrouvées dans les autres flores que sont P. gingivalis, P. endodontalis, mais aussi P. circumdentaria, ou P. catoniae ; certaines espèces (P. canoris, P. salivosa) sont strictement affiliées à la cavité buccale d’animaux et ne sont isolées chez l’homme qu’en cas de morsure ; La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIV - n° 2 - février 1999

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– Prevotella, dont seules les espèces P. bivia et P. disiens semblent absentes de cette flore buccale. L’autre groupe majoritaire est constitué par les Peptostreptococcus, cocci à Gram positif, notamment P. micros et P. anaerobius, présents dans le suc gingival, et par les Veillonella, cocci à Gram négatif. De façon minoritaire mais constante, la flore endogène buccale comporte divers genres de bacilles à Gram positif non sporulés : des Actinomyces (dont les espèces A. israeli, A. meyeri, A. odontolyticus et de nombreuses espèces non anaérobies strictes), des Lactobacillus et Bifidobacterium, deux genres qui se retrouvent en dominance dans la flore gastrique et surtout dans la flore vaginale, les Eubacterium. ! Flore digestive. La quantité de bactéries anaérobies augmente au fur et à mesure que l’on descend vers le côlon. Des quantités de l’ordre de 1012 anaérobies stricts par gramme de selle peuvent être atteintes, soit mille fois plus que la quantité d’aérobies. La flore digestive est dominée : – par le genre Bacteroides, bacilles à Gram négatif, dont il faut bien noter que l’espèce B. fragilis, la plus souvent isolée en site infectieux, est la moins fréquente par rapport aux autres Bacteroides en situation de flore normale ; – par de nombreux bacilles à Gram positif : genre Clostridium essentiellement, facilement reconnaissable à l’examen direct, genres Bifidobacterium et Eubacterium dans une moindre mesure ; – et à nouveau par le genre Peptostreptococcus, dont l’espèce principale est ici P. productus.

Les principaux genres de la flore buccale, Fusobacterium, Prevotella et Actinomyces, sont présents mais sous-dominants dans la flore digestive. ! Flore

vaginale. Chez la femme en période d’activité génitale, la flore de “Döderlein” est constituée de Lactobacillus (seules quatre espèces anaérobies strictes) et de Bifidobacterium. Ces bacilles à Gram positif non sporulés constituent les seules bactéries visibles à l’examen direct d’une flore vaginale normale. Quoique largement dominés, donc non visibles en général à l’examen direct, d’autres genres sont normalement présents : Prevotella, avec entre autres espèces P. bivia et P. disiens, assez spécifiques de la flore vaginale, Porphyromonas asaccharolytica, Bacteroides dont B. fragilis, Clostridium, Peptostreptococcus. Cet équilibre de flore est sensible aux modifications du statut hormonal (traitement estroprogestatif, âge).

DU SITE INFECTIEUX AU LABORATOIRE Des critères cliniques orientent la recherche d’anaérobies incitant à faire un prélèvement à visée anaérobie : odeur fétide, gaz au sein de la lésion, gangrène, localisation plus ou moins contiguë d’une muqueuse, morsures, tableaux infectieux chroniques, d’autant plus que des antibiotiques inactifs sur les anaérobies auront été utilisés, infections tumorales, pus cervical... En 57

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revanche, si les anaérobies doivent être systématiquement recherchés dans certains prélèvements (abcès, hémoculture, liquides de ponction, brosse pulmonaire...), il est bien sûr inutile de les traquer dans des prélèvements habituellement riches en anaérobies (flores endogènes polluantes) : crachats, selles, vagin... Les conditions de transport du prélèvement restent un point sensible. La mise en évidence des bactéries anaérobies est toujours délicate. Cependant, les principales causes d’échec sont de mauvais prélèvements, de mauvaises conditions de transport et des méthodes de culture inadéquates. Le prélèvement doit éviter tout contact avec la flore saprophyte. Comme il s’agit d’infections mixtes, il est important de conserver toutes les bactéries pathogènes, aérobies et anaérobies. Les deux écueils majeurs sont la dessiccation du prélèvement (refuser l’écouvillon !) et son oxygénation. La plupart des anaérobies survivent bien pendant six heures d’exposition à l’air : en revanche, leur taux chute ensuite très vite et de façon inégale selon les espèces. En fait, si son volume est important (> 2 ml), le produit pathologique peut constituer en soi un bon milieu de transport. En dessous de 2 ml, il faut impérativement utiliser un milieu de transport qui protège les bactéries de l’oxygène (présence de substances oxydoréductrices) et qui bloque leur multiplication durant le transport (absence de facteurs de croissance). Les milieux actuellement commercialisés sont satisfaisants. Il est indispensable d’utiliser les moyens d’orientation rapide au laboratoire. Le résultat de la coloration de Gram d’un frottis fait partie, plus qu’ailleurs, de la démarche. La présence de polynucléaires très altérés, voire de polynucléaires lysés et raréfiés, associée à une flore abondante, avec des morphotypes très variés, est très en faveur d’une infection à anaérobie. Dans un pus monomicrobien, les aspects typiques de Clostridium, de Bifidobacterium, de certains Fusobacterium et des Actinomyces sont très utiles et constituent donc des éléments à transmettre. De façon plus anedoctique, car elle est plus lourde à mettre en œuvre, l’analyse des acides gras volatils en chromatographie de phase gazeuse peut être appliquée directement sur un produit pathologique liquide et affirmer alors la présence d’un anaérobie, voire préciser un genre. L’ensemencement systématique des pus sur un milieu placé en anaérobiose permettra d’isoler une bactérie anaérobie si celle-ci n’a pu être mise en évidence à l’examen direct. PRINCIPALES LOCALISATIONS DES INFECTIONS MIXTES ! Infections abdominales. Alors que les complications post-chirurgicales se sont raréfiées après la généralisation de l’antibioprophylaxie, les péritonites communautaires ou nosocomiales, les abcès périappendiculaires, les abcès sousdiaphragmatiques, les abcès hépatiques, les ischémies du grêle sont toujours d’actualité. Les Bacteroides du genre fragilis, et notamment l’espèce B. fragilis (14 % à lui seul), représentent dans nos statistiques d’infections abdominales 67 % des anaérobies, les Clostridium 12 % (5 % pour C. perfringens). Sur le

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plan thérapeutique, la sensibilité de ces germes est donc à surveiller (9). Il faut rappeler la résistance de B. fragilis à la pénicilline A et aux céphalosporines de troisième génération (70 %), l’émergence de souches résistantes à l’imipénème (prévalence stable autour de 2 %), ou de souches de sensibilité réduite au métronidazole (moins de 2 % des souches). Compte tenu de l’importance de Clostridium dans ce type d’infections, il faudra surveiller les trois espèces productrices de bêtalactamase, C. butyricum, C. ramosum et C. clostridiiforme – bêtalactamase insensible aux inhibiteurs pour ces deux dernières espèces ; l’espèce C. innocuum doit être considérée comme résistante à la vancomycine. Infections gynécologiques. Les vaginoses bactériennes correspondent à un tableau de dysmicrobisme où la flore endogène dominante (Lactobacillus et Bifidobacterium) a disparu pour laisser toute la place aux autres anaérobies : Prevotella (P. bivia et P. disiens représentant alors 55 % des Prevotella isolées), Peptostreptococcus (P. vaginalis plus que P. magnus ou P. asaccharolyticus), Actinomyces, Mobiluncus. Le diagnostic se fait sur des critères cliniques et bactériologiques d’examen direct : odeur nauséabonde des pertes vaginales, pH élevé, aspects au microscope de “clue-cells” avec disparition de la flore de Döderlein et présence de nombreux bacilles à Gram négatif (Prevotella), dont certains peuvent être incurvés (Mobiluncus) !

À côté de ce tableau caractéristique, on trouve un autre tableau de dysmicrobisme, moins évident à l’examen direct microscopique, où les seuls anaérobies stricts isolés sont des B. fragilis, alors associés à une flore aérobie complexe (10). ! Infections bucco-pharyngées. Ces infections sont très variées et, en général, mixtes, à l’exception de l’actinomycose ou de certaines endophtalmies : sinusite et otite chroniques, abcès bucco-dentaires, périodontopathies, syndrome de l’angine-infarctus de Lemierre... En fait, si la gravité du tableau est différente selon la localisation anatomique de l’infection, les bactéries isolées sont les mêmes quel que soit le type d’infection : Prevotella, Fusobacterium, Porphyromonas, Peptostreptococcus, Actinomyces.

Porphyromonas gingivalis et Prevotella intermedia sont, avec Actinobacillus actinomycetemcomitans (espèce non anaérobie stricte), les trois espèces les plus pathogènes de la cavité alvéolo-dentaire et celles généralement isolées de façon majoritaire pendant les épisodes aigus des périodontopathies infectieuses. La prescription antibiotique prend en compte, selon le tableau clinique, les résistances naturelles des Actinomyces au métronidazole, et des Fusobacterium aux macrolides ; elle doit prendre en compte la présence de pénicillinase chez plus de 50 % des Prevotella, la présence possible de pénicillinase chez Fusobacterium (4 % des souches en 1997 à Annecy), ainsi que la prévalence élevée de la résistance à la clindamycine chez Peptostreptococcus (> 20 %). La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIV - n° 2 - février 1999

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! Infections pleuropulmonaires. Les pneumonies aiguës sont rarement le fait des bactéries anaérobies strictes, exception faite des embolies septiques à F. necrophorum dans le cadre particulier du syndrome de Lemierre. En revanche, les pneumopathies traînantes, la quasi-totalité des pneumopathies de déglutition et des abcès du poumon ainsi que près de 50 % des pleurésies purulentes sont dus tout ou partie aux anaérobies. Un mauvais état dentaire, les troubles de la conscience (éthylisme, épilepsie, comas) sont les grands facteurs du déplacement des flores endogènes buccales ou gastriques vers le poumon. Dans les pleurésies purulentes, les germes le plus souvent isolés sont F. nucleatum (21 %) et Prevotella (19 %). B. fragilis ne représente que 3 % des cas. Les pleurésies purulentes à anaérobies sont fréquemment monomicrobiennes (40 % dans notre série) et F. necrophorum représente alors deux cas sur dix (11).

L’approche très clinique de ces infections nécessite, au niveau diagnostique, d’évoquer les anaérobies sur des arguments de facteurs de risque et de proximité d’une flore endogène, au niveau thérapeutique, de connaître la composition des différentes flores et les sensibilités aux antibiotiques des espèces dominantes, et, au niveau de la documentation microbiologique, de réaliser un prélèvement pertinent, qui évite les souillures par les flores saprophytes, de savoir tirer parti du laboratoire, notamment par les résultats d’un examen direct, et de participer à la " surveillance épidémiologique de ces bactéries.

! Infections osseuses. Elles ne sont pas rares. Une série de trente-trois ostéomyélites à anaérobies montre que les germes les plus fréquents sont les Peptostreptococcus (25 %) ; parmi eux, P. magnus est majoritaire. Il faut se rappeler alors la prévalence élevée de la résistance à la clindamycine dans cette espèce. Sont aussi isolés des Prevotella (20 %), Bacteroides (15 %), Propionibacterium (12 %). Les infections osseuses acquises par voie hématogène sont en général monomicrobiennes (7 cas sur 8). Cette étude nous a montré par ailleurs la valeur intéressante des prélèvements réalisés dans le trajet fistuleux dans le cadre des ostéomyélites fistulisées à la peau, puisque les anaérobies isolés dans ces prélèvements moins protégés sont en général aussi isolés dans les prélèvements osseux peropératoires (12).

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! Bactériémies à anaérobies. Elles représentent actuellement encore 5 % des hémocultures positives. B. fragilis reste de loin l’espèce la plus souvent isolée (70 %), devant les autres espèces du groupe fragilis ou le C. perfringens. Le flacon anaérobie doit encore systématiquement accompagner le prélèvement du flacon aérobie.

! Actinomycoses. A. meyeri et A. israeli sont responsables d’infections torpides, évoluant longtemps à bas bruit, constituant un foyer inflammatoire d’allure parfois tumorale. Il faut savoir les suspecter au niveau d’infections cervicales, osseuses (notamment vertébrales), cutanées ou gynécologiques. Typiquement, le pus d’actinomycose contient des grains qui sont en fait des Actinomyces regroupés en amas dans un granulome inflammatoire. Actinomyces est naturellement résistant au métronidazole, mais bien sensible à la pénicilline G.

CONCLUSION Les infections à bactéries anaérobies sont maintenant bien connues. À la suite de Veillon, au début du siècle, qui avait montré l’existence de flores à anaérobies, les travaux de Prévot, Beerens et Finegold (13) ont permis de bien préciser la localisation et les espèces de bactéries responsables des infections mixtes. La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIV - n° 2 - février 1999

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1. Krepel C.J., Gohr C.M., Edmiston C.E., Farmer S.G. Anaerobic pathogenesis : collagenase production by Peptostreptococcus magnus and its relationship to site of infection. J Infect Dis 1991 ; 163 : 1148-50. 2. Felten A., Desplaces N., Sonnet M., Nizard R., Sedel L., Philippon A., Lagrange P.H. Infections à Peptostreptococcus magnus après intervention orthopédique. Identification, sensibilité aux antibiotiques, adhésion aux protéines de la matrice extracellulaire. Colloque SFM 1997. 3. Shinjo T., Fujisawa T., Mitsuoka T. Proposal of two subspecies of Fusobacterium necrophorum. Moore and Holdeman : Fusobacterium necrophorum subsp. necrophorum and Fusobacterium necrophorum subsp. funduliforme. Int J Syst Bacteriol 1991 ; 41, 3 : 395-7. 4. Njoroge T., Genco R.J., Sojar H.T., Hamada N., Genco C.A. A role for fimbriae in Porphyromonas gingivalis invasion of oral epithelial cells. Infect Immun 1997 ; 65 (5) : 1980-4. 5. Sperry

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FMC I. Répondre par vrai ou faux : a. Peptostreptococcus magnus est fréquemment isolé d’ostéites à anaérobies b. la résistance à la clindamycine dépasse 10 % chez cette espèce c. l’examen direct est nécessaire et suffisant pour le diagnostic de vaginose bactérienne : disparition de la flore de Döderlein (Lactobacillus et Bifidobacterium), présence de bacilles à Gram négatif d. pour un prélèvement de volume > 2 ml, un milieu de transport pour anaérobies n’est pas nécessaire II. Répondre par vrai ou faux : a. les pleurésies purulentes anaérobies sont assez fréquemment monomicrobiennes (40 %) b. Fusobacterium nucleatum et Prevotella sont rarement isolés dans cette pathologie c. une pénicillinase est rarement détectée chez Prevotella d. une pénicillinase est fréquemment détectée chez Fusobacterium III. Répondre par vrai ou faux : a. Bacteroides fragilis représente moins de 5 % des espèces de Bacteroides du groupe fragilis de la flore digestive normale b. Bacteroides fragilis est l’espèce la plus fréquemment isolée de prélèvements abdominaux

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c. Bacteroides du groupe fragilis doit être considéré comme habituellement résistant aux C3G par production de céphalosporinase d. la résistance à l’imipénème chez Bacteroides fragilis s’exprime chez 2 % des souches et confère une résistance de haut niveau à l’ensemble des bêtalactamines e. un mécanisme de résistance au métronidazole est décrit, affectant 5 % des souches, et conférant une sensibilité diminuée de ces souches IV. Répondre par vrai ou faux : a. Actinomyces et Propionibacterium sont naturellement résistants au métronidazole b. une diminution de sensibilité au métronidazole existe chez Bacteroides du groupe fragilis, mais n’est pas évaluée cliniquement c. des espèces de Clostridium sont naturellement résistantes aux pénicillines A par pénicillinase d. une résistance à la vancomycine est décrite chez Clostridium Voir réponses page 63

NOTRE SÉLECTION D’ARTICLES (n° février 99)…

Articles “ à ne pas manquer ”, sélection proposée par notre comité d’experts de La Lettre de l’Infectiologue $ P. Berche, P. Bourée, G. Humbert, V. Jarlier, J. Modaï, J.C. Nicolas, A. Philippon, J.L. Vildé, D. Vittecoq $ !

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Human babesiosis. Gorenflot A., Moubri K., Precigout E., Carcy B., Schetters T.P.M. Annals Trop Med Parasitol 1998 ; 92 (4) : 489-501. Depuis 1957, 29 cas de babésioses humaines ont été décrits en Europe, dont la plupart chez des sujets splénectomisés. Mise au point complète pour la babésiose à partir de cas européens et américains.

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Novelties in the field of anti-infectives in 1997. Bryskier A. Clin Infect Dis 1998 ; 27 : 865-83.

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Creutzfeldt-Jakob disease and related transmissible spongiform encephalopathies. Johnson R.T., Gibbs C.J. N Engl J Med 1998 ; 27 : 1994-2004. Bonne revue générale sur la maladie de Creutzfeldt-Jakob et les encéphalopathies transmissibles spongiformes, dans leurs différentes formes.

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Antibiotic pharmacodynamics in cerebrospinal fluid. Lutsar I., McCracken G.H., Friedland I.R. Clin Infect Dis 1998 ; 27 : 1117-9. Belle revue sur la pharmacocinétique des antibiotiques dans le LCR, notamment des bêtalactamines, des aminosides, de la rifampicine et sur les effets des corticoïdes sur la diffusion des antibiotiques dans ce compartiment.

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Endocarditis. Report of the endocarditis working group of the International Society of Chemotherapy. Clin Microbiol Infect 1998 ; 4 : 3S1-3S61. Numéro spécial sur l’endocardite avec abord des différents aspects diagnostiques, thérapeutiques, prophylactiques et sur le suivi.

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Recommendations for prevention and control of hepatitis C virus (HCV) infection and HCV related chronic disease. MMWR 1998 ; 47, suppl. : n° RR-19. Recommandations du CDC d’Atlanta élaborées en juillet 1998.

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Antiseptics and disinfectants : activity, action and resistance. McDonnell G., Russell A.D. Clin Microb Rev 1999 : 147-79. Crucial : ce que vous rêviez de savoir sur les antifongiques et désinfectants. À consulter soigneusement. Cinq cent quarante-sept références !

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