Dans La Guerre des Gaules, Jules César écrit : « Lutèce, oppidum

January 14, 2018 | Author: Anonymous | Category: Arts et Lettres, Architecture
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Dans La Guerre des Gaules, Jules César écrit : « Lutèce, oppidum des Parisii est situé sur une île de la Seine. [Non loin de là] se trouve un marais continu qui déverse ses eaux dans la Seine. » Si la Lutèce Romaine est aujourd'hui connue des scientifiques, l'oppidum gaulois reste quant à lui bien mystérieux à l'instar de son peuple. Pourtant quelques indices archéologiques laissent penser que le territoire des Parisii s'étendait au centre de la jonction Seine-Oise. La Seine constitue le socle vital de ces peuplades. Aussi, elles semblent vivre au sein d'une campagne fertile d'une densité démographique très irrégulière et se composent principalement d'artisans et de commerçants aisés. Toutefois, comme toutes les populations gauloises, les Parisii sont des rebelles particulièrement « turbulents ». Ainsi, Camulogène – un vieux chef gaulois – vient prêter main forte à Vercingétorix, fédérateur du soulèvement en 52 avant notre ère. C'est pourquoi, Jules César se charge de mater celui-ci pour s'emparer ensuite des cités conquises. Il envoie son lieutenant Titus Labénius qui sort victorieux de la non moins célèbre bataille de Lutèce. Tandis que les édifices construits par la suite sous l'époque augustéenne semblent présenter Lutèce comme une capitale de cité tout à fait ordinaire, celle-ci n'en conserve pas moins des éléments atypiques. En effet, si sa superficie reste tout à fait modeste, ses élites ont su user de sa position géographique attractive pour faire de Lutèce un pôle commercial incontournable au cœur du bassin parisien. Dès lors, dans quelle mesure l'histoire antique, la topographie urbaine, les aménagements et les monuments publics de l'antique « caput civitatis parisiorum », sont-ils caractéristiques de la structure spatiale et de la parure monumentale ordinaire des capitales de cité antique de la Gaule ? Pour le savoir, nous tenterons dans un premier temps de définir son statut, puis de décrire la ville antique sous l'époque augustéenne au premier et deuxième siècle, pour ensuite analyser et déterminer les structures et fonctions des monuments publics de Lutèce. Enfin, nous nous demanderons en quoi Lutèce se différencie des autres capitales de cité gauloises. Lutèce correspond à l'actuel quartier latin de Paris. Sont actuellement édifiés en ces lieux un certain nombre de bâtiments tels le Panthéon, l'université de Paris 1-Sorbonne ou le Sénat. La Montagne Sainte-Geneviève est l'une des collines qui entourent, au sud, la plaine alluviale de Paris, façonnée par les méandres de la Seine. S'ajoute par ailleurs l'île de la Cité où se situe aujourd'hui la Cathédrale NotreDame. Ceci étant, c'est la Montagne Sainte-Geneviève qui constitue le point d'ancrage fondamental de Lutèce. Aussi sous l'époque d'Auguste, les populations et les territoires sont regroupés en civitates soit des villes-états chargées de gérer administrativement les périphéries. En outre, sont réorganisées de nombreuses cités gauloises comme Lutèce sous la période augustéenne. Toutefois, elle reste une cité de taille modeste même si elle constitue une vitrine du modus vivendi romain. En effet la conquête de la Gaule par le pouvoir politique romain, entre -130 et -50 avant notre ère ne fait qu'entériner un processus en cours. Il donnera naissance à une civilisation particulière, fruit de l'acculturation progressive des populations locales : la civilisation gallo-romaine. Sur le plan urbanistique, c'est à partir d'un plan orthogonal doté d'un axe principal orienté nordsud matérialisé par l'actuelle rue Saint-Jacques à Paris que s'est mis en place le premier parcellaire galloromain de Lutèce. Une partie de la rue Toullier désigne le tracé du mur d'enceinte de la place du forum. On peut voir boulevard Saint-Michel une partie de la fondation du mur de façade du forum. La place de la Sorbonne abrite quant à elle, en sous-sol, les vestiges de ce qui pourrait être plusieurs habitations du Haut-Empire. La rue antique de la Sorbonne relie le forum aux thermes de Cluny. A l'est de la Rue des Ecoles se trouvent les thermes du Collège de France. A l'Ouest se dresse le théâtre. Au sein du square Paul-Painlevé, l'entrée actuelle du Musée du Moyen-Age correspond à celle des thermes de Cluny. La rue de la Harpe rejoint directement l'île de la Cité. Le petit Pont se trouve à l'emplacement exact de l'ancien pont romain. La grille d'entrée du palais de justice désigne l'entrée du palais du Bas-Empire. Les arènes de Lutèce non loin du quartier Jussieu et situées le long de la rue Monge correspondent en fait à l'amphithéâtre romain. La capitale de cité est par ailleurs découpée par deux décumanus : ils longent le boulevard Saint-Germain et l'Ecole des Mines.

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En somme, les Romains ont jeté leur dévolu sur Lutèce en raison de sa position géographique attractive. Située au carrefour de voies romaines et gauloises, celle-ci bénéficie d'un important réseau fluvial, fer de lance d'un réseau commercial qui s'étendra bientôt jusqu'à l'Italie. Enfin, ses terres fertiles permettent le déploiement de bâtiments monumentaux organisés selon une mise en scène placée au service de son extraordinaire prospérité. Au Ier siècle de notre ère, Lutèce s'articule autour de trois pôles : la rive droite, l'île de la Cité et la rive gauche. C'est notamment sur cette dernière que s'élèvent les principaux édifices publics. Parmi eux se trouve le forum de type italique et de forme rectangulaire, point cardinal de la ville et lieu des décisions majeures, des rassemblements et des cérémonies religieuses. Il est composé de cinq parties distinctes. A l'Est se trouve une basilique destinée aux réunions et à l'exercice de la Justice. A l'arrière se niche probablement une curie. A l'Ouest s'élève vraisemblablement un temple destiné au culte impérial. Le forum est en outre bâti sur deux niveaux : au rez de chaussée se trouvent principalement des boutiques et des galeries à l'étage. Le temple et la basilique sont répartis autour d'une vaste esplanade à laquelle on accède par deux portes situées chacune au milieu du forum. Il a sans doute été bâti au cours de la deuxième moitié du Ier siècle de notre ère entre le règne de Claude (41-54) et celui de Vespasien (69-79). A ces bâtiments s'ajoutent des édifices de loisirs. En effet, Lutèce comporte un théâtre, un amphithéâtre et des thermes publiques. Le théâtre lutécien date de la seconde moitié du 1er siècle de notre ère. S'il est associé à des cérémonies religieuses, il a été aussi le lieu de représentations profanes. Sur un plan architectural, il est constitué d'une conque de gradins scindés en cuneus à laquelle est accolée une scène rectangulaire. Cette dernière est composée notamment d'un proscaenium. Le bâtiment est de forme elliptique, semi-circulaire, doté d'une façade à deux niveaux : le parodos. Celui-ci est équipé d'une cavea cernée par des vomitoires. Est associée à l'avant-scène une orchestra. Enfin, les extrémités des caveas organisées en hémicycle sont délimitées chacune par un balteus, concomitant au précinction. L'amphithéâtre quant à lui a sans doute été construit avant la fin du 1er siècle puis il a été abandonné courant du 4e siècle. Avec un grand axe sensiblement nord-sud de 130,50 m et un petit axe voisin de 100 m, il figure parmi les plus grands monuments de ce type en Gaule. Mais à la différence des autres amphithéâtres, sa particularité réside surtout dans ses gradins, interrompus vers l'est par un imposant mur de scène constitué de 9 niches alternativement rectangulaires et demi-circulaires. Pour des raisons évidentes de coûts, surtout pour une ville aussi modeste que Lutèce, il joue à la fois une fonction de théâtre et d'amphithéâtre. Il a pu très bien accueillir des spectacles de gladiateurs ou de combats, voire de courses de char mais aussi des pièces chantées. Sa capacité maximale s'élève à 17 000 individus. Son parodos est constituée de 41 baies à colonnes doriques engagées. Pour accéder à l'intérieur du monument, les spectateurs empruntent deux vomitoires, longs de 39 mètres et larges de 5,80 mètres. L'intérieur de l'amphithéâtre comprend une arène de forme elliptique avec une scène longue de 40 mètres. La première partie de celle-ci est occupée par un Frons Pulpiti qui permet de gravir l'estrade du Proscaenium au dessus duquel domine la Frons Scaenae. La cavea comprend un podium puis trois maeniana. Le bâtiment se trouve en outre à l'extérieur de la ville, selon les usages. Les thermes témoignent en outre de la parfaite acculturation des Parisii. Ces bâtiments peuvent occuper une fonction hygiénique ou thérapeutique. On relève à Lutèce trois ensembles thermaux, tous édifiés sur la rive gauche. Du Nord au Sud ces établissements sont les thermes de Cluny, du Collège de France et de la rue Gay-Lussac. Ce sont des lieux de divertissement qui font partie intégrante de l'aspect monumental de toute cité. Si aucune preuve ne permet d'affirmer avec certitude la date de construction des bâtiments de Cluny, les archéologues l'estiment au début du 2e siècle de notre ère. Ce monument reste aujourd'hui incomplet. On peut toutefois imaginer une construction de plusieurs hectares s'étendant entre l'actuelle rue des Ecoles, au sud et le boulevard Saint-Germain, au nord. Le baigneur emprunte plusieurs salles. Dans un premier temps il s'échauffe dans la palestre, une aire située à l'extérieur et destinée à la pratique d'une activité sportive. Ensuite il pénètre à mesure dans des pièces de plus en plus chaudes soit le tepidarium – salle tiède – puis le caldarium – salle chaude. La chaleur se diffuse dans ces pièces via un système de chauffage au sol par hypocauste. Au terme de son parcours il retourne au

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frigidarium, la salle froide. Les thermes sont scindés en deux sections distinctes : la palestre et l'accès aux bains. Néanmoins, le bâtiment s'étend sur 3 niveaux superposés : le réseau technique qui permet l'approvisionnement en eau et en chaleur, les sous-sols et enfin les salles de bains empruntées par les baigneurs. Cette organisation suit l'orientation du terrain : les salles chaudes au sud, les froides sont situées au nord. Ces bâtisses sont parées de mosaïques particulièrement luxueuses. Au sein des thermes de Cluny se trouve même une piscine chauffée. Ce faste est sans doute lié au financement important de ces établissements thermaux. En effet, l'évergétisme est courant. Ainsi les notables s'efforcent-ils de financer de nombreux édifices pour notamment témoigner de leur loyauté envers l'empereur et pour glorifier Rome. Cette acculturation des aristocrates favorise subséquemment celle du peuple qui adopte dès lors l'art de vivre des Romains. Le Pilier des Nautes de Paris en est à ce titre l'illustration la plus éclatante. Quatre blocs de pierre sculptés sont découvert en 1711. Incomplets, certains d'entre eux comportent des représentations de divinités gréco-romaines classiques tels Jupiter ou Vulcain associées à des idoles gauloises. En d'autres termes, cette statuaire justifie le profond syncrétisme religieux gallo-romain qui se traduit par une fusion des divinités indigènes et romaines. A ce pilier s'ajoute également des lieux de culte collectifs et privés. De fait, les habitants peuvent célébrer de multiples offices divins dans leur demeure ou à l'intérieur des temples collectifs. Ainsi la colline de Montmartre a vraisemblablement hébergé un temple voué à Mercure. Il reste peu de vestiges de cet édifice à partir desquels les archéologues ont pu reconstituer son architecture. En outre, Lutèce a compté plusieurs « cimetières » dont le plus « riche » reste celui de la rue Saint-Jacques. Il occupe un espace de 4 hectares environ et date du premier siècle. Quatre cents tombes ont été retrouvées. Les nécropoles se trouvent à l'extérieur de la ville mais elles doivent rester visibles et accessibles à tous. Les défunts ont été inhumés le long de la voie d'Orléans, à l'emplacement actuel de l'abbaye de Port-Royal. Plusieurs stèles, sarcophages ou mausolées ont été découverts du côté de la nécropole des Gobelins qui se tient notamment entre l'avenue des Gobelins et le boulevard Saint-Marcel. En somme, la structure des bâtiments publics lutéciens, leur disposition et leur typologie constituent les caractéristiques structurelles des capitales de cité gauloises. En outre, si Lutèce demeure une cité relativement modeste de part sa taille et son statut, son activité commerciale florissante, son réseau fluvial et ses édifices ont contribué à valoriser sa position stratégique au coeur du bassin parisien. Toutefois, beaucoup de zones d'ombres persistent. D'abord la population des Parisii d'avant la conquête romaine reste quasiment inconnue car les archéologues n'ont retrouvé pratiquement aucun vestige même si les fouilles ont révélé des zones d'occupation importantes dans le secteur de Nanterre. Pour autant de nombreuses questions restent en suspens. En effet de nombreux historiens ont longtemps pensé que la Lutèce gauloise se trouvait sur l'île de la Cité. Mais les résultats de récentes investigations contredisent cette thèse. En outre, si les scientifiques possèdent des informations sur la Lutèce romaine, celle-ci n'a pas encore tout dévoilé : les traces de temples ou de rituels sont inexistantes tout comme celles du port de Lutèce ou de la résidence impériale. Pourtant des sources archéologiques ont montré le caractère à la fois modeste et énergique de Lutèce. Sur le plan territorial, elle n'est effectivement qu'une cité de second rang voire l'une des plus petites de la Gaule. En terme de superficie, elle ne représente que 60 à 70 hectares. En outre, Lutèce a été bâtie ex-nihilo à la suite de son incendie lors de la Conquête des Gaules. Pour autant selon les indices archéologiques actuels, y a vécu une élite industrielle, artisanale et commerçante riche. Par conséquent les archéologues ont trouvé en son sein bien plus de trésors qu'à Lyon. En outre, les ressources géologiques du Bassin parisien permirent à ses artisans d'exploiter un marché de la pierre particulièrement lucratif dès la première moitié du premier siècle. Aussi, Lutèce se distinguait également par la monumentalité de ses bâtiments même si les techniques de construction demeuraient gauloises. Si l'on compare Lutèce à Aventicum, chef-lieu des Hèlvètes, il subsiste de nombreuses différences sur le plan structurel et fonctionnel. Aventicum compte deux fois plus d'habitants. En outre, elle passe sous le règne de Vespasien au rang de colonie latine et est rattachée à la Germanie Supérieure.

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La ville change donc probablement de nom et sa construction repose sur une organisation militaire. Sous les règnes de Tibère et de Claude elle est d'abord dénommée « Forum Tiberii » puis son nom officiel devient Colonia Pia Flavia Constans Emerita Helvetiorum Foederata. Sous Vespasien, elle connait une période très fastueuse comme a pu en témoigner la statue impériale qui a du figurer au milieu du forum. En outre, comme le père de Vespasien et ses fils ont séjourné longuement dans cette cité, celle-ci a sans doute pu bénéficier des largesses impériales. Tandis que l'oppidum lutécien n'a toujours pas été découvert, celui d'Aventicum est bien connu par des scientifiques. Il est situé à Bois de Châtel et date du premier siècle avant notre ère. De plus une installation portuaire a été découverte sur le lac de Morat. Contrairement à Lutèce où l'on dispose de peu d'indices quant à la localisation des temples, nous savons qu'Aventicum en a possédé huit. Par ailleurs la ville vit de l'élevage et du commerce. Pour autant, la ville d'Aventicum ne bénéficie pas d'une activité commerciale aussi florissante qu'à Lutèce. Effectivement les élites d'Aventicum occupent le noyau dur de la ville tandis que les artisans résident dans le faubourg nord. Par conséquent le centre-ville ne peut alors jouer ce rôle émulateur comme à Lutèce. En effet, dans la capitale des Parisii, les élites sont les commerçants et les artisans. Ceci explique alors l'investissement financier spectaculaire consacré au centre-ville puisque ce sont eux qui l'occupent majoritairement. Proportionnellement la population lutécienne est certainement moindre par rapport à Aventicum mais elle comporte probablement aussi plus d'habitants issues de catégories sociales aisées. La cité helvète est également un centre névralgique particulièrement intéressant pour les romains de part ses voies fluviales et terrestres (depuis les bords du Lac Léman jusqu'à Augusta Rica). En effet ces dernières permettent alors de faire transiter les marchandises depuis la Méditerranée. En somme, Lutèce semble être a priori une capitale de cité ordinaire puisque celle-ci s'inscrit dans un cadre orthonormé, gère administrativement et fiscalement le territoire des Parisii, possède des édifices traditionnels romains et dispose d'une population parfaitement romanisée. En revanche, bien que sa taille soit somme toute modeste, l'aristocratie lutécienne a su néanmoins capitaliser ses atouts territoriaux, économiques et financiers pour en faire un pôle stratégique de premier plan au sein de la Gaule. Par ailleurs, si Lutèce a connu des périodes de repli au moment des invasions barbares, elle évoluera d'abord en capitale militaire pour devenir ensuite le lieu de résidence des empereurs puis des monarques avant d'évoluer bien plus tard en une gigantesque mégalopole : Paris. Sur le plan archéologique, les scientifiques disposent certes déjà de beaucoup d'éléments. Mais tout reste encore à écrire. C'est peut-être d'ailleurs ce qui la rend plus fascinante que les autres capitales de cité. En effet, le passé de quelques autres chefs-lieux semblent plus ou moins connu. Or, c'est notamment l'ignorance voire l'incompréhension des évènements qui renforcent le caractère légendaire et mythique de l'histoire de Lutèce. En outre, les indices soulevés par les fouilles ont révélé sous bien des angles sa formidable capacité d'adaptation. Rien ne présageait à juste titre son extraordinaire développement au fil des siècles. De surcroît, la ville n'a rien perdu de sa superbe ni de sa symbolique depuis le scellement par Clovis du destin de Sainte-Geneviève à celui des Parisiens en 502. Elle conserve seulement au creux de son antre ses secrètes réminiscences gallo-romaines. Enfin, si Lutèce a été la capitale des Parisii, elle demeure à jamais la mère de toute une Nation : celle du peuple français.

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