Dictionnaire de la musique

February 14, 2018 | Author: Anonymous | Category: Arts et Lettres, Musique, Histoire de la musique
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*Titre : *Dictionnaire de la musique ([Nouvelle éd.]) / Larousse ; sous la direction de Marc Vignal *Auteur : *Larousse *Éditeur : *Larousse (Paris) *Date d'édition : *2005 *Contributeur : *Vignal, Marc (1933-....). Directeur de publication *Sujet : *Musique -- Dictionnaires *Type : *monographie imprimée *Langue : * Français *Format : *1 vol. (923 p.-160 p. de pl.) : ill. en noir et en coul., couv. et jaquette ill. en coul. ; 29 cm *Format : *application/pdf *Droits : *domaine public *Identifiant : * ark:/12148/bpt6k1200510r *Identifiant : *ISBN 2035055458 *Source : *Larousse, 2012-129497 *Relation : * http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb40090332s *Provenance : *bnf.fr Le texte affiché comporte un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance obtenu pour ce document est de 100 %. downloadModeText.vue.download 1 sur 1085

Cet ouvrage est paru à l’origine aux Editions Larousse en 2001 ; sa numérisation a été réalisée avec le soutien du CNL. Cette édition numérique a été spécialement recomposée par les Editions Larousse dans le cadre d’une collaboration avec la BnF pour la bibliothèque numérique Gallica. downloadModeText.vue.download 2 sur 1085 downloadModeText.vue.download 3 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE Responsable éditoriale Dominique Wahiche

Édition Marie-Claude Khodakov Lecture-Correction Service de lecture-correction Larousse-Bordas/HER Iconographie Viviane Seroussi Mise en page des hors-texte Katy Lhaïk Mise en page du corpus Dominique Chapon Fabrication Nicolas Perrier Réalisation de la présente édition Gilbert Labrune © Larousse/HER 1999 pour la précédente édition. © Larousse/VUEF 2001 pour la présente édition. Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, du texte et/ou de la nomenclature contenus dans le présent ouvrage, et qui sont la propriété de l’Éditeur est strictement interdite. Distributeur exclusif au Canada : Messageries ADP, 1751 Richardson, Montréal (Québec). ISBN 2-03-511 354 7 downloadModeText.vue.download 4 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE Préface Le Dictionnaire de la musique présente des informations et des analyses sur la musique et les musiciens de tous les temps à travers environ 5 000 articles classés par ordre alphabétique. Il s’agit d’une refonte et d’une actualisation du Larousse de la musique paru pour la première fois en 1982 en deux volumes et plusieurs fois réimprimé depuis sous une forme abrégée, éditée sous le titre Dictionnaire de la musique en un volume.

Le domaine de ce Dictionnaire de la musique s’étend, en ce qui concerne l’Occident, des origines à l’époque contemporaine. Les expressions « savantes », en particulier pour l’art occidental, ont tout naturellement fait l’objet de notices, mais les expressions des arts dits « populaires » ou « traditionnels » n’ont pas été délaissées pour autant. Par ailleurs, une place non négligeable a été réservée à la musique contemporaine et aux nouvelles technologies, envisagées jusque dans leurs manifestations les plus récentes, et, ici encore, d’un point de vue international. Ainsi défini dans le temps et dans l’espace, le Dictionnaire de la musique est organisé selon plusieurs rubriques. Compositeurs. Comme dans tous les dictionnaires traditionnels, figurent ici des articles consacrés aux compositeurs connus par leur nom, de Pérotin et Guillaume de Machaut à Brian Ferneyhough et à Pascal Dusapin en passant par Dufay, Lassus, Monteverdi, Mozart et Berlioz, pour n’en citer qu’un par siècle. Les articles fournissent des informations sur la carrière du compositeur, sur son style et ses oeuvres, et précisent sa place dans l’histoire de la musique. Chaque notice et l’importance qu’on lui a accordée a nécessairement fait l’objet d’un choix, discutable comme tous les choix. Disons, d’une part, que, pour la dimension des articles, une place plus importante a été attribuée, sauf exception, aux grands artistes à la célébrité incontestée ; et, d’autre part, que, pour la présence ou non dans le Dictionnaire de la musique de compositeurs d’importance très secondaire, voire négligeable, préférence a souvent été donnée à ceux dont on a toute chance d’entendre parler à cause de leur place dans le sillage d’un « grand ». Ainsi, Neukomm figure dans notre dictionnaire en tant qu’élève de Haydn (également à cause du rôle important qu’il joua dans l’introduction au Brésil de la musique classique européenne). On n’a pas omis non plus les compositeurs connus par une seule oeuvre, même si c’est pratiquement aux effets du hasard qu’ils ont dû de survivre (Addinsell, Ketelbey). Historiens, musicologues et critiques. Il a paru également nécessaire de faire connaître au lecteur les grandes personnalités qui ont écrit sur la musique, que ce soit comme historiens (Adler, Burney), comme critiques ou comme musicologues, spécialistes ou non d’un compositeur ou d’une époque (Deutsch, Einstein, Landon, Mongrédien, Pincherle, Spitta, Thayer), étant entendu que très rares sont ceux qui se sont limités à l’une ou l’autre de ces activités. Éditeurs, facteurs d’instruments. Bénéficient aussi d’articles spéciaux des personnalités ayant oeuvré pour que des partitions musicales puissent

être exécutées, par exemple comme éditeurs (Artaria, Breitkopf, Durand), ou encore comme facteurs d’instruments (Amati, Broadwood, Érard, Stradivari). Écoles et tendances. Artistes et oeuvres sont replacés dans leur cadre historique ou esthétique grâce à des articles de synthèse, souvent très développés, consacrés notamment à des grandes périodes (baroque, romantisme), à des tendances esthétiques (expressionnisme, minimalisme, Vienne [école de]), à des cénacles (groupe des Six), voire à des mécènes (Esterházy). D’autres notices traitent des rapports entre la musique et les différents moyens d’expression (ballet [musique de], film [musique de]). downloadModeText.vue.download 5 sur 1085

Formes et genres. Des articles de synthèse, eux aussi souvent très développés, concernent l’évolution dans le temps et selon les pays des formes et des genres (cantate, concerto, fugue, opéra, quatuor à cordes, sonate, symphonie) ainsi que des catégories (musique de chambre). Technique, métier et nouvelles technologies. D’autres notices encore, à caractère parfois plus technique, tentent de mieux cerner les éléments proprement dits du métier de musicien, qu’il s’agisse des instruments dont celui-ci dispose (clavecin, orchestre, orgue, piano, violon, voix) et de leur technique de jeu (interprétation), d’éléments de vocabulaire, de langage ou de pensée (atonalité, contrepoint, croche, dodécaphonique [musique], électroacoustique [musique], harmonie, intervalle, rythme, timbre) ou encore de moyens liés aux nouvelles technologies (composition musicale assistée par ordinateur, compresseur/expanseur/limiteur, échantillonneur, informatique musicale). Institutions. La vie musicale se déroule grâce à divers supports institutionnels qui, eux aussi, font l’objet d’articles, qu’il s’agisse de salles de spectacle ou d’Opéras (Bolchoï, Carnegie Hall, Covent Garden), d’entreprises de concerts (Concert spirituel, Domaine musical), d’orchestres et de formations instrumentales ou vocales (Cleveland [Orchestre de], Ensemble InterContemporain, Paris [Orchestre de]), de festivals

(Ars Musica, Berlin [Festival de], Festival de musique ancienne d’Utrecht) ou bien d’associations, d’établissements artistiques ou administratifs plus ou moins spécialisés (Cité de la musique, I.R.C.A.M., ProQuartet). Auteurs. Une vaste équipe de près de 90 personnalités, choisies parmi les plus autorisées du monde universitaire, de la musicologie et de la critique, a participé à la réalisation de cette entreprise. Cette équipe a eu pour dessein de fournir une information objective et sûre, tenant compte des recherches les plus récentes. Il est bien évident qu’une totale liberté d’appréciation et d’interprétation a été laissée à chacun des spécialistes. downloadModeText.vue.download 6 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE Collaborateurs Josette Aubry Mari-Danielle Audbourg-Popin Maria-Madalena de Azeredo Perdigão † Pierre Balscheff Pierre-Emile Barbier Philippe Beaussant Marie-Claire Beltrando-Patier Dominique Bosseur Jean-Yves Bosseur † André Boucourechliev † Jacques Bourgeois Camille Bourniquel Agnès de Boysson † Nanie Bridgman Hélène Bruce Remy Campos Roland de Candé Gilles Cantagrel Costin Cazaban Jean-Claude Ch. Chabrier † Jacques Chailley Janine Chatignion Michel Chion Nathalie Combase Gérard Condé Pascal Contet † Alain Daniélou Roger Delage Pierre Dumoulin Jean Dupart Sylviane Falcinelli

Henri-Claude Fantapié Joël-Marie Fauquet Alain Féron Madeleine Gagnard Jean Gallois André Gauthier Yann Geslin Philippe Godefroi † Antoine Goléa Hélène Hachard Dominique Hausfater † Colette Herzog Pascal Huynh Dominique Jameux † Gustave Kars René Koering Jean-François Labie François Lafon Jérôme de La Gorce Frédéric de La Grandville Henry-Louis de La Grange † Paul-Gilbert Langevin Marie-Claire Le Moigne-Mussat André Lischke Emmanuelle Loubet Jean-Jacques Maltret Roland Mancini Guy Maneveau Gérard Mannoni Patrick Marcland Harry Margaritis Marcel Marnat Jean-Christophe Marti Christian Meyer Denis Morrier Michel Noiray Anna Penesco Mihnea Penesco Alain Périer † Michel M. Philippot Hélène Pierrakos Alain Poirier Frédéric Robert Jacques Rouchouse Jean-Jacques Rouveroux

Jean Roy Marie-Louise Sasia † Pierre Schaeffer Jérôme Spycket Ivanka Stoianova Patrick Szersnovicz Akira Tamba Maurice Tassart Roger Tellart Jean Terrayre Robert Trocoire Pierre Vidal Marc Vignal Marcel Weiss Charles Whitfield † Stéphane Wolff downloadModeText.vue.download 7 sur 1085

A A. 1. Lettre par laquelle fut désignée la note la dans la notation musicale du Moyen Âge. Elle indique toujours le la dans les pays de langue anglaise ou de langue allemande, où les syllabes de Gui d’Arezzo ne sont pas adoptées. Voici, dans trois langues, l’appellation des altérations de cette note : français anglais allemand la dièse A sharp Ais

la double dièse A double sharp Aisis la bémol A flat As la double bémol A double flat Asas 2. Abréviation d’alto (altus). AARON ou ARON (Pietro), théoricien italien de la musique (Florence v. 1489 Venise 1545). Frère de l’ordre de Malte, il vécut à Imola, où il fut maître de chapelle, puis à Rimini, Venise, Padoue, Bergame, avant de s’établir définitivement à Venise. Ses écrits - en particulier Thoscanello de la musica (1523) et Lucidario in musica (1545) - témoignent d’une sensibilité étonnamment moderne dans le domaine de l’harmonie. En pleine époque polyphonique, Aaron critiqua la règle de composition par voix successives et traita des accords en pensant la musique « verticalement » et en s’intéressant aux dissonances. Il se pencha aussi sur le tempérament des instruments à clavier. Pour une meilleure compréhension et une plus vaste diffusion de ses traités, il rédigea ceux-ci non en latin, comme il était d’usage, mais en italien. A. B. A. Forme musicale en trois sections, où la troisième est une répétition plus ou moins variée de la première, la deuxième faisant contraste. ABAT-SON. Ensemble de lames en bois recouvertes de plomb ou d’ardoises, se trouvant à l’inté-

rieur des baies des clochers, et dont l’inclinaison renvoie le son des cloches vers le sol. A BATTUTA. Expression italienne signifiant « en mesure », « avec la mesure », et indiquant qu’après un passage joué librement (« ad libitum »), par exemple une cadence ou un récitatif, on doit revenir à une « battue » (à une observation de la mesure) stricte et régulière. ( ! BATTUTA.) ABBADO (Claudio), pianiste et chef d’orchestre italien (Milan 1933). Il est issu d’une famille de musiciens. Son père était violoniste, son frère Marcello (Milan 1926) est pianiste et compositeur. Claudio Abbado a fait ses études au conservatoire de Milan, mais a aussi été l’élève de Hans Swarowsky à Vienne, pour la direction d’orchestre. Il a été directeur de l’orchestre symphonique de la Scala de Milan et chef principal de l’Orchestre symphonique de Londres. Son répertoire est très vaste et la musique contemporaine y tient une place importante. Ses interprétations de Brahms, Tchaïkovski et Mahler, de Rossini et Verdi sont particulièrement renommées. Il a dirigé de 1986 à 1990 l’Opéra de Vienne, et fondé dans cette ville, en 1986, l’Orchestre des jeunes Gustav Mahler. En 1989, il a succédé à Karajan à la tête de la Philharmonie de Berlin. En 1995, son contrat a été prolongé jusqu’en l’an 2002. ABBATINI (Antonio Maria), compositeur italien (Città di Castello, province de Pérouse, v. 1609 - id. 1677). Il fut maître de chapelle de plusieurs églises de Rome. Ses nombreuses pièces de musique sacrée sont d’une écriture complexe, virtuose, à plusieurs choeurs. En collaboration avec Marco Marazzoli, il écrivit un ouvrage lyrique, Dal Male il bene (créé à Rome en 1654), que l’on peut considérer comme l’un des premiers opéras-comiques. Les récitatifs annonçant le futur recitativo secco, l’importance des finales d’actes ouvrent l’avenir. Abbatini collabora aussi à plusieurs ouvrages théoriques.

ABBEY, famille de facteurs d’orgues d’origine anglaise, établie en France. Ses membres - John (1785-1859), son fils John Albert (1843-1930) et son petit-fils John Mary (1886-1931) - exercèrent leur métier un siècle durant, ils construisirent quelque cinq cents instruments, en France et à l’étranger. De facture romantique, puis symphonique, ceux-ci sont réalisés avec grand soin ; les Abbey ont été les premiers à adopter la machine pneumatique de Barker. L’orgue de la cathédrale de Châlons-sur-Marne est considéré comme le chef-d’oeuvre de John Albert Abbey. ABBIATE (Louis), compositeur monégasque (Monaco 1866 - Vence 1933). Il se forma aux conservatoires de Turin et de Paris, étudiant en particulier dans ce dernier établissement le violoncelle avec Franchomme. Il fut violoncelle solo à l’Opéra de Monte-Carlo, à la Salle Favart à Paris et à la Scala de Milan sous la direction de Toscanini, et, en 1911, prit downloadModeText.vue.download 8 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 2 la direction d’une classe de violoncelle au conservatoire de Saint-Pétersbourg où il resta jusqu’en 1920. Il fut ensuite directeur de l’Académie de musique de Monaco. Ses instruments de prédilection étaient le piano et le violoncelle. Sa production abondante, d’un lyrisme généreux, comprend notamment : huit sonates pour piano (no 3, op. 34 Élégiaque ; no 4, op. 47 Quasi sonatine ; no 5, op. 64 1914 ; no 7, op. 74 De profondis ; no 8, op. 79 Liturgique) ; deux sonates pour violoncelle et piano, op. 12 (1890) et op. 39 (1920), deux quatuors à cordes, un concerto pour violoncelle qui subit un échec aux Concerts Lamoureux en 1898, une symphonie en ré majeur ; le poème symphonique pour violon et orchestre la Voix du luthier de Crémone et, pour piano et orchestre, le Concerto italien op. 96 (Prague, 1922) ainsi que la fantaisie Monaecensis op. 110 (1925), en forme de thème varié. ABEL (Karl Friedrich), gambiste, claveciniste et compositeur allemand (Köthen, Saxe, 1723 Londres 1787).

Élève de Johann Sebastian Bach à l’école Saint-Thomas à Leipzig, il entra au service de la cour de Dresde, puis partit à Londres, où, de 1765 à 1781, il fut l’associé de Johann Christian Bach pour l’organisation de concerts d’abonnement (concerts Bach-Abel). Abel fut le dernier grand virtuose de la viole de gambe. Comme compositeur, il écrivit, dans le style de l’école de Mannheim, des symphonies, des concertos, une symphonie concertante ainsi que de très nombreuses sonates, dont une trentaine pour la viole de gambe. ABÉLARD ou ABAILARD (Pierre), philosophe, poète et musicien français (Le Pallet, près de Nantes, 1079 - abbaye de Saint-Marcel, près de Chalon-sur-Saône, 1142). Il doit sa renommée à ses amours célèbres avec Héloïse. Ses chants d’amour sont perdus, mais il a laissé des hymnes, six planctus notés en neumes et conservés à la bibliothèque Vaticane. ABELL (John), compositeur, chanteur (falsettiste) et luthiste anglais (?, Aberdeenshire, 1650 - Cambridge 1724). Protégé par Charles II, il fit partie de la Chapelle royale d’Angleterre (1679-1688). Chassé au moment de la révolution de 1688, il séjourna notamment en Allemagne (1698-99). Il a composé des airs pour voix et luth, et publié des recueils de chants de divers auteurs, en plusieurs langues. ABENDMUSIK (all. : « musique du soir »). Ce terme désigna, aux XVIIe et XVIIIe siècles, des exécutions en concert de musique sacrée, ou inspirée par le sacré, qui se déroulaient régulièrement à la Marienkirche de Lübeck. Établie par les talentueux organistes successivement titulaires dans cette église (notamment Franz Tunder), la tradition des Abendmusiken s’était maintenue grâce au soutien pécuniaire des riches bourgeois venus à Lübeck traiter leurs affaires en Bourse ; les concerts eurent d’ailleurs lieu à l’origine le jeudi soir, jour des cotations en Bourse, avant d’être fixés au dimanche. À partir de 1673, l’institution prit une importance grandissante, en particulier en période liturgique d’avent, sous l’impulsion de Buxtehude, qui, pour elle, composa plus de deux cents pièces instrumen-

tales et vocales. En vue de la réalisation de ces dernières, des ecclésiastiques, des médecins confectionnaient des livrets sur des thèmes tirés de l’Ancien Testament. Les Abendmusiken, qui se poursuivirent jusque vers 1810, annoncèrent l’exécution des oratorios dans les églises. ABENDROTH (Hermann), chef d’orchestre allemand (Francfort-sur-le-Main 1883 - Iéna 1956). Élève de Ludwig Thuille (théorie) et de Felix Mottl (direction d’orchestre), il commença sa carrière à Munich et à Lübeck, et, de 1914 à 1934, dirigea le conservatoire de Cologne ainsi que les concerts du Gürzenich dans cette ville. En 1934, il succéda à Bruno Walter à la tête du Gewandhaus de Leipzig, poste qu’il conserva jusqu’en 1945. Il fut ensuite directeur du Théâtre national de Weimar (1945-1949) et chef de l’orchestre de la radio de Leipzig (19491956). De 1953 à 1956, il dirigea également l’orchestre symphonique de la radio de Berlin-Est. Il a admirablement servi la grande tradition symphonique allemande de Haydn à Bruckner et à Brahms. ABERT (Anna Amalia), musicologue allemande (Halle 1906 - Kiel 1996). Fille de Hermann Abert, elle s’est spécialement consacrée aux problèmes de l’opéra, et en particulier à Gluck. ABERT (Hermann), musicologue allemand (Stuttgart 1871 - id. 1927). Professeur à l’université de Leipzig (1920) puis de Berlin (1923), il a publié une version refondue et élargie de la biographie de Mozart par Otto Jahn. Il s’agit en réalité d’un ouvrage par beaucoup d’aspects tout nouveau, pouvant être considéré comme le plus important paru sur ce compositeur au XXe siècle (Mozart, 1919-1921). ABRAHAM (Paul), compositeur hongrois (Apatin 1892 - Hambourg 1960). Il a tenté de moderniser l’opérette de tradition hongaro-viennoise en y introduisant des éléments de jazz. Victoria et son hussard (1930), Fleur de Hawaii (1931) et le Bal du Savoy (1932) ont connu une certaine popularité. ABRÉGÉ.

Élément essentiel de la mécanique de l’orgue, l’abrégé est un dispositif de transmission intermédiaire entre les claviers et les soupapes des sommiers. Son but premier est d’espacer en largeur les commandes issues en disposition serrée des touches des claviers, de façon à tenir compte de l’écartement des soupapes dû à la largeur des tuyaux. Il consiste en une série de rouleaux ou de barres mobiles autour de leur axe, fixés à une table verticale. Les rouleaux sont reliés à l’une de leurs extrémités aux touches des claviers ; à l’autre, aux soupapes, par l’intermédiaire de vergettes. Grâce à l’abrégé, le facteur d’orgues peut distribuer les commandes de l’exécutant à des tuyaux disposés en des emplacements éloignés des claviers, et dans un ordre différent de celui des notes. On désigne également par « abrégé » une pièce de la mécanique des carillons, intermédiaire entre les touches et les battants de cloches. ABRÉVIATION. Depuis le XVIIe siècle au moins, le nombre de signes que requiert la moindre notation musicale complète a poussé les notateurs à simplifier chaque fois que possible leur graphisme au moyen d’abréviations diverses. Certaines, non codifiables, sont de simples suggestions graphiques que copistes ou imprimeurs développent ensuite ; il en est d’autres qui sont au contraire passées dans l’usage au point de faire partie de la notation codifiée ellemême. On relève surtout parmi elles : - des signes de répétition, très nombreux, parmi lesquels certains, comme l’arpeggio, ont en musique ancienne une forme graphique qu’on ne doit pas confondre avec des graphismes actuels analogues de sens différent ; - des indications de mouvements réguliers (batteries de notes répétées, glissandi, gammes chromatiques, etc.) ; - des signes d’octaviation ou de redoublement d’octaves au moyen du chiffre 8 ou de ses dérivés (8a ou 8va = octava) ; - les signes de nuance, normalement écrits en abrégé (piano = p, crescendo = cresc., etc.) ;

- les signes d’agrément (trilles, grupetti, etc.) qui donnent lieu, surtout au XVIIIe siècle, à toute une séméiographie raffinée et complexe, souvent variable d’un auteur à l’autre ; - diverses conventions permettant d’économiser le nombre d’altérations écrites (non-répétition des altérations avant la barre de mesure, armatures, etc.) ; - diverses indications sommaires d’orchestration dont le développement est laissé aux soins du copiste (ex. sur une downloadModeText.vue.download 9 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 3 portée de flûte on lira col violini, « avec les violons »). Ce genre d’indications, peu prisé aujourd’hui, était au contraire très usuel dans les partitions anciennes, souvent réduites au rôle de simple schéma ; - le remplacement des accords par des chiffres conventionnels placés sur ou sous la basse, et qu’il appartient au lecteur de développer ; ce système, dit basse chiffrée, a été très courant du XVIIe au milieu du XVIIIe siècle ; il n’est plus guère employé aujourd’hui que dans les brouillons de compositeurs et les exercices scolaires ; - les appels à l’improvisation de l’interprète, auquel le compositeur se borne à fournir un schéma de départ (cadenza, a piacere, etc.). On notera que l’italien étant devenu en quelque sorte la langue officielle de la musique du XVIIe au milieu du XIXe siècle, au moins, la plupart des abréviations à partir d’expressions verbales se réfèrent à cette langue. ABSIL (Jean), compositeur belge (Peruwelz, Hainaut, 1893 - Bruxelles 1974). Après avoir été élève au conservatoire de Bruxelles, il y devint professeur en 1931. Cofondateur de la Revue internationale de musique à Bruxelles, il a publié des livres didactiques. Son oeuvre de compositeur, dans une écriture polytonale mais respectueuse des grandes formes traditionnelles, comprend des oeuvres instrumentales (musique pour

piano, musique de chambre, 5 symphonies, 1 poème symphonique, 1 symphonie concertante, 1 concerto pour piano), de la musique vocale (mélodies et choeurs), de la musique de théâtre (opéras et comédie lyrique). ACADÉMIE. Ce nom, qui avait été celui de l’école de Platon, fut repris au milieu du XVe siècle, à Florence, par une société d’humanistes réunis à la cour de Laurent de Médicis, puis par d’autres groupes semblables, à Florence même, à Naples, à Rome, à Bologne où quatre académies devaient demeurer jusqu’au XVIIIe siècle. Leur rôle dans l’évolution de la littérature et des arts fut capital. La plus célèbre fut la Camerata du comte Bardi, à Florence ; de ses travaux de réflexion, des expériences qui s’y déroulèrent naquit l’opéra. En France, le premier des creusets de cette sorte fut l’Académie de poésie et de musique fondée en 1570 par A. de Baïf et Th. de Courville, où se forgèrent les principes de la musique mesurée à l’antique. Par la suite, le terme d’académie évolua et prit différents sens. Il put désigner, notamment en France, des institutions officielles suscitées par les gouvernements : l’Académie française, l’Académie des sciences, mais aussi l’Académie des beaux-arts, ainsi baptisée lors du remaniement, en 1816, d’un organisme fondé en 1795 ; elle compte six sections, dont celle de musique, formée de sept membres. Ce terme s’appliqua aussi à des théâtres d’opéra et de concert. Le privilège de l’Académie royale de musique fut créé en 1669 et attribué à Perrin. Lully en prit possession en 1672. L’Opéra de Paris, dont l’appellation officielle est encore « Académie nationale de musique et de danse », est le descendant direct de l’Académie royale qui, par l’intermédiaire d’une école de chant dramatique, est également à l’origine du Conservatoire. D’autres académies furent créées en province vers 1650 et demeurèrent jusqu’en 1789. Dans les pays germaniques, le mot fut choisi principalement pour désigner des sociétés organisatrices de concerts, voire ces concerts eux-mêmes (« académies » données par Mozart à Vienne). En Angle-

terre, une Academy of Ancient Music fut fondée à Londres, en 1710. Son but était de faire revivre le répertoire de madrigaux du XVIe siècle, ainsi que les oeuvres de maîtres antérieurs ; une telle initiative est tout à fait exceptionnelle pour l’époque. Le titre d’Academy of Ancient Music a été repris récemment par une des formations anglaises les plus appréciées dans l’interprétation de la musique ancienne ; elle est animée par Christopher Hogwood. Enfin, certaines académies ayant patronné, au XVIIIe siècle, des écoles de musique pour enfants, le terme en est venu à désigner des établissements d’enseignement, et plus spécialement, à partir du XIXe siècle, d’enseignement supérieur (Berlin, Londres, ou l’Académie de SainteCécile à Rome). ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE. Nom porté lors de sa fondation par ce qui était en fait l’Opéra de Paris. Le privilège en fut accordé le 26 juin 1669 par Louis XIV à l’abbé Perrin (v. 1620 - 1675), poète et librettiste, et au compositeur Robert Cambert (v. 1627 - 1677). Ils donnèrent des « académies d’opéra », mais, malgré le succès de leur Pomone (1671), l’entreprise fit faillite (Perrin se retrouva en prison pour dettes) et le privilège fut racheté par Lully en mars 1672. ACADEMY OF SAINT MARTIN IN THE FIELDS. Ensemble fondé en 1959 par Neville Marriner pour donner des concerts de midi dans l’église londonienne dont il porte le nom. Au cours des années, son activité s’est considérablement développée, et il est devenu l’un des orchestres de chambre les plus réputés du monde. Son répertoire va de la musique baroque italienne aux oeuvres les plus modernes. En 1975, Marriner en transmit la direction à Iona Brown, qui en resta néanmoins premier violon. À cette même date, l’Academy s’est adjoint un choeur dirigé par Laszlo Heltay. A CAPPELLA ou A CAPELLA. Cette locution désignait à l’origine les compositions polyphoniques religieuses

exécutées dans les églises « comme à la chapelle ». L’expression était liée à un style d’écriture bien défini, généralement de rythme binaire alla breve ( , employé autrefois notamment dans la messe et le motet. Par extension, on en est venu, à partir du XIXe siècle, à appeler ainsi toute musique vocale privée d’un soutien instrumental. ACCARDO (Salvatore), violoniste italien (Turin 1941). Diplômé du conservatoire San Pietro a Majella de Naples (1954), Accardo a fréquenté l’Académie d’été de Sienne (19541959) et remporté plusieurs concours internationaux, notamment le concours Paganini de Gênes (1958), avant d’entreprendre une carrière de soliste. Il a été le premier violon de l’ensemble I Musici (1968-1971), et a fondé, en 1970, un festival de musique de chambre à Naples. C’est un musicien à la technique exceptionnelle et au style rigoureux. Nommé en 1994 chef permanent de l’orchestre du San Carlo de Naples, il a enregistré l’intégrale des concertos de Paganini. ACCELERANDO (ital. : « en accélérant »). Indication prescrivant une accélération progressive du mouvement à un moment donné de l’exécution musicale. ACCENT. Signe musical indiquant l’intensification conférée à un son, afin d’obtenir un relief rythmique ou expressif particulier par rapport aux autres sons d’une ligne mélodique. L’accent est indiqué au moment même de l’effet à obtenir, le signe correspondant étant placé au-dessus ou au-dessous de la note, selon le sens de la hampe. Plusieurs signes peuvent marquer l’accent : signifie que la note doit être particulièrement soutenue, intense ; signifie une attaque forte suivie d’un decrescendo ; ou , une attaque vibrante et décidée, sans aucune atténuation ; sf (sforzando), une attaque renforcée ; fp, une attaque forte suivie d’un piano subit. ACCENTUS. Dans la pratique liturgique romaine, c’est le chant du célébrant, auquel répondent le choeur ou les solistes à l’unisson, appelés

concentus. Dans le chant grégorien, l’accentus est presque continuellement une récitation sur une seule note, avec une downloadModeText.vue.download 10 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 4 ponctuation à certains endroits, un accent aigu étant placé au-dessus de la voyelle accentuée. Par opposition, le concentus désigne aussi un type de chant mélismatique utilisé pour les alleluias et les graduels. ACCIACATURA (ital. acciacare : « écraser », « piler »). Agrément, appoggiature brève particulière aux instruments à clavier. La petite note barrée et la note réelle sont frappées simultanément, la première étant relâchée tout de suite. L’acciacatura est généralement un demi-ton en dessous de la note qui suit. L’effet produit est celui d’un écrasement, d’une dissonance qui était frappante pour les oreilles du XVIIIe siècle. D. Scarlatti en a fait grand usage dans ses Essercizi per gravicembalo. Dans la musique française pour clavier de la même époque, acciacatura a pour synonyme « pincé étouffé ». ACCIDENT. Signe de notation qui indique qu’une note doit être altérée (élevée ou abaissée), car elle est étrangère à la tonalité indiquée par l’armure de la clef. Ces signes d’altération sont : le dièse et le double dièse, le bémol et le double bémol, le bécarre et le double bécarre. L’accident est placé devant la première des notes qu’il altère et, de nos jours, le pouvoir d’un tel signe reste en vigueur pour la durée d’une mesure. Dans la musique ancienne, l’accident ne concernait que la note devant laquelle il était placé mais, avant la seconde moitié du XVIe siècle, les altérations n’étaient pas souvent indiquées ; les interprètes les ajoutaient automatiquement lors de l’exécution. ACCOLADE. Signe réunissant plusieurs portées qui doivent être jouées simultanément.

Cet ensemble s’appelle également système. ACCOMPAGNEMENT. Ensemble des éléments vocaux et instrumentaux qui, subordonnés à la partie principale, lui donnent son relief, sa puissance expressive, sa vitalité rythmique, la signification de son déroulement, enfin son contenu harmonique. Il peut être exclusivement ou tout à la fois rythmique et harmonique, avoir ou non un déroulement musical propre, n’être qu’un cadre dans lequel la partie principale se meut librement, ou encore un soutien expressif assez développé pour lui permettre d’acquérir une place prédominante ; il peut être constitué de simples accords ou ponctuations soutenant le « chant » instrumental ou vocal ; il peut être également le prélude et le prolongement de ce chant (lieder de Schubert, Schumann). L’accompagnement peut être soit noté, soit improvisé. Il est improvisé, par exemple, dans la chanson populaire, la chanson de variétés, et l’était autrefois dans la musique savante où la basse chiffrée était réalisée à vue par l’interprète (orgue, clavecin, etc.). ACCORD. 1. Ensemble de sons entendus simultanément et pouvant donner lieu à une perception globale identifiable comme telle. À défaut d’une identification de ce genre, on n’a plus un accord, mais un agrégat (ou une agrégation) : par exemple un ensemble de sons formé des notes do, mi, sol, quelles qu’en soient les dispositions ou répétitions, est un accord du fait que l’on ne perçoit pas isolément chaque do, mi ou sol, mais la sonorité globale que ces notes forment ensemble, et que l’on identifie en une perception globale d’« accord parfait ». En revanche, un ensemble do, fa dièse, la bémol, ré bémol, ne se rattachant à aucune sonorité d’ensemble identifiable comme telle, n’est pas un accord, mais un agrégat. Les accords avaient été classés au XVIIIe siècle selon la conception de l’époque en consonants (accord parfait avec ses renversements, accord de quinte diminuée) et dissonants (accords de sep-

tième, et plus tard de neuvième). L’évolution de la notion de consonance a rendu cette classification caduque, mais elle n’en est pas moins restée en usage jusqu’à nos jours dans de nombreux traités. Le nombre des accords possibles est considérable. Jusqu’au XXe siècle, ils dérivaient tous des accords naturels, qui reproduisent, parfois avec une légère approximation acceptée par la « tolérance », un fragment plus ou moins étendu du tableau des harmoniques. Les accords analogiques transportent les précédents sur les divers degrés de la gamme en modifiant leurs intervalles en fonction de cette gamme. Dans les accords altérés, une ou plusieurs notes sont mélodiquement déplacées sous l’effet de l’attraction. Dans les accords de notes étrangères, l’accord proprement dit se voit modifié ou perturbé par l’intrusion de « notes étrangères », qui cependant n’en affectent pas la perception ; les principaux sont : les accords appoggiaturés (ou accords d’appoggiatures), dans lesquels une ou plusieurs notes sont déplacées au degré voisin, diatonique ou chromatique, formant une « appoggiature » qui fait attendre son retour ou « résolution » sur la « note réelle » de l’accord (l’accord célèbre dit « de Tristan » est un accord d’appoggiature) ; les accords de broderies, dans lesquels un ou plusieurs sons, parfois même tous, résultent d’un glissement au degré voisin des sons correspondants de l’accord précédent, auquel on revient ensuite. On note encore des accords d’extension, dans lesquels à l’accord proprement dit s’ajoutent des notes accessoires qui se fondent avec lui pour en enrichir la sonorité (l’un des plus fréquents est l’accord parfait à sixte ajoutée). La musique moderne fabrique en outre des accords artificiels ne se rattachant pas aux modèles ci-dessus ; on cite : les accords par étagements d’intervalles (accords de quartes dans la Kammersymphonie de Schönberg, de quintes dans Daphnis et Chloé de Ravel, de tierces chez Darius Milhaud) ; l’accord de la gamme par tons entiers, très répandu dans le debussysme, peut s’y rattacher, mais peut aussi être considéré comme un accord de treizième naturel amputé de sa quinte juste ; l’accord mystique de Scriabine (do, fa dièse, si bémol, mi, la, ré) ; les accords par superposition formés, souvent de manière polytonale, par la superposition de deux accords indépendants (procédé très fréquent chez Stravinski à partir

du Sacre) ; les accords par consolidation de notes étrangères lorsque celles-ci cessent de faire attendre la résolution pour être considérées comme notes réelles (par exemple, l’accord à double appoggiature chromatique familier à Ravel). Les accords naturels sont formés des notes correspondant aux sons 1 à x du tableau des harmoniques, l’emplacement de x sur ce tableau déterminant la nature de l’accord : ils prennent le nom de l’intervalle formé avec la fondamentale ou son octave par la dernière note impaire utilisée dans le tableau : c’est ainsi qu’on dit accord de quinte, de septième, de neuvième naturelle ; par exception, on ne dit pas habituellement accord de tierce naturelle, mais accord parfait majeur (harmoniques 1 à 5). On peut y ajouter l’accord de onzième et peut-être de treizième augmentée ; l’accord par tons entiers peut, on l’a dit, se rattacher à ce dernier, étant constitué des harmoniques 1 à 13, avec suppression de la quinte juste. Les accords analogiques prennent le nom de l’accord naturel correspondant, accompagné de qualificatifs qui en précisent la nature (ex. : accord parfait mineur pour l’analogique à tierce mineure de l’accord parfait majeur, accord de septième majeure pour l’analogique de 1er degré en majeur, de septième diminuée pour l’analogique de 7e degré du mineur harmonique, etc.). Il en est de même de la plupart des autres accords (ex. : accord à quinte altérée, accord avec sixte ajoutée, le mot « parfait » restant souvent sous-entendu). En outre, certains accords, employés dans un contexte tonal défini, peuvent prendre un nom de fonction se référant au degré sur lequel ils downloadModeText.vue.download 11 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 5 se placent (ex. : accord de septième de dominante, de septième de sensible, etc.). Il est inadmissible d’employer la nomenclature de fonction en raison de la sonorité lorsqu’elle n’est pas justifiée comme telle ; par exemple, on ne peut appeler septième de dominante une septième naturelle ne jouant pas le rôle de dominante. Les accords sont dits à l’état fondamental quand leur note de basse est la fondamentale de l’accord naturel correspondant

ou l’une de ses octaves. Quand la note de basse de l’accord est une autre note de l’accord, celui-ci est dit renversé ou à l’état de renversement (expression d’ailleurs fautive qui remonte à une erreur de Rameau en 1732). La manière dont sont réparties au-dessus de la note de basse les autres notes de l’accord, répétées ou non, en détermine la position ; l’état d’un accord est un élément important de son analyse ; par contre, sa position est, sauf cas particuliers, considérée comme sans influence sur cette analyse. Les accords dont le modèle naturel aborde au moins l’harmonique 5 sans dépasser l’harmonique 11 présentent la particularité de pouvoir échelonner leurs notes par tierces, ce qui a fait dire, en une époque où l’on n’envisageait pas d’autres accords que ceux entrant dans cette catégorie, que l’étagement par tierces pouvait être pris comme définition de la notion d’accord elle-même. On reconnaît aujourd’hui la fausseté de cette assertion, bonne tout au plus à fournir en certains cas un auxiliaire mnémotechnique de caractère pédagogique assez rudimentaire. 2. Action d’« accorder » un instrument, c’est-à-dire d’en régler les parties sonores de manière qu’elles soient conformes au diapason choisi et aux intervalles en usage : « Procéder à l’accord d’un piano. » ACCORDÉON (all. Akkordeon, monika, Klavier-harmonika, monika ; angl. accordion ; a manticino, fisarmonica ;

HandharZiehharit. armonico russe Bayan).

TECHNIQUE. Instrument portatif à vent, à anches métalliques libres accordées à hauteur tempérée et fixées sur des plaquettes en aluminium. Celles-ci sont soudées sur des sommiers en bois à l’aide de cire d’abeille. Chaque sommier compte autant d’alvéoles que de plaquettes. Une plaquette correspond à une note et contient deux anches libres de dimension identique, produisant le même son sur les accordéons chromatiques. Le nombre de sommiers dépendra de la tessiture de l’accordéon et du nombre de voix qu’il comprend. Il existe des accordéons à une, deux, trois, quatre ou cinq voix. Les variétés de pression et d’attaque du soufflet donnent à l’accordéon une dynamique et une expressivité particulièrement riches. Il existe deux types d’accordéons,

communément désignés « chromatique » (même son en tirant ou en poussant) et « diatonique » (un son en tirant, un autre en poussant). Présent dans la plupart des musiques traditionnelles des régions françaises, le diatonique colore aussi le riche folklore des musiques du monde. Grâce à la passion de virtuoses et à un répertoire important, il a pu préserver son patrimoine traditionnel et atteindre depuis plusieurs années un statut ethnologique considérable. L’accordéon chromatique peut comporter, au clavier main droite, jusqu’à cinq rangées de boutons qui donnent toutes les notes de la gamme chromatique. Le clavier main gauche comporte deux systèmes dits basses standard et/ou basses chromatiques. Le système de basses standard (80 ou 120 basses) est utilisé principalement dans le répertoire traditionnel. Il présente deux rangées de basses, et quatre de « basses composées » fournissant des accords préfabriqués parfaits majeurs, mineurs, de septième de dominante et de septième diminuée. Le système des basses chromatiques est utilisé dans le répertoire concertant. Il présente deux rangées de basses (identiques au système de basses standard, tessiture : mi 0 à ré 1) et quatre rangées de boutons (une seule note par bouton) disposées chromatiquement comme sur le clavier droit. Les possibilités polyphoniques des deux claviers permettent d’exécuter des pièces complexes à plusieurs voix, d’écriture tonale ou non. Grâce à l’utilisation de registres, la tessiture de l’accordéon est égale à celle d’un piano de concert. Le développement de modes de jeux inédits (souffles, effets de percussion, résultantes de sons, glissandi) en fait un instrument de plus en plus apprécié par les compositeurs. L’accordéon est doté d’une registration sophistiquée : 15 registres différents à droite et 6 à gauche pour les modèles professionnels de concert, ainsi qu’un report judicieux de 7 principaux registres placés en haut de l’accordéon près du menton (d’où l’appellation « mentonnière »). Ces registres découlent d’un principe de combinaisons élaborées à partir de quatre possibilités de base de type organologique : registre 4ʹ (tessiture mi 3 à do dièse 6), registres 8ʹ« caisse » et 8ʹ « hors caisse » (mi 1 à sol 6), registre 16ʹ (mi 0 à sol 5). La tessiture de base (8ʹ) du clavier

gauche s’étend de mi 0 à do dièse 5. Certains modèles sont dotés d’un registre suraigu (4ʹ), mi 3 à do dièse 6. Un système de déclenchement (déclencheur) permet une alternance entre le système des basses standard et celui des basses chromatiques. Depuis 1991, une standardisation internationale est effectuée afin de définir les normes de l’accordéon du XXIe siècle. HISTOIRE ET RÉPERTOIRE. L’introduction en Europe du sheng chinois, rapporté par le père Amiot vers 1777, donnera libre cours aux inventions diverses basées sur l’anche libre, principe déjà utilisé 2 700 ans avant Jésus-Christ. Breveté en 1829 à Vienne (Autriche) par Cyrill Demian (1772-1847), l’« Accordion » découle de ces recherches et n’est qu’une petite boîte formant seulement quelques accords. Dès son entrée en France vers 1830, les facteurs d’accordéon (Fourneaux, Kaneguissert, Masspacher, Reisner) améliorent le système de Demian, placent le système harmonique (accords) à la main gauche et le système mélodique à la main droite. Maniable, petit et facile à pratiquer, il devient très vite à la mode dans les salons de l’aristocratie française. Destiné surtout aux jeunes filles de bonne famille, c’est un bel objet d’art orné d’une marqueterie richement décorée (galuchat, nacre, écaille de tortue, cuivre, bois rares). Autour de 1860, de grandes fabriques, principalement allemandes et italiennes, produisent un nombre considérable d’accordéons. Délaissé par la haute bourgeoisie, l’instrument se popularise et devient l’apanage des émigrants qui l’emportent au bout du monde. Vers 1900, en France, dans les bals, l’accordéon remplace la musette (cornemuse améliorée). L’accordéoniste et compositeur Émile Vacher (1883-1969) est, avec Michel Péguri, le précurseur du style appelé « musette ». Depuis cette époque, l’accordéon est considéré comme l’instrument des bals, des danses endiablées et de la chanson réaliste. Sa facture évolue, le clavier droit développe une tessiture intéressante et l’accompagnement des basses précomposées du clavier gauche permet de riches modulations. Il est adulé dans les années 30, et son répertoire, dépassant la simple danse, devient musique à part entière grâce aux talents de Gus Viseur, Tony Muréna ou Jo Privat. Remisé dans les années 60, mais jamais totalement éteint, il revient en force en France dans

les années 80, tous genres musicaux confondus : chanson, classique, contemporain, jazz, rock, traditionnel. Universel dans l’âme, l’accordéon suscite aussi depuis sa naissance l’intérêt des compositeurs classiques, heureux de découvrir un instrument polyphonique aux riches possibilités sonores. Si Alban Berg, Serge Prokofiev, Petr Ilitch Tchaïkovski, Paul Hindemith ou Dimitri Chostakovitch lui donnent droit de cité, c’est surtout grâce aux écoles allemandes, canadiennes, des pays de l’Est et scandinaves (en particulier finlandaise) que l’accordéon s’anoblit en quelque sorte. En 1927, la première partition importante pour accordéon solo, Sieben neue Spielmusiken, émane du compositeur allemand Hugo Hermann. Parmi plusieurs interprètes de sa génération, le downloadModeText.vue.download 12 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 6 soliste danois Møgens Ellegaard (19351995) contribuera dès 1957 au rayonnement de l’accordéon dans le milieu classique contemporain et collaborera avec de nombreux compositeurs dont Jindrich Feld, Per Nørgård, Arne Nordheim, Ole Schmidt. La reconnaissance de l’accordéon et la fondation de nouvelles classes dans les conservatoires nationaux supérieurs de ces pays lui confèrent un statut hautement respecté et facilite son intégration dans le milieu classique. En France, depuis l’instauration en 1986 d’un certificat d’aptitude et d’un diplôme d’État, l’accordéon est présent dans bon nombre d’écoles nationales de musique et de conservatoires régionaux. La collaboration étroite entre compositeurs et interprètes de tous pays donne naissance à un répertoire de concert grandissant dans la plupart des grands festivals de musique d’aujourd’hui et dans les lieux habituels de diffusion. Les principaux auteurs de ces partitions (concerti, formation de chambre ou soli) sont Claude Ballif, Luciano Berio, Thierry Blondeau, Harrison Birthwistle, Bernard Cavanna, Jean-Pierre Drouet, Jean Françaix, Bruno Giner, Vinko Globokar, Sofia Gubaïdulina, Toshio Hosokawa, Klaus Huber, Mauricio Kagel, Magnus Lindberg, Jacques Rebotier, R. Murray-Schäfer, Isang Yun.

ACCORDER. Assurer la justesse d’un instrument à son variable (piano, violon, harpe), selon le système du tempérament égal. Dans un orchestre, tous les instruments doivent être accordés au même diapason donné (le la = 440 Hz, par ex.). Pour accorder le piano, l’accordeur se sert d’un accordoir, clé spéciale pour ajuster les cordes. ACCOUPLEMENT. À l’orgue ou au clavecin, l’accouplement est un dispositif qui permet d’associer deux claviers, de telle sorte qu’en jouant sur l’un, on actionne en même temps l’autre, en faisant entendre simultanément les sonorités propres à chacun. Sur un orgue à plus de deux claviers, plusieurs accouplements offrent à l’exécutant les diverses combinaisons de réunion des claviers entre eux. Au XIXe siècle, on a également réalisé des accouplements d’un clavier à l’autre, voire d’un clavier sur lui-même, à l’octave aiguë ou à l’octave grave, de façon à augmenter la puissance sonore des instruments. Le pédalier peut, lui aussi, être accouplé à chacun des claviers ; l’accouplement porte alors le nom de tirasse. Le dispositif d’accouplement est réalisé soit mécaniquement, soit pneumatiquement, soit électriquement. La commande se fait en tirant un clavier pour en enclencher la mécanique (clavecins et orgues jusqu’au XVIIIe s.), ou en appelant cette combinaison par l’intermédiaire d’une pédale ou d’un bouton. ACCROCHE NOTE. Ensemble français de musique contemporaine fondé en 1981. Basé sur une structure relativement classique (soprano, clarinette et percussion), Accroche Note se définit par la souplesse de son effectif, qui va du solo à l’orchestre de chambre. Il s’est imposé aussi dans le monde des festivals consacrés à la musique d’aujourd’hui, tels les festivals Musica de Strasbourg, Manca de Nice, Nova Musica de São Paulo, Almeida de Londres, Voix nouvelles de Royaumont, par son esprit d’ouverture, par la spontanéité et la vivacité de ses interprétations. L’ensemble a signé de nombreuses créations de Donatoni, Radulescu, Dusapin,

Manoury, Ferneyhough, Monnet, Pesson, Dillon et réalise des disques chez Montaigne, Accord « Una corda », Erato. ACHRON (Joseph), violoniste et compositeur américain d’origine lituanienne (Losdseje, Pologne, 1886 - Hollywood 1943). Il fit partie du groupe qui fonda en 1908 à Saint-Pétersbourg la Société pour la musique populaire juive, dont la plupart des membres étaient amis ou élèves de Rimski-Korsakov. De 1916 à 1918, il servit dans l’armée russe. En 1925, il émigra aux États-Unis et, en 1934, s’installa à Hollywood, où il composa des musiques de film et poursuivit sa carrière de violoniste. En 1939, son 3e Concerto pour violon opus 72 fut créé par Heifetz. Écrite « à la mémoire de mon père », la célèbre Mélodie hébraïque opus 33 pour violon et orchestre (1911), d’après un thème hassidique, fut largement popularisée par Heifetz également. Il se fit également un nom comme musicologue et était considéré par Schönberg comme « l’un des compositeurs modernes les plus sous-estimés ». ACKERMANN (Otto), chef d’orchestre suisse d’origine roumaine (Bucarest 1909 - Berne 1960). De 1920 à 1925, il étudie le piano et la direction de choeurs au Conservatoire de Bucarest. Entre 1926 et 1928, il étudie à la Hochschule für Musik de Berlin la direction d’orchestre, avec Georges Szell notamment. Sa carrière est surtout consacrée à l’art lyrique, où il illustre parfaitement la tradition germanique. C’est ainsi qu’il gravit tous les échelons des maisons d’opéra : de 1928 à 1932, il est répétiteur puis chef de ballet à l’Opéra de Düsseldorf, avant de devenir premier chef d’orchestre de l’Opéra de Brno jusqu’en 1935. Il travaille ensuite à l’Opéra de Berne (193547), au théâtre An der Wien (1947-53) et à l’Opéra de Cologne (1953-58). Dans le domaine symphonique, il est invité à diriger le Philharmonia Orchestra. À la tête de cet orchestre, et avec Elisabeth Schwarzkopf, il enregistre de nombreuses opérettes viennoises. Il participe également aux festivals de Bayreuth et de Salzbourg. En 1958, il est nommé directeur musical de l’Opéra de Zurich, poste qu’il n’occupe qu’une seule saison, avant sa disparition prématurée.

ACKTÉ (Aino), soprano finlandaise (Helsinki 1876 - Nummela 1944). Elle reçoit ses premiers cours de chant de sa mère, la soprano Emmy Ackté, qui lui enseigne surtout le répertoire français. C’est donc tout naturellement qu’elle va compléter sa formation à Paris (1894), avant de débuter à l’Opéra de cette ville en 1897. Elle y chante jusqu’en 1903 les grands rôles de Gounod (Juliette dans Roméo et Juliette, Marguerite dans Faust) et de Bizet (Micaëla dans Carmen), mais aussi Elsa dans Lohengrin. C’est largement grâce à elle qu’en 1900 la Philharmonie d’Helsinki, dirigée par Kajanus, se produit à Paris dans le cadre de l’Exposition universelle. Elle est ensuite engagée au Metropolitan Opera de New York (19051907), puis au Covent Garden de Londres, où elle assure en 1910, sous la direction de Beecham, la création anglaise du rôletitre de Salomé de Richard Strauss (qu’elle avait déjà chanté à Leipzig, en 1907). Elle vit ensuite surtout en Finlande, où, en 1911, avec le pianiste et impresario Edvard Fazer, elle est à l’origine de la création de l’Opéra national finlandais, dont elle assume la direction pour la saison 1938-1939. En 1912, elle lance le festival d’opéra de Savonlinna. Sibelius compose pour elle Luonnotar (opus 70), qu’elle crée en 1913. Elle confectionne le livret de l’opéra Juha d’Aare Merikanto (1922), et laisse deux ouvrages autobiographiques (1925 et 1935). ACOUSMATIQUE. Se dit de la situation d’écoute où l’on entend un son sans voir les causes dont il provient. Ce mot grec désignait autrefois les disciples de Pythagore, qui écoutaient leur maître enseigner derrière une tenture. Pierre Schaeffer, inventeur de la musique concrète, a eu l’idée d’exhumer ce mot pour caractériser la situation d’écoute généralisée par la radio, le disque, le hautparleur. Dans son Traité des objets musicaux (1966), il a analysé les conséquences de cette situation sur la psychologie de l’écoute. Après lui, le compositeur François Bayle a imaginé de récupérer le terme d’acousmatique pour désigner ce qu’on appelle plus communément musique électroacoustique. « Musique acousmatique », « concert acousmatique » sont pour lui des termes mieux appropriés à l’esthétique et aux conditions d’écoute et de fabrication

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DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 7 de cette musique « invisible », née du haut-parleur et où le son enregistré est délié de sa cause initiale. ACOUSTIQUE. Étude physique des sons, portant sur leurs caractéristiques intrinsèques, leur émission, leur mode de propagation et de perception. On désigne aussi par acoustique l’ensemble des propriétés qu’a un lieu, ouvert ou clos, de propager et de transmettre les sons : c’est l’acoustique d’une salle. La science de l’acoustique touche notamment à l’analyse physique des sons, à l’organologie, à l’acoustique architecturale, aux phénomènes de la phonation et de l’audition, et se diversifie aujourd’hui en des domaines spécialisés comme ceux de l’électroacoustique ou de la psycho-acoustique. Les Anciens avaient une connaissance empirique extrêmement poussée de l’acoustique, comme en témoignent les propriétés exceptionnelles de leurs théâtres. C’est essentiellement cette même connaissance qui a présidé à la mise au point des instruments de musique et, dans une certaine mesure, à l’orchestration musicale. De Stradivarius, on peut dire qu’il fut acousticien autant qu’ébéniste de génie. L’orchestration de Berlioz tient compte des conditions acoustiques d’exécution de chaque oeuvre. Le Requiem, en particulier, est étroitement lié à l’acoustique de l’église des Invalides. Les compositions pour orgue de Vierne dépendent, dans leur écriture même, de l’acoustique de Notre-Dame de Paris, aussi étroitement que celles de Bach le font d’églises allemandes dotées d’instruments beaucoup moins importants dans des acoustiques moins réverbérées, permettant donc une polyphonie plus intelligible dans sa complexité et un jeu plus rapide. Un interprète doit savoir modifier le tempo de son exécution en fonction de l’acoustique du lieu où il joue, de façon que le tempo perçu par les auditeurs dans ces conditions acoustiques corresponde au tempo psychologique de l’oeuvre. En tant que

science, l’acoustique apparaît seulement dans les temps modernes. Ayant à saisir un objet fugitif, immatériel et se modifiant dans le temps, l’acoustique n’a pu se développer scientifiquement et aboutir à une théorisation qu’avec l’invention des moyens de fixer et de reproduire, puis d’analyser, de mesurer et d’engendrer par synthèse des phénomènes sonores. ADAGIETTO (ital. : « petit adagio »). Ce terme indique un mouvement un peu moins lent qu’adagio, et surtout un caractère plus léger. La Cinquième Symphonie de Mahler possède comme quatrième mouvement un « célèbre » adagietto pour cordes et harpe. ADAGIO. Mot italien signifiant à la fois « à l’aise » et « lentement ». Le mouvement ainsi indiqué se situe entre le largo et l’andante. Le terme revêt une valeur expressive, impliquant un ton sérieux, profond et soutenu ; il est souvent accompagné d’une qualification telle que cantabile, sostenuto, appassionato, etc. Apparu pour la première fois au début du XVIIe siècle, l’adagio indiquait souvent un élargissement du tempo à la fin d’un mouvement, d’une ouverture par exemple. Cette invitation à prendre son temps, à devenir plus solennel paraît avoir été plus importante que l’implication d’un tempo bien précis, car, pour certains compositeurs d’autrefois, Purcell et J.-S. Bach entre autres, adagio pouvait indiquer un mouvement plus lent que largo, voire plus grave. Le mouvement lent d’une symphonie ou d’une sonate classique est souvent intitulé « adagio ». ADAM (Adolphe Charles), compositeur français (Paris 1803 - id. 1856). D’origine alsacienne, il entra en 1817 au Conservatoire de Paris, où il étudia avec une certaine désinvolture jusqu’au jour où Boieldieu, ayant remarqué sa verve mélodique, le prit dans sa classe. Il obtint bientôt le deuxième grand prix de Rome. Il écrivit d’abord des pièces pour piano,

pour chant, et aborda le théâtre lyrique avec une comédie de Scribe : le Baiser au porteur. Il se révéla par la suite comme un compositeur fécond (53 ouvrages lyriques et des ballets), aimant plaire, écrivant avec facilité, clarté, simplicité. D’autre part, il réorchestra à la demande de Louis-Philippe, pour d’importantes reprises, des oeuvres comme Richard Coeur de Lion de Grétry - ce qui lui valut une vive critique de Wagner - ou le Déserteur de Monsigny. En 1847, il fonda le Théâtre National, dans l’intention d’y accueillir les compositeurs délaissés par les deux scènes lyriques officielles de Paris. Malgré son succès, cet organisme sombra dès février 1848, au lendemain de la révolution, pour des raisons pécuniaires. Reçu à l’Institut en 1844, Adam succéda à son père comme professeur de piano au Conservatoire en 1849. Parmi ses oeuvres lyriques, certaines ont été longtemps populaires : le Chalet (1834), le Toréador ou l’Accord parfait (1849), le Sourd ou l’Auberge pleine (1853). D’autres le sont encore et figurent au répertoire en France et en Allemagne : le Postillon de Longjumeau (1836), Si j’étais roi (1852). Le ballet romantique Giselle (1841) est régulièrement joué par toutes les grandes compagnies. Adam est également l’auteur de messes et de pièces religieuses diverses, dont le célèbre noël Minuit, chrétiens. ADAM (Theo), baryton-basse allemand (Dresde 1926). En 1949, il débute à l’Opéra de cette ville dans le rôle du prince Ottokar du Freischütz de Weber. En 1952, il commence une carrière à Bayreuth dans le petit rôle d’Hermann Ortel, l’un des « maîtres chanteurs ». Devenu par la suite un très grand spécialiste de Wagner, il est le plus célèbre Wotan (la Tétralogie) de sa génération. Le rôle de Pizarro (Fidelio) et celui de Wozzeck comptent parmi ses grands succès. T. Adam se consacre également à l’oratorio et au lied. Il a chanté à partir de 1968 au Metropolitan Opera de New York et a créé en 1981 à Salzbourg Baal de Friedrich Cerha. ADAM DE GIVENCHI, trouvère du groupe d’Arras (v. 1220 - v. 1270). D’abord simple clerc de l’évêché, il devint chapelain et reçut le titre de messire. On lui attribue huit pièces, parmi lesquelles

deux descorts et plusieurs jeux partis composés en compagnie de Jehan Bretel et Guillaume Le Vinier. ADAM DE LA HALLE ou ADAM LE BOSSU, trouvère du groupe d’Arras (Arras v. 1240 - probablement Naples v. 1287). Après des études à l’université de Paris où il obtint sans doute son grade de maître ès arts, il retourna en Artois, retrouva sa femme Marie et entra au service de Robert d’Artois (1271). En 1283, il accompagna son maître à Naples. Ce fut à la cour de Charles d’Anjou, roi de Sicile, que l’on créa sa fameuse pastourelle, le Jeu de Robin et Marion (1285). Avec son autre drame, le Jeu de la feuillée, Robin et Marion est l’exemple unique d’un théâtre lyrique profane, au milieu des mystères, des miracles et des drames liturgiques du XIIIe siècle. Il s’agit de théâtre parlé avec intermèdes musicaux : sur 780 vers, 72 seulement sont notés musicalement ; on compte peu de chants (6 mélodies complètes). La nouveauté du genre, fondé sur la pastourelle à refrain, consiste dans le fait que la musique fait partie intégrante de l’intrigue, même si elle y tient peu de place. Cette oeuvre est souvent qualifiée de « premier opéra-comique français « ; ses personnages sont extrêmement réalistes. Adam de la Halle est le plus célèbre des trouvères. Il ne se contenta pas d’écrire des drames lyriques. Son oeuvre comprend également quelque 35 chansons à 1 voix, 14 rondeaux à 3 voix dans le style du conduit, 1 rondeau-virelai et 1 ballade, plusieurs motets et 16 jeux partis. Parmi ses motets, quelques-uns sont entés, c’està-dire qu’ils comportent l’introduction, à la partie supérieure, d’un refrain de sa composition, tiré de ses rondeaux. downloadModeText.vue.download 14 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 8 OEUVRES. - oeuvres complètes de la Halle éditées ker (Paris, 1872) ; Halle, rondeaux à 3

du trouvère Adam par E. de CoussemaJ. Chailley, Adam de la voix (Paris, 1942).

ADAM DE SAINT-VICTOR, poète et

musicien français d’origine bretonne (†1177 ou 1192). Il fut moine de l’abbaye parisienne de Saint-Victor et un des principaux auteurs de séquences du XIIIe siècle ; il les porta à leur plus grande perfection, en s’éloignant des modèles anciens, par l’adoption d’une structure strophique et l’abandon de l’alléluia, auquel il substitua une mélodie libre s’apparentant souvent au patrimoine populaire. On lui attribue plus de cent vingt compositions de ce type, dont quelques-unes parmi les plus belles furent traduites en langue vulgaire et devinrent célèbres. Leur utilisation fut supprimée par le concile de Trente. ADAMS (John), compositeur américain (Worcester, Massachusetts, 1947). Il étudie d’abord la clarinette avec son père et fait ensuite des études de composition au Harvard College (Master of Arts, 1971). Son éducation, dans l’esprit de l’avantgarde néo-sérielle européenne, ne lui convient pas tout à fait : il ne trouvera sa voie qu’après son installation à San Francisco (1971), où il dirige le département de composition du conservatoire entre 1971 et 1981. Sur la côte ouest, il découvre la musique de Cage, dont il assume l’héritage à sa manière, ainsi que l’école répétitive (Riley, Glass). Adams écrit une musique volontairement primitive plutôt que minimaliste. Ses références à l’harmonie classique sont fréquentes, mais il cultive dans ses oeuvres des dérapages voulus qui augmentent leur impact (Shaker Loops pour instruments à cordes, 1979). Il exploite le contraste entre l’aspect conservateur du matériau et une absence totale de volonté de style (Harmonielehre pour orchestre, 1985), entre l’omniprésence de la référence et une liberté qui ne peut s’exercer, pour avoir un effet sûr, que dans le cadre d’un langage préalablement codifié (la Chamber Symphony de 1992 témoigne, dans ce contexte, d’un travail intéressant sur le rythme). Il s’agit au fond, plutôt que d’inconséquence, du plaisir éphémère de briser des faux interdits. Cette attitude complaisante est accentuée par la sonorité crue, mélodramatique, de son orchestre (Grand Pianola Music pour deux sopranos, deux pianos et ensemble, 1981-1982). De même, dans les opéras Nixon in China (1987) et The Death of Klinghoffer (1991), où il collabore avec le metteur en scène Peter Sellars, Adams s’intéresse à des su-

jets d’actualité qui lui servent en quelque sorte d’alibi. On lui doit aussi Phrygian Gates (1977) et Eros Piano (1989) pour piano, Light over Water pour cuivres et synthétiseur (1983), Short Ride in a Fast Machine pour orchestre (1986), Fearful Symmetries pour orchestre (1988), I was looking at the Ceiling and then I saw the Sky (1995). ADAM VON FULDA, compositeur et théoricien allemand (Fulda v. 1440 - Wittenberg 1505). Il entra au service de Frédéric le Sage de Saxe (1490), puis enseigna la musique à l’université de Wittenberg (1502). Son traité De musica fut publié dans Scriptores ecclesiatici de musica sacra potissimum de Gerbert (1784). Auteur d’oeuvres religieuses, il mourut de la peste. ADAPTATION. Travail au moyen duquel un auteur, prenant pour point de départ une oeuvre, la transforme en une autre oeuvre, proche par certains traits mais différente dans sa forme, dans son instrumentation ou dans sa construction. En musique, la réduction d’une page symphonique en une page pour piano est une adaptation. Un livret d’opéra peut être l’adaptation d’une pièce de théâtre. De même, un texte profane peut, sur une même musique, remplacer un texte religieux. Dans la composition des livrets, l’auteur respecte parfois le texte original, se contentant d’effectuer des coupures : ce fut l’attitude de C. Debussy à l’égard de Pelléas et Mélisande de Maeterlinck, et celle de R. Strauss à l’égard de la traduction allemande de Salomé de O. Wilde. ADDINSELL (Richard), compositeur anglais (Londres 1904 - id. 1977). Auteur de chansons, de musiques de scène et de films, il est surtout connu pour son Concerto de Varsovie pour piano et orchestre, écrit pour le film Dangerous Moonlight (1941). ADIEUX. Concert, récital ou représentation d’opéra voyant un interprète célèbre, le plus souvent un chanteur, se produire pour la der-

nière fois en public. En tant que telle, une soirée d’adieux peut avoir été annoncée d’avance ou non, et certaines ont ensuite été démenties par la réalité (réapparition de l’artiste concerné, suivie ou non de nouveaux adieux). Jadis, les théâtres de province appelaient « adieux » la dernière soirée de leur saison annuelle : y étaient alors réentendus les artistes et les extraits d’oeuvres plébiscités par le public. Renata Tebaldi, par exemple, a fait ses adieux lors d’un récital à New York le 16 février 1976. ADLER (Guido), musicologue autrichien (Eibenschütz, Moravie, 1855 - Vienne 1941). Élève de Bruckner et de Dessoff au conservatoire de Vienne, il se destina néanmoins au droit avant de s’orienter vers la musique, et plus spécialement son histoire. En 1884, il fonda avec Chrysander et Spitta la revue Vierteljahrsschrift für Musikwissenschaft, et en 1885 fut nommé professeur de musicologie à l’université allemande de Prague. Succédant à Hanslick, il enseigna à l’université de Vienne (1898-1927) et en fonda l’Institut de musicologie (Musikwissenschaftliches Institut), qui devint un modèle pour de nombreux pays. Dès leur fondation, il fut l’éditeur des Denkmäler der Tonkunst in Österreich (1894-1938), vaste entreprise d’édition de la musique autrichienne du passé - toujours poursuivie aujourd’hui -, dont il assuma lui-même plusieurs volumes, et de leur revue musicologique d’accompagnement Studien zur Musikwissenschaft (1913-1938). Il attacha surtout son nom à la critique stylistique : en témoigne son ouvrage Der Stil in der Musik (1911). On lui doit aussi Methode der Musikgeschichte (1919), un livre sur son ami Gustav Mahler (1916) et Wollen und Wirken (autobiographie, 1935). En 1924, il édita Handbuch der Musikgeschichte, dont il avait rédigé lui-même les chapitres Périodes de l’histoire de la musique, l’École classique viennoise et Généralités sur l’époque moderne. Il organisa les célébrations des centenaires de la mort de Haydn et de Beethoven (en 1909 et en 1927), et après ces dernières participa activement à la fondation de la Société internationale de musicologie, dont il devint président d’honneur. À l’occupation de l’Autriche (1938), il dut cesser toute activité.

ADLGASSER ou ADELGASSER (Anton Cajetan), organiste et compositeur allemand (Innzell, Bavière 1729 - Salzbourg 1777). Il fut, dès son enfance, chanteur à Salzbourg, où il étudia la musique avec Eberlin, dont il devint plus tard le gendre. Il passa toute sa vie dans cette ville comme organiste à la Cour. De son vivant, il fut déclaré le meilleur de tous les organistes et clavecinistes. Étant entré en rapport avec Mozart, alors âgé de dix ans, et avec Michael Haydn, il écrivit avec eux le drame Die Schuldigkeit des ersten und fürnehmsten Gebotes (1767). On connaît de lui plus de vingt opéras et oratorios, des symphonies, de la musique religieuse et instrumentale. AD LIBITUM (lat. : « à volonté »). Comme les expressions a piacere, senza tempo, a capriccio, ad libitum est employé pour indiquer à l’interprète qu’une certaine liberté lui est permise dans le mouvement d’un passage, dans une cadence downloadModeText.vue.download 15 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 9 ou lors d’une pause (point d’orgue). Dans la musique des XVIIe et XVIIIe siècles, ad libitum indiquait la possibilité de remplacer un instrument par un autre (ex. : la flûte par le violon). Un autre sens possible est une liberté offerte à l’exécutant pour l’interprétation d’une partie vocale ou instrumentale. Le contraire d’ad libitum est obbligato (« obligé »). ADORNO (Theodor Wiesengrund), philosophe, musicologue et critique allemand (Francfort-sur-le-Main 1903 Viège, Suisse, 1969). Il étudia la musicologie à l’université de Vienne, et travailla la composition avec Alban Berg. Critique musical à l’Anbruch, il en devint le rédacteur en chef (19281931). Nommé maître de conférences à Francfort-sur-le-Main (1931), Adorno dut s’exiler deux ans plus tard, et, après un bref passage à Paris, s’installa aux ÉtatsUnis. De retour en Allemagne en 1949, il fut titulaire de deux chaires de philosophie et de sociologie à l’université de Francfort et, dès lors, occupa une place

éminente tant sur le plan philosophique et politique que sur le plan musical. Préoccupé avant tout de l’art actuel, et de son devenir au sein de la société, l’auteur de la Philosophie de la nouvelle musique apparaît comme le créateur d’une nouvelle critique musicale qui se caractérise par une dialectique rigoureuse, héritée de Hegel. Sans négliger pour autant la psychologie du créateur et l’aspect concret des oeuvres, Adorno réserve une part importante à la sociologie. Il ne se contente pas de superposer les considérations théoriques, techniques, esthétiques et sociologiques, mais les articule entre elles et, par une analyse pénétrante à plusieurs niveaux, parvient à une connaissance globale qui, non seulement ne laisse rien échapper, mais encore ouvre à la pensée tant musicale que philosophique de larges et neuves perspectives. PRINCIPAUX ÉCRITS : Versuch über Wagner (Francfort, 193738. Trad. française : Essai sur Wagner, Paris, 1966) ; Philosophie der Neuen Musik (Tübingen, 1949. Trad. française : Philosophie de la nouvelle musique, Paris, 1962) ; Mahler (Francfort, 1960. Trad. française : Mahler, une physionomie musicale, Paris, 1976) ; Einleitung in die Musiksoziologie (Francfort, 1962) ; Quasi una Fantasia, Musikalische Schriften II (Francfort, 1963. Trad. française partielle : Vers une musique informelle dans la Musique et ses problèmes contemporains, Paris, 1963) ; Moments musicaux (Francfort, 1964) ; Impromptus (Francfort, 1968) ; Alban Berg, der Meister des kleinsten Übergangs (Vienne, 1968). AÉROPHONE. Ce terme s’applique à tout instrument dont le son est produit par la vibration d’une colonne d’air à l’intérieur d’un tube. Pour le hautbois et le basson par exemple, ce sont les anches doubles qui mettent l’air en vibration. L’élément vibrateur d’un tuyau d’orgue ou de la flûte est l’orifice latéral du tube. Dans le classement des instruments établi par Hornbostel et C. Sachs (1914), les différentes familles sont réparties selon l’élément physique se trouvant à l’origine du son. Aux côtés des aérophones, on distingue les membranophones, les cordophones et les idéophones.

AFFEKTENLEHRE (all. pour « doctrine des passions »). Théorie esthétique du XVIIIe siècle, particulièrement associée aux noms de Quantz et de Carl Philip Emanuel Bach et selon laquelle la musique devait servir à exprimer les passions et les émotions, à chaque passion ou émotion correspondant une « figure » musicale particulière. S’y ajoutait notamment la question de savoir, d’une part, si un morceau donné devait se limiter à un seul Affekt (position conservatrice) ou s’il pouvait en opposer plusieurs (démarche typique de Carl Philip Emanuel Bach), et, d’autre part, si la musique instrumentale, en l’absence de paroles, pouvait exprimer, et même « dire » quelque chose de précis. ( ! EMPFINDSAMKEIT.) AFFETTO. Terme italien souvent utilisé par G.Caccini (Nuove musiche, 1602, préface) et les musiciens de l’époque baroque ; il possédait un double sens : 1. Un état d’âme. 2. Les embellissements vocaux parfois inspirés par un affetto exprimé dans le texte poétique. Il y a eu certainement confusion entre effetto (effet) et affetto, et le sens des deux mots est assez proche ici. L’affetto est un élément essentiel dans la musique de toute l’époque baroque, et Muovere l’affetto dell’animo représentait le but même de la musique. On trouve de nombreux exemples de jeux de mots donnant libre cours à l’utilisation des affetti en musique, par exemple entre amar (aimer), amaramente (amèrement) et Amarilli (nom de la femme aimée) : « Cruda Amarilli, che col nome ancora d’amar, ahi lasso. Amaramente insegni... » (B. Guarini). Le terme allemand correspondant est Affekt, et, au XVIIIe siècle, se développa l’Affektenlehre, associée en particulier à la musique de Carl Philip Emanuel Bach et selon laquelle une oeuvre devait « exprimer » une émotion bien précise. AFFETTUOSO (ital. : « affectueux »). Ce terme, surtout utilisé à l’époque baroque et qui a pour équivalent l’expression con affetto, indique l’expression d’un sen-

timent tendre (ex. : andante affettuoso). AFRIQUE NOIRE (MUSIQUE D’). Malgré la diversité des ethnies et des caractères socioculturels, des traits communs suffisamment importants incitent à élaborer une étude globale de la musique des nombreux peuples d’Afrique noire. Qu’ils appartiennent aux groupes bantou (Afrique sud-équatoriale), nilotique (région du Haut-Nil et du lac Victoria), « soudanais » (nord de l’Équateur : Sénégal, Guinée, Côte-d’Ivoire, Nigeria, etc.), ou qu’ils soient issus de tribus nomades ou semi-nomades (Pygmées, bergers peuls, Bochimans), les Noirs d’Afrique ont des comportements musicaux comparables et des conceptions voisines du rôle de la musique. Les Africains ne se recommandent pas de systèmes musicaux théoriques, mais leurs traditions sont suffisamment fortes pour avoir survécu à l’islamisation et à la christianisation. Leurs musiques sont conçues comme des expressions collectives dont les professionnels n’ont pas le monopole, comme des systèmes de communication globaux qu’ils ne songent pas à expliquer par l’analyse. Dans la plupart des langues africaines, la hauteur relative des sons est signifiante, de sorte que les instruments peuvent non seulement accentuer la « musique » du discours, mais en imiter les rythmes et les « tons ». Le « langage » d’un tambour d’aisselle, d’une cithare-mvet, d’un arc-en-bouche ou d’une vièle haoussa n’est pas un code : c’est une langue usuelle, directement intelligible. Chaque instrument reflète la culture et la personnalité du musicien qui en joue et qui en est généralement le luthier. Loin de chercher le timbre pur et clair par des raffinements de facture, on s’ingéniera à brouiller le son, à l’enrichir de bruits qui accentueront sa singularité : pièces métalliques vibrant avec les cordes des luths ou les lames des sanzas, mirlitons adaptés aux caisses et aux résonateurs en calebasse, sonnailles fixées aux poignets des musiciens ou au pourtour des tambours. Les voix, elles-mêmes, sont rarement claires et pures, surtout chez les professionnels : oreilles bouchées, nez bouché, vibration de la langue, mirlitons sont des artifices fréquemment utilisés pour transformer la voix. La musique africaine fait souvent appel

à une polyphonie simple, consciente, mais sans règle à priori : tierces parallèles (ou quintes dans les régions orientales), imitation canonique rudimentaire, ostinato. Il est peu probable que cette polyphonie, qui apparaît surtout dans les régions de forêts très éloignées du littoral, ait été introduite downloadModeText.vue.download 16 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 10 par les colons et les missionnaires européens. Elle fortifie plutôt l’hypothèse de traditions polyphoniques primitives, qui pourraient avoir précédé, dans différentes civilisations, le développement d’une musique savante monodique. Ce que nous appelons « avènement de la polyphonie » n’a sans doute été que la notation et l’adaptation systématique à la musique savante occidentale de vieilles pratiques populaires, considérées antérieurement comme impures. La polyphonie africaine ne ressortit pas à une technique comparable à notre contrepoint. Elle est naturelle et s’explique en considérant que, statistiquement, la différence (hétérophonie) est plus probable que la similitude (homophonie). La polyrythmie très fréquente peut s’expliquer de la même manière. Les tambours sont différents et l’ensemble indissociable que forme chacun, dans la conception africaine avec les muscles du tambourinaire, reflète nécessairement une personnalité singulière. Bien que tout le monde ou presque soit musicien en Afrique, il existe une caste de musiciens professionnels : les griots. Philosophes, conteurs, sorciers, historiens, ménestrels, ils sont de toutes les fêtes, rendent d’innombrables services, flattent et conseillent les riches et les puissants, dont ils savent exploiter les ressources à leur profit. En Afrique, on ne se réfère pas à une échelle fondamentale fixée par la théorie. Les instruments d’une même famille sont accordés les uns sur les autres, selon des règles traditionnelles qui varient d’une région à l’autre et parfois, dans une même région, d’une famille d’instruments à l’autre. Au milieu de la diversité des accords et, par conséquent, des échelles usuelles, on observe souvent des gammes pentatoniques du type do, ré, fa, sol, la,

ou des gammes diatoniques fondées sur la série des harmoniques (y compris les harmoniques 7, 11, 13), par imitation des sons naturels de la trompe en défense d’éléphant (sur laquelle les plus habiles parviennent à donner les harmoniques 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12). D’autres gammes diatoniques sont de type « pythagoricien » (cycle des quintes justes) et peuvent ressembler au « phrygien » (octave ré-ré) ou à l’« hypolydien » (octave fa-fa) des Grecs. Certains xylophones malinkés (Afrique occidentale) donnent cinq ou sept intervalles à peu près égaux dans l’octave, offrant une curieuse analogie avec une gamme équiheptatonique des pays thaï et khmer, et avec la gamme équipentatonique indonésienne slendro... Aucune tradition musicale en Afrique noire ne paraît avoir fait usage d’intervalles inférieurs au demi-ton. Notre découverte de la musique africaine se heurte généralement à deux difficultés. D’une part, l’exploitation commerciale d’un primitivisme folklorique met l’accent sur les étrangetés coutumières, nous cachant l’essentiel d’une culture très riche. D’autre part, le sentimentalisme des intellectuels africains et des ethnologues sacralise l’art nègre traditionnel, au point de condamner toute évolution normale. La transformation de la société africaine, la régression des langues et des cultures autochtones, la diffusion croissante de la musique légère occidentale et de musiques commerciales africaines sont autant de facteurs de dissolution d’une civilisation musicale fertile ; mais, heureusement, des écrivains et des musicologues africains s’efforcent aujourd’hui de la protéger et de la développer. Beaucoup d’Africains pensent que leur musique pourrait survivre hors de l’ancien cadre social, échappant ainsi à une sorte d’apartheid culturel qui l’a trop longtemps isolée. AGAZZARI (Agostino), compositeur italien (Sienne 1578 - id. v. 1640). Il fut musicien à la cour de Matthias, gouverneur de l’Autriche, puis, dès son retour en Italie, s’affirma comme un des premiers partisans de la basse continue, et un de ses premiers théoriciens ; son traité Del Sonare sopra il basso con tutti li stromenti fut publié à Sienne en 1607. Après un séjour à Rome où il occupa diverses fonctions, il revint à Sienne, vers 1630,

pour diriger la musique de la cathédrale. Parmi ses oeuvres, citons des messes, motets, psaumes, madrigaux et une pastorale, Eumelio (1606). AGINCOURT (François d’), compositeur et organiste français (Rouen 1684 - id. 1758). Élève de Boyvin à Rouen, il complète ses études auprès de Lebègue à Paris, où il est nommé organiste de Sainte-Madeleineen-la-Cité (1701). En 1706, il retourne à Rouen pour succéder à son maître comme organiste à la cathédrale Saint-Jean, tout en étant titulaire des orgues de SaintOuen et, à partir de 1714, l’un des quatre organistes de la chapelle royale de Versailles. Influencé par Lebègue et surtout par François Couperin et la musique italienne, il a publié en 1733 un Livre de pièces de clavecin comptant quatre « ordres » ou suites. Ses 46 pièces d’orgue, regroupées en six suites et constituant autant de brefs interludes pour le Magnificat, sont restées manuscrites de son temps. Ses quelques airs à voix seule et basse continue apparaissent dans les recueils de Ballard, édités en 1713 et 1716. AGNUS DEI (lat. : « agneau de Dieu »). Triple invocation faisant allusion à la métaphore employée par saint Jean-Baptiste pour désigner Jésus dans l’Évangile selon saint Jean (reprise par l’Apocalypse). Insérée au début du VIIIe siècle dans l’ordinaire de la messe par le pape Sergius Ier, elle répétait d’abord trois fois miserere nobis ; la dernière invocation fut remplacée au Xe siècle par dona nobis pacem pour préparer le baiser de paix, puis cette dernière phrase fut comprise comme une demande de délivrance des guerres, et l’est restée spécialement dans les messes avec orchestre des XVIIIe et XIXe siècles, où elle s’accompagne souvent d’un figuralisme guerrier (trompettes, etc.). Aux messes des morts, l’invocation devient dona ei(s) requiem (sempiternam) [« donnez-lui (leur) le repos » - on ajoute la 3e fois « éternel »]. L’Agnus Dei était d’abord chanté a clero et populo (« par le clergé et le peuple »), puis il est passé au chant de la chorale au même titre que les quatre autres pièces chantées de l’ordinaire dont il forme ainsi le no 5 et dernier ; il fait partie à ce titre de

la messe polyphonique normale, qu’il clôt à partir du XVe siècle. Au XVIe siècle, il n’est pas rare de le voir écrit à cinq voix quand le reste de la messe est écrit à quatre. Toutefois, les messes de Requiem ayant pris l’habitude de traiter polyphoniquement le propre aussi bien que l’ordinaire, il n’en est plus, sauf exception, la pièce terminale. AGOGIQUE. H. Riemann, en 1884, employa le premier ce terme pour désigner les légères fluctuations de mouvement, s’écartant du strict mouvement métronomique d’ensemble, qui peuvent parcourir l’exécution d’une oeuvre, laissant une certaine marge d’interprétation et d’expression. C’est l’agogique qui permet le rubato. AGOSTINI (Paolo), compositeur et organiste italien (Vallerano v. 1583 - Rome 1629). Il épousa la fille de son maître, B. Nanini. Organiste à Santa Maria in Trastevere et dans plusieurs autres églises romaines, il prit en 1626 la suite d’Ugolini à la chapelle Vaticane de Saint-Pierre de Rome. Une partie seulement de son abondante musique religieuse (psaumes, magnificat, messes) a été conservée. Il fut maître dans l’art du contrepoint. AGRÉGAT ou AGRÉGATION. Superposition de sons ne présentant aucune cohérence qui permette de les rattacher à un accord ou à ses renversements, dans le cadre de l’harmonie classique. AGRÉMENT. Note ou groupe de notes employés surtout dans la musique française vocale et instrumentale des XVIIe et XVIIIe siècles pour orner une phrase mélodique. Le mot même évoque leur raison d’être : charmer, toucher, enchanter, être downloadModeText.vue.download 17 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 11 agréable à l’oreille. Les luthistes français utilisèrent les agréments pour orner leurs pièces, mais aussi pour prolonger la

courte durée du son du luth ; les clavecinistes reprirent ce procédé d’écriture. Les agréments étaient indiqués par des signes bien connus des interprètes, mais dont le mode d’exécution pouvait varier selon les compositeurs, et qui, surtout, laissaient à l’instrumentiste une certaine liberté d’exécution liée à sa volonté d’expression. Une notation trop précise eût tendu à détruire cette liberté et cette souplesse caractéristique de la musique française, qui font toute la différence entre l’agrément et l’ornement habituel. Voici une liste des principaux agréments avec le terme musical courant auquel ils correspondent : le port de voix (appoggiature longue), le tremblement ou cadence (trille), le pincé (mordant), le doublé ou tour de gosier (grupetto), le coulé, l’aspiration (sorte de point d’orgue), l’arpègement dans la musique de clavecin, de luth ou d’orgue. On trouve une explication détaillée des différents agréments dans les tables d’ornements des clavecinistes français (Chambonnières, L. Marchand, et surtout F. Couperin, notamment dans son Art de toucher le clavecin, 1717). Quant aux ornements vocaux, essentiellement les mêmes d’ailleurs, on peut consulter à leur sujet les Remarques sur l’art de bien chanter, et particulièrement pour ce qui regarde le chant français (1668) de Bénigne de Bacilly. Les diminutions, chères aux compositeurs d’airs de cour, peuvent également entrer dans le cadre des agréments. AGRICOLA (Alexander), compositeur qui serait originaire du nord de l’Allemagne (v. 1446 Valladolid, Espagne, 1506). Il fut au service du duc Galeazzo Maria Sforza à Milan (1471-1474), du duc de Mantoue (1474), puis chantre de Laurent le Magnifique à la cathédrale de Florence. Regagnant les pays du Nord, il passa par la cour de France avant d’entrer au service de Philippe le Beau à Bruxelles (1500). Suivant la cour en Espagne, il y mourut de la peste. Agricola n’a guère subi l’influence de l’Italie. Il faut dire que, lors de son séjour dans ce pays, il côtoya des Italiens sans doute, mais aussi, à Florence, Obrecht, Isaac et surtout Josquin Des Prés, dont il se montra l’émule. Un esprit novateur et indépendant se révèle à travers ses 9 messes, ses 2 credos isolés, ses

quelque 25 motets et ses 82 chansons. AGRICOLA (Johann Friedrich), compositeur et organiste allemand (Dobitschen, près d’Altenburg, 1720 - Berlin 1774). Élève de Bach (dont il fut l’un des nécrologues) à Leipzig et de Quantz à Berlin, il succéda en 1759 à C. H. Graun à la tête de la chapelle royale de cette ville et composa surtout des lieder et de la musique religieuse. AGRICOLA (Martin Sore, dit Martin), compositeur et théoricien allemand (Schwiebus, Silésie, 1486 ? - Magdebourg 1556). Fils de paysans, autodidacte en musique selon ses propres dires, Agricola se fixa à Magdebourg vers 1519-20, y fut nommé cantor de l’école municipale vers 1527 et le resta jusqu’à sa mort. Par ses compositions, il a contribué à la formation du répertoire liturgique protestant. Les quelques pages qui ont échappé à la destruction de Magdebourg (1632) permettent de le rattacher à l’école de Josquin Des Prés. Il joua un rôle pédagogique important en rédigeant des ouvrages qui servirent ensuite de base à l’enseignement musical dans les écoles protestantes : traités de chant choral à l’usage des jeunes enfants, écrits théoriques dans lesquels, en particulier, il proposa des équivalents en langue allemande pour des termes latins employés exclusivement jusqu’alors. AGUADO Y GARCÍA (Dionisio), guitariste et compositeur espagnol (Madrid 1784 - id. 1849). Contemporain et ami de Sor, après des débuts très précoces et une carrière en Espagne, il vécut à Paris (1825-1838), où il obtint de grands succès et fit l’admiration de Rossini, Bellini et Paganini. Il écrivit de nombreuses pièces diverses pour guitare, et un manuel, Metodo de guitarro (1825), encore utilisé de nos jours. AGUIAR (Alexandre de), compositeur portugais († Talavera 1600). Poète et instrumentiste, il fut ménestrel à la cour du roi Sébastien et du cardinal Henri de Portugal. Il reçut le surnom d’Orphée à la cour de Philippe II d’Es-

pagne, où il jouit d’une grande réputation. Ses Lamentations de Jérémie ont été chantées pendant de longues années à Lisbonne à l’occasion de la semaine sainte. AGUIARI ou AGUJARI (Lucrezia, dite La Bastardella ou La Bastardina), soprano italienne (Ferrare 1743 - Parme 1783). Sa brève carrière fut éclatante. Elle déchaîna l’enthousiasme en ltalie, puis à Londres, et se retira de la scène en 1780. Sa voix très souple, au timbre agréable, atteignait dans l’aigu des sommets vertigineux. En 1770, à Parme, elle suscita l’admiration de Mozart en exécutant devant lui un exercice en vocalises s’étendant de l’ut3 à l’ut6. AGUILERA DE HEREDIA (Sebastián), organiste et compositeur espagnol (v. 1560-1570 - Saragosse 1627). Il fut organiste à Huesca, puis à Saragosse (1603). Disciple de Peralta, mais influencé par l’art de Cabezón, il est le meilleur représentant de la musique de l’Aragon. Il a laissé des pièces pour orgue, des psaumes et un magnificat (Canticum Beatissimae Virginis..., 1618). AHLE (Johann Rudolf), compositeur, organiste et théoricien allemand (Mühlhausen, Thuringe, 1625 - id. 1673). Il fut cantor à l’église Saint-André d’Erfurt, puis, dès 1654, revint dans sa ville natale pour y être organiste et bourgmestre. Il publia divers recueils de compositions, destinées aux instruments et aux voix, de caractère presque exclusivement religieux, et deux traités. Son influence sur la musique protestante fut considérable au XVIIIe siècle. Son fils, Johann Georg (16511706), devait prendre sa suite dans le domaine de la musique religieuse. AHO (Kalevi), compositeur finlandais (Forssa 1949). Élève de E. Rautavaara à l’académie Sibelius et de Boris Blacher à Berlin, il s’imposa avec sa Symphonie no 1 (1969), influencée par Chostakovitch, et son Quatuor à cordes no 2 (1970), et termina sa Symphonie no 2 (1970) avant même d’obtenir son diplôme de composition (1971, année de son Quatuor à cordes no 3). Les années 70 furent dominées par la sympho-

nie - la violente et massive Cinquième est de 1975-1976, la « moderniste » Sixième de 1979-1980 - et la musique de chambre. La Septième Symphonie, dite Symphonie des Insectes, ne suivit qu’en 1988. Elle est issue de l’opéra Vie des insectes (1985-1987), d’après la pièce de Karel et Josef Capek. La très vaste Huitième (1993) est pour orgue et orchestre, et la Neuvième (1993-1994), plus légère, pour trombone et orchestre. Ses trois Concertos - pour violon (1981), pour violoncelle (1983-1984) et pour piano (1988-1989) - sont de conception nettement symphonique. On lui doit aussi la Clé, monologue dramatique pour chanteur soliste et orchestre de chambre (1978-1979). Il a enseigné la musicologie à l’université d’Helsinki, puis la composition à l’académie Sibelius de 1988 à 1993. Depuis cette date, une bourse de quinze ans de son gouvernement lui permet de se consacrer entièrement à la composition. AICHINGER (Gregor), compositeur allemand (Ratisbonne 1564 - Augsbourg 1628). Il doit à des études universitaires à Ingolstadt ses relations avec la famille des Fugger qui lui confia dès 1584 la charge de l’orgue de leur fondation à Saint-Ulrich downloadModeText.vue.download 18 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 12 d’Augsbourg. Un voyage en Italie (Venise, Rome, de 1584 à 1587) lui permet de suivre l’enseignement de G. Gabrieli. Au retour d’un pèlerinage à Rome, où il revêt l’habit ecclésiastique (1600), il reprend sa charge d’organiste et de vicaire à la cathédrale d’Augsbourg. De 1603 à 1609, il publie un grand nombre de recueils de musique spirituelle, dont les Ghirlanda di Canzonette spirituali (Augsbourg, 1603), les Sacrae dei laudes (Dillingen, 1609) et les Teutsche Gesenglein aus dem Psalter (Dillingen, 1609). Ses Cantiones ecclesiasticae (Dillingen, 1607) marquent l’introduction en Allemagne de la pratique de la basse continue, tandis que son oeuvre, essentiellement vocale, est dominée par une recherche d’expression influencée par le nouveau style dramatique italien.

AIMARD (Pierre-Laurent), pianiste français (Lyon 1957). Élève d’Yvonna Loriod au Conservatoire de Paris, puis de Maria Curcio à Londres, il reçoit en 1973 le premier prix du Concours international Olivier Messiaen, inaugurant ainsi une carrière largement dévolue à la création contemporaine. En 1976, il remporte un 2e prix au Concours international de Genève et il entre à l’Ensemble InterContemporain, où il restera jusqu’en 1995. Profondément intéressé par la musique de son temps, il instaure avec plusieurs grands compositeurs de ce siècle (Ligeti, Stockhausen, Boulez, Messiaen, Benjamin, Stroppa, etc.) des relations fortes et suivies, présentant et défendant leurs oeuvres lors de concerts commentés où il mêle le répertoire du passé et celui du présent. AIMERIC DE PÉGUILHAN, troubadour français (Toulouse v. 1170 - Italie v. 1220). Successivement au service de nombreux princes, il voyagea beaucoup en Espagne et en Italie, et serait mort hérétique. Il a laissé une cinquantaine de pièces, dont six sont notées. AIR. 1. Élément gazeux faisant vibrer les cordes vocales et alimentant le souffle dans le chant, ainsi que dans le fonctionnement de l’orgue par l’intermédiaire des soufflets des tuyaux et des différents instruments à vent. 2. Mélodie dont on se souvient facilement, qu’on retient, sur laquelle on peut adapter des paroles différentes des paroles originales ; dans le sens de ligne générale d’une mélodie, l’usage du mot est devenu populaire. 3. Genre musical : le mot « air » est entré dans le vocabulaire musical français en 1571 avec la publication du Livre d’A. Le Roy ( ! AIR DE COUR) ; l’origine en est la chanson au luth du XVIe siècle, qui devient l’air de cour, puis la chanson ou l’air à boire ; il se développe intensément au XVIIe siècle avec le ballet de cour. Vers 1650, ce sera le tour de l’air en rondeau et plus encore de l’air sérieux, avec, en général, un second couplet en diminu-

tion, appelé le double et souvent très orné. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, en France, mais aussi en Italie, l’air est souvent suivi d’un qualificatif, selon la forme ou le sentiment exprimé : air tendre, air gai, air en rondeau, air à variations, air de concert, etc. Dans le théâtre lyrique de cette époque, l’air est généralement précédé d’un récitatif, mais utilise plusieurs formes, soit anciennes, soit nouvelles comme l’aria col da capo venant d’Italie. L’oeuvre de Lully peut servir d’illustration. Au XIXe siècle, on évite cette forme d’air à reprise, qui interrompt l’action : l’air est en deux sections, mais celles-ci sont totalement différentes. Avec Wagner, l’air et le récitatif perdent leur individualité ; l’action se déroule sur une musique continue. Après Wagner, cette tendance s’étend, et, à la suite de Pelléas et Mélisande de Debussy, elle devient générale. « Air » est également utilisé, dans la musique instrumentale, comme titre de pièces à caractère mélodique ou dont la forme est proche de la musique vocale ; cet emploi est, bien sûr, particulièrement fréquent dans la musique française. Parfois, cependant, des pièces de toute évidence inspirées par la forme de l’air n’en portent pas le titre (Adagio du Concerto en « sol » de Ravel). AIR À BOIRE. Petite forme vocale célébrant le vin, dont l’origine remonte aux Grecs, à Rome, au Moyen Âge avec les trouvères. De source populaire, elle passe dans la chanson savante et paraît dans les recueils d’airs accompagnés au luth et dans les oeuvres de Lully, Couperin, Campra, etc., où le genre devient beaucoup plus raffiné. Au XVIIIe siècle, il est un sujet d’inspiration pour les chansonniers. Plus tard, Berlioz (la Damnation de Faust), Saint-Saëns, Gounod, Ravel (Don Quichotte à Dulcinée) ne dédaignent pas cette forme d’air, autonome ou encastrée dans une oeuvre complète. AIR DE CONCERT. Page indépendante pour soliste vocal et orchestre. Le genre fut surtout pratiqué à l’époque classique sur des textes en italien. Mozart en composa un grand nombre, de Va, dal

furor portata K.21 pour ténor (1765) à Per questa bella mano K.612 pour basse (1791), la plupart étant cependant pour soprano, comme Ah, lo previdi !.. Ah t’invola K.272 (1777), destiné à Josepha Dusek, ou encore Alcandro, lo confesso... Non so, d’onde viene K.294 (1778), pour Aloysia Weber. On peut citer également Berenice, che fai ? Hob. XXIVa.10 de Haydn (1795), pour Brigida Banti, Ah perfido ! opus 65 de Beethoven (1796), pour Josepha Dusek, et le curieux Infelice opus 94 de Mendelssohn (1834, rév. 1843). AIR DE COUR. Ce genre spécifiquement français existait soit dans une version polyphonique à 4 ou à 5 voix, soit pour une voix seule (généralement le superius), les autres voix de la chanson polyphonique étant souvent simplifiées pour être jouées en accompagnement (réduites en tablature) par un instrument tel que le luth. La coupe de l’air de cour était strophique ; les textes, souvent signés de grands poètes du XVIIe siècle (Th. de Viau, Saint-Amant, Tristan l’Hermite, Malherbe), étaient fondés sur le thème de l’amour languissant. La ligne vocale, parfois sous l’influence de la musique mesurée à l’antique, épousait la longueur des vers, et la mélodie était composée sur le texte de la première strophe. Les autres strophes devaient se chanter sur la même mélodie : on attendait du chanteur qu’il les ornât à son goût, ce qu’il faisait parfois de manière abusive. Le genre fut illustré entre 1571, date de la publication du Livre d’airs de cour mis sur le luth par A. Le Roy, et 1650 environ, d’abord par Guédron (qui l’appelle aussi « récit »), G. Bataille et plus particulièrement A. Boësset, éminent mélodiste. La grande liberté rythmique des origines devint petit à petit prisonnière de la barre de mesure. L’air de cour influença le développement de la monodie a voce sola en Italie et celui de la technique vocale ; ensuite l’air de cour du « vieux Boësset » et de ses collègues profita à son tour de la science des Italiens et amena une réforme du chant en France (Nyert) ; avec M. Lambert et la génération suivante, il devint l’air sérieux dont les célèbres doubles étaient souvent d’une extrême virtuosité. La basse continue, tardivement introduite en France, remplaça la tablature ; l’air de cour fut

désormais exclusivement monodique et contribua directement et de manière déterminante à la formation de l’opéra français avec Lully. AIR DE SUBSTITUTION (angl. Insertion Aria ; all. Einlagearie). Air écrit par un compositeur pour en remplacer un autre lors de la représentation d’un opéra d’un autre compositeur ou plus rarement de lui-même, compte tenu notamment de conditions locales différentes ou d’un changement de distribution. downloadModeText.vue.download 19 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 13 Cette pratique fut courante dans l’opéra italien jusqu’au début du XIXe siècle. Haydn en composa plusieurs pour les opéras représentés à Eszterhaza, par exemple en 1786 Sono Alcina e sono ancora Hob. XXIVb.9 pour la scène 5 de l’acte I de l’Isola d’Alcina de Gazzaniga, ou en 1790 la Moglie quando è buona Hob. XXIVb.18 pour la scène 10 de l’acte I de Giannina e Bernardone de Cimarosa. En 1783, pour une représentation viennoise d’Il curioso indiscreto d’Anfossi, Mozart composa pour la soprano Aloysia Lange (née Weber) Vorrei spiegarvi, oh Dio K.418 et No, che non sei capace K.419, et pour le ténor Johann Valentin Adamberger (créateur en 1782 du rôle de Belmonte dans l’Enlèvement au sérail) Per pietà, non ricercate K.420. En 1789, il destina à Luisa Villeneuve (créatrice en 1790 du rôle de Dorabella dans Così fan tutte) Alma grande e nobil core K.578 (pour I due baroni di Rocca Azzura de Cimarosa) ainsi que Chi sa, chi sa, qual sia K.582 et Vado, ma dove ? oh Dei K.583 (pour Il burbero di buon cuore de Martin y Soler). Pour la version viennoise de Don Giovanni (1788), Mozart remplaça l’air d’Ottavio Il mio tesoro par Dalla sua pace. De nos jours, on chante habituellement les deux. AIR SÉRIEUX. Il s’agit du prolongement de l’air de cour qui prit cette nouvelle appellation avec la génération de M. Lambert (1610-1696), le maître du genre, de S. Le Camus (16101677) et de Du Buisson († 1710). La forme

de ces airs, toujours strophique, eut tendance à se limiter à deux couplets, la mélodie étant composée sur le premier ; le second couplet (le double) devait se chanter sur la base de cette mélodie, mais avec l’introduction d’une ornementation qui atteignait souvent une extrême virtuosité, dont on doit souligner toutefois que le but était essentiellement expressif ; avec l’apparition de ces difficultés vocales, l’art du chant progressa rapidement en France (Bacilly). Dans les nombreux recueils publiés chez Ballard au XVIIe siècle sous le titre conjoint d’Airs sérieux et à boire, l’air sérieux fut illustré par Lorenzani, Charpentier, Couperin, Campra, etc. Après 1720, avec le développement de l’opéra et le déclin de la maison Ballard, l’air sérieux disparut peu à peu. AIX-EN-PROVENCE (festival d’). Organisé par la ville d’Aix-en-Provence avec le concours de la Société du casino d’Aix-Thermal et de divers organismes et collectivités publics, le « festival international d’art lyrique et de musique d’Aixen-Provence », le plus célèbre festival de France, naquit du désir de l’imprésario Gabriel Dussurget de créer et d’animer une grande manifestation musicale dans le Midi. Séduit par le calme et les richesses artistiques d’Aix-en-Provence, G. Dussurget jeta son dévolu sur cette cité et reçut immédiatement l’appui de plusieurs personnalités locales. Il fut décidé de consacrer ce nouveau festival essentiellement à Mozart. Le 23 juillet 1948, eut lieu la manifestation inaugurale, un concert Mozart donné par l’orchestre des cadets du Conservatoire de Paris, sous la direction de Hans Rosbaud. Le 28 juillet, ce fut le premier spectacle d’opéra, Così fan tutte, donné par la compagnie Marisa Morel et dirigé par Hans Rosbaud, dans la cour de l’Archevêché, que le peintre Cassandre devait aménager par la suite en théâtre et qui devait devenir le lieu privilégié des spectacles lyriques aixois. Les talents conjugués de H. Rosbaud et de l’organisateur et découvreur de talents G. Dussurget donnèrent en peu d’années au festival sa brillante image de marque. Aix-en-Provence put mériter le nom de « Salzbourg français » en se distinguant par une caractéristique très importante : faute de moyens financiers, Aix présente à son public, en particulier dans le domaine du

chant, non des vedettes consacrées, mais de jeunes artistes de talent, le plus souvent de futures grandes vedettes. À partir du Don Juan de 1949, et durant quelque vingt années, Aix fit entendre souvent, à de nombreuses reprises, de grands chanteurs, encore inconnus ou peu connus : Renato Capecchi, Léopold Simoneau, Graziella Sciutti, Ernst Haefliger, Leonie Rysanek, Rolando Panerai, Teresa Stich-Randall, Nicolaï Gedda, Teresa Berganza, Luigi Alva, Fritz Wunderlich, Pilar Lorengar, Christiane Eda-Pierre, Gabriel Bacquier, Jane Berbié, Gundula Janowitz, Josephine Veasey, sans parler de nombreux autres artistes tels que le chef d’orchestre Carlo Maria Giulini. En dehors des oeuvres de Mozart, qui demeurèrent alors le coeur du répertoire aixois, eurent lieu des représentations mémorables : Orfeo et le Couronnement de Poppée de Monteverdi, Didon et Énée de Purcell, et, de même, Platée de Rameau (avec Michel Sénéchal), Orphée et Iphigénie en Tauride de Gluck, Il Mondo della luna de Haydn, le Mariage secret de Cimarosa, le Barbier de Séville de Rossini, Falstaff de Verdi, Ariane à Naxos de Richard Strauss, Pelléas et Mélisande de Debussy. Cette liste est loin d’être limitative, et il convient de mentionner aussi les créations de Lavinia de Barraud (1961), les Malheurs d’Orphée de Milhaud (1962), Beatris de Planissolas de Jacques Charpentier (1971). Sur plusieurs plans, le festival d’Aix traça alors des voies nouvelles qui devaient avoir une influence profonde sur la vie lyrique française, innovations qui consistèrent dans l’élargissement du répertoire, le retour aux opéras classique et baroque, la restauration des versions originales d’opéras étrangers, enfin l’appel à des peintres connus qui n’étaient pas forcément décorateurs (Cassandre, Wakhevitch, Lalique, Ganeau, Malclès, Clayette, Derain, Balthus) et, pour la mise en scène, à des hommes de théâtre qui n’avaient pas ou n’avaient guère encore abordé le domaine du lyrique (Meyer, Sorano, Cocteau, etc.). Pour en terminer avec cette ère, précisons que les opéras étaient loin de constituer le seul attrait du festival. L’intérêt des récitals n’était pas moindre et, dans les nombreux concerts, la musique moderne et contemporaine fut à l’honneur. Maintes créations ou premières auditions en France s’y déroulèrent, allant

d’Auric, Sauguet, Dutilleux, Rivier et Bondon à Guézec, Jolas et Koering en passant par Webern, Petrassi, Henze, Xenakis et Nono. Après une période moins éclatante, Bernard Lefort fut nommé directeur du festival en avril 1973. L’avènement du répertoire préromantique et romantique italien (Cherubini, Rossini, Donizetti, Verdi), l’appel à une nouvelle génération de metteurs en scène (Jorge Lavelli, dont la Traviata en 1976 et Alcina en 1978 ont fait date ; Jean-Pierre Vincent, JeanClaude Auvray, Jean-Louis Thamin), l’utilisation de la place des Quatre-Dauphins pour certains petits ouvrages (Pergolèse, Cimarosa, etc.) caractérisent cette nouvelle époque du festival où les concerts vocaux et instrumentaux demeurent extrêmement brillants. Des spectacles comme Così fan tutte de Mozart (1977), mis en scène par Jean Mercure, et surtout Alcina de Haendel, mis en scène par Lavelli, avec un plateau de chanteurs d’une qualité exceptionnelle, montrent que le changement s’effectue dans une certaine continuité. Mais c’est une ère très différente qui s’est ouverte avec la direction de Louis Erlo (1982-1996). En 1992, l’association qui gérait le festival a cédé la place, à la demande de l’État, à une société d’économie mixte. Nommé en 1995 alors qu’il était déjà directeur du Châtelet et de l’Orchestre de Paris, le successeur de Louis Erlo, Stéphane Lissner, prendra ses fonctions en 1998. ALAIN (Jehan), compositeur français (Saint-Germain-en-Laye 1911 - Saumur 1940). Fils du compositeur et organiste Albert Alain, frère de Marie-Claire et d’Olivier Alain, Jehan Alain appartient à une famille vouée totalement à la musique. À six ans, il improvisait déjà sur l’harmonium. À onze ans, il accompagnait les offices au grand orgue de Saint-Germain-en-Laye. Entré en 1928 au Conservatoire de Paris, Alain y fut l’élève de Ducasse, Dukas, Dupré. Il remporta en 1933 les premiers prix d’harmonie et de fugue, et, en 1939, d’orgue. Avant de quitter le Conservatoire, il était déjà connu comme composidownloadModeText.vue.download 20 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE

14 teur. Ses Litanies furent créées le 17 février 1938 à l’église de la Trinité, en même temps que la Nativité du Seigneur de Messiaen. Mobilisé en 1939, Alain prit part à la bataille des Flandres, puis à la défense de Saumur où il mourut héroïquement. Son oeuvre se compose essentiellement de musique orchestrale, de musique instrumentale (pièces pour piano et, surtout, nombreuses pièces pour orgue), d’un Requiem (1938), d’une Messe brève (1938) et de la Prière pour nous autres charnels (1939), partition composée sur un texte de Péguy et orchestrée par Dutilleux. ALAIN (Marie-Claire), organiste française (Saint-Germain-en-Laye 1926). Fille d’Albert Alain, soeur de Jehan et d’Olivier Alain, elle fit ses études auprès de son père et au Conservatoire de Paris, où elle obtint le premier prix d’orgue dans la classe de Marcel Dupré en 1950. Elle connut vite la célébrité grâce à ses concerts et à de très nombreux disques, dont deux intégrales de l’oeuvre de J.-S. Bach. Son répertoire, étendu, ne connaît pas d’exclusive. On lui doit des harmonisations de noëls et de chansons populaires françaises. ALAIN (Olivier), compositeur, organiste et musicologue français (Saint-Germainen-Laye 1918). Fils d’Albert Alain, frère de Jehan et de Marie-Claire Alain. Élève d’Aubin et de Messiaen au Conservatoire de Paris, il a été directeur du conservatoire de SaintGermain-en-Laye de 1950 à 1964 ; puis, inspecteur de la musique au ministère de la Culture, il a continué à s’attacher aux problèmes de l’enseignement. Il a composé un Chant funèbre (1950), des pièces d’orgue, des motets, et écrit plusieurs ouvrages, dont l’Harmonie (Paris, 1965) et Bach (Paris, 1970). Ses recherches sur J.-S. Bach l’ont conduit à découvrir, dans une bibliothèque privée, à Strasbourg, quatorze Canons inédits, dont la première audition a été donnée dans cette ville en 1974. ALARD (Jean-Delphin), violoniste et compositeur français (Bayonne 1815 Paris 1888).

Il fut professeur au Conservatoire de Paris de 1843 à 1875 (Sarasate fut l’un de ses élèves) et premier soliste à la chapelle impériale de Napoléon III à partir de 1858. Il a écrit des concertos, des fantaisies, des études, de la musique de chambre et une méthode pour le violon (l’École du violon, Paris, 1844). ALBÉNIZ (Isaac), pianiste et compositeur espagnol (Camprodón, Catalogne, 1860 - Cambo-les-Bains, Pyrénées-Atlantiques, 1909). Exceptionnellement précoce, il commence l’étude du piano à trois ans et joue en public l’année suivante. Au cours de plusieurs tournées de concerts en Espagne, il s’impose à la fois comme virtuose et comme improvisateur. Une fugue d’un an (1872-73) le conduit en Amérique du Sud et aux États-Unis, où il retourne en 1874. Sa vie y est difficile ; Albéniz est victime d’une crise de fièvre jaune. Grâce à une bourse, il se rend à Bruxelles où il est l’élève de Brassin. Il rencontre Liszt en 1880, puis donne des concerts en Amérique du Sud, à Cuba et en Espagne, où il écrit des zarzuelas (1882) avant de se marier et de se fixer à Barcelone, puis à Madrid (1885). Ses premières oeuvres, très influencées par Schumann, Mendelssohn et Liszt, s’effacent alors derrière les différentes pièces de la Suite espagnole, par lesquelles il fonde l’école espagnole en s’inspirant des rythmes et des thèmes populaires. Installé à Londres (1890-1893), Albéniz tente sa chance dans l’art lyrique, où il connaît un certain succès. Il se fixe en 1894 à Paris, où il rencontre les franckistes ainsi que Dukas, Debussy et Fauré, et devient professeur de piano à la Schola cantorum. Sa véritable carrière commence avec La Vega (1897) et les Chants d’Espagne. Déçu par l’accueil de son pays natal, il se considère désormais comme un exilé, et les quatre cahiers d’Iberia, son chef-d’oeuvre, sont l’écho de cette déception. Il meurt au Pays basque du mal de Bright à l’âge de 49 ans. Une fois dégagé de l’académisme de salon et de l’hispanisme de zarzuela qui ont marqué ses premières oeuvres, Albéniz fait figure de pionnier dans la renaissance de la musique espagnole au début du siècle. Tempérament généreux et d’une inspira-

tion inépuisable, il a trouvé sa suprême expression dans la musique de clavier et il en a porté l’écriture à un degré de perfection insurpassé, synthèse de la virtuosité transcendante et d’une fidélité rigoureuse aux formes traditionnelles. C’est cependant dans la couleur et la sonorité que cette oeuvre, d’esprit rhapsodique, révèle ses traits les plus originaux : à ses lignes mélodiques généralement simples s’oppose une harmonie profuse et complexe, souvent inspirée des modes antiques empruntés au flamenco et systématiquement pimentée par des acciacatures savoureuses. Par ailleurs, le souci des sonorités a suggéré des innovations dans la technique pianistique (doigtés inhabituels, position des mains, attaque du clavier) dont se réclament la plupart des compositeurs contemporains, de Messiaen à Stockhausen. Les théories de Pedrell (Pour notre musique, 1891), suivant lesquelles la musique d’une nation doit être fondée sur les éléments populaires, ont trouvé en Albéniz leur plus parfaite illustration. C’est assez curieusement vers l’Andalousie mauresque que le Catalan Albéniz a, du reste, préféré tourner ses regards, révélant ainsi le génie de sa province natale à l’Andalou Manuel de Falla. ALBERT (Magister Albertus Pariensis), compositeur français († Paris v. 1180). Chantre à Notre-Dame de Paris, il composa la première pièce à trois voix connue, écrite dans le style du conduit. Il s’agit d’un Benedicamus Domino contenu dans le Codex Calixtinus de Saint-Jacques-deCompostelle (1140). ALBERT (Eugen d’), pianiste et compositeur allemand d’origine française (Glasgow, Grande-Bretagne, 1864 - Riga, Lettonie, 1932). Il fit ses études à la National Training School de Londres et fut plus tard l’élève de Liszt à Weimar. Pianiste exceptionnel, l’un des plus célèbres de son époque, il fut également chef d’orchestre et fut nommé, en 1907, directeur de la Hochschule für Musik à Berlin. Dès le début du siècle, il se consacra surtout à la composition. Son oeuvre abondante mêle l’écriture contrapuntique allemande à de nombreuses autres influences ; dans ses opéras, il se révèle vériste à la manière italienne, avec

des effets appuyés, mais il cultive aussi le wagnérisme dans l’emploi du leitmotiv et la manière d’utiliser la mélodie continue. Il écrivit de la musique symphonique et instrumentale, des choeurs, des lieder et une vingtaine d’opéras, dont seuls Die toten Augen (1916) et surtout Tiefland (1903) ont échappé à l’oubli. ALBERT (Heinrich), compositeur allemand (Lobenstein, Thuringe, 1604 - Königsberg 1651). Élève de son cousin H. Schütz, il devint organiste à la cathédrale de Königsberg en 1630. Il composa pour la scène deux ouvrages (Cleomedes, 1635, dont il ne reste que deux airs, et Prussiarchus oder Sorbuisa, 1645, perdu), ouvrages qui suivirent de près le premier opéra allemand (Daphne de Schütz, 1627) et comptent donc parmi les plus anciens du genre. Mais c’est surtout dans le lied avec basse continue qu’Albert exerça une influence considérable. Par ses huit recueils d’Arien oder Melodien à une ou plusieurs voix d’inspiration religieuse ou profane, où il pratique la monodie à la manière italienne, il s’impose, avec son cadet A. Krieger, comme le père du lied allemand. Excellent poète, il mettait en musique le plus souvent ses propres textes ou ceux de son ami Simon Dach. downloadModeText.vue.download 21 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 15 ALBERTI (Domenico), compositeur italien (Venise v. 1710 - Rome v. 1740). Élève de Lotti, il fut claveciniste et chanteur. En 1737, il fit partie de l’ambassade de Venise à Rome et donna des concerts dans cette ville. Il a laissé son nom au procédé « basse d’Alberti », consistant à jouer décomposé en arpèges l’accord destiné à la main gauche au clavier. Alberti a composé des opéras (Endimione, Galatea, Olimpiade), des motets, des cantates et des sonates pour le clavecin qui parurent à Londres chez J. Walsh. ALBIN (Roger), violoncelliste, chef d’orchestre et compositeur français (Beausoleil, Alpes-Maritimes, 1920). Après des études musicales à Monte-Carlo,

aux conservatoires de Nice et de Paris, il a fait, à partir de 1935, une remarquable carrière de violoncelliste, tant comme concertiste que comme violoncelle solo de grandes formations tels la Société des concerts du Conservatoire ou l’orchestre de l’Opéra de Paris. Il a aussi longtemps pratiqué la direction d’orchestre, et a été chef de l’orchestre symphonique de la radio de Strasbourg (1966). Ayant également, de 1945 à 1948, étudié la composition avec Busser et Milhaud, l’analyse et l’estéthique avec Messiaen, il a écrit des oeuvres instrumentales et symphoniques. ALBINONI (Tomaso), compositeur italien (Venise 1671 - id. 1751). Peut-être élève de Legrenzi, il étudia le chant, le violon et le contrepoint. Appartenant à une famille aisée, il resta toute sa vie, comme son compatriote Benedetto Marcello, un « amateur » (Il dilettante veneto), ce qui signifie qu’il n’eut jamais besoin de composer pour vivre. À part quelques brefs voyages, il passa toute son existence à Venise. Son premier opéra, Zenobia, fut représenté en 1694, et, en 1703, il se rendit probablement à Florence, où l’on donnait La Griselda. En 1722, il organisa les fêtes musicales en l’honneur du mariage du prince électeur Albert de Bavière avec la fille de l’empereur Joseph Ier, et, en 1724, il rencontra Métastase, dont il mit en musique, l’année suivante, la Didone abbandonata. Mais, de ses quelque 50 opéras, dont le dernier date de 1741, n’ont survécu entièrement que Zenobia (1694), Engelberta (1709) et la Statiza (1726), ainsi que l’intermède bouffe Vespetta e Pimpinone (1708). Ses oeuvres instrumentales le placent en revanche au premier rang des compositeurs vénitiens de son temps, à côté d’Antonio Vivaldi et de Benedetto Marcello. Tout au long de cette production, dont une partie seulement fut éditée de son vivant, sonates et concertos alternent, parfois au sein d’un même opus, et il en va de même des ouvrages adoptant la coupe de l’ancienne sonate d’église (lent-vif-lent-vif) ou du concerto moderne (vif-lent-vif). De même, des pages d’écriture polyphonique alternent avec d’autres où se manifeste une nette volonté novatrice (rythmes originaux, harmonies audacieuses). Bach, qui appréciait fort Albinoni, édifia deux fugues pour orgue à partir de thèmes de lui. Quant au célèbre Adagio d’Albinoni, c’est un pastiche réalisé

au XXe siècle mais qui fut néanmoins pour beaucoup dans la redécouverte du compositeur depuis 1950. ALBONI (Marietta), contralto italien (Castello 1823 - Ville-d’Avray 1894). Elle débuta à Bologne en 1842 dans Saffo de Pacini, où elle fit d’emblée une impression considérable. À Londres, en 1847, dans le rôle d’Arsace de Sémiramis (Rossini), elle s’affirma comme l’une des plus grandes cantatrices du XIXe siècle. Elle avait un timbre d’une beauté exceptionnelle, une technique et un style exemplaires. Mais sa corpulence lui valut le surnom d’« éléphant ayant avalé un rossignol ». ALBORADA (esp. : « aubade »). Mélodie populaire de la Galice pour instruments seuls, de rythme très libre, mais martelé par un accompagnement uniforme. Des compositeurs tels que Rimski-Korsakov (Capriccio espagnol) et Ravel (Alborada del gracioso) l’ont introduite dans la musique savante. Par ce même terme, on désigne aussi un concert vocal simple, ou avec accompagnement instrumental, donné peu avant l’aube à l’occasion de festivités populaires, ou une composition que l’on doit chanter au lever du jour. ALBRECHTSBERGER (Johann Georg), compositeur, organiste et théoricien autrichien (Klosterneuburg 1736 - Vienne 1809). Organiste dans sa jeunesse à Melk, Raab (Györ, en Hongrie) et Maria Taferl, organiste de la Cour en 1772 et maître de chapelle à la cathédrale Saint-Étienne de Vienne en 1793, il fut ami de Mozart et de Haydn et donna, en 1794-95, des leçons de contrepoint à Beethoven, un de ses nombreux élèves. En 1798, il devint, avec Haydn et Salieri, membre honoraire de l’Académie royale de musique de Suède. Il a laissé une importante production de musique religieuse (dont 26 messes), d’orgue (fugues) et de musique instrumentale profane (quatuors, musique de chambre diverse, fugues pour cordes, concertos, 4 symphonies), ainsi que des ouvrages théoriques, très célèbres en leur temps, dont surtout Anweisung zur

Komposition (1790 ; traduction française Méthode élémentaire de composition, Paris, 1814) et Kurzgefasste Methode, den Generalbass zu erlernen (méthode rapide de basse continue, 1792). Un contemporain le qualifia de « fugue ambulante », mais il fut à son époque le seul Viennois à écrire une fugue sur les lettres du nom de Bach. ALBRIGHT (William), compositeur américain (Gary Indiana, 1944). Élève de G. Schuller, puis de Ross Lee Finney, il a travaillé à Paris avec Olivier Messiaen et Max Deutsch. Professeur à l’université de Michigan, il est excellent pianiste et organiste. Les influences qu’il admet sont multiples, de la musique populaire au jazz, de l’écriture traditionnelle aux moyens les plus modernes d’expression. Ses oeuvres récentes utilisent même des éléments visuels, par exemple Beulahland Bag avec récitant, quatuor de jazz, bande et diapositives. On lui doit également des pages orchestrales (MasculineFeminine, Alliance, 1967-1970), Bacchanale (1981), de la musique de chambre (Caroms, 1966 ; Salvos, 1964 ; ou Foils, 1963-64), des pièces pour piano et pour orgue (Juba, 1965 ; Choral-Partita in an old Style ; Pneuma, 1966, et Organbook, 1967). ALDER (Cosmas), compositeur suisse (Baden v. 1497 - Berne 1550). Il fut enfant de choeur, puis cantor à la cathédrale de Berne. Il est l’un des seuls compositeurs polyphonistes de la Suisse réformée au XVIe siècle. Son oeuvre comprend principalement des motets latins (dont Inclytus antistes, écrit à l’occasion de la mort de Zwingli) ou allemands, et 57 Hymni sacri à 3 et 5 voix (Berne, 1553). ALDROVANDINI (Giuseppe Antonio Vincenzo), compositeur italien (Bologne v. 1673 - id. 1707). Élève de G. A. Perti, il fut membre, puis président de l’Accademia filarmonica et maître de chapelle honoraire du duc de Mantoue. Il composa notamment une vingtaine d’opéras (dont 11 connus), de la musique sacrée, 5 oratorios, des concertos, des sonates et des Cantate à voce sola (1701). Par son style, il appartient à l’école de Bologne. ALÉA, MUSIQUE ALÉATOIRE.

La musique aléatoire est une musique présentant un certain degré d’indétermination pouvant affecter soit sa structure globale, soit un ou plusieurs de ses paramètres, sinon tous, une musique où les techniques des jeux de hasard sont considérées comme un processus compositionnel, une musique bâtie sur la logique mathématique de la loi des grands nombres, de la théorie des probabilités, etc. L’univers du système sériel, avec sa rigidité, ses contraintes, ses contradictions, est un univers où, d’une part, les relations ne sont plus définies une fois pour toutes, mais au contraire portées à un downloadModeText.vue.download 22 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 16 degré suprême de relativité et où, d’autre part, la surdétermination a pour conséquence l’imprévisibilité (d’où les surprises de Polyphonie X de Boulez). Or, précisément, la musique aléatoire se présente, en Europe, comme une libération de l’emprise sérielle, mais aussi comme son aboutissement logique : de l’affirmation d’un univers relatif, on passe aisément à l’idée d’une oeuvre mobile, ouverte. À cela s’ajoute la nécessité d’améliorer le rendement formel de la combinatoire sérielle, de renouveler la perception globale, d’appréhender un niveau plus subtil de différenciations. C’est dans cette perspective que s’inscrivent, en 1957, deux oeuvres marquant un tournant décisif de l’histoire de la musique au XXe siècle, Klavierstück XI (1957) de Stockhausen et la 3e Sonate pour piano de Boulez, toutes deux créées à Darmstadt, le temple même du sérialisme. Dans Klavierstück XI, Stockhausen propose une organisation mobile de dixneuf séquences de contenu déterminé (hauteur, rythme) dans un ordre choisi arbitrairement par l’interprète, et affectées des indications (tempo, dynamique, mode de jeu) notées à la fin de la séquence précédente. Dès lors que le regard de l’interprète tombe pour la troisième fois sur une séquence, l’oeuvre est achevée. Dans sa 3e Sonate, Boulez, poussant à bout les problèmes de forme qui lui sont chers, offre à l’interprète une possibilité de choix portant sur l’ordre des formants (à l’exception de Constellation, pivot central), l’ordre de

certaines structures, l’élimination volontaire d’autres : un choix de parcours différents, tous néanmoins écrits, prévus, c’est-à-dire assumés par le compositeur. Ainsi se trouvent posés une poétique de l’indétermination et le statut même de l’oeuvre ouverte. L’article Aléa, publié par Boulez dans la Nouvelle Revue française (no 59, 1er nov. 1957) et repris dans son livre Relevés d’apprenti (1966), reflète les discussions passionnées qui s’instaurèrent alors et se veut réflexion sur la problématique de la nouvelle démarche créatrice. L’obsession formelle de Boulez y rejoint une certaine mystique du rôle du compositeur. L’acte compositionnel est défini par Boulez comme un choix constant, avec sa part d’irrationnel (la divine « surprise »), à l’intérieur de certains réseaux de probabilités, mais dont la finalité, ultime ruse du compositeur, est d’absorber le hasard. D’où une hiérarchie des hasards et la condamnation d’une démarche uniquement fondée sur la faiblesse ou la facilité, vil renoncement et simple transfert des responsabilités. « Un parcours problématique, fonction du temps, [...] ayant toutefois une logique de développement » serait une manière de concilier le « fini » de l’oeuvre occidentale, fermée, et la « chance » de l’oeuvre orientale, ouverte. Il est clair que dans les exemples cités plus haut, l’oeuvre se présente comme un champ de relations mobiles, une combinatoire de circuits ou, disons, une ville que l’on peut explorer en empruntant divers parcours pour se rendre d’un point Y à un point Z sans que son unicité en soit altérée. Cela revient à souligner qu’il n’y a pas une seule, mais x bonnes solutions prévues, en tout cas assumées par le compositeur. C’est ce que Pousseur appelle la « plasticité des éléments », ajoutant que « toute création artistique n’est que manipulation et combinaison d’éléments préalables ». Ainsi l’idée, chère au monde occidental, de l’oeuvre-objet - produit fini et intangible, porteur d’un message lié à une relation privilégiée du signifiant et du signifié - est ici battue en brèche. Ajoutons que ce nouveau type d’oeuvre réintègre le choix en instaurant une dialectique nouvelle entre l’oeuvre et son interprète, interprète dont elle revalorise le rôle, puisque l’auteur lui offre son oeuvre à achever au terme d’un dialogue (cf. Stockhausen demandant à son interprète de s’imprégner de sa musique pour mieux réussir dans cette tâche). Les problèmes d’exécution

sont plus secondaires et plus élémentaires qu’il n’y pourrait paraître, car ils ne font que relever d’une nouvelle convention graphique ou gestuelle. Cette capacité de choix comme l’engagement et la qualité de réaction fondamentale des deux chefs d’orchestre sont testés dans Available Forms II (1962) d’Earle Brown, la forme naissant des réactions réciproques et spontanées, qui sont le vrai sujet d’étude. Cette revalorisation s’appuie, chez Christian Wolff, sur l’idée que le concert est un organisme vivant, une tranche de vie ou sa représentation. Wolff cherche à faire de l’acte musical une activité fondée sur l’échange, la coopération (cf. aussi Boulez : 2e Livre de Structures pour 2 pianos [1961]), à la fois moyen d’articulation et seules sources de musique susceptibles, en outre, de transformer les rapports entre les individus. Le public peut d’ailleurs intervenir (comme dans Votre Faust, 1967, de Pousseur) et influer sur le déroulement et le dénouement de la pièce (cf. aussi Kyldex de Pierre Henry, Hambourg, 1973). Cage, au contraire, semble avoir comme démarche de court-circuiter à tous les niveaux les aspects intellectuels des choix (conditionnés par notre mémoire culturelle) par l’intégration de tout événement sonore extérieur, par la consultation (à partir de 1951) du I Ching, livre ancien d’oracles chinois, et par l’utilisation de procédés de tirage au sort. C’est une tout autre orientation. La part réservée à l’interprète peut varier considérablement en fonction du degré d’indétermination de l’oeuvre, qui concerne la forme, les hauteurs, les durées, les timbres, les dynamiques, isolément ou non, être circonscrite à des moments précis ou s’élargir à la dimension de l’oeuvre entière. Le mouvement aléatoire devient général et caractérise la création musicale autour des années 1960-1965. Citons Berio (les Sequenza, Circles, Epifanie), de Pablo (Movil I, Modulos 1.5), Pousseur (Mobile, Votre Faust, Scambi), Stockhausen (Zyklus, Momente et, allant plus loin, Stop 65, Prozession, Plus Minus, Kurzwellen, Ylem, Aus den sieben Tagen), Kagel, Bussotti (5 Pièces pour piano pour David Tudor, la Passion selon Sade), Amy, Haubenstock-Ramati,

etc. Dans son cycle Archipels, Boucourechliev propose à chaque interprète une série de structures plus ou moins déterminées, présentées avec des paramètres séparés et dispersés sur l’unique grande feuille de la partition comme autant d’îles ou d’archipels, la notation adoptée allant de l’écriture traditionnelle ou stimulus graphique. L’exécutant met en oeuvre les structures qu’il désire en puisant dans les propositions du compositeur, et les organise suivant sa propre nécessité musicale. C’est un excellent exemple d’oeuvre ouverte minutieusement élaborée. Il serait certes aisé de dire que l’histoire de la musique offre à l’aléatoire des précédents. La non-détermination de certains paramètres de la musique du Moyen Âge explique les problèmes que son interprétation, aujourd’hui, pose à tous les niveaux. Et Corelli ne confiait-il pas aux violonistes des andantes en forme de canevas, pour leur permettre d’y briller en brodant ? Quant à Veracini, en 1725, il propose, dans la préface de ses Suites, de choisir un certain nombre de pièces ad libitum dont l’agencement constituera une autre oeuvre parfaite... En réalité, les techniques nouvelles de création en littérature - Joyce (pour Brown), Mallarmé et son Livre (pour Boulez) - ou dans les arts plastiques - Pollock et surtout Calder, chez qui Brown trouva, outre la mobilité, la précision de l’organisation - servirent de catalyseurs. Ce n’est donc pas fortuitement qu’Earle Brown intitule en 1951 l’une de ses oeuvres Calder Piece, puisqu’un mobile du sculpteur y sert de « chef d’orchestre », déterminant par son mouvement le comportement des trois percussionnistes, qui peuvent d’ailleurs entretenir ledit mouvement. En relation étroite avec l’évolution artistique générale, le mouvement aléatoire américain est nettement antérieur à l’européen, mais son influence sur ce dernier n’a été réellement déterminante qu’à partir du séminaire assuré à Darmstadt, en 1958, par Cage sur « la composition comme processus », bien qu’une première tournée européenne l’eût conduit en 1954 à Paris, Milan, Londres et Donaueschingen où il inaugura ses oeuvres superposables. Ce downloadModeText.vue.download 23 sur 1085

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17 qui intéresse Cage, c’est l’indétermination au niveau de l’acte compositionnel, c’est le hasard comme processus de création et, de Music of Changes à Empty Words, le I Ching lui permet de pousser plus loin son expérimentation. Ce hasard peut d’ailleurs prendre plusieurs formes : détermination des notes dans l’espace de la feuille-partition en fonction des imperfections du papier (Concert for piano and orchestra, Music for piano), calques transparents (comportant lignes, points, cercles) superposables à volonté (Variations I-IV, 19581963 ; Variations VI, 1966), qui laissent à l’interprète la responsabilité et la liberté d’effectuer lui-même les opérations nécessaires à la production des événements dans le temps et l’espace, examen de cartes astronomiques anciennes (Atlas eclipticalis, 1962 ; Études australes, 1976). Cage inaugure en 1964 son idée, généralisée par la suite, de superposition d’oeuvres distinctes avec 31 57.9 864 et 34 46.776 pour piano préparé. Avec cette pluralisation des techniques de hasard, il abandonne de son propre aveu toute prétention à la structure (il se situe hors du temps) et intensifie le sentiment d’espace : ainsi ses oeuvres ne sont plus des objets délimités, mais des processus sans commencement ni fin qui peuvent se combiner en des oeuvres-en-devenir. Toutefois, Cage ne cherche pas à produire du hasard mais avant tout, comme Christian Wolff, à laisser vivre les sons, c’est-à-dire aussi le silence (défini comme des événements sonores non voulus), d’où une série d’oeuvres indéterminées quant à l’instrumentation et au nombre des exécutants. Ainsi se traduit une attitude esthétique nouvelle : l’indifférence quant à la valeur culturelle ou non du matériau dans un souci d’objectivisme, dans le sens d’une écoute du quotidien. Mais, surtout, cette attitude est teintée de philosophie orientale : l’initiation de Cage au bouddhisme zen, en 1947, lui a sans doute appris l’acceptation, ou mieux, l’indifférence à l’égard de l’événement d’où qu’il vienne. On retrouve chez Feldman, dans sa musique between categories, cette écoute du temps et de l’événement (rare) qui invite à la découverte d’un sentiment plus oriental de la durée. On comprend fort bien, dès lors, que la notation traditionnelle sur portée soit

inadéquate : pour donner des directions d’exécution, suggérer un climat ou un espace de transfert du visuel au sonore, on assiste à la recherche d’une écriture plus souple, plus plastique, qui aboutit à l’élaboration d’un système de notation propre à chaque compositeur, d’où la nécessité d’une notice explicative parfois plus longue que la partition elle-même. Prenons quelques exemples significatifs. Quand il propose, pour December 52, un simple ensemble de traits verticaux et horizontaux plus ou moins épais qui doivent stimuler, à partir de libres conventions, la créativité de ses interprètes, Brown fait songer à Mondrian et à Leck (cf. aussi Folio 52-53). Dès 1950, avec Projection I et Marginal Intersection (1951), Feldman se sert d’un ensemble de carrés et de rectangles répartis sur trois registres : la hauteur dans chaque registre, les dynamiques, l’expression restent à préciser, la durée étant à peu près indiquée par la longueur des rectangles, tandis que, dans Atlantis (1959), la grille indique le nombre de sons à jouer pour chaque instrument dans le laps de temps choisi pour exécuter l’unité de temps que représente le module. Cathy Berberian choisit la bande dessinée pour Stripsody, C. Wolff des quasi-idéogrammes dans Edges ; Ligeti joue, dans Volumina pour orgue, avec l’épaisseur et la sinuosité des traits indiquant en gros la densité des clusters, leurs changements de hauteur, tandis que Bussotti adopte systématiquement, dans les 5 Pièces pour piano pour David Tudor, le principe de la « page blanche ». Dans cette direction, l’aléatoire peut déboucher sur le happening, dont l’exemple est Fluxus, un groupe plutôt qu’un mouvement, né à New York en 1961 sur la base d’idées émises dans la publication An Anthology, éditée par La Monte Young et Mac Low. Faut-il parler d’une démission du compositeur ? Boulez n’a pas caché qu’il rejetait Klavierstück XI de Stockhausen au nom d’un excès de liberté accordé à l’interprète, et parce qu’il veut éviter la perte totale du sens global de la forme ; il restera toujours sur une certaine réserve. Or, nous avons vu que les multiples visages d’une oeuvre pouvaient être assumés par le compositeur, sinon contrôlés, et étaient une sorte de garant du renouvellement compositionnel, de sa jeunesse (même si tout interprète est conditionné). L’accueil de l’événement fortuit comme partie inté-

grante de l’oeuvre, c’est-à-dire l’attitude de Cage, relève d’un autre état d’esprit, d’une autre attitude devant l’art et la vie, et, de fait, elle dérange par ses implications socioéconomiques et parce qu’elle est une manière de dérision. Au nom de la logique, Xenakis récuse en bloc ces précédentes formes de musique aléatoire et jusqu’à leur appellation, le hasard étant pour lui une chose rare, constructible jusqu’à un certain point, mais jamais susceptible d’improvisation. L’aléatoire ressort des mathématiques ; son calcul, la stochastique, « garantit d’abord dans un domaine de définition précis les bévues à ne pas commettre, et ensuite fournit un moyen puissant de raisonnement et d’enrichissement des processus sonores ». Le compositeur peut alors dépasser les contradictions de la sérialité, ses combinaisons élémentaires, sa polyphonie de lignes, pour contrôler la densité et la répartition des sons sur tout le spectre sonore, leur distribution de manière aussi affinée que possible et leurs transformations graduelles (de continuité à discontinuité, d’ordre à désordre, d’immobilité à mouvement). C’est également à la logique mathématique que Xenakis rattache ses musiques « stratégiques » fondées sur la technique du jeu (Stratégie, Duel, Linaia-Agon). Pour Barbaud, la démarche est identique : soumettre l’apparition des événements sonores à un calcul, canaliser le hasard des organigrammes. L’ordinateur est ainsi l’indispensable outil de travail ; bien plus, grâce au couplage avec convertisseur numérique-analogique, il devient un instrument. ALEGRÍAS (esp. : « allégresses »). Danse espagnole à 3/4, rapide, joyeuse et brillante, comme son nom l’indique. C’est l’une des danses les plus anciennes et les plus originales de la musique flamenco. ALEMBERT (Jean Le Rond d’), mathématicien et philosophe français (Paris 1717 - id. 1783). La musique fut l’une des principales préoccupations de ce représentant de la philosophie des lumières. En 1752 parurent ses

Éléments de musique théorique et pratique, suivant les principes de M. Rameau, où il reprit les principes du musicien concernant l’harmonie et la composition. Ardent défenseur de Rameau, d’abord contre les lullystes, puis contre la troupe italienne des Bouffons, il intervint activement dans la vie musicale et théâtrale de son temps. ALESSANDRESCU (Alfred), pianiste et compositeur roumain (Bucarest 1893 id. 1959). Ses études se déroulèrent au conservatoire de Bucarest, puis à la Schola cantorum de Paris. Il fit une brillante carrière de pianiste et de chef d’orchestre. Même quand s’y décèlent la présence du folklore roumain et l’influence d’Enesco, ses oeuvres ne se dégagent pas toujours nettement des modèles de son maître Vincent d’Indy, de Wagner, Debussy, Dukas et R. Strauss. Il composa de la musique orchestrale et instrumentale, ainsi que des mélodies sur des textes de poètes français, ou d’expression française, et roumains. ALESSANDRO (Raffaele d’), compositeur suisse (Saint-Gall 1911 - Lausanne 1959). Il fit des études à Zurich, puis à Paris auprès de Nadia Boulanger, Roes, Marcel Dupré. D’abord organiste et pianiste admiré par Lipatti, il se consacra ensuite entièrement à la composition. Son oeuvre, d’une syntaxe et d’une esthétique tradidownloadModeText.vue.download 24 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 18 tionnelles, néoromantiques, comprend des oeuvres orchestrales (symphonies, concertos pour divers instruments, etc.), de la musique de chambre, des pages pour piano, dont six pièces pour la main gauche, de la musique vocale et un ballet. ALEXANDROV (Anatole), compositeur russe (Moscou 1888 - id. 1982). Encouragé par Taneev, il entra en 1910 au Conservatoire de Moscou après de solides études de littérature et d’histoire, y étudia le piano et la composition et reçut une médaille d’or pour son premier opéra, les Deux Mondes. Nommé professeur de com-

position dans le même établissement en 1923, il y est resté pendant plus d’un demisiècle, comptant parmi ses élèves Bounine, Moltchanov, Gadjiev, etc. Il a écrit de la musique vocale (près de 150 romances, un millier de chansons enfantines), de nombreux opéras d’un style nettement folklorisant (Bela, 1945 ; le Gaucher, 1974), de la musique pour orchestre et de la musique de chambre. ALFANO (Franco), compositeur italien (Posilipo 1876 - San Remo 1954). Auteur d’opéras dont le plus célèbre fut Risurezzione (Turin 1904), d’après Tolstoï, de ballets dont Napoli (1901), monté aux Folies-Bergère, et Vesuvius (1938), ainsi que de trois symphonies (1909, 1932, 1934), il termina la dernière scène du Turandot de Puccini d’après les esquisses laissées par ce dernier. AL FINE. Expression italienne indiquant que lors de la reprise de la première partie d’un morceau, il faut la jouer « jusqu’à la fin ». ALFVÉN (Hugo), compositeur suédois (Stockholm 1872 - Falun 1960). Il étudia le violon au conservatoire de Stockholm (1887-1891) avant de se tourner vers la composition et de travailler avec Johan Lindegren. Ses oeuvres, que l’on peut considérer comme postromantiques, sont souvent inspirées par le folklore suédois. Citons 5 symphonies et Midsommarvaka (la Nuit de la Saint-Jean, 1904), qui, sous le titre de Rhapsodie suédoise, connut naguère une certaine popularité. ALGAZI (Léon), compositeur et musicologue français (Epure¸sti, Roumanie, 1890 - Paris 1971). Il compléta à Paris, auprès de Gédalge et de Koechlin, la formation musicale qu’il avait reçue à Vienne. Nommé en 1936 maître de chapelle à la Grande Synagogue de Paris, il s’est attaché à restaurer les anciens modes du chant hébraïque. Mais il souhaita également que la musique juive demeurât un art vivant et organisa à Paris, en 1957, un Congrès international de musique juive. Son oeuvre compte surtout des chants liturgiques.

ALGORITHMIQUE (musique). Forme nouvelle de composition musicale, faisant appel à un appareil mathématique complexe dont les calculs, générateurs de l’oeuvre, ne peuvent être effectués qu’à l’aide de machines comme l’ordinateur. Ces algorithmes, ou procédés de calcul, ont fait leur apparition dans la composition durant les années 50, lorsque, sous l’influence du postsérialisme, les musiciens ont voulu maîtriser entièrement par l’intellect les processus de la création artistique et prévoir les probabilités de développement des idées génératrices d’une oeuvre, le programme se substituant alors aux thèmes et aux séries. En fait, on refusait le mot « exécré » d’inspiration. Le principal artisan et défenseur de la musique algorithmique est le compositeur P. Barbaud, lequel a d’ailleurs utilisé l’appareil mathématique à d’autres applications dans le domaine musical, par exemple à des études d’analyse musicologique. ALKAN (Charles Valentin Morhange, dit), compositeur et pianiste français (Paris 1813 - id. 1888). Premier prix de piano au Conservatoire de Paris à onze ans, prix de Rome en 1834, il acquit dans les années 1820 une réputation enviable de virtuose, mais Liszt et surtout Chopin détournèrent l’attention du public. Il se produisit alors dans de la musique de chambre tout en se consacrant à l’enseignement, et, vers 1848, se retira de la vie musicale parisienne pour n’y réapparaître sporadiquement qu’à partir de 1873. On l’a appelé le « Berlioz du piano », mais son style est plus retenu que celui de son aîné de dix ans. Sa musique est parfois aussi difficile que celle de Liszt, mais moins avancée sur le plan harmonique. Il a consacré à son instrument, outre quelques pages de musique de chambre et des transcriptions, une centaine de pièces, parmi lesquelles des caprices, fantaisies, impromptus, menuets et autres préludes, ainsi que la grande sonate op. 33 dite les Quatre Âges de la vie, parue en 1847. Des douze Études dans les tons mineurs op. 39, les no 4 à 7 forment une sorte de Symphonie pour piano seul. ALLA BREVE (ital. : « à la brève »). À l’époque de la Renaissance, l’unité de

battue de la mesure, le tactus, était la semi-brève (la ronde actuelle) ; alla breve indiquait un changement non du rythme de la battue, mais de son unité de base, le tactus tombant dès lors sur la brève (valeur : deux rondes ou deux semi-brèves). Le signe de mesure C était remplacé par (« C barré »). La pulsation restant la même, mais l’intervalle entre deux battues correspondant à une unité de durée musicale double, alla breve voulait dire que la musique se jouait ou se chantait soudain deux fois plus vite. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, ce principe resta en vigueur, mais la valeur du tactus devint respectivement la noire et la blanche. Dans les tragédies lyriques du style de Lully, pour retrouver les rythmes « naturels » du langage déclamé, il est fait grand usage de changements de mesure, et en particulier du passage de C à , ce dernier étant souvent représenté simplement par le chiffre 2, l’unité de temps étant la blanche (deux blanches par mesure), par opposition à 4/4 (tempo ordinario à quatre noires par mesure). La battue à 2/2 donne en principe un résultat plus allant que celle à 4/4. Certaines pages classiques dont les éditions traditionnelles indiquent 4/4 ont été en réalité conçues par leur auteur à 2/2 (premiers mouvements des quatuors à cordes en ut majeur opus 64 no 1 et en mi bémol majeur opus 64 no 6 de Haydn, 1790). ALLARD (Maurice), basson français (Sin-le-Noble, Nord, 1923). Premier prix de basson au Conservatoire de Paris (1940), premier soliste à l’orchestre des Concerts Lamoureux (1942), puis à l’orchestre de l’Opéra de Paris (1949), Maurice Allard a remporté, en 1949, le premier prix au Concours de Genève. Professeur au Conservatoire de Paris depuis 1957, interprète de toute la littérature de son instrument, y compris des oeuvres contemporaines, il dirige une collection éditant des exercices pour le basson. ALLARGANDO (ital. : « en élargissant »). Terme demandant à l’interprète un élargissement, donc un ralentissement progressif du mouvement initial.

ALLDIS (John), chef de choeur anglais (Londres 1929). Après des études au Collège royal de Cambridge, il a établi sa renommée comme chef de choeur et chef d’orchestre spécialisé dans le domaine du chant choral, avant de fonder, en 1962, sa propre formation. Celle-ci s’est très vite rendue célèbre par ses interprétations de musique contemporaine, quoique son activité s’étende également au répertoire classique et romantique, aussi bien dans la musique sacrée que dans l’opéra. Chef du choeur de l’Orchestre philharmonique de Londres de 1969 à 1982, Alldis a été de 1979 à 1983 downloadModeText.vue.download 25 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 19 directeur musical du Groupe vocal de France. ALLEGRETTO. Terme italien, diminutif d’allegro, indiquant un mouvement moins rapide. Le mot peut être suivi d’un qualificatif précisant le caractère du morceau, par exemple : giocoso (« joyeux »). ALLEGRI (Gregorio), compositeur italien (Rome 1582 -id. 1652). Chantre à Saint-Louis-des-Français à Rome, il devint prêtre et fut maître de chapelle à la cathédrale de Fermo (16071621), où il commença sa carrière de compositeur d’oeuvres sacrées, puis il fut nommé chantre de la chapelle pontificale (1629). Son nom est surtout attaché au célèbre Miserere pour neuf voix en deux choeurs, longtemps chanté pendant la semaine sainte à la chapelle Sixtine. L’oeuvre suscita un tel engouement que le pape menaça d’excommunication quiconque sortirait une partition de la chapelle ou la copierait. Mais Mozart, ayant assisté à l’office, transcrivit l’oeuvre de mémoire, après l’avoir entendue, semble-t-il, une seule fois. ALLEGRO (ital. : « gai, rapide »). 1. On rencontre ce terme dès le XVIIe siècle ; pendant un certain temps, il

garda un sens expressif plus qu’il ne désigna un mouvement bien précis. Depuis le XVIIIe siècle, il indique un mouvement se situant généralement en dessous du presto. Mais, souvent, un autre terme vient préciser le caractère du morceau. On trouve par exemple : allegro con brio, ma non troppo, moderato, molto, appassionato, etc. 2. « Allegro » désigne aussi le premier mouvement de la sonate, de la symphonie ou du concerto classiques. ALLELUIA. Expression hébraïque signifiant « louez (hallelu) Dieu (Yah[veh]) », qui figure notamment en exorde des Psaumes CXIII et CXVIII, dits pour cette raison « le grand Hallel ». Celui-ci, dit le Talmud, devait être chanté dix-huit fois par an, et notamment pendant le repas pascal. Le mot hébreu est passé sans traduction dans la version grecque des Septante (283 av. J.-C.) et de là dans l’usage latin, où il a été compris comme une exclamation de joie. D’où son emploi privilégié au temps pascal, reflet de l’usage hébraïque, et, au contraire, son exclusion des offices de deuil ou des temps de pénitence. Mais en outre, à l’exemple du Livre de Tobie (XIII, 22, alleluia cantabitur), il a été employé substantivement, en latin comme en grec (Apocalypse, XIX), avec le sens de « chant de louange joyeux ». D’où ses deux acceptions distinctes, comme exclamation complétive et comme genre liturgique. 1.Comme exclamation de joie, l’alleluia est employé en s’insérant au début, au milieu ou à la fin de textes dont il reste indépendant. Cette addition, surtout en finale, est pratiquée au temps pascal de manière systématique, et parfois doublée ou triplée ; par exemple, Ite missa est - Deo gratias devient Ite missa est, alleluia, alleluia - Deo gratias, alleluia, alleluia. Le mot alleluia s’insère alors dans le texte chanté sans en modifier la nature. Il est donc indifféremment syllabique ou mélismatique selon le contexte où il s’insère. On notera que le mot hébreu est accentué sur la finale ; le grec et le latin transportent l’un et l’autre l’accent sur la pénultième (allelúia), d’où, avec le contre-accent latin, állelúia ; ce qui serait peut-être, selon Gustave Cohen, l’origine du refrain aoi inséré

de façon mystérieuse dans la Chanson de Roland ; selon une thèse présentée en 1955, par l’auteur de cet article, le aoi issu de l’alleluia pénultième aurait pu former doublet avec l’nterjection de joie eia, fréquente dans la lyrique latine médiévale, qui serait cette fois dérivée de l’accentuation hébraïque initiale (alléluiá). 2. En tant que morceau autonome, l’alleluia semble avoir été d’abord l’un des principaux supports du chant responsorial ( ! ALTERNANCE), fournissant un refrain facile à faire répéter à l’assistance. Conservé dans le chant antiphonique, non seulement il s’y ajoute à l’antienne pour en souligner le caractère joyeux, surtout en temps pascal, mais il va parfois jusqu’à la supplanter, le mot alleluia répété syllabiquement autant de fois que nécessaire remplaçant sur la même mélodie le texte entier de l’antienne ordinaire : ce sont les antiennes alléluiatiques, qui n’ont pas été conservées de nos jours. De là peut-être le caractère populaire que semble avoir pris l’alleluia au Ve siècle, époque où le poète Sidoine Apollinaire décrit à Lyon « les mariniers adressant au Christ des chants cadencés, tandis que l’alleluia leur répond de la rive ». Ce caractère est conservé dans la chanson populaire, comme dans certains tropes tardifs qui s’y apparentent (O filii et filiae). 3. L’introduction de l’alleluia dans la messe, où il deviendra un genre musical d’une importance particulière, a été attribuée à saint Ambroise au IVe siècle. D’abord réservé au jour de Pâques, pour faire suite au graduel qui suit lui-même la lecture de l’épître, il s’est ensuite étendu à l’ensemble de l’année liturgique, à l’exception des offices des défunts, d’où il a été retiré par le 4e concile de Tolède, et des époques de pénitence (avent, carême), où il a été interdit par le pape Alexandre II au XIe siècle, de sorte que les fêtes souvent populaires qui marquaient volontiers les derniers jours précédant l’entrée dans ces périodes (cf. Carnaval, qui signifie « adieu à la viande ») ont parfois pris le nom d’« adieu à l’alleluia ». Dans les plus anciens offices, où il apparaît généralisé (bénévent), l’alleluia se chante partout sur une formule musicale unique ; on en trouve une dizaine à peine dans l’office milanais ; par la suite, il devient l’un des genres de composi-

tion liturgique les plus riches et les plus abondants, même s’il existe fréquemment des alleluias refaits sur des modèles antérieurs. Alors que la liturgie hébraïque ne traite jamais l’alleluia de manière mélismatique, l’alleluia de la messe va devenir par excellence le type de la mélodie vocalisée : il utilise, en effet, largement des formules mélismatiques, les neumes dont le nom (gr. pneuma, « souffle ») évoque la large envolée et justifie l’appellation de jubilus qui leur a parfois été donnée. Dans cette dernière acception, l’alleluia, tout comme l’introït, l’offertoire et la communion primitives, dérive directement du chant de psaume encadré par son antienne ; le refrain alleluia tient alors lieu d’antienne, le psaume se voit réduit à un ou deux versets, et même parfois remplacé par un autre texte d’origine biblique ; mais, contrairement à l’introït, et peutêtre en raison de son caractère jubilatoire, la cantillation du verset se voit transmuée elle aussi en chant vocalisé, tandis que le refrain alleluia prend dans ses vocalises une ampleur dont saint Augustin a laissé un commentaire célèbre : « Celui qui jubile ne prononce pas de paroles, mais il exprime sa joie par des sons inarticulés. Dans les transports de son allégresse, ce qui peut se comprendre ne lui suffit plus, mais il se laisse aller à une sorte de cri de bonheur sans mélange de paroles. » L’exécution de l’alleluia, en raison de son développement, a donné lieu à une alternance particulière, que l’on peut présenter comme suit : -chantre soliste : alleluia (sans le mélisme sur le a final) ; -choeur : reprise alleluia prolongée par le développement mélismatique ; -soliste ou petit choeur : verset, arrêté peu avant les derniers mots du texte (astérisque dans les éditions modernes) ; P -choeur : achèvement du verset, qui comporte souvent lui-même un développement mélismatique sur la dernière syllabe. Reprise intégrale de l’alleluia avec son mélisme. Si l’on tient compte du fait que de nombreux alleluias, surtout tardifs (car on en composa jusqu’au XIIIe s.) reprennent dans leur mélisme final de verset tout ou

partie du jubilus alléluiatique initial, on observe que le jeu d’alternance présenté ci-dessus introduit, peut-être fortuitement, une véritable structure formelle à downloadModeText.vue.download 26 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 20 refrain aAB. cB. AB, dont l’influence se retrouvera dans la constitution des formes poético-musicales (rondeau, virelai, ballade), génératrices à leur tour des formes musicales pures plus étendues que développera amplement la musique classique à venir. ALLEMANDE. Danse d’origine allemande, de tempo modéré, de rythme binaire, qui apparaît au début du XVIe siècle (Danceries de C. Gervaise). En Angleterre, on la rencontre sous les appellations alman ou almayne dans des titres qui comportent souvent aussi ce qui est probablement une dédicace (Dowland : Sir John Smith’s Almayne). L’allemanda se développe également en Italie. À partir du XVIIe siècle, l’allemande remplace la pavane et trouve sa place au début de la suite classique. Sa forme est généralement en deux parties avec reprises, sa mesure est toujours binaire et elle commence par une anacrouse. Le schéma tonal en est le suivant : tonique/dominante dominante/tonique. C’est dans cette forme que J.-S. Bach fait souvent appel à l’allemande dans ses Suites et Partitas, où il utilise surtout le style français très contrapuntique et formel. Au XIXe siècle, l’expression « à l’allemande » devient synonyme de « danse allemande », c’est-à-dire d’un rythme à 3/4 ou 3/2 ; l’allemande se rapproche alors du Ländler ou de la valse (Beethoven, Schubert). ALL’OTTAVA (ital. : « à l’octave »). Procédé qui permet d’écrire des notes situées au-dessus ou au-dessous de la portée, sans employer de lignes supplémentaires ; il est désigné dans les partitions par l’abréviation 8va. Cette abréviation est inscrite au-dessous des notes lorsqu’on doit descendre d’une octave, au-dessus si l’on doit exécuter les notes à l’octave supé-

rieure. On peut également placer une ligne en pointillés en dessous (notes correspondantes jouées à l’octave inférieure) ou audessus (à l’octave supérieure) de la portée. ALMEIDA (Antonio de), chef d’orchestre français, né de parents portugais et américain (Paris 1928). Il commence ses études musicales en Argentine avec Ginastera, obtient une bourse pour étudier la physique à l’Institut de technologie du Massachusetts, mais choisit la voie de la musique. Il travaille aux États-Unis auprès de Hindemith (1949), Koussevitski (1949-50) et George Szell (1953) et, après une période consacrée à l’enseignement, aborde la carrière de chef d’orchestre. Directeur de l’orchestre de la radio portugaise de 1956 à 1960, il poursuit ensuite une carrière internationale. Il a été directeur de la musique de la ville de Nice et est depuis 1993 directeur musical de l’Orchestre symphonique de Moscou, fondé en 1989. Antonio de Almeida se livre aussi à des travaux de musicologie. Il a travaillé à une édition complète des symphonies de Boccherini (Vienne, 1969 et suiv.) et à un catalogue thématique des oeuvres d’Offenbach. ALMEIDA (Francisco Antonio de), compositeur et organiste portugais (1re moitié du XVIIIe s.). Sa vie reste mal connue. Il fut l’un des premiers boursiers envoyés par le roi Jean V à Rome, où il séjourna de 1722 à 1726 environ, et il fut peut-être l’élève d’Alessandro Scarlatti. Plusieurs de ses oratorios y furent exécutés. De retour à Lisbonne, il fut maître de chapelle à la Cour jusqu’en 1752. Ses oeuvres religieuses comme ses opéras marquent l’abandon, au Portugal, des influences espagnole et flamande au bénéfice du style italien. La Pazienza di Socrate (1733) fut le premier opéra portugais écrit à la manière italienne. Le seul des ouvrages lyriques d’Almeida à avoir été conservé entièrement, La Spinalba o vero il Vecchio Muto (1739), a connu à notre époque des représentations qui ont soulevé un intérêt certain. ALMURO (André), compositeur français (Paris 1927).

Producteur d’émissions radiophoniques, spécialisé dans l’utilisation des moyens électroacoustiques, passionné par la poésie et le surréalisme, il a composé dans son studio personnel un grand nombre de pièces pour bande magnétique (Ambitus, Va-et-vient, Phonolithe, Mantra, etc.) et d’« opéras » électroacoustiques où il recherche un climat cérémoniel de magie et d’incantation, avec ou sans le support d’un texte. ALPAERTS (Flor), compositeur belge (Anvers 1876 - id. 1954). Il fit ses études avec Jan Blockx au conservatoire d’Anvers, où il devint ensuite professeur de théorie, contrepoint et fugue (1903), puis directeur (1933-1941). Il supervisa l’édition des oeuvres de Peter Benoît. En tant que compositeur, il peut être considéré, avec son poème symphonique Pallieter, comme l’un des premiers impressionnistes belges, quoique l’influence de Paul Gilson et de Richard Strauss l’ait conduit à une expression qui doit encore beaucoup au postromantisme. Alpaerts a composé des oeuvres pour orchestre (poèmes symphoniques, pièces concertantes, musiques de scène), de la musique de chambre, des mélodies et un opéra, Shylock. ALPHONSE X LE SAGE (Alfonso el Sabio), roi de Castille et de León, empereur germanique, législateur, guerrier, mathématicien, astronome, historien, poète et compositeur espagnol (Tolède 1221 Séville 1284). Imprégné de culture islamique, il redonna de l’éclat à l’université de Salamanque, où fut introduit l’enseignement de la polyphonie. Il s’y entoura des poètes et des musiciens les plus brillants de son temps chrétiens, arabes, juifs -, ainsi que de baladins mauresques. En collaboration avec ceux-ci, il écrivit plus de 400 cantigas, presque toutes consacrées à la louange de la Vierge. Il mourut, dit-on, du chagrin d’avoir à lutter contre son fils Sanche, qui s’était emparé du trône en 1282. Pièces destinées au répertoire des fêtes liturgiques et des célébrations populaires, Las Cantigas de Santa María réalisent une synthèse magistrale de l’art des troubadours et des trouvères, s’inspirant notamment des Miracles de Gautier de Coincy,

des liturgies et des déchants populaires de l’époque wisigothique, des hymnes d’origine orientale et de certaines danses médiévales. Écrites en dialecte galicien, elles reprennent le schéma des virelais, des rondeaux et des laudes. Elles ont une importance capitale pour l’histoire de la musique, car elles sont conservées avec une notation. ALPHORN ou ALPENHORN. Nom allemand du « cor des Alpes », instrument folklorique en usage dans les montagnes de Suisse et des pays voisins. De perce conique, taillé dans du bois naturel, l’alphorn a l’aspect d’une énorme pipe, pouvant atteindre plusieurs mètres, et produit des sons amples d’une portée considérable. C’est lui qui sonne le fameux Ranz des vaches, évoqué par Beethoven dans la Symphonie pastorale et par Rossini dans Guillaume Tell. AL SEGNO (ital. : « au signe »). Cette indication précise qu’une section doit être répétée à partir de l’endroit marqué par le signe -S -, et non en son début, comme dans un da capo ordinaire. Le terme Da capo al segno indique que le signe se trouve au début de la section. ALSINA (Carlos Roqué), compositeur argentin (Buenos Aires 1941). Il a débuté comme pianiste avant de se tourner vers la composition. Artist-inResidence de la Fondation Ford à Berlin (1964-1966), il a travaillé avec Luciano Berio en 1965, passé deux ans à l’université de Buffalo, et s’est fixé ensuite à Berlin (1968), puis à Paris (1973). Cofondateur, en 1969, du New Phonic Art, groupe spécialisé dans l’improvisation et le « libre jeu d’ensemble », il s’est souvent orienté vers le théâtre musical, par exemple dans downloadModeText.vue.download 27 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 21 Oratorio 1964 pour 3 solistes, 4 acteurs et 3 groupes instrumentaux (1963-64, inachevé), la scène musicale Text (1965-66, inachevé), Text II pour soprano et 5 ins-

truments (1966), Consecuenza pour trombone solo (1966). Sa première oeuvre, Trois Pièces pour chant et piano sur des textes de Shakespeare, date de 1956. Dans les années 70, il s’est imposé avec Überwindung pour 4 solistes et orchestre (Donaueschingen, 1970), Schichten pour orchestre de chambre (Royan, 1971), Omnipotenz pour orchestre de chambre (Royan, 1972), Approach pour 2 solistes et grand orchestre (Berlin, 1973). Ont suivi notamment Étude pour zarb (1973), le ballet Fusion pour 2 pianos, 2 percussionnistes et instruments annexes joués par les danseurs (Royan, 1974), le spectacle musical Encore (1976), Stücke pour grand orchestre (Royan, 1977), Harmonies pour solistes, récitant, choeur de femmes et orchestre (Paris, 1979), la Muraille (Avignon, 1981), Hinterland (créé au G. R. M. en 1982), Prima Sinfonia pour flûte, soprano, violoncelle et orchestre (1983), Concerto pour piano et orchestre (1985), Suite indirecte pour orchestre (Metz, 1989), Symphonie no 2 (1991). ALTÉRATION. 1. Modification de la hauteur d’un son par l’adjonction d’un signe qui le hausse ou le baisse toujours à partir de son état « naturel ». Dans la musique occidentale classique, où l’unité d’intervalle est le demi-ton, les altérations usuelles sont le dièse qui hausse la note d’un demi-ton, et le bémol qui la baisse d’un demi-ton ; il existe des altérations doubles (double dièse , double bémol ), dont l’effet est de hausser ou baisser la note de deux demi-tons, c’est-à-dire, dans la pratique, d’un ton, mais sans que cet intervalle d’un ton puisse harmoniquement être analysé comme tel, les deux demi-tons étant rarement de même nature. Le bécarre n’est pas un signe d’altération au sens propre, mais un signe d’annulation qui interrompt l’effet d’une altération antérieure pour remettre la note dans son état naturel. Dans certaines musiques orientales, et parfois dans la musique occidentale, lorsque le quart de ton intervient, le demi-dièse et le demibémol peuvent être employés. Enfin, les humanistes du XVIe siècle avaient quelque temps prôné, en vue d’un « chromatisme » imité des Grecs, différentes hauteurs de dièse , , , représentant respectivement un, deux ou trois quarts de ton.

Les altérations peuvent être constitutives ou passagères, selon qu’elles appartiennent ou non à la gamme de la tonalité en cours. Les altérations constitutives de la tonalité initiale d’un morceau, écrites une fois pour toutes au début de ce morceau, forment l’armature (ou armure) et demeurent valables tant qu’elles figurent à la clef, même si la tonalité change. À ces altérations d’armature s’opposent les altérations accidentelles, qui sont, elles, écrites en cours de texte et ne restent valables que la durée d’une mesure, ou moins encore si plus loin, dans la même mesure, elles sont annulées par un bécarre ou une autre altération. Le sens actuel des altérations, tel qu’il vient d’être exposé, ne s’est fixé, progressivement, qu’au cours du XVIIIe siècle. Lire une partition antérieure selon les conventions du solfège actuel exposerait donc à de graves erreurs. 2. On appelle altération d’un accord la modification de hauteur d’un ou plusieurs de ses sons, considérés sur le plan harmonique par rapport à la composition normale de l’accord ( ! ACCORD). 3. On appelle altération d’un intervalle son extension ou son resserrement au-delà de son état juste, majeur ou mineur. ALTERNANCE. L’alternance, soit entre un soliste et un groupe, soit entre deux groupes, égaux ou non, appartient à tous les modes d’expression de la musique, les plus frustes comme les plus élaborés. En particulier, son rôle est fondamental dans le développement de la musique liturgique chrétienne, source de toute notre musique classique. Le noyau primitif semble y avoir résidé dans une lecture psalmodiée des textes saints, coupée par de brèves réponses des fidèles. Ce mode d’alternance fut sans doute supplanté, à la fin du IVe siècle (saint Ambroise à Milan), par un autre type dit antiphonie (qui a donné le mot antienne) entre deux demi-choeurs égaux. La polyphonie introduisit l’alternance entre les parties polyphoniques et les passages laissés en plain-chant strict ; par exemple, dans la Messe de Machaut, la

polyphonie ne concerne qu’un Kyrie sur deux. Au XVIIe siècle, apparut une alternance choeur-orgue, dans laquelle l’un des partenaires prenait les versets pairs, l’autre les versets impairs. Les messes des organistes de l’époque sont presque toutes conçues ainsi ; on ne devrait jamais les exécuter comme une « suite » (ce qu’elles ne sont pas), mais toujours avec l’alternance de plain-chant qui les justifie et pour laquelle elles ont été faites. Il en est de même des faux-bourdons, conçus exclusivement pour alterner avec le plain-chant du choeur. L’alternance est particulièrement frappante dans le chant des Passions, où se répondent récitant, Christ et choeur ou « turba ». On retrouve le principe d’alternance dans le double choeur, en honneur au XVIe siècle (Gabrieli à Venise), et, plus tard, dans l’opposition entre petit et grand choeur que préfère le XVIIe siècle, notamment en France. Le principe de l’alternance est à l’origine des nuances, qui furent d’abord par paliers ou en écho avant l’apparition tardive du crescendo et du diminuendo, et aussi, à partir du XVIIe siècle, à la source de l’esthétique du concerto grosso (alternance d’un petit groupe instrumental avec l’ensemble ou ripieno), qui devait en se transformant donner naissance au concerto de soliste. Sous des formes moins évidentes, l’alternance a conservé une importance fondamentale. Après Schönberg, qui inventa même des signes spéciaux, N (Nebenstimme) ou H (Hauptstimme) prolongés d’un trait, pour mieux préciser l’alternance dans un ensemble des parties dominantes et des parties laissées à l’arrière-plan, nombreuses sont encore les pièces qui tirent de ce principe un élément important de leur structure (ex. : Dutilleux, symphonie no 2, dite le Double). ALTERNATIVO. Section contrastée jouant en gros le même rôle que le trio central dans un menuet, un même morceau pouvant en contenir une seule ou plusieurs. On trouve cette indication dans le quatuor à cordes en mi bémol majeur opus 76 no 6 de Haydn (1797), et assez souvent

chez Schumann. ALTMANN (Wilhelm), musicologue allemand (Adelnau, Silésie, 1862 - Hildesheim 1951). Directeur du département musical de la Bibliothèque royale de Prusse à Berlin de 1915 à 1927, il a édité de nombreux catalogues musicaux ainsi que des oeuvres classiques, et s’est consacré spécialement au quatuor à cordes. ALTNIKOL (Johann Christoph), organiste et compositeur allemand (Berna, Silésie, 1719 - Naumburg, près de Kassel, 1759). Tout d’abord organiste à Breslau, il étudia ensuite la théologie à Leipzig, où il fut l’élève de J.-S. Bach, de 1744 à 1748. En 1749, il épousa Élisabeth, fille de Bach, et écrivit, sous la dictée, le dernier choral de son beau-père, Vor deinen Thron tret’ ich. Il fut plus tard organiste à Niederwiesa, puis à Naumburg. Altnikol a copié de nombreuses oeuvres de Bach, et ce dernier appréciait ses compositions ; mais de celles-ci nous ne possédons que quelques pièces pour clavier et quelques oeuvres religieuses. ALTO. 1. instrument à cordes. De même que le violon, l’alto est issu de la famille des violes de bras. On trouve la trace de downloadModeText.vue.download 28 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 22 cette origine (viola da braccio) dans les appellations italienne (viola) et allemande (Bratsche) de l’alto. L’alto est comme un violon fidèlement agrandi ; la forme et les matériaux en sont parfaitement identiques. L’alto mesure en moyenne 67 cm de long ; son archet est plus court et plus lourd que celui du violon. Ses quatre cordes sont accordées une quinte plus bas que celles du violon : ce qui fait que ses trois cordes les plus aiguës sont accordées sur les mêmes notes que les trois cordes les plus graves du violon. L’alto se tient de la même façon que

le violon. Sa musique est écrite en clé d’ut 3e ligne. Sa technique est sensiblement la même que celle du violon, avec un mécanisme un peu moins agile, en raison de l’écart plus grand entre les doigts et du poids de l’archet. Jusqu’au XIXe siècle, l’alto fait souvent figure de parent pauvre du violon ; il est généralement joué par des violonistes médiocres, et c’est pourquoi on évite de lui confier des parties importantes. Bach, pourtant, aime à tenir la partie d’alto dans des exécutions, et, au XVIIIe siècle, quelques compositeurs s’intéressent déjà à l’instrument : Telemann, Bodin de Boismortier, Carl Stamitz, Michael Haydn, Dittersdorf, Cambini, Campagnoli. Mais c’est surtout Mozart qui enrichit la littérature pour alto avec des duos pour violon et alto et la symphonie concertante pour violon et alto (KV 364). Au XIXe siècle, de grands solistes, comme Paganini (violoniste, mais aussi altiste), achèvent de donner à l’alto sa vraie place. Outre les oeuvres de Spohr, Joachim et Vieux temps, citons Harold en Italie de Berlioz, « symphonie avec alto principal », écrite à la demande de Paganini. Schumann compose ses Märchenbilder op. 113 pour alto, et Brahms est l’auteur de deux sonates op. 120. Au XXe siècle, nombre de compositeurs écrivent pour l’alto : Reger, Koechlin, Bartók (1 concerto pour alto), Hindemith, altiste lui-même (1 concerto ; 5 sonates pour alto et piano), Milhaud (2 concertos ; 2 sonates), Enesco, Ropartz, Kodály, Walton, Britten, Copland, Martinºu. Plus près de nous, citons encore Bancquart (Écorces I pour violon et alto) et Berio (Sequenza VI pour alto solo). Parmi les ouvrages pédagogiques, nous mentionnerons ceux de Bruni, Woldemar, Joseph Vimeux, Dancla, Th. Laforge, Maurice Vieux, Léon Pascal, M.-T. Chailley, C. Lequien, E. Ginot et G. Massias. 2. instrument à vent de la famille des cuivres, occupant dans le groupe des saxhorns la place intermédiaire entre le grand bugle et le baryton. Construit en mi bémol, il sonne à l’octave inférieure du petit bugle, et sa morphologie est celle du baryton et de la basse, pavillon dirigé vers le haut. Il est très apprécié dans les formations d’amateurs pour sa tessiture moyenne et sa facilité d’émission.

ALTO. Terme général indiquant la voix qui se situe entre la voix supérieure et le ténor, par exemple dans la chanson polyphonique des XVIe et XVIIe siècles. Cette partie, chantée le plus souvent par une voix élevée d’homme, soit en voix naturelle, soit en voix de fausset (contre-ténor), se notait en clef d’ut 3e ligne. Contratenor altus, traduit en italien, a donné également par contraction, contralto, la voix de femme la plus grave. AMATI, famille de luthiers italiens, établie à Crémone. Andrea (Crémone v. 1505 -id. v. Fondateur de l’école de Crémone lui qui, vers 1555, construisit véritables violons, issus de la

1578). ; c’est les premiers viole de bras.

Antonio, fils d’Andrea (Crémone v. 1555 -id. 1640). Girolamo, frère d’Antonio (Crémone 1556 -id. 1630). Nicola, fils de Girolamo (Crémone 1596 -1684). Il fut le plus célèbre des Amati. Ses violons sont de dimensions très diverses ; les plus petits ont des formes gracieuses et une sonorité limpide ; mais les plus caractéristiques de son art sont peut-être les plus grands, à la sonorité puissante et expressive. Girolamo II, fils de Nicola (Crémone 1649 -1740). De réputation moindre, il conçut des instruments plutôt plats et d’assez petite taille. AMBITUS (lat. : « pourtour », notamment celui d’une maison, déterminant la propriété). Dans le vocabulaire du plain-chant, ce terme signifie, dans chaque mode, l’espace sonore utilisable autour de la finale tonique. C’est l’un des éléments de l’identification modale et, notamment, de la distinction entre modes authentes (gr. authentes, « qui domine ») et modes plagaux (gr. plagios, « situé de [chaque] côté ») : les authentes ont tout leur ambitus audessus de la finale tonique (sauf tolérance d’un degré de dépassement ornemental au grave), tandis que les plagaux répartissent leur ambitus de part et d’autre de

cette finale. Du plain-chant, le mot s’est généralisé au sens d’étendue d’une mélodie, d’une voix ou d’un instrument, entre sa note la plus grave et sa note la plus élevée. Il ne faut pas confondre l’ambitus avec la tessiture, terme qui contient une notion de hauteur absolue : un soprano et une basse peuvent avoir même ambitus (par ex. une douzième) sans avoir pour autant même tessiture. De plus, la tessiture se réfère plus particulièrement au « bon registre » dans lequel un chanteur se sent à l’aise, tandis que l’ambitus désigne la totalité des notes qu’il peut atteindre. Une note peut donc être dans l’ambitus d’un chanteur sans être dans sa tessiture, alors qu’une note de la tessiture est obligatoirement dans l’ambitus. AMBROISE (saint) [Ambrosius Aurelianis], Père de l’Église, théologien et moraliste (Trèves 333 ou 340 - Milan 397). Évêque de Milan (374), il joua un rôle important dans la lutte contre l’arianisme, et aussi, selon la tradition, dans le développement de la liturgie occidentale en y introduisant de nombreuses pratiques musicales, pour la plupart empruntées à l’usage oriental, entre autres le chant de l’alleluia, des antiennes et le chant antiphonique ( ! ALTERNANCE). Il passe pour avoir composé lui-même des hymnes, et a donné son nom au chant ambrosien, considéré comme l’un des ancêtres du chant grégorien. AMBROS (August Wilhelm), musicologue et historien de la musique autrichien (Vysoké Myto, Bohême, 1816 Vienne 1876). Juriste à Prague et à Vienne, il publia à partir de 1862 une histoire de la musique qui, à sa mort, n’en était qu’au 4e volume et au début du XVIIe siècle, et qui fut ensuite poursuivie par d’autres. Comme compositeur, on lui doit notamment l’opéra tchèque Bratislav et Jitka. AMBROSIEN (chant). Chant liturgique en usage à Milan jusqu’à une période très récente, et qui diffère par de nombreux détails du chant grégorien,

tout en se référant aux mêmes types. En se couvrant de l’autorité de l’évêque saint Ambroise († 397), il se situe deux siècles avant saint Grégoire († 604), éponyme du chant grégorien. Le rôle de ce dernier n’ayant été au mieux que celui d’un législateur a posteriori, on ne peut en tirer argument pour l’antériorité du rite milanais. Cette antériorité n’en est pas moins généralement admise, mais non sans nuances ni contestations ; les réticences portent surtout sur l’aspect composite du répertoire et sur le degré de fidélité de sa transmission. Le répertoire des hymnes est sans doute celui dont l’ancienneté et la continuité semblent le mieux assurées, de même que celui des « petites antiennes » non ornées et le mode de psalmodie, plus simple que la grégorienne ; le Gloria ambrosien semble bien, lui aussi, remonter au IVe siècle. MalheudownloadModeText.vue.download 29 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 23 reusement, aucun témoin écrit conservé du répertoire ambrosien ne semble avoir été rédigé avant le XIe siècle. Quelle que soit la marge d’incertitude sur les détails, le chant ambrosien reste, avec les quelques témoignages subsistant des rites prégrégoriens tels que le « vieux-romain » ou ceux des papes Léon Ier le Grand (440-461) ou Gélase Ier (492-496), l’un des plus importants éléments dans notre connaissance des origines du chant liturgique. Le Te Deum, qui remonte vraisemblablement au début du Ve siècle, porte parfois le titre d’« hymne ambrosienne », mais l’attribution à saint Ambroise n’est que l’une des cinq attributions anciennes, et non la plus vraisemblable. ÂME. 1. Petite pièce cylindrique en sapin, qui, dans les instruments à archet, est placée entre la table et le fond, sous le pied droit du chevalet ; l’âme renforce la table du côté droit, transmet les vibrations de la table au fond, et joue un rôle essentiel pour le timbre. 2. Sur la clarinette, petit orifice situé près de l’embouchure.

AMEN. Mot hébreu à valeur adverbiale ou exclamative possédant des sens multiples : affirmation (Amen, dico vobis, « en vérité, je vous le dis », est une formule souvent employée par Jésus dans les Évangiles), conclusion, souhait, adhésion à ce qui vient d’être dit, acclamation, etc. Utilisé fréquemment dans la liturgie juive, le mot est passé tel quel dans la plupart des liturgies chrétiennes, tant latine que grecque ou slave, où il se prononce amin. Le psautier latin primitif traduisait Fiat, ce qui a entraîné l’Ainsi soit-il français, abandonné depuis le concile Vatican II. Musicalement, l’amen s’incorpore liturgiquement au texte qu’il conclut, à moins qu’il ne forme lui-même une réponse autonome ; ses formules mélodiques propres sont en ce cas généralement assez simples. En revanche, dès le XIVe siècle (fin du Gloria et du Credo dans la Messe de Machaut), les musiciens l’ont considéré comme matière de choix pour des développements vocalisés pouvant atteindre une très grande ampleur. À partir du XVIIIe siècle, dans le même esprit, il devient par tradition la conclusion brillante, souvent fuguée, de maints morceaux de messe ou d’oratorio ; d’où les sarcasmes dont l’abreuve Berlioz dans la Damnation de Faust (« Pour l’amen une fugue... »), où il en a rédigé une parodie. Un amen en faux-bourdon dit Amen de Dresde, en usage dans la cathédrale de cette ville, a fourni à Mendelssohn l’un des thèmes de sa symphonie Réformation (1830), repris par Wagner comme l’un des motifs essentiels de Parsifal (1882). Messiaen a illustré à sa manière les différentes acceptions de ce mot dans ses Visions de l’amen pour piano (1943). AMIOT (Jean Joseph Marie), jésuite et missionnaire français (Toulon 1718 Pékin 1793). En 1779, il publia une étude de la musique chinoise, sixième des quinze volumes de son ouvrage sur la culture chinoise : Mémoires concernant l’histoire, les sciences, les arts... des Chinois. AMON (Blasius), compositeur autrichien

(v. 1558 - Vienne 1590). Enfant de choeur à la chapelle de l’archiduc Ferdinand à Innsbruck, il fut envoyé par celui-ci à Venise pour y faire des études musicales (1574-1577). Il devint ensuite frère franciscain à Vienne. Il composa de la musique religieuse (messes, motets), adoptant, le premier dans les pays germaniques, la pratique vénitienne des doubles choeurs (cori spezzati). AMOYAL (Pierre), violoniste français (Paris 1949). Titulaire à l’âge de douze ans d’un 1er Prix au Conservatoire de Paris, il étudie ensuite aux États-Unis auprès de Jasha Heifetz, avec qui il donne ses premiers concerts de musique de chambre. En 1971 commence sa carrière internationale. Il interprète les grands concertos romantiques et modernes, sous la direction de sir Georg Solti, Seiji Ozawa, Pierre Boulez, Eliahu Inbal, Lorin Maazel, etc. En 1977, il est nommé professeur au Conservatoire de Paris et en 1986 à celui de Lausanne. Parmi les violonistes de sa génération, il est l’un de ceux qui ont su trouver un équilibre harmonieux entre l’enseignement (masterclasses de violon solo et de musique de chambre) et la carrière de virtuose. Il possède l’un des plus célèbres stradivarius du monde, le Kochansky, qui date de 1717. AMY (Gilbert), compositeur et chef d’orchestre français (Paris 1936). Il est né d’un père anglais pour moitié et d’une mère bourguignonne, et fut, dans son enfance, attiré par l’architecture (il s’y intéresse toujours). Ses premiers contacts avec la musique furent décevants : il apprit le piano sans entrain. Vint l’année 1948 : « J’ai eu alors ma nuit de Noël claudélienne, mon père m’emmena au concert à Paris. C’est alors que la musique m’a vraiment impressionné. » Il copia Berlioz, Schubert, Schumann, et se mit à composer. Plus tard, il fut fasciné par Bartók, Stravinski, le groupe des Six, la polytonalité, les dissonances. À dix-huit ans, il découvrit la philosophie et approfondit ses choix. Il entra au Conservatoire de Paris et fut orienté par Michel Fano vers Olivier Messiaen, avec lequel il travailla deux ans. Il compta aussi parmi ses professeurs Darius Milhaud. Les cours d’analyse de Messiaen l’aidèrent à « rencontrer » Mozart,

Chopin, Debussy. En 1957, sa Cantate brève pour soprano, flûte, marimba et vibraphone fut créée à Donaueschingen. La même année, Amy montra sa Sonate pour piano à Boulez et étudia avec celui-ci la direction d’orchestre. C’était l’époque brûlante du Domaine musical. Après s’être « senti dans un climat de solitude totale au Conservatoire », il fut « soudain jeté dans la vie ». Il écrivit alors Mouvements pour 17 instruments (1958). À Darmstadt (1959-1961), il découvrit Stockhausen et rencontra Maderna, Nono, Pousseur. Il composa Inventions (1959-1961) et développa un style personnel fait de rigueur et de raffinement, de lyrisme contenu et d’abstraction avec Épigrammes (1961), Cahiers d’épigrammes (1964) pour piano et Diaphonies pour orchestre de chambre (1962). À ces partitions relativement austères en succédèrent d’autres où s’épanouit plus librement son tempérament de poète : Triade pour orchestre (1963-64 ; création, Royan, 1966), la première version de Strophe pour soprano dramatique et orchestre (1964-1966), Trajectoires pour violon et orchestre (1966 ; création, Royan, 1968) et Chant pour orchestre (1967-1969). De cette époque date aussi Cycle pour percussions (1966). En 1967, succédant à Pierre Boulez, il prit la direction des concerts du Domaine musical, qu’il devait conserver jusqu’à leur disparition en 1973. En 1970 fut créé à Royan Cette étoile enseigne à s’incliner (le titre est celui d’un tableau de Klee) pour choeur d’hommes, 2 pianos, bande magnétique et divers instruments, oeuvre incantatoire comptant parmi ses plus significatives. Lui succédèrent notamment Récitatif, air et variation pour 12 voix mixtes (Royan, 1971), Refrains pour orchestre (Paris, 1972), D’un désastre obscur pour voix et clarinette (1971), à la mémoire de Jean-Pierre Guézec, D’un espace déployé pour orchestre et 2 chefs (1972 ; création à l’Orchestre de Paris, 1973), grande réussite s’il en fut, Sonata pian’e forte pour 2 voix et ensemble de chambre (1974), Seven Sites pour 14 solistes (Metz, 1975), Après... d’un désastre obscur (Châteauvallon, 1976), Échos XIII pour 13 instruments (1976), Stretto pour orchestre (Metz, 1977), une version réorchestrée de Strophe (1977 ; création, Paris, 1978), Trois Études pour flûte seule (Grenoble, 1979), Chin’anim Cha’ananim pour voix et petit ensemble (1979) et Une saison en enfer d’après Rimbaud pour piano, percussions, chant et bande magnétique réalisée autour du texte parlé à trois voix

(enfant, femme, homme). Cette partition, une de ses plus ambitieuses, résulta d’une commande du groupe de recherche downloadModeText.vue.download 30 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 24 musicale de l’I. N. A. et fut créée à Paris en 1980. Suivirent Quasi una toccata pour orgue (1981), Quasi scherzando pour violoncelle (1981), Messe pour quatuor vocal, choeur d’enfants ad libitum, choeur mixte et orchestre (1983), la Variation ajoutée pour 17 instrumentistes et bande (1984), Orchestrahl pour orchestre (1985), Choros pour soli, choeur et orchestre (Lyon, 1989), Quatuor à cordes no 1 (1992), Inventions pour orgue (1993-1995), Trois Scènes pour grand orchestre (1994-1995), Brèves (quatuor à cordes no 2) [1995]. D’abord conseiller musical, à l’O. R. T. F. (1973), Amy a été, de 1976 à 1981, directeur du Nouvel Orchestre philharmonique de Radio-France. Il a obtenu le grand prix musical de la S. A. C. E. M. en 1972 et le grand prix national de la musique en 1979. En 1984, il a succédé à Pierre Cochereau à la tête du Conservatoire national supérieur de musique de Lyon. ANACROUSE. Note ou groupe de notes dépourvues d’accentuation, commençant une phrase musicale ou une composition, et précédant immédiatement le premier temps fort. ANALYSE (gr. analusis : « décomposition »). L’analyse consiste à étudier une oeuvre pour en définir la forme, la tonalité, la structure, le rythme, l’harmonie, l’orchestration, la thématique, la mélodie, la dynamique, etc. Au XXe siècle, l’analyse doit tenir compte des influences musicales primitives et extraeuropéennes, et non plus être fondée uniquement sur des données de forme et d’harmonie tonale, comme au XIXe siècle. Avec la musique sérielle, l’analyse devient un exercice beaucoup plus intellectuel que musical. « Le premier devoir de l’analyse musicale est de montrer les fonctions des différentes sections ; le côté thématique est secondaire » (A. Webern).

Il y a actuellement trois classes d’analyse au Conservatoire de Paris. ANAPESTE. Pied ou unité rythmique de la poésie grecque et latine, formé de l’union de deux syllabes brèves et d’une longue, et indiqué par les signes -. L’origine du quatrième mode rythmique ), aux XIIe et XIIIe siècles, est en fait anapestique, la noire étant considérée alors comme une autre valeur brève. ANCERL (Karel), chef d’orchestre tchèque (Tucapy, sud de la Tchécoslovaquie, 1908 - Toronto, Canada, 1973). Né dans un milieu paysan, il étudia la composition au conservatoire de Prague avec A. Hába, et la direction d’orchestre, notamment, avec V. Talich et H. Scherchen, dont il fut l’assistant. À partir de 1931, il dirigea à l’Opéra de Prague et, à partir de 1933, à la radio de cette ville. Il entama alors une carrière internationale. Après un long séjour dans les camps de concentration durant la guerre, il reprit ses activités à l’Opéra de Prague et à la direction de la Philharmonie tchèque. Contraint à l’exil après le « Printemps de Prague », dont il fut l’un des artisans, il se réfugia aux États-Unis et devint directeur de l’Orchestre symphonique de Toronto. Il demeure célèbre pour les interprétations de ses compatriotes Dvořák, Smetana, Janáček, Martinºu, mais aussi pour celles de Bartók, Stravinski et Prokofiev. ANCHE. Languette fine et élastique en bois (roseau) ou en métal (laiton), qui est introduite dans l’embouchure des instruments à vent. (Cette languette peut encore être en argent [Chine, Japon] ou en paille [Soudan, Égypte].) L’anche entre en vibration grâce au souffle du joueur ou à l’air d’un soufflet, et communique cette vibration à la colonne d’air contenue dans le tube de l’instrument. Il y a trois sortes d’anches : l’anche simple, qui ne comporte qu’une seule languette (ex. : clarinette, saxophone) ; l’anche double, qui comporte deux languettes superposées (ex. : hautbois, basson) ; et l’anche libre, qui vibre en avant

et en arrière à l’entrée d’une ouverture qu’elle ferme momentanément au passage de l’air (ex. : tuyaux d’orgue). À l’orgue, toute une famille de jeux est dite « jeux d’anches » ou « jeux à anche ». Le son est émis par une languette (dont la longueur est ajustable pour l’accordage au moyen d’une tige, la rasette) battant sur une gouttière métallique, l’anche proprement dite. Le tuyau sert de résonateur aux vibrations émises par la languette ; son diamètre, sa forme et sa longueur déterminent le timbre et la puissance du son. Les grands tuyaux coniques donnent le plus grand éclat : ce sont les jeux du type trompette ou du type chalumeau (s’ils sont de taille étroite). Les tuyaux à corps raccourci et à résonateur fournissent à la famille des anches les jeux de régale, de ranquette, de douçaine, de clarinette et, principalement, de cromorne et de voix humaine. ANCHIETA (Juan de), compositeur espagnol (Azpeitia, province de Guipúzcoa, 1462 - id. 1523). Chantre à la chapelle d’Isabelle de Castille et de Ferdinand d’Aragon (1489), maître de musique du prince don Juan (1495), puis abbé à Arbos (1499), il retourna, en 1504, à Azpeitia, où il fut recteur jusqu’à sa mort. Parallèlement, il exerça une charge de maître de musique à la cour de Charles V (1519). Considéré comme l’un des fondateurs de l’école polyphonique espagnole, Anchieta n’a retenu de l’art des Flamands que ce qui était nécessaire à un expressionnisme dramatique caractéristique du style national. Il a souvent construit ses oeuvres religieuses sur des thèmes profanes ; ainsi sa messe Eia Judios s’inspire-t-elle d’une chanson populaire évoquant les persécutions contre les juifs. Il a laissé des messes, plusieurs motets et des chansons polyphoniques profanes. ANDA (Geza), pianiste suisse d’origine hongroise (Budapest 1921 - Zurich 1976). Il fit ses études de piano dans son pays natal auprès de E. von Dohnanyi et débuta à Budapest sous la baguette de W. Mengelberg. Il prit la nationalité helvétique en 1942 et vécut dès lors en Suisse.

Parallèlement à sa carrière de virtuose, il fut titulaire d’une classe de perfectionnement pianistique à Lucerne, poste où il succéda à Edwin Fischer. Pianiste au jeu maîtrisé, au style très pur, Anda est resté célèbre pour ses interprétations de Mozart, Brahms et Bartók. ANDANTE (ital. : « en allant », « en marchant »). Ce terme, apparu vers la fin du XVIIe siècle, désigna longtemps un tempo modéré, se situant entre l’adagio et l’allegro. Ce n’est qu’à l’époque romantique que son sens se modifia et qu’il indiqua un mouvement plus lent, se rapprochant de celui de l’adagio. N’étant pas très précis, le mot andante est souvent qualifié : par exemple, andante-allegro, andante ma adagio, andante sostenuto, andante cantabile. Le terme est parfois utilisé comme titre de morceau (Schumann : Andante et variations pour deux claviers op. 46), ou, souvent, comme titre de mouvement, par exemple dans une symphonie. ANDANTINO. Diminutif d’andante. Longtemps imprécis, ce terme indique en principe, aujourd’hui, un mouvement un peu plus rapide que l’andante. Il indique également le caractère d’une pièce moins développée qu’un andante ; il est à l’andante ce que la sonatine est à la sonate. ANDERSON (Marian), contralto américain (Philadelphie 1902). Au cours de sa longue carrière de concertiste, qui débuta en 1925, elle connut, aux États-Unis, quelques revers, dus au fait qu’elle était de race noire, mais aussi de nombreux triomphes (il lui arriva de chanter en plein air devant 75 000 personnes). En Europe, où elle fit des tournées après 1930, se produisant notamment au festival downloadModeText.vue.download 31 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 25 de Salzbourg à partir de 1935, elle acquit une immense popularité. En 1955, Marian Anderson fut la première chanteuse noire à paraître sur la scène du Metropolitan de

New York (Ulrica dans Un bal masqué). Elle se retira en 1965. Toscanini admirait beaucoup cette forte personnalité, aux interprétations parfois déroutantes, mais toujours marquantes, qui fit carrière essentiellement dans le lied et l’oratorio, ajoutant aussi, à la fin de ses récitals, des negro spirituals. ANDRÉ, famille d’éditeurs et compositeurs allemands. 1. Johann (Offenbach, près de Francfort, 1741 - id. 1799). Il cultiva avec succès le singspiel, écrivit une trentaine d’oeuvres dans cette forme et jouit de l’admiration et de la collaboration de Goethe. Son style subit l’influence de l’école de Berlin (Graun, G. A. Benda). Il écrivit également des ballets, de la musique de scène et de nombreux lieder. En 1774, il fonda une maison d’édition, encore en activité aujourd’hui. 2. Johann Anton (Offenbach 1775 - id. 1842), fils du précédent. Il continua l’activité de son père dans l’édition, publiant, entre autres et pour la première fois, beaucoup d’oeuvres de Mozart, dont en 1800, Constance lui vendit en bloc les manuscrits plutôt qu’à Breitkopfu Härtel. Il écrivit deux opéras, des lieder, de la musique religieuse, de la musique symphonique et de la musique de chambre. ANDRÉ (Maurice), trompettiste français (Alès 1933). Il travailla dans la mine dès l’âge de 14 ans et fit ses premières armes dans la musique au sein des harmonies locales. Puis il étudia au Conservatoire de Paris, obtenant dès la première année le premier prix d’honneur au cornet et, l’année suivante, le premier prix de trompette. Il remporta les concours de Genève (1955) et Munich (1963). Trompette solo à l’orchestre des Concerts Lamoureux et à l’Opéra-Comique, il entreprit une carrière de concertiste qui lui valut rapidement un renom mondial. Doué d’une aisance et d’une technique prodigieuses, il domine complètement les difficultés que présente la musique baroque, qui constitue l’essentiel de son répertoire ; mais il interprète avec autant de bonheur les oeuvres contemporaines, aborde parfois le jazz et la musique légère. Professeur au Conservatoire de Paris de 1967 à 1978, il a formé une brillante jeune génération de

trompettistes français parmi lesquels son fils Lionel, son petit-fils Nicolas, Bernard Soustrot et Guy Touvron. ANDRIESSEN, famille de musiciens néerlandais. Willem, compositeur et organiste (Haarlem 1887 - Amsterdam 1964). Il dirigea le conservatoire d’Amsterdam de 1937 à 1953 et fut organiste à la cathédrale d’Utrecht. Hendrik, frère du précédent, compositeur, organiste et pédagogue (Haarlem 1892 -id. 1981). Il a été directeur du conservatoire d’Utrecht, puis de La Haye (1949), et a enseigné l’histoire de la musique à Nimègue, de 1952 à 1962. Sa production religieuse, à partir de la Missa in honorem Ss. Cordis (1917), a tenté de retrouver la simplicité médiévale, et les références sérielles ont été fréquentes chez lui à partir de 1950. On lui doit beaucoup de musique religieuse et de nombreuses pièces d’orgue, Variations et fugue sur un thème de Johann Kuhnau pour orchestre (1935), un concerto pour orgue (1950), cinq symphonies (1930, 1937, 1946, 1954 et 1962) et les opéras Philomela, d’après Ovide (1948, créé au festival de Hollande 1950), et De Spiegel Van Venetie (1964). Jurriaan, fils du précédent, compositeur, pianiste et chef d’orchestre (Haarlem 1925). Élève de son père à Utrecht, il a étudié aussi à Paris (1947) et aux États-Unis (1949-1951), écrivant là sa Berkshire Symphonies (1949), dont le mouvement lent est une série de variations sur un thème de la Suite lyrique d’Alban Berg. De tempérament éclectique, il s’est intéressé au jazz (Concerto Rotterdam, 1967) et a écrit beaucoup de musiques de film et de scène. Sa 8e symphonie, La Celebrazione, date de 1977. Citons encore le monodrame radiophonique Calchas (1959), d’après Tchekhov, et les ballets Das Goldfischglas (1952), De Canapé (1953) et Time Spirit (1970). Louis, frère du précédent, compositeur (Utrecht 1939). Élève de son père et de K. Van Baaren, puis de Luciano Berio à Milan et à Berlin (1964-65), il a subi également les influences de Stockhausen et de Cage. Il a été en 1969 l’un des auteurs de l’opéra collectif Reconstruction, donné au festival de Hollande 1970, et enseigne depuis 1974 au conservatoire de La Haye. Parmi ses

oeuvres, Hoketus pour 2 groupes d’instruments (1976-77), le « triptyque politique » sur des textes controversés comprenant Il Duce, d’après Mussolini (1973), Il Principe, d’après Machiavel (1973-74) et De Staat pour quatre voix de femmes et ensemble instrumental d’après la République de Platon (1973-1976), Symfonie voor losse snaren (symphonie pour cordes à vide) pour 5 violons, 2 altos, 3 violoncelles et 2 contrebasses solistes (1978), Mausoleum pour orchestre (1979), De Tijd pour ensemble (1981), les opéras Passion selon saint Matthieu, Orpheus et George Sand, créés en 1976, 1978 et 1980, De Snelheid (1981), Danses pour soprano et orchestre de chambre (1991), Hout (1991). ANDRIEU (Jean-François d’), compositeur et organiste français (Paris 1682 - id. 1738). Neveu de Pierre d’Andrieu, virtuose précoce, il est nommé organiste à SaintMerri dès 1704, poste auquel s’ajouteront ceux d’organiste de la Chapelle royale (1721) et de Saint-Barthélemy (1733). On lui doit un Livre de sonates à violon seul, trois Livres de pièces de clavecin, un Livre de sonates en trio, quelques Airs sérieux ou à boire et un recueil instrumental, les Caractères de la guerre, ou suite de symphonies ajoutées à l’opéra. Pour l’orgue, il écrivit un Premier Livre de pièces d’orgue (1739), où se maintenait la grande tradition liturgique de Lebègue, et un Livre de noëls, dans lequel il reprenait les oeuvres de son oncle en ajoutant quelques noëls de sa composition, pages brillantes, aimables et pittoresques. Comme pédagogue, enfin, d’Andrieu a laissé un précieux volume de Principes de l’accompagnement du clavecin (Paris, 1718). ANDRIEU (Pierre d’), compositeur et organiste français ([ ?] 1660 - Paris 1733). Il écrivit des Airs sérieux, publiés dans les recueils de Ballard, et composa des Noëls à variations pour orgue, réédités par son neveu Jean-François, a qui on en attribue souvent la paternité. ANERIO (Felice), compositeur italien (Rome v. 1560 - id. 1614). Il succéda en 1594 à Palestrina comme compositeur du choeur pontifical et en 1611 réforma avec Francesco Soriano le graduel romain. Contrairement à lui,

son frère Giovanni Francesco (Rome v. 1567 - Graz 1630) composa aussi bien dans la prima que dans la seconda pratica et fut le premier compositeur romain à utiliser des instruments obligés (dans son Teatro armonico spirituale de 1619). ANERIO (Giovanni Francesco), compositeur italien, frère du précédent (Rome v. 1567 - Graz 1630). Maître de chapelle du roi de Pologne en 1606, puis à la cathédrale de Vérone, il regagna Rome pour enseigner au Collège romain. Ordonné prêtre en 1616, il fut maître de chapelle à Santa Maria dei Monti de 1613 à 1620. C’est un compositeur intéressant, dont l’oeuvre importante (principalement religieuse) comprend souvent des titres assez pittoresques, tels que Ghirlanda di sacre rose et Il dialogo pastorale al presepio (« le dialogue pastoral auprès de la crèche »). Il contribua à l’élaboration de la forme qui devint l’oratorio. downloadModeText.vue.download 32 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 26 ANET (Jean-Baptiste), violoniste et compositeur français ([ ?] 1661 - Lunéville 1755). Il fut l’élève de Corelli et débuta à Paris comme virtuose dans le cercle italien de Saint-André-des-Arcs, que présidait l’abbé Mathieu. C’est Anet qui, en se produisant à la cour et au Concert spirituel, révéla à la France l’élégance du violon dans le répertoire profane et donna à cet instrument ses lettres de noblesse. Avec Leclair, il imposa le genre de la sonate ; son premier Livre de sonates parut en 1724. Nommé au service de l’ex-roi de Pologne Stanislas Leszczy’nski, il se fixa à Lunéville en 1736. Anet fut un compositeur fécond et l’un des plus grands violonistes de son temps. ANFOSSI (Pasquale), compositeur italien (Taggia, près de Naples, 1727 - Rome 1797). Il étudia d’abord le violon, puis la composition et l’harmonie avec N. Piccinni. Ses premiers opéras ne connurent pas un très grand succès, mais avec L’Incognita perseguitata (Rome, 1773) vint la célébrité.

Bientôt, cependant, il éprouva l’inconstance du public et partit à travers l’Europe. En 1792, il fut nommé maître de chapelle à Saint-Jean-de-Latran et se consacra à la musique d’église. Mozart s’intéressa à l’oeuvre d’Anfossi, composant des airs à insérer dans certains des 76 opéras qu’écrivit ce musicien. ANFUSO (Nella), soprano italienne (Alia, près de Palerme, 1942). Elle suit une double formation, littéraire et musicale, à l’université et au Conservatoire de Florence. Docteur ès lettres, elle étudie le chant à l’académie SainteCécile de Rome tout en poursuivant des recherches sur l’interprétation vocale au XVIIe siècle. Ces travaux historiques se révèlent décisifs pour l’originalité de son style interprétatif. Son but est de « retrouver l’unicité de la poésie et de la musique » qui, selon elle, caractérise avant tout les oeuvres de Caccini et de Monteverdi. En 1971, elle débute au Palazzio Vecchio de Florence et se produit régulièrement depuis en récital dans toute l’Europe. Douée d’une tessiture de trois octaves, elle chante les madrigaux pétrarquisants de Marchetto, les oeuvres de Rossi, mais aussi Vivaldi. Professeur de littérature dramatique et poétique au Conservatoire Boccherini de Lucca, paléographe des Archives d’État, elle organise des séminaires pour des étudiants du monde entier, malgré les vigoureuses polémiques suscitées par son style. Depuis 1989, elle a élargi son répertoire aux romances de Bellini, Catalani et Paganini. ANGELICI (Martha), soprano française (Cargese 1907 - Ajaccio 1973). Bien que sa vocation ait été marquée par ses origines corses, c’est à Bruxelles qu’elle reçoit sa formation à partir de 1928. Apprenant les rôles du répertoire italien, elle chante la Bohème à Marseille en 1936. L’année suivante elle débute à Paris, avant de suivre la troupe de l’Opéra-Comique au Brésil, lors de la tournée de 1939. Elle sera membre de cette troupe jusqu’en 1953, dans une période où de nombreuses créations s’ajoutent aux productions du répertoire. De 1953 à 1960, elle chante à l’Opéra de Paris. Ses triomphes dans le rôle de Micaëla amènent Karajan à l’engager dans Carmen à la Scala de Milan. Ses récitals furent également fameux, qu’elle concluait le plus

souvent par des chants populaires de son île natale. ANGELIS (Nazzareno de), basse italienne (Aquila, près de Rome, 1881 Rome 1962). Enfant, il fit partie de la Capella Giulia, puis de la chapelle Sixtine. Il débuta à Aquila dans Linda di Chamounix de Donizetti (1903) et devint rapidement célèbre. Il se produisit beaucoup aux États-Unis et en Amérique du Sud, mais sa carrière est essentiellement liée à la Scala de Milan, où il chanta de 1907 (débuts dans La Gioconda de Ponchielli) à 1933. Sa voix était d’une beauté et d’une puissance exceptionnelles, sa technique accomplie et sa présence scénique impressionnante. Donnant aux personnages qu’il incarnait une dimension hors du commun, il a marqué, en particulier, les rôles de Moïse dans l’opéra de Rossini et de Mefistofele dans l’opéra de Boito, qu’il chanta 987 fois. Il se consacra aussi beaucoup aux oeuvres de Wagner. ANGERER (Paul), compositeur et altiste autrichien (Vienne 1927). Il a étudié le violon avec Franz Bruckbauer et F. Reidinger et la composition avec A. Uhl, à Vienne. Altiste dans l’Orchestre symphonique de Vienne, il a été de 1971 à 1986 directeur musical de l’orchestre de chambre de Pforzheim. Le style polyphonique de ses oeuvres rappelle Hindemith. Auteur de musique d’orchestre, le plus fréquemment écrite pour orchestre de chambre, il utilise des procédés anciens comme l’organum et le faux-bourdon. ANGERMULLER (Rudolph), musicologue allemand (Bielefeld 1940). Il a étudié à Mayence, Münster et Salzbourg (langue et civilisation françaises, histoire, musicologie). Assistant à l’Institut de musicologie de l’université de Salzbourg de 1967 à 1972, il est depuis cette dernière date bibliothécaire de l’Internationale Stiftung Mozarteum et codirecteur de la Neue Mozart Ausgabe. Sa thèse Antonio Salieri : sein Leben und seine weltliche Werke est parue en 1971. Il a publié également Sigismund Neukomm : Werkverzeichnis - Autobiographie - Beziehung zu seinen Zeitgenossen (1977), W. A. Mozarts musikalische Umwelt in Paris (1777-78) : eine

Dokumentation (1982), ainsi que de nombreux articles. ANGIOLINI (Gasparo), danseur, chorégraphe et compositeur italien (Florence 1731 - Milan 1803). Arrivé à Vienne en 1754, il succéda en 1758 à son maître Franz Hilverding au poste de maître de ballet de la cour. Il connut son plus grand triomphe le 17 octobre 1761 avec la création au Burgtheater de Don Juan ou le Festin de pierre (musique de Gluck), le premier grand ballet d’action, dont il assura l’argument et la chorégraphie et dansa le rôle-titre. L’année suivante (5 octobre 1762), il assura la chorégraphie d’Orfeo ed Euridice. En 1765, il succéda à Hilverding à Saint-Pétersbourg, puis revint à Vienne en 1774 comme successeur de Noverre. Il séjourna à nouveau à Saint-Pétersbourg de 1776 à 1779 et termina sa carrière en Italie. ANGLAISE. Terme désignant aux XVIIe et XVIIIe siècles diverses danses anglaises diffusées en Europe, telles que la contredanse (country dance) ou encore le hornpipe. Il est curieux de noter que l’anglaise fut connue en Allemagne sous le nom de « française », et que J.-S. Bach introduisit une anglaise dans sa troisième Suite française en si mineur. Le tempo de l’anglaise est généralement assez vif avec une mesure binaire. ANGLEBERT (Jean Henri d’), compositeur, claveciniste et organiste français (Paris 1628 - id. 1691). Élève et successeur de Champion de Chambonnières, il occupa quelques postes d’organiste avant d’être nommé en 1662 dans l’ordinaire de la chambre du Roy pour le clavecin, charge plus tard confiée à François Couperin. Il abandonna ce poste à son tout jeune fils Jean-Baptiste Henri en 1674, date après laquelle on ne lui connaît plus d’activité. En 1689, il fit paraître un livre de Pièces de clavecin, regroupant 60 pièces en quatre ordres ; le livre est complété par un tableau des agréments, des Principes de l’accompagnement, Cinq Fugues pour l’orgue sur un même sujet et un Quatuor sur le Kyrie. À côté de quelques transcriptions de Lully, on y trouve le témoignage de l’un des maîtres du pre-

mier âge de l’école française de clavecin. Ses deux fils, Jean-Baptiste Henri (Paris 1661 - id. 1735) et Jean Henri (Paris 1667 id. 1747), furent tous deux clavecinistes. downloadModeText.vue.download 33 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 27 ANGLÉS (Mgr Higinio), musicologue espagnol (Maspujols, prov. de Tarragone, 1888 - Rome 1969). Il fit des études de philosophie et de théologie à Tarragone, de musique à Barcelone (orgue, harmonie, composition) et de musicologie, d’abord à Barcelone avec F. Pedrell, puis à Fribourg avec W. Gürlitt et à Göttingen avec F. Ludwig. Après la guerre civile, durant laquelle il s’exila à Munich, il dirigea l’Institut espagnol de musicologie, à Barcelone, à partir de 1943, et fut président de l’Institut pontifical de musique sacrée de Rome, à partir de 1947. Spécialiste du Moyen Âge et de la Renaissance, véritable fondateur de l’école de musicologie espagnole, Anglés a laissé un grand nombre d’ouvrages et d’articles fondamentaux sur la musique de son pays et édité les oeuvres de Cabanillés, Morales, Alphonse X le Sage et Juan Pujol. Il a réalisé un catalogue musical de l’Espagne du XIIe au XVIIe siècle. ANHALT (Istvan), compositeur canadien d’origine hongroise (Budapest 1919). Il fait ses études en Hongrie avec Kodály et en France avec Nadia Boulanger et L. Fourestier. Il s’installe au Canada en 1949. Son style, fondé à l’origine sur le néoclassicisme, assimile, à partir de 1959, la musique électronique et les techniques modernes, unissant Varèse et Stockhausen aux musiques indienne, javanaise et africaine. Parmi ses oeuvres, citons 2 symphonies, Cento pour choeur à 12 voix et bande magnétique (1967), Welche Töne ? pour orchestre (1989). ANIMANDO (ital. : « en animant »). Terme indiquant que le tempo devient plus allant. ANIMATO (ital. : « animé »). Terme employé pour qualifier un tempo

donné, exemple : andante animato. ANIMUCCIA (Giovanni), compositeur italien (Florence v. 1514 - Rome 1571). Il reçut sa formation dans l’entourage de Francesco Corteccia, puis entra au service du cardinal Ascanio Sforza à Rome. En 1555, il succéda à Palestrina comme maître de la chapelle Giulia. Avec un talent qui le rend digne de son grand prédécesseur, il écrivit surtout des madrigaux, de la musique religieuse (messes, magnificat), et, pour les réunions de son ami saint Philippe Neri, deux livres de Laudi spirituali (1563-1570) qui préfigurent l’oratorio et, par leur style déclamatoire, la monodie accompagnée. ANNIBALE (Il Padovano), compositeur italien (Padoue 1527 - Graz, Autriche, 1575). Premier organiste à Saint-Marc de Venise de 1552 à 1565, il s’établit à Graz, où il fut organiste, puis maître de chapelle de l’archiduc Charles d’Autriche. Il composa des madrigaux, des motets, une messe et des pièces pour orgue, édités chez Gardano à Venise. Ses ricercari et toccate furent parmi les premiers du genre. ANSERMET (Ernest), chef d’orchestre suisse (Vevey 1883 - Genève 1969). Il étudia parallèlement les mathématiques et la musique à Lausanne, puis à Paris, et fut nommé professeur de mathématiques à Lausanne (1906). Mais, après avoir travaillé la direction d’orchestre auprès de Mottl et Nikisch en Allemagne, il revint à la musique, en 1912, comme chef d’orchestre au casino de Montreux, où il devint l’ami de Ramuz et de Stravinski. Directeur musical des Ballets russes de Diaghilev de 1915 à 1923, il fonda en 1918 l’orchestre de la Suisse romande, dont il resta le directeur jusqu’en 1966. Chef au style plein d’acuité et de raffinement, Ansermet demeure particulièrement célèbre pour ses interprétations de Stravinski, Debussy et Ravel. Il a exposé sa conception de la musique dans un livre, les Fondements de la musique dans la conscience humaine (Neuchâtel, 1961), où il avoue sa fidélité exclusive au système tonal. Il composa quelques oeuvres et orchestra les Six Épigraphes antiques et deux des Ariettes oubliées de Debussy.

ANTEGNATI, famille de facteurs d’orgues italiens établis à Brescia, dont l’activité est connue de 1480 environ jusqu’à la moitié du XVIIe siècle. Des sept générations successives d’Antegnati, l’organier le plus célèbre est Costanzo (Brescia 1549 - id. 1624), qui fut aussi organiste de la cathédrale de Brescia, compositeur et théoricien. Auteur de motets, messes et madrigaux, il a rédigé un traité, L’Arte organica (1608), où il donne notamment la liste et les caractéristiques de tous les instruments construits par la famille, ainsi que des indications sur l’accord et la registration. L’orgue des Antegnati est un instrument à un clavier et à pédalier rudimentaire ; il est riche en flûtes et principaux et en jeux de mutation aigus constituant un ripieno* par rangs séparés. Parmi les très nombreux instruments qu’ils établirent dans toute l’Italie du Nord, les principaux sont ceux de la cathédrale de Brescia (Bartolomeo Antegnati, 1481), de Sainte-Marie-des-Grâces à Brescia (Gian Giacomo Antegnati, 1533) et de la cathédrale de Milan (id., 1552). ANTES (John), compositeur américain (Frederick, Pennsylvanie, 1740 - Bristol, Angleterre, 1811). Membre de la communauté morave de Pennsylvanie, il partit pour l’Europe en 1764, devint pasteur en 1769, et s’embarqua la même année comme missionnaire pour Le Caire, où il devait rester jusqu’en 1781. De 1783 à sa mort, il vécut en Angleterre, continuant à s’intéresser non seulement à la musique, mais aussi à la mécanique et à la facture d’instruments. On lui doit des oeuvres sacrées préservées uniquement en Amérique, pour la plupart dans les archives de Bethlehem et de Winston-Salem (ont subsisté 25 pièces vocales concertantes et 13 mélodies de cantiques). Il fut aussi le premier Américain de naissance à avoir écrit de la musique de chambre (quatuors à cordes, trois trios à cordes op. 3 composés au Caire et parus chez John Bland comme étant de Giovanni A-T-S Dilettante americano). Dans un des carnets tenus par Haydn à Londres en 1791-92, on trouve cette notice le concernant : « Mr. Antis, évêque (sic) et petit compositeur. » ANTHEIL (George), compositeur améri-

cain d’origine polonaise (Trenton, New Jersey, 1900 - New York 1959). Il fait ses études au Curtis Institute de Philadelphie, puis à New York avec Ernest Bloch. Après un bref séjour à Berlin où il présente sa Première Symphonie, il s’installe à Paris, s’intéresse au mouvement dada et compose son Ballet mécanique, « musique ultraviolette où l’idée est d’atteindre le plus abstrait de l’abstrait « : dix pianos y sont utilisés, ainsi que des trompes d’auto, enclumes, scies circulaires, etc. Cette tentative empirique d’extension de l’univers sonore n’est pas sans annoncer celles de Feldman et Cage. À la même époque, Antheil incorpore le jazz à ses ouvrages symphoniques ou lyriques. De retour aux États-Unis (1933), il renonce à l’avant-garde et revient à une esthétique néoromantique qui marque tous ses ouvrages ultérieurs. Fixé à Hollywood, il travaille dès lors dans les genres les plus divers, y compris la musique de film. ANTHEM (du grec latinisé, antiphona). Terme anglais désignant une composition chorale sur un texte sacré en langue anglaise, en usage dans l’Église anglicane. Au XVIe siècle, il existe deux types d’anthems, le full-anthem, qui peut être soit a cappella, soit accompagné à l’orgue, et le verse-anthem, qui se place entre les parties chorales, chanté par une voix soliste accompagnée à l’orgue ou aux instruments à archet. Avec Blow, Purcell et Pelham Humphrey, le verse-anthem se développe ; les anthems de Haendel atteignent des proportions grandioses au siècle suivant (par exemple : Zadok, the Priest). downloadModeText.vue.download 34 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 28 On continue à composer des anthems au XIXe siècle ; de nos jours, avec ou sans accompagnement, le genre inspire encore les compositeurs. ANTICIPATION. Procédé musical consistant en l’émission d’une note qui est étrangère à l’harmonie et qui appartient à l’accord suivant.

Cette anticipation crée une dissonance, parfois chargée d’un grand pouvoir expressif, comme chez Monteverdi. Exemple : J. S. Bach, choral Ermunt’re dich, mein schwachen Geist. ANTIENNE (grec latinisé, antiphona : « voix en réponse »). Chant destiné primitivement à encadrer la psalmodie, c’est-à-dire la récitation modulée des psaumes. Le fait que cette récitation était pratiquée en « antiphonie » - par demi-choeurs alternés ( ! ALTERNANCE) - a donné naissance à ce terme impropre, car l’antienne ne semble jamais avoir été chantée ellemême en antiphonie. Les antiennes sont parmi les éléments les plus anciens de la liturgie. Les antiennes primitives, ambrosiennes, puis grégoriennes, étaient simples, syllabiques et courtes, souvent calquées sur un timbre stéréotypé et adapté au ton de la psalmodie ; beaucoup portent la trace d’un pentatonisme archaïque très accusé. Plus tard, les antiennes se développèrent, devinrent de plus en plus longues et relativement mélismatiques ; certaines antiennes tardives (Salve Regina) sont de véritables compositions, développées et isolées de leur contexte d’encadrement. Les introïts sont d’anciennes antiennes dont le psaume a été raccourci ; d’autres pièces (offertoire, communion) sont d’anciennes antiennes dont le psaume a ultérieurement disparu. ANTIPHONAIRE. Au sens ancien strict, ce terme désignait le livre liturgique contenant les antiennes (liber antiphonarius) pour l’office et celles pour la messe (introït, offertoire, communion). Ces pièces étaient chantées par le choeur, en alternance avec les répons, contenus dans un autre livre, le cantatorium, réservé aux solistes et plus tard appelé le graduel (liber gradualis) [trait, graduel, alleluia]. Plus tard, les répons furent insérés dans l’antiphonaire. ANTONIOU (Theodor), compositeur grec naturalisé américain (Athènes 1935). De 1945 à 1958, il étudie le violon, le chant et, avec M. Kalomiris, au conservatoire d’Athènes, la composition. Il travaille de 1958 à 1961 avec Y. Papaioannou, de 1961

à 1965 avec G. Bialas à Munich et, de 1964 à 1966, au studio de musique électronique de la radio bavaroise. En 1969, il obtient une chaire de composition à l’université de San Francisco. Malgré ses passages dans les studios d’électroacoustique, Antoniou compose avec des moyens traditionnels. Sa production comprend des oeuvres pour choeur, pour voix et instruments (Meli, pour chant et orchestre, 1963 ; Épilogue, pour mezzo-soprano, hautbois, guitare, cor, piano, contrebasse et percussion, 1963 ; Kontakion, pour solistes, choeur mixte et cordes, 1965 ; Klytemnestra, pour une actrice, ballet et orchestre, etc.), pour divers ensembles instrumentaux et pour orchestre, ces dernières oeuvres incluant des musiques de scène, de film et de la musique radiophonique. ANTUNES (Jorge), compositeur brésilien (Rio de Janeiro 1942). Il fait ses études à l’université du Brésil (master de violon et de composition) et passe son doctorat à Paris (Sorbonne, 1977). Il enseigne à l’université de Brasilia, dont il dirige aussi le département de musique. Pionnier de l’électroacoustique dans son pays, il fonde, à Rio de Janeiro, un centre de recherches « chromo-musicales » (1962), avant de travailler au studio de l’Institut Torcuato di Tella à Buenos Aires ainsi que dans différents studios européens, notamment à Utrecht et à Paris (GRM). On lui doit en particulier Catastrophe ultra-violette (1974), Simfonia das Directas (1984), la série des Meninos pour jeune violoniste et bande (1986-87). Il a fondé un groupe de musique expérimentale, le GeMUnB, et publié un livre sur la notation dans la musique contemporaine (1988). APERGHIS (Georges), compositeur grec (Athènes 1945). Venu à Paris en 1963, il y entreprend des études musicales et y suit des cours de direction d’orchestre (avec Pierre Dervaux) et de percussion. En 1967, sont créés Antistixis pour trois quatuors à cordes et Anakroussis I. Suivent notamment Symplexis pour orchestre symphonique et vingt-deux solistes de jazz et Kryptogramma pour percussions (1970). Frappé par Sur scène de Kagel, il s’oriente de plus en plus vers le théâtre musical : « Ce que je veux ? Répartir des scènes dans l’espace, accomplir un travail critique : il ne faut

donc pas une pièce déjà existante ou des situations déjà imaginées par quelqu’un. » Le festival d’Avignon révèle en 1971 l’originalité d’Aperghis avec la Tragique Histoire du nécromancier Hieronimo et de son miroir pour voix de femme chantée, voix de femme parlée, luth et violoncelle. Puis sont créés Oraison funèbre (pour 2 barytons, une actrice et 10 instruments, Paris, 1972), Hommage à Jules Verne (Royan, 1972), Concerto grosso (pour chanteurs-acteurs, instruments et bande, Paris, 1972), les opéras Pandemonium (pour 4 voix de femmes, 4 barytons, 4 acteurs et 7 instrumentistes, Avignon, 1973), Jacques le Fataliste d’après Diderot (Lyon 1974) et Histoires de Loups (pour 5 voix de femmes, voix d’hommes et 9 musiciens, Avignon 1976), Je vous dis que je suis mort (Paris, 1979), Liebestod (Metz, 1982), oeuvres nourries d’autres disciplines artistiques. Les préoccupations sociales d’Aperghis apparaissent notamment dans la Bouteille à la mer (1976). Depuis 1976, le compositeur est animateur de l’A. T. E. M. (Atelier théâtre et musique) de Bagnolet. De l’action menée par l’A. T. E. M. avec les habitants de Bagnolet, sont nés divers spectacles, dont la Pièce perdue (1979). Le festival de La Rochelle de 1980 a vu la création de Quatre Récitations pour violoncelle seul. Citons encore l’Adieu pour orchestre (Paris, 1988), l’opéra Jojo (Strasbourg, 1990). A PIACERE (ital. : « à volonté », « à plaisir »). Terme indiquant qu’une certaine liberté dans le mouvement est laissée à l’initiative de l’interprète. Syn. : ad libitum. APOSTEL (Hans Erich), compositeur autrichien d’origine allemande (Karlsruhe 1901 - Vienne 1972). Il fit ses études au conservatoire Munz à Karlsruhe, puis travailla à Vienne avec Schönberg (1921) et Berg (1925). Il fut chef d’orchestre au Landestheater de Karlsruhe, puis professeur de piano et de composition à Vienne, et lecteur aux Éditions Universal. Il écrivit de la musique d’orchestre, des oeuvres pour piano, deux quatuors à cordes, des lieder sur des poèmes de Rilke, Hölderlin, Stefan George, et un Requiem. Appartenant à la seconde école de

Vienne, ses oeuvres relèvent de la technique sérielle, qu’Apostel utilisa avec beaucoup de maîtrise et un rien d’académisme. APPASSIONATO (ital. : « passionné »). Terme indiquant dans une partition un style soutenu, tendu, avec de l’élan, de l’ardeur, de la passion. Employé surtout par les compositeurs de l’époque romantique, ce mot la caractérise d’ailleurs parfaitement. downloadModeText.vue.download 35 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 29 APPENZELLER (Benedictus), compositeur flamand (1re moitié du XVIe s.). De 1539 environ à 1551, il fut, à Bruxelles, maître des enfants de choeur de la chapelle de la reine Marie de Hongrie. Peut-être a-t-il été l’élève de Josquin Des Prés dont, en tout cas, il célébra la mort dans une déploration. Parmi ses oeuvres, jadis attribuées à Benedictus Ducis, citons une messe, des psaumes, des répons, des motets, des chansons, dont 22 furent publiées dans le recueil Chansons a quattre parties (Anvers, 1542). APPIA (Adolphe), metteur en scène suisse (Genève 1862 - Nyon 1928). Après des études à Vevey, Genève, Zurich, Leipzig, Paris et Dresde, il fut amené par sa passion wagnérienne à étudier la mise en scène dans des essais : la Tétralogie (1892), la Mise en scène du drame wagnérien (1895), Die Musik und die Inszenierung (1899). Après cette première période inspirée par le néoromantisme et le symbolisme, l’influence de la « rythmique » de Jaques-Dalcroze devint visible dans ses travaux ultérieurs : l’OEuvre d’art vivant (1921), la Mise en scène et son avenir (1923). C’est seulement à partir de cette époque qu’il mit lui-même en scène les drames wagnériens : Tristan et Isolde à Milan (1923), l’Or du Rhin et la Walkyrie à Bâle (1925). Il atteignit alors à l’abstraction avec des éléments scéniques constitués uniquement par des escaliers,

des paliers, des tentures, des piliers et des éclairages. Appia fut le premier théoricien de la mise en scène moderne. Parmi bien d’autres, Wieland Wagner lui a été particulièrement redevable, et son influence est encore très perceptible de nos jours. APPLETON (Jon H.), compositeur américain (Los Angeles 1939). Il a fondé, en 1967, au Dartmouth College de Hanover (New Hampshire), un studio de musique électronique qui est devenu sous sa direction l’un des centres les plus ouverts et les plus actifs de cette technique aux États-Unis. Il y a mis au point, notamment, avec les ingénieurs Alonso et Jones, des systèmes informatiques de synthèse sonore (Synclavier) et d’enseignement musical, dont l’originalité tient dans leur facilité de manipulation, laquelle les rend accessibles au plus grand nombre. Dans son éclectique production musicale, où voisinent oeuvres chorales, travaux d’application et expériences audiovisuelles, domine cependant la musique électroacoustique. Il fut l’un des premiers Américains à utiliser les sons concrets pour des musiques très vivantes de « collage » ou d’évocation (Chef-d’oeuvre, 1967 ; Times Square Times Ten, 1969), avant de s’intéresser au synthétiseur comme source sonore exclusive (Stereopticon, 1972) et aux sons créés par ordinateur (Kungsgatan 8, 1971). APPOGGIATURE (ital. appoggiare : « appuyer »). Il s’agit d’une note étrangère à l’harmonie de l’accord avec lequel elle est entendue. La dissonance ainsi produite peut être plus ou moins prononcée. L’appoggiature, ou note appuyée, se trouve à une distance d’un demi-ton ou d’un ton (supérieur ou inférieur) de la note réelle de l’accord sur laquelle elle est résolue. L’appoggiature peut être longue (employée surtout à des fins expressives dans les morceaux plus tendres, moins dans les mouvements rapides) ou brève. Au XVIIe et au XVIIIe siècle, le bon goût en décidait la longueur. Cet ornement pouvait être : - soit indiqué par une petite note, comme chez L. Marchand,

- soit sous-entendu, afin d’éviter une écriture défectueuse, comme dans les cadences de récitatifs. Par exemple, Haendel, cantate Della guerra amorosa, Exécutée avec une certaine liberté, le plus souvent sur le temps, l’appoggiature devait prendre une partie de la valeur de la note réelle. Elle en prenait la moitié dans une mesure binaire, les deux tiers dans une mesure ternaire et, lorsqu’elle précédait une note prolongée par une liaison, elle prenait toute la valeur de la première note réelle. Par exemple : Les compositeurs romantiques l’employaient généralement en notes normales. Par exemple : Wagner, Tristan et Isolde, Parfois, ils en supprimaient la résolution, c’est-à-dire la note réelle. Par exemple : Mahler, Ich bin der Welt abhanden gekommen (Rückert Lieder), Barrée, la petite note de l’appoggiature était très brève et exécutée avant le temps. ( ! ACCIACATURA.) APPUI. Dans la terminologie de la technique vocale, ce terme désigne soit la région abdominale, soit la région thoracique où se manifeste la tension musculaire pendant le chant. APPUYER. Renforcer un son, l’accentuer à un moment donné, indiqué par l’abréviation sf. (sforzando) ou par l’un des signes suivants : -, v, . AQUIN (Louis-Claude d’), organiste et compositeur français (Paris 1694 - id. 1772). Enfant précocement doué, issu d’une modeste famille d’intellectuels et d’artistes dont François Rabelais en personne -, il est le filleul d’Élisabeth Jacquet de la Guerre, claveciniste et compositeur, à qui il devra peut-être son initiation musicale. Dès l’âge de six ans, il joue du clavecin devant Louis XIV et la Cour. Devançant l’enseignement de ses maîtres, il s’impose très tôt comme organiste et comme compositeur. En 1727, il triomphe devant Rameau

dans le concours pour le poste d’organiste à Saint-Paul, puis, quatre ans plus tard, il succède à Marchand aux Cordeliers. En 1739, c’est la consécration officielle, avec sa nomination, sans concours, au poste d’organiste de la chapelle royale, où il remplace d’Andrieu. Fêté par le public, il demeure simple et bon, farouchement indépendant et passablement bohème. Improvisateur stupéfiant, il répond au goût du jour sans y sacrifier. Au contraire, il s’efforce de maintenir l’orgue dans la grande tradition, en train de se perdre. Rameau lui-même le reconnaîtra : « On change de goût à tout moment. Il n’y a que M. d’Aquin qui ait eu le courage de résister à ce torrent ; il a toujours conservé à l’orgue les majestés et les grâces qui lui conviennent. » Les documents sont hélas ! trop peu nombreux pour étayer ce jugement : négligent et imprévoyant, il n’a que très peu publié de ses multiples compositions, en grande partie perdues ou restées manuscrites (Te Deum, Leçons de Ténèbres, Messes, Miserere, Cantates, etc.), tout comme ont été perdues les oeuvres manuscrites de Calvière, que sa veuve lui avait confiées pour les faire éditer. À part une cantatille, la Rose (1762), son oeuvre connue se résume à deux livres : Premier Livre de pièces de clavecin (1735) et Nouveau Livre de noëls pour l’orgue et le clavecin, dont la plupart peuvent s’exécuter sur les violons, flûtes, hautbois, etc. Les pièces descriptives pour le clavecin (le Coucou) s’inscrivent dans la lignée de celles de Couperin et de Rameau. Quant aux noëls pour orgue, ce sont de brillantes variations sur de populaires thèmes de chants traditionnels de Noël, genre très prisé à downloadModeText.vue.download 36 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 30 l’époque et dont d’Aquin fut incontestablement le maître. ARABE (musique). Musique modale, monodique, de transmission orale ou codée. Les termes de « musique arabe « ou « musique orientale « ont longtemps désigné les musiques conçues ou interprétées au sein de l’islām arabo-irano-turc, sans dif-

férencier les spécificités nationales ou locales ou les hybridations exotiques. Si l’on se réfère aux structures modales maqām (modes arabo-irano-turcs), est arabe une musique mettant en jeu des structures : intervalles, genres tétracordes, formules mélodico-rythmiques, modes traditionnels développés au sein de l’islām araboirano-turc et dont la forme, improvisée ou composée, les thèmes, les particularités, le rythme, etc., relèvent plus précisément de traditions arabes ou assimilées. On y utilise, entre autres, des intervalles spécifiques que les musicologues mesurent en quarts de ton ou en commas. Si l’on se réfère aux rythmes, la musique arabe (de même que les musiques iranienne, turque, etc.) peut faire appel à une multitude de rythmes binaires ou boiteux dont les cellules juxtaposent, en application de codes précis, des temps denses (dum) et des temps clairs (tak), selon le point d’impact sur l’instrument de percussion. Si l’on se réfère à un critère ethnique, on considère comme arabe toute musique perpétuée ou créée dans un pays arabe, à l’exception des compositions ou interprétations délibérément occidentales. Si l’on se réfère à la langue, on remarque que de nombreuses chansons arabes du XXe siècle, composées sur un livret arabe classique ou contemporain, sont habillées d’orchestrations ou d’harmonisations occidentales et néanmoins considérées comme arabes. DES ORIGINES AU VIIE SIÈCLE. À l’origine, la musique « bédouine » de la période antéislamique (jāhilīya) est essentiellement vocale, de tradition orale, et utilise la psalmodie (tartīl), la récitation modulée (inchād), la poésie (chi`r) scandée par des percussions ou la mélopée du caravanier (hudā’). Outre le tambourin (daff), les instruments accompagnateurs sont le hautbois (mizmar, zamr), la vièle monocorde (rabāba) ou des luths archaïques (mizhar, muwattar, kirān, puis tunbūr et tanbūra). Des joutes et tournois poétiques ont lieu à La Mecque autour de la Pierre noire (Ka`ba). Au XXe siècle, on peut avoir une idée de ce que fut cette musique archaïque en découvrant les manifestations traditionnelles des Bédouins, nomades et villageois, les fêtes collectives de la péninsule et du golfe arabiques (sawt et fjirī, etc.), les joutes scandées du Liban (zajal), qui minimisent le rôle des instruments.

Dès le VIe siècle, s’amorce au MoyenOrient une confluence artistique entre les traditions bédouines et les cultures byzantine et perse sassanide, autour des principautés de Hīra et de Ghassān. Au VIIe siècle, l’essor de l’islām va catalyser cette confluence et établir ses fondements techniques avec le rythme (īqā`), le chant élaboré (ghinā`) et le luth à manche court (`ūd). Ces trois éléments définissent une musique « méta-hellénique », monodique, improvisée sur un code modal, dont les intervalles, les genres tétracordes, les modes et les mélodies sont conçus sur le `ud avant d’être confiés à la voix du chanteur qui véhicule les mots, la poésie et l’émoi (tarab) en fonction de l’état d’âme (rūh) de l’assemblée. APOGÉE `ABBĀSSIDE (VIIIE-XIIIE S.). Sous les califes omeyyades, les musiques de Médine, La Mecque et Damas restent tributaires de préjugés « sémitiques » et confessionnels ; jugées comme un art ludique, elles sont plus volontiers confiées à des esclaves, à des étrangers (Persans ou Noirs), à des minoritaires non musulmans ou à des « entraîneuses » (qayna, qiyāna). Du VIIIe au XIIIe siècle, le mécénat des califes `abbāssides d’Iraq accentue les influences helléniques et persanes et marque les âges d’or de la musique au sein de l’islām, en dehors de tout préjugé racial ou religieux, d’où la prolifération des manuscrits et l’hégémonie des savants et artistes : Zalzāl, Ibrāhīm Mawsilī (VIIIe s.), Ishāq Mawsilī, Ziryāb, Kindī (IXe s.), Munajjim, Isfahānī, Fārābī (Xe s.), Ibn-Sīnā, dit Avicenne (XIe s.), Safiy al-Dīn (XIIIe s.), oeAbd al-Qadir Ibn-Ghaibī al Hāfiz al Maraqī (XIVe s.), etc., conduisant à une musique de haute technique conçue sur des `ūd à cinq rangs couvrant plus de deux octaves, admettant le démanché et les nuances dynamiques et décrivant les genres et modes selon un système commatique. Improvisée au sein des cénacles savants ou à la cour, cette musique raffinée a parfois utilisé des notations alphabétiques. Au XXe siècle, les intervalles commatiques sont encore utilisés en Turquie, par l’école de luth de Bagdad et dans des églises d’Orient (Grèce, Syrie, Iraq, etc.). Ils donnent une idée de ce que fut la technique à l’apogée du XIIIe siècle. EXPANSION ANDALOUSE (IXE S.).

Au IXe siècle, une rivalité entre deux solistes de Bagdad, Ishāq Mawsilī et Ziryāb, provoque le départ de Ziryāb pour le Maghreb et l’Espagne musulmane, où il est accueilli à Cordoue par le calife omeyyade. Ziryāb, muni d’un `ūd à cinq rangs et créateur d’une école rationnelle de musique, aurait ainsi favorisé l’essor de la musique arabo-andalouse, illustrée par vingtquatre « suites » (nawba). Au XXe siècle, cette musique survit au Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie). Elle a conservé des aspects archaïques et ne module pas, restant dans un mode unique durant le déroulement de la « suite ». Afin de pallier les imprécisions dues aux périodes coloniales, il importe de bien restaurer son esprit et sa technique avant de la diffuser. Également amorcée à Bagdad et développée en Andalousie au IXe siècle, une réforme de la prosodie conduit à une nouvelle forme poétique, le muwachchah, qui, supplantant l’ancienne qasīda, est encore considéré au XXe siècle comme le symbole du classicisme arabe musico-poétique, sous forme de longues suites modulantes appelées fasil ou wasla, et présentant de nombreuses variantes locales. RÉCESSION (XIVE-XIXE S.). La prise de Bagdad par les Mongols (1258) et celle de Constantinople par les Turcs (1453) modifient l’équilibre de l’islām arabo-irano-turc. L’élitisme musical passe du mécénat des califes `abbāssides à celui des empereurs ottomans, et les meilleurs artistes sont consacrés à Istanbul. La musique des « provinces arabes » devient un art récessif de colonisés, d’où la régression des formes savantes ou instrumentales et le regain des formes populaires ou vocales, qui se différencient mieux de l’art ottoman. RÉVEIL DU XIXE SIÈCLE. Au XIXe siècle, la musique ottomane est florissante et la situation des pays arabes limitrophes de la Turquie reste acceptable. L’Iraq maintient la tradition confluentielle arabo-irano-turque à Bagdad et à Mossoul, avec le genre dit maqām al-`irāqī, poème chanté par un soliste, le maqāmtchī, accompagné par un quatuor spécifique, le tchalghī, comportant une cithare-tympanon (santūr), une vièle (jawza), un tambour-calice (tabla)

et un tambour de basque (daff ou reqq). Ce maqām va être rénové par Rahmallah Chiltag, Ahmad Zaydān et Molla Othmān Mawsilī, avant d’être repris par les grands chanteurs iraqiens du XXe siècle : Rachīd Kundarjī, Muhammad Qubbānjī et Yusuf `Omar. Mais la résurgence de la tradition `abbāsside élitaire du `ūd ne se fera qu’en 1936 avec Cherif Muhieddin et son école de luth de Bagdad. En Syrie, Alep perpétue le muwachchah, et Damas la notion de classicisme. Au milieu du XIXe siècle, Michel Muchāqa propose une réforme de la théorie et de la pratique du `ūd et Abū-Khalīl Qabbānī rénove le style des chants profanes. Ils annoncent les grands artistes du XXe siècle : le « prince du luth » `Omar Naqichbendī et le chanteur Sabāh Fākhrī. En Égypte et au Maghreb, la musique s’est appauvrie. À la fin du XIXe siècle, un musicien du Caire, Abdū al-Hammūlī, a l’idée d’emprunter à Istanbul de nouveaux modes (maqām) et à Alep son art du muwachchah. De toutes parts jaillit l’idée downloadModeText.vue.download 37 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 31 de retourner aux âges d’or et d’analyser les musiques arabes pour mieux les confronter aux musiques européennes. C’est le réveil du nationalisme arabe. MÉDIAS DU XXE SIÈCLE. Au début du XXe siècle, l’effondrement de l’Empire ottoman facilite le réveil du nationalisme arabe et une renaissance (nahda) littéraire et musicale très active en Égypte. Cette renaissance s’attache au renouveau folklorique (Sayyīd Darwīch) et classique (Congrès de musique arabe, Le Caire, 1932). Deux talents vocaux exceptionnels (Umm Kulthūm et Muhammad Abd al-Wahhāb) vont régner sur un demi-siècle de chanson arabe et enchanter les foules. La qualification des artistes égyptiens les incite rapidement à dominer les médias arabophones (cylindre, disque, film, radio, télévision, cassettes), imposant leur style et leurs productions. Mais cette suprématie finit par se changer en monopole du divertissement, étayé par des oeuvres commerciales ou démagogiques

abusant du mélodrame et des effets faciles. À ce jour, les masses arabes sont dominées par les « variétés » égyptiennes, effet encore accentué par les télévisions qui ont imposé au sein des familles le visage des vedettes élues, les mélodies et les formules stéréotypées. Après 1950, le Liban amorce une renaissance folklorique concrétisée par des opérettes - destinées aux festivals de Baalbek et confiées principalement à la plume des frères Rahbānī ou à la voix tendre de la chanteuse Fayrouz -, colportant une musique hybride promouvant modes orientaux, orchestrations occidentales et danses populaires arabes (surtout la dabka). De réels talents, comme ceux du chanteur Wadi` al-Safī ou du joueur de buzuq Matar Muhammad, doivent se frayer un chemin ardu entre les monopoles du Caire et de Baalbek. FOLKLORES CONTEMPORAINS. Actuellement, en rapport avec la tendance mondiale, tous les pays arabes s’efforcent de ranimer leurs patrimoines populaires. Ces traditions, mieux différenciées d’une région à l’autre que les traditions savantes, sont toujours vivantes et pratiquées au village à l’occasion des festivités. Elles reflètent aussi les survivances de certains patrimoines antéislamiques ou minoritaires (araméens, kurdes, coptes, berbères, etc.). Elles reposent néanmoins sur les mêmes structures modales que les musiques savantes, moyennant réduction de l’ambitus à une octave ou à un pentacorde. Ces manifestations populaires sortent désormais des campagnes et atteignent les théâtres nationaux, les lieux de villégiature, les festivals locaux ou internationaux ; d’où leur prise en charge par les administrations et une tendance à la normalisation, doublée de mises en scène, d’orchestrations et de chorégraphies spectaculaires qui soignent l’effet au détriment de l’authenticité. RÉSURGENCE DU RÉCITAL INSTRUMENTAL. La suprématie des chansons de variétés véhiculées par les médias a accentué la domination de la musique vocale et des orchestres pléthoriques ont étouffé le quatuor traditionnel (takht) et les instruments millénaires. Le luth court (`ūd),

le luth long (tanbūra, buzuq), la citharetympanon (santūr), la cithare-psaltérion (qānūn), la flûte oblique (nāy) et leurs solistes ont été réduits aux rôles d’accompagnateurs. Les solos instrumentaux improvisés (taqsīm) sont devenus de brefs intermèdes. Cependant, à Bagdad, entre 1936 et 1948, se concrétise une résurgence de la pratique élitaire du `ūd, selon l’éthique de la période `abbāsside, avec l’école de luth de Bagdad, fondée et dirigée par Cherif Muhieddin. Cette institution ranime les intervalles commatiques, les nuances dynamiques, le démanché et les doigtés savants sur des `ūd à six rangs couvrant trois octaves. Elle va former les plus grands luthistes du monde arabe contemporain : Jamīl Bachīr (le plus subtil poète du luth), Salmān Chukur, Munīr Bachīr (le pionnier de la musique arabe en Occident), Jamīl Ghānim, Alī Imām... La délicatesse de leur jeu en récital oriental solo et la complexité de leurs modulations les rendent d’abord inaccessibles aux foules soumises à la chanson ou habituées à la pratique banale du `ūd usuel. Mais, à partir de 1970, le taqsīm arabe prend place dans le nouveau courant d’intérêt porté par l’Occident aux instruments orientaux. Et la consécration des grands solistes arabes par les médias occidentaux suscite un regain d’intérêt dans leurs pays d’origine pour la musique instrumentale. ARABESQUE. Nom donné à des pièces pour piano par certains compositeurs, tels que Schumann (op. 18) et Debussy (pour deux oeuvres de jeunesse). L’idée d’ornement, de ciselure est sans doute à l’origine du choix de ce titre, qui évoque, au sens propre, des entrelacements de feuillages et de figures de fantaisie que l’on trouve dans l’art arabe. ARAUJO (Pedro), compositeur portugais († Braga 1684). Il fut maître de chapelle et professeur au séminaire de Braga, de 1663 à 1668. À une époque où la musique d’orgue connaissait au Portugal un grand développement, Araujo se plaçait, par la qualité de ses oeuvres, à la tête d’une école de musiciens située dans le nord du pays et caractérisée par l’assimilation du style des organistes

espagnols. ARBEAU (Thoinot, anagramme de Jehan Tabourot), théoricien français (Dijon 1519 - Langres 1595). Prêtre, chanoine de Langres, il est l’auteur d’un très important ouvrage : Orchésographie et traité en forme de dialogue par lequel toutes personnes peuvent apprendre et pratiquer l’honneste exercice des dances (1588). C’est le plus ancien traité concernant la danse et contenant la notation des musiques et des mouvements des diverses danses pratiquées à l’époque, les basses danses particulièrement. On y trouve des indications précises sur le jeu des instruments et l’accompagnement polyphonique, ainsi que des illustrations représentant les différentes phases d’exécution des danses. ARCADELT ou ARCHADELT, ARCADET, HARCHADELT (Jacques), compositeur franco-flamand (v. 1514-1568). Parti vraisemblablement très jeune en Italie, il est signalé à Florence vers 1530, puis en 1532, à l’issue d’un séjour lyonnais. Nommé en 1540 maître de la chapelle Sixtine, il se voit également attribuer le titre de chanoine de Liège. En 1546-47, il passe une année en France, puis rentre à Rome jusqu’en 1551, date à laquelle il devient maître de chapelle du cardinal de Lorraine ; il appartient à la chapelle royale de 1554 à 1562. La publication de son Premier Livre de madrigaux (Gardane, Venise, 1539), réédité quarante fois jusqu’en 1654, le place d’emblée parmi les grands madrigalistes de la première époque. Il est un de ceux qui donnent au genre sa forme définitive, dégagée de la frottola, et publie, entre 1539 et 1544, 250 madrigaux à 3 et à 4 voix, dont le célèbre Il Bianco e Dolce Cigno. Lorsque les luthistes mettent en tablature les premiers madrigaux, ils s’adressent aux musiciens ultramontains : un recueil entier, celui des Vindella, est alors consacré à Arcadelt, qui assumera bien souvent par la suite des paternités douteuses. S’il sait trouver le ton juste, fait de charme, de douceur et de mélancolie, qui convient au madrigal, Arcadelt ne renie pas pour autant ses origines, tantôt employant le style de la chanson française, tantôt cultivant celle-ci pour elle-même ; il joue même un rôle de précurseur en

publiant à Paris, dès 1547, ce qui peut être considéré comme les premières chansons en forme d’air. ARCHET. Baguette, généralement en bois de Pernambouc, sur laquelle est tendue une mèche en crins de cheval, que l’on enduit de colophane. Il permet de mettre en vibration les cordes des instruments à cordes frottées, comme le violon, le violoncelle, la viole. L’extrémité inférieure de l’archet, le downloadModeText.vue.download 38 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 32 « talon », comporte une hausse mobile qui permet de régler la tension de la mèche, grâce à une vis à écrou actionnée par un bouton. Pendant des siècles, la baguette eut un profil convexe, en arc, d’où le mot « archet ». La facture de l’archet a évolué progressivement, mais, depuis toujours, les meilleurs « archetiers » sont français. ARCHILEI (Vittoria, dite LA ROMANINA), cantatrice italienne (Rome 1550-Florence apr. 1618). Un des premiers grands noms de l’histoire du chant soliste, elle épousa Antonio Archilei, lui-même compositeur et luthiste. Appelée à Florence par les Médicis pour les noces d’Éléonore avec Vincenzo di Gonzaga, elle commenca une carrière glorieuse. Appartenant à la Camerata de Bardi, elle créa notamment la plupart des opéras de Peri et de Caccini. On peut constater, en lisant la préface de l’Euridice de Peri, que celui-ci l’avait en très haute estime. ARCHILUTH. Terme désignant un groupe d’instruments à cordes pincées issus du luth : le théorbe, le luth théorbé et le chitarrone. Inventés en Italie vers la fin du XVIe siècle, les archiluths répondaient au désir des luthistes chanteurs de posséder des cordes graves supplémentaires, afin de mieux soutenir la voix. L’instrument tra-

ditionnel à 6 cordes était conservé, mais il venait s’y ajouter des cordes graves (6 à 8), dites « sympathiques », montées hors manche. Ces cordes sonnaient à vide et étaient accordées dans la tonalité du morceau à interpréter. Parmi ces archiluths, seul le théorbe paraît avoir connu une vogue en France ; on y avait recours notamment pour jouer les basses continues. « Il ne faut pas s’étonner si plusieurs le préferrent au clavessin... » (S. de Brossard, Dictionnaire de la musique, 1703.) ARC MUSICAL. Instrument à corde, joué en Afrique, en Amérique du Sud, en Inde et en Océanie. Il se compose d’une corde tendue sur un bâton flexible, et pincée par le doigt ou par un bâtonnet de bois ou de bambou. La caisse de résonance est soit la bouche du joueur, lorsqu’il tient l’instrument serré entre les dents, soit une calebasse attachée à la corde ou au manche et en contact avec le buste de l’exécutant. L’arc musical peut aussi comporter des grelots. Par sa forme, il serait un ancêtre de la harpe. Il remonterait même au paléolithique, puisqu’on en trouve une représentation sur une gravure de la grotte des Trois-Frères, en Ariège, datant de l’époque magdalénienne (15 000 ans env. av. J.-C.). ARCO. Dans une partition, après un passage joué par les instruments à cordes sans l’aide de l’archet, c’est-à-dire pizzicato, le terme arco indique que l’instrumentiste doit reprendre son archet. ARCUEIL (école d’). En réaction contre la tendance agressive du groupe des Six, l’école d’Arcueil fut imaginée en 1924 par Maxime Jacob qui, associé à trois musiciens de ses amis, Henry Cliquet-Pleyel, Roger Désormière et Henri Sauguet, la plaça sous le patronage d’Erik Satie, lequel habitait précisément Arcueil. Ce groupe déclarait vouloir revenir à la simplicité, à la mélodie, à la pureté harmonique de Bach, tout en admettant les rythmes et les sonorités du jazz, voire l’esthétique du café-concert. Mais cette école d’Arcueil ne fut rien d’autre qu’une idée. Elle n’eut jamais de réalité juridique, de professeurs ou d’élèves, et se contenta d’attirer l’atten-

tion du public sur quatre musiciens, qui, groupés autour de Satie, conservèrent chacun leur personnalité. La vie sépara vite ses membres : Satie mourut en 1925 ; Jacob, particulièrement doué, rentra dans les ordres ; Cliquet-Pleyel s’orienta vers la musique légère et la musique de film ; Désormière abandonna très vite la création pour se consacrer uniquement à la direction d’orchestre. Seul, Sauguet poursuivit une heureuse et longue carrière de compositeur, fidèle au conseil de Satie : « Marchez seuls. Faites le contraire de moi. N’écoutez personne ! ». ARENSKI (Antoni Stepanovitch), compositeur russe (Novgorod 1861 - Terioki, Finlande, 1906). Élève de Rimski-Korsakov au conservatoire de Saint-Pétersbourg, Arenski fut nommé professeur d’harmonie et de contrepoint au conservatoire de Moscou (1882). On lui doit, à ce titre, un Traité d’harmonie (1891) et un ouvrage sur les Formes musicales (1893-94). Par la suite, il succéda à Balakirev à la tête de la chapelle impériale (1895-1901). Fortement influencé par Tchaïkovski, Arenski semble n’avoir pas « donné toute la mesure de son très grand talent » (M.-R. Hofmann), et, malgré une nature généreuse et sensible qui se complaît dans les tonalités du mineur, ses oeuvres sont souvent d’inégale valeur. OEUVRES PRINCIPALES. Musique instrumentale : 2 symphonies ; 1 quatuor à cordes (dédié à Tchaïkovski) ; une centaine de pièces pour piano, dont 3 suites pour 2 pianos ; Nuit d’Égypte, ballet (1900). OEuvres lyriques et vocales : 3 opéras : Un songe sur la Volga (1892), Raphael (1894) ; Nal et Damayanti (1904) ; 1 cantate : la Fontaine de Bakhtchissarai (d’après Pouchkine). ARGENTA (Ataulfo), pianiste et chef d’orchestre espagnol (Castro Urdiales, Santander, 1913 - Los Molinos, Madrid, 1958). Après des études au conservatoire de Madrid, puis à Liège et à Berlin, il enseigna le piano au conservatoire de Kassel. Appuyé par Carl Schuricht, il s’orienta ensuite

vers la direction d’orchestre et fonda l’Orchestre de chambre de Madrid. En 1947, il fut chargé de la direction de l’Orchestre national d’Espagne. Spécialiste des grands romantiques de la musique allemande, mais aussi des compositeurs espagnols, Ataulfo Argenta sut imposer un art à la fois sensible, dépouillé et empreint d’une fierté tout espagnole. ARGERICH (Martha), pianiste argentine (Buenos Aires 1941). Élève de V. Scaramuzza, Friedrich Gulda, Madeleine Lipatti et Nikita Magaloff, elle a obtenu, en 1965, le 1er prix au concours Chopin de Varsovie et a très vite acquis une réputation mondiale. La puissance de son jeu la fait admirer dans Prokofiev ou Bartók, mais sa nature impulsive et son humeur profondément romantique la rendent particulièrement proche de Schumann, Chopin et Liszt, dont elle est une interprète inspirée. ARGUMENT. Résumé de l’intrigue d’un opéra ou d’une oeuvre musicale dramatique. Au XVIIe siècle, en Italie, et notamment à Venise, on appelait « argomento » le résumé des événements survenus avant le début de l’ouvrage, de l’action proprement dite. ARIA. Équivalent italien d’air, mais dont le sens est moins vaste que celui du mot français ; il désigne plutôt une forme assez précise : une mélodie vocale ou instrumentale, monodique ou accompagnée. Au XVe siècle, on chantait des vers sur des mélodies connues (poesia per musica). Cette habitude prit son ampleur au siècle suivant, et ces mélodies recevaient souvent le titre d’une région (ex., la Romanesca). Des formes polyphoniques existaient aussi, des petites pièces telles que la villanella, la frottola, la canzona, pièces homorythmiques où la voix supérieure dominait. Bientôt, avec le mouvement humaniste des académies, l’aria monodique se développa, devint une sorte de récit (recitar cantando) soutenu par une basse continue. À la tête de ce mouvement, nous trouvons G. Caccini, avec son recueil Nuove Musiche (1601).

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DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 33 Au XVIIe siècle, « aria » désignait essentiellement un style mélodique qui se distingua vite de celui du récitatif, il fut l’élément le plus important d’un genre nouveau : l’opéra, où le bel canto dominait la scène. Plusieurs formes d’aria coexistaient : l’aria strophique, l’aria en deux sections (AB) et l’aria col da capo (ABA’) qui devint vite la forme la plus utilisée durant toute l’époque baroque ; on la trouve également dans la cantate et la musique religieuse. Dans cette forme fermée qui coupait net toute action dramatique, le chanteur devait orner la reprise (A’) selon son goût et les possibilités de sa technique vocale, principe qui entraîna parfois certains abus. L’aria était généralement précédée d’un récitatif exigeant un style plus déclamatoire. En général, l’aria commençait par une ritournelle instrumentale, et, comme en France, elle adoptait un tour et portait un titre différent selon les sentiments à exprimer : aria cantabile, di bravura, da caccia, di guerra, del sonno (du sommeil). En Allemagne, J.-S. Bach surtout utilisa l’aria en la traitant dans un style concertant, avec une grande variété d’instruments obligés. Au XVIIIe siècle, afin d’éviter le da capo qui interrompt l’action, on employa parfois la cavatine de forme A B (Mozart : Cosi fan tutte, cavatine. Tradito, schernito). Au XIXe siècle, et pour la raison citée plus haut, on préféra souvent la cavatine à l’aria. Verdi, puis Wagner abandonnèrent cette forme fermée. Récit et aria devinrent une sorte d’arioso perpétuel, une « mélodie infinie », sans conclusion. Debussy ne composa aucune forme close, mais, au XXe siècle, avec les tendances néoclassiques, R. Strauss, Stravinski, Hindemith retrouvèrent l’aria traditionnelle et l’adaptèrent à la sensibilité contemporaine. Berg, dans Wozzeck, employa cette forme et l’intégra dans des pièces instrumentales ; dans Lulu, il l’utilisa de manière très classique, comme l’a fait plus récemment Henze (Nachstücke und Arien, 1977). ARIETTE. Pièce vocale de forme strophique, de style

léger, d’allure dansante, semblable à l’aria, mais de dimensions moindres. Dans son Dictionnaire de 1703, S. de Brossard écrit : « Une ariette a ordinairement deux reprises, ou bien elle se recommence da capo, comme un rondeau. » On trouve souvent cette forme dans la cantate française (Bernier, Monteclair) et dans les opéras de Rameau ; elle fut introduite ensuite dans les opéras italiens de Bononcini et dans les opéras-comiques français de Monsigny et Grétry. ARIOSO. Pièce vocale de structure intermédiaire entre l’air, auquel appartient l’expression lyrique, et le récitatif, qui conserve le rythme de la parole. En 1703, S. de Brossard écrit : « Arioso veut dire d’un même mouvement que si l’on chantait un air. » C’est une forme plus développée, plus mesurée de récitatif, qui, tendant vers un plus grand lyrisme d’expression, se souvient des caractéristiques de l’air. Souvent, par exemple à un moment pathétique vers la fin d’un récitatif, la basse continue devient plus animée, voire mesurée, et le récit se transforme en arioso (J.-S. Bach : cantate BWV 82, fin du récitatif « Mein Gott ! Wann kommt das schöne : Nun ! »). L’arioso peut être un morceau mesuré indépendant, sans être pour autant un air (J.-S. Bach : cantate BWV 56, arioso « Mein Wandel auf der Welt »). L’arioso est typique du style de l’école de Monteverdi, de Cavalli. ARIOSTI (Attilio), compositeur italien (Bologne 1666 - ? v. 1729). Moine et courtisan, doué aussi bien pour l’orgue que pour le clavecin, le violoncelle et la viole d’amour, il séjourna à Mantoue, à Berlin - où sa présence fit scandale (il était moine et catholique) et où il composa les premiers opéras italiens donnés dans cette ville -, à Vienne - d’où il retourna en Italie comme agent de l’empereur Joseph Ier - et à Londres - où il joua de la viole d’amour durant les entractes d’Amadigi di Gaula de Haendel et dédia Six Lessons pour viole d’amour à George Ier. ARISTOTE, philosophe grec (Stagire 384 ou 383 - Chalcis 322 av. J.-C.).

Élève de Platon, précepteur d’Alexandre le Grand, ce penseur, dont l’oeuvre est une somme des connaissances de son époque, voit dans la musique une imitation des états psychiques et, lui reconnaissant une valeur éthique, estime très important le rôle qu’elle joue dans l’éducation du citoyen. S’il a maintes fois écrit sur la musique, Aristote ne lui a pas consacré d’ouvrage particulier. Toutefois, ses connaissances sont précises. Redevenues vivantes au XIIIe siècle, ses idées ont considérablement influencé l’évolution de la musique occidentale. ARISTOXÈNE DE TARENTE, philosophe grec (354 av. J.-C. - ?). Sa pensée est celle d’un conciliateur qui voudrait harmoniser les conceptions pythagoriciennes et la théorie aristotélicienne. Élève d’Aristote, il est surtout connu comme théoricien de la musique. Dans ses ouvrages, Éléments de l’harmonie et Éléments de la rythmique, il donne des bases scientifiques à la rythmique, défend la théorie du tempérament égal, et rejette les calculs purement mathématiques des pythagoriciens au profit d’une appréciation qualitative et psychologique du son. Considéré comme l’un des plus grands théoriciens de l’Antiquité, il exerça une influence jusqu’à la fin du Moyen Âge. ARMA (Paul, pseudonyme d’lmre Weisshaus), compositeur français d’origine hongroise (Budapest 1905 - Paris 1987). Il fait ses études musicales à l’Académie Franz-Liszt de Budapest, notamment avec Bartók. En 1933, il s’établit à Paris. Il étudie les folklores de nombreux pays, tout particulièrement ceux de la Hongrie et de la France, et leur fait une large place dans son oeuvre. Il écrit des pièces pour piano, de la musique de chambre, de la musique d’orchestre, des oeuvres vocales et, plus récemment, de la musique pour bande magnétique. ARMATURE ou ARMURE. Terme désignant la ou les altérations constitutives d’une tonalité, écrites immédiatement après la clef, affectant toutes les notes de même nom, quelle que soit leur octave, et dont l’effet se prolonge pendant toute la durée du morceau. Les dièses et les bémols constitutifs du

ton majeur ou mineur sont écrits dans un ordre établi. ARNAULT DE ZWOLLE (Henri), organiste, théoricien, ingénieur, astronome et médecin néerlandais, probablement d’origine française. (Zwolle ? - Paris 1466). Il exerça la médecine au service du duc de Bourgogne, Philippe le Bon, puis des rois de France, Charles VII et Louis XI. C’est en soignant ses malades qu’il succomba de la peste. Il composa, en latin, plusieurs traités, illustrés de figures, sur les instruments à clavier (orgue, clavicorde, clavicymbalum) et les instruments à cordes (harpe, luth). Ces traités, édités depuis, forment le premier grand document d’organologie connu et constituent une source inestimable sur les instruments de musique du XVe siècle. ARNAUT DANIEL, gentilhomme et troubadour originaire de Ribérac (Dordogne) [seconde moitié du XVIIe siècle]. Jongleur, il voyagea aux côtés de Richard Coeur de Lion et acquit une grande notoriété par la richesse de son inspiration mélodique et sa façon, très personnelle selon Dante, de « ciseler » la langue d’oc. Pétrarque aussi l’apprécia beaucoup et le désigna comme le premier entre tous et le grand « maître d’amour « ; il nous a laissé 18 pièces poétiques, dont 2 seulement sont notées. downloadModeText.vue.download 40 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 34 ARNAUT DE MAREUIL, troubadour de la région de Mareuil, dans le nord de la Dordogne (fin du XIIe s. - début du XIIIe s.). D’abord clerc, puis jongleur, il fut protégé par le vicomte de Béziers, Roger II, avant de l’être par Guillaume VIII de Montpellier. On lui a attribué une quarantaine de chansons, mais il semble que 26 seulement soient authentiques, dont 6 notées ; il cultiva également le genre courtois appelé « salut d’amour », épître en vers d’une qualité poétique remarquable. ARNE, famille de musiciens anglais. Thomas Augustine (Londres 1710 - id.

1778). Avec W. Boyce, il est le plus important compositeur anglais de son époque, et son oeuvre fait date dans l’histoire de l’opéra de son pays. Travaillant le jour chez un notaire, il s’exerçait la nuit sur une épinette introduite en cachette dans sa chambre, car son père ne voulait pas qu’il devînt musicien. Il triompha néanmoins de la volonté paternelle et, pour son premier opéra, choisit un texte d’Addison pour écrire une Rosamond. Il composa ensuite des opéras, des masques et de la musique d’église. Pour les représentations des pièces de Shakespeare au Dury Lane, il composa de nouvelles mélodies pleines de charme, par exemple, pour As you like it, Under the Greenwood Tree et Blow, blow thou Winter Wind. Sa chanson la plus célèbre reste Where the Bee sucks (dans The Tempest) ; réunis, ses airs remplissent 20 recueils. T. A. Arne naquit au moment où Haendel s’établissait en Angleterre. Jusqu’à nos jours, sa musique, fraîche, spontanée et originale, a souffert du voisinage écrasant de son aîné. Pourtant, c’est lui, et non Haendel (à l’exception de Semele, 1743), qui continua la tradition de l’opéra anglais après Purcell. Citons Thomas and Sally (1733) et Alfred (1740) dont un passage du final, le Rule, Britannia !, est resté l’une des mélodies patriotiques les mieux connues en Angleterre. T. A. Arne ne négligea pas la musique instrumentale, écrivant des sonates pour le clavecin, des ouvertures et des concertos pour orgue. Il faut mentionner également ses deux oratorios, Abel (1744) et Judith (1761). Michael, fils du précédent (Londres 1740 id. 1786). Il composa de la musique théâtrale, se ruina pour essayer de découvrir la pierre philosophale, puis revint à la composition. Pendant quelques années, il dirigea les oratorios de carême à Londres. ARNOLD (Malcolm), compositeur et trompettiste anglais (Northampton 1921). Il étudia avec Gordon Jacob au Collège royal de musique de Londres et fut premier trompettiste de l’Orchestre philharmonique de Londres (1942-1944 et 19461948). Maître de dans des oeuvres cinq ouvertures. huit symphonies,

l’orchestration, il excelle brillantes, telles que ses Il a également composé des concertos pour di-

vers instruments, le ballet Hommage to the Queen, un masque, les opéras The Dancing Master (1951) et The Open Window (1956), et des musiques de film, dont celle du Pont sur la rivière Kwaï. ARNOLD (Samuel), compositeur, organiste et éditeur anglais (Londres 1740 id. 1802). Auteur d’une cinquantaine d’opéras et pastiches et de neuf oratorios, docteur d’Oxford en 1773, organiste de la chapelle royale en 1783 et de la cathédrale de Westminster en 1793, il édita de 1787 à 1797 de nombreuses oeuvres de Haendel. Il fonda en 1787 le Glee Club et en 1790 la Society of Musical Graduates, où Haydn fut admis en 1791 après avoir été fait docteur d’Oxford. ARNOLD DE LANTINS, compositeur belge, originaire de Liège (XVe s.), peutêtre apparenté à Hugo de Lantins. Ce musicien, qui se rattache à l’école franco-flamande, séjourna vraisemblablement à Venise (deux chansons, Se ne prenez de moi pitié et Quand je mire vo doulce portraiture, sont datées de cette ville, mars 1428) avant de devenir chantre à la chapelle pontificale d’Eugène IV en 1431. Ses audaces comme ses hésitations caractérisent cette époque de transition. Il fut un des premiers à écrire une messe unitaire (Missa verbum incarnatum) et affectionna la chanson à 2 voix avec contratenor instrumental, manifestant dans ce genre une grande facilité d’improvisateur et une sensibilité nouvelle. ARNOLD VON BRUCK, compositeur flamand, d’origine suisse (Bruges 1490 Linz, Autriche, 1554). Ce musicien, qui devint premier maître de chapelle de l’empereur Ferdinand I, est l’un des compositeurs les plus importants du XVIe siècle par la manière de déclamer un texte en musique et par le style harmonique, proches de Josquin Des Prés. On connaît de lui 22 motets (de 2 à 6 voix), des hymnes et des lieder (de 3 à 6 voix), ainsi que des pièces écrites sur des chorals luthériens et des chansons profanes. Son oeuvre a été rééditée in O. Kade, Auserwählte Tonwerke ... des 15. und 16. Jahrhunderts (Leipzig, 1882).

ARNOULD (Sophie), soprano française (Paris 1740 - id. 1802). Elle débuta en 1757. Dotée d’une voix plus belle que puissante, grande actrice, très recherchée dans les salons, elle créa en 1774 le rôle d’Euridyce dans l’Orphée de Gluck et le rôle-titre de son Iphigénie en Aulide. Elle se retira en 1788 et laissa des Souvenirs ainsi qu’une abondante correspondance. ARPÈGE (littéralement : « comme le jeu de la harpe »). Exécution successive des notes d’un accord, généralement de la note la plus grave à la note la plus aiguë, parfois inversement. Un accord arpégé est tout le contraire d’un accord plaqué, où les notes sont entendues ensemble. Dans l’accord arpégé, elles peuvent être lâchées immédiatement, comme par exemple dans la basse d’Alberti au XVIIIe siècle, ou alors tenues pour devenir un accord complet. Par exemple, François Couperin, les Vieux Seigneurs. L’accompagnement d’une mélodie est souvent fondé sur l’arpègement de l’accord. Par exemple, Chopin, Valse, opus posthume. ARPEGGIONE. Instrument à archet dérivé de la viole de gambe, à mi-chemin entre le violoncelle (par sa forme) et de la guitare (par ses six cordes), mis au point en 1823 par le luthier viennois Johann Georg Staufer et appelé également guitare-violoncelle ou encore guitare-archet. En 1824, sans doute sur commande de Staufer, Schubert écrivit pour arpeggione et piano une sonate (D.821) qu’aujourd’hui on joue en général au violoncelle. ARRANGEMENT. Transcription d’une oeuvre musicale pour un ou plusieurs instruments différents de ceux pour lesquels elle avait été primitive-

ment écrite. L’adaptation d’une oeuvre symphonique pour un orchestre harmonique est un arrangement, de même que la transcription d’un solo de clarinette pour le violon en est un autre. Les réductions pour piano de pages symphoniques ou d’opéras sont également des arrangements. ARRAU (Claudio), pianiste américain d’origine chilienne (Chillan 1903 Mürzzuschlag, Autriche, 1991). Enfant prodige, il se produisit en public à cinq ans. Il fit ses études au conservatoire downloadModeText.vue.download 41 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 35 de Santiago, puis à Berlin où il travailla de 1913 à 1918 avec un élève de Liszt, Martin Krause. Nommé professeur au conservatoire de Berlin dès 1925, il se fixa dans cette ville pour de longues années, tout en commençant une longue et prestigieuse carrière de concertiste. Arrau allie une technique éblouissante et souple à un style d’une beauté souveraine. Ses interprétations sont sérieuses, profondes, mûrement construites. Bach, Beethoven, Schumann, Liszt et Brahms sont ses compositeurs de prédilection. ARRIAGADA (Jorge), compositeur chilien (Santiago du Chili 1943). Élève de Max Deutsch à Paris, il s’installe dans cette ville et y fonde, en 1970, le Studio de musique expérimentale du centre américain (S.M.E.C.A.), aujourd’hui disparu, qu’il anime jusqu’en 1975 avec le concours de son compatriote Ivan Pequeño. Ce studio modeste, mais actif, a accueilli de nombreux compositeurs boursiers de toutes nationalités et organisé des manifestations. Après plusieurs oeuvres sérielles, Arriagada a composé, au S.M.E.C.A. ou dans d’autres studios, un certain nombre d’oeuvres électroacoustiques, colorées et solides, qui se souviennent fréquemment de la musique traditionnelle de son pays, reprise de façon directe ou transposée, ou encore évoquée par l’utilisation d’instruments typiquement sud-américains : Quatre Moments musicaux (1970), Chili 70 (1970), Indio

(1972), Arenas y màs alla (1974), Concierto Barocco (1975). ARRIAGA Y BALZOLA (Juan Crisóstomo de), compositeur espagnol (Bilbao 1806 - Paris 1826). Exceptionnellement précoce, il composa à onze ans un Octuor et, un an plus tard, une Ouverture pour orchestre. À treize ans, il écrivit un opéra, les Esclaves heureux, qui obtint un succès considérable à Bilbao. En 1822, il vint à Paris travailler avec Baillot (violon) et Fétis (harmonie et contrepoint), et fut répétiteur au Conservatoire à dix-huit ans. C’est alors qu’il écrivit ses oeuvres les plus importantes. Le surmenage qu’il s’imposait eut raison de sa santé fragile, et il mourut de tuberculose dix jours avant son vingtième anniversaire. En dépit des influences - notamment celle de Mozart - que son écriture révèle, l’expression d’Arriaga est parfaitement originale par sa couleur espagnole et par la vie intense qu’il sut conférer à des partitions de musique pure : quatuors, symphonie. Son aptitude à vaincre toutes les difficultés techniques lui permit de réaliser, au cours de sa brève existence, une oeuvre à la fois solide et inspirée. ARRIEU (Claude), femme compositeur française (Paris 1903 - id. 1990). Elle a fait ses études classiques à Paris, puis ses études musicales au Conservatoire, dans les classes de Dukas, RogerDucasse, G. Caussade et N. Gallon, et a obtenu un premier prix de composition en 1932. Jusqu’en 1946, elle a occupé des fonctions à la Radiodiffusion nationale (metteur en ondes, chef adjoint du service des illustrations musicales). En 1949, la première attribution du prix Italia de musique a été décernée, à Venise, à son oeuvre Frédéric général. Bien qu’elle ait été l’un des premiers compositeurs à participer aux recherches de P. Schaeffer, Claude Arrieu écrit une musique sans audaces, claire, élégante, d’un ton personnel, d’une très belle facture. Elle a composé pour le théâtre (Noé, texte d’A. Obey ; la Princesse de Babylone, texte de P. Dominique d’après Voltaire ; Cymbeline, d’après Shakespeare, Un clavier pour un autre, texte de J. Tardieu), pour l’orchestre (ballets, concertos pour divers instruments), pour le piano et pour des formations de chambre. Elle a écrit aussi des oeuvres vocales telles que la

Cantate des sept poèmes d’amour en guerre (poème d’Eluard, 1946), des mélodies, des pièces chorales, de la musique de film et des oeuvres radiophoniques, dont la Coquille à planètes (texte de P. Schaeffer). ARRIGO (Girolamo), compositeur italien (Palerme 1930). Dans sa ville natale, il étudie le cor, puis la composition avec Turi Belfiore. Il vient travailler à Paris avec Max Deutsch (1954-1958) et retient l’attention des auditeurs de son trio à cordes. Tre Occasioni obtient le prix de la Biennale de Paris en 1965. Plusieurs autres de ses oeuvres sont données en France : à Paris, Thumos ; à Avignon, l’opéra Orden (livret de Pierre Bourgeade, 1969) ; à Paris encore, son deuxième opéra, Addio Garibaldi (1972). Ces derniers titres, auxquels il faut ajouter Cantate pour Urbinek (1969) ou encore Solarium pour orchestre (1976), cernent un paysage et une angoisse qui sont caractéristiques d’Arrigo. Comme plusieurs Italiens (ses aînés Nono et Dallapiccola), le compositeur est obsédé par la liberté, dont il fait chanter la voix en prenant appui sur des textes beaux et denses. Son Addio Garibaldi est tout empli de Verdi, autre amoureux de la liberté. Une couleur italienne est d’ailleurs toujours perceptible, dominante même chez Arrigo. Son style vocal est souvent proche de celui des madrigalistes et, pour ses Épigrammes, pour ses 3 Madrigaux, il fait appel à des sonnets de Michel-Ange. Des poètes modernes tels que Montale l’attirent aussi. Des « sons cris », des « sons lamentos » apparaissent dans des oeuvres vocales comme Episodi (monodrame sur des textes de poètes grecs anciens, 1963). Une prédilection pour les combinaisons instrumentales, peu habituelles, se fait jour dans la Cantate pour Urbinek (6 joueurs d’harmonica) et Addio Garibaldi (24 flûtes à bec). Ces deux dernières oeuvres, avec Orden, sont sans doute les plus originales, par leur thème comme par le témoignage de l’artiste qui regarde son temps, le vit, le retransmet. Actuellement directeur du Teatro Massimo de Palerme, Arrigo demeure un passionné, farouchement indépendant et même solitaire. « Je suis musicien, dit-il, par ma condition... Je n’ai qu’une possibilité : écrire de la musique. » ARS ANTIQUA.

Terme appliqué à la musique allant des débuts de la polyphonie (fin du IXe s.) à 1320 environ, mais en particulier à celle du XIIe et du XIIIe siècle. L’Ars antiqua atteignit son apogée sous les règnes de Philippe Auguste et de Saint Louis. Cet art a cinq formes principales : 1.L’organum. Il est d’abord écrit à deux voix évoluant de façon parallèle : une voix chante la teneur (ou vox principalis), qui est une mélodie grégorienne, et l’autre donne la même mélodie à la quarte supérieure ou à la quinte inférieure ; c’est l’organum parallèle. Au début du XIIIe siècle, Pérotin compose des organa à 4 voix, beaucoup plus élaborés. 2.Le déchant. C’est une écriture essentiellement syllabique (note contre note), formée de la voix principale avec, au-dessus, la voix organale qui évolue par mouvement contraire avec des consonances d’unisson ou d’octave, de quarte ou de quinte. Cette technique, pratiquée vers les XIe et XIIe siècles, est employée également au XIVe siècle et une grande part d’improvisation est laissée aux « déchanteurs ». 3.Le motet. Il commence à se développer, pendant la seconde moitié du XIIIe siècle, aux dépens de l’organum. La forme est généralement à 3 voix : - la première voix, ou teneur, est écrite en valeurs longues sur un texte liturgique ou profane ; - la deuxième voix, ou duplum (motetus), évolue parallèlement en langue vulgaire, sur un texte différent ; - la troisième voix, ou triplum, chante un troisième texte. Ce mélange de textes, liturgiques ou profanes, va caractériser également le motet à l’époque de Guillaume de Machaut. 4.Le conduit (conductusb. Cette forme semble avoir été créée par l’école de Notre-Dame de Paris pour accompagner des processions. La teneur n’est plus une mélodie grégorienne, mais elle est librement inventée. Le conduit peut être à 1, 2 ou 3 voix, mais se caractérise par un style d’écriture plus syllabique que celui de l’organum. downloadModeText.vue.download 42 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 36 5.Le rondeau. Il est écrit comme un conduit à 3 voix et se singularise par sa forme, qui obéit à la forme littéraire du même nom comprenant plusieurs couplets et un refrain qui revient entre chacun des couplets. C’est dans cette forme que le contrepoint s’emploie avec le plus de liberté (Adam de la Halle). Ces différentes formes, développées, ouvrent la voie aux compositeurs du siècle suivant : ceux de l’Ars nova. ARSIS. Terme de métrique qui, dans l’Antiquité, indiquait que, dans la danse, le pied ou la main du danseur était en position élevée. Le mot thésis, en revanche, désignait l’abaissement, c’est-à-dire la pose ou la frappe du pied. Par extension, on désigne, en musique, par thesis, le temps fort, et par arsis, le temps faible. ARS NOVA. Terme qui signifie « art nouveau ». C’est le titre donné par Philippe de Vitry (1291-1361) à un traité qui nous renseigne sur ce que pouvait être l’enseignement de la théorie musicale au début du XIVe siècle. C’est aussi le nom donné au style polyphonique français (mais il s’applique également aux musiciens italiens du trecento) qui s’étend approximativement de 1300 jusqu’à la mort de Guillaume de Machaut en 1377. Il y a, à cette époque, une volonté profonde de renouvellement, due à une évolution des esprits liée à des événements historiques tels que la guerre de Cent Ans. L’Ars nova est caractérisé par différentes recherches : des formes nouvelles (le motet à 3 ou à 4 voix qui emploie souvent la technique de l’isorythmie, et les trois formes fixes de la chanson : ballade, rondeau et virelai), des sujets d’inspiration différente, des textes d’une plus grande qualité poétique (notamment dans le cas de Machaut), des thèmes musicaux plus lyriques (la voix supérieure, cantus, étant plus travaillée, voire ornée), des rythmes utilisés plus souplement, un contrepoint plus libre, des nouveautés tonales (notes

sensibles et cadences à double sensible). Tous ces éléments de l’Ars nova annoncent l’âge d’or de la polyphonie franco-flamande au XVe siècle, préparée par une période de transition appelée l’Ars subtilior. ARS SUBTILIOR. Terme introduit en 1963 dans le langage de l’histoire de la musique par Ursula Günther, pour désigner la période qui s’étend entre la mort de Guillaume de Machaut (1377) et les premières oeuvres de G. Dufay, soit entre l’Ars nova et le début de la Renaissance. Le mot choisi est lié au caractère d’extrême raffinement propre à la musique de cette période. Parmi les musiciens de l’Ars subtilior, on peut compter ceux du manuscrit de Chantilly, notamment Baude Cordier. ARTARIA. Maison d’édition viennoise qui exista de 1769 à 1932. Les fondateurs en furent deux cousins, Carlo (1747-1808) et Francesco (17441808) Artaria, originaires de Blevio, sur le lac de Côme. Après avoir débuté dans les objets d’art, comme déjà à Mayence leurs pères Cesare et Domenico, et leur oncle Giovanni, ils se tournèrent vers l’édition musicale, d’abord en reprenant des publications étrangères (première annonce le 19 octobre 1776), puis en réalisant des éditions originales (première annonce le 12 août 1778). La firme devint rapidement la principale de Vienne. Au tournant du siècle, deux de ses collaborateurs fondèrent leur propre maison : en 1798 Tranquillo Mollo (plus tard Tobias Haslinger), et en 1801 Giovanni Cappi (plus tard Diabelli). Carlo et Francesco s’étant retirés dans leur ville natale, le fils de Francesco, Domenico Artaria (1775-1842), devint en 1804 seul propriétaire de la firme, non sans avoir épousé la fille de Carlo. Il eut comme successeur son fils August (1807-1893), et celui-ci, ses trois fils, Carl August, Dominik et Franz, morts respectivement en 1919, en 1936 et en 1942. Parurent chez Artaria beaucoup d’oeuvres de Haydn (les premières furent, en avril 1780, six sonates pour piano) et

de Mozart (dont, en 1785, les six quatuors dédiés à Haydn), puis certaines de Beethoven et de Schubert. On possède plus de 70 lettres de Haydn à la firme, qui de son côté consacra à ce compositeur, de son vivant, environ 150 publications originales ou non. Mathias Artaria (17931835), de la branche de Mayence (plus tard Mannheim), mais installé à Vienne, fit paraître notamment en mai 1827 l’opus 133 (grande fugue) et l’opus 134 (transcription de la grande fugue pour piano à quatre mains) de Beethoven, qui venait de mourir ; Mathias Artaria s’intéressa aussi à Schubert. La dernière grande activité de la maison Artaria fut la publication, de 1894 à 1920, de la série des Denkmäler der Tonkunst in Oesterreich (reprise ensuite par Universal Edition). ARTAUD (Pierre-Yves), flûtiste français (Paris 1946). Après avoir obtenu les 1ers Prix de flûte et de musique de chambre au Conservatoire de Paris, il étudie l’acoustique musicale à l’université de Paris-IV. À partir de 1972, il est flûte solo aux ensembles l’Itinéraire et 2e2m, dévolus à la musique contemporaine. Il enseigne la flûte depuis 1965, a été musicien-animateur des J.M.F. de 1973 à 1980, responsable de 1981 à 1986 de l’atelier de recherche instrumentale de l’I.R.C.A.M., professeur à l’Académie de Darmstadt en 1982. En 1985, il est nommé professeur de musique de chambre au Conservatoire de Paris. Il a appartenu à plusieurs formations de musique de chambre, dont le quatuor de flûtes Arcade, qu’il a créé en 1964. Parallèlement à son activité de flûtiste et d’enseignant, il a dirigé plusieurs collections de musique contemporaine pour différents éditeurs. Comme concertiste, pédagogue et chercheur, il a contribué à développer l’art de la flûte, proposant un nouveau regard sur le répertoire traditionnel et suscitant de nombreuses créations. Il a obtenu en 1982 le Grand Prix d’interprétation de la musique française d’aujourd’hui, décerné par la S.A.C.E.M., et plusieurs grands prix du disque. ARTICULATION. Terme de phonétique désignant l’émission claire et précise des consonnes, qui permet la compréhension des syllabes et des mots.

En chant, la bonne projection des consonnes, des voyelles, des syllabes est un élément indispensable de la technique vocale. Par extension, la musique instrumentale a repris ce terme pour désigner une exécution claire et une compréhension exacte du phrasé musical. On l’emploie aussi dans la technique d’un instrument (piano, violon, ...) nécessitant un délié des doigts. ARTS FLORISSANTS (les). ! CHRISTIE (WILLIAM). ARTUSI (Giovanni Maria), théoricien italien (Bologne v. 1540 - id. 1613). Cet élève de Zarlino, auteur de canzonette à 4 voix, éditées à Venise en 1598, serait oublié aujourd’hui si ses attaques contre Monteverdi ne l’avaient promu à une certaine célébrité. Dans le plus connu de ses pamphlets, L’Artusi ovvero delle imperfectioni della musica moderna (2 vol., Venise, 1600-1603), il condamne sans appel les audaces des novateurs. Particulièrement visé, Claudio Monteverdi répondit dans la préface de son livre de Madrigaux (1605) que le « compositeur moderne construit ses oeuvres en les fondant sur la vérité ». ASHKENAZY (Vladimir), pianiste russe (Gorki, Ukraine, 1937). Élève d’Oborine au conservatoire de Moscou, il a remporté en 1955 le second prix au concours Chopin de Varsovie, en 1956, le premier prix au concours de la reine Élisabeth de Belgique à Bruxelles et a été lauréat du concours Tchaïkowski (1962). Sa carrière a été lente, mais il est considéré, à l’heure actuelle, comme l’un des plus grands pianistes de sa génération. Il vit en Islande. Son répertoire est vaste, mais downloadModeText.vue.download 43 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 37 on peut citer Beethoven, Chopin, Brahms, Prokofiev parmi les compositeurs dont il donne des interprétations marquantes. Sa technique est étincelante, sans être jamais envahissante. Il joue les romantiques d’une manière limpide, sobre, presque classique, en fait très mûrie et profonde.

Il consacre une grande part de son activité à la musique de chambre et à la direction d’orchestre. ASHLEY (Robert), compositeur américain (Ann Arbor, Michigan, 1930). Il étudie la composition à l’université du Michigan et à la Manhattan School of Music de New York (Master of Music, 1954). Collaborateur du Space Theatre, créé par le peintre Milton Cohen, cofondateur, avec le compositeur Gordon Mumma, de l’association ONCE, destinée à promouvoir un art syncrétique, Ashley s’est affirmé, depuis ses débuts, comme un auteur multimédia doublé d’un « performer ». Il utilise la vidéo, l’électronique et l’ordinateur pour réaliser une approche globale des phénomènes artistiques ayant une existence temporelle (bruits, gestes, paroles, sons). Son écriture vocale avoue les origines les plus diverses, du blues au Sprechgesang, de la chanson au sermon religieux. Reflet de ces préoccupations, l’opéra pour télévision Perfect Lives (19781984) évoque, avec les moyens des médias de masse, les animateurs de ces médias, dans un style où le théâtral se mêle au quotidien le plus banal et où l’action scénique se confond avec la vie propre des interprètes et des spectateurs (Ashley est souvent l’interprète de ses propres partitions, notamment vocales). Le compositeur traite l’actualité d’une manière volontairement immédiate, rudimentaire ; son style est proche de celui de la musique minimaliste, mais ce quotidien est en quelque sorte mythifié, dans un esprit très américain rappelant la littérature d’un John Dos Passos, comme dans l’opéra Improvement (Don Leaves Linda), élément d’une tétralogie C Now Eleanor’s Idea), dont l’élaboration doit s’étendre sur plusieurs années. Ashley a écrit d’autres opéras (That Morning Thing, 1967 ; Strategy, 1984 ; My Brother Called, 1989), des pièces de « théâtre électronique » (Kityhawk, 1964), des pièces « multimédia » (In Sara, Mencken, Christ and Beethoven, There Were Men and Women, 1972). ASIOLI (Bonifazio), compositeur et théoricien italien (Correggio 1769 - id. 1832). Compositeur très précoce, il vécut de 1799 à 1813 à Milan, où en 1808 il fut nommé directeur des études au conservatoire nouvellement fondé. On lui doit de la musique religieuse, des opéras, l’oratorio Jacob, de la musique instrumentale, dont

d’intéressantes sonates pour piano, et des ouvrages théoriques parmi lesquels Principi elementari di musica (Milan, 1809). De 1806 à 1810, il eut comme élève le fils aîné de Mozart, Karl Thomas, arrivé chez lui muni d’une lettre de recommandation de J. Haydn. ASPIRATION. 1. Terme parfois employé, mais non généralisé (cf. Couperin), pour désigner un signe en forme d’accent vertical surmontant une note, pour l’abréger en la détachant de celle qui suit ; l’aspiration est en quelque sorte le superlatif du point désignant les « notes piquées », en les rendant plus brèves encore, bien que certains auteurs emploient parfois indifféremment les deux signes l’un pour l’autre. 2. Ornement usité au XVIIIe siècle dans la musique vocale et pour certains instruments à vent (flûte), consistant à toucher très légèrement le degré supérieur, sans lui donner la valeur d’une note véritable, entre deux notes qui se suivent à l’unisson, surtout quand la première est longue ; on peut aussi l’employer dans un mouvement mélodique légèrement descendant. L’aspiration n’est usitée que dans les morceaux de caractère grave ou pathétique, jamais dans les airs vifs ou gais. Les instruments, qui, comme le clavecin, ne peuvent toucher une note sans la jouer réellement, sont impropres à l’aspiration, encore qu’ils s’y essaient quelquefois (Saint-Lambert). Certains auteurs assimilent l’aspiration aux ornements appelés « accent », « plainte » ou « sanglot ». Lorsqu’elle est notée, ce qui n’est pas obligatoire, cette sorte d’aspiration peut s’écrire soit par une petite note, soit par un signe analogue à celui qui est présenté dans la première définition, mais placé entre les 53 41 26 notes et non au-dessus d’elles. ASPLMAYR (Franz), compositeur et violoniste autrichien (Linz 1728 - Vienne 1786). Il écrivit surtout de la musique de chambre et des ballets pour Noverre (après l’installation de ce dernier à Vienne en 1771), et, en décembre 1781, participa comme second violon à la fameuse exécution des quatuors opus 33 de Haydn devant l’empereur Joseph II et le grand-duc Paul de Russie (futur tsar Paul Ier).

ASSAFIEV (Boris), compositeur et musicologue russe (Saint-Pétersbourg 1884 Moscou 1949). Il fut élève de Liadov (composition) et de Rimski-Korsakov (orchestration) au conservatoire de Saint-Pétersbourg (1904-1910), puis pianiste accompagnateur du corps de ballet au théâtre Mariinski. Conseiller du théâtre du Bolchoï, de 1925 à 1943, il accéda à la présidence de la Direction de l’union des compositeurs en 1948. Parallèlement, il exerça une activité de critique musical et consacra beaucoup de temps à la recherche. On lui doit de nombreuses biographies sur des compositeurs russes, essentiellement Tchaïkovski, Scriabine, Rimski-Korsakov, Moussorgski, Prokofiev, ainsi qu’une Histoire de la musique russe depuis le début du XIXe siècle. Assafiev fut un compositeur prolixe : 4 symphonies, 10 opéras, 28 ballets (dont plusieurs, comme la Fontaine de Bakhtchissaraï, 1933-34, appartiennent, en Union soviétique, au répertoire courant), de la musique de chambre et nombre de pièces et cycles vocaux. ASSAI (ital. : « beaucoup »). Ce terme, ajouté à d’autres indications de mouvement, en modifie ou complète le sens. Exemple : allegro assai, très animé, très vite. ASSOUCY (Charles Coypeau d’), poète et luthiste français (Paris 1605 - id. 1679). Personnage pittoresque, il voyagea beaucoup en France et en Italie et connut une vie riche en aventures. Il fut au service de Louis XIII (1635) et de Louis XIV (1653). Poète burlesque, il s’apparenta par son style à Scarron. Compositeur, il écrivit la musique d’Andromède de Corneille et plusieurs ballets. Il mettait lui-même ses nombreuses chansons en musique, mais la plupart de ses partitions sont perdues. ASTON ou ASHTON (Hugh), compositeur anglais (v. 1480 - en 1522). Les détails de sa vie sont mal connus. L’importance de son oeuvre est reconnue par tous, car on voit généralement en lui le premier compositeur de musique non vocale. Son Hornpipe pour le virginal est

un exemple à peu près unique de l’écriture pour clavier de l’époque et annonce le style repris plus tard par John Bull. Aston est peut-être l’inventeur de la variation. Outre des oeuvres instrumentales, il composa sept motets, une messe et un Te Deum. ASUAR (José-Vicente), compositeur chilien (Santiago 1933). Après des études à l’université de Santiago, puis à Berlin avec Boris Blacher, il suivit les séminaires de Boulez, Stockhausen, Maderna et Ligeti à Darmstadt (1960-1962). Il dirige le département de technologie sonore à l’université de Santiago depuis 1969. Parmi ses oeuvres, citons : Encadenamientos pour flûte, basson, violon et violoncelle, plusieurs pièces avec bande magnétique, Guararia repano (bande et instruments typiques vénézuéliens) et Imagen de Caracas (voix, bande et instruments). downloadModeText.vue.download 44 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 38 A TEMPO (ital. : « au mouvement »). Locution utilisée dans le cours d’une partition pour ramener au mouvement initial une séquence qui vient d’être ralentie ou accélérée. La même indication peut être aussi donnée par la mention : tempo primo (« mouvement primitif »). ATHÉMATISME (gr. a privatif, et thema, « sujet posé »). L’athématisme qualifie une musique dans laquelle toute trace de thème véritablement posé est absente. Si l’on peut à la limite qualifier d’« athématique » le chant grégorien, où le « thème » n’est qu’une inflexion de la voix déterminant certains traits dans le cadre du mode, le terme est surtout employé à propos d’une grande partie de la musique du XXe siècle, à partir de Schönberg, plus encore de Webern, et de leurs successeurs. Schönberg utilisa parfois ses séries un peu comme des thèmes, mais Webern établit que l’utilisation de la série avec toutes ses conséquences logiques était en fait incompa-

tible avec le principe du développement thématique. Dans une première étape, l’athématisme contraignit les compositeurs à employer de « petites formes », à se limiter à des oeuvres brèves (Webern). Plus tard, l’approfondissement du système de la série et de ses combinaisons diverses fit découvrir, dans le cadre de l’athématisme, de nouvelles lois d’articulation sonore, ce qui a permis de rendre sans cesse plus étendu ce monde sonore nouveau. ATONALITÉ. C’est l’état d’une musique dans laquelle sont suspendues les fonctions et lois tonales sur lesquelles reposait la musique occidentale depuis les précurseurs de Bach : tonique, hiérarchie des degrés, notion de consonance* et de dissonance, cadences, etc. Elle utilise de manière conséquente la totalité des ressources de la gamme chromatique (total chromatique), dont les douze demi-tons sont considérés comme équivalents, et se fonde sur le concept de l’émancipation de la dissonance. Il est difficile de fixer le moment de la naissance de l’atonalité. Elle était en germe dans le chromatisme de plus en plus exacerbé de Wagner et de la fin du XIXe siècle. Ce chromatisme finit par « envahir de façon définitive l’écriture harmonique ou contrapuntique, rendant les rencontres de sons inanalysables par une pensée tonale rationnelle » (P. Boulez). Les premières oeuvres de Schönberg (par ex., le sextuor Nuit transfigurée, 1899) témoignent de cet envahissement. Si l’on trouve des passages entièrement atonaux dans certaines oeuvres d’Ives, datées des alentours de 1900, c’est à Schönberg qu’il convient d’attribuer la paternité d’un atonalisme conscient et systématique, dans le dernier mouvement de son quatuor à cordes no 2 (1907-08). Cette tendance, chez Schönberg, s’affirme dans son cycle de mélodies le Livre des Jardins suspendus (1908-09) et culmine dans son Pierrot lunaire (1912). La dissolution de l’ensemble des lois, la liberté et l’indépendance complètes qui se manifestent dans cette dernière partition ne suffirent cependant pas au compositeur, qui ressentit le besoin d’introduire des règles dans cet univers informe ; le dodécaphonisme est une manière d’organiser l’atonalité, et il faut ici rappeler la phrase de P. Boulez : « L’atonalité est essentiellement une période de

transition, étant assez forte pour briser l’univers tonal, n’étant pas assez cohérente pour engendrer un univers non tonal. » Pourtant, même après l’instauration de la musique sérielle, beaucoup de compositeurs ont préféré demeurer dans la liberté de l’atonalisme. Quoique l’atonalité, au sens strict du terme, caractérise particulièrement l’école de Vienne et ses divers descendants, elle n’est pas leur apanage exclusif. Dès les premières expériences de Schönberg, auxquelles s’ajoutaient les coups de boutoir donnés au système tonal par les impressionnistes français, la notion d’atonalité se répandit et irrigua, à des degrés divers, l’oeuvre de nombreux compositeurs comme Stravinski, Bartók, Hindemith, Honegger, voire Puccini. Elle contamina non seulement l’ensemble de l’écriture musicale de notre siècle, mais même la façon d’écouter la musique : un auditeur qui a entendu de la musique atonale ressent d’une manière nouvelle la musique tonale. Dans un sens élargi, atonalité peut qualifier la musique employant des micro-intervalles (quarts de ton et autres) et celle qui provient de matériaux sonores non traditionnels (musique concrète, musique électronique). L’atonalité est dorénavant un des traits dominants de tout le paysage musical. ATTACA (ital. attaccare, « attaquer », « attacher », « entamer un discours »). Dans une partition, à la fin d’un mouvement ou d’une partie d’une oeuvre, ce terme indique qu’il faut attaquer la partie suivante en enchaînant, sans coupure ou après un très court silence, et en adoptant aussitôt le nouveau tempo sans considérer ce qui précédait immédiatement (par exemple, passage du deuxième au troisième mouvement du 5e concerto pour piano de Beethoven). ATTAINGNANT ou ATTAIGNANT (Pierre), imprimeur et éditeur français (nord de la France ? - Paris 1552). Établi à Paris à partir de 1514, il fut le premier Français à éditer de la musique. Son activité fut considérable ; plus de cent recueils sortirent de ses presses : chansons et motets polyphoniques, pièces instrumentales, notamment ses célèbres Danceries,

qui furent diffusées dans toute l’Europe. Il permit ainsi le rayonnement de la chanson polyphonique française de l’école de Paris, particulièrement des oeuvres de Sermisy, de Janequin, mais également des chansons de Josquin Des Prés. En 1538, il obtint le titre de « Libraire et imprimeur de musique du Roi », titre que la maison garda jusqu’en 1557, date à laquelle sa veuve céda devant la concurrence des éditeurs Le Roy-Ballard. ATTAQUE. Terme désignant la première ou les premières notes d’un morceau de musique (synonyme de « début »). Il désigne également le geste du chef d’orchestre précédant l’exécution des premières notes d’une oeuvre ou d’une partie d’oeuvre. Dans le vocabulaire du contrepoint, l’attaque s’identifie avec l’entrée du thème ou d’un sujet. Enfin, dans le domaine du chant ou de l’exécution instrumentale, on appelle « attaque » le geste de l’interprète provoquant le début de l’émission d’un son (attaque de la touche au piano ; position des lèvres pour les instruments à vent, etc.). ATTERBERG (Kurt), compositeur suédois (Göteborg 1887 - Stockholm 1974). Tout comme Alfvén, Atterberg peut être considéré comme un national-romantique tardif, mais à ce titre il est l’un des plus remarquables symphonistes suédois de ce siècle. En témoignent notamment, parmi ses neuf symphonies (composées de 1909 à 1956), les nos 2 (1913), 3 (Images de la côte ouest, 1916), 4 (Sinfonia piccola, 1918) et 6 (1928), mais aussi De fävitska jungfrurna (commande des Ballets suédois de Paris en 1920) et Fanal (1932), l’un de ses cinq opéras. ATTRACTION. C’est l’un des principes fondamentaux qui régissent la significabilité du langage musical dans la quasi-totalité de ses idiomes. L’attraction, qui motive les rapports de dynamisme entre sons successifs, est ainsi complémentaire de la consonance, qui règle les rapports de statisme entre sons indifféremment successifs ou simultanés. De par sa stabilité, en effet, la consonance tend vers l’immobilité, mais en même temps elle exerce sur ses voisins une attirance qui crée une tension, génératrice de

mouvement et d’expressivité. L’attraction s’exerce de manière différente selon que le langage est mélodique ou harmonique, mais le principe reste identique. Il s’agit toujours d’une attirance du degré faible vers le degré fort voisin, sans que jamais puisse se manifester l’appel inverse : l’irréversibilité est une downloadModeText.vue.download 45 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 39 loi fondamentale de l’attraction. Celle-ci peut avoir des effets très divers ; elle peut notamment déplacer les notes attirées en rapprochant leur hauteur de celle de la note attirante (échelles attractives en ethnomusicologie, accords altérés en harmonie classique). Elle peut aussi donner à un degré ou un accord du ton employé une tension particulière : cette tension appelle dès lors une détente, ou résolution, qui consiste pour le degré attiré à rejoindre le degré attirant (dans l’ancienne théorie, on disait sauver au lieu de résoudre). Selon que cette résolution se produit ou non, il se crée une sémantique particulière qui est spécifique du langage musical, et qui correspond aux divers éléments de syntaxe de la phrase parlée : accords ou notes suspensives, conclusives, interrogatives, etc. ; Beethoven en donne un exemple célèbre en commentant le thème de l’un de ses quatuors : Muss es sein ? (interrogation : « cela doit-il être ? »), Es muss sein (affirmation : « cela doit être »). La dissonance, dès lors qu’elle est perçue comme telle (car on doit toujours rappeler son caractère relatif et partiellement subjectif), peut être, elle aussi, génératrice d’attraction, en faisant attendre une résolution vers la consonance la plus proche, résolution à laquelle le musicien reste libre de céder ou non ; c’est essentiellement par la manière dont il dose acceptations et refus, tensions et détentes, que le musicien parvient à rendre son discours signifiant et expressif. On peut classer les différentes attractions en deux catégories, selon qu’elles sont grammaticales ou expressives. L’attraction grammaticale est celle qui établit l’alternance des tensions et détentes en fonction de la seule significabilité de la

syntaxe, sans leur donner de valeur affective particulière (par ex., dominante-tonique de la cadence « parfaite », ou rôle de la sensible, du triton, qui créent des attractions particulières sur lesquelles se fonde la phrase musicale). L’attraction expressive, elle, va au-delà des rapports syntaxiques minimaux et cherche à les intensifier par divers procédés, dont le chromatisme est l’un des plus importants : elle engendre ainsi une expression passionnelle dont certains auteurs (Monteverdi, Wagner) ont su faire un usage saisissant. En incluant dans sa théorie l’« émancipation de la dissonance », autrement dit en entendant abolir la distinction cependant naturelle entre consonance et dissonance, Schönberg, suivi par ses disciples, entendit négliger le phénomène de l’attraction ou, du moins, lui enlever toute occasion de se manifester. Il n’en est pas moins le moteur essentiel de la sémantique musicale, et l’on ne connaît guère d’autre langage que le langage atonal, sériel ou non, qui soit soustrait à son influence, si ce n’est quelques idiomes très primitifs ou, au contraire, des musiques traditionnelles d’un caractère rituel accusé qui en assure l’immobilisme - le nô japonais, par exemple. Ce sont là des exceptions qui ne peuvent entamer l’universalité du principe attractif dans presque toutes les musiques existantes. ATWOOD (Thomas), compositeur et organiste anglais (Londres 1765 - id. 1838). Protégé du prince de Galles, il séjourna de 1783 à 1785 à Naples, et de 1785 à 1787 à Vienne, où il fut élève de Mozart, qui semble l’avoir fort apprécié. Organiste à Saint-Paul de Londres en 1795, il écrivit les hymnes pour les couronnements de George IV (1821) et de Guillaume IV (1831), et, à cette époque, se lia d’amitié avec Mendelssohn. Il écrivit d’abord beaucoup pour la scène, puis se tourna surtout vers la musique religieuse. Ses devoirs de théorie et de composition avec Mozart ont été publiés en 1965. AUBADE. Concert de voix ou d’instruments donné à l’aube sous les fenêtres d’un personnage important ou d’un être cher. Son origine remonte au XVe siècle et sa pratique fut fréquente au XVIIe et au

XVIIIe siècle, pour honorer de hauts personnages. À partir du XIXe siècle, plusieurs compositeurs, Bizet, Lalo, Rimski-Korsakov, Ravel (Alborada del gracioso), Poulenc, ont donné ce titre à des oeuvres de même esprit, de forme libre, instrumentales ou symphoniques. AUBER (Daniel François Esprit), compositeur français (Caen 1782 - Paris 1871). Son père recevait chez lui musiciens et artistes ; cette atmosphère eut une influence sur l’enfant. Celui-ci composa très tôt des romances qui enchantèrent les salons du Directoire. Envoyé en Angleterre pour s’initier au négoce, il revint en France en 1804 sans avoir oublié sa vocation musicale. Un concerto pour violon et un ouvrage lyrique, l’Erreur d’un moment, furent joués en 1806. Sous la férule de Cherubini, qui s’intéressait à lui, il écrivit des oeuvres religieuses et un opéra-comique, Jean de Couvin (1812). Mais ses premiers succès à Paris ne vinrent qu’avec la Bergère châtelaine (1820) et Emma (1821), joués à l’Opéra-Comique. Avec Leicester (1823) commença la collaboration d’Auber avec Scribe. Tous deux devinrent les meilleurs fournisseurs de l’Opéra et de l’Opéra-Comique. Près de cinquante partitions lyriques d’Auber y furent créées. Le compositeur toucha à tous les sujets, tous les genres, mais non à tous les styles de musique. La Neige (1823) reste une exception dans son oeuvre par son caractère rossinien et ses abondantes vocalises. Le compositeur demeura dans l’ensemble fermé aux influences italienne et allemande. Le Maçon (1825) illustre parfaitement son inspiration dans le domaine de l’opéra-comique, élégante, pétulante, nuancée, recourant à des thèmes très caractéristiques, qui se gravent dans la mémoire, et à une écriture extrêmement sûre. Avec la Muette de Portici (1828), qui précède d’un an Guillaume Tell de Rossini et de trois ans Robert le Diable de Meyerbeer, il ouvrit l’ère du grand opéra historique, à mise en scène spectaculaire. Cette oeuvre est d’une puissance et d’une passion surprenantes et convaincantes : lors de son exécution à Bruxelles en 1830, le duo « Amour sacré de la patrie » donna le signal des troubles révolutionnaires qui entraînèrent la séparation de la Belgique et de la Hollande. La Fiancée (1829), le Philtre (1831), le Cheval de bronze (1835), le Domino noir (1837), les Diamants de la

Couronne (1841) connurent une faveur durable. Quant au succès de Fra Diavolo (1830), il s’est prolongé jusqu’à nos jours. Ajoutons qu’Auber écrivit une Manon Lescaut (1856) et un Gustave III (1833), dont le sujet est le même que celui d’Un bal masqué de Verdi. Auber entra à l’Institut en 1829, fut nommé l’année suivante directeur des concerts de la Cour, succéda à Cherubini comme directeur du Conservatoire en 1842 et fut maître de Chapelle de la Cour impériale à partir de 1857. AUBERT (Jacques), dit le VIEUX, violoniste et compositeur français (? 1689 Belleville, Paris, 1753). Élève de J.-B. Senallié, il fut nommé musicien du prince de Condé, en 1719, et devint intendant de la musique à Chantilly, probablement en 1722. Son opéra la Reine des Péris, représenté en 1725, déconcerta le public, habitué aux sujets mythologiques. Aubert a introduit en France le concerto pour violon en trois mouvements (1735), emprunté aux Italiens, ainsi que leur instrumentation (deux parties de violon et basse continue). Il a composé 5 livres de sonates pour son instrument. AUBERT (Louis), pianiste et compositeur français (Paramé, Ille-et-Vilaine, 1877 Paris 1968). Venu à Paris à dix ans, il y devint immédiatement célèbre grâce à sa voix de soprano et fut, en 1888, le créateur du Pie Jesu dans le Requiem de Fauré. Ce dernier fut son professeur de composition au Conservatoire. Dans un style sensible et distingué procédant de Fauré et de Debussy, Aubert écrivit de la musique instrumentale, en particulier pour piano, des poèmes symphoniques, des oeuvres chorales, de nombreuses mélodies et des ballets. Excellent orchestrateur, il fit des arrangements de partitions de Tchaïkovski, Chopin, Offenbach pour des spectacles de ballets à downloadModeText.vue.download 46 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 40 l’Opéra. Il pratiqua aussi la critique musicale. Il fut élu à l’Institut en 1956.

AUBIN (Tony), compositeur et chef d’orchestre français (Paris 1907 - id. 1981). Au Conservatoire, il travailla la direction d’orchestre avec Philippe Gaubert et la composition avec Paul Dukas. Il obtint, en 1930, le premier grand prix de Rome pour sa cantate Actéon. En 1944, il fut nommé chef d’orchestre à la radio et commença à diriger des concerts dans les associations symphoniques de la capitale. Professeur de composition au Conservatoire à partir de 1946, il devint membre de l’Institut en 1975. Aubin possède le sens de la poésie et de l’émotion intérieure, et, s’il s’inspire volontiers de l’austérité de César Franck, il s’abandonne sans effort à la délicatesse d’un Ravel. Son écriture méticuleuse est dans l’ensemble traditionnelle, mais non conventionnelle. Sa production, peu abondante, est de grande qualité : musique de piano, musique de chambre, oeuvres vocales et symphoniques, ces dernières incluant des musiques de film ; pour le théâtre, il a écrit des ballets et l’opéra Goya (1974). AUBRY (Pierre), musicologue français (Paris 1874 - Dieppe 1910). Ce chartiste, qui enseigna à l’Institut catholique de Paris et à l’École pratique des hautes études, fut un des pionniers de la musicologie médiévale. Dès 1898, il entreprit d’étudier les troubadours et les trouvères à la lumière de la doctrine des modes rythmiques élaborée par les théoriciens du XIIIe siècle. Ses écrits comprennent : les Proses d’Adam de Saint-Victor (1900), Lais et descorts français du XIIIe siècle (1901), Trouvères et troubadours (1909). AUDITION. Dans le phénomène de l’ouïe, on désigne plus particulièrement par audition l’ensemble des processus qui font percevoir et reconnaître comme des sons, par notre conscience, les différences de pression à certaines fréquences, de l’air qui nous entoure et qui frappe les tympans de nos oreilles. Si l’anatomie de l’oreille est aujourd’hui bien connue, la transformation physiologique des différences de pression en influx nerveux (c’est-à-dire en « courant électrique » qui leur soit proportionnel) et celle de ces influx en sensations auditives n’ont pas reçu d’explication généralement admise ; la théorie de l’information et le principe de l’ordinateur

fournissent à ce processus un modèle intéressant, mais ne suffisent pas à interpréter ces phénomènes de façon convaincante. En fait, de nombreux facteurs interviennent dans l’audition, comme la culture musicale du sujet et la prévision mentale qu’il peut faire de l’irruption d’un événement sonore, ce qui met en cause un autre phénomène mental, celui de la mémoire auditive. On n’explique guère, non plus, la faculté qu’ont certains individus d’identifier avec précision la hauteur absolue des sons, sans élément de comparaison - ce que l’on appelle l’« oreille absolue « ; encore faut-il signaler qu’avec l’évolution rapide du diapason, cette oreille absolue peut être remise sérieusement en question : elle serait surtout fonction du timbre et des rapports d’intervalles avec d’autres sons. Il est possible de mesurer le seuil d’audition de chaque oreille pour toutes les fréquences, du grave à l’aigu. Le tracé obtenu, ou audiogramme, permet des études statistiques sur l’audition. On constate ainsi que la sensibilité de l’oreille varie considérablement en fonction de la fréquence, la zone de plus grande sensibilité se situant entre 1 kHz et 2 kHz. Chez un sujet jeune, la bande passante s’étend approximativement de 20 Hz à 18 ou même à 20 kHz ; dès le début de l’âge mûr, l’acuité auditive se perd progressivement aux fréquences élevées, pour ne pas dépasser 8 à 10 kHz chez le vieillard, au maximum. C’est le phénomène de presbyacousie. On peut également observer sur les audiogrammes des distorsions de non-linéarité dans la courbe de réponse de l’oreille, pouvant aller jusqu’à de véritables surdités partielles à des fréquences bien déterminées : c’est le phénomène de socioacousie, provoqué par des lésions de l’oreille interne dues à la persistance de bruits intenses de même fréquence dans l’environnement sonore (c’est le cas d’ouvriers dans la métallurgie, par exemple). On a aussi généralement noté des pertes de sensibilité de l’audition et des surdités partielles chez les individus fréquentant régulièrement les discothèques, où le niveau de diffusion sonore est très élevé, de même que chez les amateurs de musique pop, dont les concerts sont, au sens propre, assourdissants. Il faut enfin mentionner le cas très particulier et inexpliqué du compositeur Olivier Messiaen, chez qui l’audition provoque des associations

mentales avec des couleurs. AUDRAN (Edmond), compositeur français (Lyon 1842 - Tierceville, Seine-etOise, 1901). Fils d’un ténor connu, Marius Audran, il envisagea une carrière de maître de chapelle et entra à l’école Niedermeyer, où il fut le condisciple de Messager et de SaintSaëns. Ses parents s’étant fixés à Marseille, il y devint en 1861 organiste, puis maître de chapelle. Il écrivit des motets, mais aussi des romances et des partitions lyriques, parmi lesquelles le Grand Mogol, dont la création à Marseille en 1877 fit sensation. Il regagna alors Paris et s’y imposa sans coup férir avec les Noces d’Olivette (1879) et surtout la Mascotte (1880). Dès lors célèbre, il alimenta les théâtres d’opérette avec une trentaine de partitions souriantes, à l’écriture claire, parmi lesquelles Gilette de Narbonne (1882), Miss Helyett (1890) et la Poupée (1896), qui, sans atteindre la popularité de la Mascotte, demeurent parfois représentées de nos jours. AUER (Leopold von), violoniste hongrois (Veszprém 1845 - Dresde 1930). Enfant prodige révélé à Budapest puis à Vienne, il devient en 1863 le disciple de Joseph Joachim à Hanovre. Premier violon des orchestres de Düsseldorf et de Hambourg, il s’installe en Russie en 1868 pour enseigner au Conservatoire de SaintPétersbourg. Il y demeure jusqu’à la révolution de 1917 et devient l’un des plus grands pédagogues de son temps, publiant même deux méthodes d’interprétation. De 1868 à 1906, il est premier violon du Quatuor de la Société russe de musique, tout en jouant les solos au Ballet Impérial. Soliste prestigieux, il reproche d’abord ses extravagances techniques au Concerto de Tchaïkovski, qu’il jouera finalement en 1893. Glazounov, Taneïev et Arenski lui dédient également des oeuvres. Héritier spirituel de Joachim, il incarne un style d’excellence technique et de classicisme perpétué par ses élèves, dont Jascha Heifetz et Nathan Milstein. De 1928 à 1930, il dispense ses derniers cours au Curtis Institute de Philadelphie. AUGMENTATION. Dans un sens général, ce terme désigne la

prolongation de la durée d’une note. On peut adjoindre à la note un point pour l’augmenter de la moitié de sa valeur, mais on peut également, dans un morceau, augmenter la durée de toutes les valeurs d’une manière égale proportionnellement à chacune. Dans une messe de Dufay (XVe s.) par exemple, les notes de la teneur, base de toute la structure polyphonique, peuvent être prolongées. Plus tard, une technique contrapuntique, fréquemment employée, est de faire réentendre un thème, un choral par exemple, en valeur plus longue. Ce procédé se rencontre chez Bach et ses contemporains, mais aussi parfois chez les compositeurs romantiques (Schumann, Brahms). AUGMENTÉ (intervalle). C’est un intervalle plus grand d’un demiton que l’intervalle habituel de même nom. Par exemple, do. fa est une quarte juste, do. fa dièse une quarte augmentée. Un accord étant parfois désigné par le nom de son plus grand intervalle, l’accord do. mi. sol dièse, par exemple, peut être appelé accord de quinte augmentée. downloadModeText.vue.download 47 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 41 AUGUSTIN (saint), [de son nom latin, Aurelius Augustinus], Père de l’Église, évêque d’Hippone (Tagaste, Est algérien, 354 - Hippone, auj. Annaba [Bône], 430). Il intéresse l’histoire de la musique par la place qu’il accorde à celle-ci dans ses spéculations symboliques (Enarrationes super psalmes) et par son traité De musica. Malgré son titre, les six livres de ce dernier traitent surtout de métrique et de rythmique poétique. Sans doute constituaient-ils la première partie d’un ouvrage inachevé, dont une seconde partie aurait été probablement consacrée à la mélodie. Saint Augustin a été le premier à relier la musique à l’idée d’amour, principalement d’amour de Dieu (cantare amantis est). Son commentaire sur les longues vocalises de l’alleluia (jubilus), considérées comme une expression de joie si intense qu’elle en déborde les possibilités de la parole, est resté justement célèbre. Il a joué un rôle

important dans la formation d’une culture chrétienne et, dans tout l’Occident, son influence s’est exercée jusqu’à la Renaissance. AULOS (pluriel : auloi). Terme général pour désigner un instrument à vent employé par les Grecs et les Romains. Formé à l’origine d’un roseau, l’aulos fut ensuite fait en bois, en métal ou en ivoire. C’était une sorte de chalumeau commun à plusieurs civilisations antiques : Sumer, Babylone, l’Égypte. Les céramiques grecques, du VIIIe au IVe siècle av. J.-C., représentent de nombreux instruments, très souvent faits de 2 tuyaux ; l’un d’eux, plus grave, servait de basse et l’autre de chant. Le nombre de trous pouvait varier de 4 à 15, selon les époques. On observe 2 sortes d’auloi : les auloi à embouchure de flûte, parmi lesquels on trouve le monaulos, ou flûte droite, et la syrinx, ou flûte de Pan, à plusieurs tuyaux, très répandue ; et les auloi à anche double qui ont une tessiture plus grave. Certains auloi avaient des fonctions précises : le plus petit, ou parthenos, accompagnait les funérailles ou les sérénades ; le païdikon accompagnait les fêtes et les banquets ; le kitharisteros était joué dans les tragédies ; le teleios accompagnait les « pean « ; enfin, l’hyperteleios, le plus grave, accompagnait les libations aux dieux. Les auloi étaient non seulement des instruments orgiastiques, mais aussi des instruments très utilisés dans les grands concours musicaux. Bien que n’ayant pas un son très puissant, ils pouvaient être utilisés pour marquer la cadence des rameurs ou faire défiler les gymnastes ou les soldats, car le son en était pénétrant. Il semble que l’aulos double devait toujours faire entendre deux sons à la fois, car il était impossible à l’aulète de souffler dans un seul tuyau sans souffler dans l’autre. Dans les comédies d’Aristophane, on joue de l’aulos durant les intermèdes. On disait que les dieux de l’Olympe avaient peu de goût pour l’aulos, car il appartenait à Dionysos, aux silènes et aux ménades. AURIACOMBE (Louis), chef d’orchestre

français (Pau 1917 - Toulouse 1982). De 1930 à 1939, il apprend le violon et le chant à Toulouse, ville à laquelle il demeurera attaché toute sa vie. D’abord violoniste à l’Orchestre radio-symphonique de Toulouse, il apprend la direction d’orchestre à partir de 1951 auprès d’Igor Markevitch, dont il sera l’assistant de 1957 à 1968. En 1953, il fonde l’Orchestre de chambre de Toulouse, composé d’une vingtaine de cordes. Vivaldi et d’autres compositeurs baroques sont l’essentiel du répertoire de son ensemble, qui grave plusieurs disques. Il dirige souvent des orchestres d’étudiants de haut niveau, au Conservatoire de Paris et au Mozarteum de Salzbourg. Il crée aussi des oeuvres d’Ohana et, en 1970, donne la première américaine de Ramifications de Ligeti. Gravement malade, il abandonne ses activités en 1971. AURIC (Georges), compositeur français (Lodève 1899 - Paris 1983). Il fait ses études au conservatoire de Montpellier, puis à celui de Paris, où il est l’élève de G. Caussade pour le contrepoint et la fugue, et se lie avec Honegger et Milhaud ; à la Schola cantorum, il suit les cours de composition de V. d’Indy. Il admire Satie, Stravinski et Chabrier. Ce n’est pas par hasard que Cocteau lui dédie, en 1919, le Coq et l’Arlequin, véritable manifeste de l’esprit nouveau placé sous la houlette de Satie : membre du groupe des Six, Auric est sans nul doute le plus authentique représentant de l’esprit contestataire, voire provocateur, qui anime ces musiciens. Plus tard, il accède à de hautes fonctions officielles : président de la S. A. C. E. M. (1954), administrateur général de la réunion des théâtres lyriques nationaux (1962-1968) ; il devient aussi membre de l’Institut, en 1962. Mais il ne se coupe jamais de la création vivante et, avec une inlassable curiosité, sait se tenir au courant des tendances les plus avantgardistes. La peur de se prendre au sérieux engendre le ton désinvolte d’Auric, sa verve, son ironie, qui s’expriment à travers un langage clair, concis. Le compositeur aime travailler en étroite relation avec les autres arts, d’où un goût marqué pour la musique de scène (Malbrough s’en va-t-en guerre de Marcel Achard, 1924 ; le Mariage de M. Le Trouhadec de Jules Romains, 1925 ; les

Oiseaux d’Aristophane, 1927 ; Volpone de Ben Jonson, 1927, etc.), les ballets et la musique de film. Étroitement mêlé au second souffle des Ballets russes, il compose pour Diaghilev les Fâcheux (1924), les Matelots (1925), la Pastorale (1926). Plus tard, le Peintre et son modèle (1949), Phèdre (1950), Chemin de lumière (1952) révèlent la seconde manière d’Auric, puissamment vivante et tragique ; ce sont presque des oeuvres de théâtre, « car Auric considère et traite les ballets comme des opéras où la danse tient le rôle du chant » (A. Goléa). Dans la musique de film, il voit une occasion de rappro chement avec le grand public, une expérience novatrice, peut-être un moyen de renouer avec l’idée de « musique d’ameublement » chère à Satie. Dans ce domaine, le Sang du poète (1931), écrit pour Cocteau, précède une quarantaine de partitions, dont À nous la liberté (René Clair, 1932), l’Éternel Retour (Cocteau, 1943), la Symphonie pastorale (Delannoy, 1946), la Belle et la Bête (Cocteau, 1946), les Parents terribles (Cocteau, 1946), Orphée (Cocteau, 1950), MoulinRouge (Huston, 1953). Parallèlement, dans sa musique instrumentale, il sait retrouver les ressources du contrepoint et manifeste son sens aigu de la construction, en particulier dans la Sonate pour piano en fa majeur (1931) et la Partita pour 2 pianos (1955), conjonction de Satie et de Schönberg, méditation sur l’écriture sérielle. La série tardive des Imaginées (1965-1973) témoigne d’une réflexion sur les possibilités et la signification de la musique pure. AUSTIN (Larry D.), compositeur américain (Duncan, Oklahoma, 1930). Après ses études, il enseigne à l’université de Californie à Davis. Intéressé par le jazz moderne, il cherche d’abord à en étendre les possibilités, puis, ayant fondé le New Music Ensemble, il opte pour une « musique ouverte », plus ou moins libre dans une rythmique non métrique. Ses recherches se portent enfin vers l’union de la « musique ouverte », de la technologie moderne et des ressources théâtrales. Ainsi réalise-t-il un certain nombre d’oeuvres dites « theatrical pieces in open style » comme The maze, Bass ou The magicians (pour enfants, sons vivants et électroniques, lumière noire, diapositives et film), qu’il présente lui-même non comme pièces de musique, mais comme « objets de temps ». À partir de 1967, il a édité

Source, publication de musique d’avantgarde. AUTHENTE (gr. : « qui domine », « principal »). 1. D’abord employé pour désigner trois modes de la musique grecque antique, ce terme sert, dans le système des huit modes ecclésiastiques, à distinguer quatre modes principaux, dits authentes, dont la mélodie se déroule au-dessus de la finale, et quatre downloadModeText.vue.download 48 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 42 autres, dits plagaux. Les quatre modes authentes sont le dorien (sur ré), le phrygien (sur mi), le lydien (sur fa) et le mixolydien (sur sol). 2.L’expression cadence authente est un synonyme peu employé de cadence parfaite. AUZON (Bruno d’), compositeur français (Dijon 1948). Spécialisé dans la musique électro acoustique, qu’il pratique surtout avec ses moyens personnels au Studio de la Noette, en Provence, il a fondé avec le pianiste Jacques Raynaut et le flûtiste Gérard Garcin un groupe d’interprétation de musiques « mixtes » (pour instruments et bande) et électroacoustiques. Ses Triades 1 et 2 (1977-78), Par la fenêtre entrouverte (1978) et Des arbres de rencontre (1979), pour percussion et bande, révèlent un auteur sensible et personnel. AVE MARIA. La plus usuelle des prières à la Vierge. Sa première partie réunit les deux salutations adressées à Marie dans l’Évangile de saint Luc, l’une par l’Ange (Ave gratia plena... Dominus tecum) lors de l’Annonciation, l’autre par Élisabeth à l’occasion de la Visitation (Benedicta tu... fructus ventris tui) avec ou sans l’addition des deux noms propres, Maria et Jesus. Cette partie est entrée très tôt dans l’office, d’abord sous forme d’antienne jusqu’à in mulieribus, puis d’offertoire, soit jusqu’à in mulieribus, soit jusqu’à ventris tui ; elle figure déjà dans la liturgie dite de saint Jacques

le Mineur et dans l’antiphonaire grégorien primitif. Sa seconde partie est une invocation ; elle n’est pas tirée de l’Écriture sainte et date probablement du concile d’Éphèse (431), sauf la partie terminale (nunc et in hora mortis nostrae), qui serait une addition franciscaine du XIIIe siècle. Le texte musical de l’antienne a souvent été pris dans l’Ars antiqua comme teneur de motet et, au XVIe siècle, comme thème de messe ; mais, contrairement à ce qu’on pourrait penser et malgré son extrême diffusion dans la piété populaire, l’Ave Maria, en tant que prière et sous sa forme usuelle, n’a pas été très souvent mis en musique en dehors de l’antienne ou de l’offertoire liturgique. L’Ave Maria de Josquin Des Prés est fondé sur une séquence qui développe elle-même un trope de l’antienne, Ave Maria, Virgo serena. Celui d’Arcadelt est un faux du XIXe siècle, dû au maître de chapelle de la Madeleine à Paris, Dietsch. Le célèbre Ave Maria de Schubert, écrit sur une poésie allemande, que l’on a ensuite réadaptée en latin de manière apocryphe, est en réalité l’un des trois chants d’Ellen dans la Dame du lac de Walter Scott. Et le non moins célèbre Ave Maria de Verdi est une prière d’opéra, celle de Desdémone au dernier acte d’Othello. Quant à celui de Gounod, il s’agit de l’addition arbitraire d’une mélodie au premier prélude du Clavier bien tempéré de Bach, ainsi ravalé au rang d’accompagnement ; l’Ave Maria a remplacé dans ce rôle, en 1859, une première version datant de 1853, qui comportait des paroles de Alphonse de Lamartine. L’Ave Maria dit « de Lourdes » est un simple refrain de cantique populaire. Jadis célèbres, les Ave Maria de Fenaroli (1730-1818) et de Carafa (1787-1872) sont aujourd’hui oubliés. Le seul Ave Maria musical digne de ce nom est peut-être la Salutation angélique des Prières (19141917) d’André Caplet. À VIDE. Expression relative à la manipulation d’instruments à cordes. Jouer une corde à vide, c’est faire résonner la corde en entier sans poser le doigt dessus, ce qui raccourcirait la longueur de la partie résonnante. AVIDOM (Menahem), compositeur

israélien d’origine polonaise (Stanislas, Pologne, 1908). Après des études à Paris, il est professeur à Tel-Aviv (1935-1945), secrétaire général de l’Orchestre philharmonique d’Israël (1945-1952), conseiller artistique au ministère du Tourisme, et il devient président de la Ligue des compositeurs d’Israël en 1955. Dans sa musique, les techniques modernes se mêlent à des éléments de musique orientale et aux rythmes de danse de son pays d’adoption. Il a composé 9 symphonies, 2 quatuors à cordes, 2 opéras et un opéra bouffe. PALAIS DES PAPES (chapelle du). La papauté siégea en Avignon de 1305 à 1377. Le Grand Schisme suivit alors, avec ses deux papes, l’un à Rome et l’autre en Avignon, situation précaire qui dura jusqu’en 1417. C’est durant la première de ces deux périodes que la chapelle du palais des Papes constitua non à proprement parler une école, mais un important foyer d’activité et de réforme musicale. Malgré un fort penchant des compositeurs pour la musique profane, qui fit l’objet d’une bulle de Jean XXII en 1324, on possède deux manuscrits, ceux d’Ivrée et d’Apt, qui semblent représenter une partie du répertoire de la chapelle. Ils contiennent des pièces à 3 voix traitant l’ordinaire de la messe, et font apparaître les noms de Philippe de Vitry, Baude Cordier, Jean Tapissier, etc. On sait aussi que Johannes Ciconia fut au service de Clément V, aux alentours de 1350. AVIGNON (festival d’). Ce fut initialement un festival d’art dramatique, créé en septembre 1947 sous l’impulsion de l’acteur et metteur en scène Jean Vilar, du poète René Char et de personnalités avignonnaises. Dès l’origine, la musique fit partie intégrante des spectacles de théâtre. Elle était signée par M. Jarre, G. Delerue, J. Besse, K. Trow, J. Prodromidès. Au bout de quelques années, des concerts vinrent s’ajouter aux programmes, en particulier des cycles d’orgue donnés dans les églises de la région. En 1968, un concert de l’Ensemble polyphonique de Paris, dirigé par Charles Ravier, comportant des oeuvres de B. Jolas, C. Ballif et G. Arrigo où « les limites de l’exploration vocale étaient diversement

élargies » (G. Erismann), ouvrit l’ère du théâtre musical. Dès 1969, cette forme, où l’esprit d’ouverture, la participation du public, la polyvalence des exécutants s’accordaient à l’évolution de l’ensemble du festival, prit une part importante dans les programmes. Depuis, plusieurs dizaines d’oeuvres ont été jouées, le plus souvent en création. Les auteurs en sont, entre autres, C. Prey (Fêtes de la faim, 1969 ; On veut la lumière... allons-y !, 1969 ; les Liaisons dangereuses, 1974), G. Aperghis (Pandaemonium, 1973 ; Histoires de loups, 1976, etc.), G. Arrigo (Orden, 1969), A. Boucourechliev, P. Drogoz, A. Duhamel, A. Essyad, H. W. Henze, B. Jolas, M. Kagel, G. Ligeti, F.-B. Mâche, I. Malec, M. Ohana, M. Puig, R. Wilson et Ph. Glass, S. Yamashta. AVISON (Charles), compositeur et organiste anglais (Newcastle 1709 - id. 1770). Auteur de sonates et de concertos, il organisa dans sa ville natale et à Durham des sociétés musicales et des concerts par abonnement. Il est surtout connu par son traité An Essay on Musical Expression (1752) et par ses arrangements sous forme de concertos grossos de douze sonates de Domenico Scarlatti. AX (Emmanuel), pianiste polonais naturalisé américain (Lvov 1949). Il travaille d’abord le piano avec son père en Pologne. Après l’installation de sa famille à New York en 1961, il entre à la Juilliard School où il reçoit l’enseignement de Mieczyslaw Munz. Un premier concert à New York en 1973 marque le début de sa carrière, qui devient rapidement internationale. Après avoir été lauréat des Concours Chopin à Varsovie (1970) Vianna da Motta à Lisbonne (1971) et Reine Élisabeth de Belgique (1972), il remporte en 1972 le Ier Prix du Concours Rubinstein de Tel-Aviv, puis en 1979 l’Avery Fisher Prize. Les années 80 sont marquées par la création d’un trio avec le violoniste Young Uck Kim et le violoncelliste Yo-Yo Ma (avec lesquels il enregistre plusieurs oeuvres de Brahms), et d’un duo avec Yo-Yo Ma. Depuis 1990, Emmanuel Ax s’est aussi beaucoup intéressé à Haydn, dont il a downloadModeText.vue.download 49 sur 1085

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enregistré plusieurs sonates, et à la musique du XXe siècle, interprétant Tippett, Henze ou Copland et créant des oeuvres d’Ezra Ladermann, William Bolcom et Joseph Schwantner. AYRE. Équivalent de l’air de cour, en France, à la même époque, ayre est le nom donné à la chanson anglaise à la fin du XVIe siècle, et surtout pendant une courte période de trente années environ au début du siècle suivant. Cette chanson était généralement conçue pour une voix seule (parfois deux, en dialogue) accompagnée au luth avec l’adjonction toujours possible d’une basse de viole. Souvent le luthiste était luimême le chanteur. C’était le cas du maître incontesté du genre, John Dowland. Mais d’autres musiciens illustrèrent cette forme avec autant de talent. Nous ne citons ici que quelques noms : Th. Morley, Ph. Rosseter, Th. Campion, Th. Ford. Comme pour l’air de cour français, la forme de l’ayre anglais est généralement strophique, la musique étant composée sur le texte de la première strophe. Cela pose souvent des problèmes de prosodie lors d’une exécution des autres strophes sur la même musique. Parfois, cependant, un ayre est durchkomponiert, par exemple l’admirable plainte de Dowland, In Darkness Let Me Dwell. Une grande importance est accordée à la beauté mélodique et à des recherches harmoniques. Il est fréquent que l’ayre anglais soit plus strictement mesuré que son équivalent français. downloadModeText.vue.download 50 sur 1085

B. Lettre par laquelle a été désignée d’abord la note ré dans la notation médiévale du système de Notker Balbulus, puis la note si dans le système d’Odon de Cluny. Elle indique toujours le si naturel dans les pays de langue anglaise, mais le si bémol (B flat en anglais) dans ceux de langue allemande, où le H représente le si naturel. En ce qui concerne la désignation des tonalités, B et b (majuscule et minus-

cule) indiquent respectivement, pour les Anglais, si majeur et si mineur, pour les Allemands, si bémol majeur et si bémol mineur ; pour ces derniers enfin, Bes représente si double bémol. BABBITT (Milton), compositeur et théoricien américain (Philadelphie 1916). Mathématicien, il ne vint à la musique qu’à la suite de ses rencontres avec Marion Bauer, Philip James et surtout Roger Sessions, qui l’incita à mettre rapidement un terme à une carrière de compositeur de chansons et de comédies musicales. Subtil théoricien de la technique sérielle, reprenant et étendant la dernière manière de Schönberg dans l’utilisation des douze sons, il a créé un système personnel reposant sur une plus grande complexité et un plus grand raffinement des intervalles, liés à l’idée structurale qui sert de point de départ à l’oeuvre. Cette reformulation de la base empirique de la tradition musicale s’accompagne d’une exploration logique de la matière sonore dans ce qu’elle a de plus abstrait, qu’il s’agisse des possibilités des instruments ou de l’électronique. Professeur à l’université de Princeton, puis à la Julliard School, directeur du Centre de musique électronique de Columbia-Princeton et directeur de la musique à l’université de New York, il exerce une très grande influence sur les jeunes composiB teurs, et, s’il n’est pas absolument reconnu comme le chef de file de l’école américaine (notamment par le groupe de John Cage), il en demeure l’une des personnalités les plus importantes. Son rayonnement s’est également exercé à travers ses ouvrages théoriques (Some aspects of 12 tones compositions ; Past and present of the nature and limits of music ; The use of computers in musicological research ; 12 tones rhytm structure and the electronic medium), ainsi que par ses conférences, données aux États-Unis et en Europe (Salzbourg, Darmstadt), où il analyse ses conceptions avec brio. L’oeuvre de Babbitt comprend de la musique de piano, de la musique de chambre, de la musique pour voix et piano ou bande magnétique et des compositions pour instruments électroniques. BACARISSE (Salvador), compositeur es-

pagnol (Madrid 1898 - Paris 1963). Prix national de composition musicale dans son pays en 1923, 1930 et 1934, critique musical, directeur artistique de l’Unión Radio de Madrid et de différents organismes culturels jusqu’à la guerre civile, Salvador Bacarisse vécut exilé en France à partir de 1939. C’était un traditionaliste, dont l’oeuvre, en majeure partie orchestrale, franche d’accent et ardemment optimiste, ne conservait qu’un contact discret avec l’art et le folklore espagnols. BACCALONI (Salvatore), basse italienne (Rome 1900 - New York 1969). Enfant, il fut soprano dans les choeurs de la chapelle Sixtine. Il débuta au théâtre Adriano de Rome dans le Barbier de Séville (rôle de Bartholo) et fut engagé à la Scala de Milan par Toscanini en 1927. Dès lors, il s’imposa comme la plus célèbre basse bouffe de son époque. Il chanta aux festivals de Glyndebourne (1936-1939) et de Salzbourg avant d’émigrer, au moment de la guerre, aux États-Unis, où il demeura longtemps attaché au Metropolitan Opera de New York. Salvatore Baccaloni possédait un timbre profond, que pourraient envier nombre de basses dramatiques, et un talent d’acteur exceptionnel. Bartholo (le Barbier de Séville, les Noces de Figaro), Osmin (l’Enlèvement au sérail), Alfonso (Cosi fan tutte), Leporello (Don Juan) et Don Pasquale furent ses rôles les plus marquants. BACCHANALE. Morceau de musique ou de danse dans le caractère des fêtes bachiques, lesquelles célébraient, dans le monde antique, le culte de Dionysos (Bacchus). À l’époque de la Renaissance, le terme a été appliqué à des compositions vocales, sur des thèmes populaires et burlesques, qui se chantaient à Florence. Mais il désigne surtout les divertissements d’opéra qui s’inspirent des danses des bacchantes, traditionnellement désordonnées et teintées d’érotisme. La bacchanale de Tannhäuser de Wagner et celle de Samson et Dalila de Saint-Saëns sont les plus typiques. BACEWICZ (Grażyna), femme compo-

siteur polonaise (Ðód’z 1913 - Varsovie 1969). Elle étudia au conservatoire de Varsovie la composition avec K. Sikorski et le violon avec J. Jarzebski, puis travailla à Paris avec Nadia Boulanger. En tant que violoniste, elle donna pendant plusieurs années des séries de concerts en Pologne et à l’étranger, avant de se consacrer à la composition. Elle a reçu dans son pays le prix d’État en 1950 et 1952. La démarche downloadModeText.vue.download 51 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 45 musicale de ses débuts était d’expression néoclassique et fortement teintée par la musique populaire. Ultérieurement, Grażyna Bacewicz s’est ouverte à la nouvelle musique et a participé à son développement, notamment dans le cadre du sérialisme. Son oeuvre comprend essentiellement des compositions orchestrales, ainsi qu’un ballet (le Paysan qui devint un roi, 1953) et un opéra radiophonique (les Aventures du roi Arthur, 1959). BACH (Carl Philip Emanuel), compositeur allemand (Weimar 1714 - Hambourg 1788). Deuxième fils de J. S. Bach et de sa première femme Maria Barbara, et deuxième de ses quatre fils musiciens, le « Bach de Berlin et de Hambourg » fut l’élève de son père à Saint-Thomas, grava lui-même à 17 ans son premier menuet, et, après de solides études de droit, devint en 1738 claveciniste dans l’orchestre du prince héritier de Prusse. Lorsque celui-ci accéda au trône sous le nom de Frédéric II, il le suivit à Potsdam. Il se révéla rapidement un maître de la musique instrumentale, en particulier du clavier, et, à ce titre, marqua profondément son époque, aussi bien par ses Sonates prussiennes (1742), ses Sonates wurtembergeoises (1744) ou ses Sonates avec reprises variées (1760) que par son Essai sur la véritable manière de jouer des instruments à clavier (Versuch über die wahre Art, das Clavier zu spielen, 1753 et 1762, traduction française, Paris, 1979). Ce traité est fondamental pour la connaissance des questions d’interprétation au XVIIIe siècle. Des années berlinoises ne datent que deux ouvrages religieux, la

cantate de Pâques Gott hat den Herzn auferwecket (1756) et surtout le Magnificat en ré (1749). À la mort de son parrain, Telemann (1767), il lui succéda comme directeur de la musique à Hambourg et occupa ce poste de 1768 à sa mort. Là, il fit entendre le Messie de Haendel, le credo de la Messe en si de son père, le Stabat Mater de Haydn et composa lui-même une assez grande quantité de musique religieuse dont les oratorios Cantate de la Passion (1769 ?), Die Israeliten in der Wüste (« Les Israélites dans le désert », version originale 1769) et Die Auferstehung und Himmelfahrt Jesu (« La résurrection et l’ascension de Jésus », version originale 1774), de nouveaux ouvrages pour clavier (6 recueils de Sonates, rondos et fantaisies pour connaisseurs et amateurs parurent de 1779 à 1787), de la musique de chambre et 10 symphonies (la moitié de sa production en ce domaine) : 6 pour cordes à l’intention du baron Van Swieten (1773) et 4 pour grand orchestre, parues en 1780. Dans son héritage se trouvaient la plupart des documents originaux de la famille Bach. Contrairement à celle de son frère, Wilhelm Friedemann, sa musique fut largement éditée de son vivant et sa renommée fut grande. Haydn (qui travailla ses sonates dans sa jeunesse) et Mozart l’admirèrent profondément, et le premier surtout, par certains côtés, fut son continuateur. Pionnier du concerto pour clavier (une cinquantaine), il fut, par ses brusques modulations dramatiques, ses rythmes imprévus, sa démarche parfois velléitaire, le plus grand représentant en musique de l’Empfindsamkeit. « Un musicien ne peut émouvoir que s’il est ému lui-même », disait-il volontiers, et, sous les notes d’un des dix-huit Probe-Stücke accompagnant l’Essai..., à caractère de récitatif, le poète Heinrich Wilhelm von Gerstenberg (1727-1823) put inscrire les paroles du monologue d’Hamlet. Son instrument préféré était le clavicorde. Parmi les domaines injustement méconnus de sa production, une vaste série d’Odes et lieder pour voix avec accompagnement de clavier. De la galanterie il sut éviter les écueils et il occupa en son siècle, pas seulement comme adepte de la nouvelle « forme sonate », une position unique. Il fut d’ailleurs le seul musicien de son rang à avoir couvert, par une production abondante, tout le deuxième tiers et une bonne partie du troisième tiers du XVIIIe siècle. Le catalogue de ses oeuvres dressé par Alfred

Wotquenne (1905) est à peu de choses près une copie de celui, incomplet, réalisé après la mort du compositeur par un de ses amis, l’organiste Johann Jacob Heinrich Westphal (1756-1825). Un autre, dû à Eugen Helm, est paru en 1989. BACH (Georg Christoph), compositeur allemand (Erfurt, Saxe, 1642 - Schweinfurt, Basse-Franconie, 1697). Fils de Christoph Bach (1613-1661), Georg Christoph occupa, vingt ans durant, le poste de cantor à Themar (Saxe), avant d’obtenir la même charge à Schweinfurt. Là, il reçut la visite de ses frères Johann Christoph et Johann Ambrosius et, pour cette occasion, il composa une cantate sur le psaume 133 : Siehe wie fein und lieblich... (Oh ! qu’il est agréable et doux pour des frères de demeurer ensemble !). BACH (Heinrich), compositeur allemand (Wechmar 1615 - Arnstadt 1692). Fils de Johannes Bach, il fut d’abord musicien de la ville d’Erfurt, puis organiste à la Liebfrauenkirche et à l’Oberkirche d’Arnstadt. Il composa de nombreux concertos, des préludes de choral, des chorals, des motets et des cantates. Comme organiste, il jouit d’une assez grande réputation à son époque. BACH (Johann Bernhard), compositeur allemand (Erfurt, Saxe, 1676 - Eisenach, Saxe, 1749). Fils de Johann Aegidius, il étudia Erfurt avec Pachelbel avant de débuter comme organiste à la Kaufmannskirche (1695). Il fut ensuite nommé à Magdebourg, puis à Eisenach où il resta jusqu’à sa mort. Une partie seulement de ses compositions a été conservée (oeuvres pour orgue, chorals, fugues et 4 suites pour orchestre). BACH (Johann Christian), compositeur allemand (Leipzig 1735 - Londres 1782). Dernier enfant de J. S. Bach et de sa seconde femme Anna Magdalena, et dernier de ses quatre fils musiciens, le « Bach de Milan et de Londres » - appelé aussi Jean Chrétien - n’avait que quinze ans à la mort de son père et profita moins que ses deux demi-frères et que son frère de son influence et de ses conseils. Après 1750, il poursuivit sa formation à Berlin auprès de son demi-frère Carl Philip Emanuel, et, en 1755, alla en Italie, voyage

qu’auparavant aucun Bach n’avait effectué. Là, il fut protégé par le comte Litta, devint l’élève du padre Martini, composa de la musique sacrée (Dies irae) et des opéras (genre qu’avant lui aucun Bach n’avait pratiqué), se lia avec Sammartini, et, pour devenir organiste à la cathédrale de Milan, se convertit au catholicisme. Il donna à Turin Artaserse (1760) et à Naples Catone in Utica (1761) et Alessandro nell’ Indie (1762). En 1762, il arriva à Londres comme compositeur attitré du King’s Theatre, et pendant vingt ans, premier Bach cosmopolite, premier Bach mondain, il participa activement à la vie musicale et théâtrale intense de la capitale britannique (où il accueillit en 1764 l’enfant Mozart et sa famille). Il organisa et dirigea à partir de 1765 avec le gambiste Carl Friedrich Abel les concerts par abonnements Bach-Abel (tenus à partir de 1775 à Hanover Square Rooms), fit chaque mercredi de la musique chez la reine, devint professeur des enfants royaux, introduisit en Angleterre le piano-forte. Dès 1763, il donna à Londres les opéras Orione et Zenaida, et en 1778 encore La Clemenza di Scipione. On le vit à Mannheim en 1772 et peut-être en 1775 pour les créations respectives de Temistocle et de Lucio Silla, et en 1778 à Paris (où il retrouva Mozart) afin de signer un contrat pour un opéra français (Amadis de Gaule, 1779). Sa mort prématurée émut surtout ses créanciers, mais provoqua chez Mozart cette réaction rare : « Bach n’est plus, quelle perte pour la musique ! » Ivresse mélodique, élégance, sensualité, facilité apparente caractérisent son style (il fut l’un des créateurs de l’allegro chantant repris par Mozart), mais n’en cachent pas moins le métier le plus sûr. D’une production très abondante, mais dont seule une partie fut éditée de son vivant, citons downloadModeText.vue.download 52 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 46 les douze sonates pour clavier op. 5 et op. 17, les six quintettes op. 11, les dix-huit concertos pour clavier op. 1 (le finale du sixième et dernier est une série de variations sur le God Save the King), op. 7 et op. 13, les vingt-quatre symphonies op. 3, op. 6, op. 8, op. 9 et op. 18. Certaines de ces symphonies sont en fait des ouvertures d’opéra, comme par exemple le célèbre op. 18 no 2 (ouverture de Lucio Silla). On lui

doit aussi de très nombreuses symphonies concertantes et des airs de concert dont l’un (Ebben si vada) avec piano obligé. Il sacrifia largement au style galant, mais des oeuvres comme la sonate en ut mineur op. 5 no 6 ou la symphonie en sol mineur op. 6 no 6 nous montrent (comme ses improvisations au clavier montraient à ses contemporains) que lui aussi savait explorer profondeur et passion. Une des clés du personnage réside sans doute dans cette confidence à un ami : « Mon frère Carl Philip Emanuel vit pour composer, et, moi, je compose pour vivre. » BACH (Johann Christoph), compositeur allemand (Arnstadt, Saxe, 1642 - Eisenach, Saxe, 1703). Fils de Heinrich et petit-fils de Johannes, il fut organiste à Arnstadt, puis à Eisenach où il joua dans les trois églises, notamment à la Georgenkirche. Excellent musicien, il composa beaucoup. J. S. Bach joua quelques-unes de ses oeuvres à Leipzig et C. Ph. E. Bach le tenait en estime. Johann Christoph laissa des oeuvres pour le clavier (orgue ou clavecin), dont 44 chorals pour le service divin, des cantates et des motets. Ses quatre fils furent également musiciens. On le considère généralement comme le plus grand musicien de la famille Bach, antérieur à Jean-Sébastien. BACH (Johann Christoph Friedrich), compositeur allemand (Leipzig 1732 Bückeburg 1795). Fils aîné de J. S. Bach et de sa seconde femme Anna Magdalena et troisième de ses quatre fils musiciens, le « Bach de Bückeburg » fut éduqué par son père et mena, contrairement à ses frères, une carrière modeste et peu agitée. Engagé au début de 1750, juste avant la mort de son père, à la cour du comte de Schaumburg-Lippe à Bückeburg (Westphalie), il devait y rester jusqu’à sa mort, au service des comtes Wilhelm (jusqu’en 1777) et Friedrich Ernst (1777-1787), puis de la régente Juliane. Il dut d’abord se consacrer surtout à la musique italienne, en particulier jusqu’au départ en 1756 du maître de concerts Angelo Colonna et du compositeur G. B. Serini. La fin de la guerre de Sept Ans (1763) marqua pour la chapelle de Bückeburg un nouveau départ. L’écrivain Johann Gottfried Herder, qui séjourna à Bückeburg de 1771 à 1776, écrivit pour J. C. F. Bach les textes des oratorios Die Kindheit Jesu

(« l’Enfance de Jésus », 1773) et Die Auferweckung des Lazarus (« la Résurrection de Lazare », 1773) et de diverses cantates. En 1778, il rendit visite, à Londres, à son frère Johann Christian. La plupart de ses oeuvres ne franchirent jamais les limites de Bückeburg. De ses vingt symphonies, dont sept seulement ont été préservées intégralement, la dernière, en si bémol majeur (1794), est un chef-d’oeuvre durable de l’époque classique. Dans les quinze dernières années de sa vie, surtout dans le domaine instrumental (sonates, musique de chambre, concertos), il fut moins influencé qu’auparavant par son demi-frère Carl Philip Emanuel et par les maîtres de l’Allemagne du Nord et se rapprocha du style de son frère Johann Christian et de l’équilibre classique. Il mit en outre à ses programmes des oeuvres de ses contemporains « avancés », dont Mozart. Avec son fils Wilhelm Friedrich Ernst (1759-1845), également musicien, devait s’éteindre la descendance mâle de Jean-Sébastien. Un catalogue des oeuvres de J. C. F. Bach a été réalisé par Hannsdieter Wohlfarth (1960, réimpr. 1971). ( ! NEUBAUER.) BACH (Johann Ernst), compositeur allemand (Eisenach, Saxe, 1722 - id. 1777). Il étudia avec son père, Johann Bernhard Bach, et avec son petit cousin, Johann Sebastian. D’abord élève à l’école SaintThomas de Leipzig, il entreprit ensuite son droit à l’université de la même ville. En 1749, il fut nommé organiste à la Georgenkirche d’Eisenach. La même année, il dédia au prince de Weimar une série de fables mises en musique. Lorsque le prince accéda au pouvoir (1756), Johann Ernst devint chef d’orchestre de la Cour tout en conservant ses fonctions d’organiste à Eisenach. Johann Ernst Bach a laissé des sonates pour clavier ou pour violon et clavier, des cantates d’église, des cantates profanes, une messe, un Magnificat, des psaumes. Outre ses compositions, il écrivit la préface d’un ouvrage du théoricien Jakob Adlung, Anleitung zu der musikalischen Gelahrtheit (méthode d’éducation musicale). BACH (Johann Ludwig), compositeur allemand (Steinbach 1677 - Meiningen, Saxe, 1741). Surnommé le « Bach de Meiningen », il

étudia la théologie avant d’être musicien à Salzungen. En 1708, il fut nommé cantor et maître des pages de Bernhard Ier à Meiningen, puis, en 1711, directeur de l’orchestre de la Cour. Johann Sebastian a recopié de sa main les 18 cantates allemandes de Johann Ludwig Bach. Celuici est également l’auteur d’une Suite pour orchestre. BACH (Johann Michael), compositeur allemand (Arnstadt, Saxe, 1648 - Gehren, Saxe, 1694). Fils de Heinrich Bach et frère de Johann Christoph, il était le père de Maria Barbara, première femme de Johann Sebastian. Il étudia avec son père et fut, jusqu’en 1673, organiste à la cour d’Arnstadt, puis organiste à Gehren. Il fut également facteur d’instruments, expert en instruments à clavier et en violons. Ses oeuvres, essentiellement destinées à l’orgue, comptent aussi des motets et des cantates. BACH (Johann Nicolaus), compositeur allemand (Eisenach, Saxe, 1669 - Iéna, Saxe, 1753). Fils de Johann Christoph, il commença ses études à Eisenach, puis, en 1689, entra à l’université d’Iéna. En 1695, il obtint un poste d’organiste dans deux églises d’Iéna ; il en conserva un jusqu’à l’âge de 80 ans. Il construisit des clavecins et inventa le Lautenwerk, sorte de luth muni d’un clavier. L’organiste Jakob Adlung fut l’un de ses élèves. De ses oeuvres, il reste une messe brève, un Bicinium pour orgue et une cantate burlesque (le Crieur de vin et de bière d’Iéna). BACH (Johann Sebastian), compositeur allemand (Eisenach, Saxe, 1685 - Leipzig 1750). Issu d’une lignée de musiciens-ménétriers - organistes et cantors fixés en Thuringe depuis le XVIe siècle, dont l’un au moins, Johann Christoph (1642-1703), cousin germain de son père, avait été un compositeur d’une importance particulière -, il naquit le 23 mars 1685, la même année que Haendel et D. Scarlatti. Il était le dernier des huit enfants de Johann Ambrosius Bach (1645-1695), musicien des villes d’Erfurt et d’Eisenach, et d’Elisabeth Lämmerhirt (1644-1694). Johann

Sebastian Bach fit des études générales, brillantes, au gymnasium d’Eisenach et eut l’occasion d’entendre son cousin Johann Christoph au clavecin et à l’orgue. Une oeuvre de ce dernier - le motet à 8 voix Ich lass dich nicht - devait lui être plus tard attribuée. ÉTUDES ET APPRENTISSAGE. Recueilli, à la mort de son père, par son frère aîné Johann Christoph (1671-1721), élève de Pachelbel et organiste à Ohrdruf, Bach poursuivit son instruction générale au lyceum d’Ohrdruf et fit ses études musicales avec son frère. À 15 ans, grâce à sa belle voix, il fut admis dans la manécanterie de la Michaeliskirche de Lüneburg : d’après les statuts, les choristes devaient être « nés de pauvres gens, sans aucune ressource, mais possédant une bonne voix ». Là, il lut et copia beaucoup de musique, fit la connaissance des organistes downloadModeText.vue.download 53 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 47 J. J. Löwe, ancien élève de Schütz, et de G. Böhm. Il effectua plusieurs voyages à Hambourg pour y écouter J. A. Reinken, entendit la chapelle française du duc de Celle et découvrit ainsi, entre autres, les oeuvres instrumentales de François Couperin. Avec le facteur d’orgues J. B. Held, il apprit à construire, à expertiser et à réparer les orgues, domaine où sa réputation dépassa bientôt celle de ses contemporains. LES DÉBUTS D’ORGANISTE. Quelque temps violoniste dans l’orchestre privé du duc Johann Ernst de Weimar, Bach fut nommé, en août 1703, organiste à la Neue Kirche d’Arnstadt, où il composa ses premières oeuvres religieuses - la cantate Denn du wirst meine Seele nicht in der Hölle lassen (« Car tu ne laisserais pas mon âme en enfer ») BWV 15 - et ses premières pages pour clavier, dont le Capriccio sopra la lontananza del suo fratello dilettissimo (« Caprice sur l’éloignement de son frère bien-aimé »). Il s’essaya à la toccata, au prélude et fugue, au prélude de choral. En octobre 1705, il fit à pied le voyage d’Arnstadt à Lübeck pour y entendre le célèbre organiste Buxtehude, qui lui offrit

sa succession : mais Bach, comme d’autres avant et après lui, recula à la perspective de devoir épouser la fille du vieux maître. De retour à Arnstadt, il attira sur lui les foudres de ses supérieurs à la fois en raison de son absence prolongée et de par sa façon « inhabituelle » de jouer de l’orgue. Ces incidents et d’autres - comme l’indiscipline et le manque de dons pour la musique des choristes dont il avait la charge - le décidèrent à accepter, au cours de l’été 1707, la succession de Johann Georg Ahle à la Blasiuskirche de Mühlhausen. Le 17 octobre de la même année, il épousa sa cousine Maria Barbara (16841720), fille de Johann Michael Bach (16481694), organiste à Gehren. Celle-ci devait lui donner sept enfants, dont deux grands musiciens, Wilhelm Friedemann (17101784) et Carl Philip Emanuel (1714-1788). À Mühlhausen, il composa trois cantates d’église : Aus der Tiefe rufe ich, Herr, zu dir (« Des profondeurs, je t’appelle, Seigneur ») BWV 131, Gott ist mein König (« Dieu est mon roi ») BWV 71, et Der Herr denket an uns (« Le Seigneur pense à nous ») BWV 196. D’UNE COUR À L’AUTRE. En 1708, Bach devint musicien de chambre et organiste à la cour de Weimar, où en Thuringe, depuis 1707, son cousin Johann Gottfried Walther était organiste et enseignait la musique aux jeunes princes. Plus tard, sous le règne de Charles Auguste (1775-1828), cette Cour devait devenir « l’Athènes de l’Allemagne », devenir le lieu de résidence de Goethe et de Schiller, et attirer des hommes célèbres dans tous les domaines de la culture. Du temps de Bach, elle se distinguait déjà des autres cours allemandes, en particulier par une atmosphère d’austérité qui contrastait fortement avec le faste et la frivolité de mise ailleurs. Tout tournait autour de la religion, et Bach eut la chance de trouver là un patron dont les idées musicales allaient en gros dans le même sens que les siennes. Plusieurs voyages le menèrent à Cassel (1714), à la cour du duc Christian de SaxeWeissenfels (1716) et à Dresde (1717), où il devait rencontrer Louis Marchand pour une sorte de joute musicale, mais l’organiste français, craignant sans doute une défaillance, se déroba. À Weimar, Bach composa ses premières grandes oeuvres pour orgue (en particulier, le début de

l’Orgelbüchlein, recueil de 46 chorals, et des pièces très célèbres comme la Toccata et fugue en « ré » mineur et la Passacaille et fugue en « ut » mineur) et pour clavier (toccatas, concertos d’après Vivaldi, Telemann, A. Marcello et le duc Johann Ernst de Weimar). La Cour était luthérienne et fort pieuse : d’où, chaque mois, de la part de Bach, une nouvelle cantate pour l’excellent ensemble de chanteurs et d’instrumentistes dont il disposait. Toutefois, à la mort du maître de chapelle J. S. Drese (décembre 1716), Bach n’obtint pas sa succession, et, pour exprimer son mécontentement, il fit une sorte de « grève sur le tas » tout en cherchant un autre poste ailleurs. Une offre lui était justement parvenue du prince Léopold d’Anhalt-Köthen, mais, quand il fit part de ses intentions au duc régnant de Weimar, celui-ci le mit aux arrêts « pour avoir sollicité son congé avec trop d’obstination ». En 1717, Bach arriva néanmoins à Köthen, où ses tâches allaient être bien différentes de celles qu’il avait connues à Weimar. La cour de Köthen était réformée (calviniste) : Bach ne devait donc ni jouer de l’orgue ni composer de la musique d’église. En revanche, le prince Léopold, passionné de musique instrumentale, attendait beaucoup en ce genre de son nouveau maître de chapelle. Il en obtint plus qu’il n’avait jamais espéré : Concerts brandebourgeois, dédiés, au printemps 1721, à Christian Ludwig, margrave de Brandebourg ; suites, partitas et sonates pour orchestre, violon seul, violoncelle seul, viole de gambe, flûte ou violon avec clavecin obligé ou continuo ; concertos pour violon ; et pour clavier (clavecin), le livre I du Clavier bien tempéré (1722), les 30 inventions et sinfonie, la Fantaisie chromatique et fugue (1720), le Petit Livre de clavier de Wilhelm Friedemann Bach (1720) et celui d’Anna Magdalena (1722), les suites anglaises et françaises. Ayant perdu Maria Barbara (juin 1720), Bach se remaria, en décembre 1721, avec la cantatrice Anna Magdalena Wilcken (17011760), qui allait lui donner treize enfants, parmi lesquels deux autres grands musiciens, Johann Christoph Friedrich (17321795) et Johann Christian (1735-1782). LE CANTORAT À SAINT-THOMAS.

À l’automne 1720, Bach se rendit à Hambourg et improvisa devant le vieux Reinken sur le choral An Wasserflüssen Babylon (c’est ce choral qui, dans l’éblouissante exécution de Reinken, l’avait tenu luimême sous le charme quelque vingt ans auparavant). À la fin, Reinken, d’ordinaire avare de louanges, s’écria : « Je pensais que cet art était mort, mais je vois qu’il vit encore en vous. » En 1722, le prince Léopold, au service duquel Bach pensait passer le reste de ses jours, se maria. Or sa femme n’aimait ni la musique - Bach la traita d’amusa - ni l’art en général, et les conditions à la cour de Köthen changèrent totalement. Mais il se trouva qu’après la mort de Johann Kuhnau, cantor à l’école Saint-Thomas de Leipzig, le conseil de la ville avait proposé le poste à Telemann et à Johann Christoph Graupner, qui, tous deux, l’avaient refusé, puis à Bach. Celui-ci, ayant accepté, fut nommé en mai 1723 ; il devait rester à Leipzig jusqu’à sa mort. À Saint-Thomas, Bach assurait l’enseignement musical aussi bien que les cours de latin. La chorale de l’école était formée de musiciens médiocres ; sur 55 élèves, 17 seulement étaient capables de remplir correctement leur tâche. Outre ces fonctions, il était chargé de la musique des églises Saint-Thomas et Saint-Nicolas, ainsi que de celles de la ville et de l’université pour les cérémonies officielles. Ses relations avec l’université, le recteur Ernesti et le conseil de la ville allaient être marquées par d’incessantes disputes. Le conseil se plaignait des fréquentes absences de Bach, qui se rendait à Weimar, à Cassel - où il joua sur l’orgue de la Martinuskirche (1732) -, à Dresde, où vivaient Johann Adolf Hasse et son épouse, la célèbre cantatrice Faustina Bordoni. Dans cette dernière ville, il jouissait de l’estime du comte Hermann Carl Keyserling, pour qui il composa les Variations Goldberg (publiées en 1742), et joua sur l’orgue Silbermann de la Sophienkirche. En 1741, Bach visita Berlin, et, au printemps 1747, il se rendit à Potsdam sur l’invitation de Frédéric II de Prusse, au service duquel se trouvait son fils Carl Philip Emanuel. Bach improvisa une fugue sur un sujet donné par le roi, et, à son retour à Leipzig, en tira l’Offrande musicale. Mais une maladie des yeux, s’aggravant durant les dernières années, devait lui

ôter presque entièrement la vue à la fin de 1749. Son élève - et gendre - Johann Christoph Altnikol allait écrire, sous sa dictée, ses dernières oeuvres. Dans les premières années de son cantorat à Leipzig, Bach composa surtout des downloadModeText.vue.download 54 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 48 cantates d’église, ainsi que l’Oratorio de Pâques et le Magnificat. Cette période fut couronnée par la Passion selon saint Matthieu, exécutée en 1729, le jour du vendredi saint. Bach écrivit ensuite des cantates profanes pour les fêtes en l’honneur de la famille régnante de Saxe, duché dont la capitale était Dresde, mais sur le territoire duquel se trouvait Leipzig (de 1697 à 1763, les princes-électeurs de Saxe furent en même temps rois de Pologne). L’année 1733, qui vit Frédéric Auguste II succéder à son père, fut marquée par de nombreuses festivités, auxquelles Bach contribua par trois cantates différentes pour la fête du nouveau monarque et les anniversaires de son fils le prince héritier et de son épouse. À cette époque appartiennent aussi les deux premières parties de la Klavierübung : d’une part, les 6 partitas dont la publication s’étendit jusqu’en 1731 et, d’autre part, l’Ouverture dans le style français et le Concerto italien, publiés en 1735 (la troisième partie de la Klavierübung devait être constituée d’oeuvres pour orgue et la quatrième des Variations Goldberg). L’Oratorio de Noël, en réalité succession de 6 cantates, date de 1734, l’Oratorio pour le jour de l’Ascension de 1735 et le livre II du Clavier bien tempéré de 1744. Au cours des dernières années de sa vie, Bach transcenda le passé, donnant la quintessence de l’art contrapuntique avec l’Art de la fugue, révisant des chorals pour orgue et complétant la Messe en « si » mineur, qui l’avait occupé de façon intermittente depuis 1733. Le 18 juillet 1750, il recouvra soudain la vue, mais il eut quelques heures après une attaque, suivie d’une fièvre qui l’emporta dix jours plus tard. UNE SYNTHÈSE GÉNIALE. De toutes les formes musicales, l’opéra

est la seule à laquelle Bach ne se soit pas essayé (mais de nombreux épisodes des cantates s’en rapprochent fort par l’esprit). Comme de coutume à son époque, sa production comporte presque entièrement des oeuvres de circonstance étroitement liées aux exigences des postes qu’il occupait. Il ne fut pas créateur de formes ni de genres, mais il reprit ceux légués par ses prédécesseurs en les élargissant considérablement tant sur le plan structural qu’expressif, en les portant à un degré de perfection et d’universalité inconnu avant lui. Du point de vue architectural, il se renouvela sans cesse : ses inventions, ses fugues, ses cantates sont toutes construites différemment. L’oeuvre de Bach se distingue également par un caractère nettement polyphonique allant néanmoins de pair avec la clarté et l’abondance mélodique. On peut, à ce propos, parler de synthèse d’éléments germaniques et italiens ; cela sans oublier les influences françaises, elles aussi miraculeusement assimilées et magnifiées, en particulier dans les suites ou ouvertures - pour orchestre, qui approfondissent un modèle jadis créé par Lully. Si Bach fut l’héritier de la longue tradition polyphonique occidentale, il assuma parallèlement la grande révolution du XVIIe siècle (réduction de la structure sonore à une mélodie accompagnée par une basse) : son originalité essentielle est d’avoir été à la croisée de ces deux chemins, raison pour laquelle il ne devait pas avoir d’héritier musical direct. Sa synthèse ne pouvait intervenir qu’entre 1700 et 1750. L’évolution de l’esthétique musicale la rendait impossible ultérieurement, et, déjà à la fin de sa vie, Bach se trouva incompris et « dépassé » aux yeux de ses contemporains. À la tradition allemande, il reprit le choral luthérien, qui vivifia toute son oeuvre, vocale et instrumentale. LES OEUVRES INSTRUMENTALES. Bach conçut la plupart de ses oeuvres instrumentales à Weimar et à Köthen, où ses activités lui permirent d’acquérir la maîtrise des formes, du style, des combinaisons instrumentales. Il exploita les perfectionnements techniques apportés à la facture du violon, du violoncelle ou de la flûte. Le concerto à l’italienne l’intéressa particulièrement. Il transcrivit de nombreux concertos d’auteurs italiens, en écrivit lui-même pour violon et il fut

aussi le premier à concevoir de véritables concertos pour clavecin et orchestre. Ceux-ci sont, presque tous, des transcriptions. Cependant, pour le 5e Brandebourgeois, il confia au clavecin non seulement un rôle de soliste, mais une audacieuse cadence de 65 mesures : on a pu dire de cet ouvrage qu’il était le premier en date de tous les concertos pour clavier. Sur les six Brandebourgeois, trois (nos 1, 3 et 6) font dialoguer divers « choeurs instrumentaux » d’égale importance, alors que les trois autres opposent aux cordes un groupe d’instruments solistes, et à ceux-ci un soliste principal (trompette dans le no 2, flûte dans le no 4, clavecin dans le no 5). Bach se passionna également pour le clavier (clavecin) seul. Là, il mena à terme les deux grandes formes léguées par ses prédécesseurs. Outre des oeuvres plus ou moins isolées, mais d’une grande importance comme la Fantaisie chromatique et fugue ou le Concerto italien, il y eut, en effet, d’une part les trois recueils de six suites chacun - françaises (1722), revêtant encore le caractère de la danse populaire, anglaises (avant 1722), adoptant davantage celui de la danse de cour, et allemandes ou partitas (1726-1731), plus proches de la musique pure - et, d’autre part, les deux livres du Clavier bien tempéré (1722, 1744), comprenant l’un et l’autre 24 préludes et fugues dans toutes les tonalités majeures et mineures et démontrant l’intérêt musical - pas seulement théorique - du tempérament égal (division de l’octave en douze demi-tons strictement égaux). Quant aux Variations Goldberg, elles témoignent d’une grande richesse d’invention et d’une science extrême du contrepoint, du canon en particulier : Bach y présente 9 genres différents de canons. Synthèse de formes - l’air varié s’y mêle à la passacaille -, cette oeuvre est aussi une synthèse de procédés d’écriture. Dans le quodlibet final, deux mélodies populaires viennent se superposer au thème de la passacaille. Bach jeta ici les solides fondements de la grande variation moderne. De l’écriture canonique, le sommet fut l’Offrande musicale, série de variations contrapuntiques sur le thème proposé par Frédéric II. Cette oeuvre, construite selon une structure symétrique chère à Bach, présente le plan suivant : ricercare/5 canons/sonate en trio/5 canons/ricercare.

Cinq des canons sont à deux voix avec une troisième voix utilisant le thème royal comme cantus firmus, les cinq autres traitent des variations du thème de façon canonique. Sauf pour la sonate en trio et pour le 9e canon (flûte, violon et basse figurée), Bach n’a laissé aucune indication d’instruments pour cet ouvrage prenant appui, par sa virtuosité et sa rigueur polyphoniques, et en particulier par son usage du canon-énigme, sur la grande école franco-flamande des XVe et XVIe siècles. Pour le violon, Bach a écrit notamment 2 concertos, 1 concerto pour deux violons, 6 sonates avec clavecin adoptant la structure quadripartite de la « sonata da chiesa » (sonate d’église) et, surtout, 3 sonates et 3 partitas pour violon seul où il parvint à faire de cet instrument, en principe purement monodique, un instrument polyphonique. La chaconne en ré mineur de la 2e partita, avec ses 32 variations, est une page unique dans le répertoire du violon. UN DOMAINE PRIVILÉGIÉ : L’ORGUE. La musique pour orgue occupa Bach toute sa vie durant. Il écrivit environ 250 oeuvres pour orgue, soit fondées sur le choral, soit librement inventées. La usion d’éléments de provenances diverses, caractéristique de l’oeuvre de Bach en général, est ici particulièrement évidente. Bach composa plus de 150 chorals d’orgue, et les groupa en 4 grands recueils (Orgelbüchlein, chorals du cathéchisme formant la 3e partie de la Klavierübung, chorals de Leipzig, recueil de Schübler) tout en les traitant de manière très différente, en soumettant ces simples airs de cantiques à toutes les formes possibles de métamorphose : chorals ornés, figurés, contrapuntiques, en trio, variés, harmonisés, fugués, en canon, en fantaisie sur le choral, etc. Mais le choral se veut toujours expressif, traduction d’une idée clé s’imposant avec force, grâce, notamdownloadModeText.vue.download 55 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 49 ment, à divers procédés symboliques. Quand il mit en musique un texte - et ce fut presque toujours un texte religieux -,

Bach ne laissa jamais passer une idée, une image ou un mot important sans en donner musicalement une transcription symbolique. De même, son élève Gottfried Ziegler put écrire : « Pour le jeu du choral, mon professeur, le maître de chapelle Bach, me l’enseigna de telle sorte que je ne joue pas les chorals simplement tels quels, mais d’après le sentiment indiqué par les paroles. » Le dernier choral de Bach, Vor deinen Thron tret’ich (« Je comparais devant ton trône »), atteste le goût du compositeur pour les symboles numériques : la première période du choral est énoncée en 14 notes et la mélodie entière en 41 notes rétrograde de 14. Par opposition aux chorals, les fantaisies, les toccatas, les préludes et fugues sont des pages brillantes illustrant les éléments décoratifs du culte. Avec le Clavier bien tempéré, ce sont là les pages de Bach qui, même durant son éclipse à la fin du XVIIIe siècle et pour une bonne partie du XIXe, ne cessèrent jamais d’être jouées. Les plus anciennes de ces pièces portent la marque à la fois d’une jeunesse bouillonnante et de l’influence des maîtres de l’Allemagne du Nord, avec, à leur tête, Buxtehude : ainsi la célèbre Toccata et fugue en « ré » mineur. Plus tard, à partir du séjour à Weimar et sous l’influence des Italiens et des maîtres de l’Allemagne du Sud (Pachelbel), la beauté plastique de la forme s’impose, mais toujours avec de saisissants contrastes (Toccata, adagio et fugue en « ut » majeur). Dernière grande oeuvre instrumentale entreprise par Bach, même si ce ne fut pas la dernière à laquelle il travailla, l’Art de la fugue (inachevé) devait réunir 24 fugues réparties en 6 groupes comprenant chacun 2 paires de fugues (rectus et inversus). Nous ne possédons que 20 de ces fugues, dont la dernière est incomplète. L’oeuvre, dont nous ignorons à quels effectifs elle était destinée - il est fort probable que Bach lui-même ne se posa jamais la question -, explore toutes les possibilités de l’écriture fuguée, et édifie à partir d’un thème court et très simple un monument grandiose - fugues simples à développement libre, fugues à conséquent obligé, fugues à plusieurs sujets - faisant un usage des plus savants de tous les procédés contrapuntiques connus. Cette partition didactique, d’une écriture transcendante, n’en est pas moins d’une grande beauté expressive, Bach n’ayant jamais été plus

à l’aise, plus libre, plus inventif, que dans la fugue. LA MUSIQUE VOCALE. La musique vocale de Bach, comme sa musique instrumentale, est dominée par le choral, grand principe de la musique luthérienne. Les chorals sont présents dans les motets, les oratorios, les Passions et surtout dans les cantates, genre qui en est le plus directement issu. La cantate est au centre de l’oeuvre vocale de Bach, qui en écrivit cinq séries pour tous les dimanches et fêtes de l’année ecclésiastique. De ces quelque 300 cantates sacrées où se mêlent les influences du concerto profane, du concert sacré et de l’opéra italien, moins de 200 nous sont parvenues. La plupart reposent sur deux piliers extrêmes : au début, un grand choeur d’introduction presque toujours construit sur une mélodie de choral ; à la fin, le chant très simple du même choral (entonné également à l’époque, selon toute probabilité, par la foule des fidèles). Entre ces deux éléments, la liberté la plus complète dans la nature et l’enchaînement des pièces : airs à une ou plusieurs voix accompagnés par l’orchestre ou des instruments solistes, récitatifs, ariosos, autres choeurs construits ou non sur le choral. Dans ses cantates religieuses, qui musicalement ne contiennent guère de faiblesses, mais dont les textes - empruntés au pasteur Neumeister, à Salomon Franck, à Henrici (dit Picander), à Ch. M. von Ziegler ou à Christian Weiss, père et fils - sont souvent médiocres, Bach réutilisa à l’occasion, non sans parfois les métamorphoser en profondeur, des morceaux tirés de ses cantates profanes, voire de pages instrumentales. Il en va de même pour les trois oratorios, qui proviennent essentiellement de compositions (surtout profanes) antérieures. La musique de l’Oratorio de Pâques est composée à partir de cantates pastorales, celle de l’Oratorio de Noël, suite de six cantates, provient de diverses sources dont la cantate profane Preise dein Glücke, gesegnetes Sachsen (« Chante bien haut ton bonheur, Saxe bénie »), composée pour l’anniversaire de l’accession d’Auguste III de Saxe au trône de Pologne, celle de l’Oratorio de l’Ascension correspond à la cantate BWV 11.

La pratique de la transcription fut d’ailleurs une des constantes de l’évolution de Bach, qui poursuivit ainsi l’identité du profane et du sacré, du vocal et de l’instrumental. De ses motets allemands, six nous sont parvenus, datant tous de la période de Leipzig. Il n’a pas composé de motets latins, mais a utilisé la langue latine pour le Magnificat et la Messe en « si » mineur. Du Magnificat, écrit à Leipzig, la première version fut composée en 1723 pour le jour de Noël : elle était en mi bémol majeur et comprenait, outre les douze morceaux du Magnificat latin, quatre interpolations en langue allemande, étroitement rattachées à la liturgie de Noël. Vers 1730, Bach révisa l’ouvrage, le transposa en ré majeur, permettant d’y introduire l’éclat des trompettes et des timbales et supprima les quatre interpolations (ce qui permit de le chanter également à Pâques et à la Pentecôte). La Messe en « si » mineur, monumental édifice, « catholique » par le texte mis en musique, mais véritablement oecuménique par sa portée spirituelle (voire par les emprunts qui y sont faits aux « cantates luthériennes » de l’auteur), fut entrepris en 1733 et comprend 25 morceaux (dont plusieurs repris de compositions antérieures) disposés en 4 sections. Bach écrivit aussi 4 messes brèves luthériennes. Des 4 Passions qui nous sont parvenues, la Passion selon saint Luc n’est probablement pas de Bach. De la Passion selon saint Marc, seul le livret de Picander a été conservé. Mais certains de ses airs et choeurs se retrouvent notamment dans l’Ode funèbre de 1727, dans la cantate pour alto solo Widerstehe doch der Sünde (« Résiste donc au péché ») BWV 54, de 1730 environ, et dans l’Oratorio de Noël. Restent la Passion selon saint Jean et la Passion selon saint Matthieu, datées respectivement de 1723 et de 1729. Ce sont comme d’immenses cantates où le récitatif prend une place importante. Le texte de l’Évangile en constitue la trame essentielle. Dans ces véritables drames sacrés, Bach se révèle comme un extraordinaire homme de théâtre sans théâtre. La Passion selon saint Jean, qui fait des emprunts au livret de Brockes déjà utilisé par Haendel pour tout ce qui est en marge du récit évangélique, est à la fois la plus intime et la plus violente. La Passion selon saint Matthieu, sur un livret de Picander, fait appel aux effectifs les plus importants jamais

utilisés par Bach : deux choeurs (et choeur d’enfants), deux orchestres, deux orgues se répondant de part et d’autre de l’église, solistes vocaux et instrumentaux. L’une et l’autre combinent et opposent le récit dramatique avec intervention (aux côtés de l’évangéliste) de certains personnages (Pilate, Pierre, Judas) et du choeur (la foule, les apôtres), la méditation lyrique et individuelle (ariosos, airs), et enfin la prière (le choral). Avec ses 78 morceaux regroupés en une architecture sans faille, sa synthèse unique de bonheur et de tristesse et son rayonnement de tendresse et d’amour, la Passion selon saint Matthieu représente le plus haut sommet de ce que Bach écrivit pour l’Église protestante et l’un des plus hauts de la musique religieuse de tous les temps. OEUVRES PRINCIPALES DE MUSIQUE VOCALE. Cantates : 224 cantates, la vaste majorité étant des cantates d’église, 25 sont des cantates profanes ; quelques cantates sont d’une authenticité douteuse. 7 motets. Messes : Messe en si mineur ; 4 messes « luthériennes « ; 5 sanctus. Magnificat : Magnificat en ré majeur. Passions : Passion selon saint Matthieu ; Passion selon saint Jean ; Passion selon saint Luc. oradownloadModeText.vue.download 56 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 50 torios : Oratorio de Noël ; Oratorio de Pâques. Chorals : à 4 voix et instruments ; à 4 voix, environ 185. ARIAS ET LIEDER du Notenbuch (« Petit livre ») d’Anna Magdalena. Lieder spirituels. MUSIQUE INSTRUMENTALE. OEuvres pour orgue : 6 sonates, 24 préludes, toccatas ou fantaisies et fugues. 8 petits préludes et fugues ; environ 145 chorals, dont 46 de l’Orgelbüchlein, les 6 transcriptions « Schübler », chorals du livre III de la Clavier-Übung ; 6 concertos d’après Vivaldi et d’autres compositeurs ; 5 fantaisies ; 3 toccatas ; 3 préludes ; 8 fugues ; 4 trios ; aria. OEuvres pour clavier : inventions à 2 et 3 voix ; duos de la 3e partie de la Clavier-Übung ; suites anglaises ; suites françaises ; d’autres suites ; partitas ; Das Wohltemperierte Clavier (le Clavier bien

tempéré I, II), 48 préludes et fugues ; 9 préludes et fugues ; 19 fugues ; fantaisie chromatique et fugue ; 5 fantaisies et fugues ; 5 fantaisies ; concerto et fugue ; 7 toccatas ; 4 préludes ; 9 petits préludes du Clavierbüchlein pour W. Friedemann ; 11 petits préludes ; 5 sonates ; Concerto italien ; 16 concertos d’après Vivaldi et d’autres compositeurs ; Variations Goldberg ; Capriccio sopra la lontananza del suo fratello dilettissimo. OEuvres pour luth : 2 suites ; 1 partita ; prélude, fugue et allegro ; prélude ; fugue. OEuvres pour instruments divers : sonates, suites et partitas pour le violon, la viole de gambe, flûte traversière, etc., avec ou sans la basse continue. Concertos : 2 concertos pour violon et 1 concerto pour deux violons ; concerto pour flûte traversière, violon et clavier ; 6 concertos brandebourgeois ; 7 concertos pour clavier ; 3 concertos pour 2 claviers ; 2 concertos pour 3 claviers ; 1 concerto pour 4 claviers. OEuvres diverses : 4 suites pour ensemble instrumental (ouvertures) ; sinfonia ; 7 canons ; Offrande musicale ; l’Art de la fugue. BACH (Wilhelm Friedemann), compositeur et organiste allemand (Weimar 1710 - Berlin 1784). Deuxième enfant et fils aîné de J. S. Bach et de sa première femme Maria Barbara, il étudia surtout auprès de son père, dont il fut le premier des quatre fils musiciens, et qui écrivit pour lui, entre autres, le Clavierbüchlein. Nommé organiste à Dresde (1733), il quitta cette ville, trop férue à son goût de musique italienne et où le prince électeur et sa femme favorisaient la religion catholique, et devint en 1746 organiste et directeur de la musique à Halle. Il conserva ces fonctions dix-huit ans en se consacrant beaucoup, comme compositeur, au domaine religieux (cantates), alors que les années de Dresde avaient été dominées par la musique instrumentale (symphonies, concertos, pièces pour clavier). Ayant eu avec les autorités de Halle de nombreux démêlés, notamment au moment de la mort de son père, il accepta, sans aller l’occuper, un poste à Darmstadt (1762) et finalement renonça à ceux dont il jouissait à Halle sans en avoir d’autres en vue (12 mai 1764) : dix-sept

ans avant Mozart, il prit ainsi le risque de la liberté. Il resta à Halle jusqu’en 1770, séjourna quelque temps à Brunswick, et, en 1774, s’installa à Berlin. Il y fut bien reçu par Kirnberger et par la princesse Amélie de Prusse, à qui il dédia, en 1778, huit fugues à trois voix pour clavier (une transcription pour trio à cordes précédée d’un prélude de celle en fa mineur est attribuée à Mozart) ; il y subsista grâce à des leçons et à des récitals d’orgue (le premier fit sensation), mais y mourut en laissant sa femme et sa fille dans la plus complète misère. Une légende entretenue au XIXe siècle par le roman pseudo-historique de Brachvogel s’édifia rapidement autour de son nom et le présenta comme un ivrogne et un malhonnête homme. On peut en faire bon marché, tout comme de l’incompréhension et de l’irrespect qu’il aurait manifestés envers l’art de son père (dont néanmoins il prit moins soin des manuscrits que son frère Carl Philip Emanuel). Il souffrit particulièrement de sa situation entre deux âges, l’attachement à son père s’opposa chez lui à la fidélité à son temps : même sa production instrumentale, particulièrement réussie (Polonaises, Fugues, Sonates et Fantaisies pour clavier), sembla à ses contemporains surannée et inutilement compliquée. Il lui manqua la concentration et la force de volonté nécessaires pour faire bon usage de sa liberté et exploiter à fond ses intuitions géniales, mais ses oeuvres reflètent la personnalité sinon la plus forte, du moins la plus visionnaire, parmi les fils de JeanSébastien. Pionnier de la « forme sonate », il se réfugia dans un monde à lui, d’une rare intensité d’expression mais offrant peu de prises à ses successeurs immédiats. On lui doit, outre sa musique pour clavier, des pièces pour orgue, de la musique de chambre faisant souvent appel à la flûte, des symphonies et des concertos, des cantates et de la musique d’église. À sa mort, la seule notice nécrologique à laquelle il eut droit le qualifia de « plus grand organiste d’Allemagne ». Ce fut, en effet, le seul des quatre fils musiciens de Jean-Sébastien à perpétuer sur ce plan la tradition de la famille Bach. Un catalogue de ses oeuvres a été dressé par Martin Falck (1913). BACHAUER (Gina), pianiste grecque naturalisée anglaise (Athènes 1913 id.1976). Elle doit vaincre les résistances de son père qui refuse l’idée qu’une femme soit

musicienne professionnelle, et suit deux années de droit à l’université d’Athènes. Elle remporte cependant en 1933 le Prix d’honneur du Festival international de Vienne. Elle étudie ensuite avec Cortot à l’École normale de musique de Paris et, en 1935, reçoit les conseils de Rachmaninov. La même année, Dimitri Mitropoulos la fait débuter avec l’orchestre du Conservatoire d’Athènes. Pendant la guerre, elle se réfugie en Égypte et donne de nombreux concerts de bienfaisance pour les armées. En 1947, sa carrière anglo-saxonne commence à l’Albert Hall de Londres. En 1950, seules trente-cinq personnes assistent à ses débuts au Carnegie Hall ! C’est pourtant en Amérique qu’elle s’impose comme une artiste marquante avec des récitals-fleuves qu’elle reprend aussi bien en Australie qu’en Nouvelle-Zélande ou en Israël. En 1966, elle triomphe enfin à New York, et aborde plusieurs concertos avec le Houston Symphony Orchestra. BACHELET (Alfred), compositeur et chef d’orchestre français (Paris 1864 - Nancy 1944). Il fut l’élève d’E. Guiraud au Conservatoire de Paris et obtint le grand prix de Rome en 1890 avec sa cantate Cléopâtre. Ensuite, il entra à l’Opéra Garnier comme second chef des choeurs avant d’y entamer, en 1907, une carrière de chef d’orchestre. Comme compositeur, Alfred Bachelet a manifesté un puissant tempérament dans trois oeuvres lyriques écrites sans la moindre concession au goût populaire, mais cependant riches de mélodies attachantes : Scemo (1914), Quand la cloche sonnera (1922), Un jardin sur l’Oronte (1932). Il succéda à Guy Ropartz à la tête du conservatoire de Nancy (1919). BACILLY (Bénigne de), compositeur, chanteur et théoricien français (Normandie v. 1625 - Paris 1690). Sa réputation de maître de chant fut grande sous Louis XIV, et il publia de nombreux volumes d’airs avec basse continue. Son ouvrage principal, traité intitulé Remarques curieuses sur l’art de bien chanter (1668), est très précieux pour la connaissance de la technique vocale, des ornements et de la prononciation dans la musique française du XVIIe siècle. Bénigne de Bacilly est également l’auteur d’un Recueil des plus beaux vers qui ont esté mis en

chant (3 vol.), qui a permis l’identification de nombre d’auteurs des textes des airs de cour de l’époque. BÄCK (Sven Erik), compositeur suédois (Stockholm 1919 - id. 1994). Entré en 1938 à l’Académie royale de Stockholm pour suivre les classes de violon et d’alto, il y travailla la composition de 1940 à 1944 avec Hilding Rosenberg, puis poursuivit ses études à la Schola cantodownloadModeText.vue.download 57 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 51 rum de Bâle (1948-1950) et à l’académie de Sainte-Cécile, à Rome, auprès de G. Petrassi. Après avoir appartenu à des formations de musique de chambre, il dirige depuis 1959 l’École de musique de la radio suédoise. Dans un style éclectique, empreint d’une profonde connaissance de la musique du passé, il a composé 3 quatuors à cordes et diverses pièces instrumentales, de la musique vocale, dont un Concerto per bambini (1952) pour choeur d’enfants, des opéras de chambre, des ballets, des musiques de scène et de film. BACKHAUS (Wilhelm), pianiste allemand (Leipzig 1884 - Villach, Autriche, 1969). À dix ans, il entra au conservatoire de Leipzig et travailla avec Alois Reckendorf. Il entendit le 2e concerto pour piano de Brahms, joué en soliste par E. d’Albert sous la direction du compositeur, et reçut des conseils de ce dernier. En 1900, ses premiers concerts, à Londres, inaugurèrent sa longue carrière. Interprète, au début, de tous les romantiques, Backhaus finit par ne jouer pratiquement que Brahms et surtout Beethoven. Son jeu alliait grandeur, sobriété et pureté de style. BACON (Ernst), compositeur américain (Chicago, 1898 - Orinda, Californie, 1990). Élève d’Eugène Goossens et d’Ernest Bloch, il a été professeur au conservatoire de San Francisco, directeur des activités musicales régionales dans le cadre du Federal Music Project (1934-1937), professeur à l’école Eastman de Rochester, direc-

teur de la faculté de musique à l’université de Syracuse. Il a obtenu le prix Pulitzer (1932) et le prix de la fondation Guggenheim (1939 et 1942). Son oeuvre, d’esprit néoclassique, inspirée par son pays et ses traditions musicales, comporte deux symphonies, des suites d’orchestre, un opéra folklorique (A tree on the plains, 1942), des cantates, de la musique de chambre et des mélodies. BACQUIER (Gabriel), baryton français (Béziers 1924). Après des études au Conservatoire de Paris, il chante, plusieurs années durant, dans les théâtres de province et, à partir de 1953, à la Monnaie de Bruxelles, puis, à Paris, à l’Opéra-Comique (débuts, en 1956, dans Sharpless de Madame Butterfly) et à l’Opéra (1958, d’Orbel de la Traviata). Son incarnation de Don Juan au festival d’Aix-en-Provence (1960) inaugure une carrière exceptionnelle qui le conduit sur toutes les grandes scènes du monde. Gabriel Bacquier est un chanteur à la voix peu spectaculaire, mais d’une extrême habileté. Son expression et son jeu scénique sont très raffinés, et son vaste répertoire va du bouffon au tragique. Le comte (dans les Noces de Figaro), Alfonso (Cosi fan tutte), Scarpia (Tosca), Golaud (Pelléas et Mélisande) lui ont, entre autres, valu la renommée. Il a enseigné l’art lyrique au Conservatoire de Paris jusqu’en 1987. BADINERIE. Ce terme a le même sens que bagatelle, mais avec une nuance de naïveté. On le rencontre dans la musique des XVIIe et XVIIIe siècles. Le plus célèbre exemple est la badinerie qui sert de finale à la Suite no 2 en si mineur, pour flûte et cordes, de J. S. Bach. BADINGS (Henk), compositeur néerlandais (Bandoeng, Indonésie, 1907 Maarheze 1987). Il écrivit ses premières oeuvres en autodidacte, travailla ensuite avec Wilhelm Pijper, donna sa symphonie no 1 en 1930, la no 2 en 1932 et devint célèbre avec la no 3 (1934). Il fut professeur aux conservatoires de Rotterdam et d’Amsterdam, puis dirigea celui de La Haye de 1941 à 1945. Il a enseigné ensuite à Utrecht (1961) et à

Stuttgart (1962-1972). Son opéra radiophonique Oreste (1954) lui valut le prix Italia. Parti du langage classico-romantique, il en vint à explorer toutes les découvertes de son temps (polytonalité, emploi original des modes) et fut en son pays, à partir de 1952, un des pionniers de la musique électronique (ballet Kain, 1956). Sa production abondante comprend notamment 14 symphonies pour diverses formations (de 1930 à 1968), dont la 6e avec choeurs (Symphonie de Psaumes, 1953) ; des oeuvres symphoniques diverses et des ballets ; des concertos dont deux pour 2 violons (1954 et 1969), un pour 2 pianos (1954) et un pour basson et contrebasson (1963) ; de la musique de chambre, de piano et d’orgue ; de nombreuses partitions électroniques ; l’oratorio Apocalypse (1940) et une Passion selon saint Marc pour solistes, choeur d’hommes, orchestre et bande magnétique (1970-71) ; des opéras dont Martin Korda (1960). BADOARO, BADOERO ou BADOVERO (Giacomo), librettiste italien (Venise 1602 - id. 1654). Gentilhomme dilettante, il fournit à Monteverdi deux livrets d’opéra (Il Ritorno d’Ulisse in patria, 1641 ; Le Nozze di Enea con Lavinia, 1641). Il fit preuve d’une conception dramatique hardie pour l’époque et ne respecta pas toujours les règles traditionnelles. BADURA-SKODA (Paul), pianiste autrichien (Vienne 1927). Il a étudié le piano avec Viola Thern à partir de 1939 et au conservatoire de Vienne à partir de 1948, avant d’être, à Lucerne, l’élève, puis l’assistant, d’Edwin Fischer. Depuis 1960, il dirige des cours de perfectionnement à Vienne et à Édimbourg, et, depuis 1962, au Mozarteum de Salzbourg. Il s’est rendu célèbre par ses interprétations de Haydn, de Mozart, de Beethoven et de Schubert, souvent sur des instruments d’époque (il en possède une vaste et remarquable collection). Sa recherche de l’authenticité s’est aussi exprimée dans des ouvrages tels que Mozart-Interpretation, Anregungen zur Interpretation der Klavierwerke (initiation à l’interprétation des oeuvres pour piano de Mozart, en collaboration avec son épouse Eva Halfar, Vienne, 1957), Die Klaviersonaten von L. van Beethoven (en collaboration avec Jörg

Demus, Vienne, 1970) et Bach-Interpretation (1990). BAER (Olaf), baryton allemand (Dresde 1957). Dès 1967, il fait partie du Kreuzchor de Dresde puis, à partir de 1978, étudie à la Musikhochschule de la même ville. Il devient membre du Semper Oper de Dresde et ne tarde pas à connaître ses premiers engagements internationaux. En 1983, il débute au Wigmore Hall de Londres, puis, en 1985, à Covent Garden dans le rôle d’Arlequin d’Ariane à Naxos de Richard Strauss. En 1986, il chante à nouveau cet opéra à Aix-en-Provence et débute comme Papageno à la Scala de Milan. En 1987, il chante dans Capriccio à Glyndebourne, où il incarne Don Juan en 1991. La même année, il chante la Flûte enchantée à Vienne sous la direction de Solti. Avec le pianiste Geoffrey Parsons, il consacre aussi une grande part de son travail aux lieder. Ses interprétations de Schubert et de Wolf, notamment, sont très appréciées. BAGATELLE. Composition musicale vive, légère et brève, présentée par son auteur comme une petite chose sans importance, conformément au sens général du terme (ital. bagatella, qui désigne un tour de bateleur). Ce genre, qui n’obéit à aucune règle précise, a été illustré notamment par Beethoven (bagatelles pour piano op. 33, op. 119 et op. 126 ; Bagatelle en « la » mineur « pour Élise »). BAGGIANI (Guido), compositeur italien (Naples 1932). Auteur d’oeuvres instrumentales, d’oeuvres mixtes utilisant des instruments traditionnels et des moyens électroacoustiques et d’oeuvres sur bande réalisées par ordinateur. Il a étudié avec Stockhausen à la Rheinische Musikschule de Cologne et a été membre de l’association Nuova Consonanza (1965-1975). Sa première downloadModeText.vue.download 58 sur 1085

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oeuvre importante, Mimesi pour violon, alto, violoncelle, flûte, clarinette et basson (1967), fut jouée par Nuova Consonanza sous la direction de Gilbert Amy. Il a enseigné au conservatoire de Pesaro (19741978), et a réalisé vers la même époque trois oeuvres électroacoustiques : Twins pour piano, bande à deux pistes et appareils électroacoustiques (1971), Accordo presunto pour deux groupes instrumentaux et dispositif électronique (1973) et Senza voci I, bande magnétique à quatre pistes pour instruments électroniques et micro-ordinateur (1977-78). Particulièrement attiré par Charles Ives, il a consacré à sa mémoire Contr-Azione, pour deux orchestres (1975-76). En 1977, il a fondé avec W. Branchi l’association Musica verticale, qui se propose l’étude et la diffusion de la technologie musicale contemporaine. Il enseigne actuellement la composition au conservatoire de Pérouse. Ses oeuvres traduisent une méfiance profonde à l’égard du système tempéré traditionnel. Citons encore Senza voci II, pour bande à quatre pistes et ordinateur (1979-80) et 4 Studi pour 2 pianos (1981). BAGLAMA. Luth à manche long et à trois ou quatre rangs de cordes, utilisé en Turquie dans la musique populaire ou par les troubadours du Moyen-Orient. BAGPIPE. Littéralement, « pipeau à sac ». Cette version écossaise de la cornemuse ne diffère pas sensiblement du biniou breton. Le souffle de l’exécutant gonfle une outre de peau, doublée de tissu de laine, qui alimente en air sous pression quatre tuyaux à anche double, dont un chanter modulant, à huit trous et trois bourdons. Les régiments écossais de l’armée britannique ont encore leurs bagpipers, qui maintiennent une tradition militaire très ancienne. BAGUETTE. 1.Terme d’organologie qui désigne la partie de l’archet (ronde ou octogonale), aujourd’hui légèrement concave, où les crins sont attachés grâce à un coin de bois ; la baguette est généralement en pernambouc, bois dur et élastique. 2.Mince bâton à l’extrémité arrondie, dont on frappe la peau du tambour. -

3.Mince bâton en bois ou parfois en métal, de couleur claire, que tient le chef d’orchestre pour prolonger les gestes de sa main droite et rendre ceux-ci plus visibles pour les musiciens ; cet usage de la baguette ne remonte qu’au XIXe siècle. BAÏF (Jean Antoine de), poète, humaniste et musicien français (Venise 1532 Paris 1589). Il fit siennes les théories musicales de Platon, selon lesquelles la soumission de la musique à la poésie et l’union des deux à la danse engendrent les « effets » bénéfiques qu’on attend de l’éducation des futurs citoyens, dans une société harmonieuse. Pour produire ces effets, que les Grecs avaient obtenus par leur théâtre, Baïf fonda une Académie de poésie et de musique (1570) qui tint séance sous le patronage - et souvent en la présence - du roi Charles IX, dans la propre demeure du poète. Pour unir la poésie à la musique, Baïf agit en musicien et en orthophoniste : il écrivit une poésie mesurée d’après la durée relative des syllabes, longues ou brèves selon leurs sonorités, et d’après la combinaison de l’accent tonique avec les accents d’intonation. Mais, à son époque, la prononciation et l’orthographe françaises étaient indécises ; pour que le compositeur éventuel ne se trompât point sur les durées ni les interprètes sur la prononciation, il mit au point un système orthographique apte à transcrire avec précision la couleur des voyelles et le son des consonnes. Les plus grands musiciens de son temps tels Roland de Lassus, Nicolas de La Grotte, Claude Le Jeune et Jacques Mauduit, composèrent sur ses Chansonnettes et sur ses Psaumes. Il est juste de dire que, si la poésie mesurée n’a pas eu d’avenir, Baïf est, de tous les poètes français, celui qui a exercé la plus forte influence sur la musique de son époque. BAILLEUX (Antoine), compositeur, pédagogue et éditeur français ( ? v. 1720 Paris v. 1798). À partir des années 1760, et durant une trentaine d’années, il fut l’un des plus importants éditeurs de musique parisiens, publiant des oeuvres de Vivaldi ou Corelli mais aussi de compositeurs « modernes » comme Carl Stamitz ou Boccherini. Dès 1769 parut chez lui un groupe de six symphonies de Haydn (dont une apocryphe). Il publia en 63 volumes, réunissant 240

oeuvres, un Journal d’ariettes des plus célèbres compositeurs (1779-1788) et rédigea une Méthode raisonnée pour apprendre à jouer du violon (Paris, 1798). À sa mort, sa firme fut reprise par Erard. BAILLOT (Pierre), violoniste et compositeur français (Passy 1771 - Paris 1842). À dix ans, il entendit Viotti jouer un de ses concertos et ce musicien demeura toujours son modèle. En 1795, il travailla l’écriture avec Catel, Reicha et Cherubini. Sa réputation le fit nommer, la même année, professeur de violon au Conservatoire. De 1805 à 1808, il fit une tournée à Vienne (où il rencontra Haydn et Beethoven) et en Russie avec le violoncelliste Lamare, et fut premier violon solo à l’Opéra de Paris de 1821 à 1832. De 1814 à sa mort, il organisa à Paris d’importants concerts publics de musique de chambre. Baillot fut le dernier représentant français de la grande école classique du violon. Ses compositions (concertos, quatuors, trios, duos) sont aujourd’hui oubliées, mais son Art du violon (1834) sert encore de référence. BAIRD (Tadeusz), compositeur polonais (Grodzisk Mazowiecki 1928 - Varsovie 1981). Il étudia la composition avec Kazimierz Sikorski, puis avec P. Rytel et P. Perkowski à l’École nationale supérieure de musique de Varsovie, où il travailla aussi le piano avec Wituski. Parallèlement, il suivit des cours de musicologie à l’université. Tadeusz Baird appartient à cette génération de compositeurs qui s’est trouvée isolée du développement de la nouvelle musique en Europe occidentale et aux États-Unis à partir des années 50, et qui, restant ainsi à l’écart du sérialisme, a, d’une manière générale, pratiqué une approche de la musique bien plus immédiate, axée sur l’exploration de la matière sonore et l’affinement du jeu instrumental. Ses premières oeuvres (symphonie no 1, concerto pour orchestre, quatuor à cordes, etc.) témoignent de cette tendance. Comme ses contemporains, il bénéficia de la création du festival d’automne de Varsovie (1956), dont la vocation est la promotion de la jeune musique ; la confrontation avec des compositeurs venus d’autres horizons et le contact avec d’autres styles d’écriture et conceptions musicales ne peuvent qu’élar-

gir leur propre façon d’envisager l’univers du son. Si, pour lui, la musique continua « d’être une manière d’exprimer les émotions, les sentiments et les aventures intérieures » de sa vie, ses oeuvres, « une sorte de carnet de notes », son « autobiographie écrite en sons », Baird expérimenta différentes utilisations formelles d’organisation des sonorités. À partir du moment où sa musique suit en quelque sorte l’évolution de sa propre vie intérieure, les méthodes de composition doivent suivre le même itinéraire, comme si chaque nouvelle problématique musicale devait décider de sa mise en forme ; aussi bien est-il difficile de parler d’un style spécifique à Baird, mais faut-il au contraire souligner la multiplicité de sa démarche. Cela explique sans doute son incursion dans le drame musical (Demain, 1966), la diversité de son travail sur la voix - des Quatre Sonnets d’amour pour baryton et orchestre de chambre sur des textes de Shakespeare (1956) aux Quatre Chants pour mezzosoprano et orchestre de chambre (1966) ou aux Lettres de Goethe, cantate pour baryton, choeur et orchestre (1970) -, ou downloadModeText.vue.download 59 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 53 encore son exploration des possibilités de l’orchestre - du concerto pour orchestre (1953) aux Scènes pour violoncelle, harpe et orchestre (1977). BAKER (Janet), mezzo-soprano anglaise (Hatfield, Yorkshire, 1933). Profondément émue dès son jeune âge par le chant religieux, elle travaille le chant à Londres avec Helen Isepp, remporte en 1956 le prix Kathleen Ferrier et débute à la scène en 1959, au festival de Bath, dans le rôle de la sorcière de Didon et Énée de Purcell, ouvrage dans lequel elle interprétera plus tard le personnage de Didon. Ses succès en concert au festival d’Édimbourg, en 1960 et 1961, lui ouvrent une carrière internationale qu’elle mène de front comme récitaliste et comme cantatrice de théâtre dans les répertoires anglais, italien, français et allemand. Ses interprétations de Purcell, Haendel, Bach, Monteverdi, Cavalli, Gluck, Mozart, Berlioz (les Troyens),

Mahler, Britten (le Viol de Lucrèce) sont particulièrement remarquables. Sa voix est longue, souple, et son timbre a une grande personnalité. BAKFARK (Bálint) ou Valentin Greff-Bakfark, luthiste et compositeur hongrois (Brassó-Kronchtadt, Transylvanie, 1507 ? - Padoue 1576). Il passa sa jeunesse à la cour de Jean de Zápolya, futur roi de Hongrie, et y apprit le luth. À la mort de son protecteur, il s’installa à la cour du roi de France, Henri II, puis à celle du roi de Pologne. Un long voyage le conduisit notamment à Lyon, où il fit imprimer son premier livre de pièces pour luth chez J. Moderne (1553). Après divers voyages et un séjour à Vienne au service de l’empereur Maximilien, il s’établit à Padoue, où il mourut de la peste, cinq ans plus tard. Avec les frères Neusiedler, Bakfark est l’un des premiers luthistes à avoir écrit des pièces de virtuosité pour l’instrument polyphonique seul. Son oeuvre conservée est généralement regroupée par genres : oeuvres originales pour le luth (fantaisies), transcriptions de motets, madrigaux et chansons d’autres compositeurs (Janequin, Sandrin, Arcadelt, etc.). BAL. Danse folklorique de caractère vif et de rythme binaire, en usage dans l’ouest de la France. BALAFON. Xylophone africain, portatif, composé d’une douzaine de grandes lames de bois dur reposant sur autant de calebasses faisant office de caisses de résonance. Avec de nombreuses variantes, le balafon est répandu dans toute la partie occidentale du continent noir. BALAKAUSKAS (Osvaldas), compositeur lituanien (Vilnius 1937). Il étudie la musique à Vilnius, puis à Kiev (1966-1969). Il compose essentiellement de la musique de chambre, mais écrit aussi quelques pièces pour orchestre : Symphonie (1973), Ad astra (1976). Son langage est d’essence webernienne, mais, depuis 1970, il tente de retrouver, par des modes de 8 et 9 tons, de nouvelles possibilités harmo-

niques comparables aux modes, surtout pentatoniques, de la musique paysanne. Dans le domaine des rythmes, chez lui très organisés, il reprend à son compte les résultats acquis par B. Blacher et H. Searle. Fort élaborée techniquement, la musique de Balakauskas s’oppose à la tradition soviétique, vouée à la cantate académique et à la symphonie miaskovskienne. BALAKIREV (Mili Alexeïevitch), compositeur russe (Nijni-Novgorod 1837 Saint-Pétersbourg 1910). Cet autodidacte naquit dans un milieu de toute petite noblesse ruinée. Oulibichev, riche gentilhomme et excellent biographe de Mozart, lui permit de se former au contact de l’orchestre qu’il entretenait et, en 1855, le présenta à Glinka. En 1877, Balakirev entreprit la réédition de l’oeuvre de Glinka. La même admiration le poussa, pour tenter une réforme musicale fondée sur les principes de ce maître, à réunir autour de lui, à Saint-Pétersbourg, de jeunes dilettantes : Cui, Moussorgski, Rimski-Korsakov et Borodine ; ce fut la « puissante petite bande », plus connue sous le nom de « groupe des Cinq ». Pour divulguer et mettre en pratique les idées du groupe, Balakirev créa, en 1862, l’École libre de musique, consacrée à la diffusion des oeuvres russes. Il vivait au jour le jour : leçons de piano, prestations dans des salons ; il fut même employé de gare, mais trouva enfin une relative sécurité matérielle comme directeur de la Chapelle impériale (1883-1895), institution qu’il réorganisa profondément. Souvent souffrant, atteint d’une grave maladie, il avait un tempérament autoritaire qui fut cause de l’isolement dont il souffrit à la fin de sa vie. Sur le plan de la composition, une soif de perfection dans sa propre musique peut sembler une fuite devant l’achèvement d’un acte : il mit seize ans pour écrire Thamar, oeuvre de vingt-trois minutes, et trente-six ans pour sa première symphonie. Le folklore fut une source importante de son inspiration. Balakirev manqua sans doute de souffle et de spontanéité, mais, sans lui, il n’y aurait pas eu de continuateur de Glinka, et, peut-être, pas de musique nationale russe. OEUVRES PRINCIPALES . - Ouvertures, 2 symphonies, 2 poèmes

symphoniques, 2 concertos pour piano et orchestre, oeuvres pour piano seul (sonate, mazurkas, valses), nombreuses mélodies, choeurs. BALALAÏKA. Instrument populaire russe de la famille du luth, à caisse triangulaire montée de trois cordes simples ou doubles. Comme la mandoline, dont elle se rapproche aussi par sa touche garnie de frettes, la balalaïka se prête au jeu mélodique par le va-et-vient rapide d’un plectre sur la corde, qui produit ainsi un son tremblé continu. Elle existe en plusieurs tessitures, de la basse au soprano. On peut rencontrer des ensembles de balalaïkas très fournis. BALASSA (Sandor), compositeur hongrois (Budapest 1935). Ayant abordé la musique à l’âge de dixsept ans, il étudia d’abord la direction chorale (1952-1956), puis la composition à l’Académie de musique de Budapest avec E. Szervansky (1960-1965). Depuis 1964, il est producteur au département musical de la radio hongroise. Il écrivit la cantate Âge d’or pour soprano, choeur et orchestre en 1965, Zénith pour contralto et orchestre en 1967, et parvint à la célébrité avec son Requiem pour Lajos Kassak pour soprano, ténor, basse, voix mixtes et orchestre (1969). Cette oeuvre obtint le premier prix de la Tribune internationale des compositeurs, à Paris, en 1972. La même année, Balassa reçut le prix Erkel. Ses oeuvres suivantes, parmi lesquelles Iris pour orchestre (1971) ou Lupercalia, « concerto in memoriam Igor Stravinski » pour ensemble d’instruments à vent (1972), lui ont valu une audience internationale. On lui doit aussi de la musique de chambre et des mélodies. Son esthétique, dans la tradition expressionniste d’Emil Petrovics, révèle une personnalité inquiète, parfois violente, mais aux dons mélodiques évidents. En témoigne l’opéra Sur le seuil, sur un livret de Gaza Fodor d’après Draussen vor der Tür de Wolfgang Borchert, composé de 1973 à 1977 et créé à Budapest en 1978. BALÁZS (Árpád), compositeur hongrois (Szentes 1937).

Il fait ses études au conservatoire de Szeged, puis à l’Académie F.-Liszt de Budapest, dans la classe de composition de F. Farkas (1961-1964). Successeur spirituel de Bartók, utilisant fréquemment la veine populaire, il ne s’est pas limité à un postsérialisme d’éthique bartókienne. L’importance de son oeuvre chorale en fait un continuateur de Kodály. Balázs a également composé de la musique symphonique, une musique de ballet, Quatorze Pièces faciles pour piano, des arrangements de chansons populaires et des musiques de film et de scène. downloadModeText.vue.download 60 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 54 BALBASTRE (Claude), compositeur, organiste et claveciniste français (Dijon 1727 - Paris 1799). Élève de Claude et de Jean-Philippe Rameau, il s’établit, en 1750, à Paris, où il fut titulaire des orgues de Saint-Roch (1756) et de Notre-Dame (1760). Il occupa plusieurs fonctions à la Cour, notamment celles de maître de clavecin de Marie-Antoinette et du duc de Chartres et d’organiste de la chapelle royale. Il survécut à la Révolution en composant des hymnes de circonstance, qu’il jouait à Notre-Dame, désaffectée. Virtuose et improvisateur acclamé, il écrivit dans le style rococo de son temps des pièces agréables, mais assez pauvres d’invention : airs et ariettes, sonates en quatuor, pièces de clavecin, 14 concertos pour orgue (perdus), et, son oeuvre la plus populaire, un recueil de Noëls formant 4 suites avec des variations pour le clavecin ou le forte-piano, que l’on joue aussi à l’orgue, comme le faisait Balbastre lui-même. BALFE (Michael William), chanteur et compositeur irlandais (Dublin 1808 Rowney Abbey, Hertfordshire, 1870). D’abord violoniste, il devint à Londres l’élève du chanteur Ch. Horn et s’initia aussi à la composition. En 1825, il se rendit en Italie pour se perfectionner en chant et en contrepoint. Engagé par Rossini, à Paris, comme premier baryton, il chanta Figaro (le Barbier de Séville) avec succès en 1827. Il passa la saison 1829-30 à Palerme comme chanteur et y fit créer son premier

opéra, I Rivali di se stessi. Après avoir été le partenaire de la Malibran à la Scala, il regagna l’Angleterre et, sans abandonner le chant ni renoncer à ses nombreuses tournées à travers l’Europe, il composa une trentaine d’opéras d’une écriture agréable, parmi lesquels The Bohemian Girl (1843) connut la célébrité dans plusieurs pays. BALLAD. Mot anglais désignant une chanson sentimentale, dont on trouve de multiples exemples dans la comédie musicale américaine. La ballad a été l’objet d’innombrables emprunts de la part des musiciens de jazz, qui l’interprètent généralement en tempo lent. Au répertoire des ballads de Hoagy Carmichael (Star Dust), Vernon Duke, George Gershwin, Jerome Kern, Cole Porter (Body and Soul), Richard Rodgers, les musiciens de jazz ont ajouté des pièces telles que I let a Song go out of my Heart, de Duke Ellington, et Round’bout Midnight, de Th. Monk. BALLADE. Une des formes fixes de la poésie lyrique du Moyen Âge, la ballade est une composition strophique, à l’origine monodique, puis polyphonique. Il s’agit d’une chanson à danser, formée d’une ou plusieurs strophes identiques et reliées entre elles par un refrain. Chaque strophe comporte deux phrases musicales (la première répétée), suivies généralement du refrain (schématiquement : AAB+ refrain). Au XIIIe siècle, la ballade est illustrée par les trouvères, notamment Adam de la Halle, au XIVe par les musiciens de l’Ars nova, comme Guillaume de Machaut, auteur de 42 ballades (1 seule monodique, 16 à deux voix). Au siècle suivant, la ballade poursuit son développement avec G. Dufay et G. Binchois. La plupart des textes mis en musique parlent d’amour courtois pour une dame chère et inaccessible. La forme disparaît à la fin du siècle ( ! BALLATA). En Angleterre, la ballad, chantée au XIIIe siècle par des ménestrels et des jongleurs, épouse la forme des quatrains, et la musique des différentes strophes ne varie pas. Comme la ballata et la ballade fran-

çaise, la ballade anglaise n’est pas par les musiciens du XVIe siècle. Le réapparaîtra plus tard pour désigner pièce narrative (par exemple, Keats, Belle Dame sans merci).

traitée terme une la

En Allemagne, la ballade est également un genre narratif, cultivé au XVIIIe siècle sous l’influence anglaise (par exemple, Bürger, Lénore). À l’époque du « Sturm und Drang », des poètes romantiques, tels Schiller, Goethe, s’inspirent des légendes anciennes. Schubert, Schumann, Brahms les mettent en musique, avec accompagnement de piano. Enfin apparaît au XIXe siècle, la ballade instrumentale, dont les 4 ballades pour piano de Chopin sont le modèle. Citons aussi Fauré (Ballade pour piano et orchestre) et Ibert (Ballade de la geôle de Reading pour orchestre, d’après O. Wilde). BALLAD OPERA. Forme anglaise de théâtre lyrique au XVIIIe siècle, différente aussi bien de l’opéra que de l’opéra-comique. Les dialogues sont parlés, les airs et les choeurs sont empruntés soit à des chansons populaires, soit à des oeuvres de maîtres renommés (Purcell, Haendel). Les plus célèbres parmi les compositions de ce genre sont le Beggar’s Opera (l’Opéra des gueux) de J. Gay et J. Pepusch (1728) et The Devil to pay de Ch. Coffey (1731), qui, traduit en allemand sous le titre Der Teufel ist los, fut à l’origine du Singspiel en Allemagne et en Autriche. Vers la fin du siècle, les ressources des chansons populaires s’épuisant, on eut de plus en plus recours à une musique originale et le genre se rapprocha de l’opéra-comique. BALLARD. Famille d’éditeurs et d’imprimeurs de musique français. La maison fut fondée en 1551 par Robert Ballard († 1588) avec son cousin, le luthiste, Adrien Le Roy et reçut un privilège du roi Henri II. Pendant cette période furent imprimés nombre de chansons polyphoniques, de messes, de psaumes et de motets (Sermisy, Janequin, Le Jeune, Goudimel, Lassus). La direction de l’entreprise se transmit ensuite strictement de père en fils jusqu’à la fin du XVIIIe siècle et à la septième génération. Pierre († 1639) reçut de nouvelles lettres patentes en 1633. Il

publia des pièces pour luth et des oeuvres de Du Caurroy, Moulinié, Titelouze ; Robert II après 1650, les oeuvres de Du Mont et des opéras de Cambert comme Pomone (1671) ; Christophe (1641-1715), qui fut imprimeur de l’Académie royale de musique, d’innombrables airs à boire ainsi que les tragédies lyriques de Lully et les opéras de Campra, Destouches, Desmarets. Sous la direction de Jean-Baptiste Christophe (v. 1663-1750), la concurrence devint redoutable et la maison commença à perdre son hégémonie tout en éditant Charpentier, Delalande, Couperin et Rameau. Suivirent Christophe Jean François (v. 1701-1765) et Pierre Robert Christophe († 1812), qui dirigea la maison jusqu’en 1788. BALLATA (ital. ballare, « danser »). Forme répandue en Italie de la fin du XIIIe au XVe siècle. C’est une composition strophique, à l’origine monodique, plus tard polyphonique, destinée au chant et à la danse, dont la structure correspond, dans le domaine français, non à la ballade, mais au virelai. La forme fondamentale est la suivante : un refrain (ripresa) ; deux phrases (piedi) qui se chantent sur une même mélodie ; puis le retour, sur un texte nouveau, mais empruntant les rimes du refrain, de la phrase musicale du début (c’est la volta) ; enfin, le retour du refrain (ripresa), texte et musique. Soit, schématiquement : A BB A’A. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, la ballata fit fureur, notamment à Florence, avec Landini. Elle fut cultivée aussi par Nicolaus da Perugia, Bartolino da Padova, Ciconia, puis Dufay et A. de Lantins, avant d’être détrônée par la frottola. BALLET (MUSIQUE DE). La musique et la danse étroitement unies dans un spectacle habilement conçu, cela arrive parfois, et l’on assiste à ce que l’on appelle « une parfaite réussite ». Cette fusion s’est réalisée en mainte occasion depuis que la danse est montée sur la scène (le Triomphe de l’Amour, mus. de Lully, chorégr. de Beauchamp et de Pécourt, 1681), depuis qu’elle est devenue théâtrale. downloadModeText.vue.download 61 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 55 Au fil des siècles, le public a pu bénéficier d’un certain nombre de ces réussites. De ces chefs-d’oeuvre, quelques-uns sont arrivés jusqu’à nous ; nous pouvons donc les voir et les entendre, tout à la fois, dans leurs formes premières, grâce à des documents, des partitions intactes, des notations. Peut-on expliquer ce qui a si parfaitement réussi à un chorégraphe et à un musicien dont la collaboration se voit couronnée de succès ? Peut-on oublier que certains prônent la composition d’un ballet sur n’importe quelle musique, que d’autres, des compositeurs de renom ou qui se jugent eux-mêmes plus artistes que le chorégraphe, pensent que leur musique souffrirait d’une adaptation chorégraphique ? Peut-on oublier aussi que des chorégraphes, au nom de leur inspiration, « massacrèrent » des partitions exceptionnelles, que des danseurs - hélas sans rythme - ratèrent de beaux ballets bien construits et que des compositeurs médiocres eurent quand même droit à des morceaux chorégraphiques d’une rare qualité ? Le problème des rapports entre la musique et la danse, la musique et le ballet, a toujours été soulevé et nul n’a pu y apporter de véritable solution. La question est encore entière. Musique préexistante ou musique composée spécialement ? Le chorégraphe doit-il suivre fidèlement la partition sans trahir le compositeur ou même, dans certains cas, le librettiste ? Doit-il écrire son propre argument, réaliser son canevas chorégraphique et commander sa musique à un compositeur qu’il aurait préalablement choisi ? Ou bien, encore, doit-il composer dans le silence et chercher ensuite une musique adéquate ? Au-delà de ces questions, on peut, pourtant, affirmer que la musique et la danse ont eu de tout temps des rapports étroits et privilégiés. N’y avait-il pas qu’un seul mot, « danse », pour désigner la suite de pas et l’air sur lequel elle s’exécutait ? Peut-être cette interdépendance est-elle à l’origine d’une émancipation que la musique et la danse recherchaient depuis que les premiers auteurs du XVe siècle tentèrent de codifier les pas de danse et de défi-

nir la danse dans son unicité. Plus la danse s’élaborait, plus elle tendait à son autonomie. Engendrant son propre rythme, la danse pouvait donner son tempo à la musique qui la soutenait. Danses de cour ou danses villageoises, divertissement de l’homme civilisé de la cité ou de l’homme rustique, les danses franchirent un pas considérable à partir du moment où la danse, expression première de l’homme, devint spectacle. La musique devint support, soutien, faire-valoir ou, au contraire, impulsion, élément essentiel de la composition dansée. C’est sensiblement vers le XVIe siècle que danse et musique eurent leur identité propre. Les danses de cour (gaillardes, pavanes), les danseries issues de chansons s’ordonnancèrent peu à peu, se construisirent dans un lieu, non pas clos, mais délimité, où, au niveau du sol, on pouvait suivre les évolutions, et où, au niveau d’une galerie surélevée, on pouvait lire les dessins et la géométrie des évolutions des danseurs. Les premières danses décrites s’ornèrent d’additions, de variations rythmiques dont on retrouve l’existence dans les musiques correspondantes. Au Moyen Âge, dans les fêtes et les festivités, la danse est déjà un spectacle. Mais la forme de ces spectacles n’est pas définie : on y donne pêle-mêle, à côté de la danse, des chants, des pantomimes, des acrobaties, des pièces de poésie. Mais c’est à cette époque que la danse commence à devenir figurative, encore qu’il faille noter que les danses portées à la scène et celles dansées dans les salles de bal sont presque identiques. Leur amalgame en forme de ballet se fera sous l’emprise de la musique et leur structure se pliera aux règles musicales. En fait le ballet « spectacle » sera toujours associé - du moins jusqu’à la fin du XVIIIe siècle - au théâtre et à l’opéra. DU BALLET DE COUR À L’OPÉRA-BALLET. L’engouement pour le ballet français et la quasi-faillite de l’implantation de l’opéra italien en France, en dépit des tentatives de Mazarin, sont deux faits bien réels. Le ballet de cour vécut trois décennies. Dans ce divertissement, il faut distinguer, dès le début, les parties vocales avec leur accompagnement, et la partition instrumentale dédiée exclusivement à la danse, aux danses. Il est clair qu’il y a une

nette séparation des compétences. Sous le règne de Louis XIII, les musiciens de la Chambre du roi ne s’abaissent pas à ce genre de composition ; ils en laissent le soin à d’autres artistes, mais non des moindres, tel Cambefort. Pierre Guédron compose pour sa part la musique du Ballet de la délivrance de Renaud (1617). Antoine Boesset, musicien favori du roi, collabore à presque tous les ballets de cour et son fils Jean-Baptiste travaille avec Lully. Au début du règne de Louis XIV, le ballet de cour a déjà une structure bien définie. C’est, de plus, un genre musical qui a la faveur des courtisans et du peuple ; c’est un genre musical essentiellement français. Jusqu’au début du XVIIe siècle, les genres lyriques et chorégraphiques demeurent séparés. Pour la création d’un ballet de cour, le musicien travaille en collaboration directe avec le chorégraphe (on disait, alors, le compositeur de ballet). La réputation des musiciens français est telle que les compositeurs italiens, appelés par Mazarin, sollicitent toujours le concours des compositeurs français pour créer la musique des différentes entrées. Cette façon de valoriser la danse par rapport à la partie lyrique est très significative de l’époque. Partitions de qualité pour la danse, passages plus simples pour les parties chantées et purement musicales. Ni Luigi Rossi ni Francesco Cavalli ne peuvent faire vivre l’opéra italien en France. C’est pourtant un autre Italien, Jean-Baptiste Lully, venu très jeune en France, qui, de l’emploi le plus humble, s’élève à la charge de surintendant de la musique et crée l’opéra français. Il écrit d’abord la musique de ballet des opéras de Cavalli et danse lui-même. Il collabore avec Molière et Beauchamp. Maître du menuet, Lully l’a mis à la mode à la Cour. Devenu danse royale par excellence, le menuet prend alors place dans la suite instrumentale. Avec un sûr instinct, Lully apporte au public français ce que ce dernier espère ; une version musicale d’un genre théâtral que lui ont révélé Corneille et Racine, la tragédie. Son premier opéra - le premier opéra français - Cadmus et Hermione (1673) est un succès. D’Alceste (1674) à Armide (1686), Lully déploie son art de compositeur de musique et de ballet. Dans

les ballets, il donne une composition particulière à l’orchestre (violons, flûtes et hautbois). L’opéra-ballet survivra avec Pascal Collasse qui termine Achille et Polyxème (1687), commencé par Lully, et compose Thétis et Pélée (1689), les Saisons (1695). André Campra donne l’Europe galante (1697). Avec Jean-Philippe Rameau l’opéra-ballet connaît son second souffle (les Indes galantes, 1735 ; les Fêtes d’Hébé, 1739). Il s’éteindra pourtant, faute de successeurs, avec Rameau. Il étouffe sous les critiques : dans ce genre composite, la danse, un de ses attraits majeurs, est accusée de rompre la progression dramatique. Cette attaque porte en elle la justification de la scission qui va séparer l’opéra et le ballet. Encore verra-t-on imposer dans les opéras du milieu du XIXe siècle une action chorégraphique, un « ballet obligé » (la Traviata, les Vêpres siciliennes de Verdi ; la Damnation de Faust, les Troyens de Berlioz ; Eugène Onéguine, la Dame de pique de Tchaïkovski). DE GLUCK ET MOZART, COLLABORATEURS DE NOVERRE, AU BALLET ROMANTIQUE. Les Encyclopédistes incitent les artistes à un « retour à la nature ». Rousseau déplore l’introduction de la danse hors de l’action dramatique. Diderot pense que la pantomime doit être liée à l’action dramatique, mais que la danse, en fait, ne doit pas intervenir. On peut compter Gluck parmi les compositeurs de musique de ballet. Son Don Juan (Vienne, 1761) est le fruit d’une collaboration étroite entre son libretdownloadModeText.vue.download 62 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 56 tiste, Calzabigi, le chorégraphe Angiolini et lui-même. Orphée, créé à Vienne la même année, s’orne d’un grand ballet d’Angiolini à l’acte II ; dans une nouvelle version (1774), Gluck inclut 6 ballets d’action. Pour Alceste (1767), il travaille avec Noverre, pour qui la création d’un ballet repose essentiellement sur la construction chorégraphique, la composition de la musique n’intervenant qu’en dernier lieu. Gluck et Noverre collaborent également

pour Iphigénie en Tauride (Paris, 1779), qui comporte, outre une danse finale, des interventions dansées dès le premier acte. Noverre compose les danses des Petits Riens de Mozart (Paris, 1778). Contrairement à Gluck, Mozart fait peu appel à la danse pour ses opéras. Les quelques séquences dansées des Noces de Figaro ou de la Flûte enchantée ne sont jamais gratuites et s’intègrent parfaitement à l’action dramatique. Peu enclin à travailler pour le ballet, Beethoven compose pourtant les Créatures de Prométhée pour le chorégraphe italien Salvatore Vigano, qui présente cet ouvrage à Vienne en 1801. Le romantisme en matière de ballet s’est révélé dans une tendance à l’exotisme (la Bayadère, la Péri) et une tendance à l’immatérialité, une vision fantomatique des êtres et du monde (la Sylphide). Le chorégraphe, qui a écrit son histoire, construit son ballet ; il impose son schéma au musicien. Les partitions ne sont guère brillantes, mais elles s’adaptent parfaitement à la chorégraphie et traduisent assez bien l’atmosphère du ballet. Jean-Madeleine Schneitzhöffer est l’auteur de la musique de plusieurs ballets, mais il doit de survivre à la Sylphide (1832), ballet que compose Filippo Taglioni pour sa fille Marie. Adolphe Adam a une renommée plus grande que celle du compositeur de la Sylphide. Il est l’auteur de la musique de la Fille du Danube (chorégr. F. Taglioni, 1836), et signe celle de Giselle ou les Wilis (1841), sur une chorégraphie de Jules Perrot et Jean Coralli. Boris Assafiev et Tchaïkovski font l’éloge de sa partition. Plus tard, il réalise la Fille de Gand pour Albert (1842), puis la partition du Diable à quatre (1845) et le Corsaire (1856), ballets chorégraphiés par Mazilier. Les musiques de ballet deviennent ensuite de plus en plus insignifiantes. On passe rapidement aux dernières décennies du XIXe siècle pour trouver Léo Delibes qui signe Coppélia (1870) et Sylvia (1876), que règlent respectivement Arthur SaintLéon et Louis Mérante. Les Deux Pigeons, musique de Messager (chorégr. de Mérante, 1886), ont encore une version dansée actuellement. DE BOURNONVILLE À PETIPA.

Au XIXe siècle, August Bournonville (1805-1879) a une méthode toute personnelle pour composer un ballet et choisir sa musique. Ayant écrit le sujet de son futur ballet, il l’oublie dans un tiroir ; le retrouvant ensuite, il le lit, et, s’il le juge digne d’être monté en ballet, il fait alors appel à un musicien. À partir de ce moment, le musicien travaille seul sur les indications du chorégraphe. Son oeuvre terminée, les deux hommes se concertent, découvrant de part et d’autre des détails, des nuances que ni l’un ni l’autre n’ont entrevus. Arrangement, refonte de différentes parties, modifications s’effectuent à partir de confrontations. En définitive, chacun d’eux s’est habitué à l’idée de l’autre. Si la musique est bonne, la mélodie agréable, le rythme correspondant à la construction chorégraphique, la partition sera dansante et dansable. À la fin du XXe siècle, une virtuosité gratuite, les luttes incessantes des étoiles ternissent le lustre de la danse. Le ballet se sclérose, il s’enlise dans l’indigence et peu de tentatives viendront le sortir de l’ornière avant la venue en France des Ballets russes. En Russie la composition musicale pour les ballets est tout autre. Pugni, Minkus et Drigo ont la haute main sur la musique de ballet. Fonctionnaires appointés des théâtres impériaux, ces musiciens sont considérés en qualité de compositeurs de ballet et on les surnomme « musiciens à tiroirs ». Ce surnom leur vient d’une technique toute particulière de création. Avant l’innovation - d’un incomparable apport artistique - de la collaboration d’un chorégraphe et d’un musicien de renom, le chorégraphe « commandait » sa musique à un compositeur patenté. Petipa, avant de travailler avec Tchaïkovski, demandait à Léon Minkus, compositeur attitré du Bolchoï, la musique pour un ballet. Ce dernier, qui avait en réserve des séquences musicales composées au hasard de son inspiration et qu’il avait classées par genres, puisait dans ce stock pour assembler un tout cohérent pouvant s’adapter à la chorégraphie de l’auteur qui avait minutieusement précisé toutes les indications scéniques. Il suffisait au musicien de faire des « raccords » pour que la partition soit complète. Cesare Pugni (musique du Petit Cheval bossu, de la Fille du Pharaon,

du Corsaire), Léon Minkus (musique de Don Quichotte, de la Bayadère) et Ricardo Drigo (musique du Talisman, des Millions d’Arlequin) ont composé de cette manière plus de trois cents musiques de ballet. Les premières versions de nombre de ballets, dont le succès les fit danser jusqu’à nos jours et même inscrire au répertoire de différents théâtres et compagnies, ont résisté au temps, non pas grâce à leur support musical, mais à la chorégraphie et au livret dans la ligne de l’époque. Le même ballet remonté sur une musique différente reste encore valable aujourd’hui (par exemple, le Prisonnier du Caucase). L’association de Tchaïkovski et de Petipa propose des horizons nouveaux au ballet. Qui se souvient des premières versions de la Belle au bois dormant, du Lac des cygnes... ? Même sujet, nouvelle chorégraphie de M. Petipa, sur une partition de Tchaïkovski, le ballet connaît le succès, la tradition le transmet et le préserve de génération en génération. Où se situe la différence ? Où se situe la frontière entre la postérité et l’oubli ? La musique a été associée à la danse de manière délibérée. Le musicien a composé pour le chorégraphe ; tous deux ont travaillé ensemble avec une même volonté : réaliser un ballet. LE DÉBUT DU XXE SIÈCLE : ISADORA DUNCAN, LES BALLETS RUSSES. Le ballet aurait plutôt tendance à négliger l’apport de la danseuse américaine Isadora Duncan (1878-1927), dont la technique, si elle peut être ignorée du ballet, dans sa conception strictement théâtrale, n’en a pas moins, pour certains, transformé la danse, qui, après elle, allait être différente. Elle rejeta tout : la discipline classique, les chaussons de pointe et le tutu. Elle dansait pieds nus ; elle improvisait sur des musiques qu’elle aimait et qu’elle « sentait ». Quand Isadora Duncan parut, la danse se mourait. De tout. De sa virtuosité, de sa musique sans vie. Du cloisonnement qui séparait les artistes. Pourtant elle ne voulut pas s’intéresser à une musique spécialement conçue pour la danse. Pas plus qu’elle ne se tourna vers les compositions contemporaines, dont elle trouvait les rythmes antinaturels, ne convenant pas aux mouvements et impulsions naturels du corps. Elle affirmait que les partitions de cette époque ne pouvaient pas s’ins-

crire dans le contexte d’une harmonie universelle, à laquelle elle voulait faire tendre la danse. Elle dansa sur du Bach, du Beethoven, du Chopin, mais elle le faisait avec une certaine réticence, trouvant que « c’était un crime artistique que de danser sur de telles musiques ». Diaghilev, organisateur de concert, a déployé une large activité pour faire connaître à l’Europe les musiciens de l’école russe. Il organisa des concerts où l’on découvrit Boris Godounov (avec le ténor Féodor Chialiapine) et la Khovanchtchina de Moussorgski. Dès 1909, il présentait à Paris ses Ballets russes, dont l’apport musical a été considérable. Après les musiques édulcorées et sans relief des compositions de la fin du XIXe siècle et des premières années du XXe, l’éclatement des orchestrations contemporaines réveilla l’intérêt du public qui n’attendait que ce révélateur pour porter au plus haut une musique étonnante et d’un autre registre. Avec les Ballets russes, il y avait la danse, la danse exécutée avec ferveur et passion par des artistes au nom dès lors downloadModeText.vue.download 63 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 57 prestigieux (Karsavina, Fokine, Balanchine, Nijinski, etc.). Il y avait aussi, chaque soir de représentation, un véritable concert qui soulevait également l’enthousiasme - et, parfois, la contestation - du public. Les compositeurs russes sont largement représentés : Borodine (les « danses polovtsiennes » du Prince Igor), Rimski-Korsakov (le Coq d’or, Shéhérazade) et, surtout, Stravinski avec l’Oiseau de feu, le Sacre du printemps, Petrouchka, Pulchinella, les Noces. Debussy, à qui il avait été demandé d’écrire une musique pour les Ballets russes, répondit par son fameux « Pourquoi ? ». Quelle signification donnait-il à cette interrogation : pourquoi non, après tout, pourquoi pas... ? Et il écrivit l’Aprèsmidi d’un faune, qu’il fit suivre - en dépit du scandale provoqué par la chorégraphie « osée » de Nijinski - d’une autre partition, Jeux, que signa le même chorégraphe. Qui pouvait imaginer que des com-

positions pour piano de Chopin seraient orchestrées ? C’est, pourtant, ce qui arriva à plusieurs d’entre elles que Michel Fokine choisit pour régler Chopiniana (appelé par la suite les Sylphides). La partition du ballet regroupe plusieurs pièces (2 préludes, 1 nocturne, 3 valses et 2 mazurkas), dont l’orchestration a été demandée à Glazounov et à Keller. Ce choix incita de nombreux chorégraphes à choisir des partitions de musiciens célèbres pour monter leurs ballets. Pendant vingt ans, les Ballets russes concentrèrent dans leurs programmes l’essentiel de la musique contemporaine, avec ses tendances, ses innovations techniques et ses esthétiques. Certes, l’ensemble de ces musiques ne tenait pas totalement du chef-d’oeuvre, mais c’était plutôt un panorama de la musique contemporaine. Ravel (Daphnis et Chloé), Manuel de Falla (le Tricorne), Richard Strauss (la Légende Joseph), Francis Poulenc (les Biches), Georges Auric (les Facheux), Eric Satie (Parade) et Prokofiev (le Fils prodigue) étaient inscrits au répertoire. Cocteau avait demandé à Diaghilev de l’étonner ; il ne fut pas le seul à l’être. Mais Diaghilev, en plus de cet immense étonnement de l’oreille, de l’oeil et du coeur qu’il suscita par ses spectacles, ouvrit la voie à toute la contemporanéité, que fit découvrir le ballet aux nouvelles générations. Après la mort de Diaghilev, plusieurs troupes tentèrent de faire revivre les moments d’exceptionnelle qualité que tous, public et artistes, vécurent de 1909 à 1929. Ainsi furent les tentatives des Ballets de Monte-Carlo, dont l’éclat n’eut qu’une courte durée. Les Ballets suédois (1920-1925) voulurent du nouveau. Ils choisirent d’être l’avant-garde. Le ballet moderne doit refléter la vie intellectuelle de son temps et associer au même titre poésie, peinture, musique et danse. L’innovation des Ballets suédois de Jean Borlin et de Rolf de Maré se situe plutôt au niveau de la scénographie (les Mariés de la tour Eiffel) que dans le domaine musical, où ils firent appel à Casella, Satie, Milhaud, Alfvén, entre autres. De son côté, Ida Rubinstein (18851960) offrit des spectacles, éblouissants feux d’artifice, que l’aidèrent à préparer peintres, décorateurs et chorégraphes en renom, et dont les musiciens avaient

pour noms Debussy (le Martyre de saint Sébastien), Sauguet (David), Honegger (Amphion, Sémiramis). ATTITUDES ET TENTATIVES DES CHORÉGRAPHES CONTEMPORAINS. Bien qu’influencé par Isadora Duncan dans sa recherche de la liberté d’expression, Fokine jugera - contrairement à cette danseuse « libre » - que l’on peut danser sur toute musique. C’est même cette volonté délibérée d’adaptation qui lui a fait composer un nombre considérable de ballets de genres totalement différents. De Chopiniana à Petrouchka, en passant par le Spectre de la rose (Weber), Daphnis et Chloé, Bluebeard (Offenbach), Francesca da Rimini (Tchaïkovski) ou le Lieutenant Kije (Prokofiev), toutes les partitions étaient préexistantes. Balanchine, le maître du ballet abstrait, a fait de la danse le contrepoint visuel de chaque partition ; partition qui est toujours antérieure à la chorégraphie. Ses grands ballets figuratifs ont suivi la tradition de la création chorégraphique, mais ses oeuvres abstraites, elles, ont suivi rigoureusement les partitions. Non pas absolument « pas contre note », car la musicalité et la compétence musicale de Balanchine sont plus subtiles, plus nuancées que ce jeu strict et respectueux de l’écriture d’une partition. Il s’en joue, il retient, il devance, il retrouve la phrase, la note même. Sans histoire à raconter, la danse est belle, elle est juste, elle est souvent émouvante. Elle est musique visuelle. Serge Lifar, qui fit partie des Ballets russes, a affirmé dans son Manifeste du chorégraphe (1935) certaines idées concernant la libération du ballet de toute contrainte musicale. Il voulait que la danse retrouve son autonomie et que le ballet ne soit l’illustration d’aucun art. La danse a, en elle-même, son propre rythme et c’est le chorégraphe qui conçoit la base rythmique du ballet. Ainsi en a-t-il fait pour la création de son ballet Icare, pour lequel il dicta les rythmes au compositeur Georges Szyfer. Mais, en fait, cette libération était illusoire, car, même simplifiée à l’extrême, comme ce fut le cas, à une rythmique d’instruments à percussion, la partition existait effectivement. D’ailleurs, Lifar revint de lui-même sur cette attitude et prit certains accommodements avec la musique.

La contrainte semble, certes, difficilement tolérable pour le chorégraphe ; mais le compositeur se retranche derrière cette même appréhension quand il s’agit de créer sous les directives impérieuses du chorégraphe. Comment donc concevoir une libre collaboration, sans asservissement d’aucune sorte ? Comment ne jamais trahir le dessein d’un compositeur, qu’il soit présent ou non, au moment de la création chorégraphique ? Par exemple, pour Michel Descombey (né en 1930), « l’idée d’un ballet naît soit d’une anecdote, soit d’une musique préexistante ». Dans le premier cas, il faut choisir une musique qui soit adéquate à l’anecdote, dans le second cas, il faut que l’atmosphère de la musique choisie détermine un thème. C’est le cas pour sa Symphonie concertante qu’il régla sur la partition de Frank Martin. Le thème en est « la solitude, le refus des autres ». La diversité des rythmes et des timbres de la partition permit au chorégraphe de trouver une forme parfaitement adaptée à sa composition chorégraphique. Il choisit la forme concertante qui utilise les ressources offertes par l’association de plusieurs solistes avec l’orchestre, de plusieurs solistes entre eux ou de groupes différents entre eux. Descombey a pratiquement disséqué la partition, travaillant au magnétophone, repassant de nombreuses fois une même séquence pour en apprécier la pulsion rythmique. L’oeuvre qu’il a composée de cette manière, il l’a transmise point par point à ses danseurs, dans la recherche d’une perfection synchronique. Des tentatives de tous ordres ont été faites pour rendre la danse indépendante de la musique, tout en conservant à la musique un rôle de support rythmique sans que l’on retombe dans les inepties du XIXe siècle, soit pour que la danse « colle » parfaitement à la partition ou pour qu’elle soit une visualisation de la partition. Le Jeune Homme et la Mort, ballet que réalisa Roland Petit, d’après des indications de Jean Cocteau, aussi bien pour l’argument et la chorégraphie que pour les décors et les costumes, a été répété sur une musique de jazz au rythme syncopé. Le jour de la première seulement, les interprètes surent qu’ils allaient danser sur la Passacaille de Bach. Quelle preuve évidente, alors, que le ballet possédait déjà son propre rythme !

À cette méthode de travail on peut, peut-être, opposer celle d’un Balanchine, par exemple, qui règle ses chorégraphies comme le musicien compose sa partition ou comme le peintre agence son tableau. C’est-à-dire qu’il assigne à chacun de ses gestes une valeur qui a une réelle importance dans l’ensemble de la composition et les uns par rapport aux autres. Ses structures chorégraphiques se sont parfaitement adaptées à la musique sérielle. Pourtant, par ailleurs, que dire de ses méthodes downloadModeText.vue.download 64 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 58 de travail avec Stravinski, lorsque tous deux envisageaient la création d’Orphée comme n’importe quels chorégraphe et compositeur du XIXe siècle, minutant, évaluant la durée possible d’une traversée de scène ? Autre personnage de la danse contemporaine, Maurice Béjart est un amoureux de la musique. « J’écoute la musique parce qu’elle représente la charpente de ma vie », dit-il. Il sait, sans doute plus que tout autre, que la danse, reflet d’un instant donné, se périme rapidement. Ne dit-il pas lui-même que ses propres oeuvres seront bientôt dépassées, qu’un autre que lui en aura une vision nouvelle ? Son Sacre du printemps, qui renouvelait la version qu’en avaient donné les Ballets russes, s’est vu affronté par celle qu’a créée récemment John Neumeier. Pour Béjart, c’est aussi grâce à Isadora Duncan que la danse a pu être envisagée dans une autre ambiance sonore. Il est persuadé que, si Webern avait connu et aimé la danse, il aurait compris son travail de chorégraphe et qu’il aurait approuvé son adaptation de sa musique. Les musiques qu’il utilise sont parfois désarticulées, parfois brusquement coupées par des interventions étrangères, insolites, mais, souvent, pour apporter une information visuelle complémentaire. Il a abordé des partitions nullement faites pour la danse et en a conçu des oeuvres qui sont d’amples visualisations de la musique. La construction géométrique de Symphonie pour un homme seul (de Pierre Henry et Pierre Schaeffer) l’avait

frappé ; il en a été de même pour le Marteau sans maître et Pli selon pli de Pierre Boulez. Pour Maurice Béjart, un ballet que l’on regarde peut être à l’origine d’une meilleure compréhension de la musique. Pour lui, la musique gagne presque toujours à servir de support à la danse, même si la composition chorégraphique se permet certaines libertés de rythmes ou d’expression. Il choisit toujours ses musiques en toute liberté. Méfiant à l’égard des « commandes », il a pourtant travaillé avec Berio pour I trionfi, ballet qu’on lui avait commandé pour être créé à Florence, en hommage à Pétrarque. Sans doute étaitce la première partition contemporaine écrite dans de telles conditions, mais cette collaboration, ce travail de recherche ont été des plus fructueux. Béjart, que cette expérience a pleinement satisfait, semble prêt à recommencer. Mais peut-être de telles réalisations poseraient-elles avec acuité les problèmes de la collaboration. Problèmes qui sont loin d’être résolus et qui, s’ils touchent les parties artistiques et musicales de l’oeuvre, n’en sont pas moins le reflet d’affrontement de personnalités. QUELQUES QUESTIONS EN FORME DE CONCLUSION. Les rapports de la musique et de la danse peuvent être résumés à une simple question de rythme. Mais ce serait évidemment trop schématiser. En musique, certaines partitions sont très simples tant leur lecture est évidente ; les points de repère auditif sont nets et il est aisé de jalonner la composition chorégraphique grâce à ces références. Souvent cette simplicité n’est qu’apparente et il est difficile de détecter des jalons auditifs pour construire une danse cohérente et bien adaptée à la partition. Une question peut encore se poser. Comment la danse, art de l’éphémère, peut-elle résister à l’usure du temps ? Comment la danse, reflet d’un moment privilégié, d’une époque peut-être, peutelle être associée à une musique qui, elle, même si elle n’est pas un chef-d’oeuvre incontestable, a de larges moyens de conservation (partitions écrites, imprimées, enregistrements magnétiques, disques) ? La musique, telle que l’a composée un musicien, conserve son identité ; le style de la danse - même classique - évolue. Un même ballet, dansé par des générations différentes de danseurs, n’a pas à chaque

époque la même apparence visuelle. Une symphonie de Beethoven sera presque toujours égale à elle-même, les subtilités des variations d’interprétation se situant au niveau de la direction d’orchestre. La survie, ou du moins la longévité d’un ballet, peut être considérée par rapport aux qualités de celui qui l’a créé chorégraphiquement, mais aussi par rapport à celui qui en a composé la musique. Certaines partitions, qui n’ont pas été créées pour le ballet, ont fort bien supporté cette existence parallèle. Des compositeurs qui aimaient la danse, qui ne la redoutaient ni comme rivale ni comme élément destructeur, ont réalisé des partitions intéressantes (Bacchus et Ariane d’Albert Roussel ou l’Amour sorcier de Manuel de Falla). C’est l’évolution même de la musique qui a rendu son association avec le ballet plus difficile. L’arythmie de la plupart des partitions musicales contemporaines oblige le chorégraphe à des ruptures de phrases, à d’incessantes modifications dans son discours. L’évolution savante, intellectuelle de la musique a banni en partie le lyrisme que la musique tonale permettait d’exprimer. L’émotion ressentie naguère a fait place, le plus souvent, à un état de tension qui est peut-être à l’origine d’une autre forme de sensibilité. Mais qui a le plus évolué ? La musique qui a trouvé d’autres langages au cours de ses incessantes recherches ou la danse qui parvient, pour vivre son époque, à se plier à une discipline plus rigide encore que celle dont elle entendait se délivrer ? BALLETTO (ital. ; « ballet »). Terme désignant en particulier une chanson strophique à danser, généralement à cinq voix et de structure simple, caractérisée par un refrain sur les syllabes « fala-la ». À cette chanson, pouvaient se joindre les instruments. Cette forme connut une grande vogue en Italie à la fin du XVIe siècle et franchit rapidement les frontières. Son représentant le plus célèbre fut Giovanni Gastoldi, dont les Balletti a cinque voci parurent en 1591. En Angleterre, Thomas Morley publia, en 1595, ses Balletts a 5, dont le célèbre Now is the Month of Naying, que Rosseter arrangea pour concert instrumental. Peu à peu, le balletto devint une forme purement ins-

trumentale. BALLIF (Claude), compositeur français (Paris 1924). Il a fait ses études au conservatoire de Bordeaux, puis à celui de Paris (1948-1951) avec Noël Gallon, Tony Aubin et Olivier Messiaen. Il a ensuite (1951) travaillé à Berlin avec Boris Blacher et Josef Rufer, ainsi qu’à Darmstadt avec Hermann Scherchen. En 1955, il a obtenu le premier prix de composition au concours international de Genève pour son oeuvre Lovecraft, et enseigna aux Instituts français de Berlin (1955-1957) et de Hambourg (1957-58). Rentré en France en 1959, il a travaillé au Groupe de recherches musicales de l’O. R. T. F. avant d’entreprendre une carrière de professeur. Il a enseigné l’analyse et l’histoire de la musique à l’École normale de musique de Paris (1963-64), la pédagogie, puis l’analyse au conservatoire de Reims (à partir de 1964). En 1968, il a participé à la fondation du département de musique de l’université Paris-VIII (Vincennes), qu’il a ensuite dirigé pendant un an, et il est, depuis 1971, professeur d’analyse au Conservatoire de Paris. En 1978-79, il a passé un an comme professeur à l’université McGill de Montréal, tandis que le compositeur et professeur Bruce Mather le remplaçait à Paris. Libre de toute école, Claude Ballif a adopté, dès les années 50, une position particulière, refusant l’alternative tonalité-atonalité, ne voyant dans les termes « tonal », « atonal » ou « modal » que les reflets de situations limites, et développant pour sa part le concept de métatonalité, fondé sur une échelle de onze sons et capable de prendre en compte toute écriture musicale. Son Introduction à la métatonalité (1953) est parue en 1956. Il a publié également une monographie sur Berlioz (1968) et de nombreux articles, dont certains réunis en volume (Voyage de mon oreille, 1979). Solitaire non dépourvu d’humour, c’est un homme de culture doté d’une grande curiosité et d’une solide foi religieuse. downloadModeText.vue.download 65 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 59 On lui doit à ce jour une bonne soixan-

taine d’ouvrages. Citons, pour piano solo, 5 Sonates (1953-1960), Airs comprimés op. 5 (1953), Pièces détachées op. 6 (1952-53), Bloc-notes op. 37 (1961) ; 4 Sonates pour orgue op. 14 (1956) ; pour flûte et piano, la Sonate op. 23 (1958) et Mouvements pour deux op. 27 (1959) ; 3 trios à cordes, 3 quatuors à cordes (1955-1959) et de la musique de chambre diverse ; 1 quatuor pour trio à cordes et percussion op. 48 (1975) ; la série des 6 Solfegiettos pour instrument so liste (de 1961 à 1975) ; Imaginaire I à VI, série d’ouvrages tous conçus pour 7 instruments et tous basés sur un seul intervalle ; pour orchestre, Lovecraft op. 13 (1955), Voyage de mon oreille op. 20 (1957), Fantasio op. 21 (1957), Fantasio grandioso op. 21 B (création en 1977), Ceci et cela (1959-1965), À cor et à cri op. 39 (1962) ; comme oeuvres religieuses, Quatre Antiennes à la Vierge (1952-1965), les Battements du coeur de Jésus pour trompette, trombone et double choeur (1971) et le requiem la Vie du monde qui vient (1953-1972, créé à Paris en mai 1974) ; comme ouvrages avec voix, Phrases sur le souffle op. 25 (1958), Fragment d’une ode à la faim op. 47 pour 12 voix solistes (1974), Poème de la félicité op. 50 pour 3 voix de femmes, guitare et 2 percussions (1977). On lui doit encore Cendres pour percussion (création en 1972), et, comme oeuvres récentes, Ivre-Moi-Immobile op. 49 pour clarinette, petit orchestre et percussion (1976), une sonate pour clarinette et piano op. 52 (1978), l’Habitant du labyrinthe op. 54 pour 2 percussions (1980), Un coup de dé-Mallarmé op. 53, contresujet musical pour choeur symphonique, 2 percussions, 2 timbales, 2 contrebasses et un ruban sonore (1978-1980), l’opéra Dracoula (1984), la farce lyrique Il suffit d’un peu d’air (1990-1991). Claude Ballif a reçu le prix Arthur Honegger en 1974 et le grand prix musical de la ville de Paris en 1980. BALLO. Forme musicale populaire en Italie au début du XVIIe siècle. Il s’agit d’une pièce de circonstance (mariage, visite d’une personnalité importante, etc.) écrite généralement pour une voix soliste, représentant le poète, qui chante des strophes entrecoupées de

ritournelles instrumentales. Pour terminer, vient la danse, accompagnée par les instruments, avec ou sans la participation d’autres chanteurs. BAN ou BANNIUS (Joan Albert), théoricien et compositeur néerlandais (Haarlem v. 1597 - ? 1644). Ordonné prêtre, il termina sa vie comme archevêque de Haarlem. Nous ne savons rien de sa production musicale (si ce n’est que, dans la composition d’un air de cour, il eut le dessous face à Boesset, lors d’une dispute esthétique à laquelle se mêlèrent Descartes, Mersenne et les principaux musiciens de l’époque). Mais ses traités font autorité en ce qui concerne la musique du XVIIe siècle et, en particulier, la monodie. Le plus célèbre est Dissertatio epistolica de musicae natura, origine, progressu et denique studio bene instituendo (Haarlem, 1637). BANCHIERI (Adriano), compositeur italien (Bologne 1567 - id. 1634). Élève de Gioseffo Guami, il fut organiste à San Michele in Bosco, près de Bologne, puis à Imola. Ce bénédictin, devenu abbé du Monte Oliveto (1620), fonda l’Accademia de’ Floridi (1614) et joua un rôle fort important dans la vie musicale à Bologne, où on l’appelait Il Dissonante. Monteverdi, O. Vecchi et G. Diruta étaient en relation avec lui, et ses ouvrages théoriques, tels que la Cartella musicale (1614) concernant les ornements vocaux, comptent autant que ses compositions sacrées et profanes. L’Organo suonarino (1605) précise les règles de l’accompagnement à partir d’une basse chiffrée. Banchieri composa des canzone et des sonates dans le style brillant de G. Gabrieli, comme le recueil Moderna harmonia (1612), ou des oeuvres pour double choeur (cori spezzati) comme les Concerti ecclesiastici (avec accompagnement d’orgue pour le premier choeur, ce qui justifie le titre de concerto). Également poète (il écrivait sous le nom de Camillo Scaglieri), Banchieri fut l’auteur de comédies madrigalesques non destinées à la scène. Celles-ci contiennent des mélodies faciles, agréables, dans un style homophonique et sur des textes souvent comiques tirés de la vie de l’époque. Parmi ces oeuvres, citons La Pazzia senile (1598), où figurent déjà, fait exceptionnel

à cette époque, des indications de nuances (« forte », « piano »), la Barca di Venezia per Padova (1605) et il Festino nella sera del Giovedi grasso avanti cena (1608). BANCQUART (Alain), compositeur français (Dieppe 1934). Il a fait ses études au Conservatoire de Paris (1952-1960), notamment avec Darius Milhaud, a été altiste à l’Orchestre national de l’O. R. T. F. (1961-1973), puis conseiller artistique de l’Orchestre national de France (1975-76), il est devenu ensuite inspecteur de la musique au ministère de la Culture (1977-1984) et producteur pour Radio-France de Perspectives du XXe siècle, puis professeur de composition au C. N. S. M. de Paris (1984-1995). Sa formation d’altiste et son expérience à l’intérieur d’un orchestre se reflètent dans sa musique, marquée par son goût des timbres et sa passion pour la poésie. Sa personnalité s’est affirmée dans une série d’oeuvres instrumentales, et, plus encore peut-être, dans l’alliance musique-poésie des oeuvres vocales et chorales. Citons, parmi les premières, la Naissance du geste pour orchestre à cordes et piano (1961), Symphonie en trois mouvements pour grand orchestre (1963), un concerto pour alto (1964), Passages pour grand orchestre (1966), Palimpestes pour 22 instrumentistes, où il a expérimenté l’emploi systématique des quarts de ton (1967), Écorces I pour violon et alto (1967), II pour violon, clarinette, cor et piano (1968) et III pour trio à cordes (1969), Thrène I (1967) et II (1976) pour trio à cordes, cette dernière pièce en deux versions, l’une scénique sur un texte de Marie-Claire Bancquart et de Pierre Dalle Nogare et l’autre instrumentale, Simple, 6 pièces pour orchestre (1972), Une et désunie pour 2 trios à cordes (1970, version pour 2 orchestres à cordes 1973). Et, parmi les secondes, Strophes pour choeur mixte et ensemble instrumental (1966), Ombre éclatée pour voix de femme et orchestre (1968), Proche pour voix de basse et violoncelle ou alto (1972), À la mémoire de ma mort pour choeur mixte a cappella (1975-76). De 1977 date Ma manière de chat pour harpe seule. La même année, Bancquart fut cofondateur du C. R. I. S. S. (Collectif de recherche instrumentale et de synthèse sonore), centré sur le traitement instru-

mental du son électrique : dans l’opérathéâtre l’Amant déserté, sur un texte de Marie-Claire Bancquart et de Pierre Dalle Nogare (1978), l’électronique se mêle à des instruments traditionnels électrifiés et certaines scènes sont écrites en quarts de ton (il en existe aussi une version instrumentale). Bancquart a écrit ensuite une Symphonie pour grand orchestre que, malgré l’ouvrage de 1963, il considère comme sa première (1979), une Symphonie de chambre pour violoncelle en quarts de ton, flûte et 14 instruments à vent (1980), Ma Manière de double pour violon seul (1980), Herbier pour voix et violon (1980), Voix pour 12 chanteurs (1981), une Symphonie no 2 (1981), une Symphonie concertante pour harpe et 13 instruments (1981), une Symphonie no 3 (Fragment d’Apocalypse) pour solistes vocaux et instrumentaux et orchestre (1983), l’opéra de chambre les Tarots d’Ulysse (1984), Mémoires pour quatuor à cordes (1985), une Symphonie no 4 (1987), Nocturne pour trio à cordes et orchestre (1987), une Symphonie no 5 « Partage de Midi » (1992). BAND. Terme désignant le petit ensemble instrumental, base de l’exécution du jazz traditionnel. Le band est formé d’une section rythmique (batterie, piano, guitare ou banjo, contrebasse ou tuba) et d’une section mélodique (trompette ou cornet, trombone, downloadModeText.vue.download 66 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 60 clarinette, puis saxophone). Un ensemble plus important est appelé big band. BANDE. Jusqu’au XVIIIe siècle, il s’agit d’une formation orchestrale régulière, composée en principe d’instruments de même famille. À la cour de Louis XIV, la Grande Bande des violons du roy réunissait non seulement des violons, mais également des altos, des violoncelles et des violones. Tombé en désuétude depuis la fin de l’Ancien Régime, le terme a laissé des traces dans la langue anglaise, où le mot

band désigne toujours les formations de type militaire, les fanfares, harmonies (brass bands) et, d’une façon générale, les ensembles où dominent les instruments à vent, y compris les jazz bands, dance bands, etc. BANDIR ou BENDIR. Tambour sur cadre utilisé dans le monde arabo-islamique et plus particulièrement dans le Maghreb. BANDONÉON. Instrument de musique à soufflet et anches libres, plus proche du concertina que de l’accordéon. Beaucoup plus grand que le concertina, et de forme carrée, il en possède toutes les autres caractéristiques. Sa pureté de son et son étendue considérable sont très appréciées dans les formations typiques sud-américaines. BANDOURA. Instrument folklorique russe à cordes pincées, d’origine tartare, également employé dans l’Orient musulman. Proche parente de la balalaïka, la bandoura s’en distingue par sa caisse ovoïde et par un nombre de cordes très variable. BANDURRIA. Instrument à cordes pincées, proche de la guitare et de la famille des cistres par la forme de sa caisse ; sa tessiture est aiguë. En usage en Espagne depuis le XVIe siècle, la bandurria comporte jusqu’à six cordes simples ou doubles, au lieu de trois à l’origine, et se joue avec un plectre d’écaille. BANISTER (John), compositeur et violoniste anglais (1630 - Londres 1679). Charles II le remarqua et l’envoya se perfectionner en France. En 1663, il fut nommé chef des Violons du roi, poste dont il fut écarté en 1667 au profit d’un Français, Louis Grabu. Banister composa des airs et organisa à Londres, en 1672, les premiers concerts publics à entrée payante qui aient eu lieu en Angleterre.

BANJO. Instrument à cordes pincées du folklore négro-américain dont il a été fait grand usage au début du jazz. Le banjo, à quatre, cinq ou six cordes, se joue avec un plectre et produit un son bref, percutant. Vers 1930, les banjoïstes de l’école New Orleans, Danny Barker, Mancy Cara, Johnny Saint-Cyr, Bud Scott, ont cédé la place, dans la section rythmique de l’orchestre de jazz, aux guitaristes. BANKS (Don), compositeur australien (Melbourne 1923 - Sydney 1980). Fils d’un musicien de jazz, il étudia au conservatoire de sa ville natale, et s’installa en Angleterre en 1950, poursuivant sa formation auprès de Mátyás Seiber (1950-1952), puis auprès de Milton Babbitt à Salzbourg, de Luigi Dallapiccola à Florence et, enfin, de Luigi Nono. Sa première oeuvre publiée fut une sonate pour violon et piano (1953). Les Trois Études pour violoncelle et piano (1955), le Pezzo drammatico pour piano seul (1956) et le concerto pour cor, écrit pour son compatriote Barry Tuckwell (1965), relèvent de la technique sérielle, mais ce n’est pas le cas du trio pour cor, également destiné à Tuckwell. De 1961 date la Sonata da camera pour 8 instruments à la mémoire de M. Seiber. Equation I (1963-64), Equation II (1969) et Settings from Roget (1966) sont autant de tentatives pour mêler le jazz et la musique d’orchestre, cela dans la voie appelée par Gunther Schuller « troisième courant » (Third Stream), en opposant volontiers une musique de jazz se mouvant rapidement et une musique d’orchestre se mouvant lentement. Suivirent Tirade pour mezzo-soprano, piano, harpe et trois percussionnistes sur trois poèmes de l’Australien Peper Porter (1968) et Intersections pour sons électroniques et orchestre (1969). Parmi les oeuvres orchestrales de Don Banks, citons encore Divisions (1964-65), Assemblies (1966), et, surtout, le concerto pour violon (1968). Fondateur de l’Australian Musical Association à Londres, Banks a été président de la Society for the Promotion of New Music (1967-68), et, en 1969, cofondateur de la British Society for Electronic Music. Retourné en Australie en 1973, il y a occupé des postes d’enseignant à Canberra (1974) et à Sydney (1978).

BANTI (Brigida), soprano italienne (Monticelli d’Ongina 1756 - Bologne 1806). Fille d’un chanteur de rue, elle débuta à Paris en 1776, séjourna à Londres en 1779-80, puis parcourut l’Europe avant de revenir en 1794 à Londres, où elle se produisit jusqu’à sa retraite en 1802. C’était une admirable actrice qui brillait particulièrement dans les récitatifs dramatiques. Elle savait à peine lire les notes et l’écriture, mais compensait cette lacune par une mémoire prodigieuse. En 1795, Haydn écrivit pour elle son plus bel air de concert, Berenice che fai ? (ou Scena di Berenice). BANTOCK (sir Granville), compositeur anglais (Londres 1868 - id. 1946). Étudiant à la Royal Academy of Music (1889-1892), il fut attiré par les sujets orientaux ou celtiques. De 1893 à 1896, il publia The New Quarterly Musical Review et défendit avec passion la musique de ses contemporains, dirigeant des concerts de « premières auditions », financièrement désastreux. Professeur à l’université de Birmingham jusqu’en 1933, il fonda son enseignement aussi bien sur les classiques que sur la musique vivante. Il composa des poèmes symphoniques (Fifine at the Fair), des symphonies (Celtic Symphony, Hebridean Symphony), des oeuvres chorales (Omar Khayyám, 1906-1909), des cycles de mélodies anglaises (Old English Suites, 1909) et trois opéras. BAR. Terme allemand employé au Moyen Âge, par les maîtres chanteurs, pour désigner leurs chants. Le bar comporte un nombre impair de strophes (3, 5 ou 7) ; chaque strophe contient deux couplets sur la même mélodie, suivis d’une section différente quant à la musique et au texte. La structure d’une strophe est généralement : AA’B. Ce plan se retrouve souvent dans les chorals protestants, chez J. S. Bach par exemple. BARBAUD (Pierre), compositeur français (Alger 1911 - Nice 1990). Après des études de lettres et de musicologie, il est bibliothécaire à la Bibliothèque

nationale, puis professeur d’éducation musicale à l’Institut national des sports. Il entreprend, au cours des années 50, des travaux pour introduire la pensée mathématique et les méthodes qui en découlent dans la composition musicale. À partir de 1958, Barbaud utilise un ordinateur, devenu indispensable devant la complexité croissante des calculs, et abandonne la composition manuelle et la simulation pour la composition automatique. C’est le moment où il fonde le Groupe de musique algorithmique de Paris avec Roger Blanchard et Janine Charbonnier. On peut dire que les travaux et réalisations de Barbaud ont précédé ceux de Xenakis. En remplacement de M. Philippot, Barbaud a enseigné au Conservatoire de Paris (1977-78) l’informatique musicale, c’est-à-dire « l’élaboration, au moyen de l’ordinateur, d’une partition qui soit cohérente au regard d’une certaine grammaire des sons ». L’informatique musicale permet l’établissement artificiel d’un downloadModeText.vue.download 67 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 61 discours musical, parfois fondé sur les concepts a priori de l’harmonie traditionnelle (Lumpenmusik, 1974-1978), et laisse souvent intervenir le hasard pur, à condition qu’aucune règle ne soit violée. Mais Barbaud préfère explorer des terres inconnues (Maschinamentum firminiense, 1971 ; Terra ignota ubi sunt leones, 1973). Son attitude intellectuelle est si rigoureuse qu’il s’oblige à prendre tels quels les résultats obtenus par l’ordinateur. Tant qu’il n’a pas eu de convertisseur numériqueanalogique à sa disposition - c’est-à-dire jusqu’en 1974 -, Barbaud a dû effectuer lui-même le décodage des résultats fournis et faire exécuter la partition obtenue par des instruments traditionnels. En 1973, il s’associe avec l’acousticien F. Brown et l’informaticienne G. Klein, et fonde le groupe B. B. K. (Barbaud, Brown, Klein). Dans les Marteaux maîtrisés, sa musique dépasse les possibilités des instruments, et l’ordinateur se charge de l’exécution. Barbaud était persuadé que, à l’avenir, cette manière de procéder remplacerait la production artisanale de la musique.

BARBEAU (Marius), anthropologue, ethnologue et folkloriste canadien (SainteMarie, Québec, 1883 - Ottawa 1969). Professeur à l’université Laval (Québec), il fut l’un des premiers à s’intéresser au folklore et devint le plus éminent folkloriste du Canada. Il recueillit des chansons populaires, les transcrivit et les publia. Il écrivit un ouvrage, The Folk Songs of French Canada (les Chants populaires du Canada francais), et, grâce à lui, le Musée national du Canada possède plus de 5 000 mélodies folkloriques. BARBER (Samuel), compositeur américain (West Chester, Pennsylvanie, 1910 New York 1981). D’abord chanteur, il devient élève du Curtis Institute de Philadelphie où il étudie la composition avec Rosario Scalero. Il obtient le prix Bearns de l’université Columbia, le prix de Rome américain et le prix Pulitzer (1935). Au cours d’un séjour à Rome, il écrit ses premières oeuvres (quatuor, symphonie et le célèbre Adagio pour cordes) dans un style néoromantique. Le concerto pour violon (1939) ouvre une nouvelle période qui comprend, entre autres, la 2e symphonie, le Capricorn Concerto pour flûte, hautbois, trompette et cordes, le concerto pour violoncelle, le quatuor à cordes no 2 et la suite de ballet Medea (1946). On y trouve pêle-mêle une rythmique plus complexe, une couleur orchestrale allant de Debussy à Webern, une tendance de plus en plus nette vers le contrepoint dissonant, voire la polytonalité. Puis, Knoxville, summer of 1915 pour soprano et orchestre, et une sonate pour piano dédiée à V. Horowitz constituent une incursion sans lendemain dans le dodécaphonisme, dont on ne trouve plus guère de trace dans des oeuvres ultérieures comme Prayers of Kierkegaard pour solistes, choeur et orchestre. Vanessa (1957), opéra sur un livret de Menotti, est une oeuvre plaisante, sincère et sans prétention. Anthony and Cleopatra (1966), autre partition lyrique, ne manque pas de puissance, mais évite toute audace. Ainsi, difficile à enfermer dans les limites d’une seule tendance, Barber apparaît-il avant tout comme un compositeur à la sûreté technique sans faille, ayant le sens de la mélodie et se maintenant avec prudence dans un juste milieu.

BARBIER (Jean-Noël), pianiste français (Belfort 1920 - Paris 1994). Élève de Blanche Selva et de Lazare Levy, il interrompt ses études musicales en 1939. Après la guerre, il se consacre surtout à l’écriture, publiant des romans, des articles de critique musicale et, en 1961, un Dictionnaire des musiciens français. À partir de 1950, il donne des concerts consacrés le plus souvent à la musique française (Debussy, Déodat de Séverac, Ibert, Chabrier, etc.). Son enregistrement de l’intégrale des oeuvres pour piano seul de Satie est primé par l’Académie du disque français en 1971. En 1974, il est nommé directeur du conservatoire de Charenton. Il est apparu dans le film de Robert Bresson Au hasard Balthazar (1966). BARBIER (Jules), librettiste français (Paris 1822-id. 1901). Seul ou en collaboration avec Michel Carré, il fournit des livrets à Gounod (Faust, Philémon et Baucis, Roméo et Juliette), Meyerbeer (le Pardon de Ploërmel), Ambroise Thomas (Mignon, Francesca da Rimini, Hamlet), Offenbach (les Contes d’Hoffmann), Victor Massé (les Noces de Jeannette). BARBIERI (Francisco Asenjo), compositeur espagnol (Madrid 1823 - id. 1894). Il entra à quatorze ans au conservatoire de Madrid, mais, son père ayant été tué dans une émeute, il dut gagner sa vie comme clarinettiste dans une clique militaire, pianiste de café, copiste et chanteur (il aurait interprété Basile dans le Barbier de Séville). Il devint l’un des créateurs essentiels du théâtre musical espagnol, vite opposé au mélodrame italien, qu’il parodia volontiers. L’oeuvre demeurée la plus célèbre de Barbieri, la zarzuela El Barberillo de Lavapiés (1874), est d’ailleurs une parodie du grand opéra historique et du Barbier de Rossini. Barbieri composa près de 80 zarzuelas. Wagnérien de la première heure, animateur infatigable, homme de culture exceptionnelle, il fut l’une des figures les plus marquantes de la musique espagnole avant Manuel de Falla. Il publia une ample anthologie de musiques anciennes espagnoles (Cancionero musical de los siglos XV y XVI) et édita les oeuvres de Juan del Encina. Il fut organisateur de concerts, professeur d’histoire de la musique au conservatoire de Madrid, et

il écrivit de nombreux articles musicologiques. BARBIREAU (Jacques ou Jacobus), compositeur flamand (Mons v. 1408 - Anvers 1491). Il occupa, de 1440 à 1491, le poste de maître de chapelle à la cathédrale d’Anvers, où il augmenta considérablement le nombre de chantres ; il eut J. Obrecht pour successeur. Vers la fin de sa vie, envoyé par l’empereur Maximilien à Buda, il y fut reçu en grande pompe en raison de sa renommée. Trois messes (Terribilment, Virgo parens Christi et Faulx perverse, dont les sombres couleurs annoncent P. de La Rue), un motet et un Kyrie montrent que Barbireau s’inscrit dans la ligne stylistique d’Ockeghem. Parmi ses sept chansons conservées, Een vroylic wesen, à 3 voix, fut très célèbre aux XVe et XVIe siècles, et se rencontre dans plusieurs versions différentes, vocales et instrumentales. BARBIROLLI (John), chef d’orchestre anglais d’origine italienne (Londres 1899 id. 1970). Après des études de violoncelle à la Royal Academy of Music (1912-1917), il entreprit une carrière de violoncelliste. En 1925, il créa un orchestre à cordes (Barbirolli Chamber Orchestra). Nommé directeur musical et premier chef d’orchestre à Covent Garden en 1926, il succéda, en 1936, à Toscanini à la tête de l’Orchestre philharmonique de New York. De retour en Angleterre en 1943, il prit et conserva jusqu’à sa mort la direction de l’Orchestre Hallé de Manchester, dont il étendit la réputation. Particulièrement inspiré par Berlioz, Brahms, Verdi, Mahler, Sibelius, Barbirolli a aussi défendu les compositeurs anglais modernes (Vaughan Williams, Bax, Walton). Il a également eu une activité de compositeur de musique orchestrale et d’arrangeur. BARBITOS. Instrument à cordes pincées de tessiture grave, proche de la harpe, qui semble avoir été répandu, avant l’ère chrétienne, dans la plupart des pays de civilisation grécoromaine. BARBIZET (Pierre), pianiste français (Arica, Chili, 1922 - Marseille 1990).

Au Conservatoire de Paris, il obtient trois premiers prix (piano, 1944). En 1948, il reçoit le Grand Prix du Concours international de Scheveningen ; en 1949, il est lauréat du Concours Marguerite LongdownloadModeText.vue.download 68 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 62 Jacques Thibaud. Parallèlement à sa carrière de virtuose, il se produit dans un cabaret de Pigalle en compagnie de Samson François et Pierre-Petit. De 1963 à 1990, il dirige le conservatoire de Marseille et, en 1974, il est nommé professeur de piano au Conservatoire de Paris, où il crée les « Lundis du Conservatoire », série de concerts consacrés aux jeunes talents. Il a formé avec le violoniste Christian Ferras un duo très renommé. BARBLAN (Otto), compositeur suisse (Scans, Engadine, 1860 - Genève 1943). Après des études musicales à Coire et à Stuttgart, et des débuts comme professeur de musique à l’école cantonale de Coire, il se fixa à Genève, en 1887, pour y assurer la charge d’organiste à Saint-Pierre. Également directeur de la Société de chant sacré et professeur au conservatoire de Genève, à partir de 1892, il prit une part active à la révision de Il Coral (psautier en langue romanche) et à celle du psautier romand. Pédagogue, son rôle auprès des jeunes compositeurs fut important. Son oeuvre, influencée par l’esprit germanique, comprend essentiellement des pages vocales (choeurs, psaumes, cantates, chants patriotiques), des pièces instrumentales (piano, orgue) et de la musique de chambre. BARBOTEU (Georges), corniste et compositeur français (Alger 1924). Né dans une famille de musiciens, il commence des études de cor à neuf ans, obtient à onze ans un premier prix au conservatoire d’Alger dans la classe de son père et devient premier soliste à l’orchestre symphonique de Radio-Alger en 1940. Il entre à l’Orchestre national de la R.T.F. en 1948, remporte le prix d’honneur de cor au conservatoire de Paris (1950) et le premier prix au Concours de Genève (1951). Professeur au Conservatoire de Paris depuis 1963, il poursuit une carrière de soliste, de

musicien d’orchestre et de pédagogue. Ses stages à Darmstadt auprès de Stockhausen et son activité de compositeur témoignent de son intérêt pour la musique contemporaine. BARCAROLLE. Chant évoquant une atmosphère marine, et plus particulièrement les gondoliers vénitiens. Son rythme caractéristique, généralement à 6/8 ( ), suggère le balancement d’un bateau sur l’eau. La barcarolle se rencontre notamment dans la littérature pianistique (Chopin, Mendelssohn, Fauré), mais aussi dans l’opéra, par exemple chez Rossini (Otello et Guillaume Tell), chez Offenbach (les Contes d’Hoffmann), sans oublier le sublime trio de Cosi fan tutte (Mozart) « Soave sia il vento », qui y puise son inspiration. BARDE. Poète et chanteur de l’Antiquité celte, qui s’accompagnait sur un instrument traditionnel, le crwth. La conquête romaine et, surtout, l’évangélisation de la Gaule et des îles Britanniques ont fait disparaître la caste sacerdotale des bardes, qui vivaient dans la maison des grands seigneurs dont leurs chants conservaient la mémoire et célébraient les exploits. Les bardes ont, toutefois, subsisté au pays de Galles fort avant dans le Moyen Âge, à la cour de nombreux roitelets qui avaient conservé le goût de la poésie nationale. Au XIIIe siècle, l’unification de la Grande-Bretagne jeta à la rue ces trouvères d’un genre particulier, qui en furent réduits à la mendicité. Leur rôle avait été considérable dans le maintien d’une très riche tradition orale, et leur nom continue d’être donné aux poètes épiques ou lyriques, quelle que soit leur origine. BARDI (Giovanni), comte DI VERNIO, mécène, humaniste et compositeur italien (Florence 1534 - Rome 1612). Dès 1576, il réunissait à Florence des savants et artistes dont les réflexions s’inspiraient des idées de la Grèce antique. Les travaux de cette Camerata fiorentina (ou Camerata Bardi) contribuèrent grandement au développement du récitatif chanté fondé sur le stile rappresentativo. En 1592, Bardi quitta Florence pour

Rome, où il fut au service du pape Clément VIII jusqu’en 1605. Il avait écrit des intermèdes musicaux pour des fêtes données à Florence, mais il ne nous reste de ses compositions que deux madrigaux à 4 et 5 voix. On a conservé également son Discorso mandato a Caccini sopra la musica antica. BARENBOÏM (Daniel), pianiste et chef d’orchestre israélien (Buenos Aires 1942). Il fait ses débuts de pianiste à l’âge de sept ans, à Buenos Aires. Il a ensuite, parmi ses professeurs, Edwin Fischer, Nadia Boulanger et Igor Markevitch. En même temps que grandit rapidement sa réputation de pianiste, il aborde, en 1962, la direction d’orchestre et travaille beaucoup avec l’Orchestre de chambre anglais. Avec cet ensemble, ses interprétations de Mozart, aussi bien comme chef d’orchestre (symphonies) que comme pianiste et chef (concertos), font très vite autorité. Il aborde alors la direction d’orchestre symphonique, où il acquiert aussi une grande réputation. Nommé directeur de l’Orchestre de Paris en 1974, il prend ses fonctions la saison suivante, pour les conserver jusqu’en 1988. En 1989, il est nommé directeur musical de l’Opéra de la Bastille, mais doit abandonner ces fonctions. En 1990, il succède à Solti à la tête de l’Orchestre de Chicago. Son successeur à l’Orchestre de Paris est Semyon Bychkov, dont le contrat viendra à terme en 1998. C’est un artiste prodigieusement doué, dont la polyvalence et la curiosité insatiable sont très caractéristiques de sa génération. Il pratique le piano en solo, en concerto, en musique de chambre, en accompagnement de chanteurs de lieder, et la direction d’orchestre en musique symphonique et en opéra. BÄRENREITER VERLAG. Maison allemande d’édition de musique, fondée en 1924 à Augsbourg par Karl Vötterle. En 1927, elle a été transférée à Kassel, d’où ses initiales BVK. Des filiales ont été créées à Bâle (1944), à Londres et à New York (1957) ; la filiale française, née en 1963, s’est installée en 1970 à Chambraylès-Tours (Indre-et-Loire) et a disparu en

1979. Parmi les nombreux ouvrages édités par BVK figure le célèbre dictionnaire Die Musik in Geschichte und Gegenwart (MGG). BVK publie plusieurs périodiques musicologiques et l’une de ses branches est consacrée à l’édition de disques. BARIOLAGE. Dans les instruments à cordes frottées, coup d’archet faisant alterner deux cordes ou bien entendre une note alternativement avec un doigt appuyé et avec la corde à vide. BARKAUSKAS (Vytautas), compositeur lituanien (Vilnius 1931). Après des études au conservatoire de Vilnius, il enseigne la théorie musicale dans ce même établissement, à partir de 1961. Depuis 1964, Barkauskas use d’un dodécaphonisme élargi, d’abord dans ses compositions de chambre (cycle de piano Poésie, 1964 ; Partita pour violon seul, 1967, etc.), puis dans des oeuvres vocales telles que La vostra nominanza e color d’erba (choeur de chambre et quintette à cordes, 1971). Il s’est fait connaître par les prix d’État attribués à des commandes officielles : Hommage à la révolution (1967) et la 2e symphonie (1971). BARKER (Charles Spackmann), facteur d’orgues anglais (Bath 1804 - Maidstone 1879). Il s’installa à Paris de 1837 à 1870, puis à Londres. Il construisit les orgues de Saint-Augustin, à Paris, de Saint-Pierre, à Montrouge, et ceux des cathédrales de Dublin et de Cork. Il est surtout connu pour avoir inventé une machine pneumatique à laquelle on a donné son nom : des leviers pneumatiques assistent la tracdownloadModeText.vue.download 69 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 63 tion des notes et permettent l’accouplement des claviers sans durcir le toucher. Aujourd’hui, la traction électrique, d’une part, le retour à une mécanique légère, souple et bien réglée, d’autre part, ont conduit à abandonner la machine Barker.

BARLOW (Fred), compositeur français (Mulhouse 1881 - Boulogne-sur-Seine 1951). Pendant ses études d’ingénieur à l’École polytechnique de Zurich, il composa en amateur ses premières mélodies. En 1908, il vint s’installer à Paris pour travailler la musique. Ses maîtres, Jean Huré et Charles Koechlin, le libérèrent de sa passion pour Wagner ; ils lui firent connaître les richesses des modes anciens et les subtilités de la musique française moderne, que Barlow unit à son inspiration délibérément simple, douce, mais éloquente. Son oeuvre comprend notamment des pièces pour piano, dont de nombreux morceaux pour enfants, de la musique de chambre, l’opéra-comique Sylvie d’après G. de Nerval (1923), où s’exprime une troublante poésie, l’opérette Mam’zelle Prud’homme (1932), qui retrouve la verve d’Offenbach et la distinction de Messager, et deux ballets. BARONI (Leonora), chanteuse, compositeur, gambiste et théorbiste italienne (Mantoue 1611 - Rome 1670). Elle s’installa à Rome et sa célébrité y devint considérable à partir de 1630. Le violiste francais Maugars, séjournant dans cette ville, pensait en l’écoutant « estre desjà parmy les anges... » C’était une musicienne complète, un esprit brillant, qui se mêlait aussi de politique. Milton lui dédia son poème, inspiré de la Leonora du Tasse, Ad Leanoram Romae Canentem. Mazarin, qui fut à Rome son ami et peut-être son amant, la fit venir à la cour de France en 1643. Malgré un accueil extrêmement favorable et l’amitié d’Anne d’Autriche, elle ne s’y plut guère et retourna à Rome en 1645. Mais son séjour avait contribué à développer le goût pour l’art vocal italien et préparé le succès de l’Orfeo de Luigi Rossi (1647). BAROQUE. Ce terme contient l’idée d’une forme irrégulière, voire bizarre, et implique à l’origine une nuance péjorative. Il s’applique à un style dans l’histoire de tous les arts, y compris la musique, et correspond à une époque située entre 1600 et 1750 environ. Le baroque musical est né avec la monodie accompagnée et l’invention de la basse continue, opposant le stile moderno au stile

antico de la Renaissance, dans la lignée de Palestrina et de la musique polyphonique. E. d’Ors précise que le style du baroque est conçu dans des « formes qui s’envolent » par opposition au classicisme qui emploie des « formes qui pèsent ». Pour Suzanne Clercx, « le baroque est un art de mouvement, c’est-à-dire un art où le dynamisme apparaît comme un caractère permanent [...], un art de variation, d’abondance, qui, fatalement, entraîne au maniérisme ». Il inclut en effet un goût de l’ornementation et de la virtuosité, souvent poussé par la vanité humaine à des excès dont parlent nombre d’écrivains de l’époque. Le baroque révèle le besoin de créer un monde irréel, extravagant, peuplé de contrastes bien marqués comme, en musique, ceux entre « forte » et « piano ». À cette époque apparaissent l’opéra, l’oratorio, la cantate ; la musique instrumentale se développe (concerto, sonate et toutes les musiques pour instruments à clavier, en particulier l’orgue). Ces différentes formes se divisent en trois groupes de style caractéristique : l’église (chiesa), la chambre (camera) et, bien entendu, le théâtre, puisque le baroque est un spectacle permanent. Ainsi, la sonate d’église et la cantate religieuse se distinguent-elles de la sonate de chambre et ses mouvements de danse et de la cantate de chambre, souvent dramatique, qui se rapproche du troisième groupe, celui de l’opéra. La forme a tre (à trois) est très caractéristique de l’écriture musicale baroque. Elle se compose de deux parties mélodiques (vocales ou instrumentales) soutenues par une troisième partie, la basse continue, qui comprend elle-même en général deux instruments, un instrument polyphonique et un à archet. C’est également à cette époque que s’affirment le sens de la tonalité et celui de l’harmonie. Dans la mesure où la monodie accompagnée et l’opéra se développent surtout en Italie, on peut dire que le style baroque en musique est né dans ce pays. En effet, l’Italie est, au XVIIe siècle, le principal centre d’une écriture fondée sur la basse continue, d’abord avec les musiciens de la Camerata fiorentina, Monteverdi, les membres de l’école romaine (L. Rossi, Carissimi, A. Cesti) et ceux de l’école vénitienne (F. Cavalli, G. Legrenzi).

C’est dans la lignée des modèles italiens de l’opéra, de la cantate, de l’oratorio que se placent les musiciens allemands, de Schütz à Haendel, et aussi, le plus grand compositeur anglais du XVIIe siècle, Henry Purcell. À la même époque fleurit en Italie une production instrumentale qui, ayant pour point de départ la sonate et la sonate à trois, trouve, grâce aux efforts de Stradella, de Corelli, de Torelli et enfin de Vivaldi, sa structure définitive dans le concerto et la sonate classiques, dont les formes se consolideront, après Bach, avec son fils Carl Philip Emanuel et avec Haydn. En France, en revanche, il est difficile et parfois imprudent de parler de baroque en musique. La pratique de la basse continue s’y introduit très tard - vers 1640 -, et le luth, essentiellement un instrument de la Renaissance, garde sa suprématie. Dans ce pays se crée la tragédie lyrique, basée sur une déclamation régie par le rythme du langage racinien, en opposition avec le récitatif souple et parfois fort rapide des Italiens, beaucoup plus proche de la langue parlée. Quant à la musique instrumentale qui prend forme alors, elle est inspirée des rythmes de danse de toutes sortes provenant des ballets de cour et du répertoire des luthistes. Ainsi se dessine la suite française. C’est Lully qui, mêlant ces éléments préexistants à ceux de son Italie natale, amène la musique française, à peine sortie de la Renaissance, directement à un style dit « classique », contenant peu d’aspects baroques. Le baroque se définit donc en musique comme une déformation des techniques déjà existantes, leur mélange avec d’autres techniques naissantes fondées sur l’emploi de la basse continue et sur des « effets ». Peut-être l’exemple le plus frappant de ce mélange est-il la vaste fresque religieuse de Claudio Monteverdi : les Vêpres de la Vierge (1610). BARRAGE. Sur le piano, ensemble de barres en métal ou en bois servant à renforcer la caisse, ce qui permet d’accroître la tension des cordes. L’invention en est attribuée à Sébastien Érard. Sur le luth, le barrage consiste à renforcer la table d’harmonie, très fragile, par une série de fines lattes de

bois. BARRAINE (Elsa), femme compositeur française (Paris 1910). Elle travaille avec Paul Dukas et obtient en 1929 le premier grand prix de Rome. Elle écrit deux symphonies (1931, 1938), riches, chatoyantes, encore traditionnelles. Poésie ininterrompue, d’après Eluard (1948), marque une évolution vers une expression plus vive et plus audacieuse. Viennent ensuite les Variations pour percussion et piano (1950) et la Nativité (1951). Le Livre des morts tibétain (auquel s’intéressera aussi Pierre Henry) est pour elle une illumination qui porte et inspire sa Musique rituelle pour orgue, tam-tam et xylophone (1968), l’une des oeuvres les plus marquantes qu’ait écrites cette « musicienne de l’essentiel » (C. Rostand). Citons aussi la Cantate du vendredi saint (1955). Elsa Barraine a aussi écrit des musiques de film, et le ballet la Chanson du mal-aimé (1950). En 1969, Elsa Barraine devient titulaire d’une classe d’analyse au Conservatoire de Paris. Dans le cadre de la Fédération musicale populaire, qui regroupe des chorales, et en collaboration avec le compositeur François Vercken, elle suscite des downloadModeText.vue.download 70 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 64 oeuvres nouvelles, jouant le rôle de médiatrice entre les chanteurs amateurs et les compositeurs. BARRAQUÉ (Jean), compositeur français (Puteaux 1928 - Paris 1973). Issu d’une famille bourgeoise, il apprit d’abord le piano et travailla au Conservatoire de Paris l’harmonie, le contrepoint et la fugue avec Jean Langlais, puis, de 1948 à 1951, l’analyse avec Olivier Messiaen. Compositeur exclusivement et fièrement sériel, il n’a laissé que six ouvrages auxquels vient s’ajouter son Étude pour bande magnétique (1954), résultat de ses travaux avec Pierre Schaeffer (1951-1954). Mais ses oeuvres sont de celles qui marquent une époque. Les deux premières sont la Sonate pour piano (1950-1952) et Séquence pour soprano, ensemble instrumental et

percussions (1950-1955). La Sonate, la plus monumentale peut-être depuis la Hammerklavier de Beethoven, est en deux parties, de dimensions à peu près égales, mais dont la première, aux arêtes vives, est surtout rapide, et la seconde, envahie peu à peu de zones de silence, surtout lente. Elle ne fut créée - au disque ! - qu’en 1957, et on ne l’entendit en concert qu’en 1967. De Séquence, la version initiale date de 1950. Plus tard, Barraqué remplaça les poèmes de Rimbaud et d’Eluard par des poèmes de Nietzsche, et, en 1955 encore, ajouta deux interludes instrumentaux. L’ouvrage fut créé en 1956. La même année, Barraqué découvrit le roman de Hermann Broch la Mort de Virgile (achevé en 1947), et fut d’emblée captivé par cette vaste méditation, si proche de ses préoccupations propres, sur les rapports entre l’art, l’artiste et la société. « Le livre dépeint les dix-huit dernières heures de la vie de Virgile, depuis son arrivée au port de Brindisium (l’actuel Brindisi) jusqu’à sa mort dans l’après-midi du lendemain au palais d’Auguste. Bien que rédigé à la troisième personne, il s’agit d’un monologue du poète. C’est avant tout un bilan de sa vie, du bien-fondé - ou non - moral de cette vie, du bien-fondé - ou non du travail poétique auquel cette vie fut consacrée (Virgile désirait que toute son oeuvre fût détruite), mais, comme toute son existence est liée à son époque, ce bilan embrasse la totalité des courants spirituels et souvent mystiques qui parcoururent l’Empire romain en ce dernier siècle avant le Christ, et qui ont fait de Virgile un précurseur du christianisme » (Broch). Barraqué, fasciné notamment par le concept de la méditation à l’orée de la mort, conçut le projet (que sa démesure voulue condamnait d’avance à l’inachèvement) d’une vaste série de compositions, du piano solo à l’opéra, constituant un cycle de commentaires et de paraphrases des quatre parties du roman. La mort prématurée du compositeur, ainsi que la lenteur qu’il apportait à l’acte d’écrire, comme s’il s’agissait à chaque instant d’une question de vie ou de mort, ne lui permirent de mener à bien que ...au-delà du hasard pour quatre formations instrumentales et une formation vocale (195859, création en 1960) ; Chant après chant pour soprano, piano et 6 percussionnistes (1966) ; le Temps restitué pour soprano, soprano dramatique, choeur mixte à 12 voix et 31 instruments (1956-1968, créa-

tion en 1968) ; et Concerto pour clarinette, vibraphone et 6 formations instrumentales (1968). De ces quatre partitions, les trois premières utilisent à des titres divers le texte de Broch, alors que la quatrième se rattache au roman de manière indirecte. Toutes unissent la rigueur intellectuelle la plus intransigeante et le romantisme le plus généreux et le plus ardent : c’est ainsi notamment que Barraqué put s’inscrire dans la descendance de Beethoven, maître qu’il révérait par-dessus tout. Tant par ses travaux sur la série - qui le conduisirent au système des séries proliférantes (permettant, à partir d’une série initiale, l’engendrement de séries dérivées toutes différentes, mais restant apparentées à l’originale) - que par ses recherches formelles, Barraqué ne ménage ni l’interprète ni l’auditeur, mais quelle récompense à l’issue de l’effort ! « La musique c’est le drame, c’est le pathétique, c’est la mort », disait-il. Cet athée solitaire, qui ne vivait que pour la musique, laissa peut-être la musique le détruire. La maladie exécuta ce que lui-même n’osa peut-être pas faire : arrêter sa vie, une vie qui avait été une fusion constante d’exaltation, de désespoir, de crises agressives, de persécution et de fureur. Conscient de sa valeur, il vécut et travailla en marge de la vie musicale. Son bagage ne représente que trois heures et demie de musique, mais peut-être faudrat-il plusieurs générations pour en mesurer la profondeur et les résonances. Auteur également d’une importante monographie sur Debussy (Paris, 1962) et de Debussy ou la naissance des formes ouvertes, thèse pour le C. N. R. S. (1962), il laissa à sa mort, en état d’inachèvement et sous un aspect à peu près indéchiffrable, Lysanias pour solistes, choeurs et grand orchestre, les Portiques du feu pour 18 voix a cappella et les Hymnes à Plotia I pour quatuor à cordes et II pour piano, cela sans compter divers projets parmi lesquels, pour la scène, l’Homme couché. BARRAUD (Henry), compositeur français (Bordeaux 1900). Après avoir été, à Paris, l’élève de Georges Caussade, Paul Dukas et Louis Aubert, il a mené parallèlement des activités de compositeur et d’organisateur, d’homme d’action. Il a été directeur des programmes musicaux à la R. T. F. de 1944 à 1948 et directeur de la chaîne nationale de 1948 à 1966. À ces deux postes, il a innové, atti-

rant au micro Gide, Claudel, y créant dès 1944 une « intégrale Stravinski » et aidant un Boulez, un Xenakis et bien d’autres à s’imposer à une large audience. Plus récemment, son émission hebdomadaire « Regards sur la musique » est devenue l’une des plus écoutées des mélomanes. Sa curiosité pour tous les styles ne l’a pas empêché de développer une écriture très homogène et très caractéristique, avec un rythme qui lui est propre (commandé souvent par une figure de brève accentuée, obstinément suivie d’une longue appuyée), un goût pour les nombreuses subdivisions métriques produisant la vivacité du tempo, une largeur de mouvement sous-jacente et, surtout, une savante polyphonie, ne reculant pas devant la dissonance, qui le place sans aucun doute dans la descendance de Roussel. C’est une musique rigoureuse, noble, capable pourtant d’émotion immédiate, chargée d’un romantisme latent ; une musique apte à la méditation, à l’expression du spirituel et du métaphysique, mais aussi de l’humour (Trois Lettres de Madame de Sévigné, 1938 ; la Farce de Maître Pathelin, opéracomique, 1938 ; Huit Chantefables pour les enfants sages, texte de R. Desnos, 1946) et même d’une fantaisie surréaliste (le Roi Gordogane, opéra, 1975). Barraud a abordé des sujets ambitieux, et a su se montrer à leur hauteur, par exemple, dans l’oratorio le Mystère des saints Innocents, d’après Péguy (1946), dans la tragédie lyrique Numance (1952 ; Barraud en a tiré une Symphonie de Numance), dans Une saison en enfer, d’après Rimbaud (1968-69), la Divine Comédie, d’après Dante (1972) et Tête d’or, tragédie lyrique d’après Claudel (1980). Diverses oeuvres lyriques et dramatiques, des symphonies et de nombreuses pièces symphoniques, de la musique vocale, de la musique de chambre et quelques pièces pour piano complètent l’abondant catalogue des oeuvres du compositeur, qui s’est vu décerner en 1969 le grand prix national de la Musique. Barraud a également fait oeuvre de musicographe, notamment avec un Berlioz (Paris, 1955). BARRE. 1. Sur les instruments à cordes, petite pièce de sapin collée sur la face interne de la table, sous le pied gauche du chevalet et dans le sens longitudinal ; elle renforce la table du côté gauche et communique les

vibrations du chevalet. 2. Sur l’orgue, partie de bois séparant les gravures du sommier. 3. Sur le clavecin, morceau de bois recouvert de feutre qui empêche les sautereaux de remonter trop haut. downloadModeText.vue.download 71 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 65 BARRE DE MESURE. Terme désignant une ligne verticale placée en travers de la portée (ou des portées), et qui indique des divisions métriques régulières. L’introduction de la barre de mesure telle que nous la comprenons aujourd’hui est relativement récente : elle ne date que du début du XVIIe siècle environ. Auparavant, on trouvait des barres de mesure placées de manière irrégulière, comme de simples repères, par exemple dans la musique de luth et, souvent encore, dans les airs de cour qui en découlaient. De nos jours, avec les fréquents changements de mesure ou même la disparition de la mesure, la barre tend à redevenir un simple repère visuel pour éviter les trop grandes difficultés d’exécution. BARRER. 1. Sur le luth et la guitare, raccourcir la longueur de la partie des cordes entrant en vibration et changer ainsi la hauteur des notes, en appuyant l’index sur les cordes concernées. 2. On peut barrer une petite note ornementale (appoggiature) d’un trait oblique pour rendre la valeur de cette note encore plus brève. 3. On parle de « barrer un luth » lorsque le facteur ajoute une série de barres de renforcement ( ! BARRAGE). BARRIÈRE (Françoise), femme compositeur française (Paris 1944). Cofondatrice (1970) et coresponsable, avec Christian Clozier, du Groupe de musique expérimentale de Bourges, elle

a composé plusieurs oeuvres électroacoustiques ou « mixtes » (pour instrument et bande magnétique), oeuvres d’un style composite, difficilement définissable, où se manifeste le souci d’être « en prise » sur la réalité contemporaine (citations de chants révolutionnaires, références sonores diverses à notre société) et qui sonnent parfois comme de longues plaintes : Ode à la terre marine (1970), Java Rosa (1972), Aujourd’hui (1975), Chant à la mémoire des Aurignaciens (1977), Musique pour le temps de Noël (1979), Mémoires enfuies (1980). Ses deux oeuvres « mixtes », Cordes-ci-cordes-ça pour vielle à roue, violon et bande (1971) et Ritratto di Giovane (1973) pour piano et bande, jonglent ironiquement avec les formes classiques. BARRIOS (Angel), compositeur espagnol (Grenade 1886 - Madrid 1964). Fils d’un célèbre guitariste ami de Manuel de Falla, il étudia le violon, puis fut l’élève, à Madrid, de Conrado del Campo (1899) et, à Paris, d’André Gédalge (1900). Comme violoniste et aussi comme guitariste, il parcourut l’Europe pour populariser la musique espagnole. Il vint ensuite se fixer à Madrid et se consacra à la composition de zarzuelas, ainsi que de pages symphoniques et instrumentales toujours fortement inspirées par son pays. BARSHAI (Rudolf), chef d’orchestre et altiste russe naturalisé israélien (Labinskaïa, Russie, 1924). Au Conservatoire de Moscou, il étudie l’alto avec Borisovski et la composition avec Chostakovitch. Jusqu’en 1955, il mène une carrière de soliste et de chambriste, se consacrant en particulier au quatuor (Quatuor Philharmonique de Moscou et Quatuor Tchaïkovsky) et donne des concerts avec Guilels, Kogan, Rostropovitch. En 1955, il s’oriente vers la direction d’orchestre et fonde l’orchestre de chambre de Moscou, qu’il dirige jusqu’en 1976, et auquel de nombreuses oeuvres de compositeurs soviétiques ont été dédiées. En 1977, il émigre en Israël et commence à diriger dans le monde entier. De 1982 à 1988, il est chef permanent de l’orchestre symphonique de Bournemouth ; de 1985 à 1987, il dirige aussi l’orchestre symphonique de Vancouver. On lui doit plusieurs transcriptions pour

orchestre, en particulier d’oeuvres de musique de chambre de Chostakovitch - celle du Quatuor no 8 appartient désormais, sous le nom de Symphonie de chambre, au répertoire d’orchestre courant. BARTALUS (István), compositeur et musicologue hongrois (Balvanyosvaralja 1821 - Budapest 1899). À la suite de Janos Erdelyi et Gabor Matray, il entreprit une vaste publication de mélodies populaires, avec accompagnement (7 vol., 1873-1896). Sans avoir recours aux méthodes que devait appliquer plus tard Béla Vikár, promoteur de l’étude scientifique du folklore, Bartalus joua un grand rôle dans le maintien de l’intérêt pour la musique « populaire ». Il fit paraître, par ailleurs, une importante anthologie d’oeuvres pour piano de compositeurs hongrois (1885) et publia de nombreuses monographies sur la musique de son pays à cette époque. BARTHÉLEMON (François Hippolyte), violoniste et compositeur français (Bordeaux 1741 - Londres 1808). Fils d’un Français et d’une Irlandaise, il se produisit comme violoniste en France, puis se rendit à Londres (1764), où, en 1766, il donna son premier opéra, Pelopida, et épousa la chanteuse Mary Young. On le vit à Paris (1767-1769), à Dublin (1771-72), en France, en Allemagne et en Italie (1776-77), mais l’essentiel de sa carrière se déroula dans la capitale britannique. Il composa d’autres opéras, des ballets, l’oratorio Jefte in Masfa (Florence, 1776), des quatuors à cordes, des concertos et des sonates pour son instrument, et fut considéré comme un des premiers violonistes de son temps. Sa fille Caecilia Maria composa également de la musique. Lors des deux séjours de Haydn à Londres (1791-1795), Barthélemon noua avec lui des liens d’amitié étroits et lui suggéra même, selon certaines sources, le sujet de la Création. BARTHOLOMÉE (Pierre), compositeur et chef d’orchestre belge (Bruxelles 1937). Il a étudié au conservatoire de Bruxelles de 1952 à 1957 (composition avec Henri Pousseur) et a été l’élève de Pierre Boulez pour la direction d’orchestre. Il a pro-

duit des émissions musicales à la télévision belge, à partir de 1960, et fondé en 1962 l’ensemble instrumental Musiques nouvelles. Depuis septembre 1977, il est directeur musical et chef permanent de l’Orchestre de Liège, devenu en 1980 l’Orchestre philharmonique de Liège. Ses oeuvres reflètent les influences non seulement de Pousseur ou de Berio, mais des musiques des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Citons Chanson pour violoncelle (1964), Cantate aux alentours pour alto, basse, instruments et moyens électroacoustiques (1966), la Ténèbre souveraine pour quatuor vocal, 2 choeurs et orchestre (1967), Tombeau de Marin Marais pour violon baroque, 2 violes de gambe et clavecin, pièce en micro-intervalles notée sur tablature (1967), Premier Alentour pour flûte, alto et 2 violes de gambe (1966), Deuxième Alentour « Cueillir » pour voix d’alto, percussion et piano (1969-70), Troisième Alentour « Récit » pour orgue (1970), Harmonique pour orchestre (1970), Fancy pour harpe (1974), Fancy II pour harpe et petit orchestre (1975), Ricercar pour 4 saxophones (1974) et Sonata quasi une fantasia (1976) et Fancy as a ground pour orchestre de chambre (1980). BARTÓK (Béla), compositeur hongrois (Nagyszentmiklós, auj. en Roumanie, 1881 - New York 1945). Initié par sa mère au piano, il étudia, dès 1893, cet instrument et la composition avec Lászó Erkel, puis, sur les conseils d’Ernó Dohnányi, entra à l’Académie royale de musique de Budapest, où il travailla le piano avec István Thomán, élève de Liszt, et la composition avec János Koessler. En 1900, il se lia avec Zoltán Kodály. En 1902, la découverte des poèmes symphoniques de Richard Strauss influença ses premières oeuvres. Nationaliste convaincu, Bartók se fit connaître par Kossuth, poème symphonique exaltant le héros hongrois de la révolution de 1848. Il mena alors une carrière de pianiste, écrivit une sonate pour violon et piano sz 20, Burlesque sz 28 pour piano et orchestre, downloadModeText.vue.download 72 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 66 puis une rhapsodie pour piano sz 26. En 1905, il se présenta à Paris au concours

Rubinstein, que remporta Wilhelm Backhaus. Mortifié, il rentra à Budapest pour se consacrer à la recherche des traditions populaires hongroises. Avec Kodály, il tenta de relier l’héritage de l’Orient à celui de l’Occident, ce dernier fondé sur les enseignements de Debussy quant au sens des accords, de Bach quant à « la transparence du contrepoint », de Beethoven quant à la forme. Professeur à l’Académie de musique de Budapest (1907), Bartók voulut, pour améliorer l’enseignement du piano, habituer les élèves aux mélanges de tonalités et à la relativité de la barre de mesure. Aussi commença-t-il une série de pièces didactiques qui, des 10 Pièces faciles sz 39 de juin 1908, devaient l’amener aux Mikrokosmos sz 107, terminés en 1937. En 1908, il écrivit son 1er quatuor à cordes, qui révèle les influences de Wagner et de Debussy. La violoniste Stefi Geyer lui inspira son 1er concerto pour violon sz 36, dont le premier volet devint le premier des 2 Portraits sz 37. Les 3 Burlesques sz 47 utilisèrent, en leur morceau central (Un peu gris), une technique nouvelle consistant à faire précéder une note d’appui d’un groupe d’ornementation que l’on « écrase » sur le clavier. En 1910, Bartók semblait avoir échappé à l’influence de Strauss, dont il critiqua violemment l’Elektra. En 1909, il épousa Márta Ziegler, qui, l’année suivante, lui donna un fils. La fréquentation de l’écriture modale des mélodies populaires inspira au compositeur les 4 Nénies sz 45, fondées sur des chants très anciens ignorant totalement « la tyrannie des systèmes modaux majeurs et mineurs ». L’année 1911 fut marquée par la mobilité percutante de l’Allegro barbaro pour piano sz 49 et par le Château de Barbe-Bleue sz 48, premier opéra utilisant spécifiquement la prosodie naturelle de la langue hongroise. Cette oeuvre inaugurait une collaboration particulièrement fructueuse entre Bartók et Béla Balázs, essayiste hongrois puisant ses idées politiques avancées dans les contes et ballades populaires. L’opéra de Bartók et de Balázs dépasse le cadre traditionnel et décrit la solitude de tout créateur, la destruction de tout un patrimoine d’amour par la soif d’une connaissance inutile. En 1913, Kodály et Bartók recueillirent deux cents chants arabes et kabyles et se penchèrent sur les patrimoines mongols, hongrois et finnois. Les intentions pédagogiques de

Bartók coïncidaient alors avec son désir de recréer les musiques populaires qu’il découvrait. Il écrivit pour le piano : Danse orientale sz 54, 6 Danses populaires roumaines sz 56, 20 Noëls roumains sz 57. Il tenta une recréation par la voix avec les 9 Chansons populaires roumaines sz 59, les 5 Mélodies sz 61, 63, les 8 Chansons populaires hongroises sz 64. Mais la guerre l’empêcha de continuer ses recherches. Il écrivit alors son 2e quatuor sz 67. Au lendemain de la guerre, Bartók eut soudain l’espoir d’être aidé par les nouveaux gouvernants. Mais ces derniers restèrent enfermés dans un nationalisme étroit et critiquèrent son oeuvre, qui osait déborder du cadre national. Le compositeur disposait désormais d’une matière musicale qu’il pouvait recréer à sa manière. Il composa alors les Improvisations sur des chansons paysannes pour piano sz 74, d’une grande liberté de forme, et, surtout, ses deux sonates pour violon et piano sz 75 et 76, qui ont gardé, aujourd’hui encore, toute leur âpreté et leur nouveauté. Commande lui fut faite d’une oeuvre pour fêter le cinquantième anniversaire de la réunion de Buda et Pest : ce fut la Suite de danses (1923), formée de deux danses arabes, une danse hongroise et une roumaine, dont il réunit les identités rythmiques et modales dans un allégro final. En 1923, il se sépara de sa femme et épousa Ditta Pásztory. Il étudia alors Scarlatti, les clavecinistes de la Renaissance italienne, et composa son 1er concerto pour piano sz 83, créé en juillet 1927 avec l’auteur au clavier et Furtwängler au pupitre. Il effectua son premier voyage aux États-Unis, reçut un prix à Philadelphie pour son 3e quatuor sz 85 et écrivit deux Rhapsodies pour violon et piano sz 286 et 89 l’une à l’intention du virtuose Josef Szigeti et l’autre à celle de Zoltán Szekely. En 1930, dans sa Cantata profana, Bartók emprunta aux « colindas » (chants de Noël roumains) un thème légendaire : les neuf fils d’un paysan, transformés en cerfs, retrouvent la liberté ; ce thème rejoint le besoin pour tout un peuple asservi de vivre, de chanter, de courir les risques d’une indépendance toujours préférable à une soumission qui ramènerait le cycle infernal de l’incompréhension et de la guerre. En 1933, Bartók créa lui-même son 2e concerto pour piano à Francfort, accompagné par le chef d’orchestre Hans

Rosbaud. À la demande d’Erich Döflein, il transcrivit pour deux violons des pièces pour piano ; ces 44 duos sz 98 devaient, selon lui, « aider les élèves à trouver la simplicité naturelle de la musique des peuples et aussi ses particularités rythmiques et mélodiques ». En avril 1935, le Quatuor Kolisch créa à Washington son 5e quatuor sz 102, que sa perfection de forme, son expressionnisme tendu et la complexité de son contrepoint rythmique placent au sommet de sa production de musique de chambre. En 1936, s’inquiétant de la poussée du nazisme, Bartók demanda que ses oeuvres subissent le même sort que celles des compositeurs d’origine israélite (interdiction à l’édition et à l’exécution). Il vint fréquemment se reposer en Suisse chez son ami, le chef d’orchestre Paul Sacher. Pour répondre à des commandes de ce dernier, il écrivit deux de ses chefs-d’oeuvre, la Musique pour cordes, percussion et célesta sz 106 et le Divertimento pour cordes sz 113, respectivement créés, par Sacher et l’Orchestre de Bâle, en 1937 et 1940. De retour d’un voyage en Turquie, il commença une oeuvre pour violon qui, par le voeu du dédicataire, le virtuose Zoltán Szekely, prit la forme d’un 2e concerto pour violon, que Szekely et le chef d’orchestre Mengelberg créèrent en avril 1939. Parallèlement à la Musique pour cordes, Bartók avait écrit une sonate pour 2 pianos et percussion sz 110, que sa femme et lui-même créèrent en janvier 1938 à Bâle. Après un voyage de reconnaissance aux États-Unis avec Szigeti, en 1939, Bartók décida de s’exiler et donna son dernier concert à Budapest le 8 octobre 1940 sous la direction de Janos Ferencsik. Il séjourna à New York comme chargé de recherches à l’université Columbia, fit quelques conférences, mais sa situation matérielle était des plus modestes. Bartók donna quelques concerts avec Szigeti et le clarinettiste de jazz Benny Goodman (Contrastes pour clarinette, violon et piano, sz 111) et transcrivit pour orchestre son concerto sz 110. Sa santé s’altéra peu à peu ; il était atteint de leucémie. En 1943, le chef d’orchestre Koussevitski lui commanda une oeuvre pour l’Orchestre symphonique de Boston, le concerto pour orchestre, créé en décembre 1944. Yehudi Menuhin lui demanda également une oeuvre ; Bartók écrivit la sonate pour violon seul sz 117. Le succès revint, les commandes affluèrent :

il acheva presque son 3e concerto pour piano, termina les esquisses de la partie soliste d’un concerto pour alto destiné à l’altiste William Primrose. Ce fut la fin de la guerre ; Bartók ne vécut plus que dans l’espoir de retourner à Budapest. Mais il fut transporté à l’hôpital du West Side à New York, où il s’éteignit le 26 septembre 1945. Bartók est le premier ethnomusicologue dont la compétence s’est étendue à tout le bassin méditerranéen oriental, lieu de brassage des richesses de l’Orient et de l’Occident. Ses recherches l’ont amené à mettre en évidence les identités des musiques populaires, dont il s’est attaché à retrouver, au-delà des civilisations et des nationalismes, le langage commun. Il est ainsi remonté aux origines de la musique traditionnelle de son pays, débarrassant les mélodies recueillies des apports étrangers qui les avaient altérées. Conscient de la complexité des influences entre races, de la mouvance des mélodies transmises par tradition orale, il a créé une notation nouvelle lui permettant, non pas de reproduire ce matériau jamais figé, mais d’en consigner les schémas de base pour une éventuelle recréation savante. downloadModeText.vue.download 73 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 67 Imprégné de l’esprit de ces musiques populaires, Bartók a échappé à tout système harmonique clos. Il est vain de tenter de dissocier chez lui rythme et harmonie, son art étant fait de leur parfaite association. De ce fait, sa démarche de compositeur s’oppose à la conception romantique qui a attribué une si grande importance à l’invention thématique, prétendant chercher l’individuel dans toute chose. Bartók avait compris « à quel point la musique populaire est le contraire d’un art personnel, à quel point, de par son essence même, toutes ses manifestations sont collectives ». Progressivement, Bartók a réussi une synthèse unique entre modalité et tonalité, chromatisme et diatonisme. À l’examen attentif, on décèle une ambiguïté entre la liberté harmonique de ses oeuvres et la présence de dissonances non annoncées ni résolues. Le dualisme majeur-mineur est

dépassé dans la mesure où l’ordre modal de la chanson archaïque, violemment diatonique, n’est pas gommé par l’accumulation des éléments chromatiques. Les oeuvres essentielles de Bartók laissent percevoir des pôles de toniques et de dominantes qui les organisent en dehors de toute rhétorique hiérarchisée, d’ordre traditionnel ou dodécaphonique. Les intervalles utilisés acquièrent une certaine autonomie, et, comme dans la chanson populaire, septième aussi bien que tierce ou quinte se présentent comme naturelles. Les proportions temporelles de ses oeuvres de la maturité, s’appliquant aux harmonies comme aux rythmes, sont conformes aux propositions issues du nombre d’or. Ernö Lendvai a même démontré que les rapports entre chromatisme et diatonisme ou l’utilisation du pentatonisme lydien, dorien, etc., peuvent être considérés comme la preuve d’un travail extrêmement original et personnel lié à la section d’or. La complexité formelle de l’art de Bartók est telle qu’il ne peut y avoir de néoou postbartokisme. Les nombreux compositeurs contemporains, qui ont subi l’influence de Bartók, se sont ordinairement limités à puiser dans la thématique de la chanson paysanne, sans s’astreindre au véritable travail de recréation auquel s’était soumis, puis par lequel s’était totalement exprimé leur maître à penser. L’universalisme du message bartokien montre que ce musicien a réussi à transcender l’origine même de ses sources. BARTOLINO DA PADLVA, moine et compositeur italien (fin du XIVe s. - début du XVe s.). Peu de détails de sa vie sont connus avec certitude. Fra Bartolino est l’une des figures marquantes de l’Ars nova italien, style qui naquit probablement à Padoue. Très connu de ses contemporains, à Florence par exemple, il exerça une influence sur tous les aspects de la musique de son pays, écrivant des ballate et des madrigaux polyphoniques - formes favorites du Moyen Âge italien - dans un style proche de celui du grand florentin Francesco Landini, plus facile et plus mélodique que celui des maîtres français de l’Ars nova. BARTOS (Jan Zdenek), compositeur tchèque (Králové Dvºur 1908 - Prague

1981). Après avoir étudié le violon et commencé une carrière de soliste, il a approfondi ses connaissances musicales, notamment dans le domaine de l’écriture, dans différents établissements de Prague (19331943). Il a occupé, à partir de 1945, d’importants postes officiels au ministère de l’Information, au département musical des éditions d’État de littérature, musique et beaux-arts et au service de la musique du ministère de l’Éducation et de la Culture. Il est devenu en 1958 professeur de composition et de théorie au conservatoire de Prague. Bartos est l’auteur d’ouvrages de vulgarisation, d’articles divers, et d’une abondante oeuvre de compositeur comprenant des opéras, opérettes, ballets et musiques de scène, des oeuvres symphoniques et concertantes, des cantates, des choeurs, de la musique de chambre, des pièces pour piano, des mélodies. C’est un compositeur doué qui manifeste une parfaite connaissance des découvertes et des audaces de son époque, mais qui ne s’y abandonne qu’avec réserve. BARYTON. 1. Voix de dessus, de la famille des basses, intermédiaire entre la basse chantante et le ténor, tant en timbre qu’en tessiture. Le mot « baryton » qui, étymologiquement, signifie « grave », apparut d’abord en France, à la fin du XVIIIe siècle, pour désigner précisément une voix de ténor de tessiture assez basse, dont JeanBlaise Martin (1768-1837) fut l’un des représentants, bien que le nom de ce dernier soit demeuré associé à un type de baryton à la voix claire et légère. Les rôles de cet emploi étaient notés en clef de ténor, Gluck, cependant, notait en clef de basse les rôles pour voix grave, mais de tessiture particulièrement élevée d’Oreste et de Thoas dans Iphigénie en Tauride. L’appellation de baritenore fut conservée pour désigner parfois certains ténors mozartiens et rossiniens. Toutefois, c’est déjà à cette nouvelle catégorie que se rattachèrent des emplois comme Don Juan dans l’opéra de Mozart, Pizarro dans Fidelio de Beethoven, Figaro dans le Barbier de Séville et Dandini dans la Cenerentola de Rossini, souvent chantés par Antonio Tamburini (1800-1876) ; ce chanteur fut appelé « basse », mais, au-delà de 1830,

Bellini et Donizetti l’opposèrent à la basse dans des rôles antagonistes. L’emploi s’imposa mieux lorsque, le ténor contraltino ( ! TÉNOR) succédant au ténor grave, une véritable catégorie vocale, assurant l’intermédiaire entre la basse et ce nouveau ténor, devint indispensable. Le terme de baryton s’imposa avec le Français Paul Barroilhet (1810-1871), créateur du rôle d’Alphonse dans la Favorite de Donizetti en 1840. Verdi allait délimiter un type vocal précis, d’une tessiture relativement faible (si bémol 1 - la bémol ou la 3), mais unissant l’éclat et la souplesse du ténor à la rondeur de la voix de basse ; le « baryton-Verdi » ainsi défini, qu’il soit de caractère noble (Germont dans la Traviata), jeune et parfois amoureux (De Luna dans le Trouvère, Renato dans un Bal masqué, Posa dans Don Carlos), ou encore « vilain » (Macbeth, Rigoletto, Carlo dans la Force du destin), cet emploi, à une exception près - celui de Posa -, assurait la fonction dramatique d’antagoniste du ténor, dont il contrecarrait les projets sentimentaux, à titre de père, de frère ou de rival. En France, où s’était imposé le barytonMartin (jeune premier dans l’opérette, et souvent confident ou ami dans l’opéra-comique), le clivage fut moins net entre barytons et basses, le terme de baryton d’opéra équivalant pratiquement à celui de basse chantante : Jean-Baptiste Faure (18301914) chantait Alphonse de la Favorite et Méphisto dans le Faust de Gounod, mais créa le rôle de Posa ; les rôles de baryton dans Thaïs, les Contes d’Hoffmann, Lakmé, Louise, etc., sont encore aujourd’hui aussi bien distribués à une basse qu’à un baryton. La différence apparut encore moins en Russie et en Allemagne. En Russie, en effet, Ivan Melnikov créa les rôles de Boris Godounov dans l’opéra de Moussorgski et d’Igor (le Prince Igor de Borodine), cependant que Tchaïkovski faisait appel au véritable baryton-Verdi ; chez Wagner, barytons et basses se partagent les emplois de Wotan dans l’Anneau du Nibelung, Hans Sachs dans les Maîtres chanteurs, etc. Comme la basse bouffe, le baryton bouffe est avant tout un bon acteur doué d’agilité vocale. Si les dénominations de baryton brillant, héroïque, méchant, etc., varient selon les pays et les époques et demeurent assez imprécises, l’usage a mieux défini le baryton-Verdi, le baryton-Martin qui peut également chanter les rôles de Pelléas (Debussy) de Mârouf (Rabaud) et les jeunes premiers de l’opérette viennoise

(le terme de baryton viennois correspond aux emplois écrits pour ténor par Johann Strauss, Franz Lehar, etc.) ; le barytonMartin convient particulièrement à l’interprétation de la mélodie française. Parmi les interprètes, dans le passé, on notera les barytons-Verdi, Varesi, Graziani, Cotogni, Battistini, Stracciari, De Luca, Ruffo, Galeffi, Tibbett ; en France, downloadModeText.vue.download 74 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 68 les barytons Devoyod, Maurel, Renaud, Noté, Endrèze ; parmi les interprètes de Wagner et de R. Strauss, Scheidemantel, Van Rooy, Bockelmann, Janssen, Schorr ; pour l’interprétation de la mélodie, Ch. Panzéra, G. Hüsch, H. Schlusnus, et, plus récemment, G. Souzay, C. Maurane, J. Jansen - par ailleurs titulaire du rôle de Pelléas - et D. Fischer Dieskau, qui, à l’instar de son prédécesseur H. Schlusnus, tient au théâtre les emplois de baryton les plus divers. 2. instrument à cordes frottées, joué à l’aide d’un archet et ressemblant à la basse de viole. Il comporte 6 ou 7 cordes en boyau, accordées comme sur la basse de viole, ainsi qu’un plus grand nombre de cordes (de 9 à 24) en acier dites « sympathiques ». En Italie, on l’appelait viola di bordone. Le baryton connut une certaine popularité au XVIIIe siècle, en Allemagne et en Autriche. Le prince Nikolas Esterházy avait une passion pour cet instrument. À son service, Joseph Haydn écrivit pour le baryton près de 150 partitions. 3. Instrument à vent de la famille des cuivres. C’est le saxhorn en si bémol, à trois pistons, de tessiture intermédiaire entre l’alto (en mi bémol) et la basse (en si bémol grave). Dans le vocabulaire du jazz, le mot baryton, sans autre précision, désigne non pas le saxhorn, mais le saxophone baryton. BARZUN (Jacques), historien et musicologue américain d’origine française (Créteil, Val-de-Marne, 1907). Professeur à l’université Columbia, dont il a été vice-recteur (1955-1967), Jacques Barzun a consacré son oeuvre d’historien

à la pensée et à la culture européennes de 1789 à 1914. Mais il est aussi l’un des meilleurs spécialistes de Berlioz, qu’il a situé à sa vraie place dans le romantisme européen. Parmi ses écrits, citons Berlioz and the Romantic Century (2 vol., Boston, 1950), New Letters of Berlioz (New York, 1954), Berlioz and his Century (New York, 1956), Music in American Life (New York, 1956-1965), Critical Questions on Music and Letters, Culture and Biography, 19401980 (1982). BAS-DESSUS. Terme aujourd’hui abandonné et qui désignait les parties graves des voix élevées, de femmes, d’enfants ou de castrats, actuellement dénommées mezzo-soprano, alto ou contralto, d’après la terminologie italienne. Jusqu’à l’entrée en désuétude des clefs d’ut vocales, les bas-dessus s’écrivaient normalement comme les dessus ordinaires en clef d’ut 1re, ou exceptionnellement en clef d’ut 2e ligne. L’expression était usuelle aux XVIIe et XVIIIe siècles, tandis que son contraire haut-dessus, réservé aux voix exceptionnellement hautes, est toujours resté d’un emploi limité. BASHMET (Yuri), altiste russe (Rostov 1953). Il commence ses études musicales à Lvov avant d’entrer au Conservatoire de Moscou en 1971. En 1976, il remporte le premier prix du Concours international de Munich et débute une fulgurante carrière de soliste. Il est en effet le premier altiste à avoir donné des récitals solistes dans des lieux aussi prestigieux que la Scala de Milan et le Concertgebouw d’Amsterdam. Il devient le plus jeune professeur de l’histoire du Conservatoire de Moscou et se tourne, en 1984, vers la direction d’ensemble en fondant les Solistes de Moscou. Il donne des master-classes à Tours, où Sviatoslav Richter l’appelle dès 1983 pour participer au Festival de la Grange de Meslay. En 1988, il fonde un festival à Bonn-Rolandseck. En 1990, les Solistes de Moscou s’installent à Montpellier, mais un conflit avec les musiciens lui fait abandonner ses fonctions : il rassemble néanmoins d’autres instrumentistes sous une appellation voisine. Il crée de nombreuses oeuvres contemporaines, notamment de

Denisov, Kantcheli et Schnittke. BASSANELLO. Instrument ancien à anche double, répandu en Italie jusqu’au XVIe siècle, qui présentait les principales caractéristiques du basson. BASSANI (Giovanni Battista), compositeur italien (Padoue v. 1657 - Bergame 1716). Il fit ses études musicales à Venise, où il fut notamment l’élève de G. Legrenzi. Il est possible qu’il y ait travaillé le violon avec Vivaldi. Quoi qu’il en soit, Bassani fut, après Corelli, l’un des meilleurs compositeurs de sonates de l’école de Bologne, où il devint membre de l’Accademia Filarmonica. Il fut nommé maître de chapelle à Ferrare (1688), puis à Santa Maria Maggiore de Bergame (jusqu’à sa mort). Outre ses Sonate a 3, Bassani a écrit des cantates profanes et religieuses, genre où il excella également, des oratorios (La Morte delusa, 1686) et des opéras dont quelques airs seulement subsistent. BASSE. 1. Sur le plan harmonique, terme générique désignant toute partie inférieure d’un accord : ce terme peut donc avoir plusieurs acceptions selon la manière dont on considère cet accord. La note la plus grave entendue matériellement est la basse réelle ou basse exprimée ; elle peut être différente (par exemple, si l’accord est « renversé ») de la basse harmonique, qui est la note la plus grave de l’accord remis dans son état primitif non renversé (dit alors « état fondamental »). Cette basse harmonique peut à son tour être différente de la basse fondamentale, qui est une note de même nom, mais située à une hauteur d’octave déterminée et qui est le son générateur de l’accord. 2. Sur le plan polyphonique, partie la plus grave d’un ensemble qui en comprend plusieurs. Elle ne prend, toutefois, pleinement ce nom qu’à l’époque (XVIe s.) où elle acquiert une importance harmonique qu’elle n’avait pas auparavant. La partie grave a d’abord été une partie mélodique du contrepoint, souvent le « chant donné « ou teneur (lat. tenor) ; puis on a contrepointé au ténor une partie com-

plémentaire placée souvent, mais non systématiquement, en dessous d’elle et dite contre-teneur (lat. contratenor, ou en abrégé contra), ce qui a repoussé le ténor en seconde position dans la tessiture de bas en haut. On trouve au XVe siècle l’expression contrabassus, c’est-à-dire contra en basse, qui deviendra bassus au XVIe siècle, en même temps que la voix correspondante prendra une signification nouvelle, de plus en plus harmonique, qu’elle conservera jusqu’à nos jours. ! BASSUS. 3. Dans l’échelonnement vocal, famille groupant les diverses catégories de voix masculines graves (d’où, par extension, le même sens pour les instruments de l’orchestre). L’étendue moyenne de la voix de basse est la suivante : On divisait, autrefois, cette famille en deux catégories : basse-contre et basse-taille. On admet aujourd’hui trois divisions principales : basses profondes, basses chantantes, barytons. Dans le théâtre lyrique, les emplois de baryton se sont, dans l’ensemble, nettement différenciés de ceux de basse et comprennent leurs propres subdivisions ( ! BARYTON). En ce qui concerne la basse proprement dite, la terminologie d’opéra fait usage de diverses distinctions, de l’aigu au grave : - la basse-taille était, dans l’ancienne terminologie, la voix de dessus de la famille des basses, appelée également concordant. Elle correspond à l’actuel baryton ; - la basse chantante est une voix de tessiture moyenne entre la basse profonde et le baryton ; elle est très abondamment employée dans l’opéra aussi bien français (Méphisto dans le Faust de Gounod) qu’italien (Philippe II dans Don Carlos de Verdi) et russe (Boris Godounov) ; - la basse bouffe est une voix souple et agile, apte aux rôles de comédie (Uberto downloadModeText.vue.download 75 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 69 dans la Servante maîtresse de Pergolèse) ; certains rôles exigent une grande étendue (Osmin dans l’Enlèvement au sérail de Mo-

zart est une basse bouffe devant avoir le registre grave d’une basse profonde, dont il se sert pour faire rire) ; -la basse-contre était, dans la terminologie de l’ancien opéra, la voix la plus grave de la famille des basses, placée en dessous de la basse-taille (Polyphème dans Acis et Galatée de Haendel) ; elle correspondrait presque à notre basse profonde, mais ce dernier terme insiste davantage sur l’utilisation d’un registre d’extrême grave ; - la basse profonde ou basse noble est la plus grave des voix masculines, mettant en valeur les notes extrêmes du registre grave (Sénèque dans le Couronnement de Poppée de Monteverdi, Sarastro dans la Flûte enchantée, le cardinal Brogni dans la Juive). Cette voix est exceptionnelle dans nos pays, plus fréquente chez les Noirs, ainsi que chez les peuples slaves, où elle constitue de superbes pupitres graves dans les choeurs. BASSE (voix de). La voix de basse fut employée pour d’importants solos dès la naissance de l’opéra et de l’oratorio, à l’aube du XVIIe siècle, et soumise aux mêmes exigences de virtuosité que les autres catégories vocales, mais sur une étendue souvent plus importante (ré 1-mi 3 chez Caccini). Cette voix, principalement destinée à l’incarnation de divinités (Caron dans Orfeo de Monteverdi, 1607) ou de personnes âgées (Manoah dans Samson de Haendel, rôle colorature écrit pour Giovanni Boschi), servit aussi, notamment dans l’opéra français, à personnifier l’amoureux, souvent malheureux, antagoniste du ténor ou du haute-contre : Louis Chassé (1699-1786) interpréta dans les opéras du style de Rameau ces rôles d’une tessiture généralement plus élevée, proche de celle de notre baryton actuel. À la fin du XVIIIe siècle, Mozart écrivait encore pour ces deux types de voix : rôles graves tels que ceux d’Osmin dans l’Enlèvement au sérail, créé par Ludwig Fischer (1745-1825), ou de Sarastro, rôles plus aigus pour des emplois d’amoureux, tels que ceux du Comte dans les Noces de Figaro et de Don Juan. Rossini confia à Filippo Galli (1783-1853) des emplois bouffes ou tragiques (Mustafa dans l’Italienne à Alger, Assur dans Semiramis) d’une très haute virtuosité. Durant le romantisme, la voix de basse fut surtout assimilée aux personnages royaux ou

ecclésiastiques, âgés, nobles, etc., mais, dès la fin du XIXe siècle, elle servit à nouveau à personnifier des caractères très divers, jeunes ou vieux (opéras de Puccini, des compositeurs naturalistes, de R. Strauss, Rimski-Korsakov, Berg, etc.). L’éventail des attributions de la voix de basse correspond à sa couleur et à sa tessiture : la basse noble ou profonde, assez volumineuse et de couleur sombre (étendue do 1 - fa 3) a pour exemples les rôles du Cardinal (la Juive de Halévy), de l’Inquisiteur (Don Carlos de Verdi), de Hunding (la Walkyrie de Wagner), d’Arkel (Pelléas et Mélisande de Debussy), etc. ; la basse chantante, de caractère plus lyrique (étendue fa 1-fa dièse 3) est illustrée par ceux de Silva (Ernani de Verdi), Philippe II (Don Carlos), Méphisto (Faust de Gounod, cet emploi étant parfois tenu par des barytons), etc. L’Allemagne et la Russie différencient plus les caractères que les tessitures : basse démoniaque (Kaspar dans le Freischütz de Weber, Alberich dans l’Or du Rhin de Wagner), basse héroïque (Wotan), etc. Notons que, si les choeurs slaves renferment des basses au grave exceptionnellement étendu, l’opéra russe fait au contraire plus volontiers appel à une voix aiguë ; Féodor Chaliapine (18731938) était plus proche du baryton que de la basse. La voix de basse convient également au concert pour l’interprétation des lieder, des oratorios et cantates classiques, sans exiger une spécialisation exclusive de la part du chanteur. En revanche, l’emploi de basse bouffe, qui peut se satisfaire d’une moins belle qualité vocale, réclame non seulement une grande virtuosité et une articulation rapide, mais aussi, au théâtre, un talent d’acteur sûr. La voix de basse permet des carrières fort longues, les grands interprètes de cette catégorie quittant rarement la scène avant soixante-cinq ans. Parmi les grandes basses de notre siècle, on peut rappeler les Italiens Navarrini, De Angelis, Pinza, Pasero et Siepi, l’Espagnol Mardones, les Français Plançon, Delmas, Journet, Pernet, les Slaves Reizen, Pirogov, Kipnis, Christoff, et, dans des genres bien déterminés, S. Baccaloni, exemple type de la basse bouffe, et H. Hotter, aussi réputé dans l’interprétation du lied et de l’oratorio que dans celle du rôle de Wotan dans l’Anneau du Nibelung de Richard Wagner.

BASSE CHIFFRÉE. Sorte de sténographie inventée au début du XVIIe siècle en même temps que la basse continue pour guider l’accompagnateur en lui suggérant, à partir de la basse écrite, les accords à employer sans avoir à en écrire les notes, ce qui faisait gagner au compositeur un temps considérable (on pouvait ainsi, sur deux portées - chant et basse -, écrire un opéra en quelques jours). Abandonnée vers 1750 en même temps que la basse continue, la basse chiffrée s’est maintenue dans l’enseignement comme auxiliaire pédagogique des études d’harmonie, mais c’est abusivement qu’on la considère comme un instrument d’analyse, car, non conçue dans cette optique, elle ne rend compte que très imparfaitement de la constitution des accords ; elle n’en donne qu’une description matérielle et n’intervient que fort mal dans leur explication grammaticale - d’où la nécessité d’un chiffrage de fonction complétant le chiffrage d’intervalles seul envisagé par la pratique de la basse chiffrée. Le principe de cette dernière est simple : au-dessus (ou en dessous) de la note de basse (basse réelle), sont notés un ou plusieurs chiffres dont chacun représente la note formant avec la basse l’intervalle indiqué par le chiffre. Selon les écoles, tantôt cet intervalle est indiqué réellement, tantôt il est réduit à un intervalle simple, sans dépasser la neuvième (ainsi la dixième est notée 3, car c’est une tierce redoublée à l’octave). Diverses conventions interviennent soit pour limiter le nombre de chiffres par des sous-entendus (par exemple, 6 pour 6 et 3), soit pour apporter diverses précisions (ainsi une croix indique la sensible, un chiffre barré marque un intervalle diminué, etc.). On note les altérations en les plaçant devant le chiffre, et les silences sont chiffrés par un zéro. Mais les conventions ne sont pas toujours uniformes et elles peuvent varier d’un auteur à un autre. La basse chiffrée, conçue comme un « guide-doigts » pratique à l’usage des accompagnateurs, a bien rempli sa fonction tant que ce qu’elle avait à noter restait limité à quelques accords simples et qu’ellemême ne visait pas à autre chose qu’à en suggérer les grandes lignes. Lorsque les auteurs ont voulu chiffrer minutieusement des basses devenues complexes (J. S.

Bach), cette pratique devint une complication supplémentaire, et l’on conçoit que la basse chiffrée n’ait pas survécu à l’usage de la basse continue. BASSE CONTINUE (ital. basso continuo ; all. Generalbass ; angl. thorough-bass). Mode d’écriture inauguré en Italie, au début du XVIIe siècle, avec les premiers opéras et généralisé partout, ensuite, jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, avant de disparaître totalement vers 1775. Son apogée coïncida avec celle de l’art baroque en musique. Le principe en était de sous-entendre, dans tout ensemble instrumental ou vocal, la présence d’un accompagnement de remplissage, réalisé sur un instrument polyphonique (orgue, clavecin, luth, théorbe, etc.) et dont seule était écrite la basse, chiffrée ou non. Cette basse était généralement doublée par un autre instrument tel que la basse de viole, le violoncelle, le basson, etc., et comportait soit de simples basses réelles d’accords de soutien, soit une ligne mélodique et concertante. L’existence de la basse continue était considérée comme normale et toute absence d’indication contraire supposait sa présence ( ! TASTO SOLO). Ainsi est-il souhaitable que, même en l’absence d’indication formelle à ce sujet, un clavedownloadModeText.vue.download 76 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 70 cin prête son concours à l’exécution de certains mouvements lents des premières symphonies « classiques », de Haydn en particulier, pour compléter l’harmonie. La disparition de la basse continue coïncida avec l’abandon du clavecin au profit du piano-forte dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. BASSE D’ALBERTI. ! ALBERTI (DOMENICO). BASSE DANSE. Ce nom s’appliquait autrefois à des danses « terre à terre », caractérisées par l’absence d’élévation (pas lents et glissés), par opposition aux danses où intervenait le saut. La basse danse (XVe s. - début XVIe s.) était construite, comme la plupart des compositions de l’époque, sur une teneur (autre danse ou chanson), au-dessus de laquelle

des instruments mélodiques à anche double improvisaient. Une source importante pour la connaissance de ces danses est l’oeuvre de Thoinot Arbeau, Orchésographie, traité en forme de dialogue par lequel toute personne peut facilement apprendre à pratiquer l’honnête exercice des danses (1589). BASSE DE FLANDRE. Instrument de musique rudimentaire particulièrement utilisé en Flandre au XVIe siècle, et parfois appelé en France « basse à boyau ». Elle était constituée essentiellement d’un bâton jouant le rôle de manche, d’une vessie de porc servant de caisse de résonance et d’une corde unique frottée à l’aide d’un archet primitif. BASSE FONDAMENTALE. Notion de base de l’harmonie tonale, telle qu’elle a été dégagée par Rameau, en 1722, à partir d’un théorème énoncé par Descartes en 1650. Remaniée en 1735 pour faire place à la théorie de la résonance, découverte en 1701 par Joseph Sauveur, mais dont Rameau semble n’avoir eu connaissance qu’en 1725, la basse fondamentale a subi, depuis lors, diverses rectifications de détail, mais n’a jamais été démentie dans son principe. Elle consiste essentiellement dans la recherche, pour chaque accord donné et après élimination éventuelle des notes étrangères, du son générateur dont la résonance contient toutes les notes de l’accord, si celui-ci est naturel, ou, s’il est artificiel, les notes de l’accord naturel dont il est issu. Ce son générateur, exprimé ou non, est la basse fondamentale de l’accord. Celle-ci est l’élément déterminant d’où découlent l’analyse et l’emploi des accords. Elle ne doit pas être confondue avec la basse harmonique, qui est la basse fondamentale transportée ou non à une octave quelconque, à condition qu’elle reste inférieure à tous les autres sons exprimés. BASSE HARMONIQUE. Note de basse (ou l’une de ses octaves inférieures) de tout accord formé de notes réelles et présenté dans son état fondamental, ce qui le rend analysable en tant

qu’accord, en fonction de cette basse harmonique. Si l’accord est « renversé » ( ! RENVERSEMENT), la basse harmonique est celle qu’aurait l’accord une fois remis dans son état fondamental. La basse harmonique ne se confond pas obligatoirement avec la basse fondamentale, bien que toutes deux aient toujours le même nom de note : en effet, l’octave où se situe la basse fondamentale est commandée par la disposition de l’accord, tandis que l’octave où se situe la basse harmonique est indifférente pourvu qu’elle reste inférieure aux autres notes de l’accord ; la basse fondamentale commande la justification physique de l’accord, la basse harmonique suffit pour en déterminer l’analyse pratique. BASSE OBSTINÉE ou BASSE CONTRAINTE. Procédé de composition consistant à répéter inlassablement une cellule de base, généralement de quatre ou huit mesures, souvent une descente chromatique, qui demeure inchangée tandis que les autres parties se modifient. Le procédé de la basse obstinée est donc différent de celui du « thème varié » ( ! VARIATION), encore que la confusion ait parfois été faite (par exemple, les Variations Goldberg de J. S. Bach ne sont pas des variations à proprement parler, mais une suite de compositions distinctes sur une même basse obstinée). Le plus ancien exemple connu est sans doute le pes ou « pédale » de trois notes qui soutient sans arrêt le canon Sumer is icumen in dans le « chant du coucou », noté vers 1300 au monastère de Reading en Angleterre. Au XVIe siècle, la basse obstinée devint le signe distinctif de certaines danses, dont chacune possédait son schéma mélodique propre : passamezzo, romanesca, follia. Au XVIIe et au XVIIIe siècle, la basse obstinée fut le terrain d’élection de la chaconne et de la passacaille. La chaconne servit souvent de cadre, en France, au « grand ballet » des finales d’opéra ; mais elle y abandonna plus d’une fois son ostinato au cours des différents couplets, pour ne le retrouver qu’au refrain. Dérivé de la chaconne, le ground anglais fit de la basse obstinée, notamment dans l’opéra, un emploi pathétique dont l’exemple le plus célèbre est celui des adieux de Didon dans Didon et Énée de Purcell. Avec ses Variations Goldberg pour clavecin, sa chaconne pour violon seul et sa Passacaille et fugue pour

orgue, J. S. Bach donna à la basse obstinée une ampleur inconnue jusqu’à lui. À l’époque classique, la basse contrainte tomba quelque peu en désuétude, mais les romantiques y firent de temps à autre des emprunts de caractère quelque peu archaïsant (Brahms, finale de la 4e symphonie). Elle semble avoir repris vigueur au XXe siècle (Webern, Dutilleux, etc.) ; mais la scène de Wozzeck intitulée par Alban Berg Passacaille ne se rattache que d’assez loin aux normes du genre. BASSE RÉELLE ou BASSE EXPRIMÉE. Note la plus grave d’un accord sous la forme dans laquelle il est exprimé. La basse réelle ne se confond pas toujours avec la basse harmonique ni avec la basse fondamentale, qui servent de base à son analyse. BASSETTO. 1. Terme italien quelquefois employé au XVIIe siècle pour désigner la partie grave d’un choeur de voix élevées, ne comportant pas de voix de basse ; on la confiait soit aux altos, soit aux ténors. 2. Le mot peut également désigner la basse de viole ou un instrument de même forme dont la tessiture se situe entre le violoncelle et la contrebasse. BASSON. Instrument à vent de la famille des bois, fait de deux tubes de bois parallèles, d’érable ou de palissandre, adaptés à une « culasse » qui les met en communication de sorte qu’ils forment un seul tuyau sonore continu. La « branche » antérieure est surmontée d’un pavillon ; l’autre, plus étroite et plus courte, supporte un mince tuyau de cuivre recourbé, le bocal, au bout duquel est fixée l’anche double de roseau. L’étendue du basson est considérable : 3 octaves et 1 quinte, partant du si bémol grave. Son timbre va d’un grave robuste, incisif, à un aigu un peu « bouché », capable d’une grande expression, en passant par un médium ferme mais doux. Le basson descend du fagotto, qui existait dès le XIVe siècle. Mersenne parle

de fagot dans son Harmonie universelle de 1636, et ce nom, qui évoque l’aspect de l’instrument, un paquet de bois, est conservé en allemand (Fagott) et en italien (fagotto). Très utilisé dans les ensembles symphoniques au XVIIIe siècle, notamment pour doubler et renforcer les basses, le développement progressif de sa technique permit son emploi dans les formations de chambre (quintette KV 452 de Mozart, octuors de Beethoven, de Schubert). Il n’en était pas moins, jusqu’à l’époque romantique, d’une pratique difficile et d’une justesse approximative, malgré les efforts et l’ingéniosité de nombreux facteurs. L’Allemand Johann Adam Heckel (1812 ?-1877) apporta des perfectiondownloadModeText.vue.download 77 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 71 nements décisifs et développa un instrument muni de 24 clés et 5 soupapes. À la même époque, les recherches de plusieurs facteurs français contribuèrent aussi à donner au basson ses caractéristiques définitives. Il faut noter que la mise au point du contrebasson, plus grave d’une octave, se révéla encore plus délicate. BASSUS (lat. : « basse « ; ital. basso). Terme employé à partir de la fin du XVe siècle pour désigner la partie inférieure d’une polyphonie dans la tessiture des voix masculines graves. Il a remplacé le mot contratenor (en abrégé contra) après un bref emploi de contrabassus. Le changement de dénomination est intéressant, car il implique la notion de tessiture dans la conception polyphonique, alors que l’ancienne terminologie - contratenor, tenor, motetus (qui devint altus, supplanté plus tard par alto), triplum (qui devint superius, plus tard soprano) - ne retenait que la structure. Seul le mot tenor est passé d’une nomenclature à l’autre, mais en impliquant une notion de tessiture qu’il n’avait pas auparavant. L’emploi actuel du mot contrebasse au sens de « tessiture inférieure à celle de la basse » provient d’une dérivation légèrement postérieure du mot contra que l’on retrouve dans le terme basse-contre. BASTIAN (René), compositeur français

(Strasbourg 1935). Autodidacte, polyvalent, interprète de musique électronique en direct sur synthétiseur, responsable du département électroacoustique du Centre européen de recherche musicale, animé à Metz par Claude Lefebvre, René Bastian est une personnalité unique dans le milieu musical francais, par son rare mélange d’humour, d’ouverture d’esprit, de haute compétence et de responsabilité dans l’engagement artistique. Il défend, notamment, le principe d’une musique électroacoustique libre, vivante et mobile, qui « n’a besoin que de presque rien pour exister », contre les académismes du beau son lisse et sans arêtes et contre le fétichisme technologique des studios lourds. Sa production, essentiellement destinée au synthétiseur en direct, avec ou sans dispositifs électroacoustiques et instruments associés (les Archanges au galop, 1971 ; le Pain du dinosaure, 1971-72 ; Extrasystoles, 1972 ; Avers, 1975-76 ; Régression 1, 2, 3, 1975-76), comprend aussi des oeuvres instrumentales (État 1, État second, 1976 ; le Rhin est mort, 1978, cantate, Partition III, 1978 pour 12 ensembles d’harmonie jouant en plein air) et des pièces « conceptuelles » (Concept-Concerts, 1959-1978). BASTIN (Jules), basse belge (Bruxelles 1933). Il étudie au Conservatoire de Bruxelles avec Frédéric Anspach. En 1960, il reçoit son premier engagement au Théâtre de la Monnaie, et remporte en 1963 un premier prix au Concours international de Munich. Jusqu’en 1964, il est première basse de l’Opéra de Liège, avant d’aborder les rôles de basse profonde du répertoire italien et français. En 1975, il débute à l’Opéra de Paris, où il chante le rôle du banquier dans Lulu en 1979. Depuis, il participe aux plus grands festivals, de Salzbourg à Aix-en-Provence, et aborde aussi bien les opéras de Berlioz, Chabrier et Ravel que ceux de Janacek ou Prokofiev. BATAILLE. Le thème des batailles n’a pas moins inspiré les musiciens que les peintres, mais ils n’en ont, en général, retenu que l’aspect extérieur et superficiel : appels, fanfares, chocs spectaculaires, auxquels s’ajoute volontiers, lorsqu’il s’agit pour l’auteur

d’une victoire de son prince ou de son peuple, un chant de triomphe dominant la défaite de l’ennemi. Le Chef d’armée de Moussorgski, l’un des 4 Chants et danses de la mort, est un exemple quasi unique d’évocation vraiment dramatique des batailles. Sous l’aspect vocal, le genre apparaît dès la fin du XIVe siècle (Grimace : Alarme, alarme !), se poursuit au XVe et culmine au XVIe siècle, où Costeley écrit une Prise de Calais et une Prise du Havre, Janequin une Bataille de Metz, une Bataille de Renty et, la plus célèbre de toutes, la Guerre (connue sous le nom de la Bataille de Marignan). Cette dernière n’est pas un récit héroïque de la victoire de François Ier. Ayant pour propos d’amuser de « gentils Gallois », c’est-à-dire des bons vivants et joyeux drilles, elle traduit les bruits et épisodes du combat en une extraordinaire évocation d’orchestration chorale, qui a fait l’objet, dès sa parution, de très nombreuses transcriptions, surtout pour le luth. Elle a même été transformée en messe (messe la Bataille), probablement par Janequin lui-même, selon la technique de la messeparodie ( ! MESSE). Conformément à la casuistique amoureuse de la Renaissance, l’amour est souvent évoqué en termes de bataille (Claude Le Jeune, dans le Printemps : « Le dieu Mars et l’Amour sont parmi la campagne « ; suit la comparaison des deux actions) et donne lieu à des scènes musicales analogues les unes aux autres ; Monteverdi met sur le même plan ses Madrigali guerrieri ed amorosi (1638). Les opéras fourmillent, sinon de scènes de bataille difficiles à rendre au théâtre, du moins de « bruits de guerre » ou évocations symphoniques analogues. Le clavecin lui-même accueille des descriptions plus ou moins naïves de batailles terrestres ou navales. Abandonné par le piano-forte, le genre est, au XIXe siècle, abondamment recueilli par l’orchestre, et jusque dans les messes, où l’Agnus Dei, entre autres, par son Dona nobis pacem, si amplement développé par Beethoven dans sa Missa solemnis, appelle le contraste de la guerre à apaiser. Ouvertures, poèmes symphoniques, etc. - en attendant les musiques de film du XXe siècle - lui font bonne place, de la Victoire de Wellington (ou la Bataille de Vittoria), que Beethoven écrit en 1813 avec accompagnement de canon obligé, à l’Ouverture 1812 de Tchaïkovski

(1880), la Sinfonia brevis de bello gallico de Vincent d’Indy (1918) ou la symphonie no 7 « Leningrad » de Chostakovitch (1941). BATAILLE (Gabriel), luthiste et compositeur français (Paris v. 1575 - id. 1630). Connu surtout par ses contemporains comme luthiste, il écrivait des chansons et faisait des transcriptions, pour voix seule et luth, d’airs de cour polyphoniques composés par Guédron, Mauduit, A. Boesset. Ainsi contribua-t-il au développement du chant soliste, alors tout nouveau. De 1608 à 1615, il publia six livres d’Airs de différents autheurs mis en tablature de luth chez P. Ballard. Quelques airs de sa composition figurent également dans des livres parus en 1617, 1618-1620. Parfois on peut discerner l’influence de la poésie mesurée à l’antique sur ses oeuvres. Bataille collabora aux ballets de cour sous Louis XIII. En 1617, Marie de Médicis fit de lui son maître de musique et, en 1624, il devint celui d’Anne d’Autriche. Bataille écrivit peu d’oeuvres, mais ses recueils constituent une intéressante anthologie de la musique de cour au début du XVIIe siècle. BATESON (Thomas), compositeur anglais (comté de Cheshire 1570 - Dublin 1630). Il fut le premier madrigaliste à obtenir un grade musical au Trinity College de Dublin. Il fut organiste de la cathédrale de Chester (1599-1609), puis de la cathédrale de la Trinité à Dublin (1609-1618). Il publia à Londres deux livres de madrigaux : le premier de 28 madrigaux de 3 à 6 voix (1604) ; le second de 30 madrigaux (1618). La fraîcheur mélodique de son inspiration inscrit l’oeuvre de Bateson dans la meilleure tradition des madrigalistes anglais (consulter E. H. Fellowes, édit., The English Madrigal School, vol. XXI, XXII). BATHORI (Jeanne-Marie BERTHIER, dite Jane), mezzo-soprano française (Paris 1877-id. 1970). Ayant débuté au concert en 1898, elle commença à Nantes, en 1900, une carrière d’opéra qui la conduisit notamment à la Scala de Milan en 1902. Mais, à partir de 1904, elle se consacra presque excludownloadModeText.vue.download 78 sur 1085

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72 sivement à la mélodie française de son époque, faisant connaître dans le monde entier, et créant souvent, les oeuvres de Debussy, de Ravel, de Fauré, de Caplet, de Koechlin, de Satie et des membres du groupe des Six. Cette remarquable musicienne s’accompagnait volontiers elle-même au piano. Elle eut aussi une activité de pédagogue et de conférencière et publia deux ouvrages : Conseils sur le chant (1929) et Sur l’interprétation des mélodies de Claude Debussy (1953). BÂTON. 1. Au XIXe siècle, avant d’être remplacé par la mince baguette, plus maniable, un bâton de bois ou d’ivoire était utilisé par le chef d’orchestre pour diriger ses musiciens. Auparavant, aux XVIIe et XVIIIe siècles, on battait la mesure à l’aide d’une canne que l’on frappait sur le sol ; cette pratique causa l’accident qui fut à l’origine de la mort de Lully. Parfois aussi, on se servait d’un archet de violon ou d’un rouleau de papier tenu à pleine main. 2. Sur une portée, barre verticale traversant plusieurs interlignes et servant à noter les silences de plus d’une mesure. Le bâton peut être remplacé par des chiffres. BATTERIE. 1. Signal militaire ; le tambour battait ou roulait un rythme selon l’événement à annoncer (charge, retraite, etc.). 2. Par dérivation du sens précédent, le terme batterie désigne aujourd’hui, d’une manière familière, le groupe des instruments de percussion de l’orchestre. 3. Dans le jazz, la batterie (on dit aussi les drums), tenue par un seul musicien, se compose de la grosse caisse, de la caisse claire, des toms, des diverses cymbales et de quelques petits accessoires (woodblock, cloches, etc.). 4. Sur les instruments à clavier, la batterie est une façon d’arpéger les accords en répétant le motif parfois pendant plusieurs mesures (la basse dite d’Alberti est une forme de batterie). Cette technique est quelquefois employée aussi sur les instruments à archet.

5. Technique du jeu de la guitare qui consiste à frapper les cordes avec les doigts au lieu de les pincer. BATTISTELLI (Georgio), compositeur italien (Albano Laziale 1953). Il suit les cours du Conservatoire de L’Aquila. Cofondateur, en 1974, à Rome, du Groupe de recherche et expérimentation musicale « Edgard Varèse », il enseigne au Conservatoire de Pérouse et, en 1985-86, réside à Berlin comme invité de la DAAD. Compositeur « jaloux de son indépendance » (selon le musicologue Daniel Charles), Battistelli connaît son premier succès majeur avec Experimentum Mundi (1981), « oeuvre de musique imaginaire pour acteur, cinq voix naturelles de femmes, 16 artisans et trois percussionnistes », dans laquelle un ensemble accompagne des textes de l’Encyclopédie, au son des divers outils cités (marteau, enclume, scie, forge, etc.). La musique de Battistelli garde toujours une composante théâtrale, qu’il s’agisse de ses oeuvres scéniques (Aphrodite, monodrame d’après Pierre Lous, 1983 ; Teorema, parabole musicale adaptée librement d’après Pasolini, 1992 ; Prova d’orchestra, d’après Fellini, créé à Strasbourg en 1995) ou de ses pièces instrumentales (La fattoria del vento, 1988 ; Anarca, hommage à E. Jünger, 1988-89 ; Erlebnis, 1990). BATTISTINI (Mattia), baryton italien (Rome 1856 - Rieti 1928). Il aborda le chant après des études de droit et débuta en 1878 au théâtre Argentina de Rome dans la Favorite. Sa carrière dura près d’un demi-siècle ; il ne l’interrompit que peu avant sa mort. Il ne quitta guère l’Europe, mais, de Lisbonne à Moscou, il remporta des succès immenses et fut surnommé « la Gloria d’ltalia ». Battistini fut l’un des derniers et des plus grands représentants de la longue tradition du bel canto. Admirable dans les oeuvres de Rossini, Bellini, Donizetti et Verdi, auxquelles il apportait sa virtuosité transcendante et son sens exceptionnel du cantabile, il chantait les rôles les plus dramatiques sans se départir d’une élégance suprême. Quant aux rôles du répertoire plus moderne, postérieur à Verdi, dans lesquels il jugeait que l’élégance ne pouvait être de mise, il ne les inscrivait pas à son réper-

toire. BATTUE. Matérialisation des temps de la mesure par un geste ou un bruit pour en assurer la transmission ou la régularité. Jusqu’au XVIIe siècle au moins, la battue se faisait par touchements du doigt ou tactus successifs, sans groupement en mesures : on comptait donc 1. 1. 1... Au XVIIe siècle, avec la généralisation des barres de mesure, on commença à grouper les battues par mesures (par exemple, 1. 2. 3. 1. 2. 3...), en donnant au geste de chaque temps une direction conventionnelle lui permettant d’être à tout moment identifié par les musiciens. Si la battue à 2 temps est aujourd’hui uniformisée, il n’en est pas de même des autres. À la française, la battue à 3 temps dessine dans l’espace un triangle. Celle à 4 temps dessine un angle droit : 1er temps de haut en bas, 2e de droite à gauche, 3e en retour de gauche à droite, 4e de bas en haut. À 5 temps, elle bat successivement une mesure à 3 temps et une mesure à 2 temps. À l’italienne au contraire, on ignore tous les mouvements latéraux et on ne quitte pas la ligne verticale. C’est la manière française qui est la seule enseignée dans les classes de solfège et de direction d’orchestre. La musique aléatoire a modifié, pour un secteur de la musique contemporaine, la pratique de la battue, en remplaçant tout ou partie de l’indication des temps par des signaux conventionnels, comportant notamment des indications de numéros de repère, excluant de la part du chef l’usage de la baguette. La main nue, parfois moins précise que la main tenant la baguette, apparaît en revanche plus expressive. Certains chefs, comme Pierre Boulez, ont systématiquement abandonné la baguette en toute circonstance, mais ne semblent pas avoir fait école sur ce point. BATTUTA. Terme italien pour « battue » et, par extension, pour « temps de la mesure », désignant également l’unité de battue, parfois différente de l’indication de mesure. Ritmo di tre battute indique par

exemple pour la pulsation un regroupement trois par trois des mesures, et non des temps, à chaque mesure correspondant une seule battue (trois battues par groupe de mesures) : cela implique un tempo très rapide. Le Molto vivace (deuxième mouvement) de la Neuvième Symphonie de Beethoven (1824), bien qu’écrit à 3/4, s’entend en ritmo a quattro battute (groupes de quatre mesures avec une battue par mesure, donc quatre battues par groupe) ; à partir de la mesure 177 débute en outre un passage faisant alterner ritmo a tre battute et ritmo a quattro battute. L’Apprenti sorcier de Paul Dukas (1897) est écrit à 3/8, mais se dirige d’un bout à l’autre a tre battute (« à trois battues », correspondant à un groupe de trois mesures). BATUQUE. Danse populaire brésilienne, fortement influencée par les rythmes africains, et se rapprochant de la samba ou de la matchiche. BAUDELAIRE (Charles), poète français (Paris 1821 - id. 1867). Orphelin de père dès l’âge de six ans, il supporte mal le remariage de sa mère. Après des études faciles mais indisciplinées, il se voit offrir par ses parents un tour du monde destiné à épuiser son dandysme excentrique. Mais il l’interrompt, revient à Paris et fréquente les milieux littéraires en même temps qu’il se lie à Jeanne Duval (1842). Sans se laisser arrêter ni par ses démêlés avec la censure (les Fleurs du Mal, 1857) ni par l’aggravation inexorable d’une maladie vénérienne, il downloadModeText.vue.download 79 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 73 produit avec fièvre : les Paradis artificiels (1860), le Spleen de Paris, l’Art romantique (1868). Mais sa santé décline brutalement. Hospitalisé en 1866, il connaît une longue et douloureuse déchéance, dont la mort le délivre un an plus tard. Son attitude envers la vie, fondamentalement romantique, sera érigée au rang de système par un Wagner. Rien d’étonnant à ce que Baudelaire, après le premier concert donné par ce dernier à Paris le 25 février 1860, ait écrit au compositeur (dont la vie res-

semble souvent à la sienne) une lettre demeurée célèbre, pour l’assurer de sa compréhension intime, lettre à laquelle Wagner répondit assez banalement. De même, lorsque l’année suivante Tannhaüser tomba à l’Opéra, Baudelaire publia-t-il dans la Revue européenne (1er avr. 1861) un article qu’il compléta ultérieurement, où il reprenait des thèmes chers : « la musique, capable de suggérer des idées analogues dans des cerveaux différents », réalise cette fusion des sons, des couleurs, des parfums, des espaces, des formes, dont rêvait déjà Hoffmann. Le poète est mort trop tôt pour participer, comme le feront plusieurs de ses amis, au triomphe de Wagner à Bayreuth. Mais en France, il a trouvé un compositeur fraternel en la personne d’Henri Duparc, lui aussi retranché du monde par la maladie et le doute sur sa création, et auquel on doit une Invitation au voyage et une Vie antérieure (1870) ouvrant grands les yeux sur la douleur, où le piano, seul, prolonge la vision. Au contraire, Debussy, qui aimait aussi Edgar Poe, s’est montré dans ses cinq poèmes (Recueillement, le Jet d’eau, la Mort des amants, le Balcon, Harmonie du soir, 1890) malhabile, trop jeune, trop peu inventif quant à la musicalité des mots. BAUDO (Serge), chef d’orchestre français (Marseille 1927). Il a fait ses études à Marseille, puis au Conservatoire de Paris, notamment avec L. Fourestier pour la direction d’orchestre. En 1966, il remplace Karajan à la Scala de Milan et dirige Pelléas et Mélisande. L’année suivante, il fonde avec Ch. Munch l’Orchestre de Paris, dont il assume la direction jusqu’en 1970. Il a été ensuite, de 1971 à 1987, directeur de l’Orchestre de Lyon (depuis 1984 Orchestre national de Lyon), qui, sous sa férule, est devenu une excellente formation. Serge Baudo a composé quelques oeuvres, dont les Danses païennes pour clarinette et percussion. Son successeur à Lyon est Emmanuel Krivine. BAUDRIER (Yves), compositeur français (Paris 1906 - id. 1988). Il s’orienta d’abord vers le droit, mais il découvrit que seule la musique pouvait lui apporter une possibilité d’évasion et une satisfaction spirituelle. Il devint alors élève de G. Lath, organiste du Sacré-Coeur. En

1936, il fonda le groupe « Jeune France » auquel s’associèrent Daniel Lesur, André Jolivet et Olivier Messiaen. Ces quatre musiciens allaient tenter de retrouver, pour leur art, les forces généreuses que connut jadis le romantisme de Berlioz. Baudrier, rejetant tout système d’écriture trop rigide, renouant en revanche avec les libertés rythmiques des anciens, se libéra de la tonalité sans s’enfermer dans un autre système. Ses compositions instrumentales ou vocales sont souvent fort sensibles, son style étant, en somme, celui de l’expression, d’une musique qui chante. Il a composé des pièces pour piano, deux quatuors à cordes (1939, 1941), de la musique symphonique (le Musicien dans la cité, 1936-37, rev. 1946 ; Partition trouvée dans une bouteille, mouvement symphonique, 1965), de la musique de films et des oeuvres vocales (Deux Poèmes de Tristan Corbière, 1939 ; Deux Poèmes de Jean Noir, composés au secret, 1944 ; Cantate de la Pentecôte, en collaboration avec M. Rosenthal et M. Constant, pour choeur de femmes et orchestre, 1950). BAUDRON (Antoine Laurent), violoniste et compositeur français (Amiens 1742 Paris 1834). Violoniste à la Comédie-Française (1763) puis directeur de son orchestre (1766), il collabora avec Beaumarchais et est probablement l’auteur du célèbre air « Je suis Lindor » inséré dans le Barbier de Séville (1775) et traité par Mozart en variations pour piano (K.354, 1778). Ses 6 Quartetti opus 3 (1768) sont considérés comme les premiers quatuors à cordes composés par un Français. BAUER (Harold), pianiste anglais naturalisé américain (Londres 1873 - Miami 1951). Il étudie d’abord le violon avant de se consacrer au piano en 1892, sur les conseils de Paderewski. En 1893, il commence une importante carrière à Paris et en Russie. Il joue aux États-Unis une première fois en 1900, avant de s’y installer en 1915. Il y fonde la Beethoven Association de New York, et se produit souvent avec Thibaud et Casals. Entre 1918 et 1941, il dirige une célèbre Société de musique de chambre. Il a été admiré par les plus grands compositeurs de son époque : Ravel lui dédie Ondine, il crée Children’s Corner de Debussy

en 1908 et le Quintette d’Ernest Bloch en 1925. Il a cependant excellé dans le répertoire romantique, où il affectionnait surtout Schumann, Brahms et Franck. BAUER (Marion), femme compositeur américaine (Walla Walla, Washington, 1887 - South Hadley, Massachusetts, 1955). Elle fit des études à Paris avec Nadia Boulanger, Raoul Pugno, André Gédalge ; à Berlin avec Paul Ertel, et aux États-Unis avec Pierre Monteux et Campbell-Tipton. Sa musique, considérée au début comme audacieuse à cause de ses sympathies impressionnistes (pièces pour piano, 1er quatuor), apparaît en fait néoclassique avec un goût pour les sonorités raffinées et les combinaisons instrumentales chatoyantes. Son oeuvre comporte des pièces symphoniques, dont deux symphonies, de la musique de chambre, des choeurs et de nombreuses pièces pour piano. On lui doit également une oeuvre de musicographe. BAUGÉ (André), baryton français (Toulouse 1893 - Paris 1966). Il débuta à Grenoble en 1912, puis à l’Opéra-Comique dans Frédéric de Lakmé (1917). Il acquit une grande popularité entre les deux guerres. Sa voix typiquement française de baryton aigu, légère mais sonore, et son aisance en scène firent de lui un excellent interprète de Figaro du Barbier de Séville de Rossini et du répertoire d’opérette (par exemple, des oeuvres de Messager, Monsieur Beaucaire). BAUMONT (Olivier), claveciniste français (Saint-Dié 1960). Il obtient deux premiers prix (clavecin et musique de chambre) au Conservatoire de Paris et se perfectionne ensuite auprès d’Huguette Dreyfus et de Kenneth Gilbert. En 1982, il réussit le concours de solistes de Radio France et enregistre son premier disque. Il est ensuite régulièrement invité par le festival de piano de La Roque-d’Anthéron, ainsi que par celui de Radio France et Montpellier, et donne plusieurs récitals au Japon et aux ÉtatsUnis. Il joue régulièrement à deux clavecins avec Davitt Moroney, accompagne le contre-ténor James Bowman, la soprano Jill Feldman, publie des articles de musicologie. En 1992, il prend la direction du

Festival Couperin de Chaumes-en-Brie. Il a enregistré l’intégrale de l’oeuvre pour clavecin de Rameau, ainsi que celle de Couperin. BAUR (Jurg), organiste et compositeur allemand (Dusseldorf 1918). Après des études à Cologne à la Musikhochschule, en particulier avec Philipp Jarnach (composition), et à l’université avec Karl Gustav Fellerer (musicologie), il devient professeur au conservatoire Schumann de Düsseldorf, puis directeur, depuis 1965, de cet établissement, ainsi que cantor et organiste à l’église SaintPaul (1952-1960). Son oeuvre reflète les influences successives de Reger, de Hindemith et de Bartok, puis de Schönberg. downloadModeText.vue.download 80 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 74 Il a écrit de la musique orchestrale, de la musique de chambre, des concertos et de la musique vocale (motets, lieder, dont un cycle : Herx stirb oder singe). BAX (sir Arnold), compositeur anglais (Londres 1883 - Cork, Irlande, 1953). Il fit ses études à partir de 1900 à la Royal Academy of Music. Ses premières oeuvres datent de 1903. Très doué, il transcrivait à vue n’importe quelle partition d’orchestre au piano. En 1910, il fit un court séjour en Russie et certaines de ses pièces pour piano en portent la trace. Mais, de sang à moitié irlandais, il imprégna avant tout ses oeuvres de l’amour de son pays et de l’attachement à la race celte, n’hésitant pas à s’inspirer du folklore dans ses compositions. Il participa d’autre part au mouvement littéraire nationaliste irlandais. On l’a nommé le « Yeats de la musique » à cause de son penchant pour un mysticisme coloré de romantisme. En 1941, il devint Master of the King’s Music. Bax a composé notamment des sonates pour piano, de la musique de chambre dont 3 quatuors à cordes, 7 symphonies (de 1922 à 1939), des poèmes symphoniques dont The Garden of Fand (1916) et Tintagel (1917), deux ballets, des choeurs et une cinquantaine de mélodies. BAYER (Joseph), compositeur, chef d’or-

chestre et violoniste autrichien (Vienne 1852 - id. 1913). Directeur des ballets à l’opéra de Vienne à partir de 1885, il est célèbre encore aujourd’hui pour son ballet Die Puppenfee (1888). BAYLE (François), compositeur français (Tamatave, Madagascar, 1932). Abandonnant une carrière d’enseignant pour compléter une formation musicale d’autodidacte à Darmstadt et auprès d’Olivier Messiaen et de Pierre Schaeffer, il est l’un des premiers membres du Groupe de recherches musicales de l’O. R. T. F., en 1958, avant d’en devenir, en 1966, après Pierre Schaeffer, le véritable responsable. Le G. R. M., en effet, doit beaucoup à son inlassable activité d’animateur, de programmateur, de semeur d’idées et d’initiatives. Dans la personnalité très riche de ce créateur, le penseur et le théoricien tiennent une place importante, apparente jusque dans le titre de certaines oeuvres. Celles-ci se nourrissent souvent des suggestions nées d’une fréquentation assidue des courants d’idées modernes (philosophie bachelardienne de la connaissance, théorie des arts plastiques chez Paul Klee, mathématiques de René Thom), assimilées et transposées par lui dans le domaine musical avec plus d’intuition que de méthode. Sa musique ne s’aventure jamais dans le rêve sans auteurs de chevet : ceux que nous avons cités, mais aussi Bataille, Lewis Carroll, les surréalistes. François Bayle se propose, armé de ces références, d’explorer par ses oeuvres la « genèse des formes et des mouvements sonores, la grammaire de leur formation, leur relation avec les événements du monde plastique ou psychique ». En témoigne une somme comme l’Expérience acoustique (1969-1972), oeuvre géante en 5 volets et 14 mouvements, qui est un des chefsd’oeuvre de la musique électroacoustique par la cohérence et l’unité de sa conception et la puissance et la diversité de son inspiration : une de ces « utopies de sons » que seuls, jusqu’ici, Pierre Henry et Stockhausen avaient su créer pour les haut-parleurs. Aussi maîtrisée, mais plus intime, est la suite en 17 mouvements Jeïta (1969-70), inspirée par une grotte du Liban, dont la première partie atteint une perfection, une concentration et une poésie dignes du plus grand Ravel. Remon-

tant dans le temps, on peut saluer avec les Espaces inhabitables (1967), inspirés de Bataille et de Jules Verne, la première cristallisation musicale des préoccupations théoriques qui devaient l’amener à cataloguer et à manier de plus en plus systématiquement les processus sonores repérés par lui comme appartenant en propre à la musique des haut-parleurs. Ce qui n’empêche pas ces oeuvres d’être foisonnantes d’images et de poésie et très séduisantes de couleurs. Mais les Vibrations composées (1973) et Grande Polyphonie (1974) semblent porter à la limite du dessèchement leur assurance de style, dans leur maîtrise un peu tendue, ce qui n’est pas le cas de Camera Obscura (1976), oeuvre-labyrinthe, ou d’Érosphère (1980), merveilleuse tapisserie musicale intégrant une oeuvre antérieure, Tremblement de terre très doux (1978), et renouant avec la poésie miroitante et scintillante de Jeïta. Dans cet itinéraire, une oeuvre à part met à jour plus explicitement le monde symbolique de François Bayle : c’est le Purgatoire (1972), d’après la Divine Comédie de Dante, second volet d’un triptyque commandé par le chorégraphe Vittorio Biagi, dont Bernard Parmegiani signait l’Enfer, et les deux compositeurs, le Paradis (1974). Interprétant librement le texte de Dante, lu par Michel Hermon, l’auteur en dégage le sens initiatique, invente, pour le placer au centre de son labyrinthe, le personnage de l’Ange-Feu, séducteur dangereux incarné par des flammèches et des pétillements sonores caractéristiques de Bayle, et conclut sur une très belle exaltation mystique de la résonance musicale pure, dont l’aimée Béatrice est le symbole. En 1983 ont été créés les Couleurs de la nuit pour bande et ordinateur (1982) et Son vitesse-lumière, version intégrale en 5 sections (1980-1983), et en 1990 Fabulae. BAYLERO. Chant du bayle « valet », en langue d’oc. Dialogue chanté, en partie improvisé autour de certaines notes invariables de la mélodie, échangé par les bergers de haute Auvergne se répondant d’un sommet à un autre. Joseph Canteloube a baptisé bailèro la première pièce de ses Chants d’Auvergne ; la mélopée chantée et le climat orchestral y évoquent un paysage immense et triste.

BAYREUTH. Petite ville de Haute-Franconie dans le nord de l’État de Bavière, célèbre pour son festival exclusivement consacré aux oeuvres de Richard Wagner. Provisoirement banni de Bavière en 1865, las des intrigues de cour et de la surveillance jalouse que son protecteur Louis II exerçait sur lui, Wagner renonça au projet, lancé en 1864 par ce souverain, de construire à Munich un théâtre destiné aux représentations de l’Anneau du Nibelung, mais non à ce rêve, qu’il caressait depuis longtemps, d’un théâtre bien à lui, où ses oeuvres pourraient être jouées d’une manière parfaite. Il se mit en quête. Bayreuth retint son attention : il s’y dressait un théâtre, l’opéra des Margraves, à l’acoustique réputée et dont la scène était l’une des plus vastes d’Allemagne. À l’examen, cet édifice, qu’il visita en avril 1871, ne lui convint pas. Mais la compréhension qu’il rencontra à Bayreuth le décida : c’est là qu’il édifierait son théâtre des festivals (Festspielhaus), spécialement destiné à servir de cadre aux représentations solennelles de l’Anneau, oeuvre dont les dimensions et le caractère exigeaient, selon lui, des conditions d’exécution totalement différentes de celles d’un opéra traditionnel. L’ambitieux projet de Wagner était celui d’une véritable école où les interprètes, par le biais de l’étude de ses ouvrages, apprendraient les fondements du théâtre lyrique moderne : avènement d’acteurs-chanteurs se substituant aux « gosiers » sacrifiant tout à « la » note, restauration de la conception initiatique du spectacle que Wagner croyait déceler dans la tragédie grecque. C’est dans cette perspective que, reprenant les principes qu’en accord avec lui l’architecte Gottfried Semper avait posés pour le projet de Munich, Wagner conçut un bâtiment aux caractéristiques révolutionnaires (quoique inspirées, pour certains traits, du théâtre de Riga où il avait travaillé dans sa jeunesse) : une salle d’environ 1 800 places en amphithéâtre, sans loges ni baignoires, étagée sur trente gradins, avec une visibilité parfaite pour tous les spectateurs ; un orchestre profondément enfoncé dans une fosse de six gradins, recouverte aux trois quarts par deux auvents de bois mince dont l’un, du côté de la scène, fait office de proscenium,

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DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 75 créant une fausse perspective qui trompe le spectateur sur la taille réelle des décors et même des personnages. Le fait de cacher l’orchestre répondait à deux préoccupations : d’abord, en supprimant cette source de lumière qui d’ordinaire s’interpose entre le public et le plateau, concentrer l’attention du spectateur sur le déroulement scénique ; ensuite, obtenir un son d’orchestre décanté, limpide, mal localisé, presque mystérieux, qui, jaillissant de l’invisible « abîme mystique », enveloppe idéalement les voix sans les masquer. À l’atmosphère sérieuse, fervente, ainsi recherchée, contribuent également l’austérité de la salle, sans dorure, sans ornement (elle était d’ailleurs considérée par Wagner comme provisoire ; les fonds disponibles avaient été utilisés en priorité pour créer un équipement scénique parfait, considéré, lui, comme définitif), l’inconfort des rudimentaires sièges de bois et le fait, nouveau pour l’époque, que la salle était plongée dans l’obscurité durant les représentations. L’école ne vit pas le jour, mais, dans l’édifice bâti grâce à la vente de cartes de patronage et, surtout, à une ultime et décisive aide de Louis II, le rideau se leva sur l’Or du Rhin, inaugurant un Anneau du Nibelung complet, en août 1876. L’événement, à la fois politique et artistique Guillaume II et l’empereur du Brésil y côtoyaient Liszt, Bruckner, Tolstoï, SaintSaëns, Tchaïkovski -, connut un succès rendu relatif par le déficit, qui interdit d’annoncer la date du festival suivant, et par l’indifférence du public d’opéra traditionnel. Le wagnérisme, pourtant, s’institutionnalisa cette année-là ; Nietzsche, voyant son ami accaparé par les associations « d’amateurs de bière, de peaux de bête et de Wagner », fuit Bayreuth à l’arrivée des premiers « pèlerins ». Six ans plus tard, la création de Parsifal (1882) fut accueillie avec déférence ; mais la mort de Wagner (1883) menaça la survie de Bayreuth. Parsifal fut joué en 1883 et 1884, mais des festivals isolés, arrachés au destin, n’avaient créé ni

une habitude ni une tradition. Cosima Wagner décida alors d’assumer l’héritage. Entourée d’une extraordinaire équipe de chefs d’orchestre (Hans Richter, Hermann Levi, Felix Mottl), elle présenta à tour de rôle l’ensemble des oeuvres principales du maître, du Vaisseau fantôme à Parsifal. Avec l’aide de son fils Siegfried (18691930) et d’un conseiller musical, Julius Kniese, elle fit de Bayreuth une institution où, conception radicalement neuve, mise en scène et chant comptaient autant l’un que l’autre. Longtemps, on accusa Cosima d’avoir favorisé la naissance d’une « race de hurleurs » (B. Shaw). Mais de grandes voix, comme Rosa Sucher, étaient alors aussi rares qu’aujourd’hui. Il est vrai cependant que Cosima, qui estimait honorer les chanteurs en les engageant et les payait fort peu (pratique qui s’est maintenue à Bayreuth jusqu’à nos jours), ne craignit jamais de sacrifier la beauté vocale sur l’autel de l’articulation « wagnérienne » obligatoire qu’elle avait instituée, déclamation inspirée du théâtre parlé. Soumis à ce style dont ils ne pouvaient enfreindre la moindre règle sous peine d’expulsion, les vedettes du Bayreuth de l’époque, Erick Schmedes, Ernest Van Dyck, Theodor Bertram, Ellen Gulbranson, purent sembler au public des voix moins « belles » que leurs rivaux Leo Slezak, Jacques Urlus, Emil Fischer, Lillian Nordica, Felia Litvinne, qui chantaient librement Wagner dans les autres théâtres. Assurément, l’intégrité de la fidélité de Cosima à certaines volontés réelles, ou supposées, de Wagner ôta aux chanteurs toute spontanéité, toute imagination, et supprima sur le plan scénique toute possibilité d’innovation. En 1907, Cosima abandonna la direction du festival à Siegfried. Celui-ci se contenta, jusqu’à la guerre, de maintenir les méthodes instaurées par sa mère. Après le conflit, il eut grand mérite à réunir les fonds nécessaires pour la reprise, qui eut lieu en 1924. Cette période se caractérise par la création d’une régie des éclairages, la simplification des décors et l’utilisation de projections, un style plus naturaliste et psychologique dans la direction d’acteurs, bref, un heureux compromis entre les théories d’Appia, que Cosima avait formellement rejetées et qu’il n’osa suivre totalement, et la tradition. Des chefs comme Karl Muck et Michael Balling, des chanteurs comme Nanny Larsen-Todsen et le chef des choeurs Hugo Rüdel l’aidèrent à

maintenir une haute qualité musicale et vocale. Les nouvelles productions de Tristan et Isolde (1927) et Tannhäuser (1930), qu’il mit en scène, furent critiquées par les passéistes, mais furent dans l’ensemble très admirées. Siegfried mourut en 1930, laissant à sa femme Winifred (1897-1979), depuis longtemps son assistante, un festival d’une tenue exemplaire, où pourrait briller la nouvelle génération de chanteurs wagnériens exceptionnels qui atteignait alors son apogée : Frida Leider, Alexander Kipnis, Friedrich Schorr, Lauritz Melchior, Lotte Lehmann, Emanuel List. Or, Bayreuth allait beaucoup changer. À mesure que l’Allemagne tombait sous la coupe du national-socialisme, de très nombreux artistes, imitant Toscanini dont la rupture avec Bayreuth (1933) fut éclatante, prenaient le chemin de l’exil. On ne trouva bientôt plus au festival que des chefs appréciés ou tolérés par le régime (Karl Elmendorff, Franz von Hoesslin, Wilhelm Furtwängler) et des chanteurs « protégés « : Max Lorenz, Franz Völker, Maria Müller, Margarete Klose, Jaro Prohaska, Ludwig Hofmann, Josef von Manowarda, Rudolf Bockelmann. Tous étaient au demeurant de remarquables acteurs-chanteurs, membres pour la plupart de l’opéra de Berlin dont le directeur, le chef d’orchestre et metteur en scène Heinz Tietjen (1881-1967), assura à partir de 1933 la direction artistique du festival. Avec l’aide du décorateur Emil Preetorius et du chef éclairagiste Paul Eberhardt, Tietjen créa un monde de symboles, d’archétypes, plus proche des réalisations ultérieures de Wieland et Wolfgang Wagner que du style de Siegfried. Toutefois, à travers cette forme nouvelle, Tietjen présenta un « message » de plus en plus ouvertement nationaliste. Hitler lui-même demeura relativement discret en raison de la sympathie aveugle, mais sincère, que lui vouait Winifred... mais Bayreuth était bel et bien devenu un temple culturel nazi, et si Germaine Lubin se flatte d’y avoir chanté Isolde en 1939, une Kirsten Flagstad préféra rejoindre au Metropolitan de New York tous les grands chanteurs exilés. La guerre limita l’activité du festival, l’écroulement du Reich l’interrompit en 1944. Touchée par la dénazification, Winifred dut céder la direction à deux de ses enfants, Wieland (1917-1966)

et Wolfgang (1919). En 1951, le théâtre rouvrit ses portes. Une production, mise en scène par Wieland, de Parsifal, qui fit scandale avant de devenir unanimement admirée au fil des années, inaugurait l’ère du « nouveau Bayreuth ». Les deux frères s’attachèrent à définir un style de scénographie systématiquement épuré, jouant de la lumière et de la couleur pour fouiller le sens profond des oeuvres. Wieland se montra symboliste et rigoureux, Wolfgang plus humain, plus coloré. Les productions les plus remarquées furent celles de Wieland (Tristan et Isolde, 1952 et 1962 ; les Maîtres chanteurs, 1956 ; l’Anneau du Nibelung, 1965) ; elles furent à leur tour violemment combattues par les passéistes, mais vite admises et même saluées comme des exemples, des jalons dans l’histoire du théâtre ; ces visions décapantes amorçaient une réflexion idéologique qui allait bien au-delà du simple renouvellement de style. Un tel travail, décisif pour l’avenir de l’art lyrique, ne fut possible qu’avec la fidèle collaboration des chefs d’orchestre Hans Knappertsbusch, Wolfgang Sawallisch, Karl Böhm, André Cluytens, Josef Keilberth, Rudolf Kempe, des chanteurs Wolfgang Windgassen Hans Hotter, Leonie Rysanek, Gustav Neidlinger, Josef Greindl, Astrid Varnay, Martha Mödl, Birgit Nilsson, Anja Silja, et du chef des choeurs Wilhelm Pitz. Wieland mourut en 1966, année où, appelé par lui, Pierre Boulez dirigeait son premier Parsifal. Wolfgang a, depuis, assumé seul la responsabilité suprême. Brisant heureusement le rêve de certains de transformer Bayreuth en « musée downloadModeText.vue.download 82 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 76 Wieland », il a, tout en poursuivant ses propres recherches, ouvert le Festspielhaus à des metteurs en scène aussi divers qu’August Everding (le Vaisseau fantôme, 1969 ; Tristan et Isolde, 1974), Götz Friedrich (Tannhäuser, 1972 ; Lohengrin, 1979), Patrice Chéreau (l’Anneau du Nibelung, 1976), Harry Küpfer (le Vaisseau fantôme, 1978 ; Parsifal, 1982). En même temps, il a renouvelé les distributions en appelant des chanteurs (René Kollo, Peter Hofmann, Gwyneth Jones, Franz Mazura, Heinz Zednick) ne répondant pas aux cri-

tères de puissance vocale que l’on associait au chant wagnérien depuis quelques dizaines d’années, mais capables d’affronter les exigences actuelles de la recherche et de la sincérité théâtrales. Ainsi Bayreuth demeure-t-il, comme à ses origines, un lieu d’avant-garde, un phare du théâtre contemporain. Wolfgang a confié à Norbert Balatsch la difficile succession de Wilhelm Pitz, à la tête des choeurs (qui sont une élite recrutée essentiellement dans les théâtres allemands, ainsi qu’à l’étranger), et mis l’orchestre (qui est une sélection de musiciens des orchestres d’opéra et de radio des deux Allemagnes) entre les mains de personnalités aussi exigeantes et aux conceptions wagnériennes aussi peu sclérosées que Pierre Boulez, Carlos Kleiber, Colin Davis ou Silvio Varviso. Wolfang, en accord avec sa mère, a définitivement assuré l’avenir du festival en suscitant la création, en 1973, d’une Fondation Richard Wagner (Richard Wagner Stiftung Bayreuth), qui, légataire des biens matériels et spirituels de la famille Wagner, est chargée de les gérer. Cette fondation regroupe la République fédérale d’Allemagne, l’État de Bavière, la Fondation régionale bavaroise, le district de Haute-Franconie, la Fondation de HauteFranconie, la ville de Bayreuth, la Société des amis de Bayreuth et les membres de la famille Wagner. Il a, enfin, développé les Rencontres internationales pour la jeunesse, nées en 1951, qui organisent, parallèlement au festival, des séminaires, des conférences, des ateliers de jeunes interprètes. Le succès du doyen des festivals ne se dément pas et s’est élargi aux dimensions du monde grâce à une intelligente collaboration avec la radio, le disque et, plus récemment, l’audiovisuel. BAZIN (François), compositeur français (Marseille 1816 - Paris 1878). Élève d’Auber et d’Halévy, il obtint le second grand prix de Rome en 1839, derrière Gounod, puis le premier, en 1840. Ses envois de Rome {Messe solennelle, oratorio la Pentecôte, Psaume CXXXVI) et le début de sa carrière furent consacrés à des oeuvres religieuses d’une très belle facture. Il se tourna ensuite vers le théâtre lyrique et écrivit des partitions tenant de l’opéra-comique et de l’opéra bouffe : petites oeuvres en 1 acte dont certaines, comme Maître

Pathelin (1856), connurent le succès. Sa seule oeuvre plus développée, le Voyage en Chine (1865), jouit d’une grande popularité pendant plusieurs dizaines d’années. Il devint professeur au Conservatoire de Paris en 1844, et membre de l’Académie des beaux-arts en 1872. BEAT. Mot anglais désignant d’une manière générale les temps de la mesure, mais aussi, dans le jazz, la qualité du tempo par rapport aux critères propres à ce type de musique. Lorsque la partie de basse comporte régulièrement quatre noires par mesure, on parle d’un four-beat rhythm ; en revanche, si la deuxième noire n’est que sous-entendue, il s’agit d’un two-beat rhythm. Ces deux systèmes opposés peuvent se succéder au cours d’une même exécution. BEAUFILS (Marcel), critique et esthéticien français (Beauvais 1899 - id. 1985). De formation universitaire, excellent germaniste, orienté vers les recherches touchant à l’esthétique (il a été professeur d’esthétique musicale au Conservatoire de Paris), Beaufils est un des rares critiques qui ont traité avec bonheur ce difficile sujet que constituent les rapports du mot et de la musique. Son ouvrage sur le Lied romantique allemand (Paris, 1956) est particulièrement remarquable. Citons encore Wagner et le Wagnérisme (Paris, 1947), la Musique de piano de Schumann (Paris, 1951), Musique du son, musique du verbe (Paris, 1954) et la Philosophie wagnérienne : de Schopenhauer à Nietzsche (in Wagner, ouvr. collectif, Paris, 1962). BEAUJOYEUX (Baldassaro DA BELGIOIOSO ou Baltazarini DI BELGIOIOSO, dit Balthazar de),violoniste et chorégraphe italien (Piémont début du XVIe s., - Paris v 1587). Il arriva à Paris vers 1555 dans la suite du maréchal de Brissac. Catherine de Médicis l’accueillit à la Cour, le nomma violoniste de la Chambre et fit de lui son premier valet de chambre. Responsable des divertissements de la Cour, il est connu surtout pour avoir conçu en France le premier ballet de cour fondé sur un argument suivi et préfigurant l’opéra. Il organisa avec bonheur, à l’occasion du mariage du duc de Joyeuse avec mademoiselle de Vaudémont le 15 octobre 1581, le grandiose spectacle intitulé Ballet comique de la

Royne (à l’origine Ballet de Circé) qui comportait des chants, des danses, des machines et des intermèdes instrumentaux, mais il ne semble pas avoir participé à la composition de sa musique due à Lambert de Beaulieu et à Jacques Salmon. BEAUMARCHAIS (Pierre Augustin Caron de), écrivain français (Paris 1732 id. 1799). Quoiqu’il ait enseigné les rudiments de la musique, et, en particulier, de la guitare, aux trois filles de Louis XV, écrit le livret d’un opéra, Tarare, mis en musique par Salieri (Paris, 1787), et composé de nombreuses romances (paroles et musiques), ses rapports avec la musique se fondent principalement sur ses comédies, le Barbier de Séville (1775) et le Mariage de Figaro ou la Folle Journée (d’abord interdite par Louis XVI et enfin représentée en 1784). Les intrigues à l’italienne de ces deux oeuvres courageuses, qui s’attaquaient aux privilèges, ont inspiré divers musiciens. En particulier, Mozart (1786) s’empara de la seconde, et Paisiello (1782), puis Rossini (1816) triomphèrent grâce à la première, que Beaumarchais avait d’ailleurs dès l’origine conçue comme un opéra-comique, et pour laquelle il avait lui-même écrit de la musique. BEBUNG (allemand pour « tremblement »). Effet produit au clavicorde en faisant osciller le doigt sur la touche à peu près comme les instrumentistes à cordes pour produire un vibrato. BEC. Embouchure de certains instruments à vent de la famille des bois. Dans la flûte douce (ou flûte à bec), c’est un court sifflet à biseau qui produit à lui seul la vibration initiale. Dans les instruments à anche simple (clarinettes, saxophones), le bec consiste en un cône allongé et aplati dont la partie inférieure évidée, appelée « table », est recouverte par l’anche qu’une « ligature » métallique maintient en place. Les becs de clarinette, autrefois taillés dans du bois dur, puis réalisés en ébonite, sont aujourd’hui coulés dans de la matière plastique, dont la stabilité est très supérieure. Il existe aussi, pour le jazz, des becs de saxophone en métal

inoxydable. BÉCARRE. Dans l’usage actuel, signe de notation musicale qui précise que la note à laquelle il s’applique n’est pas altérée et qui annule les altérations ayant pu antérieurement affecter cette note. Comme les autres signes d’altération, le bécarre se place normalement avant la note qu’il affecte, et peut aussi s’employer en armature ou en chiffrage. Dans la musique sérielle, on a pris pour règle de placer un bécarre devant toute note naturelle, même s’il n’y a pas d’altération antérieure à annuler, afin d’éviter qu’une graphie différente ne suggère une différence de traitement entre notes naturelles et notes altérées. downloadModeText.vue.download 83 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 77 Les solfèges un peu anciens prescrivent, si l’on veut changer l’altération d’une note, par exemple affecter un bémol à une note subissant l’effet d’une altération par un dièse, de mettre d’abord un bécarre d’annulation ; on renonce aujourd’hui à cette complication inutile. Dans l’ancienne solmisation, le sens du bécarre était assez différent de celui qu’il a aujourd’hui ( ! BÉMOL). Sa graphie initiale était celle du bémol : un b minuscule, mais dont on prenait soin d’anguler la boucle ( , b carré, d’où bécarre, s’opposant à b, b arrondi, « mol », d’où bémol). Puis la différence de graphie apparut insuffisante et, pour éviter les confusions, on ajouta un petit trait descendant prolongeant la partie droite du « carré « : telle est encore sa forme actuelle ( ). Mais, jusqu’au XVIe siècle, il ne fut pas fait de véritable différence entre le bécarre et le dièse. BECERRA-SCHMIDT (Gustavo), compositeur chilien (Temuco 1925). Il a fait des études à l’université et au conservatoire de Santiago où il a eu pour professeurs Pedro Allende, Domingo Santa-Cruz et Carvajal. Professeur à l’université du Chili depuis 1947, il a été directeur de l’Institut de diffusion musicale (1959-1963) et de la télévision universitaire (1964). D’abord néo-classique à

tendance folklorisante son style a évolué vers un modernisme éclectique non dépourvu de fantaisie (dans Juegos. il utilise, avec un piano et une bande enregistrée, des balles de ping-pong et des briques). Il est l’auteur de 3 symphonies, de concertos pour piano et pour guitare, de pièces de musique de chambre, dont 7 quatuors à cordes, de pages vocales (Machu Picchue, oratorio ; Llanto por el Hermano solo) et de compositions obéissant à des formules variées (Responso para José Miguel Carrera pour voix, quintette avec piano et percussion, etc.). BECHSTEIN (Friedrich Wilhelm Carl), facteur de pianos allemand (Gotha 1826 - Berlin 1900) . Après avoir travaillé avec divers facteurs de pianos, allemands ou français, il fonda sa propre maison à Berlin en 1853, puis créa des succursales à Londres, Paris et Saint-Pétersbourg. Les grands pianos de concert Bechstein étaient particulièrement réputés à l’époque romantique. La fabrique fut reprise par ses fils Edwin et Carl. BECK (Conrad), compositeur suisse (Lohn, Schaffhouse, 1901 - Bâle 1989). Élève de Volkmaar Andreae et de Reinhold Laquai à Zurich, puis de Nadia Boulanger au cours d’un long séjour à Paris (19231932), il reçoit également les conseils d’Honegger, Ibert et Roussel. Directeur de la section musicale de Radio-Bâle à partir de 1939, il est l’auteur d’une oeuvre importante, dont les caractères, proches de Hindemith et du néoclassicisme jusqu’en 1940, ont évolué ensuite vers un lyrisme plus détendu (jusqu’en 1950), et, plus tard encore, vers une syntaxe claire et sobre. Son oeuvre unit le souci d’une polyphonie stricte à celui d’une pureté de lignes, d’une simplicité qui se rapproche parfois d’éléments folkloriques. Il est l’auteur de 7 symphonies, 12 concertos, du poème symphonique Innominata, de 4 quatuors et 2 trios à cordes, de sonates pour différents instruments, d’oratorios (Angelus Silesius ; Der Tod zu Basel), de cantates (la Mort d’OEdipe ; Die Sonnenfinsternis), d’un Requiem, etc . BECK (Franz), compositeur allemand (Mannheim 1734 - Bordeaux 1809).

Élève de J. Stamitz, il dut quitter sa ville natale à la suite d’un duel, étudia à Venise avec Galuppi, puis se rendit à Naples et de là en France. En 1757 déjà, on entendit à Paris des symphonies de lui. Il séjourna à Marseille, et, dès 1761, se trouvait à Bordeaux, ville où il fut organiste et chef d’orchestre, et qui devait rester sa résidence principale. En 1783, il fut appelé à Paris pour diriger son Stabat Mater, oeuvre longtemps inaccessible (partition en possession privée), mais finalement entendue à Bordeaux en 1996. On lui doit notamment l’opéra la Belle Jardinière (Bordeaux, 1767), le mélodrame l’Île déserte, une musique de scène pour Pandore (Paris, 1789), quelques hymnes révolutionnaires, et, surtout, une trentaine de symphonies dont celles parues en quatre groupes de six, sous les numéros d’opus 1 à 4, de 1758 à 1766, date après laquelle il ne publia plus rien. Ces oeuvres subjectives et très intéressantes sur le plan formel font de lui un des plus grands représentants, injustement ignoré, du style de Mannheim. BECK (Jean Baptiste), musicologue alsacien (Guebwiller, Haut-Rhin, 1881 - Philadelphie, États-Unis, 1943). Docteur en théologie de l’université de Strasbourg, il se fixa, en 1911, aux ÉtatsUnis, où il enseigna dans plusieurs universités. Dès 1907, ses travaux portaient sur la lyrique médiévale. Appliquant aux chants de trouvères la doctrine des modes rythmiques échafaudée par les théoriciens du XIIIe siècle, il professa que les rythmes de ces chants dérivent de la métrique des poèmes. Dans ce domaine, ses résultats sont analogues à ceux de Pierre Aubry. On doit à Jean Beck d’excellentes éditions de chants de trouvères et de troubadours : Corpus cantilenarum Medii Aevi (Paris Philadelphie, 1927-1938). BECKERATH (Rudolf von), facteur d’orgues allemand (Munich 1907 - Hambourg 1976). Son importante manufacture, fondée en 1949 et établie à Hambourg, a restauré des instruments anciens et construit des orgues de style classique, à traction mécanique, en Europe du Nord, aux États-Unis et au Canada. BECKWITH (John), compositeur canadien (Victoria, Colombie britannique,

1927). Il a fait ses études musicales à Toronto avec Alberto Guerrero et à Paris avec Nadia Boulanger. Pédagogue, pianiste et critique musical, établi à Toronto, fidèle à l’esthétique néoclassique et abordant tous les genres, il est l’auteur d’une oeuvre abondante comprenant en particulier des partitions pour orchestre, des opéras de chambre (Night blooming Cereus, The Shivaree), une musique de scène (The Killdear, pour piano préparé), de la musique de chambre et un grand nombre de pièces vocales. BÉCLARD D’HARCOURT (Marguerite), femme compositeur et musicologue française (Paris 1884 - id. 1964). Formée à la Schola cantorum, elle composa notamment un drame lyrique (Dierdane, 1941), un ballet (Raïmi ou la Fête du soleil, 1926), Trois Mouvements symphoniques (1932) et des oeuvres de musique de chambre où, à l’exemple de son maître Maurice Emmanuel, elle utilisa les ressources du langage modal. Elle orchestra le Mariage de Moussorgski et le Poème du Rhône, oeuvre posthume de M. Emmanuel. Elle est connue surtout pour ses travaux sur la musique des Incas et sur la chanson française au Canada. BEDFORD (David), compositeur anglais (Londres 1937). Né dans une famille de musiciens, il choisit très tôt sa voie et entre à la Royal Academy of Music, où il étudie avec Lennox Berkeley. Il est sensible au langage de Schönberg. En 1961, une bourse lui permet d’aller suivre des cours avec Luigi Nono à Venise. Il visite les studios électroniques de Milan en 1962, et subit aussi l’influence de Maderna. Bedford aime travailler avec les musiciens du monde de la « pop music », tels que Kevin Ayers et Mick Taylor des Rolling Stones. Cette collaboration débouche, par exemple, sur Star’s end (1974) pour 2 guitares électriques, un percussionniste « pop » et orchestre symphonique. Il a composé egalement des oeuvres pouvant être jouées par des enfants et des amateurs. La musique de Bedford est originale, mais, quoique très élaborée, elle n’a jamais l’apparence de la complication. Le compositeur aime puiser son inspiration dans un texte (Tentacles downloadModeText.vue.download 84 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 78 of the dark nebula, d’après une nouvelle de science-fiction d’Arthur Clarke). Une certaine élégance, héritée sans doute de Berkeley, caractérise son oeuvre et, comme celle de son maître, la musique de Bedford ne révèle pas toutes ses qualités à la première approche. Mentionnons encore Piece for Mo, une oeuvre pour choeur et orchestre, Star clusters, nebulae and places in Devon, et deux symphonies (1981, 1986). BEDINGHAM (John), compositeur anglais (XVe s.). Vivant à l’époque de la guerre de Cent Ans, ce musicien voyagea probablement sur le continent, puisque c’est là qu’ont été trouvées, dans des manuscrits, quelques oeuvres qui lui sont dues. Il est l’auteur de la messe cyclique Deuil angouisseux, qui se sert d’une ballade de Gilles Binchois, de 4 chansons (O rosa bella, le Serviteur, Grand Temps, Mon seul plaisir), et de quelques motets. Les solutions qu’il fournit aux problèmes posés par les règles strictes de l’écriture de l’époque en font un précurseur. BEDOS DE CELLES (dom François), moine bénédictin et facteur d’orgues français (Caux, Hérault, 1709 - abbaye de Saint-Denis 1779). Constructeur de l’orgue de l’abbaye de Sainte-Croix de Bordeaux, il fut surtout un expert de premier plan et eut à connaître toutes les grandes réalisations de son temps. Il consigna le fruit de son expérience pratique et de ses connaissances théoriques en un monumental traité, l’Art du facteur d’orgues (3 vol., 1766-1778), qui demeure aujourd’hui l’ouvrage de base inégalé en ce domaine, réédité et étudié par tous les facteurs d’orgues. BEECHAM (sir Thomas), chef d’orchestre anglais (Saint-Helens, Lancashire, 1879 Londres 1961). De formation autodidacte, il joua un rôle de premier plan dans la vie musicale britannique durant plus d’un demisiècle, donnant son premier concert en 1899 et le dernier en 1960. Outre ceux

qu’il réorganisa, il ne fonda pas moins de trois orchestres, dont les deux derniers existent toujours : le Beecham Symphony Orchestra en 1909, l’Orchestre philharmonique de Londres en 1932 et le Royal Philharmonic Orchestra en 1946. En 1910, il présenta sous sa propre responsabilité artistique et financière deux saisons à Covent Garden au cours desquelles furent créées en Angleterre Elektra et Salomé de Richard Strauss. Il dirigea également en 1913 la première londonienne du Chevalier à la rose et organisa cette année-là et en 1914 deux grandes saisons d’opéras et de ballets russes avec, notamment, la première apparition en Angleterre de Serge de Diaghilev. Cette première période à Covent Garden prit fin en 1919, non sans qu’ait été fondée, dans l’intervalle, la Beecham Opera Company (1915). Après une retraite de quelques années due à des embarras financiers, Beecham fit sa réapparition en 1923, et en 1929, consacra un festival entier à Frederick Delius, compositeur dont il se fit toujours une spécialité. En 1932, la fondation de l’Orchestre philharmonique de Londres et son retour à Covent Garden, dont il fut le maître unique et incontesté de 1936 à 1939, lui assurèrent une position unique. Ces années furent marquées par de mémorables représentations d’opéras et par des concerts tout aussi mémorables, parmi lesquels le festival Sibelius de 1938. De 1940 à 1944, Beecham vécut surtout aux États-Unis et dirigea au Metropolitan Opera de New York. Il passa ses quinze dernières années à la tête du Royal Philharmonic Orchestra, et, au terme de sa carrière, avait dirigé plus de 70 opéras différents. Célèbre pour sa répartie et son sens de l’humour, dont il usait parfois sans ménagement, admiré pour son panache, pour son style incisif mais d’une suprême élégance, il vécut en grand seigneur en témoignant toujours d’un goût particulier pour la musique française, de Grétry et Méhul à Fauré et Debussy, et, notamment, pour Berlioz, dont il fut un des très grands interprètes. « Je donnerais tous les Brandebourgeois pour Manon de Massenet, sûr et certain d’avoir largement gagné au change », lança-t-il un jour comme boutade. Il excella aussi dans Haendel,

Haydn, Mozart, Schubert, Bizet, Wagner, Puccini, Richard Strauss, Sibelius, et n’eut pas son égal, comme en témoignent de nombreux enregistrements, pour insuffler dynamisme et feu intérieur aux compositeurs qui suscitaient en lui « joie de vivre, et, qui plus est, fierté de vivre ». On lui doit une autobiographie (A Mingled Chime, Londres, 1944) et un livre sur Frederick Delius (Londres, 1959). BEECKE (Franz Ignaz von), compositeur allemand (Wimpfen-im-Talg 1733 - Wallerstein 1803). Membre, avec le jeune Dittersdorf, de la chapelle du prince von Sachsen-Hildburghausen, il entra chez les Oettingen-Wallerstein en Bavière en 1759 ou en 1760, et poursuivit au service de cette famille princière une carrière à la fois musicale (il composa plusieurs symphonies), administrative et militaire, atteignant en 1792 le grade de major. En 1766, il rencontra les Mozart à Paris. BEECROFT (Norma) femme compositeur canadienne (Oshawa 1934). Elle étudie au conservatoire de Toronto avec John Weinzweigz à Rome avec Petrassis à Tanglewood avec Copland et Lukas Foss, à Darmstadt avec Madernaz et s’initie aux techniques électroacoustiques à Toronto avec Myron Schaeffer et à Princeton avec Mario Davidovsky Assistante, puis productrice à la radio canadienne (1963-1969), elle déploie une grande activité en faveur de la musique contemporaine. Attirée au début par la technique sérielle, elle y a joint peu à peu des éléments électroacoustiques. On trouve dans son oeuvre des pages destinées à des formations instrumentales - traditionnelles ou insolites - et d’autres utilisant l’apport électroacoustique (From Dream of Brase pour récitant, soprano, choeurs, orchestre et bande ; Eleg, Undersea Fantasy, etc.) BEETHOVEN (Ludwig van), compositeur allemand (Bonn 1770 - Vienne 1827). On trouve la trace d’ancêtres de Beethoven à Malines et à Louvain (Belgique), des cultivateurs devenus citadins. Le nom signifie littéralement « jardin aux betteraves » et la particule « van » n’a point de sens nobiliaire. C’est à Malines que naquit, en 1712, le premier Beethoven musicien, « Ludwig l’Ancien ». Il s’installa à Bonn

comme Hofmusikus du prince-archevêque. Johann, son seul enfant demeuré en vie, lui succéda à la chapelle princière comme ténor ; ce dernier épousa, en 1767, Maria Magdalena Keverich, fille du chef cuisinier du prince électeur de Trèves, femme douce et résignée, qui devait mourir de tuberculose en 1787. De leurs sept enfants, trois seulement survécurent. Ludwig, le deuxième des sept et l’aîné des trois frères survivants, naquit le 16 ou 17 décembre 1770 dans leur pauvre logis de la Bonngasse. UN TALENT PRÉCOCE ET HORS DU COMMUN. L’enfance de Beethoven ne fut pas heureuse, quoiqu’on ait exagéré les cruautés de Johann à l’égard de son fils qu’il voulait « enfant prodige » comme Mozart. Ses premiers maîtres furent selon l’occasion : Tobias Pfeiffer, ténor dans une troupe ambulante, le violoniste Rovantini, le vieil Aegidius Van der Eeden, organiste de la Cour. Christian Gottlieb Neefe, successeur de ce dernier, doit être considéré comme le premier maître sérieux de Beethoven. L’enfant fit de tels progrès sous sa férule qu’il reçut à douze ans un titre d’organiste suppléant, rétribué et investi de responsabilités croissantes, tandis que le père s’enfonçait dans l’alcoolisme et la déchéance. C’est à cette époque que Beethoven déserta de plus en plus le domicile paternel pour celui, accueillant et chaleureux, de la famille von Breuning, qui allait être son foyer d’élection. downloadModeText.vue.download 85 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 79 Très vite, le rayonnement de son talent dépassa ce cercle amical ; le comte Waldstein, favori du nouveau prince électeur libéral Max Franz, obtint que Beethoven effectuât un voyage d’études à Vienne. De ce premier séjour (du 7 au 20 avril 1787 environ), on ne sait pas grand-chose. La rencontre avec un Mozart tout absorbé par la composition de Don Giovanni et méfiant à l’égard des jeunes prodiges, semble être restée sans résultat : ni enseignement ni consécration - des encouragements peutêtre. Beethoven revint à Bonn pour assister à la mort de sa mère, tandis que son père sombrait tout à fait dans l’éthylisme. Johann et Kaspar, les plus jeunes frères,

étaient alors à la charge de Ludwig (ils ne le lui pardonnèrent pas). De cette époque (1790) datent les cantates pour la mort de Joseph II, pour l’avènement de Léopold II, non jouées « à cause de leurs difficultés », oeuvres assez conventionnelles dont les maladresses laissent cependant présager un grand musicien. Aussi, lorsque Haydn les vit, lors d’un passage à Bonn, il invita le jeune Beethoven à faire des « études suivies » avec lui. Le fidèle Waldstein intervint une nouvelle fois et Beethoven quitta définitivement Bonn pour Vienne, le 2 novembre 1792. « Recevez des mains de Haydn l’esprit de Mozart », écrit Waldstein dans son album. LE PIANISTE DE L’ARISTOCRATIE VIENNOISE. Vienne, capitale du monde germanique, ville de cours, de palais et de faubourgs champêtres, était une ville de mode et de plaisirs, obstinément traditionaliste, résolument superficielle. Terre de génies, elle accueillit Beethoven d’abord avec grâce. D’emblée, il fut adopté par l’aristocratie mélomane : Lichnowsky, Lobkowitz, Schwarzenberg, Zmeskall von Domanovecs furent parmi les souscripteurs des 3 trios op. 1 (1794-95), oeuvres déjà marquées par la personnalité, sinon le style du jeune musicien. Avec les 3 sonates op. 2 pour piano (1795-96), dédiées à Haydn, Beethoven rendit à son ancien maître un unique hommage officiel. Ses études avec lui avaient été assez sporadiques : l’exemple de ses oeuvres lui fut bien plus profitable que ses leçons de contrepoint. Beethoven fréquenta, non moins sporadiquement, d’autres maîtres : Schenk, Albrechtsberger, Salieri ; il acquit rapidement, chez l’un ou l’autre, les connaissances techniques qui lui étaient nécessaires. En 1795, il était déjà en pleine possession de son métier, de sa personnalité, d’une virtuosité de pianiste hors du commun, comme en témoigne son premier grand concert viennois, en mars 1795, où il joua un concerto de Mozart, avec des cadences de sa composition, et une des versions primitives de son propre 1er concerto (publié plus tard comme 2e). Mais le domaine où le génie de Beethoven s’affirma déjà conquérant, irrésistible, ce fut, au dire de tous les témoins de l’époque, celui des improvisations au piano où il déchaînait son imagination sans entraves. Beethoven habitait alors chez le prince Lichnowsky et se produisait dans tous les salons viennois, arrachant

« larmes » et « sanglots » (Czerny) à ses auditeurs bouleversés. UNE PENSÉE NOVATRICE. Dans les sonates op. 7, op. 10 pour piano (1796-1798), dans celle notamment en ré majeur, Beethoven fit entendre, déjà et d’emblée, la modernité de son génie, ses audaces, ses dissymétries, sa force dramatique inouïe : le largo e mesto de cette sonate op. 10 no 3 en est le surprenant témoignage. Tous les éléments du langage musical s’associent là, selon des modes nouveaux, en des structures où les anciennes hiérarchies sont bouleversées, les convergences harmoniques, rythmiques, dynamiques contestées. Les sonates suivantes, op. 13 Pathétique, op. 26 et 27, font éclater la menace beethovénienne sur la forme traditionnelle : bouleversements au niveau du dualisme thématique et des développements, mise en question de l’ordonnance des mouvements (sonate op. 27 Quasi una fantasia). Les 6 quatuors à cordes op. 18, publiés en 1801 (notamment, le premier composé, op. 18 no 3), attestent également cette pensée novatrice qui associe les lignes de force musicales selon des critères libres : oppositions de registres, de masses, d’intensités, contrastes brutaux, raffinements extrêmes. Le 6e quatuor (avant-dernier dans l’ordre de composition) fait entendre dans son adagio, intitulé la Malinconia (« la mélancolie »), l’une des pages les plus saisissantes de la musique, un développement halluciné et hallucinant d’harmonies sans polarité, de forces contradictoires, qui annonce le Beethoven des dernières années. Ces premières années viennoises furent les plus heureuses de Beethoven : succès, faveur des princes, amitiés profondes et durables avec Wegeler, Ries, Amenda, Zmeskall, le violoniste Schuppanzigh, inlassable pionnier de sa musique. Mais voici que, en 1801, dans deux lettres du mois de juin à Wegeler et à Amenda, qui avaient quitté Vienne, l’ombre apparut : Beethoven dévoilait ce qu’il cachait à tous depuis un certain temps - sa surdité naissante, croissante, bientôt irrémédiable. Son désespoir sembla momentanément apaisé - ou plutôt différé - par l’entrée dans sa vie « d’une jeune fille bien-aimée « : Giulietta Guicciardi, dont le charme frivole, à dix-sept ans, conquit

Vienne ; Beethoven lui dédia la sonate op. 27 no 2, dite Clair de lune. De ce que fut cet amour réellement, des sentiments de l’un et de l’autre, nous ne savons rien, et tout le reste est légende. Toujours est-il que Giulietta épousa le comte Gallenberg et laissa Beethoven à la solitude et au désespoir, que traduisit, en 1802, un document poignant : le « testament d’Heiligenstadt ». L’idée de suicide hanta Beethoven : « C’est l’art et lui seul qui m’a retenu », écrivit-il. Lorsqu’il quitta sa retraite d’Heiligenstadt et rentra à Vienne, il avait sur sa table le manuscrit achevé de la 2e symphonie, dont la gaieté et l’entrain déjouent l’idée d’identité ponctuelle entre oeuvre et vie, chère aux commentateurs ; le 1er mouvement de la 3e symphonie était aussi esquissé. Dès la 1re symphonie, Beethoven avait manifesté l’audace de son génie. Dans la forme d’abord : le ton d’ut majeur n’est atteint qu’au terme d’une pérégrination harmonique de 12 longues mesures adagio, « anacrouse formelle » que l’on retrouve amplifiée dans la 2e symphonie (33 mesures adagio précèdent l’allegro initial). Dans l’orchestration ensuite : la suprématie hiérarchique des cordes y est contestée par une véritable promotion des instruments à vent (la critique reconnut ce fait en lui reprochant d’écrire « de la musique militaire »). Dans la 3e symphonie, achevée au début de 1804, la pensée orchestrale novatrice de Beethoven était à son point culminant : le timbre entre de plein droit dans l’architecture musicale, associé aux métamorphoses harmoniques, formant ce que l’on pourrait appeler des « modulations de timbre », dont voici un exemple extrait du 1er mouvement : mi bémol majeur/fa majeur/ré bémol majeur Violoncelles/Cor en fa/Flûte-violons en si bémol majeur/mi bémol majeur 2 flûtesaltos-basses/Tout l’orchestre. Dans le mouvement lent, marche funèbre, le timbre est associé aux rythmes en d’étranges alliages, sombres ou d’une clarté tranchante : ces associations inouïes créent le climat dramatique du morceau. Quant au mouvement final, il est bâti sur le thème du finale du ballet de Prométhée op. 43 et se déroule ostinato en 12 variations qui mettent entre parenthèses la forme traditionnelle du rondo. Le contexte historique de ce chef-d’oeuvre a fait couler beaucoup d’encre ; on sait que Beethoven, républicain convaincu dès

1798, l’avait dédié à Bonaparte, en qui il voyait l’égal des grands consuls romains. En apprenant que Bonaparte s’était fait sacrer empereur, il entra en grande fureur, déchira la page de dédicace et donna à son oeuvre le titre définitif de Sinfonia eroica. DE FIDELIO À LA PASTORALE. Pendant toute l’année 1804, Beethoven travailla à son unique opéra, Fidelio, d’abord intitulé Léonore, et dont le sujet, à la gloire de l’amour conjugal, dû au dramaturge français Bouilly, fut remanié plus tard par Treitschke. Achevé en 1805 et créé le 20 novembre dans une Vienne envahie par les troupes de Napoléon, dedownloadModeText.vue.download 86 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 80 vant un parterre clairsemé (presque tous les Viennois avaient fui), ce fut un échec complet. Sur l’insistance de ses amis, Beethoven consentit à d’importantes redistributions et coupures dans la partition, et fit représenter l’oeuvre, à nouveau, le 29 mars 1806. L’accueil fut meilleur. Ce n’est que huit ans plus tard que, retravaillé de fond en comble, l’opéra reçut sa forme définitive et connut le succès. On peut considérer Fidelio comme la préfiguration du drame musical moderne, tant par la liberté dans l’écriture des parties vocales et la consonance immédiate de la parole et de la musique que par le rôle capital dévolu à l’orchestre, véritable lieu théâtral d’où s’élèvent et rayonnent, en profonde unité, les voix. De ces années extrêmement fécondes (1804-1808) datent la 4e symphonie, la sonate op. 53, dédiée à Waldstein, d’une écriture pianistique révolutionnaire dans le domaine de la couleur, la grandiose sonate op. 57 Appassionata, le concerto pour violon, le 4e concerto pour piano dédié à l’archiduc Rodolphe, nouvel élève et ami de Beethoven, ainsi que les 3 quatuors op. 59 commandés par le prince Razoumovski, ambassadeur de Russie à Vienne et fervent admirateur du compositeur. Les dernières oeuvres ont été jugées « difficiles, compliquées, dissonantes « ; c’est dire leur modernité de conception, leurs exigences techniques d’interprétation aussi, notamment dans la fugue finale du 3e de ces qua-

tuors, dont les « normes « conceptuelles et interprétatives, en dynamique, tessiture, vitesse et cohésion, sont absolument nouvelles, spectaculaires. « Que m’importe votre sacré violon lorsque l’esprit souffle en moi ! « Ce sont, enfin, les 5e et 6e symphonies, composées en même temps, entre 1805 et 1808, et exécutées ensemble pour la première fois le 22 décembre 1808. La Cinquième Symphonie est l’oeuvre la plus célèbre de Beethoven et celle qui, avec la Neuvième Symphonie, a suscité le plus de commentaires. Elle exalte et illustre la notion de thème. Celui-ci, composé de trois brèves et d’une longue, cellule rythmique élémentaire, se retrouve dans toute la poésie et toute la musique du monde, et dans mainte oeuvre beethovénienne, mais c’est son développement qui, dans la 5e symphonie, dans tous ses mouvements et de mille manières, le rend singulier, unique. Telle qu’en elle-même l’oeuvre la change, cette cellule, ailleurs anonyme, devient ici le « thème du Destin «. Tout autre est la voie de la 6e symphonie, dite Pastorale, qui puise son inspiration dans la nature, en demi-teintes, en couleurs raffinées, en poésie contemplative. « La description est inutile, note Beethoven, s’attacher davantage à l’expression du sentiment qu’à la peinture musicale. « Ainsi Beethoven met-il en garde contre une « musique à programme «, contre une interprétation exagérément pittoresque de sa musique qui pourrait interdire l’accès à ces « autres contrées « où la musique est souveraine. LASSITUDE ET ABATTEMENT. Brouillé avec Lichnowsky, à court de moyens, aspirant à la stabilité matérielle, fatigué de Vienne et de ses intrigues, Beethoven songea à partir. Fausse sortie, qui provoqua cependant, par l’intermédiaire de Marie von Erdödy, amie tendrement dévouée, un sursaut chez les aristocrates admirateurs du musicien. Les princes Kinsky, Lobkowitz, l’archiduc Rodolphe signèrent, le 1er mars 1809, un « décret « garantissant 4 000 florins de rente annuelle au compositeur, décret qui allait être dénoncé par leurs héritiers. Mais l’Autriche et la France étaient de nouveau en guerre. Dans le manuscrit du 5e concerto pour piano se glissent les mots « chant de triomphe pour le combat ! attaque ! victoire ! «. L’oeuvre est une symphonie plutôt qu’un concerto virtuose, le piano étant lui-même, de facture orches-

trale, grandiose. Le surnom « l’Empereur « est d’origine aussi anonyme que gratuite. Après une audition à Leipzig, l’oeuvre fut créée à Vienne par Czerny en soliste, en 1812, et elle était dédiée à l’archiduc Rodolphe, de même que la sonate dite les Adieux, qui célèbre le retour du dédicataire après sa fuite de Vienne. Quelques figures féminines passèrent dans la vie de Beethoven, comme pour masquer celle qui, inconnue, détenait son véritable, sans doute son seul, amour. Bettina Brentano, la jeune amie de Goethe, Amalie Seebald, Teresa Malfatti ne furent que des amies, des amitiés amoureuses. Quant à l’» immortelle bien-aimée «, à laquelle s’adresse la fameuse lettre trouvée après la mort de Beethoven, son identité reste secrète. On a longtemps cru qu’il s’agissait de Thérèse von Brunsvick, mais on pense aujourd’hui que ce fut soit Joséphine von Brunsvick, soeur de Thérèse et veuve du comte Deym, soit plus probablement Antonie Brentano, cousine de Bettina. Cet été de 1812 (au cours duquel fut écrite la fameuse lettre) marqua la rencontre avec Goethe aux eaux de Teplice, l’achèvement de la Septième Symphonie, la composition de la Huitième lors d’un séjour à Linz. Encore un « couple symphonique « antinomique : à la mélancolie énigmatique qui émane du second mouvement de la Septième et qui, nous semble-t-il, irradie toute l’oeuvre, répond la joie explosive de la Huitième. Entre 1813 et 1819, Beethoven sembla traverser une longue et profonde crise. « Rien ne peut plus désormais m’enchaîner à la vie «, écrivit-il dans l’abattement. Sa production elle-même en fut atteinte, elle se réduisit à des oeuvres mineures, souvent purement alimentaires, d’où cependant émergent, comme pour défier le destin, quelques chefs-d’oeuvre : la sonate pour violoncelle op. 102 (1815), le cycle de lieder An die ferne Geliebte (1816) et la sonate op. 101 (1816), qui attaque de front les formes traditionnelles ; enfin, en 1817-1819, la sonate op. 106 - ces deux dernières oeuvres étant destinées au Hammerklavier, le piano à marteaux (celui-ci ne cessait de se perfectionner, et c’est aux « derniers modèles «, les plus chantants, que Beethoven destina ces sonates). La sonate op. 106 est un des chefsd’oeuvre de Beethoven, et il est impossible d’approcher en quelques lignes ses pages

visionnaires qui culminent en la monumentale fugue née dans le conflit de forces contradictoires où elle puise sa violence : « Ce qui, précisément, donne aux fugues de Beethoven leur caractère exceptionnel, ce qui fait d’elles des créations uniques et inégalées, c’est cette confrontation périlleuse entre des rigueurs d’ordre différent qui ne peuvent qu’entrer en conflit ; aux frontières du possible, elles témoignent de l’hiatus qui va s’accentuant entre des formes qui restent le symbole du style rigoureux et une pensée harmonique qui s’émancipe avec une virulence accrue « (P. Boulez). La forme classique de la sonate achève de se disloquer dans les dernières oeuvres pour piano de Beethoven : liberté absolue avec l’opus 109 (1820) et ses variations finales, architecture visionnaire avec l’opus 110 (1821). La sonate op. 111 (1821-22), enfin, signe dans les résonances apaisées de son admirable arietta, 2e et dernier mouvement, l’» adieu à la sonate « selon Th. Mann (le Docteur Faustus). Voici l’un des édifices les plus codifiés du classicisme définitivement détruit, et voici l’ère ouverte à l’invention de nouvelles formes. AU FOND DE LA DÉTRESSE. 1817 et 1818 marquèrent le fond de la détresse beethovénienne. Aux maladies inflammation pulmonaire, jaunisse - et à l’isolement par la surdité, aux tourments secrets, dont quelques lettres se font l’écho, se joignirent les ennuis domestiques de tous ordres et la présence intermittente de son neveu Karl (que le frère de Beethoven avait confié, avant de mourir, à sa femme et au compositeur conjointement) - présence torturante, à laquelle Beethoven s’accrocha désespérément et que les procès d’une tutelle contestée rendirent d’autant plus douloureuse. Une oeuvre grandiose, qu’il garda pendant quatre ans sur le chantier, l’arracha à la détresse : ce fut la Missa solemnis, que l’archiduc Rodolphe, devenu archevêque d’Olmütz, lui avait commandée pour son intronisation solennelle. Voici Beethoven à nouveau dans la fureur de composer. Parallèlement aux dernières sonates, le Kyrie, le Gloria, le Credo virent le jour lentement, et, déjà, apparurent les esquisses d’une downloadModeText.vue.download 87 sur 1085

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81 nouvelle symphonie : la Neuvième. L’une comme l’autre de ces oeuvres monumentales dépassent leur cadre consacré, église ou concert. Ni la Missa ni la Neuvième ne peuvent se définir exactement par les termes de messe et de symphonie : l’une, débordant une fonction liturgique, ouvre aujourd’hui de grands festivals, l’autre est devenue symbole et hymne sur toutes les lèvres. La messe est écrite par blocs, où le volume, le poids, les ensembles dominent et assujettissent le détail. Ce n’est que dans le Credo que le détail semble reprendre de l’importance, dans un style presque théâtral, défi à toute idée de musique religieuse. La fugue In vitam arrache la pièce à cette théâtralité, la replace dans sa vraie perspective architecturale. Le Dona nobis pacem conclut l’oeuvre dans la sérénité. La Neuvième Symphonie op. 125 semble avoir accompagné Beethoven durant toute sa vie créatrice. Dès 1792, il s’était enthousiasmé pour l’Ode à la joie de Schiller ; en 1817, il esquissa une oeuvre orchestrale avec voix. Puis, au fur et à mesure que la composition de la symphonie avança (1822-23), il renonça à un finale vocal. Ce n’est qu’à la fin de 1823 que s’opéra la synthèse : l’Ode de Schiller vint couronner l’oeuvre, exécutée le 7 mai 1824. Les trois premiers mouvements sont puissamment ancrés au finale par une introduction qui les remémore un à un. Le « thème de la joie « y fait alors une entrée discrète, presque tendre, aux cordes graves, et commence son expansion. Ce thème, très universellement connu de toute la musique, a été l’objet de recherches inlassables du compositeur ; on en connaît plus de deux cents états. Dans mainte oeuvre, Beethoven a cherché, à travers d’innombrables esquisses, l’état générateur le mieux approprié à l’expansion d’un thème. Ici, en revanche, il cherche son état idéal de permanence, inaltérable, inaltéré, qui sera porté par le chant innombrable. Aussi le « développement « du finale n’en est-il pas un à vrai dire, c’est l’amplification constante, la glorification d’une idée, l’incantation : par quoi ce finale porte, au-delà des salles de concert, sa destinée d’hymne. Une dernière oeuvre monumentale pour piano se glisse entre la Messe et la Neuvième : les 33 Variations sur une valse de Diabelli op. 120 (1819-1823), oeuvre vi-

sionnaire entre toutes, où se nie la notion de thème, à la limite la notion de variation. Tout est thème, tout est métamorphose dans ce gigantesque parcours qui ne retient comme « donné « (omniprésent) qu’une formule harmonique rudimentaire qui, tout au long de l’oeuvre, va être l’agent unificateur de trente-trois éclats fulgurants de l’imagination. APAISEMENT ET SOLITUDE. Au cours des dernières années de son existence, Beethoven sembla atteindre un étrange équilibre. Sa vie fut désormais tout intérieure, tournée vers l’oeuvre ultime les derniers quatuors. Indifférent au succès, d’un aspect extérieur négligé, sauvage, il communiquait avec son entourage uniquement par les « cahiers de conversation « (dans lesquels Schindler, son « famulus «, a pratiqué coupures et destructions). On pouvait voir Beethoven, lorsque la maladie intestinale ou la faiblesse de sa vue ne le faisaient pas trop souffrir, attablé avec quelques amis à l’enseigne du Cygne d’Argent, manger des huîtres arrosées de bière et poursuivre de longs monologues philosophiques ou politiques, pessimistes, critiques, sauf à l’égard des Anglais, qu’il idéalisait. Son affection exclusive, jalouse, pour Karl (dont il avait la mère en horreur) envenima complètement leurs relations, et le neveu, désaxé par ces conflits incessants, fit une tentative de suicide. Effondrement, réconciliation, séjour précipité à Gneixendorf chez Johann : des scènes éclatèrent entre les deux frères, Beethoven quitta précipitamment la propriété sous la pluie, dans une carriole, et rentra à Vienne avec une double pneumonie. Il mourut le 26 mars 1827, pendant un violent orage. Seul la veille, il fut accompagné au tombeau par un cortège de 20 000 personnes. L’OEUVRE ULTIME. Les derniers quatuors sont les chefsd’oeuvre intérieurs de Beethoven. Leur numérotation n’est pas chronologique. Au 12e quatuor op. 127 (1824) et ses jeux de miroirs succède, dans l’ordre de la composition, le 15e op. 132, dont le troisième mouvement, Chant de reconnaissance, dans le mode lydien, est un des sommets de la musique. Le 13e quatuor, achevé en 1825, est en six mouvements. Dans l’avant-dernier, l’admirable Cavatine, les silences se font tout aussi éloquents que

des sons. On sait que c’est la Grande Fugue qui devait terminer cette oeuvre ; Beethoven l’en détacha - geste accompli à regret, dit-on, geste logique cependant, nous semble-t-il, car à quoi un tel organisme, aux proportions gigantesques, aux tensions harmoniques inouïes, pourrait-il se « rattacher « ? La Grande Fugue op. 133, qui fait éclater - dans la mesure même où elle semble y souscrire - un schème classique, est un chef-d’oeuvre solitaire dans tous les sens du terme. Le 14e quatuor op. 131, achevé en 1826, est le plus audacieux du compositeur dans le domaine de la forme : ses sept mouvements si divers défient - et pourtant accomplissent, comme par l’effet d’une formidable pression - l’unité de l’oeuvre. Le 16e quatuor op. 135 (1826), le dernier composé et le plus bref du groupe, a été l’objet particulier de gloses, en raison de son célèbre exergue inscrit en tête du mouvement final : « Muss es sein ? - Es muss sein « (« Cela doit-il être ? - Il faut que cela soit «). Mais il s’agit, croit-on, d’une boutade, non d’une interrogation tragique du destin. Dans le Doux Chant de repos, chant de paix qui précède, dans ses admirables variations, Beethoven fait entendre une voix apaisée, sereine, une voix d’adieu. Si les derniers quatuors, les Variations Diabelli, les dernières sonates constituent le suprême accomplissement de la pensée visionnaire de Beethoven, ils procèdent d’un esprit novateur qui se manifeste dès les premiers chefs-d’oeuvre de sa vie créatrice. C’est là que, déjà et d’emblée, les fondements du langage hérité se voient contestés dans leurs hiérarchies musicales, dans leurs structures, ï sinon dans leurs formes. De la sonate op. 10 no 3 à celle de l’opus 53, de l’opus 57 à l’opus 111, du 3e quatuor op. 18 au 3e « Razoumovski « et à la Grande Fugue, chaque oeuvre apporte à l’édifice nouveau ses matériaux inédits. Dès lors, les divisions rigides de l’oeuvre beethovénienne en deux, trois ou quatre périodes (« période d’imitation-de transition-de réflexion «, selon Vincent d’Indy) paraissent fallacieuses, d’autant qu’elles impliquent une notion sommaire de « progrès «, notion trompeuse en art. Inclassable à l’intérieur de sa propre oeuvre, Beethoven l’est aussi à l’intérieur des catégories historiques. Classique ou romantique ? Beethoven semble dépasser d’emblée cette alternative où l’on tente de l’enfermer. Aux confins de deux uni-

vers spirituels, son oeuvre échappe, par sa nature, à l’histoire : infiniment singulière, perpétuellement au présent, cette oeuvre est moderne, elle définit, éclaire, concrétise la notion même de modernité notion que l’homme moderne à son tour explicite, recrée, façonne dans son langage propre. C’est dans ce dialogue, que chaque génération, chaque individu poursuit avec l’oeuvre de Beethoven, que celle-ci se révèle actuelle et novatrice à jamais. BEHRENS (Hildegard), cantatrice allemande (Varel, près de Brême, 1937). De par ses origines - elle appartenait à une famille de médecins - rien ne la destinait à une carrière musicale ou théâtrale. Elle étudia le droit et s’orienta vers le barreau quand sa vocation lui fut révélée par sa participation, en tant qu’amateur, à la chorale de l’école de musique de Fribourg-enBrisgau. Elle entra alors à l’Opéra-Studio de Düsseldorf, où Herbert von Karajan la découvrit à l’occasion d’une répétition de Wozzeck et l’engagea aussitôt pour interpréter Salomé au festival de Salzbourg, en 1977. C’est dire que très peu d’années lui ont suffi pour ajouter à son répertoire Elisabeth de Tannhäuser, Elsa de Lohengrin, Kundry, Isolde, ainsi que l’Impératrice de la Femme sans ombre et Senta du Vaisseau fantôme, qui l’ont fait acclamer à l’Opéra de Paris pendant la saison 1980-81. Elle a abordé ensuite d’autres rôles wagnériens downloadModeText.vue.download 88 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 82 ainsi que certains rôles italiens et chanté en 1987 celui d’Elektra à l’Opéra de Paris. BELAÏEV (Mitrofan Petrovitch), éditeur russe (Saint-Pétersbourg 1836 - id. 1903). Fervent mélomane, Belaïev joua un rôle fondamental dans la vie musicale russe du dernier quart du XIXe siècle. Il organisait chez lui des soirées de musique de chambre consacrées à Haydn, à Mozart, etc. Admirateur passionné de Glazounov, il fonda à Saint-Pétersbourg, en 1885, les Concerts symphoniques russes dans l’intention d’y faire jouer les oeuvres de ce musicien. La même année, Belaïev créa à Leipzig une maison d’édition pour pu-

blier les oeuvres de Glazounov, mais aussi celles de Borodine, Rimski-Korsakov, Moussorgski, Liadov, Tanéiev, etc. En 1891, il fonda les Concerts de musique de chambre pour l’exécution de la musique russe. À sa mort, Liadov, Rimski-Korsakov et Glazounov devinrent les administrateurs de la maison d’édition et des sociétés de concerts. BEL CANTO (litt. « beau chant »). Cette expression, qu’une certaine tradition populaire assimile encore parfois aux diverses manifestations de l’opéra traditionnel, définit en fait une manière de chanter et un style de composition donnés, correspondant à une période assez déterminée de l’histoire du chant italien, de la fin du XVIIe siècle aux premières décennies du XIXe. Il n’en demeure pas moins que ce terme ainsi que ses dérivés belcantiste et belcantisme, aujourd’hui fréquemment employés, peuvent s’appliquer, en dehors de ces limites, à tout autre type d’écriture ou d’interprétation qui se réclame de ses principes, quels qu’en soient le pays ou l’époque. Ces principes peuvent se définir essentiellement par : 1. La priorité donnée à la beauté du chant, non seulement dans l’interprétation, mais également dans une écriture musicale spécifique, où la prosodie du texte mis en musique obéit aux impératifs du chant, de sa respiration (d’où la symétrie des périodes), du dosage des registres de la voix, du choix des voyelles employées dans ces registres, etc. ; 2. L’obligation faite au chanteur, en certains endroits prévus du texte, d’enrichir la ligne de chant écrite par une ornementation (ou abbellimenti) appropriée (v. ORNEMENTS), ainsi que celle de pratiquer sur les points d’orgue des passages ou cadences de virtuosité de sa composition ; 3. La pratique de la sprezzatura (soit un phrasé stentato, c’est-à-dire « détendu ») qui libère la phrase chantée du carcan trop étroit du rythme inscrit, et, dès le XVIIIe siècle, celle du chant legato ou portato, qui consiste à lier les sons d’un mot ou d’une phrase en « portant » la voix d’une note vers la suivante, sans solution de continuité, mais laissant entendre très

rapidement les sons intermédiaires, ainsi que le pratique le violoniste dans la technique du glissando. L’usage du portamento, qui donne une grande élégance au chant, survécut au bel canto et il était toujours préconisé dans tous les traités de la fin du XIXe siècle, tant en Italie qu’en France ou en Allemagne. On en déduit que le bel canto exigeait, de la part de l’interprète, une parfaite connaissance des lois de l’écriture, ainsi qu’une maîtrise vocale fondée sur un exceptionnel contrôle du souffle et sur une virtuosité spécifique qui dépassait, à cette époque, celle des instrumentistes ; cette virtuosité permettait d’une part de longues tenues et des nuances expressives, dont notamment la messa di voce (note enflée puis diminuée), d’autre part l’exécution de différents types de trilles, de gammes rapides diatoniques ou chromatiques, piquées ou liées, d’arpèges, etc. Cet art, que possédèrent au plus haut point les castrats d’opéra, eut pour véhicule, en particulier, la forme de l’aria da capo, où le chanteur est tenu d’ornementer très largement la redite de la section initiale, démontrant ainsi, à la fois, sa science et sa maîtrise vocale. Historique. Le terme, apparu vraisemblablement vers la fin du XVIIIe siècle, et qui sera couramment cité par Stendhal, fut sans doute créé par les amateurs et non par les musiciens. Il se substitua aux expressions buona maniera di cantare (Caccini), puis buon canto (Burney, 1772). Mais il s’agit bien du même art, dont G. Caccini pose déjà les bases (Prefazione alle nuove musiche, 1614), que définissent P. F. Tosi (Opinioni..., 1723) et G. B. Mancini (Riflessioni..., 1774) et auquel se réfère encore Garcia au XIXe siècle. Or, certaines de ses exigences laissent deviner une origine plus ancienne, notamment la virtuosité vocale (vraisemblablement héritée des chants alléluiatiques de la liturgie) dont le haut niveau est attesté par Diego Ortiz en 1553 et R. Rognoni en 1592. Mais le chant soliste ne trouva son plein épanouissement que lorsque la monodie eut supplanté la polyphonie, donnant naissance à l’art savant de l’opéra, de la cantate ou de l’oratorio ; avec ses premiers défenseurs, Monteverdi puis Cavalli, les premières constantes du beau chant s’appliquent non seulement à l’aria avec passages, mais au récitatif, qui, d’abord

défini comme recitar cantando, se confond parfois avec l’aria, exigeant la même qualité de chant. C’est seulement à partir d’A. Scarlatti, vers 1680, d’A. Steffani, puis avec Haendel et ses contemporains que le bel canto, dédaignant le récitatif devenu mécanique et stéréotypé, trouve son terrain d’élection dans les arias, dont les chanteurs font le véhicule d’une virtuosité de caractère presque instrumental de plus en plus luxuriante, cela notamment dans l’opera seria, dont l’intérêt dramatique pâtit. Il faut remarquer que l’écriture belcantiste ne fut pas l’apanage exclusif des castrats, mais s’appliqua à tous les types vocaux, de la voix de basse, soumise à une grande virtuosité (Palantrotti, interprète de Caccini, puis Boschi et Montagnana aux temps de Haendel), à celle du soprano : Francesca Cuzzoni et Faustina BordoniHasse, au début du XVIIIe siècle, Elizabeth Billington et Brigida Banti, plus tard, rivalisèrent avec les grands castrats sur ce terrain. Remarquons aussi que le bel canto réclamait une émission vocale sonore et large : Caccini préconisa l’attaque du son à pleine voix et Tosi, lorsqu’il définissait le passage (ou l’union) des registres de la voix qui donne aux sons élevés leur couleur noble et généreuse, s’il condamnait les sons trop forcés, excluait, avec la même netteté, l’usage du fausset dans le medium et le grave des voix masculines. L’apogée du bel canto se situe peu après le milieu du XVIIIe siècle : dès cette époque, divers courants d’opinion réagissent contre sa prépondérance, non seulement en France où le souci du beau chant avait rarement prévalu, mais aussi en Italie où d’une part l’opera buffa et l’opera semi-seria, plus réalistes, allaient accorder moins d’importance au chant expressif, et d’autre part l’opera seria - notamment avec les compositeurs Jommelli et Traetta - se réformait sous l’influence de la tragédie lyrique française. À leur suite, Calzabigi (dont Gluck appliqua partiellement les théories dans ses derniers opéras) combattit ouvertement le bel canto. En fait, ce phénomène essentiellement italien se maintint beaucoup plus longtemps dans les pays anglo-saxons et en Espagne, où il avait fait souche, qu’en Italie même. On ne peut cependant lui rattacher qu’à titre marginal l’écriture italianisante des ariettes de Campra, de Rameau, de Philidor ou de Grétry, ainsi que l’école des sopranos suraigus de la fin du XVIIIe siècle,

principalement appréciée en Allemagne et en Autriche ; en revanche, l’écriture vocale de J. S. Bach, dans sa musique religieuse, procède presque constamment des principes belcantistes adaptés à la langue allemande. À la fin du XVIIIe siècle, l’oeuvre vocal de Haydn, de Mozart ou de Cimarosa se rattache en bien des aspects au bel canto. Puis Rossini, dès 1813 (Tancrède), réaffirme mieux la prépondérance du bel canto, même au sein du récitatif obligé, largement orné. Pourtant, en codifiant les règles de cet art si intimement lié à celui de l’improvisation, en rédigeant lui-même la plupart de ses « passages », le compositeur prend ses distances par rapport au downloadModeText.vue.download 89 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 83 genre, dont le déclin est encore précipité par la disparition des castrats. Ce ne sont plus désormais que quelques composantes du bel canto qui survivront dans l’écriture vocale de Bellini (et à un moindre degré chez Donizetti, Mercadante et dans les premières oeuvres de Verdi), sous l’aspect d’une colorature plus ou moins mesurée et par l’usage du stentato et du portamento expressif. Notons que cet usage a su être préservé jusqu’à nos jours, non seulement dans l’interprétation des oeuvres belcantistes, mais encore en bien des pages de Debussy, Puccini ou Richard Strauss, avant que des auteurs plus récents, dont Luciano Berio, ne renouent avec l’esprit même du bel canto, esprit que le romantisme avait renié en entraînant l’art du chant vers d’autres horizons. Les oeuvres nouvelles avaient alors sacrifié à la vaillance vocale, délaissé peu à peu le chant fleuri et permis aux chanteurs de conquérir ces notes aiguës, brillantes, très appréciées d’un public devenu moins aristocratique ; avec, en outre, la priorité donnée au texte du livret et l’accroissement de la masse orchestrale, l’écriture romantique s’affirmait en opposition absolue avec les lois du bel canto. L’esprit belcantiste survécut néanmoins grâce à quelques interprètes, ceux qu’avait formés Rossini, d’abord la Malibran et Giuditta Pasta, le ténor Rubini ou

la basse Tamburini, ensuite, ceux dont le répertoire demeura étranger aux vagues romantiques et naturalistes : la plupart des sopranos légers, d’Adelina Patti à Toti Dal Monte et Margherita Carosio, surent préserver la pureté du beau chant, sa virtuosité, son phrasé souple et nuancé, mais d’autres encore, les barytons et basses Mattia Battistini et Pol Plançon, les ténors Angelo Masini, Alessandro Bonci ou Fernando De Lucia, les sopranos dramatiques Celestina Boninsegna, Giannina Russ ou Giannina Arangi-Lombardi apportèrent parfois au disque naissant quelques échos d’un art oublié. Enfin, de nos jours, les cantatrices Joan Sutherland, Montserrat Caballé ou Marilyn Horne, le ténor rossinien Pietro Bottazzo ont su ressusciter en partie ce type de chant bien particulier, avec lequel les falsettistes modernes sont trop souvent en contradiction. BELKIN (Boris), violoniste russe naturalisé israélien (Sverdlovsk 1948). Il commence le violon dès l’âge de six ans, à l’École des jeunes prodiges de Moscou, puis au Conservatoire. En 1973, il obtient le premier prix du Concours national de violon et, l’année suivante, il est autorisé à émigrer en Israël. Une carrière internationale du plus haut niveau s’ouvre alors à lui, sous la direction de Zubin Mehta et de Leonard Bernstein. Ce dernier lui fait faire ses débuts parisiens en 1975, et aborde avec lui les grands concertos de Paganini et les deux de Prokofiev. Entre deux tournées mondiales - il est particulièrement demandé en Asie -, il enseigne, depuis 1987, à l’Académie Chigiana de Sienne. BELLAIGUE (Camille), critique français (Paris 1858 - id. 1930). Premier prix de piano au Conservatoire de Paris en 1878, il débuta en 1884 dans la critique musicale et entra en 1885 à la Revue des Deux Mondes. Écrivain élégant, mais superficiel, C. Bellaigue a écrit des ouvrages sur Mendelssohn (1907), Gounod (1910) et Verdi (1912), mais il a méconnu l’art de Franck et de Debussy, et, par une juste revanche, sa réputation de critique en a gravement souffert. BELLINI (Vincenzo), compositeur italien (Catane 1801 - Puteaux 1835).

Fils d’un maître de chapelle, il révéla un talent précoce de compositeur et fut envoyé parfaire ses études au conservatoire de Naples auprès de Zingarelli, l’adversaire de Rossini. Son inclination première pour le style d’église et la musique ancienne se retrouve dans ses compositions de jeunesse dont on retient aujourd’hui quelques mélodies et un Concerto pour hautbois et cordes. Encore élève, Bellini écrivit l’opéra Adelson e Salvini (1825), dont la perfection formelle fit voir en lui le successeur de Rossini, celui-ci ayant définitivement quitté l’Italie. Le théâtre San Carlo de Naples lui commanda aussitôt Bianca e Fernando (1826) et la Scala de Milan, le Pirate (1827), sur un poème de Felice Romani, le librettiste italien alors le plus en renom. Il donna ensuite, avec des fortunes diverses, la Straniera (Milan, 1829), Zaïra (Parme, 1829), I Capuleti e i Montecchi (Venise, 1830), puis, en 1831, à Milan, la Somnambule et Norma au succès desquelles contribua considérablement la cantatrice Giuditta Pasta, cependant que la société féminine des salons de la capitale lombarde voyait en Bellini l’image de l’idole romantique, sorte de héros byronien consumé par le mal du temps. Après avoir donné, à Venise, Beatrice di Tenda (1833), Bellini quitta l’Italie, puis, au retour d’un bref voyage à Londres, s’établit à Paris, où, protégé par Rossini, il se lia notamment avec Chopin et écrivit pour le Théâtre des Italiens les Puritains (1835). Il mourut peu après des suites d’une infection intestinale. La disparition prématurée de Bellini a privé l’histoire de l’opéra du seul très grand rival qu’aurait eu Verdi ; contemporain de Pacini, Mercadante et Donizetti, il occupa une position déterminante entre le retrait de Rossini, en 1829, et l’avènement véritable de Verdi en 1842. Au confluent d’un art encore aristocratique et de la poussée romantique, il réalisa dans son oeuvre l’union parfaite entre la beauté classique et le thème de l’exaltation du héros - ou plus souvent de l’héroïne - condamné par le sort. Son culte des formes et des techniques du passé nous est attesté par une vingtaine de compositions religieuses écrites de 1810 à 1825 et par 7 symphonies de jeunesse, tandis que ses Polonaises pour piano à quatre mains (ainsi que celle de son Concerto pour hautbois) nous le montrent déjà sensible à l’art

de Weber. N’oublions pas que son maître Zingarelli, tenant du vieil opera seria, n’avait pu l’empêcher de prêter une oreille favorable aux réformes novatrices de Rossini, et que Naples était en outre la ville la plus ouverte aux créations françaises et allemandes. Ayant étudié l’oeuvre de Haydn et, surtout, celle de Mozart, il fut sensible aux courants nouveaux et se trouva naturellement en parfaite communion spirituelle et artistique avec Chopin : de là naquit le frémissement jusque-là inconnu qui parcourt son écriture mélodique expressive, à la respiration plus ample, plus incantatoire et moins mesurée (l’invocation Casta diva, dans Norma), qui renouait avec la liberté rythmique monteverdienne (la sprezzatura), mais héritait encore de la virtuosité belcantiste, exempte d’effets de puissance dans l’aigu. On note encore, chez Bellini, soit le recours à la formule ancienne des structures par morceaux isolés, soit celle des vastes architectures « ouvertes « : dans les Puritains, certains actes se déroulent sans solution de continuité. Enfin, les cahiers d’esquisse de Bellini, aussi éloquents que ceux de Beethoven, révèlent que le don mélodique n’était chez lui que le fruit d’un long labeur, et que, afin de mieux laisser à la voix le contenu émotif du drame, il épurait sans cesse l’harmonie et l’orchestration pour n’en garder que le substrat, ce qui l’a fait méjuger au début du XXe siècle, époque où les paramètres esthétiques se référaient à l’harmonie wagnérienne ou debussyste. Notre époque a remis à sa vraie place ce compositeur, dont le monde sonore offre une intime parenté avec celui de Chopin. BÉMOL. Dans l’usage actuel, le bémol est l’un des signes d’altération ayant pour objet de déplacer la hauteur d’une note sans modifier ni son nom ni, le plus souvent, sa fonction. L’effet du bémol est de baisser d’un demi-ton chromatique la note devant laquelle il est placé. Il existe aussi un double-bémol qui, répétant deux fois l’opération, la baisse de deux demi-tons, ce qui, dans le système tempéré ( ! TEMPÉRAMENT), équivaut à un ton en sonorité matérielle, mais non en valeur grammaticale pour l’analyse. Aux origines de la notation, le bémol n’était pas une altération, mais le nom

même de la note, B en nomenclature aldownloadModeText.vue.download 90 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 84 phabétique (notre si), avec spécification de sa forme la plus basse ; en effet, la note B pouvait être à volonté soit haute (B dur, écrit carré, d’où bécarre), soit basse (B mol, écrit rond b, d’où bémol). Le signe actuel du bémol a conservé le dessin du b minuscule arrondi. Quand on adopta la notation par neumes, puis par points, on prit soin parfois, mais non toujours, de spécifier auquel des deux B correspondait le signe placé à cet endroit, ce qu’on fit en notant le signe B, rond ou carré, soit à la place de la clef, soit après elle (ce qui a donné naissance à nos armatures), soit en cours de texte, avant la note ou avant le groupe dont la note faisait partie (ce qui a donné naissance à nos altérations accidentelles) ; cette indication est restée longtemps facultative, de sorte que l’absence d’altération ne signifiait pas que la note était « naturelle », mais que l’on n’avait pas cru utile de spécifier sa nature : il en fut ainsi jusqu’au XVIe siècle inclus. La même incertitude règne sur la durée de validité du signe : elle cesse souvent avec la ligne, mais peut aussi dépendre de règles compliquées de solmisation, dont on n’a pas encore à l’heure actuelle percé tous les secrets. Vers les XIIe et XIIIe siècles, l’usage des signes bécarre et bémol s’étendit à d’autres notes que le B, non pas pour les comparer, comme aujourd’hui, à leur position naturelle, mais, par analogie avec le B, pour en désigner la position haute ou basse, de sorte que sur certaines notes, fa ou do par exemple, on employait le bémol (position basse) là où nous mettrions un bécarre (position naturelle), et un bécarre (position haute) là où nous mettrions un dièse (un demi-ton au-dessus du naturel). Cet usage était encore parfois en vigueur au XVIIIe siècle, bien que l’usage actuel eût commencé à se répandre dès le XVIIe. On entend parfois dire que le bémol est plus bas d’un comma que le dièse correspondant. Un tel énoncé accumule les inconséquences. Il est emprunté à un système acoustique (dit « de Holder », XVIIe s.) qui n’est plus aujourd’hui em-

ployé qu’occasionnellement, et il est faux hors de ce système. La plupart des musiciens utilisent le système du « tempérament égal » - celui du clavier usuel -, où dièse et bémol sont rigoureusement équivalents. Toutefois, sous l’effet de l’attraction, ceux qui ne sont pas prisonniers du clavier ont souvent tendance à « serrer les demi-tons » et à exagérer les différences d’intervalles lorsqu’ils pensent mélodiquement : ils se rapprochent alors, sans le savoir, du système pythagoricien, dont s’inspire celui de Holder, et où effectivement le dièse est plus haut que le bémol (mais non pas d’un comma au sens où l’entend Holder). À l’inverse, un choeur a cappella, attiré par la tierce basse de la résonance, aura les réactions inverses et se rapprochera sans le savoir du système zarlinien, où, tout au contraire, les bémols sont plus hauts que les dièses, aplanissant les différences au lieu de les accuser. BENATZKY (Ralph), compositeur tchèque (Moravské, Budoeejovice, 1884 Zurich 1957). Il étudia la musique à Prague, puis à Munich avec Felix Mottl, et vécut successivement à Berlin, à Paris, en Suisse, en Autriche, à Paris et, de nouveau, en Suisse. Il a écrit environ 5 000 romances, des musiques de film et de revue, et quelque 90 opérettes qui n’ont pas connu un succès durable, sauf une, l’Auberge du Cheval blanc, qui demeure l’une des plus populaires du répertoire. Le style de Benatzky est proche de la comédie musicale américaine, quoique l’Auberge emprunte certains traits à l’opérette viennoise. BENDA, famille de musiciens de Bohême, établie en Allemagne. Frantisek (Franz), violoniste et compositeur (Stare Benatzky 1709 - Neuendorf, près de Potsdam, 1786). Enfant de choeur à Prague et à Dresde, puis de nouveau à Prague, il entra en 1733 au service du prince-héritier de Prusse, le futur Frédéric II, et fut un membre illustre de l’école de Berlin. En 1771, il succéda à J. G. Graun comme premier violon de l’orchestre de Frédéric II. Il écrivit des sonates et des concertos pour son instrument, des oeuvres pour flûte, des symphonies. Jan Jiri (Johann Georg), violoniste et compositeur, frère du précédent (Stare

Benatzky 1713 - Potsdam 1752). Il fut également au service de Frédéric II et ses oeuvres ne furent pas éditées. Jiri Antonin (Georg Anton), violoniste et compositeur, frère des précédents (Stare Benatzky 1722 - Köstritz 1795). Violoniste à Berlin en 1742, il s’y familiarisa avec les opéras de Graun et de l’école napolitaine, puis devint, en 1750, maître de chapelle à la petite cour de Gotha, où il écrivit des sonates, des symphonies, de la musique d’église. Un voyage en Italie (1765-66) l’orienta vers l’opéra, mais ce n’est que quelques années après qu’il écrivit les ouvrages dont il tira l’essentiel de sa célébrité : les mélodrames Ariane à Naxos (Gotha, 1775) et Médée (Leipzig, 1775), les singspiels Der Dorfjahrmarkt (Gotha, 1775), Walder (1776), Julie und Romeo (Gotha, 1776), Der Holzhauer (1778). Citons aussi Pygmalion. En 1778, Médée fit à Mannheim une grande impression sur Mozart, qui s’en inspira l’année suivante dans les scènes en forme de mélodrame de Zaide. Défendant, en 1783, pour le drame musical l’expression parlée par rapport au récitatif, Benda écrivit sa maxime célèbre : « Je ne puis renoncer à la vérité de la phrase, la musique y perd quand on lui sacrifie tout. » Joseph, violoniste, frère des précédents (Stare Benatzky 1724 - Berlin 1804). Il succéda à son frère aîné Frantisek comme premier violon de l’orchestre de Frédéric II. Anna Franciska, cantatrice, soeur des précédents (Stare Benatzky 1728 - Gotha 1781). Friedrich Wilhelm Heinrich, violoniste et compositeur, fils aîné de Frantisek (Potsdam 1745 - id. 1814). Il fut au service de la cour de Berlin. Karl Hermann Heinrich, violoniste, frère du précédent (Potsdam 1748 - Berlin 1836). Il fut premier violon à l’opéra de Berlin. Juliana, femme compositeur, soeur des deux précédents (Potsdam 1752 - Berlin 1783). Elle épousa le compositeur Johann Friedrich Reichardt. Friedrich Ludwig, violoniste et compositeur, fils de Jiri Antonin (Gotha 1746 -

Königsberg 1792). Ernst Friedrich, fils aîné de Joseph, violoniste et claveciniste (Berlin 1747 - id. 1787). Karl Franz, violoniste, frère du précédent (1753-1817). Hans von Benda, chef d’orchestre allemand, descendant de Frantisek (Strasbourg 1888 - Berlin 1972). Il fonda en 1939 l’Orchestre de chambre de Berlin. BENEDETTI MICHELANGELI (Arturo), pianiste italien (Brescia 1920 - Genève 1995). Il a fait ses études à Brescia, puis au conservatoire de Milan, et a remporté le premier prix au Concours international de Genève en 1939. Après la guerre, la célébrité lui est venue rapidement. Quoique menant une carrière insolite et se produisant rarement, aussi bien en public que dans les studios d’enregistrement, Benedetti Michelangeli est considéré comme l’un des plus grands pianistes de notre temps. Sa technique exceptionnelle, avec un art du toucher et des colorations particulièrement remarquables, est au service d’une approche des oeuvres très réfléchie et sans concession. Benedetti Michelangeli se consacre, aussi, beaucoup à l’enseignement. BENEDICAMUS DOMINO. Formule dialoguée (Benedicamus Domino - Deo gratias) souvent employée comme clausule, d’abord pour clôturer les heures canoniques, puis transportée à la fin de la messe en alternance avec Ite missa est, qu’elle remplace en diverses circonstances. La réponse Deo gratias reprend le plus souvent la mélodie du Benedicamus, qui peut être soit originale, soit empruntée à downloadModeText.vue.download 91 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 85 un mélisme d’une autre pièce. Dans les messes polyphoniques, le Benedicamus Domino est très rarement inclus dans la composition, ce qui est paradoxal si l’on songe que c’est là l’une des parties de la messe qui se sont le plus prêtées, dans les débuts, aux amplifications de toutes

sortes, tant verbales que musicales. Les tropes de Benedicamus sont parmi les plus développés et vont parfois jusqu’au remplacement du texte primitif par une longue série de couplets, où la formule n’apparaît qu’à la fin (trope de substitution) ; un exemple populaire fort connu est le cantique de Pâques O filii et filiae, qui ne révèle son origine qu’aux deux derniers couplets, dont le no 13 s’achève par Benedicamus Domino et le no 14 par Deo dicamus gratias. Dans les débuts de la polyphonie, le Benedicamus Domino était également apparu comme privilégié : très fréquemment traité en organum, il motive au XIe siècle, à Saint-Martial de Limoges, le premier motet connu, un Stirps Jesse sur teneur liturgique Benedicamus Domino. La messe de Guillaume de Machaut, qui s’achève par un Ite missa est, est une exception ; après elle, ni Ite missa est ni son substitut Benedicamus Domino ne figurent plus habituellement dans les « messes en musique ». BENEDICITE (lat. : « bénissez »). Terme générique désignant, quelle qu’en soit la formule, une prière avant le repas comportant bénédiction, parlée ou chantée, de la table et des mets. Une telle prière est régulièrement pratiquée dans les monastères, les presbytères et était traditionnelle, autrefois, dans les foyers chrétiens, dont certains la pratiquent encore. L’usage en est très ancien (une bénédiction analogue existe dans les repas juifs rituels), mais il ne s’est jamais dégagé de formule généralisée, et les usages, à cet égard, sont assez divers, allant d’une série assez longue de récitations et d’oraisons à un bref échange d’incipits sans lien grammatical entre eux (Benedicite-Dominus). Toutefois, tous ont en commun une invitation à bénir le repas, d’où le nom conservé. Au XVIe siècle, la Réforme a adopté l’usage du Benedicite dans la vie domestique et favorisé la pratique du chant pour l’exprimer. De nombreux compositeurs, réformés ou non, l’ont ainsi mis en musique à plusieurs voix, soit en latin, soit en langue vulgaire, surtout dans les pays touchés par la Réforme : France, Allemagne, Angleterre, Flandres. Le Benedicite a pour symétrique l’« action de grâces » (ou « grâces » en abrégé) de la fin du repas (dire les grâces).

BENEDICTUS. 1. Deuxième partie du Sanctus qui forme l’une des parties chantées de l’ordinaire de la messe. C’est une courte formule, Benedictus qui venit in nomine Domini (« Béni celui qui vient au nom du Seigneur », Luc, XIII, 35), suivie, comme la première partie, du refrain Hosanna in excelsis. Alors que le Sanctus est un des chants les plus anciens de la messe, le Benedictus n’apparut qu’au VIe siècle, et on le trouva d’abord en Gaule ; puis il gagna Rome et l’Orient. Vers le XVe siècle, on prit l’habitude, surtout en polyphonie, de scinder le Sanctus en deux et de considérer le Benedictus comme un morceau à part. On le chanta d’abord pendant l’élévation, puis après celle-ci. Au XVIIIe siècle, apparut l’usage de remplacer le Benedictus après l’élévation par un motet, le plus souvent O salutaris, si bien que plusieurs messes de cette époque n’ont pas de Benedictus. Pour le traitement musical de l’Hosanna, l’usage chez les musiciens est resté variable, certaines messes incorporant le refrain au Benedictus, d’autres se contentant d’une reprise de celui du Sanctus. Dans sa messe en ré, Beethoven donne un traitement particulier au Benedictus en concrétisant par un violon solo, descendant des hauteurs, la venue de l’envoyé du Seigneur évoquée par le texte. 2. Il existe aussi dans la liturgie d’autres pièces commençant par le mot Benedictus. La principale est le cantique de Zacharie Benedictus Dominus Deus Israel (Luc, I, 68), qui figure avec le Magnificat et le Nunc dimittis parmi les « cantiques majeurs » de l’Église romaine. BENET (John), compositeur anglais (XVe s.). Comme Dunstable, à qui il a parfois été identifié, Benet travailla sur le continent, où ses oeuvres ont été conservées dans des manuscrits. Ses compositions comprennent une messe cyclique complète mais sans titre, un Gloria, un Sanctus, des fragments de messe et des motets de facture isorythmique. Aux côtés du grand Dunstable, des musiciens tels Power, Bedingham et Benet ont certainement contribué à l’influence de la « contanance angloise » sur les musiciens français de l’époque de la guerre de Cent Ans.

BENEVOLI (Orazio), compositeur italien d’origine lorraine (Rome 1605 - id. 1672). Il fit ses études musicales avec V. Ugolini, puis devint maître de chapelle à Saint-Louis-des-Français, à Rome, avant de partir pour l’Autriche ; il séjourna à Vienne, à la cour de Léopold-Guillaume, de 1644 à 1646, et il y composa nombre de motets et autres pièces religieuses. De retour à Rome, il obtint le poste de maître de chapelle à Sainte-Marie-Majeure. Il fut longtemps connu surtout pour la messe polyphonique à 53 voix, dite Missa salisburgensis, mais cette oeuvre de 1682 lui fut attribuée à tort et est sans doute soit d’Ignaz Biber soit d’Andreas Hofer. Elle ne fut donc pas écrite en 1628 pour la consécration de la cathédrale de Salzbourg. Il existe aujourd’hui une édition des oeuvres complètes de Benevoli, où nous trouvons d’autres messes à plusieurs choeurs et à multiples parties réelles, maniées avec habileté dans la tradition palestrinienne. BEN-HAÏM (Paul FRANKENBURGER, dit Paul), compositeur israélien (Munich 1897 - Tel-Aviv 1984). Il a fait ses études à l’Akademie der Tonkunst et à l’université de Munich. Chef d’orchestre à l’Opéra de Munich (19201924) et à l’Opéra d’Augsbourg (19241931), il a décidé, en 1933, de s’établir en Palestine. Ses oeuvres révèlent les influences de la musique orientale et de la musique d’Europe centrale. À la suite de sa rencontre avec la chanteuse Brach Zefira, spécialiste des mélodies liturgiques et des chansons profanes des différentes communautés juives (1935), Ben-Haïm a écrit pour celle-ci des arrangements de chansons et trouvé là une source d’inspiration nouvelle. Il a d’autre part composé 4 symphonies, des concertos, des pièces pour piano, un Poème pour harpe, de la musique de chambre (trio à cordes, quatuor à cordes, quintette avec clarinette) et de la musique vocale, dont l’oratorio Joram (1931-32). BENJAMIN (George), compositeur, pianiste et chef d’orchestre anglais (Londres 1960). Il entreprend ses premières compositions dès l’âge de neuf ans et poursuit sa formation, de 1976 à 1978, au C.N.S.M. de Paris avec Yvonne Loriod (piano) et Olivier Messiaen (composition), puis, entre

1978 et 1982, avec Alexander Goehr au King’s College de Cambridge. Sa musique, désinvolte et colorée, témoigne d’un esprit versatile et polyvalent (At First Light pour orchestre de chambre, 1982). Benjamin s’initie à l’informatique musicale, et son travail à l’I.R.C.A.M. à partir de 1984 aboutit à la création d’Antara pour seize instruments et équipement électronique, commande pour le dixième anniversaire du Centre Georges-Pompidou. Dans cette oeuvre, le son de la flûte de pan est échantillonné, puis transmis aux claviers électroniques. La musique fait ainsi référence, comme presque toujours chez Benjamin, à la réalité acoustique la plus concrète, et la sonorité nouvelle ne se définit qu’en fonction de cette référence. Il a écrit des pièces pour piano (Sortilèges, 1981), de la musique de chambre (Octuor, 1978), des pièces pour orchestre (dont Ringed by the Flat Horizon, 1979-80, programmé dans le cadre des Promenades-Concerts), de la musique vocale (Upon Silence, pour mezzo-soprano et cinq violes da gamba, downloadModeText.vue.download 92 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 86 1990). La musique de Benjamin est accessible et garde toujours une certaine complaisance envers les formes et les images convenues (Upon Silence pour mezzo-soprano et 5 violes de gambe, 1990 ; Three Inventions, pour orchestre de chambre, commande du Festival de Salzbourg, 1995). BENNETT (Richard Rodney), compositeur anglais (Broadstairs, Kent, 1936). Il fut l’élève de Lennox Berkeley et de Howard Ferguson à la Royal Academy of Music de Londres (1953-1956) et commença à composer dès cette période. Puis il vint à Paris travailler avec Pierre Boulez (1957-58). De retour à Londres, il entreprit une carrière à la fois de compositeur - il se fit connaître, notamment, par des musiques de film - et de pédagogue, il enseigna, en particulier, au Peabody Institute de Baltimore. Parmi ses oeuvres, outre les nombreuses musiques de film, les compositions pour la radio, la télévision, les musiques de scène, on compte 2 symphonies, 4 quatuors à cordes, un concerto pour piano, diverses oeuvres pour en-

semble de chambre et pour piano. Dans le domaine de la musique vocale, citons une oeuvre pour la chanteuse anglaise de jazz C. Laine, Soliloquy for Cleo Laine (1967), et trois opéras : The Ledge, The Mines of Sulphur (les Mines de soufre, 1963-1965), qui ont été joués avec succès dans de nombreux pays, et A Penny for a Song (1966). Compositeur sériel à l’origine, initié par les oeuvres de Webern à la musique dodécaphonique, marqué par ses deux années avec Boulez, Bennett a connu une évolution à partir de son retour à Londres. Dans ses oeuvres récentes, il semble s’attacher d’abord à la richesse de l’orchestration et aux textures instrumentales (Commedia IV pour cuivres). BENNETT (sir William Sterndale), compositeur et pianiste anglais (Sheffield 1816 - Londres 1875). Choriste dès l’âge de huit ans au King’s College de Cambridge, il fit, à la Royal Academy of Music de Londres, des études très complètes (violon, chant, piano, composition). Sa première oeuvre date de 1832 : c’est un concerto pour piano joué en 1833 en présence de Mendelssohn, qui demeura dès lors son ami, et auquel Bennett rendit visite en Allemagne en 1836, 1837 et 1838. Lors de son deuxième séjour, Bennett, remarquable pianiste, d’une personnalité très attachante, se lia d’amitié avec Schumann. Il créa, au Gewandhaus de Leipzig, deux de ses meilleures oeuvres, les ouvertures The Naiads et The Woodnymphs. Devenu professeur of Music, Bennett gnement, une très musique anglaise.

à la Royal Academy exerça, par son enseiforte influence sur la Ayant fondé, à Londres,

la Bach Society (1849), il dirigea, en 1854, la première exécution en Angleterre de la Passion selon saint Matthieu de Bach. Les nombreuses charges auxquelles il accéda à la fin de sa vie, notamment la direction de la Royal Academy (1866), le détournèrent de la composition. Son oeuvre comprend surtout des pièces pour piano, pour piano et orchestre, des pièces vocales et de la musique d’église. BENOIT (Marcelle), musicologue française (Lille 1921). Élève de Norbert Dufourcq au Conser-

vatoire de Paris, elle obtient dans cet établissement un premier prix d’histoire de la musique en 1952 et un premier prix de musicologie en 1954 ; elle y a enseigné à partir de 1959, devenant chargée de cours en 1973. Spécialiste de la musique française des XVIIe et XVIIIe siècles, elle a fait dans ses recherches sur les institutions et sur la musique de cette époque un usage systématique et nouveau des archives, et a publié notamment Quelques nouveaux documents sur François Couperin, ses ancêtres, sa musique, son foyer (Paris, 1968), Versailles et les musiciens du roi : étude institutionnelle et sociale, 1661-1733 (Paris, 1970 ; thèse d’État, 1971), Musiques de cour : chapelle, chambre, écurie, recueil de documents, 1661-1733 (Paris, 1970 ; suppl. thèse d’État, 1971) et les Musiciens du roi de France (Paris, 1983). À partir de 1960, elle a dirigé avec Norbert Dufourcq les Recherches sur la musique française classique. Elle a également dirigé un Dictionnaire de la musique en France aux XVIIe et XVIIIe siècles (1992). BENOIT (Peter), compositeur belge (Harelbeke, près de Courtrai, 1834 - Anvers 1901). Après des études au conservatoire de Bruxelles avec Bosselet et Fétis, puis avec Louis Hanssens, directeur du théâtre de la Monnaie, il débuta dans la carrière de compositeur par des mélodrames flamands et un petit opéra, et remporta le prix de Rome belge, en 1857, avec le Meurtre d’Abel. Il voyagea en Allemagne et en France, et fut chef d’orchestre au théâtre des Bouffes-Parisiens. De retour en Belgique, il connut le succès avec une Messe solennelle et fonda à Anvers, en 1867, l’École flamande de musique, imposant le flamand comme langue unique et encourageant une musique qui reflétât l’esprit de la race. Son rôle fut, à la fois, culturel et politique. Benoit exerça une grande influence sur des compositeurs comme Mortelmans, Blockx, Wambach, etc. Sa musique, d’un lyrisme coloré, parcourue d’élans postromantiques et épiques, est une référence à laquelle le public est demeuré fidèle comme à celle d’un barde national. Outre ses oeuvres pour orchestre et ses opéras flamands, Benoit est surtout connu pour de vastes partitions avec choeurs : De Schelde (l’Escaut), De Oorlog (la Guerre), Antwerpen (Anvers), etc.

BENSERADE (Isaac de), poète et auteur dramatique français (Paris 1613 - id. 1691). Après sa première tragédie, Cléopâtre (1635), il reçut la protection de Richelieu et conserva celle de Mazarin pendant la minorité de Louis XIV. Très estimé des dames et de la société des précieuses, Benserade devint le poète familier de la cour. Il écrivit, à partir de 1651, de nombreux ballets de cour (Cassandre, la Nuit, Psyché, Alcidiane, etc.) mis en musique collectivement par Lully, Jean de Cambefort, Michel Lambert, etc. Ses poèmes élégants, destinés à des spectacles de cour auxquels participait le jeune monarque, sont remplis de scènes allégoriques. Avec lui, le ballet de cour devint un divertissement plus cohérent et son influence fut loin d’être négligeable pendant les années qui précédèrent la naissance de l’opéra français avec Lully (1673). BENTOIU (Pascal), compositeur, musicologue et esthéticien roumain (Bucarest 1927). Il étudie la composition avec Mihaïl Jora (1944-1948) à Bucarest et travaille comme chercheur à l’Institut de recherches ethnologiques et dialectologiques de Bucarest (1953-1956). Après la chute du communisme en Roumanie, il sera président de l’Union des compositeurs (1990-1992). La musique de Bentoiu se caractérise par sa clarté, son sens de l’élocution (le compositeur a beaucoup écrit pour le théâtre), par le souci d’intégrer, dans des structures héritées du passé, bon nombre de procédés spécifiques de la musique d’aujourd’hui. Dans son opéra Hamlet (1966-1969, prix Guido Valcarenghi, Rome 1970), le compositeur met la diversité des moyens et des formes utilisés au service d’une synthèse originale entre drame et musique. L’opéra radiophonique le Sacrifice d’Iphigénie (1968, prix « Italia ») reprend des systèmes d’intonation propres à la musique roumaine ancienne pour recréer l’esprit et la signification du spectacle antique. Ses symphonies, surtout les dernières, témoignent de ses préoccupations concernant la relativisation des procédés stylistiques et la possibilité de construction de métastyles. On lui doit, entre autres, huit symphonies (1965-1987), plusieurs concertos (dont deux pour piano, 1954 et 1960, et un concerto pour violoncelle, 1989), six quatuors à cordes (1953-1982),

plusieurs cycles de mélodies. Il se consacre actuellement à la reconstitution et à l’orchestration des symphonies inachevées de Georges Enesco (la Cinquième, dont la reconstitution fut terminée en 1995, sera bientôt suivie de la Quatrième). BendownloadModeText.vue.download 93 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 87 toiu a publié plusieurs livres d’esthétique musicale ainsi que Chefs-d’oeuvre d’Enesco (Bucarest, 1984, prix de l’Académie roumaine 1987). BENTZON (Jørgen), compositeur danois (Copenhague 1897 - Hørs-holm, près de Copenhague, 1948). D’abord étudiant en droit, il se tourna, en 1915, vers la musique, qu’il étudia avec Carl Nielsen, puis au conservatoire de Leipzig (1920-21). Avec Finn Høffding, il créa, en 1931, des écoles populaires de musique dont il s’occupa jusqu’en 1946. Son oeuvre, de style néoclassique, comprend de la musique d’orchestre, dont 2 symphonies, de la musique de chambre, dont 5 quatuors à cordes, et un opéra, Saturnalia (1944). BENTZON (Niels-Viggo), compositeur danois (Copenhague 1919). Cousin de Jørgen Bentzon, il appartient à une famille de musiciens, les Hartmann, dont la tradition remonte au XVIIIe siècle. D’abord attiré par le jazz, qu’il a étudié avec le pianiste Leo Mathiesen, il est entré au conservatoire de Copenhague pour y travailler le piano avec C. Christiansen et la théorie musicale avec K. Jeppesen. Sa carrière de compositeur, entreprise en 1942, s’est révélée brillante malgré une certaine nonchalance. Son oeuvre, considérable, possède des affinités avec celles de Hindemith et de Bartók. Elle comprend 15 symphonies (de 1942-43 à 1980), 2 concertos pour violon, 5 concertos pour pianos, des sonates, notamment pour piano et violon, de nombreuses oeuvres pour piano seul (sonates, partitas, études), des quatuors à cordes, des ballets, un opéra, Faust III (1963), créé à Kiel en 1964, ainsi qu’un opéra de chambre, Automaten (1974). BENZI (Roberto), chef d’orchestre fran-

çais d’origine italienne (Marseille 1937). Ayant reçu très jeune une formation musicale poussée et ayant commencé l’étude de la direction d’orchestre dès l’âge de huit ans avec André Cluytens, Roberto Benzi fit ses débuts de chef d’orchestre à onze ans ; il se produisit en France, en Scandinavie, en Amérique du Sud, et tourna des films. Mais il interrompit cette carrière précoce pour suivre une scolarité normale et, sur le plan musical, pour approfondir les études d’écriture. Il reprit son activité de chef d’orchestre en 1957 et dirigea dans de nombreux pays avant d’assumer, de 1973 à 1987, année où lui succède Alain Lombard, les fonctions de directeur de l’Orchestre régional de Bordeaux-Aquitaine. Il a dirigé ensuite l’orchestre d’Arnhem (Pays-Bas). Son répertoire est essentiellement fondé sur la musique romantique. BERBERIAN (Cathy), mezzo-soprano américaine d’origine arménienne (Attleboro, Massachusetts, 1925 - Rome 1983). Après une éducation vocale traditionnelle, elle a consacré l’essentiel de son activité à la recherche de nouveaux modes d’expression vocale, mettant une intelligence, une sensibilité, une force de conviction exceptionnelles au service de la musique contemporaine. Maints compositeurs ont écrit spécialement à son intention, en particulier Luciano Berio dans des oeuvres comme Circles, Recital I et Sequenza III. C. Berberian fait essentiellement une carrière de concertiste, avec des récitals dont le programme va de la musique ancienne notamment Monteverdi, qu’elle affectionne - à l’avant-garde, en passant par de désopilantes parodies du chant traditionnel d’opéra ou de mélodie. La cantatrice n’hésite pas à employer le microphone pour amplifier ou modifier sa voix. Son aisance en scène, sa verve font de ses récitals un spectacle total. BERCEUSE. Forme de chanson populaire de rythme lent, faite pour endormir les enfants, la berceuse a donné naissance à un genre instrumental ou vocal caractérisé par le rythme obstiné de la basse, ainsi que par une mélodie doucement balancée. Parmi les compositions les plus connues inspirées par ce rythme, citons la Berceuse de Chopin pour piano, celle de Brahms pour chant et piano. Dans le domaine de l’orchestre, des berceuses ont été intro-

duites par Fauré dans sa suite Dolly et par Stravinski dans l’Oiseau de feu. BEREZOVSKI (Maxime), compositeur russe (Gloukhovo, Ukraine, 1745 - SaintPétersbourg 1777). Choriste à la chapelle impériale, il y fut remarqué par le compositeur italien Zoppis, qui prit soin de sa formation. En 1765, l’impératrice Élisabeth l’envoya travailler à Bologne auprès de Martini. Son premier opéra Demophon, créé à Livourne en 1773, conquit rapidement toute l’Italie. De retour en Russie en 1774, il constata qu’il était tombé dans l’oubli et que sa musique ne plaisait guère. Il se suicida dans sa trente-deuxième année. Dans ses opéras, Berezovski ne rechercha pas les effets faciles et s’intéressa aux rapports entre le texte et la musique. Dans ses nombreuses cantates d’église, il tenta d’unir le style et l’esprit des chants orthodoxes à une technique d’écriture italienne. BERG (Alban), compositeur autrichien (Vienne 1885 - id. 1935). Avec Schönberg et Webern, Berg forme l’école de Vienne. Un moment tenté par la poésie, passionné de littérature, il devint, de 1904 à 1910, le disciple de Schönberg, à qui il dut toute sa formation musicale. Un héritage lui permit, en 1906, de quitter la fonction publique pour se consacrer à la musique ; cependant, il assura, aux éditions Universal, un travail de réduction d’oeuvres pour le piano et ne fut délivré de tout souci matériel qu’en 1920. Dès 19071908, ses oeuvres furent exécutées dans les milieux d’avant-garde viennois, provoquant parfois un scandale comme, par exemple, deux des 5 Lieder avec orchestre d’après des textes de cartes postales illustrées d’Altenberg (1913). Rappelé sous les drapeaux en 1914, mais maintenu à Vienne en raison de sa santé précaire, Berg entreprit la composition de Wozzeck, d’après la pièce de Büchner qu’il venait de voir à la scène ; c’est à la suite de la création de cet opéra à Berlin (1925), sous la direction d’Erich Kleiber, qu’il fut reconnu. Cette même année, il termina le Concert de chambre, en hommage à Schönberg, et entreprit la Suite lyrique. Parallèlement, son activité pédagogique était intense. La montée du nazisme, l’exil

de Schönberg (1933) l’amenèrent à se retirer dans sa propriété des bords du Wörthersee, non loin de Klagenfurt. Ses efforts se concentrèrent, dès lors, sur la poursuite de la composition de Lulu, son second opéra, d’après Wedekind, composition entreprise en 1928. Mais la mort l’empêcha d’achever l’orchestration du dernier acte. La création des 5 Fragments symphoniques de Lulu en concert, sous la direction de Kleiber à Berlin (1934), constitua l’une des dernières manifestations publiques antinazies. Une septicémie emporta Berg en décembre 1935, quelques mois après la composition du concerto pour violon À la mémoire d’un ange, dont le titre évoque la mort de la jeune Manon, fille de l’architecte Gropius et d’Alma Mahler. Les adversaires de la méthode dodécaphonique et de la pensée sérielle en général ont toujours admis Berg en raison du caractère postromantique, sinon expressionniste, de certaines de ses pages. Il est de fait que ce compositeur n’a jamais refusé l’influence de Brahms, de Wagner ou de Schumann, sollicitant d’autre part l’amitié de Mahler, dont il est proche par la pensée, le souci formel et la recherche d’une sonorité orchestrale nouvelle. Il y a chez lui une obsession de la citation qui est une manière de s’enraciner dans la tradition (choral de Bach du concerto pour violon, etc.) ; cet enracinement est renforcé par le refus des formes brèves, chères à un Webern, exception faite des 4 Pièces pour clarinette et piano, au profit des schémas traditionnels. Ainsi, dans Wozzeck, chaque scène est-elle conçue au moyen d’une forme établie (suite, rhapsodie, passacaille, rondo) ; l’acte II se présente comme une vaste symphonie en cinq mouvements. Cet aspect constitue un élément d’approche pour un public désodownloadModeText.vue.download 94 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 88 rienté par une apparente rupture, rupture, qui, d’ailleurs, n’existe pas, même chez Schönberg. Certes, la spécificité de Berg est bien de « rattacher au passé chaque nouvelle étape du devenir de l’univers schönbergien » (Leibowitz), pour nier l’existence d’une rupture et pour affirmer une évolu-

tion du mode de pensée et d’écriture : si déjà on peut parler, dans son quatuor op. 3, de suspension de la tonalité et, dans la passacaille de Wozzeck, de l’emploi d’une série de douze sons différents, c’est dans la Suite lyrique qu’il réussit la gageure de faire coexister la composition libre et le système dodécaphonique ; seule une moitié de l’oeuvre est dodécaphonique, le reste relevant de l’écriture atonale libre sans que ne soient nullement affectées l’unité de style et la cohérence de l’oeuvre. Dans le concerto pour violon, oeuvre strictement dodécaphonique comme le Vin et Lulu, Berg tente la synthèse de la sérialité et de la tonalité par l’intermédiaire d’une série de base déterminant quatre accords parfaits majeurs et mineurs et s’achevant par quatre tons entiers. L’analyse qu’il en a fait ne laisse planer aucun doute sur le caractère rationnel de sa démarche et l’organisation de son langage. Il va encore plus loin dans Lulu, où il découvre les premières méthodes de permutation de la série de douze sons, qui lui permettent d’engendrer de nouvelles séries - un procédé qui va être perfectionné plus tard par Boulez, puis par Barraqué. Mais Berg est aussi, et surtout, un homme de théâtre, qui s’est orienté vers la « geste dramatique », même dans son écriture instrumentale. Wozzeck peut, d’une certaine manière, être considéré comme l’aboutissement d’une conception romantique et même wagnérienne de l’opéra. Le thème de l’oeuvre - un fait divers - se transforme en un mythe : l’exploitation de l’homme et ses conséquences. Obsédé par l’idée de pallier l’absence de l’unité que peut engendrer la tonalité et ses possibilités harmoniques, Berg a recours à l’organisation des formes anciennes de la musique pure, à douze musiques d’enchaînement et à une sorte de leitmotiv pour assurer la continuité du discours musical. De plus, l’acte III est entièrement construit sur des inventions : sur une note (si), un accord, un rythme, un intervalle. La grande leçon de Berg réside dans la prééminence de l’expression, mais aussi, dans de nouvelles propositions architectoniques et un nouveau mode de développement des cellules thématiques. Toutefois, cette élaboration formelle très poussée ne vise qu’à un seul but : l’efficacité dramatique. Enfin, on doit signaler, dans Wozzeck et dans Lulu, la manière d’user de la voix : Berg y fait appel à différentes techniques d’émission, du bel canto à la voix parlée et au choeur à

bouche fermée. BERG (Gunnar), compositeur danois (Saint-Gall, Suisse, 1909 - Berne 1989). Il a fait des études à Copenhague, à Paris avec Honegger et Messiaen, à Darmstadt avec Stockhausen. Influencé, à ses débuts, par Bartók, il a évolué vers une forme d’expression pointilliste aux structures multiples, se rattachant dans une certaine mesure au sérialisme. Ses oeuvres comprennent essentiellement des pièces pour orchestre, de la musique de chambre, des pièces pour piano et pour orgue et de nombreuses mélodies sur des textes de Shakespeare, Verlaine, etc. BERG (Josef), compositeur tchèque (Brno 1927 - id. 1971). Élève de Vilem Petrželka au conservatoire de Brno, puis critique musical, musicologue, théoricien, il a été l’un des animateurs de la vie artistique de Brno. Il écrivit à ses débuts plus d’une centaine d’arrangements ou de compositions originales pour l’orchestre populaire de la radio, sur de vieilles mélodies moraves. Puis se fit sentir l’influence occidentale celle de Henze, celle du studio de Cologne (Eimert, Stockhausen) -, ce qui détermina l’écriture de ses oeuvres pour petites formations de chambre : Sextuor pour harpe, piano et quatuor à cordes (1959), Nonuor (1962), Quatuor à cordes (1966). Berg a aussi tenté de pasticher l’opéra classique : en utilisant une mise en scène dépouillée, un petit effectif de chanteurs-acteurs, il a cherché à renouveler des mythes célèbres avec le Retour d’Ulysse (1962), Johanes Doktor Faust (1966), l’Orestie (1967). On y retrouve des traces de Stravinski, de Milhaud, au travers d’une écriture qui joue de la couleur de formations instrumentales inusitées. BERGAMASQUE (ital. bergamasca). Chanson à danser de rythme binaire, originaire de la province de Bergame en Italie. Elle emprunte souvent le schéma de la chaconne, c’est-à-dire une série de variations à partir d’une basse obstinée. Le terme apparaît pour la première fois dans le 3e livre de luth de Giacomo Gorzanis (1564), puis dans le 3e livre de villotte de Filippo Azzaiolo (1569). On trouve un

célèbre exemple de bergamasque dans les Fiori musicali de Frescobaldi (1635). Au XIXe siècle, cette danse a adopté un tempo très rapide à 6/8 se rapprochant de la tarentelle. Mais c’est seulement la consonance agréable du mot et son emploi par Verlaine dans un poème qui ont inspiré le titre de Suite bergamasque à Debussy et celui de Masques et bergamasques à Fauré. La romanesca est une forme analogue à la bergamasque. BERGANZA (Teresa), mezzo-soprano espagnole (Madrid 1935). Après des études au conservatoire de Madrid, elle a fait ses débuts en récital, en 1955, et à la scène, en 1957, au festival d’Aix-en-Provence dans le rôle de Dorabella (Cosi fan tutte, Mozart), inaugurant ainsi une carrière mondiale. T. Berganza est une styliste remarquable, servie par une technique exemplaire qui maîtrise un timbre pur et incisif. Son répertoire s’est longtemps fondé sur deux personnages de Mozart (Chérubin des Noces de Figaro et Dorabella) et trois de Rossini (Rosine du Barbier de Séville, Isabella de l’Italienne à Alger et Cendrillon). Son interprétation du rôle de Ruggiero dans Alcina de Haendel est également célèbre. Elle a abordé plus récemment les personnages de Carmen (Édimbourg, 1977) et de Charlotte dans Werther de Massenet. Elle obient aussi de grands succès en récital, notamment dans le domaine de la mélodie espagnole. BERGER (Erna), soprano allemande (Cossebaude 1900 - Essen 1990). Elle étudie le piano et le chant à Dresde, et est engagée pour la première fois par Fritz Busch à la Staatsoper de cette ville en 1925. En 1929, elle entre au Stätdtische Oper de Berlin, où elle participe à la création de Christ-Elflein de Hans Pfitzner. Entre 1929 et 1933, elle chante au Festival de Bayreuth, et, à partir de 1932, à Salzbourg. Sa facilité dans l’extrême aigu et sa tessiture de colorature dramatique lui permettent d’aborder soixante-dix rôles, de Rossini à Richard Strauss. Dans les opéras de Mozart, elle triomphe dans les rôles de la Reine de la Nuit et de Constance. De 1934 à 1938 elle chante à Covent Garden, en 1949 au Metropolitan de New York. De 1955 à 1968, elle se consacre au lied et à l’enseignement.

BERGER (Ludwig), compositeur allemand (Berlin 1777 - id. 1839). D’abord élève de Joseph Gürrlich dans sa ville natale, il se rendit à Dresde en 1801 pour y étudier avec Johann Gottlieb Neumann, mais celui-ci venait de mourir. De retour à Berlin, il y devint l’élève de Muzio Clementi, puis suivit ce dernier à Saint-Pétersbourg, où il resta jusqu’en 1812. L’invasion française l’obligea à gagner Stockholm, puis Londres, où il triompha comme pianiste. À partir de 1815, il vécut de nouveau à Berlin, comptant parmi ses élèves Mendelssohn et sa soeur Fanny. De ses nombreux lieder, cinq furent écrits vers 1817 sur des poèmes qui devaient former le noyau du cycle la Belle Meunière, plus tard mis en musique par Schubert. On lui doit aussi, pour piano, un concerto, des pages diverses dont les études op. 12 et op. 22, et sept sonates parmi lesquelles la Grande Sonate pathétique en ut mineur op. 7 (1804, version downloadModeText.vue.download 95 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 89 révisée publiée en 1812-1814), dédiée à Clementi et nettement inspirée de l’op. 13 de Beethoven. BERGER (Theodor), compositeur autrichien (Traismauer 1905 - Vienne 1992). Il a étudié la composition avec Franz Schmidt à l’Akademie fur Musik de Vienne, de 1926 à 1932. Son art se caractérise par une invention riche et exubérante, un style passionné et le goût de la beauté sonore recherchée pour elle-même, comme dans Rondino giocoso et Malinconia pour cordes (1938). Il a composé de la musique d’orchestre (Legende vom Prinzen Eugen, Concerto manuale, Concerto macchinale, Symphonischer Triglyph), un ballet (Homerische Symphonie), de la musique de chambre (2 quatuors à cordes, etc.), des oeuvres vocales (Faust, 1949) et des musiques de film. BERGERETTE. 1. Genre poétique et musical dérivé du rondeau, en vogue au XVe siècle en France ; à la différence du rondeau, la strophe du milieu n’a pas de refrain et sa longueur est variable, car elle n’est pas liée à celle de la

première strophe. 2. Au XVIe siècle, bergerette est le nom donné à quelques basses danses. 3. Chanson populaire de caractère pastoral et amoureux, de forme strophique, répandue au XVIIIe siècle. BERGEROTTI (Anna), cantatrice italienne (Rome v. 1630 - fin XVIIe s.). Ce « trésor venu d’Italie » arriva à Paris en 1655. Elle fit partie de la troupe italienne qu’entretint Mazarin et participa aux représentations d’opéras de Cavalli (Xerse, Ercole amante). Elle chanta aussi dans presque tous les ballets de cour en compagnie des cantatrices françaises Mlle Hilaire et Mlle de La Barre et figura notamment dans les scènes italiennes composées par Lully. Elle fut admirée par tous, même par les nombreux ennemis de la musique italienne. Les concerts qu’elle organisa dans sa résidence parisienne furent célèbres jusqu’à l’étranger. Elle quitta Paris en 1668 et épousa un marquis italien. BERGLUND (Paavo), chef d’orchestre finlandais (Helsinki 1929). Il étudie le violon et la direction à l’Académie Sibelius d’Helsinki et travaille ensuite à Vienne avec Otto Rieger, puis à Salzbourg. En 1949, il est engagé comme violoniste dans l’Orchestre symphonique de la radio finnoise, formation qu’il dirige de 1952 à 1971, et qu’il élève à un niveau international. De 1972 à 1979, il dirige l’Orchestre symphonique de Bournemouth, de 1974 à 1979 l’Orchestre philharmonique d’Helsinki, de 1987 à 1992 l’Orchestre philharmonique de Stockholm et, depuis cette dernière date, celui de Copenhague. Parallèlement à ces différentes fonctions de chef permanent, il dirige aussi la plupart des grands orchestres américains. Particulièrement apprécié pour ses interprétations des oeuvres de Sibelius, dont il a enregistré deux intégrales des symphonies, et de Chostakovitch, il a aussi été l’ardent défenseur des oeuvres de Nielsen, dont il a enregistré les six symphonies. BERGMAN (Erik Waldemar), compositeur finlandais (Nykarleby 1911). Il a fait ses études à Helsinki, à Berlin

et en Suisse. Intéressé par le grégorien et par les cultures d’Extrême-Orient, il recherche des formes d’expression nouvelles issues des sonorités impressionnistes aussi bien que de la technique sérielle ou du style tonal libre. Il a été, en Finlande, un pionnier de l’écriture dodécaphonique et son influence dans ce domaine s’est exercée à travers ses cours à l’Académie Sibelius. Il a surtout écrit des oeuvres pour orchestre, pour voix et pour piano. Son opéra l’Arbre qui chante a été créé à Helsinki en 1995. BERGONZI (Carlo), ténor italien (Parme 1924). Il a commencé sa carrière comme baryton, à Lecce, en 1948, dans le rôle de Figaro (Barbier de Séville, Rossini), puis a fait de nouveaux débuts comme ténor, à Bari, en 1951, dans André Chénier de Giordano et a acquis peu à peu une réputation mondiale. Sa voix est peu spectaculaire, mais d’une belle qualité ; sa technique et son style sont exemplaires. Il s’est consacré exclusivement au répertoire italien, de Donizetti à Puccini et Giordano, et, particulièrement, à Verdi. Ses interprétations de Radamès dans Aïda et de Riccardo dans Un bal masqué sont très renommées. BERIO (Luciano), compositeur italien (Oneglia, Ligurie, 1925). Issu d’une famille musicienne, il a eu son père pour premier professeur. Au conservatoire Verdi de Milan, il a étudié la composition avec Paribene et Ghedini, la direction d’orchestre avec Votto et Giulini. Il a subi l’influence de Dallapiccolla, son maître à Tanglewood (États-Unis). Certaines de ses premières oeuvres comme Nones (1954) sont d’inspiration sérielle. En 1955, Luciano Berio fonde avec son ami Bruno Maderna le studio de phonologie de la R. A. I. à Milan. Luigi Nono se joint à eux. C’est l’époque vive des premières découvertes électroacoustiques ; il écrit Thema (Omaggio a Joyce) [1958]. Dans ce lieu ouvert viennent travailler de jeunes compositeurs de tous pays, comme André Boucourechliev. Berio s’affirme comme un pionnier, un explorateur. À partir de 1960, il donne des cours à Darmstadt (mais là, on l’entend le soir improviser du jazz au piano, avec

Maderna), à Darlington, à Mill’s College (Californie), à Harvard, à l’université Columbia. Il s’intéresse au rock, au folk, leur consacrant des essais et les mêlant dans le creuset de sa musique, laquelle est une musique libre, sans frontières. Berio a sondé, d’abord dans la clarté de l’intuition, puis prudemment, lucidement, des domaines originaux et longtemps oubliés de notre culture occidentale, en particulier celui de la voix, qu’il a littéralement libérée. La figure étrange et passionnée de Cathy Berberian apparaît dans sa vie et devient l’âme de sa création en même temps que l’« instrument » adapté à ses recherches : C. Berberian va créer nombre de ses oeuvres. Tout en enseignant la composition à la Juilliard School of Music de New York, Berio fait de nombreux voyages. Fulgurant, éclatant, limpide, baroque, fou de théâtre et de littérature, il dévore les poètes (Joyce, Cummings, Sanguineti). La mort de Martin Luther King l’émeut profondément, O King (1965, créé en 1967). Proustien, Berio retouche sans cesse ses oeuvres, élabore de nouvelles versions. Tout en aimant l’Amérique, il ne tranche pas ses racines italiennes. Il ne se laisse, de toute façon, enfermer dans aucun clan. On ne trouve chez lui aucune trace de parti pris théorique, aucune gratuité abstraite. Son intelligence prend appui sur la vie, sur une imagination généreuse, sur un esprit d’invention, une chaleur méditerranéenne qui garde le contact entre les hommes et l’art. Il libère une expression verbale souvent affective, spontanée, immédiatement descriptive : murmures, cris, souffles, pleurs, bruissements, onomatopées attachés à la vie corporelle. Il libère la respiration. Sa musique semble couler de source ; l’élégance de l’écriture en cache les complexités. Circles (1960), ou encore la série des Séquences (Sequenza I à XI, 1958-1988) pour instruments solistes, inventent, dans un jeu de manipulations et de métamorphoses, des formes nouvelles, et il en va de même de la série parallèle des Chemins. Voix ou instruments sont poussés à l’extrême limite de leur virtuosité, arrachés à leur tradition, élargis. Epifanie (1961) suit la même évolution : textes de poètes, écartelés, au bord du tragique. Harmoniste raffiné dans Folk Songs, Berio se montre un maître de la technique de la variation dans la série Chemins (1965-1975), où

des commentaires variés à l’infini laissent apparaître des « collages ». Passagio (1962, créé en 1963), Laborintus II (1965), Recital I (1972) sont des approches très personnelles du théâtre musical. L. Berio semble downloadModeText.vue.download 96 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 90 être imprégné de tout ce qui vit, pour le laisser réapparaître tôt ou tard. On rencontre dans Sinfonia (1968) l’amour de Mahler, dans Sequenza VII (1969) pour hautbois un goût de la lumière, et, un peu partout, les jeux de la mémoire de ce qui fut aimé, entendu, rencontré. Chez Berio se côtoient des inflexions vocales ou instrumentales proches du jazz, la tension du nô japonais, l’esprit contemplatif de la musique indienne. Partout, le compositeur recrée des situations déchirantes ou paisibles. Coro (1976) est sans doute l’un des sommets de son oeuvre, une anthologie de l’homme, de son aventure et de son paysage intérieurs. Les langues, les folklores, les styles y sont brassés avec violence et tendresse. Après avoir dirigé jusqu’en 1980 le département électroacoustique de l’I. R. C. A. M. à Paris il devint responsable de l’antenne de cet organisme à Milan. Après Opera (1969-70), des oeuvres comme Linea (1974), Points on the curve to find (1974), Coro (1976), les opéras La vera storia (Milan, 1982), Un re in ascolto (Salzbourg, 1984) et Outis (Milan, 1995), Formazioni pour orchestre (1986), Concerto II « Echoing Curves « (Paris, 1988), Festum pour orchestre (Dallas, 1989), Chemins V pour guitare et orchestre de chambre (1992) ont montré que Berio avait encore le pouvoir de surprendre. Le compositeur s’explique : « Je crois qu’il faut vivre dans l’esprit de la fin de la Renaissance et des débuts du baroque, dans l’esprit de Monteverdi qui inventait la musique pour trois siècles à venir...» BÉRIOT (Charles Auguste de), violoniste et compositeur belge (Louvain 1802 Bruxelles 1870). Autodidacte, il était déjà en pleine possession de sa technique quand il rencontra Viotti en 1821 ; celui-ci le fit entrer dans

la classe de Baillot, au Conservatoire de Paris. Puis une tournée triomphale en Angleterre établit sa renommée. Après la révolution de 1830, Bériot fit de nouvelles tournées avec la cantatrice Maria Malibran qu’il épousa en 1836. Il devint aveugle et paralysé après 1858. Son art élégant, qu’il transmit à ses disciples, notamment Henri Vieuxtemps, à travers son enseignement au conservatoire de Bruxelles (18431852), se retrouve dans ses compositions, par exemple ses 9 concertos pour violon. Il a écrit une Méthode de violon en 3 parties (1858) et a collaboré à des ouvrages de son fils Charles Wilfrid (1833-1914) sur l’accompagnement au piano. BERKELEY (sir Lennox), compositeur anglais (Boars Hill, Oxford, 1903 - Londres 1989). Après des études à l’université d’Oxford, il décida de se consacrer à la musique et séjourna, de 1927 à 1932, en France, où il travailla avec Nadia Boulanger, se lia d’amitié avec Francis Poulenc et se convertit au catholicisme. Il chercha aussi conseil auprès de Maurice Ravel et tira de cette formation et (peut-être) de son ascendance françaises un goût marqué pour l’élégance et la clarté, pour la forme et la concision. De 1946 à 1968, il a enseigné la composition à la Royal Academy of Music de Londres. Berkeley est un des compositeurs les plus respectés en Angleterre. Sa réputation s’est d’abord fondée sur des oeuvres à effectifs réduits, comme la Sérénade pour cordes op. 12 (1938) ou le Divertimento op. 18 (1943), sa première grande réussite. Il aime l’intimité et a beaucoup composé pour des formations de chambre : son trio pour cor, violon et piano op. 44 (1954), conçu pour Dennis Brain, est particulièrement remarquable, et on lui doit aussi un trio à cordes (1943) et trois quatuors à cordes (1935, 1942 et 1970). Sa musique pour piano est également importante (sonate op. 20, 1943). Comme son contemporain et ami Britten, Berkeley éprouve un vif penchant pour la voix : il a composé plusieurs cycles de mélodies, parmi lesquels les 4 Sonnets de Ronsard op. 40 (1952), les 4 Sonnets de Ronsard op. 62 pour ténor (1963), à la mémoire de Francis Poulenc, et, surtout, les 4 Poèmes de sainte Thérèse d’Avila op. 27 pour contralto et cordes (1947) : cette dernière page, sans doute son chef-d’oeuvre, fut destinée à Kathleen Ferrier. Ayant

souffert de l’étiquette de miniaturiste, Berkeley a su montrer une autre forme de son talent dans ses concertos - pour piano op. 30 (1947), pour 2 pianos op. 34 (1948), pour violon op. 59 (1961) - , dans Dialogue pour violoncelle et orchestre op. 79 (1970), ainsi que dans ses quatre symphonies op. 16 (1940), op. 51 (19561958), op. 74 (1969) et op. 94 (1976-77). Il a moins réussi dans ses opéras Nelson op. 41 (Londres 1954), A Dinner Engagement op. 45 (Aldeburgh, 1954), Ruth op. 50 (Londres, 1956) et Castaway op. 68 (Aldeburgh, 1967), mais a écrit de belles oeuvres religieuses, dont le Stabat Mater op. 28 (1947), la Messe a cappella op. 64 (l964) et le Magnificat op. 71 (1968). BERLIN (histoire de la vie musicale à). Au début du XVIIe siècle, Berlin entra dans l’histoire de la musique avec des musiciens tels Johannes Eccard et Nikolaus Zangius, maîtres de chapelle à la cour du prince électeur. La musique protestante fut représentée dans la première moitié du XVIIe siècle par Johann Crüger. Pendant la guerre de Trente Ans, l’activité musicale connut un ralentissement comme dans le reste de l’Allemagne. En 1701, Berlin prit rang de résidence royale. C’est sous le règne de Frédéric II (1740-1786) que la ville devint un foyer musical important, les artistes se partageant entre la capitale de la Prusse et le séjour royal de Potsdam. On y rencontre Johann Joachim Quantz, Carl Philipp Emanuel Bach, les Benda, Carl Heinrich et Johann Gottlieb Graun, Johann Friedrich Reichardt, Christoph Nichelmann, Johann Philipp Kirnberger, Friedrich Wilhelm Marpurg et Carl Friedrich Zelter. Les compositeurs de l’école de Berlin se sont illustrés dans les domaines de la symphonie, de la musique instrumentale, du lied et de l’opéra. En 1742 fut inauguré l’Opéra royal Unter den Linden ou Hofoper (Opéra de la Cour). Berlin était également réputé à cette époque comme centre de théorie musicale. Au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe régna une activité intense : les orchestres, les sociétés chorales, les académies de musique religieuse, les opéras et les écoles de musique se multiplièrent, en particulier, de 1800 à 1832, sous l’impulsion de Zelter. La musique orchestrale se développa particulièrement

dans la seconde moitié du XIXe siècle. De nombreuses formations furent créées : la Musikausübende Gesellschaft, fondée par Johann Philipp Sack en 1752, l’Orchestervereinigung Berliner Musikfreunde, devenue ensuite le Berliner Orchesterverein, le Königliches Hoforchester, devenu ensuite la Staatskapelle, qui compta parmi ses chefs Felix Weingartner et Richard Strauss, et, enfin, l’Orchestre philharmonique de Berlin qui, fondé en 1882, est considéré depuis plusieurs dizaines d’années comme l’un des meilleurs orchestres du monde ; il a eu notamment pour chefs Hans von Bülow (1887-1892), Arthur Nikisch (1897-1922), Wilhelm Furtwängler (1922-1945 et 1947-1954), Sergiu Celibidache (1945-1947) et Herbert von Karajan (depuis 1954). Au XXe siècle, sont venus s’ajouter les orchestres de la radio : Berliner Rundfunk pour Berlin-Est, Nordwestdeutscher Rundfunk et RIAS pour Berlin-Ouest. L’Orchestre RIAS a connu une période de grande notoriété quand Ferenc Fricsay en était le directeur (1948-1954). Parmi les sociétés chorales figurent le Choeur philharmonique, le Choeur de la cathédrale Sainte-Hedwige et la célèbre Singakademie, fondée, en 1791, par Christian Fasch et dirigée ensuite par Zelter ; c’est avec le concours de cette formation que Mendelssohn dirigea, en 1828, la Passion selon saint Matthieu de Bach, tombée dans l’oubli depuis près d’un siècle. Les académies de musique religieuse les plus importantes sont l’Akademie für Kirchenmusik, fondée en 1822, la Gesellschaft zur Förderung der kirchlichen Tonkunst et le Caecilienverein. Plusieurs grandes scènes d’opéra ont valu à Berlin sa renommée dans le domaine lyrique. Inaugurée en 1742, la Hofoper a vu la création du Freischütz de Weber en 1821 et l’opposition entre les downloadModeText.vue.download 97 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 91 partisans de cette oeuvre de style nouveau et ceux du style de Spontini, qui était alors directeur musical du théâtre. Les Joyeuses Commères de Windsor de Nicolai y furent créées en 1849. Baptisée, après 1918, Staatsoper (Opéra d’État), cette scène a eu pour intendants ou directeurs de la mu-

sique Richard Strauss, Felix Weingartner, Karl Muck, Max von Schillings, Heinz Tietjen. Les créations de Wozzeck d’Alban Berg (1925), Christophe Colomb de Milhaud (1930), Das Herz de Pfitzner (1931) et Peer Gynt de Egk (1938) s’y sont, entre autres, déroulées. Située dans l’ancien secteur Est, la Staatsoper a eu pour directeurs musicaux, après la guerre, Franz Konwitschny (1955-1961) et Otmar Suitner, de 1964 à 1975. Le Deutsches Opernhaus, inauguré en 1912 et appelé après 1918 Städtische Oper (Opéra municipal), a compté parmi ses intendants Carl Ebert et parmi ses directeurs musicaux Bruno Walter et Ferenc Fricsay. Détruit en 1944, lors d’un bombardement aérien, il a repris en 1961 le nom de Deutsche Oper. Inaugurée en 1924, la Kroll Oper devint rapidement célèbre par son orientation très particulière ; notamment sous la direction d’Otto Klemperer (1927-1931), ce fut un théâtre de créations (opéras de Hindemith, etc.) et une scène d’avant-garde en ce qui concerne les décors et la mise en scène du répertoire. Une position comparable, dans le domaine de l’interprétation scénique, a été occupée après la dernière guerre par la Komische Oper, qui, ouverte en 1947, a appuyé sa célébrité sur les mises en scène de son intendant Walter Felsenstein. Dans le domaine de l’enseignement de la musique, les institutions les plus importantes sont l’université, où ont professé Philipp Spitta et Arnold Schering, la Hochschule für Musik, fondée en 1869, le conservatoire municipal (autrefois Stern’sches Konservatorium), le conservatoire Klindworth-Scharwenka, l’Institut für Musikforschung et la Berliner Kirchenmusikschule. BERLIOZ (Hector), compositeur français (La Côte-Saint-André, Isère, 1803-Paris 1869). C’est à La Côte-Saint-André, où son père était médecin, qu’Hector Berlioz reçut sa première éducation musicale. Il apprit à jouer du flageolet, de la flûte et de la guitare. À seize ans, muni de quelques rudiments théoriques puisés dans les traités d’harmonie de Rameau et de Catel, ainsi que dans les Éléments de musique de d’Alembert, il écrivit un quintette pour

flûte et quatuor. Bachelier, en 1821, il partit pour Paris afin d’y suivre les études de médecine, selon le voeu de son père. Mais il y fréquenta plus volontiers l’Opéra que l’amphithéâtre de la Pitié et il voua à Gluck une admiration passionnée. Dès 1823, il travailla la composition avec Lesueur et, à l’automne de la même année, entreprit d’écrire une Messe solennelle, qui devait être exécutée, à ses frais, à l’église Saint-Roch, en 1825. Si cette messe fut très remarquée, elle laissa son auteur endetté. Et Berlioz vécut pauvrement. VOCATION : MUSICIEN. À cette époque, le jeune homme découvrit Weber ; ce fut une nouvelle flambée d’enthousiasme. Éliminé au concours de Rome (1826), il vit ses parents s’opposer à sa vocation artistique. Sa mère le maudit, mais son père finit par céder. Berlioz s’inscrivit alors au Conservatoire, où il étudia la composition avec Lesueur, le contrepoint et la fugue avec Reicha. En 1827, il se présenta à nouveau, sans succès, au concours de Rome. Peu après, il fut subjugué par Shakespeare, dont on joua Hamlet et Roméo et Juliette à l’Odéon ; en même temps, il tomba amoureux, et amoureux fou, de l’actrice irlandaise qui interprétait les rôles d’Ophélie et de Juliette, Harriet Smithson. Bientôt, il reçut un nouveau choc avec le Faust de Goethe. Son destin musical était déjà tracé. Une troisième fois, en 1828, Berlioz se présenta au concours de Rome et obtint le second grand prix avec Herminie. Il composa Huit Scènes de Faust. Après un nouvel échec au concours de Rome, pour lequel il écrivit la Mort de Cléopâtre (1829), l’année 1830 fut marquée par la Symphonie fantastique et par le premier grand prix de Rome avec la cantate la Dernière Nuit de Sardanapale. Le 5 décembre, dans la salle du Conservatoire, eut lieu la première audition de la symphonie. Liszt fut enthousiaste. UNE PÉRIODE AGITÉE. Berlioz se croyait alors guéri de sa passion pour Harriet Smithson et se fiança avec une jeune pianiste, Camille Moke. En mars 1831, il arriva à Rome, à la Villa Médicis. Il ne s’y plut guère et, ayant appris que Camille Moke avait rompu ses fiançailles, possédé par un désir de vengeance,

il voulut regagner Paris. Mais il s’arrêta à Nice, où il écrivit les ouvertures du Roi Lear et de Rob Roy. De retour à Rome, en juin, il composa Lélio ou le Retour à la vie, présenté comme une suite à la Symphonie fantastique. En novembre 1832, Berlioz, redevenu parisien, fit exécuter, sous la direction d’Habeneck, la Symphonie fantastique et Lélio ; ces oeuvres remportèrent un grand succès. Harriet Smithson assistait au concert et, s’enflammant de nouveau, le compositeur lui déclara sa passion ; il devait l’épouser en octobre 1833. À la demande de Paganini, le musicien composa une oeuvre pour alto et orchestre, Harold en Italie, dont la première audition, avec Chrétien Urhan en soliste, fut donnée l’année suivante. Critique musical au Journal des débats à partir de 1835, il obtint, en 1837, la commande d’un Requiem, qui devait être joué aux Invalides, le 5 décembre. Cette partition fut très bien accueillie. Mais il n’en fut pas de même pour son opéra Benvenuto Cellini, qui, en 1838, ne fut représenté que quatre fois. Toutefois, en décembre de cette même année, un concert au cours duquel Berlioz dirigea Harold en Italie et la Symphonie fantastique apporta au compositeur une revanche : Paganini proclama son génie et lui fit don d’une somme de vingt mille francs qui lui permit d’éponger ses dettes et d’entreprendre en janvier 1839 la symphonie dramatique Roméo et Juliette, créée avec succès en novembre. Wagner assista à cette première et ne cacha pas son enthousiasme. L’année suivante, pour le dixième anniversaire des Trois Glorieuses, le compositeur dirigea sa Symphonie funèbre et triomphale. Au cours de cette période, la vie conjugale de Berlioz devenait insupportable ; le ménage se désagrégeait de jour en jour. Et, en 1841, le musicien s’éprit d’une cantatrice, Marie Recio. DES TRIOMPHES À L’ÉTRANGER. Commença alors l’ère des tournées de concerts à l’étranger, d’abord en Belgique, puis en Allemagne, où Marie Recio l’accompagna. Revenu à Paris, en 1843, Berlioz se sépara d’Harriet. En 1846, des concerts triomphaux à Prague et à Budapest le dédommagèrent des déceptions que lui avaient apportées les « festivals »

qu’il avait organisés à grands frais à Paris. Il acheva la Damnation de Faust, qui fut créée sous sa direction en décembre, à l’Opéra-Comique ; ce fut un demi-échec. Criblé de dettes, le compositeur partit, en 1847, pour diriger des concerts en Russie ; il y remporta un très grand succès, à Saint-Pétersbourg comme à Moscou. En 1849, il écrivit son Te Deum. Liszt fit représenter Benvenuto Cellini à Weimar, en 1852, et, cette fois-ci, l’ouvrage remanié et abrégé fut fort bien accueilli. Mais la vie familiale de Berlioz demeurait difficile. En 1854, Harriet Smithson, malade depuis plusieurs années, paralysée, mourut. Le musicien épousa Marie Recio. La première exécution de l’Enfance du Christ, en 1854, fut un triomphe. Le Te Deum fut joué à Saint-Eustache en 1855. Élu à l’Institut l’année suivante, Berlioz se tourna de nouveau vers l’opéra : en 1859, il acheva les Troyens et, en 1862, Béatrice et Bénédict, dont la première eut lieu à Baden-Baden, tandis que les trois derniers actes des Troyens ne furent représentés qu’en 1863, à Paris, au Théâtre lyrique, sous le titre les Troyens à Carthage. 1862 fut aussi l’année de la mort de Marie Recio, qui laissa le compositeur en proie au découragement et à la solitude. En 1864, il démissionna du Journal des downloadModeText.vue.download 98 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 92 débats. Trois ans plus tard, son fils Louis (né en 1834) mourut de la fièvre jaune à La Havane. Berlioz était lui-même malade. Pourtant, il effectua un nouveau voyage en Russie. La fin de l’année 1868 fut particulièrement sombre : en décembre, la maladie le cloua au lit. Il mourut le 8 mars 1869 et fut enterré au cimetière de Montmartre. LE SENS DE L’UNIVERSEL. Hector Berlioz est une des grandes figures de la musique romantique européenne. Il fut mieux compris en Allemagne, en Bohême, en Hongrie et en Russie que dans son propre pays. Ses meilleurs défenseurs furent Paganini, Liszt et Schumann. Il est vrai que ses sources littéraires d’inspiration, puisées dans Shakespeare et Goethe, lui ont donné le sens de l’universel, dépassant le cadre étroit des frontières

nationales. Mais, parmi ces sources, il y a aussi Virgile, et l’on ne peut nier, à côté du « fantastique » et des débordements de la passion, la clarté méditerranéenne d’Harold en Italie, de l’Enfance du Christ et des Troyens. Berlioz est un passionné lucide. Il conçoit dans l’enthousiasme, puis exécute froidement. Ce romantique est exactement le contraire d’un improvisateur. Il faut que sa vision poétique soit rendue avec évidence, il faut que la projection dans la musique de son « moi » omniprésent soit parfaitement perceptible. Même le rêve, même le délire cèdent chez lui au besoin d’énoncer clairement et d’enchaîner logiquement. Dès la Symphonie fantastique (1830), il rejette le schéma traditionnel de la symphonie, pour lui substituer une progression dramatique en cinq épisodes (Rêveries et Passions ; Un bal ; Scène aux champs ; Marche au supplice ; Songe d’une nuit de sabbat), qui évolue de la tendresse la plus pure au délire et au sarcasme, unifiée par la présence d’un thème obsessionnel, l’« idée fixe ». Avec le concours d’un alto solo « combiné avec l’orchestre de manière à ne rien enlever de son action à la masse orchestrale », Harold en Italie (1834) met de nouveau en vedette un personnage mélodique (analogue à l’« idée fixe »), qui se mêle à des paysages et à des scènes tout en poursuivant sa méditation solitaire. Roméo et Juliette (1839) se libère totalement des contraintes de la structure symphonique, au bénéfice d’une approche poétique, mais toujours logique, qui cerne l’action dramatique de diverses manières, tantôt la survolant, tantôt la commentant, tantôt s’y incorporant pour la vivre intensément. La Symphonie fantastique a pour soustitre « Épisode de la vie d’une artiste ». Roméo et Juliette est une « symphonie dramatique ». La Damnation de Faust (1846) est une « légende dramatique » sans être pour autant destinée à la scène ; ici, la symphonie évolue vers l’opéra. Tout est drame chez Berlioz. Les thèmes sont des personnages ; l’orchestre est un décor, un lieu scénique. La Grande Messe des morts ou Requiem (1837) n’échappe pas à cette loi, et même la confirme avec éclat. LA MODERNITÉ DE BERLIOZ. Berlioz est essentiellement un musicien

de rupture. Il y a dans son oeuvre des moments où sa fougue créatrice anticipe étrangement sur les audaces de la musique du XXe siècle. Berlioz annexe des territoires encore vierges, ne s’embarrasse pas de contraintes, ne redoute pas la démesure. Peu lui importent les moyens, seul compte ce qu’il a à dire, et cette volonté d’aller jusqu’au bout de ce qu’il doit exprimer entraîne la découverte de moyens nouveaux qui élargissent le domaine du compositeur. Une orchestration « moderne », où le timbre, la couleur, la dynamique jouent un rôle prépondérant dans l’expression musicale, le sens du modal qui enrichit l’harmonie et affine la mélodie, une conception toute personnelle du contrepoint qui lui permet de superposer des éléments très différenciés, créant une sorte de simultanéité qui lui appartient en propre, le recours à la stéréophonie, telles sont quelques-unes des conquêtes de Berlioz, mais elles n’ont force d’évidence que parce qu’elles sont apparues dans des chefs-d’oeuvre (Symphonie fantastique, Requiem, Harold en Italie, Roméo et Juliette, la Damnation de Faust, les Troyens). On n’oubliera pas enfin que Berlioz fut un remarquable écrivain et un excellent critique musical. Ses passionnants Mémoires et ses livres sur la musique en témoignent. BERMAN (Lazar), pianiste russe (Leningrad 1930). Élève d’abord de sa mère, enfant prodige (il se produit pour la première fois en public à l’âge de sept ans), il n’entre qu’en 1948 au Conservatoire de Moscou, où il étudie avec Goldenweiser, Richter et Sofronitzki. Lauréat de plusieurs concours internationaux, dont en 1956 le Concours Reine Élisabeth de Belgique, il devient en U.R.S.S. l’un des pianistes les plus réputés de sa génération, pour sa virtuosité exceptionnelle et la clarté de son jeu. Pendant vingt ans, sa carrière se déroule presque uniquement en U.R.S.S. En 1976, son enregistrement du 1er concerto de Tchaïkovski sous la direction de Karajan le fait connaître hors de son pays et dans toute l’Europe. De même que Richter, Sofronitzki ou Guilels, il est l’un des très grands représentants de l’école russe de piano. Depuis la fin des années 1970, il se produit dans le monde entier. BERNAC (Pierre BERTIN, dit Pierre), bary-

ton français (Paris 1899 - Villeneuve-lèsAvignon 1979). À partir de 1933, il se consacra exclusivement à la mélodie et, accompagné au piano par Francis Poulenc dont beaucoup d’oeuvres furent créées par lui, il constitua avec le compositeur un duo exceptionnel qui contribua beaucoup à la diffusion de la mélodie française dans le monde entier. L’art d’interprète de Bernac fit de lui l’un des grands noms dans le difficile domaine de la « parole en musique ». Il fut professeur à l’université Howard de Michigan et au conservatoire américain de Fontainebleau, avant de poursuivre son activité de pédagogue à Londres et à Saint-Jean-deLuz, notamment. BERNAOLA (Carmelo Alonso), compositeur espagnol (Ochandiano, Vizcaya, 1929). Il a fait ses études au conservatoire de Madrid et obtenu le prix national de la musique en 1962 et celui des Jeunesses musicales en 1967. Il a également travaillé à Rome avec Goffredo Petrassi et, à Darmstadt, avec Bruno Maderna. Parti d’une phase néoclassique, illustrée notamment par le Piccolo Concerto pour violon et orchestre à cordes (1959), il a évolué ensuite vers l’atonalité, sous le signe à la fois du sérialisme et de l’improvisation : en témoignent Superficie no 1 pour double quatuor d’instruments à cordes et d’instruments à vent (bois), piano et percussion (1961), Superficie no 2 pour violoncelle solo (1962, rév. 1965), Superficie no 3 pour flûte piccolo, saxophone alto, xylophone et bongos (1963), et Espacios variados pour grand orchestre (1962, rév. 1969). Heterofonias pour grand orchestre (1965, rév. 1967) est d’une conception plus abstraite, et influencée par les arts plastiques, alors que dans Impulsos pour grand orchestre (1970-1972) on retrouve certaines polarisations harmoniques ou formelles traditionnelles. Clarinettiste, Bernaola a écrit pour son instrument Oda für Marisa pour clarinette, cor et orchestre de chambre (1970), Argia Ezta Ikusten pour clarinette, vibraphone, piano et percussion (1973), et Superposiciones variables pour clarinette et 2 magnétophones (1975). On lui doit encore de nombreuses musiques de scène - pour les Femmes savantes, Lysistrata, Hedda Glaber, le Roi Lear - et de nombreuses musiques de film, et il a reçu à ce titre, de l’Association des composi-

teurs de cinéma, le prix de la meilleure musique en 1967, 1969 et 1972. BERNARD (Robert), compositeur et musicologue suisse (Genève 1900 - Paris 1971). Après des études musicales à Genève, il se fixa à Paris en 1926. Pianiste, organiste, conférencier, professeur à la Schola candownloadModeText.vue.download 99 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 93 torum, directeur de la Revue musicale, président ou animateur de nombreuses associations, Robert Bernard se dévoua totalement à la cause de la musique. Il est l’auteur d’une oeuvre de style néoromantique, pour orchestre, pour des formations de chambre et pour la voix. On lui doit d’autre part de nombreux ouvrages de musicologie, notamment une Histoire de la musique (3 vol., Paris, 1961-1963). BERNARD (saint), théologien français appartenant à l’ordre de Cîteaux (château de Fontaine, près de Dijon, v. 1090 Clairvaux, Aube, 1153). Il n’était pas musicien au sens propre du mot, mais, par son esthétique de dépouillement et d’austérité, il provoqua dans la liturgie de l’ordre cistercien une série de restrictions : mélismes amputés, mélodies appauvries, ambitus réduit à dix notes au plus pour respecter la parole du psalmiste qui évoque son « psaltérion à dix cordes ». Saint Bernard est également cité comme l’auteur du Salve Regina, mais l’expression doit s’entendre au sens littéraire et non musical. BERNARD DE VENTADOUR, troubadour occitan (château de Ventadour, Corrèze, v. 1125 - abbaye de Dalon, Dordogne, v. 1195). C’est un des rares troubadours d’origine roturière. Il eut pour maître et protecteur Eble II, seigneur de Ventadour, qui lui enseigna l’art de « trouver ». Il tomba amoureux de Marguerite de Turenne, puis d’Aliénor d’Aquitaine, qui lui accorda sa protection. Il voyagea beaucoup en France et suivit sa maîtresse en Angleterre, où il séjourna à la cour d’Henri II.

Il entra au service de Raimond IV, comte de Toulouse, avant de devenir moine à l’abbaye de Dalon. De ce très grand poète, il nous reste 45 textes, dont une vingtaine de chansons notées, presque toutes des chansons d’amour dans lesquelles la musique vient renforcer l’extrême beauté de chaque image. Bernard de Ventadour disait lui-même que « le chant qui ne vient pas du fond du coeur n’a pas de valeur ». La plus célèbre de ses chansons est sans doute Can vei la lauzeta mover. BERNARDI (Steffano), compositeur italien (Vérone 1576 ? - ? 1636). Il fut maître de chapelle à la cathédrale de Vérone avant d’entrer au service de l’évêque de Breslau. Il obtint ensuite le poste de maître de chapelle à Salzbourg, qu’il garda jusqu’à sa mort. Auteur de messes et d’oeuvres religieuses diverses, de madrigaux, de sonates, etc., il doit surtout sa réputation à un Te Deum à 48 voix réparties en 12 choeurs, qui fut exécuté pour la consécration de la cathédrale de Salzbourg en 1628. BERNERS (sir Gerald Hugh Tyrwitt-Wilson, lord), compositeur anglais (Arley Park, Shropshire, 1883 - Londres 1950). Membre du corps diplomatique de 1909 à 1920, il étudia la musique à Dresde et à Vienne, reçut les conseils de Stravinski, de Casella et de Vaughan Williams, et se lia d’amitié dans les années 1920 avec George Bernard Shaw, H. G. Wells et Osbert Sitwell. Son comportement social bizarre et son goût de la plaisanterie firent de lui une sorte de Satie britannique. Ses oeuvres les plus célèbres sont l’opéra le Carrosse du Saint-Sacrement, d’après Mérimée (Paris 1924) et le ballet The Triumph of Neptune (1926). BERNGER VON HORHEIM, minnesänger allemand, originaire de Souabe (fin du XIIe s.). On retrouve sa trace en Italie. On connaît de lui six chansons, où se manifeste une forte influence française. L’une d’entre elles a été identifiée par Friedrich Gennrich comme une nouvelle version d’une chanson de Chrétien de Troyes, D’amours qui a tolu a moi, ce qui attire l’attention sur l’important apport de Chrétien de Troyes au minnesänger.

BERNHARD (Christoph), compositeur et théoricien allemand (Dantzig 1627 Dresde 1692). Il étudia à Dantzig avec Paul Siefert, puis à Dresde avec Heinrich Schütz. En 1649 et 1651, il voyagea en Italie où il rencontra Carissimi. Vice-maître de chapelle à Dresde (1655-1664), il devint maître de chapelle à Hambourg (1664), puis à Dresde (1681-1688). Sa musique vocale religieuse (concerts spirituels, Missa « Christ unser Herr zum Jordan kam ») se situe à mi-chemin de Schütz et de Johann Sebastian Bach. Bernhard est également l’auteur d’ouvrages théoriques. BERNIER (Nicolas), compositeur français (Mantes-la-Jolie 1664 - Paris 1734). Après avoir été enfant de choeur à la collégiale de Mantes, il aurait travaillé à Rome avec Caldara. En 1692, il enseigna le clavecin à Paris, puis fut, entre 1694 et 1698, maître de chapelle à la cathédrale de Chartres. De retour à Paris, il se fit connaître par un Te Deum, aujourd’hui perdu, qui fut joué dans plusieurs églises et à la Cour à Fontainebleau. En 1703, il publia son premier livre de motets et succéda, l’année suivante, à Marc-Antoine Charpentier à la Sainte-Chapelle. Il épousa, en 1712, l’une des filles de Marin Marais, collabora aux fêtes données à Sceaux par la duchesse du Maine et obtint, en 1723, l’un des quatre postes de sousmaître de chapelle à Versailles, vacants depuis la démission de Delalande. Outre une oeuvre religieuse comprenant des leçons de ténèbres et des motets, Nicolas Bernier a laissé de nombreuses pièces profanes ; airs sérieux et à boire et, surtout, 8 livres de cantates, genre qu’il fut l’un des premiers à illustrer, par exemple avec sa cantate le Café. Ses compositions, essentiellement vocales, allient avec bonheur les goûts français et italien. BERNIER (René), compositeur belge (Saint-Gilles-lès-Bruxelles 1905 Bruxelles 1984). Il a fait des études au conservatoire de Bruxelles et avec Paul Gilson. Critique, professeur aux conservatoires de Liège et de Mons et à l’Académie de musique de Bruxelles, puis, après la guerre, inspecteur de l’Éducation musicale pour la Belgique francophone, il s’inscrit dans la lignée des

impressionnistes respectueux des formes classiques, partisans du langage modal et délicats harmonistes. En dehors d’un poème symphonique, d’un concerto pour saxophone et de deux ballets, il a surtout écrit pour la voix et pour des formations de chambre. BERNSTEIN (Leonard), compositeur, pianiste et chef d’orchestre américain (Lawrence, Massachusetts, 1918 - New York 1990). Il a étudié à l’université Harvard avec Walter Piston, Tillman Merritt et Edward Burlingame Hill jusqu’en 1939, puis au Curtis Institute de Philadelphie avec Fritz Reiner et Randall Thomson jusqu’en 1941. Élève de Koussevitski à Tanglewood, à partir de 1940, il y est devenu son assistant (1942), avant d’être celui d’Arthur Rodzinski à New York (1943). C’est là qu’ayant eu l’occasion de remplacer Bruno Walter au pied levé, il a commencé sa carrière de chef d’orchestre. Il a fait des tournées en Europe et a été le premier Américain d’origine à diriger l’orchestre de la Scala de Milan (Médée de Cherubini avec Maria Callas, 1953). Aux États-Unis, il a animé, à partir de 1954, des émissions de télévision. Après l’énorme succès de sa comédie musicale West Side Story (1957), succès prolongé par un film, il est nommé directeur musical de l’Orchestre philharmonique de New York (1958). Il a abandonné ce poste (1968) pour se consacrer à la composition, à ses émissions de télévision, à ses cours à l’université Harvard et à diverses charges officielles, mais a poursuivi jusqu’à sa mort sa carrière de chef sur le plan international. Pianiste de talent, chef d’orchestre fougueux, animateur et organisateur, compositeur populaire, Bernstein fut l’un des personnages les plus en vue de la musique américaine et même mondiale. Dans son oeuvre, qui vise souvent au spectaculaire et hésite devant les véritables audaces, se sont succédé, ou parfois mélangées pêledownloadModeText.vue.download 100 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 94 mêle, les influences de Stravinski, de Copland, de Hindemith, de Mahler, du jazz, du folklore, de l’opéra italien, de la pop

music. Dans un langage universel et accessible, il parvient à traiter certains grands thèmes, celui de la foi perdue et reconquise, celui de la condition humaine. Il a rêvé de nouvelles formes de théâtre musical, mais ses tentatives, quoique convaincantes, demeurent un peu artificielles. Bernstein a composé notamment 3 symphonies (Jeremiah 1942, The Age of Anxiety 1948-49, Kaddish 1957) ; des ballets (Fancy Free 1944, Facsimile 1946) ; des musiques de scène et des musiques de film, dont celle pour On the Waterfront (Sur les quais, 1954) ; des oeuvres pour piano et des mélodies ; pour le théâtre, les comédies musicales On the Town (1944), Wonderful Town (1953), West Side Story (1957), l’opéra Trouble in Tahiti (1952), l’opérette Candide (1956), Chichester Psalms (1965) ; Mass, oratorio scénique pour chanteurs, danseurs, comédiens (1971) ; Songfest (1977) ; Slava, ouverture politique (1977) ; Meditation from Mass pour violoncelle et orchestre (1977) ; Divertimento pour orchestre (1980) ; A Musical Toast, à la mémoire d’André Kostelanetz (1980) ; Halil pour flûte, cordes et percussion (1981) ; l’opéra A Quiet Place (1982), créé à Houston en 1983 (version révisée comprenant Trouble in Tahiti, Milan 1984). BÉROFF (Michel), pianiste français (Épinal 1950). Prix d’excellence au conservatoire de Nancy en 1963, il est entré la même année au Conservatoire de Paris, dans la classe de Pierre Sancan. En 1966, il a obtenu un premier prix et a donné son premier concert avec orchestre. En 1967, il a donné son premier récital à Paris et remporté à Royan le premier prix du concours Olivier Messiaen. Il a alors commencé une carrière internationale. Son répertoire va de Bach à la musique contemporaine, mais ses interprétations de Debussy, Prokofiev et Messiaen sont particulièrement renommées. BERRY (Walter), baryton-basse autrichien (Vienne 1929). Il fait ses études à l’Académie de Vienne et débute à l’Opéra de Vienne en 1950. Il rencontre son premier succès dans le rôle du Comte des Noces de Figaro, ce qui lui vaut plusieurs engagements à Salzbourg dès 1952. Il épouse la mezzo-soprano

Christa Ludwig, qui est aussi sa partenaire sur scène, principalement de 1957 à 1971. Sous la direction de Klemperer, Karajan ou Böhm, il fait partie des distributions qui ont suscité un certain âge d’or de l’art lyrique autrichien d’aprèsguerre. Doué d’une présence chaleureuse, il excelle aussi bien dans des rôles mozartiens comme Papageno, qu’en incarnant Wozzeck ou les personnages de Wagner, Richard Strauss et Bartok. Il crée plusieurs oeuvres contemporaines, notamment de Liebermann, Von Einem et Egk. Depuis 1990, il enseigne le lied et l’oratorio à la Hochschule für Musik de Vienne. BERTHEAUME (Julien ou Isidore), violoniste et compositeur français (Paris v. 1751 - Saint-Pétersbourg 1802). Il étudia avec Giardini et fit ses débuts à Paris au Concert spirituel, en 1761, avec une sonate de son maître. Il se produisit ensuite régulièrement au Concert spirituel, dont il fut directeur de l’orchestre à partir de 1783, y faisant entendre notamment les concertos de Gaviniès. En 1767, il entra à l’orchestre de l’Académie royale de musique. Grâce à un privilège obtenu en 1769, il commença à publier ses oeuvres. Parmi celles-ci, destinées essentiellement à son instrument (sonates, concertos, symphonies concertantes...), citons tout particulièrement sa Sonate dans le style de Lully pour violon, qui utilise la scordatura de la 4e corde, permettant ainsi des contrastes entre les registres. BERTON (les), famille de musiciens français. Pierre-Montan, compositeur et chef d’orchestre (Maubert-Fontaine, Ardenne, 1727 - Paris 1780). Après des études musicales à Senlis, il se rendit à Paris, où il fut engagé comme chanteur à Notre-Dame et à l’Opéra. À partir de 1755, il connut dans ce théâtre, au Concert spirituel et à la Cour, une carrière brillante de chef d’orchestre, qui lui donna l’occasion d’arranger des oeuvres lyriques, lors de leurs reprises. Il composa également pour la scène : Deucalion et Pyrrha (1755), Érosine (1766) et, en collaboration avec Trial, Grenier et La Borde, Sylvie (1765), Théonis et le Toucher (1767) et Adèle de Ponthieu (1772). Sa réputation était telle, qu’il participa, dès 1765 et jusqu’en 1778, à la direction

de l’Opéra. Henri-Montan, compositeur, fils du précédent (Paris 1767 - id. 1844). Formé par son père et par Sacchini, il débuta comme violoniste dans l’orchestre de l’Opéra et assista, en 1786, à l’exécution de son premier oratorio au Concert spirituel. L’année suivante, ses opéras-comiques les Promesses de mariage et l’Amant à l’épreuve furent représentés. Attiré par la scène lyrique, il composa une cinquantaine d’ouvrages, dont certains s’inscrivirent dans la tradition de l’opéra-comique, tandis que d’autres annonçaient l’opéra historique de Meyerbeer. Ses drames, les Rigueurs du cloître (1790), Montano et Stéphanie (1799) et le Délire (1799), d’une écriture sensible et originale, ouvrent la voie au romantisme, et leur succès valut au compositeur le poste de chef d’orchestre à l’Opéra-Comique entre 1807 et 1815. BERTONI (Ferdinando), compositeur italien (Salo, lac de Garde, 1725 - Desenzano, lac de Garde, 1813). Élève du padre Martini, auteur d’un Orfeo sur le livret déjà mis en musique par Gluck (1776), il visita Londres à deux reprises (1778-1780 et 1781-1783) et s’y spécialisa dans la confection de pastiches pour le King’s Theatre. En 1785, il succéda à Galuppi au poste de maître de chapelle de Saint-Marc de Venise. BERTRAND (Antoine de), compositeur français (Fontanges, Auvergne, v. 1530 Toulouse 1581). À Toulouse, il se lia d’amitié avec le dramaturge Robert Garnier et appartint au cercle humaniste gravitant autour du cardinal Georges d’Armagnac, un milieu constitué de magistrats et de nobles. Vers 1570, il reçut la protection de Charles de Bourbon, mais, malgré la défense de cette puissante famille, son catholicisme militant lui valut d’être assassiné par les huguenots en 1581. Son oeuvre maîtresse reste les Amours de Ronsard (Premier Livre, 1576 ; Second Livre, 1578 ; Tiers Livre, qui ne comporte que trois pièces de Ronsard, 1578). Avec celle de Claude Le Jeune (Chansons de Ronsard), la réussite d’Antoine de Bertrand illumine la tentative d’union de la poésie et de la musique, inaugurée par le supplément musical à l’édition des Amours de Ronsard en 1552.

Remarquable polyphoniste, Bertrand se réfère parfois à Lassus ou même à Josquin Des Prés par des voix groupées en duos, par des imitations (Ce ris plus doux ; le Coeur loyal) ; il tente les audaces harmoniques les plus grandes : quarts de ton (Je suis tellement amoureux), chromatismes chers aux madrigalistes italiens, mais adaptés pour ne pas choquer l’oreille française, modulations surprenantes (Ces deux yeux bruns ; Nature ornant la dame) ; comme Le Jeune, il hésite souvent entre le climat modal et tonal. Mais toute son inspiration est mise au service des vers de Ronsard. Il a pris la peine de préciser en préface que la musique ne doit pas « être enclose dans la subtilité des démonstrations mathémathiques », mais au contraire « recevoir le jugement du vulgaire » et « contenter l’oreille ». BERTRAN DE BORN, troubadour périgourdin (château de Hautefort, Dordogne, v. 1140 - abbaye de Dalon, Dordogne, v. 1215). Seigneur de Hautefort, qualifié de « semeur de discorde » par Dante dans son Enfer, Bertran de Born se mêla souvent aux affaires politiques. Il fut l’ami, puis l’ennemi, de Richard Coeur de Lion. Son downloadModeText.vue.download 101 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 95 oeuvre comprend une quarantaine de pièces, surtout des sirventès (d’inspiration politique et satirique), mais aussi des planh (plaintes) et des chansons d’amour. Une seule de ces pièces est notée ; il s’agit de Rassa, tan creis e mont’ e poja (Paris, B. N.). Bertran de Born connut vraisemblablement le troubadour Bernard de Ventadour à l’abbaye cistercienne de Dalon. Son fils, Bertran, mourut à la bataille de Bouvines (1214) ; on a conservé de lui deux sirventès. BERWALD (Franz Adolf), compositeur suédois (Stockholm 1796 - id. 1868). Il apprit le violon avec son père, d’origine allemande, qui était violoniste de l’orchestre de la cour. Mais son éducation

musicale fut par ailleurs assez négligée et il ne reçut aucune instruction pour la composition et l’harmonie. Il commença cependant très tôt à donner des concerts et à composer et, en 1812, il devint violoniste de la chapelle royale. Il conserva cette fonction jusqu’à son départ pour Berlin (1829). Dans cette ville, il se lia d’amitié avec Mendelssohn et Zelter. En 1841, il se rendit à Vienne, où plusieurs de ses compositions furent données avec succès. Il y composa un opéra, Estrella de Soria, créé plus tard à Stockholm en 1862. Après d’autres voyages au cours desquels il visita Paris, Salzbourg, Vienne, Berwald rentra définitivement en Suède (1849). Quelques années plus tard, il devint membre de l’Académie royale de musique (1864) et professeur de composition au conservatoire de Stockholm (1867). L’oeuvre de Berwald, quoique peu abondante et peu estimée en Suède de son vivant, est d’une originalité certaine. Né un an avant Schubert, mort un an avant Berlioz, le compositeur rappelle tantôt ce dernier, tantôt Schumann, avec une écriture d’un grand pouvoir évocateur, mais aussi avec une concision, voire un côté abrupt qui lui sont très particuliers. Il s’y mêle enfin un certain classicisme et des traits sinon nationaux, du moins scandinaves. Berwald a écrit une symphonie de jeunesse détruite et quatre de maturité (dont une Symphonie sérieuse, une Symphonie capricieuse et une Symphonie singulière, etc.), 5 poèmes symphoniques (Jeu d’elfes, Souvenir des Alpes norvégiennes, etc.) tous composés en 1841 et 1842, avant ceux de Liszt, des ouvertures, de la musique de chambre (trios avec piano, quatuors à cordes, quintettes), quelques concertos (piano, violon) et deux opéras : Estrella de Soria (1841) et la Reine de Golconde, représenté seulement en 1968 pour le centenaire de sa mort. BÉSARD (Jean-Baptiste), luthiste et compositeur français (Besançon v. 1567 Augsbourg v. 1625). Il est surtout connu pour avoir publié une des premières grandes anthologies de musique pour luth, le Thesaurus harrnonicus (1603), qui comprend plus de quatre cents pièces, empruntées aussi bien aux musiciens les plus célèbres du temps qu’à certains qui ne figurent dans aucun autre recueil et seraient restés inconnus sans celui-ci. Docteur en droit, très érudit, grand

voyageur, Bésard contribua dans une large mesure, par son inlassable curiosité et sa vaste culture, au développement du luth en France. On lui doit d’autre part, outre plusieurs compositions pour luth seul ou concertant, un important ouvrage pédagogique, Isagoge in artem testudinariam (Augsbourg, 1617). BESSEL (Vassili Vassiliévitch), éditeur russe (Saint-Pétersbourg 1843 - Zurich 1907). En 1869, il créa à Saint-Pétersbourg sa maison d’édition et fut aussi le rédacteur des revues Mouzykalny listok (« le Feuillet musical ») et Mouzykalnoié obozrenié (« l’Observation musicale »). Il publia et contribua à faire connaître les oeuvres de Dargomyjski, de Tchaïkovski et, surtout, des compositeurs du groupe des Cinq. C’est lui qui publia, en 1874, la partition pour piano et chant de Boris Godounov. BESSELER (Heinrich), musicologue allemand (Dortmund-Hörde 1900 - Leipzig 1969). Il fit des études de musicologie à Fribourg avec Willibald Gurlitt, puis à Vienne avec Guido Adler, Wilhelm Fischer et Hans Gal, et à Göttingen avec Friedrich Ludwig. Il fut nommé professeur successivement à Heidelberg (1928), Iéna (1949) et à l’université de Leipzig (1956). Il est l’auteur de très nombreux livres et articles d’une extrême importance sur la musique du Moyen Âge et sur Johann Sebastian Bach. Il a, d’autre part, édité une grande quantité d’oeuvres musicales, et a contribué à la publication des oeuvres complètes de Guillaume Dufay. BEUCHET-DEBIERRE. Maison spécialisée dans la facture d’orgues depuis 1862 et établie à Nantes. Son activité s’est étendue à l’ouest de la France et à la région parisienne, avec les orgues de Saint-Louis-des-Invalides (Paris) et de la cathédrale d’Angoulême. BEYDTS (Louis), compositeur français (Bordeaux 1895 - Caudéran, Gironde, 1953). Il étudia la composition et la direction d’orchestre à Bordeaux. Venu à Paris en 1924, il travailla avec Messager et se fit

connaître par ses mélodies. Il s’imposa en 1931 avec l’opérette Moineau. Dans celle-ci, dans ses quatre autres opérettes ou comédies musicales, ses musiques de scène et de film (la Kermesse héroïque) et ses nombreuses mélodies, il a maintenu la tradition de Messager et de Reynaldo Hahn, celle d’une musique claire et mélodique, soutenue par une subtile orchestration. BIALAS (Günther), compositeur et pédagogue allemand (Bielschowitz, HauteSilésie, 1907 - Glonn, près de Munich, 1995). Il a étudié la musicologie à Breslau et la composition à Berlin. Bialas a enseigné à Breslau, Weimar et Detmold, puis a été nommé professeur à l’Académie de musique de Munich, en 1959. Son écriture s’est caractérisée par une conception élargie de la tonalité, puis par l’utilisation des modes et de la technique sérielle. Son oeuvre comprend de la musique d’orchestre, de la musique de chambre (quatuors à cordes, sonates, Partita pour 10 instruments à vent), des oeuvres pour piano, 7 Méditations pour orgue, des oeuvres vocales (choeurs, cantates, lieder), ainsi que de la musique théâtrale : Jorinde und Joringel, conte musical (1963) ; Hero und Leander, opéra (1966) ; Der Weg nach Eisenstadt (1980) ; Musik für Klavier und Orchester (1990). BIBA (Otto), musicologue autrichien (Vienne 1946). Il dirige depuis 1979 (après y avoir travaillé à partir de 1973) les archives, la bibliothèque et les collections de la Gesellschaft der Musikfreunde (« Société des amis de la musique ») à Vienne, et enseigne à l’École supérieure de musique et des arts figuratifs de cette ville. Il a réalisé de nombreuses expositions en Autriche et à l’étranger. Ses publications concernent surtout la musique autrichienne du XVIIe au XXe siècle : Die Wiener Kirchenmusik um 1783 (1971), Concert Life in Beethoven’s Vienna (1977), Beethoven und die « Liebhaber Concerte » in Wien im Winter 18071808 (1978), ou encore « Eben komme ich von Haydn... » Georg August Griesingers Korrespondenz mit Joseph Haydns Verleger Breitkopf Härtel 1799-1819 (1987). BIBALO (Antonio), compositeur nor-

végien d’origine italienne et slovaque (Trieste, Italie, 1922). Il a fait, au conservatoire de Trieste, des études de piano et de composition. Antimilitariste, il a été emprisonné pendant la guerre, puis a mené une existence errante et a exercé divers métiers. Mais il a repris l’étude de la composition, en particulier en Angleterre avec Elisabeth Lutyens, et a remporté des prix de composition à Varsovie, à Bloomington (États-Unis) downloadModeText.vue.download 102 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 96 et à Rome. Son opéra le Sourire au pied de l’échelle, d’après Henry Miller (créé à Hambourg en 1965), lui a valu une certaine renommée. BIBER ou VON BIBERN (Heinrich Ignaz Franz), violoniste et compositeur autrichien (Wartenberg, Bohême, 1644 - Salzbourg 1704). Il est possible que Biber ait étudié avec le célèbre violoniste viennois Johann Schmelzer avant de devenir musicien à la cour d’Olmütz et de Kremsier. Puis il entra au service du prince-archevêque de Salzbourg et, à partir de 1677, dirigea le choeur d’enfants de la cathédrale de cette ville. Il fut nommé vice-maître de chapelle en 1679. Événement rare pour un musicien à l’époque, l’empereur Léopold Ier l’anoblit en 1690. Biber effectua divers voyages dans les cours d’Europe, notamment à celle de Munich. Avec Schmelzer, Biber fut le premier compositeur d’Europe centrale à écrire des oeuvres pour violon d’une réelle valeur artistique. Ses sonates révèlent à la fois des influences italiennes et allemandes, alliées parfois à un style d’improvisation qui lui est particulier. Il fit progresser la technique du violon, notamment dans l’utilisation des doubles cordes (héritage de la tradition polyphonique allemande) et dans l’emploi des positions élevées. Il était lui-même un véritable virtuose. Dans ses 16 sonates Sur les mystères du Rosaire (v. 1674), il utilise quatorze scordature différentes - en relation avec la tonalité de chaque pièce - qui permettent toutes sortes d’effets et de sonorités et facilitent le

jeu des octaves, des dixièmes et même des onzièmes et douzièmes. C’est un exemple sans précédent dans l’histoire de la scordatura. Ses 8 sonates pour violon et basse continue (1681) révèlent sa connaissance des styles français (danses ornées), italien (technique de la variation) et allemand. Sa Passacaille pour violon seul sur une basse contrainte est une oeuvre exceptionnelle. On conserve un seul opéra de Biber, Chi la dura la vince (1687), qui témoigne d’une pensée originale, mais dont l’écriture vocale se fonde sur le bel canto italien. Sa musique religieuse est dominée par une messe concertante (Missa S. Henrici), mais il a également composé deux Requiem, des Vesperae longiores ac breviores pour 4 voix et instruments, des offertoires à 4 et un Stabat Mater. Il est sans doute l’auteur de la Missa saliburgensis à 53 voix jadis attribuée à drazio Benevoli. BICINIUM. Composition généralement vocale, à deux voix, connue de la Rome antique et qui s’est perpétuée jusqu’au XVIIe siècle. Les bicinia les plus célèbres datent du XVIe siècle (G. Rhau, Bicinia Gallica, Latina, Germanica, 1545 ; bicinia de Phalèse, parus à Anvers, 1590). Josquin Des Prés, R. de Lassus, Gastoldi, Th. Morley, etc., ont illustré cette forme dont la technique se retrouve au XVIIe siècle dans la musique d’orgue de l’école allemande. BIGOPHONE. Instrument populaire dérivé du mirliton, qui ne produit aucun son par lui-même. C’est la voix de l’exécutant qui fait vibrer une membrane solidaire du corps de l’instrument, lequel existe dans tous les formats et sous les formes les plus fantaisistes, imitant parfois celles des instruments classiques. L’effet amplificateur s’accompagne d’un nasillement caractéristique dont Offenbach, entre autres, a exploité les ressources comiques. Les bigophonistes restent nombreux dans certains pays, telle l’Espagne, où ils forment de véritables orchestres symphoniques. BIGOT (Eugène), chef d’orchestre français (Rennes 1888 - Paris 1965).

Élève de Xavier Leroux, André Gédalge et Paul Vidal au C.N.S.M. de Paris, il fut nommé dès 1913 chef des choeurs au Théâtre des Champs-Élysées. De 1920 à 1923, il parcourut l’Europe avec les Ballets suédois, et en 1923 devint chef adjoint de la Société des concerts du Conservatoire. Il mena jusqu’à sa mort une très importante carrière dans les domaines symphonique et lyrique, en particulier à la radio, tout en dirigeant de 1935 à 1950 les Concerts Lamoureux et en assurant de 1936 à 1947 les fonctions de premier chef à l’OpéraComique. De 1957 à 1964, il présida le concours international des jeunes chefs d’orchestre de Besançon. BIGOT (Marie), pianiste française (Colmar 1786 Paris 1820). Elle reçoit ses premiers cours de sa mère, avec laquelle elle vit en Suisse, à Neuchâtel. À Vienne, elle épouse Paul Bigot, bibliothécaire du comte Razoumovski, et ne tarde pas à être admirée de Salieri, Haydn et surtout Beethoven. Ce dernier lui offre, en 1806, le manuscrit de l’Appassionata et entretiendra, avec elle et son mari, une correspondance témoignant d’une réelle amitié. En 1809, elle s’installe à Paris, où elle rencontre Cherubini et enseigne à partir de 1812. Elle compta parmi ses élèves Félix Mendelssohn. On lui doit également quelques pièces pour piano. BIHARI (János), compositeur et violoniste hongrois d’origine tzigane (Nagyabony 1764 - Pest 1827). Musicien errant, il fut le plus éminent représentant de la musique verbunkos à son apogée. Il fonda à Pest un orchestre de cinq musiciens, dont le répertoire était surtout fondé sur l’improvisation. Il connut son heure de gloire en 1820, lorsqu’il joua devant l’empereur François Ier. Victime d’un accident au bras en 1824, il perdit sa virtuosité et mourut dans la misère. Admiré par Beethoven et Liszt, il ne put, faute de connaissances musicales, noter lui-même les quelque 80 compositions qui lui sont attribuées ; elles furent transcrites par ses contemporains, comme Czerny. Bihari passe pour être l’auteur de la célèbre Marche de Rákóczi que Berlioz et Liszt, notamment, ont reprise, le premier dans la Damnation de Faust, le second dans une Rhapsodie hongroise.

BILLAUDOT. Maison d’édition française fondée en 1896 par Louis Billaudot (1871-1936), qui la dirigea jusqu’à sa mort. Ses deux fils, Robert (1910-1981) et Gérard (1911-1986), y entrèrent en 1927 et en 1928 respectivement et la dirigèrent à partir de 1936, le premier jusqu’en 1957, le second jusqu’en 1979. Depuis cette dernière date, la maison est dirigée par François Derveaux (né en 1940), gendre de Gérard Billaudot. Elle a notamment acquis les éditions Costallat (sauf Berlioz) en 1958 et les Éditions françaises de musique en 1988, et s’est particulièrement consacrée depuis 1959 aux ouvrages d’enseignement (théorique et instrumental) et aux oeuvres instrumentales et d’orchestre. Elle participe depuis 1993 au projet éditorial Jean-Philippe Rameau, Opera Omnia (achèvement prévu en 2014, pour le 250e anniversaire de la mort du compositeur). Parmi les compositeurs représentés aux catalogues : Alkan, Tchaïkovski, Bizet, Chabrier, Koechlin, Le Flem, Ibert, Rivier, Sauguet, Arma, Baudrier, Martinon. BILLINGTON (Elizabeth), soprano anglaise (Londres 1765 - environs de Venise 1818). Née Weichsell, élève de J. C. Bach, puis du contrebassiste James Billington, qu’elle épousa en 1783, elle débuta la même année à Dublin dans l’Opéra des gueux de Pepusch. Haydn, qui l’entendit à Londres en 1791-92, vit en elle « un grand génie ». En 1794, deux ans après la parution de la brochure à scandale Memoirs of Mrs. Billington, elle partit pour l’Italie. Elle revint à Londres en 1801. Elle avait une voix très étendue (trois octaves) et d’une virtuosité exceptionnelle, mais on lui reprochait parfois sa froideur. Le peintre Reynolds la représenta sous les traits de sainte Cécile. BINAIRE. 1. Une mesure est dite binaire si la division des temps se fait par deux (ou puissances de deux), par exemple lorsque la noire, si elle est unité de temps, se divise en deux croches ou quatre doubles croches ou huit downloadModeText.vue.download 103 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE

97 triples croches. La mesure à trois temps (ex. 3/4) est donc une mesure binaire. 2. La forme binaire est celle d’un morceau de musique en deux parties, souvent avec reprises ; en général, la première partie module vers la dominante et la seconde amène le retour de la dominante à la tonique. Cette forme se trouve notamment dans la suite classique au XVIIe siècle (allemande-courante-sarabande-gigue). BINCHOIS, DE BINS ou DE BINCHE (Gilles), compositeur franco-flamand (Mons v. 1400-probablement Soignies, près de Mons, 1460). Une célèbre miniature du Champion des dames de Martin Le Franc représente d’un côté Dufay vêtu d’une robe bleue d’allure cléricale, près d’un orgue portatif, et de l’autre Binchois en tunique rouge, portant une harpe. Fils de Jean de Binche, bourgeois de Mons, Binchois fut ordonné prêtre. Fut-il soldat auparavant, comme l’indique le texte de la Déploration sur la mort de Binchois (« Et sa jeunesse fut soudart »), mis en musique par Ockeghem ? En tout cas, on ignore les circonstances de sa formation musicale. Binchois est mentionné pour la première fois en 1424. Il fut, à Paris, au service de William de la Pole, comte, puis duc de Suffolk et musicien lui-même. Il suivit son maître en Hainaut et, peut-être, en Angleterre. Mais c’est au service du duc de Bourgogne, Philippe le Bon, qu’il fit l’essentiel de sa carrière. Il eut le grade de chapelain et reçut des prébendes non négligeables attachées à son titre de chanoine de Mons et de Soignies. Bien que sa musique religieuse soit souvent mentionnée dans les archives, ce qui nous en est parvenu est beaucoup moins abondant que sa musique profane. Fortement influencées par le style des chansons, ces compositions religieuses sont généralement à 3 voix. On a conservé des motets, des hymnes, des magnificats et des fragments de messes. Dans ces derniers, la technique du cantus firmus n’apparaît pas et, si Binchois puise parfois sa matière mélodique dans les chants grégoriens en les paraphrasant, l’esprit de ces fragments reste proche de celui des chansons. Les compositions psalmodiques ou hymniques demeurent extrêmement simples

et contrastent avec la variété d’écriture que l’on rencontre dans les motets : isorythmie dans Nove cantum melodie, paraphrase dans Ave Regina coelorum. Binchois excella dans la musique profane. Plusieurs copies de certaines de ses chansons existent dans différents manuscrits, témoignant de la popularité qu’elles connurent. Les 55 chansons authentifiées, presque toutes à 3 voix et empruntant les structures poétiques à forme fixe du Moyen Âge, comprennent 47 rondeaux, 7 ballades et une chanson de forme libre (Filles à marier, exceptionnellement à 4 voix). Les poètes y chantent l’amour courtois ; la majeure partie d’entre eux reste inconnue, bien qu’on puisse citer Christine de Pisan (Dueil angoisseux, ballade), Alain Chartier (Triste Plaisir, rondeau) ou Charles d’Orléans (Mon cuer chante joyeusement, rondeau). Les chansons de Binchois ont une beauté mélodique certaine et leur sonorité est rendue plus chaleureuse par la présence de tierces et de sixtes (emploi du faux-bourdon et influence anglaise). La mélancolie, qui en est souvent le caractère dominant, rend surprenante l’appellation de « père de joyeuseté » donnée à Binchois par Ockeghem. Sans avoir la même liberté, le même esprit d’invention que son contemporain Guillaume Dufay, Binchois fut l’admirable serviteur d’un art de cour raffiné. BINET (Jean), compositeur suisse (Genève 1893 - Trelex, Vaud, 1960). Après des études à Genève, notamment avec Jaques-Dalcroze et Otto Barblan, et aux États-Unis avec Ernest Bloch de 1919 à 1923, il vécut à Bruxelles jusqu’en 1929, puis en Suisse. Il a laissé des oeuvres vocales (psaumes, odes, cantates), des pièces pour orchestre, des musiques de ballet, de radio, de film d’une écriture élégante et traditionnelle. BIONDI (Fabio), violoniste italien (Palerme 1961). Il donne son premier concert à douze ans avec l’orchestre de la radio-télévision italienne. Ouvert à tous les styles, il se tourne cependant assez vite vers l’interprétation des répertoires des XVIIe et XVIIIe siècles, en particulier italien. En 1981, il fonde le Quatuor Stendhal, qui joue sur ins-

truments anciens, mais consacre aussi une part importante de son activité à la création contemporaine. En 1990, Biondi crée l’ensemble Europa Galante, dont il est le premier violon et le chef, formation remarquable par ses interprétations novatrices des concertos baroques italiens. Sa version des Quatre Saisons de Vivaldi est unanimement saluée par la critique. Biondi interprète aussi le répertoire romantique, enregistrant par exemple les sonates pour violon et clavier de Schubert et de Schumann, accompagnées au pianoforte. BIRET (Idil), pianiste turque (Ankara 1941). Élevée dans une famille imprégnée de musique, elle rêve longtemps de devenir philosophe ou médecin. Les liens qui unissent la vie musicale turque et la France expliquent qu’une bourse d’étude au Conservatoire de Paris lui soit attribuée très tôt. Elle obtient trois premiers prix : de piano, d’accompagnement chez Nadia Boulanger et, en 1954, de musique de chambre avec Jacques Février. En 1953, à douze ans, elle interprète le Concerto pour deux pianos de Mozart avec Wilhelm Kempff. De 1959 à 1961, elle étudie avec Alfred Cortot. Au cours de sa carrière internationale, elle joue notamment avec Pierre Monteux, Hermann Scherchen, et Yehudi Menuhin en 1973. D’une culture encyclopédique, elle étend son répertoire de Bach à la musique contemporaine, en privilégiant les oeuvres monumentales et contrapuntiques. Elle enregistre des intégrales de Brahms, Chopin, Liszt et Rachmaninov, et se spécialise aussi dans les transcriptions des symphonies de Beethoven par Liszt. Elle réalise elle-même des transcriptions des symphonies de Brahms. BIRTWISTLE (Harrison), compositeur anglais (Accrington, Lancashire, 1934). Il a d’abord étudié la clarinette. Reçu boursier au Royal Manchester College of Music (1952), il y a travaillé la composition avec Richard Hall avant d’entrer à la Royal Academy of Music de Londres. Il a fait partie du New Manchester Music Group. De 1962 à 1965, il a enseigné la musique dans un collège près de Salisbury. Une bourse de la fondation Markness lui a permis ensuite de passer deux ans aux ÉtatsUnis (1966-1968). Il a été professeur dans ce pays, d’abord à Swarthmore College en

Pennsylvanie (1973-74), puis à l’université de New York à Buffalo (1975-76). Depuis 1975, il est directeur de la musique au National Theatre de Londres. Birtwistle possède un don mélodique certain, mais son style peut atteindre un degré de complexité considérable. Il a composé de la musique destinée aux écoles (The Mark of the Goat, Visions of Francesco Petrarca) et aime écrire pour la voix humaine. Son opéra en 1 acte Punch and Judy, sur un livret de Stephen Pruslin (1966-67, créé à Aldeburgh en 1968), témoigne de son talent lyrique. Il s’est souvent inspiré de la musique médiévale. Sa première oeuvre connue est Refrain and Choruses pour quintette à vent (1957). On lui doit : Chorales (1962-63) et The Triumph of Time (1972) pour orchestre ; Silbury Air pour petit orchestre (1977) ; pour la scène, Monodrama (1967), Down by the Greenwood Side (1969), Orpheus (19741977), une musique de scène pour Hamlet (1975), le ballet Frames (1977), la pièce de théâtre musical Bow Down (1977) ; The Fields of Sorrow pour choeur, 2 sopranos et ensemble (1977) ; de la musique de chambre comme Medusa pour ensemble de chambre (1969-70), 9 mouvements pour quatuor à cordes (1991-1996) et des pièces électroniques comme 4 Interludes from a Tragedy (1970), Chronometer (1971) et Chanson de geste (1973) ; les opéras Yan, Tan, Tethera (Londres, 1986) et Sir Gawain (Londres, 1991). downloadModeText.vue.download 104 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 98 BIS (lat. : « deux fois »). 1. Mention qui, placée à la fin d’un texte, d’un refrain par exemple, indique que ce texte doit être répété. 2. Exclamation par laquelle le public, au cours d’un concert, réclame la répétition d’un morceau. Dans la pratique, maintenant, le public réclame le bis le plus souvent à la fin du concert, et le ou les morceaux exécutés alors par l’interprète sont fréquemment des pièces hors programme, et non la répétition de pièces déjà entendues. Le soliste d’un concerto joue généralement en bis une pièce pour son instrument seul. Par extension, le mot bis désigne aussi des pièces brèves, parti-

culièrement propres à être jouées dans les circonstances précitées. BISEAU. Pièce de bois ou de métal située dans la flûte, le flageolet, le sifflet. En la frappant, l’air insufflé provoque la vibration de la colonne d’air. Ce système existe aussi dans les jeux de flûtes de l’orgue. BIWA. Instrument japonais à cordes pincées, de la famille du luth. Originaire du Moyen-Orient comme le luth européen, mais importée au Japon dès le VIIIe siècle, la biwa est également caractérisée par une caisse de résonance en forme de poire, un manche très court et un chevillier à angle droit. Montée de quatre cordes, elle se joue avec un plectre. BIZET (Georges), compositeur français (Paris 1838 - Bougival 1875). Fils d’un professeur de chant, il eut pour premiers maîtres ses parents, jusqu’à l’âge de neuf ans. Entré au Conservatoire de Paris, il y fut l’élève de Marmontel (piano), Benoist (orgue), Zimmermann (harmonie) et Halévy (composition). Il travailla également avec Gounod, qui éprouva pour lui une vive sympathie. Après avoir obtenu de nombreuses récompenses, il remporta en 1857 le premier grand prix de Rome et partit pour la Villa Médicis. Il avait alors déjà composé un chef-d’oeuvre, la symphonie en ut (1855, créée en 1935 seulement), et s’était essayé à l’opérette, notamment en 1857 avec le Docteur Miracle, partition couronnée ex aequo avec l’oeuvre homonyme de Charles Lecocq, à l’issue d’un concours organisé par Offenbach, et représentée en alternance avec celle-ci aux Bouffes-Parisiens. À Rome, où il resta trois ans, Bizet fit beaucoup d’excursions, lut énormément et composa un peu : une opérette, Don Procopio, une symphonie descriptive avec choeurs, Vasco de Gama, une ouverture, la Chasse d’Ossian, une marche funèbre et un scherzo. Revenu à Paris, il connut une situation matérielle précaire, ce qui l’amena à entreprendre la transcription pour le

piano de quantité de morceaux célèbres, voire d’opéras entiers. Il était d’ailleurs excellent pianiste, et émerveilla Berlioz et Liszt par la facilité de sa lecture et la sûreté de son jeu. En 1863, le Théâtre-Lyrique créa, sans grand succès, les Pêcheurs de perles, commande de son directeur Léon Carvalho, qui demanda trois ans plus tard à Bizet un deuxième ouvrage, la Jolie Fille de Perth. Entre-temps, Bizet apporta sa contribution à un ouvrage collectif, Malborough s’en va-t-en-guerre, fit jouer sa suite symphonique Roma et acheva un opéra, Ivan le Terrible ou Ivan IV, qui ne devait être représenté qu’en 1946. Il se maria en juin 1869 avec Geneviève Halévy, fille de son ancien maître, au château de Nühringen (Wurtemberg), et termina l’opéra Noé, laissé inachevé par ce dernier. Après la guerre de 1870, Bizet fut nommé chef des choeurs à l’Opéra, mais préféra un an plus tard le poste de chef de chant à l’Opéra-Comique. Ce théâtre monta Djamileh (1872) et lui commanda Carmen. C’est en novembre 1872 que Bizet connut son premier véritable succès avec l’exécution, aux Concerts Pasdeloup, de la première suite qu’il tira de sa musique de scène pour la pièce de Daudet l’Arlésienne, qui avait subi un échec six semaines auparavant. L’ouverture Patrie triompha en 1874 et, l’année suivante, ce fut la consécration, trop tardive et trop brève, avec la création de Carmen (mars 1875), qui souleva la fureur d’une partie de la critique, mais suscita de nombreux témoignages d’admiration, de celui de Théodore de Banville à celui de SaintSaëns. Trois mois plus tard, le 3 juin, Bizet mourut subitement. La popularité de l’Arlésienne, de la symphonie en ut, de Jeux d’enfants, des Pêcheurs de perles et surtout de Carmen, un des opéras les plus joués au monde actuellement, font de Bizet, à juste titre, un des plus célèbres musiciens français. Les reproches qui lui furent adressés de son vivant, par exemple celui de wagnérisme, nous paraissent aujourd’hui fort singuliers. Une pensée élégante et forte, un vocabulaire précis, une harmonie savoureuse, un grand pouvoir de suggestion et, dans Carmen, un souci de profonde vérité, voire de réalisme, qui ne consent cependant pas à la moindre vulgarité d’écriture, tels sont les traits essentiels d’un compositeur en qui Nietzsche voyait l’incarnation d’une musique « méditerranéisée ». Bizet,

qui, en dehors de son voyage à Rome, ne quitta jamais Paris, évoqua à merveille l’atmosphère des différents pays où se déroulent ses ouvrages lyriques (surtout l’Espagne dans Carmen ou la Provence dans sa musique de scène pour l’Arlésienne). Il composait ses partitions comme un peintre ses toiles, créant et dosant savamment des couleurs personnelles. La limpidité et le caractère savant de son écriture sont particulièrement frappants dans des passages à plusieurs voix, comme le quintette de l’acte II de Carmen. BJÖRLING (Jussi), ténor suédois (Stora Tuna, près de Falun, 1911 - environs de Stockholm 1960). Dès l’âge de six ans, il appartint à un quatuor vocal masculin que formaient avec lui son père et ses deux frères. Il débuta en 1930 à l’opéra de Stockholm dans le rôle de Don Ottavio de Don Juan de Mozart. Il remporta des succès à l’étranger à partir de 1937 (Vienne, Londres). Ayant fait ses débuts au Metropolitan de New York en 1938 (Rodolphe dans la Bohème de Puccini), il demeura attaché à ce théâtre jusqu’en 1941 et de 1946 à sa mort. Son répertoire était essentiellement fondé sur les oeuvres de Puccini, Verdi, Bizet (Carmen), Gounod (Faust et Roméo et Juliette) et Massenet (Manon). Ses interprétations de Faust et Roméo, de Manrico dans le Trouvère de Verdi, de Riccardo dans Un bal masqué de Verdi, de Rodolphe dans la Bohème demeurent particulièrement célèbres. La voix de Björling était d’une beauté exceptionnelle, avec une émission et un style parfaits. Ses interprétations étaient empreintes d’un lyrisme poétique. Il eut aussi une activité de concertiste. BLACHER (Boris), compositeur allemand (Nou-tchouang, Chine, 1903 - Berlin 1975). Il suivit sa famille à Reval (actuellement Tallin, Estonie), à Irkoutsk (Sibérie) et à Charbin (Mandchourie), puis, en 1922, se fixa à Berlin. Il y étudia l’architecture et les mathématiques à la Technische Hochschule, puis, à partir de 1924, la composition avec Friedrich Ernst Koch à la Musikhochschule et la musicologie avec A. Schering, F. Blume et E. M. von Hornbostel à l’université. Il enseigna, en 1938-39, la composition au conservatoire de Dresde et, à partir de 1948, à la Musikhochschule

de Berlin-Ouest, dont il fut directeur de 1953 à 1970. Il a eu notamment pour élèves Gottfried von Einem, Giselher Klebe, Heimo Erbse et Isang Yun. Blacher est l’une des figures les plus importantes de la musique allemande contemporaine. Son langage est parfois polytonal, parfois dodécaphonique comme dans le ballet Lysistrata (1950) et l’opéra Rosamunde Floris (1960). L’élément prédominant est le rythme. Ses oeuvres sont généralement construites à partir de courts motifs rythmiques, associés parfois à certaines combinaisons de timbres qui reviennent de manière organisée tout au long de l’ouvrage (Concertante Musik, 1937). Les « mètres variables », système rythmique fondé sur des séries mathématiques préétablies et consistant en changements sysdownloadModeText.vue.download 105 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 99 tématiques de mesure, sont utilisés pour la première fois dans les Ornamente pour piano (1950) qui portent le sous-titre Sieben Studien über variable Metren (7 Études sur les mètres variables) ; ils sont en accord avec la théorie de Joseph Schillinger qui tente de rationaliser la relation entre mathématiques et musique. L’influence du jazz apparaît notamment dans Jazzkoloraturen (1929), Concertante Musik (1937), 2 Poems for Jazz Quartet pour vibraphone, contrebasse, percussion et piano (1957) et Rosamunde Floris (1960). À partir de 1962, Blacher s’intéresse également aux techniques électroniques (Multiple Raumperspektiven et Elektronische Studie, 1962 ; Elektronische Impulse, 1965 ; Musik für Osaka, 1969, etc.). Il a constamment recherché la clarté, l’objectivité, l’économie des moyens, et son refus de l’expression, qui se traduit par une certaine sécheresse, évoque parfois Satie ou Stravinski dans la Symphonie de psaumes. Son Abstrakte Oper Nr 1 (Opéra abstrait no 1, 1953) ne comporte pas d’action et est chanté sur des combinaisons abstraites, sans aucune signification, de voyelles et de consonnes. D’une production abondante, citons encore les ballets Hamlet (1949), Der Mohr von Venedig (1955), Demeter (1963), Tristan (1965), l’opéra de chambre Roméo et Juliette (1943), l’opéra-ballet Preussisches Märchen (« Conte de Prusse », 1949),

l’opéra avec bande magnétique Zwischenfälle bei einer Notlandung (« Incidents au cours d’un atterrissage forcé », 1964), les opéras Yvonne, Prinzessin von Burgund (1972) et Das Geheimnis des entwendeten Briefes, d’après Poe (1975). BLAINVILLE (Charles-Henri de), compositeur et théoricien français (Rouen ou village près de Tours ? v. 1710 - Paris ? apr. 1777). Sa vie reste encore mal connue : il semble qu’il ait vécu quelque temps à Rouen, puis qu’il se soit rendu à Paris, où il aurait bénéficié de la protection de mécènes comme la marquise de Villeroy. En dépit d’une oeuvre variée, en partie perdue, comprenant des sonates, des symphonies, des arrangements, des cantates profanes, des romances, des leçons de ténèbres, des motets et des ouvrages lyriques, il s’est davantage distingué comme théoricien que comme compositeur. Son Essay sur un troisième mode, accompagné d’une symphonie (jouée avec succès au Concert spirituel en 1751) qui met en pratique l’invention d’un « mode mixte » réunissant à la fois le majeur et le mineur, suscita l’intérêt des philosophes. BLAISE (Benoît), bassoniste et compositeur français († Paris 1772). Bassoniste de l’orchestre de la ComédieItalienne en 1737, il composa pour ce théâtre et pour celui de la Foire, avant la fusion des deux troupes en 1762. Auteur de danses, d’opéras-comiques, de parodies et de vaudevilles, il publia, en 1739, une cantate, le Feu de la ville, et, en 1759, trois recueils de chansons. Ses oeuvres les plus célèbres furent écrites en collaboration avec Favart : Annette et Lubin (1762) et Isabelle et Gertrude ou les Sylphes supposés (1765). Il eut l’art d’agencer des ouvrages élégants, aux mélodies agréables, empruntant parfois quelques thèmes à Campra, Philidor ou Gluck. BLANCHARD (Esprit Antoine), compositeur français (Pernes-les-Fontaines, Vaucluse, 1696 - Versailles 1770). Formé par Guillaume Poitevin à la cathédrale d’Aix-en-Provence, il fut nommé maître de chapelle successivement à l’abbatiale Saint-Victor de Marseille (1717), à Toulon (1727), à Besançon (v. 1733)

et à Amiens (1734). En 1738, succédant à Bernier, il obtint l’un des quatre postes de sous-maître de la chapelle royale de Versailles (les trois autres étant occupés par Campra, Gervais et Madin). Compositeur d’oeuvres sacrées, Blanchard s’inscrit, avec son Te Deum, qui servit en 1745 à la célébration de la victoire de Fontenoy, et une trentaine de motets, dans la tradition de Delalande. Il soigna particulièrement l’instrumentation de ses ouvrages et introduisit la clarinette, vers 1761, dans l’orchestre de la chapelle royale. BLANCHET (Émile Robert), pianiste et compositeur suisse (Lausanne 1877 - id. 1943). Fils d’un organiste connu, Charles Blanchet, qui avait été élève de Moschelès, il fit ses études auprès de son père, puis à Cologne et enfin à Berlin, auprès de Busoni. Fixé à Lausanne, il fut professeur de piano au conservatoire (1904-1917) et directeur de cet établissement (1905-1908), se consacrant parallèlement à une carrière de concertiste et à la composition. Il a laissé une quantité considérable d’oeuvres pour piano (préludes, études, etc.) d’une écriture pleine d’intérêt sur le plan rythmique et contrapuntique. BLAND (John), éditeur anglais (Londres ? v. 1750 - id. ? v. 1840). Il débuta à Londres en 1776 et prit sa retraite dès 1795. En novembre 1789, il rendit visite à Haydn à Eszterháza et lui commanda les trois trios pour clavier, flûte (ou violon) et violoncelle Hob. XV.15-17. À cette visite est associée la célèbre anecdote du Quatuor du Rasoir (en fa mineur opus 55 no 2). Parurent chez lui comme opus 3 les premières oeuvres de chambre écrites par un Américain de naissance (trois trios à cordes de John Antes composés au Caire). BLASIUS (Matthieu Frédéric), compositeur et chef d’orchestre français (Lauterbourg, Bas-Rhin, 1758 - Versailles 1829). Il fut clarinettiste à l’Hôtel de Bourgogne, puis devint un des plus sûrs chefs d’orchestre de l’Opéra-Comique, où il débuta en 1802. Il fut le créateur de nombreuses oeuvres de Dalayrac, Boieldieu, Méhul, etc. Il composa lui-même surtout des romances, des marches militaires et des oeuvres de musique de chambre, mais aussi quelques charmants opéras-co-

miques comme le Pelletier de Saint-Fargeau (1793). Il écrivit encore une Nouvelle Méthode pour la clarinette (Paris, 1796). BLATNY(Pavel), compositeur tchèque (Brno 1931). Héritier d’une lignée de musiciens, fils d’un élève de Janáček, Blatny a été luimême l’élève de Pavel Borkovec, et c’est avec un mémoire sur les oeuvres scéniques de ce dernier qu’il a obtenu, en 1958, un diplôme à l’issue de ses études de musicologie à l’université de Brno, menées parallèlement à des études de composition à Brno et à Prague. Poursuivant une formation éclectique, Blatny a fréquenté aussi bien les cours de Darmstadt (1965-1969) que les classes de composition de jazz à la Berklee School of Music de Boston. Influencé à ses débuts par Stravinski, Martinu, Prokofiev, puis par le baroque et la Renaissance, il a expérimenté depuis 1960 à peu près toutes les voies de la création contemporaine : musiques dodécaphonique, sérielle, aléatoire, électronique, etc. L’empreinte du jazz moderne est tout particulièrement perceptible chez lui et apparaît, par exemple, mêlée à d’autres tendances, mais souvent dominante, dans Concerto pour orchestre de jazz (1962), Per orchestra sintetica I et II (1960 et 1971), Étude pour trompette en quarts de ton (1964), Coda pour flûte, clarinette, contrebasse et percussion (1968), Histoire pour neuf musiciens de jazz (1968). La plupart de ses autres compositions sont écrites pour de petites formations instrumentales. BLAUKOPF (Kurt), musicologue autrichien (Czernowitz 1914). Il s’est spécialement consacré à la sociologie de la musique, dirigeant à partir de 1965 l’Institut de sociologie de la musique de Vienne et publiant en 1952 un important ouvrage sur le sujet (rév. en 1972). Il a également écrit un livre sur Mahler (Vienne, 1969 ; trad. française, 1979), et fait paraître sur ce compositeur un vaste volume documentaire et iconographique (Vienne, 1976). downloadModeText.vue.download 106 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 100

BLAVET (Michel), flûtiste et compositeur français (Besançon 1700 - Paris 1768). Après avoir étudié dans sa ville natale, il se rendit, à l’âge de vingt-trois ans, à Paris, où s’établit d’emblée sa réputation de flûtiste, qui gagna vite l’Europe. Quantz l’admira et Frédéric II lui proposa d’entrer à son service à la cour de Prusse. Blavet fit toutefois carrière en France, où il bénéficia de la protection du prince de Carignan et du comte de Clermont. En 1738, il entra dans la Musique du roi, et fut nommé deux ans plus tard au poste de premier flûtiste de l’Opéra. Il perfectionna la technique de la flûte traversière et composa plusieurs recueils de sonates pour une ou deux flûtes, parus entre 1728 et 1740. Il laisse également un concerto et plusieurs ouvrages lyriques, dont son « opéra bouffon » le Jaloux corrigé, qui date de 1752, année du début de la querelle des bouffons, et qui, ainsi que d’autres partitions de Blavet, classe celui-ci parmi les artistes français les plus italianisants de sa génération. BLAZE, famille de compositeurs et critiques musicaux. Henri (Cavaillon, Vaucluse, 1763 - id. 1833). Les compositions, essentiellement religieuses, de ce musicien délicat ne furent guère connues qu’en Provence où il enseignait la musique. Il signa aussi des sonates pour piano et fit éditer à Avignon de nombreuses études sur les musiciens de son temps. François, dit Castil-Blaze, fils du précédent (Cavaillon 1784 - Paris 1857). Après des études de droit et d’harmonie à Paris, il fut, à Cavaillon, avocat, puis sous-préfet, ensuite inspecteur de librairie. Il s’installa à Paris en 1820 et, après le succès de son livre De l’opéra en France (2 vol., 18201826), il fit une brillante carrière de critique musical, notamment au Journal des débats (1822-1832), où lui succéda Berlioz. Parallèlement, il signa des oeuvres fort singulières : d’une part, des adaptations d’ouvrages étrangers, où il modifiait, amputait les originaux et les enrichissait de pages musicales de son cru (par ex., transformation du Freischütz de Weber en Robin des bois, 1824) - Berlioz s’éleva à maintes reprises contre ces réalisations ; d’autre part, des livrets originaux ou adaptés de pièces de théâtre, qu’il habillait de musiques glanées dans les partitions de

différents compositeurs (par ex., les Folies amoureuses, musiques de Mozart, Cimarosa, Paer, Rossini, Generali et Steibelt, 1823). Il composa aussi quelques partitions sur des livrets écrits par lui-même, ainsi que des romances, des pastiches et des messes. Il fit enfin paraître d’autres livres, souvent d’un grand intérêt, comme le Mémorial du Grand Opéra (1847). Henry, baron de Bury, fils du précédent (Avignon 1813 - Paris 1888). Après avoir été attaché d’ambassade, il devint l’un des critiques musicaux les plus célèbres de son époque et écrivit dans la Revue des Deux Mondes, la Revue de Paris et la Revue musicale. Il publia plusieurs études, dont une Vie de Rossini (1854). BLISS (sir Arthur), compositeur anglais (Londres 1891 - id. 1975). Sorti de l’université de Cambridge avec le titre de Bachelor of Music (1913), il a travaillé avec Stanford, Vaughan Williams et Holst au Royal College of Music de Londres. Pendant la Grande Guerre, il a été blessé sur la Somme (1916) ; ses premières oeuvres, dont un quatuor à cordes, furent écrites alors. En 1919, il s’est passionné pour la musique du XVIIIe siècle - il a dirigé notamment la Servante maîtresse de Pergolèse - et pour l’époque élisabéthaine. Le quintette avec piano, composé à cette époque, révèle l’influence de Ravel et de la musique française. Mais la Rhapsodie pour soprano, ténor et instruments, qui date également de 1919, marque la rupture soudaine avec les influences extérieures. Dès lors, quoique sensible à l’attirance de Stravinski et du groupe des Six, Bliss est sorti des sentiers battus. En 1923, il s’établit en Californie, où il devint, en 1940, professeur à l’université. Directeur du département musical international de la BBC, de 1942 à 1944, il reçut en 1953, à la mort d’Arnold Bax, le titre de « Master of the Queen’s Music ». Bien que chargée d’un certain romantisme, parfois vigoureuse et aux lignes bien dessinées, la musique de Bliss, d’une manière générale, relève de l’impressionnisme sur le plan de l’écriture. Son oeuvre comprend de la musique d’orchestre, dont la célèbre Colour Symphony (1921-22, rév. 1932), un concerto pour piano (1938) et un pour violon (1955), de la musique de chambre (4 quatuors à cordes, 2 quintettes dont un avec piano et un avec clarinette),

des oeuvres vocales, et, pour le théâtre, des ballets, dont Checkmate (1937) et The Lady of Shalott (1958), ainsi que les opéras The Olympians (1949) et Tobias and the Angel (1960-61). BLITZSTEIN (Marc), compositeur américain d’origine russe (Philadelphie 1905 Fort-de-France, Martinique, 1964). Il commença ses études à Philadelphie et à New York, avec Alexander Siloti pour le piano et Rosario Scalero pour la composition, puis fut l’élève de Nadia Boulanger à Paris, et de Schönberg à Berlin. Ses premières oeuvres attestent l’influence néoclassique de Stravinski et du Paris des années 20. On perçoit ensuite celles de Hindemith, de Kurt Weill, de Dessau, et ses premières partitions lyriques eurent pour thèmes les luttes de classes et la justice sociale (The Cradle will rock, 1936 ; No for an Answer, 1941). Un sens dramatique certain y va de pair avec un langage typiquement américain, dans lequel les touches de jazz, la polyrythmie et la polytonalité pimentent des mélodies diatoniques chargées de dissonances. Son écriture, qui eut une grande influence sur Leonard Bernstein, n’évolua plus guère par la suite. L’oeuvre de Blitzstein comprend des pièces symphoniques, des ballets, des poèmes symphoniques - souvent avec voix solistes et choeurs -, de nombreuses musiques de film et de scène, 2 quatuors à cordes et des opéras, souvent proches du style de la comédie musicale (parmi eux, une nouvelle version de l’Opéra de quat’sous de Weill, 1951). BLOCH (Ernest), compositeur suisse naturalisé américain (Genève 1880 - Agate Beach, Oregon, 1959). Élève de Jaques-Dalcroze à Genève, il se destinait initialement à une carrière de violoniste et travailla avec Ysaye à Bruxelles avant d’étudier la composition à Francfort et à Munich, avec Ludwig Thuille. Il s’affirma en 1902 avec une gigantesque Symphonie. Après un bref séjour à Paris, il vécut en Suisse à partir de 1904. Sa première période créatrice, nettement postromantique, culmina avec son unique opéra, Macbeth (1910). De 1912 à 1916 s’édifièrent les diverses parties de son « Cycle juif », dont les 3 Poèmes juifs pour

orchestre (1913), la rhapsodie hébraïque pour violoncelle et orchestre Schelomo (1915-16), son oeuvre la plus connue, et la Symphonie no 2 « Israël » pour 5 voix solistes et orchestre (1912-1916). Suivirent Baal Schem pour violon et orchestre ou violon et piano (1923) et Voix dans le désert pour orchestre avec violoncelle obligé (1936). De 1916 à 1930, puis de 1938 à sa mort, il vécut aux États-Unis, où il dirigea les conservatoires de Cleveland (19201925) et de San Francisco, et enseigna jusqu’en 1952 à l’université de Californie (Berkeley). D’une production abondante se détachent encore le Service sacré (19301933), deux Concertos grossos (1925 et 1952), dont le premier a acquis une certaine célébrité, un monumental Concerto pour violon (1938) et de la musique de chambre dominée par deux quintettes avec piano (1921-1923 et 1957) et, surtout, par cinq admirables quatuors à cordes (1916, 1945, 1952, 1953, 1956) formant en ce genre un des ensembles les plus importants du XXe siècle. Le premier quintette utilise les quarts de ton, les 2e et 3e quatuors la technique sérielle. Dans sa quête d’une musique hébraïque, Bloch ne s’est pas fondé sur des éléments superficiels et folkloriques, mais a tenté de retrouver l’esprit profond du peuple juif. downloadModeText.vue.download 107 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 101 BLOCKX (Jan), compositeur belge (Anvers 1851 - id. 1912). Venu assez tard à la musique, il fut l’élève de Peter Benoit. En 1876, il présenta un premier concert de ses oeuvres. Après avoir poursuivi ses études auprès de Reinecke à Leipzig, il revint à Anvers, où il occupa divers postes officiels. Considéré comme le plus important disciple de P. Benoit, il succéda à celui-ci, en 1901, à la direction du conservatoire royal. Ses ouvrages lyriques (Maître Martin, 1892 ; Princesse d’auberge, 1896 ; la Fiancée de la mer, 1901) se sont longtemps maintenus au répertoire des scènes flamandes. Blockx a aussi composé de la musique d’orchestre, un ballet (Milenka, 1886) et de la musique de chambre.

BLOCS. Instruments à percussion de la famille des bois. Tous sont en bois dur, évidés et fixés à un pied. Les blocs plats sont parfois groupés par jeux chromatiques, comme les lames d’un xylophone. Le bloc cylindrique est construit en deux parties et donne deux notes différentes. Le bloc chinois, enfin, ressemble extérieurement à un gros grelot ouvragé et décoré. BLOM (Eric), critique musical anglais d’origine danoise (Berne, Suisse, 1888 Londres 1959). Critique au Manchester Guardian (19231931), au Birmingham Post (1931-1946), il fut rédacteur en chef de la revue Music and Letters, de deux dictionnaires (Grove’s Dictionary of Music and Musicians, 5e éd., 1954 ; Everyman’s Dictionary of Music, 1954) et dirigea une collection de monographies (Master Musicians) pour laquelle il écrivit lui-même le volume consacré à Mozart, compositeur à l’étude duquel il a particulièrement attaché son nom. Il traduisit également en anglais plusieurs ouvrages tels que le Schubert d’Otto Erich Deutsch. BLOMDAHL (Karl Birger), compositeur suédois (Växjö 1916 - Kungsängen, près de Stockholm, 1968). Après des études de composition à Stockholm, avec Hilding Rosenberg, il vint en France et en Italie grâce à une bourse (1946-47). De retour en Suède, il joua un rôle capital en faveur de la musique contemporaine, successivement comme membre du groupe du Lundi (porte-drapeau de l’évolution musicale en Suède après la guerre), comme président de la Société de musique de chambre Fylkingen (1950-1954), qu’il transforma en un centre de réflexion et de création, comme professeur de composition à l’Académie royale de musique de Stockholm (19601964) et, enfin, comme directeur musical de la radio suédoise, où il créa un studio de musique électronique. D’abord marqué par Hindemith, Blomdahl subit ensuite l’influence de Schönberg et de Bartók. Des recherches sur l’atonalité, le dodécaphonisme, la

rythmique marquent alors ses ballets et ses oeuvres vocales, telles que l’oratorio Dans la salle des miroirs (1951-52). La cantate Anabase (1955-56), texte d’après Saint-John Perse, l’opéra Aniara sur un sujet de science-fiction (1959), amorcent l’évolution vers une écriture plus personnelle. Fioriture et Forma ferritonans (1961) sont des oeuvres pointillistes aux sonorités subtiles et poétiques, rappelant parfois Ligeti. Les dernières oeuvres de Blomdahl sont électroniques (Altisonans, 1966). Parmi ses autres compositions, on doit mentionner l’opéra-comique Herr von Hancken (1965) et de nombreuses musiques de film, notamment pour Ingmar Bergman. BLOMSTEDT (Herbert), chef d’orchestre suédois (Springfield, États-Unis, 1927). Il étudie d’abord au Collège royal de musique de Stockholm et à l’université d’Uppsala. Il complète ensuite sa formation à la Juilliard School de New York, puis à la Schola Cantorum de Bâle, et enfin à Tanglewood avec Leonard Bernstein. De 1950 à 1955, il est l’assistant d’Igor Markevitch à Salzbourg et, de 1954 à 1961, il dirige l’Orchestre symphonique de Norrköping, en Suède. Il est à la tête de plusieurs grands orchestres scandinaves : au Philharmonique d’Oslo de 1962 à 1968 ; à Stockholm, où il enseigne aussi la direction d’orchestre, jusqu’en 1971 ; et à l’Orchestre symphonique de la radio danoise de 1967 à 1977. Avec ce dernier, il enregistre l’intégrale des symphonies de Carl Nielsen. En 1975, il est nommé à la tête de la Staatskapelle de Dresde, qu’il quitte en 1985 pour diriger jusqu’en 1995 l’Orchestre symphonique de San Francisco. BLÖNDAL JÓHANSSON (Magnus), compositeur, pianiste et chef d’orchestre islandais (Skálar 1925). Après avoir terminé ses études en 1953 à la Juilliard School de New York (avec B. Wagenaar, M. Bauer et C. Friedberg), il fonde à Reykjavík le groupe Musica Nova en 1960. Au tournant des années 50 à 60, chef de file des compositeurs islandais d’avant-garde, il s’intéresse à toutes les formes d’expression musicale, à tous les langages et aux matériaux sonores les plus divers. Ses oeuvres, tant instrumentales (Minigrams, 1961) que pour instruments et bande magnétique (Study, 1957 ; Punktar, 1961), ou pour bande magnétique seule (Constellation, 1960), ont été des

événements parfois violents de la vie musicale de son pays. BLONDEL DE NESLE, trouvère français (Nesle, Somme, v. 1150 - v. 1200). Ami du grand trouvère Gace Brulé, son nom est souvent confondu avec celui de Blondel, ménestrel au service de Richard Coeur de Lion. Les 24 chansons conservées de Blondel de Nesle sont toutes pourvues de mélodies notées ; elles sont réunies dans l’ouvrage de U. Arrburg, Die Singweisen des Blondel de Nesle (Francfort, 1946). BLOW (John), compositeur et organiste anglais (Newark, Nottinghamshire, 1649 - Londres 1708). Enfant, il fit partie du choeur de la chapelle royale, dirigé par Henry Cooke à partir de 1660, année du rétablissement de la chapelle, et commença, dès 1663, à composer des anthems. C’est à cette époque également qu’il travailla avec John Hingeston et avec Christopher Gibbons, le fils du grand Orlando. En 1668, il succéda à Albertus Bryne comme organiste à Westminster Abbey. Il participa à la musique de la Chambre, à la cour de Charles VII (Private Musick for Lutes and Voyces, Theorboes and Virginalls) et en devint le virginaliste attitré. Gentilhomme de la chapelle royale (1674), il prit la suite de Pelham Humphrey comme maître des enfants de cette chapelle et comme compositeur de la musique vocale. L’archevêque de Canterbury l’honora du titre de Doctor of Music (1677). Deux ans plus tard, il renonça à son poste d’organiste à Westminster en faveur de son élève Henry Purcell. En 1687, on lui confia la charge des choristes de Saint-Paul, poste qu’il abandonna en faveur d’un autre élève, J. Clarke. Entre-temps, il était devenu organiste à la chapelle royale. Enfin, en 1699, il reçut le titre de Composer of the Chapel Royal. Blow fut enterré à Westminster ; sa tombe porte à sa mémoire le Gloria en canon de son Service en sol. John Blow a laissé un catalogue important d’oeuvres variées et souvent d’une grande qualité. Professeur illustre, son enseignement lui a mérité l’estime de ses contemporains. Parmi ses élèves se trouvèrent Clarke, Croft, Daniel Purcell et, surtout, Henry Purcell. Auteur d’une belle et touchante ode sur la mort de ce dernier,

Blow a signé avec le masque Vénus et Adonis ce qui est en fait l’un des premiers opéras anglais ; les styles français (ouverture, prologue) et italien (récitatif, audaces harmoniques) s’y mêlent harmonieusement. BLUES. Complainte du folklore négro-américain, dont les paroles, imprégnées de poésie populaire, sont quelquefois violentes et érotiques. Sur le plan musical, le blues se caractérise par l’usage d’un mode mélodique variable et, pour le type courant, par une downloadModeText.vue.download 108 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 102 coupe ternaire A. A. B. Les deux périodes A, de quatre mesures chacune, sont mélodiquement identiques, mais une variante harmonique intervient au début de la seconde, l’accord de sous-dominante remplaçant l’accord de tonique, tandis que la dominante colore la période B, conclusive. Les paroles s’organisent en strophes successives (une strophe = un chorus, généralement de douze mesures), chacune d’elles épousant le même schéma A. A. B., en deux vers dont le premier (A) est répété. Après chaque vers, qui occupe approximativement deux mesures, la fin de la période de quatre mesures donne lieu à une réponse instrumentale. Né vers la fin du XIXe siècle dans les populations rurales noires du sud des ÉtatsUnis, le blues est postérieur au negrospiritual et au chant de plantation, dont l’influence l’a marqué, ainsi, semble-t-il, que celle du folklore blanc contemporain. Le climat du blues est souvent mélancolique (blues est synonyme de cafard) ; d’où l’idée reçue qu’il ne se chante ou ne se joue qu’en tempo lent. L’usage voulait que le chanteur de blues s’accompagnât au banjo ou à la guitare. Il en était ainsi, le plus souvent, dans la tradition du blues rural (country blues), dont les premiers représentants, contrairement au pionnier Robert Johnson, émigrèrent vers le nord au cours de l’entredeux-guerres, venus d’Arkansas, comme Big Bill Broonzy (William Lee Conley),

du Texas comme « Blind » Lemon Jefferson, de Louisiane comme Lonnie Johnson ou de Floride comme Tampa Red (Hudson Whitakker) et étaient des chanteursguitaristes. Toutefois, on voyait déjà un Washboard Sam (Robert Brown), un Will « Son » Shade s’accompagner au moyen d’instruments hétéroclites issus d’un bricolage ingénieux, tandis qu’un Sonny Terry et, avant lui, un « Sonny Boy » Williamson I faisaient alterner chant et harmonica. Une place à part peut être faite à Leadbelly (Huddy Ledbetter) qui mit le blues vocal à la mode dans les milieux intellectuels et artistiques de Greenwich Village, à New York. Dans les ghettos noirs des grandes villes et principalement à Chicago, le blues s’acclimate et, peu à peu, se transforme au contact des spectacles de vaudeville, dont le public de couleur est friand ; au contact du jazz aussi. Le piano tend à s’imposer à côté de la guitare ; il s’y substitue parfois. Des chanteurs-pianistes, tels que Leroy Carr et, plus tard, Memphis Slim (Peter Chatman), se font connaître. Il arrive que des musiciens de jazz, pianistes, comme Fletcher Henderson et James P. Johnson, ou cornettistes, comme Louis Armstrong et Joe Smith, soient conviés à accompagner les plus célèbres chanteuses de blues : Gertrude « Ma » Rainey, « la mère du blues », et sa disciple Bessie Smith, « l’impératrice du blues ». À New York, Lonnie Johnson a le privilège d’enregistrer quelques disques avec Louis Armstrong et Duke Ellington. On verra même un chanteur de blues très doué pour le jazz, Jimmy Rushing, se faire engager chez Count Basie. Parallèlement, une seconde génération de chanteurs-guitaristes venus du Sud s’agrège au courant du blues urbain (city blues) qui prédomine dès la fin de l’entredeux-guerres. Avec Andrew « Smokey » Hogg, John Lee Hooker, Sam « Lightnin » Hopkins et Muddy Waters (Mc Kinley Morganfield), le blues urbain apparaît moins fruste, moins rustique que ne l’était son ancêtre ; il devient même tendu, voire agressif, à l’image des jeunes Noirs qui récusent la passivité sociale de leurs aînés. L’art spontané (encore qu’il laisse peu de place à l’improvisation) du chanteur-guitariste ne se perdra pas et, dans les années 60 et 70, le succès d’un Riley « B. B. » King montre que le blues folklorique a conquis une petite audience internationale.

L’après-guerre voit surgir de nouvelles formes de blues. La tradition vocale cherche un prolongement instrumental que nécessitent les grands dancings tels que l’Apollo Theater de Harlem. Désormais, le chanteur (« blues shouter ») crie le blues dans le micro plus qu’il ne le chante. Derrière lui, la guitare électrique, introduite par Aaron « T. Bone » Walker, et le saxophone ténor s’attachent à créer un climat d’excitation permanente que renforce un afterbeat hérité du jazz, mais hypertrophié. C’est le mouvement Rhythm’n’Blues, que préfigurent Wynonie Harris, Louis Jordan, Joe Turner et Eddie « Cleanhead » Vinson, et d’où sortiront les Chuck Berry, les Fats Domino, les Aretha Franklin, les Little Richard, voire Ray Charles. Par le canal de ces chanteurs populaires devenus vedettes de variétés, le blues a contaminé toute une partie du show business, et l’on trouve trace de son influence dans la pop music et le rock’n’roll des années 60. On a même pu parler, à propos des chansons de Bill Haley et d’Elvis Presley, d’un « blues blanc », dont l’interprétation est, il est vrai, involontairement caricaturale. Toutefois, on estime généralement que le blues doit ses développements les plus remarquables, sur le plan musical, aux artistes de jazz. Dès les premiers temps du jazz, en effet, le blues s’y est acclimaté et y a prospéré. Les pianistes de jazz, d’Earl Hines (Blues in Thirds) à Thelonious Monk (Blue Monk), en ont organisé et enrichi le langage harmonique. L’orchestre de Duke Ellington, l’orchestre de Count Basie, entre autres, lui ont consacré une importante partie de leur répertoire ; et certaines pièces ellingtoniennes (Black and Tan Fantasy, Saddest Tale, Ko-Ko, par exemple) débordent largement, par leur complexité et leur force expressive, le cadre de l’art populaire. La séquence harmonique du blues de douze mesures est fréquemment utilisée par les musiciens de jazz en tant que base d’improvisation, indépendamment de toute donnée mélodique. Le style du blues a profondément influencé le jazz tout entier ; en retour, les grands solistes de jazz, Louis Armstrong, Charlie Parker, Lester Young, ont donné du blues une image magnifiée. D’autre part, la relation privilégiée tonique-sousdominante a conduit les compositeurs de jazz à une reconsidération limitée du système tonal.

BLUME (Friedrich), musicologue allemand (Schlüchtern, Hesse, 1893 - id. 1975). Élève de Hugo Riemann et de Hermann Abert, il obtint en 1921 le grade de docteur à l’université de Leipzig. Nommé en 1925 professeur à l’université de Berlin, il fut directeur de l’Institut de musicologie de l’université de Kiel (1934-1958), puis président de la Société internationale de musicologie (1958-1961). Il a également dirigé la commission mixte du Répertoire international des sources musicales (R.I.S.M.) et présidé le Joseph-Haydnlnstitut de Cologne (1955-1973). Il a édité les oeuvres complètes de Michael Praetorius, écrit de nombreuses études sur Bach, Mozart, Haydn et d’autres musiciens, et dirigé plusieurs publications, dont Das Chorwerk et surtout le dictionnaire Die Musik in Geschichte und Gegenwart (14 vol., 1949-1968). Des nombreux articles écrits par lui pour ce dictionnaire, sont parus en volume séparé ceux consacrés à la Musique de la Renaissance, à la Musique baroque, à la Musique classique et à la Musique romantique. BLÜTHNER (Julius Ferdinand), facteur de pianos allemand (Falkenhain, près de Merseburg, 1824 - Leipzig 1910). Il fonda la firme Blüthner 1853. Ses instruments font échappement amélioré et au aliquotes où une quatrième vibre à l’octave sans être la sonorité dans l’aigu.

à Leipzig en appel au double système des corde, qui frappée, enrichit

BOCCHERINI (Luigi), compositeur et violoncelliste italien (Lucques 1743 Madrid 1805). Il apprit le violoncelle, tout enfant, avec son père et devint un virtuose célèbre dès l’âge de quatorze ans, après s’être produit à Rome. Il fut ensuite engagé par le Théâtre impérial de Vienne, où il fit trois séjours de 1757 à 1764 ; de cette période date sa première oeuvre connue, un recueil de six trios à cordes (1760), suivi en 1761 d’un recueil de six quatuors à cordes. En 1764, Luigi et son père rentrèrent à Lucques, où furent écrits une cantate et les deux oratorios Giuseppe riconosciuto downloadModeText.vue.download 109 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE

103 et Gioa, re di Giuda. Après la mort de son père (1766), Boccherini s’associa avec le violoniste Filippo Manfredini et entreprit avec lui des tournées qui le menèrent, notamment, à Paris (1767). Il se produisit au Concert spirituel, mais ne fut pas invité à Versailles. Admirant autant sa virtuosité d’instrumentiste que son talent de compositeur, l’ambassadeur d’Espagne à Paris le pressa d’aller à Madrid. Boccherini accepta, mais, à son arrivée dans la capitale espagnole (1769), il fut mal reçu, dit-on, par Brunetti, responsable de la musique à la Cour. En revanche, il trouva un soutien décisif auprès du frère du roi Charles III, l’infant Don Luis, qui lui conserva sa protection jusqu’à sa mort (1785) et avec lequel il s’installa en 1776 à Las Arenas, près de Madrid. Au cours de ces années, Boccherini composa une très grande quantité de musique de chambre pour des formations diverses, dont une série de quintettes à cordes s’inspirant parfois de motifs espagnols. L’étonnant Quintettino op. 30 no 6 dit La Musica notturna delle strade di Madrid (1780) reflète parfaitement cette période d’expérimentation euphorique. Ayant sans doute subi l’influence des idées de Jean-Jacques Rousseau lors de son séjour à Paris, Boccherini, italien lui-même, s’intéressait à une musique « locale » au moment même où la musique italienne régnait toute-puissante ! Après avoir entendu à Madrid les quatuors op. 33 (1781), l’ambassadeur de Prusse n’eut de cesse que Boccherini ne fût attaché à son souverain. Le compositeur, à partir de 1786, envoya à Frédéric-Guillaume II, excellent violoncelliste, une quantité considérable de musique, dont 28 quintettes et 16 quatuors. Dans la famille Benavente-Osuna, avec laquelle il s’était lié, Boccherini eut l’occasion d’entendre nombre d’oeuvres de Joseph Haydn et côtoya notamment Goya, le poète et dramaturge Moratin et l’écrivain anglais Beckford. Pour cette société éclairée, il composa son unique opéra, la Clementina, retrouvé en 1960. La vie de Boccherini de 1787 à 1796 est mal connue. On crut longtemps qu’il s’était rendu en Prusse, à la cour de Potsdam, alors qu’en fait il resta à Madrid, végétant dans une relative obscurité. À la mort de Frédéric-Guillaume II, en 1797, il

proposa en vain d’envoyer de la musique à son successeur. Sous le Consulat, le poste de directeur du conservatoire de Paris lui fut offert, mais Boccherini préféra demeurer dans cette Espagne qu’il considérait presque comme sa patrie. Lucien Bonaparte, ambassadeur du Consulat à Madrid à la fin de 1800, attira sa sympathie et reçut la dédicace de deux groupes de six quintettes op. 60 et 62. Après le retour de L. Bonaparte en France, Boccherini ne vécut plus que de la vente de ses oeuvres, confiées depuis 1796 à Ignace Pleyel, un éditeur qui payait fort mal. Une suite de deuils précipita la mort du musicien à Madrid. Ses cendres furent ramenées en Italie en 1927 et ensevelies en la basilique Saint-François de Lucques. Boccherini fut un des plus grands compositeurs de musique de chambre pour cordes et le plus grand compositeur italien de musique instrumentale de la seconde moitié du XVIIIe siècle. La maîtrise d’écriture et l’aisance formelle de ses très nombreux quatuors et quintettes passèrent pour « inexplicables « chez un héritier du baroque italien, jusqu’au jour où Hugo Riemann soutint que Boccherini avait récolté à Paris les fruits de l’école de Mannheim. Cette hypothèse confirme l’importance du musicien créateur, avec Joseph Haydn, du quatuor à cordes et initiateur du quintette, où il préfère, comme plus tard Schubert, la formule à 2 violoncelles - entre le rococo italien et les grands classiques viennois. À la pureté relativement abstraite de ces derniers, Boccherini, pourtant spontanément mélancolique et même dramatique comme Mozart, oppose un souci des couleurs, des trouvailles instrumentales (archet utilisé col legno, etc.) et une exceptionnelle sensibilité aux atmosphères qui font de lui l’héritier de certains traits les plus remarquables de Vivaldi. Le quintette del Fandango fait ouvertement appel au folklore. La Musique nocturne de Madrid résume un art extraordinairement en avance sur son temps : elle naît des bruits incohérents d’instruments en train de s’accorder, évolue vers des fredons populaires et des souvenirs de musiques sacrées et aboutit à une intense péroraison relevant de la plus pure tradition des danses de cour. Longtemps, un ravissant menuet extrait du quintette op. 11 no 5 (1771) est resté l’oeuvre la plus célèbre de Boccherini,

offrant de lui une image gracieuse et fragile. On découvre aujourd’hui qu’il fut un compositeur hardi, engagé, précurseur de ce qu’il devait y avoir de meilleur dans les musiques « nationales « du siècle romantique. BOCHSA (Robert), compositeur et harpiste français (Montmédy 1789 - Sydney, Australie, 1856). Auteur de nombreuses pièces pour son instrument, il débuta comme compositeur d’opéras, d’oratorios et de ballets avant de transformer la harpe en un instrument virtuose. Membre de la chapelle impériale puis de celle de Louis XVIII, il fut impliqué dans une histoire de faux et dut se réfugier en Angleterre (1817), où il devint le premier professeur de harpe à la Royal Academy of Music. De nouveaux scandales l’obligèrent à quitter le pays (1827). En 1839, il s’enfuit avec la soprano Ann Bishop, épouse du compositeur sir Henry Bishop. Il se produisit avec elle en un tour du monde au cours duquel il mourut. BODIN (Lars-Gunnar), compositeur suédois (Stockholm 1935). Animateur et, de 1969 à 1972, président d’un organisme essentiel dans la création musicale en Suède, la fondation Fylkingen, il est devenu après cette date directeur du studio de musique électronique du Conservatoire royal de Stockholm. Après des expériences de théâtre musical, il consacre l’essentiel de sa production aux moyens électroacoustiques, dans des oeuvres qui cherchent souvent à intégrer des thèmes liés aux techniques et aux disciplines modernes - cybernétique (Cybo I et Cybo II, 1967), théorie de la connaissance (Traces I, 1970, et Traces II, 1971), philosophie marcusienne (Toccata, 1969) -, et qui utilisent fréquemment des textes (« Text-Sound Composition », équivalent de la poésie sonore française). Il a également réalisé des oeuvres multimédias associant des moyens musicaux et visuels (Clouds, 1972-1976) et des musiques de ballet (Place of Plays, 1967 ; From One Point to Another Point, 1968). On peut citer encore la pièce pour bande From the Beginning to the End (1973) et la cantate radiophonique For Jón (1977). BOÈCE (Anicius Manlius Torquatus Severinus Boetius, en fr.), philosophe latin

(Rome v. 480 - environs de Milan 524). Conseiller de Théodoric le Grand, il fut, au faîte d’une carrière politique, impliqué dans un procès et mis à mort. Entre 500 et 507, il avait écrit un traité en 5 livres. De institutione musicae. Cet ouvrage, qui s’inspire de Platon, d’Aristote, de Nicomaque et de Ptolémée, aborde la théorie musicale sous l’angle de l’acoustique et de l’harmonie. Boèce assigne une place majeure à la musique dans l’éducation, en raison de l’influence morale qu’elle peut exercer. Le Moyen Âge dut à ce traité sa connaissance de la théorie musicale de l’Antiquité ; jusqu’à la Renaissance, l’autorité de Boèce demeura incontestée. BOËLLMANN (Léon), compositeur et organiste français (Ensisheim, Haut-Rhin, 1862 - Paris 1897). Disciple et neveu, par alliance, d’Eugène Gigout, il travailla la musique à l’école Niedermeyer. Nommé organiste à SaintVincent-de-Paul, il disparut prématurément, laissant une oeuvre importante, qui fut jouée avec succès de son vivant : symphonie en fa majeur, Variations symphoniques pour violoncelle et orchestre, sonate pour violoncelle et piano, Fantaisie pour orgue et orchestre, musique religieuse abondante. On ne joue plus guère aujourd’hui que la Suite gothique pour downloadModeText.vue.download 110 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 104 orgue, l’une des très nombreuses pièces qu’il écrivit pour son instrument. BOËLY, famille de musiciens français. Jean-F ranço is (Saint-Léger-de-Crossy, Aisne, 1739 - Chaillot 1814). Il fut hautecontre à la Sainte-Chapelle, à Paris, compositeur (il est l’auteur d’un motet Beatus vir) et professeur de harpe à la cour de Versailles. Il a, en outre, écrit un Traité d’harmonie, d’après Rameau, resté inédit (1808). Alexandre Pierre François, organiste et compositeur, fils du précédent (Versailles 1785 - Paris 1858). Élève de l’Autrichien Ladurner, qui l’initia à la musique de Bach, de Haydn et de Beethoven, alors in-

connus en France, il fut nommé, en 1840, organiste à Saint-Germain-l’Auxerrois et y demeura jusqu’en 1851, date à laquelle on le congédia en raison de l’« austérité » de la musique qu’il y jouait : Bach, Frescobaldi, Couperin, Walther, Kirnberger, les maîtres français ; à cette époque, c’était plutôt les transcriptions d’opéras-comiques qui faisaient fureur. Pour exécuter les oeuvres de Bach, réputées injouables, il fit installer à son orgue un pédalier à l’allemande, dont l’usage ne se généralisa, dans la facture française, que durant la seconde moitié du siècle. Ses rares auditeurs - Gigout, Franck, et surtout Saint-Saëns - furent émerveillés d’entendre ces oeuvres ressuscitées, ainsi que le contrepoint sévère par lequel il traitait les thèmes du plain-chant, que l’on commençait à redécouvrir. Il finit ses jours comme humble professeur de piano. Il laisse une oeuvre abondante : musique de chambre, nombreuses pages pour le piano (caprices, suites, études), oeuvres souvent concises, très soigneusement composées et d’une réelle couleur romantique, où il se montre l’héritier de Scarlatti, de Cramer, de Haydn et de Beethoven. Pour l’orgue, il a écrit douze Cahiers de pièces de différents caractères et quatre Livres pour orgue à pédales ou piano à trois mains, en plus de publications d’oeuvres anciennes et de transcriptions diverses. Il y renoue avec le style des maîtres français classiques (versets, duos, dialogues, tierces en taille) et s’inspire des Allemands (fantaisies et fugues, chorals ornés). Inconnu du grand public, il n’en a pas moins joué un rôle déterminant dans la renaissance de la musique française au XIXe siècle. En 1902, Saint-Saëns reconnut la dette des musiciens français envers lui, en publiant une collection de ses oeuvres. BOESMANS (Philippe), compositeur belge (Tongres 1936). Au conservatoire de Liège, il étudia d’abord le piano avec Stefan Askenase et Robert Leuridan et s’orienta vers la composition après avoir rencontré Pierre Froidebise, puis Henri Pousseur. Programmateur musical au 3e Programme de la R. T. B. (1962), il est pianiste de l’ensemble Musiques nouvelles et attaché, depuis 1971, au Centre de recherches musicales en Wallonie dirigé par Pousseur. La même année, il a pris des fonctions à la station de Liège de la R. T. B. et obtenu le prix

Italia pour Upon La Mi pour voix et cor solo, 11 instrumentistes et amplification (1969). Sa production, issue du courant sériel postwebernien, tente de s’en dégager en réintégrant certaines fonctions harmoniques, des rythmes périodiques, des éléments mélodiques ou des mouvements conjoints. L’intuition y fait bon ménage avec la rigueur. Boesmans est, assurément, une des principales figures de la jeune musique belge. On lui doit notamment Cassation pour 5 instruments (1962), Sonance pour 2 pianos (1963), Verticales pour grand orchestre (1969), Fanfare I pour 2 pianos à 2 mains (1970) et II pour orgue (1972), Intervalles I (1972) et II (1973) pour grand orchestre et III pour voix solo et grand orchestre (1975-76), Sur mi pour 2 pianos, orgue électrique, crotales et tam-tam (1974), Multiples pour 2 pianos et orchestre (1974-75), Ring pour orgue électronique, harpe, piano, 2 percussionnistes et ensemble instrumental (1975). Attitudes, qui relève du théâtre musical, a été créé à Bruxelles en 1979 et repris à Avignon en 1980. Suivirent un Concerto pour violon (1979), Conversions pour orchestre (1980), l’opéra la Passion de Gilles (1982), Trakl Lieder (1988), l’opéra la Ronde (1993), Dreamtime (1993). BOESSET (Antoine), compositeur français (Blois 1586 ou 1587 - Paris 1643). Élève de Pierre Guédron, dont il devint le gendre et auquel il succéda à la charge de surintendant de la Musique du roi (1622), il fut un des musiciens favoris de Louis XIII, qui le nomma successivement maître de chant des bénédictines de Montmartre, maître des enfants de la musique de la Chambre du roi (1613) et surtout maître de la Musique de la reine (1615). De tempérament lyrique, il lui manqua malheureusement le sens dramatique qui lui aurait permis de mettre ses belles mélodies au service d’un argument suivi. Au contraire, dans de nombreux ballets « à entrées », la musique de Boesset et de ses collègues s’éloigne du courant nettement dramatique établi par Guédron. Mais Boesset vécut au temps des ballets de cour, et sa collaboration à ces spectacles fut parmi les plus importantes, tant par la qualité que par la quantité (la Délivrance de Renaud, 1617 ; Ballet des dandins, 1626 ; Grand Bal de la douairière de Billebahaut, 1626 ; Ballet de la félicité, 1639, etc.). Boesset est un admirable mélodiste, et les textes qu’il met en musique sont souvent tirés

de l’oeuvre des meilleurs poètes, tels que Tristan, Théophile, Boisrobert ou Racan. Ses airs possèdent un charme irrésistible, une grâce et une harmonie entre poésie et musique qui lui méritèrent le respect de ses contemporains et qui le placèrent au premier rang des musiciens de son époque. Les airs du « vieux Boesset » ont été chantés longtemps après sa mort. Il est l’un des premiers à avoir employé la basse continue en France, et cette technique se rencontre dans ses derniers livres d’airs polyphoniques. Il a laissé en tout 9 livres d’Airs de cour à 4 et 5 parties (1617-1642). Ses airs pour une voix et luth se trouvent dans différents recueils parus chez Ballard entre 1608 et 1643. Il a également composé des messes et des motets à 4 et 5 voix. Son fils, Jean-Baptiste (1614-1685), devint surintendant de la Musique en 1644. Des airs de sa composition sont conservés. BOESWILLWALD (Pierre), compositeur français (Toulon 1934). Il est collaborateur, depuis 1972, du Groupe de musique expérimentale de Bourges. Sa production, d’abord consacrée presque exclusivement aux moyens électroacoustiques (la Promenade du dimanche, 1970) ; les 3 Tocatannes, 19731975 ; Dedans-dehors, 1975), s’ouvre ensuite à des expériences de théâtralisation de la musique par haut-parleurs, faisant intervenir un comédien, des projections, etc. (Homo dixit, 1977). Boeswillwald est un poète en prose de la musique électroacoustique, qui écrit au présent de l’indicatif avec un style bien à lui, familier, vif et aéré. BOETTICHER (Wolfgang), musicologue allemand (Bad Ems 1914). Ayant abordé la musique par l’étude du piano, il a donné, très jeune, des concerts. Mais il a renoncé à cette carrière pour se consacrer à la musicologie. À l’université de Berlin, il a été l’élève d’Arnold Schering et de Curt Sachs. Il a publié plusieurs ouvrages sur Schumann et poursuivi des recherches très étendues sur la musique de la Renaissance. Il a aussi préparé des éditions des oeuvres de Schumann et de R. de Lassus. En 1956, W. Boetticher a été nommé professeur à l’université de Göttingen, où il enseignait depuis

1949. Parmi ses principaux écrits, on peut mentionner : R. Schumann, Einführung in Persönlichkeit u. Werk (Berlin, 1941) ; O. di Lasso u. seine Zeit (2 vol., Kassel et Bâle, 1959-1969). BOEUF (Georges), compositeur français (Marseille 1937). Professeur de saxophone, instrument pour lequel il a écrit les deux quatuors Parallèles (1967-68) et l’Image poursuivie (1973), il a été membre du Groupe de musique expédownloadModeText.vue.download 111 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 105 rimentale de Marseille, fondé en 1968 par Marcel Frémiot, avant d’en devenir le responsable en 1974. Parmi ces oeuvres électroacoustiques, on peut citer : Mémoire (1972), le Départ pour la lune, pour orgue et bande magnétique (1972), Champs (1975), Jusqu’au lever du jour (1977), Du côté du miroir (1977), Phrases, pour flûte et bande (1977). Avec Michel Redolfi, il a conçu et créé Whoops (1re version, 1976 ; 2e version, 1977), première oeuvre pour « homo-parleur » (système de diffusion par haut-parleurs « greffés » sur le corps d’interprètes en action), et contribué à la réalisation collective du G.M.E.M., la Mer (1978). BÖHM (Georg), compositeur et organiste allemand (Ohenkirchen, près d’Ohrdruf, 1661 - Lüneburg 1733). Après des études à l’université d’Iéna, il séjourna à Hambourg avant d’occuper, de 1698 jusqu’à sa mort, le poste d’organiste à l’église Saint-Jean de Lüneburg, église où le jeune Johann Sebastian Bach fut choriste en 1700. Il composa 11 suites pour clavecin, une vingtaine d’oeuvres pour orgue, 23 lieder spirituels ; 9 cantates et 2 motets lui sont attribués. Influencé par les maîtres de l’Allemagne du Nord, Buxtehude en particulier, il marqua à son tour les organistes allemands du XVIIIe s., dont Johann Sebastian Bach qui l’imita dans ses premières oeuvres et lui emprunta un menuet dans le Petit Livre d’Anna Magdalena Bach. BÖHM (Karl), chef d’orchestre autrichien (Graz 1894 - Salzbourg 1981).

Parallèlement à des études de droit à Graz, il étudie la musique à Vienne avec Eusebius Mandyczewski. Il devint premier chef d’orchestre à l’opéra de Graz en 1917. Bruno Walter l’engagea à l’opéra de Munich en 1921. Il fut nommé directeur de la musique à Darmstadt en 1927, au Stadttheater de Hambourg en 1931, fut directeur de l’opéra de Dresde, de 1932 à 1942, et de l’opéra de Vienne, de 1943 à 1945 et de 1954 à 1956. Durant cette deuxième période, il fut également premier chef de la Philharmonie de Vienne. Böhm a été l’ami de Richard Strauss, dont il a créé les opéras la Femme silencieuse et Daphné. Il a dirigé les premières représentations de nombreux autres ouvrages, comme Massimilla Doni d’Othmar Schoeck. Il a fait dans le monde entier une carrière aussi brillante comme chef d’opéra que comme chef d’orchestre symphonique. Ses interprétations, qui donnent une impression de perfection, de juste mesure, d’équilibre, sont particulièrement admirées dans les oeuvres de Mozart, Beethoven, Richard Strauss, mais aussi Brahms, Wagner et Bruckner. Il a écrit des lieder et de la musique de chambre. BÖHM (Theobald), flûtiste et compositeur allemand (Munich 1794 - id. 1881). Virtuose accompli que ses contemporains tenaient pour le plus grand flûtiste d’Allemagne, il a enrichi le répertoire de son instrument d’une vingtaine de concertos, fantaisies, variations et autres compositions d’un romantisme maintenant démodé. Mais son nom reste attaché aux améliorations considérables et définitives qu’il apporta à la flûte traversière à partir de 1830 (système de clés, perce cylindrique, etc. ; ! FLÛTE). Elles sont présentées dans son traité Über den Flötenbau und die neuesten Verbesserungen desselben, Mayence, 1847 (« de la fabrication et des derniers perfectionnements de la flûte »). Il écrivit également Die Flöte und das Flötenspiel, Munich, 1871 (« la flûte et le jeu de la flûte »). Le « système Böhm » a été adapté avec succès à d’autres instruments de la famille des bois, notamment la clarinette et le hautbois. BOIELDIEU (François Adrien), compositeur français (Rouen 1775 - Jarcy, Essonne, 1834).

Fils du secrétaire de l’archevêque de Rouen, il devint enfant de choeur à la cathédrale et reçut de l’organiste Broche des notions de composition musicale, qui furent ses seules études. En effet, si, après ses premières oeuvres où l’instinct et le bon goût remplaçaient la science, il comprit qu’il lui faudrait apprendre son métier, c’est en autodidacte qu’il fit cet apprentissage. Étonnamment doué, Boieldieu écrivit à dix-huit ans son premier opéra-comique, la Fille coupable (1793), sur un livret de son père. L’accueil fait à un second ouvrage, Rosalie et Myrza (1795), l’incita à se fixer à Paris pour y poursuivre une carrière de compositeur. Reçu dans la maison Érard, il y rencontra Méhul et Cherubini, qui devinrent ses amis et le conseillèrent utilement. Les chanteurs Pierre-Jean Garat et Cornélie Falcon, en interprétant ses romances dans les salons, le rendirent célèbre. Le théâtre Feydeau lui ouvrit bientôt ses portes (1796), puis l’Opéra-Comique, où s’imposa en 1798 la Dot de Suzette, dont les gracieuses mélodies restèrent longtemps populaires. Le Calife de Bagdad (1800) et Ma tante Aurore (1803) furent chaleureusement accueillis. Les querelles de Boieldieu avec sa femme, la danseuse Clotilde Malfleuroy, décidèrent le compositeur à s’éloigner de Paris. Il partit pour Saint-Pétersbourg, où il obtint le poste de compositeur de la Cour. Il y resta sept ans et y composa six ouvrages, dont deux (la Jeune Femme colère, 1805 ; les Voitures versées, 1808) furent repris à Paris. Les triomphes de Jean de Paris (1812) et du Nouveau Seigneur du village (1813) marquèrent le retour de Boieldieu dans la capitale française. Déjà professeur de piano au Conservatoire, il y devint professeur de composition en 1817, succédant à Méhul. Il présenta l’année suivante le Petit Chaperon rouge, dont il avait particulièrement soigné l’écriture et qu’il déclara plaisamment être son discours de réception à l’Académie des beaux-arts, où il fut élu à cette époque. Après un silence de plusieurs années fut représenté son chef-d’oeuvre, la Dame blanche (1825), dont le succès s’est prolongé jusqu’à nos jours. Devenu veuf la même année, Boieldieu épousa la cantatrice Phillis. Atteint d’une laryngite tuberculeuse, il résilia ses fonctions au Conservatoire et se retira dans sa propriété de Jarcy, où il s’éteignit comblé d’honneurs, mais dans une situation matérielle difficile. Son service fu-

nèbre eut lieu en grande pompe aux Invalides et on y joua le Requiem de Cherubini. Que l’on ait pu souvent, en parlant de Boieldieu, évoquer Mozart suffit à indiquer le ton de sa musique et sa qualité ; en même temps, l’art de ce compositeur apparaît spécifiquement français : tendre, spirituel, sensible, intelligent, ennemi de toute mièvrerie, d’une délicate originalité, avec une écriture à la fois simple et subtile. Wagner et bien d’autres grands musiciens ont dit toute leur admiration pour son talent. Outre une quarantaine d’ouvrages lyriques, Boieldieu a écrit de la musique de piano, dont plusieurs sonates, de la musique de chambre, un concerto pour piano (1792) et un concerto pour harpe (1795). BOIS. Terme générique qui désigne : 1. Les instruments à vent construits en bois, même de nos jours (hautbois, basson, cor anglais, clarinette, etc.) ; 2. Les instruments à vent qui, à l’origine, étaient construits en bois (flûte) ; 3. Les instruments à anche simple qui ont toujours été métalliques, mais que leur principe rattache aux bois (saxophones). La famille des bois comprend donc, pratiquement, la flûte et tous les instruments à anche simple ou double. BOISGALLAIS (Jacques), compositeur français (Le Mesle-sur-Sarthe, Orne, 1927). Il a été, au Conservatoire de Paris, l’élève de Samuel-Rousseau pour l’harmonie, de Simone Plé-Caussade pour le contrepoint, de Darius Milhaud et de Jean Rivier pour la composition. En 1955, il entre à la R. T. F. comme musicien-metteur en ondes, métier qu’il continue d’exercer pour Radio-France. Compositeur, il s’est vu décerner plusieurs récompenses : son 1er quatuor à cordes a obtenu le prix YvonneLiébin (1958), sa symphonie les Ombres, le premier prix de la Ville de Paris (1966-67). Il a essentiellement écrit des oeuvres pour downloadModeText.vue.download 112 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 106 orchestre et pour diverses formations instrumentales, d’une écriture ferme et colorée. On lui doit aussi des partitions de musique radiophonique. BOISMORTIER (Joseph Bodin de), compositeur français (Thionville 1689 Roissy-en-Brie 1755). Après avoir passé les vingt-cinq premières années de sa vie en Lorraine, où il rencontra H. Desmarest, alors surintendant de la musique du duc Léopold, il effectua plusieurs séjours à Perpignan. Quatre ans plus tard, il commença à éditer ses oeuvres à Paris, où il poursuivit sa carrière de compositeur. Ses compositions s’inscrivirent parfois dans la tradition de la musique française lorsqu’il écrivit des opéras comme Daphnis et Chloé (1747), sa sonate pour 2 flûtes et sans basse ou ses cantates, genre auquel il s’efforça toutefois d’apporter un renouveau, notamment dans Actéon (1732). Il fut aussi l’un des premiers musiciens français à adopter la forme tripartite du concerto italien, quand parurent, en 1727, ses 6 concertos pour 5 flûtes traversières. À cet instrument, il consacra bon nombre de sonates, tout en étant aussi inspiré par la vielle et la musette, pour lesquelles il composa plusieurs pièces qui témoignent du goût, alors très en vogue, pour la bergerie. Il céda aussi à la mode lorsqu’il intercala des noëls populaires dans son motet le plus célèbre, Fugit nox, qui eut le privilège de rester pendant vingt ans au répertoire de la chapelle royale. Par son inspiration, mais aussi par son style gracieux et élégant, Boismortier peut être considéré comme l’un des artistes les plus représentatifs de l’art musical français de la première moitié du XVIIIe siècle. BOÎTE À MUSIQUE. Le cylindre à picots, issu du principe de la roue à cames, était connu depuis la fin du Moyen Âge et servait à animer des carillons, des automates et autres objets mécaniques. Vers la fin du XVIIIe siècle, un horloger genevois eut l’idée de l’adapter à un mince peigne d’acier, dont les dents, de longueur inégale, produisaient autant de notes. Quand le cylindre tourne, entraîné

par une manivelle ou, le plus souvent, par un mouvement d’horlogerie, les picots disposés sur une même ligne horizontale accrochent au passage le bout des lames correspondantes et les font vibrer. Des airs plus ou moins longs (suivant le diamètre du cylindre) peuvent être ainsi reconstitués avec leur accompagnement. Par la suite, des cylindres interchangeables ont permis aux modèles les plus perfectionnés de rivaliser avec l’orgue de Barbarie, quant à la variété du répertoire. C’est surtout au XIXe siècle que la boîte à musique a connu la plus grande vogue, jouant un rôle certain dans la diffusion de la musique. L’invention du phonographe semble lui avoir porté un coup fatal, mais on continue pourtant à en fabriquer, surtout en Suisse, à cause du charme archaïque et naïf, inimitable, qui se dégage de la sonorité de cet appareil. BOÎTE EXPRESSIVE. Disposition utilisée en facture d’orgues et consistant à enfermer tous les tuyaux d’un clavier dans un coffret étanche, clos vers l’avant par une série de jalousies mobiles actionnées par une cuiller ou une pédale commandée de la console. Les sonorités sont ainsi étouffées et s’éclaircissent en léger crescendo lorsque l’exécutant ouvre la boîte. Inventée au XVIIIe siècle, la boîte expressive a été très généralement répandue dans les orgues d’esthétiques romantique et postromantique, où elle répond au besoin de nuances nouvelles du style symphonique. Elle affecte les jeux du clavier de récit et, sur les instruments plus grands, ceux du clavier de positif. BOITO (Enrico, dit Arrigo), compositeur, poète et librettiste italien (Padoue 1842 - Milan 1918). Fils d’un sculpteur italien et d’une comtesse polonaise, il mena de pair des études musicales et littéraires dans des conditions difficiles, son père ayant abandonné le domicile familial. Il publia des poésies de caractère libertaire et entama une carrière de chroniqueur, puis, encouragé par Emilio Praga, l’un des pères de la « scapigliatura » ( ! VÉRISME), il se rendit à Paris, où il découvrit une musique instrumentale inconnue en Italie, rencontra Baudelaire,

Rossini, Verdi (auquel il fournit les vers de l’Hymne des nations) et Gounod, dont il fit représenter le Faust à Milan. Conscient des faiblesses du livret de cet opéra, il rédigea un poème d’après les deux Faust de Goethe, en écrivit la partition et présenta l’oeuvre à la Scala en 1868, sans aucun succès. Révisé, notablement raccourci, ce Mefistofele triompha à Bologne en 1875, mais ne trouva sa forme définitive qu’après de nouvelles modifications pour sa nouvelle présentation à la Scala, en 1881, avec une éclatante distribution. Entre-temps, Boito s’était enflammé pour les courants nouveaux de l’art ; il milita en faveur de Wagner (on lui doit les versions italiennes de Rienzi et de Tristan, mais aussi celle du Freischütz de Weber) et prit position contre Verdi. L’éditeur Ricordi ayant réconcilié les deux artistes, Boito aida Verdi à la refonte de son Simon Boccanegra (1881), puis écrivit pour lui les livrets d’Otello et de Falstaff. Il fournit également des livrets à d’autres musiciens : son ami Franco Faccio (Hamlet), Ponchielli (La Gioconda), Catalani (La Falce) et Mancinelli (Ero e Leandre). Directeur du conservatoire de Parme, de 1889 à 1897, élu sénateur en 1912, il travailla longtemps à un Néron, dont il publia le livret en 1901, mais qu’il laissa inachevé ; complétée par Antonio Smareglia et Vincenzo Tommasini, l’oeuvre fut créée à la Scala de Milan en 1924, sous la direction de Toscanini. Esprit ambitieux et tourmenté, toujours insatisfait, à l’image de son héros Faust, Boito, auteur de recueils de vers, de romans, de drames, ne sut pas toujours mettre son talent musical à la hauteur de son inspiration littéraire ; son Mefistofele, oeuvre d’extrême jeunesse, n’en contient pas moins des pages prophétiques, cependant que Néron souligne la prodigieuse évolution de son style vers un modernisme affirmé. BOKANOVSKI (Michèle), femme compositeur française (Paris 1943). Après un stage au Groupe de recherches musicales de Paris, elle poursuit, dans son studio personnel, la réalisation d’oeuvres électroacoustiques et « mixtes » (pour instruments et bande) rares et méditées. On peut citer : Koré (1972), pour ensemble vocal et bande, Pour un pianiste (1974), pour bande et piano, pièce remarquable, dédiée à son instigateur et interprète

Gérard Frémy, 3 Chambres d’inquiétude (1975-76), Suite pour l’Ange (1980) et les bandes sonores très denses et étudiées qu’elle a réalisées pour les films de Patrick Bokanovski (la Femme qui se poudre, le Déjeuner du matin, l’Ange). BOLCOM (William), compositeur américain (Seattle 1938). Il fit ses études à l’université de Washington, à Mill’s College, à l’université Stanford avec Leland Smith et au Conservatoire de Paris (1959-1961) avec Simone Plé-Caussade (contrepoint), Olivier Messiaen (esthétique), Darius Milhaud et Jean Rivier (composition). Il fréquenta aussi Darmstadt, où il subit l’influence de Pierre Boulez. Il a ensuite occupé diverses fonctions aux États-Unis, notamment celle d’assistant au Queen’s College de New York (1966-1968). Sa musique fait appel à des techniques très diverses : composition sérielle, expériences dans le domaine des microtons, etc. Son catalogue comprend notamment 4 symphonies, 9 quatuors à cordes, des oeuvres concertantes, des pièces pour différentes formations instrumentales (en particulier Sessions I à IV, 1965-1967) et les opéras d’acteurs Dynamite Tonite (1963), Greatshot (1969) et Theatre of the Absurd (1970). BOLÉRO. Danse espagnole et plus particulièrement andalouse, connue depuis la fin du XVIIIe siècle. Elle est issue de la séguedille et son inventeur serait le danseur Cerezo. AcdownloadModeText.vue.download 113 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 107 compagné, à l’origine, de chants et de castagnettes, le boléro se compose de trois couplets sur un mouvement modéré à 3/4. Des changements de rythme à l’intérieur du ternaire sont possibles. rappel schéma Le boléro s’est rapproché du fandango par l’accent de plus en plus nerveux des castagnettes. Weber, Auber, Chopin, Albéniz et Ravel (ce dernier dans un mouvement un peu plus lent) ont utilisé le

rythme caractéristique de cette danse. BOLET (Jorge), pianiste cubain naturalisé américain (La Havane 1914 - Moutain View, Californie, 1990). Il étudie au Curtis Institute de Philadelphie avec Saperton, Hofman, Godowski et Moritz Rosenthal, puis à Vienne et à Paris. À l’âge de seize ans, il fait ses débuts à Carnegie Hall sous la direction de Fritz Reiner. De 1939 à 1942, il est l’assistant de Rudolf Serkin à la direction du Curtis Institute de Philadelphie. Sa carrière se partage d’emblée entre le piano et la diplomatie. En 1946, il prend la direction de la musique au Quartier général américain de Tokyo, où il dirige principalement des opérettes, dont la première japonaise de The Mikado de Gilbert et Sullivan. En 1960, il double Dirk Bogarde interprétant le rôle de Liszt dans le film Song without End. Ses interprétations des oeuvres de Liszt et de Chopin, ses deux compositeurs de prédilection, se réclament d’une tradition pianistique qui remonte à Rachmaninov et Lhevine mais aussi à Cortot. BOLOGNE (école de). La période la plus glorieuse de cette école, qui concerne en particulier la musique de violon, se situe dans la seconde moitié du XVIIe siècle et au début du XVIIIe. Cependant, on peut déjà citer, à la fin du XVe siècle, le nom de Giovanni Spataro, maître de chapelle de la basilique San Petronio et auteur d’ouvrages théoriques. C’est en raison de l’importante activité musicale à San Petronio qu’une véritable école se développa à Bologne. Après Girolamo Giacobbi (1567-1629), qui fit toute sa carrière attaché à la basilique, Maurizio Cazzati (v. 1620-1677) y devint maître de chapelle en 1657 et établit les bases formelles et stylistiques de l’école. Cazzati est l’auteur d’une oeuvre considérable (musique religieuse, sonates), mais sa musique n’a pas le souffle de celle de son élève Giovanni Battista Vitali (1632-1692), chez lequel l’invention thématique, qui se prête à un traitement en contrepoint, et la rigueur de l’écriture, alliées à une grande connaissance du violon, donnèrent naissance aux premiers chefs-d’oeuvre de l’école de Bologne. À San Petronio, Giovanni Paolo Colonna (1637-1695), puis Giacomo Antonio Perti (1661-1756) succédèrent à

Cazzati. À cette époque, Bologne comptait un grand nombre d’académies, dont la plus importante était l’Accademia dei Filarmonici, fondée, en 1666, sur l’initiative de Colonna. Mozart devait y appartenir plus tard. Parmi les élèves de Perti, on trouve Giuseppe Torelli (1658-1709), Giuseppe Jacchini ( ?-1727) et le padre Martini (1706-1784). À l’Accademia dei Filarmonici, on rencontre, outre Torelli et Martini, Giovanni Battista Bassani, les Bononcini, Arcangelo Corelli. À l’intense vie musicale de Bologne sont également associés Giuseppe Felice Tosi et Domenico Gabrielli. Formé à Bologne, Corelli (1653-1713) poursuivit sa carrière à Rome. De Bologne, il hérita l’assurance avec laquelle il écrivit pour le violon et le talent avec lequel, dans ses concertos, il établit le contraste entre mouvements mélodiques et mouvements en contrepoint. Demeuré à Bologne et, depuis 1686, attaché à San Petronio, Torelli continua à cultiver le style du concerto et fixa la forme tripartite qui allait demeurer longtemps en vigueur : allegro-adagio-allegro. À sa mort, le centre de la création violonistique italienne se déplaça de Bologne à Venise. Cependant, le padre Martini continua d’attirer dans sa ville, durant tout le XVIIIe siècle, des disciples venus des quatre coins de l’Europe. BOMBARDE. 1. Instrument à vent en bois, de la famille du hautbois, en usage essentiellement du XVe au XVIIe siècle. Munie d’une anche double large et courte, d’un pavillon très ouvert et souvent d’une clé, elle existe en plusieurs tailles, correspondant à des tessitures différentes, et produit des sons d’une justesse approximative, mais d’une rare puissance. Le modèle aigu percé de sept trous s’est maintenu en Bretagne comme instrument folklorique. 2. Jeu d’orgue à anche, du type trompette, dont le tuyau est de forme conique régulière et de grande longueur, à grosse taille, fabriqué en étain ou en bois. Il sonne à l’octave grave de la trompette (16 pieds) ou à la double octave (32 pieds), prenant alors parfois le nom de contre-bombarde ou de bombardon. La bombarde est associée à la trompette et au clairon pour

constituer une batterie d’anches complète, utilisée dans les tutti de l’instrument. On trouve la bombarde au pédalier, pour soutenir les basses, ou aux claviers manuels, soit au grand-orgue, soit, dans les grands instruments, à un clavier spécialement consacré à la batterie d’anches et prenant alors le nom de clavier de bombarde. BOMBARDON. Nom donné à la basse de la famille des bombardes en Allemagne et en Italie, aux XVIe et XVIIe siècles. Le terme bombardone était employé en Allemagne au XIXe siècle pour désigner un instrument grave, en cuivre et à vent, semblable à ce que nous appelons en France ophicléide. Enfin, bombardon est devenu le nom familier et général des instruments de cuivre de la tessiture la plus grave (saxhorn, contrebasse, tuba). BOMTEMPO (João Domingos), pianiste et compositeur portugais (Lisbonne, baptisé en 1775 - id. 1842). C’était l’un des dix enfants d’un musicien italien au service du roi Joseph. Il étudia le hautbois, le contrepoint et le piano, et devint premier hautbois de l’Orchestre royal (1795). En 1801, il partit à Paris pour s’y perfectionner ; jusqu’alors, les musiciens portugais se rendaient en Italie. En 1802, il rencontra dans la capitale française Muzio Clementi et son élève John Field ; le nouveau style pianistique de Clementi l’influença. À partir de 1804, plusieurs concerts établirent, à Paris, sa renommée de pianiste et compositeur ; il fit publier chez Leduc ses premières oeuvres. En 1810, après la création de sa 1re symphonie (1809), il se rendit à Londres, où Clementi publia, dans sa propre maison d’édition, plusieurs de ses partitions. En 1814, il regagna son pays natal, mais fit encore plusieurs séjours à Paris et à Londres, avant de s’installer définitivement à Lisbonne, en 1820. À son initiative naquit, en 1822, une société philharmonique, qui, par ses concerts, allait beaucoup contribuer, jusqu’en 1828, à l’évolution du goût des mélomanes portugais. En 1833, à la création du conservatoire de Lisbonne, Bomtempo en fut nommé directeur. Il finit sa vie entouré de respect. Son activité de pianiste, compositeur, pédagogue et organisateur alla à l’en-

contre de la prépondérance du style italien et fit place à la musique instrumentale face à l’opéra. Le modernisme de son écriture pour le piano contribua à définir la technique de cet instrument alors en pleine évolution. Outre ses nombreuses compositions pianistiques, Bomtempo a écrit de la musique symphonique et concertante, des cantates et oeuvres religieuses, et de la musique de chambre. BONCI (Alessandro), ténor italien (Cesena, province de Forli, 1870 - Viserba, près de Rimini, 1940). Il débuta à Parme, en 1896, dans le rôle de Fenton de Falstaff de Verdi, acquit rapidement une notoriété internationale et fut engagé dans le monde entier. Sa carrière se poursuivit jusqu’en 1927. C’était un ténor lyrique à la voix limpide, émise avec une égalité parfaite. Son style raffiné, son art de « miniaturiste » (R. Celletti) firent de lui, avec Mattia Battistini, un des derniers représentants de la tradition du bel canto downloadModeText.vue.download 114 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 108 au début du XIXe siècle. Alessandro Bonci brilla particulièrement dans les oeuvres de Bellini et de Donizetti. BONDEDIVERS (Emmanuel), compositeur français (Rouen 1898 - Paris 1987). Fils du sacristain de l’église Saint-Gervais de Rouen, il commença, fort jeune, ses études musicales avec l’organiste Louis Haut. Orphelin à seize ans, il fut nommé organiste de Saint-Nicaise, travailla avec Jules Haelling, organiste de la cathédrale, puis, après la guerre, à Paris avec Jean Déré. Il écrivit trois pièces pour piano, les Illuminations, qu’il orchestra ; l’un de ces trois poèmes symphoniques, le Bal des pendus, fut joué sous la direction d’Albert Wolff aux Concerts Lamoureux. En 1934, il entra à la station de radio de la tour Eiffel et devint secrétaire général de la Radiodiffusion française, en 1938 ; il s’efforça de faire jouer les compositeurs français contemporains et participa à la création des dix premiers orchestres radiophoniques régionaux. Il fut aussi l’un des fondateurs du groupe le Triton. En 1935, son École des maris fut créée à l’OpéraComique. Directeur artistique de Radio

Monte-Carlo (1945), directeur de l’OpéraComique (1949), où l’on créa sa Madame Bovary en 1951, il fut nommé directeur de l’Opéra en 1952, puis directeur de la musique de la Réunion des théâtres lyriques nationaux en 1959. Membre de l’lnstitut depuis 1959, il est, à partir de 1964, secrétaire perpétuel de l’Académie des beauxarts. Son opéra Antoine et Cléopâtre a été créé au théâtre des Arts de Rouen en 1974. Ses trois oeuvres pour le théâtre constituent l’essentiel de la production d’Emmanuel Bondeville. Ce sont des partitions vivantes, d’une écriture variée, d’une orchestration habile, d’une inspiration lyrique parfois brûlante. Bondeville a aussi écrit des pièces symphoniques, des motets et des mélodies. BONDON (Jacques), compositeur français (Boulbon, Bouches-du-Rhône, 1927). Il a fait ses études à l’école César-Franck, puis avec Charles Koechlin et au Conservatoire de Paris avec Jean Rivier et Darius Milhaud. Il a obtenu, en 1963, le grand prix musical du conseil général de la Seine pour l’ensemble de son oeuvre. Même si les influences de Milhaud et de Bartók sont perceptibles, Bondon apparaît comme un musicien libre et indépendant. Le fantastique et la science-fiction ont inspiré plusieurs de ses oeuvres. Bondon a écrit de la musique symphonique, de la musique de chambre (dont deux partitions remarquables : quatuor à cordes, 1958, et Giocoso pour violon et orchestre à cordes, 1960), de la musique vocale (dont le Pain de serpent pour voix et 14 instruments, 1959), de nombreuses musiques de films, les opéras Mélusine au Rocher (Luxembourg, 1969), Ana et l’albatros (Metz, 1970) et i. 330 (Nantes, 1975), l’oratorio le Chemin de Croix (1989). BONGO. Instrument à percussion cubain, de la famille des « peaux ». Le petit fût cylindrique du bongo, fait de planchettes juxtaposées à la manière des douves d’un tonneau, est fermé à la partie supérieure par une peau, dont la tension est réglable. Les bongos vont par paire, posée sur les genoux ou fixée sur pied, et se jouent soit à mains nues, soit

avec des baguettes de tambour. BONI (Guillaume), compositeur français (Saint-Flour v. 1515 - Toulouse 1594). Il vécut dans l’entourage humaniste du cardinal Georges d’Armagnac, qu’il accompagna dans ses ambassades à Venise et à Rome. Celui-ci, devenu archevêque de Toulouse, lui confia la maîtrise de la cathédrale. Boni composa pour ce choeur deux volumes de motets à 5 et 7 voix, et d’autres pièces religieuses témoignant de l’influence de la musique italienne qu’il entendit au cours de ses voyages. Il écrivit aussi des chansons profanes sur des vers de Ronsard et de Pibrac (Sonetz de P. de Ronsard à 4 voix, Paris, 1576 ; les Quatrains du Sieur de Pibrac, de 3 à 6 voix, Paris, 1582 ; 2e livre, 1579). BONNET (Joseph), organiste et compositeur français (Bordeaux 1884 - SaintLuce, Canada, 1944). Élève de son père - lui-même organiste à Bordeaux (église Sainte-Eulalie), puis à Paris -, de Vierne, de Tournemire et de Guilmant, il fut nommé organiste de Saint-Eustache en 1906, poste qu’il occupa jusqu’à sa mort, tout en effectuant des tournées internationales, principalement en Amérique. Il a écrit pour son instrument et publié des éditions d’oeuvres classiques, notamment des Fiori musicali de Frescobaldi. Il s’est imposé par la pureté de son style d’exécution et par la réflexion qui présidait à ses interprétations. BONNET (Pierre), compositeur français (fin XVIe s.). On ignore pratiquement tout de son existence sinon qu’il naquit dans le Limousin et qu’il fréquenta la cour du roi Henri III jusqu’en 1586, année où il entra au service de Georges de Villequier, gouverneur de la haute et de la basse Marche. Il a laissé des airs et des villanelles à 4 et 5 voix (1er Livre d’airs, Paris, 1585 ; Airs et villanelles, Paris, 1600 et 1610). Comme les airs de Jean Planson, ceux de Pierre Bonnet, fort beaux, mettent l’accent sur l’importance mélodique de la partie supérieure et appartiennent à la première période de l’air de cour. Ses chansons s’inspirent parfois de la musique mesurée à l’antique, et leur écriture verticale contribue à la compréhension des paroles. Souvent, elles

prennent la forme d’un dialogue (ex. : Francion vint l’autre jour, à 5 voix). BONNO (Giuseppe), compositeur autrichien d’origine italienne (Vienne 1710 id. 1788). Auteur surtout d’ouvrages religieux et d’opéras, il succéda en 1774 à Florian Gassmann au poste de maître de chapelle impérial et eut lui-même comme successeur Salieri. BONONCINI, famille de musiciens italiens. Giovanni Maria, violoniste et compositeur (Montecorone, près de Modène, 1642 - Modène 1678). Il fut probablement l’élève de Marco Uccellini et étudia la théorie et le contrepoint avec A. Bendinelli. Membre de l’Accademia Filarmonica de Bologne, il fut nommé, en 1671, violoniste à la chapelle de la cathédrale de Modène, puis, à partir de 1673, maître de chapelle. G. M. Bononcini fut le représentant le plus important de l’école instrumentale de Modène à la fin du XVIIe siècle. Il marqua de son talent la sonate d’église et la sonate de chambre, refusant toute virtuosité purement instrumentale, si ce n’est dans les Arie, correnti e sarabande op. 4, pièces écrites pour lui-même et son protecteur Obizzo Guidoni. Ses sonates de chambre représentèrent la dernière étape de l’évolution aboutissant, en 1685, à l’opus 2 de Corelli. Quelques-uns de ses recueils de musique instrumentale portent de jolis titres comme son opus 1 : I primi frutti del giardino musicale pour 2 violons et continuo (1666). Giovanni, parfois appelé, à tort, Giovanni Battista, compositeur (Modène 1670 - Vienne v. 1755). Fils du précédent, il fut l’élève de son père, de G. P. Colonna, à Bologne, et étudia le violoncelle avec G. Buoni. Il publia à Bologne, dès l’âge de quinze ans, Trattenimenti da camera op. 1. En 1687, il entra à la chapelle San Petronio de Bologne comme violoncelliste, puis à l’Accademia Filarmonica, avant de devenir maître de chapelle de San Giovanni in Monte. De 1689 à 1696, il se trouva à Rome au service du cardinal Pamphili. Après un bref séjour à Venise, il se rendit à Vienne où il fut nommé, en 1700, compositeur de la cour de Léopold Ier. Il séjourna en-

suite à Berlin, à Milan, à Londres (1716), à Rome (1719) et, en 1720, de nouveau à Londres où il devint le rival de Haendel en tant que compositeur d’opéras italiens (l’Odio e l’Amore, 1721 ; Crispo et Griselda, 1722 ; Erminia et Farnace, 1723 ; Calfurnia, 1724 ; Astianatte, 1727). Accusé de plagiat, downloadModeText.vue.download 115 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 109 mêlé aux querelles entre prime donne (la Bordoni et la Cuzzoni), il dut quitter la capitale anglaise malgré la protection du duc de Marlborough. Après des séjours à Paris et à Lisbonne, il mourut dans la misère à Vienne. Son oeuvre, distinguée et de grande qualité, comprend des concertos, des sinfonie, des pièces de clavecin et des sonates, des cantates, des duos, une vingtaine de sérénades, environ 27 opéras (quelquesuns sont peut-être d’Antonio Maria, son frère), des oeuvres religieuses (messes, motets, Te Deum, Anthem funèbre pour John, duc de Marlborough) et 7 oratorios dont La Conversione di Maddalena et Ezechia. Antonio Maria, compositeur, parfois appelé, à tort, Marc’Antonio (Modène 1677 - id. 1726). Fils de Giovanni Maria et frère du précédent, élève de son père et, peut-être, de G. P. Colonna, il remporta un premier grand succès avec l’opéra Il Trionfo di Camilla, représenté à Naples en 1696. En 1702, il séjourna à Berlin avec son frère Giovanni ; puis il le retrouva à Vienne, où il fit jouer un grand nombre d’opéras et d’oratorios de 1704 à 1711. Il séjourna à Rome (1714), à Milan (1715), avant de regagner Modène (1716), où il fut chef d’orchestre aux théâtres Molza (1716-1721) et Rangoni (1720) et maître de chapelle à la cour du duc Rinaldo d’Este, de 1721 à sa mort. Antonio Maria a laissé des opéras, des oratorios, un Stabat Mater et une messe. Sa musique sacrée est d’une grande beauté. Certains opéras sont d’authenticité douteuse ; peut-être sont-ils confondus avec ceux de son frère Giovanni. Giovanni Maria, dit Angelo, violoncelliste (Modène 1678 - ?). Demi-frère d’An-

tonio Maria et de Giovanni, il fut violoncelliste à la chapelle de la cathédrale de Modène. BONPORTI (Francesco Antonio), compositeur italien (Trente 1672 - Padoue 1749). Il étudia à Innsbruck et à Rome, peut-être auprès de Corelli, obtint un bénéfice à la cathédrale de sa ville natale, puis vécut à Padoue, à partir de 1740. « Gentiluomo di Trento », il fut ordonné prêtre et montra, mais en vain, encore plus d’ambition dans sa carrière ecclésiastique que dans sa carrière musicale. De ses douze recueils publiés (l’opus 1 en 1696 et l’opus 12 après 1745), tous sont profanes sauf l’opus 3. Les opus 8 et 9 ont disparu. Ces recueils ne regroupent pas six ou douze ouvrages chacun, comme d’usage à l’époque, mais dix. Bonporti a surtout cultivé le style da camera (sonates en trio). De ses Invenzioni a violine solo op. 10 (1712), quatre (nos 2 et 5 à 7) ont été copiées par J.-S. Bach et même publiées sous son nom. BONTEMPI (Giovanni Andrea Angelini, dit), compositeur, chanteur et théoricien italien (Pérouse v. 1624 - id. 1705). Chantre à Saint-Marc de Venise dès 1643, il se rendit à Dresde en 1650 où il devint vice-maître de chapelle sous l’autorité de Schütz. L’architecture, les sciences physiques tenaient une grande place dans sa vie, et il fut également à partir de 1650 ingénieur des machines du théâtre de Dresde. Il faut citer ses opéras Il Paride (1662), le premier opéra italien représenté en Allemagne du Nord (Dresde), et Dafne (1671). C’est à Schütz qu’il dédia un ouvrage théorique : Nova quatuor vocibus componendi methodus (Dresde, 1660). BONYNGE (Richard), pianiste et chef d’orchestre australien (Sydney 1930). Après des études de piano dans sa ville natale, il se produit d’abord comme pianiste dans son pays, puis choisit d’aller travailler à Londres. Il débute comme chef d’orchestre à Rome en 1962 et se consacre alors essentiellement à la direction d’orchestre et à la musicologie, liant étroitement ces deux activités. Avec sa femme, la cantatrice Joan Sutherland, il fait connaître, au théâtre, au concert et par le disque, de nombreuses oeuvres oubliées du XVIIIe et du XIXe siècle, notamment,

dans le répertoire italien du bel canto classique et romantique. Dans l’exécution des partitions qu’il fait revivre, comme dans celle d’oeuvres connues et consacrées, il cherche à restituer un mode d’exécution authentique, sur le plan du tempo, de l’effectif orchestral, du choix des types vocaux et du style de chant (ornementation, etc.). Ces recherches, aboutissant généralement à une interprétation plus « légère » que l’interprétation traditionnelle, ont touché non seulement l’opéra italien, mais certaines oeuvres françaises (Meyerbeer) et le Don Juan de Mozart. BOOSEY AND HAWKES. Maison d’édition musicale et fabrique d’instruments londonienne, issue de la fusion, en 1930, des firmes Boosey and Co. et Hawkes and Son. La maison Boosey datait de 1792 environ, la maison Hawkes de 1865. Depuis la dernière guerre, son activité s’est étendue à de nombreuses succursales étrangères (États-Unis, Canada, Afrique du Sud, Australie, France, Allemagne, etc.). Son important catalogue comprend des oeuvres de R. Strauss, Stravinski, Prokofiev, Britten, Martinºu, Offenbach, Smetana, Bartók, etc. Boosey and Hawkes a acquis en 1996 le fonds de la maison allemande Bote und Bock (fondée à Berlin en 1838). BORDES (Charles), compositeur français (Rochecorbon 1863 - Toulon 1909). Élève d’Antoine François Marmontel (piano) et de César Franck (composition), il devint maître de chapelle à Nogent-surMarne (1887), puis à Paris, à l’église SaintGervais (1890). Il mit sur pied une chorale, les chanteurs de Saint-Gervais, qui se spécialisa dans le répertoire polyphonique sacré et profane des XVe, XVIe et XVIIe s., et se produisit dans toute la France. Chargé d’une mission officielle au Pays basque (1889-90), il recueillit et publia une centaine de chansons populaires (Archives de la tradition basque). Fondateur, avec Vincent d’Indy et Alexandre Guilmant, de la Schola cantorum (1894), il en créa une filiale à Montpellier. Son intense activité d’animateur et de pionnier de la décentralisation artistique eut raison de ses forces, et il disparut brutalement, au cours d’une tournée, à quarante-six ans.

Ses oeuvres, comprenant notamment des mélodies, sont peu nombreuses, mais son influence fut importante dans la connaissance de la musique de la Renaissance, dont il édita des anthologies, et de musiciens de l’époque classique comme Rameau ou Clérambault. BORDONI (Faustina), soprano italienne (Venise 1700 - id. 1781). Ses débuts à Venise, en 1716, dans l’Ariodante de Pollarolo, furent suivis d’immenses succès dans toute l’Italie, puis en Allemagne et à Vienne. En 1726, Haendel la recruta pour sa troupe d’opéra italien de Londres où elle continua de triompher. Mais une rivalité demeurée fameuse l’opposa à Francesca Cuzzoni, provoquant une division dans le public et des incidents graves. De retour en Italie, elle épousa, en 1730, le compositeur Johann Adolf Hasse. Leurs carrières furent dès lors parallèles, essentiellement partagées entre Dresde et l’Italie. Excellente actrice, Faustina Bordoni possédait un timbre mordant et une brillante technique de l’ornementation. BORG (Kim), basse finlandaise (Helsinki 1919). Il se destine à la chimie avant de se tourner vers le chant, qu’il étudie à l’Académie Sibelius (1947-48), puis à Stockholm (1948). Sa carrière internationale débute en 1951, lorsqu’il chante à Copenhague le rôle de Méphisto dans le Faust de Gounod. La même année, son interprétation du rôle de Colline dans la Bohème lui vaut des engagements aux États-Unis. En 1956, il chante à Glyndebourne le rôle-titre de Don Giovanni et la Kovantschina à l’Opéra d’État de Munich sous la direction de Frenc Fricsay. Paris le découvre dans une Neuvième Symphonie de Beethoven dirigée par Igor Markevitch et dans un récital de mélodies avec le pianiste Erik Werba, son accompagnateur depuis 1951. Son ample downloadModeText.vue.download 116 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 110 tessiture lui permet d’aborder aussi bien les rôles de basse que de baryton, et il accorde une grande importance au respect de la diction, quelle que soit la langue abordée.

Il enseigne de 1972 à 1990 au Conservatoire royal de Copenhague, puis se retire à Humlebaek, près de cette dernière ville. Outre de nombreux rôles d’opéra et d’oratorio, il a enregistré notamment des lieder de Schubert et de Schumann, les Chants et danses de la mort de Moussorgski (dont il a orchestré lui-même la partie de piano) et des mélodies de ses compatriotes Sibelius et Kilpinen. BOŘKOVEC (Pavel), compositeur tchèque (Prague 1894 - id. 1972). Il prit d’abord des leçons particulières de composition avec Josef Bohuslav Foerster et Jaroslav Křička. De 1925 à 1927, il fut, au conservatoire de Prague, l’élève de Josef Suk, qui l’éveilla au postromantisme. Sous cette influence, il écrivit le poème symphonique Stmívání et sa 1re symphonie (1926-27). Après avoir sacrifié à la mode et s’être placé dans le sillage de Stravinski et Honegger, il évolua vers un style vigoureux, s’apparentant au Hindemith didactique, avec son concerto grosso (1941-42), son 2e concerto pour piano (1949-50) et ses deux derniers quatuors à cordes (1947 et 1961). Deux autres symphonies (1955 et 1959) témoignent de son goût pour la construction classique alliée à des recherches polytonales et fondée sur un solide métier de contrapontiste rythmique. De 1946 à 1964, il enseigna au conservatoire de Prague et forma une grande partie de l’école musicale tchèque actuelle. Il a laissé des oeuvres pour piano, 5 quatuors à cordes, des sonates, 3 symphonies, 4 concertos, le ballet Krysař (Le preneur de rats joue de la flûte, 1939), deux opéras, Satyr (le Satyre, 1937-38) et Paleček (Tom Pouce, 1945-1947), des mélodies, des choeurs, des madrigaux. BORODINE (Aleksandr Porfirievitch), compositeur russe (Saint-Pétersbourg 1833 - id. 1887). « Je suis un musicien du dimanche », affirma Borodine lui-même. De fait, la musique resta toujours une occupation secondaire pour ce fils naturel du prince Lucas Guedeanov, qui fit sa carrière comme professeur de chimie à l’Académie militaire de médecine. Peut-être cela explique-t-il le caractère restreint de sa production et la lenteur de son rythme de travail. Boro-

dine reçut des leçons de flûte, violoncelle, hautbois et, surtout, des leçons de piano de sa mère. S’étant lié d’amitié avec Moussorgski et Balakirev, en 1862, il participa à la constitution du groupe des Cinq. Tout en partageant les idées fondamentales du groupe, il se montra moins hostile que ses condisciples à l’emprise germanique sur la musique russe. « Je suis moi-même, de nature, un lyrique et un symphoniste. Je suis attiré par les formes symphoniques. » Balakirev l’encouragea, d’ailleurs, dans cette voie de la musique pure (1re symphonie, 18621867). Liszt, qui considérait la musique russe comme le seul courant de vitalité depuis le Parsifal de Wagner, en fit l’éloge. La 2e symphonie (1869-1876), menée de pair avec le Prince Igor, reflète l’influence de cet opéra. Vraie symphonie héroïque russe, elle symbolise le rôle historique que Borodine a joué : une synthèse entre la Russie et l’Occident par un mélange des sources populaires et des formes classiques ou romantiques européennes. Malgré la lenteur avec laquelle cette oeuvre a été élaborée, l’inspiration en est d’une richesse et d’une aisance étonnantes et les mélodies naissent spontanément. N’a-t-on pas dit qu’il y a dans le Prince Igor la matière d’au moins cinq opéras ? Commencée en 1869, l’oeuvre demeura inachevée à sa mort et fut terminée par Rimski-Korsakov et Glazounov. Le compositeur crée deux univers différents, l’un russe - celui d’Igor -, avec ses thèmes francs et diatoniques, l’autre oriental - celui de Kontchak -, avec son chromatisme, par exemple les Danses polovtsiennes ou la cavatine de Kontchakovna. Il préfère les formes italiennes traditionnelles (revues par Glinka) au style récitatif de Moussorgski. Le souci de la ligne générale l’emporte sur les détails. La voix occupe la première place, l’orchestre la seconde. En 1880, Borodine contribua à fêter les vingt-cinq ans de règne d’Alexandre III avec Dans les steppes de l’Asie centrale, mais ses sentiments politiques étaient ambigus. Son libéralisme donna la clé d’un certain nombre de ses mélodies, telles que la Princesse endormie, Chanson dans la forêt sombre, la Mer, dont la vraie lecture est parabolique.

L’écriture de Borodine souligne son attachement à la simplicité de la ligne mélodique, à la légèreté et à l’agilité du contrepoint, à la clarté d’une harmonie riche en modulations. Le 2e quatuor, la 2e symphonie, à l’orchestration singulièrement audacieuse, connaissent une juste célébrité. BORREL (Eugène), musicologue français (Libourne 1876 - Paris 1962). Élève de Vincent d’Indy, il fonda en 1909, avec Félix Raugel, la Société Haendel, dont l’activité fut grande entre 1909 et 1913. Borrel réédita des oeuvres de musique ancienne pour le violon, instrument dont il jouait lui-même et qu’il enseigna à la Schola cantorum. Ses recherches portèrent principalement sur les maîtres français des XVIIe et XVIIIe s., comme l’indiquent les titres de ses principaux écrits : l’Interprétation de la musique française de Lully à la Révolution (Paris, 1934 ; rééd. Paris, 1977) ; Jean-Baptiste Lully (Paris, 1949). BORTNIANSKI (Dimitri), compositeur ukrainien (Gloukhovo, Ukraine, 1751 Saint-Pétersbourg 1825). Choriste à la chapelle impériale, il travailla à Saint-Pétersbourg avec Baldassare Galuppi (1765-1768) et suivit ce dernier à Venise. Il se perfectionna aussi à Bologne avec le padre Martini, puis à Rome et à Naples. Il rentra en Russie en 1779, et fut nommé directeur de la chapelle impériale de Paul Ier en 1796. Il composa des oeuvres pour la scène, puis se consacra à la musique religieuse. Il préconisa une étude attentive des chants neumatiques des XIIe et XIIIe s., qui devaient, selon lui, « contribuer à la naissance d’un style nouveau, d’une école foncièrement russe ». C’était là un langage neuf, qui annonçait étrangement les théories de Glinka. Tchaïkovski étudia les partitions de Bortnianski et en dirigea la réédition. Les oeuvres vocales (mélodies religieuses à 3 ou 4 voix, psaumes orthodoxes, 35 concerts à 4 voix, 10 concerts pour 2 choeurs, une messe, etc.) remplissent 10 volumes et furent publiées, à Moscou, aux alentours de 1880. Bortnianski écrivit aussi 3 opéras - tous trois créés en Italie -, 4 opéras-comiques de style français, des sonates et une symphonie.

BÖRTZ (Daniel), compositeur suédois (Hässelholm 1943). Élève de H. Rosenberg et de K.-B. Blomdahl, il effectue des voyages d’études en Allemagne, France, Italie et Hollande (musique électronique à Utrecht avec M. Koenig). Börtz se distingue par son intérêt pour les idées philosophiques nées de Hesse et de Kafka et pour les prolongements du mouvement musical né avec Mahler et Bruckner ; sa Kafka-Trilogi (1966-1968, 1968 et 1969), les opéras Landskab med flod (1972) tiré de Sid dharta de Hesse, et Baccgabterna (19881990), en témoignent talentueusement. BOSCHOT (Adolphe), musicologue et critique musical français (Fontenaysous-Bois 1871 - Neuilly-sur-Seine 1955). Il fut surtout le biographe minutieux et enthousiaste de Berlioz, mais on ne peut oublier ni ses livres sur Mozart ni ses traductions des livrets du même compositeur. Critique musical à l’Écho de Paris (1910-1938), Adolphe Boschot fut élu, en 1926, à l’Académie des beaux-arts et, succédant à Ch.-M. Widor, en devint le secrétaire perpétuel en 1937. Ses travaux sur Berlioz comprennent : l’Histoire d’un romantique, en 3 volumes, I.la Jeunesse d’un romantique ; II.Un romantique sous downloadModeText.vue.download 117 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 111 Louis-Philippe ; III.le Crépuscule d’un romantique (Paris, 1906-1912, rééd. Paris, 1946-1950) ; le Faust de Berlioz (Paris, 1910 ; rééd. Paris, 1945). BOSCOVITCH (Alexander), compositeur et chef d’orchestre israélien (Cluj, Roumanie, 1907 - Tel-Aviv 1964). Il fit ses études à l’Académie de musique de Vienne et à Paris avec Paul Dukas, Nadia Boulanger et Alfred Cortot. Il devint chef d’orchestre de l’Opéra de Cluj, fonda et dirigea un orchestre symphonique juif, l’Orchestre Goldmark. Invité en Palestine, en 1938, pour la première exécution de sa suite d’orchestre la Chaîne d’or, inspirée de mélodies juives d’Europe de l’Est, il s’installa dans le pays et devint un des pionniers de la musique israélienne par ses compositions (concerto pour vio-

lon, 1942 ; concerto pour hautbois, 1943, rév. 1960 ; Suite sémite, 2 versions, piano ou orchestre, 1946) et par les articles qu’il publia. Vers la fin de sa vie, il se tourna vers la technique sérielle (Concerto da camera pour violon et 10 instruments, 1962 ; Ornements pour flûte et orchestre, 1964). Sa cantate Fille d’Israël (1960) témoigne de son intérêt pour les relations entre la musique et la langue hébraïque, et pour la mystique de la kabbale. BOSE (Hans-Jürgen von), compositeur allemand (Munich 1953). Il fait ses études au conservatoire (19691972) et à la Hochschule für Musik (19721975) de Francfort avec, notamment, Hans Ulrich Engelmann. On note dans la création de von Bose deux tendances, apparemment contradictoires. L’une, proche du modernisme, poursuit une démarche rationnelle qui enjoint au matériau musical une évolution prédéterminée ; on y rattache des oeuvres comme Labyrinth II pour piano (1987) et, surtout, le troisième Quatuor à cordes (1986-1987), où le compositeur s’appuie sur des fonctions logiques pour élaborer des structures complexes sur le plan rythmique et sur celui de l’intonation. L’autre tendance, plus proche du postmodernisme, vise un art « subjectif » qui touche immédiatement et de manière simple l’auditeur : opéra Traumpalast 63, créé à Munich en 1990, conglomérat de styles variés, d’allusions diverses ; ou Solo pour violoncelle, 1979, réplique ambitieuse à l’écriture polyphonique baroque. De son catalogue font partie aussi Morphogenesis pour orchestre (1975), Travesties in a Sad Landscape pour orchestre de chambre (1978), l’opéra Chimäre d’après Lorca (Aix-la-Chapelle, 1986), les « scènes lyriques » Die Leiden des jungen Werthers, d’après Goethe (1983-1984, créé à Schwetzingen en 1986), l’oeuvre liturgique... Im Wind gesprochen (1984-1985), Labyrinth I pour orchestre (1987), Seite Textos de Miguel Angel Bustos pour soprano, accordéon et violoncelle (1991). BÖSENDORFER, famille de facteurs de pianos autrichiens. Ignaz (Vienne 1796 - id. 1849) fonda, en 1828, la firme Bösendorfer, que dirigèrent plus tard son fils Ludwig (Vienne 1835 - id. 1919), puis les fils de celui-ci, Alexander et Wolfgang Hutterstrasser. Inaugurée en

1872 avec un récital de Hans von Bülow, la salle de concerts Bösendorfer demeure un haut lieu de la vie musicale viennoise. Les pianos Bösendorfer sont aujourd’hui parmi les instruments de concert les plus réputés. BOSKOWSKY (Willi), violoniste et chef d’orchestre autrichien (Vienne 1909 Visp, Suisse, 1991). Il a fait ses études à l’Académie de musique de Vienne où, à partir de 1935, il a enseigné le violon. Premier violon solo de l’Orchestre philharmonique de Vienne à partir de 1939, il a créé l’Octuor de Vienne, en 1948, et en a été également le premier violon. Puis il a fondé l’Ensemble Mozart de Vienne. En 1955, il a succédé à Clemens Krauss à la tête de l’Orchestre philharmonique pour les concerts du nouvel an. Depuis 1969, il dirige l’orchestre Johann Strauss de Vienne et fait des célèbres valses sa spécialité. BOSSINENSIS (Francesco), luthiste et arrangeur italien (début du XVIe s.). Son nom est lié aux premières transcriptions de frottole (pièces vocales à 4 voix) pour voix soliste et luth, publiées chez Ottaviano Petrucci, à Venise, en 2 volumes (1509, 1511), sous le titre Tenori e contrebassi intabulati col sopran in canto figurato per cantar e sonar lauto. Les compositions utilisées par Bossinensis étaient de la main de divers auteurs, dont, en particulier, Bartolomeo Tromboncino. Dans ses arrangements, Bossinensis les fit précéder de courtes pieces uniquement instrumentales (ricercari), destinées au luth. Les versions pour voix seule et luth de chansons à plusieurs voix, qui se répandirent alors un peu partout en Europe, ne peuvent encore être qualifiées de monodies accompagnées, car leur écriture demeurait dépendante de leur origine polyphonique. BOSSLER (Heinrich), éditeur allemand (Darmstadt 1744 - Gohlis, près de Leipzig, 1812). Il fonda sa maison d’édition en 1781 à Spire où, de 1788 à 1790, il fit paraître la revue Musikalische Realzeitung, puis la transféra en 1792 à Darmstadt et en 1799 à Gohlis. À sa mort, son fils Friedrich lui succéda, mais la firme cessa ses activités en 1828. Chez Bossler à Spire parurent notamment en 1783 les trois sonates WoO

47 de Beethoven dédiées au prince-électeur Maximilian Friedrich de Cologne. BOSTON (vie musicale à). Dès les premiers temps de la colonisation, Boston connut une activité musicale importante. À la fin du XVIIe s., on y trouvait déjà un magasin de musique, des professeurs et des théoriciens. La plus ancienne référence à un public de concert et de théâtre date de 1731. La vie musicale y prit un essor considérable au XIXe s. Une école de chant fondée en 1815, la Haendel and Haydn Society, devint célèbre pour l’étude des grands maîtres européens. Des ensembles vocaux et instrumentaux, des orchestres amateurs ou semi-professionnels, des journaux et des éditeurs de musique, des sociétés de concert se constituèrent. Le premier festival de musique des États-Unis eut lieu à Boston, en 1858. En 1867, deux ans après celui d’Oberlin (Ohio), qui avait été le premier du pays, naquit un autre conservatoire, le New England Conservatory. Une troupe d’opéra apparut en 1879, mais le premier théâtre d’opéra n’ouvrit ses portes qu’en 1909. C’est surtout à son Orchestre symphonique que Boston doit, depuis près d’un siècle, son renom musical. Fondé par Henry Lee Higginson en 1881, cet orchestre n’a jamais cessé d’être constitué de quelques-uns des meilleurs instrumentistes d’Europe et d’Amérique. À sa tête se sont succédé George Henschel, Wilhelm Gericke, Arthur Nikisch, Emil Paur, Karl Muck, Henri Rabaud, Pierre Monteux, Serge Koussevitski, Erich Leinsdorf et, depuis 1974, Seiji Ozawa. Depuis Koussevitski, l’Orchestre symphonique de Boston favorise la création en passant des commandes à des compositeurs. On ne saurait oublier, d’autre part, le Boston Pops Orchestra, longtemps dirigé par Arthur Fiedler, qui, sur une esplanade spécialement aménagée, donne, pour des foules énormes, des concerts essentiellement consacrés à des oeuvres populaires. BOTE UND BOCK. Maison d’édition fondée à Berlin en 1838, et qui, depuis 1945, se consacre très largement à la musique contemporaine. Elle a été rachetée en 1996 par Boosey

and Hawkes. BOTSTIBER (Hugo), musicologue autrichien (Vienne 1875 - Shrewsbury, Angleterre, 1941). Élève de Guido Adler, il occupa jusqu’en 1938 d’importants postes musicaux et administratifs à Vienne, et, en 1927, mena à terme la grande biographie de Haydn de Carl Ferdinand Pohl, laissée inachevée par la mort de ce dernier en 1887. downloadModeText.vue.download 118 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 112 BOTTESINI (Giovanni), contrebassiste, compositeur et chef d’orchestre italien (Crema 1821 - Parme 1889). Il apprit d’abord le violon, puis entra au conservatoire de Milan, où la seule place vacante fut dans la classe de contrebasse. Ce Paganini de la contrebasse dut donc sa carrière de virtuose au hasard. Il débuta dans des orchestres italiens, mais Verdi lui conseilla de tenter une carrière de soliste. Bottesini voyagea beaucoup (La Havane, Londres, Paris, Palerme, Barcelone). Directeur de l’orchestre du Théâtre-Italien à Paris (1855-1857), il fut nommé, en 1871, directeur du Lyceum Theatre de Londres et, à la demande de Verdi, dirigea la première d’Aïda au Caire. Il fut ensuite directeur du conservatoire de Parme, jusqu’à sa mort. Bottesini a promu son instrument à un rôle de soliste et sa Grande Méthode complète de contrebasse a fait date. Il a composé 4 opéras, dont Ero e Leandro (1879), et, surtout, un concerto, un Grand Duo concertant et une tarentelle pour la contrebasse. BOTTRIGARI (Ercole), théoricien et compositeur italien (Bologne 1531 - id. 1612). De famille riche et illustre, il travailla la composition avec Bartolommeo Spontone et écrivit quelques madrigaux dans sa jeunesse. Par la suite, il se consacra essentiellement à l’étude des lois scientifiques de la musique. Il fut conseiller d’État à Bologne (1551), puis, de 1575 à 1586, vécut à la cour de Ferrare, où il connut le Tasse et

fréquenta les milieux humanistes. Il Desiderio, publié sous le pseudonyme de Alemanno Benelli (Venise, 1594), décrit la manière de faire de la musique dans les différentes Accademie : d’intéressantes descriptions y abondent ; on y trouve aussi une discussion concernant l’accord des instruments et leur classement. D’autres ouvrages théoriques de Bottrigari ont pour titres : Il Patricio (Bologne, 1593) et Il Melone secondo (Ferrare, 1602). BOUCHE. Ouverture latérale des tuyaux d’orgue dits, justement, « à bouche », pour les distinguer des tuyaux à anche. Cette bouche, qui s’ouvre horizontalement sur la partie aplatie du tuyau, comporte deux lèvres et une langue qui dirige l’air sous pression vers la lèvre supérieure, d’où l’effet vibratoire. Le principe est donc le même que celui du sifflet ou de la flûte à bec. On appelle également bouche le trou ovale qui constitue l’embouchure de la flûte traversière. BOUCHÉ (son). Tous les instruments de la famille des cuivres peuvent en principe recevoir une sourdine qui obture partiellement le pavillon. Ce cône d’aluminium ou de carton bouilli (parfois, l’instrumentiste plonge simplement sa main dans le pavillon) a pour effet non seulement d’assourdir le son de l’instrument, mais d’en modifier le timbre, surtout dans le cas de la trompette, qui, bouchée, revêt un tout autre caractère. Ce procédé est d’usage extrêmement fréquent dans le jazz. BOUCHE FERMÉE. Indication que l’on trouve dans la musique vocale et, plus particulièrement, chorale, et qui a pour but d’obtenir un effet quasi instrumental, le chant n’étant pas articulé. Cet effet sert souvent d’accompagnement : par exemple, une voix soliste peut chanter un texte sur un accompagnement à bouche fermée fourni par les choeurs. BOUCHERIT (Jules), violoniste et pédagogue (Morlaix 1877 - Paris 1962).

Il commence le violon avec sa mère - qui enseigne également le piano - et entre en 1890 au Conservatoire, où il obtient son 1er prix deux ans plus tard. En 1894, il devient violon solo de l’Orchestre Colonne et entame une carrière internationale qui le mène à se produire avec Alfred Cortot ou Magda Taglieferro. Nommé professeur de violon au Conservatoire de Paris en 1920, il abandonne sa carrière de soliste pour se consacrer à l’enseignement, qu’il pratique également à l’École normale de musique ou au Conservatoire d’été de Fontainebleau. Michèle Auclair, Serge Blanc, Devy Erlih, Christian Ferras, Ivry Gitlis, Ginette Neveu et Manuel Rosenthal figurent parmi ses élèves. BOUCOURECHLIEV (André), compositeur français d’origine bulgare (Sofia 1925). Il a commencé ses études à l’Académie de musique de sa ville natale, puis est venu à Paris en 1949. À l’École normale de musique, il a étudié le piano avec Reine Gianoli et l’harmonie avec Georges Dandelot, avant d’enseigner lui-même le piano dans cet établissement, de 1952 à 1960. Il a aussi été l’élève de Walter Gieseking et travaillé, de 1957 à 1959, au studio de phonologie de Milan, où il rencontra Luciano Berio et Bruno Maderna et composa Texte I (195758). En 1960, il réalisa à l’O. R. T. F. une autre oeuvre électroacoustique, Texte II. Le contact avec les jeunes musiciens italiens, les cours de Darmstadt, les réflexions sur la musique sérielle (objet d’une enquête qu’il fit pour la revue Preuves), les rencontres avec Boris de Schloezer et avec Pierre Boulez furent d’importantes étapes dans son développement. Ses ouvrages répondent souvent à des pulsions de vie ou de mort. « Certaines oeuvres, dit-il, m’offrent le modèle de ma propre mort. Simple pressentiment peut-être, mais on ne peut nier que des pulsions s’exercent au moment de la création, qu’elles parlent à leur manière en déterminant un climat et certaines figures. L’oeuvre parle parfois plutôt que l’homme corporel. » Il écrivit Musique à trois pour flûte, clarinette et clavecin (1957), une Sonate pour piano (1959-60), Signes pour deux percussions, flûte et piano (1961). Son premier succès fut sans doute Grodek pour soprano, flûte et 3 percussions sur un texte de Georg Trakl (1963, création au

Domaine musical). De 1966 date Musiques nocturnes pour piano, clarinette et harpe. Mais l’oeuvre qui attira définitivement l’attention sur lui fut Archipel I pour 2 pianos et percussion, une des réussites indéniables de la musique « aléatoire » (création au festival de Royan en 1967, version 2 pianos 1968). Suivirent Archipel II pour quatuor à cordes (Royan, 1969), Archipel III pour piano et 6 percussions (Paris, 1969), Archipel IV pour piano (Royan, 1970), et finalement Anarchipel pour 6 instruments concertants (harpe amplifiée, clavecin amplifié, orgue, piano et 2 percussions). À partir de cette dernière pièce, composée en 1970-71 et créée en 1972, on peut réaliser divers Archipels V pour chaque instrument seul (Archipel Vb pour clavecin, Archipel Vc pour orgue...). « Les partitions de la pièce sont comme de grandes cartes marines sur lesquelles les quatre interprètes sont amenés à choisir, à orienter, à concerter, à modifier sans cesse le cours de leur navigation, jamais deux fois la même entre les îles d’un archipel toujours nouveau à leurs regards. Dans ces eaux incertaines, ils ne vont cependant pas à la dérive : s’ils ne se voient ni n’échangent des signes de ralliement, ils s’écoutent, parfois s’appellent. Et c’est dans cette communion étroite, proprement musicale, de tous les instants, qu’ils tracent leur route imprévisible, mais partagée. La moindre décision de l’un engage totalement celle de l’autre. C’est dire que cette dépendance, où ils exercent leur liberté de choix, exclut totalement toute idée de hasard » (Boucourechliev, à propos d’Archipel I). En 1970, Boucourechliev a donné Ombres, « Hommage à Beethoven » pour 11 instruments à cordes, et, en 1971, Tombeau « à la mémoire de Jean-Pierre Guézec » pour clarinette et percussion, ou piano. Suivirent Faces pour 2 orchestres avec 2 chefs (1971-72), Amers pour 19 instruments (1972-73), Thrène pour choeurs, récitants et bande magnétique (1973-74), Concerto pour piano (1974-75), et Six Études d’après Piranese pour piano (1975). Le Nom d’OEdipe, sur un livret de Hélène Cixous, a été créé en oratorio à RadioFrance le 27 mai 1978, et scéniquement à Avignon le 26 juillet 1978. En mai 1980 a été entendu Orion, pour orgue, en avril downloadModeText.vue.download 119 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE

113 1981 Ulysse, pour flûte (s) et percussions et en 1983 Orion III pour piano. Suivirent en 1984 Nocturnes pour clarinette et piano, Lit de Neige pour soprano et 19 instrumentistes, Le Miroir, 7 répliques pour un opéra possible pour mezzo-soprano et orchestre (1987). En 1988 fut créé à Genève les Cheveux de Bérénice. Suivirent Quatuor à cordes no 2 (1991), Quatuor-Miroir II (1992), Trois Fragments de MichelAnge pour soprano, flûte et piano (1995). Grand prix musical de la Ville de Paris en 1976, Boucourechliev enseigne depuis cette même année à l’université d’Aix-enProvence. Il exerce également une activité de critique. Parmi ses travaux de musicographe, des livres sur Schumann (1956), Beethoven (1963) et Igor Stravinski (1982), un Essai sur Beethoven (1991), le Langage musical (1993). BOUÉ (Georgette, dite Géorï), soprano française (Toulouse 1914). Après des études et des débuts à Toulouse, elle se perfectionna à Paris. Elle débuta à l’Opéra-Comique, en 1939, dans le rôle de Mimi de la Bohème de Puccini et à l’Opéra, en 1942, dans celui de Marguerite de Faust de Gounod. Elle fit une superbe carrière en France et fut invitée sur de grandes scènes étrangères. Sa voix limpide, capable de charme et de brio, était d’un type caratéristique de l’école française de chant, et elle faisait merveille dans de grands rôles du répertoire français : Marguerite, Mireille dans l’opéra de Gounod, Thaïs dans l’opéra de Massenet. Elle fut aussi une interprète célèbre du duc de Reichstadt dans l’Aiglon d’Ibert et de Honegger, et de Desdémone dans Othello de Verdi. Plus tard dans sa carrière, elle fit d’intéressantes incursions dans l’opéra contemporain (Colombe de Damase, le Fou et les Adieux de Landowski). BOUFFE (ital., opera buffa, « opéra bouffe »). Adjectif que l’on attribue à un genre de spectacle particulièrement comique. En France, au XIXe s., on qualifia de « bouffe » le chanteur (basse bouffe, etc.), la troupe, le théâtre (les Bouffes-Parisiens, créé par Offenbach) qui se consacraient à ce genre.

BOUFFONS (querelle des). Querelle français débuta à tations, Servante

entre les partisans de l’opéra et ceux de l’opéra italien, qui Paris en 1752, lors de représenpar la troupe des Bouffons, de la maîtresse de Pergolèse. J.-J.

Rousseau, parmi les admirateurs de l’ouvrage italien, profita du succès de celui-ci pour critiquer, dans sa Lettre sur la musique française (1753), l’opéra français, illustré alors par Rameau : le récitatif n’avait pas le naturel de celui d’outre-monts, les choeurs manquaient de simplicité avec leur écriture contrapuntique, l’harmonie et l’orchestre étaient trop riches ; la langue française était jugée incompatible avec la musique. Aux attaques du coin de la reine dirigé par Rousseau, le coin du roi riposta : les spectacles des Bouffons ne comportaient que des airs et ne pouvaient rivaliser avec les grandes tragédies lyriques. La « guerre » devint aussi bien littéraire que musicale : on ridiculisait le merveilleux dans l’opéra français, tandis que l’on appréciait les personnages réalistes et de condition modeste que les intermèdes italiens mettaient en scène. La querelle des Bouffons s’inscrit, ainsi, dans ce mouvement en faveur de la « nature », qui a bouleversé la pensée européenne au milieu du XVIIIe siècle. BOUKOFF (Youri), pianiste bulgare naturalisé français (Sofia 1923). Il manifeste très tôt des dons exceptionnels et étudie au Conservatoire de Sofia, tout en poursuivant ses études secondaires au collège allemand de cette ville. En 1938, il donne son premier récital et en 1946 il reçoit le 1er Prix du Concours national de Bulgarie. Doté d’une bourse d’études pour la France, il entre dans la classe d’Yves Nat au Conservatoire de Paris, où il obtient l’année suivante le 1er Prix, premier nommé. Il se perfectionne ensuite auprès de Georges Enesco, Marguerite Long et suit les cours d’Edwin Fischer à Lucerne. De 1947 à 1952, il est lauréat de plusieurs concours internationaux (Marguerite Long en 1949 et Reine Élisabeth en 1952) et commence une brillante carrière en France et dans le monde. Sa triple culture, bulgare, allemande et française, fait de lui un artiste à la personnalité originale et riche, européen comme a pu

l’être un Liszt. Il a réalisé le premier enregistrement intégral des sonates pour piano de Prokofiev. BOULANGER (Lili), femme compositeur française (Paris 1893 - Mézy, Yvelines, 1918). Ayant commencé ses études musicales avec sa soeur Nadia, elle signa sa première mélodie, la Lettre de mort, à onze ans et entra au Conservatoire en 1909. Elle y fut l’élève de Georges Caussade pour le contrepoint et de Paul Vidal pour la composition. Particulièrement douée et précoce, Lili Boulanger révéla très vite une sensibilité aiguë, une aptitude à atteindre le plus grand pathétique. Avec sa cantate Faust et Hélène, elle fut la première femme à obtenir le premier grand prix de Rome (1913). Mais la guerre l’empêcha de séjourner à la Villa Médicis autant qu’elle l’eût aimé ; de plus, elle souffrait déjà de la maladie qui devait l’emporter à vingt-cinq ans. Elle rentra à Paris et poursuivit sa carrière créatrice, se penchant avec prédilection sur des textes religieux ou funèbres. Son auteur préféré semble avoir été Maeterlinck ; elle mit plusieurs de ses poèmes en musique et commença, d’après sa Princesse Maleine, un opéra qui demeura inachevé. Elle se retira à Mézy et y composa sa dernière oeuvre, un Pie Jesu pour soprano, orgue, quatuor à cordes et harpe. Ainsi s’éteignit, si jeune, un talent fécond et d’une surprenante puissance. Le catalogue de Lili Boulanger comprend surtout de la musique vocale : des mélodies avec piano, Renouveau pour quatuor vocal et piano, des Psaumes (24 pour ténor, choeur et ensemble instrumental ; 129 pour choeur et orchestre ; 130 pour contralto, choeur et orchestre), la Vieille Prière bouddhique (1917) pour ténor, choeur et orchestre. On y trouve également des pièces pour piano, diverses oeuvres instrumentales dont une sonate pour violon et piano inachevée, de la musique symphonique (dont 2 poèmes symphoniques, Un matin de printemps et Un soir triste), la cantate Faust et Hélène et l’opéra la Princesse Maleine, demeuré inachevé. BOULANGER (Nadia), femme compositeur et pédagogue française (Paris 1887 - id. 1979).

Dès son enfance, elle aima profondément la musique et se passionna toute sa vie pour son enseignement. Élève de Guilmant pour l’orgue et de Gabriel Fauré pour la composition au Conservatoire de Paris, elle obtint le second grand prix de Rome en 1908. Elle fut le guide affectueux de sa jeune soeur Lili. Elle devint assistante à la classe d’harmonie du Conservatoire de Paris (1909-1924), professeur à l’École normale de musique (1920-1939) et au conservatoire américain de Fontainebleau (1921-1939) où elle enseigna l’harmonie, le contrepoint, l’histoire de la musique. De 1940 à 1945, elle professa aux ÉtatsUnis et donna des concerts à la tête de l’Orchestre symphonique de Boston et de l’Orchestre philharmonique de New York. Nommée professeur à la classe d’accompagnement du Conservatoire de Paris en 1945, elle prit la direction du conservatoire américain de Fontainebleau en 1950. Il est impossible de citer tous les musiciens connus, venus du monde entier, qui furent, à leurs débuts, les élèves de cette pédagogue extraordinaire. Nadia Boulanger joua un rôle capital pour les rapports musicaux entre la France et les États-Unis. Elle eut toujours le souci de servir la cause des jeunes musiciens qu’elle estimait de valeur. Le rayonnement de son enseignement a éclipsé ses dons de compositeur, de pianiste et de chef d’orchestre. Elle composa peu, mais se dévoua à faire connaître, outre les oeuvres de sa soeur, celles des maîtres français de la Renaissance, celles de Bach, de Schütz. Elle a pardownloadModeText.vue.download 120 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 114 ticulièrement contribué à la redécouverte des madrigaux de Monteverdi qui, encore inconnus du grand public, furent enregistrés par un ensemble vocal et instrumental qu’elle dirigeait elle-même du clavier. En 1977, l’Académie des beaux-arts lui remit sa grande médaille d’or. Parmi ses nombreuses activités, elle fut également maître de chapelle du prince de Monaco. Ses oeuvres comprennent des pièces d’orgue, une Rhapsodie pour piano et orchestre, une cantate, Sirène, un cycle de mélodies écrit en collaboration avec Raoul Pugno, les Heures claires, et une oeuvre lyrique inédite, la Ville morte, d’après Gabriele

D’Annunzio (également avec R. Pugno). BOULAY (Laurence), claveciniste française (Boulogne-sur-Seine 1925). Elle a étudié le clavecin, l’harmonie, le contrepoint au Conservatoire de Paris. Elle a soutenu une thèse sur l’interprétation de la musique française au XVIIIe s., et préparé de nombreuses éditions d’oeuvres de maîtres français des XVIIe et XVIIIe s. Elle est l’une des meilleures interprètes des oeuvres de François Couperin. Elle a enseigné à partir de 1968, au Conservatoire de Paris, la réalisation de la basse continue au clavecin. BOULEZ (Pierre), compositeur et chef d’orchestre français (Montbrison, Loire, 1925). Ce n’est qu’après avoir suivi la classe de mathématiques spéciales à Lyon que Boulez choisit de se consacrer à la musique et s’installa à Paris (1942). Il suivit, au Conservatoire, les cours d’Olivier Messiaen (premier prix d’harmonie en 1945), travailla le contrepoint avec Andrée Vaurabourg-Honegger et la méthode dodécaphonique avec René Leibowitz. Nommé directeur de la musique de scène de la Compagnie Renaud-Barrault (1946), il fonda, en 1954, sous ce patronage, les Concerts du Petit-Marigny, devenus, l’année suivante, le Domaine musical, dont le rôle fut capital dans la diffusion de la musique contemporaine en France - Boulez devait en céder la direction à Gilbert Amy en 1967. En 1958, cédant à l’invitation pressante de la station de radio du Südwestfunk de Baden-Baden et de son directeur, H. Strobel, Boulez se fixa à Baden-Baden. Son audience en Allemagne était, en effet, très grande, surtout depuis la création du Marteau sans maître (Baden-Baden, 1955), la première oeuvre à lui assurer un large public ; pendant ce temps, la France continuait de l’ignorer, du moins officiellement. Professeur d’analyse, de composition musicale et de direction d’orchestre à la Musikakademie de Bâle (1960-1966), il fut professeur invité à l’université Harvard en 1962-63, période où il rédigea son ouvrage théorique Penser la musique aujourd’hui. Son activité de chef d’orchestre s’intensifia et s’internationalisa : il créa Wozzeck à l’Opéra de Paris en

1963, donna des concerts avec l’orchestre de Cleveland, auprès duquel il exerça les fonctions de conseiller musical (1970-71), et fut chef principal de l’Orchestre symphonique de la BBC à Londres de 1971 à 1975 et directeur musical de l’Orchestre philharmonique de New York de 1971 à 1977. En 1976, dix ans après avoir dirigé Parsifal à Bayreuth à la demande de Wieland Wagner, il fut chargé d’y conduire, à l’occasion du centenaire du festival, l’Anneau du Nibelung, dans une mise en scène de Patrice Chéreau. Ce spectacle fut redonné sous sa direction jusqu’en 1980. Il a pris ses fonctions de directeur de l’I. R. C. A. M. à la fin de 1975, et a été nommé en 1976 professeur au Collège de France. « J’ai toujours pris Debussy pour modèle, j’ai toujours lu et analysé ses partitions. Avec Webern et Messiaen, c’est mon plus grand, mon permanent modèle. » Ainsi Pierre Boulez indique-til, en 1958, les références - reniées par la suite - de sa première étape créatrice. Il faudrait y ajouter, sur le plan rythmique, Stravinski (son étude Stravinski demeure analyse magistralement l’organisation rythmique du Sacre du printemps). De fait, le premier problème rencontré par le compositeur au lendemain de la guerre est celui de l’organisation rationnelle et totale de tous les paramètres du monde sonore. Ses premières oeuvres sont autant d’étapes dans la fertilisation de l’héritage des trois Viennois, Schönberg, Berg et Webern : Sonatine pour flûte et piano (1946), Première Sonate pour piano (1946), Deuxième Sonate pour piano (1947), Livre pour quatuor (1949) où Boulez propose un traitement sériel, outre des hauteurs, de tous les autres paramètres, pris successivement. La généralisation sérielle ne s’accomplit que dans Polyphonie X pour 18 instruments solistes (1951), un symbole graphique représentant le croisement de certaines structures, et dans le premier livre des Structures pour 2 pianos (1952). La série devint pour Boulez « un mode de pensée polyvalent, et non plus seulement une technique de vocabulaire », et s’élargit à la structure même de l’oeuvre engendrée. L’introduction de certaines possibilités de choix (réaction à un excès de contrainte) est, pour lui, une autre manière de poser des problèmes de forme dans un univers relatif, en perpétuelle variation, et d’esquisser de nouveaux rapports entre l’interprète et le compositeur.

En réalité, avant les Klavierstücke (1956) de Stockhausen, Boulez souleva la question : choix et ordonnance des mouvements dans le Livre pour quatuor (1949), de certains parcours de la Troisième Sonate pour piano (1957) - tous néanmoins écrits, prévus et donc assumés par l’auteur (par ex., Formant no 3, Constellation-Miroir, imprimé en deux couleurs pour souligner la structure : vert, les points ; rouge, les blocs) - pour atteindre, en principe, une improvisation à deux par le biais des choix successifs et de l’interaction dans le second livre des Structures pour piano. Doubles pour orchestre (1957), devenu en 1964 Figures, Doubles, Prismes, remet en question l’organisation fixe de l’orchestre. Outre ses marges d’initiative dans la partie centrale, Éclat pour 15 instruments (1964), devenu en 1970 Éclat-Multiples, pose des problèmes d’interprétation des signes directionnels, tandis que, dans Domaines, pour clarinette et 21 instruments (1968), le clarinettiste, par ses déplacements, sollicite la réponse d’un des 7 groupes disposés en cercle et détermine ainsi la forme de l’oeuvre (la seconde partie étant un miroir de la première). D’autre part, Pierre Boulez a toujours été intéressé par les rapports du texte et de la musique. Après le Soleil des eaux (1948) et Visage nuptial (1951), c’est encore à René Char, qui représente une « concentration de langage », que Boulez s’adresse pour le Marteau sans maître (1954). Le texte et son contenu conditionnent la structure : 3 cycles très différenciés et s’interpénétrant autour d’un noyau, le poème (doublement présent dans le troisième), dont les deux autres pièces, instrumentales, constituent le développement, le commentaire. Le compositeur poursuit sa recherche avec les Deux Improvisations sur Mallarmé (1957), où il tente la « transmutation » de Mallarmé en musique, Poésie pour pouvoir (1958), un essai de spatialisation sans lendemain sur un texte d’Henri Michaux, puis Cummings ist der Dichter (1970), où le texte est seulement utilisé comme élément sémantique sonore. Le souci de la sonoristique est, en effet, porté à un haut degré chez Boulez. Il ne faut pas oublier son stage chez Pierre Schaeffer en 1952, où il réalisa Deux Études de musique concrète, même s’il n’avait alors vu dans la bande qu’un

instrument de spéculation rythmique. Son goût pour le raffinement des timbres éclate dans le Marteau sans maître : c’est non seulement « du Webern qui sonne comme du Debussy » (H. Strobel), mais presque la création d’un univers sonore extrêmement oriental. Cette prédilection se perçoit aussi à travers les mélismes du Livre pour cordes (1968), recomposition de deux mouvements du Livre pour quatuor de 1948 ; les combinaisons de couleurs d’Éclat, la libération totale des sons dans Explosante-Fixe (1972-1974) ; et la grandeur hiératique de Rituel « In memoriam Maderna « (1974-1975). Depuis 1964, Boulez poursuit principalement son idée de « work in progress », d’oeuvre en devenir, c’est-à-dire downloadModeText.vue.download 121 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 115 d’une musique pouvant être développée, transformée à l’infini : une conception de l’oeuvre ouverte, mobile. Ainsi Pli selon pli intègre-t-il, dès 1960, les Deux Improvisations sur Mallarmé (1957) et ne trouve-t-il sa version définitive qu’en 1969. Ainsi Figures-Doubles-Prismes pour orchestre (1964) est-il un nouveau travail, très expressionniste, à partir de Doubles (1957), le Livre pour cordes (1968) un élargissement pour orchestre du Livre pour quatuor (1949), Multiples pour orchestre (1970) un développement d’Éclat pour 15 instruments (1964). Boulez donne donc une série de miroirs d’un premier état. Cette démarche est l’un des fondements de Répons pour ensemble instrumental, solistes et dispositif électro-acoustique (1981-1984...), oeuvre concrétisant un travail de plusieurs années à l’IRCAM et par laquelle, depuis Pli selon pli, Boulez a fait le plus sensation. En 1985 ont été créés Dialogue de l’ombre double pour clarinette et bande, en 1988 Dérive 2 pour 11 exécutants et en 1989 l’ultime version du Visage nuptial ainsi que Antiphonies pour piano et ensemble de chambre. Pour imposer la musique du XXe s. et ses conceptions personnelles, le compositeur a dû s’engager très tôt dans la polémique (Schönberg est mort, 1952), et bien des oeuvres ont été accompagnées d’une réflexion théorique (Son et verbe, 1958 ;

Éventuellement, 1952). Relevés d’apprenti (1966) réunit des articles parus avant 1962. Penser la musique aujourd’hui (1963), condensé des cours de Darmstadt et de Bâle, est « une investigation méthodique de l’univers musical » et de sa tentative déductive de construire un système cohérent. Par volonté et par hasard (1975), Points de repère (1981) et Jalons pour une décennie (1989) actualisent cette réflexion. Une nouvelle édition de ses écrits a été lancée pour son 70ème anniversaire, inaugurée avec Points de repère I : Imaginer (1995). BOULIANE (Denys), compositeur canadien (Grand-Mère, Québec, 1955). Élève de Jacques Hétu et de Roger Bédard, chargé de cours pour l’harmonie, le contrepoint et l’instrumentation à l’université Laval de Québec de 1978 à 1980, il a également travaillé avec Ligeti à Hambourg (1980-1985). Il est actuellement directeur de l’Ensemble XXe Siècle de l’Orchestre symphonique de Québec et conseiller artistique du même orchestre, et enseigne depuis septembre 1995 la composition à l’université McGill de Montréal tout en résidant fréquemment à Cologne. On a parlé à son sujet de « musique du réalisme magique ». Il s’est imposé en 1982 avec Jeux de société pour quintette à vent et piano (1978-1980, rév. 1981), et parmi ses ouvrages, on peut citer Comme un silène entr’ouvert pour 7 instrumentistes et bande (2 versions, 1983-1985), À propos... et le Baron perché ? pour 10 instrumentistes (1985), Das Affenlied pour soprano solo d’après Gottfried Benn (en hommage à Ligeti, 1988), Une soirée Vian, méta-cabaret pour 8 musiciens (19901991), Concerto pour orchestre (Variations sans thème) pour orchestre (1988-1995). BOULT (sir Adrian), chef d’orchestre anglais (Chester 1889 - Farnham 1983). Ayant, pendant ses études à Oxford, décidé de devenir chef d’orchestre, il travailla à Leipzig avec Nikisch, puis, en 1918, débuta avec l’Orchestre philharmonique de Londres. Il enseigna la direction d’orchestre au Royal College of Music à partir de 1920. De 1930 à 1942, il assuma la responsabilité de toutes les émissions musicales de la BBC. Lorsque l’Orchestre symphonique de la BBC fut créé, en 1930, il en devint le premier chef et le resta jusqu’en 1950. Parmi les nombreux autres

postes qu’il occupa, citons la direction de l’Orchestre philharmonique de Londres (1950-1957). Il a été anobli en 1937. Respecter les intentions de l’auteur, toujours conserver la clarté, donner à l’auditeur l’impression d’une absence d’effort, telles sont, d’après sir Adrian Boult, les conditions d’une interprétation idéale. Son vaste répertoire va de Bach et Haendel à ses compatriotes, Holst, Elgar, Vaughan Williams. BOUNINE (Revol), compositeur soviétique (Moscou 1924 - id. 1976). Élève de Chebaline et de Chostakovitch au conservatoire de Moscou, Bounine a voulu suivre l’évolution spirituelle de Chostakovitch, tentant de faire évoluer l’académisme miakovskien vers la simplicité épique, puis désespérée de Chostakovitch. Il a laissé 8 symphonies (19431970), des cycles vocaux sur des textes de Pouchkine, Nekrassov, Essenine, Petöfi, une Symphonie concertante pour violon et orchestre (1972), des concertos pour alto (1953) et pour piano (1963), des quatuors (no 1, 1943 ; no 2, 1956), un quintette avec piano (1946). BOUR (Ernest), chef d’orchestre français (Thionville 1913). Il a fait des études de piano, d’orgue et de théorie à Strasbourg et a été, pour la direction d’orchestre, l’élève de Fritz Munch et de Hermann Scherchen. Dès 1934, il organisa à Strasbourg, avec le chef et compositeur Frédéric Adam, des concerts de musique de chambre contemporaine. Dans les années 40 et 50, il occupa des postes pédagogiques et de chef d’orchestre à Mulhouse et à Strasbourg, et, en 1964, succéda à Hans Rosbaud comme chef de l’orchestre du Südwestfunk de BadenBaden, fonctions qu’il devait conserver jusqu’en 1979. À ce titre, il joua un rôle de premier plan dans la diffusion de la musique contemporaine et participa régulièrement au festival de Donaueschingen. Il a été l’invité d’honneur du festival de Royan en 1977, et, de 1976 à 1987, il a occupé les fonctions de chef invité permanent de l’Orchestre de chambre de la radio d’Hilversum. BOURDELOT (Pierre Michon, dit l’abbé), médecin et mélomane français (Sens 1610 - Paris 1685).

Praticien réputé, il fut médecin du prince de Condé, puis, en 1642, obtint une des charges de médecin auprès de Louis XIII. Mélomane passionné, il amassa une multitude de documents et de renseignements afin d’écrire une Histoire de la musique. Il entreprit ce travail en collaboration avec son neveu Pierre Bonnet. Mais ce fut le frère de celui-ci, Jacques Bonnet, qui le termina et le fit paraître, en 1715, sous le titre Histoire de la musique et de ses effets depuis son origine jusqu’à présent... par M. Bourdelot (Paris, 1715 ; 2e éd., Amsterdam, 1725). Cet ouvrage de compilation, fort intéressant, contient de nombreuses inexactitudes. BOURDIN (Roger), flûtiste français (Mulhouse 1923 - Versailles 1976). Disciple de Jacques Chalande, Marcel Moyse et Fernand Caratgé, il fit ses études au conservatoire de Versailles (où il devint professeur en 1943) et au Conservatoire de Paris. À 17 ans, il obtint le poste de flûte solo aux Concerts Lamoureux. Il fonda un duo de flûte et harpe avec Annie Challan et un quatuor de flûtes avec Jean-Pierre Rampal, Pol Mule et M. Vigneron. De nombreuses oeuvres pour flûte lui sont dédiées. Il a composé Atlantide (1949) pour quatuor de flûtes, un ballet (Une certaine lady), des pièces pour flûte avec orgue et contrebasse (À la mémoire de Maurice Ravel, Votre concerto, Mr. Lully à la cour, etc.). BOURDIN (Roger), baryton français (Levallois 1900 - Paris 1974). Élève d’lsnardon et de Gresse au Conservatoire de Paris, il débuta à l’Opéra-Comique, en 1922, dans le rôle de Lescaut de Manon de Massenet. À l’Opéra de Paris, où il débuta en 1942, il fut notamment le créateur du rôle de Bolívar dans l’opéra de Milhaud (1950). Sa carrière internationale le conduisit notamment à Londres pour chanter le rôle de Pelléas en 1930. Il fut professeur au Conservatoire de Paris. Ce fut un artiste à la diction, au style et à la musicalité parfaits, et un excellent acteur. downloadModeText.vue.download 122 sur 1085

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BOURDON. Grondement grave, note tenue, associée depuis le Moyen Âge à la notion d’accompagnement. Certains instruments populaires (cornemuse, vielle à roue) ont un système dit bourdon pour tenir une note grave. On appelle également bourdon l’avant-dernière corde grave du luth, de la basse de viole et, en Angleterre notamment, la voix grave qui soutient le chant improvisé des parties supérieures. Appliqué à l’orgue, ce terme désigne la famille de jeux de fonds, à tuyaux généralement en bois et de section carrée, ou plus rarement en métal. Bouché à son extrémité, le tuyau de bourdon sonne à l’octave grave de sa longueur réelle, avec un timbre particulièrement doux. C’est l’un des jeux de base de l’orgue, au pédalier comme à tous les claviers. Il sert à l’accompagnement du chant, mais aussi comme fondamental avec les jeux de détail, dans les ensembles de fonds et dans les pleins jeux. BOURGAULT-DUCOUDRAY (Louis Albert), compositeur français (Nantes 1840 - Vernouillet, Yvelines, 1910). Alors qu’il achevait ses études de droit à Nantes, il fit représenter au théâtre Graslin un petit opéra-comique, l’Atelier de Prague, dont le succès le décida à entrer au Conservatoire de Paris dans la classe d’Ambroise Thomas (1860). Grand Prix de Rome en 1862, il se lia, à la Villa Médicis, avec Massenet, Guiraud et Paladilhe. Revenu à Paris en 1868, il fonda l’année suivante une chorale avec laquelle il interpréta des oeuvres de Bach, des oratorios de Haendel et de Haydn. Envoyé en Grèce en mission officielle, pour recueillir des mélodies populaires, il en publia plusieurs recueils, puis se livra à des recherches semblables en Bretagne et en Écosse. Il fut professeur d’histoire de la musique au Conservatoire de Paris, de 1878 à 1908. Il composa des mélodies, des cantates, des pages symphoniques, dont plusieurs utilisent des thèmes et modes grecs d’origine très ancienne, et plusieurs ouvrages lyriques. BOURGEOIS (Jacques), critique musical français (Londres 1918). Il a débuté dans la critique musicale en

collaborant aux revues Disques et ArtsSpectacles. Intéressé par toutes les formes de spectacle (le premier ouvrage qu’il a publié est une étude sur le cinéaste René Clair), il n’a pas tardé à se passionner pour le chant. L’essentiel de ses travaux, comme de ses activités, de présentateur radiophonique concerne l’opéra et l’art vocal. Il a été l’un des premiers à prôner le retour à l’école du bel canto. Il a été, de 1971 à 1981, directeur artistique du festival d’Orange. Il a écrit un Richard Wagner (Paris, 1959 ; rééd. 1976) et un Giuseppe Verdi (Paris, 1978). BOURGEOIS (Loys), compositeur français (Paris v. 1510-1561). Chantre à Saint-Pierre de Genève, où son nom apparaît dans les archives à partir de 1545, il resta à Genève jusqu’à la fin de 1552. Ce séjour détermina en grande partie la nature de son oeuvre. Il publia, en effet, à Lyon, en 1547, deux livres de psaumes à 4 parties ; un livre de 83 autres psaumes parut en 1554 et, selon Fétis, il en aurait publié 83 encore à Paris en 1561. Loys Bourgeois fut en grande partie responsable de la mise en musique du psautier huguenot. Il traita généralement les textes syllabiquement (une note = une syllabe). Bourgeois est également l’auteur d’un ouvrage didactique, le Droict Chemin de musique (Genève, 1550), et de quelques chansons profanes. BOURGOGNE (cour de). Au XVe siècle, à Dijon, capitale des ducs de Bourgogne, pendant les règnes de Philippe le Bon (1419-1467) et de son fils Charles le Téméraire (1467-1477), la musique ainsi que les autres arts tiennent une place très importante dans toutes les festivités, dont la nature nous est rapportée par Olivier de la Marche, qui, lui-même, y avait participé activement. Au service de cette cour, riche en couleurs et en manifestations somptueuses, un brillant groupe de musiciens, mis à part les oeuvres écrites pour la liturgie catholique, cultive la chanson dite « bourguignonne », généralement conçue à trois voix (G. Dufay, A. Busnois, G. Binchois, P. Fontaine, mais aussi l’Anglais R. Morton). Pour terminer la célèbre fête du faisan (1454), on donne le motet de Dufay (Lamentation Sanctae Matris Constantinopolitanae) avec comme cantus firmus un verset des Lamentations de Jérémie

pour pleurer la chute de la ville en 1453 ( ! ÉCOLE FRANCO-FLAMANDE). BOURRÉE. Danse populaire française à deux ou trois temps, encore pratiquée dans le Berry et le Massif central. Adoptée par l’aristocratie, au début du XVIIe s., et devenue danse de cour, la bourrée a inspiré de nombreux musiciens qui l’ont fait figurer non seulement dans l’opéra-ballet, mais dans des suites (Bach, Haendel, etc.). Dans le vocabulaire de la danse académique, le « pas de bourrée » n’a que de lointains rapports avec l’original folklorique. BOUTRY (Roger), compositeur et chef d’orchestre français (Paris 1932). Entré au Conservatoire de Paris à onze ans, il y a fait des études traditionnelles et a été l’élève, notamment, de Tony Aubin (composition) et de Louis Fourestier (direction d’orchestre). Il a obtenu de nombreux prix, dont le grand prix de Rome en 1954, et a fait ses débuts de chef d’orchestre en 1955. Nommé professeur d’harmonie au Conservatoire de Paris en 1967, il est devenu en 1972 chef de la musique de la garde républicaine de Paris et a entrepris des tournées à travers le monde. Boutry a composé un oratorio, le Rosaire des joies (1957), de la musique symphonique et, bien entendu, de la musique d’harmonie ainsi que des pièces instrumentales. BOUTZKO (Iouri), compositeur russe (Loubny 1938). Élève de Bakassanian (composition) au conservatoire de Moscou, il devient, en 1968, assistant dans ce même conservatoire et se met à étudier les chants russes anciens, les éléments archaïsants d’un folklore d’origine paysanne ou religieuse. Il réussit, comme ses confrères Prigojine ou Slonimski, à se dégager des poncifs académiques en honneur à Moscou en utilisant des matériaux sonores empruntés à l’ancienne Russie, cependant qu’une prosodie extrêmement évoluée apparaît dans ses opéras, oratorios et cantates. Son oeuvre s’est imposée par le Journal d’un fou, opéra-monologue d’après Gogol (1964), les Nuits blanches, opéra d’après

Dostoïevski (1968), Apocalypse, nouvelle chorégraphique (1973), l’Histoire de la révolte de Pougatchev (1968), 4 Chants russes anciens (1969), Concerto polyphonique pour 4 claviers (orgue, célesta, piano, clavecin, 1969), des mélodies, des sonates et un quatuor à cordes. BOUZIGNAC (Guillaume), compositeur français, originaire du Languedoc (fin du XVIe s. - apr. 1643). Il devint enfant de choeur à la cathédrale de Narbonne avant de diriger, en 1609, la maîtrise de la cathédrale de Grenoble. Il fut un temps au service de G. de la Chanlonye, juge-prévôt à Angoulême. Il semble qu’il ait été maître des enfants à Rodez et à Tours. Il travailla aussi pour le duc de Montmorency, gouverneur du Languedoc. En fait, nos connaissances biographiques à son sujet sont très fragmentaires. Ajoutons à cela qu’il n’a laissé aucune oeuvre imprimée ; mais les témoignages de ses compatriotes sont fort élogieux (Mersenne, Harmonie universelle, 1636 ; Gantez, l’Entretien des musiciens, 1641). La musique de Bouzignac n’est accessible que dans deux manuscrits, conservés l’un à la bibliothèque de Tours, l’autre à la Bibliothèque nationale. Ils contiennent trois messes à 2, 3 et 7 voix, des motets, des psaumes, des hymnes (4 à 7 voix) et quatre chansons françaises. Une soixantaine de motets, des messes et les chansons downloadModeText.vue.download 123 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 117 françaises se trouvent dans des éditions modernes. Bien que dix oeuvres seulement soient signées de la main de Bouzignac, on lui attribue généralement aujourd’hui la totalité des oeuvres du manuscrit de Tours (96 pièces) et une vingtaine parmi celles du manuscrit de Paris. À travers l’oeuvre de Bouzignac, nous pouvons observer la pénétration en France de l’influence italienne, puisque le compositeur écrit dans un style proche du madrigal dramatique de Marenzio ou de Vecchi et cherche à traduire en musique tous les mots du texte, utilisant au besoin des audaces harmoniques et mélodiques.

Ses motets révèlent un élément de tension de caractère quasi théâtral dans l’alternance du choeur et du soliste ou le dialogue des deux choeurs. Par exemple, des scènes sacrées tirées de la vie du Christ, comme Unus ex vobis ou encore Ecce homo, ont certainement contribué à l’avènement de l’oratorio en France. Dans ce domaine, Bouzignac se présente comme le précurseur de Marc-Antoine Charpentier. BOWMAN (James), contre-ténor anglais (Oxford 1941). Choriste à la cathédrale d’Ely en 1960, il débute au sein des maîtrises d’Oxford, ce qui lui évite une formation académique. En 1966, Benjamin Britten l’engage dans son English Opera Group pour chanter Oberon dans le Songe d’une nuit d’été. C’est le début d’une longue complicité qui amène Britten à lui destiner son Canticle IV, Journey of the Magi (1971) et le rôle d’Apollon dans Mort à Venise (1973). Il inspire aussi The Ice Break à Michael Tippett en 1977. Réhabilitant la tessiture de contre-ténor dans la musique contemporaine, il participe aussi à la redécouverte du répertoire baroque : dès 1967, il chante avec David Munrow et le Early Music Consort of London. Il s’impose dans les oratorios de Haendel, dont Rinaldo, mis en scène par Pizzi en 1981 à Vérone et en 1985 au Châtelet. Il effectue de nombreuses tournées avec Christopher Hogwood et assure des master-classes depuis 1990. Après Alfred Deller, dont il n’est pourtant pas un disciple, il a largement contribué à redonner à la voix de contreténor un rôle désormais reconnu. BOYAU. Corde d’instrument à archet, faite avec la membrane médiane de l’intestin grêle du mouton. Les violons étaient autrefois entièrement montés en boyaux, chanterelle comprise. L’élévation progressive du diapason et la tension supplémentaire qui en résulte ont entraîné le remplacement de cette chanterelle par une corde d’acier moins fragile ; puis, pour des raisons de sonorité, le boyau de la corde la plus grave (sol) a été gainé d’une spirale de fil d’argent. Longtemps, le boyau nu est resté en usage pour les cordes intermédiaires de ré et de la, mais il tend à disparaître complètement au

profit des cordes filées d’argent ou d’aluminium qui sonnent plus brillamment. Les autres instruments du quatuor ne sont pas épargnés par cette évolution. Cependant, le retour à une exécution fidèle de la musique baroque - s’accommodant d’une sonorité plus douce et jouée à un diapason plus bas d’environ un demi-ton que le diapason normal actuel - a entraîné récemment la remise en honneur du boyau, dans un usage spécialisé. BOYCE (William), compositeur et organiste anglais (Londres 1710 - id. 1779). Élève de Maurice Greene et de Johann Christoph Pepusch, il poursuivit ses études musicales malgré un début de surdité. Nommé, en 1736, compositeur de la chapelle royale, pour laquelle il composa de nombreux services et anthems, il reçut, l’année suivante, la charge des trois ensembles de Gloucester, Worcester et Hereford, connus sous le nom de Three Choirs. En 1755, il succéda à Greene comme maître de musique du roi. Mais, à partir de 1769, sa surdité empirant, il se retira à Kensington afin de se consacrer à son célèbre recueil de musique d’église Cathedral Music (3 vol., 1760-1778). Grâce à cette collection, le répertoire sacré de l’Église anglicane des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles put être en grande partie conservé. Si Boyce fut l’un des meilleurs compositeurs anglais du XVIIIe siècle, son oeuvre a souffert de la présence, en Angleterre, de la personnalité immense d’Haendel. Ses huit symphonies à 8 parties demeurent aujourd’hui des oeuvres originales et inspirées. Boyce composa également une soixantaine d’anthems, des services, des ouvertures, 12 sonates en trio, des pièces d’orgue et de clavecin, une cinquantaine d’odes, de la musique théâtrale, des airs, cantates, duos, contenus dans un recueil intitulé la Lyra britannica. BOYVIN (Jacques), organiste et compositeur français (Paris v. 1653 - Rouen 1706). Peut-être fut-il l’élève de Lebègue. En 1674, il fut nommé organiste à la cathédrale de Rouen et conserva cette charge jusqu’à sa mort. Après un incendie, son orgue fut magnifiquement reconstruit par Robert Clicquot et inauguré en 1689. Cette même année, Boyvin publia

son premier Livre d’orgue, qui devait être suivi d’un second en 1700. Chacun de ces deux Livres contient des suites de six à dix pièces « dans les huit tons à l’usage ordinaire des églises ». Le premier est précédé d’un précieux Avis au public concernant le meslange des jeux de l’orgue, les mouvements, agréments et le toucher, et le second, d’un Traité abrégé de l’accompagnement pour l’orgue et le clavecin. Les suites font alterner pleins-jeux, dialogues, récits, basses, fugues, selon la meilleure tradition française. Outre un coloriste raffiné, Boyvin s’y montre un musicien expressif, qui manie avec délicatesse l’harmonie et le style fugué. Il est l’un des principaux jalons qui mènent de Titelouze à Grigny. BOZAY (Attilá), compositeur hongrois (Balatonfüzfö 1939). Il a fait ses études musicales à l’école de musique de Békéstarhos, puis à Budapest au Conservatoire Béla Bartók et à l’Académie Ferenc Liszt dans la classe de composition de Ferenc Farkas, d’où il est sorti en 1962. Nommé professeur de composition au conservatoire de Szeged (1962-63), il a été producteur à la radio hongroise (19631966), puis a séjourné à Paris grâce à une bourse de l’Unesco (1967). Depuis son retour en Hongrie, il s’est consacré exclusivement à la composition, remportant le prix Erkel en 1968. Influencé à la fois par Webern et Bartók, Attilá Bozay use soit d’une structure très stricte d’origine sérielle, soit d’une forme très souple fondée sur la dynamique et les jeux de timbre. Il semble vouloir retrouver l’esprit du verbunkos tout en se servant de techniques de permutation (séries de Fibonacci et de Seiber). Il s’est imposé sur la scène internationale à côté de György Kurtág et de Zsolt Durkó, ses aînés. Son oeuvre comprend essentiellement des compositions pour un instrument seul (piano, violon, violoncelle, cithare), de la musique de chambre pour différentes formations, dont 2 quatuors à cordes (1964, 1971), des pièces pour orchestre comme Pezzo concertato no 1 pour alto et orchestre (1965) et no 2 pour cithare et orchestre (1974-75), Pezzo sinfonico no 1 (1967) et no 2 (1975-76) et Variazioni (1977), et l’opéra la Reine Küngisz (1969). BRAHMS (Johannes), compositeur allemand (Hambourg 1833 - Vienne 1897).

L’histoire de Johannes Brahms, c’est d’abord celle de son père. Johann Jakob Brahms, né en Basse-Saxe en 1806, reçut sa formation de contrebassiste (et, accessoirement, de flûtiste et de violoniste) dans une Stadtpfeiferei (orchestre municipal), institution typiquement allemande dont l’origine remontait au Moyen Âge : les membres de cette confrérie jouaient surtout des instruments à vent et se tenaient à la disposition de quiconque avait besoin de musiciens pour un bal, une cérémonie ou une fête publique ou privée. Dès qu’il eut son diplôme en poche, le jeune homme prit la route comme le voulait la tradition. La première étape de ce voyage à travers l’Allemagne fut aussi la dernière. Ayant facilement trouvé à s’employer à Hambourg, il s’y fixa pour toujours. En downloadModeText.vue.download 124 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 118 1830, âgé de 24 ans, il épousa sa logeuse, Christiana Nissen, qui avait 41 ans et n’était guère plus riche que lui, mais joignait à une certaine culture toutes les vertus domestiques. De cette union naquirent trois enfants, dont Johannes en 1833. UN ENFANT PRODIGE. La gêne financière qui pesa longtemps sur la famille (Johann Jakob avait depuis longtemps élevé ses enfants quand il trouva enfin une situation stable de contrebassiste à l’orchestre philharmonique) explique en grande partie les débuts de Johannes. Si précocement doué qu’il imagina un système de notation musicale avant de savoir qu’il en existait déjà un, l’enfant n’avait qu’un défaut aux yeux de son père : sa passion de la composition et du piano. Malgré ses préventions contre cet « instrument de riche » (d’ailleurs absent du minuscule logis familial) qu’il jugeait peu rentable, Johann Jakob fit donner des leçons au jeune garçon par un maître très estimé, Otto Cossel, lui-même disciple d’Édouard Marxsen, dont la réputation était grande dans toute l’Allemagne du Nord. À 10 ans, Johannes donnait en privé son premier récital, qui lui valut d’être adopté par l’illustre Marxsen en personne. Et celuici devait lui enseigner beaucoup plus que l’art de jouer du piano. Compositeur sans génie, mais technicien de premier ordre, il

forma son élève dans le culte de Bach, de Mozart et de Beethoven. Parallèlement à ces études classiques, le jeune Brahms, tenu de contribuer au maigre budget familial, se livra bientôt à des travaux pratiques qui absorbèrent la plus grande partie de son temps. Entre 12 et 20 ans, il enseigna, accompagna des chanteurs ou des spectacles de marionnettes au théâtre municipal, publia sous divers pseudonymes quantité de morceaux de danse et de fantaisies sur des airs à la mode, donna quelques concerts, joua de l’orgue à l’église et, le soir, tint le piano dans des tavernes à matelots. C’est même dans ces lieux malfamés que l’adolescent assouvit une autre de ses passions, celle de la lecture : tout en « tapant » des valses et des polkas, il ne quittait pas des yeux un livre ouvert sur le piano. Puis il rentrait chez lui par le chemin des écoliers et se couchait à trois heures du matin, la tête pleine de musique qu’il notait à son réveil, quitte à la détruire ensuite. Très perfectionniste, il ne devait rien conserver de cette production de jeunesse qui comprend notamment d’innombrables lieder inspirés par ses lectures. Ce goût des livres et des longues promenades à pied n’allait jamais le quitter. Une nuit, s’étant trop éloigné de la ville et ayant pris le parti de dormir à la belle étoile, il contracta une angine. Survenant en pleine mue, cet accident l’affligea pour longtemps d’une « voix de fille » qui, vraisemblablement, ne surprenait guère chez ce garçon fluet, aux longs cheveux blonds. Il en paraissait simplement encore plus jeune qu’il n’était. DES RENCONTRES DÉCISIVES. En 1849, Brahms avait fait la connaissance d’un violoniste hongrois, Eduard Reményi, ancien condisciple du déjà illustre Joseph Joachim. Ce spécialiste de la musique tzigane, qui apportait beaucoup de fantaisie à son interprétation des classiques, reparut à Hambourg en 1853 et décida Brahms, son cadet de trois ans, à l’accompagner en tournée. Cette tournée, d’ailleurs fructueuse, aboutit à Hanovre où Joachim exerçait les fonctions de Kapellmeister de la Cour. Joachim, qui ne tenait pas son compatriote en très haute estime, fut, en revanche, conquis par la personnalité et le talent de Brahms ; leur rencontre fut le point de départ d’une amitié et d’une collaboration qui allaient durer toute leur

vie. Précédés d’une lettre de recommandation de Joachim pour Liszt, Brahms et Reményi se rendirent ensuite à Weimar. Il ne semble pas que le jeune pianiste ait été séduit par l’ambiance mondaine qui régnait à l’Altenburg, où son glorieux aîné faisait l’objet d’un véritable culte. Plus tard, considéré à son corps défendant comme le chef de file des adversaires de la « musique de l’avenir », Brahms devait rendre justice à Franz Liszt et à Richard Wagner. À cette époque, l’élève de Marxsen était, à l’image de son maître, rebelle à toute innovation ; même Robert Schumann le laissait indifférent. Aussi quitta-t-il l’Altenburg sans regret, seul, Reményi ayant préféré s’attacher aux pas de Liszt. Muni par Joachim de nombreuses lettres qui lui garantissaient l’hospitalité chaleureuse des musiciens rhénans, il descendit à pied la vallée légendaire, s’attardant à Mayence, Bonn et surtout Mehlem, où un riche banquier mélomane, Deichmann, avait sa résidence d’été. Ce fut à Mehlem qu’il commença à apprécier la musique de Schumann, se préparant ainsi à la fameuse rencontre de Düsseldorf, le 30 septembre 1853. Dès le premier contact, les deux hommes sympathisèrent. Brahms, qui s’était mis au piano, joua sa sonate en ut majeur op. 1. Schumann l’interrompit à la fin du premier mouvement, appela sa femme Clara et pria son jeune confrère de recommencer. Clara Schumann, la première femme au monde - et longtemps la seule - à avoir fait profession de virtuose du clavier, fut à son tour conquise. Brahms, retenu à dîner, entra d’emblée dans l’intimité de la famille Schumann. Lui qui n’avait prévu qu’une brève halte à Düsseldorf y resta un mois, bientôt rejoint par Joachim. Avant le départ de Brahms, le 3 novembre 1853, Schumann décida en secret d’offrir un cadeau à Joachim, et c’est Brahms qui composa le scherzo de la sonate dite F-A-E (Frei aber einsam, la maxime de Joachim). À Brahms Schumann réserva une autre surprise de taille : un article dithyrambique dans l’influente Neue Zeitschrift für Musik, qu’il avait fondée vingt ans plus tôt à Leipzig. Après dix ans de silence, le maître reprit la plume pour annoncer au monde musical allemand, d’autant plus stupéfait que les héros du jour étaient Liszt et Wagner, sa découverte d’un « nouveau messie de l’art ». C’est aussi grâce à Schumann que Breitkopf et Härtel édita quelques-

unes de ses premières compositions. Le jeune Brahms fut plus intimidé qu’encouragé par la gloire soudaine que lui valut cet article retentissant. Il ne lui échappa pas que les louanges de Schumann, exprimées en des termes qui ne ménageaient pas les susceptibilités du camp adverse, allaient l’exposer à de sévères critiques. De retour à Hanovre, il mit aussi peu d’empressement à publier ses quatre premiers opus qu’à faire le voyage à Leipzig, « cerveau » de l’Allemagne musicale, où Schumann et Joachim le pressaient de se rendre. La cité saxonne lui réserva pourtant un accueil chaleureux ; il y rencontra son premier admirateur français Hector Berlioz - et, de nouveau, Liszt, qui lui faisait toujours bonne figure. La fin de cette année triomphale le trouva dans sa ville natale, où il passa les fêtes en famille. Puis, il regagna Hanovre avec l’intention de s’y installer pour quelque temps, mais, le 20 janvier 1854, Robert et Clara Schumann y arrivèrent à leur tour pour entendre l’oratorio de Schumann, le Paradis et la Péri, en présence du roi George V. Schumann, dont l’équilibre nerveux laissait à désirer depuis plusieurs années, n’avait jamais paru plus heureux de vivre. Mais, dès son retour à Düsseldorf, il allait se jeter dans le Rhin. Brahms vola à son secours : Schumann se trouvait dans une clinique de Bonn, d’où il ne devait plus sortir. Pendant les deux années de son agonie, Brahms ne quitta guère Düsseldorf, consacrant la plus grande partie de son temps à la famille nombreuse de son ami : six enfants, puis, le 11 juin 1854, un petit Félix dont il fut le parrain. Cette situation avait naturellement favorisé entre Johannes et Clara une amitié propice à l’épanouissement d’un amour réciproque, qui ressemblait fort à l’idylle de Werther et Charlotte, au point que Brahms songea au suicide. Sans doute se faisait-il une trop haute idée de ses devoirs envers l’absent, et de l’amour en général, pour succomber jamais à la tentation. Notons aussi que la fréquentation des dames de petite vertu aidait Brahms à garder son équilibre. Par la suite, il devait lui arriver plus d’une fois d’aimer et d’être aimé, d’être tenté par le mariage et cette vie de famille qui avait pour lui tant d’attraits. Il rompit toujours au dernier moment, sous divers prétextes, non sans downloadModeText.vue.download 125 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 119 déchirement, redoutant en fait de perdre l’indépendance qu’il jugeait indispensable à lui-même et à l’accomplissement de son oeuvre. Mais la tendre amitié qui le liait à Clara Schumann, son aînée de quatorze ans, dura toute leur vie ; Brahms l’accompagna dans ses tournées, et l’on ne saurait sous-estimer la part que prit la grande pianiste à la diffusion de sa musique. DE HAMBOURG À VIENNE. Cette douloureuse épreuve n’avait pas empêché Brahms d’approfondir ses connaissances musicales et littéraires, ni de donner des concerts en Allemagne du Nord, seul ou avec Joachim. En 1857, il sollicita et obtint le poste de chef des choeurs à la cour du prince de Lippe, à Detmold, poste qu’il devait occuper jusqu’en 1859, non sans poursuivre son activité de compositeur et de concertiste. En janvier 1859 eut lieu à Hanovre la première audition du concerto no 1 op. 15 en ré mineur pour piano. Ce fut un succès d’estime, que suivit, cinq jours plus tard, un fiasco complet à Leipzig. Une troisième audition à Hambourg, en mars, fut accueillie de manière à le consoler de cet échec, mais il allait délaisser la musique orchestrale au profit du lied et de la musique de chambre pendant les deux années suivantes, après avoir démissionné de ses fonctions de musicien de cour, décidément incompatibles avec son caractère extrêmement timide. Ces deux années, Brahms les passa à Hambourg, dans l’espoir toujours déçu que ses concitoyens lui offriraient un poste officiel. Ou, plus exactement, il fit de Hambourg son port d’attache, d’où il s’éloigna fréquemment pour des séjours plus ou moins longs à Hamm (un village des environs), dans le Harz, à Oldenbourg, à Cologne, etc. En fait, depuis qu’il ne vivait plus chez ses parents, Brahms n’avait jamais passé et ne devait jamais passer six mois au même endroit, pas même à Vienne où il allait bientôt trouver son point de chute définitif. À la fin de 1862, las d’attendre, Brahms se rendit à Vienne, où il bénéficia d’un accueil qui passa ses espérances, notamment de la part du célèbre critique Hanslick. Il avait 30 ans. En pleine possession

de ses moyens pianistiques, il multiplia les concerts et en profita pour imposer ses propres compositions, dont les Variations et fugue sur un thème de G. Fr. Haendel pour piano, que Clara avait créées en 1861. Le 6 février 1864, il eut une cordiale entrevue avec R. Wagner aux environs de Vienne. Un peu plus tard, il rencontrait le « roi de la valse », Johann Strauss, près de Baden-Baden. De 1866 à 1868, ses tournées le conduisirent jusqu’en Hollande, à Presbourg, Budapest, Copenhague et en Suisse, où il devait souvent retourner. De cette période d’intense activité datent le Requiem allemand et la Rhapsodie pour alto, choeur d’hommes et orchestre. En 1870, Brahms fit la connaissance de l’éminent pianiste et chef d’orchestre Hans von Bülow, que Wagner venait de trahir en lui prenant sa femme Cosima, la fille de Liszt. Hans von Bülow allait bientôt se faire l’un des plus actifs propagandistes de son nouvel ami. 1872, UN TOURNANT DANS LA CARRIÈRE DE BRAHMS. Nommé directeur de la Société des amis de la musique à Vienne, le compositeur décida de louer un véritable appartement, son premier et dernier domicile fixe puisqu’il devait y mourir. Il exerça avec conscience et succès ses fonctions à la tête des grands concerts viennois, et, s’il démissionna en 1875, c’est qu’il estimait avoir encore mieux à faire dans le domaine de la composition. D’ailleurs, l’indépendance matérielle lui était désormais acquise. Les droits d’auteur gonflaient son compte en banque d’autant plus qu’il y touchait à peine, ses cachets de concertiste suffisant à son modeste train de vie de célibataire que le luxe ne tentait pas. Cependant, le rythme de son existence allait être toujours à peu près le même, partagé entre les concerts pendant la saison d’hiver et, l’été, quelque retraite en pleine nature où rien ne venait le distraire de la composition. C’est au bord du lac de Starnberg, en Bavière, qu’il acheva les Variations sur un thème de J. Haydn ; à Rügen, village de pêcheurs sur la mer du Nord, il termina la symphonie no 1 en ut mineur ; à Pörtschach, en Carinthie, il composa la symphonie no 2 en ré majeur, le concerto pour violon, créé, naturellement, par Joachim, la première sonate pour violon et piano et les deux Rhapsodies pour piano. Au fil des années, la part du concertiste se réduisit.

Brahms, qui n’avait jamais aimé le métier de virtuose (de l’avis de tous les témoins, y compris Clara Schumann, il jouait beaucoup mieux en petit comité qu’en public), délaissa le piano au profit de la direction d’orchestre. En 1874, le roi Louis II de Bavière lui décerna l’ordre de Maximilien en même temps qu’à Richard Wagner, son aîné de vingt ans. Si l’on songe à ce que représentait Wagner pour le jeune souverain, cette distinction donne la mesure de la réputation que Brahms avait acquise. En 1877, il fut aussi nommé doctor honoris causa de l’université de Cambridge, mais refusa obstinément de franchir le détroit pour revêtir la toge. Au printemps de 1878, Brahms visita l’Italie, pays qu’il aimait beaucoup, jusqu’en Sicile, escorté de son ami Billroth, un éminent chirurgien suisse qui le connaissait bien. Brahms se rendit souvent au-delà des Alpes. En 1879, c’est l’université de Breslau qui, à son tour, le nommait doctor honoris causa ; il la remercia en lui dédicaçant l’Ouverture académique, composée l’année suivante, ainsi que l’Ouverture tragique, non pas à Pörtschach, mais à Ischl, où il était plus tranquille. Entre-temps, le triomphe de sa symphonie no 2, à Hambourg, lui avait donné la satisfaction d’être enfin apprécié dans sa ville natale. Les années suivantes, jusqu’en 1885, furent dominées par son intense collaboration avec Bülow, qui venait de réorganiser l’orchestre du duc de Saxe-Meiningen et en avait fait l’un des meilleurs d’Allemagne. C’est Bülow qui lança le slogan flatteur des « trois B » (Bach-Beethoven-Brahms) ; il établit ses programmes en conséquence et partagea la baguette avec Brahms dans de brillantes tournées. Les troisième (fa majeur) et quatrième (mi mineur) symphonies, le deuxième concerto pour piano en si bémol majeur (achevé à Florence) datent de cette époque. Puis Bülow, surmené, peut-être agacé par la tranquille assurance de son collaborateur, se fâcha avec lui et donna sa démission. La brouille devait durer jusqu’en 1887. LE BRAHMS LÉGENDAIRE. Aux approches de la cinquantaine, Brahms s’était laissé pousser la barbe et apparaissait désormais tel que le représente l’iconographie classique. L’embonpoint aidant, son côté « gros ours » s’en trou-

vait accentué. La physionomie ouverte était bien celle d’un bon vivant, gros mangeur, franc buveur et grand amateur de cigares et de café, doué d’une santé de fer et d’une résistance peu commune. Sportif à sa manière, il plongeait au petit matin dans les eaux glacées du lac de Starnberg et couvrait à pied des distances invraisemblables. En société, c’était un bouteen-train d’une bonne humeur inaltérable, partout accueilli à bras ouverts, bien que son franc-parler eût parfois la dent dure. Ses tourments intimes, il les gardait pour lui et les exorcisait par la musique, avec la pudeur qui caractérisait toutes ses actions et principalement les bonnes. Antón Dvořák, qui végétait misérablement à Prague, n’a jamais caché ce que sa carrière ultérieure devait à la générosité de Brahms. Mais bien d’autres personnes on ne le sut qu’après sa mort - avaient bénéficié d’une pareille munificence. C’est sous son aspect le plus débraillé que Brahms passa les étés de 1886, 1887 et 1888, en vue du lac de Thoune et de la Jungfrau ; dans ce site qui l’enchantait, il composa le double concerto pour violon, violoncelle et orchestre, les sonates pour violon en la majeur et ré mineur, la sonate no 2 pour violoncelle, son quatrième trio, bon nombre de choeurs et de lieder, et les Onze Chants tziganes. Il y reçut la visite de la jeune cantatrice Hermine Spies, pour qui il éprouva un tendre sentiment et qui contribua à l’inspirer. Mais cette idylle tardive ne devait pas plus aboutir que les downloadModeText.vue.download 126 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 120 autres ; et Brahms n’écrivit plus de lieder avant les Quatre Chants sérieux (1896), son chant du cygne. Le séjour d’Ischl, son ancienne résidence d’été, où il allait séjourner chaque année à partir de 1889, ne fut pas aussi fécond sur le plan musical : on ne peut y rattacher que les Intermezzi et Caprices op. 116 et 117. Qu’il fût là ou ailleurs, et bien qu’il continuât de manifester une prodigieuse vitalité quand il s’agissait de faire bombance entre amis ou de participer à des excursions périlleuses en Suisse ou en Sicile, quelque chose s’était brisé en lui. Une série de deuils et autres chagrins n’y

furent sans doute pas étrangers. DOULEURS ET SOLITUDE. En 1891, année du merveilleux quintette en si mineur op. 115 et du trio op. 114 pour clarinette et cordes, se produisit une brouille avec Clara Schumann, vieillie, malade et aigrie. L’année suivante, il perdit sa soeur Élise et se fâcha avec son ami Billroth à propos de Massenet, dont il détestait la musique. En 1893, réconcilié avec Clara, il se réfugia en Italie pour se soustraire aux festivités organisées pour son 60e anniversaire. Mais au lieu de le célébrer le 7 mai à Venise, comme il en avait l’intention, il le passa à Messine au chevet d’un de ses compagnons, le poète Widmann, qui s’était brisé la cheville. En 1894 disparaissaient successivement Billroth, Bülow et le musicologue Alfred Spitta, dont la mort l’affecta profondément. Brahms, comme Mozart, avait heureusement rencontré « son » clarinettiste, et c’est ainsi que sa musique de chambre, un des domaines les plus riches et inspirés de son oeuvre (sonates ; trios, quatuors, quintettes souvent avec piano ; sextuors à cordes), se trouve enrichie d’un trio en la mineur, du quintette et de deux sonates, qui devaient être pratiquement ses dernières oeuvres avant les tragiques et prémonitoires Chants sérieux op. 121. Ce clarinettiste, nommé Richard von Mühlfeld, Brahms l’avait remarqué parmi les musiciens du duc de Saxe-Meiningen. En mai 1896, Brahms arriva à Bonn après quarante heures de chemin de fer pour enterrer Clara Schumann. Dès le mois suivant, sa magnifique santé l’abandonna. Il perdit l’appétit, maigrit et s’affaiblit jusqu’au 3 avril de l’année 1897, où il succomba à un cancer du foie et rejoignit au cimetière de Vienne ses confrères Mozart, Beethoven et Schubert. BRAHMS, « NOUVEAU MESSIE DE L’ART ». Deux séries de faits ont longtemps empêché une juste appréciation de la grandeur et du caractère « avant-gardiste » de la musique de Brahms : d’une part, les controverses qui, dans la seconde moitié du XIXe s., opposèrent les tenants de la « musique de l’avenir » (Wagner et Liszt) à ceux pour qui les grandes formes instrumentales héritées du passé n’étaient pas épuisées, et, qui, plus d’une fois, tentèrent

d’enrôler Brahms sous leur bannière ; d’autre part, les liens évidents de Brahms avec le passé, reflétés tant dans ses oeuvres que dans l’admiration qu’il porta à des maîtres anciens, en son temps, inconnus ou tenus pour négligeables. Paradoxalement, ce second facteur est le principal fondement de la grandeur de Brahms et de son importance pour la musique du XXe siècle. Schönberg le vit bien, il fut le premier à se réclamer à la fois de Wagner et de Brahms. À la différence de ses prédécesseurs immédiats, Brahms s’intéressa au passé de façon vitale, un passé qui, pour lui, ne s’arrêtait pas à Bach, mais remontait jusqu’aux polyphonistes de la Renaissance, voire jusqu’aux origines du lied allemand. À son époque, il fut à peu près le seul à vouer un culte à Haydn, et ses séries de variations sur des thèmes de Haendel (pour piano) ou de Bach (finale de la symphonie no 4) furent les premières oeuvres importantes depuis la Renaissance à puiser leurs thèmes chez des compositeurs disparus depuis des lustres. Cela n’empêcha pas l’ombre de Beethoven d’avoir sur lui des effets parfois inhibants, qui le poussèrent à détruire de nombreuses partitions d’une qualité probablement comparable à celle d’autres qu’il jugea dignes de survivre, ou à attendre la quarantaine pour se faire connaître comme auteur de quatuors à cordes, puis de symphonies. Mais, de cette attitude fondamentale, plus intense et plus vivifiante chez lui que chez n’importe quel autre compositeur avant le XXe siècle, de cette attitude qui explique largement (tout en les réduisant à l’état de péchés véniels) les citations ou quasi-citations que contient sa musique, Brahms tira un sens de l’ordre et de l’architecture. Cette rigueur est d’autant moins réactionnaire qu’elle alla de pair avec une liberté et une invention linéaire et rythmique toutes novatrices, même révolutionnaires - son écriture harmonique n’est pas exempte d’audaces, mais, contrairement à celle de Wagner, elle apparaît toujours fonctionnelle, génératrice de formes au sens classique. Les superpositions et les oblitérations rythmiques existent chez Brahms, au point de parfois annihiler le sens de la barre de mesure, mais présentent en soi un haut degré d’organisation, où d’aucuns ont vu l’annonce du principe de la modulation métrique cher à Elliott Carter, ou, plus généralement, « la source

de la structure polyrythmique de bien des partitions contemporaines » (Schönberg). Tout aussi important est le fait que, pardelà sa complexité rythmique (ou plutôt de pulsation), la densité de sa polyphonie linéaire et la richesse de ses relations motiviques, la musique ne perd jamais le sens de la direction, en particulier à cause du soin que le compositeur prit à conserver à ses lignes de basse agilité et mobilité. Brahms fut un admirable coloriste, en particulier dans la demi-teinte, mais il préféra toujours la substance au brillant extérieur et, après Bach et Haydn, il s’imposa comme le troisième grand artisan (au sens le plus noble du terme) de l’ère classicoromantique en Allemagne. D’où, malgré la splendeur de ses symphonies ou de ses concertos, ses trois domaines d’élection, tous synonymes d’intimité : le piano, la musique de chambre et le lied (il n’aborda ni le poème symphonique ni l’opéra). Le sextuor à cordes la Nuit transfigurée de Schönberg (1899) provient de Brahms autant que de Wagner, et c’est avec pertinence qu’Adorno a fait remarquer que Schönberg ne se serait jamais détourné de la pompe de son temps s’il n’avait puisé dans l’écriture « obligée » des quatuors à cordes de Brahms. Tout cela étant admis, il faut se garder de qualifier Brahms, ce Nordique attiré par Vienne, par les Tziganes et par l’Italie, de conservateur sur le plan esthétique (par opposition à son langage). Chez lui, esthétique et langage ne font qu’un. Comme nul autre à son époque, il réussit d’une part à mettre en rapport la science musicale la plus élaborée et les origines populaires de son art, d’autre part à « énoncer clairement cela même qui ne se conçoit qu’à peine et qui vit en nous obscurément en des régions où la raison n’a pas de prise... Il est probable que, sans sa science de l’écriture, Brahms se fût perdu, égaré dans sa propre forêt, étouffé par ses propres ombres, [alors que] la mélancolie la plus vague, les désirs les plus ambigus, les mouvements les plus flottants, les plus changeants, les plus indéfinis du coeur, s’expriment dans le langage le plus net, le contrepoint le plus clair qui soient » (Romain Goldron). Si, comme d’autres musiques postérieures (Mahler, Alban Berg), la musique de Brahms évoque globalement un paradis perdu, elle reste la première à avoir fait sienne cette démarche, et la seule à baigner dans la nostalgie

avouée de ce paradis, dans le regret avoué d’être née trop tard. Le paradis perdu était encore proche : d’où la possibilité de la démarche de Brahms, qui ne pouvait qu’exclure les « feux et tonnerres » d’un Berlioz et qui explique aussi les côtés lucidement désabusés, amers parfois, de l’homme et du musicien. Brahms ne songea jamais, comme avant lui Schumann ou après lui Mahler, à se lancer à la poursuite d’un idéal inaccessible. Cela éclaire les réserves qu’il suscita, mais aussi sa position unique dans la musique germanique du XIXe siècle. downloadModeText.vue.download 127 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 121 BRAILLE (Louis), organiste français (Coupvray, Seine-et-Marne, 1809 - Paris 1852). Devenu aveugle à l’âge de trois ans, il fit ses études à l’Institution des aveugles à partir de 1819 et fut élève de Jean-Nicolas Marrigues. En 1833, il fut nommé organiste à Notre-Dame-des-Champs, puis, de 1834 à 1839, à Saint-Nicolas-des-Champs, et ensuite à l’église des Missionnaires-Lazaristes. Il fut aussi professeur à l’Institut national des jeunes aveugles et inventa un nouveau système d’écriture, qui est maintenant universellement employé tant pour les textes que pour la musique. BRǍILOIU (Constantin), ethnomusicologue roumain (Bucarest 1893 - Genève 1958). Il étudia à Vienne et à Paris, où il fut élève de Gédalge. Professeur à l’Académie de musique de Bucarest, il fonda, avec Enesco, la Société des compositeurs roumains. En 1928, il créa à Bucarest les Archives du folklore, puis, en 1944, à Genève, les Archives internationales de musique populaire. Il se fixa, en 1948, à Paris, où il fut nommé maître de recherches au C.N.R.S. Ses travaux (ouvrages écrits, éditions phonographiques du musée de l’Homme, de l’Unesco), d’une rigueur scientifique exemplaire appuyée sur des connaissances musicales très complètes, ont rénové les méthodes de l’ethnomusicologie. Pour une bibliographie de l’oeuvre de C. Brailoiu, on peut consulter le travail d’André Schaeffner, Bibliographie des travaux de

Constantin Brailoiu (Revue de musicologie, 1959). BRAIN (Dennis), corniste anglais (Londres 1921 - Hatfield 1957). Élève de son père, Aubrey Brain, il s’imposa comme l’un des meilleurs cornistes de sa génération et comme un soliste de renommée internationale, avant sa mort tragique, dans un accident de voiture, à l’âge de 36 ans. Sa beauté de timbre ainsi que sa maîtrise technique demeurent légendaires. De nombreuses oeuvres ont été composées à son intention comme la Sérénade pour ténor, cor et cordes de Britten ; le trio op. 44 pour violon, cor et piano de Berkeley, et des concertos écrits par Gordon Jacob, Élisabeth Lutyens, Hindemith, etc. BRANLE. Danse française dont l’origine remonte au Moyen Âge, mais qui a connu une grande vogue au XVIe s. et au siècle suivant. La plupart des branles sont de mesure binaire ; d’autres, dits branles gais, peuvent être ternaires. Quant à la danse elle-même, il s’agit de former une chaîne et de se déplacer non en avant mais latéralement. Un grand nombre de branles (simples, doubles, de Bourgogne, etc.) ont été publiés à Paris au XVIe siècle par Attaignant (en particulier ceux de Claude Gervaise) et par Du Chemin. BRANT (Henry Dreyfus), compositeur américain (Montréal 1913). D’abord élève de son père, violoniste professionnel, il étudia ensuite au conservatoire de l’université McGill. En 1929, il s’établit avec sa famille à New York, où il continua ses études à l’lnstitute of Musical Art et à la Juilliard School, ainsi qu’avec Wallinford Riegger, George Antheil et Fritz Mahler. Dans les années 30, il fut orchestrateur et arrangeur pour Benny Goodman, puis composa et dirigea des oeuvres radiophoniques, des ballets et de la musique de film à Hollywood, New York et en Europe. Il a enseigné à l’université Columbia (1945-1952), à la Juilliard School (1947-1954), et professe à Bennington College depuis 1957. Influencé par Charles Ives, Brant a écrit,

outre ses musiques de film et de théâtre, une bonne centaine d’oeuvres ayant volontiers recours à des sonorités insolites, comme dans Angels and Devils, concerto pour flûte avec un orchestre de piccolos, flûtes, et flûtes alto (1931, première audition en 1933). À partir des années 50, en réaction contre les musiques ne faisant référence qu’à « un seul style », il s’est systématiquement attaché à « confronter, entre eux, deux (et de préférence davantage) types de musique entièrement différents - d’où des combinaisons aussi hétérogènes que celles suggérant à la fois un ensemble dixieland, un gamelan balinais et un cortège militaire ». De là l’intérêt du compositeur pour les musiques « spatiales » et les oeuvres faisant appel à « deux groupes au moins, chacun conservant son propre style, irréductible au style des autres groupes, ainsi que ses propres schémas rythmiques, harmoniques et instrumentaux, en fonction de sa propre position, spécifique et isolée, dans la salle. Il n’y a pas d’échange de style ni de matériau de groupe à groupe ». Ces conceptions sont illustrées par Grand Universal Circus (1956), Voyage 4 (1963) ou encore Windjammer (1969). BRASSART (Johannes), compositeur flamand, originaire du diocèse de Liège (XVe s.). Il est mentionné en 1422 à Saint-Jeanl’Évangéliste à Liège où il fut succentor (« sous-cantor ») en 1423. Comme beaucoup de ses compatriotes, il visita l’Italie ; il fut, en effet, chantre à la chapelle papale d’Eugène IV (1431). Puis il regagna son pays natal, exerça jusqu’en 1434 les fonctions de chapelain à Saint-Lambert de Liège et, à partir de 1438, celles de chantre à Notre-Dame de Tongres où il fut également chanoine. En 1443, on le retrouve chantre principal de l’empereur Frédéric III, et sans doute était-ce à cette époque qu’il écrivit sa paraphrase à 3 voix du cantique allemand Christ ist erstanden (« le Christ est ressuscité »). Il ne nous a laissé que des oeuvres religieuses (pièces à 3 voix dont 5 motets et des mouvements de messe ; 5 motets à 4 voix), où il tente de ne pas sacrifier l’expression - on peut même parler, à son sujet, de grâce et de délicatesse - à son goût pour une écriture contrapuntique soignée. BRASSEUR (Élisabeth), chef de choeur

français (Verdun-sur-Meuse 1896 - Versailles 1972). Elle commença à travailler la musique avec son grand-père, organiste à la cathédrale de Verdun, puis étudia le chant et le piano au conservatoire de Versailles. C’est dans cette ville qu’elle fonda, en 1920, la Chorale féminine de l’église Sainte-Jeanned’Arc qui, devenue mixte, prit, en 1943, le nom de chorale Élisabeth-Brasseur. Celle-ci devint l’une des plus célèbres formations françaises, participant à des centaines de concerts et de représentations d’opéras, créant des oeuvres de Honegger (Cantate de Noël), Florent Schmitt, Claude Delvincourt, Jacques Charpentier, Charles Brown, etc., et apportant régulièrement son concours, en particulier, au festival d’Aix-en-Provence. Après la mort d’Élisabeth Brasseur, la formation qui porte son nom a poursuivi ses activités sous la direction de Catherine Brilli. BRAUNFELS (Walter), pianiste et compositeur allemand (Francfort-sur-leMain 1882 - Cologne 1954). Il fut l’élève, pour le piano, de James Kwast à Francfort et de Leszetycki à Vienne, et, pour la composition, de Ludwig Thuille à Munich, ville où il vécut jusqu’en 1925. Il devint alors codirecteur avec Hermann Abendroth de la Staatliche Hochschule für Musik de Cologne, mais il fut congédié en 1933, et l’exécution de ses oeuvres fut interdite en Allemagne jusqu’en 1945. De 1945 à 1950, il retrouva la direction de l’école de musique de Cologne. Ses oeuvres relèvent d’une esthétique post romantique, mais avec une harmonie parfois fort peu conventionnelle. Il a composé des oeuvres symphoniques et concertantes, de la musique pour piano, un quintette et trois quatuors à cordes, des oeuvres chorales religieuses, des lieder et une douzaine d’opéras dont il écrivit en général lui-même les livrets. BREAM (Julian), guitariste et luthiste anglais (Londres 1933). Élève de son père, il se produisit en public pour la première fois à l’âge de douze ans et reçut les conseils d’Andrés Segovia. Il acquit bientôt une réputation mondiale. downloadModeText.vue.download 128 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 122 Au luth, il s’est spécialisé dans le riche répertoire des XVIe et XVIIe siècles, notamment dans les oeuvres de Dowland, où il lui arrive fréquemment d’accompagner des chanteurs. Virtuose de la guitare, Julian Bream interprète le répertoire habituel ; de plus, maintes oeuvres ont été composées à son intention, par exemple les mélodies de Britten Songs from the Chinese avec accompagnement de guitare. BREBOS, famille de facteurs d’orgues flamands (fin du XVIe s.). Ils émigrèrent en Espagne à l’invitation de Philippe II, en 1579. Gilles Brebos construisit les orgues à Louvain et à Anvers, puis les quatre orgues du palais royal de l’Escurial et de petits instruments pour la famille régnante d’Espagne. L’un de ses quatre fils, Hans, établit des orgues à Madrid et à Tolède (cathédrale). BRECHT (Bertolt), auteur dramatique allemand (Augsbourg 1898 - Berlin 1956). La collaboration avec des musiciens se situe au coeur de sa production. Pour lui, ajoutée au texte, la musique, par sa seule présence, constituait une attaque contre l’atmosphère étroite, lourde et visqueuse des drames impressionnistes. Il écrivit des textes d’opéras mis en musique par Kurt Weill (l’Opéra de quat’sous, Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny, Celui qui dit oui, celui qui dit non) et Paul Dessau (le Procès de Lucullus). Avec Weill et le chorégraphe Balanchine, il conçut le ballet les Sept Péchés capitaux des petitsbourgeois. Pour Weill, Dessau, Hans Eisler, Hindemith, Brecht écrivit les textes de sorte de cantates et de songs, forme qui ne s’apparente guère à la chanson occidentale en général, française en particulier, ni même avec le couplet de la chanson, aiguisée d’une pointe politique, du XIXe siècle. Le song est une arme plus acérée, qui évoque sans fard la condition ouvrière, qui stigmatise le mal, la misère, la cruauté, la bêtise. Dans les pièces de Brecht, les parties chantées retournent les situations, démasquent les personnages, procurent un point de vue nouveau (auquel correspond d’ailleurs un éclairage scénique particulier durant le chant), commentaire critique, souvent cruel, de l’action, trait de clarté orientant le spectateur. On doit

aussi à Brecht un changement dans la façon d’envisager le chant, car il prit des acteurs, des danseurs et les fit passer du parler, du geste au chanter. BREGENZ. Ville d’Autriche sur le lac de Constance, capitale du Vorarlberg, abritant chaque été depuis 1956 un festival d’opéras et d’opérettes. Certaines représentations sont données sur un scène édifiée sur le lac même (Seebühne). BREITKOPF, famille d’éditeurs de musique allemands. La firme fut fondée, à Leipzig, en 1719, sur les bases d’une imprimerie remontant à 1542 par Bernhard Christoph Breitkopf (1695-1777). Elle imprima notamment des oeuvres de Leopold Mozart, Telemann et Carl Philipp Emanuel Bach. Gottlob Immanuel (1719-1794), fils du précédent, développa l’entreprise tout en faisant paraître, chaque année ou presque, de 1762 à 1787, un précieux catalogue thématique des oeuvres manuscrites ou imprimées qu’il avait en magasin (rééd. par Barry S. Brook, New York, 1966). Son fils Christoph Gottlob (1750-1800) s’associa en 1795 avec Gottfried Christoph Härtel (1763-1827), la maison devenant alors Breitkopf und Härtel. Härtel lui donna un second souffle en fondant la célèbre revue Allgemeine Musikalische Zeitung (17981848), en lui adjoignant une fabrique de pianos (1807) et en entreprenant l’édition des « oeuvres complètes » de Mozart, Haydn, Clementi et d’autres musiciens. Breitkopf und Härtel publia également plusieurs ouvrages de Beethoven. Gottfried Christoph Härtel eut comme successeurs ses deux fils, Hermann (1803-1875) et Raimund (1810-1888), et ceux-ci, privés d’héritiers mâles, leurs neveux (fils de leurs deux soeurs) Wilhelm Volkmann (1837-1896) et Oskar von Hase (18461921). Suivirent, de génération en génération, Ludwig (1870-1947), Wilhelm (18981939) et Joachim (1926) Volkmann, et les fils d’Oskar von Hase, Hellmuth (18911979) et Martin (1901-1970). Leur frère Hermann von Hase (1880-1945) joua un rôle de 1910 à 1914. La maison, qui, au XIXe siècle, avait compté parmi les fondateurs de la Bach-Gesellschaft et publié les oeuvres complètes de Bach, possédait pro-

bablement à la veille de la dernière guerre le fonds musical le plus important du monde. Une grande partie de ses archives et de son matériel devait malheureusement disparaître dans un bombardement de Leipzig en 1943. Après la guerre, elle s’est retrouvée divisée du fait de la partition de l’Allemagne : l’ancienne maison mère, nationalisée en 1952, subsiste à Leipzig comme entreprise d’État, tandis qu’une filiale fondée à Wiesbaden en 1945 y existe depuis 1947 comme établissement indépendant. Après la réunification, le siège principal de la maison est demeuré à Wiesbaden, avec des filiales à Leipzig et à Paris. La direction est assurée depuis 1979 par Liselotte Sievers (1928), fille de Hellmuth von Hase, auparavant assistante de son père et de Joachim Volkmann. BRELET (Gisèle), philosophe et critique musicale française (Fontenay-le-Comte, Vendée, 1919 - La Tranche-sur-Mer, Vendée, 1973). Élève du Conservatoire de Paris et de la Sorbonne, elle soutint en 1949 une thèse sur le temps musical. Les structures temporelles de la musique et les problèmes d’interprétation, qui leur sont liés, ont fait l’objet d’une grande partie de ses recherches. En 1951, elle créa la Bibliothèque internationale de musicologie (Paris), remarquable collection d’ouvrages d’histoire et d’esthétique musicales. Ses principaux écrits sont : Esthétique et Création musicale (Paris, 1947) ; l’Interprétation créatrice (2 vol., Paris, 1951) ; Béla Bartók, Musique contemporaine en France in Histoire de la musique (« Encyclopédie de la Pléiade », t. II, 1963). BRENDEL (Alfred), pianiste autrichien (Loučná nad Desnau, Moravie, 1931). Il fit ses études avec Sofija Dezelic, Ludovika von Kaan, le compositeur Arthur Michl, Paul Baumgartner, Eduard Steuermann et Edwin Fischer. Il se fit, dès ses débuts, le champion d’oeuvres en marge du grand répertoire : Schubert, à l’époque encore peu joué, Busoni, Schönberg, les oeuvres les moins connues de Liszt. Aussi lui a-t-il fallu de longues années pour connaître la popularité. L’art de Brendel, nourri de profondes réflexions, est hypersensible, ses interprétations sont inspirées et imprévisibles, quoique profondément respectueuses des partitions. Il est célèbre surtout pour ses interprétations de Schu-

bert, mais aussi de Beethoven et de Liszt. Son ouvrage Réflexion sur la musique a été traduit en français (Paris, 1979). BRENET (Marie Bobillier, dite Michel), musicologue française (Lunéville 1858 Paris 1918). Venue s’établir à Paris, en 1871, afin de se consacrer à l’histoire de la musique, elle collabora à plusieurs publications et écrivit de nombreux ouvrages sur les sujets les plus divers sans vouloir étudier une époque bien déterminée. Pour illustrer l’étendue de ses travaux, voici un choix des thèmes traités : Grétry, Deux Pages de la vie de Berlioz (1889), J. de Ockeghem (1893), Sébastien de Brossard (1896), Goudimel, Palestrina, Haendel, Haydn, ainsi que des sujets plus généraux tels que la Musique militaire, les Concerts en France sous l’Ancien Régime et les Musiciens de la Sainte-Chapelle du Palais (1910). BRENTA (Gaston), compositeur belge (Schaerbeek, près de Bruxelles, 1902 Bruxelles 1969). Élève de Paul Gilson et membre du groupe des Synthétistes, il entra en 1931 à l’Institut national de radiodiffusion belge où il occupa diverses fonctions et où son downloadModeText.vue.download 129 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 123 action fut grande en faveur de la musique contemporaine. Son style néoromantique unit à un goût particulier pour l’exotisme un sens de la mélodie ample et expressive, essentiellement tonale et parfois pimentée de dissonances imprévues. Brenta a composé, notamment, de la musique d’orchestre, dont une symphonie et un concerto pour piano, des ballets, de la musique de chambre, un Requiem, la Passion de Notre-Seigneur (1949), des mélodies et des choeurs a cappella. BRESGEN (Cesar), compositeur autrichien (Florence 1913 - Salzbourg 1988). Tout en occupant un poste d’organiste à Munich, il étudia à l’Akademie für Toukunst avec Emanuel Gatschner (orgue) et avec Joseph Haas (composition). En 1939, Clemens Krauss l’appela au Mozarteum de Salzbourg pour ensei-

gner la composition. Dans ses oeuvres se révèlent les influences du folklore allemand, de la musique baroque, de Reger et de Stravinski. Bresgen a composé de la musique symphonique, dont la Frescobaldi-Symphonie (1953), des concertos, de la musique de chambre, onze opéras, dont certains destinés à un public d’enfants, des cantates et de nombreux choeurs, des cycles de lieder et un Requiem pour Anton Webern (1945). BRETÓN Y HERNÁNDEZ (Tomás), compositeur espagnol (Salamanque 1850 Madrid 1923). Il fit ses études à Salamanque, puis avec Arrieta à Madrid où, en 1901, il fut nommé professeur de composition au conservatoire royal. Pablo Casals et Manuel de Falla furent ses élèves. Bretón fut également chef d’orchestre, théoricien et directeur de plusieurs scènes lyriques. On lui doit de la musique de chambre très soignée et harmoniquement très audacieuse pour l’époque (un trio en mi, 3 quatuors à cordes, un quintette avec piano, un sextuor pour instruments à vent), un concerto pour violon dédié à la mémoire de Sarasate, de la musique symphonique de caractère descriptif, méritant souvent le qualificatif de « préimpressionniste » (Scènes andalouses, Salamanque, À l’Alhambra), et un oratorio, l’Apocalypse (1882). Mais Bretón doit surtout sa renommée à une dizaine d’opéras (Los Amantes de Teruel, 1889 ; La Dolores, 1895 ; Raquel, 1900 ; etc.) et davantage encore à une trentaine de zarzuelas, dont La Verbena de la paloma (1894). Dans ces deux genres, il s’évade, au moins en partie, du style italianisant à la manière d’Arrieta pour réaliser un type d’ouvrages lyriques spécifiquement espagnol, adaptant à la langue castillane une ligne mélodique, qui en souligne les inflexions avec naturel. BRÉVAL (Bertha Agnès Schilling, dite Lucienne), soprano française (Berlin 1869 Neuilly-sur-Seine 1935). Elle étudia le piano aux conservatoires de Lausanne et de Genève, puis le chant à celui de Paris. Elle débuta à l’Opéra de Paris, en 1892, dans le rôle de Selika de l’Africaine de Meyerbeer, et fit une carrière internationale, tout en demeurant essentiellement fidèle à l’Opéra de Paris, où elle

fut la créatrice, notamment de trois rôles wagnériens : Brünnhilde (la Walkyrie), Eva (les Maîtres chanteurs de Nuremberg), Kundry (Parsifal). Elle participa à plusieurs créations mondiales, dont celle de Pénélope de Fauré, en 1913, à Monte-Carlo. Elle se retira, en 1921, pour se consacrer à l’enseignement. Valentine dans les Huguenots de Meyerbeer et Chimène dans le Cid de Massenet furent deux autres rôles célèbres de cette chanteuse à la voix ample et au timbre splendide. BRÉVAL (Jean-Baptiste), violoncelliste et compositeur français (Paris 1756 Chamouille, Aisne, 1825). Soliste virtuose, il se produisit souvent au Concert spirituel. Il fut aussi renommé pour ses qualités de pédagogue et de compositeur. Il publia un Traité du violoncelle (Paris, 1804). Son oeuvre, très abondante, d’une écriture élégante et habile, mais sans profondeur, garde un intérêt pédagogique. Elle comprend des concertinos, concertos, symphonies concertantes, des quatuors, duos, sonates et autres pièces de musique de chambre. BRÈVE. 1. Valeur de note depuis longtemps en désuétude, mais qui s’est maintenue dans les solfèges jusqu’au milieu du XXe siècle en désignant paradoxalement la plus longue des valeurs écrites, avec en principe la valeur de deux rondes ; son signe de silence était le bâton entre les lignes 3 et 4 de la portée. Ce paradoxe s’explique par l’histoire. À la fin du XIIe siècle, dans les débuts de la notation proportionnelle, les deux seules valeurs étaient la longue et la brève. Par la suite, et dès le XIIIe siècle, on n’a cessé de subdiviser ces deux valeurs primitives, sans pour autant modifier leurs noms. Semi-brève, minime, fusa, semi-fusa sont apparues ; mais, au fur et à mesure, on transportait chaque fois sur les nouvelles valeurs le tempo moyen des anciennes, qui se sont trouvées ainsi de plus en plus allongées, de telle sorte que, dès le XVe siècle, la brève, sans cesser de s’appeler ainsi, se trouvait la plus longue des valeurs usuelles, l’ancienne longue ne servant plus guère que de note finale équivalant à un point d’orgue.

D’abord simple point noir, la brève s’est évidée au XIVe siècle pour devenir le carré de la notation blanche. Au XVIIe siècle, ce carré était devenu une ronde enserrée entre deux traits verticaux. Jusqu’au XVIIIe siècle, certains mouvements s’écrivaient exceptionnellement dans leurs valeurs antérieures plus longues, qui reprenaient alors leur tempo ancien plus rapide, ce que l’on appelait, selon les cas, alla breve ou alla semibreve. 2. En métrique, la brève, unité de scansion indivisible, se note par un demi-cercle ouvert vers le haut ( ). Ce signe est également utilisé dans la notation musicale grecque classique, mais généralement sous-entendu, seules étant notées les longues de diverses sortes. BRÉVILLE (Pierre Onfroy de), compositeur français (Bar-le-Duc 1861 - Paris 1949). D’abord destiné à la carrière diplomatique, il fit ses études musicales avec Théodore Dubois, puis avec César Franck. Il enseigna au Conservatoire de Paris et à la Schola cantorum et fut aussi critique musical et président de la Société nationale de musique. Wagnérien de la première heure, il ne refusa cependant pas l’influence de Franck et de Debussy. Son oeuvre se réclame d’une inspiration élégante et d’une grande vertu expressive, dont le meilleur témoignage est sans doute son cahier de mélodies (plus de cent). Bréville fut, avec d’lndy, Chausson, Coquard et SamuelRousseau, l’un des compositeurs qui terminèrent l’orchestration de l’opéra de Franck Ghisèle. Il a laissé également une Histoire du théâtre lyrique en France. BRIAN (Havergal), compositeur anglais (Dresden, Staffordshire, 1876 - Shoreham, Sussex, 1972). Largement autodidacte, il est surtout connu pour ses trente-deux symphonies, dont vingt-deux furent écrites à partir de 1954, et dix à partir de 1965. Beaucoup ne furent créées qu’après sa mort. La monumentale Première (1919-1927), dite The Gothic (pour chanteurs solistes, plusieurs choeurs dont un choeur d’enfants, quatre fanfares de cuivres et très grand orchestre), fut donnée pour la première fois par des amateurs en 1961 et par des

professionnels en 1966. Longtemps considéré comme perdu, son opéra The Tigers (1916-1919, orchestré en 1928-29) fut retrouvé en 1977 et créé à la BBC en 1983. Il pratiqua également la critique musicale. BRICEÑO (Luis de), guitariste espagnol (XVIIe s.). Il fit paraître en 1626, chez Ballard, à Paris, une Méthode très facile pour apprendre à jouer de la guitare espagnole contenant, outre les conseils techniques, un grand downloadModeText.vue.download 130 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 124 nombre de pièces, chansons, romances, d’une bonne qualité didactique et musicale. BRIDGE (angl. : « pont »). Phrase « B » d’un thème de jazz de type AABA, à fonction généralement modulante. On dit aussi middle-part. BRIDGE (Frank), compositeur anglais (Brighton 1879 - Eastbourne 1941). Élève de Charles Villiers Stanford pour la composition, il acquit une renommée d’interprète comme violoniste (il fut membre du quatuor Grimson), comme altiste (il fut membre du quatuor Joachim) et comme chef d’orchestre. Il eut l’occasion de diriger les grands orchestres londoniens et les principales formations des États-Unis. Comme compositeur, il fut d’abord influencé par le postromantisme et par Brahms, ce dont témoignent notamment ses premières mélodies et ses premières partitions de musique de chambre, parmi lesquelles son quatuor à cordes no 1 (1906), les fantaisies pour quatuor à cordes (1901), trio avec piano (1907) et quatuor avec piano (1910), la suite symphonique The Sea (1910-11) et le poème symphonique Summer (1914). La Première Guerre mondiale, au cours de laquelle il écrivit son 2e quatuor à cordes (1915), fut pour lui un choc et orienta sa production vers un modernisme qui n’excluait ni la polytonalité ni certaines rencontres avec l’univers d’Alban Berg,

et qui fit de lui, avec Vaughan Williams, le compositeur anglais le plus intéressant de sa génération. Inaugurée avec la sonate pour piano (1921-1924), cette nouvelle période créatrice fut marquée, entre autres, par les quatuors à cordes no 3 (1926) et no 4 (1937), le trio avec piano no 2 (1929), la rhapsodie symphonique Enter Spring (1927), le concerto élégiaque pour violoncelle et orchestre Oration (1930), la rhapsodie pour piano et orchestre Phantasm (1931), et par l’ouverture Rebus, sa dernière oeuvre achevée (1940). Son unique élève de composition fut Benjamin Britten. BRIDGETOWER (George Polgreen), violoniste anglais (Biala, Pologne, 1778 Peckham, Londres, 1860). Fils d’une mère européenne et d’un père antillais (d’après certaines rumeurs le Maure du prince Esterházy), il fit ses débuts au Concert spirituel, à Paris, le 13 avril 1789, puis passa en Angleterre, où, après avoir joué en même temps que Haydn à un concert de J. P. Salomon en 1791, il entra au service du prince de Galles. Il joua à Dresde en 1802 et 1803, et de là se rendit à Vienne, où Beethoven composa pour lui les deux premiers mouvements de la sonate pour piano et violon connue plus tard comme Sonate à Kreutzer. Ils les interprétèrent ensemble, avec un finale prévu à l’origine pour l’opus 30 no 1, le 24 mai 1803, et c’est sous cet aspect que l’ouvrage parut en 1805 sous le numéro d’opus 47. BRIDGMAN (Nanie), musicologue française (Angoulême 1910 - Paris 1990). Élève d’André Pirro, elle a consacré l’essentiel de ses travaux à la musique italienne des XVe et XVIe siècles. Elle est (ou a été) membre du comité de rédaction des Acta musicologica (Bâle), des Documenta musicologica (Kassel), de la Revue française de musicologie. Elle a effectué d’importants travaux pour le Répertoire international des sources musicales (R. I. S. M.) et a collaboré aux grandes publications françaises collectives (encyclopédies, dictionnaires). Son ouvrage la Vie musicale au quattrocento et jusqu’à la naissance du madrigal (Paris, 1964) témoigne de l’étendue de sa culture et de la profondeur de ses vues. Elle a signé aussi la Musique italienne (Paris, 1973).

BRINDISI (ital. : « toast », « brinde »). On baptisait ainsi, dans les opéras italiens du XIXe siècle, les airs entonnés par un personnage durant une fête pour porter un toast ; on en trouve par exemple dans Lucrèce Borgia de Donizetti et la Traviata de Verdi. BRISURES. Dans les instruments à cordes frottées, coup d’archet détaché qui consiste à attaquer alternativement 2 cordes éloignées. BRITTEN (Benjamin), compositeur anglais (Lowestoft, Suffolk, 1913 - Aldeburgh 1976). Naître le jour de la Sainte-Cécile ne pouvait être de mauvais augure, d’autant que Benjamin Britten garda toute sa vie une passion pour l’oeuvre de son grand prédécesseur Henry Purcell, qui, souvent, dans ses propres Odes, rendit hommage à cette protectrice de la musique. Dès ses premières années, Britten entra en contact avec la musique ; sa mère était secrétaire de la société chorale de Lowestoft. Il reçut l’éducation traditionnelle dans la bourgeoisie anglaise et, à l’âge de douze ans, commença à travailler avec Frank Bridge dont l’enseignement devait le marquer profondément. À 16 ans, il entra au Royal College of Music de Londres et étudia sous la direction de John Ireland (composition) et de A. Benjamin (piano). C’est là qu’il composa le Phantasy Quartet op. 2 avec hautbois et les variations chorales A Boy was born op. 3. Il ne faut pas oublier que, durant toute sa vie professionnelle, Britten demeura un remarquable pianiste, dans ses propres oeuvres, le plus souvent en tant qu’accompagnateur, mais aussi dans Mozart par exemple. Sa Sinfonietta op. 1 fut entendue lors d’un concert public en 1933. Après le Royal College of Music vinrent des commandes de la radio, du cinéma et la rencontre avec le poète W. H. Auden pour une série de créations communes. En 1937, on joua à Salzbourg les Variations on a theme by Frank Bridge op. 10 pour orchestre à cordes. Après la mort de sa mère (1938), inquiet du tour que prenait la situation poli-

tique en Europe, Britten partit pour les États-Unis (1939). Profondément antimilitariste, il trouva en Amérique la paix qui lui était nécessaire ; un désir impétueux de composer le posséda alors : les Illuminations ; Sinfonia da Requiem ; Sonnets of Michelangelo, etc. Il voulait s’expatrier, composer sur des textes autres qu’anglais, élargir ses horizons. Aux États-Unis, Britten atteignit sa maturité de compositeur et tenta un premier essai dans son domaine d’élection, l’opéra, avec Paul Bunyan op. 17, qu’il retira ensuite de son catalogue. En 1942, Britten prit une décision difficile : il décida de repartir pour l’Angleterre, où, réformé, il lui était accordé de poursuivre sa carrière de musicien. Avant son départ, Koussevitski lui demanda pourquoi il n’avait pas encore écrit d’opéra, Britten ayant déjà envisagé comme livret un poème de George Crabbe, Koussevitski lui proposa l’argent nécessaire. Après A Ceremony of Carols, oeuvre composée pendant son difficile voyage de retour vers l’Angleterre, il s’isola à Snape, et, à Sadlers Wells, son opéra Peter Grimes triompha le 7 juin 1945. Du jour au lendemain, Britten devint célèbre, inaugurant une ère nouvelle de la musique anglaise. Aussitôt, il abandonna momentanément le grand opéra traditionnel pour aborder un genre plus intime et difficile à réussir : l’opéra de chambre avec, d’abord, le Viol de Lucrèce (1946), Albert Herring (1947) [d’après un conte de Maupassant] et, plus tard, The Turn of the Screw (1954). Afin de donner ces opéras, mais aussi d’autres ouvrages contemporains, il créa, en 1946, le English Opera Group, dont il occupa les postes de directeur artistique, de chef et de compositeur. Deux années plus tard, il fonda le festival d’Aldeburgh, petite ville du Suffolk, où, dans une maison baptisée The Red House, il était installé depuis 1947. Désormais, le compositeur travailla près de la nature et de la mer, chère à l’âme britannique, aimant la pêche, le tennis, les voitures de sport et les longues promenades à travers les Suffolk Downs. Britten évitait Londres, sauf pour ses engagements professionnels. Il donna des concerts dans le monde entier, comme chef d’orchestre et comme accompagnadownloadModeText.vue.download 131 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 125 teur, le plus souvent en compagnie de son ami le ténor Peter Pears, créateur du rôle de Peter Grimes et pour qui Britten composa tant d’oeuvres vocales, telle la fameuse Serenade op. 31 (1943). Britten fut d’ailleurs essentiellement un compositeur de musique vocale ; il affectionnait toutes les voix et honorait les plus célèbres : K. Ferrier fut la première Lucrèce, les Songs and Proverbs of William Blake sont dédiés à D. Fischer-Dieskau et Phaedra op. 93 fut écrite pour Janet Baker. Mais sa musique est marquée par un goût prononcé pour les voix d’enfants (The Little Sweep ; A Ceremony of Carols ; Spring Symphony ; le rôle de Miles du Turn of the Screw ; War Requiem, etc.). Britten mit la langue anglaise en musique avec le génie d’un Purcell, musicien qu’il ne supportait pas d’entendre critiquer et dont il réalisa un nombre assez important d’oeuvres, parmi lesquelles une version nouvelle de Didon et Énée. Britten connut mieux que quiconque la personnalité rythmique que cette langue donnait à une oeuvre vocale. L’oeuvre de Britten ne peut être considérée comme révolutionnaire, mais elle est très personnelle, originale, lyrique et profondément anglaise. Homme pratique, il a déclaré que sa musique devait toujours répondre à un besoin, faire plaisir à un large public, mais il n’a pas pour autant sacrifié la qualité. Très cultivé, il connaissait la poésie et comprenait de manière pénétrante la musique des autres, en particulier celle des maîtres élisabéthains, de Bach, de Mozart et surtout de Schubert. Aujourd’hui, les oeuvres de Britten sont inscrites aux programmes de tous les festivals internationaux. En 1958, son opéra The Turn of the Screw (le Tour d’écrou), peut-être son chef-d’oeuvre lyrique, fut créé à la Fenice de Venise. Dans ses opéras, les sujets et les époques traités offrent une grande variété : la Rome de Tarquinius par exemple ou la magie de Shakespeare du Songe d’une nuit d’été (livret de Britten et Pears), la brutalité de la marine anglaise au XVIIIe siècle (Billy Budd) ou la « Venise » de Thomas Mann. Pourtant dans ces oeuvres, et dans bien d’autres, un même thème réapparaît avec une certaine insistance : celui de la défense de l’humanité contre les injustices. Les cycles de mé-

lodies sont nombreux et importants. On this Island (W. H. Auden, 1938) contient la parodie de Purcell bien connue « Let the florid music praise ! » et les Songs and Proverbs of William Blake op. 74, créés à Aldeburgh en 1965, une étonnante évocation d’une mouche à qui le poète se compare. Britten a également fait des arrangements pour voix et piano de chansons populaires, anglaises et françaises. Si sa musique de chambre est réduite, les trois quatuors à cordes révèlent des qualités considérables ; citons également la sonate en ut pour violoncelle et piano op. 65 et les deux Suites op. 72, op. 80, écrites pour Rostropovitch (comme la symphonie pour violoncelle et orchestre op. 68). Composée avec une facilité étonnante, la musique de Britten peut atteindre parfois une certaine préciosité, mais son inspiration ne se contente jamais de banalités et son invention obéit à un sens très scrupuleux des formes traditionnelles qu’il sait renouveler (la passacaille de Peter Grimes, par exemple) sans les trahir. Quant à son génie des couleurs, de l’orchestration, que l’on se souvienne de l’atmosphère que le compositeur réussit à créer dès les premières notes du Songe d’une nuit d’été, dans une réunion harmonieuse du monde shakespearien avec l’Angleterre de notre siècle. BRIXI, famille de compositeurs tchèques ayant exercé leur activité dans le nordest de la Bohême. Simon, organiste, chef de choeur et compositeur (Vlkav, près de Nymburg, 1693 Prague 1735). Il vint en 1727 à Prague, où il fut nommé organiste et où il composa de nombreuses oeuvres de musique religieuse. František Xaver, compositeur (Prague 1732 - id. 1771). Fils de Simon, il devint orphelin à l’âge de cinq ans et doit son éducation très complète aux frères piaristes du collège de Kosmonosy. Il revint à Prague en 1750 comme organiste et fut nommé titulaire de l’instrument de la cathédrale Saint-Veit (1759-1771). Il mourut à trente-neuf ans de tuberculose. F. X. Brixi a laissé une oeuvre très abondante, surtout d’essence religieuse. Sa musique fut très appréciée dans toute la Bohême. Son style, direct et spontané,

est affranchi de celui de ses prédécesseurs tout en s’appuyant sur une inspiration mélodique souvent populaire. Son abondante production sacrée comprend quelque 400 pièces (200 offertoires environ, 105 messes, 50 litanies et vêpres, 5 requiem, etc.). Sa musique instrumentale (Suite pour clavier, 5 concertos pour orgue ou clavecin, 2 symphonies, etc.) est réduite, mais annonce le style classique. Viktorín Ignác, chef de choeur et compositeur (Plzeň 1716 - Poděbrady 1803). Élève, également, des frères piaristes à Kosmonosy (1731-1737), il fut organiste et recteur à Poděbrady. Introduit par František Benda, il resta deux ans à la cour de Frédéric II. Il composa des oeuvres de musique religieuse. BRIZZI (Aldo), compositeur et chef d’orchestre italien (Alessandria 1960). Il a étudié l’alto et le piano aux conservatoires d’Alessandria (1975) et de Turin (1976-1978), puis au conservatoire de Milan le piano avec Paolo Castaldi et la composition avec Niccolo Castiglioni (1979-1981). Il a aussi étudié la composition à Arezzo avec Aldo Clementi et Brian Ferneyhough (1979-1981), suivi les cours de Darmstadt en 1982 et 1984, et travaillé à l’Atelier de recherche instrumentale de l’I.R.C.A.M. à Paris en 1983-1985. Il a enfin étudié la direction d’orchestre avec Mario Gusella, Franco Ferrara et Pierre Dervaux (1985-1987), et donné lui-même des séminaires, cours et conférences depuis 1978. Considéré comme un des plus brillants représentants de la jeune école italienne, il a écrit notamment Piccola serenata pour flûte, alto et percussion (1978), Wayang Purwa, concerto pour hautbois et orchestre (1978-1981), Objet d’art pour flûte et huit cordes (1980), Mirtenlied pour flûte et harpe (1982), Canto a tre voci pour trois voix récitantes, danseuse, violoniste, pianiste et quatre percussionnistes sur un texte de Umberto Saba (1983-84), Frammento II pour dix-sept instruments à vent (1984), Le Erbe nella Thule pour soprano et huit instruments (1984-85), Kammerkonzert no 1 pour flûte concertante, violon, clarinette et piano (1986) Déchets d’atelier pour deux pianos (1986) The smallest mustard seed pour douze voix solistes sur un texte de Robin Freeman (1986), Il Libro dell’interrogazione poetica I-III pour diverses formations (1983-1984/1987...),

De la tramutatione de metalli I pour saxophones (1983-1986), II pour tuba (1985), III pour contrebasse (1985), IV pour percussion (1988). BRKANOVI’C (Ivan), compositeur yougoslave (Škaljari, près de Kotor, 1906 Zagreb 1987). Il fit ses études musicales à la Schola cantorum de Paris, puis avec Blagoje Bersa à Zagreb. Il a occupé des fonctions au Théâtre national croate et à la Philharmonie de Zagreb. Son oeuvre témoigne de la recherche d’un style national et d’une expression dramatique intense, proche de l’émotion musicale populaire, ce qui l’amène à composer plusieurs oeuvres inspirées du folklore croate (cérémonies de mariage dans Konavosko pirovanje, 1933, ou mélodies Krijes planina, 1942). Ivan Brkanovi’c a composé les opéras l’Équinoxe (1950) et Zlato Zadra (1re repr. 1954), 5 symphonies, la cantate le Triptyque pour solistes, choeur et orchestre, ainsi que de nombreuses oeuvres de musique de chambre. BROADWOOD SONS. Fabrique anglaise de clavecins et de pianoforte, fondée à Londres, vers 1728, par le Suisse Burkhard Tschudi (1702-1773). Ses clavecins furent parmi les plus appréciés, à l’époque, dans toute l’Europe. En 1770, Tschudi s’associa avec son gendre, l’ébéniste écossais John Broadwood (1732-1812), qui devait lui succéder. La firme réalisa de grands clavecins downloadModeText.vue.download 132 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 126 pour résister à la concurrence du pianoforte, puis se lança dans la fabrication de ce dernier instrument, adoptant la mécanique dite anglaise ( ! PIANO), inventée par Americus Backers. Au XIXe siècle, les héritiers successifs maintinrent la maison Broadwood à la pointe de la recherche des perfectionnements techniques du piano et donnèrent une extension considérable à cette firme qui existe encore à l’heure actuelle. BROD (Max), compositeur et écrivain

israélien (Prague 1884 - Tel-Aviv 1968). Docteur en droit, il fut d’abord fonctionnaire à Prague où il se lia avec Kafka, dont il fut l’exécuteur testamentaire et le biographe. En 1939, il se fixa en Palestine, occupa des fonctions de conseiller au théâtre hébraïque Habimah de Tel-Aviv, tout en ayant une activité de critique musical. Il a composé des Danses palestiniennes pour orchestre, de nombreuses mélodies, le Requiem hebraicum (1943), etc. D’autre part, Max Brod a écrit des livrets d’opéra et un ouvrage sur Janáček (Prague, 1924), musicien dont il fut l’un des premiers à reconnaître la valeur. BRODERIE. 1. Au sens général, toute amplification de caractère ornemental, improvisée ou non, ajoutée à un texte musical donné. 2. En harmonie, toute note ou groupe de notes quittant une note réelle (c’est-à-dire qui fait partie de l’harmonie) par degrés conjoints pour y revenir ensuite sans provoquer de changement d’harmonie. La broderie peut être diatonique ou chromatique, supérieure ou inférieure ; elle est double quand une broderie inférieure suit une broderie supérieure ou vice versa. Il peut y avoir aussi des accords de broderies, des groupes-broderies (terme préconisé par Olivier Messiaen) ou même des tonalitésbroderies ; ces différents termes désignent des extensions du principe de la broderie. BROOK (Barry Shelley), musicologue américain (New York 1918). Élève de la Manhattan School of Music et de l’université Columbia (Master of Arts en 1942), il a obtenu un doctorat en Sorbonne, en 1959, et enseigne depuis 1945 à la City University de New York. Ses ouvrages principaux sont, en 1981, au nombre de cinq : la Symphonie française dans la seconde moitié du XVIIIe siècle (3 vol., Paris, 1962), The Breitkopf Thematic Catalogue, 1762-1787 (New York, 1966), Musicology and the Computer, Musicology 1966-2000 (New York, 1970), Perspectives in Musicology (1972) et Thematic Catalogues in Music, an Annotated Bibliography (1972). Il a pris la direction de la série The Symphony 1720-1840, publication en partition d’orchestre et en 60 volumes de 600 symphonies d’environ 200 compositeurs différents, dont beaucoup jamais éditées

auparavant (premiers volumes parus dès l’année 1979). Il a été président de l’Association internationale des bibliothèques musicales. BROSSARD (Sébastien de), compositeur, théoricien et bibliophile français (Dompierre, Orne, 1655 - Meaux 1730). Après des études au collège des Jésuites et à l’université de Caen, il reçut en 1675 les ordres mineurs et en 1684 devint prêtre à Notre-Dame de Paris, puis en 1687 maître de chapelle et vicaire de la cathédrale de Strasbourg. En 1698, il se présenta au poste de maître de chapelle à la Sainte-Chapelle du Palais à Paris, mais le chapitre lui préféra Marc-Antoine Charpentier. La même année, il fut nommé maître de chapelle et grand chapelain à Meaux. Il fut longtemps surtout connu pour son Dictionnaire de musique (avant-projet publié en 1701), paru en 1703 avec une dédicace à Bossuet et plusieurs fois réédité jusque vers 1710 (seule l’édition de 1703 a survécu). Il s’agit du premier dictionnaire de musique en langue française et d’une source essentielle pour l’histoire de la musique en France au XVIIe siècle. Il comprend un « Dictionnaire des termes grecs, latins et italiens », une « Table alphabétique des termes français », un « Traité de la manière de bien prononcer » et un « Catalogue de plus de 900 auteurs ». Bibliophile averti, Brossard réunit une collection d’oeuvres musicales qu’il vendit en 1724-1726 à Louis XV contre une pension, dont il prépara un catalogue avec d’intéressantes annotations de sa main et qui constitue aujourd’hui un des fonds les plus précieux du département de la musique de la Bibliothèque nationale. Théoricien remarquable, intéressant comme compositeur, il pratiqua la plupart de grands genres de son époque, sauf le clavecin et l’orgue. En quantité, ce sont les airs (sérieux, à boire ou italiens) qui dominent sa production et qui en son temps firent le plus pour sa renommée. En musique religieuse, il a laissé trois grands motets - Miserere mei, Canticum Eucharisticon, In convertendo, les deux premiers cités au moins étant de l’époque de Strasbourg -, des petits motets, deux oratorios, des leçons de ténèbres ; en musique vocale profane, des oeuvres théâtrales dont Pyrame et Thisbé (1685), des cantates spirituelles (Samson trahi par Dalila) et italiennes (Leandro) ainsi qu’une cantate sérieuse (les Misères humaines) ; en musique instrumentale, des pièces pour luth, pour violon et en trio et des oeuvres pour

orchestre. Un catalogue thématique a été publié en 1995 par Jean Duron (l’OEuvre de Sébastien de Brossard 1655-1730). BROUWER (Leo), guitariste et compositeur cubain (La Havane 1939). Il a débuté dans la carrière de guitariste en 1956, après avoir travaillé avec un élève d’Emilio Pujol. Il a fait des études de composition de 1955 à 1959 à La Havane, en 1959-60 avec Vincent Persichetti et Stepan Wolpe, et, enfin, à l’université de Hartford. Il a ensuite occupé diverses fonctions officielles à La Havane, à l’Institut des arts et de l’industrie cinématographiques (comme directeur du département musical, puis du département de musique expérimentale), et au conservatoire (comme professeur d’harmonie et de contrepoint, puis de composition). Des influences très diverses se décèlent dans la musique de Leo Brouwer, notamment celles d’lves, Cage, Nono, Kagel, Xenakis, qui ont déterminé un style s’orientant de plus en plus vers l’avantgarde, y compris vers la musique aléatoire. Le compositeur a été et demeure profondément engagé dans les réflexions et les bouleversements qui ont accompagné et suivi la révolution cubaine. Nombre de ses oeuvres (La tradición se rompe pour orchestre, 1967-1969 ; Cantigas del tiempo nuevo pour acteurs, choeur d’enfants, piano, harpe et 2 percussionnistes, 1969) sont liées par leur thème à un contexte purement cubain, sans pour autant que leur écriture ressortisse à un quelconque nationalisme musical. Les compositions de Brouwer comprennent essentiellement des pièces pour diverses combinaisons instrumentales, dont un certain nombre pour ou avec guitare, et des pièces pour orchestre comme Sonograma II (1964) ou Hommage à Mingus pour ensemble de jazz et orchestre (1965). Il a écrit plusieurs dizaines de musiques de film. BROWN (Charles), compositeur français (Boulogne-sur-Mer 1898). Il a travaillé à Paris le violon avec Lucien Capet et l’écriture à l’école César-Franck, notamment avec Guy de Lioncourt. Il a été violoniste aux Concerts Lamoureux (1938-1948), puis directeur de l’École nationale de musique de Bourges. On lui doit des oratorios (Évocations liturgiques, 1947 ; le Cantique dans la fournaise, 1946 ;

Cantate pour sainte Jeanne de France, 1950), des symphonies et pièces symphoniques, des oeuvres concertantes, des trios, quatuors, quintettes. Son style relève d’une discipline classique. BROWN (Earle), compositeur américain (Lunenburg, Massachusetts, 1926). Trompettiste amateur, il fit, à Boston, des études de mathématiques et d’ingénieur, et suivit des cours de composition, d’orchestration et d’écriture avec Roslyn Brogue Henning, à la Schillinger School (1946-1950). Parallèlement, il s’initia aux théories mathématiques (appliquées à la downloadModeText.vue.download 133 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 127 musique) de Joseph Schillinger, avant de les enseigner lui-même (ainsi que la composition) à Denver (1950-1952). Mais s’il fut fasciné par ces théories, il ne devait pas en reprendre à son compte l’organisation extrême. Il fut influencé au début de sa carrière par Ives et Varèse, mais davantage encore par une certaine peinture (Pollock) et une certaine sculpture (Calder) américaines ; chez Calder, il trouva la « précision de l’organisation » et surtout l’idée de la mobilité d’une oeuvre. Ses premières oeuvres - 3 pièces pour piano (1951), Perspectives pour piano (1952), Musique pour violon, violoncelle et piano (1952) - rendent hommage à la fois au sérialisme et - comme, plus tard encore, Pentathis (1957) - aux théories de Schillinger. Mais Brown évolua rapidement vers la « forme ouverte », notion qu’il fut l’un des premiers à introduire en musique, et sa rencontre avec John Cage (1951), ainsi qu’avec Wolff et Feldman, fut à cet égard décisive. Il collabora avec Cage et David Tudor au projet de musique pour bande magnétique à New York (1952-1955), participa aux cours d’été de Darmstadt, à partir de 1955, fut directeur artistique des enregistrements de musique contemporaine chez Time Records (1955-1960), bénéficia d’une bourse Guggenheim en 1965-66 et fut nommé, en 1968, professeur de composition au conservatoire Peabody de Baltimore. Il le resta jusqu’en 1970. La forme ouverte et les techniques semi-aléatoires apparurent dans ses oeuvres à partir de

1953. Folio (1952-53) est un groupe de trois oeuvres - November 1952, December 1952 et 1953 - pour n’importe quel nombre d’instruments. December 1952 remplace les hauteurs écrites, et donc fixées par un exemple de notation graphique, par des lignes en diverses positions et de diverses longueurs, devant servir de support à l’improvisation d’un groupe quelconque de musiciens durant un laps de temps indéterminé. Dans 25 Pages pour 1 à 25 pianos (1953), le ou les exécutants peuvent disposer les pages dans l’ordre de leur choix, et l’on trouve un principe que Brown devait très souvent reprendre ultérieurement : une notation proportionnelle ne divisant pas le temps en unités précises, mais en durées relatives dont la longueur, laissée à l’initiative de l’exécutant, est suggérée par l’espacement des symboles. Convaincu qu’une musique est d’autant plus intense que l’exécution participe davantage à sa création, il s’intéressa moins à l’indétermination dans l’acte de composer, comme Cage, ou à la libération des sons, qu’au problème de la forme, aux présentations différentes d’un même matériau et à ses conséquences. À Available Forms I pour 18 musiciens (1961) succéda Available Forms II pour 98 musiciens et 2 chefs dirigeant chacun 49 exécutants (1962), la forme dépendant de la réciprocité et de la spontanéité des réactions des 2 chefs l’un par rapport à l’autre. Le procédé est semblable dans 9 Rarebits pour 1 ou 2 clavecins (1965) ou dans Synergy II pour orchestre de chambre (1967-68), alors qu’inversement, Corroboree (1964) pour 3 pianos ou le quatuor à cordes (1965) introduisent des structures mobiles à l’intérieur de formes fermées. Dans Calder Piece pour 4 percussionnistes et 1 mobile de Calder (1965), le rôle du chef est tenu par le mobile. Ses ouvrages n’en contiennent pas moins des éléments d’unité au sens traditionnel : ainsi l’usage obstiné, presque canonique, des quintes dans Available Forms I. Auteur également d’Octet I (1953) et d’Octet II (1954) pour bande, de Modules I et II pour petit orchestre et 2 chefs (1966), de Syntagm III (1970), Cross Sections (1973) et Color Fields (1975) pour orchestre, de Small Piece pour choeur (1975), de Tracer pour instruments et bande (1984), doté d’un sens raffiné des timbres, Earle Brown est apparu comme l’une des personnalités les plus importantes de l’avant-garde américaine.

BROWNLEE (John), baryton américain (Geelong, Australie, 1901 - New York 1969). Sa voix fut découverte en Australie par Nellie Melba. Il étudia le chant avec Dinh Gilly à Paris et y débuta au Trianon-Lyrique en 1926. Il parut la même année au Covent Garden de Londres dans le gala d’adieux de Nellie Melba et débuta à l’Opéra de Paris, en 1927, dans le rôle d’Athanaël de Thaïs de Massenet. Tout en chantant, plus particulièrement, à l’Opéra jusqu’en 1936, puis au Metropolitan de New York jusqu’en 1957, il fit une carrière internationale. Son nom demeure lié aux premières années du festival de Glyndebourne, lors duquel il donna des interprétations célèbres du rôle de Don Juan. Pédagogue, il tint à la fin de sa vie une place importante dans la vie musicale des États-Unis et fut, en particulier, président de la Manhattan School of Music à New York. BRUCH (Max), compositeur allemand (Cologne 1838 - Friedenau, près Berlin, 1920). Il prit ses premières leçons de musique avec sa mère, puis étudia à Bonn, à Cologne et à Leipzig. En 1858 fut représentée à Cologne sa première oeuvre lyrique, le singspiel Scherz, List und Rache, d’après Goethe. En 1863, l’opéra Die Lorelei fut créé à Mannheim. Bruch occupa des postes de chef d’orchestre et de chef de choeur successivement à Mannheim, Coblence, Sondershausen, Berlin, Liverpool et Breslau. En 1872, son opéra Hermione fut donné à Berlin. Il épousa la chanteuse Clara Tuczek (1881) et, en 1892, fut nommé professeur de composition à la Musikhochschule de Berlin où il enseigna jusqu’en 1910. Fortement influencée par Brahms et très appréciée à son époque, l’oeuvre de Max Bruch se caractérise par une écriture d’une grande sûreté, par des mélodies généreuses qui s’inspirent parfois du folklore écossais, gallois ou allemand, par des accents postromantiques, mais aussi par un certain académisme. Il a composé trois symphonies, de la musique de chambre, de nombreuses oeuvres chorales et des oratorios, de la musique théâtrale. Sa Fantaisie écossaise pour violon et orchestre,

l’un de ses concertos pour violon, le no 1 en sol mineur, et une pièce pour violoncelle et orchestre, Kol Nidrei, demeurent encore populaires de nos jours. BRUCHOLLERIE (Monique de la), pianiste française (Paris 1915 - id.1972). Élève de Cortot et d’Isidore Philipp au Conservatoire de Paris, elle y remporte un premier prix en 1928. Elle travaille également les rhapsodies de Liszt avec Emil von Sauer. En 1937, un prix au Concours Chopin lui vaut des engagements avec l’Orchestre de Varsovie. De 1941 à 1944, elle est sous engagement exclusif avec la Société des concerts du Conservatoire dirigés par Charles Münch. Entre 1955 et 1965, elle donne plus de 700 concerts dans le monde entier, notamment à Boston avec Ansermet. Professeur réputé au Conservatoire de Paris, elle devient infirme en 1966 à la suite d’un accident d’auto survenu en Roumanie. BRUCK (Charles), chef d’orchestre français (Temesvar, Hongrie, auj. Timisoara en Roumanie, 1911 - Hancock, Maine, 1995). Arrivé en France en 1928, diplômé de l’École normale de musique de Paris (piano), il devint l’élève de Pierre Monteux pour la direction d’orchestre et donna ses premiers concerts en Amérique du Nord en 1939. Après la guerre, il commença une grande carrière de chef d’orchestre, notamment à la tête de l’orchestre de la radio de Strasbourg, puis de l’Orchestre philharmonique de l’O. R. T. F., qu’il quitta en 1965. En 1968, il succéda à Monteux à l’école de direction d’orchestre de Hancock (Maine, États-Unis). Passionné de musique contemporaine, Charles Bruck a joué un rôle déterminant en faveur de celle-ci. Il est le créateur de plus de deux cents oeuvres au total. La rigueur exceptionnelle de ses interprétations n’y excluait nullement la chaleur. BRUCKNER (Anton), organiste et compositeur autrichien (Ansfelden, HauteAutriche, 1824 - Vienne 1896). Son grand-père fut le premier de cette ancienne famille rurale (originaire d’Oed, downloadModeText.vue.download 134 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE

128 près d’Amstetten) à s’élever au rang de maître d’école en s’installant à Ansfelden (15 km au S. de Linz) en 1776. Il eut pour adjoint, dès 1814, son fils Anton Bruckner Sr., qui lui succéda en 1823 et épousa la même année Theresia Helm, dont il eut cinq enfants. L’aîné, Josef Anton Jr., naquit un an plus tard, le 4 septembre (il fut suivi de trois soeurs et d’un frère, Ignaz, à demi simple d’esprit). Le premier éveil musical du jeune Anton lui vint de son cousin Jean-Baptiste Weiss (1812-1850), organiste à Hörsching, chez qui il séjourna en 1835 et 1836, et écrivit ses premiers essais connus, 4 Préludes pour orgue. De retour à Ansfelden, il aidait déjà son père à la fois à l’école et au violon pour les bals villageois ; mais dès l’année suivante il vit mourir prématurément celui-ci, et il entra à la manécanterie de la voisine abbaye de Saint-Florian, où il fut accueilli par le supérieur Michaël Arneth, qui lui tint lieu de père adoptif. Là s’effectua sa formation générale et sa première instruction musicale, notamment, à l’orgue avec Anton Kattinger, alors titulaire de la future « BrucknerOrgel ». À l’âge de seize ans, placé devant le choix de son futur métier, Anton Bruckner répondit simplement : « Comme mon père « ; il poursuivit une année d’études à la Preparandie de Linz tout en prenant des leçons d’harmonie et de contrepoint auprès d’August Dürrnberger (1800-1880). Durant huit années, Anton demeura maître d’école adjoint dans de petits villages de Haute-Autriche, notamment, à Kronstorf, près de Steyr, où il prit des leçons avec l’organiste Leopold von Zenetti (1805-1892), puis à Saint-Florian même, dès 1845, avant d’y être enfin nommé, en mars 1848, organiste auxiliaire et, trois ans plus tard, titulaire. Hormis quelques pièces d’orgue et une profusion de motets sacrés, cette « première période » voit naître déjà deux oeuvres très significatives : en 1849 le Requiem en ré mineur, et, cinq ans plus tard, la Missa solemnis en si bémol, déjà le quatrième essai du genre. L’ORGANISTE DU « DOM ». La Messe, notamment, marqua un premier tournant dans la vie et la carrière de son auteur. À la disparition de son protecteur Michaël Arneth, le jeune organiste prit conscience que son destin n’était plus à Saint-Florian ; et, dans l’année qui suivit,

après diverses épreuves et nanti de certificats de capacité, il se laissa convaincre de postuler d’abord à Olmütz puis à Linz, où il fut nommé à l’ancienne cathédrale, ou « Dom » (aujourd’hui Ignatiuskirche) en novembre 1855. Il demeura près de treize années dans la capitale provinciale, qui, de nos jours, notamment par un festival qui prend d’année en année plus d’importance, vénère son souvenir comme Salzburg le fait pour Mozart. Ce séjour fut divisé en deux étapes d’égale durée. La première offrit l’exemple, unique chez un artiste de cet âge, d’une remise en cause fondamentale de toute sa formation théorique. Le savant contrapuntiste viennois Simon Sechter (1788-1867), qui fut déjà sollicité trente-huit ans plus tôt, par Schubert, admit Anton comme élève. Il se rendait chez son professeur chaque mois en empruntant le service fluvial qui lui faisait descendre le cours du Danube, au travers d’un paysage exaltant, dont son oeuvre, par la suite, porta la trace. Ce cycle d’études (sanctionné en nov. 1861 par l’aptitude à enseigner en conservatoire) ne fut, toutefois, pas le dernier auquel il se soumit : durant deux années encore, il se perfectionna en technique orchestrale auprès du chef du théâtre de Linz, Otto Kitzler, de dix ans son cadet. Et celui-ci lui révéla tout le répertoire moderne, insoupçonné de l’organiste, de Weber à Wagner en passant par Spohr, Berlioz, Mendelssohn, Schumann et Liszt - le premier contact avec l’art wagnérien, notamment, eut lieu en février 1863 par la création linzoise de Tannhäuser. DU MUSICIEN D’ÉGLISE AU SYMPHONISTE. Tandis que Sechter interdisait à son élève tout travail créateur (la seule composition de cette époque, le Psaume 146 pour solos, choeur et orchestre, entreprise en 1856, fut terminée seulement en 1861), Kitzler suscita les premiers essais dans les formes instrumentales « nobles », avec le Quatuor à cordes en ut mineur (demeuré inconnu jusqu’en 1951) et la précieuse Ouverture en sol mineur, véritable trait d’union avec Schubert. Ces oeuvres remontent à 1862 ; et, l’année suivante, Bruckner signa sa toute première symphonie en fa mineur (dite « d’étude »), qu’il écarta plus tard de la numérotation définitive de même que celle en ré mineur entreprise aussitôt après et à laquelle, comme par un tardif remords, il attribua à la fin de sa vie

le symbolique numéro « zéro « ! Dans ces années décisives de la « période de Linz », l’organiste édifia simultanément ses principaux monuments liturgiques. À côté d’une seconde série de motets comprenant le célèbre Ave Maria à sept voix (1861), allaient ainsi naître les trois principales Messes : no 5 (en édition no 1) en ré mineur, terminée et créée en 1864 et où le commentateur Moritz von Mayfeld crut déceler l’éclosion soudaine d’un génie (pour bien intentionné qu’il fût, cet ami de Bruckner ne se doutait ni de la somme de travaux ni de l’évolution continue dont l’oeuvre était en vérité l’aboutissement) ; no 6 (II) en mi mineur, avec accompagnement de quinze instruments à vent, écrite au cours de l’été 1866, mais créée seulement en 1869, en plein air, sur le chantier de la nouvelle cathédrale de Linz ; enfin no 7 (III), « la Grande », en fa mineur, la plus vaste, mais d’expression plus subjective que la précédente, entreprise en 1867 au cours d’une grave dépression nerveuse et comme pour « exorciser » le mal (créée en 1872 à Vienne, elle fut alors accueillie avec chaleur par Eduard Hanslick, qui la compara à la Missa solemnis de Beethoven). Mais tandis qu’il créait ces pages vibrantes d’une foi sincère, Anton devait faire abstraction de l’exigence, non moins impérieuse, d’une expression plus authentiquement personnelle, plus « engagée » aussi. Cette exigence éclata dans la symphonie, avec d’autant plus de force qu’elle avait été longtemps contenue. Les violents contrastes et le déchaînement agogique de la Symphonie no 1 en ut mineur (1865-66) n’eurent pas d’autre cause, ainsi que ses audaces formelles et harmoniques, qui firent d’elle la première pierre du renouveau moderne de la symphonie. Rien d’étonnant à ce qu’à sa première audition, le 9 mai 1868 à Linz (huit ans avant l’apparition de la Première Symphonie de Brahms), elle n’ait remporté qu’un succès d’estime, davantage adressé à l’organiste du Dom qu’au compositeur, qui, en vérité, dès cet instant, était incompris. Comme pour toutes ses oeuvres majeures jusqu’alors, Bruckner dirigea luimême cette création : depuis ses débuts, soulignons-le, son activité secondaire de chef de choeur l’amena maintes fois à paraître dans la vie musicale « séculière ». Ainsi Wagner, avec qui il était entré en rapport dès 1865, lui confia-t-il, en avril 1868, l’avant-première d’un choeur extrait

des Maîtres chanteurs ; et lui-même écrivit, notamment pour sa chorale Frohsinn à Linz, maintes pièces toujours pratiquées en pays germanique, mais guère à l’étranger. Cependant Sechter, mort en septembre 1867, l’avait désigné pour lui succéder dans ses charges de professeur au conservatoire de Vienne et d’organiste de la chapelle impériale. Intimidé par la perspective de telles responsabilités, d’autant qu’il les ambitionnait, Anton hésita et il multiplia les démarches dans d’autres directions (Salzburg, Munich), pour céder enfin aux objurgations de Johann Herbeck, qui venait de découvrir la Symphonie inachevée de Schubert, et qui s’était fait aussi le prosélyte de notre musicien. Les décrets de nomination de Bruckner intervinrent, en juillet 1868, au conservatoire, et, le 4 septembre - jour de son 44e anniversaire -, à la Hofkapelle ; la semaine suivante, il s’embarqua sans retour pour Vienne, ne se doutant pas que cette ville allait devenir aussi son Golgotha. UN CARACTÈRE AMBIVALENT. L’homme mûr qui s’installa à Vienne, au numéro 42 de la Währingerstrasse, en compagnie de sa soeur cadette Maria-Anna (Nanni) qui tint son ménage, n’offrait pas encore l’image, aujourd’hui downloadModeText.vue.download 135 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 129 familière, de l’ascète chenu courbé sous le poids des ans et de l’adversité. Il conserva cependant la tendance, facile à confondre avec de l’humilité, à s’incliner devant toute autorité temporelle ou spirituelle, qu’elle lui fût imposée par les institutions ou qu’il l’eût lui-même choisie, comme ce fut le cas pour Wagner (dans la populaire silhouette dessinée par Otto Böhler, il paraissait plus petit que son confrère alors qu’en fait c’était l’inverse). Son comportement, son vêtement trop large nécessité par les mouvements qu’il exécutait aux claviers, son accent rural (l’équivalent pour la France de celui d’un paysan berrichon), tout cela prêtait à sourire, et il en était fort conscient. Mais avec une habileté qui suffisait à la démentir, il joua de cette réputation de niaiserie (Halb Gott,

halb Trottel, « moitié Dieu, moitié benêt », disait, paraît-il, Mahler) pour endormir la méfiance de l’intelligentsia au sein de laquelle il se créa peu à peu une position que nul n’eût imaginé lui voir occuper un jour. Derrière une piété démonstrative, qui accentua encore son côté marginal, il dissimula une ambition amplement justifiée par son génie, mais que d’aucuns qualifient aujourd’hui d’« arriviste ». Après avoir, jusqu’à la trentaine passée, douté de sa vocation musicale, il prit conscience désormais de l’oeuvre qu’il était destiné à accomplir, et il était prêt à endurer les pires épreuves pour la mener à bien. Il savait qu’il n’allait la faire triompher que si sa position sociale lui en donnait les moyens. Étant fils et petit-fils d’instituteurs, il eut la chance d’être un bon pédagogue, et devait mettre ce don à profit avec une admirable persévérance non seulement au conservatoire, mais aussi à l’université, terrain où il était peu prédestiné à prendre pied. LA « SECONDE ÉCOLE VIENNOISE ». Après maintes sollicitations auprès du ministère, et sans se préoccuper de ce qu’il s’aliénait définitivement son collègue Hanslick en marchant par trop sur ses brisées, il obtint en effet en 1875 la création à son profit (mais, au début, sans émoluments) d’une chaire de théorie musicale ouverte aux étudiants du doctorat en philosophie, où se succédèrent durant vingt années les futurs grands noms de la pensée viennoise et pas seulement des musiciens. De ce maître qui entretenait avec eux des relations quasi familiales, la plupart de ses étudiants garderont un souvenir impérissable, l’honorant de multiples façons dans leurs écrits. Certains, comme Mahler, suivirent son enseignement à la fois au conservatoire et à l’université. Il eut, en outre, des élèves privés ; et un Hugo Wolf devait plaider pour lui avec acharnement dans le Wiener Salonblatt, et se réclamer de lui sans jamais avoir pris ses leçons. Le terme de « seconde école viennoise » doit donc s’appliquer, non pas au groupe de Schönberg (qui sera la « troisième ») mais à celui constitué par Bruckner et ses deux principaux héritiers Hugo Wolf et Gustav Mahler, avec aussi quelques autres noms, comme par exemple Franz Schmidt. Malgré de grandes divergences de pensée et de style, des affinités musicales frappantes les liaient sur le plan de l’écriture et même de certaines citations explicites ; et l’on

ne saurait trop souligner l’antériorité de Bruckner dans les conquêtes de forme et de langage qui allaient marquer la fin du siècle et aboutir à l’éclatement du monde tonal. DU DÉSASTRE AU TRIOMPHE. Mais reportons-nous à l’arrivée du maître à Vienne, pour le suivre brièvement dans son destin musical - qui d’ailleurs se confondait avec sa vie privée, puisque la composition allait absorber tout le temps que lui laissèrent ses triples fonctions (dans les cinq dernières années de sa vie seulement il eut le loisir de s’y consacrer totalement, et il était alors trop tard pour qu’il puisse mener à bien son oeuvre ultime, la 9e Symphonie). Quant au bonheur intime d’un foyer, on sait qu’il lui fut toujours refusé, encore qu’en deux occasions, au moins, il y eût lui-même renoncé par intransigeance religieuse (du moins étaitce là le prétexte avoué). En 1870, sa soeur mourut, et il dut engager une servante, Kathi Kachelmayer, qui lui fut dévouée jusqu’à sa mort. Chaque été, il retourna au pays natal passer de studieuses vacances ; et trois grandes diversions, trois voyages lointains seulement marquèrent les vingthuit années du séjour viennois : deux tournées organistiques triomphales, en 1869, en France (Nancy et Paris) et, en 1871, à Londres ; et un voyage de tourisme, en 1880, en Bavière, Suisse et Haute-Savoie. Ne s’y ajoutèrent que quelques brefs déplacements en Allemagne pour assister à divers concerts de ses oeuvres, qui y furent parfois jouées avant de l’être à Vienne ; ou, bien sûr, au festival de Bayreuth, dont il devint d’emblée un familier. Les autres événements saillants furent rares. Au plan matériel, deux seuls déménagements (en 1877 pour la Hessgasse, à l’angle du Ring, et en 1895 pour le pavillon de garde du Belvédère mis à sa disposition par l’empereur François-Joseph) ; au plan de l’anecdote, sa réception par l’empereur, en 1886, où le monarque s’entendit demander par le musicien s’il ne pouvait « empêcher Hanslick de (le) démolir si méchamment « ; ou son unique rendez-vous avec Brahms, au restaurant « Zum roten Igel », où ils ne se comprirent qu’en matière culinaire ! Reste l’essentiel : les premières auditions des symphonies. Et là nous passons d’un extrême à l’autre, du désastre de la Troisième (16 déc. 1877) au triomphe de la Huitième (18 déc. 1892), tandis qu’en 1887 le rejet par Hermann Levi de la version

primitive de cette même Huitième avait failli conduire Bruckner au suicide. À l’inverse, l’une des grandes joies de sa vieillesse fut, en novembre 1891, son accession au doctorat honoris causa de l’université de Vienne ; les solennités qui s’ensuivirent l’émurent jusqu’aux larmes. LES VERSIONS MULTIPLES. Ce fut donc l’édification du monument symphonique qui occupa principalement ses pensées à Vienne. Après un hiatus de trois années environ, dû à la nécessité de s’accoutumer à la vie urbaine nouvelle à laquelle il était si mal préparé, il y revint en 1871-72 avec la Deuxième en ut mineur, et le poursuivit désormais sans désemparer, en passant parfois des années (notamment de 1876 à 1879 et de 1888 à 1891) à remodeler le travail antérieur. La plupart des symphonies connurent ainsi deux, voire trois rédactions successives ou « Fassungen », souvent très divergentes, plus diverses variantes pour des mouvements isolés : tous ces textes ont aujourd’hui paru dans l’Édition critique intégrale réalisée à Vienne. Sans tenir compte des retouches mineures, on s’aperçoit, en considérant cette somme, que Bruckner a produit, non pas neuf ni onze symphonies, mais bien dix-sept ! (On en donne plus loin la nomenclature.) Ces remaniements systématiques répondaient, certes, d’abord au souci de perfectionner l’ouvrage, de mieux profiler un thème ou de resserrer la forme. Mais ils eurent parfois l’inconvénient de faire disparaître des hardiesses précieuses ; d’où l’intérêt de la redécouverte des versions primitives (« Urfassungen »). En outre, certaines des révisions les plus tardives furent influencées par les exigences des élèves et interprètes du compositeur, soucieux de rendre sa musique acceptable aux oreilles des contemporains ; et dans certains cas ils rédigèrent eux-mêmes de nouveaux textes, qui furent en réalité les premiers publiés. Ceux-ci sont aujourd’hui heureusement abandonnés, mais il en demeure des traces fâcheuses, notamment dans les dernières versions des Troisième et Huitième symphonies. L’« ART DE LA SYMPHONIE ». Bien qu’il s’agisse dans tous les cas de musique pure, et que l’ensemble ait pu être qualifié d’« Art de la symphonie » (A.

Machabey), au sens de l’Art de la Fugue, chacune des symphonies - nous l’avons vu pour la Première - comporte en sa substance, sinon un programme précis, du moins un lien direct avec les circonstances de sa création et les sentiments qui assaillaient alors le musicien. En ce sens, Anton Bruckner s’affirma fondamentalement comme un romantique, donc un enfant de son siècle, ce qu’il fut aussi par sa situation chronologique, entre Beethoven et Schubert d’une part, Mahler et le downloadModeText.vue.download 136 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 130 XXe siècle de l’autre. Ces deux faits, à tout le moins, contrebattirent l’idée de son « intemporalité « ; et ce qu’on appela son « mysticisme » fut en vérité la traduction de son émerveillement devant toutes les beautés de ce monde et de sa gratitude envers Celui qu’il reconnaissait pour leur créateur. Ce terme constitua une constante de sa pensée dans toutes les symphonies et spécialement dans leurs adagios, dont les cinq derniers, au moins, comptent au nombre des pages les plus inspirées de toute la musique. Il reste que les terribles conflits qui sous-tendent cette pensée, et qui se traduisent notamment par des tensions harmoniques, dont le musicologue anglais Robert Simpson a fait une étude remarquable, justifient la conclusion de Gustave Kars : « On ne saurait imaginer qu’une oeuvre d’une telle portée et d’une telle complexité ait pu être le fruit d’une vie béate, d’où la lutte et le doute auraient été absents. » Si diverses par leur propos, les symphonies répondent toutes à une évolution sans faille, chacune s’appuyant sur les précédentes pour préparer la suivante. Leur structure formelle obéit à deux principes fondamentaux : d’une part l’unité interne, accomplissement et systématisation d’un processus ébauché déjà par le dernier Schubert, et qui consiste à fonder l’oeuvre sur une cellule mère qui féconde tous les mouvements et triomphe en conclusion ; d’autre part le trithématisme des mouvements de sonate, qui, de même que la succession des temps, répond à un souci primordial de contrastes (deux données vigoureuses

ou épiques encadrent un « groupe du chant » de caractère lyrique). Contrairement à une idée trop répandue, ni leurs durées (à deux exceptions près : Cinquième et Huitième) ni leur effectif instrumental n’outrepassent maints exemples antérieurs (Berlioz). Le compositeur employait rarement des instruments autres que ceux de l’orchestre du dernier Beethoven ou de Brahms, mais il tira de cet orchestre des effets bien plus somptueux grâce à une technique plus moderne et surtout à un instinct infaillible dans le choix et la répartition des couleurs. L’influence de la registration organistique est évidente, mais elle se traduit, non par l’abus de doublures, mais par l’indépendance des groupes orchestraux, qui évoluent en grands blocs selon une démarche que seul le XXe siècle saura retrouver. À la pratique de l’orgue on peut, de même, rattacher les fréquentes césures (pauses générales) qui émaillent le discours brucknérien et préparent souvent l’énoncé d’une idée directrice. En réalité, ce rôle philologique du silence est commun aux trois grands romantiques autrichiens (Schubert, Bruckner, Mahler) : c’est un des traits fondamentaux qui les distinguent de leurs collègues d’Allemagne (de Beethoven à Reger), qui, dans la symphonie tout au moins, professent plutôt l’« horreur du vide « ! Enfin, toute création liturgique majeure étant, chez Bruckner, absente du catalogue viennois à la seule exception du Te Deum entrepris en 1881 et terminé en 1884, la tentation est forte de considérer que les symphonies de la grande période (2 à 9) unissent l’expression sacrée et l’expression profane en un seul et même genre : phénomène pratiquement unique dans la littérature musicale. Grâce à cette dualité autant qu’à ses conquêtes d’écriture, Anton Bruckner s’élève très au-dessus du cadre régional et même national pour s’égaler aux deux plus grands chantres de l’humanité, Jean-Sébastien Bach et Ludwig van Beethoven. C’est donc lui, et non Brahms, qui devrait constituer, si l’on tenait à cette image, le troisième terme de la trinité proclamée par Hans von Bülow ; et la multiplicité des études qui lui sont consacrées montre d’ailleurs combien s’affirment de jour en jour l’importance et la valeur de son message au regard de la musique de

notre temps. LES CHEFS-D’OEUVRE VIENNOIS. Il reste à caractériser brièvement chacune des symphonies viennoises. La Deuxième a été qualifiée par August Goellerich, élève préféré et principal biographe de Bruckner, de « symphonie de Haute-Autriche », ce que justifie surtout son scherzo bondissant (la danse populaire sera d’ailleurs un terme constant dans les scherzos, au moins jusqu’à la Cinquième incluse). La Troisième, qui ambitionne pour la première fois d’allier l’inspiration épique beethovénienne et le monde des Nibelungen, fut dédiée à Richard Wagner ; et cela valut à son auteur vingt années d’ostracisme de la part de la critique traditionaliste viennoise. La Quatrième reçut son sous-titre de Romantique du compositeur lui-même, qui fournit aussi pour chaque mouvement un programme quelque peu naïf : elle est, dans l’ensemble, dominée par l’amour de la nature, mais bien moins tributaire d’intentions précises que la Pastorale, dont on la rapproche souvent. En revanche, sa structure cyclique est peut-être la plus parfaite. Premier point culminant de la chaîne et création éminemment typique de son auteur (qui ne l’entendit jamais !), la Cinquième (18751877) unit le climat religieux au lyrisme viennois en une formidable architecture sonore qui intègre une double fugue. La Sixième connaît en son adagio l’épilogue d’une des nombreuses idylles que le musicien se forgeait sans véritable espoir ; tandis que le scherzo est d’atmosphère fantomatique. La Septième fut celle qui valut à son auteur la gloire internationale : sa création à Leipzig, le 30 décembre 1884, par Arthur Nikisch, le tira du jour au lendemain de l’obscurité. Elle avait, il faut dire, de quoi séduire le plus vaste auditoire, tant par la noblesse de ses mélodies que par la somptuosité de sa parure orchestrale. L’adagio, où Bruckner emploie pour la première fois les tubas, fut entrepris dans le pressentiment de la mort de Wagner ; il s’achève sur la Trauerode qui, treize ans plus tard, devait accompagner son auteur à sa dernière demeure. La Huitième, la plus vaste et la plus complexe de toutes (elle occupa le compositeur de 1884 à 1890), comporte au moins trois éléments programmatiques : le glas (Totenuhr) qui résonne

à la fin du premier mouvement dans la seconde version ; la peinture du paysan danubien dans le scherzo ; et le thème en trois vagues qui ouvre le finale et illustre une rencontre des empereurs d’Autriche, d’Allemagne et de Russie. Mais, au-delà de l’anecdote, la grandiose et cataclysmique péroraison, avec superposition de tous les thèmes de l’oeuvre, manifeste l’extrême limite des potentialités de la forme symphonique ellemême. Bruckner eût-il pu aller plus loin encore dans la Neuvième, qu’il dédia symboliquement « au bon Dieu « ? On pouvait l’attendre par les dimensions du premier mouvement, ou par la percée qui s’accomplit en matière harmonique (superposition de tous les degrés de la gamme diatonique) au sommet de l’adagio. Et dans les esquisses du finale, auquel le musicien travailla jusqu’à son dernier jour, les fonctions tonales semblent fréquemment suspendues. Mais ce dernier morceau ne parvint pas à son terme (il s’interrompit au seuil de la péroraison) : c’est donc sur le sublime apaisement de l’adagio, venant après la terrifiante course à l’abîme du scherzo, que le maître prit congé de son auditoire terrestre. À sa mort, le 11 octobre 1896, au terme d’un lent déclin et d’une hydropisie aggravée d’atteintes pulmonaires, il laissait parmi d’autres genres, au moins, deux oeuvres majeures : le Quintette à cordes en fa, avec deux altos (1879), et Helgoland (1893), sur un poème d’August Silberstein, pour choeur d’hommes et grand orchestre, couronnement d’une production chorale profane ininterrompue comportant une quarantaine de pièces. Enfin en musique sacrée, outre le Te Deum déjà cité, un bref et éclatant Psaume 150 (1892) et une dernière série de motets, les mieux connus et les plus neufs d’expression : quatre graduels (du Locus iste de 1869 au Virga jesse de 1885) ; Ecce sacerdos, avec cuivres (1886) ; Vexilla regis (1892). downloadModeText.vue.download 137 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 131 UN AUDITOIRE D’OUTRE-TOMBE. Les obsèques d’Anton Bruckner furent célébrées en grande pompe, devant le

Tout-Vienne de la musique, le 14 octobre 1896, à l’église Saint-Charles. Quelques semaines auparavant, il réclamait encore de ses médecins une attestation écrite garantissant sa liberté ; et cette même exigence supérieure lui avait fait demander par testament que son cercueil demeurât exposé - et non inhumé - dans la crypte de Saint-Florian, au-dessous de l’orgue qui, depuis, porte son nom. Lorsqu’on exauça ce voeu, on découvrit une nécropole remontant aux invasions turques, et d’où l’on retira plusieurs milliers de crânes devant lesquels il joue désormais pour l’éternité ! BRUDIEU (Joan), compositeur français (Limoges v. 1520 - Urgel, Espagne, 1591). On ne sait presque rien de son enfance et de sa formation. Arrivé en Espagne en 1539, il fut maître de chapelle de la cathédrale d’Urgel en Catalogne, de 1539 à 1543 et de 1545 à 1577. Il fut ordonné prêtre en 1543. À partir de 1577, il fit quelques voyages, et on le trouve en 1585 à Barcelone où il publie ses Madrigales. Il abandonna l’année suivante toute fonction après avoir obtenu un bénéfice ecclésiastique important. Ses seize madrigaux (par exemple, Las Cañas) montrent qu’il connut les oeuvres de Janequin. Il marqua sa prédilection pour les dissonances, et son style d’écriture est moins strict que celui de son cadet Victoria. Cinq madrigaux sont écrits sur des textes catalans, notamment d’Auzias March, poète du XIIIe siècle. Brudieu est, d’autre part, l’auteur d’un Requiem à 4 voix, conservé en manuscrit. BRÜGGEN (Frans), flûtiste et chef d’orchestre néerlandais (Amsterdam 1934). Après des études dans sa ville natale, au conservatoire pour la musique et à l’université pour la musicologie, il s’est très vite imposé comme l’un des plus grands virtuoses actuels de la flûte traversière et plus encore de la flûte à bec. Passionné par ce dernier instrument, il en a, de nos jours, confirmé la renaissance en lui rendant accès aux salles de concert comme instrument soliste. Il a exhumé, interprété et souvent édité de nombreuses partitions du XVIIe et du XVIIIe siècle. Attentif à toutes les époques et à tous les genres de musique, il est le créateur d’oeuvres écrites spécialement pour la flûte à bec par des compositeurs comme Berio. Il collabore avec le facteur de flûtes Hans Coolsma, d’Utrecht, gardien de la célèbre tradition

des facteurs de flûtes hollandais des XVIIe et XVIIIe siècles. Comme chef, il a fondé en 1981 et dirige depuis l’Orchestre du XVIIIe Siècle. BRUHNS (Nicolaus), organiste et compositeur allemand (Schwabstedt, Schleswig, 1665 - Husum, Schleswig, 1697). Après des études de violon, de viole de gambe, d’orgue et de composition, notamment avec Buxtehude, il passa sa brève carrière comme organiste à Husum, où il fut nommé en 1689. Ses oeuvres pour orgue - 4 toccatas et une fantaisie de choral sur Nun komm der Heiden Heiland -, qui révèlent un digne disciple de Buxtehude, par la virtuosité et le renouvellement incessant de l’imagination, furent rapidement célèbres dans toute l’Allemagne. Bruhns laissa également douze Concerts spirituels et Cantates, où son tempérament fougueux s’exprime par une écriture vocale et instrumentale recherchée et brillante. BRUITEUR. Exécutant qui accompagne une action dramatique de bruits destinés à en illustrer le déroulement et à en renforcer l’impact. Déjà, dans le théâtre antique, des bruiteurs étaient chargés, notamment, de faire vibrer de grandes plaques de bronze pour simuler l’orage accompagnant l’apparition du deus ex machina. Les mystères médiévaux en appelaient également au bruitage pour évoquer, par exemple, l’horreur de l’enfer. Le théâtre baroque fit grand usage de bruiteurs, mais c’est surtout pour le théâtre radiophonique et le cinéma que l’art du bruiteur eut à se développer, en simulant une extraordinaire quantité de sons à l’aide de moyens généralement rudimentaires. L’enregistrement de certaines oeuvres lyriques peut réclamer l’intervention d’un bruiteur (par exemple, l’orage du début de l’Otello de Verdi). Aujourd’hui, grâce au développement des techniques d’enregistrement, on tend à recomposer l’environnement sonore à l’aide d’éléments recueillis sur le vif. BRUMEL (Antoine), compositeur français (v. 1460 - v. 1520). Heurier à la cathédrale de Chartres en 1483, il fut nommé maître de chant des

enfants à la cathédrale Saint-Pierre de Genève (1486-1492). Membre du choeur de Laon en 1497, il devint maître des enfants à Notre-Dame de Paris (1498-1500). Il vécut ensuite, peut-être, à Lyon, avant d’occuper le poste de maître de chapelle du duc de Ferrare, Alphonse Ier (1505). Ses treize messes utilisent le cantus firmus, profane (l’Homme armé, Bergerette savoyenne, À l’ombre d’un buyssonnet) ou liturgique (Pro defunctis sur l’introït de Requiem aeternam et le Dies irae, une nouveauté en matière de teneur). Mais si, dans ses premières messes, comme l’Homme armé, le superius et le ténor commandent encore les deux autres voix, la messe De Beata Virgine, plus tardive, semble avoir été pensée à 4 voix et s’ouvre, bien que timidement, au style nouveau (souci de l’harmonie, homorythmie). La souplesse et la variété qu’apportent ces qualités expressives contrebalancent le caractère parfois trop accusé de ses connaissances purement techniques et son attachement premier à la tradition. Le motet Laudate Dominum (il en a écrit environ une trentaine) est un excellent exemple de cet équilibre. En avançant dans sa carrière, Brumel accorde une attention spéciale à la déclamation (Sicut lilium inter spinas), à l’homorythmie (Missa Super Dringhs) et une place grandissante à la richesse sonore, signes d’une influence italienne directement subie. BRÜN (Herbert), compositeur israélien (Berlin 1918). Il a fait ses études au conservatoire de Jérusalem (1936-1938), notamment avec Stefan Wolpe pour la composition, et à l’université Columbia aux États-Unis (1948-49). De 1955 à 1961, il a orienté ses recherches vers l’utilisation de l’électronique et de l’électroacoustique en composition et, à partir de 1963, vers celle des ordinateurs. Il a commenté ses travaux dans de nombreux articles publiés dans divers pays, dans des cours à Darmstadt et dans des émissions de radio en Allemagne. Il est devenu professeur à l’université de l’Illinois en 1963. Herbert Brün a composé des oeuvres pour orchestre comme Mobile for Orchestra (1958), des oeuvres de musique de chambre, dont 3 quatuors à cordes (1953, 1957, 1961), des pièces pour piano, pour clavecin, des ballets, des musiques de scène et de la musique élec-

tronique (Anepigraphe, 1958 ; Non sequitur VI, pour instruments et bande, 1966), parfois avec intervention d’un ordinateur (Infraudibles, 1968). BRUNEAU (Alfred), compositeur français Paris 1857 - id. 1934). Sa mère était peintre ; son père, violoniste et éditeur de musique. Entré au Conservatoire de Paris en 1873, il obtint un premier prix de violoncelle en 1876, travailla la composition avec Massenet et remporta le second grand prix de Rome en 1881. Après avoir abordé le théâtre lyrique, en 1887, avec Kerim, il se lia avec Émile Zola et tira d’un roman de ce dernier, le Rêve, un opéra-comique créé salle Favart en 1891. Influencé par le naturalisme littéraire, Bruneau résolut de le transplanter dans l’opéra et précéda dans cette voie Gustave Charpentier, choisissant ses héros parmi les humbles, paysans, ouvriers, soldats. D’abord surpris, le public se laissa conquérir par la sincérité de l’écriture de Bruneau et la noblesse des sentiments exprimés. Il imposa les personnages de Zola sur les scènes de l’OpéraComique et de l’Opéra avec l’Attaque du downloadModeText.vue.download 138 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 132 moulin (1893), Messidor (1897), l’Ouragan (1901), l’Enfant-Roi (1905). Après la mort de Zola, il se laissa tenter par des sujets pleins d’humour (le Roi Candaule, 1920) et par un drame historique de Victor Hugo (Angelo, tyran de Padoue, 1928). Le langage musical de Bruneau est simple et clair, mais lyrique, capable d’une grande vigueur, avec un don particulier pour évoquer la nature (forêt de l’Attaque du moulin, blés mûrs de Messidor, féerie du Paradou dans sa musique de scène pour la Faute de l’abbé Mouret de Zola). À ses oeuvres théâtrales, il faut ajouter quelques pièces symphoniques et de belles mélodies. Bruneau eut aussi une importante activité de critique et de musicographe. BRUNETTE. Brève composition pour 1, 2 ou 3 voix et basse continue sur un sujet galant et

champêtre, voire pastoral, en vogue au XVIIIe siècle. La brunette tire son nom de l’idéal féminin de la « petite brune » de la poésie médiévale. Le genre est léger, tendre, et se rattache soit à la forme binaire de l’air de cour, soit à celle de la chanson avec refrain. L’éditeur parisien Christophe Ballard a publié un certain nombre de brunettes dans divers recueils. La brunette poursuivit sa carrière en devenant également instrumentale (flûte, hautbois, violon). BRUNETTI (Gaetano), compositeur italien (Fano, États pontificaux, v. 1740 Madrid 1808 ?). Élève de Nardini, il arriva avec sa famille en Espagne en 1762 et y bénéficia de la protection du prince des Asturies et du duc d’Albe. Il écrivit pour eux de nombreuses oeuvres. Il n’occupa aucune position officielle sous Charles III, mais, sous Charles IV, on le trouve mentionné comme « premier violoniste du roi ». Il fut, semble-til, lié d’amitié avec Boccherini. On perd toute trace de lui après 1798 et la date de sa mort est incertaine. Il écrivit un opéra, Jason, donné à Madrid en 1768 (perdu), et quelques pièces religieuses, mais sa production est pour l’essentiel instrumentale. Elle comprend beaucoup de musique de chambre et, surtout, 37 symphonies (dont 7 perdues) qui font de lui, avec Boccherini, le principal symphoniste italien de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Dans la plupart de ses symphonies, le menuet est écrit pour instruments à vent seuls. BRUNI (Antonio Bartolomeo), compositeur et violoniste italien (Cuneo 1757 id. 1821). Élève de Pugnani à Turin, installé à Paris en 1780, il y donna les opéras Célestine (1787), Claudine (1794) et la Rencontre en voyage (1798), et dirigea l’orchestre de l’Opéra-Comique (1799-1801) puis de l’Opéra italien (1801-1806). Il publia une méthode de violon et une d’alto. BRUNOLD (Paul), musicologue français (Paris 1875 - id. 1948). Organiste, il devint titulaire de l’orgue de Saint-Gervais. Également claveciniste, il édita les oeuvres de Dieupart, Clérambault, Jacquet de la Guerre et, en collaboration avec A. Tessier, celle de Chambon-

nières. Il publia, en collaboration avec H. Expert, une Anthologie des maîtres français du clavecin des XVIIe et XVIIIe siècles. En 1946, il fut nommé conservateur du Musée instrumental du Conservatoire. Paul Brunold est l’auteur d’ouvrages théoriques, notamment un Traité des signes et agréments employés par les clavecinistes français (rééd. Nice, 1964) et une Histoire du grand orgue de Saint-Gervais (Paris, 1934). BRUSCANTINI (Sesto), baryton italien (Porto Civitanova, prov. de Macerata, 1919). Après des études de droit, puis de chant, il a débuté à la Scala de Milan en 1949 dans le rôle de Geronimo du Mariage secret de Cimarosa. À partir de 1951, sa participation aux festivals de Glyndebourne et de Salzbourg l’a rendu très vite célèbre. Sa voix souple, sa musicalité, ses talents d’acteur lui ont permis de s’illustrer essentiellement dans des rôles de Rossini (Figaro dans le Barbier de Séville, Dandini dans La Cenerentola), de Donizetti (Malatesta dans Don Pasquale) et aussi de Mozart (Alfonso dans Cosi fan tutte). BRUXELLES. La gloire de la chapelle dite « de Bourgogne » ou « du roi », au XVIe siècle, où avaient oeuvré Gombert, Créquillon, Canis, est sans doute à l’origine d’une tradition qui permit à Bruxelles, dans la seconde moitié du XVIe siècle et la première du XVIIe, le maintien d’une activité musicale régulière, marquée par l’émulation qui régna entre la chapelle du roi et la maîtrise de la collégiale Sainte-Gudule. En 1650, la cour de l’archiduc Léopold Guillaume accueillit pour la première fois un spectacle lyrique (Ulisse all’isola di Circe de Zamponi) ; en 1682, l’opéra du quai au Foin ouvrit ses portes, et le répertoire italien s’installa en maître. En 1700, l’Atys de Lully inaugura le « Grand Théâtre sur la Monnoye », futur théâtre de la Monnaie. Ce fut le début d’une période brillante où Bruxelles servit de tremplin à l’opéra italien dans sa conquête de l’Allemagne, de Vienne et de l’Angleterre, avant d’assurer le triomphe de l’opéra français avec les oeuvres de Campra, Destouches et Mouret. Le ballet était fort à l’honneur, et la célèbre danseuse Marie-Anne Camargo

y fit ses débuts. La création de l’Académie de musique (1681) donna une impulsion à la musique instrumentale. Au XVIIIe siècle se constituèrent une importante bibliothèque musicale et un musée d’instruments. Bruxelles vit alors naître plusieurs compositeurs de talent, tel Pierre Van Maldere, violon solo à l’Orchestre de l’Opéra royal et auteur du premier opéra-comique belge. De l’École de musique, créée en 1813 par Jean-Baptiste Roucourt et devenue École royale en 1826, sortit en 1832 le conservatoire, que ses directeurs successifs, Fétis, Gevaert, Tinel, du Bois, Joseph et Léon Jongen, Marcel Poot, ont maintenu à un très haut niveau. Cet établissement a été une pépinière d’illustres maîtres, en particulier dans le domaine du violon, où une tradition installée depuis André Robberechts (1798-1860) est restée vivace au fil des générations, grâce à Charles de Bériot, Martin-Pierre-Joseph Marsick (qui fut aussi un professeur célèbre à Paris), Vieuxtemps, Ysaye, Mathieu Crickboom, Édouard Deru, Alfred Dubois et, enfin, l’élève de ce dernier, Arthur Grumiaux. Durant tout le XIXe siècle, des sociétés se fondèrent et diffusèrent largement l’art musical. Le cercle des XX, créé par Octave Maus pour la défense de l’art moderne, devint la Libre Esthétique, tremplin de la musique française en Belgique, qu’il s’agisse du franckisme ou de Debussy. Parallèlement, le théâtre de la Monnaie, devenu l’une des premières scènes d’Europe, créait maints opéras nouveaux. Après la Première Guerre mondiale sont nés, en 1930, l’Orchestre de l’I. N. R. (Institut national de radiodiffusion), en 1931, l’Orchestre symphonique de Bruxelles et des sociétés plus spécialisées comme Pro Musica Antiqua (fondée en 1930) ou la Sirène (fondée en 1934 en faveur de la musique contemporaine). En 1940, en pleine guerre, vit le jour à Bruxelles le Mouvement international des jeunesses musicales, à l’initiative de Marcel Cuvellier. Après 1950, le même éventail d’activités a permis à la fois la résurrection d’un passé musical injustement méconnu et l’essor de la jeune école belge, dont André Souris, puis Henri Pousseur ont été les personnalités les plus marquantes. Les

studios, groupes d’études ou ensembles d’exécutants (Centre de recherches musicales de Wallonie, Studio de musique électronique de Bruxelles, Dédale, Logos, Musique nouvelle, Enteuxis, Pentacle, etc.) défendent et illustrent la musique contemporaine. Dans un autre domaine, l’ensemble Alarius s’est trouvé à une certaine époque à la pointe de la recherche dans l’exécution instrumentale de la musique ancienne et baroque. Des interprètes comme le violoniste Sigiswald Kuijken, le gambiste Wieland Kuijken, le claveciniste downloadModeText.vue.download 139 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 133 Robert Kohnen y firent leurs premières armes. L’ensemble Alarius se disloqua quelque temps après la mort accidentelle de son fondateur, le flûtiste Charles Maguire. Témoignent également de la vitalité de la vie musicale dans cette ville le concours d’interprétation Reine Elisabeth et le festival de musique contemporaine Ars Musica. BRUYNÈL (Ton), compositeur néerlandais (Utrecht 1934). Élève de Kees Van Baaren au conservatoire de sa ville natale (1952-1956), il s’est tourné, à partir de 1967, vers la musique électronique, et a écrit depuis une série d’oeuvres pour bande et sources sonores traditionnelles qui le placent au premier rang de la jeune école néerlandaise. Citons Études pour piano et bande (1959), plus tard utilisé comme ballet, Résonance I, en collaboration avec un groupe de danse (1962), Résonance II (1963), Relief pour 4 magnétophones et orgue (1964), Mobile pour 2 magnétophones (1965), Signes pour quintette à vent, 2 magnétophones et projections lumineuses (1969), Phases pour orchestre et bande (1974), Soft Song pour hautbois et bande, Translucent II pour cordes et bande (1978), Serène pour flûte et bande (1978), Toccare pour piano et bande (1979), John’s Lullaby pour choeur, bande et orchestre (1985). BUCCHI (Valentino), compositeur italien (Florence 1916 - Rome 1976).

Il fut élève de V. Frazzi et de L. Dallapiccola au conservatoire de Florence. Également critique musical, il enseigna au conservatoire de Florence (19451957) et à celui de Venise (1951-52, 1954-55). À partir de 1957, il dirigea le collège musical de Pérouse et, de 1958 à 1960, fut directeur artistique de l’Accademia Filarmonica à Rome. Bucchi a écrit pour le théâtre : Il Gioco del barone (1939, première représentation 1944) ; Il Contrabasso (1954) ; Una notte in paradiso (1960) ; des ballets Raconta siciliano (1956) ; Mirandolina (1957) ; un mystère chorégraphique Laudes Evangelii (1952). Il a composé des oeuvres pour orchestre, des concertos (piano, violon), de la musique de chambre, de la musique de film, ainsi qu’une transcription moderne du Jeu de Robin et Marion (1951-52). BÛCHE DE FLANDRE ou BÛCHE. Instrument ancien à cordes frappées ou pincées, de facture rudimentaire. Peut-être formé, à l’origine, d’une véritable bûche évidée, il consistait en une simple caisse de forme oblongue, sur laquelle étaient tendues quelques cordes métalliques. BUCHNER (Hans), organiste, théoricien et compositeur allemand (Ravensburg 1483 - Constance 1538). Il étudia l’orgue avec Paul Hofhaimer et devint très vite l’un des plus éminents « Paulomimes » (ainsi appelait-on les disciples de ce musicien). Vers 1506, il fut nommé organiste de la cathédrale de Constance, dont l’orgue, reconstruit par Hans Schentzer (1516-1520), fut l’un des plus importants d’Allemagne. En 1526, l’évêque de Constance, chassé par la Réforme, dut se réfugier à Uberlingen, et c’est là que Buchner exerça désormais son art. Sa méthode d’orgue Fundamentum contient des pièces liturgiques pour les principales fêtes religieuses. Il a également signé des motets et des lieder. Ses oeuvres pour orgue ont été rééditées en 1974 à Francfort. BUCHT (Gunnar), compositeur, pédagogue et musicologue suédois (Stocksund 1927). Il étudie avec K.-B. Blomdahl, C. Orff, G. Petrassi et M. Deutsch. Sa position dans

la musique suédoise le situe parmi les modernistes, grâce notamment à son langage d’une très grande rigueur. Président de la Société internationale de musique contemporaine de 1962 à 1972, il a écrit 7 symphonies (1952-1971), de la musique de chambre, des oeuvres vocales et instrumentales et de la musique électronique. BÜCHTGER (Fritz), compositeur allemand (Munich 1903 - Starnberg 1978). De 1921 à 1928, il étudia, à la Hochschule für Musik de Munich, l’orgue, la flûte, le chant, la direction d’orchestre, la théorie et la composition. De 1922 à 1931, il organisa et dirigea des festivals de musique nouvelle, faisant connaître les oeuvres de Hindemith, Egk, Krenek, Bartók, Stravinski, Schönberg. Il anima aussi des chorales et des orchestres d’amateurs. Toujours à Munich, il fonda en 1927 la Société pour la musique contemporaine, dirigea à partir de 1948 le Studio pour la musique nouvelle et, à partir de 1954, une école, la Jugendmusikschule, mettant en application les principes pédagogiques les plus modernes. En raison de l’hostilité du régime nazi à certaines formes de musique, en particulier à la musique sérielle, Büchtger, dans les années 30, ne franchit pas les limites de l’écriture tonale. Après la guerre, il se tourna vers le dodécaphonisme, mais l’utilisa en le combinant avec des procédés tonaux. Son oeuvre abondante comprend des pièces pour orchestre ou pour ensemble à cordes, de la musique de chambre, dont 4 quatuors à cordes (1948, 1957, 1967, 1969), de la musique chorale (la Cité de rêve pour 5 choeurs, 1961), des cantates, de nombreux oratorios, des mélodies d’après des textes de Villon et de Cummings. BUFFET D’ORGUE. Meuble entourant et contenant la soufflerie, la mécanique et la tuyauterie d’un orgue, à l’exception du moteur électrique de la soufflerie, qu’on cherche à isoler acoustiquement en le plaçant dans un local séparé. Le rôle du buffet est de masquer par un décor les organes de l’instrument, mais aussi, par le jeu de ses panneaux réflecteurs, d’améliorer la diffusion sonore des tuyaux qu’il renferme. Au cours des siècles, et selon les pays, la forme, la dimension et l’exécution des buffets d’orgue ont connu bien des variantes,

qui en rattachent l’évolution à celle du mobilier religieux et des arts décoratifs : buffets simples ou doubles (le petit buffet de positif, à l’avant de la tribune, étant la réplique réduite du buffet principal, dit de grand-orgue), buffets à étages superposés (grands instruments), buffets en plusieurs éléments séparés (orgues baroques allemands), buffets plats (Italie) ou faisant alterner tourelles et plates-faces (France), buffets en nid d’hirondelle accrochés à la muraille, buffets à plusieurs façades différemment orientées (Espagne), etc. Meuble décoratif, le buffet d’orgue met en valeur certains tuyaux présentés en « montre », parfois décorés, dorés ou guillochés (par exemple, les chamades, caractéristiques de l’orgue espagnol) ; certains (quand ce n’est pas tous) sont factices et ne se justifient que pour le seul coup d’oeil. Le buffet d’orgue est orné de panneaux sculptés, de cariatides, de statues (anges musiciens), parfois même d’automates. Jusqu’au XVIIe siècle, le buffet est protégé par des volets peints qu’on ouvre avant de jouer. Suivant l’évolution du goût, le buffet d’orgue devient au XIXe siècle un meuble de style néogothique ou néo-Renaissance sans caractère personnel. Au XXe siècle, le parti pris de dépouillement et de stylisation a conduit à ne garder du buffet qu’un soubassement, la disposition des tuyaux apparents constituant le principal élément décoratif. Mais l’absence de panneaux et de toit réfléchissants nuit à l’acoustique, et on en revient, en Allemagne et en Hollande notamment, à placer la tuyauterie dans des caissons de bois traités de façon moderne. BUFFO. Substantivement, le mot désigne un chanteur spécialisé dans les emplois comiques de l’opera buffa. En tant qu’adjectif, buffo qualifie les chanteurs de manière plus précise : tenore buffo, basso buffo. Dès le XVIIIe siècle, le terme a été traduit en français par bouffe, avec le même sens. Dans l’opéra classique et le premier opéra romantique, l’élégance avec laquelle devaient être chantés les rôles élégiaques ou dramatiques exigeait pour les voix autant downloadModeText.vue.download 140 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE

134 de préparation technique que de virtuosité nécessaire dans les rôles de buffo. Aussi est-ce plutôt à la fin du XIXe siècle et surtout au XXe que les personnages buffo ont été réservés à des chanteurs spécialisés, au volume vocal parfois réduit, mais capables de virtuosité, alors que les rôles dramatiques étaient attribués à des voix puissantes, mais non préparées selon la technique du bel canto. BUGLE. Instrument à vent de la famille des cuivres, le plus aigu du groupe des saxhorns. Extérieurement semblable à un clairon muni de trois pistons (bugle est le nom anglais du clairon militaire), il existe en deux formats : le petit bugle en mi bémol et le grand bugle en si bémol. BUISINE. Trompette ancienne de forme droite, au pavillon évasé, dérivée du buccin militaire des Romains. En usage pendant tout le Moyen Âge, surtout comme instrument d’apparat, la buisine fut repliée sur elle-même à partir du XVe siècle pour prendre la forme classique de la trompette de cavalerie. BUKOFZER (Manfred), musicologue américain d’origine allemande (Oldenburg 1910 - Berkeley, Californie, 1955). Il étudia au conservatoire Stern et à la Hochschule für Musik de Berlin, ainsi qu’avec Michael Taube. Il enseigna aux universités de Bâle, Cambridge, Oxford et Cleveland, puis à Berkeley. Ses recherches personnelles ont porté sur la musique du Moyen Âge, de la Renaissance et, plus particulièrement, sur celle de l’époque baroque. Il a écrit le premier ouvrage en langue anglaise consacré à l’histoire de la musique à cette époque (Music in the Baroque Era, rééd. Londres, 1948 ; trad. fr. Paris, 1982). Il a également publié Studies in Medieval and Renaissance Music (1950), un fac-similé de l’ouvrage de G. Coperario Rules how to compose (1610), ainsi que les oeuvres complètes de J. Dunstable (Musica Britannica VIII, 1954). Son édition Duns-

table est reparue révisée en 1969. BULL (John), compositeur anglais (1562 ? - Anvers 1628). D’abord enfant de choeur et élève de Blitheman à la chapelle royale de la reine Élisabeth, il fut nommé organiste à la cathédrale de Hereford en 1582. Il obtint le doctorat des universités d’Oxford et de Cambridge et devint le premier professeur de musique du Gresham College à Londres en 1596 sur la recommandation de la reine. Sa santé l’obligea à quitter l’Angleterre en 1601 et il voyagea sur le continent, en France et en Allemagne. La mort d’Élisabeth (1603) n’entama ni sa position sociale ni sa réputation. Honoré et distingué également par Jacques Ier, il conserva son rôle de musicien officiel. Il se maria en 1607, entra au service du prince Henry (1611) et, avec Byrd et Gibbons, publia le premier recueil anglais de pièces pour le virginal (Parthenia, 1611). En 1613, il composa un anthem pour le mariage de l’électeur palatin avec la princesse Élisabeth. Peu après, sans doute pour des raisons en partie religieuses, il s’enfuit et obtint l’un des postes d’organiste de la chapelle royale à Bruxelles. Il se rendit ensuite à Anvers (1617), où il fut organiste de la cathédrale jusqu’à sa mort. L’oeuvre pour clavier de John Bull illustre parfaitement le génie de l’école des virginalistes anglais. L’écriture fait preuve d’un grand esprit d’invention, d’un sens remarquable des possibilités des instruments à clavier de l’époque et témoigne de la virtuosité de l’instrumentiste. Un certain nombre de ces pièces, dont un monument, les Walsingham Variations, figurent dans le Fitzwilliam Virginal Book. Avec Sweelinck, qu’il connaissait, Bull fut l’un des premiers musiciens à écrire de la vraie musique de clavier. Autour du cadre du portrait du musicien, un couplet pouvant se traduire ainsi : « Le taureau règne par la force dans les champs, mais Bull (= taureau) attire la bienveillance par son habileté. » BULL (Ole Bornemann), violoniste et compositeur norvégien (Bergen 1810 id. 1880). Quoiqu’il se soit produit comme violoniste à neuf ans, son père n’était pas favorable à une carrière musicale et l’envoya à Christiana faire des études de théologie.

Mêlé à des agitations politiques, Bull dut quitter la Norvège en 1829 et se rendit à Kassel où il travailla avec Spohr. En 1831, il entendit Paganini à Paris et s’attacha dès lors à perfectionner sa technique. Il donna à Paris son premier concert, en 1832, déchaîna l’enthousiasme en Italie et entreprit des tournées triomphales à travers l’Europe, puis, après 1843, en Amérique. Il vécut alors alternativement en Norvège et aux États-Unis, où il perdit en partie sa fortune, qui était considérable, en tentant de fonder une colonie norvégienne. Sa mort fut un deuil national. Sa technique éblouissante fut comparée à celle de Paganini. Bull utilisait un archet et un violon conçus spécialement pour lui ; son violon avait un chevalet plat. À l’exception de quelques oeuvres de Paganini, il ne jouait en public que ses propres compositions qui, parfois inspirées du folklore norvégien, comprennent des oeuvres pour violon seul, pour violon et piano, et 2 concertos (1834, 1841). BÜLOW (Hans Guido von), pianiste, chef d’orchestre, compositeur et critique musical allemand (Dresde 1830 - Le Caire 1894). Élève de Friedrich Wieck et de Franz Liszt, il fut l’un des pianistes les plus fameux de son temps, mais sa renommée comme chef d’orchestre ne fut pas moins grande. Il fut un merveilleux animateur de la vie musicale dans les villes où il exerça son activité de chef : Munich (1864-1869), Meiningen (1880-1885 ; il rendit célèbre dans l’Europe entière l’orchestre de la cour de ce petit duché d’Allemagne centrale), Hambourg et Berlin (1887-1892). Prototype du chef d’orchestre moderne, il se considérait comme entièrement au service des oeuvres qu’il dirigeait et exigeait leur parfaite mise au point. Il défendait aussi bien les classiques que les jeunes compositeurs, et prenait souvent la parole devant son public pour expliquer les oeuvres. Conquis par l’art wagnérien dès 1849, il dirigea les premières de Tristan et Isolde (1865) et des Maîtres chanteurs de Nuremberg (1868). En 1857, il avait épousé Cosima de Flavigny, fille de Liszt, qui le quitta pour devenir la compagne de Wagner. Le divorce fut prononcé en 1870, mais, jusqu’en 1880, Bülow continua à défendre la cause wagnérienne. Bülow contribua à faire connaître Bach, Beethoven (notamment les dernières sonates pour piano, longtemps jugées incompréhensibles),

Chopin, Liszt, Brahms, Richard Strauss. Parallèlement à la direction d’orchestre, il écrivit quelques partitions et eut une activité d’éditeur, de critique et de musicographe. Il demeure l’une des plus grandes intelligences musicales du XIXe siècle. BUNLET (Marcelle), soprano française (Fontenayle-Comte, Vendée, 1900 - Paris 1991). Elle débuta en 1926 en concert, et, en 1928, à l’Opéra de Paris dans le rôle de Brünhilde du Crépuscule des dieux de Wagner. Elle acquit bientôt une grande renommée dans les rôles wagnériens et chanta Kundry de Parsifal au festival de Bayreuth en 1931. Ariane dans Ariane et Barbe-Bleue de Dukas et des rôles de Richard Strauss, comme Elektra et Arabella, comptèrent parmi ses spécialités. Elle fut aussi une chanteuse de concert réputée et la créatrice des Poèmes pour Mi d’Olivier Messiaen. Sa voix était ample, d’une belle couleur et très expressive. BUNRAKU. Terme japonais désignant un genre de théâtre de marionnettes, du nom du Théâtre Bunrakuza, fondé à Osaka en 1862 par Uemura Bunrakuken. Vers le Xe siècle, on trouvait déjà au Japon des poupées articulées, sûrement importées du continent asiatique ; elles étaient le gagne-pain de mendiants errant downloadModeText.vue.download 141 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 135 à travers le pays. Puis les marionnettes se mirent au service de la foi, et les montreurs continuèrent à les présenter de village en village. En 1734, une nouvelle technique de manipulation des marionnettes, qui sont de grande taille et somptueusement vêtues, a donné à ce genre sa forme définitive. Les marionnettes s’expriment par le biais du jōruri, musique alliant le chant épique aux complaintes populaires, avec accompagnement de shamisen. Un chanteur installé sur une plate-forme, à droite de la scène, donne les monologues et les dialogues de tous les personnages, soit en

parlant, soit en chantant, accompagné par le shamisen. Le joueur de shamisen n’a pas le droit de prononcer des mots, mais peut accompagner le narrateur-chanteur par des bruits vocaux divers (soupirs, grognements, etc.). Il peut y avoir plusieurs narrateurs et plusieurs instrumentistes, des instruments comme le kokyū, luth à trois ou quatre cordes, étant susceptibles de s’ajouter au shamisen. BURGHAUSER (Jarmil), musicologue et compositeur tchèque (Písek 1921). Il a fait ses études de lettres et de musicologie à Prague, tout en travaillant la composition avec J. Křička et O. Jeremiáš. Après la guerre, il s’est initié à la direction d’orchestre. Successivement lecteur à l’Académie de musique, chef répétiteur au Théâtre national, puis musicologue chargé de l’édition critique des oeuvres de Dvořák (dont il a établi le catalogue complet) et de Fibich, il a publié de nombreux articles et études théoriques. Son style se contente d’une technique sérielle modifiée qu’il nomme « système des séries harmoniques ». Sa production est relativement restreinte, axée sur l’orchestre et sur l’opéra. BURGMÜLLER (Norbert), compositeur allemand (Düsseldorf 1810 - Aix-la-Chapelle 1836). Il écrivit notamment deux symphonies (la seconde, inachevée), une ouverture, des lieder ainsi que de nombreuses pièces et sonates pour piano, et sa mort prématurée fut vivement déplorée par Schumann. BURKHARD (Willy), compositeur suisse (Evilard-sur-Bienne 1900 - Zurich 1955). Il fit ses études musicales à Leipzig, à Munich, et avec Max d’Ollone à Paris. Il fut professeur de composition au conservatoire de Berne de 1928 à 1933, puis, après une interruption de son activité due à la maladie, au conservatoire de Zurich à partir de 1942 et jusqu’à sa mort. Ce savant contrapuntiste a édifié une oeuvre très abondante, généralement inspirée par le sentiment religieux. À son désir de régénérer la musique liturgique, à son respect pour la musique chorale ancienne, pour Bach, pour Bruckner, sont venues s’ajouter, à un certain stade de son évolution, les influences de Scriabine, Hindemith, Bartók et Stravinski. Ses compositions

comprennent notamment des oratorios (la Vision d’Isaïe, 1933-1935 ; l’Année, 1940-41), des cantates, un opéra (l’Araignée noire, 1948, rév. 1954), des symphonies et pièces pour orchestre, des oeuvres pour orgue, pour piano, diverses pièces instrumentales, de la musique de chambre et des mélodies. BURLESQUE (ital. burla, « farce »). Si, en littérature, burlesque évoque la parodie, la caricature bouffonne de sujets classiques réputés nobles, avec une nuance d’extravagance (en ce sens, les livrets des opéras bouffes d’Offenbach sont burlesques), en musique, le mot désigne simplement des pièces instrumentales assez brèves, de style libre et de caractère gai (Burlesque pour piano et orchestre de Richard Strauss, Burlesques pour piano de Bartók). BURMEISTER (Joachim), théoricien et compositeur allemand (Lüneburg 1564 Rostock 1629). À partir de 1586, il étudia à l’université de Rostock, y obtint le grade de magister et fut cantor au lycée de la ville. Il composa deux volumes de Psaumes spirituels (Geisfliche Psalmen, Rostock, 1601), mais sa renommée vient surtout de ses ouvrages théoriques, dont le dernier, Musica poelica (Rostock, 1606 ; rééd. en fac-similé, Cassel et Bâle, 1955), fait la synthèse des précédents. C’est un livre de rhétorique musicale où sont exposées des figures qui demeurèrent en vigueur durant toute l’époque baroque. BURMESTER (Willy), violoniste allemand (Hambourg 1869 - id. 1933). Il reçoit ses premières leçons de son père, éminent violoniste de l’Orchestre philharmonique de Hambourg. Entre 1882 et 1885, il étudie avec Joseph Joachim, dont il devient un disciple. Dès 1886, il inaugure une carrière de virtuose avec une prédilection pour les oeuvres de Paganini. Il joue à Londres en 1895 et effectue, en 1899, sa première tournée aux États-Unis. À partir de 1905, il intègre à son répertoire les oeuvres de Bach et de Haendel, qui supplantent Paganini et Brahms. Cette évolution vers un classicisme plus dépouillé sera le trait marquant de son héritage. C’est sans doute lui qui, vers 1902, suggère à Sibelius de composer un concerto.

Il publie son autobiographie en 1926. BURNEY (Charles), compositeur et musicographe anglais (Shrewsbury 1726 Chelsea College, Londres, 1814). Son père s’appelait James Macburney, et il apprit la danse, le violon, le français et l’orgue avec Edmund Baker à Chester. À dix-huit ans, il fut remarqué par Thomas Arne, qui l’emmena à Londres et le fit travailler jusqu’à l’épuisement de ses forces (1744-1746). Nommé organiste à King’s Lynn (Norfolk) en 1751, il revint définitivement à Londres en 1760 et y donna, en 1766, The Cunning Man, adaptation du Devin du village de J.-J. Rousseau. Pour pouvoir écrire son ouvrage capital, General History of Music en 4 volumes (1er vol. 1776, 2e vol. 1782, 3e et 4e vol. 1789), il voyagea en 1770 en France et en Italie, puis en 1772 dans les pays germaniques et aux PaysBas. Les événements consignés par lui furent publiés sous les titres The Present State of Music in France and Italy (1771) et The Present State of Music in Germany, the Netherlands and United Provinces (1773). Il n’appréciait vraiment, sauf exception, que la musique de son temps. Ami de Samuel Johnson, il joua un rôle non négligeable dans les milieux littéraires. On peut toujours le consulter avec profit non seulement comme voyageur, mais comme arbitre du goût, ce dont témoignent en particulier ses Verses on the Arrival in England of the Great Musician Haydn (1791). BUSCH, famille de musiciens allemands. Fritz, chef d’orchestre (Siegen, Westphalie, 1890 - Londres 1951). Après des études au conservatoire de Cologne, il occupa des postes à Riga, Gotha, Bad-Pyrmont et Aix-la-Chapelle, et fut, après la Première Guerre mondiale, maître de chapelle, puis directeur à l’opéra de Stuttgart (19181922). Il dirigea ensuite l’opéra de Dresde (1922-1933), où il assura la création d’Intermezzo (1924) et d’Hélène d’Égypte (1928) de Richard Strauss, de Doktor Faust de Busoni (1925), de Cardillac de Hindemith (1926). Il fut pour beaucoup, à cette époque, dans la renaissance de Verdi en Allemagne. Privé de ses postes par le régime nazi, il vécut en Argentine de 1933 à 1936, à Stockholm et à Copenhague de 1937 à 1941, puis de nouveau en Amérique. À partir de 1934, il dirigea au festival de Glyndebourne, et les enre-

gistrements d’opéras de Mozart réalisés là sous sa direction sont mémorables. Sa carrière de chef se poursuivit brillamment après la Seconde Guerre mondiale et il avait accepté, peu avant sa mort brutale, la direction de l’opéra de Vienne. Ce fut un des chefs les plus marquants de la première moitié du XXe siècle. Adolf, violoniste et compositeur (Siegen 1891 - Guilford, Vermont, États-Unis, 1952), frère du précédent. Élève du conservatoire downloadModeText.vue.download 142 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 136 de Cologne (1902-1908), il se lia en 1907 avec Max Reger, dont il devint un des interprètes privilégiés. Nommé en 1912 premier violon solo de la Société des concerts de Vienne (Wiener Konzertverein), il fonda la même année le quatuor du Konzertverein, qui, en 1919, devint le quatuor Busch. La renommée de cette formation ne l’empêcha pas de mener une carrière de soliste : il donna avec le pianiste Rudolf Serkin, qui devint son gendre, de remarquables séances de sonates. Son jeu, à la sonorité et au vibrato très particuliers, mettait en valeur la plasticité et le contenu expressif des oeuvres, et il fut, à la tête d’un orchestre de chambre portant son nom, un célèbre interprète des Concerts brandebourgeois de Bach. Il vécut aux États-Unis à partir de 1940, et, en 1950, fonda avec son frère Hermann et Rudolf Serkin une école de musique à Marlboro. Hermann, violoncelliste (Siegen 1897 Bryn Mawr, Pennsylvanie, 1975), frère des précédents. Élève du conservatoire de Cologne et de l’Académie de musique de Vienne, il joua en trio avec son frère Adolf et Rudolf Serkin, et fut membre, de 1930 à 1952, du quatuor Busch. Il enseigna à Marlboro, et, jusqu’en 1964, à l’université de Miami en Floride. BUSENELLO (Giovanni Francesco), poète et librettiste italien (Venise 1598 Legnaro, près de Padoue, 1659). De milieu aisé, il écrivit quelques pièces en dialecte vénitien, mais il doit aujourd’hui sa célébrité aux excellents livrets qu’il composa pour Monteverdi (L’Incoronazione di Poppea, 1642) et pour Cavalli

(Gli Amori d’Apollo e di Dafne, 1640 ; La Didone, 1641 ; La Statira Principessa di Persia 1655 ; La Prosperità infelice di Giulio Cesare, 1654). Il témoigna de sa prédilection pour des sujets historiques et fut d’ailleurs le premier à en écrire. Il entra en conflit avec les compositeurs, jugeant que ses textes étaient trop malmenés pour les besoins de la musique. Il les publia en 1656 tels qu’il les avait vraiment conçus. BUSH (Alan), compositeur, chef d’orchestre et pianiste anglais (Londres 1900 - Watford 1995). De 1918 à 1922, il étudia le piano, l’orgue et la composition à la Royal Academy of Music, où il enseigna dès 1925. De 1922 à 1927, il travailla la composition avec J. Ireland, puis le piano avec A. Schnabel. De 1929 à 1931, il étudia la philosophie et la musicologie à l’université de Berlin. Il a voyagé comme conférencier ou chef d’orchestre en Allemagne, en U.R.S.S., en Europe centrale et aux États-Unis. Communiste militant actif, il voit ses oeuvres jouées plus souvent dans les pays de l’Est qu’en Angleterre. Il a écrit 3 symphonies, des concertos dont un pour piano, baryton solo et choeur d’hommes et un autre pour violon, de la musique de chambre, des mélodies, des cantates (Voices of the Prophets ; The Winter Journey, 1946). Il a composé un opéra important, Wat Tyler (1950), inspiré de la révolte des paysans en Angleterre en 1381. Il faut également citer d’autres ouvrages théâtraux tels Men of Blackmoor (1955, représenté en 1956), The Sugar Reapers ou Guyana Johnny (19611964), The Man who never died (19651968). Sa musique se caractérise par un aspect néomodal et une vigueur certaine. BUSNOIS (Anthoine, ou A. DE BUSNES, dit), compositeur et poète français († 1492). Originaire de Busnes, bourgade des environs de Béthune, il vécut d’une manière presque constante dans le milieu bourguignon pour le divertissement duquel il composa des chansons dont une soixantaine sont parvenues jusqu’à nous. Indignus musicus de Charles le Téméraire, alors comte de Charolais, il est cité en 1468 parmi les chantres, et si grande était l’importance que Charles le Téméraire accordait à la musique sur le plan de la magnificence, comme de la valeur

éthique, que Busnois accompagna le duc dans tous ses déplacements, entre 1471 et 1475. Passé au service de Marguerite d’York (1476), il servit sa fille Marie de Bourgogne, épouse de Maximilien (1477). Sans doute est-ce lui qui mourut à Bruges en 1492 avec le titre de rector cantoriae de Saint-Sauveur. Busnois est l’un des rares compositeurs de son époque à avoir cultivé la poésie, comme en témoigne sa correspondance avec Jean Molinet, et il s’y montre habile disciple des rhétoriqueurs. Mais la pratique littéraire l’a amené à faire des trouvailles musicales : utilisation d’une voix parfois plus proche du récit que du chant ; division des voix en deux groupes, voix aiguës et graves dans Terrible Dame, procédé qui sera fréquent, par exemple, chez Josquin Des Prés ; renversement de thème, par exemple, dans le motet In hydraulis et dans la teneur de la chanson J’ay pris amours tout au rebours ; alternance de strophes binaires et ternaires, notamment dans les bergerettes ; un premier exemple de marche harmonique dans Au pauvre par nécessité. Libérant le contraténor de la teneur, Busnois aime les imitations, sait ménager et varier les effets et se sent plus à l’aise dans l’écriture à 3 voix égales, généralement graves ; les musiciens français du début du XVIe siècle écriront ainsi par prédilection. Il est maître dans l’art du rondeau et surtout de la bergerette, où son côté brillant mais un peu superficiel fait merveille. Ses neuf motets attestent ce souci d’invention singulière (sur teneur soit grégorienne, soit inventée). Même si Molinet l’associe à Ockeghem et si Tinctoris leur dédie son Liber de natura et proprietate tonorum, Busnois supporte malaisément la comparaison avec Ockeghem car, malgré son métier et son ingéniosité, il n’en a pas l’envergure. Outre ces oeuvres, Busnois a composé 2 Magnificat à 3 voix, une hymne et 3 messes à 4 voix, dont l’Homme armé. BUSONI (Ferruccio Benvenuto), pianiste et compositeur italo-allemand (Empoli, près de Florence, 1866 - Berlin 1924). Fils d’un clarinettiste italien et d’une pianiste allemande, il fut formé à la musique et particulièrement au piano par ses parents, donna ses premiers concerts à huit ans et dirigea à douze ans un Stabat Mater

de sa composition. En 1888, il commença, par une fugue d’orgue, son monumental travail de transcription pour piano des oeuvres de Bach. Dès 1890, sa réputation de pianiste était établie ; au clavier, son style était caractérisé par un sens des vastes architectures et de la décoration, plus que par une émotion romantique. Entre 1902 et 1909, il dirigea à Berlin douze concerts de musique contemporaine, qui comportèrent notamment la première audition en Allemagne du Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy. En 1911, il joua en six récitals la majeure partie des oeuvres de Liszt, qu’il considérait comme l’oméga du clavier, Bach étant l’alpha. Un peu plus tard, il fit connaître au public les concertos pour piano de Mozart, alors très négligés, qu’il ornait d’intéressantes et aventureuses cadences. Malgré une dévorante carrière de virtuose voyageur et de professeur (il enseigna à Helsinki, Moscou, Boston, Berlin), il parvint peu à peu à faire de son activité de compositeur le centre de sa vie. Dans la composition, Busoni mit longtemps à devenir le novateur qu’il demeure pour la postérité. Il écrivit d’abord des oeuvres, certes, très élaborées, mais où dominait une virtuosité étourdissante, comme son concerto pour piano avec choeur final op. 39 (1904), et ne trouva qu’avec la Berceuse élégiaque op. 42 pour orchestre (1909) sa résonance personnelle. Cependant, depuis Rameau, aucun compositeur, avant de s’engager dans ses oeuvres les plus importantes, n’a exposé la théorie de sa pratique avec autant de conviction et de lucidité ni aussi succinctement : car, dans l’espace d’une mince brochure, son Projet d’une nouvelle esthétique musicale (1907) est un traité complet d’anticonformisme en matière de musique. Busoni y conteste le recours aux seuls modes majeur et mineur, la forme sonate, etc., et il y propose à peu près toutes les innovations qui allaient se faire jour pendant la première moitié du XXe siècle : polytonalité, emploi de modes anciens et de modes de fantaisie obtenus downloadModeText.vue.download 143 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 137 en distribuant les bémols et les dièses de toutes les façons sur les sept notes de la

gamme diatonique, micro-intervalles, et même l’électronique, Busoni ayant déniché en Amérique le « dynamophone du docteur Cahill », capable de produire des timbres inédits. Il prôna un « jeune classicisme », un style se réclamant « de toutes les expériences du passé et de toutes les expérimentations actuelles ». En accord avec ses idées, il façonna la Fantaisie indienne op. 44 (1913) et Romanza e scherzoso op. 54 (1921) pour piano et orchestre, ainsi que 6 sonatines pour piano (1910-1920), toutes différentes, toutes marquées par des audaces diverses, y compris des dissonances sans pitié, ou des consonances enchaînées de façon insolite. Dans le domaine des ouvrages pour le théâtre, Projet avait esquissé une esthétique bien peu conventionnelle, surtout à cette époque, visant à éviter les inconvénients de la convention antiréaliste du chant en surenchérissant sur cet antiréalisme pour faire des opéras à l’aide « de situations et conflits invraisemblables au-delà de toute crédibilité » et reflétant uniquement « l’artificiel, le pas naturel et le surnaturel ». C’est pourquoi, après Die Brautwahl («le Choix de la fiancée, 1911), conte fantastique d’après Hoffmann, Arlecchino op. 50 (1916) et Turandot (d’après Gozzi, 1917) ressortissent à la commedia dell’arte, Turandot se référant aussi aux Mille et Une Nuits et au théâtre de marionnettes, et Arlecchino, dont le protagoniste est un rôle parlé, se compliquant d’une parodie d’opéra ; ce « caprice théâtral » s’ouvre par une fanfare dodécaphonique, plusieurs années avant que Schönberg n’ait mis en place ce système d’écriture. Quant à Doktor Faust (1925), on peut, dans une certaine mesure, le comparer à la Flûte enchantée de Mozart, en tant que spectacle pittoresque teinté de philosophie et de métaphysique. De 1910 à sa mort, Busoni fut le seul compositeur moderniste dont les recherches ne furent redevables ni à Debussy ni à Wagner. La ligne que ses affinités lui firent suivre part du dernier Beethoven, passe par Berlioz et s’italianise avec Liszt. À cette tradition, qu’il ne partage avec aucun autre, s’ajoute tout ce que son esprit inlassablement curieux lui proposait de fantaisie et de recherche. Il est significatif que parmi ses élèves, on compte des figures aussi dissemblables que Kurt Weill et Edgar Varèse, ainsi que

de remarquables musiciens marginaux comme Arthur Lourié et comme Philippe Jarnach, qui orchestra et compléta les dernières pages de Doktor Faust (commencé en 1916). L’oeuvre de Busoni comprend essentiellement les quatre opéras déjà cités, dont il écrivit lui-même les livrets, une douzaine de pièces pour orchestre, quelques partitions pour piano et orchestre, un concerto pour violon op. 35 (1897), un concerto pour clarinette (1919), un divertimento op. 52 (1920) pour flûte et orchestre, quelques cantates et oeuvres chorales, de nombreuses pièces pour piano, dont 4 versions d’une Fantasia contrappuntistica (1912) d’après la fugue inachevée de l’Art de la fugue de Bach, de la musique de chambre (2 quatuors à cordes, oeuvres pour violoncelle et piano, etc.), des mélodies. On doit y ajouter 7 volumes de transcriptions d’oeuvres de Bach, des transcriptions d’oeuvres de Beethoven, Brahms, Liszt, etc., et des cadences pour des concertos de Beethoven et de Brahms. BUSSER (Henri), organiste, chef d’orchestre et compositeur français (Toulouse 1872 - Paris 1973). Il commença ses études musicales à la maîtrise de Toulouse, dont son père était l’organiste ; il les poursuivit à Paris à l’école Niedermeyer et les acheva au Conservatoire en obtenant en 1893 le premier grand prix de Rome. Il y avait été l’élève de Franck, Widor, Guiraud et Gounod, et succéda à ce dernier aux grandes orgues de Saint-Cloud. Sa première oeuvre lyrique, Daphnis et Chloé, fut créée à l’Opéra-Comique en 1897. Il aborda alors une carrière de chef d’orchestre, qui fut des plus brillantes, et s’exerça essentiellement à l’Opéra-Comique, où il débuta en 1902, et à l’Opéra (1905-1938). Professeur d’ensemble vocal au Conservatoire, à partir de 1904, professeur de composition dans ce même établissement de 1930 à 1948, il fut élu à l’Institut, en 1938, au fauteuil qu’avaient occupé Gounod et Pierné, puis fut directeur de l’Opéra-Comique (1939-40) et de l’Opéra (1946-1951). Tout au long de sa carrière, et jusqu’à un âge avancé, Henri Busser s’adonna à la composition. Dans un style académique inspiré par les leçons de ses maîtres, il écrivit mélodies, oeuvres

pour choeur, pièces pour orgue ou pour piano, poèmes symphoniques, suites d’orchestre, ballets. Mais ce sont surtout ses oeuvres lyriques, d’une belle facture, qui lui valurent une certaine renommée : les Noces corinthiennes (d’après Anatole France, 1922) ; Colomba (d’après Mérimée, 1921), le Carrosse du saint sacrement (d’après Mérimée, 1948) et la Vénus d’Ille (d’après Mérimée, 1964). D’autre part, il révisa certaines partitions pour les théâtres lyriques nationaux : Mireille de Gounod (2 rév., 1901, 1939), les Indes galantes de Rameau (1952), Obéron de Weber (1954). Il révisa aussi Ivan IV de Bizet, pour la création de cet ouvrage à Bordeaux en 1951. BUSSOTTI (Sylvano), compositeur italien (Florence 1931). Il commence à étudier le violon à l’âge de cinq ans, abandonne l’école très tôt, grandit dans un milieu de théâtre. Élève au conservatoire Cherubini de Florence, il travaille le piano avec Luigi Dallapiccola. Une bourse lui permet de poursuivre l’étude du violon, mais les événements de la fin de la guerre l’empêchent d’en bénéficier jusqu’à l’examen final. À partir de 1949, Bussotti travaille en autodidacte, copiant des partitions dans les bibliothèques, découvrant Stravinski, Hindemith, et composant déjà avec prodigalité. À Aix-en-Provence, à Avignon, durant des rencontres de jeunes, le Marteau sans maître de Boulez l’impressionne. Il travaille auprès de Max Deutsch à Paris, en 1957, et rencontre Cage à Darmstadt, en 1958. Ses oeuvres commencent à être jouées. À Paris, au Domaine musical, Boulez dirige des fragments de Torso, lecture d’un texte de Brabanti, pour récitant, mezzo-soprano et orchestre, oeuvre volontairement non achevée, qui remporte un prix de la Société internationale de musique contemporaine. Invité, en 1964, par la fondation Rockefeller, Bussotti se rend aux États-Unis. En 1965 est créée au festival de Palerme la Passion selon Sade, « mystère de chambre avec tableaux vivants », oeuvre provocante, d’un lyrisme déchiré. Bussotti, avide d’expériences, dessine les costumes, conçoit la mise en scène, dirige, joue le rôle du récitant. Il professe une « éthique de la disponibilité » relevant selon lui d’une tradition humaniste propre à Florence, sa ville natale.

1967 est l’année de Marbre pour cordes, et de 5 fragments à l’Italie, pour sextuor vocal en choeur, sorte de madrigaux modernes renouant avec Gesualdo et Monteverdi. En 1969 suit The Rara Requiem pour 4 voix principales, sextuor vocal de solistes, choeur mixte, guitare et violoncelle solistes, piano, harpe, orchestre d’instruments à vent et percussions. C’est en quelque sorte un requiem d’amour. « Une personne vivante et jeune demande à un ami musicien de lui composer un requiem pour l’écouter de son vivant. » Cette personne est Romano Amidei, compagnon de Bussotti, en qui s’incarne Rara, personnage allégorique, présent dans plusieurs oeuvres du compositeur. The Rara Requiem comporte un montage de textes de vingt-quatre auteurs, d’Homère à Rilke, Mallarmé et Adorno. Mais cette oeuvre, apparemment chargée de culture, offre une démarche à reculons qui a permis de parler à son sujet de « mémoires du futur ». Dans The Rara Requiem, comme dans Pièces de chair (1958-1960), Torso ou Memoria pour baryton solo, 27 voix et orchestre, la musique est indissolubledownloadModeText.vue.download 144 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 138 ment liée à la course du sang, à la respiration retenue ou épanouie. Ces oeuvres évoquent la contemplation de soi, les paysages du dedans ; elles contiennent des jeux au deuxième degré, des pièges. De 1972 à 1973 date une des plus grandes réussites de Bussotti, le ballet (symphonie chorégraphique) Bergkristall. L’opéra Lorenzaccio, « mélodrame romantique dansé », créé à Florence en 1972, est imprégné d’un étrange lyrisme où se perçoit une odeur de mort ; mais on y retrouve cette écriture vocale d’une beauté parfaite, caractéristique de Bussotti, et évidente aussi dans Notte tempo (1975-76), drame lyrique commandé par la Scala de Milan. La voix fait chatoyer toutes ses possibilités. Mélismes, écarts, soupirs, rires, sanglots, gémissements, râles, agonies semblent toujours remonter du fond de la mémoire. La voix est comme dénaturée, au centre d’épisodes instrumentaux qui dessinent autour d’elle une mise en scène et un paysage, de la même

manière que chez Monteverdi. Dans les oeuvres les plus récentes de Bussotti, comme la symphonie chorégraphique Il Catalogo è questo (Opus Cygne) pour flûte principale et orchestre (création à la biennale de Venise, 1980), l’opéra le Racine, pianobar pour Phèdre (Milan, 1980), ou le mélodrame L’ispirazione (1988), un climat passionné, quasi exaspéré, alterne avec une contemplation silencieuse. Le compositeur continue à se nourrir de lectures (Proust, Brabanti, Artaud, Musset). Il admire Pasolini, s’adonne au dessin et à la peinture (il expose à Paris en 1966 ; on doit signaler que la beauté graphique de ses partitions est remarquable), met en scène des oeuvres de Puccini, Stravinski, etc. Il a été de 1975 à 1979 directeur artistique du théâtre de la Fenice à Venise. BUTI (abbé Francesco), poète et librettiste italien (Narni ? - id. 1682). Docteur en droit, protonotaire apostolique, l’abbé Buti fut un diplomate avisé et un fin lettré qui joua un rôle important dans l’introduction de l’opéra italien en France au milieu du XVIIe siècle. Avec le cardinal A. Barberini, il arriva, en 1645, à Paris, où Mazarin le chargea de veiller sur les artistes ultramontains vivant dans la capitale. Il se distingua aussi comme librettiste des opéras à machines donnés à la cour : L’Orfeo (1647), Le Nozze di Petro e di Teti (1654) et Errole Amante (1662), écrits respectivement en collaboration avec les compositeurs L. Rossi, C. Caproli et F. Cavalli. BUTTING (Max), compositeur allemand (Berlin 1888 - id. 1976). Il étudia à Munich à partir de 1908, et, à ses débuts, se réclama surtout de Bach et de Reger. En 1922, il rencontra Schönberg à Vienne et participa pour la première fois au festival de Donaueschingen. Après 1945, il devint l’un des compositeurs les plus en vue de la R.D.A. (membre fondateur de l’Académie des arts à Berlin en 1950). On lui doit notamment dix symphonies (les cinq premières entre 1922 et 1944 et les cinq dernières entre 1945 et 1963) et dix quatuors à cordes (entre 1918 et 1971). BUUS (Jacob), compositeur flamand (Gand ? v. 1500 - Vienne 1564 ?).

Il fut peut-être un disciple de Willaert, et on le trouve comme organiste à SaintMarc de Venise entre 1541 et 1556, puis au service de l’empereur Ferdinand comme organiste à la chapelle de la cour de Vienne. Son style s’apparente à celui de Cl. von Papa, et ses oeuvres présentent un vif intérêt historique. Il a composé 13 livres de Ricercari qu’on peut interpréter à l’orgue, à d’autres instruments ou à la voix, 43 Canzoni francesi (Venise, 1543, 1550) à 5 et à 6 voix d’inspiration généreuse, une trentaine de motets, ainsi que des pièces instrumentales dans le style du motet. BUXTEHUDE (Dietrich, originellement Diderik), compositeur et organiste allemand d’origine danoise (Hälsinborg ? v. 1637 - Lübeck 1707). De souche allemande, il passa les trente premières années de sa vie au Danemark (période dans laquelle ne s’inscrivent en toute certitude que trois oeuvres, peutêtre cinq) et les quarante dernières, les plus glorieuses, en Allemagne. Sans doute formé par son père, lui-même organiste (présent à Hälsinborg au plus tard en 1641 et mort à Lübeck en 1674), et probablement ensuite par Scheidemann à Hambourg (1654-1657), il occupa au cours de sa carrière trois postes d’organiste : à Hälsinborg (ville actuellement suédoise mais alors danoise) en 1657-58, à la paroisse allemande de Sainte-Marie d’Elseneur (Danemark) en 1660, puis à Sainte-Marie de Lübeck à partir de 1668. Il y succéda à Franz Tunder, dont, selon la tradition, il épousa la fille. C’est à Lübeck, ou il fut à la fois administrateur de l’église, responsable de la musique et organiste, que son activité se déploya : comme organiste de renommée européenne, il reçut la visite de Haendel et de Mattheson en 1703, puis celle de Bach, qui en 1705 vint à pied depuis Arnstadt et reçut du maître nordique l’un des plus grands chocs artistiques de sa vie (mais aucun de ces trois musiciens ne se résolut à épouser la fille de Buxtehude pour obtenir sa succession à un poste pourtant fort convoité) ; comme compositeur, il écrivit des pages religieuses et surtout des pièces d’orgue sans égales en leur temps. À Sainte-Marie de Lübeck, l’usage s’était développé pour l’organiste de donner chaque jeudi en dehors de tout office une sorte de

récital public. Ayant décidé de conférer à ces manifestations une forme nouvelle, Buxtehude les transporta au temps de l’avent. À partir de 1673, pendant les cinq dimanches précédant Noël, eurent lieu après le prêche de l’après-midi les fameuses Abendmusiken (Musiques du soir) que Buxtehude devait décrire fièrement comme « ne se faisant nulle part ailleurs ». Il s’agissait chaque fois d’un ensemble cohérent pouvant s’étaler sur plusieurs dimanches et fait de musique sacrée (vocale et instrumentale) ainsi que de morceaux d’orgue. Or il ne reste malheureusement de ces Abendmusiken que trois livrets - Die Hochzeit des Lamms (1678), Castrum doloris (1705), Templum doloris (1705) - dont la musique est perdue. On sait toutefois qu’en 1705 furent utilisés comme exécutants deux choeurs de trompettes et timbales, deux de cors de chasse et de hautbois, plus de vingt violons, quatre choeurs dans les tribunes et un autre dans la nef, et évidemment les quatre orgues. D’autre part, il est vraisemblable que l’oratorio retrouvé en 1927-28 par W. Maxton et publié par lui en 1939 avec comme titre Das Jüngste Gericht (« le Jugement dernier ») ait été une Abendmusik de Buxtehude. Nous possédons en compensation plus de 120 compositions vocales sacrées de Buxtehude, dont certaines ont certainement retenti lors des Abendmusiken. Ces oeuvres, qui vont du genre du concert spirituel et de ceux du choral et de l’aria (l’influence du piétisme naissant sur Buxtehude est ici particulièrement nette) à celui de la cantate en plusieurs parties, influencèrent directement J. S. Bach, surtout dans sa période de Weimar (1707-1718). C’est néanmoins dans sa production pour orgue, la plus considérable (environ 90 pièces) et la plus belle avant celle de Bach, que Buxtehude fut le plus grand, c’est d’abord grâce à elle qu’il put fêter, après deux siècles d’oubli, une éclatante résurrection. On y trouve des toccatas, des préludes et fugues, des passacailles, des chorals ornés, des chorals variés. Destinées au grand instrument de la Marienkirche (Sainte-Marie), ces pièces possèdent une puissance de caractère, une densité et une ampleur constamment vivifiées par l’originalité de la pensée et soulevées par la véhémence du ton. C’est cette prodigieuse liberté d’expression d’une nature ardente qui

devait tant impressionner le jeune Bach : la célèbre Toccata et fugue en ré mineur ou la Passacaille en ut mineur, sans doute écrites par ce dernier peu après sa visite à Lübeck, en sont les preuves évidentes, de même que les cantates de jeunesse BWV 106 (Actus tragicus) ou BWV 4 (Christ downloadModeText.vue.download 145 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 139 lag in Todesbanden) révèlent l’empreinte de Buxtehude. À noter cependant que les préludes et fugues (au nombre d’environ 25) de Buxtehude ne sont pas des diptyques comme ceux de Bach, mais, selon la tradition d’Allemagne du Nord, des praeludia, polyptyques d’un seul tenant faisant alterner des épisodes fugués et d’autres de caractère improvisé et virtuose en stylus phantasticus. Sur le plan instrumental, Buxtehude écrivit encore des pièces pour clavecin (25 connues, retrouvées en 1942 seulement, à savoir 19 suites et 6 séries de variations), et 21 sonates en trio dont 7 publiées probablement en 1694 (op. 1), 7 en 1696 (op. 2) et 7 restées manuscrites. Il fut en ce dernier domaine, avec son compatriote Johann Rosenmüller, un pionnier en Allemagne. Les sonates en trio de Buxtehude ont d’ailleurs la particularité d’exiger une viole de gambe, et donc d’opposer expressément cet instrument « ancien » à l’instrument « moderne » qu’était alors le violon. Buxtehude fut en son temps le premier compositeur germanique, et l’un des quatre ou cinq premiers à l’échelle européenne. Il faut connaître cette forte personnalité non seulement pour elle-même, mais pour l’influence déterminante qu’elle exerça sur le Bach de l’orgue et des cantates. BUZUQ. Luth à manche long. Instrument de musique traditionnelle. Dérivé du tanbûr médiéval, le buzuq ou tanbura-buzuq se retrouve de nos jours au Proche-Orient arabe, plus précisément chez les Tsiganes-Nawwār de Syrie et du Liban, sans que l’on puisse

affirmer si son nom vient de bizik (turc) ou de buzurg (persan). Sa renaissance récente marque la réhabilitation du luth à manche long dans la musique traditionnelle arabe, dont le classicisme reposait exclusivement depuis treize siècles sur le ‘ūd, luth à manche court accordé par quartes. On décrira ici un buzuq, luth tsigane de Homs (Syrie) à 4 cordes. La caisse, piriforme, faite de fuseaux de bois, longue de 33 cm, large de 28 cm, et profonde de 17 cm, est fermée par une table plate de sapin présentant une ouïe ouvragée. Le manche, long de 51 cm, est muni de 27 frettes pour une octave et une quinte. La présence de 17 frettes pour l’octave grave, comme sur le tunbūr du Khorassan, explique le contresens des observateurs du XIXe siècle qui ont voulu diviser l’octave arabe en dix-sept tiers de ton égaux. En réalité, ces frettes sont ajustables au mode, maqām joué en dehors de toute notion de tempérament, mais en fonction de l’école à laquelle se rattache le musicien pour les systèmes d’intervalles (commatiques ou à quarts de ton) et pour les hauteurs des finales de mode (rāst en do, ré, fa, sol). Il est très facile de transposer les maqām-s sur le buzuq, dont le système n’est pas modulé à la quarte de façon rigoureuse comme celui du ‘ūd. Quatre cordes métalliques, dont la première est filée, tendues du bouton métallique au chevillier - soit sur un diapason de 77 cm lorsqu’elles vibrent à vide - reposent sur un chevalet et sont accordées en fonction de l’octave et de la quarte, par analogie avec le ‘ūd, soit le plus souvent sol1/sol2/do3-do3. Cette accordature peut être globalement abaissée ou élevée, en ré-sol ou en mi-la par exemple. Il existe d’autres types de buzuq. Certains buzuq-s n’ont que 23 frettes. D’autres sont pourvus de six cordes. On peut en voir de plus petite ou de plus grande taille, en particulier les buzuq-s fabriqués à Damas et à Beyrouth dont la longueur dépasse le mètre. Enfin, les buzuq-s des musiciens tsiganes-nawwâr sont ornés de nombreuses incrustations sur le manche, la table et la caisse. Les cordes du buzuq sont pincées par l’intermédiaire d’un plectre. BYLSMA (Anner), violoncelliste néerlandais (La Haye 1934). Issu d’une famille de musiciens, il commence l’étude du violon à l’âge de trois

ans avec son père, pour choisir finalement le violoncelle à huit ans. En 1957, il obtient le Prix d’excellence au Conservatoire royal de La Haye et en 1959 le 1er Prix du Concours Pablo Casals. Parallèlement à ses activités de virtuose, il est violoncelle solo à l’orchestre de l’Opéra d’Amsterdam, au Nederlands Ballet Orkest, au Nederlands Kamer Orkest et, de 1962 à 1968, à l’orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam. En 1970, il est nommé professeur au Conservatoire d’Amsterdam et au Conservatoire royal de La Haye. Longtemps étiqueté comme un spécialiste du baroque (il a en effet fréquemment joué avec Gustav Leonhardt, Frans Brüggen et les frères Kuijken), il s’intéresse en réalité tout autant au répertoire romantique et contemporain et joue sur trois violoncelles différents selon les oeuvres qu’il interprète. BYRD (William), compositeur anglais (Lincolnshire ? 1543 - Stondon, Essex, 1623). Il fut très probablement l’élève de Th. Tallis, mais on ne connaît pratiquement rien de ses débuts. Nommé en 1563 organiste de la cathédrale de Lincoln, il garda ce poste jusqu’en 1572. Il se maria en 1568 avec Juliana Birley et, en secondes noces, avec une femme prénommée Ellen. Cinq enfants naquirent de ces mariages. Byrd succéda à R. Parsons comme gentilhomme de la chapelle royale (1570) dont Tallis occupait le poste d’organiste. Ce dernier partagea cette situation avec son jeune confrère à partir de 1572, et les deux musiciens commencèrent une collaboration fructueuse. En 1575, ils obtinrent de la reine Élisabeth le privilège pour toute la musique imprimée en Angleterre pendant vingt et un ans. Pour célébrer cet événement, ils dédièrent à la reine un recueil de Cantiones sacrae (1575). Mais cette affaire d’imprimerie ne semble pas avoir été très lucrative ; dès 1577, les deux partenaires durent solliciter une aide financière. La reine l’accorda, mais sous forme de certaines terres et d’une rente. Après la mort de Tallis (1585), Byrd céda ce monopole, devenu son entière propriété, à Th. East, lequel publia les Psalms, Sonnets and Songs de W. Byrd (1588). Élevé dans la foi catholique, Byrd réussit à garder sa religion et son poste à la cour malgré les difficultés que lui im-

posa la nouvelle liturgie anglicane. Son talent, son intelligence et l’octroi d’un compromis le préservèrent de la persécution. Ainsi composa-t-il et publia-til des oeuvres pour le rite romain (trois messes à 3, 4 et 5 voix ; environ 260 motets). Mais il écrivit aussi pour l’église anglicane 5 services, des anthems et des psaumes en anglais, une soixantaine d’oeuvres en tout. De fait, sa production est considérable : par la quantité comme par la qualité et la diversité. Et William Byrd est probablement, avec Henry Purcell, le plus grand compositeur anglais et l’un des meilleurs polyphonistes de tout le XVIe siècle. On peut le comparer à Victoria, à Lassus ou à Palestrina, et, si son domaine d’élection reste indiscutablement la musique religieuse - où seul Tallis en Angleterre peut être considéré au même titre -, son génie est présent dans toutes les formes musicales, à l’exception du répertoire de luth. Il a illustré le madrigal (120) avec parfois un accompagnement de violes, écrit des « rounds » (6) et des canons (32), des fantaisies (14) et des In nomine (7) pour violes, ainsi que 125 pièces pour le clavier. Quelques-unes de ces pièces (8) se trouvent dans le premier recueil de musique de clavier imprimé en Angleterre (Parthenia, 1611) ; d’autres figurent dans le Fitzwilliam Virginal Book ou dans My Ladye Nevell’s Booke. La musique de Byrd révèle une parfaite maîtrise technique, un don certain de mélodiste, d’ailleurs caractéristique de la musique anglaise en général, et un sens aigu de l’imagerie, qui lui permet de tirer profit des mots expressifs contenus dans un texte. Il a composé des airs, souvent de dévotion, pour une voix seule avec un accompagnement polyphonique (violes ou voix) dont il est le maître absolu. Byrd est l’un des fondateurs de l’école anglaise du madrigal. Bien qu’il fasse preuve d’une certaine réserve et d’un goût pour le style traditionnel, plus sévère, il sait aussi acdownloadModeText.vue.download 146 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 140 cueillir les techniques du madrigal italien. Parmi ses réussites, citons This sweet and merry month of May à 6 voix ou « some strange chromatic notes » de Come woeful Orpheus à 5 voix. Les trois messes de

Byrd font appel à la vieille technique du « motif de tête », mais elles se distinguent par l’absence de teneur, ce qui laisse plus de liberté à chaque voix (« entrées en strette »). Dans sa musique de clavier, il se montre l’égal de ses collègues, sans les dépasser. Comme son cadet J. Bull, il a écrit des Walsingham Variations, des danses et des adaptations pour clavier de mélodies liturgiques. Tenu en haute estime par ses contemporains, Byrd, le « Father of Musick », mourut, selon son propre testament, « now in the eightieth year of myne age », à Stondon après avoir formé quelquesuns des musiciens les plus illustres de la génération suivante (Th. Morley, J. Bull et O. Gibbons). BYZANTIN (chant). Musique traditionnelle de l’Église orthodoxe grecque, et, par extension, musiques des Églises orthodoxes chrétiennes de l’Europe de l’Est et du Sud-Est, qui se sont développées sur la base du chant byzantin avant d’acquérir progressivement leur aspect national définitif. Le chant byzantin possède une origine composite dans laquelle se retrouvent les chants hébraïques des synagogues, les survivances de la musique grecque ainsi que d’autres éléments orientaux (syriens et arméniens). Le développement musical et social du chant byzantin est évidemment lié à celui de la liturgie orthodoxe, dont les deux formes principales furent établies dès la fin du IVe siècle par saint Basile le Grand et saint Jean Chrysostome - ce dernier fut évêque de Constantinople en 390. Les chants, toujours monodiques, étaient exécutés selon le principe antiphonaire, faisant alterner deux choeurs, le protopsaltis et le lampadarios. L’exécution était toujours a cappella, interdisant l’usage des instruments de musique. De nos jours, les églises orthodoxes continuent à observer cette règle. Toutefois, à Constantinople, les cérémonies à la cour de l’empereur, plus fastueuses que celles des églises, utilisaient l’orgue. En 757, l’empereur Constantin Copronyme en offrit un à Pépin le Bref. À l’exception d’un fragment d’hymne datant du IIIe siècle, les premiers manuscrits musicaux n’apparurent qu’au Xe siècle. L’écriture neumatique d’origine connut une évolution

en plusieurs étapes, en passant par une notation dite « moyenne » (XIIe-XVe s.) et celle plus précise, nuancée et complexe de Ioannis Koukouzeles (XVe s.). Il faut savoir cependant que les manuscrits sont loin de transmettre la totalité des chants : nombre d’entre eux, réduits à de simples psalmodies, étaient exécutés de mémoire et transmis oralement. Parmi les premiers compositeurs byzantins, qui étaient aussi d’importantes personnalités religieuses, souvent canonisées par la suite, on connaît : saint Éphrem (306-373) ; Romanos le Mélode (VIe s.), à qui l’on doit de nombreux kontakion (poèmes religieux composés de nombreuses strophes toutes chantées sur une même mélodie) ; André de Crète (660-740), auteur du grand Kanon, forme venue remplacer le kontakion et composée de neuf odes appelées hiermos ; saint Sophrone de Jérusalem ; saint Germain de Constantinople ; et surtout saint Jean Damascène (678-749). On s’accorde à distinguer trois types de chant, selon leur degré d’ornementation : 1. hirmologique, chant simple des canons et des hiermos ; 2. stichérarique, plus orné, pour les stichères (courts textes intercalés entre les versets) et les tropaires (textes poétiques pour les fêtes religieuses) ; 3. mélismatique, très orné, exécuté par un soliste (psaltika) ou par le choeur (asmatika). À partir du XIVe siècle se développa un style d’une exubérance ornementale et d’une virtuosité excessive, souvent au mépris de l’intelligibilité du texte. Mais le principe le plus important, qui régit toute l’ordonnance musicale de la liturgie byzantine, est celui de l’octoechos (les huit voix) qu’on attribue à saint Jean Damascène, lequel n’a peut-être fait que codifier et développer un système déjà existant. Chaque semaine on exécutait des chants groupés en fonction de leur parenté mélodique, les faisant correspondre à l’un des huit modes grecs (quatre modes « authentes » et quatre modes « plagaux »). Ces appartenances n’ont d’ailleurs été déterminées du point de vue théorique que bien plus tard, aux XIIe et XIVe siècles, et restent dans une certaine mesure sujettes à cau-

tion. Néanmoins, le cycle musical de huit semaines ainsi constitué reste un usage immuable des offices orthodoxes. L’influence musicale du chant byzantin s’est certainement exercée sur le chant gallican et le chant grégorien (le pape Grégoire le Grand avait été nonce à Constantinople), de même qu’elle a servi de base aux Églises orthodoxes slaves (serbe, bulgare, russe) avant de s’y mélanger avec des éléments mélodiques locaux. downloadModeText.vue.download 147 sur 1085

C C. 1. La lettre C désigne la note ut ou do dans les pays de langue anglaise et allemande. Ce système de lettres remonte au moins au IXe siècle et, d’autre part, figure sur la célèbre main de Guy d’Arezzo qui, au XIe siècle, inventa les syllabes ut-ré-mi, etc. Voici, dans trois langues, l’appellation des différentes altérations de cette note : français anglais allemand ut dièse C sharp Cis ut double dièse C double sharp Cisis ut bémol C flat Ces ut double bémol C double flat Ceses

2. Dans la notation proportionnelle, C, étant la moitié d’un cercle, indiquait le tempus imperfectus, c’est-à-dire une mesure nonuternaire, voire imparfaite. Aujourd’hui encore, cette notion persiste puisque C est le signe qui signifie une mesure à 4/4. signifie alla breve, une mesure qui se bat deux fois plus vite (2/2). 3. Autrefois, les deux principales clefs étaient celles de fa et d’ut (ou C), soprano, alto, ténor indiquant la position de cette note sur la portée : 4. C. est également employé comme abréviation dans la musique polyphonique pour cantus. D’autre part, B. C. signifie basse continue et D. C. da capo. CABALETTA. Air d’opéra bref, généralement simple et avec des sections à reprises. On en trouve un grand nombre dans les opéras de Rossini, où ils étaient destinés à recevoir l’ornementation improvisée des chanteurs à chaque reprise. Toujours au XIXe siècle, la cabaletta désigne la dernière partie d’un air particulièrement développé ; le genre appartient ainsi à la fin de l’époque du bel canto, et a été illustré en particulier par Bellini et Verdi (le Trouvère). CABALLÉ (Montserrat), soprano espagnole (Barcelone 1933). Elle fit ses études de chant au conservatoire de Barcelone et à Milan, et débuta en 1956 à l’opéra de Bâle dans le rôle de Mimi de la Bohème de Puccini. Au début de sa carrière, elle chanta des rôles très divers des répertoires italien, français et allemand. Après le triomphe qu’elle remporta en 1965 au Carnegie Hall de New York dans Lucrèce Borgia de Donizetti, elle s’est spécialisée dans le répertoire romantique italien de Rossini, Bellini, Donizetti, où elle a poursuivi l’oeuvre de réhabilitation de partitions longtemps négligées, entreprise par Maria Callas ; mais elle s’est distinguée de cette dernière en cherchant à rendre justice à ces partitions surtout à travers la perfection, l’extrême raffinement de l’exécution vocale, refusant de sacrifier une part de cette perfection à des impératifs théâtraux. Cependant, son timbre naturel, incisif, sait être très dramatique. Sa technique est l’une des plus accomplies de l’histoire du chant.

CABANEL (Paul), basse française (Oran 1891 - Paris 1958). Après s’être orienté vers le droit, il étudie au Conservatoire de Toulouse de 1911 à 1913. Gravement blessé en 1916 à Verdun, il ne recommence ses études qu’en 1919. En 1922, il est engagé au Théâtre royal du Caire, où il chante les opéras de Bizet, Gounod et Massenet. Rentré en France, il demeure longtemps au sein des théâtres lyriques de Bordeaux et Vichy. Il lui faut attendre 1932 pour débuter à l’Opéra-Comique, et 1933 pour entrer à l’Opéra de Paris. En 1934, il y incarne Don Juan sous la baguette de Bruno Walter, puis Boris Godounov. En 1942, il est nommé professeur de déclamation lyrique au Conservatoire de Paris. En 1947, il cesse de se produire sur scène. Bien qu’il n’ait rencontré qu’une reconnaissance assez tardive, il a profondément marqué les rôles de Scarpia dans Tosca, de Méphisto dans la Damnation de Faust de Berlioz, et les trois rôles de basse dans les Contes d’Hoffmann. CABANILLES (Juan Bautista), compositeur et organiste espagnol (Algemesí 1644 - Valence 1712). Il fut le disciple de Vargas et de la Torre, à qui il succéda comme organiste à la cathédrale de Valence (1665), avant d’être ordonné prêtre en 1668. À la faveur de voyages en Italie et en France où il donna de nombreux concerts, il s’initia au répertoire des organistes italiens et français et sans doute subit-il l’influence de ses collègues, notamment dans l’art de la variation. Il combina ces éléments avec la tradition espagnole des vihuelistes et organistes. Cabanilles peut être considéré comme le plus grand organiste espagnol du XVIIe siècle, qui a porté au plus haut degré le style de Cabezón tout en s’engageant résolument dans la voie de l’orgue baroque. CABEZÓN (Antonio de), organiste et compositeur espagnol (Castrojeriz, près de Burgos, 1500 - Madrid 1566). Frappé de cécité dès son enfance, il étudia avec Garcia de Breza, organiste de la cathédrale de Palencia, et, en 1526, fut nommé organiste et claveciniste de la chadownloadModeText.vue.download 148 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 142 pelle royale de Castille, avant de devenir musicien de la chambre de Charles Quint. Il entra ensuite au service de Philippe II et l’accompagna dans ses voyages (Italie, Allemagne, Angleterre, Pays-Bas), ce qui lui permit de rencontrer les principaux musiciens des écoles étrangères. Dès lors se firent jour des influences réciproques, celle notamment de Josquin Des Prés sur son style polyphonique, la sienne sur l’école napolitaine et dans le domaine de la variation auquel il donna une ampleur considérable. Ce n’est que douze ans après sa mort (1578) que son oeuvre fut publiée, par les soins de son fils Hernando, luimême organiste et compositeur. Cette oeuvre, presque entièrement destinée au clavier, atteste l’importance de sa contribution à l’avènement d’une technique spécifiquement instrumentale, capable de rivaliser avec les plus belles polyphonies vocales. Mais elle pouvait également être exécutée sur vihuela ou harpe. La musique y reflète un mysticisme concentré qui commande un style grave, dépouillé et visant à la plénitude de l’harmonie. Cabezón a cultivé en maître les deux formes propres de la musique pour clavier en Espagne : le tiento et la variation. CABEZÓN (Hernando), organiste et compositeur espagnol (1541 - Madrid 1602). Fils d’Antonio de Cabezón, Hernando succéda à son père comme organiste et compositeur de la chapelle royale. Il publia une partie des oeuvres de son père en tablature dans le recueil intitulé Obras de música... (1578), dans lequel on trouve également quelques pièces de lui ainsi qu’un Glosado de son frère cadet Juan. CACCIA (ital. : « chasse »). Forme vocale prisée par les compositeurs de l’Ars nova florentin (Gherardello, Landini) au XIVe siècle et par ses disciples (J. da Bologna, N. da Perugia). Deux parties vocales, généralement assez ornées, se déroulent en canon audessus d’une teneur instrumentale. La

forme s’est répandue à Florence en même temps que le madrigal (il n’y a pas de rapport avec le madrigal du XVIe siècle). Le texte poétique de la caccia évoque le plus souvent des scènes de chasse en les parsemant de cris (Feu ! feu ! ; Au secours !, etc.) et d’effets descriptifs. Par exemple, le Codex Squarcialupi (XVe s.), manuscrit d’une beauté impressionnante, contient entre autres des caccie (Gherardello, Tosto che l’alba). Le mot caccia est également employé pour préciser le caractère de certains instruments de l’époque baroque (hautbois da caccia, cor da caccia) auxquels Bach, pour ne citer que lui, a fait appel dans ses cantates. CACCINI, famille de musiciens italiens. Giulio, dit Giulio Romano, compositeur, luthiste et chanteur (Rome v. 1550 - Florence 1618). Il apprit le chant à Rome avec Scipione del Palla et entra au service des Médicis à Florence, peut-être dès 1565. Il fut, avec son collègue J. Peri, l’un des membres fondateurs de la célèbre Camerata fiorentina, groupe de poètes et musiciens se réunissant chez le comte Giovanni de’Bardi, surtout pendant les années 1570. De leurs discussions et de leurs expériences naquit peut-être l’opéra, mais d’abord une nouvelle utilisation dramatique de la musique, qui mettait en valeur le texte selon la conception qu’avait l’homme du XVIe siècle de la tragédie grecque. Il en sortit ce que l’on appela le stile rappresentativo, en réaction contre la polyphonie vocale qui, malgré des tendances homorythmiques, ne facilitait pas la compréhension des paroles chantées. On attribue généralement à Caccini ou à Peri l’invention du style récitatif, où la musique conserve le rythme naturel du langage parlé, avec un accompagnement instrumental destiné à fournir un simple soutien harmonique aux « passions » exprimées (Ho sempre procurata l’imitazione dei concetti delle parole, Caccini, Nuove Musiche). En 1600, Caccini composa le Rapimento di Cefalo à l’occasion du mariage de Marie de Médicis avec Henri IV. Seul un choeur final subsiste, publié dans le plus connu des recueils du compositeur, les Nuove Musiche (Florence, 1602). Renfermant des madrigaux et des airs pour voix seule, cet

ouvrage constitue, tout particulièrement dans sa préface, une source précieuse pour notre connaissance de l’art du chant virtuose à l’époque de Caccini. Son opéra Euridice fut représenté à Florence en 1602 et, en 1614, parut un second livre de Nuove musiche e nuove maniere di scriverle. La cour des Médicis résonnait non seulement des passaggi de la belle voix de Giulio Romano, mais pouvait apprécier aussi les voix de sa famille (sa femme et ses deux filles). Francesca, chanteuse, claveciniste et compositeur (Florence 1587 - Lucques [ ?] v. 1640). Fille du précédent, elle a composé des airs à 1 et à 2 voix (1618), des pièces isolées et un ballet. CACERES (Oscar), guitariste uruguayen (Montevideo 1928). Il donne son premier concert dans sa ville natale à l’âge de treize ans. Il est l’un des guitaristes qui défendent le mieux la musique du XXe siècle en Amérique du Sud. En 1957, il donne la première audition en Uruguay du Concerto d’Aranjuez de Rodrigo. Au Brésil, il étudie la musique populaire et rencontre le compositeur Pixinguinha, ce qui lui permet d’aborder en connaisseur les oeuvres de Villa-Lobos : il donne les premières auditions à Rio de la Suite populaire brésilienne en 1958, du Concerto pour guitare et orchestre en 1963 et, en 1964, il joue en duo avec Jacob de Bandolim. En 1967, il fait ses débuts à Paris. Avec son partenaire Turibio Santos, il étend son répertoire aux pièces de la Renaissance et de l’époque baroque. CACHUCHA. Danse andalouse, proche du boléro, de tempo modéré, et généralement notée à 3/8. C’est une danse de soliste, à l’origine chantée et accompagnée à la guitare. Elle fut introduite au théâtre, sans doute par le chorégraphe Jean Coralli, dans le ballet le Diable boiteux de Casimir Gide, dansé à Paris par Fanny Elssler en 1836. CACOPHONIE. Assemblage discordant de voix ou d’instruments qui chantent ou jouent sans être

d’accord, produisant un effet désagréable à l’oreille. Son contraire est euphonie. CADÉAC (Pierre), compositeur français (XVIe s.). En 1556, il était maître des enfants de la cathédrale d’Auch. Il publia chez les éditeurs parisiens Le Roy et Ballard diverses oeuvres dont un livre de Moteta 4, 5 et 6 vocibus (1555), ainsi que trois messes à 4 voix (1558). La messe Alma Redemptoris parut chez N. Du Chemin en 1556. Il faut y ajouter trois autres messes, des motets (2 à 6 voix), des chansons à 4 voix, telles que Je suis déshéritée, d’un style simple, d’une grande pureté d’expression, qui évoque celui de Cl. de Sermisy. CADENCE (en ital. cadenza : « chute «). 1. Au sens général, la cadence désigne le mouvement régulier des battues de temps. 2. En harmonie, on appelle cadence certains enchaînements d’accords introduisant dans le discours musical un caractère de ponctuation grammaticale plus ou moins conclusive. La cadence parfaite (dominante, V - tonique, I) est la plus conclusive de toutes. Cette signification conclusive de la cadence V-I ne s’est dégagée que peu à peu, durant le XVe siècle où de la perception mélodique on passe à la perception harmonique. L’enchaînement de la sousdominante (IV) à la tonique (I), la cadence plagale, est également conclusif, mais de manière moins affirmative, et est souvent doté d’un sens allusif de caractère religieux. Cette cadence emprunte son nom à sa présence fréquente dans l’accompagnement des « modes plagaux » du plainchant au XIXe siècle. La réunion de ces deux cadences donne la cadence complète, ainsi downloadModeText.vue.download 149 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 143 nommée parce que toutes les notes de la tonalité y sont exprimées. On appelle parfois cadences modales celles qui amènent la tonique par d’autres degrés que V ou IV. On les désigne par le numéro du degré employé (II, III, VI), le VIIe étant inusité. Si, au lieu d’aboutir sur un accord « solide »

à son état fondamental, la cadence se fait sur un renversement de ce même accord, la fondamentale n’étant plus à la basse, la cadence est dite imparfaite pour le premier renversement (chiffrage 6/3) et ouverte pour le deuxième renversement (chiffrage 6/4). Cette dernière cadence introduit traditionnellement la cadence de soliste (v. § 3) dans le concerto classique (Haydn, Mozart). Lorsque l’accord de dominante (V), après avoir fait supposer une cadence à la tonique, mène de manière imprévue vers un autre degré, la cadence est dite rompue ou évitée. L’inversion de la cadence parfaite (V-I) entraîne un mouvement cadentiel concluant sur la dominante (I-V), de caractère suspensif. Elle prend généralement le nom de demi-cadence. Parmi les autres cadences, citons une variante de la cadence parfaite employée dans l’opéra italien ancien, la cadence italienne (II-IV-I), et également diverses cadences dites modales et caractérisées par l’absence de notes sensibles (dorien, phrygien, mixolydien). Dans la table d’exemples, ces cadences sont données sous leur forme la plus simple. Bien entendu, de nombreuses variations peuvent exister, et l’exemple O (cadence plagale amollie), variante de B, en donne un spécimen. 3. Dans un concerto de soliste, on attribue le nom de cadence à un intermède, généralement placé vers la fin du morceau et souvent introduit par la cadence ouverte (accord de 6/4), pendant lequel l’orchestre d’accompagnement s’interrompt pour laisser au soliste le temps de montrer son savoir jusqu’à ce qu’un signal convenu (souvent un trille prolongé) lui rende la parole. À l’origine, les cadences n’étaient pas écrites ; cette habitude apparut vers la fin du XIXe siècle. 4. Par analogie avec les cadences de concerto, les chanteurs donnent parfois le nom de cadence à des additions non écrites, improvisées, fréquentes dans l’opéra italien jusqu’à la fin du XIXe siècle. 5. Dans la littérature de chant et de clavier des XVIIe et XVIIIe siècles, la cadence figurait sur la liste des agréments à exécuter. Le plus souvent, cet ornement correspondait en fait au tremblement, équivalent de notre trille usuel. CADMAN (Charles Wakefield), composi-

teur américain (Johnstown, Pennsylvanie, 1881 - Los Angeles 1946). Il étudia à Pittsburgh et fut chef de chorale et organiste avant de pouvoir vivre de sa musique grâce au succès populaire de quelques-unes de ses chansons, notamment At Dawning, qui dépassa le million d’exemplaires vendus. Sans considérer pour autant les thèmes de la musique indienne comme la base spécifique de la musique américaine, il en emprunta un grand nombre dans ses pages symphoniques ou dans ses opéras (Shanewis, 1918 ; The Sunset Trail, première représentation en 1922), ceux-ci évoquant d’ailleurs souvent les rapports des Indiens avec les Blancs. Cadman s’intéressa aussi au transcendantalisme (The Garden of Mystery, d’après Hawthorne, première représentation en 1925). CAESAR (Rodolfo), compositeur brésilien (Rio de Janeiro 1950). Formé à la musique électroacoustique au stage du Groupe de recherches musicales downloadModeText.vue.download 150 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 144 de Paris, où il a réalisé Curare (1974) et Tutti Frutti (1975), oeuvres prometteuses, il s’est installé ensuite à Rio de Janeiro pour continuer sa création (Curare II, 1977) et collaborer, comme « artiste sonoplastique », avec des créateurs d’autres disciplines, peintres, sculpteurs, etc. CAFFARELLI (Gaetano MAJORANO, dit), castrat sopraniste italien (Bitonto 1710 Naples 1783). Élève de Cafaro (d’où son surnom), il travailla avec le compositeur Porpora à Naples et débuta à Rome en 1726. Il devint rapidement célèbre, tant dans les grands théâtres italiens que dans toute l’Europe. Il chanta à Paris, à Londres dans des opéras de Haendel dans la lutte de ce dernier contre Hasse et... Porpora ! Il chanta également aux côtés du grand Farinelli. Caffarelli fut un technicien miraculeux de l’art du bel canto à son apogée ; spécialisé dans des rôles féminins, il eut une réputation légendaire, aux dires de ses

contemporains, malgré une certaine froideur et des excès de virtuosité. CAGE (John), compositeur américain (Los Angeles 1912). Doué pour tous les arts, il songea d’abord à une carrière pianistique ou littéraire, puis hésita entre la peinture (il devait encore exposer une série de lithographies à New York en 1969) et la musique. Il choisit celle-ci sur les conseils de Henry Cowell, son professeur de composition à New York, et poursuivit ses études avec, entre autres, Arnold Schönberg à l’université de Californie du Sud (1934-1937). Une commande de musique de film l’orienta très tôt vers la percussion : il fonda un ensemble de batteurs, organisa des concerts sur la côte ouest des États-Unis et devint accompagnateur de la classe de danse de Bonnie Bird (où se forma Merce Cunningham) à la Cornish School de Seattle (1937-1939). Après avoir enseigné à la School of Design de Chicago (1941-42), il s’établit à New York, commença de collaborer avec Merce Cunningham (il devait devenir directeur musical de sa compagnie, dès sa création, en 1952), et noua d’étroites relations dans le milieu international de la peinture (Max Ernst, Peggy Guggenheim, Mondrian, plus tard Rauschenberg, Jasper Johns et Marcel Duchamp) tout en étudiant particulièrement, en musique, Anton Webern et surtout Erik Satie. À la fin des années 1940, Cage entreprit son initiation à la philosophie orientale et au zen (avec Daisetz Suzuki). En 1950 débuta sa collaboration avec le pianiste David Tudor. Il lança, en 1952, avec Earle Brown, Christian Wolff et Morton Feldman, le Project of Music for Magnetic Tape (premier groupe américain à produire de la musique pour bande), et de 1948 à 1952, participa aux cours d’été de Black Mountain, où il donna avec la Compagnie Merce Cunningham Theater Piece (1952), probablement le premier happening à s’être jamais déroulé aux États-Unis. En 1954, une tournée en Europe (Donaueschingen lui avait commandé deux oeuvres qui allaient devenir deux pièces superposables) le conduisit dans des hauts lieux de la musique contemporaine, comme Cologne, Milan et Paris (où il avait déjà séjourné en 1949 et rencontré Boulez et Schaeffer). Le groupe Cage-FeldmanTudor-Wolff devait dès lors jouer un

rôle déterminant, voire historique, dans la diffusion de l’avant-garde américaine, et Cage lui-même devait devenir sur le plan esthétique, voire philosophique, le point de mire de toute une génération de compositeurs, surtout après les cours (la Musique comme processus) qu’il donna à Darmstadt en 1958 : il dynamisa alors le courant européen de la musique aléatoire - terme que lui-même ne devait jamais faire sien - inauguré en 1957 par le Klavierstück XI de Stockhausen. Toujours en 1958, il prononça au pavillon français de l’Exposition universelle de Bruxelles sa conférence Indeterminacy (« Indétermination »), et séjourna quatre mois au Studio de phonologie de la R. A. I. à Milan, tandis que le scandale de la première audition du Concerto pour piano et orchestre (oeuvre utilisant 84 systèmes de notation différents) consacrait au Town Hall de New York ses vingt-cinq années de création. Depuis 1966, John Cage a été compositeur en résidence aux universités de l’Illinois, de Californie (Davis), de Cincinnati et à l’université wesleyenne. En 1969, il a été élu au National Institute of Arts and Letters. Cage est un de ceux à qui l’on doit une nouvelle façon non plus de « penser en musique », mais de « penser la musique ». Il a introduit dans l’art des sons, selon une démarche tout à fait à l’opposé de celle d’un Pierre Boulez, la notion d’indétermination, l’idée de hasard et une conception neuve du silence, écrit pour des sources sonores et des exécutants non spécifiés quant à leur nombre et à leur nature, et récusé la notion traditionnelle d’oeuvre musicale. Il commença en utilisant de façon quasi sérielle une échelle de 25 demi-tons (Six Brèves Inventions, Sonate pour 2 voix, Sonate pour clarinette), mais se détourna vite de cette méthode, la recherche d’un substitut à la tonalité défaillante ne l’ayant jamais intéressé en soi. Beaucoup de ses innovations remontent dans leurs principes à la fin des années 1930. Il s’attacha alors aux structures fondées sur le rythme et le temps, et s’interrogea sur la nature des sons écoutés pour eux-mêmes, en dehors de toute culture ou « avant la culture « : d’où First Construction (in Metal) pour percussions (1939), ou encore Living Room Music (1940), ouvrages témoignant d’une nette indifférence envers la « valeur » en soi du matériau sonore,

mais reculant comme chez Varèse les frontières de l’art musical. De la même époque datent ses premiers essais de musique électroacoustique avant la lettre : ainsi Imaginary Landscape No 1 pour deux électrophones à vitesse variable, enregistrements de sons sinusoïdaux, piano avec sourdine et cymbales (1939). Dans Imaginary Landscape No 4 (1951), il devait faire appel à 12 radios, 24 exécutants et un chef ; dans Cartridge Music (1960), à des micros de contact mettant en évidence des événements sonores jusqu’alors imperceptibles ou rejetés ; et pour la création de Variations II (1961) + III (1963), à un micro de contact de gorge amplifiant la déglutition d’un verre d’eau. L’invention la plus célèbre de Cage, celle du piano préparé - consistant à loger entre les cordes de l’instrument, ou ailleurs, des corps étrangers destinés à en modifier les sonorités et les propriétés acoustiques, et de façon plus fondamentale à accroître l’imprévisibilité du résultat sonore -, date de 1938 (Cage pallia ainsi l’impossibilité dans laquelle il s’était trouvé d’utiliser un orchestre de percussions pour la musique du ballet Bacchanales, qui lui avait été commandée par la danseuse Syvilla Fort) : de cette invention, les Sonates et Interludes (1946-1948), aux remarquables structures rythmiques, puis le Concerto pour piano préparé et orchestre de chambre (1951), tirèrent le plus large parti. Après cette exploration de l’indétermination au niveau du matériau sonore, Cage l’étendit à l’acte même de composer, par exemple en se servant de diagrammes, de jets de dés ou de pièces de monnaie. À partir de Music of Changes (1951), et jusqu’à Empty Words (1973-1976), il recourut volontiers pour ce faire à la méthode I-Ching, recueil d’oracles de la Chine ancienne permettant d’effectuer des opérations de consultation du sort et ainsi d’éliminer tout critère de choix subjectif tout en préservant dans le « produit fini » une structure, une forme : le hasard intervient ici au niveau de la composition, non de l’exécution. Ce « hasard » devait prendre chez Cage (y compris et surtout au niveau de l’exécution) d’autres aspects de moins en moins compatibles avec la notion traditionnelle de structure : détermination des notes dans l’espace de la feuille-partition en fonction des imperfections du papier dans Music for Piano (1953-1956) ou dans le Concerto pour piano et orchestre

(1957-58) ; calques transparents superposables ad libitum dans les Variations I-IV (1958-1963) et VI (1966) ; examen de cartes astronomiques anciennes dans Atlas Edipticalis (1961) ou dans Études australes (1976). Cette pluralisation des techniques de hasard semble bien être un abandon de toute prétention à la strucdownloadModeText.vue.download 151 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 145 ture, une volonté de court-circuiter à tous les niveaux les aspects intellectuels du choix. Il ne s’agit pas pour autant de privilégier le hasard en soi, ce qui ressortirait encore à la logique, mais plutôt d’une tentative pour se rapprocher de la nature, pour libérer le son, mais aussi le silence. Dans 4’33’’ pour n’importe quel(s) instrument(s) [1952], pièce la plus indéterminée et la plus « silencieuse » qui soit, aucun son ne doit être produit, et ce pour montrer que de toute façon il en existe, qui doivent être entendus. Il n’y a pas non-oeuvre : c’est l’ambiance qui crée l’oeuvre, la seule indication précise étant celle de durée. Le souci de ne pas se couper de la nature apparaît aussi dans le fait qu’à de rares exceptions près, comme Fontana Mix (1958), composé au studio de la R. A. I. à Milan, Cage répugna à utiliser la bande seule : Bird Cage, donné en 1972 dans un espace où les gens étaient libres de bouger et les oiseaux de voler, met en jeu douze bandes magnétiques en superposition avec Monbird de David Tudor, et Lecture on the Weather (1976) est pour douze voix, bande magnétique et film. Dans HPSCHD pour 1 à 7 clavecinistes et 1 à 51 magnétophones, composition à l’ordinateur entreprise avec Lejaren Hiller à l’université de l’Illinois, est généralisée la technique du collage. On a parlé à propos de Cage de néo-dadaïsme, d’anarchisme, de provocation et même d’entreprise de dégradation, alors que s’il nous propose d’oublier les relations que nous trouvions dans l’art auparavant, c’est pour ne plus limiter la musique à une activité cérébrale, abstraite et élitiste. Avec lui, l’oeuvre est présentée comme une action - il parle d’acteur (performer) plus que de musicien ou d’interprète - et le geste comme générateur de sons. La musique est donc théâtre, « un autre mot pour désigner la vie « : en témoigne par

exemple une de ses productions les plus récentes, Roaratorio, an Irish Circus on Finnegans Wake (1980). Mieux, sa démarche est un éveil à la fête par la participation que ses oeuvres réclament : ainsi 33 1/3 (1969) pour une douzaine d’électrophones et 250 disques que le public doit faire passer, ou Musiccircus (1967, 1970 et 1973), où la déambulation d’une source sonore à l’autre est indispensable. Trente Pièces pour cinq orchestres (1981) est une oeuvre dont l’autre titre, À la surface, fait référence à Thoreau. Une de ses dernières oeuvres est One Hundred and One pour orchestre (Boston, 1989). Pour Cage, la musique était un fait social, et il resta profondément persuadé que dans la mesure où dans et par sa musique il contestait par exemple l’hégémonie du chef ou la dictature du compositeur, pour s’attacher au contraire à la créativité de l’interprète, à l’indépendance et à la dignité de chacun (qu’il soit auditeur ou exécutant), ou à l’obligation d’une écoute réciproque avant toute intervention, c’est l’ordre social qu’il remettait en question. CAHEN (Robert), compositeur français (Valence 1945). Il est membre du Groupe de recherches musicales de Paris de 1971 à 1973, puis chargé de recherche en « vidéoacoustique » à l’Institut national de l’audiovisuel. Ses musiques électroacoustiques (Craie, 1971 ; Masques 2, 1973 ; la Nef des fous, 1975 ; Masques 3, 1978, pour piano et bande) comme ses courts-métrages, dont il réalise fréquemment la bande sonore, manifestent un don mélodique incontestable et un univers personnel et sensible de poète. CAHIER (Mme Charles), contralto américaine (Nashville, Tennessee, 1870 - Manhattan Beach, Californie, 1951). Un certain mystère entoure sa biographie, au point que les archives du Metropolitan contiennent des lettres de sa petite-fille demandant des renseignements sur sa carrière ! Née Sarah-Jane Layton Walker, elle débute sous le pseudonyme de Morris Black, puis est engagée par Mahler à l’Opéra de Vienne. Elle chante de 1907 à 1911 notamment le rôle-titre de Sansom et Dalila de Saint-Saens. En 1911, elle par-

ticipe à la création posthume du Chant de la terre sous la direction de Bruno Walter. Mariée en 1905 à un aristocrate suédois, elle quitte Vienne en 1912 et devient professeur à New York. Parmi ses élèves figurent Marian Anderson et Lauritz Melchior. En 1930, elle enregistre, avec l’orchestre du Staatsoper de Berlin dirigé par Selmar Meyrowitz, deux lieder de Mahler, prestation considérée comme un témoignage d’une éventuelle tradition vocale mahlerienne. CAHUSAC (Louis de), librettiste, dramaturge et théoricien de la danse français (Montauban v. 1706 - Paris 1759). Il est surtout connu aujourd’hui pour avoir été le collaborateur le plus fidèle de Rameau, écrivant notamment le livret de la tragédie lyrique Zoroastre (1749), ainsi que ceux des opéras-ballets (les Fêtes de Polymnie), des pastorales héroïques (Zaïs, Naïs) et probablement de la tragédie lyrique les Boréades (1764), non représentée. Il a écrit un important traité intitulé la Danse ancienne et moderne (1754), où il tente de réhabiliter la pantomime dans le ballet académique et où il étudie sérieusement la danse antique, en particulier celle des Romains. CAILLARD (Philippe), chef de choeur français (Paris 1924). Après avoir été instructeur national du mouvement « À coeur joie », il a fondé un ensemble vocal portant son nom, spécialisé tout d’abord dans l’interprétation des oeuvres de la Renaissance, mais dont le répertoire s’est étendu peu à peu. Il a transcrit et édité de la musique vocale ancienne. CAILLAT (Stéphane), chef de choeur français (Lyon 1928). Il a fait ses études musicales à Lyon et à Paris (harmonie, contrepoint, orgue, direction d’orchestre), puis fondé et animé la chorale, l’ensemble vocal et le quatuor vocal qui portent son nom. Il dirige également l’ensemble Per cantar e sonar, créé en 1977 et spécialisé dans l’interprétation de la musique de la Renaissance. Son répertoire, très varié, comprend également des oeuvres contemporaines. Il a harmonisé des chants populaires et composé des oeuvres pour choeur : Illuminations (1973), Cantique (1974), Qui ? Quoi ? Comment ?

(1975), Ma vie avec la vague (1980). Il a été de 1979 à 1993 directeur artistique du Festival d’art sacré de la Ville de Paris. CAISSE CLAIRE. Instrument à percussion de la famille des membranophones. Son aspect extérieur est à peu près celui du tambour, en plus plat, et sa peau inférieure, dite « peau de timbre », est doublée par une nappe transversale de 12 à 24 ressorts métalliques qu’un dispositif déclencheur amène facultativement à son contact. Ces ressorts entrent en vibration quand les baguettes (ou les balais) attaquent la peau supérieure, dite « peau de frappe », et renforcent le caractère sec, percutant, de la sonorité de l’instrument. CAISSE DE RÉSONANCE. Corps des instruments à cordes, dont la cavité sert à amplifier la vibration de ces dernières. La caisse est voûtée, étant formée d’un fond galbé, d’une table percée de deux ouïes ou d’une rosace, et parfois d’éclisses. Dans certains instruments, notamment orientaux, c’est la table qui est galbée et le fond plat. CAIX D’HERVELOIS (Louis de), violiste et compositeur français (Amiens v. 1680 - Paris 1760). Il fut l’élève du grand virtuose de la viole Marin Marais et du mystérieux Monsieur de Sainte-Colombe. Sa réputation fut grande de son vivant. Il publia six livres de Pièces de viole pour une ou deux violes et basse continue (Paris, 1719-1751), trois recueils de Pièces pour la flûte traversière et basse continue (Paris, 1726, 1731, 1736) et downloadModeText.vue.download 152 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 146 un livre de Pièces pour pardessus de viole (1751). Si plusieurs de ses oeuvres ont souvent figuré dans le répertoire traditionnel des violoncellistes, elles conviennent mieux à l’instrument pour lequel elles furent conçues et dont la technique est bien différente.

CALANDO (ital. : « baisser »). Terme exprimant une notion de diminution de sonorité en même temps qu’un ralentissement du mouvement. CALATA. Danse italienne des XVe et XVIe siècles, de mouvement rapide. D’origine populaire, elle s’apparente à la basse danse, et est mise à l’honneur par les musiciens de cour. On peut trouver des exemples de la calata dans une publication de O. Petrucci, Intavolatura di lauto, livre IV (Venise, 1508). CALDARA (Antonio), compositeur italien (Venise 1670 - id. 1736). Élève de Legrenzi, il fut violoncelliste et chantre à Saint-Marc de Venise, maître de chapelle du duc de Mantoue (1700-1707), compositeur attaché au théâtre San Giovanni Crisostomo à Venise (1707-1709), maître de chapelle du prince Ruspoli à Rome (1709-1716). Ayant, durant l’été 1708, collaboré à Barcelone aux fêtes des noces du prétendant (contre Philippe V) au trône d’Espagne, il fut appelé plus tard à Vienne par ce souverain, devenu empereur sous le nom de Charles VI. Nommé en 1716 vice-maître de chapelle impérial sous l’autorité de Johann Joseph Fux, il demeura à Vienne jusqu’à sa mort. Sa production fut immense : quelque 87 ouvrages lyriques (dont Don Quichotte, 1727 ; Mithridate, 1728 ; La Clemenza di Tito, 1734, sur le livret de Métastase qui fut aussi utilisé par Mozart), plus de 30 oratorios et 30 messes, des motets et pièces sacrées diverses, une centaine de cantates profanes, des sonates, sonates en trio, quatuors, un septuor, des pièces pour clavecin. Son oeuvre, qui fut connue de Haydn, de Mozart et des compositeurs de l’école de Mannheim, est à la croisée des chemins entre le baroque et le préclassicisme. Son art, fondé sur un don mélodique exceptionnel et une grande science du contrepoint, se réfère au style instrumental de Corelli, au style polychoral des Gabrieli, à l’opéra vénitien, mais fait place aux prouesses vocales de l’école napolitaine, et offre des lignes flexibles, un lyrisme enveloppant, une intériorisation des sentiments, qui viennent d’Europe

centrale plus que d’Italie, et annoncent davantage l’apogée du XVIII siècle qu’ils ne rappellent celle du XVIIe. CALDERÓN DE LA BARCA (Pedro), poète et dramaturge espagnol (Madrid 1600 - id. 1681). En intégrant de plus en plus la musique au spectacle, par des intermèdes chantés, par des danses ou par la présence de choeurs ou d’instruments en coulisse, Calderón a joué un rôle non négligeable dans les premiers âges du théâtre lyrique. La première zarzuela, El Jardín de Falerina (1648), et le plus ancien opéra espagnol connu, La Purpura de la rosa (de Hidalgo, 1660), l’eurent comme librettiste. Il a également utilisé la puissance d’évocation que permet la musique dans les autos sacramentales, avec des chants et des ballets. CALINDA. Danse des Noirs des Antilles et du sud des États-Unis, à l’origine danse rituelle africaine accompagnée de tambours. À l’acte II de l’opéra de Frederick Delius Koanga (1896-1897), dont l’action se déroule dans une plantation de Louisiane dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, les esclaves chantent et dansent « la Calinda » durant les préparatifs des fêtes d’un mariage. CALLAS (Maria Anna Kalogeropoulos, dite Maria), soprano grecque (New York 1923 - Paris 1977). Elle fit ses premières études musicales aux États-Unis et les poursuivit en Grèce où elle s’installa en 1937. Elle débuta en 1939 à Athènes dans Santuzza de Cavalleria Rusticana de Mascagni et devint l’élève d’Elvira de Hidalgo au conservatoire d’Athènes. Entrée à l’opéra de cette ville en 1941, elle y interpréta une grande variété de rôles. Après avoir sans succès tenté sa chance aux États-Unis, elle se fit remarquer en 1947 aux Arènes de Vérone dans La Gioconda de Ponchielli. Elle chanta alors en Italie des rôles de grande soprano dramatique : Turandot dans l’opéra de Puccini, et des héroïnes de Wagner (Isolde dans Tristan et Isolde, Kundry dans Parsifal, Brünhilde dans la Walkyrie). Mais, appelée en 1949 à Venise pour remplacer au pied levé Margherita Carosio dans les Puritains de Bellini, elle découvrit son véritable uni-

vers, celui du bel canto romantique italien, où elle devait s’affirmer de façon incomparable, ressuscitant un type de voix dramatique, mais capable de souplesse et de virtuosité, qui avait disparu. À la Scala de Milan, où elle débuta en 1950, Maria Callas inaugura une ère nouvelle, une grande partie du répertoire de ce théâtre étant choisie en fonction de sa présence. Elle y chanta des partitions auxquelles son nom est resté attaché, soit chefs-d’oeuvre célèbres dont elle proposait une vision nouvelle, soit oeuvres partiellement ou totalement oubliées, de la résurrection desquelles elle est à l’origine : Norma, la Somnambule et le Pirate de Bellini, la Vestale de Spontini, Médée de Cherubini, Alceste et Iphigénie en Tauride de Gluck, Anna Bolena, Poliuto et Lucie de Lammermoor de Donizetti, Macbeth, les Vêpres siciliennes et La Traviata de Verdi, sans oublier, dans le registre bouffe, le Turc en Italie de Rossini. Dans le même temps, Maria Callas chantait dans le monde entier, célébrée comme aucune autre cantatrice du XXe siècle ne l’avait été. En 1962, alors que ses moyens vocaux déclinaient, elle s’installa à Paris. En 1963 et 1965, elle donna quelques représentations de La Tosca et Norma à l’Opéra de Paris et au Covent Garden de Londres, et, quoiqu’elle eût été par la suite fréquemment annoncée et même affichée, elle ne parut plus au théâtre, se produisant seulement occasionnellement en concert. Possédant à l’origine une étendue vocale de près de trois octaves, avec une technique très remarquable, notamment dans le domaine de la vocalise, Maria Callas était une actrice admirable autant qu’une musicienne inspirée. La voir en scène était une expérience inoubliable. Son art a profondément marqué l’évolution du théâtre lyrique, tant dans le style d’interprétation que dans l’orientation du répertoire. Le don total de sa personne à des rôles très divers était incompatible avec toute prudence dans la manière de conduire la voix, ce qui explique la brièveté de sa carrière. CALLINET, famille de facteurs d’orgues français, actifs dans l’est de la France pendant un siècle environ (v. 17801890). Le fondateur de la dynastie, François

(1754-1820), travailla avec Riepp, à Dijon, et transmit à ses successeurs l’héritage de la facture traditionnelle du XVIIIe siècle. Son fils Joseph (1795-1857) fut le plus remarquable organier de la famille et parvint à maintenir, dans la décadence de la facture au XIXe siècle, et avant l’épanouissement de l’orgue symphonique de Cavaillé-Coll, un style de grande tenue. Les quelque 150 instruments signés par les Callinet valent par la qualité de leur mécanique et de leur harmonisation. D’autres membres de cette illustre famille sont Claude-Ignace (1803-1874), frère de Joseph, Louis-François (1834 - v. 1890), fils de Claude-Ignace, ainsi que le cousin des frères Callinet, Louis (1786-1846), qui s’établit à Paris. CALMEL (Roger), compositeur français (Béziers 1921). Élève, au Conservatoire de Paris, de Simone Plé-Caussade pour le contrepoint et la fugue, de Jean Rivier et Darius Milhaud pour la composition, il a reçu le grand prix musical de la Ville de Paris (1958) et diverses autres récompenses. Musicien minutieux, il fait usage dans une certaine mesure des techniques dodécaphoniques, downloadModeText.vue.download 153 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 147 mais son écriture à l’harmonie riche, parfois violemment dissonante, reste caractérisée dans l’ensemble par une belle inspiration mélodique et une allure noble. Il a écrit une symphonie, des oeuvres concertantes, des suites et poèmes symphoniques, de la musique théâtrale (le Jeu de l’amour et de la mort, d’après Romain Rolland, 1966), des mélodies et cantates pour solistes (Cantate du jardin des Oliviers, pour baryton, clavecin et cordes, 1971 ; 5 Nocturnes pour mezzo-soprano et ensemble instrumental, 1973, etc.), des oeuvres chorales à caractère profane (Cantate de la vigne, 1974) ou religieux (Marie au Calvaire, oratorio d’après Péguy, 1977), Requiem à la mémoire de la reine Marie-Antoinette (1993). CALONNE (Jacques), compositeur belge (Mons 1930). Il a travaillé au conservatoire de Mons (1944-1947), puis avec Jean Absil, et a poursuivi des études personnelles. Il a

suivi les cours d’été de Boulez et Stockhausen à Darmstadt, où plusieurs de ses partitions ont été créées et où il a obtenu un prix de composition en 1962. S’adonnant, parallèlement à la musique, à une activité picturale et littéraire, il a écrit notamment, pour orchestre : Chances (1961), Orbes (1965) ; pour instrument seul : Quadrangles pour piano (1959), Fenêtres et boucles pour piano (1960), Cahier pour violoncelle (1961) ; pour ensembles de chambre ou formations instrumentales diverses : Métalepses pour 9 exécutants (1957), Album pour quatuor (1958), Pages pour 19 instruments (1959), Tome pour 2 pianistes et 3 percussionnistes (1962), Scolies pour orchestre de chambre (1964), Mutations pour 2 à 5 pianos (1972-1975), Partiels pour violoncelle et 12 autres solistes (1974-1976). CALVÉ (Emma), soprano française (Decazeville, Aveyron, 1858 - Millau, Aveyron, 1942). Elle fit des études de chant à Paris et débuta à Bruxelles en 1882 dans le rôle de Marguerite de Faust de Gounod. Après de nouvelles études à Paris avec Mathilde Marchesi, elle entra à l’Opéra-Comique en 1886 et acquit une renommée internationale. Sa personnalité très particulière résultait de la fusion d’une technique vocale remarquable, appuyée par une grande virtuosité, et d’un talent d’actrice exceptionnel, tourné vers un réalisme parfois violent. Massenet écrivit pour elle Sapho et la Navarraise. Elle fut une interprète illustre du rôle de Carmen dans l’opéra de Bizet. CALVIÈRE (Antoine), organiste et compositeur français (Paris v. 1695 - id. 1755). Disciple de François Couperin, il fut organiste à la basilique de Saint-Denis et en diverses églises de la capitale, pour devenir finalement titulaire de l’orgue de NotreDame (1730) et succéder à Marchand en tant qu’organiste de la chapelle royale (1738). Il fut réputé pour sa virtuosité et surtout pour son talent d’improvisateur. De ses compositions pour orgue, il ne subsiste qu’un Récit de cromorne en taille. Il a également écrit des motets à grand choeur, aujourd’hui perdus. CALVIN (Jean), réformateur français

(Noyon 1509 - Genève 1564). Alors qu’en Allemagne Luther réservait à la musique une large place dans le service sacré, Calvin lui assigna un rôle beaucoup plus étroit. Proscrivant l’usage de l’orgue et celui de la polyphonie, il n’admit à l’église que le chant à l’unisson, et le borna pour les textes (à quelques exceptions près) aux psaumes de l’Ancien Testament. Le premier recueil de chants de réformés de France, Aulcuns Pseaulmes et cantiques mys en chant, fut publié en 1539 à Strasbourg. Dans ce recueil se trouve le psaume LXVIII (le célèbre psaume « des Batailles ») dont la mélodie est de Mathias Greiter, musicien strasbourgeois. Le psautier huguenot, comprenant les 150 psaumes de David, fut achevé en 1562. Clément Marot et Théodore de Bèze, pour les textes, Loys Bourgeois, pour les chants, en furent les principaux auteurs. Calvin veilla à son unité et à son austérité. Il voulait que le chant des psaumes « ne soit ni léger ni volage, mais qu’il ait poids et majesté ». Sans doute n’a-t-il pas joué, dans l’histoire de la musique française, un rôle comparable à celui de Luther pour la musique allemande. Toutefois, c’est dans le climat spirituel du calvinisme que se sont développés, dès 1546, les psaumes polyphoniques qui, pour n’être pas destinés à l’église, n’en sont pas moins, sous les signatures de Pierre Certon, Loys Bourgeois, Claude Goudimel, Paschal de L’Estocart, Claude Le Jeune, des pages maîtresses de la musique religieuse française. CALVISIUS (Sethus), compositeur, théoricien, astronome et érudit allemand (Gorsleben, Thuringe, 1556 - Leipzig 1615). Il fit ses études aux lycées de Frankenhausen et Magdebourg, puis aux universités de Helmstedt et Leipzig. Il fut cantor successivement à la Paulinerkirche de Leipzig (1581), à Schulpforta (1582-1594) et à Saint-Thomas de Leipzig (1594-1615). Il a laissé des hymnes, des bicinia, des psaumes, des motets et des traités (Melopoeia sive Melodiae condendae, Erfurt, 1592 ; Compendium musicae practicae pro incipientibus, Leipzig, 1594, etc.), qui ont contribué à l’évolution du style contrapuntique au style harmonique. CALVOCORESSI (Michael Dimitri), musicologue et critique musical italien d’ascendance grecque (Marseille 1877 - id.

1944). Autodidacte en grande partie, il commença sa carrière de critique dans l’Art moderne belge, la Renaissance latine, puis devint correspondant du Monthly Musical Record. Sa correspondance avec Balakirev à partir de 1905 l’amena à s’intéresser particulièrement à la musique russe, dont il se fit le propagateur. Il fut l’un des principaux conseillers de Diaghilev lors de ses premières saisons parisiennes. Ses ouvrages, surtout son Moussorgski (1908), son Glinka (1911) et Masters of Russian Music (1936, en collaboration avec G. Abraham) font encore autorité. On lui doit aussi les traductions françaises des livrets de Boris Godounov et du Coq d’or, ainsi que du Traité d’orchestration de Rimski-Korsakov. CALZABIGI (Ranieri de), écrivain et librettiste italien (Livourne 1714 - Naples 1795). Après des études à Livourne et à Pise, il commença sa carrière de librettiste à Naples, comme imitateur de Métastase. Puis il se rendit à Paris, où, en 1750, il introduisit, avec Casanova, un système de loterie. Il y fut également engagé dans la querelle des Bouffons, ce qui l’incita à écrire son poème héroï-comique, la Lilliade. En 1761, il fut nommé à Vienne conseiller de l’empereur et commença, l’année suivante, à collaborer avec Gluck en lui fournissant un premier livret, Orfeo ed Euridice, suivi en 1767 et 1770 de ceux d’Alceste et de Paride ed Elena. Après son retour, en 1780, en Italie, où il passa les dernières années de sa vie, il participa également, en tant que librettiste, à la création d’ouvrages lyriques de Salieri et de Paisiello. Préconisant le retour à la tragédie des Anciens, défenseur des idées de Gluck, Ranieri de Calzabigi joua un rôle non négligeable dans la réforme de l’opéra. Il s’inscrit ainsi dans ce grand courant de pensée classique, en faveur dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. CAMARGO GUARNIERI (Mozart), compositeur, chef d’orchestre et pédagogue brésilien (Tietê, province de São Paulo, 1907). Il a fait ses études musicales à São Paulo, puis à Paris, en particulier avec Charles Koechlin. De retour dans son pays, il a été cofondateur de l’Académie brésilienne de musique en même temps que le prin-

cipal animateur de la vie musicale à São Paulo, ville où il a occupé notamment les fonctions de professeur de composition et de directeur de l’orchestre municipal. Dans ses partitions, des éléments issus de la tradition folklorique sont moulés dans des formes généralement très classiques. Son oeuvre abondante comprend des symdownloadModeText.vue.download 154 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 148 phonies, des concertos pour piano, des quatuors à cordes, des sonates, des oeuvres pour orchestre de chambre, des cantates, des mélodies, un opéra-comique, Pedro Malazarte (1932), qui le rendit populaire, et un opéra, l’Homme seul (1960). CAMBEFORT (Jean de), compositeur français ( ? 1605 - Paris 1661). À partir de 1635, date à laquelle le musicien est mentionné pour la première fois, il fit une carrière de chanteur et de compositeur à la cour. Successivement au service des cardinaux de Richelieu et Mazarin, il exerça plusieurs charges dépendant de la musique de la Chambre : en 1643, celle de maître des enfants ; en 1655, celle de surintendant et, l’année suivante, celle de compositeur. Il publia en 1651 et en 1655 deux livres d’airs de cour, dont il est l’un des derniers représentants, et composa des récits pour des ballets, notamment pour le Ballet de la nuit, dansé en 1653. Sa musique, dont il faut apprécier les qualités mélodiques, influença les créateurs de l’opéra français. CAMBERT (Robert), compositeur français (Paris v. 1628 - Londres 1677). Élève du claveciniste Chambonnières, il succéda à Gigault en tant qu’organiste à l’église Saint-Honoré. Toutefois, c’est dans le genre profane qu’il se fit connaître. Suivant l’exemple de l’opéra italien, il fut l’un des premiers à mettre en musique une pièce destinée à être entièrement chantée en langue française. Après la Muette ingrate, composée en 1658 sans être représentée, ce fut la Pastorale, donnée à Issy en avril 1659. Lors de la reprise de l’oeuvre à la cour, en mai, Cambert fut encouragé par Mazarin et devint en 1662 maître de musique d’Anne d’Autriche. Il publia en

1665 des airs à boire et collabora avec le même librettiste que celui de la Pastorale, Pierre Perrin, à un nouvel ouvrage lyrique, Pomone. L’écrivain, ayant obtenu en 1669 le privilège de l’Opéra, fit représenter l’oeuvre avec faste, le 3 mars 1671, dans ce nouveau théâtre, après en avoir confié la direction musicale au compositeur, qui se chargea notamment de recruter les chanteurs. Perrin ayant été emprisonné pour dettes, Cambert dut se tourner vers un autre librettiste, Gilbert, pour écrire les Peines et les plaisirs de l’amour, pastorale créée en 1672. L’achat du privilège de l’Opéra par Lully* allait interrompre les représentations et amener Cambert à se rendre en Angleterre. Là, au service de Charles II, il put fonder une « Royal Academy of Music » et donner au public en 1674 son dernier ouvrage lyrique, Ariane. Trois ans plus tard, il mourait dans des circonstances obscures. De ses oeuvres écrites pour la scène subsistent quelques fragments de Pomone et de les Peines et les plaisirs de l’amour, qui présentent déjà cette alternance de récitatifs, d’airs, de duos, de trios, de choeurs et de pièces instrumentales, comme les ritournelles et les danses, qui constituent des éléments variés que l’opéra français devait conserver pendant plus d’un siècle. CAMBIATA (ital. nota cambiata : « note échangée »). Terme s’appliquant à des dissonances qui résultent du maniement des parties d’un morceau polyphonique. Deux sens lui sont attribués : il désigne soit une note de passage accentuée sur un temps fort, soit, plus souvent, d’après J. J. Fux (XVIIIe s.), une dissonance abordée par note conjointe et quittée par saut de tierce descendant avant de remonter sur une autre harmonie. Cette technique est fréquente chez les musiciens des XVe et XVIe siècles. CAMBINI (Giuseppe Maria), compositeur italien (Livourne 1746 - Bicêtre, Paris, 1825). Il fut l’élève de Manfredi, mais il n’est pas prouvé qu’il ait aussi travaillé avec le fameux Padre Martini. Il fit représenter à Naples en 1766 un opéra qui échoua complètement, et, après des aventures romanesques (il aurait été esclave en Barbarie),

s’installa en 1770 à Paris, où il fut bientôt l’un des auteurs les plus écoutés, notamment dans le genre, alors très prisé, de la symphonie concertante. Il joua pour la première fois au Concert spirituel en mai 1773, et en décembre de la même année parut son opus 1 (une série de quatuors). Il devint un personnage influent, mais c’est sans doute à tort qu’il fut accusé d’avoir empêché l’exécution au Concert spirituel en 1778 de la symphonie concertante pour quatre instruments à vent de Mozart (d’autant que ce dernier parla alors de Cambini en termes assez flatteurs). Durant la période révolutionnaire, il devint directeur de théâtre et écrivit des hymnes pour les fêtes organisées par David. Il tomba ensuite dans l’oubli, bien qu’on trouve dans les premières années du XIXe siècle des articles de lui dans l’Allgemeine Musikalische Zeitung et les Tablettes de Polymnie. Il mourut dans le dénuement, selon certaines sources non pas à l’hospice de Bicêtre, mais en Hollande dès 1818. On lui doit de la musique vocale, mais c’est surtout dans le domaine instrumental qu’il triompha dans sa période de grande vogue. Il écrivit ainsi des symphonies, plus de 80 symphonies concertantes, des duos et trios, des quatuors pour diverses formations dont près de 150 quatuors à cordes (1773-1809, plusieurs furent attribués à Boccherini), et plus de 100 quintettes à cordes. CAMBRELING (Sylvain), chef d’orchestre français (Amiens 1948). Titulaire d’un 1er Prix de trombone au Conservatoire de Paris, il travaille la direction d’orchestre à l’École normale de musique de Paris avec Pierre Dervaux. En 1974, il est lauréat du Concours international de Besançon. Il fait ses débuts de chef d’orchestre en France à la tête de l’Orchestre de Lyon, où il est l’assistant de Serge Baudo de 1975 à 1981. En 1976, Pierre Boulez l’invite à venir diriger l’Ensemble InterContemporain. Il est invité à diriger plusieurs grandes productions d’opéra au Palais Garnier, sous la direction de Rolf Liebermann. En 1981, il fait ses débuts au festival de Glyndebourne et en 1984 à la Scala de Milan. De 1987 à 1991, il est directeur musical du Théâtre de la Monnaie de Bruxelles. En 1991, il est nommé conseiller musical à l’Opéra de Francfort, puis directeur général de la musique de cet établissement en 1993. Ouvert à tous les genres musicaux, il a mené sa carrière principalement dans le répertoire

lyrique. CAMERA (ital. : « chambre »). Terme s’appliquant à la sonate ou au concerto pour distinguer une musique de chambre (sonata da camera, concerto da camera) de la sonate ou du concerto da chiesa, destinés à être joués dans une église. En principe, les différents mouvements d’une sonata ou d’un concerto da camera se réfèrent à des danses profanes dont ils portent les noms, alors que les titres des mouvements d’une sonata ou d’un concerto da chiesa ne correspondent qu’à des indications de tempo (adagio, allegro, etc.). CAMERATA FIORENTINA ou CAMERATA DI BARDI. Nom donné au mouvement culturel apparu à Florence vers 1575 et qui regroupa musiciens, chanteurs, poètes et théoriciens humanistes. On lui doit essentiellement la naissance du genre melodramma, du stile rappresentativo, autrement dit, de l’opéra. Les membres de la Camerata fiorentina se réunirent régulièrement jusqu’au début du XVIIe siècle. Ils se rencontraient d’abord chez Giovanni de’ Bardi, comte di Vernio et homme de grande culture. Vincenzo Galilei, Pietro Strozzi, Ottavio Rinuccini, Jacopo Peri, Giulio Caccini y parlaient de musique, de poésie et d’art. En 1592, après le départ de Bardi pour Rome, la Camerata élut demeure chez Jacopo Corsi. C’était le groupe culturel le plus actif de Florence, en matière de recherche théorique et intellectuelle, fidèle en cela à la tradition humaniste florentine du XVe siècle. La musique grecque antique y était à l’honneur. Un témoignage précieux des activités de la Camerata nous est pardownloadModeText.vue.download 155 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 149 venu avec le Dialogo della musica antica e moderna de V. Galilei (Florence, 1581). L’auteur y démontre la supériorité de la monodie grecque sur la polyphonie de la Renaissance, soulignant aussi son effet

moral, opposé à l’hédonisme de la pratique contrapuntique. Galilei et Strozzi composèrent des oeuvres qui reflètent parfaitement leur conception de la monodie : le premier, Lamento del conte Ugolino, d’après la Divine Comédie de Dante, et le second, Fuor de l’umido nido (1579), que chanta G. Caccini. La monodie avait pour but principal de rendre le texte intelligible dans tous les détails, la musique n’étant que secondaire et au service des différentes « passions » contenues dans le texte. Les premières oeuvres importantes conçues selon les règles du nouveau style furent la Dafne (1597) et l’Euridice (1600) de J. Peri, la Rappresentazione di Anima e di Corpo (1600), de Cavalieri, une autre version d’Euridice de Caccini, que l’auteur des Nuove Musiche fit représenter en 1602. L’année 1607 fut marquée par un chef-d’oeuvre absolu : l’Orfeo de Monteverdi, qui apparaît comme un mélange de tous les styles en usage à l’époque. En cette même année, Marco da Gagliano fonda l’Accademia degli Elevati, qui prit la relève de la Camerata fiorentina avec l’Arianna de Monteverdi et une Dafne de Gagliano, les deux oeuvres datant de 1608. CAMPIAN ou CAMPION (Thomas), compositeur et poète anglais (Witham, Essex, 1567 - Londres 1620). Il se rendit à Cambridge en 1581 et y étudia probablement la médecine et peutêtre même la physique, sans obtenir de diplôme précis. Cependant, sa réputation dans le domaine scientifique parut, à l’époque, aussi bien établie que sa renommée comme poète et musicien. Il mourut à Londres et fut enterré à Saint Dunstan. Campian publia ses premières oeuvres dans A Booke of Ayres (1601), recueil d’airs pour voix soliste et luth soutenus par une basse de viole. Cet ouvrage comprend deux livres distincts, l’un de Campian, qui écrivit paroles et musique, l’autre de son ami Philip Rosseter. Quatre autres recueils devaient suivre, réunissant au total une centaine de morceaux pour voix soliste (I et II, v. 1613 [ ?] ; III et IV, v. 1617). Moins élaborées que celles de Dowland, les compositions de Campian sont néanmoins très caractéristiques du degré d’accomplissement auquel parvinrent les compositeurs anglais du début du XVIIe siècle. Elles révèlent un sens remar-

quable des rapports entre la musique et le texte, en même temps qu’une sensibilité particulièrement affinée. Campian composa aussi plusieurs masques, dont il écrivit paroles et musique. Il est également l’auteur d’ouvrages théoriques. CAMPION (François), guitariste et théorbiste français (Rouen 1680 - Paris 1748). Guitariste et théorbiste de l’Académie royale de musique, il publia plusieurs ouvrages théoriques : Nouvelles Découvertes sur la guitare (Paris, 1705) ; Traité d’accompagnement pour le théorbe (Paris, 1710) ; Traité d’accompagnement et de composition selon la règle des octaves de musique (Paris, 1716). Il composa de nombreuses pièces, sonatines, fugues, danses, etc., qui exploitent toutes les possibilités de leur instrument et sont d’une grande richesse polyphonique. CAMPIONI (Charles-Antoine Campion, dit Carlo Antonio), compositeur français (Lunéville, Meurthe-et-Moselle, 1720 Florence 1788). Sa vie demeure mal connue. De 1764 environ à 1780, il fut maître de chapelle du grand-duc de Toscane à Florence. Il fut à son époque très apprécié pour sa musique religieuse et plus encore pour ses intéressantes compositions instrumentales : sonates à 3, duos pour violons ou pour violon et violoncelle, sonates pour clavecin, etc. CAMPO Y ZABALETA (Conrado del), compositeur espagnol (Madrid 1878 - id. 1953). Il fit ses études au conservatoire de Madrid avec Amato, Hierro et Emilio Serrano. Violoniste, altiste et chef d’orchestre, il fonda l’Orchestre symphonique de Madrid et le quatuor Francès, puis le quintette Madrid, avec Joaquín Turina. Professeur d’harmonie au Conservatoire royal de Madrid, puis de contrepoint, fugue et composition, il mena de front ces différentes activités et l’élaboration d’une oeuvre abondante qui s’inscrit dans le sillage du postromantisme germanique (influence de Richard Strauss). Plus que ses opéras et poèmes symphoniques, ses seize quatuors à cordes constituent la partie la plus originale de son catalogue et même la plus importante contribution de l’école espagnole à la mu-

sique de chambre. Il a formé de nombreux disciples, tels Bacarisse, Bautista, Cristobal Halffter, Manuel Parada, etc., et son rôle d’animateur, surtout comme membre du quatuor Francès, a été considérable pour la connaissance de la musique instrumentale et la constitution d’un répertoire (Arregui, Villar, Chapi, etc.). OEUVRES. - Pièces pour orchestre. La Divine Comédie pour choeurs et orchestre (19051908), Granada (1917), Kasida (1920), Ofrenda a los caídos (1938), Ofrenda a la Santísima Virgen (1944) [poèmes symphoniques]. El Viento en Castilla (1942), Suite madrileña (1934), Concerto pour violon (1938), Concerto pour violoncelle (1944), Evocación de Castilla pour piano et orchestre (1931), Fantasía castellana pour piano et orchestre (1939). Musique théâtrale. quinze opéras, dont : El Avapies (1918), Bohemios (1919), La Malquerida (1925), Lola la Piconera (1949). - 20 zarzuelas, dont : La Flor del agua (1912), El Burlador de Toledo (1933), El Demonio de Isabela (1949). Musique religieuse. 2 messes, psaumes, motets. Ballets. Mascarada (1921), En la pradera (1943). CAMPRA (André), compositeur français (Aix-en-Provence 1660 - Versailles 1744). Fils d’un chirurgien originaire de Turin, Campra bénéficia, dès 1674, dans sa ville natale, à la cathédrale Saint-Sauveur, d’une excellente formation musicale, sous la direction de G. Poitevin. En 1681, il fut nommé maître de chapelle à Saint-Trophime d’Arles et deux ans plus tard à SaintÉtienne de Toulouse. En 1694, il obtint le poste de maître de musique à Notre-Dame de Paris, poste auquel il dut renoncer en 1700, pour se consacrer au genre profane que représentait l’opéra. Son premier ouvrage lyrique, l’Europe galante, avait connu en 1697 un très grand succès. Il fut suivi par une quinzaine d’opéras-ballets et de tragédies lyriques, dont certains, comme Hésione (1700), Tancrède (1702) ou les Fêtes vénitiennes (1710), eurent le privilège d’être repris plusieurs fois du vivant même de l’artiste. Dès les premières années du XVIIIe siècle, Campra fut chef d’orchestre à l’Académie royale de musique et devint à Paris un compositeur célèbre. Il donnait des leçons au duc de Chartres, qui réu-

nissait dans son entourage des musiciens comme Morin, Gervais et Forqueray. Professeur également du futur Régent, il allait bénéficier de la protection de cette personnalité après la mort de Louis XIV : en 1718, il reçut une pension annuelle de 500 livres et, en 1722, il fut nommé sous-maître à la chapelle royale de Versailles. Cet emploi à la cour et celui qu’il exerçait, depuis 1721, chez les jésuites l’amenèrent à écrire davantage pour la musique religieuse : Campra lui consacra une trentaine de motets, une messe de requiem, des psaumes et de nombreuses pièces, aujourd’hui presque toutes perdues, destinées aux spectacles du collège Louis-le-Grand. Il ne laissa plus, en dehors de remaniements d’anciens ouvrages lyriques, qu’un seul opéra, Achille et Déidamie, créé en 1735, et ce malgré le poste d’inspecteur de l’Académie royale de musique, qu’il avait reçu en 1730, en remplacement de Destouches. Quelques circonstances lui donnèrent, toutefois, l’occasion de se tourner encore vers le genre profane : il composa en 1722 pour le prince de Conti, la Fête de l’Isle-Adam (musique perdue) et, en 1724, à l’occasion du mariage du duc de Chartres, le Lis et la Rose, oeuvre qu’il inséra dans son dernier downloadModeText.vue.download 156 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 150 livre de cantates, paru en 1728. En dépit du renom dont il avait joui auprès des mécènes à la ville et à la cour, Campra passa les dernières années de sa vie dans un très grand dénuement et mourut en 1744 dans un modeste logement à Versailles. L’oeuvre de Campra doit être appréciée dans sa diversité. Les motets et les messes témoignent généralement d’une recherche à la fois mélodique et harmonique, caractéristique de leur époque de création, en dépit d’une réelle originalité, sensible notamment dans le Requiem. On y retrouve la majesté pathétique de Delalande et l’union des goûts français et italien, chère aux contemporains du musicien aixois. La sonate et la cantate, genres ultramontains par excellence, exercèrent, avec l’opéra, une influence notable dans l’accompagnement instrumental et dans l’alternance des récits et des airs. L’oeuvre lyrique du compositeur est

représentée par deux genres : l’opéra-ballet et la tragédie lyrique. Bien que Campra n’ait pas créé le premier, il a toutefois beaucoup contribué à son épanouissement. Il a bénéficié de la vogue dont jouissait le goût pour la couleur locale, goût que se plaisait à montrer généralement ce spectacle. Il a su avec charme et raffinement peindre des scènes vénitiennes en usant d’éléments directement empruntés au style ultramontain. C’est particulièrement sensible dans le petit opéra Orfeo nell inferi, écrit en 1699 sur des paroles italiennes, auquel on assiste à la fin du Carnaval de Venise et dans les trois cantates qui figurent dans les Fêtes vénitiennes. Les tragédies lyriques de Campra s’inscrivent davantage dans la tradition lullyste, que le compositeur a su toutefois renouveler : une instrumentation recherchée et une inspiration originale lui ont permis de laisser des pages délicates et poétiques, comme les célèbres plaintes des arbres de la forêt enchantée dans Tancrède. Par là, Campra ne doit pas être considéré comme un artiste de transition entre Lully et Rameau, mais avant tout comme l’un des meilleurs représentants de l’opéra français. CANARIE. Danse française du XVIe siècle, originaire d’Espagne et notée à 3/8, à 6/8 ou à 3/4. On la trouve surtout chez les clavecinistes. Son rythme rapide s’apparente assez à celui de la gigue. CANCAN. Sous ce nom, les cabarets parisiens présentent aujourd’hui une danse au mouvement endiablé, mais rigoureusement réglée, à peine acrobatique, presque sage. On est loin du véritable cancan né dans les bals publics sous le règne de Louis-Philippe, danse libre, échevelée, issue du galop de quadrille et écrite sur un rythme à 2/4 très rapide. Le cancan permettait des bonds, des écarts de jambes, des contorsions, des déhanchements ; son caractère « dévergondé » lui valut de faire fureur durant toute la seconde moitié du XIXe siècle. Gavarni l’illustra dans plusieurs de ses lithographies, et Offenbach l’utilisa dans ses opéras bouffes.

CANCIONERO (esp. : « chansonnier »). Recueil de chansons polyphoniques, espagnoles ou portugaises, des XVe et XVIe siècles. Le plus important des cancioneros est probablement le Cancionero musical de Palacio, transcrit et publié en 1890 par Barbieri, puis révisé par H. Anglès. Il réunit 463 compositions à 2, 3 ou 4 voix, parfois avec un apport instrumental, élaborées entre 1460 et 1510. Ce sont, pour la plupart, des villancicos, des canciones et quelques pièces italiennes (frottole, strambotti), répartis en chansons de caractère amoureux, religieux, historique et romanesque, pastoral, burlesque, etc. Des musiciens les plus anciens (J. Urreda, M. Enrique, J. Cornago, Fr. de la Torre, Badajoz ou Peñalosa) aux plus modernes (J. del Encina, Escobar, A. de Mondejar ou Baena), on peut y suivre l’évolution de la technique comme moyen d’expression lyrique ou dramatique, dans le sens d’une simplification progressive. D’autres cancioneros méritent d’être signalés : celui de Juan Vasquez (Villancicos y canciones, 1551, transcrit par H. Anglès), celui de Claudio de Sablonara, embrassant l’époque de 1590 à 1640 (publié par Jesús Aroca), celui de la Casa de Medinacelli (transcrit et publié en 1950 par Miguel Querol), celui d’Upsala (découvert en Suède par Rafaele Mitjana et transcrit par Jesús Bal) et plusieurs de moindre importance publiés à Barcelone, Venise ou Prague au XVIe siècle. CANINO (Bruno), pianiste italien (Naples 1935). Il étudie le piano et la composition au Conservatoire de Milan, où il obtient deux premiers prix. Lauréat des concours de Bolzano et de Darmstadt, il consacre d’emblée une grande part de son activité à la musique contemporaine. Il se produit comme pianiste et claveciniste, partenaire de musiciens tels que Salvatore Accardo, Itzhak Perlman et surtout la soprano Cathy Berberian, avec qui il donne plusieurs récitals au programme original, mêlant la chanson, la mélodie, les contemporains. Avec le violoncelliste Rocco Filippini et le violoniste Cesare Ferraresi, il forme le Trio de Milan. Parallèlement à ses activités de concertiste, il enseigne au Conservatoire de Milan et compose. De nombreux musi-

ciens ont composé à son intention : Berio, Bussotti, Donatoni, Rihm, Xenakis, etc. CANIS (Cornelius, de HONDT), compositeur flamand (Flandre v. 1510-1520 Prague v. 1561). Chantre à Notre-Dame d’Anvers, maître des enfants de la chapelle de Charles Quint à Madrid (1547), il devint maître de chapelle de Marie de Hongrie, régente des Pays-Bas, puis chapelain et chanoine de Courtrai, avant d’entrer à la chapelle de Ferdinand Ier à Prague. Auteur de 26 chansons françaises et d’une messe à 6 voix, Canis a surtout excellé dans le motet ; 26 motets sur des textes latins nous sont parvenus (3 à 6 voix). CANNABICH, famille de musiciens allemands. Martin Friedrich ou Matthias Friedrich ( ? v. 1700 - Mannheim 1773). Flûtiste et hautboïste, il fit partie de l’orchestre de la cour de Mannheim de 1723 à 1758 et enseigna la flûte au prince électeur Karl Theodor. Johann Christian (Mannheim 1731 Francfort-sur-le-Main 1798). Fils du précédent, élève de son père et de J. Stamitz, il entra dans l’orchestre de Mannheim en 1744 et en prit la direction après la mort de J. Stamitz (1757). Entre-temps, il avait étudié à Rome auprès de Jomelli (1753) et séjourné à Milan. Bientôt devenu un des chefs d’orchestre les plus célèbres d’Europe, il se produisit à Paris (1764, 1766, 1772), et se lia d’amitié avec Mozart à Mannheim en 1777-78. En 1778, il suivit avec son orchestre Karl Theodor à Munich, où il donna des concerts non plus seulement pour la cour, mais aussi en public, et où, en 1790, il reçut la visite de J. Haydn en route pour Londres. Il passa quelque temps à Vienne, en 1796, et mourut durant une visite chez son fils. Essentiellement compositeur de musique instrumentale, Johann Christian laissa, notamment, de la musique de chambre et plus de 100 symphonies. À partir des années 1770, il se consacra de plus en plus au ballet, genre où il put donner libre cours à son talent de coloriste (la Descente d’Hercule, les Meuniers provençaux, les Fêtes du sérail, la Foire de village hessoise). Beaucoup de ces ballets sont perdus. On lui doit également les opéras Azakia (1778) et les Croisés (1788), ainsi que le mélodrame Elektra (1780).

Karl Konrad ou Karl August (Mannheim 1771 - Munich 1806). Fils du précédent, élève de son père pour le violon, il devint en 1800 directeur de la musique à Munich. CANON. 1. Genre polyphonique caractérisé par la similitude des voix qui se reproduisent l’une l’autre avec un décalage dans le temps. On appelle antécédent la partie proposée en premier, conséquents les parties downloadModeText.vue.download 157 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 151 suivantes, qui doivent être déduites automatiquement de l’antécédent, soit telles quelles, soit avec des modifications convenues à l’avance. Le canon le plus simple, type Frère Jacques, est celui dans lequel chaque voix entre sur la mélodie de l’antécédent en un endroit convenu de celui-ci et laisse ensuite le canon se dérouler de lui-même, répétant la mélodie un nombre de fois indéfini. C’est le canon perpétuel ou ouvert ; chacun s’arrête quand il en a assez. Parfois, on modifie le chant donné au moment de finir ; le canon est dit fermé et la partie modifiée porte le nom de coda. Dans certaines formes de canon, le conséquent est plus long ou plus court que l’antécédent ; on complète alors par des parties libres qui échappent à l’automatisme du canon. À côté de ces canons simples, les contrapuntistes n’ont jamais cessé de rechercher des procédés susceptibles de produire des canons élaborés (intervalles, rythmes). Par exemple, on peut faire commencer le conséquent sur un autre degré que l’antécédent ; ce genre de canon est désigné par l’intervalle qui sépare l’antécédent de sa réponse (canon « à la tierce », par exemple). Le canon peut aussi transformer la mélodie de l’antécédent ; il peut commencer par la dernière note et continuer de droite à gauche (canon rétrograde, dit aussi à l’écrevisse), ou bien remplacer chaque intervalle montant par le même intervalle descendant et vice versa. On peut égale-

ment mélanger ces procédés et proposer un renversement de la rétrogradation. Sur le plan rythmique, on peut procéder soit à un resserrement des valeurs (canon en diminution), soit à leur élargissement (canon en augmentation). Ce genre de canon amène souvent à recourir à des parties libres pour combler la différence de longueur (cf. Bach, canons de l’Art de la fugue). Les contrapuntistes se sont souvent complu à présenter leurs canons sous forme de devinette, en n’écrivant que l’antécédent et le programme et en laissant à l’usager le soin de trouver la « résolution ». Le plus célèbre exemple de ce type de canon énigmatique est la série proposée par Bach dans l’Offrande musicale avec la devise significative Quaerendo invenies (cherchez et vous trouverez). Il y a enfin canon multiple (double, triple, etc.) quand plusieurs canons se déroulent simultanément. Tel est le cas du plus ancien canon identifié comme tel avec certitude, un double canon anglais sur le chant du coucou, Sumer is icumen in (v. 1300). De nos jours, Olivier Messiaen a appliqué le nom de canon rythmique à une imitation ne portant que sur les valeurs, indépendamment de l’élément mélodique. L’emploi du mot « canon » (grec ; « règle ») provient par dérivation de la « règle » ou mode d’emploi qui accompagnait généralement la notation de l’antécédent. La dénomination primitive était rotundellus ou rondellus, « qui tourne en rond », apparenté à rota (roue) et source du mot rondeau ; l’anglais round et l’allemand Radel se réfèrent à cette origine. Au XIVe siècle, la chace (chasse) en France et la caccia en Italie présentent le caractère de canons. À partir du XVe siècle, le canon est de plus en plus utilisé comme élément occasionnel de polyphonie, mais, en tant que genre, il n’est plus guère conservé que comme divertissement « domestique « : Haydn, Mozart, Cherubini en écriront souvent à ce titre. Le canon possède un abondant répertoire de caractère plus ou moins populaire dû au fait que, sous sa forme la plus simple, il constitue l’un des moyens d’accès les plus aisés vers la pratique polyphonique.

Le canon était autrefois considéré comme une variété de la fugue, bien que ses règles soient très différentes. C’est pourquoi Bach a pu inclure les canons (fugues canoniques) dans son Art de la fugue. 2. Par extension du sens précédent, passage en style de canon (dit aussi canonique), ou dans lequel figure un canon, qu’il soit complet ou non, mélangé ou non à d’autres parties non canoniques. Compris de la sorte, les canons sont fréquents dans la musique de toutes époques depuis le XIIIe siècle au moins, tout particulièrement dans les messes et motets de la Renaissance. 3. Dans l’Antiquité grecque, on appelait canon harmonique l’ensemble des proportions numériques calculées sur le monocorde pour définir les intervalles, d’où le nom de canonistes parfois donné aux harmoniciens de l’école pythagoricienne. 4. Dans la liturgie latine, le canon est la partie essentielle de la messe, incluant la consécration et dite à voix basse entre le Sanctus et le Pater. 5. Canon byzantin. Avec le « kontakion », le canon est la forme la plus importante dans la musique de l’Église byzantine, mais il se trouve également dans sa poésie. Sa période de floraison se situe aux VIIIe et IXe siècles, et on peut citer à ce titre le nom d’André de Crète, auteur du Grand Canon. CANONIQUE. Qui fait appel au style du canon. Bach a écrit des Variations canoniques (Kanonische Veränderungen) sur le choral « Vom Himmel hoch ». CANSO ou CANZO (provençal : « chanson »). Pièce musicale et poétique des troubadours du XIIe siècle. La forme est celle d’une série de couplets (« coblas »), pour lesquels est composée une musique originale, fondée sur les échelles modales. Très voisin de l’hymne et du versus latin, le canso chante l’amour courtois avec une extrême richesse d’invention. Dépourvu d’accompagnement dans les chansonniers, il recevait un soutien instrumental, comme l’atteste l’ico-

nographie. Parmi les compositeurs de canso, citons Bernard de Ventadour (Can vei l’alautzeta mover), Jaufré Rudel (Lan can li jorn) et Raimbaud de Vaqueiras. CANTABILE (ital. : « chantant »). Terme employé pour indiquer le caractère expressif d’un morceau. Les intervalles de la mélodie sont faciles et son ambitus demeure moyen. La qualification de cantabile fut très utilisée au XVIIIe siècle pour inviter les instrumentistes à jouer une mélodie en se rapprochant au maximum du style vocal du bel canto. De nombreux mouvements lents de Mozart, par exemple, comportent l’indication andante cantabile. CANTATE (en ital. cantata, de cantare, « chanter »). Composition vocale née au début du XVIIe siècle en Italie. La cantate est directement issue du madrigal ; à l’origine, elle est tout simplement la voix supérieure de ce même madrigal, les autres parties de l’édifice polyphonique n’étant pas chantées, mais jouées soit par un seul instrument comme le luth ou le chitarrone, soit par plusieurs instruments. C’est la monodie accompagnée de G. Caccini et ses collègues, dont 12 pièces des Nuove Musiche pour voix seule et basso continuo (1602) sont appelées des madrigaux. La cantate va se développer et se partager en deux catégories : la cantate d’église, parallèlement à l’oratorio, et la cantate de chambre, qui est le plus souvent un opéra en miniature. La forme se divise en un ensemble de récitatifs et d’airs pour une, deux et parfois trois voix, soutenues par la basse continue (instrument à clavier et instrument à archet) avec parfois un apport d’instruments mélodiques (1 violon, 2 violons, flûte, hautbois, etc.). La cantate d’église doit toujours, en principe, adopter un style d’expression plus sobre, intérieur, tandis que la cantate de chambre est souvent passionnée, dramatique et se prête à des effets de virtuosité. La cantate à deux voix va devenir un terrain de prédilection pour des expériences dans le domaine de l’harmonie, des sauts d’intervalles inatten-

dus, et des effets particulièrement recherdownloadModeText.vue.download 158 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 152 chés, raffinés et destinés à un public de connaisseurs (Fr. Durante). Plusieurs pièces de Monteverdi (Tempro la cetra) peuvent déjà être assimilées à la cantate. Après des exemples de Francesco Cavalli, Giovanni Legrenzi est l’un des premiers musiciens de Venise à illustrer le genre de manière importante. À Rome, Carissimi, L. Rossi, suivis d’A. Cesti, adoptent un style mélodique caractéristique de la musique de cette ville, moins élaboré et plus sévère. À Bologne, d’abord avec G. Bassani, on renouvelle la forme de la cantate par l’adjonction d’une ritournelle instrumentale en introduction à la pièce, la formule deux violons et basse continue étant très fréquente. Autre centre important, Naples : avec A. Stradella et, surtout, A. Scarlatti, la cantate devient de plus en plus lyrique et expressive, d’une profonde richesse mélodique, d’une grande virtuosité dans les airs et d’un grand naturel dans les récitatifs. C’est à Naples que l’air à da capo, forme capitale de toute la musique baroque, se concrétise et se perfectionne. En France, la cantate se développe sur le modèle italien, mais seulement vers la fin du XVIIe siècle, avec, par exemple, la cantate de M.-A. Charpentier Coulez, charmants ruisseaux. Suivent les cantates françoises de J.-B. Morin, d’A. Campra, de N. Bernier, de L.-N. Clérambault ; M. Pignolet de Monteclair et Rameau écrivent de véritables petits opéras, conçus pour une ou deux voix le plus souvent, avec ou sans instruments obligés. Bien que la cantate française soit considérée comme un genre mineur, elle tient une place importante dans le développement de la musique dramatique en France. La cantate d’église en France, à la même époque, ne prend pas le nom de cantate, mais existe néanmoins sous forme de motets, divisés en récits et airs épousant ainsi la même structure. En Allemagne, on peut noter la présence de la cantate profane, mais c’est la

cantate d’église qui fleurit et qui est mise au service de la liturgie protestante. Elle naît dans la seconde moitié du XVIIe siècle avec Heinrich Schütz, dont les Geistliche Konzerte sont écrits pour une à cinq voix et basse continue, puis avec Samuel Scheidt. Ces exemples seront suivis d’un grand nombre de compositeurs avant D. Buxtehude, précurseur de J. S. Bach. Celui-ci écrit un très grand nombre de cantates de plusieurs types, destinées aux différents « temps » du calendrier chrétien, y introduit le choral protestant, les sinfonie instrumentales, des airs à da capo, souvent accompagnés d’instruments obligés recherchés pour la beauté de leur couleur (hautbois d’amour, corno da caccia, etc.), des ensembles pour 4 voix mixtes. Après Bach, qui porte le genre à son apogée, la cantate ne sera plus qu’une oeuvre de circonstance chez Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert, puis Brahms et, de nos jours, Stravinski, Prokofiev, Schönberg, etc. En France, la cantate demeure un modèle de concision et de possibilités de variété dans l’expression, puisque, en raccourci, elle peut contenir toutes les formes vocales et instrumentales. De 1893 à 1969, elle sera imposée comme épreuve pour l’obtention du prix de Rome. CANTATILLE. Terme français désignant au XVIIIe siècle une petite cantate de même plan, mais pour voix seule avec accompagnement d’un clavecin, éventuellement d’un instrument soliste, rarement plus. Les sujets abordés, d’une poésie légère, sans recherche dramatique, s’inscrivent dans les divertissements de l’opéra ou de l’opéra-ballet. La cantatille est conventionnelle, mondaine, toujours élégante, souvent sur le ton de la Badine - pour citer l’exemple de Monteclair qui y décrit « la jeune et badine Lisète » se promenant accompagnée de son chien. D’autres compositeurs français, comme Mouret, Boismortier, A.-L. Couperin, etc., ont écrit de nombreuses cantatilles. CANTATRICE (en ital. cantatrice). Soliste du chant plus particulièrement classique et de haute qualité. Le terme « chanteuse », plus général, est plutôt ré-

servé à la chanson populaire, de variétés ou de jazz, qui peut, elle aussi, atteindre un haut niveau artistique. CANTE JONDO ou CANTE HONDO (esp. : « chant profond »). Chant andalou ancestral portant la marque des Arabes, qui se maintinrent en Andalousie jusqu’à la capitulation de Boabdil en 1492. Il se fonde sur la richesse modale des gammes antiques, sur les mélismes liturgiques byzantins et sur un ambitus mélodique étroit, ne dépassant pas la sixte. Là où le texte suggère la passion, sa mélopée laisse place à une riche ornementation improvisée. Se souvenant des vocalises du muezzin, le cante jondo privilégie l’usage réitéré et obsédant d’une même note accompagnée d’appoggiatures inférieures ou supérieures. Sans perdre son caractère hiératique et tragique, il a été influencé dans son évolution par le chant des gitans, qui s’établirent dans la région de Grenade au XVe siècle, et s’est dès lors exprimé à travers des formes toutes liées à l’idée de tristesse poignante, d’accablante fatalité : la seguiriya gitana, au rythme et à l’intonation très libres ; la soleá, chant de l’absence, de l’abandon ; le martinete, que les forgerons gitans rythmaient de leurs coups de marteau. Confondu à tort avec le flamenco, contaminé par des formes plus extérieures et plus spectaculaires, ce genre s’était édulcoré et se mourait lorsque le Centre artistique de Grenade organisa en 1922 un concours de cante jondo. Federico García Lorca et Manuel de Falla furent étroitement associés à l’organisation de ce concours, et l’étude publiée par Falla à cette occasion joua un rôle décisif dans la restauration du cante jondo authentique. CANTELLI (Guido), chef d’orchestre italien (Novare 1920 - aéroport d’Orly 1956). À quatorze ans, il donna son premier récital de piano, puis étudia le piano et la direction d’orchestre au conservatoire de Milan avec Pedrollo, Ghedini et Antonnio Votto. En 1943, il fut nommé chef d’orchestre et directeur artistique du théâtre Coccia de Novare. Presque immédiatement interrompue par la guerre, sa carrière reprit en 1945 et sa renommée

s’étendit rapidement. Toscanini, qui l’appréciait particulièrement, l’invita à diriger l’orchestre symphonique de la NBC à New York (1949). À partir de 1951, il remporta de grands succès en dirigeant le Philharmonia Orchestra de Londres. Quelques jours avant sa mort dans une catastrophe aérienne fut annoncée sa nomination comme directeur de l’orchestre de la Scala de Milan. Ses interprétations, claires, vives, fouillées, incisives, intenses mais maîtrisées, le firent considérer comme l’héritier du style de Toscanini. CANTELOUBE (Marie-Joseph), compositeur français (Malaret, près d’Annonay, Ardèche, 1879 - Paris 1957). Élève de Vincent d’Indy à la Schola cantorum, il s’imposa comme un musicien régionaliste par excellence, tirant de l’inspiration terrienne la substance même de ses compositions. Non seulement ses nombreux recueils de chants folkloriques, qu’il harmonisa avec délicatesse et esprit (5 vol. de Chants d’Auvergne, 1923-1955 ; Chants populaires de haute Auvergne et du haut Quercy ; Chants d’Angoumois, du Languedoc, de Touraine, des Pays basques, etc. ; 400 choeurs à voix égales ou mixtes : Chants paysans, Chants des terroirs, etc.), mais aussi ses opéras, le Mas (1910-1913, première représentation à l’Opéra de Paris, 1929) et Vercingétorix (1930-1932, première représentation 1933), sont imprégnés de sa tendresse pour le terroir du Massif central. Il écrivit aussi des pages instrumentales et orchestrales, édita une Anthologie des chants populaires français (4 vol., Paris, 1939-1944) et publia des études, dont les Chants des provinces françaises (Paris, 1946). downloadModeText.vue.download 159 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 153 CANTIGA (esp. : « chanson »). Ce terme général désigne toutes les chansons écrites en Espagne et au Portugal au XIIIe siècle. Les plus célèbres sont sans doute les chants religieux en l’honneur de la Vierge Marie contenus dans l’anthologie Las Cantigas de Santa María, quelque 428 pièces en langue galicienne, attribuées

à Alphonse X de Castille (dit le Sage). D’autres recueils sont également conservés (Lisbonne, Rome), dans lesquels les sujets traités sont, cette fois, profanes et témoignent de l’influence de l’art des troubadours. Trois manuscrits des Cantigas de Santa María existent aujourd’hui, et ceux de l’Escorial comportent des illustrations à la fois fort belles et importantes pour notre connaissance des instruments employés à l’époque. CANTILÈNE. (en lat. cantilena). Le terme est souvent employé aujourd’hui pour désigner une ligne mélodique particulièrement chantante, qui doit se dégager en relief au-dessus de son accompagnement. C’est aussi une manière d’interpréter où l’instrumentiste doit jouer sa partie comme une mélodie vocale ; sens très proche de cantabile. Jusqu’au IXe siècle, toute pièce chantée profane à une voix, de genre épique et lyrique, ou religieuse, mais seulement de forme monodique, reçoit le nom de cantilena. Plus tard, le terme désigne le chant polyphonique et, vers la fin du Moyen Âge, également la musique instrumentale. CANTILLATION (en lat. pop. cantillare). Style d’exécution d’une pièce vocale comme une psalmodie, situé à mi-chemin entre le vrai chant et la déclamation, et adopté dans la liturgie hébraïque et la liturgie chrétienne. CANTIQUE. 1. Au sens liturgique strict, le nom de cantique est réservé aux chants d’action de grâces de certains personnages transcrits dans l’Ancien ou le Nouveau Testament sous une forme lyrique. On a recensé 17 cantiques, dont 14 proviennent de l’Ancien Testament, les 3 autres étant de saint Luc : cantique de la Vierge ou Magnificat, de Zacharie ou Benedictus (ne pas confondre avec celui du Sanctus), de Siméon ou Nunc dimittis. Les principaux cantiques de l’Ancien Testament sont ceux de Moïse, des enfants dans la fournaise, d’Ézéchias et d’Habacuc. Les cantiques se chantent à l’office de la même manière que les psaumes, mais parfois avec un timbre spécial plus solennel. On donne quelquefois le nom de « cantique christologique » au Gloria in excelsis de la messe. 2. Au XVIe siècle, la Réforme française a

donné le nom de cantiques spirituels à des pièces versifiées d’inspiration religieuse ou moralisatrice, toujours en langue vulgaire, et destinées à être chantées dans les assemblées pieuses ou les réunions familiales. Une grande partie du répertoire a été élaborée en dotant de nouvelles paroles des mélodies déjà connues. Le fait de « travestir » en cantique spirituel une chanson grivoise, par exemple, était considéré comme une action pieuse. De cette manière, Un jeune moine est sorti du couvent, chanson polyphonique assez leste de R. de Lassus, devient Quitte le monde et son train décevant. Les airs de cour du siècle suivant sont également transformés en « airs de cour servant de timbre à des cantiques » (M. Lambert). Mais il existe aussi des cantiques spirituels originaux, monodiques ou polyphoniques, comme les Octonaires de la vanité et inconstance du monde, du poète huguenot A. de La Roche-Chandieu, mis en musique par L’Estocart et surtout Cl. Le Jeune. Le cantique spirituel est avec le psaume français la principale manifestation musicale du calvinisme, aspect dominant de la Réforme en France et en Suisse. 3. À partir du sens précédent, l’Église catholique a ensuite donné le nom de cantique spirituel à un répertoire spécial de chants en langue vulgaire. Il existait de tels chants depuis longtemps, puisqu’au XIe siècle, déjà, on trouve dans un manuscrit de saint Martial de Limoges un cantique en français (dialecte limousin), mais c’est surtout à partir du XVIIe siècle que la confection des cantiques prit une grande extension. Si l’on excepte certains secteurs privilégiés comme le noël, ou certaines enclaves ethniques comme la Bretagne ayant fait du cantique une des expressions de leur art populaire, il faut bien reconnaître que le cantique, d’une poésie souvent fruste ou fade, et d’une mélodie qui vaut ce que vaut sa source, présente assez rarement une valeur littéraire ou musicale appréciable. Aujourd’hui, le cantique tend à supplanter toute autre forme de musique à l’église, et l’épiscopat en organise luimême la diffusion sous forme de fiches et dispose à cet effet des services du Centre national de pastorale liturgique. CANTO CARNIALESCO (ital. : « chant carnavalesque »).

Chant d’origine florentine, de la fin du XVe siècle et des premières décennies du XVIe. Conçus pour célébrer les fêtes du carnaval et exécutés sur des chars somptueusement décorés, les plus célèbres exemples du genre datent de l’époque de Laurent le Magnifique. Leur style ainsi que leur forme peuvent être associés à la frottola, c’est-à-dire à une chanson simple de caractère populaire et homorythmique. Le canto carnialesco est souvent satirique. Les textes restent pour la plupart anonymes ; en revanche, la musique révèle des noms de compositeurs connus, tels que H. Agricola ou H. Isaac. CANTOR. Mot latin signifiant « chanteur », traduit en français par chantre lorsqu’il s’agit des chanteurs d’église et spécialement de ceux chargés du plain-chant, mais qui, conservé tel quel en allemand dans l’Église luthérienne, y a d’abord désigné celui qui était chargé de guider le chant en en donnant l’intonation ; de là le terme est devenu synonyme de « maître de chapelle ». Il est parfois reproduit dans ce sens en français : c’est ainsi que J. S. Bach fut « cantor » à Saint-Thomas de Leipzig. CANTUS (lat. : « chant »). 1. S’opposant à discantus (déchant), le cantus, dans la polyphonie médiévale, désigne la vox principalis (voix principale) dont le déchant constitue l’ornementation en contrepoint (c’est-à-dire point contre point ou note contre note), de sorte que le chant peut s’exécuter sans le déchant, mais, en principe, non l’inverse. 2. Quelquefois employé au lieu de superius pour indiquer la voix supérieure d’une pièce polyphonique qui, notamment au XVIe siècle, commence à se détacher comme étant la partie la plus intéressante mélodiquement. 3. Différentes catégories de chants sont appelées par des locutions composées, soit selon le genre (cantus planus ou plainchant ; cantus mensuratus ou chant mesuré, etc.), soit selon le rite correspondant (chant byzantin, chant ambrosien, etc.).

CANTUS FIRMUS. L’une des acceptions de CANTUS § 3 ayant conservé en français son expression latine. 1. Dans la polyphonie religieuse du XVe siècle et au-delà, l’une des voix de la polyphonie présentant en valeurs plus longues que les autres parties la citation littérale d’un texte connu, généralement liturgique, soit que l’ensemble de la polyphonie en soit le développement, ou l’harmonisation, soit que le cantus firmus intervienne à titre de commentaire pour une citationréférence éclairant le sens du texte. On peut faire remonter la conception du cantus firmus aux teneurs d’organa de l’école de Pérotin, où le chant donné s’étalait en valeurs longues, tandis que les autres voix tissaient une broderie en valeurs courtes. Il arrive fréquemment que le cantus firmus présente un texte latin, alors que les autres voix sont en langue vulgaire. Le mélange se trouve dans le motet au Moyen Âge (G. de Machaut) ; Dufay a écrit une déploration sur la perte de Constantinople qui emploie le même principe, O très piteulx, en lui donnant pour cantus firmus un verset latin downloadModeText.vue.download 160 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 154 des Lamentations de Jérémie. Le procédé du cantus firmus se retrouve jusque dans la musique religieuse du jeune Mozart (motet Benedictus sit). 2. Au XVIIe et surtout au XVIIIe siècle, l’usage du cantus firmus s’étend au répertoire du choral luthérien, qui l’utilise aussi bien dans les cantates religieuses que dans les développements pour orgue, notamment dans le genre dit choral figuré, illustré principalement par Pachelbel, puis par J. S. Bach. Le choral De profundis de Bach, à double pédale (Aus tiefer Noth), en constitue l’un des exemples les plus parfaits. 3. À partir du XVIIIe siècle, la pédagogie a annexé la pratique du cantus firmus en lui enlevant le caractère signifiant qui le justifiait pour le transformer en simple artifice d’écriture, enseigné comme l’une des bases du contrepoint. Le cantus firmus ainsi compris n’est plus dès lors qu’une simple suite de valeurs longues quelconques sur

lesquelles l’élève est prié de réaliser certains exercices d’écriture. 4. À l’imitation du cantus firmus ancien, on désigne parfois sous ce nom une mélodie quelconque lorsque, dans un ensemble polyphonique, elle se présente en valeurs plus longues que son entourage : un exemple célèbre en est le choral qui termine la 2e symphonie d’Arthur Honegger. CANZONA ou CANZONE (ital. : « chanson « ; pl. canzone ou canzoni). Terme italien au sens plus diversifié dans le temps et dans la forme que le mot français chanson. Il peut très bien ne pas s’appliquer à une pièce vocale, bien que le caractère mélodique soit toujours présent sous une forme ou sous une autre, rappelant ainsi l’art vocal. Dérivant du canso provençal, la canzona est d’abord une forme poético-musicale cultivée en Italie, dès le XIIIe siècle, mais, cette fois, elle est polyphonique et pas nécessairement chantée. La forme en est strophique. Plus tard, vers la fin du XVe siècle et au début du siècle suivant, on donne le nom de canzona à des compositions profanes éloignées du genre populaire (frottola, strambotto). Ce caractère sérieux se retrouve bientôt dans le madrigal italien. En effet, vers le milieu du XVIe siècle, la canzona désigne au contraire une composition légère, populaire et de forme strophique, où l’écriture verticale domine afin de faciliter la compréhension du texte. Né à Naples, ce type de composition se répand dans toute l’Italie et reçoit le titre de villanella ou villota, comme le recueil d’O. de Lassus (2e Libro de Villanelle, Moresche ed Altri Canzoni..., Paris, 1581), qui contient le célèbre Matona mia cara à 4 voix. Entre-temps, sous l’influence francoflamande, les musiciens italiens font aussi des transcriptions de chansons polyphoniques de l’école parisienne (en particulier celles de Cl. Janequin), de Josquin Des Prés et de bien d’autres, pour le luth et pour les instruments à clavier. Un musicien particulièrement actif dans ce domaine est Fr. da Milano, mais on peut citer également les noms de Cl. Merulo ou de G. Cavazzoni, l’auteur d’une Canzon sopra Il est bel est bon du Parisien Passe-

reau. Après 1560, la forme instrumentale de la canzona francese se développe rapidement ; elle peut soit être une adaptation d’une pièce vocale, soit n’en prendre qu’une phrase, ou encore devenir une composition originale dans le même esprit, un des liens essentiels avec la chanson étant le rythme caractéristique du début : blanche-noire-noire. Cette musique devient plus idiomatique et mène à l’éclosion de la sonate. Les canzone les plus célèbres - destinées à tout un assortiment d’instruments auxquels les voix peuvent se joindre -, et peut-être aussi les meilleures, sont l’oeuvre de G. Gabrieli. Mélangées à des sonate, genre plus solennel, ces canzone sont publiées à Venise chez Gardano (Sacrae Symphoniae, 1597 ; Canzoni e Sonate, 1615), ainsi que chez Raverio dans une anthologie datant de 1608. L’écriture en imitation demeure fréquente dans ces pièces, mais on y trouve également de nombreux passages homorythmiques en même temps que plusieurs thèmes. Une variété rythmique est aussi introduite au moyen de sections contrastantes (binaires/ternaires) ; les instruments sont souvent répartis en deux groupes qui dialoguent entre eux. Les lignes mélodiques de Gabrieli (surtout celles des cornetti) peuvent recevoir une ornementation en diminution, du genre proposé par le « chef des instruments à vent » à Saint-Marc de Venise, le cornettiste G. dalla Casa, dans son ouvrage théorique (1584). Encore une fois, la canzona évolue vers une forme instrumentale, sans doute sous l’influence de sa voisine la sonata et sous celle du grand maître G. Frescobaldi, qui compose à la fois des canzone traditionnelles et d’autres fondées sur un seul thème avec variations. Ce dernier type de canzona, destiné aux instruments à clavier, continue à être écrit jusqu’au XVIIIe siècle. J. S. Bach en a signé un exemple, la Canzona (BWV 588, v. 1709). CANZONETTA (ital. : diminutif de canzona, « chansonnette »). Composition vocale profane de la fin du XVIe siècle, issue de la musique de danse instrumentale, c’est-à-dire de la bassedanse. Il s’agit d’une chanson dans laquelle se

mêlent des éléments populaires et ceux, plus savants, du madrigal aristocratique. Généralement composée à 3 ou à 4 voix et de forme strophique, la canzonetta se caractérise par l’importance du cantus et du bassus, c’est-à-dire de la voix supérieure mélodique et de la basse qui joue un rôle essentiellement harmonique. L’importance de ces deux parties va conduire éventuellement à la cantate, mais d’abord à l’introduction de la basse continue. Les petites cantates du début du XVIIe siècle, telles que celles d’un L. Rossi ou d’un C. Caproli, reçoivent souvent le titre de canzone, de préférence à celui de canzonetta qui désignerait plutôt un air court et léger. Plus tard, le terme de canzonetta s’applique à une composition assez simple, et sans forme bien déterminée, pour une voix avec accompagnement. J. Haydn, par exemple, a écrit deux recueils de 6 Canzonets sur des textes anglais (1794, 1795) et, là encore, la forme strophique domine. CAPDEVIELLE (Pierre), compositeur et chef d’orchestre français (Paris 1906 Bordeaux 1969). Élève de Gédalge, Paul Vidal et Vincent d’Indy, il débuta en 1930 comme chef d’orchestre à l’Opéra de Grenoble. Nommé en 1944 directeur des émissions de musique de chambre à la radio, il fonda en 1952 l’Orchestre de chambre de la Radiodiffusion française. Son oeuvre comprend des mélodies sur des poèmes d’Apollinaire, Baudelaire, Suarès, Rilke, etc., de la musique instrumentale, 3 symphonies (1936, 1942, 1953), des fresques symphoniques (Incantation pour la mort d’un jeune spartiate, 1931), de la musique de scène, des cantates (la Tragédie de Pérégrinos, 1941) et deux opéras, les Amants captifs (19471950, première représentation 1960) et la Fille de l’homme (1967). CAPE (Safford), chef de choeur et compositeur américain (Denver, Colorado, 1906 - Bruxelles 1973). Il a étudié le piano et la composition à Denver, puis, à partir de 1925, à Bruxelles, où il a été l’élève de R. Moulaert (composition) et de Ch. Van den Borren (musicologie). En 1933, toujours à Bruxelles, il a fondé l’ensemble Pro musica antiqua afin de faire connaître la musique du Moyen Âge (G. de Machaut) et de la Renaissance

à travers des interprétations d’un grand sérieux musicologique et d’un goût très sûr. Safford Cape a lui-même composé un trio à cordes, un trio avec piano, des pièces pour piano et de la musique vocale. CAPET (Lucien), violoniste, pédagogue et compositeur français (Paris 1873 - id. 1928). Élève de Jumas et Maurin au Conservatoire de Paris, il y obtint un premier prix de violon en 1893 et fonda aussitôt après un quatuor à cordes portant son nom, auquel il se consacra en même temps qu’à downloadModeText.vue.download 161 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 155 une carrière de soliste, et qui acquit une réputation mondiale. Professeur au conservatoire de Bordeaux de 1899 à 1903, il fut, à partir de 1907, titulaire de la classe de musique de chambre au Conservatoire de Paris ; il se lia alors avec Tournemire, qui lui enseigna la composition. Parallèlement, le quatuor Capet poursuivait son activité, s’illustrant en particulier dans les oeuvres de Beethoven. Lucien Capet a écrit 5 quatuors, 2 sonates, 6 études et diverses pièces pour violon, ainsi que quelques oeuvres symphoniques et vocales. Il est l’auteur d’un important ouvrage théorique, la Technique supérieure de l’archet (Paris, 1916). Il a aussi laissé une édition des quatuors de Beethoven. CAPITOLE (Théâtre du). Fondé à Toulouse en 1736, reconstruit en 1880, détruit par le feu en 1917, il a été entièrement rénové en 1974. Dans ce haut lieu du théâtre lyrique en France ont débuté plusieurs des meilleures voix françaises. Dirigé depuis 1990 par Nicolas Joël, il a vu au cours de la période récente les créations de Hop, Signor de Manuel Rosenthal (1962), du Silence de la mer d’Henri Tomasi (1964), de Gambara d’Antoine Duhamel (1980), de Montségur de Marcel Landowski (1985). Régionalisé en 1974, dirigé depuis 1968 par Michel Plasson, l’Orchestre du Capitole a acquis, grâce notamment à ses enregistrements de musique française, une dimension d’orchestre

symphonique international. CAPLET (André), compositeur et chef d’orchestre français (Le Havre 1878 Neuilly-sur-Seine 1925). Après avoir entrepris des études musicales au Havre, il entra, en 1896, au Conservatoire de Paris dans les classes de Leroux, Lenepveu et Vidal, et remporta en 1901 le premier grand prix de Rome avec sa cantate Myrrha. Il débuta comme timbalier dans l’orchestre des Concerts Colonne et devint rapidement l’assistant d’É. Colonne. Directeur de la musique à l’Odéon à partir de 1899, Caplet fut aussi chef d’orchestre à l’opéra de Boston de 1910 à 1914. Mais la guerre interrompit sa brillante carrière ; touché par les gaz, il vit sa santé compromise et dut peu à peu réduire son activité. Aussi renonça-t-il à la direction de l’Opéra de Paris (1919), ainsi qu’à celle des orchestres des Concerts Lamoureux (1920) et des Concerts Pasdeloup (1922). Très lié avec Debussy - il dirigea la création du Martyre de saint Sébastien (Paris, 1911) et orchestra ou réduisit plusieurs de ses oeuvres -, Caplet se dégagea progressivement de l’influence de ce dernier, par exemple dans le Vieux Coffret (1917). Il devait aussi rejeter celle de Fauré. La pratique de la scène lyrique lui fit acquérir une connaissance des possibilités de la voix humaine qu’il utilisa avec une certaine audace (Inscriptions champêtres, 1914). On n’hésita pas à voir dans les quinze vocalises du Pain quotidien les prémices de la technique moderne du chant. Comme Debussy, le compositeur fréquenta Solesmes et se familiarisa avec le plain-chant ; sa foi lui inspira des oeuvres très attachantes (le Miroir de Jésus, 1923 ; Prières, 1914-1917) ; la Messe à 3 voix, 1919-20), caractéristiques de son souci d’un langage personnel exempt de stéréotypes. Caplet a écrit quelque trente-cinq mélodies, personnelles, difficiles à interpréter (en particulier les parties de piano). Soulignons enfin la hardiesse avec laquelle il employa la harpe dans le Masque de la mort rouge ou le violoncelle dans Épiphanie, ses deux oeuvres instrumentales essentielles. CAPODASTRE (en ital. capotasto). Petite barre d’ébène, d’ivoire ou de métal, placée transversalement en haut de la

touche de certains instruments à cordes pincées (luth, guitare), et qui sert à raccourcir la longueur des cordes afin de modifier l’accord de l’instrument. Un type de doigté appelé le « barré » sert à obtenir le même résultat. Enfin, pour le violoncelle et la contrebasse, l’emploi particulier du pouce gauche, délimitant la longueur de vibration des cordes, constitue une technique qui fut connue parfois, jadis, sous le nom de capodastre. CAPRICCIO (ital. : « caprice »). Au XVIIe siècle, ce terme désigne une forme instrumentale, généralement courte, de caractère léger et souvent amusant, improvisée et pleine de fantaisie. Le capriccio emploie une écriture contrapuntique et ressemble à la canzona ; en effet, il n’y a guère de différence entre ces deux termes. On trouve les meilleurs exemples de capriccio chez Frescobaldi où un thème, comme celui du Capriccio sopra l’aria di Ruggiero, est exposé et suivi de plusieurs sections traitées en variations. Au XVIIIe siècle, J. S. Bach écrit un Capriccio sopra la lontananza del suo fratello dilettissimo. La forme contrapuntique du capriccio a contribué à la naissance de la fugue. Plus tard, prenant un sens plus général, le terme désigna une pièce libre, brillante et rapide, indiquant plutôt une manière de jouer. Le capriccio est soit un morceau pour instrument seul (les 24 Capricci de Paganini), soit une oeuvre concertante (Rondo capriccioso pour piano et orchestre de Mendelssohn), mais, dans les deux cas, prime le côté virtuose. Enfin, le capriccio peut être une pièce pour orchestre : par exemple, les évocations lors du mouvement des écoles nationales de la seconde moitié du XIXe siècle (Capriccio espagnol de Rimski-Korsakov, Capriccio italien de Tchaïkovski). CAPROLI ou CAPRIOLI (Carlo), dit CARLO DEL VIOLINO, compositeur italien (Rome v. 1615 - id. v. 1693). Élève de Luigi Rossi, il entra au service du prince Ludovisi, neveu du pape Innocent X. Sa réputation était déjà considérable lorsque l’abbé Francesco Buti, poète,

librettiste et agent de Mazarin, le fit venir à Paris avec une troupe de chanteurs. Son opéra Le Nozze di Peleo e di Theti fut représenté le 14 avril 1654 à l’hôtel du Petit-Bourbon. Le spectacle, heureux mélange de comédie italienne et de ballet de cour français, connut un immense succès. Malheureusement, la partition de Caproli est aujourd’hui perdue. Seuls les airs du ballet, oeuvre de musiciens français, ont été conservés. Malgré cette réussite, le musicien regagna Rome, accompagné de sa femme, la Signora Vittoria, qui avait chanté le rôle de Theti. Sur la recommandation de Mazarin, il entra au service du cardinal Barberini (jusqu’en 1665). Gardien de la section des instruments de l’Accademia di Santa Cecilia, il fut nommé maître de chapelle de Saint-Louis-desFrançais (1667). Bien que son oeuvre demeure quasi inconnue, on sait que Caproli fut considéré, en son temps, comme l’un des meilleurs compositeurs de cantates. Quelque 70 canzoni e cantate témoignent de l’art subtil et extrêmement raffiné de ce musicien, tout comme l’oratorio Davide prevaricante e poi pentito (1683). CAPRON (Nicolas), violoniste et compositeur français ( ? v. 1740 - Paris 1784). Élève de Gaviniès, Capron fut l’un des violonistes les plus célèbres de son temps. Il fit carrière à l’Opéra-Comique, où il figure parmi les musiciens dès 1756, puis dans l’orchestre de La Pouplinière et au Concert spirituel, où il occupa, à partir de 1765, le poste de premier violon, qu’il conserva jusqu’à sa mort. Virtuose et excellent professeur, il composa pour l’instrument dont il jouait un recueil de sonates. Premier Livre de sonates à violon seul et basse op. 1 (1768), des concertos, dont la musique n’est pas conservée, et Six Duos pour 2 violons op. 3 (1777). Ses oeuvres témoignent des préoccupations de ses contemporains par l’adoption de la forme tripartite, du bithématisme dans l’allegro initial et du jeu de nuances préconisé par l’école de Mannheim. CARA (Marco Marchetto), compositeur italien (Vérone ? - Mantoue 1527). De 1495 à 1525, Cara résida à Mantoue, à la cour du marquis de Gonzague et dans le cercle musical qui entourait son épouse, Isabelle d’Este. ll suivit son maître à travers l’Italie du Nord (Venise, Milan), à une downloadModeText.vue.download 162 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 156 époque marquée par les vicissitudes de la guerre, notamment avec la France. Célèbre en son temps comme luthiste et comme chanteur, il fut, avec Tromboncino, l’un des compositeurs les plus importants de frottole, forme qui engendra le madrigal ; il en composa au moins une centaine. Cosimo Bartoli devait voir en lui l’un des successeurs les plus doués de Josquin Des Prés. En revanche, les frottole de Cara rendaient grand service à Isabelle d’Este, qui cherchait, avec ces compositions simples et attrayantes, le moyen de détrôner l’art franco-flamand en Italie. Ces oeuvres ont été publiées dans les recueils parus chez Petrucci à Venise (1504-1514), ainsi que dans d’autres publiés à Rome. Quelques pièces religieuses sont également attribuées à ce compositeur. CARAFA DI COLOBRANO (Michele), compositeur italien naturalisé francais (Naples 1787 - Paris 1872). Fils d’un prince de Colobrano, formé à Naples et à Paris, il fut officier de l’armée de Murat en Russie et ne se consacra définitivement à la composition qu’après Waterloo. Il triompha aussitôt avec une Gabriella di Vergy écrite pour Isabelle Colbran (Naples, 1816), et fit représenter à Paris Jeanne d’Arc d’Orléans (1821) et le Solitaire (1822). Fixé en France en 1827, naturalisé en 1834, il succéda à Lesueur à l’Institut, puis enseigna l’écriture au Conservatoire de Paris de 1840 à 1858. Outre plusieurs messes, un Stabat Mater et un Requiem, il donna de 1814 à 1838 quelque trente-six opéras francais ou italiens, enrichissant le style napolitain traditionnel par une écriture orchestrale extrêmement raffinée. Michele Carafa di Colobrano eut la malchance de mettre en musique plusieurs livrets qui devaient plus tard être repris par Auber, Donizetti ou Mercadante dans des oeuvres dont le succès effaça les siens. Il demeura un peu dans l’ombre de Rossini, qui le chargea d’écrire un ballet pour la reprise de sa Sémiramis à Paris en 1860. CARCASSI (Matteo), guitariste italien (Florence 1792 - Paris 1853).

Avec son compatriote Carulli, il fut célèbre à Paris à partir de 1820. Sa carrière se partagea entre l’enseignement et les tournées de concerts qui lui firent parcourir l’Allemagne, l’Italie et l’Angleterre avant qu’il ne se fixât en France. Également compositeur, il écrivit quelque quatre-vingts pièces diverses pour la guitare, mais la part la plus intéressante de son oeuvre est constituée par sa Méthode et ses Études, qui témoignent d’une réelle expérience pédagogique. CARDEW (Cornelius), compositeur anglais (Winchcombe, Gloucestershire, 1936 - Londres 1981). Choriste à Canterbury (1943-1950), élève de la Royal Academy of Music de Londres (1953-1957), il a étudié ensuite la musique électronique à Cologne (1957-58), où il fut aussi assistant de Stockhausen (19581960), et avec Petrassi à Rome (1964-65). Ses premières pièces, d’esprit sériel, et la plupart pour piano (February Pieces, 1959-1961 ; 2 Books of Study for Pianists, 1959), exigent beaucoup de l’interprète sur le plan technique. À partir de 1960, sous l’influence de Cage, il s’est orienté vers la notation graphique et l’aléatoire (Treatise, 1963-1967). Cofondateur en 1969 du Scratch Orchestra, censé pratiquer la création collective, il s’est, en 1971, détourné de cette expérience, à son avis toujours coupée de la réalité sociale, pour fonder l’Ideology Group. Il s’est efforcé, depuis lors, à partir d’analyses marxistes, d’explorer les rapports entre la classe prolétarienne et la musique, et ce aussi bien dans ses écrits (Stockhausen Serves Imperialism, 1974) que dans sa musique (Four Principles on Ireland and Other Pieces, 1974). CARDON, famille de musiciens français du XVIIIe siècle, qui s’illustra par deux compositeurs. Jean-Guillain (Mons 1722 - Versailles 1788). Il arriva à Paris en 1761, entra, trois ans plus tard, à la chapelle royale comme violoniste et fut nommé en 1772 maître de violon du comte de Provence, futur Louis XVIII. Avant de devenir aveugle en 1780, il composa pour cet instrument des duos et des sonates, parus entre 1764 et 1770. Il publia également des recueils d’airs et d’ariettes avec accompagnement de violon, des trios à grand orchestre (1768 et 1772) et, à la fin de sa vie, un traité, le Rudiment de la musique ou Principes de cet art mis à

la portée de tout le monde, par demandes et réponses (1786). Jean-Baptiste (Rethel v. 1760 - Saint-Pétersbourg 1803). Fils du précédent, il se fit connaître comme harpiste et, après avoir été au service de la comtesse d’Artois, il enseigna l’instrument dont il jouait à la cour. La Révolution allait interrompre sa carrière en France et l’amena à s’exiler en Russie, où il entra au service de Catherine II (1794). Il écrivit pour la harpe plusieurs sonates, deux symphonies concertantes (1787), deux trios (1790), et lui consacra un traité paru en 1784, l’Art de jouer de la harpe. CARDONNE (Jean-Baptiste, dit Philibert), compositeur français (Versailles 1730 - ? apr. 1792). Versaillais, il fit carrière à la cour en débutant comme page de la musique royale, sous la direction de Colin de Blamont. En 1743, son premier motet était exécuté et, deux ans plus tard, Cardonne entra comme chanteur à la chapelle royale, poste qu’il garda jusqu’à la Révolution. En 1755, il fut nommé maître de luth des pages, puis claveciniste et, en 1777, maître de musique de la Chambre, avant de devenir en 1781 surintendant honoraire. Son oeuvre variée comprend des sonates en trio pour deux violons et basse (1764), des sonates pour clavecin et violon obligé (1765), des syrnphonies, des concertos, des motets (17431748), des ariettes, une tragédie lyrique, Omphale (1769), et Ovide et Julie, acte de l’opéra-ballet les Fragments héroïques (1773). Son oeuvre lyrique, représentative de l’opéra français traditionnel, fut victime des attaques des partisans de la musique italienne. CARILLON. Jeu de cloches (sans battant), de timbres ou de tubes permettant un jeu mélodique plus ou moins étendu et varié suivant le nombre de ses éléments (quatre notes seulement pour les carillons primitifs et même ensuite pour certains carillons célèbres, comme le carillon de Westminster). À l’origine, qui semble remonter au haut Moyen Âge en ce qui concerne l’Europe occidentale, les corps sonores étaient frappés à l’aide d’un ou deux petits marteaux tenus à la main, comme c’est

encore le cas du carillon d’orchestre ( ! CLOCHES). Mais, à partir du XIVe siècle et jusqu’au XVIe, qui vit son apogée aux Pays-Bas et sa large diffusion dans les pays voisins, le carillon connut des perfectionnements considérables. Les cloches se multipliant, chacune fut pourvue d’un marteau articulé, relié par câble à l’une des touches d’un gros clavier que le carillonneur frappait à coups de poing. Les modèles les plus importants étaient même munis d’un pédalier. Ainsi l’humble sonneur finit-il par se doubler d’un virtuose, voire d’un improvisateur, à l’occasion des fêtes carillonnées. D’autre part, le rôle fonctionnel du carillon en tant que complément des cloches d’église ou de beffroi entraîna l’invention de dispositifs mécaniques déclenchés par l’horloge elle-même. Le carillon put alors jouer automatiquement, à des heures déterminées, des airs préalablement « enregistrés » sur des cylindres à picots, ou plutôt à taquets, qui actionnaient les marteaux. Les carillons de ce type étaient parfois associés à des automates dont certains (jacquemarts) participaient à la percussion des cloches. Il en est qui fonctionnent encore, notamment en pays flamand où ils ont été soigneusement conservés, restaurés ou reconstitués. Par la suite, les marteaux ont été mis en mouvement par des systèmes pneumatiques, puis électriques, commandés par un clavier ordinaire qui peut éventuellement, dans le cas des cadownloadModeText.vue.download 163 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 157 rillons d’église, faire partie de la console de l’orgue. Signalons, enfin, les carillons électroniques, qui ne font qu’imiter la sonorité joyeuse et cristalline des cloches. Les carillons de porte, faits d’une grappe de tubes métalliques qui tintent en s’entrechoquant, ne sont pas à proprement parler des instruments de musique. En revanche, des carillons de bambou, tout à fait semblables aux carillons de porte sauf quant à la matière première, ont leur place parmi les percussions dans certains ensembles extrême-orientaux, et même dans les orchestres occidentaux modernes sous le nom anglais de wood-chimes, qui signifie littéralement « carillon de bois ».

Le terme de carillon s’applique également aux morceaux de musique conçus non seulement pour le carillon, mais pour d’autres instruments chargés de l’évoquer (clavecin, piano, et, très fréquemment à l’époque moderne, orgue : Carillon de Marcel Dupré, Carillon de Westminster de Louis Vierne). Au XXe siècle, l’art des carillonneurs a connu une renaissance, actuellement personnifiée, en France, par exemple, par Jacques Launoy. CARILLON-LYRE. Glockenspiel dont les lames sont disposées verticalement, dans un cadre en forme de lyre qui est lui-même monté sur une hampe, comme le chapeau chinois. Cet instrument portatif, dont l’étendue ne dépasse pas l’octave, n’est employé que dans les ensembles de type militaire. CARISSIMI (Giacomo), compositeur italien (Marino, près de Rome, 1605 - Rome 1674). Peu de renseignements nous sont parvenus sur sa vie. On sait seulement qu’il fut chantre et organiste de la cathédrale de Tivoli (1624-1627), puis maître de chapelle de la cathédrale d’Assise (1628-29). De 1630 à sa mort, il occupa le poste de maître de chapelle de Saint-Apollinaire à Rome. Si Carissimi voyagea peu au cours de sa carrière, ses oeuvres, en revanche, furent estimées et jouées partout en Europe ; l’étendue de leur popularité est confirmée par le fait que des manuscrits de sa musique sont conservés dans de nombreuses bibliothèques, non seulement en Italie, mais aussi en Allemagne, en France et en Angleterre. L’excellent Dr. Burney qualifia Carissimi d’« admirable maître ». Et tout aussi élogieux furent les Français Maugars et P. Bourdelot. Carissimi est indiscutablement l’un des premiers grands maîtres de l’oratorio. Dans cette forme, il succéda à Cavalieri et à Quagliati, prenant comme point de départ le motet latin et faisant dialoguer les choeurs avec des voix seules qui incarnent les différents personnages du drame. En principe, le texte biblique est raconté par l’historicus ; les choeurs commentent l’action, renforçant ainsi l’expression, mais parfois aussi, ils sont utilisés à des effets

spéciaux (échos) comme dans Jephté, le mieux connu des oratorios de Carissimi. Pour le rôle de la fille de Jephté, le plus développé de l’ouvrage, le compositeur emploie le style récitatif, le style arioso et l’air avec une grande souplesse. Sa production de musique religieuse est considérable : elle va du petit motet en dialogue (Tolle Sponsa), de l’histoire sacrée qui fait appel à trois personnages (Historia di Job) à l’oratorio en deux parties (Diluvium universale) pour lequel douze voix sont nécessaires. Quelles que soient les proportions de l’oeuvre, tout repose sur la seule basse continue, sauf dans de rares exceptions où deux violons prêtent leur concours (Historia di Ezechia). En revanche, les récitatifs, airs, duos, trios et choeurs (qui semblent demander un effectif réduit en raison des dimensions de l’accompagnement), parfois à huit voix en double choeur, se mêlent avec bonheur. Si l’aspect théâtral se fait sentir, il demeure discret et du meilleur goût, préservant une atmosphère de musique de chambre. La même variété de formes et de moyens d’expression caractérise les quelque 130 cantates de Carissimi. Peut-être son génie se manifeste-t-il ici mieux qu’ailleurs. Bien que le sujet traité soit généralement celui des peines d’amour, Carissimi est l’un des rares compositeurs romains à utiliser des thèmes comiques (Amor mio, che cosa è questo ?) ou à évoquer le jugement dernier (Suonerà l’ultima tromba) avec une puissance dramatique inattendue dans un genre si intime. C’est également dans ses cantates que le musicien se montre le plus sensible aux raffinements harmoniques ; la beauté des lignes mélodiques témoigne d’une certaine réserve, typique de l’école romaine. Au cours de sa brillante carrière, Giacomo Carissimi a trouvé le temps de former au moins trois élèves illustres : le Français M.-A. Charpentier, ainsi que les deux Italiens P. Cesti et A. Scarlatti. CARLIER, famille de facteurs d’orgues français des XVIe et XVIIe siècles. Originaires des Flandres, les Carlier travaillèrent dans le nord de la France, dans la région parisienne, en Normandie et dans les pays de la Loire. Crespin Carlier, de Rouen, construisit en 1620 les orgues de la collégiale de Saint-Quentin et, en 1629,

celles de Saint-Ouen à Rouen. CARLSTEDT (Jan), compositeur suédois (Orsa 1926). Élève de Lars Erik Marsson à Stockholm (1948-1952), il a aussi étudié à Londres (1952-53), à Rome (1954-55), en Tchécoslovaquie et en Espagne. Il a joué un rôle important dans la vie musicale de son pays, fondant en 1960 la Société de musique contemporaine de Stockholm, et, en 1961, la branche suédoise des Jeunesses musicales. Parti du sérialisme, il a évolué vers un style où la tonalité retrouvait sa place. Sa symphonie no 1 date de 1952-1954 (rév. 1961). La deuxième, dite Symphonie de la fraternité (1968-69), est un hommage à Martin Luther King. On lui doit aussi, entre autres, quatre quatuors à cordes (1951-52, 1966, 1967 et 1972), un concerto pour violoncelle (1970) et un autre pour violon (1975). CARMAGNOLE. Chanson révolutionnaire anonyme, datant de l’époque où Louis XVII fut prisonnier au Temple, et danse, en forme de ronde, qui l’accompagnait. L’une et l’autre tenaient sans doute leur nom d’une pièce de vêtement : la veste à courtes basques et large collet, garnie de plusieurs rangs de boutons métalliques, que portaient dans le Midi les ouvriers piémontais originaires de Carmagnola. Inconnu à Paris jusqu’en 1792, ce costume y devint subitement populaire lors de l’arrivée des fédérés marseillais. CARMEN (Johannes), compositeur français de la première moitié du XVe siècle. Il fut qualifié d’« escripvain et noteur de chant » en 1403. Il fut chantre en l’église Saint-Jacques-de-la-Boucherie à Paris et est cité par Martin Le Franc dans son Champion des dames (v. 1440). On a conservé de lui deux motets isorythmiques et un motet à 4 voix, Pontifici decori speculi, en hommage à saint Nicolas. Ce dernier, bel exemple d’un rationalisme musical raffiné, combine une structure isorythmique générale et l’emploi pour les deux voix supérieures d’un canon, l’écriture de l’ensemble faisant songer à Ciconia. Ces trois motets ont été publiés par G. Reaney (Early, 15th Century Music, CMM II/I, 1955).

CARMIRELLI (Pina), violoniste italienne (Varzi 1914 - Carpena 1993). Étudiant d’abord le violon et la composition au Conservatoire de Milan, elle remporte en 1937 le Prix national Stradivarius à Crémone, puis le Prix Paganini en 1940. Elle va devenir une éminente chambriste, fondant en 1949 le Quintetto Boccherini, qui s’attache à la redécouverte du compositeur éponyme. Elle est aussi premier violon du Quatuor Carmirelli, en activité de 1954 à 1962. En octobre 1962, l’Académie Sainte-Cécile de Rome lui confie le célèbre Stradivarius Toscan daté de 1690. Elle devient la partenaire de Rudolf Serkin au Festival de Marlboro et au Carnegie Hall en 1970, pour une intégrale des sonates de Mozart. En 1977, elle remplace Salvatore Accardo comme violon solo de I Musici. downloadModeText.vue.download 164 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 158 Enfin, en 1979, elle fonde le Quintetto Fauré di Roma. CARNEYRO (Claudio), compositeur portugais (Porto 1895 - id. 1963). Fils du peintre Antonio Carneiro, il vécut dans un milieu artistique. Sa vocation musicale s’affirma tardivement. Élève, à Porto, de Miguel Alves et de Carlos Dubbini (violon) ainsi que de Lucien Lambert (composition), il partit pour Paris en 1919 et s’y perfectionna avec Boucherit et Bilewski. Nommé professeur de solfège au conservatoire de sa ville natale en 1921, il retourna à Paris en 1924 pour y fréquenter la classe de composition de Charles-Marie Widor. Son oeuvre Prélude, choral et fugue, créée au théâtre du Châtelet par l’orchestre Colonne sous la direction de Gabriel Pierné, le 27 octobre 1923, y fut redonnée le 14 novembre 1925. Une bourse du gouvernement portugais permit à Carneyro de partir, en 1926, pour les États-Unis, où il épousa la violoniste Katherine M. Hickel (1927). De retour à Porto à la fin de 1928, il fit un nouveau séjour à Paris en 1933 pour travailler avec Paul Dukas. Enfin, il se fixa définitivement à Porto à partir de 1938. Nommé professeur de composition au conservatoire à

la mort de Lucien Lambert, il organisa et dirigea un orchestre de chambre, fit des conférences, donna des leçons publiques, devint consulteur de la Radiodiffusion et membre du Cabinet d’études musicales de cette institution. Sa liste d’oeuvres augmenta et les premières auditions se succédèrent. En 1955, il fut nommé directeur du conservatoire de musique de Porto, se rendit en 1956 aux États-Unis, mais des difficultés de santé allaient bientôt l’éloigner de ses fonctions et diminuer ses activités. Carneyro avait hérité de son père - dans l’atelier duquel il habitait quand la mort le frappa - la sensibilité et la probité artistiques. Modestie, un certain mysticisme, goût pour le passé, étaient d’autres traits de sa personnalité, que son oeuvre reflète. Il a parfois cherché l’inspiration dans le folklore portugais et créé de très belles mélodies avec piano et avec orchestre. Parmi ses compositions, il faut citer Harpa Eolia, Paciências de Ana Maria, Raiana, Bailadeiras, pour piano (cette dernière aussi en versions d’orchestre, 1954 et 1962), Gradualis (1962), Portugalesas pour orchestre, Khroma (1954) pour alto et orchestre, et une importante musique de chambre, dont un quatuor à cordes, un quatuor avec piano, une Sonata pour violon et piano. CAROL (terme angl. prov. du fr. carole). Chanson qui consiste en un refrain à danser, ce refrain alternant avec des strophes confiées à une voix soliste. Au XVe siècle, la strophe garde sa forme monodique, mais le refrain est traité polyphoniquement. Depuis la Réforme, le carol est associé à la fête de Noël, ce qui est encore le cas aujourd’hui en Angleterre, où il désigne tout chant de Noël, traditionnel ou non. C’est à Benjamin Britten que l’on doit, au XXe siècle, une composition fondée sur cette tradition : A Ceremony of Carols. CAROLAN ou O’CAROLAN (Turlough), compositeur et harpiste irlandais (Nobber, comté de Meath, 1670 - Ballyfarnon, comté de Roscommon, 1738). Il apprit à jouer de la harpe après être devenu aveugle à dix-huit ans, et mena ensuite une vie itinérante, composant à la fois la musique et les paroles des chants qu’il interprétait. Ses quelque 220 chan-

sons sont toutes en gaélique sauf une seule, O’Carolan’s Devotion (en anglais). Il fut le plus célèbre des musiciens itinérants irlandais, et le dernier à être également compositeur. Il semble avoir bien connu la musique « savante » de son temps, en particulier celle de Geminiani. En 1748, son fils collabora à une première édition de ses oeuvres, qui, malheureusement, n’a survécu qu’incomplète. On ignore en outre à peu près totalement comment il harmonisait ses chansons. Vers 1780 parut à Dublin A Favourite Collection of... Old Irish Tunes of... Carolan. CARON (Firmin ou Philippe), compositeur français (XVe s.). Loyset Compère voit en lui un magister cantilenarum, tandis que Tinctoris, dans son Liber de arte contrapuncti et dans son Proportionale, le rapproche d’Ockeghem et de Busnois dont il fut le contemporain. Peut-être eut-il même la chance d’être l’élève de Dufay. Quoi qu’il en soit, Caron s’efforce, comme lui, d’enjamber mélodiquement chaque vers. Il prise le temps binaire et le rythme du dactyle (une blanche suivie de deux noires), lequel se maintint longtemps dans la chanson française. Il possède un sens certain de la clarté et de la ligne mélodique. On lui doit une vingtaine de chansons, dont Accueillie m’a la belle, et quatre messes (Missa super l’Homme armé ; Accueillie m’a la belle ; Super Jesus autem ; Clemens et benigna). CARPANI (Giuseppe), écrivain, librettiste et poète italien (Vill’Albese, Côme, 1752 - Vienne 1825). Il vécut à Milan, puis, à partir de 1797, à Vienne. Son poème In questa tomba oscura fut mis en musique par plusieurs compositeurs dont Beethoven, et il traduisit en italien le livret de la Création de Haydn. Il a survécu essentiellement grâce à deux ouvrages consacrés respectivement à Haydn et à Rossini : Le Haydnine ovvero Lettere sulla vita e le opere del celebre maestro Giuseppe Haydn (Milan 1812, 2e éd. révisée Padoue 1923, trad. française Paris 1837), une des trois « biographies authentiques » de ce compositeur (ouvrage par certains côtés assez fantaisiste et plagié par Stendhal en 1814), et Le Rossiniane ossia Lettere musico-teatrali (Padoue 1824). CARPENTER (John Alden), compositeur

américain (Park Ridge, Illinois, 1876 Chicago 1951). Élève de Paine (comme la plupart des compositeurs américains de sa génération) et d’Elgar, il mena de front, comme Ives, la composition et une carrière d’homme d’affaires, subissant tour à tour l’influence allemande et l’influence française. Son Concertino pour piano et orchestre (1915, révisé en 1947) et son ballet Krazy Kat (1921) sont les premiers exemples d’utilisation du jazz dans la musique américaine. L’humour des Aventures in a Perambulator (créé à Chicago en mars 1915) incita Diaghilev à lui commander un ballet s’inspirant de la vie et de l’esprit des États-Unis (Skyscrapers, 1926). Ses dernières oeuvres 2 Symphonies (1re symphonie en do maj., 1917, révisée en 1940 ; 2e symphonie, 1942), les 7 Âges (1945), Carmel Concerto (1948) - témoignent d’une plus grande densité de pensée. CARRÉ (Albert), auteur dramatique, librettiste et homme de théâtre français (Strasbourg 1852 - Paris 1937). Il dirigea l’Opéra-Comique de Paris à deux reprises, de 1898 à 1913, y faisant représenter Louise de Gustave Charpentier (1900) et Pelléas et Mélisande de Debussy (1902), puis de 1919 à 1925. Il fournit à Messager le livret de la Basoche (1890). CARRÉ (Michel), auteur dramatique et librettiste français (Paris 1819 - Argenteuil 1872). Oncle d’Albert Carré, il travailla, seul ou en collaboration avec Jules Barbier, pour Meyerbeer (le Pardon de Ploërmel), Gounod (huit livrets dont ceux de Faust, Mireille et Roméo et Juliette), Ambroise Thomas (Hamlet, Mignon), et écrivit la pièce dont sortit le livret des Contes d’Hoffmann d’Offenbach. CARRERAS (José), ténor espagnol (Barcelone 1946). Il commence le piano et le chant dès l’âge de six ans. Encore enfant, il est remarqué dans le Retable de maître Pierre de Falla dirigé par José Iturbi. Il étudie ensuite au Conservatoire de Barcelone, et débute au Liceo de Barcelone dès 1971. Les encouragements de Montserrat Caballé lui valent ses premiers engagements internationaux. En 1973, il chante la Bohème et débute à

Covent Garden en 1974 dans la Traviata. Il s’impose d’emblée dans tous les opéras de Verdi et de Puccini, et devient l’un des ténors les plus populaires du monde. downloadModeText.vue.download 165 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 159 En 1975, il chante à la fois au Metropolitan dans Tosca et à la Scala dans Un bal masqué. Dès 1976, Karajan le fait venir à Salzbourg pour Don Carlos. Il reprend cet opéra à la Scala la saison suivante, mais cette fois avec Abbado et une mise en scène de Strehler. Atteint d’une leucémie en 1978, il ne revient sur scène qu’à l’été de 1980. Depuis, il reconquiert tous les publics et aime faire redécouvrir des opéras peu connus, de Donizetti, Verdi et Halévy notamment. CARRILLO (Julián), compositeur mexicain (Ahualulco 1875 - Mexico 1965). Il fit ses études à Mexico et, de 1899 à 1904, à Leipzig (composition, direction d’orchestre et violon) et à Gand (violon). Il se lia alors avec Romain Rolland, SaintSaëns et Debussy. De 1906 à 1924, il joua un rôle important dans la vie musicale de son pays - fondation de l’orchestre et du quatuor Beethoven (1909), direction du Conservatoire national de Mexico (1913, puis 1920-1924) - et à New York. Après plusieurs partitions académiques, dont la symphonie no 1 en ré (1901) et la symphonie no 2 en ut (1908), et tout en explorant l’atonalité (4 quatuors à cordes atonaux, 1917-1920), il orienta ses recherches vers le dépassement du système tempéré traditionnel pour aboutir à un système fondé sur les micro-intervalles, et codifié par lui aux alentours de 1920. Il fut ainsi l’un des premiers à écrire des oeuvres en quarts, tiers, huitièmes et seizièmes de ton : ainsi Preludio a Colón pour petit orchestre (1922), 3 Columbias pour orchestre (1926-1930), ou Fantasía Sonido 13 pour petit orchestre (1931). Horizontes (1950) est un prélude pour petit orchestre en quarts, huitièmes et seizièmes de ton, accompagné par un orchestre en demi-tons traditionnels, et Preludio 29 de Septiembre pour piano (1949) va jusqu’à utiliser les trentièmes de ton. Pour tous ces ouvrages, il fit naturellement construire les instruments - pianos, flûtes, clarinettes, harpes, etc. - appropriés,

en particulier quinze pianos qu’on put voir à l’Exposition universelle de Bruxelles en 1958. Un de ses principaux champions, à partir de 1926, fut Leopold Stokowski, et son disciple le plus éminent, actuellement, est le Français Jean-Étienne Marie. Sa musique, extrêmement intéressante sur le plan sonore, n’en reste pas moins fidèle pour l’essentiel aux formes et à l’esthétique postromantiques, et ce avec de fortes résonances tonales (il divisa le ton en micro-intervalles, mais égaux entre eux). On lui doit également de nombreux écrits théoriques. CARSE (Adam), compositeur anglais (Newcastle-on-Tyne 1878 - Great Missenden, Buckinghamshire, 1958). Élève de Corder à la Royal Academy of Music de Londres (1893-1902), avant d’y enseigner lui-même l’harmonie et le contrepoint (1908-1922), Adam Carse fut surtout collectionneur d’instruments et se spécialisa dans leur étude et dans leur histoire. Il publia notamment : Practical Hints on Orchestration : Harmony Exercises (1919), Musical Wind Instruments (1939), The Orchestra in the XVIIIth Century (1940), The Orchestra from Beethoven to Berlioz (1948). Sa collection personnelle d’instruments anciens fut léguée en 1947 au Horniman Museum de Forest Hill à Londres. Sa production musicale est surtout orchestrale : 2 symphonies (la 1re, 1906 ; la 2e créée en 1908, révisée pour le festival de Newcastle en 1909), The Death of Tintagiles (d’après Maeterlinck, 1902), prélude pour Manfred de Byron (1904), Ouverture de concert (1904), poème symphonique In a Balcony (1905). On lui doit aussi des mélodies et de la musique de chambre, ainsi que la cantate The Lay of the Brown Rosary (1901). CARSON (Philippe), compositeur français (Neuilly-sur-Seine 1936 - Paris 1972). Membre du Groupe de recherches musicales de Paris, il y réalisa, avant d’être interrompu dans ses activités par la maladie, deux « classiques » de la musique concrète française des années 60 : Phonologie (1962) et Turmac (1962). Ces oeuvres sont construites chacune sur un matériau sonore unique, d’origine vocale pour la première, industrielle (bruits de machines d’une usine de Hollande) pour la seconde, qu’elles tiennent la gageure de manipuler

au minimum (uniquement par montage dans Turmac) et d’assembler avec la plus grande clarté. On doit aussi à Philippe Carson Collages pour ensemble instrumental et bandes, pièce qu’il réalisa dans le même esprit pour l’expérience du concert collectif du G. R. M. (1963). CARTER (Elliott), compositeur américain (New York 1908). De ses études à l’université Harvard auprès de Walter Piston, puis à Paris auprès de Nadia Boulanger, il tira une formation purement néoclassique, sous le signe de Stravinski, de Hindemith, et de Copland, ce qui lui valut dix années d’incertitudes stylistiques illustrées notamment par le ballet Pocahontas (1939) ou la Première Symphonie (1942). Avec la Sonate pour piano (1945-46), le ballet le Minotaure (1947) et surtout la Sonate pour violoncelle (1948), son langage gagna en complexité rythmique tout en se libérant de la tonalité. Il reprit alors à son compte le concept de « modulation métrique », déjà utilisé de façon empirique par Charles Ives, et qui devait rester une constante de son style ; il s’agit d’un changement de tempo progressif par utilisation de valeurs irrationnelles, procédé auquel la musique de Carter doit une souplesse rythmique unique rendant sa notation et son exécution particulièrement difficiles. Aux Huit Études et Une Fantaisie pour quatuor à vent (1950) succéda le vaste Premier Quatuor à cordes (1951), premier prix du concours de quatuors de Liège et l’un des plus importants depuis Bartók et Schönberg : avec cette oeuvre, il se trouva lui-même. Les Variations pour orchestre (1954-55) inaugurèrent un nouveau principe, celui de la caractérisation psychologique des instruments. Ce principe reçut une très nette et très remarquable consécration dans le Deuxième Quatuor à cordes (1959), qui, comme plus tard le Troisième (1971), obtint le prix Pulitzer : dans cet ouvrage presque deux fois plus court que le quatuor précédent, chaque instrumentiste mène le jeu à son tour, avec un rôle psychologique très précis au sein d’une sorte de « théâtre musical ». Carter considère ses partitions les plus récentes comme des « scénarios », les ins-

trumentistes comme des « acteurs ». Le Double Concerto pour clavecin, piano et deux orchestres de chambre (1961) poursuit dans cette voie, tout en donnant à chacun des deux ensembles instrumentaux (séparés dans l’espace comme, déjà, les quatre instrumentistes du quatuor de 1959) son propre répertoire mélodique et harmonique. En revanche, le Concerto pour piano (1964-65) oppose « un individu aux humeurs et aux idées changeantes et un orchestre traité de façon plus ou moins monolithique ». Le Concerto pour orchestre (1969-70), inspiré par le poème Vents de Saint-John Perse, traite pour l’essentiel de la « poésie du changement, de la transformation, de la réorientation des sentiments et des pensées », tandis que le Troisième Quatuor à cordes (1971), créé à New York après plusieurs révisions en janvier 1973, divise les quatre instruments en deux duos (premier violon - violoncelle et second violon - alto), dont l’un joue « quasi rubato » et l’autre « en rythme bien strict ». Suivirent un Duo pour violon et piano (1973-74), un Quintette de cuivres (1974), A Mirror on which to Dwell pour soprano et ensemble instrumental sur 6 poèmes d’Élisabeth Bishop (1975), première oeuvre vocale du compositeur depuis près de trente ans, Symphonie de trois orchestres (1976), Syringa pour mezzo-soprano, basse et 11 instruments (1978, In Sleep, in Thunder pour ténor et 14 exécutants (1981), Triple Duo pour 6 exécutants (1983). Penthode pour ensemble (1985), un Quatrième Quatuor à cordes (1986), un Concerto pour hautbois (1987), Remembrance (1988), un Concerto pour violon (1990), un Concerto pour violon (1990), un Quintette pour piano et vents (1991), Partita pour orchestre (1994), Of Challenge and of Love downloadModeText.vue.download 166 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 160 pour soprano et Piano (1995), Adagio tenebroso pour orchestre (1995), un Quatuor à cordes no 5 (1995). Carter a enseigné au Peabody Institute de Baltimore et à l’université Columbia et au Queens College de New York. Produisant relativement peu, il n’a reçu la consécration qu’à plus de cinquante ans, mais apparaît comme l’un des plus grands composi-

teurs américains. CARTIER (Jean-Baptiste), violoniste et compositeur français (Avignon 1765 Paris 1841). Il vint à Paris, en 1783, compléter sa formation d’instrumentiste auprès de Viotti, qui l’introduisit à la cour : là, il fut accompagnateur de Marie-Antoinette jusqu’à la Révolution. En 1791, il entra dans l’orchestre de l’Opéra et fit partie, de 1804 à 1830, de la Musique de Napoléon, de Louis XVIII et de Charles X. Il finit sa carrière au Conservatoire, où il avait été nommé en 1828. Dans son ouvrage théorique, l’Art du violon, paru en 1798 et 1801 (réimpr. 1973), Cartier publia pour la première fois des pièces de Tartini, de Nardini et de Bach. Il consacra la plupart de ses oeuvres au violon en composant sonates, duos, airs variés, pots-pourris, études, caprices et concertos. CARULLI (Ferdinando), guitariste et compositeur italien (Naples 1770 - Paris 1841). Après avoir appris la guitare en autodidacte, il vint à Paris en 1808 et y mena une carrière de virtuose. Il publia environ 330 pièces diverses pour guitare seule, deux guitares et divers instruments, ainsi qu’un traité intitulé l’Harmonie appliquée à la guitare (Paris, 1825), une méthode de guitare et un manuel d’accompagnement. Si la part didactique de son oeuvre n’est pas négligeable, l’esthétique de ses multiples pièces souffre souvent d’une réelle pauvreté mélodique et harmonique. CARUSO (Enrico), ténor italien (Naples 1873 - id. 1921). Né dans une famille humble, dix-neuvième enfant d’un mécanicien, il dut travailler en atelier dès l’âge de dix ans. Chantant dans des églises, il apprit les rudiments de la musique, mais ne fit aucune étude vocale particulière avant 1891. Il débuta en 1894 au Teatro Nuovo de Naples à l’occasion de la création de L’Amico Francesco de Morelli. Les premières années de sa carrière furent modestes et difficiles. La création du rôle de Loris dans Fedora de Giordano au Teatro Lirico de Milan, en 1898, attira l’attention sur lui. Il fut engagé en Amérique du Sud, en Russie, débuta à la Scala de Milan en décembre 1900 dans la Bohème de Puccini et y créa en 1902 le rôle de Maurice de

Saxe dans Adrienne Lecouvreur de Cilea. Dès lors célèbre, il fut accueilli sur toutes les grandes scènes du monde, mais, à partir de ses débuts au Metropolitan de New York dans Rigoletto (1903), ce théâtre devint son principal port d’attache. Il y participa notamment à la création mondiale de la Fille du Far West de Puccini en 1910. En 1919, sa santé s’altéra. Le 24 décembre 1920, toujours au Metropolitan, dans la Juive de Halévy, il parut pour la dernière fois en scène. Il regagna l’Italie et mourut dans sa ville natale, où il avait refusé de se produire depuis 1902, son interprétation de l’Élixir d’amour de Donizetti y ayant été fraîchement accueillie. La couleur de la voix de Caruso était d’une beauté exceptionnelle, avec quelque chose de velouté même dans la force. Cette voix était, à ses débuts, celle d’un demi-caractère lyrique. Elle gagna peu à peu en volume et sa couleur s’assombrit après l’ablation d’un nodule sur une corde vocale (1909). Son art peut être caractérisé par la réunion d’une technique irréprochable, qui le rattachait au passé, et de la recherche d’une interprétation moderne, inspirée par le réalisme. Cette synthèse de deux écoles avant lui inconciliables lui permettait d’interpréter les ouvrages de bel canto dans un style parfait, mais avec une intensité expressive jusque-là inconnue, et les ouvrages dramatiques avec tout le sentiment nécessaire, jusqu’à la violence, mais sans sacrifier la beauté de la voix. Son très vaste répertoire s’étendait du classicisme de Gluck et du romantisme élégiaque de Donizetti, en passant par Meyerbeer, Massenet, Puccini, etc., au vérisme de Leoncavallo et aux grands rôles de Verdi, sauf Othello, qu’il ne chanta jamais au théâtre. Le disque, encore balbutiant, dont il fut la première grande vedette, contribua sans aucun doute à sa popularité, demeurée unique. CARVER (Robert), compositeur écossais (1487 [ ?] - apr. 1546). Entré dans les ordres à seize ans, il vécut plus de trente ans à l’abbaye de Scone. Le célèbre manuscrit portant son nom, conservé à Édimbourg, contient sept de ses oeuvres : 5 messes (l’Homme armé à 4 voix ; Dum sacrum mysterium à 10 voix ; à 4 voix ; à 5 voix ; à 6 voix) et deux motets,

Gaude flore virginali, à 5 voix, et O bone Jesu, écrit pour 19 voix et témoignant d’une richesse d’harmonie remarquable. Savant contrapuntiste et doué d’une inspiration généreuse, Carver est le plus grand compositeur écossais de sa génération. CARY (Tristram), compositeur anglais (Oxford 1925). Il fit à Oxford des études de science et de philosophie (1942, puis 1946-47), ainsi que de musique (1948-1951). Pionnier de la musique électronique dans son pays, il songea à la manipulation du son dès son service dans les radars de la marine durant la guerre, commença à expérimenter en 1947 et, vers 1949, produisit de la musique concrète avec un équipement rudimentaire. Mais les temps n’étant pas mûrs, il écrivit beaucoup de musiques de film (The Lady Killers, 1955) et (pour la chaîne de télévision B.B.C.) de scène (Jane Eyre, 1963 ; Madame Bovary, 1964), tout en se livrant à la composition traditionnelle (Concerto grosso pour 5 vents et 5 cordes, 1961). Le 15 janvier 1968, lors du premier concert à Londres de musique électronique avec des oeuvres de compositeurs anglais, on entendit de lui 3.4.5 (1967) et Birth is Life is Power is Death is God is... (1967). Fondateur en 1968 d’un studio de musique électronique au Royal College of Music de Londres, directeur depuis 1969 de Electronic Music Studios Ltd, il ne considère pas la musique électronique comme un domaine isolé du reste, et, dans Continuum (1969), oeuvre électronique, adopte une démarche quasi symphonique par certains aspects. CASADESUS, famille de musiciens français originaire de Figueras, en Catalogne. Luis, violoniste et guitariste (Paris 1850 id. 1919). Il publia l’Enseignement moderne de la guitare (Paris, 1913). Francis, fils du précédent, violoniste, chef d’orchestre, critique musical et compositeur (Paris 1870 - Suresnes 1954). Élève de Lavignac et de César Franck, violoniste à l’Opéra-Comique, critique musical à l’Aurore, il participa en 1921 à la fondation du conservatoire américain de Fontainebleau et en fut directeur. Il composa des

drames lyriques, des ballets, de la musique de scène, de la musique symphonique et de la musique de chambre. Robert-Guillaume, dit Casa, frère du précédent, pianiste, acteur, chansonnier et compositeur (Paris 1878 - id. 1940). Il écrivit des opérettes et des chansons. Henri-Gustave, frère du précédent, violoniste et compositeur (Paris 1879 - id. 1947). Élève de Lavignac et Laforge au Conservatoire de Paris, il fit partie du quatuor Capet de 1910 à 1917. Il était aussi virtuose de l’alto et de la viole d’amour, et c’est la pratique de ce dernier instrument qui l’amena à fonder en 1901 la Société des instruments anciens, qui se produisit dans toute l’Europe jusqu’en 1939, et à reconstituer des oeuvres anciennes inédites. Il fut directeur du Théâtre lyrique de Liège et de la Gaîté-Lyrique à Paris et écrivit des opérettes. On lui doit aussi un ouvrage didactique, Méthode de la viole d’amour suivie de 24 Études pour la viole d’amour (Paris, 1931). downloadModeText.vue.download 167 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 161 Marius-Robert, frère du précédent, violoniste et compositeur (Paris 1892 - id. 1981). Virtuose du quinton, instrument de la famille des violes de gambe, il appartint à la Société des instruments anciens, animée par son frère Henri-Gustave, et fonda lui-même l’ensemble Violes et violons. Il écrivit surtout de la musique symphonique et instrumentale. Robert, fils de Robert-Guillaume, pianiste et compositeur (Paris 1899 - id. 1972). Élève de Diémer pour le piano, de son oncle Francis et de Xavier Leroux pour la composition, il fit une brillante carrière de concertiste en Europe et aux États-Unis et enseigna au conservatoire américain de Fontainebleau à partir de 1934. Pianiste sobre, rigoureux, aux interprétations équilibrées, remarquablement construites, gardant grâce à leur pureté une sorte de caractère classique jusque dans la musique des impressionnistes français, il se rendit célèbre notamment dans les oeuvres de Mozart, Beethoven, Debussy, Ravel. Il écrivit de la musique symphonique, des oeuvres concertantes pour divers instru-

ments, des cadences pour certains concertos pour piano de Mozart, de la musique de chambre. Sa femme Gaby (Marseille 1901), élève de Diémer et de Marguerite Long, et son fils Jean (Paris 1927 - près de Renfrew, Ontario, 1972) furent également pianistes. CASALS (Pablo ou Pau), violoncelliste, chef d’orchestre et compositeur espagnol (Vendrell, prov. de Tarragone, 1876 - San Juan, Porto Rico, 1973). Il reçut de son père, qui était organiste, ses premières leçons de musique. Il étudia plus tard, à Barcelone, le violoncelle avec José García et l’harmonie avec J. Rodoreda, puis, au conservatoire de Madrid, la musique de chambre avec Jesús Monasterio et le contrepoint avec Tomás Bretón. Violoncelle solo de l’orchestre de l’Opéra de Paris de 1895 à 1898, il fut professeur de violoncelle au conservatoire de Barcelone à partir de 1897. Mais sa renommée croissante l’amena très vite à se consacrer essentiellement à une carrière de concertiste. Passionné de musique de chambre, il forma un quatuor à cordes, dont Mathieu Crickboom était le premier violon, et composa, à partir de 1905, avec Alfred Cortot et Jacques Thibaud, un trio qui est resté légendaire. En 1919, il fonda à Barcelone l’orchestre Pablo-Casals et eut dès lors, au moins occasionnellement, une activité de chef d’orchestre. S’étant établi en France, à Prades (Pyrénées-Orientales), il y créa un festival en 1950. Grâce à sa lucidité, sa bienveillance, son rayonnement et à la vivacité d’esprit qu’il avait conservée, il continua, jusqu’à sa mort, à jour un rôle dans la vie musicale mondiale. Devenu de son vivant un personnage de légende, Pablo Casals s’identifie littéralement au violoncelle, qu’il a contribué à mieux faire connaître. Il a révolutionné la technique du coup d’archet et atteint une pureté d’intonation inconnue avant lui. Il a exploré les possibilités jusque-là peu exploitées du registre aigu de l’instrument. De son jeu émanaient de la noblesse, de la profondeur, de la poésie. C’est qui a rendu populaires les oeuvres pour violoncelle de Bach et de Beethoven. Comme compositeur, il est l’auteur de pièces pour violoncelle solo, violoncelle et piano, violon et piano, d’une Sardana pour ensemble de violoncelles, de pièces

de musique sacrée (dont un Miserere) et des oratorios La Visión de Fray Martin et El Pesebre (« la crèche »). CASANOVA (André), compositeur français (Paris 1919). Il mena de front des études musicales et de droit, fut élève de G. Dandelot à l’École normale de musique, et, surtout, devint en 1944 le premier disciple français de René Leibowitz, dont, malgré son utilisation très souple des techniques sérielles, il ne devait jamais renier l’enseignement. « Mon souci et mon propos sont d’être romantique et moderne », a-t-il déclaré. Plus proche d’A. Berg que de Webern, attiré sur le plan littéraire par J. Moal, Rilke, Joyce, Barbey d’Aurevilly, il a écrit notamment trois symphonies - no 1 (1949), no 2 da camera (1951-1969, créée en 1971), no 3 Dithyrambes (1964, créée en 1973) - ; Amorphoses pour orchestre (1961) ; Concerto pour violon (1964, créé en 1965) ; le Livre de la foi jurée, geste lyrique d’après la Chanson de Roland (1964), la Clé d’argent, d’après Villiers de l’Isle-Adam (1965) ; Règnes, trois allégories pour soprano et orchestre (1967) ; le Bonheur dans le crime, d’après Barbey d’Aurevilly (1969) ; la cantate ...Sur les chemins d’acanthes noires... (1974) ; Métaphonie pour grand orchestre (1977) ; 4 Dizains de la DELIE de SCEVE pour baryton et 10 instruments (1978) ; Esquisse pour une tragédie pour clarinette, 2 violons, alto, violoncelle et contrebasse (1979) ; Quintette à cordes (1988). CASANOVAS (Narciso), organiste et compositeur espagnol (Sabadell, prov. de Barcelone, 1747 - Montserrat 1799). Il étudia l’orgue, puis devint bénédictin à Montserrat, où il fut maître de l’Escolanía. L’un des meilleurs organistes et improvisateurs de son époque, il a laissé 5 motets, 13 psaumes, des répons, des messes, un Benedictus, un Salve Regina et des pièces pour clavecin, notamment une sonate dans le style de Haydn, qui a été publiée par Joaquín Nin. CASCATA (ital. : « cascade »). Ornement vocal en usage au XVIIe siècle, qui consiste à aller d’une note aiguë à une note grave (par ex., de la dominante à la tonique), plus ou moins éloignées l’une de l’autre, en parcourant une échelle de notes intermédiaires.

En général, on ajoute les notes immédiatement supérieures ou inférieures (par ex., la sus-dominante et la sensible). Caccini en précise exactement l’emploi théorique dans sa célèbre préface des Nuove Musiche (Florence, 1602). CASELLA (Alfredo), compositeur et pianiste italien (Turin 1883 - Rome 1947). Élevé à Turin à l’heure du renouveau de la musique instrumentale italienne, il étudia à Paris en 1896 avec Fauré et Xavier Leroux, connut Debussy et Ravel, participa activement à la vie musicale parisienne et fut assistant de Cortot à sa chaire de piano au Conservatoire. Son goût le portait alors aussi bien vers les descendants spirituels de Mahler que vers Stravinski, dont l’influence se fait sentir dans les oeuvres de sa période française. De retour en Italie en 1915, il mena une intense activité de pianiste, de pédagogue, critique, musicologue, animateur, et participa à la renaissance des oeuvres des maîtres italiens des XVIIe et XVIIIe siècles. Prenant la tête du mouvement néoclassique de l’entre-deuxguerres avec Malipiero, Pizzetti et, dans une certaine mesure, Respighi, il se forgea un langage personnel dépouillé, également éloigné du romantisme et de l’impressionnisme, à la fois austère et attachant. Casella s’est affirmé dans tous les genres, et on lui doit notamment des concertos pour solistes (piano, violon, violoncelle, etc.) ou conçus dans la forme du concerto grosso (op. 43 pour orgue, cuivres, timbales et orchestre à cordes, op. 69 pour quatuor, piano, timbales, percussion et orchestre, etc.), des poèmes symphoniques, de la musique de chambre, de la musique instrumentale (notamment des pièces pour piano à quatre mains), des mélodies, etc. Parmi ses oeuvres pour la scène, on peut mentionner ses ballets Il Convento veneziano (1912, 1re représentation à Milan, 1925), La Camera dei disegni (1940) et La Rosa del sogno (1943), ainsi que La Giara (1924), comédie chorégraphique d’après Pirandello, son oeuvre la plus célèbre, et enfin ses oeuvres lyriques : La Donna serpente, d’après C. Gozzi (1932), La Favola d’Orfeo (1932) et Il Deserto tentato (1937). CASIMIRI (Raffaele), compositeur et musicologue italien (Gualdo Tadino, prov. de Pérouse, 1880 - Rome 1943).

Il voua sa vie à l’étude et à la restauration de la musique sacrée, du grégorien aux débuts de la polyphonie. Dès 1901, on le trouve directeur à Rome du journal Rassegna Gregoriana. Ordonné prêtre la même année, il fut nommé maître de chapelle dans différentes villes de province, puis, en 1911, à Saint-Jean-de-Latran à Rome downloadModeText.vue.download 168 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 162 et, l’année suivante, fut également nommé professeur de composition à l’École supérieure de musique sacrée de Rome. Il fonda les périodiques Psalterium (1907) et Note d’Archivio per la Storia musicale (1924), l’almanach Sacri Concentus et la Bibliotechina Ceciliana, écrivit de nombreux articles et créa en 1919 un choeur, la Società Polifonica Romana, avec lequel il donna des concerts dans de nombreux pays. Son édition de l’oeuvre complète de Palestrina, entreprise en 1938, est restée inachevée (15 volumes publiés sur les 33 projetés). Casimiri composa des messes, oratorios et oeuvres sacrées diverses, ainsi que des pièces chorales profanes (Madrigali e Scherzi). CASINI (Giovanni Maria), compositeur italien (Florence 1652 - id. 1719). Il s’initia au contrepoint dans sa ville natale, puis vint à Rome travailler avec Simonelli et Pasquini, qui fit de lui un remarquable organiste. Il occupa ensuite des postes de second organiste (1676) et de premier organiste (1678) à la cathédrale de Florence et devint maître de chapelle et organiste du grand-duc Cosme III. Il s’intéressa, à la suite de Vicentino et de Colonna, à la renaissance de la musique de l’Antiquité, construisit même des clavecins, dont un à 4 octaves, divisées chacune en 31 notes, et à 125 touches, blanches et noires. Il composa des oeuvres pour orgue et de la musique d’église (motets, répons, oratorios). CASPARINI, dynastie de facteurs d’orgues allemands des XVIIe et XVIIIe siècles. Les divers membres de la famille travaillèrent en Italie, en Autriche et dans l’Europe du Nord (Prusse, Silésie, Pologne). L’activité d’Eugen Casparini (1623-1706),

maître d’orgues de l’empereur d’Autriche, se déploya en Italie du Nord (Venise, Padoue), dans le Tyrol, à la cour de Léopold Ier à Vienne et en Allemagne. CASSADÓ, famille de musiciens espagnols. Joaquín, organiste et compositeur (Barcelone 1867 - id. 1926). Destiné à la prêtrise, il débuta comme organiste à Barcelone, puis y fonda la Capilla Catalana (1890). Il fonda ensuite un trio avec ses deux fils, avant de se consacrer à la pédagogie et à la composition. On lui doit notamment un opéra (El Monjo negro), des zarzuelas, trois poèmes symphoniques, une Sinfonia dramatica et une Fantaisie pour piano et orchestre. Gaspar, fils du précédent, violoncelliste et compositeur (Barcelone 1897 - Madrid 1966). Il fut l’élève de Pablo après ses études au conservatoire de Barcelone. Il joua en trio avec son père et son frère (disparu prématurément), puis fit une brillante carrière de virtuose et enseigna à l’Accademia Chigiana de Sienne. Ses oeuvres comprennent des pièces pour son instrument (y compris beaucoup de transcriptions), un concerto, une sonate, etc., mais également une Rapsodia catalana, un oratorio et trois quatuors à cordes. CASSARD (Philippe), pianiste français (Besançon 1962). Il obtient en 1980 le 1er Prix de musique de chambre et en 1982 celui de piano au Conservatoire de Paris, puis étudie avec Léon Fleischer et Bruno Seildlhofer. De 1982 à 1984, il se perfectionne à la Hochschule für Musik de Vienne auprès de H. Graf et y travaille aussi l’accompagnement du lied. En 1988, il remporte le 1er Prix du Concours international de Dublin, ce qui lui vaut de nombreuses invitations des grands orchestres britanniques. En 1990, il donne son premier concert aux États-Unis. Profondément intéressé par la musique de chambre, il a fondé en 1993 un quatuor avec Raphaël Oleg, Miguel da Silva et Marc Coppey. Il est aussi un accompagnateur de lieder accompli. CASSATION. Un des termes utilisés au XVIIIe siècle

pour désigner une musique relevant du concept global de divertissement ou de divertimento. Ces termes furent alors souvent employés de façon synonyme, et inversement, les sources différentes d’une même oeuvre utilisent fréquemment l’un ou l’autre. Les traditions locales jouèrent sur ce plan un rôle non négligeable : presque toutes les oeuvres de musique de chambre de Haydn et de ses contemporains conservées à l’abbaye autrichienne de Göttweig y sont intitulées cassations. Ce n’est qu’avec H. C. Koch qu’à cette diversité terminologique fut donnée une base théorique. Le terme « cassation » proviendrait de l’italien cassazione (séparation, abandon, adieu), et désignerait une musique « mettant fin » à une manifestation de circonstance. On a aussi voulu le faire dériver de l’expression allemande gassatim gehen (aller en promenade nocturne dans un but amoureux, de Gasse : chemin, voie, ruelle), mais pour Koch, c’est « cassation » qui aurait donné « gassatim », et non l’inverse : effectivement, pouvaient se jouer en plein air non seulement une cassation, mais tout aussi bien un divertissement ou une sérénade. Mozart n’appela luimême cassations que quelques ouvrages de jeunesse (1769) pour ensemble instrumental (K. 62, 63, 99), et Haydn uniquement deux groupes de brèves pièces avec baryton (Hob. XII.19 et 20-23) sans doute destinées à « terminer » une soirée musicale chez le prince Esterhazy. CASSETTE. De son vrai nom « cassette compacte », et dite également « minicassette », elle a été lancée par les laboratoires de la firme Philips en 1963. Elle consiste en un petit chargeur contenant du ruban magnétique de petite largeur (3,81 mm) et de très faible épaisseur (0,020 mm maximum). Elle est destinée à fonctionner sur des magnétophones spéciaux, à vitesse de 4,75 cm/s, et son inscription magnétique sur quatre pistes permet l’enregistrement et la lecture dans les deux sens de défilement en stéréophonie, d’une durée totale qui peut atteindre deux heures. L’intérêt de la cassette est de pouvoir obtenir des enregistrements sonores à partir d’appareils portables, de coût peu élevé et de fonctionnement simple, et d’autoriser la diffusion de musique de son choix dans une automobile. Cepen-

dant, pour atteindre à la qualité prescrite par les normes de la haute fidélité, la cassette exige d’être dotée d’une bande magnétique de performances élevées, et d’être utilisée sur des appareils perfectionnés, coûteux et d’un maniement délicat. Dans de telles conditions, la qualité d’enregistrement obtenue peut atteindre, voire dépasser, la qualité moyenne des disques. Mais ce n’est généralement pas le cas des cassettes préenregistrées, ou « musicassettes » produites industriellement et destinées à un usage d’exigences moindres. Après différentes tentatives pour développer des cassettes de standard différent, ce sont aujourd’hui les cassettes numériques qui semblent s’imposer. CASSUTO (Alvaro), chef d’orchestre et compositeur portugais (Porto 1938). Après des études de composition à Lisbonne (1955-1959), il a travaillé la direction d’orchestre, en particulier avec Karajan (1960), Pedro de Freitas-Branco (1960-1963) et Jean Fournet (1966). Chef adjoint de l’orchestre de chambre de la fondation Gulbenkian de 1965 à 1968, il a ensuite occupé à New York un poste d’assistant de Leopold Stokowski, et est devenu en 1971 chef permanent de l’orchestre de la radio de Lisbonne. Comme compositeur, il a été le premier au Portugal à utiliser la série dodécaphonique, et, dans les années 60, il a suivi Penderecki dans son exploration des clusters de cordes. Ses oeuvres principales sont pour orchestre : Sinfonia breve no 1 (1959) et no 2 (1960), In Memoriam Pedro de Freitas-Branco (1963), ou encore Évocations (1970). CASTAGNETTES. Instrument à percussion de la famille des bois. Ces cuillères de bois dur, toujours couplées, sont réunies par un cordon ou articulées au bout d’un manche pour claquer downloadModeText.vue.download 169 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 163 l’une contre l’autre, ou disposées côte à côte pour s’abattre sur un socle horizontal. Il existe aussi des castagnettes de fer,

montées en pince ou sur socle. CASTELNUOVO-TEDESCO (Mario), compositeur italien naturalisé américain (Florence 1895 - Beverly Hills, Californie, 1968). Il fit ses études au conservatoire de Florence et avec I. Pizzetti, écrivit à l’âge de quinze ans Cielo di settembre (« Ciel de septembre ») pour piano, page orchestrée plus tard, et devint rapidement un des plus brillants représentants de la musique italienne. Les événements précédant la Seconde Guerre mondiale l’obligèrent à émigrer aux États-Unis, d’abord dans l’État de New York (1939) puis à Los Angeles, où il enseigna la composition à partir de 1946. Dans un style délicat et raffiné, il a composé les opéras La Mandragola d’après Machiavel (Venise 1926), Bacco in Toscana (Milan 1931), Aucassin et Nicolette (1938, première représentation, Florence 1952), Il Mercante di Venezia (Florence 1961) et Tout est bien qui finit bien (Florence 1959), l’un et l’autre d’après Shakespeare, The Importance of being Earnest d’après Wilde (1962), plusieurs ouvertures de concert pour des pièces de Shakespeare, des concertos dont deux pour guitare et un pour deux guitares, et de nombreuses pièces vocales et instrumentales dans à peu près tous les genres, parmi lesquelles des versions pour voix et piano, dans la langue originale, de toutes les chansons des pièces de Shakespeare (1921-1926). CASTÉRÈDE (Jacques), compositeur français (Paris 1926). Il a fait ses études au Conservatoire de Paris, y travaillant notamment le piano (premier prix en 1948), la composition (avec T. Aubin) et l’analyse (avec O. Messiaen). Premier grand prix de Rome en 1953 avec la cantate la Boîte de Pandore, il a été nommé professeur de solfège au C.N.S.M. de Paris en 1960, et y est devenu conseiller aux études en 1966, puis professeur d’analyse en 1970. Sa production, de caractère néoclassique, traduit nettement son appartenance à une tradition nationale. Au sein d’un catalogue de plusieurs dizaines d’oeuvres de toutes formes et utilisant volontiers des voix et des instruments peu habitués à évoluer ensemble, on peut citer une symphonie pour cordes (1952) ; une sonate pour piano et violon (1955), une pour piano (1967) et une pour piano et alto (1968) ; l’oratorio le Livre de Job

(1959) ; la Chanson du mal-aimé d’après Apollinaire (1960) ; Quatre Poèmes de Robert Desnos pour baryton et piano (1965) ; deux concertos pour piano (1968, 1972) ; Images pour un jour d’été, concerto pour 2 pianos et cordes (1969) ; Hymn pour récitant, choeurs, orgue, cuivres et percussion (1973) ; In Memoriam Ludwig van Beethoven pour orchestre (1975) ; Avant que l’aube ne meure pour piano, violon, alto et violoncelle (1976) ; Fanfares pour La Fayette pour ensemble de cuivres (1976) ; Pianologie pour 3 pianos, chant et percussion (1977) ; Concert on a boat pour clarinette et orchestre à vents (1978) ; un concerto pour guitare (1979) ; Psaume VIII pour orgue, violoncelle et soprano (1987), Miroirs du rêve pour orchestre à cordes. Il a reçu en 1991 le Grand Prix de la Ville de Paris. CASTI (Giovanni Battista), librettiste italien (Acquapendente, près d’Orvieto, 1724 - Paris 1803). Rival de Da Ponte à Vienne, où il s’installa en 1783, il y écrivit le livret d’Il rè Teodoro de Paisiello (1784) et, pour Salieri, ceux de La grotta di Trofonio (1785), de Prima la musica e poi le parole (1786), avec attaques contre Da Ponte, de Cublai, Gran Can dei’Tartari (1788) et de Catilina (d’après Voltaire, 1792). En raison de leurs résonances politiques, ces deux derniers ouvrages ne furent pas représentés. Presque tous comiques, les livrets de Casti contiennent de nombreux traits satiriques. Fait poète de cour par l’empereur François II à la fin de 1792, il quitta définitivement Vienne en 1796. CASTIGLIONI (Niccolò), compositeur italien (Milan 1932). Il a fait ses études au conservatoire de sa ville natale avec Desderi, F. Ghedini, Margola et Fuga, puis au Mozarteum de Salzbourg avec Friedrich Gulda et Carlo Zecchi et, enfin, à partir de 1958, aux cours d’été de Darmstadt. Il a aussi eu comme maître Boris Blacher. Il s’est d’abord fait une renommée de pianiste virtuose au toucher et au jeu raffinés et, en 1961, a obtenu le prix Italia pour son opéra radiophonique Attraverso lo specchio (« À travers le miroir »). En 1966, il a émigré aux États-Unis, où il a d’abord été composer in residence au Center of Creative and Performing Arts de Buffalo. Nommé ensuite

visiting professor in composition à l’université du Michigan à Ann Arbor, puis regent lecturer à l’université de Californie à San Diego, une sorte d’épuisement le força à rentrer en Europe, et, depuis le début des années 70, il a assez peu produit. Ses oeuvres, de tendance postsérielle élargie, surtout instrumentales, témoignent d’un tempérament lyrique et dramatique extrêmement vif et d’une sensibilité aiguë pour laquelle la musique ne doit se justifier que d’elle-même : « Tout comme un dessin où le noir des traits n’a d’autre fonction que d’articuler le blanc du papier, les Disegni (1960) sont de par leur forme un continuum du silence au sein duquel les notes viennent s’insérer pour articuler le silence par les sons » (à propos de sa pièce d’orchestre Disegni). Ses ouvrages, volontiers très courts, ont souvent quelque chose d’éphémère, qui répugne à la durée, telles les images d’un kaléidoscope. À propos de Gyro, pour choeur mixte et 9 instruments (1963), il a d’autre part fait remarquer « que depuis toujours un mystère, une exigence religieuse existent dans la science, et que la religiosité de tout temps peut s’exprimer aussi à travers la science. C’est le besoin de ne rien renier - dans le meilleur sens du terme - de ce qui est profane ». Il a écrit notamment Aprèslude pour orchestre (1959), Gymel pour flûte et piano (1960), A Solemn Music I (1963) et II (1965) pour soprano et orchestre de chambre sur des textes de John Milton, une symphonie en ut pour choeur et grand orchestre (avec 4 pianos et 4 clavecins) sur des textes de Ben Johnson, Dante, Shakespeare et J. Keats (1969-70), Inverno In-Ver, 11 poésies musicales pour orchestre (1972), Quodlibet pour piano et instruments (1976) ; Hymne pour choeur à 12 parties a cappella (198889) ; Fantasia concertata pour piano et orchestre (1991). On lui doit également un intéressant ouvrage de synthèse : le Langage musical de la Renaissance à nos jours. CASTIL-BLAZE (François) ! BLAZE. CASTILLON DE SAINT-VICTOR (Alexis de), compositeur français (Chartres 1838 - Paris 1873). Venu à la musique assez tard, après une brève carrière militaire, il fit ses études avec Delioux et Victor Massé, puis César Franck dont il fut l’un des disciples les plus

doués. Il participa en 1871 à la fondation de la Société nationale de musique et en fut le secrétaire. Ses oeuvres symphoniques et instrumentales, présentées notamment dans le cadre des concerts de la Société nationale, se heurtèrent plus d’une fois à l’incompréhension et à l’hostilité du public, en raison de leur nouveauté. Castillon est l’un des premiers à avoir ressuscité, en France, la musique de chambre. La poésie, la fraîcheur et la force de son inspiration, écho d’un généreux tempérament romantique, font déplorer qu’il n’ait pas eu de connaissances assez solides en technique d’écriture pour affermir son style et son langage. Son oeuvre comprend essentiellement des pièces symphoniques, dont une symphonie, de la musique de chambre (un quintette pour piano et cordes, 2 quatuors à cordes, un quatuor pour piano et cordes, 2 trios pour piano et cordes, etc.) et des pièces pour piano. CASTRAT. Ce terme, qui est un doublet de châtré ou castré, désigne un type de chanteur, très en vogue aux XVIIe et XVIIIe siècles. Le castrat, n’ayant pas mué à la suite d’une émascudownloadModeText.vue.download 170 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 164 lation précoce, avait, grâce à de sévères études, développé les réflexes et la puissance d’une voix d’adulte agissant sur un larynx d’enfant. Pratiquée avant la puberté, la suppression (ou plutôt l’annulation des fonctions) des testicules compromet l’apparition des caractères sexuels principaux et, en particulier, arrête le développement du larynx, cependant que la croissance se poursuit et que la cage thoracique atteint la dimension de celle de l’adulte (et devient même, semble-t-il, anormalement volumineuse), faisant bénéficier de cette « soufflerie » d’adulte une voix dont le timbre avait gardé les caractéristiques de celle d’un jeune garçon. Les castrats, utilisés dès l’Antiquité dans certains cultes orientaux, gagnèrent le monde latin et l’Allemagne. La chapelle de Roland de Lassus, à Munich, en possédait six vers 1560. On en trouvait

en Espagne, où ils furent indistinctement confondus avec les falsettistes artificiels, et bientôt à Rome où la chapelle Sixtine les admit officiellement dans ses choeurs (ainsi était résolu le problème des voix élevées là où les femmes étaient proscrites, alors que les enfants perdaient leur aigu dès qu’ils avaient acquis les connaissances musicales nécessaires et que les voix des falsettistes artificiels se révélaient trop faibles). L’opéra naissant récupéra ces voix étranges et quasi asexuées, capables d’incarner les rôles masculins ou féminins : Giovanni Gualberti créa le rôle d’Orfeo dans l’opéra de Monteverdi (1607), et ce fut aussi un castrat qui incarna Néron à la création du Couronnement de Poppée. Il est donc faux de croire que les castrats d’opéra eurent pour mission de remplacer l’élément féminin, et leur suprématie est bien antérieure à l’interdiction faite aux femmes de paraître sur les scènes romaines. Il faut seulement noter que l’Église approuvait implicitement une mutilation qu’elle condamnait officiellement et que des parents trop cupides couvraient d’un prétexte quelconque pour l’imposer à des enfants trop jeunes pour en saisir les conséquences ; il faut ajouter que les jeunes victimes n’étaient nullement sûres de devenir toutes célèbres et riches. Remarquons encore que, d’après d’Ancillon (Traité des eunuques, 1770), l’opération était parfaitement indolore, étant non une ablation, mais un type de sclérose après une longue immersion dans un bain bouilli et traité en conséquence ; précisons enfin que les castrats pouvaient parfois mener une existence conjugale, mais non procréer, et que leur état ne les prédisposait en rien à l’homosexualité. L’exceptionnelle qualité de leur chant venait non seulement de la particularité de leur timbre, très brillant, et de l’étendue de leur tessiture, mais aussi de leur vocation précoce inéluctable : entrés très jeunes dans des écoles spécialisées dont ils étaient pensionnaires, les castrats étudiaient pendant huit ou dix ans, et plus de dix heures par jour, non seulement les humanités et les sciences, mais la composition musicale, le jeu des instruments, et naturellement le chant, avec une persévérance inconnue des autres types d’interprètes. Leur art reposait sur une virtuosité sans faille, de type instrumental (les flûtistes, par exemple, travaillaient les mêmes

exercices), avec ses gammes diatoniques et chromatiques, ses octaves piquées, ses trilles, etc., sur une remarquable longueur de souffle (on cite l’exemple de Farinelli, capable de tenir deux ou trois cents notes d’une seule haleine), sur leur étendue vocale (leurs résonances « de poitrine » se développaient dans le grave tandis qu’ils conservaient l’aigu de leur voix de tête initiale), mais aussi, et cela est trop oublié aujourd’hui, sur le caractère pathétique et profond de leur expression, enrichi par un inépuisable éventail de nuances. Leurs caprices, exagérés par les historiens, furent semblables à ceux que manifestèrent à toutes les époques les bénéficiaires du vedettariat artistique. Non seulement les castrats incarnaient des personnages masculins ou féminins, mais le costume qu’ils portaient n’était pas nécessairement en rapport avec le sexe du rôle : dans le cas d’incarnations masculines, le castrat était appelé musico, tandis que le terme primo uomo désignait, au sein d’une compagnie lyrique, son rôle de « vedette » au cachet le plus élevé. Les castrats, sur lesquels reposa l’édifice du bel canto, furent les interprètes d’élection de Scarlatti, Haendel, Pergolèse, Hasse, etc., et leur domaine privilégié fut l’opera seria ; mais, contrairement à la croyance générale, ils furent aussi souvent sollicités dans l’opera buffa. Il existait entre les castrats contraltistes et sopranistes une distinction, mais celle-ci tenait davantage à leur timbre qu’à l’étendue qui était d’ailleurs plus facile à apprécier dans l’ornementation qu’ils ajoutaient aux textes écrits que dans ces derniers ; on relève néanmoins l’emploi exceptionnel du ré 2, dans le grave, et du ré 5 dans l’aigu. Parmi les castrats les plus célèbres, citons Baldassare Ferri (1610-1680), avec lequel la virtuosité tendait déjà à l’emporter sur l’expression, puis Giovanni Grossi, dit il Siface (1653-1697), célèbre aussi pous ses conquêtes féminines, Nicola Grimaldi, dit il Nicolino (1673-1732), Francesco Bernardi, dit il Senesino (v. 1680-v. 1750), Antonio Bernacchi (16851756), pédagogue célèbre, Carlo Broschi, dit Farinelli (1705-1782), qui fut aussi ministre de Philippe V en Espagne, son rival Giovanni Carestini (1705-1782), doté d’un exceptionnel grave de contralto, Gaetano Majorano, dit Caffarelli (17101783), Gioacchino Conti, dit il Gizziello,

Gaetano Guadagni (1725-1792), créateur de l’Orfeo de Gluck, Guiseppe Aprile (1732-1813), Giusto Tenducci (1736apr. 1800), dont le mariage fit scandale, Giuseppe Pacchierotti (1740-1821), jugé par certains supérieur à Farinelli pour son expression pathétique, Venanzio Rauzzini (1746-1810), pour qui Mozart écrivit Lucio Silla et l’Esultate Jubilate, Luigi Marchesi (1754-1829), Vincenzo Del Prato (1756-1828), créteur du rôle d’Idamante dans Idoménée de Mozart, et Girolamo Crescentini (1762-1846), pour lequel Cherubini écrivit, et qui fut décoré par Napoléon. Le dernier castrat d’opéra fut Giovanni Battista Velluti (1781-1861) : Pavesi, Morlacchi, Mayr, Rossini, et encore Meyerbeer en 1824, écrivirent pour lui. Il triompha dans toute l’Europe, eut de nombreuses aventures féminines, dirigea le Covent Garden de Londres où il parut jusqu’en 1829, et émut encore Stendhal en 1831. C’est à Londres également que chanta Pergetti en 1844, mais les derniers castrats furent ceux de la chapelle Sixtine : le directeur de celle-ci, Domenico Mustafà (1829-1912), auquel Wagner pensa un moment confier le rôle de l’eunuque Klingsor dans Parsifal, et dont la célèbre chanteuse Emma Calvé fut l’élève, puis Alessandro Moreschi (1858-1922), qui enregistra sur disques en 1902 ; son témoignage, certes imparfait, est suffisant pour confirmer à quel point ces voix différaient autant de celles des femmes que de celles des falsettistes modernes. CASTRO (Jean de), compositeur flamand originaire du pays de Liège ( ? v. 1540 - ? v. 1600). Il s’établit à Anvers, et semble avoir quitté cette ville pour des raisons politiques vers 1575, année où parut à Paris sous son nom un livre de chansons à trois voix. Il se dirigea vers l’Allemagne puis vers Lyon, où fut publié en 1580 un deuxième livre de chansons. On le retrouve en 1586 à Anvers, où parut un livre de chansons à cinq parties. Il occupa ensuite des postes à Düsseldorf et à Cologne, où peut-être il mourut (toujours est-il que six livres de musique de lui furent imprimés dans cette ville de 1593 à 1599). Castro fut un des compositeurs les plus appréciés et les plus édités de son temps. À l’aise à la fois dans le profane et dans le sacré, il a écrit des motets, trois messes parodiques, des chansons, des ma-

drigaux. Sensible aux courants venus d’Italie, il mit souvent les mêmes textes que Roland de chercha son inspiration, entre la poésie de Ronsard.

nouveaux en musique Lassus, et autres, dans

CATALANI (Alfredo), compositeur italien (Lucques 1854 - Milan 1893). Il étudia la composition avec Antonio Bazzini à Milan, où il se fixa et mourut prémadownloadModeText.vue.download 171 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 165 turément. Son opéra La Falce, sur un livret de Boïto (1875), lui valut une immédiate renommée que ne confirmèrent qu’à demi Elda (1880, ébauche de sa future Loreley), Dejanice (1883), puis Edmea (1886), dont la création fut dirigée par Toscanini, son fervent admirateur, qui fit à cette occasion ses débuts en Italie. Loreley (1890) et La Wally (1892) donnent la pleine mesure du talent de ce romantique auquel on doit encore des romances et de la musique de chambre, de cet amoureux de la France et de l’Allemagne, attiré par le surnaturel weberien et wagnérien, et consumé, à l’image de ses héros, par un amour impossible. Son art, élaboré entre la maturité de Verdi et la naissance de la nouvelle vague vériste, occupe une place à part dans l’histoire de l’opéra italien, proposant une rare osmose entre une ligne de chant sensible et raffinée et un orchestre aux riches harmonies, d’une épaisseur quasi germanique. CATALANI (Angelica), soprano italienne (Sinigaglia 1780 - Paris 1849). Élevée dans un couvent à Gubbio, elle fut poussée vers le chant par son père à la suite de revers de fortune de sa famille. Elle débuta à Venise en 1797 dans Lodoiska de Mayr et s’imposa d’emblée par la facilité extraordinaire de sa voix, son intonation juste et pure et sa technique prodigieuse. Son agilité dans l’exécution des ornements les plus compliqués frappait d’autant plus que le volume de sa voix était considérable. Elle était très belle et son maintien en scène fut jugé « royal », mais son goût musical n’était pas irréprochable. L’apogée de sa carrière se situa entre 1806 et 1814 à Londres, où elle perçut des cachets d’un montant fabuleux. Elle fut à Paris direc-

trice du Théâtre-Italien entre 1814 et 1817, puis parcourut l’Europe jusqu’à ses adieux à la scène en 1827. CATALOGUE THÉMATIOUE. Ouvrage donnant une liste d’oeuvres identifiées par leurs premières mesures ou incipit. Il peut s’agir des oeuvres (complètes ou non) de tel ou tel compositeur, soit encore (ce fut particulièrement le cas au XVIIIe siècle, notamment avec le catalogue Breitkopf) des oeuvres disponibles chez tel ou tel éditeur ou tel ou tel collectionneur. Mozart dressa un catalogue thématique de ses oeuvres à partir de 1784, Haydn en dressa ou en fit dresser deux (à partir de 1765 et de 1805 respectivement, l’un et l’autre incomplets). Un catalogue comme celui de Breitkopf n’exclut pas les erreurs d’attribution (on y trouve sous le nom de Haydn des oeuvres qui ne sont pas de lui). L’exemple des éditeurs fut suivi par les bibliothèques publiques ou privées. À partir du XIXe siècle, on établit systématiquement les catalogues thématiques des différentes collections et des oeuvres d’un même compositeur, ce travail de musicologue consistant à accompagner le thème cité du plus grand nombre possible de détails : titre précis, auteur du texte, formation, date et lieu de composition, dédicace, collection où est conservé le manuscrit, édition originale, rééditions, lieu, date et interprètes lors de la création, bibliographie relative à l’oeuvre. Parmi les catalogues thématiques les plus importants figurent ceux de W. Schmieder pour J.S. Bach (BWV), L. Köchel pour Mozart (KV ou K), A. van Hoboken pour J. Haydn (Hob), G. Kinsky et H. Halm pour Beethoven, O. E. Deutsch pour Schubert (D), A. Wotquenne puis Eugene Helm pour Carl Philip Emanuel Bach et Wotquenne également pour Gluck (Wq), Y. Gérard pour Boccherini (G), A. Tyson pour Clementi, P. Ryom pour Vivaldi (R). CATCH (angl. to catch, « attraper »). Forme musicale très populaire en Angleterre aux XVIIe et XVIIIe siècles. Il s’agit d’un jeu en musique, proche du canon ou encore du round, et où le maniement astucieux du texte poétique

joue un rôle important. En effet, le but du catch est d’obtenir des effets verbaux amusants, parfois tout à fait grivois. De nombreux recueils de rounds and catches furent publiés, le premier étant le Pammelia (1609) de Th. Ravenscroft. Une écriture en contrepoint - souvent fort savant - fait appel à trois voix et parfois à dix voix. Parmi d’autres compositeurs de catches, citons H. Purcell et Th. Arne. CATEL (Charles-Simon), compositeur français (L’Aigle, Orne, 1773 - Paris 1830). Formé à Paris par Gossec, il fut nommé en 1790 accompagnateur de l’Opéra et chef adjoint de la musique de la garde nationale. Puis, lors de la création en 1795 de l’Institut national de musique, futur Conservatoire, il fut désigné comme professeur d’harmonie, avant de devenir inspecteur de cette école (1810). Il finit sa carrière membre de l’Institut, après avoir succédé à Monsigny (1815). Il laissa une oeuvre variée, qui reflète une évolution en trois temps. De 1792 à 1795, Catel composa des hymnes et des marches militaires pour les fêtes révolutionnaires. De 1795 à 1802, il se consacra à des oeuvres pour piano ou pour ensembles de musique de chambre (3 quatuors, 1796 ; 6 quintettes, 1797 ; 6 sonates, 1799), et à des ouvrages pédagogiques, comme l’Harmonie à la portée de tous (1802). Enfin, de 1802 à 1818, il se tourna vers la scène lyrique, pour laquelle il écrivit des opéras-comiques et des opéras, dont certains, tels Sémiramis (1802) ou les Bayadères (1810), connurent le succès. Dans son ballet héroïque, Alexandre chez Apelle (1808), il mit en oeuvre une orchestration particulièrement raffinée. Son oeuvre longtemps la plus connue est l’Auberge de Bagnères (1807). CAUCHIE (Maurice), musicologue français (Paris 1882 - id. 1963). Homme de lettres, il commença par publier des études sur la littérature du XVIIe siècle avant de s’intéresser à la musique. Il se pencha sur l’Odhecaton, recueil de motets et de chansons publié par Petrucci en 1501. Il rédigea ensuite, dans les colonnes du Ménestrel ou de la Revue de musicologie, toute une série d’articles consacrés à Cl. Janequin, P. Cléreau, A. Boesset, au

protestant Cl. Le Jeune et à Couperin le Grand. Il effectua des recherches sur Ockeghem et sur l’éditeur P. Attaignant, édita des chansons de Janequin et collabora à l’édition complète des oeuvres de Couperin (l’Oiseau-Lyre, 1933). Il fut également l’auteur d’une Pratique de la musique (Paris, 1948), ainsi que de l’Index thématique des oeuvres de F. Couperin (Paris, 1949). CAUDA (lat. : « queue »). Terme employé au Moyen Âge avant de passer dans l’usage sous sa forme italienne coda avec un sens légèrement dérivé. 1. Au sens latin primitif, le mot cauda est employé, dans la musique non liturgique, pour désigner une partie mélismatique sur l’une des syllabes du texte chanté. Après l’Ars antiqua, la ballade du XIVe siècle et la frottola italienne du XVe ont généralisé la cauda terminale, ce qui a provoqué le glissement de sens vers la forme italienne ultérieure coda. 2. Dans la notation mensurale du XIIIe au XVIe siècle, la cauda est un trait vertical (haste) affectant certaines notes ou ligatures, et dont la forme est empruntée à la virga. CAUSSADE, couple de pédagogues français. Georges (Port-Louis, île Maurice, 1873 Chanteloup-les-Vignes, Yvelines, 1936). Il consacra toute son existence à l’enseignement. Au Conservatoire de Paris, il fut nommé professeur de contrepoint en 1905, puis de fugue en 1921. On lui doit deux ouvrages remarquables, Traité de l’harmonie et Technique de l’harmonie (1931). Simone Plé-Caussade (Paris 1897 Bagnères-de-Bigorre 1986). Elle succéda à son mari en 1928 comme professeur de fugue au Conservatoire. Élève de Cortot, elle eut une certaine notoriété comme pianiste. Compositeur, elle écrivit surtout des oeuvres pour piano (dont des sonates), ainsi que des pièces pour orgue, des choeurs, de nombreuses mélodies, des pages religieuses. Son écriture, traditionnelle, révèle beaucoup de poésie et de sensibilité. downloadModeText.vue.download 172 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE

166 CAUSSÉ (Gérard), altiste français (Toulouse 1948). Au Conservatoire de Paris, il obtient deux premiers prix (alto et musique de chambre). De 1969 à 1971, il est l’altiste du Quatuor Via Nova, et de 1972 à 1980 celui du Quatuor Parrenin. En 1976, il entre à l’Ensemble InterContemporain, qu’il quitte en 1982 pour se consacrer à nouveau à la musique de chambre en petite formation, comme altiste du Quatuor Ivaldi. L’enseignement occupe une grande place dans sa carrière : d’abord au Conservatoire de Paris, où il assiste Jean Hubeau à la classe de musique de chambre, puis au Conservatoire de Lyon, où il est nommé professeur d’alto en 1982, enfin de 1987 à 1992 au Conservatoire de Paris. Il a créé de nombreuses oeuvres contemporaines, notamment de compositeurs français (Grisey, Hersant, Jolas, Koering, Lenot, Masson, Nigg, etc.). CAVAILLÉ-COLL, famille d’organiers français, dont le nom de Cavaillé devint, après un mariage, Cavaillé-Coll. Joseph Cavaillé, religieux (v. 1700 - v. 1767). Il apprit la facture d’orgues avec le frère Isnard. Jean-Pierre Cavaillé, neveu du précédent (1743-1809). Il travailla avec son oncle et lui succéda en Catalogne, en Languedoc et en Roussillon. On lui doit notamment l’instrument de Saint-Guilhem-le-Désert. Dominique-Hyacinthe Cavaillé-Coll, fils du précédent (1771-1862). Il fut l’élève de son père. Il s’installa à Montpellier avant de s’associer avec son propre fils à Paris, en 1834. Aristide Cavaillé-Coll, fils du précédent (1811-1899). Il est le plus illustre représentant de la famille. Formé par son père, il remporta très jeune le concours pour la construction de l’orgue de la basilique de Saint-Denis, qu’il édifia avec l’aide de son père. Dès lors installé à Paris, il construisit, pendant soixante ans, tous les grands intruments français de l’époque : Trocadéro, Madeleine, Sainte-Clotilde, Saint-Sulpice (1863), Notre-Dame, à Paris, Saint-Ouen à Rouen, Saint-Sernin à Toulouse. Ayant fait l’objet de restaurations ou d’agrandissements, ses instruments ne sont

généralement plus aujourd’hui dans leur état d’origine. À la mécanique de l’orgue, Cavaillé-Coll a apporté de nombreuses innovations : emploi de la machine Barker, généralisation du pédalier à l’allemande, augmentation des combinaisons par tirasses, extension des claviers à 56 notes, amélioration importante de la soufflerie. Sur le plan sonore, il développe le clavier de récit avec boîte expressive, oppose les caractères des claviers, qu’il souhaite au minimum de trois, introduit des sonorités nouvelles (flûtes harmoniques et octaviantes) et modifie l’équilibre général de l’instrument, traité de façon plus grave et compacte, plus puissante aussi, et s’inspirant des couleurs de l’orchestre symphonique. Aristide Cavaillé-Coll a également présenté plusieurs mémoires d’acoustique à l’Académie des sciences. CAVALIERI (Catarina), soprano autrichienne (Vienne 1760 - id. 1801). De son vrai nom Franziska Kavalier, elle étudia avec Salieri et fit ses débuts à Vienne en 1775 dans La Finta Giardiniera d’Anfossi. Son nom reste lié à celui de Mozart : elle créa le rôle de Constance de l’Enlèvement au sérail en 1782, puis chanta celui d’Elvire lors de la première viennoise de Don Giovanni en 1788 (Mozart écrivit alors pour elle l’air Mi tradi) et celui de la comtesse lors de la reprise des Noces de Figaro en 1789. Une voix puissante compensait chez elle un physique désavantageux. CAVALIERI (Emilio de’), compositeur italien (Rome v. 1550 - id. 1602). Noble romain, fils de Tommaso Cavalieri ce beau garçon pour lequel Michel-Ange quitta Florence pour Rome -, Emilio Cavalieri apporta une importante contribution à la musique de la fin de la Renaissance et du début de l’époque baroque en étant l’un des premiers musiciens à composer dans le nouveau style monodique. Il passa la majeure partie de son temps à Florence, où il fut nommé intendant de l’activité artistique à la cour de Ferdinand Ier de Médicis en 1588. Membre de la Camerata de Giovanni Bardi, il y côtoya des artistes accomplis, tels G. Caccini et J. Peri. Il put mettre en pratique ses idées et fut parmi les premiers à utiliser la basse continue avec des signes destinés à guider les différents instruments. Sur des textes

de la poétesse Laura Guidiccioni, il composa plusieurs pastorales (La Disperazione di Fileno, Il Satiro, Il Gioco della cieca), qui ont été perdues. Lors d’un de ses nombreux séjours à Rome, où il put sans doute voir, à la chapelle Sixtine, le portrait de son père peint par Michel-Ange, Cavalieri fit donner en 1600 la Rappresentazione di Anima e di Corpo, son oeuvre la plus célèbre, qui, malgré une certaine similitude avec l’oratorio, n’en est pas un. L’oeuvre est composée dans le nouveau stile rappresentativo, c’est-à-dire en récitatif, destiné à imiter le plus possible le rythme de la langue parlée. Bien qu’empreint d’une certaine sécheresse, ce récitatif ne manque pas d’expression, et la partition contient de nombreux choeurs, dans un style syllabique simple, qui introduisent un élément de contraste heureux. Dans le domaine de l’oratorio, on conserve de Cavalieri une partition intitulée L’Ascensione del Nostro Salvatore. D’autres musiques d’église ont également survécu : les Lamentations Hieronemiae Prophetae, écrites en collaboration avec Isorelli, ainsi que les Responsi pour 2 et 3 voix. CAVALLI (Pier Francesco Caletti-Bruni, dit Pier Francesco), compositeur italien (Crema 1602 - Venise 1676). Chantre dans sa ville natale, doté d’une belle voix de soprano, il attira l’attention du gouverneur de la cité, Federigo Cavalli, qui lui obtint un poste de chantre et d’organiste à la chapelle San Marco de Venise (1616). Dès lors, il se fit appeler P. F. Cavalli, du nom de son protecteur. La musique de cette chapelle était dirigée par Cl. Monteverdi et Cavalli devint son élève pour la composition. En 1640, il fut nommé titulaire de l’orgue de la chapelle et, à la mort de Monteverdi (1643), s’imposa comme la personnalité la plus importante de la vie musicale à Venise. À partir de 1639, le musicien commença à écrire pour le théâtre, mais il est fort possible qu’il ait, auparavant, collaboré à la production de quelques opéras de Monteverdi, composant, ici et là, une ritournelle instrumentale selon les instructions du maître. Entre 1639 et 1669, Cavalli écrivit 42 ouvrages lyriques, dont 4 dans la seule

année 1651. Il fut le compositeur le plus remarquable de l’école vénitienne de sa génération en matière d’opéras. Son grand talent de mélodiste et son sens dramatique très développé l’orientèrent vers la scène. Sa musique, plus à la portée du grand public que celle de Monteverdi, visait les théâtres payants de Venise, le premier de ces établissements (San Cassiano) ayant ouvert ses portes en 1637. Sa véritable carrière débuta avec la représentation des Nozze di Teti e di Peleo (1639). Dès 1641, son style atteignait une certaine maturité avec son premier chef-d’oeuvre, La Didone. La partition contient notamment une scène d’adieu admirable, chantée par Énée, et reflète parfaitement le style de Cavalli : conçue de manière très continue, la musique part du récitatif pour se transformer en arioso et en air avec une souplesse inégalable. Suivirent d’autres opéras, dont certains sont redécouverts aujourd’hui : L’Egisto (1643) ; L’Ormindo (1644) ; Il Giasone (1649) ; La Calisto (1651) ; Xerse (1654) ; L’Erismena (1655). La réputation de Cavalli grandit au point que Mazarin refusa toute autre proposition pour fêter le mariage de Louis XIV que la commande d’un opéra à Cavalli. Les préparatifs et dépenses ainsi que diverses difficultés empêchèrent pourtant la représentation de L’Ercole amante, qui ne devait avoir lieu qu’en 1662, augmentée d’importantes scènes de ballet dues à J. B. Lully. Le spectacle ne rencontra pas le succès qu’il méritait et Cavalli, dégoûté, rentra à Venise où il allait écrire de la musique religieuse, dont une Missa pro defunctis, downloadModeText.vue.download 173 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 167 oeuvre concertante pour 8 voix et instruments, destinée à ses propres funérailles. Au cours de sa carrière, Cavalli composa également quelques pièces instrumentales, parmi lesquelles des sonates et canzoni (de 2 à 12 voix). De nos jours, la représentation des opéras de Cavalli est chose peu aisée. En effet, il faut tenir compte de la façon dont on notait la musique d’une oeuvre de scène à l’époque. Comme le Couronnement de Poppée de Monteverdi, tous les opéras de Cavalli sont composés sur deux por-

tées (chant et basse) avec seulement, de temps en temps, une ritournelle notée à plusieurs parties où il est possible de chercher des conseils stylistiques. Nul besoin donc d’insister sur les difficultés que rencontre un éditeur moderne s’il veut faire « revivre » cette musique et préparer une édition de l’oeuvre (une réalisation). Cette tâche a été accomplie avec grand succès par des musicologues et musiciens spécialisés, notamment pour le festival de Glyndebourne. Tel est le génie dramatique de Cavalli qui n’attend, pour être redécouvert, que le talent et la fidélité du réalisateur. Les librettistes sont souvent excellents, tels Busenello ou Faustini, ce dernier étant particulièrement habile à mêler un drame essentiellement sérieux à toutes sortes de péripéties comiques pour créer un spectacle fort amusant et si typiquement italien lorsqu’il est bien réussi. CAVATINE. Pièce vocale à une ou deux parties sans da capo. Son écriture est plus mélodique que celle du récitatif, mais son lyrisme est moins ample que celui de l’air. Elle est dérivée de la cavata, terme qui, au XVIIIe siècle, conformément à son étymologie (lat. cavare, « graver, creuser »), désignait la terminaison, le résumé en quelque sorte gravé sous forme de sentence, d’un récitatif. À la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe, la cavatine, devenue une forme plus développée et plus indépendante, garda de ses origines le caractère coulant de son débit vocal, évitant les reprises, les répétitions de texte. Elle était utilisée en particulier pour les entrées de personnages, leur permettant de se présenter, de situer leur position par rapport au déroulement de l’action (dans les Noces de Figaro de Mozart, cavatine de Figaro Se vuol ballare ; dans le Barbier de Séville de Rossini, cavatines d’Almaviva, puis de Rosine). Plus tard, le terme a désigné des morceaux ne répondant plus strictement à la définition originelle et se distinguant mal de l’air habituel (comme la cavatine de Faust dans l’opéra de Gounod). Le mot cavatine se rencontre aussi dans la musique instrumentale, avec un sens relativement mal défini. Il s’applique en général à une pièce essentiellement mélo-

dique, libre de forme et concise. Beethoven baptisa « cavatine » le douloureux cinquième mouvement de son 13e Quatuor op. 130. CAVAZZONI, famille d’organistes italiens du XVe siècle. Marco Antonio, dit d’Urbino (Bologne v. 1490 - Venise apr. 1559). Il occupa divers postes d’organiste et de claveciniste en Italie du Nord et à Rome, et fut chantre à Saint-Marc de Venise. Son livre de Ricerchari, Motetti, Canzoni... (Venise, 1523) contient les premières pièces écrites spécialement, en Italie, pour instruments à clavier (Canzoni pour orgue). Girolamo, son fils (Urbino v. 1510 - Venise 1560). Élève de son père et de Willaert, il s’établit à Mantoue, où il fut organiste à Santa Barbara, et publia deux recueils de pièces d’orgue en tablature, dont la polyphonie serrée annonce Frescobaldi. Il fut le maître de Costanzo Antegnati. CAVENDISH (Michael), compositeur anglais (v. 1565 - Aldermanbury 1628). Il appartenait à une grande famille, proche de la cour. Après John Dowland, le maître incontesté de l’ayre anglais pour voix et luth, Cavendish se classe parmi d’autres excellents musiciens qui illustrèrent le genre avec talent et surent habilement marier le texte poétique à la musique (Campion, Danyel, Rosseter, Pilkington, Ford). Il a laissé des madrigaux à 4 et 5 voix, riches en mélodie et proches du style balletto, gai et enlevé, cher à Th. Morley. En 1598, il publia à Londres un recueil d’ayres, Tabletorie to the Lute, qui contient également 8 madrigaux à 5 voix. D’autres compositions de Cavendish ont paru dans des publications collectives, celles de Th. East (Whole Booke of Psalmes, 1592), de Th. Morley (The Triumphs of Oriana, 1601) et encore de Th. Ravenscroft (The Whole Booke of Psalmes with the Hymnes Evangelicall and Songs Spirituall, 1621). CAVOS (Catterino), compositeur et chef d’orchestre italien (Venise 1776 - SaintPétersbourg 1840). Fils du directeur du théâtre de la Fenice à Venise, Cavos remplit, dans ce haut lieu, les fonctions de chef de chant avant de diriger le théâtre de Padoue. Parti pour Saint-Pétersbourg à la tête d’une troupe italienne d’opéra (v. 1800), il devait y

demeurer jusqu’à sa mort, exerçant une influence de plus en plus importante sur la vie musicale. Nommé chef d’orchestre du théâtre impérial en 1800, il en devint le régisseur en 1804, tout en étant professeur de chant au Collège de l’Ordre de Sainte-Catherine. Puis, chef attitré de l’orchestre de l’opéra russe (1806), il assuma, à partir de 1821, la direction générale de la musique. Il joua un rôle déterminant dans la diffusion d’oeuvres alors jugées audacieuses : sous sa baguette furent créées, en Russie, le Freischütz (Weber), Fra Diavolo (Auber), Robert le Diable (Meyerbeer). Bien plus, alors même qu’il avait écrit un opéra sur l’épisode d’Ivan Soussanine (représenté en 1815), il dirigea et imposa l’oeuvre de Glinka traitant le même sujet, la Vie pour le tsar (1836), avec une conviction et une chaleur révélatrices du regard qu’il portait sur la nouvelle musique russe. Il est vrai qu’il avait personnellement ressenti la nécessité de faire appel à des sujets historiques ou légendaires (outre Ivan Soussanine, Ilya Bogatyr, la Jeunesse d’Ivan III, le Cosaque versificateur) et même parfois à des thèmes musicaux populaires, sans toutefois pouvoir oublier ses origines italiennes. CAZZATI (Maurizio), compositeur italien (Guastalla, Reggio Emilia, v. 1620 - Mantoue 1677). Il fut maître de chapelle et organiste à la chapelle Sant’Andrea de Mantoue, puis maître de chapelle du duc de Sabbioneta à Bozzolo (1646-1648), et occupa la même charge à l’Accademia della Morte à Ferrare (1640-1651) et à Santa Maria Maggiore à Bergame (1653). De 1657 à 1673, il résida à Bologne, où il s’affirma comme un membre important de l’école de cette ville, notamment dans le domaine de la musique instrumentale. Il occupa le poste de maître de chapelle à San Petronio où l’activité musicale était particulièrement intense, mais dut le quitter à la suite d’une violente dissension avec Arresti, l’organiste de l’église. De retour à Mantoue, il entra au service de la duchesse Anna Isabella de Gonzague et fonda une imprimerie musicale. Maurizio Cazzati a laissé nombre de messes, psaumes, lamentations et autres oeuvres religieuses, de madrigaux, de cantates, d’oratorios dont la composition s’échelonna entre 1659 (Espressione in versi di alcuni fatti di S. Giuseppe) et 1669 (La Vittoria di S. Filippo Neri). Son oeuvre

instrumentale, également abondante, se compose de sonates et danses diverses. CEBALLOS, famille de musiciens espagnols. Francisco ( ? - Burgos 1571). Maître de chapelle à Burgos de 1535 à sa mort, il a laissé 4 messes et 7 motets. Rodrigo, frère du précédent (Aracena 1525 - Grenade 1581). Il fut maître de chapelle à Malaga (1554), Séville (1556), Cordoue (1556), puis de la chapelle royale de Grenade (1561). Important compositeur de musique religieuse et profane, représentatif du Siècle d’or, il est l’auteur de messes, motets, et pièces sacrées diverses, de villanelles, éditées dans le Cancionero des ducs de Medinaceli, et de madrigaux, downloadModeText.vue.download 174 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 168 édités par Esteban Daza dans El Parnaso (Valladolid, 1576). CEBOTARI (Maria), soprano autrichienne d’origine russe (Kishinev, Bessarabie, 1910 - Vienne 1949). Elle chanta successivement aux Opéras de Dresde (1931-1936), où elle créa le rôle d’Aminta dans la Femme silencieuse de Richard Strauss, de Berlin (1936-1944) et de Vienne (1944-1949). Elle créa à Salzbourg les rôles de Lucille dans la Mort de Danton, de Gottfried von Einem (1947), et de Iseut dans le Vin herbé, de Frank Martin (1948). Grande interprète de Mozart (la Comtesse, Suzanne, Zerline) et de Richard Strauss (Sophie, Ariane), elle alliait une technique vocale raffinée à un physique séduisant. CÉDEZ (en ital. cedendo). Terme indiquant un léger fléchissement du mouvement établi, ce dernier étant repris lors de l’indication au mouvement. Souvent employé par Debussy, cédez est synonyme de retenu (ritenuto). CÉLESTA. Instrument à percussion inventé au XIXe siècle par le facteur Victor Mustel et perfectionné par son fils Auguste, qui en

déposa le brevet en 1886. Extérieurement semblable à un petit piano de 4 ou 5 octaves, il est pourvu d’un clavier qui agit sur des lames métalliques lestées d’une masselotte, par l’intermédiaire d’un mécanisme de marteaux et d’étouffoirs. D’un son court, mais pur et très cristallin, il a été employé à l’orchestre par de nombreux compositeurs. CELIBIDACHE (Sergiu), chef d’orchestre et compositeur roumain (Roman 1912). Son père, officier de cavalerie, le destinait aux plus hautes fonctions. Il montra très jeune des dons exceptionnels dans les domaines des mathématiques, de la philosophie et de la musique. Consacrant trop de temps à cette dernière matière au gré de son père, il fut chassé par ce dernier et connut alors à Bucarest des années difficiles. En 1939, il vint travailler en Allemagne, à Berlin, à la Hochschule für Musik avec Tiessen et à l’université avec Schering et Schünemann, et soutint successivement des thèses de doctorat en musicologie (Principes de développement et éléments formels dans la technique de composition de Josquin Des Prés), en philosophie et en mathématiques. En 1945, il se présenta au concours de recrutement de premier chef d’orchestre de la Radio de Berlin, et fut admis, alors qu’il n’avait jamais auparavant tenu une baguette de sa vie. La même année, il fut nommé directeur de la Philharmonie de Berlin et le demeura jusqu’en 1952. Par la suite, il mena une vie itinérante, donnant sur tous les continents des concerts et des cours de perfectionnement pour la direction d’orchestre. Il est depuis 1979 directeur musical de la Philharmonie de Munich. Artiste exigeant, doté d’une organisation de pensée et d’une mémoire musicale exceptionnelles, il domine un très vaste répertoire, allant de Mozart aux compositeurs modernes. Appartenant à la religion bouddhique, il refuse toute commercialisation de son art et, peu satisfait des techniques actuelles d’enregistrement, il a réalisé peu de disques. Aussi n’a-t-il jamais accédé à la popularité auprès d’un très grand public. Il est également compositeur (4 Symphonies, un Concerto pour piano, etc.) mais s’oppose à toute exécution publique de ses oeuvres.

CELLIER (Alexandre), organiste, compositeur et musicologue français (Molièressur-Cèze, Gard, 1883 - Paris 1968). Élève d’Alexandre Guilmant et de CharlesMarie Widor au Conservatoire de Paris, il fut nommé en 1910 organiste de l’église réformée de l’Étoile à Paris. Il fut aussi inspecteur de l’enseignement musical. Il a composé des pièces pour orgue, de la musique de chambre et quelques oeuvres orchestrales. On lui doit des éditions d’oeuvres de Nicolas Bernier, Marc-Antoine Charpentier et Michel-Richard Delalande. Alexandre Cellier a publié plusieurs ouvrages sur l’orgue : l’Orgue moderne (Paris, 1913), l’Orgue, ses éléments, son histoire et son esthétique (Paris, 1933) et Traité de la registration d’orgue (Paris, 1957). CENCERROS. Instrument à percussion de la famille des claviers. Ce nom espagnol a été donné par Olivier Messiaen à des cloches de vache bombées disposées par rangs, pour former des jeux qui couvrent jusqu’à 3 octaves et demie. CENSURE. En ce qui concerne les écrits sur la musique, la censure ne se distingue pas de ce qu’elle est dans les autres domaines. Elle s’est notamment exercée envers les livrets d’opéras ou d’oratorios de la même manière et dans la même mesure qu’envers les pièces de théâtre, en fonction de directives soit politiques (par exemple, Rigoletto de Verdi, dont le sujet, pris au Roi s’amuse de V. Hugo, dut être transplanté dans un milieu différent), soit morales (par exemple, Pelléas et Mélisande de Debussy, dont deux mesures durent être enlevées parce que le texte faisait allusion au lit des amants). La censure était plus préventive que corrective (Da Ponte fait grand cas, pour faire jouer les Noces de Figaro de Mozart, des adoucissements qu’il a apportés au modèle de Beaumarchais). Sur le plan religieux, l’Église exerçait sa propre censure (à Vienne, la Création de Haydn fut interdite dans les églises à cause de la coloration maçonnique de son livret pourtant biblique), et la Réforme, surtout chez les calvinistes, se montrait très sourcilleuse dans la sur-

veillance des chansons profanes, dont elle dénonçait le caractère pervers, d’où les nombreuses « parodies » édifiantes qu’elles ont suscitées (Un jeune moine est sorti du couvent, de Roland de Lassus, devient ainsi Quitte le monde et son train décevant). En ce qui concerne la musique proprement dite, on peut plus difficilement parler de censure. On peut néanmoins considérer comme telle l’interdiction faite parfois aux Grecs de modifier les modes ou d’augmenter le nombre des cordes de lyre ; la décrétale Docta Sanctorum de Jean XXII (1322), condamnant sous des peines ecclésiastiques sévères (qui ne furent jamais appliquées) la déformation du plain-chant dans la polyphonie d’Ars nova ; les prohibitions de chants religieux sur thèmes profanes, notamment dans les messes polyphoniques qui ont suivi le concile de Trente ; l’interdiction à l’église du répertoire d’opéra ou de certains instruments comme le piano, qui entoura le Motu Proprio de Pie X (1903). Mais la véritable censure visant la musique en tant que telle ne s’est manifestée que comme corollaire des régimes totalitaires, qu’elle accompagne très fréquemment (interdiction des compositeurs juifs et de la musique « dégénérée » par Hitler vers 1937, décrets Jdanov contre la musique « bourgeoise » sous Staline en 1936, interdiction de la musique occidentale sous Mao Tsétoung en Chine, etc.). CENTRE DE DIFFUSION DE LA MUSIQUE CONTEMPORAINE (C.D.M.C.). Il a été inauguré à Paris en 1978. Plus de 6 000 oeuvres musicales (partitions et/ou enregistrements) peuvent y être consultées, les supports ayant suivi les évolutions les plus récentes de la technologie. Les oeuvres sont accompagnées de fiches techniques, des biographies des compositeurs, de leur catalogue. Après son installation à la Cité de la musique, le centre a ouvert en 1994 une section vidéo. Le C.D.M.C. est, en même temps, un outil de promotion qui publie une revue trimestrielle, Ostinato, organise des rencontres, des conférences et des concerts. Il a ouvert des antennes à l’étranger, au Japon et au Brésil notamment. CENTRE DE MUSIQUE BAROQUE DE VERSAILLES. Institution de production et de recherche

musicale créée en 1987. La première mission du centre est la reconstitution du cadre musical du château de Versailles, notamment par l’organisadownloadModeText.vue.download 175 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 169 tion de concerts et de spectacles dédiés à la musique des XVIIe et XVIIIe siècles. Un Atelier d’études et de recherches a la charge de retrouver, de restaurer et d’éditer les manuscrits musicaux de l’époque. La formation des interprètes au répertoire et aux techniques adéquates incombe à l’Atelier lyrique, au Studio baroque de Versailles, ainsi qu’à la maîtrise (les Pages de la Chapelle). Depuis sa création, le centre s’est doté d’un service de documentation informatisé, d’une bibliothèque, d’un département des arts de la scène (qui a abouti à la création d’une structure indépendante, le Théâtre baroque de France, dirigé par Philippe Beaussant). Il publie aussi une collection de disques. CENTRE D’ÉTUDES DE MATHÉMATIQUES ET AUTOMATIQUE MUSICALES (C. É. M. A. M. U.). Association de recherche musicale créée en 1972, sur l’initiative du compositeur Yannis Xenakis, qui en est le président, à partir d’un groupe qu’il fonda en 1966, dans le cadre de l’École pratique des hautes études, sous le nom d’Émamu, avec François Genuys et les mathématiciens Marc Barbut et Georges-Th. Guilbaud. La nouvelle association comprend, autour de son animateur et inspirateur Xenakis, des personnalités scientifiques de diverses disciplines, et bénéficie du soutien du Collège de France, du Centre national d’études des télécommunications et de la fondation Gulbenkian. Son objet est l’application des connaissances scientifiques modernes et des moyens techniques (ordinateur) à la composition musicale. Elle a produit des travaux et des séminaires de recherche, donné des enseignements, contribué à des réalisations musicales, et présenté au public, en 1980, l’U. P. I. C., une « machine à composer » permettant à tous de dessiner des sons en vue d’un projet musical. Elle

se consacre à des expériences sur la synthèse des sons par ordinateur, selon des postulats et des programmes qui diffèrent de ceux communément utilisés dans les autres studios (comme le programme Music V de Mathews). CEREROLS (Joan), compositeur catalan (Martorell 1618 - Montserrat 1676). Admis comme novice au monastère de Montserrat à l’âge de dix-huit ans, il n’en sortit pratiquement plus. Ses fonctions de maître de chapelle l’amenèrent à composer de nombreuses pièces de musique religieuse, surtout chorales, dont la renommée a largement franchi les murs de la célèbre abbaye. C’est notamment le cas de la Missa de Batalla, à trois choeurs. CERHA (Friedrich), compositeur et chef d’orchestre autrichien (Vienne 1926). Élève de Vasa Prihoda pour le violon et d’Alfred Uhl pour la composition à l’école supérieure de musique de Vienne, il a également étudié, à l’université, non seulement la musicologie, mais la philosophie et la philologie germanique. Violoniste, professeur à l’école supérieure de musique de Vienne à partir de 1959, il a séjourné à Rome en 1957, et fondé en 1958 l’ensemble de musique contemporaine Die Reihe, qui a joué à Vienne un peu le même rôle que le Domaine musical à Paris. On lui doit l’achèvement, ou plutôt l’orchestration, des parties manquantes du 3e acte de l’opéra Lulu d’Alban Berg. Comme compositeur, Cerha est parti des classiques du XXe siècle et des techniques sérielles issues de l’école de Vienne pour développer, à partir de 1956 surtout, un langage personnel qui privilégie la qualité du traitement des matériaux plutôt que des tendances puristes dans le choix de ces matériaux. Il a commencé à écrire dès 1942 (2 lieder pour soprano et piano sur des poèmes de Storm et Mörike), mais l’ouvrage le plus ancien qu’il retient habituellement est Deux Éclats en réflexion pour violon et piano (1956). On lui doit notamment : Espressioni fondamentali pour orchestre (1957) ; Relazioni fragili pour clavecin et orchestre de chambre (1957) ; Enjambements pour 6 interprètes (1959) ; Spiegel I à VII pour grand orchestre et bande magnétique (1960-1971), dont la première exécution d’ensemble a eu lieu au festival de la S. I. M. C. à

Graz, en 1972 ; Verzeichnis pour 16 voix a cappella (1969) ; Curriculum pour vents (1972) ; Sinfonie pour orchestre (1975) ; Double Concerto pour violon, violoncelle et orchestre (1973-1976) ; Baal, opéra d’après B. Brecht (1980, créé au festival de Salzbourg en 1981) ; Netzwerk, oeuvre scénique (1981) ; Keintate pour voix moyenne et instruments (1982) ; Requiem für Hollensteiner (1984) ; Concerto pour flûtes (1986) ; opéra Der Rattenfänger d’après Zuckmayer (Graz, 1987) ; Monumentum für Karl Prantl (Salzbourg, 1989), Quatuor à cordes no 2 (1991). ČERNOHORSKÝ ou CZERNOHORSKY (Bohuslav Matěj), organiste et compositeur tchèque (Nymburk 1684 - Graz, Autriche, 1742). Il est considéré comme le plus important représentant de la musique baroque tchèque. Fils d’un instituteur organiste, il étudia la philosophie à Prague, puis entra au noviciat. Père minorite en 1703, regens chori à l’église Saint-Jacques de Prague, il enseigna dans cette ville et en Italie, où il fut envoyé par son ordre. Le « Padre Boemo » eut comme élèves des musiciens tchèques tels que Zach, Seger, Tuma, Haza, mais aussi Tartini et Gluck. D’un an l’aîné de Bach, il semble avoir fortement contribué à l’évolution de l’orgue baroque. Malheureusement, sa musique d’orgue a pour l’essentiel été détruite dans l’incendie de l’église Saint-Jacques en 1754. De nombreuses copies d’oeuvres de Froberger, Muffat, Roberday semblent être de sa main, parmi d’autres originales. Ses oeuvres vocales le désignent comme un représentant de l’école vénitienne tardive, tout comme A. Michna d’Otradovice. CERRETO (Scipione), compositeur et théoricien italien (Naples v. 1551 - id. apr. 1631). Il s’imposa comme auteur de madrigaux. Ses oeuvres sont aujourd’hui en grande partie perdues, mais on a conservé trois précieux ouvrages théoriques qui touchent la vie musicale en Italie au début du XVIIe siècle, et principalement l’improvisation en style contrapuntique. Ce sont Della prattica musica (...) [1601], Dell’arbore musicale (...) [1608] et Dialogo harmonico (...) [Ire version, 1626 ; 2e version, 1631].

CERTON (Pierre), compositeur français ( ? v. 1510 - Paris 1572). Clerc de matines à Notre-Dame de Paris (1529), Certon entra à la Sainte-Chapelle en 1532 et y occupa successivement les fonctions de chantre, maître des enfants de choeur (v. 1542), chapelain perpétuel (1548). Malgré des tensions avec la hiérarchie ecclésiastique, dues à son indépendance de caractère, il obtint une prébende de chanoine à Notre-Dame de Melun (1560) et devint à la fin de sa vie le protégé du seigneur de Villeroy. Continuant d’utiliser les techniques de la messe-parodie du siècle précédent (Sur le pont d’Avignon, Le temps qui court, Dulcis amica), Certon ne saurait montrer, sur le plan de la musique religieuse, une originalité particulière. En revanche, dans le domaine de la chanson, malgré l’écriture traditionnelle de ses premières pièces (Amour est bien, Jetez-les hors) et le style parisien (Un vert galant, Ho, le vilain), son rôle est d’importance historique et son oeuvre très estimable. Il est, en effet, l’un des quatre musiciens - avec Janequin, Goudimel et Muret - à mettre en application dès 1552 le souci tant affirmé par Ronsard de la nécessité du retour à l’union de la poésie et de la musique à l’image de l’Antiquité classique. Participant à l’appendice musical (10 morceaux à 4 parties imprimées sur deux pages en regard) du recueil des Amours de Ronsard publiés chez la veuve De La Porte, avec deux sonnets (Bien qu’à grand tort..., I, 5 et J’espère et crains, I, 8), il pose le problème des rapports du texte et de la musique. Il adopte les principes avancés par les théoriciens de la Pléïade : découpage strophique, traitement syllabique du texte, écriture homorythmique afin de faciliter la compréhendownloadModeText.vue.download 176 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 170 sion des paroles chantées. La même année, il publia un recueil entier, Premier Livre de chansons dans ce style nouveau. Adaptées pour voix et guitare, ces chansons, qui parurent sous le nom de « voix de ville », représentent une étape de transition entre la chanson parisienne du début du siècle et l’air de cour.

CERVEAU (Pierre), compositeur français d’origine angevine (fin XVIe s. - début XVIIe s.). Il fut au service de l’évêque d’Angers Charles Myron, dédicataire du seul recueil qu’on ait conservé de lui : Airs mis en musique à 4 parties, publié chez la veuve Ballard et fils en 1599. Rappelant dans la préface de ses Airs que la chanson peut s’interpréter de plusieurs manières, Cerveau indique clairement que le terme d’air de cour, utilisé pour la première fois par A. Le Roy en 1571 (Livre d’airs de cour mis sur le luth) pour indiquer la transcription pour voix et luth d’une chanson polyphonique, s’applique aussi, à partir de 1597 (cf. Airs de cour... à quatre et cinq parties), aux airs à plusieurs voix. De ce fait, outre son recueil de 1599, on trouve des airs de cour de sa composition dans le troisième livre d’Airs mis en tablature de luth transcrits par G. Bataille (Ballard, 1611). Ajoutons que Cerveau fut influencé par le mouvement de musique mesurée à l’antique, dirigé par A. de Baïf et Th. de Courville dans le cadre de l’Académie de poésie et de musique créée en 1570. Citons enfin la présence de Cerveau à Troyes en 1604, époque où il contribua à la mise en musique des hymnes latines de L. Strozzi. Les chansons polyphoniques de Cerveau témoignent de la préférence accordée au superius, la partie mélodiquement la plus intéressante. Elles sont également de facture très élégante et peuvent compter parmi les meilleures de leur temps. CERVELAS. Instrument ancien de la famille des bois, à anche double, apparu à la fin du XVIe siècle. S’il ressemble vaguement à un gros saucisson - d’où son nom français -, le cervelas se présente plus précisément comme un cylindre de bois massif, de deux à trois fois plus haut que large, percé latéralement de petits trous ; un court pavillon émerge de la face supérieure, ainsi que l’anche parfois montée sur un « bocal » métallique recourbé. En fait, ce bloc est une véritable termitière, creusée d’un canal unique replié sur lui-même jusqu’à dix fois, de sorte que ce petit instrument trapu émet les mêmes notes graves que l’énorme contrebasson, avec moins de puissance toutefois.

CERVERI DE GERONA, troubadour catalan (XIIIe s.). Il fut tour à tour à la cour d’Aragon (Jacques Ier, Pierre Ier et Pierre III), d’Alphonse le Sage, d’Henri II de Rodez et de Ramon Folch VI de Cardona. On connaît de lui plus de 110 pièces (estampidas, retroensas ou descortz) ; sans doute a-t-il pratiqué les genres les plus rares des chansons de son temps. Les oeuvres de Cerveri de Gerona ont été éditées par Martin de Riquer : Obras completas del trovador Cerveri de Gerona (Barcelone, 1947). CESARIS (Johannes), compositeur français (fin XIVe s. - début XVe s.). Cité par Martin Le Franc aux côtés de Carmen et de Tapissier dans son Champion des dames (v. 1440), Cesaris ne nous est connu que par un motet isorythmique, une ballade et sept rondeaux. Il soumet ces derniers aux mêmes subtilités d’écriture que la ballade (changement de mesure, syncope, ornementation), empruntant parfois aussi au motet l’usage de deux textes différents. Mais il est bien difficile d’affirmer si les souvenirs de l’Ars nova sont chez lui des caractéristiques plus intentionnelles que la simplicité du double rondeau Pour la douleur/Qui dolente. CESTI (Pietro), compositeur et chanteur italien (Arezzo 1623 - Florence 1669). Baptisé Pietro, il se fit frère franciscain et adopta le prénom d’Antonio, mais il est connu surtout sous le nom de Marc’Antonio, d’où la confusion qui régna à son sujet de nombreuses années durant. Bien qu’il fût l’élève de Carissimi à Rome, terre de la cantate par excellence, son style est très influencé par l’école vénitienne, notamment dans le domaine théâtral. Sa vie privée ne fut pas toujours conforme à ce qu’auraient souhaité ses supérieurs ecclésiastiques, en particulier ses relations avec le poète Salvatore Rosa, dont les lettres ont fourni nombre de détails révélateurs. Maître de chapelle à Volterra (1645), membre de la chapelle pontificale à Rome (1659), il devint vice-maître de chapelle de la cour impériale de Vienne (1665), avant de revenir à Florence en 1668. Certains prétendent que Cesti mourut empoisonné. L’essentiel de son oeuvre consiste en créations pour le théâtre. La plus célèbre est l’opéra Il Pomo d’oro, représenté dans

des décors somptueux de Bernacini à Vienne, à l’occasion du mariage de Léopold Ier avec Marguerite d’Espagne (1666). Parmi ses autres ouvrages pour la scène, citons Cesare amante (1651) et Orontea (1656), tous deux créés à Venise, La Dori, son chef-d’oeuvre représenté pour la première fois à Florence en 1661 et donné ensuite dans toute l’Italie, suivi, en 1662, de la Serenata. Argia (1655) et La Magnanimità d’Alessandro (1662) furent créés à Innsbruck. En 1666, Cesti donna Il Tito à Venise et, enfin, à Vienne, Nettuno e la Flora festeggianti, suivi de trois autres ouvrages en 1667, La Disgrazie d’Amore, La Semirami et La Germania esultante. Cesti a également composé des motets, des airs profanes isolés et, surtout, des cantates pour 1 ou 2 voix qui sont importantes pour l’histoire de la forme, tout en offrant une haute valeur artistique. CÉSURE. D’abord terme de métrique, la césure est aussi, en musique, une pause à l’intérieur d’un motif, pause déterminée par la construction rythmique de la phrase. CHABANON (Michel Paul Guy de), écrivain, compositeur et violoniste français (Saint-Domingue 1729 - Paris 1792). Auteur d’un opéra (Sémélé) et de plusieurs pièces instrumentales dont une seule nous est parvenue, cet ami de Voltaire et de Rameau doit l’essentiel de sa notoriété à son activité d’homme de lettres. Il fut d’ailleurs élu à l’Académie des inscriptions et belles lettres en 1759, et à l’Académie française en 1780. Il a laissé deux tragédies, des traductions en prose de Pindare et Théocrite et d’intéressants travaux musicologiques qui commencent avec un Éloge de M. Rameau (1764) et s’achèvent sur De la musique considérée en elle-même et dans ses rapports avec la parole, les langues, la poésie et le théâtre (1785). CHABRIER (Emmanuel), compositeur français (Ambert, Puy-de-Dôme, 1841 Paris 1894). Né dans une famille bourgeoise implantée en Auvergne depuis plusieurs générations, il étudia, à six ans, le piano avec Manuel Zaporta, puis Mateo Pitarch. En 1852, ses parents s’installèrent à Clermont-

Ferrand, où il travailla avec le violoncelliste Tarnowski. Une de ses compositions, Aïka, polka mazurka arabe, fut imprimée à Riom. En 1856, il suivit ses parents à Paris, où, tout en poursuivant ses études classiques, il étudia le piano avec Édouard Wolff, tandis que Th. Semet, puis R. Hammer et A. Hignard lui enseignèrent l’écriture. Bien qu’il se sentît une vocation de compositeur, Emmanuel Chabrier sembla accepter sans révolte l’idée de suivre la tradition familiale en poursuivant des études de droit qui le menèrent au ministère de l’Intérieur, où il resta de 1861 à 1880. Peu après, il fréquentait le milieu parnassien et s’y liait avec Verlaine, qui lui fournit le livret de deux opéras bouffes, Fisch-Ton-Kan et Vaucochard et Fils Ier. Les poètes qu’il rencontra alors lui inspirèrent, en 1862, neuf mélodies. Cette même année parurent ses Souvenirs de Brunehaut pour piano. Mais un projet plus ambitieux devait le retenir à partir de 1867 : la composition d’un opéra en 4 actes sur un livret de H. Fouquier : Jean downloadModeText.vue.download 177 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 171 Hunyade. À cette époque, il se lia aussi avec les impressionnistes, dont il allait être l’un des rares et des plus avertis collectionneurs. Son ami Manet fit plusieurs portraits de lui. En 1876, Chabrier devint membre de la Société nationale de musique qui allait accueillir la plus grande partie de ses oeuvres. Son Larghetto pour cor et orchestre y fut créé en 1877 et, l’année suivante, son Lamento pour orchestre. En 1877, le théâtre des Bouffes-Parisiens avait créé son opéra bouffe, l’Étoile. L’opérette Une éducation manquée fut jouée en 1879 dans un cercle privé. L’audition de Tristan et Isolde à Munich, en 1880, bouleversa le compositeur. L’année suivante, son ami Lamoureux créa les Nouveaux Concerts et l’appela pour le seconder dans l’étude des oeuvres wagnériennes qui allaient former le fond de son répertoire. Le musicien venait de composer ses Pièces pittoresques pour piano. Un voyage à travers l’Espagne, au cours de l’automne de 1882, lui inspira España. Donnée en première audition par Lamoureux en 1883, cette oeuvre rendit

son auteur célèbre. Cette même année, il donna à la Société nationale de musique ses Valses romantiques pour 2 pianos. 1883 marqua un changement dans la vie de Chabrier. Désormais, il séjourna plusieurs mois, chaque année, à La Membrolle, petit village de Touraine, où il composa la majeure partie de son oeuvre. Après plusieurs tentatives lyriques infructueuses (Jean Hunyade, 1867 ; le Sabbat, 1877 ; les Muscadins, 1878), il composa Gwendoline, puis le Roi malgré lui. Mais ces deux oeuvres virent leur essor arrêté peu après leur création : le 10 avril 1886, à la Monnaie de Bruxelles pour Gwendoline, abandonnée après quelques représentations à la suite de la faillite du directeur ; le 18 mai 1887, pour le Roi malgré lui, à l’Opéra-Comique qui brûla une semaine plus tard. Quant à Briséis, Chabrier ne put l’achever pour raison de santé. Seul le premier acte fut joué après sa mort par Lamoureux (1897), avant d’être monté par l’opéra de Berlin, puis par celui de Paris. Sans l’amitié agissante de Félix Mottl - qui accueillit avec succès Gwendoline, en 1889, et le Roi malgré lui, en 1890, au théâtre de Karlsruhe, favorisant ainsi leurs entrées sur plusieurs grandes scènes d’outre-Rhin (Munich, Leipzig, Dresde, Cologne, Düsseldorf) -, Chabrier n’aurait connu que d’éphémères succès. Avant d’assister, impuissant, à la perte progressive de ses facultés, le compositeur écrivit encore quelques oeuvres radieuses où apparaissent les deux faces de son génie cocasse et tendre. Prélude et Marche française - qu’il rebaptisa Joyeuse Marche - fut créé en 1888 à l’Association artistique d’Angers, sous sa direction, avec Suite pastorale formée de quatre des Pièces pittoresques orchestrées, Idylle, Danse villageoise, Sous-Bois et Scherzo-Valse. En 1890, il publia une série de mélodies d’aspect tout nouveau, qu’il baptisa avec humour ses « volailleries ». Cette même année, il réorchestra la Sulamite vieille de six ans, et composa, pour l’inauguration de la maison d’un ami, l’Ode à la musique. Avec la Bourrée fantasque de 1891 confiée au piano - sur lequel il fut, au témoignage de tous, un remarquable virtuose -, il abandonna son papier réglé sur un chefd’oeuvre qui inaugurait une nouvelle manière de traiter cet instrument. Chabrier déroute. Comme son ami

Manet, il présente « plusieurs manières admirables d’être soi ». Ses volte-face déconcertent. À peine remis de l’audition de Tristan et Isolde, qui l’assombrit, et le fit douter de lui, il composa allégrement l’éblouissante España. Connu pour son fervent wagnérisme - Fantin-Latour le campa devant le piano au centre d’une grande toile que le public baptisa les Wagnéristes ; le pape du wagnérisme, Lamoureux, se l’attacha à la fondation des Nouveaux Concerts -, il aborda la composition par de désopilantes opérettes écrites en collaboration avec son ami Verlaine : Fisch-Ton-Kan et Vaucochard et Fils Ier. Il écrivit des oeuvres plus ambitieuses que ces tentatives de jeunesse, mais sans abandonner pour autant sa veine comique. Parallèlement à Gwendoline et à Briséis, drames lyriques wagnériens d’intention, surtout à cause des livrets de Catulle Mendès, il composa non seulement d’autres opérettes comme l’Étoile, Une éducation manquée, le Roi malgré lui - opéra bouffe transformé en opéra-comique à la demande de Carvallho -, mais également des pièces orchestrales comme la Joyeuse Marche ou des romances telles que la cocasse suite des « volailleries », ainsi qu’il nommait plaisamment la Villanelle des petits canards, la Ballade des gros dindons, les Cigales, la Pastorale des cochons roses. Ce ne fut pas par hasard que des musiciens des plus divers, voire les plus étrangers les uns aux autres, chérirent comme un père spirituel un compositeur si mobile dans ses expressions. Son influence se décèle dans les directions les plus opposées, chez Fauré comme chez Richard Strauss, chez Messager comme chez Satie, chez Ravel, qui le vénéra, et chez Debussy, qui pourtant était plus secret sur ses sources, mais dont le Pelléas rappelle Briséis, chez R. Hahn et chez M. de Falla, chez Milhaud, Poulenc, etc. Mais quel que fût le genre qu’il adopta, comique ou grave, léger ou dramatique, la rupture des styles reste de surface et n’affecte pas sa manière. En toutes circonstances réapparaissent des obsessions syntaxiques qui lui confèrent un visage très particulier, où la tendresse, le chatoiement harmonique, l’imprévu rythmique, l’ardeur, la naïveté, tout un monde de sensations captées dans l’allégresse se combinent subtilement.

Il n’aborda d’ailleurs pas les grandes surfaces. Point de symphonies, de poèmes symphoniques, de sonates comme chez ses amis de la Société nationale de musique qui gravitèrent autour de Franck. Chabrier fut un musicien sérieux, mais c’était un sérieux qui se cachait. Il ne joua pas les importants. La hiérarchie des genres, il l’ignorait et, de même que ses amis impressionnistes, Manet, Monet, Renoir, Sisley, Cazin, Sargent, dont les toiles, et des plus belles, illuminèrent son appartement, il traita avec une lucide conscience de courtes pages pour le piano comme l’Impromptu en ut majeur (1873) dédié - on pourrait dire symboliquement à Mme Manet, de petites pièces improprement appelées « pittoresques », la Bourrée fantasque ou des romances comme la troublante Chanson pour Jeanne, de même que ces peintres aimés donnèrent, par leurs vertus strictement picturales, de la noblesse à des sujets qui en principe n’en avaient guère : une serveuse de bar, une femme enfilant ses bas, une danseuse de café-concert... Cet autodidacte « écrivit » comme personne, avec la science cachée d’un maître déduisant avec sûreté l’effet recherché. Néanmoins, un départ relativement tardif dans la carrière musicale, un emploi de fonctionnaire au ministère de l’Intérieur, un enseignement musical dispensé hors des écoles patentées lui créèrent une réputation d’amateur. Lui-même ne fut pas sans en éprouver un obscur complexe. « J’ai peut-être plus de tempérament que de talent », confia-t-il trois ans avant sa mort. « De nombreuses choses que l’on apprend dans sa jeunesse, je ne les conquerrai plus jamais. » Sans doute regrettait-il cette aisance à composer qu’il observa chez tant de ses amis et camarades, Saint-Saëns, Massenet, Messager, Lecocq. « Je n’ai pas ce que l’on appelle de la facilité ! » soupira-t-il. Il est vrai qu’il travaillait minutieusement, au petit point, dans une trame serrée, où vinrent s’entrecroiser des éléments variés. On y trouve, et dès ses premières compositions, dès Fisch-Ton-Kan - avant un Fauré par exemple, plus long à se dégager de l’emprise tonale -, une utilisation très caractérisée des gammes modales. Les gammes défectives suivirent, comme par exemple dans la troisième des Valses romantiques. Wagner, Chopin, Schumann, qu’il a soigneusement étudiés, l’aidèrent

à se libérer de contraintes d’une écriture toujours pesantes à l’esprit. Enchaînements inusités de neuvième parallèles, frottements audacieux autant que délicieux, accords incomplets sont chez lui autant de piments. Sa nature tellurique, liée à son hérédité auvergnate, lui fit, comme il le disait plaisamment, « rythmer downloadModeText.vue.download 178 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 172 sa musique avec ses sabots d’Auvergnat » et pas seulement dans la Bourrée fantasque - et retrouver dans la polyrythmie espagnole un monde rythmique en liberté qui le confirmait dans sa voie. Et Berlioz, dont il avait réduit à quatre mains Harold en Italie en 1876, n’avait pu que renforcer sa tendance à rompre avec les carrures prévues. Ajoutons-y l’esprit léger, allusif, tout d’accentuation, en trompe-oreille, de la musique de nos grands clavecinistes, qui anime tant de ses oeuvres, telles les Pièces pittoresques et la Suite pastorale qui en découle. Quant à son génie de l’orchestration, plus que chez certains musiciens, dont Berlioz en premier lieu, sa source pourrait en être décelée sur les toiles de ses amis impressionnistes où la couleur prélevée sur le motif irradie avec une véhémence et une pureté sans précédent. De même, sa couleur orchestrale aux timbres sans mélange, ignorant les bitumes, a pu choquer ou surprendre, jusqu’à paraître « crue, voire outrancière », même un ami et admirateur comme Vincent d’Indy, encore que le coup de soleil d’España lorsqu’il éclata sous la baguette de Lamoureux sous un tonnerre d’applaudissements ait, et pour longtemps, chassé plus d’une ombre, dissipé bien des brumes, éclairant vers l’avenir un radieux paysage musical français. CHACONNE ou CHACONE (esp. chacona ; ital. ciacona). Forme de danse ancienne, peut-être d’origine mexicaine, venue d’Espagne au début du XVIIe siècle et généralisée dans toute l’Europe aux XVIIe et XVIIIe siècles. Très voisine de la passacaille, elle s’est souvent confondue avec elle. Il semblerait cependant que chacune ait conservé des particularités ( ! PASSACAILLE), même si

on trouve fréquemment les mêmes pièces portant, selon la copie ou l’édition, tantôt un titre et tantôt l’autre. Passée très tôt au répertoire du luth et de la guitare, puis au théâtre où Lully l’affectionne, parfois avec des parties chantées, elle y prend de grandes dimensions qui la font préconiser pour les finales d’opéra, jusqu’à Rameau et Gluck inclus. Dans ce cadre, la chaconne proprement dite sert généralement de refrain, et se prolonge par des couplets qui peuvent ne pas conserver ses caractéristiques. CHADWICK (George Whitefield), compositeur américain (Lowell, Massachusetts, 1854 - Boston 1931). Après des études à Boston, Leipzig (1877) et Munich (1879), il fut successivement, à Boston, organiste et professeur au New England Conservatory, qu’il dirigea de 1897 à 1930. Membre de l’École de Boston, il eut notamment comme élèves Horatio Parker et Daniel Gregory Mason. Il écrivit à Leipzig l’ouverture Rip Van Winkle, et devait, par la suite, largement rester fidèle à l’esthétique postromantique de sa formation germanique. Attiré par la musique à programme ou de caractère descriptif, il sut allier l’émotion (ouverture Melpomène, 1887) au pittoresque (poème symphonique Aphrodite, 1912) et à la verve typiquement américaine (Symphonic Sketches). On lui doit aussi le drame Judith (1901) et l’opérette burlesque Tabasco (1894). Il utilisa parfois les chants de la communauté noire, et dans la ballade symphonique Tam o’Shanter, d’après Burns (1915), ne recula pas devant certains « modernismes ». CHAILLEY (Jacques), compositeur et musicologue français (Paris 1910). Issu d’une famille de musiciens, successivement secrétaire général (1937), puis sous-directeur (1947) et enfin professeur d’ensemble vocal (1948) au Conservatoire national de Paris, professeur d’histoire de la musique à la Sorbonne et directeur de l’Institut de musicologie de l’université de Paris (1952), inspecteur général de la musique (1973), il a occupé des postes corporatifs importants (président du Comité national de la musique, 1962, de la Consociatio internationalis musicae sacrae, 1969, etc.) et sa carrière multiple a abordé presque tous les aspects de l’activité musicale. Chef de choeurs, il a été l’un des pre-

miers animateurs des chorales de jeunesse (Alauda, 1929) ; chef d’orchestre, il a dirigé à la Comédie-Française en 1944 (débuts de Raimu) ; il est directeur de la Schola cantorum depuis 1962. Depuis son accession à la Sorbonne en 1952, son activité d’exécutant s’est progressivement effacée devant ses tâches d’enseignement et de recherche. Il a écrit d’importants traités, souvent novateurs (Traité historique d’analyse musicale, 1950 ; Traité d’harmonie au clavier, 1977), étudié la musique médiévale (Histoire musicale du Moyen Âge, 1950 ; l’École musicale de saint Martial de Limoges, thèse de doctorat d’État, 1952), l’histoire de la théorie musicale (l’Imbroglio des modes, 1960 ; la Musique grecque antique, 1979 ; la Musique et son langage, 1996), et renouvelé l’exégèse de nombreuses oeuvres classiques et modernes, de Josquin Des Prés à Bartók et Messiaen (les Passions de Bach, 1963 ; la Flûte enchantée, 1968 ; Parsifal, 1979). Il a créé et développé une discipline nouvelle, la philologie musicale, à laquelle il a consacré de nombreux travaux (Éléments de philologie musicale, 1981). Transposant dans l’art visuel ses méthodes d’analyse musicale, il a également abordé l’exégèse d’oeuvres plastiques et picturales (Jérôme Bosch et ses symboles, 1978). Compositeur, Jacques Chailley a écrit de la musique de chambre (Quatuor à cordes, 1939 ; Sonate pour alto et piano, 1942), de la musique symphonique (Symphonie, 1947), un opéra (Thyl de Flandre, 1953), un ballet avec Jean Cocteau, la Dame à la licorne (1952), des mélodies et de nombreux choeurs (le Cimetière marin, 1980). Il est considéré comme l’un des principaux représentants d’une modernité non agressive, qui se veut continuatrice et rejette aussi bien la répétition stérile du passé que sa négation destructrice. La carrière de Jacques Chailley et le catalogue analytique de son oeuvre musicale (129 titres) et musicologique (359 numéros) sont relatés dans un livre publié en 1980 sous le titre De la musique à la musicologie. Il est membre de l’Académie royale de Belgique, de l’Académie des beaux-arts de San Fernando à Madrid, et a été plusieurs fois lauréat de l’Académie des beaux-arts de l’Institut de France. CHAILLY (Luciano), compositeur italien (Ferrare 1920).

Il a étudié le violon dans sa ville natale avec A. Boscoli, puis la composition à Milan avec C. Righini et R. Rossi avant de se perfectionner, à Salzbourg, avec Paul Hindemith et, pour la direction d’orchestre, avec A. Votto. Très vite intéressé par l’audiovisuel, il s’est occupé des programmes musicaux à la radio et à la télévision, et a été directeur artistique à la Scala (1968-1971), conseiller artistique au théâtre Regio de Turin (1972), directeur artistique de l’Angelicum de Milan (1973-1975), puis des Arènes de Vérone (1975-76), et directeur de l’organisation artistique de la Scala (1977). Il enseigne, en outre, la composition au conservatoire de Milan. Il a écrit, à ses débuts, beaucoup d’oeuvres instrumentales, mais a trouvé sa voie véritable à la scène, au théâtre. Ferrovia soprelevata (« Train surélevé »), écrit en collaboration avec Buzzati (1955), relève surtout du genre musique de scène, mais à partir de Una domanda di matrimonio (« Une demande en mariage »), d’après Tchekhov (1957), se succèdent de nombreux opéras, dont plusieurs « à succès » (Una domanda di matrimonio a connu plus de 200 représentations). Parmi eux, Il Canto del cigno (« le Chant du cygne »), d’après Tchekhov (1957), La Riva delle Sirti (« le Rivage des Syrtes »), d’après J. Gracq (1971), L’ldiota (« l’Idiot »), d’après Dostoïevski (1re représentation Rome, 1970), ou encore Sogno (ma forse no) [« Songe, mais peut-être, non »], d’après Pirandello (1975). On lui doit aussi Contrappunti a quattro dimensioni pour orchestre (1973), Kinder requiem (1977) et la Missa papae Pauli, dédiée à Paul VI (1964). Son fils Riccardo, chef d’orchestre (Milan 1953), a été nommé en 1982 chef permanent de l’Orchestre symphonique de la Radio de Berlin et, en 1986, a succédé à Bernard Haitink à la tête de l’orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam. downloadModeText.vue.download 179 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 173 CHALEMIE. Terme désignant une famille d’instruments du Moyen Âge, de tailles diverses, avec ou sans pavillon, qui obéissent aux mêmes principes que le hautbois (anche double, perce conique), dont ils sont l’ancêtre.

On appelle aussi chalemie des instruments plus primitifs à un, deux ou trois tuyaux. CHALIAPINE (Féodor), basse russe (Ometeva, province de Kazan, 1873 Paris 1938). Issu d’une famille très humble, ayant eu pour père un ivrogne, il eut une enfance difficile. Il chanta à l’église, puis participa à des représentations locales sans connaître la musique, fit de brèves études vocales, débuta à Tiflis, en 1893, dans le rôle de Méphisto de Faust de Gounod, puis fut engagé à Saint-Pétersbourg où il se familiarisa avec le répertoire français et italien. À partir de 1896, appartenant, à Moscou, à la compagnie privée du mécène Mamontov, il fréquenta l’élite littéraire et artistique russe et aborda les grands rôles du répertoire national. Il débuta au Bolchoï de Moscou en 1899, à la Scala de Milan en 1901 (dans Mefistofele de Boïto, avec Caruso, sous la direction de Toscanini), au Metropolitan de New York en 1907. À Paris, où il avait eu l’occasion de chanter en 1907, il remporta des triomphes, en 1908, au théâtre Sarah-Bernhardt, avec une troupe formée par Diaghilev, dans Boris Godounov, oeuvre alors encore peu connue hors de Russie, et que ce succès dans la capitale française contribua à imposer. En 1910, il créa à Monte-Carlo Don Quichotte de Massenet. Il regagna la Russie en 1917, mais la quitta définitivement en 1922. Il tourna, en 1933, le film de Pabst Don Quichotte (musique de Jacques Ibert) et fit ses adieux à la scène à Monte-Carlo en 1937, dans Boris Godounov. Sa voix était sonore mais de couleur très claire. Quoique doté d’une belle technique de chant, il tourna le dos au bel canto et imposa au théâtre lyrique des conceptions inspirées en partie du courant naturaliste et en partie du geste et de la parole larges des grands tragédiens, notamment russes, de son époque. Son style vocal relève souvent plus de la déclamation que du chant. Nul ne peut dire si un tel style, qui verse souvent dans ce qui nous semble être des exagérations calculées et contrôlées, serait ou non toléré par le public d’aujourd’hui. Les disques de Chaliapine surprennent parfois, mais ne constituent pas une pièce à conviction décisive, car son art consistait essentiellement en sa façon d’unir le chant et le geste. De plus, ainsi que le démontre

l’échec de tous ceux qui tentèrent de l’imiter, son autorité en scène, son rayonnement d’acteur servi par un art extrême du maquillage, faisaient admettre toutes ses audaces. Il marqua tout particulièrement de sa personnalité les rôles de Boris Godounov, de Dossifei dans la Khovantchina de Moussorgski, du meunier dans Russalka de Dargomyjski, de Méphisto dans Faust de Gounod et Mefistofele de Boïto, de Don Quichotte dans l’opéra de Massenet et de Basile dans le Barbier de Séville de Rossini. CHALLAN (Henri), compositeur et pédagogue français (Asnières-sur-Seine 1910 - id. 1977). Élève de Jean Gallon et de Henri Büsser au Conservatoire de Paris, premier second grand prix de Rome en 1936, il se consacra surtout à l’enseignement et fut nommé, en 1942, professeur d’harmonie au Conservatoire. On lui doit une symphonie, un concerto pour violon et d’autres pièces orchestrales - instrumentales et vocales. Son frère jumeau René, mort à Nevers en 1978, a suivi la même filière, mais a remporté le premier grand prix de Rome dès 1935. Directeur artistique de la firme phonographique Pathé-Marconi pendant 26 ans, il est l’auteur de trois symphonies, de plusieurs concertos et d’un opéra bouffe, Jörgen de Danemark, créé à Metz en 1960. CHALUMEAU. Ce nom a été indistinctement appliqué à divers types d’instruments à anche, et confondu avec chalemie. En fait, chalumeau désigne précisément un instrument en général très court, à anche simple et perce cylindrique, en usage en Allemagne et en Italie dans la première moitié du XVIIIe siècle. On conserve des instruments du même type, mais plus longs, montrant que le chalumeau peut être considéré comme un ancêtre de la clarinette. Le terme de chalumeau peut aussi désigner le registre grave de la clarinette, et, dans la cornemuse, le tube conique percé de trous qui fournit la mélodie. Dans le langage courant, on parle aussi de chalumeau pour désigner un pipeau pastoral fait d’un tuyau de paille ou de roseau. CHAMADE.

Disposition à l’horizontale des tuyaux de certains jeux d’orgue à anche. Le son, dans ces jeux, étant émis par l’extrémité du tuyau, cette disposition en renforce l’éclat pour les auditeurs. On place ainsi les deux ou trois jeux de la batterie d’anches, généralement au pied des tuyaux de la façade dont ils complètent l’effet décoratif. Cette pratique est propre aux instruments espagnols du XVIIIe siècle. Elle s’est peu répandue au-delà du monde ibérique, jusqu’au milieu du XXe siècle, où on la trouve assez souvent sur les grands instruments modernes. CHAMBRE (Musique de). Depuis le XIXe siècle, ce terme général s’applique à des oeuvres pour un petit nombre d’instruments solistes. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, avant la généralisation des concerts publics, il désignait une musique destinée à être exécutée chez un particulier, quel que soit son rang, par opposition à la musique d’église et à la musique de théâtre (cf. la distinction, v. 1700, entre la sonata da camera et la sonata da chiesa). La musique « de chambre » peut alors faire appel aux effectifs les plus divers et les traiter ou non en solistes ; elle peut être instrumentale ou vocale ; mécènes et, parfois, interprètes amateurs jouent dans son processus de production un rôle important. En France, sous François Ier, les musiciens au service du roi étaient répartis en trois groupes : ceux de la Chambre, de la Chapelle et de l’Écurie. Sous Louis XIII, la musique de chambre comprenait notamment deux surintendants et deux compositeurs, ainsi que la fameuse Grande Bande des 24 violons du Roy, fondée à la fin du XVIe siècle. Louis XIV créa en outre la bande des Petits Violons, ou Violons du Cabinet, associée à la Grande Bande en 1661, et la charge de maître de la musique de la Chambre du Roy. Les musiciens de la Chambre participèrent alors également à des concerts publics. Au milieu du XVIIIe siècle, la distinction entre musique de chambre au sens moderne et musique d’orchestre était encore assez floue : les quatuors pour orchestre de Johann Stamitz pouvaient, par exemple, être joués avec, par partie, soit un seul instrument soliste, soit plusieurs instruments, et le choix reste encore ouvert,

aujourd’hui, pour certains divertimentos de Mozart des années 1770 (K 136-138, K 287, K 334). Mais aux alentours de 1760, Haydn et Boccherini écrivirent, indépendamment l’un de l’autre, les premiers spécimens du genre qui devait tout d’abord dominer la musique de chambre, puis en quelque sorte la symboliser : le quatuor à cordes, avec ses quatre instruments solistes et son absence de basse continue. À partir de 1770 et surtout de 1780, Haydn et Mozart, auxquels il faut joindre une multitude d’autres compositeurs avec à leur tête Boccherini, écrivirent consciemment des symphonies pour orchestre jouées surtout par des professionnels d’une part, des quatuors à cordes ou des trios avec piano conçus essentiellement à l’usage des amateurs d’autre part (en ce qui concerne la musique de chambre au sens moderne, les oeuvres les plus anciennes du répertoire précédèrent donc de plusieurs décennies le terme générique). Bien que destiné en principe aux amateurs, le second type d’oeuvres ne le céda pas au premier en complexité, bien au contraire. Et la dédicace, en 1785, par Mozart de six grands quatuors à cordes downloadModeText.vue.download 180 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 174 à un autre compositeur (Haydn), la composition par Haydn en 1793 des premiers grands quatuors (op. 71 et op. 74) expressément destinés à une vaste salle de concerts publics (Hanover Square Rooms à Londres), ainsi que la fondation des premiers quatuors de professionnels (cf. le rôle joué à Vienne par le violoniste Ignaz Schuppanzigh), marquèrent en la matière la revanche du compositeur-créateur et de la salle de concerts, d’une part, sur l’interprète-amateur et, d’autre part, sur l’intérieur privé, ces derniers continuant néanmoins à jouer un rôle non négligeable dans la vie musicale. La situation devait rester à peu près la même tout au long du XIXe siècle, en particulier sur le plan de la production, avec les nombreux duos, trios, quatuors, quintettes, sextuors, septuors, octuors ou nonettes de Beethoven, Schubert, Spohr, Weber, Mendelssohn, Schumann, Brahms, Smetana, Dvořák, Tchaïkovski,

Franck, Saint-Saëns et bien d’autres. À noter toutefois que, pour des raisons aussi bien musicales que sociologiques, le quatuor à cordes en tant que tel perdit alors plus ou moins, au profit de la musique de chambre avec piano, la position en flèche qui avait été la sienne avec Haydn, Mozart, Beethoven et Schubert. Ce fut d’ailleurs moins une question de quantité, encore moins de qualité, que de moindre concordance avec le climat spirituel du siècle romantique. De ce siècle, l’instrument par excellence fut bien le piano, ce dont témoignent également les transcriptions alors réalisées pour piano, piano à quatre mains ou formations de chambre avec piano des symphonies et pièces diverses pour orchestre du répertoire classico-romantique. Ces transcriptions témoignent à leur tour qu’interprètes-amateurs et musique de chambre à domicile n’étaient pas morts, loin de là. La musique de chambre ne s’en installa pas moins solidement dans les lieux publics, ce qui se traduisit notamment par le phénomène de la « petite salle », par opposition aux grandes salles destinées aux orchestres symphoniques. Les frontières entre musique de chambre et d’orchestre, en principe bien étanches, étaient en fait plus ou moins perméables (cf. l’orchestration « musique de chambre » de la 4e symphonie de Brahms, et les sonorités « orchestrales » de ses sonates pour piano). Chez les compositeurs pratiquant les deux, comme Beethoven, les audaces harmoniques et formelles étaient fréquemment plus grandes dans la musique de chambre, conçue en partie au moins pour des interprètes, que dans la symphonie, destinée pour l’essentiel à des auditeurs. Dans le même ordre d’idées, on put souvent déceler chez l’auditeur (et a fortiori chez l’interprète-amateur) de musique de chambre une plus grande compétence technique, voire une meilleure perception auditive, que chez le simple habitué des concerts symphoniques. Tout cela aboutit, vers 1900, à une sorte d’éclatement. Mahler eut tendance à traiter en soliste chaque membre d’un orchestre aux effectifs très nombreux (trait de style qui devait largement caractériser le XXe s.) ; et Schönberg, avec la Nuit transfigurée (1899), fit relever la musique de chambre (il s’agit d’un sextuor à cordes) du genre poème symphonique, avant de faire scandale, en public, avec ses deux

premiers quatuors à cordes (op. 7 et op. 10) et sa symphonie de chambre op. 9, au titre symbolique. Avec cette dernière oeuvre (1906), la musique de chambre (quinze instruments solistes) lâcha les amateurs tout en rejoignant l’orchestre sur des terrains nouveaux qu’Alban Berg devait explorer à son tour (1923-1925) avec son concerto de chambre pour piano, violon et 13 instruments à vent. D’Alban Berg également, la Suite lyrique pour quatuor à cordes (1926) a pu être qualifiée d’opéra latent. Il y a eu depuis 1900 les quatre quatuors à cordes de Schönberg, les six de Bartók, les cinq d’Ernest Bloch, les quinze de Chostakovitch, les trois de Cristobal Halffter, le Livre de Boulez, Archipel II de Boucourechliev, les Sonatas de Ferneyhough, Ainsi la nuit de Dutilleux, mais l’évolution amorcée au XIXe siècle s’est poursuivie au XXe : dans la mesure où, aujourd’hui, le quatuor à cordes conserve une position en flèche, c’est autant sur le plan du prestige que de la production proprement dite. L’éventail de la musique de chambre s’est, en effet, considérablement élargi, avec comme résultat que cette notion supporte de moins en moins une définition dogmatique : en relèvent finalement ces oeuvres pour voix et quelques instruments solistes que sont Pierrot lunaire de Schönberg (1912) et le Marteau sans maître de Pierre Boulez (1953-54). Le critère essentiel serait-il la capacité non seulement de jouer et de s’entendre soi-même, mais aussi de se mettre en retrait et d’écouter les autres ? Ce sont là autant d’éléments inséparables, même s’ils n’appartiennent pas qu’à elle, de la « musique de chambre moderne », née avec la dialectique du thème juste avant 1789 et évoquant irrésistiblement la concurrence, ou, si l’on préfère, le dialogue. CHAMINADE (Cécile), pianiste et femme compositeur française (Paris 1857 Monte-Carlo 1944). À partir de 1875, elle mena une brillante carrière de pianiste. Elle composa de nombreuses pièces pour piano et des mélodies qui connurent une grande vogue dans les salons de la bourgeoisie, mais aussi de la musique de chambre, des pièces symphoniques et un ballet, Callirhoë (1888). CHAMISSO (Louis Charles Adélaïde de,

dit Adalbert von), écrivain et poète de langue allemande (1781 - 1838). Arraché par la Révolution à sa terre champenoise, Chamisso mena pendant longtemps, en Prusse, une existence besogneuse et précaire, jusqu’à ce qu’il réalise ses rêves d’enfant : devenir heureux père de famille, voyager, étudier. Explorateur (on le vit au Kamtchatka, dans le Pacifique), il a fui le monde littéraire de son temps pour se rapprocher d’une nature pure et simple, telle que, en bon disciple de Rousseau, il pouvait l’imaginer. Ses poèmes, tardifs, portent eux-mêmes la marque d’une droiture bourrue et tendre, parfois plate, toujours très proche du quotidien : qu’il chante des fiançailles vertueuses, l’art d’être grand-père ou le bonheur domestique, avec son cortège de joies et de deuils, ou qu’il s’aventure à considérer l’avenir, il prend toujours bien soin de ne pas écrire en dehors du droit sillon. Ce bon bourgeois éclairé n’a cependant trouvé la sérénité qu’après avoir exorcisé les errances, les maladresses, le ridicule maniaque, la tristesse, aussi, de sa jeunesse, dans son ouvrage le plus célèbre : Peter Schlemihl (1814). Ce conte, qui a fait beaucoup pour la popularité de son auteur, et où le héros, gaffeur éternel (tel est le sens du mot yiddish schlemihl), vend son ombre au diable, a inspiré à E. T. A. Hoffmann la matière de son conte les Aventures de la nuit de la Saint-Sylvestre. En musique, Chamisso n’a guère inspiré que Schumann (l’Amour et la Vie d’une femme), lequel d’ailleurs n’a tenu aucun compte des idées du poète sur le rôle subalterne de la femme dans le couple et a, au contraire, exalté sa capacité d’émotion. CHAMPAGNE (Claude), compositeur et pédagogue canadien (Montréal 1891 id. 1965). Il étudia le violon et le piano, puis entra au conservatoire de sa ville natale. D’abord influencé par la musique russe, ainsi qu’en témoigne son poème symphonique Hercule et Omphale (1918), il découvrit la musique française en 1919 et vint terminer ses études musicales à Paris avec Paul Dukas, André Gédalge, Charles Koechlin et Raoul Laparra. De retour au Canada (1928), il se consacra au développement de la vie musicale.

Professeur de composition au conservatoire et à l’université de Montréal (1930), puis directeur suppléant du conservatoire (1942), il eut la plus heureuse influence sur ses nombreux élèves et révéla à des musiciens tels Vallerand, Pépin, Papineau-Couture, Mercure l’art de Debussy, Fauré, Dukas et Ravel. Ses propres compositions, disciplinées, élégantes, pénétrées d’une lumière méditerranéenne, s’en réclament volontiers, downloadModeText.vue.download 181 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 175 tout en s’inspirant du folklore canadien (Suite canadienne [1928], Images du Canada français, Danse villageoise, Paysanne). À la fin de sa carrière, il se créa un langage plus personnel avec son Quatuor à cordes (1951) et Altitudes (1959) sur des thèmes d’origine huronne. Son oeuvre comprend essentiellement des partitions symphoniques (Symphonie gaspésienne, 1945) et concertantes (Concerto pour piano, 1950), des pièces pour choeur et orchestre et de la musique de chambre. CHAMPION DE CHAMBONNIÈRES (Jacques), compositeur et claveciniste français (Chambonnières-en-Brie entre 1601 et 1611 - Paris 1672). Fils et petit-fils d’organistes, il descendait, par sa mère, d’un fameux luthiste écossais. Son père, Jacques Champion, jouait de l’épinette à la cour d’Henri IV et de Louis XIII. Dès l’âge de onze ans, Chambonnières devint, lui-même, joueur d’épinette de la Chambre du roi, puis organiste de la chapelle royale. Il s’intéressa alors au clavecin, ce nouvel instrument aux sonorités plus puissantes et aux registres plus riches en contrastes que le luth, qu’il allait peu à peu éclipser. Chambonnières fut, en fait, le fondateur d’une méthode française de clavier et l’un des premiers représentants d’une authentique école de clavecinistes en France. À la mort de son père (1638), il obtint le poste de claveciniste du roi qu’il garda jusqu’à sa mort, malgré une période de disgrâce. Il semble que, vers 1654, il ait été au service de la reine Christine de Suède qui venait de renoncer à son trône. Ayant prétendu qu’il était de famille noble, il dut s’exiler aux Pays-Bas (1656-1662) et

s’installa à Amsterdam. Le jeu subtil et raffiné de Chambonnières lui a valu une réputation internationale. Ses compositions, toutes pour le clavecin, doivent encore beaucoup au style polyphonique des luthistes. Un certain nombre de ces pièces portent aussi des titres évocateurs qui vont marquer l’école française de clavecin (la Dunquerque, Madame la Reyne, le Tambourin des Suisses, l’Affligée...). Son oeuvre se limite à deux livres de pièces de clavecin (le premier date de 1670), mais ces pièces jettent les bases que vont développer ses successeurs. Les pièces sont groupées afin de composer des suites dans une même tonalité, certaines pouvant choisir le mode mineur ou vice versa par rapport à la tonalité principale. Il s’agit de danses (allemande, courante, sarabande, gigue) de la suite classique, auxquelles pouvaient s’ajouter une gaillarde, un menuet ou encore une chaconne. CHAMPS-ÉLYSÉES (Théâtre des). Théâtre parisien de 2 100 places qui aurait dû être construit sur les Champs-Élysées mais qui le fut avenue Montaigne tout en conservant sa dénomination d’origine. Son promoteur, Gabriel Astruc, plaça d’emblée sa programmation sous le signe de l’avant-garde : lors du concert inaugural, le 2 avril 1913, Saint-Saëns, Dukas, Debussy et d’Indy dirigèrent eux-mêmes leurs oeuvres. Le lendemain, la première représentation lyrique fut consacrée à Benvenuto Cellini de Berlioz (direction Weingartner), et le 15 mai y eut lieu la création mondiale de Jeux de Debussy, suivie le 29 mai par celle du Sacre du printemps de Stravinski. Le premier semestre 1914 vit la première parisienne de la version originale de Tristan et les premières françaises de celle des Maîtres chanteurs et de Parsifal. L’opéra ne réapparut au Théâtre des Champs-Élysées qu’en 1922 (représentations wagnériennes en italien), avec notamment, dans les années suivantes, la création de la version scénique du Roi David de Honegger (1924) et les visites de l’Opéra de Vienne (1924) et de Berlin (1937). Parallèlement furent donnés de très nombreux concerts symphoniques. Après 1945, le Théâtre des Champs-Élysées est resté un des hauts lieux de la vie musicale parisienne. Il a accueilli de très

nombreux concerts de la radio, ainsi que d’innombrables orchestres tant français qu’étrangers, et vu en 1952, dans le cadre du festival « l’OEuvre du XXe siècle », la création française de Wozzeck d’Alban Berg. Cette politique d’accueil a été poursuivie et approfondie par ses deux derniers directeurs, Georges-François Hirsch (1984) et Alain Durel (depuis 1990). CHANCE (Michael), haute-contre anglais (Buckinghamshire 1955). Il pratique le chant dès l’enfance dans le très renommé choeur du King’s College de Cambridge et commence sa carrière de soliste en 1983. Il interprète le plus couramment les opéras de Haendel et de Monteverdi (Tamerlano à Lyon en 1985, Ptolémée du Jules César de Haendel à l’Opéra de Paris en 1988, Israël en Égypte à la Scala), mais excelle également dans les rôles de haute-contre des opéras de Britten (Obéron dans le Songe d’une nuit d’été, la Voix d’Apollon dans la Mort à Venise). Il a aussi participé à la création de plusieurs oeuvres contemporaines, dont notamment l’Ophelia de R.R. Bennett (1988), écrite pour lui. CHANCY (François de), chanteur, luthiste et compositeur français ( ? v. 1600 - Versailles 1656). Remarqué par le cardinal de Richelieu, il devint maître de sa musique en 1631. Il occupa successivement les postes de maître de musique de la Chambre du roi (v. 1635), puis de la chapelle du roi (v. 1649). Il collabora à la réalisation des ballets de cour, s’occupant de la musique vocale comme ses collègues Vincent et A. Boesset (Ballet de la vieille cour, 1635 ; Ballet de la prospérité des armes de France, 1639 ; Ballet du dérèglement des passions, 1652), la musique instrumentale étant confiée, en général, à d’autres musiciens. François de Chancy composa également des chansons à boire et des pièces pour le luth seul. En effet, il fut contemporain du grand luthiste français Denis Gautier. D’autre part, il publia deux livres d’Airs de cour à quatre parties (1635, 1644). Dans l’intéressante préface du premier livre, l’auteur indique qu’il est l’auteur de la plupart des textes poétiques. Quelques-uns de ces airs prennent la forme d’un dialogue avec un refrain à 4 voix (Faut-il mourir sans espérance ?). CHANSON.

Qu’elle soit monodique ou polyphonique, la chanson savante en langue vulgaire représente la principale forme de composition musicale profane qui nous soit parvenue de toute la fin du Moyen Âge et de la Renaissance. Il faut la distinguer de la chanson populaire, qui se transmet de façon orale et échappe jusqu’au XVe siècle à la notation musicale (elle ne fait l’objet de collectes systématiques qu’à partir du XIXe siècle), même si elle intervient comme élément thématique dans la musique savante dès le XIIIe siècle. Historiquement, depuis le début de la notation musicale jusqu’à l’éclosion de la musique instrumentale qui marque la fin de la Renaissance, la chanson savante évolue considérablement, de la monodie sous-tendant un poème lyrique (fin XIe s.) à la polyphonie complexe des musiciens franco-flamands du XVIe siècle. On peut schématiquement distinguer trois grandes périodes dans l’histoire de la chanson savante : l’époque de la chanson monodique, dominée par la chanson des troubadours, puis des trouvères et des minnesänger, aux XIIe et XIIIe siècles ; la chanson polyphonique des XIVe et XVe siècles (Ars nova, Guillaume de Machaut, Ockeghem, Dufay, Josquin Des Prés) ; et la chanson de la Renaissance, au XVIe siècle (Janequin, Claude Le Jeune, Roland de Lassus). La chanson monodique. À la fin du XIe siècle, la poésie lyrique issue des tropes, des séquences et des hymnes, apparaît en pays d’oc avec les troubadours. Cette poésie très élaborée et raffinée demeure intimement liée à la musique ; elle est composée de vers destinés à être chantés - et sans doute aussi parfois mimés -, même si la musique ne nous en est pas toujours parvenue. En effet, les poèmes des troubadours ont été recueillis et notés, à partir de la fin du XIIIe siècle, dans des manuscrits collectifs appelés « chansonniers « ; mais sur la cinquantaine que nous en possédons pour les XIIIe et XIVe siècles, moins de la moitié seulement comportent un texte musical. Celui-ci indique avec précision downloadModeText.vue.download 182 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 176

le profil mélodique des chansons. Généralement destinées à une voix d’homme de tessiture moyenne, elles se déploient sur un ambitus plus étendu que le chant liturgique, faisant un plus large appel aux intervalles disjoints et aux altérations (il y est fait usage du bémol et du bécarre, ancêtre du dièse actuel). En cela, le chant des troubadours marque un progrès dans l’évolution de l’expression mélodique et se révèle comme véritablement moderne en son temps. Il constitue d’ailleurs la dernière forme occidentale de la monodie pure, libre, puisque, après l’éclosion de la polyphonie, toute ligne mélodique se réfèrera toujours, implicitement ou explicitement, à une harmonie sous-jacente. En revanche, la notation musicale des chansons des troubadours n’en fait pas apparaître la structure rythmique. La reconstitution de leur rythme est conjecturale et soulève encore d’ardentes polémiques parmi les spécialistes. La chanson n’exclut pas un soutien instrumental, largement attesté par les textes et l’iconographie ; mais celui-ci, qui devait sans doute doubler les parties chantées et apporter une assise rythmique par les percussions, n’a jamais fait l’objet d’une notation particulière, et on ne peut le reconstituer que de façon hypothétique. Développant tous les grands thèmes de l’amour courtois, chers à la grande société chevaleresque du XIIe siècle, les genres lyriques abordés par les troubadours peuvent être classés, selon Jean Beck, en deux familles principales : les chansons personnelles et les chansons narratives ou dramatiques. Parmi les premières, la chanson d’amour ou canso (chanson), la plus fréquente, la chanson politique ou morale, ou sirventés (sur des thèmes mélodiques déjà connus par ailleurs, qui par conséquent « asservissent » le poète - d’où son nom), l’ennui ou enneg (dépit amoureux ou social), la plainte ou planh (déploration sur la mort d’un personnage), le débat poétique, jeu parti ou tenso. Dans les chansons narratives ou dramatiques, on distingue l’aube ou alba (chant de séparation des amants au petit jour), les chansons d’histoire ou de toile (plaintes des jeunes filles sur leur sort), les romances (plus gaies et plus légères que les chansons de toile), les pastourelles (chansons légères mettant en scène des bergères) et les estampies ainsi que diverses formes de chansons à danser. La chanson de croisade

relève de l’une et l’autre des deux familles. Les trouvères et les minnesänger qui se développent au XIIIe siècle à la suite des troubadours, respectivement en pays d’oïl et en terre germanique, reprennent la thématique de la lyrique occitane. On retrouve chez eux les différents genres cultivés par les troubadours, avec, là aussi, une prédominance très marquée pour la chanson d’amour : la canso des troubadours devient le son ou sonet des trouvères et le liet (ou lied) des minnesänger - dont le nom signifie d’ailleurs précisément « chanteurs de l’amour ». Sur le plan de la forme, la chanson des troubadours, des trouvères et des minnesänger relève de quatre genres principaux : - le type litanie, succession de strophes de durée égale avec un élément de refrain (autonome ou repris de la fin d’une strophe) ; - le type séquence-lai, succession de strophes différentes chaque fois répétées ; - le type hymne, succession de strophes différentes dont certaines peuvent être répétées ; - le type rondeau, où un refrain est systématiquement repris en choeur. LA CHANSON POLYPHONIQUE. Alors qu’au XIIIe siècle disparaît la chanson monodique, liée à la culture chevaleresque, la polyphonie religieuse, apparue au début de ce même siècle, se développe au point de gagner le domaine profane. Dès le début du siècle, en effet, il n’est pas rare que la polyphonie religieuse à quatre voix emprunte ses troisième et quatrième parties (respectivement triplum et quadruplum) à des chansons, savantes ou populaires, à danser ou à boire, quand ce n’est pas la partie principale, le ténor, qui y fait appel (c’est ainsi qu’il y aura plus tard de nombreuses messes de « l’Homme armé », qui doivent leur titre à la chanson du même nom leur servant de support thématique). De la sorte, la chanson profane est entendue avec un soubassement polyphonique complexe qui en enrichit considérablement la matière et l’expressivité. Les compositeurs vont donc pouvoir procéder à l’inverse, partir d’une mélodie profane et lui donner des parties d’accompagnement - au nombre de deux, d’abord, au XIVe siècle, puis de trois et jusqu’à cinq au cours du XVe siècle.

Ainsi se cristallise au XIVe siècle, à l’âge de l’Ars nova, la cantilène ou chanson à trois voix, dont le génial représentant sera le poète et musicien Guillaume de Machaut. La composition part d’un poème auquel est associé la mélodie principale de la chanson, avec toute son ornementation et sa diversité expressive. C’est le superius, à quoi le compositeur adjoint une partie de ténor qui sert de base à la mélodie, et une partie intermédiaire de contreténor qui comble l’intervalle entre les deux voix extrêmes et enrichit le tissu harmonique. Mais contrairement à ce qui se produit pour le motet polyphonique, où les trois ou quatre parties sont chantées, parfois sur des textes différents, dans la chanson polyphonique, seule généralement la partie supérieure, la mélodie proprement dite, est alors chantée, les deux autres parties, beaucoup plus simples, étant exécutées sur les instruments. Grand poète et admirable virtuose de l’écriture, Guillaume de Machaut a laissé, à côté de 24 virelais monodiques, 9 virelais polyphoniques, 9 ballades, 21 rondeaux, 19 lais, une complainte et une chanson royale : corpus de plus de 100 pièces qui font de lui le maître de la chanson savante au XIVe siècle. Auprès de lui, ses contemporains pâlissent de son éclat : Jehan Vaillant, Jacob de Senlèches, François Andrieu. Le début du XVe siècle voit l’éclosion de la grande polyphonie franco-flamande et l’hégémonie musicale de la cour de Bourgogne. Gilles Binchois est alors le plus fameux représentant de l’art de la chanson polyphonique bourguignonne, avec 55 compositions. Plus novateur, son contemporain Guillaume Dufay marque un nouveau pas dans la conquête de l’expression poétique ; si ses chansons, d’un nombre supérieur à 80, sont pour la plupart des rondeaux à trois voix sur le modèle de ceux de Machaut, son art tend, néanmoins, à la mise au point d’une polyphonie à quatre voix d’égale importance. Pour ne conserver encore que trois voix, Johannes Ockeghem, à la fin du siècle, n’en adopte pas moins un type d’écriture d’une polyphonie sévère, à la trame extrêmement serrée ; ses 21 chansons font une part égale à chacune de leurs parties, comme dans les motets, et les trois voix sont chantées sur leurs paroles, sans doute doublées par des instruments.

Au cours du XVe siècle se sont également développées la bergerette, dérivée du rondeau sous l’instigation d’Antoine Busnois, et la chace, canon à trois voix à l’unisson. Toutes les formes musicales du XVe siècle allaient trouver leur achèvement, avec Josquin Des Prés. Ce dernier laisse plus de 60 chansons de trois à six voix (le plus souvent à quatre), où une extrême science de l’écriture s’allie à un grand lyrisme expressif. Compositeur européen, il a su opérer la synthèse de la science polyphonique des artistes du Nord - Ockeghem, notamment - avec la clarté mélodique des Italiens. Sa maîtrise du contrepoint est parfaite - il utilise six voix, en triple canon, dans la chanson Baisies moy ma doulce Amye -, mais il est tout autant attentif à illustrer au plus près le texte par la musique, ce qui n’était guère le cas d’un Ockeghem, par exemple. Auprès de Josquin Des Prés, il faut mentionner Antoine Brumel, Antoine de Févin, Pierre de La Rue, Loyset Compère, Jehan Mouton. LA CHANSON DE LA RENAISSANCE. Les années 1530-1560 connaissent l’essor de ce qu’on appellera la chanson de la Renaissance, et, plus particulièrement, de la chanson « parisienne ». Il est, en partie, dû au développement de l’imprimerie downloadModeText.vue.download 183 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 177 musicale des Parisiens Attaingnant, Du Chemin, et Le Roy-Ballard, et du Lyonnais Moderne, qui diffusent largement et par grande quantité chansons, messes et motets. C’est l’époque où l’écriture contrapuntique commence à s’effacer derrière l’harmonie, aux accords et enchaînements riches en tierces et en sixtes, qui en adoucissent l’éclat. Le maître de cette école est Clément Janequin ; en quelque 250 chansons, il se montre habile à suggérer et à décrire, dans une invention rythmique éblouissante et une grande précision prosodique (le Chant des oiseaux, la Guerre, le Caquet des femmes, etc.). Il est aussi typiquement un artiste de la Renaissance, poursuivant l’idéal des poètes contempo-

rains, avec, notamment, l’imitation de la nature et la recherche d’une expression de caractère théâtral, mettant en musique des textes de Marot, Melin de Saint-Gelais ou Ronsard. De Janequin, il faut rapprocher Pierre Certon, auteur de plus de 300 chansons de deux à treize voix. Son Premier Livre de chansons, publié en 1552, devait avoir une grande importance historique. En forme de vaudeville, cellesci concrétisent, en effet, l’avènement de l’écriture verticale, d’un style beaucoup plus simple que celle, encore très horizontale et contrapuntique, d’un Josquin Des Prés par exemple ; par ailleurs, elles sont fortement marquées par la chanson et la danse populaires. À ces courants d’influences s’ajoutent ceux que favorise, par l’imprimé, la diffusion des partitions musicales nouvelles, et particulièrement à cette époque celui du nouveau madrigal italien tel qu’il se développe alors sous l’influence des polyphonistes flamands travaillant dans la péninsule (Willaert, Cyprien de Rore). Ses traits dominants - primauté de la poésie, intensité de l’expression des sentiments humains, large usage du chromatisme viennent vivifier la chanson traditionnelle, et l’Européen Roland de Lassus, comme un siècle plus tôt l’avait fait Josquin Des Prés, réalise une admirable synthèse de tous ces courants divers. Ses nombreuses chansons françaises sont écrites pour quatre, cinq ou six voix, parfois davantage. Une dernière phase dans l’évolution de la chanson polyphonique peut être relevée lorsque, à partir de 1570 environ (date de la fondation de l’Académie de poésie et de musique, par Baïf et Courville), se répandent en France les recherches des poètes humanistes, qui tentent de renouer avec l’art (supposé) de l’Antiquité grecque et latine. Les musiciens - Claude Le Jeune, surtout, génial rythmicien, mais aussi Costeley, Goudimel ou Anthoine de Bertrand - s’inspirent des nouveaux vers français pour composer une « musique mesurée à l’antique », où le rythme musical est calqué sur le monnayage de durées prosodiques de la phrase poétique. Ils s’efforcent également de restaurer une écriture modale qui, pensent-ils, les relie à la musique grecque. Illustrant, notamment, les poèmes de Ronsard, ils vont mettre de plus en plus en vedette la partie supérieure de la polyphonie dont

les autres voix se cantonnent progressivement au rôle d’accompagnatrices. Au terme d’une évolution longue et continue, la chanson polyphonique disparaît donc d’elle-même, à l’aube du XVIIe siècle, alors que se manifeste une conception nouvelle de la musique - la musique « baroque » -, de l’harmonie, et qu’apparaît la musique instrumentale en tant que telle. Dans cette mutation, la chanson polyphonique débouchera naturellement sur l’air accompagné. Au XXe siècle, certains compositeurs français, manifestant par là leur goût pour la musique de la Renaissance, ont écrit des chansons polyphoniques : Debussy (Trois Chansons de Charles d’Orléans), Ravel, Schmitt, Poulenc, Milhaud, etc. CHANSON AU LUTH. Le terme proprement dit date du XVIe siècle, mais on trouve déjà au Moyen Âge un emploi primitif du luth pour accompagner la voix (G. de Machaut). C’est, en effet, au début du XVIe siècle que paraît, pour la première fois à Venise, dans des recueils de musique imprimée, le terme tablature de luth indiquant une version pour voix et luth d’une chanson polyphonique (Intabulatura de lauto de Fr. Spinaccino, 1507). Il s’agit de frottole, et d’autres compositeurs suivent cet exemple, tels Fr. Bossinensis, B. Tromboncino. Les premiers madrigaux à recevoir ce traitement sont ceux de Ph. Verdelot. La chanson au luth est pratiquée également aux Pays-Bas (Josquin Des Prés, J. Planson), en Allemagne, en Espagne (L. Milán, D. Pisador), en Angleterre - où la musique pour voix et luth est particulièrement florissante - et en France. Dans ce dernier pays, le genre apparaît pour la première fois, semble-til, dans une publication de 1529, chez P. Attaingnant. En 1571, A. Le Roy publie un recueil de grande importance historique : Airs de cour mis sur le luth, contenant une pièce célèbre de Cl. de Sermisy, intitulée Tant que vivray. Entre 1603 et 1643, date à laquelle meurt A. Boesset, un très grand nombre d’airs de cour pour chant et luth voient le jour, quelques-uns en forme de dialogue. À la même époque, en Angleterre, l’ayre atteint son apogée avec, notamment, J. Dowland, le chef de file de cette école. CHANSON DE GESTE.

Forme de récit épique du Moyen Âge. Les chansons de geste, datent, pour la plupart, des XIIe et XIIIe siècles, mais la plus célèbre d’entre elles est, sans doute, l’une des premières : la Chanson de Roland (fin XIe s.). Il s’agit de longs récits contant des exploits héroïques, par exemple un épisode tiré des croisades ou encore la geste de Guillaume d’Orange, celle-ci étant particulièrement développée. Le poème est divisé en sections de longueur variable appelées laisses ; il se chante sur une mélodie simple qui est répétée, mais à la fin, la mélodie bénéficie d’une modification, sorte de coda finale. CHANSONNETTE. 1. Titre donné au XVIe siècle à une chanson polyphonique imitée de la canzonetta italienne. 2. Diminutif ou sens péjoratif de la chanson. CHANSONNIER. 1. Terme désignant tout auteur de chansons et, plus spécialement, de textes de chansons. Mais on l’applique particulièrement à une certaine catégorie d’auteursinterprètes puisant leur inspiration dans l’actualité, appliquant les paroles de leur invention sur des airs en vogue et chantant leurs oeuvres satiriques sur des scènes de cabaret. Béranger, Nadaud furent de célèbres chansonniers. 2. Nom donné à tout recueil, imprimé ou manuscrit, musical, comportant soit le texte seul, soit le texte et une notation de chansons profanes du Moyen Âge émanant de divers auteurs. Il peut s’agir de recueils d’oeuvres de trouvères ou de troubadours ou, au XVe siècle, de recueils de chansons à une ou plusieurs voix. CHANT. Le chant, une des expressions orales de l’homme, demeure le reflet de chaque ethnie et de son évolution. Ainsi que le chant dit « classique », le chant qui relève des traditions orales exige parfois un apprentissage minutieux dont témoignent les chanteurs de ragas aux Indes, les griots de l’Afrique noire, etc. Mais le genre qui nous intéresse ici, lié au développement

d’une musique élaborée, souscrit en toutes circonstances à des préoccupations communes : destiné à traduire par la voix une partition musicale plus ou moins immuable, le chant, en dehors de toute considération technique ou artistique, doit répondre à des exigences de constante audibilité et d’élocution intelligible, ces facteurs tenant compte de l’acoustique du lieu et de l’utilisation de la voix soit en solo, soit soutenue par un ou plusieurs instruments de musique. Les données essentielles de cet art bien policé n’ont pas subi de bouleversements fondamentaux depuis le XVe siècle, quand bien même les moyens de parvenir à de mêmes fins diffèrent encore selon le milieu, la culture, la langue et tous les éléments qui conditionnent les facultés downloadModeText.vue.download 184 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 178 d’audition du chanteur, celles-ci déterminant évidemment sa capacité de reproduction de sons connus. L’apprentissage du chant est, en effet, quelque peu semblable à la conquête de la parole par le nouveauné. Certains principes physiologiques identiques et immuables gouvernent donc l’émission vocale du chant et précèdent toute spécialisation, que ce chant soit ensuite plus particulièrement orienté vers le théâtre, le lied, l’oratorio, etc. Depuis l’Antiquité, et quel que fût son objet (art profane ou sacré, acte cultuel ou divertissement), le chant s’est toujours réclamé de l’une ou l’autre de deux conceptions opposées : il peut être un geste vocal pur, chant vocalisé sans paroles, de caractère incantatoire ou hédonistique (dit chant mélismatique), plus particulièrement lié aux civilisations magiques latines et orientales, type auquel se rattachent par exemple le chant de la synagogue et du temple, les lectures ornées du Coran, le chant flamenco ou les coloratures de l’opéra italien. Il peut, au contraire, se mettre au service de la transmission intelligible d’un texte (on le nomme alors chant syllabique, c’est-à-dire une note par syllabe) et se présente comme une sorte de récitation chantée. Cette seconde conception est davantage celle des civilisations rationnelles et nordiques, plus essentielle dans le lied germanique et la mélodie, dans la lecture des textes scripturaires de

la liturgie, dans le Sprechgesang et ses prolongements au sein de l’opéra moderne. Elle est néanmoins également à la base du récitatif de l’opéra classique. Bien que ces choix relèvent avant tout de l’évolution de l’esthétique des genres lyriques, les interférences inévitables entre les deux conceptions ont considérablement influencé l’évolution du chant jusque dans sa technique même. Cet antagonisme entre « son » et « verbe », véritable pierre de touche des exercices du culte en tous lieux et en tous temps, fut notamment ressenti par l’Église chrétienne qui, tout en entretenant un enseignement vocal dont se réclamèrent plus tard les premiers chanteurs d’opéra, manifesta une méfiance vigilante envers les pouvoirs expressifs du chant : on en vint donc à observer une distinction stricte entre la récitation quasi syllabique des textes sacrés essentiels, d’une part, et, de l’autre, la libération jubilatoire des officiants, qui, par un effet de compensation inévitable, en vinrent à orner par d’interminables vocalises le chant du kyrie et surtout de l’alleluia. Dans le domaine de la musique profane, une luxuriance vocale tout à fait comparable est attestée par le traité de l’Espagnol Diego Ortiz (Rome, 1553), qui enseignait avant tout aux chanteurs comment composer eux-mêmes leurs variations et passages de virtuosité. Les mêmes tendances laissent des traces dans l’écriture des madrigaux pour voix soliste exécutés par de véritables professionnels du chant lors des fêtes princières de la fin du XVIe siècle en Italie, lorsque le triomphe définitif de la monodie accompagnée sur la polyphonie eut fait du chant le moyen primordial d’expression des compositeurs modernes. EN ITALIE, JUSQU’À ROSSINI. Auteur et interprète de plusieurs de ces madrigaux, Giulio Caccini énonça les objectifs de ce nouvel art dans les deux préfaces qu’il écrivit pour ses Nuove musiche (1602, 1614) : se faisant le porte-parole des humanistes florentins et romains des camerate (v. Camerata fiorentina), il posa la définition d’un recitar cantando (« dire » en chantant), récitatif très mélodique et volontiers ornementé permettant la compréhension du texte sans négliger pour autant la beauté du chant. Cette façon de favellare in armonia (raconter par les sons) se réclamait d’une voix ferme, riche, et de l’attaque du son bien ample. Il préconisait

une grande liberté rythmique (la sprezzatura), l’emploi de toutes les nuances de coloris et de dynamique, ainsi naturellement que la maîtrise d’une parfaite virtuosité dans la vélocité, l’exécution des différentes espèces de trilles, mordants, gruppi, esclamazioni, etc., à l’usage de tous les types de voix « afin de se rapprocher au mieux du sens des mots et du goût ». Néanmoins, alors que Luzzaschi avait fait vocaliser la célèbre Vittoria Archilei (1550-1618) sur plus de deux octaves, Caccini préconisait généralement des tessitures plus restreintes, bien que, à son époque, la basse Melchior Palantrotti ait témoigné d’une extrême agilité sur une tessiture étendue (ré1-fa3), cependant que la voix aiguë masculine, rarement sollicitée au-delà du sol 3, correspondait, en fait, à celle du baryton actuel. Enfin, cette buona maniera di cantare faisait obligation aux interprètes d’improviser leurs propres « passages » de virtuosité en fonction du style et des « points d’orgue » que leur ménageaient les auteurs. Cette double exigence de technique vocale et de science musicale fut particulièrement assumée par les castrats, grâce à leur formation musicale sans équivalent, plus encore qu’à la nature de leur voix. Monteverdi confia au castrat Giovanni Gualberti le rôle titulaire de son Orfeo (1607), oeuvre où il appliqua les principes de Caccini : un sobre recitar cantando suffit à narrer la mort d’Eurydice, tandis que c’est par la magie d’un chant très orné qu’Orphée charme les divinités infernales (aria Possente spirto). Confirmant le caractère, en quelque sorte abstrait, que revêtait alors le chant, il confia encore à un castrat le rôle de Néron dans le Couronnement de Poppée (1642), tandis qu’une voix aiguë masculine y incarnait une femme âgée : la notion de correspondance entre un type de voix et un caractère ne devait apparaître que bien plus tard. Avec l’art de Baldassare Ferri (16101680), la virtuosité vocale atteignit le même niveau de perfection que les vertus expressives du chant, jusque-là tenues pour l’essentiel, et c’est cette virtuosité qui devint l’élément prédominant de ce que nous nommons aujourd’hui le bel canto, dont Pier Francesco, dans son Traité (1723) posa ainsi les principes : une technique identique pour tous les types de voix, un chant ferme et assuré, et un sain usage de toute l’étendue vocale, le chanteur devant se garder aussi bien de

rechercher la puissance des notes aiguës que de détimbrer les notes graves par l’usage inconsidéré du fausset au-dessous de sa limite naturelle. En rappelant que « plus la voix monte vers l’aigu, plus les sons doivent être attaqués avec douceur », et que le mélange des registres était le seul moyen d’obtenir un chant modulé à l’infini, Tosi enseigna comment « utiliser les premières résonances de tête, dès le bas médium de la voix, afin que les dernières résonances de poitrine disparaissent audelà du mi 3 (le ré de notre diapason actuel), car c’est le fausset qui domine audelà ». Notons qu’il convient d’entendre ce terme fausset, non comme l’actuel falsetto, mais comme le falsettone ainsi défini par la phoniatrie moderne. Enfin, il reconnaissait néanmoins « la voix de tête comme plus apte à l’agilité » (c’est seulement avec Rossini que l’exécution des coloratures en bravura, c’est-à-dire en pleine voix, fut adoptée) et recommandait naturellement « l’étude des valeurs longues et lentes avant celles de la virtuosité et de l’interprétation ». Il ne fut guère écouté, en revanche, lorsqu’il préconisa une agilité qui fût propre au chant et qui différât du style instrumental, autre objectif qui ne fut atteint qu’à l’époque de Mozart ou de Rossini. En effet, avec Haendel et ses contemporains, l’art des castrats avait atteint son apogée dans une débauche de virtuosité au caractère purement instrumental. Cette perfection portant en elle-même un élément de saturation et de rupture, ces chanteurs en revinrent à cultiver à nouveau l’art de l’expression et du pathétique, et ils laissèrent peu à peu à d’autres types d’interprètes le soin de maintenir le flambeau de cette virtuosité. Haendel et Hasse s’intéressèrent à la voix de ténor, et le premier fit largement appel à l’agilité de basses telles que Montagnana, et, surtout, Giovanni Boschi, doué d’une belle étendue vocale (ré1-fa3), mais apporta tous ses soins à l’émancipation de la voix féminine qu’allait réhabiliter le XVIIIe siècle : interdites de séjour sur les scènes des États pontificaux en Italie, en raison de leurs moeurs relâchées, les cantatrices recevaient, au contraire, à Londres downloadModeText.vue.download 185 sur 1085

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un accueil favorable. La voix de contralto de Francesca Vannini-Boschi fit merveille dans Rinaldo de Haendel en 1711, puis Antonia Merighi et surtout Vittoria Tesi (1700-1775) imposèrent davantage ce type vocal ; Hasse écrivit pour cette dernière cantatrice dans un registre véritablement approprié (sol2-fa4). Pourtant, le phénomène caractéristique plus particulier du chant haendelien fut l’intérêt sans précédent que le compositeur prêta au registre aigu des castrats et des sopranos. Et encore les textes écrits ne nous fournissent-ils qu’une idée relative des possibilités réelles de ces interprètes, qui donnaient leur véritable mesure dans les « embellissements » apportés aux arias, et notamment dans le da capo de ceux-ci, précisément destiné à mettre en valeur les possibilités les plus originales de chacun d’entre eux. De la célèbre Faustina Bordoni-Hasse (env. 17001781), une soprano grave habituellement limitée au sol 4, Haendel exigea parfois le si bémol 5, cependant qu’il écrivit le do 5 pour sa rivale Francesca Cuzzoni (1700-1770), une cantatrice qui, la première, mit vraiment en valeur les caractères de pureté et d’expressivité propres à la voix féminine aiguë. Gluck, dans ses premières oeuvres, puis Piccinni usèrent avec bonheur de cet engouement nouveau, alors même que, par un effet contraire, les castrats recherchaient dans la richesse de leur registre central des ressources insoupçonnées, car, ainsi que le remarque Rodolfo Celletti (La Vocalità, in Storia dell’ opera, Turin, 1977) « une des lois du XVIIIe siècle voulait que le chant expressif requière des voix de tessiture moins étendue « : un siècle plus tard, nous le constaterons, le chant wagnérien et vériste allait souscrire à cette théorie. Ayant désormais le champ libre, les sopranos rivalisèrent en exploits souvent gratuits et se lancèrent à la conquête des sons adamantins d’un registre suraigu que nul ne leur disputait : on vanta la qualité du chant de Brigida Banti ou bien les cas exceptionnels de l’Anglaise Élisabeth Billington (1766-1818), qui, à Naples et à Vienne, fit acclamer son étendue vocale de trois octaves (la2-la5), ou du contralto russe Ouranova, qui pouvait aussi chanter le rôle très élevé de la Reine de la Nuit dans la Flûte enchantée de Mozart ! Mais les spécialistes de ce type de chant se regroupèrent autour de l’école viennoise : l’Allemande Gertrud Mara (1749-1833) et Anna de Amicis (1733-1816), pour qui

écrivit Mozart, atteignaient le mi 5, Élisabeth Wendling et la Polonaise Antonia Campi (1773-1822) le fa ; Mozart, toujours, écrivit fréquemment cette note, notamment pour sa belle-soeur Josefa Weber, qui créa le rôle de la Reine de la Nuit, pour Francisca Lebrun-Danzi (1756-1791), qui donnait le sol 5 (une note qu’en France Grétry requiert également dans Renaud d’Ast) et pour Aloysia Lange Weber, à l’intention de laquelle il composa l’air Popoli di Tessaglia, une page dont la tessiture aiguë n’a jamais été dépassée. Enfin, Mozart entendit en Italie la fameuse Lucrezia Agujari (dite la Bastardella, 1743-1783) gravir la gamme jusqu’au do 6, seulement égalée au XXe siècle par Erna Sack et par Mado Robin. Mais cette aventure particulière se développa, en fait, à contre-courant par rapport à l’esthétique dominante. Si les schémas essentiels du bel canto régissaient encore l’oeuvre vocal de Haydn, de Cimarosa et de Mozart, celui-ci, particulièrement sensible aux courants réformistes réclamant un chant « plus naturel », réduisit la liberté d’ornementation habituellement concédée aux interprètes, assigna volontiers une fonction dramatique à la colorature et commença à définir une correspondance entre les caractéristiques de timbre et de tessiture des voix et l’âge, le sexe, le caractère des personnages. Dans cette typologie, la voix de ténor, encore mal définie, trouva son meilleur emploi avec les rôles de jeune premier, un amoureux encore timide, généralement un type de ténor grave, virtuose au timbre parfois assez dramatique, s’opposant déjà au castrat, symbole évident de l’abstraction théâtrale : c’est en 1774 qu’avaient précisément paru les fameuses Réflexions de G. B. Mancini, très important théoricien de l’art vocal, où celui-ci déplorait la baisse de qualité musicale de l’enseignement du chant, la décadence de l’art des castrats, et, le premier, il se pencha sur les données physiologiques de la voix. EN FRANCE. Une véritable école de chant ne s’y affirma guère avant la fin du XVIIe siècle, l’exécution des airs de cour et des oeuvres religieuses n’exigeant jusque-là ni ambitus important, ni coloratures, ni endurance vocale particulière. Le premier pédagogue de renom, Pierre de Nyert (1597-

1682), n’est encore souvent mentionné que comme « chantre », bien qu’il ait puisé sa science auprès de maîtres italiens et transmis son enseignement à Michel Lambert, lui-même beau-frère de Mme Hilaire Dupuy, première cantatrice française de renom, et beau-père de Lully. Ce Florentin naturalisé français, comprenant néanmoins le parti à tirer d’une méfiance certaine contre le chant italien, attisée, en France, par les factions politiques hostiles à Mazarin, tenta au contraire de calquer un nouveau type de chant non sur la parole elle-même, mais sur la déclamation théâtrale, s’inspirant étroitement de la récitation de l’alexandrin racinien pour modeler un récitatif lyrique lent et mesuré, exempt de toute fioriture, au déplaisir des cantatrices, mais à la satisfaction d’un chanteur comme Beaumavielle († en 1688), réputé pour sa très belle voix de basse, mais qui chantait, dit-on, sans école, sans nuances, et soutenait exagérément des notes aiguës presque criées. De telles critiques permettent de mesurer les carences techniques de ce style que les Italiens surnommèrent bientôt urlo alla francese, ou « l’école du cri », termes déjà appliqués aux comédiens français. Pourtant, un phrasé plus musical allait peu à peu s’instaurer, mieux servi par les voix aiguës masculines, tailles et ténors hautes-contre. Ces derniers usaient d’une méthode de mélange des registres, assez voisine de la conception italienne, et leurs voix souples étaient plus particulièrement prisées dans la musique religieuse (M. A. Charpentier, M. R. De Lalande, Couperin, etc.). Mais ce fut, en fait, avec Marthe Le Rochois (1650-1728) que prit naissance une école véritable, dont devaient bientôt sortir les futurs interprètes de Rameau, dans l’oeuvre duquel s’opéra une judicieuse synthèse entre le récitatif d’origine lullyste, qui épousait désormais la musicalité de la langue chantée (et non plus de la déclamation récitée), et les italianismes introduits dans l’opéra français par l’intermédiaire de Campra, Mouret, etc. Le style vocal de Rameau, qui apparaît aujourd’hui comme le plus sûr ancêtre de l’arioso* wagnérien, comportait néanmoins des arias dont la noblesse n’excluait pas la présence de la virtuosité (cf. le rôle de Phèdre dans Hippolyte et Aricie). Ce style exigeait de grandes et belles voix, comme en possédait Marie Antier (1687-1747), la créatrice de Phèdre, ou, dans les emplois plus légers, la célèbre Marie Fel (1713-1794). Il réclamait des tessitures masculines très longues :

plus de deux octaves pour la voix de basse, cependant que le ténor Pierre Jelyotte (1713-1797) imposait un chant presque italianisant. Cumulant même les emplois de taille et de haute-contre, il dépassait sans doute le do 4 dans Zoroastre (1749). La colorature italienne pénétra dans l’opéracomique de Philidor ou de Grétry, dont les interprètes féminines, Marie Jeanne Trial et Mme Laruette, étaient précisément des transfuges de la Comédie-Italienne. Une certaine confusion régna toutefois longtemps dans ce genre, quant aux tessitures masculines : Clairval, Martin, Elleviou se partageaient des emplois dont on ne saurait dire s’ils étaient destinés au ténor ou au baryton, type vocal nouvellement apparu, qui se présentait comme une variante, en plus grave, de la voix de ténor. L’opéracomique faisait, d’ailleurs, appel à des emplois se définissant davantage en termes de théâtre qu’en termes de voix : des interprètes célèbres, Antoine Trial, Jean-Louis Laruette, Rosalie Dugazon, dont les deux premiers possédaient des voix de qualité notoirement médiocre, laissèrent leur nom à des types d’emplois de comédie dans le répertoire lyrique léger, et non à des types vocaux. downloadModeText.vue.download 186 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 180 En revanche, dans ses dernières oeuvres tragiques, l’Allemand Gluck, venu se fixer en France, tendit à imposer un chant large et déclamé, sans fioritures, excluant même l’emploi des notes aiguës chez la femme. Toutefois, malgré de salutaires interférences entre les différentes écoles, le chant français demeurait sans comparaison possible avec le chant italien, et le musicologue anglais Charles Burney déplorait avec véhémence, en 1770, la façon dont les chanteurs de notre pays forçaient leurs voix, criaient et usaient de sons détimbrés, cela, affirmait-il, « faute d’école, car leurs voix sont naturellement très belles ». À la suite de Gluck, les Italiens Cherubini et Spontini allaient mieux réaliser une première tentative de fusion entre ce chant déclamé et la veine mélodique, qu’ils avaient héritée de leur pays natal, apportée en France, et qui allait heureusement influencer les auteurs français, tels que Mehul et ses successeurs.

LE RÈGNE DE ROSSINI. Le brassage des tendances européennes, qu’accentua l’aventure napoléonienne, favorisa l’osmose entre les mérites de chaque école. Bien avant que Rossini n’en opérât une magistrale synthèse, était parue en 1804 à Paris la Méthode de chant du Conservatoire, due apparemment à un Italien, Bernardo Mengozzi (1758-1800), formé à l’école des castrats, dont il préconisait la technique, l’associant aux impératifs de déclamation et d’expression propres à l’opéra français. Mengozzi influença sensiblement l’écriture des auteurs d’opéracomique, en particulier de l’école dont Boieldieu fut le chef de file. Les principes techniques de Tosi et de Mancini y étaient mieux explicités (notamment le principe essentiel de la respiration abdominale, qui, par l’écartement des côtes, laisse le ventre plat), cependant, en adaptant la terminologie italienne aux principes cartésiens des Français, Mengozzi définissait comme « voix de milieu » (ou mixte) la zone médiane de la voix où sont intimement mêlés les registres dits de poitrine et de tête. Et, tandis que le chant italien faisait d’autant plus facilement souche en France qu’aucun courant nouveau n’y apparaissait plus, Rossini s’imposait à toute l’Europe, non seulement comme le seul grand auteur lyrique des trente premières années du siècle, mais aussi comme un théoricien soucieux de concilier les problèmes esthétiques, éthiques et techniques du chant. Tout en regrettant, sur le plan musical, la disparition des castrats, devenue effective en une vingtaine d’années, et qui, selon lui, portait un coup fatal au bel canto sinon au chant en son entier, Rossini en prit acte, et, pour combler cette lacune, il donna ses véritables lettres de noblesse au contralto féminin, déjà mis en valeur par Paisiello et Cimarosa, mais surtout par Zingarelli, Mayr, Paër, etc. Cette voix, qui conservait du castrat une certaine ambiguïté, un caractère hermaphrodite, s’imposa donc d’abord comme son premier substitut en incarnant, en travesti, les rôles de guerrier et d’amoureux (et conservant dans ce cas l’appellation de musico que l’on donnait aux castrats chantant ces rôles), puis en occupant une place importante comme prima donna bouffe : dans les deux cas, Rossini demanda à cette voix la même virtuosité qu’au castrat et une étendue importante (il écrivit un mi

bémol 2 dans Ricciardo e Zoraide, fit généralement monter cette voix jusqu’au si4), mais en donnant toutefois le maximum d’intérêt au médium de sa tessiture. Il lui conféra, en outre, un caractère plus humain qu’instrumental, rompant ainsi avec la tradition haendelienne, cependant que le contralto lyrique, lié à la notion d’âge ou de rang, demeurait l’apanage du répertoire français. La disparition du castrat devait encore non seulement bouleverser toutes les habitudes, mais entraîner une redistribution plus complète des emplois dramatiques, alors que le siècle naissant allait peu à peu exiger du chant une expression nouvelle, en reportant sur les instrumentistes le goût pour la virtuosité transcendante : ce n’est pas un hasard si le public acclama soudain Paganini, Liszt et Thalberg dès l’instant où les chanteurs cessèrent d’évoluer sur la corde raide du funambulisme musical. Mais, en cette période de mutations, Rossini sut préserver, quasi intactes, les prérogatives essentielles du chant classique, que, dépouillant de son caractère instrumental, il prépara au frémissement nouveau du romantisme naissant. Il permit ainsi le rapprochement tant souhaité entre les écoles française et italienne, cependant qu’en Allemagne de nouvelles valeurs issues d’un romantisme largement adulte entraînaient les compositeurs vers une solution différente ; selon Roland Barthes, la naissance du lied romantique, autour de 1810, fut un autre phénomène de chant asexué, présentant, dans un cadre non latin, un autre type de substitution du castrat. Rossini avait décidément le champ libre pour redistribuer les cartes et établir désormais le chant dans son idéal de beauté et d’humanité : il signifia son congé au soprano suraigu encore utilisé par Mayr et Paër, préférant incarner l’éternel féminin en un nouveau type vocal, sorte de greffe du contralto, non sans rapport avec le soprano employé en France par Gluck, Cherubini et Spontini. Cette voix, conservant du contralto la richesse de son grave, s’élevait vers un registre aigu étendu, dont la fragilité même symbolisait la pureté féminine : Isabel Colbran (1785-1845) disposait d’un important clavier vocal (sol2-mi5), mis en valeur par Mayr, et Rossini en fit peu à peu la partenaire aiguë du contralto-musico. À sa

suite, Giuditta Pasta (1797-1865) et Maria Malibran (1808-1836) incarnèrent tour à tour des emplois de mezzo-contralto et de soprano (Cendrillon dans La Cenerentola de Rossini et Amina dans La Somnambule de Bellini, par exemple) et méritèrent le surnom de soprano assoluto qui fit fortune à l’époque romantique. Tout cela ne fut rendu possible que par l’exacte connaissance qu’avait Rossini des impératifs de l’expression vocale : il se gardait de faire doubler la ligne de chant par les instruments, épargnait la voix dans la zone « de passage », récusait l’attaque à découvert des sons aigus, ainsi que leurs longues tenues, et utilisait la voix sur toute son étendue, mais ne s’aventurant généralement dans les zones extrêmes que par des coloratures à mouvement conjoint. Ces principes furent également appliqués aux voix masculines : pour la basse Filippo Galli (1783-1853), il écrivit de grands rôles bouffes ou tragiques (Mustafa dans l’Italienne à Alger, Selim dans le Turc en Italie, Mahomet dans l’opéra homonyme, Assur dans Semiramis, etc.) soumis à une colorature assez terrifiante. Et, toujours en conséquence de l’absence des castrats, il fut amené à opposer deux types de ténors qui, dans l’opera seria, avaient fonction d’antagonistes du drame : l’un, d’origine mozartienne, baritenore à la voix sombre et riche dans le grave, mais susceptible de s’aventurer dans le suraigu par l’emploi du falsettone, et dont l’Espagnol Manuel Garcia (1775-1832) fut le prototype ; l’autre, de timbre plus clair et de tessiture plus aiguë (ténor contraltino, dont l’opéracomique français devint friand), ces deux types étant soumis naturellement à une très grande virtuosité ainsi qu’à une tessiture très étendue (la2-ré4). Enfin, Rossini parvint à ce que l’on peut appeler une normalisation du chant, en imposant aux interprètes, autant que cela fut possible, une colorature écrite et non plus improvisée, qui prévoyait les aspects les plus variés d’expression et de vélocité pour toutes les catégories vocales. La colorature, souvent exigée à pleine voix, perdait ainsi le caractère décoratif et surajouté qu’elle avait souvent assumé antérieurement, pour faire partie intégrante de la mélodie elle-même (Bellini, puis Chopin dans son écriture pianistique en firent, après Rossini, la base même de leur style). Cette normalisation, dictée à Rossini par son souci de voir enfin la

musique respectée, contenait malgré tout en germe une des causes majeures de la décadence du chant : abandonnant leur formation musicale qui avait été jusquelà le corollaire indispensable des études vocales, les chanteurs allaient désormais se consacrer à la recherche d’effets. En moins d’un siècle, ils devaient perdre leur downloadModeText.vue.download 187 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 181 agilité, et, en conséquence, la souplesse favorable aux nuances. Ainsi, alors que les réformistes se félicitaient de cette innovation rossinienne, le fait d’avoir retiré des études du chant l’art de l’improvisation allait conduire à la carence musicale, inéluctablement accompagnée d’un appauvrissement de l’interprétation, processus qui s’aggrava jusque vers 1950. Si Rossini, fixé en France après 1824, ne put jamais obtenir véritablement des chanteurs français une maîtrise vocale comparable à celle des Italiens, il réussit, néanmoins, à unir les fondements des deux écoles et ouvrit la porte au nouveau chant romantique. En effet, par souci d’exprimer l’exaltation du héros et son dépassement intérieur, l’écriture vocale franco-italienne traduisit alors ces émois nouveaux par un désir d’ascension vers l’aigu. Ce phénomène s’associait à un processus général déjà amorcé par Beethoven et Paganini dans le domaine du violon, par les facteurs de piano qui favorisaient désormais la clarté des dernières octaves (et y ajoutaient des notes supplémentaires), et par les progrès réalisés dans la technique des instruments à vent auxquels l’adjonction de clefs ou de pistons permettait aussi davantage de facilité et d’éclat dans l’aigu. LA VOGUE D’UN « AIGU HÉROÏQUE ». Ce qu’avaient déjà tenté la Pasta et la Malibran, le ténor G. B. Rubini (1794-1854) le réussit en son incarnation idéale de l’amant romantique aux passions malheureuses. Il fut l’interprète d’élection du romantisme lunaire de Bellini, qui sollicita sa voix jusqu’au fa 4 dans Bianca e Fernando, puis dans les Puritains (1835). Son partenaire Antonio Tamburini (1800-1876), cependant, donnait à la voix de basse des

inflexions ténorisantes. Comme le note Rodolfo Celletti, « en moins de dix ans, si les notes extrêmes des voix n’ont pas changé, la tessiture moyenne du chant s’est élevée d’une tierce avec Bellini, Donizetti, Meyerbeer et Berlioz ». Mais à cette exaltation d’un romantisme byronien devait succéder le culte du nouveau héros hugolien, né de la bataille d’Hernani et des barricades de Juillet. Le registre aigu de la voix, après avoir traduit l’aspiration de l’être vers son idéal de pureté, devint l’image de ses sentiments généreux, héroïques, image liée par conséquent à un souci, tout à fait inconnu jusque-là, de vaillance vocale. Alors que Garcia demandait seulement au début du siècle que l’aigu ne fût pas moins puissant que le médium, le Français Gilbert Duprez (1806-1896), afin de mieux traduire par son chant la violence libertaire du personnage d’Arnold dans Guillaume Tell de Rossini, réussit à donner un éclat nouveau à la voix de ténor, en reculant les limites extrêmes des résonances dites de poitrine, non plus seulement jusqu’au si bémol ou au si 3 comme David ou Rubini, mais jusqu’au do 4, note dès lors appelée, lorsqu’elle était chantée selon cette technique, « ut de poitrine ». Duprez fit entendre cette note à Lucques, en 1831, lors de la création italienne de Guillaume Tell et réédita son exploit à Paris, en 1837, avec un succès foudroyant. Notons que le diapason avait alors déjà atteint (et allait dépasser souvent) l’étalon actuel de 442 fréquences. Le succès de Duprez détermina peutêtre le suicide de son prédécesseur Adolphe Nourrit (1802-1839), hautecontre à la déclamation noble et large, bien plus apprécié que Duprez par Rossini lui-même, et qui, comprenant qu’une ère était décidément révolue, tenta en vain d’imiter son cadet. En effet, alors que Duprez continuait par ailleurs à savoir utiliser toutes les ressources du registre de tête (Donizetti, en 1835, lui écrivit un mi bémol 4 dans Lucie de Lammermoor), son innovation fit souche. Même si son fameux « ut de poitrine » n’était encore qu’un son en voix mixte, habilement coloré de résonances plus viriles, mais n’ayant pas l’éclat que lui donnent les ténors modernes, les chanteurs et cantatrices de toutes tessitures se lancèrent à sa suite dans la même recherche d’effets, amenuisant, au profit d’un aigu héroïque,

le registre grave de leur voix jusqu’à son atrophie partielle. Le contralto devint mezzo-soprano, la basse se fit baryton, ce qui affirmait définitivement l’existence de cet échelon désormais indispensable entre la véritable basse et le nouveau type de ténor aigu, et le soprano rossinien s’effaça peu à peu devant un nouveau soprano spinto, capable encore d’exprimer l’angélisme de l’« éternel féminin », par l’usage de notes aiguës éthérées : malheureusement, cet usage ne résista guère au désir des cantatrices - et non des compositeurs d’exécuter dans la nuance forte toute note tant soit peu élevée de leur registre. À la même époque, l’orchestre des opéras croissait en volume sonore et les compositeurs qui, de Spontini à Verdi, firent trop souvent doubler la ligne de chant par les instruments contraignirent insensiblement les chanteurs à rivaliser de puissance avec ceux-ci. Le chant perdit ainsi sa souplesse, et l’écriture mélismatique, jugée par certains surannée, fit place à une écriture syllabique que les excès du romantisme allaient plus tard transformer en scansion exagérée, insistant sur les consonnes. C’est en vain que Verdi voulut concilier « le feu et la flamme » avec la voix de son soprano sfogato (« élevé, aéré »), le chant pathétique de son baryton avec les « éclats terrifiants » réclamés à Macbeth et Rigoletto, et la langueur amoureuse d’un ténor prompt à tirer l’épée. Comme le note Rodolfo Celletti : « Pour la première fois dans son histoire, un problème d’éthique allait avoir des répercussions sur la technique même du chant, à partir d’un fait anodin en soi. » LA NOTION DE « RÉPERTOIRE ». Ce n’est pas un hasard si, à l’époque même où Verdi entraînait le chant sur des pentes vertigineuses (avant Wagner, et beaucoup plus que lui, pour peu que l’on observe scrupuleusement ses indications), paraissait à Paris le Traité complet de l’art du chant de Manuel Garcia Jr (1847, rév. 1856). Faisant le point sur l’évolution en cours, celui-ci signait là un ouvrage, qui demeure, aujourd’hui encore la base de toute étude du chant. Il y énonçait en termes clairs et indiscutables les principes essentiels de l’émission vocale, qui découlent de facteurs physiologiques et musicaux immuables et peuvent être adaptés ensuite à tout nouveau type de

chant. Garcia y réaffirmait les principes de respiration que nous avons déjà évoqués (toutefois la respiration nasale, autrefois réputée la seule à garantir le fonctionnement parfait de l’émission chantée, devenait dans certains cas inconciliable avec les nouveaux styles d’écriture) et insistait plus que jamais sur la nécessité d’opérer la parfaite fusion des registres (qu’il nommait, lui aussi, de poitrine, de fausset, puis de tête), ces registres ayant des zones communes excédant parfois l’octave. Cette fusion réalisée sans discontinuité audible, grâce à divers artifices, dont la coloration appropriée des voyelles, et la modification insensible de celles-ci, tout au long de l’étendue vocale, grâce également à l’adoption des premières résonances de « fausset » dès le bas médium de la voix, assurait la parfaite homogénéité du chant, et permettait de le colorer et de le nuancer à l’infini sur toute la tessiture. Ce principe respectait en outre toutes les exigences de la colorature en permettant, néanmoins, de se plier aux impératifs d’un chant plus dramatique, lequel peut parfaitement être soumis à cette technique de base. La mise au point de Garcia Jr arrivait d’autant plus à propos que, jusque-là, les diverses modes observées dans le chant avaient seulement suivi l’évolution de la musique et n’avaient eu d’autre fin que de faciliter l’exécution d’oeuvres contemporaines. Mais à l’époque de Garcia Jr s’imposait la notion de « répertoire », qui obligeait désormais le chanteur à pouvoir interpréter tous les styles du passé, tout en demeurant disponible aux expressions nouvelles et aussi diverses qu’allaient être celles de Verdi, Gounod, Wagner, Mascagni, Debussy ou Strauss. Il faut constater que, depuis lors, aucun élément essentiel n’est apparu qui soit venu infirmer les données établies par Garcia. Les acquisitions plus récentes de la voix humaine, telles que les effets à bouche fermée, l’annexion du rire, du hoquet et de certaines onomatopées (ainsi downloadModeText.vue.download 188 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 182 que l’a réussi avec un véritable génie une cantatrice du XXe siècle, Cathy Berberian, d’abord rompue au plus pur belcantisme), débordent le cadre d’une étude réservée au chant. Mais les deux seules créations

véritables postérieures à cette époque ont été, d’une part, le parlando introduit par Dargomyjski et Moussorgski dans la Russie des années 1860-1880, et repris à leur compte par Debussy, Ravel et leurs autres disciples ; d’autre part, le Sprechgesang, sorte de chant parlé ou de déclamation mélodique. Il s’est révélé que la première de ces innovations était parfaitement réductible aux principes traditionnels, dont Moussorgski n’entendait pas s’écarter, même s’il haïssait la colorature italienne ; et que la seconde, de par la volonté délibérée de son promoteur, échappait au domaine du chant, malgré les tentatives (demeurées un phénomène marginal, isolé dans le temps et les lieux), qui furent faites au début du siècle en Allemagne, d’appliquer à l’univers vocal de Wagner et de Strauss un style de chant dérivé du Sprechgesang. Les importantes mutations que l’on a pu constater dans la manière de concevoir le chant depuis un siècle sont, en fait, beaucoup moins dues à l’évolution de l’écriture lyrique qu’à l’inobservation des règles du chant par ses interprètes : ni les auteurs du grand opéra français ni les compositeurs véristes n’avaient su prévoir les trahisons que des chanteurs infidèles pourraient infliger à leurs oeuvres. Il n’en est pas moins vrai que certains auteurs lyriques les incitèrent à cette inobservation en gonflant immodérément la sonorité des orchestres, en abaissant les tessitures des rôles (ainsi que le pratiquèrent Wagner, puis Verdi à la fin de sa carrière), en ne sollicitant plus les notes extrêmes des voix. Les chanteurs purent ainsi abuser de la puissance exclusive de leurs notes centrales, perdant ainsi progressivement toute souplesse, atrophiant, parfois irrémédiablement, leur organe. Comme toujours, un phénomène social est lié à ce stade d’évolution : en l’occurrence, la démocratisation de l’opéra, souhaitée par Verdi, et déjà déplorée, en 1845, par Rossini, qui la commentait ainsi : « Il ne s’agit plus aujourd’hui de savoir qui chante mieux, mais qui crie le plus », ajoutant quelques années plus tard : « Plus on gagne de force dans l’aigu, plus on perd de grâce (...), et lorsque la paralysie de la gorge survient, on a recours au chant déclamé, c’est-à-dire, aboyé et détonnant (à savoir, chanté trop bas). Alors, pour couvrir ces excès vocaux, on fait donner l’orchestre plus fort. » LA PERSISTANCE DU BIEN-CHANTÉ.

S’il est exact que, durant un siècle entier, cette tendance à chanter toujours trop fort allait s’accroître, suscitant par réaction la naissance d’une école incitant à chanter systématiquement tout trop piano, avant que le fossé ne se creusât irrémédiablement entre ces deux tendances, une certaine fidélité à la tradition du bien-chanté persista : - dans les pays demeurés hors des nouveaux courants de création lyrique (ÉtatsUnis, Espagne, Scandinavie, etc.), et dont les écoles de chant, comme les publics, restèrent attachés aux normes anciennes ; - dans l’école française d’opéra-comique et d’opéra lyrique, dans l’école russe ou chez les Slaves, où se perpétua la tradition d’un chant toujours attaché à traduire toutes les nuances de l’expression ; - au sein même des courants progressistes, où, tout en adoptant une dramaturgie nouvelle, certains auteurs (Puccini et Cilea en Italie, par ex.) surent néanmoins préserver intactes les prérogatives du chant ; - auprès de certaines catégories vocales délaissées par les auteurs modernes : les ténors légers, les sopranos légers, entre autres, dont le répertoire ne fut pas renouvelé, demeurèrent les héritiers de l’ancien style de chant, au point que la pureté du chant d’un John McCormack (18841943), des Devriès, Sobinov, Smirnoff, Jadlowker, d’une Maria Barrientos (18841946), d’une Amelita Galli Curci (18821963), d’une Toti Dal Monte (1893-1975) acquit une saveur presque anachronique ; - par la pérennité d’une école de chant entretenue par les disciples directs des enseignants formés du vivant de Rossini. En effet, durant les cinquante années qui suivirent la mort de Rossini (1868), l’interprétation vocale avait subi des bouleversements profonds, dus, bien souvent, à des phénomènes sociologiques particuliers ou communs à tous les pays : ainsi la promotion de nouvelles classes sociales, souvent très éprises de musique et s’accordant mal avec les derniers feux d’un bel canto aristocratique, classes qui se reconnurent plus facilement dans les opéras du

type naturaliste, peu enclins aux raffinements de l’art vocal ; ainsi une certaine démesure du postromantisme, tant dans l’Allemagne de Bismarck où le concept du surhomme nietzschéen se doubla, sur les scènes d’opéra, par le culte d’un gigantisme vocal sans fondements, qu’en France où un même besoin de violence, attisé par l’exaltation d’un passé national grandiose destinée à venger l’affront de la récente défaite, rassemblait pêle-mêle le grand opéra, le drame naturaliste, l’interprétation « héroïque » des oeuvres de Wagner et de Verdi, cependant que s’accentuait le divorce entre ce style nouveau et l’art vocal « élitaire » cher aux milieux symbolistes et aux auteurs de la mélodie française, tous également hostiles aux plus diverses manifestations de la lyrique italienne. L’héritage belcantiste, qui ne survivait qu’au travers de la faveur populaire envers le vieil opéra-comique, ne pouvait se perpétuer, ne serait-ce qu’en raison de la faible qualité musicale et dramatique de ce répertoire. LE DÉCLIN DE L’ART DU CHANT. Entre 1900 et 1920 allait donc s’établir un style de chant quelque peu passe-partout, et lorsque l’écriture vocale ne fut plus enseignée aux compositeurs, l’évolution de l’art du chant se sclérosa. L’influence des nouvelles générations fut, dans ce domaine, quasi nulle jusqu’aux alentours de 1950. Alors, des auteurs tels que Luciano Berio, Pierre Boulez, Betsy Jolas, Penderecki, etc., bien que dans un contexte musical très différent, renouèrent avec les vieux principes d’un chant instrumental n’ayant d’autre objet que soi-même. Mais avant ces courants récents, un même type de chant assez déclamatoire avait donc été appliqué aux styles les plus divers, et il l’est encore souvent aujourd’hui, notamment en France. Il est curieux de constater, entre autres exemples, que le chant wagnérien fut absolument trahi en Allemagne (par la volonté expresse des héritiers de Wagner, qui lui appliquèrent ce style déclamatoire) alors qu’il sut conserver une grande partie de sa pureté aux États-Unis, jusqu’aux approches de 1940. Ces conceptions furent également répandues par quelques grands chefs d’orchestre qui allaient succéder dans la faveur du public aux cantatrices, ténors ou pianistes virtuoses naguère adulés : le cas de Gustav Mahler, privilégiant les « acteurs » aux dépens des

« chanteurs », en est significatif, mais plus encore celui d’Arturo Toscanini (18671957), mythifié pour son prétendu respect apporté aux partitions dont il n’observait, en réalité, que certaines prescriptions instrumentales, manifestant par ailleurs le dédain le plus absolu à l’égard des volontés des compositeurs en matière d’écriture vocale, ne respectant ni les tempi rubati, ni les nuances, ni l’ornementation écrites, et pratiquant au besoin la suppression des pages qui lui déplaisaient ! Malgré tout, le processus de décadence fut assez lent pour que le disque, apparu dans les années 1900, nous ait conservé l’image sonore des innombrables grands chanteurs de cette époque. En 1913, un spécialiste du chant tel que Reynaldo Hahn jugeait la santé de cet art irrémédiablement compromise par rapport à un passé récent. Mais le disque, même s’il ne sélectionnait que les meilleurs chanteurs, fut le parfait témoin de ces mutations quasi physiologiques : la raréfaction des grands sopranos dramatiques au-delà des années 20, l’inaptitude aux nuances et à la colorature de la plupart des interprètes doués de grandes voix, l’adhésion des nouvelles écoles au chant déclamé. Il nous révèle cependant que les plus émidownloadModeText.vue.download 189 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 183 nents représentants de la nouvelle vague lyrique avaient d’abord été d’excellents chanteurs formés selon les plus pures exigences du vieux style : Gemma Bellincioni (1864-1950), Eugenia Burzio (1879-1922), Anna Bahr-Mildenburg (1872-1947), Enrico Caruso (1873-1921), Ernst Van Dyck (1861-1923), Titta Ruffo (1877-1953), Fedor Chaliapine (1873-1938) et bien d’autres qui connurent d’abord un légitime succès et purent ensuite malmener des voix encore capables de résister à ces excès, mais autant de grands interprètes dont les successeurs ne copièrent que les manifestations extérieures de ces excès. Au-delà de 1940, ces excès devinrent la base même des études du chant et, lorsque la guerre eut précipité le déclin d’une tradition dont les derniers représentants s’éteignaient après de longues carrières sainement conduites, de nouvelles va-

leurs - en particulier le physique et le jeu de l’acteur, impossibles à ignorer à l’ère du cinéma - remplacèrent celles du chant, au lieu d’y ajouter leur nécessaire complément. L’enseignement perdit peu à peu toute base solide et les grandes Méthodes furent oubliées ou ignorées. Parallèlement, les techniques modernes d’enregistrement fournissaient une image totalement artificielle de la voix chantée, une image déformée que tentèrent maladroitement de reproduire de nouvelles générations de jeunes chanteurs qui, du fait de la guerre, n’avaient jamais pu apprécier, au théâtre, les derniers tenants de la vieille école, dont l’éclatante supériorité était démontrée par le nombre : à la veille de 1900, la Scala de Milan comptait un fichier de deux cent quatre-vingt-dix ténors prêts à intervenir à la moindre défaillance de l’artiste engagé ! Les années qui suivirent 1950 virent avaliser ce renoncement au texte écrit, à ses nuances, à ses exigences de diction et de virtuosité. Le mélange des registres n’étant plus enseigné, non plus que la messa di voce ( ! BEL CANTO), le chant devint monocorde, parfois lourd, dur, inapte à l’interprétation du fait de voix courtes, forcées, blanches et pauvres en ressource musicale, et dont le style musical déficient n’était que le fruit d’une technique vocale déficiente. Impossible à soumettre à ce chant athlétique, le répertoire de concert, d’oratorio et de mélodies fut, en revanche, trop souvent abandonné à d’excellents musiciens ne disposant pourtant d’aucune base de technique vocale. Et c’est en l’absence de toute unité d’école de chant que cet après-guerre ne put tresser de couronnes qu’à une poignée d’artistes lyriques, parfaitement exceptionnels dans tous les sens du terme, sans que le public semble avoir bien perçu, pour nous en tenir à deux exemples éloquents, quelle prodigieuse technique de chant avait soutenu les premiers pas et l’art d’interprètes d’une Maria Callas (1923-1977) ou d’un Dietrich Fischer-Dieskau (1925), ni bien compris que les dons hors pair de quelques autres artistes n’aient trop souvent débouché, faute de bases techniques suffisantes, que sur d’éphémères carrières. UN RENOUVEAU CERTAIN. Une remise en question de toutes ces valeurs s’est amorcée à partir de 1960. Il est encore difficile de définir quelles en ont été les causes vraiment déterminantes : y par-

ticipèrent l’hédonisme d’une société ayant surmonté les séquelles du dernier conflit mondial, la venue vers les scènes lyriques d’un public jusque-là exclusivement attaché au concert, un souci musicologique plus aigu, notamment dans les pays anglosaxons, les efforts de quelques grands artistes qui jouèrent le rôle de pionniers, et d’autres facteurs encore. Il faut remarquer que des interprètes comme Joan Sutherland, Marilyn Horne, Montserrat Caballé, Alfredo Kraus, Carlo Bergonzi, plus tard, Renato Bruson, quoique ayant, dès leurs débuts, fourni la preuve éclatante de leur parfaite maîtrise d’une technique de chant de type ancien, ne furent appréciés à leur juste valeur que longremps après, lorsque le public fut prêt à comprendre leur message. On ne saisit pas non plus, sur le moment, la portée du rôle joué par le chef d’orchestre H. von Karajan, qui, au début de sa carrière, s’était attaché à rendre leur style vocal originel à certaines oeuvres, et, notamment, à celles de Wagner. Il en va de même pour l’art du falsettiste anglais Alfred Deller, qui, même s’il ne proposait qu’une solution de compromis, amorça un retour aux sources du bel canto. C’est peut-être ce désir de retrouver l’esprit d’un beau chant perdu qui, en même temps qu’il provoquait la réapparition des falsettistes comme une nostalgie des voix de castrat et de haute-contre, a, en retour, fait disparaître de la scène lyrique les grandes voix dramatiques, et, notamment, les voix masculines. La générosité vocale parfois trop excessive des générations précédentes ne suffit pourtant pas à justifier l’engouement plus récent pour un chant ascétique, aux sons détimbrés, qui ne fut ni celui des castrats ni celui de l’époque romantique dont le répertoire, soudain remis à l’honneur, n’a pas toujours trouvé les interprètes masculins qu’il lui faudrait. Dans l’enseignement du chant, un mouvement s’est amorcé, qui, parti des pays anglo-saxons, a atteint l’Espagne et l’Italie, mais n’a guère encore véritablement touché la France où, malgré quelques indices réconfortants, la pédagogie du chant a, dans ses grandes directives, conservés les mêmes bases techniques qu’en 1950. Ce mouvement a néanmoins pour résultat que l’on chante et interprète généralement Verdi, Wagner et Mozart mieux, en 1980, qu’on ne

le faisait en 1955, même s’il faut constater que l’absence des grandes personnalités d’hier a précisément permis cette notion d’école, une absence de personnalités aussi évidente dans la direction d’orchestre, un domaine où la fidélité musicologique et le talent spécifique de chef d’orchestre ne se conjuguent plus que très rarement. Ces considérations rendent compréhensible l’exécution des opéras de Haendel et de Rossini, inconcevable il y a un quart de siècle au niveau de qualité vocale où elle se pratique couramment aujourd’hui, même, et surtout, en l’absence de chefs et de chanteurs de très grand renom. Il ne faut pas pour autant mésestimer le rôle des grandes « stars « de la scène, dans la mesure où seul un courant de portée universelle peut parachever l’oeuvre entreprise. De tout temps, des chanteurs de très grand relief ont, soit agi sur leur époque, soit permis aux compositeurs d’appuyer leur action sur leur talent. Farinelli, la Malibran, Duprez, la Patti, Chaliapine, Caruso, Maria Callas ont, d’une manière ou d’une autre, influencé leurs époques respectives : seule une personnalité d’un rayonnement aussi indiscutable saura donner à l’art du chant l’impulsion nouvelle qui fera de lui le reflet des aspirations d’une nouvelle génération. CHANTAVOINE (Jean), critique musical et musicologue français (Paris 1877 Mussy, Aube, 1952). Après des études de philosophie à Paris, puis d’histoire de la musique à Berlin, où il fut l’élève de Max Friedländer, Chantavoine collabora à diverses revues comme la Revue hebdomadaire (1903-1920), l’Excelsior (1911-1921) et le Ménestrel. En 1906, il fonda aux éditions Alcan la collection les Maîtres de la musique, dans laquelle il publia en particulier un Beethoven et un Liszt. De 1923 à 1937, il fut secrétaire général du Conservatoire de Paris. À la curiosité et à l’instinct du chercheur (il exhuma, par exemple, un opéra de jeunesse de Liszt, Don Sanche), Chantavoine joignait l’esprit de synthèse ; il appliqua son talent de musicologue à des travaux de vulgarisation et d’initiation comme le Petit Guide de l’auditeur de musique (2 vol., Paris, 1947-48). Parmi ses principaux ouvrages, citons : Beethoven (Paris, 1906) ; Liszt (Paris, 1910) ; De Couperin à Debussy (Paris, 1921) ; les Symphonies de Beethoven

(Paris, 1932) ; Mozart dans Mozart (Paris, 1948) ; Mozart (Paris, 1949) ; le Poème symphonique (Paris, 1950). CHANTEFABLE. Terme provenant de « chanter » et de « fabler » (parler), et désignant un récit médiéval où alternent des parties en vers chantés et des passages en prose destinés à être récités. downloadModeText.vue.download 190 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 184 L’oeuvre la plus représentative du genre est Aucassin et Nicolette (XIIIe s.), qui se situe ainsi entre la chanson de geste et le roman en prose. CHANTERELLE. Corde la plus aiguë et la plus fine d’un instrument à cordes frottées (violon, etc.) ou pincées (luth, etc.) et à manche. Le terme n’est jamais appliqué aux cordes des instruments à clavier. CHANTRE. Transcription littérale du mot latin cantor qui signifie « chanteur », mais dont, si l’on excepte un emploi poétique détourné de son sens musical (le « chantre des amours »), l’usage s’est restreint à la musique d’église. Les chantres ont été longtemps considérés comme des membres du clergé ; ils étaient organisés, au Moyen Âge, selon une hiérarchie (sous-chantres, chantres, préchantres), qui faisait de leur état une véritable fonction ecclésiastique : le préchantre portait gants, anneau et bâton et venait immédiatement après l’évêque. Ils sont devenus, aujourd’hui, de simples employés d’église et tendent même à disparaître dans l’après-concile. Bien que l’on ait parfois, surtout aux XVe et XVIe siècles, employé le mot « chantre » pour les chanteurs de maîtrise, il a cessé d’avoir cours dans cette acception et s’est appliqué surtout aux chanteurs spécialisés chargés du plain-chant, et qui, même laïcs, pouvaient revêtir pour l’office des orne-

ments ecclésiastiques, tels que soutane, surplis et chape, et prendre place dans le choeur comme de véritables ministres du culte. CHAPEAU CHINOIS. Instrument à percussion d’origine orientale, employé dans certaines musiques militaires à partir du XVIIIe siècle, mais peu à peu abandonné dans le courant du XXe. Il consiste en un croissant de métal garni de grelots et autres corps sonores, que font tinter les secousses imprimées à la hampe sur laquelle il est monté. Son aspect décoratif est généralement souligné par divers ornements : dôme en forme de cloche, queues de cheval, etc. CHAPELET (Francis), organiste français (Paris 1934). Il aborde l’orgue à l’école César-Franck avec Édouard Souberbielle, avant d’entrer au Conservatoire de Paris. En 1961, il y obtient ses premiers prix d’orgue et d’improvisation. En 1964, il est nommé cotitulaire de l’orgue de Saint-Séverin, et commence une carrière internationale. Il se passionne pour la facture instrumentale, particulièrement celle des orgues espagnols. Il en devient un grand spécialiste, et signe les premiers enregistrements mondiaux réalisés sur nombre d’entre eux, dont celui de la cathédrale de Salamanque. Il explore le répertoire ibérique des XVIe et XVIIe siècles. En 1979, il crée l’Académie de ParedesFuentes de Nava, en Castille. Depuis 1980, il est professeur au Conservatoire de Bordeaux et, en 1981, le gouvernement espagnol le nomme expert pour les orgues historiques de Castille et de León. En 1994, il fait un voyage au Mexique pour y découvrir les orgues baroques. On lui doit plusieurs compositions pour son instrument. CHAPELLE. Au sens religieux, le terme de chapelle (dérivé de la chape, ou manteau, de saint Martin, conservée, selon la tradition, dans l’oratoire des rois de France) désigne un lieu de culte privé (chapelle d’un château, d’un couvent), par opposition à l’église (lieu de l’assemblée des fidèles) et à la cathédrale (siège de l’évêque). Par extension, le terme s’applique au personnel attaché à ce lieu de culte (« chapelain », prêtres, ser-

viteurs laïques) et, particulièrement, aux chantres. La chapelle royale remonte aux origines de la royauté franque, mais Charlemagne et, surtout, Robert le Pieux en aménagèrent le service. Sous Charles VII, la chapelle comprenait 12 prêtres chantres, avec à leur tête Ockeghem. Elle se développa au XVIe siècle et comptait une cinquantaine de personnes sous Louis XIII. Louis XIV lui donna son extension définitive, lui adjoignant des instrumentistes nombreux, et autorisa les femmes à chanter à sa tribune. Le maître de la chapelle royale était un prélat, chargé des rapports de la musique et de la liturgie ; le chef effectif de la musique était le sous-maître (quatre à partir de Louis XIV). Les maisons princières eurent aussi leurs chapelles (celle des ducs de Bourgogne particulièrement importante au XVe siècle), mais, les entraînant peu à peu dans leur déclin, ne subsista finalement que la seule chapelle royale. Le Dauphin eut néanmoins sa chapelle particulière à Saint-Germain. En Allemagne, Kapell ou Capell désigna aussi à l’origine la musique privée d’un prince ; mais la distinction entre musique sacrée et musique profane s’effaça, et les villes libres s’attachèrent également des « chapelles », terme qui devint pratiquement synonyme d’orchestre. Le maître de chapelle est, en France, le chef d’un ensemble (vocal, instrumental) attaché à un édifice religieux, quel qu’il soit (chapelle privée, église, cathédrale) ; le Kapellmeister est, en Allemagne, un simple chef d’orchestre (l’équivalent allemand du maître de chapelle est alors le cantor). CHAPELLE ROYALE (la). ! HERREWEGHE (PHILIPPE). CHAPÍ Y LORENTE (Ruperto), compositeur espagnol (Villena, province d’Alicante, 1851 - Madrid 1909). Élève de son père, musicien amateur, il joua du fifre, dès l’âge de dix ans, dans une harmonie locale dont il fut chef de musique durant son adolescence et pour laquelle il composa diverses oeuvrettes. En 1867, il partit à Madrid travailler avec E. Arrieta. En 1874, il fut nommé chef de musique d’un régiment d’artillerie. La même année, lauréat du conservatoire de Madrid, il fut envoyé à Rome où il étudia les an-

ciens polyphonistes espagnols et écrivit ses premiers opéras. De retour en Espagne en 1878, il ne tarda pas à devenir, grâce à ses ouvrages lyriques, un des compositeurs les plus populaires du pays. Fondateur de la Société des auteurs espagnole (1893), il fut, avec Bretón et Chueca, l’un des premiers maîtres de Manuel de Falla. Son oeuvre comprend des partitions assez conventionnelles de musique symphonique et de musique de chambre, quelques opéras et surtout 155 zarzuelas, dont les plus célèbres sont La Tempestad (1882), La Bruja (1887) et La Revoltosa (1897). Tout en témoignant d’une qualité d’écriture suffisante pour faire penser tantôt à Puccini, tantôt à Messager, les zarzuelas de Chapí ont donné à cette forme sa portée universelle, en fixant le sentiment national et la langue qui le traduit, dans un refus de l’italianisme. Ce sont les chefs-d’oeuvre du genre. CHAPORINE (Youri Alexandrovitch), compositeur soviétique (Gloukhov, province de Tchernigov, 1887 - Moscou 1966). Venu assez tard à la musique, il fit des études d’histoire, de philologie et de droit avant de suivre les cours du conservatoire de Saint-Pétersbourg (1913-1918). Directeur de la musique du Grand Théâtre de Leningrad (1919-1928), puis du théâtre Pouchkine (1928-1934), professeur au conservatoire de Moscou à partir de 1939, il devint secrétaire de l’Union des compositeurs en 1952. De 1926 à 1930, il avait présidé, à Leningrad, l’Association de musique contemporaine, qui, jusqu’en 1932, encouragea en U. R. S. S. l’art d’avantgarde et fit connaître, par exemple, Pierrot lunaire de Schönberg, Wozzeck de Berg ou la musique de chambre moderne (concerts du quatuor Amar avec Hindemith à l’alto). Mais Chaporine s’inspira essentiellement de la musique russe du XIXe siècle - de Borodine dans sa façon de traiter les masses chorales, de Tchaïkovski et de Rachmaninov pour l’invention mélodique - ainsi que du chant populaire. Il cultiva surtout la musique vocale, et son langage, dans la cantate Sur le champ de Koulikovo (1938) downloadModeText.vue.download 191 sur 1085

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ou l’oratorio le Dit de la bataille pour la terre russe(1944), demeure très traditionnel, non sans références explicites au « réalisme socialiste ». Son oeuvre la plus célèbre est l’opéra les Décembristes, d’après Tolstoï (composé entre 1930 et 1950). CHAPPELL CO. Maison d’édition anglaise, fondée, à Londres, en 1810, par Samuel Chappell, J. B. Cramer et Fr. T. Latour. La firme fut ensuite dirigée par William Chappell (18091888), Thomas Chappell (1819-1902) et Samuel Arthur Chappell (1834-1904). Outre la musique classique, les éditions ont notamment publié des recueils de musique de variétés anglaise, des opéras et des opérettes (comédies musicales). CHAPUIS (Michel), organiste français (Dole 1930). Élève d’Édouard Souberbielle et de Marcel Dupré, au Conservatoire de Paris, il a effectué des recherches musicologiques sur les oeuvres, les conditions d’exécution et d’ornementation, et l’esthétique des maîtres classiques français et des orgues baroques allemands. C’est ainsi que, sous son impulsion, s’est développée en France une nouvelle école d’interprétation de la musique ancienne pour orgue, et que s’est manifesté un mouvement de regain d’intérêt en faveur de l’orgue des XVIIe et XVIIIe siècles français et allemand, auprès des jeunes facteurs d’instruments. Ses enregistrements discographiques de Grigny, de Couperin, de Buxtehude et de Bach ont fait référence en la matière. Organiste titulaire à Saint-Séverin de Paris, depuis 1964, expert en facture d’orgues et professeur (il a enseigné au conservatoire de Strasbourg), il fait une carrière internationale et participe à de nombreux cours et académies consacrés à l’orgue ancien. CHARIVARI. 1. Concert fait de bruits volontairement discordants, obtenus au moyen d’ustensiles divers, ou de huées. Le charivari est donné en signe de désapprobation ou comme sérénade à des jeunes mariés. 2. Chanson improvisée par des marins occupés à faire un travail de force, pour

se donner du courage, et dans laquelle le « meneur » de la chanson pouvait railler les supérieurs. En 1826, la Marine d’État interdit la pratique du charivari sur ses navires. CHARLESTON. Danse américaine rapide, voisine du foxtrot, qui doit son nom à la ville de Caroline du Sud où elle était dansée par les Noirs. Elle fut utilisée pour la première fois dans les revues de Cecil Mack et de Jimmy Johnson (1922), avant d’être remarquée par certains compositeurs américains comme Copland et Gershwin (séquence terminale d’Un Américain à Paris). Entre 1925 et 1930, elle a connu, en Amérique et en Europe, une très grande vogue, mais sa popularité a très vite décliné. Elle comporte habituellement deux pas sur chaque pied, l’autre étant lancé en arrière. CHARLIER (Olivier), violoniste français (Albert 1961). En 1975, il obtient un 1er Prix de violon au Conservatoire de Paris et travaille ensuite avec Jean Hubeau, Yehudi Menuhin et Pierre Doukan. Lauréat de cinq concours internationaux (2e Prix Long-Thibaud, Grand Prix Rainier de Monaco), il remporte aux États-Unis les Young Concert Artists International Auditions en 1989. En 1991, il reçoit le Prix Nadia et Lili Boulanger. Toutes ces distinctions lui valent d’être invité à jouer avec de grands orchestres et à se produire sur les grandes scènes dans le monde. Il joue régulièrement avec la pianiste Brigitte Engerer. CHARPENTIER (Gustave), compositeur français (Dieuze, Lorraine, 1860 - Paris 1956). Après la défaite de 1871, ses parents se fixèrent à Tourcoing et c’est dans cette ville que Gustave Charpentier prit ses premières leçons de violon et de clarinette. Employé à quinze ans dans une filature, il organisa une « société de sérénades » en collaboration avec son patron, Albert Lorthiois. Celui-ci, frappé par les qualités musicales de son jeune comptable, l’envoya au conservatoire de Lille. Un prix de violon et un prix d’harmonie lui valurent une bourse de la municipalité de Tourcoing, qui lui permit de se rendre à Paris (1881). Élève de

Massard (violon), de Pessard (harmonie) et de Massenet (composition), il obtint, en 1887, le premier grand prix de Rome avec sa cantate Didon, qui connut un grand succès aux Concerts Colonne. Pensionnaire de la villa Médicis, il voyagea dans toute l’Italie et composa successivement Impressions d’Italie, qui devait triompher en 1891 aux Concerts Lamoureux, la Vie du poète, symphonie - drame pour solistes, choeur et orchestre, créée au Conservatoire en 1892, et le premier acte de Louise. De retour à Paris, il s’installa dans une chambre à Montmartre et s’intégra dans l’atmosphère si vivante de la Butte, dont il subit toujours l’heureuse influence. C’est dans la rue qu’il donna ses premiers concerts publics. Cela commença par de simples défilés chantants, puis, souvenir de Tourcoing, par des sérénades. Enfin, il présenta le 24 juillet 1898, sur la place de l’Hôtel de Ville, le Couronnement de la muse, qui eut un grand retentissement populaire et que l’on devait en partie retrouver dans le troisième acte de Louise. À cette époque, il fonda le Conservatoire de Mimi Pinson, dont le but était d’offrir des places de théâtre aux jeunes ouvrières parisiennes. Mais dès 1902, il y fit donner gratuitement des cours de musique et de danse, en vue de réaliser par la suite un « théâtre du peuple », qui ne vit d’ailleurs jamais le jour. Louise, son roman musical et son oeuvre maîtresse, fut créée en février 1900 avec un rare succès, qui devait se prolonger jusqu’à nos jours. Ce succès établit sa réputation, et après avoir simplement annoncé un second ouvrage et une trilogie musicale, il fut élu à l’Institut, en 1912, au fauteuil de Massenet. La trilogie musicale ne fut jamais composée. Quant à Julien, créé en 1913, il se révéla n’être que le développement sur la scène de la Vie du poète. Julien est une oeuvre hybride et un peu maladroite, mais qui n’en contient pas moins des pages d’une grande beauté. Par la suite, le compositeur voyagea beaucoup à travers l’Europe, mais ne composa pratiquement plus. Sensible, sincère et naturellement bohème, Gustave Charpentier se passionna pour la nature, l’existence des gens simples, les réactions populaires. Il rechercha le lyrisme caché dans les humbles destinées et n’hésita pas, en particulier

dans Louise et dans Julien, à mettre en musique une mansarde, une ménagère à son fourneau, un ouvrier dans son foyer. On a voulu le classer parmi les musiciens réalistes ou naturalistes ; il le fut moins en tout cas qu’un Alfred Bruneau, et sut toujours apporter une émouvante note romantique aux scènes les plus prosaïques de la vie moderne. Sans cesse soucieux de généreuses préoccupations sociales, il a très peu écrit, n’a jamais songé à entreprendre une oeuvre de musique pure. Mais il a organisé partout des fêtes démocratiques et il a, avec sa Louise, merveilleusement développé la chanson du coeur de Paris. CHARPENTIER (Jacques), compositeur français (Paris 1933). Après avoir commencé seul l’étude de la musique (piano, orgue, direction d’orchestre), il effectua aux Indes (1953-54) un séjour décisif pour son évolution future, s’y initiant à la musique classique traditionnelle du pays. À son retour, il travailla avec Tony Aubin (composition) et Olivier Messiaen (analyse musicale), obtenant les premiers prix de philosophie et analyse (1956), et de composition (1958). L’influence de Messiaen se manifeste notamment dans une de ses oeuvres les plus originales, les Soixante-Douze Études karnatiques (1957-1983), recueil longtemps ouvert où le piano est traité en percussions avec étagement de résonances en des sonorités s’apparentant à divers instruments indiens. Entré aux Jeunesses musicales de downloadModeText.vue.download 192 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 186 France en 1959, il fut nommé inspecteur principal de la musique (1966), inspecteur général (1975) et succéda à Jean Maheu au poste de directeur de la musique, de l’art lyrique et de la danse au ministère de la Culture et de la Communication (19791981). Fondateur du Centre d’études du grégorien et de musiques traditionnelles comparées à l’abbaye de Sénanque (1975), grand prix musical de la Ville de Paris (1978), il a parfois écrit en style néoclassique, en particulier dans la Symphonie brève (1958), la Sinfonia sacra pour le jour de Pâques (1965) ou le Prélude pour la Genèse (1967).

Parmi ses oeuvres récentes, une 5e Symphonie (1977) ; une Symphonie no 6 pour orchestre et orgue (1978) ; Béatrix de Planissolas, opéra en 5 actes et en langue d’oc, créé au festival d’Aix-en-Provence en 1971 ; un Te Deum (1978) ; le Livre d’orgue, commande des Journées de musique contemporaine de Metz (1973). Il a été directeur musical de la ville de Nice (1982), et est l’auteur d’une thèse, Introduction à la musique de l’Inde. CHARPENTIER (Marc Antoine), compositeur français (Paris 1643 - id. 1704). Fils d’un maître écrivain, il partit dans les années 1660 pour Rome, où il subit l’influence des compositeurs romains, notamment celle de Carissimi, dont l’empreinte se retrouve tout au long de son oeuvre. Il y resta trois ans. De retour en France, il fut probablement mêlé aux cercles italianisants, qui, sous le règne même de Lully, pratiquaient et diffusaient la musique ultramontaine. On sait peu de chose sur cette période de sa vie, jusqu’au moment où Molière, brouillé avec Lully en 1671, fit appel à lui pour ses comédies-ballets. Il composa pour lui les intermèdes de la Comtesse d’Escarbagnas (1671) et du Malade imaginaire (1673), et refit la musique des comédies antérieurement composées par Lully (le Sicilien). Après la mort de Molière, il poursuivit sa collaboration avec les comédiens français, malgré les limites imposées au genre par le tout-puissant surintendant. Il devint en 1679 compositeur de la Musique du Dauphin (que Louis XIV disait parfois préférer à la sienne), tout en continuant à composer pour Mademoiselle de Guise. En 1683, une grave maladie l’empêcha de concourir pour le poste de sousmaître de la chapelle royale. Vers 1688, il devint maître de musique des jésuites (rue Saint-Antoine), pour qui il devait composer de nombreuses oeuvres en tout genre : du grand Miserere des jésuites aux opéras sacrés du collège de Clermont. Musicien très prisé, il écrivit de nombreuses oeuvres de circonstance, notamment pour PortRoyal de Paris, puis devint maître de composition de Philippe d’Orléans. Célibataire, il fut admis en 1698 comme maître de musique de la Sainte-Chapelle, poste qu’il devait occuper jusqu’à sa mort. L’oeuvre de Charpentier est immense et fort diverse. Bien qu’empêché de pra-

tiquer la musique de théâtre autant que, peut-être, il l’aurait pu, en raison de l’ostracisme de Lully, il a laissé un nombre important d’oeuvres dans ce domaine, des divertissements comme les Arts florissants à l’opéra sacré David et Jonathas (1688) [un autre, Celse, est perdu], et à l’opéra Médée (1693). Il peut être considéré, avec Orphée descendant aux Enfers, comme l’introducteur en France de la cantate profane, genre qui fleurit après lui avec E. Jacquet de la Guerre, Morin, Clérambault et Campra. Ses intermèdes pour les comédies de Molière, Donneau de Visé, sa musique de scène pour Polyeucte de Corneille ne sont pas négligeables. Mais l’essentiel de son oeuvre est religieuse. Charpentier pratiqua tous les genres. À la différence de ses contemporains français, qui n’ont qu’exceptionnellement pratiqué la messe en musique, il a laissé 12 oeuvres en ce domaine, à voix seule, à 4, 6 et 8 voix, dont une « pour les instruments au lieu des orgues », où l’on trouve une intéressante tentative de transcription orchestrale des habitudes de ses collègues organistes. Il fut pratiquement seul aussi à pratiquer le genre - héritage de Carissimi - de l’histoire sacrée, où l’on retrouve, avec un souci de coloriste que n’avait pas son maître et une diversité d’écriture sans doute plus grande aussi, les caractères de l’oratorio romain (le Fils prodigue, Esther, Judith, Cécile vierge et martyre, le Reniement de saint Pierre, le Jugement de Salomon...). Dans ces deux domaines, messe et histoire sacrée, Charpentier a suivi des chemins inhabituels en France. Il fut novateur également dans le domaine des Leçons de ténèbres : Michel Lambert avait montré la voie, Charpentier la pratiqua avec assiduité et amplifia le genre, écrivant jusqu’à 31 versions de Leçons. Hymnes, motets et psaumes - dans la droite ligne de la tradition française, mais dans un style bien à lui - de toutes les manières possibles : à voix seule, pour petit ensemble vocal avec ou sans « symphonie », pour choeur à 4, 5, 6, 8 voix ; s’essayant audacieusement à des formules neuves (Laudate Dominum pour 4 voix de femmes sans basse continue, Magnificat pour 3 voix d’hommes et instruments sur une basse obstinée...). Quelques oeuvres instrumentales enfin, dont un Concert à quatre parties de violes et une Sonate à huit. L’ensemble de ces oeuvres, dont quelques-unes seulement ont été publiées

de son vivant, est réuni dans 28 volumes autographes conservés à la Bibliothèque nationale de France, auxquels s’ajoutent 3 traités manuscrits : Abrégé des règles de l’accompagnement, les Règles de composition et les Remarques sur les messes à 16 parties d’Italie. Indépendamment de l’ampleur de son oeuvre, Charpentier se signale par la richesse de son écriture. Sa science harmonique est remarquable, l’habileté de son contrepoint ne faiblit jamais. Aucun musicien français de son temps n’a son audace dans l’usage de la dissonance expressive, du chromatisme, de la modulation. Si Charpentier est peut-être moins homme de théâtre que Lully, il dispose d’une syntaxe d’une richesse expressive infiniment subtile et forte, toujours au service de l’émotion, et, en particulier, de l’émotion religieuse. Sa liberté mélodique, son sens de l’ornementation vocale sont aussi admirables que son invention dans le domaine de la couleur instrumentale. CHÂTELET (Théâtre du). Théâtre parisien sur la rive droite de la Seine, construit à l’emplacement du Théâtre du Cirque impérial et inauguré en 1862 : il était alors le plus grand théâtre de la capitale. Il fut longtemps consacré au théâtre parlé et abrita pendant près d’un siècle les Concerts Colonne. En 1909, Diaghilev y installa ses Ballets russes. Strauss y dirigea la création française de Salomé en 1907, et Mahler celle de sa Deuxième Symphonie en 1910. Maurice Lehmann, seul directeur de 1931 à 1966, et son successeur Maurice Marcel Lamy en ont fait un lieu privilégié de l’opérette : triomphent alors Francis Lopez et Luis Mariano. Après un dépôt de bilan (1970), une période transitoire et des travaux considérables, le Châtelet rouvrit ses portes en 1980. Sous la direction de JeanAlbert Cartier puis (à partir de 1988) de Stéphane Lissner, il est devenu un des hauts lieux de la musique et de l’opéra à Paris, consacrant largement ses saisons à un ou plusieurs compositeurs précis (en 1995 à Arnold Schönberg). CHAUMONT (Lambert de Saint-Théodore, dit), organiste et compositeur wal-

lon (pays de Liège v. 1645 - Huy 1712). Moine carmélite, il fut curé d’une paroisse proche de Liège où il tint l’orgue. En 1695, il publia un livre de Pièces d’orgue sur les huit tons, augmenté d’un Traité de l’accompagnement, d’une Règle générale pour toucher le contrepoint et d’une Méthode d’accorder le clavecin. Le style des huit suites de douze à quinze pièces qui composent son livre d’orgue se rapproche de celui de Nivers et de Lebègue. downloadModeText.vue.download 193 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 187 CHAUSSON (Amédée-Ernest), compositeur français (Paris 1855 - Limay, près de Mantes, 1899). Évoluant dans un milieu familial aisé (son père était entrepreneur de travaux publics) mais feutré, Ernest Chausson se vit confié à un précepteur, Brethous-Lafargue, qui suscita en lui le goût de l’étude et de la culture (lecture, dessin, expositions, concerts) et le fit pénétrer dans divers salons littéraires ou musicaux (chez Mme Jobert, Mme de Rayssac). Chausson y côtoya des artistes qui devaient avoir une influence non négligeable sur son esthétique : Fantin-Latour, Odilon Redon, Vincent d’Indy, qui allait le présenter à César Franck. Son caractère grave, méditatif, voire mélancolique, s’en trouva renforcé, comme sa soif d’absolu qui le fit alors hésiter entre la littérature, le dessin, la musique. Pour complaire à sa famille, Chausson passa sa licence (1876), puis son doctorat en droit (1897). Reçu avocat à la cour d’appel de Paris, il préféra rejoindre, au Conservatoire, les cours de Massenet (classe d’instrumentation, 1879-1881) et de Franck (auditeur libre). À ce double enseignement qui imprègne les Mélodies de jeunesse, et le Trio - de forme franckiste « cyclique » -, Chausson ajouta l’influence de Wagner découvert à Munich (1879 : le Vaisseau fantôme, Tétralogie ; 1880 : Tristan) et Bayreuth (1882, Parsifal). Dès cette époque, il se montra plus sûr de son langage : Sept Mélodies, op. 2 ; Viviane, poème symphonique, dédié à sa fiancée, Jeanne Escudier qu’il emmena, après son mariage (le 20 juin 1883), en voyage de noces à Bayreuth.

Désormais, Chausson mena une existence partagée entre la famille et la musique (composition, animation de la Société nationale de musique - S. N. M.). Auprès de sa femme et de ses cinq enfants, il trouva équilibre et bonheur réel, qui s’expriment bien dans sa Correspondance et dans des oeuvres telles que la Nuit, le Réveil, Apaisement, Cantique à l’épouse. Il entreprit de nombreux voyages, en Touraine, dans les Pyrénées, à Arcachon (1893-94), en Italie (Rome, Fiesole, 1894-95) ou en Suisse (Morgins, 1899), tant pour parfaire la santé de sa fille Annie que pour pouvoir créer librement. À Paris, durant la saison, il recevait, en son salon célèbre du 22 boulevard de Courcelles, toute l’intelligentsia de son temps - de Mallarmé à Régnier, de Tourgueniev à Lalo, des franckistes à Debussy et Albéniz, d’Ysaýe à Cortot. Travailleur infatigable (« ne comprenant que l’effort, constant en toutes choses et dirigé vers le même but », écrivait-il à P. Poujaud), Chausson s’acharnait sur ses partitions, à la fois pour réduire à néant son défaitisme latent et pour ne point passer aux yeux du monde musical pour un amateur aisé. Tout ceci explique que, tard venu à la musique et mort prématurément d’un accident de bicyclette, à 44 ans, alors qu’il travaillait au 3e mouvement de son Quatuor à cordes, Chausson ait finalement laissé un oeuvre important, en nombre comme en qualité, et où tous les genres se trouvent pratiquement représentés. Cet oeuvre s’étend sur quelque dix-sept années, de 1882 à 1899. Marquées par sa vaste culture littéraire (Chausson était familier de tous les classiques, anciens et modernes, en particulier allemands) et artistique (beau-frère du peintre Henry Lerolle, il sut réunir une collection de toiles romantiques et impressionnistes remarquables, signées Delacroix, Courbet, Corot, Renoir, Degas, Monet, Redon ou Denis), ses compositions peuvent se grouper en 3 périodes. 1882-1887 : formation du langage, mélodies élégantes, style sobre, mais plus sensible à la joliesse du propos qu’à la profondeur du sentiment (héritage de Massenet, qui se retrouve dans les Papillons, le Charme, Sérénade italienne). Mais bien vite se superposent une recherche harmonique plus poussée, une

langue plus dramatique que soulignent des enchaînements hardis et un souci nouveau du timbre orchestral ; apparaît là le double héritage de Franck (mélodies comme Nanny, la Caravane, le Trio) et de Wagner (Viviane, op. 5). 1886-1894 : devenu secrétaire de la S. N. M. (1886), Chausson se trouva étroitement mêlé au milieu musical. D’où un style plus élaboré, plus dramatique aussi. À part quelques oeuvres de circonstance (Chant nuptial, 1887 ; Trois Motets, 1888), cette période fut dominée par des oeuvres majeures, de très haute inspiration et de nature essentiellement dramatique : Poème de l’amour et de la mer (commencé dès 1882, mais terminé en 1892), la Légende de sainte Cécile (1891), et surtout l’opéra le Roi Arthus auquel Chausson consacra huit longues années (1886-1895), au cours desquelles il écrivit encore sa noble Symphonie en « si » bémol op. 20 (1889-90) et le Concert op. 21 (1889-1891), qui, l’un et l’autre, soulignent son appartenance au franckisme (forme cyclique, modulations nombreuses, intensité de l’expression lyrique). 1894-1899 : la mort de son père, la fréquentation des poètes symbolistes, la découverte du roman russe (Tolstoï, Dostoïevski, Tourgueniev), enfin le sentiment confus de sa mort prématurée accentuèrent chez Chausson son pessimisme latent. Il en naît l’admirable cycle des Serres chaudes sur des poèmes de Maeterlinck (1893-1896), le désenchantement de la Chanson perpétuelle sur un texte de Charles Cros (1898), le fantastique et presque morbide Poème op. 25 pour violon et orchestre, qui trahissent un postromantisme exacerbé dont Chausson souhaitait d’ailleurs sortir. Sous l’influence de son ami Debussy, dont il admirait les oeuvres - sans peut-être toujours les aimer -, Chausson, devenu pleinement maître de sa technique, éprouvant le désir d’épurer son style et de tendre vers un classicisme fait de clarté et de concision, à la fois dans l’architecture et le discours, retrouva alors les chemins de la musique de chambre : Quatuor avec piano op. 30 (1897), oeuvre lumineuse, déridée ; Ballata d’après Dante (1896-97), Quelques Danses et Paysage (1895-96) pour piano, enfin l’ultime Quatuor à cordes, austère, dépouillé,

grandiose, commencé en 1897 mais que la mort l’empêcha d’achever. De tempérament intimiste (d’où les nombreuses mélodies), formé à l’école de Massenet, Franck et Wagner, de Beethoven et Schumann, Chausson sut se dégager très rapidement des influences reçues pour retrouver le sens de l’architecture classique française et la règle qui corrige l’émotion. D’une grande probité, généreux autant que délicat (témoin son aide discrète à Debussy ou Albéniz), lié d’amitié avec les plus grands artistes de son époque, il apparaît ainsi comme un témoin et un acteur privilégié de la sensibilité française de son temps. CHAUVET (Guy), ténor français (Montluçon 1933). Lauréat du Concours international de chant de Toulouse en 1955 et du Concours des voix d’or en 1958, il entre à l’Opéra de Paris et se fait connaître rapidement dans les rôles de Mario (La Tosca), Don José (Carmen), Faust, Don Carlos, et se produit aussi dans les grands rôles de ténor des opéras wagnériens (Lohengrin, Parsifal). En 1971, il chante Radamès (Aïda) aux arènes de Vérone en alternance avec Carlo Bergonzi, avec un succès triomphal. Il s’intéresse aussi à l’opéra du XXe siècle (Mahagonny, Wozzeck). Parmi ses très grands rôles, il faut citer enfin Otello et Samson. Doté d’une grande voix et d’une aisance scénique souvent saluée par la critique, il est de ces rares chanteurs qui ont interprété avec un égal bonheur les partitions italiennes, allemandes et françaises du répertoire lyrique. CHAVEZ (Carlos), compositeur mexicain (Mexico 1899 - id. 1978). Élève de son frère (piano) puis de Manuel Ponce, il commença à composer dès l’enfance et se forma également en Europe (où il découvrit Schönberg et Stravinski) et à New York. En 1921, une commande du ministère de l’Instruction publique (le ballet El Fuego nuevo) lui donna l’occasion d’exploiter le « primitivisme » de la musique aztèque, ce qui devait marquer nombre de ses partitions ultérieures, en particulier les ballets Los Cuatro soles downloadModeText.vue.download 194 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE

188 (1926, 1re représentation, Mexico, 1930) et La Hija de Colquide (1942), que dansa Martha Graham en 1946. En 1928, il fonda l’Orchestre symphonique du Mexique et prit la direction (jusqu’en 1934) du conservatoire de Mexico, et de 1947 à 1952, il fut à la tête de l’Institut national des beauxarts. Au titre de toutes ces occupations, il mena une action considérable en faveur de la musique contemporaine. Très attaché au folklore, y compris aux instruments indigènes, il a laissé une production vaste et variée, qui reflète largement ses préoccupations sociales et politiques et comprend notamment des oeuvres d’orchestre comme la Symphonie indienne (1935-36), la Symphonie prolétarienne pour choeurs et orchestre (1934) ou l’Ouverture républicaine (1935), des concertos pour 4 cors (1re aud. sous la direction de Chavez, Washington, 1937), pour piano (19381940, 1re aud., New York, 1942), pour violon (1950, 1re aud., 1952), de la musique de chambre dont trois quatuors (1921, 1932 et 1944) et quelques partitions témoignant de recherches plus abstraites comme Exagonos, Poligonos et Espiral, trois sonates pour piano (1917, 1919 et 1928), ainsi que des oeuvres chorales telles que Tierra mojada (1932), El Sol (1934), La Palma azul (1940) ou Canto a la tierra (1946). CHAYNES (Charles), compositeur français (Toulouse 1925). Né de parents musiciens et professeurs au conservatoire de Toulouse, il a très tôt suivi les cours de cet établissement, puis a complété ses études au Conservatoire de Paris, en particulier avec Darius Milhaud et Jean Rivier, et obtenu le premier grand prix de Rome en 1951. Grand prix musical de la ville de Paris en 1965, il a été, de 1964 à 1975, responsable du programme FranceMusique à l’O. R. T. F., faisant preuve à ce poste d’un grand esprit d’ouverture. Depuis 1975, il est chef du service de la création musicale à Radio-France. Partisan d’un langage atonal, mais sans avoir appliqué de façon stricte le principe de la série, il a manifesté d’étroites affinités avec le monde méditerranéen et avec des compositeurs italiens comme Luigi Dallapiccola ou Goffredo Petrassi. Parmi ses oeuvres principales : Concerto pour orchestre à cordes (1953) ; Ode pour une mort tragique pour orchestre (1954) ; des Concer-

tos pour trompette (1958), pour violon (1958, créé en 1961), pour orgue (1966) ; Trois Études linéaires (1963), Expressions contrastées (1966) et Transmutations (1970-71) pour orchestre ; Quatre Poèmes de Sappho pour soprano et trio à cordes (1968) ; un Quatuor à cordes (1970) ; Tarquinia pour ondes Martenot, percussions et piano (1973) ; Pour un monde noir pour soprano et orchestre (1978) ; Erzebet, six mouvements lyriques pour une femme seule (Paris, 1983) ; Visages mycéniens pour orchestre (1985) ; les opéras Noces de sang d’après Lorca (Montpellier, 1988) et Jocaste (1993). CHEBALINE (Vissarion), compositeur soviétique (Omsk 1902 - Moscou 1963). Élève de M.-I. Meritov à Omsk, puis de N. Miakovski au conservatoire de Moscou (1925-1931), il y fut chargé de cours dès 1928 et nommé, en 1935, professeur titulaire, avant de se voir promu recteur du conservatoire (1942-1948). Il fut lauréat d’État (1943 et 1947). Artiste du peuple de la république de Russie (1947), député au Soviet suprême, Chebaline a fait carrière de musicologue on lui doit l’édition critique et l’achèvement de nombreuses partitions, telles que la Foire de Sorotchinski de Moussorgski ou la Symphonie-ouverture de Glinka -, de pédagogue et de compositeur. Il a laissé 5 Symphonies (1925, 1929, 1934, 19351949, 1962), Lénine, symphonie dramatique (1931), Sinfonietta (1949), Concerto pour violon (1940), Concerto pour piano (1960), 9 Quatuors à cordes (1923-1963) ainsi que de la musique vocale - la cantate Moscou (1946) fut écrite pour le huit centième anniversaire de la ville -, des choeurs a cappella, des mélodies, des chansons, des musiques de scène et de film, et des opéras dont le Marié de l’ambassade (1942), la Mégère apprivoisée (1946-1956). CHÉDEVILLE, famille de musiciens français. Les liens de parenté qui les unissaient aux Hotteterre leur permirent de faire carrière à Paris dans l’orchestre de l’Opéra et à la cour dans la musique de l’Écurie. Les deux aînés, Pierre (Oulins, Eure-et-Loir, 1694 Paris 1725) et Esprit Philippe (Oulins 1696 - Paris 1762), furent ordinaires de l’Académie royale de musique depuis au moins 1713, avant que le cadet, Nicolas

(Sérez, Eure, 1705 - Paris 1782), ne le devînt en 1725. Les trois frères exercèrent à la cour, comme hautboïstes, à partir de 1714, 1723 et 1725. À l’Opéra, Nicolas fut le seul à porter le titre de joueur de musette, bien que ses deux aînés fussent connus pour fabriquer cet instrument et qu’Esprit Philippe composât pour ce dernier des duos, des sonates, des noëls et des « concerts champêtres ». Certaines de ces oeuvres sont également écrites pour vielle et sont représentatives du goût pour la pastorale galante, alors en vogue. Des pièces de Nicolas, destinées à une ou plusieurs musettes, témoignent de cette mode et portent des titres évocateurs : Amusements champêtres (1729), les Galanteries amusantes (1739), Menuets champêtres (apr. 1735). CHEDRINE (Rodion Constantinovitch), compositeur soviétique (Moscou 1932). Il fut l’élève de A. Svechnikov à l’école Chorov (1945-1950), puis de I. Chaporine (composition) et de Y. Fliera (piano) au conservatoire de Moscou (1950-1955). Tout comme Prokofiev, il s’imposa comme pianiste et compositeur avec son 1er Concerto (1954). Dans une veine posttchaïkovskienne agrémentée d’humour et de rythmes hérités de Prokofiev, Chedrine accumule des succès mérités avec sa 1re Symphonie (1956-1958), le ballet le Petit Cheval bossu (1958-59), une Suite de chambre pour harpe, accordéon, violons et 2 contrebasses (1965), dans l’esprit du Quintette op. 39 de Prokofiev. Sa musique de chambre est alerte et claire : 2 Quatuors, Quintette avec piano, 24 Préludes et Fugues, Cahier polyphonique pour piano. Depuis 1967, Chedrine use librement de formes sérielles : Poèmes avec la voix du poète A. Vosnessenski, contralto, choeur mixte et grand orchestre (1968), où transparaît l’influence du Polonais Penderecki. Avec le ballet Anna Karénine (1972), le compositeur revient aux procédés néoromantiques et aux « collages ». Avec ses Concertos pour piano no 2 (Carillon, 1968) et no 3 (Variations et thème, 1976), il tente de faire se rejoindre la Russie ancienne et des sonorités néostravinskiennes dernière manière. CHEF D’ORCHESTRE. Les termes de chef d’orchestre et de direction d’orchestre entraînent dans nos pays latins une notion « dirigiste » qui fausse relativement son rôle, mieux dénommé chez

les Anglo-Saxons, conducting. Paradoxalement, en consacrant nombre de maestros au vedettariat, le public comprend souvent mal leur utilité. Cette incompréhension a été accentuée depuis une vingtaine d’années par l’éclosion d’orchestres de chambre de 12 à 15 musiciens, qui se passent très facilement de chef. Tant que les ensembles instrumentaux de l’époque baroque furent réduits à ces petits effectifs, le compositeur-directeur de la musique organisait les répétitions de ses musiciens, puis les surveillait du clavecin, sur lequel il réalisait la basse continue. Ainsi travaillèrent Vivaldi, Bach, Haendel et même le jeune Haydn. Les interprétations actuelles de ce répertoire, sous la direction d’un chef, relèvent donc de la plus haute fantaisie. La musique d’église faisait parfois exception, puisque le maître de chapelle pouvait rudement frapper les temps de sa canne sur le sol. Dans cette « préhistoire » du chef d’orchestre, une seconde phase apparut au cours du XVIIIe siècle : la fortune du violon, son écriture virtuose adaptée à des musiciens d’orchestre plus capables, à l’instar de l’ensemble de Mannheim, déplacèrent le chef du clavecin au violon. De là, il faisait downloadModeText.vue.download 195 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 189 répéter ses instrumentistes et leur indiquait les départs en concert. Une troisième phase s’ouvrit avec Beethoven : l’écriture symphonique se compliqua, se précisa, certaines nuances étaient inattendues, « anormales » (par exemple le crescendo menant à la nuance piano, ou les sforzando répétés), et le premier violon pointant son archet vers les groupes instrumentaux concernés ne suffit plus. Pour être plus maniable, l’archet raccourci, allégé, devint une baguette : le chef d’orchestre au sens moderne était né. Il se plaçait devant les musiciens, et certains compositeurs furent des chefs de grande valeur (Weber, Berlioz, Mendelssohn, Liszt, Wagner). Après 1850, l’apparition du chef interprète - non compositeur - annonça une quatrième période. Le fossé s’élargit entre l’écrit et une tradition d’interprétation parfois douteuse, le compositeur n’étant plus là pour se défendre. Le chef d’orchestre prit alors une nouvelle responsabilité d’ordre

moral, qui fut quelquefois outrepassée : Gounod dut, en 1873, réagir pour diriger ses propres oeuvres conformément à ses vues. Cependant, les différentes fonctions de chef (à l’opéra ou au concert) restèrent bien séparées jusqu’au milieu du XXe siècle : Toscanini dirigea d’abord des opéras et se consacra ensuite aux concerts symphoniques. Mais la plupart des grands chefs de notre époque, comme Klemperer, Solti, Karajan, Maazel, pratiquent les deux répertoires. Le but du chef d’orchestre est d’unifier le jeu des instrumentistes en tenant compte de sa propre vision musicale, pour servir l’oeuvre du compositeur devant le public. Pour cela, les connaissances musicales nécessaires sont très vastes, et le rôle du chef est multiple. La technique, parfois appelée gestique, répond à des conventions générales, mais doit être appliquée particulièrement à chaque partition. La fonction primordiale du bras droit, tenant la baguette, est d’assurer le tempo et ses variations éventuelles par accident ou par volonté, de souligner la mise en place rythmique des différents instruments, d’indiquer la nuance dynamique par l’amplitude du geste et simultanément l’articulation musicale (staccato, legato, etc.). Le bras gauche rappelle les entrées des instruments et exprime le sentiment musical. La symétrie entre les deux bras reste donc exceptionnelle chez les chefs bien formés. Cependant, ces critères sont généraux, et les fonctions sont fréquemment interverties ou modifiées suivant les exigences de la musique. Le fait que cette action ne puisse être décrite d’une manière à la fois globale et précise indique en même temps l’impossibilité d’une pédagogie rationnelle et unifiée : les plus grands maîtres ne sont pas issus d’écoles de direction. L’observation des répétitions d’autrui, l’étude des partitions et une longue expérience personnelle sont des facteurs déterminants. Le chef d’orchestre doit ajouter à une gestique efficace de sérieuses connaissances psychologiques. Arrêter un orchestre et dire la chose juste n’est rien sans le « bien-dire ». Le chef doit, en effet, s’assurer une collaboration, compliquée du fait que l’on ne s’adresse pas avec le même vocabulaire à un hautboïste, un corniste ou un timbalier. Cet art difficile rejoint la

question de l’autorité, dont Gounod dit qu’elle émane de celui qui s’attire non l’obéissance à contrecoeur, mais la soumission volontaire, l’adhésion du consentement intime. Il ne faut pas oublier non plus que l’apparence physique joue un rôle considérable en la matière : tel chef corpulent ne tirera pas la même sonorité d’un orchestre que tel autre, élancé. Le public favorisé par une place située en arrière de l’orchestre aura eu la chance de comprendre l’importance du regard ou de l’absence de regard - d’un chef sur les musiciens. Le rayonnement de sa présence, sensible au concert, trouve ici un puissant moyen d’expression. D’autres questions ressortissent à des modes passagères. Ainsi, au début du XXe siècle, la plupart des chefs dirigeaientils très droits, figés dans une position qui laissait subsister une énergique battue. Les jeunes chefs plus décontractés ont été accusés d’être des danseurs gesticulateurs, mais l’excès en ce sens - souvent inefficace et gênant pour les musiciens - a été freiné par la radio et le studio d’enregistrement, d’où le public est absent. Quelques chefs, par conviction personnelle, ont abandonné la baguette pour ne diriger qu’avec les mains. Ce moyen a pu servir la métrique complexe de certaines pages contemporaines, mais la baguette bien employée comme prolongement du bras est d’une lecture plus aisée pour l’orchestre, et surtout les musiciens éloignés. Enfin, la question du « par coeur » revient périodiquement depuis son introduction par le grand chef allemand Hans Richter. Ce procédé est désavoué par ceux qui savent son influence déterminante sur le public, enthousiasmé de prouesses touchant à l’acrobatie. En réalité, la malhonnêteté serait foncière si le chef ne faisait que suivre par la battue une ligne mélodique prépondérante mémorisée. Or Toscanini, par exemple, dont la mémoire était légendaire, dirigeait ses répétitions par coeur, prouvant ainsi sa connaissance des partitions jusque dans les moindres détails. Les grands chefs actuels trouvent deux avantages à ce système : d’une part, la sensation de posséder tout à fait la partition permet d’en suivre le déroulement mental, tout en la réalisant avec l’orchestre ; d’autre part, un contact permanent avec les musiciens assure la continuité expressive de l’oeuvre. Cependant, le grand E. Ansermet dé-

daignait le « par coeur », en lui reprochant de renforcer le côté spectaculaire de la direction. Ce dernier aspect prend, de nos jours, une importance croissante, car le public s’identifie volontiers au chef d’orchestre, incarnation de l’activité musicale au-dessus de l’anonymat de l’orchestre. Son prestige en vient à attirer dans cette activité des interprètes ayant acquis leur renommée dans d’autres disciplines (M. Rostropovitch, D. Fischer-Dieskau). La direction d’orchestre n’est donc pas une, mais multiple, et les différentes personnalités qui s’y intéressent lui apportent des réponses aussi variées que sont leurs tempéraments. À cette richesse s’oppose un avenir compromis par le dédain des compositeurs vivants à l’encontre de l’orchestre symphonique, institution musicale historique qui ne répond plus tout à fait à leurs besoins d’expression. CHERKASSKY (Shura), pianiste russe naturalisé américain (Odessa 1909 Londres 1995). Il commence à étudier la musique à l’âge de quatre ans. En 1922, sa famille s’installe à Baltimore (États-Unis). L’année suivante, il entre à l’Institut Curtis de Philadelphie où il étudie avec J. Hofmann. Sa carrière débute en 1928. Hors des États-Unis, il se fait connaître d’abord en Allemagne, en Autriche et en France. Héritier de la grande école russe de piano, son répertoire de prédilection comprenait les oeuvres de Liszt, Chopin, Schumann, Rachmaninov. Il s’est produit sur les plus grandes scènes du monde, fascinant son auditoire par son jeu extrêmement brillant, mais libre de toute virtuosité conventionnelle. CHERUBINI (Luigi), compositeur italien (Florence 1760 - Paris 1842). Fils d’un claveciniste du théâtre de la Pergola à Florence, il fut d’abord initié au style religieux sévère, composa sa première messe à treize ans, puis étudia le style dramatique à Bologne, auprès du compositeur Sarti, écrivant également des sonates pour clavier dans l’esprit de Galuppi. À dix-neuf ans, il écrivit son premier opéra, Il Quinto Fabio (1780), encore dans l’esprit de Métastase, et donna à Milan, Florence, Venise, Rome et Mantoue une dizaine d’oeuvres lyriques de genre seria ou semiseria, conçues à partir de livrets traditionnels, mais dénotant déjà une ten-

dance à étoffer l’orchestration, ainsi qu’à privilégier les finales aux dépens de l’aria orné, comme le faisait Mozart à Vienne, à la même époque. Après s’être produit à Londres (La Finta Principessa, 1785 ; Il Giulio Sabino, 1786), il fit représenter à Turin son dernier opéra italien (Ifigenia in Aulide, 1788) et s’établit à Paris, où il se lia avec Viotti et Marmontel. Celui-ci écrivit à son intention un livret français, tiré de downloadModeText.vue.download 196 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 190 Métastase, pour Démophon (1788) - représenté sans grand succès à l’opéra. D’autres oeuvres furent créées au théâtre Feydeau, dont Cherubini devait prendre la direction artistique. Le compositeur s’assura très rapidement une situation de premier plan à Paris, au lendemain de la mort de Gluck et de Sacchini, entre les derniers triomphes de Grétry et les premiers opéras de Le Sueur, Méhul et Boieldieu. Lodoiska, comédie héroïque, créée en 1791, confirma la puissante originalité de son talent. En 1794, il fit partie, auprès de Sarrette, de la commission d’inspecteurs chargée de l’établissement qui allait devenir le Conservatoire de Paris. Ses ouvrages suivants, toujours écrits dans la forme de l’opéra-comique avec dialogues parlés, témoignent d’une évolution entre le drame larmoyant, alors en honneur à Paris, et la comédie élégiaque et sentimentale d’esprit préromantique. Mais en 1797, en restaurant la tragédie antique dans un style faisant la synthèse de Gluck et des Italiens, il signait, avec la partition de Médée, l’acte de naissance du drame romantique. Éclipsée dans les pays latins par le succès de l’opéra de Mayr (1813) sur le même sujet, l’oeuvre, enrichie de récitatifs chantés que les lois du genre avaient à l’origine interdits à Cherubini, devait entamer en Allemagne vers 1860 sa véritable et glorieuse carrière. En 1800 fut donné les Deux Journées (ou le Porteur d’eau), un des plus grands succès de Cherubini. L’échec d’Anacréon, en 1803, décida le compositeur à renoncer à sa manière légère. Puis, son inspiration étant à l’opposé des goûts de Napoléon, il partit en 1805 pour Vienne, où il suscita l’admiration

de Haydn et de Beethoven. L’Empereur l’y retrouva, et malgré leur mésentente, le réinstalla dans ses fonctions d’inspecteur à Paris. Ce fut alors pour Cherubini, dans le cadre d’une semi-retraite auprès de la princesse de Chimay, un retour vers la musique religieuse, interrompu, occasionnellement, par la composition d’ouvrages lyriques, dont Pygmalion (1809), écrit pour le castrat Crescentini, fort prisé de Napoléon, et les Abencérages (1813). Son unique Symphonie fut destinée à la Société philharmonique de Londres (1815). Le retour des Bourbons permit à Cherubini de connaître une nouvelle ascension : il devint surintendant de la chapelle royale en 1814, membre de l’Institut en 1815 et, enfin, directeur du Conservatoire de 1822 à l’année de sa mort ; il reçut la cravate de commandeur de la Légion d’honneur en 1842. Si l’on excepte Ali Baba (1833), refonte d’un ouvrage de jeunesse, ses trente dernières années furent dédiées à la musique religieuse (Requiem à la mémoire de Louis XVI, 1816 ; Messe pour le sacre de Louis XVIII (1819, non exécutée) ; Messe pour le sacre de Charles X (1825) ; Requiem pour voix d’hommes, 1836) et à la musique de chambre - ses six Quatuors (1814-1837), dont le deuxième (1829) est la transcription de sa Symphonie, constituent en ce domaine le sommet de la production française du temps. La musique de Cherubini est la parfaite expression d’un homme dont l’image a été malencontreusement déformée par les railleries de Berlioz, qui, pourtant, l’admirait et sut l’imiter, et par le mépris où l’ont tenu des générations d’historiens. Sous des dehors austères, Cherubini cachait une âme sensible, et, prisonnier d’une pensée classique, il se sentait égaré dans la période romantique dont il traduisit néanmoins à merveille les premiers émois. Il faut, en effet, noter que Cherubini est le seul compositeur de première grandeur à avoir été à la fois contemporain de Mozart et de Beethoven. Ses sonates pour clavier et son premier opéra précèdent Idoménée et l’installation de Mozart à Vienne, son dernier Quatuor est postérieur à ceux de Beethoven et son ultime Requiem évoque celui de Berlioz, composé à la même époque. Cherubini avait, dès sa jeunesse, mal admis le carcan du vieil opera seria,

dont il avait su étoffer l’orchestre, libérer le récitatif et développer les finales ; Démophon, avec ses récitatifs chantés et sa discrète colorature, avec son impossible tentative d’unir Gluck à Mozart et l’opera seria au goût français, échoua, alors que la veine élégiaque de Cherubini s’adaptait soudain avec bonheur à un nouveau type de sensibilité française. Les sujets « idylliques » d’Élisa, des Deux Journées, de l’Hôtellerie portugaise, ainsi que les divers ouvrages écrits en collaboration avec Boieldieu, son cadet de quinze ans, semblent opérer la synthèse idéale des styles de Piccinni, de Gluck et de Grétry, mais avec un tout autre raffinement harmonique. D’autre part, Lodoiska et Faniska - qui appartiennent au genre plus ambitieux de l’« opéra héroïque », présentant une héroïne rédemptrice -, et Anacréon, écrit pour l’Opéra de Paris, offrent une parenté avec Méhul, alors que les Abencérages, ultime tentative qui emprunte encore à Gluck sa raideur et ses structures fermées, témoignent de quelque anachronisme, au lendemain de la réussite de Spontini, qui venait alors de donner à Paris la Vestale et Fernand Cortez. Médée demeure donc l’oeuvre la plus marquante de Cherubini ; elle présente en filigrane les prémices des réformes wagnériennes, par l’emploi de leitmotive (principe également utilisé par le compositeur dans d’autres opéras), par le rôle de moteur donné à l’orchestre et par son écriture vocale qui se présente souvent comme un arioso tenant du récit et de l’aria et obligeant l’interprète à de grands intervalles dans la ligne vocale, avec un appui dramatique sans précédent. Romantique malgré lui, contemporain de Rossini, mais étranger à son influence, admiré de Beethoven, Schumann, Wagner et Brahms, éduqué en Italie, Français d’adoption et honoré par l’Allemagne, Cherubini occupe un rôle éminent dans l’élaboration du romantisme musical européen. CHESTER, éditeurs britanniques. En 1860, la maison s’établit à Brighton avec une bibliothèque de prêt. À la suite de son acquisition, en 1915, par Otto Marius Kling, la maison fut transférée à Londres, et se spécialisa dans les partitions russes, puis dans la musique contemporaine étrangère. La bibliothèque de prêt continua de jouer

un rôle très important. Parut ensuite un petit périodique, The Chesterian, qui se transforma en revue trimestrielle spécialisée en musique contemporaine. La maison d’édition, devenue ultérieurement une société, se spécialisa également dans la musique anglaise. CHEVALET. 1. Dans les instruments à cordes, petite pièce de bois sur laquelle sont tendues les cordes ; elle repose sur la table de l’instrument et lui transmet les vibrations des cordes ; elle est donc l’un des éléments qui déterminent la sonorité de l’instrument. Dans les instruments à cordes frottées, le chevalet, de forme découpée, possède deux pieds dont l’un est situé au-dessus de la barre et l’autre au-dessus de l’âme. Dans une partition, la mention sul ponticello (ital. : « sur le chevalet ») indique que l’exécutant doit jouer de l’archet sur la partie des cordes proche du chevalet, ce qui provoque une sonorité détimbrée assez particulière. 2. Au piano, pièce parallèle au chevillier et sur laquelle les cordes sont tendues. 3. À l’orgue, partie qui soutient les bascules de la soufflerie. CHEVILLARD (Camille), compositeur et chef d’orchestre français (Paris 1859 Chatou 1923). Fils d’un violoncelliste célèbre, Alexandre Chevillard (1811-1877), il fit des études de piano au Conservatoire de Paris, mais n’apprit jamais la composition. Pourtant, dès 1882, il écrivit un Quintette pour piano et cordes qui fut apprécié. En 1887, il fut engagé comme chef de chant par Charles Lamoureux, dont il épousa la fille l’année suivante. Il créa en 1889 la Société Beethoven pour la divulgation de la musique de chambre du maître de Bonn, à la connaissance de laquelle son père avait déjà beaucoup oeuvré. Il devint l’adjoint de Lamoureux en 1892 et lui succéda au downloadModeText.vue.download 197 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 191 pupitre de son association de concerts en 1897. Professeur d’ensemble instrumental

au Conservatoire à partir de 1907, il fut nommé directeur de la musique à l’Opéra en 1914. Chef d’orchestre précis mais sensible, Camille Chevillard avait une prédilection pour Wagner, pour Liszt, pour les symphonies des romantiques allemands, et pour les Russes, dont il fut un des tout premiers en France à diriger les partitions. En revanche, il avait peu de sympathie pour la musique de ses contemporains français. Compositeur, il a surtout laissé de la musique de chambre, ainsi que des oeuvres pour piano, pour chant et piano, et quelques pièces symphoniques. CHEDIVERS. Sur les instruments à cordes et à manche (violons, luths, guitares, etc.), ainsi que sur les harpes et sur la plupart des instruments à cordes et à clavier, petite pièce cylindrique, fixée dans la tête de l’instrument, sur laquelle vient s’enrouler l’extrémité de la corde et qu’il suffit de tourner pour modifier la tension de celle-ci, de façon à obtenir l’accord désiré. Il y a donc une cheville par corde, faite ordinairement de bois, sauf sur la guitare classique pour laquelle on utilise, depuis le XIXe siècle, des chevilles métalliques à filetage. CHEVILLIER. Dans les instruments à cordes, extrémité du manche, portant les chevilles. Le chevillier des instruments à archet se termine en général par une volute parfois ornée d’une tête sculptée. Le chevillier du luth possède des caractéristiques particulières : il est totalement indépendant du manche et seulement collé à l’extrémité de celuici, avec lequel il forme un angle perpendiculaire. Cette configuration, qui remonte aux origines de l’instrument, semble avoir été rendue nécessaire surtout par le grand nombre des cordes du luth. CHEVREUILLE (Raymond), compositeur belge (Bruxelles 1901 - Montignies-leTilleul 1976). Autodidacte, puis auditeur au conservatoire de Bruxelles (classes de Minet et de Rasse), il a été, parallèlement à sa carrière de compositeur, ingénieur du son (19361959) et directeur des programmes musicaux (1956-1963) à la radio et télévision belges. D’esprit éclectique, ses oeuvres - tonales, atonales ou polytonales - témoignent d’une esthétique traditionnelle mais étran-

gère à tout système, d’une grande variété de formes et d’expressions, et dont l’enthousiasme et la vitalité manquent rarement leur effet. On lui doit notamment 9 symphonies (dont une « de chambre » et une avec quatuor vocal), des concertos, des ballets dont Cendrillon (1946), la cantate Évasions (1942), le conte symphonique Barbe-Bleue (1949), l’opéra de chambre Atta Troll d’après Heine (1952), de la musique de chambre ainsi que des pièces pour piano. CHEVROTEMENT. Dans la terminologie du chant, défaut résultant d’une mauvaise coordination de l’émission vocale. Le chevrotement est un défaut fonctionnel et peut être un signe de vieillissement du chanteur. On a coutume de dire, dans le langage courant, que la voix « bouge ». CHIAVETTE (ital. chiavetta). Diminutif de « clef ». Ce nom est quelquefois donné à une clef musicale prenant la place de la clef habituelle pour éviter les lignes supplémentaires aiguës, comme le font encore aujourd’hui, par exemple, la clef de sol pour l’alto à cordes ou la clef d’ut 4e pour le violoncelle. Le principe, introduit au XVIe siècle, était de décaler d’une ligne vers le bas la hauteur du nom des notes ordinaires, dites « clefs naturelles » (chiavi naturali), ce qui faisait gagner une tierce vers l’aigu. Ainsi donna-t-on pour chiavette à la clef d’ut 1re du superius la clef de sol seconde, qui la supplanta par la suite. Au XVIe siècle, une chiavette entraînait souvent avec elle un décalage équivalent de l’ensemble des clefs, sauf éventuellement pour la basse hésitant parfois entre les deux systèmes, de sorte que l’on parle parfois de notation « haute » ou « basse », selon le groupe de clefs employées. Le système des chiavettes est à l’origine de l’adoption de la clef de sol seconde à la place de la clé de sol première pour l’écriture du clavier dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, et, par extension, à la place des clefs 1re et 3e pour les parties vocales au cours du XIXe siècle. De plus, en l’absence du diapason fixe, il incitait les chanteurs à prendre un diapason plus bas qu’avec les clefs naturelles, puisqu’il les prévenait

que la tessiture écrite serait plus élevée. Symétriquement aux chiavettes aiguës, on a quelquefois essayé, pour favoriser les tessitures écrites graves, des chiavettes graves, dites chiavi trasportati (par exemple, ut 2e au lieu de ut 1re), mais leur usage est resté limité : assez curieusement, on les trouve surtout dans les musiques funèbres. Certains théoriciens modernes (Riemann) ont voulu trouver dans l’usage des chiavettes le témoignage de transpositions au sens moderne du mot ; leurs arguments n’ont généralement pas paru convaincants. CHIFFOLEAU (Yvan), violoncelliste français (Nantes 1956). Après ses études au Conservatoire de Nantes, il entre au Conservatoire de Paris dans la classe d’André Navarra, où il obtient un 1er Prix de violoncelle en 1973 et un 1er Prix de musique de chambre en 1974. Lauréat de cinq concours internationaux de 1975 à 1981 (Tchaïkovski en 1974, Rostropovitch en 1981), il commence une brillante carrière internationale, se produisant comme soliste et en formation de chambre. CHIFFRAGE. Opération qui consiste à disposer, au-dessus ou en dessous des notes d’une basse continue (continuo), des chiffres qui, en fonction d’une convention, représentent des accords. Le système fut introduit au moment de l’avènement de la monodie accompagnée en Italie, à l’aube du XVIIe siècle. Sorte de sténographie musicale, ces chiffrages s’avérèrent si pratiques au bout de quelques années qu’ils furent adoptés partout en Europe pendant toute la période de la basse continue, c’est-à-dire à partir de 1600 environ, jusqu’à la seconde moitié du XVIIIe siècle. Vers la fin de cette époque, dans la musique de J. S. Bach en particulier, les harmonies à « chiffrer » étaient devenues presque trop compliquées pour le système en usage, qui allait bientôt tomber en désuétude. CHIFFRE. Le ou les nombres qui représentent un accord dans l’opération de chiffrage d’une basse continue. On parle du chiffre d’un

accord ou alors de son chiffrage. CHILD (William), organiste et compositeur anglais (Bristol. 1606 - Windsor 1697). Après avoir été reçu Bachelor of Music d’Oxford en 1631, il succéda, en 1632, à l’organiste John Mundy à la chapelle Saint-George de Windsor, tout en occupant la même position à la chapelle royale de Londres. En 1643, par suite de la dispersion des musiciens de la cour lors de la Révolution, il se retira à la campagne et s’y consacra à la composition. L’année même de la Restauration, en 1660, il reprit sa place à la cour, où il fut parmi les musiciens privés du roi, et succéda à Ferrabosco quatre ans plus tard. Sa principale publication (1639) est un recueil de vingt psaumes à trois voix, en forme d’anthems, avec basse pour orgue ou théorbe. Il a, en outre, composé un certain nombre d’anthems et de services, et des pièces pour violes et pour instruments à vent. Plusieurs de ses catches ont été publiées dans des anthologies d’Hilton et de Playford, et une partie de sa musique sacrée, dans des recueils d’Arnold et Boyce. Bien que certains traits stylistiques soient assez nouveaux pour l’époque (usage du stile concitato monteverdien, et surtout adoption généralisée du système tonal downloadModeText.vue.download 198 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 192 avec modulations bien définies), il reste un musicien d’assez bas niveau, qui évolua fort peu au cours de sa carrière. CHILDS (Barney), compositeur américain (Skopane, Washington, 1926). Docteur en lettres anglaises et professeur d’université, il a commencé de composer à vingt-trois ans, avant de travailler de 1952 à 1955 avec L. Ratner, C. Chavez et A. Copland, et enfin E. Carter. D’abord influencé par Hindemith et Chavez, il s’est intéressé ensuite à Ives, à Carter et aux mélodies traditionnelles des Indiens d’Amérique. Indifférent au goût du public, il n’a jamais utilisé la série, mais, depuis 1961, il a cultivé le son « réel » (sons indéfinis et inhabituels venant de sources dispa-

rates et enregistrés au magnétophone). Il est notamment l’auteur de 2 symphonies, de concertos, de Jack’s New Bag pour 10 exécutants (1966), de The Golden Bubble (1967) pour sarrussophone, contrebasse et percussion. Dans Nonet (1967), apogée de ses recherches, chaque interprète assemble et organise sa partie avant l’exécution. CHIMENES (Myriam), musicologue française (Paris 1952). Elle a obtenu un doctorat en musicologie avec Khamma, ballet de Claude Debussy : histoire et analyse (1980). Elle est depuis 1984 conservateur du Centre de documentation Claude-Debussy, depuis 1985 membre du comité de rédaction de l’édition critique des oeuvres complètes de Claude Debussy (elle a édité à ce titre en 1988 Jeux avec Pierre Boulez) et depuis 1988 chargée de recherche au C.N.R.S. Elle a publié notamment la Princesse de Polignac et la création musicale (in la Musique et le Pouvoir, 1987), le Budget de la musique sous la IIIe République (in la Musique : du théorique au politique, 1991) et la « Nomenklatura » musicale en France sous la IIIe République : les compositeurs membres de l’Académie des beaux-arts (in Musique et médiations : le Métier, l’Instrument, l’Oreille, 1994) et édité Francis Poulenc : correspondance 1910-1963 (1994). Elle dirige depuis 1994 le Groupe de recherches sur la vie musicale en France pendant la Seconde Guerre mondiale. CHINOISE (MUSIQUE). La musique chinoise aurait été déjà florissante lorsqu’a commencé le défrichement des terres (v. - 3200). La tradition attribue à des reines et à des empereurs légendaires (confondus sans doute avec des dynasties) l’invention des principaux instruments et la création du système musical. Mais on ne dispose d’aucune source historique antérieure à la grande destruction des livres, ordonnée par l’empereur Shi Huâng Ti (- 212). En revanche, les ouvrages plus tardifs sont innombrables. Une gigantesque encyclopédie, réunie à la fin du XVIIIe siècle, contient 482 volumes sur le seul sujet de la musique ! LE SYSTÈME MUSICAL. Le système des lyu, sur lequel repose la

théorie musicale, daterait du IIIe millénaire avant notre ère. Il s’agit d’une série-étalon de tuyaux sonores, qui fixe en même temps le diapason et la valeur des intervalles. Selon la légende, un nommé LingLouen aurait imaginé le principe des lyu en taillant des flûtes en roseau, chacune de longueur égale aux 2/3 de la précédente (rapport de quinte juste), mais en doublant éventuellement les longueurs pour rester dans des dimensions pratiques, comprises entre celles du premier lyu ou huângtchong et sa moitié. En prenant comme unité la longueur du premier roseau, il obtenait les valeurs suivantes : 1er roseau : 1 ; 2e roseau : 2/3 ; 3e roseau : (2/3) 2 = 4/9 ou en doublant 8/9 ; 4e roseau : 8/9 × 2/3 = 16/27, etc. Il s’arrêta au 12e roseau, car le 13e aurait eu une longueur très voisine de celle du demi-huâng-tchong (octave). La série de sons obtenus par ces lyu est l’échelle qu’engendre le « cycle des quintes « : chaque tuyau donne la quinte du précédent, ramenée dans la limite d’une octave par réduction d’octave (longueurs doublées). La dimension du premier lyu a souvent varié au cours des siècles : il donnait récemment un fa dièse (23 cm). Si on lui attribue le son do pour la commodité, les douze lyu successifs produiront les sons suivants, qui forment entre eux des intervalles ressortissant à la théorie pythagoricienne : 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 (13) do sol ré la mi si fa do sol ré la mi (si) Dans l’antique tradition chinoise, les douze lyu correspondaient aux douze lunes, aux douze mois de l’année, aux douze heures de la journée chinoise. En l’an - 45, le théoricien King Fâng exposa la progression des lyu par quintes jusqu’au 60e : les douze primitifs, multipliés par le nombre des éléments. On fit même plus tard, à titre de pure spéculation, des tables où le cycle était poussé beaucoup plus loin, pour retrouver des coïncidences à d’autres cycles numériques : 666e quinte (« cycle de la bête «), 25 824e quinte (précession des équinoxes), etc. Dans la pratique, l’échelle des douze lyu suffit. Elle constitue une base musicale logique, puisqu’elle donne tous les intervalles du système et qu’à partir de la dou-

zième quinte (13e lyu) on tombe dans un deuxième cycle semblable au précédent, à un comma près.(Voir schéma ci-dessous) Sous chaque note est indiquée la fraction caractéristique de l’intervalle formé avec la tonique - rapport des fréquences -, si toutes les quintes sont justes. Les intervalles entre les degrés voisins ne sont pas égaux. On distingue : -des grands demi-tons, appelés apotomes dans la terminologie pythagoricienne (2 187/2 048) ; ils sont désignés par A ; -des petits demi-tons, appelés limmas (256/243) ; ils sont désignés par L. Cette autre tion, sique

série de lyu ne représente pas chose qu’une échelle de transposisans fonction mélodique, car la muchinoise n’est pas chromatique.

La gamme usuelle, dite « pentaphonique «, est fondée sur les quatre premières quintes (les cinq premiers lyu). (Voir schéma page suivante) Aux sons de la gamme pentaphonique (en notes blanches) sont ajoutés deux sons (en notes noires) correspondant aux 6e et 7e lyu (cinquième et sixième quintes). Ces deux sons complémentaires ressemblent à des sensibles, dont l’emploi souligne l’importance des degrés que nous appelons tonique et dominante. Chacune des notes de cette gamme usuelle porte un nom, distinct de la nomenclature des lyu, que l’on pourra lire au-dessus de la portée. Les intervalles entre deux sons consécutifs sont toujours des tons 9/8 (T) ou des limmas 256/243 (L). Le kong, premier degré de la gamme pentaphonique, ne coïncide pas nécessairement avec le huâng-tchong : il peut se déplacer dans l’échelle des lyu, donnant naissance à des transpositions de la gamme. De plus, la finale ou tonique n’est pas toujours le kong : en la déplaçant d’un degré à l’autre de la gamme pentaphonique, on détermine différents aspects de l’octave, appelés tyao (« système «). Le tyao n’a pas le caractère d’une mode, comme le râga : il serait comparable au murchhanâ de la musique de l’Inde. Il y a 5 tyao dans chacune des douze « tonalités « définies par les lyu, soit un total de 60, correspondant

aux différents mois, jours et heures. Les anciens théoriciens attribuaient aux cinq sons de la gamme des affinités mystédownloadModeText.vue.download 199 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 193 rieuses avec les 5 planètes, les 5 couleurs, les 5 éléments, etc. Enracinée dans le cycle des quintes, la musique chinoise n’utilise pas d’autre type d’échelle modale. En changer conduirait à sauter des quintes, ce qui dénaturerait le cycle. La variété mélodique s’obtient par les changements de tonique ou de tyao et par l’ornementation. Dans la musique classique, les parties procèdent normalement à l’unisson ou à l’octave. Les exceptions à cette homophonie ne participent pas d’une conscience polyphonique ; tantôt elles résultent du jeu de l’ornementation, tantôt elles consistent à à substituer la quinte à l’octave, par convenance à une meilleure tessiture vocale ou instrumentale. En revanche, le raffinement et la variété de l’instrumentation ont toujours joué un rôle fondamental ; et, à la chute de l’empire (- 1911), de nombreuses règles avaient subsisté du cérémonial compliqué qui fixait jadis les places des musiciens dans les orchestres impériaux. Les Chinois utilisent depuis fort longtemps des caractères empruntés à l’écriture ordinaire pour noter la musique, mais ne connaissent pas d’oeuvre écrite antérieure au XVIe siècle. La notation est d’ailleurs d’une imprécision remarquable et ne permet pas d’assurer la transmission fidèle d’un répertoire traditionnel. Le symbolisme confus des explications théoriques ne paraît pas plus propice à la pérénnité d’une civilisation musicale, qui date pourtant de plus de cinq mille ans ! Mais le système musical chinois est essentiellement non évolutif ; il n’a pas enregistré de progrès ni subi de mutation radicale. Il s’est seulement corrompu au contact de la civilisation occidentale. UNE MUSIQUE DE TRADITIONS. Ce qui caractérise la musique chinoise par rapport à la musique occidentale, c’est son aspect statique. Bien qu’elle ait subi diverses transformations au cours

des siècles, la notion de progrès, au sens où nous l’entendons, lui est totalement étrangère. Des courants d’influence d’abord hellénistiques, puis hindous, barbares et enfin européens, l’apparition progressive de nouveaux instruments ont altéré son style de manière variée. Mais ces modifications ont été considérées dans une optique d’enrichissement et non d’évolution. La musique repose, depuis des millénaires, sur les mêmes bases philosophiques. Elle est toujours fondée sur un déterminisme astrologique et cosmologique qui règle l’organisation des sons et des modes, la classification et l’utilisation des instruments, le rituel des cérémonies, la danse, etc. Il s’est, en fait, produit au fil des temps, au lieu d’une évolution, un lent appauvrissement des traditions musicales, qui ont fini par sombrer dans un oubli presque total. Le seul apport des dernières dynasties a été l’opéra, qui a constitué, jusqu’à nos jours, l’essentiel de la vie musicale en Chine. Si la mythologie fait remonter les bases du système musical et l’invention de plusieurs instruments à des dates bien antérieures, la musique ne commence vraiment à prendre forme que sous les Tcheou (v. 1050-249 av. J.-C.). C’est sous cette dynastie que s’organise tout le rituel des cérémonies religieuses et civiles, tant à la cour qu’au temple ou dans les campagnes. C’est également l’époque des grands philosophes, Lao-Tse (v. 604-517 av. J.-C.), fondateur du taoïsme, et Confucius (554479 av. J.-C.). Ce dernier a précisé quel devait être le rôle de la musique et sa philosophie a influencé profondément la musique en Chine. Divers ouvrages conservés (Chi-king ou livre des odes et Li-ki ou livre des rites, avec un chapitre, le Yo-ki, consacré à la musique) ont permis de constater que le système théorique, inspiré de la philosophie, et la plupart des instruments étaient déjà établis à cette époque. Ts’in (249-206 av. J.-C). Ils détruisirent la plupart des écrits et des instruments. Han (206 av. J.-C.-220 apr. J.-C.). C’est une période importante dans l’histoire de la musique chinoise. Tout d’abord, le courant bouddhique venu d’Inde (61-62) se propage, amenant avec lui de nouveaux rites et instruments. La musique prend de plus en plus d’importance. On crée un ministère de la Musique, dont dépend une

école, et l’orchestre est en quatre sections (religieuse, civile, de festivité et militaire), entretenant jusqu’à 829 musiciens et plusieurs centaines de danseurs. Période d’anarchie (220-618). La Chine, alors partagée en plusieurs empires, s’imprègne de divers courants extérieurs. C’est une période d’échanges actifs, et, alors qu’elle exporte ses propres musiciens en Corée et au japon, la cour chinoise ellemême entretient, en 581, sept orchestres, parmi lesquels figurent des ensembles de Corée, d’Inde, de Boukhara et de Koutcha. Tang (618-907) et Song (960-1280). C’est l’âge d’or des arts et des lettres en Chine. Les éléments traditionnels et les courants étrangers se fondent en un ensemble cohérent et homogène. La musique de cour prend une ampleur considérable et y participent les orchestres étrangers de l’époque précédente. Au VIIIe siècle, on distingue six orchestres « debout « (jouant dans la partie basse de la salle) et huit orchestres « assis « (jouant dans la partie haute), comprenant 500 à 700 exécutants, ainsi qu’un grand ensemble hors du palais. Les instrumentistes et danseurs sont recrutés parmi les élèves du premier conservatoire, le Li Yuen (ou Jardin des Poiriers), fondé en 714 et qui joue un grand rôle dans le développement du théâtre et de la danse en Chine. Les orchestres se multiplient dans les provinces et à l’armée. La production musicale s’enrichit considérablement et dans tous les domaines, mais particulièrement dans celui de la musique de chambre. La poésie contemporaine est mise en musique et on assiste au développement de la littérature pour le k’in, dont on perfectionne la technique, et du luth p’i-p’a. Yuan (1280-1368). Période mongole. C’est le début d’une lente désintégration qui se poursuit jusqu’à la fin de la dernière dynastie. Les souverains étrangers essaient, dans un but démagogique, de retrouver la tradition musicale et de rassembler les orchestres. Mais le résultat n’est qu’une imitation appauvrie ou déformée de la grandeur passée. Leur seul apport est l’introduction en Chine de nouveaux instruments. Bien que méprisé de l’élite intellectuelle, une place importante est maintenant accordée au drame musical, le Yuan-k’in (ou musique des Yuan), qui, en unissant ces trois éléments, récit, chant et pantomine, est à l’origine de l’opéra chinois moderne.

Ming (1368-1644). L’intérêt suscité par la musique est maintenant purement intellectuel. C’est l’époque (1596) où le prince Tsai-yu effectue ses recherches sur la tradition musicale antique et sur le tempérament égal. Mais ses découvertes restent dans le domaine de la théorie et, à part l’opéra où la musique prend de plus en plus d’importance, les autres genres continuent à se déprécier. Ce phénomène est accentué par le début de la pénétration européenne. Tshing ou dynastie mandchoue (16441912). La situation de l’art musical est au downloadModeText.vue.download 200 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 194 plus bas. L’influence européenne s’accentue et la désintégration devient totale. La technique instrumentale se simplifie à l’extrême et l’éminente littérature du passé tombe dans l’oubli. Seule l’opéra continue à jouir d’une certaine popularité et développe différents styles régionaux. Époque moderne. Seuls subsistent des éléments traditionnels, l’opéra, dont la popularité s’est étendue à l’Occident, et la musique folklorique. La musique rituelle s’est considérablement appauvrie et, quant à la musique de cour, on n’en rencontre que quelques manifestations à la cour japonaise. le gouvernement actuel, conscient de cette situation, encourage les recherches sur la musique dynastique et les instruments traditionnels, tels le k’in ou le p’i-p’a, pour lesquels on se remet à composer (ex. : Jar Fushi ou Shyu Yuanbair pour le k’in). À la suite de la pénétration européenne, de nombreux musiciens ont été formés à l’étranger et l’influence occidentale a laissé une empreinte indélébile sur la culture musicale chinoise. les instruments occidentaux sont présents dans les orchestres et on trouve des solistes de renommée internationale (par ex. le violoniste Ma Su-tsung). Un certain nombre de compositeurs (Cheng Lu-cheng, Chang Wen-kang, etc.) écrivent des symphonies, concertos ou grandes oeuvres chorales et le répertoire traditionnel européen commence à se répandre. Les grands centres musicaux sont Pékin, Chang-hai et Canton, mais de plus en plus de villes de

province créent leurs propres écoles et orchestres. LES FORMES MUSICALES. Musique rituelle. Utilisée dans les temples et à la cour, elle consiste en hymnes alliant poésie, musique et danse. Tout est minutieusement déterminé : le nombre et la place de chaque interprète, les actions de l’empereur, chaque figure de danse, la tonalité du morceau, de façon à respecter l’harmonie des lois de l’univers (points cardinaux, saisons, etc.). Les danseurs tiennent d’une main une flûte, de l’autre un bouquet de plumes de faisan. La mélodie est syllabique, en valeurs longues et régulières, en général en vers de quatre pieds, doublée des vents et des cloches à l’unisson et accompagnée d’accords au cheng (orgue à bouche) et au k’in (en accords brisés pour indiquer les subdivisions rythmiques). Harmoniquement, ces accords ne comprennent que l’octave, la quinte et la quarte. Les instruments à percussion, très importants, indiquent le début et la fin de la cérémonie, des hymnes et des vers. Musique de chambre. Elle concerne surtout la cithare ou k’in, qui fut de tout temps l’instrument de l’élite intellectuelle, et le p’i-p’a. Il s’agit soit de pièces instrumentales, soit de poésie accompagnée. Elle est de nature essentiellement mélodique et une technique très élaborée (nombreux portamenti et différents types de vibrati, par ex.) permet d’obtenir des inflections subtiles et un ensemble d’une incroyable délicatesse. Opéra. Son apparition est relativement tardive dans l’histoire de la musique chinoise, puisqu’il ne date que du XIVe siècle. À cette époque, il était divisé en deux catégories, le Tsa chü, ou style du Nord, classique et accompagne de la flûte, et le Hsi wen ou style du Sud, plus libre et accompagné du luth. C’est sous les Ming qu’il prit sa forme a peu près définitive. On interdit, à l’époque, la scène aux femmes, ce qui obligea les hommes chargés des rôles féminins à développer une voix de fausset, devenue maintenant typique de l’opéra chinois. Par suite d’une popularité grandissante au cours des deux derniers siècles, il a engendré de très nombreux styles de drames musicaux (400 environ actuellement), qui diffèrent par le genre de sujet, le rôle de

la musique, l’instrumentation, le type de mélodie, etc. Le genre le plus répandu et le plus célèbre à l’étranger est l’opéra de Pékin. Il n’y a pas de mise en scène ou de décors ; ces artifices sont remplacés par des conventions de jeu, de costumes, de masques et par le mime. On continue à employer la voix de fausset pour les rôles de femmes ou de jeunes gens. L’orchestre, assez réduit (4 à 8 musiciens), est composé, d’une part, des cordes (violon erh-hu) et des vents (comme les hautbois so-na), qui accompagnent les voix, et, d’autre part, des percussions (claquettes de bois, petit tambour pan-ku), qui ponctuent les phrases et marquent la mesure. les parties chantées sont réservées à des moments privilégiés, le reste du discours se faisant dans une sorte de Sprechgesang. Musique folklorique. On la rencontre soit en ville sous forme de chansons de rue (accompagnant les processions nuptiales et funéraires), soit dans les campagnes. Dans ce dernier cas, elle est d’un intérêt considérable, car son répertoire, très ancien, est directement issu de l’antique rituel des fêtes saisonnières. Dans les deux cas, il s’agit de simples mélodies, en général pentatoniques, accompagnées de quelques instruments populaires (luths, violons, flûtes, hautbois et petit tambour). Elle a exercé une certaine influence sur la musique rituelle et la musique instrumentale. On assiste à l’heure actuelle à un regain d’intérêt pour ce qui est, en fait, le seul témoignage vivant de la culture musicale chinoise, et les éléments folkloriques constituent un aspect important des compositions modernes, tant dans le domaine de l’opéra que dans les autres domaines. La pénétration occidentale en Chine a définitivement influencé la musique de ce pays. Pour le moment, les deux styles cohabitent. Une partie des musiciens, soucieux d’authenticité, effectuent des recherches, se penchent sur la musique folklorique et les traditions populaires, et utilisent les instruments indigènes. D’autres, formés en Europe, composent des oeuvres purement occidentales (symphonies, concertos) et ont intégré les instruments de l’Ouest. Ces deux tendances, toutefois tendent à se mêler de plus en plus. Les orchestres unissent les deux types d’instruments et les compositeurs occidentalisants tirent leur matériel thématique du folklore. Enfin, le socialisme donne lui-

même une certaine couleur à la musique contemporaine en fournissant thèmes et motifs aux oeuvres vocales et en encourageant la création de grandes fresques chorales et les compositions collectives. LES INSTRUMENTS. La classification chinoise des instruments repose non pas sur le mode de production du son comme en Occident, mais sur la matière qui les compose. Elle distingue donc huit classes d’instruments : pierre, métal, soie, bambou, bois, cuir, terre et gourde, associant à chacune d’entre elles une saison, un point cardinal et un élément. Par souci de clarté, les instruments sont ici regroupés d’après la tradition occidentale. idiophones. On trouve, parmi eux, les instruments les plus anciens, à savoir les lithophones et les cloches, présentés soit individuellement en série de 12 accordés sur les 12 lyu (the king pour les pierres, potchong pour les cloches), soit en carillon de 16 (pyen king et pyen tchong). Le fang est un carillon de lames d’acier. Il existe de nombreuses sortes de gongs de bronze, dont les plus courants sont le lo, le kin, le thong tyen, le tcheng et le un lo ou yun ngao (carillon de 10 petits gongs). Les cymbales, po ou thong po et les claquettes de bois (peipan) sont surtout utilisées au théâtre. Certains instruments particuliers ne se trouvent que dans les temples, tel le yu (instrument de bois sculpté en forme de tigre) et le tchou (auge de bois carrée) pour les rites confucianistes, ou le mu-yu (poisson en bois laqué) utilisé par les prêtres bouddhistes et taoïstes. membranophones. Ils se présentent sous diverses formes (tambours, tambours de basque, timbales) et nombreux sont ceux d’origine étrangère. parmi les instruments plus traditionnels, on trouve le po fou (petit tambour), le pan-kou (à l’opéra), le kyen kou (grand tambour) et le tchang kou. On remarquera, au nombre d’instruments rentrant dans ces deux catégories, l’importance accordée en Chine aux percussions. Leur rôle n’est pas seulement rythmique. Ils sont essentiels dans les cérémonies religieuses, où ils indiquent le début et la fin des chants rituels. On confiera donc souvent à un percussiondownloadModeText.vue.download 201 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 195 niste le rôle de chef d’orchestre. C’est, en outre, sur eux que s’accordent les autres instruments. aérophones. Ils sont également très anciens, puisque dérivés des tuyaux cylindriques produisant les lyu. Les flûtes sont, de loin, la classe la plus importante et la plus primitive. On trouve des flûtes droites (yo, employée seulement comme accessoire figuratif dans les pantomines), des flûtes de Pan (phai syao) et des flûtes traversières (tchhi). C’est à ce groupe qu’appartient le ti, instrument très répandu et utilisé à de nombreuses occasions. Parmi les instruments à anche, citons les hautbois (so-na, très populaire, et hwan-tseu) et, les trompettes (ta-t’ung-kyo et cha-chaio). L’ocarina chinois, le hyuen, est le seul instrument en terre cuite encore utilisé. On peut aussi inclure dans cette classe un des instruments les plus typiques de la musique chinoise, le cheng ou orgue à bouche, datant environ du XIIe siècle av. J.-C.). cordophones. L’instrument le plus typique est le k’in ou cithare à sept cordes, dont l’invention est attribuée à Fou-hi, premier souverain mythique. Sa forme, ses dimensions et les matériaux qui le composent sont tous symboliques. C’était un instrument très apprécié de l’aristocratie et pour lequel il existe une abondante littérature. Toujours parmi les cithares, on trouve le se, à 25 cordes et le tcheng (petit se de 14 cordes). Les luths les plus populaires sont le p’i-p’a (instrument court à 4 cordes), le son hyen (à 3 cordes et au manche très long) et le yueh ch’in (4 cordes et de forme lunaire). Ils accompagnent tous les trois chansons, danses et ballades. Il existe divers genres de violon dont les plus courants sont le kou khin et le erhhu, à 2 cordes (très populaire). On trouve enfin une harpe à 22 cordes, le k’ung hu, et une sorte de psaltérion, le yang-k’in, qui accompagnent aussi la musique populaire. CHION (Michel), compositeur français (Creil 1947). De 1971 à 1976, il a travaillé au Groupe de recherches musicales de Paris, comme responsable de diverses activités d’enseignement, de recherche, de radio et de

publications. Parallèlement, il a composé plusieurs oeuvres électroacoustiques, la plupart axées sur des textes, et d’un style baroque et coloré : la Machine à passer le temps (1972), le Prisonnier du son (1972), Requiem (1973), On n’arrête pas le regret (1975), album nostalgique de « scènes d’enfant », Tu (1977-1981), qui aborde le thème du couple impossible, à travers des textes de Desnos et des scènes de la Flûte enchantée, et Melchisédech (1980). Travaillant, depuis 1976, indépendamment de tout groupe, Michel Chion se consacre de plus en plus à l’image, réalisant des films de court métrage, et enseignant la « mise en scène du son » au cinéma. On lui doit aussi des écrits musicologiques et théoriques, et des ouvrages sur la musique parmi lesquels Pierre Henry (1980), le Poème symphonique et la musique à programme (1993), la Symphonie à l’époque romantique (1994) et la Musique au cinéma (1995). Esprit touche-à-tout, Michel Chion s’est trouvé, sans l’avoir voulu, à l’écart d’un mouvement assez général de « restauration » des valeurs musicales traditionnellement « françaises » qui sévit dans la musique électroacoustique récente, à quelques exceptions près (bon goût, discrétion, netteté et poli du matériau, haro sur la musique « dramatique », etc.). Plutôt enclin à pratiquer la musique électroacoustique comme un « cinéma pour l’oreille » à grand spectacle, il se revendique comme un héritier de Fellini, aussi bien que de la musique de Pierre Henry ou du premier Pierre Schaeffer (celui des Orphées et de la Symphonie pour un homme seul). Dans sa production, la critique a surtout remarqué jusqu’ici son Requiem de 1973, souvent rapproché de l’univers de Jérôme Bosch. On peut y trouver en effet un condensé de ses « tendances « : recherche de l’émotion à travers le foisonnement des situations et des voix ; contrastes appuyés et montage dramatisé ; travail de la matière sonore dans ses irrégularités, son grain, son épaisseur, plutôt que pour la rendre lisse et propre ; omniprésence de la « voix humaine », utilisée en dehors des techniques traditionnelles. De 1982 date la Ronde, et de 1984 la Tentation de saint Antoine. CHITARRONE. De la famille des archiluths, le chitarrone fut l’instrument préféré du compositeur

Giulio Caccini qui recommande cet instrument pour accompagner la voix dans la préface de ses Nuove musiche (1602). La caisse du chitarrone ressemble à celle du luth, mais le manche est fort allongé afin d’accommoder, à l’extérieur, des cordes graves supplémentaires, dites cordes sympathiques et accordées dans le ton du morceau à accompagner. Un autre chevillier, plus près de la caisse, comporte les cordes habituelles du luth et peut être en boyau ou en métal. Le chitarrone, souvent d’une très grande beauté et muni d’une rosace ouvragée, est apparu en Italie au cours du dernier tiers du XVIe siècle. Aujourd’hui, il est courant de faire appel à cet instrument pour le continuo des premiers opéras de l’époque baroque (l’Orfeo de Claudio Monteverdi). CHOEUR (grec choros ; lat. chorus). Ensemble de chanteurs. Dans l’Antiquité grecque, le choeur accompagnait la tragédie et la comédie ; on a trouvé sur un papyrus datant de 200 avant Jésus-Christ un fragment de choeur de la tragédie Oreste d’Euripide. Le choeur connut un nouvel essor avec la religion, surtout la religion protestante où l’ensemble de la cérémonie est chanté par les fidèles. Au Moyen Âge, les chansons populaires à l’unisson accompagnaient les danses. De nos jours, le choeur a gardé toute son importance dans la liturgie des églises chrétiennes et dans la vie scolaire. Dans l’Antiquité, ils sont à l’unisson, ou à l’octave, souvent accompagnés par l’aulos et par des percussions. Au Xe siècle, on différencie les registres d’hommes ou même d’enfants. Vers le XIIe siècle, on trouve des partitions écrites à 4 voix, l’Église prend en charge l’instruction de petits chanteurs : ce sont les « enfants de choeur », pour qui sont créées, dans chaque diocèse, des maîtrises. À la fin du XVe siècle, on écrit pour 7 ou 8 voix, et même des oeuvres pouvant être chantées par 40 voix ; suivant leur composition, on distingue : - les choeurs à voix égales, composés de plusieurs parties, mais pour des voix de tessiture semblable ; - les choeurs mixtes, comprenant des voix d’hommes, de femmes et même d’en-

fants. De plus en plus, le choeur augmente son effectif, dans l’opéra et l’oratorio, aux XVIIe et XVIIIe siècle, alors que voix et instruments se groupent et forment partie intégrante de l’orchestre. De nombreux opéras du XIXe siècle et des opérettes contiennent des choeurs, qui ont même pu représenter des symboles de luttes politiques, comme certains choeurs de Verdi. Au XIXe siècle, de nombreuses associations masculines, particulièrement en Allemagne, forment des choeurs ou orphéons, pour chanter des idées patriotiques ou religieuses. Dans de nombreux grands lycées, actuellement, existent des ensembles de chant choral, généralement dirigés par le professeur d’éducation musicale. Le terme de choeur peut aussi signifier des groupes de cordes ou d’instruments de même famille qui jouent à l’unisson. CHOEUR. Appellation utilisée pour désigner un rang de deux ou trois cordes actionnées en même temps sur certains instruments à clavier (piano, clavecin) ou à cordes pincées (luth, vihuela, guitare baroque) et qui résonnent généralement à l’unisson. Toutefois, sur certains luths et sur la guitare en usage jusqu’au XVIIIe siècle, quelques choeurs comportaient deux cordes à distance d’une octave, produisant de curieux phénomènes de doublures analogues aux jeux de l’orgue. CHOEUR DE LUTH. Les cordes du luth étant groupées par deux, accordées à l’unisson ou parfois à l’octave, chaque paire est appelée choeur ou downloadModeText.vue.download 202 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 196 rang. On parle donc de luth à 4 choeurs, 6 choeurs, etc. CHOJNACKA (Élisabeth), claveciniste polonaise (Varsovie 1939). Élève de l’École supérieure de musique de Varsovie, elle y obtint son diplôme en

1962, puis étudia à Paris avec Aimée Van de Wiele. En 1968, elle remporta le premier prix au concours international de Vercelli. Spécialiste de la musique contemporaine, elle a créé en France des oeuvres de Ligeti, Donatoni, Berio et Penderecki. Des compositeurs tels que Constant, Ohana, Ferrari, Mâche, Cristobal Halffter, Donatoni, Miroglio, Jolas et Xenakis ont composé des oeuvres à son intention. CHOPIN (Frédéric Francis), compositeur et pianiste polonais (Zelazowa Wola, près de Varsovie, 1810 - Paris 1849). Son père, Nicolas Chopin, originaire de Marainville dans les Vosges, émigré en Pologne, avait épousé une parente de la famille Skarbek dont il était précepteur : Justyna Krzyzanowska. Une fille, Louise, précéda Frédéric, qui naquit le 1er mars 1810 ; deux autres filles devaient naître par la suite. UNE ENFANCE HEUREUSE ET PRÉDESTINÉE. À Varsovie, Nicolas Chopin, professeur au lycée, prend en pension des fils de propriétaires terriens, parmi lesquels Frédéric trouvera par la suite ses amitiés les plus durables : Titus Woyciechowski, les Wodzinski, Fontana, Slowaki... Au sein de sa famille, très musicienne, l’aptitude précoce de l’enfant se révèle très tôt. Premières leçons à six ans avec sa mère. Il n’aura, en fait, qu’un seul maître : Adalberg Zwyny, d’origine tchèque, qui lui communique ses deux passions : Bach et Mozart. À sept ans, il compose une Polonaise et une Marche militaire. Son premier concert à huit ans (un concerto de Gyrowetz) lui vaut d’être salué comme un « génie musical » en tant qu’interprète. Mais sa réputation s’établit aussi comme compositeur. Même engouement qu’autour de Mozart enfant. Frédéric Chopin joue devant la tzarine mère et devant le grand-duc Constantin. La cantatrice Angelica Catalani lui offre une montre en or. À douze ans, n’ayant plus rien à apprendre de Zwyny, il lui dédie une Polonaise. Cet enfant prodige est néanmoins d’un naturel très enjoué, doué pour le dessin, les imitations, le théâtre. Les vacances dans les environs lui permettent de prendre contact avec le folklore et les musiques paysannes, mazurkas, obereks, kujaviaks, et d’en imprégner son oreille. Il va ensuite au lycée, pour trois ans, jusqu’à

son baccalauréat, tout en continuant de se développer pianistiquement ; étudie avec Josef Elsner l’harmonie et le contrepoint. De cette époque datent Variations sur un air allemand (1824), Rondo op. 1 (1825), Polonaise en « si » bémol min. (1826), Variations pour flûte et piano sur un thème de Rossini (1826). Puis Chopin entre au conservatoire, fondé par Elsner lui-même. Ce dernier, musicien appliqué et abondant, excellent pédagogue, saura reconnaître l’étonnante progression de son élève. L’année 1827 est particulièrement prometteuse, qui voit naître les Variations op. 2 sur « Don Juan » (publiées à Vienne trois ans plus tard, elles provoqueront chez Schumann le fameux « Chapeau bas, Messieurs, un génie ! »), la Polonaise en « ré » mineur op. 71 no 1, le Rondo à la mazurka en « la » majeur op. 5, le Nocturne en « mi » mineur op. 72 no 1 (posth.). Mais cette même année, sa jeune soeur Émilie meurt, en mars, épreuve qui le marque comme un avertissement. LES SUCCÈS DE VIRTUOSE. En 1828, un voyage à Berlin lui permet d’entendre cinq opéras, dont le Freischütz, ainsi que l’Ode pour sainte Cécile de Haendel, mais surtout renforce son désir de se perfectionner et de se faire connaître à l’étranger. « Que m’importent les louanges locales ! » Voeu qui va dans le sens du conseil d’Elsner : « Le maître qui ne sait pas se laisser dépasser par son élève est un mauvais maître. » Ses succès de virtuose lui valent d’être accueilli au château d’Antonin chez le prince Radziwill, mélomane averti et violoncelliste, à qui il dédie son Trio op. 8. C’est en cette année 1828 qu’il compose également le Rondo pour deux pianos op. 73, la Grande Fantaisie pour piano et orchestre sur des airs polonais op. 13, le Rondo « Krakowiak » op. 14, la Polonaise en « si » bémol op. 71 no 2, enfin, hommage à son maître, et dédiée à celui-ci, la Sonate en « ut » mineur op. 4. Mais la vraie nouveauté, dans cette phase brillante, se trouve du côté des deux premières Études qui marquent chez le jeune compositeur, non enivré de ses succès, un souci de la méthode et une exceptionnelle exigence au niveau de la technique transcendante, dont Paganini, venu jouer à Varsovie, lui a fourni un exemple qu’il n’oubliera plus. À Vienne, où il se rend en 1829, Chopin

donne deux concerts (deux « académies musicales »). Accueilli, une fois de plus, par l’aristocratie, il rencontre Gyrowetz et Czerny. Blahetka salue en lui « un artiste de premier ordre qui tient un rang honorable à côté de Moscheles, de Herz et de Kalkbrenner ». Mais il ne gagne pas un sou. Et c’est le retour par Prague, Teplitz, Dresde et Breslau. De charmants visages de jeunes admiratrices, comme Élisa et Wanda Radziwill, éclairent ses séjours à Antonin. Premiers émois sentimentaux. Mais le sentiment qu’il éprouve pour Constance Gladkowska, jeune cantatrice, élève au conservatoire, ne trouvera d’exutoire que dans le lyrisme des deux concertos, sommets de la période varsovienne. Si cet amour, pudique et vite oublié, s’épanche librement dans le larghetto du Concerto en « fa » mineur, et plus tard, dans la romance du Concerto en « mi » mineur, seul, et par un étrange transfert, son ami préféré, Titus Woyciechowski, en reçoit la confidence. Son premier grand concert public a lieu à Varsovie le 17 mars 1830 au Théâtre national. Chopin marque une certaine déception. Mais un deuxième concert marque le triomphe du Concerto en « fa » mineur et du Rondo « Krakowiak ». LES ADIEUX À LA POLOGNE. Son départ est pourtant décidé. Varsovie est à la veille du soulèvement. Dernières vacances en famille à Zelazowa Wola. Dernier concert en Pologne, le 11 octobre 1830, avec, en première audition, le Concerto en « mi » mineur. Au cours du banquet de départ lui est remise une coupe d’argent contenant de la terre de Pologne. Adieux définitifs le 2 novembre, jour des morts. « J’ai l’impression que je pars pour mourir. » Vienne de nouveau. Une semaine après son arrivée, éclate l’insurrection de Varsovie. Son père lui écrit de ne pas rentrer. Ce second séjour est un échec complet. L’Autriche n’est guère favorable aux révolutions. Chopin ne réussira même pas à se faire éditer. « Ils n’impriment que du Strauss. » Confondue avec le souvenir de sa patrie blessée, l’image de Constance l’obsède. Il l’imagine aux prises avec les cosaques. Le Scherzo en « si » mineur op.

20 exprime son angoisse, une nuit dans la cathédrale Saint-Étienne, son souci pour les siens, le regret de ne pas participer à la lutte. Il quitte Vienne pour Munich où il donne un concert dans la salle de la Société philharmonique. Les compliments vont au virtuose. C’est à Stuttgart qu’il apprend la capitulation de Varsovie (18 sept.). Les pages de son Journal de Stuttgart expriment son désespoir et un désir d’anéantissement, qui ne sont pas sans rappeler le Testament d’Heiligenstadt de Beethoven muré dans sa surdité et sa souffrance. Comme le Scherzo en « si » mineur, l’Étude en « ut » mineur op. 10 no 12, dite la Révolutionnaire, traduit ce climat de tension visionnaire et apocalyptique, dont la littérature pianistique n’offre alors aucun autre exemple semblable. Sans doute estce la première fois que la musique et le génie d’un musicien se mettent ainsi directement au service d’une nation meurtrie par l’oppression. LA CONQUÊTE DE PARIS. Chopin ne réussit à obtenir qu’un passeport pour Londres portant la mention « passant par Paris ». Il y arrive à l’automne 1831 et s’y installe au 27, boulevard PoisdownloadModeText.vue.download 203 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 197 sonnière. Coup de foudre pour cette ville qui a pris parti pour la Pologne. « Le plus beau des mondes », « Paris répond à tous les désirs », écrit-il à Titus. Enfin et surtout, Paris est, à ce moment, la capitale de la musique. « J’ai trouvé dans cette ville les premiers musiciens et le premier opéra du monde. » Il s’enthousiasme pour la voix de la Malibran. Paër le présente à Rossini, à Cherubini et à Kalkbrenner. Ce dernier lui dit qu’il joue « dans le style de Cramer, mais avec le toucher de Field » et lui offre de le faire travailler pendant trois ans. À Varsovie, la famille s’insurge contre ce jugement : Frédéric ne risque-t-il pas de perdre son originalité, ce qu’il doit au sol natal, au contact de ce prétentieux qui s’est permis de corriger le Concerto en « mi « ? Ce qu’on craint surtout de ce côté, c’est que, « au lieu de s’immortaliser par des opéras » - Elsner appelait de ses voeux

la naissance d’un style national polonais dans l’opéra -, il se consacre uniquement au piano. Par Kalkbrenner, Chopin fait la connaissance de Camille Pleyel, dont il défendra la marque et qui le fournira en instruments jusqu’à la fin de sa vie. C’est dans les salons Pleyel qu’en février 1832 il donne son premier concert parisien. Liszt, Hiller, Berlioz, le chanteur Nourrit, le violoncelliste Franchomme (dont il écoute les conseils pour son Grand Duo concertant pour piano et violoncelle sur des thèmes de Robert le Diable), Heine, Mendelssohn sont devenus ses amis. Si ce premier concert couvre à peine les frais, Fétis discerne dans la musique du nouveau venu « une abondance d’idées originales » et prévoit d’emblée « la profonde influence » que les formes ainsi proposées sont destinées à exercer « sur les données futures des oeuvres écrites pour le piano ». Rare intuition critique. Chopin, pour lors surtout accueilli dans les salons polonais (le prince Czartoryski, chef de l’émigration, et le comte Plater), ne vit que grâce à l’aide paternelle. Le choléra (été 1832) vide Paris. Chopin songe à repartir. Peut-être l’Amérique ? Valentin Radziwill, rencontré par hasard, l’emmène chez le baron James de Rothschild. Il conquiert son auditoire. Le voilà lancé. Libéré de l’obligation des concerts, il donnera des leçons, environ quatre heures par jour. Dans ce milieu qui fait les réputations, il est l’événement de la saison. Il fera plus qu’y trouver un moyen de vivre, il y trouvera de fidèles admiratrices, souvent bonnes musiciennes, et qui seront d’excellentes propagatrices de son oeuvre et de sa « méthode ». Cette période mondaine fait de lui un des artistes les plus recherchés de la capitale. « Si j’étais plus sot que je ne suis, je me croirais à l’apogée de ma carrière. » Il loge au 5, rue de la Chaussée-d’Antin, dans un appartement meublé avec raffinement, s’habille chez les meilleurs faiseurs, fréquente les lieux à la mode, a un cabriolet. De Varsovie, il reçoit des conseils d’économie. Ainsi, aux antipodes d’un Liszt, trouvet-il un équilibre matériel compatible avec son mode de création. Si, en dix-huit années de vie parisienne, il se produit dans dix-neuf concerts, en fait, il ne jouera en soliste que quatre fois seulement. « Tu

ne saurais croire, écrivait-il déjà à Titus avant de quitter la Pologne, quel martyre c’est pour moi, durant trois jours, avant de jouer en public. » Tout en lui - et sa musique même - refuse les grandes extériorisations habituelles. Berlioz écrit qu’il exécute ses Mazurkas « comme pour un concert de sylphes et de follets »... « au superlatif du piano » et l’appelle « le Trilby des pianistes ». Nullement grisé par ces succès mondains, Chopin achève et publie, entre 1832 et 1834, les douze Études de l’opus 10 dédiées à Liszt, 6 Nocturnes de l’opus 9 et de l’opus 15 (où les happy few conviés à certaines soirées reconnaissent « la note bleue » qui a tant fait pour fixer une certaine image mélancolique et aristocratique de son inspiration), les Variations sur le thème de Ludovic Halévy, Je vends des scapulaires op. 12, la Grande Fantaisie sur des airs polonais op. 13, le Rondo « Krakowiak » op. 14, le Rondo en « mi » bémol majeur op. 16, Quatre Mazurkas op. 17, la Grande Valse en « si » bémol majeur op. 18 et le Boléro en « do » majeur op. 19, composé à Varsovie sur une proposition rythmique de la Muette de Portici d’Auber et publié cette fois sous le titre, surprenant chez Chopin, de Souvenir d’Andalousie. La diffusion rapide de ces oeuvres, en France et à l’étranger, est soulignée par la Revue musicale comme « un phénomène inexplicable ». Rarement l’histoire de la musique a retenu une accession aussi immédiate à la célébrité. Même si Chopin se défie de certaines interprétations, Liszt, Kalkbrenner, Hiller, Osborne, Stamaty, Clara Wieck contribuent largement à le faire connaître. Sept cahiers de compositions paraissent, entre 1832 et 1835. Ses éditeurs sont Schlesinger pour la France, Wessel pour l’Angleterre, Breitkopf et Härtel pour l’Allemagne. UN PÉNIBLE ÉPISODE SENTIMENTAL. Le deuxième volet de sa vie sentimentale est celui de Maria Wodzinska, soeur de deux jeunes gens qui ont été autrefois en pension chez ses parents à Varsovie. Au retour d’un voyage à Aix-la-Chapelle, au printemps 1834, et d’une descente du Rhin avec Mendelssohn, Chopin est invité par la comtesse Wodzinska à se rendre à Genève. Pendant l’hiver 1834-35, il donne plusieurs

concerts à Paris. L’un dirigé par Berlioz, l’autre avec Liszt. En février, Salle Érard. En mars, chez Pleyel. Aux Italiens, au profit des Polonais, avec Nourrit et Falcon. En avril, au Conservatoire où l’Andante spianato est vivement applaudi. Chopin est à ce moment en excellente forme physique. « Il n’y a que le regret du pays qui le consume », note son ami Orlowski. Ce même hiver, il rencontre Bellini, lequel meurt quelques mois plus tard. À Karlsbad, pour la première fois depuis la séparation, Frédéric retrouve ses parents. « Notre joie est indescriptible... » Ceux-ci repartent pour la Pologne. Chopin ne les reverra plus. À Dresde, il rejoint les Wodzinski et Maria. En la quittant, il recopie pour elle la Valse op. 69 no 1, dite de l’Adieu, composée à cette époque, mais non point, contrairement à la légende, pour cette circonstance. À Leipzig, il voit Mendelssohn et les Wieck, écoute Clara. Il est de retour à Paris en octobre 1835. Période de dépression. Le bruit court qu’il crache le sang. Le Courrier de Varsovie annonce même sa mort. Ce qui ne l’empêche pas de composer plusieurs Mazurkas de l’opus 24 et de l’opus 67, les Polonaises de l’opus 26, d’achever la première Ballade, de composer deux Nocturnes de l’opus 27 et trois Valses (op. 69 no 1, op. 70 no 1, op. 34 no 1). En avril 1836, concert Salle Érard avec Liszt qui soulève l’enthousiasme en jouant les Études. En juillet, Chopin rejoint les Wodzinski, à Marienbad cette fois, et demande la main de Maria. Les fiançailles doivent rester secrètes, exige la comtesse ; ce qui donnera à Frédéric le temps de se soigner. Il repasse par Leipzig et joue à Schumann sa Ballade. Les Wodzinski ont regagné Sluzewo en Pologne. Vainement Chopin attendra de voir se confirmer ses espoirs. À la fin de l’automne 1836, chez Liszt et Marie d’Agoult à l’hôtel de France, première rencontre, plutôt négative des deux côtés, avec George Sand. « Qu’elle est antipathique, cette Sand ! » confie Frédéric à Hiller. « Et est-ce bien une femme ? J’arrive à en douter. » Ils se reverront pourtant un peu plus

tard, chez Chopin cette fois, rue de la Chaussée-d’Antin, lors d’une soirée pendant laquelle Liszt et Chopin joueront à quatre mains la Sonate en « mi » bémol de Moscheles. Sand invite Chopin à venir à Nohant avec Franz Liszt et Marie d’Agoult. Mais alors qu’il attend toujours un signe de Maria, il préfère accompagner à Londres Camille Pleyel au cours de l’été 1837. Les Wodzinski, cet été-là, restent en Pologne. Ainsi s’achève ce pénible épisode sentimental. LA PÉRIODE DE LA MATURITÉ. Revenu de Londres, Chopin retrouve ses élèves et ses leçons. En octobre 1837, paraît le second cahier des Études op. 25, dédié à Marie d’Agoult. Il commence à travaildownloadModeText.vue.download 204 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 198 ler aux Préludes, où se retrouveront ses trois qualités essentielles : passion, lucidité, concision. C’est une fois de plus le tribut payé à Bach dont « la structure de l’oeuvre, écrit-il, ressemble à ces figures géométriques parfaitement dessinées, dans lesquelles tout est à sa place, aucune ligne n’est de trop ». Compositions « d’un ordre tout à fait à part », notera Liszt, et qui, en dépit du titre, n’introduisent à rien d’autre qu’à un inventaire complet de toutes les incitations créatrices, de toutes les alternances qui construisent la personnalité de l’homme et du musicien. En février 1838, Chopin joue devant Louis-Philippe et, le mois suivant, donne deux concerts à Rouen, le second, à l’appel d’Orlowski, au profit de ses compatriotes polonais. Ce qui lui vaut, de la part de Legouvé dans la Gazette musicale, des encouragements à se produire plus souvent en public. « Si, désormais, on se demande encore quel est le plus grand pianiste du monde, de Thalberg ou de Liszt, le monde répondra à ceux qui t’ont entendu : Chopin ! » Autre signe de cette gloire « phénoménale », la visite que lui rend le virtuose qu’il a le plus admiré : Paganini. Il ne quitte pas Paris, cet été-là. George vient le voir de Nohant. Finalement, elle

brusque les choses : « Loin de moi les forts !... J’ai besoin de nourrir cette maternelle sollicitude qui s’est habituée à veiller sur un être souffrant et fatigué. » Thème constamment repris par elle au cours de ses apologies successives. Leur liaison va durer neuf ans. Leur intimité peut-être seulement quelques mois. À la recherche d’un climat doux pour l’hiver, ils choisissent Majorque. Ils y arrivent en pleine saison des pluies et vont s’installer, à trois lieues de Palma, à la chartreuse de Valdemosa. Chopin recommence à tousser. Dans ces immenses couloirs, il se croit poursuivi par des fantômes. Sur le piano envoyé par Pleyel, il travaille sans discontinuer et achève les Préludes qu’il expédie le 12 janvier 1839 à son ami et ancien condisciple de Varsovie, le pianiste Julian Fontana, qui lui servait, à cette époque, de secrétaire et de copiste. Il lui annonce l’envoi prochain d’une Ballade (la deuxième, qui sera dédiée à Schumann pour le remercier de lui avoir dédié ses Kreisleriana), de deux Polonaises (en la majeur et en do mineur), ainsi que du troisième Scherzo. La Mazurka en « mi » mineur op. 41 no 2, les deux Nocturnes de l’opus 37 (sol mineur et sol majeur), enfin l’esquisse de la Sonate en « si » bémol mineur, dite Funèbre, appartiennent aussi à cette période. Cernés par l’hostilité de la population, une atmosphère quelque peu fantasmatique et surtout un climat qui ne convient guère à un malade, ils quittent les lieux le 12 février. À Palma, Chopin a une hémoptysie. À Marseille, ils assistent au service religieux pour l’enterrement du célèbre ténor Adolphe Nourrit, qui s’est suicidé à Naples. Bref séjour à Gênes. Et, le 22 mai, c’est le départ pour Nohant. La liaison de Chopin et de Sand aura désormais un caractère conjugal : stabilité, imperméabilité réciproque, récriminations et jalousies, mais accord implicite. Entre George et ses enfants, Maurice et Solange, Chopin aura l’illusion d’un foyer. Ces huit années correspondent à celles de sa maturité et c’est à Nohant, pendant ces longs étés, qu’il composera désormais. Pendant le premier été dans le Berry, il procède à la révision de l’édition française des oeuvres complètes de Bach, achève la Sonate en « si » bémol mineur, les Nocturnes

de l’opus 37 et les Mazurkas de l’opus 41. Revenu à Paris, Chopin s’installe rue Tronchet. L’année suivante, il rejoindra George et les enfants rue Pigalle. Avec Moscheles, qu’il vient de rencontrer chez le banquier Léo, il est invité à jouer à Saint-Cloud devant la famille royale. Le salon de George voit se mêler artistes et gens du monde. Chopin continue à enseigner et travaille. Troisième Ballade op. 47, deux Nocturnes op. 48, la Tarentelle op. 43 - pour ce morceau, s’est-il souvenu de Gênes ? Plutôt de Liszt et de Rossini. Le 26 avril 1841, concert très brillant et mondain chez Pleyel. La chanteuse Pauline Viardot vient cet été-là à Nohant. Chopin se sent complètement assimilé à sa nouvelle famille. « Calme et serein, écrit-il, comme un bébé au maillot. » Nouveau concert chez Pleyel, l’hiver suivant (février 1842), avec Pauline Viardot et Franchomme, qui bientôt remplacera Fontana, parti pour l’Amérique, dans ses fonctions de factotum. Le même soir que ce concert, meurt à Varsovie le vieux Zwyny. Deux mois plus tard, Jas Matuszinski, camarade d’enfance avec qui Chopin a longtemps cohabité, succombe à la suite d’hémoptysies répétées. George se hâte d’emmener Chopin à Nohant où Delacroix fera un long séjour. Entre les deux hommes est née une profonde amitié. Mais si le musicien reste étranger au génie du peintre, fermé à toute discussion esthétique, Delacroix le situe d’emblée à la place que lui accordera la postérité. « C’est l’artiste le plus vrai que j’aie rencontré. » Cette année 1842 voit naître la quatrième Ballade qui, évoluant vers la fantaisie, tendant vers le style polyphonique, est la plus dense, la plus prémonitoire : « géniale improvisation stylisée » où Cortot découvre « les accents précurseurs de l’impressionnisme ». Le quatrième Scherzo, également contemporain, tout de lumière et de poésie, semble faire éclater lui aussi le cadre que Chopin s’est fixé au départ. Revenus à Paris, Sand et Chopin s’installent aux nos 5 et 9, square d’Orléans : « petite Athènes » où logent déjà Alexandre Dumas, Pauline Viardot et la comtesse Marliani. Tous n’ont qu’une

cour à traverser pour se rendre les uns chez les autres. L’année 1843 voit paraître, éditées en 1844, trois Mazurkas op. 56, deux Nocturnes op. 55. Nicolas Chopin meurt à Varsovie le 3 mai 1844, coup terrible pour Frédéric. Sa soeur Louise et son beau-frère viennent faire un séjour à Nohant. C’est l’année de la Sonate en « si » mineur op. 58 et de la Berceuse op. 57. Au contact des siens, Chopin a retrouvé des forces. Il continue de vivre sous la protection de George, qui, pour sauvegarder les apparences, a toujours affecté de jouer les gardes-malades. « UNE MYSTÉRIEUSE APOTHÉOSE ». Sur le plan de la création, et alors qu’il approche de la fin, Chopin est déjà entré dans cette phase où, échappant à l’anxiété et aux fantasmes morbides, il se tourne paradoxalement vers la joie et la lumière méditerranéennes. Et c’est, l’année suivante (1845), la merveilleuse Barcarolle, qui unit au thème ondin le chant du timonier et le balancement des eaux du Switez. La brisure de l’accord initial dans un lumineux ruissellement annonce Debussy. « Le Nocturne tristanesque ne nous révélera pas d’élans plus passionnés, d’inflexions plus tendres... », note Cortot. Et Ravel de même, après avoir salué « le thème en tierces, souple et délicat, constamment revêtu d’harmonies éblouissantes », voit là « une mystérieuse apothéose ». Beaucoup plus que le testament d’une vie et d’une expérience créatrice, c’est une ouverture vers l’avenir. Cette même liberté formelle qui fait sortir Chopin du cadre qu’il s’est fixé pour la ballade ou le scherzo - en fait de toutes les formes utilisées par lui - et déboucher sur la fantaisie, apparaît de même dans l’étonnante liberté (le titre indique bien cette évolution à partir de l’incitation rythmique originale) de la Polonaise-Fantaisie op. 61 en la bémol majeur terminée l’année suivante. Durant cette année 1846, Chopin, qui depuis des années n’a rien écrit que pour le piano, revient à la musique de chambre avec la Sonate pour violoncelle et piano op. 65. Il compose aussi les deux Nocturnes de l’opus 62. Son oeuvre n’est pas tout à fait terminée, mais il a dit l’essentiel. Et bien au-delà de

la « petite note bleue ». Il y aura encore, l’année suivante (1847), et presque comme un retour du passé, les trois Valses de l’opus 64, fixant la perfection du modèle ; les trois Mazurkas de l’opus 63. Il achèvera aussi les dix-sept Chants polonais op. 74, publiés après sa mort par Fontana. Encore une Valse en 1848, et, en 1849, la dernière downloadModeText.vue.download 205 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 199 Mazurka op. 68 no 4, oeuvre ultime. Mais l’élan créateur est désormais cassé depuis sa rupture avec Sand (août 1847). Faut-il en trouver la raison dans les démêlés autour du mariage de Solange avec le sculpteur Clésinger ? Ou bien dans des divergences de tempérament, accrues chez Sand alors qu’elle aborde sa phase militante et se tourne vers le socialisme ? Chopin a toujours fui, chez George, certains invités : Arago, Edgar Quinet, Louis Blanc. « Étranger à mes idées..., dira Sand, il ne comprenait que ce qui était identique à lui-même. » La mésentente des enfants de George a certainement précipité la rupture. L’été 1847, pour la première fois depuis Majorque, Chopin n’est pas invité à Nohant. Se brise cette illusion familiale qui lui est devenue nécessaire pour vivre et pour travailler. Dernier concert parisien chez Pleyel le 16 février 1848. Une dernière fois, Chopin parvient à divulguer à ce public qui s’est arraché les billets « le mystère d’une exécution qui n’a pas d’analogue dans notre région terrestre » (Gazette musicale). La chute de Louis-Philippe empêche le second concert d’avoir lieu, le prive de ses élèves partis en province et, donc, de ses ressources. Un voyage en Angleterre et en Écosse n’est qu’un recours désespéré qui ne peut que hâter sa fin. Les concerts sont épuisants pour lui, malgré l’accueil qu’il reçoit en général. Il rentre à Paris le 24 novembre 1848. D’abord installé à Chaillot pour éviter l’épidémie de choléra, il admire de loin le panorama de la capitale. Défilé inces-

sant d’amis et d’admiratrices. Il se décide à appeler sa soeur. Louise arrive le 8 août. On le transporte en septembre, au 12, place Vendôme, côté soleil. Il meurt le 17 octobre 1849. UN « GÉNIE MUSICAL » RECONNU. Salué « génie musical » à huit ans, Chopin est né sous le signe de la précocité et d’une reconnaissance quasi immédiate de ses dons de pianiste et de compositeur, les deux étant liés. Quittant Varsovie à vingt ans, il a déjà écrit ses deux concertos et s’apprête à réinventer musicalement une Pologne qu’il vient de perdre définitivement. En fait, il invente tout : lui-même, ses sources, et, en partie, le piano. Un instrument qu’on entendait pour la première fois avec cette multiplicité de nuances et de timbres et qui se révélait à travers lui. En même temps, dès ses premières oeuvres, se révèlent une voix intérieure, une exigence méthodique, un style qui déjà lui appartiennent en propre. D’autres se laisseront attirer par les grands développements thématiques et orchestraux, l’opéra ou le poème symphonique ; Chopin, dès le départ, sait que sa mesure exige à la fois un cadre plus limité, mais répondant aussi pour chaque morceau à une incitation immédiate et dominante. Il ne se réfère pas à des formes établies, mais cherche dans celles-ci une invitation thématique ou un support rythmique. Valses, Préludes, ou Mazurkas restent les éléments d’un vocabulaire qu’il utilise sans contrainte dans le cadre d’une invention strictement contrôlée. C’est cette personnalisation transcendante du style, cette variété de l’inspiration, ce sens de la nuance, cette fluidité du jeu, cette liberté tonale qui ont tant frappé ses contemporains, aussi bien Schumann, Berlioz ou Liszt que la critique en général. Sous leur plume, le mot génie quand il s’applique à Chopin désigne et rend indiscernables les deux aspects de la révélation qu’il représente : une musique entièrement originale dans des formes nouvelles ou renouvelées (scherzo, prélude, sonate, etc.), une musique puisant idéalement aux sources d’un folklore largement réinventé, enfin, à travers celle-ci, une écoute absolument neuve de l’instrument. Si cette admiration lui est acquise dès

ses premiers contacts avec les autres musiciens, elle ne l’amène pas pour autant à se départir d’une certaine réserve. Les concerts le rebutent et les manifestations d’un vaste auditoire l’effraient plus qu’elles ne le rassurent. Chopin ne se conçoit pas comme un improvisateur sur des thèmes lancés par la salle. Là encore, il sait choisir sa mesure : un cadre assez restreint - élèves, amis, admiratrices dévouées -, cellule d’un culte appelé à toucher très vite d’autres milieux. Ce choix initial d’une élite, d’une aristocratie ouverte à la musique, a sans doute été pour lui à l’origine d’un malentendu qui s’est maintenu par la suite, du fait d’interprètes mineurs ou débutants alanguissant à plaisir la phrase et le rythme. Chopin n’a pas à être lavé du reproche d’être un musicien de salon, ou voué au morbide et aux évanescences. L’oeuvre, même quand elle paraît relativement accessible, reste d’un niveau transcendant et échappe aux apprentissages et même aux aptitudes moyennes. Trahie dès que le côté brillant ou nostalgique de certaines pages est trop souligné, elle exige de l’interprète cette suprême maîtrise, cette totale intelligence du texte, enfin ce complet équilibre entre la virtuosité et l’inspiration, seul capable, comme Chopin lui-même l’a indiqué, de réconcilier « les savants et les sensibles ». Aux antipodes de la facilité et de l’épanchement, cet extrême raffinement, ces fluctuations de la tonalité, ces dissonances, ces alternances dynamiques, ces ruptures d’accords arpégés, ces délicates parures entraînées par ce jeu coulé amènent une sorte de transparence, de luminosité impressionniste, qui font de lui un jalon essentiel et l’ancêtre direct de Claude Debussy. Encore ne faut-il pas oublier que la véritable nature du musicien est tout entière dans ces alternances dynamiques, entre la sérénité et de soudains déchaînements de violence, entre la pudeur, le repli sur soi et de soudaines révoltes créant tout à coup une sorte de climat visionnaire, de sursaut épique. Génie multiple à la mesure d’une sensibilité riche, diverse, angoissée, mais allant au-delà de ses fantasmes, de ses drames personnels et capable d’inscrire au côté de ceux-ci le drame de son peuple luttant contre l’oppression. Chopin est le premier compositeur de

son niveau à s’être voué uniquement au piano, révélant - et d’abord aux virtuoses de son temps - une technique brimant les usages de l’époque, un jeu « en souplesse » plutôt que « en force », des attaques, des intervalles vertigineux, une mobilité de la main, une éducation du doigté qui introduit l’intelligence et la sensibilité dans le pur mécanisme, une rapidité foudroyante du trait, un usage conjugué des deux pédales, le tout concourant à la complète maîtrise du clavier et de l’instrument. Si, compositeur, Chopin donne à tout ce qu’il produit de solides bases harmoniques, enferme l’apparente improvisation dans un réseau d’indications d’une netteté voulue, il a certainement rêvé d’une « méthode des méthodes », rassemblant l’essentiel de son enseignement. Plus exemplaire que réellement pédagogue, il s’en est tenu à une dizaine de pages, assez persuadé, on peut le penser, que l’expérience essentielle du pianiste était incluse dans sa musique, et plus valablement que dans un traité. Au coeur de ce qu’on a souvent appelé le « secret de Chopin », l’emploi du rubato, cette liberté de mouvement comportant l’altération du temps dans certains passages afin de souligner l’expression. C’est une erreur à coup sûr d’affirmer comme Berlioz : « Chopin supportait mal le frein de la mesure ; il a poussé beaucoup trop loin, selon moi, l’indépendance rythmique. » L’exigence de celui-ci est toute différente. Temps dérobé, mesure souple (en général à la main droite), le rubato donne à la phrase mélodique dans la partie chantante un accent de terroir en soulignant l’expression. Mais lui-même, dans une formule célèbre, limite les risques d’une interprétation trop poussée d’une telle licence : « Que votre main gauche soit votre maître de chapelle et garde toujours la mesure », dit-il à Georges Mathias. Ainsi, quelle que soit la nature du sentiment qui l’amène à la création, tout s’équilibre chez Chopin autour des exigences rationnelles et dans une complexe alchimie. Son coup de génie, c’est d’avoir eu, à dix-neuf ans, la révélation de cette exigence à la fois méthodique et transcendownloadModeText.vue.download 206 sur 1085

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200 dante en composant sa première Étude, après avoir entendu Paganini et par référence à Bach, son musicien préféré avec Mozart. Et aussi, en opérant ce choix essentiel, en dehors de tout programme anecdotique : « La musique et la musique seule. » Un sensible, oui, mais comme peut l’être un très grand poète : à partir d’un langage original, entièrement dominé, et aussitôt identifiable. Chopin est, en plein romantisme, tant par son caractère, ses goûts littéraires et artistiques, tourné vers le XVIIIe siècle. Par ses réticences personnelles face à certains témoins de son temps, il est, sinon un classique, du moins un être cultivant l’intériorité, étranger à tous les messianismes, à tous les déballages prophétiques. Le premier musicien, à coup sûr, à avoir exprimé de façon persuasive son identité personnelle. Ce pudique ne nous parle que de lui-même. Dans ces alternances de passion et d’exigence formelle qui forment la structure de presque chaque morceau, il dessine peu à peu, par touches successives, son paysage intérieur. S’il ne refuse pas le développement, le style rhapsodique, la variation, il ne se soumet jamais à la musique à programme. Ses plus intenses intuitions, Chopin les livre de façon concise, sans se répéter, tantôt dans une sorte de sursaut, tantôt sous le couvert du secret et de l’énigme. Beaucoup s’y sont trompés : sous le masque du sylphe, Chopin lui aussi écrivait « la musique de l’avenir », et, après lui, le piano n’a plus été ce qu’il était avant lui. Le cantabile si caractéristique de sa mélodie permet-il de parler de son italianisme ? On sait qu’il recommandait à ses élèves d’utiliser le chant et que d’autre part il était passionné d’opéra et a eu des contacts avec les plus grands chanteurs de son temps. Une certaine plénitude du phrasé mélodique, l’accent direct et pathétique de certains thèmes peuvent évoquer le style vocal, mais, si l’influence n’est pas à récuser, il est évident que son « italianisme » subit lui aussi une complète métamorphose et que la version qu’il nous en donne est spécifiquement instrumentale. Même métamorphose d’ailleurs pour la Barcarolle. Chopin ne réussit jamais à être autre chose que lui-même. En revanche, la « mélodie natale »,

ce mélange de nostalgie slave (le zal) et de bravoure patriotique, est chez lui constamment présente. Mais cet apport lui aussi se trouve transfiguré, « personnalisé », même dans les mazurkas où la référence est directe au plan de l’émotion et de l’intention poétique, exceptionnellement au plan de la citation. Chopin procède moins par réminiscence que par analogie, la « mélodie natale » n’étant jamais plus vraie chez lui que lorsqu’il l’invente. De même, jamais avant lui la polonaise n’a été traversée par ce souffle de révolte et n’a été, pour ceux qui la dansaient, ce poème visionnaire. Néanmoins, ces citations, imaginaires pour la plupart, font pour la première fois entrer le folklore musical dans le cycle des nationalités et de la lutte des peuples pour leur libération. Il reste que ce choix thématique (cette réinvention plutôt) n’a aucun caractère scientifique ou documentaire. Indépendamment du besoin qu’éprouvait Chopin de se maintenir ainsi en contact avec les siens et de faire preuve de fidélité patriotique, ce choix va dans le sens de la mobilité rythmique et de la liberté tonale, et c’est là une recherche qui sera poursuivie de façon plus poussée par la suite par d’autres musiciens à la recherche soit de leur identité propre, soit d’une identité régionale. LE PHÉNOMÈNE CHOPIN. Si l’on considère maintenant l’extraordinaire postérité de Chopin en regard de la triple revendication de celui-ci - choix du piano contre la collectivité orchestrale, choix des petites formes contre l’opéra ou la symphonie, choix enfin d’un cercle restreint de fidèles et d’admirateurs -, on ne pourra que s’étonner de l’éclatement de ce cadre volontairement limité et de la diffusion toujours plus grande de l’oeuvre. Pas de traversée du désert pour cette dernière, pas de retombée de cet engouement audelà des images légendaires du musicien agonisant, qu’on peut tenir désormais pour anecdotiques et marginales. Ce qui frappe aujourd’hui, quand on examine le phénomène Chopin dans le monde, dégagé d’un certain contexte morbide passé à l’arrière-plan, c’est son extrême vitalité. Point tant parce que la Pologne a fait de Chopin un héros national, mais parce qu’il reste, au plus haut

niveau, par ses oeuvres, une sorte de test, aussi bien pour les jeunes virtuoses au début de leur carrière et voulant se situer sur la scène internationale que pour les gloires confirmées du clavier, lesquelles, d’une génération à l’autre, se sont transmis le flambeau. De Liszt à Anton Rubinstein et à Paderewski, de Cortot à Horowitz et à Lipatti, Chopin n’a jamais cessé d’être servi, en effet, par les plus grands interprètes. Il reste encore à travers le monde un des musiciens les plus joués en concert. Et, bien entendu, un des plus enregistrés. Au catalogue des grandes gravures historiques, un ensemble d’intégrales monumentales permet non seulement de comparer au plus haut niveau des interprétations remarquables, souvent opposées (Claudio Arrau ou Horowitz), mais également de faire apparaître la diversité, l’énorme pouvoir de renouvellement de l’oeuvre. L’attrait que cette oeuvre exerce sur le public et sur les jeunes pianistes apparaît dans l’intérêt international soulevé depuis 1927 par le concours Chopin de Varsovie. Pour l’année 1980, le nombre de demandes d’admission, venant de 21 pays, a dépassé 200 candidats : 171 ont été retenues parmi ces très nombreuses demandes. Si Bayreuth ou Salzbourg contribuent à maintenir le culte d’une oeuvre donnée au niveau de la perfection en recourant pour chaque festival à des interprètes déjà mondialement reconnus et confirmés, le concours de Varsovie, en fixant la limite d’âge à 32 ans, s’emploie à unir le prestige et la défense de l’oeuvre de Chopin en révélant de nouveaux talents dans une compétition largement internationale, véritable compétition olympique dans le domaine du piano. Des noms comme celui de Chostakovitch, d’Uninski, de Malcuzinski, avantguerre, et, plus récemment, d’Harasiewiecz, d’Ashkenazy, de Pollini, de Marta Argerich et de Zimmermann suffisent à en souligner l’importance et l’impulsion qu’il peut donner à un jeune virtuose. Longtemps la prééminence des Russes et des Polonais a semblé être la règle. La compétition est de plus en plus ouverte, et l’apparition de l’Iran et de la Chine, mais, surtout, la percée des pia-

nistes japonais prouvent à quel point le phénomène Chopin échappe aux limites culturelles du monde occidental. L’écho de cette oeuvre et de cette grande voix intérieure a trouvé sa vraie dimension audelà des limites que peut-être l’artiste a désirées et qu’il jugeait les plus favorables à sa propre survie et à son propre épanouissement. CHOPIN (Henri), compositeur français (Paris 1922). Polyvalent et cosmopolite, semant, au cours de ses tournées et de ses voyages, concerts, expositions, essais, romans, poèmes, films expérimentaux, il est un des principaux auteurs de « poésie sonore » ultralettriste enregistrée. Par rapport à ses pairs dans cette technique (Bernard Heidsieck ou François Dufrene) qui utilisent généralement la bande magnétique comme un simple support, une « mémoire » objective de leurs travaux, son originalité fut d’utiliser dès le début les manipulations électroacoustiques pour transformer le matériau vocal. CHORAL. L’adjectif s’applique à tout ce qui concerne les choeurs : musique chorale, formation chorale. Par extension, le substantif est employé pour ensemble choral, choeur. Mais le terme de choral désigne deux formes musicales précises : d’une part les cantiques luthériens, qu’ils soient à l’unisson ou harmonisés, d’autre part les pièces pour orgue basées sur ces mélodies de cantiques. downloadModeText.vue.download 207 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 201 Les premiers recueils de chorals luthériens furent publiés dès 1524, aux tout débuts de la Réforme. Luther ayant fondé la pratique cultuelle de la religion nouvelle sur le chant collectif, à la maison ou au temple, il entreprit aussitôt, avec plusieurs collaborateurs, de rédiger les poèmes de ces cantiques - chants de louange, d’enseignement, paraphrases du dogme, psaumes. La musique de ces cantiques fut soit composée spécialement (Luther luimême y participa, avec Agricola, Heyden, Walter, etc.), soit, souvent, empruntée à

des mélodies existant antérieurement plain-chant, mélodies religieuses, chansons profanes. Le style musical des chorals est de caractère populaire, d’intonation facile et de carrure marquée, en phrases courtes correspondant à des vers généralement de huit pieds, avec ponctuation régulière en fin de phrase. Ce style populaire et cette simplicité de chant ont contribué au succès rapide des chorals, diffusés par de très nombreux recueils imprimés. La composition des chorals s’est poursuivie tout au long des XVIe et XVIIe siècles, en particulier pendant la guerre de Trente Ans ; les oeuvres écrites par la suite en ont souvent dénaturé le caractère, et l’Église luthérienne est revenue, aujourd’hui, à ses vieux chants authentiques. Dès le XVIe siècle, le choral, comme d’ailleurs le psaume, qui en est l’équivalent dans l’Église protestante française, a fait l’objet d’harmonisations à plusieurs voix, mais préservant la simplicité d’exécution pour les assemblées de fidèles. Également très répandu, le genre fut illustré par des compositeurs comme Schein, Praetorius, Franck ou Hassler au XVIe siècle. C’est ce type de choral qui ponctue les cantates d’église de Bach. Les mélodies de chorals et les textes religieux qui y sont attachés ont si fortement imprégné la sensibilité du monde culturel luthérien, que les compositeurs ont très tôt pris l’habitude de les citer dans leurs oeuvres, souvent en cantus firmus. Le procédé a d’ailleurs dépassé le domaine d’expression germanique et de foi protestante. C’est ainsi que l’un des chorals fondamentaux de l’Église réformée, Ein feste Burg ist unser Gott (« C’est une puissante forteresse que notre Dieu »), circule dans toute la musique religieuse luthérienne (chez Bach, à de nombreuses reprises), mais aussi dans des oeuvres symphoniques ou théâtrales comme la Symphonie no 5 de Mendelssohn (« Réformation »), l’ouverture des Huguenots de Meyerbeer ou l’Histoire du Soldat de Stravinski. À l’orgue, le choral a été traité de diverses manières, soit pour introduire (« préludes de choral »), soit pour commenter (chorals variés) le chant du choral par l’assemblée. La mélodie du choral est exposée et accompagnée en un contrepoint dont les éléments rythmiques, harmoniques et mélodiques illustrent

de façon souvent figurée et poétique les thèmes liturgiques et les intentions religieuses exprimées par le texte du choral. Le thème du choral se prête aussi à être traité en sujet de fugue, en fantaisie ou en partita : la mélodie, exposée en harmonisation simple, fait ensuite l’objet de variations (une par strophe de texte). Le chef-d’oeuvre du choral varié est les variations canoniques sur Vom Himmel hoch de J. S. Bach. Schein, Scheidt, Sweelinck, Buxtehude, Pachelbel, J. S. Bach surtout, ainsi que leurs élèves, ont été parmi les principaux compositeurs de chorals pour orgue. On a continué à en écrire au XIXe et au XXe siècle (Brahms, Reger) ; mais certaines pièces de ce nom, comme les trois chorals de César Franck, n’utilisent pas de mélodie de choral et ne se réfèrent pas à l’un des types de chorals d’école. CHORALES. Il est probable que toutes les civilisations de l’Antiquité ont pratiqué le chant choral à titre religieux, patriotique, militaire ou simplement artistique, mais les premières chorales organisées de l’ère chrétienne ont été celles des églises, paroissiales ou conventuelles. (Une maîtrise de NotreDame existait à Paris dès le VIIe siècle). Il y eut ensuite, à partir de la fin du Moyen Âge, des chorales de cour que de nombreux princes, à commencer par le pape, entretenaient au même titre que leurs « bandes » de musiciens. Un troisième type de chorales naquit en Allemagne, à l’époque de la Réforme, avec la création de véritables sociétés (Kantoreigesellschaften), dont l’exemple fut suivi en France avec un siècle de retard. La première académie musicale française de ce genre semble avoir été celle de Rouen, en 1662. Enfin, l’invention italienne de l’opéra et sa diffusion dans toute l’Europe entraînèrent la formation de chorales d’un quatrième type, attachées à des théâtres. Toutes ces catégories, sans parler des chorales militaires des pays slaves, sont toujours représentées et, dans certains cas, par des formations fort anciennes. La maîtrise de Notre-Dame, déjà mentionnée, est treize fois centenaire ; la Thomaschule de Leipzig date de 1312, et les Wiener Sängerknaben sont ceux de la Hofburgkapelle, fondée en 1498 par l’empereur Maximilien. L’Allemagne possède bien d’autres chorales célèbres, telles que les Regensburger Domspatzen (Ratisbonne), le Kreuzchor de Dresde ou la Capella Antiqua de Munich. Mais la Grande-Bretagne (John

Alldis Choir, Ambrosian Singers, Monteverdi Choir) ou l’Espagne (le Pays basque surtout) sont aujourd’hui à peine moins riches en belles voix disciplinées. De presque tous les pays d’Europe, auxquels il convient de rattacher l’Amérique du Nord et l’ex-Union soviétique, la France passe pour être la plus démunie sous ce rapport. Pourtant, la liste serait longue des chorales qui y ont prospéré de la Révolution à nos jours. Citons au moins le choeur de la Société des concerts du Conservatoire (1828), ancêtre de notre choeur de l’Orchestre de Paris, la Société pour la musique vocale religieuse et classique (1843), l’Orphéon municipal que dirigea Gounod, l’Harmonie sacrée de Charles Lamoureux (1873), Concordia (1879), et plus récemment la chorale Félix-Raugel (1928-1945), la psallette NotreDame de Jacques Chailley, la chorale Yvonne-Gouverné, la chorale ÉlisabethBrasseur, l’ensemble vocal Marcel-Couraud, la chorale Audite Nova, l’ensemble vocal Philippe-Caillard, l’ensemble vocal Stéphane-Caillat, le Choeur national de Jacques Grimbert, sans oublier les choeurs de l’Opéra transfigurés par Jean Laforge, les choeurs et la maîtrise de Radio-France. Ajoutons à ces formations professionnelles ou semi-professionnelles les Chanteurs de Saint-Eustache, importante chorale d’amateurs qu’anime le R. P. Émile Martin, et des ensembles de province justement réputés : la Cigale de Lyon, l’Ensemble vocal de Lyon, la chorale Saint-Guillaume et le Choeur de la cathédrale de Strasbourg, l’ensemble vocal Jan de Ockeghem de Tours, l’Ensemble vocal de Nantes, l’Ensemble vocal de Toulouse, l’Ensemble vocal universitaire de Montpellier, l’ensemble vocal Josquin Des Prés à Poitiers, l’ensemble vocal Da Camera à Bourges, la maîtrise Saint-Évode de Rouen, la maîtrise de la cathédrale de Reims, la maîtrise de la cathédrale de Dijon, la maîtrise Gabriel-Fauré à Marseille. Et aussi les quelque 500 chorales d’amateurs que groupe le mouvement À coeur joie fondé par César Geoffray. CHÔRO (mot brésilien, d’origine africaine). Le xôlo des Cafres, chanté et dansé, ayant été introduit à Rio de Janeiro vers 1850, devenu, par déformation, « xôro », puis

« chôro », désignait, à l’origine, les groupes d’instruments populaires (mandoline, guitare, ou petite guitare nommée cavaquinho, cornet à piston, trombone, flûte, clarinette, ophicléide) qui jouaient des sérénades et des musiques de danse (valses, polkas, lundus, tangos ou schottisches) ou se livraient à des improvisations dominées par un soliste et employant la technique de la variation. Par extension, le terme en vint à s’appliquer aux morceaux exécutés par ces groupes, dans une nuance sentimentale qu’on généralisa abusivement pour en faire le trait le plus caractéristique, jusqu’au moment où d’autres danses moins languides (assustados ou arrasta-pé) furent également désignées ainsi. Avec Villa-Lobos enfin, le chôro devint « une nouvelle forme de composition musicale qui synthétise les différentes modadownloadModeText.vue.download 208 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 202 lités de la musique brésilienne, indienne et populaire », en se proposant d’évoquer les lois de la nature et jusqu’aux sensations physiques comme le climat, la couleur et l’odeur des pâturages brésiliens. Parmi les 16 chôros que Villa-Lobos a laissés, certains n’utilisent qu’un instrument (piano ou guitare) alors que d’autres font appel à des formations importantes (orchestre, fanfare et choeur). CHORO (Alexandre Étienne), compositeur et musicologue français (Caen 1771 - Paris 1834). Prodigieusement doué, il parlait et écrivait, à 15 ans, le latin, le grec et l’hébreu ; il fut secrétaire particulier du mathématicien Gaspard Monge et apprit la théorie musicale après avoir été reçu à l’École polytechnique et à l’École des mines. Il publia, en 1806, une Collection générale des oeuvres classiques, où figuraient Josquin Des Prés, Goudimel, Palestrina, Carissimi ; en 1808, les Principes de composition des écoles d’Italie ; et, en 1811, les Considérations sur la nécessité de rétablir le chant de l’Église de Rome dans toutes les églises. Chargé en 1812 de réorganiser les maîtrises des églises, il fut nommé directeur de l’Opéra en 1816, mais dut démissionner dès 1817. Il fonda alors l’Institution royale de musique clas-

sique et religieuse, qui exista jusqu’en 1830, et, avec ses élèves, donna tous les mois des concerts destinés à éduquer le public et au cours desquels eurent lieu les premières auditions, à Paris, d’oeuvres de Bach, Haendel, Palestrina. Il a composé de la musique d’église et des romances, mais on doit surtout saluer en lui l’esprit universel et érudit, l’animateur infatigable et le pédagogue de talent qui, avant Fétis, témoigna d’une curiosité féconde pour les musiciens des XVe et XVIe siècles. CHOSTAKOVITCH (Dimitri), compositeur russe (Saint-Pétersbourg 1906 Moscou 1975). Chostakovitch aura été marqué jusque dans son hérédité. Sa famille était d’origine sibérienne, son grand-père paternel, révolutionnaire polonais, ayant été déporté dans cette partie du monde. La musique régnait au sein du foyer familial. Le père, ingénieur, possédait une jolie voix et chantait ; la mère pratiquait le piano et donnait des leçons aux enfants. Dimitri entra à treize ans au conservatoire de sa ville natale pour étudier le piano et la composition, notamment avec Maximilien Steinberg. Le conservatoire était alors dirigé par Alexandre Glazounov. C’est au cours de ses études qu’il écrivit ses premières oeuvres, dont les Danses fantastiques pour piano (1922) et la Première Symphonie (1925), une des symphonies les plus mûres composées par un musicien de dix-neuf ans. Plus tard, en 1937, il fut nommé professeur à ce même conservatoire. Installé à Moscou en 1943, il enseigna au conservatoire tout en poursuivant son activité créatrice. La renommée de Chostakovitch à l’étranger connut une extension considérable, notamment en Grande-Bretagne, à partir des années 1960, alors que dans un pays comme la France les tenants d’un concept étroit d’avant-garde se livraient à des commentaires peu amènes, sans disposer des pièces indispensables à la pleine connaissance du sujet, comme les opéras le Nez et Lady Macbeth de Mzensk ou les Quatrième et Huitième Symphonies, longtemps frappés d’interdit par le régime soviétique. Chostakovitch concevait généralement ses compositions dans sa tête, pour les jeter fébrilement sur le papier. La maladie qui le mina au cours des dernières années de sa vie n’entama pas ses facultés : c’est peu de jours avant sa mort qu’il acheva son opus 147, la Sonate pour alto et piano. Dès

1927, le gouvernement de son pays lui commanda une symphonie, la Deuxième, afin de commémorer l’anniversaire de la révolution d’Octobre. Ce fut le début d’une étrange carrière de compositeur « officiel », marquée par une alternance spectaculaire de consécrations et de réprimandes. Après quelques années de franc succès, la Pravda dénonça violemment, le 26 janvier 1936, le « chaos au lieu de musique » qu’aurait été l’opéra Lady Macbeth de Mzensk, pourtant inspiré d’un grand classique russe de même titre dû à Nikolai Leskov. Vinrent les purges staliniennes, au cours desquelles Chostakovitch échappa de peu à une arrestation. Pour couper court à toute nouvelle attaque, il décida de ne pas faire jouer sa Quatrième Symphonie, oeuvre de toutes les audaces. Il rentra en grâce avec une symphonie qui, pour être plus classique, n’en est pas moins dramatique, la Cinquième (1937). Au cours de la guerre, sa Septième Symphonie (1941) célébra l’héroïque résistance de Leningrad contre l’assiégeant hitlérien. Mais, en 1948, le rapport Jdanov définissant l’esthétique du « réalisme socialiste » frappa de nouveau Chostakovitch et sa Neuvième Symphonie de 1945. Reconsidéré avec le Chant des forêts (1949), le musicien allait encore être mis à l’index en 1962 lorsqu’il s’attaqua, par le truchement des poèmes d’Evgueni Evtouchenko, dans sa Treizième Symphonie, aux calamités qui s’étaient abattues sur la société soviétique avec le stalinisme : l’antisémitisme, l’oppression, l’angoisse quotidienne, l’arrivisme. L’art de Chostakovitch s’attache à traduire l’âme russe jusque dans ses moindres replis. D’une santé précaire, de caractère visiblement pessimiste, Chostakovitch est, d’ordinaire, dramatique et solennel, mais il abonde volontiers, aussi, dans une veine satirique souvent grinçante (scherzos de nombreuses de ses oeuvres, ballet l’Âge d’or, 1929-30). Si, lors de ses débuts, il s’intéressa à l’avant-garde occidentale, notamment à Berg, Stravinski et Hindemith, et conçut des oeuvres hardies comme l’opéra le Nez, dès la fin des années 20, il semble s’être résolu à n’écouter que les voix de la Russie éternelle, élaborant petit à petit un langage très personnel, quoique fidèle dans l’ensemble au système tonal, un langage hors du temps quant à la « technique », et cependant très proche de la sensibilité contemporaine. Dans cette perspective, les oeuvres des dernières

années sont parvenues à des sommets, souffrant moins que les précédentes de certaines inégalités. Mais Chostakovitch peut être un musicien d’une exceptionnelle puissance, capable aussi bien d’évoquer d’immenses horizons ou des faits épiques que de plonger profondément dans l’âme humaine, ou encore de faire preuve d’une verve sarcastique. Bien souvent il s’élève, même si son écriture reste relativement traditionnelle, au niveau des plus grands, parvenant à marier la profondeur visionnaire d’un Moussorgski (qu’il étudia toute sa vie) et l’appareil musical d’un Mahler, dont il est l’héritier direct, au moins dans le domaine symphonique (notamment Quatrième Symphonie). Aussi ne faut-il pas s’étonner s’il s’épanouit dans les formes consacrées du quatuor et de la symphonie et si plusieurs de ses oeuvres les plus délibérement néoclassiques (Préludes et fugues op. 87 pour piano [195051]) comptent également parmi ses réussites les plus inspirées. L’essentiel de son oeuvre se compose de quinze symphonies (le projet de Chostakovitch était d’en écrire vingt-quatre) ; de quinze quatuors à cordes (vingtquatre étaient également envisagés) ; de six concertos (deux pour violon, deux pour violoncelle, deux pour piano dont un avec trompette) ; de trois opéras (le Nez, d’après Gogol, 1928 ; Lady Macbeth de Mzensk ou Katerina Ismaïlova, d’après Leskov, 1932, 1re représentation, Leningrad, 22 janvier 1934, révisé en 1962 ; les Joueurs, d’après Gogol, 1941, resté inachevé) ; d’une opérette (Moscou, quartier Tcheriomouchki, 1958), de trois ballets (l’Âge d’or, 1929-30 ; le Boulon, 1930-31, le Clair-Ruisseau, 1934-35) ; de nombreuses oeuvres de formes et de fonctions diverses pour orchestre ou petit ensemble ; de très nombreuses musiques de scène (notamment pour Maïakovski et pour Hamlet de Shakespeare) et de films (dont la Montagne d’or, 1931, et l’Homme au fusil, 1938) ; d’un oratorio (le Chant des forêts, 1949) ; de cantates (l’Exécution de Stenka Razine, poème d’Evtouchenko, 1964) ; de mélodies ; de nombreuses oeuvres de chambre (du duo à l’octuor) et pour piano seul (deux sonates, vingt-quatre Préludes et fugues). Chostakovitch a, en outre, proposé (1940) une orchestration de Boris Godounov de Moussorgski, plus proche de l’original que celle de Rimski-Korsakov, downloadModeText.vue.download 209 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 203 ainsi qu’une restructuration et réochestration de la Khovanchtchina (1959) du même Moussorgski. C’est un retour à la musique vocale qui a caractérisé la production du compositeur au cours des dernières années de son existence. Loin de constituer un cas d’espèce, la Treizième Symphonie, qui avait été précédée par un cycle de 5 mélodies pleines d’ironie, les Satires (1960), sur des poèmes de Sacha Tchiorny, a été suivie par une oeuvre dominant son époque par la force de son inspiration et de son caractère émotionnel, la Quatorzième Symphonie (1969), où, grâce à un choix judicieux de poèmes de García Lorca, Apollinaire, Küchelbecker et Rilke, Chostakovitch a fait partager ses interrogations sur le sens de la vie, la solitude de l’homme et de l’artiste, la mort. L’un des thèmes fréquemment présent au sein de cet âge philosophique est celui de l’écrasement de l’artiste créateur par un pouvoir tyrannique, et la liste des cycles vocaux ne serait pas complète sans l’évocation des Sept Romances sur des poèmes d’Alexandre Blok, chef-d’oeuvre d’élévation et de pureté (1967), des Six Poèmes de Marina Tsvetaveva (1974), de la Suite sur des vers de Michel-Ange (1974), et des Quatre Stances du capitaine Lebiadkine d’après Dostoïevski (1975). Purement instrumentale, l’ultime Quinzième Symphonie (1971), plus sereine devant le destin, semble tirer sa substance de l’assurance de la continuité de la vie observée dans la nature elle-même. La mort d’un des musiciens les plus mystérieux du vingtième siècle a été suivie de la parution de divers documents. Témoignage, les Mémoires de Dimitri Chostakovitch, recueilli par le musicologue soviétique Solomon Volkov (traduction française André Lischke, 1980), a suscité des réserves par le fait même que Chostakovitch ne se confiait jamais par la parole et qu’on y a retrouvé des textes déjà publiés dans la presse soviétique. En revanche, la portée de Lettres à un ami (traduction française Luba Jurgensova, 1994) est apparue indiscutable. Ces lettres, adressées par Chostakovitch au fil des ans à Isaac Glikman, son ami, confident

et collaborateur de toujours, fournissent des informations sur ses problèmes de création et ses soucis quotidiens. On y voit comment le musicien, au plus fort de l’adversité, préservait son énergie grâce à un humour subtil. À ces précieuses pièces du dossier s’ajoute un document musical longtemps resté caché dans ses papiers personnels. En 1948, condamné comme Prokofiev et Khatchaturian par le décret de Jdanov, il exerça toute son ironie dans une cantate satirique, Raïok (galerie de portraits), où Staline, Chepilov et Jdanov sont mis en scène et ridiculisés pour leur mauvais goût musical et leurs travers oratoires dans un style d’opérette volontairement simplifié. CHOU (Weng-chun), compositeur américain d’origine chinoise (Chefoo, Chine, 1923). Il a étudié à Shanghai (1941-1945) et à Boston (1946-1949), ainsi qu’avec B. Martinu (1949) et E. Varèse (1949-1954). Citoyen américain en 1958, il est entré en 1964 à la faculté de musique de l’université Columbia. Sa musique, qui incorpore la tradition et les chants populaires chinois dans une syntaxe occidentale allant jusqu’au contrepoint atonal, s’inspire aussi volontiers de prétextes anecdotiques ou pittoresques liés au folklore chinois : d’où son coloris particulier. Sa production comprend notamment Landscapes (1949, 1re aud. San Francisco 1953), All in the Spring Wind (1952-53) et And the Fallen Petals (1954) pour orchestre, Yü Ko pour 9 exécutants (1965), Yün pour vents, 2 pianos et percussion (1969). On lui doit aussi divers écrits, en particulier sur Varèse. CHOUDENS. Maison d’édition musicale fondée en 1845 par Antoine de Choudens (mort en 1888). Elle fut ensuite dirigée par ses fils Antoine et Paul, par Paul seul jusqu’à sa mort en 1925, puis par les gendres de Paul, Gaston Chevrier et André Leroy. À sa tête, se trouve actuellement André Chevrier de Choudens. Le fonds réputé de cette maison comprend une grande quantité d’ouvrages lyriques de Berlioz, Bizet, Gounod, Bruneau, Offenbach, Messager, Bondeville, Landowski, etc., des musiques de film, des oeuvres symphoniques de compositeurs français contemporains, des

solfèges, méthodes et ouvrages pédagogiques divers. CHOWNING (John M.), compositeur américain (1934). Il a fait ses études musicales (percussion, écriture, composition) à Stanford et à Paris avec Nadia Boulanger. Il révolutionna, à Stanford vers 1965, la synthèse directe des sons par ordinateur, en inventant une technique originale et pratique de synthèse des timbres complexes par modulation de fréquence (brevets américains). De ses travaux, qui ont porté également sur la simulation de trajectoires sonores dans l’espace par des sons de synthèse, l’acquis appartient désormais au « fonds commun » de la recherche internationale : il en a illustré brillamment l’efficacité sur le plan sonore par des oeuvres comme Turenas, Sabalith, Stria. Directeur du Stanford Computer Music Project depuis 1975, John M. Chowning a collaboré étroitement avec l’I.R.C.A.M. après la création de cet organisme. CHRÉTIEN DE TROYES. trouvère du XIIe siècle, d’origine champenoise. Il résida longtemps à la cour de Champagne, puis eut pour protecteur Philippe d’Alsace, comte de Flandre. Avec ce poètemusicien s’instaura un véritable renouveau poétique ; Chrétien de Troyes fut en effet le premier à faire passer le lyrisme provençal dans la langue d’oïl, ceci sur les conseils d’une autre protectrice, Marie de Champagne, fille de Louis VII et d’Aliénor d’Aquitaine. Si deux de ses chansons seulement nous sont parvenues (Amors tançon et bataille ; D’amors qui m’a tolu a moi), il a laissé cinq « romans » écrits en octosyllabes : Erec et Enide (v. 1170), Cligès (v. 1176), le Chevalier au lion ou Yvain, le Chevalier de la charrette ou Lancelot, ces deux derniers ouvrages écrits entre 1177 et 1181. Tous deux s’inspirent des légendes celtiques du roi Arthur. Enfin, et surtout, il écrivit un autre « roman », empreint d’un grand mysticisme, le Conte du Graal ou Perceval, commandé par Ph. d’Alsace en 1180 et resté inachevé. Ce conte devait être traduit et chanté par le minnesinger Wolfram von Eschenbach, comme le fit Gottfried de Strasbourg pour Tristan. C’est de cette version allemande du Graal que Wagner allait s’inspirer, au XIXe siècle, pour composer son dernier drame lyrique,

Parsifal (Bühnenweihfestspiel). Le style de Chrétien de Troyes est à la fois novateur et fort élégant. CHRISTIE (William), claveciniste et chef d’orchestre américain naturalisé français (Buffalo 1944). Il étudie le piano, l’orgue et le clavecin, notamment avec R. Kirkpatrick. Diplômé de Harvard et de Yale, il s’installe en France en 1971 et enregistre son premier disque pour l’O.R.T.F. Parallèlement, il continue ses études de clavecin avec Kenneth Gilbert et Davitt Füller. De 1971 à 1975, il fait partie du Five Centuries Ensemble, groupe expérimental consacré aux musiques ancienne et contemporaine. En 1976, il rejoint le Concerto vocale dirigé par René Jacobs, où il tient le clavecin et l’orgue jusqu’en 1980. Il fonde en 1979 les Arts florissants, ensemble avec lequel il se consacre à la redécouverte du patrimoine français, italien et anglais des XVIIe et XVIIIe siècles. Sa passion pour la déclamation française le conduit à aborder la tragédie lyrique, et il se voit rapidement confier la direction musicale de productions d’opéras avec les Arts florissants. Il contribue largement à la redécouverte de l’oeuvre de Marc-Antoine Charpentier. Parmi les grandes productions qu’il a dirigées, il faut citer Hippolyte et Aricie de Rameau en 1983, Atys de Lully en 1987, les Indes galantes de Rameau en 1990 et, la même année, la première intégrale depuis 1674 de la musique du Malade imaginaire de Marc-Antoine Charpentier pour la pièce de Molière. De 1992 à 1995, downloadModeText.vue.download 210 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 204 il a été chargé de la classe de musique ancienne au Conservatoire de Paris, créée à son intention. Avec les Arts florissants, il a enregistré de nombreux disques consacrés au répertoire baroque, français en particulier, souvent en première mondiale. CHRISTINÉ (Henri), compositeur français (Genève 1867 - Nice 1941). Il fit des études à l’université de Genève et fut professeur de lycée dans cette ville. Il apprit la musique durant ses heures de loisir et jouait du piano et de l’orgue. Ayant

épousé une chanteuse de café-concert, il quitta l’enseignement, s’installa à Nice et composa des chansonnettes pour sa femme, puis peu à peu pour les grandes vedettes du moment (Dranem, Mayol, Fragson, etc.) qui firent de ses oeuvres de célébrissimes succès (la Petite Tonkinoise, etc.). S’étant fixé à Paris au début du siècle, il signa quelques opérettes en un acte, mais conquit définitivement la popularité avec Phi-Phi, en partie par un concours de circonstances, car cette oeuvre, dont la répétition générale eut lieu aux BouffesParisiens le 11 novembre 1918, bénéficia de l’euphorie de l’armistice. Christiné composa encore une douzaine d’opérettes dont seule Dédé s’est, aux côtés de Phi-Phi, maintenue au répertoire. Formées d’une suite de chansonnettes et de quelques ensembles ou finales très simples, utilisant les rythmes de danses nouvelles tel le foxtrot, les oeuvres de Christiné s’écartèrent de l’opérette et fondèrent, en fait, la comédie musicale. CHRISTOFELLIS (Aris), sopraniste grec (Athènes 1966). Il se destine d’abord au piano, qu’il étudie au Conservatoire d’Athènes et à l’École normale de Paris avec France Clidat. En 1983, il travaille le chant avec Fofi Sarandopoulo : sa tessiture se révèle d’une étendue exceptionnelle de trois octaves et demi, particulièrement riche dans les aigus. Cela lui permet d’aborder le répertoire destiné aux castrats du XVIIIe siècle. En 1984, il donne son premier récital en France, et fait ses débuts dans l’Olimpiade de Vivaldi à Francfort. Il chante Hasse, Porpora, Haendel, et a rendu hommage à l’illustre Farinelli en recréant sa Sérénade nocturne au roi d’Espagne. CHRISTOFF (Boris), basse bulgare (Plovdiv, près de Sofia, 1918). Diplômé en droit, il entreprenait une carrière dans la magistrature quand sa voix fut découverte au sein d’un choeur de Sofia auquel il appartenait. Une bourse accordée par le roi lui permit d’aller étudier à Rome avec le célèbre baryton Riccardo Stracciari, qui lui transmit une très belle technique de bel canto. En 1946, il débuta au concert, puis se produisit pour la première fois sur scène au Teatro Adriano de Rome dans le rôle de Colline de la Bohème de Puccini. La même année, il chanta à la

Scala de Milan le rôle de Pimen dans Boris Godounov de Moussorgski, oeuvre dont il aborda le rôle-titre en 1947 sur la même scène. Il fit ensuite une carrière internationale dans les répertoires italien et russe, ainsi que dans le rôle de Méphisto de Faust de Gounod, et aborda en Italie certains rôles wagnériens. Sa voix, sans être d’une puissance exceptionnelle, était d’une couleur belle et rare, et d’une homogénéité exemplaire. L’extrême raffinement musical de ses interprétations était valorisé par une très grande présence scénique. Boris Godounov (Moussorgski) et Philippe II de Don Carlos (Verdi) ont compté parmi ses interprétations les plus remarquées. CHRISTOU (Iannis), compositeur grec (Héliopolis, Égypte, 1926 - Athènes 1970). Il étudia à Cambridge la philosophie avec Ludwig Wittgenstein (1945-1948), la composition avec H. F. Redlich (1948-49), et l’instrumentation à Sienne avec Francesco Lavagnino. De 1960 à sa mort, dans un accident d’automobile, il vécut à Athènes et dans l’île de Chio, écrivant une musique en général sérielle, et d’inspiration mystique et magique. On lui doit notamment 3 symphonies (1951, 1954-1958, 19591962), le poème symphonique la Musique de Phénix (1948), Psaumes de David pour baryton, choeur et orchestre (1953), Gilgamesh, oratorio assyrien (1958), l’opéra The Breakdown (1964), la Femme à la strychnine pour 5 comédiens et orchestre de chambre (1967). CHROMATIQUE. Nom qui, au cours de l’histoire musicale, a été donné successivement à divers systèmes ayant en commun l’utilisation privilégiée du demi-ton ou de ses dérivés. 1. Dans l’Antiquité grecque, c’est, aux côtés du diatonique et de l’enharmonique, l’un des 3 genres déterminés par la place des notes mobiles entre les deux notes fixes qui, à distance de quarte l’une de l’autre, enserrent le tétracorde. En théorie simplifiée, le tétracorde chromatique se compose, en descendant, d’une tierce mineure incomposée (c’est-à-dire formant intervalle conjoint) et de 2 demi-tons, par exemple la/fa dièse/fa bécarre/mi. On appelle spécialement chromatique (en substantif) le 2e degré de ce tétracorde, parce qu’il en est la note caractéristique, ainsi que l’intervalle

formé entre ce degré et le suivant. Mais la composition ainsi définie n’est qu’une approximation moyenne, l’emplacement des notes mobiles pouvant varier dans une proportion plus ou moins grande en raison de la pratique des nuances : Aristoxène cite 3 types de chromatique, dont l’un (chromatique mou) faisant usage de tiers de tons au lieu de demi-tons. Le genre chromatique passe, aux dires du pseudoPlutarque, pour avoir été introduit dans la tragédie postérieurement à Eschyle, mais il précise que les citharèdes le pratiquaient longtemps avant. On peut le considérer, en philologie musicale, comme une étape intermédiaire entre le diatonique et l’enharmonique dans le phénomène de glissement des notes mobiles sous l’effet attractif descendant de la borne inférieure du tétracorde. 2. Au Moyen Âge et jusque vers le milieu de la Renaissance, le chromatique est tombé en désuétude en tant que genre. Le terme transmis dans les écoles avec des bribes de théorie grecque apparaît de temps à autre sans valeur bien définie, mais ne semble recouvrir aucune réalité vivante. Il arrive dans la polyphonie que par le jeu de la musica ficta, un degré altéré par attraction succède au même degré non altéré ou vice versa : cette relation, qui plus tard eût été ressentie comme chromatique, ne semble en rien l’avoir été ; elle demeure perçue comme une simple mutation. 3. À partir de 1544, sous influence humaniste, des compositeurs comme Cyprien de Rore, suivi par Vicentino et Zarlino en Italie, par Claude Le Jeune en France, etc., s’efforcent de créer un genre chromatique imité des Grecs en glissant dans la polyphonie de leur temps la suite d’intervalles du tétracorde de ce nom, y compris la tierce mineure qui, au début, fait partie du chromatique. La tierce mineure une fois abandonnée, le chromatique reste caractérisé par la succession de deux demi-tons, et parfois de trois. Peu à peu, c’est cette succession elle-même qui deviendra le principal critère du chromatique ; mais elle est restée longtemps dépendante d’un autre critère qui est la mesure de l’intervalle : il y avait un demi-ton chromatique entre deux notes de même nom différemment altérées, le demi-ton étant diatonique si le nom des notes se faisait suite. Ce demi-ton se retrouvait en effet avec même mesure dans la gamme diatonique alors que l’autre était

propre à la gamme chromatique. En système pythagoricien (mélodique), l’intervalle chromatique était plus grand que le diatonique ; par contre, en système zarlinien (harmonique), le chromatique était plus serré que le diatonique. 4. La théorie classique conserve les mêmes définitions, à l’exception des différences de mesure des intervalles diatoniques ou chromatiques abolies par le tempérament égal, du moins en théorie : elles réapparaissent en effet fréquemment par instinct lorsque la justesse n’est pas réglée à l’avance par un clavier pré-accordé (violonistes, chanteurs, etc.). Par extension, on appelle également chromatique l’altération occasionnelle d’un ou plusieurs degrés downloadModeText.vue.download 211 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 205 pour raisons attractives, et gamme chromatique celle formée par une succession de demi-tons. Mais cette succession n’implique en rien l’égalité fonctionnelle de ces demi-tons : le ton, divisé ou non en deux demi-tons, reste une unité structurelle de perception, non l’addition de deux demitons exprimés ou non. La gamme diatonique reste donc perçue à l’arrière-plan de toute gamme chromatique et en détermine les fonctions. 5. Le dodécaphonisme de Schönberg donne au chromatique une valeur différente en considérant la gamme chromatique comme un point de départ indépendant des relations diatoniques, et le demi-ton, indifféremment chromatique ou diatonique, comme unité de décompte des gammes de manière à éliminer les fonctions issues du diatonisme. Il appelle total chromatique l’ensemble de l’échelle obtenue par juxtaposition inorganique des 12 demi-tons qui divisent l’octave. Certains, en prolongeant l’exemple d’Olivier Messiaen, ont tenté d’assimiler au total chromatique la juxtaposition échelonnée des durées et des intensités, et de la traiter de manière analogue, mais cette conception ne semble pas s’être généralisée. 6. Un instrument est dit « chromatique » lorsqu’il est susceptible de donner toutes les notes de la gamme chromatique alors que d’autres instruments de la même fa-

mille n’ont pas cette possibilité (ex. accordéon chromatique). CHROMATISME. Terme relativement récent faisant référence à l’emploi d’éléments chromatiques dans le vocabulaire ou dans le style. Le chromatisme est très souvent employé à titre d’élément de tension impliquant un caractère douloureux ou passionnel et s’oppose ainsi au diatonisme, mieux adapté par sa stabilité à l’évocation des sentiments ou des situations exemptes de perturbations (v. figuralisme) : chromatisme des madrigalistes italiens (Marenzio, Gesualdo), chromatisme de Liszt, de Wagner (notamment dans Tristan et Isolde), de Richard Strauss, etc. CHRYSANDER (Karl Heinz Friedrich), musicologue allemand (Lübtheen, Mecklembourg, 1826 - Bergadorf, près de Hambourg, 1901). Docteur de l’université de Rostock (1855), il se consacra à l’étude de Haendel en s’attachant à replacer le musicien dans son contexte historique. Il entreprit de publier ses oeuvres complètes, d’abord au sein d’une Société Haendel, créée en 1856, puis, à la dissolution de celle-ci, avec ses seuls moyens. Après avoir installé dans sa propre maison un atelier de gravure musicale et une imprimerie, il fit face à de graves difficultés matérielles et financières jusqu’au jour où, en 1894, il put céder son édition à une nouvelle Société Haendel, fondée à Londres. CHUNG (Kyung-Wha), violoniste coréenne (Séoul 1948). Elle est la plus jeune fille d’une famille de sept enfants. Son père, un homme d’affaires important, lui fait apprendre le piano dès l’âge de sept ans, mais elle préfère le violon : à neuf ans, elle joue déjà le Concerto de Mendelssohn avec l’Orchestre symphonique de Séoul ! De 1961 à 1967, elle étudie à la Juilliard School de New York, où Ivan Galamian fait fructifier ses dons prodigieux. Elle remporte un triomphe au Concours Loventritt de 1967 : en résulte une tournée dans une centaine de villes américaines. En 1968, elle débute avec le New York Philharmonic, et en 1970 avec l’Orchestre symphonique de Londres

et André Prévin. La même année, elle signe un contrat d’exclusivité avec Decca. Elle joue les concertos d’Elgar et de Bartók avec Solti en 1977, celui de Beethoven en 1979 avec Kondrashine et la Philharmonie de Vienne. Elle joue aussi Bach, Stravinski, Vieuxtemps et le Concerto de Walton, qu’elle enregistre sous la direction du compositeur. Elle se produit en trio avec sa soeur Myung-Wha et son frère MyungWung. En 1980, elle joue pour la première fois sous la direction de ce dernier. CHUNG (Myung-Wha), violoncelliste coréenne naturalisée américaine (Séoul 1944). Après ses débuts publics à Séoul en 1957, elle part avec sa soeur Kyung-Wha à la Juilliard School de New York. Elle y étudie de 1961 à 1967, puis reçoit les conseils de Piatigorski à l’Université de Californie de Sud. En 1968, elle obtient le premier prix du Concours de San Francisco, et en 1971 celui de Genève. Elle consacre une part importante de sa carrière à la musique de chambre. En trio avec sa soeur et son frère Myung-Wung, elle joue les oeuvres de Brahms, Beethoven, Mendelssohn, Tchaïkovski et Chostakovitch. CHUNG (Myung-Wung), chef d’orchestre et pianiste coréen (Séoul 1953). Dès 1960, il fait ses débuts de pianiste avec l’Orchestre symphonique de Séoul. Installé aux États-Unis en 1968, il étudie au Mannes College et à la Juilliard School, s’orientant progressivement vers la direction d’orchestre. En 1974, il remporte le second prix du Concours Tchaïkovski à Moscou, puis, de 1975 à 1978, il se perfectionne avec Sixten Ehrling et Franco Ferrara. De 1978 à 1981, il est assistant de Giulini à Los Angeles. En 1982, il fait ses débuts avec l’Orchestre de Paris et s’installe en Europe en 1983. De 1984 à 1990, il dirige l’Orchestre symphonique de la Radio de Sarrebruck. En 1989, il accepte une lourde responsabilité : prendre la tête de l’orchestre de l’Opéra de Paris. Le 17 mars 1990, il inaugure l’Opéra Bastille avec les Troyens de Berlioz. Il décide d’agrandir l’orchestre, et plaide pour une séparation plus nette des activités lyriques et du ballet. Dès 1990, une tournée en Corée et plusieurs enregistrements remarqués chez Deutsche Gramophon - Lady Macbeth de Mzensk de Chostakovitch et la Turangalila-Symphonie de Messiaen, notamment -

traduisent une réussite certaine. Malgré son aura, il est contraint à une démission houleuse en 1994. Il reprend alors une carrière de chef invité, à Vienne, Londres ou Philadelphie. CIAMPI (Marcel), pianiste français (Paris 1891-id.1980). Il est élève de Diémer au Conservatoire de Paris. En 1909, il y obtient un premier prix de piano, puis poursuit ses études avec Perez de Brambilion, ancien élève de Clara Schumann et d’Anton Rubinstein. Son style romantique est particulièrement apprécié par Pablo Casals et Jacques Thibaud qu’il accompagne souvent. George Enesco est aussi son partenaire, et lui dédie sa sonate pour piano no 3, qu’il crée en 1938. Entre 1941 et 1961, il est professeur au Conservatoire de Paris où il acquiert une grande réputation pédagogique. Il compte parmi ses élèves Hephzibah, Yaltah et Jeremy Menuhin, ainsi qu’Yvonne Loriod. CICCOLINI (Aldo), pianiste italien naturalisé français (Naples 1925). Au conservatoire San Pietro a Majella de Naples, il a étudié le piano avec Denza et la composition avec Alessandro Longo. Il a donné son premier concert en 1942 au théâtre San Carlo de Naples. En 1949, il a remporté le prix Long-Thibaud et entrepris une carrière internationale. Après avoir été professeur de piano au conservatoire de Naples, il enseigne, depuis 1971, au Conservatoire de Paris. Ciccolini est un interprète fin, cultivé, au toucher subtil, qui est apprécié dans la musique romantique et plus encore dans la musique française de la fin du XIXe et du début du XXe siècle (Saint-Saëns, Chabrier, Satie, de Séverac, etc.). Il a enseigné de 1971 à 1989 au Conservatoire de Paris. CICONIA (Johannes), compositeur liégeois (Liège v. 1335 - Padoue 1411). Fils d’un pelletier, il reçut sa formation musicale à la cour des papes, à Avignon. Il y fut au service d’Aliénor de Comminges, vicomtesse de Turenne, nièce de Clément VI. De 1357 à 1367, il fit partie de la maison du cardinal Gilles d’Albornoz, chargé de reconquérir les États pontificaux d’Italie : ce fut l’occasion pour lui d’un contact downloadModeText.vue.download 212 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 206 étroit avec l’Ars nova italienne et l’art de Jacopo da Bologna et de Francesco Landini, à l’instar desquels il écrivit madrigaux, caccie et ballades. À la mort du cardinal, il regagna Liège où il devint titulaire d’une prébende à la collégiale Saint-Jeanl’Évangéliste. Il composa alors, semble-t-il, messes et motets, y effectuant la synthèse de l’Ars nova française, italienne et des usages avignonnais. Mais il adopta une notation simplifiée de l’écriture proportionnelle ( ! NOTATION) et unifia le Gloria et le Credo par un ténor commun, un motif initial et une construction isorythmique. On y trouve aussi l’emploi du faux-bourdon dont S. Clercx-Lejeune avance l’origine italienne et même l’appellation. Après 1404 ( ?), Ciconia quitta Liège pour Padoue. Chanoine à la cathédrale de cette ville, il portait le titre de musicus ou de magister et avait pour mission d’enseigner la musique et de composer. Ce séjour favorisa une réflexion théorique sur la musique antique et médiévale, réflexion contenue dans trois traités : De arithmetica institutione (perdu ?), Nova musica, De proportionibus, outre l’esquisse d’un De tribus generibus melorum (« les trois genres mélodiques »). La musique y est comprise comme le reflet des nombres divins et le moyen de connaissance de l’Organisation. Toutefois, la musique spéculative prend chez lui appui sur l’ouïe. CIFRA (Antonio), compositeur italien (Terracina 1584 - Loreto 1629). Il acquit sa formation musicale enfant en chantant à Saint-Louis-des-Français de Rome et en étudiant avec Bernardino Nanino (1594-1596). Il fut alors successivement maître de chapelle au Collegium Germanicum de Rome en 1609, à la Santa Casa di Loreto de 1609 à 1622, à Saint-Jean-deLatran de 1622 à 1625 et enfin à nouveau à Loreto de 1626 jusqu’à sa mort. Sa production musicale, énorme, a par bonheur été conservée. Elle comprend de très nombreux livres de motets (de 1 à 12 voix) et de madrigaux, quatre livres de messes de 4 à 6 voix, plusieurs livres de litanies, psaumes et vêpres, des ricercari, arie, scherzi et canzonette. Cifra est un des musiciens les plus importants de la grandiose école polypho-

nique romaine, comme en témoigne la richesse de voix de ses messes et motets, aux harmonies somptueuses. D’un autre côté, on peut déjà percevoir l’influence de la monodie accompagnée, plus développée à cette époque à Venise et surtout à Florence, qui se traduit, dans ses motets et madrigaux, par une émancipation de la ligne mélodique. Ce phénomène est accentué par l’utilisation généralisée de la basse continue, qui, sous forme d’ostinato, sert parfois de base harmonique à des variations vocales. Cette situation musicale ambiguë dans une période de transition, ainsi que la grande beauté de ses oeuvres font de Cifra un des maîtres incontestés de l’école romaine de ce début du XVIIe siècle. CIKKER (Ján), compositeur slovaque (Banská Bystrica 1911 - Bratislava 1989). Orphelin de père dès l’âge de quatre ans, il doit à sa mère sa première formation musicale, en particulier au piano. De 1930 à 1935, il étudie au conservatoire de Prague, avec Křička (composition), Dědeček (direction d’orchestre) et Wiedermann (orgue). Il se perfectionne auprès de Novák, puis de Weingartner à Vienne (1936-37). Dès 1939, il enseigne la théorie musicale au conservatoire de Bratislava, et est nommé lecteur à l’Opéra national slovaque. Depuis 1951, il est professeur de composition à l’École supérieure de musique et d’art dramatique de Bratislava. Sa première période de création touche essentiellement les formes instrumentales (1re Symphonie en ut, 1930 ; Épitaphe, 1931 ; Prologue symphonique, 1934 ; Caprice, 1936 ; Symphonie « le Printemps », 1937 ; Symphonie 1945 [1974-75] ; Concertino pour piano, 1942 ; Idylle, ballet, 1944). Puis, en 1953, il s’oriente vers la scène. On lui doit six opéras : Juro Janosik (1954) sur un livret de Stefan Hoza, Beg Bajazid (1957) sur une vieille ballade slovaque contant un épisode historique du XVIe siècle, Mr. Scrooge (1959, 1re représentation 1963) d’après un conte de Noël de Dickens, Résurrection d’après Tolstoï (1962), qui se rapproche de l’opéra de Berg, le Jeu de l’amour et de la mort d’après le drame de Romain Rolland (1969-1973), enfin Coriolanus d’après Shakespeare (créé à Prague en 1974). L’ensemble de son oeuvre, très abondante, s’appuie sur un style vigoureux, une harmonie de timbres fort évoluée, un sens dramatique naturel qui fait de Cikker le maître incontesté de l’école slovaque contemporaine.

CILEA (Francesco), compositeur italien (Palmi, Calabre, 1866 - Varazze, Ligurie, 1950). Formé au conservatoire de Naples, il y présenta son opéra Gina (1889), puis composa Tilda (1892) à la demande de l’éditeur Sanzogno. Il écrivit encore l’Arlésienne, d’après Daudet (1897) et connut surtout la gloire avec Adrienne Lecouvreur (1902) ; ces deux dernières oeuvres furent créées avec Caruso, alors à l’aube de sa renommée. D’inspiration plus sévère, Gloria (1907) semble avoir mis un terme à la carrière de créateur de Cilea. Remarquable pianiste, celui-ci enseigna le piano, puis la composition, notamment à Naples où il fut directeur du conservatoire de 1916 à 1935. Proche de l’école vériste dans ses premiers opéras, il s’en écarta presque totalement ensuite, mettant sa nature délicate et raffinée au service d’une orchestration claire et limpide et d’une écriture vocale nuancée, utilisant toute la gamme d’expressions de la voix humaine. CIMAROSA (Domenico), compositeur italien (Aversa 1749 - Venise 1801). Né dans une famille pauvre, il reçut à Santa Maria di Loreta de Naples un enseignement musical très complet, et débuta au théâtre en 1772 avec Le Stravaganze del Conte, sorte de comédie musicale, et Le Magie di Merlina e Zoroastro, intermède burlesque. En 1778, il remporta à Rome un énorme succès avec L’Italiana in Londra, et à partir de 1780, fut unanimement considéré comme le grand rival de Paisiello en matière d’opéra bouffe italien. Durant les années suivantes, quelques opéras sérieux comme Il Convito di pietra (1781), sur le thème (simplement esquissé) de Don Juan, alternèrent avec les oeuvres bouffes, toujours majoritaires (I Due Baroni di rocca azzura, 1783 ; Il Fanatico burlato, 1787). Invité en 1787 à la cour de Russie, que Paisiello avait quittée trois ans plus tôt, il s’y rendit en un voyage de six mois qui fit figure de tournée triomphale (Livourne, Parme, Vienne, Varsovie). Il fit représenter à Saint-Pétersbourg, où il prit momentanément la succession de Giuseppe Sarti, des oeuvres déjà écrites, et en composa de nouvelles, dont deux opéras sérieux (Cleopatra, 1789 ; La Vergine del sole, 1789) et un Requiem pour les funérailles de l’épouse de l’ambassadeur de Naples.

En disgrâce, Cimarosa arriva à Vienne à la fin de 1791, au moment de la mort de Mozart. Son ancien protecteur, le grandduc de Toscane, devenu l’année précédente l’empereur Léopold II, lui ayant commandé un opéra bouffe, il donna le 7 février 1792 Il Matrimonio segreto (« le Mariage secret »), qui devait rester son ouvrage le plus célèbre (110 représentations en 5 mois à Naples en 1793). De retour à Naples, Cimarosa composa encore quelques-unes de ses partitions les meilleures, comme Le Astuzie femminili (1794). Durant l’éphémère république parthénopéenne (1799), il accepta d’écrire et de diriger un hymne républicain pour une cérémonie organisée par les Français, ce qui lui valut d’être emprisonné au retour des Bourbons. Gracié, il jugea plus prudent de s’expatrier, et mourut peu après, non empoisonné comme le veut la légende, mais d’une tumeur au bas-ventre. Sa production instrumentale est des plus réduites (un concerto pour deux flûtes et un autre pour clavecin, quelques pièces et 32 sonates en un seul mouvement pour clavecin), et sa production religieuse à peine plus importante. Quant à ses opéras, ils se comptent par dizaines. Cimarosa fut bien plus qu’un mélodiste « délicieux », pour reprendre une formule de Stendhal, qui l’idolâtrait. Avec son sens inné du théâtre, il sut également (quoique de façon typiquedownloadModeText.vue.download 213 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 207 ment italienne) donner vie à l’orchestre, et (tendant en cela la main à Mozart) se révéla un remarquable constructeur d’ensembles vocaux, dans ses finales d’actes et en d’autres endroits en cours d’action. Ce n’est pas pour rien que Il Matrimonio segreto réussit à survivre tout au long du XIXe siècle. De la renommée de son auteur témoigne aussi le fait que, de tous les compositeurs dont Haydn dirigea des opéras à Eszterháza de 1780 à 1790, celui qui fut représenté par le plus grand nombre de partitions différentes (12, totalisant 76 représentations) eut nom Domenico Cimarosa.

FILM (musique de). Les relations entre le cinéma et la musique sont multiples, profondes, complexes, et aussi anciennes que le cinéma lui-même. On sera donc contraint ici de n’évoquer qu’en passant certains aspects de la question, tel celui de la « biographie filmée de musicien », genre qui, à quelques exceptions près (Abel Gance sur Beethoven, Traugott Müller sur Wilhelm Friedemann Bach, Ken Russel sur Tchaïkovski, JeanMarie Straub sur Jean-Sébastien Bach, Milos Forman sur Mozart), a inspiré peu de films marquants ; ou telle la comédie musicale américaine, expression cinématographique qui a suscité de nombreux chefs-d’oeuvre, mais qui, du point de vue proprement musical, puise ses auteurs, son style, ses formes dans un répertoire destiné à la scène. On s’attardera plutôt sur les fonctions et les procédés propres à la musique de film, avant d’en esquisser un parcours historique. LES FONCTIONS DE LA MUSIQUE DE FILM. Où situons-nous, quand nous regardons un western classique, l’orchestre qui joue sur des images de chevauchée ? Certes pas quelque part dans le paysage ou dans le « hors-champ » de l’image, où il serait caché à notre vue - sauf quand le réalisateur veut en tirer un gag burlesque ou critique, comme Mel Brooks dans Le shérif est en prison ou Jean-Luc Godard dans Sauve qui peut la vie (1980). Nous le situons dans une sorte de « proscenium », d’avant-scène imaginaire, de fosse d’orchestre, là où se place l’orchestre d’opéra, là où se plaçait le pianiste du cinéma muet. Par ailleurs, il arrive fréquemment que l’élément musical soit intégré dans l’action du film, par l’intervention de chanteurs, d’instrumentistes, d’orchestres, de tourne-disques, de postes de radio, etc. - donc qu’il soit « situé » imaginairement dans le champ ou le hors-champ de l’image. Cette musique « dans le film » (que, selon les auteurs, on appelle « diégétique », « objective », ou « naturelle ») tenait une grande place dans les premiers films sonores, où l’on manifestait un étonnant souci de légitimer l’audition de musique dans l’action, par la vision de musiciens de rue, de gramophones, etc., comme si, le son venant de derrière l’écran, on ne savait pas où placer la musique de film, qu’on avait jusqu’alors si facilement admis d’entendre venant de

dessous l’écran, jouée par le pianiste ou l’orchestre de service. Peu à peu se sont créés des usages de mise en scène et, chez le spectateur, des habitudes de perception, selon lesquels il n’y a pas de séparation rigoureuse entre la musique « du film » (de proscenium) et la musique « dans le film ». De même que, dans l’opéra, un instrument soliste ou un petit ensemble jouant sur la scène s’intègre sans rupture dans le tissu musical de l’orchestre principal situé dans la fosse, de même il est fréquent de voir, au cinéma, un personnage jouer au piano un thème qu’accompagne ou que prolonge un « orchestre fantôme ». Abel Gance est allé jusqu’à sonoriser des images de Beethoven « composant » sa Symphonie pastorale « au piano » par l’audition orchestrale de cette oeuvre. Il ne fit qu’accentuer un procédé répandu. Pourquoi une atteinte aussi grande à la « vraisemblance » choque-t-elle moins le spectateur qu’un minime « faux raccord » visuel ? Sans doute parce que dans le film la musique, retrouvant les fonctions qu’elle assure déjà dans l’opéra, semble représenter un lieu transcendant toutes barrières de temps et d’espace. C’est elle qui aide à passer en quelques secondes du jour à la nuit, d’un continent à un autre, d’une génération à l’autre. Non assujettie aux lieux que montre l’image, pouvant à la fois s’y fixer (musique « dans le film ») et s’en envoler, elle est une espèce de plaque tournante spatio-temporelle, comme dans certaines histoires de science-fiction, où un « trou » dans le continuum permet de franchir temps et espace à volonté. Un des premiers exemples connus dans le cinéma parlant est une scène du film Hallelujah (1929) de King Vidor, où une brève chanson de Noirs commencée sur le bord du fleuve se continue sans transition sur le bac qui sert à le franchir, et se termine, le couplet suivant, de l’autre côté de la rive. Dans ce cas, la chanson a servi, entre autres, à contracter la perception du temps. La musique, dans le film, agit sur la perception du temps : donnée si élémentaire, si universelle, qu’on s’étonne de ne pas la voir plus souvent énoncée. Ainsi la musique peut-elle aider à franchir des sauts dans le temps en direction du futur ou du passé (« flash-back »). De même, elle sert souvent, du point de vue dramaturgique, à dilater le temps, à étirer indéfiniment une situation de suspense (scènes de meurtre imminent, chez Hitchcock, par exemple). En même temps qu’elle

dilate ou qu’elle contracte, elle assure un lien, une continuité entre des plans cinématographiques distincts, qu’elle suture, qu’elle fait tenir aussi solidement que le ruban adhésif utilisé au montage ! De même, dans l’opéra, l’action se fige quand le soliste attaque son air, puis se précipite dans les récitatifs. Des réalisateurs comme Alfred Hitchcock, Sergio Leone, Stanley Kubrick ont su utiliser cette fonction dilatante de la musique pour étirer à l’infini des scènes d’attente ou d’affrontement. Ce sont là des rôles hérités de la convention, que certains dénoncent, mais qui font partie du « vocabulaire » de la mise en scène cinématographique, et ne doivent pas être tenus pour négligeables. Comme elle agit sur la perception du temps, la musique influence celle de l’espace, autre élément du langage cinématographique. Son espace propre (généralement celui, large et mouvant, d’un orchestre symphonique) joue par rapport à l’espace visuel du film pour le prolonger, le contrarier, l’élargir, lui faire écho, et plus rarement pour le rétrécir : comme si la musique avait souvent pour rôle d’ouvrir un espace que le cadre visuel du film a dû forcément rapetisser et concentrer. Enfin, elle joue une fonction évidente de ponctuation : tel accord de trombones, telle percussion sur un geste, une réplique ou un plan les isole des autres, les détache, découpe l’enchaînement visuel en créant un effet de sens parfois aussi important que la ponctuation dans la phrase ; et l’on sait qu’un déplacement de virgule ou de point peut modifier de fond en comble le sens d’un texte. Élément de ponctuation et de découpage de la narration, moyen de modeler l’espace-temps du film, de le contrarier ou de le dilater - mais aussi agent inducteur de perceptions dynamogéniques (c’est-àdire de perceptions de mouvement, d’excitations corporelles créées chez le spectateur par le son, qui le font participer plus intensément) ; mais aussi, et encore, agent synesthétique, jouant sur des correspondances sensorielles de rythme, de couleur, de luminosité, de « grain », entre son et image, la musique de cinéma a donc un rôle qui dépasse largement celui de renforcer la valeur émotionnelle des scènes clés, en aidant à faire pleurer ou frissonner au bon moment. Ce rôle qu’on peut dire

« structurel », dans la mise en scène, elle le joue moins par sa valeur propre qu’en tant qu’élément du tout qu’est le film. Certes, il n’est pas un de ces rôles, que nous avons signalés, qui n’ait déjà été utilisé dans les genres dramatiques traditionnels, nô japonais, mélodrame romantique, théâtre de foire, cirque, grand opéra ou théâtre élisabéthain - mais pourquoi la musique ne retrouverait-elle pas, ici, comme ailleurs, ses fonctions primitives ? Une fonction plus symbolique, moins réductible à un schéma simple, est celle que la musique joue, précisément, dans la structure symbolique du film, en tant que downloadModeText.vue.download 214 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 208 signifiant d’une destinée, d’une promesse, d’une malédiction ou d’un paradis perdu. Dans des films aussi divers que M. le Maudit, de Fritz Lang, l’Intendant Sansho, de Kenji Mizoguchi, India Song, de Marguerite Duras, Rencontres du troisième type, de Steven Spielberg, une simple chanson, voire un motif de cinq notes, dans le dernier film, s’inscrit au coeur du film comme moteur même de l’action, signifiant tour à tour de la compulsion au meurtre (Lang), du lien avec la mère perdue (Mizoguchi), de l’amour mort et éternel (Duras), d’un espoir de communication galactique (Spielberg). Plus qu’un personnage, la musique tient la place d’une sorte de « fatum », incarnant la substance même du désir qui agite les personnages, le metteur en scène, les spectateurs eux-mêmes. Et cela (c’est ici que beaucoup de musiciens se montrent hostiles ou méfiants), quelle que soit, finalement, la « valeur » de cette musique en soi. Qu’est-ce qu’une « bonne » musique de film ? Les meilleurs musiciens de l’écran, les plus grands réalisateurs déclarent souvent que c’est celle qui se met au service du film comme totalité. La mode récente (inaugurée, semblet-il, au Japon) des concerts de musique de film permet de constater que beaucoup des plus belles musiques de l’écran, arrachées au film, paraissent souffrir de redondance, de linéarité. Mais, si l’on arrangeait le Doppelgänger de Schubert ou les Quatre Chants sérieux de Brahms pour violon et piano, supprimant d’un coup le texte et la voix, leur grandeur ne serait-

elle pas affaiblie ? La question de la valeur « intrinsèque » de la musique de film peut paraître donc un peu scholastique et oiseuse, comme le serait celle de la valeur en soi de beaucoup de musiques religieuses ou rituelles. Le « transfert symbolique », comme dit Jean Mitry, qui permet notamment à la musique de transporter avec elle l’idée d’un destin, est évidemment fréquemment lié à l’utilisation du procédé wagnérien de leitmotiv. Chose curieuse, ce n’est pas toujours quand elle épouse émotionnellement le destin du personnage (qu’elle lui est « empathique ») que la musique se trouve personnifier le plus fortement ce destin ; c’est au contraire quand, par rapport à lui, elle se définit comme indifférente, mécanique, commune, collée à ce destin par le hasard d’une coïncidence, d’une simultanéité, d’une rencontre. On peut la dire alors « an-empathique », et combien de moments cruciaux, dans des films, ne sont-ils pas associés au déroulement d’une musique an-empathique, boîte à musique, limonaire de manège, piano mécanique, chanson de gramophone, chanteur qui passait par là ; combien de héros de films ne sont-ils pas morts (plus rarement revenus à la vie) sur les accents indifférents et inéluctables d’une musique « an-empathique ». LE STYLE ET LES MOYENS. De même que le cinéma intègre, pour son plus grand bien, des procédés dramaturgiques fort anciens, qui viennent de références au théâtre, au cirque, à l’opéra, de même la musique de film emprunte son langage aux musiques existantes par ailleurs : même quand un Prokofiev écrit une partition très élaborée pour Eisenstein (Alexandre Nevski, 1938), il l’écrit dans son style à lui, un peu « adouci » pour la circonstance. En laissant de côté les musiques de style traditionnel citées et intégrées en tant que telles dans les films qui utilisent des sujets ou des situations musicales (chansons, numéros chorégraphiques, jazz, etc.), on retrouve dans l’écriture des partitions de musiques de film des références stylistiques bien précises : à côté de Ravel, du Liszt des Poèmes symphoniques, de Mahler, de Richard Strauss, parfois de Prokofiev et même de Bartók, c’est la référence wagnérienne qui domine. Peutêtre d’abord à cause de la conception fon-

damentalement dramaturgique, ouverte et dynamique de sa musique (poussant toujours en avant, avec un grand impact rythmique), et aussi à cause du principe simple et efficace du leitmotiv. La plupart des grandes musiques de film, en effet, sont construites sur ce principe, c’est-à-dire sur un nombre limité de motifs dont chacun est associé à un protagoniste, une situation, un décor, un « thème » (la mort, le destin, l’amour). C’est le cas de films aussi divers que Psychose (1960, HitchcockHerrmann), Alexandre Nevski, déjà cité, les Visiteurs du soir (1942, Carné-Thiriet), Hiroshima mon amour (1959, ResnaisFusco-Delerue), Casanova (1976, FelliniRota), Autant en emporte le vent (1939, Fleming-Steiner). Ce dernier film, en particulier, comporte 16 thèmes principaux dont un pour chaque personnage principal, reliés par des affinités et des contrastes, qui ont le même rôle symbolique que dans la Faust-Symphonie de Liszt ou la Tétralogie de Wagner. De même, dans la construction du film, ils suivent un parcours parallèle à la dramaturgie, pour la renforcer : ils grandissent, s’émeuvent, meurent, renaissent, etc., avec les personnages ou les situations qu’ils représentent, et se battent entre eux dans les films de guerre (bataille de thèmes dans les scènes de combat d’Alexandre Nevski). Pourquoi des « motifs » plutôt que des « thèmes « ? Parce qu’un thème au sens traditionnel est une forme assez développée et surtout conclusive, bouclée par une cadence. Le motif, ou micro-thème, plus bref, et surtout plus ouvert, se laissant facilement mémoriser à l’insu même du spectateur (qui n’écoute pas la musique pour elle-même), est mieux adapté au cinéma, encore que Theodor W. Adorno et Hanns Eisler en aient critiqué l’emploi. La musique de cinéma exige des formes courtes, et le compositeur doit se plier à des minutages précis, qui lui demandent de faire 50 secondes pour un baiser d’amour, 2 minutes pour un meurtre, 30 secondes pour un trajet en voiture, etc. Même si le film est baigné de musique en permanence, cette musique enchaîne différentes situations, et l’on ne peut s’attarder à des développements sophistiqués, sauf quand l’architecture du film ou de la scène a été conçue en étroit rapport avec la musique, ce qui est rarement le cas. La plupart du temps, cette architecture préexiste à la musique, elle commande au musicien de frapper fort et vite, ou au contraire de s’effacer dans des répétitions de motifs

un peu passe-partout, ce « papier peint » musical dont Stravinski parlait avec mépris. Curieusement, l’utilisation de formes fermées, à caractère nettement conclusif dans les films (chansons, thèmes développés), est très souvent associée à la mort, à la séparation, à l’absence. Si l’orchestre symphonique prédomine dans les partitions des films classiques, le choix des sonorités joue un rôle très important ; c’est là que la musique de cinéma fait jouer des affinités de matière, de sensations, de grain, entre les textures sonores et visuelles. L’art des grands réalisateurs et des grands musiciens de films est de déterminer une palette, un univers de sonorités propres au film (choix des instruments à cordes exclusivement, dans la musique de Bernard Herrmann pour Psychose, correspondant au parti pris visuel d’un noir et blanc très contrasté). Il faut ajouter que ce travail de composition de la partition musicale d’un film peut se faire aussi bien avec des musiques préexistantes qu’avec une musique originale. Dans le volet central de son triptyque le Plaisir (1952), d’après Maupassant, le réalisateur Max Ophuls a su admirablement utiliser tour à tour Offenbach, Béranger, Mozart et des cantiques populaires dans une savante construction thématique qui culmine avec une audition bouleversante de l’Ave Verum mozartien dans une église de campagne. Tous les styles sont donc admissibles et admis dans la musique de film, avec, cependant, des emplois très stéréotypés. Le compositeur doit souvent se transformer en pasticheur pour les films d’époque, faisant du faux baroque, ou construisant de toutes pièces du « faux égyptien »... comme Wagner recréait complètement le style de ses Maîtres chanteurs. On a remarqué aussi que le spectateur de cinéma tolère souvent des styles très modernes, qu’il ne supporterait pas d’entendre à la radio. Enfin, si talentueux ou génial que puisse être le compositeur, le rôle du réalisateur est souvent déterminant dans la qualité musicale d’un film. Avec des réadownloadModeText.vue.download 215 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 209 lisateurs comme Visconti, Syberberg, Fel-

lini, Resnais, Tarkovski, Duras, Bresson, Bergman, Leone, Coppola, etc., film et musique s’interpénètrent si intimement qu’ils fusionnent en un même genre global, comme avec l’opéra. UN SURVOL HISTORIQUE. La première projection des frères Lumière, le 28 décembre 1895, à Paris, était déjà accompagnée par un piano ; uniquement, disent certains, pour couvrir le bruit de l’appareil de projection et pour faire supporter le caractère irréel et fantomatique de ces silhouettes muettes qui s’agitaient sur l’écran, de ce train fonçant sur le public sans bruit. On peut penser pourtant que, déjà, la musique de film remplissait les fonctions précédemment évoquées, et on la trouvait dans presque toutes les projections, jouée par un pianiste, voire un harmonium ou un orgue, parfois un petit ensemble de chambre, et dans les grandes salles d’exclusivité, par un orchestre symphonique qui pouvait être très important. Le répertoire était puisé soit dans le domaine classique, soit dans des recueils originaux destinés spécialement au cinéma, pour accompagner les différents stéréotypes de situation (catastrophe, amour, poursuite, danse orientale, etc.). Enfin, dans les grandes occasions, des partitions originales étaient écrites pour accompagner la projection d’un film nouveau (le chef étant muni d’une espèce de « pupitre de synchronisation » quand le synchronisme devait être très précis). C’est ainsi que Saint-Saëns écrivit une partition pour l’Assassinat du duc de Guise (1908), Erik Satie pour Entr’acte (1924) de René Clair, Edmund Meisel pour le Cuirassé Potemkine (1925), de Serge Eisenstein, Darius Milhaud pour l’Inhumaine (1924), de Marcel L’Herbier, etc. La plupart du temps, cependant, on pouvait recourir à des catalogues d’« incidentaux » ou de « musiques incidentales » (comme celui publié en 1919 par Giuseppe Becce) ou enchaîner, selon les péripéties de l’action, la Chevauchée des Walkyries au Prélude en « do » dièse mineur de Rachmaninov. Quand Stanley Kubrick, dans 2001 A Space Odyssey (1968), ou Francis Ford Coppola dans Apocalypse Now (1979), utilisent le Beau Danube bleu ou la fameuse Chevauchée wagnérienne, ils réactualisent certains procédés du cinéma muet. Il y eut aussi des expériences de synchroni-

sations de films muets avec des musiques enregistrées sur disques de gramophone dès 1904 ; ainsi signale-t-on une version condensée du Faust de Gounod réalisée en 1906 ! Commencées avec l’invention du cinéma, ces expériences ne se répandirent et n’aboutirent qu’avec la mise au point du cinéma « parlant », avec sa pellicule sonore sur le même support que le film. Le premier « parlant », The Jazz Singer (1927), est en fait un film « chantant » et musical. La comédie musicale est donc un genre aussi ancien que le cinéma sonore (et même muet), et elle a atteint son apogée dans le cinéma américain. À l’origine simple transposition filmée de revues de music-hall ou d’opérettes, elle est vite devenue, avec Busby Berkeley notamment (Gold Diggers, 1933), un genre autonome, fruit d’un croisement audacieux entre les possibilités d’ubiquité du cinéma et le cadre magique de la scène. Les grands metteurs en scène de comédies musicales, outre Berkeley, furent Vincente Minnelli, Stanley Donen, George Cukor, Ruben Mamoulian, plus récemment Bob Fosse. Les grands musiciens du genre sont les mêmes que ceux qui écrivaient, pour les scènes de Broadway, la même musique : George Gershwin, Irving Berlin, Rodgers et Hart, Cole Porter, Kander et Ebb, Leonard Bernstein, Jerome Kern, etc. L’opéra filmé lui-même est un genre aussi vieux que le cinéma. Les meilleures réussites ne sont pas forcément celles où l’on cherche à « aérer » l’action, mais celles où, comme Ingmar Bergman dans sa version de la Flûte enchantée (1975), on a su marier le cadre de la scène (même s’il est transgressé après avoir été posé) et le regard librement orienté de la caméra. Naturellement, le play-back (procédé où les chanteurs miment leur chant préenregistré, qui leur est diffusé pendant le tournage) est le plus souvent adopté pour réaliser un opéra filmé, malgré une tentative comme celle de Jean-Marie Straub, avec le Moïse et Aaron de Schönberg, pour faire un opéra filmé en « son direct ». Dans la majorité des films de fiction tournés après le début du cinéma « parlant », on trouve aussi un accompagnement musical : parfois d’un bout à l’autre du film (le « 100 p. 100 musical » prôné par Max Steiner), parfois dans une assez

grande proportion, rarement pas du tout. Le cinéma d’Hollywood a beaucoup utilisé un certain type de musique symphonique de style postromantique, qui continue de fonctionner très bien dans les films les plus récents : la musique de John Williams pour la Guerre des étoiles (1977), par rapport à celle de Steiner ou Korngold, est de même inspiration. Curieusement, une grande partie des musiciens de film de la période classique hollywoodienne est d’origine russe, hongroise, tchèque, allemande : Max Steiner (1888-1971), Miklosz Rózsa (1907), Dimitri Tiomkin (1894-1979), Erich Wolfgang Korngold (1897-1957), Hugo Friedhofer (1902), Bronislav Kaper (1902) sont quelquesuns des compositeurs « classiques » du cinéma américain, à côté d’Adolf Deutsch (1897-1980), David Raksin (1912), Franz Waxman (1906-1967), Alfred Newman (1901-1970), Alex North (1910-1991), et Bernard Herrmann (1911-1975), musicien d’Orson Welles et de Hitchcock, autour duquel s’est développé un culte. Dans une génération plus récente, qui intègre souvent des éléments pris au jazz, à la variété, aux recherches contemporaines, et dont les orchestrations plus « éclatées » sentent parfois moins les violons et plus les bois et les cuivres, on trouve John Williams (1932), Lalo Schifrin (1932), Léonard Rosenman (1924), André Prévin (1929), Henry Mancini (1924-1994), Jerry Goldsmith (1929), Quincy Jones (1933), Burt Bacharach, Jerry Fielding, etc. Un retour à l’esthétique chargée, lyrique, « opératique » de Steiner, Rozsa, Herrmann s’est manifesté dans les années 70, sur l’initiative de réalisateurs comme Alain Resnais, Brian de Palma et Stephen Spielberg, et a fait émerger des compositeurs comme John Williams (1932), James Horner, Danny Elfman, George Fenton. Parmi les compositeurs du cinéma anglais, on citera John Addison (1920), John Dankworth (1927), Roon Godwin (1929), Richard Addinsell (1904-1977), et des auteurs « de concert » comme William Walton (qui travailla pour Laurence Olivier), Richard Rodney-Bennett, Peter-Maxwell Davies, etc. La France a longtemps connu une situation où les grands noms de la musique de concert écrivaient pour le cinéma : Henri Sauguet, Jacques Ibert, Maurice Thiriet, Arthur Honegger et, surtout, Georges Auric (chez Jean Cocteau notamment) travaillèrent avec les plus

grands réalisateurs français. En revanche, la génération dite « d’avant-garde » répugne le plus souvent à se « commettre » avec le cinéma, sauf dans le domaine de la musique électroacoustique (Parmegiani, Canton, Bokanowski, Schwarz, Zanési, etc.) et à quelques exceptions près (Maurice Le Roux). Cependant, comme ailleurs, des compositeurs se sont consacrés spécialement au cinéma, dont le légendaire Maurice Jaubert (1900-1940), compositeur de l’Atalante de Jean Vigo ou du Jour se lève de Carné, ressuscité à titre posthume dans des films de François Truffaut. On peut citer aussi Paul Misraki (1908), Georges Van Parys (1902), les compositeurs de chansons Joseph Kosma (1905-1969) et Vincent Scotto (1876-1952), et, plus récemment, Maurice Jarre (1924) - émigré en Amérique comme les Korngold d’antan -, les excellents Georges Delerue et Pierre Jansen, puis ceux qui favorisent le « joli thème » qui chante et embue les yeux, François de Roubaix (1939-1975), Francis Lai (1932), le brillant Michel Legrand (1932), auteur d’un des rares « opéras » 100 p. 100 chantants écrits pour le cinéma (les Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy), Michel Magne (1930), Philippe Sarde (1948), Gabriel Yared (1949), Éric Demarsan (1938). En Italie, downloadModeText.vue.download 216 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 210 à côté de Fiorenzo Carpi, Armando Trovajoli, Mario Nascimbene, Renzo Rossellini, Roman Vlad, Franco Mannino, Luis Bacalov, Nicolá Piovani, Gian-Franco Plenizio, émergent 3 noms : ceux de Giovanni Fusco (1906-1968), musicien sobre et cérébral des films d’Antonioni ; Ennio Morricone (1928), suprêmement doué pour gaspiller son immense talent, tel un Rossini, et qui transgressa les habitudes en composant des musiques qui s’« entendent » beaucoup, contrairement à la règle qui veut qu’elles se fondent et se fassent oublier ; enfin le grand Nino Rota (1911-1979), dont l’association privilégiée avec Federico Fellini a immortalisé « tel qu’en lui-même » le style à la fois léger et profond, qui prend ses racines dans les genres les plus modestes et les plus populaires (cirque, music-hall), pour en

extraire la quintessence d’émotion. On peut citer aussi les Allemands Hanns Eisler, Paul Dessau, les Grecs Manos Hadjidakis et Mikis Theodorakis, le Polonais Krysztof Komeda, le Suédois Erik Nordgren, le Russe Eduard Artemyev. Si, parmi les musiciens dits « de concert », Chostakovitch écrivit abondamment pour le cinéma, on connaît surtout en Europe le travail pourtant rare et localisé de Prokofiev, à cause des deux films d’Eisenstein qu’il mit en musique, Alexandre Nevski et Ivan le Terrible (19431945). La conception du rapport image/ son dans ces deux films n’est pas révolutionnaire, elle est simplement étudiée avec plus de soin, de conscience, de talent et de concertation mutuelle qu’il n’est de coutume. Les procédés qu’elle met en oeuvre (mise en rapport de temporalités, de dimensions rythmiques, plastiques, de masses et de matières entre le son et l’image) se retrouvent aussi bien dans les films dits « expérimentaux » traités par Michel Fano (compositeur-réalisateur de « bandes sonores » pour Robbe-Grillet) que dans des films d’allure très classique, avec des chansonnettes et des orchestrations traditionnelles. Cette alchimie de la musique et du cinéma ne se réduit pas à des procédés, les classifications habituelles entre les genres, les styles n’ont pas de sens ici. Qu’importe que soit « dodécaphonique », « expérimentale » ou « tonale » une partition musicale quand l’alchimie fait son oeuvre et qu’elle unit indissolublement le blues écrit par Carlos d’Alessio au chant d’amour fou mis en film par Marguerite Duras sous le titre d’India Song. CIRY (Michel), compositeur français (La Baule 1919). Connu surtout comme peintre et comme graveur, il a travaillé avec Nadia Boulanger et, tout en refusant les techniques d’avant-garde, a su échapper au néoclassicisme. Esprit mystique, il s’est, à partir de 1947, consacré presque exclusivement au domaine religieux, non sans s’opposer violemment, sur ce point précis, à un Olivier Messiaen. Ses 5 premières symphonies, pour choeur et orchestre, portent les titres significatifs de Symphonie de douleur « Stabat Mater » (1951), Dies Irae (1952), Symphonie d’espérance « De profundis » (1954), Symphonie de pitié (1954), Symphonie de paix (1955). La sixième (Symphonie sacrée,

1958) est pour voix d’alto et orchestre sur des textes de R. M. Rilke. On lui doit aussi le Mystère de Jésus (Gethsémani) [1953], le quatuor à cordes Ecce homo (1955), un concerto pour piano, vents et batterie (1948), Stèle pour un héros (1949), la Pietà pour cordes (1950). CISTRE. Instrument ancien à cordes pincées, à caisse ronde, fond plat et au manche allongé. Héritier de la cithare de l’Antiquité, il apparaît dans l’iconographie dès le VIe siècle. À son apogée, à partir du XVIe siècle, il était, comme la mandoline, et à la différence du luth, monté de cordes métalliques, souvent doubles. Il lui fut consacré de nombreux recueils, parus chez les grands éditeurs de Paris, d’Anvers ou de Londres. Après une éclipse, le cistre connut un regain de vogue à la fin du XVIIIe siècle, mais sa forme s’était entre-temps altérée et on rencontre alors différents types de cistres de factures fort diverses. Il ne faut pas confondre le cistre et le sistre, instrument à percussion. CITÉ DE LA MUSIQUE. Établissement public inauguré à Paris en 1993. Visant une pluralité d’approche (écouter, apprendre, pratiquer, voir), le projet associe sur un même site la création, la diffusion, l’enseignement, la documentation, l’information et la conservation. Dans une architecture inspirée par le caractère temporel des formes musicales (un espace « qui se parcourt, que l’on ne peut jamais saisir d’un seul regard » selon son concepteur, l’architecte Christian de Portzamparc), la Cité de la musique s’adresse aussi bien à l’amateur qu’au professionnel averti, qu’elle souhaite mettre en contact et en interaction. L’activité de l’établissement se déroule notamment autour de la salle de concerts (800 à 1 200 places, selon la disposition), modulable d’une point de vue géométrique et acoustique, ce qui permet une programmation éclectique (musique baroque, contemporaine, jazz, musiques du monde) dans un cadre correspondant à chacun des styles illustrés. Le musée de la Musique veut donner à voir et à entendre les instruments dans une présentation originale (« exposition

permanente »). Un amphithéâtre y est destiné aux démonstrations d’instruments acoustiques, électroniques ou informatiques. Le Centre de documentation musicale et chorégraphique comprend notamment une multimédiathèque qui utilise les nouveaux supports de conservation et de diffusion de l’information. Depuis 1996, un Institut de pédagogie musicale fait aussi partie de l’établissement. La Cité de la musique organise en outre des stages (Académie de musique du XXe siècle, entre autres) et déploie une activité éditoriale (livres, CD-ROM). CITHARE. On appelait cithare, dans l’Antiquité classique, l’instrument aujourd’hui appelé lyre. La cithare n’était, en fait, qu’une lyre améliorée, à la caisse de résonance plus développée. Le terme est de nos jours appliqué par les musicologues à tout instrument à cordes pincées dépourvu de manche, quelle que soit sa forme (vina de l’Inde, etc.). Mais il désigne particulièrement la cithare d’Europe centrale, dont les nombreuses cordes accordées chromatiquement et résonnant à vide sont tendues sur une caisse plate de forme trapézoïdale. CITRON (Pierre), musicologue français (Paris 1919). Agrégé de l’Université, docteur ès lettres, il a été notamment attaché de recherche au Centre national de la recherche scientifique (1957-1960), directeur des études à l’Institut français de Londres (1960-1963) et professeur de littérature française à la faculté des lettres de Clermont-Ferrand (1963-1969). À partir de 1970, il a occupé le même poste à Paris-Sorbonne. Il a édité des oeuvres de Balzac, Villiers de l’lsleAdam et Giono. Comme musicologue, on lui doit des ouvrages sur Couperin (1956) et Bartók (1963), ainsi que l’édition des Mémoires (2 vol., 1969) et - en collaboration avec Frédéric Robert - de la Correspondance générale d’Hector Berlioz (six volumes de 1972 à 1995, septième et dernier volume à paraître). CLAIRON. 1. Instrument à vent de la famille des cuivres. Cette sorte de trompette sans pistons, de perce conique plus grosse et de forme plus ramassée que la trompette,

a une sonorité aussi claire, mais moins sèche. Réglementaire dans l’armée française, le clairon est chargé des diverses sonneries de service, de combat et de cérémonie, encore qu’il tende à tomber en désuétude sauf dans ce dernier domaine. Les clairons sont également employés en grand nombre, avec les tambours, dans les « cliques » militaires et civiles. 2. Jeu d’orgue à anche, du type trompette, dont le tuyau est de forme conique régulière, à grosse taille, en métal. Il sonne à l’octave aiguë de la trompette (4 pieds). Ce registre dote le pédalier - où il est parfois downloadModeText.vue.download 217 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 211 appelé à jouer en soliste - ou les claviers manuels ; il est le plus souvent associé à la trompette, et éventuellement à la bombarde, en batteries d’anches utilisées dans les tutti. 3. Second registre (registre du médium) de la clarinette. CLAPISSON (Antonin Louis), compositeur français (Naples 1808 - Paris 1866). Après avoir étudié le violon à Bordeaux, il se rendit à Paris, où il entra en 1830 au Conservatoire. Élève de Reicha (composition) et de Habenek (violon), il reçut en 1832 un deuxième prix qui lui permit de devenir second violoniste à l’Opéra. Ce poste, qu’il conserva jusqu’en 1838, et ses qualités de mélodiste l’amenèrent à se tourner vers la scène lyrique. Son grand opéra Jeanne la Folle (1848) n’ayant pas réussi, il continua à composer surtout de la musique de demi-caractère, écrivant en tout plus de vingt opéras-comiques. La Perruche (1840), la Promise (1854) et surtout la Fanchonnette (1856) connurent un très vif succès, tandis que le Code noir (1842) et Gibby la Cornemuse (1846) furent considérés comme ses meilleurs ouvrages lyriques. Clapisson se fit également connaître par plus de deux cents chansons, dont certaines furent popularisées par des textes de Béranger, et par une collection d’instruments de musique, qui vint enrichir, à Paris et à Londres, le musée du Conservatoire et le Victoria and Albert Museum.

CLAQUEBOIS. Instrument ancien de la famille des percussions. C’était en fait, comme son nom l’indique, un xylophone rudimentaire. CLAQUETTE. Instrument à percussion en bois, apparenté à la crécelle, et constitué de deux lames que l’on fait claquer l’une contre l’autre. CLAQUETTES (danse à) [en angl. tap dance]. Danse moderne issue du folklore noir américain. Elle est fondée, comme le zapateado espagnol, sur le jeu des pieds frappant le sol, alternativement, de la pointe et du talon. Son effet sonore est généralement renforcé par l’emploi de souliers spéciaux, ferrés aux deux bouts, qui forment avec le plancher de véritables instruments à percussion. CLARINETTE. Instrument à vent de la famille des bois. Les lois de l’acoustique sont ainsi faites qu’un tuyau sonore de perce cylindrique sonne comme un tuyau fermé, c’est-à-dire à l’octave inférieure d’un tuyau conique de même longueur. C’est pourquoi la clarinette possède, au grave, près d’une octave de plus que le hautbois. Elle est également caractérisée par son anche simple, une mince lame de roseau qui, fixée à un bec, vibre contre la lèvre inférieure de l’exécutant. Historiquement, la clarinette s’apparente à de nombreux instruments à anche simple et perce cylindrique dont l’origine se perd dans la nuit des temps, et qui se retrouvent sous diverses formes jusqu’en Extrême-Orient. Dans le monde occidental, l’ancêtre direct de la clarinette est le chalumeau médiéval, mais le premier instrument qui lui ressemble vraiment est d’invention relativement récente. C’est un facteur de Nuremberg, Johann Christoph Denner (1655-1707), qui s’avisa vers 1690 de supprimer la capsule où était enfermée l’anche du chalumeau, et d’ajouter au

tuyau sonore un pavillon dont la forme rappelait celle de la petite trompette ou clarino, d’où le diminutif « clarinette ». Avec les fils de Denner, puis avec un grand clarinettiste originaire de Bohême, Joseph Beer (1744-1811), l’instrument connut des améliorations successives se traduisant, comme pour tous les bois, par la multiplication des trous et des clés. Elle acquit ses vertus actuelles d’agilité et d’étendue (3 octaves et une sixte) grâce au système de Theobald Böhm, au milieu du XIXe siècle. Mais depuis une centaine d’années déjà, malgré ses imperfections, elle possédait l’essentiel de ses caractéristiques de timbre et de ses possibilités expressives (large éventail de couleurs, du moelleux au mordant, de son registre grave appelé chalumeau ; chaleur et brio de son registre de médium ou clairon ; incisivité et, s’il le faut, ironie de son aigu) et avait attiré les plus grands compositeurs. Rameau l’introduisit dans l’orchestre de son opéra Zoroastre (1749) ; l’école de Mannheim la dota d’un riche répertoire de soliste ; Mozart l’employa de manière inspirée dans l’instrumentation de ses symphonies et de ses opéras et lui confia un rôle prépondérant dans deux partitions d’une extrême qualité, le Concerto pour clarinette K 622 et le Quintette pour clarinette et cordes K 581. Toutes sortes de bois (buis, grenadille, etc.) ont servi à la construction de la clarinette. Il y en a même eu de métalliques. Aujourd’hui, l’ébène est pour ainsi dire seule employée. Le modèle le plus répandu, et de loin, est en si bémol. Il en existe également dans les tonalités plus hautes d’ut et de mi bémol (petite clarinette) et celle, plus grave, de la. Dans les versions encore plus graves, l’instrument change sensiblement de forme en raison de ses dimensions. Le cor de basset en fa, jadis coudé en son milieu, est de nos jours rectiligne sauf un bocal métallique légèrement incurvé qui supporte le bec. La clarinette alto en mi bémol, avec son pavillon métallique recourbé vers le haut, affecte déjà la forme d’un « S », encore plus accusée dans la clarinette basse en si bémol ou en la. Citons enfin une clarinette contralto (en fa ou en mi bémol) et une clarinette contrebasse en si bémol grave. CLARINO. Nom donné, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle,

à une sorte de trompette qui permettait d’exécuter les passages suraigus que comporte fréquemment la musique baroque, et dont l’exemple le plus célèbre est fourni par le Deuxième Concert brandebourgeois de J. S. Bach. Si l’existence de cet instrument ne fait aucun doute, les musicologues en sont encore réduits aux hypothèses sur sa nature exacte et sa construction, car aucun exemplaire n’est parvenu jusqu’à nous. La trompette naturelle - c’est-à-dire démunie des pistons qui ne furent mis au point que vers 1830 - n’émet en effet que les harmoniques du son fondamental, harmoniques qui ne se suivent par degrés conjoints que dans une tessiture très élevée, purement théorique en ce qui concerne les instruments de perce et de dimensions normales. On a évoqué la possibilité d’une trompette à anche, ou à trous, ou comportant à la fois une anche et des trous. Mais de récentes tentatives de reconstitution donnent à penser que le clarino était plutôt une véritable trompette munie d’une très petite embouchure, dont le très long tube était plusieurs fois enroulé sur lui-même, en forme de cercle, à la manière du cor de poste (posthorn). Encore l’instrument de ce type exige-t-il une prodigieuse virtuosité, mal récompensée par la fausseté de la plupart des notes. Le clarino est aujourd’hui avantageusement remplacé par la petite trompette en si bémol aigu à quatre pistons, le quatrième ayant pour effet de transposer l’instrument dans le ton de fa. CLARKE (John, ou Clarke-Whitfield), organiste et compositeur anglais (Gloucester 1770 - Holmer 1836). Après des études à Oxford, il partit en 1789 en Irlande, où il occupa différentes positions d’organiste et de chef de choeur (à Ludlow, Dublin et Armagh). À la suite de la révolte de 1799, il rentra en Angleterre pour y exercer, jusqu’en 1820, les mêmes fonctions au Trinity College et au Saint John’s College de Cambridge, où il fut nommé professeur de musique en 1821. En 1820, il devint organiste et chef de choeur à la cathédrale d’Hereford, poste qu’il abandonna en 1832. Musicien infatigable, Clarke est l’auteur de mélodies, de glees, d’un oratorio (The Crucifixion and the Resurrection), et surtout d’une anthologie en quatre volumes de services religieux et d’anthems (Cathedral Music). Il a publié, en outre,

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DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 212 un recueil de trente anthems de maîtres contemporains, et a effectué de nombreux arrangements, en particulier des oeuvres de Haendel. CLASSICISME. Terme tendant parfois à se confondre avec l’expression « musique classique ». Très employé, quoique souvent de façon ni claire ni précise, il recouvre, selon les périodes ou les pays, des réalités fort diverses. La musique « classique » peut s’opposer à celle dite « populaire » ou « légère », et comprend alors toute la musique savante (ou « sérieuse ») européenne, de Pérotin aux successeurs de Boulez. Dans ce contexte « savant », on peut distinguer musique classique et musique contemporaine, et faire débuter celleci avec Debussy, par exemple, ou avec la génération Boulez-Stockhausen. Mais on appelle « classique » contemporain une personnalité ou une oeuvre dont la situation et le rang ne sont plus contestés par les spécialistes, ni même parfois par le grand public, ce qui est le cas de nombreuses partitions de Boulez ou de Stockhausen. Dans le même ordre d’idée, on considère Schubert comme le représentant « classique » du lied allemand et Liszt comme celui du poème symphonique, car ils furent les premiers à donner, de ces genres respectifs et dans un contexte historique et esthétique précis, des spécimens convaincants, exemplaires et durables. Mais Schubert et Liszt relèvent de ce qu’on appelle traditionnellement le romantisme musical. Et de fait, on oppose aussi musique classique à musique romantique, musique baroque, musique de la Renaissance, musique médiévale. En ce sens, le classicisme versaillais de Lully (1632-1687) à Rameau (1683-1764) et le classicisme viennois de Haydn (1732-1809), Mozart (1756-1791) et Beethoven (1770-1827) correspondirent bien à deux âges d’or, mais ne se confondirent ni dans le temps ni surtout esthétiquement. Le premier fut essentiellement d’Ancien Régime, le

second annonciateur et contemporain de la Révolution française. Et le passage de l’un à l’autre fut symbolisé par un événement culturel d’importance, la Querelle des bouffons (1752). Ils n’ont pas toujours cultivé les mêmes formes, et leurs architectures, leurs dynamiques musicales sont inconciliables, y compris dans les genres pratiqués par l’un et par l’autre, comme le concerto et surtout l’opéra (le quatuor à cordes et la symphonie ne reçurent leurs lettres de noblesse qu’avec le classicisme viennois, historiquement la première « école » qui n’eut jamais besoin d’être redécouverte). À noter qu’en musique, comme en littérature, le terme « classique » est d’invention assez récente (v. 1800), et chronologiquement plutôt postérieur à celui de musique « romantique », celui-ci ayant largement suscité celui-là. Il reste que, à partir de Goethe, l’opposition classicismeromantisme en musique agita beaucoup les esprits, notamment chez les écrivains. Beaucoup se préoccupèrent surtout de défendre un programme : d’où les premières accusations de sécheresse, de pédantisme et de formalisme lancées contre le « classicisme », ce qui est aussi absurde que de le définir uniquement, même en prônant ces vertus, par rigueur formelle, raison, logique et bon goût. Alors que E. T. A. Hoffmann venait de qualifier Haydn et Mozart (et a fortiori Beethoven) de romantiques en raison de leur rôle dans l’émancipation de la musique instrumentale, seule capable selon lui, par son abandon des paroles, du programme, d’exprimer l’inexprimable, et que la génération de 1830 s’apprêtait à redécouvrir Bach (1685-1750), contemporain de Rameau, Goethe lui-même alla sans doute au coeur du problème : « Technique et mécanisme poussés à l’extrême conduisent les compositeurs à un point où leurs oeuvres cessent d’être de la musique, et n’ont plus rien à voir avec les sentiments humains ; confronté à elles, on ne peut rien apporter qui vienne de son propre esprit ou de son propre coeur » (lettre à Eckermann, 12 janvier 1827). Cette phrase méconnue, selon laquelle n’est plus musique celle qui par sa puissance despotique paralyse l’auditeur et le prive de son pouvoir d’imagination, en dit long sur Goethe et sur ses goûts, mais n’en touche pas moins un point essentiel en affirmant que « c’est précisément l’équilibre des fonctions de l’artiste et de l’auditeur

qui caractérise l’attitude classique » (Friedrich Blume). CLAUDEL (Paul), poète et auteur dramatique français (Villeneuve-sur-Fère 1868 - Paris 1955). Il a reconnu sa dette envers Beethoven à qui il devait, disait-il, pour la formation de son art, autant qu’à Shakespeare et aux tragiques grecs. En se situant par rapport à Richard Wagner, le poète s’est efforcé d’établir de nouveaux liens entre la parole et le chant. Grâce à sa collaboration avec Darius Milhaud, commencée dès 1913 avec Agamemnon et Protée, poursuivie de 1915 à 1922 avec les Choéphores et les Euménides, puis en 1929 avec Christophe Colomb, Claudel a pu montrer comment la mélodie peut jaillir de la parole et la phrase du rythme élémentaire, de même que la poésie peut surgir de la réalité la plus grossière. Ses recherches ont abouti à substituer à l’esthétique traditionnelle du drame lyrique celle d’un théâtre musical mettant en jeu les formes les plus diverses de l’expression. La collaboration de Claudel et d’Arthur Honegger dans Jeanne au bûcher n’est pas moins importante : en se conformant strictement aux indications du poète, Honegger a composé l’une de ses plus grandes oeuvres. LIVRETS ET ARGUMENTS DE BALLETS : l’Homme et son désir, ballet (1917) ; la Femme et son ombre, ballet (1923) ; Christophe Colomb, opéra (1929, créé en 1930) ; le Festin de la sagesse, oratorio dramatique (1934) ; Jeanne au bûcher, oratorio dramatique (1934) ; la Danse des morts, oratorio dramatique (1938). ÉCRITS SUR LA MUSIQUE : Richard Wagner. Rêverie d’un poète français (1927) ; le Drame et la Musique (1930) ; le Poison wagnérien (1938) ; Sur la musique (1942) ; Hector Berlioz (1943) ; le « Beethoven » de Romain Rolland (1946) ; Arthur Honegger (1946) ; le Dauphiné sous l’archet de Berlioz (1949). CLAUSULE. Section d’organum en style de déchant (teneur mesurée) venue se substituer à une section en style organum (teneur non mesurée) ou à une section plus vaste en style

de déchant (démarches associées au nom de Pérotin et aux modifications apportées au Magnus liber de Léonin). Exécutée séparément, avec texte nouveau à la voix organale (selon la technique du trope) et hors de tout contexte liturgique, la clausule fut à l’origine du motet médiéval. Le terme peut aussi signifier « fin de phrase » et, par extension, se rapprocher de « formule cadentielle ». CLAVÉ (José Anselmo), compositeur et chef de chorales espagnol (Barcelone 1824 - id. 1874). Entièrement autodidacte, venu à la musique après avoir dû abandonner pour raisons de santé le métier de tourneur, il composa quelques zarzuelas, des romances, des choeurs, et fut un grand animateur de la vie musicale catalane. Ayant pris en 1845 la direction d’une société musicale d’étudiants, « La Aurora », il la transforma en un groupe choral à la manière des orphéons français, qui prit le nom de « La Fraternidad » (1850), puis « Euterpe » (1857). À l’instar de ce groupe se constituèrent en Catalogne de nombreuses sociétés chorales. Clavé demeura le catalyseur de ce mouvement en organisant des concours et des fêtes auxquelles se joignaient des musiciens professionnels. Au cours de l’une d’elles, en juillet 1862, il dirigea la « marche des pèlerins » de Tannhäuser : ce fut la première exécution d’une page de Wagner en Espagne. Attaché au progrès social, Clavé participa d’autre part activement à la vie politique de sa province. downloadModeText.vue.download 219 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 213 CLAVECIN (en angl. harpsichord ; en all. Kielflügel ou Cembalo ; en ital. clavicembalo). Famille d’instruments à clavier dont les cordes sont mises en vibration par un mécanisme comportant un plectre. De forme, d’étendue et de dimensions variables, le clavecin a été employé dans toute l’Europe dès le milieu du XVe siècle, pour ensuite disparaître presque complètement de la vie musicale vers 1800, cédant ainsi la place à un instrument totalement différent et correspondant mieux à l’évolution du goût

à cette époque : le piano-forte. Redécouvert par quelques pionniers au début du XXe siècle, le clavecin a progressivement retrouvé son langage propre tout en élargissant son répertoire par l’augmentation de ses possibilités. Sous l’action conjuguée des compositeurs et de certains facteurs d’instruments, on assiste aujourd’hui à la naissance d’un clavecin nouveau mis à la disposition d’interprètes de talent défendant courageusement la musique de leur temps. LES ORIGINES. On ne sait pas avec précision à quelle date apparaît le clavecin en Europe. Son nom nous est révélé pour la première fois, sous la forme latine clavicymbalum, dans un poème en bas allemand de 1404, Der Minne Regeln. On pense généralement que ce nouvel instrument résulte de la combinaison, réalisée par un artisan inconnu, d’un instrument à cordes à caisse trapézoïdale d’origine arabo-persane, le « qâ nun », avec un clavier à touches étroites comme ceux des orgues portatifs ou positifs. Dès 1420, de nombreux témoignages iconographiques attestent la rapidité de sa diffusion. Vers 1440, un traité capital révèle les règles de construction de divers instruments parmi lesquels figure en bonne place le clavicimbalum. Rédigé par Henri Arnaut de Zwolle (v. 1400-1466), physicien et astronome du duc de Bourgogne Philippe le Bon, puis de Louis XI, ce manuscrit constitue le seul traité de construction de toute l’histoire de la facture de clavecins. Le plan très précis du clavicimbalum qui nous est proposé a de quoi surprendre le lecteur ; en effet, toutes les dimensions de l’instrument sont indiquées par rapport à un « module » de base qui sera ensuite reporté selon une « série » mathématique précise (1, 2, 3, 5, 8, 13...). Aucune dimension mesurée n’est indiquée et toutes les reconstitutions actuelles sont des hypothèses qui s’appuient principalement sur la largeur des touches du clavier. Les plus vraisemblables de ces reconstitutions conduisent à un instrument relativement court à la courbe très prononcée - un arc de cercle parfait -, tendu d’un seul rang de cordes de fer. Son étendue est de trois octaves (35 notes de si à la) et sa sonorité extrêmement brillante et percutante s’explique à la fois par le faible volume de la caisse de résonance, par les plectres de bronze qui mettent les cordes en vibration,

et par l’absence de tout système d’étouffoir. Cette dernière particularité contraint l’interprète à adopter un tempo plus que modéré s’il veut éviter toute confusion. Il n’y a pas à cette époque de littérature spécifique spécialement destinée au clavicimbalum. Son clavier lui permet cependant d’aborder les transcriptions de messes polyphoniques ou bien les tablatures d’orgue d’un Conrad Paumann, dont le Fundamentum Organisandi voit le jour en 1452. Son encombrement réduit et sa légèreté lui permettent sans doute aussi de participer à des musiques de divertissement où son éclat et la précision de son timbre lui permettent de soutenir quelque « danserye ». Certains regretteront peut-être que le quatrième dispositif décrit par Henri Arnaut de Zwolle pour mettre les cordes en vibration ait été si rapidement oublié : il s’agissait d’une sorte de levier comportant un « crampon » métallique, projeté contre la corde par la touche du clavier. Oublié pendant trois siècles, il devait être redécouvert ensuite pour devenir... le marteau du piano-forte ! LE FONCTIONNEMENT. Dès le milieu du XVe siècle, le principe directeur du clavecin est acquis. Il restera identique, plus ou moins amplifié, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Ce principe est simple : un certain nombre de cordes métalliques, de longueur décroissante et correspondant chacune à une note de la gamme, sont tendues au moyen de chevilles d’accord entre deux points fixes. L’un de ces points fixes est destiné à transmettre et amplifier la vibration des cordes, au moyen de la table d’harmonie, véritable membrane de bois mince qui agit à la façon d’une peau de tambour. Le second point fixe est placé sur une partie généralement non résonnante. La réunion de ces différents points constitue respectivement le chevalet et le sillet. Le mécanisme de mise en vibration de chaque corde, le sautereau, est constitué d’une mince réglette de bois (d’environ 14 × 3 mm de section dans un clavecin classique) armée d’un plectre à sa partie supérieure. Ce plectre, jadis en plume de corbeau et maintenant souvent remplacé par un matériau de synthèse, est enchâssé dans une languette de bois dur susceptible de pivoter autour d’un minuscule axe métallique.

Un infime ressort, autrefois tiré d’une soie de sanglier, maintient cette languette en position verticale de repos. Lorsque l’on enfonce une touche du clavier, le sautereau qui repose sur l’arrière de la touche se soulève d’autant, guidé dans sa course par une réglette de bois percée de mortaises : le registre. Le plectre qui se trouvait sous la corde accroche ou « pince » celle-ci dans son mouvement ascendant, la mettant ainsi en vibration. La corde « sonne » jusqu’à ce que ses vibrations s’éteignent par perte d’énergie. Relâche-t-on cette même touche ? Le sautereau retombe par son propre poids, son plectre rencontre à nouveau la corde dans un mouvement inverse qui oblige la languette à basculer autour de son axe, laissant ainsi échapper la corde sans émission de son. Toute vibration parasite est évitée grâce à un étouffoir de drap ou de feutre qui coiffe le sautereau. À chaque touche du clavier correspond au moins une corde mise en vibration par un sautereau. S’il a existé des clavecins à une corde seulement pour chaque note, les facteurs ont eu bientôt l’idée - inspirés peut-être en cela par les facteurs d’orgues - d’ajouter une seconde corde, accordée à l’unisson ou à l’octave de la première, créant ainsi des « jeux » supplémentaires. Ces jeux posséderont chacun leur propre rang de sautereaux sur des registres séparés qui pourront être mis « en jeu » ou « hors jeu » au moyen de mécanismes simples actionnés par le musicien. Par analogie avec l’orgue, l’arrangement des différents jeux d’un clavecin est appelé sa « disposition ». Si nous ajoutons que tout clavecin doit posséder une caisse de résonance close à l’inverse de celle du piano moderne -, nous aurons résumé tous les éléments spécifiques propres à cet instrument. Tous les clavecins dignes de ce nom possèdent ces caractères généraux, mais leur structure ainsi que leur disposition ont sans cesse varié selon les époques ou selon les régions, aboutissant ainsi à des instruments d’esthétique et de sonorité différentes que l’on a l’habitude de regrouper au sein de plusieurs grandes écoles. LA FACTURE ITALIENNE. Celle-ci représente un cas particulier parmi toutes les écoles européennes de facture de clavecins. En effet, ses caractères

dominants se retrouvent tout au long de son histoire, pendant près de trois siècles, sans que le schéma initial né vers 1500 subisse de profondes altérations : tout se passe comme si l’instrument primitif avait été parfait dès le début de son histoire. Seules des modifications mineures (étendue, suppression ou adjonction d’un jeu, mise à d’autres diapasons, etc.) attestent, par ces déviations par rapport au schéma type, la vitalité et la créativité d’un art qui a toujours su éviter la monotonie. Historiquement et technologiquement, l’école italienne est celle qui suit au plus près le principe directeur « bourguignon » légué par Henri Arnaut de Zwolle au milieu du XVe siècle. Historiquement d’abord, les clavecins les plus anciens sont dus à des facteurs italiens, à une exception près. Il ne se passe « que » soixante ans endownloadModeText.vue.download 220 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 214 viron entre la rédaction du célèbre traité et les premiers instruments qui nous sont parvenus. Techniquement ensuite, ces premiers facteurs ont suivi de très près la construction « harmonique » dans l’élaboration de leurs plans et de leurs tracés. À l’examen, on devine aisément l’existence d’un « module » de base qui se retrouve, multiplié ou réduit, dans toutes les parties de l’instrument. L’un de ces modules, et le plus évident, est la conséquence d’une loi physico-acoustique qui veut qu’une corde sonore, d’un matériau et d’un diamètre donnés, sous une tension égale, sonne une octave en dessous d’une corde de référence moitié moins longue. C’est cette constatation qui régit l’ensemble de la production italienne pendant ces trois siècles en incitant les facteurs à adopter la « règle de la juste proportion » pour le tracé de leur plan de cordes. La longueur de la corde correspondant à l’ut de 1 pied (1ʹ) est souvent prise pour module, et cette valeur (comprise entre 280 et 300 mm) sera simplement doublée d’octave en octave sur presque toute l’étendue du clavecin. Cette construction quasi mathématique va conférer au clavecin italien sa caractéristique visuelle principale qui est une courbe extrêmement prononcée. L’éclisse courbe est en effet parallèle au chevalet dont la place est déterminée

par la longueur des cordes. On observe cependant une altération de la « juste proportion » dans le grave, de façon à ne pas obtenir un instrument exagérément long et fragile, ainsi que des cordes molles et sans timbre. La pointe du chevalet est alors simplement brisée par l’emploi d’une courte portion droite soutenant les cordes les plus longues. Sous l’aspect de la fabrication proprement dite, le clavecin italien est une caisse fermée, d’une ligne très élancée, construite avec des matériaux de faible épaisseur. Son poids en est donc relativement réduit. À titre d’exemple, un instrument dû au facteur Trasuntino, daté de 1538, pèse seulement 12 kg, clavier compris, pour une longueur de 2,08 m ! C’est donc une technique de fabrication qui s’apparente encore beaucoup à la lutherie proprement dite. Sur le plan pratique, la caisse est construite à partir d’un fond en sapin dont l’épaisseur varie de 10/11 à 21/22 mm selon les instruments. Ce fond est parfois consolidé par des traverses « en écharpe », clouées et collées diagonalement pour renforcer l’assemblage. Sur cette assise plane seront fixées, par simple collage ou par encastrement, des équerres qui supporteront une « couronne de contre-éclisses » servant ultérieurement d’appui à la table d’harmonie. Des arcsboutants partant du fond et rejoignant les contre-éclisses viennent encore rigidifier cette charpente sans nuire à sa légèreté. Le sommier qui recevra les chevilles d’accord est généralement issu d’un bloc de noyer et est fixé solidement sur des supports en ménageant un espace ou « fosse » à l’avant de la table, espace destiné au passage des registres. Il est à noter que la majorité des instruments italiens anciens comportent une « fosse » placée en oblique par rapport au sommier et au clavier : le registre est ainsi plus éloigné du clavier au grave qu’à l’aigu. Nous retrouvons là une préoccupation majeure des facteurs pour tenter de maintenir une harmonie entre les rapports des points de pincement de chaque corde sur toute l’étendue du clavier. Les éclisses sont ensuite collées sur la périphérie de cette charpente. Ce sont des planches minces, de 3 à 6 mm d’épaisseur et de 180 à 200 mm de largeur, généralement en cyprès mais aussi parfois en noyer. Après assemblage, ces éclisses ainsi que le bas de la caisse seront ornés de moulures au profil très accentué. Moulures ornementales,

certes, mais qui joueront surtout le rôle de renforts destinés à rigidifier ces surfaces déformables, sans augmenter sensiblement le poids de l’ensemble. La table d’harmonie est préparée, généralement, à partir d’un assemblage de minces feuillets de cyprès, mais parfois aussi d’épicéa, puis dotée de son barrage (armature de la face interne destinée à délimiter avec précision des aires de vibration) et de son chevalet (baguette moulurée et cintrée qui transmet les vibrations à la table). Cette table est collée sur les contre-éclisses et prête à recevoir, après « division » et « pointage », un ou deux rangs de cordes très fines, généralement en fer et en laiton. Il n’entre donc dans l’élaboration de la caisse des instruments italiens que des matériaux légers et résonnants. Cette légèreté conduisant à une relative fragilité, le clavecin italien est contenu dans un étui ou « caisse extérieure » en bois plus massif. C’est cette caisse qui recevra le couvercle et c’est sur celle-ci que s’exercera le talent des peintres et des ornemanistes, car l’instrument lui-même est toujours laissé nu, dans la beauté du bois soigneusement poli. Un piètement qui peut aller jusqu’à l’extravagance supporte le tout, lorsque le clavecin est fixé à demeure. En cas de déplacement fréquent - les princes n’aiment-ils pas être accompagnés de leurs musiciens ? - une table peut le recevoir, deux tréteaux permettent d’en jouer. Une autre singularité intéressante est l’adoption systématique par les facteurs italiens - et par les musiciens, par conséquent - d’un clavecin à un seul clavier dont l’étendue reste longtemps fixée autour de quatre octaves. Pour cette étendue, représentant 49 notes, le clavier ne comprend souvent que 45 touches, l’octave la plus grave étant amputée de certains demi-tons. Cela résulte de l’accord particulier des instruments à clavier préconisé jusqu’au milieu du XVIIIe siècle au moins. Cet accord, dit « à tempérament inégal », avait pour cause l’impossibilité de diviser l’octave en douze demi-tons égaux en conservant des intervalles (tierce, quinte, etc.) acoustiquement « justes ». Les musiciens « trichaient » donc en favorisant certaines tonalités au détriment de certaines autres, peu employées (fa dièse mineur, par exemple). Tous les systèmes gravitant autour de ce principe avaient pour énorme avantage de rendre l’oeuvre musi-

cale « expressive » par sa tonalité même. En revanche, le nombre de tonalités autorisées était plus restreint, d’où la présence de cette « courte octave » dans les claviers de l’époque, dans une région sonore où la main gauche ne réalise que l’harmonie. Générale au XVIe siècle et pendant presque tout le XVIIe, cette pratique disparut peu à peu, à mesure que l’étendue des claviers augmentait pour atteindre quatre octaves et une quinte, entièrement chromatiques, au XVIIIe siècle. Avec ses deux seuls jeux de « huit pieds » (8ʹ) et son clavier unique, le clavecin italien possède une vie et une présence indiscutables. La légèreté des matériaux favorise une attaque du son très mordante suivie d’un son très coloré et relativement peu soutenu. Son timbre lumineux ne pardonne pas la moindre erreur de phrasé ; mais qu’il soit servi par un musicien sensible et averti, qu’il soit surtout accordé selon l’un des « tempéraments inégaux », alors il servira mieux que n’importe quel autre les oeuvres étonnantes qu’ont écrit pour lui Giovanni Picchi, Salomone Rossi, Girolamo Frescobaldi, ou... les « virginalistes » anglais ! LA PÉNINSULE IBÉRIQUE. Fort peu de chose distingue la facture italienne de celle de la péninsule, ce qui est assez normal compte tenu de l’étroitesse des liens qui ont uni ces deux régions sous l’Ancien Régime. Plan et matériaux y sont identiques et seuls quelques éléments du décor accusent des différences sensibles. Il faut cependant reconnaître que peu de clavecins espagnols ou portugais antérieurs au XVIIIe siècle nous sont parvenus. En revanche, les instruments portugais de la fin du XVIIIe qui ont survécu permettent peutêtre de résoudre le problème posé par certaines sonates de Domenico Scarlatti. On sait que plusieurs sonates du Napolitain dépassent l’étendue des plus grands clavecins construits en Europe à son époque, et atteignent le sol aigu, alors que les instruments italiens atteignent tout juste le mi. Plusieurs instruments existent, qui permettent d’élaborer une hypothèse satisfaisante, deux parmi ceux-ci atteignant le la aigu (instruments de Manuel Anjos Leo de Beja - 1700 et Joze Antunes - 1789). Au service de Maria Barbara, ex-infante du Portugal, reine d’Espagne, pour qui il a composé de nombreuses « sonates », downloadModeText.vue.download 221 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 215 Scarlatti ne peut avoir ignoré de tels instruments et c’est peut-être dans cette voie que l’on peut souhaiter une plus grande authenticité dans l’interprétation de ses oeuvres. LA FACTURE FLAMANDE. Vouloir esquisser une histoire du clavecin en Europe revient, en fait, à étudier plus particulièrement deux pays : l’Italie et les Flandres. Issues toutes deux du vieux tronc commun « bourguignon », leurs caractéristiques spécifiques divergent sensiblement au milieu du XVIe siècle. Tandis que l’Italie influence la facture espagnole et portugaise, les Flandres inspirent fortement les facteurs français, allemands et anglais. Comme celle de tout produit manufacturé important, l’histoire du clavecin, en Flandres, reflète l’histoire politique et économique de ses principaux centres. Dès le XIVe siècle, Bruges jouit d’une opulence incontestée due à sa situation géographique lui permettant d’offrir au commerce l’un des plus fameux ports de l’Europe du Nord. Malheureusement, l’envasement progressif de ses accès, dès le milieu du XVe siècle, donne l’avantage à Anvers. Toute la vie artistique brugeoise y est transférée et le trafic international dont bénéficie la ville à cette époque porte loin des frontières le renom de la cité. Parmi toutes les activités que cette opulence naissante contribue à développer, la facture instrumentale tient une place non négligeable. Dès le XVIe siècle, les nombreux facteurs de clavecins sont regroupés au sein de la « guilde de Saint-Luc », confrérie réunissant des peintres et des sculpteurs, et codifiant leurs activités. L’appartenance à cette guilde permet simplement aux facteurs de réaliser eux-mêmes la décoration de leurs clavecins. Il faut attendre une ordonnance de 1558 pour que dix d’entre eux, dont les noms sont ainsi passés à la postérité, soient reconnus comme facteurs à part entière. Trois instruments seulement nous sont parvenus des cosignataires de cette ordonnance : celui de Joost Karest (1548), un autre de Martin Van der Biest (1580) et un troisième de Lodwijck Theewes

(1579). L’instrument de Karest, un virginal conservé au Musée instrumental de Bruxelles, atteste d’une profonde influence italienne : plan polygonal, éclisses fines à moulures, présence d’une caisse extérieure. Mais des différences fondamentales l’éloignent du type traditionnel italien : clavier entièrement « en retrait », guidage des sautereaux par la table et par un guide séparé, et surtout adoption d’un module de cordes plus long que sur la plupart des instruments italiens (ut de 1ʹ : 292 mm). Il s’agit donc d’un instrument hybride dû à un facteur né à un carrefour d’influences, Karest se disant lui-même « de Colonia ». L’étude de nombreux documents iconographiques confirme la présence de ce type d’instrument jusque dans la seconde moitié du XVIe siècle. On considère généralement que le clavecin flamand typique est dû à une dynastie de facteurs anversois, les Rückers, actifs pendant plus d’un siècle, et dont le fondateur, Hans Rückers « le Vieux » est admis à la guilde de Saint-Luc en 1579. Il meurt vraisemblablement en 1598, laissant à deux de ses fils, Johannes II (15781643) et Andreas I (1579-1654) le soin de continuer la tradition familiale. Admis tous deux comme membres de la guilde en 1610 et 1611, ceux-ci transmettent à Andreas II (1607 - apr. 1667) les secrets du métier. Le nom des Couchet, dont Johannes (1611-1655) est le plus illustre, est inséparable des précédents dans l’élaboration du clavecin flamand traditionnel. La facture anversoise de cette époque se distingue de la facture italienne par ses conceptions et par ses procédés de fabrication. Dès la fin du XVIe siècle, les Rückers adoptent une politique de « modèles » de clavecins pour des usages bien définis, modèles qu’ils reproduiront à de nombreux exemplaires sans modification. Ces modèles sont conçus pour se mêler aux autres instruments de musique groupés en familles homogènes depuis le début de la Renaissance. Pour les seuls clavecins, en plus de l’instrument « standard » accordé au ton, les ateliers anversois fabriquent des clavecins plus courts pour être accordés un ton ou une quinte au-dessus ou bien même à l’octave. Conception différente encore par le choix d’un module de cordes « long » (ut de 1ʹ : 355/356 mm pour l’instrument au ton). La règle de la juste proportion est sensiblement corrigée par un

raccourcissement progressif des cordes graves et un allongement sensible des cordes aiguës avec comme zone charnière la région des 2ʹ. Il en résulte une courbe du chevalet peu prononcée. L’éclisse courbe n’est plus parallèle au chevalet, mais s’en écarte dans les basses alors qu’elle s’en rapproche à l’aigu. La fabrication proprement dite est différente de celle pratiquée en Italie. Le clavecin ne sera pas élaboré en partant du fond, mais par assemblage successif des différentes éclisses montées « en l’air ». Matériaux et dimensions diffèrent aussi. Le tilleul, le peuplier ou le saule traités en fortes épaisseurs (13 à 14 mm pour les éclisses) sont seuls employés pour la fabrication de la caisse, le sommier étant constitué d’un fort bloc de chêne débité « sur quartier ». Chaque éclisse est assemblée à sa voisine par un joint « en mitre » assurant une cohésion suffisante de l’ensemble. L’habituelle couronne de contre-éclisses augmente encore la rigidité qui est accrue par un double système de traverses, coincées entre l’échine (grande éclisse droite) et la courbe. Les traverses inférieures sont perpendiculaires au fond - qui sera posé après le tablage et peut-être même le cordage du clavecin - tandis que les traverses supérieures ou arcs-boutants viennent résister à la tension des cordes, au niveau des contre-éclisses. La table est exclusivement constituée de feuillets d’épicéa d’une épaisseur variant, dans un même instrument, de 2 mm à 3,5/4 mm. Elle comporte un chevalet de 8ʹ et un chevalet de 4ʹ. Le barrage intérieur est assez complexe mais sert lui aussi à délimiter des aires de vibration précises. Entre la table et le sommier rectangulaire viennent se loger deux registres avec guide inférieur fixe. Le clavier unique comporte 45 touches pour une étendue de quatre octaves, la plus grave étant « courte ». Les « marches » (ou notes diatoniques) sont plaquées d’os blanchi et poli, pendant que les « feintes » (ou notes chromatiques) sont faites de blocs de chêne noirci. Le clavecin type est tendu de deux rangs de cordes, laiton pour le grave et fer pour le reste. La disposition courante est généralement un jeu de 8ʹ plus un jeu de 4ʹ, bien que l’on rencontre parfois des instruments ne possédant que deux 8ʹ. La nécessité de fournir des instruments

de différentes tailles utilisés à des fins de transposition a conduit les facteurs anversois, dès la fin du XVIe siècle, à concevoir et à réaliser un clavecin double réunissant l’instrument au ton et l’instrument transpositeur, tendu lui aussi de deux rangs de cordes (1 × 8ʹ + 1 × 4ʹ). La transposition est obtenue par deux claviers indépendants et décalés, placés l’un sous l’autre. Cette pratique que l’on conçoit assez mal de nos jours s’est maintenue jusque dans la seconde moitié du XVIIe siècle, période à laquelle les facteurs substituèrent des claviers alignés et accouplables qui devaient particulièrement s’illustrer pendant tout le XVIIIe siècle, sous l’appellation - moderne - de « clavecin contrastant ». Les clavecins flamands sont abondamment décorés. La table est ornée d’un liseré d’arabesques et d’un semis de fleurs et de petits animaux. La « rose » qui comporte les initiales du facteur participe à cette composition et attire les regards avec sa couverture de feuilles d’or. L’intérieur du couvercle reçoit une garniture de papier moiré sur laquelle se détachent les grandes lettres d’une devise latine. Des papiers imprimés, comme celui dit « aux hippocampes », garnissent les éclisses situées au-dessus du clavier. Il n’y a plus de caisse extérieure, le clavecin étant suffisamment robuste. On peut donc peindre les éclisses, afin de ne pas laisser le bois à nu. Sauf commande spéciale, les motifs les plus couramment rencontrés sont les faux marbres, traités en bandes ou en médaillons sertis dans des imitations de ferrures. Le piètement, souvent composé de puissants et nombreux balustres, redownloadModeText.vue.download 222 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 216 flète bien l’opulence et le goût des citoyens prospères de la vieille cité commerçante. La sonorité des clavecins flamands est plus robuste que celle des instruments italiens, et le son est plus soutenu, conséquence logique de la relative lourdeur de la construction. C’est sans doute cela, associé à une indéniable clarté, qui confère à ces instruments un caractère polyphonique très marqué, où chaque partie du discours sonore est intégralement respectée. Les « ricercari » et « fantaisies » d’un

Jan Pieterszoon Sweelinck y sont particulièrement bien adaptées, de même que les oeuvres de William Byrd et de John Bull, deux des plus prestigieux « virginalistes » anglais. La tradition anversoise n’a pas disparu avec le dernier des Rückers et le XVIIIe siècle a vu s’amplifier le schéma initial légué par ces artisans. Afin de correspondre à la musique du jour, l’étendue des clavecins s’accroît pour atteindre cinq octaves complètes, à partir du fa, vers 17451750. La caisse de l’instrument s’allonge pour répondre aux longues cordes de l’extrême grave, le nombre des jeux est porté à trois (2 × 8ʹ + 1 × 4ʹ) et l’on ajoute même un rang de sautereaux séparé, traversant le sommier en oblique et pinçant l’un des huit pieds tout près du sillet. La sonorité de ce jeu « nasal » est particulièrement riche en partiels aigus et contraste radicalement avec les autres jeux. Les noms de Johannes Daniel Dulcken (actif de 1736 à 1769), de Johannes Petrus Bull et de Jakob Van den Elsche doivent être associés à ces derniers feux du clavecin flamand, de même que l’original Albertus Delin qui oeuvrait à Tournai entre 1743 et 1770. LA FACTURE FRANÇAISE. Nous avons vu précédemment que la Bourgogne était le lieu d’origine du clavicymbalum, et l’absence de documents contraires nous autorise à supposer que ce type d’instrument était répandu dans toute l’Europe cultivée d’alors. Les liens économiques et culturels privilégiés que le « grand duc d’Occident » entretenait avec les autres pays a certainement favorisé la rapide expansion du prototype décrit par Henri Arnaut de Zwolle. De nombreuses représentations en attestent dans des pays aussi divers que l’Angleterre, les Pays-Bas, l’Allemagne, la Suède et jusqu’en Istrie, ancienne dépendance vénitienne maintenant rattachée à la Yougoslavie. Les facteurs ont dû s’intéresser rapidement à la construction de l’instrument à sautereaux, car les noms de plusieurs d’entre eux nous sont parvenus. En revanche, et c’est là le principal paradoxe de l’école française, pas un seul clavecin antérieur à la seconde moitié du XVIIe siècle n’a survécu. Curieuse situation où les textes sont nombreux (H. A. de Zwolle, Mersenne, Trichet, La Rousselière, l’Ency-

clopédie, etc.) et où les instruments font défaut. Entre 1440 et 1636, année de la publication de l’Harmonie universelle du religieux Marin Mersenne, existe un trou de deux siècles sur lequel nous ne savons presque rien. L’instrument décrit par Mersenne semble s’inspirer de la tradition italienne : construction légère, éclisses fines et courbe prononcée supposant l’adoption assez rigoureuse de la règle de la juste proportion. L’instrument possède deux rangs de cordes et son clavier unique contient quatre octaves entièrement chromatiques, d’ut à ut. Les quelques clavecins de la fin du XVIIe siècle qui nous restent montrent une amplification de ce schéma. Tous ces instruments possèdent deux claviers et n’ont apparemment jamais été des instruments transpositeurs, au sens flamand du terme. La caisse est plus imposante, sensiblement plus longue et plus large et les éclisses en noyer ou en sapin sont d’une épaisseur moyenne entre les mesures italiennes et les mesures flamandes. L’instrument est entièrement monté à partir d’un fond en sapin et, comme en Italie, adopte les équerres soutenant les éclisses et les contre-éclisses. Les facteurs empruntent cependant à leurs homologues du Nord des arcs-boutants renforçant la caisse à la hauteur des contre-éclisses. Un module assez long (de 302 à 320 mm pour l’ut de 1ʹ), associé à une correction importante de la règle de la juste proportion, confère à ces instruments de la fin du siècle une courbe tenant le milieu entre celles des deux précédentes écoles. Tous ces clavecins sont tendus de trois rangs de cordes (2 × 8ʹ + 1 × 4ʹ) et leur étendue maximum est de quatre octaves plus une quarte (de sol à ut) avec l’octave courte à la basse. Les facteurs qui ont le mieux illustré cette période portent les noms de Denis (toute une dynastie), Jaquet, Richard, Barbier, pour les facteurs parisiens, ou encore l’étonnant Vincent Thibaut de Toulouse pour la province. À leurs successeurs revient le mérite d’avoir profondément modifié ces éléments afin de donner naissance au grand clavecin français du XVIIIe siècle. S’inspirant désormais plus étroitement des modèles flamands, les Nicolas Dumont (actif entre 1673 et 1708), Pierre Bellot (1675 - apr. 1732) et surtout Nicolas

Blanchet (1660-1731) donnent naissance à des instruments à forte personnalité. Ceux-ci possèdent un ou deux claviers de plus de quatre octaves (fa à ré, fa à mi) faisant parler deux ou trois rangs de cordes (2 × 8ʹ ou 2 × 8ʹ + 1 × 4ʹ). La construction de la caisse s’apparente à la méthode flamande, avec l’emploi systématique du tilleul comme matériau de base, la table étant, bien entendu, en épicéa. Le barrage, de même que la structure interne sont fidèlement dérivés des modèles flamands dont ils sont, parfois, la simple amplification. Un module de cordes assez long (compris entre 340 et 365 mm), associé à une règle de proportion radicalement corrigée (basses raccourcies et aigu allongé), confère à ces instruments un aspect robuste et puissant non dénué d’élégance. Si la décoration de la table s’inspire nettement des instruments anversois - avec plus de modelé, cependant -, le décor extérieur ainsi que celui du couvercle reflètent les caractéristiques des styles et des ornements en vigueur à la cour de France. Le piètement ressortit lui-même beaucoup plus à l’histoire du siège qu’à celle de la facture instrumentale : balustres ou colonnes torses en bois naturel jusqu’à la fin du XVIIe siècle, pieds à gaine avec entretoises sous Louis XIV, solides pieds cambrés nerveusement sculptés de la Régence. Les deuxième et troisième générations de facteurs français se contentent de parfaire ces modèles, grâce surtout à des mécaniques irréprochables et un timbre fortement caractérisé. Parmi ces facteurs, les Blanchet (François-Étienne Ier et II), Jean-Claude Goujon, les frères Hemsch, puis plus tard Pascal Taskin fournissent la cour et les musiciens parisiens, pendant que Collesse, Donzelague et Stirnemann à Lyon ou Sébastien Garnier à Reims honorent les commandes des amateurs provinciaux. À l’aube de la Révolution, le clavecin français typique est un instrument à un ou à deux claviers, d’une étendue de cinq octaves complètes (du fa au fa), possédant trois rangs de cordes (2 × 8ʹ + 1 × 4ʹ), que les inventions de Taskin (jeu de « peau de buffle », genouillères pour actionner les jeux) ou de Sébastien Érard (clavecin « mécanique ») ne préservent pas de la tourmente. Prudemment, certains facteurs commencent d’ailleurs à commercialiser des pianos-forte. Il n’y a pas, comme en Italie, de relative homogénéité du timbre des clavecins français.

Un instrument de Vincent Thibaut, par exemple, ne préfigure en rien la sonorité d’un grand clavecin de Hemsch des années 1750. Au premier convient parfaitement la grandeur un peu hiératique des pièces de Chambonnières, Danglebert ou Louis Couperin, cependant que le second rend pleinement justice aux suites de François Couperin le Grand groupées en « ordres », ou à la prodigieuse invention des oeuvres de Jean-Philippe Rameau. Ces derniers clavecins se caractérisent essentiellement par la somptuosité de leur grave, le moelleux du médium et la brillance parfois agressive de leurs aigus. Ils ne sont absolument pas « polyphoniques » et l’interprétation d’oeuvres allemandes y est parfois problématique. Par contre, la musique française pour clavecin se montre toujours en parfaite adéquation avec le type d’instrument qui l’a vue naître. downloadModeText.vue.download 223 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 217 LE RAVALEMENT DES CLAVECINS FLAMANDS. Les clavecins anversois ont été prisés, de tout temps, loin de leur pays et particulièrement en France. À la fin du XVIIe siècle, leur étendue s’avère trop restreinte et leur ancienne mécanique a du mal à rivaliser avec les claviers neufs parisiens. Les facteurs de la capitale agrandissent donc le vieil instrument tout en conservant la majeure partie des bois originaux, cause de ce timbre si recherché. Le clavecin est totalement mis en pièces, élargi et rallongé, les chevalets et sillets prolongés sont redivisés pour correspondre à la mesure de l’octave française, plus étroite que celle des Flandres. L’ensemble de la décoration est soit simplement retouché, soit entièrement refait au goût du jour. La mécanique (claviers, registres, sautereaux) est refaite à neuf selon l’étendue de la « musique nouvelle », et l’instrument plus que centenaire recommence une nouvelle vie sous le nouveau vocable de « Rückers-Blanchet » ou « Rückers-Taskin « ! Il y a, certes, différents degrés dans l’ampleur de ces reconstructions et certains instruments sont « ravalés » plusieurs fois. Cette opération, extrêmement coûteuse puisqu’elle s’élève au prix d’un bon clavecin neuf, devient la spécialité de certains facteurs parisiens qui y déploient une habileté diabolique. Ceux-

ci proposent même parfois des « clavecins contrefaits de Flandres », totalement neufs mais qui ont l’honnêteté de se présenter comme tels ! C’est ainsi que les « petites affiches » de 1769 ont proposé « un clavecin du célèbre Goujon, tenant l’accord deux ans ( !), ayant pour titre Rückers, les claviers sont de Blanchet... ». Ces pratiques ne parviennent pas à sauver « le royal et majestueux clavecin » de Balbastre d’une disparition certaine, alors que « le nouveau venu, cet instrument de chaudronnier » que fustige Voltaire fait peu à peu la conquête des coeurs et des esprits : ici commence l’histoire du piano. LA FACTURE ANGLAISE. Le style propre de la facture de clavecins en Angleterre ne s’affirme réellement qu’au cours du XVIIe siècle. Jusque-là coexistent, comme sur le continent, des instruments d’esthétique flamande ou italienne. C’est l’époque où tout instrument à sautereaux, quel qu’il soit, grand ou petit, reçoit l’appellation générique de virginal. Ce peut être un petit instrument à un rang de cordes du type rectangulaire comme à Anvers, ou bien de plan polygonal comme en Italie, comme cet instrument dit « de la reine Élisabeth » conservé au Victoria and Albert Museum de Londres. Ce terme peut aussi désigner un grand clavecin à un ou deux claviers ; ce dernier est souvent nommé dans les inventaires « a pair of virgynalles ». Les musicologues ont nommé cette époque féconde en oeuvres pour clavier le siècle des « virginalistes », créant ainsi une confusion qui risque de conduire les interprètes à utiliser exclusivement de petits instruments pour les oeuvres admirables d’un Orlando Gibbons, d’un John Bull ou d’un William Byrd. Un « claviorganum » - combinaison d’un clavecin et d’un orgue - de 1579 construit par un Flamand installé à Londres, Lodewijck Theewes, nous permet de constater une légère dérive par rapport aux modèles anversois typiques. L’étendue est plus grande (quatre octaves chromatiques, de ut à ut), et la disposition comporte déjà trois rangs de cordes (2 × 8ʹ + 1 × 4ʹ). La structure de l’instrument reste cependant très « flamande ». À l’opposé, un clavecin de 1622, dû au facteur John Haward, révèle un plan directeur italien avec ses structures légères et sa courbe

très prononcée. Le matériau est cependant typiquement britannique puisqu’il s’agit d’un instrument entièrement construit en chêne, à l’exception de la table d’harmonie, bien sûr. Son étendue dépasse les quatre octaves (de ut à mi chromatique, ou de sol à mi avec l’octave courte) mais sa disposition est inconnue. Un instrument de transition construit en 1683 par Carolus Haward achève de nous dérouter. Son plan est articulé autour d’un module de cordes extrêmement court (257 mm pour l’ut de 1ʹ) et sa disposition ne comporte que deux 8ʹ. Trois particularités signalent ce clavecin : l’éclisse courbe est raccordée à l’échine par une « contre-courbe », la caisse est construite entièrement en noyer, et l’on note pour la première fois l’emploi d’un rang de sautereaux séparé, pinçant un des 8ʹ très près du sillet : le « lute stop » ou jeu nasal. Il faut attendre l’établissement à Londres de deux émigrés pour voir la facture anglaise prendre un essor inouï. Le premier, Burkat Shudi (1702-1773) est d’origine suisse alors que le second, Jacob Kirkman (1710-1792) est né près de Strasbourg, à Bischwiller. Tous deux vont rationaliser la fabrication des clavecins au point d’imposer leur style pendant tout le XVIIIe siècle. Respectivement créés en 1730 et 1738, leurs ateliers bénéficient de cette révolution dans le travail artisanal qui naît à cette époque et qui prépare la grande révolution industrielle de l’Angleterre. Les clavecins ne sont plus élaborés un à un dans le secret des ateliers, avec chacun leur identité propre, mais au contraire à partir de modèles standards pratiquement immuables, reproduits identiquement par le moyen de la fabrication en série. On estime à environ deux mille clavecins la production totale des deux firmes sur une période de cinquante ans. Elle se répartit en clavecins à un clavier et à deux claviers en proportion à peu près égale. Trois modèles de base sont régulièrement fabriqués dans ces ateliers : - clavecins à 1 clavier à 2 × 8ʹ ; - clavecins à 1 clavier à 2 × 8ʹ + 1 × 4ʹ ; - clavecins à 2 claviers : 2 × 8ʹ + 1 × 4ʹ + lute stop. L’aspect en est puissant et le seul décor de la caisse est le chatoiement des bois de

placage, acajou et noyer, disposés « en panneaux » délimités souvent par des filets de buis. Aucune peinture n’orne le couvercle ni la table d’harmonie. Le clavier reproduit la disposition actuelle des touches du piano, marches plaquées d’ivoire, feintes en ébène. La structure de la caisse en sapin et en chêne est d’une grande complexité. Elle tente d’opposer à la tension continue des cordes une charpente rigide et très lourde merveilleusement exécutée mais souvent dépourvue d’efficacité : en effet, les instruments anciens de ce type sont souvent considérablement déformés. L’épaisseur des matériaux employés est souvent plus importante qu’en France à la même époque et le timbre de ces instruments est très soutenu et très rond. Il lasse l’auditeur assez rapidement par un excès de somptuosité dans le timbre et un manque de contraste entre les deux 8ʹ. Ceci conduit sans doute les facteurs à généraliser le jeu nasal, ce « lute stop » qui est souvent utilisé en jeu contrastant, en de brusques oppositions avec le plenum, oppositions facilitées par le « machine stop », mécanisme de changement rapide des jeux commandé au pied ou à la main. En 1769, Burkat Shudi prend un brevet pour un dispositif composé de lattes d’acajou articulées, placées au-dessus des cordes et venant obturer la table d’harmonie au moyen d’une pédale commandée progressivement par le pied du musicien. Ces « jalousies » (venetian swell) autorisent de relatifs crescendo qui ne suffisent pas à sauver l’instrument au tournant du XIXe siècle. En 1809, les ateliers de Kirkman construisent leur dernier clavecin. Le travail des nombreux facteurs de clavecins anglais a été admirablement mis en valeur à diverses époques par une pléiade de musiciens comptant parmi les plus importants de leur temps. En premier lieu, les « virginalistes » dont les oeuvres ont vu le jour entre 1550 et 1620 environ et que nous connaissons grâce à deux recueils importants, le Parthenia or the Maydenhead et surtout le Fitzwilliam Virginal Book, collection comprenant près de trois cents pièces. Trois grandes figures émergent de cette gigantesque compilation des différentes formes d’écriture pour le clavier en usage à cette époque : celles de William Byrd (15431623), musicien universel, de John Bull (1562-1628), le plus savant de tous et le plus attaché aux timbres instrumentaux,

et surtout de Giles Farnaby (1565-1640), le plus profondément original. On note l’absence curieuse dans le Fitzwilliam Virginal Book d’oeuvres du célèbre Orlando downloadModeText.vue.download 224 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 218 Gibbons (1583-1625), considéré à son époque comme l’un des plus grands. À ces suites de danses (pavanes, gaillardes, allemandes) s’enchaînent des oeuvres de musique « pure », plus abstraites, telles que les variations sur un thème, les fantaisies (fancy) et ricercari. John Morley et Martin Peerson complètent cette liste de musiciens qui ont contribué à l’éclat des règnes d’Élisabeth Ire et de Jacques Ier. Il faut attendre ensuite Matthew Locke (1630-1677), John Blow (1649-1708) et surtout Henry Purcell (v. 1659-1695) qui adapte au caractère anglais la « suite » du continent, composée d’une succession de danses groupées dans un ordre défini. Les suites importantes pour clavecin écrites par Georg Friedrich Haendel (1685-1759) marquent un sommet dans la suite instrumentale que les oeuvres de Thomas Arne (1710-1778), le dernier des clavecinistes anglais, ne parviendront pas à éclipser. Le clavecin anglais de la seconde moitié du XVIIIe siècle s’adresse alors plus spécialement aux sonates romantiques allemandes d’un Carl Philipp Emanuel Bach (17141788), d’un Wilhelm Friedemann Bach (1710-1784) et surtout convient admirablement à l’exécution des sonates pour clavier de Joseph Haydn. Déjà à cette date, la frontière est mouvante entre les oeuvres spécifiquement écrites pour le clavecin et celles pensées pour le piano-forte. LA FACTURE ALLEMANDE. C’est en Allemagne que naît le terme de « clavicymbalum », dans un poème de 1404. Ceci suppose une connaissance de cet instrument, sinon une pratique régulière du métier de facteur de clavecins. Dès le début du XVIe siècle, sont publiés de nombreux traités musicaux où figurent déjà tous les représentants de la famille des instruments à clavier à cordes pincées. Le premier ouvrage, le Musica Getutscht de Sébastien Virdung, est publié à Bâle en 1511. Il est suivi par les ouvrages de Martin Agricola (Musica Instrumentalis Deutsch,

Wittenberg, 1528), et Othmar Luscinius (Musurgia seu Praxis Musicae, Strasbourg, 1536). Malgré l’imprécision des gravures ornant ces traités, on peut cependant déduire que l’étendue habituelle était comprise entre 38 et 40 notes, en partant du la ou du si au grave. L’échelle des illustrations suppose un accord en quatre pieds (une octave plus haut que la normale). Là encore, nous ne nous éloignons pas du schéma « bourguignon » de Henri Arnaut de Zwolle. C’est pour de tels instruments qu’écrivent des musiciens tel Conrad Paumann (1410-1473) dont le Fundamentum Organisandi de 1452 n’est pas strictement réservé à l’usage des organistes. Aux XVIe et XVIIe siècles, subsistent, dans les pays germaniques, des instruments de type italien ou flamand, sans qu’il soit possible de voir là une facture nettement individualisée. Force nous est de consulter les traités, car les instruments authentiques ne nous sont pas parvenus. Le plus important de ceux-là est la Syntagma Musicum, publiée de 1615 à 1620 par le compositeur et théoricien Michael Praetorius (1571-1621). Il nous décrit sept instruments en usage à son époque : trois de type « virginal », deux clavecins, un clavecin vertical monté de cordes de boyau et un claviorganum. Après Praetorius, survient une éclipse de plus d’un demi-siècle, due probablement aux conséquences économiques de la guerre de Trente Ans. De plus, les compositeurs des pays du Nord ont souvent préféré l’orgue comme moyen d’expression, plutôt que l’instrument à sautereaux. C’est d’ailleurs souvent un facteur d’orgues qui signe occasionnellement un clavecin, les attributions respectives des deux corps de métier étant encore floues. Au XVIIIe siècle, la facture allemande est dominée par deux écoles : celle de Hambourg (Allemagne du Nord) avec la dynastie des Hass (4 facteurs), Fleischer (3 facteurs) et Zell, et une école de l’Allemagne de l’Est et du Sud, géographiquement plus dispersée, dont les chefs de file sont Carl August Gräbner et surtout les Silbermann. La facture hambourgeoise - et celle des Hass en particulier - représente une exception par rapport aux standards pratiqués à la même époque dans le reste de l’Europe. Ces particularités sont la multiplication des rangs de cordes (2ʹ, 4ʹ, 8ʹ et 16ʹ), du nombre de registres (jusqu’à 6 pour certains clavecins) et des claviers portés parfois au nombre de 3. Il faut sans doute voir

là un reflet de la passion qu’éprouvent les musiciens allemands pour l’orgue. La disposition de ces instruments d’exception peut sembler extravagante si l’on songe que le clavier supérieur comporte (sur un exemple dû à Johann Adolph Hass daté de 1740) un jeu de 8ʹ avec plectres en plume et seulement une « basse » de 2ʹ, sur 30 notes. Le clavier inférieur, lui, constitue un plenum imposant, avec, dans l’ordre, un 4ʹ, un 8ʹ (plectres en cuir), un 16ʹ (plectres en plume) et une basse de 2ʹ de 44 notes cette fois-ci ! LE JEU DE 16ʹ DANS LES INSTRUMENTS HISTORIQUES. Si l’on cherche attentivement des exemples anciens et authentiques de jeux de seize pieds au clavecin, il est évident que l’on en trouve quelques-uns, particulièrement en Allemagne du Nord, mais aussi en Alsace. Ces exemples ont toujours constitué des exceptions et le fait est toujours souligné comme dans cette annonce du Strassburger Gelherte Nachrichten de 1783 proposant la vente « d’un grand clavecin inhabituel, de Silbermann, sonnant en 16ʹ ». Les Hass eux-mêmes, pourtant habitués à cette pratique, semblent en avoir pressenti les limites acoustiques. On ne peut, en effet, charger exagérément une table d’harmonie sans nuire à son rendement acoustique et obtenir ainsi un instrument assourdi et confus. Les instruments qui comportent ce jeu ont toujours été construits de manière particulière, avec chevalet et table séparés (Hass, Swannen) et ont été davantage considérés comme des clavecins d’apparat et de prestige que comme de véritables instruments de musique. Tous ces exemples sont, par ailleurs, très tardifs et la littérature qu’ils auraient pu servir est déjà très adaptée au piano-forte. Ce qui est certain, c’est que l’un des plus grands compositeurs de tous les temps, J. S. Bach, a forcément connu ces tentatives, car il était en contact permanent avec les plus grands facteurs de son temps. Il serait plus que hasardeux d’en déduire qu’il en appréciait le principe. D’ailleurs aucun des instruments lui ayant effectivement appartenu ne comportait de jeu de 16ʹ. L’ÉCOLE ALLEMANDE DE L’EST. En Saxe et en Thuringe s’est développée une école bien proche de la facture française. Les instruments à deux claviers ont

la disposition habituelle 2 × 8ʹ + 1 × 4ʹ, avec seulement un 8ʹ au clavier supérieur. La simplicité mécanique est de règle, avec un accouplement « à tiroir » qui s’effectue parfois en faisant coulisser le clavier inférieur. Les clavecins de cette école sont d’une sobriété exemplaire, en comparaison avec leurs homologues hambourgeois : le bois de la caisse est souvent laissé à nu, qu’il soit de chêne comme dans les instruments de Carl August Gräbner (1749 - apr. 1796) ou de superbe noyer verni chez les Silbermann. Le timbre de ces clavecins est assez proche de celui des français, avec néanmoins un caractère polyphonique plus marqué, et des aigus moins agressifs. Leur rareté ne permet pas d’affirmer qu’ils servent mieux que d’autres la littérature écrite pour eux, qui est très abondante. Signalons pour mémoire les oeuvres pour clavecin de Johann Kaspar Kerll (1627-1693), Johann Krieger (16511725), Delphin Strunck et Karlman Kolb (Certamen Aonium, 1733). Les pièces pour clavecin de Johann Peter Kellner (17051772), dont le Manipulus Musices a été publié en 1753-1756, sont beaucoup plus intéressantes et sont curieusement teintées d’italianismes annonçant l’éclosion prochaine de la forme sonate. Georg Philipp Telemann (1681-1767), toujours prolixe, a laissé un nombre très important de pièces pour clavecin, comportant des suites, plus de 20 fugues (1731) et ses curieux Dixhuit Canons mélodieux, sonates en duo publiées en 1738 à Paris. L’oeuvre la plus importante de toutes est, sans conteste, celle de Jean-Sébastien Bach dont les suites (Suites anglaises, Suites françaises), les Variations Goldberg, les toccatas et partitas, le Concerto italien, les inventions et symdownloadModeText.vue.download 225 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 219 phonies sont dans toutes les mémoires. Les préludes et fugues du Clavier - clavecin ? bien tempéré de même que son Art de la fugue constituent des sommets inégalés. À l’inverse des musiciens français, J. S. Bach n’écrit pas une musique étroitement associée au timbre et au caractère du clavecin qui la traduit ; l’instrument est presque interchangeable, sans altération sensible du message musical. Seules quelques indications d’utilisation de deux claviers (Variations Goldberg, Concerto italien) signalent

une exigence particulière de la part du compositeur. Au moins deux de ses fils ont laissé une trace durable dans la littérature tardive écrite pour le clavecin. Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788), dans ses fantaisies et surtout ses Würtembergische Sonaten de 1744, tente de revitaliser par une invention nouvelle l’instrument vieux de trois siècles, avant de consacrer son art à l’emploi exclusif du piano-forte à partir de 1780. Son frère Johann Christian (17351782), sensiblement plus jeune, laisse le choix de l’instrument à l’exécutant dès la parution de son opus 5, constitué de Six Sonates pour le clavecin ou le piano-forte dédiées à S. A. S. le duc Ernest de Mecklembourg. Dualité d’un instrument moribond que ne pourra sauver de l’oubli l’intérêt de Félix Mendelssohn découvrant Bach et ...le clavecin chez son maître Zelter. LA FACTURE CONTEMPORAINE. Après l’abandon presque unanime du clavecin vers 1780-1790 au bénéfice du piano-forte, le XIXe siècle développe et perfectionne l’instrument qui correspond le mieux au goût de cette époque : le piano. Les anciens facteurs de clavecins qui ont échappé à la tourmente révolutionnaire se reconvertissent dans la fabrication et la vente du nouvel instrument. C’est l’époque où se créent les grandes manufactures de pianos. Quelques rares musiciens, cependant, n’oublient pas le clavecin et tentent de le faire revivre au cours de concerts « historiques « : Ignace Moscheles et Charles Salaman à Londres, Karl Engel en Allemagne et plus tard Louis Diemer en France. Quelques facteurs, généralement formés à la technique de construction du piano, entretiennent ou « restaurent » les clavecins les moins moribonds. Un exemple assez unique est représenté par Louis Tomasini, ancien technicien du piano, qui va même jusqu’à copier des instruments de Henri Hemsch vers 1885. En 1882, la famille Taskin confie à Tomasini la restauration du clavecin familial construit en 1769 et, à cette occasion, la firme Érard, réputée pour la qualité de ses pianos, est autorisée à en dresser un plan complet. Ce relevé sera utilisé pour la fabrication des nouveaux clavecins Érard qui marquent le véritable renouveau de cet art, en France. Quelques années plus tard, sous l’impulsion de la musicienne Wanda Landowska, la firme Pleyel construit un clavecin muni d’un jeu de 16ʹ et dont les registres

sont actionnés par des pédales. D’autres firmes - particulièrement en Allemagne et en Grande-Bretagne - entreprennent la fabrication de nombreux clavecins, pour satisfaire un goût naissant pour la musique des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, dont on commence à s’apercevoir qu’elle s’adapte très mal au piano moderne. Hélas, ces instruments sont des interprétations du clavecin, repensées par des fabricants de pianos et pour la fabrication desquels sont mises à contribution toutes les techniques du piano : tables lourdes et épaisses, éclisses en contre-plaqué, sommier de piano, clavier et mécanique lourds, eux aussi dérivés du piano, cordes très grosses et fortement tendues, etc. Cet instrument qui n’était que légèreté jusqu’au XVIIIe siècle se voit maintenant renforcé d’un cadre métallique, et ce n’est pas sans raisons que certains facteurs parlent à son sujet de « piano-fortification du clavecin « ! Généralement dotés de deux claviers de cinq octaves (fa à fa), ils comportent un jeu de 16ʹ, deux de 8ʹ et un de 4ʹ, dont les registres et l’accouplement se font à l’aide de pédales (de cinq à sept, suivant la disposition). L’aspect de ces clavecins évoque un compromis entre l’ancien instrument et le moderne piano à queue, dont ils ont parfois le poids. À condition de ne pas se référer aux oeuvres anciennes, le timbre de ces instruments est musicalement intéressant et la facilité de « registration » qu’ils proposent peut permettre l’élaboration d’oeuvres nouvelles. Leur usage est néanmoins à éviter pour l’interprétation des pièces anciennes qui réclament un toucher d’une grande légèreté et d’une grande précision et un son beaucoup plus limpide. Ce type de clavecin a cependant permis l’éclosion de quelques chefs-d’oeuvre, parmi lesquels le concerto de Manuel de Falla (Pleyel), celui de Francis Poulenc et celui de Frank Martin. À l’étranger, d’autres firmes adoptent plus ou moins ces principes de fabrication et il suffit de mentionner les noms de Neupert et Wittmayer en Allemagne, Lindholm en Allemagne de l’Est, Gobble et De Blaise en Grande-Bretagne, etc. Depuis quelques années, ces firmes ont parfois un atelier spécial où sont élaborés des instruments plus rigoureux basés sur des modèles authentiques. Peu après les années 50, un courant

né aux États-Unis influence considérablement le cours de la facture des clavecins. Généralement issu de facteurs isolés, ce mouvement consiste d’abord à mieux connaître les bases historiques du clavecin, par de nombreuses études des instruments eux-mêmes, études assorties de véritables relevés scientifiques, et par une meilleure approche des rapports qui régissent les oeuvres écrites pour le clavecin avec l’instrument lui-même. De ces travaux naissent des ouvrages hautement spécialisés dont le plus bel exemple est sans conteste Three Centuries of Harpsichord Making de Frank Hubbard, publié aux États-Unis en 1965. Après avoir acquis la conviction que la meilleure façon de servir la musique du passé est de revenir intégralement à une copie rigoureuse des bons exemples anciens, ces facteurs endossent la double responsabilité de produire des clavecins et de former des émules. Au nombre de ces grands facteurs, on retrouve Frank Hubbard (1920-1975), déjà cité, son ancien associé de Boston, William Dowd, dont les ateliers sont remarquablement actifs, et Martin Skowroneck, qui oeuvre isolément à Brême. Leurs élèves et successeurs sont infiniment trop nombreux pour être tous cités ; signalons seulement que la production de chaque atelier est extrêmement variable, d’un instrument par an à quelques dizaines, et que les modèles proposés reflètent généralement un éclectisme dicté par des nécessités de répertoire, phénomène nouveau dans l’histoire du clavecin. Depuis quelques années seulement, et grâce à des interprètes courageux et talentueux, les compositeurs s’intéressent à nouveau au clavecin et les noms de György Ligeti, Maurice Ohana, Yannis Xenakis, François-Bernard Mache et de bien d’autres restent attachés à cette nouvelle « résurrection » du clavecin au XXe siècle. LE PHÉNOMÈNE DU « KIT ». Le « kit » est un produit manufacturé, plus ou moins complexe, livré par le fabricant à une clientèle de particuliers qui en assure l’assemblage et la finition pour son usage personnel. Sous la demande croissante des amateurs et en raison de la production limitée de certains ateliers, quelques artisans ont l’idée, autour des années 60, de fabriquer des pièces détachées de clavecins destinées à être assemblées ensuite par des amateurs. Plus ou moins élabo-

rées à l’origine, ces panoplies se perfectionnent à partir des années 70 au point de proposer des éléments dont les normes de qualité s’alignent sur celles exigées par les facteurs les plus renommés. Wolfgang J. Zuckermann est le promoteur avisé de ce système, suivi de près par l’atelier de Frank Hubbard dont la production est cependant nettement moins importante. On estime, à l’heure actuelle, que les ateliers Zuckermann ont fabriqué près de vingt mille ensembles de pièces susceptibles de devenir des clavecins. La France produit aussi des kits depuis 1969, de même que certains ateliers britanniques. Ce parti pris est séduisant car il permet de réduire considérablement les coûts de fabrication tout en diminuant les délais de livraison. En contrepartie, et malgré l’information downloadModeText.vue.download 226 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 220 dispensée par certains fabricants auprès des amateurs, la réussite systématique est loin d’être assurée et un certain pourcentage d’instruments défectueux est inévitable. Cette solution nécessite en outre un endroit relativement spacieux réservé au montage de même qu’un outillage assez coûteux. Avec ses contradictions, la formule est néanmoins intéressante et permet à de très nombreux amateurs d’accéder au monde fascinant du clavecin. CLAVES. Instrument à percussion de la famille des « bois », consistant en une paire de courts bâtons de bois dur que l’on frappe l’un contre l’autre. CLAVICORDE (en angl. clavichord ; en all. Klavichord). Instrument de musique à clavier et à cordes frappées, d’encombrement réduit, ce qui le rend aisément transportable. Les débuts du clavicorde sont mal connus ; l’instrument semble dériver du monocorde déjà employé par Pythagore au VIe siècle avant J.-C. pour ses expériences acoustiques. Le monocorde (qui donne plus tard « monocordion » et « manicordion ») se compose d’une corde musicale tendue entre deux chevalets fixés

sur une caisse de résonance, généralement rectangulaire. Un troisième chevalet, mobile, permet de diviser la longueur de la corde en deux parties et de démontrer ainsi les rapports fondamentaux existant entre les sons émis et les différentes longueurs de corde. Le clavicorde est né le jour où un artisan a imaginé d’adapter au monocorde primitif le clavier des orgues « positifs » et de remplacer le chevalet mobile par des lamelles métalliques fixées perpendiculairement à l’arrière des touches du clavier et appelées tangentes. Lorsqu’on enfonce une touche, la corde correspondante est mise en vibration par la tangente qui la frappe en un point bien déterminé, la subdivisant ainsi en deux parties. Une ligature de feutre étouffe la section la plus courte de chaque corde. La section la plus longue vibre aussi longtemps que la pression est maintenue sur la touche et le son finit par s’éteindre de lui-même. Si l’on relâche rapidement cette même touche, la note émise est instantanément étouffée par la bande de feutre. Pendant toute la durée du son, la tangente reste donc au contact de la corde, comme le prolongement direct du doigt du musicien, contrairement au piano moderne, par exemple, où le marteau quitte la corde après la frappe. En imprimant à la touche de subtiles variations de pression, le musicien peut donc obtenir, contrairement aux autres instruments à clavier, une sorte de « vibrato » qu’il peut doser à son gré. Pendant tout le haut Moyen Âge et jusqu’à la fin du XIIIe siècle, le manicordion est utilisé comme instrument de musique mélodique et non plus comme simple appareil d’expérimentation acoustique. L’augmentation du nombre de ses cordes et leur groupement par « paires » accordées à l’unisson, permettent assez tôt le jeu polyphonique. Survivance de l’antique monocorde, une même paire de cordes (on disait un « choeur ») peut produire plusieurs notes conjointes grâce à des tangentes appartenant à plusieurs touches consécutives. Ainsi peut-on produire deux, trois et jusqu’à quatre notes sur un même choeur. Cette économie de moyens va encore dans le sens de la réduction des dimensions d’un instrument déjà peu encombrant. Ce type de clavicorde est dit « lié » (angl. fretted clavichord ; all. gebunden Klavichord). C’est sous cette forme qu’il apparaît un peu partout en Europe occidentale aux environs de l’an 1400. Un

poème en allemand de 1404, Der Minne Regeln, cite déjà le « clavichordium » aux côtés du « clavicymbalum » comme instrument de musique représentatif de l’amour courtois. Les premiers témoignages iconographiques du clavicorde apparaissent dès 1425 : ce sont alors de petites boîtes rectangulaires comportant un clavier d’environ trois octaves, placé en saillie sur le grand côté. Il possède un ou plusieurs chevalets rectilignes fixés sur une table d’harmonie de très faible surface. L’instrument se pose sur une table et permet d’accompagner chanteurs et instrumentistes. Le célèbre traité de Henri Arnaut de Zwolle, rédigé vers 1436-1440, passe en revue les divers instruments de musique en usage à son époque et donne, après le luth, l’orgue et le clavecin, un diagramme précis pour la construction du clavicorde. Son plan est rectangulaire et le clavier en saillie possède une étendue de trois octaves plus une note : de si à ut, soit 37 touches, entièrement chromatiques. On distingue clairement la progression décroissante de la longueur vibrante, du grave à l’aigu, ainsi que l’emplacement exact des tangentes qui donne au clavier cette curieuse figure d’éventail, caractéristique des clavicordes liés. Deux variantes de cet instrument sont représentées quelques feuillets plus loin avec la même minutie et portent le nom de dulce melos que les musiciens français du XVe siècle appelleront « doulcemelle » et parfois « doulcemere ». Le principe de construction du clavicorde, particulièrement simple, varie peu au cours des siècles et les influences d’école sont réduites. Les facteurs italiens tentent quelque temps de sortir du plan rectangulaire initial et l’on rencontre parfois, au XVIe siècle, des instruments à plan polygonal à éclisses fines agrémentées de moulures (Domenicus Pisaurensis, 1543). Partout ailleurs, seules diffèrent les proportions, ainsi que l’étendue, qui augmente progressivement pour atteindre quatre octaves complètes vers 1600. Chose remarquable eu égard à la très faible puissance sonore de l’instrument, on rencontre parfois des clavicordes dotés d’un clavier manuel et d’un pédalier dont le plus ancien exemple connu est un dessin allemand daté de 1467. Il s’agit là, sans doute, d’instruments d’étude, particulièrement destinés aux organistes. Il faut

attendre 1725 pour que l’on mentionne expressément un clavicorde comportant un choeur de cordes différent pour chaque note du clavier. Cette nouveauté, annoncée comme une création du facteur Daniel Tobias Faber, de Crailsheim, en Saxe, a reçu le nom de « clavicorde libre » (all. bundfrei Klavichord). En fait, il semble que, dès 1690-1700, quelques rares instruments aient été conçus de cette façon. Le clavicorde « lié » présente en effet l’inconvénient de poser de sérieux problèmes d’articulation lors de l’exécution de notes conjointes descendantes à cause de l’utilisation d’un même choeur de cordes pour plusieurs notes ; certains traits, certains phrasés sont même impossibles. L’examen des quarante-huit préludes de Jean-Sébastien Bach, publiés en 1722, ne laisse aucun doute à ce sujet et leur exécution requiert un grand clavicorde lié. C’est en Europe du Nord que le clavicorde est le plus longtemps construit et apprécié et seuls deux pays s’enorgueillissent de compter autant de facteurs, sinon plus, que tous les autres réunis : l’Allemagne et la Suède. Il est en effet curieux de constater - et le fait n’a pas reçu à ce jour d’explication vraiment satisfaisante - que l’Italie, la France, l’Espagne, l’Angleterre et les Flandres se sont progressivement et totalement désintéressées du clavicorde au cours du XVIIe siècle. Pour la France, par exemple, si l’activité de nombreux « faiseurs de manicordions » est attestée entre 1630 et 1650, il n’en existe plus un seul en 1700, tant à Paris qu’en province. En revanche, il est logique de constater que la plus forte concentration de facteurs de clavicordes ait justement lieu, au cours du XVIIIe siècle, sur une aire géographique qui voit naître le mouvement « Sturm und Drang », embryon du romantisme. Le clavicorde possède en effet sur tous les instruments à clavier l’incontestable supériorité de permettre « l’expression », grâce au contrôle permanent du son par le doigt du musicien. Les compositeurs en useront - certains en abuseront - et les innombrables facteurs s’empresseront de mettre à leur disposition des instruments de plus en plus grands dont l’étendue atteindra cinq octaves et une quinte (fa à ut) vers 1800. Ce n’est que vers 1830 qu’est abandonnée la fabrication de ce petit instrument, au timbre si délicat et si attachant. Le piano-forte reste seul vainqueur downloadModeText.vue.download 227 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 221 d’un combat, acharné en ses dernières décennies. S’il ne nous est parvenu aucun clavicorde français ni anglais qui nous permette de juger de la qualité de cette facture, nombreux sont les exemples signés par les maîtres allemands. On retiendra, pour mémoire, la dynastie des Hass de Hambourg, actifs pendant tout le XVIIIe siècle, Georg Haase (1650-1712), facteur saxon, Jakob Adlung (1699-1762) d’Erfurt, plus célèbre par son ouvrage Musica Mechanica Organoedi publié après sa mort en 1768, Christian Gottlob Hubert (1714-1793) d’Ansbach, et surtout les Schiedmayer d’Erlangen (actifs entre 1711 et 1860), les Schmahl d’Ulm et de Regensburg (entre 1692 et 1815), ainsi que les Silbermann saxons ou alsaciens, dont il nous reste nombre de témoignages de la qualité de leur travail. LA MUSIQUE ÉCRITE POUR LE CLAVICORDE. À ses débuts, aux XVe et XVIe siècles, les pièces écrites « en tablature » concernent indifféremment tout instrument à clavier quel qu’il soit. Nous avons vu que la possibilité d’adjoindre un pédalier au clavicorde lui permet même d’aborder la littérature propre à l’orgue. Les choses n’évoluent qu’au cours du XVIIIe siècle, à une époque où l’instrument commence à être reconnu et apprécié pour ses qualités sonores spécifiques et non plus comme simple instrument de travail. Tous les grands organistes allemands pratiquent le clavicorde, sans que ce choix soit précisé outre mesure dans leurs oeuvres : l’écriture seule permet de choisir un instrument plutôt qu’un autre. Ainsi écrivent Froberger (1616-1667), Buxtehude (1637-1707), Pachelbel (1653-1706), Fischer (16651746) et Kuhnau (1660-1722). Avec J. S. Bach (1685-1750), les choses évoluent : si les suites anglaises et les partitas nécessitent un instrument relativement étendu comme le clavecin d’alors (de sol à ré), les oeuvres purement didactiques comme les inventions, les suites françaises ou le Clavier bien tempéré se cantonnent dans la limite des quatre octaves du clavicorde, d’ut à ut. Il appartiendra à deux de ses fils, Wilhelm Friedemann (1710-1784) et sur-

tout Carl Philipp Emanuel (1714-1788) de valoriser le caractère si particulier du clavicorde. Ce n’est certes pas par hasard que Mozart possède un clavicorde (« lié ») qu’il affectionne tout particulièrement, et c’est avec une sorte de tendre complicité que Carl Philipp Emanuel écrit, en 1781, un merveilleux rondo Abschied von meinem Silbermann’schen Clavier. En effet, aucun autre instrument ne peut traduire avec autant de délicatesse et de spontanéité les états d’âme des musiciens de cette fin du XVIIIe siècle. Instrument de la plus rigoureuse intimité, l’art du clavicorde saura être cultivé en secret des dizaines d’années encore, puisqu’un Busoni n’hésitera pas à lui dédier ses « pièces pour clavicorde à pédalier ». CLAVICYTHERIUM. Instrument de musique à clavier et à cordes pincées de la famille du clavecin. Sébastien Virdung emploie le premier le terme de clavicytherium pour désigner un type de clavecin vertical, dans le Musica Getutscht de 1511. Il en signale la nouveauté en précisant que les cordes sont généralement en boyau, ce dont doutent les organologues modernes. Le plus ancien clavicytherium connu est conservé au Royal College of Music de Londres et s’apparente à la facture italienne ; il semble remonter au premier quart du XVIe siècle. Le mécanisme du clavicytherium est un peu plus complexe que celui du clavecin, car les sautereaux, disposés horizontalement dans leurs registres, ne peuvent retomber par leur propre poids. Les facteurs eurent l’idée d’attacher chaque sautereau à une sorte d’équerre, solidaire du levier de touche : le poids supplémentaire de ce « renvoi » suffit en principe à ramener le sautereau à sa position initiale. Certains facteurs ont cependant utilisé des ressorts à cet effet, compliquant ainsi le mécanisme tout en le rendant plus fragile. Bien entendu, le clavicytherium a suivi l’évolution de la facture au cours des siècles, mais la production en a toujours été limitée. Quelques facteurs semblent s’en être fait une spécialité, ainsi qu’en attestent certains instruments prestigieux, comme celui de l’empereur Léopold Ier de Habsbourg, construit vers 1675 par Martin Kaiser (Kunsthistorisches

Museum de Vienne), et surtout ceux fabriqués à Tournai par Albert Delin entre 1750 et 1780. Ce type de construction permet un gain de place important par rapport au clavecin traditionnel, et le musicien assis à son clavier bénéficie pleinement de la sonorité de la table d’harmonie disposée verticalement, face à lui. Le réglage de la mécanique, plus délicat, a cependant freiné l’expansion de ce type d’instruments. CLAVIER. Ensemble de touches mettant en fonctionnement les organes émetteurs du son d’un instrument de musique (tuyaux, anches, cordes, lames, oscillateurs électroniques, etc.), sous l’action des doigts, des mains ou des pieds de l’exécutant - dans ce dernier cas, on l’appelle généralement pédalier. On trouve des claviers sur de nombreux instruments à vent (orgue, accordéon, régale, harmonium), à cordes pincées (clavecin, épinette, virginal), à cordes frappées (piano, hammerflügel, clavicorde), à percussion (célesta, glockenspiel, carillon), ainsi que sur les instruments électroniques (orgues, synthétiseurs). Le clavier peut également ne faire que modifier la hauteur des sons sans en provoquer l’émission : c’est le cas de la vielle à roue. La forme et l’étendue des claviers ont beaucoup évolué avec les siècles et selon les instruments. Un clavier rudimentaire apparaît dès les hydraules de l’Antiquité et les premiers orgues connus (époque carolingienne). Ce ne sont tout d’abord que quelques tirettes ouvrant le passage de l’air aux tuyaux de l’instrument, comme le feraient des clés - d’où le nom de clavier. Progressivement, des baguettes associées à des soupapes se substituent aux tirettes. Au XVe siècle, des touches larges et peu profondes remplacent définitivement les dispositifs antérieurs ; elles sont alignées en deux rangées et correspondent à la gamme chromatique complète : les sept notes diatoniques (ou notes blanches de notre piano actuel), côte à côte, et un second rang présentant les cinq notes altérées, ou « feintes ». Peu à peu, les touches s’allongent et se font plus étroites ; au début du XVIIe siècle, le clavier est constitué à peu près sous la forme que nous lui connaissons au XXe siècle. Les

touches sont généralement faites en tilleul et plaquées d’ivoire ou d’ébène, en une alternance de noir et de blanc qui a varié selon les époques ; basculant autour d’une pointe, en leur centre ou en leur extrémité, elles actionnent soupapes, sautereaux, marteaux, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un système de transmission du mouvement mécanique, quand elles ne se contentent pas de réaliser un simple contact électrique. L’étendue du clavier du clavecin, puis du piano, ne va cesser de s’accroître trois siècles durant. Au début du XVIIe siècle, elle atteint en général quatre octaves. Mais dès cette époque, des facteurs tendent à l’accroître vers le grave, en « aval », d’une quinte (clavier à « ravalement »), parfois même d’une octave entière (« grand ravalement »). À l’orgue, on utilisa assez souvent les deux ou trois premières touches altérées dans le grave, inemployées par l’écriture musicale de cette époque, pour leur faire jouer les notes diatoniques inférieures sans allonger le clavier ; on appela cette disposition l’« octave courte ». Jusqu’à Mozart, le clavier du clavecin ne dépasse pas cinq octaves. Le piano-forte atteint six octaves au début du XIXe siècle (Beethoven), et bientôt six octaves et demie (Schumann, Chopin). Le piano va peu après se stabiliser à sept octaves et une note, soit 85 touches, de la à la. Aujourd’hui, on monte à 88 notes, jusqu’au do aigu ; et certains pianos de concert prolongent dans le grave leur étendue, de deux notes et même davantage (parfois jusqu’au do grave, réalisant un instrument de 8 octaves, soit un clavier de 97 touches), pour donner plus de profondeur aux résonances. downloadModeText.vue.download 228 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 222 Les claviers d’orgue, au contraire, se sont beaucoup moins agrandis : les jeux sonnant à l’octave ou à la double octave n’en rendaient pas l’extension nécessaire. Au XVIIIe siècle, ils ne comptent que 54 notes (quatre octaves et demie, de do à fa), portées à 56 notes au XIXe siècle (do à sol). Au XXe siècle, ils atteignent parfois 61 notes (cinq octaves, de do à do). Aux différents claviers de l’orgue correspondent des types de jeux et des caractères de

timbres qui s’organisent en plans sonores. Ils portent des noms que leur ont légués la tradition et la fonction qui leur est dévolue : grand orgue et récit ou positif, sur les instruments à deux claviers ; grand orgue, positif et récit sur ceux à trois claviers. Les claviers supplémentaires sont nommés écho, bombarde ou grand choeur, selon l’esthétique des instruments. Les orgues de facture allemande distinguent souvent deux claviers de positif : positif de dos (Rückpositiv) et positif de poitrine (Brustwerk). Diverses tentatives de modification du clavier ont été proposées, pour jouer des notes supplémentaires (quarts de tons), ou pour permettre une virtuosité ou des effets que l’on espérait accrus. Elles ont toutes avorté. Seul s’est répandu, sur les harmoniums, le système de clavier transpositeur : l’ensemble des touches peut se déplacer dans un châssis par rapport à la mécanique de l’instrument, pour permettre aux exécutants ne sachant pas transposer de jouer toujours un morceau de façon identique sur le clavier, tout en le faisant entendre dans une autre tonalité. CLAVIOLINE. Instrument électronique comportant un clavier peu étendu (2 octaves au maximum) et des registres permettant de régler l’intensité, la dynamique, le vibrato, et ainsi d’imiter d’autres instruments. Purement monodique, il ne peut guère être utilisé que pour jouer une mélodie accompagnée par un autre instrument tel que le piano. Son timbre sans beauté limite son usage à la musique légère et au bruitage. CLEF (en lat. clavis). Signe conventionnel attribué à une note définie, et qui, placé sur une ligne déterminée de la portée, indique la correspondance entre cette note et cette ligne. On emploie trois sortes de clefs qui correspondent aux trois notes sol, fa et do, ces dernières conservant leur nom archaïque clefs d’« ut », et on les place sur certaines lignes à l’exclusion des autres. La clef se place normalement au début de chaque portée et se répète à chaque ligne. On compte aujourd’hui cinq clefs usuelles : fa 4e, sol 2e, ut 1re, ut 3e et ut 4e. Les solfégistes

y ajoutent deux clefs fictives ( fa 3e et ut 2e) qui ne sont plus employées, mais qui complètent un système de sept clefs connu dans les conservatoires et grâce auquel, selon la clef choisie, n’importe quelle note écrite peut prendre n’importe quel nom de note. Ce procédé est commode, notamment à l’école, pour l’étude de la transposition. Le système des « sept clefs » : Le mot clef désignait, dans la théorie médiévale, non pas le signe, mais le nom de la note, pris en fonction de sa position sur le clavier (qui tire de là son nom) par opposition à la voix (vox) qui était le nom de la note énoncé en fonction des intervalles où elle s’insérait. Chaque note avait ainsi une clavis fixe, désignée par une lettre, et plusieurs voces mobiles (syllabes) entre lesquelles on choisissait ; par exemple, notre la actuel était, dans le système appelé solmisation, A « la »-« mi »-« ré ». C’est pourquoi on a donné le nom de clef à la lettre que l’on inscrivait sur la portée pour en déterminer les correspondances. Au début, on pouvait employer toutes les lettres, mais on choisit de préférence celles qui commandaient la place du demi-ton : soit le B (rond ou carré), soit le C ou le F qui, s’ajoutant parfois au B, sont devenus les premières clefs, dites d’ut ou de fa. Le G (clef de sol aujourd’hui très usitée) vint plus tard. Les clefs furent d’abord écrites en lettres ordinaires, généralement minuscules, puis se stylisèrent en prenant progressivement les formes que nous connaissons actuellement. À l’origine, la clef la plus usuelle était la clef d’ut, placée sur n’importe quelle ligne, et relayée par la clef de fa lorsque l’écriture descendait trop bas : c’est encore le système employé en grégorien. La clef de sol n’intervenait qu’exceptionnellement. Son usage se développa au cours des XVIIe et XVIIIe siècles et spécialement avec l’écriture du clavecin, puis du piano-forte, qui abandonna peu à peu la clef d’ut pour la clef de sol de main droite. Les clefs d’ut n’existent plus, aujourd’hui, que pour quelques rares instruments comme l’alto (3e ligne), le basson ou le violoncelle (4e ligne). À l’inverse, l’extension de la clef de sol a entraîné vers 1850, pour la voix de ténor, la création d’une clef de « sol » trans-

positrice, par laquelle il faut entendre les notes écrites une octave plus bas. À l’origine les clefs pouvaient se placer sur toutes les lignes de la portée. Peu à peu, s’établit le système par lequel on employait la clef de fa pour les parties de basse et trois clefs d’ut pour les autres voix allant de la 1re à la 4e ligne. On obtenait ainsi un classement des voix d’après la clef employée : ut 1re ligne désignait le superius (soprano), ut 2e ligne le « second dessus » (mezzo-soprano), ut 3e ligne le « bas-dessus » (contralto ou haute-contre), ut 4e ligne la taille (ténor ou parfois baryton). Ce système est tombé en désuétude de nos jours ; depuis un siècle l’usage habituel est devenu : soprano et alto (sol 2e ligne), ténor (sol transpositeur), basse ( fa 4e ligne). CLEMENCIC (René), flûtiste à bec, chef d’orchestre, musicologue et compositeur autrichien (Vienne 1928). Avant de s’orienter définitivement vers la musique, il a étudié les mathématiques, l’ethnologie et la philosophie ; il est docteur en philosophie de l’université de Vienne. Il a appris le piano et le clavecin, puis, à Nimègue et à Berlin, la flûte à bec, et, à Vienne et Paris, la musicologie. Il a commencé une carrière de flûtiste à bec en 1957, et rassemblé une collection de flûtes à bec et instruments voisins de tous pays et de toutes époques, dont il joue dans ses concerts. Il a fondé en 1969 un ensemble de musique ancienne à effectif variable, le Clemencic Consort, qui n’utilise que des instruments anciens (originaux ou copies). Cet ensemble est destiné à l’exécution de musiques du Moyen Âge, de la Renaissance, de l’époque baroque, et d’oeuvres d’avant-garde écrites pour instruments anciens. Les réalisations de musique ancienne profane et sacrée jouées par cette formation ont pour auteur Clemencic lui-même, qui, pour ses travaux, s’appuie non seulement sur des données musicologiques, mais sur une vaste documentation à l’aide de laquelle il veut comprendre la réalité quotidienne des époques passées, et y retrouver la fonction sociale de la musique. Les réalisations et les interprétations de René Clemencic se caractérisent par

leur vigueur rythmique et leur verdeur. Sa vision de la musique sacrée de la fin du Moyen Âge tend à rapprocher celleci de la musique profane, dans un esprit de pompe et de liesse de ton populaire. Clemencic accuse en effet volontiers de « puritanisme » et de « cécilianisme » les interprétations de cette musique généralement données de nos jours. CLEMENS NON PAPA (Jacques Clément ou Jacob Clemens, dit), compositeur flamand (Flandre ou île de Walcheren v. 1510 - Dixmude v. 1556). Maître de chant et prêtre à Saint-Donatien de Bruges (1544), puis maître de chapelle du duc d’Aerschot, Philippe de Croy, à Beaumont, Clemens non Papa devint chantre et compositeur à la cathédrale de Bois-le-Duc (1550) avant d’occuper le poste de maître de chapelle à Dixmude où il mourut au printemps 1556. downloadModeText.vue.download 229 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 223 L’importance des publications dont il fit l’objet de son vivant témoigne de l’estime dans laquelle le tenaient tous les grands éditeurs, notamment Attaïngnant (Paris), Susato (Anvers), et surtout Phalèse (Louvain), qui édita ses messes (1556-1559), 8 livres de motets et 4 livres de Souterliedekens (psaumes en néerlandais sur des mélodies populaires). Mais ce n’est qu’à partir de 1546, époque de ses premières relations avec Susato, qu’il prit l’habitude de se dénommer Clemens non Papa, pour se démarquer non du pape Clément VII (mort en 1534), comme on l’a affirmé longtemps, mais d’un poète religieux vivant à Ypres et appelé le « père Clemens », en latin « Clemens papa ». Son sens polyphonique, parfois objet de comparaison avec Palestrina, prend appui sur un style imitatif et des formules concises ; une certaine nervosité mélodique et rythmique fait oublier un langage largement fondé sur des formules préexistantes qui expliquent peut-être sa fécondité. E. Lowinsky a cru trouver chez lui des marques de l’usage d’un chromatisme secret, échappant à l’écriture parce que réprouvé par l’Église. Cette thèse a été mise en pièces par Bernet Kempers.

CLÉMENT (Edmond), ténor français (Paris 1867 - Nice 1928). Après des études au Conservatoire de Paris, il débuta à l’Opéra-Comique en 1889 dans le rôle de Vincent de Mireille de Gounod et, tout en commençant une carrière internationale, il demeura jusqu’en 1909 essentiellement lié à ce théâtre, où il participa à de nombreuses créations comme la création française de Falstaff de Verdi (1894). De 1909 à 1913, il se produisit aux États-Unis, en particulier à New York et Boston, et y fut très apprécié. Il regagna la France et poursuivit sa carrière jusqu’en 1927. Ténor lyrique à la voix claire et très souple, excellent acteur, doté d’une diction exemplaire, il fut considéré comme un représentant caractéristique de l’art vocal français. Il fut un célèbre interprète de Manon de Massenet, Faust et Roméo et Juliette de Gounod. CLÉMENT (Félix), organiste et musicographe français (Paris 1822 - id. 1885). Adolescent, il apprit la musique en secret et ne put s’y vouer ouvertement qu’à partir de 1843. Il fut maître de musique et organiste du collège Stanislas, maître de chapelle des églises Saint-Augustin et SaintLouis-d’Antin, puis organiste et maître de chapelle de l’église de la Sorbonne. Il manifesta un intérêt, à l’époque méritoire, pour la musique du Moyen Âge, même si la forme sous laquelle il publia des oeuvres de cette période peut paraître, aujourd’hui, maladroite. Il lança l’idée d’un institut de musique d’église, qui aboutit à la fondation de l’école Niedermeyer. Il publia des méthodes de plain-chant et de musique vocale, et divers ouvrages, notamment les Musiciens célèbres depuis le XVIe siècle jusqu’à nos jours (Paris, 1868). Choisi par Pierre Larousse, Clément rédigea plusieurs milliers de notices pour le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle. Les notices concernant les opéras furent publiées séparément dès 1869 sous le titre de Dictionnaire des opéras (suivi plus tard de 4 suppléments, 1869-1881, et d’éditions postérieures complétées par Arthur Pougin). Cet ouvrage, destiné dans l’esprit de Pierre Larousse à familiariser le public avec son entreprise encyclopédique alors en cours, est présenté par lui, dans son avertissement de 1869, comme « une

épreuve avant la lettre du Grand Dictionnaire universel ». CLÉMENT (Franz), violoniste, chef d’orchestre et compositeur autrichien (Vienne 1780 - id. 1842). Enfant prodige, il participa à certains concerts de Haydn en Angleterre en 1791, et fut violoniste à Vienne de 1802 à 1811, puis de 1818 à 1821. Son jeu était plus délicat que puissant, mais il était doté d’une mémoire prodigieuse et d’une virtuosité phénoménale. Beethoven écrivit pour lui son concerto pour violon op. 61, dont il donna la première audition le 23 décembre 1806. CLEMENTI (Aldo), compositeur italien (Catania 1925). Il découvrit la musique à treize ans grâce au piano, obtint son diplôme de pianiste en 1946, se perfectionna l’année suivante avec Pietro Scarpini à Sienne, et pour la composition, suivit les cours d’Alfredo Sangiorgi (élève de Schönberg), puis de Goffredo Petrassi à Rome (1952-1954). Il fréquenta aussi les cours d’été de Darmstadt (1955-1962), où ses oeuvres furent jouées en 1956, 1957 et 1960, et après sa rencontre avec Bruno Maderna (1956), travailla au Studio di Fonoglia de Milan. Episodi pour orchestre (1958) et Sette scene pour orchestre de chambre (1961) lui valurent respectivement en 1959 et en 1963 le deuxième et le troisième prix de la S. I. M. C. (Société internationale de musique contemporaine). Il enseigne la théorie musicale à l’université de Bologne. Aldo Clementi est l’auteur de l’action musicale en 1 acte sur un sujet et du matériau visuel d’Achille Perilli, Collage (1961), ainsi que d’oeuvres instrumentales, vocales-instrumentales et électroniques. Il s’est imposé avec son Concertino in forma di variazioni pour orchestre de chambre (1956). Jusqu’en 1959, il a cherché à élaborer des structures brèves et longues à partir d’accélérations ou de ralentissements mesurés déterminant des zones sonores diversifiées par leur densité et par leur tension. Entre 1959 et 1961, il a cherché à résoudre ces mêmes problèmes avec des structures aléatoires toujours transcrites en écriture déterminée. Depuis 1961, chaque oeuvre développe une seule texture contrapuntique très dense, qui réapparaît

variée. Progressivement, le compositeur a réduit les variations au minimum pour « annuler toute dialectique ». Sous l’influence de la peinture informelle, il s’est alors attaché à effacer les détails de la microstructure au profit d’une sorte de matérialisme statique. La polyphonie dense des années 1964-1968 est plutôt « optique » et « illusoire » que matérielle. De ces années datent notamment les musiques électroniques Collage 2 (1960-61) et Collage 3 (1966-67), Informel I pour 12 musiciens (1961), II pour 15 musiciens (1962) et III pour grand orchestre sans percussions (1961-1963), Variante A pour choeur mixte et grand orchestre sur le texte latin de la messe (1963-64), B pour 36 musiciens (1964) et C pour grand orchestre (1964), Reticolo 11 pour 11 musiciens (1966), Reticolo 4 pour quatuor à cordes (1968), Reticolo 12 pour 12 cordes (1970), Concerto pour piano et 7 instruments (1970). Les oeuvres des années 1970 développent un contrepoint polydiatonique complexe. Citons Blitz, action musicale en hommage à Marcel Duchamp (1973), Manualiter pour orgue (1973), Sinfonia da camera pour 36 musiciens (1974), Reticolo 3 (B. A. C. H.) pour 3 guitares (1975), trois Concertos opposant respectivement un soliste à un ensemble instrumental et à un carillon un piano (1975), une contrebasse (1976) et un violon (1977), Intermezzo pour 14 instruments à vent et piano préparé (1977), Otto frammenti d’une ballade de Charles d’Orléans (1978), Quintetto pour cordes (1978), Collage 4 (Nel mio sangue) [1979], Es, rondeau en 1 acte, livret du compositeur à partir de Es de N. Saito pour 3 sopranos, 3 mezzo-sopranos, 3 contraltos, orchestre et 9 instruments (1978-1980, création à la Fenice de Venise en 1981), Concerto pour piano et onze instruments (1986). CLEMENTI (Muzio), compositeur, pianiste et facteur de pianos italien (Rome 1752 - Evesham, Angleterre, 1832). Fils d’un orfèvre aimant beaucoup la musique, il fut, après des études dans sa ville natale, adopté par un gentilhomme anglais, Peter Beckford, qui l’emmena fin 1766 ou début 1767 dans sa propriété du Dorset, où il continua à se former durant sept ans. À Londres, où il s’installa en 1773 ou 1774, donna des récitals et dirigea l’orchestre de l’opéra italien au King’s Theatre, la renommée lui vint surtout après la publication de ses six sonates op. 2 (1779). En 1780,

il entreprit la première de ses nombreuses tournées à travers l’Europe : Paris, Strasbourg, Munich, Vienne (où, en décembre 1781, l’empereur Joseph II le mit en comdownloadModeText.vue.download 230 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 224 pétition pianistique avec Mozart, qui le jugea « une mécanique, sans un sou de sensibilité ni de goût »), Zurich, Lyon (où une affaire sentimentale sans lendemain le fixa plus d’un an), Rome peut-être. Rentré à Londres fin 1783, il en repartit pour Lyon et Berne en 1784, puis s’établit dans la capitale britannique de 1785 à 1802, s’y consacrant à la composition, à la direction d’orchestre, ainsi qu’à sa carrière de pianiste (qu’il arrêta soudain et apparemment sans raison en 1790) et de professeur. En 1798, de son association avec Longman et Broderip, qui venaient de faire faillite, naquit la firme « Longman, Clementi and Co. ». Sous cette raison sociale et (après 1801) d’autres, il se livra jusqu’à sa retraite en 1830, et en témoignant d’un sens commercial avisé, à l’édition, à la vente et surtout à la manufacture de pianos. En 1802, il partit avec son élève préféré John Field pour une nouvelle grande tournée en Europe qui jusqu’en 1810 le mena successivement à Paris, Vienne, Saint-Pétersbourg (où se fixa Field), Berlin, Dresde, Prague, Vienne, Zurich, Leipzig, Berlin (où à 52 ans il épousa une jeune fille de 19 ans), en Italie (où sa femme mourut en donnant naissance à un fils), puis à Berlin, Riga, Saint-Pétersbourg, Vienne (où il conclut avec Beethoven d’avantageux contrats d’édition), Rome, Milan et enfin Vienne, d’où il repartit pour Londres. Le 6 juillet 1811, il y épousa Emma Gisburne, qui lui donna 2 fils et 2 filles. Partageant son temps entre la composition, sa fabrique de pianos et la direction d’orchestre, il participa en 1813 à la fondation de la Philharmonic Society, et se rendit encore sur le continent - Paris, Vienne, Allemagne, Italie - en 1817-18, 1820, 1821-22 et 182627. À sa mort, il eut des obsèques nationales et fut enterré à Westminster Abbey. Il fit ses débuts au clavecin et écrivit ses premières sonates pour cet instrument, mais de son vivant déjà (dans les années 1820), on l’appela le « père du pianoforte ». Sa carrière d’interprète servit en

effet de modèle aux innombrables pianistes virtuoses du début du XIXe siècle, et comme compositeur, non seulement il se consacra presque exclusivement au clavier, mais créa le style pianistique moderne à la fois sur le plan technique (octaves et tierces parallèles) et sonore, ce dont devaient largement s’inspirer ses élèves et successeurs, avec à leur tête Beethoven (qui mettait les sonates de Clementi au-dessus de celles de Mozart). Il est possible que les remarques désobligeantes de Mozart à son égard, et qui lui causèrent un véritable choc lorsqu’il en entendit parler au soir de sa vie, aient été en partie dictées par l’envie. De ses sonates, plusieurs (comme l’opus 34 no 2 en sol mineur) naquirent à l’origine comme des concertos, mais une seule (l’opus 33 no 1 en ut majeur) a survécu également sous cette forme. Les dernières, les trois de l’opus 50, avec notamment la célèbre Didone abbandonata, parurent en 1821, mais furent sans doute composées pour l’essentiel dès 1804-1805. Plusieurs, en particulier l’opus 13 no 6 en fa mineur (1785), l’opus 25 no 5 en fa dièse mineur ou les opus 40 no 2 en si mineur et no 3 en ré majeur (1802), sont des chefs-d’oeuvre qui devraient apparaître fréquemment aux programmes des récitals. Clementi compositeur ne se résume en rien aux six sonatines op. 36 (1797) connues de tous les apprentis pianistes. On lui doit également un célèbre recueil didactique, le Gradus ad Parnassum op. 44 (3 vol. 1817, 1819 et 1826) et deux symphonies (op. 18, 1787). Plusieurs autres symphonies furent composées et exécutées dans les années 1790 et aux alentours de 1820, mais jamais éditées et laissées dans un état de désordre quasi inextricable. Quatre, dont une faisant usage du God Save the King, ont été reconstituées dans les années 1970 par Pietro Spada. CLÉRAMBAULT, famille de musiciens français, active durant la seconde moitié du XVIIe siècle et tout le XVIIIe siècle. Dominique (Paris en 1647 - id. 1704). Il fut violoniste, membre des Vingt-Quatre Violons du Roy. Louis-Nicolas, fils du précédent, organiste et compositeur (Paris 1676 - id. 1749). Formé par son père, il apprit sans doute le violon, puisqu’on le trouve plus tard recensé parmi les « musiciens sympho-

nistes ». Il travailla également la technique des instruments à clavier, principalement l’orgue, avec André Raison. Pour la composition, enfin, il fut l’élève de Jean-François d’Andrieu. Suppléant de Nivers, puis titulaire, en 1715, des orgues de la maison royale de Saint-Cyr, où il était aussi surintendant de la musique, il assura encore la charge d’organiste à Saint-Sulpice, où ses fils devaient lui succéder jusqu’en 1773. En outre, il prit la suite de Raison à la tribune des Jacobins (1719). Sa carrière de compositeur fut jalonnée par la publication de nombreux recueils qui rencontrèrent un succès considérable : un Livre de clavecin (1704), un Livre d’orgue (1710), une abondante oeuvre profane - Airs sérieux et à boire, cinq volumes de Cantates à une ou deux voix (Orphée, Médée), des cantates isolées, des divertissements et des intermèdes pour le théâtre. Sa musique religieuse n’est pas moins importante : Airs spirituels et moraux, six livres de Motets, deux tomes de Chants et Motets à l’usage des dames de SaintCyr, un oratorio (Histoire de la femme adultère), un Te Deum. Clérambault est le premier maître de la sonate et de la cantate françaises, inspirées des modèles italiens, mais adaptées à l’esprit national, selon les principes de la « réunion des goûts » prônée par Couperin. S’il ne possède pas le génie ardent de Couperin, il est sans doute l’un de ceux qui réussissent la plus séduisante synthèse de la noblesse polyphonique française avec la souplesse lyrique et l’art du développement des Italiens, dans la tonalité d’une sensibilité gracieuse. À l’orgue, il est l’un des derniers représentants de la grande école française et du style sérieux, avant que ne se développent les pièces de concert du siècle de Louis XV. César François Nicolas, dit « le fils », fils du précédent (Paris v. 1705 - id. 1760). Organiste, il succéda à son père et composa quelques cantates. Évrard Dominique, frère du précédent (Paris 1710 - id. 1790). Également organiste, il succéda à son tour à son père, à Saint-Cyr, aux Jacobins et à Saint-Sulpice. CLERCX-LEJEUNE (Suzanne), musicologue belge (Houdeng-Aimeries, Hainaut, 1910 - Liège 1985).

Elle a d’abord suivi des études classiques, avant de s’orienter vers la musicologie, travaillant notamment sous la direction de Ch. Van den Borren à l’université de Liège, où elle devint docteur en 1940. De 1941 à 1949, elle a occupé les fonctions de bibliothécaire au Conservatoire royal de Bruxelles. Professeur de musicologie à l’université de Liège à partir de 1945 et animatrice des Colloques de Wégimont (1953), elle est l’auteur d’importantes études sur Ciconia, dont elle a publié les oeuvres complètes. Son livre le Baroque et la Musique (1949), axé essentiellement sur l’esthétique musicale, fait autorité et constitue l’un des rares ouvrages consacrés à la musique de cette époque. CLÉREAU (Pierre), compositeur français du XVe siècle. Il fut maître des enfants de la cathédrale de Toul en 1554, ce qui explique sans doute certaines compositions religieuses (4 messes à 4 voix et une Missa pro mortis, Du Chemin, 1554 ; Missa cum 4 v. ad imitationem missae Virginis Mariae condita, Du Chemin, 1557 ; Messe Dum deambularet et 2 motets, Du Chemin, 1557). Il joua un rôle non négligeable dans le domaine de la chanson ; il écrivit sur des textes de Ronsard et publia, en 1566, chez Le Roy et Ballard, 2 livres d’Odes (il choisit les strophes de ce poète qui l’intéressaient davantage) dans un style presque uniquement harmonique, à 3 voix. La même année parurent un livre de chansons françaises et italiennes à 3 voix et deux autres à 4 voix. En 1567, il publia un livre de Cantiques spirituels chez Le Roy et Ballard. L’apport de Pierre Cléreau est double : il fut un des maillons de l’implantation d’un style madrigalesque en France et il contridownloadModeText.vue.download 231 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 225 bua au développement de l’air de cour par la place donnée à la voix supérieure dans ses chansons. CLÈVES (Johannes de), compositeur flamand (Clèves, Prusse, v. 1529 - Augsbourg 1582). Il eut ses premiers contacts avec la musique à la maîtrise de la cathédrale de Clèves. De-

venu maître de chapelle de l’église SaintPierre à Leyde (Pays-Bas), il composa de nombreuses pages polyphoniques à l’usage de cette paroisse. Il devait quitter les PaysBas pour l’Autriche et, en 1553, il appartenait à la chapelle de l’empereur Ferdinand Ier, à Vienne, comme ténor. En 1564, après la mort de l’empereur, il gagna Graz où il fut nommé maître de chapelle à la cour de l’archiduc Charles II. De retour à Vienne en 1570, il écrivit des motets, des messes et des Cantiones sacrae. Neuf ans plus tard, il se rendit à Augsbourg où il finit ses jours, composant à son aise auprès du maître de chapelle de la cathédrale, Bernhard Klingenstein, qui l’avait appelé pour perfectionner ses propres connaissances musicales. Clèves ne composa que des oeuvres religieuses : Cantiones sacrae, Augsbourg, 1559 ; Cantiones seu harmonicae sacrae de 4 à 10 voix, Augsbourg, 1579-80 ; des messes et des motets qui sont conservés en manuscrits. Il se recommandait des traditions franco-flamandes et témoignait d’une grande science dans l’art du contrepoint. CLICQUOT. Famille d’organiers français d’origine rémoise, dont les deux plus fameux représentants, Robert (1645-1719) et François-Henri (1732-1790) comptent au nombre des meilleurs facteurs d’orgues de l’Europe classique. Robert Clicquot, actif à Paris pendant plus de quarante ans, a construit de nombreux instruments dans la région parisienne et dans les provinces avoisinantes : chapelle du château de Versailles, Saint-Louis-desInvalides à Paris, Saint-Quentin, Blois, Laon, Rouen, etc. Quant à François-Henri, théoricien, expert et facteur de grande renommée, il a poursuivi les travaux familiaux, restaurant et agrandissant les instruments de ses aïeux, et a construit lui-même de nombreux instruments nouveaux (Sarlat, Poitiers, 1776 ; Souvigny, 1790). Son activité s’est étendue sur la France entière, qu’il a dotée de grands instruments de puissant caractère et d’une splendide harmonie, de style très original. La couleur de ses jeux de flûte, la poésie de ses hautbois, la rondeur de ses batteries d’anches donnent à ses réalisations les plus belles sonorités de l’orgue classique français. CLIDAT (France), pianiste française (Nantes 1938).

Brillante élève du Conservatoire de Paris, où elle reçoit l’enseignement de LazareLévy, Maurice Hewitt, Roland-Manuel, Norbert Dufourcq, Robert Siohan, etc., France Clidat obtient à douze ans son premier prix de piano. Trois ans plus tard, l’adolescente crée à Genève le Concerto en « la » mineur de Sauguet sous la direction d’Ernest Ansermet, et amorce la carrière de concertiste qui fera applaudir partout dans le monde, dans un répertoire très éclectique, son tempérament d’artiste et sa rare virtuosité. Le prix international Franz Liszt, qu’elle remporte à Budapest en 1956, révèle ses affinités particulières avec le maître hongrois. D’où l’enregistrement qu’elle a réalisé, en vingt-huit disques, de la seule « intégrale » existante de l’oeuvre pour piano de Liszt, dont elle a publié par ailleurs un Dictionnaire analytique, complété par un essai : Aux sources littéraires de Liszt. CLIQUET-PLEYEL (Henri), compositeur français (Paris 1894 - id. 1963). Élève de Gédalge et Koechlin au Conservatoire de Paris, il se fit remarquer avec un Premier Quatuor à cordes (1912), mais dut interrompre ses études à cause de la guerre et ne passa aucun concours. Après avoir écrit un élégant et prometteur Deuxième Quatuor à cordes (1923), il participa en 1924 à la fondation de l’école d’Arcueil, dont il adopta la simplicité, la pureté harmonique, le goût pour les rythmes et les sonorités de jazz. Particulièrement attiré par cette dernière tendance, il abandonna la musique de chambre pour la musique de cabaret, de café-concert. Il signa des chansons, des airs de danse, notamment de charmants tangos, puis, à l’avènement du cinéma sonore, des musiques de film. Après la Seconde Guerre mondiale, il revint à une inspiration plus classique, et composa de la musique de chambre, de la musique vocale et des oeuvres symphoniques d’une écriture distinguée, à l’inspiration mélodique aisée, mais devenue quelque peu anachronique. CLIQUETTE. Instrument à percussion constitué par deux ou plusieurs lames de bois ou d’une autre matière, reliées ou non par une ligature ou une charnière, et qui, entrechoquées, produisent un cliquetis.

Au Moyen Âge, les lépreux s’en servaient pour avertir les populations de leur passage. La cliquette fut ensuite adoptée par divers marchands ambulants, qui signalaient ainsi leur présence. Sous forme de deux planchettes de bois évidées et articulées à la manière d’un livre, elle est encore en usage dans les offices religieux, pour indiquer aux fidèles le moment de se lever ou de s’asseoir. CLOCHE. Instrument à percussion de la famille des « métaux ». La cloche a été connue dès la préhistoire sous des formes et dans des matériaux très variés qui subsistent d’ailleurs chez certains peuples. Mais le modèle répandu en Europe, et qui n’a guère changé depuis le Moyen Âge, apparaît comme une sorte de vase renversé, en bronze, dont la hauteur est à peu près égale au diamètre maximal. La cloche mobile est pourvue d’un battant accroché dans son axe, qui frappe la paroi intérieure quand elle est mise en branle. Il est aussi possible de mettre en mouvement le seul battant, à l’aide d’une corde, sans que la cloche bouge. Quant aux cloches fixes, comme celles qui composent les jeux de carillon, elles sont frappées de l’extérieur par des marteaux mécaniques ou tenus à la main. La cloche fournit une note fondamentale (d’autant plus grave qu’elle est grosse) accompagnée de nombreuses harmoniques qui font la richesse de son timbre. Le son de la cloche, qui porte très loin, joue depuis des siècles un rôle fonctionnel dans la vie des paroisses et des communes. Il n’annonce pas seulement les offices religieux, mais tous les événements heureux ou tragiques qui intéressent la population. Citons, parmi les cloches d’église les plus célèbres, le bourdon de Notre-Dame de Paris, fondu en 1686 et qui pèse 13 tonnes, et la « Savoyarde » du Sacré-Coeur de Montmartre (1907) qui en pèse 18 ; elles sont légères en comparaison de la grosse cloche du Kremlin « 202 tonnes ». La beauté de la sonorité des cloches a fasciné bien des compositeurs, qui ont tenté de l’évoquer, sinon de l’imiter, par des procédés d’écriture, en particulier dans des pièces pour piano (la Grande

Porte de Kiev dans les Tableaux d’une exposition de Moussorgski ; la Vallée des cloches dans les Miroirs de Ravel ; la Cathédrale engloutie dans les Préludes de Debussy). Ils ont plus rarement employé les cloches elles-mêmes comme instrument d’orchestre : la constitution très particulière de leurs harmoniques rend leur usage très complexe ; cependant, Wagner, par exemple, y a fait appel au troisième acte de Parsifal. Les cloches d’orchestre sont, comme les cloches d’église, en bronze. On les suspend à un bâti et on les frappe avec un maillet en bois nu, ou recouvert de peau. Souvent, les compositeurs se sont contentés d’utiliser des jeux de timbres ou des cloches-tubes. CLOCHES DE VACHE (en angl. : cow-bell). Instrument à percussion de la famille des « métaux ». downloadModeText.vue.download 232 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 226 Ce sont effectivement des cloches de vache (clarines), mais dépourvues de battant, fixées sur un pied par groupes d’importance variable. Frappées au moyen de toutes sortes de baguettes, elles rendent un son assez court. CLOCHES-TUBES. Instrument à percussion de la famille des « métaux ». Des tubes métalliques, suspendus à un portique, font fonction des cloches d’église, trop lourdes, encombrantes et coûteuses. On les frappe avec un maillet de bois, dont un côté est garni de cuir ou de feutre. CLOSTRE (Adrienne), femme compositeur française (Thomery, Seine-etMarne, 1921). Élève au Conservatoire de Paris, d’Yves Nat pour le piano, de Darius Milhaud, Jean Rivier et Olivier Messiaen pour la composition, elle a été premier grand prix de Rome en 1949 et grand prix musical de la Ville de Paris en 1955. Attachée aux recherches contemporaines, mais leur

reprochant de ne pas aboutir à des systèmes de langages cohérents, elle a utilisé des techniques sérielles sans abandonner pour autant la plastique mélodique traditionnelle. Son domaine d’élection est le théâtre lyrique, avec notamment Spectacle Tchekhov, composé de Raïssa ou la Sorcière (1952) et le Chant du cygne (1961), les Musiciens de Brême, d’après Grimm (1957), Julien l’Apostat, d’après Ibsen (1971), Nietzsche (1975), Cinq Scènes de la vie musicale (1980), le Secret (1981), l’Albatros, d’après Baudelaire (1986-1988), Annapurna, d’après le récit de Maurice Herzog (1988). On lui doit aussi des oeuvres d’orchestre (Concert pour le souper du roi Louis II, 1957) et de chambre (Sun pour quatuor à cordes, 1992), ainsi que la cantate de chambre The Fioretti di San Francesco d’Assisi (1953, 1re audition 1955). CLOZIER (Christian), compositeur français (Paris 1945). Venu du stage du G. R. M., il a créé en 1969 avec Alain Savouret le groupe d’improvisation Opus N, et surtout a fondé, en 1970, avec Françoise Barrière le Groupe de musique expérimentale de Bourges (G. M. E. B.), participant de près à ses nombreuses activités techniques et pédagogiques dans le domaine électroacoustique. On lui doit à ce propos la conception d’un mini-studio portatif destiné aux enfants, le gmebogosse, et d’un système original de diffusion en concert (par diversification et répartition des couleurs sonores, le gmebaphone. Ses oeuvres comprennent notamment la Discordatura, « concrètesuite » réalisée par manipulation de sons de violon (1970), le concret-opéra À vie (1971), Symphonie pour un enfant seul (1972-1974) et le Phlogiston (1975), À la prochaine, la taupe (1978), Aporie et Apocope (1979), Quasars (1980), ainsi qu’un certain nombre de spectacles musicaux. CLUSTER. Initialement, groupe de notes frappées au piano par la main à plat ou le poing, ou encore l’avant-bras, soit dans une ou plusieurs régions du clavier, soit par glissades. Cette technique d’écriture et d’exécution appartient à la musique contemporaine. Elle a été amplement étudiée, à l’origine, par le compositeur américain Henry Cowell. Par extension, toute combinaison de sons rapprochés formant des grappes

sonores, plus ou moins compactes, par opposition aux sons distincts d’un accord. CLUYTENS (André), chef d’orchestre français d’origine belge (Anvers, Belgique, 1905 - Neuilly-sur-Seine 1967). Il fit ses études au conservatoire royal d’Anvers. Chef de chant au Théâtre-Royal de cette ville, il y fut nommé en 1927 chef titulaire en remplacement de son père. Il vint en France en 1932 poursuivre sa carrière, fut directeur de la musique au Capitole de Toulouse, chef d’orchestre à l’opéra de Lyon, et s’établit à Paris en 1942. Il y fut nommé directeur musical de l’Opéra-Comique en 1947 et succéda à Charles Munch comme chef attitré de la Société des concerts du Conservatoire en 1949. À l’Opéra-Comique, il participa à de nombreuses reprises importantes et à des créations comme celle de Bolivar de Milhaud. Il mena une carrière internationale, et fut en particulier le premier chef français à diriger au festival de Bayreuth, où il débuta en 1955 dans Tannhäuser. Son répertoire était vaste. Il fut tout spécialement renommé pour ses interprétations de musique française symphonique (Berlioz, Franck, Ravel) et lyrique (Bizet, Gounod), des oeuvres de Wagner, des symphonies et ouvertures de Beethoven, ainsi que de musique russe. Son style, élégant, juste, clair, sans emphase, ne manquait pas d’intensité. COATES (Albert), chef d’orchestre et compositeur anglo-russe (Saint-Pétersbourg 1882 - Milnerton, Le Cap, 1953). Après des études musicales à Saint-Pétersbourg, il entra au conservatoire de Leipzig en 1902 où il travailla le violoncelle, le piano et surtout la direction d’orchestre avec Nikisch. Celui-ci le nomma comme assistant à l’Opéra de Leipzig, et sa carrière débuta avec les Contes d’Hoffmann. En 1906, il fut chef principal à l’Opéra d’Eberfeld, puis à Dresde et à Mannheim. Invité à Saint-Pétersbourg pour diriger Siegfried, il devait y demeurer chef pendant cinq ans. Coates ajouta alors à son répertoire un grand nombre d’ouvrages russes et se fit une réputation en Europe et en Amérique, notamment comme interprète des oeuvres de Scriabine. Il a composé de la musique d’orchestre et de chambre ainsi que des oeuvres pour le théâtre. COATES (Eric), compositeur anglais

(Hucknall, Nottinghamshire, 1896 Chichester 1957). Il étudia à Nottingham le violon et la composition. En 1906, grâce à une bourse de la Royal Academy of Music de Londres, il apprit l’alto avec Tartis et la composition avec F. Corder. Dès 1907, il fit partie d’un quatuor à cordes et, en 1912, il fut altiste au Queen’s Hall Orchestra. Après 1918, il se consacra uniquement à la composition, écrivant des mélodies, des petits ouvrages d’orchestre (Miniature Suite, Joyous Youth Suite), des ouvertures (The Many Makers, Dance Interlude). Il publia son autobiographie Suite in Four Movements, à Londres (1953). COBLA. 1.Strophe de la poésie lyrique occitane et en particulier des troubadours. On rencontre de nombreux types de coblas, se distinguant aussi bien dans leur structure générale que sur le plan de la métrique et des rimes. La variété de ces formes répondait avec une extrême subtilité au contenu expressif des poèmes. 2.Ensemble instrumental traditionnellement réuni en Catalogne pour jouer des sardanes. Il comprend : 1 flaviol (sorte de flûte à bec à 7 trous qui prélude à la danse par une improvisation libre à peu près invariable) ; 2 tiples (chirimias ou hautbois aigus à 10 trous issue du chalun arabe) ; 2 tenoras (chirimias graves aux sons éclatants, à l’octave inférieure du tiple) ; 2 cornets ; 1 trombone ; 2 fiscornes (instruments à piston) ; 1 contrebasse et 1 tambourin (frappé simultanément par le joueur de flaviol). La vraie cobla ne joue que des sardanes. COCCIA (Carlo), compositeur italien (Naples 1782 - Novarre 1873). Fils d’un violoniste, il étudia le chant et la composition à Naples, où Paisiello le fit nommer pianiste de Joseph Bonaparte. Après des débuts de compositeur incertains, il s’affirma à Venise, notamment avec Clotilde (1815) grâce à un emploi audacieux des choeurs, puis à Padoue, Milan et Lisbonne (1820-1823). Il enseigna à Londres et y donna avec succès une Maria Stuarda (1827) écrite pour la Pasta, avant de rentrer en Italie l’année suivante. Délaissant progressivement l’opéra bouffe pour l’opera seria, il en soigna l’orchestra-

tion, mais se heurta à l’incompréhension des Napolitains (La Figlia dell’ Arciere, 1834, écrit pour la Malibran). En 1837, il succéda à Mercadante comme maître downloadModeText.vue.download 233 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 227 de chapelle à Novarre ; il gagna l’estime de Verdi qui voulut l’associer à son projet de Requiem à la mémoire de Rossini. Doué mais négligent, apte à saisir l’intérêt de toute innovation, Coccia laissa trentesept opéras, dont on peut encore retenir la Donna selvaggia (1813) et surtout Caterina di Guisa (1833). COCHEREAU (Pierre), organiste et compositeur français (Saint-Mandé, Seine, 1924 - Lyon 1984). Formé au Conservatoire de Paris, il fut l’élève de Marcel Dupré et de Henri Büsser. À dix-huit ans, il devint titulaire de l’orgue de l’église Saint-Roch, à Paris, puis, en 1955, il succéda à Léonce de Saint-Martin aux claviers de l’orgue de Notre-Dame de Paris. Depuis 1960, il est directeur du conservatoire de Nice, tout en demeurant titulaire des grandes orgues de NotreDame de Paris. Il est également devenu directeur (1979-80), puis président (à partir de 1980) du Conservatoire national supérieur de musique de Lyon. Pierre Cochereau met son étonnante virtuosité au service des grands compositeurs-organistes de l’école symphoniste - Vierne et Dupré notamment -, dont il est un remarquable interprète, et d’un talent d’improvisateur directement issu de la tradition postromantique. Il est également compositeur (deux concertos pour orgue et orchestre, une symphonie, de la musique de piano et de la musique de chambre). COCHINI (Roger), compositeur français (Lyon 1946). Il est membre depuis 1973 du Groupe de musique expérimentale de Bourges (G.M.E.B.). Il a réalisé pour la bande magnétique quelques oeuvres qui sonnent comme une musique électroacoustique de chambre, et dont le ton de confidence nocturne, lumineuse et angoissée à la fois, déjà présent dans Remparts d’Ainay (1972), réalisé au G.R.M., s’affirme plus épanoui

dans Éva ou les Yeux fermés (1974) et les Chansons de geste (1977). COCLICO (Adrian « Petit »), compositeur et théoricien flamand (Flandres 1499 ou 1500 - Copenhague v. 1563). On suppose que le surnom de « Petit » lui était donné en raison de sa taille. En 1545, il fut inscrit à l’université de Wittenberg (Prusse). Puis il se rendit à Francfort-surOder, et, en 1547, à Stettin. Membre de la chapelle du duc Albert de Prusse (15471550), il s’installa, à la fin de 1550, à Nuremberg, où il publia un livre de motets, Musica reservata, consolationes piae ex psalmis Davidicis (1552), et un traité théorique Compendium musices, dans lequel il transmet les règles du contrepoint de Josquin Des Prés, dont il prétendait être l’élève, l’appelant « le prince des musiciens ». En 1555, il fut à Wismar, au service du duc de Mecklembourg. Puis, en 1556, il entra comme chanteur à la chapelle du roi Christian III de Danemark pour laquelle il composa des motets. Adrian Coclico, l’un des derniers illustrateurs de la grande tradition polyphonique franco-flamande, s’est appliqué à établir une correspondance étroite entre le verbe et la musique. COCTEAU (Jean), poète français (Maisons-Laffitte 1889 - Milly-la-Forêt 1963). Son nom est lié à celui d’Erik Satie et au groupe des Six. Dans le Coq et l’Arlequin (1918), il a fait le procès de l’impressionnisme musical, prônant le retour à la simplicité, glorifiant l’esthétique du cirque et du music-hall exaltant aussi bien la concision et la netteté du langage de Satie que le tumulte organisé du Sacre du printemps de Stravinski. Dans Carte blanche (1920), il a rendu compte, à sa manière, brillante et cursive, des activités des musiciens du groupe des Six, lesquels (Louis Durey excepté) collaborèrent à la mise en musique de son texte, les Mariés de la tour Eiffel (1921). Pour Erik Satie, Jean Cocteau a écrit l’argument du ballet Parade (1917) et un livret d’opéra-comique, Paul et Virginie, qui, du côté du musicien, demeura à l’état de projet. Pour Darius Milhaud, il a écrit les arguments du Boeuf sur le toit (1920) et du Train bleu (1924), et le livret du Pauvre Matelot (1926). Francis Poulenc a mis en musique la Voix humaine (1958) et la Dame de Monte-Carlo (1961). Arthur

Honegger, qui en avait d’abord écrit la musique de scène (1922), a composé en 1927 sur l’Antigone de Cocteau son meilleur ouvrage lyrique. Pour Georges Auric, Jean Cocteau a écrit l’argument du ballet Phèdre (1950). Il lui a demandé la musique de ses films les plus importants : le Sang d’un poète (1930), l’Éternel Retour (1943), la Belle et la Bête (1945), l’Aigle à deux têtes (1947), les Parents terribles (1948), Orphée (1949). Avant tout soucieux du spectacle, Cocteau a suivi avec passion l’évolution du ballet, collaborant avec Serge de Diaghilev (Parade, le Train bleu), avec Serge Lifar (Phèdre), avec Roland Petit (le Jeune Homme et la Mort). Il ne s’est pas contenté de fournir aux musiciens des livrets d’opéras et des arguments de ballets. Il a mis luimême en scène les Mariés de la tour Eiffel, le Pauvre Matelot, Antigone, OEdipus rex, la Voix humaine. Il a tenu le rôle du récitant dans l’Histoire du soldat de Stravinski. En 1962, il a dessiné des décors pour Pelléas et Mélisande. Inspirateur ou animateur, meneur de jeu ou metteur en scène, du début à la fin de sa carrière, le poète n’a cessé de collaborer avec les musiciens. Son nom est autant inscrit dans l’histoire de la musique et de la danse que dans celle de la littérature. PRINCIPAUX ÉCRITS SUR LA MUSIQUE : le Coq et l’Arlequin (1918) ; Carte blanche (1920) ; Fragments d’une conférence sur Satie (Revue musicale, mars 1924). LIVRETS : Paul et Virginie (livret d’opéra-comique, en collaboration avec R. Radiguet, 1920) ; les Mariés de la tour Eiffel (spectacle, musique de G. Auric, A. Honegger, D. Milhaud, F. Poulenc, G. Tailleferre, 1921) ; le Pauvre Matelot (complainte en 3 actes, musique de D. Milhaud, 1926) ; OEdipus rex (opéra-oratorio, musique de I. Stravinski, 1927) ; Cantate (musique de I. Markevitch, 1930) ; Patmos (musique de Y. Claoué, 1962). ARGUMENTS DE BALLET : le Dieu bleu (en collaboration avec F. de Madrazo, musique de R. Hahn, 1912) ; Parade (musique de E. Satie, 1917) ; le Boeuf sur le toit (pantomime, musique de D. Milhaud, 1920) ; le Train bleu (opérette dansée, musique de D. Milhaud, 1924) ; le Jeune Homme et la Mort (mimodrame,

musique de J.-S. Bach, 1946) ; Phèdre (musique de G. Auric, 1950), la Dame à la Licorne (musique de J. Chailley, 1953) ; le Poète et sa Muse (mimodrame, musique de G. C. Menotti, 1959). CODA. Mot italien, désignant d’une manière générale dans une oeuvre musicale, et surtout instrumentale, tout développement de caractère libre prolongeant l’une des parties constitutives du plan sans en faire réellement partie. La coda terminale étant la plus fréquente - par exemple à la fin de la réexposition de la forme sonate -, et amenant souvent la conclusion, on a tendance à limiter le sens du mot coda à celui d’une terminaison. Mais dans les oeuvres à plan classique et à caractère évocateur, la coda prend volontiers la forme d’un intermède descriptif (chants d’oiseaux dans la Symphonie pastorale de Beethoven). COEUROY (Jean Belime, dit André), musicologue et critique français (Dijon 1891 Latrecey 1976). Élève de Max Reger à Leipzig, agrégé d’allemand, il fonda, en 1920, la Revue musicale avec Henry Prunières, il en fut le rédacteur en chef jusqu’en 1937, et collabora à Ère nouvelle de 1920 à 1925, à ParisMidi de 1925 à 1939 et à Gringoire de 1927 à 1939. Il dirigea la section musicale de la Société des Nations (1929-1939) et fut maître de conférences à Harvard (193031). Directeur de collections d’ouvrages sur la musique, il écrivit lui-même de nombreux livres et traduisit de l’allemand le Debussy de Heinrich Strobel, ainsi que les Souvenirs de Bruno Walter. Esprit très ouvert, curieux de toute nouveauté, André Coeuroy s’est, un des downloadModeText.vue.download 234 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 228 premiers, intéressé au jazz, au disque, à la radio. Il a consacré une grande partie de ses travaux à l’étude du romantisme. Il s’est attaché à définir les relations des écrivains avec les musiciens et, dans plusieurs de ses ouvrages (Musique et litté-

rature, Appels d’Orphée, Wagner et l’esprit romantique), il a fait oeuvre d’historien de la littérature autant que de musicologue. COHEN (Harriet), pianiste anglaise (Londres 1895 - id. 1967). Elle débuta à l’âge de treize ans. Blessée à la main droite en 1948, elle se consacra beaucoup à la musique de son temps, en particulier aux oeuvres de Bartók et d’Arnold Bax, reçut en dédicace les Variations symphoniques (1917) et le Concerto pour la main gauche (1949) de ce dernier ainsi que le Concerto de Vaughan Williams (1933), et traita des problèmes d’interprétation dans Music’s Handmaid (1936). COHEN (Jeff), pianiste américain (Baltimore 1957). En 1976, il entre au Conservatoire de Paris où il obtient les prix de piano et de musique de chambre dans les classes de Reine Gianoli et Geneviève Joy, avant de poursuivre sa formation auprès de Léon Fleisher aux États-Unis et de Peter Feuchtwanger en Angleterre. Chef de chant au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles, professeur à l’École d’art lyrique de l’Opéra de Paris, puis responsable musical au Théâtre du Châtelet, il mène une carrière de chef de chant et d’accompagnateur, se produisant en compagnie de June Anderson, Cecilia Bartoli, Hélène Delavault, Jean-Paul Fauchécourt et bien d’autres. Avec le baryton François Leroux, il a enregistré des disques de mélodies de Duparc, Fauré, Hahn, Gounod, et avec Véronique Dietschy des lieder de Mozart accompagnés au pianoforte. Il est aussi compositeur de musiques de scène et de film et animateur d’émissions sur la musique pour la télévision française. COIN (Christophe), violoncelliste et gambiste français (Caen 1958). Il étudie avec André Navarra au Conservatoire de Paris, où il obtient un 1er Prix de violoncelle en 1974, puis avec Nikolaus Harnoncourt à l’Académie de Vienne, enfin à la Schola cantorum de Bâle avec Jordi Savall. De 1977 à 1983, il est régulièrement invité par le Concentus musicus de Vienne, Hesperion XX ou l’Academy of Ancient Music, et apporte son concours à la plupart des autres ensembles européens spécialisés dans l’interprétation de la mu-

sique ancienne. En 1984, il crée l’ensemble Mosaïques, qui connaît rapidement le succès. Il est nommé la même année professeur de violoncelle baroque et de viole de gambe au Conservatoire de Paris. Violoncelliste du Quatuor Mosaïques, il prend en 1991 la direction de l’Ensemble baroque de Limoges. COLACHON. Instrument ancien originaire d’Orient et qui fut utilisé en Italie du Sud - où lui fut donné le nom de colascione -, à partir du XVIe siècle, avant de se répandre à travers l’Italie et l’Europe, et d’y demeurer en vogue jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. C’est une variété de luth, à petite caisse de résonance et à très long manche, dont les cordes, au nombre variable de deux à six (mais le plus souvent de deux ou trois), étaient accordées par quarte. Le colachon se jouait le plus souvent avec un plectre. COLASSE ou COLLASSE (Pascal), compositeur français (Reims 1649 - Versailles 1709). Après des études à Paris au collège de Navarre, il entra au service de Lully qui l’engagea, en 1677, comme chef d’orchestre de l’Opéra. Auprès du musicien florentin, il apprit son métier de compositeur. Il obtint en 1683 un quartier à la chapelle royale et fut désigné en 1687 pour terminer la tragédie lyrique, Achille et Polyxène, que son maître avait laissée inachevée à sa mort. Outre des oeuvres religieuses comme les Cantiques spirituels de Racine (1695), plusieurs airs publiés chez Ballard et des divertissements comme l’Impromptu de Livry (1688), il écrivit surtout pour la scène de l’Académie royale de musique en lui consacrant une dizaine d’ouvrages lyriques. Considéré comme le fils spirituel de Lully, il souffrit de cette réputation. Il lui fut reproché notamment d’insérer dans ses partitions des airs de son maître. En dépit de ces emprunts à un autre compositeur, Colasse apparaît comme un novateur : il développa beaucoup les possibilités expressives de l’orchestre et fut le premier à décrire par la musique une tempête dans sa tragédie lyrique, Thétis et Pélée (1689), ainsi qu’à mettre en musique un véritable opéra-ballet, les Saisons (1695). COLBRAN (Isabella), soprano espagnole

(Madrid 1785 - Bologne, Italie, 1845). Elle étudia à Madrid, puis en Italie, fit ses débuts à Paris en 1801 et triompha à la Scala de Milan en 1807. Elle fut simultanément la maîtresse du célèbre imprésario Barbaja et du roi de Naples, mais les abandonna tous deux, en 1815, pour vivre avec Rossini qu’elle épousa en 1822. C’est pour elle que ce dernier délaissa la veine bouffe pour écrire la majeure partie de ses opere serie qu’Isabella Colbran allait créer : Elisabetta, regina d’Inghilterra, Otello, Armida, Mosè, Maometto II et Semiramide. Isabella Colbran compte parmi les très grandes tragédiennes-chanteuses de l’histoire de l’opéra. Son jeu, au caractère grandiose, impressionna ses contemporains. À l’apogée de sa carrière, l’étendue de sa voix dépassait deux octaves et demie. Elle fut un soprano dramatique, coloratura à l’agilité exemplaire, comme le prouvent les rôles écrasants que Rossini écrivit pour elle. Sa musicalité, la noblesse et la pureté de son style furent aussi souvent louées. Sa voix s’altéra prématurément et elle abandonna la scène dès 1824. COLIN DE BLAMONT (François), compositeur et écrivain français (Versailles 1690 - id. 1760). Fils d’un musicien ordinaire de la Chambre, il collabora aux Nuits de Sceaux de la duchesse du Maine avant de devenir, en 1719, surintendant de la musique de la Chambre du roi. Son ballet héroïque, les Fêtes grecques et romaines, remporta un grand succès à l’Académie royale de musique (1723). Avec son librettiste Fuzelier, il fut le créateur du ballet héroïque auquel Rameau, toujours avec le même Fuzelier, devait donner ses lettres de noblesse avec les Indes galantes (1735). Colin de Blamont écrivit plusieurs ouvrages de ce genre (les Caractères de l’amour, 1736 ; les Fêtes de Thétis, 1750), mais aussi des motets (1732), des cantates françaises (1723, 1729) et des airs à boire (5 recueils). Il fut également l’auteur d’une pastorale héroïque Endymion (1731). Devenu maître de musique de la Chambre en 1726, anobli en 1750, il se consacra à la composition des spectacles de la Cour. Il écrivit, en 1728, l’éloge nécrologique de Delalande, dont il avait été l’élève et, au moment de la Querelle des bouffons, adversaire de la musique italienne, il s’opposa à Jean-Jacques Rousseau

en publiant un Essai sur les goûts anciens et modernes de la musique française (Paris, 1754). COLIN MUSET, trouvère français (1re moitié du XIIIe s.). D’origine champenoise, aux limites de la Lorraine, il fut également jongleur, c’està-dire interprète. Son activité se situe entre 1220 et 1240, et il fréquenta notamment la cour des ducs de Lorraine. On conserve de lui une vingtaine de chansons (publiées en 1912 par le médiéviste Joseph Bédier), dont sept sont pourvues d’une notation musicale. Parmi ces pièces qui contiennent de nombreux détails sur sa vie errante et les cours qu’il visita, il faut citer un descort et une supplique Sir cuens, j’ai viélé. Son oeuvre se signale par la fraîcheur de l’inspiration et par la limpidité des mélodies. COLLAER (Paul), musicologue, ethnologue et chef d’orchestre belge (Boom 1891 - Bruxelles 1989). Musicien amateur, de formation scientifique, il a été le principal animateur de downloadModeText.vue.download 235 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 229 la vie musicale en Belgique, à partir de sa vingtième année : conférences-récitals, manifestes confiés à des revues spécialisées, organisation de concerts participent alors d’un besoin d’apostolat au profit des musiques encore inconnues. Après la guerre, Paul Collaer prend la tête du mouvement d’avant-garde, fonde les Concerts pro arte (1922), puis les « Concerts anciens et modernes » (1933) et dirige les émissions musicales à la radio belge (1937-1952), dont il fait un moyen actif de diffusion de la musique contemporaine (les Six, Satie, Stravinski, Roussel, Rieti, Hindemith, Bartók, Schönberg et l’École de Vienne). Après avoir abandonné ses fonctions (1953), il fonde les Colloques de Wégimont (1954) et se consacre à l’ethnomusicologie. Il prospecte la Sicile, le Portugal et la Grèce, en quête de polyphonies populaires, et réalise des enregistrements qu’il commente dans un esprit de large humanisme. Parmi ses ouvrages : Stavinski (Bruxelles, 1930), Signification de la musique (Bruxelles, 1944), Darius Milhaud

(Anvers/Paris, 1947), la Musique moderne (Paris/Bruxelles, 1905-1955), Darius Milhaud (Genève, 1982). COLLARD (Catherine), pianiste française (Paris 1947 - id. 1993). Elle fait ses études au Conservatoire de Paris dans la classe d’Yvonne Lefébure et de Jean Hubeau, et obtient un 1er Prix de piano en 1964 et un 1er Prix de musique de chambre en 1966. Puis elle se perfectionne avec Yvonne Loriod. Elle remporte en 1969 deux premiers prix : celui du Concours Claude Debussy et celui du Concours Olivier Messiaen. Elle est aussi lauréate des Concours Casella, Busoni et Viotti et, en 1970, elle remporte le Prix de la Vocation. Elle a donné au long de sa carrière une place de choix à l’enseignement et à la musique de chambre, dirigeant par exemple les Rencontres internationales de piano en Pays basque, ou animant les festivals de Perros-Guirec et du Périgord vert ou encore l’Académie Maurice Ravel de Saint-Jean-de-Luz. Profondément attachée à la musique de chambre, elle a eu plusieurs partenaires privilégiés : la pianiste Anne Quéfellec, avec qui elle a formé un duo renommé ; les violonistes Catherine Courtois et Régis Pasquier ; et, dans les dernières années de sa vie, la violoncelliste Sonia Wieder-Atherton et la contralto Nathalie Stutzmann. De même que son professeur Yvonne Lefébure, elle a été une grande interprète de la musique de Fauré et, plus généralement, de la musique française, mais son goût pour les romantiques allemands l’a aussi amenée à interpréter et à enregistrer fréquemment les oeuvres de piano et de musique de chambre de Brahms et de Schumann, deux compositeurs auxquels elle était particulièrement attachée. Elle a également consacré plusieurs disques à Haydn. De 1976 à sa mort, elle a enseigné au Conservatoire de SaintMaur. COLLARD (Jean-Philippe), pianiste français (Mareuil-sur-Ay 1948). Après avoir obtenu un 1er Prix de piano au Conservatoire de Paris en 1964, il étudie avec Pierre Sancan. Il est lauréat de plusieurs concours internationaux, dont le Concours Long-Thibaud en 1969 et le Concours Cziffra en 1970. La musique de chambre, le piano solo et le concerto occupent une place d’égale importance dans

sa carrière. Régulièrement invité aux ÉtatsUnis, il joue fréquemment avec l’Orchestre de Philadelphie, l’Orchestre symphonique de Boston, le New York Philharmonic, mais aussi en Allemagne, au Japon et, bien sûr, en France, où il s’est produit de nombreuses fois avec l’Orchestre national de France et l’Orchestre philharmonique de Radio France. En musique de chambre, il a pour partenaires privilégiés le violoniste Augustin Dumay, le pianiste Michel Béroff ainsi que les violoncellistes Gary Hoffmann ou Frédéric Lodéon. COLLA PARTE (ital. : « avec la partie », sous-entendu, « principale »). Locution employée soit pour économiser la copie d’une partie en invitant un instrumentiste ou un chanteur à se mettre à l’unisson d’un autre, soit pour l’inviter à suivre toutes les nuances et inflexions rythmiques de la partie principale. COLLA VOCE (ital. : « avec la voix »). Locution employée comme colla parte, mais plus particulièrement pour inviter un instrumentiste à suivre toutes les inflexions d’un chanteur, soit qu’il en double la partie, soit qu’il doive simplement s’adapter à ses changements de mouvement. COLLECTIF DE RECHERCHE INSTRUMENTALE ET DE SYNTHÈSE SONORE (C. R. I. S. S.). Organisme fondé en 1977 par Hugues Dufourt, Alain Bancquart et Tristan Murail, dans le but d’assimiler et de fondre dans un système d’expression cohérent les innovations encore éparses de la technologie électronique. Son idée-force est que cette technologie affecte non seulement la production des sons, mais aussi la sensibilité et mêmes les catégories de la pensée musicale, et il regroupe compositeurs et interprètes, avec comme objectifs une recherche systématique et collective des possibilités de production et de transformation des sons électriques en direct, un programme d’équipement favorisant ce travail, une investigation méthodique des nouvelles ressources de l’instrument traditionnel et de la voix, une entreprise de réflexion collective sur les nouvelles catégories de la pensée musicale et l’élaboration dans

la composition musicale de nouveaux principes d’organisation formelle appropriés à l’emploi de la technologie électronique. Parmi les oeuvres suscitées par cette réflexion, Saturne de Hugues Dufourt (1979). Le C. R. I. S. S. a été un élément moteur dans les manifestations du groupe de l’Itinéraire. COLLECTIF MUSICAL INTERNATIONAL 2E2M (études expression des modes musicaux). Ensemble créé à la fin de 1971 par Denise Foucard, maire adjoint (chargée des Affaires culturelles) de Champigny, et le compositeur Paul Méfano, dans le but d’offrir un débouché à la jeune musique, de permettre aux compositeurs français et étrangers de se faire jouer, de mettre le public en contact avec les oeuvres nouvelles, notamment au moyen d’animations préconcerts, et de favoriser l’éducation musicale du plus grand nombre en liant très étroitement l’expression musicale de référence et les voies nouvelles de la création. Avec ses quelque 40 concerts par an, tant à Paris et dans la région parisienne qu’en province et à l’étranger, le Collectif musical international 2e2m occupe une des toutes premières places dans l’action menée en faveur de la musique contemporaine sans sacrifier pour autant à la politique du vedettariat. À partir de lui ont été fondés un quintette à vent et un quatuor à cordes (Quatuor français 2e2m), et il a réalisé plusieurs disques. COLLEGIUM AUREUM. Ensemble instrumental allemand, fondé en 1964 par Franzjosef Maier, qui en est, depuis cette date, le premier violon. Il joue sur des instruments originaux et/ou authentiques : les cordes sont pour la plupart des XVIIe et XVIIIe siècles et d’origine italienne, les vents, des originaux ou des copies. Il se consacre surtout au répertoire baroque (Bach, Haendel, Rameau), préclassique (fils de Bach, Carl Stamitz) et classique du XVIIIe siècle (Haydn, Mozart), mais a fait également quelques incursions dans le début du XIXe siècle, jouant par exemple l’Héroïque de Beethoven dans les mêmes conditions (effectifs, types d’instruments) que lors de sa première audition en 1804.

COLLEGIUM MUSICUM. Libre association d’amateurs et éventuellement de professionnels pratiquant la musique. L’héritage des Kantorei, des groupements de maîtres chanteurs et autres confréries fut repris, du XVIe au XVIIIe siècle, en Allemagne et dans les régions soumises à l’influence allemande (Suisse, Suède, Bohême), par des cercles downloadModeText.vue.download 236 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 230 d’amateurs, d’abord inorganisés, puis structurés, ayant pour objet l’exécution en commun de musique, vocale à l’origine, et par la suite instrumentale. Ces cercles se donnèrent des noms en langue commune, par exemple, en Allemagne, das Musikkränzlein (« le petit cercle musical »). Mais, avec la participation croissante d’étudiants à ces activités, l’appellation latine de collegium musicum, qui apparaît pour la première fois à Prague en 1616, vint à être la plus largement répandue. Les réunions étaient en général hebdomadaires ; la plus pure tradition de cette pratique excluait la présence de tout auditeur ; en tout cas, les séances n’étaient pas largement ouvertes au public. Le développement de ces cercles entraîna l’enrôlement de professionnels. Les collegia musica atteignirent un haut niveau de qualité et connurent un grand rayonnement, en particulier à Hambourg, Francfort et Leipzig. J. Kuhnau, Telemann, J. F. Fasch et J.-S. Bach comptent au nombre des musiciens qui dirigèrent les activités du collegium musicum de Leipzig. Dans cette ville, Bach s’assura le concours des étudiants pour l’exécution de ses Passions. Au fur et à mesure que les collegia musica rendaient leurs activités publiques, la notion de concert au sens moderne s’imposait. Ainsi les collegia sont-ils à l’origine de nombreuses institutions de concert, et, en particulier, à Leipzig, du Gewandhaus. Au XIXe siècle, les collegia musica furent presque oubliés. C’est le nouvel essor des mouvements de jeunesse qui provoqua leur renaissance. À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, sous l’impulsion de Hugo Riemann, puis de Willibald Gur-

litt, presque chaque université allemande mit un point d’honneur à constituer ou reconstituer un collegium musicum actif. Pour répondre aux besoins de cette pratique musicale, Riemann, qui créa à Leipzig le premier collegium moderne, exhuma de nombreuses partitions anciennes, qu’il publia d’ailleurs dans un vaste recueil portant le titre de Collegium musicum (Leipzig, sans date). Dans les années qui suivirent la Grande Guerre, les collegia musica furent des foyers où l’on redonna vie à la musique baroque en cherchant à en respecter le style exact. Les collegia musica ont aussi été, très tôt, à la pointe du combat pour le retour à la pratique des instruments anciens. COL LEGNO (ital.) . Expression utilisée dans le jeu des instruments à cordes frottées et indiquant que l’on doit frapper les cordes avec le bois de l’archet et non jouer avec les crins, ce qui produit un effet particulier employé, par exemple, par Liszt dans Mazeppa et dans la Danse macabre. Dans Wozzeck, Berg utilise le col legno legato, qui consiste à frotter les cordes avec la baguette. On en trouve également un exemple à la fin de l’adagio de la symphonie en fa majeur no 67 de Haydn (17751776). COLLET (Henri), compositeur, critique et musicologue français (Paris 1885 - id. 1951). À la suite des deux articles qu’il publia les 16 et 23 janvier 1920, dans Comoedia, sous les titres : Un livre de Rimsky et un livre de Cocteau - les Cinq Russes, les Six Français et Erik Satie, et les Six Français, le nom d’Henri Collet est resté attaché à la formation du groupe des Six. Il faut également retenir les travaux d’Henri Collet sur la musique espagnole qu’il contribua grandement à faire connaître en France. Docteur ès lettres en 1913 avec une thèse sur le Mysticisme musical espagnol au XVIe siècle, il avait déjà publié en 1911 une étude sur les Cantigas d’Alphonse le Sage. Allaient suivre des ouvrages sur Victoria, puis sur Albéniz et Granados. Élève de Pedrell, conseillé par Déodat de Séverac, Henri Collet a composé des oeuvres d’inspiration ibérique qui, peut-être injustement, sont aujourd’hui oubliées.

COLLOT (Serge), altiste français (Paris 1923). Au Conservatoire de Paris il obtient les premiers prix d’alto (1944) et de musique de chambre (1948), et se forme à la composition avec Arthur Honegger. De 1944 à 1957, il est l’altiste du Quatuor Parrenin, puis de 1957 à 1960 du Quatuor de l’O.R.T.F., et enfin du Trio à cordes français. Intéressé par la musique contemporaine, il s’associe jusqu’en 1970 au Domaine musical, où il crée plusieurs partitions, dont la Sequenza pour alto solo de Berio, écrite à son intention. De 1957 à 1986, il est alto solo à l’orchestre de l’Opéra de Paris et en 1990-91, altiste du Quatuor Bernède. De 1969 à 1988, il a enseigné au Conservatoire de Paris. COLÓN (Teatro). Le plus célèbre théâtre d’opéra d’Amérique latine, situé à Buenos Aires. Le premier Theatro Colón (2 500 places) fut inauguré le 25 avril 1857 avec La Traviata. Le bâtiment fut vendu à la Banque nationale en 1887, mais le théâtre actuel (plus de 3 000 places assises, 1 000 places debout) n’ouvrit qu’en 1908 avec Aida : il fut longtemps un des hauts lieux du répertoire italien, avec notamment une « saison Toscanini » (1912), et, dans une moindre mesure, français. Dans les années 1930, l’établissement s’ouvrit davantage aux oeuvres allemandes, tchèques ou russes (en 1931, Klemperer y dirigea le dernier Ring de sa carrière). En 1968, pour le cinquantenaire du nouveau théâtre, de mémorables représentations de la Flûte enchantée, de Fidelio, d’Aida, de Carmen et de Samson et Dalila furent dirigées par Beecham. En 1964 fut créé au Colón Don Rodrigo de Ginastera. COLONNA (Giovanni Paolo), compositeur italien (Bologne 1637 - id. 1695). Fils du facteur d’orgues Antonio Colonna, il eut pour maîtres Carissimi, Abbatini et Benovoli. Organiste de Saint-Apollinaire à Rome, puis, à Bologne, de San Petronio, où il devint maître de chapelle de cette église en 1674, il fut l’un des fondateurs de l’Accademia dei filarmonici, qui devait compter plus tard des noms illustres, dont Mozart lui-même ; il compta parmi ses élèves G. B. Bononcini. Presque toutes ses oeuvres sont de la musique religieuse

(messes, 1684, 1685, 1691 ; psaumes, 1681, 1683, 1694 ; motets, 1681 ; litanies, 1682 ; des oratorios en manuscrit). Par ailleurs, il est l’auteur de quatre opéras, dont Amilcare (Bologne, 1692). COLONNE (Judas Colonna, dit Édouard), violoniste et chef d’orchestre français (Bordeaux 1838 - Paris 1910). Issu d’une famille nombreuse, peu fortunée, il sut s’imposer par sa ténacité. Élève, au Conservatoire de Paris, de Narcisse Girard, Elwart et Ambroise Thomas, il obtint ses prix d’harmonie en 1858 et de violon en 1863. Mais il était déjà premier violon dans l’orchestre Pasdeloup. Il entra alors à l’orchestre de l’Opéra. Participant à une tournée de concerts aux États-Unis, il y eut l’occasion de faire ses débuts de chef d’orchestre. De retour à Paris, il fonda, en 1873, avec le concours de l’éditeur Hartmann, le Concert national, installé au théâtre de l’Odéon et où furent créés, l’année suivante, sous sa direction, les Erinyes et Marie-Magdeleine de Massenet. En 1874, le Concert national devint l’Association artistique et se transporta au Châtelet, où il prit plus tard le nom de Concerts Colonne. Promu chef à l’Opéra (1891), Édouard Colonne y conduisit Lohengrin debout, ce qui était alors une nouveauté dans la direction d’un ouvrage lyrique. Il devait notamment créer au Palais Garnier Samson et Dalila de Saint-Saëns et la Walkyrie de Wagner. Chef aux interprétations chaleureuses, Colonne joua un grand rôle dans la formation musicale de sa génération, grâce à l’intérêt soutenu des programmes qu’il jouait, notamment à la tête de son association. Il travailla à imposer définitivement Berlioz, contribua à la diffusion de l’art de Wagner et Tchaïkovski et fit connaître aux Parisiens Bizet, Gounod, Saint-Saëns, Lalo et, plus tard, Chausson, Debussy et Gustave Charpentier. COLOR (ital. : « couleur »). Ce terme peut avoir deux significations, distinctes, mais mal déterminées. downloadModeText.vue.download 237 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 231

1. À partir du XIIe siècle, color s’applique à tout moyen destiné à rendre la musique plus belle. Il s’agit en général d’orner la ligne mélodique, mais une dissonance peut également remplir ce même rôle, tout comme, à titre de citation, l’emploi de mélodies provenant d’autres oeuvres. De nos jours, la musicologie, au sujet du motet polyphonique des XIVe et XVe siècles, emploie color pour parler de la répétition d’une cellule mélodique (la répétition d’une cellule rythmique étant appelée talea). 2. Procédé de notation qui utilise des teintes différentes pour colorer les notes, ce qui modifie le rythme à la lecture. Dans les manuscrits du XIVe siècle, on trouve des notes rouges à la place des notes noires ; une note colorée prend une valeur moindre. Au cours du siècle, ces notes noires sont à leur tour évidées (avènement du papier) et les nouvelles blanches deviennent les valeurs les plus fréquentes ; une note noire est désormais considérée comme colorée. Les notes colorées peuvent aussi être la marque du cantus firmus. En revanche, au XVIe siècle, le color, utilisé dans les chansons et madrigaux, n’a plus de signification rythmique et se réfère au sens du texte littéraire. COLORATION (lat. colorare, « orner »). Terme d’écriture musicale qui consiste à orner et à embellir une mélodie, afin de la transformer. Ce procédé employé depuis le XIVe siècle fut très utilisé au XVIIe siècle (superius des oeuvres polyphoniques), puis au XVIIe pour les parties supérieures des pièces de luth, de clavecin et d’orgue. COLORATURE. 1. Ornementation virtuose d’une mélodie vocale, soit écrite par le compositeur lui-même, soit laissée à l’improvisation du chanteur. Le terme est synonyme de la diminution, de la fioriture, de la vocalise ou du passage et s’applique parfois aussi à un type d’écriture instrumentale ornée. Le goût pour l’embellissement virtuose d’une ligne mélodique est la composante essentielle du style bel canto italien, qui a dominé la musique vocale des débuts de la monodie accompagnée à l’aube du XVIIe siècle jusqu’aux oeuvres lyriques de

Rossini, Bellini et Donizetti. Le triomphe du chant colorature se situe au XVIIIe siècle dans la forme de l’air à da capo, air pourvu d’une reprise de la première partie, qui devient le véhicule de sortes de prouesses vocales et de virtuosité parfois exagérées et critiquables. L’époque romantique, tout en préservant la technique du bel canto, diminue l’importance du chant colorature qui disparaît peu à peu. On peut le constater dans les opéras de Verdi : Léonora (le Trouvère) est encore un rôle très vocalisant ; en revanche, quatorze années plus tard, celui d’Élisabeth (Don Carlos) est déjà d’une écriture nettement plus épurée. 2. Nom impropre donné au soprano léger, possédant de grandes facilités dans l’aigu et capable d’atteindre des notes exceptionnelles (contre fa ou sol). Par exemple, le rôle particulièrement brillant de la Reine de la Nuit (la Flûte enchantée de Mozart) est confié traditionnellement à un soprano dit « colorature ». COMBARIEU (Jules), musicologue français (Cahors 1859 - Paris 1916). Élève de Philipp Spitta à l’université de Berlin, il poursuivit ses études à la Sorbonne et soutint en 1894 une thèse sur les Rapports de la musique et de la poésie considérées du point de vue de l’expression. Professeur de musicologie au Collège de France de 1904 à 1910, il avait fondé, en 1901, la Revue d’historique et de culture musicale. Esprit scientifique, trop systématique peut-être, mais ouvert à des méthodes de travail qui, à son époque, n’étaient pas - en France du moins - d’usage courant, Jules Combarieu eut le mérite d’élargir le champ de la musicologie en lui associant d’autres disciplines telles la philologie, l’histoire des religions, l’ethnologie, la sociologie. COMBINAISON. À l’orgue, système mécanique, pneumatique ou plus généralement électrique, qui permet d’appeler un jeu ou un groupe de jeux par une simple pression sur une pédale, un piston, un bouton sous un clavier ou un domino, au pied ou à la main. Le but des combinaisons est de favoriser les changements de registration en cours d’exécution, sans distraire l’exécution par des manoeuvres de registres. Ce système, apparu sur les instruments classiques, s’est développé avec les techniques modernes,

et, en particulier, grâce à l’électronique. On distingue les combinaisons fixes et les combinaisons ajustables. Fixes, c’est-àdire prévues par le facteur d’orgues et non modifiables, elles appellent ou renvoient les jeux d’anches, les jeux de fond, le tutti, etc. Ajustables, elles permettent à l’organiste de préparer et d’enregistrer à volonté, pour chaque exécution, les mélanges de jeux de son choix, tels qu’il souhaite les utiliser dans son interprétation. Les grands instruments modernes comptent plusieurs combinaisons ajustables par clavier et pour l’ensemble de l’orgue, en plus de combinaisons fixes. COMÉDIE-BALLET. Genre théâtral composite, créé par Molière et Lully, et dont l’existence fut réduite aux dix années de leur collaboration (16611671), malgré la courte apparition de Charpentier. L’histoire de sa création, en apparence fortuite, lors des fêtes de Vaux (août 1661), en explique la nature et la raison d’être. Molière raconta lui-même que, pour la représentation des Fâcheux, afin de donner aux danseurs le temps de se changer entre les différentes entrées du ballet, on intercala celles-ci entre les scènes de la comédie : procédé de l’intermède, qui n’était pas nouveau. Ce qui l’était, ce fut l’initiative de Molière (semblait-il) de donner à la comédie et au ballet le même sujet, afin « de ne pas rompre le fil ». Les Fâcheux, comédie « à tiroir », présenta ainsi, tour à tour, des « fâcheux dansant » et des « fâcheux parlant ». Lully ne collaborait à cette oeuvre que pour une courte pièce. La comédie-ballet apparut ainsi, dès l’origine, comme la fusion du ballet de cour, genre musical favori en France, et de la comédie proprement dite. En 1664, Molière et Lully donnèrent ensemble le Mariage forcé et, dans les années suivantes, ne créèrent pas moins de dix oeuvres : la Princesse d’Élide (1664), l’Amour médecin (1665), le Médecin malgré lui (1666), Mélicerte (1666), la Pastorale comique (1667), le Sicilien (1667), Georges Dandin (1668), Monsieur de Pourceaugnac (1669), les Amants magnifiques (1670), le Bourgeois gentilhomme (1670). Après la rupture de Molière et de Lully, qui suivit de près la tragédie en musique de Psyché (1671), Molière tenta de poursuivre dans le genre de la comédie-ballet, dont le suc-

cès resta très grand, et fit appel à MarcAntoine Charpentier pour la Comtesse d’Escarbagnas (1671-72), le Malade imaginaire (1673) et les reprises de ses pièces antérieures avec une musique nouvelle (le Sicilien). La mort de Lully interrompit définitivement la destinée de cette fusion des genres. La comédie-ballet fut généralement conçue, elle-même, pour s’intégrer dans un ballet de cour ; ainsi le Sicilien faisait-il à l’origine partie du Ballet des Muses, et le Bourgeois gentilhomme était-il suivi du Ballet des nations. Certaines oeuvres souffrirent de l’alliance artificielle d’une comédie et de divertissements musicaux (Georges Dandin). Mais, dans la plupart des cas, les deux artistes eurent le souci d’intégrer les deux domaines, et Molière accumula les situations où il était « naturel » que musique et danse apparussent : la sérénade à la fenêtre (le Sicilien), la leçon de chant et de danse (le Bourgeois gentilhomme), etc. Dans les meilleurs cas, l’élément musical et chorégraphique servait à faire rebondir l’action (colère de Mme Jourdain lors de la sérénade donnée par son mari). Si certaines comédies-ballets ne se différencièrent guère par leur sujet des thèmes habituels à Molière, elles le conduisirent parfois à glisser vers des sujets plus lyriques et à créer un climat downloadModeText.vue.download 238 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 232 particulier (la Princesse d’Élide), qui rapprochait l’oeuvre de l’opéra. La disparition de Molière sonna le glas d’une forme de théâtre musical au profit de l’opéra, et consacra la séparation du théâtre chanté et du théâtre parlé, que l’opéra-comique tenta, au XVIIIe siècle, de faire fusionner à nouveau. COMÉDIE MÊLÉE D’ARIETTES. Un des ancêtres de l’opéra-comique français. Apparue vers 1715, appelée d’abord « pièce à ariettes », elle insérait dans une comédie parlée des airs sur une musique originale, s’opposant ainsi au vaudeville, qui dotait de nouvelles paroles une musique déjà connue et qu’elle finit par sup-

planter. COMÉDIE MUSICALE. La naissance de la comédie musicale provient sans doute de la rencontre des auteurs de chansons de Tin Pan Alley, aux États-Unis, avec l’opérette européenne. Tin Pan Alley était un quartier légendaire à la situation géographique floue (on le situait vers la 28e Rue à New York en 1900), où des émigrants d’Europe s’efforçaient de vendre leurs chansons au plus offrant des directeurs de revue et de music-hall. Offenbach et l’opéra bouffe français, Gilbert-Sullivan et l’opéra-comique anglais, Strauss et l’opérette viennoise, autant d’attraits pour les auteurscompositeurs ambitieux qui plagiaient Franz Lehar, dont l’opérette, la Veuve joyeuse, séduisait le public américain. En 1866, un producteur, Wheatley, mêla à l’épopée dramatique l’Escroc noir une troupe de ballet désoeuvrée par l’incendie du lieu où elle devait se produire. Un mélodrame, quelques mesures de musique, de la danse, ce fut le succès. En 1890, on monta Voyage à Chinatown, à partir de danses et de mélodies populaires, nouveau succès. Ces précédents incitèrent Jerome Kern, compositeur, et Oscar Hammerstein à créer Show Boat (1927), une opérette construite selon le schéma classique : scène jouée suivie d’une chanson ; mais les situations étaient familières au public : l’oppression des Noirs dans le Sud. Montée à Broadway, Show Boat obtint un triomphe. C’était la porte ouverte aux comédies musicales. Les mélodies signées Rudolf Friml, Sigmund Romberg, Irving Berlin, Cole Porter ou Richard Rodgers accrochèrent l’esprit. Paroliers et auteurs de livrets fournirent, eux aussi, leur part de rêve, dans ces années de crise, en offrant au public une vision souriante du monde. Les frères Gershwin, George (compositeur) et Ira (parolier), montèrent Of Thee I sing en 1931, puis Porgy and Bess (1935), qui se situait aux confins de l’opéra. Hollywood ne pouvait rester indifférent au succès populaire. Transcendée par des sorciers de la chorégraphie comme Busby Berkeley, par les superproductions et les interprètes prestigieux (Fred Astaire, Ginger Rogers, Judy Garland, Mickey Rooney), la comédie envahit les écrans dans le monde. Citons Broadway Melody d’Edmund Goulding (1928, chansons de Nacio Herb

Brown), le Grand Ziegfeld de Robert Z. Leonard (1936, musique d’lrving Berlin et Walter Donaldoon), En avant la musique de Busby Berkeley (1940), Un Américain à Paris de Vincente Minnelli (1951, musique de George Gershwin). À Broadway, les succès continuèrent, le compositeur Leonard Bernstein créa West Side Story (1957), My Fair Lady (musique de Frederick Loewe) fut présentée en 1956. Mais les années 60 virent le déclin du genre, et les réussites publiques de Hair (musique de Galt Mac Dermot) ou de Jesus Christ Superstar (musique de Andrew Lloyd Webber) restent isolées. COMETTANT (Jean-Pierre Oscar), compositeur et critique musical français (Bordeaux 1819 - Montivilliers, SeineMaritime, 1898). Élève de Carafa au Conservatoire de Paris, il composa quelques pièces pour piano et des oeuvres de musique religieuse. Après un séjour aux États-Unis (1852-1855), il revint à Paris, où, en 1871, il fonda un institut musical. Critique musical au Siècle, il fut de ceux qui, lors de la création de Carmen, méconnurent le génie de Bizet, mais il eut un rôle important de vulgarisateur en présentant au grand public, de manière claire et vivante, des informations touchant à la musique, à la musicologie et aux instruments. PRINCIPAUX ÉCRITS : la Propriété intellectuelle (1858) ; Histoire d’un inventeur au XIXe siècle : Adolphe Sax (1860) ; la Musique, les musiciens et les instruments de musique chez les différents peuples du monde (1869) ; les Compositeurs illustres de notre siècle (1883) ; Un nid d’autographes (1886). COMMA. Intervalle très petit, mais très perceptible par une oreille, même non exercée. Dans la différence entre le demi-ton diatonique et le demi-ton chromatique, le second est plus grand d’un comma que le premier. L’intervalle d’un ton entier a la valeur de neuf commas, le demi-ton diatonique est égal à quatre commas et le demi-ton chromatique à cinq commas. On appelle aussi comma pythagoricien la différence, ou l’intervalle, entre le si dièse et le do lorsque le premier est obtenu par

la succession de douze quintes ( ! CYCLE DES QUINTES), et le second par la succession de sept octaves. COMMETTE (Édouard), organiste et compositeur français (Lyon 1883 - id. 1967). Après avoir étudié à Paris, notamment sous la direction de Widor, il retourna dans sa ville natale, où il fit toute sa carrière, y étant titulaire des principales tribunes, et, enfin, de la primatiale SaintJean (1904). C’est sur cet orgue qu’il a été le premier en France à enregistrer au disque des oeuvres de Bach. Il a publié quatre recueils de pièces d’orgue, et composé de la musique religieuse, des mélodies et des oeuvres pour piano. COMMUNION. Chant ou morceau d’orgue accompagnant ou suivant l’acte liturgique de ce nom au cours de la messe. 1. À l’origine, comme pour l’introït, le chant de la communion consistait dans des versets de psaumes encadrés d’une antienne ; cette forme a été conservée dans la messe de requiem. Le psaume a ensuite disparu pour ne laisser en place que l’antienne, chantée par le choeur ou lue par le prêtre après le rangement des vases liturgiques de la communion. 2. Le temps de la communion, variable lorsque celle-ci est distribuée aux fidèles, constituait dans la messe d’orgue, avec l’entrée, l’introït et la sortie, l’un des moments privilégiés laissés à la disposition de l’organiste, d’où, surtout à partir du milieu du XIXe siècle, la prolifération de morceaux d’orgue, généralement de mouvement modéré et de caractère mélodique, destinés à cet emploi et en prenant souvent le nom. Dans la messe avec choeurs, au contraire, le temps de la communion était généralement soit pris sur l’exécution des morceaux placés avant ou après elle, soit meublé par des chants de provenance diverse, de sorte qu’il n’existe dans ce répertoire que peu de morceaux spécifiques de ce nom. Il en est de même dans le culte protestant, où l’on chante des cantiques de communion pris dans le répertoire général, sans qu’ils constituent un genre à part. COMPENIUS, famille d’organiers et or-

ganistes allemands originaires de Hesse, actifs de 1580 à 1670. Des huit Compenius recensés, le plus célèbre est Esaias 1 (1560-1617), dont un précieux petit instrument à tuyaux de bois a été transféré par lui-même au château danois de Frederiksborg, où il est demeuré intact et accordé au tempérament inégal. C’est le seul vestige de l’art d’une dynastie qui domina l’Allemagne du XVIIe siècle, où elle installa de nombreux instruments riches en jeux de détail. Ami de Praetorius, Esaias Compenius fut aussi un théoricien écouté et rédigea un traité de facture d’orgues. downloadModeText.vue.download 239 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 233 COMPÈRE (Louis, dit Loyset), compositeur français ( ? v. 1450 - Saint-Quentin 1518). Formé à la cathédrale de Saint-Quentin, il parfit son éducation musicale au contact de l’Italie en entrant comme chantre au service du duc Sforza de Milan (1474). Il y côtoya Josquin Des Prés, Agricola, Gaspard Van Weerbeke. Il fut chantre ordinaire du roi de France, Charles VIII, en 1486, puis on le trouve à Cambrai en 1498, à Douai en 1500, et enfin à Saint-Quentin où il fut chanoine. Loyset Compère a laissé quelques témoignages de ses compositions religieuses. Ce ne fut pas un hasard s’il cita, dans son motet Omnium bonorum plena, Dufay comme son premier maître, puis Busnois, Tinctoris, Ockeghem, Josquin... Il avait, en effet, été formé dans l’esprit de l’école bourguignonne : ses deux messes (l’Homme armé et Allez regrets sur une chanson de Hayne Van Ghizeghem) et bien des motets s’y rattachent. D’autres pages portent la marque de son séjour en Italie ; ses préoccupations s’apparentent à celles de Weerbeke, mais son discours est souvent morcelé car le compositeur développe peu ses idées. Pour cette raison, peut-être, Compère fut avant tout un compositeur de chansons. Grâce à ces dernières, il compta parmi les musiciens les plus importants des années 1500 et figura en bonne place dans les premiers recueils d’O. Petrucci à Venise. Il reprit

parfois l’écriture à 3 voix de la chanson bourguignonne sur des formes fixes et la chanson de style motet sur des teneurs liturgiques (Male bouche, le corps). Déjà s’y manifeste son goût pour les imitations et la progression des voix par deux (superius et ténor dans Venez regrets et Royne du ciel) ou le canon (Un franc archer). Il y a chez lui une simplicité générale du propos. Ses chansons à 4 voix, équilibre nouveau de l’époque de Josquin, font fréquemment usage d’une technique parlando (Je suis amie du fourrier, l’Autre Jour) ou de la répétition, par exemple, dans Et dont revenez-vous où 10 syllabes sont sur le même degré la. Compère ne dédaigna pas la satire (Nous sommes tous de l’ordre de saint Babouin) ni même la grivoiserie (Une plaisante fillette) et la plupart de ses pages débordent de gaieté, d’humour. COMPLAINTE. Chant populaire strophique de caractère narratif sur un sujet religieux ou légendaire : complainte de la Passion, du Juif errant, etc. Contrairement à l’étymologie, la complainte ne comporte pas obligatoirement de caractère plaintif, et l’on emploie peu le terme au sens de « déploration funèbre » tel que le comprennent les troubadours pour leurs « planhs », hérités des planctus latins de l’époque carolingienne. Il est possible, toutefois, que le terme provienne de ces derniers, les planctus carolingiens ayant souvent un caractère narratif en même temps que de déploration. Les complaintes commencent fréquemment par des formules d’exhortation qui annoncent le sujet en réclamant l’attention des auditeurs : Écoutez tous, grands et petits, La Passion de Jésus-Christ, etc. Au XVIIIe siècle, certains colporteurs facétieux ont introduit dans la complainte des éléments satiriques ou parodiques qui ont peu à peu déconsidéré le genre et ont fini par entraîner sa disparition. COMPRIMARIO (ital. : « celui qui accompagne le premier rôle »). Terme désignant, dans l’opéra, les confidents ou confidentes, dont la présence jus-

tifie les épanchements des héros, et, plus généralement, tout personnage secondaire. CONCENTUS (lat. : « accord »). Terme employé dans la liturgie latine pour désigner les chants dans lesquels l’aspect musical, mélismatique ou non, prime la déclamation, tandis que dans l’accentus, la musique ne sert que de support à la récitation chantée (psalmodie). CONCENTUS MUSICUS DE VIENNE. ! HARNONCOURT (NIKOLAUS). CONCERT (en ital. concerto). 1.Forme musicale. Le mot italien a servi, dès le XVIe siècle, à désigner des pièces instrumentales en forme de dialogue à plusieurs parties (concertare, « rivaliser »), puis, après évolution du genre, celles où un instrument, ou un groupe d’instruments solistes, dialogue avec l’orchestre. Introduit en France au XVIIe siècle, sa transcription concert s’est stabilisée dans l’acception primitive : petit groupe d’instruments dialoguant. La pièce ainsi nommée concert est de forme assez libre, empruntant à la suite, à la sonate. C’est ainsi que l’entendent M. A. Charpentier (Concert à 4 parties de violes), Montéclair (Sérénade ou Concert divisé en 3 suites de pièces, 1697), Couperin (Concerts royaux, 1722 ; les Goûts réunis ou Nouveaux Concerts, 1724 ; Concert sous le titre d’Apothéose (...) de M. de Lully, 1725). Le titre donné par Rameau à ses Pièces de clavecin en concerts (1741) est particulièrement explicite : il manifeste que l’auteur prend consciemment ses distances vis-à-vis de la sonate avec basse continue, en plaçant trois instruments sur un pied d’égalité. Le concert est de la sorte un genre spécifiquement français, et le titre des Concerts à plusieurs instruments, dits « concerts brandebourgeois » (déformé en « concertos brandebourgeois »), dont la dédicace est d’ailleurs en français, rattache ces oeuvres au domaine de la musique de chambre à très petit effectif instrumental dialoguant, beaucoup plus qu’au concerto à l’italienne. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, des compositeurs soucieux de renouer avec la tradition française ont ressuscité le terme de concert avec le programme esthétique qui lui était attaché, afin de manifes-

ter leur refus des formes issues du romantisme allemand : du Concert pour piano, violon et quatuor de Chausson (1891) au Concert champêtre de Poulenc (1928). 2.Mode d’exécution en public. Les concerts sont aussi anciens que la musique elle-même. Toutefois, c’est seulement au XVIIIe siècle qu’ont été organisés les premiers concerts publics dont la musique fût l’unique objet, indépendamment de toute représentation théâtrale ou célébration religieuse, civile ou militaire. À Paris, le Concert spirituel, fondé par Philidor, dura 66 ans, de 1725 à 1791. Il n’eut pas de rival sérieux avant la fondation en 1770 du Concert des amateurs, remplacé en 1780 par le Concert de la Loge olympique, lequel disparut en 1791. Mais ce fut au siècle suivant que les concerts publics connurent un véritable âge d’or. En 1828, Cherubini et Habeneck fondèrent la Société des concerts du Conservatoire, qui allait fonctionner jusqu’à sa réorganisation, en 1967, sous le nom d’Orchestre de Paris. En 1861, 1873 et 1881, naissent successivement trois associations symphoniques qui existent encore : les Concerts populaires de Jules Pasdeloup, le Concert national d’Édouard Colonne et les Nouveaux Concerts de Charles Lamoureux. Chichement subventionnés, composés de musiciens pratiquement bénévoles qui gagnent leur vie ailleurs, Pasdeloup, Colonne et Lamoureux se produisent chaque dimanche à la même heure, entre matinée et soirée, du début de la saison jusqu’à Pâques. (Ces concerts dominicaux constituent aujourd’hui la principale activité des trois formations centenaires, qui ont joué un rôle considérable dans la diffusion des grandes oeuvres.) L’Orchestre de Paris, au contraire, est un établissement officiel qui dispose en permanence de musiciens salariés. Il en va de même pour les deux grandes formations de la radio d’État, l’Orchestre national de France (fondé en 1933 par le jeune ministre des P. T. T. Jean Mistler), et le Nouvel Orchestre philharmonique (ex-Radio-lyrique) -, le tout récent Ensemble instrumental de Paris et les harmonies militaires : Musique de la Garde républicaine (qui a aussi son orchestre symphonique), Musique de l’Air, Musique des Équipages de la Flotte, Musique des Gardiens de la paix. Si l’on ajoute à tous ces ensembles l’Orchestre de l’Ile-de-France créé en 1973, l’Orchestre de l’Opéra qui se produit de plus en plus en

concert, et de nombreuses formations de chambre telles que l’Orchestre Jean-FrandownloadModeText.vue.download 240 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 234 çois-Paillard, l’Orchestre Paul-Kuentz ou « la Grande Écurie et la Chambre du Roy », on conçoit que l’agglomération parisienne ne manque pas de concerts malgré la disparition de l’Orchestre symphonique de Paris et des Concerts Straram entre les deux guerres, ou des Concerts Oubradous depuis. Quant aux ensembles spécialisés dans la musique contemporaine, la perte du Domaine musical a été compensée par l’ensemble Ars nova, la création de l’E. I. C. (Ensemble intercontemporain), de l’ensemble de l’Itinéraire, du Collectif musical international 2e2m, etc. Pourtant, les salles de concert proprement dites sont assez rares. La Salle Herz de la rue du Mail, où furent acclamées tant de célébrités de l’époque romantique, a disparu. Autre salle historique, celle des Menus-Plaisirs, rue du Conservatoire, où fut créée la Symphonie fantastique de Berlioz, ne s’ouvre plus guère au public malgré son excellente acoustique et la parfaite conservation de son décor Directoire. Restent, sans compter les petites salles de moins de 500 places, la Salle Pleyel (2 300 places, mais acoustique inégale), la Salle Gaveau (véritable boîte à musique mais 1 000 places seulement), le grand auditorium (Studio 104) de la Maison de Radio-France (1 000 places environ), et l’immense Palais des Congrès (3 700 places, auxquelles l’Orchestre de Paris a fini par renoncer, en faveur de la Salle Pleyel, faute de pouvoir s’y faire entendre normalement). Les théâtres et les églises (mais pas encore les cirques bien que Pasdeloup eût donné l’exemple en organisant ses premiers concerts au Cirque d’Hiver) bénéficient de cette pénurie. L’Opéra, le Théâtre des Champs-Élysées et le Châtelet sont des salles de concert tout indiquées, pour le cadre comme pour l’acoustique. Le Théâtre de la Ville (1 000 places) se transforme en salle de concert presque chaque soir à 18 h 30, pour des séances d’une heure dont le succès a donné des idées à plus d’un directeur ou impresario parisien. L’Athénée, les Variétés, le SaintGeorges, parmi d’autres, consacrent vo-

lontiers leur jour de relâche à la musique. Enfin, le concert à l’église connaît une vogue extraordinaire, même s’il ne s’agit pas de musique sacrée, conçue en fonction de l’acoustique très particulière de la plupart des édifices du culte. Saint-Eustache, Saint-Roch, Saint-Gervais, SaintÉtienne-du-Mont, le temple protestant des Billettes, Saint-Séverin, voire NotreDame et la Madeleine, où chaque note est multipliée par quatre, sont les plus fréquentés sous ce rapport. En ces dernières années, le concert a également annexé plusieurs lieux historiques restaurés, tels que la Conciergerie et quelques hôtels du Marais. En province, la politique de Marcel Landowski a permis de fonder sur des bases solides d’excellents orchestres régionaux : Bordeaux-Aquitaine, Lyon, pays de la Loire, Philharmonique de Strasbourg, Toulouse, Lille, etc. Mais, là encore, les orchestres manquent de salles. Si l’Orchestre de Lyon dispose du vaste et très moderne auditorium Maurice-Ravel (2 000 places), celui de Bordeaux joue surtout au Palais des Sports car ni le Grand-Théâtre ni la Salle Jacques-Thibaud, toute neuve, ne peuvent accueillir des milliers d’auditeurs. À l’étranger, nombre de pays possèdent des orchestres illustres par l’ancienneté et la qualité. Bornons-nous ici à citer quelques salles où ils se produisent. Londres est sans doute la capitale la mieux pourvue en salles de très grande capacité avec le Royal Albert Hall, achevé en 1871 (plus de 6 000 places) et le Royal Festival Hall (3 000 places) ; à Amsterdam, le célèbre Concertgebouw possède sa propre salle (2 200 places), tout comme la Philharmonie de Berlin a la sienne, un chef-d’oeuvre d’architecture fonctionnelle (2 400 places) ; Bruxelles a le Palais des Beaux-Arts (2 000 places) ; Anvers, la Salle Reine Élisabeth (2 000 places). La Tonhalle de Zurich compte également 2 000 places, 300 de plus que la Musikvereinsaal de Vienne, mais la Liederhalle de Stuttgart en réunit 3 200, et le Kulturpalast de Dresde 2 400. Les États-Unis justifient-ils dans ce domaine leur réputation de terre d’élection du gigantisme ? Le Philharmonic Hall de New York offre bien 2 800 places, et le Symphony Hall de Boston 2 600, mais le fameux Carnegie Hall, qui date de 1891, 2 000 seulement.

CONCERTATO. Mot italien généralement accolé au mot stile (en fr. style concertant) et employé à la fin du XVIe siècle pour désigner le style alors nouveau dans lequel voix et instruments alternaient par groupes au lieu de se mêler de façon uniforme tout au long de la pièce. Par extension, le terme fut employé jusqu’au XVIIIe siècle pour désigner le style d’alternance entre divers groupes d’instruments tel qu’il apparut notamment dans le concerto et le concerto grosso. Dans l’opéra italien ancien, on l’utilise quand tous les personnages chantent ensemble. CONCERTGEBOUW. Mot néerlandais signifiant « bâtiment de concert », l’édifice portant ce nom étant situé à Amsterdam. La grande salle du Concertgebouw a été inaugurée le 3 novembre 1888 ; depuis cette date, l’Orchestre du Concertgebouw (devenu en 1988 Orchestre royal du Concertgebouw) n’a eu que cinq directeurs : Willem Kes (jusqu’en 1895), Willem Mengelberg (1895-1945), Eduard Van Beinum (1945-1959), Bernard Haitink (1961-1988) et Riccardo Chailly (depuis 1988). Parmi les chefs associés et premiers chefs, on relève les noms de Pierre Monteux (1925-1934), Eugen Jochum (19611964) et Kirill Kondrachine (1979-1981). Depuis Mengelberg, l’orchestre possède une très forte tradition mahlérienne, entretenue surtout par Haitink. CONCERTINA. Sorte d’accordéon dont l’invention par le physicien anglais sir Charles Wheatstone (1829) semble avoir précédé de peu celle de l’accordéon proprement dit. Il s’en distingue par sa forme hexagonale, ses dimensions qui sont restées petites, l’extension beaucoup plus grande de son soufflet, le petit nombre de ses touches grâce au système diatonique (une note en tirant, une autre en poussant), et surtout sa pure sonorité. Hors de son pays d’origine, où des ensembles de concertinas, généralement féminins, participent encore à certains offices religieux, cet instrument fait toujours partie de l’attirail des « clowns musicaux » dans le monde entier.

CONCERTINO. Diminutif de concerto, soit au sens propre « petit concert ». Ce terme désigne, au XVIIIe siècle, un petit groupe d’instruments solistes chargé de dialoguer avec le ripieno (« plein ») ou orchestre proprement dit dans le concerto grosso. L’ensemble concertino + ripieno formait le tutti ou « grand concert » (concerto grosso), qui a laissé son nom au genre. Le concerto de soliste, appelé aujourd’hui concerto tout court, ne fut d’abord qu’une variante du concerto grosso, celle où le concertino était représenté par un seul instrumentiste, puis il supplanta complètement le concerto grosso au XIXe siècle. Dans le peu qui en subsista (Beethoven, Brahms), on cessa de parler de concertino et la partie correspondante fut considérée au contraire comme une amplification du soliste (doubles ou triples concertos), consacrant ainsi le transfert du rôle principal du groupe au soliste dans l’esprit individualiste du romantisme. Au XXe siècle, le terme concertino est parfois employé comme simple diminutif, désignant soit un concerto, soit un concert c’est-à-dire un morceau d’orchestre, de dimension plus réduite et d’effectif moins important que le concerto ou le concert normal. CONCERTO. Genre musical faisant dialoguer un soliste instrumental (plus rarement 2 ou 3) avec une formation instrumentale ou un orchestre, et les confrontant de manière à mettre en valeur l’expression et la virtuosité du ou des solistes, avec des épisodes en solo où ceux-ci font briller leurs ressources downloadModeText.vue.download 241 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 235 (notamment dans des « cadences » de style improvisé). La plupart des grands concertos du répertoire, depuis le XVIIIe siècle, sont pour piano et orchestre, et, secondairement, pour violon et orchestre, mais on en

trouve aussi pour violoncelle, flûte, hautbois, basson, cor, alto, contrebasse, harpe, claviers divers (clavecin, positif d’orgue), bref, pour tous les instruments, y compris la percussion (Milhaud), l’harmonica (Wiener), l’accordéon, le saxophone, le trombone, le tuba, etc. Il existe aussi des « doubles concertos » (par exemple, pour violon et violoncelle, de Brahms), dits parfois « symphonies concertantes » (comme celle de Mozart, pour violon et alto) et des « triples concertos » (de Beethoven, pour piano, violon et violoncelle). Le concerto grosso, genre propre à l’époque baroque, faisait dialoguer avec le tutti instrumental, non un ou des solistes indépendants, mais un petit ensemble de solistes, ou « concertino », pris dans cet orchestre. Genre plus ancien que la symphonie, au sens moderne, le concerto a beaucoup évolué dans sa forme, et c’est au XVIIIe siècle qu’il a trouvé sa coupe « classique » en 3 mouvements (vif-lentvif, plan de l’ouverture à l’italienne) et la forme propre à chaque mouvement : forme sonate bithématique pour l’allegro initial, forme lied ternaire A B A, ou à variations pour le mouvement lent central ; et forme rondo (parfois rondo-sonate) ou « thème et variations », pour le dernier mouvement rapide. UNE BRÈVE HISTOIRE. Le nom de concerto s’est appliqué successivement à plusieurs genres. Primitivement, un « concerto » (du lat. concertare, « se concerter », « converser », et non pas seulement « lutter », « rivaliser ») est une pièce où des voix ou des instruments dialoguent et se confrontent ; bref une musique pour ensemble, puisque toute oeuvre à plusieurs voix les fait se répondre, se combiner, converser. Le compositeur italien Gastoldi publie en 1581 des concerti musicali pour formation instrumentale ad libitum. À la fin du XVIe siècle, le concerto da chiesa (« concerto d’église ») est une pièce pour voix accompagnée, sur un texte religieux, pouvant utiliser le double choeur (Concerti a 6/16 voci, 1587, des frères Gabrieli, Concerti ecclesiastici, de Banchieri, 1595, et Viadana, 1602, 1607). Bach luimême appelle parfois ses cantates des concertos.

Le concerto da camera (« concerto de chambre ») est l’équivalent profane du concerto d’église, dans un style plus léger. Alors que le concerto da chiesa est d’une écriture grave et souvent fuguée, le concerto da camera est souvent comme un madrigal accompagné d’instruments. Au XVIIe siècle, les expressions sinfonia, canzone, concerto sont souvent équivalentes. C’est dans ce genre de pièce instrumentale que se serait développé, vers 1750, le principe d’une différenciation entre un petit effectif de solistes, le concertino, ou coro favorito, et le grand effectif, pleno choro, appelé aussi ripieno, concerto grosso ou tutti. Ainsi serait né le genre nommé, par extension, concerto grosso, pour grand ensemble et petit ensemble sorti de son sein, genre que l’on tend souvent à considérer comme une forme archaïque, encore peu différenciée, du concerto de soliste moderne : mais cette manière de comprendre les formes du passé par référence avec celles du présent, dont elles seraient l’esquisse grossière, mérite d’être reconsidérée. Le concerto grosso a été inauguré sans doute par Stradella (Concertos de 1680), et continué par Corelli (12 Concertos grossos op. 6, 1714, dont le fameux Concerto pour la nuit de Noël), Georg Muffat (6 Concertos grossos, 1701) et Giuseppe Torelli (12 Concertos da camera, 1686, oeuvres qui utilisent déjà la forme vif-lent-vif de l’ouverture italienne, alors que les autres peuvent en comporter 4 ou 5), et Pietro Locatelli (12 Concertos grossos, 1721). Les 6 Concerts brandebourgeois de Bach (1721) sont des concertos grossos. Déjà, en 1677, Bononcini propose un concerto grosso où le concertino est réduit à un violon solo, donc un concerto de soliste moderne. Les premiers concertos grossos sont pour deux ensembles de cordes (ripieno et concertino), la section de solistes étant issue du tutti comme par « mitose » cellulaire, et, de la même façon, on tend à voir dans la mise en vedette d’un soliste, au sein du concertino, la deuxième étape d’une évolution biologique. L’étude de la genèse du concerto donne souvent lieu à ces interprétations « finalistes », qui présentent le concerto de soliste comme la forme achevée d’un processus de différenciation, à partir d’un chaos instrumental

primitif. Il faut alors rappeler que le modèle du concerto de soliste était présent à l’état latent dans toute la musique vocale de monodie accompagnée (également dans la littérature d’orgue), et qu’il n’avait besoin que d’être transposé au domaine purement instrumental. On reparlera plus loin de ces origines vocales du concerto de solistes. Au reste, la généalogie du concerto, éminemment « impure », faite de croisements, est de celles qui peuvent embarrasser le musicologue, s’il y cherche une progression linéaire. On constate donc un certain parallélisme dans la mise en vedette des chanteurs solistes (castrats et prime donne) et celle des solistes instrumentaux, avec le perfectionnement de la lutherie et de la technique d’exécution, au sein notamment de l’école italienne. Les oeuvres de Tomaso Albinoni (36 concertos de violon à 5, concertos pour trompette, flûte, hautbois, etc.) et surtout d’Antonio Vivaldi (plus de 200 concertos pour violon, dont les Quatre Saisons, et un grand nombre d’autres - 300 environ - pour tous les autres instruments imaginables, sauf précisément le clavecin : 27 pour violoncelle, 20 pour hautbois, 39 pour basson, 15 pour flûte traversière, etc.) fixent la forme du concerto baroque en 3 mouvements viflent-vif, avec un certain type de dialogue entre le soliste et le tutti. Comme la plupart des oeuvres de l’époque, ces concertos sont publiés par séries, par livraisons, et ne prétendent pas être chacun une oeuvre unique. Le canevas est presque toujours le même : un allegro à un thème, où le tutti répète une sorte de ritournelle, entre laquelle le soliste place ses interventions consistant souvent en traits de virtuosité sans identité thématique ; un mouvement lent et chantant directement inspiré de l’aria vocale ; un allegro à ritournelle d’une forme assez semblable à celle du premier mouvement. L’alternance entre solo et tutti est très serrée, surtout chez Vivaldi, mais pas aussi codifiée que dans le concerto classique. En France, Michel Mascitti, Joseph Bodin de Boismortier (6 concertos pour flûte traversière), J. Aubert (6 concertos, 1734) et surtout Jean-Marie Leclair l’Aîné (6 concertos op. 7, 1737, 6 concertos op. 10, 1743) développent le genre, comme Telemann en Allemagne (plus de 100

concertos pour violon, viole, alto, flûte, hautbois, trompette, cor, etc.). Leclair aurait introduit dans l’allegro initial le principe du bithématisme (forme sonate à deux thèmes), qui devait donner naissance au moule du premier mouvement de concerto classique, mis au point et consolidé par Carl Philipp Emanuel Bach, Haydn et Mozart. Fait important : même si un Vivaldi, comme par jeu, se plaît à éprouver sur tous les instruments de son époque, de la mandoline à la viole d’amour, l’efficacité de la formule du concerto soliste, qu’il a su plus que tout autre rendre parlante, les deux cinquièmes de ses concertos publiés sont pour violon, c’est-à-dire pour un instrument issu de l’orchestre et qui peut à tout moment revenir s’y fondre. En effet, la formation instrumentale utilisée pour la majorité des concertos emploie les seules cordes, plus un clavecin (ou un positif d’orgue) pour le continuo. Tout instrument autre que le violon, l’alto ou le violoncelle, incorporé dans le concerto, est donc ipso facto en position de soliste - ce qui n’est plus le cas dans les premiers concertos pour violon de Mozart, dont l’orchestre comprend également les hautbois et les cors. Les flûtes, les tromdownloadModeText.vue.download 242 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 236 pettes et les timbales s’introduisent également dans l’orchestre du concerto à cette époque. C’est au milieu du XVIIIe siècle que le violon passe la main au clavier, et surtout au piano-forte, comme soliste de prédilection pour le concerto, tandis que l’orchestre d’accompagnement se fait plus important. Un des responsables de cette évolution a été Jean-Sébastien Bach, avec ses concertos pour un, deux, trois ou quatre claviers (écrits entre 1729 et 1736), qui seraient les premiers du genre, et qui sont pour la plupart des transcriptions de concertos pour violon de Vivaldi ou de lui-même. On pourrait penser que Bach, passant d’un instrument à l’autre, rénoverait complètement la formule : au contraire, admiratif du modèle italien (qu’il reprend aussi dans son Concerto italien, pour clavier, où l’instrument soliste fait les tutti et les solos à lui tout seul), il respecte ce moule, et s’il adapte, bien sûr,

les traits violonistiques, il ne fait rien pour déguiser que le clavecin est ici un substitut du violon. Par ailleurs, le clavecin chez lui continue fidèlement de la main gauche sa fonction de continuo, tout en brillant à la main droite. Cela explique que le clavier des concertos de Bach, à part des moments de virtuosité localisés (cadence du 5e Concert brandebourgeois), est comme soudé à l’orchestre par sa main gauche, et, s’associant humblement aux tutti, n’a pas le statut de personnage autonome, maître d’oeuvre, dramaturge, micro-orchestre, etc., qui est celui du piano dans les concertos de Mozart. Quant aux concertos pour orgue de Haendel, écrits pour servir d’introductions ou d’entractes à ses oratorios, ils mêlent dans un éclectisme très mondain les formes et les styles favoris à l’époque (styles français, italien, formes de suite, de passacaille) et ne cherchent pas à promouvoir un genre spécifique. Au reste, ce sont souvent des adaptations et des transcriptions de sonates ou d’autres oeuvres. On peut imaginer que c’est l’expérience des concertos pour clavier joués en famille qui a incité les fils de Jean-Sébastien Bach (Wilhelm Friedemann, 7 concertos pour clavier, Carl Philipp Emanuel, environ 50, Jean-Chrétien, 18) à en développer le genre - mais on peut dire aussi qu’il s’agit d’une évolution générale, liée à l’apparition du piano-forte comme instrument expressif, et à ses progrès en nuances, en étendue, en puissance. Le XVIIIe siècle est l’âge d’or de l’innovation dans la lutherie des instruments à clavier, avec Cristofori, Silbermann, Stein. Désormais, le pianoforte peut se faire entendre par-dessus une masse instrumentale, et, avec l’allégement du continuo qu’il assure encore chez Mozart, il acquiert son autonomie, peut rentrer et sortir plus facilement. En même temps, c’est l’avènement des virtuoses du piano-forte qui dirigent l’orchestre depuis leur instrument et supplantent de plus en plus le violon à cette place d’honneur, comme chefs et meneurs de jeu. On attribue aussi à Wilhelm Friedemann et Carl Philipp Emanuel Bach le mérite d’avoir enrichi la forme du premier mouvement de concerto par l’apport d’un second thème, et l’adaptation du moule de la forme sonate (exposition réitérée à deux thèmes, la première fois à l’orchestre seul, la seconde

fois avec le soliste ; puis développement et réexposition). Ce n’est pas la dernière fois que le concerto, genre qui tend au frivole et au mondain, va faire l’objet d’aménagements visant à le rendre plus sérieux, plus consistant, plus complexe : au reste, ces efforts porteront surtout, au niveau de la forme, sur le premier mouvement, les deux autres conservant souvent leur simplicité originelle de structure - notamment le troisième, qui garde obstinément, même chez les romantiques et les modernes, sa naïveté de forme (rondo à refrain, la forme la plus populaire) et son enjouement brillant et superficiel. La transposition dans le concerto de la forme sonate (étudiée plus loin) permet au premier mouvement de concerto de prendre plus d’ampleur, en lui offrant une armature plus complexe et développée, que dans le concerto baroque, monothématique. Mais en même temps que la forme du concerto pour clavier se raffine, on en écrit moins, et ces concertos deviennent de plus en plus des oeuvres particulières et uniques : Carl Philipp Emanuel Bach en fit 50, Mozart, 27 (dont quelques transcriptions), Beethoven 5, Chopin 2, Schumann 1. Mozart adopte le cadre bithématique et ne le remet pas en question, mais le porte à son maximum d’expression, de profondeur et de pathétique, en particulier dans les concertos K. 466, K. 488 ; K. 491, K. 595. Après lui, le concerto (contrairement à la symphonie, qui ne se réalise pleinement qu’avec Beethoven) pourra augmenter en nombre de mouvements, en richesse d’orchestration, en complexité et en variété de formes, il grandira moins qu’il ne « grossira », dans une espèce d’amplification ornementale qui n’est pas un approfondissement. À cette époque, le concerto de clavier est un genre très prisé du public de concert, on guette l’interprète à la cadence, où il doit montrer ce qu’il sait faire, on apprécie les traits de virtuosité, les gammes, les roulades, comme on fait à l’opéra pour la prima donna - contexte mondain que Mozart saura transcender sans omettre d’en jouer le jeu. Cette seconde moitié du XVIIIe siècle est certainement la plus féconde en concertos de clavier, avec les fils de Bach, la famille Stamitz, Abel, Ditters von Dittersdorf, Joseph Haydn, en attendant les pianistes virtuoses du début du XIXe siècle, les Steibelt, Cramer, Hummel, Field, Ries, Spohr, Kalkbrenner,

Mosscheles, Thalberg, qui eux-mêmes en produiront un certain nombre, d’où, peut-être, entre 1835 et 1840, une certaine usure du genre dont Schumann se fit l’écho en 1839. Le concerto pour violon n’est pas complètement abandonné (nous en avons 5 de Mozart, 3 de Joseph Haydn), non plus que celui pour flûte, hautbois, violoncelle, etc., mais ces oeuvres, plus légères en général, ne suscitent pas le même engouement. Par la suite, chez les grands romantiques, à l’initiative de Beethoven (qui après 2 concertos de piano faciles et pleins de verve, prit au sérieux, voire au tragique, le genre, dans les 3 derniers), le concerto tend à devenir un genre rare, qu’on n’aborde pas sans vouloir le réinventer, lui donner une « profondeur » (plus ou moins empruntée au modèle de la symphonie), qu’il n’est pas censé avoir d’emblée : les rares concertos de piano (Schumann en a composé 1 ; Brahms, 2 ; Liszt, 2) et ceux pour violon (Mendelssohn, 1 ; Brahms, 1) ne sont plus les jalons insouciants d’une série, exploitant la même formule, mais des oeuvres ambitieuses, tendues, à la gestation parfois difficile (chez Schumann et Brahms notamment, dont les concertos passèrent par divers stades avant de prendre leur forme définitive). Néanmoins, ces oeuvres n’en respectent pas moins le « cahier des charges » du concerto selon l’attente du public : virtuosité, acrobaties et, dans le dernier mouvement, enjouement bondissant. Cependant, si seuls les grands concertos romantiques chargés d’intentions ont survécu, il est certain que le concerto de série, divertissement sans prétention, dont les témoignages sont aujourd’hui presque tous oubliés, tenait toujours une grande place, à l’époque, pour faire briller la virtuosité des vedettes du clavier. Les concertos de Weber peuvent être considérés comme des échantillons représentatifs de ce mélange de bravoure cavalière et de sentimentalité qui servit de recette à tant de concertos du XIXe siècle formule où seul peut-être un Chopin a su être pleinement lui-même, comme Mozart, sans la remettre en cause. Le concerto moderne de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, propulsé par de nouveaux progrès dans la facture instrumentale et dans la technique pianistique, semble renoncer à réinventer complètement le genre. Même s’il modifie le nombre des mouvements et la structure thématique, il semble prendre

son parti de la vocation brillante et mondaine du concerto, ce qui ne l’empêche pas d’atteindre parfois au pathétique : les concertos pour divers instruments de Saint-Saëns, Dvořák, Tchaïkovski, Grieg, Rachmaninov ruissellent d’une virtuosité sans complexes. D’autres compositeurs, en revanche, à l’exemple d’un Schubert downloadModeText.vue.download 243 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 237 au début du XIXe siècle, ne se commettent pas avec le genre, pour des raisons très diverses : c’est le cas de Berlioz (malgré son Harold en Italie, pour alto et orchestre, concerto avorté), Moussorgski, Wagner, Bruckner, Mahler, Hugo Wolf, Debussy, Fauré, Dukas, d’Indy (malgré sa Symphonie cévenole, piano et orchestre), Franck (dont les Variations symphoniques n’en sont pas un non plus), etc. L’esprit de sérieux, chez les uns, la vocation au « vrai », chez les autres, ou le sens d’un certain message ont pu les détourner des conventions du genre, incontournables. Mais après le romantisme, peut-être par réaction contre les épanchements métaphysiques, une nouvelle vague de concertos arrive, des concertos très aérodynamiques, percussifs, ivres de vitesse et de couleurs sonores, motoristiques, avec Ravel, Prokofiev, Stravinski, Chostakovitch, Bartók, dont les 3 concertos sont très beethovéniens, Gerschwin, Copland, etc., auteurs qui viennent souvent soit d’outre-Atlantique, soit des pays de l’Est, et non de la vieille Europe. Les concertos de chambre (Kammerkonzerte) de Hindemith, comme certains concertos de Stravinski, tentent de retourner aux sources du concerto grosso et du concerto baroque, dans un souci de néoclassicisme et de « nouvelle objectivité » (Neue Sachlichkeit). En France, avec l’esthétique d’agrément et le retour des compositeurs à des formes plus ramassées, ceux-ci inondent le public de petits concertos, parfois un peu « miniatures », avec Milhaud, Poulenc (qui louche vers Mozart), Ibert, Françaix, et même chez Jolivet, pourtant assez distant de cette esthétique. Mais après cette vague de néoconcertos, le concerto contemporain est de plus en plus une somme de cas particuliers : quoi de commun entre ceux de Ligeti, Zimmermann, Maderna, qu’une commune référence à un genre daté et fixé

« tel qu’en lui-même » dans ses 3 formes canoniques : concerto baroque à la Vivaldi ou à la Bach ; concerto mozartien, concerto romantique. Par ailleurs, beaucoup d’oeuvres se réfèrent au concerto dans leur formule en évitant d’en revendiquer le titre ; le cas de ces « cryptoconcertos » de Xenakis, Boulez, Dutilleux sera examiné plus loin. L’ESPRIT DU CONCERTO. On fait souvent dériver « concerto » du verbe latin concertare qui signifie « se quereller », « se battre », mais aussi « débattre ». Et l’on s’autorise de cette référence étymologique pour parler du concerto comme d’un « affrontement » entre un soliste et un orchestre, comme entre deux parties belligérantes. Mais si l’on cherche comment, dans le détail, se traduit cette situation de guerre, on est bien embarrassé pour en trouver des exemples : il apparaît, plutôt, que soliste et orchestre se font beaucoup de politesses, s’assistent mutuellement, se renvoient la balle, se servent d’écrin ou de faire-valoir. Bref, on ne trouve pas beaucoup de marques d’hostilité dans leurs rapports (se couvrir, énoncer simultanément deux idées concurrentes, se contredire, se couper la parole, etc.), et, cependant, il est vrai qu’une odeur de poudre et de bataille flotte souvent au-dessus des concertos, dans les premiers mouvements notamment, souvent martiaux, avec des rythmes pointés et des allures de marche (l’Empereur de Beethoven, le Concerto pour violon en ré majeur de Mozart, celui pour piano en fa mineur de Chopin). Alors ? S’il y a bien une atmosphère martiale dans beaucoup d’ouvertures de concertos, c’est plus au niveau de la parade que du combat entre ennemis : comme dans une « revue des troupes », où chaque partenaire montre à l’autre comment il remplit bien son rôle, le soliste empanaché comme un général, et l’orchestre au complet bien rangé et astiqué, présentant les armes en bon ordre. À côté de cette inévitable référence à la guerre, il est aussi important de rappeler les origines vocales du concerto. Un parallèle serait instructif entre l’histoire de la musique vocale en Occident et celle du concerto. La voix accompagnée est la situation concertante primitive : tout ce qui définit le concerto (mise en vedette d’un personnage ; jeu de répliques, d’échos,

d’imitations, d’alternances avec l’ensemble ; latitude d’improvisation et d’ornementation laissée au soliste), tout cela se trouve déjà présent dans la musique vocale. De plus, les mouvements lents de concertos sont souvents, bien plus nettement que dans les symphonies, sonates ou quatuors, de grandes cantilènes qui se réfèrent au modèle vocal, au phrasé vocal, voire au souffle humain, même quand il s’agit du piano ou du violon. Il apparaît évident que le soliste instrumental personnifie le chanteur, plus qu’il n’en imite la fonction. L’essence du concerto est bien celle d’un genre dramatique. Sous l’angle musical, on peut inventorier les formes d’association entre le soliste et l’ensemble ; elles ne sont pas en nombre infini : - l’homophonie, quand le soliste énonce un thème bien ensemble avec l’orchestre mobilisé au complet. Cette situation, très courante dans les nombreux tutti du concerto baroque, devient assez rare dans le concerto classique et romantique ; - la doublure, quand il s’agit d’une partie du soliste qui double une partie de l’orchestre et réciproquement, et si cette partie n’est pas la mélodie du tutti. Dans les concertos de Bach pour clavecin, la main gauche double le continuo. Mais dans d’autres cas, il arrive rarement au soliste de doubler un instrument ou un pupitre de l’orchestre en s’effaçant derrière lui : c’est le contraire qui se produit souvent, quand un instrument à vent (flûte, hautbois, clarinette) intervient pour doubler temporairement la main droite du piano (Concerto en « la » mineur pour piano de Schumann). Courante dans le concerto romantique, cette situation n’est pas fréquente chez Mozart ; - l’alternance ; c’est la situation la plus évidente. Souvent l’orchestre et le soliste n’alternent pas sans se passer la parole à l’aide de diverses formules de transition, de cadences, de silences, d’anacrouses, de repos à la dominante, ou bien en se « raccordant » par un accord émis ensemble. Ce vocabulaire de transitions, souvent redondant du seul point de vue musical, joue un grand rôle dans la structure dramatique du concerto ; - les répliques ; quand cette alternance

est serrée, on a affaire à des jeux de répliques entre les partenaires soit en imitation, soit en se partageant les deux termes d’une formule mélodique sur le modèle question/réponse ou affirmation/réplique. Ces répliques sont souvent traitées en marches harmoniques qui conduisent à une sorte d’explosion ou de tutti après un va-et-vient serré. Ce sont elles qui pourraient justifier l’idée du concerto comme « affrontement », puisqu’elles miment le plus évidemment la situation d’une discussion. Pourtant, elles ne tiennent pas dans le concerto une place très importante en proportion du reste. Cette fameuse situation de dialogue, de concertation qui définit le concerto se manifeste plus souvent par une espèce de passation, de transfert permanent et réciproque d’un rôle, d’un pouvoir, d’une continuité ; - le soutien ; c’est le cas bien connu où l’orchestre s’allège, se fait discret pour soutenir le soliste, harmoniquement, par des accords tenus ou énoncés en notes répétées, et rythmiquement, par des ostinatos. L’orchestre crée alors un fond sur lequel se détache la voix individuelle. La situation inverse (le soliste soutenant l’orchestre) se rencontre surtout dans les débuts du concerto, dans la fonction de continuo conservée par le soliste. Peu à peu, ce rôle s’efface, et, quand le soliste s’ajoute en voix secondaire par-dessus l’orchestre, c’est plutôt pour l’ornementer ; - l’ornementation ; quand l’orchestre fait valoir sa masse, son volume, son impact rythmique, sa densité harmonique, le soliste peut, en regard, jouer de son agilité, de son mordant, qu’il doit à son indépendance et à son unicité. Il se sert alors souvent de ses ressources de virtuosité pour ornementer une reprise ou une transition d’orchestre d’arpèges, de gammes, de trilles, de batteries, de tenues dans l’aigu (pour le violon) - ajouts qui sont redondants par rapport à l’information rythmique, harmonique, mélodique donnée downloadModeText.vue.download 244 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 238 par l’orchestre seul, mais qui jouent un rôle ornemental important ;

- la ponctuation ; cette ornementation peut avoir en même temps un rôle de ponctuation dans le continuum musical. On sait l’importance de la ponctuation dans l’écrit, et même dans la parole, et comment son déplacement ou son altération peuvent bouleverser le sens, modifier le style. C’est la même chose pour la musique : les accords légers en pizzicati qui ponctuent la phrase du soliste, les sonneries claironnantes qui l’introduisent ou la concluent n’ont pas pour seul rôle de « cimenter » ou de réaffirmer la continuité musicale, ni de rappeler la présence de l’orchestre quand il est au second plan. Elles servent aussi à découper, à souligner des phrases, des unités musicales, et contribuent à en organiser et à en hiérarchiser la durée, en détachant tel accord, telle cadence par rapport à telle autre qui n’est pas ponctuée ni soulignée. Cette liste de situations respectives du soliste et de l’orchestre n’est pas exhaustive : ce qui en ressort, cependant, c’est que, dans le concerto, les partenaires s’opposent et rivalisent moins entre eux qu’ils ne se répartissent et ne se transmettent des rôles, selon certains rites. Leur opposition n’est-elle pas déjà suffisamment signifiée par leur différence d’identité, de timbre, de place ? Mais que se passe-t-il quand un instrument de l’orchestre se détache de l’ensemble et vient dialoguer en solo avec le soliste officiel (par ex., la clarinette à la mesure 67 du premier mouvement du Concerto de piano de Schumann) ? A-t-on subitement un fragment de sonate piano/ clarinette ? Non, puisque la clarinette est perçue, même en soliste, comme membre, délégué de l’orchestre, en second plan par rapport au soliste, ne serait-ce qu’acoustiquement (éloignement « géographique » du solo d’orchestre par rapport à l’instrument soliste, que respectent les mixages des disques de concertos). L’orchestre en tant qu’entité dialoguant avec le soliste, à travers « sa » clarinette ou « ses » premiers violons, est un concept, une abstraction : qu’il reste « présent » aussi bien dans les tutti que dans les solos de hautbois ou les tenues de cordes relève d’une convention d’écoute, d’un schéma mental tout à fait irréductible à des critères musicaux précis. Cette convention régit, pour nous Occidentaux acculturés au concerto, la perception que nous en avons. Il resterait à savoir si une personne, non acculturée à cette

perception de l’orchestre comme entité présente en chacun de ses membres isolés, la retrouverait par la seule logique proprement musicale des rythmes, des harmonies, des mélodies. Sans cette convention, en effet, toute intervention d’un pupitre ou d’un soliste isolé par rapport au soliste principal deviendrait alors une sorte de cas particulier. Dans la symphonie classique, l’orchestre est également posé comme un « tout », une somme irréductible à l’addition de ses parties, et il leur est transcendant. Mais nous pouvons « entrer » dans cet orchestre, comme dans un « tout » ouvert et mouvant, et analyser par l’écoute telle ou telle partie sans perdre le sentiment du tout. La situation du concerto a pour effet de faire (psychologiquement) « serrer les rangs » à l’orchestre, devant le soliste. L’orchestre se posant en orchestre face au soliste (et non seulement face à l’auditeur), et vice versa, on a une situation en miroir, en imitation, de type « imaginaire » au sens lacanien. Si rivalité il y a, elle est, à ce niveau-là, dans une identification réciproque. L’écoute (aussi bien la conception par le compositeur, ou l’exécution par les interprètes, ou la prise de son par l’ingénieur) dans un concerto ne peut être trop analytique, par rapport à l’orchestre, sans risquer d’en briser la cohésion et de renvoyer chaque instrument, chaque pupitre à son particularisme, le posant en « rival » isolé par rapport au soliste, et du même coup par rapport au reste de l’orchestre. C’est ce qui se produit, parfois délibérément, dans certains concertos modernes, à l’orchestration émiettée, qui remettent en cause la hiérarchie classique. Il est certain que ce rapport en miroir du groupe et du soliste dans le concerto, la façon dont chacun tient plus ou moins son identité de l’autre, n’est pas sans évoquer des modèles sociaux, et l’on pourrait s’amuser à raconter les vicissitudes du concerto en termes sociologiques : comment, sorti du rang (cas du violoniste), ou au contraire d’une caste à part (cas du pianiste), un individu se pose à la fois en guide, en délégué, en miroir pour la collectivité, lui donne la parole et la prend d’elle. L’orchestration classique cherche à créer un corps orchestral homogène et fondu, qui prend dans chaque pupitre ce qu’il peut donner au service de la collectivité, mais sans le laisser accaparer l’atten-

tion. Cette unité précaire, cette complémentarité, cette harmonie s’appuie sur le renoncement de chaque instrument à être trop personnel et à vouloir tout faire, au profit d’une répartition hiérarchisée des rôles : dans les concertos de Mozart, les cors font des tenues, les hautbois des doublures ou des tenues, etc. Et quand on y entend un solo de flûte, c’est souvent en association avec le hautbois et le basson, formant comme un petit ensemble délégué par le grand pour s’opposer au soliste ; mais c’est rarement une flûte trop personnelle, trop insistante. Par rapport à cette masse homogénéisée, le soliste est comme délégué par elle pour faire parade au maximum de son individualité, pour l’exhiber, pouvant compter sur la masse comme faire-valoir, miroir, caisse de résonance. Une intervention aussi voyante et personnelle que celle du violoncelle solo dans le début du mouvement lent du Deuxième Concerto pour piano en si bémol de Brahms est déjà un décentrement du concerto, qui en détruit l’équilibre traditionnel. Or l’orchestre contemporain, à force de grandir et de se diversifier, a fini par exploser et s’atomiser. L’orchestration moderne détruit la traditionnelle répartition des rôles, donne à chaque pupitre des interventions imprévisibles, qui compromettent à tout instant la position du soliste. On peut définir l’un par l’autre le concerto et la symphonie, les deux grands genres orchestraux dans la musique occidentale. Par rapport à la symphonie, genre sérieux, coiffé depuis Beethoven d’une auréole métaphysique, le concerto a toujours gardé une réputation justifiée de genre mondain, de rite social, de tournoi cérémoniel, mettant en jeu des valeurs non musicales de virtuosité, de parade. Alors que la symphonie est devenue avec Beethoven un genre apogée, plus haute forme de la composition, à laquelle un Brahms osait à peine se mesurer, le concerto n’a pas même gagné avec les chefs-d’oeuvre de Mozart une réputation semblable, et même Mozart, tout en portant cette forme au sublime, n’a pas voulu l’épurer du côté mondain, « morceau de concours », qui lui est consubstantiel. Par ailleurs, les deux genres ont suivi des trajectoires parallèles et différentes. Le concerto a trouvé son moule initial (en 3 mouvements) bien plus tôt que la

symphonie ; mais bientôt la symphonie a dépassé le concerto en dimension, en complexité de forme, en ambition. Et quand le concerto a « vu » la symphonie grandir, s’élever, il a voulu l’imiter, s’affronter à d’aussi grandes durées, lui empruntant (ainsi qu’à la sonate) la forme bithématique pour le premier mouvement. Ce qui est notable, c’est justement que le concerto a rarement atteint les proportions de la symphonie romantique, non seulement pour des raisons de nombre de mouvements, mais par une sorte de logique interne qui le rendait, au contraire de la symphonie, non susceptible d’expansion infinie. Le Deuxième Concerto pour piano de Brahms, avec ses 4 mouvements et sa longue durée, est une exception. Encore adopte-t-il pour le dernier mouvement un ton de rondo bon enfant, comme s’il ne voulait plus suivre jusqu’au bout le modèle de la symphonie, avec son finale préparé en lourde apothéose pleine de conflits et de gestations complexes. Du point de vue de la texture orchestrale et de la forme, les compositeurs romantiques ont souvent voulu tirer le concerto vers la symphonie : en épaississant l’orchestration, en complexifiant la forme, en tresdownloadModeText.vue.download 245 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 239 sant l’orchestre et le soliste de façon plus étroite. Ils n’ont pu ou voulu donner au concerto cette dignité purement musicale, cette aura de pureté compositionnelle qui était reconnue à la symphonie. Pourquoi donc le concerto n’est-il pas doué de cette capacité d’expansion qui a permis à la symphonie de rester elle-même en atteignant les proportions géantes qu’on lui a connues à l’époque de Mahler et de Bruckner ? Pourquoi, après de si nombreuses tentatives pour le « symphoniser », est-il obstinément revenu à son moule en 3 mouvements et à ses dimensions modestes ? Peut-être, entre autres raisons, parce que le concerto fonctionne non, comme la symphonie, sur une longue recherche, une quête ouverte et susceptible de se prolonger indéfiniment, mais plutôt comme un jeu codé, qui n’a de sens que s’il se déroule dans une temporalité limitée. De plus, la forme du concerto, basée sur une oscillation, une

dualité entre soliste et orchestre, a vite fait, si cette oscillation n’est pas dosée, de donner une impression « en dents de scie », qui risquerait de devenir vite fastidieuse alors que l’orchestre de la symphonie peut se ramifier ou se rassembler à l’infini sans lasser. Autre différence : alors que dans la symphonie, tout peut et même doit être intégré dans l’architecture musicale, le concerto, lui, fonctionne aussi sur une certaine rhétorique de « prise de paroles », d’échanges entre le soliste et la masse, qui amène à remplir une bonne partie du temps avec tout un « tissu conjonctif » de traits de virtuosité, de formules de passation, de ponts orchestraux qui sont redondants par rapport à la pure substance musicale, et qu’accuse encore le procédé d’alternance entre les partenaires. Inversement, un concerto complètement allégé de ses formules de politesse et de sa rhétorique et qui est une pure construction musicale, comme le Concerto pour piano op. 42 de Schönberg, ressemble un peu à un concerto fantôme qui ne joue pas le jeu complètement. D’où il ressort que le concerto est effectivement en partie un genre dramatique, régi par un code de relations entre le soliste et l’orchestre posés comme personnages, code qui ne peut se ramener à des relations musicales abstraites. Aborder le concerto comme pur projet formel, en intégrant ses conventions dans un propos seulement musical au sens le plus abstrait, est plus difficile qu’il n’y paraît. C’est ce qu’ont tenté en particulier les trois Viennois, Berg (dans son Concerto de chambre ou Kammerkonzert), Webern (Concerto op. 24), Schönberg (Concerto pour piano), et l’on constate soit que la rhétorique du concerto réapparaît dans leurs oeuvres ; soit que l’esprit du concerto y disparaît pour laisser la place à un discours concertant qui tend à niveler les rôles. Bien sûr, cette théâtralité tient pour une grande part aux conventions de la virtuosité qui sont génératrices de redondance musicale. Y a-t-il un seul concerto sans virtuosité ? Une telle oeuvre est difficile à retrouver sauf à deux ou trois exemplaires (Webern, le Concerto à la mémoire d’un ange de Berg, pour violon) - tant la démonstration de virtuosité fait partie du concerto, genre ornemental par excellence, supposant donc la possibilité d’une certaine redondance. Dans le concerto mozartien pour piano

ou pour violon, la virtuosité est délimitée à des traits de liaison entre les thèmes et à des épisodes très précis (dans le développement, les cadences), mais elle ne touche pas, ou peu, les thèmes, qui sont généralement exposés par le piano à nu, avec de légères broderies. Mais dans le concerto romantique et postromantique, les progrès techniques aidant, la virtuosité gagne tout le jeu du piano, se complique, s’empâte, et les thèmes eux-mêmes sont souvent exposés la première fois dans une version ornée d’arpèges et de traits. C’est peut-être pourquoi beaucoup de thèmes de concertos (le premier mouvement du Concerto pour violon de Beethoven, quatrième Concerto pour piano de SaintSaëns) ont la « noble simplicité » d’un choral : on les sent prêts à être ornés et décorés à l’infini, et les compositeurs veulent peut-être que sous cette parure ils gardent un port altier. Un Chopin, dont le style s’est incorporé l’ornementation comme un trait de langage et un moyen d’expression, est à l’aise dans le concerto romantique et dans une certaine hypertrophie ornementale de virtuose, avec laquelle il sait faire de l’art. D’autres compositeurs, comme Saint-Saëns, récupèrent le vocabulaire du romantisme sans y croire, en gardent le foisonnement ornemental, tout en recherchant parfois la « noblesse » du genre symphonique et de la musique pure : position ingénieuse et calculatrice, consistant à « faire dans le concerto » un exercice de style, et qu’ont pratiquée également Ravel, Prokofiev, Stravinski. La virtuosité se manifeste notamment dans la cadence pour le soliste, que la tradition situe à la fin de chacun des 3 mouvements, mais surtout à la fin du premier, et secondairement du troisième. Cette cadence était encore du temps de Mozart une enclave d’improvisation subsistant dans un genre écrit, où le soliste (qui souvent était en même temps l’auteur et le chef d’orchestre) se ménageait un succès. On dit que c’est pour parer aux excès qui rendaient ces cadences interminables que Mozart et ses successeurs ont noté leurs cadences originales, nous permettant de savoir dans quel esprit elles étaient menées. De plus en plus, elles furent prévues dans l’architecture de l’oeuvre : celle du premier mouvement du Concerto pour piano en la mineur de Schumann, dense et tendue, proche de certains préludes du Clavier bien tempéré de Bach, n’a sans

doute pas grand-chose à voir avec ces vagabondages peu modulants dans les thèmes du concerto, en quoi consistait au XVIIIe siècle la cadence. Cette cadence était le seul moment où l’orchestre laissait pendant une certaine durée le soliste complètement seul, sans l’accompagner ou le ponctuer, et l’inévitable retour attendu de l’orchestre, qui est là et qui attend pour conclure, donnait à ces cadences frénétiques une allure de « tout pour le tout ». Ce n’est pas tout de parler de virtuosité ; il faut souligner aussi que celle qui est propre au concerto a un caractère particulier, qui peut être différent de la virtuosité des oeuvres pour piano solo. On peut prendre le cas d’un Debussy qui n’a jamais écrit de concerto ; non qu’il fût ennemi de la virtuosité, loin de là, mais il semblait aimer dans la virtuosité d’abord cette matière irisée, fluctuante et nuancée qu’elle pouvait créer. Or la virtuosité de concerto tend à être plus ou moins dure et démonstrative, surtout dans les passages rapides avec l’orchestre. Pour passer au même niveau que lui et parfois passer pardessus, le soliste doit souvent « projeter la voix », parler fort, sur un ton plus gros, plus souligné, plus contrasté que dans les pièces pour soliste (Chopin n’a pu faire de concerto, qui sauvegarde la finesse et l’exquise fragilité de son piano, qu’en réduisant souvent au minimum le rôle de l’orchestre). La virtuosité du soliste de concerto, et plus particulièrement du piano, est non seulement plus « grosse », elle est aussi et surtout d’essence discursive, et ne peut se résoudre en matière, en poussière lumineuse. Elle est la voix de quelqu’un qui parle et, même, parfois bavarde. Ce qu’illustre très clairement le cas de ces musiciens, qui, dans leurs oeuvres pour piano seul, ont su admirablement utiliser la matière, les timbres, les sonorités créées par la virtuosité pianistique, mais qui ont dû, dans leurs concertos, revenir à une virtuosité plus conventionnelle et discursive. Entre Gaspard de la nuit de Ravel et son Concerto en « sol » majeur, entre les Jeux d’eau à la villa d’Este de Liszt et ses concertos, c’est le même degré de virtuosité, mais ce n’est pas le même piano. C’est du piano démonstratif, rhétorique, ce n’est plus le piano-microcosme, avec un arc-en-ciel de sonorités. Par ce qui n’est qu’en apparence un paradoxe, le piano doit donc, pour dialoguer avec l’orchestre et se poser face à lui en piano,

renoncer à certaines de ses nuances les plus intimes. Cette virtuosité n’empêche pas le tragique ; et c’est Mozart qui a su, plus encore que Beethoven, dégager l’essence tragique du genre - mais un tragique individuel, personnifié, par opposition au tragique downloadModeText.vue.download 246 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 240 collectif et impersonnel de la symphonie. Pourtant, nous l’avons dit, le concerto a été rarement (sauf justement chez Mozart) un de ces genres ultimes où le compositeur s’engage tout entier et va au bout de lui-même. Si grands furent-ils dans leurs concertos, Beethoven, Brahms, Schumann laissent le sentiment que le « moi » qu’ils y délèguent, dans le rôle du soliste, est un peu tempéré, arrangé, convenable, moins absolument eux-mêmes que le « moi » de leurs sonates, pièces pour piano et symphonies. Seules exceptions postmozartiennes, peut-être, Chopin (mais ce Chopin des concertos, tout à fait authentique, n’est peut-être pas le plus attachant) et, dans une certaine mesure, Bartók et Berg dans le Concerto à la mémoire d’un ange pour violon et orchestre. C’est peut-être dans la mesure où Mozart assume complètement la part d’humanité qu’il y a dans le jeu du « paraître » et ses conventions, que les gammes et les traits les plus banals de ses concertos sonnent comme aussi authentiques, l’impliquent aussi fort que ses thèmes les plus émouvants. Ses successeurs auront pour la plupart une position plus critique et distanciée vis-à-vis des conventions de virtuosité du concerto, et, en manifestant le désir de les « ennoblir », tout en les conservant, ils ont fait de leurs concertos des oeuvres ambitieuses et calculées, moins absolues parfois que leurs autres créations. Un Schubert, proche à certains égards de Mozart, n’a jamais écrit de concerto, et l’on attribue cela à son dédain pour les genres mondains. Pourtant, il a su très bien écrire sur commande des pièces de genre et de caractère, et même une pièce de virtuosité caracolante comme la Wanderer-Fantaisie pour piano, que Liszt a d’ailleurs arrangée en Konzertstück pour piano et orchestre de façon très convain-

cante. On se demande si un concerto de Schubert n’aurait pas été une pièce de genre à la Weber... Dans la mesure où le soliste de concerto représente effectivement l’individu, à la fois personnage et meneur de jeu du drame musical, on est frappé par le contraste entre la soumission du piano de concerto mozartien à un ensemble de lois qui délimitent sa place et ses interventions, et la liberté avec laquelle le soliste de concerto romantique tend à se mêler de tout, y perdant un peu en présence tragique. Car c’est dans le jeu consenti de conventions sociales que se dégage le tragique du concerto chez Mozart. Par ailleurs, on ne peut oublier, ne l’aurait-on entendue qu’une fois, la surnaturelle fragilité de ces thèmes de trois notes avec lesquels Mozart fait parfois ses mouvements lents de concertos. Elle n’est sans doute pas sans lien avec la juvénilité du piano de l’époque, et il est peut-être plus difficile de la traduire avec le grand piano moderne, bravache et sûr de lui. Ce climat de naissance, d’origine, ne sera pas souvent retrouvé dans le concerto romantique. Dans la première mesure du Deuxième concerto pour piano en si bémol de Brahms, on a ce fameux appel de cors, comme une fanfare douce, qui évoque les forêts germaniques, appel primitif que reprend aussitôt le piano, dans son style à lui, avec des accords profonds et limpides. En 4 mesures, il s’est produit comme une « passation » entre ces cors venus du fond des âges, des origines et le piano de concert - une passation, dans laquelle l’instrument moderne et raffiné semble reprendre le flambeau de quelque chose de très ancien et diffus, auquel il donne aussitôt un visage plus culturel, individuel. Ce début semble reprendre le concerto à sa genèse, aux sources de la différenciation individuelle, à la racine de l’écho, du mimétisme originaire. Tel est peut-être le secret du concerto, enfoui sous les fleurs de salon. LE CONCERTO ET SES SOLISTES. L’histoire du concerto peut aussi se raconter à travers la concurrence des deux grands instruments solistes de la musique classique occidentale : piano et violon, violon et piano.

Par rapport au piano, le violon présente dans le concerto de soliste une originalité irréductible : il est sorti du rang, de la masse, tout prêt à s’y fondre à nouveau à n’importe quel moment - ce qui lui donne une certaine souplesse pour y rentrer et en sortir. Il est nommé, d’ailleurs, jusque dans les concertos de Mozart et de Mendelssohn, « violon principal », ce qui veut tout dire. Alors qu’un piano, malgré tous les efforts qu’il fait pour cela, chez un d’Indy, par exemple (Symphonie cévenole, pour piano et orchestre), ou un SaintSaëns (Symphonie en « ut » mineur), ne peut s’y fondre incognito. Mais le violon n’émerge bien de la masse, acoustiquement parlant, que s’il joue dans l’aigu, pardessus ses congénères de la troupe. Alors que le piano perd sa sonorité quand il monte dans l’aigu, la résonance étant plus courte et abrupte, les harmoniques plus pauvres, le violon, lui, s’épanouit dans ces zones séraphiques ou grinçantes qui sont proches de ses limites supérieures. Mais il ne peut s’auto-accompagner que dans une mesure très réduite (doubles cordes), et beaucoup moins facilement que le piano. Il ne peut pas être son propre continuo, et semble voler souvent à la cime de l’orchestre qui l’accompagne, en apesanteur. Nous avons déjà dit la relative désuétude dans laquelle est tombé, au XIXe siècle, le concerto pour violon, au bénéfice du piano. Cela malgré des virtuoses-phénomènes comme Paganini, dont l’exemple diabolique n’encouragea pas les compositeurs de son temps à écrire pour lui (cf. les vicissitudes d’Harold en Italie), mais suscita plutôt une réaction d’émulation et de défi pianistique : c’est à qui voudra montrer, en adaptant Paganini au piano, que le clavier peut faire aussi bien et mieux que lui. Apparemment le violon est moins apte, pour le XIXe siècle, que le piano à représenter un « microcosme d’individu ». Les concertos de violon de Beethoven, Mendelssohn, Brahms, et celui presque posthume de Schumann proche de la folie, sont des tentatives isolées dans ce siècle. Au XXe siècle, Berg choisit le violon et son immatérialité pour chanter la « mémoire d’un ange « ; le concerto de violon de Bartók est, lui aussi, presque un requiem. Tandis que ceux de Stravinski, Prokofiev, Chostako vitch raclent un peu diaboliquement cet instrument à la fois

exalté et déchu, dans la tradition paganinienne, qui a inspiré à d’autres tant de « rhapsodies espagnoles » ou de « rondos cappriciosos » souvent sans prétention. C’est donc, à quelques exceptions près, en musique de chambre que le violon solo est utilisé au mieux dans la musique du XIXe et du XXe siècle. Le piano est dans un cas différent. D’abord encore enfoui dans les basses, avec les instruments qui assurent le continuo, l’instrument à clavier s’impose au premier plan, comme un instrument qui peut entièrement se suffire à lui-même, et, plus encore, comme un microcosme d’orchestre, par son registre, ses possibilités polyphoniques et dynamiques : l’orchestre se reflète en lui, transposé, stylisé, réuni. Non seulement le piano n’est pas sorti de l’orchestre comme le violon, mais aussi son timbre est assez irréductible, particulier, pour que son inclusion « anonyme » dans la masse orchestrale soit difficile. La seule manière dont il peut s’y ajouter est décorative : c’est en faisant des guirlandes de traits et d’arpèges ; encore, là, ne trompe-t-il personne. Il n’est pas de l’orchestre. Ce qui convient bien à l’esthétique accumulative et ornementale d’un Olivier Messiaen, dans ses « cryptoconcertos » pour piano et orchestre, la Turangalîla-Symphonie et les Couleurs de la cité céleste. Cette esthétique, en effet, ne procède pas par fusion, mais par addition d’éléments, et l’incapacité du piano à se fondre dans la masse instrumentale en fait justement pour elle un auxiliaire précieux. Autonome, irréductible, armé pour « réduire » en lui la partie d’orchestre, le piano peut donc être dans le concerto ce primus inter pares (« premier entre semblables »), dont parle Jean-Victor Hocquart à propos de Mozart ; ce personnage qui est en même temps dramaturge et meneur de jeu. Aussi comprend-t-on que le terme concerto s’est souvent identifié à « concerto pour piano », avec Mozart, Beethoven, Brahms, Schumann, Ravel, downloadModeText.vue.download 247 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 241 Prokofiev, Bartók ; la dramaturgie du concerto avait trouvé en cet instrument un protagoniste insurpassable.

Aux dires de beaucoup, c’est le violoncelle qui viendrait en troisième position, bien après le violon et le piano, parmi les instruments solistes élus par le concerto : certes, son timbre ne ressort pas aussi facilement, surtout dans le registre médium que l’orchestre étouffe sans peine, et le nombre des traits possibles est plus limité. Mais l’ampleur, l’expressivité et la générosité de son timbre en font un partenaire exceptionnel. S’il n’y a jamais eu de vogue du concerto de violoncelle, comme pour le piano ou le violon, il y a eu toujours un répertoire fidèle et riche, de Vivaldi, Platti, Tartini, Boccherini, en passant par Haydn (deux concertos en ut et en ré) - mais pas Mozart -, jusqu’aux concertos de virtuose du XIXe siècle (Duport, Rombert, Servais, Franchomme) et aux concertos romantiques de Schumann, Lalo, Saint-Saëns, Brahms (Concerto pour violon et violoncelle), Dvořák, et, plus près de nous, Hindemith, Schönberg, Prokofiev, Milhaud, Katchaturian, Honegger, Jolivet, Zimmermann, et, enfin, Henri Dutilleux, bien que son oeuvre Tout un monde lointain ne revendique pas ce titre de concerto. Son plan en 5 parties soudées n’a rien à voir avec celui du concerto classique, mais le type de relations qu’y établissent le soliste et l’orchestre est bien « concertant ». Utilisé ici beaucoup plus souvent qu’il n’est de coutume dans son registre aigu et suraigu (ce qui lui permet de passer pardessus un orchestre fourni), l’instrument a bien ce rôle de double, de personnage meneur de jeu, en qui la musique vient se rassembler, et dont elle part pour se ramifier, se multiplier. Le début de cette oeuvre est d’ailleurs remarquable par son climat de « genèse », rappelant lointainement celui du 2e concerto de piano de Brahms : d’une résonance archaïque et magique de percussion s’extrait une phrase de violoncelle, qui monte vers l’aigu, et derrière le soliste qui chante, peu à peu l’orchestre se dessine, se condense, comme né d’un coup de baguette magique (on retrouve aussi, dans un climat très différent, cette genèse, cette brume originelle, dans le début du Concerto pour piano en « ré » mineur K. 466 de Mozart). Avec son beau timbre étouffé, qui n’a pas l’ampleur de celui du violoncelle, l’alto est encore plus difficile à manier dans un concerto. À l’époque préclassique, la taille réduite de l’orchestre lui permet de tenir son rang de soliste, dans des concertos

comme ceux de Benda, de Ditters von Dittersdorf ou des Stamitz, ou dans la Symphonie concertante pour violon et alto K. 364 de Mozart. Hector Berlioz, par esprit de contradiction, voulut écrire pour Paganini, non un concerto de violon, mais un concerto d’alto, qui devint la symphonie avec alto solo, Harold en Italie, oeuvre en demi-teinte, dans laquelle l’instrument n’est guère appelé à briller. Le concerto d’alto de Bartók (1945) est une oeuvre crépusculaire écrite pour le commanditaire William Primrose, laissée en plan par la disparition du compositeur et achevée par Tibor Serly. Le projet de Bartók était d’y opposer un orchestre « transparent » au « caractère sombre et plutôt masculin » de l’alto. Encore plus sombre, la contrebasse a pour elle dans le concerto, par rapport à l’alto, son caractère extrême, donc très voyant. On ne joue plus beaucoup les concertos de virtuoses écrits par Ditters von Dittersdorf, Vanhal ou Dragonetti. Les concertos pour instruments à vent tiennent une place particulière : les bois, notamment, ont pour eux ce caractère fluide, volubile et léger qui en font des partenaires souples ; mais contre eux, dans le concerto de vaste dimension, le manque d’assise et d’ampleur de leur timbre, et le fait qu’ils semblent tenir difficilement la durée en solo. Les concertos de flûte de Mozart (2 concertos, plus le concerto pour flûte et harpe), Telemann, Quantz, Cimarosa, Gluck ont souvent un ton de « bergerie » que refusa le romantisme, délaissant la flûte solo, sauf au sein de l’orchestre. Les concertos modernes pour flûte sont également assez rares (André Jolivet, Jacques Ibert, Frank Martin). De même, le concerto pour hautbois, en faveur à l’époque baroque et préclassique (Telemann, Haendel, Dittersdorf, Mozart) et oublié presque complètement à l’époque romantique, fut ressuscité plus tard, dans les concertos plus ou moins néobaroques de Richard Strauss, Henri Tomasi, Darius Milhaud. Parmi les contemporains, Bruno Maderna est un des rares compositeurs à avoir écrit pour le hautbois des concertos d’une certaine ampleur. Instrument bien plus récent, la clarinette a connu une carrière concertante plus rare - mais peut-être aussi flatteuse - avec le concerto de Mozart (oeuvre de maturité, alors que les concertos pour flûte, ou pour basson, sont des oeuvres juvéniles),

ceux de Weber, la Rhapsodie de Debussy, ou les Domaines de Boulez. Affectionné par Vivaldi, le basson brille encore chez Mozart et Weber, mais le romantisme le relègue dans l’orchestre comme pour la flûte ou le hautbois, et il ne réapparaît que dans les concertos modernes de Jolivet et de Marcel Landowski. Le saxophone, puissant et expressif, mais réputé roturier chez nos musiciens « sérieux », surtout depuis que le jazz s’en est emparé, n’a jamais réussi à se faire admettre définitivement dans le cénacle instrumental classique, et on compte peu de concertos pour saxophone, parmi lesquels on peut citer ceux d’Alexandre Glazounov, de Jean Rivier, de Jacques Ibert. Instrument très archaïque, le cor doit à ses difficultés d’émission, surtout à découvert, de tenir une place particulière dans le concerto : autant la virtuosité coulante de la flûte désamorce un peu, à la limite, l’impression de « performance » qui est liée à ce genre, autant le caractère claironnant et tendu, sur la « corde raide », de l’émission du cor renforce, un peu cruellement même, cet effet de performance : après Telemann, on connaît les 4 concertos de Mozart (qui étaient des commandes), les 2 de Haydn et le difficile Konzertstück pour 4 cors de Schumann. La même remarque peut être faite à propos de la trompette et des autres cuivres. Presque chaque instrument occidental a eu droit à son ou ses concertos, et on se reportera aux différents articles qui traitent de chacun d’eux pour compléter ce rapide aperçu, dont il ressort qu’il y a des instruments plus ou moins « concertables » et qu’il existe une sorte de hiérarchie des instruments par rapport au genre du concerto, selon les formes qu’il prend à chaque période de la musique. LA FORME DU CONCERTO. « Le concerto n’a pas de forme propre », écrit André Hodeir, non sans raison, dans un petit ouvrage sur les Formes de la musique. Cette affirmation peut faire bondir : qui ne sait que le concerto classique est généralement en 3 mouvements, vif-lent-vif ; et qui ne ressent la force des conventions qui, dans le concerto classique, dictent à chaque mouvement son moule et font, par exemple, presque obligatoirement du dernier mouvement un rondo tourbillonnant ? Malgré tout ce qu’on a pu faire

depuis Weber pour la remettre en cause, la forme en 3 mouvements a tenu bon de Vivaldi à Berg, Bartók, Stravinski, ce qui dénote en elle une nécessité de structure. Et, pourtant, peu de formes ont été aussi souvent aménagées, reprises que celle du concerto, pour finalement revenir à leur essence initiale. Cette forme symétrique et ternaire a tendance à se refermer sur elle-même assez rapidement. Alors que, parvenue au terme de son deuxième mouvement, la symphonie voit encore devant elle un parcours assez long et complexe de 2 mouvements, la première mesure du dernier mouvement de beaucoup de concertos a déjà un caractère bouclé, conclusif : c’est un thème de rondo enlevé, indiscutable, pimpant - et il est clair que malgré des épisodes intermédiaires plus ou moins richement variés en thèmes, en tempo, ce thème revient autant de fois qu’il le veut pour l’emporter haut la main, sans discussion. D’où cette impression, à la limite, qu’un concerto est, sinon déjà terminé, du moins, déjà « joué », du point de vue formel, dès la première mesure de son rondo final ; impression qui frappe downloadModeText.vue.download 248 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 242 aussi les commentateurs des concertos de Mozart : après le tragique ou le pathétique du mouvement lent, la musique saute à pieds joints dans une insouciance totale, sans ombre, qui ne prend même pas la peine d’apporter un semblant d’écho et de réponse à l’inquiétude du deuxième mouvement, et qui l’ignore complètement. Ce geste formel abrupt, refermant les horizons infinis qui s’ouvraient encore il y a quelques secondes, pour donner le spectacle clos d’une réjouissance mondaine (et même pas panique ou tellurique, comme parfois dans la symphonie), participe, croyons-nous, de l’esprit du concerto. Dans la symphonie, on peut voyager dans les éléments, les étoiles, le minéral, le métaphysique, le jour et la nuit. Le concerto classique, lui, ne nous laisse pas quitter longtemps le clan des humains. On essaiera ici, pour conclure, d’étudier à travers plusieurs oeuvres de référence dans le domaine du concerto ces pro-

blèmes de forme. On prendra par exemple, pour commencer, le cas d’un concerto baroque, et, plus précisément, le premier mouvement du concerto le Printemps en mi majeur des Quatre Saisons, où le violon joue en soliste. On y entend successivement : une ritournelle dansante en mi majeur du tutti dans lequel se fond encore le « violon principal « ; ce violon se détache du peloton pour émettre des trilles imitant le chant des oiseaux, et non mélodiques ; 2 autres violons solos sortent du rang pour triller avec lui, comme dans un concerto grosso ; après quoi le violon principal se fond avec les premiers violons pour un autre épisode imitatif en doubles croches liées 2 par 2 évoquant les « zéphyrs » (mes. 31). C’est à la mesure 47 qu’il a droit à son premier solo, pour lui tout seul, une sorte de marche harmonique traitée en arpèges brisés ; nouveau tutti sur le thème de ritournelle, en do dièse mineur, où le violon solo redevient simple fantassin ; nouveau solo à 3, avec 2 autres violons solos, pour imiter les oiseaux ; thème secondaire du tutti ; bref solo en doubles croches menant à la ritournelle finale. Dans ce bref inventaire, on peut constater : l’alternance serrée des solos et des tutti ; la répartition tranchée des fonctions entre des tutti qui se réservent la mélodie (tutti auquel se joint alors le solo), et les solos réservés à une virtuosité athématique et impersonnelle (gammes, arpèges, marches harmoniques modulantes). Bref, le soliste n’énonce jamais seul la partie mélodique, laquelle s’identifie au tutti : le tutti chante, le solo fait des gammes. Par ailleurs, l’individualité de ce dernier n’est pas mise en valeur autrement que par le privilège de la virtuosité. Mais il faut se hâter de dire que la situation se renverse complètement dans le mouvement lent central : l’orchestre se transforme alors en « tapis d’accompagnement », et le violon solo peut chanter alors tout son saoul, en vedette, une grande aria d’inspiration vocale et opératique. Quant au troisième mouvement, il referme l’oeuvre sur une Danza pastorale de forme rondo (refrain et couplets) parfaitement identique de structure au mouvement précédent. Si l’on examine le Concerto pour clavecin et orchestre en ré mineur BWV 1052 de Jean-Sébastien Bach, connu pour être une transcription d’un concerto de violon, qui pourrait être d’un autre compositeur, in-

connu, y trouve-t-on une forme essentiellement différente ? Le premier allegro de ce concerto, également monothématique, débute par une ritournelle de 6 mesures, jouée à l’unisson par tout l’orchestre, dans un style vivaldien. Le clavier, qui a joué d’abord avec le tutti, commence par un solo de virtuosité athématique ; une nouvelle reprise de la ritournelle au tutti, cette fois-ci harmonisée, ou plutôt contrepointée par 3 autres parties, évolue vers le ton de la mineur ; nouveaux traits en mouvement perpétuel du soliste, dans le style des préludes du Clavier bien tempéré, traits que l’orchestre accompagne d’imitations sur le début du thème ; c’est à la mesure 40 que le soliste s’empare pour la première fois de ce début de thème pour le traiter en imitations simples (comme le fait aussi le continuo). Il n’ira pas plus loin dans ses interventions thématiques en solo, mais, par contre, il ne cesse d’entretenir une perpétuelle ébullition rythmique et harmonique, avec des traits, des ostinatos ; un superbe fondu enchaîné, où l’orchestre s’efface à pas de loup derrière lui, comme dans le 5e Concert brandebourgeois, lui laisse même un instant toute la place pour poursuivre ce jeu de virtuosité. Parallèlement, le clavier ne cesse pratiquement pas de doubler le continuo à la main gauche, tout en jouant son rôle de soliste ou en doublant les tutti - si bien qu’il joue sans interruption. Dans ce concerto en ré mineur, du point de vue de l’initiative thématique, le clavecin se trouve donc dans la même situation que le violon de Vivaldi ; même si ses traits, ses ostinatos ont une substance musicale autrement plus consistante que chez Vivaldi. De même, le mouvement lent laisse chanter le soliste à loisir, avant un allegro final, qui, de structure identique au premier, semble simplement en être l’accélération, l’épuisement. Les innovations apportées plus tard à la forme du concerto visent, entre autres buts, à casser cette symétrie, en transformant complètement le premier mouvement, mais sans toucher pour l’essentiel à la simplicité de forme et d’allure du dernier. C’est donc l’allegro initial qui fait l’objet d’une « transfusion de formes », à partir de la sonate et de la symphonie. On lui applique le cadre bithématique, avec exposition réitérée, développement, réexposition. Cette transposition, qui doit tenir compte de la dualité soliste/orchestre, ne va pas sans obliger à des amé-

nagements qu’il est passionnant d’étudier sur pièces, avant d’en parler en général, à travers le cas particulier d’un des plus beaux concertos : le K. 466 en ré mineur pour piano et orchestre de Mozart, une oeuvre souvent dite préromantique, mais qui est du pur Mozart (Messiaen la rapproche des premières scènes de Don Giovanni). Il faut d’abord préciser que les concertos dont fait partie le K. 466 étaient joués par Mozart lui-même au clavier, d’où il dirigeait également l’orchestre, et on rappellera, avec Paul et Eva Bakura-Skoda, que tout en jouant sa partie, Mozart se servait aussi de son clavier pour « assurer un continuo et étoffer l’harmonie ». La présence de ce continuo, parfois écrit en toutes notes et parfois non, s’explique par le « manque de parties intermédiaires explicitement écrites dans la plupart des musiques du XVIIe et du début du XVIIIe siècle ». Dans ce concerto, où une partie de continuo est notée (mais n’est pas toujours reproduite sur les éditions modernes), ce continuo est parfois fait de notes très graves, jouables seulement, compte tenu du contexte, par une troisième main, ou sur un pédalier, comme celui que Mozart s’était fait construire pour son usage personnel. Avec le piano moderne, une partie de ce continuo est donc injouable telle quelle - mais il faut souligner que les notes graves qu’il faisait résonner étaient plus légères, plus transparentes que les notes équivalentes sur le piano d’aujourd’hui. Ce continuo n’était pas permanent et il était « purement harmonique, sans agréments, sans aucune addition de matériel thématique ». Si bien que dans les concertos de Mozart, le piano « joue deux rôles distincts et contradictoires : celui d’un instrument soliste (...) et celui d’un instrument d’orchestre ». Mais la grande question de forme qui nous intéresse ici est la suivante : le piano jouait-il ce continuo dès le début, dès la première exposition, c’est-à-dire avant le moment officiellement écrit de son entrée ? Pour ce K. 466, on peut en douter, et rejoindre l’opinion des Badura-Skoda, qui constatent les difficultés de « doubler les basses dans l’exposition sans détruire l’effet de syncope des cordes, ainsi que le contraste entre le solo et le tutti, particulièrement important dans ce concerto ». On peut donc admettre que pour un certain nombre des grands concertos de Mozart, dont celui-ci, le piano attendait la fin

de la première exposition pour entrer. Le contraire serait-il prouvé, que cela ne toucherait pas beaucoup l’analyse qui suit : en effet, le piano continuo, qui double les basses et les harmonies de l’exposition, peut, à la limite, être considéré comme downloadModeText.vue.download 249 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 243 un personnage, un rôle différent du piano solo qui intervient plus tard. Donc, ce premier mouvement commence par une exposition apparemment complète, où le soliste reste muet. Cette exposition comprend, mesures 1 à 22, le premier thème, A, en ré mineur, agogique et syncopé, dans le grave des cordes, qui se termine sur un accord de dominante. Un pont mène à des oscillations tragiques, qui se stabilisent finalement sur ce même accord de dominante sur la ; bref silence. Au lieu de se résoudre, comme on l’attend, en ré mineur, c’est un nouveau thème (apparemment en fa majeur) qui résonne, formé de deux éléments, sur le modèle question/réponse (question aux hautbois et aux bassons, réponse à la flûte - cela 3 fois consécutives). On peut alors considérer ce thème comme le thème B attendu, au relatif majeur du thème principal, mais faute d’être assuré que c’est lui vraiment, ce deuxième thème que nous garantit par contrat la forme sonate, nous l’appellerons pour le moment thème B. À travers une marche harmonique d’abord ascendante, puis descendante, B a vite fait de déclencher un nouveau tutti tragique, avec des trémolos de violon, toujours en ré mineur (d’ailleurs B est dans un fa majeur « putatif », puisque sa quinte do n’est que timidement effleurée). Ce tutti se termine par un thème de coda, conclusif et résigné, en ré mineur, aux violons (on verra plus tard que ce thème secondaire est réservé aux cordes seules, à cette place, et qu’il ne sera pas repris par le soliste ni par un autre pupitre). L’exposition traditionnelle semble donc terminée, mais le soliste entre, pour ouvrir ce que d’aucuns appellent la « vraie exposition » (après la « fausse », celle de l’orchestre seul), et que d’autres nomment la « deuxième », mais que nous proposons d’appeler l’exposition soliste, par opposi-

tion avec l’exposition orchestre qui précède. Le piano, au lieu de reprendre le thème A initial, attaque par un nouveau thème en ré mineur, très simple et chantant, le premier thème fortement dessiné dans ce concerto (ceux précédemment entendus ont un côté spasmodique, embryonnaire, qui crée une atmosphère de « chaos primitif »). Ce thème, qu’on retrouvera par la suite confié au piano et toujours à lui seul, jamais repris ni même commenté par l’orchestre, ce thème qui signe donc l’identité du soliste, a-t-il quelque chose de spécifiquement pianistique ? Nullement. Il irait très bien à l’orchestre, de même que le thème des cordes, à la fin de l’exposition orchestre, chanterait parfaitement au piano. Simplement, l’un et l’autre sont « réservés ». Ce nouveau thème énoncé au piano seul s’accompagnant lui-même, sans soutien, et qu’on appellera thème S (comme « soliste »), se conclut par des traits cadentiels où intervient l’orchestre en soutien, et qui ramènent enfin, mesure 91, au début de l’oeuvre, c’est-à-dire au thème A syncopé, en ré mineur, donc à l’exposition soliste proprement dite, qui est aussi une réexposition nous donnant à entendre beaucoup de déjà entendu. Le piano laisse haleter les cordes seules pendant 4 mesures, et ne s’en mêle qu’à la mesure 95, rajoutant à la main droite une sorte de basse d’Alberti brisée, tout en doublant le continuo à la main gauche. Plus la musique avance, plus on voit alors le piano, d’abord pris dans la masse, s’en dégager en montant dans l’aigu, tirer l’attention à lui en dépassant les cordes dans leur ascension. Il n’en faut pas plus à Mozart pour signifier une relation pathétique d’indépendance surveillée du soliste. À la mesure 108, l’orchestre s’est complètement effacé en fondu, comme s’il renonçait à suivre et déléguait la musique au piano ; mais il rentre, mesure 110 en tutti pour jouer les accords qui annoncent le repos à la dominante. Mesure 115, de nouveau résonne aux bois le début de ce thème B, qui semblait avoir des prétentions de « second thème » de forme sonate, et toujours dans ce ton ambigu fa majeur/ ré mineur. Seulement, aux réponses de la flûte se substituent celles du piano, en notes légères (comme s’il avait toujours eu là sa place, et que la flûte l’avait remplacé en son absence) ; et le ton de fa majeur, au lieu d’être rapidement recouvert, comme dans l’exposition orchestre, par le ré mi-

neur totalitaire, se confirme, se précise. Une cadence de virtuosité du piano nous amène en pleine lumière, d’abord énoncé au piano solo (mes. 127), puis repris aux vents (mes. 135), un thème tout nouveau qui s’avère finalement être le seul, le vrai, l’authentique thème B, au relatif majeur (fa majeur), chantant et léger, tel qu’il convient à un second thème de forme sonate en mineur. Un thème B que l’exposition orchestre nous avait caché, contrairement à l’habitude même de Mozart, qui, en principe, les énonce tous les deux, dès le début. Il s’avère aussi que dans l’exposition orchestre, conformément à la règle du concerto de forme sonate, on n’avait pratiquement pas quitté le ton de ré mineur, hors cette échappée ambiguë, comme une faible lueur, du thème B, qui de surcroît « jouait » au deuxième thème. On commence à voir avec quel génie simple Mozart joue des phénomènes de prévisibilité, de répétition, de préparation et de leurre que lui permet le principe de la double exposition. Comment, en jouant le jeu, il joue avec lui et transfigure la convention, ou, plutôt, met à jour sa dimension symbolique (ici, le déplacement introduit par l’entrée du soliste personnage dans une forme apparemment déjà constituée et fermée). L’astuce de la forme sonate dans le premier mouvement de concerto, et qui n’est pas une invention de Mozart, c’est donc que l’exposition soliste seule donne aux 2 thèmes, qui constituent la justification de sa structure, leur ton définitif : thème A au ton principal, thème B à la dominante, ou, comme ici, au relatif majeur (ou ailleurs mineur). L’exposition orchestre, elle, doit maintenir le ton principal autant que possible. Pourquoi une telle convention, qui peut être source de monotonie, de renoncer à tout changement tonal marqué avant l’entrée du soliste ? Probablement pour éviter de briser la continuité tonale avant cette entrée - et peut-être aussi pour lui réserver la primeur des initiatives modulantes (ce qui donne une fonction à son entrée, qui n’est pas seulement d’ornementation et de prise en charge d’une musique « déjà faite »). Troisième raison probable : l’exposition orchestre, dans le cas contraire, devrait se conclure en affirmant le ton de la dominante ou du relatif, et l’entrée du soliste dans le ton initial sonnerait alors comme un « retour en arrière », un « recommen-

cement ». Le principe même de l’opposition de tonalité entre les 2 thèmes A et B de l’exposition soliste relève évidemment du souci de n’entrer dans le « vif du sujet » qu’avec le soliste, pour donner à son intervention toute sa force, au lieu de le faire arriver quand l’essentiel a été dit. D’où l’idée de cette exposition orchestre (qu’il est contestable d’appeler, comme le font certains, une « fausse exposition », car que faut-il entendre ici par vrai et faux ?), qui prépare le terrain en affirmant obsessionnellement le ton principal - ce qui n’a pas été sans gêner les compositeurs, les incitant à rechercher d’autres solutions, comme celle d’introduire tout de suite le piano dans sa fonction thématique. À ce propos, il est intéressant de lire l’avis d’un musicologue anglais : « C’est en fait, dit-il, une grande erreur de considérer l’introduction orchestrale (autrement dit l’exposition orchestre) comme une sorte d’exposition trompeuse (deceptive) de forme sonate et une erreur encore plus grande de considérer celle-ci et la véritable exposition, après l’entrée du soliste, comme une double exposition » (Grove’s Dictionary). Cette position exprime pour le moins un embarras très partagé sur le statut formel qu’il convient de donner à ces expositions de concerto. Alors commence le « développement », ou Durchführung en allemand, qui amène ce qu’on appelle le « second solo » du piano, le premier étant celui de l’exposition soliste, et le troisième celui de la réexposition. Ici, le développement oppose (il s’agit bien d’opposition) le thème S, toujours assumé par le piano seul, et le début du thème A à l’orchestre, que le soliste orne et environne de ses traits rapides. On voyage ainsi du ton initial de downloadModeText.vue.download 250 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 244 fa majeur en sol mineur, puis en mi bémol majeur, puis un fragment de A réduit à sa cellule de base minimum donne lieu à un épisode de virtuosité au piano, qui finit par venir, comme essoufflé, se reposer sur une pédale grave de la, préparant au retour du ton initial et à la réexposition. Cette réexposition, variée par les interventions et les ornementations du soliste,

nous confirme que le thème B, immuablement en fa majeur/ré mineur, est bien un thème secondaire de transition, et que B, ramené cette fois-ci de fa majeur en ré mineur, est bien le second thème. Au sortir du thème B, la virtuosité du piano se fait de plus en plus pressante, amenant bientôt le moment fatal de la cadence, introduit par l’accord de quarte et sixte du ton, qui prépare presque toujours ce moment dans les concertos. Nous n’avons pas, pour ce concerto, la cadence originale de Mozart, mais celles retrouvées pour d’autres concertos permettent d’en retrouver l’esprit : Paul Bakura-Skoda propose ainsi (Alfred Brendel également) une cadence dans le style de l’époque, car il estime que celles de Beethoven, écrites spécialement pour ce concerto, sont trop romantiques et hors du style mozartien. Selon lui, ces cadences étaient peu modulantes et ne troublaient pas excessivement l’impression tonale fortement réaffirmée par la réexposition, ce qui est logique, si près de la fin. La cadence, assez développée, de Beethoven est à cet égard un véritable « second développement », creusant à l’intérieur de la forme une cavité modulante supplémentaire réservée au soliste seul et décentrant la forme. À la fin de cette cadence, quelle qu’elle soit, le piano prépare avec insistance le retour au ton initial, dans lequel conclut le tutti, seul, comme au début, le piano étant retourné au silence. On a vu ainsi à la fois la difficulté à cerner, à nommer cette forme de premier mouvement de concerto ; mais aussi l’art avec lequel Mozart se sert de cette forme « aménagée ». Ce principe d’un troisième thème (notamment repris dans le concerto K. 491 en ut mineur), par lequel entre le piano et qui lui est réservé, le pose tout de suite comme individu irréductible et casse la littéralité de la nouvelle exposition, déplaçant ses perspectives, donnant une nouvelle force aux thèmes déjà entendus, dérangeant leurs rapports respectifs, entre eux et par rapport à lui. Faisons l’expérience (mentale) d’amputer du début de l’exposition soliste ce thème additionnel S, et joignons directement la fin de l’exposition orchestre à la reprise de A, telle qu’elle figure dans l’exposition soliste. Cela reste beau, mais textuel, répétitif, symétrique ; et le pianiste dès lors ne semble entrer que pour ajouter ses broderies.

Une étude des autres premiers mouvements de concertos de Mozart montrerait comment, dans cette forme à « double exposition », l’entrée du soliste est préparée de telle sorte qu’elle n’est pas seulement comme une addition sur un texte initial. Les rapports apparemment, indéfinissables, entre cette fausse préexposition, ou ouverture, et cette exposition seconde, ou « vraie », s’éclaireront peut-être mieux si l’on se réfère à l’opéra : il y a l’ouverture qui énonce des thèmes projetés vers le futur, thèmes qui « vont avoir lieu », et l’action qui les amène au présent, qui les actualise et les inscrit forcément comme « déjà entendus ». Cette rétroaction se retrouve dans la double exposition de concerto. Il n’y a pas de présent pur dans l’opéra ni dans le concerto, en ce cas, puisque le présent tire sa force d’avoir déjà eu lieu, sous la forme d’une « annonce » (comme entre l’ouverture de Don Giovanni et la scène finale du Commandeur). Mais il a eu lieu, sans la voix, sans le personnage. Ce personnage, c’est ici le piano, dont la présence actualise les thèmes et leur donne leur essor définitif, leur être. Après ces chefs-d’oeuvre mozartiens qui fixent moins le genre dans une forme intouchable qu’ils n’en exploitent la dramaturgie d’une manière unique et bouleversante, le concerto suit une double évolution : d’une part, vers un concerto facile et brillant, où le compositeur ne donne de lui-même que son savoir-faire, son savoirbriller ; d’autre part, vers des recherches diverses, au coup par coup, pour régénérer le genre, le rééquilibrer. En règle générale, l’orchestre de concerto grossit, s’enrichit de plus en plus souvent des cuivres et des timbales (exceptionnels chez Mozart), tandis que, parallèlement, le soliste gagne en technique, et son instrument en possibilités de jeu. Ainsi Beethoven « touche-t-il » au moule du concerto pour introduire des innovations, dont aucune ne deviendra la règle : d’une part, il introduit tout de suite le soliste (concerto pour piano no 4 en sol majeur, et surtout no 5, l’Empereur, en mi bémol majeur, où le piano prélude par une cadence de virtuosité) ; d’autre part, il lie le 2e et le 3e mouvement, le passage de l’un à l’autre étant traité comme une nouvelle « genèse » où se prépare et s’édifie le thème nouveau. Le premier mouvement de l’Empereur, notamment, est merveil-

leusement construit pour tenir la durée, et habile à relancer l’intérêt dans l’exposition soliste, bien que tous les thèmes aient déjà été entendus dans l’exposition orchestre. Ce principe de la soudure entre les 2e et 3e mouvements sera repris par Mendelssohn, dans son Concerto pour violon en mi mineur op. 64, qui enchaîne presque sans reprendre sa respiration ses 3 mouvements. La jonction entre les 2 derniers y est assurée par un bref allegretto, dont le rôle, comme chez Beethoven, est de préparer l’éclatement du rondo, et aussi de le retarder. Même préoccupation chez Schumann (Concerto pour piano en la mineur), dans un épisode interstitiel qui fait naître lentement le thème du rondo final à partir d’un rappel du thème principal du premier mouvement, soulignant par là leur unité thématique, et le principe cyclique qui régit la forme. Tout se passe, en fait, comme si l’on cherchait à franchir d’une manière mieux préparée, moins brutale, plus réfléchie, l’abîme qui sépare le 2e mouvement lyrique ou rêveur, et le dernier mouvement, délibérément facile et optimiste, négateur de toute tension. Saut qui se produit justement là où, dans la symphonie, le scherzo ou le menuet vient faire « tampon » entre le mouvement lent et le finale. On peut voir aussi, chez Schumann, comment la division en 2 expositions, dans le premier mouvement, a été remplacée par une exposition unique, où le piano solo, abrégeant les formalités, rentre tout de suite dans le vif du sujet : comment aussi le piano et l’orchestre collaborent plus étroitement, sans ce compartimentage des rôles, ce code de conduite auquel se plient les concertos de Mozart. Ainsi, tantôt les violons doublent la main gauche du piano, tantôt, inversement, le piano répand généreusement sur l’orchestre les fruits de sa virtuosité, sans attendre son tour. Plus souple, plus raffinée et coulante, la forme est peut-être moins tendue dramatiquement que chez Mozart, ou plutôt sa dramaturgie tend à se calquer sur celle de la symphonie, une symphonie-concerto. En revanche, sa rhétorique (tout ce vocabulaire de base de traits, d’échos, de répliques, de ponctuations, d’échanges) reste à peu près semblable, même si elle s’enrichit de quelques procédés nouveaux. Un texte de Schumann, écrit en 1839 dans sa Revue musicale, à propos du

concerto pour piano en ré mineur de Mendelssohn, donne le ton de ce désir de rénovation que les compositeurs un peu ambitieux manifestaient à l’endroit du concerto. Il constate d’abord que les progrès du piano, le fait qu’il puisse se suffire, pourraient entraîner le déclin du genre : « Le nouveau jeu du piano veut, par bravade, dominer la symphonie à l’aide de ses seuls moyens propres, et c’est là qu’on peut chercher la raison de ce fait que la dernière époque a donné naissance à si peu de concertos de piano (...). Nous devons donc attendre le génie qui nous montrera, d’une neuve et brillante manière, comment l’orchestre doit être lié au piano, de façon que celui qui domine l’ensemble, assis au clavier, puisse épanouir la richesse de son instrument et de son art, et que cependant l’orchestre, occupant auprès de lui plus que le simple rôle de spectateur, traverse artistement la scène downloadModeText.vue.download 251 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 245 de ses caractères variés. » Notons que Schumann, lui-même, use d’un vocabulaire se référant au théâtre. Mais il réclame de « sérieux et dignes solos de concert », et pas des cascades de trilles et de sauts d’octave. Autre suggestion : « Le scherzo (...) tel que la symphonie et la sonate nous l’ont rendu familier ne pourrait-il pas être introduit avec effet dans le concerto ? Il en résulterait un agréable tournoi avec les instruments solos de l’orchestre. » (Traduction, Henri de Curzon.) Avec l’intermezzo central de son Concerto pour piano (écrit entre 1841 et 1846) substitué au mouvement lent habituel, Schumann tente l’expérience. Mais dans son Concerto no 2 en « si » bémol, Brahms va plus loin, puisqu’il ajoute ce scherzo, un vrai scherzo de symphonie, en ré mineur, avec un trio en fanfare, aux 3 mouvements de rigueur et cela en deuxième position, entre l’allegro appassionnato et l’andante. Mais l’allegretto gracioso final se plie au rite du rondo insouciant, et dès le début de ce rondo, encore une fois, tout semble joué. Ce concerto, qui est peut-être le plus vaste du répertoire, un vrai concerto-symphonie, se rallie finalement à un modèle qui date de Vivaldi. Les autres concertos à 4 ou 5

mouvements enchaînés, qui seront tentés par Liszt ou Saint-Saëns, seront de proportions plus réduites. Au XXe siècle, beaucoup de musiciens prennent le concerto dans son moule classique en 3 mouvements et redonnent une certaine vitalité à la virtuosité : Béla Bartók, ainsi, s’accommode très bien de ses conventions, car le « brillant » est une des touches de sa palette, et il sait assumer la virtuosité tout en la rendant nerveuse, inquiète, tendue, en quête d’on ne sait quelle réponse. Prokofiev, lui, joue aussi à fond le jeu du concerto, dans une perspective dynamique : le Troisième Concerto pour piano, avec son andante à variations, est une belle coulée d’énergie, dans une tradition illustrée par les Italiens et par Jean-Sébastien Bach. À la fin de sa vie, Bartók s’acquitte même d’une commande de « concerto pour orchestre » (titre déjà utilisé par Kodály). Autant dire pour orchestre et... lui-même ; non point tant un concerto où les pupitres font tour à tour la parade devant la masse dont ils sont issus (situation illustrée par le seul deuxième mouvement, le « jeu des couples »), mais une oeuvre où l’orchestre se regarde dans un miroir et se fait une démonstration d’homogénéité, de puissance et de virtuosité - toujours la revue des troupes, mais avec le chef d’orchestre pour seul capitaine. Ici, la volonté de faire une oeuvre « extérieure » est délibérée. On se souvient peut-être que le ballet Petrouchka de Stravinski est né d’une idée de concerto ; nouvel indice de l’essence dramaturgique de ce genre, dont témoigne le récit du compositeur : il rêvait de traiter le piano comme un personnage, « un pantin subitement déchaîné, qui, par ses cascades d’arpèges diaboliques, exaspère la patience de l’orchestre, lequel à son tour par des fanfares menaçantes... ». Fanfares contre arpèges, la puissance contre la vélocité, on retrouve ici l’idée qui préside à tant de concertos. Aujourd’hui, le titre « concerto » est moins utilisé qu’autrefois, mais nombre d’oeuvres dites d’« avant-garde » sont bien des « cryptoconcertos » s’inspirant de procédés propres à ce genre : qu’il s’agisse de la Grande Aulodie de Bruno Maderna, pour flûte, hautbois et orchestre atomisé en petits groupes ; des Domaines de Pierre Boulez, pour clarinette et groupes

d’orchestre, où le soliste se mesure de même à un orchestre éclaté ; des Synaphaï, pour piano et orchestre, de Xenakis, morceau de bravoure assez lisztien ; ou des grandes pièces pour orchestre ou ensemble instrumental avec piano d’Olivier Messiaen, déjà citées (Turangalîla-Symphonie, Réveil des oiseaux, Couleurs de la cité céleste), ou encore de Tout un monde lointain, pour violoncelle et orchestre, d’Henri Dutilleux. Ces oeuvres utilisent le soliste dans une tradition bien établie, même si elles ne reprennent pas la coupe en 3 parties. D’autres oeuvres, comme le Concerto grosso, de Vºinko Globokar, sont une réflexion sur le genre concertant et le statut de soliste, que remet en jeu l’écriture contemporaine, soit par dilution de son identité dans une poussière d’effets sonores, soit par promotion de chaque membre d’un orchestre au rang de soliste, qui se trouve, dès lors, déchu de ses privilèges. Beaucoup d’oeuvres modernes sont des espèces de « sociodrames » musicaux et cherchent à critiquer ou à rénover les rôles traditionnels (Stockhausen, Nono, Kagel, Ligeti, Ferrari, etc.), mais elles témoignent souvent, par leur ambiguïté, qu’il n’est pas si facile de briser les schémas anciens et d’en trouver de nouveaux. Mais des Concertos ont été écrits tout récemment par Ligeti, Marcel Landowski, Renaud Gagneux, Lutoslawski, Michel Decoust, Heinz Holliger. Le concerto, tel le fameux couteau de Lichtenberg (couteau sans lame, auquel il manque le manche), est un concept, qui, à la limite, se passe de soliste et d’orchestre : on a eu le Concerto sans orchestre pour piano seul de Schumann, et le Concerto pour orchestre (sans soliste) de Bartók. Que reste-t-il, si l’on supprime la lame et le manche ? Un mystérieux esprit concertant, baladeur et volubile, dont on sait seulement que quelque chose de l’ordre de la parade et du miroir s’y exhibe, quelque chose de typiquement humain. CONCERTO GROSSO. La forme du concerto grosso fait appel à une répartition tripartite de la masse sonore : un violon principal dont le rôle est strictement fonctionnel ; le concertino qui groupe un ensemble restreint de solistes ; le grosso (ripieno) ou tutti qui représente l’anonymat de l’orchestre. Si le nom de concerto grosso apparaît dans l’édition de l’opus 2 de L. Gregori (1698), les premiers

compositeurs qui semblent s’y être intéressés sont Stradella (1676), Corelli (1682), Gregori (1698), Muffat (1701) et Torelli (1709). Mais c’est A. Corelli (1653-1713) qui est le véritable créateur de la coupe classique du concerto grosso. Il en laisse douze, dont huit relèvent du style d’église et quatre du style de chambre. L’effectif instrumental est identique pour tous les concertos : 2 violons et basse continue pour le concertino ; 2 violons, 1 alto et basse continue pour le grosso. Chaque groupe instrumental possède sa basse chiffrée et la forme générale de ces oeuvres hésite entre celle du concerto d’église en quatre mouvements et celle du concerto de chambre en quatre ou sept morceaux inspirés des formes et des titres de danse. Quelques concertos de Corelli sont en cinq mouvements séparés par deux repos : grave, allegro-vivace-largo et allegro. Parallèlement, G. Torelli (1658-1709) renforce l’effectif du grosso par les hautbois, bassons, trompettes et timbales, mais c’est A. Vivaldi (1678-1741) qui dote, définitivement, le concerto grosso d’une coupe en trois mouvements : allegro, adagio, allegro. Généralement, les deux allegros sont de forme sonate monothématique, avec réexposition de l’idée au ton principal, ou de forme rondo. Quant à la pièce lente, elle est, le plus souvent, de forme binaire et construite autour d’une ritournelle qui revient périodiquement et toujours modifiée. Même si Vivaldi écrit aussi des concertos grossos en quatre, cinq ou sept mouvements, il codifie le plan classique de cette forme qui s’exporte à travers toute l’Europe. L’Allemagne l’accueille très favorablement, et ses compositeurs se plaisent à offrir des versions interchangeables entre les cordes et les vents, pour les concertinos. On assiste également à une multiplication des combinaisons instrumentales, qui fait beaucoup pour l’enrichissement du groupe de solistes. Mais la forme la plus achevée du concerto grosso est représentée par les « Six concerts avec plusieurs instruments » de J.-S. Bach (1685-1750). Dans les Concerts II, IV et V, il oppose le concertino au grosso ; dans les I, III, VI, les parties concertantes agissent en groupe, quitte à voir apparaître, de temps à autre, un instrument soliste. Les combinaisons instrumentales sont très variées et offrent une place de choix aux vents. En dehors du premier, ces concerts sont tous en trois downloadModeText.vue.download 252 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 246 mouvements avec un allegro monothématique ou bithématique (II), un adagio de forme binaire (II, IV, V, VI), ou qui se résume à 2 mesures (I) ou à 2 accords (III) ; un final monothématique fugué (II, III, V) ou non (IV), de forme rondo (I), ou construit sur trois éléments (VI). Dans le 4e concert, l’adagio s’enchaîne au final. Avec son 5e concert, J.-S. Bach ouvre la voie au concerto de soliste pour clavier, à cette forme qui, précisément, supplante pour un temps celle du concerto grosso. Il faut attendre le « retour à Bach » du XXe siècle pour voir les compositeurs se pencher de nouveau sur cette forme : E. Bloch, M. Reger, H. Kaminski, E. Krenek, P. Hindemith, B. Bartók, W. Lutowslawski, I. Stravinski... Si la coupe ternaire reste généralement de rigueur, le style, le rythme, les combinaisons instrumentales et le langage harmonique sont du XXe siècle, et toutes les esthétiques contemporaines peuvent s’adresser à cette forme revivifiée. CONCERT SPIRITUEL. Entreprise de concerts publics fondée en 1725 à Paris par Anne Danican Philidor et qui poursuivit ses activités jusqu’au 13 mai 1790, totalisant près de 1 300 manifestations. Au début, on y entendit beaucoup de motets de Lalande, mais le répertoire tant vocal qu’instrumental et tant français qu’étranger évolua avec le temps : de la fin des années 1730 au début des années 1760, il fit une large place à Mondonville, et, à partir de 1777, il fut de plus en plus dominé par les symphonies de Haydn. Le Concert spirituel servit de modèle et d’exemple à plusieurs institutions semblables nées en Europe dans le courant du siècle (concerts Bach-Abel à Londres, concerts du Gewandhaus à Leipzig), et pour un instrumentiste ou un chanteur, y débuter était un événement important. La direction fut assurée par Philidor jusqu’en 1727, puis le privilège passa à Pierre Smart et Jean-Joseph Mouret (17281733), à l’Académie royale de musique (1734-1748), à Pancrace Royer et Gabriel

Capperan (1748-1762, à ceci près qu’en 1755 Royer fut remplacé par sa veuve), à Antoine Dauvergne, Gabriel Capperan et Nicolas-André Joliveau (1762-1771), à Antoine Dauvergne et Pierre Montan Berton (1771-1773), à Pierre Gaviniès, Simon Leduc et François-Joseph Gossec (17731777), et enfin à Joseph Legros (17771790). Les concerts eurent lieu jusqu’en avril 1784 dans les salles des Suisses (ou des Cent-Suisses) du palais des Tuileries, puis dans la salle des Machines (occupée de 1770 à 1782 par la Comédie-Française) du même palais. Au dernier concert dans l’ancienne salle (13 avril 1784), on programme exprès, sous le titre de « Symphonie où l’on s’en va », la Symphonie des Adieux (no 45 en fa dièse mineur, composée en 1772) de Haydn. À partir du 24 décembre 1789, la famille royale s’étant installée aux Tuileries, les concerts furent organisés en divers autres lieux. TRENTE (CONCILE DE). La nécessité de réunir un concile oecuménique s’imposait depuis des années, et le pape Paul III, face aux progrès de la Réforme, s’y était décidé dès 1536. Mais les grandes puissances catholiques - le Saint Empire romain germanique, l’Espagne, la France et le Saint-Siège lui-même - étaient si divisées que le concile ne put siéger à Mantoue en 1537, ni à Vicence l’année suivante. Une trêve dans ces conflits armés ou non intervint enfin en 1544, et le pape convoqua les pères conciliaires pour 1545 à Trente, cité choisie parce qu’elle était à la fois italienne et ville d’Empire. Le concile s’ouvrit le 13 décembre avec trente-quatre participants seulement, presque tous italiens. Transféré à Bologne en 1547 pour cause d’épidémie, il fut ajourné sine die en 1549. Un nouveau pape, Jules III, le rouvrit à Trente en 1551 et le suspendit une fois de plus en 1552. Son successeur Paul IV, hostile au principe même du concile, se garda bien de le ressusciter, et c’est Pie IV qui s’en chargea en 1562 après dix ans d’interruption. La vingt-cinquième et dernière session eut lieu en décembre 1563. Parfaitement conscient du fait que la Réforme était née d’une révolte contre les abus d’un clergé laxiste et corrompu, Paul III avait espéré lui couper l’herbe sous le pied et ramener au bercail les brebis égarées. Mais il était déjà beaucoup trop tard, et il fallut y renoncer, du moins dans l’im-

médiat. En revanche, le concile de Trente s’attacha à définir la position de l’Église en matière de dogme et à remettre de l’ordre dans ses institutions, jetant ainsi les bases d’une contre-réforme qui devait porter ses fruits au siècle suivant. Discipline et austérité étaient donc à l’ordre du jour. Elles ne pouvaient épargner la liturgie et, partant, la musique qui accompagne les offices. (Un semblable souci de ne plus prêter le flanc à l’accusation de triomphalisme devait jouer un grand rôle quatre siècles plus tard, lors du concile Vatican II.) Les plus zélés des pères conciliaires n’envisageaient rien moins que le retour pur et simple au chant grégorien et l’interdiction de toute musique contemporaine. Ils ne furent guère suivis et, dans son avant-dernière session du 11 novembre 1563, le concile se borna à formuler des recommandations qui visaient certains excès de la polyphonie moderne : l’abus du style fugué, qui tendait à rendre incompréhensibles les textes sacrés à force de répétitions et de superpositions, et surtout celui des tropes (ou « farcis ») empruntés à des chansons ou des danses profanes de caractère parfois licencieux. Pour appliquer ces consignes générales, le pape Pie IV nomma, le 2 avril 1564, une commission de huit cardinaux où figuraient notamment son neveu Charles Borromée, futur saint et Michel Ghisleri, le futur pape Pie V (qui devait être également canonisé). À son tour, cette commission invita le collège des chanteurs apostoliques à désigner huit délégués pour élaborer les détails de la réforme. L’illustre Palestrina, ancien protégé du pape Jules III, n’en faisait pas partie, ayant été exclu de la Sixtine par une décision antérieure, en tant qu’homme marié. C’est pourtant lui qui fournit le modèle à suivre avec sa fameuse Messe du pape Marcel, à six voix, dédiée pour des raisons diplomatiques à ce pontife qui n’avait régné que trois semaines en avril 1555. Pie IV l’entendit le 19 juin 1565 et, enthousiasmé, créa pour son auteur le poste de compositeur de la chapelle apostolique. À moins de deux ans de la clôture du concile, le profil de la musique sacrée selon le rite romain était fixé. CONCITATO (ital. : « agité »). Terme par lequel Monteverdi, en 1638 (préface du 8e livre de madrigaux), désigna un style particulier de récitatif, dont il se proclamait l’inventeur.

Il consiste en une déclamation musicale rapide, sans battue rigoureuse de mesure et comportant de nombreuses répétitions de notes, qui devait être articulée avec toutes les nuances expressives de la parole prononcée dans un mouvement d’émotion. Le genre est, du reste, antérieur au mot : sous le nom de « genre représentatif », le madrigal du 7e livre (1619), dit La lettera amorosa, en offrait déjà l’un des exemples les plus parfaits. CONCORDANT. Terme employé au XVIIe siècle pour désigner une voix intermédiaire entre la basse et le ténor, soit approximativement notre baryton. Dans la famille des violes, instrument correspondant à la même tessiture, entre la basse et la « taille ». CONCRÈTE (MUSIQUE). Nom donné en 1948 par Pierre Schaeffer à une nouvelle forme d’expression musicale, dont il fut l’inventeur et, avec Pierre Henry, le pionnier principal. Cette forme consiste à composer à partir de sons enregistrés (sur disque puis sur bande magnétique), en travaillant et en combinant ces sons à différents niveaux, en les enregistrant, en les manipulant sur leur support d’enregistrement sans passer, la plupart du temps, par une notation préalable, d’ailleurs impossible. En quelque sorte, la musique concrète était à la musique instrumentale ce que le cinéma est au théâtre. Les sons utilisés étaient de provenances downloadModeText.vue.download 253 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 247 diverses (instrumentale, anecdotique, « naturelle », issus de corps sonores tels que tiges, ressorts, tôles, etc.), mais le plus souvent microphoniques, c’est-à-dire captés dans un espace quelconque, à partir d’un corps résonnant, par opposition aux sons électroniques, créés par des oscillations électriques transmises directement au haut-parleur, qu’employait alors la musique électronique, née en Allemagne. Aujourd’hui, à tort ou à raison, la « mu-

sique concrète » est considérée comme un courant révolu ; comme le cubisme en peinture, elle correspond à une recherche qui a été englobée, absorbée par d’autres courants, et l’on parle plutôt aujourd’hui, pour les oeuvres composées avec cette technique, de musique électroacoustique. Cependant, dès le départ, la musique concrète était pour Pierre Schaeffer, son inventeur, plus qu’une nouvelle technique « futuriste » parmi d’autres ; c’était surtout une nouvelle manière de faire, de comprendre, d’entendre la musique. C’est pourquoi les lignes qui suivent, dues à Pierre Schaeffer lui-même, ne parlent de la musique concrète qu’en la resituant dans le contexte plus global de la musique contemporaine, et d’abord par rapport à la musique électronique avec laquelle elle fut un temps opposée. Résolument acoustique, la musique concrète cherche son matériau dans les corps sonores, dont le son est capté par micro et éventuellement manipulé après enregistrement : soit mécaniquement (par montage ou variation de vitesse de lecture), soit électriquement (par filtrage du spectre des fréquences et amplification). La musique électronique, née en 1950 au studio de la radio de Cologne, recourt au son synthétique fourni par des oscillateurs électriques de fréquences ou des générateurs d’impulsions. Ces sons qui ne préexistent pas dans la nature ne sont perçus qu’après avoir été amplifiés et rendus audibles par les haut-parleurs. La symétrie des procédés ne s’oppose pas seulement comme l’analyse des sons naturels ou la synthèse de sons artificiels. Elle révèle aussi bien deux sources d’inspiration : l’une fondée sur le goût des sons acoustiques et le recours à leurs ressources, l’autre sur la détermination, par la théorie et le calcul, de réaliser des sons mentalement préconçus. Ainsi s’affrontent aussitôt « empiristes » et « rationalistes ». Quant aux résultats, de toute façon surprenants, ils montrent que les sons naturels, après manipulation, sont souvent plus « inouïs », plus riches, plus vivants que les sons électroniques, qui révèlent volontiers leur commune origine : le « timbre » du synthétiseur, dont les variations, théoriquement illimitées, sont vite banalisées.

Enfin deux esthétiques spontanées résultaient de procédés divergents, mais tous deux primitifs dans les années 50. La musique concrète de Pierre Schaeffer et de Pierre Henry fut tout d’abord réalisée au tourne-disque, faute de magnétophone. Les prélèvements sonores étaient isolés sur des « sillons fermés », recombinés entre eux par copie et mélanges successifs. La musique électronique de Herbert Eimert, bientôt rejoint par K. H. Stockhausen et aidé de l’acousticien Meyer-Eppler, permettait des subtiles « mixtures » de fréquences, mais de quel clavier disposer pour en jouer, sauf à recourir au mélochord de Bode et au trautonium de Trautwein ? LES ANCÊTRES. Aux deux procédés de renouvellement du sonore, voire du musical, on cherche volontiers des précédents. Les musiciens concrets auraient alors pour précurseurs les « bruitistes » italiens, dont le manifeste l’Art des bruits date de 1913. Pierre Henry rend un hommage ultérieur à Russolo et Marinetti dans son oeuvre Futuristie (1975), ce qui n’empêche pas Pierre Schaeffer de nier toute parenté avec ce mouvement, totalement oublié en 1948, et, en tout cas, inconnu de lui à l’époque. De même, quel que soit le mérite des pionniers allemands précités, Bode et Trautwein, dont l’émule français est Maurice Martenot, leur propos commun était d’adjoindre les performances variées et étendues d’un instrument électronique à ceux de l’orchestre, mais registré dans la tradition musicale. Cet emploi fut d’ailleurs illustré notamment par Hindemith pour le trautonium en 1931, et, pour les ondes, Martenot par des oeuvres de Milhaud, Messiaen et Jolivet. Les parentés authentiques doivent être recherchées ailleurs et au-delà des apparences. Si la musique concrète accepte le bruit comme matériau, c’est pour le traiter comme matière première et en tirer des sons estimés « convenables » au propos musical. Si la musique électronique recherche la pierre philosophale dans la combinatoire des fréquences, c’est pour outrepasser le domaine traditionnel, déjà condamné par l’école de Vienne. Même si les premières oeuvres concrètes s’intitulent Études de bruits, c’est davantage par modestie que par prétention futu-

riste ou surréaliste. En fait, dès l’arrivée des magnétophones, en 1950, la musique concrète applique au son les techniques du cinéma pour l’image. De leur côté, les musiciens électroniques postulent le progrès musical, soit pour dépasser la performance des instrumentistes traditionnels, soit pour fournir aux compositeurs, avec une rigueur accrue, l’extension de leur combinatoire. LES MUSIQUES D’ÉPOQUE. On ne saurait bien élucider la divergence précédente sans évoquer son interférence avec d’autres courants. On rappellera d’abord brièvement la crise dominante de la musique contemporaine, qui oppose, en ce milieu du XXe siècle, les héroïques défenseurs de la tradition mélodico-harmonique et les doctrinaires de la série. Si Varèse est revendiqué comme précurseur par des tendances divergentes, c’est bien parce que son oeuvre reste équivoque autant que novatrice. On peut aussi bien en critiquer l’aspect concret, l’incorporation d’un montage de bruits peu convainquant sur bande magnétique en solo avec l’orchestre. Déserts, créé en 1954 aux Champs-Élysées, conjugue l’orchestre de l’O. R. T. F. dirigé par Hermann Scherchen avec du « son organisé » (avec l’aide de Pierre Henry, quoique retravaillé par l’auteur sans cesse depuis lors). Si Xenakis fait un passage à la musique concrète, en 1956, c’est pour s’en écarter bientôt, en préférant orchestrer directement à partir de modèles inspirés soit de modèles géométriques, soit de ceux des lois du hasard. Si, enfin, des compositeurs comme Ivo Malec et François-Bernard Mâche s’inspirent volontiers de leurs pratiques concrètes, c’est souvent pour confier à l’orchestre, par une nouvelle écriture, le soin de recréer un sonore plus proche de l’exécution musicale habituelle. LES ÉCHAPPATOIRES. Émerge John Cage, dont on ne sait jamais s’il se prend au sérieux lorsqu’il propose quelques minutes de silence (les bruits de l’auditoire constituent l’oeuvre), ou un clauster répété plus de trois cents fois au piano, ou un concert de postes de T. S. F. Pourtant, parmi nombre d’excentricités figurent des pièces pour piano préparé (du

« Mozart pour gamelong »), dont il est l’inventeur. Contemporain de la musique concrète, c’est ce piano, rempli de crayons et de gommes qu’emploie aussi avec virtuosité Pierre Henry (dont Bidule en « ut »). De son côté, Mauricio Kagel propose un spectacle musical à la fois sérieux et dérisoire, qui tient davantage du happening que de l’art musical. UN CHASSÉ-CROISÉ. Entre-temps, les plus fanatiques défenseurs de la musique calculée et rigoureuse (et à leur tête Stockhausen) ont incorporé dans leurs oeuvres, toujours réputées électroniques, les pires excès de la confusion sonore, ceux-là mêmes dont ils accusaient la musique concrète à ses débuts, et qu’elle-même réprouvait : voix déformées, piaulements de récepteurs de radio, débris d’hymnes nationaux, bruits bizarres, mélopées de nirvāna à bouche fermée, inspirées par la foi du charbonnier dans un boudha d’importation. downloadModeText.vue.download 254 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 248 En somme, vingt ans après 1948, la revanche des concrets était complète et souvent pour le pire, et bien contre le gré des fondateurs. Sous le nom de musique électronique, c’était tantôt le morne déroulement des événements sonores, tantôt leur malaxage injustifié. Inversement, bien des groupes issus de l’expérience concrète s’étaient mis à l’électronique, attendant eux aussi, du perfectionnement des synthétiseurs, voire de l’informatique, les ressources d’une musique introuvable. Quant à l’orchestre, il restait à l’émanciper. Les tenants des idées de 1968 lui reprochèrent de rester soumis à la férule du chef, au diktat du compositeur. Libérés du chef, les musiciens se devaient désormais d’apporter chacun leur créativité. Enfin, le dernier trait de la modernité était de jouer des instruments à rebours : des instruments à cordes derrière le chevalet, des instruments à vent comme claquettes et de la voix comme cri. LE PUBLIC. On ne peut guère s’étonner dans ces

conditions que le grand public ait décroché, n’ait plus trouvé dans la pratique du concert, même soutenue par le snobisme ou la technologie, le plaisir musical auquel la tradition l’avait habitué. D’où le transfert massif de la jeunesse sur la pop music, qui ne s’inspire pas forcément du meilleur jazz, et son engouement pour la musique classique. D’où la difficulté de la discographie, qui a beau présenter des collections assez complètes d’un quart de siècle de musique expérimentale, sans pouvoir s’assurer vraiment un succès populaire. Pierre Henry seul a connu quelques « tubes », du jerk à l’apocalypse, lancé aussi par le succès des Ballets de Béjart, que sa musique accompagnait. C’est que Pierre Henry a pu convoquer, à différentes reprises, des foules de jeunes en audition directe, avides de retrouver le jeu des fonctions musicales, de bénéficier du « voyage » proposé dans l’espace imaginaire, par cet extraordinaire aventurier du long parcours sonore. D’où la faveur enfin de musiques exotiques répondant presque seules à ces fonctions de « mise en condition ». C’est bien là, on le sait, le propos avoué des musiques qui nous viennent d’Orient, pour la méditation, ou d’Afrique, pour une danse qui va jusqu’à la possession. Faute de retrouver une authentique tradition d’« états intérieurs », vraiment conscients et consciencieux, on se contente en général du vague à l’âme et de la chaleur communicative qui résulte des grands rassemblements. Soit que l’accumulation des participants et des formations de pop music rétablisse un climat de fête, soit que la redondance des musiques répétitives, avec leurs infimes variantes, fournisse aux usagers une « drogue de la durée », en retrouvant spontanément la fascination des primitifs « sillons fermés ». LA RECHERCHE MUSICALE. Cette expression évoque tantôt les oeuvres d’essai ou d’avant-garde, tantôt la recherche instrumentale de « nouveaux moyens », plus rarement une démarche fondamentale, dont on ignore si elle relève de la science ou de l’art. À la vocation de compositeur P. Schaeffer préfère celle de chercheur. Il définit une recherche fondamentale en musique à l’instar d’une linguistique, encore qu’il dénonce le transfert

abusif du modèle de la langue. La musique est précisément ce que le langage des mots n’atteint pas. Pourtant, la même « articulation » semble jouer entre sonore et musical tout comme entre phonétique et phonologique. Avant même de songer au « langage musical » dans une « articulation supérieure », on peut donc préconiser une approche de l’objet sonore, porteur potentiel de valeurs ou caractères musicaux. Deux différences apparaissent alors tant avec la musicologie qu’avec la linguistique traditionnelle. Ces deux démarches partaient de langages existants, d’un code culturel, dont les unités élémentaires sont déduites grâce au contexte. Dans une musique en devenir, postulée à partir de matériaux « inouïs », la tentation est de remonter de l’élément à l’organisation, du simple au complexe. C’est ce qui peut expliquer les échecs parallèles des deux investigations, et peu importe alors qu’elles soient empiriques ou rationnelles. Tandis que la phonétique étudie avec le plus grand soin un matériel sonore limité à l’instrument phonatoire humain, une phonétique généralisée du sonore doit envisager l’ensemble des sons possibles. Pour pouvoir en apprécier la convenance musicale, on doit commencer par décrire une morphologie et une typologie des objets sonores considérés comme unités de perception. C’est ce que vise le Traité des objets musicaux paru en 1966 et résumant quinze ans d’investigation. OEuvre considérable mais inachevée, de l’avis même de son auteur, puisque ce solfège, « le plus général qu’il soit », devrait être complété par un Traité des organisations musicales. L’ÉNIGME MUSICALE. C’est dans une investigation des « intentions » de l’oreille, de ses façons de percevoir, de sa gestalt, que les travaux de P. Schaeffer ont été les plus féconds, sans convaincre forcément des milieux toujours attachés à une description physique des sons et à une combinatoire préconçue. Outre que la tendance « rationaliste » résiste opiniâtrement aux enseignements expérimentaux, et que des centres comme l’I. R. C. A. M. feignent d’ignorer un acquis indispensable, il n’est pas sûr que l’électronique, même relayée par l’informatique, permette si vite de résoudre l’énigme musicale. Au niveau supérieur des complexités,

le sens de l’énoncé musical provient d’un jeu entre les valeurs et les caractères musicaux. Longtemps, du moins en Occident, cette dialectique a été celle des hauteurs et des durées, le timbre ne jouant qu’un rôle de différenciation des parties concertantes. Cette musique, qui a produit les plus grands chefs-d’oeuvre en vertu d’une très simple grammaire de la tonalité, semble aujourd’hui épuisée. C’est en vain qu’on se tourne vers les musiques d’autres civilisations, mal conservées et mal explorées, qui toutes relèvent de grammaires différentes, quoique inspirées de principes analogues. La grande coupure pratiquée au cours du XXe siècle, aussi bien par la négation sérielle que par l’irruption électroacoustique, laisse largement ouvert le problème de la « musique même ». Le champ de son développement estil illimité comme le croient certains, par analogie au progrès scientifique ? Ou estil borné par la nature même de l’homo sapiens, lui-même contenu dans ses registres de perception et de sensibilité, d’expression et de communication ? De sorte que c’est en profondeur et non en surface, dans la conscience d’entendre et non pas seulement dans les moyens de faire, que devraient s’exercer la réflexion et le progrès. Ce qui peut mener à une conclusion : l’investigation musicale ramène esentiellement à une anthropologie, de même que la divergence des manifestations actuelles, des inspirations et des écoles reflète éloquemment la pittoresque incertitude de la société contemporaine. LES GRANDES DATES DE LA MUSIQUE CONCRÈTE. Entre 1948, date de naissance officielle, et le début des années 60, où la musique concrète renonce à son étiquette propre pour se fondre dans le courant « électroacoustique », l’histoire du genre compte deux ou trois tournants importants. Les premiers essais de Schaeffer, les Études de bruit de 1948 (Étude aux chemins de fer, pour piano ou violette, aux tourniquets, Étude pathétique) sont, hormis la dernière, plus « abstraites » dans leur propos que les titres ne le donnent à penser. Ainsi l’Étude aux chemins de fer, sur des sons de locomotive, est une « étude de rythme » plus qu’un tableau descriptif. Après ces oeuvres brèves (pas plus de 5 minutes chacune), auxquelles il faut ajouter la Suite 14, l’arrivée de Pierre Henry, alors tout jeune, vient

donner l’élan décisif : ce sont les oeuvres communes, plus vastes et ambitieuses, la Symphonie pour un homme seul, 1949-50, les 2 opéras concrets Orphée 51, 1951, et Orphée 53, 1953, où chacun apporte son talent : l’aîné, son humour, son sens dramatique, son oreille très personnelle et son sens de la proportion très fin et sensible (et naturellement aussi ses arguments et ses downloadModeText.vue.download 255 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 249 textes) ; le cadet, sa créativité sans frein, sa vitalité, son sens inimitable de l’espace et de la vie du son. Pierre Henry s’affirme parallèlement par une production copieuse d’oeuvres expressionnistes ou « virtuoses ». Cependant, Pierre Schaeffer cherche déjà avec Abraham Moles, Jacques Poullin, etc., puis avec une équipe de chercheurs, les bases d’un Solfège de l’écoute, qui aboutira dans le monumental Traité des objets musicaux (1966). En 1951, le Groupe de recherche de musique concrète, issu du studio d’essai de la R. T. F., a été officialisé. C’est le noyau initial du futur Groupe de recherches musicales, fondé en 1958. La petite équipe du G. R. M. C. des années 50 (Schaeffer, Henry, Arthuys, Poullin, etc.) se répand en expériences, en analyses de l’objet sonore, et ses travaux suscitent des polémiques, notamment de la part des jeunes musiciens « sériels » (Boulez, Barraqué, Stockhausen), qui, venus s’essayer à la musique concrète de 1951 à 1952 armés pour penser la musique en notes et en structures écrites, se trouvaient désarmés devant ce matériau qui n’obéissait pas toujours à leurs intentions. Il y eut des attaques violentes, dont la musique concrète ne semble pas s’être relevée dans l’avantgarde, aujourd’hui officielle, et, pourtant, combien la connaissent autrement qu’à travers ces anathèmes d’il y a vingt-cinq ans. En 1958, nouveau tournant, avec le départ de Pierre Henry, la reprise en main du G. R. M. C. par Pierre Schaeffer, qui réorganise le groupe, le baptise Groupe de recherches musicales, lui donne pour programme de mener à bien l’investigation du sonore et la recherche rigoureuse d’une musique généralisée, conçue à partir du son tel qu’il est perçu. Si l’on reste attaché

au matériau « concret » (les sons microphoniques), c’est désormais pour faire une musique « abstraite » anti-expressionniste, à l’opposé de la Symphonie pour un homme seul (encore que celle-ci soit pleine de recherches formelles et d’écriture), et mettant en valeur des variations de caractères sonores dans le champs de l’écoute. Il s’agit de dégager l’abstrait du concret. Les 3 Études de 1958-59 de Pierre Schaeffer (Étude aux allures, aux sons animés, aux objets) donnent l’exemple, suivies par les premiers travaux « concrets » de Mâche, Ferrari, Bayle, Malec, etc., qui sont les piliers du nouveau G. R. M. Avec l’avènement de la « musique électroacoustique », courant plus global et syncrétique, et, surtout, après la parution du bilan du Traité des objets musicaux, cette école de Paris, si elle garde une identité très forte, tend à se diversifier en styles, en démarches multiples. Seul, ou presque, Pierre Henry, travaillant à partir de 1960 dans son propre studio, Apsome, est resté dans ses dernières oeuvres très proche du rêve primitif de la musique concrète. La musique « acousmatique » du G. R. M. actuel, les musiques électroacoustiques récentes composées en France empruntent des chemins différents. Mais la musique concrète est loin d’être un phénomène strictement localisé dans le temps et dans l’espace (Paris, entre 1948 et le début des années 60), puisque certaines des plus grandes oeuvres dites aujourd’hui électroacoustiques (Variations pour une porte et un soupir de Pierre Henry ; Espaces inhabitables de Bayle ; Violostries de Parmegiani ; même les Hymnen de Stockhausen et Acustica de Mauricio Kagel) doivent beaucoup à l’expérience de la musique concrète primitive ; et que l’on peut suivre les prolongements de ce courant aujourd’hui considéré comme révolu, dans la production de compositeurs aussi divers que Henry, Bayle, Ferrari, Xenakis, Malec, Parmegiani, Savouret, Redolfi, Chion, Grisey, Levinas, etc., et à l’étranger, de Mimaroglu, Riedl, Kagel, De Pablo, et même Cage et Stockhausen. CONDÉ (Gérard), compositeur et musicographe français (Nancy 1947). Autodidacte de formation - ses premiers essais datent de 1961 -, Gérard Condé a fait ses études d’harmonie au conservatoire de sa ville natale avant d’aller suivre à Paris, entre 1969 et 1972, l’enseignement de Max

Deutsch pour la composition. Parmi une quarantaine de partitions incluant parfois une dimension théâtrale, avec ou sans support littéraire, on citera Mémorial (197172) pour baryton et quintette à cordes ; Darjeeling (1976), rituel pour un chanteur, Rondo varié pour tubiste (1978), Rêve d’amour, action musicale (1982), deux Trios à cordes (1980 et 1986), Élans pour violoncelle et piano (1988), le Chant du silence pour baryton et orchestre (1992), les Miracles de l’Enfant Jésus pour choeur d’enfants (1994), Éveil pour orchestre (1995). La plupart d’entre elles utilisent une technique d’écriture dérivée du principe de la série de douze sons mais, à travers l’usage de la gamme par tons entiers et d’intervalles consonants, il réintroduit les notions de polarité et de justesse absolue. À partir de 1968, Gérard Condé a collaboré à un certain nombre de revues musicales ; en 1975, il entre au journal le Monde, auquel il consacre l’essentiel de son activité de critique. CONDUCTEUR. Partition ou partie sur laquelle suit le chef d’orchestre. On emploie surtout l’expression lorsqu’il ne s’agit pas d’une partition détaillée (grande partition), mais d’une réduction simplifiée, ou même d’une partie d’orchestre, lorsqu’elle est suffisamment explicite pour permettre la direction. CONDUIT. 1. Dans une construction musicale, passage d’intérêt secondaire dont le rôle est surtout de créer une transition. Dans la fugue notamment, on appelle conduit la prolongation du sujet qui sépare parfois son exposition de l’entrée de la réponse. 2. Dans l’office médiéval (lat. conductus), et spécialement du IXe au XIIe siècle, chant d’usage local, strophique ou non, accompagnant un déplacement : par exemple le « conduit de l’âne » orientis partibus accompagnant l’entrée de cet animal lors de l’office des Fous à Sens ou à Beauvais. 3. Par extension, le mot s’est appliqué, surtout aux XIIe et XIIIe siècles, à divers chants latins versifiés non liturgiques traitant des sujets les plus variés, qu’ils soient pieux, profanes, satiriques, d’actualité, etc. Les conduits, appelés aussi versus (au

singulier pour désigner l’ensemble d’une pièce), figurent parmi les ancêtres immédiats du répertoire des trouveurs et, particulièrement, des premiers troubadours aquitains ; une des collections de versus les plus importantes se trouvait au XIe siècle à Saint-Martial de Limoges. 4. Par dérivation du sens précédent et par le fait que de nombreux conduits, primitivement à 1 voix, ont été harmonisés en déchant à 2 ou 3 voix, le mot « conduit » a désigné, principalement dans la polyphonie de l’Ars antiqua (XIIe-XIIIe s.), des chants latins à plusieurs voix comportant une voix initiale (vox prius facta) spécialement composée, et non pas, comme dans l’organum ou le motet primitif, issue d’un modèle liturgique, harmonisée syllabiquement, en principe note contre note, toutes les parties chantant le même texte. Certains conduits, dits cum cauda, comportaient au début ou en finale des puncta organi (passages d’organum) vocalisés, ce qui a donné naissance par contre-sens à l’expression « point d’orgue ». Le conduit représente le premier exemple de chants polyphoniques composés ex nihilo, sans le support d’un texte liturgique préexistant. CONJOINT. Deux sons ou groupes de sons différents sont conjoints lorsqu’ils sont réunis par une conjonction ; ils sont disjoints dans le cas contraire. CONJONCTION. 1. Caractère d’un intervalle dont les deux termes sont en relation directe de voisinage, sans qu’il soit besoin, pour l’identifier, de faire appel à des sons intermédiaires, même si de tels sons existent : ainsi entre do et ré il y a conjonction, bien qu’il existe entre eux un do dièse ou ré bémol, parce que celui-ci n’est pas pris en considération dans l’échelle diatonique, seule envisagée lorsqu’on énonce à la suite le downloadModeText.vue.download 256 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 250 do et le ré. Alors que les anciens solfèges ne signalaient la conjonction que dans le cadre de la mélodie heptatonique, on étend aujourd’hui cette notion à la tota-

lité des échelles et on reconnaît 3 sortes de conjonction, dont la première est commune à presque tous les langages musicaux, alors que les deux dernières ne sont ressenties que dans le langage harmonique occidental. -La conjonction mélodique consiste dans le voisinage des deux sons dans la gamme formée par l’échelle considérée, que celle-ci soit diatonique (ex. do-ré), chromatique (ex. do-do dièse) ou préheptatonique, c’est-à-dire formée dans le cycle des quintes par 2 sons (ditonique, ex. do-sol-do à caractère mélodique) ou par 3 sons (tritonique, ex. do-fa-sol-do) ou par 4 (tétratonique, ex. do-ré-fa-sol-do) ou par 5 (pentatonique, ex. do-ré-fa-solla-do) ou par 6 (hexatonique, ex. do-rémi-fa-sol-la-do), l’heptatonique rejoignant le diatonique ci-dessus. Ainsi une tierce mineure, disjointe en heptatonique, peut être conjointe en pentatonique, tandis qu’une tierce majeure n’est jamais mélodiquement conjointe. -La conjonction d’arpège, qui n’est ressentie que dans le langage harmonique occidental depuis l’assimilation de l’accord parfait naturel (XVIe s. env.), consiste dans l’appartenance des notes en cause à un même accord de soutien, exprimé ou sous-entendu ; ainsi, sur un accord do-misol, il y aura conjonction d’arpège entre do et mi, entre do et sol, entre mi et sol, etc. En langage tonal, une mélodie est essentiellement constituée par un mélange de conjonctions mélodiques et de conjonctions d’arpège, tandis que, en langage monodique non harmonique, seules les conjonctions mélodiques apparaissent comme telles. -La conjonction harmonique enfin, qui n’existe que dans le langage de ce nom et ne s’applique qu’à la succession des basses fondamentales des accords, consiste dans le voisinage des sons en cause sur le tableau des harmoniques dit tableau de la résonance, et son efficacité décroît rapidement à mesure qu’on s’éloigne du point d’origine de ce tableau. Ainsi, pour un tableau do1-do2-sol2-do3-mi3-sol3 etc., il y aura conjonction harmonique maximum dans l’octave (do1-do2), conjonction harmonique forte dans la quinte (do2-sol2), et la quarte (sol2-do3), moins forte dans les deux tierces majeure (do3-mi3) et mineure (mi3-sol3), négligeable ensuite. C’est la conjonction harmonique qui

règle, en syntaxe tonale, la succession des accords et leur degré de ponctuation harmonique, et le refus de cette conjonction, inclus dans la théorie de l’« émancipation de la disjonction » énoncée par Schönberg, est l’un des éléments essentiels de la rupture entre le langage qui en découle et ceux qui l’ont précédé. 2. En musique grecque antique, on dénommait conjonction (synaphê) la proximité de deux tétracordes réunis par une note commune, par exemple mi-la et la-ré, la disjonction (diazeuxis) apparaissant quand les tétracordes se rejoignent sur deux notes voisines et non plus communes, par exemple mi-la et si-mi, l’intervalle la-si étant dit alors « ton disjonctif ». De plus la théorie donne le nom de tétracorde conjoint ou disjoint au tétracorde placé au-dessus de la mèse (la central) soit en conjonction (la-ré) soit en disjonction (si-mi), bien que ce dernier soit le seul disjoint du système où tous les autres apparaissent conjoints. CONLON (James), chef d’orchestre américain (New York 1950). À la Juilliard School, il travaille la direction avec Jean Morel. Remarqué par Maria Callas alors qu’il est encore étudiant, il est amené à diriger la Bohème. Ses débuts officiels ont lieu en 1971 à Spoleto, inaugurant une carrière qui fait une large part à l’opéra. En 1976, il commence à diriger au Metropolitan Opera de New York. Il dirige pour la première fois à Covent Garden en 1979 et à l’Opéra de Paris en 1984. En 1979 il est nommé directeur musical du Cincinnati May Festival, consacré à la musique chorale. De 1983 à 1991, il est le directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Rotterdam. En 1989, il est nommé directeur général de la musique à l’Opéra de Cologne, et en 1990 chef permanent de l’orchestre du Gürzenich de Cologne, postes qu’il quitte à sa nomination en 1995 à celui de directeur musical de l’Opéra de Paris. CONON DE BÉTHUNE, trouvère français (v. 1160 - 1220). Fils de Robert V de Béthune, il apprit son art auprès de son oncle Huon d’Oisy, seigneur de Cambrai. Il participa à deux croisades (la IIIe et la IVe), et fut nommé, en 1217, sénéchal d’Empire à Constantinople,

après la prise de la ville par les armées chrétiennes (1204). Le chroniqueur Villehardouin (la Conquête de Constantinople) le loue pour son talent poétique. On a conservé une dizaine de ses chansons, auxquelles s’ajoute un petit nombre d’attributions plus douteuses. Dix chansons en tout sont pourvues d’une notation musicale (Oïmi ! Amore dure départie). Aussi célèbre comme guerrier que comme trouvère, il serait mort en Orient. CONQUE. Instrument à vent primitif, fait d’un grand coquillage marin du même nom, appelé aussi « triton », dont on brisait la pointe pour former embouchure. Elle figure donc parmi les ancêtres lointains des trompes (trompettes, trombones) et des cors. CONRAD (Doda), basse polonaise, naturalisé américain (Szczytnik, Silésie, 1905). Sa mère, la cantatrice Marya Freund, lui fait étudier la musique très jeune. À Milan et New York, il étudie ensuite avec E. de Gogorza, et fait ses débuts à Paris dans une opérette de Maurice Yvain dont Mistinguett est la vedette. En 1936, il entre à l’Ensemble vocal de Nadia Boulanger, et donne, dans les années qui suivent, de nombreux récitals de mélodie française. Il crée des oeuvres pour voix de basse composées à son intention (dont les Mouvements du coeur, oeuvre collective sur des poèmes de Louise de Vilmorin, et les Visions infernales de Sauguet, sur des poèmes de Max Jacob). Parallèlement à son activité de récitaliste, il a occupé comme organisateur de concerts une place importante dans la vie musicale et mondaine française. CONSERVATOIRE. (ital. :conservare, :« conserver »). Établissement où l’on « conserve » les traditions d’un art. Le terme italien conservatorio désignait, à l’origine, un orphelinat, un asile ou un hospice où des enfants abandonnés étaient recueillis et initiés à la musique. Le conservatorio le plus ancien est celui de Santa Maria di Loreto, à Naples, fondé en

1587 par Giovanni di Tapia. Venise possédait 4 ospedali, établissements du même genre, dont le plus connu est celui « della Pieta », où le maître de musique a longtemps été Vivaldi. C’est au XVIIIe siècle que le mot conservatoire est entré dans la langue française, pour désigner un établissement où est enseignée la musique, mais dans lequel les différentes classes sont accessibles uniquement par concours. Outre le Conservatoire de Paris, créé en 1795, et qui est un établissement supérieur d’enseignement de la musique, d’autres conservatoires ont été fondés en province dès le XIXe siècle : Douai (1806), Lille (1816), Roubaix (1820), Toulouse (1821), Avignon (1828), Marseille (1830), Caen (1835), Aix-en-Provence (1849)... Parmi les établissements dépendant aujourd’hui du ministère de la Culture, figurent 20 conservatoires nationaux de région (1975), mais le Plan décennal pour la réorganisation des structures musicales françaises (1969-1978) en prévoyait 27. Ces conservatoires de région doivent obligatoirement enseigner 32 disciplines, parmi lesquelles 30 disciplines obligatoires et 2 disciplines à choisir parmi 16 autres. Leurs directeurs sont nommés sur concours par le ministère de la Culture, ainsi que les professeurs des downloadModeText.vue.download 257 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 251 différentes disciplines. Depuis septembre 1966, fonctionnent des classes à horaires aménagés, créées par le ministère de la Culture et le ministère de l’Éducation, pour permettre à des élèves de poursuivre une scolarité normale, avec des horaires allégés, tout en suivant des études musicales. Deux baccalauréats ont été créés : le baccalauréat A 6 et le baccalauréat de technicien en musique F 11. Ces deux baccalauréats ouvrent la porte des universités au même titre que les autres baccalauréats. Un Conservatoire national supérieur a été créé à Lyon en 1979. CONSERVATOIRE (SOCIÉTÉ DES CONCERTS DU). Ensemble symphonique et choral français qui a donné des concerts à Paris jusqu’en 1967, date à laquelle il prit le nom d’Or-

chestre de Paris. La Société des concerts du Conservatoire (S. C. C.) tire son origine de la même source que le Conservatoire de Paris, car elle est descendante de l’orchestre militaire de la garde nationale, institué par Sarrette dans les débuts de la Révolution. La S. C. C. a été officiellement fondée le 15 février 1828, par arrêté de la maison du roi Charles X. Le violoniste Habeneck avait insisté auprès de Cherubini, directeur de l’École royale, pour que reprissent les « exercices publics » des élèves, interrompus en 1815. Il s’agissait, en fait, de véritables concerts qui offraient des programmes très intéressants. En 1832, l’appellation « Société des concerts » fut confirmée, et le nombre de concerts fixé à 7 pour la saison. L’effectif des musiciens et des chanteurs était, en 1828, de 76 instrumentistes et 78 choristes. Le premier concert, dirigé par Habeneck le 8 mars 1828, s’ouvrit sur la Symphonie héroïque de Beethoven. Entre 1828 et 1848, Beethoven, alors peu connu en France, fut le compositeur le plus joué, aux côtés de Mozart, Haydn, Weber, Gluck, Berlioz et Mendelssohn. Des interprètes et des cantatrices de renom venaient se produire aux concerts de la société : Liszt, Chopin, Vieuxtemps, Baillot, Mlle Falcon, Mme Pauline Viardot. Jusqu’en 1922, les concerts étaient donnés dans la Vieille Salle du Conservatoire ; ils furent ensuite transférés au théâtre des ChampsÉlysées. Habeneck resta au poste de chef d’orchestre jusqu’en 1848. Il fut remplacé par Narcisse Girard (1848-1860), puis par Alexandre Tilmant (1862-63), qui fit faire leurs débuts à Sarasate et à F. Planté, et qui dirigea le 5e concerto de Beethoven, interprété par Clara Schumann. En 1863, Tilmant démissionna, et Georges Hainl fut élu directeur contre Berlioz. Il fit connaître des compositeurs et des interprètes nouveaux : Wagner, Saint-Saëns, Th. Dubois, Fauré, Rubinstein, et dirigea les oeuvres récentes de Berlioz, Gounod, Franck. En raison d’un public de plus en plus vaste, le nombre de concerts fut doublé à partir de 1867. De 1872 à 1885, la direction fut assurée par Édouard Deldevez, qui créa Ruth et les Béatitudes de Franck, ainsi que des oeuvres de Schumann, Reyer, Lalo, Bizet. Jules Garcin (1885-1892),

poursuivit l’oeuvre de ses prédécesseurs en réservant une place importante à Chabrier, Fauré, Lalo, mais aussi à Haendel, Bach, Schumann et Brahms. Paul Taffanel (1892-1901) exécuta en priorité SaintSaëns et Franck. Eugène Marty (19011908) accueillit le groupe de musiciens de la Schola cantorum : Vincent d’Indy, E. Chausson, P. Dukas, G. Ropartz, ainsi que Claude Debussy. De jeunes interprètes : Cortot, Thibaud, Casals y commencèrent une carrière qui allait devenir prestigieuse. De 1908 à 1919, André Messager dirigea des programmes très classiques où figuraient à côté des noms précédemment cités ceux de Florent Schmitt, Richard Strauss, Henri Busser, Henri Rabaud ; les solistes étaient I. Paderewski, G. Enesco, L. Capet, J. Thibaud, F. Busoni, Cl. Croiza. En 1917, la S. C. C. effectua une tournée en Suisse, et, en 1918, une grande tournée de prestige aux États-Unis. Après la Première Guerre mondiale, alors que la France musicale commençait à s’engager dans de nouvelles voies, la S. C. C. se montra hostile à la musique nouvelle qui sortait des règles traditionnelles. Malgré les luttes de Philippe Gaubert, directeur de 1918 à 1938, le comité resta opposé au renouvellement du répertoire. Gaubert, démissionnaire, fut remplacé par Charles Munch, qui montra un souci d’originalité dans ses programmes, avec des oeuvres peu jouées de maîtres anciens et des oeuvres nouvelles de jeunes compositeurs. Mais il dut à son tour démissionner en 1946. Le comité engagea alors André Cluytens. Contrairement à la tradition, Cluytens ne faisait pas partie de la société, mais fut engagé sous contrat. Traditionnellement, les membres de la S. C. C. devaient obligatoirement appartenir au Conservatoire, en tant que professeurs, élèves ou anciens élèves. Jusqu’en 1946, ils élisaient leur chef, qui devenait président de la société, ainsi que 7 musiciens qui constituaient le comité. Le directeur du Conservatoire était d’office président d’honneur. Le cahier des charges, imposé par le ministère des Beaux-Arts, astreignait le comité à certaines obligations : 30 concerts par saison, dont 18 devaient présenter des oeuvres contemporaines, et un minimum de 4 heures pour des premières auditions, ceci avec le concours d’un nouveau premier prix de Conservatoire par saison.

Depuis 1925, la S. C. C. ne comportait plus de choeurs. Les membres de la S. C. C. ne touchaient pas de salaire, mais une part de recette calculée en fin d’exercice et augmentée d’une subvention de l’État. Cette situation matérielle fut une des principales raisons de la léthargie dans laquelle tomba peu à peu la S. C. C. : les musiciens étaient contraints de partager leurs activités entre elle et d’autres ensembles, et n’avaient donc pas le temps de participer à un nombre suffisant de répétitions pour obtenir la perfection d’exécution qui avait assuré la réputation de cet orchestre. Après 1962, le président d’honneur R. Gallois-Montbrun suggéra à André Malraux, ministre de la Culture, d’en faire un orchestre d’État. Malgré la réticence de nombreux musiciens, il poussa à la création, en 1967, de l’Orchestre de Paris, qui garda certains membres de l’ancienne S. C. C. et recruta de nouveaux musiciens pour en agrandir l’effectif. CONSERVATOIRE NATIONAL SUPÉRIEUR DE MUSIQUE ET DE DANSE DE PARIS. Le Conservatoire national supérieur de musique puise son origine dans l’École de musique de la garde nationale, créée par Bernard Sarrette en l’an III (1795). Jusqu’à la Révolution, l’enseignement musical était dispensé par les maîtrises, les écoles de musique et les psallettes qu’entretenaient les chapitres des différentes églises. Le projet de Sarrette comportait la création de 30 écoles de musique du 1er degré, 15 du 2e degré, en remplacement des maîtrises, quelques écoles de perfectionnement du 3e degré, et une école supérieure à Paris. L’enseignement devait y être entièrement gratuit. Mais seule cette école supérieure fut créée. Par la suite, d’autres écoles furent fondées en province. Après la Révolution, les chapitres qui en avaient les moyens rouvrirent leurs maîtrises. L’École supérieure de musique passa successivement par plusieurs dénominations : École gratuite de la garde nationale (1792), Institut national de musique (1793), Conservatoire national de musique et de déclamation (1795). Sous la Restauration, elle devint l’École royale de musique, puis redevint Conservatoire de musique et de déclamation (1822), avant

de prendre son titre définitif : Conservatoire national supérieur de musique. Installé d’abord à l’hôtel des Menus-Plaisirs, faubourg Poissonnière, il déménagea en 1911 dans un ancien collège de jésuites situé au no 14 de la rue de Madrid. Lors de la création de son école, Sarrette s’entoura de 5 inspecteurs : Méhul, Grétry, Gossec, Lesueur et Cherubini. Un arrêté du 29 vendémiaire an IV fixa à 600 le nombre des élèves, filles et garçons. Ce nombre fut réduit dans les années suivantes, de 600 à 400, tandis que celui des professeurs passa de 115 à 70. downloadModeText.vue.download 258 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 252 Depuis sa fondation, le Conservatoire a vu se succéder 14 directeurs. Sarrette (1796-1815) s’efforça d’attribuer à chaque discipline une méthode d’enseignement qui lui fût propre et bénéfique, il institua les bourses pour les chanteurs et créa la bibliothèque. François Perné (1815-1822) fit don à la bibliothèque de ses manuscrits de Guillaume de Machaut et du châtelain de Coucy. Luigi Cherubini (1822-1842) obtint de faire admettre 2 élèves étrangers dans chaque classe et créa, à partir des anciens « exercices publics » des élèves, la Société des concerts du Conservatoire. Daniel Auber (1842-1871) fut le directeur le plus longtemps en poste. Lui succédèrent Ambroise Thomas (1871-1896), Théodore Dubois (1896-1905). Gabriel Fauré (19061920) créa une classe de contrepoint, discipline enseignée jusque-là en classe de composition, et choisit les membres du jury parmi les musiciens réputés (Ravel, Debussy, Dukas). Puis vinrent Henri Rabaud (1920-1941), Claude Delvincourt (1941-1954), qui créa en 1943 l’Orchestre des cadets du Conservatoire - devenu un des orchestres parisiens les plus brillants et qui permit, pendant l’occupation allemande, de soustraire les jeunes musiciens à la déportation -, Marcel Dupré (19541956). La direction de Raymond Loucheur (1956-1962) marqua une période de rigidité plus administrative qu’artistique. Raymond Gallois-Montbrun, violoniste et compositeur, a modifié l’organisation de la scolarité des disciplines instrumentales, les études se déroulant désormais en deux cycles, et le concours pour l’obten-

tion du premier prix ayant lieu au cours du second cycle. En 1966, il créa la classe de perfectionnement, en 1969, une classe de guitare classique confiée à Alexandre Lagoya et, en 1977, une classe d’instrumentation et d’orchestration confiée à Marius Constant. Il apporta des modifications dans l’enseignement de la danse, en obligeant les danseurs à l’étude du solfège et de l’histoire de la musique. Lui ont succédé Marc Bleuse (1983), puis Alain Louvier (1986). Le Conservatoire dépend du ministère de la Culture. Les études des disciplines enseignées sont régies par un règlement de 106 articles. L’enseignement est gratuit, les élèves étant seulement tenus de payer les droits d’immatriculation et les droits d’inscription. L’admission des élèves se fait par des concours, qui ont lieu au cours du premier trimestre scolaire. Chaque discipline est astreinte à des limites d’âge minimales et maximales, qui vont de 10 ans (harmonie, piano, harpe, violon, violoncelle et solfège) à 30 ans (classe de préparation au concours de recrutement de directeur). Les élèves peuvent bénéficier de bourses d’études. Les récompenses attribuées à la fin des cycles d’études sont : des certificats (pouvant porter sur plusieurs disciplines), des diplômes, des premiers et des seconds prix, des premiers et seconds accessits, des premières, deuxièmes ou troisièmes médailles, selon les disciplines. Parmi les professeurs qui ont enseigné au Conservatoire depuis sa création et qui ont contribué à établir sa renommée en France et à l’étranger, il faut citer : Gossec, Méhul, Lesueur, Berlioz, Fétis, Kreutzer, Massenet, Widor, Guilmant, M. Emmanuel, H. Busser, P. Dukas, A. Cortot, Cl. Croiza, M. Moyse, A. Bruneau, M. Dupré, Roland-Manuel, Ch. Tournemire, M. Beaufils, M. Maréchal, L. Laskine, N. Dufourcq, O. Messiaen, etc. La durée des études au Conservatoire varie de 1 à 5 ans. Les élèves instrumentistes du second cycle ne peuvent se présenter que trois fois pour l’obtention du premier prix. La radiation peut être prononcée pour les élèves qui n’ont pas obtenu de récompense pendant deux années consécutives. Le cycle de perfectionnement, d’une durée de 2 ou 3 ans, est réservé aux seuls titulaires d’un premier

prix (piano, violon, musique de chambre, chant, direction d’orchestre). L’enseignement y est dispensé par les professeurs et les assistants du Conservatoire, ainsi que par des personnalités extérieures à l’établissement : P. Badura-Skoda, Y. Menuhin, H. Szeryng, M. Rostropovitch, D. Bachkirov, S. Célibidache, P. Dervaux. Les oeuvres des étudiants en composition sont programmées annuellement dans 8 à 12 concerts symphoniques et 4 concerts radiodiffusés. Un poste de professeur-animateur a été créé à cette intention. Une enquête de décembre 1975 indique que 90 à 95 % des premiers prix d’instruments sont engagés dans des orchestres français ou étrangers ; 70 % des pianistes exercent un métier musical, 15 % sont des solistes ; 80 % des chanteurs ont une situation correspondant à leurs études ; pour les compositeurs, peu nombreux sont ceux qui peuvent vivre de leurs oeuvres, mais ils sont directeurs ou professeurs dans des conservatoires ; parmi les disciplines d’érudition, 80 % des premiers prix ont des postes dans l’enseignement secondaire, sont salariés de maisons d’édition, de firmes de disques, critiques musicaux, commentateurs d’émissions musicales, dans une moindre proportion, musicologues ; 80 % des prix de direction d’orchestre ont une situation ; 79,5 % des danseurs récompensés sont entrés dans la vie professionnelle. Le Conservatoire possède un musée instrumental, inauguré en 1864, et dont la collection se monte actuellement à plus de 3 000 instruments. Il faut souligner le rôle joué par la comtesse de Chambure (Geneviève Thibault), conservateur du musée de 1961 à 1973, dans l’acquisition des instruments, ainsi que dans leur présentation. La bibliothèque du Conservatoire est devenue l’une des premières du monde par la richesse de ses manuscrits (Don Giovanni de Mozart, sonate Appassionata de Beethoven, Carmen de Bizet, principales oeuvres de Berlioz, Lalo, Chabrier, Debussy). Dans la salle de travail, les lecteurs ont à leur disposition la plupart des ouvrages concernant toutes les matières musicales : partitions, dictionnaires musicaux, encyclopédies, biographies, en français et dans les langues étrangères. En

1911, le legs Malherbe a beaucoup augmenté les collections de partitions, lettres autographes et manuscrits. Après la création, en 1964, du département de musique de la Bibliothèque nationale, une grande partie des fonds de la bibliothèque du Conservatoire y ont été transférés. Il faut citer enfin la discothèque inaugurée en 1975, munie de cabines d’écoute et possédant en 1980 plus de 7 000 disques, dont une partie importante a été fournie en 1975 par le legs Pincherle. Cette discothèque est une annexe de la Phonothèque nationale. CONSOLE. Bâti ou meuble contenant tous les organes de commande d’exécution d’un orgue : claviers et pédalier, jeux et combinaisons, accouplements et tirasses, pédales d’expression, etc. Dans l’orgue classique, la console est le plus souvent encastrée dans le corps du grand buffet, l’organiste tournant le dos à la nef ; on la dit alors « en fenêtre ». La facture romantique en fait un meuble séparé, que l’adoption de la technique de transmission électrique va pouvoir rendre indépendante et même mobile, particulièrement dans le cas des orgues de salles de concert. CONSONANCE. Notion éminemment relative. Se dit d’un intervalle qui est, en une situation socioculturelle donnée, ressenti comme agréable à l’oreille. Au Moyen Âge, les consonances étaient la quarte, la quinte et l’octave. À partir de la Renaissance, la quarte devint une dissonance, et les consonances furent dites soit « parfaites » (octave et quinte), soit « imparfaites » (tierce et sixte). Pour des raisons de formalisme pédagogique, cette dernière notion est encore utilisée de nos jours, bien que de nombreux autres intervalles soient jugés agréables à l’oreille. CONSORT (lat. consortium, « réunion »). Mot anglais, souvent employé en GrandeBretagne pour désigner un groupement musical d’exécutants, de chanteurs ou d’instrumentistes. downloadModeText.vue.download 259 sur 1085

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253 Dans ce dernier cas, on distinguait, aux XVIe et XVIIe siècles, le whole consort (« consort complet »), formé d’une seule famille d’instruments homogènes - par exemple, des flûtes à bec -, et le broken consort (« consort brisé ») mélangeant plusieurs familles d’instruments, par exemple bois et cordes. CONSTANT (Marius), compositeur et chef d’orchestre français (Bucarest, Roumanie, 1925). Ses études, entreprises à Bucarest, où il obtint le prix G. Enesco (1943), furent poursuivies au Conservatoire national supérieur de musique de Paris (1945-1949), et pour la direction d’orchestre à l’École normale de musique. Marius Constant a eu pour maîtres O. Messiaen, T. Aubin, N. Boulanger, J. Fournet et A. Honegger. Prix Italia en 1952 pour le ballet le Joueur de flûte, il a été directeur musical de la chaîne modulation de fréquence de l’O. R. T. F. (1953), puis directeur musical des Ballets de Paris de Roland Petit (1956-1966), avant d’être de nouveau investi de responsabilités importantes à l’O. R. T. F. (19631967). Il fut ensuite nommé directeur de la musique du ballet de l’Opéra de Paris (1973-1978), et depuis 1978 il est professeur de la nouvelle classe d’orchestration et d’instrumentation du Conservatoire de Paris. En 1963, il a fondé l’ensemble instrumental Ars nova, une des principales formations françaises spécialisées dans la musique contemporaine, et, en 1968, a reçu le grand prix national de la musique. Ses premières oeuvres eurent pour titres Haut-Voltage, ballet pour Maurice Béjart (1956), Contrepointe (1957) et Cyrano de Bergerac (1959), ballets pour Roland Petit. Mais ce ne fut qu’avec les Vingt-Quatre Préludes pour orchestre, créés sous la direction de Leonard Bernstein en 1959, qu’il s’imposa vraiment. Contrairement à bien des compositeurs de sa génération, Constant n’a jamais adopté le système sériel. Il s’est en revanche attaché aux problèmes de timbre et de forme, dans les Vingt-Quatre Préludes mais aussi dans Turner (1961), trois essais pour orchestre mettant en jeu quarante solistes instrumentaux et visant à « interpréter l’inspiration » du grand peintre anglais. Il s’est orienté également vers l’aléatoire et l’improvisation, en par-

ticulier avec les Chants de Maldoror, pour récitant, chorégraphe-chef d’orchestre, 23 musiciens « improvisateurs » - choisissant le moment et le contenu de leurs interventions en fonction de ce que leur inspirent le récitant et à travers lui Lautréamont et 10 violoncellistes (1962). La même recherche inspire Winds, pour 6 bois, 7 cuivres et contrebasse (1968), ouvrage de caractère plus abstrait au cours duquel les interprètes utilisent, à l’occasion, d’autres instruments à vent à fonction habituellement non musicale (flûtes à coulisse, sirènes à bouche), et Traits (Cadavres exquis), improvisation collective (1969) suivie plus tard de Traits, du genre « théâtre musical » (1975). On doit encore à Marius Constant, pour la scène, le Souper et la Serrure, d’après J. Tardieu (1969), et le Jeu de sainte Agnès, cérémonial d’église parlé et chanté en provençal ancien (1974) ; Par le feu, pour soprano dramatique et orchestre (1968) ; comme ballets, Rain (1960) et le Violon (1962), pour Roland Petit, Ponant 19 (1964), Éloge de la folie (1966), Paradis perdu (1966), Candide, pour clavecin et orchestre (1970), mimodrame d’après Voltaire créé à l’Opéra de Hambourg et faisant coexister musicalement deux discours parallèles - celui du clavecin jouant la Triomphante du 10e ordre de F. Couperin et celui de l’orchestre -, Septentrion « saltavit et placuit », avec éléments de jazz et de free-jazz (1975), et Nana, pour Roland Petit (1976) ; et, parmi une abondante production instrumentale, Chaconne et marche militaire (1968), Moulin à prière, pour deux clavecins (1969), Quatorze Stations, pour un percussionniste solo et six instruments (1970), Strings, pour clavecin et douze cordes (1972), Silete, pour clavecin (1973), Faciebat anno 1973, pour 24 violons et orchestre (1973), Psyché, pour deux pianos et percussion (1975), Stress, pour trio de jazz, piano soliste, quintette de cuivres et percussion (1977), Concerto « Gli elementi », pour trombone et orchestre (1977), Symphonie, pour instruments à vent (1978), Concertante, pour saxophone alto et orchestre (1978), Neuf Pièces, pour flûte et piano (1978), Harpalycée, pour harpe ou harpe et quintette à cordes (1979), Alléluias, pour trompette et orgue (1980), NanaSymphonie, pour grand orchestre (1980), Cent Trois Regards dans l’eau, concerto pour violon et orchestre (1981), D’une élé-

gie slave, pour guitare (1981), la Tragédie de Carmen (1981), l’oratorio Des droits de l’homme (1989), un Quatuor à cordes (1990), Impressions de Pelléas d’après Debussy (1992). CONSTANTINESCU (Paul), compositeur roumain (Ploiesti 1909 - Bucarest 1963). Il a fait ses études à Bucarest, en particulier avec Constantin Brǎiloiu, puis à Vienne avec Joseph Marx, et enseigné à l’Académie de musique religieuse (1933-1941), puis au conservatoire de Bucarest (19411963). Titulaire de nombreux prix Enesco et de prix d’État, il s’est intéressé au folklore de son pays, mais aussi à la liturgie byzantine. On lui doit notamment, parmi une production abondante, l’opéra-comique Une nuit orageuse (1935), le poème chorégraphique Noces dans les Carpates (1938), de la musique symphonique et de chambre, des mélodies et des choeurs, ainsi que, dans le domaine religieux, un Oratorio de Pâques (1946) et un Oratorio de Noël (1947). CONTI (Francesco Bartolomeo), théorbiste et compositeur italien (Florence 1682 - Vienne 1732). Il fit une grande partie de sa carrière à Vienne, où il fut attaché à la Cour comme théorbiste (1701-1705), puis comme compositeur à partir de 1713. Il écrivit pour la scène une quarantaine d’oeuvres relevant de genres divers : des tragédies lyriques, des pastorales et surtout des tragi-comédies comme Don Chischiotte in Sierra Morena (1719), qui remporta un grand succès à Vienne, et où se manifeste un instinct comique efficace mais plein de nuances. Conti écrivit aussi des oratorios, des pièces d’église diverses et des cantates de chambre. CONTINUO. Terme pratiquement synonyme de basse continue. Toutefois, par un léger glissement de sens, d’ailleurs parfaitement injustifié, on a tendance à appeler basse continue la partie instrumentale jouant la basse (violoncelle ou basson), et continuo l’instrument à clavier jouant les accords représentés par leurs chiffres (chiffrage, basse chiffrée). CONTRAFACTURE.

Traduction peu usuelle du latin contrafactum ou contrafacta, plus souvent conservé en français. Le terme désigne un arrangement fait à partir d’une composition vocale existante en lui adaptant de nouvelles paroles. Au XVIe siècle, on employait le terme « travestissement », aux XVIIe et XVIIIe siècles celui de « parodie ». Mais ce dernier mot pouvait aussi recouvrir des transformations plus profondes qu’un simple changement de paroles. CONTRALTO. Nom désignant la voix féminine la plus grave, et l’interprète qui la possède. À l’origine, le terme alto regroupait génériquement les emplois féminins graves, que ceux-ci fussent chantés par des femmes, des enfants ou des falsettistes, et il est encore en usage en Allemagne (Alt), cependant qu’il prête à confusion, en France, avec l’instrument du même nom et, en Italie, avec l’adjectif haut. Dans le chant soliste, les parties d’alto furent longtemps exécutées par des falsettistes et surtout par des castrats contraltistes ; J.-J. Rousseau employait le mot contralto comme synonyme de haute-contre, et, d’autre part, en 1847, Manuel Garcia jr. appelait encore le ténor suraigu « ténor contraltino ». La tessiture généralement retenue pour la voix de contralto (du sol2 au sol4) conduit par conséquent le contralto à downloadModeText.vue.download 260 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 254 utiliser son registre de poitrine sur près de la moitié de son étendue vocale ; cette voix fut assez rare au XVIIe et surtout au XVIIIe siècle, et c’est à tort que l’on range parfois dans cette catégorie la Française Maupin ou l’Italienne Faustina BordoniHasse, dont les rôles de soprano grave n’excédaient jamais le do3 comme limite inférieure ; en revanche, Vittoria Tesi (v. 1700-1775) et Francesca Vanini-Boschi, toutes deux interprètes de Haendel (la seconde, créatrice des rôles masculins d’Ottone dans Agrippina et de Goffredo dans Rinaldo de ce même compositeur), pouvaient bien être définies comme contraltos.

C’est à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles, et en raison de la disparition progressive des castrats, que les compositeurs tendirent à rechercher dans la voix grave féminine une certaine ambiguïté hermaphrodite : à l’époque de Rossini, le contralto incarnait soit des rôles masculins de guerrier ou d’amoureux (Tancredi, Arsace de Sémiramis, etc.) et conservait alors le surnom de musico, porté naguère par les castrats destinés à ces emplois, soit des rôles de protagoniste féminin, généralement de caractère bouffe (Isabelle dans l’Italienne à Alger, Rosine dans le Barbier de Séville, Angelina dans Cenerentola) ; Rossini n’hésitait pas à leur assigner une étendue vocale prodigieuse : un mi bémol2 dans Ricciardo e Zoraide (au sein d’un ensemble) et, dans l’aigu, le si4 écrit ou souvent sollicité implicitement. Vaccai, Bellini ou Donizetti - et parfois Meyerbeer et les Français - écrivirent encore des rôles d’adolescent pour le contralto travesti (Roméo dans I Capuleti e i Montecchi de Bellini, Maffio Orsini dans Lucrezia Borgia et Smeton dans Anna Bolena de Donizetti, etc.), mais, le romantisme entraînant les chanteurs à élever leur tessiture et à briller par la puissance des notes aiguës, le mezzo-soprano prit la succession du contralto. Les véritables rôles de contralto de premier plan disparaissaient presque au-delà de 1850 (sinon en Russie, avec Marfa dans Khovanstchina de Moussorgski ou Lel dans Sniegourotchka de Rimski-Korsakov), et par voie de conséquence, les interprètes aussi ; le contralto n’avait plus généralement que des emplois épisodiques chez Verdi, Wagner et leurs successeurs, emplois de sorcières ou de prophétesses (Ulrica dans Un bal masqué), de femmes âgées ou de nourrices (celles de l’opéra russe, de Pelléas de Debussy, d’Ariane et Barbe-Bleue de Dukas, la Cieca dans la Gioconda de Ponchielli, etc.) et surtout emplois de caractère (dame Marthe dans Faust de Gounod, Mistress Quickly dans Falstaff de Verdi, Madame Flora dans le Médium de Menotti, etc.), cependant que cette voix convient toujours au concert et à l’interprétation du lied, de Schumann à Brahms et Mahler. Les contraltos les plus célèbres furent, au XIXe siècle, Maria Marcolini, Rosamunda Pisaroni, Marietta Brambilla, Marietta Alboni, Sofia Scalchi et en Russie, Anna Vorobieva-Petrova et Daria Leonova, puis dans la première moitié du

XXe siècle Guerrina Fabbri, Marie Delna, Maria Gay, Sofia Preobrajenskaia, et au concert Kathleen Ferrier. Mais dans la majorité des cas, les cantatrices douées de cette voix parviennent, grâce à leur éducation vocale, à aborder de nombreux rôles de mezzo-soprano. CONTRATENOR. Mot latin (masculin) traduit en ancien français par contre-teneur (féminin), et qui désigne, antérieurement aux XVIe et XVIIe siècles, une voix de la polyphonie de caractère spécial, introduite au XIVe siècle à titre de complément à la partie de ténor, jusque-là la plus grave. Souvent placée sous le ténor, mais de même tessiture que lui, d’où croisements fréquents, elle s’est, à l’époque de Dufay, franchement placée à la partie la plus grave, repoussant ainsi le ténor à l’emplacement qu’il a depuis lors conservé, et donnant progressivement naissance à la notion de partie de basse, nom qui finit par supplanter le sien au XVIe siècle. On distinguait parfois le contratenor bassus, le plus fréquent, et le contratenor altus plus élevé (haute-contre). L’exécution du contratenor a probablement été d’abord instrumentale, tandis que celle des parties supérieures était le plus souvent vocale. Ces distinctions se sont effacées aux approches de la Renaissance. CONTREBASSE. Instrument à cordes et à archet, le plus grave de la famille des violons, correspondant au registre de seize pieds de l’orgue. Issue du violone ou contrebasse de viole, elle est apparue dans la seconde moitié du XVIe siècle en Allemagne du Sud, et une centaine d’années plus tard en France. Elle avait à l’origine cinq ou six cordes, accordées par quartes, par quintes, ou par tierces et quartes alternées. De nos jours, ses caractéristiques ne sont pas encore totalement stabilisées. Elle reproduit parfois la forme du violoncelle, mais le plus souvent celle de la basse de viole, avec une caisse effilée en ogive. Elle comporte, de l’aigu au grave à partir du sol[1-] : sol, ré, la, mi. Certaines contrebasses ont cinq cordes, la cinquième étant soit l’ut grave, soit l’ut au-dessus du sol[1]. L’instrument mesure environ 1,95 m de haut, dont une caisse de 1,10 m. Il existe

un petit modèle de 1,60 m. L’archet peut être convexe comme celui de la viole, rectiligne ou concave. Sa longueur est d’environ 67 cm. Le registre de la contrebasse est d’environ deux octaves et une sixte, quatre octaves avec les sons harmoniques. On note la musique en clé de fa 4e ligne, les sons réels sonnant à l’octave inférieure des sons écrits. Dans le jeu, où la main gauche utilise au moins huit positions, le pouce pouvant servir de sillet mobile, le démancher joue un rôle important en raison de la taille de l’instrument. Le vibrato, le glissando, le trille, l’extension font partie de la technique de la contrebasse, mais la lourdeur de l’archet est défavorable au jeu dans un tempo rapide, ainsi qu’aux sauts d’une corde à l’autre. La contrebasse fut d’abord réservée à l’usage de l’église, où elle renforçait le seize pieds de l’orgue. On commença à l’utiliser dans les orchestres de théâtre à la fin du XVIIe siècle. Longtemps, elle ne servit qu’à doubler les violoncelles à l’octave inférieure. Les virtuoses Domenico Dragonetti (1763-1846), puis Giovanni Bottesini (1821-1889) firent la démonstration des possibilités de l’instrument et ne contribuèrent pas peu à son émancipation. Beethoven fut l’un des premiers à confier à la contrebasse une partie plus intéressante (traits du scherzo de la 5e Symphonie, « orage » de la 6e). Berlioz l’utilisa pour des passages mélodiques. Mais un répertoire de musique de chambre, de symphonies concertantes et de concertos se développa également. Parmi les compositeurs ayant mis en valeur la contrebasse, citons : au XVIIIe siècle, K. Ditters von Dittersdorf (quintettes avec contrebasse, duo pour alto et contrebasse, symphonies concertantes, concertos), W. Pichl, A. Zimmermann, J. B. Vanhal, I. Holzbauer, Mozart (aria Per questa bella mano), Joseph Haydn, Michael Haydn, F. A. Hoffmeister, J. Sperger ; au XIXe siècle, Bottesini, Schubert dans la Truite, SaintSaëns dans le Carnaval des animaux, etc. ; au XXe siècle, E. Bigot (Capriccio), E. Bozza (pièces), M. Bitsch (suite pour contrebasse solo), Ch. Chaynes (Lied, scherzando et finale), Koussevitski (concerto, pièces), F. Farkas (Sonatine sur des chants populaires hongrois) et Hindemith (sonate).

Dans le domaine pédagogique, nous citerons les méthodes de G. Bottesini (1869), J. Kraft (Der Weg zur Griffsicherheit und Technik ; Schule der Bogentechnik), G. Marangoni (Scuola teoretica-practica del contrabasso), N. Marcelli (The Carl Fischer basic method) et F. Simandl (New method for double bass), et les exercices techniques ou études de Baillot, Bottesini, H. E. Kayser, Gasparini, W. Gadzinski et A. Weber. D’autre part, la contrebasse a toujours joué un rôle important dans la musique de jazz. CONTRE-CHANT. Partie mélodique secondaire, entendue en même temps qu’un chant principal. Le terme n’est pas limité à un emploi technique particulier, mais s’emploie downloadModeText.vue.download 261 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 255 quand on veut mettre en relief le caractère mélodique propre d’une ligne secondaire. CONTREDANSE (en angl. country dance, « danse campagnarde »). Danse collective et mixte, vive et aux rythmes fortement marqués, d’origine populaire, qui se répandit d’Angleterre sur le continent, dès la fin du XVIIe siècle, et connut une grande vogue pendant tout le XVIIIe, qui l’intégra à l’opéra-ballet. Dansée tantôt en cercle, tantôt en ligne, les couples se faisant vis-à-vis, elle a inspiré d’innombrables airs de musique instrumentale ou vocale, qui ont longtemps subsisté dans le répertoire du concert et du théâtre, ainsi que des couplets et des chansons populaires. La célèbre chanson de l’époque révolutionnaire Ça ira s’inspire du rythme de la contredanse. CONTRE-EXPOSITION. En termes de fugue, on appelle contre-exposition une seconde et facultative présentation de l’exposition, faisant suite à la première en ordre inversé (réponse, puis sujet), et généralement réduite à 2 entrées au lieu des 4 entrées au minimum de l’exposition.

CONTREPOINT. Technique d’écriture musicale qui consiste à écrire plusieurs mélodies superposées les unes aux autres et destinées à être entendues simultanément. Dans le contrepoint primitif (manuscrit Enchirias musices, Xe s.), il y avait seulement deux mélodies superposées, ayant chacune le même nombre de notes, d’où l’expression : note contre note, soit punctus contra punctum, soit contrepoint. En se compliquant, l’écriture contrapunctique devint d’une extraordinaire richesse dans les siècles qui suivirent et, jusqu’au début du XVIIe siècle, où l’on commença à préférer une écriture plus harmonique (accord par accord). Le contrepoint de la Renaissance était modal. Les techniques se référant à la tonalité ne semblaient guère, à l’origine, favoriser le contrepoint. J.-S. Bach est l’un des premiers musiciens qui nous ait légué des exemples magnifiques de contrepoint tonal. CONTRE-SUJET. Terme utilisé seulement en ce qui concerne la composition de la fugue. La première phrase mélodique de cette dernière est dite sujet (c’est, en quelque sorte, le thème). Elle est suivie par une autre phrase dans laquelle les rôles de la tonique et de la dominante sont intervertis, cette deuxième phrase étant dite réponse. À la ligne mélodique de la réponse s’ajoute une troisième phrase qui l’accompagne et pour laquelle le compositeur s’efforce de faire preuve de la plus grande imagination contrapunctique. Cette troisième phrase que l’on entend en même temps que la réponse est dite contre-sujet. CONTRETEMPS. Se dit d’accentuations rythmiques qui se produisent soit sur les temps dits « faibles » d’une mesure, soit entre les temps. Par exemple, dans la mazurka, l’accentuation est souvent placée à contretemps sur le deuxième temps d’une mesure à 3/4 qui est, théoriquement, un temps faible. Les contretemps sont souvent indispensables à la variété rythmique. CONTRE-TÉNOR.

Néologisme dérivé de l’anglais counter tenor, et sans justification dans la langue française. Employé sans discernement, il semble désigner indifféremment soit le chanteur falsettiste, soit le ténor haute-contre. Étymologiquement ce terme désignerait une partie vocale chantée « contre » - c’est-àdire près de - celle du ténor, autrement dit la partie d’alto féminin ou masculin. CONVERTISSEUR ANALOGIQUE-NUMÉRIQUE (A/N) et CONVERTISSEUR NUMÉRIQUE-ANALOGIQUE (N/A). Le convertisseur A/N est un dispositif qui transforme un signal sonore continu (variations du voltage électrique) en une information discrète exprimée sous la forme de nombres binaires. Chaque paire de nombres ainsi obtenus représente la mesure de la variation des grandeurs physiques (niveau de la tension ou amplitude) à un instant précis. Cette information est ainsi protégée de la dégradation ; elle est rendue apte à être stockée, modifiée, « interprétée » par un outil informatique (ordinateur, échantillonneur, lecteur de CD, magnétophone DAT). Le convertisseur N/A réalise l’opération inverse : il transforme l’information numérique en signal électrique continu qui peut être exploité par une console de mixage, un amplificateur, un haut-parleur ou un magnétophone analogique. En règle générale, le signal sonore reconstitué sous forme d’onde doit être filtré pour écarter les bruits parasites produits par l’opération. Ce type de convertisseur est toujours présent sur les lecteurs de CD ou les magnétophones DAT. COOKE (Benjamin), compositeur anglais (Londres 1734 - id. 1793). Fils d’un éditeur de musique, il fut confié à John Pepusch dès sa neuvième année. En 1752, il succéda à son maître à la tête de l’Academy of Ancient Music et eut luimême comme successeur Samuel Arnold (1789). Il fut nommé maître de choeurs à Westminster (1757) et, en 1762, après la mort de John Robinson, devint organiste de l’abbaye. Il fut reçu docteur en musique par les universités de Cambridge (1775) et d’Oxford (1782). En 1783, on le retrouva organiste à Saint-Martin-in-the-Fields. Il est enterré dans le cloître de l’abbaye de

Westminster où une inscription murale célèbre son talent. Son oeuvre, considérable, a été surtout écrite pour l’église (services, anthems, hymnes, psaumes). On lui doit aussi diverses odes. Dans le domaine instrumental, il a composé des concertos, des pièces pour orgue, des lessons pour le clavecin. De son vivant, il publia une collection de ses glees et catches, sa réputation de compositeur s’étant surtout fondée sur ce genre de musique vocale. COOKE (Henry), compositeur et chanteur anglais (v. 1616 - Hampton Court 1672). Il appartint d’abord aux enfants de la chapelle royale. Après la guerre civile, il fut nommé basse à la chapelle royale et maître des enfants (1660). Il travailla avec Henry Davenant au Siege of Rhodes et chanta le rôle de Soliman. Sous son impulsion, on commença à employer les instruments à cordes à la chapelle royale. Son oeuvre comprend une trentaine d’anthems, des odes, des hymnes, des airs, ainsi que des intermèdes musicaux pour le théâtre. Il se retira à Hampton Court en 1669. COPERARIO (Giovanni Coprario, de son vrai nom JOHN COOPER), compositeur anglais ( ? v. 1575 - Londres 1626). On ne connaît rien des premières années de sa vie, mais il fut sans doute confié à un musicien professionnel au service d’une famille aisée selon les habitudes de l’époque. En raison de la présence, en Angleterre, de familles comme les Ferrabosco, il comprit les avantages qu’il pouvait tirer à donner une consonance italienne à son nom, ce qu’il fit pendant un séjour en Italie (v. 1604). En 1606, il publia à Londres un recueil de chansons au luth, Funeral Teares for the Death of the... Right Honorable the Earle of Devonshire, et, en 1613, sept chansons au luth sur des poèmes de Thomas Campion : Songs of Mourning, déplorant la mort du prince Henry. La même année, il fit un voyage à Heidelberg pour accompagner Elizabeth, fille de Jacques Ier, qui venait d’épouser l’Électeur palatin, le prince Frédéric. De retour à Londres, il composa trois airs pour le Earl of Somerset’s Masque, représenté le 26 décembre 1613. Deux antiennes, The Teares or Lamentacions of a Sorrowful Soule, parurent chez W. Stansby (1614). Lors d’un séjour dans le Wiltshire,

au service d’Edward, comte de Hertford, il donna des leçons à un élève particulièrement doué, William Lawes. Il n’obtint un poste officiel à la Cour qu’au moment de l’accession de Charles Ier au trône (1625). Celui-ci le nomma compositeur ordinaire downloadModeText.vue.download 262 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 256 et musicien pour les luths et les voix. À la mort du musicien, ce même poste revint à Alfonso Ferrabosco. Mises à part les oeuvres vocales citées, auxquelles s’ajoutent 21 villanelle italiennes, des madrigaux italiens et quelques airs, l’abondante production de Giovanni Coperario est presque exclusivement consacrée aux instruments, essentiellement aux instruments à archet. Il a écrit des fantasia-suites (fantasia-almain-galliard), dont 16 pour un violon et 8 pour deux violons, basse de viole et orgue. Mais la fantasia pour un ensemble de violes occupe une place prépondérante dans son oeuvre (8 pour deux violes, 10 pour trois violes, 7 pour quatre violes, 49 pour cinq violes, 8 pour 6 violes). Ces pièces révèlent leur dette envers l’Italie, mais leur style d’écriture s’éloigne distinctement des modèles vocaux (madrigal, canzona alla francese) et devient plus instrumental. Les tessitures s’agrandissent en même temps que se développe un intérêt rythmique et harmonique très personnel ; leur structure est fondée sur le contrepoint imitatif et sur une grande liberté formelle. Coprario a également signé quelques pièces isolées pour la lyra-viol (seule ou « en consort ») ainsi qu’un traité, Rules How to Compose, conservé en manuscrit. COPLA (esp. : « strophe »). Terme désignant, dans le villancico, les diverses pièces que relie entre elles un refrain ou estribillo. Mais copla est en même temps le nom d’une forme poétique et musicale populaire, d’origine extrêmement ancienne, très employée notamment en Andalousie. La copla a été adoptée par nombre de grands poètes jusqu’à notre époque et même par des mystiques tel saint Jean de la Croix.

COPLAND (Aaron), compositeur américain (Brooklyn, New York, 1900 - id. 1990). Issu comme Gershwin, son aîné de deux ans, d’une famille de modestes émigrés russes, il n’aborda le piano qu’à quatorze ans, avant de recevoir les leçons du très conservateur Rubin Goldmark. Après la Première Guerre mondiale, il se rendit au conservatoire américain de Fontainebleau, alors dirigé par Paul Vidal, mais, déçu, il se tourna vers Nadia Boulanger, alors débutante, ce qui lui permit de s’imprégner des oeuvres de Ravel, Stravinski, Milhaud. En France, où il vécut de 1921 à 1925, il paracheva aussi sa formation de pianiste auprès de Ricardo Viñes. Il s’orienta alors vers une esthétique proche de celle officiellement accolée au groupe des Six et évoquant surtout celle de Poulenc : défiance vis-à-vis de Debussy comme de Wagner et de ses conséquences (Schönberg), souci de bien écrire, quelque peu abstraitement pourtant (Dance Symphony, 1re audition, Philadelphie, 1931 ; Music for the Theater, 1925 ; Symphonie avec orgue, écrite pour N. Boulanger, 1925). De retour dans son pays et soutenu par une bourse Guggenheim, Copland étudia les diverses possibilités offertes par Stravinski, le jazz, la polytonalité, le folklore américain et sud-américain : d’où un style « cosmopolite » fortement teinté de néoclassicisme, avec des oeuvres comme la Première Symphonie, version révisée de la Symphonie avec orgue (1928), la Deuxième (Short Symphony, 1933), la Troisième (1946), la Sonate pour piano (1941), le Concerto pour clarinette, pour orchestre à cordes, harpe et piano (1re audition, New York, 1950), destiné à Benny Goodman (1948), ou les musiques de film pour Des souris et des hommes de J. Ford (1939) ou l’Héritière de W. Wyler (1949). De ces années datent également ses quatre partitions les plus célèbres, et sans doute les plus assurées de survivre : le spirituel El Salón México (1936), et les grands ballets lyriques Billy the Kid (1938), Rodeo (1942) et Appalachian Spring (1944), hymnes à l’Ouest américain. À partir de 1950, Copland - d’ailleurs plus attiré par Webern que par Schönberg - s’engagea quelque peu dans la voie du sérialisme, produisant notamment la

Fantaisie pour piano (1955-1957), Connotations pour orchestre (1961-62), Music for a great City (Londres, 1964), Inscape, pour orchestre (1967), un duo pour flûte et piano (1970-71). Défenseur de la musique contemporaine, en particulier américaine, il a animé avec R. Sessions une association de concerts spécialisés (19281931), dirigé ensuite l’American Festival of Contemporary Music à Yaddo (New York), exercé une grande activité au sein de la Société des compositeurs américains et de la SIMC, soutenu Bartók émigré à New York, donné pendant vingt-cinq ans des cours à Tanglewood et s’est multiplié en articles, conférences et concerts. Considéré un peu comme le Grand Old Man de la musique américaine, il a publié What to Listen for in Music (New York, 1938), Music and Imagination (Cambridge, 1952), The New Music, etc. COR. Instrument à vent de la famille des cuivres. Il doit son nom, par analogie de destination, à divers instruments rudimentaires qui remontent à des origines très reculées et qui étaient souvent faits d’une corne de vache, exceptionnellement d’une défense d’« olifant ». En fait, le cor simple présente toutes les caractéristiques de la trompe de chasse : l’embouchure très étroite, le pavillon très évasé et la forme circulaire due à l’enroulement (3 à 8 tours) du tube, dont la longueur considérable (près de 5 m) permet l’émission par le seul jeu des lèvres de la plupart des harmoniques du son fondamental. Cette trompe, toujours en usage, était d’un emploi difficile à l’orchestre en raison de sa tonalité immuable. Sa transformation en « cor d’harmonie » a consisté à intercaler, entre l’instrument et l’embouchure, des tubes de rechange plus ou moins longs, appelés « tons ». Mais le cor n’en restait pas moins réduit aux harmoniques, c’est-à-dire à une série d’une quinzaine de notes, assez rapprochées à l’aigu pour former un semblant de gamme chromatique, mais de plus en plus espacées vers le grave. C’est seulement vers 1760 qu’un corniste allemand de l’Opéra de Paris, Haempel, découvrit qu’en bouchant plus ou moins le pavillon avec la main, on pouvait abaisser la note d’un demi-ton ou davantage. Les ressources mélodiques du cor s’en trouvèrent accrues, mais l’échelle chromatique restait

fort incomplète et il fallait une grande habileté pour atténuer l’inévitable différence de timbre entre les « sons ouverts » et les « sons bouchés ». Toutes ces difficultés allaient être résolues par l’invention des pistons, en 1813, par l’Allemand Stoelzel (1780-1844). Après quelques tâtonnements, le corniste parisien Joseph Meifred mit au point le système à 3 pistons qui est encore en vigueur non seulement pour le cor, mais pour le cornet, la trompette et la plupart des saxhorns. Chaque piston ouvre un circuit supplémentaire qui allonge le tube et, par conséquent, abaisse la note émise : d’un ton pour le premier, un demi-ton pour le deuxième et un ton et demi pour le troisième. Trois tons en tout, donc, si l’on enfonce les trois pistons à la fois, de sorte que l’instrument gagne une quinte dans le grave. Le cor moderne, disposant de toutes les notes de la gamme chromatique sur trois octaves et une sixte, était né. Signalons toutefois quelques innovations plus récentes : vers 1890, le 3e piston « ascendant », qui élève la note au lieu de l’abaisser ; en 1935, le « cor double » muni d’un barillet ou d’un 4e piston ayant pour effet de transformer instantanément le cor en fa en cor en si bémol ; et depuis peu, le pavillon démontable, qui facilite grandement le transport de l’instrument. Sans doute le cor a-t-il perdu, en même temps que ses imperfections, une partie de sa personnalité. Cela explique la résistance que, pendant plus de cinquante ans, de nombreux instrumentistes et compositeurs opposèrent au cor à pistons. En 1875, Bizet s’en passait encore dans Carmen, et l’enseignement du cor simple au Conservatoire ne fut supprimé qu’au début de notre siècle. COR ANGLAIS. Instrument à vent de la famille des bois. Il n’a rien d’un cor et son attribution à l’Angleterre est vraisemblablement due downloadModeText.vue.download 263 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 257 à une corruption de l’adjectif « anglé ». Il n’est autre, en effet, que l’ancienne

« haute-contre », ou alto, du hautbois en fa, donc à la quinte inférieure du hautbois en ut. Cet instrument étant trop long pour que les doigts de l’exécutant puissent accéder aux trous correspondant aux notes graves, on lui donna une forme coudée, ou « anglée ». Le système des clés ayant résolu ce problème mécanique, le « cor anglais » moderne est aussi rectiligne que le hautbois, sauf un court « bocal » métallique légèrement incurvé sur lequel se fixe l’anche double. Extérieurement, et sa taille mise à part, il se distingue aussi du hautbois par son pavillon en forme de poire. Mais son mécanisme et son doigté sont identiques. CORBETTA (Francesco, connu aussi sous le nom de FRANCISQUECORBETTE ou CORBETT), luthiste, guitariste et compositeur italien (Pavie v. 1615 - Paris 1681). Après avoir parcouru l’Europe, il se fixa vers 1656 à Paris, où il exerça une influence considérable sur l’évolution du jeu de la guitare, et fut aussi au service de Charles II d’Angleterre. Son élève Robert de Visée tira un large profit de ses leçons. Corbetta publia cinq livres de guitare : Scherzi armonici (1639), Varii capricci (1643), Varii scherzi di sonate per la chitana spagnola (Bruxelles, 1648), la Guitare royalle dédiée au roy de la Grande Bretagne (Paris, 1670) et la Guitare royalle dédiée au Roy (Paris, 1673). CORBIN (Solange), musicologue française (Vorly, Cher, 1903 - Bourges 1973). Ancienne élève de la Schola cantorum, elle a été, de 1929 à 1933, maître de chapelle suppléant à Bourges. De 1937 à 1940, elle a étudié le plain-chant à l’Institut grégorien de Paris. Docteur ès lettres (1957), elle a été directeur d’études à l’École pratique des hautes études et, de 1961 à 1970, a enseigné l’histoire de la musique et la musicologie à l’université de Poitiers, y créant l’institut de musicologie. Spécialisée dans l’étude des débuts de la musique d’église en Occident, elle a, en 1960, rassemblé la somme de ses recherches dans un remarquable ouvrage : l’Église à la conquête de sa musique. Elle a dirigé pour le C. N. R. S. l’établissement du Répertoire des manuscrits médiévaux contenant des notations musicales. CORBOZ (Michel), chef de choeur et chef d’orchestre suisse (Marsens, près de Fribourg, 1934).

Après des études au conservatoire de Fribourg et à l’institut Ribeaupierre de Lausanne, il devient maître de chapelle de l’église Notre-Dame du Valentin à Lausanne en 1953 et conserve ce poste seize ans durant. En 1961, il fonde l’Ensemble vocal de Lausanne, qui acquiert rapidement une renommée internationale et auquel se joint par la suite un ensemble instrumental. Il enseigne à l’École normale de Bienne, au conservatoire de Genève, et occupe les fonctions de directeur des choeurs de la fondation Gulbenkian à Lisbonne. Il a composé des oeuvres chorales (Missa in laetitia, Cantate à Notre-Dame, motets). Michel Corboz est avant tout l’interprète de la musique religieuse des XVIIe et XVIIIe siècles, et particulièrement de Monteverdi, Jean-Sébastien Bach et MarcAntoine Charpentier. Pour traduire ce répertoire, il ne se fonde pas sur de strictes recherches musicologiques, mais retrouve la vérité des partitions par d’autres voies, se fiant à son instinct, à son intelligence, à sa sensibilité. Il est capable de transfigurer les ensembles qu’il dirige et de leur faire partager sa propre foi et sa profonde compréhension des oeuvres, grâce au rayonnement exceptionnel de sa personnalité chaleureuse. CORDE. Fil tendu entre deux points fixes solidaires d’un corps sonore - caisse de résonance ou table d’harmonie - que l’on fait vibrer soit en l’écartant de sa position d’équilibre (instruments à cordes pincées), soit en la frottant (instruments à archet), soit en la frappant (piano, etc.). La corde peut être faite d’un simple fil métallique, d’un simple boyau d’origine animale ou, depuis peu, d’un simple fil de nylon. Mais le vrai boyau tend à disparaître et les « cordes filées », jadis réservées aux notes graves, se répandent de plus en plus. Elles consistent en une « âme » d’acier, de boyau ou de matière synthétique autour de laquelle s’enroule en spirale un fil plus mince de cuivre, d’argent ou de nylon. Certains instruments à cordes pincées, comme la mandoline, emploient des cordes doubles. Le piano emploie même des cordes triples, dans l’aigu, auprès des cordes simples dans le grave et doubles dans le médium. Il faut signaler aussi les « cordes sympathiques »

de certains instruments anciens tels que le chitarrone ou archiluth, auxquelles l’exécutant ne touche pas, et qui résonnent à l’unisson des notes jouées. Au pluriel, le mot « cordes » désigne l’ensemble des instruments à archet et plus particulièrement le quatuor (premier et second violon, alto et violoncelle), auquel s’ajoute, dans l’orchestre, la contrebasse. CORDE À VIDE. Dans le domaine des instruments à cordes comportant un manche, se dit des notes jouées sans le secours d’un doigt de la main gauche. Dans le cas du violon, le sol grave est obligatoirement une corde à vide ; le ré, le la et le mi le sont facultativement. Le fait que la main gauche n’intervienne pas interdit évidemment le vibrato et contribue à rendre les notes à vide plus claires, mais plus plates et moins expressives. Le compositeur (ou le réviseur) peut y avoir recours pour obtenir un effet particulier et, dans ce cas, les indique parmi les doigtés en plaçant le signe 0 (zéro) au-dessus de la note. COR DE BASSET. Instrument ancien de la famille des bois, à anche simple, très en faveur jusqu’à Mozart inclus. De tessiture relativement grave et, de ce fait, trop long pour que l’exécutant pût atteindre tous les trous d’un instrument de forme droite, il était coudé en son milieu à la manière du « cor anglé », dit « anglais ». Les clés du système Boehm ont rendu cet artifice inutile. Dans la version moderne du cor de basset, qui se confond pratiquement avec la clarinette alto en fa, seuls sont coudés le pavillon et le « bocal » métalliques. COR DE CHAMOIS. Jeu d’orgue à bouche, conique, de 8, 4 ou 2 pieds, ou encore de 2 1/3 pieds ou 1 1/3 pied. Sa sonorité est douce et évoque celle du cor. CORDES SYMPATHIQUES. Dans certains instruments à cordes frottées comme la viole d’amour, cordes qui

se mettent en vibration lorsqu’on en frotte d’autres. CORDES VOCALES. Nom donné à l’ensemble des muscles et des ligaments qui ferment partiellement l’orifice glottique du larynx et constituent la partie vibrante de l’organe de la phonation. Elles doivent ce nom à leur fonction plutôt qu’à leur forme, qui évoque davantage deux lèvres symétriques d’écartement variable. CORDIER ou TIRE-CORDES. Dans les instruments à cordes, pièce de bois (généralement d’ébène) permettant de fixer les cordes à leur extrémité inférieure et se terminant par une attache en corde de boyau fixée à un bouton. CORDIER (Baude), compositeur français (Reims fin du XIVe s. - déb. du XVe s.). Contemporain de Jean Tapissier, il appartient à l’époque qui se situe entre la mort de G. de Machaut et la maturité de G. Dufay et que l’on appelle aujourd’hui Ars subtilior (U. Günther). Son oeuvre, éditée par G. Reaney dans Early XVth Century Music (CMM XI, 1, Anvers, 1955), comprend un fragment de messe à 3 voix provenant du manuscrit d’Apt et une dizaine de chansons (3 et 4 voix) que contient le manuscrit de Chantilly : tel, par exemple, l’élégant rondeau a 3, Tant plus vous voy, downloadModeText.vue.download 264 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 258 tant plus me semblés belle, qui fait encore usage de la cadence à double sensible dite « Machaut », mais témoigne aussi d’un certain lyrisme italianisant. CORDOPHONE. Terme d’organologie, rarement employé, qui désigne l’ensemble des instruments à cordes frappées, pincées ou grattées, à l’exclusion des instruments à cordes frottées (instruments à archet). CORELLI (Arcangelo), violoniste et compositeur italien (Fusignano, près de Ravenne, 1653 - Rome 1713).

Issu de l’une des plus illustres familles de sa ville natale, il prit vraisemblablement ses premières leçons de musique à Faenza où se déroula la plus grande partie de son enfance. Mais ce fut à Bologne, où il séjourna de treize à dix-sept ans, qu’il reçut une formation suivie auprès de deux éminents représentants de la fameuse école bolonaise de violon : Giovanni Benvenuti et Leonardo Brugnoli. Il est probable qu’il y travailla également le contrepoint avec Giambattista Bassani. Dès 1670, il était admis à l’Accademia filarmonica. On manque de témoignages précis sur son activité dans les quelques années suivantes. Sans doute fit-il, à Rome, d’obscurs débuts de violoniste d’orchestre. Et c’est peut-être à cette époque que se situent ses rares voyages. Non pas, comme le prétend certaine légende, à Paris où Lully, jaloux de son talent, aurait pris soin de lui fermer toutes les portes, mais en Allemagne où l’on croit retrouver sa trace à Heidelberg et en Bavière, notamment à Munich. Ce qui est certain, c’est que, à l’exception d’un séjour à Naples en 1708, il ne quitta plus guère Rome à partir de 1680. Dans la Ville éternelle où l’ex-reine Christine de Suède, convertie au catholicisme, tint une véritable cour où les musiciens étaient rois, Corelli accumula, dès lors, les succès de virtuose, de chef d’orchestre et de compositeur. Nommé en 1682 maître de chapelle de l’église Saint-Louis-des-Français, il publia en 1685 ses douze premières Sonate a tre (deux violons et continuo). En 1687, il conduisit dans le palais de la reine Christine un mémorable concert qui réunissait 150 musiciens. Alors protégé par le cardinal Pamfili, il passa deux ans plus tard au service d’un autre prince de l’église, le cardinal Pietro Ottoboni, neveu du pape Alexandre VIII, qui devait l’héberger jusqu’à sa mort. La gloire de Corelli ne connut pas d’éclipse avant 1708, année cruciale pendant laquelle il fit la connaissance de Haendel (dont il dirigea même un oratorio), rencontra Alessandro Scarlatti et revint ulcéré de Naples où son succès fut fort mitigé. Il semble qu’il n’ait jamais su briller dans d’autres compositions que les siennes, même écrites à son intention. On rapporte qu’à Naples, il avait raté un trait difficile dans une pièce de Scarlatti, puis s’était obstiné à jouer en ut majeur, par distraction, un passage en ut mineur.

D’un naturel sensible et fort peu combatif, il se désespéra de ces échecs et renonça bientôt à se produire en public. Toutefois, il n’était nullement oublié quand il mourut à la fin de sa soixantième année, tandis qu’on achevait de graver ses douze Concerti grossi op. 6. Grand amateur d’art, il avait légué son importante collection de tableaux au cardinal Ottoboni, qui lui fit élever un monument funéraire au Panthéon de Rome, près du tombeau de Raphaël. L’épitaphe fait mention du titre de « marquis de Ladenburg » que lui avait décerné l’Électeur palatin PhilippeGuillaume, en remerciement d’une dédicace. Par une exception remarquable dans l’histoire de la musique italienne, Corelli n’a jamais écrit pour les voix. Musique religieuse et opéra sont donc absents de son oeuvre, qui comprend six numéros d’opus de douze pièces chacun. Les quatre premiers, publiés à Rome de 1681 à 1694, sont alternativement des Sonate da chiesa et des Sonate da camera pour deux violons et continuo. L’opus 5, pour violon et continuo, date de 1700. L’opus 6, enfin, réunit les Concertos grossos, d’une écriture particulièrement élaborée, qu’il ne faut pas confondre avec les Concertos grossos publiés à Londres en 1735, qui sont des transcriptions par Geminiani des opus 1, 2, 3 et 5. Parmi de très nombreuses rééditions, se distingue celle des oeuvres complètes par J. et F. Chrysander (Londres, 1888-1891), revues par Joseph Joachim. Le style violonistique de Corelli, perpétué jusqu’à Viotti et Rode par l’intermédiaire de ses élèves Geminiani, Somis, Gasparini, Locatelli, etc., fut essentiellement caractérisé par l’approfondissement des ressources expressives de l’instrument, d’où une certaine réaction contre les abus de la virtuosité pure (doubles cordes par exemple). Quant à la tessiture, Corelli ne dépasse jamais la troisième position, c’est-à-dire le ré au-dessus de la portée. Mais Corelli a également fait école en tant que compositeur ; il peut être, en effet, considéré comme l’inventeur du concerto grosso, qui donna lieu à tant de chefs-d’oeuvre de la musique baroque. CORKINE (William), luthiste et compositeur anglais (déb. du XVIIe s.).

On sait qu’il jouissait aussi d’une bonne réputation en tant que virtuose de la lyra-viol, mais ce détail mis à part, on ne connaît rien de sa vie. En 1610, il publia un livre d’airs pour voix et luth suivi, en 1612, du Second Book of Ayres, Some to sing and play to the Base Violl alone, Others to be sung to the Lute and Base Violl, with New Corantoes, Pavins, Almaines..., titre qui révèle la pratique, fréquente à l’époque, d’accompagner la voix par une viole seule, l’instrumentiste pouvant ajouter quelques accords en doubles cordes afin d’affirmer l’harmonie. La disposition de l’édition originale de ces pièces indique également qu’elles étaient destinées surtout à des musiciens amateurs, chanteurs et instrumentistes réunis autour d’une table. Les deux livres d’airs ont été réédités par E. H. Fellowes dans The English Lute-Songs (série II, Stainer et Bell, Londres, 1926). CORNELIUS (Peter), compositeur et poète allemand (Mayence 1824 - id. 1874). Violoniste dans un orchestre de théâtre, acteur, il étudia la composition avec Siegfried Wilhelm Dehn à Berlin de 1844 à 1846. En 1852, il se rendit à Weimar où il se lia d’amitié avec Liszt. Il écrivit dans la Neue Zeitschrift für Musik, traduisit des conférences données en français par Liszt et s’adonna à la composition. Il vécut à Vienne de 1859 à 1864. Devenu l’ami intime de Richard Wagner, il suivit ce dernier à Munich en 1865, sur l’invitation du roi Louis II, et y enseigna l’harmonie à la Königliche Musikschule (École royale de musique), dirigée par Hans von Bülow. Attiré à la fois par la littérature et par la musique, il publia en 1861 un volume de poèmes, Lyrische Poesien, et, sensible à l’exemple de Wagner, il écrivit les livrets de ses propres opéras ainsi que des textes pour certains de ses lieder. Créé sous la direction de Liszt au théâtre de Weimar en décembre 1858 et accueilli par des sifflets, ce qui amena Liszt à remettre sa démission au grand-duc, le gracieux opéra-comique le Barbier de Bagdad a gagné plus tard une juste popularité en Allemagne et demeure l’oeuvre la plus connue de Cornelius. L’influence de Wagner se révèle dans les opéras le Cid, représenté à Weimar en 1865, et Gunlöd, resté inachevé. La fine personnalité de Cornelius apparaît mieux dans ses lieder, qui, ainsi que ses duos et trios vocaux, empruntent leur texte - quand

le compositeur n’en était pas lui-même l’auteur - à Heine, Hölderlin, Eichendorff, Chamisso, Uhland, Cervantes, Shakespeare, etc. Ce sont des oeuvres à la prosodie raffinée, à l’écriture pianistique vive, frémissante, aux harmonies originales. Cornelius a également écrit un requiem (1863), et des choeurs sur des textes de Goethe, Luther, Schiller, Horace, Thomas Moore, ainsi que sur des textes liturgiques. CORNEMENT. Incident technique (défaut de transmission ou fuite de vent) qui fait sonner un tuyau d’orgue sans qu’on ait enfoncé la touche correspondante, ou lorsqu’on joue une note voisine. downloadModeText.vue.download 265 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 259 Dans ce dernier cas, on parle plus précisément d’« emprunt ». CORNEMUSE. Instrument folklorique, à vent, de la famille des bois. Le bagpipe écossais et le biniou breton sont les membres les plus connus de ce groupe, répandu depuis des siècles, sous diverses formes, dans l’Europe entière. La cornemuse est caractérisée par une outre de peau, alimentée en air sous pression au moyen d’une embouchure. De cette outre partent plusieurs tuyaux sonores, à anche double enfermée dans une capsule. Seul un de ces tubes, percé de trous, permet de jouer une mélodie ; les autres sont des « bourdons », dont chacun donne une seule note continue. D’une sonorité aigre et pénétrante, mais non dénuée de volume grâce aux accords fournis par les bourdons, la cornemuse est par excellence un instrument de plein air, propre à accompagner des marches militaires aussi bien que des danses paysannes. Comme la musette, dont la vogue fut immense aux XVIIe et XVIIIe siècles, quand les grands seigneurs se déguisaient volontiers en bergers, la cabrette, qui a encore

ses virtuoses dans le Massif central (Auvergne et Bourbonnais), est une petite cornemuse sans embouchure, gonflée par un soufflet placé sous le bras gauche. CORNET. Instrument à vent de la famille des cuivres. Sous sa forme primitive - celle d’une trompe de chasse en réduction -, ce « petit cor » fait toujours partie de l’arsenal cynégétique en Europe centrale. Mais il servait aussi aux postillons, d’où son nom allemand de Posthorn. L’invention des pistons, aux environs de 1820, conduisit les facteurs à abandonner l’enroulement circulaire au profit du schéma horizontal de la trompette, en moins allongé. Le cornet à pistons est ainsi devenu un instrument très voisin de la trompette, avec le même doigté et presque la même tessiture. Mais l’embouchure plus profonde et le tube plus évasé lui procurent un timbre plus rond, une agilité plus grande, et, surtout, une facilité d’émission qui lui ont valu, au XIXe siècle et même au-delà, une immense popularité auprès des musiciens amateurs. (On sait que la transcription pour cornet d’airs d’opéras célèbres fut l’une des besognes alimentaires auxquelles se livra Richard Wagner lors de son premier séjour à Paris.) On lui reproche aujourd’hui sa sonorité un peu canaille et, à l’orchestre, il est généralement remplacé, parfois à tort, par la trompette. CORNET (Peter), organiste et compositeur flamand ( ? v. 1575 ? - Bruxelles 1633 ? ). On sait peu de chose de sa vie, si ce n’est qu’il fut organiste à Bruxelles, à la chapelle des archiducs, entre 1593 et 1626. Les neuf pièces pour orgue qui subsistent de son oeuvre (deux courantes, une antienne sur le Salve Regina, une toccata et cinq fantaisies) le placent néanmoins au premier rang des organistes flamands de son temps avec Sweelinck, dont il subit l’influence. Marquée également par la musique vénitienne, son écriture est plus souple et plus chantante que celle de ses compatriotes. CORNET À BOUQUIN. C’était à l’origine un olifant amélioré, fait d’une corne de bouc (d’où son nom), ou de tout autre ruminant, et percé de trous, comme tous les instruments de la famille

des bois, pour permettre l’émission de plusieurs notes. Il fut d’ailleurs bientôt construit en bois, parfois gainé de cuir, mais son embouchure conique en bois dur, ivoire ou métal continuait de l’apparenter à la famille des cuivres. De forme droite, légèrement courbe ou en « S » très allongé, il a donné naissance au serpent, de tessiture beaucoup plus grave. CORNYSHE (William), compositeur, écrivain et acteur anglais ( ? v. 1468 Londres 1523). Il obtint un poste à la cour d’Henri VII, sans doute à partir de 1493, mais, par la suite, il connut quelques déboires à cause de ses écrits satiriques et fut emprisonné. En 1509, il devint maître des enfants de la chapelle royale. Jusqu’en 1516, il demeura l’un des principaux acteurs des pièces de la Cour et, jusqu’en 1520, il écrivit des disguisings pour cette même Cour (ainsi The Garden of Esperance, 1517). Il jouit d’une grande faveur auprès d’Henri VIII, qui mit lui-même en musique un certain nombre de ses vers. L’oeuvre de William Cornyshe, qui, outre les pièces religieuses que contient entre autres The Eaton Choirbook, comporte également des chansons profanes à 3 et parfois à 4 voix, atteste la vitalité de ce genre de musique à l’époque. Ah Robin, Gentle Robin, par exemple, est un petit chef-d’oeuvre de simplicité écrit sous forme d’un canon avec un contre-chant plus lyrique dès qu’il est question de my lady. Citons enfin son magnificat. Très variée et pleine de talent et d’imagination, l’activité artistique de Cornyshe demeure caractéristique du développement et du raffinement intellectuels à la cour du second Tudor. Pour une édition moderne des oeuvres profanes, on peut consulter Musica britannica (vol. 18, 1962, éd. J. Stevens). Pour les oeuvres contenues dans The Eaton Choirbook, voir Musica britannica (vol. 10-12, 1956-1961, éd. F. L. Hawison). CORO SPEZZATO (ital. : « choeur brisé »). Expression italienne, quelquefois employée au XVIe siècle pour désigner une forme spéciale de double choeur, très pratiquée à Saint-Marc de Venise, où elle était favorisée par la disposition des tribunes ; elle consistait surtout dans l’alternance des deux choeurs qui s’unissaient à la fin en un seul grand choeur.

CORREA DE ARAUXO ou ARAUJO (Francisco), organiste, compositeur et théoricien espagnol ou portugais ( ? v. 1575 - Séville v. 1663). Malgré son importance historique, sa vie et son activité demeurent presque méconnues. On sait qu’il était prêtre et qu’il fut titulaire de l’orgue de l’église Saint-Sauveur de Séville à partir de 1598 et jusqu’à une date postérieure à 1633. En 1626, il publia un ouvrage théorique et pratique intitulé Libro de tientos y discursos de música práctica y téorica d’organo, intitulado Facultad organica ; il y réunit 70 pièces d’orgue classées par ordre de difficulté, pour la plupart des tientos (sortes de préludes en style fugué), et un exposé théorique sur les diverses formes d’écriture pour l’orgue illustrées par son livre. CORREA DE AZEVEDO (Luis Heitor), musicologue et folkloriste brésilien (Rio de Janeiro 1905 - Paris 1992). Après avoir exercé différentes fonctions de journaliste et d’organisateur de la vie musicale brésilienne, il fut le premier musicologue à occuper, en 1939, la chaire de folklore national de l’actuelle École de musique de l’université fédérale de Rio de Janeiro. Membre de la Commission nationale du livre didactique (1945-1948), il fut appelé, à partir de 1947, à diriger les services musicaux de l’Unesco à Paris. On lui doit la fondation du Conseil international de la musique et la publication de la série Archives de la musique enregistrée. À la suite de la création de l’Institut des hautes études de l’Amérique latine à l’université de Paris, entre 1954 et 1958, Correa de Azevedo donna une série de cours sur l’histoire de la musique. Il fut, par ailleurs, invité à différentes reprises par plusieurs universités des États-Unis. Enfin, il a publié plusieurs ouvrages au Brésil : Gammes, rythmes et mélodies dans la musique des Indiens brésiliens ; Musique et musiciens du Brésil ; Cent Cinquante Ans de musique au Brésil (1800-1950). CORRETTE (Michel), organiste, compositeur et pédagogue français (Rouen 1709 - Paris 1795). Fils de Gaspard Corrette, qui publia en 1703 une messe pour orgue, il reçut de son père une formation d’organiste qui lui permit d’occuper plusieurs tribunes à Paris : en 1726, celle de Sainte-Marie-en-

la-Cité ; en 1737, celle du grand prieur de downloadModeText.vue.download 266 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 260 France ; en 1750, celle des jésuites de la rue Saint-Antoine ; en 1759, celle du prince de Condé ; et, en 1780, celle du duc d’Angoulême. Ces postes allaient le conduire à écrire deux livres d’orgue (1737, 1750) et de nombreuses pièces, qui tantôt s’inscrivent dans la tradition, avec des préludes ornementés ou des versets fugués, tantôt témoignent du goût de l’époque, avec les concertos de symphonie ou les musettes. Corrette se tourna également vers la musique profane et composa, à partir de 1733, des vaudevilles pour les spectacles des foires de Saint-Laurent et Saint-Germain. Il s’intéressa aussi à des instruments divers, en leur consacrant des ouvrages pédagogiques, publiés entre 1738 et 1784, et en recherchant dans ses oeuvres de nouvelles combinaisons de timbres : il mêla aux cordes, dans ses concertos comiques qui comptent parmi les premiers concertos écrits pour instruments à vent - des flûtes, des hautbois, des musettes ou des vielles. Il manifesta un même souci de variété dans ses sources d’inspiration : il ne se contenta pas, comme beaucoup de ses contemporains, de puiser dans des modèles italiens, mais il sut aussi faire appel à des thèmes choisis dans des chansons populaires ou dans des noëls. CORTECCIA (Francesco), compositeur italien (Florence 1502 - id. 1571). Ordonné prêtre, il s’installe à Florence, où il est nommé organiste de San Lorenzo en 1531 et, plus tard, maître de chapelle à la même église (1542). Entre-temps il entre au service de Cosme Ier de Médicis, en 1539, comme maître de chapelle et compositeur de la Cour, poste qu’il réussit à garder jusquà sa mort. Francesco Corteccia est un compositeur loin d’être insignifiant. Doué d’un sens dramatique toujours en éveil, il a contribué à l’éclosion de la monodie accompagnée, écrivant des intermèdes musicaux pour des pièces de théâtre (Il Commodo de A. Landi, Il Furio, La Cofanario de F. d’Ambra). Il a publié à Venise deux livres de madrigaux à 4 voix (1544-1547) et d’autres à 6 voix (1547).

Dans le domaine de la musique religieuse, il a composé deux livres de respons à 4 voix (Venise, 1570), des psaumes et deux livres de motets à 5 et à 6 voix (Venise, 1571). Plus intéressantes encore sans doute sont ses deux passions (Passio secundum Joannem, 1527 ; Passio secundum Matthaeum, 1532), le récit étant déclamé sans musique par le testo et commenté par des choeurs à 4 voix, harmonisé généralement avec simplicité mais d’une expressivité émouvante ; l’écriture homorythmique est au service de la parole. Ces deux oratorios comptent parmi les tout premiers en Italie. CORTÈGE. Variété de marche instrumentale ayant un caractère aristocratique (Cortège solennel pour orchestre de Glazounov) ou visant à parodier ce caractère (Cortège burlesque pour piano à 4 mains de Chabrier). CORTOT (Alfred), pianiste, chef d’orchestre et pédagogue français (Nyon, Suisse, 1877 - Lausanne 1962). Né d’un père français et d’une mère suisse, il commença l’étude du piano avec ses soeurs, et eut l’occasion d’entendre jouer Clara Schumann. Il entra au Conservatoire de Paris dans les classes d’Émile Decombes (qui avait reçu les conseils de Chopin) et de Louis Diémer pour le piano, de Raoul Pugno et de Xavier Leroux pour l’écriture. Il obtint son premier prix de piano en 1896. Fervent wagnérien, il fut chef de chant à Bayreuth et, dans le cadre d’une Société des festivals lyriques qu’il avait fondée, dirigea en 1902 à Paris, en première audition, Tristan et Isolde et le Crépuscule des dieux. L’échec financier de ces exécutions l’obligea à reprendre ses activités de pianiste, mais non à renoncer à la direction d’orchestre et à l’organisation de concerts : il fonda en 1903 l’Association des concerts Cortot et y donna les premières auditions à Paris de la Missa solemnis de Beethoven, de Parsifal de Wagner, de la Légende de sainte Élisabeth, du Requiem allemand de Brahms, de mélodies de Moussorgski, mais aussi d’oeuvres de D’Indy, Chausson, Lekeu, Magnard, Roussel, Ladmirault, etc. En 1905, il forma avec le violoniste Jacques Thibaud et le violoncelliste Pablo Casals un trio demeuré fameux ; il joua aussi beaucoup en duo avec Casals et plus encore avec Thibaud. De 1907 à 1917, il fut professeur de piano au Conservatoire

de Paris. En 1918, il fonda, avec A. Mangeot, l’École normale de musique, en demeura longtemps le directeur et y donna des cours d’interprétation réputés où il eut notamment pour disciples Dinu Lipatti, Clara Haskil, Magda Tagliaferro, Yvonne Lefébure, Vlado Perlemuter et Samson François. Il donna son dernier concert à Prades en 1958, avec Pablo Casals. Ce grand ambassadeur de l’art français a mérité plus qu’aucun autre d’être appelé un « poète du piano ». Ses interprétations, servies par un toucher admirable, par une sonorité très particulière, liquide, profonde, sans dureté même dans la plus grande force, étaient le reflet d’un véritable univers spirituel, d’une ample vision d’humaniste, le fruit d’une profonde réflexion parcourue d’intuitions qui donnaient à son phrasé un tour très personnel. Son répertoire était vaste, mais son jeu s’accordait particulièrement à la musique de Chopin, Schumann, Liszt et Debussy. Sa pédagogie s’orientait beaucoup plus vers une compréhension profonde des oeuvres que vers la technique pure ou vers des recettes d’exécution. Elle rattachait sans cesse une analyse précise à un vaste contexte esthétique. On en trouve l’image dans le Cours d’interprétation recueilli par Jeanne Thieffry (2 vol., Paris, 1934), mais aussi dans des ouvrages écrits par Cortot lui-même d’une plume brillante : la Musique française de piano (3 vol., Paris, 1930-1932), Aspects de Chopin (Paris, 1949). Cortot a également laissé des éditions de travail d’oeuvres de Chopin, Schumann, Franck, etc. COSSET (François, appelé parfois COSSETTE ou COZETTE), compositeur français (Saint-Quentin v. 1610 - id. ? v. 1673). Il fit toute sa carrière dans des maîtrises, soit comme enfant de choeur, soit comme sous-maître ou maître. À la mort de Veillot en 1643, il fut nommé chef de la maîtrise de Notre-Dame de Paris. Il démissionna de ce poste en 1646 à la suite de critiques formulées par la reine à son égard au sujet d’une mauvaise exécution d’un Te Deum. Il revint à Reims, reprenant en 1650 son poste de maître de chapelle avant d’être nommé à Amiens pour diriger la maîtrise de la cathédrale. En 1664, il était à SaintQuentin et se consacra à la composition. L’oeuvre de François Cosset, uniquement religieuse, est fondée sur une écriture en

contrepoint stricte, respectant le style palestrinien, notamment, dans les huit messes pour solos et choeurs à 4, 5 et 6 voix conservées, où elle est sans accompagnement instrumental. COSTE (Napoléon), guitariste et compositeur français ( ?, département du Doubs, 1806 - Paris 1883). Parallèlement à une carrière de virtuose, il étudia à fond la composition musicale à Paris, où il se fixa en 1830. Son oeuvre compte plus de 70 pièces pour la guitare, d’une écriture brillante et très marquée par l’esthétique à la mode à la fin du XIXe siècle. S’attachant également à améliorer les possibilités de son instrument il y ajouta une septième corde (ré grave), qui ne fut cependant pas conservée après lui. COSTELEY (Guillaume), compositeur français (Pont-Audemer [ ?] v. 1531 Évreux 1606). Organiste et valet de chambre du roi Charles IX à partir de 1560, puis d’Henri III, il fit partie du cercle humaniste de la comtesse de Retz et se lia d’amitié avec J. A. de Baïf et R. Belleau. Il appartint donc au mouvement qui allait aboutir à la création de l’Académie de musique et de poésie en 1570 et s’attacher plus spécialement à faire revivre l’éthos de la musique et ses effets. Retiré dès 1570 à Évreux, Costeley y fonda en 1575 un puy, ou concours de composition, mais ses liens avec la Cour se maintinrent puisque, en 1599, il était encore qualifié de « conseiller du roi ». Curieusement, on ne possède de cet organiste qu’une fantaisie pour clavier (« Sus downloadModeText.vue.download 267 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 261 orgue ou espinette »). Le recueil Musique, qu’il publia chez Le Roy et Ballard en 1570 - contenant 103 chansons destinées surtout à mettre en valeur la rare étendue des chanteurs du roi -, témoigne de l’élégance et du charme de son style pour ne citer que la plus célèbre d’entre elles, Mignonne, allons voir si la rose (Ronsard). Costeley affectionna l’écriture verticale comme en témoigne l’alternance d’homophonie et de polyphonie dans Mignonne ou Allez mes premiers amours, premier

pas vers la conquête du sentiment harmonique - admirablement démontré dans Mignonne avec l’entrée tardive de la basse sur « Las ! Voyez comme en peu d’espace » - et, qui, dans le cas, souligne le sens du texte et la progression de la pensée. Il tenta aussi, avec Seigneur Dieu ta pitié, une incursion dans le domaine de la musique non diatonique (il préconisa les tiers de tons non seulement pour les voix, mais aussi pour les instruments) et annonça déjà l’air de cour par une vingtaine de chansons strophiques « en forme d’air », genre qui se répandit dans la seconde moitié du XVIe siècle (P. Bonnet, J. Planson), sous l’influence des nouvelles formes poétiques. COTILLON. Danse ancienne caractérisée, comme le branle, par le déplacement latéral des pieds. Le cotillon réunissait quatre ou huit danseurs et comportait souvent des scènes mimées ajoutées aux figures classiques. Quand il fut passé de mode, vers la fin de l’Ancien Régime, son nom fut donné à la simple farandole qui, comme lui, servait de conclusion aux bals de société. COTTE (Roger), musicologue et organologue français (Clamart 1921). Il fit ses études musicales au Conservatoire de Paris, entre 1940 et 1948, avec G. Crunelle (flûte), Samuel-Rousseau (harmonie et contrepoint), P. Brunold (organologie), et passa en 1961 son doctorat de musicologie à la Sorbonne, sous la direction de J. Chailley. Chef du Groupe d’instruments anciens de Paris depuis 1953, il a été nommé, en 1957, professeur à la Schola cantorum et a été directeur du laboratoire de musicologie de la Sorbonne. Ses recherches et ses interprétations ont concerné essentiellement Rousseau (enregistrement du Devin du village), la musique maçonnique (Mozart, Beethoven, Himmel, Taskin), sur laquelle il a écrit plusieurs études, et les instruments, notamment la flûte à bec, pour laquelle il a enregistré une méthode par le disque (1973). COULÉ. Ornement des XVIIe et XVIIIe siècles, instrumental ou vocal, qui indique une succession rapide de notes.

Le plus utilisé est la tierce coulée, qui est souvent signalée par une petite barre oblique entre les deux notes concernées d’un accord. Cet ornement, joué en général avant le temps et dans les morceaux de caractère gracieux, fut très en usage dans les pièces de clavecin de F. Couperin. Pour indiquer le coulé, on peut aussi écrire les notes à jouer, en petits caractères, mais le signe habituel lui est néanmoins préférable. COULISSE. Partie mobile du tube, en forme d’« U », que l’on rencontre dans certains instruments à vent, en particulier le trombone, et qui, s’actionnant d’avant en arrière, détermine un allongement ou un raccourcissement de la colonne d’air et, par là même, une variation de la hauteur du son. COUP D’ARCHET. Il indique, dans le jeu des instruments à cordes frottées, les différentes manières de mouvoir l’archet sur la corde, à l’endroit correct, dans la direction et à la vitesse prescrites, et avec la pression nécessaire. Le mouvement d’archet qui va du talon à la pointe est appelé « tiré » (que l’on note par le signe U) et celui qui va de la pointe au talon « poussé » (V). Les principaux coups d’archet sont le détaché, le legato, le martelé, le sautillé, le spiccato, le staccato, le staccato à ricochet, le staccato volant, etc. Lorsqu’une partition ne porte pas d’indications assez précises, les instrumentistes à cordes d’un orchestre de chambre ou d’un orchestre symphonique doivent se mettre d’accord sur les coups d’archet, pour obtenir une interprétation homogène. COUP DE GLOTTE. En technique vocale, geste physiologique qui provoque l’expulsion de l’air et la naissance du son par l’écartement des cordes vocales et l’ouverture de la glotte. Il était, en général, recommandé par les maîtres italiens et français et il est parfaitement analysé et décrit dans les traités de Garcia et de Faure au XIXe siècle. Ce geste doit naturellement s’exécuter avec souplesse et sans donner à l’auditeur l’impression que la voyelle est précédée d’un « H ». C’est seulement dans le cas de cette exagération (ce que les maîtres anciens appelaient hoquet, ou coup de poitrine) qu’il a pu acquérir une nuance péjorative sous la plume de

certains théoriciens, qui commettent ainsi une transgression de vocabulaire sans remettre en cause ce principe physiologique. COUP DE LANGUE. Procédé d’émission commun à tous les instruments à vent occidentaux, les « bois » comme les « cuivres ». La langue de l’exécutant, poussée vers l’avant de manière à obturer hermétiquement l’ouverture des lèvres, est brusquement retirée vers l’arrière, selon une comparaison couramment utilisée, comme pour recracher un bout de fil, libérant l’air sous pression fourni par les poumons. Le coup de langue est utilisé pour le jeu staccato. COUPERIN (dynastie des).ESD Elle a souvent été comparée à la dynastie allemande des Bach. Le rapprochement est d’autant plus séduisant que le plus ancien musicien connu du nom de Couperin, Mathurin, fut contemporain de Veit Bach († 1619), le meunier mélomane, arrière-arrière-grand-père de Jean-Sébastien, tandis que Céleste Couperin, organiste et professeur de piano, s’éteignit en 1860, quinze ans après la mort de Wilhelm Friedrich Ernst Bach. Les deux dynasties ont la même durée, la même ascension et culminent presque au même moment. La musique remonte beaucoup plus loin chez les Couperin qu’on ne le croyait encore récemment. Mathurin Couperin (1569-1640), « laboureur » et « procureur » à Beauvoir, petit village de la Brie, possédait le titre de « maître joueur d’instruments », qui allait passer à son fils Charles. L’inventaire après décès de celuici montre, chez un simple « tailleur d’habits » à Chaumes-en-Brie, de nombreux instruments de musique : violons, violes, flûtes, hautbois, qui laissent supposer une pratique musicale de quelque importance. Des mariages attestent tout un réseau d’alliances avec des musiciens, et une vie artistique étonnamment intense dans ce milieu de paysans, artisans et hommes de loi à l’échelle d’une bourgade de province. Trois fils de Charles I Couperin, Louis, François I et Charles II, découverts par le claveciniste de la Cour Jacques Champion de Chambonnières, opèrent la « muta-

tion » et adoptent l’état de musiciens professionnels. Louis Couperin (Chaumes-en-Brie 1626 Paris 1661). Installé à Paris vers 1650 à la suite de Chambonnières, il est nommé violiste de la Chambre du roi et titulaire de l’orgue de Saint-Gervais en 1653 (cet instrument restera dans la famille jusqu’en 1830). Pressenti pour occuper la charge de claveciniste de la Chambre, il se récuse pour ne pas porter tort à son bienfaiteur Chambonnières, et est nommé ordinaire de la Chambre pour la viole, et comme tel accompagne les ballets de cour. À sa connaissance du style français, L. Couperin joint très vite celle de la manière italienne, qu’il a acquise, semble-t-il, au contact de Froberger (à Paris en 1652). Auteur de 130 pièces de clavecin et de quelque 70 pièces d’orgue découvertes en 1957 et enfin entièrement livrées au public, de Fantaisies pour les violes, de 3 Fantaisies en trio, il a écrit une musique d’une grande audace downloadModeText.vue.download 268 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 262 harmonique et d’un lyrisme contenu. Les pièces d’orgues découvertes ont révolutionné l’histoire de cet instrument en France, et font de Louis Couperin le trait d’union qui manquait entre Titelouze et Nivers. Préludes non mesurés à la manière des luthistes français côtoient des pièces à la manière de Frescobaldi, des pièces de danse pour le clavecin, des fugues et fantaisies pour l’orgue, qui témoignent, avant son neveu François II Couperin, du souci d’allier les « goûts » français et italien. Il meurt en 1661, à trente-cinq ans. François I Couperin (Chaumes-en-Brie 1630 - Paris 1701). Frère du précédent, bon pédagogue, il ne semble pas avoir laissé de compositions, et a été écarté de la succession à l’orgue de Saint-Gervais. Charles II Couperin (Chaumes-en-Brie 1638 - Paris 1679). Frère des précédents, il semble avoir rejoint son frère et avoir eu très tôt une charge à la Cour (il est violiste dans le Ballet de la raillerie en 1659). À la mort de Louis, il lui succède à l’orgue de Saint-Gervais (1661) et meurt en 1679 sans laisser de compositions. Il est le premier Couperin à s’être fait appeler « sieur de

Crouilly », du nom d’une terre familiale près de Beauvoir, titre que reprend son fils François II. Marc-Roger Normand (1663-1734), cousin des précédents, organiste à Turin. La génération suivante est représentée, outre François II Couperin, dit LE GRAND (1668-1733), par le fils de François I. Nicolas Couperin (1680-1748). Musicien du comte de Toulouse, il prend la succession de François II, son cousin, à l’orgue de Saint-Gervais. Sa soeur aînée, Marguerite-Louise Couperin (1676-1728), a été une chanteuse réputée, à laquelle son cousin François II dédie une partie de ses motets pour la chapelle de Versailles. La troisième génération des Couperin musiciens comprend : Armand-Louis Couperin (1727-1789), fils du précédent, organiste de Saint-Gervais et de plusieurs autres églises de Paris, dont Notre-Dame pour un quartier. Il laisse des pièces pour clavecin avec accompagnement de violon, des sonates en trio, des motets, une cantate. Il a épousé la fille du facteur de clavecins Blanchet. Des quatre enfants de François II, la fille aînée, Marie-Madeleine Couperin (1690-1742), a été religieuse et organiste de l’abbaye de Maubuisson, et la cadette, Marguerite-Antoinette Couperin (1705-1778), claveciniste de la Cour et maître de clavecin des Enfants de France (les filles de Louis XV en particulier). On louait beaucoup son jeu « savant et brillant ». Les deux fils, l’un mort en bas âge et l’autre ayant rompu ses attaches avec sa famille (François-Laurent, encore vivant à Montauban en 1740), joints aux deux filles célibataires, laissent s’éteindre la filiation de François Couperin le Grand. La cinquième génération est donc constituée de la seule filiation d’ArmandLouis Couperin : Pierre-Louis Couperin (v. 1755-1789), organiste, qui succède à son père, et Gervais-François Couperin (1759-1826), qui tient à son tour l’orgue de Saint-Gervais. Il laisse une symphonie, des pièces pour le clavecin et le piano, des romances.

La dernière génération est représentée par Céleste Couperin (1793-1860), fille du précédent, qui tient l’orgue de ses ancêtres jusqu’en 1830 et meurt dans la misère. COUPERIN (François, dit François II, LE GRAND), compositeur français (Paris 1668 id. 1733). Unique fils de Charles Couperin, orphelin à l’âge de onze ans, il fut élevé par sa mère, qui confia son éducation musicale à Jacques Thomelin, organiste de SaintJacques-la-Boucherie. Les minutes du conseil de fabrique de l’église Saint-Gervais nous apprennent que M. R. Delalande assura l’intérim de la charge d’organiste, que François Couperin occupa de fait dès 1685, et qu’il conserva jusqu’en 1723. En 1689, il épousa Marie-Anne Ansault, dont il eut quatre enfants : Marie-Madeleine (1690-1742), religieuse et organiste à l’abbaye de Maubuisson (soeur Marie-Cécile) ; François-Laurent ( ? - vivant en 1747), qui disparut et sembla avoir mené une vie errante ; Marguerite-Antoinette (17051778), claveciniste de la Chambre du roi et maître de clavecin des Enfants de France ; et Nicolas-Louis (1707- ?), mort sans doute en bas âge. François Couperin obtint en 1790 le privilège pour un Livre d’orgue consistant en deux messes, qui ne furent pas imprimées, mais diffusées en manuscrit. Vers 1692-93, il composa ses premières sonates, dans la manière italienne : la Steinquerque et la Française, qui furent diffusées sous un pseudonyme italien, dans les milieux italianisants de la capitale. En 1693, à la mort de son maître Thomelin, il obtint par concours le poste d’organiste de la chapelle royale pour le quartier de janvier, charge qu’il conserva jusqu’en 1730. Il composa divers motets pour petits ensembles destinés à la chapelle royale, dont certains furent imprimés « de l’ordre du Roy » (1703 à 1705) et quelques-uns destinés à sa cousine Marguerite-Louise, chanteuse réputée et membre de la musique de la Cour. « Professeur-maître de clavecin » du Dauphin (duc de Bourgogne), il enseigna la musique à plusieurs enfants de la famille royale, ainsi que, quelque temps, à la jeune infante passagèrement fiancée à Louis XV. Dès 1707, quelques pièces de clavecin furent publiées par Ballard dans des recueils collectifs, mais son premier livre parut en 1713 seulement, succédant à de nombreuses publications similaires,

notamment au premier livre de Rameau (1706). En 1714-15, il publia les Leçons de ténèbres pour le mercredy, annonçant la parution de deux autres séries (pour le jeudi et le vendredi), qui ne virent jamais le jour. Vers la fin du règne de Louis XIV, sa musique de chambre, délaissant l’italianisme des premières sonates, s’orienta vers la forme de la suite française, dans les Concerts royaux composés pour le roi, puis dans les Goûts réunis. Après l’Art de toucher le clavecin (1716), où il donna, non sans désordre, mais avec finesse, ses conseils de pédagogue, il publia trois nouveaux livres de clavecin (1717, 1722, 1730), réédita ses sonates en les complétant d’une suite, sous le nouveau titre des Nations : à l’italianisme de la première partie fit place un style synthétique où le « goût italien » et le « goût français » se conjuguaient. Sa dernière oeuvre dans ce domaine consistait en deux Suites pour les violes. François Couperin semblait de santé délicate, voire maladive, et ne cessa de s’en plaindre. Nous savons peu de choses sur sa vie intime et sa personne, qui paraît être restée très secrète. Brillant jeune musicien, qui publia à vingt-deux ans un chef-d’oeuvre (les Messes d’orgue), il appartint à l’avant-garde italianisante (ses sonates furent les premières composées en France à la manière de Corelli). Occupant à vingt-cinq ans d’importantes charges à la Cour, chevalier de l’ordre de Latran (1702), respecté et honoré, il fit cependant une carrière moins brillante qu’il ne paraît : modestie ou maladie, il resta en retrait. Il abandonna ses diverses charges (1723, Saint-Gervais, 1730, organiste et claveciniste du roi), et ses dernières années semblent avoir été douloureuses. L’ensemble de son oeuvre porte une double marque : d’une part, l’héritage de la tradition française, par l’intermédiaire de ses maîtres organistes (Thomelin, sans doute Delalande), de son oncle François, des clavecinistes issus, comme son père et ses oncles, de l’enseignement de Chambonnières, et aussi de l’opéra, dont sa bibliothèque contenait maints volumes ; d’autre part, la tradition italienne, qu’il connut très tôt dans les cercles italianisants de la capitale (SaintAndré-des-Arcs ?). Ces deux apports, d’abord assez distincts (tradition française dans les messes, tradition italienne dans les sonates et la plupart des motets), se rejoignent dans une tentative consciente

de synthèse : certaines oeuvres (les Goûts réunis, l’Apothéose de Lully) se présentent comme des « manifestes » de l’alliance des styles, tandis que l’oeuvre pour clavecin les mêle ou les juxtapose tour à tour. À la tradition française, Couperin emprunte l’élégance mélodique, le goût de la danse, l’ornementation, tandis que l’Italie lui insdownloadModeText.vue.download 269 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 263 pire une carrure, un goût de la symétrie, l’emploi, discret mais caractéristique, du chromatisme, et maintes formules instrumentales. Les Messes d’orgue, écrites à l’âge de vingt ans, manifestent des dons éclatants. Elles se plient aisément aux contraintes du règlement très strict de l’archevêché de Paris (1662) et à celles de la tradition française, issue tant du style contrepointé de Titelouze que de celui, plus léger et plus mélodique, de Lebègue ou de Nivers. Couperin fait alterner les versets polyphoniques sur thème de plain-chant à la basse ou en taille (kyrie, et in terra pax, sanctus, agnus Dei) et des pièces libres : duos, trios, basses de trompette ou de chromhorne, dialogues. L’offertoire de la Messe des paroisses est un grand triptyque, qui allie un mouvement lent d’ouverture, un ricercar au contrepoint hardi et un mouvement de gigue. La Messe des paroisses est d’un ton plus solennel et d’une écriture plus ample, la Messe des couvents, plus intime quoique plus mondaine de ton. La musique vocale sacrée constitue une part non négligeable de l’oeuvre de Couperin, en grande partie manuscrite. Les Motets de l’ordre du roy manifestent un goût très vif des effets vocaux et instrumentaux venus d’Italie et un sens quasi impressionniste du coloris instrumental. Les deux recueils manuscrits de Versailles et du comte de Toulouse comportent des pièces diverses à 1, 2 et 3 voix, moins mondaines, souvent d’une inspiration religieuse très douce, tendre, d’une émotion voilée. L’oeuvre religieuse culmine avec les trois Leçons de ténèbres à 1 et 2 voix, où la tradition française issue de Lambert et de Charpentier (alliant le récitatif à un art vocal très orné issu de l’air de cour) se tempère en un remarquable équilibre.

La musique vocale profane, en l’absence des cantates perdues (Ariane abandonnée), se réduit à quelques vaudevilles, brunettes et canons ; seule, la brunette Zéphire, modère en ces lieux, avec ses 5 variations, dans le style de l’air de cour, a quelque ampleur. La musique de chambre, pratiquée par Couperin tout au long de sa vie, suit une évolution très marquée. Les premières sonates en trio sont construites sur le modèle italien, et font alterner les mouvements lents et vifs de la sonata da chiesa. Un peu courtes d’inspiration dans les débuts, elles prennent plus d’ampleur avec la Sultane (à 4 parties), avec l’Impériale et avec l’Apothéose de Corelli : écriture en imitation, mouvements lents avec basse mélodique, embryons d’écriture concertante (la Sultane), avec par instants de brefs mouvements chantants d’inspiration française. Les Concerts royaux marquent une mutation : c’est la suite chorégraphique à la française qui apparaît, tandis que les Goûts réunis tentent une synthèse des deux « manières », tantôt alternées (8e concert « dans le goût théâtral », plus nettement français, 9e concert Il Ritratto dell’amore, reprenant la sonate italienne), tantôt fondues. Les 11e et 12e concerts, à deux violes, annoncent le recueil des Pièces pour violes, constitué de deux suites, l’une constituée des danses habituelles, l’autre de mouvements de sonate italienne encadrant une émouvante Pompe funèbre. L’Apothéose de Corelli est une ample sonate à l’italienne, dont les mouvements sont pourvus de titres, tandis que l’Apothéose de Lully est une véritable pièce à programme, décrivant avec humour l’arrivée du musicien au Parnasse, et qui s’achève par la Paix du Parnasse, sonate à 3, consacrant l’alliance des goûts français et italien. L’oeuvre de clavecin, répartie en 4 livres, groupe 240 pièces en 27 ordres : forme d’une extrême liberté, initialement inspirée de la suite, mais qui, très vite, n’a d’autre unité que celle de la tonalité et surtout d’une atmosphère particulière à chacun. L’évolution est assez nette. Le Premier Livre (1713), constitué sans doute de pièces plus ou moins anciennes, est plus disparate. Au Deuxième (1717), l’étoffe se resserre : c’est une série plus grave, parfois sévère. Le Troisième (1722) est plus poétique, plus léger, glissant souvent vers l’humour, qui culmine au début

du Quatrième (1730) pour laisser place, dans les 4 derniers ordres, à un ton douloureux, parfois amer, et qui a presque complètement abandonné les anciennes formes de danse. La plus grande partie de ces pièces est pourvue de titres, parfois délicats à interpréter. Certains sont des dédicaces (à des amateurs : la Villers ; à des musiciens : la Forqueray, la Garnier ; à des élèves : la Conti, la Méneton, etc.) ; d’autres paraissent être des portraits, sans qu’il soit toujours possible de le déterminer avec certitude. Quelques pièces sont des « tableaux de genre « : les Vendangeurs, les Petits Moulins à vent. D’autres titres, au contraire, qualifient la musique elle-même : la Séduisante, la Lugubre, la Ténébreuse, ou en indiquent le ton : la Petite Pince-sans-rire, les Langueurs tendres, le style (la Harpée, les Grâces naturelles) ou l’écriture (les Tours de passe-passe). Certaines pièces, mais très peu, sont des pièces à programme (les Fastes de la grande et ancienne ménestrandise). Sous le titre se cache souvent une pièce de musique pure (les Folies françaises sont une série de variations dans le style de la Folia), et telle pièce n’est, malgré son « sujet » apparent, qu’une petite toccata dans le style des clavecinistes italiens (les Tic-toc-chocs, le Réveil-Matin). La forme des pièces affecte soit la structure binaire issue de la danse, soit le rondeau, parfois des structures plus complexes (rondeau double, ou mélange des deux formes). L’écriture est extrêmement variée, tantôt simple et harmonique, tantôt savamment contrepointée et utilisant librement l’imitation. L’ornementation brillante et notée avec précision est typiquement française (trilles, pincés, ports-de-voix, coulés, aspirations), tandis que la complexité de l’harmonie et l’usage discret du chromatisme, quelques basses obstinées ou basses d’Alberti rappellent l’écriture italienne - les deux manières étant plus savamment mêlées que dans la musique de chambre de Couperin. Plus encore que dans le reste de son oeuvre, il est, ici, novateur et distance ses modèles, Chambonnières, L. Couperin, Marchand. Et, mieux qu’ailleurs, dans cette synthèse parfaitement aboutie, apparaît un musicien sensible, tendre, dont l’humour cache souvent une secrète, mais profonde, mélancolie. COUPLET. Dans l’acception courante, d’origine d’ail-

leurs fort ancienne, c’est le terme correspondant, en musique, à celui de strophe en poésie, c’est-à-dire, dans la chanson, l’élément de renouvellement laissant apparaître des textes différents sous une même mélodie et alternant avec un refrain dont musique et texte sont fixes. Dans la musique instrumentale des XVIIe et XVIIIe siècles et, spécialement, dans les pièces pour clavecin, le mot prend un sens plus particulier, mais dérivé du précédent : il désigne une variation, un retour orné, agrémenté, du thème principal, apparaissant entre deux rondeaux qui sont l’équivalent du refrain. COURANTE (ital. corrente). Danse dont l’origine - italienne ou française - remonte au XVIe siècle ; avec l’allemande, la sarabande et la gigue, elle prend la deuxième place dans la suite instrumentale classique. Elle est d’abord à deux temps rapides, au XVIe siècle en France, et c’est ainsi qu’elle est décrite par Th. Arbeau (Orchésographie, 1588), avant d’adopter un tempo plus modéré au siècle suivant, pour devenir une danse de cour extrêmement populaire sous Louis XIV, cette fois à trois temps (3/2 ou 6/4) et d’une allure plus aristocratique. La forme en est généralement binaire avec une reprise de chaque section. En Italie, la corrente choisit un rythme ternaire, un tempo rapide (3/8 ou 3/4) et une écriture plus simple et régulière que dans la courante française, plus gracieuse et contrapuntique. On trouve de nombreux exemples des courantes, d’abord chez les luthistes, puis dans les suites des maîtres français du clavecin (Chambonnières, d’Anglebert, les deux Couperin, Froberger). Chez J. S. Bach, on constate l’emploi du type français ; G. F. Haendel, en revanche, a eu recours aux deux styles. downloadModeText.vue.download 270 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 264 COURAUD (Marcel), chef d’orchestre et chef de choeur français (Limoges 1912 Paris 1986). Il fit ses études à l’École normale de musique et prit des cours d’orgue avec André

Marchal. En 1944, il fonda l’ensemble vocal Marcel-Couraud avec lequel il exécuta et enregistra des chansons et des madrigaux de la Renaissance (Lassus, Costeley, Janequin, Monteverdi) et des oeuvres contemporaines, notamment les Trois Petites Liturgies de la présence divine de Messiaen. En 1967, il fut nommé chef des choeurs de l’O. R. T. F. et, l’année suivante, il y créait l’ensemble des douze solistes des choeurs de l’O. R. T. F. avec lesquels il se consacra principalement à l’étude du répertoire contemporain. Leur répertoire comprenait, entre autres, les Cinq Rechants de Messiaen, le Dodécaméron d’Ivo Malec, le Récitatif, air et variations de Gilbert Amy, Nuits de Xenakis et la Sonate à douze de Betsy Jolas. Couraud a également enregistré des choeurs de Brahms avec l’Ensemble vocal de Stuttgart et a publié à l’intention des chefs de choeur des Cahiers de polyphonies vocales. COURVILLE (Joachim Thibaut de), compositeur, chanteur et instrumentiste français (Paris 1581 - ?). Il tenait à la cour le poste de joueur de lyre. En 1570, il fonda avec J.-A. de Baïf l’Académie de poésie et de musique, à laquelle appartenaient également les compositeurs Cl. Le Jeune et J. Mauduit. Le musicien et le poète tentèrent de réussir une harmonie parfaite entre les deux arts. Malheureusement, très peu d’oeuvres de Thibaut de Courville subsistent : trois airs dans le livre d’Airs mis en musique de son élève italien F. Caietain et cinq pièces strophiques pour voix et luth insérées dans les recueils de G. Bataille (début du XVIe s.). Deux d’entre elles, sur des poèmes de Desportes (Si je languis d’un martire incogneu - qui comporte une ornementation vocale virtuose et ressemble ainsi à un « double » - et Sontce dards ou regards), ont été éditées par A. Verchaly (Airs de cour pour voix et luth, Paris, 1961). COUSSEMAKER (Charles, Edmond, Henri de), musicologue français (Bailleul, Nord, 1805 - Lille 1876). Parallèlement à une carrière de magistrat, après quelques essais de composition musicale, il se consacra à des recherches historiques et musicologiques. Il est considéré comme l’un des pionniers de la musicologie médiévale et, aujourd’hui encore, les spécialistes peuvent consulter ses travaux avec profit, au moins sur le plan historique.

PRINCIPAUX ÉCRITS : Hucbald, moine de Saint-Amand, et ses traités de musique (Douai, 1841) ; Histoire de l’harmonie au Moyen Âge (Paris, 1852) ; Chants populaires des Flamands de France (Gand, 1856) ; Drames liturgiques du Moyen Âge (Rennes, 1860) ; l’Art harmonique aux XIIe et XIIIe siècles (Paris, 1865) ; OEuvres complètes du trouvère Adam de La Halle (Paris, 1872). COVENT GARDEN. Nom de trois théâtres situés depuis 1732 au même endroit dans Bow Street à Londres, la dénomination provenant de ce qu’auparavant l’emplacement était occupé par le jardin d’un couvent. Dans le premier théâtre, inauguré le 7 décembre 1732 avec la pièce The Way of the World de William Congreve, eut lieu en 1743 la première londonienne du Messie de Haendel. Le 10 décembre 1791, Haydn y vit The Woodman de William Shield et trouva le théâtre « très sombre et très sale, presque aussi grand que le théâtre de la cour (Burgtheater) à Vienne », le public des galeries « très impertinent » et l’orchestre « somnolent ». Ce premier bâtiment brûla en 1808. Inauguré le 18 septembre 1809, le deuxième théâtre vit en 1826 la création mondiale d’Oberon de Weber et devint en 1847 le Théâtre-Italien. Il brûla en mars 1858, et le troisième théâtre ouvrit ses portes le 15 mai suivant avec les Huguenots de Meyerbeer. En 1892, alors que depuis 1888 l’établissement avait à sa tête sir Augustus Harris, Mahler y dirigea pour la première fois un cycle Wagner (dont le Ring) en langue originale, donné par sa troupe de Hambourg. Les années 1930 furent dominées par Beecham, et virent aussi de mémorables représentations dirigées par Furtwaengler, Weingartner et Reiner. Après avoir servi de salle de danse de 1940 à 1945, le théâtre rouvrit en 1946. La salle actuelle compte 2 250 places. Furent notamment créés à Covent Garden, outre Oberon de Weber, The Pilgrim’s Progress de Vaughan Williams (1951), Billy Budd (1951) et Gloriana (1953) de Britten, Troilus and Cressida de Walton (1954), les quatre premiers des cinq opéras de Tippett (de 1955 à 1977), Taverner de Peter Maxwell Davies (1972), We Come to the River de Henze (1976), Sir Gawain de Harrison Birtwistle (1991). COWELL (Henry Dixon), compositeur

américain (Menlo Park, Californie, 1897 Shady Hill, New York, 1965). Violoniste, puis pianiste, il s’imposa dans les années 20 comme l’un des principaux représentants, avec Edgar Varèse, Charles Ives et Carl Ruggles, des tendances avantgardistes de la musique de son pays. Dès sa première apparition en public (1912), il fit scandale avec des pièces comme The Tides of Manaunaun, où sont juxtaposés un matériau thématique néoromantique et des notes agglomérées (tone-clusters), obtenues en frappant le clavier de la paume de la main ou de tout l’avant-bras. Il poussa plus loin cette technique dans Advertisement (1914). Mais son élargissement des possibilités du piano ne se limita pas aux clusters : Aeolian Harp (1923), The Banshee (1925) et Sinister Resonance (1925) en utilisent les cordes selon une technique plus ou moins violonistique, et annoncent par là les pièces pour instrument préparé de John Cage. Précurseur original et audacieux, il écrivit un morceau pour piano, Fabric, qui témoigne de l’intérêt que, dès 1914, il porta aux problèmes de rythme : convaincu que les factures polyrythmiques qu’il envisageait dépassaient les capacités humaines, il conçut et construisit, en collaboration avec Léon Theremine, un instrument à clavier-percussion pouvant produire les combinaisons rythmiques les plus complexes, le rythmicon, et l’utilisa en combinaison avec l’orchestre, en particulier dans Rhytmicana (1931). Il fut également, avec ce qu’il appela la « forme élastique », un pionnier de l’aléatoire : ainsi dans Mosaic (1934), troisième de ses cinq quatuors à cordes. Ses origines californiennes furent une des raisons de son goût pour les cultures et les musiques de l’Asie, dont il utilisa avec bonheur les rythmes, les échelles, les tournures mélodiques. Il ne négligea pas pour autant le passé musical américain, les vieilles ballades et les anciens airs fugués de la Nouvelle-Angleterre ; dans Tales of our Countryside (1939), ou dans le cycle Hymns and Fuguing Tunes (1944-1964), au style coloré et direct, il chercha à étendre à une forme plus moderne certains éléments de base de cette musique. Cowell fut tantôt un musicien d’avant-garde, tantôt un musicien traditionnel, mais il sut soigneusement séparer ces deux traits de sa personnalité.

Ami de Berg et de Bartók, conférencier et pédagogue, Cowell enseigna à la Stanford University, à la New School for Social Research et aux universités de Californie et Columbia : parmi ses élèves, George Gershwin et John Cage. On lui doit quelques écrits, à la tête desquels New Musical Resources (1930, rééd. 1969). Défenseur de la musique d’autrui, il fonda en 1927 New Music Quarterly, société pour la publication d’oeuvres contemporaines - Ives, Ruggles, Thomson, mais aussi Webern et Schönberg -, dont le catalogue fut repris dans les années 60 par Theodor Presser. Sa production relativement abondante comprend notamment vingt symphonies (1918-1965), des pages pour orchestre comme Vestiges (1924), Synchrony (1930) ou Old American Country Set (1937), des concertos (piano, harpe, percussion, harmonica, koto japonais, etc.), de la musique de chambre et vocale, et l’opéra inachevé O’Higgins of Chile (1947). downloadModeText.vue.download 271 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 265 CRAFT (Robert), chef d’orchestre américain (New York 1923). Élève de Pierre Monteux (direction d’orchestre) et de Stravinski (composition), tenu en haute estime par Schönberg, il se fit aux États-Unis le propagandiste le plus efficace de l’école de Vienne et révéla l’oeuvre de Webern à Stravinski, ce qui fut à l’origine de la conversion tardive de l’auteur du Sacre au sérialisme. Comme chef, il fut le premier à enregistrer l’intégrale de la musique de Webern et a gravé également la plus grande partie de celle de Schönberg. Devenu le familier de Stravinski, il a publié avec lui et/ou sur lui Conversations with Igor Stravinsky (1959), Memories and Commentaries (1960), Expositions and Developments (1962), Dialogues and A Diary (1963 et 1968), Themes and Episodes (1967), Retrospectives and Conclusions (1969) et Stravinsky : the Chronicle of a Friendship, 1948-1971 (1972). CRAMER, famille de musiciens allemands établis en Angleterre. Wilhelm (Mannheim 1745 - Londres 1799). Élève de J. Stamitz et de Ch. Can-

nabich, il fit partie de l’orchestre de Mannheim et s’installa à Londres en 1773, y menant une double carrière de violoniste et de chef d’orchestre. Dans les années 1780, alors qu’il dirigeait le Professional Concert (en activité de 1783 à 1793), il tenta sans succès de faire venir J. Haydn dans la capitale britannique. Franz, fils du précédent (Schwetzingen 1772 - Londres 1848). Violoniste, il devint en 1837 Master of the King’s Music (« Maître de la musique du roi »). Johann Baptist, frère du précédent (Mannheim 1771 - Kensington, Londres, 1858). Pianiste et compositeur, élève de Samuel Schröter et de Muzio Clementi pour le piano, et de Carl Friedrich Abel pour la théorie, il entreprit dès 1788 une carrière de pianiste international, mais sans cesser de considérer Londres comme son port d’attache. Il fit, à Vienne, la connaissance de Beethoven, qui annota ses Études de sa propre main, et, en 1824, fonda à Londres une maison d’édition. On lui doit 105 sonates, 7 concertos et des pièces diverses pour piano, de la musique de chambre et surtout un ensemble d’études (Grosse praktische Pianoforteschule [1815], « Grande École pratique du piano »), dont beaucoup, en particulier celles sélectionnées par Hans de Bülow, sont toujours utilisées actuellement. CRAMER (Carl Friedrich), écrivain et éditeur allemand (Quedlinburg 1752 - Paris 1807). Professeur de philosophie à Kiel de 1775 à 1794, il dut quitter son poste à cause de ses sympathies pour la Révolution française, et s’établit à Paris. Son Magazin der Musik, une des plus importantes revues musicales de l’époque, parut à Hambourg de 1783 à 1787, puis à Copenhague en 1789. CRAS (Jean), compositeur et marin français (Brest 1879 - id. 1932). Il n’abandonna jamais sa carrière d’officier de marine, atteignant le grade de contreamiral, major général du port de Brest, mais après des études de composition avec Henri Duparc (1901) et d’orgue avec Alexandre Guilmant, il composa aussi souvent que possible : opéra Polyphème (19121918), suite symphonique Journal de bord (1927), Concerto pour piano (1931), mu-

sique de chambre et pour piano, mélodies. CRAWFORD-SEEGER (Ruth), femme compositeur et folkloriste américaine (East Liverpool, Ohio, 1901 - Washington 1953). Elle a fait ses études au conservatoire de Chicago, puis à New York avec Charles Seeger, qu’elle épousa en 1931. Installée avec son mari à Washington, en 1935, elle y réalisa, à partir de 1937, plusieurs milliers de transcriptions d’airs populaires américains, d’après des enregistrements de la bibliothèque du Congrès, et composa des accompagnements de piano pour environ 300 d’entre eux, visant ainsi à développer, grâce au folklore, les méthodes d’enseignement musical pour enfants. Comme compositeur, elle a témoigné d’une certaine audace au sein des formes traditionnelles, en particulier par les tournures quasi sérielles de son quatuor à cordes (1931). Outre ses 8 volumes de chants folkloriques, elle a laissé, notamment, une suite pour quintette à vent et piano (1927, 1re audition Cambridge, Mass., 14 déc. 1975), une autre pour piano et cordes (1929), 2 Ricercari pour voix et piano (1932), une suite pour quintette à vent (1952) et des mélodies. CRÉCELLE. Instrument à percussion de la famille des « bois ». À la différence du jouet du même nom, dont le manche est solidaire d’une molette fixe et qu’on fait tourner à la manière d’une fronde, c’est la molette qui tourne, actionnée par une manivelle. L’autre main tient l’instrument et peut faire varier la pression des lames de bois sur la molette. CREDO. Mot initial traditionnel de plusieurs textes latins dits symboles (du grec sun-ballo, « réunir »), destinés à condenser dans le minimum de mots l’essentiel du dogme catholique, en vue de sa mémorisation et de sa récitation. Le plus ancien Credo, dit Symbole des Apôtres, a été l’objet de diverses additions lors des conciles successifs (Nicée 325, Constantinople 380), et, sous cette forme simplifiée, introduit dans l’ordinaire de la messe d’abord sur ordre de Charlemagne

dans ses États en 798, puis officiellement au XIe siècle, d’abord récité, puis chanté. Le célébrant chantait l’intonation, les fidèles reprenaient au mot Patrem, de sorte que, dans de nombreuses messes polyphoniques, la musique n’est composée qu’à partir de ce mot. Dans les livres de chant grégorien, le Credo n’est habituellement pas inclus dans les groupements de messes musicales, mais y figure à part ; on lui connaît une dizaine de mélodies, dont 4 seulement sont cataloguées dans les livres usuels (encore la deuxième n’est-elle qu’une variante de la première) ; la troisième n’est pas antérieure au XVe siècle : elle fait sans doute corps avec le Kyrie et le Gloria d’une messe d’origine anglaise dite pour cette raison messe des Angles, ce qu’une déformation populaire a travesti en messe des anges. Le Credo 4 serait, selon certains, la partie de ténor d’une composition polyphonique de l’Ars nova, à 2 ou 3 voix selon les versions. Dans les messes en plain-chant composées au XVIIe siècle par plusieurs maîtres de chapelle (les plus connues sont celles d’Henri Dumont), le Credo est traité au même titre que les autres pièces. L’ancien usage gallican remplaçait credo par le pluriel credimus. En ce qui concerne la polyphonie, avant l’ère de composition des messes unitaires, le Credo (Patrem) a été assez rarement mis en musique avant le XIVe siècle, mais fréquemment depuis cette période. Après quoi, il figure normalement dans la grande majorité des messes polyphoniques, de même que, à partir du XVIIe siècle, dans les messes avec orchestre (à l’exception des messes de requiem) ; il y est parfois découpé, en raison de sa longueur, en plusieurs morceaux successifs, auquel cas, traditionnellement, la musique présente un caractère recueilli à l’approche des mots Et homo factus est, sur lesquels le roi Saint Louis avait introduit l’usage de s’agenouiller, dramatique pour le Crucifixus, triomphant pour Et resurrexit. La conclusion Et vitam venturi saeculi, amen, à partir du XVIIIe siècle, est fréquemment un final fugué, analogue à la péroraison du gloria (Cum sancto spiritu). Dans sa Messe de Gran, Liszt donne un commentaire théologique très personnel en introduisant, contrairement à l’usage, le caractère dramatique de la Crucifixion dès l’annonce de l’Incarnation. Pour adapter le Credo à son usage, la Réforme l’a traduit en strophes de choral

(Luther en allemand, Calvin en français après Clément Marot) en s’inspirant de la mélodie du Credo 3. C’est sous cette forme (Wir glauben all in einen Gott) que le Credo prend place parmi les chorals d’orgue de Bach et de ses congénères. downloadModeText.vue.download 272 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 266 CRÉMONE (luthiers de). Ville renommée surtout pour son école de lutherie. C’est là que naquit et travailla le premier des Amati, Andrea (v. 1505-1579) avec ses fils Antonio et Girolamo. Le plus célèbre des Amati fut Nicola, fils de Girolamo, et le maître de Andrea Guarneri, premier nom de cette famille qui atteignit le meilleur d’elle-même avec Bartolomeo Giuseppe, dit « Del Gesù ». Également lié aux Guarneri et l’un des plus grands luthiers italiens, Antonio Stradivari fut aussi élève de Nicola Amati. Crémone possède aujourd’hui une remarquable bibliothèque musicale, léguée par le musicologue Gaetano Cesari. CRÉQUILLON (Thomas), compositeur franco-flamand († Béthune ? 1557). Sa vie est mal connue. Membre de la chapelle bruxelloise de Charles Quint à partir de 1540 environ, chanoine de Termonde, puis de Béthune, il mourut peut-être victime de l’épidémie de peste qui ravagea la ville en 1557. Particulièrement à l’aise dans le genre du motet où s’épanouit son style postjosquinien (il en laissa 116), il aima les développements mesurés, un contrepoint judicieusement aéré, les longues phrases mélodiques, et se soucia du sens du texte. L’écriture de ses chansons, au nombre de 192 (ce nombre, supérieur à celui de ses motets, est un trait remarquable pour un flamand), se ressentit de cette influence. Créquillon écrivit aussi 16 messes, 5 psaumes et des lamentations. CRESCENDO (ital. crescere, « augmenter »). 1. Indication de nuance qui commande l’augmentation progressive de l’intensité sonore, par exemple de piano (p) à fortis-

simo (ff), et qui peut aussi bien s’appliquer à quelques notes qu’à un grand nombre de mesures (la totalité de l’oeuvre en ce qui concerne le Boléro de Ravel). Son symbole graphique est un angle aigu couché sous la portée, la pointe du côté gauche (S). Son contraire est decrescendo. Avant que le mot lui-même n’apparaisse dans la terminologie musicale (début XVIIIe s.), l’effet auquel il correspond était employé, désigné dans les partitions par des expressions telles que piano, un poco forte, più forte. 2. Associé à l’opéra italien du début du XIXe siècle, ce terme est devenu synonyme d’un procédé d’orchestre consistant à répéter de nombreuses fois une phrase musicale assez courte (deux ou quatre mesures) ou un fragment de cette même phrase, le crescendo étant obtenu non par l’accroissement de sonorité de chaque exécutant, mais par l’adjonction de nouveaux instruments à chaque répétition du thème. Ce procédé, dont Giuseppe Mosca et Pietro Generali revendiquèrent l’« invention », fut employé avec succès par Mayr et popularisé par Rossini (surnommé « Monsieur Crescendo »), qui l’utilisa non seulement dans ses ouvertures d’opéra (après l’exposition du second thème), mais également dans l’accompagnement orchestral des arias. CRESPIN (Régine), soprano française (Marseille 1927). Elle fait ses études vocales au Conservatoire de Paris où elle obtient des prix d’opéra et d’opéra-comique (1949) et de chant (1950). Après ses débuts à Mulhouse, en 1950, dans le rôle d’Elsa de Lohengrin (Wagner), elle débute à Paris, l’année suivante, successivement dans Tosca de Puccini à l’Opéra-Comique et dans Lohengrin à l’Opéra, où elle chante de nombreux rôles et participe à la création française des Dialogues des carmélites de Poulenc (1957). C’est surtout à partir de 1958 que se développe son importante carrière internationale, qui la conduit notamment à Bayreuth (Kundry dans Parsifal, de 1958 à 1961 ; Sieglinde dans la Walkyrie, 1961) et à Milan (Fedra de Pizzetti, 1959). Dotée d’une voix puissante, mais au timbre plein de charme, Régine Crespin a pu s’imposer aussi bien dans des rôles dramatiques du répertoire italien (Tosca, Amelia d’Un bal masqué de Verdi) que

dans les rôles wagnériens et dans l’opéra français (Didon des Troyens, Marguerite de la Damnation de Faust de Berlioz). Sa volonté d’approfondissement du détail des textes et de la psychologie des personnages a fait d’elle aussi l’une des plus subtiles interprètes de la Maréchale dans le Chevalier à la rose de Richard Strauss. Elle a été nommé en 1976 professeur au Conservatoire de Paris. CRESTON (Joseph Guttoveggio, dit Paul), compositeur américain (New York 1906 - San Diego 1985). S’il reçut une solide formation de pianiste et d’organiste (il a été spécialiste de l’orgue de cinéma au temps du muet, puis titulaire pendant trente-trois ans des orgues de l’église Saint-Malachy à New York), il est un autodidacte quant à la composition. Son oeuvre n’en comprend pas moins cinq symphonies (composées entre 1940 et 1955), un poème symphonique (Threnody, 1938), un oratorio, deux messes et de nombreuses pièces instrumentales et vocales, qui se réfèrent volontiers aux sources liturgiques. Paul Creston a également enseigné à Washington à partir de 1967 et a signé deux ouvrages de théorie musicale : Principles of Rhythms (1964) et Creative Harmony (1970). CRINS. Ils forment la mèche de l’archet, dans les instruments à cordes frottées. Ils sont fixés à leur extrémité supérieure dans la tête de la baguette, au moyen d’un coin de bois, et, à leur extrémité inférieure, dans la hausse. Celle-ci, grâce à une vis logée dans le talon, permet de régler la tension de la mèche. Les crins proviennent généralement de la queue d’étalons blancs. On les enduit d’une résine, la colophane. Le frottement des crins sur la corde produit la vibration. CRISTOFORI (Bartolomeo), facteur de clavecins italien (Padoue 1655 - Florence 1731). Après avoir construit des clavecins et des instruments à archet à Padoue, il vécut à Florence, où il fut au service de Ferdinand de Médicis, puis fut conservateur du musée instrumental de Cosme III de Médicis. Il imagina de substituer aux sautereaux du clavecin, qui n’autorisent aucune nuance, des marteaux qui frappaient les cordes

plus ou moins fort selon la façon dont étaient attaquées les touches du clavier. Il baptisa gravicembalo col piano e forte cet instrument qui utilisait aussi le principe de l’échappement simple (v. piano) et celui de l’étouffoir. Cristofori est donc, au même titre que l’Allemand Silbermann, l’un des inventeurs du piano-forte, ancêtre du piano moderne. CRITIQUE MUSICALE. Activité littéraire proposant au lecteur une information et une appréciation personnelle relative à un fait musical (concert, enregistrement, parution d’un livre). Selon la nature de l’événement, la compétence ou les préoccupations particulières du critique, mais également selon qu’il s’agit d’un quotidien ou d’une revue spécialisée, la critique musicale entretient des rapports plus ou moins étroits avec le journalisme, la littérature, la musicologie ou l’esthétique. Chacune de ces quatre composantes devrait, par ailleurs, trouver sa place au sein d’un article de critique musicale digne de ce nom. S’il est d’une lecture rebutante, dépourvu de style, que ses références historiques sont hasardeuses ou qu’il se borne à émettre des opinions sans prendre de recul, il manque presque toujours son but. Les contraintes de la presse, qui obligent le plus souvent à écrire rapidement un texte court, rendent difficile l’exercice régulier et persistant d’une critique musicale de qualité. Quoiqu’on puisse trouver quelques précédents au XVIIe siècle dans des journaux tels que le Mercure français, la Gazette de France (qui donna à partir de 1645 des comptes rendus d’opéras, italiens pour la plupart), le Mercure galant (où l’on pouvait lire des « Dialogues sur la musique »), la critique musicale ne prit un véritable développement en France qu’au début du XVIIIe siècle, peut-être à la faveur de la rivalité entre la musique française et downloadModeText.vue.download 273 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 267 la musique italienne. La critique apparut à cette époque également sous forme de

livres : Du Bos, dans ses Réflexions critiques sur la peinture et la poésie (1719), réserva une large place à la musique, mais ce fut Le Cerf de la Viéville de Frémeuse (1674-1707) qui lança la critique livresque en 1704, établissant sous forme de dialogues une comparaison entre la musique italienne et la musique française. Le baron Friedrich Melchior von Grimm, qui vécut en France à partir de 1750, s’illustra principalement par des pamphlets : Lettre de M. Grimm sur « Omphale » (1752), le Petit Prophète de Boemischbroda, le Correcteur des Bouffons et la Guerre de l’Opéra (1753), dans lesquels, à l’exception de Lully et de Rameau, il blâmait sévèrement les compositeurs français, ainsi que le public. La Lettre sur la musique (1753) de JeanJacques Rousseau prit parti sans ménagements pour les Italiens, sa Lettre d’un symphoniste reprenait le même sujet sur le mode de l’ironie et lui valut la colère des musiciens de l’Opéra. L’Examen des deux principes avancés par M. Rameau était une dissertation sur des points de théorie, les Fragments d’observations sur l’Alceste de Gluck et l’Extrait d’une réponse du petit faiseur à son prête-nom (sur l’Orphée de Gluck) furent d’excellents exemples de critiques analytiques qui auraient pu être signés par Berlioz. Au XVIIIe siècle, outre le Mercure de France (issu du Mercure galant), deux journaux français réservaient une place importante à la critique musicale : le Spectateur français et le Journal de musique par une Société d’amateurs. Les articles, en règle générale, n’étaient pas signés, tradition qui resta vivace pendant la première moitié du XIXe siècle. Alors que la critique musicale du XVIIIe siècle, à l’exception de quelques polémiques, était restée assez mesurée dans son expression et se bornait le plus souvent à un simple compte rendu, celle du XIXe siècle allait devenir plus littéraire avec des prétentions à la dissertation esthétique. Confrontée à une évolution plus rapide du langage musical, à l’élargissement du public, aux excès délibérés du courant romantique et à la redécouverte progressive de la musique des siècles précédents, la critique musicale se trouva assez rapidement en difficulté. Selon qu’elle attaquait ou qu’elle prônait les artistes novateurs, elle fut bourgeoise et conservatrice ou, beaucoup plus rarement, progressiste. La mode s’en mêlant, il était parfois difficile de discerner la part de jugement personnel du critique.

Paradoxalement, certains critiques devaient leur célébrité à des jugements que la postérité n’a pas ratifiés : François-Joseph Fétis (1784-1871), fondateur de la Revue musicale en 1827, ne ménagea pas Berlioz dans sa Biographie universelle des musiciens (1833) ; Paul Scudo (1806-1864) fut un adversaire déclaré de Berlioz, Verdi et Wagner ; Édouard Hanslick (1825-1904) combattit violemment l’esthétique wagnérienne. Il faut reconnaître cependant que Fétis et Hanslick avaient, sur tant de cuistres dont les noms sont aujourd’hui oubliés, la supériorité de posséder une véritable culture musicale sur laquelle se fondait leur appréciation esthétique. Tantôt pour des raisons alimentaires, tantôt parce qu’ils éprouvaient le besoin de s’exprimer sur leur art, un certain nombre de compositeurs du XIXe puis du XXe siècle ont pris la plume du critique : à la suite de E. T. A. Hoffmann, Weber laissa de nombreux écrits sur la musique (critiques, essais, textes analytiques, roman autobiographique), Berlioz signa plus de huit cents feuilletons, dont le style exemplaire, l’originalité et l’abondance des idées témoignèrent de ses dons littéraires évidents dans le Rénovateur, la Gazette musicale, le Journal des débats. Schumann fonda la Nouvelle Revue musicale (Neue Zeitschrift für Musik), en 1834, après que le directeur de l’Allgemeine Musikalische Zeitung lui eut reproché ses éloges trop vifs de Chopin. Certains écrivains, Théophile Gautier, Gérard de Nerval, Baudelaire, exercèrent épisodiquement la fonction de critique musical, mais tandis que des amateurs comme Oscar Comettant, dans le Siècle, Camille Bellaigue dans la Revue des Deux Mondes, Arthur Pougin dans le Ménestrel, jetaient l’anathème sur Bizet, sur Wagner, sur Franck et sur Debussy, il fallait bien reconnaître la supériorité, en matière de critique musicale, de compositeurs comme Ernest Reyer, successeur de Berlioz de 1866 à 1898 au Journal des débats, Camille Saint-Saëns, Gabriel Fauré au Figaro (1903-1921), Claude Debussy dans diverses revues, surtout de 1901 à 1903, puis de 1911 à 1914, Alfred Bruneau dans Gil-Blas, le Figaro et le Matin, Paul Dukas, de 1892 à 1932, dans diverses revues, Florent Schmitt en 1913-14 dans la France et, de 1929 à 1939, dans le Courrier

musical et le Temps, Reynaldo Hahn pour le Figaro de 1933 à 1945. Une exception pouvait être faite en faveur de Willy (Gauthiers-Villars) qui, avec la collaboration plus ou moins avouée d’Alfred Ernst et de quelques autres, mettait dans la bouche de l’ouvreuse du cirque d’Été une foule de bons mots en faveur de Debussy, de Wagner et des franckistes, mots fondés sur des remarques techniques dont l’exactitude presque pédante contrastait à merveille avec le ton volontiers gouailleur. Depuis la Seconde Guerre mondiale, le nombre des critiques musicaux-compositeurs a considérablement diminué : l’information semble prendre le pas sur la critique proprement dite, surtout dans le domaine de la création contemporaine. Soucieux de ne pas renouveler les erreurs de leurs prédécesseurs, beaucoup de critiques veulent adopter une attitude « objective », jugeant plus utile de renseigner le lecteur sur la nature d’une oeuvre ou la démarche d’un compositeur que de la louer ou de la blâmer. La critique musicale deviendrait ainsi un facteur d’éducation du grand public. Cette transformation semble due tout autant à des causes extérieures : changement de la conjoncture musicale, évolution du journalisme et élargissement du public, qu’à une modification de la conception que se font les critiques musicaux de la fonction qu’ils exercent. S’il se trouve naturellement parmi eux quelques musiciens, la majorité se compose de mélomanes avertis, dont certains n’ont même aucune pratique musicale ; l’expérience prouve cependant que dans le domaine de la critique l’intuition d’un amateur sensible peut se révéler supérieure aux jugements d’un musicien médiocre. Il n’existe d’ailleurs aucun enseignement destiné à former des critiques musicaux ni aucune réglementation de la profession. Étant donné le très petit nombre de tribunes régulières et convenablement rémunérées, faut-il préciser que beaucoup exercent par ailleurs un second métier et exercent la critique comme un violon d’Ingres ? Les domaines sur lesquels s’exerce la critique musicale tendent à se diversifier. Si la critique de partitions nouvelles, fréquente au XIXe siècle, a été remplacée par celle des disques, des comptes rendus

portant sur des expériences pédagogiques s’ajoutent à ceux des concerts, des représentations d’opéras et de livres. Qu’il s’agisse d’oeuvres nouvelles ou de la résurrection d’ouvrages oubliés, le critique sera toujours tenté de se faire prophète ou historien en expliquant si cette musique lui semble viable et dans quel contexte elle se situe. Au contraire, pour les oeuvres du répertoire, on attend du critique qu’il saisisse ce qui fait l’originalité de l’interprétation ou sa supériorité. Pour la représentation d’opéras, le critique doit être à même d’apprécier la valeur d’une mise en scène et connaître les voix. La critique de disques doit tenir compte de certaines données techniques (prise de son, gravure, effets spéciaux). Il va sans dire que c’est seulement dans le domaine de l’exécution qu’il existe une certaine objectivité ; malheureusement, lorsqu’un critique a relevé les fausses notes et autres accidents, beaucoup plus nombreux qu’on ne croit, il n’a fait qu’une toute petite partie de son travail : le reste est presque exclusivement du domaine de la subjectivité et de l’intuition. L’indépendance de la critique est un sujet aussi délicat que le problème de sa crédibilité : les lois de la concurrence font une obligation d’accorder la même place downloadModeText.vue.download 274 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 268 dans tous les journaux aux événements les plus saillants, ce qui réduit celle qui peut être consacrée aux autres. Ainsi la critique est-elle, même à son corps défendant, l’alliée du vedettariat. Par ailleurs, ne seraitce que par la pratique des interviews, le critique a des contacts personnels avec les artistes, ce qui rend illusoire son impartialité. Il s’agit là, en réalité, d’un faux problème, car la fréquentation des musiciens reste pour lui la meilleure source d’information et favorise parfois de salutaires remises en question. Le critique n’ignore pas non plus que ses articles peuvent avoir une influence sur la reconduction ou l’octroi des subventions accordées aux manifestations dont il est invité à rendre compte. Ainsi s’abstiendra-t-il d’être tranchant si une expérience intéressante ne commence qu’à moitié bien, ou louera-t-il

excessivement un effort méritoire même si le résultat se révèle décevant. Enfin, les attachés de presse de plus en plus nombreux exercent une pression constante sur les journalistes. Toutes ces réalités quotidiennes sont beaucoup plus dangereuses pour l’indépendance d’esprit du critique que les potsde-vin, qui ont disparu en tant que tels. Après avoir tenté d’acheter le critique, on lui a limé les dents, et, le prestige factice de la profession étant soigneusement entretenu, il se trouve pieds et poings liés, à la merci des événements : souvent la critique musicale se transforme en publicité rédactionnelle gratuite, les articles favorables ou ceux qu’on a pu tronquer habilement sont alors utilisés à des fins publicitaires et c’est ainsi que se créent les modes et les mythes. Si le critique peut avoir une utilité, c’est dans quelques domaines très précis : donner une information sur les événements de la vie musicale, répandre dans le public les découvertes de la musicologie, dénoncer certains abus, attirer l’attention sur ce qui semble le meilleur. CROCE (Benedetto), philosophe et théoricien de l’art italien (Pescasseroli, Abruzzes, 1866 - Naples 1952). Secrétaire de la Società di Storia patria, il collabora à la Rassegna musicale et fit également oeuvre de critique. Fondateur de la revue la Critica (1903), il s’attacha particulièrement à définir la notion de baroque, qu’il envisagea comme une décadence, et il lia cette question à l’histoire générale des idées et de l’art. Idéaliste, il faisait de la création artistique le produit de l’intuition et de l’expression ; son esthétique tendait à dégager la musicologie de l’influence allemande. Certains historiens de la musique en Italie ont adopté sa position, tels Alfredo Parente, Guido Pannain, Massieno Mila, Luigi Ronga. PRINCIPAUX ÉCRITS : Estetica come scienza dell’espressione e linguistica generale (Palerme, 1902 ; 11e éd., Bari, 1965 ; trad. fr. 1904) ; Problemi di estetica e contributi alla storia dell’estetica italiana (Bari, 1910 ; 6e éd., Bari, 1966) ; Breviario d’estetica (Bari, 1913 ; 14e éd., 1962) ; Storia dell’età barocca in Italia (Bari, 1929 ; 2e éd., Bari, 1946) ; La poesia :

introduzione alla critica e storia della poesia e della letteratura (Bari, 1936 ; 8e éd., 1969). CROCE (Giovanni), compositeur italien (Chioggia v. 1557 - Venise 1609). Zarlino, son maître, le fit entrer dans le choeur de la basilique San Marco à Venise où, en 1603, il fut nommé maître de chapelle, succédant à Baldassare Donato. Il composa principalement des motets (1594, 1603, 1607, 1615), messes à 5 et à 8 voix (1596), psaumes (1596), sacrae cantiones (1601), lamentations (1603, 1610), magnificat (1605) et plusieurs livres de madrigaux, dont trois à 5 voix (Venise, 1585, 1592, 1594). Le doge Grimani fut pour lui un protecteur de marque. Sa renommée s’étendit jusqu’en Angleterre, car Giovanni Croce est l’une des figures les plus marquantes de l’école vénitienne de cette époque. (Un de ses madrigaux a été choisi par Th. Morley pour son recueil The Triumphs of Oriana [1601].) Ses comédies madrigalesques sont truculentes et pittoresques (Mascarate piacevoli e ridicolose per il carnevale Venise, 1590). Triaca musicale (1595), composée sur des paroles en patois vénitien, est une oeuvre originale et frappante. CROCHE. Note d’une durée égale à la moitié d’une noire. CROES (Henri-Jacques de), compositeur belge (Anvers 1705 - Bruxelles 1786). Violoniste à l’église Saint-Jacques d’Anvers jusqu’en 1729, maître de chapelle du prince de Thurn et Taxis (1729-1744), il revint à Bruxelles comme membre de la chapelle royale, qu’il dirigea de 1749 à sa mort. De son oeuvre immense, beaucoup de pages ont disparu, notamment les 36 messes, 69 motets, 28 symphonies et 32 sonates qu’il offrit pour 300 florins au gouverneur général de Bruxelles en 1779, alors qu’il se trouvait dans une situation précaire. Sa musique religieuse, ses concertos et sa musique de chambre (sonates en trio et divertissements) attestent une nature généreuse, qui s’exprime alternativement dans le style italien ou français. CROFT (William), compositeur anglais (Nether Ettington, Warwickshire, 1678 Bath 1727).

Il fut d’abord enfant de choeur à la chapelle royale. Il eut pour maître J. Blow, organiste à Sainte-Anne, et devint ainsi, lui-même, organiste de cette cathédrale en 1700. Il fut nommé Gentleman Extraordinary, puis organiste de la chapelle royale en 1704. En 1708, il devint organiste à Westminster Abbey et maître des enfants de la chapelle royale. Il reçut le titre de Doctor of Music de l’université d’Oxford, en 1713, après avoir présenté à cette occasion deux odes ayant pour sujet la paix d’Utrecht. Il a laissé de nombreuses chansons, des sonates pour clavecin, violon et flûte, ainsi que des oeuvres de musique d’église (Musica sacra, 1724). CROISEMENT. 1. Terme employé dans l’écriture musicale lorsqu’une voix passe au-dessus de celle qui lui est normalement supérieure. Cette technique est fréquente dans la musique vocale polyphonique, dans le madrigal à cinq voix, par exemple, faisant appel à deux sopranos ou à deux ténors de tessitures approximativement égales. Elle se perpétue dans les oeuvres instrumentales du XVIIe siècle (Monteverdi, Charpentier), notamment dans une écriture pour deux dessus (instruments mélodiques) et basse continue. Dans les devoirs d’harmonie académique, il est recommandé d’éviter le croisement des parties en général. 2. Le croisement peut se trouver aussi dans la musique de clavier où la main gauche passe au-dessus de la main droite et vice versa (par exemple dans le rondo de la sonate en ut majeur op. 53 l’Aurore de Beethoven). Cette pratique remonte aux clavecinistes et Domenico Scarlatti en a fait un usage particulièrement brillant. CROIZA (Claire Conelly, dite), cantatrice française (Paris 1882 - id. 1946). Mezzo-soprano, elle a débuté à Nancy, chanté à la Monnaie de Bruxelles de 1906 à 1913, puis à l’Opéra Comique à partir de 1914. Retirée de la scène en 1927, elle se consacra à l’enseignement et fut nommée professeur au Conservatoire en 1934. En dehors de ses principaux rôles à l’opéra (Elektra, Poppée, Charlotte, Orphée, Dalila, Pénélope, Carmen), elle fut au concert une remarquable interprète des mélodies de Claude Debussy, de Gabriel Fauré et de Maurice Ravel.

CROMORNE. 1. Instrument ancien de la famille des bois, à anche double enfermée dans une capsule. Sa forme recourbée en « J » lui procure une longueur utile supérieure à son encombrement et lui vaut son nom (de l’all. Krummhorn, « cor tordu »). Apparu à la fin du XVe siècle et complètement abandonné depuis deux siècles, le cromorne connaît actuellement un regain de faveur dans la musique dite « ancienne ». Il se distingue downloadModeText.vue.download 275 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 269 des autres « bois » par un timbre très caractéristique, à la fois sombre et percutant ; il existe en plusieurs registres, les instruments étant construits selon les tessitures de la voix humaine. 2. Jeu d’orgue à anche, dont le tuyau est de forme cylindrique et deux fois plus court que la normale. Sa sonorité rappelle celle de l’instrument du même nom. Placé au clavier de positif, il a été l’un des timbres solistes de prédilection des organistes classiques français. CROS (Charles), poète et inventeur français (Fabrezan, Aude, 1842 - Paris 1888). Ami de Verlaine et de Villiers de l’IsleAdam, familier de la bohème littéraire, aux environs de 1870, il eut son heure de gloire au club des Hydropathes et au cabaret du Chat-Noir, tout en s’adonnant à d’ingénieuses recherches dans le domaine de l’électricité, de la photographie et de l’acoustique. Son nom est surtout lié à l’invention du phonographe, qu’il appelait « paléophone ». C’est en avril 1877 qu’il adressa à l’Académie des sciences une communication contenant « la description d’un procédé d’enregistrement et de reproduction des phénomènes de l’ouïe », précédant de huit mois le dépôt du brevet du phonographe d’Edison. L’Académie Charles-Cros, fondée en 1948, décerne chaque année un certain nombre de grands prix du disque. CROSSE (Gordon), compositeur anglais (Bury 1937).

Diplômé d’Oxford, puis élève de Goffredo Petrassi à Rome, il est l’auteur de quelques opéras dont un Purgatory, d’après Yeats, et de diverses pièces pour orchestre, mais il s’est surtout spécialisé dans la composition d’oeuvres éducatives pour enfants et petits ensembles instrumentaux, telles que Meet my Folks ! et Ahmet the Woodseller. CROTALES. Instrument à percussion de la famille des idiophones. Provenant de la Grèce antique, il s’agit en général de deux morceaux de bois qui s’entrechoquent à l’aide d’une charnière. L’instrument est employé, notamment, pour rythmer la danse, comme les castagnettes auxquelles les crotales ressemblent. CRÜGER (Johann), compositeur, organiste et théoricien allemand (Grossbreesen 1598 - Berlin 1662). Il fait ses études à Guben, Olomouc, en Tchécoslovaquie, et à Ratisbonne. En 1615, il se rend à Berlin où il est précepteur dans une famille jusqu’en 1620. Il étudie ensuite la théologie à Wittenberg. De 1622 à sa mort, il est cantor de Saint-Nicolas à Berlin. Il a composé un grand nombre de chorals dont certains ont été repris par J. S. Bach : Nun danket alle Gott, Jesu meine Zuversicht, Jesu meine Freude, Schmücke, o liebe Seele. Ils ont été publiés sous le titre de Praxis pietatis melica (Berlin, 1647) et réédités de nombreuses fois. Il a également écrit des motets (Meditationum musicarum paradisus primus, Berlin, 1622, et secundus, Berlin, 1626). Comme théoricien, Johann Crüger est l’auteur de plusieurs ouvrages dont : Praecepta musicae practicae figuralis (Berlin, 1625) et Musicae practicae praecepta (ibid., 1660). CRUMB (George), compositeur américain (Charleston, Virginie occidentale, 1929). Il a fait ses études à l’université de l’Illinois, à l’université du Michigan avec Ross Lee Finney (1954), au Berkshire Music Center, puis à Berlin avec Boris Blacher (1955-56). Professeur à l’université du Colorado de 1959 à 1964, puis à l’université de Pennsylvanie à partir de 1965, il a reçu le prix Pulitzer 1968 pour Echoes of Time and the

River pour orchestre (1967). Sa musique, souvent d’une concision et d’une austérité issues tout droit de Webern, marquée aussi par l’influence de Debussy et des traditions orientales, doit sa forte originalité à ses sonorités, ses aspects rituel et mystique, et témoigne d’une intense sensibilité poétique. Plusieurs des oeuvres de Crumb sont basées sur des poèmes espagnols de Federico García Lorca, tels les quatre livres de Madrigals pour soprano, percussion, flûte, harpe et contrebasse (I et II 1965, III et IV 1969), deux des sept volets de Night Music I pour soprano, piano, célesta et percussion (1963), Songs, Drones and Refrains of Death pour baryton, guitare, contrebasse et piano électriques et deux percussionnistes (1968), Night of the Four Moons (1969), et Ancient Voices of Children pour mezzo-soprano, soprano garçon, hautbois, mandoline, harpe, piano électrique et percussion (1970). Pour réaliser ses subtils effets de timbre, reflets de son désir de « contempler les choses éternelles », Crumb a élaboré de nouvelles techniques d’exécution et fait appel à de nombreux instruments des musiques populaires et traditionnelles. Son style de maturité s’est manifesté pour la première fois dans les Cinq Pièces pour piano (1962). On lui doit aussi Night Music II pour violon et piano (1964), Eleven Echoes of Autumn pour flûte alto, clarinette, piano et violon (1965), Black Angels pour quatuor à cordes électriques (1970, in tempore belli), reflet de la guerre du Viêt-nam, Vox balaenae pour flûte, violoncelle et piano amplifiés (1973), Makrokosmos I pour piano, II pour piano amplifié, III pour piano et percussion (1972-1974), et IV (Celestial Mechanics), Star Child pour soprano et orchestre (1977), oeuvre dirigée par quatre chefs donnant chacun un tempo différent, Apparition pour mezzo-soprano et piano (1979), Gnomic Variations pour piano (1981), A Haunted Landscape pour orchestre (1984), The Sleeper pour soprano et piano (1984), Zeitgeist pour deux pianos amplifiés (1987). CRUSELL (Bernhardt Henrik), compositeur, clarinettiste et chef d’orchestre finlandais (Uusikaupunki 1775 - Stockholm 1838).

Il commence sa carrière à treize ans comme musicien militaire à Viapori (1788-1791), puis il est première clarinette dans l’orchestre de la cour de Stockholm (1793). Il fait ses études à Berlin avec F. Tausch (1798). Il voyage à Saint-Pétersbourg (1er concerto pour clarinette opus 11, dédié au tsar Alexandre Ier), puis, en 1803, à Paris, où il travaille la clarinette avec Lefèvre et la composition avec Gossec. De 1803 à 1812, il vit à Stockholm et, de 1812 à 1819, il reprend sa carrière de virtuose et de chef d’orchestre. Malade, il se consacre de nouveau à la composition à partir de 1820. Crusell appartient à la lignée des grands virtuoses cosmopolites qui apparaît avec le XIXe siècle. Contemporain de Beethoven, aîné de Schubert, il met son talent de compositeur à la disposition des interprètes et surtout le consacre aux instruments à vent qu’il apprécie et connaît. Auteur d’une musique plaisante qui ne tombe jamais dans les défauts du genre, il est un esprit cultivé qui, à défaut de génie, maîtrise au plus haut point le langage et la forme. Il n’y a jamais chez lui de maladresse technique et il possède un sens de la mélodie qui, souvent, le rapproche de Schubert. Son unique opéra, Lilla Slafvinnan (la Petite Esclave, 1824), utilise des thèmes populaires et ses trois concertos pour clarinette - opus 11 (v. 1807), opus 1 (1810) et opus 5 (v. 1815) - font regretter qu’il n’ait pas consacré plus de temps à la composition. CRWTH (chrotta, crouth, crowd). Instrument à cordes frottées, l’un des premiers à avoir été utilisé par des musiciens occidentaux. Il semble être d’origine celtique et reste en honneur jusqu’au XVIIIe siècle au pays de Galles et en Bretagne. Il est découpé et creusé dans une seule pièce de bois, sauf la table d’harmonie. Deux parties sont découpées dans le haut de ce trapèze allongé ; entre elles se trouve le manche qui comporte en général six cordes. Mahillon pense que les cordes étaient jouées simultanément et que l’on pouvait obtenir des effets sonores semblables au bag-pipe. Le crwth était tenu comme un violon, et, en plus, l’instrumentiste passait à son cou une lanière pour le soutenir. downloadModeText.vue.download 276 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 270 CSÁRDÁS (de csárda, « auberge » en hongrois). Danse d’origine savante (v. 1840), peu à peu adoptée par les milieux populaires qui, sous l’influence des interprètes tziganes, en réalisent de savantes chorégraphies. Ses éléments rythmiques et mélodiques proviennent des verbunkos. Les premières csárdás sont dues à M. Rózsavölgyi, tandis que Liszt en écrivit dans les années 1880 : Csárdás macabre, Deux Csárdás (1884). Sa vogue s’étendit à l’opérette viennoise (Kalman, Lehar), propagée par les orchestres tziganes. CTÉSIBIOS, physicien grec établi à Alexandrie au IIIe siècle av. J.-C. Il est l’auteur de nombreuses mécaniques, et on le considère depuis l’Antiquité comme l’inventeur de l’orgue primitif ou hydraule, dont Vitruve donne une description détaillée. CUCUEL (Georges), musicologue français (Dijon 1884 - Grenoble 1918). Ses deux ouvrages essentiels, qui étaient ses thèses de doctorat en Sorbonne, ont vu le jour en 1913 : la Pouplinière et la Musique de chambre au XVIIIe siècle et Étude sur un orchestre au XVIIIe siècle. À la même époque se rattachent les Créateurs de l’opéra-comique, publiés l’année suivante. CUÉNOD (Hugues), ténor suisse (Corseaux-sur-Vevey 1902). Son cas est probablement unique, puisqu’il enseigna pendant plusieurs années (au conservatoire de Genève) avant de se produire en public, en concert (Paris, 1928), puis sur scène. Presque quinquagénaire, il débuta à la Scala de Milan en 1951. Trois ans plus tard, il paraissait pour la première fois au festival de Glyndebourne et à l’opéra de Covent Garden, se limitant toujours à un petit nombre de rôles très typés, comme ceux de Basilio des Noces de Figaro ou de l’Astrologue du Coq d’or. En 1981, il reparaissait sur la scène du Grand-Théâtre

de Genève, dans le rôle du Majordome du Chevalier à la rose et, en 1982, chanta dans Turandot à Londres. CUI (César), compositeur et critique russe (Vilna 1835-Petrograd 1918). Français par son père, un officier napoléonien demeuré en Russie après la retraite de 1812, il fit des études d’ingénieur militaire et enseigna toute sa vie à l’Académie du génie de SaintPétersbourg. C’était un spécialiste des fortifications (Traité de la fortification des camps, Abrégé de l’histoire de la fortification). Il serait probablement resté un amateur (il composa très jeune à la manière de Chopin et reçut des leçons de Moniusko), s’il n’avait rencontré en 1856 Balakirev, puis Dargomyjski. Son talent littéraire, son goût de polémiste lui firent jouer un rôle historique de tout premier plan dans la lutte pour le triomphe des idées du groupe des Cinq. De 1864 à 1868, il écrivit, en effet, dans la Revue et gazette musicale, des articles parfois jugés excessifs et violents. Il y défendait avec acharnement ses amis sans, toutefois, leur ménager ses critiques. Tout en rendant justice aux maîtres du passé, il estimait que la vraie musique avait pris naissance avec Beethoven, mais il critiqua vivement Wagner. Publiés en français à Paris, en 1880, ces articles constituent en quelque sorte la première histoire russe de la musique russe. Ce recueil fut adressé à la comtesse belge de Mercy-Argenteau en 1883, après que cette dernière découvrit la musique russe grâce à son compatriote le musicien Jadoul. Ainsi débuta une longue amitié qui s’employa à faire connaître les Cinq. Cui vint en personne recevoir l’accueil triomphal du public pour la représentation du Prisonnier du Caucase par l’opéra de Liège (Noël 1885). Défenseur des idées du groupe des Cinq, Cui était-il un compositeur représentatif de leurs tendances musicales ? Il est très difficile de l’admettre. En effet, compositeur fécond, il ne fut jamais heureusement inspiré par les thèmes populaires de son pays. Certes, son activité musicale s’était d’abord portée sur le genre lyrique (10 opéras), mais il ne s’inspira que rarement de sujets russes, exception faite du Prisonnier du Caucase (1857, actes I et III ; 1881-82, acte II ; 1re

représentation à Saint-Pétersbourg, 16 févr. 1883), du Festin pendant la peste (1900, 1re représentation 1901) où il appliquait timidement les procédés chers à Dargomyjski, de la Fille du Capitaine (1909, 1re représentation Saint-Pétersbourg, 1911), autant d’oeuvres inspirées de Pouchkine. Ses sujets étaient plus souvent empruntés aux écrivains français, Hugo (Angelo, 1re représentation Saint-Pétersbourg, 1876), Richepin (le Flibustier, 1888-89 ; 1re représentation Paris, Opéra-Comique, 1894). De même pour ses mélodies choisissait-il plus volontiers Hugo ou Coppée. Sur le plan musical, ses origines françaises se retrouvent aussi dans l’imitation du style d’Auber, mais les traces de son premier amour, l’opéra italien, sont sensibles dans le découpage général et les mélodies-cantilènes. Il aimait les grandes toiles lyriques sans se rendre compte qu’il manquait de souffle et de puissance pour les mener à bonne fin et que ses sujets, mélodramatiques, s’y prêtaient mal. En revanche, Cui était un miniaturiste-né. L’influence de Schumann est sensible dans ses oeuvres instrumentales, celle de Dargomyjski dans ses romances, plutôt faites pour être dites que chantées ; elles se moulent sur le rythme du vers ou de la phrase ; il y a chez lui une aptitude à saisir l’union du texte et de la musique. Fidèle aux désirs de Dargomyjski, Cui acheva son Convive de pierre et, en 1916, révisa, puis termina la Foire de Sorotchinski de Moussorgski. Enfin, il collabora avec Balakirev, Moussorgski et Rimski-Korsakov à l’opéraballet Mlada.. CUIVRÉ. Couleur de son qui évoque l’éclat métallique du cuivre et qui est naturellement produite par certains instruments du même nom, du moins dans certains cas. Le son de la trompette non bouchée est presque toujours cuivré sur toute l’étendue de l’instrument ; celui du trombone l’est surtout dans le grave et à partir de la nuance forte. Le cor, sauf fortissimo, est, à volonté, cuivré ou non ; si le compositeur désire un son cuivré, il l’indique au moyen d’une croix (+). Le tuba et les autres saxhorns ne sont pratiquement jamais cuivrés.

CUIVRES. Tous les instruments à vent de construction métallique, à l’exception des flûtes et des instruments métalliques à anche, qui sont rattachés aux « bois ». Le métal employé n’est pas à proprement parler le cuivre, mais un alliage de cuivre, généralement le laiton, souvent argenté, nickelé ou verni extérieurement. Les « cuivres », de perce toujours conique, comportent obligatoirement un pavillon et, à l’autre extrémité, une embouchure amovible. Le terme de « cuivres clairs » est parfois appliqué aux trombones, trompettes et cornets à pistons, dont le son est particulièrement brillant, tandis que celui des saxhorns est relativement éteint. Le cor, capable du plus vif éclat comme d’une très douce rondeur, se situe entre les deux groupes. CURSUS. Formule rythmique en usage dans le débit du latin classique et médiéval pour donner aux fins de phrases ou d’incises une cadence harmonieuse. Le cursus forme ainsi transition entre la prose et la versification, qu’il a souvent influencée, et, bien qu’indépendant de la musique, a joué sur la rythmique de celle-ci un rôle non négligeable. En latin classique, le cursus est métrique ; il joue sur la longueur de syllabes. En latin médiéval, il devient accentuel et joue sur les alternances d’accentuées et d’atones ; il y eut souvent d’ailleurs transfert de l’une à l’autre, la longue se transformant facilement en accentuée, et la brève, en atone, compte tenu du développement du « contre-accent » qui, dans le latin downloadModeText.vue.download 277 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 271 médiéval, empêche qu’il y ait plus de deux atones de suite. L’emploi du cursus est presque constant dans l’office latin, qui lui doit l’harmonie de ses rythmes verbaux, et son rôle a été capital lors du passage en musique du rythme libre au rythme mesuré, accompli surtout au XIIe siècle, à travers les versus et les séquences de « nouveau style ».

CURTIS (Alan), chef d’orchestre, claveciniste et musicologue américain (Masone, Michigan, 1934). En 1955, il est Bachelor of Music de la State University, puis Master of Music de l’université d’Illinois (1956). Il mène alors une carrière de claveciniste, de chef d’orchestre et de musicologue. Il est professeur à l’université de Berkeley en Californie depuis 1970. Il a publié en 1963 la musique de clavier de Sweelinck et les pièces de clavecin de Louis Couperin (Heugel, 1978). L’enregistrement, sous sa direction, de l’opéra de Haendel, Admeto (1727), peut être considéré comme un modèle du genre. CURZON (Clifford), pianiste anglais (Londres 1907-id. 1982). Il étudie à la Royal Academy of Music où il entre en 1919, puis, de 1928 à 1930, à Berlin avec A. Schnabel et enfin à Paris avec W. Landowska et N. Boulanger. Il commence à cette époque une carrière de concertiste qui, d’Angleterre, le mène à travers l’Europe où il se produit lors des grands festivals, puis aux États-Unis où il effectue de nombreuses tournées. Bien qu’il reste un excellent interprète de Mozart, sa virtuosité exceptionnelle (dont il n’abuse cependant jamais) et son souci des détails (hérité de Schnabel) l’ont plutôt orienté vers l’exécution des grandes oeuvres romantiques (Beethoven, Schubert). CURZON (Henri de), musicologue français (Le Havre 1861 - Paris 1942). Archiviste, bibliothécaire à l’Opéra-Comique (1926), critique musical au Journal des débats, fin lettré, Henri de Curzon, à qui on doit des traductions des lettres de Mozart (1928) et des Écrits sur la musique et les musiciens de Schumann (1898), a publié des monographies (Grétry, 1907 ; Rossini, 1920 ; Fauré, 1923), des ouvrages d’histoire musicale et des répertoires bibliographiques (Franz Schubert, bibliographie critique, 1899 ; Guide de l’amateur d’ouvrages sur la musique, 1901-1909). CUZZONI (Francesca), cantatrice italienne (Parme 1700-Bologne 1770). Elle débuta à Venise, puis obtint un grand succès à Londres où elle parut en 1723, créant Teofane dans Ottone de Haendel auprès de partenaires prestigieux (la Durastanti, Il Senesimo et la basse Boschi),

auxquels elle fut désormais associée lors des principales reprises et créations des opéras de Haendel (Jules César, Tamerlano, Rodelinda, etc.). Une rivalité l’opposa à Faustina Bordoni, rivalité parodiée dans The Beggar’s Opera, et les compositeurs Buononcini et Haendel les réunirent dans leurs distributions, le premier dans Astianatte (1727), le second dès Alessandro (1726). En 1728, la cantatrice quitta l’Angleterre et parut à Venise et à Vienne, puis revint à Londres en 1734 où elle se heurta à l’idolâtrie exclusive que le public portait désormais aux castrats Farinelli et Carestini. Elle retourna en Allemagne, chanta à la cour de Würtemberg, tenta un malheureux concert à Londres en 1750, parut en Hollande et finit misérablement. Elle avait épousé le musicien Sandoni auquel son nom est parfois associé. Bien que mauvaise actrice, plutôt laide, la Cuzzoni, grâce à la beauté de sa voix, fut la première cantatrice capable de ravir aux castrats leur célébrité sans partage : son soprano d’une pureté exceptionnelle s’élevait jusqu’au do5 (le « contre-ut »), alors inusité. Elle semble être à l’origine d’un chant dont la flexibilité n’excluait pas le pathétisme, excellant en outre dans le trille expressif, qualités qu’atteste l’écriture spécifique que lui réserva Haendel dans des pages demeurées célèbres tels les airs Piangero et V’adoro, pupille, du rôle de Cléopâtre, ou Ombre, piante, dans Rodelinda. CYCLE. Ensemble de pièces de même nature, indépendantes les unes des autres, mais réunies sous un titre global et reliées entre elles par une idée commune ; le terme s’emploie surtout pour des groupements de mélodies (Beethoven, À la bien-aimée lointaine ; Fauré, la Bonne Chanson). CYCLE DES QUINTES. Enchaînement de sons par quintes montantes ou descendantes, ou plus exactement par alternance de quintes montantes et de quartes descendantes dans l’ordre ascendant, vice versa dans l’ordre descendant. On est convenu, pour la commodité, de présenter le cycle des quintes à partir du fa en montant (fa-do-sol-ré-la-mi-si), à partir du si en descendant (si-mi-la-ré-sol-do-fa, rétrogradation du précédent) ; le premier

cycle donne l’ordre des dièses adopté pour les armatures, le second, l’ordre des bémols. On pourrait théoriquement continuer le cycle au-delà des sept notes ci-dessus, en abordant en montant les dièses, puis les doubles dièses, en descendant les bémols, puis les doubles bémols. Dans le système tempéré égal, le cycle des quintes peut être traduit par un cercle fermé, puisque, après douze quintes, la jonction se fait par enharmonie entre la treizième note et la première (1-fa, 2-do, etc., 13-mi dièse = fa ; en descendant : 1-si, 2-mi, etc., 13-do bémol = si), mais cette propriété disparaît si l’on considère les quintes avec leur valeur juste de rapport d’harmoniques 2/3 (système pythagoricien) : mi dièse est alors plus haut que fa, do bémol plus bas que si. La différence, dite comma pythagoricien, a été calculée depuis longtemps (531441/524288) et constitue la principale difficulté de l’accord des instruments à clavier ( ! PARTITION). La valeur du cycle des quintes ne réside pas cependant dans ces jeux numériques ou graphiques sans grand intérêt musical, mais dans le rôle d’une importance extrême qu’il tient en toute occasion dès qu’apparaît le souci d’une construction musicale quelconque. Ce rôle commence avec la construction des gammes, dans lesquelles il fournit la structure consonantielle de base de la quasi-totalité des échelles existantes. Il se poursuit avec l’élaboration des « systèmes » (musique grecque) et des « modes » (Moyen Âge, musiques orientales), puis dans notre musique occidentale avec le développement de la « conjonction harmonique » qui, à partir du XVIe siècle environ, en règle le sémantisme ; il détermine dans le système tonal les grands jalons de la marche des basses fondamentales, de la ponctuation cadencielle, des modulations, du plan tonal, etc. Seul s’en est dégagé l’atonalisme de Schönberg, encore que, ne renonçant pas à l’échelle de douze sons tempérés qui reste tributaire de ce même cycle, il introduise une contradiction en refusant de prendre en considération le « mode d’emploi » qui lui est lié et sans lequel cette échelle n’aurait pu exister. CYCLIQUE (FORME). Terme inventé par Vincent d’Indy pour

désigner un procédé de composition dont il attribue la découverte à Beethoven et la mise en oeuvre à César Franck, et qu’il a contribué lui-même à généraliser. Le principe du « cyclisme » est d’apparenter entre eux, au moyen d’un ou plusieurs éléments communs, plusieurs thèmes appartenant à des mouvements différents d’une même oeuvre, thèmes qui n’en conservent pas moins leur personnalité en restant propres au mouvement auquel ils appartiennent. Dans chaque groupe, le thème exposé en premier est considéré comme un thème générateur ou thème cyclique. Dans la théorie de d’Indy, l’apparentement cyclique peut être poussé très loin : c’est ainsi qu’il considère le thème initial de la Sonate pour violon et piano de Franck comme générateur de celui du final, parce que tous deux commencent par une montée de deux notes suivies d’une descente de cinq notes. downloadModeText.vue.download 278 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 272 Bien qu’appliqué avec rigueur dans de nombreuses oeuvres scholistes, notamment celles de d’Indy lui-même, le principe cyclique a été accueilli hors de cette école avec une certaine réserve. Il n’en répond pas moins à un phénomène extrêmement sensible dans toute la musique de la fin du XIXe siècle : recherche des apparentements de thèmes par dérivation les uns des autres. CYLINDRE. 1. Dans les instruments à vent, tube à l’intérieur duquel se meut le piston. Autrefois, on appelait les instruments à vent, instruments à cylindre. 2. Dans les orgues mécaniques, pièce cylindrique en bois, sur la surface de laquelle sont implantées des petites pointes qui viennent soulever les touches, lorsque le cylindre est en mouvement. 3. Dans les enregistrements, les cylindres étaient destinés au phonographe d’Edison, c’est à cause de leur forme qu’on

leur a donné ce nom. Ils étaient faits d’un composé à base de cire, gravés verticalement au lieu de l’être horizontalement, comme les disques modernes. On les a toujours gravés individuellement, malgré quelques perfectionnements qui n’ont jamais permis leur fabrication en série. Après avoir été détrôné par le disque de Berliner, le cylindre continua, néanmoins, d’être utilisé dans les dictaphones. CYMBALA ou CIMBALLE. Instrument ancien à percussion, de la famille des « métaux ». C’était un triangle traversé de plusieurs anneaux, dont le tintement s’ajoutait à celui de la tige. CYMBALE. À l’orgue, jeu de mixture, composé en principe de trois tuyaux par note, faisant entendre les trois sons d’un accord parfait, haut dans l’aigu. La cymbale classique élimine souvent la tierce au profit de doublures de quintes et d’octaves (jusqu’à quatre et cinq rangs). Au fur et à mesure que s’élève la fondamentale, des reprises sont nécessaires, les petits tuyaux atteignant la limite supérieure d’acuité auditive ; la cymbale se maintient ainsi dans l’ambitus de trois octaves. On l’utilise en composition dans le plénum ou le petit plein-jeu, où elle apporte lumière et légèreté. CYMBALUM. Instrument à cordes frappées, dont le nom trahit des origines communes avec le tympanon (angl. Dulcimer). Resté très populaire en Europe centrale et orientale, surtout en Hongrie, c’est, de nos jours, un instrument dont les cordes sont montées sur une caisse de forme trapézoïdale, sans couvercle ; l’exécutant frappe directement les cordes au moyen d’une paire de battes. L’étendue du cymbalum est de quatre octaves. Le poids et la dureté variables des battes, la possibilité d’attaquer la corde plus ou moins sèchement et de laisser la batte rebondir sur la corde, procurent au cymbalum des ressources expressives considérables.

CZERNY (Karl), pianiste, pédagogue et compositeur autrichien (Vienne 1791-id. 1857). Élève de son père et du violoniste Wenzel Krumpholz, puis de Beethoven (1800-1803), il jouait du piano à trois ans, composait à sept, et à dix, jouait de mémoire le répertoire le plus valable et le plus important. À quinze ans, il avait lui-même des disciples, et, plus tard, il donna des leçons à Liszt. Son catalogue de compositeur compte plus de 1 000 ouvrages : symphonies, concertos, musique de chambre, variations (dont celles pour piano et orchestre sur l’Hymne impérial de Haydn), 24 messes, 4 requiems, environ 300 graduels et offertoires, cela sans compter d’innombrables arrangements et transcriptions - reflets d’une époque de haute virtuosité pianistique. Tous ces ouvrages sont tombés dans l’oubli, mais sa production didactique, dont Die Schule der Gelaüfigkeit (« l’École de la virtuosité »), Die Schule des Virtuosen (« l’École du virtuose ») ou Die Kunst der Fingerfertigkeit (« l’Art de délier les doigts »), reste aujourd’hui encore à la base de tout enseignement pianistique. CZIFFRA (Gyorgy), pianiste français d’origine hongroise (Budapest 1921). Fils d’un musicien professionnel, Gyorgy Cziffra se produit en public dès l’âge de cinq ans et entre au conservatoire FranzLiszt quatre ans plus tard, mais la guerre interrompt une carrière qui s’annonçait brillante. Rendu à la vie civile après quatre ans sous les drapeaux et un an de captivité, il en est réduit à jouer dans les cafés jusqu’en 1950. Politiquement suspect, il perd encore trois ans entre les prisons et les camps de concentration, et n’en remporte pas moins le prix Liszt en 1954. Lors des événements de 1956, il réussit à fuir la Hongrie avec sa femme et son fils (le futur chef d’orchestre), et se révèle au monde occidental, le 2 décembre, par un concert au Châtelet. Du jour au lendemain, c’est la gloire. Sa prodigieuse virtuosité, son extraordinaire tempérament romantique font de lui un incomparable interprète de Liszt et, plus discuté, de Chopin. Désormais fixé dans la région parisienne, l’artiste se fait également mécène. En 1966, il se charge de

la restauration des orgues de la ChaiseDieu et y fonde un festival annuel de musique. En 1968, année de la naturalisation, naît à Versailles, avec le concours de la municipalité, le concours international de piano qui porte son nom et dont le premier lauréat est Jean-Philippe Collard (1969). En 1973, il achète l’ancienne chapelle royale Saint-Frambert, à Senlis, la restaure et la transforme en auditorium. Enfin, la fondation Cziffra vient en aide aux jeunes artistes de toutes disciplines. Son fils György (Georges) Cziffra junior, chef d’orchestre (1942-1981), se produisit souvent avec lui. downloadModeText.vue.download 279 sur 1085

D. Lettre par laquelle on désigne la note ré dans les pays de langues allemande et anglaise. D y représente la tonique des tonalités ré majeur et ré mineur. français anglais allemand ré bémol D flat Des ré double bémol D double flat Deses ré dièse D sharp Dis ré double dièse D double sharp Disis

DA CAPO (D. C.) [ital. : « à nouveau », « à partir du début »]. Expression qui s’emploie pour indiquer une reprise à partir du commencement. Si cette reprise ne doit pas se poursuivre jusqu’à la fin, l’arrêt est indiqué par le mot fin, en italien fine, au-dessus d’une double barre. Le da capo se signale par l’indication correspondante, abrégée ou non, ou encore par un signe conventionnel de renvoi, généralement répété au début du morceau, et qui peut être soit placé audessus d’une double barre, soit formé de deux points précédant cette double barre ; en ce dernier cas, les mêmes deux points (au milieu de la portée) doivent figurer en rappel à l’emplacement où l’on renvoie, surtout s’il y a une anacrouse précédant l’emplacement exact du renvoi. Le da capo était, au XVIIIe siècle, caractéristique des airs d’opéra, qui en portaient parfois le nom (aria da capo) en exigeant la reprise de la première partie de l’air, mais cette reprise pouvait être ornée ( ! DOUBLE), même si l’ornementation n’était pas écrite explicitement. D DAHLHAUS (Carl), musicologue allemand (Hanovre 1928 - Berlin 1989). Il a étudié à Göttingen et à Fribourg, soutenant une thèse sur les messes de Josquin Des Prés. Il enseigne depuis 1967 l’histoire de la musique à l’université technique de Berlin, et dirige l’édition complète des oeuvres de Wagner. Ses nombreuses publications concernent plus particulièrement la musique des XIXe et XXe siècles, ainsi que la place de la musique dans le monde moderne (Grundlage der Musikgeschichte, 1977 ; Die Idee der absoluten Musik, 1978 ; Musikalischer Realismus, 1984). DALAYRAC ou D’ALAYRAC (NicolasMarie), compositeur français (Muret, Haute-Garonne, 1753 - Paris 1809). Son père, qui l’avait successivement destiné aux carrières juridique et militaire, ne put l’empêcher de devenir musicien. Sous-lieutenant à Versailles dans la garde du comte d’Artois, il compléta sa formation musicale avec François Langlé et fit jouer en 1781, sous un pseudonyme ita-

lien, deux petites pièces, le Petit Souper et le Chevalier à la mode, qui furent tant applaudies que leur véritable auteur fut bientôt dévoilé. Le succès de l’Éclipse totale, l’année suivante, le conduisit à quitter les armes pour se consacrer davantage à l’art lyrique. Il composa plus de cinquante opéras-comiques, qui s’inscrivent dans la tradition de Monsigny et de Grétry. Nina ou la Folle par amour (1786) est considéré comme son meilleur ouvrage. On peut également citer : le Corsaire (1783), Azemia (1786), Camille (1791), Adolphe et Clara (1799), Maison à vendre (1800) et Gulistan (1805). Ses emprunts à Rameau ou à Méhul et surtout son instinct scénique lui assurèrent le meilleur accueil du public et Boieldieu, Auber, Adam, Franck et Berlioz admirèrent la beauté de ses mélodies et l’élégance de son style. DALBAVIE (Marc-André), compositeur et chef d’orchestre français (Neuilly-surSeine 1961). Il commence très tôt des études de piano et remporte à dix ans le Concours général de France. Au Conservatoire de Paris, il travaille la composition avec Michel Philippot et l’orchestration avec Betsy Jolas. Il prend des cours avec John Cage à Londres (1980) et avec Franco Donatoni à Sienne (1984). Entre 1983 et 1985, il suit les cours de Tristan Murail. Dalbavie, qui appartient depuis 1985 au département de la recherche musicale de l’I.R.C.A.M., fait partie d’une génération qui s’est vite familiarisée avec l’ordinateur et en a tiré toutes les conséquences. Il parle souvent du rôle stimulateur que jouent l’informatique et l’outillage électronique, mais trouve aussi que « l’univers technologique est déjà insuffisant » pour l’imagination des compositeurs de sa génération. Dans les Paradis mécaniques pour onze instruments (1982-83), Dalbavie travaille avec des « accords/timbres », la trame de l’oeuvre étant constituée par la transformation progressive des objets dans le temps. Des images sonores spécifiques au monde de l’informatique musicale sont appropriées par l’écriture purement instrumentale. Dans Interludes pour violon solo (1987), il poursuit une abstraction radicale du jeu de l’instrument, débarrassé pour l’occasion de toute rhétorique ou expressivité. On lui doit aussi les Miroirs transparents pour orchestre (1985), Diadèmes pour

alto principal transformé, ensemble instrumental et ensemble électronique, Instances pour choeur, orchestre et dispositif électronique (1991), Seuils pour soprano, orchestre et dispositif électronique. Il a downloadModeText.vue.download 280 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 274 reçu plusieurs prix de composition, dont celui de la S.A.C.E.M. (1985). DALBERTO (Michel), pianiste français (Paris 1955). Il étudie au Conservatoire de Paris avec Vlado Perlemuter et Jean Hubeau et obtient un 1er Prix de piano en 1972. Il se perfectionne ensuite auprès de Nikita Magaloff, et remporte en 1975 le Prix Clara Haskil puis en 1978 le 1er Prix du Concours international de Leeds. Sa carrière se partage d’emblée entre le piano solo, la musique de chambre et, dans une moindre mesure, le concerto. Il se produit en compagnie d’Augustin Dumay, Henryk Szering, Viktoria Mullova et la soprano Barbara Hendricks, avec qui il a enregistré un disque de mélodies de Fauré. En 1991, il est nommé directeur artistique de l’Académie internationale et du Festival des Arcs, consacré à la musique de chambre. D’ALESSIO (Carlos), compositeur argentin naturalisé français (Buenos Aires 1935 - Paris 1992). En même temps que l’architecture, il étudie la musique avec Guillermo Graetzer. En 1962, il part pour New York, où il apprend le tango et fait son chemin dans le milieu underground : il organise des happenings à la Brooklyn Academy et au MOMA, notamment A Concert is a concert is a concert. En 1972, il se fixe à Paris où il collabore avec le metteur en scène Alfredo Arias et le Groupe TSE. En 1974, il rencontre Marguerite Duras. Pour elle, il écrit d’abord la musique du film la Femme du Gange (1974), puis India Song (1975), dont le slow, d’une nostalgie irrésistible, a fait le tour du monde. Puis il collabore à Des journées entières dans les arbres et Vera Baxter (1977), le Navire Night (1979) et les Enfants (1984). L’écoute d’une de ses valses fait naître l’écriture d’Éden-Cinéma. Il signe aussi les partitions d’Hécate de Da-

niel Schmidt (1982), Delicatessen de Caro et Jeunet (1990), et travaille au théâtre, notamment avec Claude Régy. Il joue parfois sa musique en récital, à la Roqued’Anthéron en 1985, et à Paris en 1991. DALL’ABACO (Evaristo Felice), compositeur italien (Vérone 1675 - Munich 1742). Violoniste réputé, il vécut quelques années à Modène - sans doute à partir de 1696 -, puis s’établit à Munich, où il devint maître de chapelle de l’Électeur Max Emmanuel (1704). Il accompagna la Cour à Bruxelles et dans divers déplacements, notamment, à plusieurs reprises, à Paris. Il fut peutêtre l’élève de Torelli et certainement l’un des premiers à fixer l’ordre des pièces de la sonate préclassique. Son oeuvre, destinée à son instrument et publiée en grande partie à Amsterdam, compte des exemples des deux genres de la sonate : Sonate da camera pour violon et basse continue op. 1 (v. 1705-1706) et op. 4 (1714), 12 Concerti a 4 da chiesa op. 2 (v. 1712-1714), deux recueils de 6 Concerti a più strumenti op. 5 (v. 1717). Vers 1712-1715, il publia à Paris XII Sonate da chiesa e da camera a tre op. 3, et vers 1730, Concerti a più strumenti op. 6. DALLAM, famille de facteurs d’orgues anglais, actifs au XVIIe siècle. Le fondateur de la firme fut probablement Thomas Dallam ; le plus célèbre de ses successeurs, Robert Dallam, (1602-1665), construisit les orgues du New College d’Oxford, de la cathédrale Saint-Paul de Londres et des cathédrales de Canterbury et de Durham. Les deux frères de Robert, Ralph et George Dallam, furent également facteurs. DALLAPICCOLA (Luigi), compositeur italien (Pisino d’Istria 1904 - Florence 1975). Il commença ses études musicales à Graz où sa famille avait été exilée pour raisons politiques pendant la Première Guerre mondiale : son père était patriote italien, et Pisino était sous la domination autrichienne. En 1923, il entra au conservatoire de Florence où il étudia le piano avec E. Consolo et la composition avec V. Frazzi. À partir de 1926, il se produisit en duo avec le violoniste Sandro Materassi, s’employant surtout à faire connaître les oeuvres contemporaines. En 1934, il fut nommé professeur de piano au conserva-

toire de Florence. Il travailla aussi comme critique musical au journal florentin Mondo. Il enseigna la composition aux États-Unis : à Tanglewood (1951-1952), au Queen’s College de New York (19561959) et à l’université de Berkeley (1961). Il était membre de l’Académie bavaroise des beaux-arts (1953) et de l’Akademie der Künste de Berlin (1958). En 1954, il édita en collaboration avec G. M. Gatti les Scritti sulla musica de Busoni. Les premières impressions musicales de Dallapiccola ont été le Don Juan de Mozart et les opéras de Wagner, le Pelléas et Mélisande de Debussy, le Pierrot lunaire de Schönberg, les Noces de Stravinski, ainsi que les oeuvres de Mahler, de Busoni et de Berg. Comme compositeur, il se fait connaître en 1932 avec sa Partita pour orchestre et soprano, forme redevenue à la mode à cette époque. Les oeuvres importantes de sa « première manière », qui dure jusque vers la fin des années 30, sont Deux Chants du Kalewala (1930), la Rapsodia d’après la Chanson de Roland (193233) et surtout les Six Choeurs de Michelangelo Buonarotti (1933-1936). Le style en est un néomodalisme, qui se ressent de l’influence des XVe et XVIe siècles (Dufay, Palestrina). C’est une musique statique, abstraite, concise. La première étape de son évolution laisse apparaître un chromatisme de plus en plus serré, déjà sensible dans les Choeurs de Michel-Ange. En 1937-1939, Dallapiccola compose son premier opéra Volo di notte (Vol de nuit) d’après Saint-Exupéry, dominé par un pessimisme cherchant refuge dans la solitude et dans l’idéal. Il y utilise à la fois le chant et le sprechgesang. Presque en même temps (1938-1941), il écrit ses Canti di Prigionia, sur des textes de Marie Stuart, Boèce et Savonarole. À partir de ces années, marquées par l’apogée du fascisme, les thèmes de la captivité et de la liberté vont le hanter toute sa vie durant et trouvent leur meilleure expression dans son opéra Il Prigionero (1944-1948), d’après la Torture par l’espérance de Villiers de l’Isle-Adam, et la Légende d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak de Ch. De Coster. Entre-temps, il écrit le ballet Marsias (1942-43 ; repr. Florence, 1948), dans lequel il fait un fréquent usage d’harmonies de quartes superposées. C’est à partir du milieu des années 1940 que le dodécaphonisme commence à s’intégrer à

son écriture : Liriche Greche (1942-1945), Chaconne, intermezzo et adagio pour violoncelle seul (1945), Rencesvals (1946). Dans Il Prigionero, ce dodécaphonisme est déjà un fait accompli, et plus encore dans l’oratorio Job (1950). Dans la musique vocale, les intonations mélodiques continuent à refléter l’influence wagnérienne. À l’intérieur de son style dodécaphonique, Dallapiccola utilise non seulement les intervalles dissonants propres à la musique sérielle (secondes, septièmes, neuvièmes), mais aussi des intervalles consonants, ce qui le différencie des dodécaphonistes viennois. Ayant adopté le dodécaphonisme librement et naturellement, Dallapiccola s’est aussi affranchi de toute prise de position sectaire : « La tonalité existe et existera sans doute encore longtemps », déclare-t-il en 1951. À partir de 1953, il s’oriente vers des recherches rythmiques et tend vers une rigueur et un dépouillement comparables à ceux de Webern (Cinque Canti, 1956). Mais ses attaches avec le néoclassicisme et les traditions de la musique italienne réapparaissent parfois, notamment dans la Tartiniana (1951) et la Tartiniana seconda pour violon, piano et orchestre (1956). Parmi les oeuvres les plus importantes de ses dix dernières années, il faut citer l’opéra Ulisse, d’après J. Joyce (1968). Compositeur conscient de l’évolution musicale de son siècle, Dallapiccola sut garder une dimension romantique en traduisant dans sa musique des expériences vécues. Par la richesse et l’éclectisme de ses références musicales et littéraires, par l’affinement de son style technique, il fut l’une des personnalités les plus marquantes de la musique italienne du XXe siècle. downloadModeText.vue.download 281 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 275 DALLERY, famille de facteurs d’orgues français originaires du Pas-de-Calais, en activité au XIIIe et pendant la première moitié du XIXe siècle. Ils construisirent et restaurèrent de nombreux instruments à Paris et dans le nord de la France, et ils furent un temps associés avec les Clicquot. Par exemple, les orgues de Saint-Merri, de la Sainte-Chapelle et de

Saint-Nicolas-des-Champs à Paris sont les produits de l’association de Pierre Dallery avec François-Henri Clicquot. DAMASE (Jean-Michel), compositeur, pianiste et chef d’orchestre français (Bordeaux 1928). Il commence ses études de solfège au cours Samuel-Rousseau et compose, à neuf ans, une mélodie, le Rouge-Gorge, sur un poème de Colette. Élève de Cortot à douze ans, il entre l’année suivante au Conservatoire de Paris, dans la classe d’A. Ferté, et obtient son premier prix de piano en 1943. Il étudie l’harmonie avec M. Dupré et la composition avec H. Busser. En 1947, il reçoit le premier grand prix de Rome pour sa cantate Et la belle se réveilla, puis le grand prix de la Ville de Paris en 1959. Il entame, dès l’âge de dix-sept ans, une carrière de pianiste (Europe, ÉtatsUnis, Amérique latine), puis s’oriente vers celle de chef d’orchestre, notamment au bénéfice de la Compagnie chorégraphique du marquis de Cuevas. De 1961 à 1964, il enseigne le piano à l’École normale de musique de Paris. Compositeur fécond, aimant la mélodie gracieuse, l’orchestration raffinée, Damase s’est révélé un musicien indépendant, tout en conservant l’attachement à la tonalité et en s’affirmant comme un héritier des traditions classiques de la musique française. S’il a écrit de nombreuses oeuvres vocales (mélodies, choeurs) et de la musique de chambre pour divers effectifs (duos, trios, quintettes), il s’est aussi beaucoup intéressé à la musique de théâtre et en particulier au ballet (Piège de lumière, 1952 ; le Prince du désert, 1955 ; Othello, 1957). Son oeuvre lyrique, renouant avec les traditions de l’opéra-comique, s’est aisément imposée. Sa Colombe, d’après Anouilh, créée au festival de Bordeaux en 1961, a révélé une poésie élégante, une écriture délicate et une instrumentation subtile. Son Héritière, dans un tout autre esprit, a confirmé ces qualités au GrandThéâtre de Nancy en 1974. DAMOREAU-CINTI (Laure CINTHIE-MONTALANT, épouse DAMOREAU , dite Laure), soprano française (Paris 1801 - Chantilly 1863). Elle obtint au Conservatoire un prix de solfège dès 1808 et un prix de piano dès 1810. Elle parut dans les salons de la reine

Hortense comme pianiste prodige, puis comme harpiste. Elle entreprit en 1811 l’étude du chant avec Plantade et remporta un premier prix en 1815. Le célèbre pédagogue Manuel Garcia la prit sous sa protection et la fit débuter en concert en 1815. Elle aborda la scène, l’année suivante, au Théâtre-Italien dans Una Cosa rara de Martin y Soler. Devenue célèbre, elle participa à de nombreuses créations comme celles, à l’Opéra, du Comte Ory de Rossini (1828), de la Muette de Portici d’Auber (1828), de Guillaume Tell de Rossini (1829) et de Robert le Diable de Meyerbeer (1831), et, à l’Opéra-Comique, du Domino noir d’Auber (1837). Elle se retira de la scène en 1842, fit des tournées de concerts jusqu’en Amérique, puis se consacra à un poste de professeur au Conservatoire de Paris auquel elle avait été nommée en 1834. Parmi les nombreuses chanteuses célèbres de son époque, Laure Damoreau-Cinti se distingua par la pureté de son style et la justesse de son expression. DAMROCH, famille de musiciens américains d’orgine allemande. Leopold, violoniste, chef d’orchestre et compositeur (Posen 1832 - New York 1885). Docteur en médecine après des études à Berlin, il se consacra ensuite à la musique et dirigea en Allemagne plusieurs orchestres de théâtre, jusqu’à sa nomination comme membre de la chapelle de la cour à Weimar. Il occupa ensuite diverses fonctions à Breslau et fit des tournées, comme violoniste, aux côtés de Hans de Bülow et Carl Tausig. Fixé à New York en 1871 pour y diriger la chorale Arion, il fonda tour à tour l’Oratorio Society et la New York Symphony Society, avec lesquelles il donna des concerts réputés. Il manifesta le même esprit d’organisation dans la création d’une entreprise d’opéra allemand au Metropolitan de New York, après la chute d’une troupe italienne. À côté de sa prodigieuse activité au service de la musique, son oeuvre de compositeur pâlit un peu. On lui doit cependant des partitions à la structure ferme, brahmsienne, mais dont l’écriture, dans le détail, révèle l’influence de Liszt : pièces pour violon, mélodies, oeuvres chorales (Ruth und Noemi, idylle biblique, etc.) et ouvertures pour orchestre. Franck Heino, compositeur et chef d’or-

chestre, fils du précédent (Breslau 1859 New York 1937). Élève de Moszkovski, il se fixa aux États-Unis en même temps que son père. Il fit une carrière de chef d’orchestre dans différentes villes américaines, fut chef des choeurs au Metropolitan Opera et inspecteur musical des écoles. Walter, chef d’orchestre et compositeur, frère du précédent (Breslau 1862 New York 1950). Il fit ses études avec son père et avec Hans de Bülow. Il fonda en 1894 la Damrosch Opera Company, qui fit connaître l’oeuvre de Wagner à travers les États-Unis. Chef d’orchestre au Metropolitan Opera et directeur de plusieurs sociétés de concert, défenseur des grands compositeurs européens de son époque, dont il créa les oeuvres aux ÉtatsUnis, il donna une impulsion très vive à la vie musicale américaine. Il jeta d’autre part les bases du conservatoire américain de Fontainebleau. Compositeur, il écrivit des musiques de scène, de la musique de chambre, des oeuvres chorales et des mélodies. Il commanda à Sibelius Tapiola (1926). DANCLA (Jean-Baptiste), violoniste et compositeur français (Bagnères-de-Bigorre, Hautes-Pyrénées, 1817 - Tunis 1907). Il entra au Conservatoire de Paris dans la classe de violon de Baillot et obtint un premier prix en 1833. Il travailla ensuite la composition avec Berton, l’harmonie avec Halévy et le contrepoint avec Reicha. Il obtint le second grand prix de Rome en 1838, mais se consacra à une carrière de violoniste qu’il accomplit dans différents orchestres avant d’être admis comme premier violon dans celui de l’Opéra puis, en 1841, comme violon-solo à la Société des concerts du Conservatoire. Membre de la chapelle impériale (1853), il fut nommé professeur adjoint au Conservatoire en 1855, puis professeur en 1860. Il abandonna ces différents postes en 1892 pour prendre sa retraite et voyager. Compositeur d’une rare fécondité, Dancla écrivit de nombreuses pièces pour violon ainsi que de la musique de chambre et des symphonies concertantes. Il signa, par ailleurs, différents ouvrages pédagogiques et des mémoires. Il eut deux frères : Arnaud (1819-1862) qui fut violoncelliste, professeur au Conservatoire et signataire d’une méthode de violoncelle ; Léopold (1822-

1895), qui fut violoniste, en particulier à l’Opéra et à l’Opéra-Comique. DANCO (Suzanne), soprano belge (Bruxelles 1911). Elle a fait ses débuts à Gênes en 1941 dans le rôle de Fiordiligi (Cosi fan tutte) de Mozart. Elle a beaucoup chanté en Italie où elle créa Wozzeck de Berg (San Carlo de Naples, 1943) et en Angleterre. Son répertoire de théâtre était extrêmement divers, allant de Mozart à Puccini en passant par Berlioz et Debussy. Suzanne Danco possédait une voix de soprano lyrique, longue, agile et d’une homogénéité exemplaire. Ses interprétations témoignaient d’un grand raffinement musical. DANDELOT (Georges), compositeur et pédagogue français (Paris 1895 - SaintdownloadModeText.vue.download 282 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 276 Georges-de-Didonne, Charente-Maritime, 1975). Au Conservatoire de Paris, il fut l’élève, notamment, de Roussel et de Dukas pour la composition. Après la Première Guerre mondiale, il se consacra à l’enseignement, d’abord à l’École normale de musique (à partir de 1919), puis au Conservatoire, où il fut nommé professeur d’harmonie en 1943. Il ne négligea pas pour autant la composition et écrivit des oeuvres lyriques, de la musique de chambre, de la musique instrumentale, des oratorios et de charmants ballets conçus pour les enfants. Son écriture, influencée par celle de ses maîtres, mais aussi par celle de Debussy, témoigne de grandes qualités mélodiques. Elle est souvent délicate, mais sait aussi traduire un lyrisme ardent. L’oratorio Pax (1937) est un des rares cris de protestation contre la guerre qui aient été émis par les compositeurs de sa génération. Dandelot a écrit des ouvrages didactiques de solfège et d’harmonie, qui demeurent très employés de nos jours ; il a d’autre part édité les oeuvres de musique baroque. DANIEL ou DANYEL (John), compositeur et luthiste anglais ( ? v. 1565 - ? v. 1630).

Son père était musicien, et son frère Samuel (1562-1619), poète. Les deux frères occupèrent, l’un après l’autre, le poste de « Inspector of the Children of the Queen’s Revels ». L’université d’Oxford honora John Daniel du titre de « Batchelor in Musicke » (1604). En 1606, celui-ci publia un recueil de 20 Songs for the Lute, Viol and Voice, augmenté d’une pièce pour luth seul (éd. moderne : The English School of Lutenist Song Writers 1/12, Londres, 1959). En 1625, il devint membre de la Royal Company of Musicians for the Lute and Voices. Après la mort de Samuel, John publia une édition des oeuvres du poète dédiée au prince Charles (1623). DANIEL-LESUR, compositeur français (Paris 1908). Sa mère, musicienne accomplie, lui fait prendre ses premières leçons d’orgue et de composition avec Charles Tournemire. En 1919, il entre au Conservatoire ; Olivier Messiaen est son condisciple dans les classes d’harmonie et de fugue. En 1927, il devient le suppléant de Charles Tournemire à l’orgue de Sainte-Clotilde. Sa Suite française est créée par Pierre Monteux à l’O. S. P. en 1935. La même année, il est nommé professeur de contrepoint à la Schola cantorum, et, l’année suivante, il fonde, avec Yves Baudrier, André Jolivet et Olivier Messiaen, le groupe « Jeune France ». Entré dans les services artistiques de la Radiodiffusion nationale au début de 1939, Daniel-Lesur est mobilisé en septembre ; il revient à la vie civile au mois d’août 1940 et rejoint la radio en zone libre. En 1942, il revient à Paris. De 1945 à 1957, il compose de nombreuses oeuvres de musique de chambre et de musique vocale (parmi lesquelles la Suite médiévale [1946] et le Cantique des cantiques [1953]). Déjà un thème s’impose à lui, celui d’Andrea del Sarto, qu’il aborde en 1947 par une musique de scène, suivie, en 1949, d’un poème symphonique. La pièce d’Alfred de Musset lui inspire enfin un opéra, créé à l’opéra de Marseille en 1969. Parallèlement à son activité de compositeur, Daniel-Lesur a assumé des tâches importantes à la radio, à la télévision et au ministère des Affaires culturelles, où lui a été confiée, en 1971-72, la direction

de l’Opéra. De 1957 à 1961, il a été directeur de la Schola cantorum. Attaché aux traditions de la musique française, mais refusant le néoclassicisme, qu’il considère comme une « commodité mécanique pire encore que celles de la musique systématique », esprit logique et sensible, épris de clarté, Daniel-Lesur a réussi d’une manière assez exceptionnelle à allier dans son oeuvre rigueur et sensualisme. Il fait revivre des formes anciennes comme le ricercare et la passacaille ; sa liberté de musicien est fondée sur des choix, des contraintes volontaires. Son Cantique des colonnes, sur le poème de Valéry, sa Symphonie d’ombre et de lumière témoignent autant de la hauteur de sa pensée que de la perfection de son art. Et son chef-d’oeuvre, Andrea del Sarto, recrée avec bonheur le climat de la Renaissance italienne. En 1982 a été créé l’opéra Ondine, d’après Giraudoux. DANIÉLOU (Alain, dit SHIVA SHARAN) ethnomusicologue francais (Neuilly-surSeine 1907 - Lonay, près de Lausanne, 1994). Après avoir travaillé le chant avec Charles Panzéra et la composition avec Max d’Ollone, il s’est fixé en Inde et s’est consacré à l’étude de la musique et de la religion hindoues. Élève de l’université de Santiniketan au Bengale, puis directeur de l’école de musique de cet établissement, il s’est installé en 1935 à Bénarès, où il a été nommé directeur de l’Institut de musicologie (1949), puis, en 1954, à Madras. Membre de l’École française d’ExtrêmeOrient (1959) et du Conseil international de musique à l’Unesco (l960), il a été nommé, en 1963, directeur de l’Institut de musique comparée de Berlin. Sa connaissance exceptionnelle de la musique de l’Inde et ses travaux de sémantique musicale lui ont conféré un renom mondial. Principaux écrits : Introduction to the Studies of Musical Scales (1943) ; Catalogue de musique classique de l’Inde (1952) ; Northern Indian Music (2 vol., 1949-1954) ; Musique de l’Inde (1966) ; Sémantique musicale (1967) ; The Ragas of Northern Indian Music (1968) ; Situation de la musique et des musiciens dans les pays d’Orient (1971). DANZI (Franz), compositeur allemand (Mannheim 1763 - Karlsruhe 1826). Fils d’un violoncelliste de l’orchestre de

Mannheim, élève de l’abbé Vogler, il resta dans sa ville natale lorsque l’orchestre partit pour Munich en 1778 et ne l’y rejoignit qu’en 1783. Il voyagea à partir de 1791 en Italie et en Allemagne, puis revint à Munich, mais la mort de sa femme (1800) et des difficultés avec son collègue Peter von Winter le poussèrent à quitter cette ville. Il fut de 1807 à 1812 maître de chapelle à Stuttgart, où il connut Weber, puis à Karlsruhe jusqu’à sa mort. On lui doit des cantates, des opéras comme Die Mitternachtsstunde (Munich, 1788), Der Kuss (Munich, 1799), Iphigenie in Aulis (Munich, 1807) ou Rübezahl (Karlsruhe, 1813), des lieder, des quintettes à vent demeurés célèbres, des symphonies concertantes, de la musique de chambre (en particulier pour violoncelle), etc. Il a exercé sur Weber une influence assez nette. DAO (Nguyen Thien), compositeur vietnamien (Hanoi 1940). Il a fait ses études au Conservatoire de Paris, en particulier avec Olivier Messiaen, a travaillé également avec le Groupe de recherches musicales de l’O. R. T. F., s’est fait connaître avec Tuyen Lua pour flûte, piano, quatuor à cordes et une percussion, dont la création au festival de Royan de 1969 suscita de violentes controverses, et a obtenu en 1974, avec Mau Va Hoa pour grand orchestre, le prix de composition Olivier-Messiaen. Héritier de deux civilisations, Dao a poussé ses recherches dans la triple direction du rythme - rythme extra-humain ne découlant pas du rythme cardiaque et dont les tempos, extrêmement lents et extrêmement rapides, sont issus de la conception cosmique du rythme oriental et de la formidable technicité du XXe siècle -, de la fréquence suspensive ou du non-tempérament (la hauteur de chaque son étant en constante mobilité dans les registres très graves et très aigus) et du silenceméditation (comme articulation du discours musical, le silence permettant « de me transporter dans un autre espace, ailleurs »). Sa musique oscille souvent entre une immobilité aux limites du silence et une extrême violence. Son catalogue, d’une trentaine d’oeuvres, comprend notamment : The 19 pour 4 voix de femmes, ensemble instrumental, 5 percussions et ondes Martenot (créé au festival de Royan de 1970) ; Bat Khuat pour 5 percussionnistes (1969, créé en 1970) ; Khoc To Nhu

pour 12 voix mixtes a cappella (1971) ; Koskom pour grand orchestre (1971) ; May pour 1 percussionniste (créé à Royan downloadModeText.vue.download 283 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 277 en 1974) ; Ba MeViêt-nam pour contrebasse et ensemble instrumental, oeuvre fixée dans tous ses détails (1974) ; Phu Dong pour voix, percussion et quintettes de cuivres, oeuvre ouverte inspirée d’une ancienne légende vietnamienne (1973) ; Gio Dong (1973) pour voix seule, sur des textes de la littérature vietnamienne du XIVe siècle à nos jours ; Framic pour flûte basse seule (1974) ; Camatithu pour 6 percussionnistes (1974) ; Giai Phong pour grand orchestre et dispositif électroacoustique (1974-1976) ; Ten Do Gu, concerto pour percussion (1980) ; Hoang Hon, cycle de mélodies pour soprano et orchestre (1980) ; Blessure/Soleil, concerto pour clarinette et orchestre de chambre (1983) ; Symphonie pour pouvoir, commande de Radio France pour le bicentenaire de la Révolution (1989) ; deux opéras, My Chan Trong Thuy, créé à la Salle Favart à Paris en décembre 1978 et relatant un ancien épisode des guerres entre Chine et Viêt-nam, et Écouter-Mourir, créé à Avignon le 24 juillet 1980 et traitant, d’après une vieille légende, de la place de la musique dans les relations humaines ; Quatuor à cordes no 1 (1991) ; les Perséides pour soprano et sextuor à cordes (1992). DA PONTE (Lorenzo), poète et librettiste italien (Ceneda, aujourd’hui Vittorio Veneto, 1749-New York 1838). Né dans une famille de confession juive, il s’appelait en réalité Emmanuele Conegliano, et prit le nom et le prénom de l’évêque de Ceneda lorsque son père se convertit avec ses trois fils (1763), dont il était l’aîné. Ordonné prêtre en 1773, il enseigna à Trévise puis à Venise, et, en 1779, fut banni pour quinze ans de cette ville pour adultère. Après un bref séjour à Dresde, il s’installa en 1781 à Vienne, où Joseph II le nomma librettiste du nouveau théâtre italien. Il écrivit d’abord pour Salieri, mais obtint ses premiers grands succès en 1786 avec Le Nozze di Figaro destiné à Mozart, et surtout Una cosa rara destiné à Martin y Soler. En 1787, il écrivit

pour Salieri Axur, d’après Tarare de Beaumarchais, pour Martin y Soler L’Arbore di Diana et pour Mozart Don Giovanni, et en 1789-90 pour Mozart Cosi fan tutte. La mort de son protecteur Joseph II (1790) l’obligea à quitter Vienne. Il se rendit à Prague (où il rencontra Casanova), puis à Dresde, et à l’automne de 1792 arriva à Londres, où, compte non tenu de séjours en Hollande (1793) et en Italie (1798), il devait rester treize ans. Nommé librettiste du King’s Theatre en 1793, il perdit plus tard cette place, et des difficultés financières croissantes le forcèrent à émigrer en Amérique avec sa famille (1805). À New York, il fut épicier puis libraire et professeur d’italien, et, en 1825, assista à la première de Don Giovanni dans cette ville : ce fut pour lui une sorte d’apothéose. Il y écrivit aussi ses mémoires (Memorie di Lorenzo Da Ponte di Ceneda scritte da esso, New York, 1823-1827, éd. rév. 182930), ouvrage intéressant, paru à plusieurs reprises (dont deux en 1980) en français, mais qu’il faut se garder de prendre au pied de la lettre. Ses livrets, dont le nombre dépasse la trentaine, valent moins par leur profondeur que par leur vivacité et leur simplicité, et surtout par leur sens remarquable des contrastes, de l’antithèse et de l’opposition de caractères. À ce titre, sa plus grande réussite semble bien être Cosi fan tutte. D’ARANYI (Jelly), violoniste anglaise d’origine hongroise (Budapest 1893-Florence 1966). Petite-nièce de Joseph Joachim et soeur cadette de la violoniste Adila Fachiri, qui sera sa partenaire, elle reçoit sa formation à l’Académie royale de Budapest. Une extrême virtuosité, alliée à un son âpre et audacieux, la désigne comme l’interprète idéale de la nouvelle musique hongroise. De là viennent les dédicaces d’oeuvres majeures qu’elle crée et qui jalonnent sa carrière. Ainsi les deux sonates pour violon et piano de Bartók, qu’elle joue avec le compositeur, à Londres, en 1922 et 1923, et Tzigane de Ravel, qu’elle crée en 1924. Établie en Angleterre dès 1925, elle consacre une grande part de son activité à la musique de chambre, jouant les trios de Haydn et de Beethoven, ou des sonates classiques avec la pianiste Myra Hess. Elle inspire également des compositeurs anglais : en 1925, Ralph Vaughan-Williams

lui dédie son Concerto Academico, et, en 1930, elle crée avec sa soeur le Double Concerto de Gustav Holst. En 1938, elle crée en Angleterre le Concerto pour violon de Schumann. Elle apparaît une dernière fois avec Adila Fachiri en 1960, pour une exécution du Concerto pour deux violons de Bach. DARASSE (Xavier), organiste et compositeur français (Toulouse 1934 - id. 1992). Il a été élève du Conservatoire de Paris, dans les classes d’harmonie, de contrepoint, de fugue, d’orgue et improvisation, d’analyse musicale et de composition, avant d’obtenir le premier grand prix de Rome, en 1964. Grand prix d’exécution et d’improvisation des Amis de l’orgue, il commença une brillante carrière d’exécutant, marquée par l’originalité de ses interprétations du répertoire baroque et par sa curiosité pour tout le répertoire contemporain et les nouvelles techniques de jeu c’est ainsi qu’il donna une transcription personnelle des Variations pour piano op. 27 de Webern. Mais un grave accident devait le conduire à renoncer à ses activités de concertiste, pour se consacrer à l’enseignement de l’orgue et de l’écriture et à la composition. Il est notamment l’auteur d’une grande pièce pour orgue, Organum I (1970), dédiée à son maître Olivier Messiaen. Il a dirigé en 1991-92 le C.N.S.M. de Paris. DARGOMYJSKI (Alexandre), compositeur russe (Dargomyz 1813 - Saint-Pétersbourg 1869). « Un petit homme en redingote bleu pâle, avec un gilet rouge et affligé d’une invraisemblable voix de fausset », tel apparaissait à ses contemporains Dargomyjski, fils de riches gentilshommes campagnards. Très tôt, il prit des leçons de piano, violon et alto et lorsque, en 1840, il fréquenta les salons de Saint-Pétersbourg, il brilla par sa virtuosité pianistique et par l’aimable tournure de ses premières compositions (pièces pour piano et mélodies). En 1833, Joukovski et Koukolnik le présentèrent à Glinka qui lui prodigua ses encouragements. Le succès de la Vie pour le tsar de Glinka décida Dargomyjski à écrire un opéra ; mais il ne s’orienta pas, comme ce dernier, vers des sujets nationaux, leur préférant des sujets romantiques français. Un premier projet, Lucrèce Borgia (d’après Hugo), n’ayant pas abouti, il entreprit,

malgré les conseils de ses amis, un opéra Esméralda, dont il composa lui-même le livret d’après Notre-Dame de Paris de Hugo (1838-1841) ; l’oeuvre ne fut acceptée qu’en 1847 et montée l’année suivante avec un médiocre succès. Entre-temps, un voyage le mena de Vienne à Paris et Bruxelles (1845) : il y rencontra Auber, Halévy, Meyerbeer et se lia d’amitié avec Fétis. À son retour, Dargomyjski, toujours à la recherche de sa voie, termina un opéra-ballet, le Triomphe de Bacchus (1848), qui ne fut monté que dix-neuf ans plus tard, sans succès. Désemparé par de tels délais et décidant d’être enfin luimême, il se retira en 1853 sur ses terres, ne passant qu’une partie de l’hiver dans la capitale, où il organisait soirées et réunions musicales privées. Moussorgski, en 1856, y fut admis et par la suite y amena ses amis. Dans ce climat, Dargomyjski termina, en 1855, un projet caressé depuis longtemps, la Roussalka, d’après Pouchkine, puis entreprit le Convive de pierre (Don Juan), toujours d’après Pouchkine, mais la mort ne lui permit pas de l’achever. Selon ses instructions, Cui réalisa les dernières pages et Rimski-Korsakov orchestra l’oeuvre. Dargomyjski eut sur la musique russe une influence considérable en complétant l’action de Glinka. Tournant le dos à l’esthétique d’Auber et d’Halévy visible dans ses premiers essais de théâtre lyrique, il chercha à développer un aspect que Glinka, à ses yeux, a négligé : les éléments dramatiques (cf. scène de la folie du meunier, dans Roussalka). Si sa grande manière naturaliste ne se révélait pas d’une façon évidente dans la Roussalka downloadModeText.vue.download 284 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 278 (l’orchestration est empâtée, le découpage traditionnel, et l’imitation de Glinka complaisante), une innovation d’importance y apparaissait : le récitatif. « Je veux que le son exprime directement le mot. Je veux dire la vérité. » Tel était son but et, essayant de cerner les rapports étroits de la musique, du texte et de la parole, il poussa à l’extrême dans le Convive de pierre cette recherche de la déclamation lyrique prise aux sources même de la vie. Il fit, en effet, lire le texte de Pouchkine à

des comédiens, nota leur déclamation, la compara aux inflexions de la voix parlée naturelle. La ligne mélodique vocale qu’il adopta fut ainsi une sorte de traduction juxtalinéaire du poème de Pouchkine, visant l’expression pure et juste, la vérité psychologique et dramatique. Cette quête remit en cause le découpage traditionnel : le Convive ne compte pas un seul choeur, seulement deux chansons ; tout le reste est récitatif. Lors de sa création, en 1872, l’oeuvre connut auprès d’un public amateur de mélodies flatteuses, d’effets pittoresques, un échec encore plus grand que celui de la Roussalka. C’est pourtant là qu’il faut chercher les origines de Boris Godounov ou du Mariage de Moussorgski, de Mozart et Salieri de Rimski-Korsakov ou du Joueur de Prokofiev. La paternité de l’école nationale est bien partagée entre Glinka et Dargomyjski. DARMSTADT (festival de). Pendant plus de deux décennies, le festival international de Darmstadt a représenté une des plaques tournantes des nouvelles tendances musicales de l’après-guerre. Créé en 1946 par Steinecke et installé au Jagdschlof Kranichstein, le festival permit tout d’abord de faire le point sur les acquis de l’école de Vienne (Schönberg, Berg et Webern), puis, grâce à la confrontation des figures marquantes de la jeune génération, de rendre compte des divers courants d’idées qui traversèrent le langage de la musique dès le début des années 50. Beaucoup plus qu’un festival, Darmstadt fut considéré comme un lieu de rencontres pour plusieurs générations, sous l’impulsion de Wolfgang Steinecke ; Edgar Varèse, Ernst Krenek furent invités en 1950, Olivier Messiaen y participa en 1949 et 1952. Quant aux musiciens qui entreprirent leurs recherches au moment de la création de Darmstadt, ils s’y retrouvèrent presque tous, une année ou une autre, pour y présenter leurs oeuvres et leurs pensées esthétiques : P. Boulez, K. Stockhausen, H.-W. Henze, G. Ligeti, H. Pousseur, J. Cage, E. Brown, B. A. Zimmermann, Y. Xenakis, M. Kagel, B. Maderna, L. Berio, L. Nono, S. Bussotti, D. Schnebel, F. Donatoni, etc. Une des grandes forces de Darmstadt, qui ne se manifestera pas dans d’autres festivals, fut d’allier plusieurs fonctions complémentaires : diffusion, production,

enseignement, information, sans qu’aucun de ces domaines n’apparût jamais sacrifié par rapport aux autres. Si les concerts pouvaient être envisagés comme une part importante du festival (avec les créations d’oeuvres telles que Kontrapunkte ou Kreuzspiel de K. Stockhausen, Polyphonie X de P. Boulez), son activité n’était pas exagérément axée sur l’aspect « diffusion ». À ce propos, il faut souligner que les programmes intégrèrent à de nombreuses reprises des oeuvres devenues « de référence » (de Mahler, Ives, Scriabine, Ravel, Stravinski) et s’ouvrirent également aux musiques extra-européennes (le musicien indien Ravi Shankar intervint notamment en 1957). L’enseignement délivré à Darmstadt constitua très vite un pôle d’attraction unique pour les musiciens de divers pays : cours d’instruments, qui furent souvent un catalyseur décisif pour la littérature instrumentale, à travers la personnalité de musiciens comme S. Gazzeloni (flûte), A. Kontarsky (piano), D. Tudor (piano), F. Pierre (harpe), K. Caskel (percussions), G. Deplus (clarinette) ; cours de direction d’orchestre avec H. Scherchen, B. Maderna ; cours de composition avec la plupart des compositeurs précités ; cours d’esthétique avec T.-W. Adorno, H. Stückenschmidt, H. Strobel ; cours d’acoustique avec H. Eimert, W. Meyer-Eppler. Ces cours et conférences suscitèrent la publication d’un ensemble de fascicules, les Darmstädter Beiträger, qui rassemblent des textes déterminants pour l’appréhension des musiques actuelles (Penser la musique aujourd’hui de P. Boulez, de nombreux articles analytiques de K. Stockhausen, G. Ligeti, M. Kagel, etc.). À partir du milieu des années 60 se développèrent des ateliers de composition posant le problème de la création collective : ainsi naquit, en 1967, Ensemble, selon certains principes déduits d’oeuvres de K. Stockhausen comme Mikrophonie, Plus-Minus ; ce processus de composition de groupe associait douze compositeurs dont T. Marco, J. Fritsch, J. Mac Guire, M. Maiguashca. En 1968, à l’occasion d’un atelier dirigé par K. Stockhausen, Musik für eine Haus regroupa, pour un projet où la spatialisation des sources sonores jouait un rôle essentiel, C. Miereanu, M. Maiguashca, R. Gehlhaar, J. Peixinho, etc.

Au cours des années 70 se dessina toutefois un essoufflement progressif ; peut-être les options esthétiques des organisateurs du festival se firent-elles plus restrictives, l’omniprésence de certains grands « ténors » de la musique d’avantgarde freina-t-elle quelque peu les apports de générations plus jeunes. Si l’on put noter plus récemment la présence, au sein du festival de Darmstadt, de compositeurs comme M. Monnet, B. Ferneyhough, G. Grisey, V. Globokar, susceptibles d’insuffler des idées nouvelles, il n’en reste pas moins que ce festival semble tributaire d’une image de marque privilégiée, à un moment précis de l’évolution des musiques du XXe siècle, avec ses compositeurs de prédilection et leurs épigones. Nombreux étaient les musiciens qui, vers 1980, attendaient que Darmstadt change de cap ou que se développent de nouveaux Darmstadt. Friedrich Hommel, directeur de 1982 à 1994, a largement répondu à leurs espoirs. Il a eu comme successeur en 1995 Solf Schaefer, auparavant directeur du département musique de la radio autrichienne à Graz. DARRÉ (Jeanne-Marie), pianiste française (Givet 1905). Elle est l’élève de Marguerite Long au Conservatoire de Paris, où elle obtient un 1er Prix à l’âge de quatorze ans. Elle fait ses débuts l’année suivante à Paris, mais sa carrière ne prend véritablement son essor qu’en 1924. En 1958, elle est nommée professeur de piano au Conservatoire de Paris. Elle a assuré la création de plusieurs oeuvres contemporaines, dont la Sonatine de Noël Gallon (1931). DART (Thurston), claveciniste et musicologue anglais (Kingston 1921 - Londres 1971). En 1938, il étudie le clavecin au Royal College of Music de Londres, puis, en 1945, se perfectionne en Belgique avec Charles van den Borren. En 1946, il débute une carrière de claveciniste, et de 1948 à 1955 tient le continuo dans l’orchestre Boyd Neel. Il occupe aussi de nombreux postes universitaires, notamment à Cambridge, et dirige plusieurs sociétés musicologiques qui assurent une grande influence à ses conceptions sur la musique ancienne. Dans les années 1950, il collabore à la

parution d’une centaine de disques de l’Oiseau-Lyre. En 1964, il fonde une faculté d’enseignement musical au King’s College de Londres. Il se spécialise surtout dans les oeuvres de Bach et de John Bull. Il a aussi supervisé de nombreuses éditions de Byrd, de Couperin et de madrigalistes anglais. DAUTREMER (Marcel), compositeur et pédagogue français (Paris 1906 - id. 1978). Il étudia le violon, puis entra au Conservatoire de Paris, où il fut l’élève de Samuel-Rousseau (harmonie), Noël Gallon (contrepoint), Paul Dukas (composition) et Philippe Gaubert (direction d’orchestre). Il devint ensuite professeur de musique dans les écoles de la Ville de Paris. En 1946, il fut nommé directeur du conservatoire de Nancy et devint chef de l’Orchestre symphonique de cette ville. De downloadModeText.vue.download 285 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 279 1948 à 1958, il fut président de l’Association des directeurs de conservatoires nationaux et municipaux. Il a composé des oeuvres pour piano, de la musique instrumentale, des choeurs et des oeuvres pour orchestre. Son écriture, claire, franche, révèle un goût pour la polytonalité qui lui vient de son maître Paul Dukas. Dautremer a été aussi l’auteur de plusieurs ouvrages pédagogiques et, notamment, d’un Cours complet d’éducation musicale (1952). DAUVERGNE ou D’AUVERGNE (Antoine), violoniste et compositeur français (Moulins 1713 - Lyon 1797). Violoniste comme son père, il entra, en 1741, en tant qu’instrumentiste dans la musique de la Chambre du roi, puis en 1744 dans l’orchestre de l’Opéra. Dès 1739, lors de la publication de ses sonates pour un et deux violons, il s’était fait également connaître comme compositeur. En 1751 furent donnés ses concerts de symphonies à quatre parties et, l’année suivante, son premier opéra, les Amours de Tempé, dont le succès allait déterminer sa carrière dramatique. Jusqu’en 1771, il écrivit une dizaine d’ouvrages lyriques, qui firent de lui un artiste de renom. Des

postes honorifiques lui furent confiés : en 1755, celui de compositeur et maître de musique de la Chambre ; en 1762, celui de codirecteur du Concert spirituel - qui lui donna l’occasion de faire exécuter des motets de sa composition ; en 1764, celui de surintendant de la musique ; et à trois reprises, entre 1769 et 1790, celui de directeur de l’Opéra. Ses oeuvres théâtrales ne furent cependant pas toujours bien accueillies, notamment celles composées sur des livrets qui avaient déjà été mis en musique par ses prédécesseurs à l’Académie royale de musique, comme Énée et Lavinie (1758), Canente (1760) ou la Vénitienne (1768). L’opéra-comique, genre dont il fut l’un des créateurs, semblait lui convenir davantage que l’opéra. Dans son intermède à l’italienne les Troqueurs (1753), il sut allier les styles français et italien, mais, contrairement à ce qui devait caractériser l’opéra-comique français, les récitatifs y étaient chantés et non parlés. DAVAUX, D’AVAUX ou DAVAU (JeanBaptiste), compositeur français (La CôteSaint-André, Isère, 1742 - Paris 1822). À l’âge de vingt-cinq ans environ, il se rendit à Paris, où ses premières compositions, deux ariettes (1768) et son Concerto pour violon (1769), connurent un vif succès. En 1784, il s’intéressa au « chronomètre » de Bréguet, l’un des ancêtres du métronome ; puis il s’essaya dans le théâtre lyrique en écrivant deux opéras-comiques, Théodore ou le Bonheur inattendu (1785) et Cécilia ou les Trois Tuteurs (1786). Violoniste, il réussit davantage dans la musique instrumentale et composa pour les cordes six Duos d’airs connus (1788), six Trios concertants (vers 1792), trois recueils de six Quatuors (1773, 1779, 1780), trois Svmphonies à grand orchestre (1784), et surtout treize Symphonies concertantes (vers 1792-1794), qui furent très applaudies au Concert spirituel et dont il fut l’un des premiers, en France, à illustrer le genre. DAVENSON (Henri) ou (Henri Irénée MARROU), historien et musicologue français (Marseille 1904 - Châtenay-Malabry 1977). Ancien élève de l’École normale supérieure et de l’École française de Rome, collaborateur de la revue Esprit (1934), professeur à la Sorbonne (1945), membre de l’Institut (1967), il a publié, sous son vrai

nom, Henri Irénée Marrou, des ouvrages sur l’Antiquité classique et sur l’origine du christianisme, qui lui ont valu une renommée internationale. Trois de ces ouvrages sont consacrés à saint Augustin. Un quatrième, publié en 1942 sous la signature d’Henri Davenson, est un Traité de la musique selon l’esprit de saint Augustin. Suivirent, sous la même signature, le Livre des chansons ou Introduction à la connaissance de la chanson populaire française (1944), et les Troubadours (1961). L’oeuvre d’Henri Irénée Marrou est plus vaste que celle d’Henri Davenson mais ce savant était aussi un artiste, et le musicologue apparaît, chez lui, de la même qualité que l’historien. DAVID (Félicien), compositeur français (Cadenet, Vaucluse, 1810 - Saint-Germain-en-Laye 1876). Initié très jeune aux rudiments de la musique par son père, mais devenu tôt orphelin, il fut placé à l’âge de huit ans dans la maîtrise de l’église Saint-Sauveur à Aix-en-Provence. Une bourse lui permit de poursuivre ses études chez les jésuites, mais il s’échappa de cette école pour travailler dans l’étude d’un avoué et jouer dans l’orchestre du théâtre d’Aix. À treize ans, il composa un quatuor à cordes. En 1829, il accéda au poste de maître de chapelle de Saint-Sauveur. L’année suivante, il se rendit à Paris. Reçu par Cherubini, il montra à ce dernier une pièce vocale, Beatus vir, écrite pour Saint-Sauveur, et fut immédiatement admis au Conservatoire. Gagné à la doctrine des saint-simoniens, il écrivit pour eux des hymnes et partit en 1833, avec quelques autres apôtres, comme missionnaire de leur cause à Constantinople, à Smyrne et en haute Égypte. Reculant devant le choléra, il regagna Paris en 1835, non sans rapporter des visions colorées qu’il résolut de traduire dans ses compositions. Il publia deux recueils pour piano, Mélodies orientales (1836) et les Brises d’Orient (1845), qui eurent peu de succès. Une symphonie, un nonetto pour instruments à vent furent plus tard accueillis avec davantage de faveur ; enfin, en 1844, l’oratorio le Désert, où David résumait toutes ses impressions d’Orient, obtint un triomphe extraordinaire et la carrière du musicien prit vraiment son essor, du moins en France, car quelques concerts qu’il donna en Allemagne n’obtinrent pas le succès escompté.

En 1851, avec la Perle du Brésil, David s’imposa comme compositeur lyrique, et le théâtre devint son domaine de prédilection. Toutes ses créations ne renouèrent certes pas avec le succès du Désert, et un oratorio, l’Eden (1848), salué avec admiration par une partie de la critique, n’emporta pas l’adhésion du public. Mais au théâtre, David obtint plusieurs nouveaux triomphes, notamment, en 1862, avec Lalla Roukh d’après Thomas Moore. Il succéda à Berlioz comme bibliothécaire au Conservatoire, puis à un fauteuil de l’Institut, en 1869. DAVID (Johann Nepomuk), compositeur autrichien (Eferding 1895 - Stuttgart 1977). Compatriote de Bruckner, il fut formé à Saint-Florian, puis devint instituteur avant de se perfectionner dans l’écriture musicale à l’Académie de Vienne. Il fut plus tard nommé au conservatoire de Leipzig, professeur (1934), puis directeur (1939). Après avoir ensuite enseigné au Mozarteum de Salzbourg, il devint professeur à la Musikhochschule de Stuttgart. Héritier de la tradition autrichienne, David reste fidèle à un contrepoint savant et à l’art de la variation, tels qu’ils étaient pratiqués à l’orgue, dont le style l’a beaucoup influencé, ou tels qu’ils les a étudiés et analysés dans la musique de la Renaissance et dans les oeuvres de Bach. Son harmonie, tonale, et son style n’échappent pas toujours à un certain académisme postromantique, mais son inspiration est forte et généreuse. Il a écrit huit Symphonies, des Variations pour orchestre, deux Concertos pour violon et orchestre, une importante musique chorale (Deutsche Messe, Missa choralis, Requiem chorale, des Choeurs et des Motets), un oratorio (Ezzolied, 1957), de la musique de chambre et de nombreuses partitions pour l’orgue. DAVIDE (Giacomo), ténor italien (Presezzo, près de Bergame, 1750 - Bergame 1830). Meilleur ténor de la fin du XVIIIe siècle, grâce à une voix à la fois large et virtuose, il débuta à Milan en 1773. En 1779, on tenta en vain de l’engager au King’s Theatre de Londres. Il ne s’y produisit que durant la seule saison de 1791, ce qui contribua fortement, dans la capitale britannique, à la fin du règne des castrats et

à l’essor de celui des ténors. Haydn écrivit alors pour lui l’un des deux rôles-titres de son Orfeo ed Euridice. Son fils Giovanni downloadModeText.vue.download 286 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 280 (Naples 1790 - Saint-Pétersbourg 1864) fut également un célèbre ténor (le premier de son temps selon Stendhal). La fille de Giovanni, Giuseppina (1821-1907), chanta à Rome et à Saint-Pétersbourg. DAVIES (sir Henry Walford), organiste, compositeur et musicologue britannique (Oswestry, Shropshire 1869 Wrington 1941). Choriste de Saint George’s Chapel en 1882, élève de Parrat (1885-1890), il étudia la musique religieuse anglaise. Il fut ensuite élève du Royal College of Music et y devint professeur de contrepoint en 1895. Organiste et chef de choeur du Temple Church à Londres (1898-1923), il y développa l’exécution de la musique d’église. Les années 1902-1912 marquent une période de composition féconde (choeurs, oratorios). En 1919-1926, il enseigna à l’université de Wales, puis au Gresham College de Londres. Il fut anobli en 1922. Il consacra beaucoup d’activités à la formation de maîtres de musique et aux problèmes de l’éducation musicale populaire. En 1926 et en 1939, il effectua des séries d’émissions à la BBC. En 1934, il fut nommé Master of King’s Music. Il a exercé une grande influence sur la vie musicale de sa génération, principalement sur la musique religieuse. DAVIES (Hugh Seymour), compositeur anglais (Exmouth, Devon, 1943). Après avoir étudié à l’université d’Oxford (1961-1964), il travaille avec K. Stockhausen de 1964 à 1966 et se consacre à des recherches sur la musique électroacoustique, créant des groupes de musiciens, organisant des concerts et fabriquant ses propres instruments (tels différents types de shozyg). Dans ses compositions, il expérimente tout d’abord sur le matériel musical sous une forme traditionnelle (par exemple, Quintet pour 5 exécutants, 5 microphones, sinesquare-wave generator, 4 channel switching unit, potentiomètres,

et 6 haut-parleurs, en 1967-68), puis sur la forme en utilisant des instruments classiques (par exemple, Kangaroo pour orgue, 1968), pour finalement limiter l’objet sonore au matériel électroacoustique et à des instruments fabriqués en fonction des données de l’oeuvre. Il est, en outre, l’auteur d’une Discography of Electronic Music and Musique concrète (1964-1966) et d’un Répertoire international des musiques électroacoustiques, réalisé en 1968 pour le Groupe de recherches musicales de l’O.R.T.F., entre autres. DAVIES (Peter Maxwell), compositeur anglais (Manchester 1934). Après des études au Royal Manchester College of Music (1952-1956) et à l’université de Manchester (1952-1957), il fut l’élève, à Rome, de Goffredo Petrassi (1957), directeur de la musique à l’école primaire de Cirencester (1959-1962), où il se fit remarquer par ses méthodes pédagogiques destinées aux jeunes enfants, puis élève de Roger Sessions à Princeton (1962-1964). Il passa ensuite un an à l’université d’Adélaïde en Australie (1966). Sa première oeuvre, une Sonate pour trompette et piano, date de 1955. Suivirent notamment Cinq Pièces pour piano (1956) et Prolation pour orchestre (1959). Il a souvent eu recours, en les imprégnant ou non d’esprit sériel, aux techniques médiévales, et a fréquemment « arrangé » des oeuvres d’autres compositeurs. De ses activités pédagogiques à Cirencester témoignent par exemple Five Klee Pictures pour orchestre de jeunes (1959, rév. 1976) et O Magnum Mysterium pour voix, instruments et orgue (1960). Le Quatuor à cordes (1961), les Frammenti di Leopardi pour soprano, contralto et instruments (1962) et la Sinfonia pour orchestre de chambre (1962) tirent leur inspiration de Monteverdi. Maxwell Davies envisagea alors un opéra sur la vie du compositeur du XVIe siècle John Taverner, ce qui se traduisit tout d’abord par les deux Fantaisies pour orchestre sur un in nomine de John Taverner (1962 et 1964). Dans les années suivantes, ses oeuvres prirent un aspect parodique, au sens médiéval comme au sens moderne du terme, et un aspect théâtral : de cette double veine relèvent Revelation and Fall pour soprano et 16 instruments sur des textes de Georg Trakl (1965-66) - où l’on perçoit des échos

de Franz Lehar ; Antechrist pour ensemble de chambre (1967), d’après un motet du XIIIe siècle ; Missa super l’Homme armé pour récitant/chanteur et ensemble de chambre (1968) ; St. Thomas Wake, foxtrot pour orchestre sur une pavane de John Bull (1969) ; Eight Songs for a Mad King pour chanteur et ensemble de chambre (1969) ; ou encore Vesalii Icones pour danseur, violoncelle et ensemble de chambre (1969). En 1967, Maxwell Davies fonda avec Harrison Birtwistle l’ensemble des Pierrot Players, dissous en 1970 et immédiatement reconstitué - avec lui-même comme seul directeur - sous le nom de Fires of London (1971). En cette même année 1971, il écrivit la musique des deux films de Ken Russell The Devils et The Boy Friend. En 1970, il s’installa dans l’archipel des Orcades (en anglais Orkney), au nord-est de l’Écosse, et, dès lors, sa musique prit un tour plus ample, plus lyrique. En 1972 fut créé à Covent Garden son opéra Taverner, terminé en 1970. Il a écrit depuis, entre autres, From Stone to Thorn pour mezzo-soprano et ensemble instrumental (1971), Hymn to St. Magnus pour ensemble avec mezzo-soprano, Stone Litany pour mezzo-soprano et orchestre (1973), Symphonie no 1 pour orchestre (1976), l’opéra de chambre The Martyrdom of St. Magnus (1977), l’opéra pour enfants The Two Fiddlers (1978), le masque le Jongleur de Notre-Dame (1978), le ballet Salome (1978), Black Pentecost pour voix et orchestre (1979), Solstice of Light pour ténor, choeur et orgue (1979), l’opéra de chambre The Lighthouse (1979, créé à Édimbourg, 1980), l’opéra pour enfants Cinderella (1980), A Welcome to Orkney pour ensemble de chambre (1980), les chants de cabaret The Yellow Cake Review (1980), Symphonie no 2 (1980, création à Boston, févr. 1981), une Sonate pour piano (1981), une Symphonie no 3 (1984), plusieurs concertos (dits Strathclyde Concertos) dont un Concerto pour violon (1986), un pour hautbois (1987), un pour violoncelle (1988), un pour trompette (1988), un pour cor et trompette (1989), un pour basson (1993), une Symphonie no 4 (Londres, 1989), une Symphonie no 5 (1994). Peter Maxwell Davies a fondé en 1977 le festival de Saint-Magnus dans les Orcades, et dirige depuis 1980 la Dartington Summer School of Music. DAVIS (sir Colin), chef d’orchestre an-

glais (Weybridge, Surrey, 1927). Élève du Royal College of Music, il en sort clarinettiste virtuose et ne se spécialise qu’ensuite dans la direction d’orchestre. Il débute en Suède, à la tête d’un orchestre de chambre. Appelé en 1952 à conduire les ballets au Royal Festival Hall, il passe cinq ans plus tard à l’orchestre de la BBC écossaise, puis au Sadler’s Wells Opera qu’il dirige jusqu’en 1964. Premier chef d’orchestre et conseiller artistique (1967), puis directeur artistique (1971-1986) de l’opéra royal de Covent Garden, il est le chef anglais le plus célèbre de sa génération. Son nom doit être associé à celui de Berlioz : fervent admirateur du compositeur français, il a poursuivi des recherches sur ce dernier, en association avec le musicologue David Cairns, et a enregistré toutes ses oeuvres principales. Aussi remarquable chef symphonique que chef d’oratorio, d’opéra et de ballet, Colin Davis brille dans un vaste répertoire qui va de Mozart et Haydn à Britten et Tippett, en passant par les grands compositeurs romantiques. Il a été principal chef invité de l’Orchestre symphonique de Boston et directeur musical de l’Orchestre de la radio de Munich (1983-1992). Il a pris en 1995 la direction musicale de l’Orchestre symphonique de Londres. DAVY (Richard), compositeur anglais ( ? v. 1467 - ? v. 1516). Organiste et maître de chapelle au Magdalene College, à Oxford (1490-1492), il fut ordonné prêtre en 1497. En 1501, il fut nommé chapelain du grand-père d’Anne Boleyn, sir William Boleyn, puis de son fils (1506-1515). Il écrivit principalement downloadModeText.vue.download 287 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 281 de la musique religieuse. Compositeur le mieux représenté dans le Eton Choirbook (antiennes, motets), il signa une Passion selon saint Matthieu qui, pour être incomplète, n’en demeure pas moins le premier exemple de Passion dont le compositeur soit connu. L’oeuvre, dont le titre exact est Passion for Sunday, fut donnée pour la première fois en la cathédrale de Westminster en 1921.

DAZA (Esteban), vihuéliste et compositeur espagnol (milieu du XVIe s.). Il fut l’un des derniers représentants de l’importante école espagnole de vihuela. Il publia à Valladolid, en 1576, le dernier recueil en trois parties connu pour vihuela seule et intitulé : Libro de música de cifras para vihuela intitulado « El Parnasso ». Le premier livre réunit des fantaisies composées par Daza lui-même ; le second, des transcriptions de motets français et espagnols, et le troisième, des versions instrumentales de chansons polyphoniques également d’origines française et espagnole. Les diverses pièces ainsi réunies témoignent d’une grande qualité de facture. DEAN (Winton Basil), musicologue anglais (Birkenhead 1916). Il a étudié au King’s College à Cambridge (1934-1938), ainsi qu’avec Philip Radcliffe. Il s’est spécialisé dans Haendel et Bizet, écrivant sur le premier Handel’s Oratorios and Masques (Londres, 1959) et Handel and the Opera Seria (Londres, 1970), et, sur le second, l’ouvrage de référence Bizet (Londres, 1948, 2e éd. rév. G. Bizet. His Life and Work, Londres, 1965, 3e éd. Londres, 1976). DEBOST (Michel), flûtiste français (Paris 1934). Il entre au Conservatoire de Paris en 1952 et obtient un 1er Prix de flûte en 1954. Il est lauréat de plusieurs concours internationaux : Moscou (1957), Prague (1959), Munich (1960), Genève (1961). En 1959, il fonde avec le pianiste Christian Ivaldi un duo qui connaît un grand succès. En 1960, il entre à la Société des concerts du Conservatoire comme flûte solo et y demeure de 1967 à 1989, après la transformation de cette formation en Orchestre de Paris. De 1981 à 1989, il enseigne la flûte au Conservatoire de Paris. À partir de 1989, il mène une intense activité de professeur invité, au Canada et aux ÉtatsUnis en particulier. DEBUSSY (Claude Achille), compositeur français (Saint-Germain-en-Laye 1862 Paris 1918). Il est issu d’une famille modeste. Son père, Manuel-Achille Debussy, et sa mère, Victorine-Joséphine-Sophie Manoury,

tenaient un commerce de porcelaines, 38, rue au Pain à Saint-Germain-en-Laye. Son parrain, Achille Arosa, banquier et collectionneur d’art, habitait Cannes : là, l’enfant, au cours de quelques séjours, reçut ses premières leçons de piano d’un nommé Cerrutti ; là, il vit pour la première fois la peinture de son temps (Arosa collectionnait Corot, Jongkind et les impressionnistes). Là, enfin, il connut la mer et ses couleurs changeantes. Les parents de Debussy ne lui donnèrent point d’éducation générale sérieuse. Quant à ses dons musicaux, c’est à Mme Mauté de Fleureville, élève de Chopin, que revient le mérite de les avoir véritablement découverts et cultivés. Son enseignement du piano fut assez éclairé pour que, à la fin de 1872, Debussy soit admis au Conservatoire de Paris, dans les classes de Marmontel et de Lavignac. Il devait y passer douze années de sa vie, conflictuelles et frondeuses, mais il y acquit une formation professionnelle extrêmement solide. En 1879, Marmontel, quoique en mésentente avec le jeune Debussy, recommanda celui-ci à Mme Nadejda von Meck, la mystérieuse et passionnée protectrice russe de Tchaïkovski, qui cherchait un « pianiste-déchiffreur » pouvant également enseigner la musique à ses enfants. Les trois séjours en Russie auprès de Mme von Meck, prolongés par des voyages en Autriche et en Italie, allaient avoir pour Debussy des conséquences importantes : enrichissement culturel, rencontres de musiciens, auditions de grandes oeuvres. Entre-temps, Debussy devint l’élève de Guiraud au Conservatoire. L’enseignement de Guiraud, qui appelait le musicien à réfléchir sur son art et sa technique, convint admirablement à Debussy qui se lia de véritable amitié avec son maître. En 1883, il fut admis à concourir pour le prix de Rome, mais n’obtint qu’un deuxième prix avec la cantate le Gladiateur (perdue). C’est avec l’Enfant prodigue que, l’année suivante, Debussy remporta le grand prix. Lorsqu’on le lui annonça : « ... Que l’on me croie ou non, je puis néanmoins affirmer que toute ma joie tomba... Je vis nettement les ennuis, les tracas qu’apporte fatalement le moindre titre officiel. Au surplus, je sentis que je n’étais plus libre. » Tout Debussy est dans ces phrases.

LA PÉRIODE DE BOHÈME. Après un séjour écourté à Rome, à la villa Médicis, dont l’atmosphère conventionnelle et guindée lui sembla irrespirable, Debussy s’installa définitivement à Paris, 42, rue de Londres, en 1887. Sa liaison amoureuse avec la belle Gabrielle Dupont, dite Gaby, qui faisait vivre le ménage de ses maigres revenus, et des rencontres artistiques importantes marquèrent ces années de vie bohème. Debussy fréquentait Mallarmé aux fameux « mardis » de la rue de Rome ; en 1888, il fit un premier voyage à Bayreuth ; il y retourna en 1889 et en revint « follement wagnérien « : c’est avec d’autant plus de violence qu’il allait plus tard renier son « idole ». En 1889 aussi, il découvrit la musique d’ExtrêmeOrient à l’Exposition universelle. Cette même année, il lut la partition de Boris Godounov que Saint-Saëns avait rapportée de Russie. Mais ces découvertes musicales semblaient répondre à des résonances intérieures propres, plutôt qu’elles n’exercèrent sur lui des « influences ». Laissé inachevé, l’opéra Rodrigue et Chimène sera « terminé » par Edison Denisov et créé pour la réouverture de l’Opéra de Lyon en 1993. LES VICISSITUDES DE LA VIE PUBLIQUE. La première audition du Prélude à l’aprèsmidi d’un faune, le 22 décembre 1894, triomphale (l’oeuvre fut bissée), marqua la fin de la période « bohème », le début d’une vie publique tourmentée, polémique, qui culmina avec la création de Pelléas et Mélisande. Au cours des dix années qui séparèrent la découverte de la pièce de Maeterlinck de la première représentation tumultueuse de l’opéra, en 1902, naquirent des chefs-d’oeuvre : les Trois Chansons de Bilitis sur les poèmes de Pierre Louÿs (1897-98), les Nocturnes (1897-1899), Pour le piano (1896-1901). Années difficiles matériellement, affectivement aussi : Lily Texier, employée dans une maison de couture et meilleure amie de Gaby (qui tenta de se suicider), devint la femme de Debussy le 19 octobre 1899. Les Nocturnes triomphèrent le 9 décembre 1900, aux concerts Lamoureux. Debussy commença à être recherché, admiré, fréquenta les cafés élégants, rencontra Léon Daudet, Reynaldo Hahn, Toulet, Proust. Sa situation matérielle s’améliora

quelque peu grâce à sa collaboration à la Revue blanche. Monsieur Croche antidilettante, recueil des articles de Debussy, témoigne de son anticonformisme absolu, de sa verve, de son humour impitoyable. Cependant Pelléas était inscrit au répertoire de l’Opéra-Comique pour être représenté en 1902. C’est alors qu’éclata la célèbre brouille entre le compositeur et Maeterlinck. Celui-ci réservait le rôle de Mélisande à sa femme, la cantatrice Georgette Leblanc. Mais Debussy, ayant entendu la jeune écossaise Mary Garden, lui confia aussitôt ce rôle : « C’était en effet la même voix douce que j’avais entendue au plus profond de mon âme... » Maeterlinck retira alors son autorisation, intenta une action en justice, mais Debussy obtint gain de cause. L’oeuvre fut enfin représentée le 30 avril 1902, dans une atmosphère houleuse créée par une cabale orchestrée par Maeterlinck et ses amis. À l’entracte, « debussystes » et adversaires en vinrent downloadModeText.vue.download 288 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 282 aux mains, la police intervint. Et c’est grâce au calme froid de Messager, au pupitre de direction, que la représentation put être menée à son terme. Les critiques devaient témoigner, dans leur majorité, d’une totale incompréhension. Toutefois, la deuxième représentation fut triomphale, et Pelléas fut joué pendant trois mois à bureaux fermés. Désormais, Debussy était un compositeur célèbre. LES ANNÉES D’ÉCRITURE. En 1903, Debussy fit la connaissance d’Emma Bardac, née Moyse, femme belle, brillante, musicienne. Il la rejoignit à Pourville en 1904, abandonnant sa femme qui tenta, comme naguère Gaby, de se suicider. Le scandale éclata, la presse et le public prirent le parti de l’épouse délaissée. Rompant avec tout le monde, Debussy se réfugia à Jersey, puis à Dieppe où il termina la Mer. Après un double divorce, Debussy et Emma Moyse se marièrent en 1905. Ils s’installèrent dans un élégant hôtel particulier square du Bois-de-Boulogne où, le 30 octobre 1905, deux semaines après la création de la Mer, naquit leur fille Claude-Emma, dite Chouchou.

Désormais, Debussy mena une vie confortable et retirée, toute vouée au travail, tandis que sa renommée se répandait dans le monde entier et que Pelléas triomphait à Bruxelles, Berlin, Rome, Milan, puis New York. Entre 1902 et 1908, Debussy écrivit une part importante de son oeuvre de piano (la plus vaste de la musique française après celle de Fauré) : Estampes (1903), Masques et l’Isle joyeuse (1904), les deux recueils des Images (1905-1908), Children’s Corner (1906-1908). Des pièces maîtresses de musique vocale furent rédigées en cette même période : Trois Chansons de France (1904), la deuxième série des Fêtes galantes (1904), le Promenoir des deux amants (achevé en 1910). Enfin, les Images pour orchestre dont l’orchestration de gigues fut achevée par A. Caplet (1907-1912). Deux projets scéniques d’après Edgar Poe ne furent pas menés à terme : le Diable dans le beffroi et la Chute de la maison Usher. Les parties achevées et les esquisses de cette seconde oeuvre, récemment complétées par Juan Allende Blin, attestent une intention créatrice allant encore plus loin que Pelléas dans la rénovation de l’opéra. En 1910, Debussy fut invité par Diaghilev à collaborer avec D’Annunzio pour une oeuvre sur le thème de saint Sébastien, avec Ida Rubinstein dans le rôle principal. Le Martyre de saint Sébastien, achevé en trois mois, fut représenté au Théâtre du Châtelet en mars 1911 par les Ballets russes, avec un succès incertain. Diaghilev commanda aussi à Debussy le ballet Jeux, représenté le 15 mai 1913 dans la chorégraphie de Nijinski, deux semaines avant la création mouvementée du Sacre du printemps. Ce n’est cependant ni cet événement ni le sujet « scandaleux » (un jeu discrètement érotique à trois) qui voua cette oeuvre magistrale à l’indifférence et à l’oubli qu’elle devait connaître jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. La guerre de 1914 éveilla en Debussy des sentiments nationalistes violents. On peut y trouver une raison à l’hostilité qu’il témoigna à Schönberg, qu’il qualifia de « dangereux ». À cette époque, le compositeur commença à signer ses oeuvres « Claude Debussy, musicien français », notamment les 3 Sonates, pour violoncelle et piano, flûte, alto et harpe, violon et

piano (1915-1917). De 1915 datent, enfin, les derniers chefs-d’oeuvre, les Douze Études pour piano et la suite En blanc et noir composée pour deux pianos. En 1917, Debussy, déjà gravement malade, parut en public pour la dernière fois, pour jouer avec Gaston Poulet sa Troisième Sonate. MODERNITÉ ET AUDACES. Nous commençons aujourd’hui seulement à comprendre la modernité de l’oeuvre de Debussy, à en mesurer la portée. Il a repensé les rapports des éléments constitutifs du phénomène musical, instauré entre eux des hiérarchies mouvantes, créé des formes inédites pour chaque nouvelle oeuvre. Son langage dénonce la vétusté des méthodes d’approche analytique traditionnelles encore en cours. Irréductible à ces méthodes, comme aux catégories normatives des genres ou schèmes formels préfabriqués, ce langage est tout aussi irréductible aux catégories de l’histoire qui procèdent du principe de filiation. Debussy apparaît, en effet, sans antécédents comme sans successeurs immédiats (« Les debussystes me tuent »). Son prédécesseur n’est pas Franck, mais Monteverdi ; ses héritiers sont non ses pâles épigones, mais Varèse, Messiaen, Boulez : il anticipe d’un demi-siècle sur son temps. Sa trajectoire est d’une remarquable unité : d’emblée Debussy est lui-même, pleinement, dans le Faune. Ses dernières oeuvres, longtemps mal comprises en raison de leur audace, sont des oeuvres visionnaires, jusqu’au seuil de la mort : les Études, En blanc et noir. Et sa trajectoire est solitaire, ne connaît de contemporains dignes de ce nom qu’en littérature (Mallarmé), en peinture (le Monet des Nymphéas). On a beaucoup commenté les influences subies par Debussy, pour en exagérer l’importance. On ne sait si Debussy avait entendu la musique de Moussorgski lors de ses séjours en Russie, et il a peu parlé des résonances que la partition de Boris, lue à Paris, avait suscitées en lui. Sans doute avait-il trouvé dans cet « art de curieux sauvage », sur le plan harmonique, un principe d’indépendance, les prémices d’une notion d’accord « en soi », à fonction fugitive, instantanée, dont il allait faire l’un des traits essentiels de son langage. Sur le plan mélodique, en re-

vanche, si le langage vocal des deux musiciens procède du « récitatif mélodique », ils divergent quant à leurs conceptions de celui-ci. Le récitatif de Moussorgski, qui s’attache avec rigueur à la prosodie slave, est beaucoup plus proche du chant que n’est celui de Pelléas. Quoi qu’il en soit, il s’agit, certainement, sinon d’influence, du moins d’un rôle de « révélateur » que le musicien russe aura joué sur les goûts du jeune musicien en pleine croissance. Avec Wagner, en revanche, le problème est plus ambigu. L’intérêt - plus tardif de Debussy pour la musique wagnérienne porte sur les plans harmonique, thématique, théâtral. Dans le premier domaine, on constate un phénomène d’attirance et de rejet simultanés, spécialement dans les Cinq Poèmes de Baudelaire, où plane l’ombre de Tristan. Dans le domaine thématique, la rencontre avec Wagner n’est pas sans avoir laissé de traces, et l’agressivité même des propos debussystes sur le principe des leitmotive en témoigne. Toutefois, « il s’agit [dans Pelléas] plutôt d’arabesques liées aux personnages euxmêmes, sans variations autres que décoratives, [... et qui] n’irriguent pas totalement l’oeuvre » (Boulez). Le mot clé est de Debussy lui-même : « Il fallait désormais chercher après Wagner et non d’après Wagner. » Voilà qui caractérise également la situation divergente des deux musiciens dans l’histoire : l’un s’y trouve profondément inscrit, dans une lignée qui, venant de Beethoven et des romantiques, va vers Schönberg, chercheur « d’après Wagner ». L’autre est solitaire. La rencontre de Debussy avec Satie apparaît comme beaucoup plus innocente, anecdotique presque. Quoi qu’en ait affirmé le musicien d’Arcueil, ses conséquences apparaissent aujourd’hui comme infimes, au regard de la cosmogonie musicale debussyste. La rencontre avec les musiques d’Extrême-Orient, en revanche, a été plus marquante, dans la mesure où ces musiques, entendues en 1889, ont confirmé Debussy dans ses conceptions du rythme et du timbre (richesse foisonnante de l’un, primauté structurelle de l’autre), patentes déjà dans le Faune. LE TEMPS MUSICAL CHEZ DEBUSSY. Sur le plan harmonique, Debussy est d’emblée un novateur. S’il n’a pas, comme Schönberg, envisagé consciemment une suspension de la tonalité, tout se passe

comme s’il laissait les fonctions tonales perdre leur pouvoir d’elles-mêmes, au bénéfice d’une fonction proprement sonore des agrégats. Les accords : « D’où viennent-ils ? Où vont-ils ? Faut-il absolument le savoir ? Écoutez, cela suffit. » Si downloadModeText.vue.download 289 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 283 une fonction tonale existe encore, jusque dans les dernières oeuvres de Debussy, c’est comme une survivance, comme référence à un lieu de plus en plus incertain, « de sorte qu’en noyant le ton, on peut toujours, sans tortuosités, aboutir où l’on veut, sortir et entrer par telle porte qu’on préfère », dit-il à Guiraud, étant encore au Conservatoire. Les harmonies « élargies » cessent, au-delà de certaines limites, d’intensifier des qualités spécifiquement tonales, pour ne plus représenter que des « blocs sonores ». La fonction de ces blocs se déplace alors vers le domaine du timbre, et c’est sous cette catégorie-là qu’on les perçoit, qu’on peut en rendre compte utilement. Comme les hauteurs, les intensités des sons contenus dans un bloc sont déterminantes de sa qualité globale. C’est la raison pour laquelle Debussy indique avec tant de précision chaque intensité et chaque nuance : il se soucie, autant que de leur rôle expressif, de leur fonction dans la constitution du timbre. Quant au timbre, il s’agit là d’une des dimensions les plus importantes du langage musical debussyste. Qu’elle soit fonction de la distribution des intensités et des rythmes au sein du phénomène sonore ou résultante d’alliages instrumentaux subtils et inédits, la couleur, infiniment riche et surtout mouvante, n’est pas un « revêtement », une qualité accessoire de la structure musicale, mais une dimension architectonique de plein droit, susceptible de prendre en charge de façon privilégiée le développement. L’inventaire et la structure des durées chez Debussy sont d’une richesse incomparable au regard de toute la musique européenne jusqu’alors. La fonction métrique de la barre de mesure tend ici à se dissoudre ; les durées, libérées de la « carrure » métrique, se développent, foisonnent librement. L’« étalon » rythmique n’est pas ici préfabriqué mais inventé, librement et diversement, il se confond avec la structure elle-même, pure

de toute contrainte de symétrie : conception qui se découvre très tôt chez Debussy et culmine dans Jeux et les Études. Cette souplesse rythmique à laquelle contribuent aussi les valeurs dites irrationnelles (triolets, quintolets, etc.), ainsi que l’infinie mobilité du tempo sont des caractéristiques essentielles du temps musical chez Debussy. Les recherches rythmiques d’aujourd’hui s’en inspirent directement. L’ÉLABORATION D’UN LANGAGE PROPRE. On peut considérer le premier cycle des Fêtes galantes (1881-82), sur des poèmes de Verlaine, comme inaugurant l’oeuvre personnelle de Debussy. De ces mélodies, Mandoline est la plus connue. On y trouve sur le plan harmonique les germes du langage debussyste (parallélismes d’accords, étagement d’intervalles). La Damoiselle élue d’après D. G. Rossetti (1887-88) est, de la période romaine de Debussy, la meilleure oeuvre. Y apparaissent certains procédés de récitatif, ou plutôt de déclamation chantée, qui préfigurent Pelléas, ainsi que la fine ciselure des lignes vocales, les harmonies en fondu enchaîné, les couleurs orchestrales en tons pastel. Si dans les Ariettes oubliées (1887-88), d’après Verlaine, la marque personnelle de Debussy s’affirme de plus en plus, dans les Cinq Poèmes de Baudelaire, la hantise de Wagner est contradictoirement présente. C’est dans cette lutte livrée à Wagner, dont le Jet d’eau constitue le point culminant, que l’oeuvre puise sa tension. Avec le Quatuor à cordes (1893), Debussy parvient à se libérer de cette emprise ; ce seraient plutôt des réminiscences franckistes que l’on pourrait y trouver. Plus significatif et plus personnel est, ici, le ton de Debussy, volubile et changeant, qui revivifie le plan formel du quatuor. Un thème principal parcourt et unifie les quatre mouvements classiques. Le premier chef-d’oeuvre incontesté de Debussy est le Prélude à l’après-midi d’un faune (1892-1894). Comme Mallarmé, son inspirateur, Debussy se révèle là poète moderne de la musique, inventeur de sa rythmique, de sa syntaxe, de sa rhétorique, de sa forme propres. Les incessantes fluctuations de l’harmonie (considérée sous l’aspect horizontal ou vertical), la richesse rythmique, la souplesse et la liberté du phrasé instaurent d’emblée une nouvelle « façon de parler » en musique. L’écri-

ture instrumentale est d’un raffinement et d’une légèreté incomparables. Quant à la forme, si l’on peut y distinguer à l’analyse un plan traditionnel (exposition-développement-reprise-coda) très libre, à l’audition, en revanche, on ne perçoit qu’une continuité en constante transformation où les retours apparaissent comme des évocations, des souvenirs modifiés, non comme des reprises. « L’idée engendre la forme », écrit Paul Dukas au lendemain de la création, résumant ainsi, en une phrase, une des caractéristiques fondamentales de l’oeuvre debussyste. Les Chansons de Bilitis (1897-98), sur des textes de Pierre Louýs, comprennent 3 mélodies : la Flûte de Pan, la Chevelure, le Tombeau des naïades. Dans leur ligne vocale se précise ce jeu infiniment habile entre récitatif et chant pur, qui fait la respiration de Pelléas, oscillant entre la domination de la prosodie et le chant pur. Debussy va écrire également une musique de scène autour de ces poèmes, qu’il transcrit en 1913 pour piano à 4 mains sous le titre Six Épigraphes antiques (Ernest Ansermet va transcrire cette partition pour grand orchestre). Les trois Nocturnes (18971899), inspirés par la peinture de Whistler, comprennent Nuages, Fêtes et Sirènes. Au grand orchestre, cette dernière pièce ajoute un choeur de femmes, chantant uniquement sur la voyelle « a ». Forme, harmonie, couleurs constituent une totalité admirablement homogène et profondément originale, et cela, dans la mesure même où Nuages fait entendre, pour les interpréter sur un mode purement debussyste, des souvenirs de Moussorgski. Les titres se réfèrent-ils à un programme ? Certainement pas ; il s’agit néanmoins, ici, d’un rapprochement singulier entre musique et peinture, sur lequel Debussy lui-même nous éclaire dans un texte important (écrit vraisemblablement pour la présentation du concert) : « Le titre Nocturnes veut prendre ici un sens plus général et surtout plus décoratif. Il ne s’agit donc pas de la forme habituelle du nocturne mais de tout ce que ce mot contient d’impressions et de lumières spéciales. Nuages : c’est l’aspect immuable du ciel avec la marche lente et mélancolique des nuages finissant dans une agonie de gris, doucement teintée de blanc. Fêtes : c’est le mouvement, le rythme dansant de l’atmosphère, avec des éclats de lumières brusques, [... ] de poussières lumineuses

participant à un rythme total... » Impressions, poussières lumineuses, rythme total : autant de mots clés de la création moderne, plastique et musicale, d’une époque. « PELLÉAS ET MÉLISANDE « : NI MODÈLES, NI POSTÉRITÉ VÉRITABLE. Pelléas et Mélisande, de même que toute l’oeuvre de Debussy est solitaire dans l’histoire musicale, est une oeuvre isolée dans l’histoire de l’opéra moderne. Elle procède du récitatif mélodique. Plus proche du récitatif ancien (Renaissance, baroque) que du chant, le récitatif debussyste s’appuie sur la parole, souveraine conductrice. « Au théâtre de musique on chante trop », explique Debussy à son maître Guiraud, dès 1889. « Il faudrait chanter quand cela en vaut la peine, et réserver les accents pathétiques. Il doit y avoir des différences dans l’énergie de l’expression. Il est nécessaire par endroits de peindre en camaïeu et de se contenter d’une grisaille... Rien ne doit ralentir la marche du drame : tout développement musical que les mots n’appellent pas est une faute... » Toute l’esthétique de Pelléas est ici définie. Debussy ne modifie pas le texte de Maeterlinck. Les coupures qu’il y pratique n’entraînent pas la révision d’un déroulement dramatique, somme toute, traditionnel. Il y a « mise en musique » dans le plein sens du terme d’une pièce théâtrale choisie dans ce but et bien choisie : elle répond à l’esthétique et à la thématique de Debussy jusque dans les symboles qu’elle lui offre et qui lui sont chers, celui de l’eau, omniprésente, celui de la chevelure, etc. Le drame se déroule en 5 actes. L’argument en est relativement simple. Dans un pays hors du temps et de l’espace, Golaud, downloadModeText.vue.download 290 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 284 petit-fils du roi Arkel, a trouvé Mélisande perdue dans une forêt : « Je ne sais ni son âge, ni qui elle est, ni d’où elle vient. » Il l’épousera : mais son jeune frère Pelléas aimera Mélisande et son amour sera partagé. Golaud, dans une scène de jalousie, tuera Pelléas et torturera Mélisande pour tenter de lui arracher la « vérité ». Mais Mélisande mourra en emportant avec elle

le secret de son amour. La caractérisation musicale s’exerce dans Pelléas à deux niveaux : celui de la scène ou tableau, celui du personnage. Celui-ci est caractérisé par un type thématique à la fois proche et différent des leitmotive wagnériens : ce thème est de nature infiniment labile, « volatile » - prêt à s’intégrer et à se « dissoudre » dans la trame mouvante, fugace, ailée. Au niveau de la scène ou tableau, en revanche, la caractérisation musicale apparaît beaucoup plus marquée, solide et volontaire : elle constitue un des facteurs essentiels de la force dramatique de l’oeuvre. Chaque scène possède son caractère propre, grâce à une « qualité musicale intrinsèque », à sa couleur orchestrale, à l’harmonie, au tempo. On s’est arrêté pendant longtemps au symbolisme, quelque peu exsangue, du « contenu » théâtral, et au principe du récitatif qui régit l’oeuvre sur le plan musical. Aujourd’hui qu’elle est mieux comprise et interprétée sur les deux plans, nous identifions dans la musique la source véritable et exclusive de sa force théâtrale : « C’est dans la mesure où la structure musicale aussi bien vocale qu’instrumentale - y assume la pleine responsabilité scénique qu’aujourd’hui nous trouvons en Pelléas un chef-d’oeuvre irremplaçable » (Boulez). D’AUTRES CHEFS-D’OEUVRE. La Mer, commencé en 1903, terminé en 1905, est un des chefs-d’oeuvre de Debussy. Ce poème symphonique comprend 3 parties : De l’aube à midi sur la mer, Jeux de vagues, Dialogue du vent et de la mer, titres qui se réfèrent une fois de plus à la vision, tout en échappant à une intention descriptive : on peut dire que c’est le titre qui illustre la musique, non le contraire. Le premier morceau énonce une progression, une augmentation progressive de l’éclairage musical à laquelle concourent tous les éléments du langage - timbres, rythmes, intensités, enchaînements harmoniques - dans des rapports changeants, de plus en plus tendus. La deuxième pièce, Jeux de vagues, abolit tout repère formel. Le titre est précis : il désigne un champ temporel ouvert, non orienté, pur de toute tension. Le timbre y apparaît comme dimension primordiale : ce sont les couleurs orches-

trales sans cesse changeantes, mouvantes, qui prennent en charge la structuration et l’évolution du temps musical ; il s’agit d’une des pièces les plus audacieuses du compositeur. La troisième partie est dominée par un thème ; nous sommes loin, cependant, d’un développement classique. Car le thème n’est pas ici pris comme matériau, mais plutôt comme une référence statique par rapport à laquelle s’ordonne un univers d’oppositions constantes. La Mer est peut-être l’oeuvre la plus visionnaire de Debussy. À certains égards, et quoi qu’on en ait dit, elle va plus loin que Jeux. C’est dans la Mer que Debussy porte à son accomplissement cette poétique de l’instant en fuite qui est la marque singulière de son génie. Images, oeuvre pour orchestre (composée entre 1906 et 1912), est consacrée dans l’esprit de Debussy à l’Écosse avec Gigues, avec Rondes de printemps à la France et avec les 3 pièces d’Iberia à l’Espagne. Sauf dans Iberia, les éléments folkloriques y sont à peu près insaisissables (la chanson Nous n’irons plus au bois, dans les rondes, passe sous divers déguisements). Comme dans Jeux de vagues, la couleur orchestrale est ici souveraine formatrice, notamment dans la seconde pièce d’Iberia, les Parfums de la nuit, chef-d’oeuvre dans le chefd’oeuvre. Le développement par imbrication des structures de couleurs conduit, paradoxalement, à une impression de quasi-immobilité du temps musical - c’est là une des caractéristiques les plus secrètes de la musique de Debussy - et c’est comme à regret que le compositeur semble s’arracher à cette pénombre pour se laisser entraîner par la fougue rythmique du troisième morceau, tout de contrastes. Le second recueil des Fêtes galantes date de 1904 et comprend, sur des poèmes de Verlaine, les Ingénus, le Faune, Colloque sentimental. Danse sacrée et danse profane pour harpe et orchestre à cordes date aussi de 1904. La Rhapsodie pour saxophone et orchestre (1901-1911), commandée à Debussy par une Américaine qui pratiquait cet instrument, est restée inachevée (Debussy travaillait mal sur commande) nous la connaissons dans la version établie et orchestrée par R. Ducasse à partir des esquisses de Debusssy. Les Trois Chansons de France sont de la même époque et ont le même caractère « antiquisant » que les danses. Plus tardif (1904-1910) est le cycle

pour voix le Promenoir des deux amants, chef-d’oeuvre un peu précieux et rarement joué, sur des textes de Tristan L’Hermite. On peut le considérer comme un postlude à Pelléas. Tout en déployant la lecture du texte avec son sens prodigieux de la prosodie française, Debussy le transforme en chant pur d’une rare beauté. L’UNIVERS PIANISTIQUE. L’oeuvre de piano de Debussy, dont la majeure partie naît à partir de 1903, est d’une conception profondément novatrice. Nous passons sur les oeuvres de jeunesse d’où émergent cependant les 2 Arabesques (1888-1891), la Suite bergamasque (1890-1905) avec le célèbre Clair de lune, Pour le piano (Prélude, Sarabande, Toccata, 1896-1901). Dans Estampes (1903) [Pagodes, Soirée dans Grenade, Jardins sous la pluie], le clavier devient docile aux moindres inflexions de l’imagination. Cependant, Debussy n’accède pas encore complètement à cette écriture pianistique qui, par-delà le propos pittoresque ou évocateur, le fera entrer dans un univers sonore nouveau qu’inaugure l’Isle joyeuse (1904) : jeux sur les septième et onzième harmoniques, irisations, halos lumineux de matière pulvérisée. La première série des Images pour piano (1905), qui comprend Reflets dans l’eau, Hommage à Rameau et Mouvements, procède plus étroitement de cette conception de l’écriture avec des sons plutôt qu’avec des notes. Les timbres sont ici la matière première, et les développements thématiques, quelle que soit leur importance, ne peuvent en être dissociés. La « liquidité » des Reflets dans l’eau est obtenue par l’atomisation rythmique extrêmement fine des harmonies et des résonances dans le temps. Dans le deuxième livre des Images (1908) - Cloches à travers les feuilles, Et la lune descend sur le temple qui fuit, Poissons d’or -, l’écriture proprement sonore est encore plus virtuose et plus radicale. C’est le timbre qui articule, par ses transformations, des formes entières ; les harmonies complexes, les intensités, le rythme en sont les agents, dans le premier morceau notamment, où ils sont constitués en couches superposées, autant de « formants » individualisés et concomitants. Quant aux étagements d’intensités différenciées dans les agrégats verticaux, l’accord final du deuxième morceau en fournit un exemple caractéristique et laisse prévoir l’écriture

d’un Stockhausen. Le troisième morceau, Poissons d’or, constitue une synthèse admirable de toutes ces innovations. Children’s Corner (1906-1908) comporte 6 pièces. Avec ce cycle, Debussy revient aux pièces de caractère. Détente plutôt que recherche, évocations pittoresques plutôt qu’aventure aux limites de l’abstraction picturale ; geste affectueux enfin : l’oeuvre est dédiée à Chouchou. Si l’écriture pianistique n’est pas aussi poussée que dans les oeuvres précédentes, elle n’est pas moins efficace, avec moins de moyens. Entre le style des Images où s’épure une recherche sonore audacieuse et celui de Children’s Corner, les Préludes (premier livre 1909-10, second livre 19101912) tiennent un juste milieu. L’évocation, la pièce de caractère se donnent des moyens pianistiques extrêmement riches. Les titres sont donnés à la fin des morceaux et semblent dévoiler le propos évocateur ; on peut dire une fois de plus que c’est la musique qui crée le titre, non downloadModeText.vue.download 291 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 285 le contraire. La thématique de chaque prélude est très inégalement anecdotique : c’est dans ce jeu entre peinture figurative et non figurative que réside l’originalité de la conception et la variété de la réalisation. Dans le premier livre, des préludes comme Voiles, le Vent dans la plaine ou Ce qu’a vu le vent d’ouest sont de véritables essais sur la couleur, l’élément figuratif y apparaissant comme générique, tandis que la Sérénade interrompue, la Danse de Puck ou Minstrels accentuent le caractère anecdotique, l’élément thématique y étant appuyé. Le second livre tend davantage vers l’abstraction, avec notamment Brouillards, la Terrasse des audiences au clair de lune ou Ondine. Feux d’artifice est d’une audace harmonique extraordinaire et préfigure - de très loin mais très clairement - le style pianistique tardif de Boulez. Enfin, les Tierces alternées, pure spéculation sur l’intervalle de tierce, annonce le style des Études. LE RETOUR À LA MUSIQUE VOCALE. La Rhapsodie pour clarinette et orchestre (1909-10), écrite pour les concours du

Conservatoire de Paris, est une pièce de circonstance d’une grande élégance d’écriture et d’un charme un peu facile. Le ballet Khamma (1912-13) est le résultat - inachevé - d’une commande de la danseuse anglaise Maud Allen, oeuvre traitée un peu à la légère aussi bien par la commanditaire que par le commandité. L’orchestration a été achevée par Ch. Koechlin mais l’oeuvre n’a été jouée pour la première fois qu’en 1947. Après ces oeuvres relativement mineures, Debussy revient à la musique vocale avec le Martyre de saint Sébastien (1911), à mi-chemin entre l’oratorio et la musique de scène, commandé par les Ballets russes, sur un texte de D’Annunzio. L’oeuvre, qui dure environ quatre heures dans sa version scénique intégrale et qui comporte environ une heure de musique, a été composée en trois mois. Comme l’écrit Debussy, « le culte d’Adonis [y] rejoint celui de Jésus « ; voilà pourquoi l’oeuvre fut mise à l’index par l’archevêque de Paris. Dansé, parlé, chanté, ce « mystère » souffre d’une conception et d’une forme hybrides. Debussy, qui aspirait à le refondre, ne s’en préoccupa plus. Dans cette oeuvre, le compositeur semble revenir en arrière, se parodier lui-même sur le mode antiquisant : c’est le style de la Damoiselle élue avec la spontanéité en moins. Un spectaculaire malentendu avec soi-même peut advenir à tout grand artiste, sans pour autant diminuer sa stature - en l’occurrence, celle d’un géant. Les Trois Poèmes de Mallarmé et bientôt Jeux récusent avec éclat la théorie, fondée sur l’incompréhension de sa modernité, d’un Debussy en déclin. Soupir, Placet futile, Éventail, sur des poèmes de Mallarmé, sont peut-être les plus belles mélodies de Debussy et celles où il s’aventure au plus loin par rapport à la tonalité. Rappelons que Ravel met en musique, la même année, deux de ces mêmes poèmes, pour soprano et un ensemble instrumental presque identique à celui qu’utilise Schönberg dans Pierrot lunaire (1912). C’est encore pour un ensemble analogue que Stravinski écrit, également en 191213, ses Trois Poésies de la lyrique japonaise. Il est impossible de ne pas rapprocher ces quatre oeuvres, si différentes certes, mais toutes écrites au moment où Schönberg prend conscience de la suspension de la tonalité. L’oeuvre de Debussy ne subit pas une influence schönberguienne directe ; elle rend néanmoins compte, avec autant de force que les autres, et dans un langage

qui lui est propre, de la crise de la tonalité en cette époque historique. UN BALLET POUR ORCHESTRE. Jeux (1912-13) est contemporain du Sacre du printemps et sa première représentation précède celle de l’oeuvre de Stravinski de deux semaines. Mais si le Sacre affirmait alors sa modernité sur le mode violent et scandaleux, Jeux, beaucoup moins agressif, mais plus insidieux et tout aussi moderne, ne put forcer le mur d’indifférence qui l’entoura dès sa création. Il est, en tout cas, édifiant de constater que les trois oeuvres majeures européennes nées à la veille de la Première Guerre mondiale Pierrot lunaire, Jeux et le Sacre - ont resurgi dans la seconde moitié du siècle, dans le même ordre chronologique, pour inspirer les recherches musicales de notre époque. Pierrot d’abord, qui présida à l’atonalisme, le Sacre ensuite, qui stimula les recherches rythmiques demeurées en sommeil aux temps du dodécaphonisme, Jeux enfin, qui réémergea, admirable exemple, au moment où la musique se penchait sur sa rhétorique et ses formes : «Jeux marque l’avènement d’une forme musicale qui, se renouvelant instantanément, implique un mode d’audition non moins instantané » (Boulez). Les témoignages fervents des compositeurs de cette génération doivent cependant être complétés aujourd’hui, un recul supplémentaire étant pris à l’égard d’une oeuvre devenue familière. Les caractéristiques modernes que l’on a remarquées dans Jeux - la discontinuité des séquences cloisonnées, l’asymétrie totale de la forme, la dialectique complexe des timbres, les éléments prémonitoires d’une Klangfarbenmelodie (« mélodie de timbres ») - se découvrent déjà dans une oeuvre exemplaire comme Jeux de vagues, deuxième partie de la Mer, structurant un discours tout aussi mobile et peutêtre plus subversif encore, au regard de la rhétorique musicale classique. Paradoxalement, ces éléments semblent là plus difficiles à saisir ou à décrire, car Jeux de vagues ne renvoie à aucune référence, à aucune obligation formelle que celle de la perpétuelle mouvance. Jeux, en revanche, est un ballet, conçu et composé comme tel. Outre son inventaire thématique, qui renvoie (bien que légèrement et de façon toujours nouvelle) aux phases de l’argument, ses structures se réfèrent implicitement et explicitement à celles de la danse. Les sé-

quences cloisonnées, si elles émerveillent par la discontinuité, l’asymétrie formelle qu’elles scandent, renvoient dans le même temps - et ce, dans l’audition, non dans l’analyse - aux numéros chorégraphiques qu’elles se proposent d’engendrer et de servir, laissant apparaître ici où là une rythmique fonctionnelle de la danse, relativement simplifiée. Ces considérations ne sauraient diminuer la signification et l’importance de Jeux, mais aident à replacer l’oeuvre dans la trajectoire debussyste et dans l’évolution de notre entendement. LES ÉTUDES : UNE OEUVRE VISIONNAIRE. Les deux livres d’Études pour le piano (juin-sept. 1915) constituent un des sommets de la littérature pianistique. Ils sont dédiés à Chopin - au souvenir de ses 24 Études. Ce genre pédagogique, réputé austère, a fourni aux deux compositeurs le point de départ d’oeuvres visionnaires. Le premier livre de 6 études traite des problèmes pianistiques définis par leurs titres (Pour les cinq doigts, Pour les tierces, Pour les quartes, Pour les sixtes, Pour les octaves, Pour les huit doigts). Le second livre, avec ses titres (Pour les degrés chromatiques, Pour les agréments, Pour les notes répétées, Pour les sonorités opposées, Pour les arpèges composés, Pour les accords), se réfère plus explicitement aux problèmes de sonorités et d’interprétation : rarement études ont été consacrées à ce type de problèmes étrangers à la pure virtuosité. Dans les 12 Études, le propos technique est situé à un très haut niveau et demande une maîtrise absolue du clavier. Mais par-delà le fait pédagogique si original et exigeant s’imposent la modernité et la beauté de chaque pièce. Au niveau du microcosme comme du macrocosme, de la cellule, de la structure et de la forme, les Études inventent tout ; elles ignorent toute référence et refusent de se constituer en référence : que Debussy ne crée pas de doctrine ou d’école, c’est dans les Études que cela apparaît à l’évidence. Les formes sont étrangères à tout schéma préétabli (quelques rares dispositions tripartites font exception à ce principe). L’écriture pianistique, par-delà le contrat technique de chaque étude, incarne les spéculations musicales les plus abstraites. Les Cinq Doigts, les Tierces, les Octaves constituent des thèmes abstraits généralisés à la forme entière, qui libèrent le musicien de toute contrainte thématique au niveau de la figure ; celle-ci peut, dès lors, se plier à

toutes les inflexions de l’imagination, à tous les jeux de l’esprit - inversions, midownloadModeText.vue.download 292 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 286 roirs, variations asymétriques, etc. Pour les cinq doigts montre l’attitude désinvolte de Debussy à l’égard de la tonalité, tour à tour affirmée et détruite. Pour les quartes offre des exemples remarquables de structures cloisonnées. Pour les huit doigts est une étude de couleurs - à la limite, on peut l’entendre comme un seul son aux variations de timbre innombrables. Pour les agréments aborde l’exécution des blocs sonores, verticaux ou horizontaux, et la répartition interne des intensités. Enfin, avec Pour les sonorités opposées, Debussy se livre à une polyphonie de timbres, où registres, intensités, attaques se trouvent distribués de façon très nouvelle dans l’espace musical. On peut y voir sinon un embryon de sérialisation de paramètres, du moins une première tentative de leur distribution autonome et rationnelle dans un tissu polyphonique. On peut penser que Messiaen s’en est inspiré pour Modes de valeurs et d’intensités. LES DERNIÈRES GRANDES COMPOSITIONS. En blanc et noir (été 1915) est contemporain des Études. La technique des séquences cloisonnées, caractéristique du dernier Debussy, y prédomine. Dans le premier mouvement, Avec emportement, on remarque tout particulièrement l’alternance de structures d’attaques incisives et de groupes de valeurs très rapides. Le dernier morceau est traité dans le même esprit, mais la trame générale y est plus continue, plus fluctuante. Le deuxième morceau, le plus remarquable des trois, déploie une palette de couleurs en demiteintes dans une harmonie presque atonale. Les couleurs sombres prédominent, sur lesquelles se détachent de courts traits aux sonorités d’acier. « Ces morceaux veulent tirer leur couleur, leur émotion du simple piano, tels les gris de Vélasquez », écrit Debussy. Une fois de plus, le compositeur définit une hiérarchie paramétrique moderne, avec le timbre au sommet, et ce, sur un instrument réputé monocolore, privé des

richesses sonores de l’orchestre. De lointaines fanfares rappellent que ce deuxième morceau est dédié à J. Charlot, tué au front le 3 mars 1915. Les 3 Sonates (1915-1917) sont les dernières grandes oeuvres de Debussy. Le projet initial du compositeur, mû par des sentiments patriotiques, était d’écrire 6 sonates pour divers instruments, à la manière des concerts de Rameau, et qu’il signerait « Claude Debussy, musicien français ». Cette référence au XVIIIe siècle n’est pas arbitraire : elle se traduit, dans la composition elle-même, par un retour aux formes traditionnelles, jusqu’alors menacées, corrodées par Debussy. Des 3 Sonates composées, la première, pour violoncelle et piano, en ré mineur, est la moins souvent jouée, la plus libre et la plus fantasque, surtout dans le deuxième mouvement où se poursuit le discours cloisonné, fragmenté, en apparitions et disparitions brusques, du dernier Debussy. Le musicien voulait intituler cette oeuvre Pierrot fâché avec la lune : faut-il y voir une pointe ironique à l’adresse de Schönberg, considéré comme « ennemi » à plus d’un titre ? La deuxième Sonate, pour flûte, alto et harpe, en fa majeur (1915), utilise un ensemble inusité, « variation » des formations classiques, et qui, surtout, offre des ressources sonores très raffinées. C’est, des trois, la plus accomplie dans la forme, la plus subtile dans l’expression des contraires, la plus élaborée quant aux couleurs. La troisième Sonate, pour violon et piano, en sol mineur (1916-17), est la plus populaire, la plus limpide aussi, quoiqu’elle ait coûté le plus d’efforts au compositeur déjà miné par la maladie. Dans une lettre au violoniste Hartmann, Debussy parle de l’idée « cellulaire » qu’il vient de trouver pour le troisième mouvement. « Malheureusement les deux premières parties ne veulent rien savoir. » Ces mots traduisent-ils une lutte, au sein même de la forme, entre le classicisme de la conception et une idée beaucoup plus audacieuse qui vient y faire irruption ? Quoi qu’il en soit, c’est dans un esprit classique et dans une volonté d’unité (le thème du premier mouvement revient pour ouvrir le finale) que l’oeuvre sera achevée en 1917. C’est la dernière oeuvre du compositeur, écrite dans la plus grande misère physique, mais avec la légèreté de main et l’« invisibilité de la construction » (Strobel) propres à cet architecte du rêve

et de la poésie visionnaire qu’est Debussy. DECAUX (Abel Marie), organiste et compositeur français (Auffay, Seine-Maritime, 1869 - Paris 1943). Il fit ses études à Rouen et commença à apprendre la musique et l’orgue à la maîtrise de la cathédrale. Puis il vint à Paris travailler l’orgue avec Charles-Marie Widor et la composition avec Massenet. Tout en occupant, à partir de 1903 et pour un quart de siècle, le poste d’organiste au Sacré-Coeur de Montmartre, il enseignait l’orgue à la Schola cantorum. De 1926 à 1937, il partit pour les États-Unis et enseigna l’orgue à l’Eastman School of Music, à Rochester. Il composa peu, sinon quelques pièces pour orgue, mais s’attacha d’une façon toute particulière à l’étude des modes, manifestant une curieuse prescience de langage schönberguien en écrivant ses Clairs de lune pour piano (19001907). On l’avait d’ailleurs surnommé le « Schönberg français ». DÉCHANT (en lat. discantus). Dans la polyphonie à 2 voix des débuts de l’Ars antiqua (XIIe-XIIIe s.), conçue à l’origine comme addition a posteriori d’une voix ornementale au-dessus d’un chant principal monodique préexistant, celuici était dit cantus et la voix ornementale discantus - en français « déchant « : d’où les dérivés « déchanter » (discantare), « déchanteur » (discantor), etc. Le déchant étant en général placé au-dessus du chant, le terme a peu à peu glissé vers le sens de voix supérieure et même vers celui de tessiture haute, qu’on retrouve dans la nomenclature anglaise ou allemande des violes, flûtes à bec et autres instruments de musique (discant, diskant ; ! TREBLE). DÉCHIFFRAGE. Terme usuel employé aujourd’hui pour la « lecture à vue » de la musique, c’està-dire pour l’interprétation immédiate, d’après l’écriture, d’un morceau inconnu auparavant. L’expression s’explique par l’usage de la basse chiffrée qui, du XVIIe siècle au milieu du XVIIIe siècle, régissait l’écriture d’accompagnement dans la musique d’ensemble, et en vertu duquel la première tâche d’un « lecteur » était de « réaliser »,

c’est-à-dire de traduire en notes le chiffrage qui lui était soumis par le compositeur. Le terme a survécu à la désuétude de la basse chiffrée. DÉCIBEL (dB). Unité de mesure de l’intensité des sources sonores. Un bel égale 10 décibels. Ce système pratique a été adopté pour la musique aussi bien qu’ailleurs, lorsqu’il s’agit de mesurer le niveau des bruits. On peut constater, par exemple, que deux trompettes jouées ensemble ne sonnent pas deux fois plus fort ; leur intensité peut être déterminée grâce à un système de mesures dû à G. T. Fechner, fondé sur le logarithme. DÉCLAMATION. Art de déclamer, c’est-à-dire de réciter à haute voix avec le ton et les gestes convenables. Au théâtre, les comédiens récitèrent longtemps leurs rôles avec une certaine emphase qui dénaturait souvent le sens de leurs paroles. Talma fut le premier à réagir contre ce genre trop solennel, mais aujourd’hui bien des acteurs pèchent par l’excès contraire : sous prétexte d’être naturels, ils veulent ignorer la diction. Au théâtre lyrique, la déclamation se doit de rendre audible et compréhensible un texte chanté, de ne pas rendre ridicule un texte parlé sur la musique selon le principe du parlando ou du « récitatif ». Le fait de psalmodier, comme il est pratiqué dans le chant liturgique, est déjà de la déclamation, mais elle conduit à la monotonie. Elle ne prend son relief et sa vigueur que lorsqu’elle épouse un phrasé mélodique auquel souvent elle impose son rythme. downloadModeText.vue.download 293 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 287 La déclamation musicale grecque était mesurée, celle du chant grégorien également. Dans l’opéra, en particulier l’opéra français, les airs sont toujours un peu déclamés, les récitatifs légèrement chantés. Mais dans l’opéra-comique, où la musique n’intervient par définition que pour enrichir l’action d’une pièce, les déclamations

parlées et chantées interviennent alternativement. Toutes les deux d’ailleurs ont le même but : permettre à l’auditeur de comprendre le message de l’auteur et du compositeur. C’est au musicien, dans l’opéra comme dans le lied, qu’incombe la tâche de concilier le texte et la mélodie. Négliger le premier l’oblige à donner toute la puissance d’expression à la seconde, ce qui est le cas par exemple de quelques oeuvres de Verdi (la Force du destin, le Trouvère), où le musicien, ayant à interpréter des textes médiocres, préfère les effacer en ne s’intéressant qu’aux passions, aux ambiances, aux évolutions de l’esprit. En revanche, l’association des déclamations parlées et musicales est parfaitement atteinte dans des oeuvres de Wagner, de Schubert, de Hugo Wolf et de Debussy. C’est que le texte et la mélodie ont leurs rythmes et leurs accents propres. Ils ont leurs accents grammaticaux, présentés sous forme de longues et de brèves, et leurs accents oratoires révélés par les modulations des sentiments dont l’interprète est agité lorsqu’il traduit un texte chanté. Ces deux déclamations, littéraire et musicale, se retrouvent dans un phrasé clair comme expressif, dans un ton juste qui ne trahit pas le message exprimé. Le chant étant accompagné, il arrive que les intonations chantées soient différentes des intonations harmoniques. Dire juste et chanter juste ne sont pas les mêmes choses. L’interprète doit donc traduire la pensée du musicien au-delà des mots qu’il prononce. Sa déclamation doit s’appuyer sur une diction compréhensible, s’accompagner de gestes appropriés, se moduler sur les intonations de la mélodie. C’est là tout un art, en effet, qui exige beaucoup de travail, de sensibilité, d’intelligence. Trop d’artistes négligent d’étudier la déclamation lyrique sans se douter qu’une déclamation fausse entraîne une interprétation fausse et, de ce fait, trahit le message à eux confié par un auteur et un compositeur. La déclamation d’un interprète peut transformer totalement les valeurs d’un texte et de sa mélodie. DECOUST (Michel), compositeur français (Paris 1936). Élève de Louis Fourestier, Georges Dandelot, Yvonne Desportes, Jean Rivier, Darius Milhaud et Olivier Messiaen au Conservatoire de Paris à partir de 1956, il a obtenu

le grand prix de Rome (1963), puis suivi les cours de Karlheinz Stockhausen et de Henri Pousseur à Cologne (1964-65) et de Pierre Boulez (direction d’orchestre) à Bâle (1965). Il a été animateur musical régional dans les Pays de la Loire (19671970), responsable des activités musicales dans les maisons de la culture de Rennes et de Nevers (1970-1972), directeur-fondateur du conservatoire municipal de Pantin (1972-1976) et responsable du département pédagogique de l’I. R. C. A. M. (1976-1979). Il a été inspecteur principal de l’enseignement musical, chargé de la recherche au ministère de la Culture, et a été, de 1991 à 1994, directeur général de l’enseignement musical au district de Montpellier. Paraphrasant Pierre Boulez, Michel Decoust affirma en 1973 : « Cette expérience (du sérialisme) compte parmi mes plus grands échecs... En 1966, tout compositeur qui n’avait pas compris la nécessité de sortir de l’impasse où nous avait engagés le sérialisme était en deçà des problèmes de la composition à cette époque. » Parmi ses premières oeuvres, Ellips pour voix et piano (1964), Horizon remarquable pour voix et orchestre (1964) et Distorsion pour flûtes (1966). De ses préoccupations pour les problèmes de la perception et de la spatialisation de la musique témoigne Polymorphie pour orchestre, créé à Royan en 1967 avec les instrumentistes à vingt-deux mètres de haut et les auditeurs « noyés dans le son ». Suivirent Interaction pour trio à cordes (1967), Instants stabiles pour ensemble d’instruments (1967), États pour choeur (1968), Sun pour 12 cordes et alto solo (1970), M. U. R. pour choeur (1971), Aentre pour 3 cuivres et bande (1971), Actions pour 2 instrumentistes (1972), Et/ ou pour 44 pianos (1972), T’aï pour ensemble d’instruments et voix (1972), qui « évoque à sa façon les traditions du Japon telles qu’elles ont pu être traduites dans la conscience européenne depuis Debussy, Stravinski, Messiaen », Si et si seulement pour orchestre (1972), 7. 854. 693. 286 pour bandes à 8 pistes (création à Royan en 1972), 8. 393. 574. 281 pour formation libre (1972), Et, ée ou é ée pour orchestre et choeur (1973), Ion pour voix et bande (1973), Inférence pour orchestre (1974), Iambe pour 12 instruments (1976), Interphone pour bande à 2 pistes avec synthèse numérique par ordinateur (1977), l’Application des lectrices aux champs pour

orchestre et voix (1977), Spectre pour orchestre d’harmonie (1978), Traduit du silence pour clavecin, violoncelle, clarinette, clarinette basse et voix sur un texte de Joë Bousquet (1980), Je, qui d’autre pour ténor, baryton et ensemble instrumental (créé en 1987) De la gravitation suspendue des mémoires pour orchestre (créé en 1987), Concerto pour violon (1990), Lignes pour clarinette et quatuor à cordes (1992), Cent phrases pour éventail pour 6 voix et 13 instruments d’après Paul Claudel (19951996). DECRESCENDO. Terme italien indiquant qu’il faut diminuer l’intensité d’une note ou d’une phrase musicale. Contraire de crescendo (« en augmentant »), decrescendo est synonyme de diminuendo, les deux termes pouvant être remplacés par le signe O. DEGRADA (Francesco), musicologue et compositeur italien (Milan 1940). Il a fait ses études au conservatoire de Milan, où il a obtenu un prix de piano en 1961 et un prix de composition en 1965. Il a enseigné l’histoire de la musique aux conservatoires de Bolzano, de Brescia et de Milan, puis à l’Institut de musicologie de l’université de Milan, dont il est devenu le directeur en 1976. Ses recherches concernent la Renaissance, la période baroque et la musique contemporaine. Membre de plusieurs sociétés musicales, il est aussi responsable des éditions critiques chez Ricordi à Milan. Il a publié de nombreuses études et collaboré à des émissions radiodiffusées ou télévisées. PRINCIPAUX ÉCRITS : Sylvano Bussotti e il suo Teatro (Milan, 1976) ; Antonio Vivaldi da Venezia all’Europa (Milan, 1978) ; Il Palazzo incantato. Studi sulla tradizione del melodramma dal Barocco al Romanticismo (2 vol., Florence, 1980) ; Antonio Vivaldi veneziano europeo (Florence, 1980) ; Studi Pergolesiani (éd., 1986 et 1988) ; Andrea Gabrieli e il suo tempo (Florence, 1988). DEGRÉ. Terme employé en analyse musicale pour désigner toute note de l’échelle tonale ou

modale considérée dans sa fonction, c’està-dire par rapport au son de référence (tonique dans la musique tonale), numéroté I par définition. Les Grecs analysaient leurs degrés par rapport aux tétracordes, en leur donnant des noms sans les numéroter ; le chant grégorien les situait par rapport à un noyau, variable selon le mode, déterminé par le binôme finale-teneur ou corde de récitation (dite plus tard « dominante »), et non pas par hexacordes comme on le croit parfois : l’hexacorde n’a jamais été rien d’autre qu’une convention solfégique, servant à la solmisation. La musique harmonique a été la première à considérer ses degrés par rapport à l’octave et à dicter leur équivalence d’une octave à une autre : elle les numérote donc en montant de I à VIII selon l’échelle diatonique, opère une mutation VIII I et recommence ensuite. Certains auteurs n’emploient pas le chiffrage VIII et passent directement de VII à I. Les degrés chromatiques sont exclus de la numérotation : on les considère soit comme des notes de passage entre deux degrés voisins, soit comme de simples dédownloadModeText.vue.download 294 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 288 placements des degrés diatoniques, le plus souvent causés par l’attraction exercée par des degrés forts sur les degrés faibles. Outre leur numérotation, les degrés de la musique tonale ont aussi reçu des noms de fonction : I (ou VIII) tonique, III médiante, IV sous-dominante, V dominante, VII sous-tonique, dite « sensible » lorsqu’elle est à un demi-ton de VIII ; les noms de fonction des degrés II (sus-tonique) et VI (sus-dominante) sont peu employés. DEGTIARIOV (Stépan), compositeur russe (Borisovka, gouv. de Kursk, 1766 près de Kursk 1813). Il était serf du comte Chérémétiev, qui possédait sa troupe de musiciens personnelle. Devenu élève de Sarti, il alla se perfectionner en Italie. Il fut ensuite chef d’orchestre et répétiteur chez Chérémétiev, et fut affranchi après la mort du comte. Bien qu’une partie de son oeuvre soit perdue, il en subsiste de nombreux

concerts vocaux religieux et un grand oratorio patriotique, Minine et Pojarsky ou la Libération de Moscou, qui fut représenté à Moscou en mars 1811. Degtiariov est représentatif de la génération intermédiaire entre les compositeurs du règne de Catherine II et ceux de l’école russe du XIXe siècle. On lui doit aussi la traduction russe (1805) du traité Regole armoniche de Vincenzo Manfredini, paru en 1775. DELAGE (Maurice), compositeur français (Paris 1879 - id. 1961). Venu tardivement à la musique, il trouva auprès de Maurice Ravel, dont il fit la connaissance vers 1902, appui et conseils ; il allait d’ailleurs être, avec Léon-Paul Fargue et Ricardo Vinès, un des familiers du compositeur. Il écrivit, en 1908, un poème symphonique, Conté par la mer. Mais, sur l’avis de Vincent d’Indy, cette oeuvre fut refusée par la Société nationale de musique. Ravel soutint alors son ami, et le conflit qui s’ensuivit au sein de la Société nationale entraîna, en 1910, la création de la Société musicale indépendante (S. M. I.). Après un voyage aux Indes, Maurice Delage composa ses Poèmes hindous pour soprano et dix instruments, que Rose Féart créa en 1913. En 1923, Koussevitski dirigea aux Concerts de l’Opéra son Ouverture pour le ballet de l’Avenir. Walter Straram créa, en 1933, son triptyque orchestral, Contrerimes (Nuit de Noël, Hommage à Manuel de Falla, Danse). Une oeuvre pour chant et piano, In morte di Samuraï (1950), et un poème symphonique, le Bateau ivre (d’après Arthur Rimbaud, 1954), attestent ensuite la continuité d’un talent subtil, reconnu seulement d’une élite. Maurice Delage a peu écrit. Mais ce qu’il a consenti à publier est d’une très grande qualité. Ses 4 Poèmes hindous et ses 7 Haï-Kaï (1923) témoignent d’un extrême raffinement de la pensée et d’un sens délicat des équilibres sonores. DELALANDE (Michel Richard), compositeur français (Paris 1657 - Versailles 1726). Fils d’un tailleur parisien, il reçut son éducation musicale à Saint-Germain-l’Auxerrois. Organiste et claveciniste, il occupa les tribunes des Grands-Jésuites, du Petit-Saint-Antoine et de Saint-Gervais, où il succéda en 1672 à Charles Couperin, avant de céder sa place au jeune François

Couperin. En 1681, il fut chargé de donner des leçons de clavecin aux princesses légitimées, Mlles de Blois et de Nantes, et devint, l’année suivante, organiste à SaintJean-en-Grève. En 1683, il obtint l’un des quatre postes de sous-maître de la chapelle royale. Dès lors, il connut, dans sa carrière à la cour, une ascension plus éclatante que celle qu’avait connue Lully lui-même. Il reçut les trois autres postes de la chapelle, après les départs successifs de Goupillet, Minoret et Colasse, et recueillit toutes les charges de la Chambre : en 1689, celle de surintendant ; en 1690, celle de compositeur ; et en 1695, celle de maître de la musique. En dépit de ce cumul et de l’abandon de ses postes d’organiste à Paris, il se consacra surtout à la musique religieuse. Il fut sans doute incité à se perfectionner dans ce genre par le roi, qui subissait, pendant cette période, l’influence dévote de Mme de Maintenon. La plupart des motets du compositeur, qui constituent son oeuvre maîtresse, furent écrits à cette époque et témoignent de l’atmosphère religieuse dans laquelle vivait la cour à la fin du règne de Louis XIV. Après la mort du monarque, Delalande collabora avec Destouches au ballet les Éléments, dansé aux Tuileries en 1721 par le jeune Louis XV. L’année suivante, il perdit sa femme, la chanteuse Anne Rebel, et demanda au souverain l’autorisation de se retirer. Il se démit de toutes ses charges et reçut du roi l’ordre de Saint-Michel. Il devait se remarier en 1723 et mourir trois ans plus tard. Une quarantaine de ses meilleurs motets furent publiés, après son décès, par les soins de Colin de Blamont et connurent une certaine vogue jusqu’à la Révolution. Bien que la majorité des oeuvres de Delalande soit consacrée à la musique religieuse, plusieurs divertissements écrits pour la cour témoignent aussi de sa production dans le genre profane. Ces pièces, qui n’ont pas l’envergure des tragédies lyriques, s’inscrivent toutefois dans la tradition lullyste. Elles présentent des aspects divers : cantate profane (les Fontaines de Versailles, 1683), ballet (le Palais de Flore, 1689), pastorale (l’Amour fléchy par la constance, 1697) ou intermèdes écrits pour des comédies. Pour l’orchestre, Delalande composa notamment les célèbres Symphonies pour les soupers du roy, ainsi que quelques pages dans ses oeuvres sacrées (symphonie du Te Deum). C’est dans le domaine de la musique religieuse que De-

lalande s’illustra et devint l’un des meilleurs représentants de la musique française. À côté de trois leçons de ténèbres, il laissa 71 grands motets, dont certains présentent deux versions différentes du même texte sacré. Parmi les plus connus : De Profundis (1689), Beati omnes (1698), Regina coeli (1698), Quare fremuerunt gentes (1706). Ces oeuvres adoptent tantôt une écriture verticale, chère à Lully, tantôt une polyphonie mouvante, comme la pratiquait Charpentier. Elles sont conçues pour un effectif vocal important, et offrent une alternance de grands et de petits choeurs. L’orchestre ne se contente pas de soutenir les voix, mais a pour rôle d’exposer une idée dans un prélude ou de mettre en relief le timbre d’un instrument dans les passages réservés aux solistes. Des ensembles vocaux, tels les trios et les quatuors, apportent encore de la variété à ces ouvrages, qui commentent le texte sacré avec souplesse, en traitant un ou plusieurs versets dans un même moule. Delalande sut porter le motet à son apogée en lui conférant une spiritualité que seuls Bach et Haendel ont été capables d’atteindre, à cette époque, dans des oeuvres religieuses monumentales. DELANNOY (Marcel), compositeur français (La Ferté-Allais 1898 - Nantes 1962). Il se destina d’abord à l’architecture, commença à composer en autodidacte et fit parler de lui avec le Poirier de misère, d’après une légende flamande (créé à l’Opéra-Comique en 1927). Il travailla ensuite avec Arthur Honegger et, dans un style néoclassique influencé par la chanson française et le jazz, laissa dans tous les genres un catalogue considérable. Son oeuvre la plus célèbre est le ballet la Pantoufle de vair, d’après Cendrillon de Charles Perrault, créé aux États-Unis en 1931, sous le titre Cendrillon ou la Pantoufle de vair, puis à l’Opéra-Comique en 1935 après avoir été remanié en 1934. Il fut également un critique musical sévère, mais pertinent. DELERUE (Georges), compositeur français (Roubaix 1925 - Los Angeles 1992). Élève du Conservatoire de Paris, il a été directeur musical du festival d’Avignon (1948-1950), puis chef d’orchestre du Club d’essai de la radiodiffusion française (1951-1957). Il a écrit un Quatuor à cordes en 1948 et un autre en 1971, l’opéra de chambre Ariane en 1954, a fait représenter deux grands opéras, le Chevalier de

neige sur un livret de Boris Vian (Nancy, 1957) et Medis et Alyssio sur un livret de Micheline Gautron (Strasbourg, 1975). Il a donné également des pages symphoniques comme la Symphonie concertante downloadModeText.vue.download 295 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 289 pour piano et orchestre (1957) ou les Variations libres pour un libre penseur musical (sur le nom de Ludwig van Beethoven) pour orchestre (1975). Mais c’est surtout par ses très nombreuses musiques de scène, radiophoniques et de film que, grâce à un métier très sûr, il a acquis la célébrité. Citons celles pour la Mort de Danton de Büchner (Avignon, 1949) ou les Mouches de J.-P. Sartre (Nîmes, 1950), pour les Rois maudits de M. Druon (1974) et pour les films Hiroshima mon amour (1958), la Peau douce (1964), le Conformiste (1970), les Deux Anglaises et le continent (1971), Une belle fille comme moi (1972), le Chacal (1974), Banlieue Sud-Est (1977), la Gifle (1978), le Dernier Métro (1980). Il a aussi signé plusieurs spectacles son et lumière. DELIBES (Clément Philibert Léo), compositeur français (Saint-Germain-du-Val 1836 - Paris 1891). Ayant montré de bonne heure des dispositions pour le chant, il fit partie de plusieurs chorales avant d’entrer à l’âge de douze ans au Conservatoire de Paris. Après y avoir obtenu en deux ans un premier prix de solfège, il y étudia le piano, l’orgue, l’harmonium et la composition (classes de Le Couppey, Benoist, Bazin et A. Adam). Il commença à travailler comme accompagnateur au Théâtre-Lyrique et comme organiste à Saint-Pierre de Chaillot, tout en donnant des leçons particulières. En 1855, il composa une opérette sur un texte de J. Moinaux, Deux Sous de charbon, représentée au théâtre des FoliesNouvelles. Il continua à pratiquer ce genre assez régulièrement jusqu’en 1869 et composa une quinzaine d’opérettes, la plupart représentées au théâtre des Bouffes-Parisiens, parmi lesquelles Six Demoiselles à marier (1856), l’Omelette à la Follembuche (1859), les Musiciens de l’orchestre (1861), le Serpent à plumes (1864), Malbrough s’en va-t-en guerre (1868), cette dernière oeuvre écrite en collaboration avec Bizet,

Jonas et Legouix. En même temps, il commença à écrire des opéras-comiques pour le Théâtre-Lyrique (Maître Griffard, 1857 ; le Jardinier et son seigneur, 1863). Son engagement à l’opéra, en 1863, en qualité d’accompagnateur, puis de chef de choeur, lui ouvrit des possibilités nouvelles. En 1866, il écrivit, en collaboration avec le compositeur polonais Minkus, son premier ballet, la Source, sur un sujet oriental de Ch. Nuitter, avec une chorégraphie de A. Saint-Léon. Le succès de la Source, reprise à l’étranger sous divers titres (La Sorgente, en Italie ; Naïla, en Allemagne), prouva que Delibes possédait un sens naturel de l’esthétique chorégraphique. L’année suivante, il composa un divertissement, le Pas des fleurs, pour la reprise du Corsaire de son maître Adam. En 1870, Coppélia d’après un conte de Hoffmann, l’Homme au sable, lui assure l’immortalité dans le domaine du ballet. C’est, avec Sylvia (1876), l’une de ses rares oeuvres qui continuent à tenir l’affiche de nos jours. Dans le répertoire lyrique, les compositions les plus valables de Delibes sont Le roi l’a dit (Opéra-Comique, 1873), et surtout Lakmé (ibid. 1883), qui doit sa popularité au charme sentimental et exotique de son sujet hindou, autant qu’à son coloris, son invention mélodique et la souplesse de son écriture vocale. En 1882, Delibes a écrit une série de danses pour la reprise de la pièce de Victor Hugo Le roi s’amuse (ce même texte avait servi de base au livret de Rigoletto de Verdi). Son dernier opéra, Kassya, laissé inachevé, fut terminé et orchestré par Massenet. Delibes était également l’auteur de nombreuses oeuvres vocales profanes et religieuses, aujourd’hui à peu près oubliées. DELIUS (Frederick), compositeur anglais (Bradford 1862 - Grez-sur-Loing, Seineet-Marne, 1934). En partie d’origine allemande, il se révéla bon violoniste dès son enfance, mais ses parents cherchèrent à le détourner de la musique. À l’âge de vingt ans, il s’installa en Floride comme planteur d’oranges, et consacra son temps libre à la musique, étudiant tout d’abord seul, à l’aide d’ouvrages théoriques. De retour en Europe, il fut, au conservatoire de Leipzig, l’élève de Reinecke. S’il ne tira pas grand profit

de cet enseignement, il reçut en revanche l’influence déterminante de Grieg, alors à Leipzig. Cette influence est évidente dans Sleigh Ride (1888). À partir de 1890, il vécut surtout en France, d’abord à Paris, puis à Grez-sur-Loing, où il devait finir ses jours. En 1890, il avait épousé le peintre Jelka Rosen. Les partitions se succédèrent jusqu’en 1924, époque à laquelle une maladie le paralysa et le rendit aveugle. Toutes ses dernières oeuvres furent écrites avec la collaboration de Eric Fenby, jeune musicien du Yorkshire, qui, plus tard, devait enregistrer ses trois sonates pour violon et piano et écrire un livre à sa mémoire (Delius as I knew him, 1936). Delius vécut plus de quarante ans en France, mais sa musique y demeure pratiquement inconnue. Elle est en revanche très appréciée en Angleterre, grâce aux initiatives de sir Thomas Beecham, défenseur infatigable du compositeur. En 1929, Delius fut décoré par le roi George V à l’occasion d’un festival de ses oeuvres organisé par Beecham au Queen’s Hall de Londres. Ce fut son dernier voyage en Angleterre. On peut remarquer chez Delius des parentés avec Debussy dans la couleur orchestrale, mais son plus grand modèle resta Grieg. Il excelle dans les évocations de nature, soit avec le grand orchestre (Brigg Fair, 1907), soit avec des moyens plus réduits, comme dans les deux chefsd’oeuvre que sont Summernight on the River (1911) et On hearing the first Cuckoo in Spring (1912) : la première de ces miniatures recrée l’atmosphère d’une nuit d’été sur le Loing aux alentours de Grez. Sa mélodie, envoûtante et souvent confiée aux instruments à vent, repose sur des harmonies richement chromatiques. Sa musique est inimitable ; elle suit son propre chemin, qu’il s’agisse pour elle d’évoquer son pays natal (Over the Hills and Far Away, 1895) ou la capitale française (Paris, the Song of a Great City, 1899), ou de jeter un regard en arrière sur toute une vie créatrice (A Song of Summer, 1930). Pour choeurs et orchestre, il a composé notamment Appalachia (1902), Sea Drift d’après W. Whitman (1903), A Mass of Life d’après Nietzsche (1904-05), Songs of Sunset (1906-07), A Song of the High Hills (1911-12, avec choeurs sans paroles), Requiem (1914-1916), Eventyr (1917, avec seulement quelques interjections vocales). On lui doit également des mélodies, de la musique de chambre,

dont le quatuor à cordes de 1916-17, des concertos, ainsi que six opéras : A Village Romeo and Juliet d’après G. Keller (19001901, créé en 1907), le plus célèbre et le plus réussi ; Irmelin (1890-1892, créé par Beecham en 1953), The Magic Fountain (1893), Koanga (1895-1897, créé en 1904), Margot-la-Rouge (1902) et Fennimore and Gerda (1909-10, créé en 1919). À signaler aussi la musique de scène pour Hassan or the Golden Journey to Samarkand de J. E. Flecker (1920). DELLA CASA (Lisa), soprano suisse (Burgdorf, canton de Berne, 1919). Après avoir étudié le chant à Zurich, elle débuta en 1941 à Solothurn-Biel dans le rôle principal de Madame Butterfly de Puccini. En 1947, elle chanta au festival de Salzbourg le rôle de Zdenka dans Arabella de Richard Strauss, ouvrage où elle ne tarda pas à s’illustrer dans le rôle d’Arabella elle-même. En 1947 également, elle devint membre de la troupe de l’Opéra de Vienne, à laquelle elle demeura attachée de longues années, tout en poursuivant une carrière internationale. Soprano lyrique au timbre d’une rare beauté, Lisa Della Casa joignait à une superbe technique, tant dans le cantabile que dans la coloratura, de merveilleux dons d’actrice. Elle demeure célèbre essentiellement comme interprète de Mozart (Donna Elvire dans Don Juan, la Comtesse dans les Noces de Figaro) et de Richard Strauss (la Maréchale dans le Chevalier à la rose et Arabella). DELLA CORTE (Andrea), musicologue et critique italien (Naples 1883 - Turin 1968). Autodidacte, il fut professeur d’histoire de la musique au conservatoire Verdi de downloadModeText.vue.download 296 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 290 Turin à partir de 1926 et à l’université de la même ville à partir de 1939. Critique à La Stampa de 1919 à 1967, mais aussi historien et esthéticien, il est considéré comme un pionnier de la musicologie italienne et écrivit de nombreux ouvrages consacrés au théâtre lyrique italien des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Il s’intéressa

d’autre part aux problèmes de la critique contemporaine, à ceux de l’interprétation ou encore à la pédagogie de la composition. Il publia un grand nombre d’articles dans la Rassegna musicale de G. M. Gatti et dans la Rivista musicale italiana. PRINCIPAUX ÉCRITS : Antologia della storia della musica (2 vol., Turin, 1927-1929 ; 4e éd., 1945) ; Satire e grotteschi di musica e di musicisti d’ogni tempo (Turin, 1947) ; Disegno storico dell’Arte musicale (Turin, 1950) ; L’Interpretazione musicale e gli interpreti (Turin, 1951) ; Drammi per musica dal Rinuccini allo Zeno (2 vol., Turin, 1958). Ses monographies concernent Alfano, Bellini (en collaboration avec Pannain), Galuppi, Gluck, Goethe, Mozart (2 ouvrages, dont un en collaboration avec Barblan), Paisiello, Pergolèse, Piccinni, Salieri, Serato, Verdi. Il collabora en outre avec G. M. Gatti pour le Dizionario di musica (Turin, 1925 ; 6e éd., 1959) et avec G. Pannain pour la Storia della musica (2 vol., Turin, 1952 ; 4e éd. en 3 vol., 1964). DELLER (Alfred), contre-ténor et chef d’orchestre anglais (Margate, Kent, 1912 - Bologne, Italie, 1979). Il appartint à un choeur d’église de sa ville natale, travailla en autodidacte la voix d’alto mâle (contre-ténor), fit partie des choeurs de la cathédrale de Canterbury (1940-1947), puis de ceux de Saint-Paul à Londres, tout en commençant une carrière de soliste (ses premiers disques datent de 1949). En 1950, il constitua un groupe de chanteurs, généralement accompagné d’instrumentistes, le Deller Consort, dont il fut le chef et l’animateur, et dont le but était de faire connaître l’art du madrigal anglais et la musique de l’époque élisabéthaine. L’extension du répertoire du Deller Consort amena plus tard Alfred Deller à une véritable activité de chef d’orchestre, par exemple dans des oeuvres lyriques de Purcell ou de Haendel. Parallèlement à sa carrière de chanteur, Deller se consacra à la pédagogie, en particulier en France lors de stages à l’abbaye de Sénanque en Provence. Oubliée pendant un siècle et demi, parfois même méprisée, la voix de contre-ténor avait seulement survécu à l’état latent dans l’exécution de la musique religieuse en Angleterre, et n’était plus défendue et

illustrée que par des personnalités très isolées comme le chanteur américain Russell Oberlin. Alfred Deller a été le chef de file d’une nouvelle école d’interprètes qui retrouvent et cultivent cette voix. Mais parmi les contre-ténors apparus durant ces dernières décennies, la voix d’Alfred Deller possédait une couleur très particulière, une pureté cristalline que nul n’a, à ce jour, égalée. L’art de Deller était caractérisé par un sens du style, une musicalité et un goût parfaits. Il a donné des interprétations que l’on peut qualifier d’idéales de la musique anglaise d’époque élisabéthaine, par exemple des ayres de John Dowland. Grâce à sa technique, Deller a pu aussi tenter, dans des oeuvres comme Sosarme de Haendel, de ressusciter sinon le timbre des castrats, assez différent de celui des contre-ténors, du moins leur virtuosité et leur art de l’expression. La voix de Deller était de celles qui peuvent inspirer des compositeurs : Britten écrivit pour lui le rôle d’Obéron dans le Songe d’une nuit d’été (1960). L’un des enfants d’Alfred Deller, Mark, s’est à son tour forgé une voix de contreténor et assume la responsabilité du Deller Consort depuis la mort de son père. DELLO JOIO (Norman), compositeur américain (New York 1913). Son père, italien de naissance, était organiste, et il le devint lui-même à quatorze ans. Il fit ses études à l’Institute of Musical Art de New York (1936), à la Juilliard School (1939-1941), puis, en 1941, avec Hindemith, qui devait le marquer profondément. Prix Pulitzer en 1957 pour Meditations on the Ecclesiastes pour orchestre à cordes, il a écrit, parmi de nombreuses pages instrumentales et vocales, A Psalm of David pour piano, cuivres, percussion et cordes (1950), et le ballet Héloïse et Abélard (1969). De son opéra consacré à Jeanne d’Arc, The Triumph of Saint Joan, une première version fut retirée après sa création. Le compositeur en tira The Triumph of Saint Joan Symphony (1951). Une seconde version, The Trial at Rouen, fut donnée à la télévision en 1955. Le compositeur en tira, pour la scène, The Triumph of Saint Joan (New York, 1959). DELMAS (Jean François), basse française (Lyon 1861 - Saint-Alban-de-Montbel, Savoie, 1933).

Il étudia au Conservatoire de Paris et débuta en 1886 à l’Opéra de Paris dans le rôle de Saint-Bris des Huguenots de Meyerbeer auquel il donna un éclat particulier. Il devait rester dans ce théâtre comme première basse jusqu’en 1911, créant de nombreux ouvrages (dont Thaïs de Massenet). Il fut un des grands chanteurs wagnériens français : ses interprétations de Wotan dans la Tétralogie, de Hans Sachs dans les Maîtres chanteurs, de Gurnemanz dans Parsifal, étaient renommées. Sa voix de basse chantante était longue, ample et dramatique, sa déclamation, superbe, et sa présence scénique, convaincante. DELMET (Paul), compositeur français (Paris 1862 - id. 1904). Il appartint jusqu’en 1897 au groupe d’artistes liés au cabaret du Chat-Noir, où il interprétait chaque soir les romances et chansons qu’il composait sur des textes de poètes tels qu’Armand Silvestre et Théodore Botrel. Élève de Massenet, ayant hérité de son maître le goût et le don de la mélodie délicate, il fut un des enchanteurs de la Belle Époque, imposant au public ses thèmes insinuants, enveloppants et tendres. Certaines de ses chansons comme Envoi de fleurs connurent une popularité immense. DEL MONACO (Mario), ténor italien (Florence 1915 - Trévise 1982). Autodidacte, il s’est instruit au moyen d’enregistrements réalisés par les grands chanteurs du passé. Il débuta en 1939 à Pesaro, dans le rôle de Turridu (Cavalleria rusticana). Après la guerre, il commença une carrière internationale qui le conduisit dans le monde entier, triomphant dans les rôles les plus dramatiques du répertoire italien. Radames d’Aïda, Otello, Canio de Paillasse étaient ses personnages de prédilection. Son timbre à la fois corsé et brillant possédait une admirable égalité sur toute l’étendue du registre et un éclat exceptionnel. À défaut de subtilité musicale, les interprétations de Mario Del Monaco avaient une intensité et une vitalité auxquelles on ne pouvait rester insensible et sa voix fut, sans aucun doute, une des plus remarquables qu’on ait pu entendre récemment. DELNA (Marie LEDAN, dite), cantatrice française (Meudon 1875 - Paris 1932).

Presque sans formation vocale, elle fit ses débuts à l’Opéra-Comique en 1892 dans le rôle de Didon des Troyens à Carthage de Berlioz, dans lequel son instinct dramatique fit dire d’elle par Sarah Bernhardt : « Qui donc lui a appris à mourir, à cette petite ? » Elle fit à l’Opéra-Comique l’essentiel de sa carrière, remportant un vif succès dans des créations comme l’Attaque du moulin de Bruneau (1893) et la Vivandière de Godard (1895). Elle fut la première interprète, en France, de Charlotte dans Werther de Massenet, et de Mrs. Quickly dans Falstaff de Verdi. Elle se produisit moins souvent à l’Opéra, où elle brilla notamment dans les rôles de Fidès du Prophète de Meyerbeer, et Dalila de Samson et Dalila de Saint-Saëns. Elle se produisit à Milan, à Londres et à New York où elle chanta Orphée de Gluck sous la direction de Toscanini. Sa voix fut l’une des plus belles voix féminines graves de son époque. Son style s’éloignait parfois délibérément du chant pour se tourner vers la déclamation. downloadModeText.vue.download 297 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 291 DELVINCOURT (Claude), compositeur français (Paris 1888 - Orbetello, Toscane, 1954). Il étudia le solfège dès l’âge de sept ans avec Boellmann et l’harmonie avec Henri Busser. En 1902, il devint élève de Falkenberg (piano) et entra au Conservatoire de Paris en 1908 dans les classes de Caussade (contrepoint et fugue) et de Widor (composition). Ses premières compositions datent de 1907-1908 : quintette pour cordes, duo pour violon et piano. En 1910, il se présenta au concours du prix de Rome, mais n’obtint un second prix que l’année suivante et, finalement, le premier grand prix en 1913 avec Hélène et Faust, ayant ainsi composé successivement quatre cantates officielles. Engagé volontaire en 1914, il fut gravement blessé en 1915, perdit un oeil et cessa pratiquement de composer pendant plusieurs années. Mais, dès 1923, plusieurs associations de concerts parisiennes affichèrent ses oeuvres, et il aborda le théâtre au Grand Cercle d’Aix-les-Bains en 1937 avec un ballet, le Bal vénitien, version orchestrée

d’une suite pour six instruments composée en 1930. Nommé directeur du conservatoire de Versailles en 1931, il y organisa des concerts de chambre et fit représenter par ses élèves au théâtre Montansier son opéra bouffe la Femme à barbe (1938). Au cours des années 30, il composa plusieurs musiques de film (la Croisière jaune, l’Appel du silence, Soeurs d’armes). Il avait cinquante-trois ans lorsqu’il fut appelé à succéder à Henri Rabaud à la tête du Conservatoire de Paris. Esprit ouvert à tous les éléments du progrès, il y modernisa l’enseignement et aménagea les règles concernant les admissions et les concours. Afin de soustraire ses élèves au service du travail obligatoire en Allemagne, il créa pour eux et avec eux l’Orchestre des cadets du Conservatoire, qui allait devenir une jeune phalange symphonique particulièrement appréciée. Après la guerre, l’Opéra monta son mystère, Lucifer (1948), achevé depuis 1940, sur un texte de R. Dumesnil, et la Comédie-Française lui commanda une nouvelle musique de scène pour le Bourgeois gentilhomme. Musicien distingué, doublé d’un humaniste, ayant conservé une prédilection pour les mystères du Moyen Âge et pour la chanson française, Claude Delvincourt trouva la mort dans un accident d’automobile, à soixante-six ans. DÉMANCHÉ. Dans les instruments à cordes, ce terme indique un changement rapide de la main gauche pour passer d’une position à une autre, plus ou moins éloignée ; ce changement peut être ascendant ou descendant. DEMANTIUS (Christoph), compositeur allemand (Reichenberg, Bohême, 1567 Freiberg, Saxe, 1643). Après des études universitaires à Wittemberg et peut-être un bref séjour à Leipzig, il est nommé cantor à Zittau (1597), puis à Freiberg (1604). Son Isagoge artis musice lui assure dès 1602 une réputation de pédagogue. Ses recueils de chansons profanes (1595, 1614 et 1615) le situent dans la lignée de R. de Lassus et de L. Lechner. Dans son important recueil d’introïts, de proses et de messes, les Triades sioniae (Freiberg, 1619), il aménage la technique de la basse continue en imposant à l’organiste un cantus generalis. La Corona harmonica (Leipzig, 1610) ou la Passion selon saint Jean (Freiberg, 1631) sont autant

de points culminants d’une oeuvre où les formes et les moyens stylistiques traditionnels se chargent d’une expression nouvelle qui préfigure les recherches de l’herméneutique musicale à venir. DEMARQUEZ (Suzanne), femme compositeur et musicologue française (Paris 1899 - id. 1965). Après des études au Conservatoire de Paris, elle a composé des oeuvres de musique de chambre, des quatuors vocaux et des mélodies. Elle s’est fait surtout connaître par ses excellents ouvrages sur Purcell et sur Manuel de Falla. Parmi ses principaux écrits, citons : Purcell (Paris, 1951) ; André Jolivet (Paris, 1958) ; Manuel de Falla (Paris, 1963) ; Hector Berlioz (Paris, 1969). DEMESSIEUX (Jeanne), femme organiste et compositeur française (Montpellier 1921 - Paris 1968). Brillante élève du Conservatoire de Paris et disciple de Marcel Dupré, elle a été organiste titulaire à l’église du Saint-Esprit (1933), puis à la Madeleine (1962). Interprète demeurée célèbre pour son extraordinaire virtuosité, elle a également enseigné l’orgue au conservatoire de Nancy et à celui de Liège. Elle a publié plusieurs oeuvres pour son instrument, ainsi qu’un Poème (1952) pour orgue et orchestre. DEMI-CADENCE. Formule tonale caractérisée par un arrêt sur l’accord de dominante, généralement par succession harmonique degré I-degré V, et ayant habituellement une signification suspensive ou interrogative. On dit aussi cadence (ou repos) à la dominante ( ! CADENCE, 2). DEMI-PAUSE. Figure de silence dont la durée est égale à la valeur d’une blanche. La demi-pause se place sur la troisième ligne de la portée. DEMI-SOUPIR. Figure de silence dont la durée est égale à la valeur d’une croche.

DEMI-TON. Les sept notes qui constituent les gammes, majeures et mineures, du système tonal sont réparties selon des intervalles inégaux. Approximativement, la distance qui, dans la gamme de do majeur, sépare le mi du fa et le si du do est la moitié de celle qui sépare les autres notes. Cette distance est le demi-ton, alors que le do et le ré, par exemple, sont séparés par un ton entier (deux demi-tons). Avant le système dit « à tempérament égal », les demi-tons n’étaient pas tous égaux car ils ne représentaient pas exactement la moitié d’un ton. On distinguait donc entre le demi-ton diatonique, séparant deux notes différentes d’une même gamme (par exemple, si-do en do majeur) et le demi-ton chromatique, séparant deux notes de même nom mais de gammes différentes (par exemple, fa-fa dièse). En revanche, lorsque le tempérament égal est employé, l’octave se trouve divisée en douze demi-tons, tous égaux. DEMUS (Jorg), pianiste autrichien (Saint Poelten 1928). Formé à l’Académie musicale de Vienne, il est un interprète autorisé des classiques et des romantiques allemands (Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert, Schumann, Brahms), mais aussi de Debussy. Depuis les années 60, il s’efforce, par ses conférences illustrées et ses enregistrements, de populariser l’interprétation des compositeurs viennois sur des piano-forte d’époque. Réputé également comme accompagnateur, il a pris la succession de Gerald Moore auprès de Dietrich FischerDieskau. DEMUTH (Norman), compositeur et musicologue anglais (South Croyden, Surrey, 1898 - Chichester, Sussex, 1968). Choriste à la chapelle de Windsor, puis élève du Royal College of Music à Londres, soldat volontaire en 1915, grièvement blessé en France, il a exercé de multiples activités. Chef des choeurs, organiste, nommé en 1930 professeur de composition à la Royal Academy of Music, il a écrit quatre symphonies, plusieurs concertos, des ballets, des oeuvres lyriques et un Requiem à la mémoire de Claude Delvincourt (1955). En 1950, l’Institut de France l’a élu « Officier d’Académie » en qualité d’associé étranger. Norman Demuth a consacré l’essentiel de ses travaux musicologiques (en langue anglaise) à la France :

M. Ravel (1947) ; A. Roussel (1947) ; C. Franck (1949) ; P. Dukas (1949) ; Introduction to the Music of Gounod (1950) ; V. d’Indy (1951) ; French Piano Music (1959). downloadModeText.vue.download 298 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 292 DENIS, dynastie de facteurs d’instruments et d’organistes, actifs à Paris aux XVIe et XVIIe siècles. Son plus ancien représentant connu est Robert Ier (v. 1520-1589). À partir de 1544, il est mentionné à Paris comme facteur d’orgues et épinettier. Les membres suivants de la famille, dont les liens de parenté ne sont pas toujours établis avec certitude, élargissent cette activité vers la fabrication de toutes sortes d’instruments à cordes (luths, notamment), leur commerce, ainsi que vers la pratique de l’orgue. Le plus réputé est Denis II, petitfils de Robert Ier (Paris v. 1600 - id. 1672). Élève de Florent Bienvenu, qui l’initie aux théories de Titelouze, il a été organiste à Saint-Barthélemy ; facteur d’épinettes apprécié de Mersenne, il est aussi l’auteur d’un Traité de l’accord de l’espinette avec la comparaison de son clavier avec la musique vocale. Les autres membres de la famille, connue jusqu’en 1718, en poursuivent la double vocation, surtout comme facteurs d’épinettes et de clavecins ; ils sont apparentés au facteur d’orgues Thierry et à l’organiste Marchand. DENIS (Didier), compositeur français (Paris 1947). Il a été élève d’Olivier Messiaen, qui l’a influencé dans sa conception du rythme et du déroulement du temps. Pensionnaire de la villa Médicis à Rome de 1971 à 1973, il a reçu le prix de la Fondation de la vocation (1969) et celui de la S. A. C. E. M. en 1973. Passionné par la voix, il a écrit nombre d’oeuvres vocales en utilisant le texte plus pour la musique des mots que pour leur signification - tantôt chantés, tantôt dits avant ou pendant l’exécution instrumentale. Dans ses oeuvres, il sait allier un souci de la forme à une grande fraîcheur dans le coloris orchestral. L’éventail de sa production est large, de la musique de théâtre (Pour « le Marchand de Venise » [1969] pour orchestre), aux pièces instru-

mentales (Lèvres, Rouge [1974] pour alto et 30 instruments), en passant par les partitions pour voix, dont la plus réussie est peut-être Cinq fois je t’aime (1968, créée à Paris en 1970) pour coloratur, récitant et orchestre. DENISOV (Edison Vassilievitch), compositeur soviétique (Tomsk, Sibérie, 1929). À l’instigation de son père, ingénieur, il fait des études scientifiques supérieures à l’université de Tomsk (1946-1951). Il vient à Moscou suivre les cours de composition de V. Chebaline et N. Peiko (19511956). Il est actuellement chargé de cours au conservatoire de Moscou. Grand admirateur de Chostakovitch, Denisov semble avoir détruit ses premiers essais. Son opus no 1 est une Musique pour 11 instruments à vent et timbales (1961) qui fait se rejoindre la grammaire schönberguienne du Quintette op. 26 et un hommage à Bartók. L’opus no 2, des Variations pour piano, montre dès lors l’influence de Boulez, de Stockhausen et de Nono. Denisov se fait admettre dans le domaine réservé des grands créateurs postweberniens lors de la première de sa cantate, le Soleil des Incas, pour soprano, 10 instruments, 3 voix d’hommes sur des poèmes chiliens de Gabriela Mistral. Tout en jouant d’un pointillisme instrumental emprunté au Marteau sans maître de Boulez, il reste dans la tradition russe pour ce qui est du traitement de la voix. Pendant dix ans (1964-1974), il a poursuivi ses recherches sonores sur diverses formations instrumentales : Crescendo-diminuendo pour clavier et 12 cordes (1965), Ode pour clarinette, piano, percussions (1968), Musique romantique pour hautbois, harpe et trio à cordes (1968), Silhouettes pour flûte, 2 pianos et percussions (1969), 3 Pièces pour violoncelle (1970), Trio avec piano (1971), Sonate pour violoncelle, Sonate pour saxophone (1971), enfin ses Signes en blanche pour piano seul (1974). Tout comme Prigojine, Denisov revient aux intonations archaïsantes pour la conduite de la voix humaine : Pleurs pour soprano, piano et percussions sur des textes populaires (1966), Automne pour choeur à 13 voix solistes a cappella sur des paroles de V. Khlebnikov (1968), Chant d’automne pour soprano et grand orchestre (1971). Depuis 1970, il s’adonne également au style concertant, du fait de

fréquentes commandes de solistes occidentaux. À retenir le Concerto pour violoncelle (1972), pour piano (1974), pour flûte (1975), pour percussions (1978). Peinture pour grand orchestre (1970) est son oeuvre symphonique la plus réussie qui soit parvenue en Occident. L’importance des oeuvres de Denisov est encore difficile à apprécier, la vie musicale soviétique les laissant à l’écart. On a pu entendre ses ouvrages à Royan, au Domaine musical, à l’Automne de Varsovie, au concert de clôture de l’exposition Paris-Moscou en 1979, mais il est évident que l’oeuvre n’a pas l’audience qu’il mérite. En 1986 a été créé à Paris l’opéra l’Écume des jours, d’après Boris Vian, et, en 1988, une Symphonie. Il a « terminé » l’opéra inachevé de Debussy Rodrigue et Chimène (Lyon, 1993). DÉPLORATION. Terme employé surtout du XIVe au XVIe siècle et désignant un poème en musique composé à l’occasion de la mort d’un personnage illustre pour célébrer ses mérites et exprimer le regret de sa disparition. La déploration succède au planctus latin (Planctus Karoli sur la mort de Charlemagne) ou au planh méridional (planh de Richard Coeur de Lion), mais ceux-ci étaient ordinairement monodiques, alors que la déploration est souvent polyphonique ; l’une des plus anciennes est la double ballade composée par F. Andrieu sur la mort de Guillaume de Machaut, le Noble Rhétorique. Au XVIIe siècle, ce genre d’hommage posthume devint surtout instrumental et prit le nom de « tombeau ». DEPRAZ (Xavier), basse française (Paris 1926). Élève du Conservatoire de Paris, il a débuté en 1952 à l’Opéra-Comique dans le rôle de Basile du Barbier de Séville de Rossini et à l’Opéra dans celui de Palémon de Thaïs de Massenet. Tout en s’illustrant dans le répertoire, il a participé aux premières représentations, à l’Opéra-Comique, du Rake’s Progress de Stravinski (rôle de Nick Shadow, 1953), et à l’Opéra, de Dialogues des carmélites de Poulenc (rôle du marquis de La Force, 1957). Parmi ses autres incarnations remarquables, il faut relever celle du personnage de Peter Bell dans le

Fou de Landowski avec le Centre lyrique populaire de France. Artiste cultivé, il a donné des interprétations extrêmement fouillées, aussi bien sur le plan musical que sur le plan scénique. Il est depuis 1973 professeur d’art lyrique au Conservatoire de Paris. DE PROFUNDIS. Premiers mots du Psaume 129 (130 dans l’usage réformé) dans lequel David pécheur crie sa détresse « du fond de l’abîme », implore la miséricorde divine et proclame sa confiance dans la rédemption finale d’Israël. Adopté par l’usage catholique comme l’une des pièces maîtresses de la liturgie des défunts - où il figure notamment dans le rituel des obsèques -, ce psaume a été souvent utilisé comme texte de motet aux XVIIe et XVIIIe siècles. Les De profundis de Lully et de Delalande sont particulièrement célèbres. Adapté en strophes allemandes par la liturgie luthérienne (Aus tiefer Noth), il figure à ce titre dans le répertoire des chorals et a souvent été traité comme tel par les organistes, notamment par J.-S. Bach. DERING (Richard), compositeur anglais ( ? v. 1580 - Londres 1630). Il vécut en Angleterre et en Italie, et se convertit au catholicisme. Nommé Bachelor of Music à Oxford en 1610, il fut, à une époque de sa carrière, organiste des bénédictines anglaises à Bruxelles, puis probablement organiste de la reine Henriette d’Angleterre, après l’accession au trône de Charles Ier en 1625. Il composa des oeuvres religieuses dans le style anglais et destinées au culte catholique (Cantiones sacrae à 5 voix avec basse continue, 1617 ; des Cantica sacra à 6 voix, 1618 ; à 2 et 3 voix avec basse continue, 1662, 1674). Dans le downloadModeText.vue.download 299 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 293 domaine de la musique profane, il écrivit des canzonette italiennes (1620), des madrigaux italiens dans le nouveau style avec basse continue à 1, 2 et 3 voix, qui rappellent ceux d’un Sigismondo D’India, des madrigaux anglais, des fantaisies et des danses pour violes. Dering est connu surtout pour ses « Cris » (City Cries and

Country Cries), dont des Cries of London dans la tradition de ceux de Th. Weelkes. DERMOTA (Anton), ténor autrichien (Kropa 1910 - Vienne 1989). Il étudia l’orgue et la composition à Laibach, puis le chant à Vienne, et débuta en 1936 à l’opéra de Vienne dans le rôle d’Alfredo de La Traviata de Verdi. Après avoir débuté à Salzbourg dans le petit rôle de Zorn des Maîtres chanteurs de Wagner sous la direction de Toscanini, il remporta au festival de cette ville un grand succès en 1938, dans le rôle de Don Ottavio de Don Juan. Il fit ensuite une carrière internationale, sans cesser d’être attaché à l’opéra de Vienne. Sa voix exquise et veloutée était assez solide pour qu’il pût aborder plusieurs rôles de Verdi, ainsi que le personnage d’Hérode dans Salomé de Richard Strauss. Mais ce musicien remarquable demeure avant tout l’un des plus grands ténors mozartiens que l’on ait connus. DERVAUX (Pierre), compositeur et chef d’orchestre français (Juvisy-sur-Orge, Essonne, 1917 - Marseille 1992). Dès l’âge de treize ans, il joua de la batterie dans des orchestres de genre. Il fut, au Conservatoire national de Paris, l’élève de Ferté, d’Yves Nat et de Marcel SamuelRousseau. Il débuta comme chef d’orchestre, accompagnant les attractions au cinéma Paramount, et comme timbalier à l’orchestre Pasdeloup, où Albert Wolff, lui ayant donné des leçons de direction d’orchestre, le fit monter au pupitre de l’association. En 1947, il entrait à l’Opéra-Comique avec Manon, et, en 1956, à l’Opéra avec Rigoletto. Dans ces deux théâtres, il dirigea le répertoire ainsi que plusieurs créations, dont la première représentation, à l’Opéra, du Dialogue des carmélites de Poulenc (1957). Pierre Dervaux a beaucoup travaillé à l’étranger, en particulier au Canada où il fut à la tête du conservatoire de Québec. Il a présidé à la création et à l’organisation de l’Orchestre des Pays de la Loire. Il est également président-chef d’orchestre de l’Association des concerts Colonne. Accaparé par ces différentes activités, il n’a eu que peu de temps à consacrer à la composition, mais ses compositions révèlent un musicien de bonne facture, élégant, aux harmonisations habiles, dont l’oeuvre comprend des partitions symphoniques

et concertantes, des pièces pour piano et des mélodies. DESCARTES (René), philosophe français (La Haye, Touraine, 1596 - Stockholm 1650). Un essai de jeunesse, le Compendium musicae, écrit en 1618 et publié après sa mort en 1650, renferme l’essentiel de ses vues sur l’art musical. Le philosophe établit une distinction entre le « beau absolu », qui est conforme aux lois mathématiques, et le « beau subjectif », qui dépend du goût individuel. L’esthétique ne peut traiter que du beau absolu, et c’est là sa limite. Descartes reconnaît, dès lors, l’existence de l’irrationnel dans le domaine de l’art. La pensée de Descartes a influencé la philosophie de la musique dans l’Allemagne de la fin du XVIIIe siècle ; elle a ouvert la voie qui mène à la Critique du jugement d’Emmanuel Kant (1790). D’autre part, dans sa correspondance avec son ami le père Mersenne ou avec le physicien hollandais Christiaan Huygens, Descartes évoque souvent la musique. Le Compendium musicae a été publié en fac-similé par G. Birkner (Strasbourg, 1965). DESCAVES (Lucette), pianiste française (Paris 1906 - Paris 1993). Elle est l’élève de Marguerite Long au Conservatoire de Paris, puis celle d’Yves Nat et obtient un 1er Prix de piano en 1923. Sa carrière s’oriente d’emblée vers l’enseignement : assistante de Marguerite Long, puis d’Yves Nat, elle est nommée en 1941 professeur de piano au Conservatoire de Paris. Elle n’abandonne pas pour autant l’activité de concertiste et joue sous la direction de Münch, Cluytens, Dervaux, Fourestier. Intéressée par la musique de son temps, elle crée des oeuvres de Jolivet (Danses rituelles, 1942 ; Concerto pour piano, 1951) et de Rivier (Concerto pour piano, 1954). DESCORT (lat. discordia : « désaccord »). Terme s’appliquant à un genre difficile de poésie lyrique en langue occitane, cher aux troubadours des XIIe et XIIIe siècles. Il marqua ensuite de son influence l’art des trouvères. Le descort est formé de cinq à dix strophes toutes différentes quant à leur longueur, leur métrique et leur mélodie. Parfois, des langues différentes peuvent être employées, par exemple, chez

Raimbaut de Vaqueiras, afin d’accentuer le désaccord. On trouve des traces de la technique du descort dans d’autres pays (Allemagne, Italie), et notamment dans la musique de la péninsule Ibérique, jusqu’au XVe siècle. DESCRIPTIVE (musique). Musique qui s’attache à imiter ou à évoquer des phénomènes naturels, des événements, voire des personnages ou des lieux. La musique dite descriptive n’est pas un genre codifié et réglementé, mais un « mode d’être » de la musique auquel presque tous les compositeurs ont plus ou moins sacrifié. Par rapport au cadre plus général de la « musique à programme », qui l’englobe (et qui peut véhiculer des sentiments et des sensations, soutenir un texte, évoquer des situations, raconter des histoires), la musique descriptive s’applique plus particulièrement à refléter, voire à imiter directement des phénomènes naturels ou matériels : en ce sens, elle est souvent « imitative ». Les thèmes favoris de la musique descriptive sont généralement pris dans l’univers naturel de l’homme : le cycle des saisons (Vivaldi, Haydn, Milhaud, Tchaïkovski) ; l’orage (Beethoven, Berlioz, Richard Strauss et les grands orages d’opéra chez Wagner, Verdi) ; l’eau (Beethoven, Schubert, Mendelssohn, Ravel, Liszt, Smetana, Debussy, Wagner, Poulenc) ; la chasse (Janequin, Vivaldi, Berlioz, César Franck, le genre musical de la « caccia » au XVe siècle) ; le chant des oiseaux (Rameau, Couperin, Vivaldi, Bach, Beethoven, Schumann, Wagner, Respighi, Saint-Saëns, Messiaen) ; la guerre (Janequin, Beethoven, Tchaïkovski, ainsi que les multiples « batailles » des XVIe et XVIIe siècles) ; les cloches (Berlioz, Debussy, de Falla, Ravel, Mahler) ; les moments de la journée, en particulier le matin, avec l’éveil des bruits (de Falla, Grieg, Debussy, Schönberg, Ravel, Ferrari) ; et la nuit (Boccherini, de Falla, Debussy, Ravel, Mendelssohn, Schönberg, Mahler). Les machines de l’univers moderne ont inspiré également nombre de compositeurs, de Prokofiev à Honegger, Mossolov, Varèse, Antheil, Satie, aux « bruitistes » italiens (Russolo, Marinetti) et quelques compositions de musique électroacoustique.

La « description » musicale est plus complexe, dans son essence, que la simple transposition de la manifestation acoustique d’un phénomène. En d’autres termes, Franz Liszt, évoquant les Jeux d’eau de la villa d’Este, traduit aussi bien le « murmure » audible des fontaines qu’une impression visuelle et rythmique de déferlements finement subdivisés, d’épanchements lumineux, etc., qui s’associent dans la perception à l’audition des « jeux d’eau ». Ainsi a-t-on pu faire des descriptions musicales de phénomènes par nature silencieux, tels que le coucher de soleil (Nuages, de Debussy), ou même de concepts. Beethoven avait soin de préciser que sa Symphonie pastorale était plus une traduction d’impressions ressenties que de perceptions objectives : mais comment faire la part des unes et des autres, dans maints cas où une image sonore brute, telle qu’un chant d’oiseau chez Messiaen, se trouve investie de ce que le compositeur et l’auditeur y logent d’émotion, de force symbolique ? En effet, le passage downloadModeText.vue.download 300 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 294 de l’imitation à la symbolisation plus ou moins codée et conventionnelle est insensible : c’est le problème du figuralisme en musique. On peut dire que toute musique descriptive est potentiellement symbolique. Beaucoup de figures musicales conventionnelles ont une origine lointainement descriptive, puis symbolique. Par ailleurs, on peut s’interroger sur le fonctionnement de la musique descriptive (comment l’auditeur reconnaît qu’il s’agit de l’orage, de l’eau, du matin), quand on constate la différence, le gouffre, entre la réalité acoustique d’un phénomène (susceptible aujourd’hui d’être enregistré et observé) et sa description par des moyens musicaux. Il y a généralement peu de rapport acoustique entre une tempête réelle et une tempête en musique, sinon que cette dernière retrouve parfois une certaine structuration des événements dans le temps. Nous savons que la perception la plus brute est déjà une « composition » complexe réalisée par le cerveau. À plus forte raison, les peintures musicales les moins

transposées, apparemment, sont déjà des stylisations, des recompositions, empruntant parfois leur vocabulaire à la plus banale convention (analogue à celle qui exprime, dans la langue française, l’aboiement du chien par « oua-oua », image acoustique très éloignée de l’aboiement réellement perçu). Comme l’a rappelé Pierre Schaeffer, il n’y a de son que « dans la tête », d’où vient que la musique descriptive, cherchant les repères de son objectivité, ne pourra les trouver que dans la conscience de l’auditeur, en aucun cas dans une réalité supposée « objective » en dehors de tout sujet percevant. On peut penser que certaines musiques électroacoustiques dites « anecdotiques », comme celles de Luc Ferrari, et parfois chez Varèse, François-Bernard Mâche, Pierre Henry, François Bayle, etc., bouleversent les données du genre, en utilisant des « images » enregistrées de phénomènes acoustiques naturels, donc apparemment la réalité brute du phénomène, et non sa stylisation en notes jouées par des instruments, comme chez Messiaen. Cependant, même ces images apparemment « brutes » ont été cadrées, découpées, assemblées ; elles sont une coupe dans le temps et dans l’espace, comme une photographie l’est pour un phénomène visible. Il arrive même qu’il soit plus difficile d’évoquer à l’auditeur une réalité sonore par son enregistrement que par son image musicale conventionnelle. On peut aussi se demander dans quelle mesure le titre, le commentaire ne jouent pas un grand rôle pour l’identification des images musicales proposées par la musique descriptive. Combien d’auditeurs reconnaîtraient l’orage des Quatre Saisons de Vivaldi, si on ne le leur avait pas désigné comme tel ? Ce bref survol des problèmes de la musique descriptive ne doit pas laisser oublier que la musique du monde entier et de toutes les époques comporte beaucoup d’éléments descriptifs et symboliques. On peut donc dire que cette tendance au descriptif est une de ses pentes naturelles, et non un dévoiement ou une perversion. C’est au contraire la musique dite « pure » qui est une conquête, le résultat artificiel et concerté d’une sublimation - et non l’état naturel de la musique dans sa virginité. Du reste, ce n’est que depuis peu de temps (fin du XIXe s. ?) que la musique occidentale ressent sa dualité entre la tendance descriptive et l’expression abstraite

comme un clivage douloureux, et que toute intention figurative est repoussée avec horreur par la plupart des auteurs dits « sérieux » - sauf, justement, chez un esprit indépendant comme Olivier Messiaen, lequel n’a pas plus de problèmes qu’un Bach ou un Mozart pour suivre un propos à la fois descriptif et abstrait. Ajoutons que certains genres, certaines périodes, certaines catégories de musiciens ont affectionné le genre descriptif, dans l’histoire occidentale : les madrigalistes italiens, la chanson polyphonique française (Janequin), les virginalistes anglais, l’école française classique de clavecin (Couperin), le poème symphonique et l’ouverture de concert, au XIXe siècle, et, d’une manière générale, la plupart des musiques faites autour de textes, dont l’opéra, qui contient, même chez les auteurs les plus « théoriciens » (Schönberg, Berg), un nombre considérable de moments descriptifs, intégrés dans une narration et un propos dramatico-musicaux. DESMAREST (Henry), compositeur français (Paris 1661 - Lunéville 1741). Page de la Musique du roi, il reçut son éducation musicale auprès de Robert et de Du Mont. Ayant été écarté d’un des postes de la chapelle royale, il se tourna vers l’art lyrique. En 1686, il donna deux opéras à la cour, puis devint, à partir de 1693, l’un des principaux compositeurs de l’Académie royale de musique. Jusqu’en 1698, il fournit en moyenne un ouvrage par an au théâtre parisien. Sa carrière dans l’opéra fut interrompue par une aventure galante : en raison de l’enlèvement d’une de ses élèves, dont il s’était épris, il dut quitter la France. En 1699, il entra à Bruxelles au service de Maximilien Emmanuel de Bavière, puis en 1701, à Madrid, à celui du roi d’Espagne, Philippe V. Enfin, en 1707, il fut surintendant à la cour de Lorraine. Entre-temps, en 1704, sa tragédie lyrique, Iphigénie, laissée inachevée lors de son départ de Paris, fut représentée dans cette ville, grâce à Campra qui termina l’oeuvre. Pardonné par le régent en 1720, Desmarest allait avoir l’occasion de retourner en France et d’assister, en 1722, à la création de son dernier opéra, Renaud ou la Suite d’Armide. N’étant pas parvenu, en 1726, à succéder à Delalande à la chapelle royale, il termina sa carrière en Lorraine. En dépit de ses échecs pour entrer à la chapelle du

roi, il laissa une messe à deux choeurs, deux Te Deum et plusieurs psaumes et motets. Son oeuvre lyrique fut critiquée de son vivant : on lui reprochait de plagier Lully, ce qui est en effet sensible dans un opéra comme Circé (1694). Certains de ses ouvrages furent toutefois appréciés et ne manquent pas d’originalité : Didon (1693), Iphigénie (1704). DESORMIÈRE (Roger), compositeur et chef d’orchestre français (Vichy 1898 Paris 1963). Élève de Charles Koechlin, il écrit ses premières compositions, dont des mélodies sur des Quatrains de Francis Jammes. Il reçoit le prix Blumenthal de composition en 1922. En 1923, il prend la direction des concerts de l’école d’Arcueil qui réunit Maxime Jacob, Henri Sauguet et Cliquet-Pleyel autour d’Erik Satie. Dès l’année suivante, il se consacre à la direction d’orchestre, n’écrivant plus que quelques partitions pour le cinéma. Il est successivement chef d’orchestre aux Ballets suédois (1924), aux Ballets russes de Serge de Diaghilev (1925), à la Société de musique d’autrefois (1930). En 1931, il ressuscite, au théâtre Pigalle, de vieux opéras-comiques : On ne s’avise jamais de tout de Monsigny, Giannina e Bernadone de Cimarosa. Par la suite, il devient directeur musical des Ballets russes de Monte-Carlo (1932). En 1937, il entre à l’Opéra-Comique en dirigeant la création en France du Testament de tante Caroline d’Albert Roussel. Il assume ensuite, dans ce théâtre, la responsabilité de nombreuses créations et reprises, notamment dans le répertoire français. En 1945, il est chargé de diriger les spectacles de ballets au palais Garnier et, en 1948, il participe à la fondation de l’Association française des musiciens progressistes. En 1950, atteint de paralysie, il doit cesser toute activité. Mais ce chef, aux interprétations raffinées, riches en coloris subtils, a été durant un quart de siècle un ardent défenseur de la musique française, en particulier contemporaine. C’est à lui, en effet, que l’on doit, entre autres, les créations de la Chatte de Henri Sauguet, la Mort du tyran de Darius Milhaud, Passacaille de Daniel-Lesur, les Animaux modèles de Francis Poulenc, le Soleil des eaux de Pierre Boulez et la Première Symphonie de Henri Dutilleux. DESPORTES (Berthe Melitta, dite Yvonne), femme compositeur française

(Coburg, Saxe, 1907 - Paris 1993). Élève de Marcel Dupré, de Maurice Emmanuel et de Paul Dukas au Conservatoire de Paris (1925-1932), Premier Grand Prix downloadModeText.vue.download 301 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 295 de Rome en 1932, elle a partagé sa carrière entre la composition et l’enseignement, dirigeant au Conservatoire une classe de solfège de 1943 à 1959, puis de composition et de fugue de 1959 à 1978. Comme compositeur, elle est une traditionaliste non conformiste. Ses oeuvres pour le théâtre, comme Maître Cornelius (1939), d’après Balzac, la Farce du carabinier (1943), la Chanson de Mimi-Pinson ou le Forgeur de merveilles (1965), d’après O’Brien, sont fort spirituelles, et de son intérêt pour la percussion témoignent Voyage au-delà d’un miroir (1963), pour trois percussions, Vision cosmique (1964), pour percussion avec bronté - instrument à percussion métallique inventé par son fils -, et Au-delà de la prière (1970), pour bronté et orchestre à cordes. On lui doit aussi trois concertos (À bâtons rompus pour 2 percussions ; le Tambourineur pour percussion ; l’Exploit de la coulisse pour trombone), trois symphonies (Saint Gindolph ; Monorythmie ; l’Éternel féminin) et un Traité d’harmonie en vingt leçons (1978). DESSAU (Paul), compositeur allemand (Hambourg 1894 - Berlin 1979). Il a occupé après la Première Guerre mondiale des postes à Hambourg, Cologne, Mayence, Berlin. En 1933, il émigra à Paris, puis aux États-Unis, et, en 1948, se fixa à Berlin-Est, où il poursuivit sa collaboration avec B. Brecht : musiques de scène pour Mère Courage (1946) et pour le Cercle de craie caucasien (1954) ; opéras Das Verhör des Lukullus (« le Procès de Lucullus », 1949), devenu après controverses et remaniements Die Verurteilung des Lukullus (« la Condamnation de Lucullus », 1951), et Maître Puntila (1966). Attiré dans sa jeunesse par les techniques dodécaphoniques, il s’en est assez vite éloigné, choisissant délibérément une voie plus ouverte et plus large : « Écrire une musique réaliste, c’est ce qui compte pour moi. » Il a sans doute donné le meilleur de

lui-même dans des témoignages comme In memoriam Bertolt Brecht (1957), Requiem pour Lumumba (1963), ou encore Lénine, musique pour orchestre no 3 avec choeur final sur l’Épitaphe pour Lénine de B. Brecht (1970). On lui doit encore des musiques de scène pour les différents Faust de Goethe (1949-1953), Variations sur un thème de Bach pour orchestre (1964), les opéras Lancelot (1967-1969) et Einstein (1971-1973). Une oeuvre scénique posthume d’après Büchner, Leonce und Lena, a été créée à l’opéra de Berlin-Est fin 1979. DESSUS. Terme général désignant soit les voix, soit les tessitures les plus aiguës d’un ensemble. Dans la terminologie des XVIIe et XVIIIe siècles, on distinguait les hauts dessus et les bas dessus, correspondant à peu près au soprano et au mezzo-soprano. On employait aussi ce terme pour désigner les instruments aigus d’une même famille (par exemple, dessus de viole), ou encore, dans l’orgue, des jeux « coupés » (généralement à partir soit de l’ut3, soit du fa3) n’affectant que la partie supérieure du clavier. Dans le titre des pièces d’orgue, il désigne un morceau comportant un récit de solo à la partie supérieure. DESTOUCHES (André-Cardinal), compositeur français (Paris 1672 - id. 1749). Fils d’un marchand parisien, il fit ses études chez les jésuites au collège Louisle-Grand, de 1681 à 1686. Puis il partit en 1687, avec le père Tachard, pour le Siam, comme mathématicien et géographe. À son retour (1688), il renonça aux ordres. En 1692, il entra chez les Mousquetaires noirs et participa à la guerre de la Ligue d’Augsbourg. Là, il commença à écrire des airs sérieux et à boire. Il quitta l’armée en 1694 pour se perfectionner en musique avec Campra et collabora bientôt avec ce dernier en composant trois airs pour l’Europe galante, opéra-ballet créé en 1697. La même année, il fit interpréter sa pastorale, Issé, en présence de Louis XIV. L’oeuvre fut applaudie et Destouches devint l’un des artistes les plus appréciés du roi. De 1699 à 1703, ses tragédies lyriques, Amadis de Grèce, Marthésie et Omphale, ainsi que sa comédie-ballet, le Carnaval et la Folie, eurent le privilège d’être données en

concert avant d’être représentées à l’Opéra de Paris. Cette protection lui valut également d’être nommé en 1713 inspecteur de ce théâtre. La mort de Louis XIV ne vint pas interrompre sa carrière. En 1718, il acheta à Delalande la charge de surintendant de la musique, avant de collaborer avec ce musicien au ballet les Éléments, qui fut dansé par le jeune Louis XV aux Tuileries en 1721. Destouches n’allait plus écrire qu’un seul ouvrage lyrique, les Stratagèmes de l’amour, créé en 1726, en dépit du poste de directeur artistique de l’Opéra qu’il reçut en 1728. Entre-temps, en 1727, il avait été nommé maître de la musique de la Chambre. Pour Marie Leszczy’nska, il organisa les Concerts de la reine, avant de se démettre de toutes ses charges. À côté de quelques cantates et de plusieurs airs sérieux et à boire, le reste de l’oeuvre conservé de Destouches est consacré à l’art lyrique. Parmi les meilleurs opéras peuvent être cités la pastorale Issé (1697), qui fut augmentée de deux actes dans une nouvelle version (1708), ainsi que les tragédies lyriques Omphale (1700) et Callirhoé (1712). Sa comédie-ballet, le Carnaval et la Folie (1703), témoigne de l’influence italienne et pourrait être rapprochée des opéras-ballets de Campra. DÉTACHÉ. Mode d’exécution dans lequel les notes doivent être séparées, c’est-à-dire jouées sans legato (jeu lié). S’appliquant plus particulièrement aux instruments à archet, le détaché, qui peut être plus ou moins prononcé, se fait en jouant une seule note par « tiré » ou « poussé », et en interrompant nettement le son entre le « tiré » et le « poussé ». DEUTSCH (Max), compositeur autrichien (Vienne 1892 - Paris 1982). C’est en 1912, alors qu’il suivait les cours de Guido Adler à l’université de Vienne, que Max Deutsch devint l’élève de Schönberg en même temps que le précepteur de son fils. Il l’accompagna à Amsterdam comme assistant en 1920-21. Nommé chef titulaire du Blüthner Orchestra à Berlin, il composa la musique du film de Pabst le Trésor, puis vint s’établir à Paris en 1924. C’est là qu’il résida désormais et dirigea notamment la première exécution en France du Kammerkonzert de

Berg et d’importants fragments des Gurre Lieder de Schönberg. Naturalisé français en 1948, après avoir fait la guerre dans la Légion étrangère, il se consacra dès lors à l’enseignement de la composition, puis fonda, en 1960, les Grands Concerts de la Sorbonne où les oeuvres de ses élèves les plus marquants, données en création, voisinaient avec celles des principaux compositeurs du XXe siècle, sans exclusive. En 1971, il devint professeur de composition à l’École normale de musique de Paris. Plus de trois cents compositeurs de tous les pays ont trouvé à travers lui une approche de la musique dans laquelle le dire occupe moins de place que le faire : « Mettez-vous au piano et jouez » était l’un de ses conseils les plus pressants. Loin d’être concentré exclusivement, il s’en fallait de beaucoup, sur l’étude de la méthode dodécaphonique, l’enseignement de Max Deutsch reposait sur l’analyse des oeuvres de Schönberg de la période 19081913, mais également sur toutes celles qui, de Monteverdi à Mahler en passant par Beethoven, Brahms et Wagner, ont fait la somme des acquisitions précédentes, en insistant davantage sur la permanence d’un certain nombre de principes d’écriture fondamentaux que sur les bouleversements esthétiques ou techniques qui ont jalonné l’histoire de la musique. Quoiqu’il n’ait jamais cessé d’écrire de la musique, Max Deutsch n’a pas cherché à s’imposer comme compositeur. Parmi ses oeuvres, presque toutes détruites avant sa mort, il faut citer une Symphonie en cinq mouvements, une Symphonie pour solos, choeurs et orchestre d’après Péguy, des mélodies, des Choeurs d’hommes d’après Vinci, une messe, une musique de scène pour la Fuite (1946) de Tristan Tzara, et un opéra, le Joueur. downloadModeText.vue.download 302 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 296 DEUTSCH (Otto Erich), musicologue autrichien (Vienne 1883 - id. 1967). Il commença sa carrière comme critique d’art du journal Die Zeit (1908-1909), puis devint assistant à l’Institut d’histoire de l’art de l’université de Vienne (1910-11). Il se dirigea ensuite vers la musicologie, entreprenant des recherches sur les mu-

siciens viennois et particulièrement sur Franz Schubert, de l’oeuvre duquel il établit, en 1951, un catalogue thématique qui a été universellement adopté. De 1939 à 1951, il vécut exilé en Angleterre, et prit la nationalité de ce pays en 1947. DEUX PIEDS. Nom donné aux jeux d’orgue faisant entendre la note jouée deux octaves au-dessus de la hauteur normale (8 pieds) attribuée à la touche. Pour la justification du terme, voir le mot pied. DEVCIK (Natko), compositeur yougoslave (Glina, Croatie, 1914). Il a fait ses études à Zagreb, Vienne et Paris, et fréquenté les cours d’été de Darmstadt. En 1962, il a été nommé à la tête du département composition de l’Académie de musique de Zagreb, et a travaillé en 196768 au Centre de musique électronique de Columbia-Princeton. Auteur de l’opéra la Sorcière de Labin (1957), de Microsuite pour piano (1965), de Fibula pour 2 orchestres (1967), il s’intéresse aussi bien à la musique populaire de l’Istrie qu’aux techniques les plus avancées, et a publié sur ces sujets de nombreux articles. DÉVELOPPEMENT. Utilisation, dans une construction musicale, d’un thème ou d’un fragment de thème précédemment exposé, d’où l’on extrait divers éléments, ou bien que l’on présente avec ou sans modifications, de manière variée ou en combinaisons diverses, et qui fournit ainsi une matière musicale plus ou moins étendue restant constamment tributaire du thème. Le principe du développement est l’une des découvertes les plus importantes de la construction musicale classique. Le développement constitue souvent, par exemple, la section la plus intéressante de la forme sonate, prenant place après l’exposition. Inconnu jusqu’à la fin du Moyen Âge, qui utilisait comme unique élément de structure soit la reprise, soit l’étirement du chant donné, il fait son apparition progressive dans la polyphonie au cours du XVe siècle, avec les entrées successives de voix en imitation. Il reçoit une impulsion décisive à la fin du XVIe siècle avec le ricercare, qui en systématise et étend l’emploi tout au long d’une section, puis d’une pièce entière. Le développement ne

cessera ensuite de se perfectionner pour devenir l’un des éléments fondamentaux de la construction musicale, jusqu’au XXe siècle où diverses écoles battront en brèche sa suprématie ou renonceront totalement à avoir recours à lui. DEVIENNE (François), flûtiste et compositeur français (Joinville 1759 - Charenton 1803). Il s’intéressa très jeune aux instruments à vent et devint bientôt à la fois virtuose de la flûte et excellent bassoniste. En outre, il écrivit un grand nombre d’oeuvres, notamment des concertos, pour ces deux instruments. Bassoniste et flûtiste à la garde des Suisses, flûtiste dans l’orchestre du Théâtre de Monsieur en 1788, puis du théâtre Feydeau en 1792, il fut, à la fondation du Conservatoire (1795), nommé professeur de flûte et publia une Méthode de flûte théorique et pratique. Dans le domaine de la musique vocale, il signa des airs, des romances et écrivit des opérascomiques, dont les Visitandines (1792), qui connut un vif succès. Travailleur infatigable, il fut, dès 1802, atteint d’aliénation mentale et dut être interné l’année suivante. DEVISE. Phrase, souvent à double sens, ou présentant un aspect de devinette, que les contrapuntistes, du XIVe siècle à J.-S. Bach, adjoignaient volontiers à des canons énigmatiques ( ! ÉNIGME) ou à des voix de polyphonie (le plus souvent teneurs écrites elles-mêmes en rébus, et qui suggéraient la solution à ceux qui parvenaient à les comprendre). L’une des plus anciennes devises connues est le texte du rondeau de G. de Machaut, Ma fin est mon commencement. Les devises de l’Offrande musicale de Bach sont restées célèbres ; par exemple : Notulis crescentibus crescat fortuna regis (« tandis qu’augmentent les notes, que croisse la fortune du roi ») est à la fois une dédicace courtisane et une indication technique suggérant une résolution de canon par augmentation. DEVRIÈS (Daniel, dit Ivan), compositeur français (Saint-Lunaire, Ille-et-Vilaine, 1909). Fils du ténor David Devriès, il est aussi,

par sa mère, arrière-petit-fils de Théophile Gautier et de la cantatrice Ernesta Grisi. Après ses études secondaires, il étudie l’harmonie, avec M. Samuel-Rousseau, le contrepoint et la fugue au Conservatoire de Paris, avec Georges Caussade. De 1936 à 1974, il travaille à la radio en qualité de metteur en ondes. Son oeuvre, ouverte à diverses influences du XXe siècle (Debussy, Bartók, rythmes de jazz), comprend de la musique symphonique (Trois Mouvements symphoniques, 1953), une comédie musicale le Clou aux maris (1961-1963), d’après Labiche, de nombreuses musiques de scène et des illustrations musicales pour l’O. R. T. F. En 1961, il a obtenu le grand prix musical de la Ville de Paris. DHOMONT (Francis), compositeur français (Paris 1926). Élève de Charles Koechlin et de Nadia Boulanger, après quelques oeuvres instrumentales, il s’oriente vers la musique électroacoustique et s’installe peu à peu un studio personnel en Provence, où il compose notamment Cités du dedans (1972), Syntagmes (1975), Métonymie (1976), À cordes perdues (1977) pour contrebasse et bande, oeuvres dont certaines ont été distinguées au concours du Groupe de musique expérimentale de Bourges. Il prend toute sa stature au début des années 1980 avec des oeuvres puissantes et d’une éloquence sombre et poétique, comme Sous le regard d’un Soleil noir (1981, sur des textes de Ronald Laing) ou Chiaroscuro (1987), et aussi comme professeur, au Québec, où il s’installe pour une quinzaine d’années, et où il est à l’origine de tout un courant talentueux de musique « acousmatique » (électroacoustique). Stéphane Roy, Robert Normandeau, Gilles Gobeil, etc., comptent parmi ses élèves. Il joue également un rôle non négligeable de défenseur de la musique électroacoustique, par de nombreux articles et dossiers, comme ceux qu’il dirige dans le cadre de la revue Lien, fondée par la compositrice belge Annette Van de Gorne. DIABELLI (Anton), compositeur et éditeur autrichien (Mattsee, près de Salzbourg, 1781 - Vienne 1858). Il fit ses premières études musicales avec son père, fut élève au collège bénédictin de Michaelbeuren, chanta à la chapelle de Salzbourg où il rencontra Michael Haydn,

avec qui il perfectionna sa formation musicale. En 1803, après avoir fréquenté quelque temps le collège cistercien de Raitenhaslach, il alla s’établir à Vienne, où il se fit rapidement apprécier comme professeur de musique (piano et guitare). En 1818, s’associant avec Peter Cappi, il fonda une maison d’éditions musicales, qui publia notamment les oeuvres de Schubert, et racheta les fonds de plusieurs autres éditions, dont celle de Johann Traeg. En 1852, elle fut reprise par C. A. Spina et plus tard, après la mort de Diabelli, par F. Schreiber en 1872. Ses activités de pédagogue et d’éditeur n’empêchèrent pas Diabelli d’être un compositeur fécond, à l’inspiration spontanée et agréable, quoique imitative et sans grande envergure. Ses nombreuses pièces, sonatines, arrangements pour piano, violon ou guitare continuent à faire partie du répertoire des musiciens débutants. Il écrivit aussi beaucoup de musique religieuse (choeurs, messes, offertoires), ainsi que des singspiele. Mais s’il acquit une certaine célédownloadModeText.vue.download 303 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 297 brité, c’est moins grâce à ses propres oeuvres que grâce à Beethoven, qui écrivit sur une de ses valses son plus important cycle de variations (33 Variations sur une valse de Diabelli op. 120, 1822-23), répondant ainsi à une proposition que Diabelli avait lancée à de nombreux compositeurs de son temps pour rentabiliser sa maison d’édition. DIABOLUS IN MUSICA. Expression latine (« le diable dans la musique «), parfois employée pour désigner, en rappelant l’aversion qu’il suscitait au Moyen Âge, l’intervalle de triton (trois tons entiers de suite, par ex. fa-si bécarre), considéré par la grande majorité des théoriciens comme un écueil à éviter tant dans la mélodie que dans la polyphonie. Toutefois, la croyance généralisée selon laquelle cette expression faisait partie du vocabulaire médiéval ne repose sur aucun document : bien qu’alors présentée comme traditionnelle, elle n’est attestée nulle part avant le XIXe siècle.

DIAGHILEV (Serge Pavlovitch de), fondateur des Ballets russes (Novgorod 1872 - Venise 1929). Homme du monde et dilettante, qui n’était ni musicien, ni peintre, ni danseur, mais qui possédait au plus haut point le goût et l’intelligence de tous les arts, il se fit connaître en 1899 en publiant la revue Mir Iskoutsva (« le Monde de l’art »). Presque aussitôt, il organisa la première exposition en Russie de peintres impressionnistes français, puis des concerts de musique contemporaine. En 1905, il présenta à Saint-Pétersbourg une exposition consacrée à Deux Siècles de peinture et de sculpture russes, qu’il transporta à Paris l’année suivante. Le succès de cette première manifestation parisienne l’encouragea à persévérer. Il revint en 1907 avec une série de cinq concerts, en 1908 avec Fedor Chaliapine dans Boris Godounov, en 1909 avec les Ballets russes qu’il venait de créer, et dont la saison inaugurale au théâtre du Châtelet connut un triomphe retentissant. La compagnie, recrutée à Saint-Pétersbourg, réunissait quelques étoiles promises à une célébrité mondiale (Nijinski, Fokine, Pavlova, Karsavina, Ida Rubinstein) et bénéficiait du concours de deux peintres russes qui devaient faire école : Léon Bakst et Alexandre Benois. Diaghilev en fit l’instrument de sa conception du ballet, spectacle total où la musique et la décoration sont aussi importantes que la danse. Jusqu’à sa mort, qui entraîna celle des Ballets russes mais non leur esprit, il resta fidèle à cette formule. Il avait également pour principe de ne jamais se répéter, au risque de déconcerter et même de choquer. Aussi favorisa-t-il des chorégraphies révolutionnaires (à commencer par celles de Nijinski) et fit-il appel à des musiciens contemporains (Stravinski, Debussy, Ravel, Prokofiev, Erik Satie, le groupe des Six), ainsi qu’à des peintres d’avant-garde (Picasso, Derain, Rouault, Matisse, Braque, Gontcharova, Larionov), sans parler de l’apport littéraire d’un Jean Cocteau. Vingt années durant, les Ballets russes (devenus de moins en moins russes) furent un extraordinaire foyer de création dans tous les domaines, y compris celui de la mode. Plus qu’un impresario ordinaire, Diaghilev était un mécène particulièrement doué, mais un mécène sans fortune qui s’entendait admirablement à mobiliser celle de ses brillantes relations.

DIALOGUE. Morceau de musique comportant systématiquement une alternance soit entre deux groupes instrumentaux, soit entre un petit et un grand choeur, soit entre deux solistes, ou entre soliste et choeur, voire simplement entre plusieurs voix ou groupes de voix d’un même choeur. Le terme apparaît dans la seconde moitié du XVIe siècle, principalement à Venise, et s’applique alors surtout à la musique vocale, tandis qu’on l’utilisera surtout aux XVIIe et XVIIIe siècles, pour la musique instrumentale, spécialement dans la musique d’orgue (dialogue entre deux jeux ou deux claviers). On trouve même alors des dialogues sans alternance, le terme signifiant simplement que les deux mains ne jouent pas sur le même clavier. Certains auteurs enfin, tel M. A. Charpentier, ont parfois employé le mot « dialogue » au sens de petit « oratorio à personnages ». Le terme est aujourd’hui parfois repris par archaïsme, mais a cessé d’appartenir au vocabulaire courant. DIAPASON. 1. Nom donné à l’octave (littéralement : « par tous »), dans la terminologie de la musique grecque antique, conservée en latin médiéval. L’explication de ce terme est restée controversée ; elle constitue, du reste, l’une des questions d’école soulevées par Aristote dans son ouvrage apocryphe, les Problèmes musicaux (19e section). 2. Son de référence sur lequel s’accordent « tous » les instruments susceptibles de jouer simultanément. Le choix de ce son (de même que sa fréquence ou « hauteur absolue ») a d’abord été variable ; au cours du XIXe siècle, l’usage s’est établi de le fixer sur le la3 (dit la du diapason), mais ce n’est qu’en 1859 et en France seulement que sa fréquence a pu d’abord être normalisée (435 Hz - on disait « vibrations doubles » - à la seconde, à la température de 18 oC). Cette normalisation a été étendue au plan international en 1885, puis, devant les multiples entorses qu’elle ne cessait de subir - car le « diapason » n’a jamais cessé de monter -, elle a été modifiée théoriquement en 1939 et en 1953 (440 Hz à 20 oC), sans que pour autant ait pu être enrayée une ascension qui

se poursuit encore de manière variable d’un pays à l’autre (445 Hz en moyenne en 1979). Ce qui pose de redoutables problèmes tant aux chanteurs qu’aux facteurs d’instruments, voire aux instrumentistes à carrière internationale. Ce problème, qui apparaît insoluble, n’est pas étranger aux divergences fondamentales qui opposent entre eux les partisans d’une éducation musicale appuyée sur la hauteur absolue et ceux qui entendent la fonder sur la hauteur relative, les deux données étant en réalité différentes et complémentaires ; la seconde, tributaire de la normalisation, n’a pu évidemment être envisagée qu’à partir de celle-ci, ce qui interdit de la prendre en considération en deçà des deux dates indiquées (1859-1885 selon les pays). 3. Instrument destiné à faire entendre le son de référence défini ci-dessus (en principe le la3) en vue de l’accord des instruments. Les plus anciens diapasons, selon la légende, auraient été des cloches conservées au palais de l’empereur de Chine et nommées liu (« lois »), sur lesquelles devaient s’accorder les instruments rituels. Ni l’Antiquité gréco-romaine, ni le Moyen Âge, ni la Renaissance n’ont envisagé le diapason : la hauteur absolue se prenait au jugé en fonction de la seule tessiture - ce que continuent à faire à peu près toutes les musiques non écrites. Les premiers diapasons semblent avoir été de petits tubes sonores, parfois à « pompe » étalonnée, puis on leur préféra le « diapason à fourche », tige d’acier recourbée en U inventée en 1711 par l’Anglais John Shore. Les chefs de choeur se servent également d’un « diapason à bouche », comportant une anche battante simple. Le son choisi pour le diapason est généralement le la3, mais on trouve également des diapasons étalonnés en do ou même en si bémol (dans le cas des instruments à vent). 4. Le terme diapason a d’autre part un sens particulier en lutherie et en organologie. Dans la construction des instruments à vent, il désigne l’ensemble des rapports adoptés entre la perce (diamètre) et la longueur, ou hauteur, des tubes. Le même sens s’applique aux tuyaux d’orgue. Un large diapason (ou taille) assure aux jeux ouverts, de fond, une sonorité plus ronde ; un diapason

étroit donne une sonorité plus incisive (montres, gambes). Dans la construction des instruments à cordes, le terme diapason désigne le rapport entre la longueur de la table et celle du manche (entre sillet et éclisses). downloadModeText.vue.download 304 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 298 DIAPENTE. Intervalle de quinte. Le menuet du trio avec baryton en la majeur no 94 de Haydn est intitulé Canone in Diapente : canon à la quinte inférieure, à proprement parler « in Subdiapente », par opposition à « in Epidiapente » (à la quinte supérieure). DIAPHONIE. Mot d’origine grecque, désignant la « divergence » des voix ; en musique grecque antique, on le trouve opposé soit à homophonie (« unisson ») pour désigner deux sons de hauteurs différentes, soit à symphonie (« sons s’accordant ensemble ») pour désigner péjorativement la dissonance. À l’époque carolingienne, on l’applique aux premiers essais de polyphonie, organum primitif ou déchant. Le mot est tombé en désuétude à partir du XIIe siècle environ. DIASTOLE. Terme utilisé au XVIIIe siècle pour indiquer les divisions d’un morceau en phrases ou sections. DIATONIQUE. 1. Dans l’Antiquité, et d’abord en musique grecque, le genre diatonique désignait une division régulière du tétracorde : mi-rédo-si, deux tons suivis d’un demi-ton. 2. Pour les théoriciens européens, les intervalles diatoniques sont ceux qui appartiennent ou peuvent appartenir à une même échelle modale ou à une même gamme du système tonal. Ce sont donc

des intervalles dont les notes ne portent pas le même nom, par exemple, do-ré, mifa, si-do sont diatoniques, mais fa-fa dièse, si bémol-si sont chromatiques. 3. Une gamme est dite diatonique lorsqu’elle est constituée d’une succession d’intervalles de tons et de demi-tons, toutes les notes de cette gamme ayant un nom différent comme, par exemple, celle de do majeur : do-ré-mi-fa-sol-la-si-do (1 ton + 1 ton + 1/2 ton + 1 ton + 1 ton + 1 ton + 1/2 ton). En revanche, la gamme chromatique est une succession de demitons (do-do dièse-ré-ré dièse, etc.). L’invasion de plus en plus la gamme diatonique par le à la fin du XIXe siècle, a bué à la désintégration du

insistante de chromatisme, largement contrisystème tonal.

DIDEROT (Denis), écrivain français (Langres 1713 - Paris 1784). Avec d’Alembert, Diderot fut fondateur et rédacteur de l’Encyclopédie (1751-1772). Grand amateur de musique, il se donna la tâche de traiter des instruments et des questions d’ordre esthétique concernant cet art. D’autres ouvrages de Diderot réservent une place à la musique, comme ses Mémoires sur différents sujets de mathématiques (Paris, 1748), en quatre parties, où il traite des problèmes d’acoustique et d’un projet pour la construction d’un orgue mécanique. Dans le Neveu de Rameau (inédit à sa mort), le philosophe attaque le célèbre compositeur en affirmant : « Il n’est pas décidé que ce soit un génie [...], qu’il soit question de ses ouvrages dans dix ans. » En 1771, Diderot fit paraître un livre intitulé Leçons de clavecin et principes d’harmonie par M. Bemetzrieden, sous forme de dialogue, dans lequel l’auteur donne des leçons à un élève, son fils. Comme J.-J. Rousseau, Diderot se prononça en faveur de la musique italienne lors de la Querelle des bouffons en 1752, et contre les partisans de l’ancien opéra à la manière de Rameau. DIEMER (Louis), pianiste et compositeur français (Paris 1843 - id. 1919). Élève de Marmontel, auquel il devait succéder en 1888 comme professeur de piano au Conservatoire de Paris, il dut sa renommée à la perfection classique de son jeu. Fondateur de la Société des instruments

anciens, il manifesta beaucoup d’intérêt pour la reconstitution de la musique des maîtres du passé. Dans cette optique, il publia une collection intitulée les Clavecinistes français en 4 volumes, ainsi que la première édition moderne des Pièces de clavecin de François Couperin. D’autre part, il forma de nombreux disciples, dont Cortot, Risler et Robert Casadesus. Il est l’auteur de 3 concertos, de musique de chambre, de mélodies et de pièces pour piano. DIEPENBROCK (Alphonse), compositeur néerlandais (Amsterdam 1862 - id. 1921). Docteur de l’université d’Amsterdam, mais autodidacte en musique, il étudia seul les chorals de Bach, les quatuors de Beethoven, les oeuvres de Palestrina et des maîtres du XVIe siècle, en particulier de Sweelinck. Professeur de latin et de grec à Bois-le-Duc, il commença à composer dans un style personnel où une mélodie librement issue du grégorien rejoint la solide facture de Bach (Missa in die festo, 1890). Peu après, la découverte du chromatisme wagnérien l’orienta vers une nouvelle syntaxe grâce à laquelle il put faire écho à ses goûts littéraires (Hölderlin, Novalis, Nietzsche) dans de nombreuses pages chorales qui ne sont pas sans grandeur. En 1910 enfin, et après qu’il eut découvert Franck et Fauré, Debussy contribua à l’éloigner de Wagner, et le contact avec la poésie française (de Baudelaire à Verlaine) fut à l’origine de mélodies marquées par l’influence impressionniste. Ses dernières partitions sont des musiques de scène, également influencées par Debussy, et où il renouait avec son humanisme féru d’Antiquité (les Oiseaux, Électre). Il est le premier compositeur d’envergure dans son pays depuis Sweelinck, et le premier Néerlandais qui ait pris une part entière aux mouvements intellectuels européens de son temps. Mahler était son ami et Schönberg le tenait en haute estime. Bien que n’ayant eu aucun disciple, il eut une influence considérable sur le développement de la musique de son pays. DIES (Albert Christoph), peintre et écrivain allemand (Hanovre 1755 - Vienne 1822). Il se rendit à Rome en 1775, et voyagea

en Italie, où il rencontra Goethe et se spécialisa dans la peinture de paysages. Installé à Vienne en 1797 et en 1805, il se vit commander par le prince Nicolas II Esterházy une série de tableaux représentant le jardin à l’anglaise de son château d’Eisenstadt. De 1805 à 1808, en trente entretiens avec Haydn, il réunit le matériau de ses Biographische Nachrichten von Joseph Haydn nach mündlichen Erzählungen desselben entworfen und herausgegeben (« Récits biographiques de Joseph Haydn réalisés et édités d’après des communications orales de ce dernier », Vienne, 1810 ; rééd. Berlin, 1959), une des trois « biographies authentiques » de ce compositeur. DIÈSE ou DIÈZE. Signe d’altération placé devant une note pour la hausser d’un demi-ton ; le mot adjectivé peut s’adjoindre au nom de la note altérée (par exemple, do dièse). Le signe du dièse est celui qu’avait autrefois le bécarre dans une graphie cursive (b minuscule carré, avec prolongement des hampes). Jusqu’au XVIe siècle, en effet, le dièse et le bécarre étaient confondus sous le nom de bécarre et désignaient la position haute de certaines notes mobiles, formant un ton avec la note inférieure, tandis que le bémol désignait leur position basse, formant seulement un demi-ton. L’abandon de la solmisation ayant fait disparaître les dénominations mobiles pour ne conserver que les noms de l’hexacorde dit « naturel », ultérieurement complétés par la note si, le bécarre qui désignait correctement le mi ou le si naturels ne correspondait plus à sa fonction pour le fa ou le do. C’est pourquoi on le dédoubla : le bécarre du mi et du si conserva son nom et sa forme graphique (prolongement partiel de deux hampes verticales seulement du b minuscule carré), le bécarre du fa et du do adopta le nom nouveau de dièse et la forme cursive du même signe (prolongement des 4 traits tant horizontaux que verticaux ; en outre, le graphisme fut longtemps plus incliné que celui du bécarre nouveau style, prenant la forme d’une double croix oblique ; ce graphisme est aujourd’hui à nouveau redressé). Après downloadModeText.vue.download 305 sur 1085

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quoi, le nom et le signe du bécarre furent affectés par analogie à toute note remise dans sa position « naturelle » (le mot faisant référence à l’ancien hexacorde, et non à une quelconque qualité plus ou moins innée). Le nom et le signe du dièse furent affectés de même à toute note haussée d’un demi-ton par rapport à cette même position naturelle. Le nom dièse provient du chromatisme humaniste du dernier quart du XVIe siècle. En voulant reconstituer les trois « genres » de la musique grecque antique, qui incluaient des quarts de ton pour l’enharmonique, on imagina de distinguer trois sortes de bécarres : le normal conservant sa graphie de double croix penchée ; le grave (1/4 de ton plus bas) noté par une croix simple ; l’aigu (1/4 de ton plus haut) noté par une croix triple. Entre ces trois signes naissait l’intervalle de quart de ton, en grec diesis, d’où l’on tira le mot dièse. La croix simple et la croix triple eurent une existence éphémère, mais le nom emprunté au diesis resta accolé au signe. En nomenclature alphabétique (allemande), le dièse se marque par l’adjonction à la lettre désignant la note (B excepté) du suffixe is : Ais, Cis, etc. DIÈSE (double). Signe d’altération placé devant une note pour la hausser de deux demi-tons, ce qui équivaut matériellement à un ton entier, mais s’analyse comme l’addition de deux demi-tons successifs, le double dièse servant le plus souvent à hausser d’un nouveau demi-ton une note déjà diésée, et non pas à hausser d’un ton une note naturelle. Le double dièse s’écrivait autrefois par deux dièses accolés l’un à l’autre. On y substitue aujourd’hui une simple croix oblique, signe ayant eu autrefois des significations différentes, sorties de l’usage (ornement ou dièse inférieur chromatique). On exigeait au XIXe siècle, pour annuler le double dièse, soit un double bécarre, soit un bécarre précédant la nouvelle altération, mais on a renoncé à cette inutile complication. DIES IRAE. LITTÉRALEMENT « JOUR DE COLÈRE ». L’une des 5 proses ou séquences conser-

vées par le concile de Trente et affectée à la messe des morts ou requiem. Attribuée à Thomas de Celano, moine franciscain de la première moitié du XIIIe siècle, elle se divise en 2 parties séparées par une strophe « orpheline » (c’est-à-dire sans répétition mélodique symétrique), reprenant la mélodie de la 1re strophe (Rex tremendae majestatis). La première partie (str. 1 à 6) décrit avec une grande richesse de coloris les terreurs du Jugement dernier, lorsqu’une « trompette au son effrayant » (Tuba mirum spargens sonum) ressuscitera les morts pour les faire comparaître. La seconde partie (str. 7 à 16) implore la clémence divine. Une « coda » en 2 strophes orphelines (depuis Lacrimosa) n’appartenait pas à la version primitive. Le Dies irae a été souvent mis en musique par les compositeurs, soit isolément, soit dans le cadre des messes de requiem (Palestrina, Victoria, Legrenzi, Lully, etc.). Les romantiques l’ont considéré comme le prototype du plain-chant et en ont souvent utilisé le thème initial, avec ou sans allusion funéraire (Berlioz, Symphonie fantastique ; Saint-Saëns, Symphonie avec orgue, etc.). Au XIXe siècle, peut-être même plus tôt, on lui adjoignit pour remplacer les versets pairs un faux-bourdon qui a été utilisé à titre allusif par les compositeurs, au même titre que la mélodie de plain-chant (Liszt, Danse macabre). Le Tuba mirum, confié sans doute pour la première fois au trombone par Mozart (Requiem), a servi en quelque sorte de pierre de touche aux orchestrateurs : Berlioz et Verdi notamment s’y sont illustrés ; Fauré, en revanche, n’a pas inclus le Dies irae dans son Requiem ( ! REQUIEM). DIÉSIS. Dans la musique grecque antique, le plus petit intervalle de l’échelle envisagée. Comme dans cet intervalle figurait obligatoirement au moins un degré mobile, variable selon le genre et les nuances, la mesure du diésis était elle aussi variable (Aristoxène en signale trois sortes au moins). En diatonique et en chromatique, le diésis correspondait au limma (approximativement demi-ton), en enharmonique à la moitié de ce limma (approximativement quart de ton). La mesure du diésis constituait du reste l’un des problèmes discutés entre écoles rivales, notamment entre pythagoriciens raisonnant sur les

nombres et aristoxéniens se référant au jugement de l’oreille. Le mot dièse de la théorie classique dérive du diésis antique ( ! DIÈSE). DIETER (Christian Ludwig), compositeur et violoniste allemand (Ludwigsburg, Wurtemberg, 1757 - Stuttgart, 1822). Formé au prytanée militaire de Stuttgart, il fit de la prison pour désertion, puis fut nommé en 1781 premier violon de l’orchestre du grand-duc Karl Eugen, poste qu’il occupa jusqu’à sa retraite en 1817. Comme compositeur, il s’illustra surtout dans le genre du singspiel. Il en laissa une dizaine dont Der Irrwisch (1779), Des Teufels Lustschloss (1802), sur un texte de Kotzebue, mis aussi en musique par Schubert (1813-1814), et Belmonte und Konstanze (1784), sur un livret de Bretzner analogue à celui de l’Enlèvement au sérail de Mozart (1781-1782). Pour cette raison, Stuttgart n’entendit l’Enlèvement au sérail qu’en 1795, une dizaine d’années après la plupart des autres villes allemandes. DIEUPART (Charles), compositeur et claveciniste français ( ? v. 1670 - Londres v. 1740). Il fit ses études musicales en France et participa aux activités de quelques chapelles et maîtrises. Puis il s’installa à Londres, y devint un professeur célèbre et se fit remarquer au théâtre du Drury Lane à partir de 1704. Il prit part à la composition de plusieurs ballets ou opéras dont les partitions ont été perdues. Virtuose du clavecin, il composa de nombreuses pièces pour cet instrument ainsi que des oeuvres vocales. Mais nous ne connaissons aujourd’hui que ses Six Suittes de clavessin... publiées à Amsterdam (rééd. 1935), cinq airs à une voix et basse continue, quelques-uns pourvus d’un accompagnement de flûte, et trois airs à une voix et basse continue. Nombre de ses oeuvres furent connues en Europe et intéressèrent même J.-S. Bach. Si, devant la maîtrise de l’écriture d’un Couperin, ses oeuvres de clavecin pâlissent un peu, on y découvre néanmoins maintes pages de qualité. DIFERENCIAS (esp. : « variations »). Dans la musique espagnole du XVIe siècle,

le terme diferencias s’applique à une série de variations fondée le plus souvent sur un thème de chant grégorien ou sur une mélodie d’origine populaire. Ces variations pouvaient être de caractère harmonique ou mélodique, et être composées pour le luth, la vihuela ou l’orgue. Le genre a été illustré par des maîtres tels que Cabezón, Mudarra, Narváez et Valderrabáno. DILESKY (Nikolaï), compositeur et théoricien ukrainien (Kiev 1630 - Moscou v. 1680). Il passa sa jeunesse en Pologne, où il reçut sa formation musicale. Arrivé à Moscou à la fin des années 1670, il se trouva à la tête d’une véritable école de compositeurs et de maîtres du chant choral. Il contribua au développement et à la popularisation en Russie du chant partesny (ou partessien), grands choeurs religieux écrits souvent à huit ou douze voix. On lui doit aussi le premier grand ouvrage de théorie musicale paru en Russie, la Grammaire musicale, qu’il écrivit d’abord en langue polonaise à Vilna en 1675, puis traduisit lui-même en russe à Moscou en 1679. Il y exposait les principes de la solmisation, de la construction des accords et de la conduite des voix, en indiquant la différence entre les harmonies majeures (« joyeuses ») et mineures (« plaintives »). downloadModeText.vue.download 306 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 300 DILLON (James), compositeur écossais (Glasgow 1950). Il commence son activité musicale en jouant dans des formations de musique traditionnelle écossaise et dans des groupes de rock, mais étudie en même temps la musique ancienne, l’acoustique ainsi que la linguistique à Londres. Compositeur autodidacte, Dillon est une nature indépendante qui ignore les filiations évidentes, même si son goût pour l’expression directe, pour l’impact purement sonore et un certain pragmatisme semblent le situer dans la descendance d’un Varèse. Il écrit une musique peu soucieuse des catégories esthétiques et des classifications traditionnelles. Fasciné par les trajectoires sonores complexes, par la notion de densité sonore, mais il gère d’une façon origi-

nale le rapport entre l’instrument individuel et la masse mouvante que constituent les autres protagonistes de jeu (Ignis noster pour grand orchestre, 1991-92). Son écriture orchestrale, telle qu’elle apparaît dans Helle Nacht (1986-87) par exemple, vise l’expression directe à travers la réunion d’images antagonistes, l’opposition permanente des registres, le traitement subjectif du temps musical : un temps autonome qui se construit par couches superposées se contestant mutuellement dans un processus de réinterprétation permanente (l’Évolution du vol pour soprano et petit ensemble, 1989-1993). La brillante pièce pour piano Spleen (1980), ainsi que la cantate Come live with me pour voix de femme et instruments (1981), qui utilise des extraits du Cantique des cantiques, ont été parmi les premières oeuvres révélant le talent de James Dillon. Dans son catalogue, bien fourni, on relève également A Roaring Flame pour voix de femme et contrebasse (1982), Überschreiten pour ensemble (1986), Vernal Showers pour violon et ensemble (1992), Blitzschlag pour flûte et orchestre (19901995), le cycle Nine Rivers pour voix, instruments et électronique (dont le dernier volet, Oceanos, est programmé en 1996, aux Promenades-Concerts). DIMINUÉ. Se dit d’un intervalle qui est plus petit d’un demi-ton que ceux qui sont déclarés « justes » ou « mineurs ». Par exemple, les notes do-sol forment une quinte juste, mais les notes do-sol bémol une quinte diminuée. La tierce mineure (do-mi bémol), baissée d’un demi-ton devient une tierce diminuée (do-mi double bémol). Ou encore, les notes si-la se trouvent à un intervalle de septième mineure, si-la bémol à un intervalle de septième diminuée. Par extension, ce mot s’applique aux accords dont le plus grand intervalle est diminué. Par exemple, les notes si-ré-fa-la bémol constituent l’accord de septième diminuée, c’est-à-dire un accord de neuvième sans la note fondamentale (sol) [ ! HARMONIE]. Les notes si-ré-fa forment un accord de quinte diminuée. DIMINUENDO. Terme indiquant une nuance allant en diminuant, synonyme de decrescendo.

Cette nuance est indiquée dans les partitions par le signe O ou l’abréviation dim. DIMINUTION. 1. Dans la théorie des XVe et XVIe siècles, le terme désigne le passage d’une mesure à une autre telle que la même valeur écrite y reçoit une durée N fois plus courte, comme cela se passe encore actuellement quand on passe de C (où une blanche vaut 2 temps) à C barré (où la même blanche vaut seulement 1 temps). La diminution changeait donc l’écriture, mais non obligatoirement la durée. 2. Dans le vocabulaire classique, au contraire, le terme désigne une nouvelle présentation d’un thème ou d’un fragment en durées plus courtes que dans sa présentation de référence (par exemple, sans changer de tempo, un thème en blanches énoncé en noires). La diminution change donc avant tout la durée et, accessoirement seulement, l’écriture. 3. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, on appelait diminution une variation monnayant le thème en valeurs plus courtes au moyen de notes de passage ou d’ornementation. 4. Par extension du sens précédent, on a parfois étendu le terme « diminution » à toutes sortes d’ornementations, spécialement dans la musique vocale. DIMOV (Bojidar), compositeur bulgare (Lom 1935). Après des études musicales à Sofia, il se rend à Vienne, puis se fixe en 1968 à Cologne, où il fonde l’ensemble « Trial and Error », spécialisé dans le répertoire contemporain. Ayant fréquenté dans son enfance les milieux du théâtre, il en garde un goût marqué pour le spectacle visuel et la synthèse entre différentes formes d’art : son Bonner Raumspiel (1970-71) est un « jeu artistique compétitif » dont les « joueurs », musiciens (chanteurs et/ou instrumentistes) ou mimes (danseurs et/ ou acteurs), sont dirigés par un « meneur de jeu » dans une sorte de liberté surveillée. DINICU (Grigorias), violoniste et compositeur roumain (Bucarest 1889 - id. 1949).

De 1902 à 1906, il fit ses études au conservatoire de Bucarest. Il travailla le violon avec le grand pédagogue Carl Flesch, ainsi qu’avec Nitzulescu-Lupu et Filip. Violoniste à la Philharmonique de Bucarest et à l’orchestre Pro Musica, il dirigea également une formation de musique populaire. Il fit des tournées en Angleterre, en France, en Belgique et aux États-Unis. Musicien aux talents multiples, il refusait la distinction brutale entre musique savante et musique populaire. Dans ses récitals, il interprétait aussi bien les oeuvres classiques et romantiques que le répertoire des lautari ( ! LAUTAR). Il recueillit et transcrivit des mélodies populaires roumaines et composa quelques pièces pour violon dont une, Hora staccato, figura longtemps au répertoire des virtuoses, notamment à celui de J. Heifetz, qui en fit un brillant arrangement en 1932. DIRGE. Terme anglais signifiant « thrène », « hymne funèbre ». Le quatrième volet de la Sérénade opus 31 de Benjamin Britten (1943), sur un poème écossais anonyme du XVe siècle, est intitulé Dirge (chant funèbre). Quatre des sept volets de la Cantate d’Igor Stravinski (1951-52) sont intitulés A Lyke-Wake Dirge, et le quatrième volet (sur un texte de Walt Whitman) du Dona Nobis Pacem de Ralph Vaughan Williams (1936) porte comme titre Dirge for two Veterans. DIRUTA (Girolamo, de son vrai nom MANCINI), compositeur et théoricien italien (Deruta, près de Pérouse, 1561 - ? apr. 1609). Il eut pour premier maître Batista Capuani, moine franciscain comme lui. À Venise, où il vécut une dizaine d’années, il travailla avec Zarlino, Porta et l’organiste Claudio Merulo, dont il fut l’un des plus brillants sujets. Il tint, en effet, successivement les orgues de Chioggia (1597), puis de Gubbio (1609). Son traité Il Transilvano constitue la première tentative pour étudier la technique spécifique de l’orgue. Dédié à Sigismondo Battoni, « principe di Transilvania », l’ouvrage, resté longtemps célèbre, se divise en deux parties : la première (Venise, 1593 ; rééd. 1597, 1609, 1612, 1625), sous forme de dialogue

entre Transilvano et Diruta, envisage les problèmes techniques et d’interprétation, avec de nombreuses illustrations musicales ; la seconde (Venise, 1609 ; rééd. 1622) aborde les diminutions, le contrepoint, les modes et leurs transpositions, avec des exemples musicaux de Luzzaschi, Florini, Banchieri et Diruta lui-même. DISCORDANCE. Contrairement au latin discordantia qui est simplement synonyme de dissonantia et s’oppose à concordantia en englobant l’usage régulier de la dissonance, l’emploi actuel de ce mot exclut cette dernière acception et comporte un aspect péjoratif en désignant l’association abusive de sons incompatibles entre eux. downloadModeText.vue.download 307 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 301 DISCOTHÈQUE. Le terme de discothèque est utilisé dans trois acceptions différentes. LIEU DE STOCKAGE DE DISQUES, la discothèque est généralement organisée en casiers et rayonnages. Le mode de conservation des disques le plus rationnel est l’empilement à l’horizontale, en très petites quantités : tout risque de voile est ainsi écarté, mais il faut éviter le danger d’écrasement des disques. C’est pourquoi on préfère le plus souvent le stockage vertical, qui doit s’effectuer en casiers assez étroits dans lesquels les disques resteront serrés, pour demeurer constamment à la verticale. Pour ces différentes raisons, le groupage de disques en coffrets (éventuellement calés par de la mousse à l’intérieur du coffret) est préférable aux simples pochettes cartonnées. Température et humidité de la discothèque doivent être maintenues dans des valeurs normales et régulières, les disques redoutant particulièrement les excès de chaleur et de siccité. Le classement des disques ne pose guère de difficultés pour les discothèques d’amateurs possédant quelques dizaines ou quelques centaines d’enregistrements : par ordre alphabétique de compositeurs, par époques ou par genres musicaux. Dans les grandes discothèques, il est nécessaire de

passer par un fichier qui renvoie au lieu de classement. ORGANISMES PUBLICS OU PRIVÉS, les discothèques de consultation ou de prêt acquièrent des enregistrements et en assurent la conservation à l’usage du public professionnel ou amateur. Ce sont les discothèques municipales de prêt, organisées à l’image des bibliothèques municipales et sur le modèle de la Discothèque de France, créée en 1959 à Paris, les discothèques d’entreprises ou de documentation pédagogique, les phonothèques et discothèques de consultation et de documentation de grandes instances : Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou (centre Beaubourg), conservatoires et universités, musées d’ethnologie et d’ethnomusicologie, centres culturels, etc. Les deux plus grandes discothèques françaises sont constituées par le fonds de la Phonothèque nationale, dépendant de la Bibliothèque nationale, qui régit le dépôt légal, et celui de la radio : discothèque centrale de Radio-France (1 500 000 disques) et phonothèque de l’Institut national de l’audiovisuel (archives sonores de la radio). Selon leurs statuts, ces discothèques assurent la consultation ou le prêt au grand public ou à des bénéficiaires particuliers. On appelle aussi discothèques des « boîtes de nuit » où l’on se réunit pour danser et écouter de la musique enregistrée. DISJOINT (mouvement). Progression mélodique de deux notes qui ne se succèdent pas immédiatement, c’està-dire qui sont distantes de plus d’un ton. Par exemple, do-la ou do-sol sont disjoints, alors que do-ré ou do-si sont conjoints. DISSONANCE. Cette notion, aussi relative que celle de consonance, s’applique à un intervalle ou un accord non agréable à l’oreille, en fonction d’habitudes socioculturelles données. Par exemple, la tierce, qui, de nos jours et depuis longtemps, est une consonance, fut une dissonance au début de la polyphonie (vers le début du Xe siècle) et l’était encore en France pendant le premier quart du

XVe siècle ( ! ACCORD). DI STEFANO (Giuseppe), ténor italien (Motta S. Anastasia, Catania, 1921). Il fit ses débuts, en 1946, dans le rôle de Des Grieux de Manon de Massenet. Ses qualités de timbre, le charme de ses incarnations lui valurent immédiatement la faveur du public. Ce fut le commencement d’une carrière internationale qui le conduisit au Metropolitan Opera de New York en 1948 (le duc de Mantoue de Rigoletto), au théâtre Colón de Buenos Aires en 1951 (Edgardo de Lucia di Lammermoor), à l’Opéra de Paris en 1954 (Faust). Au début de sa carrière, il se limitait à ces rôles lyriques et son chant valait pour ses sonorités veloutées autant que pour sa ligne. Mais, à partir de 1955, il aborda des parties plus lourdes telles que Don José de Carmen, Canio de Paillasse, Turridu de Cavalleria rusticana, Calaf de Turandot, sacrifiant au dramatisme les plus belles qualités d’une voix qui ne tarda pas à se détériorer. DISTINCTION. Terme peu usuel, emprunté riens latins (distinctio, discours ») pour désigner ou une cadence intérieure musicale.

aux grammai« ponctuation du une subdivision de la phrase

DISTIQUE. Terme d’origine grecque (mot à mot « deux membres de phrase »), emprunté aux grammairiens pour désigner une phrase musicale formée de deux parties symétriques : par exemple les deux premières incises du thème de l’Ode à la joie dans la 9e Symphonie de Beethoven forment un distique. DISTLER (Hugo), compositeur allemand (Nuremberg 1908 - Berlin 1942). Après des études d’orgue, de piano et de composition à Leipzig (1927-1931), il fut six ans organiste à Lübeck, puis devint professeur et chef de choeur à Stuttgart (1937-1940) et ensuite à Berlin. Son esprit luthérien et ses activités d’organiste orientèrent la plus grande partie de sa production vers le domaine religieux : citons les 52 motets du cycle Der Jahreskreis (1933), la Choral-Passion op. 7 (1933), la cantate

Wo Gott zum Haus nit gibt sein Gunst (1935), ou encore la Geistliche Chormusik op. 12 (1934-1941). Au point de vue instrumental, il écrivit des pièces pour orgue et des oeuvres diverses parmi lesquelles un Concerto pour clavecin op. 14 (1936) qui fut sélectionné par les nazis comme spécimen d’art « dégénéré ». Son dégoût du régime de Hitler et le sentiment que pour lui il n’y avait plus rien à faire dans ce contexte le poussèrent au suicide. DITTERSDORF (Carl Ditters von), violoniste et compositeur autrichien (Vienne 1739 - château de Rothlhotta, Bohême, 1799). À douze ans, il entra comme page et violoniste au service du prince von Sachsen-Hildburghausen, qui veilla sur son éducation et le confia, pour ses études de composition, à Giuseppe Bonno. Par l’intermédiaire du prince, Dittersdorf - qui s’appelait toujours Ditters, ne devant être anobli qu’en 1773 - obtint un poste dans l’orchestre de la cour de Vienne. En 1763, il effectua avec Gluck un voyage à Bologne, et, de 1765 à 1769, occupa comme successeur de Michael Haydn les fonctions de maître de chapelle de l’évêque de Grosswardein en Hongrie (aujourd’hui Oradea en Roumanie) : il écrivit en ce lieu des symphonies, des concertos pour violon, et son premier opéra, Amore in musica (1767). Il entra ensuite à Johannisberg, non seulement comme musicien mais comme titulaire de plusieurs emplois administratifs importants, au service du comte Schaffgotsch, prince-évêque de Breslau. Se trouvant à la tête d’un théâtre, il composa là plusieurs opéras parmi lesquels Il Finto Pazzo per amore (v. 1775). Il fit au cours de ces années plusieurs séjours à Vienne, et y fréquenta Haydn et Mozart, participant comme violoniste aux premières auditions privées des quatuors de Mozart dédiés à Haydn. Écrits dans un style agréable et vif, ses nombreux concertos, ses symphonies (dont vers 1783 un cycle sur les Métamorphoses d’Ovide), ses ouvrages de musique de chambre (dont six quatuors à cordes datés de 1787-1788), firent de lui un des auteurs les plus prisés de l’époque. On lui doit aussi des oratorios, dont Esther (Vienne, 1773), et beaucoup d’opéras italiens ou allemands dont l’un, Doktor und Apotheker (Docteur et Apothicaire, Vienne, 1786), devait survivre jusqu’à nos jours après avoir éclipsé pour un temps le Figaro de Mozart, créé

quelques semaines auparavant. Certaines de ses pages instrumentales furent attribuées à Haydn. Mais il mourut dans la midownloadModeText.vue.download 308 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 302 sère et à peu près oublié deux jours après avoir achevé de dicter ses Mémoires. DITTRICH (Paul Heinz), compositeur allemand (Gernsdorf, R. D. A., 1930). Il a fait ses études de 1951 à 1956 à l’École supérieure de musique avec Fidelio Finke (composition) et Gunter Ramin (direction de choeur), puis de 1958 à 1960 à l’Académie des arts de Berlin-Est avec R. Walter Regeny (composition). Il a enseigné à l’École supérieure de musique de Berlin de 1963 à 1976, et y a repris, en 1979, un poste de professeur de composition. Il est le principal compositeur de la République démocratique allemande à s’être imposé (surtout depuis 1970) sur le plan international. Ses oeuvres sont au nombre d’une trentaine. Citons les Fleurs de Baudelaire pour 3 sopranos aigus et 10 instruments (1969) ; Kammermusik I pour 4 bois, piano et bande (1970), II pour hautbois, violoncelle, piano et sons électroniques (1975), III pour quintette à vent et baryton (1974) et IV pour soprano, 7 instruments et synthétiseur (1977) ; Memento vitae sur un texte de Brecht (1971-1974) ; un Concerto pour hautbois (1973-74), un pour violoncelle (1974) et un pour hautbois et flûte (1978) ; Konzert I pour clavecin et 7 instruments (1976) et II pour alto, violoncelle et orchestre (1978) ; Illuminations pour orchestre (1975-76) ; Cantus I pour orchestre (1974-75) et II pour soprano, violoncelle et orchestre (1977-78) ; Voix intérieure pour deux violoncelles (1978) ; Engführung pour soprano, live-électronique et orchestre, d’après des textes de Paul Celan (1980-81) ; et La Métamorphose d’après Kafka pour acteurs, ensemble instrumental et 5 vocalistes (1983). DIVERTISSEMENT (en ital. divertimento). Aux XVIIe et XVIIIe siècles, en France, le divertissement désigne un ensemble de danses, de chants et de pièces instrumentales destiné à prendre place entre les actes ou à la fin des actes, voire au milieu des actes, d’une comédie-ballet (le Bourgeois

gentilhomme de Lully, 1670), d’un opéraballet (les Indes galantes de Rameau, 1735) ou d’une tragédie lyrique (Cadmus et Hermione de Lully, 1673). Issu du ballet de cour, plus ou moins rattaché à l’action, ce type de divertissement restera typique de l’opéra français et survivra sous des formes et des appellations diverses non seulement dans Iphigénie en Aulide de Gluck (1774), mais jusque dans Faust de Gounod (1859), Samson et Dalila de Saint-Saëns (1877) et Pâdmâvati d’Albert Roussel (1918). On appelait aussi divertissement, aux XVIIe et XVIIIe siècles, les parties de chant ou de danse (auxquelles venait s’ajouter le vaudeville final) intercalées dans une pièce. Dans la musique instrumentale (mais aussi parfois vocale) de la fin du XVIIe siècle et de la plus grande partie du XVIIIe, le terme « divertissement », qui évoque surtout pour nous certaines oeuvres de Haydn, de Mozart et de leurs contemporains, recouvre des réalités fort diverses. Pour la musique de chambre, en particulier germanique, du milieu du XVIIIe siècle, les termes « divertissement », « sérénade », « nocturne », « cassation » furent souvent employés de façon synonyme, et, inversement, les sources différentes d’une même oeuvre utilisent souvent l’un ou l’autre. Des quatre, celui de « divertissement » a la portée la plus générale, au point de pouvoir éventuellement englober les trois autres, et surtout la plus fonctionnelle, la plus liée en soi au fait de distraire, de « divertir ». Pour H. C. Koch, le divertimento est un ouvrage à deux, trois, quatre ou plusieurs parties instrumentales, avec un seul instrument par partie et tournant le dos non seulement à la polyphonie mais aussi au « travail thématique » propre au style sonate. Pour Mozart, fidèle en cela à la tradition salzbourgeoise, c’est essentiellement (mais non exclusivement) une oeuvre tendant vers la musique de chambre, avec un seul instrument par partie, en plusieurs mouvements et pour cordes et/ou vents, ceci par opposition à la sérénade, conçue en principe pour orchestre et destinée à des occasions plus solennelles. L’origine de ce concept de divertissement semble se trouver dans la musique de chambre vocale italienne de la fin du XVIIe siècle : en 1681, Carlo Grossi appela son opus 9 Il Divertimento di Grandi, musiche da camera o per servizio di tavola... con dialogo amoroso e uno in idioma ebraico. Vers 1730,

Francesco Dutante publia des Sonate per cembalo divise in studi e divertimenti, distinguant ainsi des oeuvres « sérieuses » et « légères ». Pour la musique de clavier, le terme passa d’Italie en Autriche, où il fut repris notamment par Georg Christoph Wagenseil, et à sa suite par Joseph Haydn. Celui-ci, se faisant ainsi le reflet d’une tradition assez spécifiquement autrichienne, appela longtemps (jusqu’au début des années 1770) « divertimento » des oeuvres qui, pour nous, sont des sonates pour clavier, des quatuors à cordes ou des trios pour baryton. Par exemple, tant que ses oeuvres pour clavier en plusieurs mouvements n’étaient destinées qu’à « divertir » ou à des cercles réduits, Haydn les qualifia de divertimentos ; dès qu’elles devinrent plus ambitieuses (sonate en ut mineur no 33 Hob. XVI. 20, de 1771), ou surtout destinées à l’édition (sonates nos 36-41 Hob. XVI. 21-26, de 1773), il les qualifia de sonates. De même, il appela « divertimentos » ses quatuors jusqu’à l’opus 20 (1772) et ne leur donna leur dénomination moderne qu’à partir de l’opus 33 (1781). D’une façon générale, on peut dire qu’avant 1780 le concept de divertimento englobait (ou pouvait englober), en Autriche, toute musique instrumentale non orchestrale, même de caractère sérieux, et qu’après cette date seulement il s’appliqua plus spécifiquement à une musique de caractère plutôt léger. Le caractère de légèreté du divertissement se perpétua largement au XIXe siècle (notamment dans le pot-pourri) et, surtout, au XXe, mais le terme lui-même survécut à peine au XVIIIe (Divertissement à la hongroise D 818 de Schubert, Divertissement op. 6 de Roussel, Divertissement pour cordes de Bartók). Dans la fugue, on appelle divertissements des épisodes plus détendus et plus libres que le reste, qu’on trouve en particulier juste avant la strette, mais dont la présence n’a cependant rien d’obligatoire. DIVISÉS (en ital. divisi). Lorsque, dans une partition, une partie instrumentale attribuée aux instruments à cordes, celle des violoncelles par exemple, contient des notes doubles, le terme divisé (ou son abréviation div.) indique que les musiciens du groupe concerné doivent se partager la tâche au lieu de jouer le

passage en doubles-cordes. Cette habitude, assez courante notamment dans les oeuvres pour orchestre à cordes, apparut à l’époque romantique. On peut citer à titre d’exemple la symphonie Pathétique de Tchaïkovski, dans laquelle les basses sont souvent divisées pour accentuer le caractère sombre de l’oeuvre. DIVISION. 1. Opération consistant à morceler une valeur en plusieurs valeurs plus petites (par exemple, la ronde se divise en 2 blanches ou 4 noires, etc.). 2. Dans l’Antiquité et au Moyen Âge, le mot division s’appliquait surtout à la division du canon, c’est-à-dire à la manière de graduer la règle mesurant les diverses sections de cordes vibrantes sur le monocorde servant à étudier les intervalles. 3. En plain-chant, on appelle division les barres de grandeurs différentes qui séparent les incises pour marquer les respirations et indiquer le phrasé, la grandeur des barres étant proportionnelle à l’importance de la respiration. Ne pas confondre ces barres de division avec les barres de pause, qui, dans la notation mesurée, en ont pris approximativement le tracé. 4. En Angleterre, aux XVIe et XVIIe siècles, le mot division a à peu près le même sens que diminution en France. DIVISION-VIOL. Nom donné, en Angleterre, à un type de basse de viole, de taille intermédiaire entre la consort-viol et la lyra-viol. Ses dimensions réduites permettaient à l’exécutant un meilleur maniement de l’instrument downloadModeText.vue.download 309 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 303 et donc une plus grande dextérité d’exécution. On a écrit pour cet instrument nombre de divisions (ancêtre de la variation, consistant à « diviser » un thème en valeurs longues en valeurs beaucoup plus courtes et à les orner), ce qui lui a donné son nom. Certaines pièces demandaient même une grande virtuosité. Parmi les grands amateurs de division-viol, il faut

citer Playford (Division-Violin, 1688) et surtout Christopher Simpson (The Division Violist, 1659 ; Division Viol, 1667). DIVITIS (Antonius ou Antoine), compositeur franco-flamand (début du XVIe s.). On ne connaît rien de sa vie - peut-être est-il né à Louvain vers 1475 ? - avant sa nomination à la cathédrale Saint-Donatien de Bruges comme maître des enfants (1501-1504), puis comme sous-chantre. Devenu maître de chant à Malines en 1504, il entra comme chantre au service de Philippe le Beau et le suivit en Espagne (1505-06). En 1515, il était membre de la chapelle du roi de France François Ier, en compagnie de Jean Mouton et d’Antoine Févin. Mais on ne saurait affirmer qu’il fut le Richardus Antonius signalé en 1526 à Rome à la chapelle pontificale. Trois messes et quelques fragments de messes isolés, trois motets, deux magnificat, un petit nombre de chansons et quelques pièces en manuscrit, seuls témoins de son oeuvre, montrent un compositeur en possession de toutes les ressources techniques de son métier, mais dont la préoccupation constante était la limpidité et le naturel du discours. Ainsi s’explique le fait qu’il fût attentif aux rapports du texte et de la musique, qu’il écrivît de nombreux passages dans un style homorythmique et fît une place importante aux effets de nature harmonique. DIXIÈME. Intervalle formé entre les extrêmes de dix degrés diatoniques successifs. La dixième est en fait le redoublement de la tierce à l’octave supérieure, par exemple do-mi. DLUGORAJ (Wojciech), luthiste polonais ( ? v. 1550 - ? apr. 1619). Virtuose à la cour du roi Étienne Báthory, il est l’auteur d’une tablature de luth publiée en 1619 et des Chorea polonica où apparaissent des rythmes de danses polonaises et des schémas mélodiques empruntés au folklore traditionnel. Des fantaisies, des danses polonaises et villanelles de sa composition se trouvent dans le Thesaurus harmonicus du Français Jean-Baptiste Bésard, publié à Cologne en 1603. Quant à la forme, son oeuvre révèle une influence italienne certaine, ainsi qu’un sens de la tonalité déjà assez affirmé.

DLUGOSZEWSKI (Lucia), femme compositeur américaine (Detroit 1931). Elle fait ses études à l’université de Detroit et à la Mannes School of Music, puis, en privé, avec Varèse (1951). Depuis 1960, elle est professeur à l’université de New York et à la New School for Musical Research. Elle travaille également pour la Fondation de danse moderne. Curieuse de timbres et de sonorités rares, elle a inventé toute une série de percussions (en verre, plastique, bois, papier, métal) et des instruments utilisant des archets ou des plectres faits d’une grande variété de matériaux. En 1958, elle avait déjà formé un orchestre de 100 percussions (verre, bois, etc.). Ses idées ont été influencées par les philosophies orientales et par l’oeuvre de F.S.C. Northrop. À côté de réalisations conformes à ses découvertes (Ubu Roi, 1952, musique de scène pour orchestre de sons quotidiens), on trouve dans son oeuvre un certain nombre de partitions conçues en fonction des éléments traditionnels : orchestre (Arithmetic Points, 1955 ; Beauty Music I, II and III, 1965), piano (3 sonates), voix (Parker Tyler Language, 1970 ; Desire, 1952), ou musique de chambre (quatuor à cordes). DO. Syllabe de solfège substituée au XVIIe siècle à la syllabe ut introduite par Guy d’Arezzo et jugée peu euphonique, mais que l’on conserva dans certaines expressions (clef d’ut, ut majeur). On en ignore l’origine. Certains en attribuent l’introduction à Giovanni Doni (1594-1647), qui aurait pris la première syllabe de son nom, mais cette assertion n’a pas été prouvée. Dans les pays de langues allemande et anglaise, la note do est représentée par la lettre C. DOBIAS (Václav), compositeur tchèque (Radčice 1909 - Prague 1978). Instituteur autodidacte, il ne vint que tard à la musique, et n’entra qu’en 1937 au conservatoire de Prague, où il reçut l’enseignement de Joseph Bohuslav Foerster, de Vitezslav Novák et de Alois Haba, avant de devenir un musicien officiel de la République démocratique tchécoslovaque. Son oeuvre, quantitativement importante, a oublié peu à peu les leçons de

Haba, dont Dobias s’était inspiré jusqu’à la guerre, et s’en tient globalement au conformisme des commandes d’État. Il fut à partir de 1969 le président de l’Union des compositeurs tchécoslovaques. DOBLINGER. Maison d’éditions musicales à Vienne et, depuis 1959, à Munich. À l’origine, il s’agissait d’une bibliothèque musicale de prêt, fondée en 1816 par J. Mainzer. Après sa mort, elle fut reprise - en 1857 - par Ludwig Doblinger (1816-1876), puis par Bernhard Herzmansky, en 1876. Le fils de ce dernier en resta propriétaire jusqu’en 1954, date où la maison fut reprise par Christian Wolff. Elle connut une période particulièrement faste lors de la vogue de l’opérette viennoise dans les premières années du XXe siècle. Depuis 1950, elle consacre une partie importante de son activité aux compositeurs contemporains, mais aussi à la musique classique, avec la série Diletto musicale, ainsi qu’aux ouvrages didactiques. DOBRONIC (Antun), compositeur yougoslave (Jelsa, Croatie, 1878 - Zagreb 1955). Il fit ses études au conservatoire de Prague avec Novák et devint professeur au conservatoire de Zagreb en 1921. Il composa de nombreuses oeuvres pour la scène, dont des opéras (Mara, l’Homme de Dieu, Goran, Rkac) et le ballet le Cheval géant ; 4 symphonies ; des poèmes symphoniques (les Noces ; Au long de l’Adriatique ; Rhapsodie bosnienne, quintette avec piano). Sa musique, imprégnée de folklore, est d’une écriture qui oscille entre le néoromantisme et l’expressionnisme. DOBROWOLSKI (Andrzej), compositeur polonais (Lwów 1921). Il commence des études d’orgue, de clarinette et de chant au conservatoire de Varsovie ; après la guerre, il poursuit ses études de composition avec Artur Malawski et de théorie musicale avec Stefania Ðobaczewska à l’École nationale supérieure de musique de Cracovie. Secrétaire général de la Société des compositeurs de Pologne de 1957 à 1969, il enseigne ensuite

la composition et la théorie à l’École supérieure de musique de Varsovie, et participe aux activités du Studio expérimental de la radio polonaise. Auteur de plusieurs oeuvres instrumentales - Trio pour hautbois, clarinette, basson (1965) ; Symphonie concertante pour hautbois, clarinette, basson et orchestre à cordes (1960) ; Musique pour cordes et 4 groupes d’instruments à vent (1964) ; Musique pour orchestre no 3 (1972-73), etc. -, Dobrowolski a également exploité les sources électroniques (Passacaglia, 1960) et électroacoustiques (Musique pour bande magnétique et hautbois solo, 1965 ; Musique pour bande magnétique et piano, 1972). Son passage progressif d’une écriture « classique », souvent inspirée du folklore, à l’utilisation des techniques contemporaines fait de lui une figure très représentative des compositeurs polonais de sa génération. DODÉCAPHONIQUE (musique). Nom donné aux musiques atonales utilisant les 12 degrés chromatiques, et, plus downloadModeText.vue.download 310 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 304 particulièrement, à toute musique composée selon le système dodécaphonique sériel mis au point par Arnold Schönberg entre 1908 et 1923 ( ! SÉRIELLE [MUSIQUE]). Ce système utilise en effet les 12 sons chromatiques (dodécaphonique signifie : de 12 sons), selon des lois que Schönberg a peu à peu dégagées, et qui ont été modifiées, affinées, compliquées ou détournées par ses élèves (Berg, Webern, Eisler), ses successeurs, et lui-même. D’autres compositeurs, comme Joseph-Mathias Hauer ou Falke, ont conçu des systèmes dodécaphoniques différents du sien, mais qui n’ont pas été adoptés ou repris. Dodécaphonique est un terme forgé à partir du grec et à l’usage des Français par René Leibowitz, propagateur en France de la musique sérielle, pour désigner de façon concise ce que les Allemands, et Schönberg lui-même, nommaient la musique de douze sons (Zwölftonmusik), et qu’ils nomment plus rarement, après Leibowitz, Dodekaphonische Musik. De fait, une musique dodécaphonique peut n’être pas sérielle (ce fut le cas des oeuvres

composées par Schönberg, Berg, Webern, avant l’invention de la série), et une musique sérielle peut n’être pas dodécaphonique, c’est-à-dire, par exemple, utiliser des séries de moins ou de plus de douze sons (micro-intervalles) ou appliquer le principe sériel à tout autre caractère du son que la hauteur. Cependant, on utilise en français les deux termes « dodécaphonique » et « sériel » de manière interchangeable, ce qui est la source de bien des malentendus. POURQUOI LE NOMBRE DOUZE ? Parce qu’il y a 12 sons chromatiques dans la gamme, de demi-ton en demi-ton - le demi-ton étant l’intervalle le plus petit admis dans le système tempéré occidental. C’est avec ces 12 sons que la musique occidentale jouait de plus en plus librement, en respectant de moins en moins les règles traditionnelles qui en limitent ou en fixent l’usage. Il n’y a donc 12 sons que depuis l’adoption d’un tempérament égal selon le système défini par Werckmeister, où l’octave est divisée en 12 demi-tons égaux, et non, comme d’autres systèmes le proposaient, en 53 neuvièmes de ton, ou 43 septièmes de ton. L’oeuvre de Bach, le Clavier bien tempéré, fêtait l’adoption du tempérament, avec deux fois 12 préludes et fugues (dans les 12 tons majeurs et les 12 tons mineurs). Hérité de la tradition tonale, ce nombre de 12 pouvait apparaître vite contraignant et arbitraire. Boulez chercha rapidement à s’en échapper. Il écrivait en 1953 : « La série n’est pas un ultrathème lié à jamais aux hauteurs (...). Elle n’est donc fixée sur aucun chiffre particulier. » Et de moquer la croyance fétichiste au « salut par le nombre 12 » chez les dodécaphonistes académiques. Le nombre 12 comporte pourtant bien des propriétés intéressantes. D’abord, c’est un multiple de 2 et de 3. Une série de 12 sons peut se décomposer en 6 groupes de 2, 4 groupes de 3, 3 groupes de 4, 2 groupes de 6, ce qui ouvre des possibilités de symétrie, d’imitation, de construction à l’intérieur même de la série. Possibilités que Schönberg, Berg, Webern surtout, n’ont pas manqué d’utiliser. Certaines séries de Webern, en particulier, sont elles-mêmes déjà de petites compositions sérielles à partir de cellules de 3 ou 4 sons, transposées, rétrogradées, etc., à l’intérieur de la série, ce qui limite

ainsi le nombre de ses variantes possibles (sur les 48 proposées dans le cadre sériel), et aussi le nombre des figures d’intervalles, rendant le discours peut-être plus perceptible et renforçant le sentiment d’unité. On pourrait dire, à la limite, que certaines pièces dodécaphoniques de Webern sont construites à partir de microséries de 3 ou 4 sons. La divisibilité par 12 est une des plus prégnantes pour l’esprit humain, pour employer un terme emprunté à la psychologie de la perception : elle se perçoit bien. Elle se retrouve aussi bien dans la division du temps (12 mois dans une année, ou 4 saisons de 3 mois, ou 2 périodes de 6 mois entre les deux solstices ; 2 fois 12 heures dans la journée, et 12 heures entre midi et minuit) que dans la versification (à l’hexamètre latin - vers de 6 pieds, ou 2 fois 3 pieds - correspond l’alexandrin - vers de 12 pieds -, qui est le plus utilisé dans la littérature française, à partir du XVIe siècle, et qui se divise, comme la série, en 2 hémistiches, ou en 3 sections de 4 pieds, etc.). Il y a aussi les 12 signes du zodiaque, les temples dodécastyles, à 12 colonnes, etc. Ce n’est pas là « mystique des nombres », mais simple constat des propriétés et des commodités propres au chiffre 12, qui ont certainement été déterminantes pour l’adoption du système tempéré à 12 demitons, et donc pour la musique dodécaphonique, qui les reprend tels quels. DODÉCAPHONISME ET PANCHROMATISME. Les 12 sons mis en situation d’égalité de principe par les règles sérielles (cette « égalité » a été brillamment mise en doute par les analyses d’Edmond Costère) constituent ce que l’on appelle le « total chromatique », et la musique qui l’utilise peut être dite « panchromatique ». Or ce n’est un « total » que selon la convention héritée du système tempéré, et liée au principe tonal ; l’oreille occidentale ellemême perçoit bien plus de sons dans une octave. Les musiciens sériels avaient donc à assumer le paradoxe d’utiliser un matériau de 12 sons hérité d’un système dont, par ailleurs, ils cherchaient par tous les moyens à éviter les réminiscences (règles de non-répétition, interdictions d’octave, pour « brouiller » toute polarisation tonale). Il y avait de quoi se sentir en porte à faux, et cela explique peut-être, d’une part, l’évolution de Schönberg vers un

« dodécaphonisme tonal » réintégrant les fonctions tonales, et, d’autre part, la fuite en avant des ultras du sérialisme vers une surenchère de complexité, à l’opposé de Webern, dont ils se réclamaient et qui, lui, simplifiait sa musique autant que possible. D’autres enfin cherchaient des divisions plus petites de l’octave, dans les micro-intervalles. Comme s’il s’agissait, par différents moyens, de saturer le champ de travail, les possibilités d’emploi des hauteurs (saturer, c’est-à-dire rendre tel qu’un supplément de la chose ajoutée soit impossible ou inutile). Derrière cette idée d’un épuisement des possibles, il y avait un fantasme de totalité que rend bien le terme de « pantonal » appliqué par Schönberg à la musique dodécaphonique. Or, une fois atteint et dégagé des règles tonales qui semblaient l’emprisonner (c’est Boulez qui parle de la tonalité comme d’une « servitude »), le total chromatique des 12 sons se révélait n’être pas plus un « total » qu’un univers de 6 sons ou de 24 sons. PRÉMONITIONS DU DODÉCAPHONISME, DODÉCAPHONISME ET ATONALITÉ. On s’est diverti à chercher des séries de 12 sons dans toute la musique classique (dans le thème de l’Offrande musicale, par exemple, thème qui n’était pas de Bach). René Leibowitz en trouve une dans la pièce pour piano Nuages gris de Liszt, effectivement très audacieuse (Évolution de la musique, 1951). La contre-expérience consisterait à chercher si on ne trouve pas les 12 sons tout aussi bien dans des oeuvres très banalement tonales - dans un trait chromatique, par exemple, ou dans 3 accords de septième diminuée enchaînés chromatiquement. L’utilisation du « total chromatique », en soi, ne rend pas une musique prédodécaphonique - à ce compte, c’est toute la musique, depuis le XVIe siècle, qui l’est -, tout dépend des fonctions assurées par ces 12 sons. Suivant le principe de Schönberg, ils ne doivent avoir de relations « qu’entre eux », d’égal à égal, alors que les exemples relevés dans le passé reposent sur une harmonie tonale et des polarisations privilégiant certaines notes, les autres étant notes de passage, appogiatures, etc. L’emploi du mot « atonal » - qui n’est que privatif, et qui laisse entendre une dépendance par rapport à la tonalité, sous la forme d’un refus - irritait Schönberg, qui préférait parler de Zwölftonmusik (« mu-

sique de 12 sons »). En ce sens, la musique dite atonale, dont il y a d’innombrables exemples depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours, est généralement dodécaphonique, mais ce n’est pas obligatoire. Elle peut n’utiliser que 2, 3 ou 7 hauteurs downloadModeText.vue.download 311 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 305 différentes seulement. Par ailleurs, vers la fin de sa vie, Schönberg a cherché un « dodécaphonisme tonal » dont le principe même faisait horreur à certains de ses héritiers (Boulez, Hodeir, etc.), et que ces derniers regardaient comme une régression, un désaveu, une erreur. Comme le montre Schönberg dans l’Ode à Napoléon, ou Berg dans le Concerto à la mémoire d’un ange, on peut retrouver les fonctions tonales dans une certaine utilisation sérielle des 12 sons (en forgeant, par exemple, une série dérivée de 4 accords parfaits et d’une gamme par tons entiers, permettant au choral de Bach de s’insinuer dans le concerto de Berg). De telles hybridations furent sévèrement condamnées par les sériels français de l’après-guerre. Cependant, elles se répandirent : les Canti di prigionia, de Dallapiccola, en 1938-1941, mélangent librement les procédés dodécaphoniques et les relations tonales. Plus près de nous, les Métaboles d’Henri Dutilleux (1965) utilisent incidemment une série de 12 sons (dans le mouvement central Obsessionnel), mais restent très tonales avec leur polarisation sur un mi obsédant, tout en employant constamment le total chromatique. MORT DU DODÉCAPHONISME ? Il devient de bon ton de déclarer le dodécaphonisme mort. En fait, c’est le système sériel qui semble en voie d’abandon, ou du moins tellement assoupli, mélangé, etc., qu’il perd sa signification originelle. Il ne faut pas oublier non plus qu’on a décrété la tonalité morte il y a plus de cinquante ans, au moment même où le système tonal occidental colonisait par la radio, le cinéma, de nouvelles régions du monde, pour se retrouver aujourd’hui triomphant plus que jamais, jusque dans la musique dite d’avant-garde (hypertonalisme de l’école répétitive américaine). On se gardera donc de prophéties faciles.

Le dodécaphonisme en tant que prohibition de la tonalité semble en déclin. Il n’en triomphe pas moins sous d’autres formes que le système sériel. De plus en plus de musiques, comme celle d’Henri Dutilleux, ou d’ex-sériels, pratiquent un dodécaphonisme polarisé tonalement, utilisant les 12 sons hiérarchisés par l’emploi de notes pivots, créant des relations d’attraction et un centre tonal. Peut-être le dodécaphonisme sériel est-il mort à la fois d’avoir été pris trop à la lettre par les uns (ceux que moquait Boulez, et qui fétichisaient le nombre 12) et par les autres trop par l’esprit : en voulant transposer le principe sériel sur d’autres caractères du son, intensité, durée, couleur, etc., là où ce principe semble moins efficace, prégnant, plus vulnérable et contestable. Les « ultrasériels » lui ôtaient peut-être de sa force, qui tient à un enracinement dans les perceptions de hauteur développées par tout le système tonal occidental. En effet, on oublie presque toujours que « douze sons », dans le mot « dodécaphonique », signifie en fait « douze hauteurs de son ». Un do dièse n’est pas un son, mais un degré de hauteur. En tant que son, ce do dièse, joué au piano, se définit par de multiples propriétés, dont la hauteur est la plus prégnante, certes, mais pas la seule. L’aventure consistant à sortir du monde des 12 degrés de hauteur familiers, pour aborder la zone interdite des « bruits », a été tentée par des compositeurs de formation sérielle ; mais il ne semble pas que cette formation les ait toujours suffisamment armés pour affronter les problèmes nouveaux d’un monde sonore où 12 degrés ne constituent plus un total, mais bel et bien une minuscule partie d’une foule de propriétés difficiles à entendre, à noter et à « maîtriser » toutes à la fois. DODGE (Charles), compositeur américain (Ames, Iowa, 1942). Il a fait des études musicales à l’université d’Iowa avec Bezancon et Herwig, à l’Aspen Summer School avec Darius Milhaud, à Tanglewood avec Gunther Schuller et Arthur Berger, à l’université Columbia avec Jack Beeson, Otto Luening et Vladimir Ussachewski. Il a suivi les travaux de la faculté de Columbia-Princeton en ce qui concerne la musique électronique et l’utilisation des ordinateurs. Titulaire de nombreux prix et récompenses, y

compris le prix de la fondation Koussevitski (1969), il a été nommé assistant à l’université Columbia, élu président de l’American Composers Alliance (1971), et il collabore également à un centre de recherches IBM pour l’usage de l’informatique en musique. Après avoir écrit des oeuvres comme Rota pour orchestre (1966) et diverses pièces instrumentales, qui témoignent d’un emploi très personnel de la technique sérielle, Charles Dodge semble s’être tourné exclusivement vers la composition par ordinateur. Dans ce domaine, on peut citer parmi ses oeuvres Changes (1967-1970) et Humming (1971). DOHNANYI (Ernö), pianiste, compositeur et chef d’orchestre hongrois (Poszony, aujourd’hui Bratislava, en all. Pressburg, 1877 - New York 1960). Enfant doué pour la musique, il prit des leçons avec l’organiste de la cathédrale de Poszony, puis travailla à Budapest avec Thoman (piano) et Koessler (composition). Il donna son premier concert à neuf ans, reçut à dix-huit les compliments de Brahms - qui s’entremit pour faire jouer à Vienne son opus no 1, un Quintette avec piano -, se rendit à Berlin auprès d’Eugen d’Albert et se lança, avec l’aide de ce dernier, puis de Hans Richter, dans une carrière internationale de pianiste. Introduit en 1905 par d’Albert au conservatoire de Berlin pour y enseigner le piano, Dohnanyi y reçut le titre de professeur en 1908. Il fut nommé en 1914 au conservatoire de Budapest et élu dans cette ville - au lendemain de la guerre - président de la Société philharmonique, où il soutint Kodály et Bartók, et, en tant que chef d’orchestre, dirigea leurs oeuvres, les faisant parfois entendre pour la première fois dans la capitale hongroise. En 1934, il prit la direction du conservatoire Ferenc-Liszt. En 1948, il quitta Budapest pour des motifs politiques et s’installa tout d’abord en Argentine, puis, en 1949, en Floride, à l’université de Tallahassee où il forma de nombreux compositeurs et pianistes. La carrière de Dohnanyi, pianiste virtuose et compositeur, l’a fait fréquemment comparer à Rachmaninov. Pur produit de la tradition germanique, son oeuvre reste fidèle à l’esthétique de Brahms, tout en étant sensible, comme son modèle, à la musique de Johann Strauss ou des Tziganes. Bien que n’ayant pas suivi Bartók

et Kodály dans leurs conquêtes d’une musique spécifiquement nationale, il les soutint, malgré l’opposition des officiels. L’ensemble de son oeuvre semble aujourd’hui anachronique. Sa musique de chambre, encore méconnue (3 quatuors à cordes, 2 quintettes, une sonate pour violon, etc.), renferme le testament musical le plus solide de son auteur. Les références hongroises sont rares et artificielles : la suite pour piano Ruralia hungarica (1923-24), un Credo hongrois pour ténor, choeur et orchestre, les variations pour piano Sur un thème hongrois, des Chansons populaires. Son oeuvre symphonique comporte notamment une Symphonie de jeunesse en fa op. 3 (1895-96), influencée par Liszt et le jeune Richard Strauss, un magnifique Konzertstück pour violoncelle op. 12 (1903-1904), où l’on retrouve la tendresse schumannienne et les élans du Don Quichotte straussien, une Suite d’orchestre en fa dièse mineur op. 19 (1908-1909), où Debussy vient colorer des variations brahmsiennes, enfin les fameuses et spirituelles Variations sur une chanson enfantine op. 25 (1914), où le piano soliste égrène le Ah, vous dirai-je Maman mozartien. Ici, Dohnanyi s’amuse au collage, opposant Wagner à Mozart, et cite tour à tour des références amicales de Brahms (1er Concerto pour piano, finale de la 4e Symphonie), des valses viennoises et la Boîte à joujoux de Debussy. La pantomime le Voile de Pierrette (1908-1909), les trois opéras Tante Simone, la Tour du voïvode, le Ténor ne sont toutefois pas exempts de longueurs. Son oeuvre de piano, qu’il enregistra en 1956, permet de saisir l’art d’un musicien au métier brillant, solide, mais que les problèmes de construction embarrassent. Ayant trop cherché le secret de la forme classique chez Brahms, sa propre écriture downloadModeText.vue.download 312 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 306 est hésitante et ne devient naturelle que dans les pièces d’allure rhapsodique où le compositeur retrouve les réflexes du Hongrois improvisateur, la couleur, la rythmique et la respiration propres à une tradition austro-hongroise alliant Schubert, Brahms et les Tziganes.

DOIGTÉ. Choix des doigts à employer pour l’exécution d’un trait sur un instrument à clavier, à cordes frottées ou pincées, à trous, à clés ou à pistons. Ce choix, dont l’importance est considérable pour la facilité, voire la possibilité du jeu, est souvent suggéré à l’instrumentiste par des annotations chiffrées. On comprend que les partitions destinées à des amateurs ou des débutants soient beaucoup plus chargées de semblables indications que celles qui s’adressent à des professionnels, en pleine possession de leur technique instrumentale. La densité des indications de doigté dépend aussi de la nature de l’instrument : faible dans le cas des instruments à vent qui ne laissent à l’exécutant qu’un choix très limité, elle est nécessairement plus forte et plus utile pour les instruments à cordes, qui offrent maintes façons d’émettre la même note, et, bien entendu, pour le piano. DOÏNE ou DOÏNA. D’origine vraisemblablement orientale, la doïna proprement dite appartient au folklore roumain et consiste en de courtes formules plus ou moins fixées dans une échelle diatonique limitée, sur lesquelles l’interprète improvise et bâtit une mélodie. Très proche, par certains côtés, de la psalmodie liturgique, elle s’en éloigne cependant en faisant intervenir au milieu du style syllabique de brusques ornements, vocalises et gloussements, et en alternant sections chantées et sections parlées. À cause de son caractère lent et mélancolique, on baptise maintenant doïna toute pièce musicale ayant ces caractéristiques (« chant long », plaintif), quelle qu’en soit sa structure. Depuis longtemps l’un des principaux attributs du folklore roumain, elle a, dès le XIXe siècle, intéressé les compositeurs (on en relève des exemples, en 1850, dans les Airs nationaux roumains de Henri Ehrlich, élève de Chopin). Mais c’est Bartók qui, le premier, en a fait une étude détaillée (Volksmusik der Rumänen von Marameresch). La doïna a, depuis lors, fait son entrée dans la musique classique roumaine avec les cahiers de Doïne de Stan Golestan et par l’influence qu’elle a exercée sur les oeuvres de compositeurs comme G. Enesco, par exemple. DOLCE (ital. : « doux »).

Terme de nuance qui non seulement désigne un jeu piano, mais implique aussi un caractère mélodieux, gracieux et reposant. Gabriel Fauré a fait grand usage de cette indication, notamment dans ses mélodies. DOLCISSIMO. Terme de nuance italien signifiant « très doux ». DOLENTE (ital. : « douloureux »). Terme de nuance qui indique un caractère plaintif, triste et affligé. On trouve parfois le superlatif dolentissimo. DOLES (Johann Friedrich), compositeur, organiste et chef d’orchestre allemand (Steinbach, Thuringe, 1715 - Leipzig 1797). Élève de Bach à Leipzig de 1739 à 1742, il devint cantor à Freiberg en Saxe (1744), puis cantor à Saint-Thomas de Leipzig en 1755, comme successeur de Gottlob Harrer (1703-1755), lui-même successeur de Bach. Il prit son poste en 1756 et le conserva jusqu’en 1789, date à laquelle il démissionna. Peu avant (avril 1789), il fit exécuter devant Mozart, de passage à Leipzig, le motet de Bach Singet dem Herrn ein Neues Lied. Comme compositeur, il écrivit surtout de la musique religieuse. DOLMETSCH, famille de musiciens et de musicologues anglais d’origine francosuisse. Arnold, fils d’un facteur de pianos (Le Mans 1858 - Haslemere 1940). Il fit ses études de violon à Bruxelles, avant d’être nommé professeur, au Dulwich College. Il s’intéressa tout particulièrement aux instruments anciens : viole, clavecin, luth. Après un apprentissage à Boston et à Paris (Gaveau), il fonda, en 1914, à Haslemere, sa propre maison de facture d’instruments dans le but de faire renaître la musique ancienne. Pour faciliter sa tâche, il donna des auditions avec l’aide de sa famille, dont les membres pouvaient constituer un Consort of Viols traditionnel. Son livre intitulé The Interpretation of the Music of the 17th and 18th Centuries (Londres, 1915) demeure un ouvrage de référence.

Mabel, danseuse et gambiste (Londres 1874 - id. 1963). Troisième épouse d’Arnold, elle publia des ouvrages sur la danse en Angleterre, en France, en Espagne et en Italie. Leurs enfants, Nathalie (Chicago 1905), Rudolph (Cambridge, Massachusetts, 1906 - en mer 1942) et Carl (Fontenay-sous-Bois 1911), ont joué un rôle important dans le regain de popularité des musiques d’autrefois, que ce soit comme auteurs de livres, comme éditeurs de partitions anciennes ou, encore, comme instrumentistes. Carl Dolmetsch est devenu un virtuose de la flûte à bec. La firme familiale continue encore à construire toute une gamme d’instruments anciens (flûtes à bec, violes, luths, clavecins, etc.). DOMAINE MUSICAL. Concerts fondés en octobre 1954 par Pierre Boulez. Le Domaine musical constitue dans l’histoire de ces trente dernières années un événement culturel tout à fait exceptionnel ; de par les options esthétiques qui y ont été défendues, il se situe d’emblée sur un terrain expérimental, vouant ses efforts à la connaissance et la diffusion de la jeune musique, en marge de la musique officielle. Sans doute a-t-il bénéficié d’un contexte propice, l’impulsion d’après-guerre. Sa création est d’ailleurs contemporaine de tout un mouvement extrêmement actif qui se traduit par l’apparition de grands festivals, et, notamment, celui de Darmstadt ; dans toute l’Europe, en effet, se manifeste un courant dynamique en faveur de la musique la plus récente : d’importantes responsabilités sont confiées à de très jeunes compositeurs dont les oeuvres font l’objet de fréquentes créations. Après la cassure provoquée par le second conflit mondial, un véritable renouveau de la musique est désormais possible grâce à la jeune génération de musiciens. Ce qui caractérise plus spécifiquement le Domaine musical, c’est d’être une structure permanente dans laquelle peut se dérouler, de manière continue, une véritable action musicale définie en fonction d’objectifs précis, de visées esthétiques à vocation didactique. Il n’est pas sans signification que le

projet ait pris naissance hors du milieu musical. Due à l’initiative d’Arthur Honegger, la rencontre de Pierre Boulez et de Jean-Louis Barrault en 1945 représente les prémices de l’aventure ; engagé pour un spectacle de la compagnie Renaud-Barrault, Pierre Boulez en devient rapidement le directeur de la musique. Déjà l’idée de fonder un lieu qui pourrait accueillir la musique contemporaine est en germe ; elle se concrétise en 1953 lorsque Simone Volterra fait construire le petit théâtre Marigny. L’année suivante, le Domaine musical est officiellement créé, sous la présidence de Suzanne Tézenas, qui lui assure une autonomie financière fondée sur un mécénat. D’emblée, Pierre Boulez déclare son intention de faire connaître une musique qui ne soit pas celle des milieux officiels, qui se situe délibérément à l’écart des chapelles ; il s’agit avant tout, pour lui, de « créer des concerts pour qu’une communication se rétablisse entre les compositeurs de notre temps et le public intéressé à la promotion de son époque ». Organiser des concerts consiste moins à monter downloadModeText.vue.download 313 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 307 des spectacles qu’à rendre compte d’une musique vivante, en évolution, et à faire participer le public à son dynamisme. Aussi, ce qui est apparu à certains comme un manque d’objectivité, une sélection arbitraire dans le choix des programmes, résulte en réalité d’une prise de position qui d’ailleurs ne variera pas jusqu’au départ de Pierre Boulez - très nette à l’égard de la diffusion musicale. Les objectifs du Domaine musical sont définis en fonction de critères précis : cerner la problématique musicale contemporaine, la privilégier sans toutefois exclure systématiquement les musiques de référence. Car si, à cette époque, Pierre Boulez, comme plusieurs de ses contemporains, adopte une position de refus radical vis-à-vis des musiques du passé, de tout héritage musical, y compris celui pourtant fort subversif de Webern, le Domaine musical se doit, dans la sélection de ses concerts, d’échapper à tout parti pris stylistique ou esthétique qui contredirait l’intention didactique. Toutefois, les oeuvres proposées au public sont

choisies en fonction d’une conception linéaire de l’histoire de la musique afin de pouvoir mettre en évidence ce qui, dans les musiques du passé, a présenté « une résonance plus particulièrement actuelle », décelé des rapports, des filiations possibles. Trois types d’oeuvres, correspondant à trois époques, sont ainsi présentés : des oeuvres anciennes de référence faisant partie d’un moment de l’histoire qui ne cesse pourtant de nous concerner, tel notamment l’Art de la fugue ; des oeuvres du XXe siècle inconnues en France pour des raisons politiques, comme celles des musiciens de l’école de Vienne, Schönberg, Berg et Webern ; enfin les musiques de jeunes compositeurs (H. Pousseur, K. Stockhausen, B. Maderna, L. Nono, A. Boucourechliev, G. Amy, etc.), qui peuvent désormais disposer d’un lieu privilégié pour leurs créations, assurés par ailleurs d’excellentes interprétation et direction. En effet, la précision apportée à la préparation des programmes s’accompagne d’exigences extrêmes sur le plan de la qualité d’exécution, le Domaine musical se voulant « à l’abri des reproches d’incompréhension et d’amateurisme », et y réussissant en faisant appel à des chefs tels que Stravinski, Scherchen ou Craft. Cependant, malgré l’importance qu’a pu revêtir le Domaine musical, le rôle indéniable qu’il a assumé tout au long de ces années, il est également certain que le manque d’éclectisme qui lui a été reproché, à tort au début, contribue, au fur et à mesure, à sa sclérose ; le dynamisme du départ s’est probablement effrité alors que disparaît l’intention qui l’a provoqué, le souci de rendre compte d’un présent en mutation, et que se substitue progressivement à ce qui a été une aventure expérimentale, une institution au conformisme d’une avant-garde officialisée, d’où a été désormais abolie toute initiative de recherche, de renouveau. Lorsque Pierre Boulez quitte le Domaine musical en 1967, Gilbert Amy en reprend la direction ; mais ses activités cessent définitivement en 1973. En 1992 est paru le livre de Jesus Aguila le Domaine musical - Pierre Boulez et vingt ans de création contemporaine. DOMINANTE. Degré qui, dans un mode donné, assume

après la tonique le principal rôle structurel, en constituant soit un point d’appui provisoire, soit un point de départ vers la tonique conclusive. 1. La musique grecque, articulée sur le tétracorde, ignore la notion de dominante, encore que la borne aiguë (la) de son tétracorde principal mi-la, dite la mèse, joue un rôle analogue en préparant souvent la chute conclusive sur le mi final. La musique grégorienne n’en dégage la notion que progressivement, et attend le XVIIIe siècle pour lui donner le nom de « dominante » par analogie avec la musique classique : le nom médiéval est teneur (lat. tenor) ou corde de récitation, rappelant que c’est sur elle que, dans la psalmodie, se récite le texte (sur les dominantes modales grégoriennes, ! MODE). 2. Les dominantes grégoriennes, qui ne faisaient pas intervenir le concept harmonique, se situent en principe à la quarte de la finale tonique pour les modes plagaux, à la quinte pour les modes authentes (avec déplacement respectif à la tierce ou à la sixte lorsqu’elles tombaient sur le si, note mobile dont le « roman » a fait couler beaucoup d’encre depuis le Moyen Âge). 3. En leur donnant une signification harmonique (d’où les cadences dites plagales et parfaites), la musique tonale a réservé le nom de dominante à la seule quinte, mais la théorie n’en a été fixée qu’à partir de Rameau, qui emploie encore le terme de dominante tonique. En musique classique, depuis ce temps, le mot dominante désigne exclusivement le cinquième degré du ton, et seulement lorsqu’il est à la fois quinte juste et employé en fonction harmonique : par exemple, en do, la dominante est sol, mais on considère sol comme dominante dans un accord sol-si-ré, et non pas dans un accord do-mi-sol. DOMINGO (Placido), ténor espagnol (Madrid 1941). Installé à l’âge de huit ans au Mexique avec ses parents, il a fait ses études musicales au conservatoire de Mexico et a débuté en 1961, à l’opéra de Mexico, dans le rôle d’Alfredo de La Traviata de Verdi. C’est surtout à partir de 1968, à la suite de triomphes remportés à l’opéra de Ham-

bourg et au Metropolitan de New York, où il avait fait ses débuts en 1966, que sa renommée internationale a pris de l’ampleur. Son vaste répertoire couvre l’opéra italien, de Bellini à Puccini, certains rôles français (Carmen, Samson et Dalila, Werther) et certains rôles wagnériens. Sa voix est celle d’un ténor lyrique, souple mais particulièrement solide, capable d’aborder des emplois de ténor dramatique comme Othello dans l’opéra de Verdi. Son phrasé élégant et noble, son sens d’un pathétique sobre, ses qualités d’acteur rendent particulièrement heureuses ses interprétations de héros de Verdi et de Puccini. Musicien complet, il est parfois monté au pupitre de chef d’orchestre. DONATO (Baldassare), compositeur italien ( ? v. 1530 - Venise 1603). Organiste et chantre apprécié, toute sa carrière fut liée à Saint-Marc de Venise. Maître de la Cappella piccola de 1562 à sa suppression par Zarlino en 1565 (Donato en garda un vif ressentiment), puis maître de chant au séminaire de Saint-Marc, il devint enfin maître de chapelle de la célèbre basilique à la mort de Zarlino en 1590. Il poursuivit néanmoins son enseignement au séminaire. Auteur de plusieurs livres de madrigaux et de motets religieux publiés chez Gardano à Venise, Donato dut surtout sa réputation de compositeur à ses villanelles aux rythmes dansants alla napolitana qui respectent la structure traditionnelle à quatre voix. DONATO DA FIRENZE (da Cascia), compositeur italien (XIVe s.). On ne sait pratiquement rien de sa vie. Les seules de ses compositions qui aient été conservées sont quatorze madrigaux à deux voix, un madrigal à trois voix et une ballata et un virelai à deux voix. La plupart des poèmes mis en musique sont anonymes. Parmi les madrigaux, on en connaît trois de Niccolò Soldanieri, un d’Antonio degli Alberti et un d’un certain Rigo Belondi. Sa relation avec les poètes précités et la prédominance d’oeuvres à deux voix permettent de situer sa période d’activité musicale entre 1355 et 1375, au sein de l’Ars nova florentine. Son style, parfois assez proche de celui de Lorenzo Masini et de Giovanni da Cascia, se distingue par un traitement élaboré de la ligne mélodique, aux nombreux mélismes, et par la déclamation du texte, échelon-

née entre les voix, qui rappelle un peu la technique de la caccia. Ce phénomène est encore plus sensible dans le madrigal à trois voix, Faccia chi de, se’ l po, dont les deux voix procèdent en canon. downloadModeText.vue.download 314 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 308 DONATONI (Franco), compositeur italien (Vérone 1927). Il a commencé le violon à sept ans, et, encouragé par son premier maître Piero Bottagisio, s’est consacré entièrement à la musique dès la fin de ses études secondaires. Il a obtenu à Bologne des diplômes de chef de choeur (1950) et de composition (1951), a suivi jusqu’en 1953 les cours d’Ildebrando Pizzetti à Rome, puis a enseigné l’harmonie et le contrepoint au conservatoire de Bologne. Il a occupé un poste analogue au conservatoire Giuseppe-Verdi de Milan (1955-1967), puis a été nommé professeur de composition au conservatoire G.-Verdi de Turin (1968) et à celui de Milan (1969). Il enseigne depuis 1970 la composition aux cours d’été de l’Académie de Sienne (Accademia musicale Chigiana) et a succédé, en 1978, à Goffredo Petrassi à la chaire de composition de l’Académie Sainte-Cécile de Rome. Il a rencontré Bruno Maderna en 1953 et participé aux cours de Darmstadt en 1954, 1958 et 1961. Donatoni est passé brusquement, vers 1957-58, d’un langage postbartokien avancé aux préoccupations alors les plus urgentes et n’a pratiquement pas connu de phase postsérielle stricte. Ses oeuvres de maturité, jusqu’en 1977 exclusivement instrumentales, développent des principes d’inspiration sérielle tout en utilisant des procédés de hasard liés à un symbolisme très personnel dans le jeu des chiffres. Dans les plus anciennes, comme For Grilly, improvisation pour 7 musiciens (1960), ou Sezioni pour orchestre (1961), l’influence de Cage est assez nette, et le hasard est vécu comme une sorte de renonciation au jeu de l’écriture. Suit une période qualifiée par le compositeur de « retrouvailles avec le matériau » et inaugurée par Puppenspiel 2 pour flûte et orchestre (1965), « acte d’émancipation des automatismes compositionnels, libération

incontrôlée du matériau ». Naissent alors plusieurs ouvrages fondés sur la préexistence d’un matériau externe, voire historique : Souvenir (Kammersymphonie opus 18), créé au festival de Venise 1967 et dont le matériau d’origine comprend 363 fragments de Gruppen de Stockhausen ; Etwas ruhiger im Ausdruck pour flûte, clarinette, violon, violoncelle et piano (1967), dont le matériau de base est emprunté à la 8e mesure du 2e morceau de l’opus 23 de Schönberg ; le chef-d’oeuvre qu’est Solo pour 10 cordes (1969) ; Doubles II pour grand orchestre (1970) ; Secondo Estratto pour harpe, clavecin et piano (1970) ; Quarto Estratto pour 8 instruments (1974). Dans une troisième période, le hasard est vécu comme expérience directe et comme confrontation immédiate au chaos, par exemple avec To Earle Two pour 2 orchestres (1971-72), « composition funéraire, déprimante, dépressive, sépulcrale, exercice sur la matière inerte, abstention à l’égard de la forme » (Donatoni). On assiste enfin à un retour insolite de certaines polarisations harmoniques ou formelles : évocations du motif B. A. C. H. dans Voci pour grand orchestre (1972-73), alternances strophiques dans Lied pour 13 instruments (1972), où est élaboré un matériau sonore issu d’une oeuvre de Sinopoli. Dans Espressivo composition pour hautbois, cor anglais et grand orchestre (1973-74), une seule hauteur sonore est mise en évidence. Parmi les ouvrages les plus récents de Donatoni, il faut citer Lumen pour 6 instruments (1975), Portrait pour clavecin et orchestre (1976-77), Diario 1976 pour 4 trompettes et 4 trombones (1977), Spiri pour 10 instruments (1977), De près pour voix de femme, 2 octavins et 3 violons (1978), ... ed insieme bussarono pour voix de femme et piano (1978), Arie pour voix de femme et orchestre (1978-79), The Heart’s Eye pour quatuor à cordes (1979-80), le Ruisseau sur l’escalier pour 19 instruments et violoncelle solo (1980), L’Ultima Sera pour voix de femme et 5 instruments (1980-81), Tema pour 12 instruments (1981), Feria pour 5 flûtes, 5 trompettes et orgue (1981), Lame pour violoncelle (1982), Abyss pour voix grave de femme, flûte basse et 10 instruments (1983), Ombra pour clarinette contrebasse (1983), l’opéra Atem (Milan 1985), Sestetto pour sextuor à cordes (1985), Eco pour or-

chestre de chambre (1986), Arpèges pour 6 instruments (créé en 1987), Midi pour flûte (1989). DONAUESCHINGEN (festival de). Important festival de musique contemporaine depuis plus d’un demi-siècle, le festival de Donaueschingen a connu deux périodes bien distinctes. À partir de l’été 1921 se déroule, sous l’égide du prince Egon de Fürstenberg, un festival de musique de chambre consacré à la production d’avant-garde. De 1921 à 1926, ce festival a lieu à Donaueschingen, petite ville thermale du sud de l’Allemagne (Forêt-Noire). Au cours des différentes saisons sont jouées, entre autres, des pages de Paul Hindemith, Richard Strauss, Ferruccio Busoni, Alois Haba, Philipp Jarnach, Arnold Schönberg, Alban Berg, Anton Webern, Béla Bartók, Ernst Krenek. Le directeur musical est Heinrich Burckhardt. Le rayonnement déjà considérable de ce premier festival sert d’impulsion déterminante pour la création d’une section de musique contemporaine au festival de Salzbourg et pour la formation de la Société internationale de musique contemporaine (S. I. M. C.). En 1927, le festival se transporte à Baden-Baden. Quelques années plus tard, le nazisme va faire disparaître en Allemagne, pour plusieurs années, toute activité prospectrice dans le domaine de la musique vivante. Ce n’est qu’en 1950, sous l’impulsion de la radio de Baden-Baden (Südwestfunk) et du critique et musicologue allemand Heinrich Strobel (1898-1970), que le festival de Donaueschingen connaît une seconde naissance et prend une ampleur extraordinaire. Traditionnellement organisée le deuxième ou le troisième week-end d’octobre, cette manifestation a, dès lors, suscité la découverte et entraîné l’éclosion de la presque totalité des créations contemporaines les plus significatives. Heinrich Strobel en assume la responsabilité artistique entre 1950 et 1970. C’est sans conteste la plus grande période de gloire de Donaueschingen. Otto Tomek lui succède jusqu’en 1975. À partir de cette date, Josef Häusler assure la direction artistique générale (le critique de jazz Joachim Ernst Berendt s’occupe plus particulièrement de la partie réservée au jazz). Le prince Joa-

chim de Fürstenberg est président d’honneur. L’organisation et la régie technique sont assurées par la ville de Donaueschingen et par la radio de Baden-Baden (Südwestfunk). Entre 1950 et 1970, le festival de Donaueschingen est reconnu dans le monde entier comme le symbole même du festival audacieux et novateur. Il joue un rôle fondamental dans la découverte des voies nouvelles de la musique. Homme à l’indépendance intellectuelle et esthétique rare, Heinrich Strobel a été le principal artisan de cette réussite. Nombre d’oeuvres importantes ont vu leur création mondiale à Donaueschingen. Mais, outre ces créations, le festival a permis depuis près de quarante ans la création européenne d’un nombre tout aussi remarquable de partitions, des dernières pages d’Igor Stravinski aux premiers ouvrages des plus jeunes générations. DONI (Antonio Francesco), musicographe italien (Florence 1513 - Montselice, près de Padoue, 1574). Auteur de nombreux ouvrages, dont trois sont consacrés à la musique (notamment le Dialogo della musica, publié à Venise en 1544), il fournit des renseignements sur la vie musicale dans cette ville. Doni illustre son propos à l’aide d’une sélection de madrigaux de différents compositeurs. Dans les autres livres (Prima Libraria, 1550, Seconda Libraria, 1551), il donne une intéressante liste des accademie actives en Italie à son époque et essaie pour la première fois d’établir une bibliographie musicale. DONIZETTI (Gaetano), compositeur italien (Bergame 1797 - id. 1848). Issu d’une famille pauvre, il fut reçu à neuf ans à la Scuola caritatevole di musica (« École charitable de musique »), fondée par Mayr dans sa ville natale, il y apprit le downloadModeText.vue.download 315 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 309 clavecin et la composition et dut à l’intérêt que lui témoigna son maître, ainsi qu’à son soutien financier, de pouvoir compléter ses études à Bologne sous la conduite du père S. Mattei. Afin de venir en aide à sa famille, il s’engagea dans l’armée, mais ses premières réussites de compositeur

lui permirent bien vite de s’en libérer. Son oeuvre Enrico di Borgogna l’avait fait connaître en 1818, mais ce fut Zoraide di Granata (1822) qui lui valut son premier succès réel. Mieux accueilli à Naples et dans l’Italie méridionale que dans sa Lombardie natale, Donizetti fit jouer - dans les genres bouffe, semi-seria et seria - une trentaine d’oeuvres, qui, tout en révélant un talent affirmé, le laissaient néanmoins dans l’ombre de Rossini, dont Bellini, son cadet de quatre ans, semblait déjà lui ravir l’héritage. La gloire véritable ne lui vint qu’en 1830 avec Anna Bolena, oeuvre habilement démarquée du Pirate de Bellini, mais qui, dans l’interprétation de la Pasta et du ténor G. B. Rubini, lui valut la faveur des Milanais. Cette faveur se confirma en 1832 avec l’accueil réservé à son Élixir d’amour. Donizetti donna alors ses grands chefs-d’oeuvre tragiques - drames romantiques ou historiques tels que Torquato Tasso, Lucrezia Borgia, Maria Stuarda, Lucia de Lammermoor, Roberto Devereux, etc. La disparition prématurée de Bellini lui laissa le champ libre, mais la direction du conservatoire de Naples n’en échut pas moins à Mercadante, à une période où il connut de grands malheurs, perdant subitement sa femme après ses parents et ses trois enfants. Recommandé par Rossini, il vint à Paris en 1838 et y donna, en langue française, la Fille du régiment, la Favorite et les Martyrs en 1840, avant d’être nommé compositeur impérial à Vienne où il présenta Linda di Chamounix et Maria di Rohan. Il revint à Paris donner Dom Sébastien et Don Pasquale (1843), mais le travail incessant auquel il s’était adonné, les chagrins et une vie dissolue eurent raison de ses forces et le conduisirent à de graves désordres mentaux, puis à la paralysie nerveuse. Interné à Ivry en janvier 1846, il regagna Bergame et s’y éteignit après quelques mois de souffrances. La gloire de Donizetti, comme le mépris qui s’ensuivit, ne reposa longtemps que sur la connaissance restreinte de son oeuvre. Vers 1930, mais surtout depuis 1955, la redécouverte d’un romantisme européen fondé sur d’autres valeurs que celles de la culture germanique a permis de rendre à Donizetti sa véritable place dans l’évolution de l’opéra. Sans doute l’abondance d’une production qui comprend plus de soixante-dix oeuvres lyriques, de la musique sacrée, instrumentale, etc., at-elle nui à l’homogénéité de son oeuvre, dont les pages essentielles suffisent néan-

moins à mesurer la qualité d’un talent confinant au génie véritable. Sa formation extrêmement poussée, sa connaissance de Haydn, Mozart et Gluck lui permirent de se démarquer peu à peu et de laisser libre cours à sa personnalité véritable. Des livrets plus soignés, la bonne perception de situations tragiques (où l’influence de Bellini se fit longtemps sentir, Lucia de Lammermoor devant tout aux Puritains, qui la précédèrent de peu), et le conflit romantique de l’amour impossible lui inspirèrent un langage plus fort et un traitement plus énergique de la voix chantée qui jetait un pont entre l’inspiration aristocratique de Bellini et la veine sanguine et populaire de Verdi. Nous trouvons en effet chez Donizetti à la fois les effusions pathétiques de Lucie, de Maria di Rohan, d’Elisabetta dans Roberto Devereux, de Pauline dans les Martyrs et d’autre part les élans si profondément humains de cette même Elisabetta, d’Anna Bolena, ceux d’Edgardo dans Lucie et de Fernand dans la Favorite. En même temps se profilent tous les aspects du baryton naissant, tour à tour noble et amoureux (Dom Sébastien, la Favorite), ou d’une « méchanceté » dont les éclats eussent été parfaitement impensables avant 1830 (Lucia de Lammermoor). Enfin, dernier grand auteur comique de l’histoire de l’opéra italien, Donizetti parvint à renouveler le genre avec Il Campanello ou Betly et à écrire, avec l’Élixir d’amour, un chef-d’oeuvre du genre semiseria où un pathétique sincère voisine avec les meilleures inventions d’un comique purement musical. DOPPIO (ital. : « double »). Doppio più lento : deux fois plus lent. Doppio movimento : deux fois plus vite (mouvement double). DORATI (Antal), chef d’orchestre américain d’origine hongroise (Budapest 1906 - Gerzensee, Suisse, 1988). Élève, notamment, de Bartók et de Kodály, il monte dès l’âge de dix-huit ans au pupitre de l’opéra de sa ville natale. Il collabore ensuite avec Fritz Busch à l’opéra de Dresde (1828-29), puis est nommé à Münster (1929-1932). En 1933, son engagement aux Ballets russes de Monte-Carlo marque un tournant dans sa carrière ; jusqu’en 1945, passant d’une compagnie

à l’autre, il se consacre presque uniquement au ballet, dont il enrichit d’ailleurs le répertoire en composant, d’après Johann Strauss, la partition de Graduation Ball. Depuis, plusieurs grands orchestres, américains, entre autres, se sont successivement attaché Antal Dorati en qualité de directeur artistique : celui de Dallas jusqu’en 1949, celui de Minneapolis jusqu’en 1960, l’Orchestre symphonique de Londres, puis l’Orchestre symphonique de la BBC de 1962 à 1966, les orchestres philharmoniques d’Israël et de Stockholm (1966-1970), le National Symphony Orchestra de Washington (1970-1977), le Royal Philharmonic Orchestra de Londres (1975-1978), et, enfin, l’Orchestre symphonique de Detroit (1977-1981). Son style se caractérise par un grand sens de la couleur et du rythme. Son vaste répertoire va de Haydn à Bartók, Stravinski et Gerhard en passant notamment par Dvořák. Dorati a consacré à Haydn un monument discographique sans précédent, avec ses enregistrements de la plupart des opéras, de tous les oratorios et de toutes les symphonies de ce compositeur. DORET (Gustave), compositeur et chef d’orchestre suisse (Aigle, canton de Vaud, 1866 - Lausanne 1943). Ayant fait ses premières études musicales auprès du violoniste Joachim, il fut ensuite, à Paris, l’élève de Marsick pour le violon, de Théodore Dubois et de Massenet pour la composition. En 1893, il devint chef d’orchestre aux concerts d’Harcourt, où il dirigea, entre autres, des programmes historiques consacrés aux polyphonistes de la Renaissance, et à la Société nationale. Dès ses premières compositions (Voix de la patrie, cantate, 1891) se révéla sa passion pour l’art et le folklore helvétiques. Il écrivit, par la suite, de nombreuses musiques de scène pour les pièces de René Morax, que l’on représentait au théâtre de verdure du Jorat, à Mézières, où, dans une atmosphère populaire, s’épanouissait l’âme de la Suisse romande. Préoccupé par le rôle social de la musique, il s’intéressa à l’art choral. Ce sont les caractères et les aspirations de la terre romande qu’il évoque dans presque toutes ses oeuvres : ses choeurs, sa Cantate du centenaire, ses mélodies qui s’appuient sur le folklore, ses pages symphoniques très descriptives comme le triptyque Gaudria et ses ouvrages lyriques comme

les Armaillis (1906) ou la Tisseuse d’orties (1926). Gustave Doret a également laissé divers écrits sur la musique, dont Temps et Contretemps (Fribourg, 1942). DORIA (Renée), soprano française (Perpignan 1921). Après des études d’harmonie, elle fait ses débuts à l’Opéra de Marseille en 1942. En 1944, elle débute à l’Opéra-Comique dans Lakmé, puis en 1947 à l’Opéra de Paris, où elle chante la Reine de la Nuit. Sa carrière exemplaire fait d’elle une des chanteuses françaises les plus populaires des années 1940 et 1950. Elle a triomphé dans plus de soixante rôles, aussi bien dans les opéras de Mozart que dans les Contes d’Hoffmann, le Dialogue des carmélites de Poulenc et l’Heure espagnole de Ravel. DORIEN. Les Doriens constituaient une peuplade du sud de la Grèce continentale (au downloadModeText.vue.download 316 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 310 N.-O. d’Athènes), qui donna son nom à une échelle, puis à un ton de la musique grecque antique, ultérieurement au premier mode de la musique grégorienne et enfin, selon les écoles, au mode de ré, de do ou de mi dans la musique modale harmonique. L’échelle dorienne primitive nous est connue par un musicographe du IIe siècle, Aristide Quintilien. Elle correspondait à l’échelle enharmonique normale de l’octocorde, avec un degré supplémentaire au grave, et c’était explicitement à elle que, selon cet auteur, Platon faisait allusion lorsque, dans la République, il recommandait l’harmonie dorienne comme noble et grave, propre à exalter les vertus civiques. On en déduit que la musique dorienne devait avoir un tel caractère et se tenait dans une tessiture relativement grave. Quand s’élabora la théorie des tons de hauteur, le nom de dorien fut donné au ton le plus grave : un ton au-dessus venait le phrygien, puis le lydien. Plus tard on ajouta le mixolydien, puis le système s’accrut progressivement jusqu’à 7 ou 8 tons d’abord (7 pour Ptolémée ; 8 pour Boèce), 15 tons

ensuite. Ces tons ayant principalement pour objet l’accord de la lyre, on se fonda sur la lyre octocorde, et on donna à chaque accord de cette lyre le nom du ton auquel renvoyait cet accord lorsque, de l’intervalle utilisé, on remontait au son d’origine de la gamme commune. Ce furent les noms topiques des espèces d’octave. Ils n’ont eu qu’une existence éphémère, mais, par la confusion qu’ils ont introduite entre les « tons » et les « harmonies », baptisés « modes » par les musicologues du XIXe siècle, ils ont induit ceux-ci dans une erreur qui n’est pas encore dissipée de nos jours. Ce fut dans cette seule nomenclature que l’octave de mi prit le nom d’octave dorienne, ce qui incita à tort l’helléniste Westphal, et, à sa suite, Gevaert et M. Emmanuel, à définir le dorien comme un mode de mi et à lui donner dans la théorie une prééminence factice. Au IXe siècle de notre ère, un traité anonyme, dit Alia musica, en commentant Boèce, qui donnait une liste de 8 noms topiques des tons de la musique grecque, crut que cette liste s’appliquait aux 8 tons du plain-chant ; il en recopia la nomenclature sous celle des 8 tons d’église ; c’est ainsi que le premier ton (ou mode) ecclésiastique, qui est un mode authente de ré, puis par extension toute musique construite sur l’échelle modale de ré, se vit attribuer arbitrairement le nom de mode dorien, qu’il a conservé jusqu’à nos jours en acception commune, bien que concurrencée par les autres interprétations. Du XVIe au XVIIIe siècle, des théoriciens humanistes, conscients des inconséquences que contenait la théorie des modes telle que l’avait transmise l’Alia musica, mais insuffisamment documentés sur la question, entreprirent de la corriger à leur manière et introduisirent de nouvelles nomenclatures de leur cru qui ne firent qu’alimenter la confusion. Ce fut ainsi que pour Zarlino (1573) le dorien devint le mode de do, et c’était dans cette acception qu’il devait être entendu chez plusieurs compositeurs de cette période. DORNEL (Antoine), organiste et compositeur français ( ? v. 1685 - Paris 1765). Il fut organiste à Sainte-Madeleine-enla-Cité et à l’abbatiale Sainte-Geneviève à Paris. En 1725, il succéda à Drouart

de Bousset comme maître de musique à l’Académie française, pour laquelle il écrivit des motets à grand choeur, aujourd’hui perdus. Pratiquant, comme François Couperin, la « réunion des goûts » italien et français, il écrivit un Livre de symphonies (1709), qui contient six suites en trio de six à huit pièces chacune. Ses Sonates à violon seul et ses Suites pour la flûte et la basse (1711) sont également marquées par l’influence italienne. Pour le clavier, il a laissé Quarante-Huit Pièces de clavecin (1731) et des Pièces d’orgue, dans l’esprit de Lebègue. Pour la voix, il a composé quelques Airs sérieux et à boire. Dornel a également écrit un ouvrage théorique, le Tour du clavier sur tous les tons (Paris, 1745). DØRUMSGAARD (Arne), compositeur, chanteur et écrivain norvégien (Fredrikstadt 1921). Après des études de piano, d’harmonie et de contrepoint, il s’est établi en France (1950) et y a étudié le chant avec Maria Castellazi (1952-1960). Son oeuvre principale est l’édition des Canzoni scordate, anthologie de chansons européennes de 1400 à 1900 (Paris 1963). DORUS-GRAS (Julie), soprano belge (Valenciennes 1805 - Paris 1896). Elle étudia au Conservatoire de Paris, mais débuta à Bruxelles en 1825. C’est là que, en 1830, elle incarnait Elvire lors de la fameuse représentation de la Muette de Portici d’Auber qui déclencha la révolte des Pays-Bas. Engagée à l’Opéra de Paris, elle créa les rôles d’Alice dans Robert le Diable de Meyerbeer (1831) et de la reine Marguerite dans les Huguenots (1836). Sa voix était celle d’un soprano aigu au timbre flexible, dont la virtuosité était remarquable. DOUBLE. 1. Nom quelquefois donné, au Moyen Âge, au rapport de fréquence 2/1, c’est-àdire à l’octave. Le mot est alors au féminin (s.-e. « proportion »). 2. Dans la polyphonie médiévale, traduction du latin duplum, qui désigne la deuxième voix placée au-dessus de la teneur. Tombé en désuétude au cours du XIIIe siècle, ce terme fut alors supplanté

par celui de motet (motettus), dont l’évolution a mené vers des acceptions différentes. 3. Dans la musique de luth et dans l’air de cour et l’air sérieux du XVIIe siècle, puis jusqu’au milieu du XVIIIe, parfois aussi dans la musique de clavier (Gavotte et 6 Doubles de Rameau), ainsi que dans l’air d’opéra de forme ABA dit aria da capo, reprise ornée du couplet ou de la partie initiale qui avait été exposée sans ornementation, ou très peu ornée. Les ornementations du double n’étaient souvent pas écrites : on attendait de l’interprète qu’il les ajoutât à sa façon et selon ses propres possibilités, ce qui rend très difficiles les tentatives de restitution, et condamne les reprises non ornées que font aujourd’hui, en se fiant au texte seul, de nombreux interprètes. Pourtant, quelques échantillons de doubles notés existent et peuvent être étudiés avec profit. Par exemple, un grand nombre d’airs de Michel Lambert ont été agrémentés de doubles ornés de sa main, sans doute afin d’enseigner cette technique à ses élèves. DOUBLÉ (double cadence, brisé, tour de gosier). Nom donné au gruppetto par les clavecinistes français du XVIIe siècle et employé dans la musique vocale et instrumentale des XVIIe et XVIIIe siècles surtout. Il se présente comme un S couché, posé au-dessus de la note ornée, laquelle doit être exécutée entourée de ses secondes supérieure et inférieure. Si l’un des sons est altéré, on l’indique en plaçant l’altération en question au-dessus ou au-dessous du doublé. On peut commencer le doublé ou gruppetto par la note inférieure : Mais ce dernier type, quoique mentionné par Brossard (1703) et Walter (1732), est peu employé par la suite. DOUBLE BARRE. Double trait vertical traversant toute la portée et suivant la dernière mesure d’une oeuvre ou d’une partie d’oeuvre. La double barre accompagne aussi un changement de mesure ou d’armature. Précédée , ou downloadModeText.vue.download 317 sur 1085

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311 suivie , de deux points, elle indique la reprise de la partie d’oeuvre située du côté des points. DOUBLE BÉMOL. Signe d’altération abaissant de deux demitons une note, c’est-à-dire d’un demi-ton supplémentaire une note déjà bémolisée en vertu, ou non, de l’armature de la tonalité. Ce signe bb, placé devant une note, demeure valable pendant toute la mesure, sauf indication contraire. DOUBLE CHOEUR. Division de la masse chorale en deux groupes d’égale importance et de composition semblable, le plus souvent à quatre voix mixtes (soprano, alto, ténor et basse). Ce procédé d’écriture a pour effet, non seulement de doubler le nombre des voix, mais de leur apporter une dimension supplémentaire par une forme dialoguée de « question » et de « réponse ». DOUBLE CONCERTO. Concerto pour deux instruments solistes et orchestre (par exemple, le Concerto pour deux violons de J.-S. Bach ; le Concerto pour flûte et harpe de Mozart ; le Concerto pour violon et violoncelle de Brahms). DOUBLE CORDE. Technique permettant de jouer simultanément deux notes différentes sur un instrument à archet, en attaquant à la fois deux cordes voisines. L’exécution correcte des passages en double corde pose à la main gauche des difficultés d’autant plus grandes que le trait est plus rapide, et constitue sans doute l’élément le plus spectaculaire de la virtuosité d’un violoniste. DOUBLE CROCHE. Note dont la durée est égale à la moitié de celle d’une croche, le quart de celle d’une noire.

Le silence de durée correspondante est le quart de soupir. DOUBLE DIÈSE. Signe d’altération haussant de deux demitons une note, c’est-à-dire d’un demi-ton supplémentaire une note déjà diésée en vertu de l’armature de la tonalité. Ce signe en forme d’X, placé devant une note, demeure valable pendant toute la mesure, sauf indication contraire. DOUBLETTE. Jeu d’orgue de la famille des principaux ( ! PRINCIPAL), sonnant à la double octave de la fondamentale (quinzième, ou harmonique 4). Son tuyau le plus grave mesure 2 pieds de haut. La doublette sert à composer le cornet ; elle est également utilisée dans le plénum, ou comme jeu de détail. DOUBLURE. En matière de théâtre lyrique ou de ballet, artiste qui a suivi les répétitions et qu’on tient en réserve, sans qu’il figure à l’affiche, pour remplacer le titulaire d’un rôle en cas d’indisposition. DOUÇAINE. Instrument médiéval de la famille des bois. Son origine reste extrêmement mystérieuse. Guillaume de Machaut le cite dans le Remède de fortune au XIVe siècle. Il possédait sans doute la sonorité douce qui lui a donné son nom. C’était un instrument à anche, mais on ne sait si celle-ci était simple ou double. Son étendue était probablement assez réduite (un peu plus d’une octave), située dans une tessiture de ténor. DOUGLAS (Barry), pianiste anglais (Belfast 1960). Au Royal College of Music de Londres, il étudie avec John Barstow, et se perfectionne ensuite avec Maria Curcio. En 1983, il est lauréat du Concours international de Tel-Aviv et en 1986 du Concours Tchaïkovski. Après ses débuts au Carne-

gie Hall de New York en 1988, il est invité par le Cleveland Orchestra, le Los Angeles Philharmonic, le Philadelphia Orchestra. Il effectue plusieurs tournées au Japon et en Nouvelle-Zélande et se produit dans toute l’Europe. DOWLAND, famille de musiciens anglais. John, luthiste et compositeur (Londres ? 1563 - id. 1626). On ne sait rien de ses premières années ni de sa formation musicale. Après la mort de son père en 1577, il entra au service de sir Henry Cobham, qu’il accompagna à Paris lorsque celui-ci y fut nommé ambassadeur d’Angleterre (1580). Pendant son séjour dans la capitale française, Dowland se convertit au catholicisme. De retour en Angleterre, il se maria. L’université d’Oxford lui décerna le titre de Bachelor of Music (1588), de même que l’université de Cambridge (av. 1597). Dowland essaya d’obtenir un poste officiel à la cour, mais sa religion empêcha cette nomination (« My religion was my hindrance. »). Déçu, il décida de partir, d’abord pour l’Allemagne, sur l’invitation du duc de Brunswick. De là, après avoir visité les cours de Wolfenbüttel et de Hesse, il voyagea en Italie, à Venise où il rencontra Giovanni Croce qu’il admirait beaucoup, puis à Padoue, Gênes, Ferrare et Florence. Il sollicita les conseils de Luca Marenzio à Rome et publia une des lettres du maître dans la préface de son First Booke of Songes or Ayres (1597) ; Marenzio se montra disposé à l’accueillir, mais on ignore si cette rencontre eut lieu. En tout cas, Dowland quitta rapidement Florence où des catholiques anglais en exil voulurent le mêler à un complot contre la reine Élisabeth. Désireux de revoir sa famille, il écrivit au chancelier d’Angleterre, sir Robert Cecil, qui avait signé son permis de voyage. Passant de nouveau par l’Allemagne, il reçut une lettre de Henry Noel qui le pressait de rentrer en Angleterre, puisqu’il pouvait enfin y espérer un poste à la cour. Le destin en décida autrement, et, en 1598, il fut nommé luthiste du roi Christian IV de Danemark. Outre une courte visite en Angleterre (1604-1605), Dowland demeura à l’étranger jusqu’en 1606, date à laquelle il fut renvoyé de Copenhague en raison de sa

mauvaise conduite. Entre-temps, il publia ses deuxième et troisième livres d’Ayres (1600-1603). Installé à Londres, il devint, en 1612, l’un des King’s Musicians for the Lutes et fit paraître la même année sa dernière oeuvre, A Pilgrimes Solace, recueil d’airs contenant une pièce sur un texte italien (Lasso vita mia) et quelques airs de dévotion admirables. Entre 1622 et 1623, il entreprit un autre voyage à l’étranger. Sa réputation de luthiste virtuose et de chanteur, interprète de ses propres airs, répandue dans toute l’Europe, finit par gagner l’Angleterre. À partir de 1621 - il figura ainsi sur le registre de l’état civil à Sainte-Anne de Blackfriars -, il eut droit au titre de Doctor. Dowland est, sans nul doute, le plus grand compositeur d’ayres au luth pendant la courte période - 1597-v. 1630 - où le genre connut une immense faveur en Angleterre. Si plusieurs courants stylistiques ont marqué son oeuvre, l’ayre est surtout issu de l’air de cour français que Dowland avait certainement entendu à Paris (G. Tessier, P. Guédron), dont des éditions circulaient aussi outre-Manche et dont les textes originaux étaient souvent traduits. Comme son modèle, l’ayre se rattache à la Renaissance et non à la monodie naissante venue d’Italie. Il peut être interprété par une voix soliste accompagnée au luth (et à la viole) ou par un ensemble de violes, ou encore par un quatuor vocal (Ayres for Four Voices), avec ou sans accompagnement instrumental, le choix restant libre. En revanche, dans le domaine de l’harmonie, Dowland se montre en avance sur ses collègues français, de même que dans la complexité de son écriture pour le luth. En bon humaniste, il se révèle particulièrement sensible à l’atmosphère de chaque texte qu’il met en musique ; son génie mélodique et rythmique lui permet downloadModeText.vue.download 318 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 312 de traduire chaque vers à la perfection. La forme de ses ayres est généralement strophique (le chanteur doit introduire un choix d’ornements discrets selon les sentiments exprimés et afin de varier les autres strophes) ; parfois, il emploie une mélodie

continue, comme dans In darkness let me dwell. « Semper Dowland semper dolens », il excelle dans les pièces mélancoliques (I saw my lady weep ; Go crystal tears). Parfois, il compose un air sur un rythme de danse, par exemple, la gaillarde Awake, sweet love, thou art returned ; il peut aussi reprendre, comme bien d’autres, les cris de la ville (Fine Knacks for Ladies). Dowland a laissé une quantité de belles pièces pour luth seul (galliards, pavanes, fantaisies, etc.), dédiées souvent à des personnalités connues (The Earl of Derby’s Galliard ; Sir John Smith his Almaine ; Mrs. Winter’s Jumpe, etc.). Enfin, de 1604 datent les célèbres Lachrymae, série de 21 danses à cinq parties avec luth. Mais, malgré la qualité de cette oeuvre instrumentale, ce sont surtout les Ayres qui constituent un événement de première importance dans l’histoire de la musique vocale. Robert, luthiste anglais (Londres 1586 - id ? 1641). Fils du précédent, il prit la suite de son père à la cour de Charles Ier. Il composa quelques pièces pour luth et publia, en 1610, deux anthologies : A Musicall Banquet (airs de plusieurs pays dont la France) et Varietie of Lute-Lessons (pièces pour luth et deux commentaires sur cet instrument). DOXOLOGIE. Mot grec signifiant « parole de gloire », par lequel on désigne, dans les chants et prières de l’Église chrétienne, des formules de louange simples ou développées, soit indépendantes, soit accolées à d’autres pièces, le plus souvent en conclusion. Pour lutter contre les hérésies hostiles au dogme trinitaire, notamment l’arianisme au IVe siècle, on multiplia très tôt les doxologies adressées aux trois personnes divines, telles que le Gloria Patri à la fin des psaumes, et l’usage de terminer les chants versifiés par une strophe doxologique, elle aussi trinitaire, se répandit non seulement pour les hymnes, mais aussi pour de nombreuses autres pièces. DOYEN (Jean), pianiste et compositeur français (Paris 1907 - id. 1982). Élève, au Conservatoire de Paris, de L. Diémer et de M. Long, il obtint son premier prix de piano en 1922. Il étudia ensuite le contrepoint et la fugue avec

Georges Caussade, et la composition, avec Paul Vidal et Henri Busser. En 1937, il reçut le prix Gabriel-Fauré. En 1941, il fut nommé professeur de piano au Conservatoire de Paris, succédant à Marguerite Long. Artiste racé, il est l’un des plus grands interprètes de la musique française de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, et, par-dessus tout, de Fauré et Ravel. Il est, d’autre part, l’auteur d’une Suite pour quatuor à cordes, d’un Concerto pour piano et orchestre, de Rondels pour 4 voix mixtes a cappella, d’un Requiem et de Marine, pour quatuor à cordes et quatuor vocal féminin. DRAESEKE (Felix August Bernhard), compositeur allemand (Coburg 1835 Dresde 1913). Après des études au conservatoire de Leipzig, il se lia aux milieux lisztiens, occupa des postes à Berlin et à Dresde, puis enseigna le piano à Lausanne (1863-1874) et à Genève (1875). Rentré en Allemagne en 1876, il devint, en 1884, professeur de composition au conservatoire de Dresde. D’abord influencé par Liszt et Wagner, il s’orienta ensuite comme compositeur vers une sorte de néoclassicisme qui lui fit écrire, en 1906, un violent article polémique contre Richard Strauss (Die Konfusion in der Musik). On lui doit notamment quatre symphonies, dont Tragica (no 3, 1886) et Comica (no 4, 1912), de la musique de chambre et pour piano dont une Sonata en ut dièse mineur (1862-1867), des oeuvres vocales dont les trois oratorios Christi Weihe, Christus der Prophet et Tod und Sieg des Herrn (1895-1899), et des opéras parmi lesquels König Sigurd (18531857), Herrat (1877-1879), Gudrun (18791884) et Merlin (1900-1905). DRAGHI, famille de musiciens italiens. Antonio, compositeur (Rimini 1635 Vienne 1700). Auteur d’opéras prolifique, il fut également chanteur et poète. Il mena à Vienne l’essentiel de sa carrière et y exerça une grande influence sur la vie musicale. Kapellmeister de la cour en 1659, il fut nommé, en 1673, intendant de la musique de théâtre de l’empereur Léopold Ier et Kapellmeister de l’impératrice Éléonore de Gonzague. En trente-huit ans, il composa 67 opéras, 116 fêtes et sérénades, 37 oratorios, des hymnes, 2 messes et des cantates. Il écrivit lui-même certains de

ses livrets d’opéras. Carlo Domenico, organiste et fils du précédent (Vienne 1669 - id. 1711). D’abord élève de Ferdinand Richter, il fut, après un séjour d’apprentissage en Italie, nommé organiste à la chapelle de la cour à Vienne. Il laissa quelques airs de sa composition. Giovanni Battista, claveciniste et organiste (v. 1640-1708). Il fut peut-être le frère d’Antonio et s’établit en Angleterre, où il devint organiste de la reine (1673) puis de Jacques II (1687). On connaît de lui un recueil de Six Selected Suites of Lessons, destinées à être jouées au clavecin et publiées peu avant sa mort par Walsh à Londres. DRAGONETTI (Domenico), contrebassiste et compositeur italien (Venise 1763 - Londres 1846). Il apprit en autodidacte le violon, puis la contrebasse, joua de ce dernier instrument dans divers orchestres de sa ville natale à partir de l’âge de treize ans, et, en 1794, partit pour Londres, qui devait rester sa résidence principale. Il joua au King’s Theatre aux mêmes concerts que Haydn. En 1798 et en 1808, il se rendit à Vienne jouant devant Beethoven la sonate pour violoncelle et piano op. 5 no 2 de ce dernier. Il se produisit beaucoup en association avec le violoncelliste Robert Lindley. La contrebasse de Dragonetti (qui jouait aussi volontiers du violoncelle) fut comparée en son temps à un lion apprivoisé ayant perdu sa férocité, mais conservé toute sa force et toute sa grandeur. Il écrivit pour son instrument des pièces diverses en solo ou avec accompagnement de piano ou d’orchestre, au moins huit concertos et plus d’une trentaine de quintettes. DRAME. Il peut être héroïque, joyeux, larmoyant, lyrique, musical, romantique, sacré ou populaire, etc., toutes expressions qui se substituent au mot opéra lorsqu’une oeuvre chantée destinée à la représentation théâtrale (ou liturgique) semble ne correspondre à aucune des données qu’implique normalement le mot opéra. La dénomination de drame est, en principe, expressément indiquée par les auteurs, mais elle n’est parfois que le fruit d’une tradition postérieure.

Le drame liturgique, forme précise sans rapport avec l’opéra et très antérieure à lui, est ici laissé à part. Avant que le terme générique « opéra » n’ait été consacré par l’usage, des appellations telles que fable en musique, représentation sacrée, comédie pastorale, action musicale, tragédie lyrique, drame sacré, etc., s’appliquèrent à l’oeuvre musicale dans son ensemble, alors que dramma per musica désignait seulement, au XVIIe siècle, le poème dramatique destiné à être mis en musique. Néanmoins, à la fin du XVIIIe siècle, certains compositeurs italiens, notamment Salieri et Sacchini, utilisèrent dramma per musica comme équivalent d’opéra. De son côté, le terme « drame sacré », sans frontières bien nettes, fut appliqué à certains oratorios (sans doute en fonction de leur éventuelle mise en scène théâtrale), mais aussi - et encore au XIXe siècle - aux opéras dont le sujet s’apparentait à l’Ancien et au Nouveau Testament. Plus tard, « drame » devint antinomique d’« opéra », lorsque ce dernier mot apparut comme lié à une tradition et à un genre où prédominait l’élément musical au détriment du poème auquel il dictait ses structures. C’est prédownloadModeText.vue.download 319 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 313 cisément une attitude opposée qu’avaient adoptée les rationalistes du XVIIIe siècle, qui, estimant que le mot opéra désignait, étymologiquement, une « oeuvre » totale, fixèrent des distinctions assez nettes entre les structures de genres dits opera seria, opera semi-seria, opera buffa, opéra-comique, tragédie lyrique, etc. ( ! OPÉRA.) D’autre part, des poèmes de Métastase mis en musique de façon très conventionnelle, autour des années 1750, par Adolf Hasse et par Gluck parurent respectivement sous les titres de Drame et de Drame musical ; c’est par cette dernière expression que, en 1770, le musicologue anglais Charles Burney désignait l’opéra, cependant qu’en Italie, depuis Jommelli, le terme melodramma avait commencé à s’imposer - et cela pour plus d’un siècle comme équivalent d’opéra. DRAMMA GIOCOSO, MELODRAMMA GIOCOSO.

L’épithète giocoso (« joyeux ») fut employée dès le dernier tiers du XVIIIe siècle par Piccini, Haydn, Sarti, Paisiello, Salieri, Mozart, etc., pour désigner certains opéras semi-seria où se mêlaient des éléments gais et tristes. Le terme était, en réalité, impropre, dans la mesure où il s’agissait d’oeuvres bâties selon les structures de l’opera buffa ou semi-seria, mais dont le sujet présentait des éléments pathétiques ou mêmes tragiques (Don Juan de Mozart). Rossini utilisa également le terme dramma buffo (le Turc en Italie), et les appellations dramma giocoso ou melodramma giocoso survécurent jusqu’au milieu du XIXe siècle avec Verdi et les frères Ricci. DRAME LARMOYANT, COMÉDIE LYRIQUE OU HÉROÏQUE. L’expression « drame larmoyant », qui appartenait plus au théâtre parlé (Diderot, Beaumarchais, mais aussi Sedaine) qu’au théâtre lyrique, désignait un genre sentimental et pathétique à dénouement heureux, que l’on nomme également « pièce à sauvetage » ou « opéra-rédemption » et dont les poèmes furent mis en musique par les compositeurs français d’opéras-comiques de la fin du XVIIIe siècle, bientôt imités par les Italiens et par les Allemands durant les premières années du XIXe siècle. Bien qu’aucune oeuvre lyrique ne porte expressément cette mention (mais plutôt opéra, drame ou comédie « héroïque »), on range dans cette catégorie le Déserteur de Monsigny, sur un livret de Sedaine (1769), et, plus tard, les divers ouvrages lyriques écrits sur les livrets de Lodoïska et du Porteur d’eau, ainsi que sur l’Amour conjugal de Bouilly. DRAME LYRIQUE, DRAME MUSICAL. Les étrangers retiennent généralement le terme « drame lyrique » comme un équivalent français de l’expression opera seria. Prise à la lettre, on relève cette appellation notamment chez Gluck (Alceste), Grétry (Guillaume Tell), Verdi (Ernani, etc.), Halévy (le Val d’Andorre), Gounod (Faust), Thomas (Mignon), Marchetti (Ruy Blas). Elle se rencontre plus fréquemment encore après 1880 et figure par exemple sur les partitions d’Othello de Verdi, Werther de Massenet, l’Attaque du moulin de Bruneau, Pelléas et Mélisande de Debussy, Résurrection d’Alfano, Macbeth de Bloch, Lodoletta de Mascagni, le Fou

de Landowski, etc. D’autre part, le terme drame musical fut employé par Landi (San Alessio, 1634), par Cavalli (Giasone, 1649), par Haendel et Gluck et, enfin, par Wagner, mais seulement à propos de Tristan et Isolde, cependant que Moussorgski, après avoir baptisé opéra Boris Godounov, n’hésita pas à appeler sa Khovanchtchina « drame musical populaire ». LA SÉPARATION ENTRE OPÉRA ET DRAME. En fait, plutôt que de rechercher un quelconque lien entre ces oeuvres aux dénominations souvent dues au hasard et que rien, jusqu’en 1860, ne permettait de différencier des autres opéras venant des mêmes compositeurs, il semble opportun d’examiner les causes de la séparation intervenue soudain entre opéra et drame (lyrique ou musical). Bien que très réticent à souscrire au terme de drame musical, Wagner, dans son traité Opéra et Drame (1851), présenta ces deux concepts comme antinomiques : le premier définissant un genre constitué de morceaux successifs où la musique, en dictant le choix des structures, prévalait sur le texte et, selon Wagner, empêchait toute unité dramatique ; le second impliquant, au contraire, que le poème, expression de l’idée, impose ses lois à la musique, devenue commentaire et prolongement du texte, avec ses structures libres ou « ouvertes » (ce que les adversaires d’un tel concept considérèrent, quant à eux, comme une absence de structures). Il s’agissait donc là de divergences qui concernaient non seulement la structure, mais l’éthique même de l’oeuvre lyrique : un siècle plus tôt, Gluck avait préconisé de « réduire la musique à sa véritable fonction, celle de seconder la poésie », cependant que Mozart affirmait que « la poésie devait être la fille obéissante de la musique ». On retient donc que la structure n’est pas un élément suffisant pour déterminer l’esprit du drame musical, dans la mesure où la juxtaposition des airs, duos et ensembles - dans Don Juan ou Cosi fan tutte de Mozart - aboutit à une plus grande unité organique du drame que l’enchaînement artificiel des scènes de Tannhäuser ou Lohengrin de Wagner. D’autre part, les grands blocs continus que l’on rencontre dans les opéras de Rossini et, surtout, de Bellini, ne peuvent d’aucune manière être considérés comme relevant du drame

musical, cependant que Tristan et Isolde nous apparaît aujourd’hui comme devant son unité davantage à la musique qu’au poème. Wagner a parfaitement atteint son idéal dans l’Or du Rhin (1854, 1re représentation Munich, 22 sept. 1869), oeuvre qui ne présente aucune solution de continuité et où il est virtuellement impossible d’isoler un monologue ou un duo construits en tant que tels. On peut donc considérer que cette conception désigne le drame musical comme une oeuvre lyrique où prévaut l’élément symphonique et où il est difficile d’isoler un monologue ou un ensemble nettement architecturé au sein d’un discours musical « continu ». On ne saurait toutefois réduire le drame musical à ces seuls problèmes de technique : Puccini, par exemple, paraîtrait alors plus proche du genre que Debussy. Il faut aussi considérer son éthique, qui est non seulement un refus délibéré de la logique vocale du monde latin et une large préférence accordée au chant déclamé, mais encore une ambition avouée s’exprimant dans un choix de thèmes littéraires, historiques, philosophiques (cette ambition a d’ailleurs souvent laissé l’oeuvre en deçà des buts proposés). Ainsi, au-delà du postromantisme germanique qui fut son terrain d’élection, le drame musical rejoint-il le drame lyrique français avec les oeuvres des franckistes : Chausson, d’Indy, Magnard, Ropartz, Rabaud, Debussy et Fauré. Audelà, certaines oeuvres comme Wozzeck, d’Alban Berg, s’inscrivirent encore dans la descendance du drame musical, mais présentent pourtant, dans la forme, un retour aux structures isolées. Ce retour est l’un des traits de l’opéra du XXe siècle, qui, une fois passée la vague romantique, a très souvent cherché à retrouver l’esprit de l’oeuvre d’art classique. DRAME LITURGIQUE. Nom donné, au XIXe siècle, à des éléments non officialisés souvent introduits dans la liturgie depuis le IXe siècle, visant à donner une représentation figurative à des textes chantés greffés sur la liturgie officielle ( ! OPÉRA). Une extension plus récente fait parfois employer le terme pour désigner, dans les religions non chrétiennes, des manifestations du culte présentant un caractère de figuration dramatique.

Considéré avec raison comme l’origine du théâtre occidental, le drame liturgique s’est formé de manière progressive autour de 2 thèmes principaux : le cycle de Noël et le cycle de Pâques. Le premier a pour noyau une prophétie apocryphe de la naissance du Christ, attribuée à la sibylle et insérée dans une leçon de matines. On a d’abord personnalisé la sibylle en invitant un chantre distinct à venir chanter sa prophétie en vêtements appropriés, puis on lui a adjoint d’autres prophètes, enfin on a composé des scènes entières chantées et downloadModeText.vue.download 320 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 314 jouées sur des thèmes prophétiques de la venue du Christ (Sponsus à Limoges, Jeu de Daniel à Beauvais). Avec ce dernier, ces représentations accentuent leur mise en scène, font appel à des étudiants ; avec le Jeu d’Adam et Ève du manuscrit de Tours, elles se détachent de l’office, quittent le choeur pour le parvis, abordent entre les chants liturgiques un dialogue parlé en vers français : le théâtre proprement dit est prêt à se séparer du drame liturgique (XIIe s.). Le cycle de Pâques, en revanche, n’a jamais quitté l’office. Il a pour noyau un trope d’introït comportant un dialogue entre l’ange et les saintes femmes au tombeau du Christ (Quem queritis in sepulchro ?, « Qui cherchez-vous dans le sépulcre ? »). Ce dialogue, transporté à matines, réparti entre des personnages chantant et jouant, se vit progressivement amplifié jusqu’à englober toute l’histoire de la Résurrection, et devint un prototype sur lequel se greffèrent d’autres actions, y compris Noël (Quem queritis in presepe ?, « Qui cherchez-vous dans la crèche ? »), sans toutefois déborder le cadre et l’usage local. Les historiens littéraires divisaient autrefois le drame liturgique en liturgique (latin), semi-liturgique (vernaculaire) et profane. Ces critères, exclusivement littéraires ou scéniques, sont aujourd’hui à peu près abandonnés, le drame liturgique justifiant son existence dans le cadre de l’office et ne méritant plus son nom en dehors de lui. Sa conception, fondée sur cette insertion (cf. Te Deum terminal de

matines chanté par les acteurs), est celle des actes liturgiques à base de chants, gestes et costumes symboliques et non de mise en scène réaliste comme elle le deviendra par la suite. DRAMMA PER MUSICA. Comme son équivalent français « drame musical », ce terme peut laisser planer une certaine équivoque dans la mesure où il désigna, à l’origine, un poème tragique exclusivement destiné à être mis en musique, puis par extension, le drame mis en musique lui-même. Au XVIIe siècle, le dramma per musica désignait essentiellement ce que nous nommons aujourd’hui livret, mais, à la fin du XVIIIe, quelques compositeurs, notamment Salieri ou Sacchini, l’adoptèrent également pour qualifier certains de leurs opéras, en particulier lorsque le poème était dû à un auteur célèbre tel que Métastase, devant lequel ils manifestaient ainsi leur humilité de compositeur. DREYFUS (Huguette), claveciniste française (Mulhouse 1929). Elle fait ses études musicales à ClermontFerrand, puis à Paris à l’École normale et au Conservatoire national. Elle se passionne ensuite pour le clavecin et devient l’élève de Ruggiero Gerlin à l’Accademia Chigiana de Sienne (1953-1957). Elle fait ses débuts à Paris en 1960. Depuis cette date, Huguette Dreyfus est une concertiste de renommée internationale, dont les interprétations font autorité aussi bien dans la musique française que dans les oeuvres de J.-S. Bach. Elle collabore régulièrement avec l’orchestre Paul-Kuentz, le violoniste Eduard Melkus et le flûtiste Christian Lardé. Elle enseigne à la Schola cantorum le clavecin et, à l’université de Paris-Sorbonne, la réalisation de la basse continue. DROGOZ (Philippe), compositeur français (Berck-sur-Mer 1937). Il a étudié les mathématiques (1955-1958) et la musique aux conservatoires de Toulouse (1955-1958) et de Paris (1958-1968). Dans ce dernier établissement, ses maîtres furent notamment André Jolivet et Jean Rivier (composition) et Olivier Messiaen (analyse). Second grand prix de Rome (1967), il a enseigné dans les écoles de la Ville de Paris (1962-1964) et au conser-

vatoire de Bobigny (1969-1975), et il est depuis 1970 professeur et responsable de l’Atelier de recherche musicale du conservatoire de Montreuil. Membre du G. E. R. M. de 1968 à 1973, il s’est signalé dès la fin de ses études comme une personnalité totalement indépendante, suivant, sans souci des modes et des écoles, un cheminement personnel, alternativement rigoureux et fantaisiste. Il a orienté ses recherches à la fois sur la forme, les combinaisons de timbres instrumentaux et électroniques, la relation compositeurinterprète et sur la musique de film et le théâtre musical, participant pour ce dernier point à la création du groupe 010. On lui doit, parmi une production abondante, Antinomies I pour 12 cordes (1967), Antinomies II pour orchestre (1969) et Antinomies III pour instruments (1969), la musique pour le film Un homme qui dort (1973), la pièce radiophonique Au château d’Argol (1970), et sur le plan du théâtre musical Lady Piccolo et le Violon fantôme (1976), Mais où est passée lady Piccolo (1976-77) et Yo ou l’Opéra solitaire (1979). DROTTNINGHOLM. Château royal en Suède doté d’un théâtre édifié en 1764-1766 et très utilisé sous le règne de Gustave III. Restauré en 1922, ce théâtre abrite depuis 1948 des saisons estivales d’opéra (Mozart, Haydn, Haendel, Gluck, Paisiello, Grétry). De tous ceux actuellement en activité dans le monde, c’est le seul dont la machinerie et les décors remontent au XVIIIe siècle. DROUET (Jean-Pierre), percussionniste et compositeur français (Bordeaux 1935). Premier Prix de trompette du conservatoire de Bordeaux, il obtient un premier prix de percussion au Conservatoire de Paris en 1958. Il travaille la composition avec René Leibowitz, Jean Barraqué, Michel Puig et André Hodeir, et, souhaitant devenir musicien de jazz, joue avec Kenny Clarke et Lester Young. Sa rencontre avec Luciano Berio, en 1960, le décide à se consacrer à la musique contemporaine. Il participe aux concerts du Domaine musical, aux festivals de Darmstadt, Royan, Metz, Donaueschingen, La Rochelle, appartient à l’ensemble Musique vivante, collabore à de nombreuses créations.

Il s’intéresse vivement aux percussions extra-européennes : zarb, tablas. Curieux des rapports entre musique et spectacle, il compose des musiques de scène et plusieurs ballets. Se tournant vers la pédagogie, il écrit une série d’oeuvres de musique de chambre pour percussions, à l’intention des exécutants de tous niveaux. Mais il n’interrompt pas pour autant sa propre carrière de percussionniste, où il brille en particulier dans l’art de l’improvisation. DROUET (Louis), flûtiste et compositeur français (Amsterdam 1792 - Berne 1873). Premier flûtiste de Louis Bonaparte, roi de Hollande, en 1808, puis de Napoléon en 1811, il fut ensuite membre de la chapelle de Louis XVIII. Il se rendit à Londres en 1817, et fut nommé en 1840 maître de chapelle à Cobourg. Ses tournées le menèrent jusqu’aux États-Unis. Surnommé le « Paganini de la flûte », il composa essentiellement pour son instrument. DRUCKMANN (Jacob), compositeur américain (Philadelphie 1928). Élève d’A. Copland à Tanglewood (194950), il a étudié ensuite à la Juilliard School (av. 1954-1956) et à l’École normale de musique de Paris (1954-55), puis, en 1965, au Centre de musique électronique de Columbia-Princeton, avant d’y travailler lui-même à partir de 1967. Il a écrit, entre autres, Dark upon the Harp pour mezzosoprano, quintette de cuivres et percussion (1962), The Sound of Time pour soprano et orchestre sur des textes de Norman Mailer (1965), Animus I pour trombone et bande (1966), II pour mezzo-soprano, deux percussionnistes et bande (1969), et III pour clarinette et bande (1969), et publié, dans la Juilliard Review, Stravinsky’s Orchestral Style (1957). DÜBEN, famille de musiciens allemands puis suédois des XVIe et XVIIe siècles. Parmi les nombreux compositeurs de cette famille, il faut citer. downloadModeText.vue.download 321 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 315 Andreas I (Lützen 1558 - Leipzig 1625). Il fut organiste à Wurtzen et à Saint-Thomas de Leipzig.

Andreas II, fils du précédent (v. 1597 Stockholm 1662). Élève de Sweelinck, il fut organiste de la cour de Suède (1621), puis maître de la chapelle royale (1640). Gustav I, fils d’Andreas II, organiste et compositeur (Stockholm v. 1628 - id. 1690). Il entre à la chapelle royale en 1647, puis en devient maître en 1663, année où il succède à son père. Il est surtout connu pour sa collection de manuscrits autographes et d’éditions imprimées (environ 1 500 oeuvres vocales et 300 oeuvres instrumentales tant allemandes que françaises et italiennes, et dont beaucoup sont des unica), conservée à la bibliothèque d’Uppsala (Dübensamlingen). La dynastie des Düben se poursuit avec Gustav II (1660-1726) puis Anders (1673-1738) qui se succèdent au poste de leur père Gustav I. DUBOIS (François Clément Théodore), compositeur francais (Rosnay, Marne, 1837 - Paris 1924). Il fit ses études à Reims, puis au Conservatoire de Paris avec Marmontel, Benoist, Bazin et Ambroise Thomas. En 1861, il obtint le grand prix de Rome avec la cantate Atala. Il devint maître de chapelle à Sainte-Clotilde et composa les Sept Paroles du Christ (1867). Puis il fut nommé maître de chapelle à la Madeleine où il succéda à Saint-Saëns comme organiste en 1877. Au Conservatoire de Paris, il fut professeur d’harmonie (1871), professeur de composition (1891) et directeur de 1896 à 1905. Ses oeuvres, très nombreuses (3 symphonies, des concertos, 2 quatuors à cordes, de la musique religieuse, etc.), sont pour la plupart aujourd’hui oubliées ; en revanche, son Traité d’harmonie (Paris, 1921 et 1968) sert toujours de référence. DUBOIS (Pierre-Max), compositeur français (Graulhet, Tarn, 1930 - Paris 1995). D’abord inscrit au conservatoire de Tours, il est, au Conservatoire de Paris, l’élève de Darius Milhaud pour la composition. Grand Prix de Rome en 1955, Grand Prix musical de la Ville de Paris en 1964, il s’en tient à la tradition mélodique et tonale sans se laisser influencer par les courants de la recherche. On lui doit, notamment, de nombreuses pièces de musique instrumentale, des concertos, des chansons, un opéra (les Suisses, 1972), un opéra bouffe (Comment causer, 1970), une cantate et trois ballets.

DUBROVAY (László), compositeur hongrois (Budapest 1943). Il fait ses études au conservatoire BélaBartók, puis à l’académie F.-Liszt de Budapest jusqu’en 1966. Nommé professeur au conservatoire de Drama, il part comme assistant à l’Opéra de Hambourg (1971-72), puis étudie la composition à Cologne avec Karlheinz Stockhausen. À ses premières partitions, instrumentales et surtout chorales, succèdent des oeuvres électroacoustiques, à partir de Klänge für Orgel (1972). DU CAURROY (François Eustache), compositeur français (Beauvais 1549 - Paris 1609). Chantre à la chapelle royale (1569), lauréat du prix d’Évreux en 1575, il fit une brillante carrière au service de la royauté comme maître de chapelle adjoint (1578), compositeur de la Chambre du roi (1595), puis surintendant de la musique, charge qu’Henri IV créa pour lui. Parallèlement, il accumula les prébendes à Dijon, Orléans, Provins, Passy, Saint-Cyr-en-Bourg. À lire les jugements du XVIIe siècle, il était tenu en haute estime et considéré comme un exemple « pour la grande harmonie de sa composition et de son riche contrepoint » (Mersenne). De fait, ses motets révèlent un usage savant du contrepoint traditionnel acquis, de son propre aveu, « par la lecture des bons auteurs et la pratique des anciens », bien qu’il y ait introduit le double choeur. Influencé par Claude Le Jeune, il accorde une place à la musique mesurée à l’antique. Cette tendance, qui apparut tardivement (1609), était peut-être due à la publication du Printemps par Cécile Le Jeune (soeur de Claude) en 1603. À vrai dire, Du Caurroy ne réussissait que médiocrement à illustrer cette tentative dans les quinze chansons mesurées qu’il inséra dans son livre de Meslanges (1610). Son goût du contrepoint strict éclata tout particulièrement dans les 42 Fantaisies pour violes en forme de ricercar qui ne furent publiées qu’en 1610. Lorsqu’il composa à partir d’un cantus firmus, chaque fragment du thème reçut un développement d’une grande ampleur. Le cantus firmus lui-même était souvent emprunté, parfois de sa propre inspiration. Il donna prétexte à des divertissements fugués à moins que ce cantus firmus ne fût devenu un élément

fondamental du grand choral contrapuntique que les organistes allemands comme Pachelbel ou Buxtehude imposèrent. Du Caurroy fut l’auteur d’une cinquantaine de motets, dont un Te Deum à 6 voix (1609) et de psaumes. Sa Messe pour les défunts à 5 voix (1606) servit par la suite de messe de requiem lors d’obsèques royales (Henri IV, Louis XIII). DUCHABLE (François-René), pianiste français (Paris 1952). Au Conservatoire de Paris, il étudie avec J. Benvenutti et M. Giraudeau-Basset. Il remporte, en 1968, un 1er Prix au Concours Reine Élisabeth de Belgique et en 1973 le Prix de la Fondation Sacha Schneider. Cette même année, il est remarqué par Arthur Rubinstein, qui l’encourage chaleureusement et l’aide à obtenir ses premiers engagements internationaux. En 1980, il donne plusieurs concerts avec l’Orchestre philharmonique de Berlin dirigé par Herbert von Karajan ; il est alors très rapidement reconnu en Allemagne. Passionné par les oeuvres de Chopin et de Liszt, il est aussi un grand interprète de Beethoven. Son enregistrement des Études de Chopin a été couronné en 1981 par le Grand Prix de l’Académie Charles-Cros. Son intégrale de l’oeuvre concertante de Poulenc a reçu en 1986 le Grand Prix de l’Académie du disque français. DU CHEMIN (Nicolas), éditeur français (Sens v. 1520 - Paris 1576). Libraire à Paris dès 1540, il publia entre 1549 et 1576 plus de cent livres de musique en collaboration avec les compositeurs Nicole Reynes (1548-1551), Claude Goudimel (1551-1555), Loys Bisson (1561-1567) et Henry Chandor (1576). Son catalogue se composait d’au moins 41 messes (1552-1568), 73 motets, 178 psaumes, 176 pièces instrumentales et 693 chansons, production qui parut entre celles d’Attaingnant et de Le RoyBallard. Il comprenait, à côté d’ouvrages théoriques, des oeuvres d’artistes provinciaux, Cléreau, Colin ou Manchicourt, et de musiciens étrangers, comme l’Espagnol Francisco Guerrero. DUCOL (Bruno), compositeur français (Annonay 1949). Il a fait ses études musicales à Lyon puis

au Conservatoire de Paris (où il a obtenu le premier prix de composition en 1977) avec Claude Balliff, Olivier Messiaen, Pierre Schaeffer et Guy Reibel. Parti de techniques post- ou parasérielles, il a ensuite orienté ses recherches surtout vers la grande formation orchestrale et le théâtre lyrique. On lui doit notamment Metalayi I pour orchestre (1976-77) et Horizons vertigineux pour piano (1978). On lui doit encore Metachronie pour soprano et petit orchestre (1972), Blaue Hochzeit pour orgue et ensemble de cuivres (1974), une Sonate pour flûte et piano, Écoute le vent des rêves, action musicale et dramatique (1976), Points flous pour 8 instrumentistes (1978), Scène I pour guitare électrique et bande magnétique (1977), Scène II pour ensemble d’instruments électroniques et bande (1979), Praxitèle, opéra de chambre (1980-1986), Metalayi no 3, concerto pour piano et orchestre (1990), l’opéra les Cerceaux de feu (1991). Il a été boursier de la villa Médicis à Rome en 1981-1983. downloadModeText.vue.download 322 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 316 DUFAUT (DU FAULT ou DU FAULX), luthiste et compositeur français (milieu du XVIIe s.). On ignore presque tout de sa vie. Et il serait totalement inconnu s’il n’avait laissé douze pièces dans la Tablature de luth de différents autheurs sur des accords nouveaux, publiées chez P. Ballard en 1631, et d’autres pièces manuscrites éparpillées dans les bibliothèques de Paris, Besançon, Berlin, Rostock, Vienne, souvent des danses pourvues de sous-titres qui seront bientôt chers aux clavecinistes français ; on trouve également des « tombeaux », pièces dédicacées à la mémoire d’un ami, d’un poète ou d’un autre musicien. Il semble que Dufaut ait beaucoup voyagé ; en tout cas, on le rencontre en Angleterre en 1669. Vers 1630, il est, à Paris, l’élève du luthiste Denis Gaultier que l’on reconnaît souvent dans son style. Comme la plupart des grands musiciens français, Dufaut possède le goût d’une harmonie savante qui demeure néanmoins discrète et raffinée. DUFAY (Guillaume), compositeur français (Hainaut v. 1400 - Cambrai 1474).

Son lieu de naissance reste imprécis : peut-être Chimay ou Cambrai. Il reçoit sa formation musicale au diocèse de Cambrai comme puer altaris. Cambrai est à l’époque un important centre de musique religieuse, connu jusqu’au Vatican qui en fait venir des musiciens. Les maîtres de Dufay sont V. Bréion, N. Malin, R. de Locqueville, compositeurs intermédiaires entre l’Ars nova de G. de Machaut et l’école franco-flamande dont Dufay va être le premier grand représentant. Sa vie peut se partager en quatre périodes : apprentissage à Cambrai (jusqu’en 1419), période italienne (jusqu’en 1437), période itinérante entre plusieurs cours (jusqu’en 1450) et retour définitif à Cambrai. Ayant fait partie, à l’âge de dix-sept ans, de la suite de l’évêque Pierre Dailly au concile de Constance, Dufay y rencontre Carlo Malatesta qui le prend en 1419 à sa cour de Rimini. Il y reste jusqu’en 1428. De cette époque datent ses premiers motets, dont Apostolo glorioso. En 1427, il est ordonné prêtre. Pendant cinq ans (14281433), il séjourne à Rome où il retrouve un autre Cambraisien, Nicolas Grenon. À la suite d’une insurrection, le pape est obligé de se réfugier à Florence où Dufay le suit. En 1433-1435, on le voit à Chambéry, à la cour de Savoie, qui est un centre d’échanges entre la France et l’Italie. Il revient à Florence et, en 1436, compose pour l’inauguration du Dôme le motet Nuper rosarum flores. La même année, il reçoit un canonicat pour Cambrai, mais avant de s’y fixer, il va passer douze années partagé entre plusieurs cours : celle de Ferrare, celle de Savoie, celle de Bourgogne, où est établi son illustre contemporain et ami Gilles Binchois. Il acquiert au cours de ces années une notoriété considérable et jouit de l’estime et des faveurs de plusieurs monarques (Charles VII, Louis XI). De retour à Cambrai, il s’occupe d’une maîtrise d’enfants. Cette dernière période de sa vie est musicalement la plus productive. La musique de Dufay est la résultante de plusieurs influences complémentaires : l’art français de Machaut, dont il a certainement connu les oeuvres, la « contenance angloise » de Dunstable, importante par les innovations harmoniques qu’elle a introduites (prédominance de la tierce), enfin l’influence italienne due à ses voyages. Compositeur très éclectique,

Dufay a joué un rôle également important dans la musique profane et la musique religieuse. La première plaît par son naturel, sa spontanéité mélodique, sa sensibilité. La seconde vaut par l’élaboration de son écriture, par sa solidité et par son sens de la grandeur religieuse. Les chansons de Dufay (virelais, ballades et surtout rondeaux) sont au nombre de 83, dont 8 sur des textes italiens. Le virelai, qui est une chanson à danser, est à deux voix, une voix mélodique et une teneur. Les ballades et les rondeaux sont pour la plupart à trois voix, la voix supérieure étant chantée et les deux autres souvent confiées à des instruments. Les ballades de Dufay (Resveillez-vous et faites chière lie, C’est bien raison, J’ay mis mon coeur et ma pensée) sont numériquement moins importantes que les rondeaux, car ce genre était en déclin à cette époque, de même que le virelai. Le rondeau, au contraire, atteint son apogée au milieu du XVe siècle chez Dufay (La plus mignonne de mon coeur, Donnez l’assaut à la forteresse, Adieu m’amours), de même que chez Binchois. Dans ses 76 motets, ses fragments de messes et ses messes entières, Dufay montre le désir de s’émanciper des excès d’artifices de l’Ars nova, en simplifiant l’écriture mais aussi en privilégiant l’expression. Toutefois, dans les motets écrits avant 1446, il conserve encore le principe de la teneur isorythmique. De plus en plus, la voix dominante ne va plus être le ténor mais le supérius, qui conduit la mélodie, et on remarque très nettement une tendance à l’écriture en imitation. Le madrigalisme commence à faire son apparition. Dans certains cas, Dufay indique des parties instrumentales obligées (par exemple, les trombones dans le Gloria ad modum tubae). La superposition de plusieurs textes, courante dans les motets de l’Ars nova, se retrouve parfois : ainsi dans le motet Ecclesiae militantis écrit pour l’intronisation du pape Eugène IV (1431), les cinq voix possèdent des textes différents ; ou la célèbre Lamentation de Constantinople (1454), dans laquelle un fragment latin des Lamentations de Jérémie est superposé à un texte français. Les neuf messes intégrales de Dufay sont écrites sur diverses teneurs, profanes, inventées ou liturgiques. Les teneurs profanes sont fournies par des thèmes de chansons populaires comme Se la face aye pale ou l’Homme armé : cette dernière doit, par la

suite, être reprise par de nombreux compositeurs, dont Ockeghem et Josquin, et, même, au XVIIe siècle par Carissimi. En 1463 et 1464, Dufay écrit ses deux dernières messes, Ecce Ancilla Domini et Ave Regina caelorum, sur des teneurs liturgiques empruntées à des antiennes à la Vierge. Avec Dufay commence l’une des grandes époques de la musique française : l’école franco-flamande, issue de la guerre de Cent Ans et dont le rayonnement reste constant jusqu’à la fin du XVIe siècle, dominant toute la musique occidentale. DUFOUR (Denis), compositeur français (Lyon 1953). Très fécond, il s’illustre aussi bien dans le domaine de la musique « acousmatique » (électroacoustique) que dans celui de la musique instrumentale, mais c’est dans la première qu’il reste le plus réputé, grâce à des oeuvres comme la « suite concrète » Bocalises (1977, à partir de sons tirés de bocaux de verre), ou la Messe à l’usage des vieillards (1986-87), une de ses nombreuses pièces « parlées » intégrant des textes de l’écrivain Tom Aconito. Son style très volubile est caractérisé par une grande invention sonore sur le plan du détail, inscrite dans des formes souvent larges et détendues, presque nonchalantes. Membre de l’I.N.A.-G.R.M. (Groupe de recherches musicales), il a également joué un rôle significatif comme professeur de composition au C.N.R. de Lyon et à Perpignan, et a lancé le festival de musique acousmatique « Futura ». DUFOURCQ (Norbert), musicologue français (Saint-Jean-de-Braye 1904 Paris 1990). Élève d’André Marchal et d’Amédée Gastoué, archiviste-paléographe (1928), docteur ès lettres (1935), professeur d’histoire de la musique au Conservatoire de Paris (1941-1975), organiste de l’église SaintMerri depuis 1923, Norbert Dufourcq apparaît à la fois comme un spécialiste et comme un généraliste. Par ses travaux personnels et par ceux qu’il a suscités, le spécialiste - qui dirige les revues l’Orgue et Recherches sur la musique française classique, et a publié les oeuvres de Nivers, Dornel, Titelouze, Clérambault, Daquin, Raison et Lebègue - a largement contribué à remettre en valeur l’immense patri-

moine de la musique française des XVIIe et XVIIIe siècles. Le généraliste a dirigé d’importants ouvrages collectifs (Larousse de la musique, 1957). Il est, pour la collection Que sais-je ?, directeur des ouvrages d’hisdownloadModeText.vue.download 323 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 317 toire et de technique musicales et a luimême écrit dans cette série plusieurs volumes : l’Orgue (1948), le Clavecin (1949). Ses livres sur l’orgue et sur Bach (Esquisse d’une histoire de l’orgue... et Documents inédits..., 1935 ; J.-S. Bach, le maître de l’orgue, 1948 ; le Livre de l’orgue français. 1589-1789, 1969-1982) et son Histoire de la musique française (1949) témoignent de son esprit de synthèse. DUFOURT (Hugues), compositeur français (Lyon 1943). Il a fait des études universitaires dans sa ville natale, a étudié le piano au conservatoire de Genève, et, de 1965 à 1970, a travaillé la composition avec Jacques Guyonnet et a collaboré avec ce dernier au Studio de musique contemporaine de Genève tout en participant, à Lyon, à l’organisation des concerts du groupe Musique du temps. En 1968, il eut la charge des concerts de musique contemporaine au théâtre de la Cité de Villeurbanne. Agrégé de philosophie en 1967, il a été maître-assistant à l’université Jean-Moulin de Lyon (1971-1979). Il a été ensuite chargé de recherche au C. N. R. S. (1979-1984). Il a été un des responsables du groupe de l’Itinéraire, et a participé en 1977 à la fondation du Collectif de recherche instrumentale et de synthèse sonore (C. R. I. S. S.). Attiré à la fois par les problèmes de la grande forme dynamique et de la lutherie électronique, ce qui le fait s’intéresser en particulier, parmi les maîtres de la première moitié du XXe siècle, à Igor Stravinski et à Edgard Varèse mais aussi à Jean Sibelius, Hugues Dufourt est de ceux qui considèrent que la composition musicale doit aller de pair avec la réflexion théorique, et qui refusent l’incompatibilité entre le parti pris technologique et la capacité de créer et de raisonner.

Entre autres tâches ambitieuses, il assigne à la musique d’aujourd’hui celle de maîtriser les nouvelles sonorités - pas seulement l’électroacoustique, mais aussi, voire surtout, les sonorités nées de l’essor prodigieux de la pratique instrumentale par le biais de l’écriture, et de parvenir ainsi à de nouveaux principes d’organisation formelle. Son oeuvre la plus ancienne est Brisants pour piano et 16 instrumentistes (1968). Mura della città di Dite (1969) - au titre emprunté à Dante (Dite, nom de Lucifer, désigne par extension la cité maudite enfouie au centre de la Terre, monde clos où s’abolit la raison du monde) - est une assez brève partition pour 17 instrumentistes (quintette à cordes, vents, percussions, harpe et orgue électronique) en deux parties de caractère opposé, la première heurtée et la seconde immobile. Down to a Sunless Sea pour 16 cordes (1970), au titre extrait d’un poème de Coleridge, est un ouvrage à la mémoire de Carpaccio, écrit « en me remémorant les ors de Venise et l’éclat de sa lagune » (H. Dufourt). Suivit Dusk Light pour 4 chanteurs et 16 instrumentistes (1971). Au festival de Royan de 1977 furent créés Erewhon, vaste « symphonie » pour 150 instruments à percussion (1972-1976), et l’Orage (La Tempesta) d’après Giorgione pour flûte contrebasse et basse, cor anglais et hautbois, clarinette contrebasse et basse, trombone, orgue électrique, vibraphone et guitare électrique (1976-77). Centrée sur des timbres insolites et graves et sur leur expansion volumétrique, cette dernière oeuvre s’inspire des structures de dédoublement du tableau de Giorgione. Antiphysis, pour flûte principale et orchestre de chambre (1978), fut créé au festival de La Rochelle de 1978 dans le cadre du concours de flûte pour la musique contemporaine. Sombre Journée, pour 6 percussionnistes (1976-1977), créé en 1979, faisait à l’origine partie d’Erewhon. Dans Saturne, pour ensemble d’instruments électroniques, 6 percussionnistes et ensemble d’instruments à vent (1979), sorte de monument à la gloire de l’Itinéraire, sont réunis les trois familles instrumentales qui pour le compositeur ont le plus contribué au renouvellement du matériau sonore. Surgir, pour grand orchestre (19801984), hommage à Pierre Boulez pour son

60e anniversaire, résulte d’une commande de l’Orchestre de Paris (création en 1985). Suivirent la Nuit face au ciel, trois pièces en sextuor pour 6 percussionnistes (1984), élément d’une création collective née dans le cadre du Centre Acanthes ; la Mort de Procris pour 12 voix mixtes a cappella (1986), inspirée de Piero di Cosimo ; l’Heure des traces pour 20 instrumentistes (1986), titre emprunté à une sculpture d’Alberto Giacometti ; Hommage à Charles Nègre pour sextuor (1986), musique du film Quai Bourbon, inaugurant avec les deux pièces précédentes, également de 1986, la période « après-Surgir » du compositeur, qui rejoint son monde dit « de jeunesse « ; Plus-oultre pour percussion soliste (1990), où il est à nouveau question de « franchissement des limites « ; L’île sonnante pour percussion et guitare électrique (1990), au titre inspiré de Rabelais ; Noche oscura en quatre parties pour six voix d’hommes a cappella d’après un poème de saint Jean de la Croix (1991) ; le Philosophe selon Rembrandt pour orchestre (1987-1992), deuxième du cycle de quatre pièces pour orchestre actuellement en chantier (cycle des Hivers) ; Quatuor de saxophones (1993) ; The Watery Star pour octuor (1993), d’après The Winter’s Tale de Shakespeare, oeuvre empreinte de « poétique minimaliste « ; An Schwager Kronos pour piano (1994), pièce marquée par la virtuosité ; Dédale, opéra en trois actes sur un livret de Myriam Tanant (Lyon, 1995) ; l’Espace aux ombres pour ensemble (1995). Directeur de recherche au C. N. R. S. depuis 1985, Hugues Dufourt est devenu en 1982 directeur du Centre d’information et de documentation « Recherche musicale » (C.I.D.R.M.), unité mixte du C. N. R. S. bénéficiant du soutien de l’École normale supérieure, de la Direction de la musique au ministère de la Culture et de la Direction de la recherche au ministère de l’Éducation nationale. Il dirige depuis 1989 la formation doctorale « Musique et Musicologie du XXe siècle », accréditée par l’École des hautes études en sciences sociales de Paris et aidée par l’unité pédagogique de l’I.R.C.A.M. Il a soutenu en 1991 sa thèse de doctorat en philosophie et est l’auteur de nombreux écrits dont Musique, Pouvoir, Écriture (1991). DUGAZON (Louise), mezzo-soprano française (Berlin 1755 - Paris 1821).

Elle fut la plus célèbre chanteuse d’opéracomique de son temps et créa une soixantaine de rôles. Sa voix était celle d’un mezzo léger, au timbre clair, excellant dans le lyrisme et la douceur plus que dans la virtuosité. Ce genre d’emploi a conservé son nom (« un rôle de dugazon »). Son fils Louis Gustave (1780-1826) fut compositeur. Élève de Gossec, il écrivit quatre opéras-comiques, trois ballets et de nombreuses romances. DUHAMEL (Antoine), compositeur français (Paris 1925). Il a fait ses études au Conservatoire de Paris et surtout avec René Leibowitz, et a participé aux cours d’analyse d’Olivier Messiaen (1945-1950) : de ses préoccupations d’alors, qui le firent envisager également la psychologie et la peinture, témoignent ses Variations pour piano sur l’opus 19 no 6 de Schönberg (1949). Suivirent notamment l’Ivrogne ou le Scieur de long, opéra en 1 acte d’après Baudelaire (1951-52) et l’oratorio profane la Maison des morts (1953-1956). De 1957 à 1971, il s’est largement orienté vers la musique de film, avec, par exemple, Pierrot le Fou (1965) et Week-End (1967) de Jean-Luc Godard, Baisers volés (1968), la Sirène du Mississippi (1969) et Domicile conjugal (1970) de François Truffaut, et M. comme Mathieu de Jean-François Adam (1971). À partir de 1968, il s’est beaucoup intéressé à l’opéra et au théâtre musical, et a donné en ce domaine, entre autres, Lundi Monsieur vous serez riche (Strasbourg, 1968), l’Opéra des oiseaux (Lyon, 1971), Ubu à l’Opéra (Avignon, 1974), Gambara, d’après Balzac (Lyon, 1978), Cirque impérial (Avignon, 1979), les opéras Quatre-vingt-treize d’après Hugo (1989) et les Aventures de Sindbad le marin (1991). downloadModeText.vue.download 324 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 318 DUKAS (Paul), compositeur français (Paris 1865 - id. 1935). Envers lui, l’histoire de la musique s’est conduite de façon très capricieuse. Bien qu’ayant vécu soixante-dix ans, il se limita à sept oeuvres principales et à cinq partitions plus réduites, dont un Prélude élégiaque sur le nom de Haydn, pour le

centenaire de la mort de ce maître (1909), une Plainte au loin du faune, à la mémoire de Debussy (1920), et un Sonnet de Ronsard (1924). De ses oeuvres principales, une seule, l’Apprenti sorcier, a vraiment atteint la célébrité, alors que son opéra Ariane et Barbe-Bleue reste pratiquement inconnu, et que sa Sonate et ses Variations pour piano sont au répertoire de très peu de pianistes. Il aurait donc pu rester toute sa vie un musicien méconnu, admiré de quelques-uns mais ignoré des autres, comme le furent et le sont toujours Maurice Emmanuel et André Caplet. Or il fut, à partir de sa trente-deuxième année et jusqu’au-delà de sa mort, un musicien fameux et populaire, grâce à l’Apprenti sorcier, mais aussi à ses activités de critique (il publia des écrits sur la musique jusqu’à la fin de sa vie) et de professeur de composition au Conservatoire de Paris (où il succéda en 1928 à Charles-Marie Widor et eut parmi ses élèves Olivier Messiaen). Auparavant, à partir de 1924, il avait été inspecteur de l’enseignement musical pour les conservatoires de province. À cette époque, et depuis longtemps, il ne publiait plus rien. Durant les deux dernières décennies de son existence, il détruisit toute une série d’ouvrages, entièrement ou presque achevés : une deuxième symphonie, une sonate pour piano et violon, un poème symphonique (le Fils de la Parque), un drame lyrique (le Nouveau Monde), deux ballets (le Sang de Méduse et Variations chorégraphiques). Il fut, en effet, de ceux, bien rares, qui « ne se résignèrent qu’au chef-d’oeuvre ». Condisciple de Debussy au Conservatoire de Paris, il obtint le second prix de Rome (1888), mais jamais le premier. Deux ouvertures de jeunesse (pour le Roi Lear de Shakespeare et pour Götz von Berlichingen de Goethe) ne nous sont pas parvenues. Mais une troisième, d’après Polyeucte de Corneille, fonda d’emblée sa réputation (1892), bien qu’elle se plaçât sous le signe du postromantisme wagnérien et franckiste. Cinq ans plus tard (1897), la symphonie en « ut » fut assez froidement accueillie. En mai suivant, le scherzo l’Apprenti sorcier, un des plus brillants et des plus réussis de tous les poèmes symphoniques, remporta, en revanche, un triomphe qui ne s’est jamais démenti depuis. À ces trois partitions d’orchestre succédèrent deux monuments pour piano dédiés au grand interprète beethovénien Édouard Risler, qui en as-

sura la création : la Sonate en « mi » bémol mineur (1901) et Variations, interlude et finale sur un thème de Rameau (1903). Ces deux ouvrages montrent que Dukas, s’il se trouvait alors dans le camp des debussystes, ne s’en situait pas moins parmi les héritiers de Beethoven. La sonate, dont le troisième mouvement contient une fugue, est un net hommage à l’auteur de la Hammerklavier, et les variations à celui des Diabelli (d’autant que, comme la valse utilisée par Beethoven, le thème de Rameau choisi par Dukas, le Lardon des pièces de clavecin en ré, semble à première vue des plus insignifiants). Mais l’ombre de Liszt règne également dans la sonate, et les variations ne vont pas sans quelques harmonies impressionnistes. Les quatre années suivantes furent consacrées à Ariane et Barbe-Bleue, opéra en 3 actes sur un livret de Maurice Maeterlinck, créé à l’Opéra-Comique le 10 mai 1907. On l’a rapproché de Pelléas, et il est sûr que son langage harmonique est largement fondé sur la gamme par tons et sur d’autres procédés « debussystes ». Mais il y a des éléments tout autres dans Ariane, qui, contrairement à Pelléas, est symphonique autant que lyrique (non seulement par son traitement de l’orchestre, mais aussi par sa structure tonale rigoureuse), et dont quinze ans avant Wozzeck le premier acte adopte exactement la forme variations. Quant au ballet la Péri, dernière partition importante de Dukas, il fut donné pour la première fois (après avoir été promis à la destruction et sauvé au dernier moment) non par Serge de Diaghilev, comme prévu, mais par N. Trukhanova au théâtre du Châtelet en avril 1912 : avant le ballet proprement dit, une éblouissante fanfare de cuivres, « chef-d’oeuvre qui précède le chef-d’oeuvre ». Le silence de Dukas, comme ceux de Rossini et de Sibelius - celui-ci, son exact contemporain, donna sa dernière grande oeuvre en 1926, soit trente ans avant sa mort -, a fait l’objet de nombreux commentaires. Le compositeur ne fut jamais le moins du monde névrosé, et ne souffrit jamais, jusqu’à sa dernière brève maladie, d’aucune perte de vitalité. Il avait sans doute, entre autres, le don assez rare d’être paresseux sans mauvaise conscience, aimant la lecture, la vie en général et le commerce de quelques amis, ne se sentant jamais frustré et n’ayant aucune ambi-

tion vers les honneurs (il fut néanmoins élu à l’Institut au fauteuil d’Alfred Bruneau en 1934). Il éprouvait un dédain ironique pour les exigences de son époque en matière d’expérimentation moderniste, ne permit jamais (contrairement à Ravel) à Stravinski de l’influencer, et n’éprouva de sympathie particulière ni pour la génération des Six, ni pour l’expressionnisme viennois. Pour mal avisée qu’elle ait été, rien en définitive ne suscite davantage le respect que la décision de ce grand orchestrateur et architecte de préférer un compositeur silencieux à un compositeur demeuré tant bien que mal en activité, mais dont la musique eût convergé vers le silence. DULCIANE. Jeu de fond de l’orgue, à corps étroit, en général de huit pieds, qui sonne comme une gambe, mais avec plus de douceur. Il a été surtout utilisé dans l’orgue symphonique français. DULCIMER. Instrument médiéval à cordes frappées à l’aide d’une paire de baguettes en bois. Il ne faut pas confondre le dulcimer avec le psaltérion, qui lui ressemble, mais dont les cordes sont pincées. Le terme apparaît au cours du XIVe siècle, et fait allusion sans aucun doute à une sonorité douce. Le dulcimer se compose d’une caisse de résonance, tenue sur les genoux, à travers laquelle les cordes, généralement montées en choeurs, sont tendues par une série de chevilles de chaque côté. L’instrument comporte deux chevalets, également de chaque côté, et la table d’harmonie est décorée d’une ou deux roses. L’étendue de l’instrument semble avoir varié considérablement, et Agricola, en 1528, parle d’un dulcimer de plus de trois octaves. À partir du XVIe siècle, il a été progressivement remplacé par les instruments à clavier. DU MAGE (Pierre), organiste et compositeur français (Beauvais 1674 - Laon 1751). Appartenant à la génération de l’apogée de l’orgue classique français, Du Mage en est l’un des grands représentants ; mais une vie itinérante, surtout en province,

ne lui a pas assuré le rayonnement auquel il pouvait prétendre. Fils d’un Pierre Du Mage, musicien à la cathédrale de Beauvais, il reçut l’enseignement de Marchand, probablement à Paris, et fut nommé organiste à la collégiale de Saint-Quentin dans les premières années du XVIIIe siècle. Le magnifique orgue que Robert Clicquot venait d’y terminer en 1701 fut sans doute un stimulant pour le Premier Livre d’orgue contenant une suite du premier ton, qu’il publia en 1708. En 1710, il devint organiste à la cathédrale de Laon, où il écrivit un second Livre d’orgue, aujourd’hui disparu. En 1719, il quitta, semble-t-il, la musique pour entrer dans l’administration, mais on le voit réapparaître à Notre-Dame de Paris en 1733, pour l’inauguration du nouvel orgue de Thierry. Toute son oeuvre se résume donc aux huit pièces de la Suite du premier ton, où se retrouve l’opposition classique de pages polyphoniques de style sévère, avec des récits gracieux et pittoresques. downloadModeText.vue.download 325 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 319 DUMAY (Augustin), violoniste français (Paris 1949). Il fait ses études au Conservatoire de Paris avec Roland Charmy (violon) et Jean Hubeau (musique de chambre) et obtient un 1er Prix de violon en 1962. L’année suivante, à quatorze ans, il donne un premier concert remarqué au Théâtre des ChampsÉlysées. De 1962 à 1967, il étudie avec Arthur Grumiaux en Belgique. Dès le début de sa carrière, il consacre une grande part de son activité à la musique de chambre, se produisant avec Jean-Philippe Collard, Frédéric Lodéon, Michel Béroff, Yo-Yo Ma et Maria-João Pirès. Attaché à faire connaître la musique française, il a contribué à réhabiliter les oeuvres de plusieurs compositeurs, dont Albéric Magnard. Son violon est un stradivarius de 1721 ayant appartenu à Fritz Kreisler. DUMESNIL (René), écrivain et critique musical français (Rouen 1879 - Paris 1967). Ayant fait des études de médecine et de littérature, reconnu comme un des meilleurs spécialistes de l’oeuvre de Gustave

Flaubert, René Dumesnil fut, au Mercure de France et au Monde, un critique musical impartial, scrupuleux et précis. Il publia d’excellents ouvrages de vulgarisation et de synthèse sur des sujets très divers. Il fut élu à l’Académie des beauxarts en 1965. Parmi ses ouvrages sur la musique, on peut citer : le Don Juan de Mozart (1927, 2e éd. 1955), Richard Wagner (1929, 2e éd. 1954), Histoire illustrée de la musique (1934), la Musique française entre les deux guerres (1946), Histoire illustrée du théâtre lyrique (1953), Histoire de la musique (compléments de l’ouvrage de J. Combarieu), l’Aube du XXe siècle (tome 4) et la Première Moitié du XXe siècle (tome 5, 1958, 1960). DUMITRESCU (Iancu), compositeur, chef d’orchestre et musicologue roumain (Sibiu 1944). Il a fait des études au Conservatoire de Bucarest (1962-1968) et a suivi les cours de Sergiu Celibidache à l’université de Trèves (1978-1981). Ce contact lui révéla la portée musicale de la phénoménologie, dont il allait appliquer les conclusions à l’élaboration d’un concept aussi bien interprétatif que créatif. Il a fondé en 1966, avec quelques enthousiastes, le premier studio de musique électronique de Roumanie. Dix ans plus tard, il fonde l’Ensemble Hyperion, véritable atelier de création qui réunit bon nombre de compositeurs roumains élaborant les principes d’une nouvelle avant-garde. La musique de Iancu Dumitrescu témoigne d’une fantaisie structurelle et timbrique sans faille dont le fondement est constitué par le concept d’acousmatique, signifiant, pour lui, l’enrichissement de l’impact sonore par l’occultation de la source du son et le rejet de toute incidence anecdotique (Perspectives au Movemur pour quatuor à cordes, 1979 ; Cogito-Trompe-l’oeil pour deux contrebasses, piano préparé, percussion et objets métalliques). La musique orchestrale de Dumitrescu se caractérise par la même recherche de l’expression inouïe, de la plasticité et de la ductilité du son, un son auquel le compositeur attribue souvent une signification symbolique (Aulodie Mioritica pour contrebasse et orchestre, 1981 ; Astrée lointaine pour orchestre d’harmonie, trois groupes de percussion, piano et saxophone basse soliste, 1992). Il a écrit en outre Grande Ourse pour deux bassons, piano préparé, percus-

sion et bande (1981-82), Nimbus I-III pour trois trombones, percussion et bande synthétisée (1985), Mythos pour ensemble de chambre (1994), Kronos Holzwege Quartet pour quatuor à cordes (1994), Mnemosyne pour ensemble (1994). DUMKA. Pièce pensive, rêveuse au lyrisme typiquement slave. Elle correspond à la méditation française, à la rêverie (Traümerei) allemande. Habituellement écrite en forme de lied, elle peut s’introduire dans la musique de chambre, comme par exemple dans le Trio op. 90 de Dvořák. DU MONT (Henri, ou DETHIER), organiste et compositeur wallon (Villers-l’Évêque, près de Liège, 1610 - Paris 1684). Il se fixe très tôt avec sa famille à Maestricht, où il est chantre, puis organiste (1630) de la collégiale Notre-Dame. Il perfectionne vraisemblablement sa formation au cours de séjours à Liège, où il travaille sans doute avec Léonard de Hodemont. Vers 1635, il adopte le nom de Du Mont traduction française de De Thier -, et arrive à Paris en 1638. Il devient organiste de Saint-Paul en 1640 (il conserve ce poste toute sa vie) et, peu avant 1653, claveciniste et organiste du duc d’Anjou. Il abandonne cette position en 1660 pour celle de claveciniste de la reine et, à la suite d’un concours organisé pour la succession de Jean Veillot en 1663, est nommé, avec Pierre Robert, maître de la chapelle royale (qui compte quatre musiciens). En 1672, Du Mont obtient avec Robert la charge de compositeur de la chapelle du roi, libre depuis la mort de Thomas Gobert, et, en 1673, est nommé maître de la musique de la reine. Il laisse cette position en 1681 et se retire de la cour en 1683. À part quelques pièces de clavecin parues dans des anthologies de l’époque et de menues chansons, il a composé uniquement, mais en très grande quantité, de la musique sacrée. Il a fait paraître un recueil de Cantica sacra suivi de Litanies, puis un livre de Meslanges (à II, III, IV et V parties), contenant des chansons, motets, magnificat, préludes et allemandes pour orgue et pour violes et des Litanies à la Vierge, auquel il ajoute un recueil de

Préludes. Il est enfin l’auteur d’un recueil d’Airs à 4 parties sur la paraphrase des psaumes d’Antoine Godeau, de plusieurs livres de motets, de Cinq Messes en plainchant et d’un oratorio, Dialogus de anima. Les cinq messes, ou Messes royales, sont demeurées célèbres, car elles ont été chantées (surtout celle du premier ton) dans les églises françaises jusqu’au XIXe siècle. On les appelle « royales » à tort, car elles ont été composées à l’usage des couvents et paroisses et n’ont jamais été exécutées à la cour. Les compositions les plus intéressantes de Du Mont sont ses motets : des petits motets à 1, 2 ou 3 voix accompagnées de la basse continue et parfois de quelques instruments, et des Motets à deux choeurs. Les premiers étaient chantés à la cour après l’élévation, aux vêpres et au salut du saint sacrement. Les Motets à deux choeurs sont écrits non pas pour deux choeurs égaux mais pour un petit choeur de cinq solistes et un grand choeur composé du reste des chanteurs, accompagnés d’un orchestre complet, qui devient de plus en plus indépendant des voix. On exécutait ces motets avant l’élévation et à la fin de la messe (Domine salvam fac regem) et lors des offices solennels. Le rôle de Du Mont est considérable dans l’histoire de la musique sacrée en France. Il a tout d’abord importé certains traits stylistiques de la musique italienne, avec laquelle il s’était familiarisé à Liège. Sans avoir été le premier compositeur à avoir publié en France des pièces avec basse continue, il en a systématisé l’usage. Il a introduit de même le genre du petit motet à 1, 2 ou 3 voix, qui devait devenir si populaire. Mais surtout, il a, sur la base des essais de ses prédécesseurs, Nicolas Formé et Jean Veillot, édifié le grand motet français et ouvert la voie à M. A. Charpentier et Michel-Richard Delalande. DUNI, famille de musiciens italiens. Antonio (Matera, Pouilles, v. 1700 Schwerin, Allemagne du Nord, apr. 1768). Il contribua à introduire la culture italienne en Espagne et, surtout, en Europe du Nord et de l’Est, notamment à Schwerin, où il fit représenter en 1756 un intermède, L’Amor mascherato, et à Moscou, où, l’année suivante, il enseigna le chant. Il composa une oeuvre variée comprenant des cantates (Londres, 1735), des motets

et des symphonies. Egidio Romualdo (Matera 1709-Paris 1775). Élève de Durante à Naples, il se fit connaître, comme son frère, hors de son pays : à Londres en 1737, à Leyde en 1738 et surtout à Paris où il se fixa en 1757. Son downloadModeText.vue.download 326 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 320 séjour à la cour de Parme, où régnait le gendre de Louis XV, l’avait accoutumé à la culture française et il sut très vite s’adapter au goût de son nouveau pays. Respectueux de la prosodie, il fut très apprécié des Parisiens, ce qui lui valut d’être nommé, en 1761, directeur de la Comédie-Italienne. Après avoir écrit en Italie une douzaine d’opéras traditionnels, il se consacra désormais à l’opéra-comique, collaborant avec les librettistes les plus célèbres, Anseaume, Vadé et Favart. Ses ouvrages les plus connus sont le Peintre amoureux de son modèle (1757), la Fille mal gardée (1758), Nina et Lindor (1758), les Deux Chasseurs et la Laitière (1763), l’École de la jeunesse (1765), la Fée Urgèle (1765) et les Moissonneurs (1768). Sa musique, mieux écrite pour la voix que pour l’orchestre, témoigne de l’influence de Philidor, notamment lorsqu’elle peint les sentiments tendres et pathétiques. DUNSTABLE (John), compositeur, astronome et mathématicien anglais ( ? entre 1380 et 1390 - Londres 1453). On possède fort peu de renseignements sur lui. Sans doute fut-il associé à la vie musicale de l’abbaye de Saint-Alban, près de Londres. Un de ses précieux livres sur l’astronomie (manuscrit conservé à Cambridge) révèle un détail important : Dunstable fut le musicien du duc de Bedford, régent de France après la mort du roi Henry V en 1422. Cela explique que la plupart de ses oeuvres sont contenues dans des manuscrits continentaux. Le mariage du duc de Bedford avec la soeur de Philippe le Bon lia les Anglais aux Bourguignons et permit à Dunstable de rencontrer Binchois et Dufay. L’influence de l’école anglaise s’exerça ainsi sur les musiciens français. La réputation de Dunstable fut considérable en son temps, et le poète Martin Le Franc écrivit, dans le Champion

des Dames, qu’« ilz... (Dufay et Binchois)... ont prins de la contenance Angloise et ensuy Dunstable Pour quoi merveilleuse plaisance Rend leur chant joyeuse et notable ». Une cinquantaine de compositions de Dunstable ont été conservées, dans lesquelles il est possible de discerner le mélange des styles anglais et français car, il faut le souligner, le musicien n’a pas dédaigné de son côté ce qu’un homme plus jeune comme Guillaume Dufay pouvait lui apporter. M. Bukofzer a énuméré les différentes techniques qu’on peut remarquer dans l’oeuvre de Dunstable : déchant anglais, style ballade, style gymel, motet isorythmique, pièces ayant une voix supérieure très ornée, traitement libre dans toutes les voix, double structure. Cette oeuvre, avec son aspect chaleureux et mélodique issu de la chanson bourguignonne, comprend des motets à 3 voix comme l’élégant Quam pulchra es d’une séduisante naïveté - et à 4 voix - comme le motet isorythmique Veni sancte Spiritus pour lequel deux textes sont employés. Elle inclut également des fragments de messes, ainsi qu’une version polyphonique du Magnificat. Trois chansons à 3 voix subsistent, dont Durez ne puis. Des deux autres, d’authenticité douteuse, le célèbre O rosa bella se trouve dans dix-sept manuscrits et son texte incite à se demander si Dunstable n’aurait pas visité l’Italie. Contemporain de Lionel Power, de Johannes Benet et de Bedingham, John Dunstable fut le plus grand compositeur anglais de sa génération. Le fameux théoricien Tinctoris devait le qualifier de primus inter pares estimant qu’il était un important novateur et que l’oeuvre des musiciens anglais de cette époque était digne de l’expression ars nova. DUO (ital. duetto ; angl. duet ; all. Duett). Composition destinée à deux musiciens (chanteurs ou instrumentistes), avec ou sans accompagnement. Le genre peut être en un seul ou en plusieurs mouvements avec des proportions plus ou moins vastes. On peut y inclure, par exemple, aussi bien les bicinia (chants à 2 voix), que les duos pour violons de Mozart ou encore la sonate traditionnelle pour instrument mélodique avec accompagnement de la basse

continue ou du piano. Dans la musique de chambre vocale, on doit mentionner les duetti da camera de maîtres tels que Marco da Gagliano, Francesco Durante, Agostino Steffani et surtout Haendel, tout comme certains canti amorosi à deux voix de Monteverdi. DUOLET. Lorsque la division du temps musical est ternaire, c’est-à-dire que chaque temps est divisé en trois parties égales, comme dans la gigue à 6/8 ou à 6/4, la notation peut avoir recours exceptionnellement à une division en deux parties. Dans ce cas, et dans les mesures citées, on aurait respectivement deux croches et deux noires en duolet. Dans une valse à 3/4, on peut également trouver une mesure de deux noires en duolet, soit un rapport de deux pour trois. DUPÁK. Danse populaire tchèque vive, à 2/4, dont les mouvements caractéristiques sont le trépignement et le piétinement. Elle a trouvé sa forme idéalisée dans la sixième des Danses tchèques pour piano de Smetana. DUPARC (Henri), compositeur français (Paris 1848 - Mont-de-Marsan 1933). Il fit ses études au collège des jésuites de Vaugirard où César Franck enseignait la musique. Ses premières oeuvres demeurèrent inédites (sonate pour violoncelle, quelques mélodies), mais, dès 1870, il écrivit l’Invitation au voyage, chef-d’oeuvre qui inaugurait l’ère parnassienne de la mélodie française. Une période de douze ans s’ouvre alors pendant laquelle il participa à la vie artistique militante. C’est chez lui notamment que Saint-Saëns et Romain Bussine fondèrent la Société nationale, dont il fut longtemps secrétaire. Jusqu’en 1884, il poursuivit régulièrement, mais très lentement, son oeuvre, faite de mélodies et d’incursions dans le domaine orchestral, parmi lesquelles Lénore (1875), qui consacra son nom dans la vie musicale officielle. Une maladie nerveuse l’obligea alors à quitter Paris et le priva de son activité créatrice. Pendant les cinquante années qui lui restaient à vivre, il assista, en pleine lucidité, à la paralysie de son talent.

Musicien cultivé, grand admirateur de Wagner et du romantisme germanique, Duparc n’a jamais réalisé l’oeuvre dont il rêvait et dont les formes idéales auraient été la grande pièce symphonique et le drame lyrique. Aux étoiles et Lénore ne se dégagent qu’imparfaitement des influences consenties et le projet d’une Roussalka (d’après Pouchkine), auquel il travailla pendant plus de dix ans, n’aboutit qu’à la destruction des esquisses. En revanche, son mince recueil de mélodies contient quelques-unes des plus précieuses réussites de la musique française. Synthèse de la romance et du lied, le poème lyrique qui naît ainsi, et spécialement en marge de textes de qualité (Baudelaire, Leconte de Lisle, Th. Gautier, Jean Lahor), marque un moment décisif de l’évolution du genre, entre Gounod, Fauré (contemporain de Duparc) et Debussy. Dès la Chanson triste (1868) et surtout l’Invitation au voyage (1870), la fidélité à la forme strophique va de pair avec la franchise des modulations et le raffinement qui s’exerce à prolonger les images du verbe. Extase, plus ou moins volontairement écrite « en style de Tristan », emploie en même temps des enchaînements typiquement franckistes. Pour la première fois, cette oeuvre assigne à la couleur harmonique une équivalence sonore avec l’image poétique, alors que Sérénade florentine sollicite du mode hypophrygien (mi plagal) une fluidité que le rythme syncopé ponctue avec une extrême douceur. Phidylé (1882) et la Vie antérieure (1884), sa dernière mélodie, attestent enfin l’expression définitive et originale du poème chanté capable de traduire musicalement la pensée et le sens du texte. Les accompagnements pour piano, souvent conçus en des phrases très larges et toujours très travaillés, présentent de grandes difficultés d’exécution. La plupart d’entre eux ont été orchestrés par le compositeur. Si Duparc, par le climat douloureux ou violent dans lequel il se complaît, se downloadModeText.vue.download 327 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 321 rattache au second romantisme propre aux disciples de César Franck, il dépasse tous ceux-ci par la noblesse de sa pensée, la profondeur de son inspiration, sa

puissance évocatrice. Sans qu’on puisse vraiment discerner une influence directe, il est certain que sa conception de la mélodie a été, pour Gabriel Fauré, un exemple précieux. DUPÉRIER (Jean), compositeur et critique musical suisse (Genève 1886 - id. 1976). Élève au conservatoire de Genève, il y fut professeur d’harmonie jusqu’en 1929 et se fixa ensuite à Paris. Il a laissé des réflexions sur la musique à travers plusieurs ouvrages : Lettre à un sourd sur la musique et les musiciens ; Lettre d’un musicien ambulant à son confrère sédentaire ; Mémoires d’une flûte ; Musique ? Son oeuvre de compositeur d’une élégante facture néoclassique, comprend des pages symphoniques (dont deux Symphonies, 1953 et 1954), un Quatuor, deux ouvrages lyriques (Zadig, 1938 ; le Malade imaginaire, 1943), des choeurs et des mélodies. DUPHLY (Jacques), organiste, claveciniste et compositeur français (Rouen 1715 - Paris 1789). Il fit ses études à Rouen où il fut l’élève de François d’Agincourt à l’église SaintJean. Vers 1730, il fut nommé organiste de la cathédrale d’Évreux. Il revint à Rouen en 1734 pour tenir les orgues de l’église Saint-Éloi puis, en 1740, de Notre-Damela-Ronde. Mais il s’intéressa ensuite au clavecin et, abandonnant l’orgue et sa ville natale, il se fixa à Paris et se fit connaître de la société de la capitale, écrivant des pièces de clavecin qui ont pour titre les noms de quelques-uns de ses admirateurs. Son oeuvre se situe vers la fin de la période pendant laquelle le clavecin régna en maître suprême. Duphly a laissé 46 pièces pour cet instrument (4 livres : 1744, 1748, 1756, 1768), qui témoignent d’une certaine sobriété dans l’ornementation, d’un goût pour le style galant, ainsi que de recherches dans le domaine sonore, puisque le clavier, grâce aux ravalements d’un Pascal Taskin, s’étendait maintenant jusqu’au fa grave. Les pièces de clavecin sont disponibles dans une édition moderne de Françoise Petit (Paris, 1967). DUPLUM. Nom latin donné, au Moyen Âge, plus spécialement dans les oeuvres de l’école de

Notre-Dame (Léonin, Pérotin), à la voix située au-dessus du ténor ( ! TENEUR). Dans les motets du XIIIe siècle, le duplum prend le nom de motettus, une troisième voix supérieure pour compléter la polyphonie s’appelant le triplum. Le nom de duplum continua à être employé dans d’autres compositions, par exemple dans les rondeaux à trois voix d’Adam de la Halle. DU PRE (Jacqueline), violoncelliste anglaise (Oxford 1945 - Londres 1987). Elle a étudié à la Guildhall School of Music de Londres, puis à Paris avec Paul Tortelier et enfin avec Pablo Casals et Mstislav Rostropovitch, se révélant très rapidement du niveau de ses maîtres. En 1967, elle épouse Daniel Barenboïm, avec qui elle forme un duo très remarquable, enregistrant avec lui, entre autres, une version exceptionnelle des Sonates pour violoncelle et piano de Brahms. Tous deux se produisent aussi en trio avec Pinchas Zuckermann. En 1972, atteinte d’une sclérose en plaques, elle doit interrompre sa carrière. Elle a légué l’un de ses violoncelles, un stradivarius de 1712, à Yo-Yo Ma. DUPRÉ (Marcel), organiste et compositeur français (Rouen 1886 - Meudon 1971). Toute sa famille fut musicienne : ses deux grand-pères organistes à Rouen (à Saint-Maclou et à Saint-Patrice), son père organiste à l’Immaculée-Conception d’Elbeuf, puis à Saint-Ouen de Rouen, sa mère pianiste et violoncelliste. Aussi ses dons très précoces furent-ils encouragés et développés : à huit ans, il se produisit déjà en concert, et à douze ans il fut nommé organiste titulaire à l’église Saint-Vivien de Rouen. Il travailla ensuite avec Guilmant, puis avec Vierne, Widor et Diémer. Au Conservatoire de Paris, il remporta les prix de contrepoint, de fugue et d’orgue, tout en suppléant déjà Widor à Saint-Sulpice (1906). En 1914, ce fut la consécration officielle du premier grand prix de Rome. Au lendemain de la Grande Guerre, Dupré devint le premier virtuose international de l’orgue. Dès 1920, il donna au Conservatoire, en dix récitals, la première audition intégrale de l’oeuvre d’orgue de Bach, qu’il exécuta de mémoire. Il fit des tournées dans tous les pays, totalisant plus de deux mille concerts de par le monde, dont huit

cents aux seuls États-Unis, tout en poursuivant ses activités françaises de professeur et de musicien : professeur d’orgue et d’improvisation au Conservatoire de Paris (1926), à l’École normale de musique de Paris, titulaire de l’orgue de Saint-Sulpice (1934), directeur général du conservatoire américain de Fontainebleau (1947), directeur du Conservatoire national supérieur de musique de Paris (1954-1956), directeur du Comité national de la musique. En 1956, il fut élu à l’Académie des beaux-arts. Sa virtuosité confondante l’a fait surnommer le « Liszt de l’orgue » par son élève Olivier Messiaen ; il possédait en effet une maîtrise absolue de ses gestes et de sa pensée, maîtrise qu’il a transmise à ses nombreux et brillants élèves ; toute la jeune école d’orgue française, l’une des meilleures au monde, lui est redevable à un titre ou à un autre. Cette maîtrise en faisait un prodigieux technicien de l’improvisation : il pouvait créer sur l’instant des développements musicaux dans les formes les plus complexes, fugue, canon, sonate en trio, choral orné, symphonie, etc. Son oeuvre de compositeur se ressent de cette virtuosité intellectuelle, et tend à laisser dans l’ombre l’expression de sa sensibilité personnelle au profit de préoccupations formelles qui sont allées croissant dans son évolution. Dupré s’est surtout adressé à son instrument : Trois Préludes et fugues op. 7 (1912), son oeuvre la plus convaincante avec la Symphonie-Passion op. 23 (1924), ainsi que la Suite bretonne op. 21 (1923), le Chemin de la croix op. 29 (1931-32), Trois Préludes et fugues op. 36 (1938), le Tombeau de Titelouze op. 38 (1942-43). Mais son oeuvre, qui compte plus de cinquante numéros d’opus, comprend également des pages pour piano, de la musique de chambre, de la musique vocale (la France au calvaire, op. 49, oratorio, 1952-53), des oeuvres pour orchestre (Symphonie en « sol » mineur op. 25, 192728 ; Cortège et litanie op. 19, 1921, pour orgue et orchestre). Il a publié des transcriptions de Mozart, de Haendel et de Bach, et des ouvrages didactiques importants : Traité d’improvisation (Paris, 1924), Méthode d’orgue (Paris, 1927), Cours de contrepoint (Paris, 1938), Cours de fugue (Paris, 1938), Manuel d’accompagnement du plain-chant grégorien (Paris, 1937), etc. Il a aussi édité les oeuvres pour orgue de Bach, de Mendelssohn, de Schumann, de Franck, etc., doigtées et annotées (chez Bornemann). Il laisse un recueil de souve-

nirs, Marcel Dupré raconte (1972). DUPREZ (Gilbert), ténor français (Paris 1806 - id. 1896). Son nom reste attaché à l’emploi du « contre-ut de poitrine », c’est-à-dire à une manière puissante, héroïque, de chanter les notes extrêmes du registre de ténor, alors que ses prédécesseurs, García, Rubini, Nourrit, etc., avaient recours aux nuances de la voix mixte à partir du sol aigu. Duprez ne fut pas le premier ténor à donner le « contre-ut de poitrine », mais il fut le premier à l’employer systématiquement, par exemple dans Guillaume Tell de Rossini. Il avait débuté à Paris en 1825, sans succès, dans le rôle d’Almaviva du Barbier de Séville. Il se rendit alors en Italie et opta pour une nouvelle technique de voix « sombrée ». L’expérience lui réussit et Donizetti le choisit pour créer le rôle d’Edgardo dans Lucie de Lammermoor (1835). En 1837, il revint à Paris, et, imposant un style héroïque nouveau, triompha dans les ouvrages qu’avait créés Adolphe Nourrit, provoqua la démission de ce dernier et contribua à développer le goût du public pour une vigueur vocale préférée downloadModeText.vue.download 328 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 322 au raffinement des nuances. Il créa Benvenuto Cellini de Berlioz (1838) et la Favorite de Donizetti (1840), mais sa voix ne tarda pas à donner des signes de fatigue. Il se consacra ensuite à l’enseignement. Il eut parallèlement une activité de compositeur (huit opéras, etc.) et écrivit des ouvrages sur le chant (l’Art du chant, 1845). DUPUIS (Sylvain), chef d’orchestre et compositeur belge (Liège 1856 - Bruges 1931). De 1865 à 1876, il fait ses études au Conservatoire de Liège. En 1881, il remporte le Prix de Rome, puis séjourne à Bayreuth et à Paris, où il se lie avec d’Indy. De retour à Liège, il prend en 1886 la direction de la société chorale La Legia, et fonde en 1888 les Nouveaux Concerts symphoniques. De 1900 à 1911, il dirige le Théâtre de la Monnaie à Bruxelles et, de 1911 à 1926, le Conservatoire de Liège. Son activité relie toujours la pédagogie avec le souci de

rendre la musique nouvelle accessible à un public populaire, grâce aux sociétés chorales notamment. Comme chef lyrique, il introduit à la Monnaie Wagner, Debussy et les franckistes, et, au concert, il est un des premiers à diriger Mahler. On lui doit les opéras la Cour d’Ognon et Moïna, trois grandes cantates, le poème symphonique Macbeth, des pièces instrumentales et de nombreux choeurs et mélodies. DU PUY ou DUPUY (Édouard Jean-Baptiste Camille), compositeur, violoniste, chanteur et chef d’orchestre (Corcelles, Suisse, 1770 ou 1771 - Stockholm 1822). Après ses études à Paris avec Dussek, il devient successivement maître de chapelle du prince Henri de Prusse, puis musicien et chanteur à la cour de Suède, d’où il est expulsé en 1809. Réfugié à Copenhague où il participe à la défense de la ville avant d’en être également expulsé, il retourne en Suède en 1811 avec l’établissement de la cour de Bernadotte. Plus que par ses aventures, ses talents d’interprète et son surnom de « Don Juan du Nord », il survit grâce à un remarquable opéra, Ungdom og galskab (« Jeunesse et folie », 1806), dont l’ouverture est toujours inscrite au répertoire des orchestres danois et suédois. DUPUY (Martine), mezzo-soprano française (Marseille 1952). Elle étudie le chant au Conservatoire de Marseille, et débute avec de petits rôles à l’Opéra de la même ville. Elle travaille ensuite avec Rodolfo Celletti, professeur de Ruggero Raimondi. Elle se consacre essentiellement au répertoire italien, mais chante aussi, dès 1977, à Lyon, le rôle de Charlotte de Werther. Elle triomphe notamment dans les opéras de Rossini (Semiramis, la Cenerentola, la Donna del Lago). En 1988, elle débute au Metropolitan de New York dans Giuletta des Contes d’Hoffmann. Menant sa carrière avec discernement, elle déclare préférer les rôles mélancoliques ou belliqueux aux personnages limpides comme Rosine du Barbier de Séville, qu’elle délaisse. DUR. Épithète appliquée, dans la langue allemande, au mode majeur (par exemple, C dur signifie do majeur). DURAND.

Maison d’édition musicale française, fondée en 1869 par M. Schoenwerk et Auguste Durand (mort en 1909), organiste et compositeur. En 1891, elle devint une société en nom collectif, « A. Durand et Fils », formée entre Auguste Durand et son fils Jacques Durand. Ce dernier, qui fut condisciple de Debussy et de Paul Dukas au Conservatoire de Paris, continua l’oeuvre de son père en éditant, outre les oeuvres de ces deux compositeurs, celles de la plupart des musiciens français de son temps. Après la mort de Jacques Durand en 1928, son cousin René Dommange (mort en 1977) prit la direction de la maison et lui donna, en 1947, sa raison sociale actuelle, « Durand et Cie ». La société est maintenant dirigée par Mme René Dommange et son neveu Guy Kaufmann. Le très important catalogue des éditions Durand est surtout remarquable par sa grande homogénéité et par le fait qu’y figure la quasi-totalité des grands compositeurs français de la fin du XIXe siècle et de la première moitié du XXe : Saint-Saëns, Fauré, Debussy, Dukas, Massenet, Lalo, Ravel, d’Indy, Schmitt, Rabaud, Widor, Ropartz, Roger-Ducasse, Roussel, Caplet, Busser, Bachelet, Aubert, Milhaud, Ibert, Delvincourt, Ferroud, Poulenc, Messiaen, Duruflé, etc. Outre cette étonnante contribution à la musique contemporaine qui se poursuivit jusqu’aux années 50, les éditions Durand, qui avaient commencé (sous la direction de Saint-Saëns) la publication des oeuvres complètes de Rameau - entreprise malheureusement interrompue en 1918 -, se sont consacrées à l’édition des grands classiques, souvent révisés par des musiciens modernes de renom comme Saint-Saëns, Fauré, Debussy, Dukas. DURANTE (Francesco), compositeur italien (Frattamaggiore, près de Naples, 1684 - Naples 1755). Il travailla la musique avec son oncle Angelo au conservatoire de Naples, puis étudia le violon avec G. Francone. Peut-être fut-il également l’élève d’un grand maître, B. Pasquini. Il est curieux de constater que, bien que napolitain, originaire d’une ville où l’opéra fleurissait tout particulièrement, Durante, à l’exception de choeurs composés pour la tragédie Flavio Valente,

n’a pas écrit pour le théâtre. En revanche, ses duos de chambre (pour 2 voix et basse continue) sont remarquables par leur originalité et leurs audaces harmoniques. En fait, ces oeuvres furent destinées à l’enseignement, comme en témoigne, dans leur titre, la mention : « ... Per imparare a cantare » (« Pour apprendre à chanter »). Sa musique religieuse, importante, comprend les oratorios La Cerva assetata (1719), Abigaile (1736), San Antonio di Padova (1753), 13 messes dont deux Requiem, des psaumes, des motets, des antiennes et des litanies. Comme Alessandro Scarlatti, il a écrit des madrigaux à une date où le genre tombait quelque peu en désuétude. Pour les instruments, il a composé des sonates, des pièces pour clavecin (Toccate), des concertos, ainsi que 8 quatuors concertants pour cordes. Son oeuvre est immense et 62 volumes manuscrits sont conservés à la Bibliothèque nationale de Paris. Dans sa musique, Francesco Durante usa du contrepoint avec élégance, maîtrise et aisance ; l’aspect mélodique reste essentiel ; il est parfois teinté de sentimentalité, comme en témoigne par exemple le célèbre air de dévotion Vergin tutt’amor, que Parisotti a publié dans ses Arie antiche. Si Durante n’a pas été un compositeur particulièrement original, il fut généralement considéré par ses contemporains comme un excellent pédagogue. Il forma Traetta, Sacchini, Piccinni, Egidio Duni, Paisiello, Pergolèse, Jommelli. En prenant en considération ses élèves qui, paradoxalement, devaient tous consacrer la majeure partie de leur carrière au théâtre lyrique, on cite souvent aujourd’hui Durante comme le fondateur de l’école napolitaine. DURASTANTI (Margherita), soprano italienne (active de 1700 à 1734 environ). En 1700, elle apparaît dans un pastiche à Venise, et entre en 1707 au service du prince Ruspoli à Rome. Elle y rencontre Caldara et surtout Haendel, qui lui confie plusieurs cantates et le rôle de Magdalena dans l’oratorio la Resurrezione. De 1709 à 1712, elle est la prima donna de neuf opéras de Lotti à Venise, puis de cinq opéras d’Alessandro Scarlatti à Naples. Dès 1720, Haendel l’engage à Londres pour l’inauguration de la Royal Academy, où elle triomphe dans le rôle-titre de Radamisto. Actrice assumant habilement les rôles masculins, couverte, dit-on, de bijoux

mirobolants, « la Comtesse » devient une partenaire privilégiée de Haendel : Gismonda dans Ottone, Vigile dans Flavio en 1723 et Sextus dans Giulio Cesare en 1724 sont les créations marquant ses premières saisons londoniennes. Haendel, qui subit la rivalité du Nobility Opera, la rappelle en 1733. Ottone, Acis et Galatée et la création de Tauride dans Arianna sont les downloadModeText.vue.download 329 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 323 dernières apparitions de sa carrière, qui semble s’arrêter après 1734. DURAZZO (comte Giacomo), impresario et diplomate italien (Gênes 1717 - Venise 1794). Devenu en 1749 ambassadeur de Gênes à Vienne, il obtint en 1754 la charge de directeur des spectacles des deux théâtres impériaux, publia anonymement une Lettre sur le méchanisme de l’opéra italien et, soutenu en cela par le chancelier Kaunitz, qui recherchait l’alliance de Louis XV, favorisa les genres venus de France de l’opéra-comique et de l’opéra-ballet. Il joua un grand rôle dans la carrière de Gluck, qu’il fit nommer en 1754 directeur musical des théâtres impériaux (Burgtheater et Kärtnertortheater), qu’il encouragea à composer des opéras-comiques en français et qu’il mit en rapport avec Angiolini et Calzabigi. Congédié de son poste à la tête du Burgtheater à la suite d’intrigues menées par Georg Reutter (1764), il fut jusqu’en 1784 ambassadeur de Vienne à Venise, où, en 1771, il reçut Mozart et son père. Dans les années 1780, il informa régulièrement le prince Nicolas Esterhazy (leurs épouses respectives étaient parentes) de la situation de l’opéra en Italie, contribuant ainsi à donner aux saisons d’opéra dirigées par Haydn à Esterhaza tout le lustre possible. DURCHKOMPONIERT (all. : « composé d’un bout à l’autre »). Se dit, essentiellement pour le répertoire classico-romantique relevant de la forme sonate, d’un morceau tendant vers (ou atteignant) le développement perpétuel, avec répétitions textuelles et éléments de réexposition réduits au minimum. Cette

notion est surtout associée à la musique d’Arnold Schönberg, mais peut s’appliquer aussi à certaines pages bien antérieures, comme l’allegro initial de la symphonie en ré majeur no 96 (le Miracle) de Haydn, composée en 1791. DURÉE. La durée d’une note (le mot se passe de définition) a toujours été considérée par la théorie classique, avec sa hauteur (dite plus récemment fréquence) et son timbre, comme l’une des composantes essentielles du son musical. Berlioz a sans doute été le premier à y joindre un quatrième élément, son point d’origine, source de la « stéréophonie ». Dans l’écriture musicale usuelle, la durée d’une note est indiquée, pour une mesure et un tempo déterminés, par la forme ou valeur du signe qui la représente (noire, croche, etc.), et le rythme résulte de la manière dont s’articulent entre elles non seulement les durées, mais aussi et surtout les points d’appui sur lesquelles elles se greffent. On ne peut donc considérer l’agencement des durées comme un élément suffisant pour une définition du rythme, pas plus que la mesure, qui n’en est qu’un découpage parfois arbitraire. DUREY (Louis), compositeur français (Paris 1888 - Saint-Tropez 1979). Diplômé de l’École des hautes études commerciales, il a travaillé le solfège, l’harmonie, le contrepoint et la fugue avec Léon Saint-Requier. En 1920, avec Auric, Honegger, Milhaud, Poulenc et Germaine Tailleferre, il faisait partie du groupe des Six, rassemblé autour de Jean Cocteau, mais il s’en écarta l’année suivante pour retrouver son indépendance. Il resta fidèle à Debussy, son premier modèle, par-delà toutes les influences qu’il subit : Schönberg (l’Offrande lyrique) ; Stravinski (Deux Pièces à quatre mains : Carillons et Neige) ; Satie (Trois Poèmes de Pétrone) ; Ravel (le Bestiaire). Il atteignit à une expression plus romantique avec le Troisième Quatuor et la comédie lyrique d’après Mérimée l’Occasion. En 1936, il adhéra à la Fédération musicale populaire (dont il fut le secrétaire général à partir de 1953 et qu’il présida à partir de 1956), et, en 1948, il fut nommé vice-président de l’Association française des musiciens progressistes. Il reçut la médaille d’argent de la Ville de Paris en 1960 et le grand prix de la mu-

sique française en 1961. En 1937, Louis Durey lâcha la plume pour la reprendre sept ans plus tard, la mettant alors au service de ses convictions politiques (en 1936, il avait adhéré au parti communiste français). Cet intimiste se mua en tribun : ses cantates, ses chants de masse et harmonisations de chansons de terroir pour chorales d’amateurs allaient exercer un impact durable et irréversible sur les nouvelles oeuvres de musique pure apparues entre 1953 et 1974 (sa dernière partition porte le numéro d’opus 116), de même que ses reconstitutions de chansons polyphoniques de la Renaissance. En 1964, la Bibliothèque nationale organisa une exposition de ses manuscrits et de ses souvenirs. La meilleure part de l’oeuvre de Louis Durey apparaît nettement, à toute époque de sa carrière, dans ses mélodies, quatuors vocaux et choeurs avec petit ensemble instrumental (Éloges, le Printemps au fond de la mer, Dix Choeurs de métiers). DURKÓ (Zsolt), compositeur hongrois (Szeged 1934). Il fait ses études de composition auprès de Ferenc Farkas à l’académie de Budapest, puis auprès de Goffredo Petrassi à l’académie Sainte-Cécile de Rome, dont il obtient le diplôme en 1963. Immédiatement remarqué par la critique internationale, il est devenu, à côté de György Kurtág et d’Attilá Bozay, un des représentants les plus éminents de l’école musicale hongroise actuelle. Très attiré par la musique du Moyen Âge, il fait reposer son écriture sur les éléments « horizontaux » de la musique, allant jusqu’à bâtir une oeuvre comme Fioriture sur un équivalent du cantus firmus médiéval, plus que sur les éléments « verticaux ». Il s’inspire aussi de la musique populaire hongroise, dans son essence du moins, non dans ses couleurs : la musique de Durkó, en effet, est très austère, quoique la notion de timbre semble avoir pris quelque importance pour lui dans les années 1970. DURR (Alfred), musicologue allemand (Berlin 1918). Consacrant ses recherches principalement à l’oeuvre de J.-S. Bach, dont il est devenu l’un des plus éminents spécialistes, Alfred Durr est, depuis 1962, directeur adjoint de l’Institut Bach de Göttingen. En 1951, il publie ses Studien über die frühen Kanta-

ten J.S. Bachs (« Études sur les premières cantates de J.-S. Bach ») à Leipzig. Il signe également un ouvrage sur la chronologie de la musique vocale de Bach à Leipzig (Zur Chronologie der Leipziger Vocalmusik J.-S. Bachs, Bach Jahrbuch, 1957). Avec W. Neumann, il travaille sur une nouvelle édition des oeuvres complètes de J.-S. Bach (Neue Ausgabe sämtlicher Werke). Trente volumes de cet ouvrage appelé la Neue Bach Ausgabe (N. B. A.) ont paru entre 1954 et 1968. DURUFLÉ (Maurice), organiste et compositeur français (Louviers 1902 - Louveciennes 1986). Il a d’abord été l’élève de Haelling, à la cathédrale de Rouen, avant d’être au Conservatoire de Paris celui de Gigout (orgue), de Gallon (harmonie), de Caussade (contrepoint et fugue) et de Dukas (composition), et de travailler l’orgue avec Vierne et Tournemire. Titulaire de l’orgue de Saint-Étienne-du-Mont à Paris depuis 1930, il a été le suppléant de Vierne à Notre-Dame (1929-1931) et celui de Dupré au Conservatoire. De 1943 à 1973, il a été chargé d’une classe d’harmonie au Conservatoire. À l’exemple de son maître Dukas, Duruflé écrit peu et soigne à l’extrême l’expression de sa pensée. Ses oeuvres principales sont Prélude, adagio et choral varié sur le Veni Creator pour orgue (1930), Trois Danses pour orchestre (1937), Prélude et fugue sur le nom d’Alain pour orgue (1943), Requiem pour solos, choeur, orchestre et orgue (1947), Messe « cum jubilo » pour baryton solo, choeur et orchestre ou orgue (1966). DUSAPIN (Pascal), compositeur français (Nancy 1955). Après des études secondaires puis universitaires, il travaille la composition avec Iannis Xenakis et Franco Donatoni. En 1977, il reçoit le prix de la Fondation de la downloadModeText.vue.download 330 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 324 vocation. En 1981, il devient boursier de la villa Médicis à Rome (période 1981-1983). Compositeur remarquablement original, Pascal Dusapin est aujourd’hui considéré comme un des plus sérieux espoirs

au sein de la jeune musique française, ainsi que dans l’avant-garde internationale. Son univers sonore se situe en partie dans la descendance de Yannis Xenakis mais s’en distingue déjà très nettement. Son langage, qui utilise largement le total chromatique et les micro-intervalles, fait preuve d’une invention renouvelée, voire d’une certaine brillance expressive, et frappe par la rigueur de construction et la radicalité parfois très violente des procédés d’écriture : hauteurs en perpétuel glissement, jeu de timbres brutalement antagonistes, austérité et complexité du contrepoint rythmique, sens aigu de la polyphonie et des grandes densités dynamiques. Dusapin s’est révélé soudain, et avec beaucoup d’acuité, en 1977, par des oeuvres instrumentales, telles que Souvenir du silence (1976) pour treize cordes solistes, ou instrumentales-vocales, telles que Igitur (1977) pour voix de femmes, sept cuivres et six violoncelles (sur un texte de Lucrèce), et Lumen (1977, rev. 1980) pour voix de femmes, trois cuivres et quatre cordes. Depuis 1977, Pascal Dusapin a composé Timée (1978) pour grand orchestre, l’Homme aux liens (1978) pour deux sopranos et trois violons (texte de Lucrèce), le Bal pour quinze instruments (1979), la Rivière (1979-80) pour grand orchestre, Musique fugitive (1980) pour trio à cordes, Musique captive (1980) pour neuf instruments à vent, Inside pour alto seul (1980), où se confirme son attirance pour une écriture serrée conciliant violents contrastes et remarquables qualités expressives. Suivirent, en 1982, l’Aven pour flûte et orchestre, Tre Scalini pour orchestre, Fist pour 8 instruments, Invisa pour violoncelle solo, Niobé pour voix et vents, en 1983, un Quatuor à cordes, en 1984, Hop. En 1985 ont été créés Assai pour grand orchestre, et, en 1989, à Avignon, l’opéra Roméo et Juliette. De la même année est daté Times Zones pour quatuor à cordes. Suivirent l’operatorio La Melancholia (1990), les opéras Medeamatérial (1991) et To be sung d’après Gertrude Stein (1992-1993), Time Zone, quatuor à cordes no 2 (1989), Quatuor à cordes no 3 (1993), Khôra pour orchestre à cordes (1993). DUŠEK (František Xaver), pianiste et compositeur tchèque (Choteborky 1731 - Prague 1799). Après un séjour de formation à Vienne, où il fut l’élève, pour le clavier, de Georg

Christoph Wagenseil, il se fixa à Prague comme professeur de piano. C’est surtout son amitié avec Mozart qui a lié son nom et celui de sa femme Josepha (Prague 1754-id. 1824), pianiste et chanteuse, à l’histoire de la musique. C’est dans la maison de campagne des Dušek, la villa Bertramka, que Mozart termina Don Giovanni en 1787 et la Clémence de Titus en 1791. Pour Josepha, qu’il avait déjà rencontrée à Salzbourg en 1777, Mozart écrivit l’air de concert Bella mia fiamma K. 528 (3 nov. 1787, juste après la première de Don Giovanni), et ce fut elle qui, en 1796, créa à Prague le fameux Ah ! perfido de Beethoven. DUSSEK OU DUSIK, famille de musiciens tchèques. Jan Josef, organiste et compositeur (Mlazovice 1738 - Caslav 1818). Professeur de musique à Chlumencz, puis cantor de la ville de Caslav, il écrivit surtout pour l’orgue et l’église. Jan Ladislav, pianiste et compositeur (Caslav 1760 - Saint-Germain-en-Laye 1812). Fils du précédent, il fit ses études aux collèges de Jihlava et de Kutna Hora, et obtint un diplôme de l’université Charles-IV de Prague. Il séjourna à Malines en 1779, y fut organiste ainsi qu’à Berg-op-Zoom, et, vers 1782, entreprit une tournée à travers l’Europe, travaillant à Hambourg avec Carl Philipp Emanuel Bach, passant deux ans chez le prince Radziwill en Lituanie. Remarqué par Marie-Antoinette en 1786, il s’établit à Paris après un voyage en Italie pour voir son frère. En 1790, fuyant la Révolution, il s’installa à Londres, où il participa comme pianiste aux mêmes concerts que Haydn et où, en 1792, il épousa la chanteuse Sophia Corri (1775-1847). Il entra dans la maison d’édition de son beau-père Domenico Corri (1746-1825), mais celle-ci ayant fait faillite, Dussek dut quitter précipitamment l’Angleterre en 1800 pour échapper à la prison pour dettes, laissant derrière lui sa femme et sa fille. Il se rendit à Hambourg, fut ensuite le maître de chapelle et l’ami du prince Louis Ferdinand de Prusse (1803-1806), et termina sa vie au service de Talleyrand. Virtuose incomparable qui arrachait des cris d’admiration à ses auditeurs, célèbre aussi par le moelleux de son tou-

cher, il a laissé plus d’une centaine de compositions (sonates, variations, pièces d’occasion, musique de chambre, concertos) pour son instrument, ainsi que des ouvrages divers dont six sonatines pour harpe. Ses oeuvres les plus connues - la Consolation, sonatines op. 20 (à l’origine avec flûte) - ne sont pas nécessairement les plus significatives. Mais de grandes sonates comme l’opus 35 no 3 (C. 151) en ut mineur (1797), l’Adieu op. 44 (C. 178) en mi bémol (1800), l’Élégie harmonique sur la mort de Louis Ferdinand de Prusse op. 61 (C. 211) en fa dièse mineur (1807), le Retour à Paris ou Plus ultra op. 70 (C. 221) en la bémol (1807) ou l’Invocation op. 77 (C. 259) en fa mineur (1812), comptent tant musicalement que par leur écriture pianistique parmi les plus intéressantes de l’époque, et certaines ne furent pas sans influencer Beethoven. Ces pages ouvrent en même temps la voie au romantisme d’un Chopin ou d’un Schumann. Un catalogue thématique de l’oeuvre de Jan Ladislav Dussek a été dressé par Howard Allen Craw. František Josef Benedikt, organiste, chef d’orchestre et compositeur (Caslav 1766 - Zaticina v. 1817). Frère du précédent, il fut chef d’orchestre à Venise (1782), à Milan (1786), à Laibach (1790), puis de nouveau à Venise (1806). DUTILLEUX (Henri), compositeur français (Angers 1916). Il commence ses études musicales au conservatoire de Douai, avec Victor Gallois. Il entre en 1933 au Conservatoire de Paris où il suit l’enseignement de Jean Gallon (harmonie), Noël Gallon (contrepoint et fugue), Henri Büsser (composition), Philippe Gaubert (direction d’orchestre) et Maurice Emmanuel (histoire de la musique). En 1935 et 1936, il obtient les premiers prix d’harmonie, puis de contrepoint et fugue. En 1938, il reçoit le grand prix de Rome, mais son séjour à la villa Médicis est interrompu par la guerre. Sa première oeuvre, jouée à Paris (1941), est une Sarabande pour orchestre que dirige, aux Concerts Pasdeloup, Claude Delvincourt. Charles Panzera crée en 1943 ses quatre mélodies pour chant et piano. En 1944, Dutilleux compose, sur un poème de Jean Cassou, la Geôle, pour chant et orchestre. Nommé,

l’année suivante, directeur du Service des illustrations musicales de la radiodiffusion française, il occupe ce poste jusqu’en 1963. De 1945 à 1953, il écrit des musiques de scène, des musiques de film, des musiques radiophoniques et se trouve en contact avec des musiciens de toutes tendances et de toutes disciplines. Son travail à la radio, absorbant, mais enrichissant, le conduit à des réflexions qui influencent sa propre évolution. En 1948, Geneviève Joy crée sa Sonate pour piano à la Société nationale de musique. En 1951, à la tête de l’Orchestre national, Roger Désormière dirige en première audition à la radio la Première Symphonie. En 1953, le Loup, ballet sur un argument de Jean Anouilh et Georges Neveux, est créé, dans les décors de Carzou, par la compagnie Roland-Petit. Henri Dutilleux se rend en 1959 aux États-Unis pour assister à la création de sa Deuxième Symphonie à Boston, sous la direction de Charles Munch. À cette oeuvre, qui était une commande de la Fondation Koussevitski, succèdent les Métaboles, downloadModeText.vue.download 331 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 325 commandées par l’orchestre de Cleveland et créées par Georges Szell en 1965, puis un concerto pour violoncelle et orchestre que Mstislav Rostropovitch a demandé à Henri Dutilleux, intitulé Tout un monde lointain (création au festival d’Aix-enProvence en 1970). Le grand prix national de la musique lui est décerné en 1967 par le ministère des Affaires culturelles pour l’ensemble de son oeuvre, et, en 1970, il est nommé professeur de composition au Conservatoire de Paris. En 1977, son quatuor à cordes Ainsi la nuit est créé à Paris par le quatuor Parrenin et, fait inhabituel pour un quatuor, est bissé par un public où les jeunes compositeurs sont nombreux. De la même année date Timbres, Espace, Mouvement pour orchestre. En octobre 1985 ont été créés à Paris par Isaac Stern un Concerto pour violon, en 1989, à Zurich, Mystère de l’instant pour 24 cordes, cymbalum et percussions (commande de Paul Sacher), à Besançon en 1991 les Citations, diptyque pour hautbois, clavecin, contrebasse et percussion. Mystère de l’instant a été révisé pour grand orchestre à cordes

en 1995. L’unanimité qui s’établit sur le nom et l’oeuvre de Henri Dutilleux n’est pas le fait d’un hasard. Parti d’une tradition classique assouplie par les acquisitions harmoniques et instrumentales de la musique impressionniste, il prend nettement conscience, dès 1944, des problèmes de langage qui se posent au musicien contemporain à qui est interdit tout retour en arrière. C’est d’abord par une purification de la pensée et de sentiment que Dutilleux accomplit la révolution nécessaire. Il rejette les faux-semblants, ne cherche pas à étonner, poursuit la quête d’une vérité intérieure. Son langage, qui oscille entre l’atonal et le modal, tend à effacer les repères trop voyants, les structures trop rigides, au bénéfice d’une souplesse rythmique et mélodique qui s’accompagne d’une instrumentation de plus en plus subtile. Tel est, de la Sonate pour piano et de la Première Symphonie à la Deuxième Symphonie et aux Métaboles, le sens d’une évolution qui trouve son accomplissement dans l’oeuvre pour violoncelle et orchestre intitulée Tout un monde lointain et dans le quatuor à cordes Ainsi la nuit. Le désir de rigueur et la curiosité d’un « monde lointain », la logique et le rêve cohabitent chez le musicien qui a écrit en 1961 ces lignes significatives : « Il y a évidemment une forme particulière à chaque oeuvre, selon une évolution intérieure. Ce problème de formes, de structures qui s’éloigneraient des cadres préfabriqués me préoccupe de plus en plus. » L’oeuvre de Henri Dutilleux est, aujourd’hui, exemplaire parce que, dans un temps de grande confusion, elle indique la seule ligne qui mérite d’être suivie, celle d’une vérité poétique. Dans la Première Symphonie qui est comme « la naissance et le déroulement d’un rêve », dans le ballet le Loup, où le fantastique et la passion sont indissolubles, dans la Deuxième Symphonie ou le Double, où les recherches de polyrythmie et de polytonalité se muent en un jeu de miroirs, dans les Métaboles, cette oeuvre qui n’est qu’un enchaînement de métamorphoses, dans Tout un monde lointain, où le violoncelle solo s’identifie à l’idée d’évasion suggérée par l’univers baudelairien, dans le quatuor Ainsi la nuit, qui est une extraordinaire musique nocturne où le statisme et la mobilité concourent à maintenir un climat de

mystère, Henri Dutilleux allie la rigueur de la composition aux vertiges de l’imagination. S’il médite longuement, s’il écrit peu, s’il corrige scrupuleusement, toutes ses oeuvres sont importantes par leur densité, par leur apport esthétique et spirituel. Dutilleux est une des figures majeures de la musique française du XXe siècle. DUTOIT (Charles), chef d’orchestre suisse (Lausanne 1936). Il étudie le violon, le piano et la direction d’orchestre au Conservatoire de Lausanne, puis l’alto et la direction au Conservatoire de Genève. Il se perfectionne à Sienne avec Alceo Galliera et suit en 1959 des stages de direction à Tanglewood. En 1959, il commence à diriger l’Orchestre de la Suisse romande et l’Orchestre de chambre de Lausanne. De 1964 à 1966, il est le chef de l’Orchestre de la radio de Zurich. Parmi de nombreux engagements à la tête de grands orchestres symphoniques et lyriques, il faut citer ses fonctions de directeur de l’Orchestre symphonique de Montréal à partir de 1977 (formation avec laquelle il a réalisé de nombreux enregistrements), et sa nomination comme directeur musical de l’Orchestre national de France en 1991. Il s’est particulièrement distingué dans la musique française des XIXe et XXe siècles, dans le répertoire de ballet et plus généralement dans Stravinski. DUVAL (Denise), soprano française (Paris 1921). Après des études suivies au Conservatoire de Paris, elle chanta aux Folies-Bergère, puis débuta à l’Opéra-Comique en 1947 dans le rôle de Cio-Cio-San de Madame Butterfly de Puccini. La même année, elle créa le rôle de Thérèse dans les Mamelles de Tirésias de Poulenc. Son nom devait rester par la suite lié à ce musicien, qui lui demanda de créer le rôle de Blanche dans le Dialogue des carmélites et écrivit pour elle la Voix humaine. Elle interpréta de nombreux autres ouvrages contemporains. Dans le répertoire, Thaïs dans l’opéra de Massenet, Concepción dans l’Heure espagnole de Ravel, et Mélisande dans Pelléas et Mélisande furent ses rôles d’élection. Elle se produisit à l’étranger (Milan, Buenos Aires, etc.), mais dut se retirer tôt de la scène pour raisons de santé et se consacra à l’enseignement. Sa voix n’avait pas des possibilités exceptionnelles, mais sa pré-

sence dramatique, son talent d’actrice, son pouvoir d’émotion, en firent une artiste d’un rare mérite. DVOŘÁK (Antonín), compositeur tchèque (Nelahozeves, Bohême, 1841 Prague 1904). Fils d’un boucher-cafetier, il commença à apprendre le métier de boucher et dut à l’organiste du bourg de Zloniče sa première formation musicale. Son père se résigna difficilement à l’envoyer à l’école d’organistes de Prague en 1857. Il acquit simultanément une solide formation classique d’organiste et de pianiste et l’expérience de la musique de danse et de brasserie comme violon dans l’orchestre de Komzak. En 1862, il obtint une place d’altiste du rang dans l’orchestre de l’Opéra national, récemment fondé par Smetana, et découvrit les oeuvres de ce dernier, en particulier la Fiancée vendue, premier exemple convaincant d’un nationalisme musical tchèque. Profondément persuadé désormais de son rôle de musicien national, il dut son premier succès de compositeur à un hymne patriotique, les Héritiers de la Montagne blanche. En 1873, il quitta l’Opéra, devint titulaire de l’orgue de l’église Saint-Adalbert de Prague et épousa Anna Cermakova, qui devait lui donner six enfants. Il reçut une bourse pour se rendre et travailler à Vienne, où il fit la connaissance de Brahms. Ce dernier l’aida beaucoup, le recommandant à son éditeur Simrock, qui édita, de Dvořák, notamment les Chants moraves, les Danses slaves et plusieurs Symphonies, et au chef d’orchestre Hans de Bülow, qui contribua de manière déterminante à propager l’oeuvre du musicien et à lui faire acquérir une renommée européenne. En 1879, Dvořák entreprit son premier voyage en Angleterre, où il devait venir neuf fois, y dirigeant maintes exécutions de ses oeuvres et y créant même sa Septième Symphonie, commande de la Société philharmonique de Londres, en 1885. Mais ces succès à l’étranger ne satisfaisaient pas ce chantre de l’âme tchèque, qui cherchait toujours une oeuvre décisive pour imposer à Prague même la tradition dont il se sentait le dépositaire. Il écrivit alors un grand oratorio national, Sainte Ludmilla (dont l’héroïne est un important personnage historique, prosélyte du christianisme, et grand-mère de Venceslas, premier duc chrétien de Bohême), et

un opéra, le Jacobin, qui met en scène des types caractéristiques : l’instituteur aux idées avancées, sa fille, belle et pure, le seigneur local, noble et généreux, et son fils, malheureusement fourbe. C’était le début d’une série d’oratorios et d’opéras natiodownloadModeText.vue.download 332 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 326 naux dont le plus populaire reste Rusalka (1900). Ne remportant pour l’heure que des succès mitigés, Dvořák continua à voyager, et créa sa Huitième Symphonie en 1890 à Prague. Ayant reçu un étrange télégramme d’une Américaine, Mrs. Jeanette Thurber, lui offrant la direction du conservatoire de New York, qu’elle avait fondé, il accepta et partit y enseigner de 1892 à 1895. Ses oeuvres « américaines » restent parmi les plus connues, telle la Neuvième Symphonie, écrite entre le 1er janvier et le 23 mai 1893, et créée le 16 décembre de la même année au Carnegie Hall de New York, sous la direction du chef allemand Anton Seidl. C’est juste avant cette première exécution que Dvořák ajouta à la partition le titre « du Nouveau Monde ». À partir de son retour à Prague en mai 1895, il veilla à imposer ses oeuvres et leur inspiration tchèque aux capitales musicales d’alors, Vienne et Berlin, qui lui rendirent hommage en le nommant membre de leurs académies. Devenu une véritable gloire nationale, il mourut le 1er mai 1904 à Prague. Son héritage musical et spirituel dépasse aujourd’hui le cadre étroit où la tradition l’a un temps enfermé. Dvořák est certes l’auteur des seize Danses slaves pour piano à quatre mains, dont les versions orchestrales imposèrent son nom à travers le monde. Mais il serait erroné de croire que son art demeurait strictement dans le sillage du classicisme d’un Brahms, de la spontanéité intimiste d’un Schubert. Si Dvořák n’a rien apporté de majeur à l’écriture musicale, son oeuvre énorme ne doit pas être considérée pour autant comme une extension provinciale et folklorisante du romantisme triomphant. Dvořák a créé la véritable tradition symphonique et de chambre de la musique tchèque moderne. Il ne puise pas seulement son authenti-

cité mélodique et rythmique dans le folklore populaire slave, mais il donne à cette musique des titres de noblesse en l’introduisant dans le moule des grandes formes classiques, symphonies, concertos, trios, quatuors, sans en détruire l’essence. Il est à remarquer que, dès ses débuts, il s’était tourné vers la musique de chambre : son opus 1 est un quintette à deux altos, suivi peu après par son premier Quatuor. À travers les neuf symphonies (dont quatre symphonies de jeunesse publiées à titre posthume et longtemps ignorées du public), à travers les quatorze quatuors, ensemble monumental demeuré jusqu’à une date récente en partie inconnu, et dont l’édition même est à peine achevée, se révèle le cheminement du compositeur. Les premières partitions sont foisonnantes de thèmes ; l’imagination du musicien y apparaît d’emblée dans sa richesse, mais la maîtrise manque encore, ce que traduit en particulier une tendance à la prolixité à laquelle Dvořák mettra longtemps à échapper. Une tentation wagnérienne se décèle dans la Troisième Symphonie, dans la première version de l’opéra le Roi et le Charbonnier (rendu plus personnel ensuite par des remaniements) et surtout dans les Deuxième, Troisième et Quatrième Quatuors. Le compositeur se laisse entraîner par une séduisante liberté rhapsodique, parsème son curieux Quatrième Quatuor d’intéressantes audaces d’écriture et de forme, mais se laisse trop systématiquement, et parfois maladroitement, attirer vers la « mélodie infinie » et le chromatisme ; de plus, certaines oeuvres atteignent un développement presque monstrueux (le premier mouvement du Troisième Quatuor dure quelque vingtcinq minutes ; l’ensemble de cette oeuvre, soixante-dix). Puis vient la maîtrise croissante de la grande architecture, mais, avec le respect évident pour Haydn, Schubert, Beethoven, apparaît une nouvelle tentation, celle d’un certain cosmopolitisme, tentation bientôt repoussée. Les symphonies, à partir de la Cinquième (1875), les quatuors, à partir du Huitième (1876), s’imposent comme des oeuvres majeures au sein de la littérature vouée à ces deux grands genres, par la sûreté de la plume, mais en même temps par l’affirmation d’une personnalité qui a désormais trouvé sa voie, d’une personnalité intensément nationale, qui

apparaît aussi dans des oeuvres comme le Quatrième Trio avec piano ou Dumky. Les oeuvres « américaines » ne relèvent pas à proprement parler d’un style particulier, mais s’enrichissent d’éléments spécifiques et constituent une parenthèse sur laquelle il convient de s’arrêter. La Symphonie du Nouveau Monde, par exemple, a fait l’objet d’exégèses divergentes ou même contradictoires. Mais qu’on décide ou non d’y reconnaître, dans le troisième thème du premier mouvement, la mélodie du spiritual Swing low, sweet chariot, qu’on admette ou non les faits très controversés de savoir si Dvořák eut réellement l’occasion d’entendre des chants indiens originaux, ou si l’on peut trouver dans son inspiration la trace d’éléments populaires blancs, on ne peut nier que la Neuvième Symphonie et plusieurs autres partitions écrites sur le sol des États-Unis révèlent un goût pour la gamme pentatonique, des traits rythmiques (syncopes) et harmoniques qui permettent de parler d’une « manière américaine ». Enfin, avec les Treizième et Quatorzième Quatuors, op. 105 et 106, Dvořák parachève la réalisation de son ambition, la fusion d’un style national et d’un classicisme universel. Conscient peut-être de ne plus pouvoir se dépasser dans cette voie, ou désireux de se mesurer, sûr de sa maîtrise, avec son aîné Smetana sur les terrains de prédilection de ce dernier, Dvořák tourne le dos à la forme sonate et consacre ses dernières années exclusivement au poème symphonique et à l’opéra ; dans ses cinq poèmes opus 107 à 111, l’Ondin, la Sorcière de midi, le Rouet d’or, le Pigeon des bois et le Chant héroïque (ce dernier créé sous la direction de Gustav Mahler), la souplesse de la forme l’aide à oser un langage encore plus personnel et souvent plus moderne - parfois presque impressionniste - que dans ses symphonies. Ces dernières oeuvres furent considérées comme un recul par le public cultivé germanophone, qui attendait une dixième symphonie. Pourtant c’est le poème symphonique et le quatuor qui forment les maillons, la structure musicale qui permettront aux héritiers de Dvořák - Josef Suk, Vitezslav Novak, Leoš Janáček (celui-ci conduisit la première exécution du Pigeon des bois), Bohuslav Martinºu - d’atteindre, en transcendant

une tradition respectée, à une profonde originalité. Ainsi, par un lent mûrissement, Dvořák, à ses débuts artisan instinctif et besogneux, devint l’égal tchèque de Brahms. Le climat parfois nostalgique, finalement optimiste de ses oeuvres en fait l’un des rares chantres de l’espérance tenace, telle la devise vivante de sa terre natale. DYNAMIQUE. Dans le domaine de l’interprétation musicale, le terme de dynamique désigne l’ensemble des nuances d’intensité utilisées par l’exécutant, avec les crescendos, les decrescendos et les accents. Il s’applique à caractériser les différences de niveau sonore entre deux sons ou deux passages musicaux. Mais le terme est surtout employé dans le domaine de l’acoustique et de l’électroacoustique, notamment pour les systèmes d’enregistrement et de reproduction des sons. On désigne alors par dynamique l’écart qui sépare le plus faible niveau sonore perceptible au-dessus du bruit de fond du système, et le son le plus intense qui ne soit pas affecté de distorsion. On parle également de rapport signal/bruit. Cette expression plus imagée désigne le rapport des intensités sonores maximales aux intensités sonores minimales. Il s’exprime en décibels (dB), et se calcule au moyen d’une équation logarithmique simple : D = 10 log 1/4SB, formule où D désigne la dynamique, S l’intensité sonore du signal le plus fort transmis sans distorsion, et B l’intensité sonore du signal le plus faible immédiatement perceptible au-dessus du bruit de fond. La dynamique naturelle d’un grand orchestre symphonique jouant dans une salle de concert atteint 80 à 90 dB ; elle peut même dépasser ces valeurs dans le cas de formations très importantes, usant de contrastes extrêmes (100 à 110 dB pour le Requiem de Berlioz). Mais les appareils d’enregistrement downloadModeText.vue.download 333 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 327 et de reproduction sonores, ainsi que les supports de l’information acoustique (disque, bande magnétique), sont, de par leur nature physique, limités dans la dynamique qu’ils peuvent fixer ou trans-

mettre ; de même, les conditions d’environnement acoustique lors de la reproduction des sons constituent, elles aussi, l’un des principaux facteurs de limitation de la dynamique. C’est ainsi qu’un disque courant, reproduit sur une chaîne électroacoustique de qualité moyenne, dans un appartement en milieu urbain, ne peut guère délivrer une dynamique supérieure à 30 dB, alors que le message d’origine qu’il s’agit de reproduire pouvait présenter une dynamique de 90 dB. Cela signifie, en d’autres termes, que l’écart d’intensité entre les sons les plus faibles et les sons les plus puissants ne pourra guère excéder un rapport de 101 à 103 (soit de 1 à 1 000), tandis que le message d’origine présentait un rapport d’intensités de 101 à 109 (soit de 1 à 1 000 000 000). Faute de pouvoir reculer ces limites, inhérentes à tout système physique, on est contraint de limiter la dynamique à tel ou tel stade de l’enregistrement, de la transmission ou de la reproduction des sons, soit en intervenant manuellement sur les potentiomètres de volume, soit en usant de compresseurs expanseurs automatiques (mais le résultat musical risque fort de se ressentir de cet automatisme), soit en intercalant dans la chaîne des circuits spéciaux, de type Dolby. Ces interventions consistent à abaisser le niveau des sons les plus intenses et à relever celui des plus faibles, afin d’éviter qu’à la reproduction les premiers ne soient affectés de distorsions en saturant le système, et que les seconds ne se perdent dans le souffle de la chaîne ou le bruit de surface des disques. Cet aplatissement du relief d’une exécution musicale doit être mené et contrôlé avec la plus grande délicatesse, afin de trahir le moins possible les conditions acoustiques naturelles et le jeu des artistes enregistrés. Les techniques nouvelles d’enregistrement et de reproduction, par impulsions codées et par procédé digital, tel qu’on le met en oeuvre dans les disques vidéo, devraient apporter des progrès considérables dans la restitution de la dynamique sonore. downloadModeText.vue.download 334 sur 1085

E E.

Lettre par laquelle fut désignée la note mi dans la notation musicale du Moyen Âge. Elle indique toujours le mi dans de langue anglaise ou allemande, syllabes de Gui d’Arezzo ne sont tées. Voici, dans trois langues, tion des différentes altérations note :

les pays où les pas adopl’appellade cette

français anglais allemand mi bémol E flat Es mi double bémol E double flat Eses mi dièse E sharp Eis mi double dièse E double sharp Eisis EAST (Michael), compositeur anglais (v. 1580 - Lichfield 1648). En 1606, il obtint le grade de Bachelor of Music de l’université de Cambridge. Il fut nommé Master of the Choristers à la cathédrale de Lichfield (1618), puis organiste. Son oeuvre, assez abondante, est d’une qualité non négligeable. Elle se compose de musique vocale et instrumentale, et fut publiée en sept recueils successifs. D’abord parurent deux livres de madrigaux à 3, 4 et 5 voix (1604 et 1606). Le troisième (1610) contient une musique apt both for Viols and Voyces (« convenant aux violes et aux voix ») : il s’agit non

seulement de madrigaux, mais de pastorales, de fantaisies instrumentales et de pièces de musique religieuse (anthems). Les autres recueils datent de 1618, 1619, 1624. Enfin, en 1638, East publia The Seventh Set of Fancies (« Septième Livre de fantaisies ») pour violes. Les madrigaux ont été édités dans The English Madrigal Composers (Oxford, 1921, rééd. 1948, rév. T. Dart, 1961). EAST (Thomas), imprimeur et éditeur anglais ( ? v. 1540 - Londres 1608). Peu de temps après la mort de Thomas Tallis (1585), William Byrd, qui partageait avec ce dernier le monopole de l’imprimerie musicale en Angleterre, céda ce privilège à un homme plus doué en affaires : Thomas East. Celui-ci développa considérablement cette entreprise en achetant de nouveaux caractères et en engageant des ouvriers adroits. À partir de 1588, East publia la plupart des oeuvres religieuses et profanes de l’époque élisabéthaine (Psalms, Sonets and Songs de W. Byrd). En six ans, il imprima plus de recueils qu’il n’en avait été fait durant les quatre-vingts années précédentes. On connaît Thomas East uniquement comme imprimeur ; il ne paraît pas avoir été compositeur. EBEN (Petr), compositeur tchèque (Žamberk 1929). Interné à Buchenwald à quatorze ans, il reprend, à son retour, ses études de piano auprès de František Rauch et de P. Bořkovec pour la composition à l’académie Janáček de Brno (1948-1952). Il partage sa vie entre sa carrière de pianiste, sa chaire d’assistant en musicologie à l’université Charles-IV de Prague et la composition. Son oeuvre témoigne d’une invention mélodique inconnue en Bohême et en Moravie depuis Janáček. L’ensemble de ses compositions vocales est d’une qualité permanente, puisant ses nombreux sujets dans le patrimoine mélodique de son pays ou dans une savante recréation de l’époque grégorienne et de la Renaissance. Sa connaissance de la voix humaine, en soliste ou dans le choeur, en fait un compositeur profondément original, tant par son inspiration que par ce qu’il obtient sur le plan sonore, sans pour autant chercher les performances requises par les partitions d’un Messiaen, d’un Berio ou d’un Xenakis. Ses réussites dans ce domaine

sont multiples : Six Chants d’amour sur des textes médiévaux (1951), Chants sur des poèmes de Rilke (1961), Chants d’amour et de mort pour choeur mixte (1958), Pragensia pour choeur et instruments anciens (1972). D’autres partitions, instrumentales, retiennent l’attention : Concerto pour orgue « symphonia gregoriana » (1954), Concerto pour piano (1961), Vox clamantis pour orchestre (1970), le ballet Malédictions et bénédictions (1983). EBERL (Anton), compositeur et pianiste autrichien (Vienne 1765 - id. 1807). Ami et peut-être élève de Mozart vers 1785-1786, il effectua des tournées comme pianiste et fut de 1796 à 1800 maître de chapelle à Saint-Pétersbourg. Il revint ensuite dans sa ville natale. Il composa des opéras, des symphonies et surtout de la musique pour piano (sonates, concertos) et de chambre. EBERLIN (Daniel), compositeur allemand (Nuremberg ? 1647 - Kassel ? v. 1715). Il embrassa tout d’abord la carrière militaire et combattit dans les troupes pontificales contre les Turcs. Il occupa des fonctions de musicien et de secrétaire privé à Eisenach, à Hambourg et à Kassel, où il fut nommé maître de chapelle, vraisemblablement en 1678. Après la découverte d’un déficit dans le service d’administration des monnaies dont il avait la responsabilité à Eisenach, il s’enfuit de cette ville en 1692 et à partir de 1705 fut capitaine de la milice à Kassel. De son oeuvre ont été conservés un recueil imprimé de sonates en trio et, en manuscrit, trois cantates. L’une de ses filles, Amalia Louise Juliana, épousa Georg Philipp Telemann, qui loua downloadModeText.vue.download 335 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 329 la maîtrise de son beau-père dans le jeu de violon et l’art du contrepoint. EBERLIN (Johann Ernst), compositeur et organiste allemand (Jettingen 1702 Salzbourg 1762). D’abord élève au collège des jésuites d’Augsbourg, il s’installa à Salzbourg en

1721, s’y perfectionna auprès de l’organiste de la cathédrale Matthäus Gugl, et, en 1729, devint organiste de la cathédrale et de la cour. De 1749 à sa mort, il fut maître de chapelle à la cathédrale et à la cour, postes auxquels, en 1762, Leopold Mozart espéra en vain lui succéder. Outre ses pièces d’orgue, il laissa une production essentiellement religieuse - plus de 50 messes, 12 requiem, oratorios, offertoires, etc. - et, à ce titre, en particulier par la solidité de son écriture contrapuntique et par son goût pour les tournures populaires germaniques, exerça sur le jeune Wolfgang Amadeus Mozart une influence que celui-ci reconnut toujours volontiers. EBLE DE VENTADORN (Eble II, dit LE CHANTEUR ), troubadour français ( ? v. 1090 abbaye du Mont-Cassin, Italie, 1149). On n’a retrouvé aucune de ses oeuvres, mais il est certain que son influence fut très importante. Comme son suzerain Guillaume de Poitiers, il cultiva musique et poésie. Il fit de son château (Ventadour, en Corrèze) un lieu de rencontre des troubadours et des jongleurs. Dans ce cénacle se développa le talent de Bernard de Ventadour, qui fut peut-être son parent. Il partit en croisade avec Louis VII et mourut sur le trajet du retour. ÉCART. Intervalle plus ou moins grand entre deux notes. Les traités d’harmonie traditionnelle interdisent au compositeur d’écrire un écart dépassant l’octave entre les parties supérieures ; un écart plus grand est permis entre le ténor et la basse. Sur les instruments à clavier, la main ne permet guère de jouer un intervalle dont l’écart soit supérieur à la dixième. Aussi les écarts plus grands sont-ils généralement arpégés, technique qui est assez courante, par exemple, dans le jazz. ECCARD (Johannes), compositeur allemand (Mühlhausen 1553 - Berlin 1611). Il étudia probablement le chant et la composition dans sa ville natale avec Joachim à Burck. De 1567 à 1571, il fut choriste à la chapelle de la cour de Weimar et travailla avec J. Hermann. De 1571 à 1573, il fut chantre à la chapelle de Munich où il étudia avec Roland de Lassus. De 1577 à 1578, il fut au service des Fugger à Augsbourg

avant d’entrer à celui de Georg-Friedrich de Prusse-Ansbach à Königsberg, où il fut successivement vice-maître de chapelle (1580), puis maître de chapelle (1604). À partir de 1608, il occupa le poste de maître de chapelle à la cour de Berlin. Ses compositions religieuses s’efforcent de rendre audible la mélodie liturgique sans sacrifier les exigences du contrepoint (Geistliche Lieder auf dem Choral, Königsberg, 1597). De même, dans son oeuvre profane (Neue deutsche Lieder, Mülhausen, 1578 ; Neue Lieder, Königsberg, 1589), il tente de concilier les formes plus légères de la chanson avec l’écriture de la polyphonie savante. ECCLES (Eagles), famille de musiciens anglais. Solomon (? v. 1617 - Spitalsfield, Londres, 1682). Pendant de nombreuses années, il mena une carrière extrêmement fructueuse, mais vers 1659-60 abandonna sa profession pour devenir quaker, et fanatique, brisant tous ses instruments et brûlant ses livres de musique. Il se fit finalement cordonnier. En 1667, il publia néanmoins un curieux pamphlet contre la musique pratiquée à l’église, A Music-Lector or The Art of Music, et, après un voyage en Amérique, se remit à composer. Solomon, sans doute le neveu du précédent (? v. 1640-1650 - Guilford 1710). Henry, frère du précédent (? v. 16401650 - Londres 1711). Il fut violoniste chez le roi Jacques II. John, fils du précédent (Londres v. 1668 Hampton Wick 1735). À partir de 1690, il devint compositeur attitré pour le théâtre, mais sans jamais atteindre la notoriété de son prédécesseur, Henry Purcell, et fut nommé en 1700 Master of the King’s Music (« Maître de la musique du roi »), prenant sa retraite en 1715. Il publia trois grands livres d’airs en 1698-1700, 1704 et 1710, et en 1702 A Set of Lessons for the Harpsichord (« Recueil de leçons pour le clavecin »). Henry, sans doute parent du premier Henry (? v. 1675-1685 - ? v. 1735-1745). Il travailla à Paris. Thomas, frère du précédent (? v. 1672 - ? 1745).

ÉCHANGE. Terme employé dans le langage harmonique pour désigner une note mélodique située entre deux sons identiques appartenant à deux accords (ou à un même accord répété) et à distance d’un ton ou d’un demi-ton. L’échange est en fait une broderie simple de la note harmonique qu’elle orne. Lorsque, après l’échange, on entend de nouveau le son identique, celui-ci peut appartenir soit à la même harmonie que précédemment, soit à une harmonie différente (ex. un sol dans un accord de sol ; note d’échange la - retour au sol qui fait maintenant partie d’un accord de do). ÉCHANTILLONNEUR. Dispositif (micro-ordinateur spécialisé ou logiciel pouvant fonctionner sur un micro-ordinateur à vocation audiovisuelle) qui réalise la numérisation du son, la gestion, éventuellement la modification, et la reproduction des fichiers qui en résultent. Il réalise la conversion de la variation continue d’un signal sonore analogique (fourni, par exemple, par un microphone) en une suite discrète de nombres binaires par des prélèvements, appelés « échantillons », effectués à intervalles réguliers. Le nombre d’échantillons prélevés par unité de temps s’appelle fréquence d’échantillonnage. La fidélité du résultat dépend de la fréquence d’échantillonnage : plus ce taux est élevé, plus le son numérisé est proche du signal analogique originel (le théorème de Shannon montre que la fréquence d’échantillonnage doit être au moins égale au double de la fréquence sonore la plus haute, sinon un effet nommé repliement - aliasing - donne naissance à des sons parasites ; comme la limite du domaine audible est de 20 kHz, la fréquence d’échantillonnage le plus souvent utilisée, par exemple par les disques compacts, est de 44,1 kHz). Le son numérique ainsi obtenu peut être stocké sur une mémoire (disque dur, disquette, disque optique, etc.) et, éventuellement, joué à l’aide d’un clavier - dont la plupart des échantillonneurs sont dotés-, à n’importe quelle hauteur, quelle que soit la hauteur initiale du signal analogique. Un échantillonneur se compose d’une ou plusieurs

entrées audio, d’un convertisseur analogique-numérique, d’une mémoire de stockage, des outils de gestion et de traitement numérique des échantillons (transposition, modification de l’enveloppe), d’un convertisseur numérique-analogique, d’une ou plusieurs sorties audio. ÉCHAPPÉE. Terme qui s’applique à n’importe quelle note étrangère à l’harmonie, à condition que l’échappée succède par mouvement conjoint à une note réelle et qu’elle mène ensuite à l’accord suivant par mouvement disjoint, qu’elle fasse partie de l’harmonie de cet accord ou non. Si elle en fait partie, l’échappée possède le même effet que l’anticipation. Elle peut être de longue ou de courte durée, être brodée ou simple, être précédée ou suivie d’une appoggiature. En général, l’échappée est supérieure à la note réelle. ÉCHELLE. Terme qui désigne l’ensemble des sons employés dans un système mélodique donné, mais sans que ces sons soient soudownloadModeText.vue.download 336 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 330 mis à une organisation déterminée ou à une hauteur fixe. L’échelle concerne notamment les musiques primitives, indiennes, orientales, etc., mais le mot ne doit pas être employé pour celui de mode, qui suppose, lui, une organisation. Évoluant à partir du cycle des quintes, les échelles furent d’abord composées de deux sons seulement (échelle ditonique, par exemple, fa-do). Ensuite s’ajoutèrent les échelles tritonique, tétratonique, pentatonique (de loin la plus usitée, par exemple dans la musique chinoise), hexatonique qui contient un demi-ton (par exemple, mi-fa), le maximum étant un ensemble de sept sons (heptatonique). ÉCHO. Phénomène acoustique qui consiste en une ou plusieurs répétitions distinctes

d’un son. On dit qu’il y a écho « simple » si le son n’est répété qu’une seule fois, et écho « multiple » s’il est répété deux fois ou davantage. Le phénomène d’écho est dû à un décalage temporel entre la perception directe d’un son et la perception du même son après que celui-ci ait subi une ou plusieurs réflexions sur une surface (mur dans une salle, flanc de montagne dans la nature). Ce décalage provient de ce que la vitesse du son dans l’air (340 m/s) est peu élevée, contrairement à celle de la lumière : une distance de 34 m entraîne un retard de 1/10 seconde (ou 100 millisecondes) entre le moment de la perception et le moment de l’émission d’un son. Si ce décalage temporel est peu important, il n’y a pas répétition, mais simple prolongement du son émis ; on parle alors de réverbération plus ou moins longue. Pour qu’il y ait écho, il faut que le son réfléchi ne parvienne à l’auditeur qu’après un certain temps qui permette de le différencier nettement du son émis. Ce temps est de l’ordre de 100 millisecondes pour la musique, et seulement de 40 millisecondes pour la parole. Au-delà, l’écho se manifeste, et en se superposant à la suite des sons émis dans un morceau musical ou un texte parlé, il en brouille l’intelligibilité. Ce phénomène constitue donc un défaut acoustique extrêmement nuisible dans les salles - on y remédie en rendant certaines parois absorbantes, ou en brisant le parallélisme de certains murs. Dans la nature, l’écho n’est guère plus qu’une curiosité, mais qui a toujours intéressé les musiciens. Dès le XVIe siècle, les compositeurs se sont plu à imiter le phénomène de l’écho dans leurs oeuvres polyphoniques où cette recherche offrait une difficulté contrapuntique supplémentaire : Marenzio, Roland de Lassus, Claude le Jeune, notamment, ont écrit des chansons ou des madrigaux polyphoniques à double choeur, en canon, dans lesquels le second choeur, décalé et moins intense, produit un effet d’écho. Avec l’opéra italien au XVIIe siècle, l’écho, instrumental ou vocal, devient un effet théâtral très prisé, dès l’Orfeo de Monteverdi (début de l’acte V) ; il est de rigueur chaque fois que le livret évoque, par exemple, la nymphe Écho ou Narcisse. Mais on le retrouve aussi dans la musique religieuse de cette époque, en particulier, celle destinée à Saint-Marc

de Venise (Audi coelum des Vêpres de la Vierge de Monteverdi). Dans la musique concertante et instrumentale, nombreux sont les compositeurs qui pratiquent les effets d’écho entre deux groupes orchestraux (Purcell, Haendel, Vivaldi). Mozart réalise un triple écho dans son Notturno pour quatre orchestres. Plus près de nous, on voit encore un Hindemith écrire, en 1944, un écho pour flûte et piano. Dans la musique pour instruments à clavier, l’opposition de deux ou plusieurs plans sonores, matérialisés par les claviers superposés de l’orgue ou du clavecin, a favorisé les oppositions en écho, au XVIIIe siècle principalement. C’est notamment le cas des noëls à variations des organistes français de ce temps, qui ont usé et abusé de ces effets. On en est venu à donner le nom d’écho à l’un des claviers de l’orgue. ECKARD (Johann Gottfried), compositeur et pianiste allemand (Augsbourg 1735 - Paris 1809). Arrivé à Paris en 1758, il y devint le rival de Schobert et fut un des premiers à y écrire des sonates pour clavier. En 17631764, il y rencontra la famille Mozart. En 1767, à Salzbourg, Mozart tira d’un de ses mouvements de sonate (opus 1 no 4) la matière de l’andante de son concerto en ré K. 40. ÉCLISSES. Terme d’organologie qui désigne, dans les instruments à cordes (violons, altos, violoncelles, contrebasses), les côtés de la caisse reliant le fond à la table d’harmonie, et dont la courbe épouse le contour de l’instrument. Elles sont renforcées à l’intérieur par les contre-éclisses. ÉCORCHEVILLE (Jules), musicologue français (Paris 1872 - Perthes-les-Hurlus, Marne 1915). Élève de César Franck de 1887 à 1890, il s’initia aux disciplines musicologiques à Leipzig, sous la direction de Riemann (1904-1905). Il obtint son doctorat à l’université de Paris en 1906 (thèses : 20 Suites d’orchestre du XVIIe siècle français ; De Lully à Rameau. L’Esthétique musicale.) et fonda, l’année suivante, la Revue S.I.M. (Société internationale de musicologie). Ami de Debussy et de Ravel, il défendit les

nouvelles tendances de la musique française en même temps qu’il dressait l’inventaire du fonds de musique ancienne de la Bibliothèque nationale (Catalogue du fonds de musique ancienne de la B.N., 8 vol., Paris, 1910-1914) et qu’il poursuivait ses recherches sur les luthistes. Il mourut au front en 1915, laissant inachevée son oeuvre d’historien, qui était d’une grande qualité et riche de promesses. ÉCOSSAISE. Contredanse d’origine écossaise, issue des « country dances » ou « danses de campagne », et écrite sur un rythme ternaire. Elle apparaît en France au début du XVIIIe siècle, avec une mesure à 2/4 ou 2/8 et sur un tempo très animé. À la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, elle sert de prétexte à des compositions de musique pure : Beethoven, Weber, Schubert, Chopin ont écrit des Écossaises. ÉCREVISSE. ! RÉCURRENCE. ÉCURIE. Aux XVIe-XVIIIe siècles, l’un des trois corps musicaux attachés à la cour du roi de France (les deux autres étant la Chambre et la Chapelle). Créée sous François Ier, l’Écurie était à l’origine composée en grande partie de musiciens italiens. Elle était placée sous la direction du grand écuyer et se trouvait au bas de l’échelle dans la hiérarchie des musiciens de cour. Au milieu du XVIe siècle, sa composition instrumentale était la suivante : trompettes, sacqueboutes (trombones), cornets, hautbois, musettes du Poitou, cromornes, violons, trompettes marines, fifres, tambours et deux maîtres à danser. À la fin du XVIe siècle, les violons étaient entrés à la Chambre, et l’Écurie était devenue essentiellement une formation d’instruments à vent. Cependant, ses musiciens, sachant jouer de plusieurs instruments, étaient parfois amenés à jouer du violon, dont le rôle consistait surtout à doubler les parties de hautbois. L’Écurie fournissait les musiciens pour les cérémonies et spectacles en plein air, à l’occasion de l’accueil d’ambassadeurs étrangers, des couronnements, des baptêmes, mariages et enterrements de membres de la famille royale. Elle devait

également escorter le roi lors de tous ses déplacements. Les charges étant transmises héréditairement, il s’était créé à l’intérieur de l’Écurie de véritables dynasties de musiciens, surtout à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle : les Chédeville, les Hotteterre, les Marchand, les Philidor. Ils jouèrent un rôle considérable dans le développement du répertoire (suites de danses notamment) et dans celui de la technique des instruments à vent. downloadModeText.vue.download 337 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 331 EDA-PIERRE (Christiane), soprano française (Fort-de-France 1932). Née dans une famille musicienne, elle a étudié avec Jean Planel, est entrée en 1954 au Conservatoire de Paris dans la classe de Charles Panzera, et a travaillé ensuite avec Jeanne Decrais. Elle a fait ses débuts en 1958 à l’Opéra de Nice dans le rôle de Leila des Pêcheurs de perles de Bizet, et, l’année suivante, a chanté Papagena à Aixen-Provence. Elle est entrée à l’Opéra-Comique en 1960, a chanté ensuite à l’Opéra dans les Indes galantes de Rameau, et participé en 1968 à la reprise de Zoroastre de ce compositeur. D’abord soprano colorature lyrique, elle a abordé par la suite des rôles plus dramatiques, et, à cet égard, son interprétation d’Alcina de Haendel, à Aix-en-Provence en 1978, a marqué un tournant dans sa carrière. Elle a créé des oeuvres contemporaines, parmi lesquelles D’un espace déployé de Gilbert Amy et Pour un monde noir et Erzsebet de Charles Chaynes, et réalisé plusieurs enregistrements, dont une intéressante sélection d’airs de Grétry et de Philidor. EDELMANN (Jean-Frédéric), pianiste et compositeur français (Strasbourg 1749 Paris 1794). Il arriva à Paris vers 1775. Jusqu’en 1786, il publia dans cette ville et ailleurs seize recueils de musique instrumentale pour clavecin accompagné ou non, mais plusieurs de ces ouvrages indiquent plutôt le pianoforte, instrument dont, comme pédagogue, il fut un des propagateurs dans la capitale française. Leur côté souvent théâtral témoigne de l’influence de Gluck.

Edelmann écrivit également pour la scène et mourut guillotiné. ÉDIMBOURG (FESTIVAL D’). Capitale de l’Écosse située près de l’estuaire du Forth. Cette ville dont le nom est lié, depuis 1947, à celui du festival international a depuis longtemps été un important centre musical qui pouvait être comparé aux autres centres britanniques. C’est au début du XVIIIe siècle que la vie musicale y commença sa véritable activité. Vers 1705, Édimbourg comptait un certain nombre de concerts privés. Vers 1721, un « Music Club » existait, qui présentait des programmes de musiques italienne et écossaise. La première société musicale officielle fut fondée en 1728 : The Edinburgh Musical Society, qui dura jusqu’en 1798. À côté d’oeuvres de Corelli, Haendel, Haydn et Mozart, on pouvait entendre celles de musiciens écossais tels que Erskine, Earl of Kellie, jouées par des Écossais. L’année 1815 vit s’ouvrir le festival d’Édimbourg sous la direction de sir Walter Scott et Henry Mackensie. Des festivals identiques eurent lieu en 1819, 1824 et 1843. Peu à peu, le théâtre royal s’éveilla. En 1858, un nombre plus important de concerts réguliers avaient eu lieu grâce à la création de l’Edinburgh Choral Union, société qui poursuit ses activités de nos jours. De 1914 à 1940 fut professeur à l’université de la ville une personnalité importante de la vie musicale en Grande-Bretagne, sir Donald Tovey. De nos jours, la saison d’hiver est très riche en manifestations musicales, avec la saison d’opéras, des concerts symphoniques, des récitals et les Lunch Hour Concerts donnés à la Scottish National Gallery. Mais l’événement musical le plus important de l’année est le festival international qui a lieu à la fin de l’été. INTERNATIONAL FESTIVAL OF MUSIC AND DRAMA. Durant trois semaines, ce festival offre un vaste choix de représentations d’opéras, de ballets, de théâtre, des concerts symphoniques et choraux, des récitals, des concerts de musique de chambre, des récitals de poésie, des expositions, des concerts de musique militaire. C’est en 1947 que débute cette manifestation, placée sous le patronage du roi George VI,

dans ce pays encore très éprouvé par la guerre. Les fondateurs en sont la comtesse de Rosebery, Rudolf Bing, directeur général de l’Opéra de Glyndebourne, H. Harvey Wood, représentant de l’Écosse au British Council, lord Cameron et sir John Falconer. Édimbourg fut choisie en raison de son site et des possibilités matérielles qu’elle pouvait offrir : théâtres, salles de concert, hôtels, etc. R. Bing assure la direction du festival de 1947 à 1949. D’emblée, il montre la teneur artistique qu’il entend lui donner en invitant l’Orchestre philharmonique de Vienne, Bruno Walter, Elisabeth Schumann, Kathleen Ferrier, le quatuor Schnabel-Szigeti-Primrose-Fournier. Il monte Le Nozze di Figaro de Mozart et Macbeth de Verdi avec l’Opéra de Glyndebourne. Les représentations théâtrales sont assurées par l’Old Vic, qui joue deux pièces de Shakespeare (la Mégère apprivoisée et Richard II), ainsi que par la compagnie Louis-Jouvet du théâtre de l’Athénée, invitée pour donner l’École des femmes de Molière et Ondine de Giraudoux. Les ballets sont aussi bien représentés avec Margot Fonteyn, Beryl Grey et Frederick Ashton, ainsi qu’avec le Sadlers Wells Ballet, dansant la Belle au bois dormant de Tchaïkovski. En 1948, les représentations dramatiques sont plus nombreuses : la troupe de Jean-Louis Barrault donna Hamlet dans une traduction française d’A. Gide et les Fausses Confidences de Marivaux. En 1950, Ian Hunter succède à R. Bing. Cette année est marquée par l’exécution du Requiem de Verdi par l’orchestre et les choeurs de la Scala, dirigés par Victor de Sabata. Puis on note la présence, en 1951, du New York Philharmonic Orchestra, dirigé par Bruno Walter et D. Mitropoulos ; en 1952, de l’Opéra de Glyndebourne et de l’Opéra de Hambourg ; en 1954, de la ComédieFrançaise avec le Bourgeois gentilhomme de Molière. C’est l’assistant de I. Hunter, Robert Ponsonby, qui lui succède à la direction en 1956. En 1957, la troupe de la Scala donne La Sonnambula de Bellini avec Maria Callas. L’Opéra royal de Stockholm apporte, en 1959, le Wozzeck de Berg et Die Walküre de R. Wagner. En 1961, le nouveau directeur, lord Herewood, fait jouer les Gurrelieder de Schönberg et la 8e

Symphonie de Mahler, et décide de consacrer le festival, chaque année, à un ou deux musiciens. L’année 1962 est consacrée à Chostakovitch et à l’école russe ; l’année 1963, à des musiciens de l’Inde. En 1966, sous la direction de Peter Diamand, une troupe de l’Opéra écossais présente The Rake’s Progress et l’Histoire du soldat de Stravinski. En 1968, le War Requiem de Britten est donné par le New Philharmonic Orchestra et les choeurs du festival d’Édimbourg dirigés par l’auteur et C. M. Giulini. Le bicentenaire de Beethoven, en 1970, est célébré par la Missa solemnis sous la direction de C. M. Giulini. Le vingt-cinquième anniversaire du festival fut commémoré avec beaucoup d’éclat : La Cenerentola de Rossini par le Mai musical florentin, dirigé par Cl. Abbado avec T. Berganza, Die Walküre par la troupe de l’Opéra écossais, le Ballet royal danois. Des oeuvres de Penderecki et de Lutoslawski sont jouées, et le Philharmonic de Berlin se produit sous la direction de son chef H. von Karajan, dans Das Lied von der Erde de G. Mahler. En 1973 a lieu la première production de l’Opéra du festival d’Édimbourg avec Don Giovanni de Mozart, dirigé par D. Barenboïm, suivi deux ans plus tard par Le Nozze di Figaro. En 1976, le festival invite le Théâtre national japonais de Bunraku. En 1979, P. Diamand est remplacé par John Drummond. Le succès et la qualité artistique du festival ont fait d’Édimbourg un des buts de vacances culturelles européens, à côté de Salzbourg, d’Aix-en-Provence et de Bayreuth. ÉDITION MUSICALE. L’édition musicale, qu’il ne faut pas confondre avec l’édition de disques, consiste essentiellement dans le commerce des partitions de musique, classique ou autre, ainsi que d’ouvrages d’enseignement tels que méthodes d’instruments, solfèges, etc., que l’éditeur fait imprimer et met ensuite en vente par l’intermédiaire des marchands de musique. Si le concept d’édition date au moins de l’Empire romain (Atticus, copiste de Cicéron, eut le premier l’idée de faire le commerce de textes manuscrits), il faut attendre la fin downloadModeText.vue.download 338 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE

332 du XVe siècle, à la suite de l’invention de l’imprimerie typographique, pour voir appliquées à la musique les idées d’Atticus. Le premier éditeur de musique connu, Ottaviano Petrucci, sait profiter à la fois de l’invention récente de Gutenberg, de l’évolution de la notation musicale vers une plus grande précision et des besoins grandissants de la liturgie. Installé à Venise, il fait paraître des messes et des motets de Josquin Des Prés (1516), Agricola, Obrecht, imprimés à l’aide de caractères mobiles, analogues à ceux utilisés pour les textes littéraires. Son idée fait rapidement son chemin et, dès 1516, un autre éditeur, Andrea Antiquis de Montona, publie à Rome le premier livre de musique sacrée où l’on retrouve Josquin, avec Pierre de La Rue, Mouton, etc. Dès lors, les éditeurs de musique se multiplient rapidement, surtout en France, avec Pierre Attaingnant à Paris, Guaynard à Lyon, puis, plus tard, Haultin à La Rochelle, Jacques Moderne et Granjon à Lyon, Chaunay à Avignon, etc. Enfin l’année 1552 voit la création de la maison Le Roy-Ballard - de l’association de deux cousins, Adrian Le Roy et Robert Ballard. Alors va commencer l’extraordinaire dynastie des Ballard, qui, pendant deux siècles, bénéficie d’un véritable monopole de l’édition de musique en France. Munis d’un privilège régulièrement renouvelé et s’assurant le contrôle des moyens d’impression par l’acquisition systématique des collections typographiques, les Ballard sont, dès le début du XVIIe siècle, maîtres absolus du marché de la musique et défendent farouchement leur position dominante, n’hésitant pas à attaquer en justice tous ceux qui essayent d’imprimer de la musique sans leur autorisation. Leur histoire est jalonnée de nombreux procès - certains retentissants comme celui contre le fils de Lully - toujours favorables à leur cause. La première conséquence de cette absence de concurrence se manifeste par une baisse progressive de la qualité des éditions, les Ballard négligeant de moderniser leurs caractères typographiques qui ne suivent pas l’évolution de la notation. Dans la double intention de pallier l’insuffisance technique et de combattre le monopole, d’autres moyens d’impression sont recherchés : lithographie, gravure et même la copie manuscrite dont le

commerce redevient un moment rentable. Ainsi s’impose, à partir de 1660, la gravure en taille-douce, qui met finalement un terme à l’exclusivité des Ballard et fait faire du même coup de considérables progrès à la qualité des partitions. Les Ballard essayent d’obtenir également le privilège pour la taille-douce, mais sans succès. Le déclin de leur maison commence alors que naissent de nouveaux éditeurs, encouragés par la nouvelle liberté d’entreprendre comme par le rayonnement exceptionnel de la vie musicale parisienne à cette époque. L’édition musicale française - Chevardière, Huberty, Sieber, Imbault - atteint de ce fait, au XVIIIe siècle, un niveau partout envié, d’autant plus que la concurrence étrangère est encore faible, malgré l’activité de maisons comme Walsh, Forster ou Longman and Broderip à Londres, Le Cène à Amsterdam ou Breitkopf à Leipzig. Ce n’est qu’avec les périodes classique et romantique que la grande édition allemande et autrichienne prend son immense essor, à la mesure des compositeurs de ces pays et de leur renommée mondiale : Artaria à Vienne (Haydn, Mozart), Naegeli à Zurich (Bach, Haendel), André à Offenbach (Mozart, Beethoven). Certains poursuivent encore aujourd’hui leur activité : Simrock à Bonn (Beethoven, Haydn), Schott à Mayence, Breitkopf à Leipzig et Wiesbaden, Boosey à Londres, Lemoine et Leduc à Paris. Au XIXe siècle paraissent les premières grandes éditions monumentales chez Breitkopf, Schlesinger (Paris), Peters (Leipzig), tandis que le répertoire lyrique, en pleine expansion, fait la fortune et constitue l’essentiel de grands fonds éditoriaux français actuels : Heugel (créé en 1839), Choudens (1845), Durand (1869). Le répertoire symphonique français est alors quelque peu délaissé, parce que peu rentable, et la maison Durand reste longtemps quasiment la seule à éditer les symphonistes français : Debussy, Dukas, Schmitt, Roussel, Ravel, etc. Il faut attendre le milieu du XXe siècle pour assister à un renversement de tendance, avec le déclin sensible de l’opéra et de l’opérette, et l’arrivée de cette nouvelle source de droits d’exécution que constitue la radiodiffusion. Malgré celle-ci, le répertoire symphonique est loin d’avoir remplacé, dans le chiffre d’affaires des éditeurs, l’apport important qu’a longtemps constitué la musique lyrique, et les

ouvrages d’enseignement sont maintenant majoritaires dans la plupart des catalogues. L’édition des oeuvres contemporaines destinées au concert devient dans bien des cas un véritable mécénat, étant donné le petit nombre d’exécutions auxquelles peut prétendre une oeuvre nouvelle et la faible affluence du public. Aujourd’hui, l’édition musicale souffre moins de l’hiatus compositeur-public, phénomène fort ancien, que de la difficulté éprouvée à combler les risques inhérents à la production contemporaine pour le concert par d’autres sources de financement rentables, telles que le furent le théâtre lyrique ou la musique populaire (aujourd’hui, l’affaire des producteurs phonographiques). Divers problèmes techniques et commerciaux se posent en outre aux éditeurs : l’inadéquation des méthodes de reproduction (archaïques), de promotion, la médiocre diffusion de la musique imprimée (entraînant de trop faibles tirages pour maintenir les prix de revient à un niveau acceptable), le système caduc des locations de matériels d’orchestre, etc. Autant de questions que la profession devra résoudre, sans doute au prix d’une profonde mutation (des méthodes et des buts), pour éviter à moyen terme le risque d’une quasi-disparition. LES CONTRATS. À la remise du manuscrit de son oeuvre à l’éditeur, le compositeur signe avec celuici un « contrat de cession » par lequel il cède son oeuvre à l’éditeur moyennant un partage qui se fait, en France, de la manière suivante : - les droits d’exécution sont fixés statutairement par la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (S. A. C. E. M.) à raison de 1/3 pour l’éditeur et 2/3 pour le compositeur (à partager par moitié avec l’auteur des paroles, si l’oeuvre comporte un texte) ; - les droits de reproduction mécanique, relatifs aux enregistrements de l’oeuvre, sont répartis contractuellement entre les ayants droit : le plus souvent, 50 % à l’éditeur, 50 % au compositeur (à partager avec l’auteur s’il y a lieu) ; -la redevance en pourcentage sur la vente

ou la location des partitions, également contractuelle, est fondée généralement sur le prix de vente en gros de la partition. Le compositeur touche le plus souvent 10 % de ce prix sur chaque exemplaire vendu ou 20 % sur le montant de la location des parties d’orchestre. Des avances remboursables peuvent quelquefois être accordées par l’éditeur sur ces royalties, de même que des « primes de cession » non remboursables. LA FABRICATION. Une fois le contrat signé, les différentes étapes de la fabrication commencent : - la gravure : lorsque la composition typographique fut abandonnée, celle-ci fut remplacée par la gravure en taille-douce. À l’aide de poinçons représentant les figures de notes, le graveur copiait la partition sur des plaques de cuivre. Le cuivre fut ensuite remplacé par un alliage à base d’étain, moins onéreux. Une fois gravées, ces plaques étaient directement utilisées dans les presses des imprimeurs pour le tirage des partitions. Plus tard, elles firent l’objet d’un report sur des feuilles de zinc passées en machine. Cette dernière technique est encore utilisée, bien que la gravure sur étain soit de plus en plus rare. Celle-ci a été détrônée depuis la dernière guerre par la « simili-gravure », où la plaque d’étain est remplacée par une feuille de papier calque, encrée à l’aide de poinçons, et reportée ensuite photographiquement sur le support en zinc. Cette dernière technique a constitué un grand downloadModeText.vue.download 339 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 333 progrès sur le plan du prix, du stockage ou de la correction des fautes. On peut également écrire à la plume et à l’encre de Chine sur le calque, procédé de plus en plus employé, étant donné le petit nombre de simili-graveurs encore en activité. La disparition progressive de ce métier va, à court terme, poser un grave problème aux éditeurs qui devront susciter de nouvelles techniques de remplacement, la copie manuscrite ne pouvant constituer qu’un pis-aller. Parmi celles-ci, on peut déjà observer les essais de copie à l’aide de procédés par report de figures de notes

autocollantes (du type « letraset »), et surtout l’expérimentation sur ordinateur, très concluante, mais d’un coût très élevé. Nul doute que cette dernière méthode, lorsque l’informatique se sera suffisamment répandue, constituera la réponse à ce grave problème ; - la copie : le papier calque permettant la copie à la plume, c’est ainsi que sont maintenant établies les parties séparées d’orchestre (appelées « matériel d’orchestre ») pour les oeuvres symphoniques. Le « copiste » établit chaque partie sur calque, d’après la partition. Cela rend facile la reproduction des matériels à l’unité, par un procédé reprographique analogue au tirage des plans d’architecte, le tirage en grand nombre n’étant que très rarement nécessaire. L’ASPECT COMMERCIAL. Les éditeurs tirent leurs redevances de plusieurs sources : - la vente de partitions : les partitions sont généralement mises à la disposition du public par les marchands de musique spécialisés qui achètent directement chez les éditeurs (avec 30 à 40 % de remise) ou bien chez un grossiste (il en existe deux à Paris : Consortium musical et le Service de distribution musicale). Le petit nombre de détaillants et leurs problèmes de stockage rendent très difficile la distribution d’oeuvres nouvelles, le marchand ne pouvant prendre le risque d’acheter une partition qui ne sera peut-être pas vendue. Il attend donc la commande d’un client avant de s’approvisionner. Quelques essais de dépôts analogues à ceux des libraires ont été tentés sans grand succès, l’inorganisation des éditeurs constituant un obstacle aussi grand que l’esprit peu aventureux des marchands ; - la location des matériels d’orchestre : les « matériels d’orchestre » des oeuvres symphoniques ne sont, mis à part quelques classiques, presque jamais en vente, mais en location. Pour chaque exécution d’une oeuvre symphonique, l’organisme programmant le concert loue le matériel directement chez l’éditeur pour un prix variant selon le minutage, le nombre d’instruments, l’importance du concert, etc. Ce système de location pose de nombreux problèmes aux éditeurs (remise en

état, manutention, expédition, stockage) et aux utilisateurs (disponibilité, prix de location parfois trop élevés pour les ensembles non professionnels, par exemple). Nul doute que là aussi de nouvelles méthodes devront être employées, peut-être grâce à l’informatique dont les possibilités semblent tout à fait adaptées (mise en mémoire de la partition permettant la sélection des parties et leur multiplication à la demande, transposition automatique, suppression des erreurs de transcription, etc.) ; - les droits d’exécution et droits de reproduction mécanique : ceux-ci sont perçus auprès des utilisateurs par la S. A. C. E. M. pour les droits d’exécution, par la S. D. R. M. (Société pour le droit de reproduction mécanique) pour les droits de reproduction, et distribués par ces deux sociétés directement aux ayants droit : auteur, compositeur, éditeur. En ce qui concerne la musique dite « sérieuse », par opposition à la musique légère, ces droits donnent très rarement lieu à d’importants revenus, tant pour les auteurs que pour l’éditeur. L’importance respective de ces différentes sources de revenus est très variable d’un éditeur à l’autre, suivant le type d’oeuvres en catalogue (méthodes, pièces pédagogiques, oeuvres symphoniques, ballets, chansons [et suivant le genre de musique édité] avant-garde, classique, néoclassique, musique légère, etc.). À l’heure actuelle, peu nombreuses sont les maisons d’édition musicale qui prennent le risque d’éditer les oeuvres symphoniques. Parmi les plus actives dans ce domaine, qui ne sont pas toujours les plus importantes, citons Salabert, Jobert, Leduc, Transatlantiques, Rideau rouge. D’autres firmes se spécialisent plus ou moins dans l’enseignement (Lemoine, Billaudot), tandis que plusieurs parmi les plus illustres maisons françaises cessent pratiquement toute activité éditoriale et réinvestissent d’importants revenus dans des domaines extramusicaux. L’ÉDITION MUSICALE DANS LE MONDE. -France : Durand, Heugel, Leduc, Choudens, Salabert, Jobert, Bornemann, Amphion, Transatlantiques, Eschig, Billaudot, Rideau rouge, Costallat, Enoch, Lemoine, Delrieu.

-Allemagne : Schott’s Söhne, Bärenreiter, Breitkopf und Härtel, Otto Junne, Bote u. Bock, Sikorski, Lienau, Edition Modern, Heule, Cranz, VEB Deutscher Verlag, Gerig, Heinrichshofen, Hofmeister, Peters, Ries u. Erler, Trekel, Zimmermann. -Autriche : Doblinger, Hochmuth, Österreichischer Bundesverlag, Scheider, Universal. -Suisse : Eulenburg, Helbling, Hug, Foetisch, Henn. -Angleterre : Belwin-Mills, Chester, Faber, Novello, Oxford University Press, Paxton, Robbins, Boosey and Hawkes, Chappell, Leeds. -Espagne : Alier, Boileau, Ediciones Musicales Madrid, Música Moderna, Biblioteca Fartea, Unión Musical Española, Emec, Alpuerto. -Italie : Berben, De Santis, Forlivesi, Ricordi, Zanibon, Suvini Zerboni, Carisch. -États-Unis : Ashley, Associated Music Publishers, Barnegat, Mel Bay, Berklee Press Publications, Franco Colombo, Columbia, Marks, Musik Sales Corporation, Schirmer, Smith, Presser, Ditson. -Pays-Bas : Broekmans et Von Poppel, Harmonia Uitgave, Van Teeseling, Donemus. -Danemark : Wilhelm Hansen. -Belgique : Maurer, Schott frères. -Canada : Berandol, Harris, Algord, Kerby, Forbes. ÉGALES (voix). Non sans impropriété, on désigne sous ce nom, en musique chorale, par opposition à « voix mixtes », une tablature faite d’un ensemble de voix de même nature (voix d’hommes ou voix, indifféremment, de femmes ou d’enfants), mais non obligatoirement de même tessiture. EGEDACHER, (les) famille de facteurs d’orgues bavarois, actifs au XVIIe et au XVIIIe siècle. Joseph Christoph (Straubing 1646 - Salz-

bourg 1706) construisit l’orgue de l’abbaye de Waldsassen et entreprit la construction de l’orgue de la cathédrale de Salzbourg. Son fils, Johann Christoph (Munich 1664 - Salzbourg 1747), fut l’un des plus grands facteurs d’orgues de son époque. Travaillant principalement dans la région de Salzbourg, il fut notamment l’auteur des instruments de la cathédrale de Salzbourg. Son frère Johann Ignaz (? 1675 - Passau 1744) s’établit à Passau, où il construisit l’orgue de la cathédrale. Un troisième frère, Johann Georg, fut le collaborateur de Johann Ignaz à Passau. L’un des deux fils de Johann Christoph, Johann Rochus (? 1714 - Salzbourg 1785), fut facteur d’orgues de la cour de Salzbourg. Son frère Johann Joseph (mort à Salzbourg en 1787) collabora avec lui et lui succéda à la cour en 1774. downloadModeText.vue.download 340 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 334 EGGE (Klaus), compositeur, critique musical et musicographe norvégien (Gransherad, Telemark, 1906 - Oslo 1979). Il commence à composer dans les années 30 (sonate pour piano Draumkvede, 1934) et atteint sa pleine maturité créatrice à partir des années 40. Son attitude artistique et esthétique le situe aux côtés de H. Saeverud, H. Lie, S. Jordan, K. Anderson et E. Kjellsby, entre les tenants de la tradition musicale norvégienne et un modernisme réfléchi. Une écriture très ferme et qui favorise le traitement contrapuntique et polyphonique avec une prédilection pour la forme variation et la métamorphose, telles sont les caractéristiques principales d’une oeuvre qui trouve en Norvège une profonde résonance. Si certaines de ses compositions utilisent surtout un matériau folklorique, telles Sveinung Vreim op. 11 (1941) pour solistes, choeurs et orchestre ou Noreg-songen op. 16 (1952) pour choeurs et orchestre, ce sont les domaines symphonique (5 symphonies : Lagnadstonar op. 17 [1942], Giocosa

[1947], Louisville [1957], Sopra Bach-Egge [1967] et Dolce quasi passacaglia [1969]) et concertant (concertos pour piano no 2 op. 21 [1944], pour violon op. 26 [1953] et pour violoncelle op. 29 [1966]) qui établissent l’essentiel de la réputation de son oeuvre. K. Egge a représenté la Norvège à l’Unesco au Conseil international de musique et a été président de l’Association des compositeurs norvégiens. EGGEBRECHT (Hans Heinrich), musicologue allemand (Dresde 1919). Successeur de W. Gürlitt à la chaire de musicologie de Fribourg, il s’est spécialisé dans la terminologie musicale (Studien zur musikalischen Terminologie, 1955), et a dirigé à ce titre la partie « termes musicaux (Sachteil) de la dernière édition du dictionnaire de Riemann. Il a écrit notamment Heinrich Schütz Musicus Poeticus (1959), Die Geschichte der Beethoven Rezeption (1972), Die Musik Gustav Mahlers (1982) et Bachs Kunst der Fuge - Erscheinung und Deutung (1985). EGIDIUS (Magister de Aurelianis), théologien et compositeur français (Orléans v. 1340 - Avignon v. 1400). Il fit ses études en Allemagne, en Italie et à Paris. En 1379, il fut reçu docteur en théologie et se fixa dans l’entourage du pape Clément VII qu’il suivit en Avignon. Ayant rempli des missions d’ambassade en 1379, 1385 et 1393, Egidius, après la mort de Clément VII en 1394, resta au service de son successeur Benoît XIII. C’est en Avignon qu’il semble s’être intéressé à la composition. Plus jeune que les musiciens de l’Ars nova Philippe de Vitry et Guillaume de Machaut, Egidius a signé des oeuvres polyphoniques aux mélodies élégantes, mais aux rythmes subtils caractéristiques des musiciens de la période entre Machaut et Dufay (Ars subtilior). On lui doit des ballades et un motet isorythmique à 4 voix. L’une des ballades est dédiée à Clément VII ; une autre, au duc de Berry à l’occasion de la visite de ce dernier au pape en 1389, avec sa fiancée Jeanne de Boulogne. EGK (Werner), compositeur allemand (Auchsesheim, près d’Augsbourg, 1901 Inning-am-Ammersee, Bavière, 1983). Il a fait ses études musicales à Francfort-

sur-le-Main, puis à Munich avec Carl Orff. Nommé chef d’orchestre à la radio bavaroise, il s’est établi à Munich en 1929. Il a été ensuite chef à la Staatsoper de Berlin de 1937 à 1941, directeur de l’école supérieure de musique de cette ville de 1950 à 1953, et président de l’Union des compositeurs allemands et de la Société allemande des auteurs et éditeurs de musique à partir de 1950. Il s’est établi en 1953 à Lochham, près de Munich. Mêlé jeune aux mouvements d’avant-garde de la musique allemande, il a été influencé par Stravinski et par l’école française de l’entre-deux-guerres (Suite française d’après Rameau, 1949). D’une façon générale, sa musique est d’un « modernisme » mesuré, sans pouvoir être qualifiée de « néoclassique ». Soucieux d’un langage expressif et immédiatement assimilable, il a su se conquérir un grand public sans faire des concessions qui seraient allées contre sa nature. Son tempérament et ses dons l’ont poussé à consacrer l’essentiel de son travail de créateur au théâtre. Ses principales partitions sont des oeuvres lyriques : Columbus (1932), Die Zaubergeige (le Violon enchanté, 1935), Peer Gynt (1938), Circle (1945, rév. 1966), Irische Legende (« Légende irlandaise », 1955, rév. 1970), oeuvre pathétique admirable à reflets autobiographiques, le Revizor d’après Gogol (1957), où la musique épouse parfaitement le comique du texte et des situations, Die Verlobung in San Domingo d’après Kleist (1963). Il faut aussi mentionner des grands ballets : Joan de Zarissa, créé à Berlin en 1940 et que Lifar a présenté à Paris en 1942, Abraxas, que Janine Charrat a créé à Munich en 1948, la Tentation de saint Antoine (1947, rév. 1952), Casanova in London (1969). EGOROV (Youri), pianiste russe naturalisé néerlandais (Kazan 1954 - Amsterdam 1988). Il étudie le piano au Conservatoire de Kazan. En 1971, il est lauréat du concours Long-Thibaud et entre au Conservatoire de Moscou. Distingué lors des Concours Tchaïkovski à Moscou et Reine Élisabeth à Bruxelles, il commence en 1978 ses grandes tournées internationales avec des débuts retentissants à New York et à Chicago, ainsi que de nombreux concerts en Hollande - en particulier avec l’orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam. En 1980, il fait ses débuts en Angleterre (un concert

mémorable au Queen Elisabeth Hall) et en Allemagne. En 1981, il donne son premier récital en France, au Festival international de piano de La Roque-d’Anthéron. Après ce brillant début de carrière, il est emporté par la maladie, à l’âge de trente-trois ans. EICHENDORFF (Joseph von), écrivain et poète allemand (Lubowitz, haute Silésie, 1788 - Neisse 1857). Après les « classiques de Weimar (Goethe, Hölderlin, Schiller) et l’école d’Iéna (les frères Schlegel, Tieck, Novalis), la vie littéraire allemande éclate brutalement, au moment où Napoléon met fin au Saint Empire romain germanique (1806). Alors, tandis que Goethe vieillit et que Jean Paul, autre splendide isolé, poursuit une création loin des modes, se développent plusieurs foyers culturels préoccupés de dégager une germanité spirituelle prenant sa source aux plus anciennes fontaines. Le groupe dit « de Heidelberg » est de ceuxlà, qui réunit les frères Grimm avec leurs contes, Arnim et Brentano, collectionneurs des chants populaires qui donneront Des Knaben Wunderhorn, ainsi que, de manière épisodique, quelques poètes comme Eichendorff, avec lesquels meurt doucement le romantisme. Eichendorff, dont la production est tout aussi abondante que variée, tourne le dos aux fantômes tragiques ou grotesques de ses prédécesseurs, pour se plonger dans les souvenirs de son enfance. Par-delà les crises de l’âme ou du corps, c’est bien vers le foyer originel qu’il retourne, source de sa vie et de ses impressions. Il pense ainsi mettre un terme à l’agitation, inquiète sans doute mais trop mondaine, qu’il contemple autour de lui. Mais, pour originale qu’elle soit, son inspiration ne se renouvelle guère. On en voit bien les limites et le talent dans ses nouvelles (Die Zauberin im Herbste, das Marmorbild, et même le Taugenichts et Ahnung und Gegenwart), où les conflits traditionnels du héros romantique se résolvent dans l’appel à de fortes certitudes morales et religieuses. En outre, la prose, chez lui, n’est qu’un prolongement du lyrisme, sans véritable construction dramatique. Au contraire, il excelle à peindre, avec une certaine indolence, les aspirations vagues de l’adolescence, un goût du lointain, tempérés par une lassitude qui se confond avec le retour au père (qui, pour

ce croyant serein, est aussi le Père). En définitive, la musique a beaucoup fait pour la postérité d’Eichendorff : Brahms, au meilleur de son inspiration, Wolf (vingt lieder), peut-être trop inquiet, et Schumann, dans le remarquable Liederkreis op. 39, y ont trouvé les échos downloadModeText.vue.download 341 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 335 d’une nature divinisée, consolatrice idéale de ceux qui souffrent. EIMERT (Herbert), compositeur et théoricien allemand (Bad Kreuznach 1897 Düsseldorf 1972). Il fit ses études à l’École supérieure de musique (avec H. Abendroth) et à l’université de Cologne, et travailla dans cette ville, jusqu’en 1945, comme journaliste, comme critique et à la radio. En 1951, il fonda le Studio de musique électronique de la radio de Cologne, qu’il devait diriger jusqu’en 1962, et y appela bientôt à ses côtés le jeune Stockhausen (1953). En 1954, sept morceaux électroniques (dont deux de Eimert et deux de Stockhausen) réalisés dans ce studio étaient présentés pour la première fois en public. À partir de 1965, il fut professeur à l’École supérieure de musique de Cologne, dont il dirigea aussi le Studio de musique électronique nouvellement fondé. Il édita la revue Die Reihe (huit cahiers de 1955 à 1962). Il avait été l’un des premiers musiciens germaniques à écrire selon la technique dodécaphonique. Plus important comme théoricien, comme pédagogue et comme publiciste que comme compositeur, il a néanmoins laissé quelques « classiques » de l’électronique tels que Etüden für Tongemische (1954) ou Epitaph für Aykichi Kuboyama pour récitant et sons électroniques (1960-1962). EINEM (Gottfried von), compositeur autrichien (Berne 1918-1996). Fils d’attaché militaire, il étudia notamment avec Boris Blacher à Berlin, et remporta son premier succès avec le ballet Prinzessin Turandot op. 1 d’après C. Gozzi (1942-43, créé à Dresde en 1944). La renommée internationale lui vint avec

l’opéra la Mort de Danton op. 6, d’après G. Büchner (1944-1946, créé à Salzbourg par Fricsay en 1947). Suivirent entre autres, comme partitions pour la scène, les ballets Pas de coeur op. 16 (Munich, 1952) et Medusa op. 24 (Vienne, 1957), et les opéras le Procès op. 14, d’après F. Kafka (Salzbourg, 1953), Der Zerrissene op. 31, d’après J. Nestroy (Hambourg, 1964), la Visite de la vieille dame op. 35, d’après F. Dürrenmatt (Vienne, 1971), Kabale und Liebe op. 44, d’après F. Schiller (Vienne, 1976), et Die Hochzeit Jesu (« les Noces de Jésus », Vienne, 1980). Ces oeuvres, sur lesquelles repose principalement la réputation de leur auteur, doivent leur succès à de solides qualités dramatiques et théâtrales ainsi qu’à leur fidélité au système tonal. On doit aussi à G. von Einem des partitions symphoniques et de chambre Philadelphia Symphonie op. 28 (1960), Bruckner-Dialog op. 39 (1971), Wiener Symphonie op. 49 (1976), Ludi Leopoldini (1980), quatre quatuors à cordes (1975 à 1981), enfin diverses oeuvres vocales dont An die Nachgeborenen, cantate op. 42, d’après F. Hölderlin (1973-1975), Lieder vom Anfang und Ende pour voix moyenne et piano (1981), et Gute Ratschläge (1982). Sa Symphonie no 4 a été créée à Vienne en 1988, et son Quatuor à cordes no 5 terminé en 1991. EINSTEIN (Alfred), musicologue américain d’origine allemande (Munich 1880 El Cerrito, Californie, 1952). Il étudia dans sa ville natale la composition et la musicologie et, en 1903, obtint à l’université de Leipzig son doctorat avec une thèse sur la littérature allemande pour la viole de gambe aux XVIe et XVIIe siècles. Critique musical à la Münchner Post de 1918 à 1927, puis au Berliner Tageblatt, il quitta l’Allemagne en 1933, s’installa près de Florence et, en 1939, se fixa aux ÉtatsUnis, dont il devint citoyen en 1945. Il enseigna au Smith College de Northampton jusqu’en 1950. Son oeuvre de musicologue, très importante, est consacrée principalement à la musique italienne et allemande des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles (Gluck, Londres, 1936 ; Mozart, New York, 1945 ; The Italian Madrigal, Princeton, 1949). Mais, à la fin de sa vie, il a aussi publié, sur Schubert (New York, 1951) et sur la Musique romantique (New York, 1947), deux ouvrages importants. Le second témoigne de l’esprit de synthèse et de l’originalité

des vues de ce musicologue qui joignait à l’érudition de l’historien un sens critique toujours en éveil. Il fut responsable des 9e, 10e et 11e éditions du dictionnaire de Riemann, et de la 3e édition du catalogue Köchel des oeuvres de Mozart (Leipzig, 1937 ; rév. Ann Arbor 1947). EISLER (Hanns), compositeur allemand (Leipzig 1898 - Berlin-Est 1962). Très tôt attiré par la musique, il se forme en autodidacte avant de suivre l’enseignement de Schönberg à Vienne (1919-1923), puis à Berlin à partir de 1925. Introduit dans les cercles d’avant-garde où il rencontre S. Wolpe et E. Krenek, il donne à ses compositions un tour à la fois critique et ironique (Zeitungsausschnitte, « Coupures de journaux », 1925-26 ; Tempo der Zeit, « Tempo du siècle », 1929) et s’engage dans des activités politiques qui le poussent à écrire de nombreux choeurs et cantates, et à propos desquelles de violentes controverses l’opposent à Schönberg. Entre 1927 et 1933, il compose beaucoup pour le théâtre et le cinéma, et sa rencontre avec l’acteur-interprète Ernst Busch en 1928 l’entraîne définitivement hors des limites de la salle de concert. Ses ballades sont, après ses Massenlieder (« Lieder de masse ») comme Der rote Wedding ou le Kominternlied, l’instrument principal de sa propagande (Anrede an den Kran « Karl », Ballade von der Krüppelgarde, Ballade von der Wohltätigkeit, etc.). Elles sont conçues de façon assez libre, selon le schéma alternatif couplet-refrain. Leur mélodie est calquée sur le rythme déclamatoire du texte ainsi que le prescrit la technique des Agitproptruppen (troupes d’agitation-propagande), et leur accompagnement est confié à un petit orchestre inspiré des groupes de jazz des années 20. Elles doivent beaucoup aux songs de Kurt Weill, mais Eisler recherche moins les effets de distanciation que celui-ci, et pousse la simplification harmonique jusqu’à un quasi-retour à la tonalité classique, ce qui donne à son langage un caractère en même temps « naïf et constructif « : c’est ainsi du moins que le qualifie Brecht, avec lequel il entame alors une longue collaboration (Kuhle Wampe, 1932 ; Die Mutter, 1931 ; Die Massnahme : un Lehrstück pièce pédagogique - composé en 1930). En 1933, Eisler quitte l’Allemagne et,

après avoir voyagé à travers l’Europe, s’installe en 1938 aux États-Unis. Il poursuit durant cet intervalle une production très diverse (Deutsche Symphonie op. 56 sur des textes de Brecht, 1937), ne négligeant pas le style dodécaphonique qui fait lui aussi partie intégrante de sa personnalité musicale (14 Arten, den Regen zu beschreiben, « 14 façons de décrire la pluie », 1940), et illustre son expérience cinématographique par le livre intitulé Komposition für den Film, réalisé en collaboration avec Adorno en 1947. La même année, il doit s’exiler à nouveau et s’établit en 1950 à Berlin-Est où, comblé d’honneurs et de charges officielles, il compose des musiques socialistes (hymne de la R. D. A.) qui ont malheureusement beaucoup perdu de la virulence de celles des années 1920. EISMA (Will), compositeur néerlandais (Soengailiat, Indonésie, 1929). Il a travaillé au conservatoire de Rotterdam le violon avec Jewsey Wulf et la composition avec Van Baaren (1948-1953), commencé une carrière de violoniste comme membre de l’Orchestre de Rotterdam, puis s’est perfectionné en composition avec G. Petrassi à Rome (1959-1961) et a étudié la musique électronique avec G.-M. Koenig à Utrecht. D’abord adepte du docécaphonisme, il a évolué vers un style de plus en plus libre, et se tourne à l’occasion vers l’électroacoustique. Il a écrit notamment un quintette à cordes (1961), un concerto pour 2 violons et orchestre (1961), Archipel pour quatuor à cordes (1964) Volumina pour orchestre (1964), Fontemara pour quintette à vents (1966), la Sonorité suspendue pour trio à cordes (1970), le Gibet (1971), Strategic Sonority pour un ou plusieurs ensembles (1974), Collected Papers pour instrument soliste, percussion et synthétiseur (1974), Caprichos pour clarinette basse et bande magnétique (1974), Helena is coming late downloadModeText.vue.download 342 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 336 pour quatuor à cordes et synthétiseur (1975), et le Cheval mort (1976) d’après Aloysius Bertrand pour voix, instruments et dispositif électroacoustique, Liwung pour gamelan et bande magnétique

(1977), Gadget pour orchestre (1979), Metselwerk pour percussion soliste et orchestre (1979). EITNER (Robert), musicologue allemand (Breslau 1832 - Templin, près de Uckermark, 1905). D’abord professeur de musique, il se consacra entièrement à la musicologie à partir de 1863. Il s’est attaché à établir les bases scientifiques de l’histoire de la musique en publiant les sources de nombreuses oeuvres des XVIe et XVIIe siècles. En 1868, il prit part à la fondation de la Gesellschaft für Musikforschung (Société de recherches musicologiques) au sein de laquelle il joua un rôle important, assurant notamment la rédaction de sa revue. En 1881, Eitner publia la première édition moderne de l’Orfeo de Monteverdi. Ses travaux de bibliographie et ses recherches de documents d’archives ont eu une importance capitale ; ils constituent l’origine lointaine et la base de grandes publications modernes, et tout particulièrement du R. I. S. M. (Répertoire international des sources musicales). Les publications d’Eitner comprennent : Bibliographie der Musik- Sammelwerke des 16.u. 17. Jh (Berlin, 1877) et le monumental Biographisch-bibliographisches Quellenlexikon der Musiker und Musikgelehrten... (10 vol., Leipzig, 1900-1904, rév. 1959-1960) qui va jusqu’au milieu du XIXe siècle. EL BACHA (Abdel Rahman), pianiste libanais et français (Beyrouth 1958). Il étudie le piano avec Zvart Sarkissian puis au Conservatoire de Paris avec Pierre Sancan. Lauréat du Concours LongThibaud en 1975 et du Concours Reine Élisabeth de Belgique en 1978, il se produit rapidement dans le monde entier. En 1983, son premier disque consacré à Prokofiev obtient le Grand Prix de l’Académie Charles-Cros. Maîtrisant un vaste répertoire de concertos, il interprète avec bonheur Beethoven, dont il a enregistré l’intégrale des sonates pour piano. Mais il est aussi très attaché aux oeuvres de Bach, Mozart, Chopin, Schumann et Ravel. ÉLECTROACOUSTIQUE (musique). Locution utilisée en France pour désigner une technique musicale, et même un genre apparus dans les années 50 : il s’agit de la musique pour bande magnétique

réalisée en studio par le compositeur, et utilisant indifféremment des sons d’origine « concrète » (enregistrés par micros) et des sons « électroniques » (issus d’appareils tels que : générateurs électroniques, synthétiseurs, ordinateurs, etc.) qui sont manipulés, assemblés, organisés, pour aboutir à des oeuvres destinées à être diffusées par haut-parleurs. Une oeuvre de musique électroacoustique n’a donc d’existence matérielle que sur le support de la bande magnétique, comme le film sur sa pellicule. La partition ne joue donc ici, en général, qu’un rôle secondaire pour la préparation de l’oeuvre, sa réalisation en studio ou sa diffusion en concert. Ce n’est pas le cas des musiques électroacoustiques en direct, appelées aussi « live electronic music ». On considère généralement que la musique électroacoustique date de 1956, année où fut réalisé par Karlheinz Stockhausen le Chant des adolescents (Gesang der Jünglinge), qui passe pour être la première oeuvre à avoir utilisé en même temps des « sons concrets » (ici la voix d’un petit garçon) et des sons électroniques. Auparavant, la musique électroacoustique existait surtout sous la forme de deux courants distincts et même plus ou moins rivaux : la musique concrète française fondée et défendue par Pierre Schaeffer, et la musique électronique allemande n’utilisant que des sons issus de « générateurs » (ancêtres encore rudimentaires des actuels synthétiseurs). La même année 1956, une musique de ballet de Pierre Henry, Haut-Voltage, associait également sons électroniques et concrets. Dans la fin des années 50, la distinction des musiques concrètes et électroniques cessa d’être aussi tranchée qu’elle l’était et les compositeurs utilisèrent de plus en plus fréquemment les deux types de sources. Ce qui ne veut pas dire qu’on n’a plus créé ensuite d’oeuvres purement « concrètes » (comme les monuments récents de Pierre Henry : Futuristie, Dieu) ou purement « électroniques » - ce qui est le cas de la production courante de nombreux studios, surtout depuis l’apparition du synthétiseur. Mais on a cessé de faire de l’emploi de l’un ou l’autre de ces deux types de sources une pierre de touche, un critère esthétique. Et si les traditions propres de la musique concrète et de la musique électronique (la première plutôt

empirique et sensible, la seconde plutôt systématique et abstraite) continuent à exister dans la musique électroacoustique actuelle, c’est mêlées et distinctes à la fois. On peut signaler, par ailleurs, que l’expression musique électroacoustique est typiquement française : le genre se dénomme en anglais « electronic music » ou « tape music », en allemand « elektronische Musik », en italien « musica elettronica ». Si l’on y trouve aussi des expressions comme « elektroakustische Musik », les autres langues sont loin de faire nos subtiles distinctions, ce qui est normal, puisque c’est en France surtout que la musique électroacoustique a fleuri comme un genre à part, avec ses créateurs propres, ses circuits de diffusion, voire son public spécifique. Même en France, cependant, sa situation est loin d’être simple : elle est à la fois un genre et une technique, et cette technique est susceptible d’être associée de mille façons aux techniques traditionnelles (musique « mixte », pour instruments et bande magnétique) et d’évoluer dans les directions les plus variées. Le mot d’ordre de certains centres de recherches récemment fondés, comme l’I. R. C. A. M. de Paris, rejoignant en cela le goût croissant de la musique contemporaine pour les hybridations, le mélange des moyens, semble être d’arracher cette musique à son isolement pour la pratiquer en association avec les techniques instrumentales, audiovisuelles, etc. Le sens de l’histoire leur donnerait-il bientôt raison qu’il ne faudrait pas pour autant déplorer ce statut marginal, qui nous a valu des chefs-d’oeuvre comme ceux de Pierre Henry, François Bayle, Bernard Parmegiani, Alain Savouret, Ilhan Mimaroglu, etc., où se trouvent approfondis et exaltés les moyens propres de la musique électroacoustique. PANORAMA HISTORIQUE. Entre la fin des années 50 et le début des années 70, on assiste à une lente et sûre progression de la musique électroacoustique sur le terrain qu’elle s’est définie, cependant qu’on voit apparaître les premières tendances qui la mèneront à son actuel éclatement. En 1958, le Groupe de recherches musicales reçoit son nom définitif et engage, sous la direction de Schaeffer, les importantes recherches

dont le bilan a été consigné dans le Traité des objets musicaux, paru en 1966. Pierre Henry crée dans son studio « Apsome », fondé en 1958, ses premiers grands classiques : la Noire à soixante, Voyage, Variations pour une porte et un soupir, etc. Des studios apparaissent dans le monde entier, entre autres à Milan (1953), Tokyo (1953), Varsovie (1957), Utrecht (1961), etc. La fin des années 60 et le début des années 70 voient une floraison de grands monuments qui marquent le genre : Hymnen (1967) de Stockhausen, Espaces inhabitables (1966), Jeïta (1970) et l’Expérience acoustique (1970-1973) de Bayle, l’Apocalypse de Jean (1968), Fragments pour Artaud (1965-1968) et Mouvement-RythmeÉtude (1970) de Pierre Henry, Pour en finir avec le pouvoir d’Orphée (1972) de Parmegiani, etc. Cependant, dans les années 60, on a vu apparaître les premières expériences de musique électroacoustique en direct (groupes Sonic Art Union, Nuova consonanza, Musica elettronica viva, etc.), de synthèse de sons par ordinateur (Mathews, Pierce, Risset, etc., aux États-Unis) et surtout le développement fulgurant du synthétiseur, qui concentre, sous un volume réduit et de façon maniable pour downloadModeText.vue.download 343 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 337 tous, un ensemble de possibilités de création de sons électroniques autrefois aussi coûteuses que malaisées à rassembler. On sait comment le synthétiseur s’est popularisé dans des versions instrumentales (appareils pour groupes pop, munis d’un clavier comme le piano) pour devenir une espèce d’orgue électronique perfectionné, et comme il a envahi tous les genres et tous les media (pop, jazz, variétés, cinéma, publicité, etc.). On sait aussi que le matériel nécessaire pour créer la musique électroacoustique s’est répandu, miniaturisé et démocratisé au point que ce que contenait de moyens techniques un studio professionnel du début des années 60 est aujourd’hui à la portée des particuliers. D’où la prolifération des studios privés, s’ajoutant aux studios publics animés par des groupes, qu’on connaissait jusqu’alors et qui continuent de se multiplier. C’est à une consécration, mais aussi à un éclatement de la musique électroa-

coustique qu’on assiste à la fin des années 70. Tout ce qui faisait sa spécificité (matériel de création, domaine sonore à part) lui a été emprunté par les musiques de grande diffusion pour être « récupéré » et vulgarisé. Dans un premier temps, la musique électroacoustique avait inspiré de nouvelles façons d’utiliser l’orchestre et l’instrument pour créer des « objets sonores » nouveaux, des blocs, des matières évoluantes (musiques « tachistes » et plastiques de Xenakis, Ligeti, de l’école polonaise). Dans un second temps, avec le développement de la « live electronic music » et de l’utilisation des instruments électrifiés, les musiciens sont en mesure de faire produire en direct, par des exécutants vivants, un grand nombre des effets et des matériaux sonores dont la création et la reproduction nécessitaient autrefois le studio et la bande magnétique. Mais croire que la musique électroacoustique n’a rien apporté de plus que de tels « effets » et de tels matériaux, désormais susceptibles d’être produits en direct, c’est méconnaître ce très grand pouvoir d’expression et d’organisation que demeure le montage, sans compter d’autres techniques de manipulation, de mélange, etc., qui exigent le travail en studio et le différé. Cependant, si la musique électroacoustique classique sur bande continue d’être pratiquée, le sentiment général s’affermit qu’elle ne serait plus la « musique de l’avenir », qu’elle aurait fait son temps. Son mode de diffusion - le concert de hautparleurs, parfois agrémenté d’une « spatialisation » active de l’oeuvre qui, tout en lui apportant beaucoup de vie, est rarement perçue comme une intervention vivante par l’auditoire - apparaît à beaucoup ingrat et archaïque. La curiosité, les espoirs tendent à se reporter vers des expériences plus globales, mêlant le son, l’image, les lumières, le geste. Et pourtant, tout est loin d’avoir été dit en musique électroacoustique : l’immense et riche domaine des sons concrets n’a-t-il pas été délaissé par presque tous les compositeurs, à peine avait-il été commencé à être défriché, au profit des facilités du synthétiseur ? À la fin des années 70, l’avenir de cette musique apparaît plutôt indécis. Certes, on investit aujourd’hui beaucoup de temps et d’argent sur les recherches de synthèses sonores par ordinateur. Depuis qu’elles ont commencé (années 60), elles ont apporté de nouvelles ressources sonores et

quelques oeuvres estimables - rien encore de grand, de fort, de bouleversant. Les révolutions viennent des hommes, et non seulement des moyens, et l’entichement actuel pour les technologies sophistiquées pourrait bien être le signe négatif d’un manque d’idées et de programmes plutôt que celui, positif, d’un glorieux « bond en avant ». Parallèlement à ces recherches lourdes réservées aux studios importants, la popularisation des micro-ordinateurs va-t-elle, en ouvrant le domaine de la synthèse sonore informatique aux particuliers, lui apporter un sang neuf ? On ne saurait encore le prévoir. PANORAMA GÉOGRAPHIQUE. Si étonnant que cela puisse paraître à certains, la France se trouve être le pays privilégié de la musique électroacoustique, non par la quantité de musique produite (elle est dépassée par les U. S. A.), mais par le degré de maturité, d’autonomie et d’élaboration esthétique et technique que ce genre y a connu - sans compter qu’on y trouve, de Pierre Henry à François Bayle, la plupart des grands créateurs qui l’ont illustré. En particulier, c’est le seul pays où la diffusion des musiques électroacoustiques en concert ait fait l’objet d’un soin particulier et où elle ne soit pas une formule passive et neutre. Des « orchestres de haut-parleurs », des systèmes de diffusion originaux permettant une interprétation vivante de ces musiques, en agissant sur la répartition spatiale, les dosages d’intensité et de couleur, y sont couramment employés. Il y a aussi en France une tradition propre de la musique électroacoustique, issue du courant de la musique concrète : elle reste attachée à une fabrication artisanale, empirique, par le compositeur lui-même, de sa matière sonore, de sa musique, plutôt que par l’assistance d’un technicien ou d’un système automatique. Pierre Henry, installé depuis 1958 dans son studio Apsome monté « pierre par pierre », domine toute la musique électroacoustique. Ce grand solitaire, qui fut le premier à se consacrer entièrement à cette musique, n’a pas seulement créé une oeuvre géniale mais il a aussi vivifié, par ses audaces, un terrain qui sans lui serait demeuré stérile. Sa façon directe et généreuse de prendre à bras-le-corps les grands problèmes de la musique électroacoustique, d’assumer le genre sans réserve,

fut pour beaucoup d’autres un exemple et une stimulation. C’est en France aussi que se situent quelques-uns des studios les plus actifs dans le monde : au premier rang, ne serait-ce que par son ancienneté, le Groupe de recherches musicales de l’I. N. A., fondé par Pierre Schaeffer et animé par François Bayle, qui a accueilli ou gardé plus ou moins longtemps dans son sein quelques-uns des auteurs les plus importants, et qui a développé une intense activité de création, de diffusion, de pédagogie et de recherche. À la fin des années 60, d’autres centres très actifs se sont affirmés : le Groupe de musique expérimentale de Bourges, créé en 1970 par Christian Clozier et Françoise Barrière, tient une place importante et a organisé un réseau international d’échanges et de communications entre les studios du monde entier, qui est une de ses originalités. Créé en 1968 par Marcel Frémiot, le Groupe expérimental de Marseille, animé par Georges Boeuf, a démarré de façon prometteuse, et a acquis ensuite une véritable autonomie. On peut citer aussi le Studio du conservatoire de Pantin, le Groupe art-musiqueinfo de Vincennes, le département électroacoustique de l’I. R. C. A. M. à Paris, animé par Luciano Berio jusqu’en 1980, et plusieurs studios en voie de création ou de développement à Strasbourg, Pau, Vierzon, Metz (C. E. R. M.), etc., ainsi que le C. I. R. M. (Jean Étienne Marie), installé à Paris puis à Pantin, et à Nice depuis 1975, et le Studio de l’American Center de Paris (S. M. E. C. A., Jorge Arriagada), sans oublier ceux, de plus en plus nombreux, qui travaillent avec leur matériel privé ou comme invités temporaires des studios publics : Almuro, Ferreyra, Ferrari, Radigue, Bokanovski, Dhomont, d’Auzon, Chion, Tazartes, Cahen, Canton, Maticic, etc. Paradoxalement, malgré cette floraison d’auteurs et de création, la musique électroacoustique en France reste un peu à l’écart de la musique contemporaine officielle, rançon d’un isolement où, par ailleurs, elle a puisé beaucoup de sa force. Dans les autres pays d’Europe, le « tissu » des studios et des auteurs est moins serré, mais on n’en trouve pas moins des centres très actifs, qu’il s’agisse de la Belgique avec le studio de l’I. P. E. M. de Gand (Goeyvaerts, Goethals) et celui de Léo Kupper à Bruxelles ; de la Hollande, avec le Studio de sonologie de l’université

d’Utrecht (Weiland, Ponse, Koenig), qui est un des centres les plus anciens et les plus fréquentés ; de l’Autriche, avec le Studio de la Hochschule de Salzbourg, dirigé par Klaus Ager, et celui de la Hochschule de Vienne (Dieter Kaufmann) ; de la Suisse avec le Centre de recherches sonores de la Radio-Suisse romande (Zumbach) et des downloadModeText.vue.download 344 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 338 auteurs comme Guyonnet, Boesch, Kessler ; de la Grande-Bretagne, avec le studio de Norwich (Dennis Smalley) et celui de l’université d’York ; de l’Irlande (Roger Doyle) ; de la Suède, avec le studio de la fondation Fylkingen et celui de Stockholm (E. M. S., fondé par Knut Wiggen), etc. L’Allemagne de l’Ouest est le lieu de naissance de la musique électroacoustique des années 50 au studio de la W. D. R. de Cologne, où continue de travailler le grand Stockhausen et où sont venus par ailleurs Höller, Huber, Kagel, etc. En Italie, on connaît surtout le fameux Studio de phonologie musicale de la R. A. I., fondé à Milan en 1953 par Luciano Berio et Bruno Maderna qui y ont composé des oeuvres marquantes. Luigi Nono y a produit également de nombreuses bandes, mais ce studio a cessé ses activités. D’autres centres se sont révélés dans d’autres villes, à Florence (Pietro Grossi), Rome, Padoue, Pise, Turin (Enoce Zaffiri). L’Europe de l’Est comprend quelques studios, généralement rattachés à des radios nationales (comme les premiers grands studios de l’Europe de l’Ouest : Paris, Cologne, Milan, etc.). C’est en Pologne qu’on trouve un des plus anciens, celui de Varsovie, fondé par Joseph Patkowski et où ont travaillé Wladimir Kotonski et surtout Eugeniuz Rudnik. En Tchécoslovaquie, citons les studios de Bratislava (Peter Kolman) et de Prague ; en Hongrie, le studio de Budapest (Zoltan Pongracz) ; en Yougoslavie, celui de Belgrade (Vladan Radovanovic, Paul Pignon) ; en Russie, la personnalité d’Édouard Artemiev, etc. Aux U. S. A., pour ainsi dire, chaque université possède son studio, et c’est surtout dans ce cadre que se développe la production de musique électroacoustique.

Cette musique y est rarement considérée comme un genre à part, autonome, et les bandes magnétiques produites sont généralement destinées à des oeuvres « mixtes » (pour instruments et bandes) ou « mixed media » (avec lumières, ballet, cinéma, etc.). Une grande exception est Ilhan Mimaroglu, qui n’hésite pas à bâtir des fresques purement électroacoustiques. Parmi les très nombreux studios, on citera celui de Valencia, en Californie (Barry Schrader), ceux du Mills College, à Oakland, Californie (Subotnick, Oliveros), de San Diego, d’Urbana, dans l’Illinois (Hiller, Amacher, Gaburo), de Iowa City, Iowa (Peter-Tod Lewis), d’Ann Arbor, Michigan, le dynamique studio du Dartmouth College de Hanover, New Hampshire (Jon Appleton, autre figure marquante) et, à New York, le vénérable studio de l’université Columbia-Princeton où Wladimir Ussachevsky et Otto Luening ont fondé en 1952 la « tape music » (musique pour bande) américaine, et où ont travaillé entre autres Milton Babbitt, Jacob Druckman et surtout Ilhan Mimaroglu. Près de New York, citons encore celui de Stony Brook (Bulent Arel) et celui de John Cage et Daniel Tudor à Stony Point. Presque tous ces studios fonctionnent dans le cadre d’universités, mais il ne faudrait pas oublier les « laboratories » installés dans divers organismes où ont été menées des recherches de pointe : par exemple, celui de la Bell Telephone, à Murray Hill, New Jersey, où Max Mathews et d’autres compositeurs ont développé les premières recherches de synthèse sonore par ordinateur. Au Canada, on retrouve à peu près les mêmes conditions de production et de diffusion de la musique électroacoustique qu’aux U. S. A. On retiendra, outre les studios de l’université Carleton d’Ottawa, de l’université de Toronto, de l’université Simon Fraser à Burnaby (R. Murray Schafer), de l’université Mac Gill à Montréal (Pedersen, Longtin, Joachim, CoulombesSaint-Marcoux), de l’université Laval de Québec (Nil Parent), le nom du pionnier en matière technique et de l’inventeur qu’a été Hugh Le Caine. En Amérique du Sud, la musique électroacoustique ne vit pas sans difficultés matérielles et sociales, même si de nom-

breux compositeurs (qui doivent souvent venir en Europe pour se former, et revenir ensuite dans leur continent pour tenter d’y implanter des studios) s’y adonnent : pour l’Argentine, Alberto Ginastera, Gabriel Brnic, Lionel Filippi, Luis-Maria Serra (ces deux derniers animant le studio Arte 11 à Buenos Aires) ; pour le Brésil, Jorge Antunes (studio de Brasília) et Rodolfo Caesar ; pour le Chili, Vicente Asuar ; pour le Venezuela, Raul Delgado. D’autres sont venus s’installer en Europe, tels Jorge Arriagada, Ivàn Pequeñó, Edgardo Canton, Beatriz Ferreyra, Horaccio Vaggione, etc. Au Japon, on connaît surtout le studio de la N. H. K. (radiotélévision) à Tokyo, où des compositeurs comme Toshiro Mayuzumi, Makoto Moroi, Toru Takemitsu, etc., se sont inspirés de la tradition nationale pour créer des oeuvres électroacoustiques. Et, pour l’Australie, on peut citer les noms de Warren Burt et d’Andy Mac Intyre. Dans cette énumération très abrégée ont été omis volontairement les noms de ceux qui se consacrent en priorité à la musique électroacoustique en direct, ou « live electronic music ». Ils sont évoqués dans l’article spécialement consacré à cette rubrique. ÉLECTRONIQUE (musique). Nom donné, d’une manière très générale, à toutes les musiques utilisant pour leur composition, leur réalisation ou leur exécution, des appareils électroniques (instruments, synthétiseurs, magnétophones, ordinateurs, etc.), et, dans un sens plus particulier, à la musique spécifiquement composée sur bande magnétique (on dit alors en français, plus communément, musique électroacoustique). Enfin, dans un sens restreint et localisé, cette expression désigne la musique créée exclusivement avec des sons électroniques de synthèse, à l’exclusion de toute source dite « concrète ». Dans ce troisième sens, la musique électronique s’opposa, vers le début des années 50, à sa « soeur », la musique concrète. Le terme « électronique » étant resté longtemps évocateur de modernité, on appela « électroniques » aussi bien les musiques réalisées selon une concep-

tion nouvelle, avec des appareils de studio (et rentrant donc dans ce que nous appelons la musique électroacoustique et la live electronic music), que les musiques d’écriture plus traditionnelle, écrites pour des « instruments électroniques » qui prolongeaient dans leurs possibilités les instruments traditionnels : parmi eux, le Tellharmonium (1906) de Taddeus Cahill ; l’aétérophone (1927) de Léon Thérémine ; le sphérophone (1923) de Jorg Mager ; les Ondes Martenot (1928) de Maurice Martenot, qui furent de ces instruments les plus durables et les plus utilisés dans la musique française ; le Trautonium (1930) de Friedrich Trautwein, pour lequel écrivit Hindemith, et sa version modernisée, le Mixtrautonium d’Oskar Sala, utilisé dans les musiques de film et de radio, etc. Dans cette famille d’« instruments électroniques » utilisant, pour créer le son, des oscillations électriques, mais se présentant souvent comme une extension ou comme une imitation de l’orgue, on trouve aussi l’ondioline de Georges Jenny, la clavioline de Constant Martin, le melochord de Harald Bode, etc., et certains modèles de synthétiseurs dits « présélectionnés » (« presets »). On voit ainsi des manuels techniques qui décrivent des orgues électroniques de conception traditionnelle (destinés à jouer la musique occidentale tempérée) s’intituler manuels de « musique électronique », ce qui introduit une certaine confusion. Dans ce foisonnement d’instruments nouveaux, on retrouve des points communs : l’attachement au clavier, la possibilité de reproduire l’échelle tempérée ou au contraire d’en sortir (par des glissandos, des micro-intervalles) et enfin une référence évidente ou cachée à l’orgue, comme multi-instrument produisant des sons susceptibles d’être entretenus indéfiniment par un procédé mécanique ou électrique. L’orgue incarne le rêve de l’instrument « global », celui qui contient les autres, avec ses jeux, son étendue, sa puissance, et bien des conceptions d’instruments électroniques nouveaux ont repris ce rêve. downloadModeText.vue.download 345 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 339 Dans un sens plus particulier, on utilise parfois l’expression de musique électronique en français comme synonyme

de musique électroacoustique, dans le même sens que electronic music en anglais, elektronische Musik en allemand, musica elettronica en italien, etc. ( ! MUSIQUE ÉLECTROACOUSTIQUE.) La musique électronique représente enfin, à l’intérieur des musiques électroacoustiques, une tendance particulière. Par opposition à la musique concrète, elle se définit comme utilisant exclusivement des sons dits « synthétiques », créés à partir d’oscillations électriques, enregistrés et composés sur bande magnétique. Au début, les moyens électroniques de synthèse sonore étaient rudimentaires : ce furent des « générateurs » de sons (« sinusoïdaux », « carrés » ou « blancs ») ou d’« impulsions », empruntés à des laboratoires de mesure qui, dans les années 50, servirent aux premières expériences de musique électronique. Dans les années 60 apparut le synthétiseur, beaucoup plus pratique et riche de possibilités, et, dans les années 70, se développa la synthèse par ordinateur. Ces moyens servirent des esthétiques différentes. En 1951, peu après la naissance de la musique concrète, était fondé le Studio de musique électronique de la West-Deutsche-Rundfunk (W. D. R.) à Cologne, en Allemagne, par Herbert Eimert et Werner Meyer-Eppler. Son but était la réalisation d’oeuvres pour bande magnétique créées à partir de sons de synthèse, conçues et organisées selon des règles très strictes d’inspiration sérielle à partir de partitions préalables extrêmement précises (contrairement à la musique concrète, qui fut la plupart du temps une musique « sans partition »). Dans ce studio vinrent travailler notamment Karlheinz Stockhausen (Studie 1 et 2, 1953) et Gottfried-Michael Koenig (Klangfiguren, 1954). Parallèlement, la « tape music » américaine (musique pour bande, devenue plus tard « electronic music »), inaugurée principalement par Luening et Ussachevsky (Tape Music Center, créé en 1952 à New York), utilisait les sons électroniques d’une manière plus empirique et décontractée, le compositeur Milton Babbitt représentant pourtant, avec quelques autres, l’école « sérielle » de la musique électronique aux États-Unis. À la fin des années 50, plusieurs oeuvres de Stockhausen, Pierre Henry, Ligeti abolirent les frontières entre les genres en mélangeant les sons concrets et électroniques, ou bien en transformant des sons d’origine vocale en textures abstraites

(Berio). Ce fut le début de ce que l’on appela d’abord la « musique expérimentale « puis « la musique électroacoustique «, terme qui s’imposa en France. ÉLÉGIE. Genre de poésie apparaissant dans la littérature grecque, écrite selon une métrique particulière (distique « élégiaque ») et habituellement accompagnée par l’aulos. Les sujets traités furent d’abord divers (vin, amour, armée, vie politique, morale) mais le genre fut bientôt consacré surtout à des thèmes tristes. Plus près de nous, le terme désigne une oeuvre de caractère mélancolique, impliquant souvent une contemplation réfléchie et sans dramatisation de la mort. Les plaintes et les nombreux « tombeaux », poétiques et musicaux, de l’époque baroque, époque obsédée par la mort, peuvent être considérés comme des sortes d’élégies. Le terme lui-même ne réapparaît cependant dans la musique qu’avec le triomphe de l’Empfindsamkeit, au XVIIIe siècle. Reichardt et Zumsteeg l’emploient, ainsi que plus tard Beethoven. Par la suite, l’élégie pourra devenir le titre de pièces purement instrumentales ayant le ton de la mélancolie (Dussek, Liszt, Fauré, Florent Schmitt, etc.). ÉLÉONORE D’AQUITAINE, reine de France, puis d’Angleterre ( ? v. 1122 abbaye de Fontevrault, Maine-et-Loire, 1204). Fille de Guillaume X, le dernier duc d’Aquitaine, elle était la petite-fille de Guillaume IX, le premier troubadour connu. En 1137, elle épousa le futur roi de France Louis VII, mariage par lequel l’Aquitaine fut annexée au royaume de France. Très belle et intelligente, elle fut la protectrice des poètes et des musiciens, des troubadours aussi bien que des trouvères. Bernard de Ventadour la suivit outre-Manche lorsque, son mariage avec Louis VII ayant été annulé, elle épousa Henri II Plantagenêt et devint reine d’Angleterre (1154). Son fils Richard Coeur de Lion fut lui-même trouvère, et les autres enfants de ses deux mariages jouèrent tous un rôle dans le développement de la vie artistique. ÉLÉVATION.

1. Mouvement de la voix du grave vers l’aigu. 2. Épisode de la messe au cours duquel le prêtre soulève successivement l’hostie et le calice aussitôt après les consécrations correspondantes. L’élévation ne comporte rituellement aucune musique, mais en allongeant la durée du sanctus qui la précède de peu, tandis que le prêtre continuait l’ordo à voix basse, la polyphonie amenait fréquemment le chant du sanctus à déborder sur l’élévation, ce que les liturgistes voulurent éviter. C’est dans cette intention que le chant du sanctus fut coupé en deux et celui du benedictus transporté après l’élévation bien que sa place liturgique demeurât avant. Mais les musiciens ne s’en tinrent pas pour satisfaits, et l’on prit l’habitude de meubler l’élévation soit par un motet, soit par un morceau d’orgue de mouvement modéré et de caractère recueilli (Frescobaldi, Toccate per l’Elevazione). À la fin du XIXe siècle, les liturgistes réagirent à leur tour et exigèrent pendant l’élévation un silence total, ce qu’à son tour vint abolir la nouvelle messe dite « de Paul VI » en faisant parler ou chanter le célébrant pendant tout le canon, consécration incluse, enlevant ainsi radicalement aux musiciens toute possibilité d’intervention d’ordre artistique. ELGAR (sir Edward), compositeur anglais (Broadheath 1857 - Worcester 1934). Né d’un père marchand de musique et organiste à l’église catholique de Worcester, il se forma en autodidacte, et, dès l’âge de quinze ans, préféra travailler comme assistant dans la boutique de son père plutôt que dans une étude d’avoué. Il donna en 1890 l’ouverture Froissart op. 19, acheva en 1892 la Sérénade pour cordes op. 20, fit entendre en 1896 et en 1898 respectivement les cantates King Olaf op. 30 et Caractacus op. 35, mais ne s’imposa vraiment (d’ailleurs du jour au lendemain) qu’à plus de quarante ans, avec les Variations sur un thème original (ou Enigma Variations) pour orchestre op. 36 : de cette oeuvre, créée par Hans Richter en 1899, le thèmeénigme est suivi de quatorze variations dédiées chacune à une personne de l’entourage du compositeur, « énigmatiquement » désignée par ses initiales. En 1900 fut exécuté au festival de Birmingham, et les deux années suivantes

en Allemagne, l’oratorio The Dream of Gerontius (« le Rêve de Gerontius ») op. 38, également un de ses ouvrages les plus célèbres, sur un poème du cardinal Newman traitant du drame du chrétien face à la mort. Ainsi se trouvaient définies les deux directions principales dans lesquelles il devait s’engager. Suivirent en effet, pour orchestre, les ouvertures Cockaigne op. 40 (1900-1901) et In the South op. 50 (1904), la Symphonie no 1 en la bémol op. 55, créée par Hans Richter en 1908, la Symphonie no 2 en mi bémol op. 63 (1911), et l’étude symphonique Falstaff op. 68 (1913), sans doute sa partition la plus ambitieuse ; et, parmi les oeuvres avec voix, les oratorios The Apostles (« les Apôtres ») op. 49 (19021903) et The Kingdom (« le Royaume ») op. 51 (1901-1906), qui fait usage du leitmotiv wagnérien, ainsi que les cantates profanes The Music Makers (« les Faiseurs de musique ») op. 69 (1912) et The Spirit of England (« l’Esprit de l’Angleterre ») op. 80 (1917). Ce à quoi il convient d’ajouter des pièces d’occasion comme les cinq fameuses marches op. 39 intitulées Pump and Circumstance (1901-1930), la grande downloadModeText.vue.download 346 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 340 réussite qu’est l’Introduction et Allegro pour cordes op. 47 (1904-1905), le cycle de mélodies Sea Pictures (« Tableaux marins ») op. 37 (1897-1899), le Concerto pour violon op. 61 (1909-10) et le Concerto pour violoncelle op. 85 (1919), sa dernière grande partition achevée, et, en musique de chambre, les trois ouvrages tardifs que sont la Sonate pour piano et violon op. 82 (1918), le Quatuor à cordes op. 83 (1918) et le Quintette pour piano et cordes op. 84 (1918-19). Fait en 1924 maître de la Musique du roi, seule fonction officielle qu’il ait acceptée à l’exception de la chaire de musique à l’université de Birmingham de 1905 à 1908, il passa ses quinze dernières années dans un silence à peu près total, ayant été très affecté par la mort de sa femme en avril 1920. Il faut dire aussi que l’Angleterre d’après la Première Guerre mondiale n’était plus celle qu’il avait connue et aimée. Considéré dans son pays comme un compositeur de premier plan, trop souvent ignoré ailleurs, il mérite da-

vantage cet « excès d’honneur » que cette « indignité ». Ce fut un grand maître de l’orchestre, et on trouve indéniablement chez lui des pages hautement inspirées. La musique de Purcell et des compositeurs anglais des XVIe et XVIIe siècles ne signifia à peu près rien pour lui, ce qui ne devait pas être le cas de ses cadets immédiats comme Vaughan Williams, mais il contribua grandement à redonner à l’Angleterre une place de choix (et par là même confiance en soi) en matière de création musicale. L’indication nobilmente, qu’on retrouve souvent dans ses partitions, le résume en quelque sorte : par-delà le pessimisme de ses dernières oeuvres, écrites sous le coup de la guerre, il personnifia typiquement la Grande-Bretagne du roi Édouard VII, à la mémoire duquel il dédia d’ailleurs sa 2e Symphonie. À sa mort, il laissa inachevés une 3e Symphonie et l’opéra The Spanish Lady, d’après The devil is an ass de Ben Jonson. ELMAN (Mischa), violoniste américain d’origine russe (Talnoi, district de Kiev, 1891 - New York 1967). Il étudia le violon à l’Académie impériale de musique d’Odessa, puis avec Leopold Auer au conservatoire de Saint-Pétersbourg, où César Cui lui enseigna d’autre part la composition. Il fit de brillants débuts à Berlin dès 1904, puis se produisit dans diverses villes d’Allemagne, à Londres, puis en Amérique (1908). Il fut dès lors considéré comme l’un des plus grands violonistes de son époque. Sa sonorité était très particulière, fascinante, et sa musicalité, très grande. Il a écrit pour son instrument quelques pièces et des arrangements. ELMENDORFF (Karl), chef d’orchestre allemand (Düsseldorf 1891 - Hofheim am Taunus 1962). Issu du conservatoire de Cologne, il s’est surtout distingué dans Wagner, ce dont témoigne sa présence au pupitre du Festspielhaus de Bayreuth de 1927 à 1942. ÉLOY (Jean-Claude), compositeur français (Mont-Saint-Aignan, Seine-Maritime, 1938). Marqué dans sa jeunesse par la découverte de Debussy, de Messiaen, du Marteau sans maître de Boulez, il entra à douze ans

au Conservatoire de Paris et y obtint de 1957 à 1960 les premiers prix de piano, de musique de chambre, d’ondes Martenot et de contrepoint. Il suivit également de 1957 à 1960 les cours de Henri Pousseur et de Hermann Scherchen à Darmstadt et de 1961 à 1963 ceux de Pierre Boulez à Bâle. En 1961, Chants pour une ombre pour soprano et 9 instruments lui valut un second prix de composition dans la classe de Darius Milhaud. De cette première phase créatrice marquée par le sérialisme et par l’influence de Boulez - mais aussi par celle de Varèse, rencontré aux États-Unis en 1964 - relèvent Étude III pour orchestre (1962) et surtout Équivalences pour 18 instrumentistes (1963). C’est moins vrai déjà de Poly-Chromies I et II pour orchestre à vent, 6 percussions et harpe (1964). En 1966, Éloy écrivit la musique du film la Religieuse de Jacques Rivette, dont il tira l’année suivante Macles pour 6 groupes d’instruments. En 1968 suivit celle de l’Amour fou, de Rivette également. Ce film dure quatre heures, et là se manifesta nettement, pour la première fois, l’attrait exercé sur le compositeur (qui dès 1960 avait visité l’Égypte) par l’Orient. Deux années passées comme professeur d’analyse à Berkeley (1966-1968) lui firent prendre pleinement conscience de l’influence de certaines musiques de l’Orient et de l’Asie sur sa propre évolution. Faisceaux-Diffractions pour 28 instrumentistes (1970), commande de la Library of Congress, fut le reflet de cette rupture avec le sérialisme : dans cette musique violente, où les instrumentistes sont divisés en trois « orchestres », la notion de temps joue un rôle essentiel. « Après les rigueurs de Darmstadt, la musique indienne, où prime la naissance du son, la vie intrinsèque du son dans sa beauté sensuelle, avec mille détails à l’intérieur de ce son, me fascinait » (Éloy). Mais c’est surtout dans Kamakala pour trois groupes d’orchestre, trois chefs et cinq choeurs de douze voix mixtes (1971) que se manifesta ce qui, de plus en plus, avait constitué un pôle opposé à ses conceptions de départ : l’Orient. Là fut tentée la synthèse - jugée par lui indispensable et inévitable - de l’Orient et de l’Occident. Éloy rejette à ce propos le mot « intégration » (de l’Orient par l’Occident), et préfère celui d’« hybridation », opposant par exemple la musique néosé-

rielle et postsérielle « fondée sur l’utilisation du discontinu dans tous les plans » au « sens très fort de la continuité des événements sonores » des Orientaux. Invité par Stockhausen au Studio de musique électronique de la radio de Cologne, Éloy lui dédia l’oeuvre qu’il y réalisa en 197273 : Shanti (« paix » en sanscrit), musique de méditation pour sons électroniques et concrets, créée à Royan en 1974 et considérée comme un élargissement de cette démarche. Cette oeuvre longue (deux heures et demie) expérimenta de nouveaux rapports entre le timbre et le temps. Au Studio électronique de la N. H. K. à Tokyo fut réalisée une nouvelle oeuvre de vastes dimensions, Gaku-No-Michi (« les Voies de la musique »), film sans images pour sons électroniques et concrets (197778) s’écartant de toute évocation d’événements ou d’émotions et tendant à faire sentir la réalité de l’infini. À propos de Fluctuante-Immuable pour orchestre (1977), commande de l’Orchestre de Paris, le compositeur évoqua « l’immobilité sous-jacente et permanente d’un discours toujours varié et renouvelé en dehors de toute connotation philosophique ou extramusicale ». En effet, Éloy ne cherche nullement à intégrer une quelconque théorie « orientale » à un langage européen, mais bien plutôt à enrichir la tradition d’Occident par une perception neuve des choses et du temps, précisant avoir trouvé dans la musique orientale une sorte d’improvisation transcendée qui, fait remarquable, repose sur « une base toujours perceptible sur laquelle se développe l’esprit de la variation ». Sa démarche de compositeur, il n’est pas inutile de le préciser, ne fait appel ni à l’improvisation ni au hasard, et sa musique est entièrement « écrite ». Yo-In (« Réverbérations »), musique pour un rituel imaginaire avec bande magnétique, un percussionniste, un modulateur et des jeux de lumière (1979), fut créé au S. I. G. M. A. de Bordeaux en 1980. En 1980 fut réalisée sur l’U. P. I. C. de Yannis Xenakis Étude IV, oeuvre soustitrée « Points-Lignes-Paysages ». Ont suivi notamment À l’approche du feu méditant..., cérémonie bouddhique (1983), Sappho Hikétis pour 2 voix de femme et bande (1989), Rosa, Sonja... d’après Rosa Luxemburg (1991). Personnalité ouverte à des activités fort diverses (il a été pendant un an directeur de la musique au Festival d’automne de

Paris et a publié de nombreux articles) ainsi qu’aux autres arts, Éloy a reçu de la S. A. C. E. M. le grand prix de la musique de chambre en 1971 et le prix de la promotion de la musique symphonique en 1980. Il a reçu en outre le Prix national de la musique en 1981. downloadModeText.vue.download 347 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 341 ELSNER (Józef Ksawery), compositeur et chef d’orchestre polonais (Grotków, Silésie, 1769 - Varsovie 1854). Chef d’orchestre au Théâtre national de Varsovie, fondateur et directeur d’une école supérieure de musique en 1810 et du premier conservatoire polonais en 1821, maître de Chopin et de presque tous les compositeurs polonais de la première moitié du XIXe siècle, J. Elsner se consacra au développement de la culture nationale et tenta, dans son oeuvre, d’échapper aux influences étrangères, en particulier celle de l’opéra italien, pour développer des caractéristiques musicales spécifiquement polonaises ; c’est ainsi qu’il publia en 1805 un recueil d’une trentaine de mélodies (dont certaines de M. Kamienski et de J. Stefani), chants de style galant et mélodies pastorales où plusieurs tendances stylistiques annoncent le mouvement romantique. J. Elsner écrivit également plusieurs opéras consacrés à des thèmes historiques où s’introduisent des motifs de danses polonaises (notamment de mazurka et de polonaise) : Sept fois un (1804), Leszek le blanc (1809), le Sultan Wampum (1800), la Belle Urzella (1806). Il est l’auteur de plusieurs oeuvres d’inspiration religieuse de grande valeur dont la Messe latine où apparaît une mélodie de chant traditionnel, l’oratorio la Passion du Christ (1832), un Requiem (1826). Son oeuvre pour musique de chambre a été principalement composée avant 1800 à Lvov ; elle comprend des sonates pour piano, violon, des trios, quatuors, variations. Franc-maçon, J. Elsner composa l’Hymne au grand orient de Pologne. Il écrivit aussi plusieurs traités théoriques et son influence en tant que pédagogue fut décisive pour la vie musicale polonaise au XIXe siècle. ELSSLER, famille de musiciens autrichiens.

1.Joseph, copiste (Kiesling, Silésie ? -Eisenstadt 1782). Entré en 1764 chez les Esterhazy comme copiste, il servit aussi de copiste privé à Haydn, dont le premier catalogue des oeuvres (Entwurf Katalog) est en partie de sa main. 2.Johann, copiste, fils du précédent (Eisenstadt 1769-Vienne 1843). Copiste privé de Haydn à partir de 1787, il devint en outre son factotum à partir des années 1790, l’accompagna lors de son second voyage en Angleterre (1794-1795) et vécut dans son entourage immédiat jusqu’à sa mort en 1809. Le second catalogue des oeuvres de Haydn (Haydn Verzeichnis) est à peu près entièrement de sa main. 3.Fanny, danseuse, fille du précédent (Vienne 1810-id. 1884). Après des débuts à Vienne, elle se produisit en Italie (1824), à Berlin (1830), à Londres et à Paris (1834) et fit de 1840 à 1842 une tournée triomphale en Amérique avant de se retirer en 1851. Elle fut comme danseuse la plus grande représentante du ballet romantique. EMBOUCHURE. Désigne, dans tout instrument à vent de la famille des cuivres, la partie qui se trouve en contact avec les lèvres de l’exécutant. C’est un petit entonnoir en métal plus ou moins épais, aux rebords plus ou moins larges, de forme extérieure hémisphéri que, conique ou cylindrique, que l’on enfonce à l’entrée du tuyau sonore. D’une manière générale, les petites embouchures facilitent l’émission des notes aiguës, et les grosses celle des notes graves, d’où une différence de format considérable entre, par exemple, l’embouchure du tuba et celle de la trompette. Mais chaque instrument requiert aussi une perce (appelée « grain ») et un profil intérieur particuliers, sans parler des modifications de détail dont le choix dépend des préférences de l’instrumentiste. On appelle également « embouchure » la plaque métallique, percée d’un trou ovale, des flûtes traversières modernes. ÉMISSION. Phénomène physique de la production d’un mouvement vibratoire, véhicule de sons.

Le mot est employé en particulier dans la terminologie de la technique vocale. En ce sens, le mode de production du son est étudié dans l’article phonation. EMMANUEL (Maurice), compositeur et musicologue français (Bar-sur-Aube 1862 - Paris 1938). Dès son enfance à Beaune, où ses parents se sont fixés en 1867, Maurice Emmanuel découvrit les richesses du folklore en écoutant les chants des vignerons. En 1880, il entra au Conservatoire de Paris et suivit les cours de la Sorbonne. Il obtint en 1886 sa licence ès lettres. Au Conservatoire, il fut l’élève, en histoire de la musique, de Bourgault-Ducoudray, qui encouragea ses recherches sur la musique modale et, en composition, de Léo Delibes, qui réprouva ses audaces. En dehors du Conservatoire, il reçut des leçons d’Ernest Guiraud, chez qui il rencontra Claude Debussy. Ses premières oeuvres, Sonate pour violoncelle et piano (1887), Ouverture pour un conte gai (1890), témoignent de son indépendance vis-à-vis de l’enseignement officiel. En 1895, Maurice Emmanuel soutint en Sorbonne sa thèse de doctorat, un Essai sur l’orchestique grecque. Il avait entrepris cette étude, non pour faire preuve d’érudition, mais « pour y retrouver de la vie et, musicalement, des richesses en sommeil ». Après avoir enseigné l’histoire de l’art dans des lycées, Maurice Emmanuel fut, en 1907, nommé professeur d’histoire de la musique au Conservatoire de Paris. Il occupa ce poste jusqu’en 1936. Ses oeuvres, à l’exception des Six Sonatines, composées entre 1893 et 1925, et des Trente Chansons bourguignonnes (1913), furent rarement exécutées, mais la création de Salamine, en 1929, à l’Opéra de Paris, fit une forte impression. Ce compositeur original, dont l’art viril et sobre s’appuyait sur une connaissance approfondie de la musique antique et des sources populaires, n’est pas encore apprécié à sa juste valeur ; mais l’influence qu’il a exercée en remettant en honneur les modes anciens et la rythmique grecque est unanimement reconnue. On lui doit aussi un traité fondamental, Histoire de la langue musicale (1911). EMPFINDSAMKEIT.

Terme allemand signifiant « sensibilité », et désignant un courant littéraire et musical du XVIIIe siècle en réaction contre le rationalisme de l’Aufklärung (des Lumières) : ce n’est plus l’harmonie préétablie de la nature et des hommes qu’il faut explorer, mais leurs remous profonds et insondables. Pour le musicien, la science importe donc moins que la liberté de l’inspiration et de la forme. D’où une floraison de fantaisies cherchant à exprimer les mouvements de l’âme, fantasieren ne signifiant alors pas improviser selon les règles en faisant étalage de sa science, mais exprimer ses humeurs et ses sentiments en improvisant. La personnalité la plus représentative de l’Empfindsamkeit en musique fut Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788), dont certaines oeuvres, en particulier pour clavier, traduisent des états d’âme changeants jusqu’à la bizarrerie, et non sans traits velléitaires : ce en quoi l’Empfindsamkeit se distingue nettement du Sturm und Drang, plus tardif (v. 1770), « préromantique » lui aussi, mais dont les explosions même brusques n’excluent pas une discipline d’ensemble. Pour autant que l’on sache, le terme empfindsam apparut pour la première fois en 1755 sous la plume de l’écrivain et publiciste Christoph Friedrich Nicolai (1733-1811). Lessing s’en empara dans sa traduction du Sentimental Journey (« Empfindsame Reise ») de Laurence Sterne (1768), et il devint à la mode. EMPRUNT. 1. Les harmonistes nomment « emprunt » ou « modulation passagère » l’emploi occasionnel, dans une tonalité déterminée, d’altérations ou de formules cadencielles appartenant à une autre tonalité, sans pour autant entraîner de véritable modulation. Ils sont toutefois divisés sur l’étendue à donner à cette notion. Pour les tonalistes stricts, développant l’enseignement downloadModeText.vue.download 348 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 342 de Rameau, toute altération étrangère à la tonalité, à moins qu’elle ne soit strictement de passage, détermine un emprunt à la tonalité dont elle fait partie. Pour les

antiramistes, dont le principal porte-parole fut Momigny vers 1800, n’importe quelle altération peut entrer dans n’importe quelle tonalité tant qu’elle ne fait pas oublier la référence à la tonique, ce qui restreint considérablement la notion d’emprunt. Celle-ci se voit à nouveau très circonscrite par la notion de naturalisation dégagée par J. Chailley dans ses recherches de philologie musicale ; cette notion simplifie considérablement l’analyse en réintégrant dans un cadre tonal normal, conforme à la perception, des inflexions dont l’analyse antérieure eût exigé des cascades d’emprunts sans cohérence ni justification psychologique. 2. En facture d’orgue, on parle d’emprunt lorsque, en raison d’une imperfection telle qu’une fuite d’air, on entend sonner une note qui n’a pas été jouée. 3.cÀ l’orgue également, l’emprunt est une technique grâce à laquelle un clavier autre que le clavier habituel joue un jeu déterminé. Par exemple, un jeu de clavier du grand orgue peut être entendu sur le pédalier. ENCHAÎNEMENT. Manière de faire se succéder de façon cohérente les sons, les accords ou les différentes parties du discours musical. On réserve aussi parfois le nom d’enchaînement à des fragments plus ou moins formulaires sans valeur signifiante intrinsèque, dont le seul objet est d’établir une liaison entre deux éléments successifs. Sur les principes d’enchaînement en ce qui concerne les sons et les accords, voir l’article conjonction. On appelle enfin « enchaînement » la succession sans interruption de deux morceaux ou mouvements distincts ; l’enchaînement est alors indiqué dans la partition par le mot « attaca ». ENCINA (Juan del), compositeur et poète espagnol (Salamanque 1468 León 1529). Fils d’un cordonnier, il devint l’élève de Nebrija à l’université de Salamanque, puis entra au service du duc d’Albe et eut la charge des diverses manifestations artistiques organisées par cette illustre famille. C’est ainsi qu’il composa et dirigea en 1492 un poème pastoral (églogue) ayant

pour sujet la Nativité. Au cours de sa carrière, il cultiva d’ailleurs particulièrement le genre de l’églogue, dans sa forme espagnole des autos sacramentales, qui annonce l’oratorio (Auto del Repelón, etc.). Encina lui-même précise que la plupart de ses oeuvres poétiques et musicales furent composées avant l’âge de vingt-cinq ans, c’est-à-dire avant son départ pour Rome, lié au fait qu’il n’avait pas obtenu le poste de maître de chapelle qu’il convoitait à Salamanque. Il fit plusieurs séjours à Rome entre 1500 et 1516. Au cours du dernier (1514-1516), il publia sa Farsa de Placida y Victoriano. Lors d’un voyage en Terre sainte, il fut ordonné prêtre, et sa première messe (1519) lui inspira une description poétique (Tribagia, 1521). De 1523 à sa mort, il occupa les charges de chanoine de León et Málaga. Encina fut surtout un compositeur de villancicos ou chansons d’amour. Une centaine environ, constituant la majeure partie de son oeuvre, ont été conservées, notamment dans deux chansonniers, essentiellement le Cancionero del Palacio (1496, rééd. par H. Anglés : Monumentos de la música española, vol. V, 1947 ; X, 1951 ; XIV, 1953), mais aussi le Cancionero de Upsala, paru à Venise en 1556 (rééd. par J. Bal y Gay, El Colegio de México, 1944). Dans ces pièces bien équilibrées, le plus souvent à 4 voix, l’expression du lyrisme et de l’émotion se fait à travers une technique de plus en plus maîtrisée, donnant une impression de simplicité ; on y remarque la qualité de l’invention mélodique, en particulier celle du superius, et la correspondance exacte de la musique avec les textes. Certaines pièces laissent même prévoir de manière surprenante, dans l’importance accordée au texte, la réforme que devait connaître l’Italie à la fin du XVIe siècle. ENCINAR (José Ramón), compositeur espagnol (Madrid 1954). Il a travaillé la guitare et étudié au conservatoire de sa ville natale, puis à l’Accademia Chigiana de Sienne avec Franco Donatoni en 1971 et (après une année à Milan) en 1972. Depuis 1973, il dirige à Madrid le groupe Koan, spécialisé dans l’exécution des oeuvres contemporaines, et, depuis 1976, enseigne comme assistant la composition à l’Accademia Chigiana. Il a écrit notamment un quintette pour

piano et cordes (1969) et un autre pour harpe, clavecin, guitare, alto et violoncelle (1971), Homenaje aJ. Cortazar pour voix et 4 instruments (1971), Intolerancia pour 19 cordes (1972), Abhava pour guitare et bande (1972). Tukuna pour 4 clarinettes (1973), Cum plenus forem enthusiasmo pour vihuela et 10 instruments (1973), El aire de saber cerrar los ojos pour guitare à 10 cordes (1975), Ballade pour soprano et harpe sur des textes de Charles d’Orléans (1978), Concert Movement pour clarinette et orchestre de chambre (1979), Canción pour voix et instruments sur un texte de Luis Cernuda (1981). ENCLUME. Instrument à percussion de la famille des « métaux ». Il consiste en une série de blocs d’acier de différentes longueurs posés sur socle qui fait caisse de résonance. Ces blocs sont frappés avec un marteau. Un emploi de cet instrument à des fins descriptives se rencontre, par exemple, dans le choeur des gitans du Trouvère, de Verdi, ou dans l’Or du Rhin, de Wagner. ENDRÈZE (Arthur Kraekmer, dit), baryton américain (Chicago, États-Unis, 1893 - id. 1975). Venu en France en 1918, il entra au conservatoire américain de Fontainebleau, où il fut l’élève de Charles Panzéra, puis travailla avec Jean de Reszké. Il débuta à Nice en 1925 dans le rôle de Don Juan, et fut engagé à l’Opéra de Paris en 1929 (débuts dans Valentin de Faust). Quoique invité à se produire à l’étranger, il fit ensuite l’essentiel de sa carrière à l’Opéra-Comique et surtout à l’Opéra, où il chanta une grande variété de rôles du répertoire français, allemand et italien et créa de nombreux ouvrages, dont Guercoeur de Magnard (1931), et Maximilien (rôle de Herzfeld, 1932) de Milhaud. Il fut aussi le créateur du rôle de Metternich dans l’Aiglon d’Ibert et Honegger à l’Opéra de Monte-Carlo en 1937. Endrèze fut un chanteur modèle par son phrasé et sa diction, et un artiste complet, musicien et acteur exceptionnel. Iago dans Otello de Verdi et Hamlet dans l’opéra d’Ambroise Thomas comptent parmi les rôles qu’il marqua de son empreinte. ENESCO (George), compositeur, violo-

niste, pianiste et chef d’orchestre roumain (Liveni-Vîrnav, près de Dorohoi, 1881 - Paris 1955). Il fit de 1888 à 1894 des études au conservatoire de la Société des amis de la musique de Vienne, notamment avec J. Hellmesberger (musique de chambre) et J. Hellmesberger Jr (violon) ; ce dernier lui fit rencontrer Brahms. En 1894, Enesco composa ses premières oeuvres : une Introduction et une Ballade pour piano. Il se rendit à Paris et y fut au Conservatoire, de 1895 à 1899, l’élève de Marsick et White (violon), Ambroise Thomas et Théodore Dubois (harmonie), Gédalge (contrepoint), Massenet et Fauré (composition). Il trouva dans la capitale française un milieu artistique et intellectuel qui stimula ses facultés. La princesse Bibesco l’introduisit dans les cercles musicaux, le présenta à Saint-Saëns, ainsi qu’à Édouard Colonne qui dirigea en 1898 la première audition du Poème roumain. La même année, Enesco créa aux côtés de Cortot sa 1re Sonate pour violon et piano. En 1900, il se produisit pour la première fois comme violoniste aux concerts Colonne : ce fut le début d’une grande carrière de soliste, comprenant notamment des tournées aux États-Unis à partir de 1923, carrière qui downloadModeText.vue.download 349 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 343 n’interrompit pas son activité de compositeur, dont une des dates essentielles est 1931 ; cette année vit l’achèvement de l’opéra OEdipe, oeuvre qui avait préoccupé Enesco pendant trente ans et devait être créée à l’Opéra en 1936. En 1937, il épousa la princesse Cantacuzène. Après la Seconde Guerre mondiale, il participa à Bucarest à une exécution de l’intégrale des Quatuors de Beethoven et travailla à ses dernières oeuvres : le 2e Quatuor à cordes (1950-1953), la Symphonie de chambre pour 12 instruments solistes (1954) et le poème symphonique Vox maris (1950). Enesco fut un musicien complet, aux dons riches et multiples, et un éminent professeur de violon, qui eut notamment pour élève Yehudi Menuhin. Son auréole d’interprète a trop souvent fait oublier la profonde originalité de ses compositions. Dans celles-ci, il s’inspira du folklore de

son pays, mais son évolution tendit vers une utilisation de plus en plus sublimée de celui-ci. Le folklore assume encore un rôle pittoresque dans les deux Rhapsodies roumaines (1901). Mais déjà vers la même époque, il est mieux maîtrisé dans la 1re Symphonie (1905), qui utilise le langage polyphonique de la fin du XIXe siècle, notamment celui de Brahms, avec une parfaite domination mais sans académisme, dans la 2e Sonate pour violon et piano (1899), l’Octuor (1900), le Dixtuor (1906), qui font une synthèse originale entre une inspiration nourrie des grandes traditions classiques et romantiques et un chant puisant aux sources populaires. Mais c’est dans la 3e Sonate pour violon et piano « dans le caractère populaire roumain » (1926) que le génie d’Enesco éclate vraiment : ici le folklore est transcendé, le chant du violon jaillit, entièrement inventé et comme improvisé librement, plus brûlant encore que chez ces « lǎutari » qui ont bercé l’enfance du compositeur. Dans cette assimilation « organique » du folklore, Enesco, tout en retrouvant le chant profond de sa race, utilise une écriture audacieuse, avec des recherches de timbres qui évoquent Schönberg et Webern et des quarts de ton que l’on retrouve dans OEdipe. Dans cet opéra puissant et généreux, un riche matériau musical traduit la grandeur du mythe grec et sa force tragique. La noble figure d’OEdipe acquiert ici une dimension universelle et une profonde signification humaine, symbolisant le pathétique combat de l’homme contre le Destin. C’est la clef de voûte de l’oeuvre d’Enesco. Les dernières oeuvres comme le 2e Quatuor à cordes et la Symphonie de chambre utilisent une construction chère au compositeur : une forme cyclique où les idées musicales se perpétuent d’un mouvement à l’autre, se métamorphosent progressivement, et ne se développent complètement qu’à la fin de l’oeuvre tout entière, réalisant ainsi l’intégration des mouvements dans une unité morphologique supérieure. ENGEL (Carl), musicographe, éditeur et compositeur américain d’origine allemande (Paris 1883 - New York 1944). Il fit ses études aux universités de Strasbourg et de Munich, et étudia la composition avec Ludwig Thuille. Installé aux États-Unis à partir de 1905, il y fut conseil-

ler musical de la Boston Music Company (1909-1922) et responsable musical de la Library of Congress à Washington (19221934). En 1929, il fut nommé directeur du périodique musical Musical Quarterly et président des éditions Shirmer. Il a laissé de nombreux articles musicographiques, deux ouvrages (Alla breve, from Bach to Debussy, 1921 ; Discords Mingled, 1931), ainsi que des compositions et des transcriptions vocales, de la musique pour violon et pour piano. ENGELMANN (Hans Ulrich), compositeur allemand (Darmstadt 1921). Après avoir commencé dans sa ville natale des études musicales interrompues par la guerre, il a travaillé la composition avec Fortner à Heidelberg et suivi les cours d’été de Krenek et Leibowitz à Darmstadt. Parallèlement, à l’université de Francfort, il a été l’élève d’Adorno en philosophie et a poursuivi des études de musicologie conclues par une thèse sur Mikrokosmos de Bartók (Wurtzbourg, 1952). Il a été à partir de 1969 chargé de cours de composition à la Musikhochschule de Francfort. Conseiller artistique au Landestheater de Darmstadt de 1954 à 1961, il a toujours vécu très près des milieux du spectacle et, dans son oeuvre abondante, les musiques de scène, de radio (opéras radiophoniques Doktor Fausts Höllenfahrt, « le Voyage de Faust en enfer », 1949-50 ; Der Fall van Damm, « le Cas van Damm », 1966-67 ; etc.), de film tiennent une place importante. Il a aussi composé de la musique d’orchestre (Stele für Büchner, canto sinfonico pour solistes, choeur et orchestre, 1986), des oeuvres pour piano, diverses oeuvres instrumentales, des cantates, des choeurs, des ballets. Adepte de la technique sérielle, il s’est progressivement tourné vers la musique électronique. Il est, d’autre part, l’auteur de nombreux articles de recherche et de réflexion. ENGERER (Brigitte), pianiste française (Tunis 1952). Elle entre à l’âge de onze ans au Conservatoire de Paris, dans la classe de Lucette Descaves, et obtient quatre ans plus tard un 1er Prix de piano. Lauréate du Concours Long-Thibaud en 1969, elle part l’année suivante étudier au Conservatoire de Moscou, où elle reste jusqu’en 1975. En 1974, elle est lauréate du Concours

Tchaïkovski et en 1978 du Concours Reine Élisabeth de Belgique. En 1980, Herbert von Karajan l’invite à jouer avec l’Orchestre philharmonique de Vienne. Daniel Barenboïm l’invite à son tour à se produire avec l’Orchestre de Paris, Zubin Mehta avec le New York Philharmonic. Elle réserve une place importante à la musique de chambre. La puissance et la finesse de son jeu lui permettent d’interpréter avec bonheur aussi bien les pièces lourdes du répertoire (la Wandererfantasie de Schubert, les Tableaux d’une exposition de Moussorgski ou les dernières sonates de Beethoven) que les pièces poétiques et fantasques d’un Schumann. ENGLERT (Giuseppe Giorgio), organiste et compositeur suisse (Fiesole, Italie, 1927). Élève du conservatoire de Zurich (W. Burkhard, H. Funk) de 1945 à 1948, il s’installa en 1949 à Paris et y poursuivit ses études d’orgue avec André Marchal (1949-1956), dont il devint l’assistant à Saint-Eustache (1957-1962). Il fréquenta aussi les cours de Darmstadt. Codirecteur du Centre de musique de Paris (19641968), il fut appelé en 1970 à enseigner à l’université Paris VIII (Vincennes) sur le thème de l’expression musicale collective, et y fonda en 1975 le Groupe art et informatique de Vincennes (G. A. I. V.), avec, comme objectif, la production et la présentation « live » de musique électronique avec des instruments hybrides. Il a également travaillé au Groupe d’études et de recherches musicales (G. E. R. M.) de Pierre Mariétan. Comme oeuvres autonomes, on lui doit notamment les Avoines folles pour quatuor à cordes (1962-63), Fragment pour orchestre (1964), le Roman de Kapitagolei pour orchestre (1966-67), Cantus plumbeus non pulsando pro organo pour orgue (1972), Quatuor « S » pour synthétiseur (1978-79), Trinsin-Funpol pour 5 instruments (1980). Viennent s’y ajouter des oeuvres-contributions comme Vagans animula pour orgue et bande magnétique (1969), où l’instrumentiste doit répondre, d’après des indications de l’auteur, à une bande préalablement réalisée à partir des sons de l’orgue, et des productions collectives comme Musique... Sic (université Paris VIII, 1971) ou Sept Heures d’activités continues autour de mini-ordinateurs (G. A. I. V., 1978). ENGLISH OPERA GROUP .

« Groupe anglais d’opéra » fondé par le compositeur Benjamin Britten, le librettiste Eric Crozier et le décorateur John Piper au lendemain de la création, à Glyndebourne, du premier opéra de chambre de Britten, The Rape of Lucretia, en juillet 1947. La jeune compagnie, qui se proposait d’ouvrir un débouché au nouveau théâtre lyrique, a monté avec un soin downloadModeText.vue.download 350 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 344 extrême plusieurs ouvrages de Britten (Albert Herring, The Beggar’s Opera, The Turn of the Screw, etc.), d’Easdale et de Berkeley, ainsi que des oeuvres de Purcell et autres compositeurs anciens. On lui doit aussi la fondation en 1949 du festival d’Aldeburgh et celle de l’Opéra Studio, devenu par la suite Opera School, puis National School of Opera. De nombreuses tournées ont fait applaudir hors de son pays d’origine l’English Opera Group, qui a été financièrement absorbé par l’Opéra royal de Covent Garden en 1961. ENGLUND (Einar), compositeur finlandais (Gotland, Suède, 1916). Après ses études à l’Académie de musique d’Helsinki où, de 1933 à 1941, il mène de front la composition avec Selim Palmgren, l’orchestration avec Leo Funtek et le piano, puis à Tanglewood (États-Unis), où, en 1949, il travaille avec Aaron Copland, Englund s’affirme aussi bien comme compositeur, pianiste, critique musical au Hufvudstadsbladet de Helsinki (1957) que comme professeur de théorie musicale à l’Académie de musique d’Helsinki (1958). En 1948, la création de sa 2e symphonie est le premier événement important de l’ère postsibelienne en Finlande. Compositeur inventif et indépendant, il utilise un langage tonal élargi de manière non conventionnelle. Son orchestration est vigoureuse et sa thématique est servie par une grande clarté formelle. Il a écrit 7 symphonies en 1946, 1948 (Koltrast, « l’Oiseau noir »), 1971, 1976, 1977-78 (Fennica), 1984 (Aphorismes) et 1988, des concertos pour piano (1955, 1974), pour violon (1981), pour flûte (1985) et pour violoncelle (1954), plus de 20 musiques de film (Valkoinen peura, « le Renne blanc »,

1954), de la musique instrumentale et vocale et 2 ballets (Sinuhe, 1965 ; Odysseus, 1959). ENHARMONIE. 1. Dans la musique grecque, le « genre enharmonique » désignait une division irrégulière du tétracorde (v. chromatique, diatonique). Cette division irrégulière utilisait ce que nous appellerions, de nos jours, des quarts de ton, par exemple mido-do un quart de ton plus bas -si. 2. Actuellement, et depuis l’apparition de la polyphonie occidentale, l’enharmonie désigne des enchaînements, soit mélodiques, soit harmoniques, entre des notes dont la hauteur se trouve être presque la même (tout à fait la même sur le clavier des instruments accordés au tempérament égal), mais dont la fonction musicale et surtout harmonique peut être différente. Par exemple, sur le piano, do dièse et ré bémol sont représentés par la même note. Mais do dièse peut évoquer la tonalité de ré majeur, en même temps que ré bémol peut évoquer celle de la bémol majeur. Dans l’Enharmonique, célèbre pièce de clavecin de Rameau, lors de la douzième mesure après la barre de reprise, un accord de septième diminuée appartient par enharmonie aux tonalités de ré mineur et de fa mineur. À Londres, Haydn écrivit deux oeuvres (la cantate Berenice che fai ? et la symphonie no 102) contenant des modulations enharmoniques spectaculaires, et prit bien soin d’indiquer aux exécutants (en anglais) qu’il s’agissait de the same note (la même note). ÉNIGME. Phrase ou sentence (dite aussi devise) jointe à un canon énigmatique pour en faciliter la résolution. On en trouve, par exemple, dans l’Offrande musicale de J.-S. Bach. ENOCQ (Étienne), facteur d’orgues français ( ? - Paris 1682). Il fut associé à son beau-frère Robert Clicquot. En sa qualité de facteur d’orgues du roi, il construisit des instruments de salon ou de chapelle pour les châteaux des Tuileries, de Fontainebleau, de Saint-Germain-en-Laye et de Versailles.

ENREGISTREMENT. Si le rêve de l’enregistrement des sons remonte à l’Antiquité, il ne suscita que des fantaisies poétiques (Platon, Rabelais, Cyrano de Bergerac) jusqu’à ce qu’un Français, Léon Scott de Martinville, s’avisant du mouvement vibratoire des sons, construisît son phonautographe (1857) : un stylet, mis en vibration par une membrane recevant la pression acoustique, traçait l’ondulation correspondante sur une plaque de verre enduite de noir de fumée et se déplaçant régulièrement. Ce procédé, qui anticipa exactement sur le microphone et le burin de gravure, fixait une image des sons émis, mais était malheureusement impuissant à les reproduire. Vingt ans plus tard, le 16 avril 1877, le poète français Charles Cros donna la description d’un appareil qu’il nommait paléophone : le déplacement latéral d’un burin, mis en vibration, gravait une empreinte dans la matière d’un disque en rotation. Ce disque pouvait servir à en fabriquer d’autres identiques, par galvano-plastie et pressage. Et en procédant à l’inverse de l’enregistrement, on le lisait et il engendrait des vibrations acoustiques dans un cornet amplificateur. Le principe de l’enregistrement et de la reproduction sonore sur disques était trouvé, mais il demeura dix ans à l’état d’idée, sans connaître de réalisation pratique. La même année, l’Américain Thomas Alva Edison fit construire une machine de type analogue, dans laquelle les vibrations étaient enregistrées sur un cylindre tournant (12 août 1877). Homme avant tout pragmatique, Edison ne chercha pas à concrétiser un rêve, mais plus simplement à faciliter le travail de bureau par une machine permettant de dicter le courrier ; le cylindre y était réutilisable à volonté après lecture, puisqu’on pouvait effacer l’inscription gravée par rabotage. Perfectionné par Bell et Tainter, le graphophone d’Edison fut la première machine parlante couramment exploitée, et le resta jusqu’au lendemain de la Grande Guerre. Il fut très utilisé comme appareil de bureau, mais son développement comme système de lecture de musique enregistrée se heurta à l’impossibilité de réaliser une duplication industrielle des

cylindres : chacun devait être enregistré individuellement. Les travaux des Français Henri Lioret, puis Charles et Émile Pathé, et des Allemands Joseph et Emile Berliner allaient développer l’idée de Charles Cros. En 1898, les frères Berliner fondèrent à Hanovre la première compagnie spécialisée dans la fabrication de disques pour gramophones tirés en séries industrielles : ce fut la Deutsche Grammophon Gesellschaft. Le succès fut foudroyant. Dès les premières années du siècle, la production annuelle se chiffra par millions de disques, pour un catalogue de plusieurs milliers de titres. Désormais, la grande aventure était partie, les firmes éditrices de disques et les fabriques de gramophones de toutes sortes, sans cesse perfectionnés, se multiplièrent et se diversifièrent. Dès 1908, un premier enregistrement intégral de Carmen fut réalisé (en allemand, avec Emmy Destinn). En 1913, la première gravure complète d’une symphonie de Beethoven, la Cinquième, était effectuée par l’Orchestre philharmonique de Berlin, sous la direction d’Arthur Nikisch. En 1919, le pianiste Wilhelm Kempff signa son premier contrat d’enregistrement, tandis que Caruso (mort en 1921) confiait à la cire l’équivalent d’une dizaine d’heures d’enregistrement en soliste. Vers 1926, l’application de la lampe triode permit l’invention de l’amplificateur. Le gramophone devint électrophone, et d’« acoustique », l’enregistrement, considérablement amélioré, devenait « électrique ». Ce fut une ère nouvelle qui s’ouvrait. Datèrent de cette époque de nombreux enregistrements aujourd’hui réédités dans des conditions sonores très honorables (Chaliapine, Busch, Kreisler, Mengelberg, Weingartner, Thill, Huberman, etc.). Il fallut attendre un quart de siècle pour que se produisît la nouvelle révolution, avec le microsillon et la hautefidélité. Le microsillon marque un âge nouveau dans la diffusion du disque auprès du public le plus large, développement qui downloadModeText.vue.download 351 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE

345 intéresse désormais tout autant la sociologie que l’histoire de la musique : abandon de la pratique musicale au profit de l’écoute passive, énorme consommation musicale en tous lieux, accès à une vaste culture sonore, fixation de très nombreux événements acoustiques. Comme la photographie, le disque permet de constituer un « musée imaginaire » de la musique, de tous les âges et de tous les pays. En outre, par la référence toujours possible à d’autres interprétations, gravées avec la rigueur idéale (sinon toujours musicale et vivante) autorisée par la technique du montage de la bande magnétique, la virtuosité instrumentale et l’exigence du public se sont considérablement accrues sous l’effet du microsillon. Mais devant les excès de tant de stérile perfection technique, on en revient aujourd’hui à l’émotion de la pratique musicale, de l’enregistrement sur le vif et de la spontanéité de l’expression qui donnaient tout leur prix aux enregistrements et aux interprétations du passé : c’est la juste revanche de la musique sur la technique. En un siècle d’histoire, le disque a connu un développement considérable et de multiples standards quant à son format, sa vitesse de rotation, ses procédés de gravure et de fabrication. Le prodigieux essor du disque et de la « haute-fidélité », après la Seconde Guerre mondiale, a entraîné une indispensable normalisation internationale autour du disque microsillon ; mais une nouvelle époque de l’enregistrement et de la reproduction sonores s’amorce au tournant des années 80, avec le disque « numérique » ou « audiodigital » à lecture par rayon laser, dont aucune normalisation n’a cependant encore vu le jour en raison du formidable enjeu économique que représente l’adoption de tel ou tel procédé industriel. LE MICROSILLON. Il a été officiellement lancé le 21 juin 1948 à New York par les laboratoires CBS, à la suite des travaux du Belge René Snepvangers et de l’Américain Peter Goldmark. Il s’est répandu aux États-Unis, puis en Europe, au début des années 50. Sa réalisation matérielle a nécessité la mise au point, entre autres, d’une matière vinylique spéciale, de texture beaucoup plus fine et plus résistante que la gomme laque

employée jusqu’alors ; du même coup, l’adoption de ce matériau, l’acétochlorure de polyvinyle, a entraîné de très importantes améliorations électroacoustiques du support discographique. Le microsillon présente les caractéristiques principales suivantes : - la légèreté : de l’ordre de 150 g pour un disque de 30 cm de diamètre, contre 360 g pour un disque 78 tours de mêmes dimensions ; - la robustesse : le microsillon est incassable, mais sa surface est néanmoins beaucoup plus vulnérable que celle du disque 78 tours (empoussiérage, électrisation, sensibilité aux rayures) et il risque davantage de se voiler ou de se déformer sous l’action de la pression ou de la chaleur ; - la durée : l’étroitesse du sillon et la technique du pas variable, qui permet de loger plus économiquement les spires les unes contre les autres, font atteindre une durée de l’ordre de la demi-heure (au maximum) par face de disque 30 cm, contre quelque 4 min 30 s avec le disque 78 tours. Une durée de 23 à 25 min par face, en stéréophonie, représente la valeur moyenne la plus favorable à la qualité. On peut dépasser la demi-heure, mais au détriment de l’effet stéréophonique et de la dynamique musicale, et avec des distorsions élevées ; - la fidélité : la structure moléculaire de la pâte dans laquelle sont pressés les microsillons a diminué fortement le bruit de fond propre du disque, et donc permis d’accroître la dynamique. Simultanément, les nouvelles techniques de l’électronique ont élargi le spectre des fréquences reproduites, vers l’aigu comme vers le grave. Les perfectionnements de ces techniques ont contribué, à partir de 1960, à graver et à presser des disques stéréophoniques, dans lesquels les deux flancs du sillon reçoivent une information différente, correspondant à chacun des deux canaux de la stéréophonie. Le sillon du disque 33 tours monophonique microsillon a une largeur nominale de 70 micromètres (7/100 de mm) ; sa largeur moyenne est de l’ordre de 55 micromètres, et ne descend pas au-dessous de 50 micromètres. Les deux flancs gravés de ce sillon forment entre eux un angle de

90o, et le rayon du fond du sillon est de 5 micromètres. En stéréophonie, la largeur moyenne du sillon est de 40 micromètres ; elle ne descend pas au-dessous de 35 micromètres ; le rayon du fond du sillon est de 6 micromètres. Ce sont les flancs du sillon qui portent l’information mécanique, sorte de relief variable qui sera traduit en signaux sonores, et non pas le fond du sillon que la pointe de lecture ne doit surtout pas atteindre (ce qui risque de se produire si elle est usée ou inadaptée). Deux grands types standards ont été retenus par les fabricants et ratifiés par l’usage du public : - le disque de 30 cm tournant à 33 tours/ minute. La durée des faces est compatible avec les oeuvres de musique classique, ce qui évite la plupart du temps les coupures au milieu du déroulement musical ; - le disque de 17 cm tournant à 45 tours/minute. Le diamètre étant plus petit, on a adopté une vitesse plus élevée pour maintenir une qualité sonore suffisante. La durée d’enregistrement permet de loger deux chansons par face, ce qui, avec son prix modique et sa maniabilité, en fait le support idéal de la musique de variété. Son large trou central est destiné à l’usage des systèmes de changeur automatique des tourne-disques. D’autres formes standards, beaucoup plus rares et échappant au circuit commercial du grand public, existent pour des applications spéciales, notamment les disques à très faible vitesse de rotation. Le passage de la monophonie à la stéréophonie, au début des années 60, a posé des problèmes de compatibilité entre les deux types de gravure. Il fallait que les nouveaux disques stéréophoniques puissent, sans danger matériel ni détérioration sonore, être lus par n’importe quel équipement monophonique, avec une qualité (monophonique) normale tout en autorisant les meilleures conditions d’écoute en stéréophonie à l’aide des équipements appropriés. La solution fut trouvée en 1964 avec la « gravure universelle », gravure stéréophonique dans laquelle on limite volontairement les amplitudes de modulation verticale qui excéderaient un certain seuil. La diminution d’effet stéréophonique qui s’ensuit n’affecte que de

brefs passages et ne nuit théoriquement pas beaucoup à la perception de l’espace sonore. Avec la pratique de l’écoute stéréophonique, on a cherché à apporter un effet stéréo à des disques enregistrés antérieurement en monophonie. Un artifice électronique provoquant une dispersion de certaines fréquences sur deux canaux a pu faire illusion un certain temps, et l’on a ainsi regravé des enregistrements monophoniques stéréophonisés artificiellement en « pseudo-stéréo » (procédé Breitklang). Cette opération entraînant une perte de cohérence de l’image sonore, de nombreux éditeurs de disques ont, fort heureusement, abandonné ce procédé au profit de regravures monophoniques authentiques. LES NOUVELLES TECHNIQUES. Mais la recherche d’une fidélité toujours plus haute ne cessant de se poursuivre, des techniques nouvelles sont apparues au cours des années 70, qui préludent incontestablement à une importante révolution - la plus importante, peut-être, puisque devant supprimer le frottement entre une pointe et le disque -, révolution qui point à l’aube des années 80, celle du disque « numérique » ou « audiodigital ». La tétraphonie (ou quadriphonie). Elle répond au désir d’améliorer davantage la perception de l’espace sonore et sa reproduction. En procédant à une sorte de double stéréophonie, on peut capter les ondes provenant à l’oreille de l’auditeur depuis les différentes directions d’une salle de concert ; symétriquement, la downloadModeText.vue.download 352 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 346 reproduction de ces ondes dans le local d’écoute restitue plus fidèlement les conditions naturelles de l’audition. Ce procédé implique une gravure spéciale des disques au travers d’un codage, pour pouvoir loger une information double dans chaque flanc de sillon ; à la lecture, un décodeur reconstitue les quatre informations, traitées alors par un équipement correspondant (amplificateur quadruple, quatre enceintes acoustiques judicieusement placées). Quoique les éditeurs de

disques aient réalisé dans cette perspective leurs nouvelles prises de son et qu’ils aient même publié certains enregistrements en tétraphonie compatible avec la stéréophonie et la monophonie, le procédé ne s’est pas encore répandu. Il faut en trouver la cause principale dans l’accroissement important du coût des équipements domestiques et de leur encombrement, pour un résultat sonore auquel tout le monde n’est pas encore très sensible. LA GRAVURE DIRECTE. Revenant à la technique ancienne utilisée au temps des disques 78 tours, c’est-à-dire avant l’utilisation du magnétophone, ce procédé consiste à faire abstraction du magnétophone d’enregistrement et de tous les artifices électroniques intermédiaires entre le microphone et le burin graveur. Le gain en qualité est réel (diminution du souffle, augmentation de la dynamique), mais tout repentir est interdit (absence de montage). En outre, le tirage se trouve limité. Ce procédé est surtout valable pour le jazz. LE STANDARD 30 CM 45 TOURS/MINUTE. En adoptant la vitesse supérieure pour les disques 30 cm, on augmente la qualité de restitution (à condition que la qualité de la bande originale le justifie) : extension des fréquences reproduites vers l’aigu, réduction du bruit de fond, affaiblissement du taux de distorsion, meilleure restitution des transitoires. Cette qualité se paie d’une légère diminution de la durée disponible sur chaque face (20 minutes au maximum). LE PROCÉDÉ DES IMPULSIONS CODÉES (« PCM »). Procédé très complexe dérivé de l’informatique, il consiste à traiter le signal électrique fourni par les microphones de prise de son, sous forme de séries d’impulsions enregistrées en « tout-ou-rien ». L’amélioration de qualité du signal provenant du magnétophone (spécial) d’enregistrement est spectaculaire (dynamique, spectre de fréquences, séparation entre canaux, absence de pleurage). Ce signal peut être gravé sur disque par les techniques conventionnelles ; les disques ainsi réalisé sont sensiblement meilleurs que les autres, mais la matière même du disque et la lec-

ture par frottement d’une pointe dans le sillon en limitent les performances. Le disque compact. Le procédé des impulsions codées a pu être étendu à l’ensemble des techniques de prise de son et d’enregistrement sonore, ainsi qu’à la gravure et à la lecture du disque, faisant entrer celui-ci dans l’ère nouvelle ouverte par l’application à la reproduction sonore des techniques de numérisation utilisées en informatique. Le signal acoustique n’est plus reproduit par une inscription continue le reproduisant analogiquement à lui-même, mais, comme pour une image en télévision, par le truchement d’une analyse point par point qui en permet ensuite la reconstitution. Une fois transformé en signal électrique, le son est analysé à intervalles de temps réguliers très rapprochés, par « échantillons ». Sa valeur instantanée, à chaque prise d’échantillon, est mesurée et traduite en un nombre exprimé en numération binaire, c’est-à-dire à l’aide de 0 et de 1, éléments ou « bits », en un « mot » de 14 bits, 16 bits ou davantage. Plus long est le mot, meilleure est la « résolution », donc plus grande la finesse dans le rendu sonore. Le standard adopté a retenu une fréquence d’échantillonage de 44,1 kHz (c’est-àdire 44 100 échantillons par seconde), et une résolution de gravure de 16 bits. La gravure de l’information sur un support ne consiste plus en la déformation mécanique d’une matière sous l’effet d’une modulation, mais en l’inscription de signaux élémentaires s’opposant à l’absence de signal, dont rend compte un relief de « creux » et de « bosses » à la surface du disque. Ce profil binaire est inscrit par gravure électrochimique sur un support argenté réfléchissant, en une spirale se développant du centre vers l’extérieur du disque, de 0,5 micron de largeur (un demi-millième de millimètre). La surface est protégée mécaniquement par une couche transparente plastique dure, d’un millimètre d’épaisseur. Cette technique permet la fabrication industrielle des disques par pressage. La lecture s’opère à vitesse linéaire constante, au moyen d’un rayon lumineux (laser) dont la modulation, après réflexion sur la surface du disque, est transformée en signal électrique par un préamplificateur-décodeur approprié, signal ensuite traité par la chaîne de reproduction so-

nore traditionnelle (amplificateur, enceintes acoustiques). Outre ceux des informations musicales, le disque porte un certain nombre d’autres signaux, notamment de durée, d’identifications diverses, d’asservissement de sa vitesse de rotation, ainsi que de systèmes très complexes de protection de données et de correction des erreurs. Mis au point en Europe par les laboratoires de la firme Philips, sous la direction de Jaap Sinjou, et au Japon par ceux de Sony, sous la direction de Toshi Tada Doi, le nouveau petit disque « compact », ou CD (pour Compact Disc), a été présenté officiellement en 1980. L’adoption d’une normalisation internationale unique en a permis un succès très rapide, dès qu’ont été miniaturisés les matériels de lecture encore extrêmement volumineux à l’époque du fait de la complexité des circuits convertisseurs, et perfectionnées les très délicates techniques de fabrication des disques. Les premiers produits, disques et platines de lecture, sont apparus sur le marché en 1982. En moins de dix ans, ils avaient totalement supplanté le disque « noir », ou microsillon, de quelque standard qu’il se réclame. Peut-être pas définitivement, d’ailleurs, dans la mesure où quelques perfectionnistes, reprochant une certaine absence de « naturel » aux sons ainsi reconstitués, restent fidèles à la technique analogique du microsillon que certains fabricants ont recommencé à produire en petites quantités. Ce sont là les inconvénients (provisoires ?) dont se paient les avantages évidents du nouveau disque. Plus grand confort d’écoute, par une durée accrue (75 à 80 minutes environ, en stéréophonie, soit deux fois plus de temps sur une seule face que les deux faces d’un disque microsillon), plus grand réalisme, grâce à la disparition du bruit de fond et des bruits de surface - le disque compact est silencieux -, se traduisant par une dynamique considérable (96 dB). Avantages matériels, également : petites dimensions (diamètre de 12 cm), manipulation entièrement automatisée, disparition de l’usure et de la détérioration causée par la lecture à la surface des fragiles disques « noirs ». Gain économique, enfin, puisque, à durée égale, le prix de revient du disque compact s’est rapidement révélé inférieur à celui du microsillon. Ce constat contredit les craintes légi-

timement manifestées lors du lancement du disque compact. On pouvait en effet supposer que l’extrême complexité de la fabrication du nouveau disque entraînerait un coût de production prohibitif, mais l’énormité du marché mondial a permis un amortissement très rapide des investissements initiaux, et les enjeux économiques ont suscité de rapides progrès industriels. Coût et complexité risquaient de concentrer la fabrication des disques dans les mains de quelques grandes compagnies multinationales, bloquant ainsi la route aux petits producteurs indépendants ; or, l’apparition d’usines de soustraitance a permis au contraire un accès plus aisé à la réalisation des disques. Enfin, les scientifiques pouvaient également redouter que le standard adopté figerait la technique sans espoir d’amélioration possible ; l’ingéniosité des chercheurs à downloadModeText.vue.download 353 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 347 permis, là encore, de surmonter ce réel obstacle. Contrairement à ces prévisions pessimistes, la mise sur le marché du disque compact a provoqué une relance spectaculaire, pour plusieurs années, d’une branche économique alors en perte de vitesse ; elle a suscité l’apparition de nombreuses petites maisons d’édition, et surtout provoqué un accroissement considérable des catalogues d’enregistrements, à la fois en oeuvres inédites et en artistes inconnus. L’application à la reproduction sonore de la technique numérique déjà utilisée, non seulement dans la reproduction des images, mais plus généralement pour l’ensemble du traitement des informations, ouvre à ce domaine des perspectives imprévisibles. Le petit disque compact n’est lui-même qu’une étape éphémère dans l’histoire de la transmission de la musique, avant le disque enregistreur effaçable, le développement du disque audiovisuel d’informations (CD-ROM), des chaînes multimédia interactives ou l’accès à de multiples banques de données spécialisées (Internet) sur les autoroutes de l’information.

ENSALADA. Composition vocale de caractère joyeux, répandue en Espagne au XVIe siècle. Très proche du quodlibet, elle était constituée de mélodies sacrées ou profanes, appartenant souvent au répertoire populaire, superposées et possédant chacune son propre texte (qui pouvait être en espagnol aussi bien qu’en latin ou que dans un dialecte local), l’ensemble constituant une pièce polyphonique respectant les règles de l’écriture traditionnelle. Les ensaladas ont fréquemment été transcrites et jouées par les organistes et vihuelistes de l’époque. ENSEMBLE. 1. Terme désignant un groupe de musiciens, chanteurs ou instrumentistes, qui exécutent un morceau en équipe. Un ensemble vocal est un choeur, un ensemble instrumental est un orchestre, mais le mot « ensemble » apporte une précision en introduisant la notion d’effectif réduit, de réunion de solistes. De même, l’expression « musique d’ensemble » évoque le cadre intime de la musique de chambre. 2. Le terme s’applique également à des parties d’oeuvres où chantent simultanément divers solistes, par exemple aux sextuors, septuors, etc., que l’on rencontre, notamment pour les finals d’actes, dans les oeuvres lyriques à partir de l’époque de Mozart. L’ensemble est un des moyens d’expression privilégiés dont dispose le théâtre lyrique, car il permet, grâce à l’aptitude de l’oreille humaine à discerner plusieurs lignes mélodiques simultanées, de faire connaître en un même moment les sentiments agitant plusieurs personnages. La plupart des grands compositeurs lyriques, notamment Mozart, Rossini et Verdi, se sont imposés par leur maîtrise dans la construction des ensembles. ENSEMBLE INTERCONTEMPORAIN. Ensemble de 31 solistes fondé en 1976, et dont les activités ont débuté en même temps que celles de l’Institut de recherche et de coordination acoustique/musique (I. R. C. A. M.), auquel il est associé. Il a comme président Pierre Boulez ; son directeur musical a été Michel Tabachnik

(jusqu’au 31 juillet 1977) ; Peter Eötvös lui a succédé de 1979 à 1991. Depuis 1992, le titulaire du poste est David Robertson. En 1977, les activités de l’E. I. C. et celles de l’I. R. C. A. M. se sont déroulées parallèlement, mais l’E. I. C. ne se veut pas l’orchestre de l’I. R. C. A. M. Il a ses concerts et sa saison propres. Mais la collaboration entre les deux organismes est étroite. Sur le plan des concerts, l’E. I. C. s’attache à la fois aux « classiques contemporains » et à la création d’oeuvres nouvelles. Sur le plan pédagogique, il organise des stages, séminaires, ateliers et séances d’animation. Il se préoccupe également des échanges entre compositeurs et instrumentistes. Enfin, il sert souvent de terrain d’application pratique aux recherches et aux expériences menées à l’I. R. C. A. M. Tout cela à Paris et hors de Paris. Depuis sa fondation, l’E. I. C. a organisé une moyenne annuelle de 130 à 150 manifestations, et donné en création mondiale plus de 50 oeuvres françaises et étrangères, parmi lesquelles Je vous dis que je suis mort de G. Aperghis, Ma manière de chat d’A. Bancquart, Chemins V et Sequenza VIII de L. Berio, Messagesquisse de P. Boulez, Antiphysis de H. Dufourt, Modulations de G. Grisey, Va et vient de H. Holliger, Espaces mouvants de P. Mefano, Cuts and Dissolves de W. Rihm, Mirages de J.-C. Risset, Michaels Reise um die Erde de K. Stockhausen et Lo Shu I-III de H. Zender. ENTÉ. Adjectif emprunté à l’horticulture (il signifie « greffé ») et appliqué dans le dernier tiers du XIIIe siècle à un procédé de composition à la fois littéraire et musical consistant à insérer dans un contexte original, parlé ou chanté, un fragment de chanson connue cité avec sa musique propre (v. trope). Les fragments cités pouvaient appartenir à des répertoires variés, mais la source principale en était les refrains de rondeaux à danser, ce qui leur fit donner le nom générique de refrains, même s’ils n’étaient cités qu’une seule fois. La mode des refrains entés fut introduite dès 1214 dans le roman en vers (qui était lu à haute voix) avec le roman de Guillaume de Dole de Jean Renart, puis gagna la chanson de trouvères, le motet (surtout profane) et le théâtre parlé, où cet usage peut être considéré comme l’origine des « vaudevilles »

qui, au XVIIIe siècle, donnèrent naissance à l’opéra-comique. Adam de la Halle s’est particulièrement illustré tant dans le motet enté que dans le théâtre à refrains, qu’il a inauguré avec le jeu de la Feuillée et surtout le jeu de Robin et Marion, mis à la scène avec insertion de refrains entés de deux scénarios usuels de chanson, la « pastourelle » (chevalier courtisant une bergère) et la « bergerie » (divertissement pastoral). ENTONNER. Mot d’origine liturgique (intonare, « introduire le ton ») réservé d’abord au chantre qui, en commençant seul un psaume ou une antienne, indiquait dans quel ton liturgique le chant devait être poursuivi par l’ensemble du choeur. Le terme s’est généralisé pour signifier le fait de commencer seul un chant ou une chanson continués par l’ensemble des chanteurs, ou même parfois de simplement les commencer quelle qu’en soit la suite. ENTRÉE. 1. Synonyme d’arrivée, l’entrée est le moment de fêter en musique la venue d’un personnage, ou d’un groupe de personnages, en scène, dans une ville ou à l’église. La notion d’« entrée » liée à la musique a une origine très ancienne. Vers la fin du Moyen Âge, il existait des sortes de ballets (entremets) où les participants, déguisés et masqués, entraient accompagnés de musique. Depuis fort longtemps, des pièces de circonstance ont été composées ou improvisées pour célébrer l’entrée dans une ville d’un roi ou d’une personnalité importante. Ainsi, H. Purcell, au XVIIe siècle, en a écrit un certain nombre (par exemple, Fly, bold rebellion pour célébrer le retour de Charles II à Londres). Dans le ballet de cour français, les différentes scènes dansées s’appelaient des entrées. Le même principe se perpétua, d’abord dans les comédies-ballets où des entrées de ballet formaient des intermèdes musicaux au sein de la comédie (par exemple, « Entrée des Scaramouches, Travelins et Arlequins » dans le Bourgeois gentilhomme de Molière et Lully), puis dans l’opéra-ballet où, selon J.-J. Rousseau, « chaque acte forme un sujet séparé ; l’entrée de Vertumne dans les Élémens

(Destouches) ; l’entrée des Incas dans les Indes galantes (Rameau) ». 2. Dans une partition, entrée désigne l’apparition d’un thème musical, l’intervention d’une nouvelle partie instrumentale downloadModeText.vue.download 354 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 348 ou vocale. On parle ainsi de l’entrée des voix dans une fugue. 3. Enfin, l’entrée est parfois une sorte de prélude ou d’ouverture, servant d’introduction à une suite de pièces (v. intrada). ENTREMONT (Philippe), pianiste et chef d’orchestre français (Reims 1934). Il étudie d’abord avec Marguerite Long puis avec Jean Doyen au Conservatoire de Paris, où il obtient deux premiers Prix (musique de chambre en 1948, piano en 1949). Lauréat du Concours Long-Thibaud en 1953, il se fait connaître pendant une quinzaine d’années comme pianiste, jouant sous la direction de Stravinski, Milhaud, Bernstein, Monteux, Boulez, Ozawa, etc. En 1967, il commence à diriger et se voit nommé en 1976 directeur musical et chef permanent de l’Orchestre de chambre de Vienne. De 1980 à 1986, il dirige l’Orchestre philharmonique de La Nouvelle-Orléans, de 1986 à 1989 l’Orchestre symphonique de Denver, et de 1988 à 1990 l’Orchestre Colonne à Paris. En 1994, il devient le principal chef invité de l’Orchestre de chambre d’Israël. Il a reçu plusieurs grands prix du disque, dont le Prix de l’Académie du disque français pour son intégrale de l’oeuvre pour piano de Ravel. ÉOLIEN. (en grec aiolos). De Éole, dieu des Vents. Éolien est le nom donné tardivement aux neuvième et dixième modes ecclésiastiques, c’està-dire aux modes de la (éolien, mode authente ; hypoéolien, mode plagal. V. mode, modes ecclésiastiques). La harpe éolienne est un instrument dont l’origine remonte à l’Antiquité, et qui tirait son nom du fait que le vent faisait vibrer ses cordes.

EÖTVÖS (Peter), compositeur et chef d’orchestre hongrois (Székelyudvarhely 1944). Il commence l’étude de la composition avec Zoltán Kodály dès l’âge de quatorze ans, à l’Académie de musique de Budapest. Pendant ses études, il est déjà directeur musical du Théâtre Vigzinhaz et compose de la musique de scène, ainsi que pour le cinéma et la télévision. Une bourse allemande lui permet de poursuivre ses études à Cologne (de 1966 à 1968), où il travaille aussi la direction d’orchestre. Il y rencontre Stockhausen et devient membre de son ensemble, participant ainsi à bon nombre de créations du compositeur, notamment en Allemagne ou à l’Exposition universelle d’Osaka (1970). Il créera par la suite, en tant que chef d’orchestre, les opéras Donnerstag aus Licht (1981) et Montag aus Licht (1988) de Stockhausen à la Scala de Milan. Depuis 1974, il est l’invité des plus grands orchestres européens. Eötvös a été directeur musical de l’Ensemble InterContemporain (19791991) et principal chef invité de l’Orchestre symphonique de la BBC (19851988). Il compose une musique illustrant son sens du théâtre (Chinese Opera, pour orchestre de chambre, 1966 ; Il maestro, pièce clownesque pour un pianiste et deux pianos à queue, 1974 ; Triangel, actions pour un percussionniste créatif et vingtsept musiciens, 1993). Il a composé aussi le quatuor à cordes Korrespondenz, inspiré par la correspondance entre Leopold et Wolfgang Amadeus Mozart (1992), et Psychokosmos pour cymbalum et orchestre (1993). EPHRICIAN (Angelo), chef d’orchestre et compositeur italien (Trévise 1913 - id. 1982). Après avoir étudié le violon, obtenu une licence en droit et exercé un an une fonction de magistrat, il participe activement à la lutte antifasciste clandestine et devient à la fin de la guerre directeur du premier journal libre de Venise. Ayant goûté à la critique musicale, il décide de se consacrer entièrement à la musique et travaille la direction d’orchestre en autodidacte. En 1947, il fonde l’Istituto italiano Antonio Vivaldi, qui, sous la direction artistique de G. F. Malipiero et avec l’aide de l’éditeur Ricordi, publie des oeuvres de Vivaldi.

Par cette initiative et par son activité parallèle de chef d’orchestre, Ephrikian joue un rôle déterminant dans la rapide renaissance du compositeur vénitien. Il consacre par la suite sa double action d’éditeur et de chef d’orchestre à d’autres compositeurs italiens de la fin du XVIe, du XVIIe et du XVIIIe siècle italien, notamment à Gesualdo, Stradella, Alessandro Scarlatti. Compositeur, il a écrit des oeuvres traditionnelles mais n’a pas dédaigné les techniques nouvelles, qu’il utilise par exemple dans son Stabat Mater (1961) pour solistes, choeur, orchestre et bande magnétique. ÉPINETTE. Instrument à clavier et à cordes pincées. L’épinette est une version simplifiée de son frère aîné, le clavecin, et ne comporte qu’un seul registre, généralement de 8 pieds, quelquefois sonnant à l’octave (4 pieds). Elle peut être construite selon des plans différents (rectangulaire, ressemblant ainsi au virginal ; polygonal et, plus tard, à côté courbe). Les cordes sont montées perpendiculairement aux touches du clavier ou légèrement en oblique. L’épinette n’était pas seulement un instrument domestique, comme le piano droit moderne auquel on la compare souvent. Elle avait son rôle à jouer dans la musique de son époque, en Italie notamment où, par exemple, sa sonorité brillante était prisée pour faire ressortir les parties supérieures d’un madrigal, ou pour soutenir discrètement une voix soliste. La plus ancienne épinette connue est conservée au musée de Pérouse et date de 1493. La vogue de l’instrument se poursuivit pendant les XVIe et XVIIe siècles. Au XVIIIe, sa forme emprunta au clavecin son côté courbe et l’épinette orna les salons de ceux qui ne pouvaient se payer le luxe d’un instrument plus grand. Parmi les facteurs d’épinettes, on peut citer les Baffo et Bertolotti à Venise, les Richard, Denis et Taskin en France, les Haward et Hitchcock en Angleterre et, aux Pays-Bas, les Ruckers. ÉPINETTE DES VOSGES. Instrument à cordes pincées, peut-être originaire de la région dont il porte le nom. Les cordes, en deux groupes (mélo-

diques et bourdons), sont tendues sur une caisse rectangulaire en bois. On les fait sonner soit en les grattant du pouce, soit, comme pour le psaltérion, en se servant d’un bec de plume. L’épinette des Vosges fut très employée dans la musique populaire aux XVIIIe et XIXe siècles. Elle ne doit pas être confondue avec l’épinette. ÉPISODE. 1. Ultérieurement généralisé dans des acceptions usuelles, le terme désignait à l’origine certaines subdivisions de la tragédie grecque antique, assimilables aux « actes » de notre théâtre, à ceci près qu’ils étaient séparés entre eux non par un « entracte », mais par les entrées du choeur, d’où leur nom, qui signifie « entre les entrées ». Certains épisodes étaient parlés, d’autres chantés en tout ou en partie, les parties chantées correspondant aux moments les plus dramatiques. 2. Dans l’architecture musicale, on appelle parfois épisode des passages ayant leur unité et leur indépendance, souvent avec une idée de digression ou de dispersion par rapport au plan d’ensemble. Par exemple dans le rondo, les retours du thème principal sont entrecoupés d’épisodes, tous différents. ÉPÎTRE. Transcription liturgique du mot latin epistola, qui signifie simplement « lettre ». L’épître constitue, dans la messe traditionnelle, la première des deux lectures solennelles faites à haute voix ou chantées sur un timbre psalmodique propre dans la première partie de la messe, la seconde étant l’évangile. Cette lecture, variable selon la fête, était tirée soit de l’Ancien Testament, soit des lettres (épîtres) d’apôtres, d’où son nom, et se faisait obligatoirement du côté gauche de l’autel (à droite pour l’assistance), dit « côté épître « ; la droite honorifique (à gauche pour l’assistance) était le « côté évangile ». La lecture de downloadModeText.vue.download 355 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 349 l’épître, comme celle de l’évangile, traditionnellement en latin, fut dans certains

pays, dont la France, transférée en langue vulgaire peu avant le concile Vatican II ; cette réforme semble avoir servi de ballon d’essai pour la campagne d’élimination de la liturgie latine menée après le concile en invoquant son autorité, mais, en fait, à l’encontre de ses prescriptions. La messe de Paul VI a rétabli l’usage antérieur de deux épîtres distinctes, l’une consacrée à l’Ancien Testament, l’autre au Nouveau. ÉRARD, famille française de facteurs de pianos, de harpes et d’orgues. Sébastien (Strasbourg 1752 - Paris 1831). Fils de menuisier, il entra en 1768 comme ouvrier dans l’atelier d’un facteur de clavecins et se distingua immédiatement par son esprit inventif, son incessante recherche de perfectionnements. Il construisit un « clavecin mécanique », instrument complexe mais qui connut un grand succès. Protégé par la duchesse de Villeroy et installé dans l’hôtel de celle-ci, il construisit en 1777 le premier pianoforte français. Rejoint à cette époque par son frère Jean-Baptiste (Strasbourg 1745-Paris 1826), il fonda un établissement qui connut un développement rapide. Il apporta au piano, notamment, les perfectionnements suivants : faux marteau à double pilote (1790), échappement simple (1794), remplacement de la pointe du sommier des chevilles par une agrafe (1809), barrage métallique, échappement double (1822). Il inventa différentes variantes de piano : piano à deux claviers, piano-secrétaire, piano-clavecin, « piano organisé » (ce dernier était la combinaison d’un piano avec un petit positif à deux claviers). Son apport à la facture de la harpe fut également très important : en remplaçant le mécanisme à crochets ou à béquilles par un mécanisme à fourchettes et en créant le mécanisme à double mouvement, il amena l’instrument à son stade actuel. Il s’intéressa à l’orgue et construisit l’instrument du palais des Tuileries (18271829). Pierre (Paris 1794 - id. 1865). Fils de Jean-Baptiste, il poursuivit brillamment l’oeuvre de son oncle Sébastien et fit paraître deux essais historiques sur l’évolution de la harpe et du piano. La maison Érard poursuivit son existence et finit par s’associer en 1959 à la maison Gaveau au sein de la société Gaveau-Érard. ERB (Donald), compositeur américain

(Youngstown, Ohio, 1927). Après des études à Kent State, Cleveland, Indiana et Paris (Nadia Boulanger), Donald Erb enseigna lui-même à Cleveland et Indiana. Malgré la formation traditionnelle à laquelle se rattachent certaines pages symphoniques (Christmas Music, 1967 ; The Seventh Trumpet, 1969 ; Cummings Cycle, 1963) ou instrumentales (quatuor à cordes, Correlations, 1958 ; Summer Music pour piano, Antipodes pour quatuor à cordes et percussion, 1965), il a recours occasionnellement à des moyens d’expression propres à sa génération (Reconnaissance, 1967, pour moog synthétiseur, violon, contrebasse et piano). ERB (Karl), ténor allemand (Ravensburg, Souabe, 1877 - id. 1958). Il était employé municipal dans sa ville natale lorsque sa voix fut découverte et il débuta, sans avoir fait d’études de chant, en 1907 au Hoftheater de Stuttgart dans Der Evangelimann de Kienzl. À Lübeck, puis de nouveau à Stuttgart, il se familiarisa avec le répertoire, chantant les rôles les plus variés, de Lohengrin à l’opérette, avant d’être engagé en 1913 à Munich où il devint le ténor favori de Bruno Walter et où il fut le créateur, en 1917, de Palestrina de Pfitzner. À partir de 1930, il abandonna la scène et se consacra au concert. Il devint l’interprète le plus célèbre à son époque de l’évangéliste dans les Passions de Bach, ainsi qu’un éminent chanteur de lieder. Il conserva intacte jusqu’à soixante-dix ans sa voix d’un timbre très particulier, menée avec une habileté, une musicalité, un sens de l’articulation et du phrasé exceptionnels. ERB (Marie-Joseph), organiste et compositeur français (Strasbourg 1858 - Andlau, Bas-Rhin, 1944). Élève, à Paris, de l’école Niedermeyer, puis de Widor, il se perfectionna dans le jeu du piano auprès de Liszt, à Weimar. Il fut organiste à Sélestat, puis à Saint-Jean de Strasbourg, et professeur de piano, d’orgue et de composition au conservatoire de Strasbourg, de 1910 à 1937. Son oeuvre de compositeur est très vaste et touche à tous les genres, dans le style postromantique. EREDE (Alberto), chef d’orchestre italien

(Gênes 1909). Il a étudié le piano, le violoncelle et la composition à Gênes, Milan et Bâle, et la direction d’orchestre auprès de Félix Weingartner. Il s’est fait connaître avant la Seconde Guerre mondiale en montant au pupitre des festivals de Glyndebourne et de Salzbourg. Après la guerre, il a occupé des postes de directeur musical notamment à l’Orchestre symphonique de la Radio de Turin (1945-1946), à l’opéra de Düsseldorf (1958-1962) et à l’Orchestre symphonique de Göteborg, tout en menant une carrière internationale. Chef sobre, il est particulièrement renommé pour ses interprétations d’opéra. ERICKSON (Robert), compositeur américain (Marquette, Michigan, 1917). Élève d’Ernst Krenek, Robert Erickson a très rapidement évolué de l’atonalité à la technique sérielle (concerto pour piano, 1er quatuor, variations pour orchestre), puis à des moyens d’expression se référant à des recherches de timbres (2e quatuor, General Speech pour trombone, faisant intervenir des sons vocaux et parlés en cours d’exécution), des rythmes nouveaux (Ramus pour piano) et l’électroacoustique (Ricercare à 5 pour trombone et bande, Cardenitas 68 pour voix, 6 instruments nouveaux et bande, Down at Piraens pour choeurs et bande, Pacific Sirens pour bande et de 10 à 14 instruments, etc.). Il est professeur à San Diego et San Francisco. ERICSON (Eric), chef de choeur et organiste suédois (Boras 1918). Il étudie à l’École supérieure de musique de Stockholm puis à la Schola cantorum de Bâle. En 1945, il fonde le Choeur de chambre de Stockholm, qui deviendra en 1988 le Choeur Ericson. En 1949, il est nommé organiste et chef de choeur à l’église Saint-Jacob de Stockholm. En 1951, il fonde le choeur de la radio suédoise, qu’il dirige jusqu’en 1984. Il dirige aussi, de 1951 à 1985, le choeur d’hommes d’Uppsala Orphei Drängar. En 1968, il est nommé professeur de direction chorale au Conservatoire royal de Stockholm. En 1974, il dirige l’enregistrement de la bande originale du film de Bergman la Flûte enchantée. Il est à la fois un très grand maître du répertoire choral ancien et un musicien ouvert à la création de son temps : il a assuré avec le choeur qui porte son nom

la création de plusieurs oeuvres contemporaines. ERKEL (Ferenc), pianiste, chef d’orchestre et compositeur hongrois (Gyula 1810 - Budapest 1893). Issu d’une famille d’origine néerlandaise, il fit ses premières études à Pozsony, commença sa carrière à Kolozsvár (Cluj) et s’installa à Pest en 1834. À l’ouverture du théâtre national en 1838, il en fut nommé premier chef d’orchestre, puis en devint le directeur musical et le demeura jusqu’en 1884. En 1853, il créa les concerts de la Société philharmonique de Budapest, qu’il dirigea jusqu’en 1869. De 1875 à 1886, il enseigna le piano à l’Académie royale de musique et en fut directeur. En 1884, malgré son âge, il fut nommé directeur à vie de l’opéra national de Budapest, qui venait d’ouvrir. L’oeuvre d’Erkel dans le domaine lyrique servit, par les sujets qu’elle aborda, à cristalliser une certaine forme de la résistance du peuple hongrois à la domination autrichienne. Après une oeuvre de jeunesse, Mária Báthori (1840), il fit représenter en 1844 László Hunyadi, qui met en scène un héros sincère et downloadModeText.vue.download 356 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 350 droit, victime d’un roi félon d’origine allemande. Le librettiste de cette oeuvre, Béni Egressy, lui fournit encore le texte de Bánk bán, terminé en 1852 et créé à Pest en 1861. Pourtant, sur le plan musical, Erkel, pas plus dans ses opéras que dans ses partitions symphoniques, n’apparaît comme un rénovateur puisant aux authentiques sources hongroises. Parti des modèles de Rossini, Bellini, Auber et Meyerbeer, il se laissa peu à peu gagner à l’influence allemande, celle de Wagner en particulier, évidente dans ses dernières oeuvres, le Roi Étienne (1885) et Ouverture solennelle (1887). La production d’Erkel comprend dix opéras, six opéras-comiques (dont Sarolta, 1862), l’hymne national hongrois, des musiques de scène, des ouvertures, des pièces pour piano et des oeuvres de musique de chambre. ERLANGER (Camille), compositeur fran-

çais (Paris 1863 - id. 1919). Élève d’Émile Durand et de Léo Delibes au Conservatoire de Paris, il obtint le grand prix de Rome en 1888. Parmi ses envois de la villa Médicis, une légende dramatique d’après Flaubert Saint Julien l’Hospitalier, dont fut tiré plus tard le poème symphonique la Chasse fantastique (1893), remporta un grand succès. Par la suite, les partitions lyriques d’Erlanger, jouées à l’Opéra et à l’Opéra-Comique, notamment le Juif polonais (1900), le Fils de l’étoile (1904) et Aphrodite (1906), connurent également le succès par leur Iyrisme vigoureux, leur pathétique sincère, leur orchestration colorée et pittoresque. Elles n’ont pu cependant se maintenir à l’affiche. Erlanger est également l’auteur de nombreuses mélodies et d’un Requiem. ERLANGER (baron Rodolphe d’), musicologue français (Boulogne-sur-Seine 1872 - Sidi-bou-Saïd, Tunisie, 1932). Il s’installa en Tunisie en 1910 afin d’étudier la musique arabe. Il traduisit en français les écrits des grands théoriciens arabes de la période allant du Xe au XVIe siècle, et recueillit de nombreuses mélodies populaires d’Afrique du Nord, notamment de Tunisie, qu’elles soient d’origine hispanoarabe, arabo-berbère, juive ou nègre. Son oeuvre capitale est la Musique arabe (6 vol., Paris, 1930-1959) ; à partir du vol. 3, l’ouvrage fut publié par H. G. Farmer. ERLEBACH (Philipp Heinrich), compositeur allemand (Esens, Frise, 1657 - Rudolstadt, Thuringe, 1714). Arrivé en 1678 à la cour du comte von Schwarsburg-Rudolstadt, il y devint maître de chapelle en 1681. Il laissa plusieurs centaines de cantates sacrées, et fut en son temps un des principaux compositeurs d’Allemagne centrale à illustrer le genre, apparaissant à ce titre comme un important prédécesseur de Bach. ERLIH (Devy), violoniste, chef d’orchestre et pédagogue français (Paris 1928). Il commence l’étude du violon (d’oreille) avec son père et entre au Conservatoire de Paris dans la classe de J. Boucherit en 1941. Il obtient son premier prix de violon en 1945 et, dix ans plus tard, remporte le

premier prix du concours Long-Thibaud. Nommé professeur au Conservatoire de Marseille en 1968, il fonde en 1973 les Solistes de Marseille, qu’il dirige. De 1982 à 1995, il est professeur au Conservatoire de Paris. Il compose Violostries avec B. Parmegiani (1965), le ballet la Robe de plumes (1965) ainsi que différentes cadences de concertos. De son vaste répertoire ressort son goût pour la musique du XXe siècle, qui l’amène à créer des oeuvres allant de Milhaud à Constant, en passant par Chaynes, Tomasi, Loucheur ou Jolivet, dont il interprète également le Concerto pour violon et dont il a épousé la fille Christine. « Il rend contemporaine la musique classique et classique la musique contemporaine » (M. Fleuret, 1958). ERLO (Louis), metteur en scène et directeur de théâtre français (Lyon 1929). De son véritable nom Camerlo, il se forma avec son oncle Paul Camerlo, directeur de 1949 à 1969 de l’Opéra de Lyon, où luimême signa en 1952 sa première mise en scène (Lohengrin). Sa première mise en scène à l’Opéra de Paris fut consacrée à Iphigénie en Tauride de Gluck (1965), ce qui lança sa carrière internationale. Il a dirigé l’Opéra de Lyon de 1969 à 1995, date à laquelle lui a succédé Jean-Pierre Brossmann, et le festival d’Aix-en-Provence à partir de 1982. Nommé en 1995, son successeur à ce dernier poste, Stéphane Lissner, doit prendre ses fonctions en 1998. ESCHENBACH (Christoph), pianiste et chef d’orchestre allemand (Breslau, Silésie, 1940). Orphelin, il reçoit ses premières leçons de piano de sa mère adoptive, Wallydore Eschenbach, et remporte à dix ans le premier prix au concours Steinway de Hambourg. Il poursuit l’étude de l’instrument avec Hans Otto Schmidt à Cologne, puis Eliza Hansen à Hambourg. À l’université de musique de cette dernière ville, il travaille la direction d’orchestre, le violon et la composition. Il est, en 1962, lauréat d’un prix décerné par l’union des stations de radio allemandes, et obtient en 1965 un premier prix au concours Clara Haskil de Lucerne. Parallèlement à une carrière internationale de pianiste, il entame, en 1973, une carrière de chef d’or-

chestre. Comme pianiste, il consacre une grande part de son activité à la musique de chambre, où il se révèle un interprète d’exception, à la musique à quatre mains et à deux pianos, ainsi qu’à l’accompagnement de chanteurs de lieder. En soliste, il a un très vaste répertoire, classique (surtout Mozart), romantique (Beethoven, Chopin, Schubert, Schumann, Brahms) et moderne (Henze, etc.). Ses interprétations, au climat expressif très changeant, pleines d’intuitions fulgurantes, sont souvent très personnelles. ESCHENBACH (Wolfram von), poète allemand (Eschenbach, près d’Ansbach, Bavière, v. 1170 - ? v. 1220). C’est à la cour du landgrave Hermann de Thuringe qu’il écrivit l’essentiel de son Parzival et c’est là, sans doute, qu’il rencontra Walther et Morungen. Dans Willehalm, il adapta la légende française de Guillaume d’Orange. Il a laissé 7 chansons et relancé la mode de la chanson d’aube (Tagelied), dont il a accentué le caractère dramatique. La notoriété de Wolfram von Eschenbach comme poète et comme musicien fut si durable qu’il apparaît encore dans le manuscrit de Colmar comme chef de file des Meistersinger. ESCHIG (Max), éditeur français (Opava, Tchécoslovaquie, 1872 - Paris 1927). C’est en 1907 qu’il fonda sa maison de la rue de Rome, qui était à l’origine une filiale de Schott. Interné pendant la Première Guerre mondiale en tant que ressortissant autrichien, il reprit ses activités en 1919, rachetant divers catalogues français, représentant d’importants éditeurs étrangers (Breitkopf, Simrock, Schott, etc.) et se consacrant aussi à une production originale. La maison Eschig a publié quantité d’oeuvres françaises contemporaines (Ravel, Satie, Milhaud, Poulenc, Honegger, Françaix, etc.), ainsi que des partitions de Stravinski, Hindemith, M. de Falla, Villa-Lobos et Lehar. À la mort de Max Eschig, elle est devenue une société anonyme. ESCRIBANO (Juan), compositeur espagnol (Salamanque ? v. 1480 - Rome 1557). Venu à Rome en 1502, il y fut chantre à

la chapelle pontificale de 1507 à 1539 et doyen du collège des chantres à partir de 1535. On le retrouve plus tard à Salamanque, mais il revint à Rome à la fin de sa vie. Son oeuvre fait de lui l’un des grands maîtres de la polyphonie de l’école castillane, tant dans le contrepoint de ses oeuvres sacrées (un Magnificat, des motets, des lamentations) que dans le style syllabique de ses canzoni, dont deux nous sont connues par un recueil publié à Rome en downloadModeText.vue.download 357 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 351 1510. L’Italie l’influença sans faire perdre à son art une certaine sévérité qui est propre à l’Espagne. ESLAVA rion), pagnol 1807 -

Y ELIZADO (Don Miguel Hilacompositeur et musicologue es(Burlada, province de Navarre, Madrid 1878).

Cet ecclésiastique, issu d’une famille modeste d’origine catalane, fut maître de chapelle de la cathédrale de Séville (18321847), maître de la chapelle royale (1847), professeur de composition au conservatoire de Madrid (1854), puis directeur de cet établissement (1866). Son oeuvre de compositeur comprend notamment 140 oeuvres sacrées et trois opéras « nationaux » dans lesquels des éléments d’histoire et de folklore espagnols sont présentés dans un langage en fait très influencé par le style italien. Il écrivit également plusieurs ouvrages didactiques et fonda en 1855 la Gaceta musical de Madrid, revue qui devait être appelée à jouer un rôle important. Son nom reste enfin attaché à la publication de la Lira sacrohispana (10 vol., Madrid, 1869), importante anthologie (et la première en date) regroupant des oeuvres de musique religieuse espagnole du XVIe au XIXe siècle. ESQUIVEL DE BARAHONA (Juan), compositeur espagnol (Ciudad Rodrigo v. 1565 - ?, apr. 1613). Il fut maître de chapelle à la cathédrale de Salamanque, puis à celle de Ciudad Rodrigo (1611-1613). On perd ensuite sa trace. Une publication, présumée posthume, date de 1642, mais il est possible que le compositeur ne soit mort qu’après

cette date. Il s’agit de son Discours sur l’art de la danse, publié à Séville, qui traite des pavanes, gaillardes, etc. Dans ses oeuvres religieuses, il introduisit le style concertant, assez exceptionnel pour l’époque, avec une vigueur dont le meilleur exemple demeure sa Missa de batalla à 6 voix (1608). Mais, parmi les huit messes qu’il a laissées, F. Pedrell admirait également sa Missa pro defunctis (1613). Juan Esquivel a également composé des psaumes, des hymnes, des magnificat et des motets : Motecta festorum et dominicarum cum communi sanctorum, IV, V, VI et VIII voces concinnanda (1608). ESSWOOD (Paul), contre-ténor anglais (Westbridgford, comté de Nottingham, 1942). À la mue, sa voix de soprano garçon se transforme en une voix naturelle d’alto masculin. Il fait ses études musicales au Royal College of Music de Londres, appartient jusqu’en 1971 au choeur de l’abbaye de Westminster et entreprend une carrière de soliste qui devient vite éclatante grâce à la beauté de son timbre, d’une extrême douceur, toujours éloigné du cri, à son art du chant et au raffinement musical de ses interprétations. Esswood chante les rôles d’opéra (Othon dans le Couronnement de Poppée de Monteverdi, etc.) et les parties d’oratorio de la musique baroque anglaise et italienne correspondant à sa tessiture, mais il a aussi créé à Chicago en 1978 le rôle de la Mort, écrit à son intention par Penderecki dans son opéra Paradis perdu. ESSYAD (Ahmed), compositeur marocain (Sale, Maroc, 1938). Résidant en France depuis 1962, il a travaillé cette année-là avec Max Deutsch, mais avait fait auparavant de solides études dans son pays natal, tant en ce qui concerne la musique (conservatoire de Rabat) que la civilisation arabo-islamique. Héritier de deux cultures, il s’est préoccupé de réaliser la synthèse de la musique arabo-berbère, dont le support est oral, et de la musique européenne, de tradition écrite. Parmi ses oeuvres, Yasmina pour violon, violoncelle et baryton (1965), Nadîm pour piano et percussion (1970), une Symphonie pour grand orchestre (1971), la suite électroacoustique Sultanes (1972-73), la cantate pour contralto, trois groupes de cordes, percussion et récitant

Identité (1974-75), la pièce musicale sur un texte berbère le Collier des ruses, donnée à Avignon en 1977, l’ouvrage lyrique l’Eau, créé à Radio-France en 1985, les Opéras-lumières les Voix du silence et de la pierre (Avignon, 1994) et l’Exercice de l’amour (Radio-France, 1995). ESTAMPIE. (en occitan estampida). Essentiellement associée à la danse, l’estampie est, selon l’une des définitions conservées, datant de la fin du XIVe siècle, une mélodie à danser mais comportant des paroles, et, selon une autre, une danse instrumentale sans texte poétique. Populaire au Moyen Âge, elle semble trouver son origine à la fin du XIIe siècle. Le terme proviendrait du germanique stampjan (« frapper ») et c’est justement par un accompagnement de battements de pieds et de mains qu’on aidait les jongleurs instrumentistes et joueurs de vièles à donner à cette danse son rythme enlevé caractéristique. Le sujet le plus souvent évoqué était l’amour, et l’estampie faisait partie du répertoire des troubadours. La première pièce connue du genre, peut-être une adaptation, a été composée vers 1190 ; il s’agit du célèbre Kalenda maya de Raimbaud de Vaqueiras, troubadour provençal. ESTERHÁZY. Famille noble hongroise, elle est passée dans l’histoire de la musique essentiellement pour avoir eu Haydn à son service, d’abord comme vice-maître de chapelle (1761-1766), puis comme maître de chapelle (17661809). Originaire de l’est de la Hongrie, elle dut sa fortune au soutien que, dans les luttes politiques du XVIIe siècle, elle apporta aux Habsbourg. D’eux, elle obtint pour son chef la dignité de baron en 1613, de comte en 1626 et de prince en 1687. Cette dernière dignité devint héréditaire en 1712, et fut attribuée à tous les membres de la branche aînée en 1783. Le fondateur de la fortune des Esterházy fut Nicolas (1583-1645) qui, en compensation de domaines perdus à l’est, reçut en 1622 la souveraineté sur Eisenstadt (en hongrois Kismarton), et en 1626 sur Forchtenstein, localités alors à l’ouest de la Hongrie, et actuellement à l’est de l’Autriche. Il eut comme successeurs ses deux fils Ladislas (1626-1652) et Paul

(1635-1713). Ce dernier, nommé palatin de Hongrie en 1681, jeta en 1674 les bases de la chapelle que devait illustrer Haydn, et fut non seulement mécène éclairé, mais aussi compositeur : en 1711 parut à Vienne son Harmonia caelestis, recueil de 55 cantates sacrées (dont 40 en solo, 6 en duo et 9 chorales) couvrant toute l’année ecclésiastique. Il fit d’autre part d’Eisenstadt un centre culturel important. Ses deux fils Michel (1671-1721) et Josef (1687-1721) lui succédèrent. À la mort de Josef, son fils Paul II Anton (1711-1762), qui devait engager Haydn en 1761, était mineur. La régence fut exercée jusqu’en 1734 par sa mère Maria Octavia (16861762), veuve de Josef : ce fut elle qui, en 1728, engagea comme maître de chapelle Gregorius Werner (1693-1766), le prédécesseur de Haydn. Quatre princes Esterházy eurent Haydn à leur service : après Paul II Anton, son frère Nicolas Ier, dit Nicolas le Magnifique (1714-1790), puis Anton (1738-1794), fils du précédent, et enfin Nicolas II (17651833), fils d’Anton. Le principal des quatre fut Nicolas Ier, qui, dans les années 1760, se fit construire dans la plaine hongroise un château qu’il baptisa Esterháza, qu’il rendit digne de Versailles, et dont il fit sa résidence principale à la place de celui d’Eisenstadt (cela tout en conservant son palais à Vienne). Haydn le servit pendant vingt-huit ans, et c’est sous son règne que la splendeur des Esterházy atteignit son apogée. Anton n’aimait pas la musique : il retourna à Eisenstadt, congédia la troupe d’instrumentistes et de chanteurs entretenue par son père et pensionna Haydn, qui put alors accomplir ses deux voyages à Londres. Quant à Nicolas II, il reconstitua une troupe et rappela Haydn à son service, tout en commandant des ouvrages aux autres compositeurs de l’époque (Messe en ut de Beethoven en 1807). Dernier prince Esterházy à entretenir une chapelle importante, il comptait parmi ses fonctionnaires le père de Franz Liszt, également violondownloadModeText.vue.download 358 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 352 celliste dans son orchestre. Il eut comme successeurs Paul III (1785-1866), Nicolas III (1817-1894), Paul IV (1843-1898), Nicolas IV (1869-1920), et enfin Paul V

(Dr Paul Esterházy), douzième et dernier prince de la lignée directe, né en 1901 et mort sans descendance en 1989, après n’avoir disposé, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, que de ses biens situés en Autriche (dont les châteaux d’Eisenstadt et de Forchtenstein), et plus de ceux situés en Hongrie (dont le château d’Eszterháza). C’est lui qui, en 1932, fit élever à Haydn dans la Bergkirche d’Eisenstadt un mausolée où le compositeur est inhumé depuis 1954. Parmi les membres de la branche cadette, le comte Franz (17171785), pour les funérailles duquel Mozart écrivit sa Musique maçonnique funèbre (ou Ode funèbre) K. 477, et le comte Karl (1775-1834), qui engagea Schubert pour donner des leçons à ses filles. ESTEVE (Pablo), compositeur espagnol (Catalogne, peut-être Barcelone ?, v. 1730 - Madrid 1794). Venu à Madrid vers 1760 comme maître de chapelle d’une maison ducale, il ne tarda pas à devenir le compositeur en vogue des théâtres madrilènes. Il écrivit plusieurs centaines de tonadillas, des zarzuelas, une foule de petites oeuvres scéniques diverses, et des adaptations d’opéras italiens, par exemple de La Buona Figliola de Piccinni. Son oeuvre, vite oubliée, fut redécouverte par Pedrell et Joaquín Nin. ESTRELLA (Miguel Angel), pianiste argentin (San Miguel de Tucuman 1936). Il commence ses études musicales en 1955 au Conservatoire de Buenos Aires avec le pianiste Oreste Castronuovo et les poursuit auprès de Celia de Bronstein et des compositeurs Erwin Leuchter et Jacobo Fischer. De 1965 à 1970, grâce à des bourses et prix obtenus dans des concours internationaux, il réside en Europe, principalement à Paris et Londres. Il y a travaille avec M. Long, V. Perlemuter, T. Osborne, M. Curcio, M. Tagliafero, Y. Loriod. De 1968 à 1971, il est l’élève de Nadia Boulanger. La première partie de sa carrière se déroule en majeure partie en Amérique latine. En 1977, il est emprisonné et torturé en Uruguay pour avoir accueilli un opposant au régime en place. Grâce à l’action d’un comité de soutien présidé par Nadia Boulanger, Yehudi Menuhin et Henri Dutilleux, il est libéré en 1980 et vit depuis en France. Il a publié en 1983 Musique de l’espérance. ETCHEVERRY (Henry Bertrand), bary-

ton-basse français (Bordeaux 1900 Paris 1960). Il fit une brillante carrière à l’Opéra de Paris où, à partir de 1932, il incarna entre autres Méphistophélès dans Faust et la Damnation, Sparafucile dans Rigoletto, le Roi dans Aïda et Hamlet, Boris Godounov, Don Juan, Saint-Bris dans les Huguenots, Fasolt dans l’Or du Rhin, Hunding, puis Wotan dans la Walkyrie. Il chanta aussi à l’Opéra-Comique (débuts en 1937 dans Pelléas et Mélisande), et fut pendant quinze ans, dans cette dernière oeuvre, un Golaud sans rival. ETCHEVERRY (Jésus), chef d’orchestre français (Bordeaux 1911 - Paris 1988). Professeur de violon au conservatoire de Casablanca et violon solo à l’Opéra de cette ville, Jésus Etcheverry était déjà attiré par la direction d’orchestre quand, en 1943, une défection lui fournit l’occasion de monter au pupitre. Ses débuts au pied levé furent si convaincants que Léon Ledoux, directeur du théâtre, le maintint à ce poste. De retour en France après la guerre, il fut engagé par Marcel Lamy au Grand Théâtre de Nancy, auquel il est resté fidèle malgré d’innombrables prestations dans le reste de la France et à l’étranger. En 1957, notamment, il a été appelé à l’Opéra-Comique et y est resté dix ans, dirigeant aussi un certain nombre de représentations à l’Opéra. Mais c’est à Nancy qu’il a décidé de prendre sa retraite, en mars 1981, après y avoir dirigé l’un de ses ouvrages de prédilection, Werther, qu’il a d’ailleurs enregistré. Essentiellement chef de théâtre, il a particulièrement bien servi le répertoire français. ÉTENDUE. Malgré quelque flottement dans la terminologie, le sens de ce terme, proche de celui d’ambitus, diffère de celui de registre et tessiture en ce qu’il désigne la totalité des sons conjoints accessibles à une voix ou à un instrument déterminé, quel qu’en soit le mode d’émission, alors que les deux termes sus-indiqués concernent plus particulièrement les sons favorables à une bonne émission. L’extrême aigu ou l’extrême grave d’une voix, utilisables exclusivement de manière occasionnelle, appartiennent ainsi en principe à son étendue, mais non à sa tessiture.

ETHNOMUSICOLOGIE. Ce concept recouvre une discipline d’origine récente. Le mot a été utilisé pour la première fois vers 1945 par le Hollandais Jaap Kunst, spécialiste de la musique indonésienne. Définie comme « l’étude des musiques non européennes et du folklore de l’Europe », ou bien comme « la musicologie des civilisations dont l’étude constitue le domaine traditionnel de l’ethnologie » (Gilbert Rouget), l’ethnomusicologie a eu quelque difficulté à déterminer ses buts, ses limites et ses méthodes. Partant du principe que son objet est l’étude, sous tous ses aspects, du phénomène musical dans les civilisations de tradition orale, elle inclut dans son domaine les musiques dites « primitives » de l’Afrique et de l’Océanie, les musiques savantes de l’Asie et le folklore occidental dont elle étudie, selon les mêmes méthodes, les systèmes musicaux, les gammes, les intervalles, les instruments de musique ainsi que le rôle de la musique dans la société. Cela soulève inévitablement quelques questions, en particulier en ce qui concerne la transcription employée comme base d’analyse. Le fait qu’il existe, dans les différentes civilisations, des conceptions diverses de ce que l’on appelle génériquement la musique a toujours été reconnu. Les Grecs parlaient des modes lydien ou phrygien visiblement empruntés à d’autres cultures que l’athénienne. Les traités sanscrits sur la musique employaient l’expression déshi sangita (« musique des différents pays ») qui rappelle les « musiques nationales » de l’Union soviétique. Des orchestres du Népal et du Champa (Indochine) étaient invités à certaines époques à la cour de Pékin. C’est à la fin du XVIIIe et surtout au début du XIXe siècle que le monde occidental a commencé à s’intéresser à la philosophie, à la littérature et aux arts plastiques des autres civilisations. Mais alors que la sculpture et la peinture de la Grèce, de l’Inde, de la Chine, et plus tard de l’Afrique, n’étaient en rien considérées comme primitives ou inférieures à l’art contemporain de l’Europe, il n’en était pas de même pour la musique. La littérature musicale occidentale, grâce à un système de notation remarquable, avait connu un développement si important, les musiciens y voyaient un « progrès » si

évident que toutes les autres conceptions de l’art musical se trouvaient reléguées, à leurs yeux, à un état de prémusique, d’art sous-développé, de balbutiements de peuples qui n’avaient pas encore découvert l’harmonie. Le problème du musicien devant une musique qui lui est étrangère est qu’il la juge du point de vue de celle qui lui est familière, considérée comme la norme. Dans les Soirées d’orchestre, où il rendait compte de l’Exposition universelle de Londres (1851), Berlioz écrivait : « Les Chinois et les Indiens auraient une musique semblable à la nôtre s’ils en avaient une, mais ils sont à cet égard plongés dans les ténèbres les plus profondes de la barbarie et dans une ignorance enfantine où se décèlent à peine quelques vagues et impuissants instincts ; de plus les Orientaux appellent musique ce que nous nommons charivari... Le peuple chinois chante comme les chiens aboient, comme les chats vomissent quand ils ont avalé une arête. » Les anciennes traditions musicales de l’Europe furent elles aussi considérées downloadModeText.vue.download 359 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 353 comme du folklore, un art primitif, plus ou moins spontané, alors qu’il s’agissait souvent d’anciens systèmes musicaux obéissant à des règles très élaborées. A. Varagnac, dans sa Définition du folklore (1938), n’hésite pas à écrire : « Le folklore ce sont les croyances collectives sans doctrine, les pratiques collectives sans théorie », conception typiquement romantique analogue à celle de la vie qui naît spontanément du fumier. Ce point de vue fut, plus ou moins implicitement, étendu à l’étude de la musique des autres continents. L’ÉCRITURE MUSICALE. Des formes de notation musicale étaient connues en Inde et en Chine bien des siècles avant l’Europe, mais elles servaient seulement à indiquer des thèmes et des modes et non comme base d’exécution. Le gagaku japonais utilisait toutefois un système assez complet. Dans la psalmodie religieuse de l’Europe médiévale, comme dans le chant védique, des

neumes, signes indicatifs placés au-dessus des paroles des chants, étaient employés. Une notation syllabique analogue au solfège, qui existait déjà en Inde au Ve siècle avant notre ère, est toujours en usage. Il existe par ailleurs en Inde une notation mnémotechnique très élaborée des rythmes qui n’a d’équivalent dans aucune autre civilisation. La notation peut avoir trois buts différents. Elle peut être un aide-mémoire permettant de rappeler les grandes lignes des modes ou des thèmes que l’exécutant développe et sur lesquels il improvise ; elle peut être un moyen d’analyse, d’étude, de comparaison intéressant uniquement les théoriciens ; elle peut être aussi une description détaillée de ce que le musicien doit exécuter, comme c’est le cas de la musique occidentale qui semble un cas unique. Toutefois, une transcription n’est jamais complète. Certains éléments d’attaque des sons, de style, de mouvement, d’ornement restent de tradition orale. C’est pourquoi, même en Occident, l’interprétation d’une oeuvre écrite peut varier considérablement. L’expérience montre que les tentatives d’écriture détruisent les subtilités d’intonation, le sentiment poétique, la faculté d’improvisation et la virtuosité rythmique qui sont l’essentiel de la musique indienne, iranienne ou arabe. Même en Europe, certaines formes de musique telles que le jazz, le flamenco, la musique tzigane perdent tout caractère si on cherche à les jouer d’après une partition écrite. Chez les peuples qui n’utilisent pas l’écriture, la transmission des oeuvres musicales se fait, comme pour la littérature, par tradition orale, qui n’est pas nécessairement moins efficace ou moins précise que la tradition écrite. La musique indonésienne n’est pas moins complexe que la musique européenne et obéit à des règles aussi formelles. Il existe pour toute musique un « corpus référentiel » et des méthodes pour le transmettre. Dans la musique de l’Inde, en dehors des définitions théoriques très complètes, l’instrumentiste utilise souvent de petits poèmes chantés qui l’aident à se remémorer les caractéristiques d’un mode particulier avant de commencer à jouer. L’écriture n’est donc pas un critère absolu et peut, dans certains cas, apparaître comme un facteur négatif.

Les premières approches des musiques de tradition orale de l’Europe et des autres continents se firent sur la base de transcriptions souvent très approximatives. Dans son Dictionnaire de la musique (1768), J.-J. Rousseau présente des notations d’un « air chinois », d’une « chanson des sauvages du Canada », d’une « chanson persane ». La transcription utilisée comme méthode dans l’ethnomusicologie et les études modernes de folklore ne peut indiquer qu’un squelette approximatif des mélodies transcrites et ne permet pas d’en apprécier l’esthétique ou l’action psychologique. Elle ne peut en aucun cas être employée comme base d’exécution, car elle ne permet pas d’en reproduire le style, la vitalité, les variations, qui sont des éléments essentiels de la musique de tradition orale, laquelle se trouve dépouillée de sa signification, de sa raison d’être. Herzog, dans sa Musical Topology in Folksongs (1937), disait déjà que la transcription « falsifiait » la musique populaire. Les limites que l’écriture pose à la musique constituent un problème que le musicien occidental doit lui aussi aujourd’hui affronter. « La musique contemporaine, en refusant de plus en plus l’espace du texte, brise le cadre qui la situait comme un genre achevé jusqu’alors... Dans le même temps que la musique occidentale - et en partie sous l’influence des musiques extraeuropéennes - se dégage du privilège de l’écrit, l’ethnomusicologie le reprend à son compte... pour tenter d’y insérer les musiques de tradition orale » (François Caillat). L’ÉTUDE DES THÉORIES MUSICALES. Avant l’apparition de l’ethnomusicologie, considérée comme une discipline à part, un certain nombre de musicologues avaient entrepris des travaux qui s’appuyaient sur les théories musicales et non pas seulement sur les hasards de l’écoute. Les premières tentatives ont été le Mémoire sur la musique des Chinois (1779) du père Amiot, suivi du Mémoire sur la musique de l’ancienne Égypte (1816) de Villoteau, commandé par Bonaparte. Le Résumé philosophique de l’histoire de la musique de Fétis parut en 1852. En 1886, Carl Stumpf publia un article sur les Chants des Indiens Bellakula. De 1812 à 1824, Albert Lavignac et Lionel de la Laurencie réunirent dans l’Encyclopédie de la musique et dictionnaire du Conservatoire une série

d’études sur la musique de la Chine, de l’Inde, de la Turquie, etc., qui restent des documents de premier ordre. Jaap Kunst publia son important ouvrage sur la musique indonésienne De Toonkunst van Bali en 1925, suivi de Music in Java (1949). Alain Daniélou publia en 1943, à Londres, son Introduction to Musical Scales, suivi, en 1949, de Northern Indian Music. Entretemps, le baron Rudolf d’Erlanger avait publié sous le titre de la Musique arabe, de 1930 à 1959, six volumes de traductions commentées des traités arabes du Moyen Âge sur la musique (al Farabi, Safi ud din, Avicenne, etc.) et des études sur les genres et les systèmes musicaux. Dans l’Encyclopédie Fasquelle de la musique (1958), dirigée par François Michel, plusieurs articles concernant l’Asie sont fondés sur une étude musicale et pas seulement ethnomusicologique. L’Institut d’études comparatives de la musique de Berlin a publié, depuis 1966, en français, anglais et allemand, une série d’ouvrages basés sur les théories musicales des différentes cultures. LES UTILISATEURS. Certains musiciens occidentaux se sont intéressés à noter des mélodies populaires ou orientales surtout afin de les utiliser dans leurs compositions et de donner ainsi à celles-ci un caractère national. Nul n’ignore la Marche turque de Mozart, empruntée d’ailleurs à une version hongroise, et beaucoup plus mozartienne que turque. Balakirev fut le premier à recueillir les mélodies populaires des moujiks. D’autres compositeurs russes, de Borodine à Stravinski, s’inspirèrent de mélodies populaires. Bartók nota une quantité considérable de chants hongrois et roumains qu’il utilisa dans son oeuvre. Les Espagnols (Falla, Granados) mais aussi Bizet et Ravel s’inspirèrent du cante jondo et du flamenco. Debussy a été fortement impressionné par la musique indonésienne. Ces transpositions dans un autre idiome, si elles peuvent servir à donner une sorte de couleur locale, ne sont que des aperçus pittoresques qui ne donnent aucune idée des possibilités expressives des langages musicaux dont elles prétendent s’inspirer. J.-S. Bach avait été l’un des premiers à utiliser des airs populaires, mais une bourrée de Bach ne permet pas de reconstituer le style des danses dont il a emprunté les thèmes. Les emprunts par les musiciens occidentaux de phrases

provenant d’autres langages musicaux les dénaturent et ne laissent rien subsister de leur signification profonde, de ce que, dans leur propre idiome, ils permettent d’exprimer. Il en est de même pour les downloadModeText.vue.download 360 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 354 essais d’harmonisation de la musique modale indienne ou arabe. L’ENREGISTREMENT. Ce fut la découverte de l’enregistrement qui permit à des musicologues d’étudier en laboratoire des fragments fixés de formes musicales de tradition orale. L’enregistrement sur cylindre, à l’aide du phonographe Edison, permit de recueillir de brefs mais nombreux documents qui pouvaient être ensuite analysés et commentés sans contact direct avec les musiciens des peuples concernés. En Europe de l’Est, Béla Vikar avait recueilli, en 1889, les chants épiques de la Carélie finlandaise. Il fut le premier à utiliser le phonographe et créa la première phonothèque de Budapest. Après lui, Béla Bartók, assisté par Zoltán Kodály, enregistra des milliers de mélodies hongroises, slovaques, turques, arabes, serbo-croates, ukrainiennes et bulgares. C’est également en 1889 que J. W. Fewkes réalisa aux États-Unis les premiers enregistrements des Indiens Zunis et Passamoquoddy. En 1900, le docteur Azoulay procéda à des enregistrements lors de l’Exposition universelle à Paris. En 1902, le Phonogrammarchiv de Berlin débuta grâce à la visite en Allemagne de l’orchestre de la cour du Siam. Ce centre, auquel collaborèrent Carl Stumpf, Erich von Hornbostel, Robert Lachmann et Curt Sachs, joua un rôle capital. Il fut à l’orgine des méthodes créées pour l’analyse des formes musicales des diverses cultures par la suite employées partout ailleurs. À la même époque, le Finlandais Ilmari Krohn établit un système de classification des mélodies populaires. C’est principalement des travaux du Phonogrammarchiv que naquit ce que l’on devait plus tard appeler ethnomusicologie, qui développa peu à peu des théories souvent contestables sur les origines de la musique et sur le rôle de la musique dans la société ainsi que sur les instruments de musique. Des transcrip-

tions à fins d’analyse fondées sur des enregistrements forment un des principaux aspects de la méthode ethnomusicologique. Mais lorsqu’il s’agit de formes improvisées qui diffèrent à chaque exécution et dont on ne connaît pas les thèmes de base, ce genre de travail risque de rester hors de la réalité. Le Phonogrammarchiv fut fermé à l’époque du nazisme. Plusieurs de ses experts, tels que Curt Sachs et George Herzog, poursuivirent leur travail aux ÉtatsUnis. En 1929, Constantin Braïloiu avait créé à Bucarest les archives roumaines de folklore. Réfugié plus tard à Genève, il joua un rôle important dans la formation de l’ethnomusicologie française. Le département d’ethnomusicologie, créé en 1944 au musée des Arts et Traditions populaires, est, depuis sa fondation, dirigé par Claudie Marcel-Dubois. Gilbert Rouget, au musée de l’Homme, s’intéresse principalement à la musique africaine. Des collectionneurs, tels que Henry Balfour en Angleterre, avaient commencé à réunir d’importantes collections d’instruments de musique dits « primitifs ». Le musée de Terwuren en Belgique possède une vaste collection d’instruments principalement africains. Ces instruments furent analysés et décrits sans tenir compte des techniques des luthiers qui les construisaient, ni de l’habileté des musiciens qui les utilisaient. Curt Sachs publia une History of Musical Instruments (1940), André Schaeffner, son Origine des instruments de musique, en 1936. Tran Van Khe, à Paris, prépare une importante étude comparative des instruments de musique chinois, vietnamiens, coréens, mongols et japonais. Les méthodes de classification proposées diffèrent peu de celles des anciens traités hindous. Il aura fallu attendre 1980 pour qu’un luthier italien, Paolo Ansaloni, s’intéresse aux secrets de la technique indienne, aux proportions des instruments, aux bois et aux vernis utilisés qui ne sont pas moins étonnants que ceux de Stradivarius. ART MUSICAL OU MUSIQUE ETHNIQUE. Les valeurs d’art ne font pas normalement partie des préoccupations des ethnologues. La Revue du musée de l’Homme (Paris) de 1967 mentionne, à propos du fonds discographique du musée, une « rubrique destinée à annoncer régulièrement les disques de musique «primi-

tive et exotique« ». Dans le département d’ethnomusicologie, des enregistrements de clarines de vaches savoyardes, des sonogrammes de bergers des Pyrénées, voisinent avec des ragas exécutés par Ravi Shankar, considérés comme un matériel intéressant essentiellement les « hommes de science ». Parlant de la musique de l’Inde, le célèbre ethnomusicologue allemand Marius Schneider n’hésitait pas à dire : « Ces musiques nous intéressent en tant qu’objets d’études scientifiques. Mais la musique c’est Bach et Mozart. » Ce genre de point de vue semble aujourd’hui dépassé. Il existe une tendance, particulièrement aux États-Unis, à remettre à sa place le concept d’ethnologie et à ramener les diverses disciplines groupées artificiellement dans l’ethnomusicologie aux catégories plus générales de musicologie, d’organologie, de sociologie de la musique qui s’appliquent également à la musique occidentale. Le musicologue américain Charles Seeger considère que la musique dans son ensemble concerne la musicologie et que des termes tels que musicologie historique ou ethnomusicologie sont malheureux. De même, François Caillat remarque : « En prenant les musiques de tradition orale pour objet d’étude, l’ethnomusicologie semble recéler un paradoxe... Si la méthode d’enquête et de collecte se dessine effectivement très vite, il n’en est pas de même des buts... L’ethnomusicologue, en voulant chercher les différentes modalités du fait musical, ne se donne-t-il pas une méthode sans objet réel ? » Considérer la musique écrite comme un domaine à part est probablement une erreur. Le langage parlé ou musical évolue par tradition orale et non sur la base de l’écrit. Il ne faut pas confondre langage et littérature. Il apparaîtrait plus normal de considérer la musique occidentale comme un cas particulier dans le cadre d’une musicologie générale, fondée sur la tradition orale et l’aspect audible de la musique, que comme l’objet d’une musicologie considérant essentiellement l’aspect écrit, c’est-àdire la méthode de fabrication et de transmission. La musique comme phénomène social n’est pas vraiment différente en Occident de ce qu’elle est dans d’autres civilisations. On ne peut parler d’organologie sans tenir compte de l’origine asiatique de beaucoup d’instruments tels que le luth (de l’arabe el ud), le violon, la guitare. Une meilleure connaissance des valeurs d’art

musical des autres civilisations conduira probablement à une reconsidération de ce que l’on a appelé, un peu hâtivement, ethnomusicologie. La grande musique de l’Inde, de la Chine, du Japon, de l’Indonésie est le fruit d’une philosophie, d’une esthétique, d’une théorie complexe résultant d’une longue évolution. Elle est apte à exprimer les émotions les plus subtiles et les plus profondes. En tant que « langage de l’âme », elle reprend peu à peu la place qui lui était due parmi les autres arts. Quelles que soient les structures qu’il emploie, on ne peut séparer un langage de sa signification puisque c’est sa raison d’être. Il en est de même du langage musical qui n’a d’autre sens que ce qu’il permet d’exprimer à ceux qui l’emploient. Dans une thèse publiée en 1977, le musicien indonésien Sutarno explique : « Quelles que soient les conclusions apportées par les chercheurs étrangers dans leurs essais d’histoire de la musique javanaise, je ne peux entrer dans leurs considérations puisque le musicien javanais c’est moi, que je ressens ainsi la musique, que je la pratique dans cet état d’âme et que l’histoire de la civilisation javanaise m’appartient. » LE RETOUR AUX VALEURS D’ART. L’apparition de la bande magnétique, puis celle du magnétophone portatif, qui permettaient des enregistrements faits sur place dans les régions les plus reculées, suivis du disque microsillon qui en permettait une large diffusion, donnèrent une dimension nouvelle à la musique de tradition orale. On recréait, par l’enregistrement, un objet musical supérieur en fait à la partition puisqu’il inclut, dans le downloadModeText.vue.download 361 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 355 moindre détail, tous les éléments d’expression, de style, de mouvement, que la partition ne peut au mieux que suggérer. C’est donc seulement depuis le milieu du XXe siècle que l’art musical des différentes civilisations de tradition orale a pu prendre sa place auprès du grand public, d’abord par des séries de disques de haute valeur artistique, en particulier les collections de disques de l’Unesco. La première

anthologie de la musique classique de l’Inde fut publiée par Ducretet-Thomson en 1955. C’est en grande partie grâce au disque qu’une place de plus en plus importante a pu être accordée aux musiciens traditionnels et aux spectacles musicaux de l’Asie et de l’Afrique dans les programmes de concerts auparavant réservés à la musique occidentale. L’appropriation par l’ethnomusicologie de la musique de l’Asie et de l’Afrique, considérée comme primitive parce que non écrite, devait aller de pair avec son appréciation par un public musicien de plus en plus vaste qui en admirait les chefs-d’oeuvre. D’assez nombreux jeunes musiciens occidentaux étudient aujourd’hui la musique indienne et en deviennent des interprètes valables. Mantle Hood à l’université de Californie à Los Angeles (UCLA) a constitué un gamelan javanais et établi un important centre d’enseignement pratique de la musique indienne et indonésienne. À Paris, un musicien vietnamien, Tran Van Khe, dirige, dans le cadre de l’Institut de musicologie, un centre d’études de musique orientale. Un centre d’enseignement a été créé à Venise sous la direction de Ivan Vandor. À l’Institut d’études comparatives de la musique créé à Berlin en 1963 et à Venise en 1970 pour la diffusion, dans la culture générale, de l’art musical des diverses civilisations de l’Asie et de l’Afrique, le terme ethnomusicologie a été banni comme représentant un eurocentrisme fleurant le colonialisme, et inacceptable pour les musiciens des cultures extra-européennes qui restent stupéfaits et outragés lorsque l’on prétend étudier, sans les consulter, leur art musical comme s’il s’agissait d’un art enfantin, plus ou moins spontané, analogue au bruissement des insectes ou au chant des oiseaux. L’ethnomusicologie, qui a rendu des services indéniables, apparaît aujourd’hui, grâce au contact des cultures, une conception dans beaucoup de cas dépassée et dont les méthodes sont à reconsidérer. Menacée dans ses privilèges, elle devra peu à peu s’adapter à son rôle devenu secondaire, les valeurs d’art triomphant de la curiosité ethnologique. ETKIN (Mariano), compositeur argentin (Buenos Aires 1943). Ses études à Buenos Aires, puis en Europe, l’ont mis en contact avec des personnali-

tés aussi diverses que Boulez (1965-66, à Bâle), Ginastera, Maurice Le Roux, Earle Brown, Xenakis, Sessions. Il a également étudié la musique électronique à l’université d’Utrecht avec Gottfried Koenig et a travaillé à la Juilliard School de New York avec Berio (1969-70). Il a remporté de nombreux prix de composition internationaux, notamment celui de la radio hollandaise avec Elipses pour orchestre à cordes (1969). Pianiste et chef d’orchestre spécialisé dans la musique contemporaine, il est devenu une des personnalités les plus actives de la musique argentine. L’éclectisme de son style de composition reflète les nombreuses influences qu’il a subies. Il a abordé le domaine de la musique aléatoire avec un Quintette à vent (1961). On peut citer parmi ses oeuvres Distancias pour piano (1968) et des pièces pour différentes formations instrumentales : 3 Parabolas pour orchestre de chambre (1963), Entropias pour 7 cuivres (1965), Estáticamóvil I et II (1966), etc. ÉTOUFFOIR. Petite pièce du mécanisme d’un piano consistant en un morceau de bois garni de feutre (au clavecin, un bout de feutre sans support), qui s’applique à chaque corde pour l’empêcher de vibrer. L’enfoncement de la touche libère la corde de l’étouffoir tout en déclenchant l’action du marteau (piano) ou du sautereau (clavecin). Si on lâche ensuite la touche, l’étouffoir retombe sur la corde, coupant net le son. Au piano, la pédale de droite permet de retarder ce mouvement de l’étouffoir et l’interruption du son. ÉTUDE. Mot désignant, dans la tradition occidentale, un genre musical (plutôt qu’une forme) représenté par des pièces à vocation didactique, généralement destinées à un instrument soliste (le plus souvent au piano, mais aussi au violon, à la guitare, à la flûte, etc.), pièces plutôt courtes et groupées en recueils (souvent par 6, 12 ou 24) et dont chacune explore un problème spécifique de technique musicale : le plus souvent de technique d’exécution instrumentale, parfois aussi de technique d’écriture. Il arrive même que certaines études

pour piano (de Czerny, par exemple) soient de purs exercices digitaux, sans ambition musicale. Le genre de l’étude au sens moderne s’est développé surtout au XIXe siècle, mais déjà dans la musique ancienne et baroque furent publiés nombre de recueils didactiques destinés à faire assimiler la technique d’un instrument soliste comme le clavecin ou l’orgue : les Lessons de Purcell ou Haendel, les Sonates de Domenico Scarlatti, publiées en Italie comme « Esercizi » (« exercices ») et en Angleterre comme « Lessons », les pièces pédagogiques de Telemann (le Parfait Maître de musique) sont, en quelque sorte, des études. Les très nombreuses pièces pédagogiques de Jean-Sébastien Bach (dont le Clavier bien tempéré) ne sont pas centrées sur des problèmes précis de technique ou de doigté, mais veulent faire assimiler le langage musical en même temps que le mécanisme instrumental. Si la virtuosité existe déjà à part entière (dans certains préludes du Clavier bien tempéré, par exemple), elle ne constitue pas encore un terrain spécialisé, illustré par des oeuvres spécifiques. C’est au XIXe siècle que le développement de la technique pianistique (et aussi violonistique), avec l’apparition des grands virtuoses comme Paganini, Liszt, Hummel, suscite la floraison de multiples recueils d’études explorant des difficultés spécifiques de l’instrument : gammes, arpèges, trilles, tierces, octaves, accords parallèles, etc., pour le piano, doubles cordes et traits rapides pour le violon. L’étude devient, comme dit Roger Wild, « l’analyse en action d’une formule technique », une espèce de décomposition, par la répétition, d’une difficulté particulière. Symétriquement, à la virtuosité croissante de certaines études correspond souvent une simplification compensatrice du langage et de la structure musicale : une étude pour piano est souvent (mais pas toujours) de forme élémentaire, binaire parfois, construite sur une base mélodique et harmonique évidente, même si elle est très ornementée, afin de mettre en valeur la prouesse technique. Cela n’empêche pas la musicalité. Dans les belles Études de Chopin, par exemple, si on cherche l’armature harmonique et mélodique derrière la virtuosité et les détails d’écriture « audacieux », on la trouve souvent robuste et simple, comme dans les improvisations

échevelées du jazz classique, où intervient le même principe de compensation : souplesse et virtuosité de l’élocution, de la parole musicale, sur la base d’une « langue » simplifiée. Paradoxalement, le genre de l’étude conduit à deux extrêmes : des pièces de difficulté élémentaire pour débutants ou amateurs (chez Czerny, Bertini, Steibelt, Clementi, parfois) et des morceaux de bravoure, de très haute virtuosité, accessibles, comme disait Schumann, à une demi-douzaine d’artistes dans le monde. Le XIXe siècle romantique est donc le siècle des grands cahiers d’études pour clavier, de Jean-Baptiste Cramer (Étude en 42 exercices, 1804-1810), de Muzio Clementi (Gradus ad Parnassum, 1817-1826, méthode en 100 études progressives et doigtées, parodiée par Debussy dans Children’s Corner), de Johann-Nepomuk Hummel (24 Études op. 125 pour le piano), d’Ignaz Moscheles (qui agrémentait certains de ses morceaux didactiques en les traitant en « pièces de genre »), de Karl Czerny, downloadModeText.vue.download 362 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 356 d’Istvan Heller, élève du précédent (plus de 100 études), de Daniel Steibelt, Theodor Kirchner, Franz Kalkbrenner, etc. Mais c’est surtout avec Franz Liszt, Frédéric Chopin, Charles-Valentin Alkan, Sigismond Thalberg que l’étude dépasse sa destination pédagogique, à usage domestique et privé, pour devenir un « cheval de bataille » dans les concerts. Curieusement, c’est l’exemple, non d’un pianiste, mais d’un violoniste, le phénoménal et magique Paganini, qui encouragea les compositeurs-pianistes à se surpasser dans cette voie. Ses 24 Caprices pour violon solo fascinèrent ceux-ci, et leur inspirèrent de multiples transcriptions, adaptations, variations pour le piano, qui sont autant d’études : les 6 Études d’après Paganini de Liszt (1838), dont la Chasse et la célèbre Campanella ; les 2 séries d’Études de Schumann, op. 3 et op. 10, les 2 cahiers de Variations de Brahms sur le thème du Caprice en « la » mineur (1862-63), sans compter les adaptations de Rachmaninov, Dallapiccola, etc. L’exemple de Brahms illustre la proximité entre le genre de l’étude et celui de la variation, laquelle consiste aussi

à greffer sur un thème simple, à la progression harmonique et à la carrure évidentes, une ornementation de traits instrumentaux, d’accords, de distorsions multiples, dans un souci de renouvellement et de brio qui conduit à traiter chaque variation comme un « ostinato » utilisant une formule technique privilégiée. En 1827, Liszt publia (à seize ans) une Étude en 12 exercices (il en prévoyait 12 autres, pour parcourir tous les tons majeurs et mineurs), exercices qu’il retravailla plus tard (1837, 1839, 1854), les enluminant, les compliquant de nouvelles difficultés, pour en faire les fameuses 12 Études d’exécution transcendante (1851), dont la plupart sont agrémentées de soustitres descriptifs : Paysage, Mazeppa, Feux follets, Harmonies du soir, Chasse-Neige, etc. On doit aussi à Liszt 2 Études de concert (Dans les bois, Ronde des lutins) et l’{‘}Etude de perfectionnement « ab irato » (en colère) écrite spécialement pour un recueil d’études rassemblé par Moscheles et Fétis, la Méthode des méthodes. C’est pour ce même recueil que Chopin écrivit en 1840 3 Études qui ne figurent pas dans ses 2 fameux cahiers op. 10 et op. 25, de 12 Études chacun. Si l’on retrouve ce chiffre de 12 (ou 6, ou 24) dans maint recueil d’études, c’est sans aucun doute par référence à Bach (et à son Clavier bien tempéré) considéré par les romantiques comme le père de l’étude, et pas toujours pour épuiser les 12 tons. Ainsi les 24 Études de Chopin n’utilisent que 7 tons majeurs et 8 tons mineurs. Le premier cahier, op. 10, dédié à Liszt, fut écrit entre l’âge de dix-huit et vingt-quatre ans, et les morceaux ne comportent pas de sous-titres (ceux de Tristesse et d’Étude révolutionnaire, pour la dernière, sont dus à l’imagination d’amis, d’éditeurs, ou d’adaptateurs). Malgré des combinaisons harmoniques complexes, des modulations hardies, des chromatismes osés, il est clair que ces études explorent d’abord des problèmes techniques. C’est la suggestion des doigts qui commande l’idée musicale, le jeu qui guide l’écrit, et non l’inverse. On a donc des études centrées sur l’extension de la main en vastes arpèges (1re), l’attaque et le chevauchement des doigts faibles (2e), l’utilisation exclusive des touches noires (5e), le passage du pouce (8e), les accords en sixtes brisées (10e), les accords arpégés aux deux mains (11e), etc. À deux ou trois

exceptions près, dont le fameux Tristesse en mi majeur, lent et mélodique, la plupart des morceaux sont de tempo rapide, d’essence dynamique et du type « mouvement perpétuel » en ostinato, une seule difficulté étant ressassée dans chaque étude. Par un biais apparemment sophistiqué, l’étude romantique de piano retrouve la virtuosité bondissante et répétitive de certaines musiques orales (indienne ou africaine), où le musicien tourne de la même façon autour d’une cellule musicale dynamique, comme pour l’épuiser. La deuxième série des 12 Études, op. 25, explore de même des arpèges (1re), des tierces chromatiques (6e), des sixtes enchaînées (8e), des octaves parallèles aux deux mains (10e). La 9e étude, dite « Papillon », peut être dite « étude de toucher ». Par un dosage étonnant de simplicité chantante, jusque dans le « prestissimo » le plus étourdissant, et de brillant pianistique, les Études de Chopin échappent à la froideur d’une performance hautaine et sont devenues peut-être les plus populaires d’un répertoire pourtant fourni. Quant à Robert Schumann, outre ses transcriptions d’après Paganini, il devait nommer Études symphoniques pour piano son opus 13, composé en 1834-1837, qui est en fait une série de 12 variations sur un thème du capitaine von Fricken, et qui cherche, comme chez Chopin, à dégager la musicalité derrière la prouesse technique. Les Études postromantiques de Busoni, Hans Pfitzner, Alexandre Scriabine, perpétueront le genre. Dans l’école française de piano, Debussy est l’un des rares à avoir continué la tradition, publiant en 1915 deux cahiers de 6 Études qui, intentionnellement, tout en offrant des difficultés techniques précises à surmonter, ne comportent aucun doigté fixé par l’auteur, celui-ci alléguant les différences entre les mains de chaque soliste. Le premier cahier est très « digital » (pour les 5 doigts, pour les tierces, les quartes, les sixtes, les octaves et les 8 doigts, c’est-à-dire sans le pouce). Debussy explique comment le parti pris de faire une étude de « sixtes », par exemple, l’amène à construire son harmonie sur cet intervalle. Plus nouvelles dans le genre, les études du deuxième cahier portent souvent sur des recherches de sonorité

et de timbre : en particulier l’Étude pour les sonorités opposées, qui veut créer des contrepoints de nuances, de dynamiques et de tempo. Les autres (pour les degrés chromatiques, pour les agréments, pour les notes répétées, pour les arpèges composés, pour les accords) imbriquent étroitement une recherche de technique instrumentale et une recherche d’écriture. À mesure que les problèmes de langage préoccupent de plus en plus les compositeurs, on les voit tenir une place grandissante dans le genre de l’étude : en particulier dans le cycle Mikrokosmos, en 6 recueils, de Béla Bartók, qui est en fait une méthode allant du très facile vers le moyennement difficile, initiant aussi bien à une écriture nouvelle (rythmes impairs, chromatismes) qu’aux techniques nouvelles qu’elle entraîne (mais qui restent cependant, chez lui, dans la continuité du piano romantique). Quand, beaucoup plus récemment, Olivier Messiaen compose ses 4 Études de rythme (1949), dont le célèbre Modes de valeurs et d’intensité, c’est la recherche de langage construite sur le papier qui prédomine, même si on y retrouve les techniques spéciales d’attaque du piano introduites par l’auteur. De même, les Études karnatiques de Jacques Charpentier explorent en même temps une écriture modale et des types d’attaque inédits. La recherche de virtuosité digitale ayant été « saturée », et paraissant plafonner, les compositeurs modernes cherchent du nouveau du côté des sonorités, des attaques, des timbres, plutôt que du côté de la rapidité des traits : c’est le cas de l’important cycle des Études pour agresseurs d’Alain Louvier, pour piano, clavecin, orgue, où les « agresseurs » en question sont les parties de la main ou du bras qui « attaquent » l’instrument ; ou bien de la Sequenza IV, pour piano, de Luciano Berio. Ce dernier a d’ailleurs consacré à différents instruments solistes la série de pièces de virtuosité Sequenze, où les recherches de sonorité (et, secondairement, de vélocité) sont au premier plan. Dans les musiques concrète, électronique, électroacoustique, qui mettent en jeu des techniques nouvelles en même temps que de nouvelles façons de « parler en musique », on ne s’étonnera pas que foisonnent les Études destinées soit, pour le compositeur, à assimiler les techniques du studio, soit à explorer systématiquement des traitements de sons, des caractères sonores, des

sources, des modes d’assemblage de sons, etc. (Études pathétique, aux objets, etc., de Pierre Schaeffer, Studie 1 et 2, de Stockhausen, Mouvement-Rythme-Étude, de Pierre Henry, et d’innombrables oeuvres de Reibel, Parmegiani, Koenig, Eimert, downloadModeText.vue.download 363 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 357 Luening, Savouret, Ferrari, etc.). On y retrouve d’ailleurs les constantes de l’étude traditionnelle : linéarité et simplicité de la forme, limitation dans le choix des éléments sonores et musicaux qu’on explore systématiquement, tendance à la démonstration de virtuosité, etc. Si nous avons parlé surtout des études pour piano, il ne faudrait pas oublier les études pour violon de Kreutzer, Bériot, sans compter celles déjà citées de Paganini ; les études pour violoncelle de Grützmacher, Franchomme ; pour guitare, de Sor, Villa-Lobos, Jolivet. Chaque instrument possède son répertoire spécifique d’études, souvent sous la forme de Méthodes progressives comprenant soit des pièces originales composées par l’auteur de la méthode, soit des compilations de pièces empruntées au répertoire. EULENBURG (Ernst), éditeur allemand (Berlin 1847 - Leipzig 1926). C’est en 1874 qu’il fonda sa maison, qui se borna tout d’abord à publier des oeuvres chorales et des livres d’enseignement, puis se spécialisa dans les partitions de poche tant classiques que modernes. Son fils Kurt, qui lui succéda en 1911, transféra le siège de la société à Londres en 1939, et ouvrit après la guerre des filiales à Zurich et Stuttgart. EUPHONIUM. Terme employé en Angleterre pour désigner le tuba ténor en si bémol de la famille des saxhorns. Au XIXe siècle, l’euphonium était un autre nom de l’ophicléide. Enfin, le terme peut désigner un jeu à anches libres, caractéristique de l’orgue romantique. EUTERPE (groupe).

Nom que les compositeurs E. Horneman, G. Matthison, E. Grieg et R. Nordraak donnèrent à leur groupe, en 1865 à Copenhague. Bien qu’éphémère, celui-ci eut une grande importance dans l’évolution musicale norvégienne et dans la lutte contre l’esthétique mendelssohnienne représentée au Danemark par N. Gade. EVANGELISTI (Franco), compositeur italien (Rome 1926 - id. 1980). Après des études d’ingénieur à Rome, il décida en 1948 de se consacrer à la musique, étudia la composition avec D. Paris et le piano avec E. Arndt, et, de 1952 à 1960, suivit régulièrement les cours d’été de Darmstadt. De cette période datent ses premières oeuvres, d’inspiration sérielle. Sa rencontre avec H. Meyer-Eppler en 1952 éveilla son intérêt pour la musique électronique. À l’invitation de H. Eimert, il travailla (1956) au Studio électronique de la radio de Cologne, où il rencontra G. M. Koenig, K. Stockhausen, H. Helms, H. K. Metzger et plus tard M. Kagel et G. Ligeti. Il fut également appelé par H. Scherchen au Studio d’électroacoustique expérimentale de l’Unesco à Gravesano. En 1958, avec Stockhausen et Nono, il participa à l’inauguration du Studio expérimental de la radio polonaise et du Festival d’automne de Varsovie. Il travailla ensuite activement à la diffusion de la musique contemporaine, organisant la Semaine internationale de musique nouvelle de Palerme en 1959, fondant en 1960 l’association Nuova Consonanza dans le but de promouvoir la musique contemporaine, de stimuler un plus grand public, et aussi d’affirmer le statut de la création collective par opposition à l’oeuvre-objet. En 1967, il compta parmi les fondateurs du Studio électronique de Rome. Ses activités pédagogiques furent nombreuses, et il rédigea, outre plusieurs articles, le livre (inédit) Dal silenzio a un nuovo mondo sonore. Appunti degli anni 57-77 (« Du silence à un nouveau monde sonore. Notes des années 57-77 »). Après 1962, craignant de se répéter, Evangelisti s’est pratiquement arrêté de composer, du moins sur le plan individuel. On lui doit : 4 ! (4 « fattoriale »), petites pièces pour piano et violon (195455) ; Ordini, structures variées pour 17 instruments (1955) ; Proporzioni, struc-

tures pour flûte solo (1958) ; Aleatorio pour quatuor à cordes (1959) ; Random or not Random, notes des années 19571962 pour orchestre (1962) ; Incontri di fasce sonore, composition électronique (1956-57) ; Spazio a 5 pour 4 groupes de percussion, voix et moyens électroniques (1959-1961) ; Die Schachtel, action mimoscénique pour mimes, projections et orchestre de chambre sur un sujet de Fr. Nonnis (1962-63). EVANS (Geraint) baryton anglais (Pontypridd, pays de Galles, 1922 - Aberystwyth, pays de Galles, 1992). Il a étudié le chant à Cardiff, Hambourg, Genève et Londres, et débuté en 1948 au Covent Garden de Londres dans le rôle du Veilleur de nuit des Maîtres chanteurs de Wagner. Il a connu son premier grand succès en 1949, sur la même scène, dans le rôle de Figaro des Noces de Figaro de Mozart. Tout en menant une carrière internationale, il a consacré beaucoup de son activité à Covent Garden, y participant à des créations comme celles de Billy Budd de Britten (rôle de Flint, 1951) ou Troilus et Cressida de Walton (rôle d’Antenor, 1954), et à Glyndebourne (1949-1961). Excellent musicien, acteur remarquable, il a notamment marqué de sa personnalité des rôles de Figaro et de Leporello chez Mozart et de Falstaff chez Verdi. EXAUDET (André Joseph), violoniste et compositeur français (Rouen 1710 - Paris 1762). Il travailla le luth et la viole avant de se consacrer à un instrument plus au goût du jour : le violon. Il s’engagea dans l’orchestre de l’Opéra de Paris en 1749. En 1758, il entra dans la Musique de la chambre du roi et, l’année suivante, succéda à Gabriel Caperan comme directeur des 24 Violons. À partir de 1751, il se produisit au Concert spirituel. Disciple de Jean-Marie Leclair, il composa de nombreuses sonates pour son instrument (2 Livres pour violon et basse, Paris, 1744 et 1760 ; 6 Sonates en trio, Paris, 1751). André Joseph Exaudet est l’auteur d’un célèbre Menuet (tiré d’une des 6 Sonates en trio op. 2, 1751) dont la popularité a duré jusqu’au XIXe siècle. EXÉCUTION. Action de chanter ou de jouer une oeuvre

musicale. Le terme d’exécutant est couramment employé, concurremment à celui d’interprète. L’exécutant s’interpose entre le compositeur et l’auditeur, et son rôle est donc capital pour la bonne compréhension d’une oeuvre. La qualité de l’exécution dépend de deux éléments distincts : la technique proprement dite, c’est-à-dire la traduction matériellement correcte du texte musical, et l’interprétation, qui fait entrer en jeu la fonction créatrice de l’exécutant et son rapport avec l’oeuvre (sur ce rapport et son évolution historique, v. interprétation). Parfois aussi, l’exécution fait intervenir l’improvisation. Il peut arriver que le compositeur soit son propre exécutant, notamment dans la musique électroacoustique où il manipule lui-même les divers appareils qu’il utilise. Le développement de la technique d’enregistrement permet la reproduction d’exécutions, pour ainsi dire, techniquement parfaites, mais l’utilisation systématique du procédé de montage de bandes, permettant le collage de fragments de différentes exécutions, tend à ôter une partie du souffle, de la spontanéité de l’interprétation. Aussi a-t-on assisté ces dernières années à une recrudescence de l’intérêt pour les enregistrements pris d’une seule traite sur le vif, au théâtre ou au concert. EXERCICE. Pièce musicale destinée à entraîner l’exécutant à vaincre une difficulté technique bien précise par la répétition d’un même motif, sans préoccupation esthétique. Les recueils d’exercices se sont développés en même temps que la pratique de la musique instrumentale. Il existe aussi des exercices pour la voix. Citons à titre d’exemple, pour le piano, les recueils de Hanon, Czerny, Stamaty, Burgmüller ; pour le violon, ceux de Dancla, Rode, downloadModeText.vue.download 364 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 358 Mazas, Rodolphe Kreutzer, Sevcik ; pour la voix, ceux de Concone, Panofka, Vaccai. L’étude peut être considérée comme

une sorte d’exercice plus élaboré, dans la mesure où le compositeur ajoute au propos technique un propos expressif. EXPANDEUR. Générateur de sons sans clavier. Appelé aussi « boîte à sons », l’expandeur utilise les mêmes principes qu’un synthétiseur mais il est destiné à être piloté par un séquenceur ou un ordinateur doté d’un programme approprié. Les sons numériques sont générés par la modulation de fréquence ou par l’échantillonnage (les techniques le plus souvent utilisées aujourd’hui) selon les commandes transmises par le programme à travers la norme MIDI (Musical Instrument Digital Interface : protocole qui régit la communication standardisée de l’information musicale entre ordinateurs, instruments numériques, consoles, etc.). La plupart des expandeurs sont poly-timbriques : on peut assigner à chacune des voix superposées un timbre différent. EXPÉRIMENTALE (musique). Expression employée dans les années 50 et 60 pour désigner les musiques concrète, électronique et électroacoustique, et plus généralement toutes les musiques dites d’« avant-garde » qui cherchaient à innover dans l’emploi des instruments traditionnels ou des sources sonores, comme dans la fabrication de sources sonores nouvelles et dans la conception de processus de composition inédits, etc. Ainsi, on appelait « expérimentales » tout aussi bien les démarches pourtant très divergentes d’un Pierre Schaeffer, d’un Pierre Henry, d’un John Cage, d’un Karlheinz Stockhausen, d’un Mauricio Kagel, etc., en se contentant de cette étiquette dont le sens n’a jamais été précisément codifié. Plus spécifiquement, on parlait en France, dans les années 50, de « musique expérimentale » pour désigner une conception élargie de la musique concrète, c’est-à-dire une nouvelle façon d’entendre et de faire la musique, non pas à partir de systèmes élaborés sur partition ou dans l’abstrait, mais à partir du concret de l’écoute, « à l’oreille ». Des compositeurs comme Ivo Malec, François Bayle, François-Bernard Mâche, Luc Ferrari, au Groupe de recherches musicales, composaient alors aussi bien pour la bande magnétique que pour les instruments

traditionnels, dans un esprit de curiosité pour tout l’univers sonore, sans exclusives fondées sur des systèmes a priori. C’est Pierre Schaeffer qui avait tenté de lancer cette appellation, pour la substituer à celle de musique concrète, qui était la source de bien des malentendus. C’est dans ce sens, synonyme à peu près de « musique électroacoustique », qu’Abraham Moles publia son ouvrage sur les Musiques expérimentales, Henri Pousseur son essai sur le même sujet (Fragments théoriques 1), et que l’on publia des disques de « musique expérimentale » (v. électroacoustique [musique]). Assez curieusement, si aujourd’hui on n’emploie plus guère l’expression de musique expérimentale dans cette acception, elle a survécu dans l’appellation officielle des deux principaux groupes de musique électroacoustique qui se sont créés en France dans les années 70 : le Groupe de musique expérimentale de Bourges, et le Groupe de musique expérimentale de Marseille. Mais certains parlent encore de musique expérimentale pour regrouper tant bien que mal diverses tendances récentes, de la musique dite « aléatoire » (Boucourechliev, Lutoslawski) à l’« algorithmique » (Barbaud) en passant par les musiques « minimales » (La Monte Young, Niblock, Radigue), « conceptuelles » (Schnebel, Brecht), « répétitives » (Glass, Reich, Riley), le « théâtre musical » (Kagel, Aperghis). Dans ce sens, répertorier les différentes musiques expérimentales reviendrait à faire un inventaire de toutes les recherches actuelles. On se gardera donc de chercher un sens trop précis à cette appellation, qui traduit la difficulté actuelle (masquée par de savantes dissertations sur le fond) pour embrasser dans des dénominations claires et caractéristiques la diversité des courants musicaux contemporains. EXPERT (Henry), musicologue français (Bordeaux 1863 - Tourettes-sur-Loup, Alpes-Maritimes, 1952). Ancien élève de l’école Niedermeyer, Henry Expert se consacra à l’étude des musiciens français du XVIe siècle (Janequin, Certon, Le Jeune, L’Estocart, Goudimel, etc.) dont il publia un grand nombre d’oeuvres. Professeur à l’École des hautes études (1902), fondateur de la Société d’études musicales et de concerts histo-

riques (1903), bibliothécaire à la bibliothèque Sainte-Geneviève (1905-1909) et au Conservatoire national (1909-1933), il joua un rôle prépondérant dans la remise en valeur de la musique française de la Renaissance, grâce à ses publications : les Maîtres musiciens de la Renaissance française (23 vol., 1894-1908), les Théoriciens de la musique au temps de la Renaissance (1900), Messe « la Bataille » de Cl. Janequin (1905), la Fleur des musiciens de Pierre de Ronsard (1923), les Monuments de la musique française au temps de la Renaissance (10 vol., 1926-1929), Florilège du concert vocal de la Renaissance (8 cahiers, 192829), etc. EXPOSITION. Une des parties de la fugue et de la forme sonate. Dans la fugue, l’exposition constitue la première partie et comporte quatre entrées (sujet-réponse-sujet-réponse). Dans la forme sonate classique, l’exposition est la section du début, pendant laquelle, en principe, les principaux thèmes sont énoncés. En général, le matériau musical présenté au cours de l’exposition est amplifié dans la section qui suit, appelée développement. EXPRESSION. Dans la mesure où l’art des sons a pour objet d’exprimer jusqu’à l’inexprimable, il tombe sous le sens que l’expression est l’essence même de la musique. Mais de tous les éléments qui concourent au but recherché, c’est justement le seul qui échappe au contrôle du compositeur luimême. S’il peut noter avec exactitude la hauteur et la durée des sons, indiquer sans ambiguïté les temps et les nuances, il en est réduit quant à l’expression proprement dite à un vocabulaire approximatif, consacré par l’usage ou purement personnel. Dans la première catégorie figurent les locutions italiennes classiques, les maestoso, affettuoso et autres con grazia, la plus banale de toutes étant ce con espressione qui fait figure de pléonasme ou de rappel à l’ordre. On comprend qu’un Claude Debussy, au début du siècle, ait éprouvé le besoin de préciser sa pensée en recourant à des annotations littéraires du genre « profondément calme (dans une brume doucement sonore) » [la Cathédrale engloutie]. Cet exemple, parmi d’autres, prouve que l’écriture musicale est impuis-

sante à traduire l’expression dans toute sa subtilité. C’est à l’interprète qu’il appartient de combler les lacunes du texte en l’enrichissant de sa sensibilité subjective. Certains jeux dits expressifs de l’orgue romantique sont enfermés dans une « boîte d’expression » à ouverture variable, commandée par une pédale, qui permet de passer progressivement du piano au forte. Un système analogue est couramment appliqué aux harmoniums. Quant aux instruments électroniques à clavier, il suffit d’un potentiomètre pour obtenir l’effet recherché. EXPRESSIONNISME. Mouvement artistique essentiellement pictural à l’origine, qui gagna rapidement tous les arts, et se développa en Allemagne à partir de 1905 environ autour de deux groupes, Die Brücke, fondé en 1905 par E. L. Kirchner, et Der Blaue Reiter, fondé en 1911 par Kandinsky. Guidés par une réaction commune contre le naturalisme et l’impressionnisme, les artistes cherchent à exprimer les forces vitales de leur être, et renoncent pour cela aux critères conventionnels du beau pour arracher à leur « moi » les formes anguleuses de visions intérieures. Ils aspirent à un homme noudownloadModeText.vue.download 365 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 359 veau, et leurs conceptions idéologiques du monde (Weltanschauung) expliquent les glissements politiques ultérieurs du mouvement. Il ne faut pas rechercher en musique de programme expressionniste. En effet, malgré le désir de Kandinsky d’une oeuvre synthétique unissant tous les arts (tentative du Son jaune en 1909), seul Schönberg participa effectivement en 1911 aux activités du Blaue Reiter, et ceci plutôt par la contribution de ses toiles et de ses articles que par sa musique elle-même. Cependant, on peut isoler les traits relevant directement de l’expressionnisme que l’on distingue, de façon plus ou moins dense, dans la production musicale des années 10 et 20.

On assiste tout d’abord à une exacerbation maladive de tous les paramètres du langage musical, prise de possession de l’univers des sons qui va faire éclater les cadres accoutumés de l’oeuvre : les intervalles sont distendus (redoublements) et les plus « expressifs » d’entre eux privilégiés (2e, 4e, 7e, qu’ils soient diminués ou augmentés), les registres sont dispersés jusque dans les extrêmes de l’échelle sonore, le tissu compositionnel revêt la luxuriance d’enchevêtrements organiques aux lignes brisées par des écarts et des contrastes brutaux. Cette exacerbation crée une tension constante qui engendre l’atmosphère érotique criante d’opéras tels que les Stigmatisés de Schrecker ou Salomé de Strauss. L’oeuvre expressionniste d’autre part est mouvement, geste en perpétuel devenir qui libère l’essence psychologique de l’homme, et s’épanouit particulièrement bien sur scène, dans le drame, en collaboration avec dramaturges et metteurs en scène (Kokoschka/Hindemith : Meurtre, espoir des femmes, 1921, par exemple, mais par-dessus tout, les deux drames de Schönberg intitulés Erwartung [« Attente »], 1909, qui met en scène un unique personnage, et la Main heureuse, 1913, qui fait intervenir le Sprechgesang, sorte de « parlé-chanté » sans hauteurs fixes, à la fois cri déchirant et lame d’acier - procédé très expressionniste). Pour intensifier l’élan vital de leur musique, les compositeurs cherchent à réduire à ses seuls éléments essentiels le langage, et vont bientôt rejeter tout ce qui conduit à des redites, comme le thème et son développement classiques (athématisme et « développement continu » dans Erwartung), favorisant à la place la technique de la variation, déduisant d’une même cellule initiale tous les niveaux de la composition (« Nuit », 8e pièce du Pierrot lunaire de Schönberg). Condensée, cette nouvelle « oeuvre en soi » s’organise selon sa logique interne, en une « forme absolue » (succession de petites formes achevées dans Wozzeck de Berg), microcosme qui renvoie l’image de l’ordre universel que l’on retrouve dans les recherches de correspondances entre sons et couleurs de Hauer ou de Scriabine (Prométhée), dans le « panchromatisme », inspiré indirectement de Schwedenborg, d’un Schönberg,

dans le transcendantalisme de Ives (The Unanswered Question, 1906). Toutes les voix sont d’importance égale, indépendantes (d’où une écriture plutôt contrapuntique : « la Tache de lune », 18e pièce du Pierrot lunaire de Schönberg), les sons ont tous le même poids (émancipation de la dissonance et atonalité, cristallisées historiquement par l’évolution de Schönberg), chaque élément a un rôle structurel (d’où l’écriture pour ensemble de solistes). L’absence de contrainte formelle extérieure oblige au début les compositeurs à sauver l’unité de l’oeuvre par l’intervention d’un texte (4e mouvement du 2e quatuor de Schönberg), par une structure intervallique ou rythmique (Sacre du printemps de Stravinski, ostinatos dans l’op. 16 de Schönberg, 1re pièce), par une écriture aphoristique (6 pièces op. 6 de Webern, 1909), ou par cette « mélodie de timbres » (Klangfarbenmelodie : 3e pièce de l’op. 16 de Schönberg), qui est en même temps une manifestation de la suggestivité recherchée dans le maniement de la matière à l’état pur (cf. idées de Kandinsky). Mais cet univers atonal s’organise bientôt en un système dodécaphonique (théories de Hauer, 1920 ; pièces op. 25 de Schönberg, 1921-1923) et se coule dans les moules formels de la musique baroque (Suite op. 29 de Schönberg, 1926). C’est de cet aspect plus « constructiviste » que découle l’évolution logique qui amena de nombreux compositeurs à élaguer leur musique pour en faire mieux ressortir la structure interne et la beauté abstraite, à la régénérer par une réduction puisée dans le retour aux forces originelles (folklore chez Bartók par exemple ; rythme, jazz et force magique de la danse chez Stravinski ou Krenek). Cependant, on tend à l’heure actuelle à mettre de côté cet aspect plus tardif et rationnel de l’expressionnisme, parallèle d’ailleurs à l’évolution du Blaue Reiter, dans l’acception très générale du terme. La qualification d’« expressionniste » renvoie en effet maintenant à une musique somme toute très romantique et entachée de symbolisme, et à l’éternel dilemme opposant musique intellectuelle et musique expressive. EXTENSION. Fait d’écarter un doigt pour atteindre une note en dehors de la position où l’on se

trouve. Dans les instruments à cordes, l’extension, supérieure ou inférieure, se pratique souvent pour éviter de changer de corde ou de position. EYBLER (Joseph Leopold), compositeur autrichien (Schwechat, près de Vienne, 1765 - Vienne 1846). Il étudia à la maîtrise de la cathédrale Saint-Étienne de Vienne, puis fut élève d’Albrechtsberger (1776-1779). Protégé par Mozart et Haydn, il fut directeur de la musique à l’église des Carmélites (17921794) puis au cloître des Écossais (17941824), professeur de musique à la cour (1801), vice-maître de chapelle impérial en 1804 et maître de chapelle impérial comme successeur de Salieri de 1824 à 1833, date à laquelle une attaque l’obligea à se retirer. À la mort de Mozart, ce fut lui qui entreprit de terminer son Requiem, mais il abandonna cette tâche et la transmit à Süssmayer. Il écrivit beaucoup de musique religieuse, dont un Requiem en ut mineur (1803) et l’oratorio Die vier letzten Dinge (1810), au livret à l’origine destiné à Haydn, et des pages instrumentales dont de remarquables quintettes à cordes. Il fut anobli en 1835. downloadModeText.vue.download 366 sur 1085

F F. 1. Lettre par laquelle était désignée la note fa dans la notation musicale du Moyen Âge. Elle indique toujours le fa dans les pays de langue anglaise, allemande et slave, où les syllabes de Guy d’Arezzo ne sont pas adoptées. français anglais allemand fa bémol F flat Fes fa double bémol F double

flat Feses fa dièse F sharp Fis fa double dièse F double sharp Fisis 2.F. est d’autre part l’abréviation de forte. FA. Nom donné à la quatrième note de l’échelle naturelle de do majeur dans le système de Guy d’Arezzo. Dans les pays de langue anglaise, allemande et slave, la même note est désignée par la lettre F. La clé de fa indique sur la portée, suivant sa position, soit la note située sur la quatrième ligne (fa 4e), soit celle située sur la troisième ligne (fa 3e). Mais cette dernière est aujourd’hui tombée en désuétude. FACTEUR. Ce terme s’emploie à propos de tous les artisans qui construisent des instruments de musique, à l’exception des spécialistes des instruments à cordes, et plus particulièrement à cordes frottées, qui sont appelés luthiers. On peut être facteur d’orgues, de clavecins ou de harpes (ces trois écoles étaient particulièrement importantes en France avant la Révolution) ou encore de pianos ou d’instruments à vent. L’activité du facteur d’instruments est appelée la facture. Selon la façon dont a été élaboré un instrument, on peut parler de sa plus ou moins bonne ou mauvaise facture. Autrefois, les instruments sortis des ateliers, notamment des facteurs de clavecins et de harpes, étaient souvent, par la beauté de leur décoration, de véritables oeuvres d’art. FAIGNIENT (Noé), compositeur flamand (Cambrai v. 1540 ? - Anvers ? v. 1598).

Il étudia la musique à la maîtrise de la cathédrale d’Anvers où il se fixa après avoir été reçu citoyen bourgeois de cette ville en 1561. En 1580, il fut nommé maître de chapelle du duc Eric II de Brunswick. Il se montra ouvert à tous les styles et a laissé des chansons françaises, des chansons sur des textes flamands, des madrigaux italiens et des lieder allemands. Dans ces oeuvres, il a cherché à traduire fidèlement par sa musique le détail des mots du texte. Sa position est celle d’une sorte de trait d’union entre la musique d’essence polyphonique, avec sa pensée essentiellement « horizontale », et le nouvel art méridional faisant appel à une écriture de plus en plus harmonique, voire « verticale ». En 1568, Faignient publia à Anvers deux livres de Chansons, madrigales et motetz. Noé Faignient sympathisa également avec la Réforme et composa des psaumes huguenots. FALCON (Cornélie), soprano française (Paris 1814 - id. 1897). Elle fut l’élève de Louis Nourrit (le père du célèbre ténor Adolphe Nourrit) au Conservatoire de Paris et débuta à l’Opéra en 1832 dans le rôle d’Alice de Robert le Diable de Meyerbeer. Elle devait créer par la suite Valentine dans les Huguenots de Meyerbeer, Rachel dans la Juive de Halévy, et s’illustrer dans Don Giovanni de Mozart (Donna Anna) et la Vestale de Spontini (Giulia). Sa carrière, écourtée par la pratique de rôles lourds et par la fatigue que son style déclamatoire fit subir à son gosier, ne dura que six ans. En 1838, la voix lui manqua en scène et elle dut se retirer définitivement. Elle unissait une présence artistique considérable à un timbre sombre et corsé qui était une nouveauté à l’époque. Falcon devait laisser son nom à cet emploi particulier de soprano dramatique que Meyerbeer en France, Wagner en Allemagne, Verdi en Italie, devaient utiliser et développer. FALCONIERI (Andrea), compositeur et luthiste italien (Naples 1586 - id. 1656). Il vécut à Parme, où il occupa le poste de luthiste à la cour, puis à Florence et à Rome (1604). Il s’installa ensuite à Modène (1620-1621) avant d’entreprendre des voyages, peut-être jusqu’en Espagne et en France. Professeur au Collegio S. Brigida à Gênes, de 1632 à 1637, il retrouva

sa ville natale avec un poste de maître de chapelle à la cour (1639). Son oeuvre comprend des Villanelle... con l’Alfabeto per la Chitarra spagnola à 1-3 voix (Rome, 1616), deux recueils de Musiche (airs à 1-3 voix et basse continue) publiés en 1619 à Florence et à Venise, un livre de pièces religieuses à 5 et 6 voix. Enfin en 1650, à Naples, parut un Libro di Canzone, Sinfonie, Fantasie, Capricci, Brandi, Correnti, Volte per Violini e Viole, overo altro Strumento a 1, 2 e 3 con il b.c., dont le titre est significatif du goût musical de l’époque. Les arie de Falconieri sont généralement de forme strophique : la mélodie demeure sensible aux mots imagés de la première strophe ; la basse soutient une harmonie discrètement recherchée et digne d’un musicien de cour raffiné. downloadModeText.vue.download 367 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 361 FALLA (Manuel de), compositeur espagnol (Cadix 1876 - Alta Gracia, Argentine, 1946). Andalou par son père, mais Catalan par sa mère, Falla doit à l’audition d’une symphonie de Beethoven sa vocation de compositeur. Élève, à Madrid, de José Trago (piano) et de Pedrell (composition), il compose quelques zarzuelas avant de prendre part à un concours organisé par l’Académie des beaux-arts et pour lequel il écrit la Vie brève (1904-1905). En 1907, il se rend à Paris où il résidera jusqu’en 1914. Il connaît Dukas, Debussy, Ravel, Albéniz et Vinés qui joue ses Quatre Pièces espagnoles à la Société nationale et lui suggère Nuits dans les jardins d’Espagne. De retour en Espagne, il se fixe à Madrid où il écrit l’Amour sorcier, inspiré par les récits fantastiques d’une gitane, puis le Tricorne, destiné aux Ballets russes. La mort de ses parents (1919) le conduit à quitter Madrid pour Grenade où il habitera, avec sa soeur, jusqu’en 1939. C’est l’époque du Retable de maître Pierre, commande de la princesse de Polignac, et du concerto pour clavecin écrit pour Wanda Landowska, mais aussi d’une étude passionnée du cante jondo, en compagnie de García Lorca. En 1927, il entreprend l’Atlantide, vaste ouvrage auquel il travaillera jusqu’à sa mort et qu’il laissera inachevé. Les 4 Homenajes à Arbos, Dukas, Debussy et Pedrell sont sa

dernière oeuvre avant le départ pour l’Argentine. Invité à diriger plusieurs concerts pour le 25e anniversaire de l’Institut culturel de Buenos Aires, il y devait succomber à une crise cardiaque consécutive à de longs mois de maladie et sans réaliser son ultime désir de finir ses jours dans un couvent des environs de Cordoue. À la crise de vérisme qui lui a inspiré la Vie brève, c’est en héritier d’Albéniz que Falla écrit ses premières partitions, aboutissement de la renaissance musicale espagnole amorcée par Iberia et à laquelle l’école française a donné la meilleure impulsion. Venu lui-même lui demander son épanouissement, il a eu la révélation de l’univers harmonique fascinant de Debussy et de sa maîtrise à faire table rase des conventions tonales et rythmiques qui emprisonnent alors la musique. Par ailleurs, Louis Lucas, dont l’Acoustique nouvelle (1854) est prophétique, apporte des fondements rationnels à l’émancipation de la fantaisie. Enfin, sa manière toute personnelle d’assimiler les caractères essentiels de la musique espagnole conduit Falla à un style original, plus classique que celui de ses prédécesseurs. Sans perdre le contact avec les mélodies et les rythmes folkloriques, il en a surtout interrogé l’esprit au point de faire de l’Amour sorcier l’expression définitive du chant gitanoandalou. Dès le Tricorne, cependant, l’évolution d’un langage qui se réclame de Scarlatti correspond à un passage du temporel au spirituel qui délaisse bientôt le « pittoresque » de l’Espagne pour une vision plus âpre et plus intérieure de son patrimoine culturel. À l’option heureuse des vingt premières années de sa vie, le laborieux effort des vingt dernières oppose le spectacle d’une tension physique et spirituelle qui n’est pas éloignée d’une sorte de stoïcisme, mais dont les opérations ne sont plus des miracles. Incantation, carmen et sortilèges restent liés aux étapes de l’ascension purificatrice et c’est, pour terminer, le chant d’un hidalgo sorti des tableaux du Greco. Le Retable et surtout le concerto de clavecin attestent l’effort vers la plénitude du dépouillement, dans une assimilation parallèle des musiques anciennes et de la technique de Stravinski. À défaut de la messe qu’il désirait écrire, c’est cependant dans l’Atlantide, immense

épopée exaltant l’alliance de l’âme ibérique et du christianisme, que Falla réalise sa conception dernière de la musique, simplifiée à l’extrême, soit dans le plus pur diatonisme, soit dans le plus archaïque modal. Partition que terminera Ernesto Halffter et qui donne de la démarche de Falla une conclusion qu’on aurait tort de considérer comme un échec ou un renoncement. Le tracé linéaire des mélodies et la transparence harmonique ne font qu’y refléter, avec la douce intensité requise par le sujet, la lumière d’une intériorité ouverte à l’infini. FALSETTISTE. Celui qui chante en voix de fausset. Mais tous les chanteurs masculins ou féminins utilisant partiellement ce registre, l’usage a défini par ce terme le chanteur se servant exclusivement de sa voix de fausset sur toute son étendue vocale, et non pas seulement pour le registre ainsi appelé. C’est le cas des jeunes garçons avant la mue, mais tout chanteur peut le réaliser par une éducation vocale particulière qui exclut toute résonance de poitrine, et qui, par le maintien du larynx en position élevée, parvient à reculer vers le grave la limite naturelle du registre de fausset (dans la définition où les mots fausset et tête sont employés comme synonymes). La voix du falsettiste, dont la tessiture est assez voisine de celle du contralto féminin, est toutefois moins puissante et moins apte aux diverses colorations. On distingue les falsettistes sopranistes et contraltistes, mais on range sous la même appellation les falsettistes « artificiels » et les falsettistes « naturels », ces derniers étant les castrats ou les enfants. Depuis l’interdit de saint Paul excluant les femmes du choeur de l’église, les parties aiguës de la polyphonie sacrée furent d’abord chantées par les jeunes enfants, mais, ceux-ci ayant rarement les connaissances musicales suffisantes avant l’âge de la mue, il fallut faire appel aux falsettistes, qui furent, à l’époque de la Renaissance, particulièrement réputés en Angleterre, ainsi qu’en Espagne où il semble qu’ils aient acquis une technique venue de l’Orient, mais où les castrats se mêlèrent insensiblement aux falsettistes artificiels. Dans le chant soliste, les falsettistes furent aisément supplantés par les castrats ou par les hautes-contre, et se réfugièrent dans le domaine de la musique de chambre avant

que leur emploi ne tombât en désuétude. Avec la disparition des castrats, les falsettistes réapparurent à l’église et au théâtre, puis on assista à la résurrection de ce type vocal dans la seconde moitié du XXe siècle, notamment avec le disque où la technique de l’enregistrement supplée aisément au faible volume de ces voix. Le pionnier de cette renaissance fut Alfred Deller (1912-1979), bientôt suivi par Russel Oberlin, puis, de nos jours, par James Bowman, Paul Esswood, René Jacobs, etc. Les falsettistes sont parfois appelés improprement contre-ténors ou, par erreur, hautes-contre. Certains compositeurs tels que Benjamin Britten ont écrit pour cet emploi vocal qui se rencontre également dans de nombreuses expressions du folklore en Afrique noire, au Japon et dans d’autres pays. Sur disque, les falsettistes ont tenté d’interpréter les rôles écrits jadis pour les castrats, bien que leurs voix n’aient ni l’étendue, ni l’éclat, ni l’éventail de coloris de ces derniers. FALSETTO (ital : « fausset »). Registre le plus aigu de la voix masculine, situé au-delà des dernières résonances aiguës du registre dit « de poitrine ». Ce terme provient du latin falsus, ou bien fauces (« gorge »). Ce mode d’émission est obtenu par l’obturation partielle de la glotte (les cordes vocales ne vibrant que sur un tiers environ de leur longueur), et en maintenant le larynx en position haute ; il conduit au relâchement du pharynx et demeure pauvre en couleurs et en résonances. Généralement utilisé par les chanteurs durant leurs répétitions afin d’éviter toute fatigue superflue, il peut être requis pour certains effets comiques, pour imiter la voix féminine, et il est d’usage dans certaines traditions populaires, notamment pour l’effet de jodel, dit vulgairement tyrolienne. On peut exceptionnellement se servir du falsetto pour l’exécution de certaines notes suraiguës d’un air ou d’un rôle. L’émission en falsetto sur toute l’étendue vocale est le fait du falsettiste et non du haute-contre. FALSETTONE (ital : « gros falsetto »). Mode d’émission vocale qui tient en partie du falsetto, également appelé « falsetto

renforcé » (cf. A. Cotogni) ou « mixte appuyé « ; il diffère en effet du falsetto pur, car il requiert downloadModeText.vue.download 368 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 362 le mélange des résonances de tête et des résonances thoraciques. À l’époque du bel canto, et pendant une grande partie du XIXe siècle, il servait à l’émission des notes aiguës des rôles de ténor, notamment dans les oeuvres de Rossini, Bellini, Donizetti et dans l’opéra français de demi-caractère. Les notes émises en falsettone peuvent se prêter aux colorations les plus diverses, et par conséquent donner l’illusion d’une certaine vaillance. À l’ère romantique, certains ténors l’employaient jusqu’au fa 4. FANCY (vieil angl. : « fantaisie », de l’ital. fantasia). Forme instrumentale très employée aux XVIe et XVIIe siècles. La fancy atteignit son apogée à l’époque élisabéthaine. Elle était généralement écrite dans un style libre, imitatif et fugué, et souvent composée à partir d’un cantus firmus. Le genre in nomine est une sorte de fancy. Les instruments employés étaient l’orgue, le virginal, le luth et surtout les violes en « consort ». Parmi les compositeurs de fancies, citons O. Gibbons, Th. Morley, P. Philips, W. Byrd, G. Farnaby et, plus tard, H. Purcell. FANDANGO. Danse populaire espagnole et plus particulièrement andalouse, souvent adaptée à la scène, exécutée sur un rythme ternaire par un couple qui s’accompagne lui-même du jeu des castagnettes. Bien qu’il ait pour thème la passion amoureuse, et l’exprime par le mime autant que par la danse, le fandango impose à l’homme et à la femme de ne jamais se toucher. Peut-être importé d’Amérique latine, il était déjà très répandu au XVIIe siècle. Quelques compositeurs l’ont introduit dans leurs oeuvres, par exemple Rimski-Korsakov à la fin de son Capriccio espagnol, mais aussi, bien sûr, les princi-

paux compositeurs espagnols (Albéniz, de Falla, Granados, Soler) ou ayant vécu en Espagne (Boccherini). FANFARE. À l’origine, composition musicale pour trompettes de cavalerie ou trompes de chasse. Par extension, tout morceau de musique exécuté par un ensemble de cuivres. Le terme désigne aussi l’ensemble de cuivres lui-même. À partir de Monteverdi (l’Orfeo), de nombreux opéras (Castor et Pollux de Rameau, Fidelio de Beethoven, Aïda de Verdi, etc.) ont fait appel à une fanfare indépendante de l’orchestre symphonique et qui intervient sur scène ou en coulisses. À l’époque romantique, un exemple de fanfare particulièrement grandiose (quatre ensembles de cuivres) annonce le Tuba mirum dans le Requiem de Berlioz. Dans la Péri de Paul Dukas, des Fanfares précèdent le ballet proprement dit. FANO (Michel), compositeur et musicographe français (Paris 1929). Il fait ses études musicales au Conservatoire de Paris, se fait tout particulièrement remarquer dans les matières théoriques et obtient des premiers prix de musique de chambre (classe de Pierre Pasquier), harmonie (Jean Gallon), fugue (Noël Gallon), composition (Tony Aubin) et analyse (Olivier Messiaen). Très vite, sa Sonate pour 2 pianos (1952) et son Étude pour 15 instruments attirent l’attention sur lui au festival de Darmstadt. Parallèlement, il écrit de nombreux articles sur la musique moderne et contemporaine et collabore avec Pierre-Jean Jouve pour une étude sur Wozzeck d’Alban Berg (Paris, 1953). Il devient alors ingénieur du son, puis monteur de cinéma, produit et réalise plusieurs films pour le cinéma et la télévision. La composition de partitions pour des films constitue dès lors l’essentiel de son activité musicale. On peut citer notamment ses musiques pour des films de Robbe-Grillet (l’Immortelle, 1962 ; TransEurop-Express, 1966 ; l’Homme qui ment, 1968), Aurel (la Bataille de France, 1963), Tazieff (Volcans interdits, 1965). Pour la partition de la Griffe et la Dent, il obtient le grand prix technique du festival de Cannes en 1976. D’autre part, Michel Fano a été chargé de cours de 1967 à 1972 à l’Institut national du spectacle à Bruxelles, de

1971 à 1974 à la faculté de Vincennes et en 1973 à l’I. D. H. E. C. Il est responsable du département Recherche à l’Office de création cinématographique. FANTAISIE. Toute composition de structure assez libre et proche de l’improvisation, ce qui d’ailleurs n’exclut pas pour autant la rigueur ni les rapports avec des formes strictes en usage, ou dont la forme n’a qu’une importance secondaire, peut recevoir le titre de fantaisie. Le genre est comparable au ricercare, à la toccata, au prélude. Selon S. de Brossard (Dict. de 1703) : « C’est à peu près comme capricio. » Enfin, la fantaisie est presque toujours une pièce instrumentale. L’âge d’or de la fantaisie se situe au XVIe siècle. En Italie, elle s’identifie alors avec le ricercar, de style contrapuntique. Partout en Europe occidentale on écrit des pièces appelées fantaisies, fancies, fantasie, pour les instruments à clavier (virginal, orgue, clavecin), pour le luth et la vihuela, et surtout, en Angleterre, pour ensemble de violes (pièces d’écriture imitative et fuguée, aux thèmes parfois populaires, et agrémentées d’épisodes variés alternant avec ceux en contrepoint). En France, Claude le Jeune et Eustache du Caurroy ont également laissé des fantaisies pour violes. Au XVIIe siècle, on retrouve la fantaisie en Italie (Frescobaldi), puis en France avec Louis Couperin et enfin Marin Marais. Au XVIIIe siècle, J.-S. Bach, avec son goût de l’improvisation et sans le moindre esprit de système, a donné ce titre à certaines pièces traitées comme des préludes ou des toccatas, et souvent suivies d’une fugue : fantaisie en ut mineur pour orgue BWV 562, fantaisie et fugue en sol mineur pour orgue BWV 542, fantaisie chromatique et fugue pour clavier en ré mineur BWV 903. Wilhelm Friedemann et Carl Philipp Emanuel Bach, en représentants typiques de l’Empfindsamkeit, ont écrit un grand nombre de fantaisies pour clavier. Mozart, malgré son respect de la forme qui lui fit rarement tenter l’aventure, a composé quelques fantaisies dont celle en ut mineur pour piano (K. 475). Haydn appela fantaisies les mouvements lents de ses quatuors op. 54 no 2 et op. 76 no 6. Beethoven appela quasi una fantasia

ses deux sonates op. 27, et écrivit en outre une fantaisie pour piano (op. 77) et une autre pour piano, orchestre et choeurs (op. 80). Toutes ces pages de Mozart, Haydn et Beethoven sont d’une profonde cohérence, mais échappent à certains critères habituels du style « sonate «. Le terme fantaisie en effet implique parfois l’anormal, jamais l’anarchie. L’époque romantique s’éprit de la fantaisie pour éviter les contraintes des formes « strictes « du classicisme. Mais elle utilisa le terme de façon de plus en plus arbitraire, y compris pour désigner une sonate comportant quelques « irrégularités «. Tous les grands musiciens de l’époque ont illustré la fantaisie, le plus souvent dans des oeuvres pour piano : Schubert (Wanderer-Fantaisie, sonate D. 894), Chopin, Mendelsohnn, Brahms, et même Wagner avec une pièce pour piano en fa dièse mineur. Très significative est la fantaisie op. 17 de Schumann, qui dans cet hommage à Beethoven se garda bien d’avoir recours au cadre extérieur ni même aux principes de la sonate, mais en prit plutôt le contrepied, aboutissant ainsi à un immense chefd’oeuvre. Inversement, et c’est tout aussi significatif, Liszt ne songea pas à appeler fantaisie sa sonate en si mineur, malgré sa structure en apparence si peu orthodoxe, ni plus tard Schönberg sa symphonie de chambre op. 9 (Sibelius l’envisagea, mais y renonça finalement, pour sa 7e symphonie). Liszt appela en revanche fantaisies les sortes de pots-pourris qu’il composa à partir des airs d’opéras de Verdi, Donizetti ou Mozart. Les compositeurs du XXe siècle n’ont pas délaissé le genre. Après Debussy et Fauré (fantaisies pour piano et orchestre), D. Milhaud et A. Jolivet ont écrit des fantaisies pour formations instrumentales diverses. Il y a même des exemples downloadModeText.vue.download 369 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 363 où la voix humaine a été employée, mais ils demeurent exceptionnels. Vaughan Williams a composé sur une chanson populaire une oeuvre bien connue (Fantasia on Greensleeves), et aussi une célèbre Fantaisie sur un thème de Thomas Tallis retrouvant l’esprit des oeuvres anglaises

du XVIe siècle, et Schönberg une fantaisie pour violon et piano (op. 47). Depuis un siècle, c’est dans la musique d’orgue (Liszt, Franck, Reger) que le genre est le plus resté fidèle à l’ancienne tradition. FARANDOLE. Probablement originaire de la Grèce antique, encore pratiquée dans le midi de la France où elle fait figure de danse nationale des Provençaux, la farandole est une danse collective et mixte ; hommes et femmes alternant, les danseurs font cercle en se tenant par la main et se déplacent par pas de côté sautés, jusqu’à ce qu’un couple conducteur se détache et, passant sous les bras levés d’un autre couple, entraîne la bande sur un itinéraire improvisé. Le mot farandole désigne aussi la musique à 6/8 qui accompagne cette danse, en principe jouée par des flûtes (fifres, galoubets) ainsi que l’accompagnement rythmique des tambourins. FARINA (Carlo), violoniste et compositeur italien (Mantoue v. 1600 - peut-être Massa, Toscane, v. 1640). Remarquable instrumentiste, il se fit engager comme maître de chapelle à la cour de Dresde, où Heinrich Schütz était installé depuis 1614. Ce séjour dura de 1625 à 1632. Puis Farina fit des voyages à Dantzig et à Parme avant de retrouver sa ville natale. Carlo Farina est une figure importante dans l’histoire de la sonate pour violon, instrument qu’il contribua largement à propager en Allemagne. Il développa à l’intérieur de cette forme la technique de son instrument, étant le premier à employer les harmoniques, le staccato, le pizzicato. Sur le plan strictement musical ses oeuvres sont d’une grande expressivité, comme son admirable Sonata tertia detta la Moretta (à trois), datant de 1620 ; l’écriture pour les deux violons atteint une virtuosité considérable pour l’époque dans une série de variations qui exploitent, notamment, une technique très prisée dans la musique vocale, celle de l’écho. Farina a publié cinq livres de Pavane, Gagliarde, Brandi, Mascherate, Arie francesi, Volte, Balletti, Sonate e Canzoni (à 2, 3 et 4 voix) parus à Dresde de 1626 à 1628. FARINELLI (Carlo Broschi, dit), castrat soprano italien (Andria, prov. de Bari,

1705 - Bologne 1782). Élève de Porpora, puis de Bernacchi qui l’avait vaincu dans une joute vocale, il débuta triomphalement à la scène en 1722, à Rome, dans Eumene de Porpora. Il obtint les plus grands succès à Vienne, puis à Londres où il fut la vedette de la compagnie de Porpora, rivale de celle de Haendel. En 1737, il chanta à Madrid devant le roi Philippe V qui le retint à sa cour vingtdeux ans durant. On dit que Farinelli chantait chaque soir les quatre mêmes airs au roi, pour soigner la neurasthénie de ce dernier. En 1750, il persuada Ferdinand VI, successeur de Philippe V, de fonder un opéra italien à Madrid. On peut dire que Farinelli est ainsi à l’origine de l’école de bel canto espagnole qui s’est perpétuée jusqu’à nos jours. Il joua aussi un rôle politique qui le força à quitter l’Espagne à l’avènement de Charles III (1759). Il se retira près de Bologne, où il s’adonna à la musique instrumentale. Farinelli fut sans aucun doute un des plus illustres chanteurs de tous les temps. C’était un virtuose extraordinaire, mais aussi un musicien accompli, au goût parfait. FARKAS (Ferenc), compositeur hongrois (Nagykanizsa 1905). Élève de Léo Weiner et d’Albert Siklós à l’académie F.-Liszt de Budapest (19231928), puis de Respighi à l’académie Sainte-Cécile de Rome (1929-1931), il compose de la musique pour les films du metteur en scène Paul Fejös à Copenhague. En 1935, il revient en Hongrie, professant à Budapest, à Kolozsvár, puis Székesfehérvár. Depuis 1948, il est professeur de composition à l’académie F.Liszt de Budapest. Son oeuvre abondante, au style clair, de forme classique, connaît un succès immédiat. Artiste émérite de la République populaire hongroise, titulaire du prix Kossuth (1950), du prix Erkel (1960), il a assuré la continuité de la tradition classique issue de Haydn comme de Kodály. Farkas Ferenc a écrit de nombreuses pièces symphoniques et concertantes, de la musique de chambre, des pièces pour piano, des mélodies, des oeuvres pour choeur et orchestre (cantates, messe, etc.), et pour choeur a cappella, ainsi que quelques oeuvres pour le théâtre (opéras, ballets, musiques de scène). FARNABY (Giles), compositeur anglais

( ? v. 1565 - Londres 1640). Il exerça le métier de menuisier. Peut-être fut-il également facteur d’instruments. Il vivait à Londres lorsqu’il se maria en 1587. Il fut reçu Bachelor of Music à l’université d’Oxford en 1592. En 1598, il publia un recueil de Canzonets to Foure Voyces, agréables madrigaux à 4 voix pouvant honorablement se ranger aux côtés de ceux de John Bennet (1599) et de John Farmer (1599). D’une écriture très personnelle, avec des recherches harmoniques et rythmiques, ces madrigaux attestent l’originalité du compositeur. Quelques pièces spirituelles ont d’autre part été conservées dans des recueils collectifs, ainsi que des psaumes et des motets en manuscrit. Le Fitzwilliam Virginal Book contient plus de cinquante pièces destinées au virginal et c’est surtout sur elles que repose la réputation de Giles Farnaby. Le brio de ces compositions - toujours élégantes et d’une expression très contrôlée - témoigne d’une grande maîtrise de l’écriture pour le clavier. La brève pièce Tell me Daphne est un modèle de perfection avec sa modulation au relatif majeur et la symétrie de ses proportions. Parmi les virginalistes du tournant du siècle, Farnaby ne le cède sans doute qu’à William Byrd. Il faut aussi signaler que le Fitzwilliam Virginal Book renferme quelques pièces de Richard Farnaby, fils de Giles. FARRANT (Richard), organiste et compositeur anglais ( ? v. 1530 - Windsor 1580). Il fut « Gentleman » de la chapelle royale, sous Édouard VI. En 1564, la reine Élisabeth le nomma maître de choeur et organiste de la chapelle Saint-Georges de Windsor, où il resta jusqu’à sa mort, tout en gardant son titre à la chapelle royale. On connaît de lui un Morning and Evening Service in « A » minor, deux antiennes (Hide not thy Face, Call to Remembrance), quelques pièces pour le virginal, des pièces pour voix avec accompagnement de violes, et des fragments d’oeuvres. Mais le « service » intitulé Farrant in « D » minor a pour auteur John Farrant, qui fut organiste à la cathédrale d’Ely (1567-1572) et à la cathédrale de Salisbury (1587-1592). Daniel Farrant, fils de Richard, fut violoniste de Jacques Ier (1606-1625). Les manuscrits de quelques pièces d’orgue de sa composition se trouvent à la cathédrale

de Durham. FARRAR (Geraldine), soprano américaine (Melrose, Massachusetts, 1882 Ridgefield, Connecticut, 1967). Elle étudia à Boston, à Paris, puis à Berlin où elle débuta en 1901 à la Hofoper, dans Marguerite du Faust de Gounod, qui devait demeurer un de ses rôles de prédilection. Elle se perfectionna ensuite avec Lilli Lehmann avant de retourner aux ÉtatsUnis. Elle chanta pour la première fois au Metropolitan Opera de New York en 1906 (rôle de Juliette dans Roméo et Juliette de Gounod) et appartint à ce théâtre jusqu’à son retrait de la scène en 1922 (ayant affirmé depuis longtemps qu’elle se retirerait à quarante ans, elle tint parole). Elle créa Suor Angelica de Puccini en 1918. Ses interprétations de Manon (Massenet) et de Butterfly (Puccini) furent célèbres. Son physique ravissant et ses dons d’actrice, qui firent d’elle une artiste complète et une des premières grandes interprètes lyriques modernes, lui permirent également de downloadModeText.vue.download 370 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 364 triompher au cinéma à l’époque du muet (elle y incarna même Carmen). Elle avait une voix de soprano lyrique claire, pure, mais en même temps chaleureuse et expressive. FARRENC (Aristide), flûtiste et musicographe français (Marseille 1794 - Paris 1865). Installé à Paris en 1815, il y devint second flûtiste au Théâtre-Italien et y ouvrit un magasin de musique et une presse d’imprimerie, publiant notamment des éditions françaises de Beethoven. Sa femme Louise, née Dumont (Paris 1804 - id. 1875), pianiste, élève de Hummel, de Moscheles et de Reicha, composa trois symphonies (1843, 1846 et 1849) et de nombreuses pages pour son instrument. À la mort de son mari, elle poursuivit seule l’édition du monumental et excellent Trésor des pianistes, où parurent pour la première fois, entre autres oeuvres d’autres compositeurs, plusieurs sonates de Carl Philip Emanuel Bach.

FARSA. Mot italien désignant un opéra comique ou un opéra bouffe en un acte. À l’origine, la farsa pouvait se confondre également avec l’intermezzo bouffe en deux parties, mais à la fin du XVIIIe siècle il désignait explicitement l’oeuvre en un seul acte. La farsa pouvait être plus longue ou même de genre plus sentimental que l’opéra bouffe, ainsi La Cambiale di matrimonio de Rossini. FARWELL (Arthur), compositeur et pédagogue américain (Saint Paul, Minnesota, 1872 - New York 1952). Il fit des études musicales à Boston, à Berlin avec Humperdinck et Pfitzner et à Paris avec Guilmant. De retour aux États-Unis, il s’intéressa à la musique des Indiens et fonda en 1901 une maison d’édition, la WaWan Press, destinée à soutenir la musique américaine et l’étude des sources traditionnelles (musiques indienne, négro-américaine et chants de pionniers). Parmi les nombreuses activités qu’il eut ensuite, on peut citer celles de fondateur de l’American Music Society (1905), de rédacteur à l’hebdomadaire Musical America, de conseiller auprès de la municipalité de New York pour l’organisation des concerts (1910-1913), de directeur de l’École de musique de New York (19151918), d’inspecteur de la musique dans les écoles publiques, et de professeur à l’université de Californie. Sa conviction lui permit de créer un mouvement en faveur de la musique de son temps, qu’elle s’inspirât ou non des sources populaires. Il écrivit lui-même, dans un style postromantique, des oeuvres pour orchestre (The Domain of the Hurakan, 1902, etc.), pour choeurs, pour choeurs et orchestre (Mountain Song, 1931), des partitions pour la scène (Caliban, 1916 ; The Gods of the Mountain, 1916, création Minneapolis, 1929), de la musique instrumentale, notamment pour piano, et des mélodies. Il a publié des collections de chants traditionnels américains d’origines diverses (Folk-songs from the West and South, entre 1901 et 1926). FASCH, famille de compositeurs allemands. Johann Friedrich (Büttelstedt, près de Weimar, 1688 - Zerbst 1758). Il étudia à

l’école Saint-Thomas de Leipzig avec Johann Kuhnau, puis à l’université de Leipzig (1708-1711), où il fonda un Collegius Musicum. Il voyagea pendant quelques années, se perfectionna en composition avec Graupner et Grünewald à Darmstadt, vécut notamment à Bayreuth, à Gera où il occupa des fonctions de secrétaire, à Greiz où il fut organiste, et à Lukaveč en Bohême où il entra au service du comte Morzin. En 1722, il fut nommé maître de chapelle à la cour de Zerbst. Parmi ses nombreuses compositions instrumentales (concertos, sinfonie, sonates, trios, quatuors), on peut souligner l’intérêt tout particulier de ses suites d’orchestre d’une conception hardie, dont J.-S. Bach, qui en faisait grand cas, recopia quelquesunes. J. F. Fasch composa aussi en abondance de la musique sacrée : 11 messes, 2 Credo, une centaine de cantates, une Passio Jesu Christi (1723), 4 psaumes. Il écrivit encore quelques opéras. Christian Friedrich Carl (Zerbst 1736 Berlin 1800), fils du précédent. Il étudia la musique avec son père, puis, à partir de 1750, avec Hertel à Strelitz, et se perfectionna à Klosterberg et Magdebourg. En 1756, il fut nommé second claveciniste de la cour de Frédéric II à Berlin, puis en 1774 chef d’orchestre de l’opéra royal, et se consacra ensuite principalement à l’enseignement. En 1791, il fonda la Singakademie (Académie de chant) de Berlin, où il attira l’attention, par des exécutions, sur l’oeuvre de Bach alors totalement oubliée. L’activité de la Singakademie donna le signal du chant choral en Allemagne et cette initiative de C. F. C. Fasch peut être considérée comme une étape décisive de la vie musicale. Vers la fin de sa vie, le compositeur détruisit un grand nombre de ses oeuvres manuscrites. Parmi celles qui nous sont parvenues, on remarque de nombreuses partitions instrumentales, dont des variations et des sonates pour clavier, et de la musique vocale sacrée : 6 cantates, 4 psaumes, 4 odes, des motets, un Requiem, une Messe à 16 voix, l’oratorio Giuseppe riconosciuto, etc. À la tête de la Singakademie lui succéda son élève Zelter. FAUQUET (Joël-Marie), musicologue français (Nogent-le-Rotrou 1942). Il a étudié les arts plastiques avant de se consacrer à la musique. Auteur d’une thèse sur Alexis de Castillon (1976) et

d’une thèse de doctorat sur les Sociétés de musique de chambre à Paris de la Restauration à 1870 (1981, publiée en 1986), il est entré au C.N.R.S. en 1983. Il y est directeur de recherche depuis 1993 et y anime depuis 1984 un séminaire d’histoire sociale de la musique, dont il a publié les travaux avec Hugues Dufourt (la Musique et le Pouvoir, 1987 ; la Musique : du théorique au politique, 1991). On lui doit notamment un Catalogue raisonné de l’oeuvre de Charles Tournemire (1979), Correspondance d’Édouard Lalo (1989) et l’édition de Voyage d’un musicien en Italie (1809-1812) de A. Blondeau (1993). FAURE (Jean-Baptiste), baryton et compositeur français (Moulins 1830 - Paris 1914). Il étudia le chant au Conservatoire de Paris et fit ses débuts à l’Opéra-Comique dans le rôle de Pygmalion de Galatée de Victor Massé en 1852. Il fut engagé en 1861 à l’Opéra, dont il devint l’une des vedettes et où il créa de nombreux rôles, notamment ceux de Posa dans Don Carlos de Verdi, Nelusko dans l’Africaine de Meyerbeer, et Hamlet dans l’opéra d’Ambroise Thomas. Ses interprétations de Don Juan (Mozart) et Guillaume Tell (Rossini) furent fameuses. Il obtint aussi de grands succès à Bruxelles, Londres, Vienne et Berlin, et se retira de la scène en 1880 pour se consacrer au concert. Son art exceptionnel, quintessence des caractères du chant français, était fondé sur le raffinement de la diction et l’élégance du phrasé. De 1857 à 1860, il fut professeur au Conservatoire de Paris. Il écrivit plusieurs livres concernant la pédagogie du chant, notamment la Voix et le Chant (1866) et Aux jeunes chanteurs (1898). Il composa des mélodies dont deux, Crucifix et les Rameaux, ont connu une durable célébrité. FAURÉ (Gabriel), compositeur français (Pamiers, Ariège, 1845 - Paris 1924). Fils de T. Fauré, instituteur et directeur de l’école normale de Montgauzy-Foix, il ressentit ses premières émotions musicales à l’harmonium de la chapelle du collège paternel. Envoyé dès l’âge de neuf ans à Paris pour suivre les cours de l’école de musique classique et religieuse de Niedermeyer, il ne connut guère de vie familiale ni d’encouragements. Ses études musicales et générales médiocres le laissèrent

longtemps insatisfait, jusqu’au jour où il rencontra Saint-Saëns, jeune et brillant professeur de piano, qui lui révéla Schumann, Liszt et Wagner. Il écrivit alors sa première oeuvre, le Papillon et la Fleur downloadModeText.vue.download 371 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 365 (1861), mélodie d’après V. Hugo, bientôt suivie d’autres mélodies ou romances, des 3 Romances pour piano (1863) et du Cantique de Jean Racine (1865). À vingt ans, Fauré sortit de l’école Niedermeyer nanti d’un 2e prix d’harmonie, d’un 1er prix de composition et d’un prix d’excellence de piano, pour rejoindre un poste d’organiste à l’église Saint-Sauveur de Rennes (1866). Si Rennes s’enorgueillit encore d’avoir accueilli Fauré, celui-ci vécut en pensum ses quelques années de vie provinciale. Mais la guerre fut déclarée et Fauré s’engagea en juillet 1870. Cette époque troublée est marquée par l’amitié de Messager, rencontré en Suisse pendant la Commune. À son retour à Paris, Saint-Saëns aida Fauré à se faire une place parmi les organistes parisiens, d’abord comme titulaire à Saint-Honoré-d’Eylau, organiste du choeur de Saint-Sulpice, suppléant à la Madeleine, puis maître de chapelle de cette même église en remplacement de Théodore Dubois (1877). L’école Niedermeyer lui proposa aussi un poste de professeur et il commença à affronter le monde musical. Fauré était alors un jeune homme brun, au physique romantique ; ses qualités de pianiste et d’accompagnateur en faisaient un invité très recherché, et il fréquenta assidûment le salon Viardot, pensant même épouser Marianne, l’une des filles de Pauline Viardot. La rupture de ce projet (1877) allait être une grande déception pour le compositeur. Parallèlement, il participa à la fondation de la Société nationale, destinée à promouvoir la musique française, et en assura le secrétariat dès 1874. Ce fut aussi une période de voyages intéressants : il accompagna Saint-Saëns à Munich et Cologne où l’on donnait la Tétralogie. Wagner exerça sur lui une attirance très mélangée : on retrouve dans sa musique quelques traces de wagnérisme dans l’orchestration (Prométhée) ou dans l’allure épique de certaines mélodies (Larmes, Au cimetière). Ces années, riches

d’expériences diverses, préparèrent une période de création intense : les 2 Quatuors avec piano (1876-1886), 6 Nocturnes (1875-1894), 6 Barcarolles (1880-1896), le Requiem (1887-1890), la Ballade (18771879) et de nombreuses mélodies : 1er et 2e Recueils, la Bonne Chanson (1892-1894). Les événements familiaux orientèrent également sa pensée créatrice : enthousiasme lors de son mariage avec Marie Fremiet (1883), fille du sculpteur E. Fremiet, et douleur à la perte de ses parents (1886 et 1888), dont nous trouvons l’expression dans le Requiem. En 1892, Fauré fut nommé inspecteur des conservatoires et une nouvelle vie, plus libre, lui fut offerte. Sa notoriété enfin établie lui permit aussi d’accéder au poste de titulaire du grand orgue de la Madeleine, puis à celui de professeur de composition au Conservatoire où il succéda à Massenet (1896). Les élèves qu’il forma furent nombreux et justement célèbres Ch. Koechlin, Fl. Schmitt, L. Aubert, N. Boulanger, M. Ravel, etc. -, mais il n’eut jamais aucun imitateur tant son style, fait d’un emploi original d’éléments traditionnels, était insaisissable. Le couronnement de cette carrière professorale allait être son accession à la direction du Conservatoire (succession de Th. Dubois), établissement dont il n’avait pas été élève et ne possédait aucune récompense. On peut lire dans les journaux du temps que sa brillante conduite aux armées joua un rôle dans cette nomination. Dès que Fauré prit son poste, il devint un vrai « tyran », ce qui signifie qu’il s’employa à rétablir la discipline et à apporter du sérieux dans un enseignement qui avait beaucoup vieilli. Cette attitude intransigeante lui fut d’ailleurs amèrement reprochée. À partir de 1903, le compositeur dut assumer une surdité presque totale, handicap qui, pourtant, n’entrava en rien sa carrière. Succès et honneurs l’accompagnèrent en ces années : accueil favorable de sa tragédie lyrique Prométhée aux arènes de Béziers (1900), élection à l’Académie des beaux-arts (1909) et création de son opéra Pénélope (1913) à Monte-Carlo. Mais son isolement physique et moral fut bientôt tel qu’il se consacra uniquement à des oeuvres intimistes : musique de chambre, mélodies et pièces pour le piano. En 1920, Fauré abandonna la vie publique comblé d’honneurs (décorations, hommage national à la Sorbonne en 1922), et s’éteignit

en 1924, après avoir brûlé ses oeuvres inachevées. Fauré est avant tout un homme du XIXe siècle, nourri de romantisme et militant pour une musique constamment expressive et introspective. À l’encontre de Debussy et de Ravel, auxquels son nom est parfois associé, il ne participa aucunement aux luttes musicales qui animèrent le XXe siècle. Le dernier grand choc qu’il éprouva fut celui de la création de Pelléas et Mélisande (1902), dont les répercussions sur l’art vocal fauréen furent grandes, puis il entra dans le domaine du silence (surdité), commençant une troisième manière, très idéalisée, que l’on qualifie parfois justement d’ascétique. On peut en effet diviser sa production en trois manières : la première, jusqu’en 1880, est encore très romantique, liée à la mode et à la vie des salons, alors que la deuxième (1881-1902) est la plus représentative de la personnalité du compositeur. Il y développe une harmonie chatoyante (la Bonne Chanson), des couleurs orchestrales éclatantes (Prométhée), au service d’un art sensuel et chaleureux. La troisième période, liée à la surdité, abolit la précédente, et on ne peut s’empêcher de songer à ce qu’aurait été une évolution en droite ligne, sans la coupure causée par son infirmité. Fauré n’est pas par nature un musicien intimiste et l’ascète des dernières années. Il faut donc se garder de lui dénier, en se fondant sur la troisième manière, toute vigueur et tout romantisme. Il n’est pas exclusivement l’homme du charme et des musiques exquises, mais aussi un Méditerranéen et un passionné, comme en témoignent les Quatuors avec piano. FAUSSE RELATION. Les harmonistes désignent sous ce vocable le fait de faire entendre, soit simultanément, soit consécutivement, deux sons réputés incompatibles entre eux. Les fausses relations cataloguées concernent principalement le triton (intervalle de 3 tons consécutifs, par exemple fa-si bécarre) et l’octave augmentée ou diminuée ; ces intervalles sont par contre recherchés comme préférentiels par les musiciens sériels ou simplement atonalistes, comme ils l’étaient autrefois dans la musique polyphonique.

FAUSSET. Technique de chant utilisant le registre de tête (ou de fausset) d’une voix d’homme (ténor ou baryton). On emploie aussi fréquemment pour la désigner le terme italien correspondant, falsetto. Le fausset peut être développé afin d’ajouter des notes aiguës au registre de poitrine normalement employé, à la « voce piena e naturale » selon l’expression des vieux maîtres italiens. Mais le fausset peut être également développé au point de devenir le registre principal de la voix. Le chanteur cultivant cette technique est alors appelé falsettiste. Les sons produits par la technique du fausset sont pauvres en harmoniques ; ils possèdent une couleur particulière, d’une pureté et d’une douceur indéniables, dépourvue de vibrato, et avec peu de timbre. Le fausset, qui utilise un minimum de souffle, permet une grande virtuosité, mais reste assez limité sur le plan de l’expression et exige beaucoup de goût de la part de celui qui y a recours. Autrefois, la technique du fausset fut surtout utilisée à l’église, soit en soliste, soit pour chanter les parties supérieures (soprano ou alto) dans la musique polyphonique, contribuant à préserver la clarté du contrepoint. Le fausset apparaît fréquemment dans la musique populaire occidentale, par exemple dans le jodel, et aussi dans les civilisations musicales extra-européennes. FAUX-BOURDON. Expression d’origine controversée désignant, au départ, un procédé d’harmonisation très employé aux XVe et XVIe siècles dans la musique d’église, puis ayant changé de sens au XVIIe siècle. downloadModeText.vue.download 372 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 366 L’explication courante du mot tient au fait que les accords de sixte dont était formé le faux-bourdon primitif, renversement du bourdon ou résonance en accords parfaits, étaient produits par le fait de chanter la fondamentale in falso, c’està-dire en fausset, à l’octave ; cette explication a été contestée, sans qu’aucune autre se dégage avec certitude.

Probablement dérivé du gymel anglais, qui harmonisait le chant donné en lui ajoutant des tierces parallèles supérieures, avec début et fin en « consonance parfaite » de quinte, le faux-bourdon procède de la même manière en ajoutant dans une troisième voix supérieure l’octave à la quinte et la sixte à la tierce, et en meublant les transitions en notes de passage. On obtient ainsi un schéma d’harmonisation très simple, qui pouvait probablement être improvisé par les chantres, et dont les compositeurs se sont inspirés en lui donnant de multiples prolongements ornementaux. D’abord placé à la partie inférieure, le chant donné est ensuite passé à la partie supérieure. Le faux-bourdon intervient très fréquemment dans la musique religieuse du XVe siècle, et laisse des traces tout au long du XVIe. On en trouve encore à la fin du siècle chez Victoria, par exemple dans le célèbre Ovos omnes. Il disparaît au XVIIe siècle, et le terme, conservé, change alors de signification, désignant par dérivation toute harmonisation à plusieurs voix des formules clausulaires ou responsoriales de l’office (par exemple, Amen, ou Et cum spiritu tuo). L’Amen de Dresde, d’où Mendelssohn a tiré l’un des thèmes de sa symphonie Reformation et Wagner l’un des principaux motifs de Parsifal, est un faux-bourdon. De même la psalmodie polyphonique des versets pairs du Dies irae, utilisée par Liszt dans sa Danse macabre à la suite de la mélodie du plain-chant. FAVART (Charles-Simon), poète, auteur dramatique, librettiste et acteur français (Paris 1710 - Belleville 1792). Jeune pâtissier, il écrivit des poèmes qui lui valurent d’emblée quelque notoriété, et débuta à la foire Saint-Germain avec des comédies et des parodies mêlées de vaudevilles comme les Deux Jumelles (1734) et la Chercheuse d’esprit ( 1741). Il devint directeur de l’opéra-comique de la foire Saint-Germain (1743), épousa en 1745 celle qui devait devenir la vedette de la troupe, puis prit la direction du théâtre ambulant de l’armée du maréchal de Saxe, mais la passion, non payée de retour, du maréchal pour sa femme le contraignit à disparaître quelque temps du monde théâtral. Redevenu directeur de la scène à la foire Saint-Laurent, il écrivit de nouvelles comédies dont Bastien et Bastienne (1753), plus tard mise en musique par Mozart, les

Trois Sultanes, mise en musique par Gilbert en 1761 et pour laquelle Haydn, en 1777, devait écrire une musique de scène à l’origine de sa symphonie no 63 (la Roxolane), Ninette à la cour (1755), qui connut un triomphe, et Annette et Lubin (1762). Il obtint à plusieurs reprises le concours des compositeurs Monsigny (Annette et Lubin), Philidor, Grétry (la Rosière de Salenci) et surtout Duni (les Moissonneurs, 1768). Nommé par la faveur de la marquise de Pompadour directeur de l’Opéra-Comique en 1757 (d’où l’attribution ultérieure de son nom à la salle abritant ce genre de spectacle), il entra en rapports avec le comte Durazzo, intendant du théâtre impérial de Vienne, et avec Gluck, qui le chargea de traduire en français son Orfeo. Dans une salle nouvelle, inaugurée en 1783 sous le nom de Théâtre-Italien, il acheva de forger le premier vrai répertoire de l’opéra-comique français, et donna à ce genre nouveau une âme et un style. FAVART (Marie DURONCERAY ou DU RONCERAY, épouse), comédienne et chanteuse française (Avignon 1727 - Belleville 1772). Élevée à Lunéville, elle vint à Paris en 1745 et débuta alors à l’opéra-comique de la foire Saint-Germain comme danseuse. En 1745, elle épousa Charles Favart. Intelligente, spirituelle, jolie, jouant délicieusement la comédie et chantant à ravir d’une voix de soprano très léger, elle s’imposa dans les pièces à vaudevilles jouées par la troupe. Elle suivit ensuite la destinée de son mari, et fut la vedette des théâtres dont il était responsable. Elle usa de son rayonnement et de sa célébrité pour lutter contre l’invasion des oeuvres étrangères et des artistes italiens, et, si elle joua dans la Servante maîtresse de Pergolèse, ce fut dans une traduction française. Elle collabora avec des auteurs et des compositeurs, et forma bon nombre des interprètes qui s’illustrèrent à cette époque dans les créations de Monsigny, Grétry et Philidor. FAVOLA IN MUSICA (ital. : « fable en musique »). Expression désignant à la naissance du genre certains opéras de caractère légen-

daire ou mythologique. Ce fut le cas en 1607 de l’Orfeo (ou La Favola d’Orfeo) de Monteverdi. FAVOLA PER MUSICA (ital. : « fable pour la musique »). Vers l’an 1600, « histoire » de caractère légendaire ou mythologique rédigée sous forme dramatique pour être mise en musique. FAVRE (Georges), compositeur et musicologue français (Saintes 1905). Il a étudié la composition au Conservatoire de Paris dans les classes d’André Gédalge et de Paul Dukas, et l’histoire de la musique à la Sorbonne, où il a été l’élève de Paul-Marie Masson. Il a soutenu en 1944 une thèse de doctorat sur Boieldieu, été inspecteur général de l’enseignement de la musique au ministère de l’Éducation nationale, et a publié des ouvrages pédagogiques. Georges Favre a écrit, outre des partitions à caractère pédagogique, des pièces pour piano et des oeuvres de musique de chambre, mais l’activité du musicologue, orientée principalement sur Boieldieu, dont il a réédité les Sonates pour piano, et sur Dukas, a éclipsé celle du compositeur. Principaux écrits : Boieldieu. Sa vie, son oeuvre (2 vol., Paris, 194445) ; Paul Dukas. Sa vie, son oeuvre (Paris, 1948) ; la Musique française de piano avant 1830 (Paris, 1953). FAYRFAX (Robert), compositeur anglais (Deeping Gate, Lincolnshire, 1464 Saint-Albans, Hertfordshire, 1521). On le trouve en 1496 porteur du titre de « gentleman » de la chapelle royale. Il devint ensuite, vers 1502, organiste à l’abbaye de Saint-Alban. En 1504, il fut reçu docteur de l’université de Cambridge et, en 1511, à Oxford, il fut honoré du premier doctorat de musique connu. Il fut ensuite à la tête des chantres de la chapelle qui accompagnèrent le roi Henri VIII au Camp du Drap d’or en 1520. L’oeuvre de Fayrfax comprend une douzaine de motets dont Ave Dei Patris Filia (conservé dans plusieurs manuscrits), deux Magnificat, six messes à 5 voix dont O bone Jesu et surtout la Missa Albanus (sans Kyrie) dont chaque section exploite la technique du motif de tête chère à

Dufay ; quelques chansons profanes, dont sept sont contenues dans le Manuscrit Fayrfax, complètent cette liste, dominée par la messe cyclique (six ont survécu). Le style contrapuntique de Fayrfax a tendance à négliger l’écriture en imitation au profit d’un contrepoint plus sévère (note contre note), caractéristique des maîtres du début de la Renaissance. Il fut considéré par ses contemporains comme le plus grand musicien anglais de sa génération. FEDER (Georg), musicologue allemand (Bochum 1927). Il a fait de 1949 à 1955 des études de musicologie, de philosophie et d’histoire aux universités de Tübingen, de Göttingen et de Kiel (avec Friedrich Blume). Entré en 1957 au Joseph Haydn Institut de Cologne, organisme fondé en 1955 dans le but de réaliser l’édition complète des oeuvres de Haydn, il en prit la direction en 1960, succédant ainsi à Jens Peter Larsen, et l’a conservée jusqu’en 1990. Il a eu downloadModeText.vue.download 373 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 367 comme successeur Horst Walter. Auteur de nombreux articles, parmi lesquels Probleme einer Neuordnung der Klaviersonaten Haydns, 1963 (« Problèmes d’une nouvelle classification des sonates pour piano de Haydn »), Die Überlieferung und Verbreitung der handschriftlichen Quellen zu Haydns Werken, 1965 (« la Transmission et la Dissémination des sources manuscrites des oeuvres de Haydn »), Die beiden Pole im Instrumentalschaffen des jungen Haydn, 1970 (« les Deux Pôles dans la production instrumentale du jeune Haydn »), Haydns frühe Klaviertrios, 1970 (« les Trios avec piano de jeunesse de Haydn ») et Joseph Haydn als Mensch und Musiker, 1972 (« Joseph Haydn comme homme et comme musicien »), il a édité à partir de 1965, dans le cadre du Joseph Haydn Institut, les Haydn-Studien. FEDERHOFER (Helmut), musicologue autrichien (Graz 1911). Directeur de l’Institut de musicologie de l’université de Mayence à partir de 1962, éditeur de la revue Acta Musicologica, il a travaillé notamment sur Johann Joseph

Fux et sur Mozart. FEDOROV (Vladimir), musicologue français (Tchernigov, Russie, 1901 - Paris 1979). Élève à Paris de l’École des hautes études, de l’École des chartes et de l’Institut d’art et d’archéologie, il a acquis sa formation musicale lors de séjours aux conservatoires de Dresde, de Leipzig et de Paris. Il s’est fait connaître par ses recherches sur la musique russe, tout en poursuivant une carrière de bibliothécaire à la Sorbonne (1933-1939), puis au département de la musique de la Bibliothèque nationale. De 1946 à 1966, il a été conservateur de la bibliothèque du Conservatoire. Il a fondé, en 1951, l’Association internationale des bibliothèques musicales (A.I.B.M.) et a présidé, de 1964 à 1966, le Conseil international de la musique à l’Unesco. Secrétaire général, puis, en 1974, président du Répertoire international des sources musicales (R.I.S.M.), il a dirigé la revue Fontes artis musicae. Ses nombreux travaux, tout en étant le reflet de vues souvent originales, se sont signalés par leur rigueur. Principaux écrits : Moussorgski, biographie critique (Paris, 1935) ; Interférences (dans Musique russe, Paris, 1953) ; S. Prokofiev (Encyclopédie de la Pléiade, Histoire de la musique, II, Paris, 1963) ; J.Ph. Rameau (catalogue de l’exposition à la Bibliothèque nationale, 1964) ; Debussy vu par quelques Russes (dans Debussy et l’évolution de la musique au XXe siècle, Paris, 1965). FEINTE (MUSIQUE). 1.Traduction littérale du latin musica ficta (« musique imaginée »), ainsi nommée du fait que les altérations écrites n’y correspondent pas obligatoirement à celles qui devaient être exécutées, et qui devaient être « imaginées » en fonction d’un code compliqué. La musica ficta découle du fait que la solmisation, forme ancienne du solfège, avait été conçue au XIe siècle pour résoudre les problèmes d’altération posés par la mobilité du si ( ! BÉCARRE) dans une musique qui ne connaissait pas d’autre altération que le si bémol. Lorsque intervinrent d’autres altérations (du fa dièse, XIIIe s., à la totalité, fin XVIe s.), on ne sut pas adapter le système aux nouvelles nécessités, et l’on s’appliqua à tout ramener aux données initiales devenues inadaptées, moyennant des règles de plus en

plus complexes que les musicologues modernes ne sont pas encore parvenus à traduire avec clarté. Il semble du reste acquis que, même pour les contemporains, ces règles étaient loin d’être toujours nettes et laissaient souvent place à des divergences d’interprétation. C’est pourquoi, jusqu’à l’abolition de la musique feinte (dont il subsiste des vestiges jusqu’à la fin du XVIIe siècle), la lecture des altérations dans l’écriture sur portées comporte toujours une part variable d’incertitude, qu’ignore par contre la notation par tablature. Nous pratiquons encore nous-mêmes inconsciemment le principe de la musique feinte lorsque, contre toute logique, nous solfions une note altérée en énonçant le seul nom de la note naturelle et en sousentendant (« imaginant ») l’altération non énoncée. 2.Nom jadis donné aux touches noires (autrefois blanches) du clavier d’orgue ou de clavecin. FELD (Jindřich), compositeur tchèque (Prague 1925). Fils du célèbre professeur de violon Jindřich Feld (1883-1953), il étudie la composition d’abord avec E. Hlobil (19451948) au conservatoire de Prague, puis avec J. Rídký à l’académie de Musique et d’Art dramatique (1948-1952). Violoniste, puis altiste, il enseigne la composition au conservatoire de Prague depuis 1972. Il s’est fait connaître par son Divertimento pour cordes, hommage à Bartók dont l’influence s’est fait sentir jusqu’au Concerto pour orchestre (1951). À cette époque, son écriture unit l’élégance du Stravinski néoclassique au lyrisme naturel de l’école française (Concerto pour flûte, 1954 ; Concerto pour violoncelle, 1958). Sa seconde période de création semble dominée par la pénétration spirituelle de l’héritage de Martinºu ; ainsi ses Trois Fresques (1963), comparables par leur intensité, leur tension modale aux Trois Paraboles de Martinºu. Cette tendance atteint son expression la plus absolue dans son 4e Quatuor (1965) où se joignent le souvenir de Martinºu et Bartók et celui de la Suite lyrique de Berg. En 1967, Feld étend à l’orchestre les conquêtes de ce 4e Quatuor en l’orchestrant, réalisant ainsi sa 1re Symphonie. Depuis lors, à la demande de nombreux solistes tchèques, Feld écrit toute une série de pièces concertantes ou

solistes dont l’écriture use avec aisance d’un dodécaphonisme élargi, fondé sur une connaissance des ressources expressives de chacun des instruments solistes : Sonate pour piano (1971-72), Concerto pour piano (1973), Concerto pour violon (1976-77). Il a également composé des oeuvres pour orchestre, pour diverses formations de chambre, quelques oeuvres vocales, des musiques de film et des musiques de pièces radiophoniques, ainsi que de nombreuses oeuvres didactiques, proches par l’esprit des partitions équivalentes de Bartók. Feld est désormais l’un des rares exemples, parmi les compositeurs de son pays, à avoir su assumer la tradition occidentale du patrimoine tout en faisant oeuvre de novateur. FELDMAN (Morton), compositeur américain (New York 1926 - Buffalo, N. Y., 1987). Élève de Riegger (contrepoint) et Stefan Wolpe (composition), il étudie aussi la peinture. Sa rencontre avec Cage (1951) conforte ses idées déjà révolutionnaires. Avec David Tudor, Earle Brown et Christian Wolff, au début des années 50, il cherche les moyens de détruire la continuité musicale traditionnelle, de libérer les sons et s’intéresse aux arts plastiques, en particulier à l’école de New York. Ces jeunes musiciens comprennent que les peintres de cette école jettent les bases d’un art proprement américain, ce qui est aussi leur but. Peut-être la fréquentation du milieu pictural new-yorkais explique-t-elle le désir de Feldman de vivre la composition comme une totale aventure sonore abstraite, et, par voie de conséquence, dans une première période de son évolution, l’emploi de partitions graphiques. Morton Feldman envisage cette aventure, liée pour lui à la libération des sons et à leur projection dans l’horizontalité temporelle, dans le cadre de l’indétermination et du canevas graphique. Aussi, dans Projection I pour violoncelle (1950-51) et Marginal Intersection pour orchestre (1951), exemples types, la hauteur dans chaque registre, les dynamiques, l’expression restent à préciser, la durée étant à peu près indiquée par la longueur des rectangles. Plus que de permettre l’improvisation pour elle-même, Morton Feldman souhaite ainsi créer de nouveaux types de relations sonores. À noter que dans Marginal Intersection, l’utilisation downloadModeText.vue.download 374 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 368 de deux oscillateurs électriques émettant des fréquences très graves ou très aiguës à peine audibles, qui relancent les sons instrumentaux, provoque des échanges temporels sur le plan vertical et horizontal. Un usage constant de dynamiques très faibles et l’absence d’un rythme précis contribuent parfois à donner faussement l’impression d’une musique statique. Il faudrait plutôt parler, bien avant les clusters de Ligeti, d’une sorte de nuage sonore en suspension et en mouvement perpétuel (The Swallows of Salagan, « les Hirondelles de Salagan », pour choeur mixte et 23 instruments, 1960). Ainsi, dans Marginal Intersection, les instruments de l’orchestre rentrent ou sortent selon leur libre arbitre à l’intérieur de leur intervention. Même lorsque Feldman abandonne la partition graphique (sauf pour Atlantis pour 17 instruments [1958] et Out of « Last Pieces », « Tiré des Dernières Pièces », pour orchestre [1958]) et cherche, dans les années 1955-1958, une notation plus précise et une plus grande clarté de propos, il expérimente toujours l’indétermination d’un paramètre : dans Piece for 4 pianos, c’est la durée libre d’une séquence identique pour chacun des instruments ; dans Durations (5 pièces instrumentales, 1960-1962), le déphasage obtenu constitue une sorte de réverbération de la séquence de base. De plus, il y a chez Morton Feldman la recherche d’une musique d’une extrême simplicité qui, dans ses emplois répétitifs, préfigure peut-être la nouvelle musique américaine des années 70 : on remarque, dans Christian Wolff at Cambridge (1963) pour choeur a cappella, la reprise inlassable de 16 accords pp ; dans Madame Press died last week at the age of ninety (« Mme Press est morte la semaine dernière à quatrevingt-dix ans », 1971), pour ensemble instrumental, la répétition d’une tierce mineure. Les oeuvres plus tardives comme False Relationship and the Extended Ending (« Fausse Relation et fin différée », pour violon, violoncelle, trombone, 3 pianos et carillon, 1968), On Time and Instrumental Factor (« Temps et facteur instrumental », pour orchestre, 1969) ou encore The Viola in my life (« l’Alto dans ma vie », 4 pièces

pour alto et divers instruments, 1970) rejettent tout aspect indéterminé. Citons encore Quatuor à cordes no 2 (1983) et Violin and String Quartet (1985). L’aventure de Feldman est bien celle du son, parfois celle du silence, jamais celle de la forme qui naît de l’instant. Sa musique se situe entre des catégories (Between Categories, pour 2 pianos, 2 carillons, 2 violons et 2 violoncelles, 1969), « entre temps et espace, entre peinture et musique, entre la construction de la musique et sa surface ». N’ouvre-t-il pas par là la voie à une méditation, à une perception du temps proches des conceptions orientales ? En tout cas, à l’écoute du temps et de l’événement, Feldman exige de l’auditeur une disponibilité totale. FELLEGARA (Vittorio), compositeur italien (Milan 1927). Après des études d’ingénieur à l’École polytechnique (1945-1948) et des études de mathématique et de physique à l’université de Milan, il étudie la composition à partir de 1951 avec L. Chailly au conservatoire Giuseppe-Verdi. En 1958, il obtient le 2e prix international de composition de la S. I. M. C. À partir de 1960, il enseigne la composition à l’Institut musical Gaetano-Donizetti de Bergame. Une de ses premières oeuvres importantes, Octuor pour vents (1953), a été créée au festival de Donaueschingen en 1955. Suivirent notamment Ricercare fantasia pour piano (1951), Preludio, fuga e postludio pour piano (1952-53), Omaggio a Bach, thème et variations pour piano (1975) et Studi in forma di variazioni pour orchestre de chambre sur un fragment de Bach (1978). Des oeuvres comme Lettere di condannati a morte della resistenza italiana pour récitant, choeur et orchestre (1954), Requiem di Madrid pour choeur mixte et orchestre sur un texte de F. García Lorca (1958) et Dies irae pour choeur mixte et instruments sur un texte de F. García Lorca (1959) ont une résonance nettement politique, tout comme celles sur des textes de N. Balestrini (Mutazioni, ballet en 6 tableaux, 1962), P. Eluard (Épitaphe pour 2 sopranos et 5 exécutants, 1964), G. Leopardi (Cantate pour 2 voix de femmes et orchestre, 1966), P. Verlaine (Notturno pour soprano, contralto, choeur d’hommes et orchestre, 1971), N. Sachs (Zwei Lieder pour choeur de femmes et orchestre,

1974). Parmi ses autres oeuvres, retenons : 4 Invenzioni pour piano (1949), Fuga pour cordes (1950), Concerto pour orchestre (1952), Concerto breve pour orchestre de chambre (1956), Epigrafe pour récitant et 5 instruments (1955), Sinfonia pour orchestre (1957), Serenata pour orchestre de chambre ou 9 instruments (1960), Frammenti I pour orchestre de chambre (1960), Variations (Frammenti II) pour orchestre de chambre (1961), Chanson pour soprano et orchestre de chambre sur des textes de P. Eluard (1974), Herbstmusik (hommage à Mahler) pour quatuor à cordes (1986) ; Stille Nacht pour orgue et 9 instruments à vent (1990). FELLOWES (Edmond Horace), musicologue et éditeur anglais (Londres 1870 Windsor 1951). Maître de choeur, d’abord à la cathédrale de Bristol, puis à la chapelle Saint George de Windsor, bibliothécaire du Saint Michael’s College de Tenbury de 1918 à 1948, il fut un des meilleurs spécialistes de la musique élisabéthaine et jacobéenne, dont il a publié de nombreuses transcriptions. Principaux écrits : The English Madrigal (Londres, 1925, rééd. 1947) ; W. Byrd (Oxford, 1923, rééd. 1928) ; O. Gibbons (Oxford, 1925, rééd. 1951) ; English Cathedral Music from Edward VI to Edward VII (Londres, 1941, rééd. 1945) ; publications : The English Madrigal School (36 vol., Londres, 1913-1936), The English School ol Lutenist Song-Writers (32 vol., Londres, 1920-1932), The Collected Works of W. Byrd (20 vol., Londres, 1937-1950). FELSZTYN (Sébastien de), théoricien et compositeur polonais (Felsztyn, Galicie, v. 1490 - ?, apr. 1544). Il fit ses études musicales à Cracovie. La Capella regia rorantistarum (dont le nom est attaché à la messe « rorate » chantée quotidiennement à la chapelle de l’Assomption de la Vierge) y stimulait alors l’exécution de la musique polyphonique et joua un rôle important pour le développement de l’art de Sébastien de Felsztyn. Il fut l’auteur de divers ouvrages publiés à Cracovie, notamment l’Opusculum utriusque musicae (1515), le recueil de chants grégoriens Opusculum musicae (1518), Modus regulariter accentuandi

(1518), Pro institutione cantu simplice seu gregoriano (1519), Aliquot Hymni (1522) et Directiones musicae ad cathedralis (1543). FENICE (la). Depuis deux siècles, principal théâtre d’opéra de Venise. Sa construction fut décidée après l’incendie du San Benedetto, et son nom (le « Phénix » renaissant de ses cendres), choisi en conséquence. L’inauguration eut lieu le 16 mai 1792 avec I Giuocchi d’Agrigento de Paisiello. Il fut détruit par le feu en 1836, puis reconstruit et plusieurs fois réaménagé avant le second incendie de janvier 1996 : il sera reconstruit au même endroit (façade et entrée sur une place, autre entrée sur un canal) et à l’identique (magnifique décoration et bleu comme couleur dominante, loges et galerie, parterre de 850 places). Rossini y connut son premier triomphe (Tancredi, 1813), mais La Traviata et Simon Boccanegra de Verdi, lors de leurs créations respectives (1853 et 1857), y furent des échecs. Au XIXe siècle, l’établissement fut peu à peu supplanté par La Scala de Milan, en partie à cause de la domination et de la censure autrichiennes, qui durèrent à Venise jusqu’en 1866 et dont témoigne la séquence initiale du film Senso de Visconti. Eut lieu à La Fenice, en 1897, la création de la Bohème de Leoncavallo. Une nette renaissance est intervenue à partir des années 1930, et, depuis, La Fenice a vu notamment les créations mondiales de The Rake’s Progress de Stravinski (1951), de The Turn of the Screw de Britten, d’IndownloadModeText.vue.download 375 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 369 tolleranza de Nono et de Lorenzaccio de Bussotti (1979), ainsi que la première scénique de l’Ange de feu de Prokofiev (1955). FERENCSIK (Janos), chef d’orchestre hongrois (Budapest 1907 - id. 1984). Élève d’A. Fleischer (direction d’orchestre) et de L. Lajtha (composition) au conservatoire de Budapest, il est devenu assistant (1927) puis chef d’orchestre (1930) à l’opéra de Budapest. Il a pratiquement fait toute sa carrière dans cette ville, à l’exception de courtes périodes comme assistant à Bayreuth (1930-31) et à

l’opéra de Vienne (1948-1950, puis 1964). En 1953, il a été nommé directeur musical de l’opéra de Budapest et chef principal de l’orchestre d’État hongrois. Il a obtenu le prix Kossuth en 1951 et en 1961. Grand interprète de Bartók et de la musique hongroise en général, il s’est également illustré dans le répertoire classique. FERGUSON (Howard), compositeur et musicologue anglais (Belfast 1908). Il fait à Londres ses études de piano avec Harold Samuel et travaille la composition au Royal College of Music avec Reginald Owen Morris. Ensuite, il devient professeur de composition à la Royal Academy of Music, de 1948 à 1963. Grand amateur de Brahms, il s’inscrit dans un courant de jeunes compositeurs néoromantiques. Excellent pianiste, il est particulièrement attiré par la musique de chambre. Il fait ses débuts au moment de la Seconde Guerre mondiale et organise les concerts de Midi à la National Gallery. Son catalogue de compositeur est assez réduit (musique de chambre, quelques oeuvres pour orchestre, mélodies). Mais il faut citer, parallèlement, ses excellentes éditions pédagogiques consacrées à la musique de clavier en 4 volumes : Style and Interpretation, anthologie de la musique de clavier du XVIe au XIXe siècle (1963-64), ainsi que ses Anthologies complémentaires de musique de clavecin des écoles française, italienne (2 vol. chacune, 1966, 1968), allemande (2 vol., 1970), anglaise (2 vol., 1971). FERMATA. Ancien nom du point d’orgue dans son acception de signe d’arrêt. FERNANDEZ (Oscar Lorenzo), compositeur brésilien (Rio de Janeiro 1897 - id. 1948). Il fit ses études à l’École nationale de musique de Rio avec Enrique Oswald pour le piano et Francisco Braga pour la composition. Il devint professeur d’harmonie dans cet établissement (1925-1936), avant d’être nommé en 1936 directeur du conservatoire brésilien. Chef d’orchestre, fondateur de la revue Ilustração musical, conférencier, il joua un rôle éminent dans la vie musicale de son pays. Son oeuvre de compositeur, intimement liée au folklore,

comprend des partitions symphoniques et concertantes (Suite sinfônica sur 3 thèmes populaires, 1925 ; poèmes symphoniques Imbapara, 1929 ; Reisado de pastoreio, 1930 ; Symphonie no 1, 1re audition 1949 ; Variations symphoniques pour piano et orchestre, 1948, etc.), des pièces pour piano, de la musique de chambre, des mélodies et un opéra, Malasarte, créé en 1941 à Rio de Janeiro, sous la direction du compositeur. FERNANDEZ CABALLERO (Manuel), compositeur espagnol (Murcie 1835 Madrid 1906). Élève d’Eslava au conservatoire de Madrid, il y obtint un premier prix de composition en 1856. Violoniste et chef d’orchestre, il fit ensuite des tournées internationales à la tête de troupes de zarzuelas. Devenu aveugle en 1894, il dicta ses dernières partitions à son fils. Plus de deux cents zarzuelas constituent l’essentiel de son oeuvre. Les plus connues sont El Primer Día feliz, Gigantes y cabezudos, La Viejecita, El Cabo primero, El Salto del pasiego, Los Sobrinos del capitán Grant, Château Margaux. Fernandez Caballero a également écrit de la musique vocale sacrée. FERNEYHOUGH (Brian), compositeur anglais (Coventry 1943). Né dans un milieu modeste, il reçoit une première formation musicale dans un contexte populaire et folklorisant - il joue dans les orchestres de fanfares ou brass bands - avant de s’orienter très vite vers la composition. Il obtient les diplômes d’exécutant et d’enseignant à l’École de musique de Birmingham (1961-1963), poursuit des études de composition et de direction d’orchestre à la Royal Academy of Music de Londres (1966-67). Après avoir étudié auprès du compositeur Lennox Berkeley, Brian Ferneyhough quitte la Grande-Bretagne (1968), effectue un bref stage à Amsterdam auprès de Ton de Leeuw, puis s’installe à Bâle pour y travailler avec Klaus Huber (1969-1971), dont il devient l’assistant comme professeur de composition à la Musikhochschule de Freiburg (Allemagne fédérale) - poste qu’il occupe toujours. Ferneyhough est titulaire de divers prix et bourses, dont le prix du concours Gaudeamus (PaysBas, 1969), celui de la fondation Heinrich Strobel (Allemagne fédérale, 1973), le premier prix au concours de composition de la S. I. M. C. (Rome, 1974). Il est

invité à séjourner un an à Berlin-Ouest sous les auspices du Service allemand d’échanges académiques (DAAD, 197677). Ses toutes premières compositions datent de 1963. Jusqu’en 1974, date de sa révélation soudaine au festival de Royan, la complexité de pensée et l’extrême difficulté de ses oeuvres empêchent leur large diffusion. Cette situation s’inverse totalement à partir de 1974 ; Ferneyhough voit son importance peu à peu reconnue grâce à de nombreuses exécutions à Royan, Donaueschingen, Venise, Londres, Paris (I. R. C. A. M.), etc. La démarche compositionnelle de Brian Ferneyhough part d’une assimilation remarquablement complète et profonde de l’expérience de la musique sérielle généralisée telle qu’ont pu la vivre un Pierre Boulez, un Karlheinz Stockhausen ou un Luigi Nono durant les années 1950-1960. Ferneyhough adapte les impératifs de la pensée sérielle à son propre tempérament, véhément, expressionniste, et les exploite dans le sens d’une totale radicalisation. Prometheus pour sextuor à vent (1967), Epicycle pour vingt cordes solistes (1968), Missa brevis pour douze voix solistes a cappella (1969), Sieben Sterne pour orgue (1970-71) et surtout les Sonatas pour quatuor à cordes (1967) - immense monument polyphonique de plus de quarante minutes de durée - sont les principaux jalons d’une première période de création qui s’interrompt en 1972 par trois années de silence. Durant cette même période, le compositeur exacerbe, avec des pièces telles que Cassandra’s Dream Song pour flûte seule (1970) ou Firecycle bêta pour grand orchestre et cinq chefs (1969-1971), les difficultés d’exécution et les pousse délibérément aux limites du possible. La complexité purement technique devient un élément de tension psychologique qui s’intègre de manière constitutive et particulièrement active dans le processus structurel de l’oeuvre. Transit pour six voix solistes et orchestre de chambre (1972-1975) inaugure une deuxième phase créatrice, où Ferneyhough développe en l’amplifiant et la dépassant la pensée postsérielle et la virtuosité « paroxystique ». La série des trois pièces intitulées Time and Motion Study (I, pour clarinette basse seule, 19711977 ; II, pour violoncelle solo et dispositif électroacoustique, 1973-1976 ; III, pour

seize voix solistes et dispositif électroacoustique, 1974) et Unity Capsule pour flûte seule (1975-76) explorent toujours plus avant la personnalité d’instruments solistes en intégrant d’une manière subtile des qualités de production du son habituellement rejetées par la technique instrumentale à un discours éminemment dialectique ; instrument en perpétuelle expansion vers ses propres limites naturelles et interprète réagissent l’un vis-à-vis de l’autre à travers un processus méthodologique très spécifique. Dans La terre est un homme pour grand orchestre (1976-1979) et dans le Deuxième Quatuor pour deux violons, alto et violoncelle (1979-80), Brian Ferneyhough prolonge les structures d’articulation discursives et downloadModeText.vue.download 376 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 370 polysémiques des Sonatas pour quatuor à cordes, tandis que Funérailles I pour deux violons, deux altos, deux violoncelles, contrebasse et harpe (1969-1977) et Funérailles II pour deux violons, deux altos, deux violoncelles, contrebasse et harpe (1978-1980) illustrent un processus de recomposition à partir d’un matériau de base « souterrain ». Se définissant luimême comme un « mystique sceptique » en quête de la « nature positive du doute », Brian Ferneyhough crée une musique foncièrement originale, aux virtualités polyphoniques évidentes, aux soubassements harmoniques très riches, qui démontre souvent un puissant souci architectonique et un sens aigu de la grande forme (cf. Sonatas, Transit, Time and Motion Study II). Son écriture - strictement organisée - confronte les interconnexions spécifiques et pragmatiques du matériau à la « névrose créatrice » de l’interprète. Cette musique est très exigeante, car elle est toujours d’une extraordinaire densité d’informations. Elle reflète une extrême rigueur et une réelle grandeur. Parmi ses autres oeuvres, retenons : Sonatine pour trois clarinettes et basson (1963) ; Four Miniatures pour flûte et piano (1965) ; Coloratura pour hautbois et piano (1966) ; Epigrams pour piano (1966) ; Sonate pour deux pianos (1966) ; Trois Pièces pour piano (1966-67) ; Lemma-Icon-Epigram pour piano (1980-81) ; Carceri d’invenzione, en sept volets (création intégrale à

Donaueschingen en 1986) ; un Quatuor à cordes no3 (1987) ; un Quatuor à cordes no 4 avec voix (1990) ; Terrain pour violon solo et ensemble (1992). FÉRON (Alain), compositeur français (Dakar 1954). Élève d’Ahmed Essyad (1981), il inscrit son travail et sa réflexion dans la descendance de Schönberg, écrivant une musique dodécaphonique mais non sérielle, atonale mais usant de colorations modales. Il a assumé de 1984 à 1986 la responsabilité de la série « Perspectives du XXe siècle » à Radio France et a été en 1991 boursier « hors les murs » de la Villa Médicis. Il a composé une vingtaine d’oeuvres, parmi lesquelles Charades pour ensemble instrumental (1982), l’opéra de chambre la Barrique d’Amontillado d’après Edgar Poe (1984), Liturgie des morts pour sextuor vocal et ensemble instrumental « In memoriam Claude Vivier » (1987), Trois Motets pour choeur a cappella (1990), l’opéra l’Ève future d’après Villiers de L’Isle Adam (1993), l’opéra pour marionnettes le Trésor de la nuit pour soprano, ténor, baryton, clarinette, violon, violoncelle et piano (1995). FERRABOSCO, famille de musiciens d’origine italienne. La plupart de ses membres vécurent en Angleterre et jouèrent un rôle important dans l’évolution de la musique dans ce pays au XVIIe siècle. Domenico Maria, compositeur italien (Bologne 1513 - id. 1574). D’abord musicien dans sa ville natale, puis au Vatican, il fut chantre à la chapelle papale de 1550 à 1555. Il a laissé des madrigaux (pub. Venise, 1542) et des motets. Alfonso I, compositeur italien, fils aîné de Domenico (Bologne 1543 - id. 1588). De nombreux détails de sa vie assez aventureuse et de ses voyages nous sont connus par l’abondante correspondance qu’il a laissée. Malgré une position bien établie en Angleterre, où il résida de 1562 à 1578 et où il fut musicien à la cour de la reine Élisabeth, il passa les dix dernières années de sa vie en Italie, laissant ses fils à Greenwich. Il a écrit de nombreux madrigaux, des motets, un miserere, des lamentations et quelques pièces pour luth. Son art fut très apprécié de ses contempo-

rains qui l’ont souvent comparé à William Byrd. Plusieurs de ses madrigaux, avec des textes traduits en anglais, figurent dans le célèbre recueil intitulé Musica transalpina (2 vol., 1588, 1597). Alfonso II, appelé LE JEUNE, compositeur anglais, fils illégitime du précédent (Greenwich v. 1575 - id. 1628). Il dut son éducation musicale à Gomer Van Awsterwycke, musicien émigré à la cour d’Élisabeth. Après la mort de son maître (1592), Ferrabosco entra au service de la reine. En 1604, il devint l’un des musiciens du nouveau roi Jacques Ier et eut la charge d’enseigner la musique au prince Henri. À cette époque, il commença à collaborer avec Ben Jonson et Inigo Jones à la composition des masques somptueux représentés à la cour des Stuarts. Entre 1605 et 1622, il écrivit la musique de huit masques, dont le premier fut The Masque of Blackness et le dernier The Masque of Augurs, à l’élaboration duquel participa également Nicholas Lanier. En 1609, il publia un livre de pièces exclusivement instrumentales : Lessons for 1. 2. and 3 Viols (Londres). À la mort du prince Henri en 1612, Ferrabosco conserva son poste à la cour et dut désormais donner des leçons au prince Charles. À partir de cette date, sa renommée de compositeur sembla avoir été éclipsée par celle de John Coprario. Cependant, après la mort de Coprario (1626), Alfonso II fut nommé compositeur ordinaire auprès du roi Charles Ier. Il mourut deux années plus tard. De son mariage avec Ellen, fille de N. Lanier, Ferrabosco eut sept enfants, dont trois fils qui devinrent musiciens : Alfonso (mort avant 1660), Henry (mort en 1658) et John (mort en 1682). Alfonso Ferrabosco II a laissé des oeuvres vocales et instrumentales. Les premières comprennent des ayres, 13 motets, un recueil de Lamentations, un motet à 4 voix, un autre à 3 voix, quelques antiennes ainsi que 23 madrigalettes à 4 voix. Les secondes se composent de fantaisies (23 à 4 violes), de danses (almains, pavans), de In nomine (3 à 5 et 2 à 6) pour violes, et de quelques pièces pour la lyra-viol ; avec Coprario, il fut le premier à écrire pour cet instrument. FERRARI (Luc), compositeur français (Paris 1929). Après un apprentissage musical multiple et varié (École normale de musique, ren-

contre de Varèse, lecture de Leibowitz, etc.), il commence à composer dans un style bartokien ou sérialisant mais déjà marqué par le dynamisme bouillonnant et la vitalité qui parcourent toute sa production. Parmi ses premières oeuvres instrumentales, citons Antisonate (1953) pour piano, et la série des Visages I à IV pour diverses formations de chambre. En 1958, il entre au Groupe de recherches musicales de la R. T. F., dirigé par Pierre Schaeffer. Pendant quelques années, Ferrari en est le jeune touche-à-tout doué et brillant, avec des oeuvres électroacoustiques comme Visage V (1961) ou Tautologos I (1961) et II (1961). Dans ces deux dernières pièces s’annonce déjà le principe de répétition qui prendra dans son oeuvre une importance croissante. Avec Hétérozygote (1964), qui est demeuré un classique de la musique électroacoustique, il ose réintroduire dans la « musique concrète » l’usage longtemps prohibé (sauf chez Pierre Henry) des sons naturalistes, anecdotiques. Il fera de même dans Music Promenade (1969) et les 2 Presque rien (1970, 1977). En 1963, Ferrari quitte le G. R. M. et diversifie ses activités : cours de composition à l’étranger, notamment en Allemagne, pays qui l’accueille plusieurs années ; animation, émissions de télévision. Il se remet à l’instrumental : Flashes (1963) pour 14 instruments, Symphonie inachevée (1963-1966) pour orchestre, Und so Weiter (1966) pour piano et bande, etc. Dans la série des Sociétés I à VI, différentes situations de jeu explorent les relations entre chef, instrumentistes, instruments et même public (par ex. dans Société V, Participation or not Participation, pour différents groupes de public). Ferrari remet en question de plus en plus nettement la musique, en tant que phénomène de communication, et en tant que catégorie esthétique vouée au « beau ». Il se veut de plus en plus fabricant de témoignages. Ses musiques sont faites avec des moyens pauvres et recherchent une nouvelle simplicité subversive. Ce sont parfois des bandes magnétiques downloadModeText.vue.download 377 sur 1085

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jouant le rôle de supports, d’incitations pour des improvisations instrumentales laissées à la liberté des exécutants (Éphémères, 1975 ; Et tournent les sons dans la garrigue, 1977). D’autres travaux sont constitués de montages audiovisuels qui mettent en accusation la société moderne ou enquêtent sur des expériences de révolution : Allo, ici la terre (1972), Labyrinthe de violence (1975) ou la série des Algéries. D’autres enquêtes plus intimes sont réservées à la bande magnétique seule, avec des éléments musicaux simples et répétitifs : Journal d’un journaliste amateur (1972), Danses organiques (1973). Dans ses oeuvres récentes s’affirme un Ferrari épanoui, dynamique, qui joue avec bonheur et efficacité des « armes » musicales les plus simples : rythmes obsédants, procédés de développement par répétition. Deux de ses oeuvres les plus populaires dans cette voie sont Musique socialiste ou Programme commun (1972) pour clavecin et bande, et Cellule 75 (1975) pour piano, percussion et bande. Citons encore Histoire du plaisir et de la désolation pour orchestre (1982), En un tournement d’amour pour orchestre (1986), l’opéra Labyrinthe Hôtel (Strasbourg, 1990), Cahier du soir (1991-1992), Pénétration harmonique (1995). FERRAS (Christian), violoniste français (Le Touquet, Pas-de-Calais, 1933 - Paris 1982). Il a fait ses études au conservatoire de Nice, puis à celui de Paris avec Calvet, et s’est perfectionné avec Enesco. Après avoir débuté à treize ans à Paris en concert, il a obtenu le premier prix au concours international de Scheveningen en 1948, ainsi que le prix Long-Thibaud. Il a alors entamé une grande carrière internationale. Le jeu de Ferras est d’une grande perfection et sa sonorité d’une pureté exceptionnelle. L’éclat de ses exécutions de grand concertiste n’exclut pas une approche très intérieure des oeuvres. Dans la musique de chambre, il sait, dans le respect de la tradition française, faire apparaître le sentiment sans l’étaler. Comme interprète de musique de chambre, il a associé son nom à celui de Pierre Barbizet. FERRERO (Lorenzo), compositeur italien (Turin 1951). D’abord autodidacte, il a ensuite étudié la

composition avec Massimo Bruni (écriture) et Enore Zaffiri (musique électronique) tout en s’intéressant particulièrement à John Cage, auquel il a consacré sa thèse. Il a travaillé également au Groupe de musique électronique de Bourges (1972-73), et participé à partir de 1974 aux activités du groupe Musik-Dia-LichtFilmGalerie de Josef Anton Riedl à Munich. Il dirige depuis 1980, avec Sylvano Bussotti, le festival Puccini de Torre del Lago en Toscane. Il ne s’est jamais senti attiré par les systèmes sériels, privés, selon lui, de fondement psycho-acoustique, mais s’attache au contraire aux harmoniques et aux spectres sonores, par exemple dans Siglied pour orchestre de chambre (1975), ou dans Romanza senza parole pour 10 exécutants (1976). Son utilisation de la virtuosité vocale repose exclusivement sur les principes du bel canto italien du XVIIIe siècle, non sur la virtuosité expressionniste ou vériste. Ses principes d’instrumentation, issus de l’électroacoustique, cherchent à effacer la distinction entre les familles instrumentales traditionnelles au profit de groupes de timbres similaires émis pour différents instruments en fonction de leurs registres spécifiques. Il est notamment l’auteur de plusieurs oeuvres destinées à la scène : Rimbaud, sur un texte de L. F. Caude (1974-1978), Invito a nozze, ballet en un acte (1978), et Marilyn, scènes des années 50 en deux actes, livret de L. Ferrero et F. Bossi (1979), Night (Munich, 1985), Salvatore Giuliano (Rome, 1986), Charlotte Corday (Rome, 1989), le Bleu Blanc Rouge et le Noir (Paris, 1989). On lui doit encore, entre autres, Ellipse II pour clavicorde ou clavecin (1975), Ellipse III pour quatre (ou plus) voix ou instruments (1975), Le néant où l’on ne peut arriver pour solistes, 2 choeurs, choeur d’enfants, cuivres et percussions, sur un texte de B. Pascal (1976), Arioso pour orchestre et instruments électroniques (1977), Ellipse IV (Waldmusik) pour 20 instruments à vent et instruments populaires (1977), Ellipse V-VIII pour violon, flûte, violoncelle, piano (1977-78), Ellipse en septuor pour 7 instruments (1980), Balletto per orchestra pour grand orchestre (1980), Ombres pour 17 instruments et électronique (1984), Concerto pour piano (1991), Requiem pour les victimes de la Mafia (Palerme, 1993).

FERREYRA (Béatriz), femme compositeur argentine (Córdoba 1937). En France depuis 1961, elle a fait partie de 1964 à 1970 du Groupe de recherches musicales de Paris, où elle a collaboré avec Guy Reibel et Henri Chiarucci aux recherches sur le « solfège expérimental » conduites par Pierre Schaeffer, et commencé une production - qu’elle poursuit dans d’autres studios (celui de Bourges, notamment) - d’oeuvres électroacoustiques d’un style intime et personnel, souvent dans des tonalités glauques et contemplatives (Demeures aquatiques, 1967 ; Étude aux sons flegmatiques, 1971 ; Siesta blanca, 1972), et dans lesquelles le thème de la voix humaine, enregistrée ou imitée électroniquement, sarcastique, insinuante ou démente, tient une grande place (Médisances, 1968 ; l’Orviétan, 1974 ; Canto del Loco, 1975 ; Ecos, 1978). Elle a également créé des musiques destinées à des expériences musicothérapiques et entrepris un cycle d’oeuvres « mixtes » (pour instrument et bande) avec Tierra quebrada (1976-77), pour violon et bande, et la Symphonie concertante pour le chat et son astrologue (1978), pour piano et bande. FERRIER (Kathleen), contralto anglaise (Higher Walton, Lancashire, 1912 Londres 1953). Elle avait désiré devenir pianiste, mais dut plusieurs années exercer le métier de téléphoniste, tout en donnant des leçons de piano et en se produisant comme accompagnatrice dans de modestes concerts. Sa voix fut découverte en 1937 et plusieurs personnalités telles que le chef d’orchestre Malcolm Sargent l’engagèrent à étudier le chant, ce qu’elle fit notamment avec Roy Henderson à Londres. Elle débuta en 1942 à Newcastle en chantant la partie d’alto dans la Passion selon saint Matthieu de Bach et se fit connaître à Londres lors d’une exécution du Messie de Haendel à l’abbaye de Westminster en 1943. Sa renommée d’interprète d’oratorio grandit vite. Elle fit ses débuts sur une scène au festival de Glyndebourne en 1946 dans le rôle de Lucrèce lors de la création du Viol de Lucrèce de Britten. Ce personnage et celui d’Orphée dans l’oeuvre de Gluck, qui fut à son répertoire à partir de 1947, furent les deux seuls qu’elle joua au théâtre. C’est plutôt comme chanteuse d’oratorio (Bach,

Haendel), de mélodies et de lieder (Schumann, Brahms, Mahler) qu’elle entreprit une carrière internationale que la maladie devait interrompre prématurément. Kathleen Ferrier avait une voix au timbre parfaitement homogène et d’une beauté rare. Elle en accroissait le pouvoir expressif par des interprétations d’une émotion sobre mais profonde fondées sur le raffinement d’inflexions liées, avec une rare intuition, aussi bien au sens des textes qu’à la ligne musicale. FERROUD (Pierre Octave), compositeur et critique musical français (Chasselay, Rhône, 1900 Debreczen, Hongrie, 1936). Il se destinait à une carrière scientifique quand la rencontre d’Édouard Commette, organiste de la primatiale Saint-Jean à Lyon, l’amena à abandonner la chimie au profit de la musique. Il fut ensuite l’élève de Guy Ropartz à Strasbourg puis, de nouveau à Lyon, celui de Florent Schmitt qui enseignait alors l’harmonie au conservatoire. P. O. Ferroud, que sa fin prématurée a empêché de donner toute sa mesure, est l’auteur de plusieurs sonates, d’un trio d’anches, d’un quatuor à cordes, d’une symphonie, de mélodies sur des poèmes de Valéry, P. J. Toulet et Supervielle, de deux ballets et d’un opéra bouffe, reflétant des influences très diverses, mais caractérisés par le refus de tout lyrisme. Il fut downloadModeText.vue.download 378 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 372 aussi le fondateur en 1932 de la société « le Triton », et critique musical de Paris-Soir, Musique et Théâtre et Chantecler. FESCH (Willem de), violoniste et compositeur néerlandais (Alkmaar 1687 Londres 1757). On le trouve professeur de violon à Amsterdam à partir de 1710, puis maître de chapelle à la cathédrale d’Anvers de 1725 à 1731. Il se fixa à Londres en 1732, y joua et enseigna son instrument et dirigea les concerts de Marylebone Gardens. Il connut une certaine notoriété après la création de ses oratorios Judith (1733), Love and Friendship et Joseph (1744), malheureusement perdus. C’est surtout cependant comme com-

positeur de musique instrumentale qu’il attire l’attention par des oeuvres très influencées par le style italien, écrites aussi bien aux Pays-Bas qu’en Angleterre : duos de violons, duos de flûtes, sonates à 2 violoncelles, sonates en trio, concertos et concerts divers. FESTA (Costanzo), compositeur italien (Villafranca Sabauda, près de Turin, v. 1490 - Rome 1545). Chantre à Ischia auprès de la duchesse de Francavilla, puis à la chapelle papale au Vatican, il termina ses jours à Rome et fut l’un des fondateurs de l’école romaine. Son importance comme compositeur de madrigaux fut reconnue par ses contemporains et, parallèlement à Verdelot et Willaert, il joua un rôle décisif dans le développement de cette forme spécifiquement italienne. Son style, d’une originalité certaine, se distingue par une grâce toute méditerranéenne. Costanzo Festa a laissé d’autre part des messes, un livre de magnificat, une centaine d’hymnes et environ cinquante motets. FESTA TEATRALE (ital. : « fête théâtrale »). Au XVIIIe siècle, opéra écrit pour une occasion solennelle (mariage royal ou princier) et à sujet de préférence mythologique ou allégorique. Portèrent cette dénomination Acide de Haydn (1763, pour les noces du fils aîné du prince Nicolas Esterházy), ou encore Ascanio in Alba de Mozart (1771, pour les noces de l’archiduc Ferdinand d’Autriche et de Maria Beatrice d’Este). FESTSCHRIFT. ! MÉLANGES. FÉTIS (François-Joseph), musicologue et compositeur belge (Mons 1784 Bruxelles 1871). Il étudia le clavecin, le violon et, au Conservatoire de Paris, le piano avec Boieldieu et l’harmonie avec Rey. À partir de 1813, il fut organiste à Douai et, en 1821, devint professeur de composition au Conservatoire de Paris. Il fonda en 1827 la Revue musicale qui devait fusionner en 1835 avec la Gazette musicale. En 1827 aussi, il fut nommé bibliothécaire au Conservatoire de Paris et en 1833, directeur du conservatoire de Bruxelles. Il fut aussi maître de chapelle du roi des Belges.

Bien qu’il ait composé des oeuvres orchestrales et instrumentales, un requiem et des opéras-comiques, la postérité n’a retenu que l’importance de son rôle de critique et de chercheur dont témoignent ses nombreux et souvent importants ouvrages, mémoires ou articles de musicologie, de théorie et de pédagogie musicales. Il faut voir en lui, plus que le critique sans doute partial et à l’esprit étroit qui fut l’objet des sarcasmes de Berlioz, l’un des fondateurs de la musicologie moderne. Sa monumentale Biographie universelle des musiciens et bibliographie générale de la musique (8 vol., Paris, 1835-1844) est imprégnée de l’idée, qu’il fut un des premiers à défendre, que les chefs-d’oeuvre du passé sont, du point de vue de l’art et pas seulement de l’archéologie, aussi intéressants que ceux du présent. Les idées qu’il a exposées dans son Traité complet de la théorie et de la pratique de l’harmonie (Paris, 1844) ont une portée révolutionnaire, laissant prévoir, au terme de l’évolution de l’harmonie dans la musique européenne, un ordre « omnitonique » admettant toutes les possibilités d’équivoque tonale. Dans son Histoire générale de la musique (5 vol., Paris, 1869-1876), restée inachevée, il reconnut l’intérêt des musiques extra-occidentales et apparaît, en cela aussi, comme un précurseur. FEUERMANN (Emanuel), violoncelliste autrichien (Kolomyja, Galicie, 1902 New York 1942). En 1909, il vint avec sa famille à Vienne où il étudia le violoncelle avec Anton Walter. Il se produisit en public dès l’âge de onze ans, puis se perfectionna à Leipzig. À seize ans, il s’installa à Cologne comme professeur au conservatoire, violoncelle solo de l’orchestre du Gürzenich et membre du Quatuor Bram Eldering. De 1929 à 1933, il fut professeur à la Hochschule de Berlin, puis vécut à Zurich, s’exila aux États-Unis et fut nommé professeur au Curtis Institute de Philadelphie en 1941. Considéré malgré sa disparition prématurée comme l’un des grands violoncellistes du siècle, Feuermann, remarquable interprète de musique de chambre, a en particulier joué en trio, d’une part, avec Arthur Schnabel et Bronislav Huberman, d’autre part, avec Arthur Rubinstein et Jascha Heifetz. FÉVIN (Antoine de), compositeur français (Arras v. 1470 ou 1475 - Blois 1511 ou 1512).

Glaréan qualifie d’heureux disciple (felix aemulator) de Josquin ce fils d’un échevin d’Arras, dont on sait seulement qu’il fut chantre à la chapelle du roi Louis XII. Si l’on se fie au jugement de ses contemporains (Crétin, Mouton, Louis XII) et aux publications qui l’honorèrent (Petrucci publia en 1514 six motets, en 1515 trois messes à 4 v.), il jouissait d’une réputation et d’une estime solides. Contrairement à Divitis, Févin ne prête aucune attention au texte et à sa déclamation. La marque la plus significative de son style est l’emploi des voix groupées par deux en duo, emploi qui, si l’on y ajoute l’usage de la technique de l’imitation et un évident souci de clarté, accrédite le jugement de Glaréan. On connaît de Févin 11 messes (dont Mente tota, Ave Maria, Sancta Trinitas), un requiem, des fragments de messes, une vingtaine de motets, des magnificat, des lamentations et une quinzaine de chansons françaises. FÉVRIER, famille de musiciens français. Henry, compositeur (Paris 1875 - id. 1957). Élève, au Conservatoire, de Massenet, Fauré, Leroux et Pugno, il fut surtout marqué par les leçons de Messager, son premier maître. Après avoir pratiqué la musique de chambre et la mélodie, il révéla ses dons pour le théâtre avec le Roi aveugle (1906). En 1909, l’Opéra-Comique monta Monna Vanna (sur un poème de Maeterlinck), son chef-d’oeuvre. Suivirent notamment Carmosine (Gaîté-Lyrique, 1912), Gismonda (Chicago, 1919), la Damnation de Blanchefleur (Monte-Carlo, 1920), l’Île désenchantée (Opéra, 1925) et la Femme nue, d’après Henry Bataille (Monte-Carlo, 1929). Jacques, fils du précédent, pianiste et pédagogue (Paris 1900 - Remiremont 1979). Élève d’Édouard Risler et de Marguerite Long, professeur au Conservatoire de Paris à partir de 1959, il a formé plusieurs générations de pianistes et mené une brillante carrière internationale, particulièrement consacrée à la musique française. Il fut choisi par Maurice Ravel pour créer en France le Concerto pour la main gauche. FIALA (Joseph), compositeur tchèque (Lochovice, Bohême, 1748 - Donaueschingen 1816).

Il fit des études de violoncelle et de hautbois à Prague, joua dans l’orchestre de la comtesse Netolitzky, à la chapelle du prince Öttingen-Wallerstein à Öttingen en 1774, puis à la chapelle du prince-archevêque de Salzbourg, de 1778 à 1785, et rencontra Mozart à Vienne. Après un séjour à Saint-Pétersbourg au service de Catherine II et du prince Orlov, il s’installa en Allemagne en 1792 et fut nommé violoncelle virtuose à la cour du prince de Fürstenberg à Donaueschingen. Fiala est l’auteur de duos concertants pour violon downloadModeText.vue.download 379 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 373 et violoncelle, pour flûte ou hautbois et basson, de plusieurs quatuors à cordes, divertimentos, symphonies et concertos. Mozart a parlé avec faveur de certaines de ses oeuvres. FIBICH (Zdenek), compositeur tchèque (Vseborice 1850 - Prague 1900). Fils d’un maître forestier, il étudia la musique à Prague, notamment avec Smetana, et au conservatoire de Leipzig, où il travailla en particulier le piano avec Moscheles. De retour à Prague en 1871, il fut second chef et maître de choeur au Théâtre national, abandonna cette fonction en 1878 pour protester contre les tendances de la direction, fermée à Smetana et à Wagner, et, à l’instar de tous les partisans de Smetana, il eut rarement une position officielle stable. Son oeuvre très vaste laisse percevoir l’évolution de son style : des pièces de chambre, des ballades et chansons, et l’opéra Bukovin (1870), mystérieux appel de la forêt, dénotent l’influence de Schumann. Celle de Liszt apparaît dans l’oeuvre pour orchestre, notamment dans huit poèmes symphoniques. L’opéra Blanik (18741877), écrit pour le futur Théâtre national tchèque, s’engage dans la voie ouverte par Smetana. C’est ensuite d’une attirance vers Wagner que témoigne l’opéra la Fiancée de Messine d’après Schiller (1894). Fibich semble s’épanouir dans cette manière d’écrire et s’affirme plus encore dans la trilogie mélodramatique Hippodamie (1890), au langage original. Le compositeur teinte peu à peu ses élans dramatiques de senti-

mentalité, abandonne les grandes formes au profit de cycles pour piano (Nalady, dojmy a upominky, véritable journal intime, 1892-1899) ou pour petite formation (Scènes à la Watteau pour flûte, piano et cordes, 1897). Sa dernière oeuvre importante est l’opéra Sarka (1897). FICTA (musica). Pratique consistant, dans la musique du Moyen Âge et de la Renaissance, à omettre dans la notation des altérations censées être observées dans l’exécution. FIEDLER (Arthur), chef d’orchestre américain (Boston 1894 - id. 1979). Son père, d’origine autrichienne, violoniste à l’orchestre de Boston, lui donne ses premières leçons. À l’âge de quinze ans, il part avec sa famille pour Berlin, où il étudie avec W. Hess. Il entreprend alors l’étude de la direction d’orchestre. En 1915, il est violoniste dans l’orchestre de Boston. Il fonde en 1924 le Boston Sinfonietta, qu’il dirige. En 1929, il se produit lors des Concerts de l’Esplanade (concerts en plein air) qui connaissent un succès triomphal dès la première saison. Il prend la place de Casella à la tête du Boston « Pop’s Orchestra », dans un répertoire de musique populaire auquel se mêlent les grandes pages symphoniques du répertoire - concerts pour le grand public qui ont fait sa gloire. FIELD (John), pianiste et compositeur irlandais (Dublin 1782 - Moscou 1837). Issu d’une famille de musiciens, il fut contraint par son père et son grand-père à une étude intensive du piano et débuta en public en 1792. En 1794, il fut conduit à Londres où il devint l’élève de Clementi. Celui-ci l’emmena en 1802 à Paris, où son interprétation des fugues de Bach et d’oeuvres de Haendel suscita l’admiration et où il publia son premier recueil de sonates, puis en Allemagne et en Russie. Field se fixa à Saint-Pétersbourg en 1804 comme professeur et y acquit une grande renommée. Il s’installa en 1823 à Moscou, qu’il quitta en 1831 pour Paris, la Belgique, la Suisse et l’Italie. Tombé gravement malade à Naples, il y vécut des mois difficiles jusqu’à ce qu’une famille russe le ramenât à Moscou. Sur le chemin du retour, Vienne réserva un accueil triom-

phal à ses Nocturnes : en 1814, Field avait été le premier à donner ce titre à des pages pour piano. Field occupe une place importante dans l’évolution de la technique du jeu de piano, et une position non négligeable comme compositeur (il écrivit de nombreuses oeuvres pour piano seul, des concertos pour piano et des quintettes avec piano). Dans ses pièces brèves en particulier, qui précèdent souvent chronologiquement celles des grands romantiques (Schubert, Mendelssohn, Chopin, Schumann) qu’elles semblent annoncer, l’invention mélodique semble couler sans effort et les intentions expressives reflètent tous les courants du premier romantisme. Une page comme le Nocturne no 12 en « sol » majeur, par exemple, a toute la fougue spontanée d’un lied amoureux de Schumann. FIFRE. Petite flûte traversière de bois, à six trous, en si bémol ou en ré. Cet instrument de plein air, au son clair et perçant, a été réglementaire dans l’armée française, de François Ier à Napoléon III, et l’est encore dans les musiques militaires de plusieurs nations d’Europe. FIGURALISME. Mot d’introduction récente, par lequel on désigne la traduction musicale des images du texte par des moyens analogiques ; par exemple les idées de montée ou de descente par les mouvements mélodiques correspondants, les animaux par la description de leur démarche ou de leur cri, la majesté par des arpèges d’accords parfaits, etc. On employait autrefois le mot « madrigalisme », mais si le madrigal emploie effectivement très fréquemment le figuralisme, il n’est ni le seul ni le premier. Le figuralisme était connu de la musique grecque antique (par exemple, le « nome pythique » décrivait le combat d’Apollon et du serpent) comme il l’est de diverses musiques populaires (l’Alouette roumaine) ; il n’est absent ni du chant grégorien (communion de la Pentecôte) ni de la polyphonie médiévale (motet Descendi in hortum meum, XIIIe s.), mais il y tient un rôle malgré tout assez secondaire. En re-

vanche, il devient, à partir de Josquin Des Prés, l’un des éléments essentiels de l’inspiration et de la composition musicales. Il connaît son apogée avec J.-S. Bach (tous les mots d’une cantate ou d’une passion de ce maître sont traduits avec une incroyable minutie, et aussi le texte sous-entendu de ses chorals d’orgue). S’il a perdu quelque peu, depuis le XIXe siècle, de sa précision quasi automatique, il n’a jamais disparu de la musique tant que celle-ci a entendu conserver la valeur signifiante que seules lui dénient les écoles les plus récentes. FIGURE. Terme assez général employé dans diverses circonstances où la signification musicale est liée à sa représentation matérielle. En notation, la figure est, au sens propre, la forme de la note écrite, d’où l’application du mot à la valeur rythmique que cette forme représente (noire, croche, etc.), et, à partir du XVIIIe siècle, l’opposition entre plain-chant (écrit en notes carrées) et musique « figurée » (écrite en notes rythmiques). En stylistique, on appelle figure un dessin musical d’aspect déterminé, surtout quand il évoque une analogie visuelle (v. figuralisme) ; on nommait autrefois figure ce que nous appelons aujourd’hui « cellule », élément premier de la construction musicale. On donne parfois aussi ce nom aux différents signes d’ornementation (trilles, gruppetti, etc.), bien que le terme soit vieilli en ce sens. FIGURÉ (chant). Expression dont la signification doit être reliée à l’un des sens du mot figure, celui de « signe d’ornementation ». On parlait de « chant figuré » (ital. canto figurato) pour désigner une ligne vocale ornée au moyen de procédés généralement assez stéréotypés. FIGURÉ (choral). Forme particulière à certains chorals d’orgue des XVIIe-XVIIIe siècles dans laquelle chaque motif est présenté d’abord sous forme d’une entrée en imitations downloadModeText.vue.download 380 sur 1085

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374 (souvent strette ou entrée de fugue), ensuite en valeurs longues énonçant le texte original exact. Du nom de son principal introducteur, on l’appelle parfois « choral à la Pachelbel ». FIGURÉE (musique). On désignait ainsi dans la musique religieuse du XVIIe au XIXe siècle les pièces musicales écrites par les compositeurs, par opposition au plain-chant liturgique. Il arrivait même (Berlioz en est coutumier) que l’on opposât tout simplement la « musique » au « plain-chant ». L’expression a succédé à la musica mensurata que le Moyen Âge opposait au planus cantus ou cantus ecclesiasticus. FILÉ (son) [en ital. filar un suono, filar la voce]. Ce terme, synonyme de celui de messa di voce employé par les maîtres de chant anciens, s’applique à la voix humaine mais aussi aux instruments à archet. Sur une longue note tenue, le son est d’abord émis, pianissimo, augmenté graduellement ensuite jusqu’au forte, puis diminué à nouveau. FILETS. Dans les instruments à cordes, étroites bandes incrustées sur les bords de la table et du fond pour les renforcer et éviter l’apparition de fissures. FILM D’OPÉRA. On peut dire sans exagération que l’opéra a été le cinéma du XIXe siècle, prodiguant à son public émotions, exotisme, passions, féérie, spectacle, et même ces deux ingrédients traditionnels du spectacle populaire que sont la violence (duels, meurtres) et l’érotisme (danses lascives, filles-fleurs de Wagner). Rien d’étonnant donc si, à ses débuts, le cinéma muet - qui était la plupart du temps, rappelons-le, projeté avec une musique jouée en direct - lui a rendu la pareille : soit en adaptant de nombreuses fois des opéras populaires comme Carmen ou la Bohème (les acteurs jouant l’action en pantomime, et l’orchestre exé-

cutant un pot-pourri instrumental des airs les plus fameux), soit même en proposant des films d’esprit opératique, qui pouvaient - comme le fabuleux Cabiria, de Pastrone (1914), film « antique » inspiré de Salambô et gratifié d’une partition originale d’Aldebrando Pizzetti - inclure dans leur musique des airs destinés à être chantés par un interprète « vivant » se synchronisant avec l’acteur sur l’écran. Beaucoup des premiers courts-métrages « parlants », vers la fin des années 1920 aux États-Unis, sont d’ailleurs des airs d’opéra enregistrés par les voix les plus fameuses de l’époque, comme Martinelli. Par la suite, l’opéra filmé - qui posait dans les années 30 de nombreux problèmes techniques, notamment pour la restitution des voix féminines et de l’orchestre, sans compter les problèmes de mise en scène - deviendra un genre sinon prolifique, du moins assez pratiqué, notamment en Union soviétique et en Italie, où l’on adopte sans complexe la technique consistant à demander à l’acteur de jouer en « play-back » sur la voix d’un chanteur connu : un des plus célèbres exemples en est l’Aïda de Clemente Fracassi, où Sophia Loren prête sa plastique à Renata Tebaldi. C’est dans les années 1970 que, à la faveur des procédés « Dolby stéréo » (qui permettent de généraliser à beaucoup de salles le son haute-fidélité stéréophonique), le film-opéra devient un genre vedette, notamment sous l’impulsion de producteurs comme Robert Stigwood (producteur d’opéras rock, comme Tommy), Tarak Ben Amar et Daniel Toscan du Plantier. Ce dernier notamment est à l’origine d’une série de réalisations, assez inégales, dont le point commun est d’associer le nom d’un réalisateur prestigieux à celui d’un opéra connu, alors que jusque-là l’opéra filmé était souvent considéré comme un genre esthétiquement inférieur. L’idée lui est sans doute venue de la très grande réussite esthétique, critique et publique représentée par la Flûte enchantée, de Bergman (1975). S’ensuivent des oeuvres comme le Don Giovanni de Joseph Losey (1976), la Bohème de Luigi Comencini (1987), Carmen de Francesco Rosi (1984), Boris Godounov de Zulawski (1989) et le magnifique Parsifal de Hans-Jürgen Syberberg (1982), qui, en situant l’action dans un décor étonnant constitué de l’agrandissement en studio

du masque mortuaire de Wagner, et en jouant très franchement du play-back et de l’hétérogénéité du corps et de la voix (Parsifal, chanté par Rainer Goldberg, est joué à l’écran d’abord par un jeune homme, et ensuite par une jeune fille), résout magistralement certaines des difficultés du genre. Il est vrai qu’avec une option radicalement inverse (choix d’un décor réel de plein air, et option pour le son direct, car nous entendons la voix des chanteurs réellement captés au moment de la prise de vue), Jean-Marie Straub et Danièle Huillet ont pu ainsi, avec leur Moïse et Aaaron (1974), réaliser une belle oeuvre, qui a entre autres mérites celui de donner au message politique et religieux de Schönberg toute sa dimension. Enfin, le kitsch même de la mise en scène conventionnelle d’opéra, quand il est bien défendu, avec des interprètes qui ont le sens de la caméra, peut donner, comme avec la fougueuse Taviata de Franco Zeffirelli (1983), avec Teresa Stratas en Violetta, de belles réussites. Bien sûr, il y a beaucoup de déchets et d’oeuvres ratées, mais pas plus que dans les autres genres cinématographiques. La conclusion est qu’il n’y a aucune solution satisfaisante in abstracto aux nombreux problèmes posés par le film-opéra, et notamment par l’apparente discordance entre une forme d’expression en principe vouée au naturalisme, le cinéma, et une autre où règnent les conventions du chant et de l’effusion lyrique et sentimentale. Certains réalisateurs ont même suscité avec bonheur des opéras spécifiquement conçus et écrits pour l’écran, comme Jacques Demy avec les Parapluies de Cherbourg (1964, musique de Michel Legrand), Une chambre en ville (1982, musique de Michel Colombier), ou le Portugais Manoel de Oliveira avec les Cannibales (1988, musique de Joao Paes). Il n’est pas inutile, enfin, de citer les très nombreux réalisateurs de cinéma pour lesquels l’opéra est une référence absolue, qu’ils cherchent à transposer dans les conventions propres du cinéma réaliste dialogué : de Friedrich Wilhelm Murnau à Francis Ford Coppola et de Max Ophuls à Akira Kurosawa, ils sont légion depuis les débuts du septième art. FILTZ (Johann Anton), compositeur allemand (baptisé à Eichstätt, Bavière, 1733 - Mannheim 1760). On ne sait rien de sa jeunesse ni des

contacts avec la Bohême que son oeuvre semble prouver. On le retrouve en 1754 violoncelliste dans l’orchestre de Stamič à Mannheim, ville où il fit toute sa carrière jusqu’à sa mort prématurée. Sa célébrité fut grande de son vivant et d’importants éditeurs publièrent ses oeuvres aussitôt après sa disparition. H. Riemann a établi un catalogue thématique de ses compositions où l’on trouve 41 Symphonies, 24 Sonates en trio, un recueil de Sonates pour violon (ou violoncelle), 6 Quatuors à cordes, 3 Concertos pour flûte. Filtz est un mélodiste spontané, qui recourt fréquemment à des danses tchèques dans les mouvements rapides de ses symphonies. Sa Symphonie bohême ou sa Symphonie périodique no 4 prouvent une volonté d’expression proche de celle de Jean-Chrétien Bach et Mozart. Mort trop tôt pour avoir pu s’épanouir, il demeure l’un des représentants les plus intéressants de la musique instrumentale préclassique. FINAL ou FINALE. On emploie indifféremment les deux formes de ce nom masculin, dont la seconde n’est pas un féminin mais un emprunt à l’italien. L’expression est surtout usitée dans le théâtre lyrique, où elle désigne la dernière scène non seulement de l’ouvrage, mais aussi de certains autres actes lorsque celle-ci revêt une certaine ampleur et présente un caractère brillant. Au XVIIIe siècle, le final d’opéra-comique se différenciait souvent des autres mordownloadModeText.vue.download 381 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 375 ceaux par sa musique ininterrompue, comportant une suite de scènes juxtaposées qui contrastait avec la brièveté des morceaux isolés précédents ; le final d’opéra était souvent un morceau de bravoure faisant appel à toute la maîtrise du compositeur, avec ensembles vocaux (quintette, sextuor, etc.) et larges développements musicaux. À partir du classicisme viennois, on appelle aussi finale le dernier mouvement d’une sonate, d’une symphonie, d’un quatuor. Ces mouvements ayant souvent un aspect brillant ou véloce, on retrouve parfois le terme pour désigner des morceaux isolés de même caractère (C. Franck, Finale pour orgue).

FINALE. Nom féminin, à ne pas confondre avec final. Note terminale d’une mélodie, souvent confondue avec la tonique du mode, ce qui est non moins souvent controversé. En chant grégorien, la tonique porte de préférence le nom de finale, mais les deux notions peuvent diverger : dans la psalmodie, par exemple, la finale formulaire réelle n’est pas toujours, loin de là, la tonique modale. FINCK (Heinrich), compositeur allemand (Bamberg, 1444 ou 1445 - Vienne 1527). Après avoir passé, semble-t-il, la plus grande partie de son existence à la cour de Cracovie où il a été enfant de choeur (1460-1470), puis maître de chapelle (1498-1505), c’est à un âge avancé (1510) qu’il est appelé à Stuttgart, à la cour du duc Ulrich de Wurtemberg. De 1514 à 1519 il est probablement au service de Maximilien. Vers 1520, il est compositeur au chapitre de Salzbourg. Peu de temps avant sa mort, il reçoit de Ferdinand Ier la direction de la chapelle impériale. Cette longue existence et son parcours expliquent les contrastes d’une oeuvre dont les premiers témoignages, comme les hymnes du manuscrit de Berlin (40021), traduisent une écriture sévère aux lignes brisées. Les 29 chansons publiées en 1536 par J. Formschneider, les 22 hymnes des Sacrorum hymnorum (Wittemberg, 1542) ou la Missa in summis (à 6 v.) portent en revanche la marque du style franco-flamand de l’époque josquinienne. FINE (Vivian), femme compositeur américaine (Chicago 1913). Elle a fait des études dans sa ville natale au Collège de musique et au Conservatoire américain, où elle a été l’élève de Ruth Crawford-Seeger, puis à l’école JaquesDalcroze de New York ; elle a aussi été l’élève de Djane Lavoie-Herz - elle-même disciple de Scriabine (piano), de Roger Sessions (composition) et de George Szell (orchestration). Vivian Fine a fait une carrière de pianiste spécialisée dans la musique contemporaine et a eu une très importante activité de pédagogue dans différentes villes des États-Unis, notamment à l’université et à la Juilliard School de New York. Son oeuvre, qui révèle l’influence de ses maîtres, de Cowell et de

Copland, comprend essentiellement des pièces pour diverses petites formations instrumentales auxquelles se joint parfois la voix humaine. FINISSY (Michael), compositeur anglais (Londres 1946). Après des études musicales au Royal College of Music de Londres, il fait un long séjour en Italie. Excellent pianiste, il mène une double carrière de concertiste et de compositeur. Loin de s’enfermer dans sa spécialité, il se montre attiré par les arts visuels et compose de la musique de ballet ou de film. Il s’est intéressé aussi à l’opéra de chambre. Influencé par le cinéma, en particulier par celui d’Eisenstein, il a essayé de transposer dans des formes proprement musicales le montage parallèle et d’autres techniques cinématographiques. De son catalogue, bien rempli, il faut citer avant tout Light Matter pour ténor, mimes et danseurs, hautbois d’amour, guitare et percussion, oeuvre donnée en 1975 au Festival de Royan. Il a écrit en outre sept concertos pour piano (1975-1981), Offshore pour orchestre (1976), Whitman pour voix et instruments (1981-1983), un quatuor à cordes (1984), ainsi que l’opéra The Undivine Comedy (1988). FINKE (Fidelio), compositeur allemand (Josefstal, Bohême, 1891-Dresde 1968). Il a occupé jusqu’en 1939 divers postes à Prague, et enseigné à Dresde de 1946 à 1951, puis à Leipzig de 1951 à 1958. On lui doit notamment l’opéra Die Jakobsfahrt (1932-1935), diverses oeuvres pour orchestre et cinq quatuors à cordes (de 1914 à 1964). FINNILÄ (Birgit), alto suédoise (Falkenberg 1931). Née dans une famille de musiciens, elle complète sa formation à la Music Academy de Londres. En 1953, elle débute à Göteborg. Elle privilégie les récitals de lieder, de Brahms et Sibelius en particulier, qu’elle chante dans le monde entier depuis 1966. Elle aborde relativement peu l’opéra, malgré ses triomphes dans l’Orphée de Gluck et le Viol de Lucrèce de Benjamin Britten. Les pages pour alto de la musique baroque lui conviennent parfaitement : dès 1968, elle triomphe à New York en chantant Bach et Theodora de Haendel. Pré-

sente à Salzbourg depuis 1973, et à l’Opéra de Paris dès 1976, elle incarne Erda dans la Tétralogie de Wagner. FINSCHER (Ludwig), musicologue allemand (Kassel 1930). Auteur d’une thèse sur Loyset Compère, il a été assistant à Kiel puis à Sarrebrück (1967), et enseigne depuis 1968 la musicologie à l’université de Francfort. Ses recherches concernent plus particulièrement Josquin Des Prés et son époque, ainsi que le classicisme viennois (Studien zur Geschichte des Streichquartetts. Von den Vorformen zur Grundlegung durch Joseph Haydn, 1974). FINZI (Graciane), femme compositeur française (Casablanca 1945). Élève d’Elsa Barraine et de Tony Aubin, elle s’est particulièrement consacrée au théâtre musical, avec notamment Avis de recherche (1981), 3 Opéras drôles (1984) et Pauvre assassin, d’après Pavel Kohout (1987), dont la création à Strasbourg en 1992 lui a valu le prix de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques. FIOCCO, famille de compositeurs belges originaire d’Italie. Pierre-Antoine (Venise v. 1650 - Bruxelles 1714). Il se fixa à Bruxelles vers 1681 comme deuxième maître de chapelle de la cour. En 1694, il fonda l’Opéra du Quaiau-Foin où il fit représenter des opéras de Lully auxquels il ajouta des prologues de sa composition. Il devint premier maître de chapelle en 1703 et fut aussi maître de chant à Notre-Dame-du-Sablon. Il écrivit surtout des oeuvres chorales sacrées : messes, motets, etc. Jean-Joseph, fils du précédent (Bruxelles 1686 - id. 1746). Il succéda à son père, dont il était l’élève, dans ses fonctions à la cour et à Notre-Dame-du-Sablon. On connaît de lui des oratorios, des répons et autres oeuvres chorales sacrées. Joseph-Hector, fils de Pierre-Antoine (Bruxelles 1703 - id. 1741). Élève de son père, il fut violoniste, puis vice-maître de chapelle à la Chapelle royale et devint maître de chapelle de la cathédrale d’Anvers (1731-1737), puis de Sainte-Gudule à Bruxelles. Dans sa musique sacrée (motets, messes, leçons de ténèbres), les

influences italienne et versaillaise, judicieusement équilibrées, participent à l’expression d’une sensibilité riche et audacieuse. J. H. Fiocco écrivit aussi des pièces de clavecin dans l’esprit français. FIORAVANTI (Valentino), compositeur italien (Rome 1764 - Capoue 1837). Il mena de pair des études littéraires, picturales et musicales, débuta au théâtre à dix-sept ans et vint se perfectionner avec Fenaroli à Naples, où Gli Inganni fortunati (1788) consolida sa renommée. Le Cantatrici villane (1799), inénarrable satire d’une représentation de patronage, mâtinée de dialecte napolitain, fit rapidement downloadModeText.vue.download 382 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 376 le tour de l’Europe (Goethe l’accueillit à Weimar sous le titre Le Virtuose ridicule) et n’a jamais quitté l’affiche. Après avoir dirigé le São Carlos de Lisbonne (18031807) et s’être fait applaudir à Paris, il rentra à Naples, mais eut la sagesse de s’effacer devant Rossini ; il accepta en 1816 un poste de maître de chapelle à SaintPierre de Rome, se consacra à la musique sacrée, et termina sa carrière lyrique avec Ogni eccesso è vizioso (1824). Malgré ses incursions dans le domaine seria, Fioravanti demeure le maître de l’opera buffa napolitain, dans lequel il introduisit non seulement le dialecte, mais également le procédé du parlé sur accompagnement musical, et, enfin, à la suite de Paisiello, l’alternance du parlé et du chanté (Raoul de Créqui, 1811, fait ainsi alterner vers et prose) imitée de l’opéra larmoyant français dont il s’inspira souvent. Par son sens aigu de la caractérisation, sa concision et la verve de ses ensembles, Fioravanti, qui suscita un véritable fanatisme de la part du petit peuple, occupa dans l’évolution du genre bouffe la place qu’occupa Mayr pour l’opera seria. Son fils Vincenzo (Rome 1799-Naples 1877) fut également un compositeur de talent. Son frère Giuseppe, ainsi que deux fils de ce dernier furent des chanteurs renommés. FIORITURE.

Ornementation, écrite ou non, ajoutée à un texte musical. Le mot, emprunté à l’italien, dérive du latin où le Moyen Âge dénommait déjà flores les artifices vocaux ajoutés au chant (Jérôme de Moravie, XIIIe s.) ; il est souvent affecté d’un sens péjoratif. FIRKUSNY (Rudolf), pianiste américain d’origine tchécoslovaque (Napajedla 1912 - Staatsburg, New York, 1994). Élève de Janacek et de Josef Suk, il se perfectionna avec Artur Schnabel à Berlin avant de se fixer en 1940 aux États-Unis, où sa carrière prit tout son essor, notamment à la Juilliard School. Interprète hors pair de Smetana, Dvořák (dont il s’appropria le Concerto pour piano), Janacek, Martinu, il excellait également dans Beethoven (dont il enregistra de façon mémorable le Concerto no 3), Schumann, Debussy. Il a rejoué dans son pays natal en 1990, après un demisiècle d’exil. FISCHER (Adam), chef d’orchestre hongrois et autrichien (Budapest 1949). Il étudie au Conservatoire de Budapest, puis avec Hans Swarowski à Vienne et Franco Ferrara à Sienne en 1970 et 1971. De 1971 à 1974, il occupe divers postes d’assistant et de chef en Autriche, avant de diriger l’orchestre d’Helsinki de 1974 à 1977, puis celui de Karlsruhe entre 1977 et 1979. De 1981 à 1984, il est directeur général de la musique à Fribourgen-Brisgau avant de se voir confier, en 1985, une nouvelle formation : l’Orchestre Haydn austro-hongrois, qui rassemble des membres de plusieurs phalanges viennoises et hongroises. Créant un Festival Haydn dans le château des Esterházy à Eisenstadt, il poursuit une carrière internationale de chef lyrique. En 1986, il dirige à la Scala la Flûte enchantée, et en 1989 fait ses débuts à Covent Garden tout en étant directeur musical de l’Orchestre de Cassel de 1987 à 1992. FISCHER (Annie), pianiste hongroise (Budapest 1914 - id. 1995). Elle étudie le piano à Budapest avec Arnold Székely et Ernö Dohnanyi et se produit en public dès l’enfance. En 1933, elle

remporte le premier prix du Concours Liszt à Budapest. Elle part pour la Suède en 1941 et ne rentre en Hongrie qu’en 1946, pour entamer une carrière internationale. Pendant les années 1947-1950, elle se produit notamment en compagnie d’Otto Klemperer. En 1965, elle est nommée professeur à l’Académie de musique de Budapest. Interprète majeure des oeuvres de Mozart, Liszt et Schumann, remarquée par Walter Legge dans les années 1960, elle enregistre chez EMI des disques qui sont des moments d’exception. FISCHER (Edwin), pianiste et chef d’orchestre suisse (Bâle 1886 - Zurich 1960). Son père était hautboïste d’orchestre et altiste dans un quatuor. E. Fischer étudia de 1896 à 1904 au conservatoire de Bâle, notamment avec Hans Huber, puis se perfectionna en piano auprès du disciple de Liszt Martin Krause et d’Eugen d’Albert au conservatoire Stern de Berlin, où il fut lui-même professeur de 1905 à 1914. Il enseigna aussi, parallèlement à sa carrière de concertiste, à l’Institut de Potsdam à partir de 1914 et au Conservatoire national de Berlin de 1931 à 1935. Également intéressé par la direction d’orchestre, il fut à la tête du Musikverein de Lübeck à partir de 1926 et du Bachverein de Munich de 1928 à 1932 ; il eut son propre orchestre de chambre avec lequel il ressuscita l’ancienne pratique de diriger l’exécution des concertos, notamment ceux de Bach et de Mozart, depuis le clavier. Il retourna en Suisse en 1942 et donna des cours de perfectionnement à Lausanne de 1945 à 1958. Comme pianiste, E. Fischer est resté célèbre par ses interprétations de Bach - il fut le premier pianiste à enregistrer l’intégrale du Clavier bien tempéré -, Mozart, Beethoven et Brahms, interprétations caractérisées par le respect du texte et son approfondissement, par la grandeur dans la méditation et la simplicité dans l’éloquence. Il écrivit des études sur Bach (1945), Beethoven (1956), et des Considérations sur la musique (Wiesbaden, 1949 ; trad. fr. Paris, 1951). FISCHER (Jan František), compositeur tchèque (Louny 1921). Élève de J. Řídký à l’Académie de musique et d’art dramatique de Prague (19451948), il milite à l’Union des compositeurs tchécoslovaques, où il est successivement

responsable de la musique de chambre (1949-1953), puis président de la section « composition ». Il se fait connaître comme compositeur de musique de film (Grand’mère automobile, 1958 ; Belle Cavalcade, la Demoiselle laide, etc.), de dessins animés (le Diable et Catherine ; Gallina Vogelbirdae, 1963 ; Marmite, bous, prix de la biennale de Venise, 1963), de scène (les Fiancés, 1956 ; Roméo, Juliette et les Ténèbres, 1962, etc.), dans la tradition de V. Trojan. Il écrit, de même, des chansons satiriques, politiques et patriotiques. Il compose, par ailleurs, essentiellement de la musique instrumentale et de chambre, dans la tradition impressionniste tchèque de J. Suk, bien qu’une oeuvre comme Sedm dopisºu (« Sept Lettres », 1971) dénote une attirance tardive vers un postsérialisme virtuose. FISCHER (Johann Caspar Ferdinand), compositeur allemand ( ? v. 1670 - Rastatt 1746). On ignore tout de sa jeunesse. En 1692, année de la naissance de son fils, il était au service du margrave de Bade à Schlackenwerth, et resta attaché à cette famille (à partir de 1716 à Rastatt) jusqu’à sa mort. Il fut un des principaux et un des premiers compositeurs à introduire en Allemagne le style instrumental issu de la suite de ballet française, mise au point par Lully. Son opus 1, le Journal du printemps (Augsbourg, 1695), comprend 8 suites d’orchestre pour ensemble de cordes à 5 parties avec trompettes. Son opus 2, les Pièces de clavessin (Schlackenwerth, 1696, rééd. sous le titre de Musicalisches Blumen-Büschlein, Augsbourg, 1699), 8 suites pour clavier dont 6 ajoutent aux quatre volets (allemande-courante-sarabandegigue) fixés par Froberger des « galanteries » (menuets, gavottes, rigaudons) à la française. Toujours pour clavier, le Musicalischer Parnassus (Augsbourg, 1738) est fait de 9 suites débutant parfois par une ouverture à la française, Ariadne musica (Schlackenwerth, 1702, puis Augsbourg, 1715), de 20 préludes et fugues dans autant de tonalités différentes, et le BlumenStrauss (Augsbourg 1732), de 8 suites relevant des divers modes ecclésiastiques, et comprenant chacune 1 prélude, 6 fugues et 1 finale. Auteur également de quelques partitions pour la scène (perdues), il fut unanimement reconnu comme un des plus grands clavecinistes de son temps, et downloadModeText.vue.download 383 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 377 son Ariadne musica fut certainement une des sources d’inspiration de J.-S. Bach pour le Clavier bien tempéré. FISCHER (Johann Christian), compositeur et hautboïste allemand (Fribourg 1733-Londres 1800). Après avoir été au service de la cour de Dresde et de celle de Potsdam, il arriva en 1768 à Londres, où il participa aux concerts Bach-Abel et épousa en 1780 la fille du peintre Gainsborough (qui fit son portrait). De 1786 à 1790, il fit des tournées en Europe, et Mozart l’entendit à Vienne en 1787 (en 1774, il avait composé sur un menuet de Fischer ses variations pour clavier K. 179). Fischer écrivit notamment dix concertos pour son instrument. FISCHER-DIESKAU (Dietrich), baryton allemand (Berlin 1925). Élève du ténor Georg A. Walter, célèbre interprète de la musique de Bach et du répertoire de lieder, il débuta en 1947 à Fribourg-en-Brisgau dans le Requiem allemand de Brahms et parut pour la première fois sur scène en 1948 à la Städtische Oper de Berlin dans le rôle de Posa de Don Carlos de Verdi. Il a mené depuis une triomphale carrière internationale dans le domaine de l’opéra comme dans ceux du concert et du récital. Sa technique remarquable lui a permis d’aborder un répertoire d’opéra étonnamment vaste pour un baryton lyrique, répertoire qui s’étend à peu près à toutes les époques et toutes les écoles, du bel canto de Haendel à l’expressionnisme de Berg et à l’écriture contemporaine en passant par Mozart (Don Juan, le Comte dans les Noces de Figaro, etc.), Verdi (Falstaff, etc.), Richard Strauss (Mandryka dans Arabella, etc.) et Wagner (Wolfram dans Tannhäuser, Amfortas dans Parsifal, Sachs dans les Maîtres chanteurs, etc.). En récital, son génie s’impose de manière incontestable non seulement dans le lied romantique allemand (Schubert, Schumann, Brahms, etc.), mais dans tout le répertoire de la mélodie : école de Vienne, école française, etc. Son art, qui relève autant de l’expression verbale que de l’expression musicale, est fait de la

restitution très fine de chaque détail des textes, consécutive à une réflexion sur leur sens profond. Esprit curieux, FischerDieskau a participé à la création mondiale de nombreuses oeuvres comme l’opéra de Frank Martin la Tempête (1956) ou le War Requiem (1962) de Britten, et il a tiré de l’oubli d’innombrables partitions : pages négligées de grands compositeurs (son monumental enregistrement de l’intégrale des lieder pour voix d’homme de Schubert témoigne de ce souci d’exhaustivité), oeuvres de musiciens de second plan. Il a abordé aussi la direction d’orchestre. Penseur et écrivain, il est notamment l’auteur d’un ouvrage sur les Lieder de Schubert (Wiesbaden, 1971 ; trad. fr. Paris, 1979) d’une exceptionnelle hauteur de vue. Il a définitivement quitté la scène en 1993. FIŠER (Lubos), compositeur tchèque (Prague 1935). Élève d’E. Hlobil au conservatoire de Prague, il assimile les enseignements essentiels de la musique sérielle et postsérielle, l’héritage spirituel de Bartók et Martinºu, les études sur les mètres variables de Blacher, les recherches sur la voix de Berio ou Xenakis, tout en demeurant fasciné par Debussy et les premières oeuvres de Boulez. Mais sa création n’est pas le reflet scolaire de ses acquis successifs. Dans les Quinze Feuillets d’après l’Apocalypse de Dürer pour orchestre (1964-65), il réalise une chaîne de brèves cellules d’une pureté graphique digne de son modèle. Dans les Caprichos pour deux choeurs (1966), inspirés par Goya, il use d’un mode ancien en six tons. Dans le Requiem pour soprano, basse, choeur et orchestre (1968), il atteint un expressionnisme dramatique intense. Ses recherches sur la voix se révèlent notamment dans les Lamentations sur la destruction de la ville d’Ur (1971), pour soprano, baryton, trois récitants et choeur d’enfants intervenant par scansion et déclamation. Dans Double pour orchestre (1970), dans Crux pour violon solo, timbales et cloches (1970), il recherche un jeu, un dialogue entre le compositeur et son interprète. Tout comme Feld et Kopelent, Fišer se refuse à utiliser les grammaires musicales contemporaines, qui n’ouvriraient pas de nouveaux horizons à la sensibilité et qui ne donneraient pas matière à de nouveaux échanges par le jeu de libres structures d’accueil pour l’interprète.

FISTOULARI (Anatole), chef d’orchestre anglais d’origine russe, (Kiev, Russie, 1907 - Londres 1995). Il étudia la musique avec son père, luimême chef d’orchestre, et fit une carrière d’enfant prodige, débutant à l’âge de sept ans à l’Opéra de Kiev en dirigeant la 6e Symphonie de Tchaïkovski. En 1929, il quitta la Russie. De 1933 à 1936, il dirigea à Paris l’Orchestre des saisons du Grand Opéra russe de Chaliapine. Il appartint ensuite (1937-1939) aux Ballets russes de Monte-Carlo, puis s’établit à Londres, où il fut notamment quelques années, à partir de 1943, principal chef de l’Orchestre philharmonique. Ce fut un interprète célèbre de la musique symphonique russe et de l’ensemble du répertoire de ballets. FLAGEOLET. Petite flûte en forme de sifflet : un petit tube aplati dirige le souffle de l’exécutant sur une ouverture en biseau qui fait vibrer une courte colonne d’air. D’une sonorité perçante et même criarde, capable de se faire entendre dans le pire brouhaha, le flageolet a régné dans les bals publics pendant plus d’un siècle. Certains modèles ont bénéficié du « système Böhm ». FLAGSTAD (Kirsten), soprano norvégienne (Hamar 1895 - Oslo 1962). Fille d’un chef d’orchestre et d’une pianiste, elle fit ses débuts à l’Opéra d’Oslo en 1913 dans le rôle de Nuri de Tiefland de D’Albert. Pendant vingt ans, elle fit une carrière modeste à Oslo, puis en Suède à Göteborg, dans un répertoire très vaste. Engagée en 1933 à Bayreuth pour les rôles secondaires d’Ortlinde de la Walkyrie et de la troisième Norne du Crépuscule des dieux, elle y revint l’année suivante chanter Sieglinde de la Walkyrie et Gutrune du Crépuscule. Ses débuts au Metropolitan de New York, en 1935, dans le rôle de Sieglinde firent sensation et la consacrèrent définitivement, la conduisant à une carrière internationale. Elle fit ses adieux officiels à la scène en 1953, mais se produisit encore en concert en 1955. Elle dirigea l’Opéra d’Oslo de 1958 à 1960. Sa voix était la réunion unique d’une puissance exceptionnelle, d’un timbre splendide, chaleureux et plutôt sombre, parfaite-

ment égal sur toute son étendue, d’une technique vocale irréprochable et d’une musicalité raffinée. Cette voix était en elle-même expressive, mais son caractère monumental et, au sens propre, extraordinaire, conduisit Flagstad à faire des héroïnes qu’elle incarnait des personnages hiératiques et surhumains. FLAMENCO. Mot espagnol à l’étymologie discutée (pourrait être le nom commun signifiant flamant, ou bien vient de flamme). Nom donné aux chants et danses populaires d’Andalousie. Le caractère du flamenco est le résultat de l’accumulation d’apports successifs ; aux sources locales probablement préhistoriques se sont ajoutées l’influence de l’émigration sumérienne, celle du plain-chant grégorien, des mélopées arabes, de la musique juive, et enfin, à partir du XVe siècle, celle des inflexions des gitans. Cette dernière a été déterminante dans la constitution du flamenco tel qu’il est connu depuis plusieurs siècles, avec son caractère vif et relativement spectaculaire, alors que la survivance des apports plus anciens nourrit une forme distincte, également propre à l’Andalousie, le cante jondo, plus poignant et secret. FLATTERZUNGE. Ce mot allemand formé du substantif Zunge (« langue ») et du verbe flattern (« voltiger ») désigne, dans le jeu des downloadModeText.vue.download 384 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 378 instruments à vent, un coup* de langue répété à une cadence très rapide, une sorte de roulement lingual qui produit un effet de trémolo. Cette technique, qui s’applique notamment à la flûte ainsi qu’à quelques autres instruments dont la trompette, semble avoir été employée dès le début du XIXe siècle, mais elle est particulièrement à l’honneur dans la musique contemporaine. FLAUTATO. Dans les instruments à cordes frottées,

technique qui consiste à promener légèrement l’archet sur la touche pour obtenir une sonorité flûtée. FLECHA (Juan Mateo, dit FLECHA L’ANCIEN), compositeur espagnol (Prades, Pyrénées-Orientales, 1481 - monastère de Poblet, près de Tarragone, 1553). Ce carme fut chantre, puis maître de chapelle à la cathédrale de Lérida (1523) et maître de musique des infantes de Castille, filles de Charles Quint. Son oeuvre comprend des pages religieuses, publiées en partie par Miguel de Fuenllana dans son Orphenica Lira (Séville, 1554), et des ensaladas à 4 ou 5 voix qui, écrites sur des textes latins, catalans, castillans, italiens ou français, rejoignent la chanson française par l’importance réservée à la mélodie, par le propos généralement descriptif et la variété de l’expression. FLECHA (Fray Mateo, dit FLECHA LE JEUNE), poète et compositeur espagnol (Prades, Pyrénées-Orientales, 1530 monastère de Portella, prov. de Solsona, 1604). Neveu de Juan Mateo Flecha et, comme lui, carme, il entra en 1543 au service des infantes de Castille. On le retrouve en Italie en 1564. Il accompagna Maria, épouse de l’empereur Maximilien II, à la cour d’Autriche, où il occupa les postes de chapelain et de chantre de la chapelle impériale (1568). En 1579, il devint abbé à Tihany en Hongrie, puis retourna en Espagne en 1599 pour finir ses jours avec le titre d’abbé au monastère de Portella. Un recueil de madrigaux à 4 et 5 voix de sa composition, dédié à Maximilien II, parut à Venise en 1568. À l’exception d’un seul texte en langue espagnole, l’ensemble est en italien et constitue un bon exemple du genre. Flecha composa également une pièce instrumentale a 5 (Harmonia), ainsi que des ensaladas parues à Prague en 1581 dans un recueil comportant aussi des oeuvres de son oncle. FLENTROP, facteurs d’orgues néerlandais du XXe siècle. Ils ont restauré plusieurs instruments historiques (Alkmaar, 1940-1949 ; Zwolle, 1953-1955) et construit des orgues en Europe et en Amérique du Nord. Les Flentrop pratiquent une facture de

tradition baroque, à traction mécanique. FLESCH (Carl), violoniste et pédagogue hongrois (Wieselburg, Moson, 1873 Lucerne 1944). Il étudia au conservatoire de Vienne avec Grün et à celui de Paris avec Sauzay et Marsick. Il donna son premier concert à Vienne en 1895, et sa carrière de virtuose prit une ampleur internationale à partir des premières années du siècle. Parallèlement, il eut une activité constante d’enseignement, notamment aux conservatoires de Bucarest et d’Amsterdam, à Berlin, où il dirigea en particulier un cours de perfectionnement à la Hochschule für Musik (1921-1923), et au Curtis Institute de Philadelphie (1924-1928). Ce fut l’un des plus grands pédagogues modernes du violon. Il compta parmi ses élèves Max Rostal, Szymon Goldberg, Ida Haendel, Ginette Neveu, Alma Moodie, Ricardo Odnoposoff, Henryk Szeryng et Bronislaw Gimpel. Il a, d’autre part, laissé plusieurs ouvrages théoriques. FLEURET (Maurice), critique musical français (La Talaudière, Loire, 1932 Paris 1990). Après des études au Conservatoire de Paris de 1952 à 1956, il devient conférencier aux J. M. F., compose des musiques de film et de scène, et écrit dans plusieurs périodiques avant de devenir chef de rubrique au Nouvel Observateur en 1964. Spécialiste des musiques nouvelles, il a dirigé de nombreux festivals de musique contemporaine (Saint-Étienne en 1968, les Semaines musicales internationales de Paris de 1968 à 1974, le festival Xenakis de Bonn en 1974) et les activités musicales du musée d’Art moderne de la Ville de Paris (de 1967 à 1977 et à nouveau depuis 1980) ; de 1977 à 1981, il est directeur artistique du festival de Lille et il a été directeur de la Musique au ministère de la Culture de 1981 à 1986 et lancé alors la fête de la Musique. Il a été en 1986 l’un des deux fondateurs de la bibliothèque Gustav-Mahler. Il a étudié aussi les traditions musicales lointaines (Afrique, Asie et Amérique latine). FLEURTIS ou FLEURETIS. Nom donné aux XVIIe et XVIIIe siècles aux procédés d’harmonisation à plusieurs voix non écrites, parfois appliqués au plain-

chant par les chantres. FLOQUET (Étienne-Joseph), compositeur français (Aix-en-Provence 1748 Paris 1785). Élève de la maîtrise de la cathédrale SaintSauveur à Aix, il remporta des succès dès l’âge de dix ans avec ses premiers motets. Il vint étudier à Paris en 1769, et son premier ouvrage lyrique, l’Union de l’Amour et des Arts, fut représenté à l’Opéra en 1773. Une Chaconne qui en était tirée fit fureur sur tous les clavecins de la capitale. En revanche, Azolan (1774) fut comparé défavorablement aux oeuvres de Gluck, qui triomphaient alors, et subit un échec. Il partit alors travailler à Naples avec Sala et à Bologne avec le padre Martini. De retour à Paris, il obtint le succès avec un ouvrage de demi-caractère, la pastorale le Seigneur bienfaisant (1780). Il voulut se mesurer de nouveau à Gluck et composa une partition sur le livret d’Alceste de Quinault, pour l’opposer à l’oeuvre de Gluck, représentée à Paris en 1776. Mais l’Académie royale refusa son ouvrage. Il s’éteignit découragé, victime d’une maladie de langueur. Cette fin prématurée priva la scène française d’un musicien doué, ayant le sens de l’action théâtrale. FLOTHUIS (Marius), compositeur et musicologue néerlandais (Amsterdam 1914). Il a étudié la musicologie, la philologie et le piano, mais est, en partie, autodidacte en composition. Il a été directeur artistique adjoint (1937-1942 et 1953-1955), puis directeur artistique (1955-1974) de l’orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam, et enseigne depuis 1974 la musicologie à l’université d’Utrecht. Parmi ses oeuvres, surtout instrumentales et influencées par Debussy, Bartók et Pijper, un Concerto pour flûte et petit orchestre (1944), Symphonische Muziek (1957), Per sonare ed ascoltare pour flûte et orchestre (1971), Canzone pour quintette à vents (1978), Cantus amoris pour orchestre à cordes (1979). C’est un spécialiste reconnu de Mozart. FLOTOW (Friedrich von), compositeur allemand (Teutendorf, Mecklembourg, 1812 - Darmstadt 1883). Il fit ses études musicales à Paris, notamment avec Reicha, et connut à partir de

1836, avec des opéras écrits sur des livrets français, ses premiers succès sur de petites scènes de notre capitale, où il devait vivre jusqu’en 1848, puis de 1863 à 1870. Le Naufrage de la Méduse (1839) le consacra définitivement. Alessandro Stradella (1844) le fit connaître en Allemagne. Martha (1847) s’imposa dans toute l’Europe comme son plus grand succès et le seul qui se fût maintenu jusqu’à une date récente. Pourtant, à Paris, l’Ombre (1870) fut en son temps considérée comme un chef-d’oeuvre. Flotow, qui fut intendant au théâtre de la cour de Schwerin de 1856 à 1863, écrivit des musiques de scène, des ballets, des mélodies, un peu de musique instrumentale, mais l’essentiel de son oeuvre est constitué par une quarantaine de partitions lyriques. Sa musique, issue downloadModeText.vue.download 385 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 379 de sa formation au sein de l’école française sous l’influence de l’opéra italien, est très habilement écrite. Elle vaut plus par la qualité de son inspiration mélodique que par sa force dramatique. FLÜGEL (all. : « aile »). Ce nom désigne en langue allemande soit un grand clavecin, soit un piano à queue, instruments dont la forme évoque celle d’une aile. Le terme se retrouve dans des noms composés comme Hammerflügel. FLÛTE. Instrument à vent de la catégorie des « bois » et, vraisemblablement, le plus ancien de tous les instruments à l’exception des percussions. La flûte est, en effet, sous sa forme primitive, un simple sifflet que la nature fournit presque tout fait : tronçon de bambou ou de roseau, os creux, etc. L’air insufflé dans ce corps sonore, en se brisant sur le bord d’une de ses deux ouvertures, suffit à le faire entrer en vibration. Bien entendu, ce sifflet n’émet qu’une note. Mais si l’on en juxtapose plusieurs, de longueurs différentes, le nombre des notes émises est multiplié d’autant ; c’est le principe de la flûte de Pan. Une autre solution consiste à percer dans le corps de l’instrument

des trous que l’exécutant bouche avec ses doigts, de manière à produire la note grave fondamentale quand tous les trous sont bouchés. Ce type de flûte est de loin le plus répandu, sous les formes les plus variées, et cela dans presque toutes les civilisations. En Europe occidentale, la flûte droite et la flûte traversière coexistent depuis le haut Moyen Âge. La vogue actuelle de la musique et des instruments anciens a réhabilité la première, appelée aussi flûte à bec ou flûte douce (flauto dolce en italien, Blockflöte en allemand, recorder en anglais). Comme l’un de ses noms l’indique, elle comporte un bec, du même bois que le tube de perce conique, qui dirige le souffle de l’exécutant sur la tranche d’un biseau. Il en existe une famille entière, de la basse au sopranino, mais l’instrument concertiste par excellence est l’alto (2 octaves du fa3 au fa5), avec un abondant répertoire illustré notamment par Bach, Telemann, Haendel et Vivaldi. La flûte traversière, dont l’embouchure est un simple trou latéral, a l’avantage d’être plus sonore et d’une plus grande étendue ; c’est pourquoi, dès le XVIIIe siècle, elle a supplanté la flûte à bec, jugée trop discrète, quand les violons eurent eux-mêmes détrôné les violes. Et c’est aussi pourquoi elle seule a bénéficié de tous les perfectionnements ultérieurs. Le plus grave défaut des « bois » en général, et de la flûte en particulier, résidait dans le fait que les doigts de l’exécutant ne pouvaient boucher qu’un petit nombre de trous, d’où la nécessité, pour obtenir les demi-tons et certaines notes aiguës, de recourir aux doigtés « en fourche », aux trous partiellement bouchés, aux demitrous et autres artifices qui ne favorisent ni la justesse ni une exécution rapide. On imagina de percer de nouveaux trous, fermés au repos par des plateaux à ressort et ouverts à volonté par pression sur une clé. Ainsi naquirent les flûtes à 1 clé (disposition qui a été conservée dans le fifre réglementaire), 4 clés et davantage. La flûte traversière que connut Bach ne descendait qu’au ré3 et ne comportait que la clé de ré dièse. La « patte d’ut » qui la prolonge d’un ton vers le grave ne fut inventée qu’un quart de siècle après sa mort. Mais il appartenait au virtuose bavarois Theobald Böhm (1794-1881) de créer la flûte moderne. Le système qui porte son nom,

et qui devait être également appliqué à la clarinette et au hautbois, n’a pas subi de modification essentielle depuis 1832. En revanche, le bois a été progressivement abandonné au profit du métal, plus sonore et plus stable (maillechort argenté, argent et même or). La « grande flûte » classique, longue d’environ 67 cm et démontable en 3 parties, est percée de 13 trous que commandent 9 clés et 6 plateaux ouverts ou fermés. Son étendue dépasse 3 octaves (de l’ut3 à l’ut6 et même au-delà pour les meilleurs instrumentistes) et son timbre pur, très caractéristique, lui permet de se faire entendre dans les formations orchestrales les plus importantes. Signalons aussi la stridente petite flûte ou « piccolo » qui sonne à l’octave supérieure, mais seulement à partir du ré, et la grande flûte alto, en sol, improprement appelée « flûte basse « ; car il existe aussi une vraie flûte basse, en ut grave, d’un usage tout à fait exceptionnel. FLÛTE. À l’orgue, famille de jeux de fond de section plus forte que les principaux, ce qui leur confère une sonorité plus douce et plus chaleureuse. Construits en métal ou en bois, les tuyaux du jeu de flûte peuvent être cylindriques, mais aussi coniques, ou bouchés et percés d’une cheminée. Au XIXe siècle, on a fait donner à certains jeux de flûte, soumis à une pression plus élevée, l’octave supérieure (flûte « harmonique » et flûte « octaviante »), et l’harmonique 3 ( ! QUINTATON). La famille des jeux de flûte s’étend du grave à l’aigu de l’instrument, et se trouve représentée dans toutes les compositions d’orgues. FOCCROULLE (Bernard), organiste belge (Liège 1953). Il étudie avec Herbert Schoonbroodt au Conservatoire de Liège, puis avec Xavier Darasse, Bernard Legacé et Gustav Leonhardt. Son intérêt pour la musique contemporaine le porte d’emblée à interpréter ce répertoire, parallèlement à son travail sur les oeuvres baroques : de 1974 à 1976, il se produit au Festival de Royan. Il joue la musique d’orgue du XVe au XXe siècle, avec une prédilection pour l’oeuvre de Bach, dont il a enregistré l’intégrale sur des orgues historiques. Il

appartient à plusieurs ensembles de musique ancienne, dont le Ricercar Consort, et consacre aussi une part importante de son activité à l’enseignement - professeur d’analyse musicale au Conservatoire de Liège, il est régulièrement invité à donner des masterclasses dans les académies d’été. En 1992, il est nommé directeur du Théâtre de la Monnaie à Bruxelles. FOERSTER (Josef Bohuslav), compositeur, pédagogue et critique musical tchèque (Prague 1859 - Vestec, près de Stará Boleslav, 1951). Fils de Josef Foerster, organiste, compositeur et théoricien slovène (Osenice 1833 - Prague 1907), et neveu d’Antonin Foerster, organiste, théoricien et chef de choeur (Osenice 1837 - Novomesto 1926), il reçut de son père une éducation musicale poussée, se révéla aussi habile peintre que musicien et écrivain, et fut témoin de la création de nombreuses oeuvres de Smetana et Dvořák en même temps que de la querelle opposant les partisans du nationalisme tchèque le plus étroit à ceux qui voulaient s’ouvrir sur l’étranger, quitte à devoir parler allemand. Foerster vécut à Hambourg, où il fut professeur au conservatoire et critique, occupa les mêmes fonctions à Vienne à partir de 1903, fréquenta Mahler et Richard Strauss. Nommé professeur au conservatoire de Prague en 1919, il en fut directeur de 1922 à 1931. Son oeuvre considérable comprend essentiellement de la musique symphonique et concertante, un peu de musique de chambre et de nombreuses compositions vocales, essentiellement des choeurs. Elle émane d’un tempérament riche, à la fois lyrique, méditatif, frôlant le mysticisme, humaniste, et capable de puissance héroïque. On lui doit le rajeunissement de la musique chorale tchèque. Dans le domaine de la recherche mélodique, harmonique et rythmique, il a permis la transition entre le romantisme patriotique et la pureté modale de l’école tchèque moderne. FOLÍA (esp. : « folie »). 1. Forme musicale très utilisée dans la musique instrumentale des XVIIe et XVIIIe siècles. Le nom original folía désigne une danse portugaise du XVIe siècle, qui s’est par la suite répandue en Espagne (d’où sa dénomination française courante de folies d’Espagne) ; elle entra dans ce dernier pays au répertoire des vihue-

listes, puis conquit l’Europe à partir du downloadModeText.vue.download 386 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 380 XVIIe siècle. Cette danse portugaise était vive et animée, et, étymologiquement, le mot folía provenait sans doute de termes tels que foliar (« se réjouir », « se divertir »). En Espagne, elle prit parfois les noms de foliada, folijones, folion, et elle apparut sous une forme instrumentale, plus rarement vocale. Comme danse théâtrale, elle fut utilisée, notamment, par Lope de Vega. Elle eut tendance à ralentir, et, lorsqu’elle se répandit à travers l’Europe au XVIIe siècle, la folía instrumentale (pour violon, viole de gambe, clavecin) fut fréquemment employée, avec une mélodie ayant fini par se figer et à laquelle devait en définitive s’attacher plus particulièrement le nom de folía ou de folies d’Espagne, comme base de variations instrumentales sur un thème de seize mesures à 3/4 ou à 3/2 ; l’exemple le plus célèbre est celui de la douzième sonate de l’opus 5 de Corelli, pour violon et continuo (1700), qui est une série de 23 variations sur une simple basse contrainte de folía (celle-ci s’était ainsi rapprochée de la chaconne et de la passacaille). Avant Corelli, elle avait été popularisée par d’Anglebert (cycle de 22 variations pour clavecin, 1689). Toujours en France, elle fut adoptée par Lully et Marin Marais. De nombreux compositeurs devaient réutiliser le thème de la folía dans les circonstances les plus diverses : Vivaldi, Pasquini, Pergolèse, D. Scarlatti, Bach (Cantate des paysans), Keiser (Der lächerliche Prinz Jodelier), Carl Philipp Emanuel Bach (variations pour clavier), Grétry (l’Amant jaloux), Cherubini (ouverture de l’Hôtellerie portugaise), Liszt (Rhapsodie espagnole), Nielsen (Maskarade), Rachmaninov (Variations sur un thème de Corelli, ce titre étant donc musicologiquement inexact). 2. Chanson populaire lyrique, synonyme de copla. 3. Danse populaire originaire des îles Canaries. FOLQUET DE MARSEILLE, troubadour provençal, d’origine italienne ( ? v.

1155 - ? 1231). D’abord marchand à Marseille comme son père, il se consacra ensuite à l’art des troubadours et devint le protégé du comte Raimon de Toulouse et du roi Alphonse II d’Aragon. Plus tard, il entra dans les ordres et se fit nommer prieur à l’abbaye du Thoronet, près de Toulon. En 1205, il fut élu évêque de Toulouse. Très convaincu par la nécessité de parer ses vers de musique, Folquet a même écrit qu’une strophe sans musique est comme un moulin sans eau. De ses trente chansons conservées, treize sont pourvues de musique. La mélodie en est ensoleillée, facile. Son art fut très apprécié de Dante, qui va jusqu’à l’accueillir dans son Paradis. FOMINE (Evstignei), compositeur russe (Saint-Pétersbourg 1761 - id. 1800). Formé à l’Académie des beaux-arts de sa ville natale, il alla ensuite se perfectionner à Bologne auprès du padre Martini et de Mattei (1782-1786). En Russie, il ne semble pas avoir occupé de poste officiel avant 1797, date à laquelle il devint répétiteur, accompagnateur et arrangeur au Théâtre impérial de Saint-Pétersbourg. Nourri d’influences étrangères, il se consacra pour l’essentiel au domaine lyrique. Son premier opéra, Boyeslav, le héros de Novgorod, sur un livret de Catherine II, fut composé et créé en 1786. Les Américains, composé en 1788, ne fut représenté qu’en 1800. Citons encore deux ouvrages posthumes, Clorinde et Milon (1800) et la Pomme d’or (1803). D’autres lui ont été attribués à tort. Son oeuvre la plus personnelle est sans doute le mélodrame Orphée et Eurydice (1792), où l’on décèle l’influence de Gluck. FOND (jeux de). Ensemble de jeux de l’orgue, par opposition aux jeux d’anche et aux jeux de mutation et de mixture. Les tuyaux à bouche qui les composent peuvent être de sections différentes, ce qui détermine quatre familles de sonorité parmi les fonds : les principaux (de taille moyenne), les gambes (de taille faible), les flûtes (de taille forte). Ces tuyaux sont ouverts ; s’ils sont fermés, la sonorité plus douce est celle des bourdons. Leur hauteur couvre toute l’étendue de l’instrument dont ils constituent la base sonore,

d’où leur nom. FONDAMENTALE. Note qui, dans l’harmonie tonale traditionnelle, engendre les autres notes d’un accord par le jeu des harmoniques dits naturels. Dans tous les systèmes musicaux, la justesse de ces harmoniques n’est qu’approximative, surtout dans le système tempéré ( ! TEMPÉRAMENT). Les notes engendrées par la fondamentale sont, théoriquement, la tierce, la quinte, la septième, la neuvième, les harmoniques plus élevés étant rarement utilisées dans l’harmonie ( ! HARMONIE). On dit qu’un accord est dans sa position fondamentale quand la note fondamentale est à la basse. On parle de basse fondamentale pour désigner la suite des notes fondamentales dans les enchaînements d’accords, ou plus précisément la suite des notes de basse, telles qu’elles deviendraient si tous les accords étaient ramenés à leur position fondamentale. FONTAINE (Pierre), compositeur français (Rouen v. 1380 - ? v. 1450). Formé dans la maîtrise de la cathédrale de Rouen, il est mentionné pour la première fois en 1404 dans les registres de la chapelle de Philippe le Hardi, dont il devint chapelain en 1415. Comme beaucoup de musiciens franco-flamands, il fit le voyage en Italie. De 1420 à 1427, il fut membre de la chapelle pontificale de Martin V. Ordonné prêtre en 1433 à la suite de son retour à la cour de Bourgogne (1428), il occupa alors les fonctions de second chapelain de 1431 à 1447. Il eut pour successeur Gilles Binchois. On n’a conservé de Fontaine que sept chansons à 3 voix et une à 4 voix (Mon doulx amy). Ces oeuvres sont sans prétention, mais aimablement tournées. J’ayme bien celui qui s’en va (3 voix) offre une mélodie particulièrement attachante. À son plaisir, volontiers serviraye est une chanson écrite pour trois voix d’hommes. FORBES (Elliot), musicologue et pédagogue américain (Cambridge, Massachusetts, 1917). On lui doit l’édition révisée et mise à jour de l’ouvrage fondamental de A. W. Thayer sur Beethoven (Thayer’s Life of Beethoven,

Londres et Princeton 1964). FORD (Thomas), luthiste et compositeur anglais ( ? v. 1580 - Londres 1648). En 1611, on le trouve au service du prince Henry, dont la mort (1612) fut une perte considérable pour la musique en Angleterre. De 1626 à la guerre civile, il fut l’un des musiciens du roi Charles Ier. Il fut enterré à Westminster. Ford fut avant tout un compositeur d’ayres et compte, après J. Dowland, parmi les meilleurs illustrateurs de cette forme. Ses chansons au luth parurent dans le premier recueil de la publication Musicke of Sundrie Kindes (1607). Elles étaient destinées soit à une voix soliste, soit à un consort de quatre chanteurs et, dans ce dernier cas, probablement sans accompagnement. Le deuxième recueil contient des duos pour deux lyra-viols (Pavans, Galiards, Almaines, Toies, Ligges, Thumpes, etc.). D’autres pièces, des danses et de la musique religieuse, sont conservées en manuscrit. Dix airs de Thomas Ford ont été publiés dans The English LuteSongs par E. H. Fellowes (Série I, Londres, 1921 ; rééd. Th. Dart, 1966). FORKEL (Johann Nikolaus), historien et théoricien allemand de la musique (Meeder, Saxe-Cobourg, 1749 - Göttingen 1818). Il entreprit ses études musicales avec le cantor de Meeder, J. H. Schultesius, puis au Johanneum de Lüneburg. Préfet du choeur de la cathédrale de Schwerin en 1767, il s’inscrivit en 1769 à l’université de Göttingen ; organiste titulaire à downloadModeText.vue.download 387 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 381 l’église de cette université en 1770, il y donna aussi des cours sur la musique à partir de 1772 et en devint le directeur musical en 1779. Jusqu’en 1815, il y dirigea les concerts hebdomadaires. N’ayant pas obtenu la succession de C.P.E. Bach à Hambourg, il resta à Göttingen jusqu’à sa mort. Forkel a laissé quelques oeuvres instrumentales, des cantates et un oratorio, mais il a été essentiellement historien et musicologue. Ses écrits sont marqués par l’historicisme et l’universalisme caractéristiques de l’esprit de l’université de

Göttingen et plus généralement du siècle des Lumières. Jugeant la musique de son temps décadente, il a tenté d’expliquer l’évolution de cet art et de définir les lois générales qui lui sont spécifiques tout en considérant que la musique participe à l’idée de progrès universel, lequel est associé à l’existence de la raison. Vérifiant méthodiquement les sources qu’il devait utiliser, Forkel a entrepris une étude systématique de la musique et affirme que son histoire n’est autre que celle de son progrès immanent. Il a été l’un des premiers à lier à cette discipline l’esthétique et la philosophie et il fut aussi l’auteur, grâce notamment à des renseignements fournis par Wilhelm Friedemann et surtout Carl Philip Emanuel, de la première monographie sur J.-S. Bach : Über J. S. Bachs Leben, Kunst und Kunstwerk (Leipzig, 1802 ; nombreuses rééd., trad. française, Paris, 1876 et 1981). S’il n’est plus reconnu aujourd’hui comme le fondateur du la musicologie moderne, on accorde cependant à Forkel un rôle éminent dans l’histoire de celle-ci en raison du caractère scientifique de sa démarche et parce que son travail bibliographique reste fondamental. Incontestablement, il influença ses élèves de Göttingen (Humboldt, Tieck, Schlegel, Wackenroder), tandis qu’il montra une incompréhension presque totale de ses contemporains (Goethe, Schiller, Kant, Hegel). FORLANE. À l’origine, danse populaire italienne de la province du Frioul. Elle se répandit ensuite dans toute l’Italie et notamment à Venise. Dès le XVIIe siècle, elle figure parmi les danses pratiquées à la cour de France. La forlane, qui est de rythme binaire (6/8 ou 6/4), se rencontre dans de nombreuses suites instrumentales du XVIIIe siècle, par exemple dans le Quatrième Concert royal de F. Couperin. La forlane est proche de la gigue. FORME. Ce mot est employé dans deux sens : un sens général s’appliquant à toute musique ; un sens particulier, celui du schéma de construction selon lequel est construite une oeuvre donnée. Dans le sens général, sa signification est semblable à celle qu’il possède dans tous les autres arts : c’est ce qui fait que l’oeuvre est perçue comme

étant quelque chose de plus (et de mieux) que le résultat du hasard, et qu’elle est plus (et mieux) que la somme de ses parties (cf. Schönberg : « La forme est tout ce qui assure la logique et la cohérence du discours musical. »). Certains compositeurs ont parfois nourri l’illusion d’une musique « sans forme » (Varèse, Cage). La discussion d’une telle idée demanderait de longs débats philosophiques. On peut aussi prétendre qu’il existe toujours une forme et qu’elle est seulement plus ou moins banale ou complexe. Dans le sens particulier, la forme désigne un schéma de construction plus ou moins élaboré, caractérisant soit une oeuvre donnée, soit tout un type d’oeuvres. Par exemple, la forme fugue, la forme sonate, la forme rondo, la forme passacaille, etc. Il faut alors faire la différence entre la forme dite d’école, qui correspond à un schéma très strict, et dont l’application est un excellent exercice pour l’étudiant en composition, mais dont le résultat est presque toujours une oeuvre seulement académique ; et la forme dite libre dans laquelle, l’esprit du schéma étant conservé, le compositeur introduit les variantes les plus originales. Par exemple, la plupart des Sonates de Beethoven sont des modèles d’une libre interprétation de la forme sonate traitée avec une géniale imagination. FORMÉ (Nicolas), compositeur français (Paris 1567 - id. 1638). Enfant de choeur à la Sainte-Chapelle, il y étudia la musique et en fut l’un des clercs à partir de 1587. Trois années plus tard, il entra comme chantre ordinaire à la chapelle du roi, avant de devenir sous-maître de chapelle à la mort de Du Caurroy (1609). Louis XIII l’admirait beaucoup et le fit nommer en 1624 abbé commendataire de l’abbaye Notre-Dame de Reclus (diocèse de Troyes). Enfin, en 1626, il devint chanoine de la Sainte-Chapelle. Nicolas Formé se voulait l’inventeur du motet à deux choeurs, genre qui allait être, plus tard, au coeur du répertoire de la chapelle royale à Versailles. Il obtint de l’éditeur Ballard que celui-ci n’imprimerait jamais d’autre musique de ce style que la sienne jusqu’à sa mort. Louis XIII aimait tant chanter la musique de Formé qu’après la disparition de celui-ci il conserva son oeuvre enfermée dans une armoire personnelle, puisque « lui seul en avoit la clef ». De cette oeuvre, il ne reste

que de la musique religieuse : une messe pour deux choeurs (à 4 et 5 voix), dédiée à Henri IV et à son fils Louis XIII, suivie d’un motet à deux choeurs Ecce tu pulchra es (Ballard, 1638). Le Cantique de la Vierge Marie selon les Tons ou Modes usités en Léglise (à 4 voix) existe en manuscrit. FORMULE. Terme employé pour désigner soit un timbre de récitation, soit, parfois péjorativement, une tournure stéréotypée : une « formule de cadence », une basse obstinée, etc. FORNEROD (Aloys), compositeur suisse (Montet-Cudrefin 1890 - Fribourg 1965). Il fit ses études à Lausanne, à Paris à la Schola cantorum et à Strasbourg avec Pfitzner. Il fut violoniste à Lausanne, puis enseigna les matières théoriques à Lausanne, Saint-Maurice et Fribourg, où il devint directeur du conservatoire en 1954. L’influence de la musique française, et principalement de Gabriel Fauré, ainsi que celle du grégorien sont présentes dans toute son oeuvre, qui comprend des pages symphoniques et concertantes, de la musique instrumentale, notamment des sonates, des pièces chorales profanes et religieuses, un opéra-comique, Geneviève (1954), et des mélodies. Quoique d’esprit néoclassique, son écriture claire et élégante présente des tournures originales. Il eut aussi une activité de critique. FORQUERAY, famille de musiciens français du XVIIIe siècle, d’origine écossaise et installée en France depuis 1548. Antoine, violiste et compositeur (Paris 1672 - Mantes 1745). Fils d’un violiste de la cour de Louis XIV, il joua à cinq ans de la viole devant le roi, dont il devint un des pages avant d’être nommé musicien ordinaire de la Chambre. Comme M. A. Charpentier, il enseigna son art au régent Philippe d’Orléans. En 1736, il se retira à Mantes où il demeura jusqu’à sa mort. La réputation d’Antoine Forqueray fut très grande. Violiste virtuose, il a laissé pour son instrument quelque 300 pièces avec basse continue. Certaines de ces pièces furent transcrites pour le clavecin par son fils Jean-Baptiste comme, par exemple, la Rameau, en hommage au maître de Dijon. C’est, selon toute probabilité, pour retourner le compliment que celui-ci baptisa la Forqueray la belle fugue des Pièces de cla-

vecin en concert de la cinquième suite, qui contient une partie de basse particulièrement travaillée. Jean-Baptiste Antoine, violiste (Paris 1699 - id. 1782). Fils d’Antoine, il fut aussi un célèbre maître de la basse de viole et succéda à son père comme musicien ordinaire de la Chambre. À partir de 1761, il fut au service du prince de Conti, jusqu’en 1776. On possède de lui trois pièces de viole, ainsi que les excellentes transcriptions citées plus haut. Michel, organiste (Chaumes-en-Brie 1681 - Montfort-l’Amaury 1757). Cousin de Jean-Baptiste, il fut maître de chapelle à Paris, à l’église Saint-Martin-des-Champs, à partir de 1703. Il occupa le poste d’orgadownloadModeText.vue.download 388 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 382 niste à Saint-Séverin de 1704 à sa mort. On ne possède aucune oeuvre de sa composition. Nicolas Gilles, organiste (Chaumes-enBrie 1703 - id. 1761). Neveu de Michel Forqueray et né comme lui dans le village d’où vint la dynastie des Couperin, il fut nommé à plusieurs postes d’organiste à la chapelle du roi Louis XV (1724), à SaintLaurent (1726), aux Innocents (1731), à Saint-Merri (1740). En 1757, il succéda à son oncle à Saint-Séverin. On ne conserve de lui que quelques airs parus dans des recueils collectifs chez Ballard. FORRESTER (Maureen), contralto canadienne (Montréal 1930). Formée à Toronto, elle débuta en concert à Montréal en 1953. Son interprétation de la Deuxième Symphonie de Mahler sous la direction de Bruno Walter, à New York en 1956, établit sa renommée. Elle a fait l’essentiel de sa carrière au concert, se partageant entre le récital de mélodies et l’oratorio. Parmi ses rares apparitions au théâtre, on peut citer son incarnation du rôle de Cornelia dans Jules César de Haendel. FORSTER (Georg), médecin, compositeur et éditeur allemand (Amberg, Bavière, v. 1510 - Nuremberg 1568).

À partir de 1521 environ, il fit partie de la chapelle de la cour de Heidelberg. Il étudia ensuite la médecine à Ingolstadt, puis à Wittenberg, et obtint en 1544 le grade de docteur de l’université de Tübingen. Il publia à Nuremberg plusieurs recueils rassemblant les oeuvres de divers compositeurs : les Teutsche Liedlein (5 vol., 1539 à 1556) comprennent 321 lieder à 4 et 5 voix, dont 38 sont de Forster lui-même ; Selectissimarum mutetarum partim 5, partim 4 v. tomus primus (1540) réunit 27 motets ; Tomus tertius psalmorum selectorum (1542) se compose de 40 psaumes, et Josquin Des Prés figure au nombre des auteurs. Le propre style de composition de Forster était nettement conservateur. FORSTER (William), facteur de violons et éditeur anglais (Brampton, Cumberland, 1739 - Londres 1808). Installé à Londres en 1759, il excellait dans la fabrication des violoncelles et livra au prince de Galles, futur George IV, trois contrebasses. Dans les années 1780, il fut avec Artaria à Vienne le principal éditeur de Haydn. Lui succédèrent dans ses affaires son fils William II (Londres ? 1764 id. ? 1824), puis les deux fils de ce dernier, William III (1788-1824) et Simon Andrew (1801-1870), qui dans son History of the Violin (Londres 1864) publia pour la première fois la plupart des documents sur les relations entre Haydn et son grandpère. FORTE (ital. : « fort »). 1. Généralement indiqué dans les partitions par l’abréviation f, ce terme est une nuance d’intensité dont le sens va de soi ; son superlatif fortissimo est très usité. 2. Au piano, on appelle souvent la pédale de droite « pédale forte ». FORTE-PIANO. Généralement indiqué dans les partitions par l’abréviation fp, ce terme désigne une attaque forte suivie immédiatement d’une nuance atténuée ou piano. FORTISSIMO. Généralement indiqué dans les partitions par l’abréviation ff, ce terme est une nuance d’intensité, et signifie « très fort ».

On peut rencontrer fff, qui correspond à une force plus grande encore. FORTNER (Wolfgang), compositeur allemand (Leipzig 1907 - Heidelberg 1987). Après des études de musique, de philosophie, de psychologie et de germanistique dans sa ville natale, il a enseigné à Heidelberg (1931), Detmold (1954), Fribourgen-Brisgau (1957), et participé aux cours d’été de Darmstadt. Excellent pédagogue, il a compté parmi ses élèves H. W. Henze, et fait beaucoup pour la musique contemporaine, notamment en organisant à partir de 1947 des concerts Musica viva. Il a flirté, après la guerre, avec le dodécaphonisme, en particulier dans sa Symphonie de 1947. Parmi ses oeuvres instrumentales, Mouvements pour piano et orchestre (1954), et Triplum pour trois pianos et orchestre (1966). Dans le domaine vocal, qui l’attire particulièrement, il a écrit Chant de naissance, sur un texte de Saint-John Perse (1958), Immagini pour soprano et 13 cordes (1966), et surtout des opéras comme Noces de sang d’après Lorca (1957), Dans son jardin Dom Perlimpin aime Belisa d’après Lorca (1962), Elisabeth Tudor (1972) et That Time, d’après Samuel Beckett (1977). FOSS (Lukas), compositeur, chef d’orchestre et pianiste américain (Berlin 1922). De son vrai nom Lukas Fuchs, il émigra avec sa famille en 1933 à Paris, où il étudia jusqu’en 1937 au Conservatoire avec Lazare-Levy (piano) et Noël Gallon (contrepoint), puis aux États-Unis. Il travailla alors au Curtis Institute de Philadelphie, puis avec Hindemith à Yale. Il devint pianiste (1944), puis assistant de Koussevitski (1946-1953) à l’orchestre de Boston. Après un séjour à Rome, il fut nommé professeur de composition à l’université de Californie à Los Angeles (1953-1963), puis directeur et chef d’orchestre de la Philharmonie de Buffalo. Dans un premier temps, il cultiva comme compositeur un style traditionnel avec une grande aisance et un certain bonheur dans le lyrisme, assimilant très bien Hindemith, Copland et Stravinski, spécialement dans ses oeuvres pour la voix (The Prairie, 1942 ; Song of Songs, « Cantique des Cantiques », 1946 ; Griffelkin, 1955). Mais, en 1957, il fonda à l’université de Californie un ensemble de chambre consacré à l’improvisation et aux pro-

blèmes de la collaboration entre compositeur et interprètes, et ce travail transforma radicalement sa pensée. Il se rapprocha d’abord du sérialisme (Time Cycle pour soprano et orchestre ou clarinette, 1960), puis s’intéressa à la forme ouverte - Élytrés pour flûte, violon, piano, harpe et percussion (1964) et Fragments d’Archiloque pour contre-ténor, récitant, choeur, mandoline, guitare et percussion (1965) - et à l’aléatoire. Il propose des combinaisons précalculées d’événements toujours notés entre lesquels, dans le cas d’Élytrés et d’Archiloque, le chef choisit (comme il choisit son point de départ et d’arrêt) une version possible. Dans le Concerto pour violoncelle (1966), c’est le soliste qui sélectionne l’un des trois accompagnements suggérés, les deux autres se combinant alors pour former le mouvement suivant. Une grande partie des oeuvres de cette période ont recours à l’électroacoustique ou à des caractéristiques électroacoustiques que Foss tente d’approcher par le biais instrumental : distorsion (Baroque Variations, pour orchestre, 1967), retour (Echoi IV), superposition de bande (Concerto pour violoncelle où le soliste lutte avec une partie de violoncelle préenregistrée). Sans doute Foss cherche-t-il, au-delà, des moyens d’expression artistique interchangeables (gestes, mots, notes) : Paradigm 68, pour percussionniste-chef, petit ensemble instrumental et bande, est presque une oeuvre de théâtre musical avec son humour qui fait penser à Kagel. Pendant de nombreuses années, Foss a travaillé dans le sens d’une musique anonyme, c’està-dire sans compositeur, d’une musique non improvisée car commandée par des règles précises, non composée car non notée comme dans Non Improvisation pour piano, percussion, violoncelle et clarinette (1967) où, selon ses termes, la « composition (est) devenue exécution ». Cela n’exclut nullement un recours à la notation traditionnelle dans d’autres circonstances, comme dans le Quatuor à cordes no 3 (1974) où la seule liberté laissée aux interprètes est de répéter certains modèles musicaux (mais peut-on répéter de manière identique ?). Dans tous les cas, Foss réclame de nouvelles relations non seulement entre le compositeur, sa musique et les interprètes, mais entre les interprètes eux-mêmes (Géod, 1969) et avec le public. Il a écrit récemment, pour downloadModeText.vue.download 389 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 383 le cinquantenaire de Tanglewood, Celebration pour orchestre (1990). FOSTER (Stephen Collins), compositeur américain (Lawrenceville, Pennsylvanie, 1826 - New York 1864). Musicien amateur, il fut autodidacte comme Ives. Planteur, il vécut à l’orée du Sud au milieu des Noirs, mais aussi sillonna les grandes villes du Nord. Il écrivit environ 200 chansons (dont beaucoup de negro minstrels) parmi lesquelles on peut citer les titres de My Old Kentucky Home, Old Black Joe, Old Folks at Home, Massa’s in the Cold Ground, Swanie Ribber. Ces oeuvres lui valurent une popularité à peine imaginable. Elles ne sont pourtant pas aussi faciles et conventionnelles qu’on le croit en Europe. Mais leur sentimentalité, où transparaît une tendre alliance avec la nature, ou bien leur fantaisie burlesque riche de vitalité primitive, sont étroitement liées aux plus profondes racines de la mentalité américaine, à la nostalgie de l’histoire du pays, de ce qui est passé et qui est perdu. FOUCQUET OU FOUQUET, famille de clavecinistes, d’organistes et de compositeurs français, actifs à Paris au XVIIe et au XVIIIe siècles. Gilles († Paris 1646) fut organiste à SaintLaurent et à Saint-Honoré. Antoine († Paris 1708) fut organiste à Saint-Josse (1658), à Saint-Eustache (1681) et à la chapelle de la reine MarieThérèse (1669). Son fils, Pierre († Paris 1735), succéda à son père à l’orgue de Saint-Eustache et à Marchand à Saint-Honoré (1707-1708). Il composa des Sonates pour violon et des Airs sérieux et à boire. Son frère, Antoine († Paris av. 1740), fut organiste à l’abbaye de Saint-Victor et à l’église Saint-Laurent. Le fils de Pierre, Pierre-Claude (Paris 1694-id. 1772), est le plus illustre représentant de la famille. Il fut organiste à l’abbaye de Saint-Victor (1758), à Saint-Honoré, à Saint-Eustache et à Notre-Dame (1761), ainsi qu’à la chapelle royale. Il publia trois livres de Pièces de clavecin, de 1749 à 1751. Ses deux fils, François Pierre Charles (Paris 1726id. 1765) et Louis Marc (Paris v. 1710-id.

apr. 1790), lui succédèrent aux claviers de l’orgue de Saint-Honoré. L’un de leurs parents, Marie Louis, fut organiste à SaintEustache. FOUET. Instrument à percussion de la famille des « bois ». Destiné à imiter le claquement du fouet, il est formé de deux chevrons de bois dur réunis par une charnière. FOURCHOTTE (Alain), compositeur français (Nice 1943). Disciple de Mario Vittoria, il remporte un premier prix de conservatoire ainsi que le grand prix de la ville de Nice. Par la suite, il se rend aux cours d’été de Darmstadt. Depuis, il se range parmi les indépendants, se dégage du mouvement postsériel, et cherche « l’utilisation maximale d’un matériau librement choisi au départ... ». Il a collaboré au Centre international de recherche musicale (1978-1983) et au festival MANCA de Nice, et enseigne depuis 1988 à l’université de cette ville. Il a écrit notamment Glyphes (La Rochelle, 1978), l’opéra de chambre Médée (1981), Sillages, concerto pour piano et orchestre (1987), Quietum pour flûte, clarinette et quatuor avec piano (1992). FOURESTIER (Louis), chef d’orchestre et compositeur français (Montpellier 1892 Paris 1976). Il commença ses études dans sa ville natale, où il travailla le violoncelle, et les acheva au Conservatoire de Paris dans les classes de Leroux (harmonie) et V. d’Indy (direction d’orchestre). Il obtint le prix de Rome en 1925 et composa par la suite des oeuvres symphoniques et un Quatuor à cordes révélant un tempérament original sachant se soumettre à une sévère discipline d’écriture. Parallèlement, ayant débuté comme violoncelliste à l’Opéra-Comique à son retour de Rome, il monta au pupitre de ce théâtre en 1927 pour diriger Cavalleria rusticana de Mascagni. Ce fut le début d’une remarquable carrière de chef d’orchestre où sa maîtrise et la clarté de son style s’exercèrent dans le répertoire lyrique le plus vaste, ainsi que dans la musique symphonique et les ballets. Il débuta en 1938 à l’Opéra, qu’il ne quitta qu’en 1965. Il enseigna la direction d’orchestre

au Conservatoire de Paris de 1945 à 1963. FOURNET (Jean), chef d’orchestre français (Rouen 1913). Il a étudié la flûte, la direction d’orchestre et la composition au Conservatoire de Paris, a commencé sa carrière comme chef d’orchestre lyrique à Rouen (1938), puis à Marseille (1940). Après avoir rempli à partir de 1941 des fonctions à la Radio de Paris, il a été, à partir de 1944, chef d’orchestre à l’Opéra-Comique et professeur de direction à l’École normale de musique, poste qu’il a assumé juqu’en 1962. Il a été, aux Pays-Bas, directeur des orchestres de Radio Hilversum (1961) et de la Philharmonie de Rotterdam (1968). Il a regagné la France pour prendre, à sa création (1973), la direction de l’Orchestre de l’Île-de-France. Son talent est particulièrement apprécié dans la musique française romantique et impressionniste. Il devait conserver ce poste jusqu’en 1982. FOURNIER (Pierre), violoncelliste français (Paris 1906 - Genève 1986). Il a fait ses études au Conservatoire de Paris où il a ensuite été professeur de 1941 à 1949. Sa brillante carrière internationale l’a vu apparaître aussi bien en récital dans les Suites pour violoncelle seul de Bach que dans le répertoire des grands concertos romantiques et postromantiques et dans la musique de chambre, qu’il a pratiquée notamment avec le violoniste Josef Szigeti, le pianiste Artur Schnabel et l’altiste William Primrose. Il a consacré une part importante de son activité à la musique du XXe siècle (Bloch, Martinºu, etc.). C’est un des plus grands violoncellistes de notre temps par la beauté de la sonorité et la profondeur de la musicalité. FOURNITURE. Jeu de mixture de l’orgue, composé, dans un nombre et un agencement variant avec les factures, de plusieurs tuyaux par note, sonnant en octaves et en quintes par rapport au son fondamental ; la fourniture peut ainsi compter quatre à dix rangées (ou « rangs ») de tuyaux, soit autant de tuyaux par note. Associée à la cymbale, plus aiguë, elle constitue le plein-jeu. FOX-TROT.

Danse originaire d’Amérique du Nord, où elle apparut vers 1910. Mouvement de marche modéré, à 4/4, mais fortement syncopé. Plusieurs compositeurs d’opérette l’ont utilisé entre 1920 et 1940, ainsi que Ravel dans l’Enfant et les sortilèges (épisode de la théière). FRAMERY (Nicolas-Étienne), compositeur, écrivain et théoricien français (Rouen 1745 - Paris 1810). Auteur notamment de l’opéra-comique la Sorcière par hasard (1768), dont la représentation lui valut d’être nommé surintendant de la musique du comte d’Artois (futur Charles X), de nombreux livrets et articles et d’un Mémoire sur le Conservatoire de musique (1795), il fit paraître une Notice sur Joseph Haydn... contenant quelques particularités de sa vie privée, relatives à sa personne ou à ses ouvrages (Paris 1810). Il avait tiré pour cette brochure la plupart de ses informations de la bouche d’un des principaux élèves de Haydn, Ignaz Pleyel, établi à Paris depuis 1795 : elle contient beaucoup d’affabulations et d’anecdotes déformées, ce que ne manqua pas de relever Georg August Griesinger, auteur lui-même d’une biographie de Haydn (Leipzig 1809-10). FRANÇAIX (Jean), pianiste et compositeur français (Le Mans 1912). Son père, Alfred Françaix, était directeur du conservatoire du Mans et sa mère diridownloadModeText.vue.download 390 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 384 geait une chorale. Il est donc élevé dans la musique et, très précoce, signe sa première oeuvre pour piano (Pour Jacqueline) à l’âge de neuf ans. 1921 est l’année de la mort de Saint-Saëns. Très ému, l’enfant rassure son père en affirmant qu’il remplacera le maître disparu ! Il commence à travailler la composition avec Nadia Boulanger en 1922. Puis il entre au Conservatoire de Paris (1926) dans la classe de piano d’Isidore Philipp. Il obtient son premier prix en 1930 et s’engage dans la carrière d’accompagnateur à travers la France. Mais l’essentiel de son activité

est la composition, où il révèle une sûreté d’écriture qu’il met au service d’un style très personnel. En 1932, âgé de vingt ans, il présente une Symphonie qui provoque une tempête de protestations (Françaix la retirera de son catalogue). Puis, avec une facilité déconcertante, avec beaucoup de grâce, d’élégance, souvent de l’humour et toujours une grande maîtrise technique, il écrit des pages de musique instrumentale, symphonique, concertante (dont un Concerto pour piano de 1936, peut-être son oeuvre la mieux connue), des mélodies, de nombreux ballets toujours fort bien accueillis et dont certains sont représentés à l’Opéra de Paris. Il aborde le théâtre lyrique avec une oeuvre comique pour ténor, basse et petit orchestre, le Diable boiteux, créée chez la princesse de Polignac en 1938. Dans ce domaine, son oeuvre maîtresse reste la Princesse de Clèves (Rouen, 1965). Dans sa musique de chambre, les mouvements sont souvent très courts, pétillants de vitalité, d’une écriture brillante qui prise les tempos rapides (Trio à cordes, 1933). Il a signé plusieurs musiques de film, collaborant notamment avec Sacha Guitry (Si Versailles m’était conté, 1953). FRANCESCATTI (René, dit Zino), violoniste français (Marseille 1902 - La Ciotat 1991). Issu d’une famille de musiciens, il commença l’étude du violon à cinq ans, se produisit en public très jeune, mais fit ses vrais débuts en concert à Marseille en 1918. Il se fit entendre pour la première fois à Paris en 1924, après avoir compté parmi ses maîtres Jacques Thibaud, ce qui le rattache à l’école franco-belge. À partir des années 30, il jouit d’une renommée mondiale. Son jeu étincelant le fit apprécier tout particulièrement dans le répertoire romantique. FRANCESCO DA MILANO (Francesco CANOVA, dit), luthiste et compositeur italien (Monza, Lombardie, 1497 - ? probablement 1543). On le trouve en 1510 à Mantoue, où il travaille le luth avec Angelo Testagrossa, protégé d’lsabella d’Este, fille d’Hercule Ier de Ferrare. En 1530, Francesco est au service du cardinal Hippolyte de Médicis ; en 1535, il est à Rome et accompagne en 1538 le pape Paul III au concile de Nice. Là, le roi François Ier l’entend jouer du

luth et l’applaudit avec beaucoup d’enthousiasme. Francesco da Milano est l’auteur du premier ricercar pour le luth qui ait été conservé. En dehors de ses transcriptions de chansons et de motets d’autres compositeurs (Clément Janequin, Claudin de Sermisy), furent publiés à Venise, entre 1536 et 1547, sous le titre Intabolatura de liuto de diversi, con la bataglia, et altre cose bellissime, des pièces originales pour luth, des ricercari, et des fantaisies qui révèlent un art remarquable de conduire les voix ainsi qu’une grande variété thématique. Il composa également des pièces libres réclamant de l’exécutant une extrême virtuosité. On ne trouve aucune danse dans les pièces publiées. Son style est un heureux mélange de l’art savant du contrepoint hérité des Franco-Flamands et d’un goût typiquement italien pour le stvle de l’improvisation (modo di diminuire). Ses oeuvres, toujours d’une grande clarté d’écriture, comptent parmi les plus belles de toute la littérature du luth. FRANCHETTI (Alberto), compositeur italien (Turin 1860 - Viareggio 1942). Issu d’une famille noble et aisée, il étudia, malgré l’interdit paternel, à Turin, Venise et Dresde, s’imprégnant d’une culture germanique qui transparaît clairement dans sa Symphonie en « mi » mineur (1886) et dans son opéra Asraël (1888), dont son père se décida alors à financer une somptueuse production qui fit le tour du monde. Verdi le signala aux Génois, qui lui attribuèrent la commande officielle de l’opéra Cristoforo Colombo (1892), où l’épopée s’effaçait souvent derrière la peinture des sentiments de Colomb. Une même attitude vériste se retrouve dans Germania (1902), cependant que Franchetti laissait libre cours à son tempérament de symphoniste dans ses poèmes orchestraux Loreley et Nella Silva nera. D’Annunzio révisa à son intention sa Figlia di Jorio (1906), oeuvre dans laquelle le musicien voulait revenir « à la pure mélodie italienne ». Des ouvrages mineurs suivirent, et, après avoir assumé quelque temps la direction du conservatoire de Florence, Franchetti quitta la vie musicale en 1928. Plus proche de Boito, Catalani ou Smareglia que des véritables auteurs véristes, Franchetti a sans doute manqué d’une inspiration musicale à la hauteur de ses ambitions philosophiques et de sa

science d’écriture. FRANCHOMME (Auguste), violoncelliste et compositeur français (Lille 1808 Paris 1884). Après avoir remporté en 1826 un premier prix de violoncelle au Conservatoire de Paris dès sa première année d’études dans cet établissement, il fit partie de divers orchestres parisiens et fut professeur au Conservatoire de 1846 à sa mort. Ami de Chopin, il donna à ce dernier des conseils sur l’écriture pour le violoncelle, et Chopin lui dédia sa Sonate pour violoncelle et piano. Franchomme écrivit un certain nombre de pièces pour violoncelle seul ou pour violoncelle et orchestre, ainsi que des transcriptions. FRANCISCUS (Magister), musicien français de la seconde moitié du XIVe siècle, encore mal identifié actuellement. On lui attribue essentiellement deux ballades à 3 voix figurant dans le manuscrit de Chantilly : Phiton, Phiton beste tres venimeuse et De Narcisus, qui semble avoir été une pièce très connue. Le style de ces oeuvres est proche de celui de Guillaume de Machaut. FRANCISQUE (Antoine), luthiste et compositeur français (Saint-Quentin v. 1570 - Paris 1605). Quoique sa notoriété n’ait pas été grande de son vivant, il tient une place importante sur le plan historique par l’existence de son livre de tablatures le Trésor d’Orphée, publié à Paris chez Ballard en 1600 et accompagné d’un texte de commentaires théoriques. Les 71 pièces, surtout des danses, qui composent cet ouvrage constituent, avec les oeuvres du contemporain de Francisque, J.-B. Bésard, une étape essentielle de la littérature française pour le luth. FRANCK (César-Auguste), compositeur français (Liège, Belgique, 1822 - Paris 1890). Fils d’un modeste employé de banque désirant faire de lui un pianiste virtuose à l’égal de Liszt, César Franck a d’abord étudié à l’École royale de musique de Liège avant de venir, au début de 1835, à Paris, où, après avoir suivi les cours de Reicha

et Zimmermann, il entre dans la classe de piano de ce dernier au Conservatoire en même temps que dans celle de Leborne pour la fugue et le contrepoint. Dès 1838, il obtient un « grand prix d’honneur » de piano, jamais décerné jusque-là. Il obtiendra encore un prix de fugue (1840) et d’orgue (1841, classe de Benoist). Pressé par son père de donner des concerts, il quitte cependant le Conservatoire en 1842 et se produit en de nombreuses villes de Belgique et d’Allemagne, puis à nouveau à Paris. Pour ces concerts, il compose de nombreuses pages de virtuosité imposées par son père, telles que Ballade, Fantaisie, Duos à quatre mains (sur le « God save the King » ou des airs tirés d’opéras en vogue) ; il écrit également des oeuvres pour piano et violon (Andante quietoso) downloadModeText.vue.download 391 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 385 qu’il interprète avec son frère Joseph, élève de Habeneck et de Le Couppey. Au-delà de cette production virtuose, le « vrai » Franck doit être cherché dans quelques oeuvres personnelles, écrites à l’insu de son père : les trois Trios de 1839-1842 notamment, dédiés au roi des Belges, et où déjà s’affirme - en particulier dans le premier en fa dièse - le principe cyclique cher au musicien ; ou encore l’églogue biblique Ruth (1844-45) créée Salle Érard en 1846 devant un parterre de personnalités (Liszt, Meyerbeer, Spontini, Moscheles, Pixis). Ce sera le dernier succès de jeunesse de Franck. À partir de cette époque, en effet, les tensions s’exacerbent dans ses relations avec son père, ce dernier refusant de donner son consentement au mariage de César avec une de ses élèves, Félicité Desmousseaux, mariage qui sera célébré en 1848. Toutefois, coupé désormais de son père, qui était jusque-là son imprésario, Franck va être obligé de mener une vie besogneuse, employant, pour vivre, tout son temps soit à courir le cachet (douze concerts comme accompagnateur, essentiellement à Orléans, jusqu’en 1863, payés 80 francs en 1845, 100 francs en 1856, 120 en 1859), soit à donner des leçons de piano à 1,50 ou 2 francs la demiheure (chez lui, 69, rue Blanche, ou dans divers collèges parisiens), soit enfin à tenir l’orgue : d’abord à Notre-Dame-de-Lorette (1845), puis à Saint-Jean-Saint-Fran-

çois-du-Marais (1853). Ce dernier poste aura au moins l’avantage de lui faire toucher un instrument révolutionnaire, un orgue symphonique, oeuvre de CavailléColl - un des premiers du célèbre facteur -, dont Franck va devenir bientôt à la fois l’ami et le faire-valoir. Cette époque est à peu près vide de créations proprement dites : quelques mélodies, un opéra-comique écrit, cette fois, sous la pression de sa femme, fille d’acteurs, le Valet de ferme, demeuré inédit et qui lui coûtera deux ans d’efforts vains (1851-1853). Mais c’est pour le musicien un temps de repliement sur soi, de réflexion, de mûrissement intérieur dont l’épanouissement viendra peu après, lorsque Franck sera nommé en 1858 organiste de Sainte-Clotilde à Paris. À partir de là, son génie va peu à peu se former, éclore, s’élever. Pour honorer ses fonctions et son public de fidèles, Franck va d’abord composer quelques oeuvres religieuses : Messe solennelle, Andantino pour orgue, 3 Motets de 1858, 3 Antiennes pour grand orgue de 1859, Messe à 3 voix de 1860 qui débouchent sur les magnifiques 6 Pièces pour le grand orgue de 1860-1862. Ces dernières, par leur facture révolutionnaire (forme très structurée, le plus souvent en triptyque), leur écriture savante, leur langage pénétré de ferveur (Prière, Pastorale), même si l’influence du siècle reste parfois encore perceptible (dans la Grande Pièce symphonique ou dans Final), sonnent le réveil de l’orgue religieux en France et annoncent les symphonies pour orgue des successeurs de Franck (Vierne, Widor, notamment). À partir de cette date, le musicien est devenu lui-même et n’écrira que des chefsd’oeuvre arrachés au temps et plus encore à ses fonctions qui le harcèlent. Sous le choc de la défaite de Sedan, en effet, quelques admirateurs et élèves de Franck ont fondé la S. N. M. (Société nationale de musique), dont la devise, « Ars gallica », est tout un programme : faire jouer la musique française ; susciter des oeuvres de compositeurs français. Nommé en 1872 professeur d’orgue au Conservatoire, Franck va dès lors attirer près de lui nombre de jeunes compositeurs (d’Indy, Duparc, Chausson, etc.) qui, formant la célèbre « bande à Franck », feront sortir leur professeur de l’anonymat et l’obligeront ainsi à se manifester par des oeuvres nouvelles. À partir de 1872, Franck va donc poursuivre parallèlement une triple

carrière : de professeur (au Conservatoire), d’organiste (à Sainte-Clotilde), de compositeur. Chaque année, ou presque, verra désormais l’éclosion d’une oeuvre majeure, composée le plus souvent pendant les vacances d’été : ainsi, en 1878-79, le Quintette qui marque pour la musique de chambre en France une renaissance préparée par Lalo et Saint-Saëns et pour Franck lui-même le début d’une période créatrice intense, chaque fois renouvelée dans son approche et approfondie dans son essence. Ainsi naîtront des oeuvres majeures telles que les poèmes symphoniques le Chasseur maudit (1882), les Djinns (1884) et Psyché (1887-88), Prélude, choral et fugue pour piano (1884), les Variations symphoniques pour piano et orchestre (1885), l’admirable Sonate pour piano et violon (1886), Prélude, aria et final (1886-87), la Symphonie en « ré » mineur (1886-1888), le Quatuor à cordes (1889), enfin les Trois Chorals (1890) qui seront sa dernière oeuvre et son testament de compositeur pour orgue. L’influence de Franck, artiste d’une absolue sincérité et d’une très grande probité, s’est développée sur trois plans : il s’est d’abord imposé comme rénovateur de la musique de chambre. À une époque où la France tourne ses regards essentiellement vers la scène, il montre qu’il peut y avoir plus de musique dans un Quintette ou dans un Quatuor que dans un opéra tout entier. De là son langage hérité de Beethoven et Schumann, parfois marqué par Wagner dans ses oeuvres symphoniques. De là également la forme, extrêmement charpentée, avec une prédilection pour le cadre ternaire. De là surtout ce procédé de la forme cyclique, déjà totalement contenu dans le Trio en « fa » dièse de 1842 (écrit à vingt ans) et qui, par la résurgence des thèmes de l’un à l’autre mouvement et leur superposition dans le volet final, donne à ses compositions une solide architecture et une très grande unité. De là enfin l’écriture extrêmement mouvante et chromatique où dominent de riches modulations qui sont autant d’éclairages nouveaux apportés au discours. L’influence de Franck a été prépondérante également dans le domaine de l’orgue. Tandis que maints titulaires de tribunes se contentaient d’« orages » ou de « fantaisies sur des airs d’opéra », il remet l’orgue sur le chemin de l’église et de la

prière. À cet égard, ses trois recueils sont exemplaires : avec les Six Pièces de 1862, il a renouvelé l’esthétique de l’instrument (écriture, forme) et se montre précurseur de la symphonie pour orgue ; avec les Trois Pièces de 1878, écrites pour l’inauguration de l’orgue Cavaillé-Coll de l’ancien Trocadéro, il démontre les possibilités symphoniques pures qui font de son instrument un rival de l’orchestre (d’où les titres « profanes » de ce recueil : Fantaisie en la mineur, Cantabile en si, Pièce héroïque où le compositeur joue avec maîtrise du contraste de deux thèmes). Avec les ultimes Trois Chorals de 1890, enfin, Franck propose une fusion du choral de style allemand et du lyrisme grégorien, mais aussi du chromatisme hérité de Wagner et du contrepoint traditionnel. Il offre ainsi une immense synthèse de tout ce qui avait été écrit avant lui. Son influence, enfin, se marque par le mouvement spirituel qu’il a su créer autour de lui, ses élèves étant devenus ses amis ; la « bande à Franck » groupera bon nombre des meilleurs musiciens français de l’époque. Même lorsqu’il suscita chez ses successeurs des réactions contraires à sa propre esthétique, la « manière » de Franck se perçoit encore chez eux : ainsi dans leurs Quatuors, Debussy et Ravel se souviendront-ils de la forme cyclique. En fait, et au-delà de la pure beauté des oeuvres qu’il laisse, où ce grand sentimental se raidit afin d’épurer son message, Franck n’aura cessé, toute sa vie, directement ou indirectement, d’être un exemple. Sans doute a-t-il payé à son siècle cent fautes de goût en raison de sa culture assez rudimentaire et de cette naïveté parfois déconcertante qui le fit surnommer, mais abusivement, « Pater Seraphicus « : abusivement, car ce chaste est un violent sensuel que maintes partitions révèlent. Mais derrière les plus grands chefsd’oeuvre - le Quintette, Prélude, choral et fugue, Psyché, les Trois Chorals -, un homme s’affirme, passionné, vrai, et tourné vers les plus hauts sommets. Toute son oeuvre est la narration de cette conquête volontaire durement, mais pleinement, assumée. downloadModeText.vue.download 392 sur 1085

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FRANCK (Melchior), compositeur allemand (Zittau, Saxe, v. 1580 - Cobourg 1639). Il commença à étudier la musique dans sa ville natale et vécut successivement à Augsbourg, où il fut chantre, à Nuremberg, et à Cobourg où il fut maître de chapelle de 1603 à sa mort. Son oeuvre, qui comprend principalement des lieder polyphoniques et des danses conçues pour toutes sortes d’instruments, se situe dans la lignée de la musique polyphonique du XVIe siècle, mais révèle également l’influence de la musique italienne et celle des mélodies populaires. Parmi ses publications, on peut citer ses Newe Pavanen, Galliarden und Intraden (Cobourg, 1603), 4 volumes de Sacrae Melodiae (1601, 1604, 1605, 1607), 4 volumes de Laudes Dei vespertinae (Cobourg, 1622), le Paradisus musicus (1636) ; 2 volumes de Deutsche weltliche Gesäng und Täntze (Cobourg, 1604, 1605), ainsi que les Viertzig neue deutsche Täntze, avec instruments (1623). FRANCOEUR, famille de musiciens français. Joseph (Paris v. 1662 - id. v. 1741). Il appartint aux Vingt-Quatre Violons du roy. Louis (Paris v. 1692 - id. 1745), fils du précédent. Élève de son père, il fut à la tête des Vingt-Quatre Violons du roy à partir de 1717. Il a laissé deux livres de Sonates pour violon seul et basse. François. Violoniste, compositeur et chef d’orchestre (Paris 1698 - id. 1787). Fils de Joseph. Élève de son père, il entra à quinze ans dans l’orchestre de l’Opéra. Après avoir publié un 1er Livre de sonates à violon seul et basse continue (1720), il séjourna à Vienne et Prague et s’y produisit en soliste. Rentré en France en 1725, il donna avec François Rebel des duos de violons au Concert spirituel et signa avec lui son premier opéra, Pyrame et Thisbé, représenté avec grand succès à l’Académie royale de musique en 1726. Il fut nommé en 1727 compositeur de la Musique de la chambre du roi et publia un 2e Livre de sonates après 1730. Nommé chef d’orchestre à l’Opéra en 1733, il dirigea la première oeuvre lyrique de Rameau, Hippolyte et Aricie. Il fut, avec son inséparable ami Rebel, promu en 1743 inspecteur de l’Académie royale, puis directeur de 1749 à 1753 et

de 1757 à 1766. Ils accueillirent à l’Opéra Zoroastre de Rameau, mais aussi la troupe italienne qui fut à l’origine de la Querelle des bouffons. Durant la seconde période de leur direction, ils créèrent en particulier plusieurs oeuvres de Dauvergne. Des intrigues consécutives à l’incendie de la salle du Palais-Royal en 1763 les incitèrent à démissionner. Entre-temps, toujours avec Rebel, Francoeur avait composé une dizaine d’ouvrages lyriques et de ballets. Louis-Joseph. Compositeur et chef d’orchestre (Paris 1738 - id. 1804). Neveu et élève de François Francoeur, il fut nommé en 1762 surintendant de la Musique du roi et fut de 1767 à 1780 chef d’orchestre à l’Opéra, où il dirigea de nombreuses premières dont celles d’Iphigénie en Aulide, Orphée et Eurydice, Alceste et Armide de Gluck. Choisi en 1791 comme régisseur général de l’Opéra, et en 1792 comme directeur, avec Cellerier, pour une durée de trente ans, il devint suspect l’année suivante et fut arrêté. Libéré après le 9-Thermidor, il abandonna toute activité. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages lyriques (dont seul Lindor et Ismène, en 1 acte, 1766, fut représenté), d’oeuvres pour violon et d’un traité d’instrumentation, Diapason général de tous les instruments à vent. FRANCO-FLAMANDE (musique). Le terme de musique franco-flamande est couramment utilisé par les musicologues pour désigner le vaste foyer où se développa la polyphonie vocale, profane et religieuse, après la période de l’Ars nova et avant l’ultime floraison de la Renaissance, c’est-à-dire à la fin du XIVe et durant presque tout le XVe siècle. Géographiquement, ce foyer se confond avec le duché de Bourgogne, fondé en 1363 lorsque Jean le Bon en donna la possession à son fils Philippe le Hardi, et agrandi en 1430 par l’annexion des provinces septentrionales. Le duché perdit son existence politique en 1482, avec le rattachement de la Bourgogne à la couronne de France, tandis que les Flandres passaient à l’empire. Mais il avait constitué, un siècle durant, une zone d’influences et de rayonnement artistique intense entre le royaume de France et les possessions germaniques. Pour bien saisir ce que signifie cette expression de musique « franco-flamande », il faut la rapprocher d’une réalité histo-

rique, celle de la guerre de Cent Ans. Pendant cette période, en effet, la vie créatrice avait reflué des régions occidentales, où se déroulaient les combats, vers le duché de Bourgogne, où les arts étaient largement favorisés en de nombreuses villes, de Dijon à Anvers, en passant par Cambrai ou Arras, Saint-Quentin ou Bruges. Chapelles ducales et service des églises accueillaient les musiciens, que les princes emmenaient d’ailleurs dans leur suite lors de leurs nombreux déplacements, suscitant ainsi de fructueux échanges artistiques. Poètes-musiciens vivant à l’ombre des églises, parfois prêtres eux-mêmes, ces compositeurs circulent souvent beaucoup, menant une véritable carrière internationale, comme Brumel. Certains s’en vont même jusqu’en Italie du Nord, dans des centres tels que Milan ou Ferrare (Obrecht y est mort). Lorsqu’ils écrivent des chansons polyphoniques profanes, c’est en langue française - la langue que parlent la plupart d’entre eux -, ce qui les rattache à la tradition de l’Ars nova. Mais ils n’en sont pas moins et avant tout hommes des provinces du Nord ; leur attrait pour l’emploi d’une polyphonie complexe dans la musique religieuse va faire progresser considérablement l’écriture contrapuntique savante, qui va ensuite se répandre par toute l’Europe du XVIe siècle. À la fin du XVe siècle, en effet, lorsque finit la guerre de Cent Ans, le style religieux de la musique franco-flamande prend ses distances d’avec celui du gothique français pour s’européaniser, en même temps qu’il perdra de sa sévérité et du caractère de jeu savant, raffiné mais abstrait, qu’il avait fini par revêtir. À la musique franco-flamande se rattachent les principaux musiciens suivants : Gilles Binchois (Mons v. 1400-Soignies 1460), Guillaume Dufay ( ? v. 1400-Cambrai 1474), Anthoine Busnois (Busne ?-Bruges 1492 ?), Johannes Ockeghem (Flandres v. 1425-Tours v. 1495), Josquin Des Prés (Picardie v. 1440-Condésur-Escaut 1521 ?), Jacob Obrecht (Bergop-Zoom 1450-Ferrare 1505), Loyset Compère( ? v. 1450-Saint-Quentin 1518). Si la notion de « musique franco-flamande » demande à être précisée et utilisée avec discernement, celle d’»école franco-flamande », parfois employée, ne

recouvre quant à elle aucune réalité historique ni artistique, du fait de la multiplicité des centres musicaux et de la diversité des compositeurs qui s’y rencontrent. FRANÇOIS (Samson), pianiste français (Francfort-sur-le-Main, Allemagne, 1924 - Paris 1970). Il commença ses études de piano en Italie et donna son premier concert à l’âge de six ans aux côtés d’un orchestre dirigé par Mascagni. Il étudia ensuite aux conservatoires de Belgrade et de Nice, à l’École normale de musique de Paris avec Yvonne Lefébure (1936-1938) et au Conservatoire de Paris dans la classe de Marguerite Long. En 1941, il donna son premier concert public à Paris, interprétant le Premier Concerto de Liszt. En 1943, il remporta le premier prix du premier concours Long-Thibaud et commença tout de suite après la guerre sa carrière internationale. Interprète véritablement inspiré, au toucher d’une variété infinie, aussi capable de grâce que de puissance, de délicatesse que de brusquerie, il s’est illustré notamment dans les oeuvres de Chopin, Schumann, Liszt, Debussy et Ravel. Il composa un Concerto pour piano et orchestre (1951) et des pièces pour piano. FRANCON DE COLOGNE, théoricien et compositeur allemand du XIIIe siècle. Il écrivit, peut-être vers 1280, l’Ars cantus mensurabilis, où il expose les principes downloadModeText.vue.download 393 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 387 du nouveau système de notation mesurée, dite aujourd’hui franconienne, grâce auquel l’exécution simultanée et rigoureuse de plusieurs parties, aux rythmes différents, devenait possible. Une nouvelle méthode précise de notation se révélait en effet nécessaire, du fait que les anciens modes rythmiques s’appliquaient avec de moins en moins de rigueur. L’influence de Francon fut très grande jusqu’au XVIe siècle, son traité souvent copié et commenté. Francon, qui était praeceptor de la Maison de l’ordre de Saint-Jean à Cologne, avait travaillé à Paris, ce qui fit croire à l’existence d’un Francon de Paris. Il fut un compositeur estimé, mais on ne

connaît de lui qu’un motet à 3 voix (Homo miserabilis). FRANZ (Robert), compositeur allemand (Halle 1815 - id. 1892). De son vrai nom Robert Knauth, issu d’une famille de riches commerçants, il ne put faire qu’à l’âge de vingt ans des études musicales sérieuses, qu’il mena à Dessau de 1835 à 1837. De retour à Halle, il végéta jusqu’en 1841 : nommé organiste de la Ulrichskirche, et en 1842 chef de la Singakademie, il publia en 1843 son premier recueil de douze lieder pour chant et piano, qui attira aussitôt l’attention de Schumann, puis de Mendelssohn, de Liszt et de Wagner. Il écrivit quelque 350 lieder jusqu’en 1858, date à laquelle sa surdité l’obligea à renoncer à la composition ainsi qu’à la charge de directeur de la musique à l’université qu’il occupait depuis 1851. Les vingt dernières années de sa vie auraient été difficiles sans l’aide généreuse de ses amis et admirateurs, au premier rang desquels Liszt joua un rôle déterminant. Franz publia encore des transcriptions d’oeuvres de son compatriote Haendel et de J.-S. Bach. À part quelques oeuvres religieuses pour choeur, sa production originale consiste uniquement en ses lieder, tous écrits pour mezzo-soprano. À l’image de la modestie et de la pudeur de Franz, ils n’ont guère d’ampleur, de développement. Mais l’invention mélodique, même tenue volontairement dans un étroit carcan, est variée, pleine de charme. L’écriture, claire et élégante, est exactement adaptée aux textes, choisis avec soin (Goethe, Heine, Eichendorff, Lenau, Osterwald, etc.). Certaines de ces pièces, malgré leur dimension réduite, atteignent à la grandeur : Die Lotosblume (la plus achevée aux yeux du compositeur), Mutter, o sing mich zur Ruh, Bitte, Wonne der Wehmuth. FRÉDÉRIC II LE GRAND, roi de Prusse, compositeur et flûtiste amateur (Berlin 1712 - Sans-Souci, Potsdam, 1786). Il étudia la musique avec G. Hayne, organiste de la cathédrale de Berlin, et travailla ensuite la flûte avec J. J. Quantz et la composition avec C. H. Graun. En 1732, il forma un orchestre privé dans son château de Rheinsberg. Devenu roi en 1740, il rassembla autour de lui de nombreux artistes et musiciens dont J. G. Graun, Chr. Nichelmann, Quantz, Fr. Benda et

Carl Philipp Emanuel Bach. Il constitua un orchestre et fit construire un Opéra, inauguré en 1742 avec Cesare e cleopatra de C. H. Graun. En 1747, lors de la visite de J.-S. Bach à Potsdam, il proposa au musicien un thème d’improvisation que celui-ci reprit ensuite dans son Offrande musicale, dédiée à Frédéric II. Le roi composa lui-même de la musique d’orchestre, dont quatre Symphonies, quatre Concertos pour flûte et cordes, 121 Sonates pour flûte et clavecin, trois cantates profanes, ainsi que des airs d’opéras insérés dans les ouvrages de Graun, Nichelmann, Hasse, etc. Il écrivit également des livrets d’opéras et des pièces de théâtre. FREIRE (Nelson), pianiste brésilien (Boa Esperanza 1944). Il commence l’étude du piano à l’âge de trois ans et travaille avec N. Obino et L. Branco. En 1957, il est lauréat du Concours international de Rio de Janeiro et part pour Vienne étudier avec Bruno Seidlhofer. En 1964, il remporte le 1er Grand Prix du Concours Vianna da Motta et, à Londres, les médailles d’or Dinu Lipatti et Harriett Cohen. Il s’est produit dans le monde entier, sous la direction de chefs tels que Jochum, Maazel, Dutoit, Boulez, Previn, etc., et joue régulièrement en duo avec Martha Argerich. FREITAS (Frederico de), compositeur et chef d’orchestre portugais (Lisbonne 1902 - id. 1980). Élève du conservatoire de Lisbonne dans les classes de piano, violon, harmonie et composition, il n’a pas encore achevé ses études quand, en 1924, un concert de ses oeuvres est organisé en son honneur. À partir de 1926, il voyage beaucoup et se familiarise avec les techniques de composition les plus modernes, tout en se préparant à une carrière de chef d’orchestre. Mais son ouverture aux influences novatrices étrangères s’accompagne d’une volonté bien arrêtée de promouvoir une véritable école portugaise. C’est dans cet esprit qu’en 1940 il fonde la Société chorale de Lisbonne et participe à la création d’une compagnie nationale de ballet. Chef titulaire de l’orchestre symphonique de Porto en 1949, directeur de l’orchestre de la radio nationale en 1956, il a enrichi leur répertoire de nombreuses premières auditions. En tant que compositeur, on lui doit notamment un opéra (Luzdor), six ballets,

la symphonie Jerónimos, un concerto pour flûte et orchestre, une messe et diverses pièces instrumentales et chorales, souvent d’inspiration folklorique. FREITAS BRANCO (les de), famille de musiciens portugais. Luís, compositeur et pédagogue (Lisbonne 1890 - id. 1955). Sa naissance dans un milieu aristocratique et fortuné a certainement favorisé la formation de ce musicien exceptionnellement cultivé. Après avoir bénéficié dans sa ville natale deG l’enseignement des Portugais Tomas Borba et Augusto Machado, du Belge Désiré Pâque et de l’Italien Luigi Mancinelli, il se rend à Berlin, où il est l’élève de Humperdinck. À vingt ans, il achève Paraísos Artificiais, le premier de ses cinq poèmes symphoniques. L’année suivante le trouve à Paris, où il fait la connaissance de Claude Debussy et travaille avec Gabriel Grovlez. Jeune marié, il s’installe à Madère jusqu’en 1914, mais des revers de fortune provoqués par la révolution de 1910 l’obligent à monnayer ses nombreux talents. De retour à Lisbonne, il y occupera jusqu’en 1947 des postes importants dans l’enseignement musical officiel, où son influence sera considérable. En 1929, il fonde la revue Arte Musical, que remplacera vingt ans plus tard la Gazeta Musical (1950). Conservateur en politique, Luís de Freitas Branco l’était beaucoup moins en musique ; influencé par l’impressionnisme debussyste, puis tenté par l’atonalisme, il revint toutefois à une conception néoclassique. Il laisse cinq poèmes symphoniques, quatre symphonies, une « symphonie dramatique » pour solos, choeurs, orgue et orchestre (Manfredo), un concerto et deux sonates pour violon, un quatuor à cordes, diverses pièces pour piano, des mélodies et des compositions chorales. Pedro, chef d’orchestre, frère du précédent (Lisbonne 1896 - id. 1963). Après avoir mené de front des études d’ingénieur et des études musicales, travaillant en particulier le violon et le chant, il débute comme chef d’orchestre aux théâtres S. Carlos de Lisbonne et S. João de Porto. Après un séjour à Londres en 1925, qui lui vaut de profiter des conseils de Bruno Walter, il fonde en 1927 la première compagnie d’opéra entièrement portugaise et, en 1928, les Concerts symphoniques de Lisbonne, qui révéleront au public portugais de nombreuses oeuvres contempo-

raines. FREMAUX (Louis), chef d’orchestre français (Aire-sur-la-Lys, Pas-de-Calais, 1921). Il a fait ses études (interrompues par la guerre) au Conservatoire de Paris, et a dirigé de 1956 à 1965 l’orchestre de l’opéra de Monte-Carlo, puis, de 1968 à 1971, l’orchestre philharmonique Rhône-Alpes. Il a aussi été de 1969 à 1978 directeur musical et premier chef de l’orchestre et du choeur de Birmingham en Angleterre, où il s’est fait apprécier notamment par downloadModeText.vue.download 394 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 388 ses interprétations de Berlioz. Il a été de 1979 à 1982 à la tête de l’orchestre symphonique de Sydney, en Australie. FRÉMIOT (Marcel), compositeur français (Paris 1920). Élève, entre autres, d’Olivier Messiaen et de René Leibowitz, il fut directeur artistique de diverses firmes de disques, avant de devenir professeur d’histoire de la musique au conservatoire de Marseille, où il fonda en 1968 une classe de musique électroacoustique qui fut à l’origine du Groupe de musique expérimentale de Marseille, qu’il devait diriger jusqu’en 1974. On lui doit plusieurs oeuvres pour bande magnétique : Cadastre (1970), Sonate avec Likenbé (1971), Ricercare 2 (1973) ; pour voix et bande Tant et tant d’arbres (1977), le Coin des choses (1978) ; des réalisations pour le ballet, avec la danseuse-chorégraphe Dora Feïlane (Danse, image et cri, 1977) et des oeuvres pour choeur (la Môme Néant, texte de J. Tardieu, 1977). FRÉMY (Gérard), pianiste et compositeur français (Bois-Colombes 1935). Élève du Conservatoire de Paris dans la classe d’Yves Nat, il remporte un premier prix en 1951, puis obtient en 1956 une bourse du gouvernement soviétique pour travailler trois années durant au conservatoire de Moscou dans la classe de Heinrich Neuhaus, dont il devient finalement l’assistant. Rentré en France

après avoir donné une quarantaine de concerts en U.R.S.S., il poursuit son activité de concertiste tout en s’adonnant à la composition (Fantaisie pour violon et piano, 1956 ; Autobiophonie, 1973 ; Petite Musique d’amitié, 1974 ; etc.). FRENI (Mirella), soprano italienne (Modène 1936). Issue d’une famille très humble, elle a débuté au Teatro comunale de Modène en 1955 dans le rôle de Micaela de Carmen. Ses interprétations de Zerline de Don Juan au festival de Glyndebourne en 1960 et au Covent Garden de Londres en 1961, celle de Suzanne des Noces de Figaro à Londres en 1962, lui ont ouvert les portes de la carrière internationale. En 1963, elle a débuté à la Scala de Milan sous les traits de Mimi de la Bohème de Puccini. Durant ces premières années, elle interprétait plutôt des rôles légers ou lyriques-légers, comme ceux mentionnés plus haut, ou encore Marguerite de Faust de Gounod, Marie de la Fille du régiment et Adina de l’Élixir d’amour de Donizetti. Tout en continuant à chanter certains d’entre eux, elle a abordé dans le répertoire verdien des rôles de plus en plus lourds, partant de Violetta de la Traviata pour aboutir à Aida. La voix de Mirella Freni est claire et puissante avec un beau timbre fruité ; son émission est parfaitement maîtrisée et ses incarnations sont pleines de charme. FRESCOBALDI (Girolamo), organiste, claveciniste, chanteur et compositeur italien (Ferrare 1583 - Rome 1643). Il apprit la musique auprès de son père et surtout de l’organiste Luzzaschi. Voyageant de bonne heure, et se faisant connaître et apprécier comme exécutant et comme chanteur, il se rendit à Rome en 1604, ville qu’il n’allait plus quitter qu’occasionnellement, y occupant les charges d’organiste à l’académie SainteCécile, puis à Santa Maria in Trastevere, et enfin, en 1608, à la basilique Saint-Pierre, poste qu’il tint jusqu’à sa mort. Il voyagea encore, allant à Bruxelles (1607), à Mantoue (1615), et passant quelque temps à Florence (1628-1634), après quoi il resta sédentaire à Rome. Sa renommée était alors considérable : il passait pour le meilleur organiste de l’Europe, et pour l’un des plus grands compositeurs de son temps. On venait le consulter de toutes parts, et

il était donné en exemple par des écrivains comme le père Mersenne (Harmonie universelle, 1636). Témoin de cette renommée, son oeuvre a été largement éditée, rééditée et diffusée de son vivant : une douzaine de volumes parurent ainsi, contenant Toccate, Canzone, Capriccii, Fantasie, Partite (c’est-à-dire des variations), Arie, Ricercari, Balletti. Le recueil le plus célèbre est celui des Fiori musicali op. XII, publié à Venise en 1635. Musique vocale ou musique instrumentale, pour l’orgue ou pour le clavecin, elle n’est pas fondamentalement novatrice dans la forme ou dans la technique, mais, en ce premier âge du baroque, elle assouplit considérablement les formes plus rigides de la Renaissance. Dans la musique instrumentale, qui fut son domaine d’élection, Frescobaldi introduisit le chromatisme, les dissonances, les effets de contrastes, la variation, et usa, en de nombreuses pièces, du style fugué. L’aspect purement instrumental et dégagé de la polyphonie vocale de ces pages eut un écho plus grand en Allemagne qu’en Italie, auprès de Froberger, élève de Frescobaldi, ou de maîtres comme Tunder, Buxtehude ou Muffat. J.-S. Bach lui-même recopia de sa main les Fiori musicali qui exercèrent sur son art une influence décisive. FRETTE. Dans la facture du luth, de la guitare et des instruments qui sont leurs dérivés, le terme désigne les séparations placées sur le manche, de demi-ton en demi-ton, délimitant les « cases » où l’interprète place les doigts pour raccourcir les cordes. Sur le luth, les frettes sont constituées de simples morceaux de boyau (ou de Nylon) liés autour du manche, tandis que sur la guitare on utilise depuis le XIXe siècle de minces tiges de métal incrustées dans le bois du manche. FREUND (Marya), soprano polonaise naturalisée française (Wroclaw 1876 - Paris 1966). Elle étudie d’abord le violon avec Pablo de Sarasate, puis le chant avec Henri Criticos. Dès ses débuts à Vienne en 1898, elle se consacre au répertoire de son temps. Elle chante les lieder de Mahler et, en 1913, crée les Gurrelieder de Schönberg à Vienne. En 1922, elle donne les premières auditions française, belge et anglaise du

Pierrot lunaire. Debussy, Fauré et Ravel trouvent en elle une interprète ardente, tout comme Stravinski, Szymanovski et Poulenc. Elle compta parmi ses élèves Germaine Lubin, Jennie Tourel et Marie Powers. FREYLINGSHAUSEN (Johann Anastasius), théologien allemand (Gandersheim, Basse-Saxe, 1670 - Halle 1739). Il fut directeur de l’Hospice des orphelins et du Pädagogium de Halle. Sa contribution à l’histoire de la musique consiste en deux recueils de lieder spirituels : Geistreiches Gesangbuch... (Halle, 1704) et Neues Geistreiches Gesangbuch.. (ibid., 1714). Ces deux ouvrages constituent une somme unique en son genre, tant par les textes (ils comprennent respectivement 683 et 815 lieder) que par les nombreuses mélodies rassemblés ; ces dernières sont proposées avec une basse chiffrée. Le caractère émouvant, voire sentimental de ces oeuvres, les rattache au piétisme. FRICK (Gottlob), basse allemande (Ölbronn, Wurtemberg, 1906 - Mühlacker 1994). Il entra dans les choeurs de l’opéra de Stuttgart en 1927 et s’éleva peu à peu au rang de soliste, débutant à Cobourg en 1934. Il fut engagé en 1938 à l’opéra de Dresde auquel il appartint jusqu’en 1950. Après la guerre, il s’imposa comme une des plus grandes basses d’Allemagne et fit une carrière internationale. Son répertoire allait des rôles wagnériens (Hunding de la Walkyrie, Hagen du Crépuscule des Dieux, le roi Henri de Lohengrin, etc.) à celui de Sarastro dans la Flûte enchantée ou au personnage comique d’Osmin dans l’Enlèvement au sérail, en passant par les opéras-comiques de Nicolai ou Lortzing. Il pouvait plier son beau timbre, d’une couleur très particulière, aussi bien à l’expression de la rudesse la plus sauvage qu’à celle d’une grande bonté. downloadModeText.vue.download 395 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 389 FRICKER (Peter Racine), compositeur anglais (Londres 1920 - Santa Barbara, Californie, 1990).

Descendant de l’écrivain Jean Racine, il a fait ses études au Royal College of Music de Londres, puis auprès de Matyas Seiber, et, en 1953, succéda à Michael Tippett comme directeur de la musique du Morley College. Après des débuts prometteurs, son nom apparut moins souvent dans les programmes de concerts de son pays, ce qui explique en partie qu’en 1964 il alla enseigner à l’université de Santa Barbara en Californie, où il réside toujours. Dans un style chromatique très personnel et d’une belle densité contrapuntique, il a écrit notamment cinq symphonies (194950, 1951, 1960, 1964-1966 et 1975-76), deux concertos pour violon (1951-52 et 1954), un pour alto (1953), un pour piano (1954), Concertante no 2, pour 3 pianos, cordes et timbales (1951), Concertante no 4, pour flûte, hautbois, violon et cordes (1968), des oeuvres vocales comme l’opéra la Mort de Vivien (1956), l’oratorio The Vision of Judgment (1957-58), un Magnificat (1968) et Six Mélodies de Francis Jammes (1980), de la musique de chambre (dont trois quatuors à cordes de 1947-48, 1953 et 1974-1976 et un célèbre quintette à vents de 1947), de piano et d’orgue. FRICSAY (Ferenc), chef d’orchestre hongrois (Budapest 1914 - Bâle 1963). Après de brillantes études dans sa ville natale avec Kodály et Bartók, il fut nommé dès l’âge de vingt ans au pupitre de l’orchestre philharmonique et du théâtre de Szeged, fonctions qu’il cumula de 1939 à 1945 avec la direction de l’orchestre philharmonique et de l’orchestre de l’opéra de Budapest. Mais sa réputation internationale date de 1947, quand il remplaça Otto Klemperer au festival de Salzbourg pour la création de Dantons Tod (« la Mort de Danton ») de Gottfried von Einem. Appelé l’année suivante à diriger l’orchestre de la RIAS et celui de l’opéra de BerlinOuest, chef d’orchestre de l’opéra de Munich de 1956 à 1959, il inaugura en 1961 le nouvel opéra de Berlin. On lui doit un essai, Ueber Mozart und Bartók, publié à Francfort en 1962. FRIED (Oskar), chef d’orchestre et compositeur allemand naturalisé russe (Berlin 1871 - Moscou 1941). À quinze ans, il est membre d’une troupe de musiciens ambulants. En 1889, il est corniste d’un orchestre de musique légère

à Francfort et rencontre Humperdinck. Influencé par le wagnérisme, il travaille la composition. De 1894 à 1897, il suit un apprentissage assez bohème, fréquentant peintres et écrivains à Düsseldorf, Munich et Paris. En 1898, il se fixe à Berlin, où il joue un rôle grandissant : de 1904 à 1910, il dirige la société chorale Stern, et, dès 1905, l’orchestre des « Nouveaux Concerts ». De 1907 à 1910, il est aussi chef de l’importante « Société des amis de la musique » de Berlin, et, à partir de 1908, du Blüthnerorchester. Lié avec Mahler, il dirige toutes ses symphonies. Entre 1920 et 1930, il enregistre de nombreux 78 tours, dont la Deuxième Symphonie de Mahler et l’Oiseau de feu de Stravinski. Face au nazisme, il choisit d’émigrer en U.R.S.S., où il est nommé en 1934 chef de l’Orchestre de Tbilissi. Il acquiert le passeport russe en 1940, dirige l’Orchestre radio-symphonique de Moscou, et enfin l’Orchestre d’État de l’U.R.S.S. On lui doit de nombreuses compositions, parmi lesquelles une Nuit transfigurée pour deux chanteurs et orchestre, qui connut le succès en 1901. FRIEDLÄNDER (Max), musicologue allemand (Brieg, actuellement Brzeg en Pologne, 1852 - Berlin 1934). Également baryton, il a consacré l’essentiel de ses travaux au lied et à la chanson populaire allemande, et publié un ouvrage sur les lieder de Brahms. FRIMMEL (Theodor von), musicologue autrichien (Amstetten 1853 - Vienne 1928). Spécialiste de Beethoven, il édita sa correspondance (1910-11) et pendant deux ans le Beethoven Jahrbuch (1908-09). Il ne réunit jamais ses innombrables notes et articles en un ouvrage de synthèse, mais publia en 1926 le Beethoven Handbuch, importante étude documentaire et bibliographique (rééd. 1968). FRITZSCHE (Gottfried), facteur d’orgues allemand (Meissen, Saxe, 1578 - Ottensen, près de Hambourg, 1638). Son activité d’organier se déploya dans l’Allemagne du Nord-Ouest, où il ne subsiste malheureusement plus aucun témoin authentique de ses réalisations. Fréquentant les compositeurs, les théoriciens et les

organiers, il contribua à l’avènement de la grande facture allemande baroque. FROBENIUS (les). Famille de facteurs d’orgues danois établis depuis 1909, auteurs de quelque 600 instruments, surtout au Danemark, mais aussi en Scandinavie et en Grande-Bretagne. La réalisation classique des orgues Frobenius, leur harmonisation dans le style baroque de l’Europe du Nord les font rechercher pour interpréter la musique de Bach et de ses prédécesseurs et contemporains. FROBERGER (Johann Jakob), organiste, claveciniste et compositeur allemand (Stuttgart 1616 - château d’Héricourt, près de Montbéliard, 1667). Issu d’une famille de musiciens, il fut d’abord organiste à Rome, de 1637 à 1641, et reçut les conseils de Girolamo Frescobaldi. Sa vie fut itinérante : il parcourut l’Europe entière, au service de divers princes ou faisant jouer ses oeuvres au concert. En 1652, il séjourna à Paris. S’imprégnant des styles et des manières qu’il rencontra, il en fit une synthèse séduisante qui préfigure la « réunion des goûts » chère aux musiciens français, à François Couperin notamment, au XVIIIe siècle. Il influença des compositeurs comme Bach et Haendel. À sa double formation, allemande et italienne, il ajouta des éléments empruntés aux musiques française et anglaise. Son influence se manifesta d’abord au travers de copies manuscrites, car, à l’exception de sa Fantaisie sur l’hexachorde et d’une fugue parues dans des recueils collectifs, toutes ses oeuvres (essentiellement écrites pour l’orgue ou pour le clavecin) ne furent publiées qu’après sa mort, en 1693 (Diverse ingeniosissime, rarissime e non maj più viste curiose Partite) et en 1696 (Diverse curiose e rarissime Partite). Elles consistent en toccatas, caprices, ricercari, fantaisies, canzone, suites et fragments de suites. FRÖHLICH (Friedrich-Theodore), compositeur suisse (Brugg 1803 - Aarau 1836). Il fit ses études de droit puis de musique à Berlin (avec Zelter et Klein). Professeur à l’école cantonale d’Aarau, il donna une vive impulsion à l’activité musicale de la

région par son activité pédagogique et de chef d’orchestre et de choeurs. Comme compositeur, il fut le premier musicien romantique suisse. Il a laissé une symphonie, quatre quatuors, un quintette, des lieder (sur des poèmes de Novalis et de Ruckert), de nombreux choeurs (Wem Gott will rechte Gunst erweisen, Passions Kant, etc.), des messes et quantité d’oeuvres d’inspiration religieuse. FROIDEBISE (Pierre), organiste et compositeur belge (Ohey 1914 - Liège 1962). Après avoir étudié aux conservatoires de Namur et de Bruxelles, il alla se perfectionner à Paris auprès de l’organiste Charles Tournemire, puis se fixa à Liège où il s’illustra comme professeur d’harmonie au conservatoire, organiste de l’église Saint-Jacques et maître de chapelle du grand séminaire. Son oeuvre de compositeur, peu abondante, reflète une vaste culture tant intellectuelle que musicale, allant jusqu’au dodécaphonisme et aux arts de l’Extrême-Orient. downloadModeText.vue.download 396 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 390 FROMENT (Louis de), chef d’orchestre français (Toulouse 1921 - Cannes 1994). Élève de Louis Fourestier et d’André Cluytens, il fonda en 1949 l’Orchestre du Club d’essai de la Radiodiffusion française puis son propre orchestre de chambre. Il fut directeur musical des casinos de Cannes et de Deauville (jusqu’en 1956) et du casino de Vichy (1953-1969), ainsi que chef permanent des orchestres de Radio Nice (1958-1959) et surtout de l’Orchestre symphonique de Radio-Télé Luxembourg (1958-1980), dont il est resté ensuite principal chef invité. Son enregistrement avec Irma Kolassi du Poème de l’amour et de la mer d’Ernest Chausson est demeuré inégalé. FROTTEMENT. Dissonance inhabituelle chargée d’une certaine saveur. Le terme exclut en général toute intention péjorative. FROTTOLA (ital. ; de frocta : « mélange de pensées et de faits rassemblés au

hasard »). Terme qui désigne une composition polyphonique vocale, populaire en Italie au XVe siècle, de forme strophique simple et caractérisée par un refrain. Le plus souvent, les strophes sont de six vers octosyllabes (4 + 2). La musique comporte deux sections, chacune de deux phrases. L’écriture, à 4 voix, est généralement homorythmique, la mélodie facile d’un ambitus réduit, les voix les plus importantes étant le superius et la basse, cette dernière remplissant déjà une fonction harmonique. Un rythme initial fréquemment employé est le suivant : (par exemple, Ostinato vo’ seguire de B. Tromboncino). La poésie, écrite pour être mise en musique, est souvent banale et surtout frivole. Quant à l’interprétation, la formule à adopter est libre. Fr. Bossinensis, par exemple, a laissé des transcriptions de frottole pour voix seule et luth. Le centre d’activité des compositeurs de frottole se trouve à Mantoue à la cour d’Isabella d’Este, entre 1470 et 1530 environ. Deux compositeurs particulièrement actifs dans ce domaine sont Bartolomeo Tromboncino et Marco Cara. Une importante collection de frottole a paru chez O. Petrucci à Venise entre 1504 et 1514. Proches de la frottola sont le strambotto et l’oda. FRÜHBECK DE BURGOS (Rafael Frühbeck, dit DE BURGOS), chef d’orchestre espagnol d’origine allemande (Burgos 1933). Il fait ses études de violon dès l’âge de sept ans, puis entre aux conservatoires de Bilbao et de Madrid. Il obtient le prix RichardStrauss à Munich, débute comme chef d’orchestre dans les théâtres de zarzuelas, mais reprend ses études, pendant deux ans, à la Hochschule de Munich. De retour en Espagne, il dirige l’orchestre municipal de Bilbao (1958) où il introduit pour la première fois des oeuvres d’avant-garde. Il se fixe à Madrid, en 1962, comme chef de l’Orchestre national d’Espagne avec lequel il voyage. Sa carrière internationale date de cette époque, où il est appelé à conduire également les orchestres de Berlin, Paris, Boston, Vienne, Munich, Lisbonne, Genève, Buenos Aires et Londres. En 1975,

il est nommé directeur artistique et chef permanent de l’orchestre de Montréal. FRUMERIE (Gunnar de), compositeur et pianiste suédois (Nacka 1908 - Mörby 1987). Ses études se déroulent à Stockholm, Vienne et Paris (avec A. Cortot et Sabanejev) où il est fortement impressionné par la musique de Debussy. Une grande partie de son oeuvre est écrite pour le piano (Chaconne, 1932 ; Quatuor avec piano, 1941 ; Variations et Fugue, 1932 ; 4 concertos ; Ballade symphonique, 1943-44 ; concerto pour 2 pianos, 1953 ; trio avec piano no 2, 1952 ; 2e quatuor avec piano, 1963). Le style de Frumerie est d’un grand classicisme tempéré par des élans romantiques. FRYE (Walter), compositeur anglais du XVe siècle, actif vers 1450-1475. On ne connaît rien de ses origines. En 1457, il appartenait à la corporation des musiciens de Londres, mais la plupart de ses oeuvres se trouvent dans des manuscrits d’origine bourguignonne, ce qui laisse supposer que Walter Frye mena au moins une partie de sa carrière sur le continent. Sans doute plus jeune que Dunstable († 1453), Frye a continué à influencer les musiciens continentaux en leur apportant les « consonances » du style anglais. Il a laissé 3 messes, qui emploient la technique du cantus firmus (Summe Trinitati et Nobilis et pulchra [à 3 voix] et Flos regalis [à 4 voix]), 6 motets (5 étant à 3 voix) dont Sospitati dedit et l’Ave Regina, repris plus tard par Obrecht dans un motet et une messe du même nom, ainsi que quatre chansons. FUCHS (Aloys), musicologue et collectionneur autrichien (Razova, Moravie, 1799 - Vienne 1853). Fonctionnaire, également chanteur, il se constitua à partir de 1820 une précieuse collection d’autographes, de copies et d’éditions rares (Bach, Gluck, Haydn, Mozart, Beethoven et d’autres) dont la plupart devaient aller après sa mort à la Bibliothèque royale de Berlin et à celle de l’abbaye de Göttweig en Autriche. Cette collection possède toujours une valeur musicologique certaine, et il en va de même des divers catalogues thématiques

dressés par Fuchs, en particulier de celui consacré à Haydn (manuscrit 1839, publié en fac-similé en 1968). FUCHS (Robert), compositeur et pédagogue autrichien (Frauenthal, Styrie, 1847 - Vienne 1927). Élève du conservatoire de Vienne (1865), il y enseigna l’harmonie (1875-1912) puis la théorie et le contrepoint, et fut organiste à la chapelle impériale de 1894 à 1905. Comme compositeur, il écrivit notamment deux messes, des pièces d’orgue, les opéras Die Königsbraut (1889) et Die Teufelsglocke (1893), ainsi que des oeuvres pour piano, de musique de chambre et de musique symphonique fort appréciées de Brahms, mais il obtint surtout le succès par ses sérénades, qui lui valurent d’être appelé « Serenaden-Fuchs ». Pédagogue de renom, il contribua à former d’innombrables élèves parmi lesquels Gustav Mahler, Hugo Wolf, Frauz Schreker et Jean Sibelius. FUENNLLANA (Miguel de), vihueliste et organiste espagnol aveugle (Navalcarnero v. 1500 - Valladolid v. 1579). Il publia en 1554 à Séville un recueil de tablatures, comprenant 182 pièces pour vihuela, intitulé Orphenica Lyra. Divisé en 6 livres, ce recueil comprend à la fois des oeuvres de sa composition et des transcriptions d’auteurs espagnols et étrangers de l’époque. FUGATO (ital. : « fugué »). Terme utilisé par extension pour dire « en style fugué », ou « (un peu) comme une fugue ». Traditionnellement, il indique qu’un passage d’un morceau (et non le morceau tout entier) est traité dans le style de la fugue, mais sans posséder toute la rigueur de celle-ci, par exemple sur le plan de la conduite des voix, ou encore sur celui de la définition et du traitement du sujet. Là aussi, la terminologie succéda à la pratique. Certains mouvements de structure binaire de la musique préclassique commencent dans le style fugué puis deviennent homophone, et/ou ne font participer au style fugué que leurs voix supérieures, non leurs basses : ils peuvent être (en particulier chez Franz Xaver Richter) ou non (en particulier chez les composi-

teurs italiens ou viennois) intitulés fugato. En outre furent parfois appelées fugato, à cette époque, de véritables fugues (Michael Haydn). Avec le classicisme viennois, le procédé devint plus rare, et prit en général une autre fonction, celle de rendre plus dense et plus dramatique un développement de forme sonate ou un couplet downloadModeText.vue.download 397 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 391 central de rondo (finale du quatuor op. 55 no 1 de Haydn, finale de l’Héroïque de Beethoven). À partir de la même période, et avec la même fonction, on trouve des fugatos au sein de séries de variations pour le reste homophones (premier mouvement du quatuor op. 76 no 6 de Haydn, finale de l’Héroïque de Beethoven). Comme mouvements ou oeuvres avec fugato datant de ces années, on peut encore citer, de Dittersdorf, le finale du quatuor en la majeur ; de Mozart, les finales du quatuor K. 387, du concerto pour piano K. 459, de la Plaisanterie musicale K. 522 et de la symphonie Jupiter, ainsi que l’ouverture de la Flûte enchantée ; de Haydn, les finales de plusieurs trios pour baryton, du quatuor op. 64 no 5 (l’Alouette) et des symphonies nos 95 et 101 (l’Horloge) ; de Beethoven, les deuxièmes mouvements de la 7e symphonie et du quatuor op. 95, ainsi que les Variations Diabelli. Aux époques romantique et moderne, cet usage du fugato devait se poursuivre, jusqu’à parfois servir à « remettre en marche » un discours, en d’autres termes remédier à un fléchissement de l’inspiration. FUGÈRE (Lucien), baryton français (Paris 1848 - id. 1935). Il fit ses débuts au café-concert. Engagé à l’Opéra-Comique en 1877, il y resta trente-cinq ans, chantant plus de cent rôles du répertoire français et étranger. Il chanta, parmi les premiers, le père de Louise et Boniface dans le Jongleur de Notre-Dame. Dans le répertoire étranger, il faut mentionner Papageno, Figaro, Leporello et Falstaff. Il chanta jusqu’à l’âge de quatre-vingts ans et célébra cet anniversaire dans une représentation de la Basoche de Messager (rôle du duc de Longueville). L’art de Fugère était caractéristique du chant français à son meilleur :

phrasé exemplaire, articulation parfaite, goût musical. Il était, en outre, un remarquable comédien. FUGUE. Genre de composition dont les deux caractères essentiels sont : 1o un style contrapuntique rigoureux, c’est-à-dire résultant exclusivement de la combinaison de lignes mélodiques, toutes d’égale importance, sans qu’aucune note puisse entrer dans un accord sans être d’abord justifiée mélodiquement ; 2o la prédominance d’un thème principal nommé sujet, présenté et développé successivement par chacune des voix selon des conventions définies. Nous disons bien « principal » et non pas « unique », comme on le fait souvent, car non seulement une fugue peut avoir plusieurs sujets (fugues multiples), ou exceptionnellement des sections hors thème (codas), mais encore elle présente et développe le plus souvent, outre le sujet, des thèmes secondaires appelés contre-sujets ; ceux-ci doivent répondre à des caractéristiques définies, qui seront exposées ciaprès. LE TERME « FUGUE ». Issu du latin fuga (« fuite »), il apparaît au XIVe siècle, souvent comme équivalent de chace ou chasse (en ital. caccia) pour désigner soit un canon, soit simplement un style caractérisé par le fait que les parties se répondent en présentant successivement le même dessin, évoquant par analogie la fuite du gibier devant le chasseur (d’où le nom). Longtemps le terme est resté vague et a désigné plutôt un style (dit « imitatif ») qu’une forme définie. Celle-ci s’élabore peu à peu au cours du XVIIe siècle par transformation de l’ancien ricercar, mais sans que le terme « fugue » le recouvre obligatoirement : c’est très progressivement que les deux notions en viennent à se rejoindre. Encore continuat-on longtemps à dénommer « fugues » des genres qui, au sens strict du mot, ne seraient plus aujourd’hui reconnus comme tels ; par exemple le canon, que Bach appelle encore « fugue canonique », et auquel il réserve une section dans son Art de la fugue, de même qu’à des variétés de fugues aujourd’hui disparues, telles que « fugues-miroirs », « contre-fugues », etc.

L’exceptionnel développement donné par J.-S. Bach à la fugue a conduit les théoriciens à codifier après lui le genre à partir de son exemple, en dressant sous le nom de fugue d’école un « portrait-robot » d’un plan de fugue qui n’a jamais existé tel quel dans son oeuvre, mais qui réunit à peu près les principaux procédés qu’il emploie le plus fréquemment. C’est cette « fugue d’école » qui sera enseignée à partir du XIXe siècle dans tous les conservatoires, et à qui la fugue en tant que genre empruntera les principaux éléments de sa définition usuelle. LA FUGUE AVANT J.-S. BACH. Le principe de la fugue, dont on peut déjà déceler les prémisses dans certains motets polyphoniques du XIIIe siècle, se développe au XIVe et se généralise dans la chanson polyphonique des XVe et XVIe siècles, sous forme d’exposition successive d’un motif à chacune des voix, d’abord sur n’importe quel degré, puis selon une alternance plus stricte dans laquelle la dominante répond à la tonique et vice versa. Ce « balancier » peut dans certains cas entraîner une modification de la « réponse » par rapport au « sujet » (que l’on appelle respectivement dux et comes, c’est-à-dire « conducteur » et « compagnon »). Cette modification est dite mutation ; pratiquée ou non selon les cas, elle deviendra obligatoire dans la « fugue d’école ». L’entrée de chaque voix se règle au mieux des possibilités du contrepoint, que l’exposition précédente soit terminée ou non ; le deuxième cas, de beaucoup le plus fréquent, prendra plus tard le nom d’entrée en strette, et sera rejeté par l’exposition de la fugue d’école. Au XVIe siècle se répand, tant dans le motet religieux que dans la chanson profane, une forme dite « à sections », particulièrement employée quand la pièce polyphonique développe un modèle monodique. Dans ce cas, chaque phrase du modèle se voit successivement développée, sur les paroles correspondantes, formant une « section » dans laquelle la mélodie du modèle circule souvent d’une voix à l’autre, la section initiale (et parfois d’autres aussi) étant presque toujours soumise à la forme d’exposition présentée ci-dessus. Vers 1525, sous l’impulsion des Franco-Flamands de Venise (Willaert) se crée une forme instrumentale dite ricercare (« recherche ») qui n’est autre que

la transposition sans paroles du motet à sections, mais dans laquelle les différents thèmes de section sont inventés sans référence à un texte. D’Italie, le ricercare se répand en Espagne (ricercar, tiento), en France (fantaisie), en Angleterre (fantasy, fancy), et trouvera sa plus grande expansion chez les organistes du nord de l’Allemagne et des pays voisins (Sweelinck, Buxtehude) qui en feront progressivement la fugue proprement dite. Ce dernier passage consistera surtout dans l’unification des sections (sujet unique au lieu de plusieurs thèmes accolés) et dans la suppression de l’entrée en strette au bénéfice de l’« entrée de fugue » laissant toujours terminer le sujet avant d’en présenter la réponse. Les entrées en strette ne disparaîtront pas pour autant, mais seront reportées à titre de nouveaux développements dans le cours de la fugue, et de préférence vers la fin, où elles formeront l’une des sections obligatoires de la fugue d’école. BACH ET LA FUGUE CLASSIQUE. Bien que tous les éléments de la fugue classique puissent déjà se retrouver, épars ou réunis, chez divers prédécesseurs de J.-S. Bach (Frescobaldi, Buxtehude, etc.), ce dernier maître a porté la fugue à un tel degré de développement que c’est toujours à lui qu’on se réfère pour définir le genre à son apogée, sans du reste le limiter aux pièces qui en portent le titre, car le style fugué lui est si naturel qu’il l’emploie en toutes occasions. La diversité de ses fugues est telle qu’on ne peut ici en esquisser la description. On se bornera à transcrire en le simplifiant le schéma type de ce « portrait-robot » que constitue, on l’a dit, la fugue d’école, appuyée sur l’exemple de Bach sans jamais correspondre exactement à aucun de ses modèles. 1.Exposition, ou présentations successives du thème par chacune des voix (en nombre variable, mais très souvent 4). Le thème s’appelle sujet lors de sa première présentation, réponse dans sa deuxième où tonique et dominante se « répondent » rédownloadModeText.vue.download 398 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 392 ciproquement. La réponse comporte normalement mutation (cf. ci-dessus) ; si par

exception elle ne fait pas mutation, elle est dite réelle. On l’appelle tonale lorsque, avec ou sans mutation, elle se maintient sans moduler dans le ton initial du sujet. La continuation du sujet sous la réponse prend le nom de contre-sujet et constituera tout au long de la fugue un thème secondaire pouvant donner lieu aux mêmes développements que le sujet proprement dit ; exceptionnellement le contre-sujet peut même par anticipation accompagner déjà le sujet dans sa première présentation (fréquent chez Beethoven). L’exposition de fugue est en outre soumise à des règles minutieuses qu’on ne peut présenter ici, et qui font l’objet de véritables traités. 2.Développement, consistant en une série de sections appelées divertissements, obligatoirement constituées à partir soit du sujet, soit du contre-sujet, et qui sont périodiquement ponctuées d’entrées du sujet en divers tons, dont les deux principaux sont le relatif et la sous-dominante (on y ajoute parfois le 2e degré, considéré comme dominante de la dominante). La dernière section du développement est souvent une strette (combinaison du sujet avec lui-même en différentes présentations), et il peut même y en avoir plusieurs. 3.Réexposition ou dernière présentation du sujet dans le ton principal, parfois précédée d’une longue tenue ou pédale qui la met en valeur. La réexposition, qui peut être textuelle ou abrégée, conduit soit directement à la conclusion, soit à une « coda » plus ou moins développée. 4.Coda facultative, qui peut être soit un nouveau développement, de préférence dans un caractère différent, soit même un hors-d’oeuvre, abandonnant pour la première fois le thème, et parfois le style de la fugue, pour terminer de façon brillante ou expressive. FORMES PARALLÈLES DE LA FUGUE. Outre les fugues « normales » ci-dessus décrites, la fugue a engendré un grand nombre de formes dérivées. Une fuguette (en ital. fughetta) est une fugue régulière de petites dimensions. Un fugato est une ébauche de fugue insérée sans être menée à terme dans un morceau non fugué ; il est souvent réduit soit à une exposition (Beethoven, allegretto de la 7e symphonie), soit à une exposition suivie d’une

strette. Une fugue multiple (double, triple, etc.) est une fugue à plusieurs sujets : le premier sujet donne d’abord lieu à une exposition et à un premier développement ; puis il s’interrompt et le deuxième sujet est présenté de la même manière ; après quoi les deux sujets se combinent. S’il y a 3 sujets ou plus, on fait de même pour chacun des suivants, chaque sujet nouveau devant se combiner avec tous les précédents. La fugue canonique (fuga canonica), encore appelée telle par Bach et incluse par lui dans son Art de la fugue, n’est plus aujourd’hui considérée comme une fugue, mais comme un canon. D’autres formes de fugue, recherchant des combinaisons sophistiquées, ont été pratiquées, surtout au XVIIIe siècle, à titre de démonstrations de virtuosité d’écriture. Citons la contre-fugue ou fugue a rovescio, dans laquelle la réponse est le renversement du sujet (Bach lui consacre une section dans son Art de la fugue) ; la fugue-miroir (même remarque), écrite de telle sorte qu’on puisse la lire soit telle quelle, soit en renversement intégral (en posant le papier verticalement sur un « miroir » horizontal, on doit lire une nouvelle fugue, tout aussi correcte que la première, en changeant seulement les clefs, et, s’il y a lieu, les altérations et l’ordre des voix) ; la fugueécrevisse (cancrizans), dont le sujet peut se lire tantôt normalement, tantôt en commençant par la fin ; la fugue par augmentation, ou par diminution, ou par les deux à la fois, dans laquelle interviennent des présentations du sujet en augmentation ou en diminution par rapport à la présentation régulière initiale ; la fugue-strette, dans laquelle la réponse entre avant la fin du sujet (plusieurs contre-fugues de l’Art de la fugue sont aussi des fugues-strettes), etc. Toutes les combinaisons possibles restent ouvertes à l’imagination. LA FUGUE APRÈS BACH. Considérée par l’époque de la musique « galante » comme un genre « passéiste », et, bien qu’enseignée aux futurs compositeurs à titre d’exercice de plume, la fugue a cessé à peu près alors d’être employée ailleurs que dans la musique d’église, où, sous l’influence de Haendel plutôt que de Bach, elle s’est installée comme forme traditionnelle de certains morceaux brillants (Cum sancto spiritu, Amen, etc.) : Berlioz la raillera à ce titre dans sa Damnation de

Faust. Mozart en découvre l’intérêt vers 1782, quand Van Swieten lui apporte la révélation de J.-S. Bach ; il l’adopte alors et l’intègre à son style, qui s’en trouve singulièrement renouvelé. Haydn l’avait déjà précédé, en particulier dans trois des finales de ses quatuors op. 20 (1772), et Beethoven romantise la fugue en accroissant le dramatisme et la complexité (fugue de la sonate Hammerklavier, Grande Fugue op. 133). Cependant, la fugue reste exceptionnelle chez les romantiques et postromantiques, encore que beaucoup la cultivent de manière quasi marginale (Schumann, Liszt, Franck, Brahms). Peu prisée de l’esthétique debussyste, elle réapparaît vers le milieu du XXe siècle (Stravinski, Honegger) et se transforme pour s’adapter à l’affaiblissement des structures tonales, abandonnant ses règles strictes pour ne conserver que la rigueur formelle de son style aisément reconnaissable (Bartók, Schönberg). FUKUSHIMA (Kazuo), compositeur japonais (Tokyo 1930). Rejoignant en 1953 un studio de musique expérimentale formé par Toru Takemitsu et Yuasa dans le cadre de la Sony Corporation, le Jikken Kobo, il y compose des oeuvres pour bande magnétique. Il se fait connaître avec des oeuvres comme Ekagura (1958), pour flûte alto et piano, pièce caractéristique de sa manière de transposer sur la flûte moderne (instrument qu’il affectionne) les inflexions, les sonorités et les modes de jeu du shakuhachi, flûte traditionnelle japonaise (on sait le rôle prédominant que tient la flûte dans cette musique, par rapport aux instruments à archet). En 1961, Fukushima est invité à Darmstadt pour des conférences sur la musique japonaise. Après des séjours en Occident, il se fixe à Tokyo comme professeur de musique au Ueno Gakuen College. On peut encore citer dans son oeuvre : Hikyo (1962), pour flûte, cordes et percussions ; Mei (1962), et Kadha no4 (1963), pour flûte solo ; Sui-rin (1967), pour 2 pianos et 2 percussions ; Tsuki-shiro (1965), pour piano, harpe, percussions et 52 cordes ; Shun-san (1969), pour flûte solo ; et Sui-en (1972), pour piano. FURIANT. Danse populaire tchèque au mètre changeant de 2/4 en 3/4, portée au rang de

forme musicale par Smetana dans la première Danse tchèque pour piano, de même que par Dvořák en l’orchestrant. Elle est proche du galop viennois, mais infiniment plus complexe par les figures de danse collective qu’elle propose. FÜRSTENAU, famille de musiciens allemands. 1.Caspar, flûtiste et compositeur (Münster 1772 - Oldenburg 1819). 2.Anton Bernhard, flûtiste et compositeur, fils du précédent (Munster 1792 Dresde 1852). Il fit en 1815 la connaissance de Weber à Prague, et l’accompagna à Londres en 1826. Membre de l’orchestre de Dresde à partir de 1820, il laissa deux Méthodes et de nombreuses pièces pour son instrument. 3.Moritz, flûtiste, compositeur et écrivain, fils du précèdent (Dresde 1824 - id. 1889). Il succéda à son père comme premier flûtiste de l’orchestre de Dresde en 1852, et laissa d’importants ouvrages sur l’histoire de la vie musicale dans cette ville. downloadModeText.vue.download 399 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 393 FURTWÄNGLER (Wilhelm), chef d’orchestre et compositeur allemand (Berlin 1886 - Baden-Baden 1954). Il étudia la composition avec J. Rheinberger et M. von Schillings à Munich, le piano avec Conrad Ansorge à Berlin, et, après avoir été chef d’orchestre à l’opéra de Strasbourg (1910), directeur de la musique à Lübeck (1911-1915) et chef d’orchestre à l’opéra de Mannheim (19151920), il succéda en 1922 à Arthur Nikisch à la tête de l’orchestre du Gewandhaus de Leipzig tout en prenant la direction de la Philharmonie de Berlin, avec laquelle il devait rester associé jusqu’à sa mort : d’où sa gloire et sa position unique, qui firent de lui le chef allemand le plus prestigieux de sa génération, et un des trois ou quatre plus grands de son temps. Directeur musical du festival de Bayreuth en 1931, il accepta diverses fonctions officielles à l’arrivée de Hitler au pouvoir, mais, très vite, il se heurta aux autorités, et, le 4 décembre

1934, se démit de tous ses postes officiels. Quatre mois plus tard, en avril 1935, il faisait sa réapparition dans un programme Beethoven (qu’en mai 1947 il devait redonner tel quel pour son premier concert à Berlin après la guerre), assura la direction musicale de Bayreuth en 1936-37, et jusqu’à la chute du régime, sans pouvoir se résoudre à émigrer, s’efforça de concilier une attitude qu’il voulait apolitique, les services qu’il estimait pouvoir rendre à la population grâce à la musique, ses actes de courage, ce qu’on voulut le voir faire et ce qu’inévitablement il lui fallut supporter. Après la guerre, il reprit ses tournées à travers le monde, et dirigea notamment aux festivals de Lucerne et de Salzbourg. Peu de chefs surent comme lui allier à l’intensité expressive le geste souverainement unificateur. Grand maître de la transition, il excella dans Beethoven, dans Wagner, dans Brahms, dans Bruckner, dans des oeuvres comme la 4e symphonie de Schumann, d’une façon générale dans tout le répertoire allemand de Haydn et Mozart à Hindemith et à Richard Strauss, et aussi bien dans le domaine symphonique que dans l’opéra. Il a laissé de nombreux disques, et on en édite toujours de nouveaux en provenance des archives les plus diverses : depuis sa mort, sa réputation n’a subi aucune éclipse. Il fut également compositeur (un concerto pour piano, 2 sonates pour piano et violon, un quintette avec piano, 3 symphonies, un Te Deum et 2 choeurs pour Faust) et auteur de plusieurs livres et écrits très révélateurs de sa personnalité : l’édition française la plus complète et la plus récente porte le titre global de Musique et Verbe (1979). FUSA. Valeur de note apparue au XVe siècle par subdivision de la semi-minime. Celle-ci ayant l’aspect d’une noire en écriture losangée, on forma la fusa en adjoignant à sa hampe un crochet angulaire qui lui fit prendre parfois le nom de crochuta. Elle est devenue notre « croche ». Dans certains cas, la fusa peut être évidée. Elle prend alors l’aspect d’une blanche munie d’un crochet. La fusa blanche (de même que ses subdivisions) est encore employée de temps à autre jusqu’au XVIIIe siècle lorsque la semi-minime qu’elle divise est blanche elle-même (l’équivalent serait pour nous la noire dans une mesure à 3/2

ou à C barré). On trouve parfois la traduction française « fuse ». FUX (Johann Joseph), compositeur, théoricien et pédagogue autrichien (Hirtenfeld, Styrie, 1660 - Vienne 1741). Il fit ses études à Graz, d’abord au collège des jésuites (1680), puis au Ferdinandeum (1681), mais il n’est pas sûr qu’il soit allé les poursuivre en Italie. Remarqué par l’empereur Léopold Ier, il se rendit à Vienne, où, en 1696 au plus tard, il devint organiste à l’église des Écossais (Schottenkirche). Il fut ensuite vice-maître (1705) et maître (1712) de chapelle à Saint-Étienne, vice-maître (1713) et maître (1715) de chapelle à la cour. Il devait occuper ce dernier poste, auquel il succéda à une lignée d’Italiens, jusqu’à sa mort, en gros durant tout le règne de l’empereur Charles VI, et, durant ces vingt-six années, donner à la chapelle impériale un très grand éclat. Représentant le plus éminent du baroque autrichien en musique, il laissa plus de 500 oeuvres qui font de lui à la fois un tenant de la tradition polyphonique héritée de Palestrina et un des fondateurs de la musique autrichienne du XVIIIe siècle. Sa musique de clavier découle de Froberger et annonce Gottlieb Muffat. Dans sa musique instrumentale, il retint notamment la leçon de Corelli : son principal recueil en ce domaine fut le Concentus musicoinstrumentalis, imprimé à Nuremberg en 1701 (il s’agit du seul recueil de lui publié de son vivant dont des exemplaires aient survécu). On lui doit aussi une dizaine d’oratorios, une vingtaine d’opéras dont Costanza e Fortezza, exécuté à Prague en 1723 pour le couronnement de Charles VI comme roi de Bohême, et de très nombreuses oeuvres religieuses a cappella (comme la fameuse Missa Canonica que Michael Haydn devait copier de sa main en 1757) ou dans le style concertant. Sa célébrité auprès de la postérité lui vint surtout de son Gradus ad Parnassum, sans doute le plus remarquable traité de contrepoint jamais écrit : paru en 1725 en latin sous forme d’un dialogue entre maître (Palestrina) et élève (Fux) suivi d’une discussion du style de composition libre, il fut traduit en allemand en 1742, en italien en 1761, en français en 1773 et en anglais en 1791. Joseph Haydn y apprit presque seul, en autodidacte, les lois du métier, avant de le mettre lui-même entre les mains de divers élèves, dont Beethoven. Des géné-

rations de compositeurs, surtout autrichiens, se formèrent directement ou indirectement grâce au Gradus, à commencer par les principaux élèves de Fux, parmi lesquels Gottlieb Muffat, Georg Christoph Wagenseil et Jan Dismas Zelenka. Particulièrement intéressants sont les exemplaires du Gradus possédés en leur temps, et annotés par eux à des fins personnelles ou didactiques, par Gregor Joseph Werner, le Padre Martini, Léopold Mozart et Joseph Haydn, cités ici dans l’ordre chronologique de leurs naissances : ces exemplaires annotés reflètent en effet les vues différentes qu’on pouvait avoir du Gradus au fur et à mesure qu’on s’avançait dans le XVIIIe siècle. Devaient en outre se fonder sur le Gradus d’autres traités comme ceux d’Albrechtsberger et de Cherubini. Cet ouvrage devait valoir à Fux, à partir du siècle romantique et dans certains milieux, une réputation de sécheresse et de pédantisme parfaitement injustifiée. Au contraire, tant par le Gradus que par ses oeuvres musicales, il fut de ceux qui jetèrent pour le futur classicisme viennois, en particulier pour sa façon légère et dense à la fois de traiter le contrepoint, les bases les plus solides. downloadModeText.vue.download 400 sur 1085

G G. 1. Lettre par laquelle fut désignée la note sol dans la notation musicale du Moyen Âge. Elle indique toujours le sol dans les pays de langue anglaise ou de langue allemande, où les syllabes de Guy d’Arezzo ne sont pas adoptées. Voici, dans trois langues, l’appellation des différentes altérations de cette note : français anglais allemand sol bémol G flat Ges sol double bémol

G double flat Geses sol dièse G sharp Gis sol double dièse G double sharp Gisis 2. Ce fut aussi le signe de la clef de sol qui s’est peu à peu transformé en sa représentation actuelle. GABLER (Joseph), facteur d’orgues allemand (Ochsenhausen 1700 - Bregenz 1771). Il est surtout connu pour avoir réalisé en Souabe deux instruments très importants qui se sont conservés jusqu’à aujourd’hui, dans les abbayes bénédictines d’Ochsenhausen (1729) et de Weingarten (17371750). Dom Bédos de Celles donne une ample description de ce dernier instrument dans son Art du facteur d’orgues. GABRIELI (Andrea), compositeur italien (Venise v. 1510 - id. 1586). Ses débuts sont assez obscurs, mais il fut très probablement l’élève à Venise d’Adrien Willaert. Il fut chantre à la basilique San Marco, puis organiste à Vérone, et, vers 1557, organiste à l’église San Jeremia à Venise. Dès cette époque, il briguait le poste d’organiste à San Marco, mais s’en trouva une première fois évincé par Claudio Merulo. Ce fut en 1585 seulement, après le départ de Merulo pour Parme, qu’il put partager ces fonctions avec son neveu Giovanni. En 1562, il rencontra Roland de Lassus à la cour de Bavière, et poursuivit ses voyages jusqu’en Bohême et en Autriche. Puis il quitta l’entourage d’Albert de Bavière et revint à Venise en compagnie de Lassus. Il commença dès lors à écrire un certain nombre de musiques de circonstance, se chargeant par exemple des fêtes pour célébrer la victoire

de don Juan d’Autriche à Lépante (1571). Au Teatro Olimpico à Vicence eut lieu en 1585 la représentation de l’OEdipe de Sophocle dont les choeurs furent l’oeuvre d’Andrea Gabrieli. Surtout compositeur de musique religieuse, Gabrieli a néanmoins écrit environ 250 madrigaux, d’abord à 3 voix, mais aussi faisant appel à des effectifs plus importants. Le recueil de 1587 contient des madrigaux allant de 6 à 16 voix. Profitant des excellents instrumentistes dont Venise pouvait s’enorgueillir, ainsi que des lieux dont les possibilités acoustiques pouvaient être exploitées, surtout à San Marco, il se lança dans la composition d’oeuvres concertantes, dans la conquête de l’espace sonore, employant souvent deux choeurs (ou plus), dialoguant entre eux et placés à une certaine distance l’un de l’autre dans les deux tribunes opposées de l’édifice. Avec son neveu, il devait porter cette technique des cori spezzati à son apogée. Dans les oeuvres vocales, il faut remarquer un plus grand souci de clarté du texte chanté par rapport aux musiciens de l’école franco-flamande. Les oeuvres instrumentales, où le style fugué domine (Ricercari, Canzoni alla francese), sont écrites pour toutes sortes d’instruments. Le second genre est illustré notamment par une Battaglia, basée sur la célèbre composition de Cl. Janequin (Bataille de Marignan). GABRIELI (Giovanni), compositeur italien (Venise 1557 - id. 1612). Neveu d’Andrea Gabrieli, il fut son élève avant de faire, de 1575 à 1579, un voyage à Munich où il rencontra Roland de Lassus. Il revint à Venise en 1580 et y resta jusqu’à sa mort. En 1585, il partagea avec son oncle la charge de premier organiste à San Marco et, depuis cette date jusqu’en 1607, il eut également des fonctions à la Scuola San Rocco. Ses oeuvres à double choeur sont un reflet de l’architecture de San Marco. Parmi ses nombreux élèves célèbres, il faut citer surtout Heinrich Schütz qui séjourna à Venise de 1609 à 1613. Giovanni Gabrieli avait une immense admiration pour son oncle. Il en fut toute sa vie le défenseur et fit habituellement publier les oeuvres de ce dernier avant les siennes. À de nombreux titres, on peut considérer Giovanni comme un précurseur. En ce qui concerne les formes

musicales, son architecture est particulièrement solide, et contraste avec le goût italien de l’époque pour les musiques très ornées. Sur le plan de l’écriture, il a introduit à travers un contrepoint savant et rigoureux un style parfois concertant où les timbres prennent toute leur valeur. Les parties qu’il a écrites, pour les cornets à bouquin ou pour les violons (dont le répertoire était encore à ses débuts), sont des exemples remarquables de son talent dans ce domaine, ainsi qu’une indication de l’excellence des instrumentistes vénitiens dont il disposait. On doit le considérer à juste titre comme l’un des précurseurs de l’orchestration, cela bien qu’il ait laissé le choix des instruments aux interdownloadModeText.vue.download 401 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 395 prètes en indiquant généralement con ogni sorte di stromenti sur la page de titre de ses publications. En adoptant souvent le genre de la canzone alla francese, ces compositions restent d’abord assez proches du modèle, avec leur rythme dactylique initial (longue-brève-brève), mais peu à peu s’en écartent pour devenir de plus en plus concertantes. Le titre n’est plus qu’un point de départ et cette évolution est nette dans les Canzoni e Sonate de 1615 par rapport aux Sacrae symphoniae de 1597. Dans le domaine de la musique vocale religieuse, Gabrieli a laissé des motets (faisant souvent appel à un nombre considérable de voix), des magnificat, des litanies, des mouvements de messe. Pour orgue, il a composé des Intonationi publiés avec ceux de son oncle en 1593. GABRIELLI (Caterina), soprano italienne (Rome 1730 - id. 1796). Fille du cuisinier du prince Gabrielli et connue sous le sobriquet de La Goghetta, elle travailla avec Porpora, dont elle fut une des rares élèves féminines, et fit ses débuts à Venise en 1755 dans Antigona de Galuppi. Elle créa plusieurs opéras italiens de Gluck, à Vienne, entre 1755 et 1760, et chanta avec succès dans toute l’Europe, où sa beauté lui valut des aventures sentimentales avec de nombreuses têtes couronnées. Sa soeur, Francesca, fut une chanteuse de second plan qui lui donna souvent la réplique dans les rôles de confi-

dente. GABRIELLI (Domenico), violoncelliste et compositeur italien (Bologne v. 1659 - id. 1690). Célèbre virtuose du violoncelle, il fut surnommé il Minghino del violoncello. Il exerça son métier de violoncelliste à Bologne et à Modène. Il écrivit onze opéras qui furent joués à Vérone, Padoue et Venise. La plus célèbre de ces oeuvres fut Cleobulo (Bologne, 1683). Il a également laissé trois oratorios, des cantates à voix seule et de la musique instrumentale pour violon et violoncelle. L’ensemble de son oeuvre, sans pouvoir prétendre à figurer au tout premier plan, est pourvu de maintes qualités d’esprit et d’invention. GABURO (Kenneth), compositeur et pédagogue américain (Somerville, New Jersey, 1926). Il a fait ses études à l’Eastman School of Music, à l’académie Sainte-Cécile de Rome (avec Petrassi) et à l’université de l’Illinois, et a partagé sa carrière entre l’enseignement et la composition, fondant en 1964 le New Music Choral Ensemble. Son intérêt pour l’électronique et pour l’exploration des propriétés acoustiques, physiologiques et structurelles du langage se reflète notamment dans Lingua I-IV (1965-1970), oeuvre de théâtre musical d’une durée de six heures. GABUS (Monique), femme compositeur française (Cambrai 1924). Élève de Jean Gallon, Tony Aubin et Olivier Messiaen au Conservatoire de Paris, elle y a obtenu des prix d’harmonie et de composition. Éprise de simplicité et d’intériorité, elle a écrit des oeuvres symphoniques et chorales, de la musique de chambre, des mélodies, des vocalises, ainsi que divers recueils de pièces pour piano destinées à la jeunesse. Citons en particulier la Nuit obscure, cantate pour soprano, choeur et orchestre sur un texte de saint Jean de la Croix, créée en janvier 1961 par Albert Wolff au concert marquant ses cinquante ans de direction d’orchestre. GACE BRULE (Gaces Brulez), trouvère français (aux environs de Meaux v. 1159 - ? v. 1213).

D’origine champenoise et de petite noblesse, il fut l’un des plus importants trouvères de son époque. Il eut pour maître Conon de Béthune et fit partie de l’entourage de Marie de France et de Louis de Blois. Il a laissé une abondante production, environ 70 pièces dont la plupart sont notées. Ses chansons sont d’une grande aisance mélodique. On peut citer parmi les titres, Contre tems que voy frimer, les Oisillons de mon pais et de bone Amour, Blaus m’est estez. Pour un aperçu de son art, on peut consulter une édition moderne en fac-similé du Chansonnier Cangé par J. Beck (le Chansonnier des troubadours et des trouvères, no 1, Paris, 1927). GADE (Niels Wilhelm), compositeur danois (Copenhague 1817 - id. 1890). Il fut le premier compositeur important du Danemark après D. Buxtehude. Fils d’un modeste luthier, il étudia le violon avec F. T. Wexhall, un élève de L. Spohr, et la composition avec C. Weyse et A. P. Berggreen ; le succès de sa première oeuvre, l’ouverture d’Ossian (1840), attira sur lui l’attention de F. Mendelssohn et de L. Spohr, ce qui lui permit d’obtenir une bourse pour étudier à Leipzig. Il se lia avec R. Schumann et F. Mendelssohn, devint professeur au conservatoire de cette ville, puis seconda Mendelssohn au Gewandhaus (il y créa le concerto de violon de son ami pendant la saison 1845-46) avant de lui succéder, à sa mort. En 1848, Gade retourna à Copenhague, où il prit la tête, en 1850, du Musikforeningen et fonda avec J. P. E. Hartmann et H. S. Paulli, en 1866, le Conservatoire royal. Jusqu’à sa mort, il occupa une place de plus en plus grande dans la vie musicale de son pays qu’il marqua de son conservatisme et de l’esthétique de Leipzig. Ces caractères s’expriment dans son oeuvre par un délicat romantisme, légèrement teinté d’un discret lyrisme danois. Son style, élégant et aisé, et son expression pleine de mesure marquent ses meilleures oeuvres, tels la 4e de ses huit symphonies (1850), le ballet Et Folkesagn (1853), l’opéra-ballet Elverskud (1853), et sous-tendent ses cinq ouvertures, cantates et lieder, tandis que sa musique de chambre, ses pièces pour piano l’apparentent aux meilleurs représentants de la musique de salon. GAFORI (Gaffurio, Franchino), théoricien et compositeur italien (Lodi 1451 -

Milan 1522). Il vécut successivement à Mantoue, Vérone, Gênes et Naples. Il fut l’élève de Godendach et fut ordonné prêtre vers 1473. De 1478 à 1480, il vécut à Naples et fit la connaissance de Johannes Tinctoris ; il y publia son Theoricum opus, musicae disciplinae (1480). Chassé de Naples par la peste, il devint maître de chapelle à la cathédrale de Milan (1484). Il y resta jusqu’à la fin de ses jours, publiant ses autres traités : Practica musicae (1496), Angelicum ac divinum opus musicae (1508), De Harmonia musicorum instrumentorum opus (1518). Un autre ouvrage parut à Turin en 1520 : Apologia adversum ... adversus Joannem Spatarium. Gafori se révèle comme le précurseur de Zarlino dans sa façon de concevoir la musique du point de vue harmonique. En tant que compositeur, il a laissé des oeuvres de musique d’église (13 messes, stabat mater, litanies, motets, antiennes, hymnes, 11 magnificat) ainsi qu’un petit nombre de pièces profanes. GAGLIANO, famille de musiciens italiens. Giovanni Battista Zanobi, dit Da Gagliano (Florence 1594 - id. 1651).Il remplaçait son frère aîné Marco à San Lorenzo de Florence lorsqu’il s’absentait, ou était écarté de l’office par sa santé fragile, et lui succéda à sa mort en 1643 comme maître de chapelle à la cathédrale et à la cour. Contrairement à son frère, il n’était pas prêtre. Il n’est guère cité dans les histoires de la musique que pour avoir participé (avec Caccini) à la composition d’une Rappresentazione di Martirio di Santa Agata donnée à San Giorgio de Florence le 10 février 1622, avant d’être reprise le 22 juin suivant chez le cardinal de Médicis. La musique de cet oratorio est perdue. Marco Zanobi, dit Da Gagliano, frère aîné du précédent (Florence 1582 - id. 1643). Il est ordonné prêtre et devient l’élève de Luca Bati, maître de chapelle de San Lorenzo de Florence (1595-1608) avant de prendre sa place à sa mort. En 1611, il est musicien attitré du grand-duc de Toscane et, tandis qu’il s’élève régulièrement dans la hiérarchie ecclésiastique, il fonde en 1607 l’Accademia degl’Elevati, downloadModeText.vue.download 402 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE

396 qui, comme celle du comte Bardi, réunit chanteurs, compositeurs et amateurs. À partir de 1607, il est protégé du cardinal Ferdinand de Gonzague avec lequel il entretient une intéressante correspondance parvenue en partie jusqu’à nous. En décembre de cette même année, il se rend à Mantoue pour y faire représenter La Dafne, son premier opéra, jugé par Jacopo Peri la meilleure mise en musique jamais tentée du poème de Rinuccini. Cette oeuvre courte contient en particulier des danses fort attrayantes, et sa préface rédigée pour la publication reste un document fondamental sur l’opéra à ses débuts. Gagliano y combat notamment le goût des prouesses vocales et exige une parfaite diction de ses chanteurs. Il y manifeste la plus grande admiration pour les opéras de Peri ainsi que pour l’Arianna (1608) de Monteverdi. Il précise quels sont les usages instrumentaux en matière d’accompagnement et recommande l’emploi d’une sinfonia préliminaire... pour obtenir le silence du public. Il semble que La Dafne de Gagliano ait été donnée ensuite à Florence au cours du carnaval de 1610. Après avoir composé à Mantoue une série d’oeuvres pour la semaine sainte, Gagliano revient à Florence en avril 1608. Puis, de nouveau à Mantoue, il travaille sur L’Idropica, (Guarini) aux côtés de Monteverdi, S. Rossi, Gastoldi. À Florence, il compose, pour les cérémonies du mariage de Ferdinand Gonzague avec une Médicis (1616), une sorte d’allégorie mythologique célébrant l’union du sang des deux maisons (La Liberazione di Tirteco e d’Arnea autori del sangue toscano). En 1624 et 1626, suivent deux oratorios sacrés (mais représentés sur scène), dont la musique n’a pas été conservée (La Regina Sant’Orsola et Istoria di Judit). On possède une partie du livret et de la musique d’un dernier opéra, La Flora, représenté à l’occasion du mariage du duc de Parme (Farnèse) et de Marguerite de Médicis (1628) au palais Pitti. En dehors des Responsoria publiées à Venise en 1630, on ne sait plus rien de l’activité ultérieure de Gagliano. On pense que, après 1624, sa santé, qui avait toujours été fragile, l’empêcha de poursuivre ses activités. Il est enterré à San Lorenzo de Florence le 26 février 1643. Très sévère

pour lui-même, il n’avait publié que peu d’oeuvres. Dans le domaine du madrigal, il laisse 6 livres à 5 voix. Les Musiche a 1 - 3 voci contiennent quelques morceaux admirables d’une grande expressivité. La monodie à voix seule, Valli profonde, doit être considérée comme une des plus réussies de tout le répertoire de l’époque. GAGNEBIN (Henri), compositeur suisse (Liège 1886 - Genève 1977). Après des études à Lausanne, Berlin et Paris (Schola cantorum avec Vincent d’Indy et Blanche Selva), il a été organiste à la Rédemption à Paris (1910-1916), puis à Saint-Jean de Lausanne (1916-1925). Directeur du conservatoire de Genève de 1925 à 1957, il y a enseigné jusqu’en 1961. Il fonda en 1938 le concours international de Genève, qu’il présida jusqu’en 1959. On lui doit notamment quatre symphonies (1911, 1921, 1955, 1970), des pièces symphoniques, de la musique de chambre. Spécialiste de la musique religieuse protestante, il a écrit dans cet esprit l’oratorio Saint François d’Assise (1933), le Requiem des vanités du monde (1938), deux Suites d’orchestre sur des psaumes huguenots (1950 et 1966), les Mystères de la foi d’après Francis Jammes (1958), des pièces d’orgue. Il a aussi écrit des livres, dont Musique, mon beau souci (Neuchâtel, 1969) et participé à l’édition complète des oeuvres de Claude Goudimel. GAGNEPAIN (Bernard), musicologue français (Sully-sur-Loire 1927). Après avoir suivi des études littéraires et musicales, il participa au Séminaire européen de musique ancienne de Bruges dont il devint directeur en 1967. Spécialiste de la musique française ancienne, auteur d’une thèse sur Jean Servin comportant la mise en partition de l’oeuvre entière de ce compositeur, il est assistant au Conservatoire national supérieur de musique pour l’histoire de la musique préclassique et, en même temps, chargé de cours à la Sorbonne pour la musique de la Renaissance et la paléographie musicale. Il a collaboré à des ouvrages collectifs, tels que la Musique sous la direction de Norbert Dufourcq (Paris, 1965) et l’Encyclopédie des musiques sacrées (Paris, 1969), ainsi qu’à des dictionnaires et à des encyclopédies musicales françaises ou étrangères, et publié notamment la Musique française

du Moyen Âge et de la Renaissance (1961) et Histoire de la musique au Moyen Âge2. XIII-XIVe siècle (1996). GAGNEUX (Renaud), compositeur français (Paris 1947). Élève d’Alfred Cortot pour le piano et pour la composition de Henri Dutilleux, Tony Aubin et Karlheinz Stockhausen, grand prix de la musique de chambre de la S. A. C. E. M. en 1978, il est carillonneur au beffroi de la mairie annexe du 1er arrondissement de Paris. Il a écrit un certain nombre d’indicatifs pour FranceMusique, ainsi que la musique originale de la série de quarante courts métrages Encyclopédie du cinéma français. Parmi ses oeuvres : Endeka pour orchestre (1971) ; Rolling Music pour orchestre (1972) ; D’après, musique électroacoustique (1972) ; Dédale et Icare, qui relève du théâtre musical (1975) ; Messe pour instruments, choeurs et soprano (1976, création cette même année au festival d’Avignon), seconde version sous le titre de Messe de requiem pour grand orchestre, solistes, choeurs et maîtrise d’enfants ; Malkruth I, II, III, IV, musique électroacoustique et instrumentale (1978) ; Dix Personnages en quête d’auteur, montage-collage pour dix musiciens (1980) ; Te Deum (1987) ; l’opéra Orphée (Strasbourg, 1989) ; Trois Mouvements pour orchestre (1992), un Concerto pour violoncelle (1990-1993). GAGNON (Ernest), organiste et folkloriste canadien (Québec 1834 - id. 1915). Il fait ses études au Dominion College de Montréal, à Paris avec Durand et Herz, puis est organiste à la basilique de Québec (1864-1876). Il est l’un des meilleurs folkloristes canadiens français. Ses Chansons populaires du Canada (1865) ont eu un immense rayonnement. Il a harmonisé un grand nombre de mélodies populaires et de noëls du Québec. GAILLARDE. Danse rapide probablement d’origine italienne, pratiquée surtout aux XVIe et XVIIe siècles. De rythme ternaire, dansée sur cinq pas, elle a été introduite en France par Pierre Attaignant et Claude Gervaise. Au XVIIe siècle, une confusion s’est établie avec la gallarda espagnole, variation

continue sur un groupe de huit à dix mesures (Cabanilles en composa plusieurs). Le genre de la gaillarde a connu une floraison remarquable en Angleterre : maintes pièces pour clavier du Fitzwilliam Virginal Book sont des gaillardes, et on en trouve aussi dans les airs au luth de John Dowland. Dans les suites instrumentales de l’époque, la gaillarde succède et s’oppose souvent à la pavane tout en étant fondée sur le même matériau. GAJARD (dom Joseph), musicologue français (Sonzay, Indre-et-Loire, 1885 Solesmes, 1972). Profès de l’abbaye de Solesmes en 1911, il succéda en 1914 à dom Mocquereau comme maître de choeur, et participa activement à la résurrection du chant grégorien. On lui doit tout ou partie de l’édition du deuxième volume du Nombre musical grégorien (1914), des Matines de la semaine sainte et de Noël, d’un nouvel Antiphonaire monastique, d’un Office de Noël, d’un Office des défunts, etc. Directeur de la Paléographie musicale en 1930, de la Revue grégorienne en 1946 et des Études grégoriennes en 1954, dom Gajard a également assumé la responsabilité de tous les enregistrements de disques grégoriens à partir de 1930. downloadModeText.vue.download 403 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 397 GAL (Hans), compositeur et musicologue autrichien (Brunn an Gebirge 1890 - Édimbourg 1987). Élève de Mandyczewski et de Guido Adler, il composa dans la première partie de sa carrière plusieurs opéras (Der Zauberspiegel, 1930), et dirigea jusqu’en 1933 le conservatoire de Mayence. En 1938, il s’installa en Écosse, et de 1945 à 1957 enseigna à l’université d’Édimbourg. Il a notamment écrit un Brahms (1961) et Franz Schubert oder die Melodie (1970). GALANT (style). Terme s’appliquant à une esthétique musicale caractérisant une partie de la production des années 1730-1780, mais valable également pour certaines oeuvres antérieures ou postérieures.

Le mot « galant » - de l’ancien verbe « galer » - signifiait une manière extravertie de s’exprimer, « être vif, joyeux, se réjouir », et le style galant correspondait moins à un mode d’écriture qu’à un état d’esprit. Ses aspects extérieurs furent la renonciation à la polyphonie, l’accent mis sur la séduction mélodique, la variation ornementale, la décoration, et aussi la virtuosité conçue comme un but en soi. D’où, comme définition possible, la « rencontre entre le souci du prestige technique et l’obligation de rester plaisant » (J. Massin). Le style galant s’oppose donc, sans toutefois en être nécessairement totalement absent, à Bach et à Rameau en tant que derniers grands représentants de l’ère baroque, à l’Empfindsamkeit d’un Carl Philipp Emanuel Bach, à Gluck, au travail de pionnier de Joseph Haydn dans les années 1760, ou encore au Sturm und Drang des compositeurs autrichiens des alentours de 1770. Parmi ses représentants, un certain Telemann, beaucoup de musiciens de cour, et surtout Jean-Chrétien Bach, son plus parfait porte-parole sans doute. Historiquement et esthétiquement, il fallut dépasser le style galant sans pour autant en ignorer les acquisitions. Ce fut essentiellement l’oeuvre de Mozart et de Joseph Haydn, qui sacrifièrent au style galant, mais dont le style de maturité (à partir de 1780) est inconcevable sans ce phrasé articulé, cette polarisation tonique-dominante, ce souci des contrastes et ce dramatisme tonal qui sont autant de sublimations des recettes du style galant, et qui rendent, en fin de compte, sa genèse inséparable de celle de ces genres dramatiques entre tous que sont le concerto pour piano et l’opera buffa italien. En d’autres termes, le style galant, bien que, par de nombreux traits, d’essence aristocratique et expression de l’art de vivre de l’aristocratie, résulta, entre autres, de l’apparition d’un public nouveau, le public bourgeois, qui, à l’Opéra ou au concert, souhaitait avant tout être diverti ; or, comme l’a fait remarquer Adorno, ce désir de divertissement eut comme effet dialectique positif, par opposition à la relative unité de facture du baroque, une diversification de la matière première « composée », aboutissant finalement à cette relation dynamique entre unité et diversité sur laquelle devait se fonder le classicisme viennois. Ce fut notamment pour avoir su mettre le style galant et son côté théâtral au service

de leur dynamique formelle que Haydn et Mozart, contrairement à ce qu’avaient dû faire leurs prédécesseurs immédiats et eux-mêmes en leurs débuts, n’eurent plus à choisir entre surprise dramatique et cohérence à grande échelle, entre expression et élégance, mais purent réaliser, de ces objectifs jadis contradictoires, la synthèse magistrale que l’on sait. GALEFFI (Carlo) baryton italien (Venise 1884 - Rome 1961). Il fit ses débuts à Rome, en 1904, dans Lucia di Lammermoor (rôle d’Enrico). Sa voix superbe le fit triompher sur toutes les grandes scènes du monde en dépit d’un style de jeu très mélodramatique. Il créa de nombreux ouvrages (Nerone de Boito, L’Amore dei tre re de Montemezzi, Isabeau de Mascagni) et fut Amfortas lors de la première de Parsifal en Italie. Comme Lauri-Volpi et Caniglia, Galeffi appartenait à cette catégorie de chanteurs italiens de la période entre les deux guerres chez qui la splendeur du timbre et l’ampleur vocale l’emportaient sur le goût musical et la qualité du style. GALILEI (Vincenzo), théoricien et compositeur italien ( ? apr. 1520 - Santa Maria a Monte, près de Florence, 1591). Venu à Florence comme luthiste vers 1540, il bénéficie très vite de la protection du comte Bardi, qui l’envoie vers 1563 à Venise étudier la théorie musicale avec Zarlino. il s’établit ensuite à Pise, où il enseigne le luth pendant quelques années et se fixe à Florence en 1572. Très actif au sein de la Camerata florentine, il est une des grandes figures de la recherche théorique musicale de cette époque, au service de laquelle il met peu à peu exclusivement ses dons d’interprète et de compositeur. Après un premier traité, le Fronimo (1568-69), sur les transcriptions de chansons pour luth, il commence vers 1570 un manuel didactique (sans doute destiné à ses élèves), où il traite des idées exposées par Zarlino dans ses Istitutioni harmoniche, mais y trouve bientôt des contradictions avec certains principes de la musique grecque qu’il connaissait déjà. Il entre alors en contact en 1572 avec G. Mei, spécialiste romain de la musique grecque ancienne, et, pendant une dizaine d’années, s’établit une correspondance fructueuse entre les deux hommes (Galilei effectue même deux voyages à Rome pour s’entretenir avec Mei). Le résultat de

cet échange est la publication à Florence, en 1581, du Dialogo della musica antica et della moderna. il s’agit en fait d’une tentative de réforme de la musique de l’époque selon les principes des Anciens. Galilei y réfute tout d’abord les théories de Zarlino concernant l’accord et les modes, et dénonce les modes ecclésiastiques comme faux. Il établit ensuite que seule la musique monodique est apte à exprimer le sens profond d’une poésie et permet la déclamation du texte, et condamne certains effets des madrigalistes (peintures de mots). Pour illustrer ses théories, il met en musique dans le nouveau style monodique (avec accompagnement de luth) et exécute en 1582 devant les membres de la Camerata deux Lamentations de Jérémie et la lamentation d’Ugolino dans l’Enfer de Dante. Zarlino ne réplique qu’en 1588 avec les Sopplimenti musicali, et il est à nouveau attaqué par Galilei en 1589 dans le Discorso intorno all’opere di messer Gioseffo Zarlino, qui réfute ses déclarations sur les fondements mathématiques des lois musicales. L’auteur critique d’autre part les règles trop rigides de Zarlino et Artusi concernant les dissonances et en accepte certains types pour des raisons expressives, tels que les utilisait C. de Rore, par exemple. Les derniers essais théoriques de Galilei, non publiés, renferment des informations intéressantes sur certaines expériences acoustiques et sur l’étude de la génération du son. Ces compositions reflètent les préoccupations théoriques de leur auteur. Outre les exemples donnés dans les traités et les Lamentations mentionnées ci-dessus, elles incluent deux livres de transcriptions pour luth (Intavolature de liuto..., 1563 ; Libro d’intavolatura di liuto..., 1584), qui s’attachent à reproduire l’aspect mélodique de la chanson dans un style assez homophone et à très forte tendance tonale. Avec ses deux livres de madrigaux (1584, 1587), en particulier le second, il est dans la lignée de C. de Rore et préfère la forme d’expression apportée par des mouvements chromatiques, des dissonances et suspensions harmoniques aux traditionnelles peintures de mot qu’il avait tant critiquées. L’importance de Galilei est donc capitale dans l’histoire de la théorie musicale et dans l’évolution des formes (début du règne de la monodie accompagnée). Il est

enfin le père du célèbre physicien Galileo Galilei. GALIMIR (Félix), violoniste autrichien naturalisé américain (Vienne 1910). De 1922 à 1928, il fait ses études au Conservatoire de Vienne avec Adolf Bak. En 1929, il fonde un quatuor qui porte son nom, et qui réalise en 1936 le premier enregistrement de la Suite lyrique de Berg. En 1938, il émigre aux États-Unis, où il downloadModeText.vue.download 404 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 398 commence une brillante carrière de chambriste et de professeur. Il est également membre du NBC Symphony Orchestra et, dès 1954, enseigne à Marlboro. En 1962, il est nommé à la Juilliard School de New York, et en 1976 au Mannes College. Son quatuor, refondé en 1938, poursuit son activité jusqu’en 1985. GALLICAN (chant). L’une des grandes familles de chant liturgique qui, en France, comme le chant ambrosien à Milan, le mozarabe en Espagne et le vieux-romain dans le centre de l’Italie, tenta longtemps de maintenir ses particularismes face à l’unification grégorienne imposée par la papauté et soutenue par les empereurs carolingiens. Ces particularismes, au reste non systématiquement unifiés, n’atteignaient pas le fond de la liturgie, mais portaient sur de nombreux détails d’ordonnance, de texte (par exemple, on disait credimus, « nous croyons », au lieu de credo, « je crois »), sur le répertoire, les tournures mélodiques (on y trouvait souvent des psalmodies à 2 cordes de récitation comme dans le tonus peregrinus), et même sur la prononciation du latin (on a prononcé le plus souvent en « U » jusque vers 1920). Le chant gallican a été progressivement éliminé à partir du IXe siècle, et il en reste peu de témoins systématiques, mais de nombreuses pièces gallicanes se sont glissées dans les livres de chant français, parfois même étrangers (le Te Deum, par exemple, a une origine gallicane), et y ont subsisté plus ou moins longtemps. Au XVIIe siècle, le particularisme gallican semble avoir abandonné cet aspect du répertoire pour se réfugier vers

d’autres manifestations, par exemple dans le « plain-chant parisien » resté en usage jusqu’à la réforme de Solesmes au début du XXe siècle. GALLI-CURCI (Amelita), soprano italienne (Milan 1882 - La Jolla, Californie, 1963). Elle aborda le chant en autodidacte, et débuta à Trani dans le rôle de Gilda de Rigoletto en 1906. Après une dizaine d’années dans les principaux théâtres d’Italie, elle fut engagée au Metropolitan Opera de New York, où elle triompha pendant dix ans dans les rôles de soprano leggero. En dépit de sa légèreté, la voix de Galli-Curci, dans la grande tradition du bel canto, passait de façon incroyable. GALLIERA (Alceo), chef d’orchestre italien (Milan 1910 - Brescia 1996). C’est son père, lui-même fils de compositeur et professeur au conservatoire de Milan, qui dirigea ses études. Dès l’âge de vingt-deux ans, Alceo Galliera enseignait à son tour l’orgue et la composition en ce même conservatoire. Il fit ses débuts de chef d’orchestre en 1941 à la tête de l’académie Santa Cecilia de Rome, mais la guerre interrompit son activité et il dut s’exiler pendant deux ans en Suisse. En 1945, le festival de Lucerne lui fournit l’occasion d’un nouveau départ, cette fois pour une grande carrière internationale. Il a été notamment directeur de l’Orchestre municipal de Strasbourg pour plusieurs saisons à partir de 1964. Son oeuvre de compositeur comprend un ballet pour la Scala - Le Vergine savie e le Vergine folli (1942) -, des pièces pour orchestre, de la musique de chambre et des mélodies. GALLI MARIÉ (Célestine), mezzo française (Paris 1840 - Vence 1905). Elle débuta à Strasbourg en 1859 et fut engagée en Belgique et en Italie, puis à l’Opéra-Comique de Paris où elle chanta régulièrement entre 1862 et 1885 et créa Mignon d’Ambroise Thomas et Carmen de Bizet (son nom est resté attaché à ce dernier rôle). Sa voix était sombre et corsée, quoique relativement légère, et elle passait pour une excellente actrice. GALLOIS (Patrick), flûtiste français (Linselles 1956).

Après avoir été l’élève de R. Hériché et M. Larrieu, il entre au Conservatoire de Paris pour y travailler avec J.-P. Rampal et A. Marion. En 1975, il obtient un 1er Prix de flûte. La même année, il est engagé comme flûte solo à l’Orchestre philharmonique de Lille. De 1977 à 1985, il occupe le même poste à l’Orchestre national de France. À partir des années 1985-1990, il se fait connaître davantage comme soliste, se produisant en concerto ou en formation de chambre. GALLOIS-MONTBRUN (Raymond), violoniste et compositeur français (Saigon 1918 - Paris 1994). Entré au Conservatoire de Paris en 1929, il y obtint quatre premiers prix (violon en 1934, harmonie en 1936, fugue et contrepoint en 1937, composition en 1939). Premier grand prix de Rome en 1944 avec la cantate Louise de la Miséricorde, il mena dans les années qui suivirent une double carrière de virtuose et de compositeur, signant surtout des oeuvres pour le violon et pour le piano : 12 Études, caprices de concert pour violon seul (1948), Concerto pour violon et orchestre (1949), Mélodies et proverbes, 12 pièces pour piano (1951), Variations de concert pour violon et piano (1957), Sonate pour piano (1958). On lui doit aussi de la musique symphonique comme la Symphonie japonaise (Tokyo, 1951), le poème symphonique le Port de Delft (1960) ou le Concerto pour piano (1963), et de théâtre comme le Rossignol et l’Empereur (1959) et Stella ou le Piège de sable (1963). Sur le plan pédagogique, il a été directeur de l’École nationale de musique de Versailles (1957-1962) avant de devenir directeur du Conservatoire de Paris (1962-1983), où il a notamment, en 1966, créé des cours de 3e cycle. GALLON (les), famille de compositeurs et pédagogues français. Ils honorèrent l’enseignement du Conservatoire de Paris et signèrent des oeuvres fort personnelles dans un style néoclassique avancé. Ils comptèrent parmi leurs élèves, entre autres, Tony Aubin, Marcel Delannoy, Maurice Duruflé, Henri Dutilleux, Raymond Gallois-Montbrun, Olivier Messiaen. Jean (Paris 1878 - id. 1959). Il fut, au

Conservatoire, l’élève de Lavignac, Diémer, Vidal et Lenepveu. Il dirigea les choeurs de la Société du Conservatoire de 1906 à 1914. Après la Première Guerre mondiale, il fut nommé professeur d’harmonie au Conservatoire de Paris (19191949). Il a composé des mélodies, une Messe à 4 voix, Six Antiennes pour orchestre à cordes et orgue, un ballet Hansli le Bossu en collaboration avec son frère, de même que divers écrits pédagogiques. Noël (Paris 1891 - id. 1966). Il fut initié à la musique par sa mère, professeur de piano, et par son frère Jean, de treize ans son aîné. Au Conservatoire de Paris, il fut l’élève de Rougnon, Rissler, Lavignac et surtout Henri Rabaud, dont il devait être le tout premier disciple. Grand Prix de Rome en 1910, il fut nommé après la guerre (1920) professeur de solfège au Conservatoire de Paris. Six ans plus tard, il succéda à André Gédalge comme professeur de fugue et de contrepoint. En outre, à partir de 1935, il fut directeur du concours Léopold-Bellan. Noël Gallon a composé un drame musical Paysans et soldats (1911), le ballet Hansli le Bossu (1914, avec son frère), de la musique de chambre dont une Sonate pour flûte et basson (1952), un Quintette pour harpe et cordes (1953), des oeuvres pour orchestre et des mélodies. En collaboration avec son frère, il a publié des ouvrages pédagogiques (Cent Dictées musicales à trois parties, Paris, 1942 ; Cinquante Leçons de solfège rythmique, 2 recueils, Paris, 1964) et, en collaboration avec M. Bitsch, un Traité de contrepoint (1964). GALLUS (Jakob, Jacobus Handl, Gallus, vocatus CARNIOLANUS), musicien slovène (Ribnica 1550 - Prague 1591). Moine cistercien des couvents autrichiens de Melk et Zwettl, il appartient à la cour de Vienne dès 1574, puis devient regens chori de la chapelle de l’évêque d’Olomoutz (1580-1585). En 1581, il passe à l’ordre des Jésuites. Il séjourne à Breslau avant de terminer sa vie à Prague, comme cantor de l’église Saint-Jean-in-Vado dans la vieille ville. Il ne fut rien de moins que l’équivadownloadModeText.vue.download 405 sur 1085

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lent de Palestrina en Slovénie et Bohême. Dans ses oeuvres profanes en particulier (Harmoniae morales [1589, 1590], Moralia [1596]), il donne la primauté à la ligne mélodique, jouant d’effets chromatiques et de recherche de timbres qui seront les secrets de la nouvelle musique italienne. Les modulations sont fréquentes, adaptées au sens des textes et à leur prosodie. L’emploi de certains intervalles, tel le triton, étonne les musicologues. GALOP. Danse rapide à deux temps, originaire d’Europe centrale, dont le rythme particulier évoque approximativement le galop d’un cheval. GALUPPI (Baldassare, dit IL BURANELLO du nom de l’île du littoral vénitien, Burano, où il naquit), compositeur italien (Venise 1706 - id. 1785). Fils d’un violoniste, il composa en 1722 l’opéra La Fede nell’incostanza, qui n’eut pas de succès, puis devint l’élève préféré de Lotti. Il remporta son premier triomphe de compositeur avec Gl’odi delusi dal sangue (1728), écrit en collaboration avec Pescetti. Compositeur attitré d’opéras italiens au théâtre de Haymarket à Londres de 1741 à 1743, il devint vicemaître de chapelle (1748), puis maître de chapelle (1762) à Saint-Marc de Venise, et fut ensuite maître de chapelle de la cour de Catherine II à Saint-Pétersbourg (17651768). De ses opere serie, seuls Alessandro nell’Indie (Mantoue, 1738) et L’Olimpiade (Milan, 1747) eurent quelque succès. Ce fut essentiellement un maître de l’opéra bouffe, ce dont témoignent en particulier les oeuvres nées de sa collaboration avec Carlo Goldoni : L’Arcadia (1749), Il Mondo della luna (1750), Il Mondo alla roversa (1750), Le Virtuose ridicole, d’après les Précieuses ridicules de Molière (1752), Il Filosofo di campagna (1754), La Diavolessa (1755). Il Filosofo di campagna, en son temps un des opéras bouffes les plus prisés, est parfois ressuscité de nos jours. Galuppi semble avoir été l’un des premiers compositeurs à saisir l’importance théâtrale et musicale des finales d’acte. Il écrivit en tout 91 opéras. On lui doit également 27 oratorios, d’autres ouvrages pour l’église et de la musique instrumentale dont sept Concerti a quattro pour cordes et surtout 51 Sonates pour clavecin qui font de lui l’un des principaux pionniers

du genre. GALWAY (James), flûtiste irlandais (Belfast 1939). Il étudie au Royal College of Music de Londres et à la Guildhall School of Music, puis au Conservatoire de Paris (1960-61) avec G. Crunelle et J.-P. Rampal, enfin avec Marcel Moyse. Il est d’abord musicien de théâtre au Royal Shakespeare Theater de Stratford, puis au Sadler’s Wells et au Covent Garden, dont il devient le premier flûtiste. En 1966, il entre à l’Orchestre symphonique de Londres ; en 1967, il est nommé première flûte du Royal Philharmonic Orchestra et, de 1969 à 1975, il est première flûte solo à l’Orchestre philharmonique de Berlin. Puis il entame une véritable carrière de soliste, interrompue par un accident. Il se consacre depuis en majeure partie à l’enseignement. GAMBE. 1. Famille de jeux de fond de l’orgue. La gambe est appelée aussi viole de gambe. Les jeux « gambés », aux tuyaux de métal, se caractérisent par une taille étroite qui leur donne une sonorité plus mordante que celle des principaux. Surtout employés dans l’orgue symphonique de style romantique, ils sonnent à l’échelle normale (8 pieds), au grave et plus rarement à l’aigu (16 et 4 pieds). Ils sont également baptisés violoncelle et salicional. 2. Abréviation courante de la basse de viole ( ! VIOLE DE GAMBE). GAMELAN. Ce mot javanais désigne une formation orchestrale propre à Java et à Bali, caractérisée par la prédominance d’instruments à percussion très élaborés : jeux de cloches, jeux de gongs, métallophones, xylophones, etc. Révélé au monde occidental lors de l’Exposition universelle de Paris en 1889, le gamelan et ses sonorités étranges ont exercé une influence certaine sur la musique européenne par l’intermédiaire, notamment, de Claude Debussy. GAMMA. Lettre grecque correspondant au « G ». Lorsqu’on forma l’alphabet musical

latin ( ! CLEF), on adapta les lettres à l’échelle du système grec qui commençait au la : A désigne donc le la, et on marque le changement d’octave par le changement de graphie des lettres : capitales, puis minuscules, puis minuscules doublées. Mais, dans certains modes plagaux ecclésiastiques, le chant pouvait descendre jusqu’au sol sous le A initial. On avait donc besoin d’un G inférieur, et il n’existait pas de « sous-capitales ». On donna à ce G la forme et le nom du G grec, et, comme c’est lui qui ouvrait la nomenclature, celle-ci prit son nom et devint la « gamme ». Parmi les syllabes de solmisation, le gamma ne pouvait recevoir que la syllabe ut, d’où son nom complet de gamma ut, devenu parfois gamut par contraction. GAMME. 1. Nomenclature des sons appartenant soit à une échelle, soit à une tonalité ou à un mode déterminés, rangés par degrés conjoints. La gamme s’énonce le plus souvent de tonique à tonique sur l’étendue d’une octave (1 à 8) : « Une gamme de do majeur. » 2. Exercice usuel chez les instrumentistes, consistant à jouer à la suite, en combinaisons variées, tous les sons d’une gamme donnée : « Gamme en tierces, faire ses gammes. » -3.Le mot gamme est parfois employé abusivement pour échelle ou mode : « Tel passage est en gamme par tons entiers. » GANASSI (Silvestro dal Fontego), compositeur et théoricien italien (Venise 1492 - ? milieu du XVIe s.). Instrumentiste lui-même - célèbre comme joueur de flûte et de viole de gambe -, il appartint à la Signoria de Venise (SaintMarc). Il fut l’auteur de la première méthode pour la flûte connue (La Fontegara, 1535) ainsi que de l’un des premiers traités pour la viole publié en deux volumes (Regola rubertina, 1542). Ces ouvrages contiennent de précieux renseignements concernant la technique de ces instruments à l’époque. Le second explique également l’art de la diminution, de la transposition, et de l’accompagnement d’une pièce vocale. Notés en tablature de viole, les volumes de la Regola rubertina renferment des ricercari pour un seul instrument, employant parfois une écriture

à 2 voix grâce à la technique du jeu en doubles-cordes. GANNE (Louis), compositeur et chef d’orchestre français (Bruxières-lesMines, Allier, 1862 - Paris 1923). Au Conservatoire de Paris, il étudia la composition et l’harmonie avec Théodore Dubois et l’orgue avec César Franck, obtenant un premier prix d’harmonie en 1881 et un premier prix d’orgue en 1882. La même année, il devint chef d’orchestre aux Folies-Bergère et, en 1892, au Nouveau-Théâtre de la rue Blanche, avant de prendre la direction du casino de Royan (1900) et celle de l’Opéra de Monte-Carlo (1905). Il fonda les concerts symphoniques Louis-Ganne, qui connurent longtemps une fidèle audience. Mais depuis 1895, il dirigeait chaque année les bals de l’Opéra, ce qui l’amena à se fixer à Paris en 1910, ayant, d’autre part, été nommé chef d’orchestre au théâtre Apollo. Il y fit représenter ses opérettes Cocorico (1913) et la Belle de Paris (1921). Compositeur plein de verve, il a écrit des marches militaires, dont la célèbre Marche de Lorraine, des ballets, des opéras-comiques, parmi lesquels les Saltimbanques (1899) et Hans le joueur de flûte (1906). downloadModeText.vue.download 406 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 400 GÄNSBACHER, famille de musiciens autrichiens. 1. Johann Baptist, organiste et compositeur (Sterzing, Tyrol du Sud, 1778 Vienne 1844). Élève de l’abbé Vogler et d’Albrechtsberger, il composa en 1806 une messe pour Nicolas II Esterházy et, en 1823, succéda à Joseph Preindl au poste de maître de chapelle de la cathédrale SaintÉtienne de Vienne. 2. Josef, chanteur et musicologue, fils du précédent (Vienne 1829 - id. 1911). Ami de Brahms, qui lui dédia sa sonate pour violoncelle opus 38, il fut à Vienne le plus célèbre professeur de chant de son époque et participa comme codirecteur à l’édition complète des oeuvres de Schubert. GARANT (Serge), compositeur canadien (Québec 1929 - Sherbrooke, Québec,

1986). Largement autodidacte, il s’est intéressé immédiatement à l’avant-garde de la première moitié du XXe siècle (Schönberg, Webern), sans commencer par les classiques, et a étudié avec Claude Champagne à Montréal, puis avec Olivier Messiaen à Paris (1951). Il découvrit dans cette ville la musique de Boulez. Adepte du sérialisme, il a fait appel dans ses oeuvres à la logique mathématique tout en s’attachant de près aux questions de sonorité. L’année de sa fondation (1966), il devint directeur musical de la Société de musique contemporaine du Québec. On lui doit notamment : Ouranos (1963) et Ennéade (1964) pour orchestre ; Phase I pour mezzo-soprano et trois instruments (1967) ; Phase II pour mezzo-soprano et deux orchestres (1968) ; Offrande I pour petit orchestre (1969) ; Offrande II pour grand orchestre (1970) ; Circuits I (1971), II (1972) et III (1973) et Chant d’amours pour soprano, mezzo, baryton et ensemble instrumental (1975). GARCIA (Manuel, dit parfois GARCIA L’ANCIEN), ténor espagnol (Séville 1775 - Paris 1832). Orphelin, il est d’abord choriste à la cathédrale de Séville. En 1802, il écrit une oeuvre d’un genre nouveau en Espagne, l’opérette El Seductor arrepentido. De 1808 à 1811, il fait un premier séjour à Paris avant de partir pour l’Italie. En 1815, il crée à Naples le rôle de Norfolk dans Élisabeth, reine d’Angleterre de Rossini. Le compositeur, enchanté par son art, écrit pour lui le rôle d’Almaviva dans le Barbier de Séville, qu’il crée à Rome en 1816. De 1816 à 1825, il se partage entre Londres et Paris, où il réside au Théâtre-Italien. Il y monte aussi ses propres opéras. De 1825 à 1829, il prend la tête de la première troupe italienne à avoir fait une tournée à New York, et jusqu’au Mexique. Il retourne ensuite à Paris et se consacre à l’enseignement. Il a fondé une dynastie de chanteurs dont trois de ses enfants sont d’illustres représentants : Maria Malibran, Pauline Viardot et Manuel Garcia II ont marqué tout le XIXe siècle. Parmi ses autres élèves, on relève aussi Adolphe Nourrit. GARCIA ABRIL (Anton), compositeur espagnol (Teruel 1933). Il a fait ses études aux conservatoires de

Valence et de Madrid, puis à Sienne (Accademia Chigiana) et à l’académie SainteCécile de Rome, et a été l’élève de Van Kempen et de Petrassi. Garcia Abril est, depuis 1957, professeur au conservatoire de Madrid. Son oeuvre, peu nombreuse, est d’une grande densité d’expression dans un langage néoclassique. Elle comprend des pages orchestrales (concerto pour cordes, Don Juan, ballet, concerto pour piano), de la musique de chambre (3 pièces pour double quintette et percussion) et de la musique vocale (Homenaje a Miguel Hernandez, Cantico del creature). GARCÍA LORCA (Federico), poète et dramaturge espagnol (Fuente Vaqueros 1898 - Véznar 1936). Il fut profondément influencé par le folklore musical de son pays, notamment par le « cante jondo », forme pure du flamenco, ainsi que par le flamenco gitan. Il était également un bon pianiste amateur, ayant étudié cet instrument dans son enfance, et réalisa des arrangements de chansons populaires. Parmi les compositeurs qu’il rencontra, on peut citer Joaquin Turina et, surtout, Manuel de Falla sur lequel il écrivit, et avec lequel il étudia le cante jondo, fondant même avec lui, en 1922, un concours pour cette expression musicale. Lui-même composa de petites musiques de scène destinées aux représentations données par son théâtre itinérant La Baraca, qu’il dirigea dans les années 30. Les oeuvres poétiques et dramatiques de García Lorca ont inspiré, surtout après sa mort, de nombreuses compositions : parmi celles-ci, mentionnons les opéras de Vittorio Rieti, 1949, et de Wolfgang Fortner, 1962 (ainsi que l’opéra radiophonique de Bruno Maderna, 1962), sur la pièce l’Amour de Don Perlimplin avec Bélise en son jardin ; les trois opéras de Juan José Castro, 1956, Wolfgang Fortner, 1957, et Sandor Szokolay, 1962-1964, sur les Noces de sang, 1933 (Bodas de sangre, 1933) ; l’opéra de Juan José Castro sur la Savetière prodigieuse, 1943, et, enfin, une grande cantate de Maurice Ohana pour récitant, baryton, clavecin, choeurs et ensemble instrumental, composée en 1950 sur le Llanto por Ignacio Sanchez Mejias (déploration funèbre pour la mort de Sanchez Mejias), oeuvre écrite en 1934 par García Lorca pour célébrer la mémoire d’un torero tombé dans l’arène. En commémoration de sa mort sous les balles

franquistes ont été composées un certain nombre d’oeuvres musicales, entre autres de Francis Poulenc (Sonate pour clarinette et violon, 1942-43) et l’Epitaffio per Federico Garcia Lorca, 1952-53, de Luigi Nono. Le compositeur américain Georg Crumb a souvent utilisé des textes de García Lorca, notamment dans ses Ancient Voices of Childrens, 1970 ; enfin, ses poèmes ont fait l’objet de multiples versions chantées, adaptées en chansons populaires. GARCISANZ (Isabel), soprano espagnole (Madrid, 1934). Elle fait ses études au Conservatoire de Madrid avec Angeles Ottein. Titulaire d’une bourse d’État, elle complète sa formation pendant trois ans à l’Akademie für Musik de Vienne. Dès 1960, elle commence une carrière internationale, s’imposant dans tous les grands rôles mozartiens, au Festival de Glyndebourne notamment. Elle chante aussi Rossini, Donizetti et l’Enfant et les sortilèges de Ravel. Elle entretient un lien privilégié avec la musique contemporaine : en 1974, elle crée Medis et Alissio de Georges Delerue. De Maurice Ohana elle chante les Cantigas et crée Sybille (1970) et la Messe (1977). En 1992, elle participe à la création du Château des Carpathes de Philippe Hersant. Elle chante également un répertoire de mélodies espagnoles avec piano ou guitare. GARDANO (GARDANE, Antonio), imprimeur italien, d’origine française (France v. 1509 - Venise 1569). Il se fixe vers 1537 à Venise, où il obtient un privilège d’imprimeur, et, à partir de 1556, italianise son nom français, Gardane en Gardano. Il introduit en Italie la méthode d’impression de Pierre Haultin, qui utilisait des caractères comprenant à la fois la note et la ligne, ce qui permettait d’imprimer la musique en une seule opération au lieu de deux comme le faisait Petrucci. Il obtient, malgré la rivalité incessante de la firme Scotto, un succès grandissant. Ayant publié des oeuvres littéraires à ses débuts, il se limite rapidement à la seule édition musicale. En 1538, soit un an après son arrivée à Venise, il publie trois recueils importants, Motetti del frutto, Canzoni francese a 4 et un premier livre de madrigaux d’Arcadelt, qu’il admirait beaucoup. Par la suite, il produit un second livre du même auteur ainsi que de nombreux re-

cueils de compositeurs divers (Willaert, Rore, Lassus). Il publie relativement peu de recueils de chansons, accordant une place plus importante à la musique sacrée et surtout aux madrigaux, qui constituent l’essentiel de sa production. Il est lui-même l’auteur de nombreuses pièces, dont une soixantaine de chansons, deux messes et quelques motets. Leur succès fut si grand qu’elles furent rééditées par différentes firmes européennes (y compris Scotto, son rival vénitien) jusqu’en downloadModeText.vue.download 407 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 401 1635. À sa mort, la maison est reprise par ses fils Alessandro et Angelo, puis après leur séparation en 1575, par Angelo seul qui, jusqu’à sa mort en 1611, lui conserve sa place privilégiée dans le monde de l’édition musicale italien. De fait, durant toute la seconde moitié du XVIe siècle, la maison Gardano a pratiquement l’exclusivité de l’impression des madrigaux italiens. De son côté, Alessandro, qui se fixe à Rome de 1583 à 1591, reprend le métier de l’édition et imprime surtout de la musique sacrée (Giovannelli, Marenzio, Palestrina, Victoria). À la mort d’Angelo, la firme dont ses descendants tentent vainement de protéger l’existence se laisse peu à peu miner par la concurrence des autres maisons italiennes, en particulier Vincenti, pour disparaître définitivement vers 1685. GARDEN (Mary), soprano écossaise (Aberdeen 1874 - Londres 1967). Elle étudia à Chicago, puis à Paris, où elle travailla avec Mathilde Marchesi et Lucien Fugère. Elle conquit une réputation immédiate en remplaçant au pied levé Louise Rioton, la créatrice de Louise, au milieu d’une représentation, sans avoir jamais appris le rôle autrement qu’en assistant aux répétitions de l’ouvrage. En 1902, elle fut la créatrice de Mélisande dans l’oeuvre de Debussy. Elle resta à l’Opéra-Comique jusqu’en 1907, effectuant d’autres créations moins prestigieuses. En 1907, elle chanta Thaïs de Massenet à New York et, en 1910, Salomé de Richard Strauss à Paris. Elle passa ensuite vingt ans à l’opéra de Chicago dont elle contribua à établir la réputation.

Sa dernière représentation fut Carmen en plein air à Cincinnati, en 1931. Si elle chantait les emplois les plus divers, Mary Garden n’avait pas une voix exceptionnelle, mais était une musicienne accomplie et une grande actrice, douée d’une forte personnalité. GARDINER (John Eliot), musicologue, chef de choeurs et chef d’orchestre anglais (Fontmell Magna, Dorset, 1943). Élève de Thurston Dart et de Nadia Boulanger, fondateur de Monteverdi Choir (1964), il s’est spécialisé dans la musique du XVIIe siècle et de la première moitié du XVIIIe, s’attachant en particulier à Rameau, dont il fut le premier à diriger les Boréades (Londres, 1975). De 1982 à 1989, il a été directeur artistique de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, et est depuis 1991 premier chef de l’Orchestre symphonique de la Radio de Hambourg. GASPARINI (Francesco), compositeur italien (Camajore, Lucques, 1668 - Rome 1727). Élève de Corelli et de Pasquini, il fut d’abord maître de choeur à l’Ospedale de la Pietà de Venise, puis, en 1725, maître de chapelle à Saint-Jean-de-Latran. Sa santé ne lui permit pas d’occuper pleinement ses fonctions, mais il put malgré tout consacrer du temps à l’enseignement et l’on compte B. Marcello et Quantz parmi ses élèves. Il fut aussi l’acteur d’une dispute célèbre avec Alessandro Scarlatti, dispute qui se déroula par un échange de cantates. Sa correspondance donne de nombreux renseignements sur lui-même et sur ses élèves, notamment Marcello. Son oeuvre se compose d’opéras (environ une soixantaine) et de musique d’église, formes, toutes deux, aussi brillantes sous sa plume. Sa réputation dépassa les frontières de l’Italie et atteignit en particulier l’Angleterre, ses opéras étant parmi les premiers à être représentés dans ce pays. Il faut aussi citer un traité d’accompagnement, très respecté en Italie : L’Armonico pratico al Cimbalo (Venise, 1708). GASSMANN (Florian), compositeur autrichien (Brüx, Bohême, 1729 - Vienne 1774). Désirant devenir musicien contre la volonté de son père, il se rendit en Italie, où

il étudia peut-être avec le Padre Martini et donna ses premiers opéras, Merope (Venise, 1757) et Issipile (Venise, 1758). Arrivé à Vienne en 1763, il y succéda à Gluck comme compositeur de ballets de la cour. Lors d’un nouveau voyage en Italie, il rencontra à Venise en 1766 le jeune Salieri, dont il fit son élève et qu’il amena à Vienne. En 1771, il fonda la TonkünstlerSozietät, première institution de concerts publics à Vienne, et l’inaugura en mars de l’année suivante avec son oratorio La Betulia liberata. En 1772 également, il succéda à Georg Reutter le Jeune au poste de maître de chapelle impérial. De ses opéras, il faut citer surtout, dans le genre bouffe, L’Amore artigiano (1767) et La Contessina (1770). En 1770, lors d’un troisième séjour en Italie, il présenta à Rome Ezio. On lui doit également des oeuvres religieuses, dont plusieurs messes et un requiem, de remarquables symphonies, et de la musique de chambre (quatuors à cordes). Un catalogue thématique de ses oeuvres instrumentales a été dressé en 1976 par George R. Hill. Ses deux filles Maria Anna (1771-1858) et Thérèse (17741837) furent des chanteuses de talent. GASTOLDI (Giovanni Giacomo), compositeur italien (Caravaggio v. 1555 - ? 1622). D’abord probablement l’élève de Jachet de Wert, il est ordonné prêtre et entre au service des Gonzague à Mantoue où il est nommé maître de chapelle à Santa Barbara. C’est à la cour de cette famille illustre qu’il rencontre Pallavicino, A. Striggio et Monteverdi. Ensuite, on le trouve à Milan en 1609, maître de chapelle à la cathédrale. Compositeur de musique instrumentale (Il Primo Libro della musica a 2 voci, 1598), de madrigaux (quatre livres de Madrigali a 5 voci chez Gardano à Venise, 1588-1602) et de nombreuses oeuvres de musique religieuse (messes, magnificat, motets, psaumes et vêpres), dans lesquelles il montre toute sa science du contrepoint, Gastoldi doit sa célébrité à un recueil de Balletti a cinque voci (1591), qui a connu non moins de trente rééditions dont une à Paris. En dehors de leur popularité, les Balletti « per cantare, sonare et ballare » (écrits pour les spectacles de danse à la cour de Mantoue), avec leur vitalité rythmique, leurs fa-la-la caractéristiques, forme strophique et écriture surtout verticale, ont influencé, certes,

Monteverdi (Scherzi musicali), mais également Th. Morley en Angleterre (Ballets a 5, 1595). Interprétées instrumentalement ou vocalement, ces oeuvres ont atteint pleinement leur objectif premier : O compagni, allegrezza, allegrezza (Introduttione a i Balletti). GASTOUÉ (Amédée), musicologue français (Paris 1873 - Clamart 1943). Il étudie le piano avec Deslandres, l’orgue avec Guilmant, l’harmonie avec Lavignac et la composition avec Magnard. Durant toute sa vie, il cumule les fonctions d’enseignant, de chercheur et de compositeur. Collaborateur de la Schola cantorum dès sa fondation, il y enseigne la musicologie de 1900 à 1903, puis le chant grégorien à la mort de Vincent d’Indy. Il est également professeur au petit collège Stanislas dès 1906 et donne aussi par la suite des cours à l’Institut catholique et à l’École des hautes études. En relation, dès sa jeunesse, avec les pères des abbayes de Solesmes et de Saint-Wandrille, il se bat pour le renouveau du chant grégorien (Cours théorique et pratique de chant grégorien, 1904 ; Traité d’harmonisation du chant grégorien sur un plan nouveau, 1910 ; l’Art grégorien, 1911). Mais ses connaissances s’étendent à toute la musique sacrée en général. Il est considéré comme l’un des plus grands spécialistes de musique byzantine et participe à toutes les conférences sur ce sujet. Il collabore à l’édition du Graduel Vatican (1908) et écrit une Histoire du chant liturgique à Paris (1904) et l’Église et la musique (1936). Grâce à sa publication de Pièces de polyphonie religieuse du IXe au XVe siècle et des Primitifs de la musique française, il sort de l’oubli les conduits des XIIe et XIIIe siècles, G. de Machaut et sa messe. Il a, en outre, participé au dépouillement des fonds musicaux de la Bibliothèque nationale et des bibliothèques du Conservatoire, de l’Opéra et de l’Arsenal. Ses travaux de chercheur l’amènent à prendre une part plus ou moins importante à la rédaction de nombreuses revues (Musica sacra, Rassegna gregoriana). downloadModeText.vue.download 408 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 402 Il est également l’un des fondateurs de la Société française de musicologie,

qu’il préside de 1934 à 1936. Quant à ses compositions, elles comprennent essentiellement de la musique sacrée (messes, motets, oratorios). GATTI (Theobaldo di), compositeur français, d’origine italienne (Florence v. 1650 - Paris 1727). Virtuose de la viole de gambe et de la basse de violon, il se rendit à Paris vers 1675 et se fit engager dans l’orchestre de l’Académie royale de musique. Admirateur de Lully, il demeura au sein de l’orchestre de l’Opéra et à Paris le reste de sa vie. Il fut l’auteur d’Airs italiens publiés chez Ballard (1696) et de deux opéras : une pastorale, Coronis (1691), et une tragédie lyrique fort bien reçue, Scylla, publiée chez Foucault en 1701. Avec Paolo Lorenzani, Theobaldo di Gatti fut l’un des seuls musiciens « italiens » actifs à la cour de Louis XIV sous la domination de Lully. GAUBERT (Philippe), flûtiste, compositeur et chef d’orchestre français (Cahors 1879 - Paris 1941). Élève de Taffanel au Conservatoire de Paris, il obtint le premier prix de flûte à l’âge de quinze ans. Il travailla la composition avec Fauré et fut second grand prix de Rome en 1905. Depuis 1904, il secondait André Messager au pupitre de la Société des concerts du Conservatoire où il était également flûte solo. Il devait devenir un flûtiste virtuose sans égal et un chef d’une grande autorité et d’une grande sensibilité, tant au concert qu’au théâtre. En 1908, il fut nommé professeur de flûte au Conservatoire, et, en 1919, professeur de composition. La même année, il devenait chef permanent de la Société des concerts du Conservatoire, tandis que Jacques Rouché lui confiait la direction musicale de l’Opéra. Il assura de nombreuses créations parisiennes, notamment le Chevalier à la rose, Turandot, Elektra. Comme compositeur, il a laissé de nombreuses pièces, sonates et transcriptions pour flûte, un concerto pour violon, de la musique symphonique (Symphonie en « fa », 1936) et des ballets (Philotis, 1914 ; Alexandre le Grand, 1937 ; le Chevalier et la Damoiselle, 1941), dont les deux derniers sur des livrets de Serge Lifar. GAUCELM FAIDIT, troubadour français (Uzerche v. 1180 - ? v. 1215).

Il fut un poète estimé qui voyagea beaucoup au cours de sa carrière et qui connut tous les grands troubadours de l’époque. D’origine bourgeoise, il entra à la cour de Boniface de Montferrat. Puis il partit en croisade avec ce dernier et revint en 1204. On a conservé avec certitude 65 de ses chansons, dont 14 sont notées. La plus célèbre d’entre elles est une déploration, appelée « planh » sur la mort, en 1199, de Richard Coeur de Lion, lui-même trouvère : Mortz es lo reys e son passat mil an. GAULTIER ou GAUTIER, nom de luthistes. Ennemond, dit GAULTIER LE VIEUX, ou GAULTIER DE LYON (Villette, Dauphiné, 1575 - Nèves 1651). Il fut musicien à la Musique royale et valet de chambre de Marie de Médicis, il connut une immense notoriété de son vivant, tant comme virtuose et compositeur que comme pédagogue. En effet, avec son cousin Denis Gaultier, il fut à l’origine d’une brillante école de luthistes, qui compte à peu près tous les virtuoses de la génération suivante (Mouton, Du Faut). Comme compositeur, il a laissé de nombreuses pièces dispersées dans des collections diverses et publiées après sa mort. Plusieurs d’entre elles connurent un succès durable, tels le Tombeau de Mezangeau ou le Testament du Vieux Gaultier. Denis, dit GAULTIER LE JEUNE ou GAULTIER DE PARIS, cousin du précédent (Paris v. 1603 - id. 1672). Il fut l’élève de Charles Racquet, organiste à Notre-Dame de Paris. Il enseigna le luth à Ninon de Lenclos et nous a laissé de nombreuses pièces pour le luth, publiées notamment dans les recueils : Rhétorique des dieux (1652) et Pièces de luth sur trois différents modes nouveaux (v. 1670), qui témoignent d’une recherche de tonalités nouvelles et d’ornementations de plus en plus riches, impliquant une extension de la technique qui a fait date dans l’histoire de l’instrument. Ces pièces consistent surtout en danses (allemande, courante, sarabande, parfois une gigue) groupées en suites. Gaultier leur donne des titres évocateurs et cette tradition va se perpétuer chez les clavecinistes français, d’abord avec Champion de Chambonnières. Pierre, dit GAULTIER D’ORLÉANS ou DE ROME (XVIIe s.). Moins célèbre que les

deux premiers, auxquels il n’était sans doute pas apparenté, il naquit à Orléans et publia, en 1638 à Rome, un livre de luth intitulé les oeuvres de Pierre Gaultier l’Orléanois. Jacques, dit GAULTIER D’ANGLETERRE (XVIIe s.). Il n’était probablement pas apparenté aux précédents. Il dut s’expatrier vers 1617 après avoir tué un gentilhomme et se réfugia à Londres ; Buckingham le fit entrer à la Musique royale où il resta jusqu’en 1647. Bien que jouissant d’une certaine réputation parmi le public londonien de l’époque, on ne sait où ni quand il mourut (sans doute avant 1660). GAUSSIN (Allain), compositeur français (Saint-Sever, Calvados, 1943). Il a fait ses études au Conservatoire de Paris (prix de composition avec Olivier Messiaen en 1976), et été admis à l’Académie de France à Rome (villa Médicis) [1977-78]. Parmi ses oeuvres : Source 4 pour choeur de femmes (1974), Vent solaire (1re vers. 1975) pour choeur, cuivres, percussion et bande magnétique (1976), Ogive I pour cordes et clavecin (1977), Éclipse pour ensemble instrumental et deux pianos (1979), Ionisation-Rituel pour soprano, flûte, récitant et orchestre (1980), Arcane pour piano seul, créé à Metz en 1984, Années-lumières pour orchestre (1992). GAUTHIER-VILLARS (Henry, dit Willy), romancier et critique musical français (Villiers-sur-Orge 1859 - Paris 1931). Il fut le premier mari de Colette, avec laquelle il signa la série des romans de Claudine. Mais il était aussi critique musical et écrivit dans un grand nombre de revues : Art et critique, Revue encyclopédique, Monde artiste, et surtout l’Écho de Paris où il tenait la rubrique intitulée les Lettres de l’ouvreuse, qui lui valut la notoriété. Il ne possédait pas une grande érudition musicale, et encore moins de notions techniques, mais une certaine sensibilité accordée au goût du jour et une intuition qui s’est parfois révélée juste. Il a été l’un des rares à reconnaître le génie de Debussy dans le Prélude à l’après-midi d’un faune. Ses articles étaient écrits dans un style distrayant, comique, plein de calembours, et prévus pour atteindre un vaste public. Les titres de ses feuilletons parlent pour euxmêmes : la Mouche des croches, Entre deux

airs, Accords perdus, la Colle aux quintes, Garçon, l’audition. Il a également écrit avec Pierre de Bréville une notice explicative sur Fervaal de Vincent d’Indy, a traduit en français les livrets de Bastien et Bastienne de Mozart et de l’Amour tzigane de Lehár, et a rédigé les livrets de Claudine (musique de Berger), de la Petite Sirène (de Polignac) et du Troisième Larron (C. Terrasse). Il a publié une biographie de Bizet (1912). GAUTIER (Judith), femme de lettres française (Paris 1845 - Saint-Énogat 1917). Fille de Théophile Gautier et de Ernesta Grisi, elle fut l’épouse de Catulle Mendès dont elle divorça en 1874. Admiratrice de Wagner, elle se rendit à plusieurs reprises à Bayreuth, se lia avec l’auteur de la Tétralogie, et devint une ardente propagandiste de son art et de ses idées. Elle écrivit, en 1882, un ouvrage sur Wagner, et, en 1898, traduisit Parsifal. Elle a publié ses Mémoires (le Collier des jours, 1902-1909). downloadModeText.vue.download 409 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 403 GAUTIER (Théophile), écrivain français (Tarbes 1811 - Paris 1872). Poète, romancier et critique, il a, de 1836 à 1855, collaboré à la Presse, au Moniteur universel et au Journal officiel. Ardent défenseur du mouvement romantique, il fut l’ami d’Hector Berlioz et l’un des premiers, en France, à soutenir Richard Wagner. Lié à la famille de Carlotta Grisi, il a écrit pour la célèbre danseuse le livret de Giselle (1841). Un de ses poèmes a inspiré à Jean-Louis Vaudoyer l’argument du ballet le Spectre de la rose (1911). Plusieurs musiciens ont mis en musique des poésies de Théophile Gautier : Hector Berlioz (les Nuits d’été) ; Charles Gounod (Chanson du pêcheur, Primavera) ; Georges Bizet (Absence) ; Camille Saint-Saëns (Lamento) ; Henri Duparc (Au pays où se fait la guerre, Lamento) ; Gabriel Fauré (Chanson du pêcheur, les Matelots, Seule, Tristesse). OEUVRES CRITIQUES : les Beautés de l’opéra (en collaboration avec Jules Janin, 1845) ; Histoire de l’art

dramatique en France depuis vingt-cinq ans (1858-59) ; Histoire du romantisme (1872) ; Portraits contemporains (1875) ; Souvenirs de théâtre (1883). GAUTIER DE COINCI, trouvère français (Coinci v. 1177 - Soissons 1236). Né dans la région de Soissons, il entre au monastère de Saint-Médard en 1193. En 1214, il est prieur de l’abbaye de Vicq-surAisne. Il est de la lignée des grands trouvères de cette région, tels que Conon de Béthune ou Colin Muset. Sa réputation est fondée surtout sur un important recueil intitulé les Miracles de Notre-Dame. il s’agit en général d’adaptations de modèles latins qui font appel à des formes métriques ainsi qu’à des mélodies déjà existantes. Cela ne diminue en rien leur intérêt réel. Gautier l’adaptateur a puisé dans certaines séquences liturgiques, mais également dans les chansons profanes destinées à honorer la Vierge. GAUTIER DE DARGIES, trouvère français ( ? v. 1165 - ? apr. 1236). Il est membre d’une famille noble originaire de la région de Grandvillers, près de Beauvais. La seule information biographique sûre le concernant est sa participation à la troisième croisade (1189) dans la suite de Philippe Auguste ; mais son nom apparaît sur divers documents (1195, 1201, 1206, 1236). Il nous reste une vingtaine de ses chansons, dont 19 avec notation musicale (parmi lesquelles se trouvent trois descorts). Elles se distinguent par une individualité de forme aussi bien poétique que mélodique, l’auteur appréciant en particulier les structures asymétriques et se permettant même parfois de libérer la phrase mélodique de la forme poétique (Maintes fois). Son style musical est très varié, avec une conscience assez forte d’un centre tonal et des mélodies ayant parfois un ambitus impressionnant (Se j’ai esté). Le rythme est d’une grande richesse, très orné, avec une tendance à l’irrégularité. Ces particularités de style et le nombre relativement important de ses chansons conservées donnent à Gautier de Dargies une place privilégiée parmi les musiciens de son temps. GAVEAU, famille de facteurs de pianos français.

Joseph-Emmanuel (Paris 1824 - id. 1903). Il fonde la maison Gaveau en 1847. L’année suivante, il invente la mécanique à lames qui remplace celle à baïonnettes dans le piano droit. Il ajoute un ressort à boudin au piano à queue d’Érard. Il eut également l’idée d’un piano démontable. Gabriel-Joseph-Emmanuel (Paris 1866 - id. 1935). Il fonda sa propre fabrique (1911-1939). Étienne, fils de Joseph-Emmanuel ( ? 1872 - Paris 1943). Il succède à son père. Il a fondé la salle Gaveau, en 1908, rue La Boétie. Ses fils Marcel et André lui ont succédé. Depuis 1960 la fabrique de pianos est devenue la maison Gaveau-Érard. GAVEAUX (Pierre), chanteur et compositeur français (Béziers 1761 - Charenton 1825). D’abord destiné à la carrière ecclésiastique, il étudia la musique avec Franz Beck à Bordeaux, devint, en 1780, maître de chapelle au théâtre de cette ville, puis commença une carrière de ténor qui devait le mener au Théâtre de Monsieur à Paris en 1789 et à l’Opéra-Comique en 1801. En 1812 se manifestèrent chez lui les signes d’une aliénation mentale qui devint totale et définitive en 1819. Comme compositeur, il écrivit des musiques révolutionnaires, et, dans un style aimable et charmant, des ballets parmi lesquels l’Amour à Cythère (1805), des romances, et surtout des opéras-comiques dont le plus connu reste Léonore ou l’Amour conjugal (Paris, 1798), sur un livret de Bouilly que devaient réutiliser, plus ou moins modifié, Paer, Simon Mayr et surtout Beethoven. GAVINIES (Pierre), violoniste et compositeur français (Bordeaux 1728 - Paris 1800). Fils d’un luthier installé à Paris en 1734, autodidacte, il se produisit au Concert spirituel, en 1741, puis surtout de 1748 à 1765, et fut, de 1773 à 1777, avec Gossec et Leduc l’un des directeurs de cette institution. De 1796 à sa mort, il enseigna le violon au Conservatoire de Paris. Son jeu lui valut d’être appelé par Viotti le « Tartini français ». Très grand interprète, il a notamment composé pour son instrument Six Sonates op. 1 (1760), Six Sonates op. 3 (1764), Six Concertos op. 4 (1764),

Six Sonates en trio op. 5 (v. 1774) et les 24 Matinées (1800), études dans toutes les tonalités qui, aujourd’hui encore, comptent parmi les pièces de virtuosité les plus prisées des violonistes. On lui doit encore l’opéra-comique le Prétendu op. 2 (1760), des concertos et des ouvrages de musique de chambre restés manuscrits, des symphonies perdues et trois sonates posthumes (Berlin, s. d.) pour violon avec accompagnement de violoncelle dont l’une, en fa mineur, dite Son tombeau. GAVOTTE. Danse française particulièrement gracieuse, généralement à deux temps et de forme binaire avec reprises. La gavotte est plutôt gaie, avec ou sans anacrouse, et construite par multiples de 4 mesures. Parfois aussi, elle peut prendre un caractère tendre. Apparue au XVIe siècle, la gavotte, qui serait issue du branle, doit son nom à la ville de Gap en Dauphiné, dont les habitants s’appellent les Gavots. Très en vogue sous Louis XIV et Louis XV, elle fait souvent partie de la suite instrumentale, d’abord chez les luthistes, puis chez les clavecinistes (L. Marchand, les Couperin, Rameau). Elle peut être suivie d’une musette : c’est le sous-titre de la Gavotte II de J.-S. Bach (3e Suite anglaise). On la trouve également dans le ballet de cour, puis dans la tragédie lyrique où il arrive que le thème de la gavotte soit d’abord l’objet de la danse avant de recevoir des paroles chantées. Une autre tendance est celle de la gavotte en rondeau dont Lully offre un bel exemple dans son Atys de 1676. Au XIXe siècle, cette danse retourne au domaine de la danse campagnarde mais, comme de nos jours, elle sera quelquefois ressuscitée par les compositeurs. GAVOTY (Bernard), critique et musicologue français (Paris 1908 - id. 1981). Ingénieur agronome, licencié ès lettres, il fit des études musicales très poussées qui devaient le conduire au poste d’organiste titulaire de Saint-Louis-des-Invalides. En 1945, il succéda à Reynaldo Hahn comme critique musical du Figaro, sous le pseudonyme de Clarendon. En 1948, il publia Les Français sont-ils musiciens ?, que devaient suivre bien d’autres volumes, dont

plusieurs biographies (Chopin, R. Hahn, etc.) qui font autorité. Brillant écrivain et conférencier, Bernard Gavoty a été élu à l’Académie des beaux-arts en 1975. GAVRILOV (Andreï), pianiste russe (Moscou 1955). Il étudie d’abord avec sa mère, puis avec T. Kessner et L. Naoumov, et enfin, après downloadModeText.vue.download 410 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 404 ses années d’apprentissage au Conservatoire de Moscou, avec S. Richter. En 1974, il remporte le 1er Prix du Concours Tchaïkovski. Il joue partout les grands compositeurs russes romantiques et modernes. À la fin des années 80, il fait ses débuts aux États-Unis et commence à se produire dans le monde entier. En 1989, il reçoit le prix international de l’Académie Chigiana de Sienne. GAY (John), écrivain anglais (Barnstaple, Devonshire, 1685 - Londres 1732). Ami de Pope et de Swift, il écrivit des poésies, huit pièces de théâtre, le livret d’Acis et Galathée de Haendel (1718), et surtout trois ballad operas dont le célèbre Beggar’s Opera (« Opéra du gueux », 1728). Le succès de cet ouvrage le poussa à lui donner une suite, Polly (1729, création en 1779). Après sa mort parut encore Achilles in Petticoats (1733). GAZZANIGA (Giuseppe), compositeur italien (Vérone 1743 - Crema 1818). Élève de Porpora et de Piccinni, il écrivit dans les années 1770 plusieurs opéras pour diverses villes d’Italie. En 1786, son Il Finto cieco, sur un livret de Da Ponte, fut représenté à Vienne. Il obtint un grand succès en février 1787 à Venise avec Don Giovanni Tenorio o sia Il Convitato di pietra, sur un livret de Bertati qui fut une des sources d’inspiration de Da Ponte pour son Don Giovanni mis en musique la même année par Mozart. Il n’est pas exclu que ce dernier ait connu la partition de Gazzaniga. Il existe en effet entre les deux Don Giovanni, sur le plan musical, quelques analogies de surface. En outre, le premier Don Giovanni de Gazzaniga,

le ténor Antonio Baglioni, fut ensuite le premier Don Ottavio de Mozart (qu’il ait parlé à celui-ci de l’ouvrage qu’il avait chanté à Venise est tout à fait plausible). GAZZELONI (Severino), flûtiste italien (Roccasecca 1919 - Cassino 1992). Élève de Tessarini au conservatoire Sainte-Cécile de Rome, il s’est imposé dans les années 50, tout en étant flûte solo de l’Orchestre de la R.A.I., comme l’un des principaux interprètes d’oeuvres contemporaines. De nombreux compositeurs, dont Bruno Maderna, ont écrit pour lui des partitions mettant en valeur les ressources de son instrument, ainsi que sa prodigieuse technique. Il a enseigné notamment aux cours d’été de Darmstadt. GEBAUER, famille de musiciens français d’origine saxonne. Michel Joseph hautboïste et compositeur (La Fère, Aisne, 1763 - Russie 1812). Fils d’un militaire, il devint instrumentiste dans la musique des gardes suisses (1777), altiste à la chapelle royale (1783), puis instrumentiste à la garde nationale (1791) et dans divers théâtres. Il enseigna au Conservatoire (1795-1800), dirigea la musique de la garde impériale, et disparut lors de la retraite de Russie. Outre divers duos, il a laissé environ 200 marches militaires. François René frère du précédent, bassonniste et compositeur (Versailles 1773 Paris 1845). Élève de son frère et de François Devienne, il fit partie de l’orchestre de l’Opéra, de 1799-1800 à 1826, ainsi que de la chapelle impériale puis royale, et enseigna le basson au Conservatoire de 1795 à 1802, puis de 1824 à 1838. On lui doit notamment des marches militaires et, pour basson, treize concertos et une méthode (v. 1820). Pierre, Paul frère des précédents, cornistes et compositeur (Versailles 1775 Paris ?). Corniste au Théâtre du Vaudeville, il mourut jeune en laissant vingt duos pour deux corps. Étienne François frère des précédents, flûtiste et compositeur (Versailles 1777 Paris 1823). Il laissa des transcriptions d’airs d’opéra en duo et une centaine de pièces pour flûte seule.

Michel Joseph fils du précédent, altiste et compositeur, a écrit des duos et une méthode d’alto (1820). GEBRAUCHSMUSIK (all. : « musique utilitaire »). Terme inventé dans les années 1920 par Paul Hindemith, apôtre d’une Neue Sachlichkeit (nouvelle objectivité), pour désigner des oeuvres à usage en principe strictement pratique (Construisons une ville, jeu musical pour enfants). La démarche fut reprise par des compositeurs comme Milhaud, Weill, Copland. GÉDALGE (André), compositeur, théoricien et pédagogue français (Paris 1856 Chessy, Seine-et-Marne, 1926). Son père s’opposant à sa vocation musicale, il fut libraire jusqu’en 1884, date à laquelle il entra au Conservatoire de Paris dans la classe d’Ernest Guiraud. En 1885, il obtint le second grand prix de Rome avec sa cantate la Vision de Saül. À partir de 1893, il fut répétiteur au Conservatoire dans les classes de Guiraud et de Massenet. Le Petit Savoyard, pantomime en 4 actes (1891), a été suivi en 1899 de la première audition de son Concerto pour piano et de la 3e Symphonie (1910). En 1905, il devint professeur de contrepoint et de fugue au Conservatoire de Paris. Possédant une vaste culture, travailleur acharné, Gédalge fut un pédagogue de premier plan. Ses cours furent fréquentés par Ravel, Rabaud, Enesco, Koechlin, Roger-Ducasse, Milhaud, Honegger, Fl. Schmitt et Ibert. Prenant pour modèles Bach et Mozart, les grandes lignes de son enseignement ont été le retour à la musique pure, le goût du contrepoint et l’importance mélodique. Comme compositeur, il refusa toute concession aux modes, écrivant de la musique instrumentale, quatre symphonies, des concertos, des chansons et des mélodies, huit ouvrages pour le théâtre, dont le ballet Phoebé (Paris, 1900). Son Traité de la fugue (Paris, 1901) a été un ouvrage très estimé. GEDDA (Nicolaï), ténor russo-suédois (Stockholm 1925). Né de parents russes établis en Suède, il

débuta à l’Opéra de Stockholm en 1952 dans le Postillon de Longjumeau d’Adam. Son succès détermina une carrière internationale. Il fut engagé à l’Opéra de Paris en 1954, chanta au Covent Garden de Londres en 1955 et au Metropolitan Opera de New York en 1957. Il interprète avec une égale aisance les répertoires italien, allemand, français et russe, grâce à sa connaissance des langues et à sa maîtrise des styles. Son timbre plus velouté que percutant, sa technique fondée sur une utilisation de sa voix mixte, évoquent davantage les grands ténors de la première moitié du XIXe siècle que la manière héroïque de ceux de l’époque actuelle. Gedda a su prouver l’efficacité de cette technique dans les ouvrages les plus différents, depuis Gluck et Mozart jusqu’à Debussy, en passant par Weber, Bellini, Berlioz, Gounod, Bizet et Moussorgski. Ses nombreux disques sont des modèles d’interprétations difficiles à surpasser. GEIRINGER (Karl), musicologue américain d’origine autrichienne (Vienne 1899 - Santa Barbara, Californie, 1989). Élève de Guido Adler, il a été conservateur des archives, de la bibliothèque et du musée de la Société des amis et de la musique à Vienne (1930-1938), professeur au Royal College of Music de Londres (193940), professeur de musicologie à l’université de Boston (1941-1961), et, depuis 1962, directeur des études musicales à Santa Barbara (université de Californie). il s’est spécialement intéressé à Bach, Haydn et Brahms, et a écrit sur ces trois compositeurs plusieurs ouvrages et de nombreux articles : Joseph Haydn (Potsdam, 1932) ; Johannes Brahms (Vienne, 1935) ; Haydn, a Creative Life in Music (New York, 1946, plusieurs éd. rév. jusqu’en 1982, dont en all. J. Haydn. Der schöpferische Werdegang eines Meisters der Klassik, Mayence, 1959) ; The Bach Family (New York, 1954, trad. fr. Bach et sa famille, Paris, 1955) ; J. S. Bach, the Culmination of an Era (New York, 1966, trad. fr., Paris, 1970). Pour son soixante-dixième anniversaire, il a reçu le mélange Studies in 18th Century Music (Londres, 1970). downloadModeText.vue.download 411 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 405 GELBER (Bruno Leonardo), pianiste ar-

gentin (Buenos Aires 1941). Ses parents, tous deux musiciens, lui font étudier le piano à l’âge de trois ans. Trois ans plus tard il commence à travailler avec Vincenzo Scaramuzza. À huit ans, il donne son premier récital à la radio, malgré une année d’immobilité forcée due à une attaque de polio. En 1956, déjà célèbre en Argentine, il joue sous la direction de Lorin Maazel. En 1960, il vient travailler à Paris et rencontre Marguerite Long, dont il devient l’élève. Un an plus tard, il remporte le 3e prix du Concours Long-Thibaud. Son répertoire fait une large part aux oeuvres de Schumann, Beethoven, Chopin, Schubert, Liszt et Brahms. il s’est vu décerner le Prix des discophiles et, à deux reprises, le Grand Prix de l’Académie Charles-Cros. GEMINIANI (Francesco), violoniste et compositeur italien (Lucques 1687 - Dublin, Irlande, 1762). Après des études à Lucques avec son père, il travaille à Milan avec C. A. Lonati, puis à Rome avec Corelli et à Naples avec A. Scarlatti. Après avoir occupé un poste de violoniste à Lucques de 1707 à 1710, il part pour l’Angleterre. De 1733 à 1740, il est à Dublin où il enseigne et donne des concerts privés. Au théâtre Drury-Lane de Londres, il dirige les concerts du Carême de 1740 à 1749. Dans la capitale anglaise, il rencontre Haendel et se fait applaudir comme violoniste. C’est en 1751 qu’il publie à Londres un traité important, The Art of Playing on the Violin (rééd. en facsimilé, 1952). Geminiani fait encore divers séjours à Paris et à Londres, puis se rend à nouveau en Irlande en 1759. Compositeur de second plan, il a néanmoins ajouté l’alto au trio traditionnel de solistes (deux violons et basse) dans le concerto grosso, genre qu’il a illustré abondamment, ainsi que la sonate. Geminiani, tout en reprenant les principes formulés par Corelli, a fait progresser la technique du violon, notamment en ce qui concerne le démancher et les doubles-cordes. GENCER (Leyla), soprano turque (Istanbul 1927). Elle fait ses débuts à Ankara en 1950 dans le rôle de Santuzza (Cavalleria rusticana), puis elle se rend à Milan où elle se perfectionne avec Gianina Arangi-Lombardi qui

lui donne la grande tradition de l’opéra romantique. Elle chante au San Carlo de Naples, puis à la Scala de Milan à partir de 1956. Elle y crée l’année suivante le Dialogue des carmélites de Francis Poulenc (rôle de la seconde prieure). Mais bientôt elle se spécialise dans les opéras de Donizetti, à la renaissance desquels elle a beaucoup contribué. Certains opéras de jeunesse de Verdi (La Battaglia di Legnano, I due Foscari) lui doivent également des reprises marquantes, ainsi que des opéras oubliés de Rossini (Elisabetta, regina d’lnghilterra). Dans le répertoire contemporain, elle a aussi défendu l’Ange de feu de Prokofiev. GENDRON (Maurice), violoncelliste et chef d’orchestre français (Nice 1920 Grez-sur-Loing 1990). Sa vocation fut partiellement déterminée par l’exemple des vedettes de la musique qui se produisaient alors fréquemment entre Cannes et Monte-Carlo. Premier prix du Conservatoire de Paris à l’âge de quatorze ans, il n’a pas attendu d’y être nommé professeur en 1970 pour former de nombreux élèves, dont beaucoup occupent aujourd’hui les premiers pupitres dans des formations mondialement réputées, telles que l’Orchestre philharmonique de Berlin. Son premier coup d’éclat fut la création à Londres en 1945, sous la direction de Benjamin Britten, du Concerto op. 58 de Prokofiev. Partenaire habituel de Yehudi et Hephzibah Menuhin, il enseigne aussi à l’école Menuhin en Angleterre et parcourt le monde non seulement en qualité de virtuose, mais de chef d’orchestre, ayant travaillé cette discipline avec Roger Désormière, Hermann Scherchen et Willem Mengelberg. Parmi ses nombreux enregistrements figurent ceux des concertos de Haydn et de Boccherini sous la baguette de Pablo Casals, qui lui ont valu d’être considéré comme le dauphin du maître catalan. GENERALI (Pietro), compositeur italien (Masserano, Vercelli, 1773 - Novarre 1832). Avec Mayr et Fioravanti, on peut tenir Generali pour l’un des meilleurs précurseurs de Rossini, dont il annonça parfois certaines touches expressives. Ses débuts à Rome - où il avait étudié - avec Gli Amanti ridicoli (1800) lui valurent aussitôt une

renommée qui persista longtemps au-delà des frontières, et ses Baccanali di Roma (1816) furent joués jusqu’à La Havane. Une santé précaire qui, plus d’une fois, l’empêcha de parachever ses partitions comme il eût fallu, et l’éclatant succès de Rossini assombrirent son humeur et le menèrent à Barcelone, puis à Lisbonne, avant qu’il n’acceptât le poste de maître de chapelle à Novarre. Excellant dans le genre comique, habile orchestrateur, il se distingua tout autant dans l’opera seria et fut un pédagogue renommé ; il eut notamment pour élève Luigi Ricci. Parmi ses nombreux succès, on retiendra encore L’ldolo cinese (1807), La Moglie giudice del Marito (1809) et surtout Adelina (1810), ainsi que Attila (1812), la Vestale (1816), etc. Sur son monument funéraire, on fit inscrire qu’il avait inventé le procédé du crescendo. GENERO CHICO (esp. ; « petit genre »). Terme désignant un type de zarzuela en un acte extrêmement populaire en Espagne, et à Madrid en particulier, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. il s’agit, en fait, d’une sorte de résurgence de la sainete du XVIIIe siècle, qui dépeignait les coutumes et les du peuple. De la même façon, le genero chico est une espèce de théâtre miniature, satirique la plupart du temps, et dont les thèmes littéraires sont pris dans le quotidien et la vie du peuple, et les thèmes musicaux, dans la tradition folklorique espagnole et, principalement, madrilène. Les meilleurs auteurs de pièces de théâtre de l’époque n’ont pas hésité à écrire des livrets de genero chico tels, par exemple, Carlos Fernandez Shaw (qui écrivit également La Vida breve, mis en musique par M. de Falla) ou Ricardo de la Vega, auteur, entre autres, de la Verbena de la Paloma, qui, sur une musique de T. Breton, eut un succès retentissant. Parmi les principaux compositeurs de genero chico, citons d’abord Francisco Aranjo Barbieri, initiateur du renouveau national dans la musique espagnole, T. Breton, Geronimo Gimenez, dont El Baile de Luis Alonso assura la célébrité, José Serrano, auteur prolifique, et surtout R. Chapi et Federico Chueca, véritable Strauss madrilène. La popularité fulgurante du genre se traduisit par la construction, à Madrid seul, de 11 théâtres réservés à ce type de divertissement. Elle était due, à la fois, au caractère

populaire de la pièce et à l’attention dont l’ont entourée d’éminents auteurs, mais aussi à sa courte durée, liée à la tradition de l’époque du théâtre par « section » (les établissements vendaient, pour une somme modique, des billets valables pour la durée d’un acte seulement). GENOUILLÈRES. À l’aide d’une bande de cuir attachée autour du genou de l’exécutant, celuici pouvait ainsi actionner un système de genouillères situées sous le clavier de l’instrument qui lui permettait de changer rapidement de registre sans qu’il ait besoin d’ôter les mains du clavier. Le célèbre facteur de clavecins français, Pascal Taskin, au XVIIIe siècle, est généralement considéré comme l’inventeur de ce système ingénieux. Employées également sur les premiers pianos, les genouillères furent peu à peu remplacées par des boutons manuels (comme à l’orgue), puis par des pédales. GENRE. Terme vague, aujourd’hui employé sans attribution déterminée : on parle du « genre lyrique » aussi bien que du « genre variétés » ou du « genre descriptif », du « genre symphonie » ou du « genre downloadModeText.vue.download 412 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 406 concerto », voire du « genre gai » ou du « genre ennuyeux ». Dans la musique grecque antique, par contre, le mot genre (genos) avait un sens précis, et désignait le mode de répartition des intervalles entre les bornes fixes (quarte) du tétracorde. On distinguait 3 genres théoriques : le diatonique, le chromatique et l’enharmonique ; mais par l’emploi des nuances, ce nombre pouvait être considérablement accru ; ainsi, Aristoxène dénombre 2 subdivisions du diatonique et 3 du chromatique, ce qui, avec l’enharmonique, donne 6 formes en tout ; encore précise-t-il que cette liste n’est absolument pas limitative. GEOFFRAY (César), chef de chorale, pédagogue et compositeur français (Lyon

1901 - Soucieu-en-Jarrest, Rhône, 1972). Il fut, à Lyon, élève de Florent Schmitt. Frappé par l’indigence de l’enseignement de la musique dans les écoles françaises, il entreprit de remédier de son mieux à cette carence en amenant la jeunesse à la musique vivante par la pratique du chant en commun. En 1938, il fut nommé professeur d’harmonie au conservatoire de Lyon et le resta jusqu’en 1944. Après la guerre, il se consacra à l’organisation de chorales au sein de différentes formations du scoutisme français et fonda en 1947 le mouvement choral international À coeur joie, dont il resta le président jusqu’à sa mort. De 1945 à 1966, il fut instructeur du chant choral à l’Éducation nationale. Outre quelques pièces pour piano et pour orgue et deux poèmes symphoniques (les Offrandes, 1925 ; Au bon soleil, 1926), son oeuvre est essentiellement vocale, profane ou religieuse. Il a composé près de 500 choeurs à l’intention des ensembles À coeur joie. GÉRARD (Yves), musicologue français (Châlons-sur-Marne 1932). Il a fait des études de philosophie à l’université de Nancy, des études de musique au conservatoire de Nancy (piano et solfège, premier prix en 1953), puis au Conservatoire de Paris dans les classes de N. Dufourcq (histoire de la musique, premier prix en 1956) et de Roland-Manuel (esthétique, premier prix en 1958). Il a effectué des travaux sur Boccherini (Thematic, Bibliographical and Critical Catalogue of the Works of Luigi Boccherini, Londres, 1969), sur Saint-Saëns et sur la correspondance de Berlioz (participation à l’édition de sa Correspondance générale). En 1975, il a succédé à N. Dufourcq à la tête des classes d’histoire de la musique et de musicologie du Conservatoire de Paris, et, depuis la même année, il est professeur invité de l’université Laval de Québec. Il a travaillé à Vancouver (1984-1986) et à l’université du Maryland (depuis 1987) et a publié en 1991 Saint-Saëns : Regards sur mes contemporains. GERBER (Ernst Ludwig), musicologue allemand (Sondershausen 1746 - id. 1819). Il succéda à son père, Heinrich Nikolaus (1702-1775), qui avait été l’élève de J.-S. Bach, dans les fonctions d’organiste et de secrétaire de la cour de Sondershausen. Érudit et collectionneur (son importante

bibliothèque fut acquise par la Société des amis de la musique à Vienne), il a publié des dictionnaires qui contiennent de précieuses indications iconographiques et un essai de bibliographie des ouvrages imprimés de Haydn (1792). PRINCIPAUX ÉCRITS : Historisch-biographisches Lexicon der Tonkünstler (2 vol., Leipzig, 1790-1792) ; Neues historisch-biographisches Lexicon der Tonkünstler (4 vol., Leipzig, 1812-1814, traduit en français par F.J.M. Fayolle sous le titre de Dictionnaire historique des musiciens, Paris, 1810-11, 1817). GERBERT (Martin, baron de Hornau), musicologue allemand (Hornau, près de Horb-sur-Neckar, 1720 - Saint-Blasien 1793). Prêtre (1744), professeur de théologie et prince-abbé du monastère de Saint-Blasien (1764), il recueillit des manuscrits anciens en Allemagne, en France et en Italie, et, après lui avoir rendu visite (1761), correspondit avec le padre Martini jusqu’à la mort de ce dernier. Ses écrits comptent parmi les sources les plus précieuses pour l’étude de l’histoire de la musique, en particulier du Moyen Âge. GERHARD (Roberto), compositeur espagnol d’origine suisse (Valls, Catalogne, 1896 - Cambridge 1970). Élève de Pedrell et de Granados en Espagne, puis de Schönberg à Vienne et à Berlin (1923-1928), il se fixa à Barcelone avant d’émigrer en Angleterre en 1939. Les oeuvres principales de sa première période sont deux ballets, Don Quixote (1940-41) et Pandora (1943-44), l’opéra The Duenna d’après Sheridan (1945-1947), non représenté et non publié, et surtout le Concerto pour violon (1950). Il développa ensuite une conception originale, fondée en particulier sur les rythmes, de l’esprit sériel, avec notamment le Quatuor à cordes no 1 (1950-51) et la Symphonie no 1 (1952-53). Suivirent notamment la Symphonie no 2 (1957-1959), qu’il devait réviser partiellement à la fin de sa vie sous le titre de Métamorphoses, la Symphonie no 3 dite Collage, avec bande magnétique (1960), et la cantate The Plague (« la Peste »), d’après Albert Camus (1963-64). Cette période sérielle, qui fait de lui un des plus éminents parmi les disciples de Schönberg, culmina avec le

Concerto pour orchestre (1965) et la Symphonie no 4 (1967). Citons encore un Quatuor à cordes no 2 (1960-1962) et, comme oeuvres écrites pour petit ensemble, Libra pour 6 instrumentistes (1968) et Leo pour 10 instrumentistes (1969). Il laissa inachevée une Symphonie no 5. GERINGAS (David), violoncelliste lithuanien (Vilnius 1946). Enfant prodige, il n’entre pourtant qu’à l’âge de dix-sept ans au Conservatoire de Moscou, où il étudie avec M. Rostropovitch. En 1969, il remporte le 1er prix du Concours de Bakou et en 1970 celui du Concours Tchaïkovski. Après plusieurs tournées en Occident, il s’installe en 1976 en R.F.A., est engagé comme violoncelle solo dans l’orchestre symphonique du NDR et enseigne au Conservatoire de Hambourg. Il a fondé le trio Geringas, avec l’altiste Vladimir Mendelssohn et le violoncelliste Emile Klein. Dans cette formation, il joue du baryton. Il a enregistré des trios avec baryton de Haydn et l’intégrale des concertos pour violoncelle de Boccherini (trois disques couronnés par l’Académie Charles-Cros). GERLE (Hans), luthiste et facteur de luths allemand ( ? fin XVe s. ou début XVIe Nuremberg 1570). On sait peu de chose de ce bourgeois, issu d’une famille de facteurs d’instruments installée à Nuremberg. Son intérêt ne réside pas dans ses compositions originales pour le luth (quelques Préludes), mais dans les indications précieuses qu’il fournit sur les montages, les modes de jeu et ornementations des luths (et aussi des violes de gambe et des violes sans frette), comme en témoignent ses ouvrages Musica Teusch (1532) et Tablatur auf die Laudten (1533). Ses transcriptions de pièces vocales indiquent son désir d’élargir le répertoire du luth (lieder allemands, chansons françaises). Il a développé la technique du luth (doubles cordes à l’unisson, notes répétées et jeu brisé). Ses oeuvres ont donné lieu à un travail important : la transcription automatique de ses tablatures pour luth par le groupe E.R.A.T.T.O. du C.N.R.S. publiée par la S.F.M. (Paris, 1974). GERLIN (Ruggero), claveciniste italien (Venise 1899 - Paris 1983).

Diplômé comme pianiste du conservatoire de Milan, Ruggero Gerlin s’est fixé définitivement à Paris après avoir découvert le clavecin grâce à Wanda Landowska, dont il fut pendant vingt ans le disciple et le partenaire. Enseignant à son tour au conservatoire San Pietro a Majella de Naples et à l’académie Chigiana de Sienne, il a formé de très nombreux élèves tout en menant une longue carrière de concertiste international, seul ou avec orchestre, faisant apprécier une éblouissante virtuosité qui downloadModeText.vue.download 413 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 407 n’exclut nullement le sens poétique. On lui doit, outre ses enregistrements sanctionnés en 1949 et 1965 par le grand prix du Disque, une édition intégrale, publiée en 1943, des toccatas d’Alessandro Scarlatti et des sonates de Benedetto Marcello et Gianbattista Grazioli. GEROLD (Théodore), musicologue français (Strasbourg 1866 - Allenwiller, BasRhin, 1956). Après avoir étudié la théologie à l’université de Strasbourg et le chant à Francfort-sur le-Main et à Paris, il soutint, en 1910, une thèse de doctorat sur le chant français au XVIIe siècle. Il a enseigné l’histoire de la musique aux universités de Bâle et Strasbourg, et s’est fait connaître par ses ouvrages sur le chant en France au XVIIe siècle et la musique du Moyen Âge. PRINCIPAUX ÉCRITS : Clément Marot, les Psaumes avec leurs mélodies (Strasbourg, 1919) ; l’Art du chant en France au XVIIe siècle (Strasbourg, 1921) ; les Pères de l’Église et la Musique (Paris, 1931) ; la Musique au Moyen Âge (Paris, 1932) ; Histoire de la musique des origines à la fin du XIVe siècle (Paris, 1936). GERSHWIN (George), compositeur américain d’origine russe (New York 1898 Hollywood 1937). Pianiste éblouissant, il dut sa première gloire à un exceptionnel don de mélodiste qui l’amena (notamment en collaboration avec son frère Ira Gershwin) à composer quelque 500 « songs » qui tiennent de la mélodie européenne, de l’air d’opérette,

de la rengaine anglo-saxonne et du jazz tout en manifestant une personnalité entre toutes reconnaissable malgré un confondant pouvoir de renouvellement. La qualité « classique » de cette production est attestée par le fait que les chansons des frères Gershwin sont toujours au répertoire des chanteurs actuels et que leurs thèmes ont été très largement adoptés par le jazz (I got rhythm, Lady be good, Do it again, Fascinating Rhythm, The man I love, Embraceable you, Someone to watch over me, etc.). Conscient de cette noblesse conférée à la chanson, Gershwin, tout en continuant de produire des shows pour Broadway (manières d’opérettes liées à l’actualité et où ces songs peuvent être repris de succès antérieurs s’ils sont en situation), évolua vers une forme de musique plus ambitieuse, rejoignant la tradition « classique « : Rhapsody in blue (1924), Concerto en « fa » (1925), Un Américain à Paris (poème symphonique, 1928), Seconde Rhapsodie (1931), Ouverture cubaine (1932), Variations sur « I got rhythm » (1934). Cet effort de synthèse devait trouver son expression définitive dans son chef-d’oeuvre, l’un des plus grands opéras du répertoire : Porgy and Bess (1935). Lors de l’avènement du cinéma parlant, Gershwin fut évidemment sollicité par Hollywood, mais ne participa de son vivant qu’à trois réalisations : Delicious (1931), Shall we dance (1936-37) et Damsel in distress (1937), avant d’inspirer, à son tour, un très grand nombre de films reprenant ses shows de Broadway, incluant une ou plusieurs de ses chansons, voire de ses partitions symphoniques (Un Américain à Paris, 1951), et contant sa vie (The man I love, 1946), ou restituant son opéra (Porgy and Bess, réalisation Otto Preminger, 1959). Gershwin est demeuré si actuel et reste si profondément symbolique de l’Amérique de l’entre-deux-guerres qu’un Woody Allen fait encore appel à sa musique pour évoquer un certain rêve américain (Manhattan, 1978). GERTLER (André), violoniste hongrois naturalisé belge (Budapest 1907). De 1914 à 1925, il est à l’Académie de Budapest élève d’Hubay en violon et de Kodaly en composition. Ami de Bartók, il devient son partenaire dans de nombreux récitals pour piano et violon, dès 1925 et jusqu’en 1938. En 1928, cependant, il

s’installe en Belgique, et fonde en 1931 le Quatuor Gertler, en activité pendant vingt ans. Grand interprète de la musique de son temps, il joue le Concerto de Berg cent cinquante fois en public et, en 1945, donne la première audition européenne de la Sonate pour violon seul de Bartók. Avec son quatuor, il joue également les oeuvres d’Honegger. Professeur au Conservatoire de Bruxelles dès 1940, il enseigne entre 1945 et 1959 à la Hochschule für Musik de Cologne, puis à Hanovre de 1964 à 1978. GERVAIS (Charles-Hubert), compositeur français (Paris 1671 - id. 1744). Il semble qu’il ait accompli toute sa carrière à Paris et à Versailles. En 1697, il fait représenter, à l’Académie royale de musique, une tragédie lyrique, Méduse, sur un livret de l’abbé Boyer. En 1700, il devient le surintendant et maître de musique du duc d’Orléans. Sa carrière bénéficie alors de la protection de ce prince, grand amateur de musique et compositeur lui-même. Gervais publie un recueil de six Cantates françoises (Ballard, 1712) et, en 1716 (peut-être en collaboration avec le régent), écrit une nouvelle tragédie, Hypermnestre, qui va être reprise jusqu’en 1765. Il compose ensuite un ballet intitulé Amours de Protée (1720). En 1723, Delalande décide de céder trois des quatre quartiers de la Chapelle royale et nomme Ch.-H. Gervais (sans doute appuyé par le régent) au dernier (oct.-déc.). De cette activité nouvelle naissent un grand nombre de motets versaillais, pour la plupart à 6 voix avec 4 instruments concertants, et conservés en manuscrit. Ami de Campra et de Desmarets, Ch.-H. Gervais possède un style élégant, mélodieux et original, influencé, certes, par le maître aixois, mais capable d’émouvoir et non dépourvu de saveur harmonique. Son talent est très caractéristique de la détente dans les qui se produit en France après la mort de Louis XIV. GERVAISE (Claude), instrumentiste et compositeur français (XVIe s.). On ne sait rien de sa vie, sinon qu’il vécut à Paris vers 1550, et qu’il fut probablement joueur de viole, puisqu’il a laissé deux livres de pièces pour cet instrument, malheureusement perdus. De 1550 à 1557, Pierre Attaingnant puis sa veuve éditèrent sous son nom six livres de Danceries

(branles, pavanes, gaillardes). Beaucoup de ces pièces ne sont que des adaptations pour les instruments de chansons polyphoniques de l’école parisienne (Janequin, Certon). En 1556, Claude Gervaise signa un autre livre contenant « XXVI chansons musicalles a troys parties... » (Attaingnant). 65 danses ont été rééditées par les soins de Henry Expert (Expert Maître XXIII, 1908). GESUALDO (Don Carlo, prince de Venosa), compositeur italien (Naples v. 1560 - Avellino 1613 ?). Issu d’une des familles les plus nobles et les plus anciennes du royaume des DeuxSiciles, il comptait parmi ses oncles le cardinal Carlo Borromeo dont la protection lui fut d’un grand secours tout au long d’une vie d’excès. Son père, compositeur amateur, fonda une académie musicale pour qu’il pût développer ses dons précoces. Il jouait du luth, chantait et composait. G. de Macque, Bartolomeo Roy et Pomponio Nenna firent partie de cette académie qui allait bientôt rivaliser avec celle, plus célèbre, du comte Bardi à Florence. Nenna fut sans doute d’ailleurs le principal maître de Gesualdo et lui enseigna l’art du madrigal. En 1578, Torquato Tasso fut admis à l’académie. Les deux premiers livres de madrigaux de Gesualdo mettent très souvent en musique des textes de ce grand poète. En 1586, Gesualdo épousa sa cousine Donna Maria d’Avalos, femme très belle, dont c’était le troisième mariage. Cette union ne fut guère heureuse : Gesualdo délaissa très vite sa femme qui reporta son affection sur le duc d’Andria. En 1590, découvrant son déshonneur, il fit poignarder les deux amants en sa présence. Redoutant la vengeance des familles, il se réfugia dans son château de Gesualdo et s’y prépara à l’éventualité d’un siège. Doutant de tout, même de la légitimité de son fils, il le fit étouffer. Grâce à son oncle, il put signer un contrat de fiançailles avec Eleonora d’Este, fille d’Alfonso d’Este, duc de Ferrare (1593). Ce second mariage fut encore plus houleux. La famille d’Este s’acharna à faire divorcer Eleonora, qui s’y opposait et réussit à ramener son époux dans le downloadModeText.vue.download 414 sur 1085

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sein de l’Église. Gesualdo composa alors de la musique religieuse, dont un livre de répons pour l’office de ténèbres. Dans ces oeuvres, on note pour thème premier celui de la mort avec, en contre-chant, la parole du décalogue : « Tu ne tueras point. » L’oeuvre de Gesualdo comprend deux parties distinctes : la musique profane et la musique religieuse, chacune correspondant à une époque déterminée. En 1958 fut découvert le manuscrit d’un recueil de dix Gagliarde a 4 per suonare le viole et d’une Sinfonia a quattro antiche qui, avec une pièce de clavecin que possède le British Museum, constitue sa contribution à la musique instrumentale. Cette oeuvre est le reflet, avec l’audace d’expression d’un musicien attaché à la Renaissance mais qui annonce à plusieurs égards l’époque baroque, des excès d’une vie étonnante. À la lecture de ses six livres de madrigaux à 5 voix (un autre est à 6 voix), on découvre le cheminement d’un compositeur « révolutionnaire », en ce sens qu’il tente l’expérience d’un langage totalement nouveau et libre de toutes contraintes. Quant à l’expression, elle atteint souvent une intensité angoissée, voisine de la violence, soit dans la sensualité de ses madrigaux exploitant au maximum chaque occasion offerte par le texte (par exemple, Moro lasso al mio duolo), soit dans la contrition, le recueillement qui sont l’essence de la musique religieuse. Si on a pu qualifier Gesualdo de « génie hors pair », c’est qu’il a su allier une écriture d’une grande richesse contrapuntique à des recherches d’harmonie, où le chromatisme et les retards (parfois non résolus) conduisent à des dissonances fort en avance pour l’époque. GEVAERT (François-Auguste, baron), compositeur et musicologue belge (Hyusse 1828 - Bruxelles 1908). Fils de boulanger, élevé dans un millieu paysan, il montra des dispositions musicales précoces. En 1841, son père l’envoya à Gand étudier auprès du compositeur Jan Mengal, qui dirigeait alors le conservatoire. Prix de Rome en 1847, Gevaert fit représenter son premier ouvrage lyrique, Hugues de Zomerghem, sans grand succès, et partit pour l’Italie en 1849. Il visita aussi l’Espagne où il composa une Fantaisie sur des motifs espagnols, et l’Allemagne, avant de s’installer à Paris en 1853. Il y vécut

jusqu’en 1870, composant une dizaine d’opéras, dont Quentin Durward (1858) fut le mieux réussi, une cantate, Jacob Van Artevelde, des choeurs, un Te Deum, un Quatuor à vents et des récitatifs pour le Fidelio de Beethoven, lors de sa représentation à Paris en 1860. Mais il s’occupait déjà de pédagogie et publia en 1863 un Traité général d’instrumentation. En 1867-1870, il fut directeur de la musique à l’Opéra de Paris, faisant représenter notamment Hamlet d’Ambroise Thomas, le ballet Coppélia de Delibes, et favorisant l’entrée au répertoire du Faust de Gounod en 1869. L’Opéra ayant fermé ses portes lors du siège de Paris, Gevaert retourna en Belgique. En 1872, il fut nommé directeur du conservatoire de Bruxelles, succédant à Fétis. Abandonnant alors presque totalement la composition, il se consacra à l’enseignement et à la musicologie. L’année de sa mort, il écrivit cependant l’hymne national du Congo, Vers l’avenir, sur commande du roi Léopold II. Mais il fut surtout l’auteur du Nouveau Traité d’instrumentation (1885), du Cours méthodique d’orchestration (1890), et du Traité d’harmonie théorique et pratique (1905-1907). Polyglotte, s’étant intéressé aux langues orientales et à la musique antique, il publia également trois ouvrages musicologiques d’une haute érudition : Histoire et Théorie de la musique de l’Antiquité (Gand, 18751881), la Mélopée antique dans le chant de l’Église latine (Gand, 1895-1896), et les Problèmes musicaux d’Aristote en collaboration avec Vollgraff (Gand, 1903). Ces ouvrages s’ajoutent à l’excellente Méthode de plain-chant qu’il avait publiée à Paris en 1856. Il était membre de l’Académie de Belgique, et reçut en 1907 le titre de baron. GEWANDHAUS. (allemand pour « maison aux tissus »). Fondés à Leipzig en 1781 par Johann Adam Hiller, les concerts du Gewandhaus furent inaugurés le 25 novembre de cette année-là dans une salle située dans la partie supérieure du bâtiment. De 1835 à 1847, ils eurent comme chef permanent Mendelssohn. Parmi ses successeurs, on peut citer Carl Reinecke (1860-1895), Arthur Nikisch (1895-1922), Wilhelm Furtwaengler (1922-1928), Hermann Abendroth (1934-1945), Vaclav Neumann (1964-1968), Kurt Masur (depuis 1970). Ils virent notamment la création, au XIXe siècle, du Concerto pour piano no 5

de Beethoven (1811), de la Symphonie no 9 de Schubert (1839), des Symphonies no 1 (1841), no 2 (1846) et no 4 (1841) et du Concerto pour piano (1846) de Schumann, de nombreuses oeuvres de Mendelssohn dont la Symphonie écossaise (1842) et le Concerto pour violon (1845), du Concerto pour violon de Brahms (1879), de la Symphonie no 7 de Bruckner (1884). GHEDALIA (pseudonyme de GHEDALIA TAZARTES), compositeur français (Paris 1947). Depuis 1974, il pratique l’« impro-muz « ; ainsi a-t-il baptisé sa technique de réalisation de bandes magnétiques, par superposition en re-recording de couches successives d’improvisation (surtout vocales, mais aussi instrumentales), qui prennent forme au fur et à mesure qu’elles s’accumulent. Il crée, en pur autodidacte et avec généralement sa propre voix pour unique source, de fantastiques délires musicaux, d’une inspiration forte et parfois bouleversante ; citons, entre autres, la Torture mieux qu’à la radio (1975), Temps réel (1976), Un sourire inécrasable (1977), la Couvée du schizophrène (1977), Pauvre Opéra vécu... (1978). Il présente lui-même ses musiques en concert avec une partie vocale supplémentaire faite en direct, des actions scéniques, des environnements de diapositives et d’images, etc. Faite avec peu de moyens, mais avec ce qu’il faut de talent, de souffle et de sens musical pour en tirer le meilleur parti, la musique de Ghedalia est une des révélations des années 70 dans le domaine de l’électroacoustique. GHEDINI (Giorgio Federico), compositeur et pédagogue italien (Cuneo, Piémont, 1892 - Nervi, près de Gênes, 1965). Il a fait ses études à Turin et à Bologne, et enseigné au Liceo musicale de Turin (v. 1920), puis au conservatoire de Parme (1938) et à celui de Milan (1941), qu’il a dirigé de 1951 à 1962. il s’est forgé un style polyphonique personnel largement influencé par la musique des anciens maîtres italiens, cela dès sa Partita (1926) et son Concerto grosso (1927). Outre de nombreuses oeuvres orchestrales et de chambre, on lui doit les opéras Gringoire (1915, non représenté), Maria d’Alessandria (1937), Re Hassan (1939, rév. 1961), La Pulce d’oro (1940), Le Baccanti (1948), Billy Budd (1949) et La Via della croce

(1961), l’oratorio La Messa del Venerdì santo (1929), et l’opéra radiophonique Lord Inferno (Prix Italia, 1952, version scénique L’Ipocrita felice, 1956). GHERARDELLO DA FIRENZE, compositeur italien ( ? v. 1320-1325 - ? 1362 ou 1363). Son oeuvre est importante même si la quantité en est assez réduite. Appartenant à la deuxième génération de musiciens de l’école florentine du Trecento, comme Niccolo da Perugia, Gherardello fut l’un des meilleurs et des plus représentatifs. Compositeur de madrigaux (à ne pas confondre avec le madrigal du XVIe siècle), d’une caccia à 3 voix et de ballate, il composa également deux mouvements de messe (un Gloria et un Agnus Dei). Musicien savant, il possède un style d’écriture très typique des préoccupations théoriques florentines de l’époque. Par exemple, la caccia intitulée Tosto che l’alba et contenue dans le beau manuscrit Squarcialupi à Florence prend la forme d’un canon à deux voix mélismatiques (à l’unisson) au-dessus d’une teneur en valeurs longues. Le texte évoque les cris des chasseurs et le son des trompes. downloadModeText.vue.download 415 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 409 GHIAUROV (Nicolaï), basse bulgare (Velingrad 1929). Il débuta à Sofia en 1955 dans le Barbier de Séville (rôle de Basile), après des études de chant à Moscou. Sa carrière internationale commença en 1958, à la Scala de Milan où il chanta d’abord le Grand Inquisiteur dans Don Carlos de Verdi, avant d’aborder le rôle de Philippe II, dans lequel il allait triompher partout, notamment à Londres, Vienne, Paris, New York. Son autre rôle majeur est celui de Boris Godounov qu’il incarna, en particulier, au festival de Salzbourg. Sa voix de basse chantante ample et superbement timbrée est une des plus spectaculaires qui se puisse entendre. GHISI (Federico), compositeur et musicologue italien (Shanghai 1901 - Luzerna San Giovanni 1975). Élève de Fausto Torrefranca, il a enseigné

à Florence, Pérouse (1945-1974) et Pise (1963-1970), et s’est surtout consacré à la musique italienne, et plus particulièrement florentine, du XIVe siècle au début du XVIIe. GIARDINI (Felice de), violoniste et compositeur italien (Turin 1716 - Moscou 1796). Élève de Somis à Turin, il se produisit en Allemagne et à Paris, puis s’établit en 1750 à Londres, où il mena une longue et brillante carrière. Retourné en Italie en 1784, il revint à Londres en 1790 comme entrepreneur d’opéra (son mauvais caractère l’y fit se quereller avec Haydn en 1792). Il partit pour la Russie vers 1793. Ce grand interprète laissa, comme compositeur, des concertos et des sonates pour son instrument, de la musique de chambre diverse dont des quatuors à cordes ainsi que des pages vocales, parmi lesquelles l’oratorio Ruth (1763). GIARNOVICHI (Giovanni Mane Jarnowick, dit), violoniste et compositeur italien, sans doute d’origine croate (Palerme ? v. 1735-1745 - Saint-Pétersbourg 1804). Personnalité excentrique, auteur de concertos pour violon, il séjourna à Paris de 1770 à 1779, à Vienne en 1786, à Londres de 1791 à 1796. Tant dans la capitale française que plus tard dans la capitale britannique, il fut supplanté par Viotti. GIBBONS (Orlando), compositeur anglais (Oxford 1583 - Canterbury 1625). Il est le fils de William et Mary Gibbons. Son père est l’un des city waits (« musiciens municipaux ») de la ville de Cambridge depuis 1567. Ses frères, Edward, Ellis et Ferrando, sont également des musiciens de métier. En 1596, il entre dans les choeurs de la chapelle de King’s College. En 1605, il est nommé au poste prestigieux d’organiste de la chapelle royale, qu’il conserve toute sa vie. L’année suivante, il est élu Bachelor of Music de l’université de Cambridge et épouse Elisabeth Patten, fille d’un officier de la chapelle royale. L’héritage de son beaupère va plus tard s’ajouter aux revenus qu’il reçoit pour son poste d’organiste et aussi comme membre des Musicians for the virginalls de la Chambre du roi

à partir de 1619. En 1622, il est nommé Doctor of Music à l’université d’Oxford. Il succède ensuite à John Parsons comme organiste de l’abbaye de Westminster (1623). Il ne lui reste alors plus que deux années à vivre, mais il a l’occasion d’organiser les solennités musicales des funérailles de Jacques Ier en avril 1625 et d’en préparer d’autres pour l’arrivée de la nouvelle reine d’Angleterre, Henriette-Marie de France. Mais il est soudainement frappé d’apoplexie le 5 juin. Il est enterré dans la cathédrale de Canterbury au moment précis où toute la cour est assemblée pour célébrer le mariage de Charles Ier. L’oeuvre d’Orlando Gibbons, par sa qualité, peut se comparer à celle de William Byrd. Comme ce dernier, il se distingue surtout par sa musique religieuse et par ses pièces pour le clavier, quelques-unes paraissant dans le recueil Parthenia (v. 1613). Il a composé environ quarante anthems, mais, contrairement à la plupart de ses contemporains, il n’écrit pas sur des paroles latines, se consacrant uniquement au rite anglican. À l’exception de deux anthems (publiés dans Teares or Lamentacions of a Sorrowful Soule par W. Leighton, 1614), aucune de ces oeuvres religieuses n’est publiée de son vivant. Certaines sont des verse anthems, écrites dans le style polyphonique pour choeurs, mais avec des interventions solistes et pourvues d’un accompagnement pour l’orgue ou pour les violes ; d’autres sont destinées à des choeurs seulement comme, par exemple, l’impressionnant édifice polyphonique à 8 voix : O clap your hands. Son recueil Madrigals and Motets of 5. Parts : apt for Viols and Voyces (1612) contient le célèbre madrigal d’une simplicité émouvante The Silver Swan, exploitant le thème du cygne dans la musique, populaire depuis le Moyen Âge. La dernière pièce, Trust not too much, renferme une étonnante série de pédales harmoniques (sweet violets). La participation de Gibbons aux Cries of London, aux côtés de Weelkes et Dering, illustre encore un autre aspect de son talent et appelle la comparaison avec les Cris de Paris de Cl. Janequin. Dans le domaine de la musique instrumentale, en dehors d’un grand nombre de pièces pour le clavier (Fantasies, Pavans, Galliards), qui témoignent des capacités

techniques de l’un des plus grands virtuoses de l’époque, il a signé des oeuvres pour le consort (notamment les violes), dont vingt-huit Fantasies de 2 à 6 parties (surtout à 3) et cinq In nomine. Neuf de ces fantaisies sont publiées en 1620. GIDE (André), écrivain français (Paris 1869 - id. 1951). Romancier et essayiste, il a tenu, de 1889 à 1949, un journal intime où il est souvent question de musique. Pianiste amateur, mais excellent musicien, André Gide a écrit des Notes sur Chopin (1931, rév. 1938), dans lesquelles il oppose au Chopin des jeunes filles et des virtuoses le poète secret et profond chez qui il découvre des affinités avec Baudelaire. Pour Igor Stravinski, André Gide a écrit en 1933 un mélodrame en trois parties, Perséphone. Darius Milhaud a mis en musique des extraits de la Porte étroite (Alissa, 1913 ; rév. 1931) et le Retour de l’enfant prodigue (1917). Jean Rivier a composé en 1931 des tableaux symphoniques inspirés par le Voyage d’Urien. GIELEN (Michael), compositeur et chef d’orchestre autrichien d’origine allemande (Dresde 1927). Il fit ses études à Buenos Aires, où son père s’était installé en 1939, et débuta comme assistant au théâtre Colón avant d’occuper des postes à Vienne, Stockholm, Cologne. Il a été de 1977 à 1987 directeur musical de l’Opéra de Francfort et est depuis 1986 directeur musical de l’Orchestre de la radio de Baden-Baden. Influencé comme compositeur par Schönberg, dont il a introduit l’oeuvre en Argentine, Gielen a, au cours de sa brillante carrière de chef d’orchestre, beaucoup fait pour la musique contemporaine, dirigeant notamment à Cologne le 15 février 1965 la première scénique des Soldats de Bernd Aloïs Zimmermann. GIESEKING (Walter), pianiste allemand (Lyon 1895 - Londres 1956). Né en France de parents allemands, il ne fit aucune scolarité et ne commença à travailler professionnellement le piano qu’à l’âge de seize ans. Après le retour de sa famille en Allemagne, il entra au conservatoire de Hanovre et étudia pendant cinq ans avec Karl Leimer. Il se produisit pour la première fois en public en 1915. Après

la Première Guerre mondiale, au cours de laquelle il fut mobilisé et joua dans un orchestre militaire, il entreprit une activité de concertiste (Berlin, Londres, Italie, Suisse, États-Unis). Son jeu élégant et raffiné, sa sonorité transparente firent de lui un interprète réputé de la musique française (Debussy et Ravel notamment). Mais il avait également à son répertoire Mozart, Beethoven, Schubert, Schumann, Liszt et Brahms. Il possédait une mémoire downloadModeText.vue.download 416 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 410 musicale prodigieuse et une technique naturelle ne nécessitant qu’un minimum de travail. En 1947, il prit la direction de la classe de piano au conservatoire de Sarrebruck. Il a publié Modernes Klavierspiel (1930), en collaboration avec son maître Leimer, a écrit des articles sur l’interprétation pianistique et a laissé ses Mémoires So wurde ich Pianist (1963). Il a également composé des pièces pour piano, des mélodies, de la musique de chambre. GIGAULT (Nicolas), organiste et compositeur français (Paris v. 1627 - id. 1707). Il fut organiste à Saint-Honoré (1646), puis à Saint-Nicolas-des-Champs (1652), poste qu’il conserva jusqu’à sa mort en le cumulant avec ceux d’organiste à SaintMartin-des-Champs, puis de l’hôpital du Saint-Esprit. Possédant chez lui un orgue et des instruments précieux, ce fut un bourgeois aisé et respectable, expert en facture d’orgues et professeur - il fut probablement, avec Roberday, l’un des maîtres de Lully. Il a laissé deux recueils de compositions. Un Livre de musique dédié à la très Sainte Vierge... (1683) contient des pièces convenant aussi bien à l’orgue qu’au clavecin et à divers instruments ; il présente les premiers noëls à variations de l’école française. Quant au Livre de musique pour l’orgue (1685), c’est, avec 184 pièces, le plus important de toute l’école d’orgue de notre pays. Il comprend trois messes, de nombreux morceaux groupés en six séries suivant les tons de l’Église, un Te Deum en 21 versets, suivi enfin de quatre pièces du huitième ton. Si la valeur de toutes ces pièces est inégale, Gigault n’en présenta pas moins plusieurs traits originaux et intéressants. C’est ainsi qu’il fut le premier à écrire pour son ins-

trument en polyphonie à cinq voix ; il aimait aussi la manière de Frescobaldi ou celle de Titelouze, qu’il emprunta parfois dans son contrepoint, et il pratiquait une harmonie personnelle, émaillée de dissonances inattendues. Toutes ces pièces sont destinées à l’usage strictement liturgique, comme en témoignent l’emprunt de nombreux thèmes grégoriens et la concision de ces commentaires musicaux appelés à s’insérer dans le déroulement des offices religieux. GIGLI (Beniamino), ténor italien (Recanati 1890 - Rome 1957). En 1914, il obtint le prix au concours international de Parme. Il débuta la même année à Rovigo dans Enzo de La Gioconda de Ponchielli. Quatre ans plus tard, il incarnait le Faust du Mefistofele de Boito, sous la direction de Toscanini à la Scala de Milan. À partir de 1920, il chanta régulièrement au Metropolitan Opera de New York où on le considérait comme le successeur de Caruso. Sa voix, caractéristique de l’école italienne, fut l’une des plus belles du siècle. Malheureusement, il ne possédait aucun don d’acteur, et il commit des erreurs de style en appliquant les procédés expressifs de l’école vériste au bel canto, ce qui contribua à la dégénérescence de l’interprétation de l’opéra romantique italien. En revanche, il excella dans Puccini, Mascagni, Leoncavallo, même s’il n’eut pas l’intelligence musicale de Caruso. GIGOUT (Eugène), organiste et compositeur français (Nancy 1844 - Paris 1925). Il fit ses études à la cathédrale de Nancy, puis à Paris, à l’école Niedermeyer, où il devint l’un des élèves préférés de SaintSaëns et l’ami de Fauré. En 1863, il fut nommé organiste titulaire de Saint-Augustin, à Paris, où il demeura jusqu’à sa mort. À l’école Niedermeyer, il enseigna l’écriture, le piano et l’orgue, puis il succéda à Guilmant à la classe d’orgue du Conservatoire (1911), classe où son élève et disciple Marcel Dupré allait plus tard lui succéder à son tour. Son oeuvre de compositeur est immense et tout entière vouée à l’orgue, qu’il soit de concert ou de culte (Cent Pièces brèves dans la tonalité du plain-chant, 1889 ; Album grégorien, 1895 ; Cent Pièces nouvelles, 1922 ; quelques motets avec orgue, des pièces isolées ; 2 Rhapsodies ; 2 Suites et des Poèmes mystiques).

Plus de six cents pièces sont destinées au service religieux. Son écriture châtiée respecte les règles du contrepoint classique, mais, en revanche, sa mélodie se renouvelle au contact du plain-chant grégorien. GIGUE. Danse d’origine anglaise ou irlandaise [Jig ou Gigg(e)]. On retrouve l’étymologie dans le mot allemand pour l’instrument populaire à faire danser par excellence (Geige = violon). En vogue en Angleterre à l’époque élisabéthaine, la gigue se répandit très vite en France et en Italie (giga). Chez les virginalistes anglais, la gigue pouvait adopter une mesure binaire ou ternaire (Bull, Farnaby et les maîtres du Fitzwilliam Virginal Book) et ce fut le cas également chez les luthistes français (D. Gaultier). Cependant, en France, le rythme allait devenir généralement pointé et être noté soit à 6/8, soit à 6/4. Le thème est souvent repris en imitation par les différentes voix et, au début de la seconde section de la forme binaire, est présenté sous sa forme renversée. En Italie, le tempo est nettement plus rapide, mais ni l’imitation ni le renversement ne sont pratiqués. À l’époque baroque, la gigue est très fréquemment la pièce finale de la suite instrumentale, par exemple chez Haendel et J.-S. Bach, dans leurs suites ou partitas pour le clavecin, où, en général, le style français est préféré. Après la mort de Rameau, la mode pour la gigue semble avoir été dépassée et Rousseau écrivit en 1768 : « L’on n’en fait plus guère en France. » Néanmoins quelques exemples réapparurent dans les oeuvres des compositeurs du XXe siècle. GILBERT (Anthony), compositeur anglais (Londres 1934). Élève de M. Seiber et de W. Goehr, influencé par O. Messiaen, il a écrit notamment l’opéra en 1 acte The Scene-Machine, version modernisée de la légende de Faust (1971), et une symphonie jouée à Cheltenham en 1973. GILBERT (Kenneth), claveciniste, organiste et musicologue canadien (Montréal 1931). Il a étudié au conservatoire de Montréal et a été l’élève de R. Gerlin (clavecin) et de G.

Litaize (orgue). Professeur à Montréal, à Ottawa et à Anvers, il a notamment réalisé des enregistrements des oeuvres complètes pour clavecin de Couperin et de Rameau, et édité celles de Couperin et de Domenico Scarlatti. GILLES (Jean), compositeur français (Tarascon 1668 - Avignon 1705). Il fait ses études musicales à la maîtrise d’Aix-en-Provence sous la direction de Guillaume Poitevin auquel il succède, en 1693, comme maître de chapelle à la cathédrale Saint-Sauveur. On le trouve à Agde (1695), puis, en 1697, à Montpellier où il dirige la musique des états généraux du Languedoc. il s’installe ensuite à Toulouse, ayant la charge de la maîtrise de Saint-Étienne. À sa mort, il laisse une oeuvre de qualité qui a conquis, depuis longtemps, tout le midi de la France. Il semble qu’il n’ait écrit que de la musique religieuse. Le style mélodieux de Jean Gilles est ensoleillé et italianisant. C’est ce qu’on peut remarquer particulièrement dans les motets à voix seule. D’autre part, il sait aussi bien que Delalande, le grand maître du motet à grand choeur, illustrer le genre pratiqué à la chapelle royale de Versailles (Motets à grand choeur et symphonie). Une oeuvre importante de Gilles, restée longtemps célèbre, est le Requiem, écrit probablement à Toulouse et publié seulement en 1764. GILLIS (Don), compositeur américain (Cameron, Missouri, 1912 - Columbia 1978). Après des études à l’université du Texas, il a débuté comme trompettiste avant d’être directeur des programmes musicaux de la radio de New York, puis professeur dans différentes universités. Sa musique, d’approche aisée, aimable et divertissante, ne comporte aucune recherche particulière de langage et de style. Elle ne se propose que de plaire et d’amuser. Parmi un catalogue immense, comprenant notamdownloadModeText.vue.download 417 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 411 ment 12 symphonies (dont la Symphonie no 5 1/2, 1948, dite Symphonie pour rire, créée par Toscanini), 4 poèmes sympho-

niques et 9 pièces orchestrales avec récitant, 8 opéras et de nombreuses pièces de musique de chambre, citons l’essai dramatique Let us pray (1973), pour récitant, choeurs, orchestre, bande et images en mouvement. GILSON (Paul), compositeur et pédagogue belge (Bruxelles 1865 - id. 1942). Élève de l’Athénée de Bruxelles, Paul Gilson termina ses études avec Gevaert avant d’obtenir le grand prix de Rome (1889). Sa brillante carrière de pédagogue, à Anvers puis à Bruxelles, a peut-être fait davantage pour sa réputation que son oeuvre pourtant solide, vivante et prestigieusement orchestrée, comprenant environ 400 numéros : la Mer et Variations symphoniques (orch.), des opéras (Princesse rayon de soleil et Gens de mer), la cantate dramatique Francesca de Rimini, des pièces pour piano (Suite nocturne), la Captive (drame chorégraphique), etc. GIMENEZ ou JIMENEZ, VOIRE XIMENEZ, JERONIMO, compositeur espagnol (Séville 1854 - Madrid 1923). Il vint à Paris pour étudier au Conservatoire avec Alard, Savard et A. Thomas. Il fut directeur de théâtre à Madrid, fondateur de l’Union des musiciens espagnols et animateur de la Société des concerts de Madrid fondée par Chueca. Il composa des symphonies, des mélodies et surtout des zarzuelas d’une verve et d’un souffle irrésistibles. Il a grandement contribué au développement du genero chico (musique théâtrale légère). L’intermezzo des Noces de Luis Alonzo (1897) est devenu un véritable symbole de la musique populaire espagnole, au même titre que la Danse du feu de Manuel de Falla. Parmi ses autres oeuvres célèbres, il faut citer le Bal de Luis Alonzo (1896), La Tempranica, « Précocité » (1900), La Torre del Oro (1900), Enseignement libre (1901). Falla reconnaissait en lui l’un des créateurs de l’école nationale espagnole. GINASTERA (Alberto), compositeur et pédagogue argentin (Buenos Aires 1916 - Genève 1983). Les références au folklore argentin ont longtemps été sa principale préoccupation, d’abord dans une écriture inspirée du franckisme (les ballets Estancias et Panambi), puis dans un style de tonalité élargie (Sonate pour piano, Variations

concertantes). il s’en est ensuite évadé, au moins en ce qui concerne l’écriture, allant désormais de la technique sérielle (à partir du deuxième quatuor, 1958) au total chromatique et à l’écriture « spatiale » où des clusters se superposent aux structures de base, pour évoquer un monde fantastique et hallucinant où la réalité est recréée par l’imagination (la Cantata para América mágica, 1960 ; les opéras Don Rodrigo [1964], Bomarzo [1967], et Beatrix Cenci [1971] ; les concertos pour piano et violoncelle, etc.). Professeur au conservatoire de Buenos Aires, il est, depuis des années, le principal animateur de la vie musicale en Argentine et a formé une génération de compositeurs largement informée des techniques compositionnelles d’aujourd’hui. Parmi ses dernières oeuvres, un troisième quatuor à cordes (1973), la cantate dramatique Milena (1973), l’opéra Barabbas (1976-77) d’après Ghelderode, une sonate pour violoncelle et piano (1979), Jubilum pour orchestre (pour le quatrième centenaire de Buenos Aires, 1980), un deuxième concerto pour violoncelle (Vienne, 1981), une Symphonie no 2 (Saint-Louis, 1983). GINDRON (François), compositeur suisse ( ?, v. 1491 - Lausanne 1564). Prêtre à la cathédrale de Lausanne et ayant occupé, par ailleurs, des fonctions administratives, il fut l’un des meilleurs compositeurs de son temps pour le motet et la monodie huguenote. Ses 20 mélodies pour les Proverbes de Salomon et l’Ecclésiaste traduits par Accace d’Albiac du Plessis furent publiées par Janequin (Paris, 1558). Il a lui-même publié 7 motets remarquables à Genève (1555) et écrit la musique des Psaumes sur des textes de Marot et Théodore de Bèze, en utilisant les modes anciens et dans des harmonisations à 4 ou 5 voix. GINEZ PEREZ (Juan), compositeur espagnol, (Orihuela 1548 - ? v. 1612). Maître de chapelle à Orihuela, puis à Valence, Ginez Perez est le fondateur de l’école valencienne de musique religieuse dans la pratique traditionnelle des polyphonies à 2, 3 et 4 voix. On connaît de lui des motets, un magnificat, les Psaumes 113, 114, 119, 120, 129 et 137, des versets pour l’avent, des vêpres à 4 voix et autres pièces vocales à 3, 4, 5 et 6 voix, conser-

vés pour la plupart en manuscrit, et que Pedrell a redécouverts. Il est l’un des plus grands musiciens de son temps par la puissance de l’inspiration, l’intensité du sentiment religieux et la qualité du style. GIOCOSO. (ital. : « joyeux »). Terme pouvant indiquer soit l’allure d’un morceau (allegro giocoso), soit son caractère général qui peut s’étendre à un ouvrage entier (Mozart, Don Giovanni, dramma giocoso). GIORDANI (Giuseppe), compositeur italien (Naples 1743 - Fermo 1798). Élève du conservatoire de Naples, il composa de nombreux opéras dont Eppomina (Florence, 1779). Après sa nomination en 1791 au poste de maître de chapelle de la cathédrale de Fermo, il se consacra surtout à la musique religieuse. Il fut souvent confondu avec Tommaso Giordani, avec lequel il semble n’avoir eu aucun lien de parenté. GIORDANI (Tommaso), compositeur italien (Naples v. 1733 - Dublin 1806). Son père, impresario, chanteur et librettiste, s’installa avec ses enfants en Grande-Bretagne en 1753. À Londres, Tommaso donna en 1756 l’opéra La Commediante fatta cantatrice. On le retrouve en 1764 à Dublin, où fut représenté en 1767 Phyllis at Court. De 1768 à 1783, il séjourna de nouveau à Londres, paraissant notamment au King’s Theatre. En 1783, il ouvrit avec le chanteur Leoni un théâtre d’opéra à Chapel Street à Dublin, mais cette entreprise échoua, et après son mariage en 1784, il se consacra surtout à l’enseignement. Il écrivit en 1789 un Te Deum pour la guérison du roi George III, et son dernier opéra, The Cottage Festival, fut représenté en 1796. On lui doit une cinquantaine d’opéras et beaucoup de musique instrumentale (sonates, concertos). GIORDANO (Umberto), compositeur italien (Foggia 1867 - Milan 1948). Il fut, avec Mascagni et Leoncavallo, l’auteur le plus significatif du mouvement vériste ( ! VÉRISME). Après de solides études accomplies à Naples, il se fit remarquer avec Marina (1888) et Mala vita (1892), devenue en 1897 Il Voto, puis avec Regina

Diaz (1894), mais ne connut véritablement la gloire qu’en 1896 avec André Chénier, créé à la Scala de Milan, et où, tout en démarquant parfois la récente Manon Lescaut de Puccini, il faisait preuve d’un sens inné du théâtre, offrant en outre au ténor un rôle de grand relief. C’est au contraire pour la grande actrice et chanteuse Gemma Bellincioni qu’il écrivit en 1898 Fedora, d’après Sardou, oeuvre qui révéla Caruso. C’est probablement parce qu’il tenta d’échapper à l’image de marque que lui avaient imprimée les succès d’André Chénier et de Fedora que Giordano ne retrouva plus tout à fait la même faveur avec Siberia (1903), Marcella (1907), Mese Mariano (1910), Madame Sans-Gêne, d’après Sardou (New York, 1915), Giove a Pompei (en collaboration avec Franchetti, 1921), ni avec La Cena delle beffe (1924) et Il Re (1929), opéras où se révèle un soin tout à fait nouveau apporté à la partie orchestrale. downloadModeText.vue.download 418 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 412 GIOVANNELLI (RUGGERO, ou RUGGIERO GIOVANELLI), compositeur italien (Velletri, près de Rome, v. 1560 Rome 1625). Il est d’abord maître de chapelle à l’église San Luigi dei Francesi à Rome (15831591), puis à la Chiesa dell’Anima du Collegium germanicum. Il est peut-être élève de Palestrina, dont il prend la succession à Saint-Pierre en 1594, et il entre à la chapelle Sixtine en 1599, où il reste jusqu’en 1624. Ses motets, madrigaux et villanelles ont, seuls, été publiés, mais il est également l’auteur d’un grand nombre de pièces religieuses (messes, psaumes, motets). GIOVANNI DA CASCIA (Johannes de Florentia), compositeur italien (XIVe s.). Il appartient, comme Jacopo da Bologna, à la première génération de musiciens du Trecento. Né près de Florence, il est d’abord organiste à Santa Maria del Fiore avant de s’installer à Vérone à la cour de Mastino della Scala. Les renseignements sur sa vie sont très rares, mais il est pos-

sible qu’il ait vécu quelque temps à Milan. Son oeuvre a fait l’objet d’une édition moderne, due à N. Pirotta, in The Music of 14th Century in Italy : (American Institute of Musicology, 1954). Elle comporte 16 madrigaux (à ne pas confondre avec le genre du XVIe s.) à 2 voix et 3 caccie. Dans les madrigaux, les deux voix (cantus et ténor) sont pourvues de texte, et les mélismes se trouvent surtout au début et à la fin de chaque vers. GIRAUDEAU (Jean), ténor français (Toulon 1916 - id. 1995). Il étudie le violoncelle et le chant au Conservatoire de Toulon où ses parents sont professeurs. En 1942, il fait ses débuts à l’Opéra de Montpellier avant de devenir, jusqu’en 1947, pensionnaire des Théâtres lyriques. À ce titre, il chante sur la plupart des scènes provinciales avant de faire ses débuts en 1947 à l’Opéra-Comique puis à l’Opéra de Paris, où il se produira jusqu’en 1968. Possédant plus de cent rôles du répertoire, il crée aussi de nombreux opéras contemporains, de Milhaud, Jolivet, Rabaud, Rosenthal et Tomasi. Il participe aux premières françaises de l’Ange de feu et du Joueur de Prokofiev, de Souvenirs de la maison des morts de Janáček, et incarne un Chouïski magistral dans Boris Godounov, dès 1949. Nommé professeur au Conservatoire de Paris en 1955, il enseigne également à l’École normale puis, en 1968, devient maître des études vocales de la Réunion des théâtres lyriques de France et directeur de l’Opéra-Comique. GIRDLESTONE (Cuthbert Morton), musicologue anglais (Bovey-Tracey, Devonshire, 1895 - Saint-Cloud 1975). Il fit ses études à l’université de Cambridge et à la Sorbonne. Il enseigna la littérature française de 1926 à 1960 au King’s College à Newcastle-on-Tyne et à l’université de Durham. Ses recherches sur la musique sont consacrées au XVIIIe siècle. Il a collaboré à plusieurs publications collectives et revues spécialisées, dont Recherches sur la musique française classique et la Revue de musicologie, et il a traduit le Traité des agréments de Tartini (1961). PUBLICATIONS : Jean-Philippe Rameau, his Life and Work (Londres, 1957 ; rév. en 1969 ; trad. française, Paris, 1962) ; Mozart et ses Concertos

pour piano (Paris, 1939 ; rééd., 1953). GIROUST (François), compositeur français (Paris 1738 - Versailles 1799). Formé à Notre-Dame de Paris, maître de chapelle de la cathédrale d’Orléans (1756), lauréat du Concert spirituel pour son motet Super flumina Babylonis (1768), maître de chapelle des Saints-Innocents (1769), il écrivit pour le sacre de Louis XVI, à la chapelle duquel il passa en 1775, la messe Gaudete in Domino semper. Après avoir été surintendant de la musique du roi (1782-1792), il écrivit durant la Révolution plusieurs pièces patriotiques (Chant pour la fondation de la République). GITLIS (Ivry), violoniste israélien (Haïfa 1922). Premier Prix du Conservatoire de Paris à douze ans, il poursuit ses études avec Enesco, Thibaud et Carl Flesch, mais doit se réfugier à Londres pendant la guerre. Le public lui fait un triomphe au concours Thibaud-Long de 1951, qui décide de sa carrière internationale. Une fougue irrésistible caractérise le style de ce virtuose, fondateur en 1972 du festival de Vence, où ses dons d’animateur permettent aux musiciens de s’exprimer dans la plus complète liberté. GIULIANI (Mauro), guitariste et compositeur italien (Bisceglie, près de Bari, 1781-Naples 1829). Il quitta l’Italie en 1807 pour Vienne, dont il fit rapidement la conquête comme concertiste, professeur et compositeur, et où il séjourna jusqu’en 1819. il s’installa ensuite à Naples après une tournée à travers l’Europe. On lui doit pour son instrument, traité soit en soliste, soit combiné avec d’autres musiciens (deux guitares, musique de chambre, concertos), plus de deux cents oeuvres écrites sous le signe d’une brillante virtuosité. GIULINI (Carlo Maria), chef d’orchestre italien (Barletta 1914). Élève à Rome de Remy Principe (alto), d’Alessandro Bustini (composition) et de Bernardo Molinari (direction d’orchestre), il fit ses débuts de chef dans cette ville en 1944, et devint en 1946 directeur musical de la radio italienne, donnant notamment plusieurs opéras peu connus d’Alessandro

Scarlatti. En 1950, il devint chef à la radio de Milan, et fit ses débuts au théâtre lyrique avec La Traviata de Verdi. En 1951, une exécution en studio d’Il Mondo della luna de Haydn attira sur lui l’attention d’Arturo Toscanini et de Vittorio de Sabata, à qui il succéda en 1953 comme chef principal à la Scala de Milan. Il occupa ce poste jusqu’en 1956. Il dirigea à cette époque au Mai musical florentin ainsi qu’aux festivals de Hollande et d’Aix-enProvence (Iphigénie en Tauride de Gluck, Il Mondo della luna de Haydn). Dans le domaine symphonique, il n’élargit son répertoire qu’avec prudence, n’abordant, par exemple, les symphonies de Beethoven que dans les années 60. Il est devenu également un grand interprète de Bruckner, Brahms et Mahler. Au théâtre, il travailla notamment avec Maria Callas et avec de très grands metteurs en scène. Après des représentations de La Traviata à Londres en 1967, il décida de ne se consacrer pour un temps qu’à la musique symphonique : il ne devait revenir à la scène lyrique qu’en avril 1982, avec huit représentations de Falstaff à Los Angeles. Devenu principal chef invité de l’Orchestre symphonique de Chicago en 1969, il a été chef principal de l’Orchestre symphonique de Vienne de 1973 à 1976, et, de 1978 à 1984, comme successeur de Zubin Mehta, chef principal de la Philharmonie de Los Angeles. Artiste raffiné, il possède une sensualité typiquement italienne mais toujours parfaitement dominée. Au disque, il a signé notamment trois versions de référence d’ouvrages lyriques : Don Giovanni de Mozart en 1960, Don Carlos de Verdi en 1971 et Rigoletto de Verdi en 1979. GIURANNA (Bruno), altiste et chef d’orchestre italien (Milan 1933). Sa mère, Barbara, pianiste professionnelle, encourage ses débuts. Il étudie le violon et l’alto à l’Académie Sainte-Cécile de Rome, et décide d’apprendre également la viole d’amour. Cette particularité le fait remarquer rapidement, et il se consacre à la musique de chambre baroque et classique. En 1951, il est parmi les membres fondateurs d’I Musici, et crée le Trio à cordes italien. De 1961 à 1972, il enseigne dans les plus prestigieuses institutions italiennes, à Milan, Rome et Sienne. De 1969 à 1972, il est professeur à la Hochschule de Detmold, et, depuis 1983, à celle de Berlin. Entre 1978 et 1980, il est l’altiste du Quatuor Vegh, et se tourne vers la direc-

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DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 413 tion d’orchestre où il est un mozartien reconnu. Depuis 1983, il dirige l’Orchestre de chambre de Padoue. GIUSTINI (Luigi ou Ludovico), claveciniste et compositeur italien (Pistoia 1685 - id 1743). De nos jours, on se souvient de lui pour avoir publié des Sonate da cimbalo di piano e forte detto volgarmente di martelletti op. 1 (Florence, 1732), c’est-à-dire des sonates destinées à être interprétées sur le nouvel instrument de Bartolomeo Cristofori paru en 1698. GIUSTO (ital. : « juste »). Terme qui indique le mouvement juste (tempo giusto) d’un morceau, c’est-à-dire strictement en mesure et dans le mouvement exact, généralement un mouvement modéré. GLAREAN (Glareanus, Heinrich Loris, dit), humaniste et théoricien suisse (Mollis, canton de Glaris, 1488 - Fribourg 1563). Il fait des études littéraires et musicales à Berne, Rottweil (Allemagne), puis, à partir de 1506, à Cologne où il devient, pour la musique, l’élève de Cochlaeus. Il enseigne d’abord le grec et le latin à Bâle (1514-1517) avant de séjourner, sur la recommandation d’Érasme, à la cour de François Ier (1517-1522). Fréquentant les milieux humanistes parisiens et le compositeur Jean Mouton, il tente même d’ouvrir une école mais, déçu par la vanité des discussions sorbonnardes, il regagne Bâle en 1522 et se fixe, de 1527 à sa mort, à Fribourg où il enseigne la poésie et la théologie. Éditeur de Tacite, Horace, Boèce, il est l’auteur de deux ouvrages théoriques sur la musique : Isagoge in musicen (« Introduction à la musique »), parue en 1516, et le Dodecachordon, rédigé entre 1519 et 1539 et édité en 1547. Si le premier ouvrage traite brièvement des intervalles, des hexacordes et des modes, le

second est d’une importance capitale pour la connaissance de la musique de son époque. S’inscrivant dans la tradition de Boèce et de Gafori, il s’arrête largement sur le problème de la modalité et porte à 12 les 8 modes traditionnels du Moyen Âge. Il traite de l’évolution de la polyphonie et livre de précieux renseignements et jugements sur Ockeghem, Obrecht, Josquin, Brumel, Isaac, Mouton, ainsi que sur les débuts de la musique mesurée à l’antique. GLASS (Philipp), compositeur américain (Chicago 1937). Il fait ses études à l’université de Chicago et à la Juilliard School. De 1964 à 1966, il séjourne en France, rencontre Ravi Shankar avec lequel il travaille pour une musique de film, et s’initie au tabla avec Alla Rakha. Il fait plusieurs séjours en Inde en 1966, 1970 et 1973. En 1968, il fonde à New York un groupe d’instruments amplifiés (claviers électroniques, vents, cordes, et plus tard voix) et crée One plus one (« 1 + 1 »), sa première oeuvre « additive ». La création d’Einstein on the Beach de Bob Wilson au festival d’Avignon (1976), puis sa reprise à Paris dans le cadre du Festival d’automne lui apportent la consécration. Désirant remplir totalement un espace de sons, Glass utilise un processus basé sur la progression additive (progression arithmétique, 1 + 1, 1 + 2, 1 + 2 + 3, etc.) d’une figure répétitive donnée, qu’il inaugure donc avec One plus one, joué par un soliste tapant des doigts sur la table. La répétition de la figure rythmique et l’adjonction de figures mélodiques créent des séries de mouvements inattendus qui exercent une sorte de fascination sur le public. Glass considère que c’est la structure qui permet au son d’exister. En 1970, il est amené à s’intéresser à l’effet physiologique de la musique et à créer par la suite des effets psycho-acoustiques. Dans Music in 12 Parts (1971-1974), dont l’exécution peut durer plusieurs heures, il introduit des élongations de sons sur plusieurs mesures et des successions d’accords, procédés qui seront développés dans Another Look at Harmony (1974), et dans Einstein on the Beach. Philipp Glass représente la réactualisation de la tonalité dans un nouvel environnement. GLAZOUNOV (Alexandre), compositeur russe (Saint-Pétersbourg 1865 - Neuilly-

sur-Seine 1936). Descendant d’une des plus anciennes familles d’éditeurs russes, Glazounov s’avère un enfant précocement doué pour la musique. Sans avoir jamais fréquenté aucun conservatoire, il apprend en deux ans l’harmonie et les techniques de la composition sous la direction de RimskiKorsakov. Il a seize ans lorsque Balakirev dirige à Saint-Pétersbourg sa première symphonie, qui lui vaut par ailleurs les encouragements de Liszt. La même année (1882) voit la création de son premier quatuor à cordes. Glazounov est accueilli chaleureusement dans le cénacle de Belaiev, riche mécène et mélomane qui va devenir rapidement son plus fervent admirateur. En 1884, Belaiev crée les Concerts symphoniques russes pour faire jouer en priorité les oeuvres de Glazounov, puis il fonde en 1885 les éditions Belaiev à Leipzig pour les publier. En 1887-88, Glazounov aide Rimski-Korsakov à achever le Prince Igor de Borodine, dont il orchestre aussi la troisième symphonie. En 1889, il participe, avec Rimski-Korsakov, aux concerts de musique russe de l’Exposition universelle à Paris, où il revient en 1907 lors des concerts organisés par Diaghilev. En 1896, il dirige ses oeuvres en Angleterre, ayant reçu entre-temps la commande d’une Marche triomphale pour l’Exposition universelle de Chicago. Institué à la mort de Belaiev (1903) administrateur de toutes ses fondations, il en devient président en 1908. À partir de 1899, il enseigne au conservatoire de Saint-Pétersbourg, dont il devient directeur après les événements de 1905. Il restera à ce poste jusqu’en 1928, faisant preuve d’une admirable générosité envers les étudiants matériellement défavorisés. Émigré en 1928, Glazounov s’installe à Paris et effectue des tournées en Europe et aux États-Unis. Il fait la connaissance de Marcel Dupré et lui dédie sa dernière oeuvre, la Fantaisie pour orgue. Il meurt en 1936, le jour même où un concert de ses oeuvres doit être donné par l’orchestre Lamoureux. En 1972, ses cendres seront exhumées du cimetière de Neuilly et transportées à Leningrad. La puissance créatrice de Glazounov ne se ralentit qu’à la fin de sa vie et s’exerce dans presque tous les genres. Au début de sa carrière, sous l’influence nationaliste du groupe des Cinq, il écrit des oeuvres d’inspiration russe : les poèmes symphoniques

Stenka Razine (1885), la Mer (1889), le Kremlin (1890), le Printemps (1891). En 1889, les Français le trouvent plus russe que Tchaïkovski. Il contribue, d’autre part, à élargir le répertoire de la musique de ballet : en 1897, Raymonda est créé à l’Opéra impérial de Saint-Pétersbourg dans une chorégraphie de Marius Petipa. L’année suivante, il écrit Ruses d’amour et les Saisons (création en 1900). En 1907, il orchestre pour Diaghilev la suite Chopiniana, qui devient en 1909 les Sylphides, et, en 1910, fait un arrangement orchestral du Carnaval de Schumann. Glazounov est l’un des rares Russes à n’avoir pas écrit d’opéras. C’est surtout dans le domaine de la musique pure qu’il s’exprime avec une aisance remarquable : 8 symphonies, 7 quatuors, 5 concertos (pour violon, pour piano, pour violoncelle, pour saxophone). Il reçoit dix-sept fois le prix Glinka destiné à couronner les oeuvres symphoniques. Les problèmes de développement de thèmes, les rythmes, l’écriture polyphonique le passionnent, et la richesse de son orchestration surpasse parfois celle de Rimski-Korsakov. Mais Glazounov est un compositeur foncièrement académique, réfractaire à toute forme d’évolution du langage musical. Cependant, chacune de ses nouvelles oeuvres est accueillie comme un événement, car sa maîtrise est ressentie comme un aboutissement de la musique russe et surtout comme une fusion des styles des écoles de Saint-Pétersbourg (nationalisme) et de Moscou (occidentalisme). Par les influences (Chostakovitch, Tcherepnine, Miaskovski) ou les réactions (Prokofiev, downloadModeText.vue.download 420 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 414 Stravinski) qu’il provoquera, il joue un rôle important à une époque où la musique russe cherche son second souffle. GLEE. Pièce vocale, écrite pour au moins trois voix solo a cappella, et dont le genre s’est particulièrement développé en Angleterre entre 1750 environ et 1830 (bien que le terme apparaisse déjà dans certains recueils du XVIIe siècle).

Les glees ont eu une grande vogue et une certaine fonction sociale, étant interprétés dans les clubs d’hommes londoniens (ce qui provoqua la création de glee-clubs), et sont, pour cette raison, principalement écrits pour voix d’hommes. Ils sont caractérisés par de courtes phrases assez simples, sujettes à de nombreuses variations de rythme et de tempo. L’écriture harmonique est de style vertical et on n’y trouve pas d’effets contrapuntiques. Parmi les plus célèbres compositeurs de glees, citons tout d’abord Samuel Webbe l’aîné, dont la carrière (1740-1816) coïncide avec la période d’apogée de la forme, mais aussi Collcott, Horsley, Stevens et Webbe junior. GLIÈRE (Reinhold), compositeur soviétique (Kiev 1875 - Moscou 1956). Fils d’un facteur d’instruments d’origine belge, il travaille très tôt le violon et, dès l’âge de quatorze ans, manifeste ses dispositions en écrivant un quatuor à cordes. Après avoir entrepris ses études musicales à Kiev, il entre au conservatoire de Moscou (1894-1900), où il reçoit l’enseignement de Sokolovski et Hrimaly (violon), Taneiev (contrepoint), Arenski (harmonie) et Ippolitov-Ivanov (composition). Glière fréquente aussi, vers 1900, le groupe Belaiev. À Berlin, en 1905-1907, il se familiarise avec la direction d’orchestre grâce aux conseils d’Oskar Fried. Déjà il se fait connaître comme compositeur et apparaît dans ses premières oeuvres comme l’un des plus sûrs représentants de la tradition musicale russe (cf. ses 3 Symphonies monumentales), malgré l’influence de Liszt et de l’école française contemporaine sur le langage de son poème symphonique, les Sirènes (1908). Dès ce moment aussi, il entame une carrière de pédagogue (initiant Prokofiev à l’écriture à partir de 1902) ; il est nommé professeur au conservatoire de Kiev en 1913, puis directeur en 1914 ; en 1920, il devient professeur au conservatoire de Moscou et le reste jusqu’en 1941, accueillant dans ses cours Miaskovski, Davidenko, Ivanov-Radkevitch, Knipper, Litinski, Novikov, Rakov, etc. Son enseignement oriente assurément une partie de ses compositions. Parallèlement, il se livre à un réel travail d’ethnomusicologie et participe à l’affirmation musicale des minorités nationales soviétiques : en 1923, il écrit, en effet, le

premier opéra azerbaïdjanais, Chah-Senem, d’après une légende du XVIe siècle, oeuvre de syncrétisme musical entre le folklore azerbaïdjanais et la tradition russe (première en russe, Bakou, 1926 ; première en azerbaïdjanais, Bakou, 1934). Il a également consacré beaucoup d’efforts à l’opéra ouzbek en composant, en collaboration avec T. Sadykov, une musique de scène sur des thèmes populaires ouzbeks pour Gul-Sara (Tachkent, 1936), transformée plus tard (1949) en opéra, et un autre ouvrage lyrique, Leïli et Medjnoun (Tachkent, 1940). Tout en continuant à écrire des oeuvres de musique de chambre pure, il crée le premier ballet soviétique sur le thème révolutionnaire de l’union de tous les prolétaires du monde : le Pavot rouge (1927). C’est l’histoire d’un navire soviétique arrivé dans un port chinois dans les années 20, des relations toutes simples qui se nouent entre les marins soviétiques et la population, des amours de la jeune Tao-Hoa et du capitaine russe, dont elle sauve la vie. Glière y introduit des danses à la mode tels le charleston ou le boston et y adapte la fameuse danse des marins de la chanson révolutionnaire Yablochko (« la Petite Pomme »). Il est revenu à la fin de sa vie au ballet en écrivant pour le cent cinquantième anniversaire de la naissance de Pouchkine (1949) une musique très simple, très dansante, celle du Cavalier de bronze. Puis, en 1951-52, il compose Tarass Boulba (d’après Gogol) et, en 1953, reprend son ballet, les Comédiens, en cherchant à le rapprocher de sa source littéraire (Fuente Ovejuna, le drame de Lope de Vega) : ainsi naît la Fille de Castille, son dernier ballet. GLINKA (Mikhaïl Ivanovitch), compositeur russe (Novospasskoïé, province de Smolensk, 1804 - Berlin 1857). Ses premières impressions musicales furent celles de la musique religieuse et d’un orchestre de serfs que possédait sa famille. À partir de 1817, faisant ses études classiques à l’Institut pédagogique de Saint-Pétersbourg, il prit quelques leçons de piano avec Field puis avec Carl Meyer, et de violon avec Boehm. Sa première oeuvre importante, Variations sur un thème de Mozart pour harpe (1822), fut écrite alors qu’il n’avait pas encore de réelle formation de compositeur. La même année, un voyage au Caucase lui fit découvrir la musique orientale. Pendant plusieurs années, il fit de la musique

en autodidacte, produisant des mélodies russes et italiennes et une sonate en 2 mouvements pour alto et piano (1826). En 1830, il partit pour un voyage de trois ans en Italie afin d’y étudier l’art du chant. Il y découvrit les opéras de Bellini, Donizetti, Rossini. En revenant d’Italie, il s’arrêta à Berlin, où, pendant cinq mois, il allait étudier le contrepoint et mettre en ordre ses connaissances musicales avec S. Dehn, qui resta son seul véritable maître. Rentré en Russie, en 1834, il se mit à travailler à un opéra russe, Ivan Soussanine, sur un sujet historique proposé par le poète Joukovski et mis en livret par le baron Rosen. Le même sujet avait été traité en 1815 par l’Italien Cavos : au début du XVIIe siècle un paysan sauva le futur tsar Michel Romanov d’un attentat, grâce à un subterfuge par lequel il sacrifia sa propre vie. Pour plaire à Nicolas Ier, Ivan Soussanine fut intitulé la Vie pour le tsar et représenté à Saint-Pétersbourg le 27 novembre 1836. Il connut un immense succès auprès du public, mais provoqua la mauvaise humeur de certains critiques qui y virent « de la musique de cochers ». De 1837 à 1839, Glinka fut chef de choeur à la chapelle impériale. En 1840, il composa la musique de scène pour une tragédie de Koukolnik, le Prince Kholmsky. Au cours de ces années, il travailla à son second opéra Rouslan et Ludmilla d’après un conte en vers de Pouchkine, qui fut représenté six ans jour pour jour après le précédent, le 27 novembre 1842. Il semblait devoir bien se maintenir au répertoire, mais l’année suivante, une troupe italienne arrivée à Saint-Pétersbourg détourna l’attention des mélomanes russes. Déçu, Glinka quitta la Russie (1844) et entreprit un long voyage en France et en Espagne. Il passa la saison 1844-45 à Paris, se lia avec Berlioz et put, grâce à lui, faire exécuter plusieurs de ses oeuvres lors de trois concerts en mars et avril 1845. Il était le premier Russe joué en France. Il resta ensuite deux ans en Espagne (18451847), y étudiant le folklore espagnol. De ce séjour devaient naître deux fantaisies pour orchestre, la Jota aragonaise (1845) et Souvenir de Castille devenue après remaniement Une nuit d’été à Madrid (184849). Les années 1847-1852 se passèrent entre Novospasskoïé, Varsovie et SaintPétersbourg. 1848 vit la composition de la Kamarinskaïa, fantaisie pour orchestre sur deux thèmes populaires russes. En

1852-1854, Glinka vécut de nouveau à Paris, mais mena une vie retirée, en raison de sa santé défaillante. Il travailla à une symphonie ukrainienne, Tarass Boulba d’après Gogol, qu’il ne put achever et détruisit. De retour à Saint-Pétersbourg, il entreprit de rédiger ses Mémoires (185455). En avril 1856, il partit pour Berlin afin d’y travailler avec son vieux maître Dehn à l’étude des anciens modes religieux et de chercher sur cette base un nouveau style d’harmonisation des chants de l’Église russe. Mais il mourut prématurément le 15 février 1857. Il serait inexact d’affirmer que Glinka ait été le premier à citer des chants russes dans ses oeuvres ou à s’inspirer de sujets nationaux, ce qu’avaient déjà fait, à titre de divertissement, Pachkévitch, Fomine downloadModeText.vue.download 421 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 415 et d’autres compositeurs de la fin du XVIIIe siècle. Mais Glinka a été le premier à imprégner véritablement son langage des tournures mélodiques populaires et à donner à l’opéra russe une dimension dramatique, le transformant en « une solennité religieuse et patriotique » (Henry Mérimée). Certes, dans ses deux opéras, l’influence italienne reste sensible dans la division par numéros, la tendance à la virtuosité vocale et le peu de souci de la prosodie. Mais les choeurs et les airs d’Ivan Soussanine donnent toute leur dimension épique au peuple et au héros qui le représente, et nombre de scènes annoncent les opéras de Moussorgski. De son côté, Rouslan et Ludmilla, avec ses tableaux de l’Antiquité russe et sa féerie orientalisante, se retrouve dans les opéras-contes de Rimski-Korsakov. Dans Rouslan, Glinka met pour la première fois en scène un barde russe chantant une cantilène allégorique, de même qu’il est le premier à utiliser des mélodies et des rythmes orientaux (choeur persan, lezghinka, marche de Tchernomor). L’orientalisme, qui s’est déjà fait sentir dans le Prince Kholmsky, se retrouve dans les fantaisies espagnoles. À la base de l’école symphonique russe, la Kamarinskaïa établit le principe de la paraphrase et de la variation instrumentale des thèmes, opposé au développement de la symphonie germanique.

L’orchestration de Glinka révèle un sens des coloris sonores et des nuances qui lui valut l’éloge de Berlioz lui-même. Ses hardiesses harmoniques sont souvent remarquables (gamme par tons dans Rouslan). Les nombreuses mélodies de Glinka, notamment le cycle Adieu à Saint-Pétersbourg (1840), laissent ressentir les influences de l’aria italienne, de la romance française, mais aussi de la chanson russe et de la ballade romantique. Ses pièces et cycles de variations pour piano relèvent de la musique de salon et présentent beaucoup moins d’intérêt. GLISSANDO. Passage d’une note à l’autre « en glissant » de façon continue sur les notes intermédiaires. Ce procédé d’exécution, auquel se prêtent tout particulièrement la voix humaine, les instruments à archet et le trombone à coulisse, est d’un emploi délicat. L’effet obtenu verse facilement dans la vulgarité, au point que le glissando descendant est parfois flétri du nom fantaisiste de degueulando. GLOBOKAR (Vinko), compositeur et instrumentiste yougoslave (Anderny, Meurthe-et-Moselle, 1934). Après plusieurs années passées en France, il se rend en Yougoslavie avec ses parents (1947) et poursuit ses études scolaires et musicales à Ljubljana. Dès 1955, il rentre en France. Inscrit au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, en classe de trombone, il remporte le premier prix en 1959. Il complète sa formation d’instrumentiste en suivant des cours de composition et de direction d’orchestre avec René Leibowitz. Depuis 1968, il assume une carrière d’enseignant (professeur de trombone à la Staatliche Hochschule für Musik de Cologne et de composition aux Kölner Kurse für Neue Musik), d’instrumentiste et de compositeur. En 1969, Globokar fonde le New Phonic Art Ensemble avec Carlos RoqueAlsina, Jean-Claude Drouet et Michel Portal. Cet ensemble, constitué de solistes virtuoses, a pour vocation la promotion de nouvelles formes musicales et de techniques de jeu telle l’improvisation. Vinko Globokar fait partie de cette nouvelle

génération de musiciens pour qui la pratique musicale correspond à une activité globale, le travail de composition étant indissociable de celui d’interprète. Sa formation de virtuose lui permet d’aborder la composition d’une manière spécifique, d’introduire dans son projet compositionnel une attention particulière à l’instrument, mais aussi à l’instrumentiste, aux rapports intimes qui naissent entre eux. Mais, si Vinko Globokar n’a pas écrit de théâtre musical à la manière de Mauricio Kagel, de Dieter Schnebel ou de Michel Puig, il a pourtant été de ceux qui ont permis, par leur démarche, d’envisager les implications visuelles et gestuelles de l’instrument dans sa relation à l’espace. La virtuosité instrumentale, toujours présente dans ses oeuvres, n’est pas simplement une habileté mécanique : il s’agit bien pour lui de laisser transparaître sous le jeu instrumental sa propre sensibilité tactile ainsi que de multiplier les voies d’approche du corps instrumental. Aussi son répertoire est-il particulièrement riche et varié. Plusieurs de ses oeuvres posent les rapports entre interprètes comme des entrecroisements de données, non seulement musicales mais psychosociales ; c’est, par exemple, le cas de Traumdeutung (1967), psychodrame pour 4 choeurs sur le texte d’Edoardo Sanguinetti, ou de Drama (1971), qui concrétise une sorte de psychodrame entre un pianiste et un percussionniste. La situation engendrée par les rapports qui peuvent s’instaurer entre le soliste et l’ensemble des instrumentistes est particulièrement exploitée dans Ausstrahlungen (1972), pour soliste et 20 musiciens ; pour Globokar, en effet, rien de cet ensemble de composantes que constitue le jeu musical ne doit être écarté. L’orchestre étant, au fond, une microsociété régie par des règles et des codes, les fonctions professionnelles qui s’établissent nécessairement entre ses citoyens doivent entrer dans le jeu au même titre que les éléments purement musicaux (par exemple, dans Concerto grosso [1969-70] pour 5 solistes instrumentaux, choeurs et orchestre). On lui doit encore Monolith pour flûte (1976), Un jour comme un autre, oeuvre de théâtre musical créée à Avignon en 1979, Miserere pour 5 récitants, 3 groupes instrumentaux et orchestre (1982), Réalités/Augenblicke pour film, diapositives, bande et 5 chanteurs (1984), Sternbild der Grenze, pièce de théâtre musical d’après Peter Handke (créé à Metz en 1985), les Émigrés (Bonn

1987, version intégrale Radio France 1990). Pour Vinko Globokar comme pour toute une tendance actuelle de la jeune musique, l’instrument est considéré comme un potentiel acoustique à explorer par-delà les conventions et hiérarchies de valeurs. Les difficultés qui surgissent dans les partitions ne peuvent plus être considérées comme insurmontables. Au contraire, la virtuosité doit se donner comme un élément intégrant de la composition elle-même. Aussi Globokar a-t-il été investi jusqu’en 1980, au sein de l’I. R. C. A. M., de la responsabilité du département chargé de l’exploration des nouvelles ressources instrumentales et vocales en collaboration avec des acousticiens et des physiologues. À ces problèmes se sont ajoutés ceux de l’étude de la notation et de la codification des nouvelles partitions, de la lutherie et de ses prolongements électroacoustiques, et de la tradition orale. GLOCKENSPIEL. Terme allemand généralement préféré au français « jeu de timbres ». il s’agit d’un instrument à percussion qui consiste en une série de lames sonores de longueur variable, mises en vibration soit à l’aide de marteaux tenus à la main, soit par un clavier. C’est aujourd’hui une version perfectionnée du « carillon » de Papageno dans la Flûte enchantée de Mozart. Au lieu d’être disposées verticalement, les lames sont montées à plat sur deux rangs, les notes de la gamme d’ut majeur occupant le premier et les notes altérées le second, par groupes de deux et trois, comme au piano. L’étendue de l’instrument est de deux octaves et demie. Des instruments de sonorité similaire sont le xylophone et le célesta que Tchaïkovski a rendu célèbre (Casse-Noisette). GLORIA. Premier mot de plusieurs pièces de la liturgie latine. 1. Gloria Patri..., doxologie terminale de la récitation des psaumes. 2. Gloria in excelsis deo, cantique de louange, chanté à la messe après le Kyrie

eleison. Les premiers mots sont empruntés à l’Évangile de saint Luc (cantique des anges aux bergers, lors de la Nativité), la downloadModeText.vue.download 422 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 416 suite a été ajoutée progressivement. Le gloria ne se chante pas aux jours de deuil ou de pénitence. Dans ses versions les plus anciennes, il a conservé un aspect litanique (par exemple, XVe Messe). Mis assez tôt en polyphonie, il s’y présente habituellement sous le titre Et in terra, les premiers mots étant réservés au célébrant. Il fait partie normalement des messes en musique, dont il constitue le second morceau. Lorsque les messes avec orchestre prirent une certaine ampleur, le gloria, comme le credo, fut fréquemment découpé en morceaux distincts, dont il devint usuel de traiter le dernier, Cum sancto spiritu, en final brillant, souvent fugué. Depuis le XVIe siècle, le gloria est rarement traité par les musiciens comme morceau isolé. Il existe cependant quelques exceptions notables (Vivaldi, Poulenc). GLOSE (glosa). Dans la terminologie espagnole, principalement au XVIe siècle, on appelait glosa toute espèce d’amplification d’un modèle donné, soit par variation ornementale (differencia), soit par développement thématique (tiento, ricercar), apparentant la glose au tiento ou au ricercare. GLUCK (Christoph Willibald), compositeur autrichien (Erasbach 1714 - Vienne 1787). Le père de Gluck était garde forestier, ce qui était alors une condition assez élevée : Kuno, le père d’Agathe dans le Freischütz de Weber, occupait la même fonction et avait droit aux égards de la communauté paysanne. C’est sans doute grâce au patron de son père, un prince Lobkowitz, que Gluck séjourna successivement à Prague, à Vienne et à Milan. Mis à part des sonates en trio, quatre ballets et quelques oeuvres de musique vocale, Gluck se consacra essentiellement à la composition d’opéras. Ses vingt et un premiers opéras, tous en langue italienne, furent représen-

tés dans les plus grands théâtres d’Europe, de Naples à Londres et Copenhague. En 1754, il se fixa à Vienne, où, protégé par le comte Durazzo, directeur des théâtres de la cour, il composa des opérascomiques en français, parmi lesquels le Diable à Quatre (1759), le Cadi dupé (1761) et les Pèlerins de La Mecque ou la Rencontre imprévue (1764). Le tournant de sa carrière fut sa rencontre avec l’écrivain italien Calzabigi, dont la collaboration amena Gluck à dépasser les cadres de l’opéra italien traditionnel : avec Orfeo (Vienne, 1762) commençait ce que Gluck lui-même appela sa « réforme de l’opéra ». La clef la plus précieuse de cette « réforme » nous est sans doute fournie par la nomenclature des genres d’opéra au XVIIIe siècle, dont Gluck réutilisa les différents éléments dans une synthèse profondément originale. Il est significatif, par exemple, que l’Orfeo se situe dans une tradition qui remonte aux débuts de l’histoire de l’opéra, celle de l’azione teatrale (encore appelée festa teatrale). il s’agissait là d’une forme réservée à des occasions spécifiques (divertissements princiers), mais qui présentait pour Gluck des avantages considérables : les sujets mis en scène étaient de nature mythologique et exigeaient la mise en oeuvre d’un éventail de moyens expressifs plus large que dans le dramma per musica, à savoir une orchestration variée, de nombreux morceaux choraux et de grands récitatifs accompagnés. Mais à ces composantes de base Gluck ajoute des procédés venus d’un horizon opposé, celui de l’opéra français. Ainsi, le premier tableau garde l’aura poétique de la pastorale italienne, tout en suivant des principes de construction analogues à ceux d’une scène de Rameau. De même, la structure de l’air à da capo est écartée, à une exception près (Che fiero momento), au profit de formes plus rares mais plus souples, dérivées de l’opéra-comique, tels l’air strophique (Chiamo il mio ben così), le rondeau (Che farò), ou le vaudeville final. Ces recherches formelles prouvent bien que la réforme gluckiste ne s’est pas manifestée par une réduction de la part relative de la musique en regard du texte. À l’éparpillement d’arias stéréotypées a fait place une construction en longues scènes fortement structurées, permettant d’intensifier la tension dramatique sur une bien plus grande échelle. Mais il est tout aussi

indéniable que cette volonté délibérée de rompre avec les conventions de l’opera seria passe par une nouvelle conception du livret. On verra Wagner suivre un cheminement semblable lorsqu’il arrivera, avec le Vaisseau fantôme, à sa propre définition du « drame musical ». Tournant le dos aux intrigues de palais qui formaient la trame des opéras métastasiens, Calzabigi reprend le mythe d’Orphée dans toute sa nudité primitive, sans la moindre péripétie secondaire qui vienne en entraver le déroulement. Il tranchait ainsi le noeud gordien de la complexité dramatique et permettait du même coup au musicien de concentrer ses moyens expressifs autour d’un but unique : exprimer dans toute sa force la douleur d’Orphée et sa détermination d’arracher Eurydice à la mort. Cette austérité draconienne sur le plan de l’intrigue laissera, certes, la place à une plus grande diversité de personnages dans les opéras que Gluck écrivit par la suite, mais constitue bien le point de départ de sa réforme. L’apport d’Alceste (1767) aux expériences commencées dans Orfeo dépasse de loin l’idée que peut en donner sa préface, célèbre manifeste rédigé par Calzabigi. Le hiératisme néoclassique de son architecture, qui repose en grande partie sur des « piliers » choraux, s’accompagne d’une recherche plus poussée encore de la complexité psychologique : dans la ligne de Che farò, l’air d’Alceste Io non chiedo, où se succèdent cinq tempos différents, suit toutes les émotions du texte avec une diversité de moyens qui le situe encore plus loin du monolithisme inhérent au cadre du da capo. Sans précédent également dans l’opera seria est le souci de la continuité dramatique, qui se traduit tantôt par des transitions d’un mouvement à l’autre, tantôt par l’intervention de plusieurs personnages différents (pouvant exprimer des sentiments parfois contradictoires) au sein d’un même morceau. D’autres opéras composés à Vienne à la même époque, Telemaco (1765) et Paride ed Elena (1770), témoignent également d’une grande inventivité, sans atteindre au grandiose d’Alceste. Les années qui suivirent Paride ed Elena furent consacrées à la composition d’Iphigénie en Aulide, en vue d’une représentation à Paris (1774). Il est probable que Gluck ait voulu y trouver une consécration

internationale, sans se douter que l’esprit partisan du milieu littéraire français et les traditions pesantes de l’Académie royale de musique lui compliqueraient beaucoup la tâche. Mais il faut surtout voir dans ce changement de terrain le désir d’explorer plus avant les possibilités musicales et dramatiques inhérentes à la tragédie lyrique. C’était certes là un genre en sommeil depuis le Zoroastre de Rameau (1749), mais Gluck devait lui insuffler une vie nouvelle, qui donna lieu à un net regain d’activité dans les années qui précédèrent la Révolution. Iphigénie en Aulide est, à certains égards, l’opéra le plus novateur que Gluck ait écrit. La richesse dialectique des tirades raciniennes trouve pour la première fois son équivalent musical dans quatre gigantesques monologues, confiés à Agamemnon et à Clytemnestre : les variations de tempo, la finesse de la déclamation, l’intensité de l’accompagnement orchestral en font les sommets de l’oeuvre. Le choeur, dont le rôle dans Alceste était resté dans une large mesure d’ordre décoratif et structurel, prend ici toute sa dimension scénique : l’écriture antiphonique est maintenant utilisée à des fins réalistes pour rendre l’affrontement des partisans de Calchas et des défenseurs d’Iphigénie. À l’extrême opposé, les récitatifs les moins dramatiques, ou certains airs en demiteinte, n’échappent pas à une relative banalité. Le génie propre de Gluck le portait davantage aux grandes constructions musicales, centrées sur les points forts de l’action. Armide (1777), composée sur un ancien livret de Quinault, souffre d’un texte disparate et encombré de divertissements chorégraphiques, et trahit l’impasse où risquait de mener une conformité trop grande aux schémas de la tragédie lyrique. downloadModeText.vue.download 423 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 417 Le dernier « drame-opéra » de Gluck, Iphigénie en Tauride (1779), témoigne chez le compositeur et son librettiste d’une conscience aiguë de ces problèmes. Si les airs courts n’en ont pas disparu, leur style plus nettement mélodique leur confère davantage d’individualité et de force. Mais la grande originalité de cette oeuvre réside surtout dans la longueur de certains de ses airs, qui réintroduisent des épanchements lyriques tels qu’on n’en trouvait encore

que dans l’opéra italien. La volonté de synthèse est analogue à celle d’Orfeo et d’Alceste, mais en sens inverse cette fois-ci. Le point culminant de l’acte II, et de l’opéra tout entier, avec Ô malheureuse Iphigénie, intervient au milieu d’une succession de solos, de récitatifs et de choeurs typique de l’opéra français. La grande lamentation d’Iphigénie prend ainsi tout son relief, portée par la dynamique propre à la tragédie lyrique, mais s’en détachant nettement par ses dimensions et par l’ampleur italienne de son envolée mélodique. Le premier morceau d’Iphigénie en Tauride constitue lui aussi un ultime pas en avant, dans un domaine dont l’importance apparaissait déjà clairement dans la préface d’Alceste : « J’ai imaginé que l’ouverture devait prévenir les spectateurs sur le caractère de l’action qu’on allait mettre sous leurs yeux, et leur en indiquer le sujet. » L’ouverture d’Iphigénie en Aulide, dont Wagner a donné une pénétrante analyse, présentait déjà l’originalité de se poursuivre sans interruption dans le premier monologue d’Agamemnon, dont elle partage également le thème principal. La scène de tempête sur laquelle débute Iphigénie en Tauride produit un effet plus frappant encore, tant par sa signification psychologique que par la hardiesse de ses procédés musicaux. La tourmente qui amène Oreste et Pylade sur « les bords cruels et sinistres » de la Scythie symbolise l’état d’âme de l’héroïne, en qui un songe est venu encore aviver l’angoisse de l’exil. L’entrée d’Iphigénie, au plus fort du déchaînement de l’orchestre, se fait dans le ton du relatif mineur, et non dans la tonalité principale, qui ne sera plus jamais explicitement rétablie ; après un repos sur la dominante, un récitatif très modulant vient prendre le relais, et les solos, les récitatifs et les choeurs s’enchaînent ainsi dans tout le premier acte sans la moindre césure. L’extension de la continuité musicale sur plusieurs morceaux est sans doute l’apport majeur de Gluck à l’évolution de l’opéra. Il reste difficile d’évaluer la postérité de son oeuvre, dans la mesure où les transformations que subit le genre au tournant du XIXe siècle ne peuvent s’expliquer que par des déterminations très complexes ; mais il suffit de lire les écrits de Berlioz et de Wagner pour se convaincre de l’importance que revêtait

à leurs yeux ce novateur passionné, dont la musique portait en elle tous les traits contradictoires d’un style en pleine mutation. Si l’oeuvre de Gluck nous apparaît aujourd’hui sous un jour différent - on en retient surtout la grandeur néoclassique - c’est souvent qu’elle ne trouve pas d’interprètes suffisamment engagés pour en exprimer toute la force. Mais Gluck souffre plus encore de la date de ses plus grandes oeuvres, qui fait presque de lui un contemporain de Mozart, alors qu’il était de quarante-deux ans son aîné et que le relatif immobilisme de son écriture harmonique le rattache nettement à l’époque précédente. Les deux années qui séparent Iphigénie en Tauride (1779) d’Idomeneo (1781) rendent mal compte de la rupture radicale intervenue entre les deux oeuvres, au-delà de leurs ressemblances apparentes : chez Gluck, une architecture monumentale, où l’intensité expressive reste toujours subordonnée à l’action ; chez Mozart, un foisonnement de formes nouvelles, sous-tendues par le dynamisme du langage musical classique. GLYNDEBOURNE. Manoir élisabéthain du Sussex, près de Lewes (Grande-Bretagne), où se déroule chaque été un festival d’art lyrique, depuis 1934 (à l’exception des années de la guerre). Le fondateur John Christie, époux de la soprano Audrey Mildmay, fit construire un théâtre jouxtant la demeure dont il avait hérité. Les premières représentations, en mai 1934, furent réalisées pendant quinze jours avec une scène étroite, mais bien équipée (elle allait être agrandie en 1938), et une salle de 300 spectateurs. En 1937, celle-ci fut portée à 600 spectateurs, et, en 1953, le théâtre atteignit 750 places. Le festival, à l’origine consacré à Mozart, s’ouvrit avec les Noces de Figaro et Così fan tutte. En 1936, Glyndebourne présentait ses productions de Così, les Noces, la Flûte enchantée, Don Juan et l’Enlèvement au sérail. 1938 vit l’accession de Verdi avec Macbeth et de Donizetti avec Don Pasquale. En 1946, avec l’English Opera Group, c’était la première mondiale du Viol de Lucrèce de Britten. 1947 vit celle d’Albert Herring, également de Britten, ainsi que l’Orfeo de Gluck avec Kathleen Ferrier. Citons encore les productions du Rake’s Progress de Stravinski, de l’Ormindo ou de la Calisto de Cavalli. Les opéras, tou-

jours chantés dans leur langue d’origine, sont l’objet d’un grand soin dans le choix des interprètes, souvent jeunes, mais d’une grande vraisemblance dramatique. Fritz Busch et Carl Ebert, chef et metteur en scène, eurent pour successeurs Vittorio Gui, John Pritchard et Bernard Haitink pour le premier, et Günther Rennert pour le second. Glyndebourne, au coeur de ses jardins et de ses prés, cultive une tradition où les joies de la musique se doublent de celles de la campagne : un festival dans le vrai sens du terme. Une nouvelle salle a été inaugurée en 1994. GNESSINE (Mikhaïl Fabianovitch), compositeur soviétique (Rostov-sur-le-Don 1883 - Moscou 1957). En 1901, il entra au conservatoire de Saint-Pétersbourg dans les classes de Rimski-Korsakov, de Liadov et de Glazounov. il s’est intéressé très tôt au langage harmonique de Mahler et aux différentes musiques orientales. Attiré, d’autre part, par les recherches du metteur en scène Meyerhold tendant à recréer le théâtre à l’antique, il travailla avec lui en 19121914, faisant un cours de déclamation musicale et écrivant des choeurs pour Antigone et OEdipe roi de Sophocle. Il enseigna la composition, à partir de 1923, à l’École de musique fondée par sa soeur Elena à Moscou en 1895, puis de 1925 à 1935 au conservatoire de Moscou, de 1935 à 1944 à celui de Leningrad, et de 1944 à 1951 au nouvel institut Gnessine. Fils d’un rabbin, il a écrit des oeuvres sur des sujets bibliques et a introduit dans la musique russe la musique traditionnelle juive (Variations sur un thème populaire israélite, 1917 ; Pages du Cantique des cantiques, 1919 ; Chansons israélites sur des textes en yiddisch, 1923-1926 ; Orchestre israélite au bal du gouverneur, 1926). En 1921-1923, il a séjourné en Palestine où il a composé son opéra la Jeunesse d’Abraham. À partir de 1926, les thèmes officiels soviétiques sont venus s’ajouter dans son oeuvre aux thèmes orientaux et israélites. Il a chanté avec force les révolutions et la puissance de l’U. R. S. S. dans le Monument symphonique 1905-1917 (1925-26), et l’Armée rouge (1943). Puisant dans les folklores des peuples de l’U. R. S. S., il a écrit Chants populaires de l’Azerbaïdjan pour quatuor, Adyghée pour sextuor, Cinq Chants des peuples de l’U.R.S.S. pour piano à quatre mains. Parmi ses nombreux élèves, il faut

citer A. Khatchaturian et T. Khrennikov. GOBBI (Tito), baryton italien (Bassano del Grappa 1915 - Rome 1984). Il fit des études de droit avant de se consacrer au chant, et débuta à Rome, en 1937, dans le rôle de Germont (La Traviata). Le succès de sa carrière est dû à ses dons d’acteur et à son intelligence musicale, plus encore qu’à ses capacités vocales. Son timbre sombre et corsé est sans doute plus remarquable par les effets qu’il sait en tirer que par sa beauté intrinsèque. Son répertoire, très vaste, comprend une centaine d’opéras. Tragédien impressionnant, Gobbi s’est surtout illustré dans les grands rôles de Verdi : Rigoletto, Macbeth, Boccanegra, Iago, mais aussi dans le Wozzeck de Berg. Il a chanté dans le monde entier, a downloadModeText.vue.download 424 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 418 enregistré de nombreux disques, et tourné dans vingt-six films. GODARD (Benjamin), violoniste et compositeur français (Paris 1849 - Cannes 1895). Il travailla le violon avec Richard Hammer, puis entra au Conservatoire de Paris dans les classes de Vieuxtemps (violon) et de Reber (composition). Il concourut vainement pour le prix de Rome. Il joua, comme violoniste ou altiste, dans différents ensembles de musique de chambre. Compositeur, il écrivit de nombreuses pages pour violon, pour piano (24 Études), des mélodies, des oeuvres symphoniques (Symphonie gothique, 1883 ; Symphonie orientale, 1884 ; Symphonie légendaire, 1886), et huit opéras qui ne s’imposèrent guère sauf le dernier, la Vivandière (1895), à l’orchestration terminée par Paul Vidal. Musicien distingué, toujours satisfait de lui-même, mais ne s’attardant guère à parachever ses compositions, il fut cependant assez populaire de son temps. En 1887, il fut nommé professeur de la classe d’ensemble instrumental au Conservatoire. On lui doit une orchestration des Scènes d’enfant de Schumann. Phtisique, il se retira en 1892 sur la Côte d’Azur où il mourut. De nos jours, on ne se souvient que de son opéra Jocelyn (1888).

GODOWSKI (Leopold), compositeur et pianiste américain, d’origine polonaise (Wilno 1870 - New York 1938). Il fait ses études à l’École de musique de Berlin avec Bargiel et Rudorff. Après une première tournée en tant que pianiste (1884), il étudie la composition à Paris avec Saint-Saëns en 1886, et effectue de nombreuses tournées en France, en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Godowski enseigne le piano au conservatoire de Chicago de 1890 à 1900, puis à l’Akademie der Tonkunst de Vienne en 1909, et s’installe définitivement aux États-Unis en 1914. Il a composé essentiellement des oeuvres de musique de chambre et des études de concert dans un style néoclassique (Renaissance, Triakontameron, Walzermasken), ainsi que des transcriptions d’oeuvres de Chopin et de Strauss (Symphonic Metamorphoses on Johann Strauss’s Waltzes). Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages didactiques, dont The Progressive Series of Piano Lessons. GOEBEL (Reinhard), violoniste allemand (Siegen 1952). Il étudie à Cologne avec Saschko Gawriloff et à Amsterdam avec Marie Leonhardt. En 1973, il fonde l’ensemble Musica Antiqua de Cologne. À la tête de cet ensemble, il explore le répertoire d’orchestre français, italien et allemand des XVIIe et XVIIIe siècles. Depuis le début des années 1980, l’ensemble a acquis une grande notoriété en Europe, se produisant dans de nombreux pays. GOEHR (les), famille de compositeurs. Walter, compositeur et chef d’orchestre allemand (Berlin 1903 - Sheffield 1960). À partir de 1933, il vécut en Grande-Bretagne. Élève de Schönberg, il composa en 1930 un opéra radiophonique, Malpopita. Il partagea ses activités entre la BBC et le disque. Alexander, compositeur anglais (Berlin 1932). Fils du précédent, il fut l’élève de Richard Hall, puis fit un séjour à Paris où il étudia auprès de Messiaen et d’Y. Loriod. Il regagna l’Angleterre en 1956. De 1960 à 1968, il travailla à la BBC, puis, en 1968, fit un voyage à Tokyo. En 1967, il constitua, pour le festival de Brighton, le

Music Theatre Ensemble. L’université de Yale (États-Unis) lui confia une charge de professeur assistant. Depuis 1976, il enseigne à Cambridge. Ses oeuvres font volontiers appel aux techniques sérielles. Il a composé de la musique instrumentale dont un Quatuor à cordes (1967), une Sonate pour piano (1951-52), des oeuvres pour orchestre dont la Little Symphony (1963) et des concertos (violon, 1961-62 ; piano, 1971-72), de la musique vocale (Four Songs from the Japanese, 1959) et, pour le théâtre, un ballet (la Belle Dame sans Mercy) créé à Édimbourg en 1958, et l’opéra Arden must die (Hambourg, 1967). Citons encore l’oratorio Babylon the Great is fallen (Londres, 1979). GOETHE (Johann Wolfgang), écrivain et poète allemand (Francfort-sur-le-Main 1749 - Weimar 1832). Il n’avait pas vingt-cinq ans qu’il était déjà considéré comme le génie absolu de la poésie allemande, héritier de Lessing, Wieland et Klopstock. Après une enfance et des études heureuses, ces dernières marquées par ses premiers essais poétiques, il vient à Strasbourg et y célèbre, devant des amis éblouis, les démons puissants qui font de lui un héros du Sturm und Drang. Il découvre aussi, au contact de Herder, l’originalité et la supériorité du génie allemand. Sa production, en particulier Götz, Werther (1774) et quelques satires mordantes, lui vaut d’être appelé auprès du grand-duc de Weimar (1775). Là, en même temps qu’il devient conseiller politique, il s’intéresse aux sciences de la nature et donne désormais à ses poèmes l’ordre et l’équilibre qu’il découvre ou souhaite dans le monde. Cet apollinisme altruiste se traduit dans Iphigénie (1779), Torquato Tasso (1789) et les Élégies romaines (1790). Puis il se lie intimement avec Schiller, écrit les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister (1796) et reprend Faust, dont il a déjà écrit plusieurs scènes. En même temps, il fait de la cour de Weimar un important centre culturel classique, qui rayonne partout en Europe. À partir de 1805, il s’enferme dans la sérénité d’une vieillesse solitaire, indifférente aux jeunes générations. C’est là qu’il devient mythe. Comment Goethe, déifié de son vivant, a-t-il pu passer, aux yeux des Allemands et du monde, pour ce génie résumant à lui seul un grand siècle

classique qui n’a pourtant jamais eu, en Allemagne, la même réalité, le même impact qu’en France ? Comment les musiciens romantiques purent-ils trouver en lui une des sources les plus riches de leur inspiration ? Car le XVIIIe siècle marque en Allemagne l’arrêt brutal, au nom du bon sens et de la raison, d’une fusion progressive des arts tirant sa force de l’intuition, du rêve et du retour aux origines de la culture et de l’expression germaniques. Au sein de l’Aufklärung, réplique de l’Encyclopédie française, Goethe, reniant jusqu’au Sturm und Drang de sa jeunesse, apparaît bien comme l’exemplaire contempteur de tout ce qui ne sert pas directement la connaissance. Peu touché par la musique (Mozart, Beethoven, Schubert, Weber, Berlioz, en firent les frais, directement ou non), il s’intéresse, par contre, à elle comme instrument de pédagogie. Son acceptation de Mendelssohn, qui insistait pour lui sur le caractère logique de son art, ses bons rapports avec Zelter, professeur pédant plus que créateur inspiré, en portent témoignage. Même dans son rapport à l’hellénisme, qui va envahir bientôt l’Allemagne, il n’ouvre la voie ni à un Wagner ni à un Nietzsche : il ne s’agit pas, pour lui, de bâtir aux bords du Rhin une nouvelle Grèce, mais plutôt d’humaniser la Germanie barbare au soleil des Anciens. Alors ? Goethe reste, avant tout, l’auteur de Werther et de Faust. Cette réduction de son oeuvre montre bien comment ses admirateurs ont pu habilement jouer de l’évolution de l’homme pour n’en retenir que certains aspects. Goethe, en effet, est triple. Sa première période, dite de Strasbourg et de Francfort, le montre en proie au Sturm und Drang, à la teutomanie, à la morbidité, à la fascination pour les génies titanesques. Cette période inspire tout autant Beethoven que les désemparés à venir. Puis Goethe part pour Weimar (1775) ; c’est là qu’il se convertit à la Raison, donnant pourtant le jour, par exception, à Egmont (dont s’empare aussitôt Beethoven) et au premier Faust, traité sur un mode médiéval, en qui toute l’Allemagne reconnaîtra son être éternel. Il entame aussi, comme une manière d’autobiographie, Wilhelm Meister, dont les premiers apprentissages, marqués au coin de la révolte, et la figure de Mignon, toute de rêve, connaîtront plus de succès que les dissertations du pédagogue despotique éclairé qui constituent pourtant, aux yeux de l’auteur, l’essentiel. Quant à la troidownloadModeText.vue.download 425 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 419 sième période (le Divan, Faust II, achèvement de Wilhelm Meister, Fiction et Vérité, et les très beaux Wahlverwandtschaften, les Affinités électives), elle n’a pratiquement inspiré personne, du moins quant au fond, à l’exception de Gustav Mahler (8e Symphonie). Ainsi la « descendance musicale » de Goethe est-elle paradoxalement fort importante. Outre Beethoven, déjà cité, elle prend sa source à Schubert (58 lieder, insistant plus sur la fragilité de l’homme que sur ses limites raisonnables) ; elle passe par Schumann (lieder, dont plusieurs tirés de Wilhelm Meister, Scènes de Faust), qui éprouve pourtant toujours quelque timidité devant l’oracle de Weimar, et lui préfère Heine ; par Liszt, trop essentiellement virtuose ; Loewe, simplement joli ; Mendelssohn, peu inspiré, Mahler (8e Symphonie), mystique ; elle trouve sans doute la perfection avec Wolff (51 lieder). Elle entraîne aussi, avec plus ou moins de bonheur, Berlioz (la Damnation de Faust), Gounod (Faust), mais, certes, ni Barbier ni Carré, ses librettistes, Massenet (Werther) et Ambroise Thomas (Mignon). On pourrait tout aussi bien ajouter Boito (Mefistofele), Busoni, très respectueux de la clarté tout italienne des poèmes, auteur lui-même d’un Doktor Faust, et d’autres encore. Mais, au fond, que reste-t-il de la démarche de Goethe, de sa volonté éducatrice ? GOEYVAERTS (Karel), compositeur belge (Anvers 1923 - id. 1993). Il a fait ses études dans sa ville natale (1942-1947), puis à Paris avec Milhaud, Messiaen et Leibowitz (1947-1950), et s’est affirmé comme le principal représentant flamand de l’avant-garde sérielle des alentours de 1950. Opus 3 aux sons frappés et frottés (1952) est un compromis original entre musique traditionnelle et musique concrète, la Sonate pour 2 pianos (1951) anticipe le « sérialisme intégral » des Structures I de Boulez, et Composition no 6 aux 180 objets sonores (1954) témoigne de sa découverte de l’univers électroacoustique. Son influence a été grande sur Stockhausen en ses débuts. Plus tard, il est revenu

à des moyens d’expression plus traditionnels et a abordé les grandes formes avec Diaphonie pour grand orchestre (1957), la Passion selon saint Jean (1959), la Messe à la mémoire de Jean XXIII (1968), pour choeur et 10 instruments à vent Cinq Litanies (1979-1982), l’opéra Aquarius. Il a enseigné, de 1953 à 1959, au Studio de musique électronique de Cologne, et est professeur à l’Académie musicale d’Anvers, ainsi que producteur au studio de l’Institut de Psychoacoustique et de Musique Electronique de Gand. GOLABEK (Jakub), compositeur polonais (Silésie 1739 - Cracovie 1789). Il travailla à Cracovie au plus tard à partir de 1766, d’abord au collège de musique des jésuites, puis (v. 1774) à la cathédrale, ainsi qu’à l’école de musique de Waclav Sierakowski. On lui doit des oeuvres religieuses et quelques symphonies bien écrites et faisant un usage intéressant des instruments à vent. GOLDBERG (Johann Gottlieb), compositeur et claveciniste allemand (Dantzig 1727 - Dresde 1756). Emmené à Dresde vers l’âge de dix ans par le comte de Keyserlingk, ambassadeur de Russie en Saxe, il y bénéficia peut-être de l’enseignement de Wilhelm Friedemann Bach. Il n’est pas prouvé non plus qu’il ait été élève de Jean-Sébastien Bach à Leipzig. Les relations entre ce dernier et Keyserlingk, protecteur de Goldberg, ne font, en revanche, pas le moindre doute, mais on ne saura probablement jamais le dernier mot sur la genèse de l’oeuvre connue actuellement sous le nom de Variations Goldberg. Très apprécié en son temps comme virtuose du clavecin, Goldberg devint en 1751 musicien de chambre du comte Brühl. Sa renommée de compositeur fut moins grande. On lui doit, notamment, deux cantates et un motet, des sonates en trio, des préludes et fugues, et, pour le clavecin, vingt-quatre polonaises dans toutes les tonalités ainsi que deux concertos (mi bémol majeur et ré mineur) dans l’esprit de ceux de Carl Philipp Emanuel Bach. GOLDBERG (Szymon), violoniste et chef d’orchestre américain d’origine polonaise (Wloclawek 1909 - Toyama, Japon, 1993).

Il fit ses études avec Michaelowicz à Varsovie et Carl Flesch à Berlin, forma avec Paul Hindemith (alto) et Emanuel Feuermann (violoncelle) un célèbre trio à cordes, et fut notamment premier violon de la Philharmonie de Berlin, dirigée par Wilhelm Furtwängler (1929-1934). Goldberg se consacra ensuite à des tournées internationales, jouant souvent en duo avec la pianiste Lili Kraus. Il fonda en 1955 l’Orchestre de chambre néerlandais. GOLDMARK (Karoly), compositeur hongrois (Keszthely 1830 - Vienne 1915). Fils du chantre de la communauté israélite de Keszthely, il eut une jeunesse difficile, changea fréquemment de résidence, apprit à lire seul, commença le violon à onze ans à Sopron, poursuivit ses études à Vienne, et fut ensuite violoniste du rang dans les orchestres des opéras de Sopron, Györ, Buda et Vienne. Installé à Vienne en 1859, il y apprit le piano en autodidacte, se lia avec la famille Bettelheim, qui devait le soutenir jusqu’à sa mort, et fit sensation en 1860 avec son Quatuor à cordes op. 8. La célébrité lui vint avec son ouverture Sakuntala op. 13 (1865) et surtout avec son premier opéra, la Reine de Saba (1875). Bien que vivant à Vienne, Karoly (Karl) Goldmark resta en contact étroit avec sa patrie, venant, par exemple, diriger la première de son poème symphonique Zrinyi (« Thèmes hongrois ») à Budapest, pour le cinquantenaire de la société philharmonique de cette ville en 1903. Mais les côtés « hongrois » de ses oeuvres relèvent essentiellement de la couleur locale. Professeur, il eut notamment comme élève Jean Sibelius. Critique, il se montra toujours un ardent défenseur de Wagner. Parmi ses ouvrages demeurés au répertoire : un concerto pour violon en la mineur, op. 28 (1877), et surtout le poème symphonique op. 26 Die la[«]ndliche Hochzeit (« Noces villageoises », 1876). GOLDONI (Carlo), auteur dramatique italien (Venise 1707 - Paris 1793). Initialement juriste, et bien qu’ayant passé ses trente dernières années à Paris ou à Versailles, cet écrivain laisse son nom essentiellement attaché à la comédie vénitienne, genre dans lequel il eut pour rival tardif, mais tenace, Carlo Gozzi (17201806), qui inspira aussi de nombreux musiciens. La verve inépuisable de Gol-

doni, son langage très quotidien, son goût des situations apparemment comiques voilant mal un tragique insoupçonné, se retrouvent dans ses pièces de théâtre, mais également dans les poèmes qu’il écrivit à l’intention de compositeurs de son temps - et notamment à celle de Galuppi qui mirent directement ses textes en musique sans passer par l’intermédiaire habituel du livret d’opéra, cette pratique devançant de plus d’un siècle le « litteratüroper » des auteurs de la fin du XIXe et du XXe siècle. Fasciné dès son enfance par le théâtre de marionnettes, lassé par la tragédie, puis happé par les imprésarios de la commedia dell’arte, Goldoni dépassa vite ce dernier genre pour créer des personnages véritablement humains, taillés dans le vif, s’exprimant souvent en langage populaire, mais ayant une tout autre consistance. Sa collaboration avec les musiciens commença indirectement avec Gluck (Tigrane, 1743), se poursuivit avec Ciampi (1748), mais trouva son plein épanouissement grâce à Baldassare Galuppi pour lequel il écrivit L’Arcadia in Brenta (1749), Il Mondo della luna (1750), Il Filosofo di campagna, le chef-d’oeuvre du musicien (1754), puis Le Nozze, etc. Cependant qu’il écrivait encore pour Giuseppe Scarlatti, Bertoni, Fischietti, Scolari, Traetta (Buovo d’Antona, 1758), Gassmann, Lampugnani, Boroni, Sarti, etc., sa collaboration avec Piccinni fut également déterminante, puisque La Buona Figliuola, d’après Pamela (1761), downloadModeText.vue.download 426 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 420 confirmait la naissance du nouveau genre comico-sentimental de l’opera semi-seria. Ses poèmes furent, en outre, utilisés par Haydn (Lo Speziale, 1768, Le Pescatrici, 1769, Il Mondo della luna, 1777), cependant qu’ils étaient aussi réadaptés par divers poètes, dont Bertati, Coltellini (La Finta semplice, Mozart, 1768), ou Da Ponte pour Sarti, Martin Y Soler, Salieri, Paisiello, Cimarosa, etc. Avec environ cent soixante-dix opéras italiens inspirés de son oeuvre, Goldoni surclasse de très loin tous les autres poètes du genre léger, fournissant, de plus, des textes d’une qualité très supérieure à celle des habituels livrets d’opéra. Quelque peu négligé au

XIXe siècle, sinon par Raimondi, Pedrotti et Usiglio (Le Donne curiose, Madrid, 1879), il revint à l’honneur au XXe siècle par le truchement de nouveaux librettistes qui fournirent des poèmes notamment à Wolf Ferrari (Le Donne curiose, I Quattro Rusteghi, Gli Amanti sposi, La Vedova scaltra, Il Campiello), à Malipiero (La Bottega del caffè, Sior Todero Brontolon, Le Baruffe chiozzotte, 1926) ainsi qu’à Maurice Thiriet (La Locandiera, Paris, 1960). GOLDSCHMIDT (Berthold), compositeur allemand naturalisé anglais (Hambourg 1903). En 1922, il étudie la composition avec Franz Schreker. Dès 1925, il reçoit le Prix Mendelssohn avec son Orchester-Passacaglia op. 4 créée par Erich Kleiber, dont il est l’assistant pour la première de Wozzeck. Il tient le célesta à la Philharmonie de Berlin, et Schönberg le recommande aux éditions Universal après l’audition de son premier quatuor. Son Ouverture pour la Comédie des erreurs remporte un vif succès, et en 1930, à la suite d’un chagrin d’amour, il écrit sa tragi-comédie musicale Der gewaltige Hahnrei (le Cocu magnifique), d’après Crommelynck. L’oeuvre est créée en 1932 à Mannheim, mais sa reprise au Städtliche Oper de Berlin est interdite par les nazis. Réduit à donner des concerts privés dans les milieux juifs de Berlin, il émigre à Londres en 1935, laissant derrière lui plusieurs manuscrits et les promesses d’une brillante carrière. En 1936, il compose un deuxième quatuor puis Ciaccona sinfonica, et collabore en 1938 avec le Ballet Kurt Jooss, composé d’artistes émigrés. Mais les occasions de travailler sont rares. De 1944 à 1947, il est au Service allemand de la BBC, et Carl Ebert l’invite à diriger Macbeth de Verdi au premier Festival d’Édimbourg. Il remporte en 1951 un concours de l’Arts Council avec son opéra Beatrice Cenci, d’après Shelley. Pourtant, en 1958, après avoir achevé ses Mediterranean Songs, il décide d’arrêter de composer, déclarant que ce n’est pas l’exil qui le réduit au silence, mais le règne sans partage de la musique atonale : jamais joué, torturé par l’idée que son univers musical n’intéresse plus personne mais refusant de prendre une voie qu’il ne ressent pas, il se tait jusqu’en 1983. Il aide cependant Deryck Cooke à reconstituer la Dixième Symphonie de Mahler, dont il dirige la première audition « complète » en 1964. À

partir de 1983 et du quatuor avec clarinette qu’il écrit pour l’Amadeus Quartet s’opère une volte-face complète du destin : en 1987, à la faveur des Berliner Festwochen consacrées aux musiques interdites sous le régime nazi, on redécouvre toute son oeuvre : reprises de Beatrice Censi en 1988, du Cocu magnifique en 1992, Festival Goldsmith à Berlin en 1994. Naissent un trio avec piano (1985), deux quatuors (nos 3 et 4, 1989-1992), le choeur Belsatzar (1985). Son oeuvre de jeunesse se situe au confluent des avant-gardes berlinoises : vivacité rythmique extrême allant jusqu’au sarcasme, échos du music-hall, mais aussi orchestration raffinée et formes savantes. Il déclare avoir trouvé l’inspiration dans ses rapports humains, surtout avec des femmes : « Mes oeuvres ont toujours vu le jour dans l’échange avec l’élément féminin, dans toutes ses facettes. C’est l’aura dans laquelle je vis et compose. » GOLEA (Antoine), critique musical, musicologue, journaliste et conférencier français d’origine roumaine (Vienne 1906 - Paris 1980). Il a fait ses études musicales complètes à Bucarest et obtenu un premier prix de violon au conservatoire de cette ville, après avoir suivi l’enseignement de Cecilia Nitzulescu-Lupu (1920-1928) et de George Enesco. il s’inscrivit en Sorbonne en 1928, y obtint un diplôme de littérature allemande en 1931 et fut ensuite naturalisé français. À partir de 1944, il collabora à divers journaux (Carrefour, Témoignage chrétien, Musica, Disques, Harmonie) et participa, de 1946 à sa mort, à l’émission Tribune des critiques de disques. Célèbre pour l’indépendance de ses jugements, il a écrit de nombreux livres, parmi lesquels Pelléas et Mélisande, analyse poétique et musicale (Paris, 1952), Esthétique de la musique contemporaine (Paris, 1954), l’Avènenement de la musique classique, de Bach à Mozart (Paris, 1955), Rencontres avec Pierre Boulez (Paris, 1958), Georges Auric (Paris, 1959), la Musique dans la société européenne, du Moyen Âge à nos jours (Paris, 1960), Rencontres avec Olivier Messiaen (1960), l’Aventure de la musique du XXe siècle (Paris, 1961), Vingt Ans de musique contemporaine, 1940-1960, tome I : De Messiaen à Boulez, tome II : De Boulez à l’inconnu (Paris, 1962), Richard Strauss (Paris, 1965), Entretiens avec Wieland Wagner (Paris, 1967), Histoire du ballet (Lausanne, 1967), Claude Debussy (Paris,

1968), Marcel Landowski (Paris, 1969), Je suis un violoniste raté (Paris, 1973), la Musique de la nuit des temps aux aurores nouvelles (Paris, 1978). Il a participé également à plusieurs ouvrages collectifs. GOLESTAN (Stan), compositeur et critique roumain (Vaslui 1875 - Paris 1956). Élève de Dukas ainsi que de d’Indy et de Roussel à la Schola (1895-1903), il fut pendant vingt ans critique au Figaro, et enseigna la composition à l’École normale de musique. Dans un style fondé largement sur le folklore roumain, réel ou recréé, il a écrit notamment une Rhapsodie roumaine (1920), un Concerto roumain pour violon et orchestre (1933), Concertul carpatic pour piano et orchestre (1940), de la musique de chambre et le recueil vocal Doines et chansons (1922), dans la préface duquel il a exposé l’essentiel de ses idées. GOLSCHMANN (Vladimir), chef d’orchestre français d’origine russe (Paris 1893 - New York 1972). Il fonda en 1919, encouragé par Erik Satie, les Concerts Golschmann, et assura les premières auditions de beaucoup d’oeuvres du groupe des Six (Saudades do Brasil, de Darius Milhaud) et de compositeurs étrangers (Ballet mécanique, de George Antheil), ainsi que la première française d’Octandre d’Edgard Varèse. À partir de 1931, sa carrière se poursuivit aux États-Unis. GOMBERT (Nicolas), compositeur franco-flamand ( ? v. 1500 - ? v. 1556). Il fut chantre (1526) et surtout maître des enfants de choeur (1529) de la chapelle de Charles Quint, qu’il accompagna au cours de ses voyages (Espagne, Autriche, Italie, Allemagne). Nommé en 1534 chanoine de Tournai, Gombert semble y avoir passé la fin de sa vie. Même si la chanson tient une place non négligeable dans son oeuvre (oeuvres complètes publiées à partir de 1951 par l’American Institute of Musicology, sous la dir. de J. Schmidt-Görg, il est évident qu’il ne s’est pas laissé séduire par le style parisien, même lorsqu’il reprend les thèmes de Janequin (Chant des oiseaux ou la Chasse). Bien que contemporain de Sermisy ou de Janequin, il préfère utiliser dans ses pages profanes les principes de l’imitation parfois très poussée en usage dans les oeuvres religieuses (cf. En l’ombre

d’un buissonnet et Qui ne l’aimerait, basés qui sur un triple canon, qui sur un quadruple). Élève, à en croire Heinrich Finck (Pratica Musica, 1556), de Josquin à qui il devrait son solide métier (il composa un motet Musae Jovis, « muses de Jupiter », à 6 voix sur sa mort), Gombert fait partie du cercle des musiciens liés à Charles Quint, qui, par suite des circonstances politiques, privilégient les pages d’inspiration religieuse (6 messes, 8 magnificat, 160 motets), bien éloignées du style et de la pensée de Josquin. Mais, à cette downloadModeText.vue.download 427 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 421 manière significative d’un milieu et d’une époque (cf. Salvator mundi à 6 voix et Regina coeli laetare à 12 voix), il oppose le plus souvent la recherche d’une forme et d’une interprétation juste du texte, renonçant aux répétitions injustifiées pour une simple déclamation (Surge, Petre à 5 voix ou Venite ad me omnes). Par là même, il a joué un rôle dans l’établissement du style nouveau. GOMES (Carlos Antonio), compositeur brésilien (Campinas 1836 - Belém 1896). Après quelques succès dans son pays, il connut la gloire à Milan avec son opéra Il Guarany (1870), que suivirent notamment Salvator Rosa (1874), Maria Tudor (1879), et, après son retour au Brésil, Lo Schiavo (1889), connu parfois sous son titre portugais O Escravo. Si l’élément national est intervenu dans l’inspiration littéraire ou musicale de ce compositeur, son rôle sur le plan européen a été déterminant dans l’évolution de l’opéra italien à la recherche d’une nouvelle expression entre la grande maturité de Verdi et l’éclosion du vérisme. Contemporain de Ponchielli, de Boito et de Catalani, animé d’une veine mélodique simple et immédiatement accessible, il fit preuve d’un approfondissement sérieux dans sa recherche d’une écriture plus raffinée, et Lo Schiavo annonce quelques aspects instrumentaux de l’oeuvre de Puccini. GOMOLKA (Mikolaj), compositeur polonais (Sandomierz v. 1535 - ? apr. 1591). Membre de la chapelle royale de Cracovie, puis membre de la cour de justice (1566) et avocat à Sandomierz, ensuite

musicien du prince Zamoyski (v. 1590) et enfin musicien de couvent, il est l’auteur du monument musical le plus précieux du XVIe siècle polonais : un recueil intitulé Mélodies pour le psautier polonais, imprimé à Cracovie en 1580 et fait de 150 psaumes dans la traduction du plus grand poète polonais de la Renaissance, Jan Kochanowski. Écrits le plus souvent à 4 voix et note contre note, ces psaumes contiennent de nombreuses références à la musique populaire. De leur modernisme témoigne un chromatisme très poussé, subtil et dissonant. Les autres compositions de Gomolka sont considérées comme perdues. GONG. Instrument à percussion de la famille des « métaux ». Il consiste en une sorte d’assiette métallique suspendue par le bord. Un jeu complet de gongs en réunit 25, de différents diamètres et produisant autant de notes définies. Il en existe une grande variété, plats ou bosselés, et de différents profils, dont les ressources sont encore diversifiées par l’emploi de nombreux modèles de mailloches, baguettes, battes et balais. On peut aussi, comme pour le tam-tam qui n’est en somme qu’un gong contrebasse, obtenir des effets spéciaux par raclage de la tranche. GONZALEZ (Victor), facteur d’orgues français, d’origine espagnole (Hacinas 1877 - Châtillon-sousBagneux 1956). La manufacture qu’il a fondée en 19211925 à Châtillon-sous-Bagneux s’est illustrée dans un retour à des éléments du style classique, ce qui a contrasté sainement sur les excès de l’orgue postromantique. La maison Gonzalez en est venue ainsi à défendre un orgue « néoclassique », qui prétendait faire la synthèse des ressources des grandes écoles françaises antérieures. Dans cet esprit, elle a contruit et restauré de nombreux instruments français ; les plus caractéristiques de ce style sont ceux de la cathédrale de Reims, de SaintMerri à Paris, de la chapelle du château de Versailles ; ceux du palais de Chaillot ou de Saint-Eustache ayant fait l’objet de transformations ultérieures. Dirigée aujourd’hui par Georges Danion, petitfils de Victor Gonzalez, la firme, qui est

la plus importante de France, a à son actif les orgues de la Maison de la radio à Paris (auditorium 104, 1967), ceux des cathédrales d’Auch et de Soissons, de l’oratoire du Louvre à Paris. GOODALL (Reginald), chef d’orchestre anglais (Lincoln 1901 - Canterbury 1990). Comme beaucoup de musiciens anglais, il reçoit une excellente formation de choriste d’église dans sa ville natale, où il apprend également l’orgue. Il étudie ensuite le piano, le violon et la direction d’orchestre au Royal College of Music de Londres. De 1936 à 1939, il travaille avec Malcolm Sargent à la Royal Choral Society, puis devient l’assistant d’Albert Coates à Covent Garden. Il assiste également Furtwängler à la Philharmonie de Berlin. En 1944, il est engagé au Sadler’s Wells Opera, et devient un important chef lyrique. En 1945, il crée Peter Grimes et, en 1946, dirige la première tournée anglaise du Viol de Lucrèce de Britten. L’année suivante, il entre à Covent Garden. À partir de 1961, Georg Solti le confine au rôle de répétiteur, mais il est redécouvert en 1971 dans une production fameuse de Parsifal. Wagnerien célèbre, il dirige le Ring au Sadler’s Wells Opera, puis l’enregistre avec la troupe de l’English National Opera. GOODMAN (Benjamin, dit Benny), clarinettiste et chef d’orchestre de jazz américain (Chicago 1909 - New York 1986). Il débuta dès l’âge de douze ans ; un peu plus tard, il fut engagé par Ben Pollack, qu’il quitta en 1929 pour se rendre à New York où, pendant quelques années, il fit carrière comme musicien de studio. En 1934, il forma un orchestre avec lequel, l’année suivante, à Los Angeles, puis dans tout le pays, il lança le style « swing », donnant ainsi au jazz la première place dans les goûts musicaux du public américain. Surnommé « King of Swing » - titre que plus d’un musicien noir eût pu lui contester si l’environnement social l’avait permis -, Benny Goodman connut jusqu’à la guerre un succès sans précédent. Il en profita pour imposer au public blanc, souvent réticent, des musiciens de couleur, dont il estimait le talent : non seulement l’arrangeur Fletcher Henderson, auquel l’orchestre devait la meilleure part de son répertoire, mais encore des solistes tels que Teddy Wilson, Lionel Hampton, Charlie Christian, appelés à former avec lui des trios, quartettes et sextettes, dont

le disque a laissé maints témoignages. L’ossature de l’orchestre resta blanche, avec des musiciens tels que Bunny Berigan, Harry James, Gene Krupa, qui, devenus célèbres chez Goodman, fondèrent à leur tour des orchestres « swing ». Après la guerre, Goodman poursuivit sa carrière avec moins de bonheur, à la tête soit d’un orchestre, soit d’un petit ensemble. Remarquable instrumentiste, il a également participé à des concerts de musique classique. À sa demande, Béla Bartók écrivit pour lui ses Contrastes (1939). En 1955, Hollywood lui a consacré un assez médiocre film : The Benny Goodman Story. Type accompli du musicien professionnel, Benny Goodman a atteint un degré de maîtrise et de précision tel, qu’aucun musicien de pupitre, aucun soliste n’a pu, après lui, s’abandonner au laisser-aller des premiers temps du jazz. Chez lui, le goût de la perfection, le souci du travail bien fait marquent aussi bien le chef d’orchestre que le soliste : mais, si celui-ci dépasse par sa facture impeccable le niveau technique d’un Dodds, d’un Bechet, voire d’un Noone ou d’un Bigard, on ne trouve guère trace dans ses improvisations, sensibles, certes, mais assez académiques, de l’émotion musicale, du lyrisme qui animaient le jeu de ses grands prédécesseurs. De même, l’infleunce considérable de Goodman a été négative : après lui, la clarinette cesse d’être un instrument majeur dans l’histoire du jazz. GOODMAN (Roy), chef d’orchestre anglais (Guildford 1951). De 1959 à 1964, il est formé au sein de la maîtrise du King’s College de Cambridge, où il est remarqué comme soliste dans le Miserere d’Allegri. De 1968 à 1970, il étudie le violon au Royal College of Music de Londres, et, surtout, devient organiste. Passionné par la musique baroque, il fonde dès 1975 le Brandenburg Consort, et entreprend des recherches sur l’interdownloadModeText.vue.download 428 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 422 prétation de Bach. Il se spécialise également dans les symphonies de Haydn et de Carl Philip Emanuel Bach jouées sur instruments d’époque.

Depuis 1986, il dirige le Hanover Band et l’Orchestre baroque de la Communauté européenne. Il est aussi directeur des études de musique ancienne à la Royal Academy of Music de Londres. GOOSENS, famille de musiciens anglais d’origine belge. Eugène, chef d’orchestre et chef de choeurs (Bruges 1845 - Liverpool 1906). Il s’est installé à Londres en 1873, et à Liverpool en 1893. Eugène, chef d’orchestre (Bordeaux 1867 - Londres 1958). Fils du précédent, il a fait ses études au conservatoire de Bruxelles et à Londres (Royal Academy of Music). Sa carrière de chef d’orchestre fut surtout associée à la direction de la Carl Rosa Opera Company. Eugène, compositeur et chef d’orchestre (Londres 1893 - Hillingdon 1962). Fils du précédent, il commença ses études au conservatoire de Bruges et les poursuivit au Royal College of Music, de 1907 à 1912, où il fut élève de Rivarde (violon) et de Stanford (composition). Violoniste, puis chef assistant du Queen’s Hall Orchestra, il dirigea en 1922 l’Orchestre de Covent Garden. De 1923 à 1931, il fut le chef du Rochester Philharmonic aux États-Unis, puis, de 1931 à 1946, du Cincinnati Symphony Orchestra. Il se rendit ensuite en Australie, où il fut à la tête du Sydney Symphony Orchestra (1947-1956). De 1947 à 1956, il fut directeur du New South Wales Conservatory. Il a laissé une oeuvre abondante et variée (musique de chambre, musique instrumentale, oeuvres pour orchestre), en particulier un oratorio, Apocalypse (1951-1953), et deux opéras, Judith (Londres, 1929) et Don Juan de Mañara (Londres, 1937). Leon, hautboïste (Londres 1897 - Tunbridge Wells 1988). Frère du précédent, il devint chef de pupitre dans le Queen’s Hall Orchestra avant de s’affirmer comme l’un des meilleurs solistes en Angleterre au cours de la première moitié de ce siècle. Ses deux soeurs, Sidonie et Marie, sont des harpistes professionnelles. GORCZYCKI (Grzegorz Gerwazy), compositeur polonais (Bytom v. 1667 - Cracovie 1734).

Il étudie simultanément la musique et la théologie à l’université de Prague. En 1692, il retourne à Cracovie et entre dans les ordres. Il est nommé vicaire de la cathédrale de Wavel (1696). En 1698, il reçoit le titre de magister capellae ecclesiae de la cathédrale de Cracovie et dirige ainsi la musique lors du couronnement du roi Auguste II. Il a composé principalement de la musique religieuse (messes, proses, motets, hymnes), dont il subsiste une trentaine d’oeuvres. La plupart sont écrites a cappella, dans un style d’écriture affilié à l’école romaine. Quelques oeuvres (Completorium, Concerti da chiesa) sont conçues avec un accompagnement instrumental, dans un style baroque qui n’est pas sans rappeler l’art de Haendel. Son hymne Gaude mater Poloniae reste son oeuvre la plus populaire en Pologne et Gorczycki est considéré aujourd’hui comme un des musiciens les plus réputés de la musique baroque polonaise. GORECKI (Henrik Mikolaj), compositeur polonais (Czernica, Haute-Silésie, 1933). Élève, pour la composition, de Boleslav Szabelski à Katowice, il témoigna dans ses premières oeuvres, comme Chants sur la joie et le rythme pour deux pianos et orchestre (1956-1959) ou la Sonate pour deux violons (1957), de l’influence qu’avait exercée sur lui l’école de Vienne. Il évolua ensuite progressivement vers une épuration et une simplification du langage, s’attachant surtout à l’exploitation des timbres : ainsi dans Scontri pour grand orchestre (1960). Comme Penderecki, il se détacha du pointillisme, ceci en faveur de schémas clairs obtenus en particulier par des agrégats de blocs sonores aux effets contrastés, comme par exemple dans sa 2e Symphonie pour soprano, baryton, choeur mixte et grand orchestre pour le cinquième centenaire de Copernic (1972), ou dans la 3e, dite Symphonie de complaintes, pour soprano et orchestre, composée en 1976 et créée à Royan en 1977. Il a écrit depuis un Beatus Vir pour baryton, choeur et orchestre (1979), et un Concerto pour clavecin et cordes (1980). GORLI (Sandro), compositeur italien (Côme 1948). Après des études musicales dans sa ville natale, il obtint en 1968 un diplôme de piano au conservatoire Giuseppe-Verdi de Milan, et étudia, à partir de 1968, la com-

position avec Bruno Bertinelli à Milan. La rencontre de Franco Donatoni aux cours d’été de Sienne en 1970 et le travail de composition effectué sous sa direction à Milan et à Sienne furent pour lui d’une importance capitale. Particulièrement intéressé par la direction d’orchestre, il a suivi les cours de Caracciolo et de Gusella ainsi que ceux de Swarowsky à Ossiach et à Vienne. Parallèlement à ses études musicales, Gorli a poursuivi des études d’architecture à l’École polytechnique de Milan. Depuis 1974, il enseigne la composition au conservatoire de Milan. Ses oeuvres, exclusivement instrumentales, élaborent un style personnel directement issu des recherches postsérielles. Citons Derivazioni pour quatuor à cordes (1970), Viveka pour trois groupes d’instruments (1971-72), Me-Ti pour orchestre (1973), Konzert « Gollum » pour treize instruments (1973-74), Serenata pour neuf instruments à cordes et clavecin ad libitum (1974), Chimera la luce pour grand orchestre à cordes, neuf vents, piano solo, choeur mixte et sextuor vocal (1975-76), Floraison blême pour piano et orchestre (1977), On a Delphic Reed pour hautbois et 17 instruments (1978), The Silent Stream pour violoncelle et orchestre (1980), Il bambino perduto pour orchestre (1982), Requiem (1989). GORR (Rita), mezzo-soprano belge (Zelzaete 1926). Elle fait ses débuts à Anvers en 1949, dans le rôle de Fricka de la Walkyrie, puis est engagée à l’Opéra de Paris en 1952 à la suite du premier prix qu’elle remporte au Concours international de Lausanne. Elle y débute dans Maddalena des Maîtres chanteurs. En 1953, elle s’affirme dans le rôle de Dalila auquel feront suite tous les grands emplois des répertoires allemand et italien : Brangaene de Tristan et Isolde, Vénus de Tannhäuser, Amneris d’Aïda, Eboli de Don Carlos. Dans le même temps, elle chante à Londres, à New York, à Naples et à Rome avec succès. Elle incarne Fricka à Bayreuth en 1958. Rita Gorr est considérée par certains comme la dernière véritable grande voix de mezzo-soprano. Son timbre chaud et homogène peut assumer un volume considérable. GOSPEL SONG. Chant religieux dérivé de l’Évangile (en

angl. gospel), interprété dans la tradition négro-américaine. Le gospel song se distingue du negro spiritual par une référence exclusive au Nouveau Testament et un aspect spectaculaire emprunté au monde des variétés. Il n’est pas resté confiné à l’Église ; par le disque, puis par le concert, il s’est fait connaître à un public beaucoup plus vaste que celui des congrégations noires où il est né. Représenté par des artistes tels que Mahalia Jackson, Sister Rosetta Tharpe ou The Stars of Faith, le gospel song a des affinités avec les formes populaires du jazz et le rhythm’n’n blues. GOSSEC (François Joseph Gossé, dit), compositeur français (Vergnies, Hainaut, 1734 - Passy 1829). Fils de fermier, il commença à étudier la musique à la maîtrise de l’église de Walcourt, puis se perfectionna à celle de la cathédrale d’Anvers. En 1751, il se rendit à Paris où Rameau, auquel il avait été recommandé, le fit entrer comme chef d’orchestre chez le fermier général La Pouplinière. Son premier grand succès fut sa Messe des morts (1760), dont downloadModeText.vue.download 429 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 423 l’orchestration du Tuba mirum est étonnante pour l’époque et annonce Lesueur et même Berlioz. À la mort de La Pouplinière (1762), Gossec devint pour huit ans maître de chapelle chez le prince de Condé, pour qui il signa son premier opéra, le Périgourdin, représenté à Chantilly. En 1766, il fut également engagé par le prince de Conti, tandis que la ComédieItalienne donnait régulièrement ses opéras-comiques : le Faux Lord (1765), le Tonnelier (1765), Toinon et Toinette (1767). Ce fut également un des créateurs de la symphonie en France. Il en composa vingtquatre de 1756 à 1762 environ. En 1769, pour concurrencer le Concert spirituel, où étaient surtout données des oeuvres vocales, il fonda le Concert des amateurs, à la tête duquel il devait rester jusqu’en 1773. Il composa pour cet ensemble de nouvelles symphonies, dont celle intitulée la Chasse, et, en 1773, dans le cadre de cette institution, il fut le premier à diri-

ger en France une symphonie de Haydn. La même année, il prit avec Gaviniès et Simon Leduc la direction du Concert spirituel, mais, en 1777, des intrigues de cour l’obligèrent à céder le poste à un chanteur de l’Opéra, Legros. En 1780, il fut nommé sous-directeur de l’Académie royale de musique, et, de 1782 à 1785, membre du Comité directorial de l’Opéra. En 1784, le baron de Breteuil lui confia la direction de l’École royale de chant et de déclamation, qu’il venait de fonder, et qui devait devenir, en 1795, le Conservatoire national. De cet établissement, Gossec fut un des fondateurs, et il en devint inspecteur avec Méhul, Cherubini et Lesueur. Républicain convaincu, il dirigea la musique de la garde nationale et composa pour diverses cérémonies officielles de la Révolution de nombreuses oeuvres de circonstance (Marche lugubre), des hymnes (À l’Être suprême, À la Liberté, À la Nature), des cantates, des pièces patriotiques (le Triomphe de la République). Napoléon ne lui en tint pas rigueur, et le nomma, en 1799, membre de la Commission d’examen de l’Opéra. Il le chargea aussi d’écrire de nouvelles cantates à la gloire de l’Empire. Gossec fut un des premiers promus dans l’ordre de la Légion d’honneur. Ses oeuvres lyriques, chorégraphiques, religieuses ou patriotiques connurent souvent le succès lors de leur apparition, mais aucune ne devait s’imposer par la suite. Toutefois l’esprit révolutionnaire et religieux de Gossec a certainement exercé une influence sur Beethoven. Son nom reste attaché à la fondation du Conservatoire, pour les élèves duquel il écrivit quelques leçons de solfège, des Principes de la musique en 2 volumes (1799 et 1802) et une Méthode de chant (1803). Il acheva encore, en 1809, une grande symphonie en fa « à dix-sept parties » - page étonnante où, à la forme mise au point par Haydn et Beethoven, se mêlent de nets échos des musiques de la Révolution -, puis cessa toute activité à partir de 1815 et se retira à Passy. GOTTSCHALK (Louis Moreau), pianiste et compositeur américain d’origine française (La Nouvelle-Orléans 1829 - Tijuca, Brésil, 1869). Fixé en France pendant dix ans (18421852), il y fut l’élève de Stamaty et commença sa carrière de pianiste vers 1845. De retour aux États-Unis, il continua ses concerts en interprétant ses propres com-

positions, morceaux de genre, brillants et d’un sentimentalisme bien romantique, les premiers qui se soient inspirés de la musique indigène (rythmes noirs et créoles, mélodies folkloriques). Son succès fut très grand, même en France, au début de sa carrière. Il fut le maître de Teresa Carreño. Parmi ses nombreux titres : la Savane (ballade créole), le Mancenillier (id.), Bamboula (danse nègre), le Bananier (chanson nègre). GOUBAÏDOULINA (Sofia), femme compositeur russe (Christopol 1931). Née d’un père tatare et d’une mère russe, elle suit les cours de piano et de composition du Conservatoire de Kazan, puis de celui de Moscou (avec notamment Nikolaï Peïko et Vissarion Chebaline). De 1963 à 1992, elle vit à Moscou comme compositeur indépendant. Depuis, elle est installée en Allemagne. Les débuts de Goubaïdoulina sont marqués par l’influence de Chostakovitch, dont elle se libère assez vite pour édifier un style d’écriture facilement identifiable. La mystique et la pensée symbolique (In Croce pour violoncelle et orgue, 1979) sont les constituants principaux de l’univers de Goubaïdoulina. On peut y ajouter son affinité avec la poésie, celle de l’Égypte antique comme celle d’Anna Akhmatova (la Nuit à Memphis, 1969), de T. S. Eliot (Hommage pour soprano et octuor, 1987), d’Omar Khayyam ou de Marina Tsvetaieva (Percussio di Pekarski pour percussion, mezzo-soprano et orchestre, 1976). Pour elle « tous les hommes ont besoin de l’Eucharistie », et elle essaie de « composer afin de permettre à cet élément de naître dans la musique « ; on note dans presque toutes ses oeuvres une quête intense de la transcendance (Perceptio pour soprano, baryton et cordes, 1981-1983) et d’un lyrisme aigu, traduite par une riche technique de la narration musicale (discours haché, parsemé de silences, supposant le plus souvent une continuité intérieure) et par une maîtrise accomplie de la couleur. On lui doit notamment Concordanza pour orchestre, Vivente-non vivente pour synthétiseur et bande (les deux oeuvres sont de 1970), Instant de l’âme pour mezzo-soprano et orchestre, sur les vers de Marina Tsvetaieva (1974, rev. 1987), Introïtus-concerto pour piano et orchestre (1978), Réjouissezvous pour violon et violoncelle (1981), les Sept Paroles pour violoncelle, accordéon

et cordes (1982), Offertorium-Hommage à J. S. Bach pour violon et orchestre (1984), Silenzio pour accordéon, violon et violoncelle (1991), Jezt immer Schnee pour ensemble et choeur de chambre (1993), Concerto pour flûte, cordes et percussion (1994), quatre quatuors à cordes. Elle a obtenu le premier prix au Concours international de composition de Rome (1975) et le prix de composition de la Fondation Prince Pierre de Monaco pour l’ensemble de son oeuvre (1987). GOUDIMEL (Claude), compositeur français (Besançon v. 1520 - Lyon 1572). On ne sait rien sur sa jeunesse ni sur sa formation. En 1549, il est étudiant à Paris où l’éditeur de ses premières chansons, N. Du Chemin, l’engage bientôt comme correcteur (1551), puis le prend comme associé (1552-1555). Goudimel exerce sur les choix de cette maison d’éditions une influence considérable qui reflète ses rapports personnels avec le cercle humaniste de Jean de Brinon, dans lequel il fréquente Ronsard. Plus tard, il se met en relation avec le poète humaniste allemand Paul Schedius, dit Melissus. Goudimel semble d’ailleurs avoir été la cheville ouvrière du supplément musical des Amours de Ronsard (1552), auquel participent également Janequin, Certon et Muret ; il y met en musique l’Ode à Michel de l’Hospital, l’Hymne sur la mort de Marguerite de Valois et le sonnet Quand j’aperçois ton beau chef jaunissant. À partir de 1557, il vit à Metz, protégé par le maréchal de Vielleville, et se consacre presque exclusivement à la mise en musique du Psautier huguenot. Ayant quitté Metz pour Lyon, il y meurt le 28 août 1572, victime des massacres de la Saint-Barthélemy. Avant de devenir ce musicien protestant intransigeant qu’on connaît, Goudimel a publié des chansons profanes (une soixantaine) ou spirituelles (19, sur des textes de Muret, perdues) et un recueil d’Odes d’Horace (disparu). Certaines gaucheries que l’on peut constater dans son écriture semblent naître du souci excessif d’expressivité à toutes les voix, et ce, à une époque où l’influence italienne ne s’est pas encore fait sentir. Goudimel est plus à son aise dans le genre élégiaque. Ses autres oeuvres sont d’inspiration religieuse (3 magnificat, 10 motets à 4 ou 5 voix, 5 messes). Toutefois, quatre de ces messes ont pour cantus firmus des thèmes

de chansons (De mes ennuys, Le bien que j’ai par foy d’amour conquis, Tant plus je mets) et prolongent sur le plan stylistique Josquin Des Prés et sa messe Pange lingua. Mais l’essentiel de son oeuvre et de son renom est constitué par les quatre versions polyphoniques des Psaumes, mis downloadModeText.vue.download 430 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 424 en vers par Marot (pour 49 d’entre eux) et par Théodore de Bèze (pour 101). En 1549, Goudimel voit chez Du Chemin les Psaumes de Janequin, et c’est peut-être ce qui l’incite à écrire deux ans plus tard ses Huit Livres de psaumes en forme de motets (1551-1566), qui sont des compositions de grande envergure (à 4, 5 ou 6 parties). Goudimel y fait oeuvre originale en n’utilisant pas les mélodies traditionnelles, contrairement à ses Quatre-vingttrois Psaumes de David à 4 parties (1562), qui sont des harmonisations des mélodies de Genève de 1551. Les 150 psaumes de 1564, un ouvrage significatif de l’hymnologie pratique, sont traités à 3 parties, note contre note. Le traitement syllabique, une trame polyphonique très serrée et une tendance au verticalisme avec une prédilection pour les harmonies d’accords parfaits et d’accords de sixtes, confèrent à l’ensemble de cette première version un style dépouillé, grave et religieux. L’écriture de Goudimel s’assouplit cependant dans la seconde version complète des Psaumes, écrite à 4 voix en 1568 et qui fait appel au contrepoint fleuri. GOULD (Glenn), pianiste canadien (Toronto 1932 - id. 1982). De 1943 à 1952, il étudie le piano au Conservatoire de Toronto avec Alberto Guerrero, tout en apprenant l’orgue. Dès 1947, il fait ses débuts publics, et signe en 1955 un contrat avec la firme discographique CBS. Son premier enregistrement des Variations Goldberg de Bach lui vaut une célébrité immédiate. En 1957, il inaugure une brillante carrière internationale par une tournée en U.R.S.S. et en Europe. Mais, dès 1964, il annonce son retrait complet des scènes publiques : désormais, il ne travaillera plus que dans les studios d’enregistrement. Cet isolement n’a pourtant rien d’un effacement, bien au contraire.

Passionné par les nouvelles technologies, il investit tous les médias existants - des journaux à la vidéo - pour proposer au public une relation fondée sur la communication. Multipliant les émissions, les textes et les créations audiovisuelles, il édifie une oeuvre personnelle dépassant largement le cadre d’une simple discographie. Selon lui, le prétendu « moment unique » du concert est un rituel périmé et tyrannique pour l’interprète. Celui-ci doit assumer le jeu des manipulations permises par le studio, base d’un travail ludique et créateur favorisant la perception individuelle. Cette philosophie accompagne une conception très singulière du jeu pianistique et du répertoire. Pour lui, le piano n’était qu’un moyen de traduire le plus complètement possible la structure d’un morceau, notamment sa dimension contrapuntique, dans laquelle lui-même voyait l’essence de la pensée musicale. Son toucher rejoignait donc le jeu de clavecin ou d’orgue, et il trouva dans l’oeuvre de Bach un champ d’exploration infini. Si Orlando Gibbons était son compositeur préféré et Bach son maître, s’il rejeta les musiques jugées par lui trop hédonistes, comme celles de Chopin, Debussy et Messiaen, on ne peut le réduire à son anti-romantisme patent : il aborda Brahms, et, à partir de Wagner, dont il réalise des transcriptions, explora Strauss, Sibelius et Scriabine. Il affectionna Schönberg, dont il enregistra aussi les lieder et la musique de chambre, Krenek et Hindemith. Son ambivalence envers Mozart, auquel il préférait Haydn, et certaines oeuvres de Beethoven se traduit par des tempi provocateurs et par une tentative de mettre en relief des aspects contrapuntiques supposés. N’obéissant jamais à un désir d’excentricité, ses choix n’en étaient pas moins le reflet d’une cohérence personnelle hautement défendue. On lui doit quelques oeuvres, dont un Quatuor à cordes, mais surtout des compositions radiophoniques et un riche corpus d’émissions où il joue quelquefois des personnages inventés. Il laissa comme testament sa seconde version des Variations Goldberg, filmée en 1981 par Bruno Monsaingeon. De nombreux livres d’écrits et d’entretiens sont parus en France, et la fascination durable qu’il exerce le place au centre de l’esthétique des années 1980. GOULD (Morton), compositeur, pianiste et chef d’orchestre américain (New York

1913 - Orlando, Floride, 1996). À quatre ans, il joue du piano, à six il commence à composer. À dix-sept ans, il est engagé par une chaîne de radio comme « arrangeur » et chef d’orchestre, tout en poursuivant une carrière de pianiste à travers les États-Unis. Il est consacré en tant que compositeur en 1942 lorsque Toscanini crée sa Lincoln Legend à la NBC. En 1944, Erich Leinsdorf lui commande un Concerto pour orchestre pour l’Orchestre de Cleveland. La même année, le New York Philharmonic crée sa Symphony on Marching Tunes, écrite pour célébrer le centenaire de la Y.M.C.A. (Young Men Christian Association). À partir de 1945, Morton Gould écrit pour le cinéma, puis pour la télévision. Le style qu’il développe est une sorte d’intermédiaire entre la musique de divertissement à l’américaine et la création symphonique la plus élaborée. En tant que compositeur « classique », Morton Gould s’est largement inspiré des éléments de la vie américaine (blues, negrospirituals, marches de majorettes, folklore du Far West). C’est sur ces bases que sont écrits ses Spirituals pour orchestre (1941) et sa Cowboy Rhapsody (1942). L’influence de Charles Ives, dont il s’est fait l’interprète en tant que chef d’orchestre, est également évidente, bien que ses audaces soient édulcorées. En 1948, Gould a remporté un grand succès avec son ballet Fall River Legend. Il a remporté en 1995 le prix Pulitzer avec Stringmusic, commande de Rostropovitch et de l’Orchestre symphonique de Washington. GOUNOD (Charles), compositeur français (Paris 1818 - Saint-Cloud 1893). Orphelin à cinq ans, il est élevé par sa mère, femme de caractère, intelligente et musicienne qui lui fait donner de solides humanités (entrée au lycée Saint-Louis en 1829 ; baccalauréat de philosophie en 1836), tout en développant ses dons artistiques (enfant, il écoute la Malibran dans Don Giovanni, Otello de Rossini ; la 6e et la 9e Symphonie de Beethoven). Entré au Conservatoire, il est successivement élève de Reicha, de Paer, puis de Halévy (fugue, contrepoint), de Lesueur (composition). Second prix de Rome en 1837, premier en 1839, il vit à Rome jusqu’en 1841. Au cours de cette époque d’intense maturation, il lit beaucoup (Goethe, Lamartine), fréquente l’Opéra (Donizetti, Bellini) et la

Sixtine (Palestrina). Étudiant Lully, Gluck, Mozart et Rossini, il rencontre souvent également Ingres, qui l’invite à cultiver ses dons pour le dessin, et Lacordaire - il en naît une première crise de mysticisme qui lui dicte plusieurs oeuvres religieuses (Te Deum, deux Messes brèves, Hymne, Requiem). Après son départ de la villa Médicis, il passe par Vienne, où il dirige deux de ses oeuvres à la Karlkirche et par Leipzig où Mendelssohn lui révèle Bach, avant de retrouver Paris (printemps 1843), où il devient organiste et maître de chapelle aux Missions étrangères. Sa crise mystique s’accuse (il porte soutane et signe « Abbé Gounod »), mais sa famille l’en détourne, ainsi que ses amis - dont Pauline Viardot rencontrée à Rome et pour qui il compose son premier opéra, Sapho (16 avril 1851). En 1852, il épouse Anna Zimmermann, fille du grand pianiste, et devient directeur du chant dans les écoles communales, puis inspecteur des Orphéons (d’où, en 1853, la Messe dite aux orphéonistes). De cette époque datent ses premières grandes oeuvres : l’Ange et Tobie (Lyon, 1854) ; la Nonne sanglante (Opéra de Paris, 1854) ; deux Symphonies (1855-56), la première dirigée par Pasdeloup. Mais une troisième crise mentale (1857) l’oblige au repos (internement dans la clinique du docteur Blanche). En 1859, Faust est créé (2e version, 1869). Entre ces deux dates, Gounod donne notamment Philémon et Baucis (1860), la Reine de Saba (1862), Mireille (1864), dont les succès le conduisent à l’Académie des beaux-arts (1866). En 1867, dernier grand succès avec Roméo et Juliette. Retiré en Angleterre chez la baronne Luisa Brown durant la guerre de 1870, Gounod ramène sa famille à Paris après les hostilités, puis retourne à Londres « vivre la plus grande erreur downloadModeText.vue.download 431 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 425 de (sa) vie ». En fait, il s’immisce dans le ménage Weldon, où Georgina l’ensorcelle jalousement par son charme sensuel et sa belle voix de soprano (elle crée à ce titre l’élégie biblique Gallia). Prisonnier de lui-même et de ses hôtes, Gounod revient à Paris sur les instances de son fils et du docteur Blanche. Mrs. Weldon refuse alors de rendre le manuscrit de Polyeucte ce qui va dégénérer en procès. Condamné

à une amende de 10 000 livres, Gounod ne pourra pas, ainsi, assister à Birmingham en présence de la reine Victoria à la création de sa trilogie sacrée Mors et vita (26 août 1885). Cet ultime triomphe efface les succès d’estime de Cinq-Mars (1877), Polyeucte (1878) et l’échec total du Tribut de Zamora (1881). Atteint d’hémiplégie, mais vite remis (1891), Charles Gounod est frappé, le 15 octobre 1893, d’une attaque d’apoplexie en rangeant la partition de son dernier Requiem écrit à la mémoire de son petitfils (orchestré par H. Busser). Mort doucement trois jours plus tard, il a droit à des funérailles nationales (le 27 octobre) à la Madeleine. D’un abord facile, de conversation enjouée, doué d’un esprit rapide, plus enclin à l’admiration qu’à la raillerie, ami sûr et dévoué, tel fut l’homme, à la fois sensuel et mystique. Le musicien apparaît plus complexe. On peut lui reprocher facilités et platitudes, une certaine pauvreté de la langue harmonique et du rythme (notamment dans ses oeuvres religieuses) ; des efforts trop visibles pour créer de classiques symétries. En fait, son écriture a peu évolué ; mais son style demeure néanmoins personnel, qui recherche la pureté de l’écriture, la beauté de la ligne, la sobriété du discours. Qualités importantes et peu partagées à son époque, où l’art français est écartelé entre l’italianisme (Rossini et ses successeurs) et les recettes sans gloire de l’opéra historique (Meyerbeer). Finalement, l’importance de Gounod se mesure autant à son oeuvre (Faust, Mireille, Roméo et Juliette renouvellent le genre) qu’à son action. Dans la mélodie de salon, son souci de la prosodie renforce un tendre et pénétrant lyrisme bien étranger à la romance contemporaine : Biondina évoque Schumann, Venise annonce Fauré. Si sa musique d’église s’accommode d’un mysticisme à la fois mondain et théâtral, à l’opéra, en revanche, il a su donner le meilleur de lui-même et apporter une poésie certaine face aux débordements du bel canto ou du romantisme germanique : à cet égard, Georges Bizet, Édouard Lalo, Massenet, Saint-Saëns lui seront redevables. Ainsi, Charles Gounod aura-t-il contribué à réorienter la musique française vers son propre génie : sa dilection pour la mesure et pour la clarté. GOURDE ou CABACCA.

Instrument à percussion de la famille des « bois ». Sorte de calebasse desséchée que l’on fait tourner à l’intérieur d’un collier tenu de l’autre main. GOUVY (Louis Théodore), compositeur français (Goffontaine, près de Sarrebruck, 1819 - Leipzig 1898). il s’installa en 1836 à Paris pour y étudier le droit, mais son aisance matérielle lui permit de se tourner vers la musique. Il voyagea ensuite en Allemagne et en Italie, puis revint à Paris, où, tout autant qu’en Allemagne, il fit exécuter ses oeuvres fortement influencées par Mendelssohn avec un succès certain. Il fut, en 1871, un des fondateurs de la Société nationale de musique, et, vers 1880, se retira à Leipzig. Tenant de la musique « pure », il a composé dans un style assez impersonnel 6 symphonies, de la musique de chambre, des cantates comme Iphigénie en Tauride, OEdipe à Colone, la scène de concert le Dernier Hymne d’Ossian. GRADUEL. 1. Abréviation de l’expression « réponsgraduel » (responsum gradale), désignant un répons ou fragment de psaume chanté après l’épître, primitivement sur les degrés (gradus) de l’« ambon » (tribune surélevée servant aux lectures), et précédant l’alléluia (ou le trait). Jadis plus développé, le graduel est aujourd’hui habituellement réduit à deux versets de psaume, théoriquement alternés entre choeur et soliste, dont l’un constitue le « répons » du choeur et le second le « verset » de soliste (souvent chanté par un « petit choeur « ; comme pour l’alléluia, le grand choeur rejoint aux derniers mots). Le graduel est une pièce largement ornée, dont l’ambitus, surtout dans le verset, dépasse souvent les limites théoriques du mode. Il existe pour chacun des 8 modes une mélodie type de verset dont on retrouve le schéma, différemment orné, à travers de nombreux graduels du même mode, bien que tous ne s’y astreignent pas. Considéré comme le « morceau musical » de la messe par excellence, le graduel en a été l’une des parties les plus développées par les déchanteurs primitifs : la majorité des grands organa de l’Ars antiqua sont des graduels.

2. Par extension, on a donné le nom de graduel au livre de chant contenant l’ensemble du propre de la messe, par opposition au Kyriale qui n’en contient que le commun, au missel (dit parfois antiphonarium missae), qui contient les deux, et à l’« antiphonaire », qui ne contient que les offices des heures. La distinction toutefois n’est pas toujours observée, et notamment l’on emploie souvent le mot « graduel » pour désigner l’une ou l’autre de ces diverses catégories de livres. GRAENER (Paul), compositeur, chef d’orchestre et pédagogue allemand (Berlin 1872 - Salzbourg 1944). Directeur du Mozarteum de Salzbourg (1910-1913), successeur de Max Reger comme professeur de composition au conservatoire de Leipzig (1920-1924), directeur du conservatoire Stern à Berlin (1930), il devint en 1933 vice-président de la chambre de musique du Reich, dont il dirigea de 1935 à 1941 le département « compositeurs ». Dans un style postromantique, il a écrit de nombreuses oeuvres instrumentales et orchestrales, parmi lesquelles une Symphonie en ré mineur, les Variations pour orchestre sur un chant populaire russe, la suite d’orchestre Die Flöte von Sanssouci et 6 quatuors à cordes, ainsi que des opéras, dont les plus célèbres furent Don Juans letztes Abenteuer (1914) et Friedemann Bach (1931). GRAINGER (Percy Aldridge), compositeur et pianiste américain, d’origine australienne (Melbourne 1882 - White Plains, New York, 1961). Après des études à Melbourne, il poursuit son éducation à Francfort en Allemagne avec Kwast, puis à Berlin avec Busoni. Il fait ses débuts comme pianiste à Londres en 1901. Il réunit un très grand nombre de chants populaires anglais qu’il publie, plus tard, aux États-Unis. Ami de Grieg, dont il est le brillant interprète, il fait plusieurs tournées en Scandinavie et y recueille également des thèmes folkloriques. Fixé aux États-Unis en 1914, il y enseigne le piano au collège musical de Chicago (19191928), puis à l’université de New York. En Australie, il fonde le musée musical de Melbourne. Expérimentaliste parti d’un style folklorisant pour devenir l’un des pionniers

de la musique électronique, il a suivi une démarche évolutive assez personnelle, participant d’une recherche de l’insolite et d’un goût de l’étrange (To a Nordic Princess). Ses oeuvres les plus appréciées s’inspirent du climat populaire, mais, de très bonne heure, il a cultivé la polytonalité, les micro-intervalles et les rythmes complexes. il s’est passionné pour les techniques nouvelles et, à la fin de sa vie, s’est intéressé activement aux possibilités de l’électroacoustique. Il a composé de la musique pour orchestre (Train Music Sketch ; In a Nutshell ; The Warriors pour orchestre et 3 pianos ; Handel in the Strand), de la musique de chambre (deux Hill Songs pour 24 instruments solistes ; Quintette à vent ; Quatuor à cordes ; My Robin is in the Greenwood Gone pour 8 instruments) et des oeuvres vocales, dont le cycle de choeurs d’après Kipling (le Livre de la jungle). downloadModeText.vue.download 432 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 426 GRANADOS Y CAMPIÑA (Don Enrique), pianiste et compositeur espagnol (Lérida, Catalogne, 1867 - péri en mer 1916). Il fit ses études à Barcelone avec Pujol (piano) et Pedrell (composition), puis à Paris. Un premier récital à Barcelone (1890) l’encouragea à entreprendre une carrière de pianiste qu’il poursuivit brillamment soit en soliste, soit avec des violonistes (Crickboum, Ysaye, Thibaud), des pianistes (Risler, Saint-Saëns) ou des ensembles de chambre (quatuor Crickboum). Après la présentation, à Madrid, de son opéra Maria del Carmen (1898), il mena de front la composition, la virtuosité pianistique et la pédagogie au conservatoire de Barcelone, dont il avait été le fondateur. Ses pièces pour piano, parmi lesquelles les 12 Danzas españolas (18921900), les Escenas romanticas (1904 ?), et surtout les Goyescas (d’après des peintures de Goya exposées au Prado, création en mars 1911) lui assurèrent la célébrité. Plus tard, il adapta la musique des Goyescas pour en tirer un opéra du même nom, dont la création, d’abord prévue à Paris, mais empêchée par la guerre, eut lieu à New York en janvier 1916. C’est au retour de cet ultime voyage aux ÉtatsUnis que Granados périt avec sa femme dans le naufrage du Sussex, torpillé dans

la Manche par un sous-marin allemand. Imprégné de culture romantique, en particulier de Schumann, Chopin et Grieg, il fut un coloriste aussi délicat qu’Albéniz, mais l’Espagne qu’il évoque est plutôt celle, galante et ironique, du XVIIIe siècle que l’Espagne « mauresque » d’Iberia. Sans aucune prétention à la reconstitution folklorique, il apporta à ses premières pièces pour piano un raffinement poétique et une puissance d’émotion qui devaient s’épanouir encore plus par la suite. Dans les Tonadillas (1914) pour voix et piano et dans les Goyescas, il ne garda que l’esprit de la thématique et des rythmes populaires, et parvint à une expression aux résonances universelles. GRANDE ÉCURIE ET LA CHAMBRE DU ROY (la). ! MALGOIRE (JEAN-CLAUDE). GRAND jeu ou Grand choeur. Synthèse réunissant les fonds, cornets, fournitures et anches (de 4 et 8 pieds) de l’orgue. À ne pas confondre avec le « plein jeu » qui met en oeuvre d’autres jeux de l’instrument. GRAND ORGUE. Utilisé en facture d’orgues, ce terme recouvre plusieurs notions. C’est, d’une part, l’instrument lui-même, par opposition à un instrument plus petit, comme l’orgue de choeur. D’autre part, dans le cas d’un orgue à deux plans sonores séparés en deux buffets distincts, c’est le plan principal par rapport à celui du positif. Enfin, on désigne par grand orgue le clavier principal de l’orgue, où se trouvent rassemblés les jeux de base de la registration. GRANDI (Alessandro), compositeur italien (Ferrare ? v. 1575-1580 - Bergame 1630). Il fut probablement l’élève de Giovanni Gabrieli. Nommé maître de chapelle à Ferrare (1597), il demeura dans cette ville jusqu’en 1617. À cette date, il fut engagé dans les choeurs de Saint-Marc de Venise avant de devenir vice maestro di cappella et de seconder le grand Monteverdi (1620). De 1627 à la fin de sa vie, il fut maître de chapelle à Bergame de l’église Santa Maria Maggiore. Ayant déjà composé une quan-

tité de musique d’église avant de quitter Ferrare, Alessandro Grandi vit son talent s’affirmer surtout à Venise. Ses dons mélodiques furent désormais alliés à une maîtrise technique de plus en plus assurée. Il composa exclusivement dans le nouveau style avec basse continue (motetti a voce sola), délaissant complètement la prima pratica des Anciens. Il se souciait également du sens des paroles qu’il mettait en musique. Son style et celui de ses collègues, dont les motets ressemblent à des arie profanes de l’époque, ont probablement exercé une certaine influence sur Monteverdi lui-même. Dans la musique profane de Grandi, les airs appelés cantate empruntent souvent la forme de la variation strophique, d’autres, appelés arie, sont plus simples, plus gais avec de fréquentes némioles et une coupe strophique dansante. oeuvres. - Musique religieuse. Des motets avec basse continue de 2 à 5 voix, publiés en 1610 (I), 1613 (II, III), 1614 (IV), 1619 (V) et 53 41 263 1630 (VI) ; 3 livres de motets avec instruments, à 1 et 2 voix, parus en 1621, 1625 et 1629, Motetti a voce sola (1628) ; des psaumes dont le recueil Messa e Salmi concertati à 3 voix (1630). Musique profane. 4 livres de cantates et d’airs (1 à 3 voix), publiés entre 1620 et 1629, dont le livre II est perdu. GRASSINI (Giuseppina), cantatrice italienne (Varèse 1773 - Milan 1850). Douée d’une voix de contralto exceptionnellement longue et agile, qui lui permettait le chant orné jusque dans le registre du soprano lyrique, elle débuta triomphalement à la Scala en 1794 dans l’Artaserse de Zingarelli. Trois ans plus tard, elle créait avec non moins de succès, à la Fenice de Venise, Gli Orazzi e Curiazzi de Cimarosa. Sa carrière se poursuivait au San Carlo de Naples, quand Bonaparte, probablement sensible à sa rare beauté plus encore qu’à sa voix, la fit venir à Paris au lendemain de Marengo. Couverte d’or par la faveur consulaire, puis impériale, elle fut la vedette des concerts de la cour jusqu’à la chute de Napoléon, puis regagna Milan et ne tarda pas à quitter la scène. GRAUN, famille de musiciens allemands. August Friedrich, compositeur (Wahrenbrück, Saxe, 1698 ou 1699 - Merseburg 1765). Cantor à Merseburg à partir

de 1729, candidat malheureux à la succession de J.-S. Bach à Leipzig en 1750, il se spécialisa dans la musique vocale religieuse. Johann Gottlieb, violoniste et compositeur, frère du précédent (Wahrenbrück 1702 ou 1703 - Berlin 1771). Élève pour le violon de Pisendel à Dresde et de Tartini à Padoue, il entra en 1732 au service du prince héritier Frédéric de Prusse, et en devint le Konzertmeister. Il a surtout écrit des oeuvres instrumentales (symphonies, concertos, sonates) dans le style italianisant de l’époque. Carl Heinrich, chanteur et compositeur, frère des précédents (Wahrenbrück 1703 ou 1704 - Berlin 1759). Il étudia et chanta à la Kreuzschule de Dresde. Engagé en 1725 comme ténor à la cour ducale de Brunswick, il s’y révéla compositeur d’opéras italiens, et en devint vice-maître de chapelle en 1727. Appelé par le prince héritier Frédéric de Prusse à Rheinsberg en 1735, il y composa des cantates sur des textes de son nouveau maître. À son avènement en 1740, Frédéric II le nomma maître de chapelle, le chargea de réorganiser l’opéra de Berlin, et, dans ce but, l’envoya recruter des chanteurs en Italie (1740-41). Son Rodelinda (1741) fut le premier opéra italien représenté à Berlin, et, le 7 décembre 1742, le nouvel opéra de cette ville fut inauguré avec son Cesare e Cleopatra. Jusqu’à sa mort, il fournit son répertoire à cet établissement, avec comme seul rival sérieux J. A. Hasse, et régna à peu près sans partage sur la vie musicale berlinoise. Il avait des dons mélodiques certains et une grande connaissance des possibilités de la voix humaine. Outre ses nombreux opéras italiens, parmi lesquels Artaserse (1743), Il Rè pastore (1747), Ifigenia in Aulide (1748), Montezuma (1755), il écrivit de la musique instrumentale et des ouvrages religieux. De cette dernière catégorie relèvent un Te Deum (1757) et surtout son oeuvre, à la longue, la plus célèbre et la plus durable : la cantate pour la Passion Der Tod Jesu (« la Mort de Jésus »), sur un texte de C. W. Ramler (1755, édit. par Breitkopf, Leipzig, 1760). GRAUPNER (Johann Christoph), compositeur allemand (Hartmannsdorf, Saxe, 1683 - Darmstadt 1760). Il fait ses études avec J. Kuhnau à la Thomasschule ainsi qu’à l’université de Leip-

zig. Il se fixe ensuite à Hambourg où il est nommé, en 1707, claveciniste à l’opéra. En downloadModeText.vue.download 433 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 427 1709, il obtient le poste de vice-maître de chapelle, et, en 1712, celui de maître de chapelle à la cour de Hesse-Darmstadt. Nous n’avons conservé qu’une partie des opéras écrits pour Darmstadt et Hambourg de l’homme qui fut l’ami de Telemann et de Grünewald et qui jouissait de l’admiration de J.-S. Bach. Son style a subi l’influence de Reinhard Keiser. Entre 1719 et 1745, Graupner a composé, en outre, plus de 1 300 oeuvres religieuses destinées à la chapelle de la cour de Darmstadt. GRAVE. 1. Dans l’échelonnement de hauteur des sons, ou dans la comparaison de hauteur entre plusieurs sons, mot désignant les sons les plus « bas », c’est-à-dire ceux dont la fréquence est la plus faible. Le terme est une translittération maladroite du latin gravis, qui traduisait exactement le grec barys (« lourd ») opposé à oxys (« aigu »), qui a été conservé. 2. Dans l’échelonnement des tempos, le grave correspond à peu près au largo, mais en y adjoignant souvent l’idée d’un caractère soit recueilli, soit solennel, non exempt d’une certaine lourdeur. On le trouve souvent à l’époque classique, dans le premier mouvement des ouvertures françaises, ou plus tard dans l’introduction lente des premiers mouvements de sonate ou de symphonie. 3. Par dérivation du sens précédent, les morceaux présentant le caractère ci-dessus sont parfois, eux-mêmes, désignés sous ce terme, qui, entre autres, s’applique de préférence aux introductions solennelles dites encore « entrées » (en ital. intrada). GRAZIANI (Bonifacio), compositeur italien (Marino ? v. 1605 - Rome 1664). Il fut maître de chapelle à l’église des Jésuites de Rome et au séminaire. Il semble avoir composé uniquement de la musique religieuse. Ses oratorios, messes et motets illustrent les traits caractéristiques

de l’école romaine représentée aussi par Carissimi à la même époque. Les oeuvres de B. Graziani sont d’une belle envergure, tant par la solidité de leur structure que par la beauté de la ligne mélodique. De son vivant, elles ont connu un grand succès et ont bénéficié de plusieurs publications : 8 livres de motets de 2 à 6 voix (1650-1676) ; 6 livres de motets à voix seule (1652-1672) ; 3 livres de psaumes pour les vêpres (1652-1670) ; des répons pour la semaine sainte à 4 voix (1663) ; litanies, antiennes, concerts sacrés et plusieurs oratorios. GRAZIANI (Tomaso), compositeur italien (Bagnacavallo v. 1553 - id. 1634). Ce moine franciscain, élève de Costanzo Porta, fut maître de chapelle à San Francesco de Milan (1587), à Ravenne (1589-1595), à la cathédrale de Concordia de Modène (1598) et à Porto Gruaro (1601). Ensuite, il retourna à Bagnacavallo et entra au couvent des franciscains (1613). Il a composé surtout de la musique d’église d’une écriture souvent élaborée (Missa cum introitu, ac tribus motectis, 12 vocibus canenda, tribus choris distincta, Venise, 1587). On lui doit aussi un livre de Madrigaux à 5 voix (Gardano, Venise, 1588). GREENE (Maurice), organiste et compositeur anglais (Londres 1696 - id. 1755). Choriste de la cathédrale Saint Paul, il se consacra, à partir de 1710, à l’orgue et à la composition. En 1718, il fut organiste à Saint Paul et, en 1727, succéda à Croft comme organiste et compositeur de la chapelle royale. Il fut très lié à Haendel et ce fut l’amitié de ce dernier pour son rival Bononcini qui l’en sépara. En 1750, à la suite d’un héritage, Greene décida de consacrer sa fortune à rassembler et éditer les meilleures oeuvres d’église anglaises. Il ne put mener complètement son projet à terme, et ce fut son ami Boyce qui publia Cathedral Music. Greene fut également un des fondateurs de la Royal Society of Musicians. Son oeuvre comporte des oratorios, des cantates, des catches, des anthems. Citons, parmi les plus notoires, Fourty Select Anthems (Londres, 1743), Spenser’s Amoretti (1739) et A collection of Lessons for the harpsichord (1750). GRÉGOIRE (saint)

, nom par lequel on désigne aussi le pape Grégoire Ier, dit Grégoire le Grand (Rome v. 540 - id. 604). Pape de 590 à 604 après avoir été à Constantinople légat de son prédécesseur Pélage II, et à Rome secrétaire du Saint-Siège et abbé du monastère fondé par lui dans sa propre maison du mont Coelius. Il était donc, lorsqu’il accéda au pontificat, familiarisé avec tous les aspects de la musique liturgique, y compris ses variantes orientales. On ne trouve pourtant trace de questions musicales dans aucun de ses actes pontificaux, qui sont presque tous conservés. La tradition n’en a pas moins fait de lui le créateur du « chant grégorien ». Les érudits n’ont cessé de discuter sur ce qu’a pu être, en réalité, le rôle en l’occurrence de saint Grégoire : on ne peut trancher le débat, mais il apparaît très vraisemblable que, si son influence a pu être déterminante dans la fixation du répertoire, il n’a jamais joué un rôle ni de technicien ni a fortiori de compositeur. Ce que l’on peut dire, c’est que l’unification des usages ecclésiastiques était l’une des préoccupations essentielles de son règne, et que l’unification du chant liturgique devait assez normalement y prendre place. Elle devait être incluse notamment dans la réforme disciplinaire générale qu’il chargea son délégué Augustin d’introduire en Grande-Bretagne, et c’est le chant « unifié » sur la base des usages romains qui, sous le couvert de son autorité, fut désigné plus tard comme « chant grégorien ». La tradition qui plaça le nom de saint Grégoire à l’origine du chant « grégorien » n’apparut que trois cents ans après sa mort chez le chroniqueur Jean Diacre (v. 873), puis au début du XIe siècle chez un sermonnaire aquitain sujet à caution, étant connu ailleurs comme mythomane, Adémar de Chabannes : l’expression « chant grégorien » appliquée à l’ensemble du répertoire est plus récente encore. Jean Diacre attribuait cependant à saint Grégoire la mise en ordre du graduel (centonibus compilavit) et la création à Rome d’une école de chant religieux, la Schola cantorum, prototype de toutes les maîtrises ultérieures ; Adémar plaça dans la bouche de Charlemagne la phrase restée célèbre : Revertimini vos ad fontem sancti Gregorii, quia manifeste corrupistis cantum (« retournez à la source de saint Grégoire, car il est évident que vous avez corrompu le chant »). Il mentionnait aussi un Livre de chant selon saint Grégoire qui aurait servi de base aux missions musicales des

envoyés de l’Empereur, notamment à Metz et à Soissons. Il est probable cependant que le nom de saint Grégoire a été utilisé en l’affaire davantage comme caution de prestige que comme témoignage historique de paternité. GRÉGORIEN (chant). Expression aujourd’hui courante pour désigner l’ensemble du répertoire monodique de l’Église latine médiévale. On a vu à l’article Grégoire (saint) que cette appellation, qui ne date guère que du début du XXe siècle (Motu proprio de Pie X, 1903 ; on disait auparavant « plain-chant » ou « chant ecclésiastique »), est historiquement sujette à caution. Les « grégorianistes » ou spécialistes du « chant grégorien » se gardent bien, du reste, d’employer ce terme dans cette acception généralisée, et le restreignent à l’ordonnance de rite romain pouvant effectivement être datée avec vraisemblance de l’époque de ce pape, soit du VIIe siècle environ. Ils en excluent donc, d’une part, l’ensemble des répertoires de rite non romain (ambrosien à Milan, gallican en France, mozarabe en Espagne, etc.), d’autre part, celui des rites romains antérieurs ou parallèles, dont le principal est le chant dit « vieux-romain », qui se serait maintenu jusqu’au XIIIe siècle environ et aurait été ensuite éliminé sous l’influence des franciscains ; toutefois aucun des manuscrits considérés comme « vieux-romains » n’est antérieur au milieu du XIe siècle, ce qui étend considérablement la part de l’hypothèse. Il faut également distraire du domaine « grégorien » les différents remaniements du répertoire downloadModeText.vue.download 434 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 428 effectués au cours des siècles, par exemple le chant cistercien, abondant en amputations mélodiques, et le répertoire tardif des tropes, séquences ou offices mesurés qui, bien que partiellement officialisés, introduisent un style quelque peu différent. La composition des mélodies dites grégoriennes se ralentit notablement à partir du XIe siècle et cesse à peu près à la fin du XVe (le Kyrie et le Gloria de la Messe des Angles ou Anglais, dite par corruption Messe des Anges, sont parmi les pièces les

plus tardives). Des essais de composition en plain-chant, influencés par les déformations de style survenues entre-temps, se rencontrent encore au XVIIe siècle, surtout en France (Henri Dumont, Lully le fils), puis s’éteignent pour renaître aux premiers jours de la résurrection solesmienne (Dom Pothier, Lambillotte). Elles demeurent marginales : lorsque apparaissent de nouveaux offices (Sacré-Coeur, Sainte-Jeanne-d’Arc, etc.), les liturgistes adaptent le plus souvent d’anciennes pièces sans en créer de nouvelles. C’est encore ce qu’ils font actuellement pour ménager tant bien que mal une possibilité de service du chant grégorien dans les nouveaux rituels postconciliaires, trop souvent conçus hâtivement sans que l’on ait prêté une attention suffisante à leurs incidences musicales. GRELOTS. Instrument à percussion de la famille des « métaux ». il s’agit de boules métalliques, en cuivre le plus souvent, contenant chacune une bille à l’intérieur et réunies entre elles par une lanière de cuir. Employées dans les musiques primitives, on les trouve aujourd’hui, par exemple, incorporées dans le harnais des chevaux lors des cérémonies officielles. GRENON (Nicolas), compositeur français ( ? v. 1380 - ? 1456). Dès 1385, il appartient à la cour de Philippe le Hardi à Dijon. Il succède à son frère comme chanoine du chapitre de SaintSépulcre à Paris (1399), où il séjourne jusqu’en 1401. Nommé maître des enfants à la cathédrale de Laon (1403-1408), puis maître de grammaire à Cambrai (1408) et maître de musique à la cathédrale de cette ville (1421-1424), il occupe tout naturellement le poste de maître des jeunes choristes du duc de Berry et entre au service de Jean sans Peur lorsque celuici remplace son oncle. Accompagnant un groupe de quatre chanteurs formés à la française, il devient chantre à la chapelle pontificale (1425-1427) avant de regagner Cambrai où il termine son existence après un séjour à Bruges. Ses oeuvres profanes (cinq chansons à 3 voix, trois chansons à 4 voix), comme sa musique religieuse (quatre motets et un fragment de messe

Et in terra), montrent son attachement à l’Ars nova : la complexité d’écriture d’Ave virtus virtutum ou des chansons Se ne vous say ou Je say defait en témoignent, ainsi que le principe de l’isorythmie, une constante de ses motets. Les traits dominants du XVe siècle franco-bourguignon se dessinent toutefois : recherche d’une simplification générale mélodique et rythmique, adoption d’un chant syllabique, le tout dans un souci de clarté et d’expression. Mais vivant à un tournant stylistique, Nicolas Grenon ne saurait écrire d’une manière uniforme. GRETCHANINOV (Alexandre Tikhonovitch), compositeur russe (Moscou 1864 - New York 1956). Fils d’un modeste commerçant, il apprit la musique contre la volonté de ses parents et n’entra qu’à dix-sept ans au conservatoire de Moscou. Douze ans plus tard, il acheva ses études à Saint-Pétersbourg dans la classe de Rimski-Korsakov et végéta longtemps encore, vivant surtout de leçons de piano et de chant choral. Sa situation ne s’était guère améliorée quand, sexagénaire, il quitta l’Union soviétique pour la France, puis les États-Unis où il connut enfin le succès. Auteur de sept messes, de plusieurs cantates et motets, de trois opéras, de nombreuses mélodies et pièces de musique de chambre, Gretchaninov n’a jamais prétendu à l’originalité. Mais un don mélodique incontestable, une inspiration généreuse et sincère sauvent de la banalité sa musique vocale et, en particulier, religieuse. GRÉTRY (André-Ernest-Modeste), compositeur français d’origine belge (Liège 1741 - Ermitage de Montmorency 1813). Issu d’une famille de musiciens liégeois, il doit l’originalité de son développement musical aux études qu’il va poursuivre à Rome entre 1760 et 1766 ; il reconnaîtra ensuite cette dette dans ses Mémoires : « L’école italienne est la meilleure qui existe, tant pour la composition que pour le chant. » Il a été l’élève de G. B. Casali et du père Martini, et acquiert une maîtrise suffisante pour devenir membre de l’académie des Filarmonici de Bologne. Après être passé par Genève, il s’installe en 1768 à Paris, qui va rester son centre d’activité presque exclusif. Ses deux premières oeuvres parisiennes, le Huron (1768) et Lucile (1769), frappent le public dans sa fibre sentimentale, et Grétry devient vite le mu-

sicien le plus à la mode de la France prérévolutionnaire. Grimm le décrit ainsi : « M. Grétry est de Liège ; il est jeune, il a l’air pâle, blême, souffrant, tourmenté, tous les symptômes d’un homme de génie. » Grétry continue à composer un ou deux opéras-comiques par an jusqu’à la Révolution, sans que son prestige soit atteint par des échecs passagers. Ceux de ses opéras qui ont le mieux gagné les faveurs du public reviennent fréquemment à l’affiche, et son oeuvre connaît une large diffusion à l’étranger dès les années 1770. Grétry ne tarde pas à recevoir les honneurs les plus divers, même sous la Révolution, où il a été élu membre de l’Institut et inspecteur des études au Conservatoire (1795). En 1798, il achète l’Ermitage de Jean-Jacques Rousseau, dans la vallée de Montmorency, et y vit retiré jusqu’à sa mort. Le langage musical de Grétry est à la fois moins complexe que celui de Rameau et que celui de Haydn et Mozart. Mais Grétry fait son entrée sur la scène parisienne lorsque le genre de l’opéra-comique a été déjà largement illustré par Duni, Monsigny et Philidor, et son mérite essentiel est sans doute d’en avoir considérablement approfondi les possibilités expressives. Il a été aidé en cela par ses trois principaux librettistes, Marmontel, Sedaine et d’Hèle, qui ont contribué, par le choix de sujets sentimentaux et par un langage parfois « larmoyant », à diversifier les ressorts émotifs de l’opéra-comique. Les innovations de Grétry se manifestent avant tout par le décloisonnement des formes musicales : la continuité dramatique est assurée par une proportion d’ensembles vocaux plus élevée que chez Philidor ou Monsigny, et se traduit même, dans certains opéras, par l’abolition du dialogue parlé (Colinette, l’Embarras des richesses, la Caravane du Caire). Des finales juxtaposant des ensembles de complexité grandissante révèlent l’influence de l’opéra bouffe italien, comme dans la Rosière de Salency ; mais Grétry dépasse ses modèles par l’emploi du choeur (Colinette, III. 8) et par la richesse de morceaux orchestraux utilisés à des fins évocatrices (Zémire et Azor). Enfin, la romance de Blondel, qui revient neuf fois au cours de Richard Coeur de Lion, constitue l’un des premiers exemples du « motif de réminiscence », qui jouera un rôle important dans la musique du XIXe siècle. Grétry avoue dans ses Mémoires avoir recherché le « moyen de

contenter tout le monde ». Il a sans doute atteint son but, combinant une veine mélodique facile avec un goût de l’expérimentation qui en fait un précurseur de l’opéra romantique. GRIEG (Edvard Hagerup), compositeur norvégien (Bergen 1843 - id. 1907). Il commence à six ans l’étude du piano avec sa mère et est remarqué par le violoniste Ole Bull qui l’envoie se perfectionner au conservatoire de Leipzig en 1858. Il y restera quatre ans, travaillant notamment avec Moscheles, E. F. Richter et C. Reinecke, puis il retourne en Norvège doutant d’avoir beaucoup appris. En 1863, il part pour Copenhague où règne N. Gade, mais plus importante y est la rencontre avec son compatriote R. NordownloadModeText.vue.download 435 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 429 draak (1842-1866) et avec le compositeur danois C. Horneman qui aboutit à la création de l’éphémère groupe Euterpe, en réaction contre l’influence allemande de Schumann et de Mendelssohn. Rentré en Norvège en 1866, il s’installe à Christiania (Oslo) et épouse sa cousine, la cantatrice Nina Hagerup. Sa lutte pour un art national, soutenue par son compatriote H. Kjerulf (1815-1868), est reconnue et révélée à l’étranger par Liszt en 1870. Dès lors, Grieg mène parallèlement la composition, une carrière difficile d’organisateur de la vie musicale en Norvège et ses tournées de concerts. Chef d’orchestre apprécié, il n’est pas un pianiste virtuose, mais un interprète sensible. Avec l’aide de J. Svendsen il arrive peu à peu à imposer son idéal d’une musique nationale, et désormais sa vie est une succession de triomphes et de pénibles dépressions physiques. il s’éteint le 4 décembre 1907, épuisé par les ultimes tournées de concerts. La célébrité de Grieg repose sur un certain nombre de malentendus. Ses oeuvres les plus jouées aujourd’hui, Peer Gynt et le Concerto en « la », pour être populaires, n’en sont pas moins des partitions où les principales qualités du compositeur n’apparaissent pas avec le plus d’évidence ; la lourdeur de son orchestration et son manque de maîtrise de la forme sont des handicaps dont il était d’ailleurs conscient. C’est dans la

petite forme que Grieg a toujours été le plus à l’aise, notamment dans ses mélodies et ses pièces pour piano. Une trop rapide assimilation à la musique de salon de la fin du XIXe siècle ne doit pas dissimuler les qualités de ces oeuvres. Audacieux harmoniste, cet initiateur à un art « impressionniste » a influencé des compositeurs tels que Debussy, Ravel et Delius. Son inspiration populaire est également beaucoup plus authentique dans ses pièces vocales et pianistiques que dans les oeuvres plus ambitieuses dont Debussy dénonçait le caractère « ficelle et truqué ». Son langage utilise de fréquentes oscillations entre les modes majeur et mineur, tout comme dans les mélodies populaires norvégiennes où la tierce est instable ; sa phrase musicale est large et très lyrique, mais c’est la perfection de l’écriture pianistique qui attire plus encore l’attention et lui permet d’exprimer l’exceptionnelle sensibilité que l’on retrouve tout au long de son oeuvre. GRIESINGER (Georg August), écrivain et diplomate allemand (Stuttgart 1769 Vienne 1845). Venant de Leipzig, il arriva à Vienne au printemps de 1799 comme précepteur du fils aîné du chef de la légation de Saxe, avant de devenir lui-même secrétaire de légation en 1804, conseiller de légation en 1808, conseiller secret en 1828, et, enfin, chef de mission en 1831. Avant son départ de Leipzig, il s’était vu demander par la maison d’édition Breitkopf de prendre contact avec Haydn et de servir d’intermédiaire dans les transactions que cette maison comptait mener avec le compositeur. Griesinger vit très souvent Haydn jusqu’à la mort de ce dernier, et ses nombreuses lettres à Breitkopf Härtel constituent une précieuse source de renseignements non seulement sur l’auteur de la Création, mais sur la vie musicale à Vienne en général. Griesinger amassa peu à peu les éléments d’une biographie que, après la mort de Haydn, il fit paraître dans sept numéros successifs (du 12 juill. au 23 août 1809) de l’Allgemeine Musikalische Zeitung, puis (après révision) en volume l’année suivante. Des trois biographies authentiques du compositeur, les autres étant celles de Carpani et de Dies, celle-ci - Biographische Notizen über Joseph Haydn, « Notices biographiques sur Joseph Haydn », Leipzig, 1810, rééd. Vienne, 1954, rééd. fac-similé Leipzig, 1979) - est à la fois la plus concise

et la plus sûre. GRIFFES (Charles Tomlinson), compositeur américain (Elmira, New York, 1884 New York 1920). Il fit ses études dans sa ville natale, puis en Allemagne avec Humperdinck. La découverte des maîtres français (Debussy, Ravel) et russes (Scriabine) l’orienta ensuite vers un art de suggestion de plus en plus subtil et raffiné, indifférent à l’expression typiquement américaine. De retour aux États-Unis en 1907, il y exerça diverses activités d’enseignement. Il a surtout écrit des mélodies (Five Poems of Ancient China and Japan, 1917) et des pièces pour piano, dont deux sonates (1904 et 1917-18), The Pleasure Dome of Kubla Khan (1912, transcription orchestrale 1917) et Four Roman Sketches (1915, 1919 - dont The White Peacock transcrit pour orchestre, 1919). Il termina sa carrière sur deux oeuvres capitales de la musique américaine, la seconde sonate pour piano et le Poème pour flûte et orchestre (1918). GRIGNY (Nicolas de), organiste et compositeur français (Reims 1672 - id. 1703). Il est, avec François Couperin, le plus grand maître de toute l’école de l’orgue classique français ; mais sa destinée tragiquement brève a certainement privé la musique du XVIIIe siècle de l’un de ses artistes majeurs. Né dans une famille d’organistes rémois, il est monté de bonne heure à Paris pour y parfaire sa formation musicale. Il y a été le disciple de Lebègue, et y a très probablement connu son contemporain François Couperin, dont le Livre d’orgue était publié en 1690. De 1693 à 1695, il est organiste de l’église abbatiale de Saint-Denis. Il regagne ensuite Reims, où, à partir de 1697, il est titulaire de l’orgue de la cathédrale. Deux ans plus tard, il fait paraître son Livre d’orgue, mais il meurt peu après, à peine âgé de trente et un ans. Le Livre d’orgue se compose de deux parties à peu près égales en volume : une Messe d’orgue en vingt-deux morceaux d’un côté, et cinq Hymnes de l’autre. Cette oeuvre réalise une synthèse unique entre les tendances les plus nouvelles de l’orgue de concert et les exigences liturgiques traditionnelles de l’Église catholique. D’une sensibilité exacerbée, Grigny pratique un chromatisme séduisant dans un langage encore tout imprégné des vieux modes médiévaux. Harmoniste subtil, polyphoniste accompli (il

écrit souvent à cinq voix), il est avant tout un merveilleux mélodiste, développant de souples volutes ou laissant s’échapper de sublimes envolées lyriques, gonflées d’une ornementation somptueuse. Ses hymnes sont à la musique sacrée française ce que les préludes de chorals de Bach sont à la musique religieuse allemande. Le rapprochement n’est d’ailleurs pas fortuit : JeanSébastien recopia intégralement le Livre de Grigny lors de son séjour à Lüneburg, en 1703. Une seconde édition, posthume, parut en 1711, et il faut attendre 1904 pour en voir publier la première réédition moderne. Ce chef-d’oeuvre, à la charnière de deux siècles, situe l’aboutissement d’une évolution commencée avec Titelouze et Frescobaldi, et marquée par l’influence des prédécesseurs immédiats de Grigny, Lebègue et François Couperin. Couperin n’écrivant plus pour l’orgue, et Grigny disparu, la musique d’orgue française tombera alors en de plus faibles mains, et ne va cesser de se dégrader, lors même que l’école allemande connaîtra son apogée. GRILLO (Fernando), compositeur et contrebassiste italien (Foggia 1945). Il a obtenu son diplôme de contrebassiste à Pérouse en 1970, et fréquenté les cours de Darmstadt en 1974. Il a créé pour son instrument de nouvelles techniques, proposant notamment une synthèse originale entre l’élément gestuel et le son, et de nombreux compositeurs ont écrit à son intention. Pour contrebasse seule, il a composé lui-même, entre autres, To Ark (1972), Paperoles (1973-1975), Gstüss (1975-76) et Ta kai ta (1976). GRIMM (Friedrich Melchior, baron von), écrivain allemand (Ratisbonne 1723 Gotha 1807). Il vécut à Paris à partir de 1749, où il se lia avec les milieux littéraires et mondains. Il connut Diderot, d’Alembert, Rousseau, Helvetius, Marmontel et collabora à l’Encyclopédie, pour laquelle il écrivit l’article sur la poésie lyrique, ainsi qu’au Mercure de France (1750-1751). Critique et chroniqueur réputé, il joua un rôle important dans le mouvement des idées en s’engageant dans les polémiques et les querelles de son époque. Ses jugements sur la vie musicale et ses théories downloadModeText.vue.download 436 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 430 visant à encourager la recherche d’un style nouveau en musique apparaissent dans sa Correspondance littéraire, philosophique et critique, qu’il rédigea entre 1753 et 1773, et dont la publication, entreprise après sa mort, en 1812-1814, fut achevée en 1882. La position qu’il adopta tout d’abord à l’égard de la musique française dans la Lettre sur Omphale (1752) reflète celle de beaucoup de ses contemporains. Impressionné par l’impulsion nouvelle que semblait pouvoir apporter la musique italienne, il loua celle-ci même lorsqu’il se proposait principalement de défendre la musique de Rameau contre celle de Destouches. Cette brochure figurait néanmoins en bonne place parmi les derniers avatars de la querelle du ramisme. Dans la « Querelle des bouffons » qui se déclara quelque six mois plus tard, il adopta sans équivoque le parti de la musique italienne, comme ses confrères philosophes et encyclopédistes, en publiant en 1753 le Petit Prophète de Boehmischbroda Cette polémique, dont la violence fit, selon Grimm, passer au second plan les problèmes politiques du moment, opposa à l’Opéra le « coin du Roi » - qui rassemblait les défenseurs de la musique française - au « coin de la Reine », réunissant les partisans de la musique italienne, et pouvait être mise en relation avec une contestation plus large de l’idéologie professée par l’Ancien Régime. Le Petit Prophète de Boehmischbroda (qui semblait bien être une allusion à Stamitz) se plaçait ainsi parmi les écrits progressistes de cette période et fut, en tout cas, l’un des plus célèbres de ceux que provoqua cette querelle. À partir de ce moment, la défense de la musique française, ou même seulement celle de Rameau, fut dépassée pour Grimm qui adopta définitivement le parti de la musique italienne. Personnalité prestigieuse, Grimm fut sollicité avec insistance par Leopold Mozart qui lui demanda d’appuyer les débuts parisiens de Wolfgang Amadeus. Il présenta, en effet, celui-ci à la cour de Louis XVI mais, un peu plus tard, il ne fut pas étranger à son départ de Paris en 1778. Anobli par l’empereur Joseph II en 1777, il quitta Paris en 1793 et se retira à

Gotha où il finit ses jours. GRIPPE (Ragnar), compositeur suédois (Stockholm 1951). Après un stage au Groupe de recherches musicales de Paris et quelques années d’apprentissage et de création dans le studio A.L.M. de Luc Ferrari, il se fait connaître en Europe par ses musiques électroacoustiques pour le ballet, où son sens du son qui « porte » et du dynamisme musical fait merveille. Mais il y gaspille peut-être aussi son talent en « marathons » (titre d’une de ses oeuvres), dont le principe de répétition cyclique est devenu passe-partout. Certaines oeuvres, comme Were are they (1977) composée au studio d’Utrecht, ajoutent à cet abattage de bon faiseur les qualités d’un musicien sensible. GRISEY (Gérard), compositeur français (Belfort 1946). Il a fait ses études en Allemagne au conservatoire de Trossingen (composition avec Helmut Degen), puis au Conservatoire de Paris, où il a obtenu un premier prix d’harmonie (1967), et a été élève d’Olivier Messiaen (1968-1972). G. Grisey a aussi étudié avec Henri Dutilleux (1968), Jean-Étienne Marie (l’électroacoustique), et, à Darmstadt, avec Stockhausen, Ligeti et Xenakis (1972). Il a été lauréat de la Fondation de la vocation (1970), premier prix de la Biennale internationale de Paris (1971), prix Hervé-Dugardin de la S. A. C. E. M. (1973), boursier de la villa Médicis à Rome (1972-1974) et invité à Berlin par le DAAD (1980). Il a enseigné à Berkeley de 1982 à 1986, et est devenu en 1986 professeur de composition au Conservatoire de Paris. Travaillant sur des données acoustiques et sur une matière première non tempérée, il s’intéresse particulièrement aux « processus de transformation d’un son en un autre son, d’un ensemble de sons en un autre ensemble », et à la spatialisation de la musique. Il a écrit notamment Échanges pour piano préparé et contrebasse (1968 ; création à Paris, 1969), Mégalithes pour quinze cuivres (1969), Charme pour clarinette seule (1969), Perichoresis pour trois groupes instrumentaux (1969-70), Vagues, Chemins, le Souffle pour grand orchestre et clarinette solo, où l’orchestre entoure le public (1970-1972 ; création à Paris, 1975), D’eau et de pierre pour deux groupes instrumentaux (1972),

Dérives pour deux groupes d’orchestre (1973-74), Périodes pour sept musiciens (1974), Partiels pour seize ou dix-huit musiciens (1975 ; création à Paris, 1976), Prologue pour alto seul avec ou sans dispositif de résonateurs électroniques (création à Paris, 1978), Manifestations pour orchestre de débutants (1976 ; création à Paris, 1978), Modulations pour 33 musiciens (1977), Sortie vers la lumière du jour pour orgue électrique et 14 musiciens (1978), Jour, contre-jour pour orgue électrique, 13 musiciens et bande magnétique (1978-79), Tempus ex machina I pour six percussionnistes (1979), et Transitoires pour grand orchestre (1980-81). À noter que Prologue, Périodes, Partiels, Modulations et Transitoires constituent un cycle de pièces intitulé les Espaces acoustiques et peuvent s’enchaîner sans interruption, chaque pièce élargissant le champ acoustique de la précédente (cycle créé à Venise en 1981). En 1987 a été créé Talea pour 5 musiciens. Ont suivi le Temps et l’écume pour 4 percussionnistes, 2 synthétiseurs et orchestre de chambre (1988-1989), le Noir de l’étoile pour 6 percussions, bande et signaux astronomiques retransmis (19891990), l’Icône paradoxale sur des textes de Piero della Francesca pour deux voix de femme et orchestre (1991). GRISI (Giulia), soprano italienne (Milan 1811 - Berlin 1869). Soeur cadette de Giuditta (Milan 1805 Robecco 1840), qui fit une plus brève carrière de mezzo-soprano, Giulia Grisi passa pour une des cantatrices les plus accomplies de l’époque romantique, avec une perfection vocale que les partisans du pur bel canto opposaient à l’intense expressivité de la Pasta et de la Malibran. Elle créa le rôle de Juliette aux côtés de sa soeur qui incarnait Roméo dans I Capuletti e i Montecchi de Bellini. Elle fut aussi la première Adalgise, avec la Pasta dans Norma. Par la suite, elle devait reprendre le rôle de Norma qu’elle chanta partout avec succès, bien que la personnalité tragique de la Pasta lui ait fait défaut. Elle se produisit régulièrement au Théâtre-Italien de Paris entre 1832 et 1849, et fit une carrière internationale aux côtés de son mari, le ténor Mario, formant avec lui un couple célèbre par la beauté physique autant que par le talent lyrique. La voix de Giulia Grisi était d’une qualité exceptionnelle, et sa technique, exemplaire. Elle fit une carrière très

longue, paraissant encore à Londres dans Lucrèce Borgia de Donizetti en 1866. GROFE (Ferdé ou Ferdinand Rudolph Von Grofe), compositeur américain (New York 1892 - Santa Monica, Californie, 1972). Après des études avec sa mère (violoncelliste) et au conservatoire de Leipzig, il fut violoniste dans l’orchestre de Los Angeles, puis pianiste dans celui de Paul Whiteman, pour qui il orchestra en 1924 la Rhapsody in Blue de Gershwin. Sa Symphony in Steel donna le ton de sa production ultérieure, brillamment orchestrée et d’une vitalité tout américaine, mais ne dépassant pas les limites de la musique de genre. Son oeuvre la plus célèbre est la suite Grand Canyon (1931). GROSSE CAISSE. Instrument à percussion de la famille des membranophones. Ce tambour de grandes dimensions, mais néanmoins portatif pour les musiques militaires, garde généralement à l’orchestre la disposition horizontale de son axe et verticale de ses peaux. Son complément naturel est la mailloche à tête sphérique. Quand la grosse caisse est à position fixe, la mailloche peut être actionnée par une pédale, notamment dans le jazz traditionnel. L’instrument sert particulièrement à marquer les temps forts et downloadModeText.vue.download 437 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 431 parfois à créer des effets spéciaux comme le bruit du canon. GROUND, ou GROUND BASS. Ce terme correspond, dans la terminologie anglaise, à la basse obstinée. Il peut désigner soit une suite de notes ou d’harmonies obstinées, soit la composition tout entière construite sur ce schéma. Le ground peut être harmonique ou mélodique. Dans le premier cas, le plus ancien (XIIIe et début du XIVe s.), il diffère peu de la basse obstinée continentale. Le cas du ground mélodique est plus particulier. Il apparaît surtout aux XVIIe et XVIIIe siècles

et peut parfois désigner une oeuvre de type passacaille ou chaconne. Son emploi, non réservé à la musique de clavier, s’étend aux pièces vocales et orchestrales. L’une de ses caractéristiques est le déplacement fréquent de la formule mélodique obstinée de la basse aux voix supérieures. On trouve de très nombreux exemples de ce type de grounds dans la musique de John Blow et de Henry Purcell, qui les emploie même dans ses opéras. Ces deux compositeurs ont d’ailleurs enrichi les ressources d’une forme a priori limitée par son caractère obstiné, en décalant, par exemple, les séquences mélodiques des voix supérieures par rapport à la basse, parvenant même parfois, par cet artifice, à dissimuler la basse obstinée. GROUPE DE MUSIQUE EXPÉRIMENTALE DE BOURGES. Fondé en 1970 par les compositeurs Christian Clozier et Françoise Barrière au sein de la maison de la culture de Bourges, dont il s’est détaché en 1974 pour devenir un groupe autonome, financé par les Affaires culturelles et les collectivités locales, le Groupe de musique expérimentale de Bourges (G.M.E.B.) est rapidement devenu, par l’action de ses animateurs, un des studios de musique électroacoustique les plus actifs du monde entier, accueillant des compositeurs de tous pays, créant un festival et un concours annuels pour la musique électroacoustique, développant une pédagogie originale auprès des enfants des écoles. Dans ce dernier domaine, son apport est lié à une « invention » de Christian Clozier, le « Gmebogosse », système basé sur l’emploi de lecteurs-enregistreurs de cassettes, que son succès promet à une large utilisation. Clozier a également conçu, avec d’autres membres du G.M.E.B., des systèmes originaux de diffusion en concert électroacoustique (Gmebaphone, Antonymes, etc.) et, plus récemment, un « système hybride de synthèse programmable » par ordinateur. Par ailleurs, le G.M.E.B. mène une politique intense de contacts et d’échanges divers (concerts, réseaux de diffusion, rencontres) avec des studios de musique électroacoustique du monde entier. Il édite une publication, Faire. Parmi ceux travaillant ou ayant travaillé au G.M.E.B., on peut citer principalement, outre ses deux fondateurs-animateurs, les compositeurs et chercheurs Alain Savouret, Pierre

Boeswillwald, Roger Cochini, Gérard Fouquet, Pierre Rochefort et le technicien Jean-Claude Leduc. GROUPE DE MUSIQUE EXPÉRIMENTALE DE MARSEILLE Fondé en 1969 par Marcel Frémiot, à partir de la classe de musique expérimentale assurée par celui-ci au conservatoire de Marseille, le G.M.E.M. est devenu, sous la direction de Georges Boeuf, un groupe autonome et actif pour la production et la diffusion des musiques électroacoustiques et des recherches qui s’y rattachent. Sa première période, marquée par la personnalité de son fondateur Marcel Frémiot, met l’accent sur le travail de groupe, s’exprimant dans des réalisations collectives, et sur la disciple de composition. En 1974, la direction du G.M.E.M. est reprise par Georges Boeuf, et le groupe traverse certaines difficultés pour obtenir les moyens de travailler comme studio autonome. À présent dirigé par Raphaël de Vivo, il dispose d’un local et d’un studio, où il peut poursuivre les recherches déjà engagées : notamment sur la « lecture sonore de l’événement », sociologie active par les moyens audiovisuels animée par Lucien Bertolina, sur l’informatique musicale, secteur pris en charge plus spécialement par Michel Redolfi (instrument de synthèse « hybride » Synclavier, inspiré des réalisations de John H. Appleton) et, enfin, sur la diffusion en concert par « homo-parleur ». La production musicale, l’animation et l’organisation de concerts figurent également parmi les activités du G.M.E.M., où ont travaillé notamment Georges Boeuf, Michel Redolfi, Claude Colon, Jacques Diennet, Lucien Bertolina et Frank Royon-Lemée. GROUPE DE RECHERCHES MUSICALES (G. R. M. de l’I. N. A.). Installé à Paris, et actuellement intégré dans l’Institut national de l’audiovisuel (I. N. A.), ce groupe fondé par Pierre Schaeffer et animé par François Bayle est l’un des plus importants et, si l’on remonte à ses origines, le plus ancien et le principal centre de musique électroacoustique et de recherche musicale en activité aujourd’hui dans le monde. Son origine coïncide en effet avec les débuts mêmes de la « musique concrète « : depuis la cellule du « Studio d’essai » de la Radiodiffusion française où Pierre Schaeffer inventa cette musique

en 1948 jusqu’au « Groupe de musique concrète » créé et officialisé en 1951, pour aboutir, en 1958, au Groupe de recherches musicales fondé au sein de la Radiotélévision française par le même Schaeffer. En 1960, le G. R. M. devient l’une des cellules du Service de la recherche créé autour de lui sous la direction de Schaeffer, aux côtés d’autres secteurs consacrés à la recherche sur l’image, à la production télévisuelle, etc. Il comprend alors, outre son fondateur-inspirateur, les compositeurs Luc Ferrari, François-Bernard Mâche et Ivo Malec. Jusqu’en 1966, l’activité du G. R. M. est principalement centrée autour des recherches dirigées par Schaeffer sur le « Solfège expérimental « : un monumental Traité des objets musicaux, paru en 1966, en dresse le bilan. La composition n’est pas abandonnée pour cela, et, en 1963, une expérience originale de création collective, le Concert collectif, réunit les membres fondateurs du groupe et de nouveaux venus, entre autres, Edgardo Canton, Bernard Parmegiani, François Bayle. Ce dernier reçoit en 1966 la responsabilité du groupe ; il la garde en 1975 quand le G. R. M. devient l’un des départements de l’Institut national de l’audiovisuel (président, Pierre Emmanuel), créé à l’issue du démantèlement officiel de l’O. R. T. F. C’est donc comme G. R. M. de l’I. N. A. que le groupe commence une nouvelle période. Depuis 1975, il a surtout fait porter son effort sur le développement de ses moyens technologiques (en particulier, informatiques) et des publications écrites et sonores de ses travaux. Les activités du G. R. M. sont nombreuses : production musicale, manifestations, recherche, pédagogie. La production du groupe comprend plusieurs centaines d’oeuvres électroacoustiques réalisées dans ses studios depuis les origines, par ses membres ou par des compositeurs invités. On ne peut parler d’une « esthétique G. R. M. » que de manière très large : à partir de l’héritage schaefferien et de la tradition des années 50, c’est une attitude « concrète » de création musicale, se fiant à l’oreille plutôt qu’à des schémas formels a priori. À partir de là, les tendances divergent et les styles contrastent. La recherche musicale a connu deux périodes très actives : une première de 1958 à 1966, autour des thèmes du Traité des objets musicaux, sous la direction de Schaeffer ; une seconde, dans le milieu des an-

nées 70, fractionnée en ateliers distincts : analyse musicale, informatique, pédagogie, et dont les travaux ont fait l’objet de publications (Cahiers recherche/musique). L’activité de pédagogie est représentée avant tout par un enseignement officialisé en 1968 dans le cadre du Conservatoire de Paris (C. N. S. M.) avec Pierre Schaeffer et Guy Reibel comme professeurs. il s’agit d’un cours de musique électroacoustique étalé sur deux ans, auquel on peut accéder par un examen de passage. Par ailleurs le G. R. M. organise des stages, animations, etc., de courte durée. Il produit lui-même une partie de ses manifesdownloadModeText.vue.download 438 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 432 tations en concert. Il a pris récemment d’importantes initiatives de diffusion et de publication (une revue, déjà citée, et une collection de disques) et produit une quarantaine d’heures annuelle d’émissions de radio sur les chaînes culturelles nationales. Les membres du G. R. M. ne sont pas titulaires, mais contractuels. Leur équipe se renouvelle fréquemment, avec pourtant, de fait, quelques « piliers « : outre l’animateur très actif du groupe, François Bayle, citons parmi ceux-ci Ivo Malec, Bernard Parmegiani, Guy Reibel. Actuellement, l’équipe du G. R. M. comprend également, du côté des plus jeunes : les compositeurs Jacques Lejeune, Jean Schwarz, Denis Dufour ; les chercheurs - parfois également compositeurs - François Delalande, Benedict Mailliard, Pierre-Alain Jaffrenou, Jean-François Allouis, Philippe Mion, JeanChristophe Thomas, Denis Valette, et, dans diverses tâches de fonctionnement et de production, Suzanne Bordenave, Jack Vidal, Christian Zanessi (également compositeur), Évelyne Gayou, Jacques Darnis, etc. De nombreux compositeurs ont été membres du G. R. M. pendant un certain temps et ont contribué plus ou moins à ses activités : outre Mâche, Ferrari et Canton déjà cités, mentionnons encore Philippe Carson, Alain Savouret, Michel Chion, Robert Cahen, Bernard Durr. Enfin, de très nombreux musiciens ont fréquenté ses studios, pour y réaliser des oeuvres et s’initier à la musique électroacoustique. GROUPE DES CINQ.

C’est Milij Balakirev (1837-1910), disciple de Glinka (1804-1857), qui fut l’initiateur et l’âme de cette « petite bande, mais combien puissante ! » célébrée par le critique Vladimir Stassov. César Cui (1835-1918) et Modeste Moussorgski (1839-1881) furent les premiers, en 1857, à partager son idéal d’une musique spécifiquement russe fondée sur le folklore national et échappant à la tutelle des écoles italienne ou allemande. Dans la Russie de cette époque, et surtout à Saint-Pétersbourg que son fondateur avait délibérément tournée vers l’Occident, un tel propos ne manquait pas d’ambition. En 1861, les trois novateurs furent rejoints par Nicolas Rimski-Korsakov, qui avait dix-sept ans, et l’année suivante par Alexandre Borodine, leur aîné à tous, qui en avait près de trente. Le « groupe des Cinq » était constitué. Le groupe des Cinq dura tant bien que mal jusque vers 1872, après quoi la réussite de Rimski-Korsakov, l’échec persistant de Cui, l’indolence de Borodine, l’épuisement de Moussorgski et le découragement de Balakirev eurent raison de l’unité d’action du petit cénacle. GROUPE DES SIX. C’est le critique Henri Collet qui, dans deux articles de Comoedia (16 et 23 janvier 1920), désigna, par analogie avec les « Cinq » russes, les « Six » français, groupement amical de jeunes compositeurs comprenant G. Auric, L. Durey, A. Honegger, D. Milhaud, F. Poulenc et G. Tailleferre. Grâce à Auric, qui le connaissait, Satie devint vite leur parrain. Désignés sous le titre de « Nouveaux Jeunes » pour leurs premiers concerts donnés sous l’impulsion de Blaise Cendrars, d’abord dans l’atelier du peintre Lejeune, puis au théâtre du Vieux-Colombier dirigé par Jeanne Bathori (1918), ils suscitèrent vite la curiosité et retinrent l’attention. C’est alors que Collet les baptisa du nom que l’histoire a retenu. Devenu leur ami, Cocteau se fit leur théoricien, leur porte-drapeau, leur « manager » comme l’a dit Poulenc. Dans Paris-Midi (1919), puis dans le Coq (1920), il donna des articles qu’il réunit dans le Coq et l’Arlequin, véritable manifeste de cette jeune école. L’époque peut éclairer les positions esthétiques du groupe. Dans sa dédicace à G. Auric du Coq et l’Arlequin, Cocteau loue

ses amis de « s’évader d’Allemagne ». Son coq français « habite sa ferme ». Il exhorte les jeunes musiciens à se dépouiller des vieux oripeaux d’importation étrangère et à « chanter dans leur arbre généalogique ». Il n’est que d’écouter la musique simple, naïve, qui résonne dans nos bals populaires, nos cafés-concerts, qui est celle aussi de nos chansons. L’éclectique « Arlequin », avec son « costume de toutes les couleurs » tout englué d’influences étrangères, est le contraire du « coq ». Au nom de cette « morale » sont rejetés, non seulement les disciples de Wagner, mais Debussy, accusé d’être « tombé... de l’embûche allemande... dans le piège russe ». Le musicien exemplaire, c’est Satie. Après tant de drames noirs dont le XIXe siècle s’était repu, les nuages se dissipaient et s’éclaircissait le ciel musical : le temps des « concerts champêtres » et des musiques allègres était venu. Si les Mariés de la tour Eiffel (1921) furent leur unique oeuvre commune, du moins tous les « Six » collaborèrentils avec Cocteau. Chacun pourtant allait suivre sa voie. Comme l’écrivait le poète : « Auric, Milhaud, Poulenc, Taillefer, Honegger J’ai mis votre bouquet dans l’eau d’un même vase. Chacun, étoilant d’autres feux sa fusée, Qui laisse choir ailleurs son musical arceau Me sera quelque jour la gloire refusée D’être le gardien nocturne du faisceau. » (Plain-chant). En 1921 se dispersait le « groupe des Six », mais l’impulsion donnée devait porter ses fruits plus tard, et le groupe rester, par-delà les variations de la mode, le symbole de toute une époque. GROVE (sir George), musicologue anglais (Londres 1820 - Sydenham 1900). Ingénieur, archéologue, secrétaire de la Société des arts (1850), puis de la Société des concerts du Crystal Palace (1852), directeur du Royal College of Music lors de sa fondation (1883), il retrouva, lors d’un

voyage à Vienne avec Arthur Sullivan (1867), le manuscrit perdu de Rosamunde de Schubert. Il fut le premier à introduire dans les programmes de concerts des commentaires analytiques, et les textes rédigés par lui à cette intention lui donnèrent l’idée de son Dictionnaire de la musique et des musiciens, dont la première édition, en 4 volumes et un supplément, parut entre 1879 et 1889 (il rédigea pour cette édition les articles sur Beethoven, Mendelssohn et Schubert). La deuxième édition parut en 1900 (5 vol.), la troisième en 1927 (5 vol.), la quatrième en 1940 (5 vol. et 1 suppl.), la cinquième en 1954 (9 vol., éd. Eric Blom). La sixième édition (The New Grove Dictionary of Music and Musicians, Londres, 1980, éd. Stanley Sadie), en 20 volumes, comprend par rapport à la précédente 97 p. 100 de textes nouveaux. Une septième édition est prévue pour 1999. On doit également à sir George Grove Beethoven et ses neuf symphonies (Londres, 1896). GRUENBERG (Louis), compositeur américain d’origine polonaise (Brest-Litovsk 1884 - Beverly Hills, Californie, 1964). Arrivé aux États-Unis à l’âge de un an, il fit ses études au conservatoire de New York (1895-1902) et à Berlin avec Busoni (1903), puis se fixa à Vienne. Au début de sa carrière de compositeur, il tenta de concilier l’esprit du jazz avec les formes classiques, et, avec The Emperor Jones (1931) d’après O’Neill (1931), il écrivit le premier opéra américain original. On lui doit encore plusieurs autres ouvrages scéniques, dont Volpone (1945) et Anthony and Cleopatra (1940-1960), quatre symphonies, de la musique de chambre et vocale intégrant parfois un ensemble de jazz. GRUMIAUX (Arthur), violoniste belge (Villers-Perwin, près de Charleroi, 1921 Bruxelles 1986). Élève du conservatoire de Charleroi, puis du conservatoire royal de Bruxelles (1932), il succéda comme professeur de violon dans cet établissement à son maître Alfred Dubois en 1949. Titulaire de nombreux prix et distinctions, il a mené une brillante carrière internationale, et a fait notamment équipe avec Clara Haskil (piano) et, en trio à cordes, avec Georges Janzer (alto) et Eva Czako (violoncelle). downloadModeText.vue.download 439 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 433 GRUMMER (Élisabeth), soprano allemande (Diedenhofen, Alsace-Lorraine, 1911 - Berlin 1986). Elle commence sa carrière à Aix-la-Chapelle comme actrice, avant d’y faire ses débuts de cantatrice en 1941 dans Parsifal (première Fille-Fleur). Après divers engagements en Allemagne, elle se lie à l’Opéra de Berlin en 1946. Elle y triomphera dans les principaux rôles lyriques du répertoire allemand : Agathe dans Der Freischütz de Weber, la Maréchale dans le Chevalier à la rose de Richard Strauss, Donna Anna dans Don Juan et la Comtesse dans les Noces de Figaro de Mozart, ainsi qu’Élisabeth dans Tannhäuser et Elsa dans Lohengrin de Wagner. À partir de 1955, elle partage son temps entre Berlin, Hambourg et Vienne. Elle chante également aux festivals de Salzbourg (Donna Anna) et de Bayreuth (Eva). La qualité de son timbre et l’émotion qu’elle savait exprimer à travers la musique contribuaient à des interprétations d’un rare mérite. Elle a été appelée par Bernard Lefort en 1978 pour diriger l’école d’art lyrique de l’Opéra de Paris, créée par lui-même. GRUNENWALD (Jean-Jacques), organiste et compositeur français (Cran-Gevrier, près d’Annecy, 1911 - Paris 1982). Il a reçu une formation très complète, puisqu’il est à la fois architecte, issu de l’École des beaux-arts, et ancien élève du Conservatoire de Paris, où il a obtenu un premier prix d’orgue et d’improvisation dans la classe de Marcel Dupré, et les premier et second grand prix de Rome de composition musicale (1939). Grunenwald a été titulaire de l’orgue de Saint-Pierre de Montrouge (1955) avant de succéder à son maître Dupré à l’orgue de Saint-Sulpice (1971), et professeur d’orgue et d’improvisation au conservatoire de Genève. Tout en restant attaché au langage de la tradition, il s’est dégagé de l’académisme très répandu chez les organistes-compositeurs du XXe siècle, pour s’ouvrir à la polymodalité et à la polytonalité, dans un style véhément qui lui est personnel. Son oeuvre fait une large part à l’orgue

(Cinq Pièces pour l’office divin, 1954 ; Sonate, 1964) et à la musique religieuse, mais il a abordé tous les genres, en particulier le théâtre (Sardanapale, opéra d’après Byron, 1945-1951) et l’orchestre (Bethsabée, poème symphonique, 1943 ; deux concertos pour piano et orchestre). GRUPPETTO. Terme italien désignant, littéralement, un petit groupe de notes qui constituent un ornement mélodique autour de la note réelle. Autrefois, dans la musique vocale en France, on appelait le gruppetto le tour de gosier. Cet ornement peut être commencé soit par la note supérieure, ce qui est le plus usuel : soit par la note inférieure : Dans l’exécution du gruppetto, une certaine liberté rythmique le caractérise, déterminée par le tempo et la nature du morceau. Mozart le marquait généralement par le signe habituel (`), les romantiques, Wagner notamment (par exemple, prélude de Parsifal) auraient tendance à l’écrire en petites notes, précisant ainsi davantage le rythme. GUADAGNI (Gaetano), castrat contralto italien (Lodi ou Vicenze, v. 1725 - Padoue 1792). Il fit ses débuts à Parme en 1747. Haendel l’appela à Londres pour chanter Samson et le Messie. Sa voix très étendue lui permit également d’aborder des rôles de soprano, mais il bâtit l’essentiel de sa réputation sur le triomphe de la version italienne originale de l’Orfeo de Gluck qu’il créa à Vienne en 1762. En 1769, il retourna à Londres, cette fois pour chanter des rôles d’opéra. Il étonnait son public par son ampleur vocale exceptionnelle, mais on louait aussi sa présence dramatique ainsi que son talent d’acteur. Il termina sa carrière en Italie vers 1780. GUALDA (Sylvio), percussionniste français (Alger 1939). Premier Prix du Conservatoire national supérieur de musique, il exerce d’abord ses talents dans de grandes formations classiques (concerts Lamoureux, pre-

mier timbalier à l’Opéra en 1968), puis découvre les immenses possibilités que la musique contemporaine offre aux instruments à percussion. Il collabore au Domaine musical, à Musique vivante, Ars nova (depuis 1969) et Puissance quatre, dont il est membre fondateur avec J.-P. Drouet et Katia et Marielle Labèque. Xenakis lui a dédié Psappha, et il a créé les Quatorze Stations de Marius Constant. GUAMI, famille de musiciens italiens. Gioseffo, organiste et compositeur (Lucques v. 1540 - id. 1611). Il fut organiste à la cour de Munich, maître de chapelle à la cour de Gênes, second organiste à Saint-Marc de Venise et organiste à San Martino de Lucques. Il a laissé de très intéressants motets, des oeuvres d’orgue de qualité et d’originales canzoni pour instruments. L’ensemble de son oeuvre n’est nullement négligeable et se détache avec plus d’autorité que celle de son frère. Citons ses Lamentations Hieremiae à 6 (1588), ainsi qu’un livre de canzonettes à la française (1601). Francesco, compositeur (Lucques v. 1544 - id. 1602). Instrumentiste également, il occupa des fonctions de maître de chapelle dans différentes villes et cours : Bavière, Baden-Baden, Venise, Udine, Lucques. Il a composé trois livres de madrigaux à 4, 5 et 6 voix, publiés à Venise (Gardano, 1588, 1593, 1598), des ricercari à 2 voix (1598) et de la musique d’église. GUARACHA. Danse cubaine d’origine probablement espagnole, qui fut très populaire au XIXe siècle et l’est encore dans les pays de l’Amérique latine. Elle est normalement construite en deux sections qui font alterner des mesures binaires et ternaires (6/8 - 3/4). GUARNERI, famille de luthiers italiens. Andrea, le père de la dynastie (Crémone v. 1626 - id. 1698). Ses violons sont construits sur le modèle de son maître Nicolo Amati. Pietro Giovanni dit Pietro aa Mantova, fils du précédent (Crémone 1655 -

Mantoue 1720). Il a construit d’excellents violons aux voûtes assez élevées, aux ouïes larges et au beau vernis. Giuseppe, frère du précédent (Crémone 1666 - id. v. 1740). Celui-ci a laissé de remarquables violons de petit modèle, au bois bien choisi et au vernis souple. Il a également construit des altos, des violoncelles et des contrebasses. Pietro, dit Pietro da Venezia, fils de Giuseppe (Crémone 1695 - Venise 1762). Il a incorporé dans ses instruments quelques éléments caractéristiques de l’école vénitienne. Giuseppe Antonio, dit Giuseppe del Gesù, fils de Giuseppe (Crémone 1698 id. 1744). Il est le plus grand de la dynastie. Son oeuvre peut être divisée en trois périodes : jusqu’en 1730, il change souvent de modèle et son travail est parfois un peu fruste ; vers 1730, il construit des violons bien finis, au bois judicieusement choisi et à la sonorité magnifique ; enfin, aux alentours de 1740, des violons d’une coupe plus hardie quittent son atelier, violons aux tables d’harmonie plus épaisses et à la sonorité puissante. Comme les Stradivari et les Amati, les violons de Giuseppe Antonio sont aujourd’hui recherchés dans le monde entier et possèdent une valeur inestimable. GUDMUNDSEN-HOLMGREEN (Pelle), compositeur danois (Copenhague 1932). Il étudie au Conservatoire royal de musique de 1953 à 1958. De 1967 à 1974, il est professeur de composition au conserdownloadModeText.vue.download 440 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 434 vatoire du Jütland. Son oeuvre s’inscrit tout d’abord en réaction contre l’influence du style de Bartók (Quatuor à cordes no 1, 1958), puis s’affirme peu à peu avec sa Première Symphonie (1962-1965) et ses oeuvres orchestrales de 1964, Collegium Musicum Koncert et Mester Jacob, en s’orientant vers le langage sériel à la mode dans les années 60 ; ce langage va lui-même céder la place après 1965 à la « nouvelle simplicité » qui s’oppose à la

complexité du modernisme international. Ses oeuvres les plus représentatives de cette époque sont Repriser pour orchestre de chambre (1965), la suite pour orchestre Tricolore (1966-1969), Stykke for Stykke pour orchestre de chambre (1968) et Tableaux d’une exposition pour piano (1968). Il obtient en 1980 le prix nordique de composition pour sa symphonie Antifonia. Son oeuvre exprime, non sans humour, une caricature du monde moderne et le pessimisme du créateur devant son absurdité. GUEDEN (Hilde), soprano autrichienne (Vienne 1914 - Klosterneuburg 1988). Ses parents, musiciens, la poussent très tôt à étudier le chant et elle débute dès l’âge de seize ans dans des opérettes de Robert Stolz. En 1939, elle part avec sa famille pour Zurich, où elle chante Chérubin dans les Noces de Figaro. Elle est engagée à l’opéra de Munich en 1942 et chante Sophie dans le Chevalier à la rose. De 1942 à 1945, elle se produit en Italie (Rome et Florence) sous la direction de Tullio Serafin. Elle obtient un des plus grands succès de sa carrière au festival de Salzbourg en 1946 dans le rôle de Zerline de Don Juan, et elle retournera dès lors régulièrement à ce festival. Membre de l’opéra de Vienne depuis 1947, elle travaille également avec la Scala de Milan, et, à partir de 1951, avec le Metropolitan Opera de New York. Elle s’est produite sur les plus grandes scènes du monde et au cours des plus grands festivals. Son répertoire très varié comprenait aussi bien les grands opéras de Mozart (Don Juan, les Noces de Figaro) que les classiques italiens (la Bohème, Rigoletto). Fidèle à ses débuts, elle a chanté également des opérettes (la Chauve-Souris, la Veuve joyeuse). Enfin, grâce à une voix à toute épreuve et à une technique accomplie, elle put aborder les rôles les plus difficiles, tels que celui de Zerbinetta dans Ariane à Naxos de R. Strauss. Elle reste considérée comme l’un des plus grands sopranos de ce siècle. GUÉDRON (Pierre), compositeur français (région de Châteaudun v. 1570 - probablement Paris v. 1620). Il étudia la musique à la chapelle du cardinal de Guise, Louis II de Lorraine, où il était enfant de choeur et où, selon un contemporain, « il chantoit la haute-contre

fort bien ». En 1590, il entra dans la chapelle royale de Henri IV. Il devait succéder à Claude Le Jeune en 1601 comme compositeur de la Chambre du roi et devenir, deux ans plus tard, maître des enfants de la musique. Vers 1613, Louis XIII le nomma intendant des musiques de la Chambre du roi et de la reine mère (Marie de Médicis). Guédron était un très bon maître de chant qui, influencé sans doute par la visite de Giulio Caccini à la cour de France en 1604-1605, tenta de suivre les Italiens sur la voie de la monodie accompagnée, mais il resta fidèle au luth et n’utilisa pas encore la basse continue sauf exceptionnellement dans quelques airs où l’on trouve les premières traces de cette technique nouvelle. Au cours de sa carrière, il publia 6 livres d’airs de cour à 4 ou 5 voix, composés sur les strophes des poètes de son temps, tels F. de Malherbe et Boisrobert. Sa réputation dépasse les frontières et ses airs paraissent dans des recueils collectifs à l’étranger, en Angleterre par exemple, dans A Musicall Banquet de Robert Dowland. À partir de 1602, Guédron s’intéressa aux ballets de cour. Ce fut l’année de la création du Ballet sur la naissance de Monseigneur le duc de Vendosme. Sa contribution à ce genre de spectacle fut remarquable, surtout dans le développement du « ballet mélodramatique » pourvu d’une action suivie. Il en composait essentiellement les parties vocales, y introduisant des récits chantés inspirés des Italiens, mais parfaitement adaptés à la langue française, traduisant avec une justesse jusqu’alors sans précédent le sens dramatique du texte. Incontestablement doué pour le théâtre, Guédron collabora à un ballet qui fut dansé au Louvre le 29 janvier 1617. il s’agit du Ballet de la délivrance de Renaud pour lequel G. Bataille, A. Boesset et J. Mauduit composèrent également de la musique. Compositeur à la fois passionné et prudent, Guédron sut éviter les moyens parfois exagérés des Italiens, observant une déclamation naturelle sur des rythmes bien marqués. Cependant, ses récits employèrent la forme strophique de l’air de cour et la musique fut donc composée sur le texte de la première. La tâche du chanteur était de modifier ensuite la mélodie au moyen de la diminution afin de mieux exprimer les sentiments contenus dans les autres strophes.

L’art de Pierre Guédron conduit, en fait, vers la tragédie lyrique que devait créer Lully en 1673. Cette évolution fut malheureusement interrompue par son gendre et successeur, dont le tempérament plus lyrique fut attiré par le ballet « à entrées » fort apprécié sous le règne de Louis XIII. Ainsi, Antoine Boesset, d’ailleurs compositeur de grand talent, contribua à retarder d’un demi-siècle la naissance de l’opéra en France. GUÉNIN (Marie Alexandre), violoniste et compositeur français (Maubeuge 1744 Étampes 1835). Élève de Capron et de Gaviniès pour le violon et de Gossec pour la composition, il fit en 1773 ses débuts au Concert spirituel, dont il devint, en 1777, directeur adjoint. Il fut nommé, la même année, directeur de la musique du prince de Condé, et occupa les fonctions de violon principal à l’Opéra de 1783 à 1801, et de professeur à l’École royale de chant et de déclamation (devenue Conservatoire national en 1795) de 1784 à 1802. À partir de 1808, il fut attaché au service de Charles IV d’Espagne, qu’il suivit en exil à Marseille, et, de 1814 à 1816, il joua encore du violon dans la musique de Louis XVIII. On lui doit notamment des trios et des symphonies. GUÉRANGER (Dom Prosper), bénédictin français (Sablé 1805 - Solesmes 1875). Il fut ordonné prêtre et promu chanoine du diocèse du Mans en 1827. En 1833, il réunit autour de lui une communauté de moines dans l’ancien prieuré de Solesmes, où il fonde la communauté des bénédictins de la Congrégation de France confirmée par le pape en 1837. Parallèlement à la restauration de l’ordre monastique, commence sous son abbatiat une réforme du chant liturgique, avec les premières rééditions des livres, selon le rite romain, à partir de 1869. Il constitue à Solesmes une importante bibliothèque qui fait encore actuellement le renom de l’abbaye. Il a publié de nombreux articles (dans l’Univers et dans le Monde, notamment) et des ouvrages, dont les Origines de l’Église romaine (1836), les Institutions liturgiques (184041) et surtout l’Année liturgique (18411866), dont 50 000 séries ont été vendues au XIXe siècle. Ses ouvrages concernent la liturgie, l’archéologie chrétienne, l’histoire de l’Église, la doctrine catholique et les dogmes de l’Immaculée Conception et

de l’infaillibilité pontificale. GUERRERO (Francisco), compositeur espagnol (Séville 1528 - id. 1599). Élève de son frère Pedro, également compositeur, puis de F. de Castilleja et de Morales, il entre dans la maîtrise de la cathédrale de Séville et travaille en même temps le luth, la harpe et les instruments à vent. Il est maître de chapelle à la cathédrale de Jaén (1546), puis cantor à Séville (1548), où il devient directeur de la manécanterie avec le droit de succéder à la chapelle. En 1554, après la mort de Morales, il est nommé maître de chapelle à Málaga. En 1570, avec ses chantres, il accueille la princesse Anne, fiancée de Philippe II, à Santander. Il succède à Castilleja comme maître de chapelle à Séville (1574). Il fait deux voyages en Italie, notamment celui de 1581 à 1584 pendant lequel il contribue à la rédaction du second livre des Laude downloadModeText.vue.download 441 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 435 spirituali de Soto de Lanza à Rome, puis publie à Venise ses Motetta liber II et ses Canciones y villanescas espirituales (1589). De l’Italie, il continue son voyage jusqu’en Terre sainte (1588-89). Il en rapporte un compte rendu publié en 1590 qui connaît un succès tel qu’il sera réédité jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Francisco Guerrero, protégé de Charles Quint, mais surtout de Philippe II et du pape Jules III, cité par Rabelais, est l’un des compositeurs les plus célèbres de son temps. Avec Morales, il est, sans doute, le plus grand maître de la polyphonie sacrée de l’école andalouse. Ses oeuvres ont été éditées en Espagne, en Italie et en Flandre. Remarquable pour la pureté de son contrepoint, sa musique religieuse utilise le fonds traditionnel de la liturgie espagnole et, dans ses messes, des textes mozarabes. À leur beauté mélodique se joignent une ferveur et un sens dramatique très andalous. Réciproquement, une grande fraîcheur d’inspiration marque ses compositions profanes, conçues dans l’esprit du madrigal italien. GUERRERO (Francisco), compositeur espagnol (Linares 1951).

Il a fait ses études à Palma de Mallorca, Grenade et Madrid, se consacrant surtout à l’orgue et à la composition, et obtenant, en cette dernière matière, le prix Manuelde-Falla en 1970 avec Facturas pour 3 flûtes, vibraphone, célesta, deux pianos et trio à cordes. Il a également travaillé l’électroacoustique, représenté l’Espagne à la Tribune internationale des compositeurs de l’U. N. E. S. C. O. en 1973 avec Noa pour 2 trompettes et 2 trombones (1972), puis au prix Italia en 1974 avec Jondo pour 3 trompettes, 3 trombones, 4 percussions et 10 voix d’hommes (1973). Parmi ses autres oeuvres, Ecce Opus pour orchestre (1973), Xenias pacatas I pour 6 violons, 6 altos et 6 violoncelles (1973) et II pour 2 guitares (1974), Anemos A (1975) et C (1976) pour ensemble instrumental et B (1978) pour 12 voix mixtes, Acte préalable pour 4 percussions (1978), Concierto de camera pour flûte, clarinette basse et quatuor à cordes (1978), Erotica pour contralto et guitare (1979), Antar-Atman pour orchestre (1980). GUERRERO (Jacinto), compositeur espagnol (Ajofrin, près de Tolède, 1895 Madrid 1951). Il fait ses études à Madrid (Corrado del Campo) et est l’un des zarzuelistes les plus populaires de sa génération. Il a écrit plus d’une centaine de zarzuelas, dont certaines ont connu une audience énorme (La Alsaciana, 1921 ; El Huésped del Sevillano, 1926 ; El Sobre verde, ParisMadrid, El Ama y...). GUEZEC (Jean-Pierre), compositeur français (Dijon 1934 - Paris 1971). Après des études au Conservatoire de Paris avec Darius Milhaud, Jean Rivier, Olivier Messiaen, il s’est engagé franchement dans la voie de l’avant-garde postwebernienne et postboulezienne, trouvant vite un langage personnel souvent influencé par les techniques de la peinture moderne : « Mes oeuvres sont avant tout des oeuvres de contrastes et de couleurs, de contrastes de matériaux sonores... Je m’oppose radicalement à une certaine esthétique du flou... (J’ai) essayé de transposer dans le domaine des sons certains aspects de la technique... de structuration de l’espace de Mondrian. » Il a écrit presque uniquement pour ensembles instrumentaux, et on lui doit, entre autres, Suite pour

Mondrian pour orchestre (1962), Architectures colorées pour 15 solistes (1964), Ensemble multicolore 65 pour 18 instruments (1965), Formes pour orchestre (1966), Textures enchaînées pour 12 vents, harpe et 3 percussions (1967), Assemblables pour 18 instruments (1967), un Trio à cordes (1968), Successif simultané pour 12 cordes (1968), Reliefs polychromés pour 12 voix solistes (1968), et Forme-couleurs pour 2 harpes et ensemble de chambre (1969). Il a reçu, en 1968, le grand prix de la promotion symphonique de la S. A. C. E. M. et été titulaire, de 1969 à sa mort, d’une classe d’analyse au Conservatoire de Paris. GUGLIELMI, famille de musiciens italiens. Pietro, dit Pier Alessandro, compositeur (Massa Carrara 1728 - Rome 1804). Il fut l’un des représentants les plus marquants de l’opéra italien dans cette période comprise entre Scarlatti et Pergolèse, d’une part, Cimarosa et Paisiello de l’autre. Moins attiré par l’étranger - à part un bref séjour à Londres et en Allemagne de 1767 à 1772 - que ses rivaux Anfossi, Sacchini, Piccinni, Jommelli ou Traetta, il fut, sans doute pour cette raison, parfois mieux apprécié par ses compatriotes qui goûtaient sa spontanéité mélodique, fruit d’une facilité peut-être excessive à laquelle il se fiait souvent en raison d’une vie assez dissolue. Auteur d’une centaine d’opéras sérieux ou comiques, de musique instrumentale et de plus de vingt oeuvres sacrées, il se distingua pour son « brio napolitain » et l’élégance avec laquelle il savait allier le sentimental au comique, influençant en cela notablement Piccinni, Paisiello ou Rossini. De 1793 à sa mort, il fut maître de chapelle à Saint-Pierre de Rome. Pietro Carlo, fils du précédent (Naples ou Rome v. 1765 - Naples 1817). Auteur d’une cinquantaine d’opéras, comiques pour la plupart, il appartint au groupe des « précurseurs » de Rossini, et connut de grands succès en Espagne, au Portugal, à Londres et à Paris, où il donna I Due Gemelli en 1807. Il eut la sagesse de s’effacer devant Rossini, mais donna encore en 1817 Paul et Virginie, qui comportait des scènes parlées, et fut joué dans toute l’Europe. On lui doit encore notamment Due nozze e un sol marito, La Scelta dello sposo, etc. GUI (Vittorio), chef d’orchestre italien

(Rome 1885 - Florence 1975). Il fit ses débuts en 1907 dans La Gioconda de Ponchielli, dirigea pour la première fois à la Scala en 1923 sur l’invitation de Toscanini, et fonda en 1928 à Florence l’orchestre Stabile, autour duquel se créa en 1933 le Mai musical florentin (il fut le directeur artistique de cette manifestation jusqu’en 1936). Il joua un rôle de premier plan, à partir de 1949, aux festivals de Glyndebourne et d’Édimbourg, attachant en particulier son nom à la renaissance de Rossini. Comme compositeur, il fut spécialement influencé par la musique française du début du XXe siècle. GUIDO D’AREZZO (ou GUY D’AREZZO), moine bénédictin et théoricien italien ( ? peu avant 1000 - ? v. 1050). Il fit ses études en devenant moine à l’abbaye de Pomposa (Ferrare). Il provoqua une véritable révolution dans la tradition musicale (jusqu’alors basée sur le principe de l’imitation du maître) en inventant une nouvelle méthode de notation par laquelle il précise les intervalles à chanter, se servant de six syllabes extraites d’un hymne à saint Jean-Baptiste : ut queant laxis resonare fibris mira gestorum famuli tuorum solve pollutis labii reactum, ces syllabes formant ainsi l’hexacorde. Les remous qu’il suscite l’obligent à quitter Pomposa. Il se rend probablement en France, à l’abbaye de Saint-Maur-des-Fossés où il serait entré en contact avec des théoriciens aussi avancés que lui. Ensuite, il retourne en Italie et s’installe à Arezzo (l’origine de son nom, Guido d’Arezzo), où il rencontre l’évêque de cette ville, Théobald, qui le nomme professeur à l’école de la cathédrale pour le chant et la théorie musicale. Sa réputation s’étend jusqu’à Rome, où il fut reçu par le pape Jean XIX. L’essentiel de ses idées et de son enseignement est contenu dans les ouvrages suivants : Prologus in antiphonarium-Micrologus de musica ; Regulae rhythmicae ; Epistola ad Michaelem. L’importance de ces ouvrages ne saurait être sous-estimée, car leur influence s’étendit sur tout le Moyen Âge. Néanmoins, il est difficile de déterminer exactement ce qui est purement des inventions de son esprit et ce qu’il a déduit ou développé à partir des travaux des autres, par exemple, la portée que Guido aurait plutôt perfectionnée, ou

encore la célèbre « main guidonienne ». downloadModeText.vue.download 442 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 436 GUIDON. Signe de notation employé en plain-chant, consistant à esquisser, à la fin d’une ligne de portée, la première note de la ligne suivante, de manière à « guider » le lecteur pour lui rendre l’enchaînement plus facile. GUIGNON (Jean-Pierre ou GIOVANNI PIETRO GHIGNONE), violoniste et compositeur français, d’origine italienne (Turin 1702 Versailles 1774). Élève de Giovanni Battista Somis, il débuta au Concert spirituel en 1725. Naturalisé en 1741, il devint la même année « Roy et maître des ménétriers et joueurs d’instruments », charge tombée en désuétude depuis 1685 et qui lui conférait un droit d’inspection dans toutes les corporations de musique et de danse du royaume. Il devait l’occuper jusqu’en 1750, non sans avoir été professeur de Madame Adélaïde (1746) et du dauphin. Diffuseur de la musique italienne en France, brillant représentant de l’école française de violon, il publia divers recueils de sonates. Des concertos sont restés manuscrits. Une Grande Simphonie à cors de chasse aurait été exécutée au Concert spirituel en 1748. GUILELS (Emil), pianiste soviétique (Odessa 1916 - Moscou 1985). Il fit ses études avec Reingbald au conservatoire d’Odessa, puis avec H. Neuhaus au conservatoire de Moscou, où il fut lui-même nommé professeur en 1951. En 1936, il remporta le second prix au concours de Vienne, et en 1938 le premier prix au concours Ysaye de Bruxelles. En 1954, il reçut le titre d’artiste du peuple de l’U. R. S. S. Il se produit en Europe depuis 1945 et aux États-Unis depuis 1955. Son répertoire, très éclectique, va de Bach et Scarlatti jusqu’aux auteurs du XXe siècle, avec, cependant, certaines préférences : Mozart, Beethoven, Brahms, Prokofiev. Guilels fut le premier interprète de la Huitième Sonate de Prokofiev en 1944. GUILLAUME D’AMIENS, trouvère fran-

çais (fin XIIIe s., né à Amiens). Il est surtout connu pour avoir écrit un poème contre l’Amour intitulé Vers d’Amour. Il est également l’auteur de trois chansons et d’une dizaine de rondeaux pourvus de musique, conçus dans le style de ceux d’Adam de la Halle. GUILLAUME D’AQUITAINE (ou Guillaume IX, comte de Poitiers), troubadour ( ? 1071 - ? 1127). Il semble avoir été le premier troubadour. Il a décrit et chanté les batailles contre les Sarrasins, les prisons qu’il a connues et les grands voyages à Antioche et à Jérusalem. On n’a retrouvé qu’une dizaine de pièces qui lui sont attribuées, ainsi qu’un fragment de mélodie dans le Jeu de sainte Agnès. Son langage était cru et violent, tout comme sa vie pendant laquelle il fut excommunié plusieurs fois. GUILLEMAIN (Louis Gabriel), violoniste et compositeur français (Paris 1705 Chaville 1770). Élève des frères Somis à Turin, il rentra en France en 1729, devint « musicien ordinaire de la chapelle et de la Chambre du roi » en 1737, et entra au service de la reine en 1759. Il fut, comme violoniste, un des solistes les plus applaudis de la capitale, mais sa situation matérielle de plus en plus précaire le poussa au suicide sur la route de Paris à Versailles. Ses Six Symphonies dans le goût italien en trio op. 6 (1740) et ses Six Concertinos à quatre op. 7 (1740) font de lui un précurseur dans la diffusion, en France, du style instrumental italien, et, avec ses Six Sonates en quatuors ou conversations galantes et amusantes entre une flûte traversière, un violon, une basse de viole et la basse continue op. 12 (1743), le terme « quatuor » - avec comme implications un seul instrument soliste par voix et la renonciation au clavecin pour la basse - apparut pour la première fois chez un compositeur français. Une influence sur cet opus 12 des Nouveaux Quatuors en six suites de Telemann (Paris, 1738) n’est pas à exclure, du moins sur le plan de la facture instrumentale. Guillemain fut en son temps, avec Jean-Marie Leclair, le plus grand représentant de l’école française de violon. GUILLOU (Jean), organiste et composi-

teur français (Angers 1930). Organiste titulaire à Saint-Serge d’Angers dès son adolescence, il vint parfaire ses études musicales au Conservatoire de Paris, dans les classes d’orgue et improvisation, d’harmonie, de contrepoint, de fugue et de composition. Il y eut notamment pour maîtres Marcel Dupré, Maurice Duruflé et Olivier Messiaen. Il est alors nommé professeur d’orgue et de composition à l’Instituto de alta cultura de Lisbonne (1955), tout en poursuivant une carrière internationale de concertiste. Il se fixe ensuite à Berlin (1960), pour se consacrer à la composition, avant de revenir en 1963 s’établir à Paris où il est cotitulaire, avec André Fleury, de l’orgue de SaintEustache. Virtuose prodigieux, interprète original, il est passé maître dans l’art de l’improvisation, par la rapidité avec laquelle il conçoit les constructions ou les développements, et la technique qu’il apporte à les exécuter instantanément. Cette maîtrise et sa curiosité pour les musiques de son temps se reflètent dans ses compositions pour orgue : Sinfonietta (1962), Fantaisie (1963), Toccata (1970). Il a également écrit de la musique instrumentale et de chambre, et des oeuvres pour grande formation : le Jugement dernier, oratorio (1965), Judith symphonie, pour mezzosoprano et grand orchestre (1971). Ses connaissances en facture d’orgues l’ont amené à dresser les plans de la reconstruction de l’orgue de Saint-Eustache, et à rédiger un livre sur l’esthétique de la facture d’orgue, l’Orgue, souvenir et avenir (1978). GUILMANT (Alexandre), organiste et compositeur français (Boulogne-sur-Mer 1837 - Meudon 1911). D’une famille de facteurs d’orgues, il fut l’élève, d’abord, de son père, puis de Lemmens, à Bruxelles. il s’établit dans sa ville natale, comme organiste et professeur. En 1871, il est nommé titulaire à l’église de la Trinité, à Paris. De cette époque date le début de sa renommée internationale et de sa carrière de concertiste virtuose. Il se produit en Europe et en Amérique, et dans des cycles d’auditions au Trocadéro qui connaissent un succès retentissant. En 1894, il fonde la Schola cantorum, en compagnie de Charles Bordes et de Vincent d’Indy, et il succède à Widor à la classe d’orgue du Conservatoire en 1896. Érudit, il a été le premier à publier,

avec André Pirro, une vaste anthologie des organistes classiques français, sous le titre d’Archives des maîtres de l’orgue (10 vol., 1898-1914), puis des maîtres étrangers, École classique de l’orgue (25 vol., 1898-1903). Malgré toutes ces activités, Guilmant consacra beaucoup de temps à la composition, essentiellement pour son instrument, laissant une oeuvre immense. Ses huit sonates (1874-1909), comme les Symphonies de Widor, introduisent à l’orgue un langage et un schéma formel nouveaux, empruntés à la musique instrumentale allemande. Auprès des sonates, 18 collections de Pièces dans différents styles (1860-1875) et divers morceaux forment le répertoire du concertiste, tandis que l’organiste liturgique écrit pour le culte des recueils de noëls, Soixante Interludes dans la tonalité grégorienne, l’Organiste pratique (12 cahiers, 1871-1880), l’Organiste liturgique (10 cahiers, apr. 1884). En outre, Guilmant a composé de la musique de chambre, de la musique vocale religieuse, une symphonie cantate, Ariane, et une scène lyrique, Bethsabée. GUIMBARDE. Instrument de musique populaire répandu dans le monde entier sous les formes les plus variées. Il consiste essentiellement en une lame métallique ou autre que l’on serre entre les dents et que l’on fait sonner de la main, la cavité buccale faisant office de caisse de résonance. La hauteur du son produit peut être modifiée sur une courte étendue. downloadModeText.vue.download 443 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 437 GUIRAUD, famille de compositeurs français. Jean-Baptiste (Bordeaux 1803 - La Nouvelle-Orléans v. 1864). Premier prix de Rome en 1827, il émigra dans les années 1830 à La Nouvelle-Orléans, où il mena avec succès une carrière d’enseignant. Ernest, fils du précédent (La Nouvelle-Orléans 1837 - Paris 1892). Élève de son père à La Nouvelle-Orléans (où son opéra le Roi David fut représenté dès 1852), puis du Conservatoire de Paris, il obtint le pre-

mier prix de Rome en 1859. L’un de ses envois, Sylvie, fut représenté à l’OpéraComique en 1864. Nommé professeur d’harmonie (1876), puis de composition (1880) au Conservatoire de Paris, il y eut comme élèves Paul Dukas, Gabriel Pierné, Erik Satie et Claude Debussy, et se montra pédagogue compréhensif et maître perspicace. Il succéda à Léo Delibes à l’Institut en 1891, et rédigea un important Traité pratique d’instrumentation, édité juste avant sa mort et révisé par Henri Busser en 1935. Parmi ses oeuvres pour la scène, retenons l’opéra-comique Madame Turlupin (Paris, 1872), et le drame lyrique Frédégonde, terminé par Saint-Saëns (Paris, 1895). C’est lui qui acheva l’orchestration des Contes d’Hoffmann d’Offenbach, et qui écrivit, pour permettre à ces ouvrages d’être représentés à l’étranger, les récitatifs de Carmen de Bizet et de Lakmé de Léo Delibes. GUIRAUD RIQUIER, troubadour (Narbonne v. 1230 - ? v. 1292). D’origine modeste, il se trouve d’abord dans l’entourage d’Amauri IV de Narbonne avant de vivre une dizaine d’années à la cour d’Alphonse le Sage de Castille. Il compte parmi les tout derniers troubadours. En 1280, il revient en Languedoc, s’intéressant particulièrement à la poésie religieuse. Il a écrit une oeuvre considérable, à commencer par le « planh » sur la mort d’Amauri de Narbonne. Environ quatre-vingt-dix pièces nous sont parvenues, dont quarante-huit notées (chansons, pastourelles - genre où il excelle -, prières, sirventès, albas, etc.). C’est avec lui que la poésie provençale s’éteint. GUIRAUT DE BORNEILH (ou GIRAUT), troubadour (Excideuil, Dordogne, v. 1138 - ? v. 1215). Il est d’origine modeste, mais ses contemporains l’ont appelé le « maître des troubadours ». Il part pour la troisième croisade avec Philippe Auguste, Frédéric Barberousse et Richard Coeur de Lion et séjourne en Autriche. Sur un total de cent vingt-cinq pièces, quatre-vingts sont certainement de lui (chansons, pastourelles, romances, aubes). Quatre seulement sont notées, dont la plus célèbre est la chanson d’aube (ou « alba ») Reis glorios. Dante appréciait beaucoup la souplesse de son lyrisme.

GUITARE. Instrument à cordes pincées et à manche dont les origines sont imprécises et fort anciennes. Selon certaines hypothèses, le véritable ancêtre de la guitare serait le luth chaldéo-assyrien qui, passant par l’Arabie et la Perse, se serait finalement fixé en Espagne, à la faveur de l’occupation maure. Selon d’autres, la guitare dériverait de la cithare romaine, d’origine assyrienne et grecque, et aurait fait son apparition en Espagne avant l’invasion arabe. Étymologiquement, le mot vient de kithara (égyptien) ou ketharah (assyrien) et se retrouve dans de nombreuses langues méditerranéennes (arabe : kuitra ; chaldéen : chetharah ; grec : cithara ou citharis ; romain : cithara, etc.) et désigne pendant longtemps divers instruments à cordes pincées, depuis les formes achaïques de harpes ou de lyres aux divers types de luths. Les miniatures du Moyen Âge désignent sous les appellations de rotte, cithern, zither, cithrinchen, guiterne, suivant les pays, divers types d’instruments, s’apparentant déjà au luth par leur caisse bombée et ovale, tandis que les formes de la guitare telle que nous la connaissons commencent à s’ébaucher. Le plus ancien document qui témoigne de l’existence de la guitare proprement dite est un manuscrit du XIIIe siècle, les Cantigas de santa Maria, attribué au roi de Castille Alphonse X le Sage, et dont une miniature représente deux types d’instruments, appelés depuis « guitare mauresque » et « guitare latine », la première à caisse ovale, la seconde à caisse plate, aux bords incurvés et munie de quatre cordes en boyau. Les deux instruments coexistent jusqu’au XVIe siècle qui voit disparaître la « guitare mauresque » au profit du luth, tandis que la guitare, débarrassée de son qualificatif « latine », continue son évolution. Elle est souvent appelée « vihuela » dans l’Espagne de ce temps (du latin fidicula, qui donnera fidula, puis vitula), terme qui désignait en fait toute une famille d’instruments à plectre (vihuela de peñola), à archet (vihuela de arco) ou à main (vihuela de mano). Celle-ci est ordinairement munie de six cordes doubles (choeurs) accordées ainsi : sol, do, fa, la, ré, sol. La guitare était, en fait, une petite vihuela pourvue seulement de quatre rangs de cordes : do, fa, la, ré, ou sol, do, mi, la, ou encore fa, do, mi, la. La vihuela eut

évidemment la préférence des premiers grands polyphonistes espagnols (L. De Narvaez, L. Milan, Mudarra, Fuenllana, Valderrabaño, Pisador, etc.) qui, en lui donnant un répertoire d’une exceptionnelle qualité, en firent un instrument polyphonique complet. C’est l’adjonction d’une cinquième corde (simple) qui permettra à la guitare d’égaliser la vihuela ; l’accord le plus courant devient alors : la, ré, sol, si, mi. Le XVIIe siècle voit paraître le premier ouvrage important sur la guitare : Nuova inventione d’involatura per sonare li balleti sopra la chitarra espagnola de l’Italien G. Montesardo (Bologne, 1606). Il est bientôt suivi par les Espagnols Luis de Briceño (1626), Ruiz de Ribayaz, Francisco Guerau, et, surtout, Gaspar Sanz (1640-1710) avec son Instrucción de música sobre la guitarra española (Saragosse, 1674), puis en France Francisque Corbett (v. 1615-1681), d’origine italienne, musicien de la Chambre du roi, La Salle, premier maître de guitare de Louis XIV (qui semble avoir assidûment pratiqué l’instrument), De Visée (v. 1660-v. 1720) qui lui succédera, enfin François Campion (16861748), théorbiste et guitariste de l’Académie royale de musique, dernier représentant de l’époque baroque et dont la mort marquera le déclin de l’instrument. Il faut attendre la fin du XVIIIe siècle et l’abandon des cordes doubles pour que celui-ci redevienne à la mode. Une sixième corde lui est alors ajoutée et l’accord devient celui que nous connaissons aujourd’hui : mi, la, ré, sol, si, mi. Au XIXe siècle, la guitare moderne est définitivement constituée : caisse en palissandre, mécanisme des chevilles, frettes en métal, etc. De nombreux virtuoses lui donnent un répertoire, tels Carulli (1770-1841), Carcassi (1792-1853), Giuliani (1781-1829), Napoléon Coste (1806-1883), Paganini, qui s’y délassait du violon, et surtout l’école espagnole, représentée principalement par D. Aguado (1784-1849), Fernando Sor (1778-1839) et son élève Julian Arcas (1833-1882). Dans le même temps, l’art flamenco connaît un essor considérable avec des guitaristes tels que Patiño, Murciano, Habichuela, Paco el Barbero, dont le souvenir se perpétue aujourd’hui par l’intermédiaire du légendaire Montoya et de ses disciples, Perico del Lunar, Niño Ricardo, etc. Les tocaores utilisent une guitare en cyprès et sapin, dont les cordes sont montées plus près du manche. Le véritable précurseur de la technique classique actuelle est Francisco Tar-

rega (1854-1909), qui fera les premières transcriptions de Bach, Haendel, Albéniz, et perfectionnera son jeu en conséquence. Son enseignement se perpétue encore de nos jours par l’intermédiaire de ses élèves, M. Llobet (1875-1938) et surtout Emilio Pujol, infatigable musicologue, pédagogue et compositeur. Grâce à ce dernier et à Andrès Segovia (1893-1987), des compositeurs non guitaristes écriront pour l’instrument : de Falla, Turina, Roussel, Villa-Lobos, M. Ponce, parmi les plus célèbres. Leurs disciples, John Williams, O. Ghiglia, Julian Bream, A. Ponce, Alirio Diaz, etc., sont, avec A. Lagoya et Narciso Yepes, les principaux représentants de la guitare actuelle et parviennent à un downloadModeText.vue.download 444 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 438 degré de virtuosité sans précédent qui incite les compositeurs les plus avancés à leur confier une part importante de leur oeuvre, soit parmi d’autres instrumentistes (Henze, Boulez, Kagel, Bussotti), soit en soliste (Ohana, Ballif, Britten, Jolivet, Halffner, Migot, etc.). D’autre part, N. Yepes tente depuis plusieurs années d’augmenter les possibilités de la guitare en jouant sur un instrument à dix cordes (sol bémol, la bémol, si bémol, do, mi, la, ré, sol, si, mi). Parallèlement à cette évolution, les guitaristes de jazz, venus du blues, jouent à l’aide d’un plectre, sur des cordes de métal, et le premier grand virtuose du genre fut le gitan Django Reinhardt (19101954), dont le style, à mi-chemin de l’art flamenco et du jazz, devait démontrer d’étonnantes qualités mélodiques et rythmiques. Celles-ci se trouvèrent renforcées par l’amplification électrique, dont un des premiers adeptes fut le génial improvisateur américain Charlie Christian (v. 19161942). Vinrent ensuite de grands artistes comme Wes Montgomery, Barney Kessel, Charlie Byrd, et la vogue du rock n’roll, de la « pop music », dont Jimmy Hendrix devait révolutionner le jeu en utilisant, le premier, toutes les ressources dynamiques de l’amplification, puis du folk singing américain qui réintroduit le système des doubles cordes avec la guitare « folk ». Si la guitare classique semble, en gardant ses limites, être parvenue à une relative perfection de facture (grâce à de grands luthiers comme Torres [1817-1892] et Manuel Ra-

mirez [1869-1920]), la guitare électrique fait chaque jour l’objet d’améliorations avec l’emploi de l’électronique, chambre d’échos, pédales « wa-wa », réverbération, synthétiseur, etc., qui devraient lui assurer d’importants développements. GUITERNE ou GUINTERNE. On désignait sous ce nom, au Moyen Âge et jusqu’à l’époque de la Renaissance, la plupart des instruments à cordes pincées du type de la guitare. Cependant, la guiterne proprement dite était un instrument plus petit, pouvant prendre soit la forme à fond plat de la guitare, soit celle, piriforme, du luth. Selon le théoricien J. Tinctoris au XVe siècle, la guiterne serait d’origine catalane. GULBENKIAN (fondation), organisation portugaise de bienfaisance, créée en 1956, et dont le siège est à Lisbonne. Elle porte le nom d’un puissant homme d’affaires arménien, Calouste Sarkis Gulbenkian (Istanbul 1869-Lisbonne 1955), qui, grand amateur d’art, a, à sa mort, dédié son immense fortune, entre autres, au soutien des arts. Les réalisations de la fondation, dans le domaine musical, sont impressionnantes. Elle a, tout d’abord, créé les infrastructures nécessaires à une meilleure connaissance de la musique : un orchestre de chambre (1962), un choeur, un groupe de ballet (1965) et un auditorium (1969). En finançant le dépouillement des fonds musicaux des principales bibliothèques du pays, elle a permis la mise au jour de chefs-d’oeuvre de la musique ancienne portugaise, et leur popularisation par l’édition et par le disque. Elle encourage également la musique contemporaine en passant de nombreuses commandes aux grands compositeurs de notre époque, et en y familiarisant le public. C’est dans ce but que fut inaugurée, en 1957, une série de 14 festivals. Enfin, en consacrant une partie de ses fonds à la création et à la gestion de conservatoires et à la formation de musiciens professionnels, elle assure l’avenir de la musique au Portugal. GULDA (Friedrich), pianiste et compositeur autrichien (Vienne 1930). Élève de Bruno Seidlhofer (piano) et de Josef Marx (composition), premier Prix

au concours international de Genève en 1946, il a fait une brillante carrière non seulement comme interprète du répertoire classique (en particulier Beethoven), mais comme pianiste de jazz, fondant au début des années 60 l’orchestre Eurojazz. Comme compositeur, il a écrit notamment 7 Galgenlieder (1954, rév. 1965), Musique pour piano et bande nos 1 et 2 (1963, 1964) et The Excursion pour orchestre de jazz (1965), et a tenté, dans les Neue Wiener Walzer et les Neue Wiener Lieder, d’unir la valse viennoise et le blues. GÜRLITT (Manfred), compositeur et chef d’orchestre allemand (Berlin 1890 Tokyo 1972). Élève de Humperdinck pour la composition, il occupa divers postes à Berlin, Bayreuth, Essen et Augsbourg, dirigea l’Opéra de Brême (1914), et devint, en 1924, directeur de la musique et chef invité à l’Opéra d’État de Berlin, ainsi que professeur à l’École supérieure de musique de cette ville. En 1939, il s’installa au Japon. On lui doit plusieurs opéras dont Die Heilige d’après Gerhard Hauptmann (1920), Wozzeck d’après Büchner (1926), Soldaten d’après Lenz (1930), Nana d’après Zola (1933, création en 1958) et Nordische Ballade d’après S. Lagerlöf (1944), de la musique de chambre, la Goya-Symphonie (1938), et Trois Discours politiques de la Révolution française pour baryton, choeur d’hommes et orchestre (1944). GÜRLITT (Willibald), musicologue allemand (Dresde 1889 - Fribourg-en-Brisgau 1963). Après avoir suivi l’enseignement de Philipp Wolfrum à l’université de Heidelberg et celui de Hugo Riemann au conservatoire de Leipzig, il devint l’assistant de ce dernier. En 1914, il soutint sa thèse : Michel Praetorius, sein Leben und seine Werke (1915, rééd. 1968) ; ayant acquis le titre de docteur, il fit une carrière d’enseignant, notamment à l’université de Fribourg, où il créa l’Institut de musicologie. Suspendu de ses fonctions par le régime nazi en 1937, il retrouva son poste en 1945. Ses recherches sur la musique d’orgue de Praetorius lui firent entreprendre la reconstitution de l’orgue de ce dernier à Fribourg en se référant au Syntagma musicum de l’Organographia (t. II, 1619) qu’il édita en fac-similé en 1929. Achevé en 1921, ce

travail fut effectué avec la collaboration du facteur Oscar Walcker ; détruit en 1944 l’« orgue de Praetorius » a été reconstruit en 1955. Gürlitt a publié de nombreuses études dans des revues périodiques et des ouvrages collectifs. Il dirigea la revue Archiv für Musik Wissenschaft, à partir de 1952, et participa à la réédition du dictionnaire de Riemann (les deux premiers volumes, 1959-1961). Il a édité des oeuvres de G. Binchois, D. Buxtehude, M. Praetorius, D. Pohle, J. Walter ; il a également écrit J.-S. Bach, der Meister und sein Werk (Berlin, 1936 ; 4e éd., Kassel, 1959). GURNEY (Ivor), compositeur et poète anglais (Gloucester 1890 - Dartford 1937). Choriste à la cathédrale de Gloucester, il commence ses études musicales dans cette ville (théorie, orgue), puis occupe divers postes d’organiste. Ayant obtenu une bourse pour le Royal College of Music, il se rend à Londres et travaille avec C. V. Stanford et Vaughan Williams. Grièvement blessé au cours de la Première Guerre mondiale, il ne retrouvera plus jamais une bonne santé. Il sombre dans la dépression, perd la raison, et meurt, près de Londres, à l’âge de 47 ans. À partir de 1917, Gurney commence à publier ses recueils de poésie et des oeuvres musicales. Il se fait surtout connaître comme compositeur de mélodies. Son oeuvre la plus célèbre est sans doute le cycle The Western Playland pour baryton, quatuor à cordes et piano (1919). Il a également composé des Préludes pour piano (1919-20), ainsi que quelques oeuvres instrumentales ou pour orchestre. L’évolution de la musique contemporaine ne le touche guère, mais ses mélodies, contemporaines de celles d’un Peter Warlock, se caractérisent par l’originalité du langage harmonique et le degré de perfection qu’il apporte à l’union de la poésie et de la musique. GUSCHLBAUER (Theodor), chef d’orchestre autrichien (Vienne 1939). Il suit des cours de piano et de violoncelle avant de faire son apprentissage de chef d’orchestre auprès de Hans Swaroowsky. Il étudie ensuite avec Karajan. Ses predownloadModeText.vue.download 445 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 439 miers engagements le placent à la Wiener Volksoper et au Landestheater de Salzbourg. En 1969, il devient directeur de la musique à l’Opéra de Lyon, et en 1975 directeur général de la musique à Linz. En 1983, il prend la direction musicale et artistique de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg. Il a été également chef invité des Opéras de Vienne et de Hambourg. En 1988, la Fondation Goethe de Bâle lui a décerné le prix Mozart. GUT (Serge), musicologue et compositeur français d’origine suisse (Bâle 1927). Élève de Simone Plé-Caussade et de Messiaen, il a obtenu un doctorat d’université sur la musique médiévale en 1967 et un doctorat d’État sur Liszt en 1972 ; de 1983 à 1990, il a dirigé l’UER de musicologie à Paris-IV. Président depuis 1976 de la commission scientifique du Centre européen Liszt d’Eisenstadt, il a publié notamment la Musique de chambre en France de 1870 à 1918 (1978, avec Danièle Pistone), le Groupe Jeune France (1977), Franz Liszt (1989) et Correspondance Liszt-d’Agoult (1993). GUTMAN (Natalia), violoncelliste russe (Moscou 1942). Issue d’une famille de musiciens, elle étudie le violoncelle à l’école de musique Gnessiny de Moscou dans la classe de R. Saposhnikov. Après avoir obtenu la médaille d’argent au Concours Tchaïkovski en 1962, elle entre au Conservatoire de Moscou et travaille avec Mstislav Rostropovitch. Elle remporte plusieurs premiers prix dans des concours internationaux (Concours du festival étudiant de Vienne, Concours de musique de chambre de Munich, Concours Dvorak de Prague). Dès lors, elle effectue de nombreuses tournées à travers l’Europe, les États-Unis et le Japon. Dans le répertoire de musique de chambre, elle se produit avec Elisso Virsaladzé, Youri Bashmet et, depuis 1982, Sviatoslav Richter. Elle porte un grand intérêt à la musique contemporaine et joue en concert des oeuvres de Goubaïdoulina, Vieru, Denisov et Schnittke, qui a écrit pour elle un concerto. GUYONNET (Jacques), compositeur, chef d’orchestre et pédagogue suisse

(Genève 1933). Il a étudié la composition et la direction d’orchestre au conservatoire de Genève, travaillé avec Pierre Boulez (1959-1964) et suivi les cours de Darmstadt (1958-1960). Il a fondé à Genève un studio de musique électronique ainsi que l’association de concerts Studio de musique contemporaine (1959), et il a donné dans le monde entier de très nombreux concerts. Il enseigne, depuis 1967, la composition au conservatoire de Genève. Il a créé un séminaire de composition au sein du Studio de musique contemporaine (1974) et s’est vu confier une chaire de composition à l’École supérieure de musique de Zurich (1975). Il a compté parmi ses élèves Hugues Dufourt. Il a été président de la Société internationale de musique contemporaine (S. I. M. C.) de 1976 à 1978, puis de 1979 à 1981. Parti des courants postweberniens, il s’est ensuite particulièrement intéressé aux problèmes de forme. On lui doit notamment : Polyphonies I, II et III pour diverses combinaisons instrumentales (1959-1962) ; Monades I pour ensemble instrumental (1958), II (1960) et III (1961) pour orchestre ; En trois éclats ! ! pour piano et orchestre de chambre (1964) ; The Approach to the Hidden Man I pour ensemble instrumental et II pour mezzo-soprano, orchestre de chambre et sons électroniques ad libitum, d’après H. Michaux (1967) ; Chronicles, pièce de chaos pour piano (1969-1970) ; le Chant remémoré pour quatuor vocal et orchestre (1972) ; les Enfants du désert pour orchestre à cordes (1974) ; Lucifer Photophore I, bande vidéo couleurs (1974) ; Lucifer Photophore II, 5 pièces pour orchestre de chambre, commande de Paul Sacher (1975) ; Zornagore pour orchestre et récitant, textes de Michel Butor (1976) ; Immémoriales pour piano et sons électroniques (1976) ; les Profondeurs de la Terre pour orchestre (1977) ; les Dernières Demeures pour orchestre (1979) ; Schönberg et son double, imaginaire musical pour un acteur et l’opus 9 de Schönberg (1980-81) ; Electric Sorcerers, esquisses pour un rock opéra (1980-81). GYMEL. Genre ancien de polyphonie propre à la Grande-Bretagne (XIe-XIIe s.), analogue à l’organum parallèle pratiqué sur le continent, mais qui en diffère par l’usage fré-

quent et parfois exclusif de la tierce, alors que l’organum était fondé sur l’octave, la quinte et la quarte. Si les rares gymels conservés utilisent effectivement les suites de tierces au milieu des phrases, la plupart prennent quand même leurs intonations et leurs repos cadenciels sur la consonance de quinte à vide de la même manière que l’organum continental. En s’adjoignant une troisième voix, le gymel a donné naissance au faux-bourdon. GYROWETZ (Adalbert ou VOJCECH JIROVEC), compositeur tchèque (Budweis [Budejovice], 1763 - Vienne, 1850). Il arriva vers 1785 à Vienne, où il fit la connaissance de Mozart et de Haydn, puis séjourna en Italie, à Paris (il y fut le témoin des événements d’octobre 1789 et y eut la surprise de voir une de ses symphonies imprimées sous le nom de Haydn) et à Londres (il y participa en 1791-92 aux mêmes concerts que Haydn). Il fut, de 1804 à 1831, compositeur et maître de chapelle du théâtre de la cour de Vienne, ville où, ayant survécu à son époque, il mourut dans la misère après avoir donné son dernier concert en 1844 et publié en 1848 une intéressante autobiographie (rééd. Leipzig, 1915). Ses premières oeuvres sont surtout instrumentales (symphonies, quatuors), les dernières en grande majorité pour la scène : ballets, choeurs, opéras : Agnès Sorel (1806), Der Augenarzt (« l’Oculiste », 1811), Robert oder die Prüfung (« Robert ou la Mise à l’épreuve », 1815). L’Abschiedslied (« Chant d’adieu »), qu’on crut longtemps avoir été composé par Haydn lors de son premier départ pour Londres en 1790, est en réalité de lui. downloadModeText.vue.download 446 sur 1085

H. Dans les pays de langue allemande, cette lettre désigne la note si naturel, le B étant réservé au si bémol. Si dièse se dit, dans ces pays, His, et si double dièse, Hisis. français anglais allemand si

B H si dièse B sharp His si double dièse B double sharp Hisis si bémol B flat B si double bémol B double flat Heses HAAS (Joseph), compositeur et pédagogue allemand (Maihingen, Bavière, 1879 - Munich 1960). Élève de Max Reger à Munich (1904), puis à Leipzig (1907), il devint lui-même, à partir de 1911, un des pédagogues les plus recherchés de son temps. Il fut un des fondateurs du festival de Donaueschingen en 1921, et allia dans sa musique une profondeur de sentiments et une sensibilité postromantiques à un sens de l’humour certain. Outre de nombreuses oeuvres instrumentales et vocales, il a écrit les opéras Tobias Wunderlich (Kassel, 1937) et Die Hochzeit des Jobs (Dresde, 1944). HAAS (Karl), musicologue et instrumentiste allemand (Karlsruhe 1900 - Londres 1970). Il se constitua en Allemagne une très importante collection d’instruments anciens (lui-même jouait surtout de la viole d’amour) et de microfilms d’oeuvres anciennes que, en 1939, obligé de quitter l’Allemagne, il put emporter en Angle-

terre. Là, il fonda en 1941, avec notamment le corniste Dennis Brain, le London Baroque Ensemble, qui donna des H concerts publics de 1943 à 1966, et avec lequel il réalisa de précieux enregistrements, en particulier d’oeuvres de Haydn et de Boccherini. À sa mort, il préparait un ouvrage sur les musiques militaires. HAAS (Monique), pianiste française (Paris 1909 - id. 1987). Elle est l’élève de Lazare-Lévy au Conservatoire de Paris et étudie ensuite avec Georges Enesco, Robert Casadesus et Rudolf Serkin. Sa carrière de concertiste, en soliste ou en duo avec Enesco et Fournier, la mène dans le monde entier. Interrompue par la guerre, son activité reprend en 1945, associant enseignement et récitals et donnant une large part à la création contemporaine. Épouse du compositeur Marcel Mihalovici, elle a créé sa Toccata pour piano et ses Ricercari ainsi que des oeuvres de Poulenc et de Schmitt. Son enregistrement de l’oeuvre intégral pour piano de Maurice Ravel a obtenu le Grand Prix de l’Académie Charles-Cros, celui de l’intégrale de Debussy le Grand Prix de l’Académie du disque français. HAAS (Robert), musicologue autrichien (Prague 1886 - Vienne 1960). Assistant de Guido Adler à Vienne (1908), puis chef d’orchestre d’opéra dans diverses villes (1910), il revint à Vienne en 1914, et y fut, de 1920 à 1945, responsable de la collection de musique de la Bibliothèque nationale. Spécialiste du singspiel viennois ainsi que de l’opéra et de l’oratorio baroques, il s’est également intéressé à Bruckner, dont, le premier, il a édité certaines oeuvres dans leur version originale. HABA (Alois), compositeur et pédagogue tchèque (Vizovice, Moravie, 1893 - Prague 1973). D’abord instituteur, il étudia avec V. Novak (1914-15), puis avec F. Schreker à Vienne et avec F. Busoni à Berlin (19201922), qui attira son attention sur l’école de Vienne. Se penchant sur les origines du fait musical, il étudia également les musiques extraeuropéennes, et, ayant mis en évidence la structure chromatique de

la chanson primitive, il s’intéressa aux quarts de ton et aux micro-intervalles. Il écrivit les Bases harmoniques du système par quarts de ton (Prague, 1922 ; trad. all., 1925), ainsi qu’une théorie de composition ultrachromatique utilisant quarts, cinquièmes, sixièmes et douzièmes de ton (Neue Harmonielehre... Leipzig, 1927 ; manuscrit complém., 1942), et fit construire en quarts de ton trois types de pianos (1924-1931), un type d’harmonium (1928), de clarinette (1924), de trompette (1931) et de guitare (1943), ainsi qu’un harmonium en sixièmes de ton. Par ses préoccupations anthroposophiques, Haba a ouvert la voie aux musiciens d’aujourd’hui, qui essaient de percer les secrets des musiques non écrites et d’en retrouver l’athématisme naturel et la souplesse rythmique, basée sur une microharmonie. Il a enseigné de 1923 à 1953 au conservatoire de Prague, s’est trouvé de 1945 à 1948 à la tête du théâtre du 5-Mai (plus tard, théâtre Smetana) à Prague, et a dirigé de 1945 à 1961 le département « composition avec quarts et sixièmes de tons » à l’Académie de musique de Prague. Il a écrit un opéra, Marka (« la Mère », 1927-1929), mais sa production est surtout instrumentale, avec notamment seize quatuors à cordes - les cinq premiers de 1919-1923, les autres de 1950-1967 -, dont beaucoup en micro-intervalles. downloadModeText.vue.download 447 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 441 HABANERA. Danse à deux temps, dont le premier est très accentué et le rythme conforme à la notation suivante : croche pointée, double croche, deux croches. Son origine, discutée, est probablement afro-cubaine (ou havanaise, d’où son nom). La habanera apparaît en Europe au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, d’abord en Espagne (Albéniz, M. de Falla), puis, surtout, en France où elle a inspiré, par exemple, Saint-Saëns, Bizet (Carmen), Chabrier, Debussy (Estampes : « Soirée dans Grenade »), Ravel (Rhapsodie espagnole) et Raoul Laparra, qui en a fait le sujet d’un opéra (la Habanera, opéra-comique, 1908).

HAEBLER (Ingrid), pianiste autrichienne (Vienne 1929). Elle fait ses études à l’Académie de musique de Vienne, au Mozarteum de Salzbourg, puis au conservatoire de Genève et à l’école Marguerite-Long à Paris. Elle remporte le premier prix au concours de Munich et au concours Schubert de Genève en 1954. Elle effectue ensuite des tournées en Europe et dans le monde entier. Spécialiste des oeuvres pour piano de Mozart, elle possède une technique particulièrement transparente. Depuis 1969, elle enseigne au Mozarteum de Salzbourg. HAEFLIGER (Ernst), ténor suisse (Davos 1919). Il se destinait à une carrière d’instituteur, mais les écoles normales suisses accordant une grande place à la musique, il y apprit le violon, puis le chant. Sa réussite dans ces deux disciplines fut telle qu’il poursuivit ses études au conservatoire de Zurich. Débutant au concert en 1943, il fut bientôt sollicité par les plus grandes scènes lyriques, notamment pour le répertoire mozartien qu’il avait travaillé tant à l’allemande qu’à l’italienne. Remarquable Évangéliste de la Passion selon saint Jean, E. Haefliger a également brillé dans les autres compositions religieuses de J.-S. Bach, dans les principaux opéras de Mozart, dans Fidelio de Beethoven, et le lied romantique. Aujourd’hui retiré de la scène, il se consacre à l’enseignement. HAENDEL (Georg Friedrich), compositeur allemand, naturalisé anglais en 1726 (Halle 1685 - Londres 1759). Fils de Georg Händel (1622-1697), chirurgien-barbier, et de Dorothéa Taust (16511730), épousée en secondes noces en 1683, Georg Friedrich Haendel montra très tôt, pour la musique, des dons exceptionnels que seules sa mère et sa tante devinèrent. Ayant décidé de faire de lui un juriste, son père, homme tenace et sévère, refusa que le duc de Saxe, vers 1694, puis le roi Frédéric Ier de Prusse, rencontré à Berlin en 1696, prissent soin de son éducation musicale. Il accepta toutefois de confier l’enfant à Zachow, remarquable musicien de Halle, qui lui enseigna fugue, contrepoint, composition, ainsi que la pratique de plusieurs instruments (clavecin, orgue, violon, hautbois, peut-être violoncelle).

Zachow lui fit surtout découvrir les maîtres contemporains, allemands et italiens (Froberger, Kerll, Ebner, Alberti, Strungk, Krieger). AU CONTACT DES MILIEUX MUSICAUX DE L’ÉPOQUE. Fidèle à la promesse faite à son père et pour complaire à sa mère (deux traits de caractère majeurs du musicien), Haendel poursuivit ses études au lycée, devint organiste de la cathédrale de Halle en mars 1702 ; mais, avide de plus larges horizons, il résilia dès 1703 son contrat et se rendit à Hambourg. Mattheson l’introduisit alors dans les milieux musicaux et cultivés de la ville, notamment chez le consul d’Angleterre, à Sainte-Marie-Magdeleine, où il tint l’orgue, et surtout à l’orchestre de l’Opéra, où, après avoir joué comme violoniste et claveciniste, il produisit une Passion selon saint Jean (carême 1704), puis son premier opéra, Almira, créé avec succès le 8 janvier 1705, et bientôt suivi de Nero (25 février 1705). Devant l’échec de cette pièce et mécontent de la situation musicale à Hambourg (notamment faillite frauduleuse de Krieger, directeur de l’Opéra), il se rendit, sur l’invitation de Gian-Gastone de Medici, à Florence (octobre 1706), puis à Rome (début janvier 1707), où il se lia avec l’élite intellectuelle : à l’Accademia d’Arcadia que fréquentaient mécènes (cardinaux Pamfili, Ottoboni) et musiciens (Corelli, A. et D. Scarlatti, Pasquini, Marcello). De cette époque datent de nombreuses compositions religieuses (l’extraordinaire Dixit Dominus, 1707) ou profanes (une centaine d’admirables cantates italiennes), où Haendel déploie tout son talent de mélodiste et qui sont autant d’essais pour maîtriser mieux une forme qui le requiert. L’opéra Rodrigo fut précisément créé à Florence en 1708, avant que le compositeur ne se rendît à Naples, où il écrivit la cantate Aci, Galatea e Polifemo et surtout un nouvel opéra, Agrippina, créé à Venise (26 décembre 1709). Triomphe difficile à renouveler, qui rendit Haendel prudent et lui fit accepter de devenir Kapellmeister de l’Électeur de Hanovre (juin 1710-automne 1712), mais qui le vit faire aussi un voyage à Londres (décembre 1710-juillet 1711), où Rinaldo obtint un large triomphe. Déçu de ne pouvoir monter son oeuvre à Hanovre, et ayant continué d’entretenir des relations en Angleterre (avec le poète Hughes, par exemple), Haendel retourna à Londres, en

novembre 1712. L’ANGLETERRE, UNE NOUVELLE PATRIE. D’abord logé chez le comte Burlington, où il fréquenta Pope, Gay, Swift, Arbuthnot ou Pepusch, Haendel écrivit là quelques oeuvres profanes (Il Pastor fido, Teseo, etc.), qui le feront devenir compositeur officiel de la couronne. Après l’Ode pour l’anniversaire de la reine Anne (février 1713), il allait écrire, en effet, l’Utrecht Te Deum and Jubilate (mars 1713), qui devint partition officielle, puis un autre Te Deum en ré, lorsque l’Électeur de Hanovre devint roi d’Angleterre en juin 1714, et enfin un nouvel opéra, Amadigi, d’après Houdar de la Motte. Suivant son souverain à Hanovre, Haendel retourna en Allemagne au cours de l’été 1716 et y composa une Passion sur un texte de Brockes (que devaient également utiliser Keiser, Telemann, Mattheson et J.-S. Bach), donnée à Hambourg lors des carêmes de 1717 et 1719. Il n’entendit pas son oeuvre : depuis fin décembre 1716, il était de nouveau à Londres où l’accueillit, cette fois, le duc de Chandos (été 1717). Après avoir écrit pour le roi la célèbre Water Music (créée en juillet 1717), il composa pour la chapelle du duc les admirables Chandos Anthems, psaumes sur paroles anglaises qui allaient être aux oratorios futurs ce qu’avaient été les cantates italiennes par rapport à ses opéras, à savoir des « galops d’essai ». Mais, pour l’heure, Haendel ne chercha pas à créer des oratorios, même après le succès d’Haman and Mordecai (Esther I, 1720). LA CRÉATION D’UNE ACADÉMIE : JOIES ET VICISSITUDES. Tourné vers la scène, attiré uniquement par l’opéra, il se jeta à fond dans une entreprise éprouvante : la création d’une académie, sorte de société par actions, placée sous patronage du roi (d’où le nom de Royal Academy) et chargée de monter des opéras. Dès lors, la vie de Haendel devint l’histoire de ses succès, de ses revers, de ses luttes pour imposer, moderniser, harmoniser l’opéra, en faire, parfois contre l’avis même du public, une oeuvre totale où la musique exprime, dans un langage d’une exceptionnelle force évocatrice, le drame vécu par des personnages d’exception, placés dans des situations d’exception. La première académie (1720-1727) se déroula comme une tragi-comédie en cinq actes. Acte premier (1720-1722) : après

une entrée triomphale (Radamisto, avril 1720), Haendel se vit opposer Bononcini par ses protecteurs mêmes (Burlington et le conseil d’administration de la Royal Academy). Acte II (1722) : le parti de Bononcini l’emporta avec la Griselda de ce dernier. Acte III (1723) : Haendel donna un coup d’arrêt avec Ottone et la publication de ses Sonates pour flûte et violon op. 1 et 2, renouvelant ainsi le succès de ses huit Pièces de clavecin (Recueil I, 1720). Acte IV (1724-25) : reprise du terrain downloadModeText.vue.download 448 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 442 perdu avec un brelan de chefs-d’oeuvre (Giulio Cesare et Tamerlano, 1724 ; Rodelinda, 1725), défaite de Bononcini. Acte V (1726-1728) : consécration de Haendel avec Scipione, Alessandro, Admeto, mais débâcle de la Royal Academy, due à la cabale, aux difficultés financières, aux nombreuses jalousies et, en particulier, aux querelles entre les sopranos vedettes, la Bordoni et la Cuzzoni, qui, en juin 1727 et en présence du prince de Galles, en vinrent aux mains sur scène. Scandale que ne pouvaient effacer les créations - et succès - de Riccardo Io (novembre 1727) ou de Siroe (février 1728). Affranchie de l’ancien conseil d’administration où dominaient officiels et gens de cour, sous la seule conduite de Haendel et de son associé Heidegger, la Nouvelle Académie (1729-1733) connut les mêmes vicissitudes que la précédente, malgré le recrutement de nouveaux chanteurs, ce qui amena Haendel à se rendre en Italie (mars-mai 1728) et en Allemagne (juinjuillet), où il vit pour la dernière fois sa mère devenue aveugle, mais où il ne put se rendre à l’invitation de J.-S. Bach à Leipzig. De décembre 1729 à février 1732, il assura la création de Lotario, Partenope (un chefd’oeuvre), Poro (1731), Ezio et Sosarme (janvier et février 1732). Malgré l’appui et la subvention du roi (1 000 livres), malgré les reprises de pièces à succès (Giulio Cesare, notamment), Haendel lutta pour assurer la survie de son entreprise. En 1732, le succès d’Esther, l’invitation de Haron Hill à écrire sur des textes anglais eussent pu l’amener à délaisser l’opéra. C’eût été, à ses yeux, abdiquer. Le succès d’Orlando en janvier 1733 l’ancra d’ailleurs dans cette

idée. Pourtant, le public accourut et fit fête à Deborah, oratorio sur texte vernaculaire, ainsi qu’à Athalie créé à Oxford. Par goût, orgueil ou volonté de vaincre, Haendel continua donc à écrire des opéras, ne fûtce que pour faire face au Nobility Opera, entreprise concurrente suscitée par le prince de Galles et soutenue par la gentry qui patronnait Hasse et Porpora. Combat incessant, semé d’embûches (rupture du contrat de Heidegger, ce qui obligea Haendel à transporter sa troupe chez John Rich à Covent Garden), semé d’échecs ou de victoires (Arianna, janvier 1734) ; Il Parnasso in festa, mars 1734 ; Ariodante, janvier 1735 ; Alcina, avril 1735). DES OPÉRAS AUX ORATORIOS. Épuisé par ces luttes incessantes, par son travail de « compositeur-chef d’orchestreimpresario », il se rendit aux eaux de Turnbridge Wells (été 1735), prépara la saison suivante (Alexander’s Feast, Wedding Anthem), écrivit au cours de l’été 1736 Giustino, Arminio, Berenice et Didone abbandonata. Il ne put, toutefois, en assurer la création, le 13 avril 1737, ayant eu quelques heures plus tôt une attaque (infarctus ? congestion cérébrale ?), qui le laissa à demi paralysé. Mais le 11 juin, quatre jours avant le sien, le Nobility Opera fermait. Si Haendel entraînait dans sa chute l’entreprise concurrente, il demeurait également sans force. Finalement, il consentit à se rendre aux eaux d’Aixla-Chapelle (septembre 1737). Remède miracle qui le rétablit incontinent. Le 28 octobre, le London Daily Post annonçait son retour. Immédiatement, Haendel composa deux nouveaux opéras : Faramondo (dont la création fut retardée par le décès de la reine Caroline, ce qui nous vaut l’admirable Funeral Anthem), puis Serse en avril 1738, tandis que paraissait chez Walsh ses opus 4 (Six Concertos pour orgue) et 5 (Sept Sonates en trio à 2 violons ou 2 flûtes), qui rencontraient un éclatant succès. Haendel eût-il été, dès lors, boudé pour ses seuls opéras ? S’avouant invaincu, il donna alors Imeneo (novembre 1740), suivi de Deidamia (janvier 1741). Devant la froide réaction du public, hostile à la forme, au livret italien, au style même de l’opéra, il abandonna alors définitivement la scène (10 février 1740), et, dans la fièvre, composa immédiatement deux oratorios : le Messie en août-

septembre, Samson en octobre. Puis, à l’invitation de William Cavendish, il se rendit à Dublin, où allait triompher précisément son Messie (13 avril 1742). Revenu à Londres fin août, il se tourna alors résolument vers l’oratorio, souvent joué avec un succès qu’avivaient les Concertos pour orgue donnés aux entractes et où il improvisait d’éblouissantes cadences. Ainsi, virent le jour Samson (février 1743), Semele (février 1744), Joseph et ses frères (mars 1744), Hercules (janvier 1745), Belshazzar (mars 1745), qui connurent des fortunes diverses en dépit de leur extrême qualité. À partir de là, Haendel abandonna le système des souscriptions - favorisant trop la gentry sans pour autant l’assurer du succès - et joua désormais « à bureaux ouverts ». LES DERNIERS CHEFS-D’OEUVRE. Peu à peu, un retournement allait se faire en sa faveur, le public anglais ayant admiré son courage dans l’adversité (une nouvelle attaque l’avait frappé en 1743) et sa fidélité lors de la révolte jacobite. Haendel fit alors de plus en plus figure de héros national, même si son oeuvre resta discutée - ce qui l’obligeait à reprendre ses pièces les plus « rentables » et ses derniers oratorios (Judas Maccabeus, avril 1747 ; Alexander Balus, mars 1748 ; Joshua [id.] ; Solomon, mars 1749 ; Susanna, février 1749) connurent une faveur croissante que porta à son comble la Fireworks Music commandée par le roi pour célébrer la paix d’Aix-la-Chapelle. Malheureusement ni Theodora (mars 1750) ni Jephta (février 1752) ne rencontrèrent l’estime méritée. En fait, le public n’avait point compris ni partagé sa propre ascension spirituelle. Dès lors, ses dernières années, en dépit de nombreuses reprises et auditions de ses oeuvres, tant en Angleterre et en Irlande que sur le continent, furent fortement attristées, d’autant que ce grand « musicien visuel » perdit la vue en 1753, malgré l’intervention de deux célèbres praticiens - dont Taylor, qui avait déjà opéré J.-S. Bach. Le premier moment d’abattement passé, Haendel se remit pourtant au travail, suivant toujours de près la production musicale contemporaine, dictant son courrier, modifiant certaines oeuvres antérieures. Mais sa santé déclinait. Le 6 avril 1759, il parut en public pour la dernière

fois, lors d’une exécution de son Messie que dirigeait J. C. Smith. Il désirait mourir le vendredi saint - comme le Christ. Son voeu de chrétien allait être (presque) exaucé : il s’éteignit en effet le samedi saint 14 avril 1759. Le 20 avril, trois mille personnes lui rendirent un dernier hommage à l’abbaye de Westminster, où désormais il repose. UN PUISSANT ORGANISATEUR. Grand, fort, plein de feu, impétueux, péremptoire, parfois brutal, sinon violent dans l’expression, mais d’une extrême bonté et d’une constante générosité, Haendel se montrait indomptable, prenant comme Beethoven « le destin à la gueule », et travailleur acharné. On le trouvait sans relâche à son clavecin, dont il usa les touches, et à son écritoire : un jour - Noël 1737 - sépare Faramondo de Serse ; trois jours séparent Saül d’Israël. Travaillant vite, mais raturant beaucoup, il composa Theodora en cinq semaines, le Messie en vingt-quatre jours, Tamerlano en vingt. Il laissa une oeuvre immense, capitale, tant sur le plan de la diversité (il a abordé tous les genres) que de la spiritualité. Dès lors, il est éminemment regrettable que, par la faute d’artistes ou de critiques médiocres et de chefs d’orchestre trop peu curieux, cette oeuvre demeure en grande partie cachée au public. Usant de la langue de son époque comme Bach -, Haendel se montra moins révolutionnaire qu’évolutionnaire. Mais, à avoir fréquenté sous différents cieux l’élite intellectuelle et sociale de son temps, il apparut comme un puissant organisateur, comme un merveilleux instrument de synthèse de l’art européen. L’Allemagne lui inculqua la solidité des plans, la carrure des rythmes, une certaine piété intérieure, jamais démentie. L’Italie développa ses dons de mélodiste, sa verdeur, son ingéniosité, son goût aristocratique, son sensualisme pour les couleurs et les sonorités. De la France, il écouta les leçons de clarté, d’élégance, d’équilibre. L’Angleterre, enfin, lui enseigna la poésie des virginadownloadModeText.vue.download 449 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 443 listes, la spontanéité de Purcell, ses ambi-

guïtés modales et ses audaces rythmiques. Fruit de cultures diverses, il ne cessa cependant de rester lui-même, demandant à son métier irréprochable, à sa fécondité, à son imagination d’exprimer sa pensée. Or celle-ci est, à la fois, inventive et d’extrême noblesse. Inventive, car Haendel, le tout premier, introduisit des contrebassons à l’opéra (Tamerlano), libéra les basses de leur statisme (op. 5), pressentit la forme cyclique, la forme de quatuor (op. 5 également), de la symphonie (op. 6). Premier compositeur à vivre de sa plume, il vécut dangereusement et se battit contre tout et tous pour imposer sa vision d’un opéra infléchi vers une dramaturgie psychologique - ici, on perçoit l’admirateur de Corneille et de Racine -, dont la musique exprime alors les moindres inflexions. En cela, il préfigure Haydn et plus encore Mozart ; il eut même la prescience du leitmotiv. Enfin, il donna à l’oratorio une dimension et une signification jusque-là insoupçonnées. Pensée novatrice, donc, mais également d’une extrême noblesse. Son théâtre, ses oratorios mettent en scène les grands héros de l’Histoire (Giulio Cesare, Tamerlano), de la littérature (Alcina, Orlando), des livres saints - Saül, Solomon, Belshazzar. Attiré par ces immenses figures que sa fertilité d’invention, son aisance narrative surent élever à la hauteur du type et du mythe, il n’apparaît, en fait, jamais aussi génial que lorsqu’il lui fallait se mesurer avec ces êtres d’exception qu’il scrutait dans leur vérité profonde quand, victimes de forces supérieures, ils se retrouvaient face à eux-mêmes, à leur destin. Leur grandeur fut la sienne. UNE CONFONDANTE ASCENSION SPIRITUELLE. On assiste d’ailleurs, chez Haendel, à une ascension spirituelle qui, dans les derniers oratorios, mène aux profondes méditations sur l’orgueil (Sal), sur la jalousie (Heraklès), sur l’amour plus fort que la mort (Alexander Balus), sur la fin des civilisations (Belshazzar), sur la tolérance, politique et religieuse (Belshazzar, Theodora), enfin sur la religion (le Messie) et sur la place de l’homme dans l’univers (Jephta). Dans cet ultime ouvrage, testament de sa pensée musicale et spirituelle, Haendel inscrivit son propre credo dans les premiers (What ever is, is right) et derniers mots (Hallelujah ! Amen). Il laisse ainsi, image de sa propre existence, une leçon d’indépendance, de liberté de l’esprit, d’acceptation de la volonté divine et

de soumission à la grande loi de l’univers. Mais aussi une leçon de courage, de défi que l’homme se lance à lui-même, opposant à une attitude démissionnaire la force de sa ferveur et de son espérance, de son courage, de sa lucidité, de son optimisme. Ainsi Haendel apparaît-il comme le dernier des grands humanistes de la Renaissance, mais aussi comme un éminent représentant du siècle des lumières. On comprend mieux, dès lors, les jugements de Haydn déclarant : « Haendel est notre grand maître à tous « ; de Beethoven confiant au soir de son existence : « C’est le plus grand compositeur qui ait jamais existé ; je voudrais m’agenouiller sur sa tombe « ; de Liszt, enfin, proclamant sans ambages : « Haendel est grand comme le monde. » HABENECK (François Antoine), chef d’orchestre, violoniste et compositeur français (Mézières 1781 - Paris 1849). Fils d’un musicien de Mannheim au service de l’armée française, il étudia le violon avec Baillot au Conservatoire de Paris (premier prix en 1804). Violoniste des orchestres de l’Opéra-Comique et de l’Opéra, il dirigea, de 1806 à 1815, les Concerts français patronnés par le Conservatoire, puis dès sa fondation en 1828 la Société des concerts du Conservatoire, qu’il inaugura le 9 mars avec l’Héroïque de Beethoven. Il donna ensuite, en quatre ans (1828-1831), la première audition intégrale parisienne des neuf symphonies de ce compositeur, avant de contribuer largement, par des exécutions fréquentes, à les imposer dans l’esprit du public. Il donna aussi, en 1844, la première audition intégrale à Paris depuis 1800 de la Création de Haydn. Directeur, puis chef d’orchestre de l’Opéra (1821-1846), il fut également inspecteur et professeur de violon (18251848) au Conservatoire. On lui doit, pour son instrument, une méthode et quelques compositions, dont deux concertos. HAERPFER ERMAN. Manufacture d’orgues établie en Lorraine depuis 1863, et dirigée par Walter Haerpfer (mort en 1975) et Pierre Erman (parti à la retraite en 1978). Actuellement dirigée par Theo Haerpfer, elle a construit près de 600 instruments, principalement dans l’est de la

France. L’esthétique de ses réalisations, qui a beaucoup évolué en un siècle, la conduit aujourd’hui à opter pour le style classique, comme en témoignent les orgues de la basilique de Saint-Quentin ou de Saint-Germain-des-Prés à Paris, ou la restauration de l’orgue des cathédrales de Sarlat ou de Nancy. HAESSLER (Johann Wilhelm), compositeur, organiste et pianiste allemand (Erfurt 1747 - Moscou 1822). Il se mesura avec Mozart à Dresde le 15 avril 1789, à l’orgue puis au piano, séjourna de 1790 à 1792 à Londres, où il rencontra Haydn, et arriva en 1792 à SaintPétersbourg. À partir de 1794, il enseigna à Moscou. Il écrivit surtout pour piano. HAFFNER (Johann Ulrich), éditeur allemand ( ? 1711 - Nuremberg 1767). Il fonda sa maison d’édition à Nuremberg vers 1742, et se spécialisa dans la production de chambre et de clavier des compositeurs italiens (parmi lesquels Domenico Scarlatti) et des compositeurs d’Allemagne du Centre et du Sud, ce qui contribua à la diffusion de cette musique à Vienne. Il publia aussi des oeuvres de Carl Philipp Emanuel Bach (les six sonates wurtembergeoises, en 1744). HAHN (Reynaldo), compositeur français (Caracas, Venezuela, 1875 - Paris 1947). D’origine allemande et israélite par son père, basque et catholique par sa mère, il est né Vénézuélien et l’est resté jusqu’à sa naturalisation en 1912. Mais il n’a que trois ans quand don Carlos Hahn, à la suite d’une révolution, liquide toutes ses affaires à Caracas et s’installe à Paris avec femme et enfants (il en a eu douze en tout). Rois en exil plutôt qu’immigrants, les Hahn se trouvent aussitôt lancés dans la plus haute société parisienne. À six ans, l’enfant prodige qu’est le petit Reynaldo fait ses débuts dans le célèbre salon de la princesse Mathilde, cousine du défunt empereur Napoléon III. Il chante des airs d’Offenbach en s’accompagnant au piano. Plus tard, et cela jusqu’aux approches de la vieillesse, il interprète de même ses propres mélodies d’une jolie voix de soprano, puis de baryton Martin. Au Conservatoire, où il entre à dix ans dans la classe de solfège de Lucie Grandjany, il aura également pour maîtres Decombes (piano), Lavignac et Dubois (harmonie)

et surtout Massenet (composition), dont l’amitié et la protection ne lui feront jamais défaut. C’est Massenet qui présente son jeune disciple à Alphonse Daudet, lui procurant ainsi, à quinze ans, sa première commande de musique de scène (l’Obstacle). Son influence est également pour beaucoup dans la création à l’Opéra-Comique d’un premier ouvrage lyrique - l’Île du rêve (1898) - d’après Pierre Loti. Reynaldo Hahn, à vingt-trois ans, n’en est déjà plus à se contenter de succès de salon, encore que ce dandy, polyglotte et brillant causeur, donne beaucoup de son temps à la vie mondaine et aux voyages. Il est très lié avec la ballerine Cléo de Mérode, Sarah Bernhardt, Marcel Proust, et fréquente la plupart des célébrités de la Belle Époque. Naturalisé français après la mort de sa mère, il fait son service militaire à trentehuit ans, et, la guerre venue, demande à partir pour le front où il passe plus de trois ans, pour en revenir avec la Légion d’honneur et la croix de guerre. Après la défaite de la France en 1940, sous l’occupation, il n’en est pas moins jugé indésirable à Paris en vertu des lois raciales, bien qu’il ait été baptisé à Caracas et ait fait sa première communion à Saint-Augustin. Réfugié en downloadModeText.vue.download 450 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 444 zone Sud, puis à Monte-Carlo, il regagne Paris en février 1945. Élu à l’Académie des beaux-arts, puis nommé directeur de l’Opéra, il succombe à une tumeur du cerveau le 28 janvier 1947. Reynaldo Hahn est avant tout un mélodiste, qui tient la voix humaine pour le plus parfait des instruments. Au plus haut point respectueux des textes qu’il habille discrètement de musique, pour les mettre en valeur sans en rien cacher, il place son idéal artistique dans l’union intime de la poésie et de l’art des sons. Aussi donnet-il le meilleur de lui-même dans quelque 125 mélodies (Chansons grises, Études latines, les Feuilles mortes, Chansons vénitiennes, etc.), dans des comédies musicales comme Mozart (1925) et Brummel (1931), des opérettes comme Ciboulette (1923), la plus populaire de ses oeuvres, et Malvina (1935), des opéras comme Nausicaa (1919) et le Marchand de Venise (1935). Mais on lui doit aussi de nombreuses mu-

siques de scène (le Bal de Béatrice d’Este, 1909 ; le Dieu bleu, 1912), des concertos, des pièces instrumentales et de la musique de chambre. Très cultivé, raffiné jusqu’au purisme, admirateur déclaré de Gounod, de Saint-Saëns et de Massenet, il n’en appréciait pas moins Wagner. Fervent mozartien, il a consacré au maître de Salzbourg l’essentiel de son activité de chef d’orchestre. Et plusieurs journaux importants, dont la Presse, Foemina, le Journal, l’Excelsior et le Figaro, ont bénéficié de son talent de critique. HAITINK (Bernard), chef d’orchestre néerlandais (Amsterdam 1929). Après des études de violon et de direction d’orchestre au conservatoire de sa ville natale, il débute en 1955 à l’Orchestre philharmonique de la radio néerlandaise, dont il devient chef principal deux ans plus tard. Codirecteur avec Eugen Jochum du Concertgebouw en 1961, deux ans après la mort d’Eduard van Beinum, directeur unique de cette illustre formation à partir de 1964, directeur musical du London Philharmonic Orchestra de 1967 à 1979, Bernard Haitink participe, dès 1972, au festival de Glyndebourne, dont il a assumé la responsabilité après le départ de John Pritchard en 1977. En 1986, il a quitté la direction de l’orchestre du Concertgebouw, où lui a succédé en 1988 Riccardo Chailly, et est devenu en 1987 directeur musical de Covent Garden à Londres. HALBREICH (Harry), musicologue belge (Berlin 1931). Il a fait ses études à Genève avec Joseph Lauber et au conservatoire (1949-1952), puis à l’École normale de musique de Paris avec Arthur Honegger et Tony Aubin (1952-1955), et, enfin, au Conservatoire de Paris avec Norbert Dufourcq et Olivier Messiaen (1955-1958). Il est l’auteur de nombreux articles, en particulier dans la revue Harmonie (depuis son premier numéro en 1964), et a écrit, jusqu’à présent, cinq ouvrages principaux : Bohuslav Martinºu (Zurich, 1968), Edgard Varèse (Paris, 1970, étude de l’oeuvre en complément des entretiens du compositeur avec Georges Charbonnier), Olivier Messiaen (Paris, 1980), Claude Debussy (Paris, 1980, analyse de l’oeuvre en complément de la traduction française de la biographie d’Edward Lockspeiser) et Arthur

Honegger (1992). Harry Halbreich a également dressé un catalogue de l’oeuvre de Bohuslav Martinºu. Professeur d’analyse au conservatoire royal de Mons de 1971 à 1996, il a été directeur artistique du festival de Royan de 1973 à 1977, et a joué, à ce titre, sur le plan français et international, un rôle important dans la découverte d’une nouvelle génération de compositeurs (nés pour la plupart à partir de 1943). HALÉVY (Elias Levy, dit JACQUES FROMENTAL), compositeur français (Paris 1799 Nice 1862). Élève de Berton et de Cherubini, grand prix de Rome, il compléta sa formation dans cette dernière ville, ainsi qu’à Vienne, tout en ayant débuté dès 1820 comme auteur d’opéras-comiques, de ballets, puis d’opéras. La Juive, qui fut créée à l’Opéra de Paris en 1835 par Cornélie Falcon, Levasseur et A. Nourrit - qui écrivit le texte de l’air fameux Rachel, quand du Seigneur -, consacra une célébrité que devait lui ravir l’année suivante Meyerbeer avec les Huguenots. Il ne devait jamais retrouver un succès comparable à celui de la Juive, opéra remarquablement équilibré, orchestré, d’une harmonie soignée, et finement écrit pour le chant ; ses meilleures réussites furent, néanmoins, par la suite, l’Éclair (opéra-comique, 1835), puis Guido et Ginevra (1838), la Reine de Chypre (1841), Charles VI (1843), les Mousquetaires de la reine (1846) et le Val d’Andorre (1848). On doit également à Halévy, outre des hymnes religieux hébreux ou latins, de nombreux essais historiques ou musicologiques sur le Miserere d’Allegri, sur Lully, Gluck, Mozart, Berton, Cherubini, etc. Remarquable pédagogue, il enseigna l’harmonie dès 1827 au Conservatoire de Paris, puis le contrepoint et la composition, formant, entre autres, Gounod, Lecocq, Massé et Bizet ; ce dernier épousa sa fille Geneviève (1850-1926), mariée en secondes noces à Émile Strauss. Son neveu Ludovic (Paris 1834-id. 1908) fut secrétaire particulier du duc de Morny, devint un librettiste célèbre, et, en collaboration avec H. Crémieux et surtout avec H. Meilhac, écrivit à l’intention de Delibes, Lecocq, Gastinel, Bizet (Carmen) et d’Offenbach, dont il fut le principal pourvoyeur. Johann Strauss écrivit la Chauve-Souris d’après sa pièce le Réveillon,

et Honegger lui devait encore en 1926 l’inspiration des Petites Cardinal. HALFFTER, famille de musiciens espagnols. Rodolfo, compositeur (Madrid 1900 Mexico 1987). Largement autodidacte, il reçut cependant des conseils de De Falla, et fut membre du groupe des Huit, constitué à Madrid en 1930. Après un séjour à Paris, il émigra en 1939 au Mexique, dont il devint citoyen, et où il joua un rôle actif comme compositeur, professeur et éditeur. Il usa de techniques sérielles à partir de 1953, mais son oeuvre n’en reste pas moins dans la tradition de De Falla. Citons les ballets Don Lindo de Almería (1935) et La Madrugada del panadero (1940), un Concerto pour violon (1940), Tripartita (1959) et Differencias (1970) pour orchestre, Homenaje a Antonio Machado pour piano (1944). Ernesto, compositeur et chef d’orchestre, frère du précédent (Madrid 1905 - id. 1989). Il devint l’élève de De Falla, dont les dernières oeuvres influencèrent sa production de jeunesse, en particulier sa Sinfonietta (1925). Il fut influencé également par Stravinski, Ravel et le groupe des Six (Rapsodía portuguesa pour piano et orchestre, 1940). À la demande des héritiers de De Falla, il travailla de 1954 à 1960 à l’achèvement d’Atlantida (« l’Atlantide »), cantate scénique que ce dernier n’avait pu, et de loin, terminer, et dont la création eut lieu, après de nouvelles révisions, en 1976. Ce travail fut, en quelque sorte, le point de départ d’oeuvres telles que le Canticum in memoriam P. P. Johannem XXIII (1964) ou Gozos de nuestra Señora (1970). Cristobal, compositeur et chef d’orchestre, neveu des deux précédents (Madrid 1930). Il a étudié avec Conrado del Campo au conservatoire de Madrid (1947-1951), puis en privé avec Alexandre Tansman. Il a ensuite travaillé à la radio espagnole et suivi des cours de direction d’orchestre. Scherzo pour orchestre lui valut, en 1951, un prix de composition ; son Concerto pour piano, en 1953, le prix national de la musique. En 1959, la Sonate pour violon solo, oeuvre clé pour son évolution, marqua ses débuts de compositeur sériel. Il obtint en 1962 la chaire de composition et de formes musicales au conservatoire de Madrid, établissement qu’il devait diriger de 1964 à 1966. À partir du

milieu des années 60, grâce notamment à des oeuvres comme Lineas y puntos pour 20 instruments à vent et dispositif électroacoustique (1966-67) ou Anillos pour orchestre (1967-68), il fut reconnu comme un des principaux représentants de l’avant-garde internationale, et, en 1968, il écrivit pour l’O. N. U. la cantate Yes, speak out, yes sur un texte de Norman Corwin. downloadModeText.vue.download 451 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 445 Lui-même se définit comme ayant un sens mystique très fort : Noche pasiva del sentido pour soprano, 2 percussionnistes et 4 magnétophones (1969-70) tire son inspiration de saint Jean de la Croix. Ancré dans la tradition polyphonique espagnole, préoccupé par les problèmes fondamentaux de l’existence, en particulier par celui de la mort, il n’a pas craint de les évoquer dans Planto por las víctimas de la violencia pour ensemble de chambre et dispositif électroacoustique (1970-71), dans Requiem por la Libertad imaginada pour grand orchestre (1971), dans Gaudium et spes pour choeur et bande magnétique (1973-74), dans Elegías a la Muerte de tres poetas españoles (1974-75), dans son Officium defunctorum pour choeur et orchestre (1977, créé aux Invalides à Paris, 1979). On lui doit encore trois quatuors à cordes, datés respectivement de 1955, 1970 (Cuarteto II, Memoria 1970) et 1977, Pinturas negras pour orchestre et orgue concertant (1972), Noche activa del espíritu pour 2 pianos et dispositif électroacoustique (1972-73), un concerto pour violoncelle (1974) et un pour violon (1980), Mizar I pour 2 flûtes et orchestre (1977) et II pour 2 flûtes et dispositif électroacoustique (1980), Tiento pour orchestre (1980), Fantasia pour cordes (1981), Ricercare para organo pour orgue (1981), Fantasia über einen Klang von Händel (1982), Fantasia ricercata pour orgue et orchestre (Vienne, 1983), Versus pour orchestre (1983), Parafrasis pour orchestre (1984), un 2e concerto pour violoncelle (1985), un double concerto pour violon et alto (créé en 1986), Corales Liturgicos pour choeur et orchestre (1990).

HALLÉ (sir Charles, KARL HALLE), pianiste et chef d’orchestre anglais d’origine allemande (Hagen, Westphalie, 1819 - Manchester 1895). Après des études musicales avec son père, avec Rinck à Darmstadt et Cherubini à Paris, où il devient l’ami de Chopin, de Berlioz et de Liszt, il s’établit ensuite en Angleterre. En 1857, il crée à Manchester un orchestre qui devient célèbre et qui porte toujours son nom. En 1861, il donne l’intégrale des sonates pour piano de Beethoven. Puis il accompagne sa femme, la violoniste Wilma Norman Neruda, lors de tournées en Australie (1890-91). À partir de 1893, il dirige le Royal Manchester College of Music. Il a composé quelques oeuvres pour piano et édité des recueils pédagogiques. HALLING. Danse populaire norvégienne, réservée aux hommes. Elle est généralement notée à 2/4 avec un mouvement rapide, voire viril ; elle est accompagnée traditionnellement par la hardingfele, sorte de viole d’amour pourvue de cordes sympathiques. K. Maliser, chanteur de la première moitié du XIXe siècle, en a composé de célèbres. Des compositeurs comme E. Grieg, voulant s’inspirer du folklore national, l’ont également employée dans leurs oeuvres (par exemple, Pièces lyriques pour piano). HALVORSEN (Johan), compositeur norvégien (Drammen 1864 - Oslo 1935). De nombreuses caractéristiques communes lient sa carrière et son esthétique à celles de son aîné Johan Svendsen. Halvorsen a été une des plus importantes personnalités du monde musical norvégien du début du XXe siècle. Sa carrière internationale de chef d’orchestre a fait de lui un musicien éclectique ouvert à toutes les tendances musicales contemporaines ; comme compositeur, il est nationaliste, et son esthétique est le prolongement de l’oeuvre de E. Grieg (comme lui, il se passionne pour les instruments populaires et, notamment, pour le violon de Hardanger) et de J. Svendsen. En 1901, il note les airs (slåtter) que lui joue le célèbre violoniste populaire Knut Dale, et que Grieg utilise dans son opus 72 pour piano. Si Halvorsen

nous lègue de nombreuses oeuvres instrumentales, notamment pour le violon, c’est peut-être dans le domaine orchestral qu’il est le plus personnel. Son orchestration est très remarquable par sa simplicité et son refus de l’effet brillant. Parmi ses partitions les plus intéressantes, il faut noter les suites Fossegrimen op. 21 (1905), Mascarade (1922), Comme il vous plaira (1912) et Kongen op. 19, 3 Symphonies, 3 Rhapsodies norvégiennes, 1 Suite ancienne op. 31 (1911) et sa très célèbre Marche des Boyars (1895). HAMAL (Jean-Noël), compositeur belge (Liège 1709 - id. 1778). Formé à Liège, puis à Rome, il subit profondément l’influence italienne dans le domaine instrumental (15 symphonies et 11 ouvertures) et dans la musique religieuse (56 messes, 179 motets, 3 Te Deum, 32 cantates et 5 oratorios). Mais il sut en profiter pour créer l’opéra-comique wallon en s’éloignant des sujets conventionnels et mettre en scène des types locaux s’exprimant en langage dialectal. Ses 5 opéras bouffes (le Liégeois engagé, 1757 ; le Voyage à Chaudfontaine, 1757, etc.) ont beaucoup de grâce et de vivacité, non sans une certaine truculence. HAMBRAEUS (Bengt), compositeur suédois (Stockholm 1928). Après des études de musicologie et d’orgue, il rallie l’avant-garde musicale de Darmstadt et, dans les années 50, travaille dans les studios de musique électronique de Cologne, Milan et Munich. Depuis 1972, il est professeur à l’université McGill à Montréal, au Canada. Défenseur énergique des modes d’expression contemporains, il mêle fréquemment dans ses propres compositions les moyens instrumentaux traditionnels et les moyens électroniques. Son style est un éclectique hommage au passé musical moyenâgeux et à des personnalités contemporaines telles E. Varèse, J. Cage ou O. Messiaen. Parmi ses oeuvres les plus représentatives, il faut citer Constellations I pour sons d’orgue (1958) et Interférences pour orgue (1962), les oeuvres orchestrales et électroniques : Transfiguration (1963), où transparaît un hommage à la jeune école polonaise et à Y. Xenakis, Rota I (1956-1962) pour 3 orchestres, et II (1963) avec bande magnétique, Tetragon (1965), peut-être son

oeuvre la plus riche et fascinante, Fresque sonore (1967) pour orchestre en multiple réenregistrement, Rencontres (1968-1971), oeuvre collage réunissant Reger, Wagner, Scriabine et ses propres oeuvres, Invocation (1971), Pianissimo (1972), Continuo (1975), Ricordanza (1976). Notons également Transit II (1963) pour quatuor instrumental, exploration des timbres et des effets d’écho, des opéras expérimentaux, de la musique de ballet et des oeuvres chorales et vocales, Symphonia sacra (1986). HAMEL (Peter Michael), compositeur allemand (Munich 1947). Il fut à Munich l’élève de Günter Bialas (1968) et se forma aussi dans cette ville au contact du Studio für Neue Musik de Fritz Büchtger. À partir de 1969, il travailla avec Josef Anton Riedl tout en découvrant John Cage, Mauricio Kagel, Dieter Schnebel et Luc Ferrari et en se préoccupant de musique concrète et de livre électronique. En 1970, Hamel suivit à Berlin des cours de Carl Dalhaus. Il participa à Munich à la fondation du groupe Between, orienté à la fois vers le travail sur bande et vers l’improvisation, et s’intéressa de plus en plus au free jazz et aux traditions ethniques (Indes, Tibet), ce qui lui fit entreprendre cinq voyages en Asie, et qui se traduisit notamment dans Maitreya (1974) et Diaphainon (1974) pour orchestre, oeuvres poursuivant une certaine « ethnologisation « de la tradition occidentale. Il ne se réclama d’aucune tendance spéciale, ni de la « musique minimale « ni de la « nouvelle simplicité «, et, avec des ouvrages come Dharana pour solo, ou bande, ou orchestre (1972), Samma Samadhi pour orchestre (1972-73), Integrale Musik avec choeur (1975-76), le concerto pour hautbois Ananda (1973) ou Albatros pour orchestre (1977), il poursuivit une synthèse personnelle du déterminé et de l’improvisé. On lui doit aussi Mandala pour piano préparé (1972), Continuous Creation pour piano (1975-76), Klangspirale pour 13 instruments ou 3 groupes d’orchestre, downloadModeText.vue.download 452 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 446 partition entièrement déterminée (1977), des oeuvres électroniques comme Aura ou Nada ou improvisées avec le groupe

Between, l’opéra Ein Menschentraum (Cassel, 1981), et le livre Durch Musik zum Selbst (1977). HAMILTON (Iain), compositeur écossais (Glasgow 1922). Il abandonna en 1947 le métier d’ingénieur pour se consacrer à la musique, étudiant le piano et la composition à la Royal Academy of Music et à l’université de Londres. Il enseigna à Morley College (1952-1959) et à l’université de Londres, et, en 1961, alla occuper un poste aux États-Unis à la Duke University de Durham (Caroline du Nord). Il y fut nommé professeur en 1966. Parti d’un style néo-romantique, il a adopté des techniques sérielles pour revenir ensuite vers une tonalité élargie tout en s’inspirant volontiers de phénomènes extramusicaux. Il a écrit notamment trois symphonies (1948, 1958, 1982), des concertos, des oeuvres de chambre, dont deux quatuors à cordes (1948, 1965), et les opéras Agamemnon (1967-1969), The Royal Hunt of the Sun (1967-1969), The Catiline Conspiracy (1972-73, créé à Glasgow, 1974), Tamburlaine (1976), Anna Karenina (créé en 1981), Raleigh’s Dream (1984), Lancelot (1985). HAMMERLING (Carlo), compositeur et organiste suisse (Vevey 1903 - Cully 1976). Élève de Paul Dukas, Carlo Hammerling s’est avant tout consacré à la musique chorale, tant comme fondateur du choeur universitaire de Lausanne et de différentes unions chorales helvétiques que comme compositeur (cantates, oratorios, pièces diverses). Il a cependant écrit, dans le même esprit néoclassique, plusieurs pages symphoniques, un concerto pour violon, deux quatuors et des partitions dramatiques telles que la Fille de Jephté, Il ne faut jurer de rien, Michel et Nérine, Polyphème, la Cité nouvelle. Il est devenu en 1957 directeur du conservatoire de Lausanne. HAMMERSCHMIDT (Andreas), compositeur allemand (Brüx, Bohême, 1611 ou 1612 - Zittau 1675). Organiste également, il fut après Schütz, dont il était l’ami, le premier compositeur de musique religieuse luthérienne en Allemagne au milieu du XVIIe siècle, et contribua grandement à introduire en pays germaniques les nouveautés (style

concertant, style dramatique), alors originaires d’Italie. On lui doit plus de 400 oeuvres vocales sacrées, publiées de son vivant en quatorze collections et comprenant des motets, des concerts, des airs. Ses motets constituent la partie de sa production la plus ancrée dans la tradition, mais on trouve dans certains de nets madrigalismes. Ses concerts (Konzerte) relèvent au contraire du style moderne du temps, tandis que ses airs annoncent la future cantate. Remarquables sont notamment les cinq parties de ses Musicalische Andachten : Concerts spirituels avec basse continue (1639), Madrigaux spirituels avec basse continue (1641), Symphonies spirituelles avec basse continue (1642), Motets et concerts spirituels avec basse continue (1646), Chormusik (1652-53). HAMPSON (Thomas), baryton américain (Elkhart 1955). Il étudie le chant avec Marietta Coyle, ancienne élève de Lotte Lehman et de Panzera. Elle lui enseigne un répertoire de lieder qui marquera son art. Après une formation à l’Université de Californie et dans diverses master-classes, avec Elisabeth Schwarzkopf notamment, il s’installe en Europe en 1981. Engagé à l’Oper am Rhein de Düsseldorf, il s’y forge durant trois saisons un vaste répertoire lyrique. En 1984, Harnoncourt l’engage pour le cycle Mozart de l’Opéra de Zurich, où il chante Guglielmo, le Comte et, surtout, en 1987, le rôle-titre de Don Giovanni. Sa carrière internationale est fulgurante : il débute en 1985 à Aix-en-Provence, en 1986 au Metropolitan de New York, dont il accompagne la tournée au Japon en 1988, année de sa Bohème à Salzbourg. Il voue une reconnaissance particulière à certains chefs comme Leonard Bernstein, James Levine et Seiji Ozawa. Élu par la critique internationale « Chanteur de l’année 1994 », il s’impose en effet comme l’un des plus grands barytons du monde, tant par son aisance technique que par ses qualités dramatiques. S’il chante Monteverdi et Puccini aussi bien que Britten et Henze, il a conquis le public en 1995 et 1996 avec son interprétation des lieder de Mahler. HANDSCHIN (Jacques), musicologue suisse (Moscou 1886 - Bâle 1955). Il étudia l’histoire et les mathématiques à Bâle avant d’entreprendre des études

musicales avec M. Reger, K. Straube et Ch. Widor. Organiste toute sa vie, il enseigna notamment au conservatoire de Saint-Pétersbourg (1909-1920), mais c’est à l’université de Bâle qu’il acheva ses études musicologiques et soutint en 1921 sa thèse, sous la direction de K. Nef : Choralbearbeitungen und Kompositionen mit rhytmischen Text in der mehrstimmigen Musik des XIII Jahrhunderts (Bâle, 1925). Il succéda, en 1935, à son maître à la chaire de musicologie de l’université de Bâle. Les ouvrages et les nombreuses publications de Handschin dans des revues spécialisées font place à l’exposé de principes esthétiques ; connaisseur réputé de la musique médiévale, il a également consacré ses recherches à la musique d’orgue et à l’acoustique. Outre des ouvrages sur Moussorgski (1924), Saint-Saëns (1930), Stravinski (1933), il a publié : Der Toncharakter, eine Einführung in der Tonpsychologie (Zurich, 1948) ; Musikgeschichte im Überblick (Lucerne, 1948). HANFF (Johann Nikolaus), organiste et compositeur allemand (Wechmar, Thuringe, 1665 - Schleswig 1711 ou 1712). Il exerça d’abord à Hambourg, où il enseignait la composition et le clavecin (il eut Mattheson parmi ses élèves), puis à Eutin, comme organiste de la cour, et, enfin, à Schleswig, où il mourut peu de temps après avoir été nommé organiste de la cathédrale. La plupart de ses oeuvres sont perdues. Il ne subsiste que deux cantates, deux petits concerts spirituels et six pièces pour orgue, qui sont des chorals ornés en style imitatif, annonçant directement les chorals de l’Orgelbüchlein de Bach. HANSEN. Maison d’édition danoise, fondée à Copenhague en 1853 par Jens Wilhelm Hansen. Celui-ci s’associa en 1874 avec ses fils Jonas Wilhelm (1850-1919) et Alfred Wilhelm (1854-1923), absorba en 1879 les maisons Lose et Horneman, et fonda en 1887 à Leipzig une filiale qui devait subsister jusqu’en 1945. La maison fut ensuite dirigée par les fils d’Alfred Wilhelm, Asger Wilhelm (1889) et Svend Wilhelm (18901960), puis par les filles de ce dernier, Hanne (1927) et Lone (1930). Une filiale

existe à Francfort depuis 1951, et, en 1957, la firme a pris une participation majoritaire chez Chester (Londres). Le Wilhelm Hansen Musik-Forlag a publié beaucoup de musique scandinave, dont les trois dernières symphonies et la musique de scène pour la Tempête de Sibelius, mais aussi des oeuvres de Stravinski et de Schönberg (Quintette à vents op. 26). HANSLICK (Eduard), esthéticien et critique musical autrichien (Prague 1825 Baden, près de Vienne, 1904). Son premier ouvrage, définissant une esthétique musicale nouvelle, le rendit célèbre et le fit longtemps considérer comme un fondateur de l’esthétique moderne. Il étudia la musique avec Tomàček à Prague, mais aussi le droit à Prague et à Vienne. Docteur en droit en 1849, il fut un critique musical redouté dès 1846, à la Wiener Musikzeitung. Il a écrit pour d’autres journaux tandis qu’il enseigna l’esthétique et l’histoire de la musique à l’université de Vienne de 1856 à 1895. La théorie qu’il exposait dans Vom Musikalisch-Schönen (Leipzig, 1854 ; 16e éd. 1966 - trad. fr. sous le titre Du beau dans la musique, par Ch. Bannelier, Paris, 1877 ; 2e éd. 1893) suscita de nombreuses polémiques. Elle s’opposait en effet au downloadModeText.vue.download 453 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 447 sentimentalisme romantique pour lequel l’oeuvre musicale était avant tout la représentation des sentiments. Selon Hanslick, au contraire, le « beau musical » résidait dans l’oeuvre même, d’une façon immanente et spécifique. Contre la musique à programme, il déclarait que la musique ne pouvait exprimer autre chose qu’ellemême ; on ne pouvait donc l’expliquer qu’en analysant le seul phénomène musical. La singularité de la musique par rapport aux autres arts et aux autres disciplines imposait qu’on l’étudiât au moyen d’une esthétique spécifique et autonome : la musique définissait et limitait ellemême la science qui l’analysait. Le formalisme de Hanslick, qui se retrouvait dans une certaine mesure chez Schopenhauer, l’amena à mettre en avant

la notion de thème, celui-ci étant envisagé comme la « substance » de l’oeuvre et l’élément générateur de la forme ; il condamnait ainsi la stérilité des oeuvres de son époque et notamment celle de la « mélodie infinie » de Wagner, dont il affirmait qu’elle était « l’absence de forme érigée en principe ». À partir de là, Hanslick, brocardé par Wagner sous les traits de Beckmesser dans les Maîtres chanteurs, se fit le défenseur de Brahms et de Verdi. HANSON (Howard), compositeur et pédagogue américain d’origine suédoise (Wahoo, Nebraska, 1896 - Rochester, New York, 1981). Il commença ses études musicales à Wahoo, puis se rendit à New York, où Percy Goetschius, professeur à l’Institute of Musical Art, le forma à la composition. Il fut ensuite élève de Arne Oloberg à la Northwestern University, obtint le prix de Rome américain en 1921 et passa trois ans à l’Académie américaine de Rome. En 1924, à l’âge de vingt-huit ans, il fut nommé directeur de l’Eastman School of Music de Rochester (New York), poste qu’il conserva jusqu’en 1964. Il inaugura en 1925, à Rochester, des festivals musicaux qui lui donnèrent l’occasion de diriger un grand nombre d’oeuvres nouvelles de tous styles. Pour cette raison et parce qu’il a été professeur de deux générations successives de compositeurs américains, Hanson a exercé une influence très importante sur la musique américaine. L’origine scandinave de Hanson est sensible dans son oeuvre, et il a souvent été comparé à Sibelius. Comme ce dernier, il s’est inspiré du folklore, sans pour autant le citer explicitement. Bien que se tenant au courant des techniques de composition contemporaines, il resta attaché à la tonalité. Il fut avant tout symphoniste, auteur de 7 symphonies, de poèmes symphoniques (Lux aeterna, Pan and the Priest), de concertos pour orgue et pour piano, mais aussi de nombreuses oeuvres vocales (choeurs, mélodies) et de l’opéra Merry Mount, représenté au Metropolitan Opera en 1933. On lui doit aussi des ouvrages écrits : Music in Contemporary American Civilisation (1951) ; Harmonic Materials of Modern Music : Resources of the tempered Scale (1960). HANSSENS, famille de compositeurs belges.

Charles Louis, dit l’Ancien (Gand 1777 Bruxelles 1852). Il fit ses études à Gand et à Paris, occupa divers postes de chef d’orchestre à Gand, Amsterdam, Rotterdam et Utrecht, puis à Bruxelles. Les événements de 1830-1831 lui firent perdre ses postes de chef d’orchestre du théâtre de la Monnaie et de directeur du conservatoire de cette ville, mais il retrouva le premier en 1835-1838, puis en 1840. Comme compositeur, on lui doit des opéras et de la musique religieuse. Charles Louis, dit le Jeune (Gand 1802 Bruxelles 1871), fils du précédent. Autodidacte, il occupa des postes en Belgique, en Hollande et en France, et fut de 1848 à 1869 chef d’orchestre du théâtre de la Monnaie à Bruxelles, qu’il dirigea de 1851 à 1854. Il a écrit de la musique symphonique (dont 9 symphonies), des opéras, des oeuvres religieuses. HANUŠ (Jan), compositeur tchèque (Prague 1915). Il apprend le piano dans sa jeunesse et entre au conservatoire de Prague dans la classe de O. Jeremiáš (1932-1940). Il suit également les cours de direction d’orchestre de P. Dědeček. Il est, ensuite, rédacteur aux Éditions nationales, fait connaître l’oeuvre de piano de Fibich, Foerster et Ostrčil, et éditer l’oeuvre de Dvořák et Fibich (19551959). Sur le plan de la composition, il est l’héritier de la tradition de Smetana dans ses oeuvres pour la scène, de Dvořák dans ses symphonies et sa musique de chambre. Son réel tempérament dramatique, porté par un langage postromantique, fréquemment polytonal, s’impose avec la même force aussi bien dans ses 5 Symphonies (1942-1965) que dans ses six oeuvres pour la scène - des Flammes op. 14 (1942-1944) à l’Histoire d’une nuit, résurgence dramatique des Mille et Une Nuits (1968). HARANT (Krystof, baron de POLZICE et BEZDRUZICE), compositeur tchèque (Château de Klenov 1564 - Prague 1621). Après des études à la cour de l’archiduc Ferdinand à Innsbruck, il se battit contre les Turcs (1597) et fit un pèlerinage en Terre sainte. Conseiller de Rodolphe II (1600), il prit parti pour la Réforme, dont il commandait les armées à la bataille de la Montagne Blanche (1620), et fut exécuté avec vingt autres rebelles sur la place de

la vieille ville de Prague. Humaniste de la Renaissance, à la fois voyageur, homme de lettres, ingénieur, chef d’armée, chanteur et chef de choeur, Krystof Harant fut, comme compositeur, influencé par l’école vénitienne et par le style madrigalesque de Luca Marenzio (Missa super dolorosi martyr, motet Maria Kron, motet Qui confidunt). Une grande partie de sa production s’est perdue. HARDINGFELE. Dit aussi hardangerfele ou hardangerfiol, c’est-à-dire violon de Hardanger (ville de la côte ouest de la Norvège), c’est le plus connu des instruments populaires de Norvège. Assez proche du violon traditionnel, il est accordé une tierce mineure plus bas et dispose de 4 ou 5 cordes supplémentaires de résonance. Il trouve son origine au XVIIe siècle, naissant probablement du violon européen, de la viole d’amour et d’instruments à cordes norvégiens plus anciens. De cette époque, le premier témoignage de hardingfele qui nous reste est le Jaastadfelan, signé par Ole Jonsen Jaastad en 1651. Le répertoire et la technique particulière du hardingfele ont inspiré de nombreux compositeurs norvégiens et, si E. Grieg lui a donné ses lettres de noblesse, certains compositeurs, tel J. Halvorsen dans Fossegrimen, n’ont pas craint de le joindre à l’orchestre traditionnel. HARMONÉON. Nom donné à l’accordéon de concert conçu par Pierre Monichon en 1948. L’instrument comporte deux claviers identiques. Il peut aborder toutes les difficultés d’écriture, et se marie bien, soit avec d’autres instruments solistes, soit avec un orchestre symphonique. L’harmonéon est enseigné au Conservatoire de Paris depuis 1959 (Alain Abbott). M. Landowski, J. M. Damase, H. Sauguet, T. Aubin, J. Casterède, ont écrit pour cet instrument. HARMONICA. Nom donné dans le passé à un grand nombre d’instruments très différents les uns des autres, y compris un Glasharmonika formé d’un jeu de verres à pied convenablement accordés, dont l’exécutant tirait des sons très flûtés,

de caractère immatériel, en effleurant leurs bords de ses doigts mouillés. Il y eut même un harmonica de Franklin, où les verres, aplatis en forme d’assiettes, étaient montés sur un axe horizontal mis en mouvement par une pédale. Dans les premières années du XIXe siècle, apparurent un Physharmonika, dû au célèbre facteur viennois Aanton Haeckel (1818), puis un Aeol-Harmonika (1818), qui partageaient avec bien d’autres instruments voisins (orchestrion, melodion, uranion, aéoline, éoline, symphonium, etc.) deux caractéristiques essentielles : downloadModeText.vue.download 454 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 448 c’étaient des instruments à anches libres et à clavier. Le facteur allemand Christian Messner présentait en 1823 une mundeoline, c’est-à-dire une éoline à bouche, dans laquelle l’exécutant soufflait directement, se passant de soufflets et de clavier. Enfin, un autre facteur allemand, Christian Buschmann, inventait, en 1828, le Mundharmonika (« harmonica à bouche »), que Matthias Hohner devait perfectionner dans ses ateliers de Trossingen. C’est l’instrument qui est aujourd’hui désigné en France sous le seul nom d’harmonica. Comme les premiers accordéons, qui furent créés à la même époque, il est diatonique et donne des notes différentes selon qu’on souffle ou qu’on aspire. Mais, dans les modèles chromatiques, une glissière métallique munie d’un poussoir et d’un ressort de rappel peut fermer instantanément tous les trous correspondant aux anches diatoniques et en ouvrir d’autres qui fournissent les demi-tons. Il existe évidemment des harmonicas de différents formats, dont l’étendue peut atteindre plusieurs octaves. HARMONICA DE VERRE. Instrument ancien fondé sur l’expérience de physique amusante qui consiste à produire un son en promenant un doigt mouillé sur les bords d’un verre à boire. L’harmonica de verre était formé d’une série de verres de cristal convenablement calibrés pour reconstituer la gamme chromatique et qu’on pouvait accorder de

façon précise en les remplissant plus ou moins d’eau. Gluck lui-même, séduit par la sonorité immatérielle de ce Glasharmonika, en a joué en public. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, le physicien américain Benjamin Franklin (1706-1790), qui devait également inventer le paratonnerre et jouer un rôle politique de premier plan, imagina de remplacer les verres par des coupes sans pied, enfilées sur un axe horizontal qu’un mécanisme à pédale mettait en mouvement. Les corps sonores se présentaient ainsi comme autant de touches d’un clavier, et il suffisait de les effleurer pour les faire vibrer. C’est pour l’harmonica de Franklin, dont l’étendue atteignait trois octaves et une sixte, que Mozart a composé en 1791 un quintette pour harmonica, flûte, alto, hautbois et violoncelle (K. 617). Dans l’orchestre moderne, le célesta remplace l’harmonica de verre de façon beaucoup plus commode, mais sans égaler tout à fait sa pureté de son. HARMONIE. Terme employé en musique tantôt dans son sens général, tantôt dans un sens technique qui a varié au cours des siècles. 1. Au sens général, dérivé du grec harmottein (« assembler »), l’harmonie est, selon l’Arithmétique de Nicomaque, la qualité à la fois esthétique, morale et même physique résultant dans un ensemble d’un juste équilibre dans le choix, la proportion et la disposition de ses composants, et cette définition s’applique à la musique aussi bien qu’aux autres arts et aux sciences, où elle donne lieu à divers dérivés (harmonieux, harmonique, etc.). 2. Dans la musique grecque antique, le mot harmonia (« harmonie ») applique de manière précise la définition cidessus à la hauteur des sons musicaux et à la manière de les organiser. L’harmonie est donc, en ce qui concerne la hauteur, la science du rapport entre les sons, incluant l’étude des intervalles, de leurs groupements en éléments premiers (tétracordes, etc.), puis de l’agencement structuré de ceux-ci entre eux (gammes, systèmes, etc.). L’harmonie formait le premier stade des études musicales et se complétait par la rythmique, l’organique (science des instruments), la métrique, la poétique et l’hypocritique (c’est-à-dire

la science de l’acteur et du déclamateur). On appelait harmoniciens (harmonikoï) les spécialistes des mesures d’intervalles au monocorde, généralement pythagoriciens. 3. En intitulant, en 1722, Traité de l’harmonie réduite à ses principes naturels l’ouvrage majeur d’où découle la théorie moderne, Rameau entend encore le terme « harmonie » au sens no 2 et multiplie les calculs de monocorde. Mais, plus que ses prédécesseurs, il étudie les intervalles en fonction des accords et de leurs enchaînements, dont il montre plus tard (Génération harmonique, 1735) la conformité avec la « résonance des corps sonores ». D’où sa formule novatrice : « La mélodie provient de l’harmonie et non pas l’inverse », à partir de laquelle le mot « harmonie » prendra désormais le sens qui est resté le sien. 4. Depuis le XVIIIe siècle, le mot « harmonie » désigne particulièrement la science des accords entendus verticalement, c’est-à-dire dans leur sonorité globale, ainsi que de leurs enchaînements, par opposition au contrepoint, qui envisage les rencontres de sons de manière « horizontale », à savoir par rapport aux lignes mélodiques superposées (punctum contra punctum), auxquelles appartient isolément chaque note de l’accord envisagé. Harmonie et contrepoint sont considérés comme les deux éléments complémentaires des études d’écriture musicale, et chacun d’eux donne lieu à une pédagogie plus ou moins figée, dotée de traités spéciaux et ouvrant sur des classes spécialisées dans les conservatoires. La distinction toutefois demeure quelque peu arbitraire, l’harmonie ne pouvant se concevoir sans intervention du contrepoint, ne serait-ce que pour l’étude des enchaînements d’accords. L’usage a donc établi une sorte de compromis, les traités d’harmonie faisant, en fait, une part importante à la marche des parties, et ceux de contrepoint se spécialisant dans un entraînement supplémentaire à diverses catégories cataloguées (renversable, mélanges, fleuri, etc.) artificielles, mais jugées formatrices. Sous son aspect traditionnel, qui remonte dans ses grandes lignes à la seconde moitié du XVIIIe siècle, l’étude de l’harmonie se limite quelque peu

arbitrairement, en France du moins, à un exercice consistant à compléter, « à la muette », un ensemble à 4 voix (beaucoup de traités conservent encore les clefs d’ut archaïques), dont l’une des parties, chant ou basse (cette dernière chiffrée ou non), est donnée à l’avance. On la divise arbitrairement en harmonie dite consonante (accords de 3 sons) et dissonante (autres accords), et elle exige en moyenne de deux à quatre ans d’études. Une clause de style, introduite depuis peu, fait accoler à son nom l’épithète restrictive d’« harmonie tonale », mais il n’existe aucun traité d’harmonie « atonale » répondant à d’autres critères que ceux de conventions arbitraires établies par leurs auteurs. La rénovation des études d’harmonie demeure actuellement l’une des tâches urgentes de la pédagogie musicale. 5. Par dérivation généralisatrice, on donne quelquefois le nom d’« harmonie » à la conception d’ensemble qui, à une époque ou dans un style donnés, conditionne la manière de s’exprimer en musique, spécialement dans le choix des accords et la manière de les enchaîner (harmonie classique, romantique, moderne). 6. On emploie en orchestration le terme d’« harmonie » pour désigner l’ensemble des instruments à vent, divisés en petite harmonie (bois, incluant les flûtes bien qu’elles soient désormais en métal) et grande ou grosse harmonie (cuivres). On appelle orchestre d’harmonie, ou harmonie tout court, un orchestre formé des vents (et éventuellement percussions), à l’exclusion des cordes, dont cependant on conserve quelquefois les contrebasses et, exceptionnellement, les violoncelles. HARMONIQUES. Sons concomitants qui accompagnent l’émission d’un son, dit son fondamental. Ils forment une série d’harmoniques supérieurs naturels dont les fréquences sont des multiples entiers - 2n, 3n, etc. - de la fréquence n du son fondamental. Le 2e harmonique, ou son 2, sonne à l’octave supérieure du son fondamental ; downloadModeText.vue.download 455 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 449 le nombre de vibrations dans un temps donné en est deux fois plus grand. Le 3e harmonique, ou son 3, sonne à la douzième juste du son fondamental ; le nombre de variations en est trois fois plus grand ; etc. Les partiels d’une corde ne correspondent exactement aux harmoniques du son fondamental que si la corde est très tendue et d’une rigidité très faible, comme dans le cas des cordes en boyau. D’après la théorie de Helmholtz, le timbre des instruments et des voix résulte de la présence des harmoniques et de la diversité de leur intensité. Les harmoniques concomitants ont été découverts par le père Marin Mersenne. Série des harmoniques naturels du son ut1 (les notes entre parenthèses sont très approximatives). La fréquence d’un son étant inversement proportionnelle à sa longueur d’onde, on peut former une autre série inverse de la précédente - basée sur les longueurs d’onde : c’est la série des harmoniques inférieurs. Le son 2 est produit par une corde ou par un tuyau deux fois plus long que le son 1 ; le son 3 est produit par une corde ou par un tuyau trois fois plus long, etc. Série des harmoniques inférieurs : Dans les instruments à cordes, comme le violon, on peut produire des sons harmoniques en effleurant la corde en certains points. On distingue les sons harmoniques naturels et les sons harmoniques artificiels. Pour les premiers, c’est la corde à vide qui donne le son fondamental ; le doigt effleure alors la corde à la moitié, au tiers, au quart, etc., de sa longueur, afin de produire les harmoniques 2, 3, 4, etc. Pour les seconds, le son fondamental est produit par l’index, qui appuie sur la corde tandis qu’un autre doigt effleure la corde, à intervalle de quarte pour obtenir le son 4 (double octave du son fondamental) ou à intervalle de quinte pour obtenir le son 5. On peut écrire le son effleuré en note losangée : ou écrire directement l’harmonique à sa hauteur réelle, avec un o : HARMONIUM. Orgue à anches métalliques libres, sans

tuyaux et pourvu d’un clavier. Héritier de la régale médiévale, un peu plus récent que l’harmonica et l’accordéon, mais précédé de nombreux instruments similaires, il obéit exactement aux mêmes principes, avec cette différence qu’il n’est pas portatif. Sa soufflerie, actionnée par une paire de pédales, fonctionne à l’intérieur d’un meuble semblable au piano droit. Le premier vrai harmonium fut construit à Paris en 1840 par Alexandre François Debain. Les modèles les plus perfectionnés couvraient cinq octaves et disposaient de plus de douze registres de 16, 8 ou 4 pieds. Ordinairement, le clavier était divisé en deux parties indépendantes, permettant une registration différente sur chacune d’elles. Parfois les harmoniums possédaient deux claviers, un pédalier et, pour la galerie, des tuyaux factices en « montre ». L’harmonium a rendu d’immenses services, pendant tout un siècle, pour accompagner les offices religieux dans les paroisses pauvres dépourvues d’orgues. Ce fut aussi, en province surtout, un instrument de salon. Quelques compositeurs ont essayé de le mettre en valeur (Camille Saint-Saëns) et une quantité d’oeuvres ont été transcrites pour l’harmonium. HARNONCOURT (Nicolaus), chef d’orchestre et violoncelliste autrichien (Berlin 1929). Il travaille le violoncelle avec P. Grümmer et, à partir de 1948, étudie à la Musikakademie de Vienne. De 1952 à 1969, il est membre de l’Orchestre symphonique de Vienne. Il entreprend des recherches sur l’interprétation de la musique de la Renaissance et de l’époque baroque, ainsi que sur le jeu des instruments anciens. Il publie des articles dans Musica antiqua, Österreichische Musikzeitschrift et Musica. Ses travaux ont porté notamment sur les oeuvres de Monteverdi et de J.-S. Bach. Il fonde en 1953 le Concentus musicus de Vienne, dont les membres jouent sur des instruments historiques ou, à défaut, sur des copies fidèles. Dans un souci d’authenticité destiné à restaurer toutes les couleurs naturelles aux oeuvres qu’il interprète, N. Harnoncourt a signé de nombreux disques de référence (Messe en si, les Passions de Bach ; les trois opéras conservés de Monteverdi ; Castor et Pollux de Rameau ; de nombreux opéras de Mo-

zart ; la Création et les Saisons de Haydn, symphonies de Mozart, Haydn, Beethoven, Schubert, Mendelssohn, Schumann, Bruckner). Avec le claveciniste Gustav Leonhardt, il a réalisé le premier enregistrement intégral des cantates de Bach. HARPE. Instrument à cordes pincées, répandu dans le monde entier, sous diverses formes, depuis plusieurs millénaires. Ses origines se confondent avec celles de la lyre, dont elle ne se distingue tout d’abord que par ses cordes plus nombreuses et sa forme asymétrique, résultant d’une grande différence de longueur entre les cordes graves et les cordes aiguës. La harpe - du moins en Occident - affecte alors la forme d’un triangle dressé sur sa pointe. Les cordes sont tendues entre un « corps » oblique (la caisse de résonance) et une « console » approximativement horizontale qui supporte les chevilles d’accord, tandis qu’une « colonne » verticale forme le troisième côté. La multiplication des cordes entraînant des dimensions de plus en plus importantes, l’instrument cesse bientôt d’être portatif. On le pose sur une table, puis sur le sol. Mais, comme chaque corde ne produit qu’une note, ses possibilités se limitent, jusqu’à la fin du XVIe siècle, à la gamme diatonique ou à des « modes » déterminés. C’est encore le cas de deux instruments folkloriques fort appréciés de nos jours : la « harpe celtique » et la « harpe indienne », toutes deux de petite taille. Peu après, la harpe devient chromatique grâce à deux rangs de cordes, mais c’est à partir de 1660 que des perfectionnements successifs, d’ordre mécanique, aboutissent vers 1720 au « simple mouvement » (Georg Hochbrucker, 1670-1763), actionné par des pédales, qui permet de raccourcir chaque corde pour la porter au demi-ton supérieur. Avec le célèbre facteur Sébastien Érard (1752-1831), qui met au point, vers 1810, la première harpe à double mouvement, la harpe moderne est née : chaque corde donne désormais trois notes sous l’effet de sept pédales, dont chacune élève ou abaisse d’un demiton tous les do, tous les ré, tous les mi, etc. La harpe classique actuellement utilisée à l’orchestre possède l’étendue considérable de 6 octaves 1/2. Mais c’est toujours un instrument délicat et coûteux, qui ne comporte pas moins de 1 415 pièces.

HARPE ÉOLIENNE. Instrument de physique plutôt qu’instrument de musique, la harpe éolienne consistait en une sorte de cithare érigée en plein air et convenablement orientée dans le sens du vent, lequel faisait vibrer ses six cordes de boyau tendues sur une caisse. downloadModeText.vue.download 456 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 450 Les harmoniques ainsi produits contribuaient au décor des jardins d’agrément, au même titre que les illuminations. HARRELL (Lynn), violoncelliste américain (New York 1944). Il étudie avec Leonard Rose à la Juilliard School de New York, puis avec Casals et Piatigorski au Curtis Institute de Philadelphie. De 1965 à 1971, il est le plus jeune soliste de l’Orchestre de Cleveland. En 1975, il fait ses débuts à Londres et commence une carrière de concertiste avec les plus grands orchestres européens, sous la direction de Claudio Abbado et Daniel Barenboïm notamment. Depuis 1984, il donne de nombreux récitals avec Vladimir Ashkenazy, qui est son partenaire en trio avec Ithzak Perlman. Professeur à la Juilliard School entre 1977 et 1985, il reprend en 1986 la chaire de Piatigorski à l’Université de Caroline du Sud. Travaillant beaucoup en Angleterre, il est depuis 1993 professeur à la Royal Academy of Music de Londres. HARRER (Johann Gottlob), compositeur allemand (Görlitz 1703 - Carlsbad 1755). Il étudia le droit à l’université de Leipzig, puis voyagea en Italie aux frais du comte Heinrich von Brühl, au service duquel il passa ensuite vingt années à Dresde (1731-1750). En 1750, peut-être grâce à l’influence de Brühl, qui jouait un rôle prépondérant dans les affaires de Saxe, il succéda à Bach comme cantor de SaintThomas de Leipzig. HARRIS (Roy), compositeur américain (Lincoln County, Oklahoma, 1898 - Santa Monica, Californie, 1979). Il étudie la philosophie grecque et la théologie hindoue avant la musique, à laquelle

il vient assez tard. Il est l’élève d’Arthur Farwell et d’Altschuler à l’université de Los Angeles. Ses premiers essais précèdent son départ pour Paris, où il travaille avec Nadia Boulanger (1926-1928). À trente ans, un grave accident lui brise la colonne vertébrale et le contraint à une longue convalescence, pendant laquelle il poursuit ses études et, dit-il, apprend à écrire sans piano. C’est l’époque du 1er Quatuor, où l’attention qu’il apporte à la structure de la musique lui suggère déjà un langage très personnel. Trois ans plus tard, la 1re Symphonie, conduite par Koussevitski, est un triomphe en dépit de son programme ambitieux (« exprimer l’esprit d’aventure et l’exubérance physique, le pathétique qui semble à la base de toute existence humaine et la volonté de puissance et d’action »). Sa force expressive, sa volonté de style et son goût des formes classiques se retrouvent à toutes les étapes d’une carrière conçue dans l’esprit néoromantique et qui évoluera vers le monumental, avec des références de plus en plus fréquentes aux thèmes populaires. La 3e Symphonie, saluée comme un événement lors de sa création à Boston (1939), attestait déjà une puissance de tempérament assez exceptionnelle dans l’école américaine, et les suivantes (5e Symphonie dédiée au peuple soviétique alors en guerre, 6e et 10e inspirées par la personnalité d’Abraham Lincoln) en confirment l’audace et l’énergie. Harris devait en écrire 14 (la dernière en 1975). HARSANYI (Tibor), pianiste et compositeur français d’origine hongroise (Magyarkanisza 1898 - Paris 1954). Élève de Bartók et de Kodály, il émigra à Paris en 1924, où il fit partie du groupe de musiciens originaires d’Europe centrale, connu sous le nom d’École de Paris (les autres membres étant Marcel Mihalovici, Bohuslav Martinºu, Alexandre Tcherepnine, Alexandre Tansman). Dans un style poursuivant la synthèse d’éléments folkloriques hongrois et de tendances néoclassiques, Tibor Harsanyi a laissé des ballets, comme le Dernier Songe (1920), Pantins (1938) et Chota Roustaveli (1945), les opéras les Invités (1937) et Illusion (1948), des oeuvres symphoniques et de chambre, ainsi que de nombreuses musiques de scène et de film. HARTEMANN (Jean-Claude), chef

d’orchestre français (Vezet 1929 - Paris 1993). Élève de Jean Fournet à l’École normale de musique, il est en 1956 lauréat du Concours international de Besançon. De 1957 à 1960, il est premier chef du Grand Théâtre lyrique de Dijon, où il rencontre Jésus Etcheverry, avec lequel il parfait sa formation. De 1960 à 1963, il est directeur musical du Théâtre de Metz, puis chef permanent de la Réunion des théâtres lyriques nationaux. Régulièrement invité à l’Opéra-Comique, il en est le directeur musical de 1968 à 1972. Il fonde plusieurs formations, notamment l’Ensemble instrumental de France en 1966 et les Solistes de France en 1971. Mozartien de talent, il enregistre plusieurs opérettes françaises, la Messe Sainte-Cécile de Gounod, et crée des oeuvres de Frank Martin. Il enseigne de 1972 à 1977 à la Schola cantorum de Paris, puis au Centre culturel d’Évry. Dans un contexte de crise de la direction d’orchestre en France, il est l’un des très rares chefs à avoir transmis son métier, dont le répertoire lyrique était pour lui la base essentielle. HARTMANN, famille de musiciens danois. Johann Ernst, compositeur et violoniste (Gross-Glogau, Allemagne, 1726 - Copenhague 1793). Très influencé par l’esthétique néoclassique de Winckelmann et de Gluck, il est l’initiateur du style nordique, qui atteint son apogée dans l’oeuvre de son petit-fils J. P. E. Hartmann. Les principaux ouvrages de J. E. Hartmann restent ses musiques de scène pour les pièces de J. Ewals : Balders tod, « la Mort de Balder », 1779, et Fiskerne, « les Pêcheurs », 1780. Johann Peter Emilius, compositeur, petit-fils du précédent (Copenhague 1805 - id. 1900). Il est, avec N. Gade, le plus important compositeur romantique danois. Inspiré par la vision nordique des drames de A. Oehlenschläger, il est avant tout un lyrique, qui puise son inspiration dans les vieilles légendes : musique pour le mélodrame Guldhornene, « les Cornes d’or », 1832 ; musique de tragédie, Olaf den Hellige, « Saint Olaf », 1838 ; ouvertures, Hakon jarl, « le Chef Hakon », 1844, et Axel og Valborg, 1856 ; musiques de ballet, Valkyrien, 1861, et Thrymskviden, « la Légende de Thrym », 1868 ; cantate,

Volvens Spaadom, « la Prophétie de la sibylle », 1872 ; tragédie, Yrsa, 1883. Mais, malgré quelques oeuvres instrumentales et symphoniques fort bien venues, ses chefsd’oeuvre restent le ballet Et folkesagn, « Une légende populaire », 1854, écrit en collaboration avec N. Gade, et surtout l’opéra Liden Kirsten, « la Petite Christine », 1846, sur un livret de H. C. Andersen, une des oeuvres les plus populaires du répertoire lyrique danois. HARTMANN (Karl Amadeus), compositeur allemand (Munich 1905 - id. 1963). Il étudia avec Joseph Haas à Munich (1924-1927) et prit aussi des leçons auprès de Hermann Scherchen, qui l’influença profondément, et d’Anton Webern (194142), qui cependant marqua moins sa musique qu’Alban Berg. Diverses oeuvres, pour la plupart retirées par la suite, furent entendues avant la Seconde Guerre mondiale : le Concertino à Strasbourg en 1933, la symphonie Miserae à Prague en 1935, le premier quatuor à cordes à Genève en 1935, la cantate Friede - Anno 48 à Vienne en 1937, la symphonie l’oeuvre à Liège en 1939. Certaines devaient être réutilisées ultérieurement, comme le Concertino dans la symphonie no 5 ou l’oeuvre dans la symphonie no 6 ; d’autres sont perdues. La raison de ces auditions hors d’Allemagne est que, durant le régime nazi, Hartmann se retira complètement de la vie musicale dans son pays. Mais, dès 1945, il fonda à Munich, dans le but de faire connaître les oeuvres contemporaines, l’importante association Musica viva. Il obtint successivement le prix de la ville de Munich (1949) et celui de l’Académie bavaroise des beaux-arts (1950), dont il devint membre en 1952, et, en 1953, il fut nommé président de la section allemande de la Société internationale de musique downloadModeText.vue.download 457 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 451 contemporaine. Sa seule oeuvre scénique, à tendances pacifistes, est Simplicius Simplicissimus d’après Grimmelshausen, composée en 1934-35 à l’instigation de Scherchen sous le titre de Des Simplicius Simplicissimus Jugend, créée sous sa forme première en concert à Munich en 1948, puis à la scène à Cologne en 1949, révisée en 1955 et créée sous sa forme et son titre

définitifs à Mannheim en 1956. On lui doit également, entre autres, un 2e quatuor à cordes (1945-46), un Concerto funèbre pour violon et cordes (1939, rév. 1959), un concerto pour piano, vents et percussion (1953) et un autre pour alto, piano, vents et percussion (1955), l’ouverture symphonique China kämpft (La Chine se bat, 1942). Mais ce sont ses huit symphonies qui constituent le noyau de sa production. Elles font de lui, en ce domaine, l’un des maîtres du milieu du XXe siècle et, sans épigonisme aucun, le principal héritier en pays germaniques de la tradition brucknérienne et mahlérienne (cela malgré de fortes influences de Reger). La Première (1936, créée en 1948) se tient à part : d’abord appelée Symphonische Fragmente, elle est en 5 mouvements, 2 mouvements vocaux sur des textes de Walt Whitman entourant 3 mouvements instrumentaux. La Deuxième (1946, créée en 1950) est en 1 seul mouvement, 1 adagio en forme d’arche montant vers un sommet, puis retombant vers ses sources. La Troisième (1948-49, créée en 1950), ancrée dans « le paysage intellectuel de l’école viennoise » (Hartmann), fait un premier usage de la fugue. La Quatrième (1947, créée en 1948) est pour cordes. La Cinquième (1950, créée en 1951) porte comme titre Symphonie concertante. La Sixième (1951-1953, créée en 1953) est en 2 mouvements, dont le second constitué de 3 fugues. La Septième (1957-58, créée en 1959), la plus grande sans doute, la plus représentative en tout cas des divers aspects du style du compositeur, fait se succéder un premier mouvement mêlant les principes de la fugue, du concerto et du tutti orchestral, un vaste adagio et un finale centré sur le rythme. La Huitième (1960-1962, créée en 1963) est à nouveau en 2 mouvements seulement. À noter que, parmi les symphonies en 3 mouvements, la Cinquième avait, avant la Septième, adopté la structure viflent-vif, la structure inverse lent-vif-lent étant au contraire celle des Troisième et Quatrième. À sa mort, l’admirable figure qu’était Hartmann laissa presque achevée une ultime page grandiose, Gesangsszene pour baryton et orchestre d’après Sodome et Gomorrhe de Jean Giraudoux (création, Francfort, 1964). HARVEY (Jonathan), compositeur anglais (Sutton Coldfield 1939).

Choriste au Saint Michael’s College de Tenbury (1948-1952), il poursuit sa formation musicale au Saint John’s College de Cambridge et prend des cours privés avec Erwin Stein et Hans Keller, qui le familiarisent avec la technique dodécaphonique. Il obtient son doctorat à l’université de Glasgow (1964), fréquente les cours de Darmstadt (1966), où il est fasciné par la personnalité de Karlheinz Stockhausen (il publiera en 1975 The Music of Stockhausen, Londres), travaille avec Milton Babitt à l’université de Princeton (1970). Auditeur passionné, admirateur de la musique religieuse du XVIe siècle, du bouddhisme et du spiritualisme de Rudolf Steiner, Harvey écrit une musique où se mêlent l’intuition et la méditation, la sensualité, l’empirisme et le mysticisme. Il utilise les techniques les plus avancées (From Silence pour soprano, violon, alto, percussion, trois claviers électroniques, ordinateur et bande, 1988). Dans l’opéra Inquest of Love, l’électronique élargit le diapason orchestral et crée des images sonores rudes, inquiétantes, alors que dans The Valey of Aosta pour ensemble instrumental et deux synthétiseurs pilotés par ordinateur (1988), Harvey cultive son goût pour les sonorités évanescentes en s’inspirant plus ou moins des contours vagues du tableau homonyme de Turner. Dans son Quatuor à cordes no 1 (1977), il se sert d’une « note seule (qui) s’élargit en une mélodie et une harmonie » pour « passer de l’élément naturaliste à l’élément spiritualiste ». Un Deuxième Quatuor à cordes (1988) contient des unissons (réels ou faux) adoptant un ton presque prophétique, assez inattendu dans ce répertoire. On lui doit aussi Mortuos plango, vivos voco (1980), où il retrouve l’esprit de la polyphonie vocale religieuse, reconstitué à travers les composants spectraux d’une cloche de la cathédrale de Winchester et de la voix de son propre fils ; Bhakti pour orchestre de chambre et bande (1982) ; Lotuses pour flûte et trio à cordes (1992). Dans cette dernière oeuvre, Harvey s’inspire de la vision bouddhique du lotus, symbole de « la multiplicité du monde des formes à travers lequel brille la lumière de la vérité ». HASKIL (Clara), pianiste roumaine (Bucarest 1895 - Bruxelles 1960). Enfant prodige, elle est menée par un oncle à Vienne (où elle travaille avec le professeur R. Robert et donne son premier

concert public à sept ans) puis à Paris, où Fauré la confie à J. Morpain. Elle obtient le premier prix au Conservatoire en 1910 dans la classe de Cortot. Elle fait un brillant début de carrière, arrêté par une scoliose soignée à Berck de 1914 à 1918. Jusqu’en 1940, elle vit surtout à Paris : reconnue comme l’un des premiers pianistes de son temps, mais ignorée du public, elle ne subsiste que grâce à l’aide constante de mécènes, dont la princesse de Polignac, chez qui elle se lie avec D. Lipatti. En 1942, après une grave opération au cerveau miraculeusement réussie à Marseille, où elle est réfugiée, elle échappe de justesse aux Allemands et fuit en Suisse. De ce pays, où elle se fixe et dont elle acquiert la nationalité en 1949, démarre enfin une triomphale carrière internationale, accidentellement interrompue en 1960. Partenaire des plus grands chefs et solistes (Enesco, Ysaye, Casals, Klemperer, etc.), elle a formé avec le violoniste belge A. Grumiaux un duo célèbre. La géniale simplicité de son jeu, au toucher inimitable, s’appuie sur une technique exceptionnelle ; mais la pureté même de son style, très en avance sur son temps, est peut-être l’une des raisons de son inexplicable méconnaissance par le public pendant trente ans. Sa discographie, malheureusement limitée par cette renommée tardive, en a fait l’interprète privilégiée de compositeurs comme Mozart et Schumann. HASQUENOPH (Pierre), compositeur français (Pantin 1922 - Paris 1982). Il étudia la médecine, puis la musique à l’école César-Franck, et de 1950 à 1955 au Conservatoire de Paris avec D. Milhaud et J. Rivier. Sa carrière à la radio l’a mené du poste de musicien-metteur en ondes (1956) à ceux de directeur du Service symphonique (1958), du Service lyrique (1960) et enfin du Service de la musique de chambre (1973). Comme compositeur, il écrit dans un style « ni tonal, ni sériel », se voulant indépendant de toute école. On lui doit notamment 4 symphonies, l’opéra bouffe Lucrèce de Padoue (1963, créé en 1967), l’opéra en 2 actes Comme il vous plaira, féerie lyrique d’après Shakespeare (1975, créé à l’Opéra du Rhin à Strasbourg en 1982), les ballets Le papillon qui tapait du pied (1951), le Blouson (1966) et Et tu auras nom Tristan (1967-1969, d’après Joseph Bédier) ainsi que de nombreuses oeuvres symphoniques et de chambre. Il

a reçu le grand prix musical de la Ville de Paris en 1959. HASSE (Johann Adolf), compositeur allemand (Bergedorf, près de Hambourg, 1699 - Venise 1783). Fils d’organiste, il débuta comme ténor à Hambourg et à Brunswick, où son premier opéra (Antioco) fut représenté en 1721, puis travailla à Naples avec Porpora et Alessandro Scarlatti. Nommé en 1727 maître de chapelle à l’hospice des Incurables à Venise, Hasse épousa en 1730 dans cette ville la célèbre chanteuse Faustina Bordoni : tous deux devaient dorénavant mener leurs carrières de front. Le couple arriva en 1731 à Dresde, où Cleofide fut downloadModeText.vue.download 458 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 452 joué en présence notamment de J.-S. Bach, et Hasse fut nommé maître de chapelle royal de la cour de Pologne et de Saxe. Il revint à Dresde en 1734, ce qui marqua le début de trente années d’activités inlassables dans cette capitale, entrecoupées, il est vrai, par des voyages à Londres, à Munich (1746), à Paris (1750), à Varsovie, à Berlin. Au cours du siège de Dresde (1760), la bibliothèque de Hasse et le matériel qui devait servir à une édition complète de ses oeuvres furent détruits. Tombé en disgrâce à la mort de Frédéric Auguste II (1763), le compositeur partit pour Vienne (1764), puis Venise (1773). Son dernier opéra, Ruggiero, fut représenté en 1771 à Milan en concurrence avec Ascanio in Alba du jeune Mozart (les deux oeuvres avaient été écrites pour le mariage de l’archiduc d’Autriche Ferdinand avec une princesse d’Este) : « Cet enfant nous fera tous oublier », aurait-il dit alors. Le nom de Hasse symbolise, à lui seul, la conquête des pays germaniques par l’opéra et le style italiens au milieu du XVIIIe siècle. Il connut une carrière des plus heureuses, mais ses succès n’eurent d’égal que l’obscurité dans laquelle il tomba après sa mort, et qui - à tort sans doute - dure encore aujourd’hui. Représentant typique (avec son librettiste principal Métastase) de l’opera seria tel qu’il se répandit alors à travers toute l’Europe, mais en particulier en Allemagne, Hasse n’écrivit pas moins de 56 opéras et de 13 intermezzos

bouffes, de 11 oratorios, de 10 messes et de 7 fragments de messes, ainsi qu’un très grand nombre de partitions religieuses et instrumentales diverses. Sa musique vaut notamment par le dramatisme de son style déclamatoire, parfaitement adapté au sens et à la sonorité de chaque mot, et par la façon dont il sut, dans ses airs, caractériser musicalement une situation, un sentiment. Parmi ses opéras, on note Didone abbandonata (1742), Arminio (1745), Demofoonte (1748), Adriano in Siria (1752), Il Re pastore (1755), tous créés à Dresde, ou encore Partenope (Vienne, 1767). Dans Piramo e Tisbe (Vienne, 1768), il tenta de reprendre à son compte les réformes de Gluck. La musique de Hasse ne survécut pas à la vogue de l’opera seria, mais cela n’empêcha pas des compositeurs aussi différents les uns des autres que Jean-Sébastien Bach, Johann Adam Hiller, Johann Friedrich Reichardt, Joseph Haydn (qui soumit à son approbation son Stabat Mater de 1767 et se déclara ravi des éloges reçus) et même, plus tard, Hector Berlioz de faire de lui les plus grands éloges. HASSLER (Hans Leo), compositeur allemand (Nuremberg 1564 - Francfort 1612). Il fut le premier grand musicien de son pays à aller se former en Italie. Après avoir grandi dans la tradition de Lassus, il fut, en 1584 à Venise, élève d’Andrea Gabrieli et se lia d’amitié avec son neveu Giovanni, futur maître de Heinrich Schütz. Organiste d’Octavian II Fugger à Augsbourg en 1586, anobli par son protecteur l’empereur Rodolphe II en 1595, H. L. Hassler dirigea la musique à Augsbourg, puis à Nuremberg (1601), résida ensuite à Ulm (1604-1608), entra au service de la cour de Dresde (1608) et mourut alors qu’il assistait dans la suite de l’Électeur de Saxe au couronnement de l’empereur Mathias. Il fut, avant Praetorius, le promoteur en Allemagne de l’écriture polychorale vénitienne, laissant à ce dernier le soin d’introduire en pays germaniques l’autre grande innovation transalpine, les « concerts vocaux » avec voix solistes, choeurs et instruments obligés. Ses madrigaux et canzonettes évoquent Andrea Gabrieli, ses ouvrages à deux choeurs Giovanni Gabrieli. Outre une nombreuse production religieuse, dont une centaine de motets, huit messes (parmi lesquelles la grandiose Missa octavi toni à huit voix), deux

recueils de chorals et des pièces d’orgue, on lui doit notamment le Lustgarten Neuer Teutscher Gesäng (« Jardin d’agrément des nouveaux chants allemands », 1601), vaste recueil regroupant lieder polyphoniques, monodies accompagnées et pages instrumentales, et où Bach puisa la mélodie du célèbre choral O Haupt voll Blut de la Passion selon saint Matthieu. HAUBENSTOCK-RAMATI (Roman), compositeur autrichien d’origine polonaise (Cracovie 1919 - Vienne 1994). Il fit ses études à Cracovie (1934-1938) et à Lvov (1939-1941), fut directeur musical de la radio de Cracovie (1947-1950), puis émigra en Israël (1950), où il fonda la Bibliothèque nationale de musique et où il enseigna la composition à Tel-Aviv. De retour en Europe en 1957, il se familiarisa à Paris avec la musique concrète, puis devint conseiller pour la musique contemporaine aux éditions Universal à Vienne il le resta jusqu’en 1968. Depuis lors, il se consacre essentiellement à la composition, mais a poursuivi diverses activités d’enseignement à Stockholm, Buenos Aires, Tel-Aviv et surtout en Autriche : il a été nommé professeur de composition à l’École supérieure de musique de Vienne en 1973 et directeur de l’Institut de musique électroacoustique de cette même ville en 1976, et il a reçu le prix musical de la ville de Vienne en 1977. D’abord influencé par Stravinski et Szymanowski, Haubenstock-Ramati s’est familiarisé avec Webern dès 1938 et a rendu hommage aux principes sériels dans certaines de ses premières oeuvres, comme Blessings pour voix et neuf instruments (1954) ou Recitativo e aria pour clavecin et orchestre (1955). il s’est ensuite tourné vers les formes variables, ou « formes à dynamiques fermées «, par exemple dans la série des Mobiles, parmi lesquels Petite Musique de nuit pour orchestre (1960) et Mobile for Shakespeare pour voix et six exécutants (1969), dans la série des Multiples inaugurée en 1969 pour les Multiples I à VI - chacun fait appel à une formation différente et peut exister en de nombreuses versions -, ainsi que dans des pages orchestrales comme Vermutungen - über ein dunkles Haus (1963, tiré d’Amerika), Tableau I (1967), II (1969) et III (1971), ou encore Symphonien (1977, Baden-Baden, 1978). On lui doit encore, notamment, Hôtel Occidental pour choeur parlé, d’après Kafka (3 vers., 1967), deux

quatuors à cordes (1973 et 1977), le ballet Ulysse (créé à Vienne, 1978), Nocturnes I et II pour orchestre (Graz, 1981 et 1982), Nocturne III pour orchestre (Vienne 1986). il s’est toujours intéressé de près au graphisme musical et a organisé la première exposition consacrée à ce sujet à Donaueschingen en 1959. HAUDEBOURG (Brigitte), pianiste française (Paris 1942). Elle étudie le piano avec Jean Doyen, avant d’entreprendre l’étude du clavecin. À dix-sept ans, elle entre au Conservatoire de Paris dans la classe de Marcelle de Lacour, obtient un premier prix de clavecin en 1963 et passe avec succès le concours de claveciniste soliste concertiste de l’O.R.T.F. En 1968, elle remporte la médaille d’or au Concours international Viotti. Elle interprète avec bonheur les compositeurs français des XVIIe et XVIIIe siècles et a fait beaucoup pour la redécouverte d’oeuvres de Daquin, Dandrieu, Devienne, Schobert ou encore du Chevalier de Saint-Georges. Elle a également assuré la création de plusieurs oeuvres contemporaines. HAUER (Joseph Matthias), compositeur autrichien (Wiener-Neustadt 1883 Vienne 1959). Après des études générales dans sa ville natale, il occupe un poste d’instituteur à Krumbach et se met à l’étude de la musique en autodidacte, pendant ses loisirs. Au bout de quelques années, il devient professeur de musique dans les collèges et écoles secondaires et, après la Première Guerre mondiale, s’installe à Vienne comme professeur de musique. Dès 1908, il a commencé à élaborer un système de musique atonale utilisant des séries de douze sons et il peut être ainsi considéré comme un précurseur de Schönberg. Hauer commence à composer à partir de 1918, selon les mêmes principes théoriques. Mais, contrairement à la méthode de Schönberg, qui fixera définitivement l’ordre de succession des douze sons dans chaque série, la démarche de Hauer laisse une plus grande liberté au compositeur dans l’utilisation du total chromatique. La downloadModeText.vue.download 459 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE

453 logique du système, de même que l’arrièreplan esthético-philosophique inspiré de la Farbenlehre de Goethe, incitera pendant longtemps Hauer à écarter toute idée de polyphonie. S’intéressant plus volontiers aux musiques orientales - chinoise, en particulier - qu’à l’héritage classique européen, dont il regrette l’évolution harmonique, la plupart de ses oeuvres reflètent cet état d’esprit par leur caractère presque toujours homophone, privilégiant, par ailleurs, la voix humaine et les instruments réglés sur le « tempérament égal », tels que le piano ou l’harmonium, au détriment des instruments à cordes et à vent. Ce n’est que dans les dernières années de sa vie que Hauer introduit plus de souplesse dans ses conceptions, notamment dans la cantate Der Menschen Weg (« le Chemin des hommes » 1934 ; rév. 1952). Il met également au point un système d’écriture de la musique de douze sons (Zwölftonschrift). Tout en rendant hommage au chercheur, Schönberg lui-même, dans la préface à son traité d’harmonie, insiste sur l’aspect trop rigoureusement systématique de la démarche de Hauer, qui donne souvent à ses oeuvres un caractère expérimental. Sa production, d’ailleurs considérable et couvrant presque toutes les formes, est restée en grande partie inédite. Il a composé deux opéras, dont Salammbô op. 60 (création par O. Klemperer, Berlin, 1930), d’après Gustave Flaubert, des oeuvres pour piano seul, pour orchestre, de la musique de chambre, des oeuvres pour voix et orchestre, pour choeurs, et des mélodies sur des poèmes de Hölderlin. HAUG (Hans), compositeur et chef d’orchestre suisse (Bâle 1900 - Lausanne 1967). Il fait ses études à Bâle avec Egon Petri et Ernst Lévy, puis à Munich avec Courvoisier et Busoni. Il débute comme chef d’orchestre à Granges et à Soleure, avant de diriger à Bâle et à Interlaken. De 1935 à 1938, il est chef d’orchestre à la Radio suisse romande, puis il se fixe à Lausanne comme professeur de composition au conservatoire. En dépit de sa formation germanique, son oeuvre participe d’une esthétique influencée par l’esprit français et d’un style essentiellement souple et vivant, maintenu dans les éléments traditionnels.

HAUPTMANN (Moritz), compositeur et théoricien allemand (Dresde 1792 - Leipzig 1868). Élève de Spohr pour le violon, il fut ensuite membre de la chapelle royale de Dresde (1812), précepteur du prince Repnine en Russie et, de 1822 à 1842, violoniste dans la chapelle de la cour de Cassel dirigée par Spohr. Recommandé par ce dernier et par Mendelssohn, Moritz Hauptmann devint en 1842 cantor de la Thomasschule de Leipzig et en 1843 professeur d’harmonie et de composition au conservatoire de cette ville. Rédacteur, la même année, à l’Allgemeine Musikalische Zeitung, il participa en 1850 à la fondation de la Bach-Gesellschaft, qu’il devait présider jusqu’à sa mort. On lui doit de la musique instrumentale et des opéras, dont Mathilde (1826), mais son oeuvre est essentiellement religieuse. Comme théoricien, son ouvrage le plus important est Die Natur der Harmonik und Metrik (Leipzig, 1853). Il a écrit aussi un commentaire de l’Art de la fugue de Bach (Erläuterungen zu J. S. Bachs Kunst der Fuge, Leipzig, 1841 ; 2e éd., 1861). HAUSSE. En lutherie, pièce de bois située au talon de l’archet, servant à maintenir et à tendre les crins. HAUTBOIS. Instrument à vent de la famille des bois. Caractérisé par sa perce conique et son anche double (2 étroites lamelles de roseau accolées, serrées entre les lèvres de l’exécutant et mises en vibration par son souffle), il était en usage dès l’Antiquité chez de nombreux peuples d’Orient et d’Occident. (L’aulos des Grecs était probablement un hautbois et non une flûte, comme on l’a trop souvent écrit.) Très apprécié au Moyen Âge, il existait au XVIe siècle en 6 tonalités, du « dessus de hautbois » à la contrebasse, sans parler de nombreuses variantes (musette, bombarde, hautbois du Poitou, etc.). À partir du XVIIIe siècle, il connut une évolution parallèle à celle de la flûte, dont il partageait les avantages et les inconvénients : les 8 trous que pouvaient boucher les doigts de l’exécutant limitant à la fois l’étendue de l’instrument (2 octaves environ), son agilité et sa justesse,

on en perça d’autres, commandés par des clés - 6 vers 1770, plus du double par la suite. Le hautbois moderne, en ut, est à peu près celui que Frédéric Triébert mit au point vers 1860, en s’inspirant, notamment, du système Boehm. Mais le mécanisme complexe de Triébert fut encore amélioré par d’autres inventeurs parisiens et le « modèle conservatoire », qui date de 1881, possède entre autres avantages celui de descendre au si bémol. Quant aux bois employés à sa construction, l’ébène l’a depuis longtemps emporté sur la grenadille. Le « hautbois d’amour » sonne à la tierce mineure inférieure. Sa sonorité, plus ronde, plus douce et moins pénétrante, mais aussi expressive que celle du hautbois en ut, est irremplaçable pour la musique baroque (cf. J.-S. Bach, notamment). HAUTE-CONTRE. Abréviation pour l’emploi vocal ténor haute-contre, ou pour le chanteur qui possède cette voix. Par définition, haute-contre est un doublet de contralto (contre-alto), c’està-dire voix proche de la (voix) haute. Le terme est demeuré en usage dans la distribution des parties du choeur, les voix de ténor se répartissant en hautes-contre et en tailles. À titre d’exemple, dans certains de ses choeurs d’opéra, Gluck fit chanter la voix de haute-contre en unisson soit avec les tailles, soit avec les contraltos. L’usage a aujourd’hui retenu ce terme pour désigner un type de ténor, dont la voix s’étend dans le suraigu, grâce à l’emploi habile des résonances de fausset et de tête dans les registres aigus que ne peut atteindre la voix dite de poitrine ; mais, comme tous les ténors utilisent ce genre d’émission, le haute-contre se distingue par sa spécialisation dans un répertoire sollicitant particulièrement les notes élevées de la voix masculine. Au XIXe siècle, les Italiens nommaient le haute-contre ténor contraltino, terme que l’on trouve encore dans les traités français du milieu du XIXe siècle, appliqué au type de voix correspondant à des rôles tels que ceux d’Arnold dans Guillaume Tell de Rossini, Robert dans Robert le Diable de Meyerbeer, etc., rôles écrits pour le français Adolphe Nourrit (1802-1839). On ne naît pas haute-contre, comme on naît basse, soprano ou contralto, car tout ténor peut

devenir haute-contre en renonçant à la richesse des notes centrales et graves de sa tessiture au profit d’une meilleure utilisation du registre aigu (jusqu’au ré ou mi bémol4). Le haute-contre utilise, en effet, ses résonances de poitrine qu’il lie aux résonances de tête en gravissant la gamme vers l’aigu, au contraire du falsettiste, qui n’utilise que ces dernières sur toute son étendue vocale. La musique française des XVIIe et XVIIIe siècles a souvent fait appel au haute-contre - notamment dans la musique religieuse -, le différenciant du ténor taille, ténor grave limité dans l’aigu à ses résonances de poitrine, à peu près l’équivalent du baryton Martin actuel. Cet emploi vocal fut illustré autrefois par Jacques Cochereau (v. 1680-1734), puis par D. F. Tribou (1695-1761), cependant que Pierre Jelyotte (1713-1797), célèbre interprète de Rameau, cumulait les emplois de taille et de haute-contre. Au XIXe siècle, on appelait encore ténor contraltino Gilbert Duprez (1806-1896), qui passe pour avoir, le premier, émis le « contre-ut de poitrine ». Par sa phonation, le ténor slave est très voisin du type français de haute-contre, et Rimski-Korsakov, en 1907, écrivit pour cette voix le rôle de l’Astrologue dans le Coq d’or. Plus près de nous, parmi les spécialistes de la musique ancienne chantant en haute-contre, on peut citer Hugues downloadModeText.vue.download 460 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 454 Cuénod, André Mallabrera, Éric Tappy, qui ont remis cette voix à l’honneur. HAUTEUR. Terme usuel pour désigner la fréquence des sons, un son étant dit plus ou moins haut selon que sa fréquence est plus ou moins élevée. L’assimilation de la fréquence à la hauteur est relativement récente : les Grecs parlent d’acuité (oxys) et de lourdeur (barys), ce que le Moyen Âge traduit par aigu (acutus) et grave (gravis), et non par haut ni par bas. L’assimilation de l’aigu au haut et du grave au bas - c’est-à-dire l’assimilation de l’espace sonore à un plan vertical - pourrait provenir, selon l’hypothèse de J. Chailley, de la séméiologie musicale des neumes primitifs du fait que, sur

l’écritoire incliné ou le pupitre de choeur, l’accent aigu, ou virja, issu de l’accent aigu grammatical, se dirige vers le haut du papier, l’accent grave (punctum) vers le bas (ce qu’a conservé l’écriture sur portée). Il y a, en tout cas, coïncidence chronologique entre l’apparition de cette terminologie et celle de la diastématie des neumes qui pourrait l’avoir provoquée. HAWKINS (sir John), homme de loi et historien de la musique anglais (Londres 1719 - id. 1789). Procureur (cette fonction le fit anoblir en 1772), il n’avait pas reçu la formation d’un musicien, mais se consacra de bonne heure à l’étude de la musique, qu’il estimait, avec raison, négligée. Il fut membre de l’Academy of Ancient Music et de la Madrigal Society. Il eut également une activité littéraire importante. Après de longues recherches, il publia en 1776 l’une des deux premières histoires de la musique parues en Angleterre (l’autre est celle de Burney, qui commença à paraître la même année) : A General History of the Science and Practice of Music (5 vol., Londres, 1776 ; rééd. en 2 vol., 1853, puis 1875 ; New York, 1963, 1969). L’importance de cette entreprise tient non seulement à sa dimension monumentale, mais aussi à sa nouveauté : rassemblant un nombre considérable de textes et de compositions anciennes, inconnues jusqu’alors, elle est, en effet, l’une des premières études historiques consacrées spécifiquement à la musique. S’il trahit le jugement sévère porté par son auteur sur la musique de son temps, cet ouvrage garde néanmoins une grande valeur, tant parce qu’il reproduit des documents disparus que parce qu’il témoigne, dans une large mesure, du goût musical de l’Angleterre au XVIIIe siècle. oeuvres. Memories of the Late Sig. Agostino Steffani (Londres, 1758), The General History of A. Corelli (Londres, 1777). HAYDN (Franz Joseph), compositeur autrichien (Rohrau-sur-la-Leitha, BasseAutriche, 1732 - Vienne, faubourg de Gumpendorf, 1809). Fils du charron Mathias Haydn et de Anna Maria Koller - qui était avant son mariage cuisinière chez le comte Harrach, seigneur de Rohrau -, deuxième de douze enfants, dont six devaient survivre, Franz Joseph Haydn naquit aux confins de l’Autriche et

de la Hongrie - ce qui devait largement influencer sa musique -, et passa dans cette région et à Vienne, exception faite de ses deux voyages à Londres, la totalité de sa vie. Aucun de ses ancêtres n’était musicien de profession. LA JEUNESSE À VIENNE. À six ans, il alla habiter chez un certain Mathias Franck, époux de la demi-soeur de son père, qui lui apprit les rudiments de son futur métier, et, de 1740 à 1749 environ, fut petit chanteur à la maîtrise de la cathédrale Saint-Étienne de Vienne, alors dirigée par Georg Reutter le Jeune et d’où il fut chassé après que sa voix eut mué. Des années qui suivirent, on sait fort peu de chose. Livré à lui-même sur le pavé de Vienne, Haydn subsista en donnant des leçons, en jouant du violon ou de l’orgue. Par l’intermédiaire du poète Métastase, il devint, vers 1753, élève-factotum du compositeur Porpora et étendit le cercle de ses relations. Il travailla aussi pour la cour en 1754-1756. Pour l’essentiel, il se forma en autodidacte, grâce notamment au Gradus ad Parnassum de Fux et en s’appuyant sur ses prédécesseurs (Wagenseil). Haydn composa vers 1757 chez le baron Karl Joseph von Fürnberg, qui l’avait invité dans sa résidence de Weinzierl, ses premiers quatuors à cordes. En 1758 ou 1759, il entra au service du comte Morzin, qui passait l’été dans son château de Lukavec, près de Pilsen en Bohême. Il composa pour lui, notamment, ses premières symphonies et une série de divertissements pour instruments à vent. Mais des revers de fortune obligèrent bientôt Morzin à licencier son orchestre. LES ESTERHÁZY. Le 1er mai 1761, peu après son mariage (26 novembre 1760, Vienne), Haydn signa avec le prince Paul II Anton Esterházy, le plus riche seigneur de Hongrie, un contrat (souvent cité comme typique des conditions imposées au musicien d’Ancien Régime) le nommant vice-maître de chapelle responsable de toute la musique du prince, à l’exception du domaine religieux, réservé en principe au maître de chapelle Gregor Joseph Werner (à la mort de Werner en mars 1766, Haydn lui succéda comme maître de chapelle). La résidence principale du prince hors de Vienne était Eisenstadt (en hongrois, Kismarton, à l’ouest de la Hongrie, aujourd’hui capi-

tale de la province orientale autrichienne du Burgenland). Le prince Paul II Anton ayant disparu le 18 mars 1762, son frère Nicolas, qui devait bientôt mériter le nom de Nicolas le Magnifique, lui succéda. Haydn devait servir ce prince pendant vingt-huit ans, jusqu’à la mort de celui-ci en 1790. Le château d’Eisenstadt ne suffit bientôt plus à Nicolas. Avant son avènement, il avait habité un pavillon de chasse à Süttor (aujourd’hui Fertöd), dans la plaine hongroise, à l’extrémité sud du lac de Neusiedl. L’endroit était marécageux, mais cela n’empêcha pas le prince d’y faire édifier un magnifique château que les contemporains n’hésitèrent pas à comparer à Versailles. Dès 1766, ce château était officiellement appelé Eszterháza. Haydn et ses musiciens s’y installèrent définitivement en 1769. Pourtant, Eszterháza ne fut considéré comme vraiment terminé qu’en 1784, avec l’inauguration de la cascade face au bâtiment central. Le château comprenait alors 126 pièces, et sa construction avait coûté 13 millions de florins (en 1761, le salaire annuel de Haydn, augmenté par la suite il est vrai, avait été fixé à 400 florins par an). Pendant plus de vingt ans, concerts, représentations d’opéras, représentations théâtrales (Haydn put voir des pièces de Shakespeare), fêtes et illuminations s’y succédèrent sans relâche, l’été surtout, car en principe le prince et sa cour passaient l’hiver à Vienne. La saison de 1778, pour ne prendre qu’un exemple, dura cependant du 23 janvier au 22 décembre, avec un total de 242 manifestations. Parmi les grandes festivités organisées à Eszterháza, il faut citer celles de juillet 1772 en l’honneur du cardinal de Rohan, ambassadeur de France à Vienne et futur héros de l’affaire du Collier, celles de septembre 1773 en l’honneur de l’impératrice Marie-Thérèse et celles d’août 1775 en l’honneur de l’archiduc Ferdinand, troisième fils de l’impératrice. HAYDN, MAÎTRE DE CHAPELLE. Haydn, chez les Esterházy, se trouvait à la tête d’une troupe de chanteurs et d’instrumentistes de très grand talent certes, mais parfois turbulents. Il noua avec beaucoup d’entre eux, en particulier avec le violoniste Luigi Tomasini, des relations d’amitié assez étroites et fut plus d’une fois témoin à leur mariage ou parrain de leurs enfants. Mais la vie n’était pas seulement idyllique. Pétitions, requêtes, querelles et

cas litigieux étaient monnaie courante, et Haydn servait en général d’intermédiaire entre l’intéressé et le prince. Fin 1765, le flûtiste Franz Nigst fut renvoyé : son fusil de chasse avait explosé alors qu’il visait des oiseaux sur le toit d’une maison princière, et cette maison avait brûlé complètement. Il y eut aussi la rixe qui, en novembre 1771, opposa dans une taverne d’Eisenstadt le violoncelliste Franz Xaver Marteau au flûtiste Zacharias Pohl, et au downloadModeText.vue.download 461 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 455 cours de laquelle ce dernier perdit un oeil ; ou encore la violente querelle qui, en 1769, opposa les deux violoncellistes Ignaz Küffel et Joseph Weigl. Dans cette perspective, le célèbre épisode de la symphonie des Adieux (novembre 1772) n’apparaît que comme un cas parmi d’autres. Haydn se plaignit souvent de devoir rester isolé à Eszterháza et de ne pouvoir se rendre comme il le voulait à Vienne. Il reconnut cependant que cette situation avait ses avantages : « À la tête d’un orchestre, je pouvais faire des expériences, j’étais libre de changer, d’améliorer, d’ajouter ou de supprimer, de me livrer à toutes les audaces. Coupé du monde, je n’avais personne pour m’importuner, et fus forcé de devenir original. » Il reste qu’au fil des ans cette situation lui pesa toujours plus et qu’il chercha toujours davantage des contacts avec l’extérieur, tant sur le plan professionnel que personnel. Jusque vers 1780, nous sommes assez mal renseignés. En 1766, Haydn acheta à Eisenstadt une maison qui brûla deux fois (1768 et 1776). En 1768, il envoya au monastère de Zwettl, en Basse-Autriche, sa cantate Applausus accompagnée d’une lettre de recommandations en dix points, précieuse aussi bien par les renseignements qu’elle contient sur les conditions d’exécution de la musique au XVIIIe siècle que sur la conception qu’avait Haydn de son rôle de chef d’orchestre. Le 22 mars 1770, il dirigea à Vienne son opéra Lo Speziale, « l’Apothicaire », créé deux ans auparavant à Eszterháza. Les 2 et 4 avril 1775, son oratorio Il Ritorno di Tobia était créé dans la capitale. En 1779 arriva à Eszterháza la chan-

teuse Luigia Polzelli, ce qui consola tant soit peu Haydn d’un mariage malheureux. Le prince Esterházy développait alors pour l’opéra italien une passion qui remplaça vite celle qu’il avait eue pour le baryton, instrument de la famille des violes, dont il avait longtemps joué lui-même. Haydn dut donc déployer dans le domaine de l’opéra une activité fébrile, dirigeant non seulement ses propres ouvrages, mais ceux de ses contemporains (Anfossi, Gazzaniga, Traetta, Sarti, Piccinni, Grétry, Paisiello, Cimarosa). Il ne se borna pas à les choisir, à les faire répéter et à les diriger, mais il les révisa plus ou moins profondément sur le plan musical, allant même, selon une coutume de l’époque, jusqu’à remplacer tel ou tel air par un autre de sa composition. De 1780 à 1790, il s’occupa ainsi de 96 opéras différents, dont 17 pour la seule année 1786, ce qui, compte tenu des reprises, correspondait à un total de 1 026 représentations, dont 125 pour 1786 ! On s’étonne que, dans ces conditions, il ait encore trouvé le temps de composer. REGARDS VERS L’EXTÉRIEUR. Durant ses dernières années à Eszterháza, Haydn n’écrivit presque plus directement pour son prince. La quasi-totalité de sa production fut alors destinée au monde extérieur : Vienne, mais, surtout, Paris et Londres. D’abord à son insu, Haydn avait acquis une renommée considérable sur le plan européen, et de nombreux éditeurs s’étaient enrichis à ses dépens, tout en n’hésitant pas à faire paraître sous son nom, réputé valeur commerciale sûre, des oeuvres écrites en réalité par des compositeurs de moindre envergure. Dans les années 1780, Haydn entra enfin en contact direct avec des éditeurs comme Artaria (Vienne), Boyer ou Sieber (Paris), Forster ou Longman et Broderip (Londres), et, comme eux, appliqua sans scrupules le principe du « chacun pour soi », vendant par exemple la même oeuvre à deux éditeurs différents, chacun s’imaginant en avoir l’exclusivité. Haydn, à cette même époque, non seulement envoya ses ouvrages à l’extérieur, mais en reçut des commandes : ainsi celle faite par un chanoine de Cadix d’une musique orchestrale sur le thème des Sept Paroles du Christ (écrite pendant l’hiver 1786-87), ou encore celle faite par le concert de la Loge olympique à Paris des six Symphonies dites parisiennes (nos 82 à 87, composées

en 1785-86). Juste retour des choses : sa gloire et sa célébrité, en valant à Haydn ces commandes et en le forçant à écrire, sans contact direct il est vrai, pour un public moins restreint que celui dont il avait l’habitude, le sauvèrent sans doute de l’étouffement et d’une crise créatrice grave. L’isolement d’Eszterháza lui devenait d’autant plus insupportable qu’à Vienne résidaient des personnes qui lui étaient chères. L’une d’elle était Mozart, qu’il rencontra au plus tard fin 1784 - peut-être dès décembre 1781 - et avec qui il noua des liens d’amitié et d’estime réciproques, dont on trouve peu d’équivalents dans l’histoire de la musique. Une autre était Marianne von Genzinger, femme d’un médecin de la capitale. Les lettres écrites d’Eszterháza par Haydn à Marianne von Genzinger en 1789-90 comptent parmi les documents les plus personnels émanant de lui : « Une fois de plus, je suis forcé de rester ici. Votre Grâce imagine facilement tout ce qui me manque. Il est triste de toujours devoir être esclave, mais sans doute la Providence l’a-t-elle voulu ainsi. Je suis un pauvre diable ! Toujours harassé de travail, peu de loisirs, et quant aux amis ? Cela n’existe plus - une amie ? Oui ! Peutêtre en existe-t-il une. Mais elle est loin » (27 juin 1790). LES SÉJOURS À LONDRES. La mort de Nicolas le Magnifique (28 septembre 1790), dont Haydn, tout compte fait, n’avait pas eu trop à se plaindre, débloqua enfin la situation. Son fils et successeur Anton, n’aimant pas la musique, conserva à Haydn son titre et sa pension, mais sans rien lui demander de précis. Devenu libre, Haydn put accepter les propositions du compositeur et violoniste londonien Johann Peter Salomon, à savoir 300 livres pour un opéra, 300 pour six nouvelles symphonies, 200 pour sa participation à vingt concerts, 200 de garantie pour un concert à son bénéfice. Cela à condition de faire le voyage de Londres. Le rôle déterminant fut sans doute joué dans cette affaire non par Salomon luimême, mais par l’impresario et directeur de théâtre londonien Giovanni Battista (« Sir John ») Gallini. Le 15 décembre 1790, accompagné de Salomon, Haydn âgé de 58 ans quitta son pays pour la première fois. Il resta à Londres de janvier 1791 à fin juin (ou début juillet) 1792 et y écrivit, entre autres, ses six premières

Symphonies londoniennes (nos 93 à 98). En décembre 1791, au moment où une organisation rivale de celle de Salomon, le Professional Concert, tentait de lui opposer son ancien élève Ignaz Pleyel, il y reçut la nouvelle de la mort de Mozart, à laquelle tout d’abord il ne voulut pas croire. Ce séjour fut un triomphe artistique et personnel d’autant plus remarquable que la vie à Londres différait fort de celle qu’il avait connue à Eszterháza, et même à Vienne. Après trente ans de demi-solitude, Haydn alla de réception en réception ; au lieu d’un public restreint et connu d’avance, ou presque, il enthousiasma des salles anonymes et bruyantes. En juillet 1791, il se vit décerner par l’université d’Oxford le titre de docteur honoris causa. Il fut reçu par la famille royale. La presse rendit compte en détail de ses concerts. Tous ces événements, ainsi que diverses anecdotes, Haydn les consigna de façon pittoresque dans plusieurs lettres à Marianne von Genzinger et aussi sur des carnets heureusement presque intégralement conservés. Très intéressante est, par exemple, sa description des courses d’Ascot. Il nota en particulier de nombreux chiffres (quantité de charbon consommée à Londres en un an, âge de l’empereur de Chine, circonférence de l’île de Wight), et, d’une façon générale, on le découvre dans ses carnets à la fois frappé, amusé et importuné par le bruit infernal qui régnait à Londres, ainsi que par le goût des Anglais pour la boisson : « Milord Chatham, ministre de la Guerre et frère du ministre Pitt, a été si ivre pendant trois jours qu’il ne pouvait signer son nom, avec comme résultat que la flotte n’a pu quitter Londres. » Ou encore : « Lord Claremont a donné un grand souper, et comme on buvait à la santé du roi, il a fait jouer le God Save the King dehors, sous une tempête de neige. C’est ainsi, de façon insensée, qu’on boit en Angleterre. » downloadModeText.vue.download 462 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 456 Sur le chemin du retour, on lui présenta, à l’étape de Bad Godesberg, le jeune Beethoven, qui le suivit à Vienne et auquel il donna en 1793 des leçons bien plus fructueuses que ne le veut la légende. Certes, il négligea quelque peu ses exercices de contrepoint, mais il le mit au contact du

génie créateur : il existe, de la main de Beethoven, une copie d’une partie du finale de la symphonie no 99, celle que, en 1793, Haydn composait en vue d’un nouveau voyage à Londres. Ce second séjour, au cours duquel Haydn fit entendre notamment ses six dernières Symphonies londoniennes (nos 99 à 104), qui sont aussi les dernières qu’il devait composer, eut lieu de janvier 1794 à août 1795. Il lui valut les mêmes triomphes et les mêmes avantages financiers que le premier. LES DERNIÈRES ANNÉES À VIENNE. À son retour définitif en Autriche, Haydn était considéré dans toute l’Europe comme le plus grand compositeur vivant. Il trouva un quatrième prince Esterházy, Nicolas II, qui, pour des raisons en partie de prestige, avait décidé de reconstituer la chapelle de son grand-père Nicolas le Magnifique, mais en abandonnant Eszterháza pour Eisenstadt. Haydn reprit la direction de cette chapelle, mais avec des obligations beaucoup plus légères que par le passé, séjournant à Eisenstadt deux ou trois mois pendant l’été - cela jusqu’en 1803, sa dernière année active - et le reste du temps à Vienne. Le prince ne lui demandant qu’une messe par an, pour la fête de son épouse, la princesse Marie Hermenegild (il y eut six grandes messes, datées de 1796 à 1802), Haydn put, pour le reste, composer ce qu’il voulait : ses derniers quatuors à cordes, la version vocale des Sept Paroles du Christ (1796), l’hymne autrichien Gott erhalte Franz den Kaiser (1797) et surtout deux magnifiques oratorios, la Création (1798), et les Saisons (1801). Jusqu’en 1803, année à la fin de laquelle ses ennuis de santé l’obligèrent à cesser toute activité, Haydn fut une figure importante de la société viennoise. Il dirigea très souvent ses oeuvres en public ou en privé, Beethoven participant fréquemment aux mêmes concerts que lui. C’est pour cette ultime période que les témoignages le concernant sont les plus nombreux. Son biographe Griesinger nous apprend que « de stature, Haydn était petit, mais robuste et solide d’apparence ; son front était large et bien bombé, sa peau brune, ses yeux vifs et fiers, ses traits accusés et nettement définis ; sa physionomie et son comportement reflétaient la prudence et une calme gravité ». Quant au diplomate suédois Fredrick Samuel Silverstolpe, en poste à Vienne de 1796 à 1803, il découvrit « chez Haydn pour ainsi dire deux

physionomies. L’une, quand il parlait de choses élevées, était pénétrante et sérieuse, le mot sublime suffisait alors à mettre en branle ses sentiments de façon fort visible. L’instant d’après, cet état d’esprit était vite chassé par son humeur quotidienne, et il retombait dans le jovial avec une satisfaction qui se peignait littéralement sur ses traits et débouchait dans la facétie. Cette physionomie était la plus courante, l’autre devait être stimulée. » À partir de 1804, Haydn ne quitta pour ainsi dire plus la maison qu’il avait acquise en 1793 à Gumpendorf, un faubourg de Vienne. Devenu incapable de composer, malgré les idées qui se pressaient, mais qu’il n’arrivait plus à mettre en ordre, il ne fut plus, physiquement, que l’ombre de lui-même. Un troisième grand oratorio sur le Jugement dernier resta à l’état de projet. Mais sa maison se transforma en lieu de pèlerinage. Haydn y vit notamment ses biographes Dies et Griesinger, Constance Mozart et son fils cadet, Carl Maria von Weber, les compositeurs Reichard et Tomasek, et, en mai 1808, toute la chapelle Esterházy, venue sous la direction de Johann Nepomuk Hummel lui rendre visite à l’occasion d’un concert à Vienne. Il parut pour la dernière fois en public le 27 mars 1808, lors d’une audition de la Création, au cours de laquelle plusieurs musiciens, dont Beethoven, lui rendirent hommage, et mourut dans sa maison de Gumpendorf le 31 mai 1809, quelques jours après la seconde occupation de Vienne par Napoléon (événement qui semble avoir hâté sa fin). En 1820, ses restes furent transférés à Eisenstadt, où, depuis 1954, ils reposent dans un mausolée érigé en 1932 par le prince Paul V Esterházy (1901-1989). HAYDN EN SON TEMPS. Haydn forme avec ses cadets Mozart et Beethoven (mais il survécut dix-huit ans à Mozart) ce qu’on appelle la « trinité classique viennoise ». Il n’a rien de ce vieillard timide dont l’image nous fut léguée par le XIXe siècle. Contrairement à Mozart, il se soucia peu des conventions. De son vivant, on lui reprocha violemment d’avilir son art par son humour et par ses traits plébéiens. Il fut le type du créateur original. De 1760 à la fin du siècle, l’histoire de la musique devint de plus en plus la sienne, et il finit par l’orienter pour cent

cinquante ans. Il ne créa pas le quatuor à cordes, encore moins la symphonie, mais il leur donna leurs lettres de noblesse, les porta au plus haut niveau. Le premier, il se servit génialement de la « forme sonate » et en exploita, avec des ressources inépuisables, toutes les virtualités dialectiques, tant sur le plan du travail thématique que des relations tonales. De ce point de vue, Beethoven fut non seulement son plus grand, mais son unique élève. Comme Mozart, mais à partir de prémisses autres, Haydn fit du discours musical l’expression d’une action (et non plus d’un simple sentiment) dramatique. À sa pensée rapide, concentrée, procédant par ellipses, synthèse extraordinaire de contraction et d’expansion, d’essence épique, il dut ses triomphes dans la symphonie, le quatuor et l’oratorio, alors que Mozart de son côté portait vers des sommets insoupçonnés l’opéra et le concerto pour piano. La longue carrière de Haydn alla de la fin de l’ère baroque aux débuts du romantisme. Même vers 1800, alors qu’elle tendait déjà la main à Schubert, la musique de Haydn conserva des traces concrètes de ses origines. Les cuivres perçants, la férocité rythmique, les bonds en avant et les irrégularités formelles de Haydn sont autant de traits rappelant que, en sa jeunesse, la musique la plus jouée à Vienne, dans les églises, en tout cas, était celle de Fux et de Caldara. Le problème de Haydn fut d’intégrer ces traits, sans les faire disparaître, dans un équilibre et une cohérence à grande échelle. Pour Mozart, plus jeune d’une génération, ce fut en quelque sorte le phénomène inverse. EXPÉRIENCES ET RECHERCHES. Jusque vers 1760, Haydn resta ancré dans une tradition autrichienne et viennoise issue pour l’essentiel de Fux et de Caldara, et se distingua parfois à peine de prédécesseurs comme Georg Christoph Wagenseil ou de contemporains comme Florian Gassmann ou Leopold Hoffmann. Parmi ses premières oeuvres, deux messes brèves, des sonates pour clavecin, des divertissements, les dix ouvrages connus actuellement comme quatuors à cordes nos 0, op. 1 et op. 2 (l’opus 3 n’est pas de lui, mais sans doute d’un certain Hoffstetter), et une quinzaine de symphonies, courtes et pour la plupart en trois mouvements sans menuet (la 37e de l’édition complète existait en 1758).

Durant ses premières années chez les Esterházy (1761-1765), Haydn expérimenta avec fruit, surtout dans le domaine de la symphonie, et, non sans hésitations, fixa pour elle le cadre extérieur en quatre mouvements qui allait prédominer : premier mouvement rapide (avec ou sans introduction lente), deuxième mouvement lent, troisième mouvement dansant (menuet), quatrième mouvement rapide. Dès 1761, il réalisa un coup de maître avec les symphonies no 6 (le Matin), no 7 (le Midi) et no 8 (le Soir), brillantes synthèses de baroque et de classicisme, et alla avec les suivantes dans des directions fort diverses : finales fugués des 13e et 40e (1763), mélodie de choral de la 22e (le Philosophe, 1764), parfum balkanique des 28e et 29e (1765), instruments solistes des 13e, 24e (1764), 36e et surtout 31e (Appel de cor, 1765). Pour faire briller ses musiciens, Haydn écrivit aussi à cette époque la plupart de ses concertos (certains sont downloadModeText.vue.download 463 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 457 perdus). Il y eut aussi, outre les inévitables partitions de circonstance, l’opera seria Acide (1762, créé en 1763) et le premier Te Deum (v. 1763-64). APPROFONDISSEMENTS. En 1766 environ, avec le Sturm und Drang, la production de Haydn s’approfondit et se diversifia. En huit ans, jusque vers 1773-74, il écrivit quelque vingt-cinq symphonies, dont beaucoup comptent parmi ses plus grandes : 49e en fa mineur (la Passion, 1768), 44e en mi mineur (Funèbre, v. 1771), 45e en fa dièse mineur (les Adieux, 1772), 46e en si (1772), 47e en sol (1772), 48e en ut (Marie-Thérèse, v. 1769), 51e en si bémol (v. 1773), 54e en sol (1774), 56e en ut (1774), 64e en la (v. 1773). Il se préoccupa moins de la nature externe que de la structure interne de leurs mouvements et cultiva volontiers un ton fort subjectif : jamais il n’écrivit autant d’oeuvres en mineur. De la même période datent trois grandes séries de six quatuors à cordes chacune (op. 9, v. 1769 ; op. 17, 1771 ; et op. 20, 1772), de belles sonates pour piano, telles la 30e en ré (1767), la 31e en la bémol (v. 1768) et la 33e en ut mineur

(1771), le Stabat Mater (1767), le Salve Regina en sol mineur (1771), quatre messes, de celle dite improprement Missa Sanctae Caeciliae (1766) à la Missa Sancti Nicolai (1772) en passant par la Missa sunt bona mixta malis (1768, sans doute inachevée) et la Missa in honorem Beatissimae Virginis Mariae (v. 1769), quatre opéras dont Lo Speziall (1768) et L’Infedeltà delusa (1773) et la plupart des compositions pour baryton. Beaucoup de ces ouvrages témoignent d’un goût marqué pour les sonorités feutrées, la méditation et la mélancolie (extraordinaires mouvements lents), les effets étranges et imprévus ; d’autres sont au contraire d’un éclat exceptionnel. Pour consolider ces nouvelles conquêtes expressives et formelles, Haydn eut souvent recours à des procédés contrapuntiques, dont, contrairement à ce qu’on crut longtemps, la tradition ne s’était en rien perdue en Autriche depuis la fin du baroque (trois des six quatuors à cordes de l’opus 20 se terminent par une fugue, le menuet de la symphonie no 44 est un canon). LE MONDE DE L’OPÉRA. En 1775 s’ouvrit une période de sept à huit ans, au cours de laquelle Haydn, sans abandonner la symphonie, se préoccupa beaucoup d’opéra. De L’Incontro improvviso (1775) à Armida (1783), il en écrivit alors sept, ses derniers pour Eszterháza. Ce genre est un des rares où Haydn ne se réalisa pas complètement. Mais tous ses opéras pour Eszterháza sont antérieurs au Figaro de Mozart (1786), le premier chefd’oeuvre absolu du classicisme viennois issu de l’opéra bouffe italien. Et rien, dans la production des autres compositeurs de l’époque, n’annonce autant les grands opéras de Mozart que ceux de Haydn ayant nom La Vera Costanza (1778, rév. 1785), La Fedeltà premiata (1780) ou Orlando Paladino (1782), en particulier à cause de leurs vastes finales d’acte. C’est moins vrai d’Il mondo della luna (1777) et de l’Isola disabitata (1779). Haydn, qui en 1787 devait refuser la commande d’un opéra pour Prague en s’étonnant qu’on n’ait pas fait appel à Mozart plutôt qu’à lui, n’avait pas tort en écrivant en mai 1781 à son éditeur Artaria, à propos de La Fedeltà premiata : « Je vous assure qu’aucune musique semblable n’a été entendue à Paris, ni même à Vienne sans doute. Mon malheur est de vivre à la campagne. » En cette

même année 1781 furent écrits « d’une façon tout à fait nouvelle et spéciale » les six quatuors à cordes op. 33, les premiers depuis l’opus 20. À signaler encore des symphonies comme la 70e (1778-1779), au finale en forme de triple fugue, ou encore la 77e (1782) et la monumentale Messe de Mariazell (1782), une des rares partitions religieuses de l’époque avec l’oratorio Il Ritorno di Tobia (1775) et la Missa brevis sancti Joannis de Deo (v. 1775). LES GRANDES OEUVRES INSTRUMENTALES. À partir de 1785 et jusqu’en 1790, la musique instrumentale domina de nouveau chez Haydn, avec notamment les onze symphonies nos 82 à 92 destinées à Paris, les dix-neuf quatuors à cordes op. 42 (1785), op. 50 (1787), op. 54-55 (1788) et op. 64 (1790), la version originale pour orchestre des Sept Paroles du Christ (1787), les deux sonates pour piano no 58 (1789) et no 59 (1789-90), cette dernière dédiée à Marianne von Genzinger, et treize trios pour piano, violon et violoncelle. Durant ces six années, qui marquèrent un premier apogée du style classique viennois, Haydn et Mozart se connurent personnellement et profitèrent l’un de l’autre, mais leurs différences s’accentuèrent. Haydn intégra de plus en plus à son langage des thèmes et des tournures d’aspect populaire, mais, paradoxalement, ce langage en devint plus maniable et savant. Il imprégna ses idées d’une énergie latente, chargée de conflits, dont la résolution ne fut autre, chaque fois, que l’oeuvre elle-même, ainsi projetée de l’intérieur avec comme moteur principal son propre matériau. Par là, Haydn révolutionna la musique. Les quatuors de l’époque, des symphonies comme la 86e en ré (1786), la 88e en sol (1787), la 92e en sol, dite Oxford (1789), ou encore la 85e en si bémol (la Reine) sont, à cet égard, des modèles insurpassables. Sous le signe des deux voyages à Londres (1791 à 1795), Haydn intégra soudain à la sérénité grave des dernières années d’Eszterháza des excentricités et une veine expérimentale dignes de sa jeunesse. Sa production une fois de plus se diversifia. Outre les douze Symphonies londoniennes nos 93 à 104, ses dernières, furent alors composés les trois sonates pour piano nos 60 à 62, ses dernières également (17941795), les six quatuors à cordes op. 71 et 74 (1793), quatorze admirables et prophé-

tiques trios pour piano, violon et violoncelle, et beaucoup de musique vocale, dont l’opéra Orfeo ed Euridice (1791, non représenté), le grand air de concert Berenice che fai ? (1795) et une série de canzonettes sur textes anglais frayant la voie aux lieder de Schubert. Faste, virtuosité et profondeur caractérisent l’ensemble. Toutes les londoniennes sont des chefs-d’oeuvre, mais les plus connues, comme la 94e (la Surprise), ou la 100e (Militaire), sont encore surpassées par la 98e, la 99e et surtout par les trois dernières, créées en 1795 : la 102e en si bémol, la 103e en mi bémol (Roulement de timbales) et la 104e en ré (Londres), qui montrent à quel point confondent structure interne et simples dimensions extérieures ceux qui répètent que, de Beethoven, la symphonie la plus haydnienne est la première (1800). La descendance des londoniennes, c’est dans l’Héroïque (1804) qu’il faut la chercher. LES GRANDES OEUVRES CHORALES. Sans compter quelques partitions isolées, comme le concerto pour trompette (1796), un ultime trio avec piano (1796) et une série de treize trios et quatuors vocaux (1796-1799), Haydn couronna sa carrière par neuf quatuors à cordes - op. 76 (1797), op. 77 (1799) et op. 103 (1803, inachevé) -, six messes (1796-1802), la version vocale des Sept Paroles du Christ (1796) et ses deux grands oratorios la Création (1798) et les Saisons (1801). Les neuf quatuors innovent encore par rapport aux dernières symphonies : finales en mineur dans des oeuvres en majeur (op. 76 nos 1 et 3), remplacement du menuet par de véritables scherzos (op. 76 no 1, op. 77 nos 1 et 2), hardiesses tonales, harmoniques, polyphoniques et rythmiques inouïes de l’opus 76 no 6 ou de l’opus 77 no 2, pages dont on a pu dire qu’elles défiaient les critères habituels d’analyse en traitant un matériau du XVIIIe siècle à la façon du XXe. Les six messes et les deux oratorios constituent le pendant haydnien des grands opéras de Mozart. Le symphoniste s’y manifeste par l’importance de l’orchestre et l’absence de stéréotypes formels. Ce ne sont pas de lâches successions d’épisodes, mais de solides architectures, dont la vitalité ne nuit en rien à la portée spirituelle. Si les Saisons, suite de quatre cantates hautes en couleur, évoquent surtout le premier romantisme, celui de Weber ou du Vaisseau fantôme de Wagner, c’est bien Tristan qu’annonce le prélude de la Création : performance d’au-

tant plus vertigineuse qu’elle émane d’un maître confondu en ses débuts avec d’obscurs compositeurs autrichiens du milieu downloadModeText.vue.download 464 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 458 du XVIIIe siècle, et que, par-delà son côté visionnaire, cette représentation du chaos originel s’inscrit avec cohérence dans la pensée musicale de Haydn. L’auteur de la Création enseigna une nouvelle façon de penser en musique, et c’est dans la mesure où Beethoven fut son plus grand disciple et son plus grand continuateur que, sur le plan personnel, ils se heurtèrent parfois violemment. Peu de compositeurs illustrent autant que Haydn la remarque de Schönberg : « Le matériau est l’antichambre de l’esprit. » Pour l’approcher et le pénétrer, il n’y a que la seule musique ; on ne peut s’appuyer sur des sujets ou des personnages d’opéra comme avec Mozart, Wagner ou Verdi, ni sur une exégèse ou une symbolique bibliques comme avec Schütz ou Bach, cela sans parler des biographies romancées, dont ont souffert Beethoven et les romantiques. Non que sa vie n’ait eu aucune influence sur son oeuvre. Mais bien plus significative que les légendes en cours apparaît, pour cerner la personnalité complexe, souvent retranchée sur elle-même, de Haydn, la description de la première audition de la Création (30 avril 1798), et notamment du célèbre passage Et la lumière fut, que donna, une quarantaine d’années après y avoir assisté, le diplomate suédois Silverstolpe : « Je crois voir encore son visage au moment où ce trait sortit de l’orchestre. Haydn avait la mine de quelqu’un prêt à se mordre les lèvres, soit pour réprimer sa confusion, soit pour dissimuler un secret. Et à l’instant précis où pour la première fois cette lumière éclata, tout se passa comme si ses rayons avaient été lancés des yeux brillants de l’artiste. » HAYDN (Johann Michael), compositeur autrichien (Rohrau-sur-la-Leitha, BasseAutriche, 1737 - Salzbourg 1806). Frère cadet de Joseph Haydn, il fut comme lui (sans doute de 1745 à 1754) petit chanteur à la cathédrale Saint-Étienne de Vienne. En 1757 au plus tard, il fut nommé

maître de chapelle de l’évêque de Grosswardein en Hongrie (actuellement Oradea Mare en Roumanie). Le 3 septembre de cette année-là, il copia de sa main à Vienne la célèbre Missa canonica de Fux, témoignant ainsi de son goût pour le style sévère. Il resta à Grosswardein jusqu’en 1762, y composant de nombreux ouvrages profanes (concertos, symphonies) et religieux, puis entra (au plus tard déb. 1763) au service du prince-archevêque de Salzbourg, ville qu’il ne devait plus quitter. Nommé dès le 14 août 1763 premier violon dans l’orchestre de la cour, il épousa le 17 avril 1768 la cantatrice Maria Magdalena Lipp, créatrice l’année suivante du rôle de Rosina dans La Finta semplice de Mozart. Michael Haydn succéda en 1777 à Adlgasser aux orgues de l’église de la Trinité, en 1781 à Wolfgang Amadeus Mozart au poste d’organiste de la cour et de la cathédrale, et en 1787 à Leopold Mozart à diverses fonctions d’enseignement. Il se rendit deux fois à Vienne, en septembreoctobre 1798, puis en septembre-octobre 1801 : il y rencontra les deux fois son frère Joseph, et, en 1801, reçut de l’impératrice plusieurs commandes. Le prince Esterházy lui offrit chez lui le poste de vicemaître de chapelle pour seconder Joseph vieillissant, mais Michael refusa définitivement au début de 1803, préférant ne pas quitter Salzbourg, où il mourut en laissant inachevé son troisième requiem. Grand musicien, Michael Haydn ne le céda en son temps, parmi ceux qui évoluèrent dans l’orbite de Vienne, qu’à son frère et à Mozart. Par son style, il apparut d’ailleurs plus proche du second que du premier. Il fut et reste surtout célèbre comme compositeur de musique religieuse, mais ses oeuvres instrumentales profanes, elles aussi, sont souvent de toute beauté et ne manquèrent pas d’influencer Mozart. Plusieurs furent faussement attribuées à Joseph, et sa symphonie en sol majeur de 1783 passa longtemps pour la 37e (K. 444) de Mozart, qui n’en écrivit que l’introduction lente. On lui doit notamment : quarante-trois symphonies, dont la dernière (en la majeur) du 26 juillet 1789, des sérénades et divertissements ; des musiques de scène, comme celle pour Zaïre de Voltaire (1777) ; l’opéra Andromeda e Perseo, sur un livret probablement dû à Giambattista Varesco (1787) ; l’oratorio Der bussende Sünden, deuxième partie d’une trilogie en collaboration avec Adlgasser et Krinner ; le singspiel Rebekka als Braut (1766) ; la

pantomine Der Traum (1767 ; le singspiel Die Hochzeit auf der Alm (1768) ; deux admirables quintettes à cordres en ut et en sol majeur (1773) ; des choeurs d’hommes reconnus comme les premiers du genre ; une trentaine de messes, dont la Missa in honorem sanctissimae trinitatis (1754), la première de toutes, la Missa hispanica (1786) et la Missa sancti Leopoldi (1805), sa dernière oeuvre achevée ; et de très nombreux ouvrages religieux allemands ou latins, écrits soit en style concertant, soit en style a cappella. Son requiem en ut mineur (1771), écrit pour les funérailles du prince-archevêque Sigismund von Schrattenbach, devait laisser dans celui de Mozart des traces très nettes. Cet ouvrage a acquis récemment une célébrité justifiée, comme la belle symphonie en ré mineur de 1784. Un catalogue thématique des oeuvres de Michael Haydn, destiné à remplacer ceux de Perger (oeuvres instrumentales) et de Klafsky (oeuvres sacrées), a été réalisé par Charles H. Sherman et T. Donley Thomas (1993). Un troisième frère Haydn, Johann Evangelist (Rohrau-sur-la-Leitha 1743-Eisenstadt 1805), passa sa vie comme ténor chez les Esterházy, Joseph l’ayant fait venir auprès de lui après la mort de leur père (1763). HAYM (Nicolo Francesco), compositeur et écrivain italien (Rome 1678 - Londres 1729). On ignore le nom de ses maîtres. Les premières oeuvres connues de lui, la cantate Il Reciproco Amore di Tirsi e Clori ainsi que l’oratorio David sponsae restitutus, sont datées de 1699, à Rome. Peu après (1701), il se rendit en Angleterre, où il entra au service du deuxième duc de Bedford ; il y resta jusqu’à la mort du duc en 1711. Haym joua un rôle important pour l’introduction de l’opéra italien en Angleterre et écrivit souvent des livrets. Il devint le collaborateur de Haendel et lui fournit jusqu’en 1728 les livrets de plusieurs opéras (Teseo, 1713 ; Giulio Cesare 1724). Pour G. B. Bononcini, il écrivit, avec Salvi, le livret de Astianatte (1727). On lui doit une édition du Tasse et de Maffei, ainsi que les seuls portraits connus de Tallis et de Byrd. Il a laissé des sonates pour flûte (ou hautbois), des Sonate a tre (Amsterdam, 1703, 1704) et un Dixit Dominus.

HAYNE VAN GHIZEGHEM, compositeur franco-flamand (seconde moitié du XVe s.). Il fut à la cour de Bourgogne élève du chanteur Constans d’Utrecht (1457), puis chanteur et valet de chambre (au plus tard en 1467), et participa au siège de Beauvais dans la suite de Charles le Téméraire (1472). Ensuite on perd sa trace. On possède de lui vingt chansons manuscrites (Alez regretz, De tous bien playne), dont certaines publiées plus tard par Petrucci. HEARTZ (Daniel), musicologue américain (Exeter, New Hampshire, 1928). Il a étudié à l’Université du New Hampshire à Durham ainsi qu’à Harvard, où il a présenté sa thèse Sources and Forms of the French Instrumental Dance in the Sixteenth Century (1957). il s’est ensuite largement consacré à la musique de la Renaissance, publiant notamment la monographie Pierre Attaignant, A Royal Printer of Music : A Historical Study and Bibliographical Catalogue (1969), avant de se tourner pour l’essentiel vers le XVIIIe siècle (en particulier dans le domaine de l’opéra), publiant sur ce sujet de très nombreux articles ainsi que les ouvrages Mozart’s Operas (1990) et Haydn, Mozart and the Viennese School 1740-1780 (1995). HEBENSTREIT (Pantaleon), inventeur, violoniste, pédagogue et compositeur allemand (Eisleben 1667 - Dresde 1750). Voulant perfectionner le tympanon sur lequel il accompagnait des danses de village, il développa un instrument couvrant cinq octaves avec lequel il partit en tourdownloadModeText.vue.download 465 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 459 née à Berlin, Dresde, Leipzig et Weissenfels (où en 1698 il fut nommé maître de danse du duc Johann Georg). Lorsqu’en 1705 il se produisit à la cour de France, Louis XIV donna à cet instrument sans nom celui de son inventeur : Pantaléon. De cet ancêtre du pianoforte, la popularité déclina fortement lors de l’essor de ce dernier à la fin des années 1720, d’autant que Hebenstreit s’était jalousement assuré l’exclusivité de son invention. De 1714 à sa mort, il occupa divers postes à la cour de

Dresde, dont ceux de pantaléoniste et (à partir de 1734) de directeur de la musique de cour protestante. HÉBRAÏQUE (MUSIQUE). C’est par les écrits bibliques et leurs nombreuses références musicales que nous pouvons nous faire une idée sur la musique des anciens Hébreux. Néanmoins, si de nombreux passages citent des instruments de musique ou l’organisation musicale à l’intérieur du Temple, le fait d’avoir une idée précise quant au contenu même de cet art paraît impossible, car il ne reste aucun document écrit concernant la théorie ou l’éventuelle notation de cette musique. Par ailleurs, il faut souligner deux réalités vivantes : la transmission de la musique hébraïque, qui s’est faite essentiellement par voie orale à travers les siècles, et l’importance qu’occupe la musique religieuse au point que toutes les manifestations musicales juives jusqu’à la fin du XVIIIe siècle ont un caractère religieux. LES INSTRUMENTS DE MUSIQUE. La première mention d’instruments de musique apparaît dans la Genèse (IV, 21) et prouve que déjà deux catégories d’instruments - à cordes (représentés par le kinnor) et à vent (représentés par l’ougab) - étaient bien implantées dans la vie des Hébreux. Par ailleurs, la musique jouait un grand rôle à l’intérieur du Temple et, bien que le fait d’avoir admis des instruments dans le culte du premier Temple (détruit en 587 av. J.-C.) soit problématique, nous avons des témoignages sur l’orchestre cultuel institué par David, à savoir : parmi les lévites, trois cymbaliers (mesiltayim), huit joueurs de nebel (famille des harpes-psaltérions) et six joueurs de kinnor (famille des lyres) ; parmi les prêtres, sept trompettistes (Chroniques XV, 16-24). Une classification des instruments de la Bible nous donne les résultats suivants : 1)parmi les idiophones : les cymbales, le sistre, le triangle et les castagnettes ; 2)parmi les membranophones : le tambourin (tôf) ; 3)parmi les aérophones : l’ougab ou halil (représentant les types de flûte et d’instruments à anche simple ou double), la trompette (haçocera) et la corne (shofar) remplissant une fonction cultuelle pour l’annonce du nouvel

an, des fêtes, etc. (le shofar est encore utilisé pendant les offices nationaux du jour de l’an et à l’issue du Grand Pardon) ; 4) parmi les cordophones : le kinnor et le nebel déjà cités ainsi que tous les autres instruments de la famille des harpes-psaltérions ou ceux de la famille des luths. Tous ces instruments cesseront d’être utilisés à partir du moment où le culte sacrificiel cède la place à la prière. Désormais (après la destruction du second Temple en 70 apr. J.-C.), seul le chant sera l’expression de la musique religieuse et liturgique. LA MUSIQUE RELIGIEUSE DE LA DIASPORA. La synagogue remplace le Temple et dans cet édifice, précisément, il y a obligation de faire la lecture publique de la Bible en chantant. Dès l’époque talmudique (qui s’achève à la fin du Ve s. apr. J.-C.), le hazzan est employé comme chantre professionnel de la synagogue et la psalmodie ainsi que la cantilation biblique sur des formules mélodiques modales sont une réalité. Après l’époque talmudique, ce sont les massorètes, docteurs juifs, qui ont élaboré les systèmes de notation des te ‘amîm (« accents bibliques »), achevés vers le Xe siècle. Tout comme la vocalisation du texte de la Bible, ces accents fixent la cantilation biblique, qui est jusqu’alors une tradition orale. Cependant, les te ‘amîm ne sont encore que des formules mnémotechniques sur des modes traditionnels (à l’instar des premiers signes ekphonétiques de la musique byzantine). Il faudra attendre le XIIe siècle pour découvrir le manuscrit de la plus ancienne véritable notation musicale juive. C’est l’oeuvre d’Abdias, un prosélyte normand qui a noté la musique de cinq versets bibliques (Jérémie XVII, 7 ; Prov. III, 5 ; III, 6 ; III, 13 ; Job V, 17), un piyyût (poésie religieuse), qui est un Éloge de Moïse, et un fragment final d’un autre piyyût non identifié et qui montre la vogue de ces poésies religieuses à l’époque ainsi que le rôle grandissant du hazzan comme chantre professionnel de la synagogue. Le second document de musique notée remonte au XVe siècle (v. 1430) et contient un fragment du Cantique de Salomon. À partir du XVIe siècle, on introduit la musique savante dans la synagogue et on instaure le chant choral à plusieurs voix. En 1622-23 apparaît à Mantoue un important recueil de psaumes, prières et cantiques religieux pour trois, quatre,

cinq, six, sept et huit voix, composés par Salomon Rossi (v. 1570-1628). En même temps, le mouvement cabalistique de Safed (dont nous parlons plus loin dans le cadre de la musique populaire) donne un nouvel essor à la musique religieuse hébraïque, tout comme le chant ashkenaze, influencé par des éléments du chant slave ou oriental. À partir du XVIIIe siècle, l’influence de la musique savante pèse sur l’expression musicale des hazzanîm. Dès 1822 à Paris et 1826 à Vienne est instauré l’usage des choeurs à quatre voix dans la synagogue ; l’orgue y est introduit également. De nombreux compositeurs juifs écrivent de la musique synagogale. Néanmoins, certains d’entre eux, comme Salomon Sulzer (1804-1890), Samuel Naumbourg (1817-1880) et, à un moindre degré, Louis Lewandowski (1823-1894) s’efforcent de conserver le chant traditionnel ou de l’amalgamer au style de la musique de l’époque. Plus près de notre époque, Ernest Bloch (1880-1959) compose un Service sacré, oratorio pour solo, choeur et orchestre, créé à Paris en la Synagogue, rue de la Victoire, sous la direction de l’auteur. Enfin, Darius Milhaud (18921974) compose aussi un Service sacré en 1947 pour baryton, récitant, choeurs et orchestre ou orgue, créé à San Francisco en 1949, au temple Emanu-El. L’oeuvre est librement inspirée du chant traditionnel juif et adopte le texte hébreu des livres de prières. En même temps, des ethnomusicologues commencent, à partir du début du XXe siècle, à recueillir des mélodies traditionnelles sur des bases scientifiques et aident ainsi la recréation d’un style authentique du chant synagogal. De nos jours, des efforts dans ce sens sont poursuivis en Israël et aux États-Unis. LA MUSIQUE POPULAIRE. La musique populaire hébraïque trouve ses origines dans les temps les plus reculés de son histoire, car le chant populaire qui en est l’expression la plus tangible a été pratiqué et vénéré depuis toujours si l’on se rapporte aux témoignages de la Bible. Ainsi, parmi les plus anciennes cantilations populaires, on peut admettre celle de Déborah (Juges V, 2-31), celle de Lamech (Genèse IV, 23-24), celle du puits (Nombres XXI, 17-18), celle de la mer Rouge (Exode XV, 2-19) ou le chant funèbre de David (II Samuel I, 19-27).

Pour ce qui est de la chanson populaire actuelle, l’élément le plus frappant reste le mélange d’une musique authentiquement populaire avec des éléments historiques de différentes musiques étrangères. Ce mélange rend l’identification des traditions musicales populaires actuelles, vis-à-vis de leurs prototypes anciens, très difficile. Quoi qu’il en soit, on peut dire que les plus anciennes chansons populaires connues encore aujourd’hui plongent leurs racines dans la poésie populaire mystique, semireligieuse ou messianique du Moyen Âge. Le XVIe siècle verra l’apparition d’une nouvelle phase du chant populaire grâce au mouvement cabalistique de Safed, en Galilée, dont le poète-chantre le plus connu fut Israël Nagara (v. 1555-1625). Ses cantiques adoptent des mélodies populaires connues, issues des traditions downloadModeText.vue.download 466 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 460 arabe, turque, grecque et espagnole et sont classés selon l’ordre des maqamât arabes. Toutes les traditions actuelles de chant populaire émanent bien entendu des communautés juives orientales, à savoir : géorgienne, kurde, samaritaine, karaïte, irakienne, iranienne, de Boukhara, d’autres communautés moins importantes et surtout du Yémen. Cette dernière communauté reste la source la plus importante du chant populaire juif, due sans doute à une vie communautaire ininterrompue de presque 2 500 ans au milieu de cultures arabes. Le centre d’intérêt des traditions populaires musicales yéménites est le mariage et les chansons qui s’y réfèrent. On peut discerner à travers ces manifestations un symbolisme latent, à savoir le constant dialogue entre Dieu (représenté par le fiancé) et Israël ou l’âme humaine (représentée par la fiancée). On peut diviser la musique séculaire et populaire juive en deux branches : celle des juifs séfardim et celle des juifs ashkenaze. La première branche compte la période ibérique (du premier millénaire av. J.-C. à 1492 et 1497, dates de l’expulsion des juifs d’Espagne et du Portugal), la période de la diaspora séfardique et celle du romancero judéo-espagnol, dont les chants peuvent être classés en deux

catégories : les romances et les cantigas. Les romances sont des poésies assonancées sans forme strophique ; les cantigas sont toujours composées en strophes, généralement assonancées et suivies souvent par des refrains. La seconde branche comprend les juifs de l’Europe de l’Ouest (généralement allemands) et ceux de l’Europe de l’Est (polonais, russes, hongrois, etc.). C’est précisément dans ces contrées de l’Est que la chanson populaire juive trouva un nouvel essor à partir du milieu du XVIIIe siècle, grâce au mouvement néomystique du hassidisme. Le support stylistique des mélodies hassidiques, dont le centre d’intérêt est la mélodie vocale sans texte, est basé sur des formules anciennes de chants et de prières orientaux, russes, hongrois, allemands, roumains ou ukrainiens, sans pour autant négliger des adaptations de pièces instrumentales et même des marches ou vaudevilles. L’intérêt du chant populaire juif s’est accru pendant le XXe siècle, grâce aux efforts de quelques musicologues qui ont commencé à recueillir sur place et à publier des mélodies liturgiques ou non des différentes communautés. Abraham Zvi Idelsohn (18821938) a été un pionnier dans ce domaine. Son Hebraïsh-orientalisher Melodien-Shatz (10 vol., Leipzig, 1914-1932) contient des milliers de mélodies liturgiques ou religieuses qui donnent un aperçu non seulement du chant cultuel, mais aussi du chant populaire ou du chant juif tout simplement. LA MUSIQUE ISRAÉLIENNE. L’histoire de la musique israélienne ne commence qu’après 1880, date de la migration massive de juifs en Palestine. En 1910 est fondée la première école de musique à Tel-Aviv ; en 1924 est créé le premier opéra « israélien « : les Pionniers de Jacob Weinberg (1879-1957) ; en 1936 naît le Palestine Symphony Orchestra (actuellement Israel Philharmonic Orchestra), créé par le célèbre violoniste Bronislav Hubermann ; puis, petit à petit, apparaissent toutes les autres institutions musicales israéliennes (festivals, concours internationaux, instituts, associations, etc.), dont l’une des dernières a été la création du concours international de piano Arthur-Rubinstein (1974). La source d’inspiration des compositeurs israéliens est, dès le départ, multiple : la chanson populaire juive de l’Eu-

rope de l’Est, des éléments mélodiques de la cantilation biblique, ainsi que les traditions musicales des pays d’origine des compositeurs. La vieille génération est représentée par des noms comme ceux de Salomon Rosowsky (1878-1962), Yizhak Edel (18961973), Joachim Stutschewsky (1891), Erich-Walter Sternberg (1891-1974), Joseph Kaminsky (1903-1972), Abraham Dazs (1902-1974), Karel Salomon (1897-1974), Mark Lavry (1903-1967), Alexandre Uria Boscovich (1907-1964) et, surtout, Paul Ben-Haim (1897), peutêtre le compositeur le plus représentatif de l’école dite est-méditerranéenne. La caractéristique de cette école réside dans l’utilisation d’éléments de la cantilation biblique et des héritages folkloriques et traditionnels des peuples du MoyenOrient, à savoir des mélodies mélismatiques, des rythmes compliqués et une saveur spéciale qui caractérise aussi bien la tradition israélienne que celle des pays avoisinants et même celle des pays comme la Grèce ou la Turquie. Tous les compositeurs cités de cette génération se partagent, en tout cas, deux types d’expression musicale : soit un style influencé par le folklore de l’Europe orientale, soit un langage imprégné par les traditions orientales citées plus haut. Toujours est-il qu’un certain style postimpressionniste et une tendance vers l’expressionnisme sont évidents. Une transition est faite par certains compositeurs, comme Odoen Partos (1907-1977), qui, après avoir adhéré à l’école est-méditerranéenne, se tourne (dans les années 1960) vers le dodécaphonisme et la musique sérielle, créant une synthèse entre un expressionnisme évident et un approfondissement de la structure des musiques du Moyen-Orient. La génération suivante est marquée par quelques compositeurs qui se sont efforcés de trouver une solution individuelle aux problèmes de l’expression musicale israélienne, créant une synthèse entre une musique d’avant-garde et des traditions du Moyen-Orient. Abel Ehrlich (1915) ou Zvi Avni (1927) sont, parmi d’autres, des représentants de cette tendance. Leur précurseur immédiat a été Joseph Tal (1910), qui fonde en 1961 le premier studio en Israël pour la reproduction de la musique

électronique. Par ailleurs, les tendances actuelles sont représentées par des compositeurs comme Noam Sheriff (1935), Yehuda Yannay (1937), Michael Barolsky (1947) ou Ron Kolton (1951). HECKELPHONE. Du nom de son inventeur, le facteur allemand Wilhelm Heckel (1856-1909), qui le mit au point en 1904. C’est une forme améliorée, descendant au la1, du hautbois baryton. Le heckelphone, sonnant une octave plus bas que le hautbois ordinaire, n’a guère été employé que par Richard Strauss dans Salomé et par Paul Hindemith. HEGAR, famille de musiciens suisses. Friedrich, violoniste et compositeur (Bâle 1841 - Zurich 1927). Fils d’un marchand de musique, il fit ses études à Leipzig, occupa divers postes, puis se fixa à Zurich en 1862 et donna une grande impulsion à la vie musicale de la cité, dirigeant sa Société chorale pendant trente-sept ans et l’orchestre de la Tonhalle pendant quarante et un ans, fondant en 1875 une école de musique (futur conservatoire) qu’il devait diriger jusqu’en 1914. Ami de Brahms, il a composé de la musique chorale, des oeuvres symphoniques et de chambre ainsi que l’oratorio Manasse (1888). Johannes, violoncelliste, fils du précédent (Zurich 1874 - Munich 1929). Il enseigna à partir de 1904 à Francfort, puis à partir de 1912 à l’Académie de musique de Munich. HEGEL (Georg Wilhelm Friedrich), philosophe allemand (Stuttgart 1770 - Berlin 1831). Étudiant à partir de 1788 à Tübingen, Hegel s’enthousiasma pour le romantisme naissant avant d’adopter les idées de la Révolution française. Enseignant dès 1805, il écrivit son ouvrage décisif, la Science de la logique, de 1812 à 1816. À ses écrits, dont le plus systématique est sans doute le Précis de l’encyclopédie des sciences philosophiques (1817), il faut ajouter la publication, après sa mort, de ses cours à l’université de Berlin, qui complètent l’exposé de son système. Dans celui-ci, Hegel définissait la philosophie comme l’histoire de la conscience prenant conscience d’elle-même. Visant à retracer l’organisation complète du savoir, il faisait de l’art

l’une des expressions de l’esprit dans sa recherche de la vérité et de l’absolu. Mais, downloadModeText.vue.download 467 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 461 si le but de l’art est la représentation sensible du beau, il n’a pour contenu qu’un certain degré spirituel de la vérité et est, d’une façon assez traditionnelle, inférieur à la science. Selon le degré d’adéquation de l’idée à la forme, Hegel distingue trois aspects de l’art, en correspondance avec son histoire. Le dernier et le plus élaboré est celui de l’art romantique, dans lequel il convient de ranger la peinture, la musique et la poésie. La musique se voit donc attribuer une place privilégiée dans l’esthétique de Hegel, juste avant l’élément parfait, la poésie, dans lequel l’esprit est libre en soi, et une vocation particulière, qui est de pouvoir exprimer le sentiment dans son devenir sans le secours des concepts. À partir de Hegel se profile l’idée que la musique au sein des arts procède selon des lois qui lui sont propres et qu’il existe une pensée spécifiquement musicale. Son Esthétique, publiée en 1832, prépare de cette façon la voie aux romantiques, à Schopenhauer, à Nietzsche, puis aux conceptions esthétiques modernes. HEGER (Robert), chef d’orchestre et compositeur allemand (Strasbourg 1886 - Munich 1978). Élève de F. Stockhausen à Strasbourg, de L. Kempter à Zurich et de M. Schillings à Munich, il mena à partir de 1907 une brillante carrière de chef de théâtre dans d’importantes villes allemandes. Comme compositeur, on lui doit notamment trois symphonies et le mélodrame Die Jüdin von Worms. HEIDSIECK (Éric), pianiste français (Reims 1936). Il étudie à l’École normale de musique de Paris puis au Conservatoire de Paris dans la classe de M. Ciampi, où il obtient un 1er Prix en 1954. Il se perfectionne ensuite auprès de Wilhelm Kempff et Alfred Cortot. En 1960, il fonde avec sa femme Tania un duo de piano, donnant de très nombreux concerts. Il se produit également avec Paul Tortelier. Son répertoire com-

prend un très grand nombre de concertos. Salué par la presse comme « l’homme des intégrales », il donne des séries de concerts avec les trente-deux sonates de Beethoven, les seize suites de Haendel ou encore l’intégrale de l’oeuvre pour piano de Fauré. Il enseigne au Conservatoire national supérieur de Lyon et donne des master-classess aux États-Unis et au Japon. HEIFETZ (Jascha), violoniste américain d’origine russe (Wilno, Lituanie, 1901 Los Angeles 1987). Il étudie le violon dans sa ville natale avec E. D. Malkin et fait rapidement sensation comme enfant prodige. Il entre ensuite au conservatoire de Saint-Pétersbourg dans la classe de Nalbandyan, assistant de L. Auer, puis dans celle de Auer luimême. À l’âge de dix ans il donne des concerts à Saint-Pétersbourg, Odessa, Kiev, Pavlovsk. Il joue en 1913 le concerto de Tchaïkovski à Berlin, sous la direction d’Arthur Nikisch. Heifetz accompagne Auer en Scandinavie et s’y produit à plusieurs reprises. Aux États-Unis, il fait avec succès ses débuts au Carnegie Hall le 27 octobre 1917. Désormais, il conquiert les publics de tous les continents, faisant une exceptionnelle carrière internationale. Il possède une technique prodigieuse et un jeu à la fois dynamique et élégant. Il a également fait de la musique de chambre avec W. Primrose et G. Piatigorsky, ainsi qu’avec Brooks Smith. Plusieurs compositeurs contemporains ont écrit des concertos à son intention (William Walton, Louis Grueneberg, Joseph Achron). HEILLER (Anton), organiste, claveciniste et compositeur autrichien (Vienne 1923 - id. 1979). Il suit des cours de B. Seidhofer (clavecin et orgue) et de Reidinger (composition) à la Musikakademie de Vienne, où il enseigne lui-même l’orgue à partir de 1945. En 1952, il remporte le premier prix au concours d’improvisation de Haarlem. En tant que compositeur, il a assimilé les influences de Johann Nepomuk David, de Stravinski et de Hindemith, et il s’est forgé un style très personnel, qui montre une prédilection pour la musique religieuse (10 messes dont un Requiem ; PsalmenKantate pour solos, choeurs et orchestre ; Psaume XXXVII ; Stabat Mater). Comme claveciniste, on lui doit un enregistrement

des huit Suites de Haendel qui demeure un modèle de goût et de maîtrise technique. HEINE (Heinrich), écrivain et poète allemand (Düsseldorf 1797 - Paris 1856). Dans l’histoire du mouvement romantique, Heinrich Heine peut apparaître comme le fossoyeur d’un certain idéal (qui le charme pourtant par sa naïveté) et le prophète des temps nouveaux (qui l’inquiètent pourtant) ; il est en fait celui que la structure de ses névroses rendait le plus sensible à la crise historique de son temps, qu’il analysa de la même façon que sa propre maladie. Cet intellectuel bourgeois (mais qui sera, sa vie durant, considéré par sa famille comme un parasite), déchiré entre un monde qu’il méprise, mais dont il vit, et des révolutions sociales dont il prophétise la violence, mais dont la médiocrité probable l’effraie, a entretenu avec le romantisme un rapport ambigu. Lui, qui célèbre la religion du malheur, les amants captifs de leur maîtresse jusqu’à la mort, moque dans l’École romantique (1833-1835) le culte de la souffrance, le mysticisme renaissant, le goût du passé. En fait, il s’en prend surtout au détournement que fait subir à ces sentiments l’Allemagne de son temps, qui a, selon lui, perdu tout contact avec ses origines. Son ironie cruelle, qu’il exerce aussi contre lui, éclate dans ses Reisebilder, « Impressions de voyage », qui serviront de modèle à de nombreux journalistes amateurs préoccupés d’adresser, de l’étranger, des mises en garde à leur patrie. Wagner fait partie de ceux-là, ce même Wagner qui reconnaîtra chez Heine un grand frère en errance et inquiétude, tout autant qu’en souffrance du corps, et lui empruntera le sujet du Hollandais volant. Mais là où Heine dépasse le romantisme, c’est en ce qu’il ne met jamais fin en lui-même au débat des êtres qui l’habitent. Là où ses contemporains succombent ou subliment leurs contradictions, mais n’en supportent jamais l’expression forcenée, il trouve son naturel, son unité. Dans la négation absolue de la médiocrité qu’il côtoie, il cherche les fondements d’un nouvel humanisme. En cela, il annonce le Nietzsche du Crépuscule des idoles, avec lequel, d’ailleurs, il partage l’aiguillon de la maladie : corps débile, sens avides, intelligence trop vaste ; ce comédien de lui-même, narcissique comme tous ceux qui souffrent, nourrit en lui le démon de l’analyse. Tout est passé

au crible : tout est matière à doute, à l’enchevêtrement des enthousiasmes et de la dérision. Comment affirmer, quand on vit quotidiennement sa propre déchéance ? C’est Schumann, lui-même angoissé par le thème du double, qui a le mieux servi Heine (les Amours du poète, Cycle de lieder op. 24, les Deux Grenadiers, etc.). Mais Schubert, encore que plus à l’aise dans d’autres ambiances, a donné les chefsd’oeuvre que sont le Sosie (Der Doppelgänger) et les six poèmes figurant au Chant du cygne. Bien d’autres, comme Brahms (Soir d’été), y ont moins brillé : Wolf ne s’y retrouvait point, Mendelssohn en a, non sans talent, adouci le mordant, Liszt, musicien, s’y est montré bavard. Quant à Wagner, il fallait qu’il eût faim pour composer lui aussi les Deux Grenadiers. HEINICHEN (Johann David), compositeur et théoricien allemand (Krössuln, près de Weissenfels 1683 - Dresde 1729). Élève de Schelle et de Kuhnau à Leipzig, il séjourna en Italie de 1710 à 1716, et en 1717 devint maître de chapelle de l’Électeur de Saxe à Dresde. Il composa des opéras et de la musique religieuse et instrumentale, et est l’auteur d’un des plus importants traités de l’époque baroque (Der General-Bass in der Composition, 1728). HEININEN (Paavo), compositeur finlandais (Järvenpää 1938). Après de brillantes études à l’Académie Sibelius, à la Staatliche Hochschule de Cologne (avec Bernd Aloïs Zimmermann) et à la Juilliard Academy de New York, Heininen s’impose en Finlande comme downloadModeText.vue.download 468 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 462 une des plus intéressantes personnalités, à la fois reconnue et discutée, de sa génération. Compositeur précoce, il évolue à partir d’un langage relativement traditionnel, puis, attiré par le sérialisme, il développe un système d’écriture de plus en plus complexe, inséparable d’une pensée esthétique et philosophique qui guide l’acte compositionnel. À côté d’oeuvres ambitieuses pour l’orchestre, d’une écriture riche et parfois difficile (Preambolo op. 4, 1959 ; Tripartita op. 5, 1959 ; Sog-

getto op. 10, 1963 ; Adagio op. 12, 19631966 ; Concerto pour piano no 2 op. 15, 1966 ; Symphonies no 3 op. 20, 1969 et no 4 op. 27, 1971), il développe parallèlement un style non moins complexe, mais où il libère une grande force expressive et parfois même incantatoire (Cantico delle creature op. 17, 1968 ; The Autumns pour choeurs op. 22, 1970 ; Poesia squillante ed incandescente op. 32a, 1974 ; Préludes, études, poème op. 32b, 1974 ; Quatuor op. 32c, 1974). Les plus incontestables réussites dans la petite forme sont ses quatre séries de Discantus (1965-1976) et ses Cantilènes (1970) pour instruments seuls, d’une grande pureté de langage et d’expression. En 1977, une évolution de son style lui fait abandonner les constructions sérielles et numérales pour essayer de représenter mieux encore un monde où les timbres, l’harmonie, le rythme et la forme pourraient être englobés dans un système polydimensionnel (Reality, 1978 ; Dia, 1979 ; Cor meum, 1979). Parmi ses oeuvres récentes, un concerto pour saxophone (1983) et un pour violoncelle (1985), le concerto pour chanteurs, instrumentistes, mots, images et mouvements le Tambour de soie (1981-1983) et l’opéra le Couteau (Helsinki, 1989). HEISE (Peter Arnold), compositeur danois (Copenhague 1830 - Tårbaek 1879). Comme la grande majorité des compositeurs danois, il va se perfectionner à Leipzig (1852-53). Considéré comme le successeur de C. E. F. Weyse, il est le maître incontesté de la mélodie romantique danoise et il utilise avec sensibilité les poèmes strophiques d’Oehlenschläger, de C. Winther, de C. Hauch, de B. S. Ingemann et de F. Paludan-Müller. Bien qu’il ait également écrit de la musique instrumentale (pièces pour piano, musique de chambre, une symphonie), son ouvrage le plus important reste l’opéra Drot og Marsk (« le Roi et le Maréchal », 1878), à la charnière entre le singspiel, alors traditionnel au Danemark, et le style moderne de l’opéra européen cosmopolite. Quelques influences de la tradition de Leipzig (Schumann et Mendelssohn) et accessoirement de Wagner (Lohengrin) ne diminuent pas les qualités d’une oeuvre qui, en tant que synthèse du classicisme et du romantisme, apparaît typique du style danois de l’époque. HEISS (Hermann) [pseud. Georg Frauen-

felder], compositeur et pédagogue allemand (Darmstadt 1897 - id. 1966). Il étudia à Francfort, puis à Vienne, où il contribua à la rédaction de l’ouvrage de J. M. Hauer Zwölftontechnik (1926), avant d’en recevoir la dédicace. Il eut ensuite des contacts avec Schönberg à Berlin. Fixé à Darmstadt, professeur de théorie à l’École militaire de musique de Francfort en 1941, il enseigna dès 1946 aux cours d’été de Darmstadt et y reçut en 1955 la direction d’un studio de composition électronique, discipline à laquelle, à partir de 1962, il consacra la totalité de son enseignement. Ses oeuvres antérieures à 1944 furent à peu près toutes détruites dans les bombardements de Darmstadt (1944). Heiss a écrit ensuite le ballet électronique Die Tat, d’après Crime et Châtiment de Dostoïevski (1961), Variable Musik pour bande (1966), ainsi que de nombreuses oeuvres scéniques ou radiophoniques. On lui doit aussi plusieurs écrits théoriques. HEISSER (Jean-François), pianiste français (Saint-Étienne 1950). Au Conservatoire de Paris, il est l’élève de V. Perlemuter, M. Ciampi, P. Pasquier et H. Puig-Roger, et obtient notamment un 1er Prix de piano en 1973. En 1974, il remporte le 1er Prix du Concours Jaen (Espagne) et celui du Concours Vianna da Motta, se produisant dans les années qui suivent en soliste ou en duo avec Régis Pasquier. En 1976, il est engagé comme soliste du Nouvel Orchestre philharmonique de Radio France, où il demeure jusqu’en 1985. En 1986, il est nommé professeur d’accompagnement au Conservatoire de Paris, et en 1990, professeur de piano et de musique de chambre. Parallèlement au répertoire romantique et moderne, il s’intéresse fortement à la création contemporaine, créant des oeuvres de Bancquart, Dao, etc. HELDENBARITON (all. : « baryton héroïque »). Terme s’appliquant à des voix d’un caractère assez mal défini, dont la tessiture se situe dans la moyenne. HELDENTENOR (all. : « ténor héroïque »). Terme s’appliquant à des voix allant moins loin vers l’aigu que le simple ténor, mais d’autant plus puissantes (Florestan dans Fidelio, Don José dans Carmen, le

tambour-major dans Wozzeck, Alwa dans Lulu et plus encore Tristan dans Tristan et Isolde, Siegmund et Siegfried dans l’Anneau, Otello dans l’ouvrage du même nom de Verdi). HELDY (Fanny), soprano belge, naturalisée française (Ath, près de Liège, 1888 Paris 1973). Elle fit ses débuts au théâtre de la Monnaie de Bruxelles en 1910. Engagée à Paris en 1917, elle fit une grande carrière dans l’opéra et l’opéra-comique jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Elle chanta avec succès Louise et Mélisande à la Scala de Milan sous la direction de Toscanini, et Manon à Covent Garden. Elle créa en outre de nombreux ouvrages : Antar de Gabriel Dupont, la Tour de feu de Sylvio Lazzari, le Marchand de Venise de Reynaldo Hahn, l’Aiglon de Jacques Ibert et Arthur Honegger. Sa voix était celle d’un soprano lyrique au registre aigu d’une extrême pureté, au médium un peu nasal. Mais c’est surtout par ses dons musicaux et sa présence scénique qu’elle forçait l’admiration. Fanny Heldy fut une Thaïs mémorable et une remarquable Violetta dans la Traviata. HELFERT (Vladimir), musicologue tchèque (Plánice, Bohême, 1886 - Prague 1945). Il fit ses études avec O. Hostinsky à Prague, avec J. Wolf, J. Strump et H. Kretzschmar à Berlin, où il soutint sa thèse en 1908 : G. Benda et J.-J. Rousseau. Professeur de musicologie à l’université de Brno jusqu’en 1939, il fut aussi directeur de la Société symphonique de cette ville et rédacteur en chef de la revue Hudebni Rozhledy à partir de 1924. Connu pour ses travaux sur Benda, Janáček et Smetana, il a consacré la plupart de ses ouvrages - monographies et articles de revues internationales - à l’histoire de la musique tchèque, notamment aux XVIIIe et XXe siècles, et à l’enseignement musical en Tchécoslovaquie. Il collabora également avec O. Pazdirek à un Dictionnaire de la musique (en tchèque ; 2 vol., 1929, 1933-1941) et avec E. Steinhardt pour une Histoire de la musique dans la République tchécoslovaque (Prague, 1936). HELFFER (Claude), pianiste français (Paris 1922).

Il étudia le piano avec Robert Casadesus et donna son premier récital en 1948. Il effectua ensuite des tournées en Europe, en Amérique latine (1962), aux États-Unis et au Canada (1966) ainsi qu’en U. R. S. S. (1968). Interprète de Beethoven et également de musique contemporaine, il a créé des oeuvres d’Amy, de Boulez, de Berio, de Boucourechliev, de Stockhausen, de Xenakis. Il fait aussi autorité dans Bartók, Ravel, Debussy et Schönberg. Parmi ses disques, retenons des intégrales de ces trois derniers compositeurs ainsi que les trois sonates pour piano de Boulez. downloadModeText.vue.download 469 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 463 HELGASON (Hallgrimur), compositeur et musicologue islandais (1914). Après ses études à Reykjavík, à Copenhague, à Leipzig et à Zurich, notamment avec W. Burkhard, P. Hindemith et N. David, il présente en 1954 à l’université de Zurich sa thèse de doctorat sur les chants de héros en Islande depuis 1350. Conférencier, musicologue, chef de choeurs, pianiste et professeur, il est également un compositeur fécond et apprécié, qui s’exprime en un langage dont le contrepoint et le style modal sont les principales caractéristiques. La majorité de ses oeuvres est instrumentale : des sonates, de nombreuses partitions pour orchestre à cordes - notamment des Variations sur un thème islandais (1941), Fantasi et Suita arctica (1949) -, des oeuvres pour orchestre, ouverture de Snorri Sturluson (1940), Rapsodi (1963). Il faut signaler également les 200 arrangements qu’il a réalisés sur des chants islandais populaires. HELLENDAAL (Pieter), organiste et compositeur néerlandais (Rotterdam 1721 - Cambridge 1799). Dès l’âge de onze ans, il est organiste à Utrecht. Il voyage en Italie et étudie le violon à Padoue avec Tartini (1738-1743). Il reprend ses études à l’université de Leyde (1749-1751). En 1752, il se fixe en Angleterre, où il poursuit une double carrière d’organiste et de compositeur (à Londres, puis à King’s Lynn [Norfolkshire] et à Cambridge). Il est le seul compositeur néerlandais de sa génération qui ait fait

carrière hors de son pays et connu une célébrité par ses oeuvres. Ses concertos grossos, conçus dans le sillage de ceux de Haendel, étaient considérés comme dignes d’eux. Éditeur de ses propres oeuvres, Hellendaal a laissé une collection de psaumes, de la musique instrumentale (sonates pour violon et violoncelle) et une cantate, Strephon et Myrtilla (v. 1785). HELLER, (Stephen ou Istvan), pianiste, pédagogue et compositeur hongrois (Pest 1813 - Paris 1888). Élève du pianiste August Halm à Vienne (1824), il donna son premier concert dans cette ville en 1827, entreprit en 1829 une tournée en Allemagne, puis vécut à Augsbourg (1830-1838) et enfin à Paris. Il fut l’ami de Schumann, qui lui dédia ses Davidbündlertänze, de Chopin, de Berlioz et de Liszt. Ses oeuvres, exclusivement pour piano, sont pour la plupart courtes et dotées de titres caractéristiques. HELLMESBERGER, famille de musiciens autrichiens. Georg, violoniste (Vienne 1800 - id. 1873). Il compta parmi ses élèves Joseph Joachim. Joseph, violoniste, compositeur et chef d’orchestre, fils du précédent (Vienne 1828 - id. 1893). Professeur de violon, directeur du conservatoire de Vienne de 1851 à sa mort, chef d’orchestre de la Gesellschaft der Musikfreunde (Société des amis de la musique) de 1851 à 1859, premier violon solo de l’orchestre de la cour et maître de chapelle de l’empereur, il fonda en 1849 un célèbre quatuor auquel il donna son nom et qui révéla aux Viennois les ultimes chefs-d’oeuvre de Beethoven et de Schubert. Georg, violoniste, frère du précédent (Vienne 1830 - Hanovre 1852). Joseph, violoniste et compositeur, fils du Joseph précédent (Vienne 1855 - id. 1907). Violon solo dans l’orchestre de la cour, professeur au conservatoire en 1878, il remplaça en 1887 son père comme premier violon dans le quatuor fondé par celui-ci et dirigea de 1900 à 1903 les concerts de la Philharmonie, succédant à ce poste à Gustav Mahler. Ferdinand, violoncelliste et composi-

teur, frère du précédent (Vienne 1863 - id. 1940). HELM (Everett), compositeur et musicologue américain (Minneapolis 1913). Élève de W. Piston, R. Vaughan Williams, G.-F. Malipiero et D. Milhaud, il a enseigné au Western College dans l’Ohio (1943-44) ; à partir de 1950, il a vécu principalement en Allemagne, en Autriche et en Italie, en particulier comme correspondant de la revue Musical America (dont il a été rédacteur en chef de 1960 à 1962). Comme compositeur, on lui doit notamment deux quatuors à cordes, deux concertos pour piano (1951 et 1956) et l’opéra radiophonique The Siege of Tottenburg (1956). Comme musicologue, il s’est intéressé en particulier à la musique yougoslave (il a donné des cours à l’université de Ljubljana de 1966 à 1968) et à Béla Bartók, publiant notamment Bela Bartok in Selbstzeugnissen und Bilddokumenten (Béla Bartók par lui-même et par l’image, Reinbek, près de Hambourg, 1965). HELMHOLTZ (Hermann von), savant et acousticien allemand (Potsdam 1821 Berlin 1894). Après avoir étudié la médecine et enseigné l’anatomie à Berlin, il poursuivit ses recherches en physiologie et en physique. Il obtint la chaire de physiologie à Heidelberg en 1858, puis on créa pour lui une chaire de physique à l’université de Berlin, où il resta jusqu’à sa mort. Ses recherches ont embrassé la quasi-totalité des sciences de la nature. Il a notamment formulé le principe de la conservation de l’énergie et est considéré comme l’un des pères de l’énergétique. Parmi ses publications, une grande part est consacrée à la musique, et Helmholtz devint le plus célèbre théoricien de l’acoustique musicale au XIXe siècle après la parution de son ouvrage Die Lehre von den Tonempfindungen als physiologische Grundlage für die Theorie der Musik (Braunschweig, 1863 ; trad. française : Théorie physiologigue de la musique, Paris, 1868). Il fut l’un des premiers à réaliser la fusion de disciplines jusque-là isolées les unes des autres : mathématiques, physique pure et expérimentale, physiologie et musique ; il orienta ainsi l’acoustique sur une voie nouvelle. La théorie de la résonance qu’il a élaborée explique le

phénomène auditif en localisant l’analyse du son dans l’oreille interne. Helmholtz a éclairé la composition des sons complexes par l’analyse spectrale, réalisée grâce aux résonateurs qui portent son nom. Enfin, sa théorie de la consonance s’appuie sur le plus ou moins grand nombre d’harmoniques communs entre des sons donnés. Elle l’amena à formuler une esthétique dans laquelle l’expression musicale était fonction de la fréquence des dissonances et des consonances. Si Helmholtz fut un précurseur de l’acoustique contemporaine et d’une esthétique étayée par l’expérimentation, ses théories présentent des contradictions et sont aujourd’hui largement dépassées. HEMAN (de), famille de facteurs d’orgues français, actifs, à Paris durant la première moitié du XVIIe siècle. Le fondateur de la dynastie est Valéran (probablement Hesdin 1584 - Paris 1640). Apparenté à la famille d’organiers Carlier, il se fit le propagateur du grand instrument classique du début du XVIIe siècle, tel qu’il a contribué à le définir avec Mersenne et Titelouze, en particulier à NotreDame de Paris (1609-1620). Il est l’auteur des orgues de Saint-Séverin (1610-1626), des Cordeliers et de Saint-Jean-en-Grève, à Paris, tout en travaillant à Meaux (1627), à Troyes (église Saint-Jean, 1610-1637), à Saint-Seurin de Bordeaux, etc. Ses trois neveux collaborèrent avec lui et prirent sa suite : Louis (mort en 1645), François (mort en 1652) et Jean (mort en 1660), qui construisirent les orgues de Mitry (1641-1643), des Petits-Augustins (1643), de Saint-Médard (1645-1646) et de SaintMerri (1647-1650), à Paris. HÉMIOLE. Mot adapté du grec, où l’expression hémiolios logos (hémi, « moitié », et holos, « entier ») désigne le rapport de 1 1/2 à 1, donc de 3 à 2, qui, dans les calculs d’intervalle, concerne le rapport 3/2 de la quinte. L’équivalent latinisé du terme est sesquialtère (sesquialter = alter semisque). Le rapport hémiole est l’un des principaux parmi les superparticuliers, c’est-à-dire ceux qui répondent à la formule N/N + downloadModeText.vue.download 470 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE

464 1, chère aux calculs musicaux pythagoriciens. On emploie aussi le terme de hémiole pour désigner l’insertion d’un rythme ternaire dans un binaire, ou vice versa (par ex. 3 blanches de 2 temps chacune pour 2 blanches pointées de 3 temps chacune). Le procédé, relativement fréquent au XVe siècle, se raréfie ensuite, sans jamais disparaître tout à fait ; il sera au XVIIIe siècle l’un des éléments de la courante, et Beethoven en fera usage autant que Josquin Des Prés : la seule différence sera qu’à ce moment on l’écrira en syncopes, alors que la notation proportionnelle se servait seulement de signes différents dans la division des valeurs. On emploie enfin le terme de hémiole en métrique pour désigner un rythme où le rapport entre brèves et longues n’est pas de 1 à 2, mais de 2 à 3, rythme très fréquent dans la musique instinctive, mais que le solfège traditionnel ne traduit souvent qu’avec réticence, le réduisant trop facilement au ternaire simple : beaucoup de rythmes populaires notés à 6/8 sont en réalité à 10/8 : et non . HENDRICKS (Barbara), soprano américaine (Stephens, Arkansas, 1948). Diplômée de la Juilliard School de New York après avoir fait des études de chimie et de mathématiques à l’université du Nebraska, Barbara Hendricks a trouvé en Jennie Tourel un professeur qui a su tirer le meilleur parti d’une voix tout à la fois chaude et limpide, souvent caractéristique des cantatrices noires. C’est en 1976 que débute sa fulgurante carrière internationale avec le Couronnement de Poppée à l’Opéra de San Francisco, Orfeo au festival de Hollande et un premier récital à New York. Dans les cinq années suivantes, Barbara Hendricks se fait entendre en concert avec la Philharmonie de Berlin (Karajan), la Philharmonie de Vienne (Levine), le Boston Symphony et l’Orchestre national de France (Ozawa), l’Orchestre de Paris (Barenboïm), le Royal Philharmonic (Dorati) et autres formations de premier plan, et participe aux festivals de Salzbourg, d’Aix-en-Provence, de Bergen, de Dresde, d’Osaka et d’Orange, où elle interprète en 1980 Gilda de Rigoletto. Susanna des Nozze di Figaro est un autre de ses grands rôles, dont la liste s’allonge chaque année. Une

discographie abondante reflète sa réussite. HENLE. Maison d’édition allemande, fondée en 1948 à Munich par Günter Henle (18991979) et installée également à Duisburg. Elle s’est spécialisée dans les éditions Urtext - basées seulement sur les sources, sans ajouts éditoriaux sur le plan des nuances ou de la dynamique - du répertoire classique et romantique, et publie, en liaison avec le Haydn Institut de Cologne et la Beethovenhaus de Bonn, les oeuvres complètes de Joseph Haydn et de Beethoven ainsi que les Haydn-Studien et les Veröffentlichungen des Beethovenhauses in Bonn. HENRY (Pierre), compositeur français (Paris 1927). Il est considéré aujourd’hui par beaucoup comme le plus grand compositeur de musique électroacoustique, genre auquel il s’est entièrement voué et dont il fut un pionnier dès les origines, mais, par-delà tout cloisonnement, il est l’un des plus grands créateurs d’aujourd’hui. Son « curriculum » de jeune compositeur était des plus classiques (études au Conservatoire de Paris, chez Nadia Boulanger pour le piano, chez Félix Passeronne pour la percussion, chez Olivier Messiaen pour l’harmonie), mais Henry avait déjà expérimenté sur le « son concret » quand il vint rejoindre, en 1949, Pierre Schaeffer, qui venait de commencer ses expériences de « musique concrète » à la Radio française. Ce tandem original produisit quelques oeuvres marquantes : Symphonie pour un homme seul (1949-50), l’« opéra concret » Orphée 51 (1951), remanié en un Orphée 53 (1953), pour lequel Pierre Henry réalisa seul l’extraordinaire séquence qui devait devenir le Voile d’Orphée. Cependant, le compositeur commençait à s’imposer par ses oeuvres individuelles : Microphone bien tempéré, Musique sans titre, etc. Chef des travaux de 1950 à 1958 au « Groupe de musique concrète », fondé par Schaeffer (futur Groupe de recherches musicales), il doit le quitter en 1958 pour repartir à zéro, en fondant le studio Apsome, « premier studio privé consacré aux musiques électroacoustiques », qu’il fait vivre de travaux alimentaires (films, disques, publicité, etc.). Sa collaboration depuis 1955 avec

Maurice Béjart pour de nombreux ballets, un disque best-seller de Jerks électroniques en 1967, pour la Messe pour le temps présent de Béjart, et des manifestations marquantes, où il donne une forme rituelle au concert électroacoustique, le font connaître du grand public. Sans se reposer sur des formules assurant le succès, Henry remet souvent sa réputation en jeu par des expériences risquées (improvisations en direct sur les ondes du cerveau, Corticalart) ou des oeuvres difficiles (Deuxième Symphonie), avant de s’orienter, récemment, vers des spectacles dont il est le musicien et le maître d’oeuvre, sans renoncer à composer des oeuvres de concert. L’excès, la démesure sont en effet une des marques distinctives de son génie, évidente depuis les débuts : les premières oeuvres qu’il a composées dans les années 50 à la R. T. F. ne craignent ni l’expressionnisme, ni la démonstration de virtuosité (Musique sans titre, 1950 ; Concerto des ambiguïtés, 1950 ; Microphone bien tempéré, 1950-51). Henry expérimente toutes les techniques et tous les styles, son goût pour un contact direct avec le son, cultivé par sa formation de percussionniste, lui inspirant des toccatas effrénées. Mais son oeuvre marquante de cette période est le Voile d’Orphée (1953), où l’on trouve déjà cet étirement douloureux de la durée, qui est une des marques de son style, et la présence du thème de la Mort, qui ne cessera de l’inspirer. Son départ de la Radio, en le limitant au début dans ses moyens de création, lui donne l’occasion de renoncer pour un temps à ce baroquisme luxuriant (auquel revient une grande partie de son oeuvre récente) et de travailler dans le sens de la simplification, de l’épuration. Henry se forge un langage, après avoir affirmé une personnalité. Outre Coexistence (1959) et Investigations (1959), cette nouvelle direction lui inspire trois grands chefs-d’oeuvre : la Noire à 60 (1961), oeuvre totalement monodique sur des matériaux très dépouillés, prodigieux travail de montage ; le Voyage (1962), musique pour le ballet d’après le Livre des morts tibétain, miracle de transparence et de pureté dans le style, où l’auteur semble avoir, selon la formule zen, « laissé le tissu se tisser luimême « ; enfin les Variations pour une porte et un soupir (1963), qui, prenant au mot le cliché attaché à la musique concrète (musique de « porte qui grince »), tiennent la gageure de faire avec cette porte comme

principal instrument une musique à la fois très organisée, très illustrative et très pure. La Reine verte (1963), pour un spectacle de Béjart, confirme sa maîtrise d’orchestrateur des sons électroacoustiques. Les trois oeuvres « à texte » qui suivent - Messe de Liverpool (1967-68), l’Apocalypse de Jean (1968) et Fragments pour Artaud (1965-1968, titre exact : Hommage à A. Artaud) - illustrent bien sa façon d’aborder un thème, toujours directement, sans biaiser : soit qu’elles gardent le texte intelligible, ne craignant nullement l’« illustration » et le « premier degré », soit qu’elles le fassent éclater en phonèmes, à la manière « lettriste », s’il s’agit d’un texte aussi connu que la messe latine. Cette façon de prendre en charge un texte culmine dans l’oeuvre Dieu (1977), spectacle où le comédien Jean-Paul Farré déclame nombre d’alexandrins hugoliens tout au long d’une suite de tableaux musicaux gigantissimes. La forme en « tableaux » successifs a d’ailleurs la faveur de Pierre Henry, qui l’utilise dans des oeuvres récentes, de plus en plus éclatées, proliférantes dans le temps et l’espace : Deuxième Symphonie (1972) ; Kyldex (1973), musique pour un spectacle « cybernétique » de Nicolas Schöffer et Alwin Nicolaïs ; Enivrez-vous (1974) ; l’admirable utopie musicale Futuristie (1975) ; le Parcours-Cosmogonie (1976), vaste récapitulation sur plusieurs heures de toute sa production de 1950 à 1975 ; la Dixième Symphonie, hommage à Beethoven downloadModeText.vue.download 471 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 465 (1979), immense collage d’extraits manipulés et recomposés des neuf symphonies du maître de Bonn (autre utopie musicale) ; ou le spectacle des Noces chymiques (1980), pour l’Opéra-Comique, dont il fut à la fois le compositeur et le metteur en scène. À côté de ces grandes fresques, Mouvement-Rythme-Étude (1970), inspiré par la danse, témoigne de la variété de ses registres. En 1985 ont été créés à Paris l’Eau et (à Radio France) Hugo Symphonie, et en 1990 (musée du Louvre) le Livre des morts égyptiens. Pour Pierre Henry, le concert n’est pas une formalité, mais une cérémonie, qu’il prépare toujours avec exigence, et il a su porter la formule difficile du « concert de

haut-parleurs » à un degré de qualité et d’efficacité sans égal, en payant de sa personne avec une conviction contagieuse. On pourrait le situer comme un Victor Hugo de la musique électroacoustique : fécondité, puissance de travail et diversité de palette, technique impeccable et somptueuse, goût pour l’excès, pour le mélange osé du grotesque et du sublime, maints traits le rapprochent du poète. Mais il faut aussi le juger par rapport à ses contemporains. Sans école, sans disciples ou presque (sinon peut-être Bernard Bonnier, son collaborateur temporaire), Henry n’en a pas moins joué un rôle vital, fondateur et libérateur dans l’évolution de la musique électroacoustique, un genre que la plupart des compositeurs de formation classique abordaient de manière trop formaliste et précautionneuse pour ne pas être stérilisante. Enfin, il a créé un monde et un style : puissant, élémentaire, éloquent, un style de bûcheron, de pionnier. Mais ce monde qu’il a bâti porte sa marque, et ses obsessions y résonnent en échos multipliés : le temps, qu’il s’agit d’étirer, de dilater, comme dans l’espérance d’y conjurer la mort ; la mort, qu’on cherche à capter et à contempler dans l’étirement de l’« instant fatal « ; la vie, qui prolifère comme une herbe folle dans les fissures du temps. HENRY VIII, roi d’Angleterre (Greenwich 1491 - Londres 1547). Devenu roi en 1509 (il avait été destiné à la carrière ecclésiastique), il garda toujours sa passion pour la musique. Possédant de bonnes connaissances musicales, il jouait de la flûte, du virginal, de l’orgue ; il dansait et composait également. Il fit de la chapelle royale la meilleure institution musicale du royaume, occupant en permanence des compositeurs, dont Robert Fayrfax. Il nomma William Cornysh le maître des enfants de cet établissement (v. 1509), qui devait également se charger des divertissements de cour (masques). Au Camp du Drap d’or (1520), sa suite ne comportait pas moins de 79 musiciens. Tous les matins, six enfants et six hommes lui chantaient la messe. Henry VIII collectionna de nombreux instruments et livres de musique. De son oeuvre de compositeur sont parvenus quatre chansons à 4 voix, dont le célèbre Pastime with Good Company, quatorze chansons à 3 voix (Grene growith the holy), quatorze pièces instrumentales et un motet latin à 3 voix.

HENZE (Hans Werner), compositeur allemand (Güsterloh, Westphalie, 1926). il s’intéressa jeune à la musique et reprit en 1946 à Heidelberg, avec Wolfgang Fortner, ses études interrompues par la guerre, ce qui se traduisit notamment par le Concerto de chambre pour piano, flûte et cordes (1946). Il travailla aussi avec René Leibowitz (1948), tandis que d’un séjour à Darmstadt témoignaient les Variations pour piano (1949). Suivirent notamment le drame lyrique Boulevard Solitude (1951), d’après l’histoire de Manon Lescaut, et l’opéra radiophonique Ein Landarzt, d’après Kafka (1951), qui lui valut en 1953 le prix Italia. En 1953, Henze quitta l’Allemagne pour l’Italie, s’installant tout d’abord à Forio d’Ischia, dans la baie de Naples, puis à Naples et enfin dans les environs de Rome. Après avoir été considéré, à cause de son usage des techniques sérielles, comme faisant partie de l’avant-garde internationale, il fut alors un des premiers à abandonner ces techniques pour un style de composition plus libre. Sa célébrité, déjà grande, s’accrut encore grâce en particulier à une succession d’opéras au style dramatique efficace : König Hirsch (1952-1955, rév. 1962 Il Re cervo) ; Der Prinz von Homburg, sur un livret d’Ingeborg Bachmann d’après Kleist (1958) ; Elegy for Young Lovers, livret d’Auden et Kallman (1959-1961) ; Der junge Lord, livret d’Ingeborg Bachmann d’après Wilhelm Hauff (1964) ; Die Bassariden, d’après Euripide (1965). Parallèlement étaient nés ses cinq premières symphonies (1947 [rév. 1963], 1949, 1949-50, 1955 et 1962), son premier concerto pour piano (1950), des ballets comme Ondine (1956-57), les Fünf neapolitanische Lieder (1956), les Drei Fragmente nach Hölderlin (1958), l’oratorio sur Giordano Bruno Novae de infinito laudes (1962) et la cantate Being Beauteous, d’après Rimbaud (1963). À partir de 1967 environ, année de son second concerto pour piano, ses oeuvres devinrent le net reflet de son engagement en faveur du mouvement étudiant ou de régimes comme celui de Cuba. En novembre 1969, Henze dirigea à La Havane la création de sa 6e symphonie, qui fait usage d’un chant de libération du Viêt-nam et d’un autre de Theodorakis. L’année précédente, son « oratorio volgare e militare » Das Floss der Medusa, « le Radeau de la Méduse », conçu comme un requiem à Che Guevara, avait créé le scan-

dale à Hambourg. Cet incident fut à l’origine de Versuch über Schweine, « Essai sur les cochons », pour baryton et orchestre, créé à Londres en février 1969. Dans cette lignée d’oeuvres engagées s’inscrivent encore El Cimarrón (1969-70), d’après un ouvrage relatant la transformation en chef révolutionnaire d’un esclave cubain fuyant les Espagnols, ou le « show » Der langwierige Weg in die Wohnung der Natascha Ungeheuer (1971), où sont analysés les dilemmes d’une jeune extrémiste de gauche. Henze a écrit depuis, entre autres, Voices (22 chants pour diverses formations, 1973), We come to the River, actions en musique (1974-1976 ; création à Covent Garden en 1976), Orpheus, histoire en six scènes (création à Stuttgart en 1979), El Rey de Harlem (création à Witten en 1980), l’opéra pour enfants Pollicino (création à Montepulciano en 1980), Symphonie no 7 (1984), Symphonie no 8 (1993), Requiem (Vienne, 1993). On lui doit également la musique des films Muriel (1964) d’Alain Resnais, Der junge Törless (1966) et Katharina Blum (1975) de Volker Schlöndorff. En 1990 a été créé à Berlin l’opéra la Mer trahie. HEPTATONIQUE. (grec : « 7 tons », le mot « ton » étant pris au sens de « son »). Terme désignant, en principe, toute gamme comportant sept sons. Dans la musique grecque antique, il se référait à l’heptacorde, groupement primitif de deux tétracordes conjoints n’atteignant pas l’octave (mi-fa-sol-la/la-si-doré), par opposition à l’octocorde disjoint, comprenant l’octave (mi-fa-sol-la/si-doré-mi). On l’emploie surtout aujourd’hui pour désigner la gamme diatonique complète, avec ses sept noms de notes (do-rémi-fa-sol-la-si). Dans le cycle des quintes, qui produit successivement, en juxtaposant quintes ascendantes et quartes descendantes, la série di-, tri-, tétra-, penta-, hexa- et heptatonique, l’heptatonique représente la dernière phrase du cycle diatonique et aussi le point d’aboutissement ultime du phénomène de formation de l’échelle par le cycle des quintes ; l’ethnomusicologie, qui atteste la présence de tous ces stades dans la formation réelle des langages musicaux, n’offre aucun témoin d’octotonique ni de ses hypothétiques successeurs, échelle à douze sons incluse ; la continuation du cycle par les

dièses et bémols, abordant successivement le chromatique, puis l’enharmonique, est toujours restée une spéculation théorique, et le véritable chromatisme s’est introduit dans la musique par des voies très différentes (le plus souvent par déplacement attractif et non addition de degrés supplémentaires). downloadModeText.vue.download 472 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 466 HERBAIN (chevalier d’), violoniste et compositeur français (Paris 1734 - id. 1769). Musicien autodidacte, il s’engage dans l’armée en 1749, mais abandonne son poste de capitaine deux ans plus tard pour aller se perfectionner dans la composition en Italie. Ce séjour de cinq ans va influencer le style de ses oeuvres et développer son sens dramatique et sa prédilection pour l’opéra. Herbain fait représenter un certain nombre d’oeuvres avec succès, d’abord en Italie (Il Geloso et Il Trionfo del Giglio, 1751 ; La Lavinia, 1751), puis à Paris, qu’il regagne en 1756 et où son opéra-ballet Iphis et Célime est donné la même année à l’Académie royale de musique. Musicien très en vogue à la cour, il obtient en 1760 l’autorisation royale de faire publier ses oeuvres. Il est, par ailleurs, l’auteur de Sonates en trio (1755) et de sonates pour clavecin ainsi que de pittoresques cantatilles, dans lesquelles on constate l’influence de Rameau, qu’il admirait. HERBECK (Johann), chef d’orchestre et compositeur autrichien (Vienne 1831 id. 1877). Il dirigea les concerts de la Société des amis de la musique de Vienne de 1859 à 1870 et (comme successeur de Brahms) de 1875 à 1877, ainsi que l’Opéra de 1870 à 1875. C’est lui qui, en 1868, fit nommer Bruckner professeur de contrepoint au conservatoire de cette même ville. C’est aussi lui qui, en 1865, dirigea la première audition de la Symphonie inachevée de Franz Schubert. HERDER (Johann Gottfried), écrivain et poète allemand (Mohrungen, PrusseOrientale, 1744 - Weimar 1803).

Il étudia la musique, puis la théologie à Königsberg, où il put entendre Kant et se lier avec un précurseur du Sturm und Drang, J. G. Hamann. Pasteur et professeur à Riga, il se rendit ensuite en France, où il fit la rencontre de Goethe, dont il devint le maître. Entre 1771 et 1776, il fut prédicateur à la cour de Bückebourg ; il termina sa vie à Weimar. Il fut un théoricien du Sturm und Drang dès la naissance de ce courant. Dans son ouvrage Kalligone, paru en 1800, il développa l’idée nouvelle que le sentiment participe à l’appréciation esthétique. Avec son anthologie Stimmen der Völker in Liedern (Tübingen, 1807 ; rééd., Leipzig, 1954), il affirmait que le Volkslied, unissant la puissance expressive de la poésie à celle de la musique, réalisait la forme la plus achevée de l’oeuvre d’art authentique tandis que l’opéra contemporain, qui associait des textes pauvres à une musique descriptive trop rigide dans sa forme, trahissait la disparité des sentiments exprimés. Il conçut donc un drame musical dans lequel la poésie, la musique, l’action et les décors étaient étroitement unis, et il écrivit selon ce principe plusieurs livrets d’opéra, dont Brutus (1772), destiné à Gluck et mis en musique par Johann Christoph Friedrich Bach (perdu). Voulant, d’autre part, concilier l’esprit nouveau du XVIIIe siècle et la tradition chrétienne, il fut l’auteur de trois livrets d’oratorio mis en musique par J. C. F. Bach - Die Kindheit Jesu (1773), Die Auferweckung des Lazarus (1773), Der Fremdling auf Golgotha (1776, perdu) - et de plusieurs cantates. Considérant que la musique permet de communiquer avec l’invisible ou l’irrationnel, Herder lui accorde une place privilégiée. Il contribua à l’essor de l’esthétique et à la renaissance du lied en Allemagne, écrivit de nombreux ouvrages consacrés à la musique et eut une grande influence sur les romantiques. Parmi les musiciens, Brahms utilisera une des ballades de son recueil pour la Ballade op. 10 no 1 et Liszt composera des choeurs sur son Prométhée. HERMANSON (Åke), compositeur suédois (Mollösund 1923). Élève de H. Rosenberg, il a écrit en particulier deux symphonies, Invoco pour cordes (1958-1960), Suoni d’un flauto (1961), In nuce (1962-63), Alarme pour cor solo (1969) et Ultima 71 (1972) pour

orchestre. D’un tempérament sévère et introverti, il est parfois monumental (Symphonie no 1), mais il est capable aussi d’agressivité (In nuce). HÉROLD (Ferdinand), compositeur français (Paris 1791 - id. 1833). Il commença à travailler la musique avec son père, qui avait été l’élève de Carl Philipp Emanuel Bach, et fit de sérieuses études secondaires avant d’entrer au Conservatoire de Paris dans la classe de piano de Louis Adam. Après son premier prix de piano, il travailla l’harmonie avec Catel, la composition avec Méhul et triompha au concours de l’Institut (prix de Rome en 1812). Il séjourna trois ans à Rome, puis un an à Naples, où il eut comme élèves les fils du roi Murat. Il se lia avec Paisiello, Mayr, Zingarelli et fit représenter en 1815 à Naples un opéra italien, la Jeunesse d’Henri V. Il revint à Paris, où il trouva l’appui de Boieldieu. Celui-ci l’associa à la composition d’un ouvrage de circonstance, Charles de France (1816), qui le fit avantageusement connaître dans la capitale. En 1819, Hérold écrivit d’après J. de La Fontaine une partition sur le livret des Troqueurs, déjà mis en musique par Dauvergne en 1753. il s’intéressa essentiellement à la musique de théâtre. Il a le sens de la scène, son harmonie est habile, et il eut dans ce domaine des effets assez hardis pour l’époque. Ses premiers opéras eurent cependant peu de succès. Constatant, par contre, le triomphe des opéras de Rossini, Hérold se mit à écrire des imitations d’opéras bouffes (le Muletier, 1823 ; le Lapin blanc, 1825). Cependant, il revint bientôt à son style propre, bien français, en composant Marie (1826) sur un livret de Planard, qui fut son premier grand succès. Respectant désormais l’esthétique de Boieldieu, il fut néanmoins touché par celle de Gluck et conquis par celle de Mozart. Dès lors, ses oeuvres prirent un tour plus solide et sérieux, avec Zampa (1831) et le Pré aux clercs (1832), ses deux titres de gloire, auxquels on pourrait ajouter un ballet qui a continué à jouir d’une certaine vogue au XXe siècle : la Fille mal gardée (1828). HERREWEGHE (Philippe), chef de choeur belge (Gand 1947). Dès l’âge de sept ans, il appartient à un choeur d’enfants dont il devient le répé-

titeur à quatorze ans. Il étudie le piano au Conservatoire de Gand avec Marcelle Gazelle. Après des études de médecine et un début de spécialisation en psychiatrie, parallèlement à l’étude de l’orgue, il revient à son projet initial d’être musicien et approfondit sa connaissance de la musique ancienne. En 1969, il fonde un petit ensemble vocal qui devient le Collegium vocal de Gand. Sa rencontre dans la même période avec Ton Koopman est décisive et les mène à des réalisations communes, remarquées par Gustav Leonhardt. Il étudie alors le clavecin au Conservatoire de Gand dans la classe de Johann Huys et obtient son prix en 1975. De la rencontre avec le musicologue Philippe Beaussant naît l’ensemble vocal puis l’orchestre de la Chapelle royale, qui se consacrent aux répertoires baroque et classique. En 1977, P. Herreweghe commence à diriger aussi le Choeur de Liège. En 1988, il prend la direction du Nouvel Ensemble vocal européen et en 1991 celle de l’Orchestre des Champs-Élysées, créé à son intention. Il a fortement contribué au renouvellement de l’interprétation baroque, proposant une conception nouvelle de l’articulation, du phrasé et de l’expressivité, dans les oeuvres de Bach en particulier. Il est directeur artistique de l’Académie musicale de Saintes. HERRMANN (Bernard), compositeur et chef d’orchestre américain (New York 1911 - Los Angeles 1975). Après des études à l’université de New York et à la Juilliard School, il occupa des postes musicaux importants à la Columbia Broadcasting Company (C. B. S.). Il a écrit une symphonie (1940), un concerto pour violon, l’opéra Wuthering Heights (« les Hauts de Hurlevent », 1940-1952), mais il reste surtout célèbre par ses musiques de film, en particulier celles pour Citizen Kane (1940) d’O. Welles, Vertigo (1958), la Mort aux trousses (1959) et les downloadModeText.vue.download 473 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 467 Oiseaux (1963) d’A. Hitchcock, Fahrenheit 451 (1966) et La mariée était en noir (1967) de F. Truffaut. HERSANT (Philippe), compositeur fran-

çais (Rome 1948). Il a été l’élève d’André Jolivet au Conservatoire de Paris, tout en poursuivant des études littéraires, et a obtenu le prix NadiaBoulanger en 1970. D’abord boursier à la Casa Velázquez à Madrid (1970-1972), il a été ensuite pensionnaire à la villa Médicis à Rome (1978-1980). Parmi ses oeuvres, surtout instrumentales, citons Meanderthale pour soprano, récitants, choeur et orchestre d’après James Joyce (1969), Kells, musique symphonique (1970), Étude pour orchestre (1972), Cris et Silences pour flûte seule (1973), Été indien pour orchestre (1973), Austral/Boréal pour 40 guitaristes, 40 chanteurs amateurs, baryton, flûte et 2 percussionnistes (1975), Dolce stile nuovo pour ensemble instrumental et choeur d’hommes (1978), Stances pour orchestre (1978), Sables pour 12 cordes (1979), Spirales pour violoncelle solo (1980) et Mouvement pour piano solo (1980), l’opéra le Château des Carpathes (1992). HERVÉ (Florimond Ronger, dit), compositeur français (Houdain, Pas-de-Calais, 1825 - Paris 1892). Contemporain et rival d’Offenbach, qu’il précède de quelques années en tant que créateur de l’opérette moderne, il est, comme lui, directeur de théâtre (les Folies-Nouvelles) mais, en outre, organiste, librettiste, décorateur et interprète de ses propres oeuvres. À vingt-deux ans, il tient les orgues de Saint-Eustache le matin et fait le pitre sur les planches de divers bouis-bouis le soir. Cette double vie lui inspirera le personnage de Célestin Floridor dans sa célèbre Mam’zelle Nitouche (1883), personnage qu’il jouera d’ailleurs lui-même. Jusqu’en 1867, il produit d’innombrables petites pièces loufoques, fertiles en parodies et en allusions à l’actualité. Puis c’est sa « trilogie », composée de l’oeil crevé (1867), de Chilpéric (1868) et du Petit Faust (1869), plaisante charge du Faust de Gounod, qui vient justement d’entrer à l’Opéra. Hervé a également le mérite, en tant qu’entrepreneur de spectacles, d’avoir révélé Offenbach en 1855 (Oyayaïe ou la Reine des îles) et Léo Delibes en 1856 (Deux Sous de charbon). HERZ (Henri), compositeur, pianiste et facteur de pianos français d’origine allemande (Vienne 1803 - Paris 1888). Élève de Hünter l’Aîné à Coblence, puis

de Pradher et Reicha au Conservatoire de Paris (1816), encouragé par Moscheles, il mena jusque vers 1835 une très brillante carrière de pianiste et de compositeur de pièces pour piano, aujourd’hui tombées dans l’oubli. Fondateur de sa propre fabrique de pianos, il entreprit, pour la renflouer, une grande tournée de concerts en Amérique du Nord et en Amérique du Sud (1845-1851), et, à son retour, il fit de sa fabrique une des toutes premières de la capitale française, perfectionnant notamment la mécanique à répétition avec double échappement, créée par Érard. Professeur de piano au Conservatoire de Paris de 1842 à 1874, il a laissé une Méthode complète de piano (op. 100) et publié Mes voyages en Amérique (Paris, 1866). HERZOGENBERG (Heinrich von), compositeur autrichien (Graz 1843 - Wiesbaden 1900). Il étudia au conservatoire de Vienne et s’installa en 1872 à Leipzig, où il joua un rôle important dans la renaissance de Bach. À partir de 1885, il enseigna à Berlin. Il composa notamment de la musique religieuse (son domaine d’élection), deux symphonies, des oeuvres de chambre. Son épouse Elisabeth (1842-1892) fut une pianiste très appréciée de Brahms. HESELTINE (Philip). ! WARLOCK (PETER). HESPERION XX. ! SAVALL (JORDI). HESPOS (Hans Joachim), compositeur allemand (Emden 1938). Autodidacte, il obtint en 1967 le prix de composition de la fondation Gaudeamus et en 1968 celui de la fondation Royaumont, et il résida en 1972-73 à la villa Massimo à Rome, l’équivalent allemand de la villa Médicis. Dans un style heurté et gestuel issu de l’expressionnisme de Schönberg, mais très personnel et rebelle à tout esprit de système, il a écrit une cinquantaine d’oeuvres, dont Blackout pour orchestre de 21 musiciens (1972), Mouvements-2 pour orchestre de 65 musiciens (1974), Pleuk pour 30 instruments à vent et 1 contrebasse (1975), CHE pour grand orchestre de 96 musiciens (1975), Das triadische Ballet, musique pour orchestre pour l’ouvrage du même nom d’Oskar Schlemmer (1976-77), Itzo-hux, opéra satirique (1980-81), Ohrenatmer, happening

scénique (1981), Seilthanz, aventure scénique (Barcelone, 1982), Za’Klani, pièce de théâtre musical (1985) et Esquisses-Itinéraires (créé à Paris en 1985). HESS (Dame Myra), pianiste anglaise (Londres 1890 - id. 1965). Elle étudie à la Guildhall School of Music de Londres (avec J. Pascal et O. Morgan), puis à la Royal Academy of Music (avec Tobias Matthay). À dix-sept ans, elle donne son premier concert au Queen’s Hall, interprétant le 4e concerto en sol majeur de Beethoven sous la direction de sir Thomas Beecham. Elle se produit ensuite en Europe et, à partir de 1922, aux ÉtatsUnis et au Canada. Ses interprétations des sonates de Scarlatti, du Clavier bien tempéré de Bach, des concertos de Mozart et de celui de Schumann ainsi que des oeuvres de compositeurs anglais contemporains ont été particulièrement appréciées. Sa transcription du choral Jésus que ma joie demeure (Bach) reste un morceau favori des pianistes. HESS (Willy), musicologue et compositeur suisse (Winterthur 1906). Il a fait ses études à Zurich et à Berlin, et il a été bassoniste dans l’orchestre de Winterthur de 1942 à 1971. Comme musicologue, il s’est surtout consacré à Beethoven, sur qui il a écrit plus de quatre cents articles, et en particulier à ses oeuvres les moins connues ou même tout à fait inconnues. Il a dressé un Verzeichnis der nicht in der Gesamtausgabe veröffentlichten Werke Ludwig van Beethovens (catalogue des oeuvres de Ludwig van Beethoven non publiées dans l’édition complète, Wiesbaden, 1957) et publié de 1959 à 1971 quatorze volumes de suppléments à l’édition complète. HÉTÉROPHONIE (grec : « voix différentes »). Dans la musique grecque antique, ce terme désignait toute espèce de polyphonie. Repris au début du XXe siècle par l’ethnomusicologie, il s’applique dans cette discipline à une manière spéciale, consciente ou non, de pratiquer la musique à plusieurs parties en exécutant ensemble la même mélodie, pourvue dans certaines voix de variantes ou d’ornementations que ne font pas les autres.

HETU (Jacques), compositeur canadien (Trois-Rivières, Québec, 1938). Après des études à Ottawa, Montréal et au Berkshire Music Centre (avec Lukas Foss), il acheva sa formation à Paris avec Henri Dutilleux et Olivier Messiaen (1962-63). Il a mené depuis une double carrière d’enseignant (depuis 1979 à l’Université du Québec à Montréal) et de compositeur, avec notamment trois symphonies (de 1959 à 1971), des concertos, Images de la Révolution pour le bicentenaire de la Révolution française (1988), de la musique de chambre et vocale. HEUGEL. Maison d’édition française fondée en 1833 par Jacques Léopold Heugel (18151883), qui sera aussi administrateur de la S. A. C. E. M. dès sa création en 1850. Elle n’a jamais cessé d’être aux mains de ses descendants : son fils Henri Georges (1844-1916), son petit-fils Jacques Paul (1890-1979), ses arrière-petits-fils François et Philippe, nés respectivement en downloadModeText.vue.download 474 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 468 1922 et en 1924. Son histoire est étroitement liée à celle de la revue le Ménestrel, née la même année et qui cessa de paraître, plus que centenaire, en 1940. (Son siège de la rue Vivienne fut d’ailleurs baptisé « le Ménestrel » en 1847.) Tous les genres musicaux, sans parler de nombreux ouvrages pédagogiques, ont bénéficié de son activité. Mais ce sont surtout les partitions d’opéra qui ont fait sa fortune, avec la plupart des succès de Massenet, le Roi d’Ys de Lalo, Louise de Charpentier, etc. La maison a fusionné avec Leduc en 1980. HEURES. Dans l’office catholique, ensemble des offices autres que la messe, consistant essentiellement dans la récitation de psaumes, encadrés d’antiennes, chantés si l’office est solennel, parlés ou récités à voix basse dans le cas contraire. Les heures sont parfois appelées « canoniales » (de canon, règle) et comprennent un ensemble noc-

turne (matines et laudes) et un ensemble diurne (« petites heures », correspondant à l’ancienne journée romaine - prime, tierce, sexte et none -, suivies de vêpres en fin d’après-midi et de complies avant le coucher). Les matines sont divisées en « nocturnes » et comportent également un certain nombre de leçons (lectiones), ou lectures chantées. Plusieurs heures sont complétées par le chant d’un cantique (par exemple, Magnificat à vêpres, Nunc dimittis à complies) et d’une hymne. Les matines s’achèvent par le chant du Te Deum, avant lequel on a parfois intercalé des drames liturgiques, ce qui fait que la coutume est restée de terminer miracles et mystères par ce chant, même lorsque ceux-ci se furent séparés de l’office. L’obligation, autrefois stricte dans les ordres religieux et un peu moins dans les ordres séculiers, de respecter les heures du jour et de la nuit, auxquelles devaient correspondre les heures canoniales, a été considérablement assouplie par la suite ; il n’en reste que peu de chose dans la réforme liturgique postconciliaire de Vatican II. HEWITT (Maurice), violoniste et chef d’orchestre français (Asnières 1884 Paris 1971). Il fut élève du Conservatoire de Paris, puis membre de la Société des instruments anciens (1908-1914) et violoniste du quatuor Capet (1908-1928). Il enseigna au Cleveland Institute of Music (1931-1934) et épisodiquement au conservatoire américain de Fontainebleau (1920-1937). Il fonda en 1939 un orchestre de chambre portant son nom et le reconstitua après la guerre, ainsi que le quatuor portant également son nom (1927-1952). Il réalisa à la fin du 78 tours et aux débuts du microsillon plusieurs enregistrements remarqués. HEXACORDE. Mot d’origine grecque, désignant dans la gamme un groupement de six sons successifs. L’hexacorde a été introduit dans la théorie médiévale au XIe siècle par Guy d’Arezzo comme élément fondamental de la solmisation, pour grouper les six syllabes (ut-ré-mi-fa-sol-la) dont les intervalles restaient fixes, alors que l’intervalle dont dépendait la septième note (futur si, alors non dénommé) était, au contraire, mobile et restait déterminé par les muta-

tions opérées entre lesdits hexacordes. C’est par contresens que, beaucoup plus tard, la notion d’hexacorde a été mélangée avec la théorie des modes ; elle n’a jamais eu d’autre valeur que solfégique et n’est jamais intervenue ailleurs. HIDALGO CODORNIU (Juan), compositeur espagnol (Las Palmas 1927). Il fait ses études à Barcelone (Frank Marshall et Xavier Montsalvatge), à Paris (Nadia Boulanger), à Genève (Marescotti) et à Milan (Bruno Maderna et plus tard John Cage). Il est l’auteur de la première musique sérielle (Ukanga, créé sous la direction de Maderna à Darmstadt en 1957) et de la première oeuvre électronique (Étude de stage, Paris, 1961) espagnoles. Il est le fondateur de « Música abierta » (Barcelone, 1959), fut attaché au Groupe de recherches musicales de l’O.R.T.F. (1961) et est fondateur également du groupe « Zaj » (Madrid, 1964) pour la diffusion des oeuvres d’avant-garde. En dehors des pièces citées ci-dessus, il est l’auteur de pages orchestrales (Las Holas musica et cetera, 1966), d’oeuvres pour orchestre de chambre (Canurga, Kuntamo, Ja-U-la), d’un quatuor à cordes et de différentes partitions théâtrales. HILDEBRANDT, famille de facteurs d’orgues et d’instruments allemands, dominée par la personnalité de Zacharias (1688-1757). Élève de Gottfried Silbermann, celui-ci fut lié avec J.-S. Bach, qui fit évoluer son style vers celui des grands instruments baroques de l’Allemagne du Nord. Il travailla principalement en Saxe. L’instrument le plus important qui ait été conservé de lui est celui de Saint-Wenzel à Naumburg (1746). Johann Gottfried (1720-1775), fils de Zacharias, prit la succession de son père ; il est surtout connu comme l’auteur du grand orgue de Saint-Michel de Hambourg (1762-1767 et 1769). HILDEGARD VON BINGEN, poétesse, mystique et femme compositeur allemande (Bermersheim 1098 - Rupertsberg, près de Bingen, 1179). Destinée à l’Église par ses parents aristocrates, elle prit le voile à l’âge de quinze ans et succéda en 1136 à la mystique Jutta de Spanheim comme mère supérieure du

monastère bénédictin de Disododenberg. Entre 1147 et 1150, elle fonda un monastère sur le Rupertsberg, puis vers 1165 un autre à Eibingen, près de Rüdesheim. Surnommée la « Sibylle du Rhin », elle se mêla activement de politique et de diplomatie. Sur le plan musical, son importance réside dans ses chants monodiques, expressément conçus pour une tessiture féminine, s’écartant du plain-chant et souvent sur ses propres textes (elle réunit ses poèmes peu après 1150 sous le titre de Symphonia armonie celestium revelationum). Elle a laissé aussi des ouvrages littéraires, des traités scientifiques et une vaste correspondance. HILL (Edward Burlingame), compositeur américain (Cambridge, Massachusetts, 1872 - Francestown, New Hampshire, 1960). Il fit ses études à Harvard (avec Paine) et à Paris (avec Widor), puis enseigna à Harvard de 1908 à 1940, avec comme élèves Virgil Thomson, Ross Lee Finney et Leonard Bernstein. De tendance conservatrice, il a écrit quatre symphonies, les poèmes symphoniques The Parting of Lancelot and Guinevere (1915) et The Fall of the House of Usher (1919-20), les deux suites Stevensoniana (1916-17) et Lilacs pour orchestre (1927), le ballet-pantomime Jack Frost in Midsummer (1908). Il a subi l’influence du jazz (Jazz Studies, 1922-1938) et publié un ouvrage intitulé Modern French Music (Boston, 1924 ; réimpr. New York, 1969). HILL AND SON. Manufacture d’orgues anglaise fondée par Snetzler en 1755 et qui doit son nom à William Hill, qui l’a reprise en 1825. Sous l’impulsion de celui-ci, elle a construit ou transformé de nombreux instruments de grandes dimensions (cathédrales d’Ely, de Worcester, de Manchester). HILLER (Ferdinand von), pianiste, chef d’orchestre, compositeur et critique musical allemand (Francfort-sur-le-Main 1811 - Cologne 1885). Après des études musicales dans sa ville natale et un concert public à l’âge de dix ans, où il joue un concerto de Mozart, il travaille à partir de 1825 à Weimar avec

Hummel. En 1827, il accompagne ce dernier à Vienne, où il fait la connaissance de Beethoven, de Schubert et publie son opus 1, un quatuor avec piano. De 1828 à 1835, il vit à Paris, où il fréquente Chopin, Berlioz, Liszt, Cherubini, Rossini, Meyerbeer, le chanteur Adolphe Nourrit et le poète Heine. Il donne la première audition à Paris du 5e concerto de Beethoven. Il organise des soirées musicales avec le violoniste Baillot. Après un court séjour à downloadModeText.vue.download 475 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 469 Francfort, il se rend en Italie, où, grâce à Rossini, son opéra Romilda est représenté à Milan en 1839. Lors d’un second voyage dans ce pays (1840), il étudie à Rome la musique sacrée italienne avec l’abbé Baini. Il séjourne ensuite à Leipzig, où il remplace son ami intime Mendelssohn à la tête des concerts du Gewandhaus, et à Dresde (1844-1847), où il fréquente les Schumann et Wagner. De 1850 à sa mort, il contribue grandement à l’essor de la vie musicale de Cologne. Possédant une personnalité de virtuose typique de son époque, il laisse une oeuvre importante (symphonies, ouvertures, musique de chambre, oratorios, 6 opéras), mais il montre le meilleur de lui-même dans ses nombreuses pièces pour piano (sonates, études). HILLER (Johann Adam), compositeur, pédagogue et critique musical allemand (Wendisch-Ossig 1728 - Leipzig 1804). Il fit ses études à Görlitz, à la Kreuzschule de Dresde avec Homelius et à l’université de Leipzig. Après un séjour à Dresde au service du comte Brühl (1754-1758), il revint à Leipzig et, de 1762 à sa mort, joua dans la vie musicale de cette ville un rôle de premier plan. Il dirigea le Grosses Konzert (1763-1771), fonda une école de chant (1771) et surtout dirigea à partir de 1781 les concerts du Gewandhaus, leur donnant un éclat qu’ils devaient conserver près de deux siècles. Il fut un temps maître de chapelle du duc de Courlande à Mitau (1785-86) et directeur de la musique à Breslau (1787-1789), puis fut rappelé à Leipzig en 1789 comme cantor de la Thomasschule, poste qu’il devait occuper jusqu’à sa retraite en 1801. Il fonda et édita de 1766 à 1770 la première revue musi-

cale au sens moderne, les Wöchentliche Nachrichten, qui devaient servir de modèle à l’Allgemeine Musikalische Zeitung, et il écrivit de très nombreux articles de critique et d’esthétique. Comme chef, il dirigea notamment à Berlin en 1786 le Messie de Haendel. Comme compositeur, il n’écrivit pratiquement que de la musique vocale, tant sacrée que profane : odes, lieder, cantates, choeurs. Il créa en outre presque de toutes pièces, avec le poète Christian Felix Weisse, le singspiel allemand, donnant, entre autres, Lottchen am Hofe (1767, d’après Ninette à la cour de Favart), Die Liebe auf dem Lande (1768), Die Jagd (1770, d’après la Partie de chasse de Henri IV de Collé) et Der Dorfbarbier (1771, d’après Blaise le savetier et en collaboration avec Christian Gottlob Neffe). HILLER (Lejaren), compositeur américain (New York 1924 - Buffalo 1994). Il fit ses études à l’université de Princeton (M. Babbitt) et fut professeur à l’université de l’Illinois. Il fut plus tard directeur du studio de musique expérimentale et directeur du centre « Creative and Performing Arts » de l’université d’État de New York à Buffalo. Son oeuvre relève alternativement de l’esthétique traditionnelle (2 symphonies, 1 concerto pour piano, des musiques de scène, 6 quatuors, 1 trio avec piano, 6 sonates pour piano, etc.) et de la synthèse entre musique instrumentale et musique électroacoustique (Computer Music pour percussion et bande, 1963 ; Computer Cantata pour voix et bande, 1963 ; Suite pour 2 pianos et bande ; Amplification pour bande et orchestre de théâtre, 1962 ; Algorithms I et II pour 9 instruments et bande, 1968 ; HSP CHD pour 1-7 clavecins et 1-51 bandes, 1968, en collaboration avec John Cage ; Ponteach, mélodrame pour récitant et piano, 1977). HILLIER (Paul), baryton-basse et chef de choeur anglais (Dorchester 1949). Il est formé à la Guildhall School de Londres, avant d’être nommé chantre de la cathédrale Saint Paul en 1973. En 1974, il fonde le Hilliard Ensemble. Avec ce groupe, il se consacre au répertoire médiéval anglais ainsi qu’à Pérotin et Guillaume de Machaut. Son style vocal austère, privilégiant les voix droites, non vibrées, et la pureté des lignes polyphoniques, va à la rencontre de certains courants de

la musique contemporaine. C’est ainsi qu’il fait triompher, au disque comme au concert, Passio et le Miserere d’Arvo Pärt. En 1989, il fonde Theatre of Voices, qui est en résidence permanente à l’Université de Californie à Davis. Il mène des expériences musicales qui rejoignent un mysticisme dépouillé, parfois aux frontières des liturgies traditionnelles et du rock, qui participent d’une esthétique marquante au début des années 1990. HILTON, famille de musiciens anglais. John I, compositeur ( ? - Cambridge 1608). On le trouve en 1584 counter tenor à la cathédrale de Lincoln. Un de ses madrigaux, a 5, a été choisi par Th. Morley pour son recueil The Triumphs of Oriana (1601) : Fair Oriana, Beauty’s Queen. Des anthems et des pièces pour orgue sont conservés en manuscrit. John II, compositeur (Cambridge 1599 - Londres 1657). Fils du précédent, il est reçu bachelor of music par l’université de Cambridge en 1626. Il a publié deux recueils de petites pièces polyphoniques : Ayres or Fa La’s for 3 Voyces (1627) et Catch that Catch can (1652). Ce dernier a connu de nombreuses rééditions. En 1628, John II est nommé clerc de la paroisse et organiste de la chapelle Saint Margaret à Westminster. HIMMEL (Friedrich Heinrich), compositeur allemand (Treunenbrietzen, Brandebourg, 1765 - Berlin 1814). il s’orienta d’abord vers la théologie, puis, grâce au roi de Prusse Frédéric-Guillaume II, étudia la composition avec Naumann à Dresde, avant d’aller se perfectionner en Italie (1793-1795). À son retour, il succéda à Reichardt comme maître de chapelle de la cour de Berlin : c’est là qu’en 1796 Beethoven le rencontra pour la première fois. Himmel se rendit ensuite en Russie et en Scandinavie ainsi qu’à Paris, à Londres et à Vienne. Les événements de 1806 le forcèrent à quitter une nouvelle fois Berlin, où il revint en 1810. On lui doit des opéras italiens et allemands, dont Fanchon (1804), son oeuvre la plus célèbre, la cantate La Danza (1792), une Ode funèbre sur la mort de Frédéric-Guillaume II (1797), des lieder et divers ouvrages vocaux et instrumentaux, parmi lesquels un concerto pour piano et deux quatuors pour piano, flûte, violon et violoncelle.

HINDEMITH (Paul), compositeur allemand (Hanau 1895 - Francfort-sur-leMain 1963). Issu d’une famille modeste, il reçoit en 1904 ses premiers cours de musique et entre en 1909 à l’école supérieure de musique de Francfort, où il suit l’enseignement de A. Mendelssohn et B. Sekles en composition, et de A. Rebner en violon. Virtuose dès l’âge de treize ans, jouant avec un plaisir instinctif, il se produit dans les opérettes, les fêtes foraines, les groupes de jazz, les cinémas. Il fonde en 1915 le quatuor Amar, dans lequel il joue comme altiste, et devient la même année directeur musical de l’opéra de Francfort (jusqu’en 1923). Il compose entre autres pendant cette période des sonates pour divers instruments, de la musique de chambre, un Singspiel sur texte de W. Busch et voit dès 1919 ses pièces imprimées et interprétées en public. Ses premières oeuvres d’importance, trois opéras en un acte, témoignent d’un fort attrait pour l’expressionnisme. Mais, si l’écriture de Mörder, Hoffnung der Frauen (« Assassin, espoir des femmes », 1919 ; création à Stuttgart, 1921), sur le texte sous-tendu d’un érotisme violent de Kokoschka, est encore relativement complexe et chromatique, celle de NuschNuschi (1920), pièce enlevée et très rythmique, sur un jeu de marionnettes de Franz Blei, et celle de Sancta Susanna (1922) sont nettement simplifiées et dégagées du pathos expressionniste. Cette insistance sur le langage, qui renoue avec la tradition allemande contrapuntique transmise par Brahms et par Reger, et qui réagit contre le drame wagnérien, se fait plus nette dans la Musique de chambre op. 24 de 1922, oeuvre purement dynamique dans son élan et dont le Finale 1921, sur downloadModeText.vue.download 476 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 470 un vieil air de fox-trot, a fait parler d’Asphaltmusik (« musique de rue »). Il en est de même pour la Suite 1922 pour piano, suite de danses inspirées du jazz et dont l’exergue, pour le ragtime, recommandant par exemple de considérer le piano comme une espèce de percussion, inté-

ressa et choqua beaucoup. Hindemith tire les conséquences décisives de cette stylisation dans le cycle de lieder sur des poèmes de R. M. Rilke, Das Marienleben, écrit en 1922-23 (2e vers. 1936-1948). La mélodie s’y déroule de façon entièrement autonome, tant dans son phrasé que dans ses « champs d’influence » tonale, au-dessus d’un tissu linéaire soutenu par de fréquents ostinati. Cette oeuvre assez recueillie ouvre la voie à un flot de musiques au goût du jour qui feront du Hindemith des années 20 un « épouvantail à bourgeois ». Hindemith écrit des Zeitoper (« opéras d’actualité »), pièces miniatures qui allient les techniques musicales d’avant-garde à la musique « vulgaire », comme Neues vom Tage (« Nouvelles du jour », 1929), morceau critique resté célèbre pour l’aria chantée dans une baignoire à la gloire des chauffebains à gaz (1929), ou des musiques de scène, comme Hin und Zurück (« Aller-retour », 1927). Ces deux oeuvres sont écrites sur des textes de l’auteur de revues de cabaret M. Schiffer. Hindemith compose aussi pour instruments mécaniques (suite pour piano mécanique de 1926 ; musique pour orgue mécanique du Ballet triadique de O. Schlemmer) et marque un vif intérêt pour les nouveaux instruments électriques (Concertino pour trautonium, 1931). Ces musiques d’avant-garde sont jouées dans les deux grands festivals de musique contemporaine : Donaueschingen, où le compositeur est d’abord interprète (1921), puis organisateur (à partir de 1923), et Baden-Baden, dont il assure de 1927 à 1929 la direction musicale. En 1927, F. Schreker l’appelle à un poste de professeur de composition à la Hochschule für Musik de Berlin. Hindemith écrit alors des cycles de musique pédagogique (Sing- und Spielmusiken de 1928-29, parmi lesquels la cantate Frau Musica sur des textes de Luther, et 8 canons pour voix et instruments), apprenant lui-même à jouer de nombreux autres instruments et cherchant à combler les lacunes d’une éducation par trop rudimentaire en approfondissant ses études théoriques. Convaincu de la responsabilité du compositeur, il franchit le pas qui sépare musique « sérieuse « et musique populaire, compositeur et auditeur, et écrit de la Gebrauchsmusik (« musique utilitaire «), musique d’ensemble accessible aussi bien au musicien amateur qu’à l’élève, complétant ainsi son portrait de

musicien « néo-objectif « des années 20 (choeurs a capella op. 33, 1923 ; musique concertante pour orchestre d’instrument à vent op. 41, 1926 ; Lehrstück, cantate scénique didactique - Brecht, 1929 ; Lindberghflkug, avec participation du public Brecht/Weill/ Hindemith, 1929). Il compose en même temps des musiques de chambre (op. 36) très représentatives de ces années-là : il emprunte au XVIIIe siècle et à Bach un style concertant, la conduite polyphonique des voix, la qualité structurelle des éléments motiviques, qu’il met encore en évidence par l’emploi insistant des vents ; l’instrumentation, par ailleurs, n’est pas l’objet de recherches particulières. En général unique, le thème donne par son reour continuel un mouvement dynamique, « motorique «, accentué par les ostinati fréquents et la technique de la variation ainsi que par le rythme de mélodies volontiers empruntées au Volkslied (4e mouvement de la musique de chambre pour violoncelle et 10 instruments solistes op. 36 no 2). L’opéra Cardillac (1926) porte ces principes à la scène et refuse définitivement toute étude psychologique pour transposer dans le domaine musical pur, en des formes indépendantes et achevées, le contenu de chacun des numéros du livret de F. Lion. Hindemith atteint un point d’équilibre dans les musiques concertantes des années 1930-1932 (Konzertmusik pour piano, cuivres et 2 harpes op. 49, Concerto philharmonique). Il se détourne au même moment de ses préoccupations modernistes et écrit l’oratorio critique das Unaufhörliche (« le Perpétuel «) sur un texte de G. Benn. Il se forge peu à peu une éthique personnelle, qui apparaît déjà dans Mathis der Maler (« Mathis le peintre «), opéra auquel il se consacre en 1934-35 et qui est une manière de profession de foi en l’autonomie absolue de l’art, face au nouveau régime politique, qui a fait interdire ses oeuvres. Il y renoue implicitement avec la tradition en mêlant chant grégorien, chant populaire allemand ancien et techniques baroques, pour arriver à la concision de langage de la symphonie de même nom qu’il compose en même temps à partir de ce matériau. En 1934-1936, il consigne son expérience de compositeur dans un traité de composition, Unterweisung im Tonsatz, véritable traité de la mélodie dans lequel il expose ses échelles hiérarchiques de sons,

élaborées à partir des harmoniques d’un son fondamental, et le principe de la « tonalité élargie «, qui s’appuie en partie sur un ordre également hiérarchique des intervalles. Le Ludus tonalis, suite de fugues reliées entre elles par des interludes, en est l’application directe. Durant cette période des années 30, Hindemith compose aussi un certain nombre de concertos, parmi lesquels le Schwanendreher, qui accuse son goût pour le Volkslied, et une nouvelle série d’oeuvres didactiques : un cycle de sonates qui réactualisent la forme par le mariage du baroque et du contemporain, une cantate pour enfants, Wir bauen eine Stadt (« Nous construisons une ville «), une cantate pour amateurs, Plöner Musiktag (« Journée musicale à Plön «), etc. À partir de là, son style devient synthèse (Nobilissima Visione), et sa maîtrise de l’écriture lui permet d’intégrer, sans que cela n’altère en rien le caractère « distancié « de son langage, quelques traits légers d’expressivité romantique (thèmes de Weber dans les Métamorphoses symphoniques, aspects brucknériens dans la Symohonie en « mi « bémol et dans la Sinfonia serena). En 1940, après un séjour de deux ans en Suisse et des tournées de concerts sur le continent américain, Hindemith s’installe aux États-Unis et obtient un poste à la Yale University de New Haven (Connecticut). Il prend position, par des oeuvres comme le Requiem ou Apparebit repentina dies, contre la musique d’avant-garde : celle-ci va, en effet, à l’encontre de sa volonté de traduire par la musique une Weltanschauung (conception de l’univers). Hindemith s’intéresse aux philosophies antiques, lit les théories de Kepler sur les astres et termine en 1957 Die harmonie der Welt, opéra construit sur une symbolique très étudiée. De retour en Suisse, en 1953, il retrouve d’une certaine manière la fraîcheur ironique des années 20 (octuor) et reprend des oeuvres centrales, comme Das Marienleben, Neues vom Tage, Cardillac. Il compose aussi, entre autres, Das lange Weihnachtsmahl (« le Long Réveillon de Noël «), un concerto pour orgue, une messe pour choeurs a capella. Mais il cherche surtout à faire découvrir le répertoire musical par son métier de chef d’orchestre, toujours au service d’une interprétation « objective « et impersonnelle, parcourant l’histoire de la musique du Moyen Âge et de la Renaissance (adaptation d’oeuvres de Machaut

ou de Gabrieli) aux jeunes compositeurs qu’il protège (K. A. Hartmann, A. Heiller), sans négliger l’école dodécaphoniste, qu’il rejetait pourtant sur le plan de la théorie. Cette vaste activité dans tous les domaines musicaux, cet intérêt pour les genres et les styles les plus divers font de Hindemith un de ces « artisans « de l’art selon sa propre expression - tels que les voyait naître le XVIIIe siècle et tels que les réclamaient les artistes-technologues de l’école du Bauhaus. Venu après la révolution du langage par Schönberg, Hindemith s’est plutôt attaché à renouveler les rapports sociologiques de musique à public et doit être considéré sous cet angle comme un révolutionnaire du monde musical du XXe siècle. HLOBIL (Emil), compositeur tchèque (Veseli 1901 - Prague 1987). Élève de J. Suk à Prague, il subit dans ses premières oeuvres son influence et celle de Janáček (1er Quatuor op. 5, Sérénade op. downloadModeText.vue.download 477 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 471 12a), puis évolua vers un néoclassicisme précis, concis et virtuose. Il réussit particulièrement dans la musique de chambre. On lui doit notamment six symphonies (1949, 1951, 1957, 1959, 1970, 1973), des concertos, le poème symphonique le Printemps dans les jardins de Prague (1953), les opéras Anna Karenine (1963) et le Bourgeois gentilhomme (1965). De 1941 à 1958, Hlobil a enseigné la composition au conservatoire de Prague. HOBOKEN (Anthony van), musicologue hollandais (Rotterdam 1887 - Zurich 1983). Il étudia la musicologie à Vienne sous la direction de H. Schenker. Après avoir commencé en 1936 un catalogue de sa propre collection d’éditions musicales, il entreprit un catalogue thématique et bibliographique de l’oeuvre de Joseph Haydn (Joseph Haydn, Thematisch-bibliographisches Werkverzeichnis), dont les trois volumes sont parus respectivement en 1957 (oeuvres instrumentales), en 1971 (oeuvres vocales) et en 1978 (index, addenda et corrigenda). Les oeuvres

de Haydn sont aujourd’hui identifiées d’après ce catalogue, néanmoins déjà dépassé sur de nombreux points. Hoboken a fait don de sa collection à la Bibliothèque nationale de Vienne en 1974 et de ses archives Haydn à la Société des amis de la musique (Gesellschaft der Musikfreunde) de Vienne en 1980. HODDINOTT (Alun), compositeur gallois (Bargoed, Glamorgan, 1929). Il fit ses études à l’université de Cardiff, établissement où il fut nommé professeur en 1951. Attiré par la pédagogie, il a souvent composé à l’intention des ensembles de jeunes musiciens, telle l’oeuvre intitulée Dives and Lazarus, cantate pour solistes, choeurs et orchestre écrite pour le Farnham Schools Festival (1964). Son langage musical, tonal et généralement facile d’accès, a subi l’influence de Stravinski et de Hindemith, certes, mais aussi celle de Britten et d’autres compositeurs anglais du XXe siècle. Certaines de ses oeuvres sont d’inspiration galloise (Welsh Dances pour orchestre). Sa production, considérable, comprend, entre autres, cinq symphonies (1955, 1962, 1969, 1970, 1973), Landscape/ Tirlun pour orchestre (1975), des concertos, dont trois pour piano (1960-1966), de la musique de chambre, six sonates pour piano (1959-1972), de la musique vocale, dont la cantate Saint Paul on Malta (1971), et les opéras The Beach of Falesa (19701974), The Magician (1975), What the Old Man Does is always Right (1977) et The Rajah’s Diamond (1979). HOÉRÉE (Arthur), compositeur et musicologue belge (Saint-Gilles, Bruxelles, 1897 - Paris 1986). Il a suivi l’enseignement du conservatoire de Bruxelles de 1908 à 1912, puis celui du Conservatoire de Paris à partir de son installation définitive dans cette ville en 1919. Professeur à l’École normale de musique, à l’École de la radio à Montrouge, puis à la Sorbonne, il fut aussi chef d’orchestre, pianiste accompagnateur et conférencier. Critique musical, il écrivit dans de nombreuses revues françaises - dont la Revue musicale d’Henry Prunières - et étrangères. Ses activités de compositeur s’étendent à la musique de film et de scène. Spécialiste de la musique française, Hoérée a transcrit et réalisé plusieurs oeuvres de F. Couperin, et il a publié notamment deux monographies

sur A. Roussel (Paris, 1938 et 1969). Il a collaboré en outre à l’ouvrage Science de la musique dirigé par Marc Honegger (2 vol., Paris, 1976). HOFFMANN (Ernst Theodor Amadeus), écrivain et compositeur allemand (Königsberg 1776 - Berlin 1822). Après des études de droit, il commença une carrière de magistrat. Mais, attiré par la musique, qu’il avait étudiée notamment avec l’organiste Podbielski, il obtint un poste de chef d’orchestre au théâtre de Bamberg (1808-1813), puis à celui de Dresde. En 1814, il fut contraint d’accepter un emploi à la cour d’appel de Berlin, ville dans laquelle il demeura jusqu’à sa mort. Célèbre pour ses Contes, Hoffmann fut également un compositeur habile, dont le talent s’exerça dans des genres aussi différents que l’opéra, le singspiel, la musique sacrée et la musique de chambre (notamment cinq sonates pour piano). Son style, empreint d’un certain conservatisme, évolua, et, dans son opéra Ondine (1813-14, livret de La Motte Fouqué), créé avec succès à Berlin en 1816, apparaissent le fantastique et la magie ; il faut y voir une préfiguration de l’opéra romantique, tel que l’illustrera, en particulier, le Freischütz de Weber. La vie d’Hoffmann montre la diversité de talents exaltée par les doctrines nouvelles et la fascination qu’exerce sur lui l’imbrication du réel et de l’imaginaire. Obsédé par le mythe de Don Juan, fasciné par Mozart (il changera son prénom Wilhelm en Amadeus), défenseur ardent de Beethoven, qu’il désigne comme le compositeur romantique par excellence, Hoffmann réserva une large place à la musique dans son oeuvre littéraire : d’une part dans ses articles sur Gluck, le Don Juan de Mozart, Beethoven, Sacchini, Spontini, etc., et dans ses notes critiques pour les oeuvres de Beethoven, Boieldieu, Gluck, Méhul, Mozart, Paer, Spohr, Spontini, entre autres ; d’autre part dans ses Contes, comme les Fantaisies à la manière de Callot (Bamberg, 1814-15 : le Chevalier Gluck, Don Juan...) ou les Opinions du Chat Murr (Berlin, 1819-1821), dans lesquels il met en scène le musicien Johannes Kreisler, double de lui-même, extravagant et génial. Il traduisit en allemand la Méthode de violon de Rode, Kreutzer et Baillot (Leipzig, 1814), et le livret d’Olimpia de Spontini.

Il définit la musique comme un langage supérieur à celui des mots, comme le plus romantique de tous les arts et comme une émanation de la nature qui n’a pour limite que l’infini. C’est son oeuvre littéraire, plus que son oeuvre musicale, qui influença la génération des compositeurs romantiques : Schumann transposa au piano le personnage de Kreisler dans son propre Kreisleriana, et Offenbach utilisa son réalisme fantastique dans les Contes d’Hoffmann ; Berlioz lui-même, en particulier dans le « Carnaval romain » de Benvenuto Cellini, où il reprit l’intrigue de Signor Formica (extrait des Contes des frères Sérapion, Berlin, 1819-1821), ne manqua pas de s’y référer pour exalter le pouvoir de l’imagination. HOFFMEISTER (Franz Anton), compositeur et éditeur allemand (Rothenburg 1754 - Vienne 1812). Il commença ses activités d’éditeur à Vienne en 1784 et les poursuivit avec des hauts et des bas jusqu’en 1806, non sans avoir fondé en 1800 avec Ambrosius Kühnel le Bureau de musique à Leipzig, dont il se retira en 1805. Ce Bureau de musique devait devenir en 1813 la firme C. F. Peters. Chez Hoffmeister parurent notamment les premières éditions du quatuor K. 499 de Mozart et de la sonate op. 13 (Pathétique) de Beethoven. Comme compositeur, Hoffmeister laissa une production très abondante - symphonies, symphonies concertantes, concertos, dont 25 pour flûte, musique de chambre, opéras, dont Der Königssohn aus Ithaka (Vienne, 1795) -, mais sans grande originalité. HOFFNUNG (Gerard), dessinateur et humoriste anglais d’origine allemande (Berlin 1925 - Londres 1959). Peintre de formation, il illustre des publications de l’Enfant et les sortilèges, la Flûte enchantée et Lilliput. Vers 1940-1945, il devient humoriste, collabore à Punch et débute une série d’albums consacrés aux musiciens. Évitant le grotesque, ses croquis sont des chefs-d’oeuvre d’équilibre entre la cruauté du regard, la tendresse et surtout la pertinence musicale qui ne peut naître que d’un « oeil musicien « ! Ses silhouettes de maestros enfiévrés, de percussionnistes bricoleurs ou de harpistes divas

sont mondialement célèbres. Tubiste amateur mais virtuose de l’ocarina, grand collectionneur de partitions introuvables, il downloadModeText.vue.download 478 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 472 organise en 1956 et 1958 deux « Hoffnung Concerts » gravés sur disque. Plusieurs compositeurs de ses amis s’y adonnent à des plagiats ou des plaisanteries musicales souvent talentueuses. Citons entre autres Francis Baines, Malcolm Arnold, The Barber of Darmstadt d’Humphrey Searle et Let’s fake an opera !, parodie d’un titre célèbre de Britten. HOFFSTETTER (Roman), compositeur allemand (Laudenbach, près de Bad Mergentheim, 1742 - Miltenberg-sur-leMain 1815). Entré comme novice à l’abbaye bénédictine d’Armorbach (actuellement en Bavière) en 1763, il y devint prêtre en 1766, puis prieur et y resta jusqu’à la dissolution de la communauté en 1803. Il fut très lié avec son quasi-compatriote Joseph Martin Kraus et se montra grand admirateur de Haydn. Il a écrit de la musique religieuse, dont plusieurs messes, trois concertos pour alto (v. 1785) et quatorze quatuors à cordes, dont les six de l’opus 1 (v. 1770) et les six de l’opus 2 (v. 1780). En 1964, H. C. Robbins Landon et Alan Tyson l’ont proposé non sans vraisemblance comme le véritable auteur (d’où le regain d’intérêt à son égard) des deux premiers au moins des six quatuors à cordes publiés vers 1777 à Paris par Bailleux sous le nom de Haydn comme « opus 26 » et passés à la postérité comme « opus 3 » de Haydn : la célèbre sérénade de l’opus 3 no 5 compte parmi ces pages qu’il faut retirer à Haydn. Le frère jumeau de Roman, Johann Urban Alois, mort en 1808 ou après, fonctionnaire et compositeur, a laissé notamment sept symphonies. HOFHAIMER (Paul), organiste et compositeur autrichien (Radstadt 1459 Salzbourg 1537). L’un des plus grands musiciens de son temps, il descendait d’une lignée de musiciens et apprit la musique avec son père et avec l’organiste Jakob von Graz. Il passa

sa vie comme organiste auprès de divers seigneurs : Frédéric III à Graz, l’archiduc Sigismond à Innsbruck, puis l’empereur Maximilien Ier, de 1490 à la mort de ce dernier en 1519, tout en occupant d’autres postes au cours de ses voyages en Europe centrale. Personnage illustre (il figure sur les planches du Triomphe de Maximilien de Burgkmair), il était lié avec les princes et les érudits de son temps. Ses connaissances en matière de technique d’exécution et de facture d’orgues le firent appeler en de nombreux pays, comme professeur et comme expert. Mais son importance de compositeur ne fut pas moindre. On connaît de lui quelques pièces pour orgue, quatre motets et surtout de nombreux lieder polyphoniques, genre très prisé à la fin du XVe siècle et dont il fut l’un des plus grands maîtres. HOFMANN (Leopold), compositeur et organiste autrichien (Vienne 1738 - id. 1793). Il fut l’élève de Wagenseil, à qui il succéda en 1769 comme professeur de clavecin à la cour. Auteur de nombreuses oeuvres religieuses, il succéda en 1774 à Georg Reutter le Jeune comme maître de chapelle à la cathédrale Saint-Étienne. Célèbre également comme violoniste, il joua un rôle important dans la genèse de la musique instrumentale viennoise classique. Le concerto pour flûte en ré majeur longtemps attribué à Haydn est en réalité de lui. Il fut le premier à Vienne, vers 1760, à utiliser régulièrement dans ses symphonies la structure qui devait largement s’imposer : vif (avec introduction lente) lent - menuet - vif. HOFMANN (Michel Rotislav), journaliste et musicographe français d’origine russe (Petrograd 1915 - Paris 1975). Il émigra à Paris en 1923 et y suivit des études de lettres, de piano et de chant. Ses écrits concernent avant tout la musique russe, et plus particulièrement la musique vocale ; Hofmann s’est intéressé également à la danse. Parmi ses publications, on relève des biographies de Chostakovitch, de Moussorgski, de Rimski-Korsakov, de Prokofiev, de Schubert et de Wagner. Conseiller musical aux Jeunesses musicales de France, puis, à partir de 1968, rédacteur en chef de la revue Diapason, Hofmann réalisa plusieurs séries d’émissions radiophoniques. En U.R.S.S.,

il donna des conférences sur la musique française qui lui valurent d’être nommé membre d’honneur de l’Union des compositeurs soviétiques. HOFMANNSTHAL (Hugo von), poète, prosateur essayiste et auteur dramatique autrichien (Vienne 1874 - Rodaun 1929). Lorsqu’il rencontre Richard Strauss à Paris en 1900, Hofmannsthal est déjà un écrivain consacré ; mais cet enfant prodige, devenu adulte, traverse une crise profonde, dont la Lettre à lord Chandos porte témoignage. La Vienne qui l’a vu naître, décadente, emportée dans un tourbillon devenu trop mécanique, immoraliste, nourrie de D’Annunzio et de Stefan George, lui fait peur : elle abrite un médecin qui prétend réussir à débusquer l’âme, Sigmund Freud. Or Hofmannsthal, écrivain, se sent désormais impuissant à tenir sur quelque sujet que ce soit un discours rendant compte de son sentiment profond : plus les mots se font précis, imagés, nombreux, plus le sens se dérobe, devient flou, artificiel. Comment parler la langue de l’Inconnu ? Hofmannsthal, qui vient d’adapter l’Antigone et l’Électre de Sophocle, se tourne alors, sans pour autant abandonner sa production solitaire, vers la musique. Celle de Strauss, et pas une autre. Leur collaboration, jusqu’à la mort du librettiste, sera exemplaire, sans pourtant s’accompagner de relations très intimes. Chez le poète, Strauss trouve une langue extrêmement raffinée, apte à exciter sa propre création, une panoplie d’images tour à tour baroques, antiques, orientales et viennoises, toutes animées par une élégance noble, pétillante et mélancolique, auxquelles il insufflera sa simplicité, sa bonté, sa soif d’humain, son sens du théâtre. Comment perpétuer Mozart et le XVIIIe siècle ? En créant le festival de Salzbourg, sans doute (1917). Mais, surtout, poète et musicien, également touchés par la fuite du temps, la dispersion du moi, vont reprendre à leur compte la réflexion frivole-amère, masquée derrière les conventions sociales ou théâtrales, que leur aîné a menée sur le couple et la relation amoureuse. Ils bâtiront ensemble un théâtre du monde et de la femme où chacun vit dans la prescience de sa mort et en tire la nécessité de la vie, de l’abandon à ces instants précieux « qui déposent en l’homme un miel lourd et le

relient, au-delà du temps et de l’espace, à l’humanité entière » (sic). Après Elektra (1909), le Chevalier à la rose (1911) et Ariane à Naxos (1912) seront des chefsd’oeuvre auprès desquels la Femme sans ombre (1919), trop nourrie de signes, mais surtout Hélène d’Égypte (1928) et Arabella (1933) apparaîtront comme l’utilisation encore brillante d’une formule essoufflée. Il faut dire que Hofmannsthal, dans les dernières années de sa vie, était plus inquiet de l’évolution d’un monde industriel et violent qu’il ne reconnaissait plus que de l’évolution de son langage. Portant le deuil de l’ancienne Autriche-Hongrie, il cherchait à maintenir vivantes les valeurs intellectuelles héritées d’une Europe des esprits rassemblant hellénisme et christianisme, Beethoven et Napoléon, puritanisme et orientalisme. Pareil combat put paraître anachronique à une époque hantée par le saut dans l’inconnu des crises qui se préparaient : il n’était pas vraiment celui de Strauss, dont l’attrait pour le baroque quittait peu à peu le domaine idéologique pour s’ancrer presque uniquement dans celui de la musique. HOGWOOD (Christopher), claveciniste et chef d’orchestre anglais (Nottingham 1941). Il fait ses études musicales à Cambridge auprès de Thurston Dart puis avec Raymond Leppard, Rafael Puyana et Gustav Leonhardt. Après une année d’études à l’Académie de musique de Prague, il rencontre David Munrow et se produit comme claveciniste au sein de l’Early Music Consort of London. En 1973, il crée et commence à diriger l’Academy of Ancient Music, qui se consacre aux réperdownloadModeText.vue.download 479 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 473 toires baroque et classique. Avec cet ensemble, il réalise de nombreux enregistrements : Purcell (notamment les musiques de scène), Locke, Byrd, l’intégrale des symphonies de Mozart et (en cours) de Haydn. De 1983 à 1985, il dirige le London Mostly Mozart Festival au Barbican Center de Londres. Il prend en 1986 la direction artistique de la Haendel and Haydn Society of Boston et dirige entre 1988 et 1992 l’orchestre de chambre de Saint Paul,

dans le Minnesota. Il est l’auteur d’écrits musicologiques et a participé à l’édition de partitions telles que les Sonates pour clavier de J. C. Bach. Ses enregistrements à la tête de l’Academy of Ancient Music ont reçu plusieurs grands prix du disque (Académie Charles-Cros, Award du Gramophone Magazin et Mozart-Gemeinde de Vienne). HOLBORNE (Antony), luthiste et compositeur anglais ( ? v. 1550 - ? 1602). On ne connaît pratiquement rien de sa vie, si ce n’est qu’il vécut à la cour d’Élisabeth Ire et que John Dowland lui dédia un de ses plus beaux ayres : I saw my lady weep (Second Book of Songs, 1600). Le seul air de Holborne que l’on possède (My heavy sprite, oppress’d with sorrow’s might) figure dans le recueil collectif de Robert Dowland, A Musicall Banquet (1610). The Cittharn Schoole (1597) comprend trente-deux pièces pour cistre solo, des duos pour cistre et basse de viole, et deux quatuors. Un autre recueil, particulièrement intéressant, renferme soixante-cinq danses à 5 parties ; publié par W. Barley à Londres en 1599, il contient des Pavans, Galliards, Almains and other short Aeirs... for Viols, Violins, or other Musicall Winde Instruments avec des titres évocateurs tels que Last will and testament ou Coranto Heigh-ho. HÖLLER (York), compositeur allemand (Leverkusen 1944). D’abord autodidacte, il s’oriente ensuite vers la composition : ses premiers essais sont marqués par Bartók, Stravinski et Hindemith. De 1963 à 1968, il poursuit ses études à l’École supérieure de musique de Cologne (Kölner Musikchochschule) : composition chez B. A. Zimmermann, musique électronique chez H. Eimert, piano chez Alfons Kontarsky et E. Schmitz-Göhr, direction d’orchestre chez W. v. d. Nahmer. Parallèlement, il étudie la philosophie et la musicologie à l’université de Cologne. Ses oeuvres des années 60 et 70, exclusivement pour ensembles de chambre, sont directement inspirées par la deuxième école de Vienne ainsi que par les théories et les pratiques de Boulez, de Stockhausen et de Zimmermann. Particulièrement intéressé par les problèmes de communication, Höller a écrit une thèse : Étude critique de la technique sérielle de

composition (1967). Après le succès de sa pièce orchestrale Topic (1967) à Darmstadt en 1970, il est invité par K. Stockhausen à travailler au studio électronique de la WDR (1971-72). En 1972, il réalise un projet audiovisuel à l’occasion du centenaire de Scriabine lors du festival de musique contemporaine à Donaueschingen. Dans ses oeuvres, il poursuit l’interaction des domaines acoustique et électronique, ainsi que l’intégration des technologies les plus avancées à la création musicale, et il attribue une importance considérable à la live-electronic. Invité à l’I. R. C. A. M., il y continue sa recherche dans le domaine de la technologie digitale en réalisant Arcus (1978), commande de l’I. R. C. A. M., pour orchestre de chambre et instruments avec transformation électronique sur bande, où un programme d’ordinateur définit la transformation électronique des sons instrumentaux enregistrés. Höller vit à Cologne et enseigne l’analyse et la théorie musicale à l’École supérieure de musique. Il dirige depuis 1990 le nouveau studio de musique électronique de la radio de Cologne. En 1989 est créé à Paris l’opéra le Maître et Marguerite. Ont suivi Requiem pour piano, orchestre et électronique (1990-1991), Aura pour orchestre (1991-1992). HOLLIGER (Heinz), compositeur et hautboïste suisse (Langenthal, canton de Berne, 1939). Connu d’abord comme instrumentiste virtuose, il compte actuellement parmi les compositeurs les plus importants de sa génération. Après des études musicales à Berne (composition, hautbois, piano), il s’est perfectionné à Paris avec Yvonne Lefébure (piano) et Pierre Pierlot (hautbois), et a suivi les cours de composition de Pierre Boulez à Bâle. Il a obtenu en 1959 le premier prix pour le hautbois du Concours international de Genève et en 1960 le prix de l’Union des compositeurs suisses. Depuis 1961, il exerce une intense activité de soliste et a enregistré de nombreux ouvrages classiques et contemporains. Installé à Bâle, il enseigne à l’École supérieure de musique de Fribourg-enBrisgau. Ses oeuvres sont explicitement marquées par son expérience d’instrumentiste, et il s’est spécialement attaché à l’élargissement des possibilités techniques et sonores des instruments. Dans Pneuma pour vents, percussion, orgue et

radio (1970), les effectifs mis en jeu sont considérés comme « un poumon énorme qui respire », les instruments comme « la bouche qui articule les bruits de souffle » (Holliger). Les modalités inhabituelles du jeu instrumental, l’utilisation des multiphoniques et des bruits de souffle, la décomposition de la matière verbale et la composition des bruits-sons articulatoires dans les oeuvres à textes (de G. Trakl, N. Sachs, A. X. Gwerder, P. Celan, S. Beckett), puis l’intégration du geste et du fonctionnement corporel à l’oeuvre devenue pièce de théâtre instrumental (cf. Cardiophonie pour instrument à vent et 3 magnétophones, 1971) sont toujours élaborées selon des projets formels cohérents. L’extension de l’univers sonore acoustique (Atembogen pour orchestre, 1974-75) et électronique (Pas moi, 1980) inclut chez Holliger l’élaboration de textures sonores complexes et de structures formelles d’inspiration sérielle. On lui doit notamment : Drei Liebeslieder pour voix d’alto et orchestre (1960) ; Elis, trois morceaux nocturnes pour piano (1961 ; rév., 1966) ; Erde und Himmel, petite cantate sur des textes d’Alexandre Xaver Gwerder (1963) ; Mobile pour hautbois et harpe (1962) ; Quatre Miniatures pour soprano, hautbois d’amour, célesta et harpe (1962-63) ; Elis, version pour orchestre (1963 ; 2e vers., 1973) ; Der Magische Tänzer, deux scènes pour 2 chanteurs, 2 acteurs, 2 danseurs, choeur, orchestre et bande (1963-1965) ; Trio pour hautbois, alto et harpe (1966) ; Siebengesang pour hautbois, orchestre, 7 ou 21 voix de femmes et haut-parleurs (1966-67) ; Dona nobis pacem pour 12 voix a cappella (1970) ; Psalm pour choeur mixte a cappella sur un texte de P. Celan (1971) ; Lied pour flûte seule (1971) ; Streichquartett (quatuor à cordes, 1973) ; Die Jahreszeiten, quatre lieder pour choeur mixte a cappella d’après Hölderlin (1975) ; un spectacle musical réalisé pour l’I. R. C. A. M. en 1980, composé de Va et vient pour 9 voix et 9 instruments sur des textes de S. Beckett et de Pas moi pour soprano et bande sur un texte de S. Beckett ; Scuardanelli-Zyklus pour flûte, choeur mixte, orchestre et bande (Donaueschingen, 1985) ; Gesänge der Frühe pour choeur, orchestre et bande (1987) ; Jisei pour 4 voix et cloches (1988) ; What Where, opéra de chambre d’après S. Beckett (1989), le cycle de mélodies Beiseit (1990), un Concerto pour violon (1995).

HOLMBOE (Vagn), compositeur danois (Horsens 1909). Sa forte stature domine la période de transition entre C. Nielsen et P. Nørgård, et son oeuvre illustre clairement les contradictions que devaient surmonter les créateurs danois de cette génération. Formé à Copenhague par F. Høffding et K. Jeppesen (1926-1929), et à Berlin par E. Toch (1930), Holmboe s’intéresse alors au folklore roumain, dont maints caractères transparaissent dans son style. Sa 2e symphonie lui vaut en 1939 son premier succès de compositeur. De 1947 à 1955, sa position de critique musical au quotidien Politiken de Copenhague et, de 1950 à 1965, ses activités de professeur de composition au conservatoire de Copenhague lui permettent de jouer un rôle très imdownloadModeText.vue.download 480 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 474 portant dans la formation de la génération des compositeurs de l’après-guerre. Une certaine sévérité de goût et un grand sens de la mesure lui font admirer et souvent suivre ceux qu’il considère comme ses modèles : F. J. Haydn, J. Sibelius, C. Nielsen et B. Bartók. L’oeuvre de Holmboe peut être divisée en trois périodes. De 1935 à 1949, la franchise d’expression et la clarté formelle sont les principales caractéristiques que l’on trouve dans les 12 Concerts de chambre, le Nocturne pour quintette à vent et les six premières symphonies. Alors que l’après-guerre lui apporte la difficile confrontation avec les oeuvres sérielles-dodécaphonistes, Holmboe, avec Suono da Bardo, suite pour piano, les 1er et 2e quatuors à cordes de 1949 et la 7e symphonie de 1950, aborde une deuxième période, qu’il appelle celle de la « métamorphose ». Peut-être la plus riche, elle nous offrira la 8e symphonie op. 56 Boréale (1951-52), Liber Canticorum 1, 2, 3 et 4, la symphonie de chambre no 1 et les quatuors à cordes 3 à 5. En 1961, sans toutefois remettre en cause le principe de la métamorphose, l’expression devient plus statique ; les principaux ouvrages de Holmboe sont les symphonies 9 à 11 et les quatuors 6 à 14. Les symphonies sont au nombre de treize (la dernière a été créée en 1996), et les quatuors au nombre de

vingt et un. HOLMES (Augusta), pianiste et femme compositeur française d’ascendance irlandaise (Paris 1847 - id. 1903). Elle était la filleule d’Alfred de Vigny. Elle fut d’abord une jeune prodige du piano, puis elle travailla la composition avec César Franck. En 1873, elle composa sa première oeuvre, le psaume In exitu, puis de nombreuses mélodies, certaines sous le pseudonyme de Hermann Zenta. Enfin, elle aborda la musique théâtrale avec un ouvrage en un acte, Hero et Léandre (1875). Suivirent des symphonies dramatiques et des poèmes symphoniques, comme Irlande (1882) ou Pologne (1883). Augusta Holmes écrivit aussi des pages de circonstance, comme l’Ode triomphale, composée à la gloire de la République à l’occasion de l’Exposition universelle de 1889, ou l’Hymne à la Paix, chanté à Florence en 1890 lors des fêtes organisées en l’honneur de Dante. Poète, elle écrivait elle-même les livrets de ses compositions, imitant Wagner, qui était son modèle. Son opéra la Montagne Noire, créé à l’Opéra en 1895, contient de belles pages suggérées par le folklore balkanique du XVIIe siècle, mais souffre parfois d’une orchestration excessivement chargée. HOLST (Gustav), compositeur anglais d’origine suédoise (Cheltenham 1874 Londres 1934). C’est son arrière-grand-père qui vint s’établir à Cheltenham. Son père eût souhaité qu’il devînt pianiste, mais Gustav préféra la composition dès son plus jeune âge. Il dirigea des choeurs - qu’il affectionnait particulièrement - et un petit orchestre avant d’entrer au Royal College of Music en 1893, où il étudia la composition avec C. V. Stanford. Il travailla également le piano, l’orgue et le trombone. Après ses études, et malgré une santé de plus en plus précaire, il entra comme premier trombone et répétiteur dans différents orchestres. En 1903, il commença une carrière de professeur et, à partir de 1919, il enseigna la composition au Royal College of Music. Le surmenage, puis un accident l’obligèrent à limiter ses activités. Holst se consacra désormais à la composition jusqu’à sa mort. Comme son cadet Arnold Bax, il appartient à la période des « nationalistes ».

S’inspirant des maîtres anciens de l’âge d’or de la musique anglaise ainsi que de Purcell, il a su éviter l’influence essentiellement germanique qui marque souvent encore les oeuvres de ses compatriotes à cette époque. Il a su également tirer profit de la chanson populaire (Somerset Rhapsody pour orchestre, 1906-1907). Sa partition la plus célèbre demeure sans doute la suite symphonique les Planètes (1919), oeuvre puissante, qui témoigne d’une profonde science de l’orchestre et qui frappe par la modernité de son langage (évocation de Mars). Citons encore l’exemple d’un nouvel appel au folklore, la Saint Paul’s Suite (1912-13). En 1917, apparaît The Hymn of Jesus, oeuvre pour choeurs et grand orchestre fondée sur les mélodies du plain-chant. Holst a également composé plusieurs opéras : Savitri, opéra de chambre (1908 ; première représ., Londres, 1916), The Perfect Fool (1918-1922 ; première représ., 1923), dont la musique de ballet est souvent jouée, The Boar’s Head (1925) et surtout The Wandering Scholar (1934), opéra de chambre tiré d’un conte médiéval que Chaucer n’aurait pas renié. Après sa mort, sa fille Imogen Holst (1907-1984) a été un ardent défenseur de ses oeuvres, partageant aussi sa passion pour la direction chorale. HOLZBAUER (Ignaz), compositeur autrichien (Vienne 1711 - Mannheim 1783). Élève de Fux (dont il avait étudié tout seul le Gradus ad Parnassum) à Vienne, il voyagea à son instigation en Italie, fut maître de chapelle en Moravie, où, en 1737, il épousa une chanteuse, puis retourna à Vienne. Après un deuxième séjour en Italie (v. 1744-1751) et deux années à Stuttgart comme chef d’orchestre, il fut appelé en 1753 à Mannheim, où, exception faite de trois nouveaux voyages en Italie et non sans avoir refusé, en 1778, de suivre à Munich l’Électeur Karl-Theodor, il devait passer le reste de ses jours. Il composa beaucoup de partitions instrumentales, dont environ 70 symphonies (celle en mi bémol op. 4 no 3 est connue sous le titre de II Tempesta del mare), des symphonies concertantes et de la musique de chambre, mais son importance réside surtout dans sa musique religieuse, ce qu’on peut expliquer par sa formation à l’école de Fux. En 1777, à Mannheim, Mozart entendit et apprécia fort son opéra en langue allemande

Günther von Schwarzburg, sur un livret mettant en scène des personnages de l’antiquité germanique, et, en 1778, à Paris, il ajouta à un Miserere de Holzbauer huit morceaux, malheureusement perdus. Les autres opéras de Holzbauer sont en italien, y compris le dernier, Tancredi (1783). Ces opéras italiens sont d’ailleurs tous perdus, sauf deux, Nitetti (Turin, 1758) et Alessandro nell’Indie (Milan, 1759), l’un et l’autre sur un livret de Métastase. HOMILIUS (Gottfried August), compositeur et organiste allemand (Rosenthal, Saxe, 1714 - Dresde 1785). Élève de Bach à Leipzig, il fut nommé en 1742 organiste de la Frauenkirche de Dresde et en 1755 directeur musical des trois principales églises de la ville. Compositeur de musique religieuse et d’orgue, il a notamment laissé une Passion (1775) et l’oratorio de Noël Die Freude der Hirten über die Geburt Jesu (Joie des bergers à la naissance de Jésus, 1777). HOMOPHONIE (grec : « voix semblables »). Sur le sens de ce mot règne un certain flottement. Certains l’emploient comme contraire d’hétérophonie pour désigner toute musique en strict unisson ; d’autres, par contre, au lieu de homorythmie pour désigner une polyphonie note contre note, dans laquelle toutes les paroles sont dites en même temps aux différentes voix, ou son équivalent instrumental (le terme manque alors de contraire). On dit également que des notes ou des accords sont homophones lorsqu’ils sonnent à la même hauteur malgré une orthographe différente (par exemple, si dièse et do en système tempéré égal). HOMORYTHMIE. Terme impliquant, dans une polyphonie, la concordance rythmique note contre note des parties ainsi que celle des paroles s’il s’agit d’une composition vocale. L’écriture homorythmique, qui découle du conduit du XIIIe siècle, est à la base de l’« harmonie » au sens classique du mot, tandis que son contraire, la polyrythmie, downloadModeText.vue.download 481 sur 1085

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475 issue du motet, s’est surtout développée à travers le contrepoint. ( ! HOMOPHONIE.) HOMS (Joaquim), compositeur espagnol (Barcelone 1906). Il étudie le violoncelle et commence très tard sa carrière de compositeur, après des leçons avec Roberto Gerhard (19301936). L’originalité de son style réside dans l’adaptation des éléments mélodicorythmiques propres au folklore catalan à la matière thématique sur laquelle il travaille. Homs est l’auteur de huit quatuors à cordes, d’un concertino pour piano et cordes, d’un sextuor, d’un quintette à vent et d’un duo pour flûte et clarinette. HONEGGER (Arthur), compositeur suisse (Le Havre 1892-Paris 1955). Né de parents zurichois, il bâtira une oeuvre où s’équilibrent les apports de son origine alémanique et de sa formation française. De son origine alémanique, il reçoit l’empreinte d’une tradition protestante. La Bible lui deviendra familière et l’inspirera (le Roi David, Judith). Il est, en quelque sorte, préparé à accueillir J.-S. Bach, dont la révélation, dès sa quinzième année, sous la forme de deux cantates dirigées par Caplet, est à l’origine du culte qu’il ne cessera de vouer à celui qu’il nomme « son grand modèle ». Il compose aussitôt un oratorio-cantate, le Calvaire, où se découvrent déjà les perspectives de son oeuvre future. N’est-ce pas par une Passion - que seule la mort de l’auteur du texte fera avorter - qu’il souhaite couronner sa carrière ? Du moins en connaissons-nous la première partie, Une cantate de Noël (1953), sa dernière oeuvre, qui s’achève sur un choral. La forme même du choral adhère à son tempérament. Honegger en dédie un à l’orgue, Fugue, Choral (1917) ; il en confie un à la trompette dans le finale de sa 2e symphonie pour cordes (1941). Parmi les oeuvres où se conjuguent les influences alémaniques, protestantes et de J.-S. Bach relevons le Roi David, psaume dramatique écrit en collaboration avec René Morax, représenté au théâtre populaire du Jorat (Mézières, Suisse) et qui, réinstrumenté et ramassé en oratorio, fut à l’origine, dès sa création à Paris en 1924, de la popularité de son auteur. C’est à propos de cette oeuvre que Honeg-

ger répond à Cocteau, qui lui reproche son adhésion à une tradition agonisante : « Il me paraît indispensable, pour aller de l’avant, d’être solidement rattaché à ce qui nous précède. Il ne faut pas rompre le lien de la tradition musicale. Une branche séparée du tronc meurt vite. » D’autres oratorios succéderont à celui-là : Judith (1926), drame biblique où se renouvelle sa collaboration avec Morax, les Cris du monde (1931), sur un texte de R. Bizet ; Jeanne d’Arc au bûcher (1935 ; 1re représ., 1938), oratorio dramatique écrit en accord étroit avec Claudel. Cette rencontre avec le poète va être pour le musicien « une des plus grandes joies de (son) existence ». Si, à la scène, le succès de Honegger est immédiat et toujours renouvelé, sans doute tient-il à ce que le compositeur, ainsi qu’il nous le dit, s’est « efforcé d’être accessible à l’homme de la rue, tout en intéressant le musicien ». Cette attitude n’a d’ailleurs rien de passager et, à quelques rares exceptions, Honegger y sera fidèle. La collaboration avec Claudel se poursuit avec un nouvel oratorio, la Danse des morts (1938). C’est encore à cette même tradition que se réfère l’oratorio dramatique Nicolas de Flue (1939-40) sur un poème de D. de Rougemont, créé en 1941. L’apport alémanique est encore sensible dans l’éducation musicale que reçoit Honegger. À peine celui-ci a-t-il fait un peu d’harmonie avec Ch. Martin, organiste du Havre, qu’il part pour Zurich à dix-sept ans, muni de son baccalauréat, et pour deux ans. Au conservatoire de cette ville, les études sont essentiellement axées sur les grands maîtres classiques et romantiques. Quand il arrive à Paris, à dix-neuf ans, Honegger est surtout féru de la musique de Wagner, de Richard Strauss et de Max Reger. Beethoven, qu’il a découvert dès l’enfance et dont il a déchiffré les sonates à peine initié au solfège, aura une grande influence dans sa formation. En regard de ces « alluvions » alémaniques, qui lui viennent tant de son hérédité que de sa culture, que reçoit-il de la France ? Il y a d’abord la mer. Tout jeune, il l’a contemplée. Elle évoque son art puissant, les larges mouvements qui le rythment, le profond brassage des influences variées qu’elle a assimilées, le goût profond de son auteur pour la liberté. « Homme libre toujours tu chériras la mer », aurait-il pu s’écrier avec Baudelaire. Ce qu’il doit à

la France, c’est, selon son propre aveu, son « affinement musical et esthétique ». C’est à Paris, au Conservatoire, qu’à son retour de Suisse, il poursuit ses études. Il y reçoit l’enseignement de L. Capet (violon), de Gédalge (contrepoint et fugue), de Widor (composition) et d’Indy (direction d’orchestre). Il y approfondit les compositeurs français. « Debussy et Fauré, dira-t-il, ont fait très utilement contrepoids dans mon esthétique et ma sensibilité aux classiques et à Wagner. » Mais Paris, c’est peut-être avant tout sa rencontre avec Darius Milhaud, son condisciple à la classe de Gédalge. Le jeune Aixois l’éblouit. Il devient son ami et l’introduit dans le milieu exaltant de ses relations, aussi bien musicales que picturales et littéraires. Honegger y rencontre quelques-uns de ceux qui deviendront ses amis et ses collaborateurs, tels F. Ochsé, qui aura sur lui la « plus heureuse action », Fauconnet, qui lui fournira le livret d’Horace victorieux (1920), vaste fresque atonale, l’une de ses oeuvres préférées, et Cocteau, qui, dès 1916, patronne, sous la houlette de Satie, les « Nouveaux Jeunes » en attendant, quatre ans plus tard, le « groupe des Six ». S’il adhère à ces mouvements, ce n’est que superficiellement (Marche funèbre des Mariés de la tour Eiffel de Cocteau, 1921). De cette époque date néanmoins une oeuvre qui marque un jalon important dans sa carrière de compositeur, le Dit des jeux du monde, musique de scène pour la pièce de P. Méral montée au Vieux-Colombier en 1918 par Jane Bathori et qui fait scandale. La collaboration du compositeur avec Cocteau restera pourtant essentielle, moins à cause des 6 Poésies de J. Cocteau (1920-1923) que pour Antigone (1924-1927). Au vrai, Honegger se détachera rapidement de l’esthétique prônée par Cocteau. Il n’a pas, comme il le dit, « le culte de la foire et du music-hall ». Il écrit à Poulenc un an avant sa mort : « Je considère Satie comme un esprit excessivement juste mais dépourvu de tout pouvoir créateur. Faites ce que je dis, ne faites surtout pas ce que je fais. Ce qu’il souhaite, c’est retrouver la communion avec le public. « On peut, dira-t-il, on doit parler au grand public sans concession mais aussi sans obscurité. » Aussi bien tourne-t-il le dos à tout mandarinisme. il s’écartera de Schönberg et de son école, de « cet art d’abstraction », ainsi qu’il le nommera. « La musique, proclame-t-il,

doit changer de caractère, devenir droite, simple, de grande allure : le peuple se fiche de la technique et du fignolage. » Voilà qui peut faire comprendre que ce musicien « populaire » soit avant tout un lyrique et que son « rêve eût été de ne composer que des opéras ». Sa passion pour le théâtre lyrique remonte à sa neuvième année, où il a la révélation du Faust de Gounod. Aussitôt il entreprend (texte et musique) deux opéras, Philippe et Sigismond, puis commence une Esmeralda d’après Hugo. S’il n’écrit qu’un opéra, Antigone, sans parler de l’Aiglon (1935 ; 1re représ., 1937), en collaboration avec son ami Ibert, de deux mélodrames avec Valéry, Amphion et Sémiramis (1931), de deux opérettes, les Aventures du roi Pausole et les Petites Cardinal (1938), où il retrouve Ibert comme partenaire, on peut affirmer que la plus grande partie de son oeuvre prend essor sur un tremplin dramatique, aussi bien ses cinq symphonies, ses musiques de scène, de film ou ses ballets que sa musique de chambre. HONEGGER (Marc), musicologue français (Paris 1926). Ayant travaillé le piano, l’écriture, la composition et la direction d’orchestre, il a également suivi des études de musicologie avec Paul-Marie Masson et Jacques Chailley. En 1958, il fut chargé d’enseignement à l’université de Strasbourg, où il dévedownloadModeText.vue.download 482 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 476 loppa les activités musicales parmi les étudiants en créant en 1961 les Journées de chant choral et introduisit la préparation à l’éducation musicale (licence et concours de recrutement : C. A. P. E. S. et agrégation). Docteur ès lettres et professeur titulaire depuis 1970, il est en outre président de la Société française de musicologie. Ses recherches ont porté essentiellement sur la musique française du XVIe siècle, mais il a aussi contribué à une meilleure connaissance des oeuvres de Georges Migot. On lui doit enfin un Dictionnaire de la musique en 4 volumes, publié sous sa direction (vol. I et II : les Hommes et les oeuvres, Paris, 1970 [2e éd., 1979] ; vol. III et IV : Science de la musique,

Paris, 1976). HOPAK ou GOPAK. Danse populaire ukrainienne à deux temps, souvent employée par le ballet classique russe. Elle adopte un mouvement rapide et un rythme incisif. Elle peut être dansée par des solistes ou en groupes. HOPKINSON (Francis), homme d’État, inventeur, poète et compositeur américain (Philadelphie 1737 - id. 1791). Il perfectionna le clavecin, ajouta un clavier à l’harmonica de verre de Franklin, inventa un instrument à cloches, qu’il appela « bellarmonica », et publia en 1788 un recueil de chansons, qu’il adressa à George Washington en revendiquant l’honneur d’être le premier Américain de naissance à produire une composition musicale. HOQUET. Procédé rythmique qui consiste à répartir une à une entre plusieurs voix ou instruments en alternance les notes d’une ligne mélodique. Apparu vers la fin du XIIIe siècle, le hoquet connut une grande vogue dans l’Ars nova du XIVe siècle, où il fut surtout utilisé comme « coda » dans les parties terminales ; de moins en moins employé par la suite, il disparut à peu près de la polyphonie vers 1530. On en retrouve un équivalent moderne dans certaines formules d’accompagnement orchestral dites « contre-temps », introduites dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. La symphonie classique ou l’opéra verdien ne dédaignent pas d’en faire usage, mais c’est surtout dans les musiques militaires ou les orphéons que s’est implantée sa suprématie. On a parfois donné le nom de « hoquet » comme titre à certaines pièces du XIVe siècle qui en faisaient usage ; l’un des plus célèbres est le Hoquet David de Guillaume de Machaut, comportant 2 voix riches en hoquets sur une 3e voix en teneur. HORENSTEIN (Jascha), chef d’orchestre américain d’origine russe (Kiev 1899 Londres 1973). Il étudia à Vienne le violon avec A. Busch

(1911), puis la philosophie à l’université (1918) et débuta comme chef d’orchestre en 1923. Il travailla à Düsseldorf jusqu’en 1933 et enseigna à la New School for Social Research de New York en 1940. Il dirigea pour la première fois Wozzeck d’Alban Berg à Paris (O.R.T.F., 1950) et, des chefs de sa génération, fut un des plus grands interprètes de Gustav Mahler. HORNBOSTEL (Erich Moritz von), musicologue autrichien (Vienne 1877 - Cambridge 1935). Il étudia la chimie, la physique et la philosophie à Vienne et à Heidelberg, puis il s’installa à Berlin, où il se consacra uniquement à la psychologie et (avec son maître C. Stumpf) à la musicologie. Professeur à l’université de Berlin en 1917, il dirigea de 1906 à 1933 le PhonogrammArchiv de cette ville. Obligé d’émigrer en 1933, il obtint à la New School of Social Research de New York un poste d’enseignant, qu’il dut abandonner au bout d’un an pour raison de santé. Il fut le fondateur de l’ethnomusicologie moderne (ou musicologie comparée) et compta parmi ses collaborateurs berlinois Walter Wiora. En 1906, il avait fait un voyage d’études chez les Indiens de l’Amérique du Nord. Il a écrit de très nombreux articles et édité avec C. Stumpf les Sammelbände für vergleichende Musikwissenschaft (1922). HORNE (Marilyn), mezzo américaine (Bradford 1929). Elle fait ses débuts à Los Angeles en 1954 dans la Fiancée vendue de Smetana (rôle de Hata). La même année, elle est choisie pour doubler Dorothy Dandridge dans le célèbre film Carmen Jones. En 1956, elle part se perfectionner en Europe. Stravinski lui fait créer sa Cantate de saint Marc au festival de Venise. En 1967, à Londres, Marilyn Horne chante pour la première fois Adalgise aux côtés de la Norma de Joan Sutherland et s’affirme comme une des grandes interprètes actuelles des rôles de bel canto orné. C’est pourtant les représentations du Siège de Corinthe dans le rôle de Néocles de Rossini, données à la Scala de Milan en 1969, pour le centenaire de la mort du compositeur, qui la consacrent définitivement parmi les virtuoses les plus accomplies de notre époque. Depuis lors, Marilyn Horne a abordé certains rôles plus lourds, tels que Fidès du Prophète de Meyerbeer et Azucena du Trouvère

de Verdi. Mais il est évident que le chant d’agilité reste son domaine d’élection. À défaut d’un volume exceptionnel, sa voix possède un timbre sombre et corsé d’une séduction très personnelle. HORNEMAN (Christian Frederik Emil), compositeur danois (Copenhague 1840 id. 1906). Il fut une des plus fortes personnalités du mouvement romantique de son pays. Ses études poursuivies à Leipzig lui permirent de faire la connaissance de E. Grieg, qu’il retrouva à Copenhague en 1865. Ce fut l’occasion pour eux de créer l’éphémère groupe Euterpe (avec Rikard Nordraak et Gottfred Matthison-Hansen), qui avait pour but de contrebalancer l’influence de la très conservatrice Musikforeningen de N. Gade. À l’ombre de ce dernier, Horneman n’arriva jamais à imposer son style et se consacra surtout à l’enseignement (C. Nielsen fut, dans les années 80, un élève admiratif de l’art de son maître). Ses oeuvres les plus remarquables - l’ouverture féerique d’Aladdin, créée à Leipzig en 1864 et complétée par la suite en opéra (1888), l’ouvrage symphonique Ein Heldenleben (« Une vie de héros »), la musique de scène de Kalanus (1880), et de nombreux lieder immortalisent le nom d’un compositeur qui ne put, malheureusement, totalement extérioriser des dons évidents. HORNPIPE. Instrument primitif, d’origine britannique, fait à partir d’une corne d’animal et pourvu d’une anche simple. Cet instrument a donné son nom à une danse populaire anglaise, qui devient au XVIIe siècle une danse de cour que l’on trouve dans la suite instrumentale (notamment chez H. Purcell), mais qui se fait aussi une place parmi les danses de théâtre. Quelques pièces vocales de cette époque sont en réalité des hornpipes (H. Purcell : Nymphs and shepherds, come away). D’abord à 3 temps, puis à 4 temps, le hornpipe se danse en sautant avec peu de déplacements latéraux. HOROWITZ (Vladimir), pianiste américain d’origine russe (Kiev 1904 - New York 1989). De 1910 à 1921, il étudia au conservatoire de Kiev avec Félix Blumenfeld, qui

lui transmit la tradition d’Anton Rubinstein, et avec S. Tarnovski. En 1915, il joua devant Scriabine, qui l’encouragea à se consacrer entièrement à la musique. Entre 1922 et 1925, il fit de triomphales tournées en Union Soviétique (Kharkov, Moscou, Leningrad). Il vint ensuite à Hambourg, à Berlin (1925) et à Paris. En 1928, aux États-Unis, il se révéla au public newyorkais dans le concerto de Tchaïkovski sous la direction de Thomas Beecham. La même année, il joua à la Scala de Milan le 2e concerto de Brahms et le 3e de Rachmaninov, qu’il rejoua à Londres en 1930 sous la baguette de Mengelberg. En 1933, il épousa la fille de Toscanini, Wanda. Il obtint la nationalité américaine en 1944. Après la Seconde Guerre mondiale, downloadModeText.vue.download 483 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 477 il donna quelques concerts en Europe, puis regagna les États-Unis, où il s’établit définitivement. Après une interruption de douze ans, il réapparut en public en 1965 lors d’un mémorable récital à Carnegie Hall, qui devait marquer pour lui le début d’une seconde carrière. Son jeu se caractérise par une virtuosité et une précision étonnantes ainsi que par une sonorité véritablement orchestrale, qualités qui trouvent leur meilleure application dans la sonate de Liszt, les Tableaux d’une exposition de Moussorgski, la 7e sonate et la Toccata de Prokofiev, les oeuvres de Scriabine, et Petrouchka de Stravinski. Mais Horowitz sait aussi faire un travail d’orfèvrerie délicat et puissant à la fois dans les sonates de Scarlatti ou de Clementi. En 1944-1948, il a contribué à la formation pianistique de Byron Janis, qui reste son unique élève. Il a réalisé des transcriptions et composé quelques oeuvres pour piano, notamment des Variations sur des thèmes de Carmen brillantes et pleines de verve. HORSZOWSKI (Mieczyslaw), pianiste polonais naturalisé américain (Lvov 1892 - Philadelphie 1993). Après des études au Conservatoire de Lvov, puis à Vienne avec Theodor Leschetizky, il se produit comme enfant prodige dès 1901 en jouant le Premier Concerto de Beethoven à Varsovie. En 1903, il part en Amérique du Sud, fait ses débuts

à New York en 1906 et s’installe à Paris en 1911. Il y rencontre Debussy, Ravel et Martinu, mais son activité y est fort discrète puisqu’il n’y donne aucun récital après 1927. Sa carrière rebondit en 1940 lorsqu’il se fixe à New York, où il devient le partenaire de Casals et de Joseph Szigeti. Il crée aussi des oeuvres de Villa-Lobos et de Copland. En 1942, il est nommé professeur au Curtis Institute de Philadelphie, où il compte parmi ses élèves Muray Perahia et Peter Serkin. En 1947, il fonde le New York Piano Quartet, et devient un proche collaborateur de Rudolf Serkin au Festival de Marlboro. Dans les années 1970, il est redécouvert en Europe. Il revient en vétéran à Prades et à Paris, où il est accueilli comme une figure de légende. À plus de quatre-vingt-dix ans, presque aveugle, il joue ses programmes entièrement par coeur, y compris les oeuvres de musique de chambre. Il donne son ultime récital à Philadelphie en avril 1991. HOSANNA. Terme hébreu d’acclamation, conservé dans la liturgie latine en plusieurs endroits de l’office, notamment dans le Sanctus de la messe, où il forme un refrain (Hosanna in excelsis) à la suite de chacune des deux parties, Sanctus et Benedictus. Dans le répertoire grégorien, ce refrain était simplement soudé au texte, de même que dans les messes polyphoniques les plus anciennes, mais, à mesure que cellesci gagnaient en ampleur, il tendit à s’en détacher pour devenir un morceau indépendant, généralement de style brillant, volontiers fugué, avec, selon les cas, tantôt deux musiques différentes pour les deux hosanna, tantôt reprise pure et simple de la première pour la seconde. Aucune règle n’est ici imposée, le musicien réagissant selon les circonstances de composition ou d’exécution. HOTHBY (John ou Johannes Ottobi), théoricien et compositeur anglais ( ? v. 1410 - ? 1487). Ce moine carmélite enseigna à l’université d’Oxford, où il a fait ses propres études. Ses écrits laissent entendre qu’il parcourut la France, l’Espagne et l’Allemagne. Hothby séjourna sûrement à Florence, et, de 1467 à 1486, à Lucques. En 1486, il quitta l’Italie, rappelé par Henri VII en Angle-

terre. Docteur en théologie, il enseigna, outre la musique, la grammaire et l’arithmétique, et exerça comme professeur une remarquable influence. Défendant les théories d’un Guido d’Arezzo, il s’éleva, en revanche, contre celles du théoricien espagnol Ramos de Pareja (Dialogus in arte musica). Son ouvrage le plus important, écrit en italien, reste La Calliopea legale (Paris, 1852). Hothby a, par ailleurs, laissé quelques oeuvres polyphoniques à 3 et à 4 voix. HOTTER (Hans), basse-baryton allemand (Offenbach-sur-le-Main 1909). Il a fait ses études à Munich et, à partir de 1937, a mené l’essentiel de sa carrière dans cette ville et à Vienne, participant notamment à Munich aux créations de Jour de paix (1938, rôle du Commandant) et de Capriccio (1942, rôle d’Olivier) de Richard Strauss. il s’imposa surtout comme un des plus grands chanteurs wagnériens de l’histoire, en particulier dans les rôles de Wotan (qu’il chanta à Bayreuth à partir de 1951), du Hollandais et de Gurnemanz. Sa voix, immense, aux couleurs sombres, pouvait aussi s’adapter au climat intimiste du lied, et le Voyage d’hiver de Schubert n’a sans doute jamais été restitué avec autant d’intensité que par lui. HOTTETERRE famille de musiciens et de facteurs d’instruments français. Originaire de La Couture-Boussey, près d’Évreux, elle descend de Loys Hotteterre (mort vers 1620), tourneur de bois à La Couture. Jean, joueur fils de Loys ment facteur 1650 dans la roi.

de hautbois et de musette, ( ? v. 1605 - ? v. 1691). Égaled’instruments, il entra vers musique de la Chambre du

Jean, neveu du précédent ( ? v. 1648 - Paris 1732). Il fut un des plus grands facteurs d’instruments (à vent) de la famille. Martin, fils de Jean (1) et cousin de Jean (2) [ ? v. 1640 - ? 1712]. Il se distingua dans la facture de la musette du Poitou. Nicolas, cousin des deux précédents ( ? v. 1637 - Versailles 1694). Il joua du basson à la chapelle royale et, comme Martin, fut membre du Grand Hautbois.

Louis, frère du précédent ( ? v. 16451650 - Ivry 1716). Flûtiste du roi, il contribua beaucoup à la diffusion en France de la flûte traversière. Nicolas, frère des deux précédents (La Couture-Boussey 1653 - Paris 1727). Il entra dans le Grand Hautbois en 1667. Jacques, dit Hotteterre-le-Romain, fils de Martin et arrière-petit-fils de Loys (Paris 1674 - id. 1763). Il voyagea en Italie et fut le plus célèbre membre de la famille. Il revint à Paris en 1705 et entra comme flûtiste à la Chambre du roi ainsi que comme basson (et viole de gambe) dans la musique de la Grande Écurie. Ce fut un virtuose distingué, qui a beaucoup contribué au progrès de son instrument principal. Ses oeuvres sont en majorité pour flûte traversière, à laquelle il a consacré aussi des ouvrages théoriques et des méthodes (Principes de la flûte traversière, ou flûte d’Allemagne. De la flûte à bec, ou flûte douce, et du haut-bois, diviséz par traitéz, Paris, 1707 ; l’Art de préluder sur la flûte traversière..., Paris, 1719 ; Méthode pour la musette..., Paris, 1737 ; rééd., 1977). Jean, frère du précédent (mort en 1720). Il entra au Grand Hautbois en 1710 et a laissé une suite pour musette, publiée par son frère en 1722. HOUDAR DE LA MOTTE (Antoine), librettiste français (Paris 1672 - id. 1731). Il étudia le droit, traversa une crise religieuse avant de trouver finalement sa vocation dans la littérature. Ami de Fontenelle et de Voltaire, il prit parti, dans la querelle des Anciens et des Modernes, pour ces derniers. Dans ses Discours sur la tragédie (publiés avec ses oeuvres de théâtre, Paris, 1730), il critiqua les règles de la tragédie au nom de la vraisemblance et conseilla notamment de substituer l’« unité d’intérêt » à l’« unité d’action ». Auteur de plusieurs pièces de théâtre, il fournit également de nombreux livrets à la plupart des compositeurs français de son époque : Campra, Colasse, Dauvergne, Destouches, La Barre, La Borde, Marais, Mondonville, Mouret. C’est celui de l’Europe galante, mis en musique par Campra et représenté le 24 octobre 1697, qui le rendit célèbre et le fit reconnaître comme le créateur d’un genre neuf : l’opéra-ballet. Spectacle somptueux qui illustrait des sujets appartenant à la vie moderne, cette downloadModeText.vue.download 484 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 478 forme dramatique purement française connut un succès croissant pendant tout le XVIIIe siècle, et, jusque vers 1750, ce fut l’Europe galante qui servit de référence. HOVHANESS (Alan), compositeur américain d’origine écossaise et arménienne (Somerville, Massachusetts, 1911). Sa fascination pour l’lnde et les musiques orientales, et plus particulièrement pour la musique arménienne, lui fait traverser une période d’exotisme impressionniste plus ou moins influencé par Sibelius, à laquelle il met fin en 1940 en détruisant la quasi-totalité de sa production (un millier d’oeuvres). Docteur de l’université de Rochester, professeur à Boston et organiste de la cathédrale arménienne, Hovhaness entre alors dans sa « période arménienne », qui culmine avec la Saint Vartan Symphony, et se fixe enfin à New York en 1951. Compositeur prolifique (il a écrit 24 symphonies, de nombreux concertos, des opéras, de la musique de chambre), il reste réfractaire aux courants contemporains et est influencé par les systèmes musicaux orientaux, qu’il a assimilés au cours de divers voyages en Inde et au Japon. HOVLAND (Egil), compositeur et organiste norvégien (Mysen 1924). Il a été élève de B. Brustad à Oslo et de V. Holmboe à Copenhague, puis de A. Copland et de L. Dallapiccola ; avouant une grande admiration pour le style de ce dernier et une admiration égale pour l’esthétique de C. Nielsen et de B. Bartók, il a su développer un art qui, à défaut d’une grande originalité, s’établit sur la virtuosité de l’écriture. Parti du néoclassicisme (Concertino pour 3 trompettes et cordes, 1954-55 ; Symphonies 1 et 2, 1952-53 et 1954-55 ; Musique pour 10 instruments, 1957), il se tourne tout d’abord vers un néosérialisme dodécaphonique qui utilise parfois même des procédés aléatoires. En 1962, son style s’élargit avec The Song of the Songs pour soprano et instruments ; plus riche, plus dramatique et plus coloré est le langage musical de Lamenti pour orchestre (1963). L’oeuvre religieuse et les pièces d’orgue sont également im-

portantes, et, dans Missa vigilate pour choeur, solistes, danseurs, orgue et bande magnétique (1967) ou Rorate pour orgue, orchestre, 5 sopranos et bande magnétique, Hovland place côte à côte le chant grégorien, la tonalité, le sérialisme dodécaphonique et les procédés électroniques. Sans être un avant-gardiste, il représente parfaitement une tendance nordique qui trouve des correspondances d’attitude en Finlande avec E. Bergman et en Suède avec I. Lidholm. HOWELLS (Herbert), compositeur anglais (Lidney, Gloucestershire, 1892 Oxford 1983). Il reçut sa formation au Royal College of Music de Londres sous la direction de C. V. Stanford et de C. H. Parry. De 1912 à 1917, il fut organiste à l’église de Saint Mary in Lidney, puis à Saint John’s College, à Cambridge, avant de devenir lui-même professeur de composition au Royal College of Music (1920). Directeur de la musique au Morley College, puis à Saint Paul’s Girls’ School (1936-1962), il enseigna à l’université de Londres de 1954 à 1964. Il a composé pour orchestre (King’s Herald, pour le couronnement de 1937), des concertos (un pour cordes et deux pour piano), de la musique de chambre, dont deux quatuors à cordes, des mélodies et surtout de la musique religieuse (Missa Sabrinensis, 1954 ; Stabat Mater, 1963). Son langage, assez traditionnel, est teinté de chromatisme personnel. HRISTIC (Stevan), compositeur yougoslave (Belgrade 1885 - id. 1958). Il fit ses études musicales à Leipzig (avec Nikisch), à Rome, à Moscou et à Paris, et il fonda en 1923 la Philharmonie de Belgrade. Il dirigea également l’Opéra (1924-1935) et enseigna (1937) à l’Académie de musique de cette ville. Dans un style inspiré à la fois du folklore et de la musique française du début du XXe siècle, et évoquant parfois Falla, il a écrit notamment l’opéra Suton (« Crépuscule », 1925 ; rév. 1954) et le ballet la Légende d’Okhrid (1933 ; rév. 1958). On lui doit aussi l’oratorio la Résurrection (1912) et un Requiem orthodoxe (1918). HUBAY (Jenö), violoniste et compositeur hongrois (Budapest 1858 - id. 1937). Élève de son père, puis, à Berlin, de Jozsef Joachim (1873-1876), il se rendit à Paris

sur la recommandation de Liszt et y fit la connaissance de Vieuxtemps. Il fut ensuite professeur à Bruxelles (1882) avant de retourner définitivement en Hongrie, où il mena une brillante carrière de virtuose et d’enseignant, et où il fonda avec le violoncelliste David Popper un célèbre quatuor. Comme compositeur, on lui doit notamment huit opéras, dont le Luthier de Crémone (1894) et Anna Karenine (1915), quatre symphonies, les célèbres Scènes de Csárdás pour violon avec orchestre ou piano et des pièces diverses pour son instrument. Parmi les élèves de Hubay, citons Joseph Szigeti et Stefi Geyer. HUBEAU (Jean), pianiste, compositeur et pédagogue français (Paris 1917 - id. 1992). Élève au Conservatoire de Jean et Noël Gallon, Lazare Lévy et Paul Dukas, il obtient cinq premiers prix, dont ceux de piano, d’harmonie et de composition, ainsi que le second grand prix de Rome en 1934. Il poursuit ses études à l’Académie de musique de Vienne, dont il sera lauréat en 1937, et travaille la direction d’orchestre avec Félix Weingartner. Sa carrière de soliste et de chef est jalonnée de très nombreux concerts et enregistrements, dont les intégrales de la musique de chambre de Schumann et de Gabriel Fauré. Son activité de compositeur, qu’il inaugure dès l’âge de seize ans par la publication de Variations pour piano, s’exerce dans le domaine de la musique instrumentale et symphonique, de la mélodie et du ballet. On lui doit notamment un concerto pour violon, un concerto pour violoncelle et un Concerto héroïque pour piano et orchestre. Par ailleurs, Jean Hubeau a formé un grand nombre d’élèves en tant que directeur du conservatoire de musique de Versailles de 1942 à 1957, puis comme titulaire d’une classe de musique de chambre au Conservatoire de Paris à partir de 1958. HUBER (Hans), compositeur suisse (Eppenberg 1852 - Locarno 1921). Élève du conservatoire de Leipzig, il enseigna à Wesserling, à Thann (Alsace) et, à partir de 1877, à Bâle, ville dont il dirigea l’école de musique de 1896 à 1918. Comme pédagogue et comme compositeur, il joua dans la vie musicale de son pays un rôle de premier plan, édifiant dans l’esthétique

de Brahms une oeuvre importante et d’une solide facture, souvent à la recherche d’une expression nationale. On lui doit huit symphonies (1881-1920), dont certaines sur des arguments nationaux (no 1 Tell, no 2 Böcklin) ou idéologiques (no 3 Héroïque, no 4 Académique, no 7 Suisse), des opéras, dont Weltfrühling (1894), Kudrun (1896), Der Simplicius (1912) et Die schöne Bellinda (1916), des oratorios, de la musique de chambre et de piano, etc. HUBER (Klaus), compositeur suisse (Berne 1924). Instituteur, il étudia avec Willy Burkhard (composition) et Stefi Geyer (violon) au conservatoire de Zurich (1947-1949), puis avec Boris Blacher à Berlin. Jusqu’en 1955, il prit des leçons privées avec Burkhard. Il enseigna le violon au conservatoire de Zurich (1950-1960), l’histoire de la musique à celui de Lucerne (1960-1963) et la théorie (1961), puis la composition et l’instrumentation (1964) à l’Académie de musique de Bâle. En 1973, il devint, grâce à une bourse du D. A. A. D., compositeur en résidence à Berlin et fut nommé professeur de composition à l’École supérieure de musique de Fribourg-en-Brisgau : il devait y avoir comme assistant son ancien élève Brian Ferneyhough. Ses premières oeuvres datent de 1952 (Abendkantate pour voix de basse, 2 flûtes, alto, violondownloadModeText.vue.download 485 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 479 celle et clavecin sur un texte d’Andreas Gryphius), mais Huber attira surtout l’attention avec Sechs kleine Vokalisen pour contralto, violon et violoncelle (1955), symphonie de chambre Oratio Mechtildis pour contralto et orchestre de chambre sur un texte de Mechtild von Magdeburg (1956-57) ou encore Auf die ruhige NachtZeit pour soprano, flûte, alto et violoncelle (1958). Ses oeuvres s’inscrivent sous le signe d’un sentiment global de la nature et de constantes préoccupations religieuses et spirituelles. Dans Tenebrae pour grand orchestre, célesta, orgue électrique, timbales et percussion (1966-67), oeuvre qui lui valut en 1970 le prix Beethoven de la ville de Bonn, les forces menaçant ces valeurs sont symbolisées par le phénomène de l’éclipse solaire, elle-même associée

à la Crucifixion. Dans ... inwendig voller figur... pour choeur, haut-parleurs, bande magnétique et grand orchestre (1970-71), commande de la ville de Nuremberg pour le cinquième centenaire d’Albrecht Dürer, les textes sont tirés à la fois de Dürer et de l’Apocalypse, et on retrouve certaines proportions numériques des oeuvres de Dürer. Citons encore Soliloquia, oratorio pour solos, 2 choeurs et grand orchestre sur un texte de saint Augustin (19591964), Alveare Vernat pour flûte et 12 cordes (1965), Tempora, concerto pour violon et orchestre (1969-70), Hiob 19 pour choeur et 9 instruments (1971), Jot, oder Wann kommt der Herr zurück, opéra dialectique sur un texte de Philip Oxmam (1972-73 ; création fragmentaire, Berlin, 1973), Im Paradies oder Der Alte vom Berge, opéra sur un texte d’Alfred Jarry (1973-1975, création, Bâle, 1975), Erinnere dich an G... pour contrebasse et 17 musiciens (1976-77), ... ohne Grenze und Rand... pour alto et petit orchestre (197677) et Erniedrigt-Geknechtet-Verlassen-Verachtet... (« Humilié-Asservi-AbandonnéMéprisé... »), oratorio en sept parties sur un texte d’Ernesto Cardenal (1979-1981 ; création, festival de Hollande, 1981), un 2e quatuor à cordes (1983), Spes contra spem pour chanteurs, acteurs et orchestre (Bochum, 1989), Qui clamavi ad te : Miserere pour 6 voix a cappella (1993), Concerto pour piano et orchestre de chambre (19931994), Lamentationes de fine vicesimi saeculi pour grand orchestre (1995). HUBERMAN (Bronislaw), violoniste polonais (Czanstochowa 1882 - Nant-surCorsier, Vevey, 1947). Il étudie successivement au conservatoire de Varsovie avec M. Michalowicz et I. Lotto, ancien élève du Conservatoire de Paris, et à Berlin avec Joachim, H. Heermann, M. Marsick et K. Gregorowicz. Mais toutes ces leçons sont irrégulières et cessent alors qu’il n’a que dix ans, ce qui fait de lui en grande partie un autodidacte. Lors du concert d’adieu de la célèbre soprano Adelina Patti à Vienne en 1895, son interprétation du concerto de Brahms fait sensation et enthousiasme le compositeur lui-même. Huberman fait ensuite de nombreuses tournées. Intuitif, parfois extravagant, il demeure une des plus fortes personnalités de l’histoire du violon. HUCBALD DE SAINT-AMAND théori-

cien français ? (environs de Tournai v. 840 - Saint-Amand 930). Il étudie à Saint-Amand dans un monastère dirigé par son oncle, puis à Nevers et à Auxerre, où il travaille avec Heiric. En 886, fuyant l’invasion des Normands, il s’installe à Saint-Omer. Après un séjour à Reims pour organiser les écoles, il revient définitivement à Saint-Amand et consacre le reste de sa vie à ses écrits. Si l’on accepte aujourd’hui qu’il est l’auteur du traité De harmonica institutione, on l’a longtemps considéré comme l’auteur de l’ouvrage théorique le plus important de toute cette époque, qui a exercé une influence considérable sur les débuts de la musique polyphonique aux IXe et Xe siècles, Musica Enchiriadis. Afin d’améliorer le système d’écriture des neumes, Hucbald inventa une notation musicale fondée sur l’emploi de lignes horizontales parallèles, des emprunts (centons) et d’une notation alphabétique. HUE (Georges), compositeur français (Versailles 1858 - Paris 1948). Fils d’un architecte, il fit de brillantes études classiques avant de manifester des dispositions pour la musique. Au Conservatoire de Paris, il fut l’élève de Reber et de Paladilhe, et obtint le premier grand prix de Rome en 1879. Il n’aborda aucune carrière d’instrumentaliste ni de professeur, se consacrant entièrement à la composition. Il obtint en 1881 le prix Crescent avec son opéra-comique les Pantins et en 1886 le prix de la Ville de Paris avec sa légende symphonique Rubezahl. Musicien éclectique, il révéla un grand sens du pittoresque dans le ballet Siang-Sin (1924) et beaucoup de fantaisie dans l’opéracomique Riquet à la houppe (1928). L’influence de Wagner, qu’il admirait, se ressent dans son oeuvre, surtout au niveau de la richesse sonore de l’orchestration. Hue fut président de l’Académie des beaux-arts, citoyen d’honneur de la ville de Bayreuth et membre de l’Institut en 1922, en succession de Camille SaintSaëns. HUGHES (Dom Amselm), musicologue anglais (Londres 1889 - Nashdom Abbey, Burnham, Buckinghamshire, 1974). Ayant fait ses études à Oxford, il se spécialisa dans l’étude de la musique d’église du Moyen Âge, sur laquelle il publia plu-

sieurs études. Directeur de la musique dans différentes abbayes anglaises, il a été prieur de l’abbaye de Nashdom de 1936 à 1945. Il participa également à la Plainsong and Medieval Music Society, à la Gregorian Association et fut président du Faith Press Ltd de Londres. Il contribua d’autre part à l’édition du Grove’s Dictionary of Music and Musicians et à celle du Old Hall Manuscript (1933-1938). Il a composé une Missa sancti benedicti (Londres, 1918) et plusieurs pièces de musique d’église. HUGO DE LANTINS, musicien originaire de Liège (XVe s.). Peut-être apparenté à Arnold de Lantins, dont il était l’aîné, il a séjourné à Venise vers 1415-1430 (cf. le motet Christus vincit louant les succès de F. Foscari, doge à partir de 1423), et l’une de ses chansons, Tra quante regione, célèbre le mariage de Cleofe Malatesta avec Théodore Paléologue, fils de l’empereur byzantin. Hugo de Lantins employa toujours volontiers un style imitatif, les procédés de la « musica ficta », les modes transposés et les changements de prolation, mais le fait que son Et in terra pax ait pu être transcrit sous le nom de Dufay montre qu’il tendit parfois vers des contours mélodiques empreints de simplicité. HUGON (Georges), compositeur français (Paris 1904 - Blauvac, Vaucluse, 1980). Il fut au Conservatoire de Paris l’élève de Jean Gallon, de Georges Caussade et de Paul Dukas. C’est à ce dernier qu’il doit un métier très sûr, qu’il a mis au service d’un tempérament rêveur et sensible. Il obtint ses premiers prix de piano et d’harmonie en 1921, de composition en 1930, année où il reçut le prix de la Fondation Blumenthal pour la pensée et l’art français. En 1934, il fut nommé directeur du conservatoire de Boulogne-sur-Mer, poste qu’il occupa jusqu’à l’occupation allemande (1941). Après la guerre, en 1948, on lui confia une chaire d’harmonie au Conservatoire de Paris. Le conseil général de la Seine lui décerna son grand prix musical en 1967. Hugon est l’auteur de deux symphonies (1941 et 1949), d’un quatuor à cordes (1931) et d’oeuvres instrumentales et vocales. D’une troisième symphonie, consacrée à Prométhée, n’ont été achevés que les deux premiers mouvements.

HUGUES DE BERZÉ, trouvère français ( ? v. 1150-1155 - ? v. 1220). Seigneur de Berzé-le-Châtel, près de Mâcon, il participa à la 4e croisade (12021204), séjourna à Constantinople et écrivit sa Bible au seigneur de Berzé, qui dénonçait les abus du clergé de son temps. On possède huit chansons de lui, dont un chant de croisade très personnel. downloadModeText.vue.download 486 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 480 HUITIÈME DE SOUPIR. Silence d’une durée égale au huitième d’une noire et correspondant par conséquent à la triple croche. HUIT-PIEDS. On désigne ainsi, à l’orgue, tout jeu dont le tuyau donnant la note la plus grave (ut 1) mesure approximativement huit pieds de hauteur. Les jeux de huit pieds (on écrit aussi 8′) sonnent à l’unisson de la voix humaine et correspondent à la hauteur réelle des notes sur les instruments à clavier. Ils constituent donc la base de la composition des jeux d’un orgue, les jeux de hauteur différente venant se surajouter pour modifier à volonté la couleur sonore. Les jeux sonnant une ou deux octaves plus bas correspondent à des tuyaux respectivement de seize et de trente-deux pieds (soit ut-1) ; ceux qui se font entendre une, deux ou trois octaves plus haut correspondent à des tuyaux de quatre, de deux et d’un pieds (ut 4). C’est ainsi que, malgré un clavier court, qui n’excède jamais cinq octaves, l’orgue peut être le plus étendu des instruments, couvrant jusqu’à onze octaves. L’expression huit-pieds s’emploie, par extension, pour d’autres instruments, comme le clavecin, pour désigner les jeux sonnant à l’octave réelle, c’est-à-dire à l’unisson du clavier. HULLMANDEL (Nicolas-Joseph), pianiste et compositeur français (Strasbourg 1756 - Londres 1823). Il étudia à la cathédrale de Strasbourg avec F. X. Rixhter, puis peut-être à Hambourg avec Carl Philip Emanuel Bach, et il s’installa vers 1776 à Paris, où il se fit

une brillante réputation comme interprète et comme professeur de piano et de clavecin ainsi que comme virtuose de l’harmonica de verre. En 1789, il s’établit à Londres avec sa famille. Toute sa production est pour clavecin ou piano, parfois avec accompagnement de violon facultatif ou obligé. Les opus 1 à 11 parurent à Paris de 1773 à 1788 ; l’opus 12, à portée didactique, parut à Londres en 1796. Hullmandel écrivit l’article clavecin dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. HUME (Tobias), violiste et compositeur anglais ( ? v. 1569 - Londres 1645). Ce célèbre joueur de viole fut également officier dans l’armée royale. Essentiellement compositeur de musique instrumentale (116 pièces pour 1, 2 ou 3 violes, ou lyra-viols), il publia en 1605 un recueil intitulé The First Part of Ayres, French, Pollish and others... et en 1607 Captain Humes Poeticall Musicke, principally made for two Bass Viols..., qui contient, outre des pièces instrumentales, cinq airs à chanter. HUMFREY (Pelham), compositeur anglais ( ? 1647 - Windsor 1674). Il commence sa vie musicale comme chantre et élève de Henry Cooke à la Royal Chapel de 1660 à 1664 environ, date à laquelle il a déjà écrit quelques anthems, dont Haste thee O God. Cette manifestation de son talent lui vaut une bourse pour la France, où, à en juger d’après certains traits stylistiques de son oeuvre, il rencontre sans doute Lully. Humfrey séjourne également en Italie et s’informe des dernières techniques de l’écriture vocale. À son retour en Angleterre, il se trouve nommé luthiste à la cour (1666) et « Gentleman of the Royal Chapel » (1667). S. Pepys, dans son Journal, offre plusieurs appréciations de la valeur de son compatriote. À cette époque, Humfrey compose de la musique d’église, des airs ainsi que ses trois odes, dont celle de 1672, When from his throne, pour célébrer l’anniversaire du roi. La même année, il devient maître des enfants de la chapelle. Le jeune Henry Purcell est l’un de ses élèves. Pour The Tempest, dans une adaptation de Th. Shadwell représentée en 1674, Humfrey compose deux masques. Il tombe malade peu après et meurt à l’âge de vingt-sept ans. Particulièrement sensible aux textes poignants, il sait « attiser les passions », que son harmonie chromatique et ses

intervalles mélodiques disjoints mettent si bien en relief. Il réussit tout particulièrement dans ses verse anthems, dont les proportions (solos, choeurs, instruments) peuvent atteindre celles du grand motet, qu’il aurait entendu en France. Outre les odes, déjà citées, il laisse un total de vingt-sept airs, dont cinq sont des airs de dévotion. HUMMEL (Johann Julius), éditeur allemand (Waltershausen 1728 - Berlin 1798). D’abord corniste, il fonda sa maison d’édition à Amsterdam au plus tard en 1753, et en 1770 établit une branche à Berlin, où il s’installa lui-même en 1774. Il fut en Allemagne du Nord le principal éditeur des oeuvres de Haydn, ce qui fit de lui un concurrent d’Artaria à Vienne. Il eut comme collaborateurs son frère Burchard (1731-1797), sa fille Elisabeth Christina (1751-1818) et son fils Johann Bernhard (1760-v. 1805). Sa maison cessa ses activités en 1828. HUMMEL (Johann Nepomuk), pianiste et compositeur autrichien (Presbourg 1778 - Weimar 1837). Enfant prodige, il reçut ses premières leçons de musique de son père, Johannes, puis étudia à Vienne avec Mozart, qui l’hébergea dans sa propre maison (17861788) et grâce à qui il donna son premier concert en 1787. Il partit ensuite avec son père pour une tournée qui le mena en Allemagne du Nord, à Copenhague, en Écosse, à Londres (où, en 1792, il joua aux mêmes concerts que Haydn) et de nouveau en Allemagne. Revenu à Vienne en 1793, il prit de nouvelles leçons avec Albrechtsberger et Salieri, se lia d’amitié avec Beethoven et s’imposa comme un des premiers pianistes de son temps. Sa nomination en 1804 comme concertmeister (en l’occurrence, chef d’orchestre) du prince Esterházy fit de lui un des trois musiciens (les deux autres étant le vice-maître de chapelle Johann Nepomuk Fuchs et l’autre concertmeister Luigi Tomasini), qui eurent à assumer la succession de Haydn malade, celui-ci conservant son titre de maître de chapelle. Hummel occupa ce poste jusqu’en 1811. Il reprit sa carrière de pianiste vers 1814, puis fut maître de chapelle à Stuttgart (1816-1818) et enfin à Weimar (de 1819 à sa mort). Dans les

années 20 et 30, il refit comme pianiste des tournées à travers l’Europe et, en 1827, il se rendit à Vienne pour revoir Beethoven mourant. Comme pédagogue du piano, il eut notamment comme élève C. Czerny, F. Hiller, F. Mendelssohn et S. Thalberg. Comme compositeur, il ne se limita pas au piano, mais aborda à peu près tous les genres instrumentaux et vocaux, sauf la symphonie. Ses premières oeuvres sont ancrées dans le classicisme viennois (Mozart, Haydn), ses dernières tendent la main aux romantiques de 1830 (Chopin) : il contourna Beethoven plutôt qu’il ne se mesura avec lui. Il a laissé de très nombreuses pièces pour piano (dont les six sonates op. 3 en ut majeur (1792), op. 13 en mi bémol [v. 1804, dédiée à Haydn], op. 20 en fa majeur (v. 1807), op. 38 en ut majeur (v. 1808), op. 81 en fa dièse mineur [1819, particulièrement admirée de Schumann] et op. 106 en ré [1824]), et de la musique religieuse (dont cinq messes) datant pour l’essentiel de ses années chez les Esterházy. La méthode de piano de Johann Nepomuk Hummel (1828) eut une importance considérable dans la première moitié du XXe siècle. HUMORESQUE. Type de pièce instrumentale apparu au XIXe siècle. Le terme est sans doute moins à prendre dans le sens de « humour » (comique) que dans le sens de « humeur » (état d’âme). L’humoresque exprimerait donc un sentiment poétique, qui peut être lyrisme, intimité ou verve, ainsi que l’atteste l’Humoresque op. 20 pour piano de Schumann, première oeuvre de ce titre. On trouve des humoresques chez Stephen Heller, Grieg, Dvořák, Humperdinck, Sibelius, Reger. Tel était également le titre original de certaines mélodies du Cor merveilleux de l’enfant de Mahler. downloadModeText.vue.download 487 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 481 HUMPERDINCK (Engelbert), compositeur allemand (Siegburg, Rhénanie, 1854 - Neustrelitz 1921). Il étudia à Cologne et à Munich, et participa, à l’invitation de Wagner, à la prépa-

ration des premières représentations de Parsifal à Bayreuth en 1882. Il enseigna successivement à Barcelone, à Francfort et, de 1900 à 1920, à Berlin. D’une production abondante, seul a survécu l’opéra Hänsel und Gretel, sur un livret d’Adelheid Wette (Weimar, 1893, sous la direction de Richard Strauss), soeur du compositeur : cette oeuvre utilise adroitement, dans une atmosphère de conte de fées, des chansons populaires de Westphalie. HURÉ (Jean), organiste, pianiste et compositeur français (Gien 1877 - Paris 1930). Formé en marge de l’enseignement officiel, il fit ses études musicales à Angers et à Paris, devant surtout à son travail et à sa réflexion personnels son vaste savoir et son érudition d’humaniste et de musicologue. Monté à Paris en 1895, il y exerça une activité multiple et féconde. Exécutant, il fut principalement connu comme pianiste (non seulement en France, mais aussi en Autriche et en Roumanie). Compositeur, il écrivit beaucoup : trois symphonies, deux messes, un concerto pour violon, de la musique de chambre, une demi-douzaine d’ouvrages lyriques (restés à l’état de manuscrit), de la musique vocale. Comme journaliste musical, il créa en 1924 la revue l’Orgue et les Organistes et publia de nombreux articles. Pédagogue, il fonda en 1912 une École normale de musique et mit au point des ouvrages de technique instrumentale sur le piano et sur l’orgue. Il a aussi publié des livres et des études sur des sujets très variés : Chansons et danses bretonnes précédées d’une étude sur la monodie populaire (1902), Défense et illustration de la musique française (1915), l’Esthétique de l’orgue (1923), Saint Augustin musicien (1925). HUREL (Philippe), compositeur français (Domfront 1955). Ancien élève du Conservatoire puis de l’université de Toulouse (musicologie), Hurel entre en 1981 au Conservatoire de Paris, où il travaille avec Ivo Malec et Betsy Jolas. Il suit aussi les cours de Tristan Murail sur les rapports entre informatique, acoustique et composition. Il a été membre du département de la recherche musicale à l’I.R.C.A.M. Sa musique est typique de la deuxième génération de compositeurs de musique spectrale. Il y instaure des relations dynamiques entre

les instruments acoustiques et les synthétiseurs pilotés par l’ordinateur, se préoccupe de la « modulation des timbres » et de la forme, assimilée à un processus d’analyse de plus en plus fine (Fragment de lune pour 15 instruments et dispositif électroacoustique, 1986-87). Dans des oeuvres comme Diamants imaginaires, diamant lunaire pour 22 instruments (1984-1986), Leçon de choses (1993), Six Miniatures en trompe-l’oeil (1991-1993) ou Pour Luigi pour cinq instruments (1995), les principes de l’analyse des formants sonores sont enrichis par une pensée générative qui autorise transitions de timbres, reprises et répétitions transformationnelles. il s’intéresse aussi à la manière dont la perception saisit l’objet musical et joue sur la définition des structures globales (timbre, harmonie) ou « différenciées » (mélodie, polyphonie, par exemple dans Pour l’image pour 14 instruments, 198687). HURLEBUSCH (Conrad Friedrich), organiste et compositeur allemand (Brunswick 1695 ou 1696 - Amsterdam 1765). Il voyagea beaucoup dans sa jeunesse, séjournant à Hambourg (1715), à Vienne (1716), en Italie (1718), à Munich (1721) et devenant en 1722 maître de chapelle à la cour de Suède, où il composa l’opéra Armenio (1724), perdu. On le vit ensuite dans sa ville natale (1725), puis de nouveau à Hambourg (1727-1736) ; en 1743, Hurlebusch devint organiste de l’Oude Kerk d’Amsterdam. Il cultiva de nombreux genres instrumentaux et vocaux, mais son intérêt réside principalement dans ses suites pour clavier, qui relèvent du type illustré avant lui par Couperin ou Muffat. HURNIK (Ilja), compositeur tchèque (Poruba 1922). Il se destina d’abord à la seule carrière de pianiste, puis étudia la composition avec V. Novak. Aussi habile comme musicien de chambre (notamment avec le Quatuor Smetana) que comme soliste (Janáček, Debussy, Poulenc, Stravinski), il a, comme compositeur, cultivé un style néoclassique inventif, clair et dynamique, proche de Stravinski dans les Moments musicaux pour instruments à vent (1963), de Prokofiev dans le ballet Ondras (1950), de Pou-

lenc dans la cantate folklorique Maryka (1948 ; rév., 1955). HUSA (Karel), compositeur américain d’origine tchèque (Prague 1921). Après des études au conservatoire de Prague, il vécut à Paris de 1946 à 1954, travailla la composition avec Nadia Boulanger et Arthur Honegger, et la direction d’orchestre avec Eugène Bigot et André Cluytens. En 1954, il partit pour Utica, dans l’État de New York, pour y enseigner la composition et la direction d’orchestre à la Cornell University. Il devint citoyen américain en 1959. Sa première période de compositeur fut influencée par Honegger et Bartók : en témoignent le Concertino pour piano et orchestre (1949), le trio pour clarinette, alto et violoncelle Évocations de Slovaquie (1951), et la symphonie no 1 (1953). La tentation webernienne apparut avec Mosaïques pour orchestre (1961). On lui doit trois quatuors à cordes (1948, 1953 et 1968), dont le dernier lui valut le prix Pulitzer en 1969. Citons encore Music for Prague 1968 (1968), dont il existe une version pour ensemble d’instruments à vent et une pour orchestre - admirable rencontre du vieux choral hussite « Vous qui êtes soldats de Dieu et de sa Loi », des cloches de la ville aux cent clochers (Prague), de l’angoisse et de la liberté -, le ballet Monodrama (1976), American Te Deum pour baryton, choeurs et ensemble d’instruments à vent (1976), Concerto pour orchestre (1986). Karel Husa a édité des oeuvres de Delalande et de Lully. HÜTTENBRENNER (Anselm), compositeur autrichien (Graz 1794 - Ober-Andritz, près de Graz, 1868). Élève de Salieri, il ferma les yeux de Beethoven et fut l’ami de Schubert, dont il conserva jusqu’en 1860, sans le communiquer à quiconque, le manuscrit de la Symphonie inachevée. Il écrivit des opéras, de la musique religieuse et de chambre, et des lieder dont un Erlkönig. HUTTENLOCHER (Philippe), barytonbasse suisse (Neuchâtel 1942). Il achève d’abord des études de violon avant de commencer le chant en 1963. Il travaille avec Juliette Bisse, et, en 1967,

remporte un premier prix de chant au Conservatoire de Genève. Michel Corboz l’engage alors comme soliste de l’Ensemble vocal de Lausanne. Il y chante notamment le Requiem de Fauré, des madrigaux et les Vêpres de la Vierge de Monteverdi, des cantates et les Passions de Bach. Spécialisé dans les oratorios, il fait ses débuts à l’opéra avec l’Orfeo de Monteverdi à Zurich. Son répertoire s’étend des Indes galantes de Rameau au rôle de Guglielmo dans Cosi fan tutte, en passant par celui de Golaud dans Pelléas, qu’il enregistre sous la direction d’Armin Jordan. HUYGENS (Constantin), diplomate, poète et compositeur néerlandais (La Haye 1596 - id. 1687). Père du célèbre physicien Christiaan Huygens, Constantin fut un musicien amateur passionné et un homme de grande culture ; il ne parlait et n’écrivait pas moins de sept langues. Il jouait de la viole, du luth, du théorbe, de la guitare, du clavecin et de l’orgue. La plupart de ses oeuvres (environ 800) sont aujourd’hui perdues. Cependant, on possède de ce downloadModeText.vue.download 488 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 482 compositeur un recueil d’une grande importance pour l’histoire de la pratique de la basse chiffrée en France. il s’agit de la Pathodia sacra et profana (1647) ; l’éditeur Robert Ballard (Paris) demanda à Huygens de remplacer la tablature de luth par une basse comportant des chiffres indiquant l’harmonie à réaliser. Le volume contient des psaumes en latin (20) ainsi que des airs italiens (12) et des airs français (7). Ces pièces révèlent une inspiration riche et une audace harmonique assez personnelle. Huygens est également l’auteur d’un traité, Gebruyck of ongebruyck van’t orgel in de Kerken der Vereenighde Nederlanden (1641), qui prône le retour au style liturgique aux dépens du style concertant. HYDRAULE. Nom de l’orgue hydraulique, dont on attribue l’invention au Grec Ctésibios d’Alexandrie (IIIe s. av. J.-C.). Un système de soufflerie (pompe et réservoirs) hydraulique fournissait l’air comprimé

nécessaire à faire parler les quelques tuyaux à bouche ou à anche qui équipaient l’hydraule. Il semble que celle-ci ait eu un son puissant et un jeu rudimentaire. C’est ainsi qu’elle servait, avec les cors et les trompettes, d’instrument d’alarme, de sonnerie pour les jeux du cirque, les festivités et les mouvements militaires. Elle fut largement répandue dans tout le bassin de la Méditerranée : on la retrouve (dans les textes et l’iconographie seulement, aucune hydraule ne nous étant parvenue) à Alexandrie et à Byzance, à Jérusalem et à Rome. C’est un instrument de ce type que l’empereur romain d’Orient Constantin V offrit à Pépin le Bref en 757, ce qui eut pour effet d’introduire l’orgue dans la musique occidentale. HYMNAIRE. Dans la liturgie chrétienne, recueil d’hymnes. Les hymnaires ont cessé, depuis l’imprimerie, de former des ensembles isolés, et les hymnes sont aujourd’hui presque toujours insérés dans les offices correspondants. HYMNE. Dans l’Antiquité, poème chanté en l’honneur d’une divinité. Plusieurs hymnes figurent parmi les « monuments » conservés de la musique grecque antique (hymnes delphiques à Apollon, hymne au soleil de Mésomède, etc.). Le culte chrétien a adopté le mot (devenu féminin en français dans ce seul emploi) et a fait de l’hymne un genre liturgique à part, généralement chanté à la fin des principales heures. Dans l’Église latine, l’hymne est un poème strophique et syllabique, souvent écrit en vers selon la métrique ancienne, mais sans que la musique tienne compte de cette particularité. Elle s’achève régulièrement par une strophe de doxologie en l’honneur de la Sainte Trinité ; c’est avec la séquence l’un des rares genres liturgiques dont les paroles (jamais la musique) soient parfois signées. La pratique des hymnes est très ancienne, mais leur forme n’a acquis une certaine fixité qu’à partir de saint Ambroise, qui passe pour en avoir composé un grand nombre et a contribué à en généraliser l’usage. Parmi les autres auteurs d’hymnes célèbres, on cite Prudence, Venance Fortunat, l’évêque d’Orléans Théodulfe, Walafrid Strabon, Hart-

mann de Saint-Gall, Abélard, Fulbert de Chartres, etc. Les hymnes figurent parmi les genres liturgiques dont la musique a été le plus souvent déformée au cours des temps, en raison notamment de son aspect parfois populaire ; leur rythme, en particulier, a été souvent ternarisé à partir du XIVe siècle. Elles ont été souvent traduites en polyphonie du XIIe au XVIe siècle, mais assez peu au-delà dans le répertoire avec orchestre. downloadModeText.vue.download 489 sur 1085

IAMBE. En métrique grecque, pied formé d’une brève et d’une longue, le levé correspondant à la brève et le frappé à la longue. En musique, ce rythme exprime aisément la gaieté, comme dans certains menuets (symphonies no 36, dite Linz, de Mozart ou no 91 de Haydn) ou scherzos (symphonie no 1 de Beethoven) plus ou moins dominés par la formule rythmique suivante : ou encore l’agressivité (motif conducteur de Job de Vaughan Williams). IBARRONDO (Félix), compositeur espagnol (Onate, Guipúzcoa, 1943). Il a fait ses premières études musicales avec son père (solfège et harmonie), puis travaillé la philosophie et la théologie ainsi que la composition avec Juan Cordero Castanos, obtenant ses diplômes de piano et de composition aux conservatoires de Bilbao et de San Sebastián. À Paris, où il réside depuis 1969, il a été l’élève de Max Deutsch, d’Henri Dutilleux et de Maurice Ohana. Il a obtenu le prix LiliBoulanger en 1972. Il a écrit notamment Aitaren Extea pour ténor, 2 pianos, violon et percussion (1971), Vague de fond pour grand orchestre, commande du ministère des Affaires culturelles (1972), Et la vie était là... pour quatuor à cordes (1973), Sous l’emprise d’une ombre pour ensemble instrumental (1976), Musique pour la messe (Avignon, 1977), Izengabekoa pour ensemble instrumental (Saintes, 1978), Amairuk pour 12 cordes et guitare (1979), Brisas pour 9 instruments (1980), Cibillak pour soprano, ténor, baryton, 2 clarinettes et 3 violoncelles (Avignon, 1981), Abyssal pour 2 guitares et orchestre (1982), Phalène pour trio à cordes (1983), Erys pour orchestre (Radio France 1986), Irrintz pour orchestre (Radio France 1988),

Nerezko Aiak, concerto pour violoncelle (Radio France 1991). IBERT (Jacques), compositeur français (Paris 1890 - id. 1962). Bien qu’ayant été très tôt attiré par la musique et ayant bénéficié des conseils d’une mère excellente pianiste, Ibert, pour complaire à son père, fit un court séjour dans l’entreprise familiale avant d’entrer, à vingt ans, au Conservatoire, où il suivit les cours de Pessard (harmonie), de Gédalge (contrepoint) qui fut pour lui « un conseiller, un confident et un ami admirable », et de P. Vidal (composition). Au retour de la Grande Guerre, où il s’était engagé, il remporta le premier grand prix de Rome (1919). Dès lors, il ne cessa de composer, et dans tous les domaines, oscillant moins du côté du dramatisme - encore qu’une de ses premières oeuvres, la Ballade de la geôle de Reading, d’après O. Wilde (1920), en soit empreinte - que du divertissement. Ses admirations témoignent de ses tendances ; elles vont, chez les anciens, à Mozart, à Scarlatti, à Couperin, à Rameau et, chez les modernes, à Chabrier, à Bizet, à Debussy, à Ravel, à Stravinski, à Roussel. Chez ces maîtres aimés comme dans sa propre musique, qui se situe dans leur perspective, s’épanouit une certaine tradition de l’art français, à laquelle son initiation, dès sa jeunesse, à la peinture impressionniste et à la poésie d’un Verlaine, d’un Mallarmé, d’un Ch. Cros n’a sans doute pas été non plus étrangère, un art où la fantaisie est sensible, où l’esprit est tendre, où l’humour se rit de l’éloquence. La distinction, l’élégance d’Ibert cachent un métier d’une impeccable sûreté. L’artisan, chez lui, est exemplaire, et sa plaisante et modeste remarque sur l’inspiration, qui n’est rien sans 99 p. 100 de transpiration, en témoigne. Le théâtre, qui, dès sa jeunesse, l’avait attiré - n’avait-il pas envisagé une carrière de comédien ? -, lui inspira un opéra, Persée et Andromède (1921, création 1929), une farce, Angélique (1926, création 1927), dont le spirituel livret de son ami Nino, qui avait déjà collaboré à celui de Persée et Andromède, favorisa le succès. Si l’on excepte l’Aiglon (1937) - écrit en collaboration avec Honegger, avec qui il était lié depuis le Conservatoire -, c’est vers le genre « léger » que, plus volontiers, s’est tourné Ibert avec l’opéra-comique le Roi

d’Yvetot (1928, création 1930), l’opéra bouffe Gonzague (1930) et l’opérette les Petites Cardinal (1938, création 1939), pour laquelle il collaborait de nouveau avec Honegger. Ressortissent encore du genre théâtral ses nombreuses musiques de scène, dont plusieurs sont devenues des pièces d’orchestre, comme le Jardinier de Samos (1924), le Divertissement pour orchestre de chambre d’après Un chapeau de paille d’Italie (1929), la Suite symphonique Paris 32 d’après Donogoo (1930) et la Suite élisabéthaine d’après le Songe d’une nuit d’été (1942). Attiré par le cinéma depuis ses improvisations pianistiques au temps du « muet », Ibert a signé plus de 60 partitions cinématographiques. Le ballet l’a également beaucoup requis. Entre sa collaboration à l’Éventail de Jeanne (1927) et le Cercle fantastique (1958), resté inédit, Ibert a composé Diane de Poitiers (1933-34), le Chevalier errant (1935), les Amours de Jupiter (1945) et le Triomphe de la Pureté (1950). L’attrait qu’il a éprouvé pour le « spectacle » est évident, puisque, dans son oeuvre symphonique, tout naturellement, certaines partitions ont inspiré des ballets, tels la Ballade de la geôle de Reading, Escales (1922) et Louisville-Concert (1953). downloadModeText.vue.download 490 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 484 Dans sa musique de chambre, ses concertos, on remarque une tendance à privilégier les vents et la harpe, son quatuor à cordes (1937-1942) étant une éloquente exception. Relevons, parmi les pièces confiées aux vents, ses Deux Mouvements pour deux flûtes, clarinette et basson (1922), ses Trois Pièces brèves pour quintette à vent (1930), ses Cinq Pièces en trio pour hautbois, clarinette, basson (1935), son Concerto pour flûte et orchestre (1934), son Concertino da camera pour saxophone alto et onze instruments (1935), son Capriccio pour dix instruments (1937) voire son Concerto pour violoncelle (1925), qui dialogue avec les seuls vents, et surtout sa Symphonie concertante pour hautbois et orchestre à cordes (1948-49), l’oeuvre qu’avec son quatuor il a « le plus longuement méditée ». On lui doit également des pièces pour piano dont les populaires Histoires - et des mélodies composées essentiellement entre

1919 et 1931. IDELSOHN (Abraham Zevi), musicologue letton (Filzburg, Lettonie, 1882 - Johannesburg 1938). Il étudia à Königsberg, Berlin et Leipzig, et séjourna de 1906 à 1921 à Jérusalem, où il fonda en 1910 un institut et en 1919 une école de musique juive. De 1924, il donna des conférences à l’Hebrew Union College de Cincinnati. Éminente autorité en matière de musique juive, il a énormément contribué à en établir les bases scientifiques. ( ! HÉBRAÏQUE [MUSIQUE]). IDIOPHONE. Terme par lequel on désigne tous les instruments de musique dont le son est produit par la vibration du corps de l’instrument : par entrechoquement (claquettes), par percussion (xylophone), par pincement (guimbarde), par frottement (harmonica de verres). IKENOUCHI (Tomojiro), compositeur et pédagogue japonais (Tky 1906 - id. 1991). Fils d’un poète et poète lui-même, il a étudié au Conservatoire de Paris de 1927 à 1933 avec Fauchet (harmonie), Caussade (fugue) et H. Büsser (composition), puis de nouveau de 1934 à 1936 (premier prix d’harmonie avec Büsser). Il a enseigné ensuite à Tky et est devenu président de la Société musicale nippo-française. Ses oeuvres, peu nombreuses mais denses (trois quatuors à cordes [1937, 1945 et 1946], plusieurs sonatines), témoignent de son admiration pour Mozart, Saint-Saëns et surtout Ravel. IL SEMINARIO MUSICALE. ! LESNES (GÉRARD). IMBAULT (Jean-Jérôme), violoniste et éditeur de musique français (Paris 1753 id. 1832). Élève de Pierre Gaviniès, il abandonna relativement tôt sa carrière de violoniste soliste, se consacrant surtout à l’enseignement et aux activités de musicien d’orchestre. Comme éditeur, il fut d’abord associé à Jean-Georges Sieber (1783), puis fonda sa propre maison (1784). Il publia diverses oeuvres de Boccherini, de Clementi, de Gyrowetz, de Mozart, de Pleyel,

de Viotti ou encore de Haydn, en particulier la première édition des six symphonies parisiennes (nos 82-87) de ce dernier. Un Catalogue thématique des ouvrages de musique mis au jour par Imbault (Paris, 1791 ou 1792) a été réédité en fac-similé en 1972. IMITATION. Procédé polyphonique qui consiste à faire reprendre par une partie un passage plus ou moins long qui vient d’être exposé par une autre. L’imitation peut être occasionnelle ou systématique : dans ce dernier cas, elle donne naissance à des formes particulières, telles que le canon, le ricercar ou la fugue. Une terminologie récente, mais de plus en plus répandue, donne à la première présentation le nom d’antécédent, celui-ci étant suivi d’un ou de plusieurs conséquents. Le terme d’imitation est surtout employé quand le conséquent entre en contrepoint avant que soit achevée l’exposition de l’antécédent, encore qu’il y ait parfois flottement dans l’usage (par exemple, les échos, fréquents au XVIIe siècle). L’imitation est dite stricte quand le conséquent reproduit en son entier l’antécédent sans modification, libre lorsqu’elle n’est pas constante ou qu’on lui apporte des aménagements intervalliques ou rythmiques pour la plier au contrepoint. L’imitation la plus courante est celle à l’unisson ou à l’octave, mais elle peut se faire aussi à toute autre distance (quinte, quarte, tierce, etc.) ; on a alors le choix entre la solution réelle, qui respecte les intervalles du modèle, et la solution tonale, qui adapte les intervalles à la tonalité choisie. Pour la détermination de l’intervalle de base, certains auteurs précisent l’étendue exacte alors que d’autres la réduisent à l’intervalle simple (la même imitation pouvant être dite, par exemple, à la 10e ou à la tierce) ; parfois aussi (à tort) on néglige de signaler quand l’intervalle annoncé est descendant (non spécifié, il est normalement ascendant), ce qui introduit des ambiguïtés regrettables. On peut introduire dans les imitations toutes sortes de variétés, non seulement dans l’intervalle, mais aussi dans la direction mélodique (imitation par récurrence ou rétrogradation, par renversement, etc.), le rythme (par diminution ou augmentation), etc.

IMPERFECTION (lat. imperfectus). Dans la notation musicale du Moyen Âge, dite « proportionnelle », la division binaire d’une longue (mode) ou d’une brève (temps) est considérée comme imparfaite (modus imperfectus, tempus imperfectus). La division ternaire (conforme à l’image de la Sainte Trinité) est appelée parfaite, alors que la prolation est dite, plus humblement, majeure ou mineure. IMPRESSIONNISME. Nom donné à une certaine tendance musicale qui s’est cristallisée en France au début du XXe siècle (surtout dans l’oeuvre de Claude Debussy), par référence à l’impressionnisme pictural, reconnu et désigné comme tel dans les années 1860-1870. En vérité, de même que le concept d’impressionnisme en peinture fut suggéré, développé et entretenu par des critiques et des historiens plutôt que par les peintres, de même aucun musicien, semble-t-il, ne se revendiqua systématiquement comme « impressionniste », et ce furent ceux qui écrivaient sur la musique qui lancèrent le terme. Les deux seuls musiciens qu’on peut dire franchement et fondamentalement impressionnistes à l’époque furent Debussy et Déodat de Séverac. Les autres compositeurs souvent classés dans le même lot (comme Ravel, Florent Schmitt, Albert Roussel, Paul Dukas, Charles Koechlin, Roland-Manuel, André Caplet, etc.), ne le sont que pour tel aspect particulier de leur style ou de leur oeuvre. On a fait remonter les origines de l’impressionnisme musical à Chopin, à Liszt (celui des dernières pièces pour piano, comme Nuages gris), à Moussorgski, à Grieg, à Wagner et, plus loin dans le passé, à François Couperin, à Carlo Gesualdo, etc. Le concept d’impressionnisme musical amalgame différents traits d’écriture, de style, de sensibilité, qui peuvent se considérer indépendamment les uns des autres. Citons parmi ces « composantes « : - la référence à la nature et à la réalité comme source de « modèles » et de sensations, que l’on va s’efforcer de retranscrire et d’exprimer musicalement (cette référence est souvent affichée dans les titres, voire induite par ces titres chez l’auditeur : Jardins sous la pluie, Reflets dans l’eau, Nuages, ou Printemps, de Claude Debussy :

Oiseaux tristes ou Une barque sur l’océan de Ravel ; Baigneuses au soleil ou En Languedoc de Déodat de Séverac ; etc.) ; - la recherche de correspondances sensorielles entre l’ouïe et la vue, voire l’odorat (comme dans les Parfums de la nuit, d’Iberia, de Debussy) ou le toucher ; - l’écriture musicale nuancée et diffuse, aux contours estompés, fondée souvent downloadModeText.vue.download 491 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 485 sur un certain poudroiement, une certaine division de la substance musicale, qu’on a rapprochés des techniques de peinture par petites touches propres aux impressionnistes tels Monet, Seurat, etc. Dans cette écriture qui tend au « pointillisme », le rythme est souple et fluide, la mélodie également ; l’harmonie, non fonctionnelle, est posée par touches d’accords indépendants, mis côte à côte comme des couleurs ; l’orchestration est assez mélangée et frémissante (emploi fréquent, par exemple, des cordes divisées avec trémolos, refus de la dureté et des couleurs crues, effets de « lumière variable » par l’utilisation de changements subtils d’orchestration, etc.). La musique « impressionniste » serait donc plutôt harmonique et verticale (reposant sur des successions de fines touches) qu’horizontale et contrapuntique. En fait, elle échappe souvent à l’antinomie du vertical et de l’horizontal. En 1918, le célèbre libelle de Jean Cocteau le Coq et l’Arlequin, qui définissait une manière de « doctrine » pour le futur groupe des Six, s’en prit à l’impressionnisme debussyste et à son « léger brouillard neigeux taché de soleil », qu’il rapprochait, pour les renvoyer dos à dos, de la « grosse brume trouée d’éclairs de Bayreuth ». Il est vrai qu’on peut trouver des traits préimpressionnistes dans certains tableaux symphoniques des opéras de Wagner ainsi que dans diverses musiques descriptives ou narratives de toutes les époques. En effet, la musique descriptive a été souvent amenée à briser la ligne traditionnelle du discours musical pour suivre les sensations naturelles fluctuantes et les retranscrire comme mosaïques d’« impressions « : le début, par exemple,

de la Scène aux champs, de la Symphonie fantastique de Berlioz, peut être dit également prémonitoire de l’impressionnisme. Pour s’opposer à ce courant, et surtout à l’exemple de la musique de Debussy, Cocteau préconisait une écriture très franche, découpée, aux lignes nettes et dures, se passant plutôt de la « caresse des cordes », pour favoriser les cuivres et les bois à nu. Mais les oeuvres de certains compositeurs du groupe des Six, comme Poulenc, Auric, Tailleferre, ne se sont pas privées d’intégrer dans leurs oeuvres certains traits de l’écriture dite « impressionniste ». Il ne faudrait pas croire que l’impressionnisme musical est resté une exclusivité française : on l’a vu influencer largement des compositeurs étrangers, comme Stravinski (l’Oiseau de feu), Manuel de Falla (Nuit dans les jardins d’Espagne), un certain nombre de compositeurs américains de musique de film et quelques compositeurs japonais, comme Yoritsune Matsudaira dans ses débuts. Les procédés impressionnistes ont pu être repris dans certaines démarches plus récentes, aussi bien dans le pointillisme postwebernien de l’école sérielle que dans le « tachisme » de l’école polonaise (Penderecki, Serocki) ou dans les techniques de Ligeti, etc. On peut même parler d’un impressionnisme « électroacoustique » avec certaines oeuvres de François Bayle (Espaces inhabitables), de Bernard Parmegiani (Capture éphémère), d’Edgardo Canton ou de Pierre Boeswillwald. IMPROMPTU. Composition assez brève, le plus souvent pour piano, ayant parfois l’aspect d’une improvisation. Le terme - qui pourrait aussi suggérer la façon rapide, inattendue, dont, pour une telle pièce, l’inspiration serait venue au compositeur - fut, semble-t-il, utilisé pour la première fois en 1822 par Vorisek (Six Impromptus op. 7). Des huit impromptus de Schubert composés en 1827, les quatre premiers (D. 899) furent ainsi appelés par leur éditeur et les quatre derniers (D. 935) sans doute par le compositeur lui-même. Aux trois impromptus de Chopin op. 29, 36 et 51 est venue s’ajouter par le fait de l’éditeur Fontana la fantaisie-impromptu op. 66, en réalité la première composée de ces quatre oeuvres. Citons aussi les six im-

promptus pour piano (dont le dernier est une transcription d’un impromptu pour harpe) de Gabriel Fauré ainsi que l’op. 5 de Schumann (série d’impromptus, en fait des variations, sur un thème de Clara Wieck). Né avec le romantisme, le terme n’est plus guère usité actuellement. IMPROPÈRES. Translittération du latin improperia, qui signifie « reproches ». Les impropères sont, dans la liturgie de la semaine sainte, un ensemble de versets, coupés de refrains, qui rappellent les bienfaits de Dieu à son peuple. Ils furent introduits le vendredi saint dans les rites d’adoration de la Croix qui suivent la lecture de la Passion. On distingue les grands impropères, dont le refrain grec est une imploration (Agios o Theos), et les petits impropères, dont le refrain latin (Popule meus) est un reproche de Dieu pour l’ingratitude des siens. Les impropères ont parfois été mis en motet par les maîtres de chapelle du XVIe siècle, notamment Palestrina et Victoria. IMPROVISATION (de l’ital. improvviso, « imprévu »). Fait d’exécuter une musique au fur et à mesure qu’on l’invente. À notre époque, la notion d’improvisation ne semble guère s’appliquer qu’au jazz ou à certains exercices des organistes, tant notre civilisation musicale est assujettie au respect absolu de la partition écrite. Mais c’est oublier que la notation musicale perfectionnée que nous connaissons est relativement récente et limitée à la musique européenne. L’improvisation apparaît comme l’une des principales manifestations de la création musicale. L’improvisation totale d’une pièce est certainement plus rare que celle qui intervient sur des schémas préconçus. C’est le cas, par exemple, de certaines mélodies religieuses des premiers siècles du christianisme, des alleluia notamment. C’est aussi le cas des pièces de clavier construites à partir d’un thème (variations) ou d’un sujet donné (fugue, sonate, fantaisie, toccata, etc.). Bach et Mozart furent des improvisateurs célèbres, ainsi que, plus tard, Beethoven et Liszt. Le genre reste pratiqué de nos jours par les organistes qui étudient l’improvisation, et, donc, l’harmonie, la fugue et le contre-

point, puisque, même libre, l’improvisation doit répondre à un schéma formel qui se développe mentalement immédiatement avant l’exécution. Aussi cette matière a-t-elle fait l’objet de nombreux traités et s’enseigne-t-elle encore dans les conservatoires. L’improvisation se développe plus généralement sur des schémas préexistants. Ainsi, dans la polyphonie médiévale et dès le XIIIe siècle, certaines voix devaient être improvisées en contrepoint par rapport à une mélodie donnée ou à d’autres voix normalement écrites, selon des règles très strictes. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, dans la musique instrumentale, surtout celle du violon, et dans les mouvements lents, il fut de règle que l’interprète enrichisse la trame mélodique de base, seule à figurer sur la partition : agréments, variantes, ornements (Corelli, Vivaldi, Marcello, etc). Cette pratique demeura jusqu’à la fin du XVIIIe siècle dans les cadences des concertos. Ce n’est qu’à partir de Beethoven que la cadence fut désormais écrite par le compositeur. Il en alla de même dans la musique vocale à l’époque du bel canto, particulièrement dans les reprises des airs à da capo. À la même période, toujours, un domaine privilégié de l’improvisation fut la réalisation de la basse continue, chiffrée ou non. Seule la basse était donnée, les autres parties étant laissées à la libre imagination de l’exécutant (clavecin, orgue, théorbe). Ces bases générales de l’improvisation ne varient pas fondamentalement dans les expressions musicales d’autres sociétés. Ainsi, dans le jazz, l’improvisation est-elle commandée par la structure du thème traité, par la mélodie et par sa trame harmonique. Le soliste peut paraphraser le thème ; il peut aussi improviser sans contrainte mélodique sur des harmonies du thème. Certains thèmes, d’ailleurs, ne comportent qu’une séquence harmonique : par exemple, « jouer le blues » (improviser dans les limites de sa forme de douze mesures, sans autre donnée préexistante). Dans le free jazz, les musidownloadModeText.vue.download 492 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 486 ciens sont, à tout moment, responsables

individuellement et collectivement de la moindre note jouée. L’improvisation est bien l’une des principales activités de la pratique musicale. Les exemples cités ici ont montré combien l’improvisation dépendait de règles strictes, donc d’un code et d’une pensée musicale préexistants. On ne saurait pour autant négliger l’aspect aléatoire et expérimental que présente toute improvisation, les essais qu’elle permet d’accomplir. En ce sens, l’improvisation est probablement l’un des moteurs essentiels de l’évolution de la musique vers des horizons nouveaux. INBAL (Eliahu), chef d’orchestre israélien (Jérusalem 1936). Il étudie le violon et la composition au Conservatoire de Jérusalem et obtient sur la recommandation de Léonard Bernstein une bourse qui lui permet de suivre les cours de Louis Fourestier au Conservatoire de Paris (1960-1963). Pendant cette même période, il étudie aussi à Sienne auprès de Sergiu Celibidache (1961-62). Premier Prix Guido Cantelli à l’âge de vingt-six ans, il est rapidement invité à diriger de grands orchestres (Scala de Milan, Philharmonia de Londres, etc.) En 1969, il fait ses débuts au Festival de Salzbourg et dirige son premier opéra, Don Carlos, à Vérone. En 1974, il est nommé chef permanent de l’Orchestre radio-symphonique de Francfort. À la tête de cette formation jusqu’en 1990, il enregistre entre autres l’intégrale de l’oeuvre symphonique de Scriabine, Berlioz, Mahler et Bruckner. De 1985 à 1988, il est directeur musical du théâtre de La Fenice de Venise. Considéré comme l’un des grands interprètes de Mahler et de Bruckner, il a également enregistré l’intégrale des symphonies de Chostakovitch avec l’Orchestre symphonique de Vienne. INCIPIT. Troisième personne du singulier du verbe latin signifiant « commencer », jadis employée pour annoncer le titre d’une lecture ou d’une copie. On l’a conservée en français comme substantif pour désigner les premières paroles d’un texte littéraire ou les premières notes d’un texte musical. INDIENNE (MUSIQUE). Élément essentiel d’une civilisation très

ancienne, la musique était cultivée en Inde dès les temps préhistoriques, mais les ouvrages relatifs à la théorie musicale qui nous sont parvenus en sanskrit et qui se réfèrent fréquemment à des textes antérieurs, aujourd’hui perdus, ne nous renseignent qu’imparfaitement sur une expression complexe et étrangère aux spéculations mathématiques (tel le Gitälamkara, probablement antérieur au IIIe siècle av. J.-C.). HYMNES ET CHANTS DES VEDA. Entre le XVe et le Xe siècle av. J.-C., les Veda, destinés à accompagner les rites sacrificiels, comportent des hymnes et des chants liés à une somme de connaissances capable d’étonner tous les peuples de l’Antiquité, ainsi que des psalmodies, notées en accents, en chiffres et en neumes. Ils survécurent à la période bouddhique et même à la conquête musulmane sans que leur origine ait pu être précisée en dehors des références mythologiques. « Intimement associée aux relations essentielles de l’être » (Confucius), la musique indienne ne se présenta jamais comme un divertissement profane, mais comme un moyen de servir les dieux et de s’en rapprocher, en épuisant toutes les possibilités d’une émotion donnée. Dès l’époque de l’Inde védique, les chantres et maîtres des cérémonies sacrées étaient, du reste, formés au temple dans l’étude des épopées, où les hymnes et les danses rituelles se trouvaient associés à la musique. Ces traditions vocales et instrumentales ont été ensuite conservées dans les monastères et, jusqu’à une époque très récente, n’ont rien oublié des rapports qui leur étaient assignés avec les manifestations de la divinité suprême. Il ne manque pas, aujourd’hui même, de chants exprimant l’hommage du fidèle à cette divinité, parmi les thèmes relatifs aux sentiments de l’homme, aux cérémonies capitales de sa vie et à son respect des héros légendaires. Le kirtana, chant de gloire sur une légende de Krishna, qui s’est développé à l’époque de Chaitanya (1486-1533), en est l’exemple le plus typique avec le Bhajana, chant de louanges dont les pionniers paraissent être Jayadeva (XIIe s.), puis Purandara Dasa (XVIe s.), Vyasa Raja (XVIe s.), Kanaka Dasa (XVIe s.) et la princesse Mirabai (XVIe s.). Ce sont les derniers vestiges d’un temps où la musique vocale l’empor-

tait sur la musique instrumentale et d’un art, populaire ou savant, marqué par une tradition vieille de 6 000 ans. AU FIL DES TEMPS. Les premiers centres musicaux ont été, en effet, les temples et les résidences princières, mais, du Ve siècle av. J.-C. au XVe siècle de notre ère, l’histoire n’a retenu que les théoriciens, un Bhoza (1010-1055), un Mammata (1050-1150) ou un Sharngadesa (1210-1247), même si chaque temple ou chaque cour princière entretenait d’éminents artistes ou des maîtres renommés. Il semble qu’à l’origine la fonction de la musique à la cour ait été essentiellement traditionnelle : endormir ou éveiller le prince, « rythmer la cadence des heures par la succession des modes mélodiques », etc. Aussi le purohita (maître de musique) devait-il posséder une connaissance approfondie des modes et des formes qui convenaient dans les circonstances les plus variées et jusque sur le char de combat pour exciter le courage des guerriers et implorer l’aide des dieux. En dehors de la musique de soliste, voix ou instrument accompagné par un tambour, déjà célèbre par son ornementation et ses subtilités rythmiques, la principale forme d’activité fut ensuite le théâtre musical, faisant appel à des voix capables de s’adapter à toutes les exigences. Le nâtya, où le chant était inséparable de la danse, de la mimique et du décor, était présenté dans des salles prévues à cet effet et qui constituaient l’un des luxes des palais princiers pendant la période bouddhique et jusqu’aux invasions musulmanes. Si la tradition put alors se maintenir au contact d’une civilisation qui rejetait toute forme de musique, ce fut dans des régions éloignées des grands centres ou grâce à quelques souverains plus éclairés, comme Ala ud din, Shäh Jahän ou Akbar, lui-même compositeur de mélodies et qui avait à sa cour le célèbre Tänsen, dont le dernier descendant fut Wazir Khan, maître d’Allaudin Khan. Après la conquête britannique, les musiciens perdirent rapidement le patronage que les derniers Mogols leur avaient apporté, et la musique indienne, méprisée et ridiculisée, dut attendre les travaux de Raja S. M. Tagore pour sortir de l’ombre. Les théoriciens du début du siècle, Vishnu

Digambar Paluskar et Vishnu Narayana Bhatkhande, en créant des systèmes d’écriture et en fixant la forme des ragas, ont été, plus ou moins, à l’origine des collèges de musique indienne, où la grande tradition est représentée par des maîtres du dhrupad, le plus dépouillé et le plus sévère des styles de chant. Citons Nasiruddin Dagar et ses deux fils Moinuddin et Aminuddin, Faiyaz Khan, Abdul Karim Khan, Allaudin Khan (1870-1972) et son fils Ali Akbar Khan (1922), dont certains disciples, formés à Calcutta, à Berkeley ou à Los Angeles, ont déjà une carrière internationale (Sharan Rani ou Nikil Banerjee). LES CARACTÉRISTIQUES DE LA MUSIQUE INDIENNE. Le rythme est l’élément le plus important de la musique indienne, et les recherches dans ce sens sont d’un très grand raffinement au-delà des talas, structures comportant un nombre fixe de schémas métriques, ou unités de temps (matras), qui vont de 3 à 108. Sur une période rythmique parfois très longue (12, 16, 17, 19, 21 et exceptionnellement 37 temps) et dans laquelle alternent temps faibles, temps forts et temps silencieux, les exécutants peuvent se livrer à des variations d’une extrême complexité, qui attestent une virtuosité difficile à concevoir pour des oreilles occidentales. On compte endownloadModeText.vue.download 493 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 487 viron 360 talas, dont 30 seulement sont actuellement utilisés, sur 6, 7, 10, 12, 14 et 16 matras. Ajoutons que la notation rythmique, très ancienne et très précise, distingue les façons de frapper l’instrument de percussion avec un, deux ou trois doigts, le plat de la main sur le rebord ou le centre, les doigts pliés ou à plat, la main gauche ou la main droite, etc. À ce schéma rythmique correspond un canevas mélodique fondé sur les 72 possibilités de diviser l’octave, qui comporte 7 notes (svaras) et 22 intervalles inégaux (shrutis). C’est le raga, ou mode musical, possédant une échelle ascendante (arohana) et une échelle descendante (avarohana, qui ne coïncide pas avec la première) qui lui sont propres et dont les combinai-

sons sont théoriquement considérables : 16 000, affirmaient certains textes sanskrits ; près de 65 000, dit-on aujourd’hui, sans que le nombre qu’on peut entendre dépasse, en fait, 300. Chaque raga, par son caractère et son ornementation, représente un état d’âme associé, en particulier au moment d’une saison ou d’une lunaison, à une heure précise du jour ou de la nuit ou à un endroit déterminé. Il comporte une tonique fixe et, dans sa gamme, aux intervalles précis, un ou deux degrés dominants, notes-pivots habituellement différentes de la tonique et toujours accentuées, sur lesquelles les dessins mélodiques s’achèvent. Ces caractéristiques sont exposées dès le début de l’exécution dans une sorte de prélude lent (alep), que présentent l’instrument soliste (sitar, sarod ou sarangi) et le tampura, qui ne s’évade jamais de la tonique. Quand le canevas mélodique est ainsi fixé dans la mémoire du musicien et du public, l’improvisation (jor) s’en empare dans un mouvement modéré, où l’imagination et l’instinct musical de l’instrumentiste se donnent libre cours au fil des variations et des ornementations les plus audacieuses (les traités anciens distinguent 15 catégories d’ornements simples des notes, 15 autres d’ornements du groupe et des centaines d’ornements de la mélodie, les tanas, ou « figures mélodiques »). Ce mouvement s’exalte alors dans une accélération progressive, favorable à la virtuosité technique (jhala), et s’enchaîne sur la seconde partie (gat), où les percussions interviennent en fonction du schéma métrique choisi. La mélodie principale est alors rythmée lentement, puis selon un mouvement de plus en plus vif, avec de nouvelles broderies et de nouveaux accents qui procèdent toujours des premiers battements du tala (sum). Une joute imprévisible s’engage entre le tabla et le soliste sur la cellule rythmique de base et les différentes figures complémentaires qui s’y sont ajoutées au fur et à mesure de l’improvisation, qui peuvent devenir de plus en plus complexes. Tout se conclut sur le premier battement du tala, et c’est un nouveau jhala qui termine l’ensemble dans un climat de frénésie entretenu par la virtuosité brillante du percussionniste. Les improvisations, qui peuvent se prolonger des heures durant, tiennent l’auditoire sous leur charme et

prétendent libérer l’esprit par la puissance envoûtante de l’atmosphère d’hypnose qu’elles créent à partir de quelques notes et d’un rythme subtil. Elles sont toujours, à cet égard, tributaires de la règle qui lie le raga à l’état d’âme qu’il est censé exprimer, règle qu’il ne faut transgresser en aucun cas. Précisons, à ce sujet, que le mot raga a été introduit au Xe siècle par un théoricien, Matanga, pour désigner les modifications de nature émotionnelle apportées au système classique de Bharata, qui datait du commencement de notre ère et qui reposait sur 2 gammes (primaire et complémentaire) et 18 modes (jâtis). Le raga ne devait pourtant trouver sa consécration qu’à l’époque des dernières cours mogoles, deux siècles avant l’abolition des systèmes ayant cours jusqu’alors. Il n’en subsiste que deux aujourd’hui : celui du Nord (Hindoustan), qui mêle l’ancienne tradition autochtone, attribuée à Shiva, à la tradition implantée à l’âge védique et lors des invasions aryennes ; celui du Sud, de tradition dravidienne (Tamul, Kanada, Telugu, Malayalam), plus rebelle à la culture islamique et qui prit sa forme définitive au XVIIe siècle grâce à Venkatamakhi. C’est le système karnatique, où les 18 jâtis de Bharata font place à 72 melakartas, utilisés notamment par la suite dans les kirtanam de Tyâgaraja (1767-1847) et les hymnes de Kotishvara Iyar (mort en 1938). LA MUSIQUE VOCALE. C’est la base de tout le système musical de l’Inde. La voix en est l’instrument fondamental, et ses possibilités sont fonction d’une émission très contrôlée, capable de réaliser les innombrables nuances émotionnelles dont elle dispose. Parfois indifférente au texte qu’elle exprime, elle utilise des syllabes conventionnelles dépourvues de sens, mais qui lui permettent de s’épanouir et de gagner l’auditoire par le seul privilège du timbre et des vocalises. Il existe différents styles de chant : dans l’Inde du Nord, le dhrupad, strict et sévère, toujours précédé d’un alep, le dhamar, au rythme plus franc, le tarana, vif et léger, le javalis et le thumri, également aimables et légers, le tappa, qui joue de délicats ornements, le khyal, remarquable par ses vocalises très larges, qu’affectionnait la cour des empereurs de Delhi (XIIIeXVIIe s.), et le talent de certains compositeurs, comme Padharana ; dans le Sud,

le kriti, chant religieux classique consacré par de grands musiciens des XVIIIe et XIXe siècles, dont les principaux sont Tyagaraja (1767-1847), Muthuswami Dikshitar (1775-1835) et Syama Sastri (17621827), le swarajatis, le tillana et le javalis, plus délicats et plus légers. La musique karnatique a également compté, au cours du siècle dernier, un certain nombre de compositeurs renommés : Subbaraya Sastri (1803-1862), fils de Syama, Pattanam Subrahmanya Ayyar (1845-1902), Manambuchavadi Venkatasubbayyar (1844-1893), Vaidyanatha Ayyar, célèbre par son « ragamalika » construit sur les 72 ragas Malakarta, Gopalakrishna Bharati (mort en 1881), auteur de Nandanar (opéra tamil), Harikesanallur Nuthayya Bhagavatar (1877-1948), Mangudi Chidambara Bhagavatar (18801938) et Papanasam Sivan, récemment promu « Sangita Kalanidhi » de l’Académie musicale de Madras. LA MUSIQUE INSTRUMENTALE. La musique savante et la musique populaire utilisent les mêmes instruments. Les classifications traditionnelles se retrouvent entre les cordes, les vents et les percussions. Dans le premier groupe, on distingue : la vina, à 7 cordes, peut-être le plus populaire et le plus ancien instrument à cordes, fait d’un bambou auquel sont attachés deux résonateurs sphériques (courges séchées) et dont la sonorité est confidentielle - la vina du Sud n’a qu’un résonateur en bois et un autre, plus petit, fait d’une courge ; le sitar, sorte de luth à long manche pourvu d’une boîte de résonance de forme hémisphérique et qui comporte 7 cordes qu’on pince avec un plectre et 13 cordes sympathiques ; le sarod, autre sorte de luth en bois de teck à 25 cordes, dont 4 mélodiques et 2 pour le rythme, qui se joue également avec un plectre et qui est le plus sonore des instruments à cordes ; le sarangi, principal instrument à archet, fait d’une caisse rectangulaire à manche court comportant de nombreuses cordes de résonance en boyau et communément employé pour l’accompagnement du chant classique ; l’esraj, également à archet, qui comporte un très petit résonateur, comme l’amrita, long bâton traversant une noix de coco ; le sura-sringara, à 8 cordes, joué avec un plectre et comportant une caisse allongée formée d’un double résonateur

hémisphérique ; l’eka-tantri, cylindre creux fixé à un bambou, à corde unique ; l’ekatara, petit luth à 2 cordes pour accompagner le chant, de même que le do-tara, au long manche, réservé à l’accompagnement des bauls. On citera également : la gottuvâdyam, large vina avec touches qui se joue en faisant glisser un morceau de bois poli sur les cordes ; la harpe arrondie, principal instrument à cordes jusqu’au VIe siècle, où il fit place au luth ; la svara mandala, harpe horizontale qui comporte une caisse de résonance pourvue de nombreuses cordes métalliques, qui se joue avec les doigts et downloadModeText.vue.download 494 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 488 que l’on peut considérer comme l’ancêtre du clavecin et du cymbalum tzigane ; enfin le tampura, luth à 4 cordes pincées à vide pour scander le chant ou la mélodie jouée par un autre instrument, en donnant toujours la tonique. C’est de ce retour régulier à la tonique qu’on escompte la naissance de l’état hypnotique. Les instruments à vent sont représentés par : le sahnaï, sorte de hautbois à anche longue, identique aux instruments trouvés dans les fouilles et datant de deux siècles av. J.-C. ; le nagasvaram, plus gros que le sahnaï et au son plus puissant ; le murali, flûte traversière en bambou à 6 trous ; le bansuri, également en bambou, à 8 trous avec embouchure ; la vamsha, flûte droite sans embouchure, dans laquelle on souffle sur le bord du bambou ; le pungi, flûte double, réservée aujourd’hui aux charmeurs de serpents ; la shankha, conque marine utilisée dans le rituel des temples, comme la shringa, faite d’une corne de vache, et la turya, trompette également utilisée en temps de guerre. Parmi les innombrables percussions, le tabla est le plus indispensable à toute manifestation musicale en Inde ; il se compose de deux tambours couverts de peau, sur lesquels sont tendues des lanières de cuir maintenant des éléments de bois cylindriques : le banya, joué de la main gauche, et le dayan, joué de la main droite. Le khurdak, à 2 timbales arrondies, sert uniquement à accompagner le sahnaï. Les différents tambours - mridanga, maddalam, pakhavaj, dhol ou dholak (à 2 faces),

khol (double cône), douggi (petite timbale) ou khanjari (timbale avec cymbales métalliques) - sont plus fréquemment réservés à la musique populaire, de même que le damaru (en forme de sablier), le tali et le jhalra (petites cymbales). Ajoutons le nagara et le bheri, utilisés dans les temples ou en temps de guerre, le tala (gong), le chanta (cloche) et le ghatam (cruche de terre frappée avec les doigts). Différents instruments occidentaux se sont peu à peu ajoutés à ces timbres traditionnels, notamment le violon, introduit au siècle dernier par Varahapaya, ministre à Tanjavoor, mais qui n’est ni accordé ni joué de la même façon qu’en Occident - le musicien, accroupi, le tient entre le talon et la poitrine. TRADITION ET PROGRÈS. Bien que la conception occidentale de la musique soit fort étrangère à la sensibilité indienne, il existe, un peu partout en Inde, des organismes ou des écoles où l’on peut apprendre l’harmonie, le contrepoint et les différents instruments pratiqués en Europe et en Amérique. L’école de musique de Calcutta, fondée par Philippe Sandré, est l’une des plus anciennes, et l’enseignement qu’elle dispense est celui des académies anglaises, en particulier Trinity College de Londres. Orchestres symphoniques (celui de New Delhi est l’un des premiers à avoir présenté les grands classiques de la musique européenne) et petites formations se sont plus récemment constitués parallèlement aux départements musicaux des universités, où se maintiennent les traditions de la musique indienne. Les interférences, de plus en plus nombreuses, entre les deux expressions, sont surtout limitées à la musique de film (Vanraj Bhatia, de Bombay, est l’un des grands spécialistes) et à la musique de genre, où vinas et tampuras se trouvent unis à certains instruments occidentaux. Dans un domaine plus ambitieux, le compositeur anglo-indien John Mayer (1929) a tenté d’intégrer le raga et le sitar à l’orchestre ou aux ensembles de chambre (Raga Jaijavanti, Shanta Quintet), tandis qu’en Europe Olivier Messiaen (dans la plupart de ses oeuvres et spécialement la Turangalila Symphonie) et Jacques Charpentier (Études karnatiques) s’inspirent de la richesse rythmique caractéristique de la musique indienne.

INDIA (Sigismondo d’), compositeur italien (Palerme 1582 - Modène ? 1629). Il est né de famille noble sicilienne. On sait peu de chose sur les premières années de sa vie, sinon qu’en 1608, il se trouvait à Florence et y fréquentait le milieu de la Camerata, où il rencontra Giulio Caccini et la chanteuse Vittoria Achilei, qui interprétèrent ses oeuvres. Chanteur lui-même, India publia en 1609, à Milan, le premier des cinq livres de Musiche à voix seule ou à deux voix avec basse continue. Nommé « maestro della musica di camera » à la cour de Charles-Emmanuel Ier à Turin (1611), il devait occuper ce poste jusqu’en 1623. La bibliothèque de cette ville conserve une musique incomplète pour la pastorale Zalizura. L’année suivante, India partit pour Rome, partageant son temps entre la Ville éternelle et Modène. Bien qu’auteur de musique religieuse parmi laquelle un livre de motets à 4 voix (Venise, 1627) -, Sigismondo d’India est surtout un compositeur d’arias mesurées et de monodies particulièrement expressives et accompagnées (nel Chitarrone, Clavicembalo, Arpa doppia...). Toutes oeuvres qui, selon d’aucuns, égaleraient l’art de Monteverdi dans ce domaine ; Cruda Amarilli (texte de Guarini) compte parmi les plus connues. India a également composé des madrigaux à 5 voix - parus en huit livres entre 1606 et 1624 -, des ballets et des musiques de scène. INDY (comte Paul-Marie-Théodore VINCENT d’), compositeur français (Paris 1851 - id. 1931). Issu d’une famille originaire du Vivarais et fort attachée aux traditions, le jeune Vincent est d’abord formé par sa grandmère, musicienne exigeante et distinguée, avant d’être confié, à onze ans, à Diemer et à Marmontel. Le piano et le solfège ne l’empêchent pas de se tourner vers la littérature, dont il découvre peu à peu tous les classiques. En 1863, Lavignac lui enseigne l’harmonie. En 1864, c’est son premier contact avec les Cévennes, qui lui feront une telle impression qu’il ira, sa vie durant, chercher au moins une fois l’an le souvenir de cette émotion. En 1867, d’Indy aborde l’orchestration. Après le baccalauréat, il voyage en Italie, puis en Allemagne (1870). Dès 1871, il participe avec Franck, Duparc et Bussine à la fon-

dation de la Société nationale de musique, la fameuse S. N. M., tout en s’adonnant activement à la composition (ainsi voient le jour des Romances, la Symphonie italienne) et tout en commençant à diriger en province, à suivre la classe d’orgue du Conservatoire et les cours de fugue professés par Franck. À partir de 1873 - il a tout juste vingtdeux ans -, il produit beaucoup et dans tous les domaines, chantant tout à tour l’Allemagne (Wallenstein, 1873), la Hongrie (Jean Hunyade, 1874-75), l’Antiquité (Antoine et Cléopâtre, 1876). De cette époque féconde datent la Chevauchée du Cid (1876-1879), l’opéra-comique Attendez-moi sous l’orme (création, Paris, 1882) ainsi que la Forêt enchantée (1878), inspirée de Uhland. Dès 1884, d’Indy accorde une grande attention à l’art populaire et se met à constituer un « herbier » de chansons vivaraises, qu’il utilisera notamment dans sa célèbre Symphonie cévenole (1886), dans Jour d’été à la montagne et dans de nombreuses mélodies, transcrites ultérieurement pour chant et piano ou choeurs a capella. En 1890, il devient président de la S. N. M., puis membre d’une commission pour la réforme du Conservatoire. Quatre ans plus tard, les bases de la Schola cantorum sont jetées, et, à partir de 1896, d’Indy y professe généreusement, sans que cela crée une entrave à ses activités parallèles d’inspecteur de l’Enseignement musical de la Ville de Paris ou de compositeur. Travailleur infatigable, il se dépense en effet sans compter, guidant de nombreux disciples, multipliant dans tous les genres des oeuvres de haute valeur : l’opéra Fervaal (1889-1893, créé à Bruxelles en 1897), le Second Quatuor à cordes (1897) et la Deuxième Symphonie (1902), l’Étranger (18981901, créé à Bruxelles en 1903), la Sonate pour violon et piano (1903-1904), Jour d’été à la montagne (1905), etc. Par ailleurs, ces activités multiples ne l’empêchent ni d’écrire des ouvrages didactiques (Cours de composition musicale, 1903-1909, 1933, 1950), ni de faire entendre certaines grandes oeuvres du passé, qu’il ressuscite (l’Orfeo de Monteverdi, par exemple), ni de porter un regard downloadModeText.vue.download 495 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE

489 pénétrant sur certains compositeurs qu’il aime : en témoignent ses livres sur Franck (1906), Beethoven (1911) ou Wagner (1930). Après 1914, sa carrière de musicien s’oriente surtout vers la musique de chambre, à laquelle il apporte la concision et la poésie de l’âge mûr (Quintette, 1924, et Sonate pour violoncelle et piano, 1924-25 ; Suite pour flûte, trio à cordes et harpe, 1927 ; Sextuor, 1927 ; Quatuor no 3 et Trio, 1928-29 ; Fantaisie sur un vieil air de ronde française pour piano, 1930). On a souvent médit de l’art de d’Indy, s’en prenant à son admiration pour Franck et Wagner, à son catholicisme intransigeant, parfois même à ses idées politiques ou à sa particule. En fait, même si l’écriture est stricte et la langue parfois complexe (héritage du leitmotiv), l’orchestration est souvent rutilante (Istar) et la pensée toujours très noble (l’Étranger, Fervaal, Wallenstein). Certes, l’inspiration est essentiellement germanique, et les maîtres de d’Indy s’appellent Bach, Beethoven, Schumann et plus encore Wagner et Franck. Mais d’Indy regarde aussi vers les vieux maîtres français (Rameau, Destouches, qu’il réédite) ou italiens (recréant l’Orfeo). Il occupe ainsi une place à part, et assez paradoxale, dans l’histoire de la musique française - à la fois par sa production, qui se situe en dehors du grand renouveau apporté par Fauré, Debussy, Ravel, à qui il voue amitié ou admiration, par son action de chef d’orchestre, qui lui fait ressusciter maints chefs-d’oeuvre du passé, et par son enseignement, puisque, au Conservatoire ou à la Schola cantorum, il formera des élèves de tempéraments aussi divers que Séverac, Roussel, Satie, Le Flem, Honegger, Auric, etc. INGEGNERI (Marco Antonio), compositeur italien (Vérone v. 1547 - Crémone 1592). Il fut sans doute l’élève de Vincenzo Ruffo à Vérone avant de se rendre à Parme, où il reçut les conseils de Cipriano de Rore il divino, l’un des maîtres de l’écriture chromatique. Vers 1568, il s’installa à Crémone, où il devint maître de chapelle à la cathédrale (1581). Dans cette ville, Monteverdi fut l’un de ses élèves, ainsi que Nicolao

Sfondrato, le futur pape Grégoire XIV. Ingegneri dirigea également la chapelle de Saint-Ambroise à Gênes (1584-85). Musicien raffiné, il a laissé de la musique religieuse, notamment un recueil de 27 répons de la semaine sainte (4 voix a cappella), attribués à tort à Palestrina, quatre volumes de Sacrae cantiones, publiés chez Gardano à Venise (1576, 1586, 1589, 1591), ainsi que deux livres de Messes chez Amadino (1573, 1587). Deux livres de madrigaux à 4 voix, cinq à 5 voix (le premier est perdu) et un seul à 6 voix témoignent de la qualité de sa contribution à la musique vocale profane de son temps. Ingegneri sut parfaitement exploiter le chromatisme, très prisé à l’époque, mais il le fit en général avec discrétion et bon goût. INGHELBRECHT (Désiré-Émile), chef d’orchestre et compositeur français (Paris 1880 - id. 1965). Fils d’un altiste de l’Opéra, il fit ses études au Conservatoire de Paris. À l’âge de seize ans, il entra dans l’orchestre des concerts de l’Opéra comme second violon, ayant étudié cet instrument auprès de son père. Entre 1903 et 1908, il composa ses premières mélodies et oeuvres instrumentales, et prit la baguette au Concert national pour y diriger ses propres partitions (Marine, la Serre aux nénuphars, Automne). En 1908, Robert d’Humières l’engagea comme directeur musical du Théâtre des Arts, où il devait créer la Tragédie de Salomé de Florent Schmitt. En 1911, il participa comme chef de choeur à la création du Martyre de saint Sébastien de Debussy au Châtelet et, en 1913, il assura la direction de la première saison musicale du Théâtre des Champs-Élysées, où il dirigea Benvenuto Cellini, le Freischütz et Boris Godounov. Entre-temps, il avait fondé en 1912 l’Association chorale de Paris, dont il dirigea les premiers concerts (1914). Il fut mobilisé durant la Première Guerre mondiale, puis on le retrouve en 1919 à la tête des Concerts Ignace-Pleyel, qui s’imposaient de ressusciter des oeuvres instrumentales des XVIIe et XVIIIe siècles. Entre 1920 et 1923, Inghelbrecht dirigea en tournée l’orchestre des Ballets suédois. C’est à partir de cette époque qu’il commença à composer des ballets (El Greco, 1920 ; le Diable dans le beffroi, d’après E. Poe, 1921 ; Jeu de couleurs, 1933), qui furent généralement créés par son épouse,

la danseuse Carina Ari. Inghelbrecht fut successivement directeur de la musique à l’Opéra-Comique (1924-25), chef de l’orchestre Pasdeloup (1928-1932) et directeur de l’Opéra d’Alger (1929-30). En 1934, il fonda l’Orchestre national de la Radiodiffusion française, à la tête duquel il devait rester pendant quinze ans, faisant connaître, par le truchement des ondes, les grandes oeuvres symphoniques et lyriques. On lui doit la première exécution en France de la version originale de Boris Godounov (1935). Inghelbrecht a laissé plusieurs ouvrages de souvenirs et de commentaires sur son art : Comment on ne doit pas interpréter Faust, Carmen, Pelléas (1933), Mouvement contraire (1947), le Chef d’orchestre et son équipe (1950), Le chef d’orchestre parle au public (1957). IN NOMINE. Catégorie spéciale de ricercar anglais (fantasy, fancy, etc.), qui fut en faveur en Grande-Bretagne dans la seconde moitié du XVIe siècle et jusqu’à Purcell inclus, caractérisée par une plus grande unité que dans le ricercar à sections et par la présence d’une cellule mélodique stéréotypée, correspondant aux mots in nomine Domini dans le Benedictus de la messe Gloria tibi Domine de John Taverner († 1545). INSTITUT DE RECHERCHE ET DE COORDINATION ACOUSTIQUE/MUSIQUE (I. R. C. A. M.). Organisme de recherche, de création et de diffusion musicales dirigé par Pierre Boulez et créé en 1975 dans le cadre du Centre Georges-Pompidou à Paris. Il est certainement le premier dans le monde pour l’importance des moyens matériels et financiers dont il dispose. Pardelà une activité intense de concerts et de diffusion du répertoire contemporain, par l’intermédiaire d’un orchestre associé à l’I. R. C. A. M., l’Ensemble intercontemporain (E. I. C.), sa vocation reste celle d’un laboratoire de recherches, où collaborent techniciens, chercheurs, musiciens (et, en principe, hommes de science) « pour résoudre par un travail d’équipe les problèmes de la création musicale qui ne se prêtent plus à des solutions individuelles ». Ce vaste programme comprend,

entre autres, des recherches sur la création de nouveaux sons, avec les instruments et les voix, mais aussi et surtout avec l’ordinateur, sur l’acoustique musicale, sur des nouvelles formules de composition, en associant des disciplines telles que la psychoacoustique, « l’informatique, la neurophysiologie, la linguistique et la sociologie ». En cela, l’I. R. C. A. M. s’est donné les mêmes objectifs que de nombreux centres existant en France et à l’étranger, ce qui le distingue toutefois étant l’étendue de ses moyens et son autonomie de principe par rapport à des impératifs de production ou de rentabilité. Il s’est affirmé aussi comme international, aussi bien dans son équipe que dans les contacts qu’il a noués avec des centres éloignés, aux États-Unis notamment (Stanford, M. I. T., U. C. L. A.). Depuis sa création, l’I. R. C. A. M. a connu des remaniements profonds, sous l’autorité de Pierre Boulez. En 1975, il comportait, autour d’une équipe de liaison, de contacts et de programmes (Snowman, Marger), cinq départements complémentaires, confiés à des musiciens ou à des chercheurs réputés : Instruments et voix (Vinko Globokar), Électroacoustique (Luciano Berio), Ordinateur (Jean-Claude Risset), Pédagogie (Michel Decoust) et Diagonal de coordination, héritant également des difficiles problèmes de la perception musicale (Gerald Bennett). Puis, des dissentiments entraînèrent les départs successifs et indépendants de tous les responsables de département. En 1980, Pierre Boulez donna à l’I. R. C. A. M. une nouvelle structure, inspirée par un downloadModeText.vue.download 496 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 490 souci de décloisonnement (suppression des départements), de rajeunissement des équipes et d’ouverture des programmes. Il n’y a donc plus de compositeurs attachés en permanence à l’I. R. C. A. M., mais une équipe technique et une structure souple d’accueil, avec des « tuteurs » pour guider les musiciens dans leurs projets de création (autour du responsable David Wessel, les spécialistes Stanley Haynes, Yves Potard, Andrew Gerszo). Tod Machover anime la recherche musicale, et Jean Kott les recherches informatiques. En 1980, l’I. R. C. A. M. fut la cible de critiques et

d’interrogations, dont l’importance tenait, notamment, à sa place dans le paysage musical français (son budget représente environ vingt fois le montant de toutes les subventions consenties en France aux autres centres de recherche). On lui reprocha de masquer, derrière une politique de diffusion du patrimoine contemporain « classique » (école de Vienne, Stravinski, etc.), dans des concerts reconnus d’ailleurs d’excellente qualité, un « vide total de projet » (Jean-Claude Eloy), l’ignorance par rapport aux recherches parallèles ou antérieures, l’absence de véritable découverte, aboutissant à une « impasse pesante pour tout le monde musical » (Iannis Xenakis). Les résultats jusqu’ici les plus visibles des recherches entreprises à l’I. R. C. A. M. semblent se situer dans le domaine très circonscrit de la création de nouveaux sons par ordinateur, où cet organisme a su utiliser la compétence de pionniers tels que Mathews, Risset, Chowning et d’un inventeur comme Giuseppe Di Giugno, qui a conçu un synthétiseur numérique en temps réel aux nombreuses possibilités, la machine « 4 X ». L’I. R. C. A. M. a suscité la réalisation d’un certain nombre d’oeuvres nouvelles, explorant notamment le domaine de la synthèse informatique (ou « numérique »), et présenté, outre ses concerts de type classique, des cycles de conférences et de débats, nommés ateliers. Il a publié plusieurs rapports de recherche, des cassettes pédagogiques et un recueil d’articles, la Musique en projet (1974). En 1992, Boulez a eu comme successeur à la direction de l’I. R. C. A. M. Laurent Bayle. Le directeur artistique est depuis cette date Risto Nieminen. Depuis 1992, l’I. R. C. A. M. publie des livres-brochures sur des compositeurs (Jarrell, Lindberg...) ainsi que, deux fois par an, la revue Résonance, plus « grand public » que la revue In Harmoniques, lancée en décembre 1986 et qui continue sous une nouvelle formule depuis mai 1990. L’I. R. C. A. M. se veut plus que jamais un institut de recherche, de création et de pégagogie renforçant les liens entre chercheurs et compositeurs. INSTRUMENTATION. Opération qui consiste à attribuer à un instrument déterminé l’exécution d’une phrase musicale. La notion même d’instrumentation (qu’il ne faut pas confondre avec orchestration) peut paraître périmée en ce sens

que, depuis deux siècles, les compositeurs conçoivent et écrivent directement en fonction de l’instrument. Il en allait tout autrement jusqu’au temps de J.-S. Bach. François Couperin, dans ses Concerts royaux, par exemple, considère comme interchangeables les instruments de tessitures voisines et abandonne leur choix aux interprètes. La flûte traversière peut fort bien se charger d’une partie de hautbois, voire de violon, pourvu que celle-ci ne comporte pas de doubles cordes et ne descende pas au-dessous du ré. Au besoin, les traits incompatibles peuvent être adaptés et l’oeuvre entière transposée dans un autre ton. Cela fait partie de l’art d’instrumenter, brillamment pratiqué par Serge Prokofiev quand il transforma en sonate pour violon et piano son opus 94, initialement composé pour la flûte. INTERLIGNE. Espace compris entre deux lignes consécutives de la portée. Chaque portée comporte donc quatre interlignes. INTERLUDE (étymol. « entre-jeu »). Dans un ouvrage lyrique ou un ballet, pièce symphonique destinée à enchaîner deux tableaux de manière à laisser aux machinistes le temps de changer le décor et assurant une transition musicale entre une scène et la scène suivante. L’exemple le plus caractéristique est fourni par les interludes de Pelléas et Mélisande, que Claude Debussy composa au cours des répétitions, à la demande du metteur en scène Albert Carré. INTERMÈDE. Forme théâtrale qui remonte à l’époque médiévale (mystères, drames liturgiques). À la Renaissance, l’intermède, exécuté entre les actes d’une tragédie, d’une comédie, d’une pastorale, etc., comporte des danses et des pièces vocales. En Italie, l’arrivée de la monodie accompagnée, mêlée à des choeurs et à des danses instrumentales, contribua à donner aux intermèdes une place de plus en plus importante dans les spectacles de la Renaissance, créés à l’occasion des cérémonies de cour. Le genre pénétra en France, sous l’influence italienne, au cours de la seconde moi-

tié du XVIe siècle. Il continua sa carrière au siècle suivant, placé entre les actes d’une tragédie, d’une pastorale ou pour agrémenter une pièce à machines. Parfois, la forme s’inspirait directement de la commedia dell’arte, comme les comédies-ballets de Molière que Lully mit en musique. Au XVIIIe siècle, Rameau appela « intermèdes » les parties musicales de la comédie de Voltaire la Princesse de Navarre, représentée à l’occasion des fêtes de la cour (1745). Quelques années plus tard, Rousseau ajouta ce terme comme soustitre à son Devin du village (1753). Depuis lors, l’intermède, ou intermezzo, désigne tout épisode qui sert de lien entre les actes d’une pièce ou d’un opéra. À titre d’exemple, on peut citer l’Intermezzo de Manon Lescaut (Puccini) ou celui de Fennimore and Gerda (F. Delius). INTERMEZZO. Dans l’évolution des genres lyriques, l’intermezzo a assumé des fonctions diverses : spectacle complet au XVIe siècle, mêlé de chant, de danse, de divertissement instrumental, il désigna au XVIIe siècle plus particulièrement l’intermède lyrique (pastorale, favola in musica, etc.) inséré dans les fêtes données dans les palais italiens. Puis, dès l’ouverture de théâtres publics et payants (1637), il fut de mise de distraire le public durant les entractes (que les changements de décors rendaient assez longs) par des intermezzos, d’abord chorégraphiques, puis lyriques. Lorsque, au XVIIIe siècle, l’opéra eut nettement séparé les éléments tragiques des éléments comiques, les deux entractes de l’opera seria furent généralement remplis par deux intermezzos bouffes, constituant ainsi les deux actes d’une oeuvre comique, joués devant le rideau et nécessairement réduits à la plus grande simplicité, limités à deux ou trois personnages. Le compositeur de l’operia seria représenté écrivant lui-même la musique de cet intermezzo, le genre bénéficia de l’apport de musiciens tels que Scarlatti, Leo, Feo ou Pergolèse, dont La Serva padrona (1733) passa pour le modèle du genre, et rivalisa ainsi victorieusement avec le véritable opera buffa, plus populaire et d’un galbe musical souvent très sommaire. C’est la fusion de deux genres, vers 1760, qui donna naissance au grand opera buffa et à ses dérivés plus ambitieux, tels que le dramma gio-

coso, l’opera semiseria, etc. Aux XIXe et XXe siècles, le même terme d’intermezzo désigna un interlude orchestral séparant les actes ou les tableaux d’un opéra et aussi certaines pages instrumentales isolées (opus 4 de Schumann, diverses pièces des opus 116-119 de Brahms) ou faisant partie d’oeuvres plus vastes (intermezzos du quatuor avec piano op. 25 et de la sonate op. 5 de Brahms ou de la sonate op. 11 de Schumann). INTERPRÉTATION. Dans un sens large, l’interprétation d’une oeuvre écrite désigne non seulement l’exécution de la partition, c’est-à-dire la réalidownloadModeText.vue.download 497 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 491 sation sonore fidèle des signes notés, mais aussi l’expression, le sentiment, la vie, les significations dont le ou les interprètes revêtent cette exécution, par une série d’actes et de décisions, qui, en principe, n’ont pas été déterminés par le compositeur. À partir de cette définition commune, les conceptions s’opposent, parfois, entre ceux qui considèrent l’interprétation comme une création individuelle qui se surajoute à l’oeuvre et ceux qui veulent qu’elle soit l’actualisation, le déploiement des intentions « cachées » ou implicites du compositeur. Dans la musique occidentale du XVIIe siècle à nos jours, où les hauteurs et les structures de durées sont généralement notées de manière précise et exhaustive, la marge de jeu et de décision laissée à l’interprète, à partir du texte écrit du compositeur, reste considérable et concerne notamment le choix des tempos, du phrasé, de l’articulation (même si l’auteur les précise sommairement), la sonorité, la réalisation des nuances, la conduite des voix parallèles, la « construction » du discours, composantes auxquelles il faut ajouter des impondérables multiples et dont la somme « fait » l’interprétation. L’oreille humaine est d’une extrême sensibilité à de minimes différences de toucher, de nuances, d’émission du son, d’expression, etc., qui peuvent faire toute la différence entre une exécution « honnête » et une interprétation géniale. Dans la musique ancienne

(y compris la musique dite « baroque »), la partition était généralement moins précise et impérative, et l’interprète possédait des « libertés » apparemment supplémentaires, concernant l’ornementation, le détail des lignes mélodiques, l’instrumentation et souvent même la liberté d’improviser (cadences, basses continues) à partir du canevas donné par le compositeur. Cette tradition essentiellement orale s’étant perdue et n’ayant été retrouvée que récemment à partir de textes, on peut dire que les problèmes de l’interprétation de la musique ancienne intègrent de nombreux problèmes d’exécution, sur lesquels l’unanimité n’est pas faite. INTERPRÉTATION, EXÉCUTION ET NOTATION. Notre musique est fondée, depuis plusieurs siècles, sur le principe de l’oeuvre écrite fixée sur une partition, laquelle constitue un texte que l’interprète doit « lire », mais aussi faire parler. C’est au traité d’interprétation de Johann Joachim Quantz (1752) que l’on doit une des meilleures définitions de cette notion, alors que le mot ne possédait pas encore son sens actuel : « L’expression musicale peut être comparée à celle d’un orateur. » Il faut non seulement transmettre un contenu écrit, mais « s’emparer des coeurs ». Pour cela, il faut que l’orateur ait « la voix forte, claire et nette, la prononciation distincte, qu’il sache varier son discours », soutenir l’intérêt et la curiosité. Le même auteur pose aussi très clairement la différence entre le niveau purement technique de l’exécution et l’interprétation proprement dite : « Je ne veux pas instruire le joueur de flûte seulement par rapport à ce qu’il y a de mécanique dans cet instrument, mais [... ] j’ai travaillé aussi pour le rendre un musicien entendu et habile. » Ainsi l’interprétation consiste-t-elle dans l’art de la parole musicale, complémentaire de l’art de la langue musicale pratiqué par le compositeur. La distinction langue/parole, introduite par Ferdinand de Saussure dans les recherches linguistiques, peut, en effet, être transposée dans la musique : la langue est le système du discours, « social dans son essence et indépendant de l’individu « ; la parole (comparée précisément par Saussure à une exécution musicale) est l’incarnation de ce discours, comme « partie individuelle » du langage. Cette répartition des tâches et des capacités entre les compositeurs, d’une part, et

les exécutants-interprètes, d’autre part, n’a pas de sens dans des musiques dites « orales », comme le jazz ou les musiques indiennes ou africaines traditionnelles, dans lesquelles le musicien ne s’appuie pas sur une partition préécrite, mais invente son discours en même temps qu’il le parle. Dans l’impression que reçoit alors l’auditeur, dans le jugement qu’il peut porter, on ne peut dissocier la part de l’interprétation de celle de l’exécution ou de celle de l’invention. Au contraire, dans notre système occidental actuel, l’interprétation est un mystérieux « en plus » apporté par l’interprète, auquel parfois on trouve à reprocher de n’être qu’un exécutant. Encore pose-t-on comme préalable, nécessaire mais non suffisant, que l’exécution de la partition soit correcte et fidèle. Bien que le respect de la partition n’ait jamais été aussi grand qu’aujourd’hui chez les interprètes, on trouve encore à leur reprocher parfois des fautes d’exécution : notes « à côté », fautes de mesure, nuances non observées, etc. La tolérance à ces écarts semble diminuer avec la surenchère de technicité créée par la culture discographique et radiophonique. On considère donc généralement que la fonction de l’interprétation est d’émouvoir, de toucher, ce qu’on ne pense pas que puisse faire l’exécution objective de la partition. Plus récemment, on a voulu définir l’interprétation idéale comme l’art de réaliser la « parole » voulue intimement par le compositeur, que les symboles écrits ne pouvaient qu’incomplètement représenter. Dans cette optique, la partition apparaît comme le pathétique balbutiement écrit d’une intention musicale, que le vocabulaire réduit et grossier de la notation ne permet pas de dire totalement et dont l’interprète doit « déployer la parole ». Cela n’est pas complètement faux, mais les énormes différences observables entre deux versions également convaincantes et correctes du point de vue de l’exécution doivent conduire à relativiser cette conception de l’interprétation comme réalisation fidèle des intentions prêtées au compositeur. Le rôle considérable donné à l’interprète et le vedettariat dont il bénéficie ne sont pas une invention de notre époque. Les « vedettes » du chant, du violon, du clavier existent depuis plusieurs siècles. L’interprétation représente depuis long-

temps la part de parole, la part orale de notre musique savante, fondée sur l’écrit certes, mais jamais totalement, sauf dans des cas limites. Malgré l’existence de traités, comme ceux de Quantz, de Tosi, etc., la transmission des styles d’interprétation se faisait surtout de manière orale, directe, de maître à élève, d’interprète à auditeur. Nous ne les connaissons plus que par des témoignages écrits. L’avènement de l’enregistrement sonore a bouleversé cet état de fait. On peut désormais fixer et reproduire à volonté des images extrêmement précises de l’interprétation, de la parole musicale jusqu’alors vouée à l’éphémère. Arrachée au temps, l’interprétation devient un objet : de culte, de contemplation, d’étude, en dehors de la circonstance du concert comme lieu et moment privilégié et unique. Remarquons que le compositeur occidental, si pointilleux fût-il sur la notation de ses intentions, a toujours négligé, et pour cause, de noter dans sa partition beaucoup de conventions d’exécution qui allaient de soi à son époque, telles que les « notes inégales » dans la musique baroque. Si l’exécution actuelle s’appuie sur l’écrit du compositeur, cet écrit repose luimême sur des traditions orales qu’on ne jugeait pas nécessaires de noter, puisque connues de tous. Seulement, l’usage de ces traditions et de ces habitudes se perdit, et celles-ci restèrent consignées dans un nombre limité de traités ; aussi, quand on a ressorti des bibliothèques les partitions de Bach, de Monteverdi ou de Telemann en se fiant à l’écriture, a-t-on produit des exécutions musicales qui, pour être apparemment fidèles au texte écrit, n’en étaient pas moins infidèles à la lettre de la partition. Pourquoi, en effet, si l’on se dit fidèle au texte, omettre de respecter les traditions sur lesquelles ce texte s’appuie implicitement ? Tel est le grief formulé par certains contre ceux qui persistent à jouer Bach ou Telemann « à la moderne ». Le problème, que l’on retrouvera plus loin, est complexe en raison de la nature multiple de la musique. Si incomplet qu’il soit, le texte de la partition transmet apparemment les structures musicales essentielles (hauteurs, rythmes, formes, etc.), qui peuvent survivre à d’incroyables variadownloadModeText.vue.download 498 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE

492 tions, tempos, accentuations, instrumentations, etc. Le modèle de cette musique, qui semble à la limite n’être qu’un pur texte, non destiné à la parole, est l’Art de la fugue de Bach, écrit sans indications d’instrumentation. À l’opposé, la plus grande partie de la musique classique et de la musique romantique est écrite pour l’exécution, pour l’interprète. Si l’interprétation musicale occidentale consiste à donner la parole au texte, c’est naturellement par référence à la voix humaine, proposée comme modèle à tout interprète. La plupart des traités destinés aux interprètes (flûtistes, violonistes, clavecinistes), depuis le XVIIIe siècle, leur prescrivent de chanter comme le ferait une voix, de l’imiter dans son phrasé, ses respirations, son articulation, sa sonorité même. Donner voix humaine au jeu instrumental, au-delà du mécanisme, de l’exécution, tel était l’idéal proposé. On s’est, curieusement, assez peu interrogé sur les imprécisions de la notation occidentale. C’est pourtant l’un des moyens de comprendre sur quoi fonctionne l’interprétation en tant que « surplus » par rapport à l’exécution des signes notés. L’interprétation occidentale de la musique écrite apparaît comme un art de jouer des imprécisions de l’écrit. La musique classique occidentale note fort précisément et exhaustivement les relations des hauteurs, et même les valeurs absolues des hauteurs grosso modo, puisque le diapason est assez variable, et aussi, depuis l’avènement du tempérament, les intervalles. C’est sur le jeu des hauteurs (tonalité, mélodie, harmonie, contrepoint, modulations, etc.) que le compositeur fait porter l’essentiel de son travail de conception et d’écriture. Sur les hauteurs, l’interprète n’a donc plus l’initiative qu’il avait dans la musique ancienne. En revanche, il en conserve une, très importante, sur les tempos, c’est-à-dire sur les valeurs absolues des durées. En effet, si la musique occidentale note assez strictement les structures de durée, les formes rythmiques (en même temps qu’elle en limite les figures), elle néglige souvent d’imposer les valeurs absolues de ces durées, c’est-à-dire le tempo, cela malgré l’invention du métronome par Maelzel, au début du XIXe siècle, qui donnait la possibilité de fixer une fois pour toutes les durées métronomiques

et de les faire respecter impérativement. Or, notre musique s’est plu à conserver la liberté du tempo, d’une part parce que l’oreille est sensible aux rapports de durée et d’espacement temporel entre les sons, mais moins aux valeurs absolues de ces durées, et d’autre part comme pour préserver la part du jeu et du risque dans l’exécution. Le « bon tempo » n’est pas défini métronomiquement ; c’est une allure organique, vécue, un sentiment de vitesse. On notera, avec Robert Donington, que les indications de tempo conservées par notre musique (bien qu’extrêmement imprécises) sont à la fois des indications de vitesse et d’expression : allegro signifie gai et vite ; largo, large en même temps que lent ; scherzo, en badinant, etc. Il y a une visible résistance de la musique occidentale, pourtant avide de précision, à s’enfermer dans le carcan des contraintes métronomiques - comme pour éviter d’accuser la part « mécanique » forcément inhérente à toute exécution. L’interprétation idéale est définie comme un subtil mélange de rigueur rythmique (la main gauche dont parle Chopin, qui est le « maître de chapelle » battant la mesure) et d’irrégularité contrôlée (la droite se permettant des écarts, du « rubato »). À l’opposé, certaines musiques traditionnelles, comme celle de Bali, ou modernes, comme la musique répétitive américaine, ne craignent pas de viser une régularité rythmique absolue, robotique. En effet, le propre du métronome, qui est une mécanique, est non seulement de définir une certaine vitesse d’exécution (une noire à la seconde, par exemple), mais aussi d’inviter à la respecter avec une précision d’automate. Cette tolérance de notre musique sur la définition du tempo laisse des possibilités d’écarts, de fluctuations et de variations considérables (un quart d’heure de différence entre deux versions d’une symphonie de Mahler). Observons, par ailleurs, que notre système de notation à base binaire, ingénieux et rationnel, est inapte à noter beaucoup de rythmes irrationnels et souples de la musique orale, contrairement au système, pourtant plus « grossier », des neumes primitifs. Valeurs de hauteurs et de durées sont donc notées sur la portée et semblent donc constituer le texte de base, intouchable, de la partition. Les autres indications (phrasé,

accents, articulation, nuances), par leur disposition graphique même - elles sont autour des notes et au-dessus ou au-dessous de la portée -, semblent annexes et secondaires, alors qu’elles sont parfois primordiales pour le sens du discours. Par exemple, pour noter des variations de nuances (que ne comportait pas, disent certains, la musique ancienne), notre système a recours soit au rudimentaire « soufflet » (crescendo ou diminuendo), soit à des lettres aussi vagues et vite dévaluées que les p, pp, ppp, pppp, etc., et les f, ff, fff, ffff, etc. De même pour les indications d’articulation et de phrasé (renvoyant à la parole), qui ne sont souvent qu’esquissées. Enfin, certaines indications capitales d’intonation ou d’expression sont traduites par des expressions verbales telles que sotto voce (à voix étouffée) ou con moto (avec du mouvement). C’est dans cette marge d’imprécision que joue le rôle de l’interprète, ainsi que dans la création de la sonorité. Les notations même les plus « maniaques » de la musique récente n’arrivent pas à tout indiquer. La notation la plus exacte ne peut être qu’un enregistrement, ce qu’avait compris Stravinski, adversaire des « interprétations », qui souhaitait transmettre par le disque des modèles d’exécution « objectifs » de ses oeuvres. Il a été peu suivi dans ce désir d’objectiver totalement l’interprétation, en d’autres termes de la ramener à une simple exécution. L’auteur des Noces était en effet de ceux pour qui l’expression est un aspect secondaire, périssable, quasi parasitaire de la musique. Alors que le compositeur, au niveau de son « texte » de partition, assemble souvent des formes, des structures sans souci direct de l’effet sur l’auditeur, l’interprétation de type expressif vise non seulement à mettre en évidence ces formes, ces structures, mais aussi à produire un effet sur l’auditeur. Cette idée n’est pas un héritage du romantisme, puisque déjà les traités musicaux du XVIIe et du XVIIIe siècle ne parlent que d’« effet » et d’« expression ». Dans un sens opposé, une certaine école d’interprétation récente (née probablement à la faveur des moyens d’enregistrement, qui permettent de décomposer et d’analyser l’interprétation musicale comme jamais) vise à donner un éclairage objectif, analytique et précis des structures et des sonorités de l’oeuvre.

L’INTERPRÉTATION À TRAVERS LA MUSIQUE OCCIDENTALE. Au commencement était la musique orale ; au commencement était donc l’interprète, en même temps improvisateur ou compositeur - en un mot, le musicien. La musique du Moyen Âge, essentiellement orale et anonyme, avait recours à des notations aide-mémoire assez sommaires. Et la notion d’interprétation, distincte d’une exécution ou d’une improvisation, n’existait probablement pas au sens actuel. Ce que certains formulent d’une autre manière, en disant que ces musiques n’avaient pas d’interprétation (Jacques Viret). On pourrait dire plutôt que la coloration, l’expression individuelle du chanteur ou de l’instrumentiste jouait sans doute un grand rôle (chez les trouvères, par exemple), mais qu’elle était tellement constitutive du discours musical que souvent on ne l’en séparait pas. Ce serait donc pendant la Renaissance, avec l’avènement de la monodie accompagnée (v. 1600), qui mit en valeur le soliste, que l’interprétation prit de l’importance. Si la partition devint plus claire et plus précise, elle resta encore souvent un canevas, à partir duquel l’interprète devait « broder », ajoutant des ornements, des cadences, des basses chiffrées. On pourrait croire que l’interprète était plus libre qu’aujourd’hui. En fait, cette liberté était downloadModeText.vue.download 499 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 493 surveillée et liée par nombre de conventions orales d’exécution. Et la liberté laissée par les partitions de jouer ou non telle ou telle pièce du recueil, d’user de tel ou tel instrument était plutôt une tolérance qu’une liberté active et créatrice. Il est vrai que l’interprète avait souvent à improviser, à des moments donnés de la partition, des « cadences », comme dans les Concertos pour orgue de Haendel ou le Troisième Concerto brandebourgeois de Bach. Jusqu’au XIXe siècle, les grands interprètes furent souvent en même temps improvisateurs, et les compositeurs eux-mêmes, tels Haendel, Bach, Mozart, Beethoven, Liszt, quand ils se produisaient en public, avaient à montrer leur talent d’improviser sur le clavecin ou le piano. Cette tradition du compositeur-interprète-improvisateur

ne subsiste plus guère aujourd’hui que chez les organistes (Marcel Dupré, Olivier Messiaen). Avec les légendaires Paganini, Liszt, Tulou, Kreisler, etc., annoncés au siècle précédent par les Quantz, le romantisme vit l’apogée de la notion d’instrumentistevirtuose. Déjà, la complexité et la difficulté de la tâche d’exécution tendaient à devenir telles que le compositeur et l’interprète étaient de plus en plus deux individus distincts. Ainsi assista-t-on à une spécialisation des rôles, et tel compositeur écrivait pour tel virtuose une pièce de musique que lui-même aurait été incapable de jouer, tandis que l’interprète témoignait de moins en moins de compétences pour la composition musicale. Cependant, depuis longtemps, un type particulier d’interprète n’a cessé de recueillir les plus grandes faveurs : il s’agit du chanteur - castrat légendaire, comme Farinelli ou Caffarelli, « prima donna », comme la Pasta, Malibran, Patti ou Schröder-Devrient, ténor, comme Rubini, Nourrit, Duprez ou Caruso, etc. Toutes ces vedettes du chant conservèrent longtemps une espèce de « droit d’interprétation » exceptionnel sur la partition, qu’ils ornaient, agrémentaient de broderies de leur cru, au coeur même du romantisme, alors que la partition était déjà devenue un texte fixé une fois pour toutes. Contre ces libertés des virtuoses, les compositeurs défendaient de plus en plus la lettre de leur partition, de même que Chopin notait de plus en plus précisément les traits et les ornements, peut-être pour éviter ceux qu’ajoutaient les virtuoses. Ainsi, parallèlement à la mise en vedette de l’interprète, le compositeur défendit-il et précisa-t-il de plus en plus jalousement sa partition. Apparemment, la marge d’interprétation en était réduite d’autant, mais, en fait, les perfectionnements de lutherie, en multipliant les possibilités de sonorités, de registres, de couleurs, de nuances, mettaient en valeur plus que jamais le rôle capital de l’interprète. Mais, dans le courant du XIXe siècle, un nouveau type d’interprète capta l’intérêt du public et joua un rôle prépondérant, en relation avec le développement du genre symphonique : il s’agit du chef d’orchestre, qui, auparavant, était surtout un batteur de mesure, un « premier musicien » veillant à la régularité et à la coordination. Les Habeneck, les Hans

Richter, Gustav Mahler, Arthur Nikisch, etc., commencèrent à attirer le public pour eux-mêmes, et non seulement pour le répertoire qu’ils jouaient. Tout ce que nous avons dit du rôle de l’interprète peut s’appliquer aux chefs d’orchestre, même s’ils délèguent aux individus d’un groupe le rôle d’exécuter leur interprétation, c’est-à-dire leurs décisions fondamentales sur les tempos, les phrasés, les accents, les coups d’archet, les respirations, les « voix en dehors », les nuances, etc. En même temps, leur rôle est d’insuffler un esprit, de faire circuler une vie, un élan commun et unanime dans cette masse de plus en plus complexe qu’est l’orchestre. La « personnalisation » du rôle du chef d’orchestre semble d’ailleurs croître proportionnellement avec celle du compositeur (quand ils ne sont pas une seule et même personne). Le chef d’orchestre semble être le délégué, le représentant du compositeur sur l’estrade, pour l’orchestre comme pour le public. C’est lui qui organise et construit l’interprétation. Car l’expansion des oeuvres en durée et en complexité ajoute de nouvelles dimensions à l’interprétation : il ne s’agit plus seulement de faire chanter de brefs morceaux de forme stéréotypée qui se succèdent, mais de travailler en profondeur des oeuvres dont chacune se veut singulière, de construire de véritables édifices d’intentions. Naturellement l’avènement de la radio et du disque a changé radicalement le problème de l’interprétation, puisque, d’une part, elle pouvait être désormais répandue à des milliers d’exemplaires, communiquée à des millions d’individus simultanément, et que, d’autre part, comme nous l’avons déjà dit, elle devenait un objet « mis en boîte ». L’art de l’interprétation ne se transmet plus comme un secret d’artisan, d’individu à individu, oralement. Il est conservé, exposé, diffusé à tous ; il n’est plus périssable. En même temps, le disque a eu une conséquence singulière : en multipliant le nombre des interprétations rivales d’une même oeuvre classique, il a ouvert une sorte de concours permanent d’interprétation, à l’échelle de la planète (dans l’espace) et du siècle (dans le temps) ; concours que, dans le monde entier, des revues spécialisées, qui lui sont entièrement consacrées, tiennent méticuleusement à jour, confrontant la plus récente « version » d’un jeune talent à l’étalon de référence constitué par une prestigieuse version ancienne - laquelle

peut, à tout moment, être détrônée par une nouvelle. Pendant un temps, la course à la haute-fidélité a tendu à éliminer, au fur et à mesure, les versions discographiques anciennes (78 tours, microsillon monophonique), pour cause de caducité technique, mais, depuis que cette progression technique a atteint un certain plafond, on revient en arrière pour rééditer certaines versions d’avant-guerre, que le goût récent tend à trouver parfois plus vivantes et plus sensibles que certaines interprétations modernes très analytiques. Le disque et la haute-fidélité ont eu une influence certaine sur l’évolution du style d’interprétation. La plus évidente à relever est ce que Pierre Bourdieu appelle « la banalisation de la perfection instrumentale ». Une fausse note dans une interprétation en direct est un accident négligeable et unique. Enregistrée sur un disque, elle devient une imperfection qui se répète et semble abîmer à jamais l’objet précieux qu’elle endommage. On constate, en écoutant les vieilles versions discographiques dues à des pianistes formés par la tradition du concert, que ceux-ci ne craignaient pas plus que leur public les petites irrégularités et imperfections. Le disque a bientôt conduit à proscrire sévèrement ces menus défauts. En même temps, par leur pouvoir de grossissement des sonorités, captées en gros plan, par leur tendance à donner un éclairage cru et analytique de la partition, décomposée en ses différentes parties saisies par des micros indépendants (quand il s’agit d’un orchestre) et recomposée en une image artificielle et détaillée, plutôt que globale et synthétique, le disque et la prise de son modernes ont favorisé une écoute très critique de la musique dans sa verticalité, sa texture sonore, son détail, plutôt que dans son flux, son « déroulement horizontal » (Alfred Brendel), et ils ont suscité un style d’interprétation détaillé, articulé, net, impeccable, adapté à cette écoute. On sait, par ailleurs, que les interprétations sur disque sont presque toujours des « montages » effectués à partir d’exécutions de l’oeuvre par fragments. Cependant, le disque a rarement, sinon jamais, suscité des interprètes classiques incapables d’affronter la scène et le cadre du concert. Ce fait témoigne de la force conservatrice de la musique classique. Rares sont les interprètes classiques qui, comme le pianiste Glenn Gould, assument à fond le médium du disque, dédaignent

le concert et se servent de l’enregistrement pour perfectionner leur manière spécifique, intervenant eux-mêmes sur le montage, le mixage, la prise de son. De tels musiciens, en revanche, sont légion dans le domaine de la pop music et des variétés. Au reste, une réaction antianalytique semble s’affirmer à la fin des années 70 pour des interprétations sinon plus romantiques, du moins plus globales et larges. downloadModeText.vue.download 500 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 494 L’INTERPRÉTATION DES MUSIQUES ANCIENNES. La musique occidentale préclassique a commencé à être redécouverte à partir du XIXe siècle (grâce aux efforts d’un Mendelssohn), mais surtout au début du XXe, avec des pionniers comme Eugène Borrel, Arno Dolmetsch, Wanda Landowska, et plus récemment, Antoine Geoffroy-Dechaume (auteur des Secrets de la musique ancienne) et Robert Donington. Depuis peu, des interprètes-musicologues, tels Alfred Deller, Nikolaus Harnoncourt, Gustav Leonhardt, Franz Brüggen et ceux de l’école hollandaise, ont non seulement « exhumé » des partitions, mais aussi et surtout imposé un nouveau style d’interprétation, dont les principes ont été puisés aux sources, dans les documents de l’époque. Le disque a fait reconnaître, par un large public, cette nouvelle école, jusqu’alors un peu rapidement considérée comme une curiosité musicologique. On a compris que non seulement il s’agissait de ressortir des instruments de la poussière pour le pittoresque, mais que l’expression de la musique pouvait s’en trouver rajeunie, vivifiée et n’avait plus ce caractère de ronronnement répétitif qui se dégageait de certaines exécutions « à la moderne » d’oeuvres baroques. « Nous ne connaissions que deux genres d’interprétation de la musique ancienne : ou on la coule dans un moule moderne [... ] en outrant l’expression. Ou on l’exécute [... ] avec cette indifférence blafarde et guindée, lourde, sourde et monotone, qui nous produit l’impression d’assister à quelque enterrement d’une personne inconnue » (W. Landowska). Cette rénovation des styles d’interprétation de la musique ancienne a suscité des

polémiques. Une fois mis à part les mauvais procès de « froideur musicologique », la question se pose de savoir si l’authenticité est un mirage, un leurre ou si elle n’est pas le moyen de retrouver une certaine vie du discours musical. Imaginons que soient retrouvées dans trois cents ans les partitions de Chopin, mais perdus les enregistrements et les traditions d’exécution. Le pianiste qui prendrait à la lettre les signes de durée - blanches, noires, croches -, ignorant la tradition des fluctuations rythmiques, s’efforçant de les jouer avec une implacable précision de métronome, risquerait de niveler la musique. C’est ce qui a pu se passer avec la musique ancienne, dont avaient été perdues les techniques d’agrément, de « notes inégales », etc., qui donnaient un relief et une fluidité au discours musical. Non que les interprétations « à la moderne » soient, par principe, condamnables. En l’affaire, le goût et le plaisir décident. Les travaux de rajeunissement de l’interprétation des musiques anciennes ont donc porté non seulement sur la remise en honneur des instruments d’époque, mais aussi sur les techniques d’émission du son, les libertés ornementales, le phrasé, l’articulation, etc., qui donnent à ces musiques une vigueur, une alacrité qu’on ne leur soupçonnait pas. On comprend mieux désormais comment la musique ancienne pouvait être belle et harmonieuse, et même, comme disait Quantz, « exciter les passions », tout autant qu’une oeuvre romantique. Les sources utilisées par ces travaux sont multiples : études des manuscrits, recoupements, essais à partir des instruments d’époque, étude des traités instrumentaux de l’époque, où sont parfois écrits en toutes lettres des principes d’exécution qui commencent à peine à être respectés. Parmi ces ouvrages, citons l’Essai sur la vraie manière de jouer des instruments à clavier (1753-1762) de Carl Philip Emanuel Bach, l’Art de toucher le clavecin (1716-17) de François Couperin, le Traité de flûte (1707) de Jacques Hotteterre le Romain, l’Essai (1752) de Quantz (concernant surtout la flûte, mais en même temps les autres instruments de l’époque), l’Art de jouer sur le violon (1751) de Francesco Geminiani, le Traité des agréments de la musique (1756, édité à Paris en 1771) de Giuseppe Tartini, le Traité de chant du cas-

trat Pier Francesco Tosi, la méthode de piano-forte (1828) de Johann Nepomuk Hummel, le Traité complet de l’art du chant (1847) de Manuel Garcia. LES INSTRUMENTS. La renaissance de la facture du clavecin est surprenante. Complètement disparu ou presque, le clavecin est redevenu populaire. À sa réapparition, il a d’ailleurs reçu les mêmes critiques (sec, aigre, petit de son) que celles qu’on porte contre les violes de gambe, les violons baroques, les flûtes, les hautbois baroques, etc., qui reviennent en usage, sans compter les instruments plus anciens, comme les cromornes, les cornets à bouquin, les sacqueboutes, les cervelas, les flûtes douces, qui, peu à peu, avec les perfectionnements de la facture et des techniques de jeu, prouvent qu’ils peuvent sonner bien et juste. Dans ce domaine, il s’agit non seulement d’authenticité en soi, mais de convenance entre un style de musique et des possibilités instrumentales. Pour prendre un exemple plus récent, tel fa suraigu dans le premier mouvement de la Sonate pathétique de Beethoven tirait sa force d’être la plus haute note possible sur le clavier de l’époque ; joué sur un piano moderne, qui a deux ou trois octaves de plus, il n’est qu’une note aiguë sans plus. L’axiome « qui peut le plus peut le moins », par lequel on peut justifier de jouer Mozart ou Beethoven sur des pianos actuels, doit être corrigé dans la mesure où les musiciens d’autrefois se battaient contre les limites de leurs instruments et que c’est dans ce combat que la musique tirait une partie de son pathétique. Ce combat est désarçonné avec le perfectionnement des instruments, l’augmentation de leur registre et de leur portée, le grossissement de leur son, les progrès de la virtuosité. Il faut souvent alors, sur l’instrument moderne, réinvestir la musique d’un pathétique plus « joué », plus concerté et infusé par l’interprète, et ne se dégageant plus naturellement d’un combat avec l’instrument et la technique. Il est non moins vrai que les « Anciens » n’attachaient guère d’importance aux instruments destinés à exécuter leur musique. Certaines « sonates » pouvaient être jouées sur tous les instruments possibles. Mais, à partir de Monteverdi, peu à peu le sens de l’instrumentation spécifique se développa, et une lente transition

amena à l’époque moderne, où l’instrumentation est spécifiée et respectée le plus scrupuleusement. Cependant, même si un certain « fétichisme » instrumental n’est pas étranger à la vogue de la facture ancienne, on peut se réjouir d’entendre différemment, plus vertes, plus nerveuses, plus directes, des musiques qu’empâtait souvent l’exécution sur des instruments modernes, de sonorités un peu « grasses » pour elles. Au reste, les organistes ont toujours été conscients de la différence qu’il y a à jouer Couperin sur un Cliquot ou sur un Cavaillé-Col romantique. LE STYLE D’EXÉCUTION. La partition des oeuvres « baroques », de Monteverdi à Bach, était souvent un canevas : l’art de broder autour de ce canevas, de nourrir l’émission du son et la ligne mélodique, de l’agrémenter n’était pas laissé complètement à la fantaisie de l’exécutant, mais était régi par un ensemble d’usages. En règle générale, on jouait de manière plus flexible que la partition ne l’indiquait ; les enfilades de croches n’étaient pas jouées avec la régularité mécanique et l’absence de phrasé qu’on trouve dans certaines interprétations modernes. Une règle fondamentale est celle de l’inégalité : dans certains tempos, deux croches consécutives ne sont pas à jouer égales ; le premier demi-temps est fait un peu plus long. Et cela, dit Quantz, « bien qu’à la vue les notes paraissent être de même valeur ». Les notes pointées étaient faites également plus accentuées et plus prolongées qu’on ne le fait pour les partitions modernes. On conçoit quelle vivacité rythmique peut être redonnée à ces musiques par l’observation intelligente et musicale de ces règles. Quant aux ornements, aux agréments, ils étaient multiples, mais répertoriés. Leur rôle était de donner de la grâce, de l’expression, de la couleur à des lignes mélodiques qui, sans eux, restaient sèches et rigides. Dans certains mouvements lents de sonates, en particulier, la ligne mélodique écrite se réduit à un squelette de downloadModeText.vue.download 501 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 495 notes principales, que l’exécution doit relier par des notes de passage, agrémenter, fleurir par des appoggiatures, des tremble-

ments, des ports de voix, des broderies et autres ornements, dont on recommande cependant de ne pas abuser. La note tenue elle-même est animée non pas forcément par le vibrato de type moderne, mais par des « trémolos », des « flattements », qui utilisent d’autres techniques. Le choix du diapason est un problème. Il est avéré que le diapason de l’époque variait selon les pays, les lieux, les musiques. À titre d’exemple, un ensemble comme le Concentus Musicus de Nikolaus Harnoncourt utilise aujourd’hui pour le répertoire baroque le diapason le plus fréquent en Allemagne au temps de Bach, d’un demi-ton plus bas que le diapason officiel actuel, à 440. De même, l’adoption des intervalles de l’époque pour les oeuvres d’avant le « tempérament » égal soulève des discussions. La musique d’autrefois ménageait des plages d’improvisation, des cadences. Dans son 5e Concerto brandebourgeois, J.-S. Bach a exceptionnellement noté la cadence du clavecin dans le premier mouvement, nous donnant un modèle du genre. La réalisation de la basse continue, ou basse chiffrée, dont les principes ont été retrouvés et remis en usage, était, contrairement aux cadences, qui étaient prétextes à virtuosité, soumise à des règles d’efficacité et de discrétion. En conclusion, il est certain que l’adoption de ces nouvelles règles d’exécution entraîne de nouveaux styles d’interprétation, assez divers cependant selon les goûts et les tempéraments : les uns en font une application mécanique et scolaire ; les autres les chargent de feu et de sensibilité. INTERVALLE. Distance qui sépare deux sons entre eux. Cette distance se définit scientifiquement par un rapport entre les nombres qui expriment la fréquence des sons en cause, rapport qui peut être pris à volonté à partir de l’un ou l’autre de ces sons. Plusieurs physiciens ont proposé des mesures destinées à remplacer ce rapport par une unité de mesure ; la plus usuelle est le savart, traduction logarithmique du rapport (log. décimal multiplié par 1 000) ; les ethnomusicologues ont adopté le cent, 100e partie du demi-ton tempéré. On appelle souvent commas les valeurs inférieures au demi-ton pouvant servir d’unité de me-

sure, mais le mot « comma » recouvre un terme générique à valeur variable selon le système acoustique adopté et n’a donc aucune valeur si on ne précise pas quel est ce système (on distingue 12 catégories au moins de commas différents). Les musiciens se soucient peu de ce genre de mesures, dont la précision les gêne plus qu’elle ne les aide, en raison des marges de tolérance parfois fortes que comporte la pratique musicale. Ils définissent presque toujours les intervalles par rapport à une graduation variable selon le tempérament adopté, divisant l’octave (rapport 2/1) en sept demi-tons ; l’unité est le ton comprenant deux de ces divisions (9/8 en pythagoricien, 1/6 d’octave en tempéré égal). Le plus petit intervalle est en principe le demi-ton, exceptionnellement le quart de ton ; les multiples du ton forment le diton (2 tons), le triton (3 tons), etc. Sur l’échelle ainsi formée, les musiciens comptent non pas le nombre de divisions égales, mais le nombre de degrés dans la gamme employée et définissent l’intervalle par le nombre de ces degrés, départ et arrivée inclus, selon l’ancienne terminologie des nombres ordinaux : prime (ou unisson), seconde, tierce, quarte, quinte, sixte, octave (les autres nombres gardent leur nom usuel : septième, neuvième, etc.). On précise ensuite, s’il en est besoin, la qualification de l’intervalle. Celle-ci peut être normale ou déformée. La qualification normale comporte, pour les trois premières consonances (octave, quinte, quarte), la notion d’intervalle juste, c’est-à-dire conforme au modèle résonantiel ; pour les autres, une distinction est faite entre intervalles majeurs et intervalles mineurs selon la grandeur de la distance. La qualification déformée comporte une extension artificielle de cette distance, qui rend l’intervalle, dans un sens, augmenté et exceptionnellement suraugmenté, et, dans l’autre, diminué et exceptionnellement sous-diminué. Si le contraire n’est pas spécifié, les intervalles se comptent toujours en montant. Ils sont dits diatoniques s’il n’est fait appel à aucune altération autre que constitutive et chromatiques dans le cas contraire ; ils sont simples s’ils n’excèdent pas l’octave et redoublés dans le cas contraire. Les intervalles redoublés sont parfois désignés par le nom simple correspondant (intervalle réel moins 7, qui représente l’octave ;

par exemple, 10e = tierce redoublée). On devrait toujours spécifier en ce cas que l’intervalle est redoublé, mais cette précaution est souvent négligée, ce qui donne lieu parfois à des ambiguïtés (un canon à la tierce, par exemple, peut, en réalité, être à la 10e). En outre, deux intervalles sont le renversement l’un de l’autre lorsqu’ils sont formés des mêmes noms de notes pris en sens inverse (par exemple, do-mi = tierce, mi-do = sixte). INTONATION. 1. Émission d’un son à une hauteur bien déterminée. Si le son émis est celui qui est souhaité, l’intonation est dite « juste « ; si, en revanche, il tombe en dessous ou se situe au-dessus de la hauteur voulue, elle est dite fausse. Le terme s’applique au chant grégorien, car l’intonation constitue la première partie de la psalmodie. Il s’agit d’une formule mélodique destinée à conduire la voix vers la corde récitante (teneur). 2. Dans l’ordinaire de la messe, l’intonation, chantée par le célébrant au début du Gloria et du Credo, est suivie de l’entrée du choeur sur Patrem omnipotentem et Et in terra pax respectivement. 3. Depuis le XVIe siècle, l’intonation peut être le titre d’un bref prélude, le plus souvent à l’orgue, qui introduit une pièce vocale à l’église. INTRADA (ital. : « entrée »). Nom donné à certains morceaux introductifs, souvent de caractère grave et solennel, analogue à celui du premier mouvement des ouvertures fançaises, que ces morceaux en possèdent ou non le rythme. INTRODUCTION. Terme général employé en composition musicale sans signification très précise, le plus souvent pour désigner le début d’un morceau lorsque celui-ci ne commence pas directement par son élément principal (thème, tempo). Dans la musique classique et la musique romantique, certains types de mouvements rapides (premiers mouvements de symphonies ou de sonates, ouvertures isolées) sont souvent précédés d’une in-

troduction lente, mais non l’inverse. La dernière bagatelle op. 126 de Beethoven commence bien par quelques mesures rapides pour se poursuivre ensuite lentement, mais il est difficile de parler d’introduction ; il s’agit plutôt d’une interruption. Les deux termes ne sont pas synonymes et se distinguent l’un comme l’autre de la simple succession. Par définition, une introduction ne saurait durer qu’un temps limité, et sa fonction principale est de faire attendre (voire désirer) quelque chose d’autre : c’est beaucoup plus le cas des quelques mesures lentes, au geste théâtral, qui ouvrent la plupart des dernières symphonies de Haydn que des premières sections (lentes) des ouvertures à la française, par exemple. INTROÏT (lat. introitum ; « entrée »). Morceau initial du propre de la messe avant la réforme de Vatican II. Jadis chant d’un psaume encadré de son antienne, parfois répétée après chaque verset de psaume, il accompagnait l’entrée des ministres, d’où son nom. Puis le psaume se réduisit à un verset ou deux, suivi du Gloria Patri, tandis que l’antienne prenait de plus grandes proportions et devenait l’essentiel du chant. Lu par le prêtre après les prières du bas de l’autel, mais chanté pendant celles-ci lors des messes solennelles, l’introït prend place downloadModeText.vue.download 502 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 496 immédiatement avant le Kyrie eleison, et « ouvre » donc la messe comme l’indique son nom. Si l’on en excepte la messe des défunts (requiem), l’introït a été rarement mis en musique en dehors du plain-chant, et c’est le plus souvent en plain-chant que, même dans les messes en musique, il reste chanté, lorsqu’il l’est encore. INVENTION. Terme sans signification précise désignant un morceau répondant à une intention particulière de recherche de la part du compositeur, sans que celle-ci soit obligatoirement définie. Les inventions les plus célèbres sont

celles de J.-S. Bach pour clavecin - quinze inventions à deux voix BWV 772 à 786 et quinze inventions à trois voix BWV 787 à 801, où le propos du compositeur est de montrer comment construire tout un morceau sans la moindre digression à partir d’un seul thème - et les cinq scènes et l’interlude orchestral de l’acte III de Wozzeck d’Alban Berg, sous-titrés respectivement par le compositeur inventions sur un thème (scène I), sur une note (scène II), sur un rythme (scène III), sur un accord de six sons (scène IV), sur une tonalité (interlude) et sur un mouvement perpétuel (scène V). IONIEN. Adjectif se rapportant à une peuplade de la côte orientale de la mer Égée, en Asie Mineure, dont le territoire est aujourd’hui en pays turc. L’entrée du terme ionien, ou iastien, dans l’histoire musicale se situe chez Platon, qui mentionne dans la République l’harmonie ionienne comme l’une des six échelles sur lesquelles il légifère. Il la décrit comme « sans vigueur et propre aux buveurs », et la proscrit comme amollissante. Aristide Quintilien (IIe s.) nous en donne la composition, qui est celle d’une échelle formée au grave d’un tétracorde enharmonique (mila) et à l’aigu d’un tétracorde conjoint défectif (la-do-ré). On n’en parle plus ensuite ni comme harmonie, ni parmi les tons de hauteur primitifs, jusqu’au moment où, la nomenclature de ceux-ci ayant été dédoublée (probablement fin IVe s.), le nom de ionien fut attribué, sans doute arbitrairement, au phrygien grave des treize tons d’Arsitoxène ; on le dota alors comme les autres d’un hypo-, et plus tard d’un hyperqui permit d’atteindre le chiffre maximum de quinze tons. Non retenu par la nomenclature pseudo-grecque des modes grégoriens, il réapparaît à nouveau chez les théoriciens humanistes du XVIe siècle, sur la foi desquels il est réintroduit parmi les « tons de plain-chant » des organistes aux XVIIe-XVIIIe siècles, tantôt avec le sens de mode de do (Glarean, 1547), tantôt avec celui de mode de la (Zarlino, 1573). IPAVEC (Benjamin), compositeur slovène (Saint Jurij, près de Celje, 1829 - Graz 1909). Considéré comme une des figures les plus représentatives du mouvement roman-

tique slovène, il a exercé ses activités de musicien parallèlement à sa carrière de médecin. Parmi ses oeuvres, l’opéra les Nobles de Teharje (Ljubljana, 1892), le cycle de mélodies Menih - « le Moine » - (1906) et une Sérénade pour cordes (1898). IPPOLITOV-IVANOV (Mikhail), compositeur russe (Gatchina 1859 - Moscou 1935). Élève de Rimski-Korsakov (composition), il fut directeur de l’école de musique de Tiflis (1883-1893), puis professeur au conservatoire de Moscou (1893), dont il assuma la direction de 1905 à 1922. Il joua un rôle important dans la vie musicale moscovite à la tête de la Société chorale russe (1895-1901), de l’Opéra Zimine (1899-1906), puis du Bolchoï (1925). Tchaïkovski appréciait la richesse de couleur de ses oeuvres. L’étude approfondie à laquelle il se livra sur les musiques traditionnelles caucasiennes et géorgiennes n’y est sans doute pas étrangère (cf. Esquisses caucasiennes, 1894, Dans les Steppes du Turkménistan, 1935, ou Images d’Uzbékistan). Ces musiques lui ont assuré une solide réputation de folkloriste talentueux. IRADIER (Sebastián), compositeur espagnol (Sauciego, Álava, 1809 - Vitoria 1895). Il est l’auteur de nombreuses chansons et de zarzuelas en collaboration avec Oudrid. C’est le thème de sa habanera El Arreglito que Bizet reprit, légèrement modifié, au premier acte de Carmen. Il eut également l’honneur d’être interprété par les plus illustres cantatrices de son temps, telles la Malibran, la Patti, l’Alboni et Pauline Viardot. I.R.C.A.M. ! INSTITUT DE RECHERCHE ET DE COORDINATION ACOUSTIQUE/MUSIQUE. IRELAND (John), compositeur anglais (Bowdon, Cheshire, 1879 - Washington, Angleterre, 1962). Fils d’un homme de lettres bien connu, il étudia, entre 1893 et 1901, au Royal College of Music, d’abord le piano, puis la composition, avec C. V. Stanford. Devenu plus tard pédagogue dans ce même établissement, il compta parmi ses élèves Benjamin Britten, E. J. Moeran, et Humphrey Searle. Il composa beaucoup de musique pour piano, dont un concerto en

mi bémol (1930), souvent joué au concert, et des mélodies, dont Sea Fever, une ballade de la mer. Down by the Sally Gardens est une mélodie avec partie de piano particulièrement éloquente. Le langage harmonique de John Ireland est riche, et malgré l’influence évidente du romantisme allemand, il a su cultiver un style raffiné et personnel, faisant souvent appel à la gamme pentatonique des chants populaires. Sa dernière grande oeuvre, la musique du film The Overlanders, date de 1946-47. ISAAC (Henricus), compositeur francoflamand ( ? v. 1450 - Florence 1517). Il compte parmi ces musiciens des Flandres qui firent le voyage en Italie et il vécut à partir de 1484-85, jusqu’à leur chute en 1492, dans le cercle des Médicis à Florence, sans négliger pour autant des voyages à Ferrare et à Rome. Organiste à la cour (1475), il devint, vers 1478, maître des enfants de Laurent de Médicis et, en 1480, organiste à San Giovanni, puis à la cathédrale. Il entra ensuite au service de Maximilien Ier (1496) qui lui attribua, l’année suivante, le titre de compositeur de la cour, mais il entretint également des liens avec la cour du prince électeur Frédéric le Sage à Torgau (1497-1500). Maximilien semblait d’ailleurs lui avoir accordé une grande liberté de mouvements (voyages à Florence, Ferrare et Constance où il rencontra Machiavel) et, après le retour au pouvoir des Médicis en 1512, il lui confia des fonctions diplomatiques à Florence. Ses fonctions successives, ses voyages mêmes permirent à Isaac d’opérer une remarquable synthèse des styles francoflamand, italien et allemand. Il maniait les trois langues avec une égale aisance, ainsi qu’en témoignent ses chansons, et se souciait fort de l’intelligibilité du texte. Il assimila la chanson bourguignonne à trois voix, équilibrée et souple jusque dans son contreténor. Ses chansons italiennes attestent l’intérêt du cercle des Médicis pour la langue vulgaire - Isaac mit en musique les Canti carnascialeschi de Laurent le Magnifique lui-même - et un art puisé aux sources populaires. En effet, le compositeur emploie dans ses chansons italiennes une écriture plus simple que celle de ses collègues ultramontains. Les pièces à ténor (Tenorlied) tiennent dans ses chansons allemandes une place importante, à mi-chemin entre un art populaire et un art de cour. Le genre devait devenir l’une

des sources du choral polyphonique. Si les messes d’Isaac, imprimées par Petrucci en 1506, souvent sur une mélodie populaire, sont du meilleur style polyphonique franco-bourguignon, les cinq messes du troisième livre du Choralis Constantinus adoptent une forme spécifiquement allemande (alternance unisson/polyphonie à 4-6 v.). Or cette oeuvre, achevée par Senfl, présente un ensemble de 72 propres des dimanches et fêtes et ne peut plus être considérée comme destinée au chapitre de la cathédrale de Constance que pour la seconde partie (office des grandes fêtes). Ainsi, par le Livre III, et donc ces cinq downloadModeText.vue.download 503 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 497 messes, et sans doute par le Livre II du Choralis Constantinus, a-t-on une idée précise du répertoire de la chapelle de Maximilien. Isaac, qui compta parmi ses élèves Ludwig Senfl, fut avec Josquin Des Prés le plus productif et le plus constamment inspiré des compositeurs de sa génération. ISLAMIQUE (MUSIQUE). Les relations entre l’islamisme (religion) et l’isl¯am (culture), d’une part, le chant et la musique, d’autre part, sont complexes et ont fait l’objet de nombreuses affirmations contradictoires. Le prophète Muhammad aurait été hostile aux gens touchés par l’inspiration poétique ou musicale et aurait considéré que les antagonistes de son oeuvre étaient le vin, les chanteuses et les instruments. Mais il aurait recommandé le chant du Coran, se serait attendri à la vue de musiciens primitifs, et aurait fait accompagner ses secondes noces de réjouissances musicales. Le Coran ne fait pas d’allusion à la musique, mais les traditions (hadîth) et les prêtres de l’isl¯am (par exemple Khomeiny en Iran) s’inquiètent périodiquement des effets captivants de la musique sur les foules, encore que le chant soit mieux toléré que la musique instrumentale. Tout au long de l’histoire de l’isl¯am, on peut observer des luttes d’influences entre le rigorisme « mélophobe » des puritains, proscrivant même le chant du Coran et le laxisme « mélophile » des musiciens et autres artistes. Un moyen terme est représenté par les derviches et divers soufis qui estiment que des paroles

religieuses ou mystiques rendent la musique licite. Néanmoins, la musique instrumentale (la musique des instruments à cordes plus que celle des instruments à vent) est généralement considérée comme un art antireligieux par excellence, et, de ce fait, elle a souvent été confiée à des représentants de minorités non musulmanes. L’islamisme n’a pas de musique spécifique, mais la pratique religieuse quotidienne fait appel au chant sous deux formes dominantes. D’une part le rituel appel à la prière (adhân, azân, ezan) est repris cinq fois par vingt-quatre heures sur une formule littéraire, dont le début et la fin sont invariables (« Dieu est le plus grand. J’affirme qu’il n’y a d’autre Dieu que Dieu. J’affirme que Muhammad est le prophète de Dieu... ... J’affirme qu’il n’y a d’autre Dieu que Dieu »), tandis que le milieu de la formule varie en fonction du pays, du rite ou de l’heure. Traditionnellement, l’appel à la prière était fait par le muezzin ou azângû, du haut du minaret de chaque mosquée aux heures rituelles. Dans les mosquées prestigieuses comme les Omeyyades à Damas, un groupe de muezzin-s lançait un appel initial, qui allait être repris par tous les muezzin-s de la ville. Mais, désormais, la majorité des appels sont confiés à des disques, bandes magnétiques et haut-parleurs, ce qui en améliore la qualité artistique au prix d’une inévitable banalisation et d’une servitude par rapport à l’équipement sonore. En outre, on ne fait plus d’appels nocturnes dans les lieux nantis ou cosmopolites des grandes villes des pays les plus tolérants. La mélodie de l’appel à la prière varie selon les pays et les heures, allant de la psalmodie primitive au chant orné et mélismatique sur les grands modes musicaux (maqâm-s) de l’isl¯am, le mode musical pouvant varier avec l’heure de l’appel. D’autre part, le Coran peut être récité, psalmodié ou même chanté sur les modes musicaux, la concordance entre le mode et le texte étant fonction des usages. Il existe désormais des disques ou des cassettes sur les sourates du Coran, dont la diffusion a conféré à certains interprètes un nom illustre. Traditionnellement, l’appel à la prière et le chant du Coran doivent être interprétés en monodie, en voix de tête et avec une excellente diction. Ils se font en

langue arabe, encore qu’il y ait eu certains mouvements en faveur des traductions en langues locales, plus particulièrement en Turquie. Les chants propres à l’islamisme dépassent évidemment le cadre de l’appel à la prière et du Coran sans atteindre le volumineux répertoire des autres religions monothéistes. Il existe néanmoins des chants de pèlerinage, des récits sur la vie du prophète, d’innombrables chants à tendance religieuse, et des répertoires propres aux mois du jeûne (ramadhân) ou du deuil chez les chiites (muharrâm), avec, dans ce dernier cas, des cérémonies spécifiques (tachabî en Iraq, âzâdârî en Iran) ou des représentations scéniques (taz¯iyè). Le soufisme a développé des pratiques mystico-musicales particulières, perpétuées par les diverses confréries de derviches, reposant souvent sur un chant collectif accompagné par diverses percussions comparables à de grands tambours sur cadres (mazhâr-s, bandîr-s), par des clochettes et par des flûtes orientales obliques (nay-s ou ney-s) ou même, en Turquie, par des instruments à cordes plus classico-profanes, comme le tanbûr ou même le ûd. Variables selon les pays ou les sectes, les cérémonies « soufies » des derviches reposent sur les mêmes structures modales ou rythmiques que les musiques classiques, mais elles revêtent des formes spécifiques dont les principales sont le dhikr ou zikr consistant en la scansion lancinante du nom d’All¯ah, et l’ayîn ou le sema’, danses des astres perpétuées par les derviches tourneurs dont les plus connus sont les « mevlevis » de Turquie. Enfin, des confréries ont assuré jusqu’au XXe siècle une certaine forme d’enseignement musical et ont parfois sauvegardé les traditions durant les périodes de décadence artistique. Si l’on considère non plus l’islamisme en tant que religion, mais l’isl¯am en tant que culture, le rôle joué par l’isl¯am médiéval multinational arabo-irano-touranien dans l’essor de la musique est considérable. Si les califes n’ont pas toujours protégé les arts, du moins doit-on souligner le mécénat de nombreux califes de l’Iraq abbasside, qui, du VIIIe au XIIIe siècle, ont hébergé ou encouragé la plupart des grands auteurs des traités musicaux de l’isl¯am médiéval définissant une théorie musicale

sur la touche du luth-ûd. De même, la cour musulmane des Grands Mogols de l’Inde et la cour des empereurs ottomans ont favorisé l’éclat de la musique. Au XXe siècle, l’Isl¯am est un vaste monde, dont les liens avec la musique sont variables. D’un point de vue technique, le noyau médiéval arabo-irano-touranien de l’Iraq abbasside a induit les actuelles musiques arabes, de l’Iran et de la Turquie, tandis que la musique de l’Inde peut leur être apparentée par l’existence de modes heptatoniques. Mais avec l’isl¯am du Sud-Est asiatique, de l’Indonésie, de l’Afrique noire ou de l’Amérique, on perd tout lien avec les traités musicaux de l’isl¯am médiéval. On peut donc distinguer la musique de l’isl¯am de la musique des musulmans. ISNARD. Patronyme de trois facteurs d’orgues français de la seconde moitié du XVIIIe siècle. FRÈRE JEAN-ESPRIT ISNARD (1707-1781) , dominicain à Tarascon, travailla dans la région (Marseille, Aix-en-Provence) ; il est surtout célèbre par l’orgue qu’il édifia à Saint-Maximin-du-Var (1773), grand instrument de 4 claviers et 43 jeux conservé dans son état d’origine, chef-d’oeuvre de la facture française classique. Les deux neveux de Jean-Esprit, Jean-Baptiste et Joseph, formés par lui, ont poursuivi son oeuvre. Le premier a notamment construit les orgues de Saint-Laumer à Blois, de Pithiviers et de la cathédrale du Puy. Quant à Joseph, qui travailla avec François-Henri Clicquot, il s’installa dans la région de Bordeaux, où, après la Révolution, il restaura les instruments endommagés par les iconoclastes. ISOIR (André), organiste francais (SaintDizier 1935). Élève d’Édouard Souberbielle à l’école César-Franck, il a remporté le premier prix d’orgue et d’improvisation au Conservatoire de Paris en 1960, puis a été lauréat des concours internationaux d’improvisation de Saint-Albans (1965) et de Haarlem (1966, 1967 et 1968), où il est le seul Français à avoir remporté le prix « challenge ». Il est titulaire de l’orgue de SaintdownloadModeText.vue.download 504 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 498 Germain-des-Prés à Paris, et professeur d’orgue et d’écriture musicale au Conservatoire national d’Angers. Expert en facture d’orgues, il a étudié l’esthétique, la musicologie et l’exécution des différentes écoles des siècles passés. Il est l’un des meilleurs connaisseurs et interprètes de la musique d’orgue classique française, ce dont témoignent les nombreux enregistrements discographiques qu’il lui a consacrés. I SOLISTI VENETI. ! SCIMIONE (CLAUDIO). ISORYTHMIE (du grec isos ; « semblable »). Construction symétrique procédant par juxtaposition de phrases toutes dotées d’un même schéma rythmique : Au clair de la lune contient une isorythmie. Le terme est employé aujourd’hui principalement pour désigner un procédé de composition élaboré au XIIIe siècle pour les teneurs de motets, et considérablement développé au XIVe siècle (Ars nova), consistant à découper une mélodie (color) en fragments rythmés selon un schéma préétabli, même s’il ne tient pas compte du phrasé initial (talea). Appliquée principalement à l’écriture du ténor, l’isorythmie s’est ensuite projetée sur la contre-teneur, et parfois même, à des degrés divers, sur la totalité des voix de la polyphonie. En tant que procédé systématique, elle cesse d’avoir cours au XVe siècle, mais on la retrouve à des degrés divers dans la carrure qui n’a jamais cessé de régir les mélodies devenues les plus populaires, sans en exempter l’oeuvre des grands maîtres. Par exemple, 1er kyrie de la Messe de G. de Machaut : Color (mélodie liturgique) : Talea (formule rythmique) : Teneur isorythmique : ISOUARD (Nicolas). ! NICOLO. ISTESSO TEMPO. Locution italienne utilisée pour indiquer

qu’un changement de mesure n’implique aucun changement de tempo : « le même mouvement ». La valeur absolue des notes ne change pas. On trouve aussi le signe . lorsque l’on passe, par exemple, d’une mesure à 3/4 à une mesure à 6/8. ISTOMIN (Eugène), pianiste américain (New York 1925). Né de parents émigrés aux États-Unis en 1919, il manifeste dès l’enfance des dispositions musicales exceptionnelles. En 1939, il entre au Curtis Institute de Philadelphie dans la classe de Rudolf Serkin et remporte en 1943 le Concours de Philadelphie et le Concours Leventritt, ce qui lui permet de se produire avec l’orchestre de Philadelphie et le Philharmonique de New York, concerts radiodiffusés dans les États-Unis entiers. Malgré la guerre, sa carrière prend son essor. En 1959, il rencontre Pablo Casals, qui joue un rôle décisif dans sa carrière. Pendant six ans, il se produit dans le cadre du Festival de Prades aux côtés de Stern, Serkin, Horszowski et Schneider. Parallèlement à son activité de soliste international, il constitue avec Isaac Stern et Léonard Rose un célèbre trio. ISTVAN (Miroslav), compositeur tchèque (Olomouc 1928 - Brno 1990). Élève de l’académie Janáček de Brno de 1948 à 1952, il y a enseigné à partir de 1953. D’abord adepte du néoclassicisme, en particulier dans sa Suite tchécoslovaque (1951) et dans sa Symphonie (1952), Istvan s’est ensuite intéressé à la musique de chambre - Trio avec piano (1958), Quatuor à cordes 62 (1963), Refrains pour trio à cordes (1965) - et aux techniques sérielles, ainsi qu’au principe de non-répétition et à la mélodie de timbres (Six Études pour orchestre de chambre, 1964). On lui doit aussi : Moi, Jacob pour voix, récitant, ensemble de chambre et bande magnétique sur des textes de la Bible (1968). ITE MISSA EST. Formule latine signifiant en bas latin « Allez, vous pouvez disposer », par laquelle, dans la messe primitive, on congédiait les catéchumènes à la fin de la seule partie de l’office à laquelle ils étaient

admis. Après l’abandon de la ségrégation, la formule fut transportée à la fin de l’office, qui prit par extension le nom de missa (« messe »), et la formule fut traduite par « Allez, la messe est dite ». Musicalement, l’Ite missa est, chanté par l’officiant, ne comporte pas de mélodie spécifique : on l’adopte sur une autre mélodie de la messe, généralement celle du premier kyrie ; le choeur répond Deo gratias sur la même mélodie. Au temps pascal, toutefois, le dialogue est amplifié de deux alléluias pour chaque réplique et reçoit une mélodie particulière. Aux temps de pénitence et à certaines féries, il est remplacé par Benedicamus Domine. Alors que cette dernière formule a été, jusqu’au XIIIe siècle, l’une des plus volontiers mises en polyphonie, on trouve très peu de traitements polyphoniques de l’Ite missa est : la messe de Machaut et celle dite « de Tournai » sont des exceptions ; la première prend comme teneur de mélodie non pas celle d’un kyrie, mais celle d’un sanctus. On ne trouve jamais d’Ite missa est dans les messes en musique au-delà du Moyen Âge. ITINÉRAIRE (l’). Ensemble de musique contemporaine fondé en janvier 1973 par Hugues Dufourt, Gérard Grisey, Michael Levinas, Tristan Murail et Roger Tessier. Lié par une convention au ministère de la Culture, il regroupe en une association, selon la loi de 1901, de jeunes solistes et une grande partie de la génération des compositeurs français d’après-guerre, et se propose à la fois de créer et de diffuser la musique d’aujourd’hui et d’offrir aux compositeurs et aux interprètes des moyens de recherche et d’innovation. Pour ce faire, il dispose d’une formation traditionnelle de 20 instrumentistes, d’un « Ensemble d’instruments électroniques », composé de 5 musiciens à la tête de plus de 20 instruments, et d’un « Groupe de musique de chambre expérimentale », à effectifs variables, alliant l’instrument traditionnel à un important matériel de transformation électronique du son. Ces deux derniers ensembles, en particulier, offrent aux compositeurs un travail d’atelier où ils peuvent expérimenter et

trouver matière à de nouvelles réflexions musicales (cf. Voix dans un vaisseau d’airain de Michael Levinas, Clair-Obscur de Roger Tessier, ou Forces vives de François Bousch). Des combinaisons sonores et instrumentales nouvelles ont pu aussi voir le jour grâce aux moyens rassemblés et à l’expérience acquise dans le domaine des musiques « mixtes » (Saturne de Hugues Dufourt, l’opéra l’Amant déserté d’Alain Bancquart). Sur les plans esthétique et théorique se sont développées une réflexion et une recherche sur le son musical et son rapport à l’écriture : travail sur « l’harmonie de fréquences », les simulations électroniques, la « synthèse instrumentale » (Gérard Grisey, Tristan Murail). Il en est résulté un style de jeu très différent de celui, marqué par la musique sérielle, de la génération précédente, par exemple dans le contrôle très fin des modes de jeu, des sons nouveaux des instruments (multiphoniques), ceux-ci cessant d’être un effet plus ou moins aléatoire pour devenir une matière analysable et reproductible, capable éventuellement de mener à une autre dimension de l’écriture musicale (cf. Traité sur la flûte de Pierre-Yves Artaud). L’activité de concert de l’Itinéraire consiste en une saison régulière à Paris chaque année (y sont données surtout des créations ou des premières françaises), en tournées dans d’autres villes de France (avec des programmes variés), et en une activité d’exportation de la jeune musique française à l’étranger, en fort développement depuis quelques années. downloadModeText.vue.download 505 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 499 ITURBI (José), pianiste, chef d’orchestre et compositeur espagnol (Valence 1895 Los Angeles 1980). Il acheva ses études musicales au Conservatoire de Paris dans la classe de Victor Staub et, de 1918 à 1923, occupa au conservatoire de Genève le poste qu’avait illustré Liszt. Débutant aux États-Unis en 1929 comme pianiste et chef d’orchestre, nommé en 1936 chef permanent de l’orchestre de Rochester, il se révéla excellent comédien à l’occasion d’un récital à Hollywood et ne résista pas à l’appel du

septième art, tournant notamment, dans les années 40, une Féerie à Mexico qui fit le tour du monde. De retour en Espagne, il dirigea l’Orchestre symphonique de Valence (1956), tout en poursuivant son activité de concertiste, parfois à deux pianos avec sa soeur Amparo (née à Valence en 1898). Il a composé différentes pièces pour son instrument, une Fantaisie pour piano et orchestre et un poème symphonique. IVALDI (Christian), pianiste français (Paris 1938). Il fait des études très complètes au Conservatoire de Paris, où il obtient cinq premiers prix. Engagé en 1961 comme pianiste soliste à Radio France, professeur de déchiffrage au Conservatoire de Paris à partir de 1969 et de musique de chambre à partir de 1986, il consacre aussi une part très importante de son activité à l’accompagnement des chanteurs - C. Berberian, R. Crespin, R. Streich, G. Souzay, etc. Il se produit également à quatre mains avec Noël Lee et enregistre avec lui une intégrale de Schubert. Il collabore aussi avec le Liederquartett, enregistrant la musique de chambre vocale de Mozart, Brahms, Rossini, etc. Attaché à promouvoir la musique de son temps, il crée des oeuvres de Boucourechliev, Aperghis, Capdenat, de Pablo. Il fonde en 1982 le Quatuor Ivaldi et prend en 1994 la direction des Musicades de Lyon. IVES (Charles Edward), compositeur américain (Danbury, Connecticut, 1874 New York 1954). Toute sa musique fut marquée par son enfance dans la campagne américaine de la Nouvelle-Angleterre et par son père, ancien musicien de l’armée, homme original qui aimait à se livrer, avec les fanfares et les chorales de sa petite ville, à des expériences de « musiques simultanées », de superpositions de phalanges musicales en mouvement, créant des rythmes et des harmonies multiples et emmêlées. C’est dans ces tentatives que Ives dut puiser son goût pour les totalités mouvantes, les superpositions de rythmes, d’harmonies et de tonalités, dont la discordance se résout dans une harmonie globale, un profond sentiment d’unité. On attribue pêle-mêle à Charles Ives beaucoup d’inno-

vations d’écriture qui préfigurent celles de la musique contemporaine : polytonalité, atonalité, écriture sérielle, micro-intervalles, polyrythmie, musique « spatiale » distribuée dans l’espace, formes variables à réalisations multiples, accords en « clusters » (agglomérats denses de notes simultanées), collages et emprunts de musiques existantes, etc. Cependant, tous ces procédés revêtent chez lui un sens personnel et ne découlent pas d’une volonté d’épuiser les possibilités formelles et stylistiques. Ives sut se donner les moyens de son indépendance, et sa « carrière » de compositeur fut singulière : organiste dans sa ville natale dès l’âge de quatorze ans, il poursuivit ses activités de musicien de paroisse une grande partie de sa vie, composant plusieurs pièces pour l’orgue. Entre 1894 et 1898, il étudia à l’université de Yale avec Horatio Parker. Cependant, il semble qu’il ait reçu peu de formation classique, et qu’il ait appris la composition en autodidacte. Au sortir de ses études, il décida de s’orienter vers les affaires. Et, en 1899, il fonda avec Julius Myrick une compagnie d’assurances qui réussit fort bien - lui-même rédigea un manuel pour la conduite des assurances qui fit autorité. Mais, parallèlement, il continua à composer. Du grand nombre d’oeuvres qu’il écrivit, peu furent jouées de son vivant. Et il ne commença à être reconnu et apprécié que vers la fin de sa vie. Il épousa, en 1908, Harmony Twichell et vécut à New York, passant ses week-ends et vacances dans le Connecticut. Sa période la plus créative dura moins de vingt ans (1900-1918). Ce fut en 1918 qu’il subit les premières attaques cardiaques qui allaient entraîner, en 1930, son état de semi-invalidité, l’obligeant à se retirer des affaires. Sa production musicale s’en trouva également interrompue. Les vingt-cinq dernières années de sa vie, inactives, furent heureusement éclairées par un début de gloire. À partir de 1929, le poète Henry Bellamain favorisa la diffusion de sa musique par des articles élogieux ; le compositeur Henry Cowell, le pianiste John Kirkpatrick contribuèrent à la faire connaître. Élu au National Institute of Art and Letters (1946), Ives reçut en 1947 le prix Pulitzer pour sa Troisième Symphonie, composée entre 1901 et 1904. Dans les années 50, le compositeur fut joué assez fréquemment, et il put entendre nombre de ses musiques jusque-là injouées. Et, quand il mourut en 1954, il était désormais un musicien res-

pecté. L’oeuvre de Charles Ives comprend 186 numéros d’opus, dont plus d’une centaine de mélodies. Ses compositions, ambitieuses, conçues dans les intervalles d’un travail intensif, demandèrent de longues années pour éclore. Parmi ses premiers essais, le Psaume 67 (1894) pour choeur est déjà un exemple de « musiques simultanées », utilisant des procédés de superposition rythmique, harmonique. Le genre symphonique lui inspira quelques fresques évocatrices et descriptives : Première Symphonie (1895-1898) ; Deuxième Symphonie (1897-1902) ; Troisième Symphonie (1904), pour orchestre de chambre, qui intègre, comme beaucoup d’oeuvres ultérieures, les cantiques entendus dans son enfance dans la Nouvelle-Angleterre ; Quatrième Symphonie (1910-1916), pour 3 orchestres ; et la Hollidays-Symphony (1904-1913), évoquant les fêtes religieuses et civiques de son pays. Une Cinquième Symphonie, dite Universe Symphony (19111916, 1927-28) resta inachevée, de même qu’une partition intitulée Chromatimelôdtune, que termina, en 1967, le compositeur Gunther Schuller. À côté de ces grandes oeuvres gorgées de couleurs - Ives affectionnait les sonorités de cuivres évoquant les fêtes de plein air -, certaines pièces pour orchestre, plus courtes et discrètes, sont devenues classiques : ainsi les 2 « contemplations » Central Park in the Dark (1906) et The Unanswered Question (1906). Autres pièces descriptives, les Three Places in New England ou First Orchestral Set (1903-1914) évoquent, comme beaucoup d’autres, l’enracinement historique et géographique de l’auteur. Le Second Orchestral Set (19091915), et la Robert-Browning-Overture (1908-1912), complètent l’oeuvre symphonique de Ives. Les oeuvres pour petites formations sont souvent plus « expérimentales » que les oeuvres pour orchestre, ou du moins paraissent l’être, en l’absence de ce confort ample des sonorités orchestrales, qui fait admettre à l’auditeur le moins habitué les superpositions les plus cruelles. On citera les Tone-Roads (19111915), qui annonceraient l’écriture raréfiée de Webern ; Hallowe’en (1906), oeuvre variable pour quatuor à cordes et piano ; le scherzo Over the Pavements (1906-1913), The Pond (1906), Rainbow (1914), les 4 sonates pour piano et violon (1902-1916), les

2 quatuors à corde (1896 ; 1907-1913), le trio avec piano (1904-1911), les 3 QuarterTones Piano-Pieces (1923-24), pour 2 pianos en quarts de ton, etc. Dans ses nombreuses oeuvres pour piano, se détache, à côté d’une Première Sonate (1901-1909), l’immense Deuxième Sonate, sous-titrée Concord-Mass et souvent appelée ConcordSonata (1911-1915), hommage aux philosophes et écrivains « transcendentalistes » qui vécurent et se rencontrèrent dans la ville de Concord : Emerson, Hawthorne, les Alcotts, Thoreau. À cette dernière oeuvre, l’auteur consacra un livre entier d’explications et de commentaires, Essay before a Sonata, qui est un témoignage capital sur sa pensée et son inspiration. downloadModeText.vue.download 506 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 500 Ives n’avait pas peur d’évoquer ou d’imiter. Pour lui, la création musicale renvoie naturellement au monde, à la société, aux racines. Malgré ou à cause de son choix initial de dissocier le travail professionnel et la création, on n’y trouve pas de coupure, de dilemme entre le quotidien et l’inspiration artistique, et c’est cette acceptation apaisée de la dissonance, cet optimisme réconciliateur qui rendent fascinant le « cas Ives » dans une musique contemporaine déchirée et parcellisée. Chez Ives, toutes les « innovations » ne procèdent pas d’un désir de reconcentrer le discours musical en l’arrimant à de nouveaux principes ; elles sont l’acceptation du désordre naturel, comme fontaine de vitalité, et non comme anarchie destructrice. Cette musique est centrifuge et non centripète, elle ne se referme pas sur ses procédés. Il est d’ailleurs peut-être inexact de parler de polytonalité, ou de polyrythmie, car ce ne sont pas des valeurs musicales que Ives superpose, mais des êtres musicaux, des processus autonomes et formés. On devrait alors plutôt parler de « poly-musique ». La superposition laisse circuler l’air et le hasard au milieu d’elle, sans en « faire une histoire » (d’où, peut-être, l’attachement d’un John Cage à l’exemple de Charles Ives). De même, l’esthétique du collage, qui lui est chère (il cite dans de très nombreuses oeuvres des hymnes religieux, des fragments de chants populaires, des « blocs »

de musique militaire), n’a aucun caractère de tension, ou d’ironie culturelle. Toute son oeuvre étant fondée sur la continuité avec la terre natale et l’enfance, elle en intègre naturellement les réminiscences musicales. Il y a une certaine ironie à ce que ce musicien « innovateur » ait été en même temps l’un des hommes les plus attachés à ses racines et à la figure de son père, ainsi qu’à des « modèles » qui en étaient le prolongement : les figures respectables d’un Ralph Waldo Emerson (1803-1882) ou d’un Henry-David Thoreau (1817-1862), esprits pacifistes, épris de continuité et d’accord avec la terre et la nature. L’oeuvre musicale de Charles Ives, typiquement américaine, s’assume comme « mixage » d’impressions et d’influences hétérogènes, qu’elle refuse de digérer et d’assimiler par un travail d’intégration stylistique et d’homogénéisation. Si cette oeuvre a été récemment découverte en Europe, dans les années 70, c’est peutêtre moins pour avoir été prophétique par rapport à des audaces d’écriture qui n’impressionnent plus que pour son étonnante liberté d’être, sa sympathie avec le monde et la société, et surtout son aisance à vivre et à assumer la pluralité, à intégrer l’hétérogène et le disparate. IVOGUN (Maria), soprano hongroise (Budapest 1891 - Beatenberg, Suisse, 1987). Elle étudia à Vienne, où Bruno Walter la découvrit en 1913. À la suite de l’impression considérable produite par elle dans le rôle de Zerbinetta d’Ariane à Naxos de Strauss, elle fut engagée partout en Europe, et, à partir de 1925, elle chanta aux États-Unis. Sa santé fragile la força cependant à abandonner prématurément sa carrière. Elle se consacra alors au professorat (Elisabeth Schwarzkopf fut parmi ses élèves). Maria Ivogun peut être considérée comme une des meilleures sopranos coloratures de l’entre-deux-guerres. Sa voix, remarquablement facile, était capable d’expression intense. Elle a beaucoup contribué, dans les années 20, à la renaissance des opéras de Mozart sous la direction de Bruno Walter et de Richard Strauss. Elle vocalisait à ravir et son « trille » était célèbre. downloadModeText.vue.download 507 sur 1085

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JACHET DE MANTOUE ou JAQUET, EN LAT. : JACOBUS COLLEBAUDI), compositeur français (Vitré, près de Rennes, 1483 - Mantoue 1559). On ne trouve sa trace qu’en 1525 à Ferrare, puis en 1526 à Mantoue, où il fut chantre à la chapelle du cardinal Ercole Gonzaga avant de diriger la maîtrise de cet établissement (1534). Toujours à Mantoue, il devint maître de chapelle à la cathédrale Saint-Pierre (1539). Estimé de ses contemporains, il semble n’avoir composé que des oeuvres de musique religieuse. Ses recueils, imprimés, pour la plupart, à Venise, renferment des messes à 4 et à 5 voix, des motets, hymnes, magnificat. Une de ses messes intitulée Surge Petre, à 6 voix, fut publiée à Paris en 1557 par Le Roy et Ballard. Palestrina lui-même construisit quatre messes polyphoniques à partir de motets de Jachet, dont trois sont du type « parodie ». JACOB (Gordon), compositeur et musicologue anglais (Londres 1895 - Saffron Walden 1984). Il étudia la composition avec C. V. Stanford au Royal College of Music après la Première Guerre mondiale, et fut professeur dans cet établissement de 1926 à 1966. Il a composé une oeuvre abondante, qui se distingue par l’élégance de sa facture, par son caractère facile et mélodique, mais qui manque peut-être de profondeur : deux symphoniques (1928-29, 1943-44), quatre Sinfoniettas, quatre suites pour orchestre, des concertos pour divers instruments, de la musique de chambre et des oeuvres vocales, des ballets et la suite de ballet Mam’zelle Angot. Il a publié un ouvrage sur l’instrumentation, Orchestral Technique (1931), How to Read a Score (1944) et The Composer and his Art (1960), et a dirigé à partir de 1948 les Penguin Scores. JACOB (Maxime), compositeur français (Bordeaux 1906 - En-Calcat, Tarn, 1977). Extrêmement précoce, il était encore sur les bancs du lycée lorsqu’il commença à composer. En 1921, il rencontra D. Milhaud qui l’encouragea, le présenta à E. Satie, et lui conseilla d’étudier l’harmonie avec C. Koechlin et le contrepoint avec A. Gedalge. En 1923, l’école d’Arcueil, dont il fit partie, donna le premier

concert de Jacob. À l’orée d’une carrière qui s’annonçait brillante, il se convertit au catholicisme et, bientôt, se retira au monastère bénédictin d’En-Calcat (1930). Ordonné prêtre en 1936, il fut désormais Dom Clément Jacob, mais poursuivit parallèlement son activité de compositeur. Son oeuvre comprend de la musique pour orchestre, dont un Concerto pour piano (1961), de la musique de chambre (sonates pour piano, pour violon, pour violoncelle, huit quatuors à cordes). Sa musique est spontanée, empreinte de fraîcheur. C’est dans l’alliance avec la poésie qu’elle trouve néanmoins ses voix privilégiées : les mélodies (en nombre considérable) constituent le meilleur de son oeuvre. Enfin, citons un opéra-comique sur le livret de Sedaine : Blaise le Savetier (1926). JACOB DE SENLECHES ou JACOPINUS SELESSES, compositeur probablement originaire d’Aragon ( ? v. 1345 - ? v. 1410). En Aragon, il fut surnommé lo Bègue, mais il est également connu sous les noms de Jacquemin de Sanleches et de Jacomi de Sentluch. Sa carrière commença à la cathédrale de Saragosse et il fut rattaché à la cour du roi Jean Ier d’Aragon. En 1378, il accompagna le duc de Gérone en Flandre et revint en Espagne en 1379, à la cour de Castille, où il demeura jusqu’en 1383 avant de se fixer à la cour du roi de Navarre. Cependant, en 1391, il regagna Saragosse où il fut nommé harpiste du roi. Appartenant au groupe de compositeurs de l’Ars subtilior, il possédait une grande science de l’écriture musicale. On conserve de lui notamment quatre ballades et deux virelais (manuscrits de Chantilly et de Modène). JACOBS (René), haute-contre belge (Gand 1946). D’abord choriste à la cathédrale de Gand, il étudie le chant à Bruxelles avec Louis Devos et à La Haye avec Lucie Frateur. Il rencontre aussi Alfred Deller dont il se considère comme un héritier. Depuis 1975, il commence une carrière internationale qui l’amène à chanter sous la direction de Leonhardt, Harnoncourt, Kuijken et Gardiner. Rapidement célèbre, il publie en 1985 le livre Controverse sur le timbre de contre-ténor. Depuis 1988, il dirige le Studio Lyrique du Centre de

musique baroque de Versailles. Il dirige également le Concerto vocale de Cologne et plusieurs orchestres baroques. Sa principale préoccupation est de ressusciter l’opéra vénitien en redécouvrant Giasone, Xerse, Erismena et la Calisto de Cavalli. Il reconstitue également l’Orontea de Cesti, et aborde ensuite le répertoire allemand : il interprète Graun, Gassman et Gluck, et, en 1994, dirige l’Orfeo de Monteverdi à Salzbourg. Il déploie une grande activité pédagogique à Bâle et à Berlin, où il dirige l’Akademie für alte Musik. Il a signé plus de quatre-vingts enregistrements. downloadModeText.vue.download 508 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 502 JACOPO DA BOLOGNA, compositeur et théoricien italien (XIVe s). L’époque de sa pleine activité se situe entre 1340 et 1360 en Italie du Nord. Ses contemporains le tinrent pour un virtuose de la harpe et il fut le maître de Francesco Landini. À Milan, il fut musicien à la cour de Luchino Visconti jusqu’à la mort de ce dernier en 1349. Plusieurs de ses motets et madrigaux en font foi. On le trouve ensuite au service de Mastino II della Scala, à Vérone, de 1349 à 1351. Enfin, en 1360, il écrivit un motet pour le mariage de Gian Galeazzo avec Isabelle de Valois. Avec Giovanni da Cascia, Jacopo da Bologna contribua au développement de l’Ars nova en Italie, à l’éclosion de cette nouvelle école polyphonique qui trouva, avec Landini, ses plus beaux accents. Il est également l’auteur d’un traité, L’Arte del biscanto misurato secondo el maestro Jacopo da Bologna, conservé à la bibliothèque Medicea Laurenziana à Florence. Sa musique se caractérise par une vitalité rythmique débordante et parsemée d’audaces harmoniques. De ses compositions, trente-quatre nous sont parvenues : trente madrigaux à 2 et à 3 voix (ceux à trois voix sont les premiers du genre), un motet à 3 voix, deux caccie à 3 voix (autre type de composition très prisé de cette école) et une laude à 3 ou 2 voix. Une édition moderne des oeuvres complètes a paru en 1954, The Music of Jacopo da Bologna, avec une traduction anglaise du traité. JACOTIN, compositeur français (1re moitié XVIe s.).

François Lesure propose d’identifier ce personnage avec Jacques ou « Jacotin » Le Bel, chantre et chanoine ordinaire de la chapelle du roi de 1532 à 1555. La plus grande partie de son oeuvre a paru chez Attaignant à Paris entre 1519 et 1556. Ses chansons à 4 voix appartiennent au courant général du style parisien ; certaines d’entre elles rappellent la simplicité et la clarté d’écriture d’un Sermisy (Voyant souffrir celle qui me tourmente). En revanche, dans les six motets conservés (Attaignant, 1534-35), il se montre conservateur et respectueux de l’ancienne école de Josquin Des Prés. JACQUES DE LIÈGE, théoricien (Liège v. 1260 - id. v. 1340). Il passa toute sa vie à Liège, sauf durant une assez courte période à Paris, où il semble avoir travaillé avec Petrus de Cruce. D’un esprit plutôt conservateur, il prônait néanmoins les rythmes binaires afin de libérer la musique religieuse de son étau ternaire. En revanche, il s’opposa aux théories de l’Ars nova qui se dessinaient autour de lui. Il rédigea un sévère traité encyclopédique de la musique en sept volumes, le Speculum musicae, dont une réédition a été entreprise, en 1955, par l’American Institute of Musicology. JACQUET DE LA GUERRE (Élisabeth), compositeur et claveciniste française (Paris 1665 - id. 1729). Fille de l’organiste Claude Jacquet, elle joua du clavecin devant Louis XIV dès l’âge de cinq ans. En 1684, elle épousa Marin de La Guerre. Installée à Paris, elle devint un célèbre professeur de clavecin. En 1687, elle publia son Premier livre de Pièces de clavecin et en 1707 des Pièces de clavecin qui peuvent se jouer sur le viollon. Elle fut également l’auteur de deux livres de Cantates françoises pour une et deux voix et basse continue, avec ou sans instruments mélodiques, sur des sujets empruntés, pour la plupart, à l’Ancien Testament (Esther, le Passage de la mer Rouge, Judith). Sa tragédie lyrique Céphale et Procris (1694) est la première oeuvre d’une femme compositeur représentée à l’Académie royale de musique. JADIN, famille de musiciens français d’origine flamande.

Jean-Baptiste, violoniste et compositeur ( ? - Versailles v. 1789). Longtemps membre de la chapelle des Habsbourg à Bruxelles, il se fixa à Versailles, peut-être à l’instigation de son frère Georges, bassoniste à la chapelle de Louis XV. Louis Emmanuel, pianiste, pédagogue et compositeur, fils du précédent (Versailles 1768 - Monfort-l’Amaury 1853). Il fut « page de la musique de Louis XVI » et membre de la musique de la garde nationale (1792), et obtint le succès en 1793 avec le Siège de Thionville, écrit pour l’opéra. Il occupa divers postes sous l’Empire et la Restauration. Outre de nombreuses oeuvres pour la scène, il écrivit de la musique sacrée, des mélodies, dont la Mort de Werther (1796), et de la musique instrumentale, en particulier des sonates pour piano et violon publiées à Versailles vers 1787 et des quintettes à cordes, dont un seul a survécu (v. 1828). Très prisé comme accompagnateur au piano, il fut également grand violoniste. Hyacinthe, pianiste et compositeur (Versailles 1776 - Paris 1800). Frère du précédent, élève de son père et de Hüllmandel, il fut professeur de piano au Conservatoire de Paris de 1795 à sa mort et écrivit des sonates pour piano-forte et douze quatuors à cordes répartis en quatre opus de trois (l’opus 1 est dédié à Haydn). JAHN (Otto), archéologue, philologue et musicologue allemand (Kiel 1813 - Göttingen 1869). Docteur en philologie à l’université de Kiel (1839), il fut nommé professeur d’archéologie à Greifswald en 1842 et directeur du musée d’Archéologie de Leipzig en 1847. Suspendu de ses fonctions à cause de ses idées politiques (1851), il enseigna l’archéologie à l’université de Bonn à partir de 1855, puis s’installa à Göttingen peu avant sa mort. Sa biographie de Mozart (4 vol., Leipzig, 1856-1859 ; 2 vol., rév. 1867), qui connut de nombreuses rééditions, lui vaut de figurer parmi les pionniers de la musicologie allemande au XIXe siècle. Cet ouvrage fut, en effet, le premier à mettre en oeuvre la méthode critique comparative élaborée par la philologie classique et servit longtemps de modèle aux biographies

musicales. Jahn publia d’autres travaux, dont la réduction pour piano et chant de la deuxième version du Fidelio de Beethoven (Leipzig, 1851), composa des mélodies et entreprit les biographies de Beethoven et de Haydn, qu’il ne put ou ne voulut pas achever. Mais ces dernières recherches furent utilisées par d’autres musicologues : A. W. Thayer et H. Deiters pour Beethoven, et C. F. Pohl pour Haydn. La place éminente de Jahn dans l’histoire de la musicologie ne fut pas contestée : Hanslick citait ses ouvrages pour appuyer ses propres thèses dans son opuscule Du beau dans la musique, tandis que Köchel lui dédia son catalogue thématique des oeuvres de Mozart. JAMBE DE FER (Philibert), compositeur français (Champlitte v. 1515 - Lyon v. 1566). Peut-être débuta-t-il comme chantre à Poitiers, où il aurait mis en musique les psaumes de Jean Poitevin. Mais, très tôt, ce protestant convaincu vécut à Lyon et, en 1564, il fut chargé de la musique pour l’entrée de Charles IX. La dédicace au roi de ses 150 Psaumes (1563) n’est sans doute pas étrangère à ce choix et à l’autorisation de pratiquer sa religion publiquement. On lui doit une importante contribution polyphonique au psautier huguenot et l’un des premiers traités instrumentaux : l’Épitomé musical des tons, sons et accords es voix humaines, flustes d’alleman, fleustes à neuf trous, violes et violons (Lyon, 1556). JAMET (Pierre), harpiste français (Orléans 1893 - Gargilèse 1991). Après avoir entrepris des études de piano, il découvrit la harpe et entra au Conservatoire de Paris dans la classe de Hasselmans, où il obtint un premier prix en 1912. Il créa la Sonate pour flûte, alto et harpe de Debussy, avec Manouvrier (flûte) et Jarecki (alto). En 1945, il se joignit au Quintette instrumental de Paris, qui prit alors son nom. Il enseigna au Conservatoire de Paris (1948-1963) et fonda, en 1962, l’Association internationale des harpiste et amis de la harpe. Sa fille, MariedownloadModeText.vue.download 509 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 503 Claire (Reims 1933), est également harpiste. JANÁČEK (Leoš), compositeur tchèque (Hukvaldy 1854 - Ostrava 1928). Né dans le pays des Lachs au nord-est de la Moravie, au pied des montagnes de Beskydes, fils et petit-fils d’instituteurs, il perdit son père en 1866 et passa alors quatre ans au couvent des augustins de Brnó, dont le directeur musical, Pavel Křížkovsk’y, lui révéla la grandeur de la musique chorale fondée sur le patrimoine de la chanson tchèque. Janáček entra en 1869 à l’école normale d’instituteurs de Brnó, à laquelle il devait rester attaché de 1872 à 1904. Il put néanmoins suivre trois cycles de formation musicale : le premier à l’école d’organistes de Prague (1874-75) avec F. Z. Skuhersky ; le deuxième au conservatoire de Leipzig avec O. Paul et L. Grill, qu’il critiqua violemment ; le troisième à Vienne auprès de Franz Krenn, dont il réprouva fortement les tendances néoromantiques. De retour à Brnó, le musicien écrivit ses premières compositions chorales sous l’influence de Křížkovsk’y, à l’intention de la chorale Svatoplúk, puis de la chorale Beseda, dont il assura la direction. Il fonda un orchestre d’amateurs et écrivit pour lui la Suite pour cordes et Idylle, fortement inspirées par les sérénades de Dvořák. En 1881, il put enfin réaliser un vieux projet : fonder une école d’orgue à Brnó sur le modèle de Prague, école qui, en 1919, devait être transformée en conservatoire. Cette période d’intense activité pédagogique fut en même temps une période de lutte, de mésentente, puis de désespoir. Sur le plan professionnel, cet instituteur obstiné ne fut guère apprécié de la bourgeoisie de culture allemande. En 1881, il avait épousé Zdenká Schulz, alors âgée de seize ans. Mariage difficile, illuminé par la naissance d’une fille, Olga, puis d’un fils, Vladimir. Mais les deux enfants devaient disparaître prématurément. Il suffit d’écouter l’Élégie sur la mort d’Olga, pour choeur, ténor et piano (1903), pour connaître le retentissement

qu’eut sur Janáček l’échec d’une vie de famille qu’il avait voulue exaltante et frénétique. Il écrivit en 1887 son premier opéra, Šárka, sur un texte de Julius Zeyer. Mais ce dernier lui refusa le droit de mettre son livret en musique, malgré l’appui de Dvořák. Pour mieux pénétrer les origines de la chanson populaire morave, Janáček se rendit fréquemment au pays des Lachs et des Valaques, en compagnie du principal de son collège de Brnó, František Bartoš. Il étudia, nota, collectionna avec Martin Zeman, non seulement les figures mélodiques et rythmiques, mais également le jeu des interprètes de ces chansons moraves, et écrivit les Danses du pays des Lachs (1893), pour piano, puis orchestrées. Ces six pièces devaient attendre 1926 pour être créées. Mais, plus que dans ces pièces encore apparentées aux célèbres Danses slaves de Dvořák, l’originalité de l’écriture de Janáček éclate dans des choeurs d’hommes, comme Zárlivec (« le Jaloux »), Kantor Halfar (1906), Maryčka Magdónova (19061907), Peřina (v. 1914), Potuln’y šílenec (« le Fou errant », 1922). Le compositeur arrive, ici, à respecter non seulement la prosodie naturelle du langage parlé, mais aussi à en rendre la « vibration affective ». D’où cette spontanéité, cette communion immédiate pour qui parle le tchèque dialectal, où l’accent tonique est porté sur l’avant-dernière syllabe. « Il n’y a pas d’art plus grand que la musique du langage humain, car il n’existe pas d’instrument qui puisse permettre à un artiste d’exprimer ses sentiments avec une véracité égale à celle de la musique du langage parlé. » Peu à peu, Janáček étendit cette restitution du sentiment des personnages mis en scène, du choeur à la cantate, ainsi dans les Carnets d’un disparu (1917-1919), puis surtout au drame lyrique. Il importe finalement peu que le compositeur se soit également passionné pour la littérature russe et polonaise. On comprend qu’il se soit senti aussi proche de Moussorgski que de Pouchkine. Mais son mode d’expression est fondamentalement différent. Même lorsqu’il se passionne pour les événements sociaux (Sonate I. X. 1905) ou patriotiques (choeurs la Légion tchèque ou Naše vlajka, « Notre drapeau »), qui l’entourent, Janáček ne fait qu’exalter les sentiments de ses

concitoyens. Il écrivit en 1903 son troisième opéra Jenufá, monté sans succès à Brnó, en 1904. Ce drame, sur un livret de la poétesse Gabriela Preissová, exploite pourtant le sens inné de son auteur pour recréer la vie. « L’essentiel dans une oeuvre dramatique est de créer une mélodie du parler derrière laquelle apparaisse, comme par miracle, un être humain dans un instant concret de sa vie. » Jenufá attendit le 26 mai 1916 pour être créée à Prague par le meilleur chef tchèque de l’époque, Karel Kovařovic. Ce succès, si longtemps espéré, fit d’un compositeur sexagénaire un homme nouveau, le chantre d’un pays qui allait atteindre sa pleine renaissance, au lendemain de la guerre de 1914-1918, avec la création de l’État tchéchoslovaque. Les dix dernières années de sa vie virent naître une série de chefs-d’oeuvre dont l’originalité étonne encore les musicologues. Janáček transposa alors à la scène, à l’orchestre et en musique de chambre son sens de la rhapsodie épique, d’origine russe. Ainsi naquirent le Conte pour violoncelle et piano (1910), d’après la légende du tsar Berendej, écrite par V. A. Joukovsky, la Sonate pour violon (1914-1921), véritable ballade épique, ou encore le triptyque symphonique Tarass Boulba (1915-1918), d’après Gogol. Ici, contrairement à R. Strauss, Janáček ne cherche pas à raconter la « vie d’un héros », mais présente un véritable opéra sans paroles, une suite de scènes violentes réduites à l’essentiel. Les Voyages de Monsieur Brouček (1908-1917) forment un opéra faussement comique dont le héros visite d’abord la lune, puis, comme le petit bourgeois praguois germanisé, soucieux de retrouver un idéal révolutionnaire, le XVe siècle hussite. En 1918, le doute n’était plus permis, Janáček dédia à la patrie libérée la Ballade de Blaník (1920), qui s’inspire d’une vieille légende selon laquelle des chevaliers cachés au flanc du mont Blaník seraient toujours prêts à intervenir si la nation tchèque était en danger. Encore plus originale est la cantate le Journal d’un disparu (1917-1919), confession d’un jeune garçon disparaissant du monde pour mieux poursuivre une belle Tzigane, dont il s’est épris. La tendance est nette, car toute cette

période de création fut dominée par l’amour que Janáček portait à la jeune Kamila Stösslova. L’oeuvre est constituée de brèves cellules mélodiques et rythmiques permettant d’identifier à la fois le personnage, ses sentiments et son caractère profond. Le lien dramatique, la mise en scène sont réalisés par le piano, véritable révélateur du climat, personnage provocateur qui règle, avec autant de finesse que d’efficacité, le jeu inouï de tensions de ce journal intime. Puis vinrent quatre grands opéras : Katia Kabanová (1919-1921) ; la Petite Renarde rusée (créée à Brnó en 1924), suite de tableaux paysans, mettant en scène le garde-champêtre, le curé et l’instituteur, et d’où jaillissent aussi bien des chants d’oiseaux qu’un impressionnisme dynamique ; l’Affaire Macropoulos (1923-1925, créée en 1926), qui conte l’aventure utopique d’Emilia Marty, en vie depuis 300 ans « sans rien vouloir et n’attendant plus rien « ; et De la maison des morts d’après Dostoïevski (1927-28, créé en 1930). Parallèlement, Janáček, septuagénaire, écrivit son premier quatuor à cordes, d’après la Sonate à Kreutzer de Tolstoï (1923-1925), un sextuor pour instruments, dont le titre, Jeunesse, est significatif (1924-25), et qui servit d’épure aux deux pièces concertantes pour piano, le Concertino pour piano, deux violons, alto, clarinette, cor et basson (1925) et le Capriccio pour piano main gauche, flûte piccolo, 2 trompettes, downloadModeText.vue.download 510 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 504 3 trombones et 1 tuba (1926), puis aux Dictons pour ensemble vocal et instrumental (1927-28), où les instruments à vent atteignent à une puissance motorique, à des jeux de timbres et de sonorités, qui font de Janáček un novateur, comparé aux oeuvres stravinskienne ou bartokiennes contemporaines. L’apothéose de l’écriture et de la vitalité de Janáček est atteinte dans les trois derniers chefs-d’oeuvre. La Sinfonietta (1926) sonne de façon étrange avec sa section d’instruments à vent comprenant neuf trompettes, deux tubas ténors et deux trompette-basses. Ici, Janáček « chante l’homme tchèque dans sa beauté

spirituelle, sa joie et sa force », et la Sinfonietta est un véritable autoportrait de cet homme que Vaclav Talich, son créateur, présentait ainsi : « C’était un esprit fort ! Une tête dure, belle, fière, obstinée : un véritable cabochard. Mais il savait attendre. C’est pourquoi, il avait un goût instinctif pour les points d’orgue et les silences. » La Messe glagolithique (1926) est une oeuvre de la même veine, aussi concise qu’optimiste, aussi puissante qu’obstinée. Par son langage rude et spontané et son utilisation de la vieille langue slavone, cette messe est un véritable acte de foi en la bonté de Dieu et en la puissance créatrice des hommes de sa race. Puis vint l’oeuvre ultime, le Second Quatuor « Lettres intimes », lettre brûlante d’amour d’un vieillard de soixante-quatorze ans (1928). Bâti pour être centenaire, Janáček disparut le 12 août 1928, après avoir pris froid dans la forêt d’Hukvaldy, sa petite ville natale. L’oeuvre de Janáček n’est pas un cas isolé dans le contexte de la musique tchèque. Formé à la dure école des instituteurs-compositeurs, il eut le mérite d’atteindre à l’expression la plus vraie, celle où la musique devient un langage direct, une image de la vie, la vision spontanée de sentiments vécus. Un tel réalisme a ses exigences. Ses interprètes doivent connaître le tchèque parlé. Même son oeuvre instrumentale et symphonique requiert un respect des rythmes, un sens des contrastes, une couleur de timbre, difficiles à recréer par des interprètes non tchèques. La vitalité même de cette musique peut être considérée comme une agression par l’auditeur non averti, d’autant qu’elle offre des particularités qui se retrouvent dans d’autres oeuvres du XXe siècle : harmonies de quarte, enchaînements mélodiques d’accords non résolus, gammes par tons entiers, importance du contrepoint rythmique, orchestration jouant sur les temps de réponse différents entre cuivres et bois, restitution des chants et cris d’oiseaux, dynamique chorale pouvant donner l’impression du rire comme des larmes, de l’effet de foule, du déplacement dans l’espace. Mais Janáček ne cherchait pas la nouveauté en soi. Il eut l’intuition et l’instinct d’une nouvelle plastique musicale et, dans le domaine de l’opéra en particulier, reste un des compositeurs les plus grands et les plus

originaux. Que ce musicien, né avant Mahler et Claude Debussy, ait réussi à écrire la plupart de ses chefs-d’oeuvre dans les années 1920 n’est pas un de ses moindres mérites. JANEQUIN (Clément), compositeur français (Châtellerault v. 1485 - Paris 1558). On ignore tout de la jeunesse et de la formation de cet ecclésiastique rarement inspiré par le culte divin. Peut-être futil attaché à la maîtrise de Notre-Dame de Châtellerault. Il passa une longue période de sa vie dans le Bordelais, fréquentant les cercles humanistes de Lancelot du Fau, vicaire général de l’archevêché (1505-1523), de Jean de Foix, archevêque de Bordeaux, et de l’avocat Bernard de Lahet. De modestes prébendes - il fut chanoine de Saint-Émilion (1525), curé de Saint-Michel de Rieufret (1526), curé de Saint-Jean de Mezos (1530), doyen de Garosse (1530) - ne pouvant compenser la perte des avantages dont l’avait privé la mort de son protecteur Jean de Foix (1529), il gagna l’Anjou (1533), où son frère résidait. Curé de Brossary à partir de 1526, il devint chapelain de la cathédrale d’Angers (1527) et fut nommé maître de la psalette (1534). Alors s’ouvrit pour lui la période la plus fructueuse sur le plan de la composition. Il publia cent vingt-cinq chansons, dont certaines sont des arrangements, et un recueil de motets (perdu). À Angers, où le protégeait François de Gondi, seigneur des Raffoux, il décida d’entreprendre, en 1548, à plus de soixante ans, des études universitaires qu’il poursuivit à Paris où il s’installa en 1549. Il gagna la protection du cardinal Jean de Lorraine, celle du duc François de Guise, dont il célébra les succès militaires (la Guerre de Renty, le Siège de Metz) et qui lui accorda le titre de chapelain. En 1555, son talent sembla enfin reconnu : il fut nommé chantre de la Chapelle du roi, puis, en 1558, compositeur ordinaire du roi. Reconnaissance bien tardive, puisqu’il mourut pendant l’hiver 1558 sans jamais avoir joui de l’aisance matérielle. Pourtant, en 1541, Janequin était déjà une valeur si sûre que l’imprimeur Gardane à Venise se servait de son nom comme appel de vente. Et la Guerre (v. 1528), plus tard baptisée Bataille de Marignan, connut une ample diffusion qui se prolongea jusqu’au début du XIXe siècle. L’oeuvre religieuse de Janequin, certes,

de dimension restreinte, est aujourd’hui fort amputée : tous ses motets, à une exception près, sont perdus ; les deux messes sont d’attribution douteuse ; trois parties manquent aux 82 Psaumes de David (1559), dédiés à la reine et bâtis sur des mélodies calvinistes. Ce fut d’ailleurs à la fin de sa vie qu’il privilégia une orientation spirituelle, négligeant, alors, quelque peu le genre dans lequel il était passé maître : la chanson profane, dont nous conservons environ 250 exemplaires publiés à partir de 1520. Dans ce cadre étroit, Janequin se sentit particulièrement à l’aise, collant étroitement au texte de forme libre pour le commenter. Spontanément, avec une joie débordante, il dit l’amour de la nature sous toutes ses formes : celle du Bel Aubépin verdissant (Ronsard), les plaisirs de la table (Quand je bois du vin clairet) ou les réalités charnelles (Au joli jeu du pousse avant, Un jour Robin, Petite Nymphe folastre), sans négliger la veine lyrique (Ô doux regard, l’Amour, la Mort et la Vie) et même courtoise, où se mêle parfois la pointe de préciosité chère à Mellin de Saint-Gelais. Si Janequin excelle dans les fresques descriptives, nullement les plus nombreuses (la Guerre, les Cris de Paris, le Caquet des femmes, le Chant des oiseaux), c’est qu’il sait admirablement faire de la chanson un théâtre en miniature. Il lui imprime une vie débordante en mettant l’accent, d’abord sur le rythme, et ensuite, seulement, sur l’invention mélodique. La déclamation y est syllabique, les phrases musicales y sont courtes, comme les imitations serrées qui passent d’une voix à l’autre, les mélismes généralement absents. Ce sont d’ailleurs les caractéristiques de la chanson parisienne dans son ensemble, au cours de la première moitié du XVIe siècle. L’emploi des onomatopées témoigne d’une écoute attentive du quotidien et d’un sens ineffable du jeu rythmique (ainsi, dans l’Alouette à laquelle C. Le Jeune a ajouté une cinquième voix pour l’incorporer dans son Printemps). Pour la Guerre, Janequin a recherché les phonèmes propres à traduire le choc des armes. Quant à Ô doux regard, cette pièce montre la mobilité harmonique du discours de Janequin, son souci de la couleur dans un climat tout de raffinement et de sensibilité. JANIEWICZ (Felix), compositeur, violoniste et chef d’orchestre polonais (Vilno

1762 - Édimbourg 1848). Il fut d’abord violoniste dans l’orchestre royal de Stanislas August Poniatowski à Varsovie. Il alla à Vienne en 1785, où il rencontra Mozart et il y fut l’élève de Haydn. Il fit des voyages à Paris et en Italie avant de s’installer en Angleterre en 1792. Il joua un rôle très actif dans la vie musicale britannique, participant aux mêmes concerts que Haydn en 1794, constituant une bibliothèque musicale à Liverpool en 1803 et contribuant à l’orgadownloadModeText.vue.download 511 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 505 nisation de nombreux festivals musicaux (dont celui d’Édimbourg). Janiewicz fut aussi l’un des cofondateurs de la Société philharmonique de Londres. Son style classique fait cependant référence aux danses populaires polonaises (mazurka, krakowiak). Son oeuvre est essentiellement instrumentale : six divertimentos pour cordes, trios, cinq concertos pour violon. JANIGRO (Antonio), violoncelliste et chef d’orchestre yougoslave (Milan 1918 - id. 1989). Élève de G. Crepax au conservatoire de Milan, puis de D. Alexanian à l’École normale de musique de Paris, il entra dans la carrière dès l’âge de seize ans et avait déjà fait plusieurs tournées dans le monde quand il se fixa à Zagreb en 1939. Professeur au conservatoire de cette ville jusqu’en 1953, il fonda en 1954 les Solistes de Zagreb, ensemble de douze musiciens, dont la réputation fut bientôt internationale, et dirigea aussi, à partir de 1953, l’orchestre de chambre de Radio-Zagreb. Nommé professeur de violoncelle au conservatoire de Düsseldorf en 1965, il fut aussi le successeur de Karl Ristenpart, trois ans plus tard, à la tête de l’Orchestre de chambre de la Sarre. JANIS (Byron), pianiste américain (McKeesport, Pennsylvanie, 1928). Né dans une famille d’origine russe, il montre très tôt des dons exceptionnels qui attirent l’attention d’un maître

réputé : Josef Lhevine. Il travaille aussi avec Rosina Lhevine et Adele Marcus, puis, à New York, bénéficie des leçons de Vladimir Horowitz. Mais bien que s’étant produit en public dès l’âge de quinze ans dans le 2e Concerto de Rachmaninov, il ne débute réellement qu’à vingt ans. Déjà consacré aux États-Unis, il entreprend en 1952 sa première tournée européenne, qui sera suivie de bien d’autres. Particulièrement apprécié en Union soviétique, où il est considéré comme le meilleur interprète étranger de Rachmaninov et de Prokofiev, Byron Janis excelle dans le répertoire romantique, auquel il apporte une technique et une fougue peu communes. JANKÉLÉVITCH (Vladimir), philosophe français (Bourges 1903 - Paris 1985). Professeur aux universités de Lille et de Toulouse, puis, en 1952, à la Sorbonne, il a consacré une part très importante de ses travaux à la musique. Cernant les aspects les plus fugitifs, les plus impondérables de l’art de Fauré, de Debussy et de Ravel, il a introduit dans l’analyse musicale un élément neuf et des principes féconds. Son écriture, suggestive et souple, nourrie de références, sa pensée libre, ondoyante, d’une rare finesse, ses intuitions de poète, sont chez lui les composantes de son art de la critique. JANOVITZ (Gundula), soprano allemande (Berlin 1939). Elle fut découverte par Herbert von Karajan, qui fit beaucoup pour sa fulgurante carrière. Elle fit ses débuts à l’Opéra de Vienne en 1961 (Pamina de la Flûte enchantée). Dès l’année suivante, elle se produisit aux festivals de Bayreuth, de Salzbourg, d’Aix-en-Provence, de Glyndebourne et d’Édimbourg. À Vienne, en 1964, elle incarna l’impératrice dans la Femme sans ombre de Richard Strauss et, en 1967, à Salzbourg, se risqua dans Sieglinde de la Walkyrie. Possédant un timbre lyrico-dramatique d’un rare éclat, Gundula Janovitz excelle également dans les rôles des répertoires allemand et italien. La perfection, un peu froide, de ses premières incarnations a peu à peu fait place à une intensité aussi convaincante du point de vue dramatique musical. Elle a pris en 1990 la direction de l’Opéra de Graz.

JANOWSKI (Marek), chef d’orchestre allemand (Varsovie 1939). Il étudie à la Hochschule de Cologne, ville où il fait, ainsi qu’à Aix-la-Chapelle, ses débuts de chef d’orchestre assistant. À vingt-quatre ans, il est nommé deuxième chef de l’Opéra allemand du Rhin et en 1966 chef principal de l’Opéra de Cologne. Engagé par R. Liebermann à l’Opéra de Hambourg en 1969, il y reste cinq ans. Pendant cette période, il dirige également à l’Opéra de Munich, ainsi qu’à ceux de Stuttgart, Cologne et Wiesbaden. De 1973 à 1975, il est directeur musical à Fribourg et de 1975 à 1980 à Dortmund. De 1980 à 1983, il est principal chef invité du Royal Liverpool Philharmonic Orchestra, puis directeur musical de cette formation de 1983 à 1987. En 1984, Radio France l’engage comme premier chef du Nouvel Orchestre philharmonique, et à partir de 1988 comme directeur musical de cet orchestre. De 1986 à 1990, il a aussi été directeur musical du Gürzenich de Cologne. Profondément familier de l’opéra allemand de Weber à Strauss, il est plus généralement un excellent interprète de la musique germanique. Son enregistrement (avec l’Orchestre philharmonique de Radio France) des quatre symphonies de Roussel a obtenu en 1996 un Grand Prix de l’Académie Charles-Cros. JANSEN (Jacques), baryton français (Paris 1913). Élève de Charles Panzera, il débuta en 1941 à l’Opéra-Comique dans le rôle qui devait dominer toute sa carrière : celui de Pelléas qui convenait admirablement non seulement à son type de voix, mais à un physique de jeune premier romantique qu’il a d’ailleurs conservé au-delà de la cinquantaine. Outre le drame lyrique de Debussy, qu’il a également interprété à Londres, Milan, Vienne et New York, Jacques Jansen s’est distingué à l’Opéra-Comique dans Fragonard, Malvina, Monsieur Beaucaire, Masques et Bergamasques, et, sur d’autres scènes, dans Mârouf et la Veuve joyeuse. À l’Opéra, il n’a paru que dans les Indes galantes. Malgré sa musicalité et sa diction parfaite, il ne possédait pas l’ampleur vocale d’un baryton d’opéra et devait se borner aux emplois légers du répertoire.

JANSONS (Mariss), chef d’orchestre letton (Riga 1943). Il étudie le violon, l’alto, le piano et la direction d’orchestre au Conservatoire de Leningrad. Se perfectionnant auprès de Hans Swarowski à Vienne et de Karajan à Salzbourg, il devient en 1971 assistant de Mravinski à la Philharmonie de Leningrad. En 1979, il est nommé à la tête de l’Orchestre symphonique d’Oslo, avec lequel il a enregistré Grieg, l’intégrale des symphonies de Tchaïkovski et plusieurs oeuvres de Sibelius et de Stravinski. Invité en Grande-Bretagne et aux États-Unis, il fait ses débuts à la Philharmonie de Berlin en 1988. Premier chef invité de la Philharmonie de SaintPétersbourg, il succède en 1996 à Lorin Maazel à la tête de l’Orchestre symphonique de Pittsburgh. JAPONAISE (MUSIQUE). Par « musique japonaise », on désigne à la fois les formes musicales nées au Japon et celles qui ont été importées, du continent asiatique, puis de l’Occident au XIXe siècle. Les premières se sont si bien « japonisées », après plusieurs siècles d’évolution, qu’elles n’ont pratiquement plus de points communs avec les formes dont elles sont issues. Quant aux secondes, elles se sont développées au Japon de telle manière qu’elles présentent des caractères spécifiques qui les différencient de leurs modèles occidentaux. DES ORIGINES À NOS JOURS. L’histoire de la musique japonaise comprend cinq grandes périodes. La période préhistorique (du IIe s. av. J.-C. à 645, début de l’époque de Nara) correspond au développement interne de la musique japonaise, hors de tout contact étranger. La période antique (époques de Nara, 645-794, et de Heian, 794-1185) voit l’introduction et l’assimilation des formes musicales venues du continent asiatique. C’est au cours de la période médiévale que naît véritablement la mudownloadModeText.vue.download 512 sur 1085

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sique traditionnelle japonaise (époques de Kamakura, 1185-1333, et de Muromachi, 1333-1573). Pendant la période moderne (époque de Momoyama, 15731603, et jusqu’à la restauration de Meiji, 1868), on assiste à l’essor de la musique théâtrale et pour instrument solo. Enfin, la période contemporaine (de l’ère Meiji, 1868-1912, à nos jours) est caractérisée par la pénétration de la musique classique occidentale. Ce découpage historique est fondé sur des changements d’orientation, qui, dans le domaine musical, reflètent les réformes politiques et sociales les plus importantes de l’histoire japonaise. Mais ce ne sont là que des « bornes indicatrices » jalonnant l’évolution de la musique. Au fil de ces quelque vingt siècles d’histoire, un phénomène tout à fait remarquable attire l’attention : l’alternance de formes musicales déterminées et indéterminées. L’ALTERNANCE DES MUSIQUES DÉTERMINÉE ET INDÉTERMINÉE. La musique déterminée - telle la musique classique occidentale - est caractérisée par ses éléments constitutifs fixes : hauteur des notes déterminée par le diapason, valeur temporelle et rythmique mesurée à l’aide d’une unité temporelle arithmétique. La musique instrumentale de cour (Gagaku) appartient à ce type. Les composantes de la musique indéterminée sont moins rigoureusement définies. La hauteur des notes est déterminée par rapport à une note-repère, librement émise et susceptible de varier. Et c’est une périodicité fluctuante qui commande le rythme. On peut citer la musique du théâtre nô comme exemple de forme indéterminée. Si les matériaux sonores utilisés n’ont pas de fixité, nous sommes loin toutefois de l’improvisation avec cette seconde catégorie de composition musicale. Et il serait faux de croire, comme on a trop souvent tendance à le faire, que la musique indéterminée est moins élaborée et inférieure à la musique déterminée, dont elle représenterait une sorte de phase primaire. D’après les découvertes archéologiques (Ken, flûte en terre ou en pierre, IIe s. av. J.-C. ; Haniwa, figurines mortuaires en terre cuite, Ve s. apr. J.-C., dont

certaines représentent des personnages jouant d’instruments tels que le Koto à cinq ou six cordes, la flûte, le tambour, ou encore en train de chanter et de danser), et d’après divers documents, il est vraisemblable que la musique autochtone primitive ait été de forme indéterminée, vocale avec accompagnement d’un ou deux instruments et parfois de danse. C’était sans doute une musique qui servait soit au culte, soit pour les fêtes ou le divertissement. La musique déterminée a dû s’introduire au Japon au contact de la musique asiatique (VeVIIe s. apr. J.-C.). Car deux formes de cette époque, conservées jusqu’à nos jours, Shômyô (chant liturgique bouddhique) et Gagaku (musique instrumentale de cour, appelée Saibara et Rôei quand elle est chantée, et Bugaku, quand elle est dansée), présentent des éléments constitutifs fixes. De ce fait, la période antique a été marquée par l’assimilation de la musique continentale. Au XIIIe siècle, le changement de régime politique entraîna la résurgence de la musique indéterminée. Les militaires, en s’emparant du pouvoir, voulurent discréditer tout ce que la classe aristocratique, jusqu’alors dominante, avait valorisé et, entre autres, la musique acclimatée à la Cour. C’est ainsi que, pendant les sept siècles du gouvernement des généraux (début de Kamakura, 1185, à la fin d’Edo, 1868), on assista à une véritable floraison de genres musicaux, issus du vieux fonds autochtone de type indéterminé, et caractéristiques de ce qu’il y a de plus fondamentalement original dans la musique traditionnelle du Japon. Le Kôshiki, chant sacré à la gloire des divinités et des ancêtres, apparut tout d’abord ; suivi du Heikyoku, récit épique débité avec accompagnement d’un luth à quatre ou cinq cordes, le Biwa ; puis ce fut le nô, espèce de théâtre poétique, chanté, récité, dialogué, mimé et dansé par les principaux acteurs, dont le jeu est soutenu par les interventions du choeur et de trois ou quatre instrumentistes. Originellement simple divertissement populaire, le nô s’est petit à petit affiné, devenant un spectacle élaboré, réservé à la classe dirigeante. Le peuple des villes, ainsi dépouillé de ses attractions, en arriva à créer de nouveaux genres musicaux et théâtraux en adoptant le Shamisen, luth à trois cordes, qui se joue avec

un plectre et qui fut importé de Chine, en passant par les Ryukyu, vers le milieu du XVIe siècle. L’association des marionnettes et du chant récitatif Jôruri accompagné au Shamisen donna alors naissance au Bunraku, théâtre de marionnettes. Le théâtre de Kabuki, chanté et dansé, incorpora des chants avec accompagnement de Shamisen tels que Kiyomoto, Tokiwazu et même créa un nouveau chant, plus long : Nagauta. La classe populaire s’engoua, à cette époque, des solos instrumentaux, pour Shakuhachi (flûte verticale à cinq trous, en bambou), ou pour Koto (cithare à treize cordes), ainsi que des solos vocaux comme Jiuta, Kouta, accompagnés au Shamisen, ou Satsuma-biwa et Chikuzen-biwa, chants et récits accompagnés au Biwa. La restauration de Meiji (1868), en rendant le pouvoir à la famille impériale, entraîna le déclin de la musique indéterminée, protégée par les gouverneurs militaires, et marqua le renouveau de la musique déterminée, venue cette fois de l’Occident. Cette alternance des musiques déterminée et indéterminée fut lourde de conséquences au niveau de la structure musicale, du système tonal et de la notation. Et on ne saurait étudier la musique japonaise, si l’on ne tient pas compte des caractéristiques imposées par chacune de ces deux catégories musicales. Bien des erreurs ont été commises par les musicologues occidentaux qui ont méconnu cette distinction capitale. LA MUSIQUE TRADITIONNELLE. Malgré les différences qui séparent les musiques indéterminée et déterminée, les formes musicales japonaises présentent, dans leur ensemble, quelques constantes caractéristiques. Le cloisonnement social est si poussé que chaque classe possède ses instruments et sa technique d’exécution propres. Par exemple, si l’on compare le Biwa de Gagaku au Biwa de Heikyoku ou de Satsuma-biwa, on voit que chacun possède une facture spécifique, ainsi qu’une notation et une technique de doigté et de plectre particulières. Ces dif-

férences tiennent au fait que ces instruments ont été introduits dans des milieux distincts et pas aux mêmes époques. Un tel cloisonnement musical résulte de la hiérarchie attachée à la société féodale. Un autre aspect remarquable de la musique traditionnelle est son caractère rituel, sa stylisation extrême. Un spectacle de nô ou une pièce pour Shakuhachi, par exemple, donne l’impression d’une cérémonie : rien, en effet, n’est spontané. L’exécutant n’a aucune liberté d’interprétation, chaque geste, chaque émission vocale étant fixés. La philosophie chinoise a dû jouer, à l’origine, un certain rôle dans cette ritualisation musicale. Car, pour les Chinois des temps anciens, la musique contribuait à régler l’ordre social en harmonie avec l’ordre cosmique, comme l’atteste l’appellation de Reigaku (Rei : « politesse », « étiquette », et Gaku : « musique »). Plus que tous les autres pays d’Extrême-Orient, le Japon a développé ce ritualisme musical, conforme à l’idée que l’art n’est pas un simple divertissement, mais une « voie » (dô) [cf. Ken-dô, Jû-dô, etc.], une sorte d’exercice spirituel. L’exécutant, qui respecte une pratique musicale, comparable, par son formalisme figé, à une pratique religieuse invariante, cherche à se dépouiller de son identité individuelle, à se « vider » de sa personnalité, pour s’harmoniser au cosmos. Le ritualisme va de pair avec un certain statisme : ralenti des mouvements, répétition stéréotypée, qui apparaissent downloadModeText.vue.download 513 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 507 comme les moyens les plus sûrs pour accéder au recueillement et à l’équilibre de soi et de l’univers. Toutefois, le statisme musical est très éloigné de l’immobilité. Sans doute, la lenteur des gestes de danse contribue-t-elle à créer une impression de tenue, mais le statisme est dû essentiellement à la progression sans heurt qu’assure le Jo-ha-kyû (« introduction », « développement », « rapide »). Ce principe fondamental de l’esthétique japonaise atténue les contrastes, en contrôlant l’enchaînement des phases successives, à la fois au niveau de la

vitesse de déroulement, de l’intensité et de la densité sonores. Une pièce de nô, par exemple, évolue à plusieurs reprises de la stagnation à la plus haute animation d’une manière insensible. Certaines danses (hataraki) mimant une scène de vengeance peuvent atteindre un tempo métronomique supérieur à 200 à la noire, sans que l’accélération ait été brutale. Le Jo-ha-kyû règle ainsi la structure des formes musicales traditionnelles en évitant une trop grande excitation émotive chez l’exécutant comme chez le spectateur. Malgré les différences qu’on relève selon les genres et les interprètes, la technique vocale est caractérisée par un ensemble de traits communs tels que les vibratos irréguliers et très amples, la fluctuation des sons, les timbres graves, l’attaque glissante en dessous, etc. La technique instrumentale présente également ses particularités : glissandos, répétition accélérée d’une même note, ondulation des sons, cris, bruits de souffle, de frappe avec le plectre sur la table d’harmonie ou les trous latéraux, frottement des cordes, etc. À vrai dire, ces techniques, vocale et instrumentale, appartiennent plutôt à la musique indéterminée. Dans la musique déterminée, par exemple dans le Gagaku, seul le portamento entre deux notes fixes est utilisé. C’est que le Gagaku, avec son système harmonique fondé sur la superposition de quintes et de quartes, contrôle rigoureusement les hauteurs et le rythme, en recourant à des valeurs fixes, et proscrit en conséquence tous les éléments d’instabilité et les ressources d’ordre psychophysiologique sons glissés, vibratos larges et irréguliers - auxquels les auditeurs réagissent directement, et qui ont été découverts de manière expérimentale, au contact même des sons, dans des échanges sonores immédiats, n’émanant d’aucune théorisation. LES SYSTÈMES TONALS. Si l’on excepte la période préhistorique, trop peu connue, on relève trois systèmes tonals distincts au cours des quinze siècles d’histoire de la musique japonaise. Cette variation est manifes-

tement liée à l’alternance des matériaux sonores fixes ou indéterminés, propres aux deux catégories de formes musicales traditionnelles. On voit, en effet, apparaître un système tonal heptatonique (cinq notes principales, deux notes auxiliaires) fixé au VIIIe siècle, quand on a introduit au Japon la musique chinoise. Quant à la musique autochtone, qui a subsisté à côté de la musique chinoise, elle possède un système tétracordal mobile, conservé dans le Kôshiki (« chant sacré »), le Heikyoku (« chant épique ») et le théâtre nô. Une partition de nô laissée par Zenchiku et datant de 1452 montre que, dès cette époque, on tente de mêler les systèmes tétracordal et heptatonique. Mais la fusion de ces deux systèmes, si dissemblables, ne devait aboutir que vers le XVIIe siècle, où allait naître une échelle hémitonique, Miyako-bushi, caractéristique de la musique d’Edo. LE SYSTÈME HEPTATONIQUE DE L’ÉPOQUE ANTIQUE (VIIIe-XIIIe s.). Introduit à l’époque T’ang, ce système tonal permettait d’établir une échelle de douze notes non tempérées, calculée par la méthode San bun son eki, c’est-à-dire la soustraction d’un tiers de la longueur de base. Les six premiers calculs donnaient l’échelle heptatonique Ryo (mode de fa), qui, transposée douze fois sur chacune des notes de l’échelle de 12 notes, engendrait 84 modes théoriques. Au Japon, ce système s’est modifié et a donné naissance à deux échelles Ryo et Ritsu. Ces dernières servent à constituer les deux principaux modes ou modes de base (Ryo, mode de sol et Ritsu, mode de ré), dont sont issus par transposition les six autres modes employés dans le Gagaku : trois modes transposés de Ryo, sur ré, sol et mi et trois autres modes transposés de Ritsu, sur mi, la et si. Échelle de Ryo : Échelle de Ritsu : Il semble que le chant liturgique bouddhique Shômyô ait été primitivement réglé par les deux échelles Ryo et Ritsu, qui déterminaient la hauteur des notes de façon rigoureuse. Mais ces notes fixes étaient exécutées selon un certain nombre de techniques vocales codifiées. Ainsi le signe Yuri indique une ondulation sur la note fondamen-

tale Kyû ou Chi. En se développant peu à peu indépendamment des notes constitutives, ces différents types d’exécution ont engendré des formes autonomes, qui sont devenues des unités minimales de construction appelées cellules mélodiques. De là est né le système actuel du Shômyô, dans lequel les cellules mélodiques sont employées en même temps que les deux échelles Ryo et Ritsu. C’est ainsi que les cinq notes principales (Kyû, Shô, Kaku, Chi, U) sont fixées par ces échelles, alors que les notes Enbai (« assaisonnement »), qui servent de broderie inférieure, supérieure ou de note de passage glissée sont très fluctuantes. LE SYSTÈME TÉTRACORDAL DE LA PÉRIODE MÉDIÉVALE (XIIIe-XVIIe s.). À partir du XIIIe siècle, de nouveaux genres musicaux se sont donc développés en renouant avec la tradition japonaise. On voit ainsi réapparaître le système tétracordal autochtone, mais qui va subir une double modification. D’une part, on l’élargit, en lui ajoutant un ou deux tétracordes conjoints aux deux extrémités de la quarte de base ou Kernintervall. Selon les genres, les ensembles de tétracordes conjoints ainsi formés ont une plus ou moins grande fixité. Le Biwa qui accompagne le chant de Heikyoku assure la stabilité des quartes. Dans le nô, en revanche, on tire parti d’une fluctuation assez importante pour suggérer des sentiments de joie, colère, etc. On peut donner une idée approximative de ce système tétracordal complexe en notation occidentale, pourvu qu’on détermine arbitrairement le tétracorde central : (intervalle choisi mi-la) D’autre part, la note médiane du tétracorde tend, au cours des siècles, à s’abaisser. Si l’on considère les intervalles de bas en haut, la division interne du tétracorde passe d’une tierce mineure plus une seconde majeure, à une seconde mineure plus une tierce majeure. Et cette évolution a marqué les genres musicaux, suivant l’époque à laquelle ils se sont constitués. Ainsi, vers les XIIe-XIIIe siècles, la division intérieure d’un tétracorde correspondait, de bas en haut, à une tierce mineure et une seconde majeure, comme l’atteste le

système tétracordal du Kôshiki, du Shômyô et du Heikyoku qui se sont fixés vers les XIIe-XIIIe siècles. Le nô, fixé vers le XIVe siècle, présente une étape intermédiaire : le tétracorde s’y divise en une seconde majeure et une tierce mineure de bas en haut. Enfin, une seconde mineure et une tierce majeure, toujours de bas en haut, composent le tétracorde des genres musicaux qui se sont développés à partir du downloadModeText.vue.download 514 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 508 XVIIe siècle, tels que la musique pour Koto, pour Shamisen, pour Shakuhachi, etc. -vers les viie-viiie siècles : -vers le XIVe siècle : -vers le XVIIe siècle : Au moment où, vers le XIVe siècle, la note médiane était fa dièse, toujours avec le tétracorde mi-la, la tierce mineure ainsi obtenue était très instable (fa dièsela). Pour rétablir la quarte supérieure conjointe (fa dièse-si), on utilise si3. Cet ajustement spontané s’est reproduit avec le deuxième tétracorde conjoint supérieur entraînant l’apparition du mi4 pour former la quarte si3-mi4 : On voit comment on a évolué tout naturellement d’un système de quartes conjointes (mi-la-ré) à un système de quartes disjointes (mi-la, si-mi) et comment on en est arrivé à constituer les octaves si2-si3 et mi3-mi4 dans la musique japonaise autochtone. Cependant, les notes extrêmes des tétracordes conservent leur valeur attractive de tonique et continuent à régler la structure mélodique. Le système tétracordal révèle ainsi son caractère véritablement organique : il produit au fur et à mesure de nouvelles quartes sans jamais perdre son activité fonctionnelle originelle à l’intérieur et aux extrémités. Le tétracorde constitue donc une sorte d’unité cellulaire vivante.

LE SYSTÈME TONAL DE LA PÉRIODE MODERNE (XVIIe-XIXe s.). À partir du moment où la musique autochtone a connu l’octave, son système tonal a rencontré celui de la musique savante d’origine chinoise. L’échelle de Ritsu coïncide en effet avec deux tétracordes disjoints, composés chacun d’une seconde majeure (mi-fa dièse) et d’une tierce mineure (fa dièse-la), de bas en haut. C’est cet ensemble tétracordal qu’on a appelé vers le XVIIe siècle l’échelle Yô. Échelle de Ritsu : Échelle de Yô : Mais d’importantes différences séparent en fait ces deux échelles. Dans le Ritsu, les notes constitutives sont déterminées par le diapason et les notes Kyû et Chi sont les plus importantes. Dans l’échelle Yô ce sont les notes extrêmes des tétracordes qui exercent une action polarisante, les notes médianes conservant une nette tendance à s’abaisser, comme nous l’avons vu précédemment. De cet abaissement progressif résulte la formation d’une nouvelle échelle hémitonique, In ou Miyako-bushi, issue du système tétracordal de la même manière que l’échelle Yô. Échelle d’In : Le système tonal autochtone a donc engendré successivement l’échelle transitoire Yô, puis In, au cours de son évolution. Aussi n’est-il pas rare que les genres musicaux de la période médiévale, tels le nô ou le Heikyoku, aient été influencés par l’échelle In. L’analyse des pièces écrites pendant la période moderne révèle, par ailleurs, que leur structure mélodique est régie non par les échelles Yô et In, mais par les systèmes tétracordaux propres à chacune d’elles, soit pour l’échelle Yô les trois tétracordes : mi-fa-la ; si-do-mi ; la-si-ré ; et pour l’échelle In : mi-fa-la ; si-do-mi ; la-si-ré. Le troisième tétracorde de chaque ensemble sert de lien entre les deux premiers. LE RYTHME ET LE TEMPS MUSICAL. Pour éviter toute équivoque, nous appelons rythme, toute forme de structuration des durées sonores, qu’il s’agisse d’une ligne mélodique, d’un thème ou d’une cellule rythmique. Et par tempo, nous dési-

gnons la vitesse de déroulement de ces formes rythmiques. La musique japonaise traditionnelle est caractérisée par deux types rythmiques : le rythme régulier et le rythme libre. Période antique. Le Gagaku, qui présente une périodicité régulière et un fractionnement égal de la durée, introduit au Japon le rythme régulier. Mais cette musique instrumentale utilise également le rythme libre dans l’introduction (Jo), où les instrumentistes jouent indépendamment les uns des autres et sans contrôle vertical des sonorités. Pour sa part, la musique vocale de Shômyô recourt de préférence au rythme libre (Jo-kyoku), mais emploie aussi parfois le rythme régulier (Tei-kyoku). Dans les pièces de Shômyô nommées Gu-kyoku, les deux types de rythme sont combinés pour assurer le passage du rythme libre au rythme régulier. Le tempo de la musique de cette période est extrêmement lent, en raison du statisme qui caractérise alors les pièces. Période médiévale. Au Moyen Âge, la musique étant étroitement associée à un texte (didactique pour le Kôshiki, épique pour le Heikyoku, dramatique pour le nô), on utilise de préférence le rythme libre et un tempo élastique, pour faciliter la compréhension des paroles. Dans le nô, on recourt à une périodicité constituée par huit frappes de tambour, qu’on appelle Kusari (« chaîne »), et qui sert à régler la superposition des parties vocale et instrumentale. Mais ces huit frappes ne déterminent pas des intervalles rythmiques réguliers et le tempo fluctue sans cesse. Par exemple, le tempo du chant final Kiri de la pièce Hagoromo, oscille entre 95 et 160 à la noire métronomique. Une telle fluctuation est due aux sentiments éprouvés par le héros et au climat dramatique des différentes séquences d’une pièce. On voit, par là, que la notion de temps dans la musique médiévale est avant tout de nature psychophysiologique. Période moderne. Selon les genres musicaux, le rythme à huit périodicités irrégulières, hérité de la période précédente, va évoluer différemment. Dans le Kabuki, les dimensions mêmes du théâtre ont entraîné l’emploi de plusieurs Shamisen,

pour renforcer les sons. Ce jeu d’ensemble instrumental a accentué le caractère binaire du rythme (cf. Kiyomoto, Tokiwazu, Nagauta). Mais on conserve le rythme libre pour l’introduction et le prélude d’une pièce de Kabuki. Dans la musique de Koto, qui reste dans le sillage de la tradition savante du Gagaku, c’est le rythme régulier caractéristique du type musical déterminé qui domine. Un rythme ternaire (assez rare au Japon), apparaît au début du XVIIIe siècle, dans le chant populaire, Dodoitsu, qu’accompagne le Shamisen. Les autres genres (Satsuma-biwa, Shakuhachi, Gidaiyû) marquent une prédilection pour un rythme libre, peu marqué, qui suit avec souplesse la narration du soliste et reflète le cours sentimental du récit. Tous les genres de cette période ont adopté le tempo élastique développé à l’époque précédente. Ainsi dans Rokudan, pièce pour Koto, le tempo varie de 60 à 168 d’après la noire métronomique. Cela montre que l’élasticité temporelle contribue à la structuration d’une pièce, même uniquement instrumentale. LA STRUCTURE MUSICALE. La musique de type déterminé et celle de type indéterminé possèdent chacune un système de composition et une structure spécifiques ; la structure déterminée de la première s’oppose à la structure fluctuante de la seconde, comme nous l’avons déjà observé à propos du rythme et du tempo. Période antique. La musique aristocratique de cette période (Gagaku, Rôei, Saibara, etc.) est de structure déterminée. On compose les thèmes à partir de notes, dont downloadModeText.vue.download 515 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 509 la hauteur est fixe, et la macrostructure d’une oeuvre est obtenue par la transposition et la réexposition des thèmes qui constituent sa microstructure. Période médiévale. La musique de nô, qui est la plus représentative de cette pé-

riode, présente une structure fluctuante mais non improvisée - dont l’unité minimale est la cellule. Cris, frappes de tambour, sons de flûte et émissions vocales s’inscrivent dans une cellule déterminée et on juxtapose et superpose un certain nombre de cellules instrumentales, vocales et rythmiques pour structurer l’ensemble d’une pièce. Grâce au caractère fluctuant des éléments qui composent chaque cellule (hauteurs de fréquence variable, rythme non mesuré) et à la mémorisation du prototype, dont une cellule ne doit pas s’écarter au-delà d’une certaine marge de liberté, ce système de composition permet d’élaborer une forme déterminée avec des matériaux fluctuants. Dans les autres genres de cette période (Shômyô, Kôshiki, Heikyoku), apparaît une structure intermédiaire, alliant les éléments déterminés aux indéterminés. Ainsi les notes principales ont une hauteur déterminée au diapason, tandis que le rythme et le tempo ont une organisation fluctuante de type cellulaire. Période moderne. C’est le système de composition par cellules qui caractérise la plupart des formes musicales de cette période. La musique vocale accompagnée par le Shamisen (Gidayû, Tokiwazu, Kiyomoto, etc.), ou par le Biwa (Satsuma-biwa) et la musique instrumentale pour Shakuhachi ont incorporé à leur technique la fluctuation propre au système cellulaire et exploitée à des fins expressives. Seule la musique de Koto, pratiquée depuis le XIIIe siècle uniquement par les prêtres et les confucianistes, a hérité de la structure déterminée propre à la musique aristocratique. Les pièces de Koto ont, en général, une structure thématique, obtenue en juxtaposant des sections (dan), qui représentent chacune une variation du thème initial. À chaque époque un type structural a donc tendu à s’imposer pour des raisons historiques ou esthétiques. Ainsi, la structure indéterminée a-t-elle toujours été préférée dans la musique théâtrale, parce qu’elle répond particulièrement bien aux exigences du dynamisme dramatique. LES SYSTÈMES DE NOTATION. La notation dépend étroitement du type musical, déterminé ou indéterminé. Le premier système de notation fixe a dû être

introduit au Japon vers le VIIe siècle, avec la musique venue de Chine et de Corée. Le plus ancien document qui nous soit parvenu est une partition pour Biwa de Gagaku, qui date du milieu du VIIIe siècle. Et la mobilité du système tétracordal, sur lequel est fondée la musique de la période préhistorique, incite à penser que la musique autochtone ignorait primitivement toute notation fixe. Période antique. Dans le Gagaku, on note avec des idéogrammes la position des doigtés instrumentaux. Par convention, chaque idéogramme correspond à la valeur d’une ronde, qui est l’unité temporelle minimale du Gagaku. Le Shômyô possède un système de notation neumatique, appelé Hakase, qui a surtout un rôle mnémotechnique, car il ne sert qu’à visualiser les mouvements des lignes mélodiques. Aussi, le débutant ne peut-il se passer de l’enseignement direct d’un maître. Période médiévale. C’est la notation neumatique qui a été adoptée durant cette période, où les principales formes musicales ont une structure fluctuante et une technique vocale particulière. Le Kôshiki hérite du système neumatique propre au Shômyô, système qui va exercer une influence sensible sur la notation de la musique de nô. Cette dernière se compose d’une part de neumes placés à droite du texte de nô, et qui se lisent, comme celuici, de haut en bas à partir de la droite et en allant vers la gauche. Ces neumes indiquent les notes extrêmes des tétracordes, les mouvements mélodiques et la technique vocale. D’autre part, la notation comporte des dessins, placés en haut de page, au-dessus du texte, et qui schématisent les gestes et les positions de l’acteur principal. La notation du Nô-Kan (« flûte de nô ») est distincte, car ces flûtes n’étant pas accordées au diapason, chaque instrument émet des sons de hauteur différente. Aussi n’écrit-on pas les notes, mais des ronds blancs et noirs indiquent la tablature des doigtés, tandis que les signes du syllabaire servent à marquer la solmisation, ce qui aide à mémoriser les cellules mélodiques et à en déterminer le rythme. Ce système de solmisation était d’ailleurs déjà utilisé dans le Gagaku. Quant au Heikyoku, comme il était

chanté par des musiciens aveugles, il a seulement été noté au XVIIIe siècle. Et même aujourd’hui, où des exécutants non aveugles commencent à l’interpréter, cette forme musicale reste liée à une tradition orale. Période moderne. Les notations de cette période manquent d’uniformité. Pour un même instrument, il n’est pas rare de trouver des systèmes de notation qui varient suivant l’école ou le moment. Chaque chef d’école (Iemoto) instituait sa propre notation, pour assurer à la fois la qualité musicale de sa technique et en préserver le secret. On retrouve là l’esprit de clan qu’a développé le système féodal de cette époque. Cependant les notations utilisées reposent soit sur un système neumatique, soit sur l’emploi simultané de la tablature et de la solmisation. Ainsi dans le Gidayû ou le Tokiwazu, la partie vocale est notée au moyen de neumes et la partie instrumentale d’accompagnement au Shamisen, ou de solo de Shakuhachi, est transcrite à l’aide de la solmisation et de la tablature de doigtés. La musique de Koto a utilisé la notation déterminée dont on se servait pour le Koto de Gagaku (Gaku-sô). Aussi a-t-on pu noter avec précision des partitions de Koto dès la fin du XVIe siècle. Après la restauration de Meiji, la musique occidentale s’est répandue au Japon, encouragée par le nouveau gouvernement. Les musiciens de Gagaku furent les premiers à jouer cette musique, parce qu’ils appartenaient à la classe aristocratique qui venait de reprendre le pouvoir, et surtout parce que le Gagaku, forme déterminée, représente une conception musicale assez proche de celle dont est issue la musique classique de l’Occident, dont l’assimilation a été de la sorte facilitée. PASSÉ ET PRÉSENT. À travers ce survol historique se détachent trois aspects essentiels de la musique japonaise traditionnelle. Le patrimoine musical japonais est à la fois fidèlement conservé et toujours renouvelé. On est saisi devant cette étonnante capacité d’intégration continue de genres musicaux étrangers, sans préjudice pour la musique autochtone primitive, dont les formes archaïques et médiévales se sont maintenues sans interruption, ni changement impor-

tant jusqu’à nos jours, à côté de la musique classique ou moderne importée de l’Occident. Sans doute le cloisonnement très poussé qu’impose le système social japonais est-il en bonne partie responsable de la conservation des genres musicaux propres à chaque classe. D’autre part, l’alternance de deux systèmes musicaux antagonistes est tout à fait remarquable : aux matériaux sonores indéterminés du système d’origine japonaise s’opposent les matériaux déterminés des systèmes importés de l’étranger. Aujourd’hui encore, une nouvelle alternance se dessine : après avoir adopté la musique occidentale de type déterminé, les compositeurs japonais contemporains reviennent vers les formes traditionnelles indéterminées et tentent de découvrir une nouvelle écriture. Les perspectives qu’ils ouvrent se signalent par leur originalité, à côté des apports de la musique électroacoustique et aléatoire, qui témoignent de l’intérêt croissant des musiciens occidentaux pour les structures musicales de type indéterminé. Enfin, les facteurs psychophysiologiques l’emportent, dans la musique japonaise, sur l’intellectualité et l’abstraction downloadModeText.vue.download 516 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 510 mathématique. L’impression sonore, la qualité intrinsèque de chaque son priment, chez la plupart des compositeurs japonais, les recherches ou les postulats théoriques. JAQUES-DALCROZE (Émile), compositeur, esthéticien et pédagogue suisse (Vienne 1865 - Genève 1950). Il fait ses études musicales à Genève, puis à Paris et à Vienne, des études coupées de brèves expériences professionnelles comme pianiste au Chat-Noir et chef d’orchestre à Alger. Professeur d’harmonie au conservatoire de Genève de 1892 à 1910, il composa de nombreuses chansons, des symphonies folkloriques (le Festival vaudois, 1903 ; la Fête de juin, 1914) et 4 opéras, dont Sancho Pança et le Bonhomme Jadis. Mais son nom reste surtout attaché à ses travaux sur la rythmique et l’expres-

sion corporelle, qui ont donné une base scientifique à la danse moderne. Il ouvre en 1910 à Dresde un institut, qui, transféré l’année suivante à Hellerau, va former de nombreux disciples. Dès 1920, la méthode dalcrozienne est enseignée dans toute l’Europe et jusqu’aux États-Unis. Elle fait toujours autorité. JARABE. Danse mexicaine sur un rythme ternaire, issue du zapateado andalou. Lors des troubles qui devaient aboutir à l’indépendance du pays, au début du XIXe siècle, les patriotes mexicains en firent des chansons satiriques dirigées contre l’occupant espagnol. JARDANYI (Pal), ethnomusicologue hongrois (Budapest 1920 - id. 1966). Il étudia le violon à l’académie Franz-Liszt de Budapest et la composition à titre privé avec L. Bardos. De 1938 à 1942, il suivit les cours de Z. Kodály à l’Académie, tout en préparant une thèse de doctorat sur l’ethnomusicologie. Il dirigea, de 1960 à sa mort, le département d’ethnomusicologie de l’Académie des sciences, et laissa une oeuvre non négligeable. Par ailleurs, il écrivit des ouvrages sur la musique hongroise, sur Kodály et Bartók. JARELL (Michael), compositeur suisse (Genève 1958). Il commence l’étude de l’écriture au conservatoire populaire de sa ville natale, avec Éric Gaudibert, et poursuit sa formation lors de stages aux États-Unis (Tanglewood, 1979). Il devient ensuite l’élève de Klaus Huber à la Hochschule für Musik de Fribourg en Brisgau avant de s’initier à l’informatique musicale à Paris. Son séjour à l’I.R.C.A.M. (1986-1988) se solde avec une commande - Congruences pour flûte-midi, hautbois, ensemble et live electronics (1988-89) - qui constitue, pour lui, après la révélation de l’opéra de chambre Dérives (1985), le début d’une remarquable carrière, souvent récompensée par l’institution musicale (prix Beethoven de la ville de Bonn pour Trei II pour soprano et cinq instruments, 1986 ; prix Gaudeamus pour Instantanées pour grand orchestre, 1988 ; prix de la Fondation Siemens pour l’ensemble de son

oeuvre, 1990). Il s’est souvent intéressé à la musique vocale et à la scène : Eco pour voix et piano, 1986 ; le ballet Der Schatten, das Band, das uns an die Erde bindet (1989) ; D’ombres lointaines... pour voix et orchestre ; Formes-fragments pour six voix et ensemble instrumental (1990) ; ballet Harold et Maud (1991). Le monodrame Cassandre, d’après le roman de Christa Wolf, créé à Paris en 1994 au Théâtre du Châtelet, est une parabole de l’incommunication, de la solitude et de l’incompréhension. Le catalogue de Jarell comprend en outre From the Leaves of the Shadows Concerto pour alto et orchestre (1991), Des nuages et des brouillards pour harpe, piano, percussion et orchestre (1992), Passages pour orchestre (1993), Rhizomes pour deux pianos, deux percussions et électronique (1993), le cycle Assonances (dont ... chaque jour n’est qu’une trêve entre deux nuits... chaque nuit n’est qu’une trêve entre deux jours, ou Assonance V pour violoncelle et ensemble, 1990). JARNACH (Philipp), compositeur allemand d’origine espagnole (Noisy-leSec 1892 - Bornsen, près de Bergedorf, 1982). Élève de Risler (piano) et de Lavignac (composition), il fit, à Zurich (1915), la connaissance de Busoni, dont, après la mort (1924), il termina le Doktor Faust. Il prit la nationalité allemande en 1931, enseigna la composition à Cologne jusqu’en 1949, puis dirigea l’École supérieure de musique de Hambourg jusqu’en 1959, continuant ensuite à y enseigner la composition jusqu’en 1970. Il compta parmi ses élèves Kurt Weill. Sa production, surtout instrumentale, révèle un esprit indépendant, tributaire néanmoins de l’école française et de la musique allemande de l’entre-deux-guerres (Musik mit Mozart, 1935 ; Musik zum Gedächtnis der Einsamen pour quatuor à cordes et orchestre à cordes, 1952). JÄRNEFELT (Armas), chef d’orchestre et compositeur suédois d’origine finlandaise (Viipuri 1869 - Stockholm 1958). Après ses études à Helsinki (1887-1890), Berlin (1890) et Paris (1893-94), il occupa successivement les postes de chef d’orchestre à Magdebourg, Breslau, Düsseldorf, Viipuri, Helsinki, Stockholm et enfin Helsinki. De ses oeuvres ne survit que sa célèbre Berceuse (Kehtolaulu), à la

mélancolie typiquement finnoise. Mais il est regrettable que ne soient pas exhumées sa Rhapsodie finnoise ou sa Fantaisie symphonique de 1895. À un non moindre degré que ses compatriotes R. Kajanus ou G. Schneevoigt, Järnefelt a été un ardent défenseur de la musique de son beau-frère Jean Sibelius, dont il a laissé de trop rares témoignages discographiques. JARRE (Maurice), compositeur français (Lyon 1924). Il fut élève de Félix Passerone (percussion) et d’Arthur Honegger (composition). Maurice Jarre signa en 1950 la musique de scène pour le Prince de Hombourg au festival d’Avignon et fut alors nommé par Jean Vilar directeur de la musique du Théâtre national populaire, pour lequel il composa plusieurs musiques de scène jusqu’en 1964. Prix Italia en 1955 pour son opéra Armida, il reçut en 1964 de l’Opéra de Paris la commande du ballet Notre-Dame de Paris, créé en 1966. Il s’est de plus en plus tourné vers la musique de film, obtenant de grands succès avec les Dimanches de Ville-d’Avray (1961), Mourir à Madrid (1962), Lawrence d’Arabie (1963), le Docteur Jivago (1965), Jésus de Nazareth (1976), la Route des Indes (1984), Liaison fatale (1987), le Cercle des poètes disparus (1990). JÂRVI (Neeme), chef d’orchestre estonien (Tallinn, 1962). Il étudie le piano, la percussion et la direction à l’école de musique de sa ville natale. Émigré aux États-Unis en 1980, il poursuit ses études à la Juilliard School, puis travaille avec Léonard Bernstein et Michaël Tilson Thomas. Au Curtis Institute de Philadelphie il étudie la direction avec Max Rudolf et Otto Werner Müller. En Scandinavie, il a été invité à diriger les orchestres symphoniques de Malmö et Göteborg en Suède, l’orchestre de la radio norvégienne, l’orchestre philharmonique de Bergen ainsi que plusieurs orchestres finlandais. Il s’est produit aussi à la tête de l’Orchestre national de Lyon, ceux du Capitole de Toulouse et de Radio-Luxembourg. Directeur musical de l’ensemble de musique contemporaine Lyra Borealis à Toronto, il devient celui des Musiciens de chambre de cette ville, interprétant avec eux un répertoire allant du baroque aux oeuvres d’aujourd’hui. Il a donné la pre-

mière audition soviétique du Chevalier à la Rose et il est le dédicataire de la Symphonie no 3 d’Arvo Pärt. Il a réalisé de très nombreux enregistrements (intégrales symphoniques en particulier). JAUBERT (Maurice), compositeur français (Nice 1900 - Azerailles 1940). De brillantes études de droit lui ouvrirent une carrière d’avocat, mais la vocation musicale l’emporta. En 1923, il entreprit downloadModeText.vue.download 517 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 511 de solides études d’harmonie et de contrepoint sous la direction d’Albert Groz. Il composa des mélodies et de la musique de chambre, mais l’avènement du cinéma parlant, en 1930, marqua le tournant décisif de sa carrière. Nommé directeur de la musique chez Pathé-Cinéma, il écrivit, à partir de 1931, une quarantaine de musiques de film, collaborant avec René Clair (Quatorze Juillet), Jean Vigo (l’Atalante), Marcel Carné (Drôle de drame, Quai des brumes), Julien Duvivier (Carnet de bal). Jaubert a également composé un ballet, le Jour (1931) et une Jeanne d’Arc (1937) sur des textes de Péguy. Parmi ses mélodies, la Chanson de Tessa (1934) pour la pièce de Giraudoux est un chef-d’oeuvre de simplicité et d’émotion, et le recueil l’Eau vive (1938), sur des textes de Giono, est pénétré de l’esprit de la Haute-Provence. Mobilisé en 1939, Jaubert a été tué à la tête de sa compagnie à Azerailles, près de Baccarat, le 19 juin 1940. JAUFRÉ RUDEL, troubadour français, vraisemblablement né à Blaye au début du XIIe siècle, mort en Palestine en 1147. Si l’on en croit la légende qui a inspiré à Edmond Rostand sa Princesse lointaine. Seigneur de Blaye, il aurait pris part à la deuxième croisade pour rejoindre la dame de ses rêves, une certaine comtesse de Tripoli, qui aurait recueilli son dernier soupir, dès son arrivée à destination. Ce qui est certain, c’est qu’il chanta cette croisade, également célébrée par son confrère Marcabru, et composa des chansons d’un caractère très lyrique, dont quatre seulement nous sont parvenues avec leur mélodie notée. Parmi celles-ci, Lan quan li jorn son lonc en Mai (« Lorsque les jours sont

longs en mai ») connut au Moyen Âge une grande popularité. JAZZ. Musique afro-américaine créée au début du siècle par les communautés noire et créole du sud des États-Unis, et basée pour une large part sur l’improvisation, un traitement original de la matière sonore et une mise en valeur spécifique du rythme (swing). Le jazz est né de la rencontre sur le sol américain de deux traditions musicales européenne et africaine. Dès son origine, il apparaît comme une vaste entreprise de détournement de la culture musicale occidentale par une autre, la contreculture des descendants des esclaves et, à leur suite, de tout ce que l’Amérique comptait de citoyens de « seconde zone «, notamment les créoles de couleur. Longtemps considéré comme une simple musique de danse et de bar, le jazz est aujourd’hui universellement reconnu comme un art majeur. L’étymologie du mot « jazz « reste encore aujourd’hui controversée. Le mot apparaît pour la première fois dans la presse de New York en 1917 à l’occasion de la venue d’un orchestre blanc, l’Original Dixieland Jass (ou Jasz, ou Jaz, puis Jazz) Band. LA PRÉHISTOIRE DU JAZZ. On s’accorde à reconnaître que le « berceau « du jazz fut la Nouvelle-Orléans. C’est là que se produisit, entre 1890 et 1910, une fusion entre trois courants musicaux jusqu’alors parallèles : la musique populaire des Noirs (la musique religieuse, les chants de travail et surtout le blues), le ragtime et la version « blanche « européanisée, de la musique populaire afro-américaine (les chants des minstrel shows et la musique de vaudeville). La synthèse de ces trois courants n’aurait sans doute pas pu s’opérer sans la rencontre des musiciens noirs avec les musiciens « créoles de couleur «, c’est-à-dire des mulâtres d’expression française que le code législatif de Louisiane considérait comme des « nègres «. Plus instruits musicalement que les Noirs, les créoles de couleur assimilèrent vite ce qui faisait l’originalité de la musique populaire négro-américaine (le travail vocalisé des timbres et des sons, l’importance de la percussion et l’adaptation des variations pentatoniques à la

gamme occidentale traditionnelle). Cela explique que la plupart des « pionniers du jazz « furent des créoles de couleur, dont les plus connus sont Jelly Roll Morton et Sidney Bechet. LE JAZZ NOUVELLE-ORLÉANS. Si le jazz vit le jour à la Nouvelle-Orléans et y fut popularisé par des musiciens plus ou moins légendaires (Buddy Bolden, Manuel Perez, George Baquet, Alphonse Picou), c’est à Chicago qu’il s’épanouit vraiment. La fermeture, en 1917, du quartier réservé de « Storyville « provoqua un exode massif de musiciens vers Chicago, qui leur offrait de rentables possibilités de travail. King Oliver s’y installe dès 1918 avec sa formation l’Original Creole Jazz Band (Johnny Dodds ou Jimmie Noone à la clarinette, Honoré Dutrey au trombone, Lil Hardin au piano, Baby Dodds à la batterie et Louis Armstrong au cornet). C’est avec cet ensemble, que King Oliver enregistre en 1923 les morceaux les plus caractéristiques du style Nouvelle-Orléans, fondé principalement sur l’improvisation collective et la recherche d’une polyphonie spontanée. De son côté, en 1922, Jelly Roll Morton fonde les Red Hot Peppers, ensemble avec lequel il va créer de nombreux chefs-d’oeuvre. En 1925, Louis Armstrong quitte l’orchestre de King Oliver pour diriger les premières sessions de son Hot-Five. Parallèlement à l’activité des musiciens noirs, de jeunes musiciens blancs tentent avec succès une adaptation originale du style NouvelleOrléans. Les plus célèbres représentants du « style Chicago « sont les trompettistes Bix Beiderbecke, Muggsy Spanier, les saxophonistes et clarinettistes Frank Teschemacher, Frankie Trumbauer, Pee Wee Russell, Bud Freeman, Benny Goodman et Mezz Mezzrow, ainsi que le batteur Gene Krupa. Peu à peu, New York prend le relais de Chicago. Des pianistes de ragtime, puis de stride (James P. Johnson) ont commencé à y développer des formes plus sophistiquées. Dès 1920, Fletcher Henderson y fonde son premier grand orchestre. C’est à New York également que Louis Armstrong s’impose comme la première « vedette du jazz «. Mais, dès 1929, le style et la conception orchestrale de la Nouvelle-Orléans ont vécu. King Oliver et Jelly Roll Morton cessent peu à peu leur activité. Louis

Armstrong joue exclusivement avec des grands orchestres, parfois très commerciaux. Il faudra attendre 1940, et la vogue du New-Orleans Revival, pour que ce style retrouve les faveurs d’un public. LE MIDDLE-JAZZ (ou mainstream, ou jazz classique). C’est la période où le jazz conquiert sa liberté et, en même temps, une large audience. Les cadres étroits de l’improvisation collective Nouvelle-Orléans vont être délaissés au profit, d’une part, de l’improvisation du soliste, d’autre part de l’écriture orchestrale. Fletcher Henderson est le premier à tenter de renouveler le langage du jazz. Son orchestre, où s’illustrent de brillants solistes (en particulier Benny Carter et « l’inventeur du saxophone «, Coleman Hawkins), ouvre la voie à Duke Ellington, dont la pemière formation prend son essor en 1927. En 1928, Ellington joue au Cotton Club de Harlem, où il reste quatre ans. Ce même club, qui tiendra un grand rôle dans l’histoire du jazz, voit lui succéder le grand orchestre de Cab Calloway et, en 1934, de Jimmie Lunceford. Au même moment, Kansas City devient une nouvelle ville élue du jazz. Les orchestres d’Andy Kirk et de Bennie Moten font les beaux soirs du Reno Club, où, en 1935, pour la première fois, se produit la formation de Count Basie. Cette période heureuse qui voit le triomphe des « big bands « va recevoir le nom d’» ère du swing «. Le « swing « a été aux États-Unis, dans le milieu des années 30, autant un style qu’un phénomène social. Le jazz devient une musique de divertissement et de danse « respectable «. Au cours de la décennie précédente, les grandes formations de plus de dix musiciens étaient rares. Entre 1936 et 1944, elles vont se multiplier. À partir de l’été 1938, elles vont même conquérir les boîtes minuscules de la 52e rue de New York, « la rue qui ne dormait jamais «. Tandis que, avec Coleman Hawkins, Johnny Hodges, Teddy Wilson, Benny Carter, Lionel Hampton, Fats Wallet et quelques autres, le jazz s’invente un clasdownloadModeText.vue.download 518 sur 1085

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sicisme, le public, lui, invente une frénésie (« swing craze «) et proclame le clarinettiste blanc Benny Goodman « roi du swing «. Goodman impose pour la première fois dans un orchestre blanc des musiciens de couleur et ouvre toutes grandes au jazz les portes du temple de la musique « sérieuse «, le Carnegie hall, lors d’un concert historique, le 16 janvier 1938. Mais, si Benny Goodman règne sur le swing, chez surtout chez Count Basie que le swing règne. C’est au sein de son orchestre que se révèle le saxophoniste Lester Young. LE JAZZ MODERNE. LA RÉVOLUTION BE-BOP. À la fin des années 30, la technique et l’invention des grands improvisateurs de jazz atteint la perfection. Refusant le conformisme croissant, toute une génération de jeunes musiciens décide de faire éclater les canevas traditionnels de l’improvisation. C’est à partir de 1943, au cabaret « Minton’s Playhouse «, que va s’élaborer un nouveau style : le be-bop. Cette révolution musicale, dont les principaux artisans se nomment Kenny Clarke, Thelonious Monk, Dizzy Gillespie, Bud Powell, Fats Navarro et Charlie Parker, témoigne d’un triple enrichissement. Rythmique d’abord : alors que le style middle-jazz prodiguait un soutien rythmique souple, mais souvent uniforme, débouchant sur l’égalité des quatres temps, le be-bop innove en laissant une plus grande autonomie au batteur et au bassiste. Harmonique ensuite : les thèmes sont renouvelés par une utilisation constante des accords de passage et le recours à des accords inhabituels. Mélodique enfin : la phrase se plie à un chromatisme systématique ou utilise des intervalles plus étendus. LE JAZZ COOL. À la fin des années 40, par contraste avec les flamboiements expressionnistes du be-bop, un nouveau style se dessine : le jazz cool (littéralement : « frais «). Il est né de trois séries d’expériences autonomes : l’une d’elles a lieu dans l’orchestre de Claude Thornhill, où se rélèvent deux arrangeurs de talent, Gil Evans et le saxophoniste baryton Gerry Mulligan. Ils se retrouvent en 1949 et 1950 dans le nonette de Miles Davis, pour qui ils écrivent des arrangements sur des compositions bebop. Une deuxième expérience est menée par le pianiste Lennie Tristano, qui, avec ses élèves (Lee Konitz, Warne Marsh et

Billy Bauer), élabore un jazz d’une grande beauté formelle. La troisième tendance du cool est représentée par les Four Brothers (Herbie Steward, Stan Getz, Zoot Sims, Serge Chaloff, puis Jimmy Giuffre et Al Cohn), saxophonistes dans l’orchestre de Woody Herman. Ils réalisent une synthèse des jeux de Lester Young et de Charlie Parker. Le jazz cool devait par la suite surtout s’acclimater chez les musiciens blancs de la West Coast et se couler dans les diverses tentatives de « Third Stream « (troisième courant), qui durant les années 50, prétendirent enrichir le jazz par le sérieux des techniques de composition empruntées à la musique classique (Gunther Schuller). LE HARD-BOP. Au milieu des années 50, en réaction contre le cool, se lève une nouvelle génération de musiciens noirs décidés à laver le jazz de toute intellectualité et à prêcher un retour aux racines nègres du jazz : le blues, le gospel song et les chants de travail. On appela cette variante musclée du bop « hard bop « (ou bop « dur «), mais aussi « jazz funky « (littéralement « sale «). Cette musique fervente et passionnée fait très vite la conquête d’un vaste public. Surtout illustré en quintette, le hard bop est mis en valeur par les formations de Max Roach, Sonny Rollins, Art Blakey, Horace Silver et Cannonball Adderley. LA RÉVOLUTION COLTRANIENNE. Au début des années 60, le jazz retrouve une forte effervescence créatrice : le contrebassiste Charles Mingus prolonge l’oeuvre de Duke Ellington en créant une musique véhémente et colorée avec des solistes qui annoncent le free jazz (Éric Dolphy). Tout en se situant dans le prolongement direct des innovations parkeriennes, le saxophoniste alto Ornette Coleman bouscule ouvertement les principes établis de l’harmonie et de l’improvisation. Mais c’est incontestablement le saxophoniste John Coltrane qui allait révolutionner le jazz. Il se lance en 1960 dans une expérience modale qui le conduit en 1964 à participer à l’aventure du free jazz. LE FREE JAZZ (jazz libre) ou new thing (nouvelle chose). Au milieu des années 60 surgit un mouvement, autant politique que musical, de

libération à l’égard des conventions et de l’» ordre établi «. Brisant les critères traditonnels qui définissaient jusqu’alors la musique de jazz (le swing, le respect de la trame harmonique, etc.), les nouveaux défricheurs inventent une musique violente, chaotique, convulsive, qui n’accepte comme seul principe que celui de l’improvisation collective. Les principaux responsables de cette tourmente sonore sont le pianiste Cecil Taylor, le trompettiste Don Cherry, les saxophonistes Albert Ayler, « Pharoah « Sanders, Archie Shepp et un groupe issu de l’Association for the Advancement of Creative Musicians, l’Art Ensemble of Chicago (Roscoe Mitchell, Joseph Jarman, Lester Bowie et Malachi Favors). LE POST-FREE. Au début des années 70, tandis que la vague free reflue, Miles Davis, en électrifiant sa trompette, tente de jeter un pont entre le jazz et le rock. Pour réaliser cette fusion, il s’entoure de jeunes musiciens qui, après l’avoir quitté, voleront tous de leurs propres ailes : Herbie Hancock, John Mc Laughlin, Tony Williams, Jack Dejohnette, Chick Corea et Keith Jarrett. Dans le même temps, un nouveau courant se fait jour. Conduit par le saxophoniste Anthony Braxton, il se veut la recherche d’un « au-delà du jazz «, en direction d’horizons qui le rapprochent de la musqiue contemporaine européenne. À la fin des années 70 s’est amorcé un important mouvement de retour au bebop (« be-bop revival «). De nombreux musiciens balayés par la tempête du free jazz, retrouvent les faveurs du public (Dexter Gordon, Sonny Rollins). D’autres, comme Archie Shepp, renouent avec la tradition. JEAN DE GARLANDE, théoricien de la musique ( ? v. 1190 - Paris v. 1255). Descendant d’une ancienne famille de la Brie, il se fixa à Paris, où il enseigna à l’université. Il fut l’auteur de deux traités, De plana musica (v. 1240) et De mensurabili musica ; ce dernier traité fut soumis à révision après sa mort et s’intitula De musica mensurabili positio, pour être inclus dans le Tractatus de musica de Jérôme de Moravie. Ces traités sont essentiellement

consacrés à l’art polyphonique et à sa notation, tant du point de vue intervallique que rythmique. S’y trouvent pour la première fois exposées les notions d’intervalles consonants et dissonants. JEHANNOT DE L’ESCUREL, compositeur français ( ? - Paris 1304). Pendu pour cause de débauche, il est l’auteur de chansons, dont seules 34 nous sont parvenues grâce à une copie réalisée à la fin du manuscrit du Roman de Fauvel. De ces chansons, classées par ordre alphabétique jusqu’à la lettre G, toutes sont monodiques sauf une, le rondeau à trois voix À vous, douce débonaire. Leur style rappelle celui de la voix supérieure des motets de Pierre de la Croix. JELIC ou JELICH, ORIGINALEMENT JELICIC (Vinko), compositeur croate (Rijeka 1596 - Saverne, Alsace, 1636). Il étudia avec M. Ferrabosco à la cour de Graz, où il fut enfant de choeur, puis instrumentiste (1606-1617), avant de prendre un poste à la cour de Saverne. Son premier recueil, Parnassia Militia concertuum, publié à Strasbourg en 1622, contient 24 motets pour 4 voix et orgue et 4 ricercari pour cor et trompette. Deux autres recueils de motets, Arion Primus et Arion Secundus, ont paru, à Strasbourg également, en 1628. downloadModeText.vue.download 519 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 513 JELINEK (Hanns), compositeur autrichien (Vienne, 1901 - id. 1969). Après avoir étudié la musique en autodidacte, il travailla avec Schönberg et Alban Berg (1918-19), puis avec Franz Schmidt. Comme Schönberg, il est parti d’un langage postromantique pour adopter ensuite le système sériel. Il a composé des oeuvres pour orchestre (6 symphonies) et pour divers effectifs de chambre, des cantates (Ganymed, Prometheus, An Schwager Kronos, Die Heimkehr), des mélodies, ainsi que de nombreuses musiques de film sous le pseudonyme de Hanns Elin. En 1958, il a été nommé professeur à l’Akademie für Musik und darstellende Kunst de Vienne. En 1966, il a obtenu le prix de l’État autri-

chien. Il a écrit Anleitung zur Zwölftonkomposition (1952 ; 2e éd., 1967). JÉLYOTTE (Pierre de), ténor français (Lasseube 1713 - Oloron 1797). Chantre dans la maîtrise de la cathédrale Saint-Étienne de Toulouse, il y fut remarqué, en 1732, par le prince de Carignan, inspecteur général de l’Opéra de Paris, qui l’engagea comme premier ténor. Il y débuta en 1733 dans une reprise des Fêtes grecques et romaines de Colin de Blamont, et chanta par la suite plusieurs grands rôles de Rameau avec la soprano Marie Fel. Il eut la sagesse de quitter la scène en pleine gloire, à quarante-deux ans, mais continua de paraître dans des concerts de société, notamment ceux de la cour. Auteur de nombreuses chansons qu’il interprétait en s’accompagnant lui-même, il composa aussi un opéra-ballet, Zelisca, qui ne fut jamais représenté. JENEY (Zoltán), compositeur hongrois (Szolnok 1943). Il étudia à Debrecen, Budapest et Rome. Très marqué par Schönberg, il lui rendit hommage dans Alef-Hommage à Schönberg (1971-72), dont « le contenu musical exploite l’idée maîtresse de la pièce centrale, Couleurs », des Cinq Pièces op. 16 du maître autrichien. Il est aujourd’hui avec Kurtág, Bozay et Balassa l’un des créateurs les plus en vue de la jeune école hongroise. JENKINS (John), compositeur anglais (Maidstone 1592 - Kimberley, Norfolk, 1678). Également joueur de luth et de viole, il fut protégé par diverses familles nobles, participa à Londres en 1634 à la représentation du masque The Triumph of Peace, et termina sa vie chez sir Philip Wodehouse à Kimberley, non sans avoir été nommé, à la restauration des Stuarts, joueur de théorbe à la cour de Charles II. Sa production, importante (plus de 800 oeuvres instrumentales ont survécu) et de très haute qualité, comprend essentiellement de la musique d’ensemble, tant pour violes ou pour violons que pour ces deux instruments à la fois. Il excella autant dans la fantaisie polyphonique héritée de Byrd, souvent traitée par lui à un seul thème, que dans les danses entraînantes. On admire chez lui un lyrisme intense et un sens

remarquable des sonorités. Parmi cette Consort Music, 12 fantaisies (Fancies) et 2 In Nomine à six voix. Sa musique vocale sacrée et profane, parmi laquelle une Élégie sur la mort de William Lawes, est moins importante en quantité. Aucune de ses oeuvres ne fut publiée de son vivant. JENKO (Davorin), compositeur yougoslave (Dvorje 1835 - Ljubljana 1914). Il étudia simultanément la musique et le droit à Vienne, puis alla se perfectionner à Prague (1869-70). Il dirigea plusieurs ensembles vocaux avant de devenir chef d’orchestre de l’Opéra de Belgrade (18711902). Auteur de l’hymne national slovène, il est surtout réputé pour ses nombreuses productions lyriques, qui le font considérer comme le créateur de l’opéracomique national serbe, et aussi pour ses oeuvres chorales profanes et religieuses. Il a également écrit de nombreuses oeuvres pour orchestre. Son style cherche à concilier la forme classique occidentale avec la tradition du chant populaire serbe. JENNY (Albert), compositeur suisse (Soleure 1912 Epikon 1992). Il fait ses études à Berne (Lehr et Chardon), puis aux conservatoires de Francfort (Sekles et Schmeidel) et de Cologne. Il est directeur musical du collège San Fidelis à Stans (Nidwalden) de 1936 à 1944, puis professeur au conservatoire de Lucerne et directeur du choeur des Semaines musicales internationales (1946-1962). Son oeuvre, d’abord influencée par Honegger et Frank Martin, s’est ensuite inspirée de Bartók, Hindemith et Schönberg, sans rompre avec le système tonal ni avec les modes d’église. Elle comprend surtout de la musique religieuse (choeurs, psaumes, oratorios, cantates, 40 motets, des messes, un Te Deum), des pages orchestrales (sérénade, rhapsodie pour saxophone et orchestre, suite pour orchestre à cordes), des pièces pour orgue et de la musique de chambre. JÉRÔME DE MORAVIE ou HIERONYMUS DE MORAVIA, théoricien de la musique originaire de Moravie (fin XIIIe s.). Il fut dominicain au couvent de la rue Saint-Jacques à Paris, où il semble avoir enseigné la musique pendant plusieurs années. Il a été rendu célèbre par son Tractatus de musica (éd. critique par S. Cserba,

Ratisbonne, 1935), rédigé probablement dans la seconde moitié du XIIIe siècle. Ce traité peut être considéré comme une véritable encyclopédie de la musique de l’époque. Compilation des traités existants, selon un procédé alors habituel, son originalité tient à ce que Jérôme de Moravie ne manque pas de citer ses sources, voire de les résumer. Les auteurs dont il évoque les théories sont les plus réputés de ce temps, tels Francon de Cologne, Jean de Garlande, Pierre Picard ; il reproduit textuellement leurs ouvrages, ou encore Boèce, Gui d’Arezzo, Jean Cotton et Isidore de Séville, qui sont à la base de son enseignement. Faisant état de préoccupations pédagogiques, l’auteur donne aussi des règles de composition et d’esthétique ; il semble en particulier avoir été le premier à rendre compte de façon détaillée des règles concernant le rythme et l’ornementation du chant ecclésiastique au Moyen Âge. Un autre chapitre important fournit des renseignements précieux sur l’accord et le doigté de deux instruments à archet : le rebec à deux cordes et la vièle à cinq cordes. Témoin d’une culture musicale qui réunissait l’art et la science, ce traité est l’un des plus importants que l’on possède pour l’histoire de la musique du Moyen Âge. JEU DE TIMBRES. Instrument à percussion de la famille des « claviers ». Son nom suffit à définir ce groupe de calottes métalliques, en nombre variable, disposées horizontalement du grave à l’aigu, que l’exécutant frappe à l’aide d’un petit maillet. JEU (D’ORGUE). Ensemble de tuyauterie d’un orgue correspondant à un timbre et à une hauteur donnés. Chaque jeu, constitué d’un ou de plusieurs tuyaux par note, sur la totalité ou seulement sur une partie du clavier, représente une unité sonore de l’orgue. Tout orgue se singularise par le nombre et le choix de ses jeux, le caractère que le facteur leur a donné et la façon dont il les a harmonisés entre eux. La liste des jeux

afférant à chaque clavier et au pédalier est dite « composition » de l’orgue. Les différents jeux de l’orgue se regroupent par grandes familles, selon leur mode d’émission du son : les jeux de fond, de mutation, de mixture et d’anche. Les diverses ressources de sonorités différentes d’autres instruments que l’orgue sont également appelées jeux, en particulier au clavecin, à l’harmonium et au synthétiseur. La hauteur d’un jeu est mesurée par la longueur, exprimée en pieds, de son tuyau le plus grave. Ainsi, un jeu de 8 pieds (qu’on écrit aussi 8′) est un jeu dont le tuyau faisant entendre le do grave mesure huit pieds, soit environ 2,40 m ; il correspond à la hauteur normale des voix, l’octave de référence (celle du la[3-]) se trouvant alors au centre du clavier. Le jeu de 16 pieds, deux fois plus long, sonne à downloadModeText.vue.download 520 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 514 l’octave inférieure, celui de 32 pieds à la double octave ; de même, le jeu de 4 pieds sonne à l’octave supérieure, celui de 2 pieds à la double octave. JEUNESSES MUSICALES DE FRANCE (J.M.F.). Mouvement fondé en 1941 par René Nicoly pour « éveiller la sensibilité musicale des jeunes de toute condition... et établir un lien entre le phénomène musical et la culture générale ». Chef de service aux éditions Durand et passionné de musique, R. Nicoly avait organisé dès le début de la Seconde Guerre mondiale des séances d’initiation musicale à l’intention des mobilisés. En 1941, il prit contact avec Marcel Cuvelier, qui dès 1940 avait réalisé en Belgique une expérience semblable, et fonda les J. M. F. malgré les contraintes de l’Occupation. D’abord parisien, le mouvement gagna bientôt la province, et prit son plein essor après la Libération. Une Fédération internationale des jeunesses musicales fut créée en 1945, qui, en 1976, devait regrouper 35 pays. En 1948, les J. M. F. ont leur journal. En 1957, elles comptent environ 200 000 adhérents dans 290 villes, qui bénéficient régulièrement de concerts commentés. La

« conférence-concert » est en effet à la base de l’action des J. M. F. Des conférenciers aussi réputés qu’Émile Vuillermoz, Norbert Dufourcq, Roland-Manuel, Jacques Feschotte, accompagnent dans toute la France des interprètes non moins prestigieux : Ginette Neveu, Pierre Bernac, Hélène Bouvier, les Pasquier, Charles Panzera, Henri Mercckel, etc. Des oeuvres sont commandées, des « opéras de poche » montés spécialement pour les tournées J. M. F. En 1969, René Nicoly est nommé administrateur de la Réunion des théâtres lyriques nationaux en pleine crise, et c’est dans les coulisses de l’Opéra en grève qu’il meurt subitement deux ans plus tard. Le professeur Louis Leprince-Ringuet lui succède à la présidence des J. M. F., qui connaissent alors de graves difficultés financières et ne retrouveront jamais l’activité et l’efficacité de leurs vingt premières années. Mais ne suffit-il pas à leur gloire d’avoir révélé la musique à une génération entière de Français ? JEU-PARTI. (litt. « jeu partagé », provençal joc partit ou partimen). Genre littéraire et musical en vogue aux XIIe et XIIIe siècles, consistant en un débat chanté soutenu par deux adversaires, qui disposent tour à tour d’une strophe (généralement 3 chacun) pour défendre un point de vue opposé, sur une même mélodie, selon des règles poétiques précises. La dispute peut être arbitrée par un juge qui dispose lui-même d’une strophe ou d’une demi-strophe analogue à celle des adversaires. Le genre est resté vivant dans plusieurs traditions folkloriques : chiamirespondi corse, desafio (« défi ») portugais, etc. Parfois le premier partenaire indique le sujet et l’alternative des réponses ; le second choisit l’une d’elles et le premier se voit alors tenu de soutenir la thèse opposée. Pour certains érudits, ce serait là l’une des conditions de définition du jeu-parti, l’autre condition étant la présence d’un sujet amoureux ; ceux qui y échappent se rangeraient sous le terme plus général de tenson (en prov. tenso). Une variante du jeu-parti est le débat, marqué par le caractère fictif du cadre et des interlocuteurs, présentés en préambule dans une pre-

mière strophe impersonnelle. JOACHIM (Irène), cantatrice française (Paris 1913). Arrière-petite-fille du célèbre violoniste Joszef Joachim, elle débuta en 1939 à l’Opéra-Comique, où se déroula la plus grande partie de sa carrière. Irène Joachim a chanté notamment Micaela de Carmen, Rosenn du Roi d’Ys, Sophie de Werther, la Comtesse des Noces et surtout Mélisande, personnage auquel elle s’identifia de façon idéale. Spécialisée dans la musique française contemporaine (elle créa, Salle Favart, Amphitryon 38, Ginevra, Guignol, Marion et le Rossignol de Saint-Malo), elle n’en fut pas moins une remarquable interprète du lied romantique allemand. Sa beauté, sa présence physique, sa voix au timbre frais et pur ont fait d’elle une artiste lyrique particulièrement attachante. Une classe de chant lui a été confiée au Conservatoire de Paris. JOACHIM (Joszef), violoniste et chef d’orchestre allemand d’origine hongroise (Kittsee, près de Presbourg, 1831 - Berlin 1907). Il travailla avec G. Hellmesberger senior à Vienne et F. David à Leipzig, et, grâce à Mendelssohn, devint premier violon dans l’orchestre du Gewandhaus (1843). Il parut ensuite à Londres (1844), Dresde, Vienne et Prague (1846). Il fut premier violon à Weimar (1849), où il vécut dans le cercle de Liszt, directeur des concerts à Hanovre (1856), puis directeur de l’École supérieure de musique de Berlin (1868), à laquelle il donna un essor considérable. Il devint, dans cette même ville, sénateur puis vice-président de l’Académie des arts. Il forma plus de 400 élèves, et reste toujours cité comme modèle pour ses interprétations du concerto de Beethoven, qu’il imposa définitivement au répertoire, et des oeuvres pour violon seul de Bach, que, grâce à la puissance de son jeu, il fut le premier à donner sans accompagnement. Ami fidèle de Brahms malgré de nombreuses brouilles, il fut le dédicataire et le premier interprète de son concerto (furent aussi écrits à son intention ceux de Schumann, Max Bruch et Dvořák). En 1869, il fonda un quatuor qui porta son nom, qu’il conduisit jusqu’à sa mort et dont les interprétations sont demeurées légendaires. Son oeuvre la plus célèbre comme compo-

siteur est le Concerto à la hongroise op. 11 pour violon et orchestre (1861). JOBIN (Raoul), ténor canadien (Québec 1906 - id. 1974). Il est entièrement formé à Paris, au Conservatoire puis à l’Opéra, où il est pensionnaire dès 1930. De 1935 à 1940, il chante au Palais-Garnier et à l’Opéra-Comique les plus grands rôles du répertoire : Faust, Roméo, Lohengrin, Werther ou don José. En 1940, il part aux États-Unis, où il est engagé au Metropolitan de New York. Il y assume quatorze rôles d’opéras français en dix saisons, et dès 1946 fait son retour à l’Opéra de Paris. Retiré à Montréal en 1957, il y fonde une école de chant. JOCHUM (Eugen), chef d’orchestre allemand (Babenhausen 1902 - Munich 1987). Il a fait ses études au conservatoire d’Augsbourg, puis à l’Akademie der Tonkunst de Munich avec H. von Waltershausen, E. Gatscher, L. Maier, H. Röhr, W. Ruoff et S. von Hausegger. Il fut chef de choeur à Munich, Mönchengladbach, Kiel, Mannheim. De 1930 à 1932, il fut directeur général de la musique à Duisbourg. Il dirigea ensuite l’Opéra et l’Orchestre philharmonique de Hambourg (19341949), l’Orchestre de la radio bavaroise (à partir de 1949) et le Concertgebouw d’Amsterdam (1961-1964). Il fit avec ces ensembles de nombreux enregistrements, ainsi qu’avec les orchestres symphoniques de Berlin, de Bamberg, et le London Symphony Orchestra. Il a également dirigé à Bayreuth. Spécialiste de la musique allemande, il contribua grandement à imposer l’oeuvre symphonique de Bruckner. Il est aussi réputé pour la gravité et la puissance qu’il sait conférer aux grandes oeuvres religieuses (Passions de Bach, Missa solemnis de Beethoven). JODLER. (prononcer yodleur). Chant populaire sans paroles, typique des régions montagneuses et particulièrement pratiqué en Suisse, au Tyrol et dans les Alpes bavaroises, d’où son nom germanique généralement traduit en français par « tyrolienne ». Le chanteur (plus rarement la chanteuse) qui « ioudle » ou « ioule » exécute

sur des syllabes choisies pour leur sonorité des sauts dépassant parfois l’octave, en faisant alterner voix de poitrine et voix de tête. Plutôt qu’un mode d’expression artistique, c’est donc à l’origine une sorte downloadModeText.vue.download 521 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 515 de cri modulé, qui permet aux bergers de signaler leur présence à des distances considérables. Mais son caractère acrobatique et pittoresque, dépassant son rôle fonctionnel primitif, lui a donné droit de cité au concert et au théâtre. Offenbach, notamment, a introduit plus d’une « tyrolienne » dans ses opérettes. JOHANSEN (David Monrad) [ou MONRAD-JOHANSEN, David]. Compositeur norvégien (Vefsn 1888 - Sandvika 1974). Représentant de la tendance nationalromantique de l’après-Grieg, D. Monrad Johansen est avant tout un lyrique dont les premières oeuvres utilisent aussi bien les thèmes folkloriques que la poésie épique des anciennes sagas et du Moyen Âge norvégien. La ballade Draumkvaedet (1921), l’oratorio Voluspå (1923-1926) et le cycle de mélodies Nordlands Trompet développent un style lapidaire et vigoureux que l’on retrouve dans la Fantaisie symphonique (1936) où le compositeur affirme le langage de sa maturité avec une grande maîtrise. Mais le plus intéressant est la remarquable assimilation de ce style avec les harmonies et les idiomatismes de l’impressionnisme français. Né de cette synthèse, le poème symphonique Pan, écrit en 1939 pour la célébration du quatre-vingtième anniversaire de l’écrivain K. Hamsun, est l’oeuvre qui a valu au compositeur le plus grand succès ; l’orchestration très riche, l’écriture élaborée de l’ouvrage, contribuent à en faire un magnifique hommage au poète et à la nature norvégienne. Dans son ultime production, les Variations symphoniques (1944-1946), le Concerto pour piano (1952-1954) et le Quatuor à cordes (1969) sont les ouvrages les plus importants qui indiquent la volonté d’un retour vers les formes classiques. JOHNSON (Robert), luthiste et compositeur anglais ( ? 1583 environ - Londres 1633).

Luthiste chez les King’s Musicians à partir de 1604, il est au service de Jacques Ier et de Charles Ier en 1625. Il est l’auteur de pièces instrumentales, mais c’est surtout sa musique de théâtre qui est demeurée célèbre. De 1607 à 1617, il collabore aux productions de la King’s Men Compagny of Players au Blackfriars, en composant musique de scène et chansons pour des pièces de Shakespeare (Macbeth, The Tempest, etc.), Middleton, Beaumont et Fletcher, entre autres, et des masques de Ben Jonson. Certaines de ses chansons sont très suggestives et il devient peu à peu très habile à traiter le rythme verbal. Il eut de nombreux imitateurs, dont Henry Lawes et T. A. Arne, et son oeuvre est très importante pour notre compréhension des représentations de l’époque, en particulier dans le cas de Shakespeare. JOLAS (Betsy), femme compositeur française (Paris, 1926). Fille de Marie Jolas, traductrice, et d’Eugène Jolas, poète et journaliste, éditeur de la revue littéraire Transition, elle s’établit aux États-Unis en 1940, où elle achève ses études classiques au lycée français de New York, puis au Bennington College, où elle obtient en 1946 le diplôme de Bachelor of Arts in Music. Elle commence ses études musicales en 1940 avec P. Boepple (harmonie et contrepoint), C. Weinrich (orgue) et Hélène Schnabel (piano). Simultanément, elle participe comme choriste, pianiste et organiste aux concerts des Dessoff Choirs de New York, dont l’expérience vocale lui fait découvrir Pérotin, Josquin, Lassus, Schutz et la musique de la Renaissance italienne ; ses oeuvres futures en porteront la marque. Revenue en France en 1946, elle entre au Conservatoire national, où elle est élève de D. Milhaud et O. Messiaen et où elle obtient le 2e prix de fugue (1953), la 1re mention d’analyse musicale (1954) et le 2e accessit de composition (1955). Elle reçoit aussi la 1re mention au concours international de direction d’orchestre de Besançon (1953), le prix de la fondation Copley de Chicago (1954) et, plus tard, le prix des auteurs et compositeurs de langue française attribué par l’O. R. T. F. (1961), le prix de l’American Academy of Arts and Letters (1973), le grand prix national de la musique (1974), le prix de la fondation Koussevitski (1974), etc. Dès ses débuts, sa personnalité s’impose

aux spécialistes, surtout à partir du Quatuor II pour soprano coloratura et trio à cordes (1964), qui compte parmi ses plus grands succès de compositeur. En 1971, elle devient l’assistante de Messiaen à sa classe d’analyse. L’année suivante elle est nommée professeur d’analyse supérieure au Conservatoire national, puis en 1978, professeur de composition. Parmi ses oeuvres principales, on peut citer D’un opéra de voyage (1967) pour 22 instruments, Sonate à 12 (créée en 1971) pour 12 voix solistes a cappella, le Pavillon au bord de la rivière (1975), opéra chinois, Tales of a Summer Sea (1977) pour orchestre, Stances (1978) pour piano et orchestre, Liring Ballade (1980) pour baryton et orchestre sur un texte allemand d’Eugène Jolas, le Cyclope, opéra pour enfants d’après Euripide (créé à Avignon en 1986), Quatuor V (1995), l’opéra Schliemann (Lyon, 1995). Les oeuvres de Betsy Jolas témoignent d’une prédilection marquée pour la voix et pour le vocal à l’intérieur d’une texture proprement instrumentale, ainsi que d’une tendance explicite à une forme globale fermée, fondée sur une structure gestuelle préméditée. Ainsi, Quatuor II avec voix, mais sans texte (un peu comme les quatuors avec flûte ou hautbois au XVIIIe siècle), joue avec « un réseau de comparaisons, portant aussi bien sur le matériau que sur le mode d’évolution et variant insensiblement de l’opposition caractérisée vocale-instrumentale à l’identification absolue ». Dans D’un opéra de voyage (1967) pour 22 instruments, en revanche, la fonction vocale est assumée exclusivement par des instruments mélodiques (cor anglais et flûtes). Tous les instruments (l’ensemble instrumental est celui des Oiseaux exotiques de Messiaen) « se comportent comme des voix, chantent, rient, parlent ou déclament, crient, murmurent ou soupirent ». Particulièrement fascinée par la Sonate pour flûte, alto et harpe de Debussy, ainsi que par le premier Schönberg (par exemple, Erwartung), elle attache une très grande importance à l’expérimentation formelle, aux déroulements continus et aux techniques associatives d’agencement des matériaux à l’intérieur de l’oeuvre. Après avoir suivi de très près l’expérience de la technique sérielle, Betsy Jolas se détache immédiatement de tout système compositionnel universel particulièrement

rigide au profit des solutions individuelles conformes à chaque projet concret d’oeuvre. Révélée par le Domaine musical (Quatuor II est écrit pour le Domaine musical), elle poursuit toujours sa recherche en dehors des groupes et des centres de recherche. Son travail de composition, mené dans plusieurs directions, évite pour l’instant la musique électronique considérée comme « un piège » de matériaux sonores séduisants qui « peuvent vous faire perdre votre lucidité ». En revanche, l’ordinateur peut devenir, selon elle, « assistant » utile, facilitant considérablement le travail du compositeur. JOLIVET (André), compositeur français (Paris 1905 - id. 1974). Fils et petit-fils de Parisiens, André Jolivet naît sur les pentes de la butte Montmartre. Son père est fonctionnaire à la Compagnie des autobus ; il aime la peinture et la pratique en amateur. Sa mère, excellente musicienne, chante et joue du piano. Avant de s’orienter définitivement vers la musique, l’enfant est d’abord attiré par tous les arts. En 1918, sa vocation se dessine : il écrit le texte et la musique d’une Romance barbare, son premier essai de composition. Mais il ne choisit pas encore. Bientôt il s’essaie à la peinture sous la direction du peintre cubiste Georges Valmier. Il étudie le violoncelle, mais se passionne aussi pour le théâtre. Tout cela, en marge des études universitaires qu’il poursuit afin d’entrer dans l’enseignement (où il exercera de 1928 à 1942). Loin de se disperser, le jeune homme acquiert ainsi les éléments d’une culture solide et originale, qui le prépare à son travail créateur. Il reste à apprendre le métier downloadModeText.vue.download 522 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 516 de compositeur. De 1921 à 1924, André Jolivet étudie l’harmonie sous la direction de l’abbé Théodas, maître de chapelle de Notre-Dame de Clignancourt. Entre 1927 et 1933, il complète sa formation auprès de Paul Le Flem et d’Edgar Varèse, qui lui enseignent, avec la plus grande rigueur, la pratique de l’écriture et de l’orchestration, le mettent en garde contre les facilités de l’improvisation, encouragent son audace, et favorisent son goût pour la décou-

verte. André Jolivet ne suit pas la filière de l’enseignement traditionnel, mais il n’est pas, pour autant, un autodidacte ; il a des maîtres exigeants et travaille avec acharnement. Sa première oeuvre importante, achevée en 1934, est un Quatuor à cordes. Il y applique pour la première fois ses principes de composition atonale : page trop dense peut-être, d’une réelle audace pour l’époque. Suivent, en 1935 et 1936, une suite pour piano, Mana, et les 5 Incantations pour flûte seule. André Jolivet réalise, dans une écriture fondée sur les résonances naturelles et les rythmes irrationnels, son dessein de restituer à la musique « son sens originel antique, lorsqu’elle était l’expression magique et incantatoire de la religiosité des groupements humains ». Participant à la fondation du mouvement Jeune-France, aux côtés d’Yves Baudrier, de Daniel Lesur et d’Olivier Messiaen, André Jolivet inscrit au programme du premier concert donné par ce groupe, le 3 juin 1936, sa Danse incantatoire pour orchestre, 2 ondes Martenot et 6 percussions. En 1939, il compose Cinq Danses rituelles pour piano et orchestre. Mobilisé en 1940, il se retrouve, au moment de l’Armistice, dans un petit hameau de la Haute-Vienne, où il écrit les Trois Complaintes du soldat, qui seront créées par Pierre Bernac et Charles Munch, le 28 février 1943 à la Société des concerts du Conservatoire, où elles obtiendront un succès foudroyant et imposeront d’une manière définitive le nom de leur auteur. Serge Lifar lui commande un ballet, Guignol et Pandore, créé à l’Opéra de Paris le 29 avril 1944. Nommé, en 1945, directeur de la musique à la Comédie-Française, poste qu’il occupe jusqu’en 1959, André Jolivet écrit, en 1947, le Concerto pour ondes Martenot, qui est le premier d’une série d’oeuvres concertantes comprenant, entre autres, le Concerto pour piano, dont la création, à Strasbourg, par Lucette Descaves, le 19 juin 1951, a été particulièrement mouvementée, deux Concertos pour trompette (1948 et 1954), un Concerto pour percussion (1958), deux Concertos pour violoncelle (1962 et 1966), un Concerto pour violon (1972) et Songe à nouveau rêvé, concerto pour voix de soprano et orchestre, créé à Paris, le 30 avril 1971, par Colette Herzog. Dès 1948, la renommée du musicien dépasse nos frontières. Il effectue de nombreux voyages en Europe,

en U. R. S. S., aux États-Unis, au Japon. Sa 2e Symphonie est créée, en 1959, à Berlin, sa 3e Symphonie, en 1964, à Mexico, son 2e Concerto pour violoncelle, en 1967, à Moscou, par Mstislav Rostropovitch. Nommé, en 1966, professeur de composition au Conservatoire de Paris, André Jolivet démissionne en 1970. Le théâtre national de l’Opéra lui commande un ouvrage lyrique. Le livret qu’il choisit est de Marcel Schneider, le titre : le Lieutenant perdu. André Jolivet n’aura pas le temps d’achever cet ouvrage. Il meurt d’une manière aussi inattendue que brutale, emporté par une violente attaque de grippe, le 20 décembre 1974. Pour André Jolivet, le problème de la communication était primordial. La raison d’être de la musique était, selon lui, d’établir des rapports, d’une part, entre le corps et l’âme, c’est-à-dire entre la matière sonore et l’esprit qui la soulève et qui l’anime ; d’autre part, entre le créateur et son public. Respectant l’instinct, répudiant la froide intelligence, il ne s’est pas fié pour autant au sentiment pur, mais a pensé logiquement son oeuvre et l’a méthodiquement conduite vers des champs de plus en plus larges. Il s’est d’abord affranchi du système tonal, non en adoptant les règles du dodécaphonisme, mais en utilisant les phénomènes naturels de la résonance, avec leurs harmoniques les plus éloignés. En même temps, il s’est attaché à retrouver le sens de la continuité mélodique, étayant la mélodie de points d’appui bien caractérisés. Son langage postule la liberté, mais revendique la clarté, et avant tout une matière sonore dynamique, un rôle essentiel étant confié à l’élément rythmique. Pour André Jolivet, le rythme ne repose pas seulement sur la répétition de formules métriques, il règle le débit du lyrisme, il est déterminé par les phases et les intensités du flux sonore. Un regard d’ensemble sur l’oeuvre d’André Jolivet permet d’y distinguer trois périodes. Entre 1935 et 1939, l’accent est mis sur les phénomènes incantatoires et sur un certain primitivisme, voulus comme une libération du langage et comme un retour aux sources. C’est la période de Mana (1935), des Incantations pour flûte (1936), des Cinq Danses rituelles (1939). La Seconde Guerre mondiale provoque chez le musicien une réflexion sur la nécessité d’être entendu de tous. Dans un langage assagi, plus clair, plus tendre, plus serein, des harmonies modales, des rythmes moins

violents, une instrumentation plus traditionnelle créent un climat plus tempéré où l’auditeur peut aisément se retrouver. C’est la période de la Messe pour le jour de la paix et des Trois Complaintes du soldat (1940), de la Suite liturgique (1942), des Poèmes intimes (1944). Après la guerre, la synthèse de l’incantation et du lyrisme, de l’audace et de la clarté, de la liberté et de la tradition humaniste s’accomplit dans des oeuvres de grande envergure, sonates, symphonies, concertos. Le concerto, domaine privilégié pour André Jolivet, attise le feu de son inspiration parce que cette forme musicale est en soi un défi, un appel au dépassement des pouvoirs du créateur et de ses interprètes. S’il fallait citer trois oeuvres qui caractérisent le mieux l’art du musicien, on pourrait, sans se tromper, choisir le Concerto pour ondes Martenot, le Concerto pour piano et le concerto pour soprano intitulé Songe à nouveau rêvé. Au sens le plus noble du terme, la création d’André Jolivet est un combat, un corps à corps avec la matière sonore. Le jeu n’est jamais gratuit, le dernier mot n’est pas à la virtuosité, il est à l’émotion, au lyrisme, à un lyrisme d’essence cosmique qui aspire à faire de la musique « la vibration même du monde ». JOMMELLI (Niccolò), compositeur italien (Aversa 1714 - Naples 1774). Élève de Francesco Feo à Naples, il y débuta comme auteur d’opéra bouffe en 1737, et, trois ans plus tard, à Rome, donna son premier opera seria (Ricinero, re de’Gotti, d’après Zeno), qui révéla sa véritable voie. En 1741, il prenait contact à Bologne avec le grand pédagogue G. Martini, y fut élu « académicien », puis, grâce à l’appui de Adolf Hasse, se fixa à Venise, où il dirigea le conservatoire des Incurables. Dès 1747, il était en poste à Rome et l’écho de ses triomphes le fit appeler à la cour de Vienne, où il connut Métastase. Nommé maître de chapelle du duc de Wurtemberg, il se fixa à Stuttgart (1753-1769) : c’est là qu’il composa ses oeuvres maîtresses et eut de fréquents échanges avec l’opéra français ainsi qu’avec l’orchestre de Mannheim. De retour à Naples, il y retrouva, en 1770, le jeune Mozart qu’il avait déjà apprécié en 1763, mais il se heurta à l’incompréhension de ses compatriotes, peu disposés à accueillir son style nouveau. Il se tourna alors plus fréquemment vers la musique sacrée et fit exécuter son

Miserere en 1774, peu avant sa disparition. Jommelli fut le premier compositeur italien qui sentit la nécessité de donner à l’opera seria une meilleure authenticité dramatique ; dès 1741, avec Semiramide, il osa confier la partie mélodique à l’orchestre, aux dépens du chant, audace qu’il développa dans Demofoonte (1743) et dans Achille a Siros (Vienne, 1749), faisant dialoguer la voix avec l’instrument soliste, selon la fonction psychologique des timbres instrumentaux. Ses contacts avec l’Allemagne et avec la France, l’influence de Hasse d’une part, celle de Rameau de l’autre développèrent encore chez lui, outre un intérêt grandissant pour le choeur et le ballet, son désir de donner à l’orchestre une part de plus en plus active, downloadModeText.vue.download 523 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 517 dans le récitatif, dans l’accompagnement ou la conclusion des airs, et même jusque dans l’inclusion d’intermèdes symphonique ; enfin, les structures vocales perdirent leur rigidité formelle, l’aria da capo faisant souvent place à la cavatine expressive, cependant que son écriture harmonique s’enrichissait, procédés dont Mozart sut faire son profit, et que l’on note dans l’Olympiade (1761), Vologeso (1766) et surtout dans Fetonte (version de 1768). Ayant cherché à appronfondir et non à réformer l’opéra seria, toujours selon l’éthique de Métastase (qui lui recommanda pourtant de ne pas négliger la voix au profit de l’accompagnement). Jommelli fut néanmoins le père de la réforme de l’opera seria, avant Algarotti, et longtemps avant Calzabigi et Gluck. Sa musique religieuse apparaît d’un style très nouveau, comme en témoigne son Requiem, écrit durant son séjour vénitien, annonciateur du style galant, et que Mozart connut sans doute. Outre les opéras déjà cités, mentionnons encore Ezio (1741), Didone abbandonata (1747, rév. 1749 et 1763), l’Ifigenia (1751) et Armide abbandonata (1770). Ses ouvertures d’opéra influencèrent les oeuvres instrumentales des musiciens de Mannheim. Le « crescendo orchestral » de Stamitz, écrivit Burney, fut « stimulé par les productions de Jommelli ». JONGEN, famille de compositeurs

belges. Joseph (Liège 1873 - Sart-lez-Spa, près de Liège, 1953). Il étudia au conservatoire de Liège, y fut professeur auxiliaire d’harmonie et de contrepoint dès l’âge de dix-neuf ans (1892-1898), remporta le second prix de Rome en 1895 et le premier en 1897. Professeur de fugue au conservatoire de Bruxelles en 1920, il dirigea cet établissement de 1925 à 1939. Proche des idéaux de la Schola cantorum, dans la lignée directe de l’esthétique franckiste, il fut le plus important compositeur wallon de sa génération. On lui doit notamment une symphonie (1898-99), une symphonie concertante avec orgue principal (1926), des pages symphoniques comme Impressions d’Ardennes (1913), le poème symphonique Lalla-Roukh (1904), de la musique de chambre, la Messe pour choeurs, cuivres et orgue (1946). Léon, frère du précédent (Liège 1884 Bruxelles 1969). Également pianiste, il succéda à son frère Joseph comme directeur du conservatoire de Bruxelles (19391949). Ses voyages à travers le monde lui inspirèrent des pages d’un exotisme très coloré (Malaisie pour orchestre, 1935). Citons aussi l’opéra Thomas l’Agnelet (192223) et le ballet le Masque de la Mort rouge (1956). JONGLEUR. Dans la monodie profane du XIIe siècle, ce terme désignait celui qui n’était pas créateur (poète, compositeur ou poètecompositeur) comme le troubadour, mais simplement exécutant, et qui se déplaçait de lieu en lieu, de château en château, en s’efforçant de mettre ses talents au service de qui voulait bien le payer. On appelait ménestrel un jongleur ayant obtenu un emploi fixe, par exemple auprès d’un noble. Le plus célèbre de ces ménestrels fut Blondel, au service de Richard Coeurde-Lion. JORDAN (Armin), chef d’orchestre suisse (Lucerne 1932). Après des études universitaires à Fribourg (lettres, droit et théologie), il décide de se consacrer entièrement à la musique. Il étudie aux Conservatoires de Genève et de Lausanne, fonde à l’âge de dix-sept ans un petit orchestre à Fribourg et commence à diriger l’orchestre

du Théâtre de Bienne-Soleure. Nommé à l’Opéra de Zurich, il est à partir de 1969 chef permanent de l’Opéra de Bâle, puis de 1973 à 1989 directeur musical de cette maison. En 1973, il prend la direction de l’Orchestre de chambre de Lausanne, formation avec laquelle il effectue plusieurs tournées dans le monde et enregistre de nombreux disques. Attaché aussi bien au répertoire lyrique, wagnérien en particulier, qu’au répertoire symphonique, il donne à l’Orchestre de chambre de Lausanne un niveau international et réalise la bande originale du film de Syberberg Parsifal. Nommé en 1985 directeur musical de l’orchestre de Suisse romande, il a été de 1986 à 1993 chef invité privilégié de l’Ensemble orchestral de Paris. JOSQUIN DES PRÉS, compositeur français (Picardie v. 1440 - Condé-sur-l’Escaut 1521). Trois grandes périodes (que reprend H. Osthoff à la suite d’Ambros pour tenter un classement de ses oeuvres) s’imposent : la jeunesse, soit la période milanaise (jusqu’en 1486) ; les séjours de Rome et Ferrare (1486-1505) ; le retour en France et dans les Pays-Bas (1505-1521). Ainsi se dégage l’importance des influences italiennes, qui, en se greffant sur une connaissance approfondie de l’art du contrepoint tel qu’il était pratiqué dans les pays du Nord, permit à Josquin Des Prés (ou plutôt Desprez) de dépasser les formes traditionnelles de son temps par un regard neuf sur les rapports du texte et de la musique. D’après le tableau de Claude Héméré (1633), il aurait été chantre à la collégiale de Saint-Quentin, mais les premières traces vérifiables de ses activités ne se situent qu’après son installation en Italie. Il fut « Giscantor » à la chapelle du Dôme de Milan (1459-1472), entra au service du duc Sforza (1474), puis du cardinal Ascanio Sforza, qui l’introduisit dans les milieux romains, appartint à la chapelle papale (1486-1494), avec toutefois quelques interruptions. On le signala alors à Milan, Paris, Plaisance, Modène (148788), Nancy (1493). En 1499, il quitta définitivement Rome pour Ferrare et entra dans la chapelle du duc Hercule Ier, qui le chargea de recruter des chanteurs à l’automne 1501 en Flandres. Glaréan nota son voyage à la cour de Louis XII avant son retour en 1503 à Ferrare, où il demeura jusqu’à la mort du duc (1505). Eut-il en-

suite des démêlés avec la cour de France ? Toujours est-il qu’on le retrouva à SaintQuentin (1509), puis en 1515 à Condésur-l’Escaut, où il termina son existence comme doyen-prévôt. Les contemporains le regardaient déjà comme le plus grand maître de son temps, et, jusque vers 1600, ses oeuvres furent citées dans les écrits théoriques (cf. Glaréan, Spataro, Lampadius, Gaffurio, Castiglione, Luther, etc.) ; beaucoup servirent de modèles et furent transcrites, notamment pour luth. Elles se répandirent encore par la tradition manuscrite, mais l’imprimerie musicale leur assura bientôt une plus vaste diffusion ; Petrucci imprima 3 volumes de Messes (1502, 1505, 1514) ainsi que des fragments de messes (Fragmenta missarum) en 1505, tandis que ses chansons paraissaient à Anvers (Susato, 1545), Paris (Attaingnant, 1549 ; Le Roy et Ballard, 1555). Près de 20 messes, 5 credo, 2 sanctus, plus de 100 motets, plus de 70 chansons nous sont parvenus ; près de 150 oeuvres sont d’attribution discutable. Il n’y a pas à proprement parler un type de messe josquinienne, chacune ayant ses particularités. Dans la ligne de Dufay, Josquin construisit certaines messes sur un cantus firmus profane (les deux messes l’Homme armé), ou utilisa parfois le principe de la missa parodia (Malheur me bat, Fortuna desperata, Mater Patris). Les constructions en canon correspondaient à son goût pour les problèmes d’architecture et d’écriture (cf. notamment celle des ténors). Le principe d’imitation continue à toutes les voix s’affirmait comme une marque essentielle (messe Hercules Dux Ferrarie et messe Pange lingua, son chef-d’oeuvre) ; il est lié à la division du groupe vocal (soprano-ténor/alto-basse) et à un souci constant de mettre en valeur le sens figuratif émotionnel du texte par des figures types à valeurs symboliques. Utilisant aussi parfois le cantus firmus ou même l’isorythmie, appliquant le principe de l’imitation continue ou libre (pour les textes des psaumes), les motets peuvent être jugés supérieurs aux messes. En tout cas, ils deviennent chez lui la forme religieuse libre par excellence : Josquin s’y affranchit des contraintes de la messe, downloadModeText.vue.download 524 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE

518 donne libre cours à son imagination créatrice et à sa virtuosité. Il ne craignit pas d’en écrire une quarantaine à cinq ou six voix, le reste étant, comme les messes, à quatre voix. Il y apparaît comme un maître incontesté du contrepoint, l’héritier d’Ockeghem, d’Obrecht et Busnois, mais tendu vers la recherche d’un équilibre (parole/musique, harmonie/polyphonie, mélodie/rythme), d’une alliance subtile entre l’émotion et le métier artisanal (cf. Ave Maria, Miserere, Stabat Mater). Son oeuvre profane comporte, outre des frottole, des chansons (sur des textes français, italiens, latins) à 3 voix (typiques du XVe siècle), mais aussi à 4 (Mille Regretz), et 25, dont 17 en forme de canon, à 5 et 6 voix (Baisiez-moi à 6 voix et triple canon ; Nymphes des bois, Déploration sur la mort d’Ockeghem à 5 voix). Toutefois, la puissance sonore n’étant pas recherchée pour elle-même, il est rare que le cadre de l’écriture dépasse quatre parties. Abandonnant pour ainsi dire le poème à forme libre et le respect du découpage par vers, la chanson, malgré son cadre étroit, profite comme le motet des procédés d’écriture de la messe, même si le genre ne semble pas avoir été le but privilégié des efforts du compositeur. Une page comme Mille Regretz peut être considérée comme l’exemple parfait de l’alliance du texte et de la musique, du dosage des voix, du sens du verticalisme. Dans ce domaine encore, Josquin fait figure de précurseur et de génie. Héritier de tout le XVe siècle, il pénétra de plainpied dans celui de la Renaissance. De sa gloire et de sa grandeur témoignent ces fameuses paroles de Luther : « Josquin est le maître des notes, elles se plient à ses ordres, tandis que les autres restent sous leur dictée. » JOTA. Danse populaire espagnole, d’origine aragonaise, à 3/4. Son nom a été longtemps attribué au poète Ben Jot, réfugié au XIIe siècle à Calatayud, mais elle ne remonterait pas au-delà du XVIIIe siècle et pourrait provenir de l’ancienne « canario «. D’un rythme sans ambiguïté, elle favorise des mélodies énergiques et joyeuses, parfois grotesques ou ironiques, sur lesquelles les couples dansent face à face et sur place,

en changeant fréquemment de position. Son caractère varie suivant les régions (Valence, Murcie, Baléares, Canaries), mais elle est toujours un symbole de fermeté et de gloire. On la dansait naguère au moment des fêtes du Pilar et jusque dans les cérémonies funèbres (notamment pour les enfants qui vont con los ángeles). Presque tous les compositeurs espagnols (Granados, Albéniz, Falla et les zarzuelistes) ont écrit des jotas, ainsi que Glinka, Liszt, Chabrier et Laparra. JOURNET (Marcel), basse française (Grasse 1867 - Vittel 1933). Il chanta à la Monnaie à Bruxelles (18941900), au Metropolitan Opera de New York (1900-1908) et à l’Opéra de Paris (1908-1932). Sa voix puissante, enregistrée plusieurs fois dans de bonnes conditions, lui permit de chanter Scarpia dans la Tosca, Tonio dans Pagliacci, et divers rôles de Wagner, tels Hans Sachs, Wotan, Titurel et Gurnemanz. JOUVE (Pierre-Jean), écrivain français (Arras 1887 - Paris 1976). Influencé par les derniers symbolistes, rallié ensuite à l’unanimisme, il fit une place de plus en plus importante à l’inconscient dans son oeuvre et renia son attitude spirituelle précédente. La poésie devint pour lui acte de connaissance, le moyen par excellence, tout comme la musique et l’art, d’accéder à l’expérience profonde ou à l’indicible. Fasciné par la musique, dont il dit qu’elle fut « la passion » de sa vie, mais surtout par Mozart et par l’opéra, Jouve fut un spectateur assidu du festival de Salzbourg, dès 1921, avant d’être l’un des créateurs du festival d’Aix-en-Provence et d’y participer à la première représentation du Don Juan de Mozart (1949). Tandis que son oeuvre littéraire reflétait cette admiration, il se lança dans l’analyse musicale avec le Don Juan de Mozart (1942), puis, en collaboration avec Michel Fano, avec Wozzeck ou le Nouvel Opéra (1953). Dans ces deux ouvrages, la méthode d’interprétation fait intervenir à la fois l’analyse technique et des considérations sur la philosophie de l’oeuvre, tandis que la poésie se voit confier la tâche d’éclairer différemment la critique musicale. L’oeuvre de Pierre-Jean Jouve lui valut le grand prix national des lettres en 1962, puis, en 1966, le grand prix de poésie de l’Académie française.

JOY (Geneviève), pianiste française (Bernaville 1919). Entrée en 1931 au Conservatoire de Paris, elle y fait des études très complètes et travaille le piano avec quatre professeurs, dont Yves Nat, son principal maître. En 1941, elle obtient son 1er Prix de piano et s’intéresse d’emblée à la musique de son temps (elle appartient dès l’âge de vingt-trois ans au comité de lecture de la Radiodiffusion). De 1944 à 1947, elle est chef de chant à l’Orchestre national. En 1945, elle commence à se produire en duo de piano avec J. Robin et épouse l’année suivante le compositeur Henri Dutilleux (dont elle crée peu après la Sonate pour piano). En 1952, elle fonde avec Jeanne Gautier et André Levy le Trio de France. Au long d’une carrière très active, elle consacre un part importante de son temps à l’enseignement, d’abord comme professeur de déchiffrage au Conservatoire de Paris (où elle est nommée en 1950) puis comme professeur de musique de chambre à l’École normale de musique de Paris (1962-1966) et au Conservatoire de Paris (1966-1986). Grande interprète du répertoire de piano du XXe siècle, elle a créé des oeuvres de Ohana, Dutilleux, Milhaud, Jolivet, Auric, Rivier, Constant, etc. JOYEUSE (Jean de), facteur d’orgues français ( ? 1638 - ? 1698). Il fut aussi organiste. Il travailla à Paris et dans la région parisienne, puis dans le sud-ouest de la France, où il implanta le style des maîtres classiques parisiens. Il est l’auteur de l’orgue de la cathédrale d’Auch (1688-1694), reconstruit depuis. JUBILUS. Mot latin désignant les vocalises développées ornant la syllabe terminale du mot alleluia dans les pièces de même nom de la messe chantée. Le nom de jubilus, qui en évoque le caractère « jubilatoire », a été commenté par saint Augustin dans un texte célèbre, Enarrationes super psalmos ( ! NEUME et ! PNEUMA). JUDENKÜNIG (Hans), luthiste allemand (Schwäbisch-Gmünd, v. 1445-1450 Vienne 1526).

Installé à Vienne à partir de 1518 au moins, il est l’auteur de deux livres de luth (Utilis et compendiaria introductio... Vienne entre 1515 et 1519 ; Ain schone kunstliche Underweisung..., ibid. 1523). Ses transcriptions des Odes d’Horace mises en musique par P. Tritonius permettent de penser qu’il était en relation avec le milieu des humanistes. L’important traité qui accompagne le livre de 1523 évoque la technique de jeu et l’art de la mise en tablature des compositions vocales. JUILLIARD SCHOOL OF MUSIC. Établissement américain d’enseignement musical fondé à New York en 1905 par James Loeb et Frank Damrosch, sous le nom de Institute of Musical Art. D’abord installé sur la 5e Avenue, il fut transféré Claremont Avenue pour aboutir en 1969 au Lincoln Center. L’année précédente, il avait été rebaptisé Juilliard School en hommage au mécène Augustus Juilliard, qui finançait l’entreprise dès 1920. La Juilliard School of Music comprend actuellement plus de 200 classes, où sont enseignées toutes les disciplines non seulement musicales, mais théâtrales et chorégraphiques. Les installations permanentes du Lincoln Center ont considérablement facilité, à partir de 1962, l’extension des activités de la Juilliard School vers l’expression scénique, avec la possibilité de monter trois opéras par an, d’ouvrir des classes d’art dramatique et de colladownloadModeText.vue.download 525 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 519 borer avec la School of American Ballet de George Balanchine. Enfin, cette école américaine est devenue véritablement internationale après la Seconde Guerre mondiale, avec un pourcentage croissant de professeurs et d’élèves étrangers. La qualité de son enseignement, dispensé par des artistes illustres, en fait une pépinière de jeunes talents. JULLIEN (Gilles), organiste et compositeur français (Paris v. 1653 - Chartres 1703). Sa vie est très peu connue : on suppose

qu’il a été à Paris l’élève de Lebègue, ou, plus sûrement, de Gigault ; après quoi, dès 1667, il fut nommé titulaire de l’orgue de la cathédrale de Chartres, fonction qu’il occupa jusqu’à sa mort. En 1690, parut son Livre d’orgue contenant les huit tons de l’église pour les fêtes solennelles. Celui-ci se compose de quatre-vingts pièces, dix par ton : préludes, fugues, duos, récits, basses, dialogues, pages manifestement influencées par celles de ses maîtres. Certaines sont écrites à cinq voix, genre dont Jullien croyait être l’inventeur, alors que Gigault et Raison avaient déjà écrit de la sorte. Héritier du style classique, Jullien annonce en bien des pages l’aspect décoratif de l’orgue du XVIIIe siècle. JUMIÈGES. Abbaye bénédictine de Normandie, entre Rouen et Honfleur, aujourd’hui en ruine. Elle fut célèbre au IXe siècle pour avoir été le berceau de l’invention des tropes, qui devaient proliférer à travers le Moyen Âge et donner naissance, par dérivation, aux plus importantes innovations tant de la littérature que de l’histoire musicale, y compris les trouveurs et le théâtre à travers le drame liturgique. Recueilli à SaintGall, en Suisse, après la fuite des moines devant l’invasion normande vers 850, et développé dans ce monastère par Notker dit le Bègue, le trope de Jumièges, qui était essentiellement un « trope d’adaptation » (adaptation de paroles nouvelles sur l’ancienne vocalise), s’y transforma en « trope de développement » et devint la séquence, dont plusieurs témoins, tous de « nouveau style », c’est-à-dire du XIe siècle au plus tôt, comme Victimae paschali laudes, Veni sancte Spiritus ou Dies irae, sont encore en usage. JUNKER (Carl Ludwig), théoricien et pédagogue allemand (Kirchberg an der Jagst 1748 - Ruppertshofen 1797). Partisan de l’Empfindsamkeit, il publia notamment, à Berne, en 1776, une brochure intitulée Zwanzig Componisten, eine Skizze (Esquisse sur vingt compositeurs) et critiquant violemment la musique « moderne » représentée par Haydn. JURINAC (Sena), soprano autrichienne d’origine yougoslave (Travink 1921). Elle débuta en 1942 à Zagreb dans le rôle

de Mimi de la Bohème. Engagée à l’Opéra de Vienne dès 1945, elle y fit l’essentiel de sa carrière, tout en paraissant régulièrement dans les grands festivals internationaux, ainsi qu’à Paris, à Londres et à San Francisco. C’est une des plus remarquables cantatrices de l’après-guerre, tant par ses qualités purement vocales que par l’éclectisme de son tempérament. Pendant plus de trente ans, elle a triomphé dans Mozart (Elvire, puis Anna de Don Juan, la Comtesse des Noces de Figaro, Ilia d’Idoménée), Verdi (Élisabeth de Don Carlos, Desdémone d’Othello), Strauss (Octave du Chevalier à la rose et le compositeur d’Ariane à Naxos), Moussorgski (Marina de Boris Godounov), Puccini (Cio Cio San de Madame Butterfly) et Berg (Marie de Wozzeck). Avec les années, la voix de Sena Jurinac a pris ampleur et dramatisme sans rien perdre de ses qualités de timbre. JUSTESSE. Terme désignant la conformité du son émis par un instrument ou une voix avec l’échelle musicale qui sert de référence. Mais, du fait de l’imperfection de tout système physique, une justesse absolue, mathématiquement rigoureuse, n’est pas concevable ; par ailleurs, l’usage du tempérament égal dans la musique occidentale entraîne, dans l’accord même des instruments à sons fixes, des approximations par rapport à une échelle théorique exacte. La notion de justesse apparaît ainsi comme indissolublement liée à celle d’une marge de tolérance qui rend la note exécutée acceptable ou non par rapport à l’échelle de référence. Dans les instruments à sons fixes (piano, orgue), cette marge est aussi réduite que possible. Mais, dans tous les instruments dont l’exécutant peut faire varier tant soit peu la hauteur, que ce soit un instrument à vent (par modification de la pression d’air et du jeu des lèvres), un instrument à cordes (par déplacement du doigt et pression de l’archet), un instrument à percussion (selon l’intensité et la position du choc), ou, à plus forte raison, la voix humaine, cette marge de tolérance est plus ou moins grande. Cette variabilité est due à l’habileté de l’exécution et aux intentions de l’interprète : un mauvais violoniste jouera une note fausse parce qu’il n’aura pas été capable de la jouer juste, mais un bon vio-

loniste peut s’écarter volontairement de la justesse optimale pour provoquer un effet expressif - par exemple, pour renforcer l’effet d’une altération, ou l’attraction de la note sensible vers la tonique. Ce sont les chanteurs qui peuvent le plus jouer sur cette marge de tolérance de la justesse, et les meilleurs d’entre eux ne s’en font pas faute. Une analyse au fréquencemètre révélerait aisément des écarts pouvant atteindre un quart de ton par rapport à la note théorique dans l’interprétation des artistes les plus justement renommés : c’est là une forme d’accentuation expressive, qui, dans ce cas, est perçue comme telle par l’auditeur, et non pas comme fausse note. En effet, notre système musical ayant le demi-ton comme plus petit intervalle, un quart de ton n’y peut être une note nouvelle, mais seulement un écart par rapport à la note exacte qui aurait dû être entendue. Dans ces conditions, la note exécutée n’est pas physiquement juste ; elle n’est pas pour autant perçue comme une autre note, n’existant pas dans notre échelle. De même, chez les très nombreux peuples qui usent d’une gamme par tons entiers (échelles pentatoniques anhémitoniques de l’Afrique noire, par exemple), gamme qui ignore le demi-ton, un écart d’intonation d’un demi-ton par rapport à la note théorique est mentalement ramené à la note qui aurait dû être exécutée dans l’échelle employée, et non comme une note nouvelle. Mais quelles que soient les libertés que peuvent prendre avec la justesse idéale les plus accomplis des exécutants - libertés dont ils savent d’ailleurs user avec goût et modération -, la recherche de la plus grande justesse d’exécution, d’intonation et d’audition demeure l’une des bases de tout apprentissage de la pratique musicale. downloadModeText.vue.download 526 sur 1085

K KABALEVSKI (Dimitri), compositeur soviétique (Saint-Pétersbourg 1904 - Moscou 1987). De famille très modeste, il fut attiré très tôt par la musique, mais n’entra qu’en 1925 au conservatoire de Moscou, où il reçut l’enseignement de Goldenweiser (piano), de Catoire et de Miaskovski (composition). Il fut lui-même professeur dans ce

même conservatoire à partir de 1932. En 1931, déçu à la fois par l’Association russe des musiciens prolétariens, trop dogmatique, et par l’Association pour la musique contemporaine, trop moderne, il lança un appel pour un nouveau regroupement et proposa de cultiver, outre les chansons et la musique légère, les grandes formes de l’opéra et de la symphonie. Ses cinq opéras (Colas Breugnon, d’après R. Rolland, 1938, remanié en 1967 ; Au feu, 1942 ; la Famille de Tarass, 1947, remanié en 1950 ; Nikita Verchinine, 1955 ; les Soeurs, 1967) révèlent parfois l’influence de Moussorgski. Dans Nikita Verchinine, qui contient de nombreuses chansons paysannes et révolutionnaires, Kabalevski fait du peuple le principal protagoniste, comme l’ont fait Glinka et Moussorgski. Mais il n’a pas leur souffle, et semble plus à l’aise dans des oeuvres de moindre dimension. Son humour et sa verve éclatent, en revanche, dans la musique de scène pour les Comédiens d’Ostrovski (1933), devenue en 1940 suite pour orchestre. Dans ses quatre symphonies et sa Symphonie Requiem en mémoire de Lénine, Kabalevski prend Tchaïkovski pour modèle. Toutefois son lyrisme, sa spontanéité mélodique et la simplicité de son langage trouvent un terrain de prédilection dans les oeuvres destinées à la jeunesse : 30 Pièces pour les enfants (1938), les trois Concertos de jeunesse (c’est-à-dire sur et pour la jeunesse) pour violon (1948), violoncelle (1949) et piano (1952), ainsi que ses nombreuses chansons. En 1934, Kabalevski avait mis l’accent sur la dichotomie entre les titres soviétiques des compositions musicales et leur contenu non soviétique, et soulignait la nécessité de maintenir une base d’idéal à la créativité musicale. Pourtant les critiques antiformalistes de Jdanov en 1948 ne l’épargnèrent pas plus que Chostakovitch, Prokofiev ou Khatchaturian. Devenu plus conservateur avec l’âge, Kabalevski condamna le dodécaphonisme et dénonça, en accord avec Khrennikov, Khatchaturian et Chostakovitch, l’avantgarde du festival d’automne de Varsovie (1959). En 1963, il composa une oeuvre monumentale, le Requiem à la mémoire des victimes de la guerre, dans lequel, fidèle à ses principes, il introduisit un choeur d’enfants chantant les paroles Hommes de

toute la terre, maudissez la guerre. La même année, il reçut le titre d’artiste du peuple de l’U. R. S. S. KABELAČ (Miloslav), compositeur tchèque (Prague 1908-id. 1979). Il entra au conservatoire de Prague dans les classes de K. Jirak (composition) et de P. Dedecek (direction d’orchestre), puis se perfectionna au piano dans la classe de virtuosité de V. Kurz (1931-1934). Il travailla comme régisseur à la radio de Prague à partir de 1932, et y fut remarqué comme chef d’orchestre de 1945 à 1954. De 1958 à 1962, il enseigna la composition au conservatoire de Prague. Sa production connue (une soixantaine d’ouvrages) s’impose en premier lieu par ses huit symphonies (1942-1970), qui utilisent des effectifs différents et résolvent avec force et simplicité les problèmes de forme et d’équilibre posés. Rythmicien digne de l’école de Boris Blacher, doté d’un souffle épique naturel et austère, Kabelač est certainement, sur le plan international, l’un des plus grands symphonistes de sa génération. Son nom n’a malheureusement éveillé l’intérêt de l’Occident que lors de la création par les Percussions de Strasbourg, à qui elles sont dédiées, de ses Huit Inventions (1965). Il a su assimiler les apports positifs des diverses écoles du XXe siècle, en particulier, de celle de Schönberg (dont les Variations pour orchestre op. 31 furent pour lui un exemple), et a utilisé tous les moyens à sa disposition dans un but profondément expressif, avec économie et efficacité. La tension dramatique de ses oeuvres, en particulier de ses huit symphonies, font d’elles de véritables opéras sans parole, évoluant d’un seul bloc. On trouve souvent dans les dernières des structures symétriques, directes et rétrogrades, d’essence dodécaphonique, mais s’articulant sur des choix aléatoires : ainsi, dans Reflets op. 49, suite de neuf miniatures pour orchestre de chambre, de dialogues entre Kabelač et son temps (1963-64). L’influence de Alois Hába est nette dans la 6e pièce, tandis que la tension modale de la 7e est un hommage à Bartók. À partir de 1963, il s’est intéressé à la musique électronique. Homme discret et strict, Kabelač disparut de la scène publique (et ses oeuvres avec lui) de 1968 à sa mort. Il reste l’une des personnalités les plus fortes et l’un des meilleurs exemples de l’art tchèque issu de Janáček et de A.

Hába. KABUKI. Genre théâtral japonais dont la définition tient à peu près dans la signification de ses trois syllabes : chant-danse-personnage. Si ses origines se perdent dans la nuit des temps, on sait, par les oeuvres dramatiques écrites à son intention, qu’il a triomphé à downloadModeText.vue.download 527 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 521 partir du début du XVIIIe siècle, après avoir longtemps souffert de la concurrence du bunraku (« théâtre de marionnettes »). Son répertoire est aussi vaste qu’éclectique, allant de l’épopée légendaire à la farce grivoise, en passant par le drame historique, bourgeois ou naturaliste. Mais le kabuki est toujours caractérisé par l’alternance des dialogues parlés et du chant, avec de nombreux intermèdes chorégraphiques, par la présence d’un orchestre et d’un récitant invisible faisant office de choeur, par l’ampleur de la mise en scène et le luxe des costumes. La tradition veut que les femmes en soient exclues, de sorte que les rôles féminins sont tenus par des hommes travestis. À la différence du nô, dont le raffinement confine au dépouillement, le kabuki est une formule théâtrale à grand spectacle qui s’adresse essentiellement aux foules. KADOSA (Pál), pianiste, pédagogue et compositeur hongrois (Levice 1903 - Budapest 1983). De 1921 à 1927, il a été l’élève, à l’Académie Franz-Liszt de Budapest, de Kodály (composition) et d’Arnold Székely (piano). Depuis 1927, il est l’un des professeurs de piano les plus éminents de Hongrie, ayant enseigné successivement à l’école Fodor (1927-1943), Goldmark (1943-44), puis à l’Académie de musique de Budapest jusqu’à sa retraite. Il a eu comme élèves aussi bien des pianistes de la génération d’András Mihály que de celle de Zoltán Kocsis, Deszö Ranki ou Csilla Szabó. Personnage officiel de l’école hongroise depuis 1930, prix Kossuth 1950, il a composé une oeuvre vaste, qui touche autant au répertoire de son instrument qu’au domaine

symphonique (10 symphonies) ou à la musique de chambre. Jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, son style est directement influencé par Kodály et le néoclassicisme d’Hindemith et de Stravinski. En 1948, le compositeur s’oriente vers la cantate, l’oeuvre chorale, simplifiant au maximum sa grammaire afin de livrer des oeuvres accessibles au plus grand nombre. Depuis 1953, il est revenu à des formes plus classiques, cultivant la symphonie comme le quatuor, le concerto comme la sonate. KAEGI (Werner), compositeur suisse (Usnach 1926). Élève de Paul Hindemith, il a écrit de nombreuses compositions instrumentales et électroacoustiques, où se retrouve son goût pour la spéculation formelle. Il est membre depuis 1971 du comité directeur de l’Institut de sonologie de l’université d’Utrecht, où il mène une recherche sur la synthèse sonore informatique, et a écrit plusieurs livres et articles sur la musique électronique et numérique. Dans sa production, on peut citer Éclipses (1964) pour bande magnétique, Entretiens solitaires (1968) pour récitant, 9 instrumentistes, bande et dispositif électroacoustique, Hydrophonie I (1969) pour bande, Kyoto (1970) pour ensemble instrumental et bande, Ritournelles pour soprano et ordinateur (1984-1986), etc. Il a également réalisé, avec André Zumbach, la musique électronique sonorisant le pavillon suisse de l’Exposition universelle d’Osaka (1970). Lauréat du 15e Concours international de Bourges (1987), il vit en Hollande et dans le sud de la France. KAGAN (Oleg), violoniste russe (Ioujna Sakhalinsk 1946 - Munich 1990). Il étudie dès 1953 au Conservatoire de Riga, et entre en 1959 à l’École centrale de Moscou, où il rencontre David Oïstrakh, dont il devient l’un des disciples. En 1965, il entre au Conservatoire de Moscou, et remporte en 1966 le second prix du Concours Tchaïkovski. Il est déjà reconnu comme soliste, et depuis 1969 joue souvent en duo avec Sviatoslav Richter. Il aime collaborer avec les grands compositeurs russes de son temps : il crée en 1984 le Concerto pour violon no 3 et la Sonate pour violon et orchestre d’Alfred Schnittke, et, avec sa femme, Natalia Gutman, le

Concerto pour violon et violoncelle de Sofia Goubaïdoulina. KAGEL (Mauricio), compositeur argentin (Buenos Aires 1931). Il étudie en privé le piano, le violoncelle, l’orgue, le chant, la direction et la théorie (il sera l’élève d’Alberto Ginastera). Renonçant à entrer au conservatoire, il suit à l’université de Buenos Aires les cours de littérature et de philosophie. Sa première oeuvre, Palimpsestos (1950) pour choeur mixte a cappella, est suivie de Dos piezas para orquesta (1950-1952). Avec un quarteto mixto, il s’essaie à la technique dodécaphonique dont l’esprit, sinon la lettre, se manifeste dans toutes ses compositions ultérieures, tandis que sa Musica para la torre (1952) pour sons concrets et instrumentaux, avec « partition d’éclairage », manifeste l’intérêt qu’il commence à porter aux nouvelles sources sonores et à l’aspect visuel de l’exécution. Cependant, c’est le Sexteto de cuerdas (1953 ; rév., Cologne, 1957) que Kagel considère comme son véritable opus 1, et c’est avec lui qu’il fait ses débuts européens, le 7 septembre 1958, lors des cours d’été de Darmstadt. Lorsqu’il vient s’installer en Europe non pas en France, comme il l’aurait voulu, mais en Allemagne -, Kagel n’emporte avec lui que quelques partitions et la plupart de ses livres sur la conquête de l’Amérique. Non seulement dans Mare nostrum (1975), qui imagine la conquête du bassin méditerranéen par une tribu d’Amazonie, mais dans la plupart de ses oeuvres « européennes », il se fait, directement comme dans Exotica (1972), ou indirectement, le porte-parole d’une culture, d’une conception de la musique et de la vie étrangères à celles qui sont en honneur dans l’Occident chrétien bien-pensant et particulièrement en Allemagne, à Cologne, où il réside depuis 1957. Comme, à l’examiner sans parti pris, et surtout sans se laisser désorienter par l’inaltérable fantaisie qu’il introduit dans presque toutes ses oeuvres, l’art de Kagel procède en droite ligne de la première école de Vienne (Mozart, Haydn, Beethoven) et de la seconde (Schönberg, Berg et Webern), on peut dire qu’il se plaît à occuper dans la vie musicale contemporaine la place du Turc, étrange et exemplaire, dans le théâtre et les contes philosophiques du XVIIIe siècle. Préférant l’humour au pédantisme, la pro-

vocation kagélienne n’est jamais gratuite et, si l’on sait traverser l’épreuve du rire ou de la curiosité anecdotique, elle débouche sur un véritable enseignement. Aussi la seconde écoute se révèle-t-elle presque toujours nécessaire pour passer outre les distractions visuelles que le compositeur se plaît à mettre en contrepoint de ses recherches d’écriture les plus austères. Mauricio Kagel a enseigné à Darmstadt (à partir de 1960), à Buffalo (1964-65), et, depuis 1969, il dirige l’Institut pour la nouvelle musique à Cologne et le Kölner Kurse für Neue Musik, qui a lieu chaque année sur un sujet précis : musique et image, instruments pour enfants, musique politique, etc. Outre des oeuvres radiophoniques, le catalogue de Kagel compte près de quatrevingts titres, dont la plupart comporte une dimension visuelle. Staatstheater (1970), Die Eschöpfung der Welt (1978) et Aus Deutschland (1981) occupent une soirée entière. Exception faite de Hétérophonie (1959-1961) et de Variationen ohne Fugue (1971-72) pour orchestre, il s’agit presque toujours d’oeuvres de musique de chambre utilisant soit les instruments traditionnels : Sonnant (1960), Quatuor à cordes (1965-1967), en mettant l’accent, comme Atem (1970), sur les rapports du musicien et de son instrument ; soit une lutherie expérimentale : Acustica (19681970), Zwei Mann Orchester (1971-1973), ou mêlant l’un et l’autre. Lorsqu’il écrit pour un ensemble vocal : Hallelujah (1967-68), Ensemble (1970), Debut (1970), Kagel traite chaque chanteur comme un soliste, d’où il résulte, ici, comme ailleurs, une très grande difficulté d’exécution dont l’auditeur n’a cependant aucune idée s’il n’a pas vu la précision inouïe et parfois perverse avec laquelle le compositeur stipule ses exigences. Parmi ses oeuvres importantes, il faut encore citer Bestiarium (1974-75), Exposition (1978), Kantrimiusik (1973-1975), 1898 (1972-73), Ludwig Van (1969), Quatre Degrés (1977), Mitternachtstük, sur des textes du journal de R. downloadModeText.vue.download 528 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 522 Schumann (1981), Prince Igor, Stravinsky (Venise, 1982), Rrrrrr... (Donaueschingen,

1982), Après une lecture d’Orwell (1983), Passion selon saint Bach (1985), Ein Brief, scène de concert pour mezzo-soprano et orchestre (1986), Liturgien pour soli, choeurs et orchestre (1990), les Pièces de la rose des vents pour orchestre de salon (1988-1995). KAIPAINEN (Jouni), compositeur finlandais (Helsinki 1956). Élève de Sallinen (1973-1976) et de Heininen (1976-1982) à l’Académie Sibelius, il a fait partie dans les années 1970 du groupe de réflexion « Oreilles ouvertes », et s’est rapidement orienté vers un postsérialisme « libre ». De 1980 datent les Cinq Poèmes de René Char opus 12a pour soprano et orchestre. Dans les années 1980, il se concentra largement sur la musique de chambre, avec notamment le Quatuor à cordes no 3 opus 25 (1984) et le Trio III opus 29 pour piano, violon et violoncelle (1987), ouvrages marqués par de violents contrastes expressifs. Plus récemment, il s’est orienté également vers les grandes architectures « symphoniques », avec notamment la Symphonie no 1 opus 20 (1980-1985), en un seul mouvement, le remarquable Concerto pour clarinette « Carpe diem ! » opus 38 (1990), la Symphonie no 2 opus 44 (1994), moins âpre que la précédente, le Concerto pour hautbois opus 46 (1994) et le Rêve de Sisyphe opus 47 (1994). Le Quatuor à cordes no 4 (1994) résulte d’une commande du Festival de Kuhmo et Accende lumen sensibus opus 52 (1995) d’une commande du Tapiola Sinfonietta pour la Biennale de Tampere. KAJANUS (Robert), chef d’orchestre et compositeur finlandais (Helsinki 1856 id. 1933). Élève de R. Faltin et de A. Leander à Helsinki, de Richter et de K. Reinecke à Leipzig (1877-78), puis de J. Svendsen à Paris (1879-80), il créa dès son retour à Helsinki la Société orchestrale (1882), appelée à devenir plus tard l’Orchestre d’Helsinki. Une brillante carrière internationale de chef d’orchestre éclipsa l’oeuvre du compositeur, à l’ombre de son ami Jean Sibelius. Sa Mort de Kullervo, écrite en 1881, anticipe d’ailleurs sur la mise en musique des légendes du Kalevala de son illustre cadet. En 1882 et 1889, il écrivit ses deux Rhapsodies finnoises, en 1885 Aino, poème

symphonique, et en 1916 sa dernière oeuvre remarquable, une Sinfonietta. Son principal mérite reste d’avoir été le plus ardent défenseur de l’oeuvre de Sibelius, qui le désigna quand, dans les années 30, la Columbia lui demanda de choisir un chef d’orchestre susceptible d’enregistrer son oeuvre symphonique. Kajanus, réputé pour la force de son caractère et son sens de l’organisation, ouvrit la voie à une brillante école de direction d’orchestre finnoise. KÁJONI (János), humaniste et musicien hongrois (Jegenýe, Transylvanie, 1627 Estenic 1698). Entré dans l’ordre des Franciscains (1648), il fut ordonné prêtre en 1655. Il fut successivement prieur de plusieurs couvents du Comitat Csik en Transylvanie, vicaire général (1676), puis pater custodiae de son ordre (1686). À la fois organiste, organier, professeur, historien, botaniste, il créa, en 1676, une imprimerie musicale à Csiksomlyó. Il réunit des cantiques religieux (Cantionale catholicum), des recueils en tablature d’orgue (Organo missale, 1667 ; Sacri contentus, 1669), et le codex qui porte son nom (Codex Kájoni, 1634-1671), dû à trois auteurs différents. Ce dernier présente, à côté de danses et d’adaptations de chants à caractère populaire, des pièces religieuses venant d’Italie et d’Allemagne, ainsi que des suites françaises. Kájoni a laissé de nombreuses litanies qui ne doivent plus rien à Schütz ni à Viadana. Il a ainsi permis le passage des históriás énekek (« chants historiques ») aux premiers essais de musique religieuse savante, d’essence spécifiquement hongroise. KALABIS (Viktor), compositeur tchèque (Červený Kostelec 1923). Il étudie la composition dans la classe de E. Hlobil (1945-1948), au conservatoire, puis de J. Řídký à l’Académie de musique et d’art dramatique de Prague (1949-1952). Il travaille comme metteur en ondes et réalisateur à la radio tchécoslovaque depuis 1953. Profondément influencé par Stravinski, Prokofiev, Honegger, Hindemith à ses débuts, Kalabis a su s’imprégner du message bartokien sans en devenir un épigone. Connu à l’étranger dès les

années 1955-1960, tout comme Feld, il offre une démarche proche de celle du Polonais Lutoslawski par ses premières oeuvres de piano et d’orchestre : Sonates pour piano (1947-48), Ouverture op. 5 (1950). En revanche, il s’en sépare dans la progression symphonique de son oeuvre, qui va de la 1re Symphonie op. 14 (1957), proche de Prokofiev (6e Symphonie op. 111), à la 4e Symphonie op. 34 (1973), où le compositeur rejoint Kabelač et le meilleur Honegger. Pour arriver à cette puissance expressive, dépouillée, dense, au lyrisme inné, Kalabis s’est rapproché des recherches modales de Bartók dans ses Variations symphoniques op. 24 (1964) et son Concerto pour orchestre op. 25 (1966), tandis que la tentation dodécaphonique se fait évidente dans Accents op. 26, études pour piano, et Musique pour cordes op. 21 (1963). Cet itinéraire artistique fait de lui l’un des grands musiciens tchèques de sa génération. KALEVALA (litt. : « pays des Héros »). Épopée nationale finlandaise, publiée par le médecin de campagne Elias Lönnrot (1802-1884) - à partir de matériaux qu’il avait commencé à rassembler en 1828 -, d’abord en 1835 (« Ancien Kalevala »), puis en 1849 (« version définitive » en 50 poèmes, totalisant 22 795 vers). Combinaison d’épopées anciennes et de poésie lyrique populaire, avec en outre des incantations et des tournures proverbiales ainsi que (pour environ 3 % du total) des ajouts et variations rédigés par Lönnrot lui-même dans un souci de clarté, le Kalevala comporte comme héros principaux le vieux et sage Väinämoinen, chanteur de runes et chef de tribu ; son frère le forgeron Ilmarinen, aux pouvoirs surnaturels ; le jeune Joukahainen, défait par Väinämoinen dans un concours de chant magique ; l’inconstant Lemminkainen, sorte de don Juan nordique, séducteur de la belle Kyllikki ; Kullervo, dont le destin tragique rappelle celui d’OEdipe ; la belle Aino, qui pour échapper au désir de Vänämoinen se jette dans un lac profond ; la magicienne Louhi, qui règne sur Pohjola (le « pays du Nord ») et y détient le Sampo, objet mal défini mais très bénéfique ; la mère de Lemminkainen, qui parvient à redonner vie à son fils tué sur les rives du fleuve entourant Tuonela (l’Enfer) ; et Luonnotar (ou Ilmatar), fille

de l’air, créatrice de la terre, du ciel et des étoiles et qui donne également naissance à Väinämoinen. À la fin du XIXe siècle, le Kalevala prit pour les artistes finlandais avec à leur tête Sibelius et son contemporain exact le peintre Akseli Gallen-Kallela (1865-1931) - une importance primordiale. Ils s’en inspirèrent largement dans leurs oeuvres, démarche suivie jusqu’à aujourd’hui par nombre de leurs successeurs, en particulier en musique. KALIVODA (Jan Křtitel), violoniste et compositeur tchèque (Prague 1801 Karlsruhe 1866). Il apprit le violon avec Bedrich Vilem Pixis, puis fit partie de l’orchestre du Théâtre de Prague dirigé par C. M. von Weber. En 1821, il partit en tournée de concerts en Allemagne, Suisse, Hollande. À son retour, il fut nommé maître de chapelle du prince Charles Egon II de Fürstenberg à Donaueschingen. Il fit jouer les opéras de Mozart, Cherubini, Rossini et invita des solistes tels que Liszt, Clara Wieck, Schumann, Thallberg. Il a laissé près de 300 oeuvres, caractérisées par leur fraîcheur mélodique et leur rythme naturel ; on doit éliminer ses opéras qui correspondent à la mode d’époque, choisir parmi ses 6 Symphonies et ses oeuvres orchestrales et instrumentales, dont la downloadModeText.vue.download 529 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 523 Fantasie über böhmische Lieder op. 193, et considérer comme essentiels ses 3 Duos pour violon op. 181, parus chez Senart à Paris et toujours réédités depuis. Son fils Wilhelm, pianiste, chef d’orchestre et compositeur allemand (Donaueschingen 1827 - Karlsruhe 1893), fit carrière à la tête de l’orchestre de Karlsruhe (1853-1875). Il a laissé des lieder et des pièces pour piano. KALKBRENNER (Frédéric ou Friedrich Wilhelm), pianiste, pédagogue et compositeur français d’origine allemande (entre Kassel et Berlin 1785 Enghien-lesBains 1849). Élève de L. Adam et de S. Catel au Conservatoire de Paris (1799-1801), puis de

Haydn à Vienne (1803-1804), où il rencontra Clementi, il retourna ensuite à Paris, puis vécut en Angleterre de 1814 à 1823. C’est là qu’en 1823 commença sa véritable carrière de pianiste. À son retour à Paris, il entra dans la fabrique de pianos de Pleyel et poursuivit une brillante carrière d’interprète jusqu’en 1835, donnant notamment des conseils à Chopin. Comme pédagogue, il eut une influence durable. On lui doit notamment 4 concertos et 13 sonates pour son instrument. KALLSTENIUS (Edvin), compositeur suédois (Filipstadt 1881 - Danderyd 1967). Après ses études qu’il poursuivit à Leipzig (1904-1907), il devint critique musical, travailla à la radio et écrivit une oeuvre remarquable par son radicalisme de langage dès les années 20. Il a laissé 5 symphonies (no 4 Sinfonia a fresco, 1953-54 ; no 5 Sinfonia ordinaria ma su temi 12-tonici, 1960), 4 sinfoniettas, de la musique de chambre (8 quatuors à cordes, 4 sonates) et de la musique vocale. KÁLMÁN (Imre), compositeur hongrois (Siofok 1882 - Paris 1953). Il fit des études de droit, apprit le piano et la composition, en même temps que Bartók et Kodály. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il se fixa à Vienne, puis à Paris. Il fut, aux côtés de Franz Lehár, le plus grand compositeur d’opérettes viennoises. OEUVRES PRINCIPALES. Ein Herbstmanöver (1909) ; Der Zigeunerprimas (1912) ; Czardasfürstin (1915) ; Die Faschingsfee (1917) ; Das Hollandweibchen (1920) ; Die Bajadere (1921) ; Gräfin Mariza ( 1924) ; Die Zirkusprincessin (1926) ; Die Herzogin von Chicago (1928) ; Das Veilchen von Montmartre (1930) ; Arizona Lady (1954). KAMANTCHEH. Instrument à archet, spécifiquement iranien, à caisse cylindrique fermée d’une membrane du côté du manche. Le kamantcheh est monté de quatre cordes de boyau. KAMIENSKI (Maciej), compositeur et chef d’orchestre polonais d’origine slovaque ( ?, Slovaquie, 1734 - Varsovie

1821). Il fit ses études musicales à Vienne (1760), puis se fixa à Varsovie (1770) pour y exercer des activités d’enseignant et de chef d’orchestre. Il est considéré comme l’auteur des premières oeuvres lyriques originales polonaises, où apparaissent des thèmes rustiques, des scènes paysannes et où sont évoqués les problèmes sociaux des paysans. Ses opéras et vaudevilles furent très favorablement accueillis par le public : Nezda uszczesliwiona (« la Misère soulagée », 1778), sur un livret de Boguslawki adapté d’une comédie de Bohomolec, Zoska czyli wiejskie zaloty (« Sophie ou les Coquetteries paysannes », 1779), oeuvre perdue. Kamienski écrivit également une cantate dramatique pour solistes, choeur et orchestre, à l’occasion de l’inauguration de la statue du roi Jean III Sobieski (1788). KAMU (Okko), chef d’orchestre et violoniste finlandais (Helsinki 1946). De 1952 à 1967, il étudie le violon avec Onni Sukonen à l’Académie Sibelius d’Helsinki. Dès 1964, il est premier violon du Quatuor Sukonen, et en 1965 chef d’attaque des seconds violons à la Philharmonie d’Helsinki. Entre 1966 et 1968, il est premier violon de l’Opéra national finlandais, et se tourne progressivement vers la direction d’orchestre. Troisième chef dans le même théâtre de 1967 à 1969, il remporte, en 1969, le Concours Karajan et est, de 1971 à 1977, à la tête de l’Orchestre symphonique de la radio finlandaise. De 1976 à 1979, il dirige la Philharmonie d’Oslo, et de 1981 à 1988 celle d’Helsinki. Depuis 1989, il est chef permanent de l’Orchestre symphonique de Sjaelland à Copenhague. KANCHELI (Giya), compositeur géorgien (Tbilissi 1935). Il a fait ses études à l’université, puis au Conservatoire de Tbilissi, où il a enseigné la composition et l’orchestration à partir de 1970. Il vit depuis 1991 à Berlin. Même s’il déclare ne plus vouloir écrire de symphonies, Kancheli est avant tout l’auteur de sept symphonies dans lesquelles il développe un style à la fois simple et d’une ample respiration. Il s’intéresse à la structure de la musique populaire géorgienne, dont il reprend les principes les plus généraux : répétition plutôt que développement, juxtaposition additionnelle de

surfaces. Il parvient ainsi à créer une sorte de stasis sonore (Deuxième Symphonie « Chants », 1970) retrouvant les origines byzantines de la tradition mélodique slave (Quatrième Symphonie « In Memoriam Michel Ange », 1975). Il a développé par la suite un style proche de la « nouvelle simplicité » (Exil pour soprano, ensemble instrumental et synthétiseur), d’aspect liturgique (le cycle des Prayers), où il juxtapose des structures quasi répétitives dans une atmosphère irréelle, à la fois statique et intense (Abii ne viderem pour alto et orchestre). Il a composé en outre beaucoup de musique de scène et un opéra intitulé Musique pour les vivants (1984). KANT (pl. kanty ; du lat. cantus). Forme de musique vocale apparue en Ukraine et en Russie dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Ayant pris source en Pologne, les kanty étaient à l’origine des chants religieux paraliturgiques, mêlant les influences du chant populaire polonais et du choral allemand. Vers la fin du XVIIe siècle et surtout à partir du début du XVIIIe, leur rôle s’élargit considérablement. Sous le règne de Pierre le Grand, tout en gardant un fond religieux, les kanty devinrent des chants panégyriques et patriotiques, célébrant notamment les victoires militaires. Vassili Titov, Nikolaï Bavykine en écrivirent un grand nombre. Les mélodies des kanty patriotiques imitaient souvent les sonneries de trompettes. L’effectif vocal était généralement de trois : deux voix mélodiques et une voix de basse harmonique. Leur exécution, lors des festivités, était fréquemment accompagnée de sons de cloches et de salves de canons. Vers le milieu et la fin du XVIIIe siècle, les kanty devinrent un genre profane et furent à l’origine d’un répertoire de folklore urbain alimenté par la poésie sentimentaliste. KANTELE. Instrument de musique à cordes pincées de la famille des psaltérions, cithares et cymbalums, composé d’une caisse de résonance triangulaire en bois sur laquelle étaient tendues à l’origine cinq cordes de crin de cheval ou de cheveu, accordées en pentacorde à tierce mouvante (majeure-

mineure). Perfectionné, il devint de plus en plus gros, comporta un nombre croissant de cordes et disparut pratiquement au cours du XIXe siècle pour reparaître au XXe siècle sous une double forme : originale, à 5 ou 8 cordes, et moderne, avec l’adaptation du système d’accord de la harpe celtique et de 12 à 46 cordes. Instrument national finlandais, il existe surtout en Carélie, mais aussi en Estonie (kannel), dans le nord-ouest de la Russie (gusli), en Lituanie (kankles) et en Lettonie (kuokles ou kokle). Son répertoire le destinait surtout à l’accompagnement des récits chantés tirés des vieux textes lyriques du Kanteletar et épiques du Kalevala (par les chamanesdownloadModeText.vue.download 530 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 524 poètes, les runonlaulajat) et, plus tard, à l’accompagnement de la danse. KANTOREI (all. : « chantrerie »). Mot désignant aux XVIe et XVIIe siècles une maîtrise ou le choeur appartenant à une église ou à une cour royale ou princière. KANTOROW (Jean-Jacques), violoniste et chef d’orchestre français (Cannes 1945). Il commence ses études de violon au Conservatoire de Nice et les poursuit au Conservatoire de Paris où il obtient un 1er Prix en 1960. Entre 1962 et 1968, il remporte une dizaine de prix internationaux dont le 1er Prix Carl Flesh à Londres, le 1er Prix Paganini à Gênes et le 1er Prix du Concours international de Genève. En 1970, il obtient une bourse de la Fondation Sacha Schneider. La même année, il fonde un trio avec Jacques Rouvier et Philippe Müller. Il est rapidement invité à se produire sur les grandes scènes du monde. Après une trentaine d’années consacrées au violon solo et à la musique de chambre, il se tourne vers la direction d’orchestre. De 1985 à 1994, il est à la tête de l’Orchestre régional d’Auvergne, et, à partir de 1993, de celui d’Espoo, en Finlande. En 1994, il est nommé directeur musical de l’Ensemble orchestral de Paris.

KAPELL (William), pianiste américain (New York 1922 - San Francisco 1953). D’ascendance russo-polonaise, il étudie le piano au Conservatoire de Philadelphie et à la Juilliard School de New York avec Olga Samaroff-Stokowski. En 1941, il fait ses débuts à New York, suivis d’une tournée mondiale en 1942. Il s’intéresse particulièrement à la musique du XXe siècle : ses interprétations de Prokofiev et de Stravinski, du Premier Concerto de Chostakovitch et du Concerto de Khatchaturian sont demeurées célèbres. Mais il excelle aussi dans Bach, Schubert et Chopin, et enregistre la 3e Sonate pour violon et piano de Brahms avec Heifetz. Lorsqu’il disparaît dans un accident d’avion, l’Amérique pleure en lui le premier enfant du pays à être devenu un très grand virtuose. KAPR (Jan), compositeur tchèque (Prague 1914 - id. 1988). Il a fait ses études dans la classe de J. Rídký, puis de Křička au conservatoire de Prague (1933-1938). Il a été successivement metteur en ondes à la radio de Prague (1939-1946), rédacteur aux éditions Orbis (1950-1952), avant de devenir professeur de composition à l’académie Janáček de Brno (1961). Jusqu’en 1966, il a composé 6 Symphonies, 6 Quatuors à cordes, 2 Concertos pour piano (1938, 1953), 1 Fantaisie pour alto (1937, 1942), de nombreuses chansons, choeurs, cantates. C’est avec le Concertino pour alto et harmonie (1965), les Dialogues pour flûte et harpe (1965), puis Exercice pour Gydli pour soprano, flûte et harpe (1968) qu’il a abandonné les grandes formes traditionnelles, au profit d’études de timbre, de la voix, largement sous l’influence de Kopelent et Vostřák, ses cadets. KAPRAL, famille de musiciens tchèques. Václav, pianiste et compositeur (Určice 1889 - Brno 1947). Élève de Janáček et d’Alfred Cortot (1923-24), il donna des concerts en Espagne, France, Angleterre et U.R.S.S., puis fut nommé, en 1936, professeur de composition au conservatoire de Brno. Il a essentiellement composé de la musique de chambre, tout d’abord influencée par Brahms et Schumann, puis par Debussy et Martinºu. Vítězslava Kaprálová, femme com-

positeur, fille du précédent (Brno 1915 Montpellier 1940). Elle composa dès l’âge de neuf ans et étudia la composition avec V. Novák et la direction d’orchestre avec V. Talich. Elle vint à Paris en 1937 auprès de B. Martinºu et de C. Munch. Malgré sa courte carrière, elle a laissé une oeuvre significative, d’abord influencée par les derniers romantiques, puis par Roussel et Martinºu (Partita pour piano et cordes op. 20, 1939). KAPSBERGER (Johannes Hieronymus, dit Giovanni Geronimo Tedesco Della Tiorba), compositeur et instrumentiste allemand (Venise v. 1580 - Rome 1651). Il vécut à Venise jusque vers 1605, puis se rendit à Rome, où il acquit la célébrité, comme virtuose des instruments de la famille du luth. On l’appelait « nobile alemanno », et Kircher fit son éloge dans sa Misurgia. L’essentiel de son oeuvre est constitué de deux livres de tablatures de luth (1611, 1623), de deux livres d’arie passegiate avec continuo et tablature de chitarrone (1612, 1623) et de deux livres de Poemata et Carmina dédiés au pape Urbain VIII, devant lequel il se produisit. Il joua un rôle important dans l’évolution du répertoire et de la technique du théorbe. Il est également l’auteur de six livres de villanelles (entre 1610 et 1632) et d’un livre de madrigaux à 5 voix avec basse continue. KARAJAN (Herbert von), chef d’orchestre autrichien (Salzbourg 1908 - id. 1989). Des débuts précoces de pianiste précèdent ses premières études au Mozarteum de Salzbourg, puis à Vienne, à la fois à l’université (philosophie) et au conservatoire, avec F. Schalk. À Ulm, où il fait d’éclatants débuts en dirigeant les Noces de Figaro (1927), il est engagé comme directeur de la musique (1927-1934). Il donne des cours à l’Académie d’été du Mozarteum. En 1934, il devient directeur général de la musique à Aix-la-Chapelle. De 1937 à la fin de la guerre, l’essentiel de son activité se fait à Berlin : premiers contacts avec la Philharmonie, premiers ouvrages au Staatsoper (la Flûte enchantée, les Maîtres chanteurs, Fidelio, Tristan et Iseut) où il succède à Furtwängler en 1941. Il dirige la Messe en si et Tristan dans Paris occupé. En 1946, de retour à Vienne, il fait ses premières armes avec l’Orchestre philharmonique et dirige les concerts de la Gesellschaft der

Musikfreunde. Dès lors, de 1948 à 1950, la carrière d’Herbert von Karajan prend une nouvelle dimension : débuts aux festivals de Salzbourg et de Lucerne, à la Scala de Milan, tournées et enregistrements avec la Philharmonie de Vienne et le Philharmonia Orchestra de Londres. C’est lui qui dirige, avec H. Knappertsbusch, la Tétralogie pour la réouverture du festival de Bayreuth en 1951. Il succède à Furtwängler à la tête de la Philharmonie de Berlin, dont il devient chef à vie en 1955. Il est également directeur artistique de l’Opéra d’État de Vienne (1956-1964) et du festival de Salzbourg (1956-1960). Brouillé depuis 1952 avec le festival de Bayreuth animé par Wieland Wagner, il crée, en 1967, le festival de Pâques de Salzbourg, entièrement consacré à Wagner. Enfin, avec la réalisation de la Fondation Karajan en 1968 à Berlin (qui comprend un concours de chefs d’orchestre, une académie de musiciens d’orchestre et un institut de recherches sur la psychologie musicale), il parachève un prodigieux empire entièrement voué à une conception globale et perfectionniste de la musique. Profondément ancré dans la tradition, Karajan s’est forgé les armes de son art : l’Orchestre philharmonique de Berlin, dont il a magnifié la sonorité, une nouvelle génération de chanteurs musiciens avant tout (les découvertes abondent de Schwarzkopf à Behrens) et Salzbourg agrandi aux dimensions de ses conceptions scéniques. Cet organisateur-né, champion incontesté du disque (près de 500 enregistrements en quarante-cinq ans), a compris le premier l’importance des nouvelles techniques audiovisuelles qu’il a utilisées abondamment comme prolongement de ses réalisations. Cette précision dans le détail se retrouve dans un art de plus en plus maîtrisé, où la sensualité du son et l’ardeur dramatique se sont peu à peu décantées pour mieux épouser la ligne idéale et fervente de chaque oeuvre. Son successeur à Berlin est Claudio Abbado. KAREL (Rudolf), compositeur et chef d’orchestre tchèque (Plzeň [Pilsen] downloadModeText.vue.download 531 sur 1085

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525 1880 - camp de concentration de Theresienstadt 1945). Il fit ses études universitaires à Prague, puis entra au conservatoire, où il travailla dans les classes de K. Knittl, Stecker, Hoffmeister, puis étudia la composition et l’orchestration avec Dvořák. Il fut surpris par la guerre de 1914-1918 alors qu’il était en Russie. Il y demeura jusqu’en 1923, en tant que chef d’orchestre et enseigna dans diverses villes (Omsk, Vladivostok, Irkoutsk, etc.). De retour à Prague, il enseigna la composition au conservatoire et fit de fréquentes tournées comme chef. Il a laissé une oeuvre importante, dont la rigueur de forme rappelle Reger, mais dont l’originalité est digne du dernier Dvořák. KARETNIKOV (Nicolas), compositeur soviétique (Moscou 1930 - id. 1994). Élève de Chebaline à l’École centrale de musique (1942-1948), puis au conservatoire de Moscou (1948-1953), il a beaucoup composé pour le théâtre et le cinéma. D’abord influencé par Chostakovitch et Mahler, il s’est ensuite intéressé à l’école viennoise, et a utilisé des séries de douze sons tout en orientant son style orchestral dans le sens d’un plus grand dépouillement. On lui doit notamment quatre Symphonies (1951, 1956, 1959, 1963), le ballet Vanina Vanini, d’après Stendhal (1961) et les opéras Till Eulenspiegel (1982) et le Mystère de l’apôtre Paul (1986). KARÐOWICZ (Mieczysðaw), compositeur polonais (Wiszniews 1876 - monts Tatras 1909). Il fit ses études au conservatoire de Varsovie avec Naskowski, et fut un des membres les plus représentatifs et les plus prometteurs du groupe Jeune Pologne. Il ne put révéler son talent que dans quelques oeuvres très expressives, en particulier des poèmes symphoniques (Chants éternels, 1908 ; Récit empreint de tristesse, 1908 ; Rhapsodie lituanienne, 1906 ; l’Épisode au bal masqué, 1909 ; Stanisðaw et Anna O’swiecim, 1907), où se ressentent l’influence de l’orchestration germanique, particulièrement celle de R. Strauss, et la marque de Wagner quant à l’exploitation des leitmotive et de certains modèles harmoniques. Parmi ses oeuvres de jeunesse, il faut citer le Concerto pour violon en la

majeur (1902), écrit pour son professeur de violon S. Barcewicz, et la Sérénade pour orchestre (1898), oeuvres où apparaissent certains caractères d’orchestration propres à Tchaïkovski. Traits que l’on retrouve, d’ailleurs, dans des oeuvres ultérieures - bien qu’exprimés à travers un langage plus personnel -, notamment dans le poème symphonique Powracajace fale (« les Vagues qui reviennent »). M. Karðowicz, qui est également l’auteur de cycles de mélodies, a su exceptionnellement tirer parti des arguments littéraires qu’il a traités musicalement et, dans ses oeuvres les plus réussies, parvenir à se dégager d’un romantisme germanique sur le déclin pour affirmer des qualités créatrices personnelles et un tempérament spécifiquement polonais. KASEMETS (Udo), compositeur canadien d’origine estonienne (Tallinn 1919). Il a fait ses études dans son pays natal, puis à Stuttgart, et a fréquenté les cours d’été de Darmstadt. Établi au Canada depuis 1951, il y a exercé, principalement à Toronto, de nombreuses activités de critique, d’enseignant, de chef d’orchestre et de choeur, et d’éditeur de musique, tout en restant en contact permanent avec l’avant-garde américaine. Sa première période créatrice qui comprend 21 numéros d’opus, recouvre « les oeuvres écrites avant que le compositeur ait pris contact avec les tendances actuelles de la composition », ainsi que celles manifestant « un style tonal traditionnel » (1941-1950). Toutes ces oeuvres ont été retirées par le compositeur. Suivirent de 1950 à 1960 une vingtaine d’oeuvres adoptant « le mouvement général de cette période pour ce qui est du style et de la structure ». En fait, Kasemets ne retient vraiment que sa production postérieure à 1960. Il se tourna alors vers les formes ouvertes et indéterminées, vers la notation graphique, vers la combinaison de la musique avec les autres arts (littérature, arts plastiques et visuels), cela sous l’influence d’artistes tels que E. Brown ou M. Feldman, puis de J. Cage. Fifth Root of Five (1962-63) confronte deux pianistes à une succession de fragments de cinq secondes chacun à interpréter de diverses façons. Trigon (1963), l’ouvrage de Kasemets le plus souvent exécuté, relève plutôt du happening : il est fait appel ici à un, trois, neuf ou vingt-sept participants, et à divers media (musicaux ou non musicaux) pouvant atteindre le nombre

de quatre-vingts. Contactics (1966) et Tt (Tribute to Buckminster Fuller, Marshall McLuhan, John Cage) [1968] exigent une participation active de l’auditoire. Quartet of Quartets (1971-72) implique la retransmission sur bande de l’enregistrement de la lecture de divers articles choisis en fonction d’un thème précis, puis la superposition de cet enregistrement à des lectures d’autres textes dans des langues différentes, choisis en cours d’exécution (la durée de cette pièce est libre, le téléphone ou le télégraphe pouvant venir s’ajouter à l’accumulation des matériaux sonores). Principal représentant de l’extrême avant-garde au Canada, auteur de nombreux articles, Udo Kasemets a édité trois ouvrages : The Modern Composer and his World (Toronto, 1961), Canavangard (1968) et Focus on Musicecology (Toronto, 1970). KASTALSKI (Alexandre), compositeur, musicologue et chef de choeur russe (Moscou 1856 - id. 1926). Fils de théologien, il entra en 1875 au conservatoire de Moscou dans les classes de Hubert, Tchaïkovski et Taneiev (piano, harmonie et composition). Nommé professeur de piano à l’Institut synodal de Moscou (1887), il devint ensuite chef du choeur synodal, avec lequel il effectua des tournées de concerts, avant de prendre, en 1910, la direction de l’institut. Ses travaux portèrent simultanément sur la restitution du chant religieux traditionnel (surtout le chant « znamenny ») et sur l’étude du chant choral populaire. Remontant à leur source commune, Kastalski a contribué au renouveau du chant liturgique en élaborant un style d’harmonisation fondé sur la polyphonie populaire, par opposition à l’influence italo-germanique qui avait dominé au XIXe siècle. L’essentiel de son oeuvre est donc vocal et Kastalski s’y montre un maître de « l’orchestration chorale ». Ses oeuvres religieuses (harmonisations et compositions libres) sont fréquemment exécutées durant les offices. Son opéra Klara Militch (1907), d’après Tourgueniev, ne connut pas de succès. Dans le domaine de la musique populaire, il composa la fresque des Festivités populaires en Russie, qui reprend de nombreux chants rituels. Après la Révolution, il passa du côté du régime soviétique et consacra ses efforts à la chanson de masse. On lui doit deux ouvrages

d’ethnomusicologie russe qui continuent à faire autorité : Osobennosti narodnorousskoï mouzykalnoï systemy (« Particularités du système musical populaire russe », 1923) et Osnovy narodnovo mnogo-golossia (« Fondements de la polyphonie populaire », 1948). KASTNER (Jean Georges), compositeur et théoricien alsacien (Strasbourg 1810 Paris 1867). Il fit ses études à l’université de Strasbourg, où il suivit, notamment, les cours de théologie protestante. En même temps, il travailla la musique en autodidacte, et ses premiers petits opéras-comiques (dont la Reine des Sarmates, 1835) lui valurent une bourse de la ville, qui lui permit d’aller travailler à Paris avec Reicha et Henri Montan-Berton. Après avoir fait représenter, sans grand succès, la Maschera à l’Opéra-Comique (1841), il regagna Strasbourg. Kastner est l’auteur d’une dizaine d’oeuvres lyriques, dont le Dernier Roi de Juda (1844), les Nonnes de Robert le Diable (1845, non représenté), et de cinq « livres-partitions », poèmes symphoniques écrits sur des sujets philosophiques ou historiques et accompagnés d’un texte détaillé rédigé par le compositeur (la Danse macabre, 1852 ; Stephen ou la Harpe d’Éole, 1856 ; les Cris de Paris, 1857). Il downloadModeText.vue.download 532 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 526 publia, d’autre part, plusieurs ouvrages didactiques, qui firent très vite autorité (Traité général d’instrumentation, 1837, 2e éd. augm., 1844 ; Grammaire musicale, 1840 ; Théorie abrégée de contrepoint et de fugue, 1842). Kastner fut élu à l’Institut en 1859, fut l’un des fondateurs de l’Association des artistes musiciens qu’il présida et l’instigateur du concours européen de musiques militaires, lors de l’Exposition universelle de 1867. KATCHEN (Julius), pianiste américain (Long Branch 1926 - Paris 1969). Issu d’une famille de musiciens russes, il commence ses études musicales auprès de ses grands-parents. Il étudie ensuite à New York avec David Saperton et fait ses débuts à l’âge de onze ans à Philadelphie.

Sa carrière d’enfant prodige est interrompue pour lui permettre de faire ses études au collège d’Averford, où il se spécialise en philosophie. Doté d’une bourse du gouvernement français, il s’installe en 1946 à Paris : ses débuts en Europe sont marqués par sept concerts en onze jours avec l’Orchestre national et la Société des concerts du Conservatoire. Au long des vingt années de sa courte carrière, il se produit dans le monde entier, comme soliste et en formation de musique de chambre (à Prades en particulier, où il joue avec Pablo Casals et David Oïstrakh). En 1967, il reçoit le Grand Prix de l’Académie CharlesCros pour son enregistrement de l’intégrale pour piano de Brahms, qu’il est le premier à réaliser. KAUFMANN (Dieter), compositeur autrichien (Vienne 1941). Élève notamment de Gottfried von Einem, Olivier Messiaen et René Leibowitz, il s’est fait connaître par quelques oeuvres sérielles avant de suivre en France le stage de musique électroacoustique du Groupe de recherches musicales de Paris, au cours duquel il a composé des oeuvres qui l’ont révélé comme un héritier doué et personnel de la « musique concrète » et de la « musique anocdotique » française (Chutes et Ah, la nature [1970], deux pièces réunies en une seule dans Singular). De retour à Vienne, il est devenu responsable de l’enseignement de musique électroacoustique à la Hochschule de Vienne, qu’il a ouverte à des recherches d’improvisation et à des travaux faisant collaborer des artistes de diverses disciplines. Avec l’actrice Gunda König et le technicien Walter Stangl, il a fondé le groupe K et K, pour produire en tournée un répertoire d’oeuvres électroacoustiques et multimédias, qu’il alimente en partie de sa propre production. Parmi celle-ci : une Sonate pour piano (1965), l’oratorio Évocation (1968, revu en 1974), sur des textes d’lngeborg Bachmann, Singular (1970), Pax (1970), pour dix-huit voix et bande, Concerto-mobil (1971), pour violon, bande et orchestre, Pupofon (1971), spectacle de marionnettes avec bande et acteur, Automne pathétique (1972), et Portrait d’une femme en miroir (1973), deux beaux poèmes de musique électroacoustique, Deklaration (1975) et Music Minus One (1977), oeuvres multimédias. Quant à Volksoper (1973-1978), il s’agit d’une

vaste pièce de théâtre musical pour solos, choeurs, orchestre et bandes magnétiques, d’après G. F. Jönke, qui s’annonce comme une somme où peut se satisfaire son appétit pour la plus large communication musicale (il est collaborateur des Jeunesses musicales autrichiennes et a fréquemment composé pour de grands ensembles) et où peuvent se conjuguer heureusement son expérience du théâtre musical et son souci de faire une musique en prise sur ce qu’on appelle, en allemand, l’Umwelt (le « monde autour »). KAVAKOS (Léonidas), violoniste grec (Athènes 1956). Il est formé au Conservatoire d’Athènes, dont il sort diplômé en 1984. Une bourse de la Fondation Onassis lui permet alors d’aller travailler avec Josef Gingold à l’Université d’Indiana. En 1982, il est nommé soliste de l’Orchestre des jeunes de la Communauté européenne, et en 1985 il remporte à la fois le Concours Sibelius d’Helsinki et le prix Paganini à Rome. Depuis, il débute une carrière internationale. Il est le seul à avoir enregistré - en 1991, avec l’Orchestre symphonique de Lahti - la version d’origine du Concerto pour violon de Sibelius. KAYN (Roland), compositeur allemand (Reutlingen 1933). Également violoncelliste et organiste, élève de B. Blacher (composition) et de J. Rufer (analyse) à Berlin, il s’est initié à la musique électronique avec H. Eimert à Cologne en 1953, puis a travaillé aux studios de Bruxelles, Cologne, Milan, Munich, Utrecht et Varsovie. En 1964, il a compté parmi les fondateurs - avec A. Clementi et F. Evangelisti - du groupe Nuova Consonanza. Depuis 1970, il s’occupe du programme culturel du Goethe Institut d’Amsterdam. D’abord influencé par Schönberg, Varèse et Messiaen, il a ensuite appliqué à ses oeuvres les principes de la cybernétique et les théories de l’information. Il a écrit, notamment, Sequenzen pour orchestre (1957-58), Schwingungen pour 5 groupes sonores (1961-62), Cybernetics I-III pour bande (1966-1969), Entropie pour orchestre (1973), Infra (1980), Tektra (1981). KAYSER (Philipp Christoph), compositeur allemand (Francfort-sur-le-Main 1755 - Oberstrass, près de Zurich, 1823).

Fils d’un organiste, il se fixa à Zurich en 1775 comme professeur de musique. Il se lia d’amitié avec Goethe, qu’il vit à Zurich en 1775 et en 1779, à Weimar en 1781 et à Rome en 1787-88, et dont il mit en musique plusieurs textes. Il écrivit aussi une musique de scène (perdue) pour Egmont. À partir de 1789, il ne composa plus rien. Sa production est dominée par ses lieder. Il en écrivit plus de 100. Des 19 Gesänge mit Begleitung des Claviers (Leipzig et Winterthur, 1777), 5 sont sur des poèmes de Goethe. On lui doit également de la musique pour Scherz List und Rache de Goethe (1785-86). KEILBERTH (Joseph), chef d’orchestre allemand (Karlsruhe 1908 - Munich 1968). Il prit ses premières leçons de musique avec son père, violoncelliste, fut chef d’orchestre, puis directeur artistique de l’Opéra de Karlsruhe (1935), directeur artistique de l’Opéra de Dresde (1945-1951), de la Philharmonie de Hambourg (à partir de 1950), chef d’orchestre des Bamberger Symphoniker et directeur général de la musique à l’Opéra de Munich (1959). KEISER (Reinhard), compositeur allemand (Teuchern 1674 - Hambourg 1739). Élève à l’école Saint-Thomas de Leipzig, puis à l’université de cette ville, il fut chef d’orchestre à Brunswick (1692), puis à Hambourg (1695). Il y composa quatre ou cinq opéras par an. À partir de 1703 et jusqu’en 1707, il fut directeur de l’Opéra de Hambourg, où il connut de nombreuses vicissitudes. Il fut même emprisonné après un krach financier spectaculaire. Il voyagea ensuite au Danemark, où il fut anobli par le roi. Puis il séjourna à Weissenfels, à Ludwigsburg et à Stuttgart, où il fut maître de chapelle à la cour (1719). En 1724, il se fixa de nouveau à Hambourg, et devint cantor à la cathédrale (1728). Peu de temps avant sa mort, il assista au déclin et à la fermeture de l’Opéra de Hambourg qu’il avait contribué à développer. Beaucoup de ses livrets, au lieu de se référer à la mythologie ou à l’histoire ancienne, comme il était de mode dans l’opera seria, s’inspirent de thèmes populaires. Et on peut dire qu’il contribua grandement à faire évoluer l’opéra allemand vers le singspiel ou l’opéra-comique.

Du point de vue de l’écriture vocale et de l’instrumentation, Keiser influença certainement Haendel qu’il eut, d’ailleurs, comme violoniste, puis comme claveciniste à Hambourg. Il fut le principal représentant de l’opéra baroque allemand au début du XVIIIe siècle, juste avant l’invadownloadModeText.vue.download 533 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 527 sion des scènes allemandes par l’opéra italien. KELEMEN (Milko), compositeur yougoslave (Podravska Slatina, Croatie, 1924). Il a fait ses études au conservatoire de Zagreb à partir de 1945, puis à Paris avec D. Milhaud et O. Messiaen, et enfin à Fribourg avec W. Fortner. C’est lui qui a créé et organisé, à partir de 1961, la Biennale de Zagreb, devenue l’un des plus importants festivals de musique contemporaine en Europe. Il a enseigné la composition au conservatoire de Düsseldorf, de 1970 à 1972, et pris un poste analogue à l’École supérieure de musique de Stuttgart en 1973. D’abord influencé par Bartók, il a adopté ensuite les techniques les plus modernes, de la série à la forme ouverte. On lui doit, pour orchestre, Improvisations concertantes (1955), suite de courtes pièces pour cordes inspirées d’airs populaires yougoslaves, Skolion (1959), Transfiguration pour piano et orchestre (1962), Sub rosa (1965), Floreal (1970), Sonabile pour piano, modulateur à anneaux et orchestre (1972), Abecedarium pour cordes (1973), Mirabilia II pour piano, modulateur à anneaux et 2 orchestres (1977) ; des oeuvres de musique de chambre, dont Étude pour flûte seule (1962) ; de la musique vocale, dont Monogatori pour 12 chanteurs solistes (1978) ; les ballets le Héros et son miroir (1960) et Ubu Roi, d’après Jarry (1965) ; les Mots pour mezzo-soprano et 2 orchestres, d’après Sartre (1965) ; l’État de siège, opéra d’après Camus (1970) ; OpéraBestial, opéra pour plusieurs media d’après Arrabal (1973-74) ; Grand Jeu pour violon et orchestre (Metz, 1982) ; Drammatico pour violoncelle et orchestre (1983) ; Sonnets pour quatuor à cordes (1987). KELLNER, famille de musiciens allemands.

Johann Peter, organiste et compositeur (Gräfenroda 1705 - id. 1772). Il fut cantor à Frankenhayn, puis en sa ville natale (1728). Il connut Haendel et J.-S. Bach, avec qui il travailla peut-être. Les nombreuses copies qu’il effectua des oeuvres de ce dernier ont permis à bien d’entre elles de parvenir jusqu’à nous. Il composa des oeuvres d’orgue et de clavecin, où l’influence de Bach est très sensible, des chorals, des cantates et des suites. Son autobiographie et ses textes théoriques sont de très précieux documents sur l’environnement musical de Bach. Johann Christoph, fils du précédent (Gräfenroda 1736 - Kassel 1803). Il fut l’élève de Benda et de son père. Après de nombreux voyages, il se fixa à Kassel, où il fut organiste, cantor et professeur. Il a écrit des oeuvres pour orgue, pour clavecin, pour piano-forte, des concertos, des cantates et un singspiel, Die Schadenfreude (1782), ainsi qu’un traité de basse continue. KELLY (Michael O’), chanteur et compositeur irlandais (Dublin 1762 - Londres 1826). Il étudia à Londres avec Morland, Arne, Cogan et Passerini, puis à Naples avec Aprile, avant de s’y faire entendre sous le nom d’Occhelli, avec un très grand succès. Fixé, pendant quatre ans, à Vienne comme ténor au théâtre de la Cour, il y devint l’ami de Mozart et créa les rôles de Don Basilio et de Don Curzio des Noces de Figaro. De retour en Angleterre, il y connut des triomphes comme chanteur de théâtre et de concert et fut, un temps, impresario du théâtre royal. Sa carrière de compositeur commença alors, lui donnant l’occasion d’écrire plus de 60 partitions destinées à la scène, des ballets, des cantates et des mélodies. Il fonda, en 1802, une librairie musicale, fit faillite et devint marchand de vins. Son livre de souvenirs, Reminiscences of the King’s Theatre (Londres, 1826 ; rééd., 1975), contient des renseignements précieux sur les compositeurs qu’il connut, tels Mozart et Haydn, ainsi que sur la vie musicale à Vienne, à Paris et surtout en Angleterre avant et après 1800. KELTERBORN (Rudolf), compositeur suisse (Bâle 1931).

Il a fait ses études à Bâle, à Salzbourg, à Detmold et à Zurich, et a enseigné la théorie musicale à Bâle jusqu’en 1960. Il a été ensuite professeur de composition et d’analyse à l’Académie de musique de Detmold (1960-1968), puis à l’École supérieure de musique et au conservatoire de Zurich (1968-1975). De 1975 à 1980, il a dirigé le département de la musique de la radio suisse alémanique et rhéto-romane à Bâle. Depuis 1980, il enseigne de nouveau à Zurich ainsi qu’à l’École supérieure de musique de Karlsruhe (théorie et composition). Dans un style ne dédaignant pas les techniques sérielles, il a écrit notamment 3 symphonies (1967, 1969, 1976), dont la dernière, dite Espansioni, avec baryton et bande magnétique, 4 quatuors à cordes (1954, 1956, 1962, 1970), le ballet Relations (1975), Phantasmen (1965-66), Changements (1973) et Erinnerungen an Orpheus (1979) pour orchestre, Visions sonores pour 6 groupes de percussions et 6 instruments obligés (1980), l’oratorio Die Flut (1965), d’après la traduction de la Bible de Martin Buber, et les opéras Die Erretung Thebens (Zurich, 1963), Kaiser Jovian (Karlsruhe, 1967) et Ein Engel kommt nach Babylon (Zurich, 1977), d’après Dürrenmatt. KEMPE (Rudolf), chef d’orchestre allemand (Niederpoyritz, Saxe, 1910 - Zurich 1976). Il étudia le piano, le violon et le hautbois à Dresde et fit ses débuts de chef d’orchestre en 1935 à l’Opéra de Leipzig avec un succès tel qu’il accéda aussitôt au poste de répétiteur dans cet établissement. Il poursuivit sa carrière aux Opéras de Chemnitz (1942), Weimar (1948), Dresde (19491952), et enfin Munich, où il succéda à Georg Solti (1952-1954). Sa renommée devint internationale lorsqu’il eut programmé la saison 1951-52 de l’Opéra de Vienne, et dirigé, dans cette ville, le Ring de Wagner. Il débuta à Covent Garden en 1953, au Metropolitan Opera de New York en 1954, à Bayreuth en 1960. Cette même année, à la demande de sir Thomas Beecham, il devint chef associé du Royal Philharmonic Orchestra, et, l’année suivante (1961), à la mort de sir Thomas, fut nommé principal chef de cette formation. Il démissionna en 1963, mais en redevint chef à vie en 1970 (il démissionna de nouveau, pour raisons personnelles, en 1975). Il fut aussi, jusqu’à sa mort, président de la Sir Thomas Beecham Society.

On le vit également à la tête de l’orchestre de la Tonhalle de Zurich (1965-1972), de la Philharmonie de Munich (1976), et comme successeur de P. Boulez à celle de l’Orchestre symphonique de la BBC. Chef sobre, puissant et efficace, il a laissé de remarquables enregistrements parmi lesquels les Maîtres chanteurs de Wagner, Ariane à Naxos et l’oeuvre orchestrale de Richard Strauss et plusieurs symphonies de Bruckner. KEMPFF (Wilhelm), pianiste allemand (Jüterborg 1895 - Positano, Italie, 1991). Issu d’une famille d’organistes luthériens, il manifeste dès l’âge de cinq ans des dons musicaux exceptionnels. Son père l’initie au chant choral et à l’orgue et I. SchmidtSchlesicke lui donne ses premières leçons de piano. En 1905, il suit, à la Hochschule für Musik de Berlin, l’enseignement du compositeur R. Kahn et du pianiste H. Barth, dépositaire de la grande tradition lisztienne. Malgré des succès précoces en 1907, un premier récital ; en 1910, une audition réussie devant Busoni et Dohnanyi -, Wilhelm Kempff termine ses études de philosophie et de musique, celles-ci couronnées en 1916 par le prix Mendelssohn (piano et composition), avant de se lancer dans la carrière. En 1917-18, il effectue deux tournées en Allemagne et en Scandinavie, comme pianiste et organiste accompagnant le choeur de la cathédrale de Berlin. Puis il donne un récital à la Singakademie de Berlin (avec, notamment, la sonate Hammerklavier de Beethoven et les Variations sur un thème de Paganini de Brahms), et fait des débuts de concertiste avec la Philharmonie de Berlin dirigée par downloadModeText.vue.download 534 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 528 A. Nikisch. En 1920, après une tournée triomphale en Scandinavie, il enregistre son premier disque : des Écossaises et des Bagatelles de Beethoven. Il dirige, de 1924 à 1929, la Staatliche Hochschule für Musik de Stuttgart. Il donne des cours d’été, à partir de 1931, à Potsdam, en compagnie de E. Fischer et de W. Gieseking. Mais le pédagogue et le compositeur (auteur d’un Mystère sur la vie du Christ, 1925, et d’un opéra, le Roi Midas, 1930) s’effacent bientôt devant l’inter-

prète : le chef d’orchestre occasionnel (il dirige, en 1928, l’Art de la fugue de Bach), l’organiste féru d’improvisations, le chambriste partenaire de G. Kulenkampff et de Lotte Lehmann, et surtout le pianiste. Il joue notamment en Grèce, en Amérique du Sud, au Japon et à Paris en 1938. Contraint à une semi-retraite dans l’immédiat après-guerre, Wilhelm Kempff retourne à la composition et rédige ses Mémoires (Cette note grave, Paris, 1955). En 1951, il réalise sa première intégrale des sonates de Beethoven. À partir de 1954, après une tournée-pèlerinage au Japon (il joue Bach à l’orgue de l’Église de la paix universelle d’Hiroshima), sa carrière se partage équitablement entre récitals, musique de chambre (ses partenaires ont pour noms P. Fournier, Y. Menuhin, P. Casals à Prades, etc.), cours d’été à Positano depuis 1957 (consacrés à Beethoven) et enregistrements. Au cours des dernières années, assombries par la maladie, Kempff revient à Bach, après avoir servi scrupuleusement Beethoven et fait redécouvrir les sonates de Schubert. Le compositeur voit son oeuvre servie par les plus grands, G. Kulenkampff, Van Kempen, W. Furtwängler, etc. Quatre opéras, deux symphonies, deux quatuors à cordes, un concerto pour violon, un autre pour piano, une Passion allemande et un Mystère sur la naissance du Seigneur en sont les pages les plus marquantes. Même dans le répertoire romantique, le pianiste n’a jamais oublié les leçons de clarté et de rigueur apprises par l’organiste. Improvisateur-né, il a su plier une technique brillante aux exigences de chaque oeuvre. Son art, vigoureux et passionné, s’est fait, avec le temps, plus sincère, plus subtil, prenant le ton de la confidence familière. Sa science du phrasé et le toucher nuancé à l’extrême sont au service d’un chant et d’une émotion décantés jusqu’à l’innocence. KENNEDY (Nigel), violoniste anglais (Brighton 1956). Dès 1963, il entre à l’École de violon Yehudi Menuhin, puis, en 1972, à la Juilliard School de New York. Il étudie aussi le jazz avec Stéphane Grappelli : jamais il n’abandonnera ce goût des univers croisés. En 1977, il fait ses débuts à Londres avec Riccardo Muti et le Philharmonia Orchestra. Il affectionne le rôle d’enfant terrible de

la Couronne, jouant dans les mêmes programmes Bartók et Duke Ellington, travaillant avec Paul McCartney et Kate Bush tout en enregistrant le Concerto d’Elgar. En 1989 et 1990, sa version très virtuose des Quatre Saisons de Vivaldi est un succès mondial. En 1991, il fait ses débuts à Paris, et il est invité régulièrement au Festival de Lockenhaus par Gidon Kremer. KERLE (Jacobus de), compositeur flamand (Ypres 1531 ou 1532 - Prague 1591). Il fit ses études musicales à la maîtrise de la cathédrale d’Ypres et devint, avec Palestrina, le défenseur de la polyphonie sacrée. Il se rendit bientôt en Italie. De 1555 à 1562, on le trouve à Orvieto comme organiste et carillonneur de la cathédrale. Sur la demande du cardinal Otto Truchsess von Walburg d’Augsbourg, qui le prit sous sa protection, il composa en 1561-62 les Prières spéciales destinées au concile de Trente, afin de démontrer que la polyphonie n’était pas incompatible avec l’intelligibilité du texte. L’équilibre des voix atteint une telle perfection qu’elles peuvent se passer du concours des instruments. Ensuite, Jacobus de Kerle, qui fut ordonné prêtre, devint maître de la chapelle privée du cardinal von Walburg, qu’il suivit dans ses déplacements en Italie et en Espagne, puis à Dilligen, où le cardinal avait fondé une université à laquelle Kerle s’inscrivit. De retour en Flandre (1565), le musicien fut nommé maître de chapelle de la cathédrale d’Ypres. Il y rencontra des difficultés avec le chapitre, perdit sa place et se fit excommunier en 1567. Son voyage à Rome, l’année suivante, eut pour but de faire annuler cette décision. De 1568 à 1575, il fut vicaire général et organiste de la cathédrale d’Augsbourg, puis séjourna successivement à Cambrai, Mons et Cologne, avant d’entrer en 1582 au service de l’empereur à la cour de Vienne, puis à celle de Prague, où il mourut. Il fut un grand musicien d’église, qui sut habilement unir les principes de la polyphonie franco-flamande et de la clarté mélodique italienne. Outre les Prières spéciales, on lui doit, notamment, Selectae quaedem cantiones à 6 voix (1571), Quatre Livres de motets à 4, 5 et 6 voix (1572-1575), et Selectiorum aliquot modulorum à 8 voix (1585). KERLL (Johann Kaspar), organiste et compositeur allemand (Adorf, Vogtland,

1627 - Munich 1693). Son protecteur l’archiduc Leopold-Wilhelm, frère de l’empereur Ferdinand III, l’envoya étudier à Vienne avec G. Valentini, puis à Rome avec Carissimi et, peut-être aussi, Frescobaldi. En Italie, il renonça à la religion protestante pour se convertir au catholicisme. Il vécut ensuite à Bruxelles, où il fut organiste de la chapelle de Leopold-Wilhelm. À partir de 1656, il dirigea la chapelle de l’Électeur de Bavière à Munich. En 1673, il se fixa à Vienne où il fut, avec A. Poglietti, organiste de la Cour. Il devait conserver ce poste jusqu’en 1692. Tous ses opéras furent représentés à la cour de l’Électeur de Bavière. Il composa également de la musique instrumentale et de la musique vocale religieuse. KERMAN (Joseph), musicologue et critique américain (Londres 1924). Il a fait ses études à Londres, New York et Princeton (1950, avec Oliver Strunk), et enseigne à Berkeley depuis 1951, compte non tenu de trois années passées à Oxford (1971-1974). Ses deux principaux ouvrages sont Opera as Drama (New York, 1956) et The Beethoven Quartets (New York, Londres, 1967, trad. fr. les Quatuors de Beethoven, Paris, 1974). Il a publié aussi The Masses and Motets of William Byrd (1981) et Contemplating Music (1985, en Angleterre Musicology). KERN (Alfred), facteur d’orgues français (Vendenheim, Bas-Rhin, 1910). Il s’est établi à Strasbourg. Ses instruments, de pur style classique, optent pour la traction mécanique. Il a ainsi restauré ou construit, entre autres, les orgues de Saint-Séverin, Notre-Dame-des-BlancsManteaux, Saint-Jacques-du-Haut-Pas et Notre-Dame-des-Victoires, à Paris. KERTESZ (Istvan), chef d’orchestre hongrois naturalisé allemand (Budapest 1929 - Haïfa 1973). Il est formé à l’Académie de Budapest, où il étudie le piano et la composition avec Leo Weiner et Kodály. De 1949 à 1953, il apprend la direction d’orchestre avec Somogyi et recueille les conseils de Klemperer. Il dirige de 1955 à 1957 à l’Opéra de Budapest, mais décide d’émigrer en

Allemagne. De 1958 à 1963, il est à Augsbourg ; de 1964 à 1973, il est directeur général de la musique à Cologne. À partir de 1965, il est invité à diriger les plus grands orchestres, à Londres, Vienne et Tel-Aviv. Il excelle dans les symphonies de Tchaïkovski, enregistre celles de Schubert et de Dvořák, et dirige beaucoup Bartók et Kodály. Il disparaît tragiquement, se noyant au large de Haïfa. KESSLER (Thomas), compositeur suisse (Zurich 1937). De 1959 à 1962, il a étudié dans sa ville natale, puis à Paris, enfin de 1962 à 1968 à Berlin, où il a fondé un studio de musique électroacoustique. Plus tard, il est devenu directeur de l’Electronic Workshop de Berlin, et a donné des cours à l’université. Depuis 1972, il est professeur de composition au conservatoire de Bâle. La downloadModeText.vue.download 535 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 529 grande partie de sa production est orientée vers l’électroacoustique. Toutefois, il a écrit Quatre Pièces pour quatuor à cordes (1965), et Constellation II pour flûte, clarinette, violon et violoncelle (1967). Citons surtout Musique pour contrebasse, clavier et bande magnétique (1966) ; Loop pour bande et divers instruments (1973) ; Piano Control pour piano et synthétiseur (actionné par le pianiste) [1974] ; et Lost Paradise pour le même dispositif (1975). KETELBEY (Albert), chef d’orchestre et compositeur anglais (Birmingham 1875 Cowes, île de Wight, 1959). D’ascendance danoise lointaine, il doit sa relative popularité à une série de pièces instrumentales exotiques dont se détache Sur un marché persan (1920). KETTING, famille de musiciens néerlandais. Piet, compositeur, pianiste et chef d’orchestre (Haarlem 1904 - Rotterdam 1984). Élève de W. Pijper, il fit beaucoup pour la diffusion de la musique contemporaine, en particulier comme professeur de direction chorale, de théorie et de composition au conservatoire de Rotterdam (1930-

1956), comme directeur du Lycée musical d’Amsterdam (1946-1949) et comme chef de l’orchestre et du choeur de chambre de Rotterdam. Influencé d’abord par Debussy, puis par Schönberg, il s’est de plus en plus intéressé à la musique vocale. Il a écrit notamment deux symphonies, dont la seconde avec violoncelle principal (1929, 1963), Tema con variazioni pour flûte et orchestre (1976), 3 Sonnets de Shakespeare pour voix et piano (1938), le choeur Quando conveniunt (1969). Otto, compositeur et trompettiste (Amsterdam 1935). Élève de son père Piet, il a également étudié avec Karl Amadeus Hartmann. Trompettiste dans l’Orchestre de La Haye de 1955 à 1960, il a ensuite enseigné aux conservatoires de Rotterdam (1967-1971) et de La Haye (1971-1974). Il a écrit beaucoup de musique de théâtre et de film. Prix Gaudeamus en 1958 pour Due canzoni pour orchestre, il a écrit dans un style personnel, parfois influencé par le jazz, des oeuvres pour orchestre, parmi lesquelles Symphonie no 1 (1959), Collage no 6 pour groupe de free-jazz et orchestre (1966), Time Machine (1972) et Symphonie pour saxophones et orchestre (1978), de la musique de chambre, dont Collage no 8 pour clarinette basse et piano (1966), les ballets Het laatste bericht (1962), Intérieur (1963) et Collage no 7 (1967), et les opéras Dummies (1974) et O, gij, rhinoceros (1977). En 1986 a été créé à Amsterdam l’opéra Ithaka. KHATCHATURIAN (Aram Illitch), compositeur soviétique arménien (Tbilissi 1904 - Moscou 1978). Il entra en 1922 à l’école de musique Gniessine à Moscou, puis se perfectionna, de 1929 à 1934, au conservatoire de Moscou dans les classes de Glière (instrumentation), Miaskovski (composition) et Mikhail Gniessine. Il bénéficia également des conseils de Prokofiev, au retour de celui-ci en U. R. S. S. De cette époque datent la célèbre Toccata (1932), le Trio pour piano, violon et clarinette (1932) et une Suite de danses (1933). Dès ses premières oeuvres, Khatchaturian puise son inspiration dans la tradition musicale arménienne (emprunts aux danses et aux « achougs », bardes arméniens). Sa Première Symphonie, écrite en 1934 pour le quinzième anniversaire de la République soviétique d’Arménie, est un nouvel essai de cette intégration d’une culture minori-

taire dans la tradition russe. Mais le vrai Khatchaturian ne s’est réellement révélé au public qu’en 1936 avec son Concerto pour piano dédié à Lev Oborine, oeuvre frappante par son originalité : audaces harmoniques, rythmes à la fois complexes et expressifs, brillante couleur orchestrale. Si la facture pianistique s’apparente parfois à celle de Rachmaninov, la technique du développement marque sensiblement l’héritage de Tchaïkovski. Les qualités de verve, de virtuosité et de lyrisme se retrouvent dans le Concerto pour violon (1940) dédié à David Oïstrakh. Khatchaturian a rapidement trouvé son langage, et sa démarche et son style ne se sont guère modifiés par la suite. Même dans le Poème à Staline (1938), il a réussi à concilier des traits du folklore arménien, géorgien et azerbaïdjanais avec un développement symphonique élaboré. C’est avec son ballet Gayaneh (1943) qu’il devait obtenir une réputation internationale, en mettant en scène le drame de la patriote Gayaneh, dont le mari est passé du côté de l’ennemi. L’oeuvre reprend des fragments du premier ballet de Khatchaturian, le Bonheur, et contient un grand nombre de danses de caractères divers, dont la célèbre Danse du sabre, qui a donné lieu par la suite à de multiples arrangements. La Troisième Symphonie, ou SymphoniePoème (1947), écrite pour le trentième anniversaire de la Révolution, fait appel à un orchestre renforcé par l’orgue et par quinze trompettes, et peut se comparer à la Bataille de Vittoria de Beethoven ou à l’Ouverture 1812 de Tchaïkovski. Elle n’échappa pas aux critiques de Jdanov en 1948 : de même que Chostakovitch, Prokofiev, Chébaline, Popov, Kabalevski, etc., Khatchaturian fut accusé de distorsions formalistes et de tendances antidémocratiques. À la suite de ces événements, il se consacra intensivement à la musique de film (Vladimir Ilitch Lénine, 1948 ; la Bataille de Stalingrad, 1949). À partir de 1950, le compositeur étendit ses activités à deux nouveaux domaines : l’enseignement (à l’institut Gniessine et au conservatoire de Moscou) et la direction d’orchestre. En 1968, lors d’une tournée aux États-Unis, il dirigea les plus grands orchestres symphoniques dans des programmes consacrés à ses oeuvres. En 1950, il séjourna en Italie, comme membre d’une délégation soviétique, et, peu après,

se mit à la partition du ballet Spartacus (1952-1954), sur le sujet à la fois historique et révolutionnaire de la révolte des esclaves à Rome en 73 (av. J.-C.). L’oeuvre lui valut en 1959 le prix Lénine ; en 1968, elle fut représentée dans une nouvelle version chorégraphique de Grigorovitch. Après la mort de Staline, Khatchaturian fut l’un des musiciens éminents à réclamer publiquement une plus grande liberté de création ; il publia, dans la revue Sovietskaïa Mouzyka de novembre 1953, un article intitulé Audace et imagination créatrice. Néanmoins, après la création du festival d’automne à Varsovie (1956), il devait condamner toutes les tendances en direction du dodécaphonisme ou de toute autre avant-garde occidentale. KHRENNIKOV (Tikhon), pianiste et compositeur soviétique (Eletz 1913). Il a étudié, à l’institut Gniessine, la composition avec M.-F. Gnessina et G.-I. Litinski et le piano avec E.-G. Guelman (1929-1932), avant de suivre les cours de composition de V. Chebaline au conservatoire de Moscou (1933-1936). Il est aujourd’hui le musicien officiel le plus important de son pays : artiste du peuple de l’U. R. S. S. (1963), député au Soviet suprême, premier secrétaire de l’Union des compositeurs d’U. R. S. S., chargé des liaisons avec l’étranger, ordre de Lénine, prix Lénine (1967 et 1974). Il enseigne au conservatoire de Moscou depuis 1966. KIENZL (Wilhelm), compositeur autrichien (Waizenkirchen 1857 - Vienne 1941). Sa thèse Die musikalische Deklamation (1880) lui valut le titre de docteur. En 1879, il assista Wagner à Bayreuth. Après des tournées de concerts en tant que pianiste, accompagnateur, il devint directeur de l’Opéra allemand d’Amsterdam, puis occupa successivement les mêmes fonctions à Hambourg, à Munich et à Graz. Son opéra Urvasi (1886) attira l’attention du public sur son activité de compositeur, mais Der Evangelimann (1895) demeura son plus grand succès. Wagnérien convaincu, il s’efforça de démontrer que les principes du compositeur de Parsifal pouvaient être appliqués avec bonheur à des sujets moins ambitieux. L’intention de Kienzl était de créer un opéra populaire downloadModeText.vue.download 536 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 530 dans le genre du mélodrame sentimental fin de siècle, qu’il transporta à la scène lyrique. Musicien possédant un métier solide, il était doué d’une veine mélodique assez facile, et convaincante dans le cadre des sujets qu’il traitait. À partir de 1917, Kienzl vécut à Vienne, d’où il entretint par correspondance des relations avec toutes les personnalités musicales de son temps. Plusieurs dizaines de milliers de lettres ont pu être retrouvées. Outre les opéras, il composa dans tous les genres et publia également divers ouvrages littéraires dont une étude sur Wagner. KIEPURA (Jan), ténor polonais (Sosnowiec 1902 - New York 1966). Il débuta en 1924 à Lvóv dans le rôle de Faust. Il fit une carrière internationale, se produisant régulièrement, de 1926 à 1939, à Vienne, Berlin, Milan, Paris. Émigré aux États-Unis, il chanta pendant la guerre au Metropolitan Opera de New York, à Chicago et à San Francisco. Ses rôles les plus fameux furent Mario (la Tosca), Calif (Turandot) et Rodolphe (la Bohème). Ayant épousé la soprano hongroise Martha Eggerth, il aborda l’opérette et chanta avec elle la Veuve joyeuse un peu partout. Jan Kiepura fit également de nombreux films. Sa voix de ténor lyricospinto était riche et bien timbrée. Il avait un physique avantageux et une très belle prestance. KIERKEGAARD (Søren Aabye), théologien, écrivain et philosophe danois (Copenhague 1813 - id. 1855). Il a consacré à la musique de Mozart, Don Giovanni en particulier, un court écrit, les Étapes érotiques spontanées (ou, selon les traductions, les Stades immédiats de l’Éros), intégré dans un ensemble publié en 1843 sous un pseudonyme (EntenEller), Ou bien... ou bien. Mais toute son oeuvre fait référence, implicitement ou explicitement, à l’univers acoustique et à la musique. L’opuscule des Étapes érotiques spontanées (sous-titré l’Érotisme musical) célèbre le Don Giovanni considéré comme l’opéra des opéras, l’expression la plus géniale de la sensualité comme principe. Les

trois étapes qu’évoque le titre apparaissent dans trois opéras de Mozart : la première, c’est le Chérubin des Noces de Figaro, troublé par l’éveil d’un désir sans objet et qui ne se reconnaît pas encore comme tel ; la deuxième, c’est le Papageno de la Flûte enchantée, être immédiat et gaiement gazouillant (à l’opposé de Tamino, décrit avec justesse comme un personnage « amusical... au-delà de la musique ») et dont le désir cherche son objet au milieu d’une multitude ; enfin la troisième étape, c’est Don Juan, c’est-à-dire le désir « absolument déterminé comme tel », victorieux, irrésistible, un personnage qui ne pouvait, selon Kierkegaard, apparaître que dans le cadre chrétien, seul propice à l’affirmation de ce concept de sensualité. Mais Don Juan, l’anti-Tamino, est un être complètement musical, « la parole, la réplique ne lui appartiennent pas (...), il se hâte dans un perpétuel évanouissement, justement comme la musique ». Par opposition, l’auteur critique les Don Juan littéraires de Byron et de Molière. Celui de Mozart est, au sein de l’opéra qui porte son nom, désigné comme la « note fondamentale », la force fondamentale, le révélateur par excellence, qui donne de l’intérêt à tous les autres personnages qu’il touche. « Écoutez, écoutez, écoutez le Don Giovanni de Mozart », conclut le philosophe danois. Ce Mozart vénéré, ce musicien suprême, pour n’être abordé longuement que dans cet article, reste présent à travers l’oeuvre de Kierkegaard, par l’esprit de vivacité rythmique qui anime son style et sa pensée même, pensée « musicale » au plein sens du mot. Comme l’a souligné Nelly Viallaneix, Kierkegaard, amoureux de la sonorité de la langue, en joue d’une manière orale, rythmique, avec, notamment, un grand souci de la ponctuation, qui donne sa respiration à la phrase, et une recherche de cadence très sensible, même à travers les traductions. Extrêmement sensible aux impressions acoustiques (son Journal en note un grand nombre, qui sont souvent des perceptions musicales d’impressions rythmiques et visuelles), avouant, entre les cinq sens, préférer celui de l’ouïe, Kierkegaard a visiblement cherché non pas seulement à habiller de musicalité une pensée abstraite, mais, encore mieux, à donner à l’essor de sa pensée une logique, un mouvement directement musical - un certain sving de l’esprit, comme on dit en danois - jusque dans les

frémissements, les contradictions, les dissonances assumées. Au reste, il conçoit la musique comme un domaine mystérieux « confinant partout à la langue », et qui commence « partout où la langue cesse ». Son goût pour les onomatopées, pour les allitérations, pour les genres poétiques obéissant à des règles « acoustiques » (telle la rime) manifeste sa conscience aiguë du langage dans la matérialité de sa substance signifiante, sa « matière sensible », et son intuition d’une dimension du langage audelà de la signification littérale. KIESEWETTER (Raphael Georg), historien de la musique autrichien (Holesov, Bohême, 1773 - Baden, près de Vienne, 1850). Élève d’Albrechtsberger, fonctionnaire dans l’administration impériale, il organisa chez lui, à partir de 1818, des concerts de musique vocale du XVIe au XVIIIe siècle, et apparaît comme le véritable fondateur de la musicologie autrichienne (Die Verdienste der Niederländer um die Tonkunst, 1829 ; Geschichte der europäisch - abendländischen oder unserer heutigen Musik, 1834 ; Die Musik der Araber, 1842). Il eut comme neveu August Wilhelm Ambros, et, à sa mort, sa bibliothèque échut à Aloys Fuchs. KILAR (Wojchech), compositeur polonais (Lvov 1932). Il a fait ses études à l’École de musique de Katowice (1950-1955) et au conservatoire de Cracovie (1955-1958), ainsi qu’avec Nadia Boulanger à Paris, et obtenu le prix Lili-Boulanger en 1960. Surtout connu dans son pays comme auteur de musiques de film, il s’est également imposé par plusieurs pièces pour orchestre dont la Petite Ouverture (1955), deux symphonies, dont la première pour cordes (1955) et la seconde, dite Sinfonia concertante, pour piano et orchestre (1956), un concerto pour deux pianos (1958), Riff 62 (1962), le poème symphonique Krzesany (1974), Koscielec 1909 (1976), Exodus pour orchestre et choeur (1980). KILPINEN (Yrjö), compositeur finlandais (Helsinki 1892 - id. 1959). Grâce à ses quelque 700 lieder, il est probablement le compositeur finlandais le plus connu après J. Sibelius. Son style

amalgame avec bonheur la tradition du lied classico-romantique d’Europe centrale avec celle de la romance nordique. Celle-ci brille alors dans les salons bourgeois et doit ses lettres de noblesse à E. Grieg, C. Sinding et J. Sibelius. Parti des poèmes de ses compatriotes E. Leino, H. Jalkanen et V. A. Koskenniemi, Kilpinen s’intéresse progressivement au Kalevala et, à partir des années 30, aux textes allemands de C. Morgenstern, von Zwehl, A. Sergel. Il est à noter le succès que Kilpinen rencontra pendant le IIIe Reich allemand auprès des autorités musicales de ce pays. Son évolution, commencée dans le radicalisme des années 20, se poursuit après la guerre. C’est en quelque sorte un retour aux sources ; Kilpinen utilise alors de plus en plus des formules modales proches du folklore, et son style postromantique s’adapte avec bonheur au texte du Kalevala et aux poèmes de K. Vala. Excellent dans la miniature, Kilpinen tend à une expression souvent dépouillée ; tout son effort se porte sur la mise en musique du texte, et l’accompagnement ne joue que rarement un rôle essentiel. KIMMERLING (Robert), compositeur autrichien (Vienne 1737 - Oberweiden 1799). Éduqué à l’abbaye de Melk, où son oncle était abbé, à partir de 1748, il y prononça ses voeux en 1754. Durant l’hiver 17601761, lors d’un séjour à Vienne, il travailla avec Haydn. Il fut directeur de la musique à Melk de 1761 à 1777, puis curé à ObedownloadModeText.vue.download 537 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 531 rweiden, près de la frontière hongroise. Il composa surtout de la musique religieuse. KINDERMANN (Johann Erasmus), compositeur, organiste et pédagogue allemand (Nuremberg 1616 - id. 1655). Élève de Johann Staden, il étudia à Venise et à Rome (1635) et occupa plusieurs postes d’organiste dans sa ville natale. Il composa surtout de la musique vocale, aussi bien dans la prima que dans la seconda pratica. Son recueil de Canzoni, sonatae (1653) contient 41 oeuvres pour un, deux ou trois violons, violoncelle et

continuo (avec un des premiers exemples de scordatura). Son Harmonia organica (1645) est le dernier recueil d’orgue allemand noté en tablature et le premier à avoir été gravé. KINSKY (Georg), musicologue allemand (Marienwerder 1882 - Berlin 1951). Professeur de musicologie à Cologne de 1921 à 1932, spécialiste des instruments historiques, il travailla à partir de 1945 à un catalogue thématique fondamental des oeuvres de Beethoven, qui, après sa mort, fut achevé et publié par Hans Halm (Munich 1898 - id. 1965) [Kinsky-Halm : Das Werk Beethovens. Thematisch-bibliographisches Verzeichnis seiner sämtlichen vollendeten Kompositionen, Munich, Duisburg, 1955, ou l’oeuvre de Beethoven. Catalogue thématique et bibliographique de toutes ses compositions achevées]. KIPNIS, famille de musiciens américains d’origine russe. Alexander, basse (Zitonnir 1891 - Westport, Connecticut, 1978). Il étudia la musique à Varsovie, où il obtint un diplôme de chef d’orchestre, puis le chant à Berlin, et fit ses débuts à Hambourg en 1915. Engagé à Wiesbaden, il y chanta jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale. Il se produisit à l’Opéra de Berlin (1918-1925), à celui de Chicago (1925-1932), puis, de retour en Europe, dans la plupart des grands théâtres ainsi qu’aux festivals de Bayreuth et de Salzbourg. En 1935, il regagna les États-Unis et chanta au Metropolitan Opera de New York jusqu’en 1946. Sa grande voix alliait l’ampleur à la souplesse et il interprétait avec un même bonheur les personnages tragiques ou comiques des répertoires allemand, italien et russe. Il était particulièrement admiré dans les rôles de Gurnemanz (Parsifal), d’Osmin (l’Enlèvement au sérail) et de Boris Godounov. Sa musicalité expressive en faisait aussi un chanteur de lieder très exceptionnel. Igor, fils du précédent, fut claveciniste (Berlin 1930). KIRCHNER (Leon), compositeur américain (Brooklyn 1919). Il fut l’élève de Sessions, Ernest Bloch et Schönberg, et conseillé, en outre, par Stravinski et Klemperer. Pianiste et chef

d’orchestre, professeur à l’université de Californie, au Mills College, puis à Harvard, il a renié toutes ses oeuvres de jeunesse et ne reconnaît comme valables que celles écrites après 1949, moment où il a réussi à concilier une inspiration romantique et souvent de style rhapsodique avec une expression très moderne allant jusqu’à la technique dodécaphonique. Les influences diverses (Mahler, Schönberg, Bartók) se rencontrent avec les éléments populaires dans son langage qui passe des audaces les plus virulentes aux formules les plus traditionnelles avec une très grande virtuosité. Intéressé par la musique électronique, il a réalisé avec son troisième quatuor une oeuvre originale qui lui a valu le prix Pulitzer en 1967. KIRKBY (Emma), soprano anglaise (Camberley 1949). Elle étudie la littérature à Oxford, le chant à Londres, auprès de Jessica Cash, et se spécialise rapidement dans le répertoire du XVIe au XVIIIe siècle, anglais en particulier. Elle se produit en compagnie d’ensembles tels que le Taverner Consort, Musica Reservata, Consort of Musicke et épouse le claveciniste et chef d’orchestre Andrew Parrott. Elle interprète aussi le répertoire baroque sous la direction de C. Hogwood et W. Christie. KIRKPATRICK (Ralph), claveciniste et musicologue américain (Leominster, Massachusetts, 1911 - Guilford, Connecticut, 1984). Il étudia à l’université Harvard, à Paris avec Wanda Landowska (clavecin) et Nadia Boulanger (1931-32), puis en Allemagne avec A. Dolmetsch, G. Ramin et H. Tiessen. Il fit ses débuts de claveciniste en 1930 et enseigna au Mozarteum de Salzbourg (1933-34), puis à l’université Yale, où il entra en 1940 et où il fut professeur de 1965 à 1976. Il s’est également produit comme interprète au clavicorde et au piano-forte. Il possède à son répertoire, outre des pièces de l’école française et de celle des virginalistes anglais, toutes les oeuvres pour clavier de Bach et de nombreuses sonates de D. Scarlatti. Comme musicologue, il a consacré à ce compositeur une étude fondamentale (Domenico Scarlatti, Princeton, Londres, 1953), et attaché son nom à une nouvelle classification (chronologique) de ses 555 sonates remplaçant désormais celle de Luigi

Longo. KIRNBERGER (Johann Philipp), théoricien et pédagogue allemand (Saalfeld, Thuringe, 1721 - Berlin 1783). Élève de Bach à Leipzig (1739-1741), il devint en 1751 violoniste de Frédéric II à Berlin et en 1758 maître de chapelle de sa soeur, la princesse Amalie, à qui il enseigna la théorie et la composition. Ami de Carl Philip Emanuel Bach, il protégea pendant un temps Wilhelm Friedmann après son installation à Berlin en 1774. Il ne publia ses principaux ouvrages théoriques qu’après 1770 : le plus célèbre est Die Kunst des reinen Satzes (1771-1779). Il entretint à Berlin le culte de Bach, mais d’un point de vue rationaliste, en insistant davantage sur la dimension didactique, le côté « guide pour le contrepoint », de ses oeuvres, en particulier des chorals (qu’il édita en collaboration avec Carl Philipp Emanuel), que sur leur fonction spirituelle et leur contexte biblique. KISSIN (Evgeni), pianiste russe (Moscou 1971). Enfant prodige, il commence à étudier le piano à l’âge de deux ans et entre quatre ans plus tard à l’école Gnessine. En 1980, il joue pour la première fois avec orchestre et se produit en 1984 dans les deux concertos de Chopin avec l’Orchestre philharmonique de Moscou. Invité au Japon puis à Berlin, il commence un brillante carrière, donnant des récitals et se produisant en concerto avec les plus grands orchestres. KJERULF (Halfdan), compositeur norvégien (Oslo 1815 - id. 1868). Élève de N. Gade à Copenhague et de Richter à Leipzig, il a écrit près de 100 romances, 30 choeurs pour voix d’hommes, des pièces pour piano et 1 musique de scène. Kjerulf appartient à la catégorie des compositeurs lyriques qui, en Norvège, sut renouveler l’attitude créatrice vis-à-vis du folklore. En ce sens, il complète l’oeuvre d’Ole Bull et de Lindeman et rejoint celle de Grieg. Habile dans la petite forme, véritable compositeur-poète, il a également été un pionnier dans le domaine choral et le premier organisateur de concerts symphoniques en Norvège (1857-1859). KLAMI (Uuno), compositeur finlandais (Virolahti 1900 - id. 1961).

Il représente la tendance moderniste, qui, après J. Sibelius, essaie de rapprocher le mouvement musical finlandais de celui de l’Europe. Sans renier ses attaches culturelles nationales, Klami les exprima dans un style cosmopolite, tendance accentuée par un grand sens de l’observation, qui lui permit de tirer parti de ses études à Paris avec M. Ravel (1924-25) et à Vienne (1928-29). Ainsi plongea-t-il dans des cultures aussi éloignées de la sienne que celles de la valse viennoise (ouverdownloadModeText.vue.download 538 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 532 ture Opernredoute, 1929), des Sérénades espagnoles (1924-1944) ou du Montmartre des années 20 (Yö Montmartrella, 1925). Mais c’est dans le domaine finnois qu’il fut le plus convaincant (Rhapsodie carélienne, 1927 ; Kalevalasarja, 1933-1943 ; Lemminkäinen, 1934 ; Tcheremissian Fantasy, 1931). Dans toutes ces oeuvres, inspirées plus par une atmosphère que par un argument, Klami se montre un brillant orchestrateur qui sait aussi bien prolonger le style de Stravinski que celui de Ravel. Dans les autres domaines, il faut retenir un Psaume (1935-36), deux symphonies (1937 et 1945), des musiques de scène (ouverture de Nummisuutarit, 1936) et diverses oeuvres orchestrales (Merikuvia, « Images de mer », 1928-1930) et de musique de chambre. KLEBE (Giselher), compositeur allemand (Mannheim 1925). Il a étudié à Berlin avec Kurt von Wolfurt (1941-1943), Josef Rufer (1946) et Boris Blacher (1946-1951), et, depuis 1957, il enseigne la composition à Nordwestdeutsche Musikakademie de Detmold. Il s’est fait connaître en 1950 à Donaueschingen avec Die Zwitschermascine pour orchestre, d’après Klee, mais a surtout acquis la célébrité grâce à ses opéras, en général d’expression sombre et abrupte : Die Raüber, d’après Schiller (Düsseldorf, 1957) ; Die tödlichen Wünsche, d’après Balzac (Düsseldorf, 1959) ; Die Ermordung Cäsars, d’après Shakespeare (Essen, 1959) ; Alkmene, d’après Kleist (Berlin, 1961) ; Figaro lässt sich scheiden, d’après Horvath (Hambourg, 1963) ; Jacobowsky und der

Oberst, d’après Werfel (Hambourg, 1965) ; Das Märchen von der schönen Lilie, d’après Goethe (Schwetzingen, 1969) ; Ein wahrer Held, d’après Synge (Zurich, 1975) ; Das Mädchen aus Domrémy, d’après Schiller (Stuttgart, 1976) ; Das Rendez-vous (Hanovre, 1977) ; Der jüngste Tag (1980) ; Die Fastnachtsbeichte (1983) ; Gervaise Macquart (1995). KLEIBER, famille de musiciens d’origine autrichienne. Erich, chef d’orchestre autrichien naturalisé argentin en 1939 (Vienne 1890 - Zurich 1956). Après des études à Vienne, puis à Prague, il débuta avec l’Ouverture d’Euryanthe de Weber et fut aussitôt nommé à Darmstadt (1912-1919). L’année 1916, avec le Chevalier à la rose, inaugura une longue collaboration avec Richard Strauss. Nommé à Eberfeld (1919), puis à Düsseldorf (1921), où il mena une politique musicale hardie (Schönberg, Hindemith), et enfin à Mannheim (1922), il remplaça Leo Blech dans Fidelio à l’Opéra de Berlin (1923) et remporta un succès tel que trois jours après il fut nommé directeur général de la musique de l’Opéra de Berlin. Il y resta onze ans (1923-1934). Cette période fut extrêmement féconde : il créa Jenufǎ de Janáček (1924), Wozzeck (après 137 répétitions assidues) de Berg (1925), concert mémorable et le plus grand succès de sa carrière, Christophe Colomb de Milhaud (1930) et plusieurs autres ouvrages contemporains. Peu enclin aux accommodements envers la politique culturelle du régime nazi, il dirigea en première audition, et avec succès, les pièces symphoniques de Lulu de Berg. Mais, après l’interdit jeté sur cette oeuvre, il donna, à la suite de Furtwängler, sa démission de l’Opéra de Berlin (1934), ville où il ne retourna qu’en 1951. Une vie de vagabondage commença. Déçu de ne recevoir aucune offre de sa ville natale, il devint citoyen argentin, et prit à Buenos Aires la direction du Teatro Colón (1937-1949), commençant en même temps une seconde carrière de chef d’orchestre pionnier au Chili, en Uruguay, au Mexique et à Cuba. Après la guerre, il reprit ses activités européennes. Il donna en 1951 au Mai musical florentin, avec Maria Callas dans le rôle-titre, la création mondiale d’Orfeo ed Euridice de Haydn. Nommé à l’Opéra de Berlin (1955), il dé-

missionna immédiatement pour protester contre l’intrusion politique stalinienne. Après quelques villes d’Europe, ce fut enfin Vienne : deux mois avant sa mort, Kleiber y dirigea le Requiem de Verdi. Refusant toute complaisance, d’une rigueur extrême doublée d’une ardeur presque fanatique, Erich Kleiber ne laissait aucune place à l’improvisation et tendait à la précision la plus extrême. Parmi ses enregistrements, des versions mémorables du Chevalier à la rose et des Noces de Figaro. Carlos, chef d’orchestre argentin (Berlin 1930). Fils du précédent, naturalisé autrichien en 1980, il entreprit des études musicales au Teatro Colón de Buenos Aires (1950) et donna son premier concert à La Plata (1952). De retour en Europe (1953), sur le conseil de son père, il se détourna d’une carrière musicale pour étudier la chimie à Zurich. Mais l’appel de la musique fut le plus fort : acceptant le poste de répétiteur au théâtre de la Gärtnerplatz de Munich, il cumula alors les fonctions de chef d’orchestre à Potsdam et à l’Opéra allemand du Rhin (dès 1954), à Düsseldorf et à Duisburg (1956-1964). Chef attitré de l’Opéra de Stuttgart (1966), il y dirigea Wozzeck, puis le Chevalier à la rose, Elektra, Tristan und Isolde, Otello, Carmen et le Freischütz, qu’il enregistra intégralement (1973). Depuis 1968, on le voit fréquemment à la tête du Staatsoper de Munich. En 1974, il fit ses débuts à Bayreuth avec Tristan und Isolde et participe depuis au festival de Vienne et au Printemps de Prague. KLEMPERER (Otto), chef d’orchestre allemand (Breslau 1885 - Zurich 1973). Après avoir étudié au conservatoire de Francfort-sur-le-Main, il suivit à Berlin l’enseignement de J. Kwast (piano) et de P. Scharwenka et H. Pfitzner (composition). Ayant débuté comme répétiteur de choeurs, il dut son premier engagement (1906) à M. Reinhardt, qui monta Orphée aux Enfers. Autre rencontre capitale, celle de Mahler, qui le recommanda successivement comme chef d’orchestre du Théâtre allemand de Prague (1907-1910) et du Théâtre de Hambourg (1910-1913). Klemperer, qui avait dirigé en coulisses le second orchestre à la création berlinoise de la Deuxième Symphonie de Mahler, allait devenir un ardent défenseur de l’oeuvre de ce maître, comme en témoignent nombre d’enregistrements et un livre de souvenirs

(Erinnerungen an G. Mahler, 1960). Sa carrière se poursuivit à Barmen (1913-14), Strasbourg (1914-1917), Cologne (19171924) et Wiesbaden (1924-1927). Nommé directeur musical de l’Opéra Kroll de Berlin (1927-1931), il en fit très rapidement une des premières scènes lyriques d’Allemagne, accueillant les nouvelles oeuvres de Krenek, Weill, Schönberg, Hindemith et Stravinski dans des mises en scène expressionnistes - politique novatrice fortement encouragée par la République de Weimar, mais qui valut à son auteur l’opprobre des nationauxsocialistes bientôt au pouvoir. Il dirigea également le Choeur philharmonique et, de 1931 à 1933, travailla au Staatsoper de Berlin. En 1933, Klemperer fut contraint d’émigrer aux États-Unis, où il prit la direction de l’Orchestre philharmonique de Los Angeles (jusqu’en 1940). Mais plusieurs graves accidents de santé, dont une hémiplégie, allaient interrompre une carrière et on le vit dorénavant diriger assis, jusqu’en 1970. Il fut encore chef de l’Opéra de Budapest (1947-1950) et président du New Philharmonia Orchestra (1959). Compositeur, il a laissé un opéra (Das Ziel), une symphonie, des oeuvres sacrées et des lieder. Interprète, il est entré vivant dans la légende. On a voulu ne voir en lui que le gardien sévère de la grande tradition germanique. C’est méconnaître le novateur fougueux qu’il sut être dans sa jeunesse et le lutteur inspiré qu’il devint dans l’adversité, élevant son art à la spiritualité la plus profonde. KLETZKI (Paul), chef d’orchestre polonais naturalisé suisse (Ðód’z 1900 - Liverpool 1973). D’abord violoniste, il joue dans l’Orchestre philharmonique de Ðód’z de 1914 à 1919. De 1923 à 1933, il travaille à Berlin, et connaît le succès en tant que compositeur : Furtwängler dirige plusieurs de ses symphonies et concertos. Il quitte l’AlledownloadModeText.vue.download 539 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 533 magne pour l’Italie, où il enseigne la composition à Venise, puis au Conservatoire

de Milan entre 1935 et 1938. En 1940, il se fixe en Suisse, où il dirige le Festival de Lucerne. De 1967 à 1970, il succède à Ansermet à la tête de l’Orchestre de la Suisse romande. KLOSE (Margaret), mezzo-soprano allemande (Berlin 1902 - id. 1968). Elle débuta dans l’opérette à Ulm en 1927. Engagée à Mannheim de 1928 à 1931, elle entra à l’Opéra de Berlin en 1932, et devait s’y illustrer toute sa vie. En 1935, elle chanta Ortrude à Bayreuth, puis Fricka. Dans le même temps, elle triompha à Londres, Buenos Aires et Paris. Sa grande voix sombre, d’une étendue exceptionnelle, lui permettait d’aborder avec un égal bonheur des rôles de contralto, comme Erda ou Orphée, et des rôles de mezzo-soprano comme Amneris. Son répertoire était extrêmement étendu. Sa musicalité, la noblesse de son style, son talent d’actrice, sa présence scénique se pliaient à l’opéra italien (Verdi), allemand (Wagner et Strauss), et même français (elle fut une Carmen réputée). Son timbre était un des plus beaux qui se puisse entendre. KLUSÁK (Jan), compositeur tchèque (Prague 1934). Il est l’élève de J. Rídký et P. Bořkovec à l’Académie de musique et d’art dramatique de Prague (1953-1957). Influencé par Vostřák, il se fait connaître par ses Variations sur un thème de G. Mahler (1960-1962) et son opéra le Procès, d’après Kafka (1966). Entre 1961 et 1969, il écrit Six Inventions, les deux premières pour orchestre de chambre, la troisième, véritable hommage à Webern, la quatrième sur une nouvelle de Kafka, la cinquième pour quintette à vent, la sixième sous forme de nonette. Ces diverses réponses apportées aux problèmes esthétiques que se pose Klusák montrent qu’il est, avec Kopelent, l’un des rares compositeurs tchèques de sa génération à être passé d’un néoclassicisme stravinskien à un style postsériel vivant et inventif. Ainsi ses Images (4) [1960], Rondo pour piano (1967), Reydowak pour clarinette-basse, clavecin et piano (1972). KNAPPERTSBUSCH (Hans), chef d’orchestre allemand (Elberfeld 1888 - Munich 1965). L’étude de la philosophie à Bonn précède

celle de la musique, entreprise en 1908, au conservatoire de Cologne, avec comme professeurs F. Steinbach, O. Lohse et L. Uzielli. Il est nommé chef d’orchestre du théâtre de Mühlheim, dans la Ruhr (19101912), avant de diriger l’Opéra de sa ville natale (1913-1918). Les Opéras de Leipzig (1918) et Dessau (1919-1921) accueillent le jeune chef qui succède en 1922 à B. Walter à la tête de l’Opéra de Munich. Chassé par les événements, il se réfugie en 1936 à Vienne et travaille au Staatsoper. Après la guerre, Munich accueille de nouveau celui qui va devenir son chef préféré, alors que Bayreuth (où il fut pourtant l’assistant de H. Richter et S. Wagner de 1910 à 1912) attendra la réouverture de 1951 pour l’inviter à diriger un Parsifal mémorable et à partager la direction de la Tétralogie avec Karajan (il devait la diriger ensuite deux fois à Paris, en 1955 et en 1957). Wagner, mais aussi R. Strauss et Beethoven, furent admirablement servis par les lectures de Knappertsbusch, à la fois scrupuleuses et soulevées par une ample respiration. KNITTEL (Krzystof), compositeur polonais (Varsovie 1947). Il fait ses études de composition avec Tadeusz Baird, Andrzej Dobrowolski et Wlodzimierz Kotonski, et obtient un diplôme d’ingénieur du son à l’École supérieure de musique de Varsovie. Il collabore depuis 1973 au Studio expérimental de la radio polonaise. Il constitue, avec Elzbieta Sikora et Wojciech Michniewski, le groupe KEW et réalise avec eux des oeuvres collectives (In the Tatra Mountains, 1974 ; Adjoinings Zones, 1976). La double formation de compositeur et d’ingénieur du son a permis à Knittel de développer une conception de la musique particulièrement originale. Pour lui, en effet, le phénomène sonore est d’une complexité telle que ses composantes ne peuvent être réduites à un commun dénominateur, mais doivent au contraire préserver leur autonomie, assumer leurs contradictions. Ainsi, par exemple, dans Dorikos I (1976-77) pour quatuor à cordes et bande magnétique, le musicien tente d’associer des sons instrumentaux et des sons naturels enregistrés ; la partie instrumentale et celle enregistrée jouent le rôle de partenaires devant assurer chacun leurs fonctions respectives. Il n’y a donc pas, dans une telle conception, hétérogénéité

totale des sources sonores, mais bien toujours permanence des autonomies respectives qui témoigne du caractère utopique de leur rencontre. Cette préoccupation, déjà présente dans les premières oeuvres - 440 pour violon, piano et bande magnétique (1973) ; Points/lignes pour clarinette, bande magnétique et diapositives (1973) ; Form A, Form E pour quintette à vent et dispositif lumineux (1973) -, se retrouve dans des pièces plus récentes telle Odds and Ends pour matériel électroacoustique (1978), enregistrement des chutes du Niagara transformé par synthétiseur, du piano, diverses sources électroniques, voix, sirènes, etc. KNUSSEN (Olivier), compositeur anglais (Glasgow 1952). Fils d’un contrebassiste, il commença à composer dès l’âge de six ans et fit entendre sa première symphonie (1966-67) à quinze ans. La deuxième, pour soprano et orchestre de chambre, date de 197071, la troisième de 1973-1979 (création, Londres, 1979). Aux sonorités massives de cette dernière oeuvre s’oppose le côté linéaire et souple de certaines partitions de musique de chambre comme Masks pour flûte (1969), ou Océan de terre pour petit ensemble, d’après Apollinaire (197273 ; rév., 1976). À l’Opéra de Bruxelles ont été créés en novembre 1980 Where the Wild Things Are, fantaisie en 2 actes sur un livret de M. Sendak (1979-80), et à Glyndebourne en 1985 Higglety Pigglety Pop !. KOCH (Erland von), compositeur et organiste suédois (Stockholm 1910). Ses études le mènent en Allemagne et en France. Il est influencé par la vague néoclassique des années 30 et par la musique folklorique suédoise. En 1943, son style évolue (Capriccio nordique) et devient plus contrapuntique. Il a écrit 4 symphonies, 6 quatuors à cordes, 3 concertos pour piano et, entre 1964 et 1966, sa trilogie pour orchestre : Impulsi, Echi et Ritmi. KOCH (Heinrich Christoph), théoricien et violoniste allemand (Rudolstadt 1749 - id. 1816). Il étudia le violon et la composition à Rudolstadt, Berlin, Dresde et Hambourg, puis occupa un poste de premier

violon à Rudolstad. À partir de 1772, il se consacra essentiellement à ses écrits théoriques. Parmi ceux-ci, deux ouvrages apparaissent, en leurs genres respectifs, comme les plus importants de l’ère classique viennoise à son apogée : Versuch einer Anleitung zur Composition (Essai de méthode de composition, Rudolstadt et Leipzig, 1782-83 ; rééd., 1969), et Musikalisches Lexikon (Lexique musical, Francfort, 1802 ; version abrégée, Leipzig, 1807). Le Versuch, en trois volumes, traite aussi bien des principes harmoniques de base que de la périodicité mélodique et de la composition d’un mouvement entier de symphonie. Le Lexikon est un dictionnaire de termes musicaux. On trouve également dans les deux ouvrages des considérations esthétiques. KOCHAN (Günter), compositeur allemand (Luckau 1930). Élève de Boris Blacher et de Hans Eisler, il occupe une place très officielle dans la vie musicale de la République démocratique allemande et enseigne depuis 1950 la théorie à l’École supérieure de musique de Berlin-Est. Il a écrit de nombreux ouvrages pour la jeunesse et pour le grand downloadModeText.vue.download 540 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 534 public, comme la cantate Die Welt ist jung (1951), et s’est forgé un langage classique dans la lignée de Eisler, Chostakovitch et Bartók avec, par exemple, son Concerto pour violon (1952), son Concerto pour alto (1974) et ses quatre symphonies, dont la première et la troisième avec soprano et choeurs (1964, 1968, 1972, 1983-1984). KÖCHEL (Ludwig Aloïs Friedrich, Ritter von), savant et musicographe autrichien (Stein an der Donau, Basse-Autriche, 1800 - Vienne 1877). Docteur en droit, il s’était acquis également une réputation européenne en botanique et en minéralogie. Il fut le précepteur des quatre fils de l’archiduc Karl de 1827 à 1842, année où il fut anobli. Après avoir été Schulrat à Salzbourg (18501852), il se consacra à la musicologie et en particulier à Mozart, dont il établit le catalogue chronologique et thématique de

toutes les oeuvres (Chronologisch thematisches Verzeichnis Sämtlicher Tonwerke, Leipzig, 1862). Il rassembla une quantité importante de matériel d’origines diverses (dont une partie lui fut fournie par son ami Otto Jahn, à qui il dédia son travail), mais sa tâche la plus ardue consista à établir rigoureusement l’ordre chronologique des oeuvres, puisque beaucoup étaient encore autographes. Il rédigea ensuite un bref commentaire stylistique pour chaque pièce et fournit un appendice donnant la liste des oeuvres et des fragments perdus ou d’attribution douteuse. À partir de ces recherches, il publia en 1862 un article important : Uber den Umfang der musikalischen Produktivität W. A. Mozarts, qui servit de préambule au catalogue. Les révisions de celui-ci, par Paul Waldersee en 1905, puis par Alfred Einstein, en 1937 et en 1947, le complétèrent et le corrigèrent de façon substantielle. L’éditeur Breitkopf und Härtel fit paraître encore en 1951 Der Kleine Köchel, abrégé de l’édition de 1937. Une nouvelle révision intervint en 1964 (Franz Giegling, Alexander Weinmann, Gerd Sievers). On doit également à Köchel un important ouvrage sur Johann Joseph Fux (Vienne, 1872). KOCSIS (Zoltán), pianiste hongrois (Budapest 1952). Il commence ses études de piano à l’âge de six ans et entre en 1963 au Conservatoire Béla Bartók, où il étudie la composition et le piano. De 1968 à 1970, il se perfectionne à l’Académie de musique Franz Liszt auprès de P. Kadosa et F. Rados. Premier prix en 1970 du concours Beethoven de la radio hongroise, prix Franz Liszt en 1973, il commence à donner des concerts dans toute l’Europe. En 1977, il donne avec S. Richter un récital de piano à quatre mains, participe aux Semaines internationales de musique de Lucerne, remplace M. Pollini à la Grange de Meslay. En 1976, il est nommé professeur à l’Académie Franz Liszt de Budapest. Il fonde en 1983 l’orchestre du Festival de Budapest, dirigé par Ivan Fischer. Parallèlement au répertoire romantique (Liszt en particulier), il s’intéresse à la musique contemporaine et a assuré la création d’oeuvres de G. Kurtag. KODÁLY (Zoltán), compositeur hongrois (Kecskemét 1882 - Budapest 1967).

Issu d’une famille musicienne (son père était violoniste amateur, sa mère, pianiste), ouverte aux influences tziganes, pratiquant la musique de chambre, il fit ses études secondaires à Galanta, puis à Nagyszombat (aujourd’hui Trnava, en Slovaquie), où il chantait dans les choeurs de la cathédrale et rendait fréquemment visite à la bibliothèque musicale. Il apprit le violoncelle en autodidacte, et s’installa à Budapest pour y poursuivre des études supérieures de lettres. Il s’inscrivit alors dans la classe d’H. Koessler (composition) à l’académie Franz-Liszt, où il rencontra Béla Bartók, qui, jusqu’à sa mort (1945), devait rester son plus fidèle ami. Kodály devint professeur diplômé en 1905, et décida d’enquêter dans les campagnes hongroises, comme suite à sa thèse de doctorat sur la structure « strophique » des chansons populaires. Docteur ès lettres en 1906, il se rendit à Paris, y suivit les cours de Ch. M. Widor au Conservatoire et découvrit l’univers debussyste. Il écrivit alors sa Méditation sur un motif de Claude Debussy pour piano (1907). Professeur de théorie musicale à l’académie Franz-Liszt en 1907, il y enseigna jusqu’en 1940 et y fut chargé d’une classe de composition dès 1908. Dès 1906, il réalisa avec Bartók, puis avec Emma Sandor, qu’il épousa le 3 août 1910 et qui allait être sa compagne et collaboratrice un demi-siècle durant, des études systématiques pour recueillir et noter les mélodies paysannes hongroises. Son activité simultanée de compositeur, de pédagogue, de folkloriste, de musicologue, et de journaliste fit de lui le maître à penser de la musique hongroise contemporaine. En 1921, les éditions Universal de Vienne achetèrent le droit exclusif d’édition de ses compositions. En 1925, un concert de ses oeuvres pour choeur d’enfants le révéla comme un maître incontesté du contrepoint vocal. Farouche figure du nationalisme culturel de la Hongrie, inventeur de méthodes d’enseignement de la musique permettant une initiation au chant choral dès le plus jeune âge, patriarche vénéré et entré dans l’histoire de son vivant, Kodály sut se faire respecter des contre-révolutionnaires du comte Horty, comme des autorités nazies pendant la dernière guerre. Trois fois prix Kossuth, membre correspondant de toutes les grandes universités mondiales, président de l’International Folk Music Council, il fut le plus éminent représen-

tant de l’humanisme culturel de son pays pendant plus d’un demi-siècle. Son oeuvre, du point de vue de l’auditeur occidental, peut approximativement se diviser en deux ensembles. L’un regroupe les partitions de forme classique où Kodály fait la synthèse de la tradition allant de Bach à Debussy, en passant par Beethoven, Brahms et Wagner. L’autre, les quelque 1 500 pièces chorales consignées par lui-même dans un souci d’abord didactique : l’art d’un Palestrina s’y revivifie au contact des composantes mélodiques et rythmiques de la chanson populaire hongroise. L’activité créatrice de Kodály intéresse d’abord la musique de chambre, avec deux Quatuors à cordes (1908-1909, 19161918), un Duo pour violon et violoncelle (1914), une Sérénade (1918-1920) pour deux violons et alto et surtout deux étonnantes Sonates pour violoncelle, l’une avec piano (1909-10), l’autre pour violoncelle seul (1915). Dans cette dernière partition, l’instrument devient harpe, cithare, orchestre tzigane, tout en conservant son lyrisme grandiose dans la tradition de Bach. Kodály parvint à la notoriété internationale en faisant jouer ses oeuvres par les membres du Quatuor Waldbauer-Kerpely à Salzbourg, Vienne, Amsterdam... En 1923, la création du Psalmus hungaricus l’imposa au public hongrois comme chantre de la tradition héroïque de son peuple. Dans cette même veine, suivirent un Te Deum (de Budavar, 1936), créé pour le 250e anniversaire de la libération de Buda de la domination turque, une Missa brevis (1944) et le Psaume de Genève no 114 (1952). Sa musique symphonique doit à Toscanini son succès international. Soir d’été (1906) fut remanié en 1929-30. Des Danses de Marosszek (1930), l’original pour piano demeure l’un des sommets de la musique pour clavier. En 1927, naquirent deux oeuvres brillantes : la suite d’orchestre tirée de Hary Janos et l’Ouverture de théâtre. Toscanini fit ensuite connaître les Danses de Galanta, créées à Budapest en 1933. Wilhelm Mengelberg créa en 1939 les Variations sur une mélodie populaire hongroise (Le paon s’est envolé), dédiées au Concertgebouw d’Amsterdam, tandis que F. Stock donnait à Chicago la première du Concerto pour orchestre (1941). Enfin,

F. Fricsay dirigea au festival de Lucerne (1961) la première de la Symphonie en ut, dédiée à la mémoire de Toscanini. Le style orchestral de Kodály, apparemment conservateur, est d’une grande unité : rythmique hongroise, harmonie modale naturelle, structure classique, procédés impressionnistes. Sa musique exprime souvent gaieté, santé, exubérance, des idées proches de celles d’un Janáček qui tranchent avec le romantisme downloadModeText.vue.download 541 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 535 allemand, dont il ne reprend que la grammaire et non l’humeur sombre et les volontés autobiographiques. Il est encore bien difficile de cerner l’oeuvre chorale immense de Kodály : cinq Tantum ergo (1928), dix mélodies (Lengyel Làszlo, Pünküsdölö, 1929), les quatre cahiers des Bicinia hungarica, bible du chant pour chorale d’enfants (1937-1942), la fresque grandiose des Tableaux de Matra, pour choeur mixte a cappella (1931) les Chants de Karad, Le paon s’est posé, l’Appel de Zrinyi, etc. Quelques exemples d’une oeuvre extrêmement variée, utilisant chansons, ballades, contes, mélodies populaires, reprenant, avec l’accent magyar, des scènes de la vie paysanne, des thèmes bibliques ou héroïques. Ses oeuvres scéniques, parmi lesquelles Hary Janos (1925-26) et Soirée des fileuses sicules (Fileuses de Transylvanie, 1924 ; rév. 1932, 1948), montrent le souffle épique, picaresque ou dramatique, dont il était capable. Aujourd’hui, l’héritage culturel de Kodály est d’une telle richesse qu’il faudra attendre la pénétration de la méthode Kodály dans notre enseignement musical pour que les futures générations aient pleinement conscience de l’apport privilégié fait par ce compositeur à la musique savante en faisant la synthèse de la tradition de Bach et Palestrina et des tournures naturelles de la mélodie populaire. Kodály restera sans doute comme le créateur de l’art choral du XXe siècle. KOECHLIN (Charles), compositeur français (Paris 1867 - Le Canadel, Var, 1950). Par sa naissance, il appartenait à la grande

bourgeoisie industrielle d’Alsace. Dans son autobiographie, il a dit tout ce qu’il devait à ses aïeux : « C’est dans son hérédité alsacienne qu’il faut chercher ses caractéristiques : celles de son énergie, de sa naïveté - de son horreur par contre du bourrage de crâne -, de sa sincérité absolue et très simple. » Tout jeune, il découvrit J.-S. Bach par sa Cantate de la Pentecôte. De là, naquit une admiration pour le cantor de Leipzig à l’oeuvre duquel il ne cessa de se référer et dont témoignent maintes de ses compositions, tout particulièrement, l’Offrande musicale sur le nom de Bach op. 187. En 1887, il entra à l’École polytechnique, qu’il quitta deux ans plus tard - à la suite d’une grave maladie -, ce qui, dès lors, lui laissa le champ libre pour se consacrer à la musique. Il avait vingtdeux ans quand il entra au Conservatoire de Paris. À ses maîtres, Taudou (harmonie), Gédalge (contrepoint et fugue), Massenet, puis Fauré (composition), il devait garder une grande reconnaissance. Durant soixante ans, Koechlin édifia une des oeuvres les plus imposantes de son temps (225 numéros d’opus). « Le trait essentiel qui domine ma vie, c’est la passion de la liberté. » Cette passion domine également son oeuvre. Il a dit « son culte pour la mer, la montagne, les animaux, la nature tout entière ». L’amour de la créature l’a moins inspiré que celui de la création. Des mélodies, des choeurs nombreux témoignent de cet amour de la nature, des pièces orchestrales aussi comme la Forêt (1907), le Printemps, l’Hiver, l’Été (19081916), la Symphonie d’hymnes, le Livre de la jungle, Paysages et Marines pour piano. Cet amour de la nature englobe le ciel et, plus particulièrement, le ciel nocturne. Il est caractéristique que sa première oeuvre orchestrale, inspirée par H. Heine, soit En mer, la nuit (1904), et que l’une des plus anciennes parmi ses nombreuses mélodies soit un Clair de lune (1890). Suivront, participant de la même vision, le poème symphonique Vers la voûte étoilée (1933), les choeurs la Lampe du ciel (1896), la Chute des étoiles (1905-1909), le Nocturne pour harpe (1907), des mélodies comme le Sommeil de Canope (1906), Nox (1897-1900). Ainsi qu’il l’a noté, son évolution s’est poursuivie « dans le sens du grand mouvement vers la liberté d’écriture de Franck et de Chabrier, de Fauré, puis de Debussy, puis enfin des musiques polytonales et atonales ».

L’inspiration de Koechlin est étayée par son inlassable et passionnée curiosité. Cette rare faculté d’accueil ennoblit l’homme, qui sut rester indépendant comme son oeuvre toute gonflée d’un généreux lyrisme. La discipline et la liberté s’y équilibrent et si la polytonalité et l’atonalisme appartiennent à son langage, Koechlin pratique également une écriture traditionnelle qui use librement des notes de passage et s’assimile les modes anciens. Témoignent de cette conception, notamment, de nombreux Chorals, l’Abbaye (1899-1903), Vingt Chansons bretonnes pour violoncelle et piano (1931-32 ; vers. orch., 1934), Fugue symphonique pour orchestre (1932), Deux Fugues pour quatuor à cordes (1932), Hymne pour ondes Martenot et orchestre (1929-1932), Choeurs a cappella (1935), Sonatine modale pour flûte et clarinette (1935), Choeurs monodiques de style modal pour l’Alceste d’Euripide (1938), Motets de style archaïque (1949), sans compter son Traité de polyphonie modale et son Solfège modal. Parallèlement à ces oeuvres tout imprégnées d’un modalisme lumineux, Koechlin s’évade vers des domaines plus légers. C’est ainsi que le cinéma, qu’il voit naître, et spécialement les « stars », qui l’illustrent, lui inspirent toute une série d’oeuvres : The Seven Stars’ Symphony (1933), grande fresque en 7 parties évoquant Douglas Fairbanks, Lilian Harvey, Greta Garbo, Clara Bow, Marlène Dietrich, Emil Jannings, Charlie Chaplin. En hommage à « l’insultante beauté de certaines stars », qui, selon lui, « viennent apporter un talent, une beauté, parfois un génie qui nous consolent de bien des choses », il compose l’Album de Lilian (1934), le Portrait de Daisy Hamilton (1934-1938), Sept Chansons pour Gladys (1935), l’Épitaphe de Jean Harlow (1937). L’évolution de son langage se retrouve dans les formes musicales qu’il adopte. À ses débuts, choeurs et mélodies le sollicitent, puis, s’enhardissant, il aborde le poème symphonique avec les Vendanges (1896-1906), la Nuit de Walpurgis classique (1901-1907), Chant funèbre à la mémoire des jeunes femmes défuntes (1902-1907), Jacob chez Laban, pastorale biblique (1896-1908), la Divine Vesprée, ballet (1918). Délaissant pour un temps l’orchestre, il se tourne vers la musique de chambre. De ce vaste ensemble de son oeuvre, détachons la Sonate pour flûte

et piano (1913), qui inaugure toute une série de sonates pour tous les instruments, la dernière étant la Sonate à sept (1949). Entre-temps naissent Cinq Sonatines pour piano (1916), les charmantes Quatre Sonatines françaises pour piano à 4 mains (1919), 3 Quatuors à cordes, un Quintette avec piano (1921), que Koechlin considérait comme « la plus marquante, peut-être, de ses oeuvres », un second quintette pour flûte, violon, alto, violoncelle et harpe (1949), un Trio pour flûte, clarinette et basson (1924), un Septuor d’instruments à vent (1937), un Trio d’anches (1945), chacune de ces oeuvres étant « une pièce unique, dont le plan se trouve déterminé par l’évolution vivante des thèmes et des sentiments, par leur vie même, et qui ne fut jamais décidé à l’avance » (Koechlin). Cependant, il poursuit l’élaboration d’une oeuvre symphonique importante, où l’on relève la Symphonie d’hymnes (1936), et dont une partie est animée par l’esprit de la fugue, comme le Buisson ardent (1938-1945), la Seconde Symphonie (1943), le Docteur Fabricius (1944). La personnalité de Koechlin serait restituée de façon incomplète si l’on oubliait le professeur. Non seulement ses traités font autorité, de ses Études sur les notes de passage (1922) à son important Traité de l’orchestration (1954-1959), en passant par le Traité d’harmonie, les Études sur le choral d’école, sur l’écriture de la fugue d’école, mais il instruisit et conseilla nombre de musiciens, parmi lesquels F. Poulenc, G. Taillefer, R. Desormière, F. Barlow, M. Thiriet, H. Sauguet. Son goût impérieux de savoir et de comprendre, inséparable de sa générosité à faire partager ses découvertes et de son ardent besoin de justice, firent de lui un des plus qualifiés exégètes de la musique de son temps. Ses ouvrages sur Fauré, qui lui demanda d’orchestrer sa suite de Pelléas et Mélisande, sur Debussy, qui lui confia l’orchestration de Khamma, ainsi que des études comme celles sur l’Harmonie moderne, les Tendances de la musique française contemporaine, sans parler des nombreux articles qu’il disdownloadModeText.vue.download 542 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 536 pensa dans les grandes revues de musique

et divers journaux, sont autant de sources de connaissances auxquels on n’a pas fini de retourner. On n’est pas étonné de voir cet indépendant participer, en 1909, à la fondation de la Société musicale indépendante. KOENIG (Gottfried Michael), compositeur allemand (Magdeburg 1926). Dans les studios de la W. D. R. de Cologne, il a été, parallèlement à Eimert et Stockhausen, un des pionniers de la musique électronique sérielle « pure et dure » des années 50, et il poursuit à présent, dans le studio de sonologie de l’université d’Utrecht, où il est professeur depuis 1964, ses recherches dans le même sens, sinon avec la même technique. Depuis quelques années, il explore des processus de composition par ordinateur, selon des procédures de recherche fort abstraites, qui ne semblent qu’accessoirement et fortuitement se traduire en sons audibles. Que cela donne des « oeuvres » ou non, il s’agit du moins de recherches qui existent et dont il faut prendre acte, quitte à en critiquer les postulats. Citons, parmi les résultats de ces recherches : Klangfiguren (1955-56), un des « classiques » des premières années du studio de Cologne, la série de Projekte, oeuvres instrumentales composées avec l’aide de l’ordinateur, et les 8 Fonctions, pièces électroniques que seuls leurs différents sous-titres (Fonctions verte, jaune, orange, rouge, bleue, indigo, violette, grise) colorent, Beitrag pour orchestre (1986). KOERING (René), compositeur français (Andlau, Alsace, 1940). Il étudia le piano et le hautbois à Strasbourg, puis, ayant rencontré Pierre Boulez en 1960, se rendit sur ses conseils à Darmstadt. De 1962 à 1964, il se consacra exclusivement à des essais de composition et à l’animation d’une série de concerts à Strasbourg, dirigeant notamment, en collaboration avec Pierre Stoll et Ernest Bour, des oeuvres pour petites formations. De cette époque datent notamment Suite intemporelle pour récitant et 8 instruments (1961) et Combat T 3 N pour piano et orchestre (1962). En 1965 fut créé au festival de Strasbourg Triple et Trajectoire pour piano et 2 orchestres. Suivit en 1966 la création dans la même ville de Trauma pour 19 vents et 2 percussions. Les années 1967-1970 furent marquées par des expé-

riences souvent sans lendemain dans le sens de la musique pop, sous l’influence notamment de peintres et de sculpteurs américains et français, et par l’installation du compositeur à Paris (1969). De cette période datent Finn Catapulta pour piano et percussion solistes, vents et percussions (1967), ou encore Quatre Extrêmes pour orchestre (1968, création, Strasbourg, 1969). La rencontre de Michel Butor en 1972 fut pour René Koering un événement important. De cette même année datent Dilaby pour grand orchestre et Centre d’écoute pour bande magnétique, d’où devaient être tirés Manhattan Invention pour violoncelle et bande (1973) et La nuit écoute pour bande et sextuor à cordes (création, festival de Royan, 1973). Au festival de Royan 1974 furent créés le Quatuor à cordes no 1 (1974) et la Symphonie no 1 pour clarinette basse amplifiée et 7 instruments (1966-1974), et au festival de Royan 1975 fut créé Mahler sur des textes de Michel Butor, pour diverses formations, dont le grand orchestre (1971). À citer encore : Vocero pour grand orchestre (1972), Jeux et Enchantements pour piano, violoncelle et orchestre (1974, versions possibles avec un seul soliste ou orchestre seul), Jusqu’au feu, exclusivement... pour violoncelle et orchestre, clarinette et orchestre, ou violon, clarinette et 2 orchestres (1974-75), 34 Mesures pour un portrait de T... pour 21 instruments (1976), Concerto pour piano (1976-77), Sonate pour piano (1976), Métal hurlant pour 22 instruments (1976), Konzert I, II et IV pour orchestre (1977), Mit Innigster Empfindung pour orchestre (1977), l’opéra Elseneur sur un livret de Michel Butor (création, Radio-France, 1980), un Quatuor à cordes no 2 (création, biennale de Venise, 1981), l’opéra la Lune vague (au concert Metz, 1982 ; à la scène, Rennes, 1983), l’opéra la Marche de Radetzky (Strasbourg, 1988) et Marie de Montpellier (Montpellier, 1994). KOGAN (Leonid), violoniste soviétique (Dniepropetrovsk 1924 - en gare de Myitichtcha 1982). Ses premiers essais musicaux à sept ans lui ouvrent les portes d’une école réservée aux talents les plus prometteurs. C’est au conservatoire de Moscou qu’il suit, de 1943 à 1948, l’enseignement d’un disciple d’E. Auer, A. Yampolski. Encore étudiant,

il fait ses débuts à dix-sept ans et se produit en différentes villes d’Union soviétique. En 1944, il est promu violon solo de l’Orchestre philharmonique de Moscou. Deux premiers prix, celui du Festival mondial de la jeunesse à Prague (1947) et surtout celui du concours Reine-Élisabeth de Belgique (1951), le font connaître hors frontières. Il fait ses débuts à Paris en 1955 et aux États-Unis l’année suivante. Enseignant dès 1952 au conservatoire de Moscou, il mène une carrière vouée principalement à la défense de la musique contemporaine (il est le premier Soviétique à jouer le Concerto de Berg) et à la musique de chambre. Il partage cette passion avec sa femme, Elizaveta Guilels, et avec son fils Pavel, tous deux violonistes. Il a aussi été le partenaire d’Emil Guilels et de M. Rostropovitch au sein d’un trio célèbre. Nombre de compositeurs soviétiques lui ont dédié leurs oeuvres : Khrennikov, Karajev, Bunin, Khatchaturian, etc. Il possédait un Guarnerius del’ Jesu de 1726. KOKKONEN (Joonas), compositeur finlandais (Iisalmi 1921). Ses premières oeuvres, après la guerre, partent du néoclassicisme « post-Hindemith » pour évoluer vers un style postromantique non sans qu’il ait subi, en cours de route, la tentation sérielle. Excellent orchestrateur, Joonas Kokkonen révèle sa maîtrise des techniques d’écriture en particulier dans ses nombreux scherzos et son lyrisme romantique se teinte souvent de religiosité. Si sa 3e Symphonie (1967) représente un sommet de son oeuvre, il faut également retenir : la Sinfonia da camera pour 12 cordes (1961-62), les 5 Bagatelles pour piano (1968-69), la Symphonie no 4 (1971), les Trois Quatuors à cordes et son opéra Viimeiset kiusaukset (« les Dernières tentations », 1973-1975), qui connaît un grand retentissement en Finlande et marque le début d’une floraison d’opéras dans ce pays. En 1977, avec Durch einen Spiegel pour 12 cordes et clavecin, Kokkonen semble entrer dans une nouvelle période créatrice, confirmée avec le Requiem de 1981. La remarquable linéarité de sa pensée, jointe à l’importance des postes qu’il occupe (Académie de Finlande, professeur de composition à l’académie Sibelius de 1959 à 1963 et prix Sibelius en 1973), a longtemps fait de Kokkonen le compositeur quasi officiel de la Finlande

d’aujourd’hui et la personnalité musicale la plus influente du pays depuis J. Sibelius. KOLASSI (Irma), mezzo grecque (Athènes 1918). Elle étudie le chant et le piano au Conservatoire d’Athènes, puis à l’Académie Sainte-Cécile de Rome. Longtemps hésitante sur le choix du piano ou du chant, elle commence sa carrière comme chef de chant à l’Opéra d’Athènes et professeur de piano au Conservatoire de la ville pendant la Seconde Guerre mondiale, puis elle abandonne Athènes en 1949 et le piano pour venir s’installer à Paris. C’est alors le début d’une carrière éclatante dans le répertoire vocal du XXe siècle, particulièrement celui de la mélodie française. Elle se produit dans Erwartung de Schönberg sous la direction de H. Rosbaud, ou encore dans l’OEdipus rex de Stravinski, et participe à la création de l’Ange de feu de Prokofiev, puis à la création française de Wozzeck. Elle est une grande interprète des mélodies de Duparc, Fauré et Ravel, et s’est produite en récital, accompagnée par Nadia Boulanger et Francis Poulenc, entre autres. En 1970, elle décide d’interrompre sa carrière et se consacre à l’enseidownloadModeText.vue.download 543 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 537 gnement. Sa version discographique du Poème de l’amour et de la mer d’Ernest Chausson reste inégalée. KOLISCH (Rudolf), violoniste américain d’origine autrichienne (Klamm am Semmering 1896 - Watertown, Massachusetts, 1978). Il étudia à l’Académie de musique et à l’université de Vienne jusqu’en 1913, puis continua à travailler le violon avec Sevcik, la théorie et la composition avec Schönberg, qui, en 1924, épousa en secondes noces sa soeur Gertrud. Il fonda en 1922 un quatuor, qui devait rapidement acquérir une grande réputation internationale, en particulier parce que ses membres jouaient de mémoire. Ce quatuor se consacra largement au répertoire contemporain et donna notamment les premières des 3e et 4e quatuors de Schönberg, du 5e de Bartók, du trio à cordes et du quatuor

à cordes de Webern, et de la Suite lyrique de Berg. Il dut se dissoudre en 1939. Plus tard, Rudolf Kolisch fut premier violon du quatuor Pro Arte. Il enseigna à l’université du Wisconsin de 1944 à 1967. Une blessure à la main gauche, durant son enfance, l’obligea toute sa vie à tenir son violon de la main droite et l’archet de la gauche. KOLO. Chant dansé, originaire des Balkans, qui s’est répandu par la suite dans toute l’Europe centrale. D’un mouvement assez rapide, il est exécuté par un groupe constituant une ronde ou un demi-cercle. Rimski-Korsakov en a introduit un dans l’acte II de son opéra-ballet Mlada (1890). KOMENSKY (Jan Amos), pédagogue, théologien et musicien tchèque (Uhersky Brod 1592 - Naarden, Pays-Bas, 1670). Connu également sous le nom de Comenius, évêque dans la communauté des Frères moraves (1632), il quitta la Moravie par suite des persécutions catholiques (1628) et vécut en Pologne jusqu’en 1642. Il voyagea ensuite en Suède, en Angleterre, en Hongrie, et s’établit en Hollande vers 1656. Comme éducateur, il publia son ouvrage le plus célèbre, Janua linguarum reserata, en 1633. Il devait être traduit en une quinzaine de langues. Comme musicien, il fit notamment éditer à Amsterdam, en 1659, un immense recueil d’hymnes protestants tchèques ou traduits en tchèque (Kancional... kniha... pisni duchovnich), en tout 150 psaumes et 430 hymnes. Suivit un second recueil, les Kirchen-, Haus- und Hertzens-Musica (Amsterdam, 1661 ; rééd. Prague, 1952). KOMIVES (János), compositeur et chef d’orchestre français d’origine hongroise (Budapest 1932). Il a fui son pays en 1956 lors de l’intrusion des chars russes et s’est, depuis, fait naturalisé français. Il doit une solide formation à l’académie Ferenc-Liszt de sa ville natale, où il a travaillé sous la tutelle de Zoltán Kodály, de Ferenc Farkas et de László Somogyi ; en France, il s’est perfectionné auprès de Darius Milhaud. Chef d’orchestre lauréat en 1957 du concours international

de Besançon, il s’est ensuite produit à la tête des principaux orchestres français, notamment des orchestres de l’O. R. T. F. sans négliger l’étranger et se rendant dans maints pays d’Europe et d’Afrique. Durant plusieurs années, il a dirigé l’orchestre de l’opéra de Koblenz en Allemagne fédérale. Compositeur, il a décroché par deux fois le prix Italia : en 1968, pour son oratorio La Vera Istoria della Cantoria di Luca della Robbia et, dix ans plus tard, pour son essai radiophonique À coeur ouvert. À noter que son conte pour enfants l’Histoire de Nikita, chien chanteur d’opéra a été distingué en 1973 par l’Académie du disque français, que son Recitativo pour orchestre de 1967 a été sélectionné par la Tribune internationale de compositeurs de l’Unesco, et enfin, que l’Antichambre, opéra pour un homme seul avec mannequin, a été couronné en 1975 par le prix international Opéra-Ballet de Genève. Parmi ses autres compositions, retenons Épilogues, onze séquences pour cuivres avec percussion (1964), Concerto pour quatuor à cordes et orchestre (1970), Catéchisme de nuit pour soprano et orchestre (1971), Zodiaques, douze constellations pour ensemble et percussion (1972), Pop-Symphonie (1973), Flammes pour clarinette seule (1975), l’opéra pour enfants la Révolution en culottes courtes (1989), où la rigueur le dispute à l’imagination, enfin Interview, huit sketches pour coloratura, acteur et cinq musiciens (1978), sans compter de multiples musiques pour théâtre, cinéma, radio et télévision. KONDRACHINE (Kirill Pietroyvitch), chef d’orchestre soviétique (Moscou 1914 - Amsterdam 1981). Né de parents musiciens, il apprit le piano et la théorie musicale avec Nikolay Zhilyayev, qui eut une forte influence sur lui. Il débuta à la direction d’orchestre au Théâtre des Enfants de Moscou (1931) et se perfectionna dans cet art au conservatoire de cette ville (1932-1936) avec Boris Khaïkin. Chef assistant du théâtre musical Nemirovich-Danchemko, il dirigea, lors de son premier concert, les Cloches de Corneville de Planquette (1934), puis fut nommé chef attitré du théâtre Maly à Leningrad (1936-1943), qu’il quitta pour le théâtre du Bolchoï (1943-1956), où il s’affirma en tant que chef de renommée internationale. Directeur artistique de la Philharmonie de Moscou (1960-1975), il

compta cette période parmi l’une des plus riches de sa carrière. Dès 1960, il abandonna la baguette pour ne plus diriger que par gestes selon les nouvelles techniques contemporaines. Sous sa direction, l’orchestre du Bolchoï acheva de conquérir une haute réputation internationale. Chef attitré du Concertgebouw d’Amsterdam depuis 1979, il a publié un ensemble d’articles musicaux (l’Art de diriger, Leningrad, Moscou, 1972). Ses interprétations sont caractérisées par une exceptionnelle retenue fondée sur un travail très fouillé. Grand interprète de Chostakovitch, il a créé ses 13e et 14e symphonies. KONTARSKY, famille de pianistes allemands, Aloys (Iserlohn 1931) et Alfons, frère du précédent (Iserlohn 1932). Élèves de Else Schmitz-Gohr et d’Eduard Erdmann à Cologne (1952-1955), Aloys et Alfons Kontarsky remportèrent en 1955 le premier prix de duo de pianos au festival international de la Radio de Munich. Depuis, ils se sont consacrés ensemble non seulement au répertoire classique et romantique (Mozart, Schubert, Brahms, Reger), mais aussi et surtout à la musique contemporaine. Des compositeurs tels que Berio, Brown, Bussotti, Kagel, Pousseur, Stockhausen et Zimmermann ont écrit pour eux. Ils donnèrent par exemple, au festival de Donaueschingen 1970, la première audition de Mantra de Stockhausen. Parmi leurs nombreux enregistrements figurent cette oeuvre ainsi que les deux livres de Structures de Pierre Boulez. En 1966, à Darmstadt, Aloys donna la première audition complète des Klavierstücke I à XI de Stockhausen, qu’il devait enregistrer peu après. Aloys et Alfons Kontarsky ont l’un et l’autre enseigné à Darmstadt, et, depuis 1969, enseignent à l’École supérieure de musique de Cologne. KONWITSCHNY (Franz), chef d’orchestre allemand (Fulnek, Moravie, 1901 - Belgrade 1962). Il a occupé des postes à Fribourg (1933), Francfort (1938) et, après la guerre, à Hanovre, et a été ensuite, de 1949 à sa mort, chef de l’orchestre du Gewandhaus de Leipzig. Il a occupé également, de 1953 à 1955, le poste de chef d’orchestre à l’Opéra de Dresde. Souvent comparé à Furtwaengler, il a excellé dans le répertoire romantique (Beethoven, Bruckner,

Richard Strauss), et créé Colombus, de Werner Egk, en 1942, et Orchestermusik, de Paul Dessau, en 1955. downloadModeText.vue.download 544 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 538 KONZERTSTÜCK ou CONCERTSTUCK (all. : « pièce de concert »). Terme désignant en général une oeuvre concertante (pour soliste[s] et ensemble instrumental), en un seul mouvement (souvent de forme sonate), ou en plusieurs épisodes contrastés enchaînés sans interruption, pouvant être prétexte à faire briller un instrument dans des démonstrations de virtuosité : c’est le cas du Konzertstück pour 4 cors et orchestre, en fa majeur, op. 86, de Robert Schumann, conçu pour exploiter les nouvelles possibilités du cor à piston de Leopold Uhlmann. On connaît aussi : du même auteur, le Konzertstück, Introduction et allegro appassionnato op. 92, pour piano et orchestre ; le Konzertstück en fa op. 79, pour piano et orchestre, de Carl Maria von Weber, un des premiers du genre (1821) ; celui d’Anton Rubinstein pour piano et orchestre ; ceux de Max Bruch et Cowen, pour la même formation ; et, dans l’école française, le Konzertstück de Gabriel Pierné pour harpe et petit orchestre. Le genre du Konzertstück, né avec le romantisme, ne lui a guère survécu, du moins sous ce nom, puisqu’on connaît, par ailleurs, une multitude de pièces en un mouvement pour orchestre et soliste, qui ne revendiquent pas ce titre, attaché à une notion de « brillant » instrumental. KOOPMAN (Ton), organiste, claveciniste et chef d’orchestre néerlandais (Zwolle 1944). À l’université d’Amsterdam, il étudie la musicologie tout en travaillant le clavecin et l’orgue au Conservatoire d’Amsterdam auprès de Gustav Leonhardt et de Simon C. Jansen. En 1966, il fonde l’ensemble Musica da Camera. Il obtient en 1968 le premier prix de basse continue au Concours international de clavecin de Bruges et fonde en 1970 l’orchestre

baroque Musica Antiqua d’Amsterdam. En 1986, il est nommé en France officier de l’Ordre des arts et des lettres. 1992 voit la naissance du Choeur baroque d’Amsterdam. Il dirige aussi, à partir de 1994, l’Orchestre de chambre de la radio néerlandaise à Hilversum. Claveciniste et organiste, professeur de clavecin aux Conservatoires d’Amsterdam et de Rotterdam, musicologue auteur de plusieurs écrits sur l’instrumentation de la musique baroque, chef de choeur et d’orchestre, il a largement contribué depuis le début des années 1970 à la redécouverte des répertoires baroque et classique. Il a entrepris une intégrale discographique des cantates de Bach. KOOY (Peter), basse néerlandaise (Soest 1954). Dès l’âge de six ans, il chante dans la chorale que dirige son père. En 1969, il commence des études de violon au Conservatoire d’Utrecht avec Carlo Van Neste. En 1974, il y reprend ses études de chant avec Dora Linderman et, en 1980, obtient le diplôme de soliste au Conservatoire Sweelinck d’Amsterdam, après ses études auprès de Max Van Egmond. À partir de 1974, il appartient au Choeur de chambre de la radio néerlandaise. Il participe également à de nombreux concerts aux PaysBas et dans toute l’Europe, se produisant en soliste avec le Collegium Vocal de Gand et l’ensemble de la Chapelle royale, sous la direction de Philippe Herreweghe. KOPELENT (Marek), compositeur tchèque (Prague 1932). Élève de J. Rídký à l’Académie musicale et d’art dramatique de Prague (1951-1955), il est, depuis 1956, rédacteur dans des maisons d’édition musicale nationales. Il s’est rapidement dégagé de l’influence de l’école officielle, basée sur la chanson populaire et l’esthétisme socialiste, pour évoluer vers des techniques nouvelles, étudiant l’école de Vienne, Boulez, Berio, Nono et l’école allemande moderne. Depuis 1960, l’ensemble de son oeuvre tend à assimiler des acquis techniques sans se départir d’une invention mélodique profonde. Sensible aux anciennes civilisations, il s’est penché sur des manuscrits extra-européens (sanskrits, sumériens, mongols, japonais anciens, arabes, etc.) afin d’en retrouver les réflexes musicaux et

philosophiques. Travaillant avec Vostřák, il fut l’animateur des Musica viva pragensis, ensemble de musique contemporaine qui a fait rayonner la musique tchèque à Donaueschingen et à Darmstadt. Depuis quelques années, il semble avoir quitté le devant de la scène musicale. Par ses seules oeuvres connues en Occident, il s’est affirmé comme l’une des personnalités les plus intéressantes et dynamiques de l’école tchèque actuelle. KORNGOLD (Erich Wolfgang), compositeur autrichien (Brno 1897 - Hollywood 1957). Fils du critique Julius Korngold, enfant prodige, il fut recommandé à Mahler et à Zemlinski. Le triomphe remporté en 1920 à Hambourg, où il était devenu chef d’orchestre, par son opéra Die tote Stadt (d’après Bruges la morte de Rodenbach), marqua le sommet de sa carrière. Contraint d’émigrer aux États-Unis en 1934, il s’y spécialisa dans la musique de film, mais il devait constater, après son retour en Europe, que ses ouvrages, si fêtés un quart de siècle plus tôt, avaient quitté le répertoire. Sa musique de théâtre - citons aussi Violanta (1916) - s’inspire à la fois de Puccini et de Richard Strauss, mais en annexant leurs qualités les plus extérieures. KÓSA (György), pianiste et compositeur hongrois (Budapest 1897 - id. 1984). Il a été l’un des premiers élèves de Bartók, non seulement en piano, mais également pour la composition. De 1908 à 1912, il a suivi les classes de Zoltán Kodály et de Viktor Herzfeld à l’académie Franz-Liszt de Budapest. Engagé comme corépétiteur à l’opéra (1916-17), il s’est perfectionné au clavier auprès de Dohnanyi. Il a fait une carrière de pianiste et accompagné tous les grands solistes de l’époque. Chef d’orchestre au théâtre Tripolis, il est ensuite revenu à Budapest comme professeur de piano à l’académie Franz-Liszt, où il remplace Bartók lors des déplacements de ce dernier. Compositeur prolixe, comparable sous cet angle à Darius Milhaud, il touche à tous les genres, jouant d’une écriture naturellement expressionniste et marquée de spiritualité. Ouvert à toutes les influences esthétiques, il a su s’enrichir auprès de Bartók et de Kodály, mais également auprès d’A. Habá et de Webern. Cet éclectisme rarissime ne lui enlève rien de son originalité, Kósa sachant passer,

avec aisance, de la cantate dramatique, tel son Orpheus, Eurydike, Hermès (1967), à l’opéra-comique Kocsonya Mihály házassága (« le Mariage de M. Kocsonya », 1971). Le meilleur de son oeuvre réside néanmoins plus dans sa musique de chambre (8 quatuors) que dans ses 10 symphonies. KOSMA (Joseph), compositeur français d’origine hongroise (Budapest 1905 - La Rochelle-Guyon 1969). Il fit ses études à l’académie Franz-Liszt à Budapest et débuta à l’opéra de cette ville comme chef d’orchestre adjoint, puis, obtenant une bourse, alla travailler comme stagiaire à l’opéra de Berlin (1929). La même année, il se lia avec Bertolt Brecht et suivit son théâtre ambulant, ce qui l’amena à travailler avec Hans Eisler et Kurt Weill. Il se fixa à Paris en 1933 et remporta un succès avec ses premières musiques de film, notamment la Grande Illusion (1937) et la Bête humaine (1938) de Jean Renoir. Pendant l’Occupation, il entra dans la Résistance. Il rencontra Jacques Prévert, et tous deux écrivirent des chansons qui circulèrent rapidement dans les milieux de la Résistance. Ce n’est qu’après la guerre qu’elles furent popularisées et touchèrent un large auditoire grâce à des interprètes comme les Frères Jacques, Yves Montand, Juliette Gréco. Au demeurant, Kosma est un musicien authentique, auteur de pièces pour piano, de mélodies, de musique de scène (pour les Mouches de Sartre), de ballets (le Rendez-Vous, Hôtel de l’espérance, le Pierrot de Montmartre). Mais il fut surtout, avant et après la guerre, l’un des plus grands musiciens de cinéma, avec Maurice Jaubert. Parmi ses musiques de film, citons les Enfants du paradis (1944, écrit en clandownloadModeText.vue.download 545 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 539 destinité), les Amants de Vérone (1949), la Bergère et le Ramoneur (1952), Voici le temps des assassins (1955), Un drôle de paroissien (1963), et de nombreux courts métrages, dont le Sang des bêtes (1949) et En passant par la Lorraine (1951). KOTO. Sorte de cithare japonaise, d’origine

chinoise, caractérisée par des chevalets mobiles, qui permettent de modifier la hauteur du son fourni par les cordes. De forme oblongue, le koto se pose sur le sol. KOTONSKI (Wlodzimierz), compositeur polonais (Varsovie 1925). Il enseigne la musique électroacoustique à l’École supérieure de musique de Varsovie, après avoir été un des pionniers de cette technique dans son pays. Il a réalisé plusieurs oeuvres électroniques dans le studio de musique expérimentale de la radio polonaise à Varsovie : Étude sur un seul son de cymbale (1959) et Microstructures (1963), toutes deux appliquant à un matériau « concret » des procédures de composition très abstraites ; Aela (1970), oeuvre électronique conçue selon des techniques aléatoires. À la W. D. R. de Cologne, il a conçu Klangspiele (1967), pièce « mobile » pour 2 bandes magnétiques autonomes, au groupe de recherches musicales de Paris, Eurydice (1971) et, au groupe de musique expérimentale de Bourges, les Ailes (1973). Dans le domaine instrumental, il a été l’un des premiers compositeurs polonais à s’évader du « folklorisme » officiel pour entreprendre des oeuvres sérielles comme la Musique de chambre (1958), pour ensemble instrumental, puis des pièces plus tachistes comme Selection I (1962), pour guitare électrique, piano et 2 saxophones. Ont suivi notamment Action pour sons électroniques (1969), Terre incognita pour orchestre (1984), Oiseaux pour clarinette, violoncelle et piano (1988). KOUNADIS (Arghyris), compositeur, chef d’orchestre et pianiste grec (Constantinople 1924). Il entreprit des études musicales au conservatoire d’Athènes dans la classe de piano de S. Farandatos, jusqu’en 1952. Puis il étudia la composition avec Yannis Papaïoannou au Conservatoire hellénique jusqu’en 1956. Enfin, il put poursuivre ses études en Allemagne dans la Freiburg Hochschule für Musik, où il travailla la direction d’orchestre avec K. Ueter et la composition avec W. Fortner. En 1963, il devint l’assistant de ce dernier et prit la direction de l’ensemble Musica viva de la Freiburg Hochschule für Musik. Son oeuvre, assez importante, compte, entre autres, des opéras (The Return [1961, 1974], Der Gummisarg [1962], Der Aus-

bruck [1974]), des compositions pour orchestre (Sinfonietta [1951], Cinq Compositions [1957-58], Heterophonika idiomela [1967]), de la musique de chambre (Quatuor à cordes [1960], Quatre Pièces pour flûte, violoncelle et piano [1965]), et de la musique vocale, soit pour une voix et divers instruments, soit pour choeur. À signaler également ses Trois Poèmes de Cavafy pour soprano, flûte, célesta, guitare et violoncelle (1963) et ses Epigramma II et III pour choeur (1968). À ses débuts, Arghyris Kounadis subit les influences de Stravinski et de Bartók, ainsi que celle de la chanson populaire urbaine grecque (le Rebetiko). Après 1957, son style s’est affirmé avec l’utilisation de la technique sérielle et des formes aléatoires, tout en gardant un caractère fortement lyrique, à l’instar de son compatriote Nikos Skalkotas. L’oeuvre de Kounadis reflète les préoccupations et l’esthétique des tendances musicales actuelles en Grèce, à savoir une osmose de postexpressionnisme et de lyrisme exacerbé. KOUSSEVITSKI (Serge), chef d’orchestre et compositeur américain d’origine russe (Vychni Volotchek 1874 - Boston 1951). Il fit ses études à l’Institut philharmonique de Moscou. Contrebassiste à l’orchestre du Bolchoï (1894), puis professeur de contrebasse à l’Institut philharmonique, il débuta dans l’Orchestre philharmonique de Berlin (1908), avant de fonder, à Moscou, en 1909, un orchestre avec lequel il fit de brillantes tournées, ainsi que les Éditions Russes de Musique, qui firent bientôt connaître les jeunes compositeurs de l’époque (Stravinski, Prokofiev). Après une brillante carrière européenne (les concerts Koussevitski eurent lieu en France de 1921 à 1928), il se fixa aux États-Unis (1924), et succéda à Pierre Monteux comme chef de l’Orchestre symphonique de Boston (1926), poste qu’il devait conserver jusqu’à sa mort. En 1930, pour le cinquantième anniversaire de l’orchestre, il commanda plusieurs partitions (3e Symphonie de Roussel, Konzertmusik op. 50 d’Hindemith, Symphonie de psaumes de Stravinski), qui prirent aussitôt place parmi les classiques de la musique contemporaine. Il fonda le Berkshire Music Center (1938), puis, après la mort de sa femme Nathalie, la Koussevitsky

Music Foundation (1942), pour aider les jeunes compositeurs. Le premier opéra commandé par cette fondation fut Peter Grimes de Benjamin Britten (1945). Spécialiste de la musique romantique, comme le prouvent les quelques partitions dont il est l’auteur (notamment un Concerto pour contrebasse largement inspiré de Tchaïkovski), il a été un généreux mécène de l’art contemporain. KOVACEVITCH (Stephen), pianiste et chef d’orchestre américain (Los Angeles 1940). Il commence ses études auprès de Lev Schon et se produit en public à l’âge de dix ans. Il se fixe un peu plus tard à Londres, où il étudie avec Myra Hess. Sa carrière débute en 1961, avec un récital consacré aux Variations Diabelli de Beethoven au Wigmore Hall de Londres. Il se consacre ensuite à une carrière de pianiste soliste, interprétant les grands concertos, se produisant en récital dans de nombreuses villes, créant des oeuvres contemporaines écrites à son intention. En 1985, il commence une carrière de chef d’orchestre. KOX (Hans), compositeur néerlandais (Arnhem 1930). Il a fait ses études musicales avec Spaandermann et surtout Hans Badings (à Utrecht). Titulaire du prix Italia (1970) et du prix Rostrum des compositeurs (1974), il a été directeur de l’école de musique de Doetinchen (1956-1971). Il est aujourd’hui l’une des personnalités saillantes de l’école néerlandaise, et son catalogue est l’un des plus importants de sa génération. Il révèle, dans l’esprit qui est le sien, une grande puissance expressive et une rare maîtrise instrumentale. Dès ses premières oeuvres (sonate pour piano et quatuor à cordes), il a affirmé l’importance accordée au développement du matériel thématique et sa Musique concertante (pour trio de cuivres et orchestre), composée en 1956 pour le jubilé de Van Beinum au pupitre du Concertgebouw, a marqué le point de départ d’une carrière riche de promesses et dont les principes traditionalistes ont toujours su le garder de l’académisme. KOZELUCH, famille de musiciens tchèques. Jan Antonin, compositeur et pédagogue (Velvary 1738 - Prague 1814). Il étudia la

musique dans sa ville natale et à Prague, vécut à Vienne d’environ 1763 à 1766 et termina sa vie à Prague (à partir de 1784, comme maître de chapelle à la cathédrale Saint-Guy). On lui doit de la musique religieuse, les opéras Alessandro nell’Indie (1769) et Il Demofoonte (1771), des symphonies et concertos. Jan Antonin, dit Leopold, compositeur, pianiste et éditeur (Velvary 1747 - Vienne 1818). Cousin du précédent, il se fit appeler « Leopold » pour éviter toute confusion. Élève de F.-X. Dusek à Prague, il produisit, en 1771, dans cette ville un ballet avec un succès tel que 24 autres suivirent en sept ans. En 1778, il s’installa à Vienne, devint professeur de piano à la Cour, et, en 1781, refusa la succession de Mozart comme organiste à Salzbourg. À partir de 1784, il publia ses propres oeuvres. En 1792, il devint compositeur impédownloadModeText.vue.download 546 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 540 rial et maître de chapelle de la chambre impériale (poste différent de celui de compositeur de chambre qu’avait occupé Mozart), et mena une carrière publique assez brillante jusque vers 1805. Comme homme, il jouit d’une assez mauvaise réputation à cause de ses remarques désobligeantes sur Haydn, Mozart et Beethoven. Il écrivit des opéras, de la musique sacrée, des symphonies, mais s’intéressa particulièrement au piano-forte. Reconnu de son vivant comme un pionnier en ce domaine, il écrivit pour cet instrument de nombreuses sonates, de nombreux trios et de nombreux concertos lui assurant une place de choix dans la musique viennoise de la fin du XVIIIe siècle. Un catalogue de ses oeuvres a été dressé en 1964 par Milan Postolka. KOZLOWSKI (Ossip, Josip, Joseph), compositeur russe d’origine polonaise (Varsovie 1757 - Saint-Pétersbourg 1831). Il donna des leçons de musique au fils du prince Oginski, avant de partir pour la Russie, où il participa à la guerre contre les Turcs. Il fut ensuite, pendant plusieurs années, le musicien attitré du prince Potemkine. À la mort de ce dernier, il fut

nommé directeur des Théâtres impériaux. Son oeuvre est partagée entre la musique de scène de style sérieux, où il se montra le continuateur de Fomine, et la musique d’apparat, profane ou religieuse, pleine d’éclat et de solennité. Il a composé la musique pour les pièces OEdipe et Fingal de Oserov (1804, 1805), l’opéra Esther sur un livret de Kapnist, un Requiem pour la mort du roi de Pologne Stanislas August (1798), un Te Deum pour le couronnement du tsar Nicolas Ier et de nombreuses polonaises avec choeur et orchestre. L’une d’entre elles, Retentis, tonnerre de la victoire, sur un texte de Derjavine, écrite en 1791 pour la victoire des Russes sur les Turcs, fut exécutée au palais de Potemkine en présence de Catherine II et conserva jusqu’en 1833 la valeur d’hymne national ; Tchaïkovski l’a introduite dans son opéra la Dame de pique. Kozlowski a également joué un rôle important dans la formation de la romance russe, sentimentale et teintée d’intonations populaires. KRAFT, famille de musiciens autrichiens. Anton, violoncelliste et compositeur (Rokycany, Bohême, 1749 - Vienne 1820). Engagé comme premier violoncelliste par le prince Nicolas Esterházy en 1778, il reste à Esterháza jusqu’à la mort du prince en 1790, recevant de Haydn quelques leçons de composition. Il fut ensuite violoncelliste dans l’orchestre du prince Grassalkovics à Presbourg, puis dans celui du prince Joseph Lobkowitz à Vienne (1796). En 1802, il faillit être réengagé par les Esterházy avec son fils Nikolaus, mais ce projet n’aboutit pas, Kraft ayant formulé sur le plan financier de trop fortes exigences. Il fit, seul ou avec son fils, de nombreuses tournées, et, l’année de sa mort, il fut nommé premier professeur de violoncelle au conservatoire de la Société des amis de la musique à Vienne. Le concerto pour violoncelle en ré majeur Hob. VIIb.2 de Haydn (1783), composé pour lui, a parfois été considéré comme de sa propre plume. Il créa la partie de violoncelle du triple concerto opus 56 de Beethoven. Très grand interprète, il composa pour son instrument des sonates, des pièces diverses et un concerto. On lui doit aussi des trios pour deux barytons et violoncelle, destinés au prince Esterházy. Nikolaus, violoncelliste et compositeur (Esterháza 1778 - Cheb, Bohême, 1853).

Formé par son père, il entra avec lui dans l’orchestre du prince Lobkowitz, et fut plus tard membre du Quatuor Schuppanzigh. Il s’imposa comme un des plus grands violoncellistes du début du XIXe siècle. Ce fut lui qui, le premier, fit courir la légende selon laquelle son père Anton était le véritable auteur du concerto en ré de Haydn. KRAUS (Alfredo), ténor espagnol (îles Canaries 1927). Élève de Mercedès Llopart, il débute au Teatro Carignano de Turin dans le rôle d’Alfredo (la Traviata, Verdi, 1956). Sa voix chaude, brillante, son style rigoureux, son registre étendu (il atteint aisément le ré aigu), le font considérer comme l’un des meilleurs ténors légers, lyriques, de sa génération. Son élégance raffinée, alliée à une vibrante expression et une belle prestance, en fait l’interprète idéal des rôles aristocratiques tels Don Ottavio, le comte Almaviva, le duc de Mantoue, des Grieux, Werther, etc. KRAUS (Joseph Martin), compositeur allemand (Miltenberg am Main, Allemagne, 1756 - Stockholm 1792). Il étudia à Mayence, Erfurt et Göttingen, notamment avec l’abbé Vogler, puis s’installa en Suède en 1778. Second chef de l’opéra (1781), il fut nommé maître de chapelle de la cour de Gustaf III en 1788, puis directeur de l’Opéra royal, postes qu’il devait conserver jusqu’à sa mort, ce qui ne l’empêcha pas de voyager en France, Italie, Angleterre et Allemagne. À Vienne, en 1783, il rencontra Haydn et Gluck. La musique de Kraus est d’une très grande intensité expressive et, même si l’on y retrouve maints traits qui l’apparentent au style de Mozart, Haydn ou surtout Gluck, elle annonce souvent le XIXe siècle et plus précisément Schubert, voire Beethoven. Son oeuvre est d’une haute tenue. De ses symphonies (au moins 12), il faut surtout retenir celle en ut mineur, écrite à Vienne en 1783 et dédiée à Haydn. Kraus a également composé de nombreuses oeuvres instrumentales, trios, quatuors, quintettes, 2 sonates pour piano (mi bémol majeur et mi majeur), 4 sonates pour violon et piano ; pour le théâtre, des partitions de ballet (Fiskarena, 1789), des musiques de scène (intermèdes et divertissements pour l’Amphitryon de Molière, 1784), des opéras (Proserpina, 1781 ; Sollman den andre,

1789 ; Aeneas i Carthago, posthume, 1799) et des airs. Enfin, compositeur de musique religieuse, il a laissé 1 Requiem (1776), 2 Te Deum (1776, 1783), des motets et 3 cantates, dont l’étonnante Cantate funèbre pour la mort de Gustaf III, qui, en 1792, devait être son ultime ouvrage. KRAUS (Lili), pianiste américaine d’origine hongroise (Budapest 1905 - Asheville, Caroline du Nord, 1986). Après avoir étudié à l’Académie royale de musique de sa ville natale, sous la direction de Bartók et de Kodály, et suivi les leçons d’Arthur Schnabel, elle obtient, en 1926, le diplôme supérieur du conservatoire de Vienne, où elle enseigne à son tour, deux ans plus tard. Elle entreprend une brillante carrière, principalement consacrée à l’oeuvre de Mozart et de Schubert. Après l’interruption de la guerre - elle est internée dans un camp de concentration japonais -, elle grave les premières intégrales des sonates pour piano et de celles pour piano et violon (avec W. Boskowski). En 1966, elle donne à New York l’intégrale des concertos pour piano de Mozart, et crée la Fantaisie Graz de Schubert, nouvellement découverte. On lui doit également l’édition des cadences originales de Mozart pour ses concertos. Avec le temps, son jeu, qui recèle à la perfection le charme mozartien, s’est dépouillé des afféteries pour privilégier le classicisme d’une conception qui n’a rien perdu de son enthousiasme. KRAUSS (Clemens), pianiste et chef d’orchestre autrichien (Vienne 1893 - Mexico 1954). Il fit ses études au conservatoire de Vienne avec H. Gradener et R. Heuberger (théorie) et H. Reinhold (piano). Il fut successivement chef d’orchestre à Brno, Riga (1913-14), Nuremberg (1915-16), Szczecin (1916-1921) et Graz (1921-22). De 1922 à 1924, il dirigea au Staatsoper de Vienne et enseigna la direction d’orchestre à la Staatsakademie. En 1923, il succéda à Furtwängler à la tête des Tonkünstlerkonzerte et, l’année suivante, assuma la direction des Museumskonzerte de Francfort-sur-le-Main. Il fut ensuite chef d’orchestre à l’opéra de Vienne (1929-1934), à l’opéra de Berlin (à partir de 1935), puis intendant de l’opéra de Munich (1937-1944), et directeur des concerts de l’Orchestre philharmonique

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DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 541 de Vienne. Il réorganisa le Mozarteum de Salzbourg et dirigea les premières représentations d’Arabella (Dresde, 1933), Friedenstag (Munich, 1938), Capriccio (Munich, 1942), dont il écrivit aussi le livret, et Die Liebe der Danae (Salzbourg, 1952) de Richard Strauss. Il était marié à la soprano roumaine Viorica Ursuleac. Son répertoire était très large. Il excellait aussi bien dans les opérettes de Johann Strauss que dans la Tétralogie de Wagner, dont il dirigea en 1953, à Bayreuth, de mémorables représentations. Et c’est à lui qu’on doit les premiers enregistrements de la Création et des Saisons de Haydn. KRAUZ (Johann Friedrich), compositeur allemand (Weimar 1752 - Stuttgart 1810). Entré dans l’orchestre de Weimar en 1766, il étudia avec Joseph Haydn vers 1785, puis voyagea en Italie, où il rencontra Goethe, avant de devenir, en 1791, directeur musical des théâtres de la cour de Weimar. Il quitta ce poste en 1803, à la suite notamment d’une brouille avec Goethe, et devint alors maître de chapelle à la cour de Stuttgart. KRAUZE (Zygmunt), compositeur polonais (Varsovie 1938). Il fait ses études de composition avec Kazimierz Sikorski et de piano avec M. Wiðkomirska à l’École supérieure de musique de Varsovie. Il les complète chez Nadia Boulanger à Paris. Spécialisé, en tant que pianiste, dans les exécutions de musiques d’avant-garde, il reçoit le premier prix au Concours international des interprètes de musique contemporaine d’Utrecht. Z. Krauze est un des représentants les plus actifs de la musique contemporaine polonaise ; outre son propre travail de composition, qui se situe dans un axe expérimental, il mène une action particulièrement dynamique de diffusion de la nouvelle musique ; il dirige ainsi depuis 1967 l’Atelier de musique constitué de 4 musiciens. Sur le plan de sa propre conception compositionnelle, Z. Krauze se situerait dans la lignée des musiques non évolutives

américaines, notamment celle de Morton Feldman. Musique qui n’a ni début ni fin, sans contrastes, la musique de Krauze se présente moins comme oeuvres déjà accomplies que comme processus dans lesquels pourraient s’inscrire les auditeurs sans pour autant en perturber le schéma. C’est ainsi qu’il déclarait dans son commentaire à Pièce pour orchestre no 1 (1969) : « Deux tendances juxtaposées s’affrontent en musique : l’aspiration à la forme homogène et l’aspiration à une forme au déroulement contrasté ; elles sont pour moi un phénomène d’une importance de premier ordre. J’exige de ma musique qu’elle soit calme et organisée. Sa sonorité doit avoir une forme suffisamment individuelle pour pouvoir se distinguer du chaos d’une autre musique et du chaos d’autres sons. » Z. Krauze est l’auteur de nombreuses compositions instrumentales (Triptyque pour piano, 1964 ; Quatuor à cordes, 1965 ; Diptyque pour 14 instruments à cordes, 1967 ; Polychromies pour ensemble instrumental libre de 4 à 15 exécutants, 1968 ; Fallingwater pour piano solo, 1971 ; The Last Recital pour piano, 1974-75 ; Concerto pour piano, 1974-1976), mais également de pièces faisant intervenir des moyens électroacoustiques (Idyll, 1974), ou encore des éléments mécaniques (Song pour 6 instruments et 6 boîtes à musique, 1974 ; Automaphone pour 14 instruments à cordes pincées et 7 instruments mécaniques, 1974). Citons encore l’opéra de chambre Die Kleider (1980), un Double concerto pour violon, piano et orchestre (1985), Symphonie parisienne (1986), la Rivière souterraine (1987). KREBS, famille de musiciens allemands. Trois membres de cette famille furent élèves de J.-S. Bach, deux d’entre eux ayant fait une carrière d’organiste et compositeur. Johann Tobias senior (Heichelheim 1690 - Buttstädt 1762). Il étudia le clavecin, l’orgue et la composition, et se perfectionna à Weimar auprès de J.-S. Bach et de J. G. Walther. Il fut cantor à Buttelstedt (1710), puis organiste de la Michaeliskirche de Buttstädt (1721). On connaît de lui quelques pièces pour orgue. Johann Ludwig (Buttelstedt 1713 - Altenburg 1780). Fils aîné de Johann Tobias senior, il travailla sous la direction de

Bach à l’école Saint-Thomas de Leipzig (1726-1735). Bach le considérait comme l’un de ses meilleurs élèves et lui écrivit une recommandation attestant son talent sur les instruments à clavier, le violon, le luth, et en composition. Il fut organiste de la Marienkirche de Zwickau (1737), puis à la cour de Zeitz (1744) et à la cour d’Altenburg (1756), après avoir postulé en vain la succession de Bach à Leipzig. Il a composé une importante oeuvre d’orgue, des suites pour clavecin, de la musique de chambre et de la musique vocale (demeurée inédite). Johann Tobias junior (Buttelstedt 1716 Grimma 1782). Frère de Johann Ludwig, il fut aussi élève de J.-S. Bach à Leipzig (1729-1739). À la mort de Johann Ludwig, ses deux fils, Ehrenfried Christian Traugott, puis Johann Gottfried, lui succédèrent dans sa charge d’organiste de la cour et directeur de la musique à Altenburg. KREISLER (Fritz), violoniste et compositeur américain d’origine autrichienne (Vienne 1875 - New York 1962). Il étudia à Vienne avec J. Hellmesberger junior (violon) et A. Bruckner (harmonie), puis au Conservatoire de Paris (1885-1887) avec Massart (violon) et Delibes (harmonie). En 1889-90, il fit une première tournée aux États-Unis avec Moritz Rosenthal. Après deux années consacrées à l’étude de la médecine (18891891), il reprit ses activités musicales et donna en 1899 un mémorable concert à la Philharmonie de Berlin. En 1902, il fit ses débuts londoniens. Ses tournées le menèrent ensuite sur tous les continents. En 1923, il se rendit en Scandinavie, au Japon, en Corée et en Chine, en 1924 en Australie et en Nouvelle-Zélande, et en 1928 en Roumanie. Sa dernière apparition en public eut lieu le 1er novembre 1947 à New York : il joua la partita pour violon seul en si mineur de Bach, le Poème de Chausson et la Fantaisie de Schumann. Kreisler est l’un des plus grands violonistes du XXe siècle. La poésie de son jeu, son intensité d’expression rehaussée par un vibrato inégalable - même dans les « traits » de virtuosité -, sa sonorité rayonnante et chaleureuse, la sûreté de son goût, qui le fait réussir aussi bien dans les grandes oeuvres du répertoire classique et

romantique que dans les petits morceaux de genre qu’il interprète avec un charme typiquement viennois, et son magnétisme personnel ont fait de lui un artiste unique. Hormis deux opérettes, ses compositions sont destinées au violon. Dans la série des Manuscrits classiques, attribués à des compositeurs célèbres, il pastiche avec humour et élégance des compositeurs des XVIIe et XVIIIe siècles. KREMER (Gidon), violoniste russe et allemand (Riga 1947). Il reçoit ses premières leçons de violon de son père à l’âge de quatre ans puis étudie à l’École de musique de Riga et au Conservatoire de Moscou auprès de David Oïstrakh. De 1967 à 1973, il est lauréat de plusieurs concours internationaux (Reine Élisabeth de Belgique en 1967, Tchaïkovski en 1970, Montréal, Gênes, etc.) Grâce à l’intervention de David Oïstrakh, il peut donner en 1974 son premier récital à Vienne. En 1978, il est autorisé à séjourner librement en Europe et aux ÉtatsUnis et s’installe en Allemagne. Son goût des répertoires originaux et sa technique brillante en font l’une des personnalités les plus intéressantes parmi les violonistes de son temps. Très attiré par la musique de chambre, il fonde en 1981 le Festival de Lockenhaus, carrefour européen d’artistes souhaitant partager de grands moments de musique hors de toute contingence commerciale. En 1992, ce festival prend le nom de KREMERata Musica. G. Kremer a downloadModeText.vue.download 548 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 542 créé un grand nombre d’oeuvres contemporaines, de compositeurs soviétiques en particulier (Goubaïdoulina, Denisov, Schnittke, etc.). KREMSKY-PETITGIRARD (Alain), compositeur et chef d’orchestre français (Paris 1940). Il fit de brillantes études au Conservatoire national de Paris, où il obtint trois premiers prix. Il fut premier grand prix de Rome de composition avec la cantate le Grand Yacht Despair (1962), lauréat du prix Halphen de composition, de la William and Norma Copley Foundation

et du prix Stéphane-Chapelier en 1967. Il séjourna à Rome, à la villa Médicis (19631967). Il reçut le grand prix musical de la Ville de Paris, le prix Prince-de-Monaco (1968) et le prix du Jeune Travailleur intellectuel (1975). Ses oeuvres témoignent d’une imagination fort originale, révélant une réelle préoccupation métaphysique ; citons Harmonies des mondes (1967), Labyrinthe pour orchestre (1968), Paysages métaphysiques (1971), Petite Liturgie (1974), Un paysage serein (1975), Musique pour un temple inconnu (1978). KRENEK (Ernst), compositeur américain d’origine autrichienne (Vienne 1900 Palm Springs, Californie, 1991). Il aborde la musique dès l’âge de six ans et devient l’élève de Schrecker en 1916. Il écrit dans un style contrapuntique assez strict, inspiré de Bach et de Reger, qui témoigne d’une indépendance déjà grande à l’égard de son maître. En 1920, il le suit à Berlin ; il compose à une cadence rapide des oeuvres au rythme et à la structure énergiques, qui le font passer pour révolutionnaire, bien qu’elles soient toujours contrebalancées par un côté conventionnel certain (quatuor op. 6, 1921 ; 2e Symphonie, 1922 ; cantate scénique Der Zwingburg, « la Forteresse », 1922, sur un texte de l’expressionniste Franz Werfel ; Der Sprung über den Schatten, « le Saut pardessus l’ombre », 1923 ; un Zeitoper, qui parodie Offenbach). C’est à cette époque qu’il se fait connaître à la Société internationale de musique contemporaine ; ses oeuvres sont jouées dans les grands festivals. De 1925 à 1927, il exerce la fonction de conseiller artistique de Paul Bekker au théâtre de Kassel, puis, en 1927, de directeur de l’opéra de Wiesbaden. Durant cette période, il compose beaucoup de musique de scène, son style évolue dans le sens de la mode, opérant une sorte de synthèse des styles postromantique, néoclassique et de la musique de jazz. La meilleure réalisation en est certainement Johnny spielt auf (« Johnny mène le jeu »), Zeitoper, créé en 1927, qui fait scandale par la mise en scène des amours d’un Noir et d’une Blanche et assure sa renommée à travers l’Europe. En 1928, il retourne à Vienne, où il rencontre Berg, Webern et Karl Kraus. Après le Reisebuch aus den Österreichischen Alpen (« Journal de voyage des Alpes autrichiennes », 1929), qui fait parler d’un « retour à Schubert »,

il se tourne vers une écriture plus stricte, proche de celle des Viennois, quoique toujours très souple en regard de la pure technique dodécaphonique. Son opéra Karl V, composé entre 1930 et 1933 et dans lequel il utilise simultanément les ressources de l’opéra classique, du film et du théâtre, est, en fait, une des seules oeuvres qui respecte réellement cette technique. En 1933, ses positions de musicien d’avant-garde lui font perdre ses appuis : il se met à voyager en tant que conférencier et se produit comme pianiste et chef d’orchestre. En 1938, il s’exile aux États-Unis ; son style change à nouveau. Il s’intéresse au chant grégorien, à la musique du Moyen Âge et du XVe siècle - à Ockeghem en particulier -, et écrit en 1941-42 sa remarquable Lamentatio Jeremiae prophetae pour choeur a cappella sur un cantus firmus confié à une série. Il consacre une part importante de son temps à des activités pédagogiques - Vassar College, près de New York, puis université de Saint-Paul dans le Minnesota (1942) -, avant de s’installer à Los Angeles. Les années 50 lui ouvrent le chemin des musiques expérimentales : en 195556, il travaille au studio de la radio de Cologne et compose un Pfingstoratorium (« Oratorio de Pâques ») pour voix et sons électroniques. Dans Sestina (1957), il explore jusqu’à l’automatisme la technique sérielle. L’aléatoire et l’ordinateur ne lui restent pas étrangers, et il va jusqu’à employer un jeu de roulette dans l’opéra Ausgerechnet und verspielt (« Calculé et manqué », 1962). Mais il refusera toujours les élucubrations pseudo-scientifiques, fréquentes chez ses contemporains. Il faut ajouter encore, pour mieux cerner le personnage, que Krenek ne s’est pas contenté d’écrire pour tous les genres musicaux et de s’adapter aux courants stylistiques les plus divers, de l’expressionnisme à l’art technologique moderne en passant par la Nouvelle Objectivité et le surréalisme (Der goldene Bock, 1964), il a aussi rédigé lui-même la plupart de ses livrets, ainsi qu’un nombre assez important d’oeuvres théoriques, esthétiques ou simplement littéraires (Documents de voyage). Tempérament fougueux plus que superficiel, allant toujours au fond des choses et restant critique vis-à-vis de ses propres oeuvres et de son époque, Krenek peut être considéré comme une image de

cet homme « multidimensionnel », que réclamaient futuristes et tenants de l’école à orientation à la fois artistique et technologique du Bauhaus. KRESTIANIN (Féodor), chantre et compositeur russe ( ? v. 1530 - ? fin du XVIe s.). L’un des premiers compositeurs russes répertoriés, il fut le musicien attitré du tsar Ivan IV le Terrible, dans la seconde moitié du XVIe siècle. Son oeuvre, exclusivement religieuse, vocale et monodique, consiste en un développement très élaboré des chants znamenny (« neumatiques »). Il rassembla autour de lui tout un cénacle de chanteurs et de compositeurs. Le manuscrit de ses Stichères évangéliques fut déchiffré au XXe siècle par le musicologue soviétique Brajnikov. KRETZSCHMAR (Hermann), musicologue allemand (Olbernhau, Saxe, 1848 Berlin 1924). Après avoir été élève de la Kreuzschule de Dresde, puis du conservatoire de Leipzig, il soutint une thèse sur la notation musicale ancienne, De signis musicis quae scriptores per priman medis aevi partem usque ad Guidonis Aretini (Leipzig, 1871), et enseigna successivement au conservatoire de Leipzig (1871), à l’université de la même ville (1887), puis à l’université de Berlin (1904), avant de diriger la Hochschule für Musik de Berlin (1909-1920). Musicien cultivé, organiste et chef de choeur, il a écrit des oeuvres pour orgue et compose de la musique vocale profane aussi bien que sacrée, mais c’est à son oeuvre de théoricien qu’il doit sa notoriété. Il introduisit, en effet, l’herméneutique dans l’esthétique musicale, c’est-à-dire une analyse qui considérait les oeuvres comme les signes d’émotions ou d’états d’âme vécus par les compositeurs. S’intéressant également à la pratique musicale, Kretzschmar publia notamment Führer durch den Konzertsaal (3 vol., Leipzig, 1888-1890), que d’autres spécialistes complétèrent après sa mort, et plusieurs manuels d’histoire de la musique. Il édita, d’autre part, les volumes 8, 9 et 42 de la Denkmäler deutscher Tonkunst, dont il fut l’éditeur général de 1911 à 1919. KREUTZER (Conradin), compositeur et chef d’orchestre allemand (Messkirch, Bade, 1780 - Riga 1849).

Après des études de droit à Fribourgen-Brisgau, il se consacra entièrement à la musique (1800), étudia à Vienne avec Johann Georg Albrechtsberger (1804), rencontra dans cette ville Franz Joseph Haydn, fut maître de chapelle à Stuttgart, puis à Donaueschingen (1818-1822), dirigea divers théâtres à Vienne (1822-1827, 1829-1832, 1833-1834 et 1834-1840) et, enfin, la musique à Cologne (1840-1842). De ses 30 opéras, le plus célèbre fut, en son temps, Das Nachtlager in Granada (Vienne, 1834). On lui doit aussi de la musique de chambre, dont un célèbre Septuor op. 62, et surtout des lieder, dont beaucoup sur des textes de Ludwig Uhland. downloadModeText.vue.download 549 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 543 KREUTZER (Rodolphe), violoniste, pédagogue et compositeur français (Versailles 1766 - Genève 1831). Il reçut ses premières leçons de son père, originaire de Breslau, étudia le violon avec Anton Stamitz et joua son premier concerto pour violon au Concert spirituel en 1784. Jeanne d’Arc (1790), Paul et Virginie (1791), le Franc Breton (1791) et Lodoiska (1791) furent les premiers de ses quelque 40 opéras-comiques et ouvrages pour la scène. Il enseigna le violon au Conservatoire de Paris, de sa fondation en 1795 à 1826. En 1798, il séjourna à Vienne dans la suite de l’ambassadeur Bernadotte et fit la connaissance de Beethoven, qui, par la suite, devait lui dédier sa Sonate pour piano et violon op. 47, dite Sonate à Kreutzer. Il ne sut rien de cette dédicace et ne joua jamais l’ouvrage. Il occupa plusieurs postes sous l’Empire et la Restauration. Influencé par Viotti, il fonda avec Baillot et Rode l’école française moderne de violon. Il écrivit pour son instrument 19 concertos - parmi lesquels le 16e (18041805) sur des thèmes de Haydn, dont on avait à tort annoncé la mort -, de la musique de chambre et surtout ses 42 Études ou caprices (à l’origine 40, 1796), qui, aujourd’hui encore, font partie du matériel de base pour l’enseignement du violon. KRIEGER (Adam), compositeur allemand (Driesen 1634 - Dresde 1666).

Il travailla la composition et l’orgue avec Samuel Scheidt à Halle et succéda à Rosenmüller comme maître de tribune à Saint-Nicolas de Leipzig, de 1655 à 1657. Nommé à la cour de Dresde (qu’il connaissait déjà, pour y avoir rencontré Heinrich Schütz, dont il peut être aussi considéré comme le disciple), il y exerça, jusqu’à sa mort, les fonctions d’organiste, contribuant au renom d’une chapelle qui avait compté dans ses rangs quelques chefs de file de l’école germanique. C’est, d’ailleurs, au fait que la chapelle électorale de Saxe était alors la première d’Allemagne que Krieger doit d’avoir eu la possibilité d’écrire pour la voix, plutôt que pour l’orgue. La maîtrise était célèbre pour la qualité de ses chantres et nul doute que c’est à eux que le musicien songeait en composant ses Arien (à 1, 2 et 3 voix) en 1657. Le succès que rencontrèrent ces 50 pièces (avec accompagnement de 2 violons, 1 basse de viole et du continuo) incita Krieger à écrire d’autres arien (de 1 à 5 voix, et avec accompagnement de 5 instruments à cordes et basse continue). Mais ce n’est qu’après sa mort que parurent ces 50 Neue Arien, qui marquent, avec le livre de 1657, le sommet du lied monodique au XVIIe siècle. KRIEGER (Edino), compositeur et critique musical brésilien (Brusque, Santa Catarina, 1928). Initié à la musique par son père, il donna des récitals de violon dès l’âge de quatorze ans. Il fit ses études musicales à Rio de Janeiro, aux États-Unis (Berkshire Music Center) avec Aaron Copland et Peter Mennin, et à Londres, puis devint réalisateur d’émissions radiophoniques dans un but de diffusion musicale, organisateur de festivals et de concours pour l’État de Guanabara. Il est président de la Société brésilienne de musique contemporaine. Marqué d’abord par l’impressionnisme, le compositeur s’est ensuite tourné vers la technique sérielle, sans oublier les autres ressources contemporaines ni le folklore brésilien. La musique dramatique d’Edino Krieger comprend principalement : Antigone (1953), Natividade do Rio (1965) ; la musique orchestrale des Contrastes (1949), une Ouverture (1955), Ludus symphonicus (1966) ; la musique pour formation de chambre, un Chôro pour flûte et cordes (1952), une Suite pour cordes (1954), des

Variations élémentaires (1964). Le musicien a également composé des quatuors à cordes, des trios, des duos instrumentaux, des mélodies, des choeurs et des pièces pour piano. KRIPS (Josef), chef d’orchestre autrichien (Vienne 1902 - Genève 1974). Il étudia la musique à l’Académie de Vienne avec Mandyszewsky et Weingartner, et fit ses débuts de chef au Volksoper de Vienne (1921). De 1924 à 1925, il dirigea l’opéra du Stadttheater de Dortmund et celui d’Aussig am Elbe. Il fut chef permanent de l’Opéra d’État de Vienne (1933-1938) et enseigna à l’Académie de Vienne (1935-1938). Après l’Anschluss, Krips dirigea pendant une saison (193839) l’opéra de Belgrade, puis se vit interdire toute activité musicale publique. Dès la fin de la guerre, il se consacra à la réorganisation de la vie musicale à Vienne. Il contribua également à la réouverture du festival de Salzbourg (1946), et fut le chef permanent de l’Opéra d’État de Vienne (1945-1950). En 1950, ce chef à l’âme si profondément viennoise décida de s’expatrier. Il fut chef principal du London Symphony Orchestra (1950-1954), de l’Orchestre philharmonique de Buffalo (1954-1963), et enfin de l’Orchestre philharmonique de San Francisco (19631970). Il ne renonça pourtant jamais à son titre de chef invité permanent de l’Opéra d’État de Vienne, qui lui avait été conféré en 1931. Il fut aussi directeur de la musique au festival de Cincinnati (1954-1960), chef invité de l’Opéra royal de Covent Garden (1963), au Metropolitan Opera de New York (depuis 1966) et au Deutsche Oper de Berlin, de 1970 à sa mort. L’Opéra de Paris eut le privilège d’une de ses dernières apparitions en public, dans Cosi fan tutte, peu de mois avant sa mort. L’oeuvre de Mozart, et notamment Don Giovanni, fut la pierre angulaire de la carrière et de la vie même de Krips. Il fut aussi un grand interprète de Schubert, en particulier de sa Neuvième Symphonie, et de Schumann. Avec Karl Boehm, il fut l’héritier de toute une tradition musicale autrichienne, faite de légèreté, de joie et de rigueur. KRIVINE (Emmanuel), chef d’orchestre et violoniste français (Grenoble 1947). Très jeune il se passionne pour l’orgue et la musique symphonique, mais s’oriente

cependant vers le violon, qu’il étudie à Grenoble, puis au Conservatoire de Paris dans la classe de R. Benedetti. Titulaire d’un 1er Prix en 1963, il se perfectionne auprès de Henryk Szeryng et de Yehudi Menuhin et s’impose dans plusieurs grands concours (Reine Élisabeth de Belgique en 1968, puis Naples, Gênes, Londres). En 1965, la rencontre avec Karl Böhm donne une seconde orientation à sa carrière et, dans les années 70, il délaisse peu à peu le violon pour commencer à diriger. De 1976 à 1983, il est premier chef invité du Nouvel Orchestre philharmonique de Radio France ; de 1981 à 1983, il dirige l’orchestre philharmonique de Lorraine. Victime d’un accident en 1981, il doit abandonner le violon. La même année, il est nommé premier chef invité puis en 1987 directeur musical de l’Orchestre national de Lyon. KŘÍŽKOVSKÝ (Pavel), compositeur et maître de choeur tchèque (Holasovice 1820 - Brno 1885). Il entra au noviciat des frères augustins de Brno en 1845, où il se perfectionna en orgue, puis travailla la composition avec Gottfried Rieger. En 1848, il devint le maître du choeur du monastère de Brno, pour lequel il écrivit une suite de choeurs pour voix d’hommes essentiellement centrés sur des textes populaires, qui servent encore aujourd’hui de répertoire de base entre celui de Smetana et Janáček. La première de son choeur Utonula (« la Noyée »), en 1848, reçut un accueil enthousiaste. Il fut nommé maître de chapelle de la cathédrale d’Olomouc (1873), avant de se retirer dans son monastère en 1883. Outre une importante production de caractère religieux, Křížkovský a laissé de nombreuses mélodies éditées par cahiers ou isolées et des choeurs et cantates avec solistes, mais accompagnées au piano (ou harmonium). Il ne s’est pas contenté de citer quelques airs populaires afin de pimenter la rigueur de l’écriture liturgique pour choeur, mais a repris les matériaux originels en respectant fondamentalement downloadModeText.vue.download 550 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 544

leur prosodie. Il est considéré comme le père de la musique chorale tchèque. KROLL OPER. Théâtre d’opéra berlinois, en activité de 1924 à 1931, avec comme directeur musical, à partir de 1927, Otto Klemperer, qui en fit un haut lieu du théâtre lyrique en Allemagne. KROMMER (Franz Vincenz) ou KRAMAR (Frantisek Vincenc) compositeur tchèque (Kamenice 1759 - Vienne 1831). Connu aussi sous le nom de « KrommerKramar », il s’établit à Vienne en 1785, où il revint en 1795, après plusieurs années passées en Hongrie. Il fut nommé huissier à la Cour en 1815 et, en 1818, succéda à Leopold Kozeluch au poste (qu’il devait être le dernier à occuper) de maître de chapelle de la Chambre impériale. Il composa plus de 300 ouvrages, dans tous les genres, sauf le piano seul, le lied et l’opéra. Ses quatuors à cordes, au nombre de plus de 100, furent favorablement comparés à ceux de Haydn. On lui doit aussi 9 symphonies, dont 2 sont perdues, des danses, des marches, des ouvrages pour vents seuls. D’une particulière importance sont ses concertos pour instruments à vent, notamment ceux pour clarinette, et ses 40 duos pour 2 violons parus chez Peters à Leipzig dans la Collection des duos concertants (1855-1857). KRUMPHOLTZ, famille de musiciens tchèques. Johann Baptist (Jan Krtitel), compositeur, harpiste et facteur d’instruments (Budenice 1742 - Paris 1790). Protégé par le comte Kinsky, il étudia le cor avant de se tourner vers la harpe. Après plusieurs tournées en Europe, il fut membre de la chapelle du prince Esterházy à Esterháza (1773-1776), et y reçut des leçons de composition de Haydn. De là, il se rendit à Metz, où il travailla six mois dans l’atelier du facteur d’instruments Christian Steckler (dont il devait plus tard épouser la fille), puis à Paris (févr. 1777), où il fit paraître ses cinq concertos pour harpe op. 4, 6 et 7, partiellement composés sous la tutelle de Haydn. Il fut le plus grand harpiste de son temps, songea, le premier, à employer les harmoniques et les homophones, et aida de ses conseils et de ses idées les facteurs d’instruments Nadermann et Érard. Les infidélités de sa

femme, également virtuose de la harpe, le poussèrent au suicide : il se jeta dans la Seine du haut du Pont-Neuf. Wenzel (Vaclav), violoniste (Budenice v. 1750 - Vienne 1817). Frère du précédent, il devint violoniste à l’opéra de Vienne (1796) et se lia d’amitié avec Beethoven, à qui il donna quelques leçons de violon et qui composa pour lui la sonate pour mandoline et piano WoO 43. Anne-Marie, née Steckler, harpiste (Metz v. 1755 - Londres apr. 1824). Femme et élève de Johann Baptist, elle s’enfuit à Londres, où elle débuta en 1788, et où, entre 1791 et 1795, elle participa régulièrement aux mêmes concerts que Haydn. Son jeu était au moins l’égal de celui de son mari. KUBELIK, famille de musiciens d’origine tchèque. Jan, violoniste tchèque (Michle, près de Prague, 1880 - Prague 1940). Cet enfant prodige - il se produit en concert à huit ans - est l’élève d’un grand pédagogue, O. Sevcik, au conservatoire de Prague, de 1892 à 1898. Dès ses débuts fulgurants à Vienne, sa virtuosité lui vaut le titre de « Second Paganini ». Comme son illustre devancier, Kubelik est adulé sans mesure. À bord de son wagon-salon particulier, il parcourt l’Europe avant de conquérir les États-Unis en 1902. En 1901, il sauve l’Orchestre philharmonique tchèque d’une grave crise financière en organisant, en particulier, une tournée en GrandeBretagne. Exemple de longévité, sa carrière ne prend fin qu’en 1940, après dix concerts d’adieu à Prague. Interprète sans pareil de Paganini, qui fit sa gloire, Kubelik composa des pièces de virtuosité, dont pas moins de six concertos, et se vit dédier nombre de pages de haute technicité, telle la Kubelik-Serenade de F. Drdla. Ses quelques incursions dans des domaines plus convaincants ont prouvé qu’il savait allier à la perfection technique une profonde intuition musicale. Il possédait deux stradivarius, de 1678 et 1715 (l’Empereur), et un guarnerius del’ Gesù. Rafael, chef d’orchestre suisse (Bychory 1914). Fils du précédent, il est initié par son père au violon et suit au conservatoire de Prague les cours de J. Feld (violon), O. Sin (composition) et P. Dedecek

(direction d’orchestre). Il fait ses débuts avec l’Orchestre philharmonique tchèque qu’il dirige, de 1942 à 1948, après avoir été le directeur musical de l’Opéra de Brno. L’Europe occidentale le découvre en 1948, quand il dirige Don Juan à Édimbourg. Ayant quitté la Tchécoslovaquie, il devient le directeur musical de l’Orchestre symphonique de Chicago (1950-1953), puis du Royal Opera House de Londres (19551958). Il est, de 1961 à 1979, le directeur de l’Orchestre de la radio bavaroise qu’il retrouve en 1972 après une tentative peu concluante au Metropolitan Opera de New York. En 1985, il cesse de diriger pour raison de santé, mais retourne en 1990 en Tchécoslovaquie pour y diriger Ma patrie de Smetana. Son oeuvre abondante couvre tous les domaines, du lied à l’opéra, de la symphonie au concerto. Ses musiciens de prédilection sont Mahler (il a signé une intégrale de ses symphonies) et Berlioz (avec un attachement particulier pour les Troyens qu’il a dirigés successivement à Brno, Londres et New York). Citons également Dvořák, Janáček, Bruckner, Bartók et Britten, autant de musiciens authentiquement romantiques, qui correspondent idéalement à la nature droite et spontanée de Kubelik. Privilégiant le travail en profondeur des oeuvres plutôt que la gestique de direction, il s’attache à recréer et à mettre en évidence la respiration primordiale de chacune d’entre elles. KUFFERATH (Maurice), critique musical belge (Saint-Josse-ten-Noode 1852 Bruxelles 1919). Il était issu d’une famille de musiciens allemands. Ses oncles, Johann Herrmann (1797-1864) et Louis (1811-1882), étaient, le premier, violoniste, le second, pianiste, et tous deux compositeurs. Élève de Mendelssohn, son père, Hubert-Ferdinand (1818-1896), s’était installé à Bruxelles en 1844 pour enseigner le piano et la composition et fut, en 1872, nommé professeur de contrepoint et de fugue au conservatoire. Maurice Kufferath étudia le violoncelle, le droit et l’histoire de l’art. Critique à l’Indépendance belge et au Guide musical (qu’il dirigea de 1890 à 1914), il fut un wagnérien passionné. Nommé en 1900 directeur du théâtre de la Monnaie, il conserva ce poste jusqu’à sa mort, mais résida en Suisse de 1914 à 1918. PRINCIPAUX ÉCRITS :

H. Vieuxtemps, sa vie et son oeuvre (Bruxelles, 1882) ; le Théâtre de Richard Wagner de Tannhaüser à Parsifal (6 vol., Paris, Bruxelles, 1891-1898) ; Musiciens et philosophes : Tolstoï ; Schopenhauer, Nietzsche, R. Wagner, Paris, 1899). KUHLAU (Daniel Frederik), compositeur et pianiste danois (Ülzen, Allemagne, 1786 - Lyngbie, près de Copenhague, 1832). Réfugié au Danemark en 1810 pour éviter la conscription dans les armées napoléoniennes, il s’imposa vite comme compositeur et pianiste. Attaché à la maison royale en 1813, il écrivit, outre de nombreuses sonatines pour piano et des pièces pour flûte et de musique de chambre, 1 concerto pour piano et 8 comédies lyriques, qui connurent un grand succès. Parmi celles-ci, notons Røverborgen (« le Repaire des brigands », 1814), Trylleharpen (1817), Elisa (1820), Lulu (1824), William Shakespeare (1826) et surtout Elverhøj (« le Mont des elfes », 1828), qui reste aujourd’hui encore une des oeuvres les plus jouées au Théâtre royal (plus de 900 représentations). Kuhlau représente l’apogée de l’école classique allemande, avec, toutefois, quelques influences romantiques et une remarquable assimiladownloadModeText.vue.download 551 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 545 tion du style national danois de l’époque qui unit le style de l’école de Leipzig avec le matériau mélodique populaire. Pour la petite histoire, sa rencontre avec Beethoven en 1825 a laissé un canon de ce dernier, intitulé Kühl, nicht lau. KUHNAU (Johann), compositeur et organiste allemand (Geising 1660 - Leipzig 1722). Il fut élève de la Kreuzschule à Dresde, où, distingué pour sa belle voix, il servit comme Ratsdiskantist. Formé par Jakob Beutel, cantor de la Kreuzkirche, il obtint à titre provisoire le poste de maître de chapelle à Zittau (1680), avant d’aller étudier le droit à Leipzig. Dans cette ville, il fut organiste à la Thomaskirche tout en exerçant la charge d’avocat. En 1701, il succéda à

Johann Schelle comme cantor de SaintThomas et, en même temps, fut nommé directeur de la musique de l’université de Leipzig. À sa mort, Jean-Sébastien Bach lui succéda à Saint-Thomas. Fondateur du fameux Collegium musicum de Leipzig (1688), Kühnau était un homme d’une grande culture. Comme claveciniste, il subit l’influence de Johann Krieger, et sa place est assez comparable à celle de Pachelbel pour l’orgue (dans l’Allemagne centrale et méridionale). Bien que d’un tempérament conservateur à bien des égards, il innova, au plan formel, en faisant précéder ses suites pour clavier d’une sorte de prélude-toccata. Il transcrivit également pour clavecin la sonate d’église à l’italienne et, dans ses sonates à programme - les fameuses Histoires bibliques -, il parvint non sans difficulté à concilier la structure du genre avec les exigences descriptives de la musique. Au plan religieux, Kühnau écrivit des motets latins et de nombreuses cantates (dont une vingtaine ont été conservées), qui, bien que de qualité inégale, jettent un pont intéressant entre le passé et le nouveau style qui allait prévaloir à l’époque de Bach. Auteur d’une Passion selon saint Marc, Kühnau fut un compositeur souvent émouvant et personnel KUIJKEN, famille de musiciens belges. Wieland, violoncelliste et gambiste (Dilbeek, près de Bruxelles, 1938). Il étudia aux conservatoires de Bruges (à partir de 1952) et de Bruxelles (1957-1962), se tournant, à partir de 1956, vers la viole de gambe aussi bien que vers le violoncelle. Il joua à la fois dans le groupe d’avant-garde Musiques nouvelles et dans l’ensemble Alarius (1959-1972), spécialisé dans le répertoire baroque français. Depuis 1970, il enseigne aux conservatoires de Bruxelles et de La Haye. Il est actuellement, en ce qui concerne la viole de gambe, l’interprète le plus recherché (soliste et continuo). Sigiswald, violoniste et joueur de viole, frère du précédent (Dilbeek 1944). Il a fait ses études aux conservatoires de Bruges et de Bruxelles (1960-1964) et joué dans le groupe Musiques nouvelles et dans l’ensemble Alarius. Depuis 1971, il enseigne le violon baroque (qu’il a lui-même appris en autodidacte) au conservatoire de La Haye. En 1972, il a fondé l’orchestre d’ins-

truments baroques la Petite Bande, dans lequel jouent également ses deux frères, et avec lequel il a réalisé de remarquables enregistrements (Parthénope de Haendel, pages orchestrales et danses d’Hippolyte et Aricie de Rameau, symphonies de Haydn). Barthold, flûtiste et joueur de flûte à bec, frère des précédents (Dilbeek 1949). Il a étudié aux conservatoires de Bruges, de Bruxelles et de La Haye, en particulier avec Frans Brüggen, et enseigne à ceux de Bruxelles et de La Haye. Il a enregistré beaucoup d’oeuvres de l’époque baroque, mais aussi de Mozart et Haydn, en particulier (avec ses deux frères) les six trios pour flûte, violon et violoncelle Hob. IV611 de ce dernier. KULENKAMPFF (Georg), violoniste allemand (Brême 1898 - Schaffhouse 1948). Après avoir suivi l’enseignement de E. Wadel dans sa ville natale, il poursuit ses études (1912-1915) à la Berliner Hochschule für Musik avec W. Hess, qui fut l’élève de Joachim. Nommé premier violon solo de la Philharmonie de Brême, il entame une carrière de soliste, qui le conduit à Berlin en 1919. Sans négliger l’enseignement, qu’il donne de 1923 à 1926, puis en 1931, à la Hochschule de Berlin, ni la musique de chambre, il forme en particulier un trio exemplaire avec E. Fischer et E. Mainardi. Fixé en Suisse à partir de 1943, il succède à C. Flesch au conservatoire de Lucerne. À la fois grand pédagogue et musicien exigeant, Georg Kulenkampff a laissé le souvenir d’un art fait d’intériorité et de pureté sonore. Seules la guerre et une fin brutale l’ont empêché de devenir, à l’égal d’un Adolf Busch, le plus grand violoniste allemand de ce siècle. Il fut le créateur de nombreuses partitions, dont le Concerto pour violon de Schumann (retrouvé au bout de quatre-vingt-cinq ans) et du Concerto de W. Kempff. Il a laissé des Mémoires, Geigerische Betrachtungen (1952). KUNSTLIED (all. : « chanson savante »). Terme désignant dans les pays de culture germanique des chansons profanes ou spirituelles d’époques et de structures très différentes, qui se caractérisent par la singularité de leur élaboration musicale et s’opposent ainsi plus généralement au Volkslied. Les monodies du Minnesang, qui appa-

raît vers 1150, en sont la première manifestation. À partir du XIVe siècle, le Meistersang prend le relais de cette tradition. La chanson polyphonique, apparue vers la fin de ce même siècle, culmine à l’époque de l’Humanisme et de la Renaissance, sous la forme du Tenorlied. L’abandon du cantus firmus ténoral et les influences romanes donnent naissance vers la fin du XVIe siècle à des types proches du madrigal ou de la villanelle. La chanson soliste se développe à partir de 1630 sous l’influence de la monodie italienne et subit progressivement l’ascendant de l’air d’opéra. L’école de Berlin (1750-1770) marque un retour à une certaine simplicité et prône l’égalité de la poésie et de la musique. Pardelà la mélodie classique (Mozart, Beethoven), le lied romantique illustré par Schubert, Brahms et Wolf est l’une des figures les plus originales du Kunstlied. KUNZ (Erich), baryton autrichien (Vienne 1909 - id. 1995). Il débuta comme basse dans le rôle d’Osmin de l’Enlèvement au sérail à Opava en 1933, puis chanta des petits rôles au festival de Glyndebourne à partir de 1935. Engagé en 1940 à l’opéra de Vienne, il s’y affirma dans les rôles de baryton mozartien (Leporello, Figaro, Papageno, Guglielmo). Il développa, grâce à sa personnalité, une énorme popularité dans toute l’Europe. Sa voix n’avait rien d’exceptionnel, mais ses interprétations ne furent guère surpassées tant du point de vue musical que scénique. En 1951, il chanta, à Bayreuth, Beckmesser dans les Maîtres chanteurs sous la direction de Karajan. KURPINSKI (Karol), compositeur polonais (Wloszakowice 1785 - Varsovie 1857). Autodidacte dans le domaine de la composition, il acquit, néanmoins, une solide formation qui lui permit de créer son propre style, très inspiré de la musique populaire de son pays. Il écrivit beaucoup, mais remporta surtout le succès avec ses opéras, parmi lesquels le Palais de Lucifer (Varsovie, 1811), le Charlatan (Varsovie, 1814) et le Château de Czorsztyn, ou Bojomir et Wandal (Varsovie, 1819). En 182021, il fonda et publia lui-même la première revue musicale polonaise, Tygodnik muzyczny (Hebdomadaire musical).

KURTAG (György), compositeur hongrois d’origine roumaine (Lugoj, Roumanie, 1926). Il doit à sa mère sa première formation musicale. En 1946, il s’installa à Budapest et suivit à l’Académie de musique les cours de P. Kadosa (piano), Leo Weiner (musique de chambre), S. Veres et F. Farkas (composition). Il travailla, en 1957, à Paris avec Marianne Stein, Darius Milhaud et Olivier Messiaen, et, en 1971, downloadModeText.vue.download 552 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 546 obtint une bourse d’études pour Berlin. Depuis 1967, il enseigne à l’Académie de musique de Budapest (piano, puis musique de chambre). Il considère que son oeuvre commence avec le Quatuor à cordes op. 1 (1959), écrit sous le coup de sa découverte de l’école viennoise. Son langage sériel, libre et personnel, utilise des phrases courtes et incisives, d’une rigueur toute wébernienne. En témoignent, notamment, le Quintette à vent op. 2 (1959), les Huit Pièces pour piano op. 3 (1960), les Huit Duos pour violon et cymbalum op. 4 (1961). Il s’est définitivement imposé sur le plan international avec Bornemisza Peter mondasai (les Dires de Peter Bornemisza) op. 7, « concerto pour soprano et piano » créé à Darmstadt en 1968 et fait de 24 brefs mouvements d’une durée totale d’un peu moins de 40 minutes. Il s’agissait de sa première oeuvre vocale, au texte tiré d’un sermon du XVIe siècle. Suivirent notamment En souvenir d’un crépuscule d’hiver op. 8 pour soprano, violon et cymbalum, au style mélodique plus ample (1969), 4 Caprices op. 9 pour soprano et ensemble instrumental (1971), Quatre Mélodies op. 11 (1973-1975), Hommage à Andras Mihaly : 12 microludes pour quatuor à cordes op. 13 (1977-78), Sept Bagatelles pour flûte, piano et contrebasse op. 14b (1981), Omaggio a Luigi Nono pour choeur a cappella op. 16 (1979), Messages de feu Mademoiselle R. V. Troussova pour soprano et ensemble de chambre sur un texte de Rimma Dalos op. 17 (1979-80), Quinze Chants pour soprano et 3 instruments op. 19 (1981-82), Fragments pour soprano solo sur un texte de J. Attila op. 20 (1981), Sept Chants pour soprano et cymbalum op. 22 (1981), Kafka Fragmente

pour soprano et piano (1986), ... Quasi una fantasia... pour piano et ensemble (Berlin, 1988), Hölderlin : An... pour ténor et piano (1989), Double Concerto pour piano, violoncelle et orchestre (1991). KUSSER (Johann Sigismund), compositeur et chef d’orchestre hongrois (Presbourg 1660 - Dublin 1727). À quatorze ans, il partit pour huit ans à Paris auprès de Lully. Il fut successivement maître de chapelle à Ansbach (1682-83), Wolfenbüttel (1690-1694), Hambourg (1694-95), Nuremberg, Augsbourg (1697) et Stuttgart (1698-1704). À partir de 1690, il devint essentiellement un compositeur et chef lyrique. Après un voyage en Italie, au cours duquel il séjourna à Bologne et à Venise en 1701, il partit pour Londres en 1705, puis Dublin en 1710, où il finit sa vie comme maître de chapelle du vice-roi d’Irlande. Sa vie mouvementée et errante servit essentiellement à faire connaître l’opéra allemand à travers l’Europe. Il contribua, par les 13 opéras qu’il créa, à la naissance d’un théâtre musical en Allemagne, mais fit également rayonner la musique française dans les pays germaniques et saxons. KUULA (Toivo), compositeur et chef d’orchestre finlandais (Vaasa 1883 - Viipuri 1918). Sa mort dans des conditions mystérieuses priva la Finlande d’un compositeur de grand talent. Élève, à Paris, de Marcel Labey et ayant fréquenté la Schola cantorum, Kuula possédait une maîtrise parfaite du contrepoint, jointe à un sens harmonique profond qui le situe dans la tendance de l’école franckiste (Trio pour piano, violon et violoncelle, 1908). Mais son originalité s’exprima surtout dans des oeuvres inspirées des légendes nationales ou tirées du Kalevala (les cantates et ballades Orjan poika, « le Fils de l’esclave », 1910 ; Merenkylpijäneidot, « les Baigneuses », 1910 ; Impi ja Pajarin poika, « la Vierge et le Fils de Pajari », 1912), dans la 2e Suite ostrobothnienne op. 20, et les poèmes symphoniques (no 2 Metsässä sataa, « Il pleut dans la forêt », 1913 ; no 5 Hiidet virvoja viritti, « Les démons allumaient des feux », 1912), qui laissent place à une nette influence impressionniste. Outre ces oeuvres, Kuula nous a laissé des pièces instrumentales, des suites pour

orchestre, un Stabat mater, une vingtaine de très belles mélodies et près de 50 pièces chorales. KVANDAL (Johan), compositeur norvégien (Oslo 1919). Fils de David Monrad Johansen, il a étudié à Oslo avec Per Steenberg, à Vienne avec Joseph Marx et à Paris avec Nadia Boulanger. Si ses premières oeuvres appartiennent au style norvégien des années 30, il adopte, après ses études parisiennes, une attitude plus libre vis-à-vis de la tonalité (Symphonie Epos op. 21, 1962 ; Concerto pour flûte op. 22, 1963 ; Quatuor à cordes no 2 op. 27, 1966), mais sans jamais trop s’en éloigner. Kvandal s’exprime avec clarté et précision et si ses oeuvres symphoniques les plus importantes sont le Thème avec variations et fugue op. 14 (1954), la Symphonie no 1 op. 18 (1958) et la Sinfonia concertante op. 29 (1968), il ne faut pas négliger ses pièces instrumentales et notamment la Sonate en « mi » mineur pour violon et piano op. 15 (1942), le Duo pour violon et violoncelle op. 19 (1959) et Aria, cadenza et finale pour violon et piano op. 24 (1964). KYRIALE. Mot latin désignant les recueils de mélodies afférentes au commun de la messe, dont le Kyrie eleison est la pièce inaugurale. Les éléments du Kyriale peuvent être soit réunis pièce par pièce (recueil de Kyrie, puis de Gloria, etc.), soit groupés par ensembles constituant chacun une messe complète. Ce dernier classement, aujourd’hui normalisé, est relativement récent. Il groupe les pièces en 18 ensembles relativement homogènes ayant chacun une attribution liturgique définie et un titre souvent emprunté aux anciens tropes des Kyrie correspondants. Le Credo en est exclu et est numéroté à part, de même qu’un certain nombre de pièces isolées proposées en remplacement et étiquetées ad libitum. Le Kyriale est souvent réuni au graduel, dont il forme alors une section. KYRIE ELEISON. Premiers mots d’une invocation en grec (« Seigneur, prends pitié ») qui inaugure le commun ou ordinaire de la messe la-

tine. C’est donc le Kyrie qui figure en tête des messes polyphoniques ou chorales lorsque, comme cela est habituel en dehors des messes de requiem, celles-ci ne traitent que l’ordinaire. Dans le déroulement de l’office, il fait suite à l’introït, qui appartient au propre. Sous sa forme préconciliaire traditionnelle, le Kyrie comprend trois invocations symétriques, répétées chacune trois fois et adressées respectivement aux trois personnes de la Sainte Trinité (Kyrie... Christe... Kyrie) : le même mot Kyrie désigne le Père dans le premier groupe et le Saint-Esprit dans le dernier. Cette amplification est propre à l’Église latine. Les Grecs disent seulement Kyrie eleison (ou eleison ymas), et comptent quatre syllabes sur eleison, tandis que les Latins avaient d’abord fait de ei une diphtongue ; les quatre syllabes ont été rétablies après le concile de Trente. Avant d’avoir été incorporé à la messe, sans doute vers le VIe siècle, le Kyrie figurait fréquemment comme refrain litanique, et, à ce titre, se chantait souvent aux processions, soit en grec soit en latin (Domine, miserere). Ce rôle de refrain a longtemps survécu dans la chanson populaire, parfois sous des aspects déformés tels que Kyrioleis en Allemagne ou Criaulé en France ; Kyrieleis forme le refrain d’une célèbre chanson de marche des croisés germaniques, In Gottes Name fahren wir, rappelant ainsi son origine de chant de procession. La procession précédait souvent la messe, et lorsqu’on y chantait le refrain Kyrie eleison, cela pouvait dispenser de le répéter après l’introït. Musicalement, le Kyrie est un morceau largement mélismatique (à l’exception de quelques variétés chantées principalement aux temps de pénitence), et la voyelle E y joue un rôle analogue à celui du A dans l’Alleluia. Ses neuf parties sont souvent alternées, soit entre deux demi-choeurs, soit entre un petit et un grand choeur. Il présente souvent une forme à répétitions dans laquelle le dernier Kyrie amplifie parfois le précédent. Dans la messe polyphodownloadModeText.vue.download 553 sur 1085

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nique, par exemple chez G. de Machaut, la version polyphonique prenait la place du petit choeur (c’est donc elle qui commençait) ; elle ne contenait par conséquent qu’une invocation sur deux : l’autre était chantée en plain-chant. Même principe, mais inversé, dans les messes d’orgue des XVIIe et XVIIIe siècles, où le Kyrie consiste en une suite de « versets « s’intercalant entre les plains-chants ; une ordonnance épiscopale parisienne du XVIIe siècle précisait même que ces versets d’orgue devaient obligatoirement faire entendre de façon suffisamment reconnaissable, tout au moins dans les premiers versets, la mélodie du Kyrie d’alternance. L’une des plus employées à cet égard était celle du Cunctipotens : on l’entend, par exemple, dans la Messe à l’usage des paroisses de Fr. Couperin. À partir de la Renaissance, on abandonne l’alternance et on confie la totalité à la polyphonie, qui regroupe les trois invocations de chaque type, et ne présente donc plus que trois parties : un premier Kyrie, un Christe et un second Kyrie. La messe avec orchestre agira de même. Un nombre considérable de mélodies (plus de 200) ont été composées pour le Kyrie, avec une diffusion extrêmement variable : beaucoup n’ont pas dépassé l’usage local. Un certain nombre, à partir du IXe siècle, ont donné lieu à des versions tropées, intercalant un développement chanté syllabiquement entre les deux mots Kyrie (ou Christe) et eleison, ou même remplaçant totalement le premier. On considérait autrefois ces versions tropées comme des artifices mnémotechniques ajoutés après coup ; on en est moins sûr aujourd’hui, et il se pourrait que certains Kyrie eussent été directement composés avec leurs tropes ; les paroles de celui-ci auraient ensuite disparu pour faire place à la mélodie vocalisée ; celle-ci en a du reste souvent conservé l’incipit comme titre (v. Kyriale). Le Kyrie a été l’une des parties de la messe le plus tôt et le plus souvent mises en polyphonie : on en trouve à deux voix dès la fin du XIe siècle. Mais l’ensemble de la littérature musicale semble s’être très vite désintéressée de la signification suppliante du texte, et n’avoir retenu que l’aspect décoratif des vocalises (par ex. Palestrina) ou la majesté solennelle d’un morceau inaugural : le Kyrie de la Messe en « si » mineur de J.-S. Bach donne un exemple typique

de cette dernière conception. downloadModeText.vue.download 554 sur 1085

L LA. La sixième des sept syllabes qui, dans les pays latins, désignent les notes de la gamme diatonique. Cette syllabe représente la note la, placée un ton au-dessus du sol et correspond à la lettre A du système alphabétique anglo-saxon. Le choix de cette correspondance apparaît aujourd’hui sans fondement logique. Il tient au fait que la nomenclature alphabétique en cause a été établie à partir des diagrammes du système grec antique, fondé sur une double octave, dont le point de départ ou proslambanomène correspondait, en intervalles, à la note la. D’autres systèmes, où A correspondait à do et non plus à la, ont également eu cours au Moyen Âge ; seul le premier a survécu. Dans l’ancienne solmisation à six syllabes, dont la était la dernière, cette syllabe pouvait correspondre non seulement à A (la-mi-ré), mais aussi, selon l’hexacorde, à D (sol-ré-la) ou à E (mi-la). Elle y revêtait une importance particulière, car elle marquait le terme au-delà duquel on devait choisir entre mi et fa. Ce choix n’appelait pas seulement un intervalle différent (1 ton pour mi, 1/2 ton pour fa), mais déterminait également les intervalles à venir : dire fa après la ne signifiait pas seulement que, dans notre langage actuel, on bémolisait le si, mais encore que les intervalles ultérieurs restaient commandés par ce fa jusqu’à la prochaine mutation. ( ! FA.) Dans le solfège moderne, le la n’est plus qu’une note parmi les autres, mais il a acquis une valeur spéciale par le choix qu’on en fait le plus souvent pour accorder les instruments : d’où le nom de la du diapason donné au la de l’octave moyenne centrale (ou la3). ( ! DIAPASON). LA BARRE (Michel de), flûtiste et compositeur français (Paris v. 1675 - id. 1743 ou 1744). Fils d’un marchand de bois du marché Saint-Paul, il entra à vingt ans dans l’orchestre de l’Opéra, puis fut flûtiste de la Chambre du roi. À ce titre, sa renommée ne fut égalée par personne. Il écrivit

le ballet le Triomphe des arts (1700), la comédie-ballet la Vénitienne (1705), un Recueil d’airs à boire à 2 parties (1724), des airs français et italiens, et, pour son instrument, 12 livres de Pièces pour flûte traversière avec la basse continue (1709-1725) et 3 livres de Pièces en trio pour violon, flûte et hautbois (1694-1707). LA BARRE (Chabanceau de), famille de musiciens parisiens. Pierre Ier ( ?- 1600 ou 1608). On ne sait rien de sa naissance ni de ses débuts, sinon qu’en 1567 il fut nommé organiste aux Saints-Innocents. Il le fut ensuite à NotreDame, puis, en 1580, à Saint-Eustache. Il fut marié deux fois, et plusieurs de ses enfants devinrent musiciens. Pierre II, fils du précédent (1572-1626). Il étudia la musique avec son père et lui succéda à Saint-Eustache. Il fut également réputé comme joueur de luth. Germain, frère du précédent (1579-1647). Il seconda parfois son père à l’orgue et fut nommé, en 1612, à Saint-Jacques-de-laBoucherie. Pierre III, fils de Pierre II (1592-1656). Il fut l’un des plus importants de la famille. Il étudia avec son père et devint organiste de la chapelle du roi Louis XIII. Il était aussi joueur d’épinette, et, en tant que tel, il fut attaché à la maison d’Anne d’Autriche. Il fut le rival de Chambonnières, qu’il finit par évincer. Le père Mersenne, auteur de l’Harmonie universelle, parle de lui avec la plus haute estime ; il cite plusieurs de ses tablatures et évoque, à propos du jeu d’orgue, « la belle grâce et le beau maintien qui rendent le sieur de La Barre et ceux qu’il prend la peine d’enseigner, et ceux qui sont formés de sa main, incomparables ». La Barre fut également en correspondance avec Constantin Huygens au sujet des théories de la musique. Avec ses quatre enfants, il organisait chez lui des séances de musique appelées « concerts spirituels », qui étaient fort suivies. Il a laissé des pièces pour clavecin ou orgue, des courantes et des sarabandes pour luth. Anne, fille du précédent (1628-1688). Elle débuta en chantant aux concerts de son père et devint rapidement une cantatrice réputée. Elle fit une carrière qu’on pourrait, pour l’époque, qualifier d’inter-

nationale. Son voyage dans les pays du Nord (1652-1661) la mena à la cour de Suède, où elle avait été appelée par la reine Marie-Christine, à La Haye, au Danemark et à la cour de Kassel. De retour en France (1661), elle devint cantatrice de la Chambre du roi, avant d’être pensionnée. Joseph, frère de la précédente (16331678). Pendant deux ans (1652-1654), il accompagna sa soeur dans ses déplacements, en qualité de luthiste. À la mort de son père (1656), il lui succéda à l’orgue de la chapelle. Bien que n’étant pas entré dans les ordres, il fut appelé abbé de La Barre lorsqu’il obtint, en 1674, les bénéfices de l’abbaye bénédictine de Saint-Hilaire, du diocèse de Carcassonne. Il composa des airs avec des « doubles », qui furent publiés chez Ballard. Quelques autres oeuvres sont d’attribution douteuse. Pierre IV, troisième fils de Pierre III (1634-1710). Il fut à la fois chanteur et joueur de luth et d’épinette. Après avoir joué à la Chambre du roi, il fut attaché à downloadModeText.vue.download 555 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 549 la troupe musicale de la reine Marie-Thérèse, puis à celle de la duchesse de Bourgogne. Son talent lui valut d’être anobli par le roi en 1697. Pourtant, depuis 1620, tous les La Barre se présentaient sous le nom de Chabanceau de La Barre. L’ABBÉ (famille Saint-Sevin, dite),famille de musiciens français. Pierre-Philippe, violoncelliste (Agen v. 1698 - Paris 1768). C’est comme enfant de choeur à la maîtrise de la chapelle SaintCaprais à Agen qu’il travailla la musique et étudia la viole de gambe. Venu à Paris après la naissance de son fils, il entra dans l’orchestre de l’Opéra comme violoncelliste. Il fut nommé soliste en 1749. C’était un excellent professeur. Pierre, frère du précédent, violoncelliste (Agen v. 1710 - Paris 1777). Comme son frère, il étudia la musique et le violoncelle à la maîtrise de Saint-Caprais à Agen. Il arriva à Paris vers la fin de 1727 et fut admis à l’Opéra comme violoncelliste. C’est grâce à son talent et à sa pas-

sion pour le violoncelle que l’Opéra devait abandonner définitivelement la viole de gambe dans son orchestre. En 1764, il devint violoncelliste à la Sainte-Chapelle. Joseph-Barnabé, dit l’Abbé le fils, fils de Pierre-Philippe, violoniste et compositeur (Agen 1727 - Paris 1803). Son père lui donna ses premières notions musicales, mais c’est avec Leclair qu’il étudia le violon. Engagé dans l’orchestre de l’Opéra-Comique (1739), puis dans celui de l’Opéra (1742), il se fit régulièrement applaudir au Concert spirituel. Avec Forqueray, Blavet et Marella, il contribua à la découverte par les Parisiens des quatuors de Telemann. C’était un remarquable instrumentiste qui forma de nombreux élèves et dont l’ouvrage pédagogique, Principes du violon (1761), fit longtemps autorité dans les écoles de musique. Il quitta l’Opéra en 1762 pour se consacrer essentiellement à l’enseignement et à la composition. Pour beaucoup, ses Sonates sont supérieures à celles de son maître Leclair. Parmi ses oeuvres, retenons : Sonates à violon seul (1748) ; 6 Symphonies à trois violons et une basse (1754) ; 3 Recueils d’airs français et italiens avec des variations pour deux violons, deux pardessus de viole, une flûte et un violon (1754-1760) ; Jolis Airs ajustés et variés pour un violon seul (1763) ; Menuet de MM. Exaudet et Granier mis en grande symphonie (1764) ; Recueil de duos d’opéra-comique pour 2 violons (1772). LABÈQUE (Katia et Marielle), pianistes françaises (Bayonne 1950 et 1952). D’abord élèves de leur mère, elles entrent en 1965 dans la classe de Lucette Descaves au Conservatoire de Paris, où elles obtiennent toutes deux un 1er Prix en 1968, avant de travailler le répertoire à deux pianos auprès de Jean Hubeau. Elles ont dixhuit et vingt ans lorsqu’elles enregistrent les Visions de l’amen de Messiaen. Au début des années 70, elles se produisent dans le répertoire contemporain, au festival de Royan et dans plusieurs villes d’Europe. En duo de piano et dans des pièces pour piano à quatre mains, elles possèdent un répertoire très vaste, du XVIIIe à aujourd’hui. Elles ont assuré la création du Concerto de Berio (1972), ainsi que du Concerto pour deux pianos de Philippe Boesmans, et se produisent régulièrement aux côtés d’Augustin Dumay, Frédéric Lodéon ou encore Lynn Harrell.

LABLACHE (Luigi), basse italienne d’origine française (Naples 1794 - id. 1858). Il débuta à Naples, dès l’âge de dix-huit ans, puis, après une nouvelle période d’études, fut engagé à Palerme et à la Scala de Milan (1821). Il y débuta dans La Cenerentola de Rossini. Il était à Vienne en 1824, et, de 1830 à 1856, il se produisit régulièrement à Londres et à Paris, où il créa les Puritains de Bellini (Giorgio) et Don Pasquale de Donizetti (Pasquale). Il s’illustra dans le rôle de Leporello du Don Giovanni de Mozart et excella aussi bien dans les emplois nobles que bouffes. Sa voix était ample et étendue, et il vocalisait avec une agilité surprenante. Pendant quelque temps, il s’efforça d’enseigner le chant à la reine Victoria. Il est l’auteur d’une Méthode de chant, mais sa réputation de professeur n’égala jamais sa gloire de chanteur. LABORDE ou LA BORDE (Jean Benjamin de), musicien et musicographe français (Paris 1734 - id. 1794). Fils d’un fermier général, il devint premier valet de chambre de Louis XV (1762), gouverneur du Louvre (1773), puis fermier général (1774) après la mort du roi, dont il fut l’un des plus fidèles serviteurs. Il était à la fois un homme de cour et un musicien cultivé. Laborde étudia le violon avec Dauvergne et la composition avec Rameau. Il acquit une certaine renommée avec plusieurs ouvrages lyriques (tragédies, comédies et opéras-comiques), qui furent représentés à la cour et à l’Opéra de Paris et lui valurent les sarcasmes féroces de Grimm. Fétis allait reprendre à son compte les avis de ce dernier et condamner de surcroît l’ouvrage essentiel de Laborde : Essai sur la musique ancienne et moderne (4 vol., Paris, 1780 ; rééd. 1972). Cet écrit, critiquant le Dictionnaire de musique et la Lettre sur la musique française de Rousseau, suscita du vivant de son auteur des discussions violentes, mais sa valeur fut reconnue, notamment par Burney et Forkel. Cette oeuvre se place en effet au début de la musicologie et elle a introduit des recherches concernant la période des trouvères et des troubadours, alors complètement tombée dans l’oubli. Malgré une absence de méthode évidente, dénoncée par Laborde lui-même, elle fournit des données importantes pour l’histoire de la musique et reste une source organogra-

phique essentielle. LACERDA (Costa de Osvaldo), compositeur brésilien (São Paulo 1927). Il a fait ses études à São Paulo avec Camargo Guarnieri. Théoricien et spécialiste des questions folkloriques, il mène de front une carrière de compositeur et de pédagogue (conservatoires de São Paulo et de Santos, Mozarteum Académia de drama e música et école municipale de musique de São Paulo). Son oeuvre, d’expression traditionnelle, est, elle-même, fréquemment inspirée par les éléments folkloriques brésiliens (Brasilianas suites pour piano, Variations sur un thème folklorique, Santa Cruz missa, Piratininga). Il est également l’auteur de différents traités pédagogiques. LACHENMANN (Helmut), compositeur allemand (Stuttgart 1935). Il a étudié à l’École supérieure de musique de sa ville natale (1955-1958), à Darmstadt (1957), à Venise avec Nono (1958-1960) et à Cologne avec Stockhausen (1963-64). Il a enseigné à Stuttgart (1966-1970) et à Ludwigsburg (1970-1976) et est, depuis 1976, professeur de composition à l’École supérieure de musique de Hanovre. Parti du postsérialisme, il s’est ensuite de plus en plus intéressé au phénomène sonore en soi et aux modes de production du son. Pour lui, la beauté est le « refus de l’habitude », et il se veut « radical et précis ». On lui doit notamment Cinq Strophes pour 9 instruments (1961), Szenario pour bande (1965), Consolation I pour voix et percussion (texte de E. Toller, 1967), Consolation II pour 16 voix solistes (1968), Consolation III et IV pour voix et instruments (1973), Schwankungen am Rand pour cuivres, percussion et cordes (1974-75), Tanzsuite mit Deutschlandlied pour orchestre avec quatuor à cordes (1979-80), Ausklang pour piano et orchestre (1984-85), Tableau pour orchestre (1988), Quatuor à cordes no 2 « Reigen seliger Geister » (1989). LACHNER, famille de musiciens allemands. Theodor, compositeur et organiste (Rain am Lech 1788 - Munich 1877). Organiste de la cour à Munich, il dut sa célébrité à ses choeurs d’hommes. Franz Paul, compositeur et chef d’or-

chestre (Rain am Lech 1803 - Munich 1890). Frère de Theodor, il se fixa à Vienne en 1823 comme organiste de l’église luthérienne, prit des leçons avec Simon Sechter et se lia d’amitié avec Beethoven et Schubert. Il retourna à Munich en 1836, downloadModeText.vue.download 556 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 550 y devint Generalmusikdirecktor en 1852, et, après avoir joué un rôle de premier plan dans la vie musicale de la cité, prit sa retraite en 1868. Dès 1864, l’arrivée de Wagner avait, en fait, mis un terme à ses activités. On lui doit notamment 8 symphonies et des opéras, dont Die Bürgschaft (Budapest, 1828) et Catarina Cornaro (Munich, 1841). Ignaz, compositeur et chef d’orchestre (Rain am Lech 1807 - Hanovre 1895). Il succéda à son frère Franz Paul à l’église luthérienne de Vienne et occupa des postes à Stuttgart (1831), Munich (1836), Hambourg (1853), Stockholm (1858) et Francfort (1861-1875). Vinzenz, chef d’orchestre (Rain am Lech 1811 - Karlsruhe 1893). Frère des précédents, il travailla à Vienne, Mannheim, Londres et Karlsruhe. LADEGAST, famille de facteurs d’orgues allemands, actifs en Saxe au XIXe et au début du XXe siècle. Le plus célèbre est Friedrich (Hermsdorf 1818 - Weissenfels 1905). Il a été formé par plusieurs organiers, parmi lesquels son propre père et Aristide CavailléColl, à Paris. Établie à Weissenfels en 1844, sa manufacture, à laquelle s’associa plus tard son fils Oscar, fut l’une des plus florissantes d’Allemagne : on y construisit plus de deux cents orgues, dont certains de grandes dimensions (Nikolaïskirche de Leipzig, 1862, 86 jeux ; cathédrale de Schwerin, 1871, 84 jeux). Le chef-d’oeuvre de Friedrich Ladegast passe pour être la restauration de l’orgue de la cathédrale de Merseburg, en 1855. LADMIRAULT (Paul), compositeur français (Nantes 1877 - Kerbili-en-Kamoël, Morbihan, 1944).

Dès l’âge de sept ans, il commença à étudier le piano, le violon et l’orgue. Il avait seize ans lorsqu’on représenta à Nantes son premier ouvrage lyrique, Gilles de Retz dont le personnage principal était interprété par Arthur Bernède, le futur romancier. En 1895, il entra au Conservatoire de Paris dans les classes de Taudou (harmonie), Gédalge (contrepoint) et Fauré (composition). Après son échec au prix de Rome, il se retira en Bretagne. Il fut à Nantes correspondant du Courrier musical, critique à l’Ouest artiste et directeur du conservatoire. Dans son langage musical clair et dépouillé, il se montre un adepte du style modal. Nombre de ses oeuvres chantent la Bretagne et les traditions celtiques : Brocéliande au matin (1908), Vieux Cantiques bretons pour choeur (1906), Rhapsodie gaëlique pour piano à 4 mains (1909), l’opéra Myrdhin (1899-1902), non représenté, mais dont il tira une Suite bretonne (1902-1903), le ballet la Prêtresse de Korydwen, créé à l’Opéra de Paris en 1925. L’AFFILARD (Michel), chanteur, compositeur et théoricien français ( ? v. 1656 Versailles 1708). Ses origines demeurent obscures. On le trouve à Paris, en 1679, au moment où il fut nommé chantre de la Sainte-Chapelle du palais. Puis, en 1696, il entra à la chapelle royale de Versailles et devint « ordinaire de la musique du Roy ». Il conserva ce poste jusqu’à sa mort. L’Affilard possédait une voix de haute-contre. Comme son aîné Michel Lambert, il était renommé pour son enseignement de l’art du chant. Son traité, Principes très-faciles pour bien apprendre la musique, parut à Paris en 1694. Souvent réédité, l’ouvrage est d’un intérêt tout particulier pour les « agréments » du chant, pour la qualité des pièces vocales qui y figurent, ainsi que pour les indications précises de tempo qui y sont données. LAFONT (Jean-Philippe), baryton français (Toulouse 1951). Il est élève de Denise Dupleix, et, de 1973 à 1977, se forme à l’Opéra-Studio. En 1977, il débute à Toulouse dans Cosi fan tutte et, en 1978, tient le rôle principal de la Chute de la Maison Usher de Debussy à Berlin. Sa carrière internationale le mène sur toutes les scènes d’Europe et des États-Unis. En 1987, il chante Falstaff à Lyon et Leporello à Aix-en-Provence. En 1992, il interprète

Puccini à la Scala de Milan, Aïda et Tosca au Staatsoper de Vienne. Son répertoire s’étend de Mozart à Richard Strauss, en passant par Verdi, Puccini et la musique française. Il crée plusieurs opéras de Marcel Landowski : Montségur, la Vieille Maison et Galina. En 1996, il chante Nabucco à l’Opéra Bastille et aborde son premier rôle wagnérien dans Lohengrin. LAFORÊT (Marc), pianiste français (Neuilly-sur-Seine 1965). Enfant prodige, il donne son premier récital à l’âge de huit ans au Théâtre des Champs-Élysées. Élève de Jacqueline Potier-Landowski au conservatoire de Boulogne-Billancourt, puis de Pierre Sancan au Conservatoire de Paris (où il obtient son premier prix en 1983), il est lauréat de plusieurs concours internationaux dans les années qui suivent - dont en 1985 le concours Chopin de Varsovie. Il y remporte le second grand prix, le prix des Mazurkas et le prix du Public et de la Radiotélévision polonaise. Excellent interprète des oeuvres de Chopin, l’un de ses compositeurs de prédilection, il se produit sur les scènes d’Europe, du Japon et des États-Unis, en soliste ou en formation de musique de chambre. LAGOYA (Alexandre), guitariste français d’origine égyptienne (Alexandrie 1929). Né de père grec et de mère italienne, il commença l’étude de la guitare à l’âge de huit ans avec N. Barbaresco, directeur du Conservatoire national d’Alexandrie. À l’époque, la guitare ne figurait pas parmi les instruments enseignés dans les conservatoires et les écoles de musique. Alexandre Lagoya dut en découvrir luimême la technique, en se fondant sur les ouvrages et méthodes des maîtres des XVIIIe et XIXe siècles. Ainsi devint-il son propre professeur. À treize ans, il donnait son premier récital. Mais, afin de pouvoir terminer ses études, il enseigna la guitare et le solfège. Après plus de 500 concerts, il se rendit à Paris, puis aux États-Unis, où il se perfectionna avec Villa-Lobos et Castelnuovo-Tedesco. Il épousa en 1952 la guitariste française Ida Presti (morte en 1967) et forma avec elle un célèbre duo pour lequel écrivirent nombre de compositeurs contemporains. Professeur au Conservatoire de Paris depuis la création de la classe de guitare

(1969), Alexandre Lagoya enseigne aussi à l’Académie internationale d’été de Nice depuis 1960, ainsi qu’aux États-Unis et au Canada. LA GRANGE (Henri-Louis de), critique musical et musicographe français (Paris 1924). Licencié ès lettres, il suivit des études musicales, notamment avec Yvonne Lefébure et Nadia Boulanger, de 1947 à 1953. Il écrivit de nombreux articles de critique pour des revues musicales ou des périodiques non spécialisés français et étrangers. Collaborateur régulier de la revue Diapason, il a aussi rédigé une grande quantité de commentaires de disques ainsi que des analyses d’oeuvres à l’occasion des concerts de grands orchestres. À partir de 1960, il s’est consacré à la rédaction d’une vaste biographie de Gustav Mahler, dont le premier volume a paru en 1973 à New York, puis à Londres, avant d’être publié en France en 1979. Le deuxième et le troisième ont paru en France en 1983 et 1984 respectivement. Il a également donné des conférences sur ce compositeur en Europe et aux États-Unis, au Canada. Depuis 1974, il organise chaque été, en Corse, le festival des nuits d’Alziprato. Il a fondé à Paris en 1986 une bibliothèque GustavMahler et publié en 1991 Vienne, une histoire musicale (rééd. 1996). LA GROTTE (Nicolas de), organiste et compositeur français (Paris v. 1530 - id. v. 1600). D’abord joueur d’épinette et organiste du roi de Navarre, Antoine de Bourbon, il entra en 1562 au service du duc d’Anjou, qui, devenu le roi Henri III, le nomma valet de chambre et organiste ordinaire. downloadModeText.vue.download 557 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 551 Membre de l’académie de Baïf, il publia des Chansons de P. de Ronsard, P. Desportes et autres (1569) et collabora, en 1582, avec son ami C. Le Jeune à l’organisation des fêtes pour le mariage du duc de Joyeuse. Ce fut un des derniers polyphonistes, mais il s’orienta peu à peu vers la monodie et la basse continue. Il s’intéressa également à la chanson mesurée et fut un des premiers

à écrire des chansons en forme d’air. Il fut un des initiateurs de l’air de cour et inaugura la lignée des organistes du Grand Siècle (de sa production pour orgue ne subsiste malheureusement qu’une seule pièce). LAI. Genre littéraire chanté ou non, pratiqué jusqu’au XVe siècle, mais surtout en honneur aux XIIe et XIIIe siècles dans la France du Nord et les deux Bretagnes, la grande (Angleterre, Irlande) et la continentale (Bretagne française). D’origine vraisemblablement celtique (on lui trouve des origines dès le VIe siècle), le lai est, à l’origine, un poème narratif de caractère légendaire, apparenté à la chanson de geste et chanté comme elle sur un groupe de timbres à caractère répétitif, formant des laisses de longueur inégale, avec prélude et postlude instrumental (harpe ou vièle). Ces lais anciens sont décrits dans les romans, notamment dans ceux du cycle de Tristan, mais n’ont pas été conservés, les quelques pièces que l’on possède sous ce nom semblant en avoir pris la dénomination par analogie sans en avoir les caractères. On possède, en revanche, des adaptations diverses, qui, elles aussi, ont gardé le nom de lai. Les unes sont des récits en vers non chantés (Marie de France, XIIe s.), qui en racontent la matière sans en conserver la forme ; les autres sont des vers lyriques non narratifs, transmis avec leur musique et sans doute dans une forme analogue ; certains ont même conservé le titre du modèle sans que leur rapport avec lui apparaisse avec évidence (Lai du chèvrefeuille). Paradoxalement, on connaît ainsi, d’un côté, le contenu de l’histoire et, de l’autre, sa forme, musique incluse, sans pouvoir opérer la jonction ni reconstituer le modèle. Du XIIIe au XVe siècle, le lai devient de plus en plus un genre littéraire (Eustache Deschamps, Christine de Pisan), même s’il reste parfois chanté (G. de Machaut). Il se prolonge en Allemagne par le leich, qui en dérive. LAISSE. Équivalent de la strophe dans le lai ou la chanson de geste.

Le nombre de vers y est variable et on les chante sur un timbre ou un groupe de timbres de caractère répétitif s’adaptant au récit (timbres d’intonation, de développement, de conclusion). La laisse est souvent monorime, exception faite parfois d’un dernier vers plus court, dit biocat, ou orphelin. Elle peut remplacer la rime par une simple assonance. Le mètre le plus fréquent est le décasyllabe, soit mineur (4 + 6), soit majeur (6 + 4), mais on trouve aussi beaucoup d’autres types de vers. Par analogie, on donne aussi parfois le nom de laisse, dans certains récits, à des groupes de vers formant un ensemble d’un seul tenant, quelle qu’en soit la structure. LAJHTA (László), compositeur hongrois (Budapest 1892 - id. 1963). Moins connu à l’étranger Kodály, il fut pourtant, moitié du XXe siècle, le nom de la musique de son

que Bartók et dans la première troisième grand pays.

Après des études à Budapest, il vint compléter sa formation à la Schola cantorum, auprès de Vincent d’Indy (19111913), et devait toujours rester influencé par la musique française. En 1910, il fut le compagnon de Bartók et de Kodály dans leurs recherches folkloriques. Il entra en 1913 au département d’ethnographie du Musée national hongrois de Budapest et joua dans le domaine de l’ethnomusicologie un rôle de premier plan au niveau international. Sous certains aspects, sa carrière de compositeur ressemble à celle de son contemporain tchèque Bohuslav Martinºu. Il sut admirablement équilibrer, dans son oeuvre, les apports hongrois et ceux de la culture latine. Malgré ses nombreuses partitions de chambre (dont dix quatuors à cordes échelonnés de 1922 à 1953) et pour la voix, il fut avant tout un symphoniste. De ses neuf symphonies, composées de 1936 à 1961, sept sont postérieures à 1945. Il reçut en 1951 le prix Kossuth pour son action menée en faveur du folklore hongrois. LA LAURENCIE (Lionel, comte de), musicologue français (Nantes 1861 - Paris 1933).

Sorti premier de l’École nationale des eaux et forêts en 1883, il entra dans l’Administration. Mais, en 1898, il décida de se consacrer entièrement à la musique. Excellent violoniste, familier du répertoire du quatuor classique, il avait étudié la théorie avec Alphonse Weingartner, avant de suivre les cours de Bourgault-Ducoudray au Conservatoire de Paris. Spécialisé dans l’histoire de la musique instrumentale du XVIe au XVIIIe siècle, ainsi que dans celle de la musique française, il donna, à l’École des hautes études sociales notamment, des cours qui sont restés célèbres. Parallèlement, il assura - de 1919 à 1931 la continuation de l’Encyclopédie de la musique et dictionnaire du Conservatoire entreprise par Lavignac et il publia son ouvrage essentiel : l’École française de violon de Lully à Viotti (3 vol., Paris, 19221924 ; rééd. 1971). Membre de la section parisienne de la Société internationale de musicologie de 1905 à 1914, il participa, en 1917, à la fondation de la Société française de musicologie, dont il fut le premier président. LALO (Édouard), compositeur français (Lille 1823 - Paris 1892). Issu d’une famille d’origine espagnole, dont les ancêtres maternels et paternels étaient venus s’établir dans les Flandres au XVIe siècle, il commença ses études musicales au conservatoire de Lille, et y obtint un premier prix de violon en 1838. Le violoncelliste Baumann, qui, à Vienne, avait participé aux exécutions des symphonies de Beethoven sous la direction de leur auteur, lui donna des leçons de composition et lui communiqua le goût de la musique symphonique et de la musique de chambre. Aussi, à seize ans, Édouard Lalo décida-t-il de devenir un musicien professionnel. Il se heurta alors à la violente opposition de son père, ancien officier de la Grande Armée, qui ne voyait d’autre carrière pour son fils que celle des armes. Lalo ne céda pas ; il quitta la maison paternelle, partit pour Paris et entra au Conservatoire, où il étudia le violon avec Habeneck et la composition avec Schulhof. Ses premières années parisiennes furent extrêmement difficiles : il lui fallut à la fois étudier et gagner sa vie. Il écrivit d’abord des mélodies et des romances dans le goût de l’époque, puis des oeuvres de musique de chambre qu’il ne réussit pas à faire

éditer. Vers 1855, découragé, il renonça à composer, donna des leçons et tint la partie d’alto dans le quatuor Armingaud. Toutefois, son mariage, en 1865, avec une de ses élèves, Julie Besnier de Maligny, d’origine bretonne et vendéenne, lui redonna le goût de la composition. Et c’est à son intention qu’il écrivit - car elle chantait avec talent - ses Six Mélodies pour voix de contralto. Il prit part à un concours de musique dramatique organisé par l’État et composa un opéra en 3 actes, d’après Schiller, Fiesque, qui obtint en 1869 le troisième prix, mais ne devait jamais être représenté. En 1871, Édouard Lalo participa à la fondation de la Société nationale de musique. Le renouveau musical que connaissait alors la France l’incita à composer des ouvrages symphoniques. Il écrivit en 1872 un Divertissement pour orchestre que Pasdeloup dirigea l’année suivante ; en 1873, un Concerto pour violon que Sarasate créa en 1874. Enfin, en 1875, Sarasate fit acclamer la Symphonie espagnole, qui, à juste titre, est demeurée l’ouvrage le plus populaire d’Édouard Lalo. La Symphonie espagnole allie aux prestiges d’un brillant concerto pour violon le charme coloré d’une poétique incursion à travers downloadModeText.vue.download 558 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 552 une Espagne inventée par le compositeur. Des séjours qu’il fit en Bretagne après son mariage, il rapporta l’idée d’un opéra sur la légende de la ville d’Ys. Il se mit rapidement au travail, et, dès 1876, l’ouverture du Roi d’Ys fut donnée au concert. La partition du Roi d’Ys fut achevée vers 1880. Le directeur de l’Opéra ne voulut pas prendre le risque de monter l’ouvrage de Lalo, dont il fit pourtant un grand éloge, mais, en compensation, il commanda à l’auteur du Roi d’Ys un ballet, Namouna, ne lui laissant toutefois que quatre mois pour l’écrire. Dès qu’il eut le scénario en main, à la fin de juillet 1881, Lalo s’attela à la tâche, au rythme de quatorze heures par jour. Mais, avant d’avoir achevé sa partition, Lalo fut frappé d’une attaque d’hémiplégie. Gounod l’aida alors à terminer son orchestration. Et le 6 mars 1882, Namouna fut créé à l’Opéra. Le public fut dérouté par la richesse de cette musique ;

la critique lui fut hostile. Cependant, la salle, heureusement, compta des enthousiastes, Gabriel Fauré, Emmanuel Chabrier, Ernest Chausson, Claude Debussy, tous compositeurs qui allaient devenir l’honneur de la musique française. Le Roi d’Ys fut enfin représenté à l’Opéra-Comique le 7 mai 1888. Le succès fut très grand : plus de cent représentations en un an. Sur un thème dramatique, Lalo avait écrit une partition colorée, concise, délicate et puissante. Auteur d’au moins deux chefs-d’oeuvre, la Symphonie espagnole et Namouna, Lalo est un des pionniers du renouveau de la musique de chambre et de la musique symphonique en France dans la seconde moitié du XIXe siècle, et il a trouvé, avec les deux ouvrages cités plus haut, un style éminemment « français », caractérisé par sa clarté, sa netteté, son charme et sa couleur. LALO (Pierre), critique musical français (Puteaux 1866 - Paris 1943). Fils d’Édouard Lalo, il écrivit pour le Journal des débats, la Revue de Paris, puis dans le Temps, où il succéda à J. Weber (1898). Il apporta également sa collaboration au Courrier musical et à Comoedia. Une sélection de ses articles fut rassemblée dans la Musique (Paris, 1898-99), Richard Wagner ou le Nibelung (Paris, 1933) et De Rameau à Ravel, portraits et souvenirs (Paris, 1947). Il collabora enfin à la publication collective de conférences sur la musique données à la radiodiffusion : le Théâtre lyrique en France depuis les origines jusqu’à nos jours, où il signa en particulier le chapitre introductif Défense et illustration de la musique française. Pierre Lalo était membre du conseil supérieur du Conservatoire et de celui de la radiodiffusion. LALOY (Louis), musicologue français (Gray 1874 - Dole 1944). Docteur ès lettres en 1904 avec une thèse sur Aristoxène de Tarente et la musique de l’Antiquité, il fonda en 1905, avec Jean Marnold, le Mercure musical et enseigna l’histoire de la musique à la Sorbonne (1906-1907) et au Conservatoire (19361941). Il fut l’ami de Claude Debussy et l’un de ses premiers partisans. Nommé secrétaire général de l’Opéra en 1914, il écrivit, la même année, pour Albert Roussel, le livret de Padmavâti. Fin lettré, écri-

vain élégant, critique subtil, Louis Laloy publia, en 1928, un livre de souvenirs, la Musique retrouvée, où il retrace son évolution esthétique. PRINCIPAUX ÉCRITS : Jean-Philippe Rameau (1908) ; Claude Debussy (1909) ; la Musique chinoise (1912), la Musique retrouvée (1928). LAMBERT (Constant), compositeur, chef d’orchestre et musicologue anglais (Londres 1905 - id. 1951). Sa première partition majeure, le ballet Roméo et Juliette (1926), résulta d’une commande de Diaghilev. De son intérêt pour le jazz témoignent Elegiac Blues pour orchestre (1927) et surtout The Rio Grande (sur un poème de Sacheverell Sitwell) pour piano, choeur et orchestre (1927), ainsi que le Concerto pour piano et neuf instrumentistes (1930-1931). Citons également Summer’s Last Will and Testament pour baryton, choeur et orchestre, d’après T. Nashe (1932-1935), et le ballet Horoscope (1937). Son livre Music Ho ! A Study of Music in Decline (1934) est une étude pénétrante et provocante à la fois de l’état de la musique en Europe de 1910 à 1930 environ, les trois figures clés de l’époque étant pour lui Debussy, Sibelius et Schönberg, suivis de près par Stravinski. LAMBERT (Michel), chanteur et compositeur français (probablement Champigny, Vienne, v. 1610 - Paris 1696). Grâce à sa jolie voix d’enfant, il entra à Paris au service de Gaston d’Orléans. Devenu adolescent, il dut enseigner la musique à la fille du prince, la duchesse de Montpensier, dite la Grande Mademoiselle. Afin de perfectionner son chant selon la méthode italienne, il reçut les conseils de Pierre de Nyert avant de devenir, lui-même, le meilleur maître d’un art du chant spécifiquement français et le chanteur-compositeur préféré des salons de la société précieuse. En 1661, à la mort de Jean de Cambefort, Lambert fut nommé maître de musique de la Chambre du roi. Deux mois après, sa fille Madeleine épousait J.-B. Lully. Ainsi, et au moment de la création de l’Académie royale de musique, c’est Lambert qui forma les « actrices » et les instruisit dans l’art de la déclamation chantée. Sa réputation dépassa bientôt

très largement les frontières. Les airs et dialogues de Michel Lambert (plus de 200) appartiennent à un nouveau type, l’air sérieux, qui, proche encore de l’air de cour mais accompagné de la basse continue, annonce Lully. Ces airs ne comportent en général que deux strophes poétiques, le « simple » et le « double », ce dernier étant destiné à recevoir une ornementation vocale virtuose en laquelle Lambert excella. Il mit en musique la plupart des poètes précieux (Bouchardeau, G. Gilbert, F. Sarasin, J. Pascal, Pelisson, Benserade, P. Perrin). Il semble qu’il prit l’habitude de chanter ses airs en compagnie de sa belle-soeur, Mlle Hylaire (lui, la basse, et elle, le dessus), et de les accompagner lui-même au théorbe. C’est sous cette forme que parut, en 1669, à Paris, la réédition de vingt Airs de Monsieur Lambert..., dédiés à son maître Pierre de Nyert (1re éd., 1660). En 1689, il fit graver un livre d’Airs à une, deux, trois, quatre parties avec la basse continue (Ch. Ballard). Les pièces de ce recueil, souvent précédées de ritournelles instrumentales, qui témoignent d’une belle inspiration et d’une grande maîtrise technique, proviennent en majeure partie des ballets de cour auxquels il participa en tant que compositeur et interprète de petits rôles. Lambert serait également l’auteur des premières leçons de ténèbres pour voix seule et basse continue parues en France. LAMENTATION. 1. Chant lyrique déplorant une mort, qu’il s’agisse d’un parent, d’un ami ou d’un haut personnage. Le genre est très ancien (thrénodie grecque antique, naenia romaine, etc.) et s’est conservé dans de nombreuses traditions populaires (mirologue grec moderne, vocero corse, etc.). On le retrouve sous forme écrite dans la lyrique carolingienne sous le nom de planctus, puis dans le drame liturgique et les chansons de trouveurs (planh provençal), qui y adjoignent aussi des lamentations amoureuses (plaintes d’amants délaissés) ou d’autres sur des événements douloureux (lamentation sur la perte de Constantinople). Aux XIVe et XVe siècles, la mort de grands compositeurs (par exemple, Machaut, Dufay, Ockeghem) a été saluée par des lamentations écrites par leurs disciples. Le genre, relayé au XVIIe siècle par le tombeau, ne semble pas s’être prolongé au-delà.

2. Dans la liturgie catholique, terme réservé à la lecture chantée des plaintes (threni) du prophète Jérémie sur la décadence de Jérusalem, insérées comme leçons de matines en neuf lectures échelonnées du jeudi au samedi saint. On les appelle aussi leçons de ténèbres. downloadModeText.vue.download 559 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 553 Les lamentations se chantent sur un timbre de lecture particulier (6e ton), avec des formules spéciales d’intonation et de conclusion. Sauf pour le dernier chapitre, les versets sont numérotés par une lettre de l’alphabet hébreu, qui formait acrostiche dans l’original et qui est également chantée. Du XVe au XVIIIe siècle, les lamentations ont été fréquemment mises en musique par les compositeurs, d’abord a cappella, puis avec orchestre ou orgue. Parmi les plus célèbres, on cite celles de Tallis, Lassus, Victoria, Palestrina, M. A. Charpentier, F. Couperin, Zelenka, Stravinski (Threni), etc. 3. ( ! LAMENTO.). LAMENTO. Dans l’opéra du XVIIe et du XVIIIe siècle, morceau lyrique dans lequel un héros ou une héroïne exprime son désespoir. On le traduit parfois par lamentation. Le lamento, généralement placé peu avant le dénouement, est souvent écrit sur une basse contrainte, volontiers chromatique, et doit revêtir une grande intensité dramatique. Parmi les lamentos les plus célèbres figurent celui d’Arianna, seul morceau subsistant de l’opéra de Monteverdi portant ce titre, celui de Didon dans Dido and Aeneas de Purcell, etc. Après le XVIIIe siècle, quand le lamento eut cessé d’être un morceau d’opéra traditionnel, le terme a été repris sans caractère technique particulier, dans le sens de « chant triste », soit vocal (Lamento de Duparc), soit même instrumental (Lamento d’orchestre servant d’ouverture aux Troyens à Carthage de Berlioz). LAMOUREUX (Charles), chef d’orchestre

français (Bordeaux 1834 - Paris 1899). Il fut violoniste au Théâtre de la Renaissance tout en travaillant au Conservatoire dans la classe de Girard. Quand il obtint son premier prix (1854), il entra dans l’orchestre de l’Opéra, s’intéressa à l’enseignement et fonda en 1860 avec Édouard Colonne les Séances populaires de musique de chambre. Ayant fait un riche mariage, il disposa d’une fortune personnelle qui favorisa ses nombreuses entreprises musicales. En 1872, il fonda l’Harmonie sacrée, qui révéla aux Parisiens des oratorios de Bach et de Haendel, ainsi que des oeuvres contemporaines de Gounod et de Massenet. Nommé chef d’orchestre à l’Opéra-Comique en 1876, il démissionna l’année suivante et passa presque aussitôt au pupitre de l’Opéra, mais ne s’entendit pas avec son directeur, Vaucorbeil, et n’y resta que deux ans. En 1881, il créa au théâtre du Château-d’Eau les Nouveaux Concerts, qui se transportèrent plus tard salle Gaveau et devinrent les Concerts Lamoureux. C’est là qu’il donna toute sa mesure. N’ayant de compte à rendre à personne, libre du choix de ses programmes et de ses musiciens, il n’eut plus à réfréner son tempérament autoritaire et perfectionniste. Ses compatriotes et contemporains Lalo, d’Indy, Chabrier, Chausson bénéficièrent de son action énergique, mais aussi Wagner qu’il admira par-dessus tout (il fit chaque année le pèlerinage de Bayreuth). Il loua le théâtre Eden pour conduire, malgré une campagne de la presse nationaliste, la première parisienne de Lohengrin. L’année de sa mort, il loua aussi le Nouveau Théâtre de la rue Blanche, où eurent lieu, sous sa baguette, les dix premières représentations de Tristan et Isolde. Son gendre Camille Chevillard fut son premier successeur à la tête des Concerts Lamoureux. LAMPUGNANI (Giovanni Battista), compositeur italien (Milan 1706 - id. 1786). Il écrivit pour Milan, Venise et Londres des opéras dans le style sérieux, remarquables notamment par leurs récitatifs. À Londres, il succéda à Galuppi à la tête du théâtre royal de Haymarket et eut luimême comme successeur Gluck. On lui doit aussi de la musique instrumentale, dont les sonates en trio op. 1 et 2 (Londres,

v. 1745). LANDI (Stefano), compositeur italien (Rome 1586 ou 1587 - id. 1639). Élève de Nanino, il fut maître de chapelle à Padoue, puis à Santa Maria dei Monti à Rome (1624), et devint chantre à la chapelle pontificale (comme castrat) en 1629. Il écrivit des madrigaux et de la musique sacrée, mais se tourna aussi vers le style monodique, devenant un pionnier non seulement de la cantate, mais de la musique scénique avec l’opéra pastoral La Morte d’Orfeo (1619) et le drame musical Sant’Alessio (1632). LANDINI (Francesco), musicien et poète italien (Fiesole ? v. 1330 - Florence 1397). Il était le fils du peintre Jacopo del Casentino (mort en 1349). Sa vie est mal connue. Atteint de cécité dans son enfance, il abandonna la peinture pour la musique. Surnommé Franciscus caecus ou Francesco Cieco (« François l’Aveugle »), il fut facteur d’orgues, chantre, poète et compositeur, et connut sa plus grande renommée comme organiste. Il eut peut-être comme maître Jacopo di Bologna, et sa carrière se déroula principalement à Florence, où il fut organiste à San Lorenzo de 1365 à sa mort : cela à une époque où cette ville devenait le centre de la vie musicale italienne. Il s’y mêla aux cercles intellectuels gravitant autour de l’Université. Il séjourna aussi à Venise. Il participa à la construction de l’orgue de l’Annunziata à Florence en 1379, et à la rénovation de celui de la cathédrale en 1387. Il fut la principale figure de l’Ars nova italienne, ou plutôt florentine, et joua un rôle comparable à celui de Machaut en France un peu plus tôt. Le quart environ du répertoire de l’Ars nova italienne ayant survécu peut lui être attribué, et de sa renommée témoigne aussi le fait que sa musique fut copiée non seulement à Florence, mais en d’autres endroits d’Italie. On a de lui 154 compositions musicales, dont beaucoup sur ses propres textes, parmi lesquelles 141 ballate, dont 91 à deux voix, 42 à trois voix et 8 en deux versions (deux ou trois voix). De ce genre de la ballata, équivalent italien du virelai français, il fut le véritable créateur. On lui doit pour le reste 9 madrigaux à deux voix et 2 à trois voix, et 2 spécimens de caccia. À la différence de celles de Machaut, ses

oeuvres sont orientées vers la voix : 82 des 91 ballate à deux voix sont des duos vocaux sans accompagnement. Contrairement aux oeuvres françaises, travaillées à partir du ténor, les siennes le sont surtout à partir de la voix supérieure. Landini clôt avec éclat le XIVe siècle italien, mais, après lui, la péninsule allait mettre près de cent ans à retrouver une musique vraiment originale. LÄNDLER. Danse populaire à trois temps au parfum paysan (Land, « campagne »), particulièrement répandue en Autriche et en Allemagne du Sud, ancêtre de la valse. Les « danses allemandes » de Haydn ou Mozart ont en général tout du ländler, sauf le nom, qui fut utilisé pour la première fois dans son appellation moderne vers 1800. Contrairement à Johann Strauss, Joseph Lanner appela ses premières valses « allemandes » (Deutsche) ou Ländler. Le rythme du ländler fut utilisé, notamment, par Bruckner et Mahler dans leurs symphonies, et par Alban Berg dans Wozzeck (4e scène de l’acte II) et dans son concerto pour violon À la mémoire d’un ange. LANDON (Howard Chandler Robbins), musicologue américain (Boston 1926). Élève de Karl Geiringer à l’université de sa ville natale (1945-1947), il fonda, en 1949, à Boston et à Vienne, la Haydn Society, dont il devint immédiatement secrétaire général et qui, jusqu’à sa dissolution en 1951, poursuivit l’édition des oeuvres complètes de ce compositeur et en fit paraître un grand nombre (dont la plupart pour la première fois) sur disque. Landon publia ensuite un ouvrage fondamental, The Symphonies of Joseph Haydn (Londres, 1955 ; suppl., 1961). On lui doit également la première édition complète, réalisée dans les années 60, des symphonies de Haydn. Il a aussi publié sur Haydn, outre de nombreux articles, un ouvrage monumental downloadModeText.vue.download 560 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 554 en cinq volumes, Haydn : Chronicle and Works (Londres, 1976-1980), auquel est venu s’ajouter en 1981 un sixième volume, surtout iconographique (édit. franç.,

Paris, 1981). Outre ses symphonies, Landon a édité un grand nombre d’oeuvres de Haydn, ainsi que sa correspondance (The Collected Correspondence and London Notebooks of Joseph Haydn, Londres, 1959). Et depuis 1962 il édite le Haydn Yearbook (Haydn Jahrbuch). Nul n’a fait plus que lui pour la renaissance de Haydn auprès du public, depuis la Seconde Guerre mondiale. Il a édité avec Donald Mitchell A Mozart Companion (Londres, 1956) et publié Beethoven : A Documentary Study (Londres, 1970, vers. all. Beethoven : Sein Leben und seine Welt in zeitgenössischen Bildern und Texten, Vienne, 1970). Il a enseigné au Queens College, à New York (1969), à l’université de Californie, à Davis (1970) et à l’université de Cardiff (1978). Il a publié également Mozart and the Masons (1983), 1791 : Mozart’s last year (1988), Mozart : The Golden years (1989), Mozart and Vienna (1993), et édité The Mozart Compendium (1991). LANDORMY (Paul), critique musical français (Issy-les-Moulineaux 1869 Paris 1943). Agrégé de philosophie, il fut critique musical à la Victoire, au Figaro et au Temps. Il publia des monographies sur Brahms, Schubert, Gounod, Bizet, des études sur la musique française, et dirigea, chez Mellotée, la collection les Chefs-d’oeuvre de la musique expliqués. Ses ouvrages sont moins d’un historien que d’un critique, dont les jugements apparaissent souvent tributaires du goût de son époque. LANDOWSKA (Wanda), pianiste et claveciniste polonaise (Varsovie 1879 Lakeville, États-Unis, 1959). À l’âge de quatre ans, elle commença l’étude du piano avec J. Kleczinski, spécialiste renommé de Chopin. Après avoir suivi l’enseignement de A. Michalowski au conservatoire de Varsovie, elle quitta, en 1896, la Pologne pour Berlin, où professait H. Urban (également professeur de Paderewski et de Hofmann). Passionnée de musique vocale et de clavecin, Wanda Landowska trouva à Paris (1900-1913) un milieu favorable à l’épanouissement de ses idées, dans l’entourage de la Schola cantorum et de musicologues de renom (J. Ecorcheville, A. Pirro, L. de la Laurencie, Ch. Bordes, H. Expert, etc.). Wanda Landowska allait devenir le

porte-drapeau inspiré du renouveau de la musique ancienne. En 1903, elle donna un premier récital de clavecin, point de départ d’un combat acharné qu’elle mena sur tous les fronts, en jouant, en écrivant de nombreux articles (Bach et ses interprètes, 1905), un livre en forme de profession de foi (Musique ancienne, 1909) et en faisant évoluer la facture du clavecin. Sur le nouveau pleyel modifié par Gustave Lyon d’après ses conseils - dans le sens d’une plus grande coloration, grâce à l’adjonction d’un double clavier et d’un jeu grave de seize pieds -, elle joua Bach à Breslau en 1912. L’Académie royale de Berlin créa pour elle une classe de clavecin qu’elle dirigea de 1913 à 1919. Retenue contre son gré en Allemagne pendant la guerre, elle enseigna ensuite à Bâle et à Paris (à l’École normale et à la Sorbonne), avant de partir à la conquête des ÉtatsUnis en 1923 avec quatre clavecins et l’aide bienveillante de L. Stokowski. Elle y enregistra son premier disque. Mais c’est dans sa propre école de musique ancienne, à Saint-Leu-la-Forêt, à partir de 1925, que Wanda Landowska allait initier la génération montante de jeunes clavecinistes (R. Kirkpatrick, R. Puyana, C. Curzon, R. Gerlin, A. van de Wiele, I. Nef, etc.). Une salle de concerts y fut installée (1927) ; elle l’inaugura avec A. Cortot. Obligée de fuir en 1940 en abandonnant sa bibliothèque de 10 000 volumes et sa collection d’instruments anciens, elle gagna les ÉtatsUnis, où elle séjourna et travailla jusqu’à sa mort, enregistrant l’intégrale du Clavier bien tempéré de Bach et les oeuvres que lui dédièrent M. de Falla (Concerto pour clavecin, 1925) et F. Poulenc (Concert champêtre, 1928), poursuivant sa tâche par l’exemple et par l’écrit. Wanda Landowska a débarrassé le clavecin du carcan des fausses traditions, en prônant le droit à l’invention et à la liberté, dans le respect de l’esprit de chaque oeuvre. Cette volonté de rendre sa vitalité à un instrument, jusque-là guindé et quelque peu blafard, explique les outrances d’expression et de coloration qu’elle obtenait dans un grandiose ferraillement. Il serait injuste de s’y arrêter en ignorant la véritable grandeur de l’artiste, telle par exemple qu’on peut la découvrir dans ses enregistrements de Mozart au piano, d’une pureté inégalée. LANDOWSKI (Marcel), compositeur français (Pont-l’Abbé, Finistère, 1915).

Fils du sculpteur d’origine polonaise Paul Landowski, il est aussi par sa mère un descendant du compositeur Vieuxtemps. Très jeune, il montre d’évidentes dispositions pour la musique et prend des leçons de piano avec Marguerite Long. Après avoir terminé ses études secondaires, il est l’élève, au Conservatoire de Paris, de Noël Gallon (écriture) et d’Henri Busser (composition). En 1937, alors qu’il est encore élève du Conservatoire, ses premières oeuvres sont exécutées par Pierre Monteux : les Sorcières et les Sept Loups, pour choeur de femmes et orchestre. Son intérêt pour le groupe des Six, qui le fait mal voir au Conservatoire, se manifeste déjà, surtout pour Milhaud et Honegger. Il écrit, par la suite, un ouvrage sur ce dernier (1957). En 1939, alors que la guerre s’annonce, il compose l’oratorio Rythmes du monde, sur un texte de lui-même. Mais ses oeuvres les plus importantes datent de l’après-guerre : le Rire de Nils Halerius, légende lyrique et chorégraphique, avec laquelle il aborde la musique de scène (1944-1948), et sa première symphonie Jean de la Peur (1949). En 1950, il obtient le grand prix de composition de la Ville de Paris. Les années 1950-1960 voient naître le Concerto pour ondes Martenot, qui témoigne de son intérêt pour l’instrument auquel Messiaen et Jolivet ont déjà rendu hommage, l’opéra le Fou (1956, créé la même année à Nancy) et la comédie lyrique le Ventriloque (créée au Mans en 1956). De 1962 à 1965, Landowski a été directeur de la musique à la ComédieFrançaise ; en 1965, il a été nommé inspecteur général de l’enseignement musical au ministère des Affaires culturelles, avant d’y devenir chef du service de la musique (1966-1970). De 1970 à 1975, il est directeur de la musique, de l’art lyrique et de la danse à ce même ministère et, en 1975, inspecteur général de la musique au ministère de l’Éducation. La même année, il est élu membre de l’Institut, où il succède à son maître Busser. Toutes ces charges officielles, si elles ralentissent sa productivité, ne diminuent pas la qualité de ses oeuvres : l’Opéra de poussière, drame lyrique (1962) ; 2e et 3e symphonies (1963, 1964) ; Concerto pour flûte et cordes (1968) ; Messe de l’aurore pour solistes, choeur et orchestre (1977). En 1979, il écrit pour M. Rostropovitch

et G. Vichnevskaïa les trois poèmes Un enfant appelle pour soprano, violoncelle solo et orchestre. L’oeuvre est créée par les dédicataires à Paris l’année suivante. En août 1980, est créé à Vaison-la-Romaine le Pont de l’espérance pour orchestre, soliste et 3 choeurs, d’après la Marseillaise de la paix de Lamartine, en février de la même année, au Palais Garnier, le Fantôme de l’Opéra, ballet en 12 tableaux, en 1985 à Toulouse l’opéra Montségur, en 1988 à Radio France la Symphonie no 4 et à Nantes l’opéra la Vieille Maison. Ont suivi Leçons de ténèbres pour orgue, violoncelle, voix et orchestre (1991), Sonate en duo pour clarinette et piano (1992), un Concerto pour violon (1995), l’opéra Galina (Lyon, 1996). Dès ses débuts, Landowski s’est affirmé comme un indépendant, ouvert au langage du XXe siècle, tout en refusant le sectarisme de l’avant-garde. Sa recherche constante de spiritualité s’est exprimée dans cette phrase : « Le mysticisme et l’amour sont les deux thèmes de la musique. » downloadModeText.vue.download 561 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 555 LANG (Johann Georg), compositeur allemand (Svojsin, Bohême, 1722 - Ehrenbreitstein 1798). Entré en 1746 au service du prince-évêque d’Augsbourg, il devint premier violon dans son orchestre en 1758, après avoir séjourné en Italie. Il écrivit des symphonies et surtout des concertos pour piano, dont un fut attribué à Haydn (en fa majeur Hob. XVII I. F3). LANGAUS. Façon de danser l’allemande vers 1800, qui consiste, pour un couple, à parcourir la salle à grands pas et avec un minimum de révolutions. C’est un ancêtre direct de la valse. LANGLAIS (Jean), organiste et compositeur français (La Fontenelle 1907 - Paris 1991). Ancien élève d’André Marchal à l’Institution nationale des jeunes aveugles, de Marcel Dupré (orgue) et de Paul Dukas

(composition) au Conservatoire de Paris, il est titulaire de l’orgue de Sainte-Clotilde à Paris depuis 1945, tribune où il a succédé à Franck et à Tournemire. Jean Langlais a donné de très nombreux récitals dans le monde entier. Ses oeuvres, qui s’inscrivent dans l’héritage de Dupré et de Tournemire, sont essentiellement des pages d’inspiration religieuse (messes, cantates, psaumes, motets) et des partitions dédiées à son instrument : Neuf Pièces (1943), Suite française (1948), Hommage à Frescobaldi (1951), deux concertos pour orgue et orchestre, etc. Il est professeur d’orgue et d’improvisation à la Schola cantorum. LANGUETTE. Nom donné à l’anche vibrante des tuyaux d’orgue à anche. Une tige métallique appelée rasette, qui s’appuie sur elle, permet de régler sa tension et, par conséquent, d’accorder le tuyau correspondant. LANIER ou LANIÈRES (Nicolas), compositeur, chanteur, luthiste anglais d’origine française (Londres 1588 - id. 1666). Également peintre et doué d’un talent non négligeable, il fut nommé Master of King’s Music à la cour de Charles Ier. Il composa la musique de plusieurs masques représentés pour l’embellissement de diverses festivités (tel The Masque of Augurs de Ben Jonson, 1622). Le roi l’envoya en Italie pour se perfectionner et pour acheter des tableaux. Pendant la guerre civile, il perdit toutes ses possessions, et la majeure partie de ses manuscrits fut détruite. Après la Restauration en 1660, il retrouva sa place à la cour de Charles II, ainsi que son aisance matérielle. En 1669, J. Playford publia un recueil de Select Ayres and Dialogues to Sing to the Theorbo-Lute or Basse-Viol, qui contient quelques pièces de Nicolas Lanier. Musicien italianisant, il a aussi introduit le style du récitatif en Angleterre. On peut néanmoins remarquer dans quelques airs (Love’s Constancy) une influence française dans le domaine des ornements vocaux. LANNER (Josef), compositeur et violoniste autrichien (Vienne 1801 - Oberdöbling, Vienne, 1843). À douze ans, il entra dans l’orchestre de danse de Michael Pamer, qu’il quitta en

1819 pour former son propre ensemble. Tout d’abord simple trio composé de deux violons et d’une guitare auxquels vint s’ajouter un alto joué par J. Strauss père, le groupe s’étoffa bientôt jusqu’à former un orchestre d’une vingtaine de musiciens. En 1829, Lanner fut nommé directeur de la musique de bal de la cour impériale. Comme compositeur, il donna une ampleur particulière à la valse viennoise, qui devint, avec lui, une suite de quatre ou cinq valses, d’une élégance raffinée, avec introduction et coda. Ce fut lui qui, avec Johann Strauss père, en jeta les véritables fondations. Mais, contrairement à celui-ci, il appela ses premières valses « ländler ». LANZA (Alfredo Arnold COCOZZA, dit Mario), ténor américain d’origine italienne (Philadelphie 1921 - Rome 1959). Ayant étudié le chant avec Enrico Rosati, il débuta à La Nouvelle-Orléans dans Madame Butterfly et forma le Bel Canto Trio (1947) avec George London et Francis Yeend, effectuant, avec cette formation, de nombreuses tournées aux États-Unis. Après avoir acquis une incontestable notoriété, Mario Lanza se dirigea essentiellement vers des rôles pour la télévision et le cinéma, où il incarna, notamment, le rôle de l’illustre Caruso dans un film à grand succès : The Great Caruso (1951). LAPARRA (Raoul), compositeur et critique musical français (Bordeaux 1876 Suresnes 1943). Élève de Diémer, Massenet, Fauré et Gédalge au Conservatoire de Paris, il remporta en 1903 le prix de Rome, tandis que son frère William obtenait la même distinction en tant que peintre. Essentiellement musicien de théâtre, il a composé sur ses propres livrets Peau d’Âne (Bordeaux, 1899), la Habanera (Paris, 1908), la Jota (Paris, 1911), le Joueur de viole (Paris, 1926), les Toreras (Lille, 1929) et l’Illustre Fregona (Paris, 1931). Critique, il a collaboré, notamment, au Matin et au Ménestrel et laissé une étude sur la Musique et la Danse populaire en Espagne (1920), sa grande passion. Il fut un maître du naturalisme. LAPICIDA (Erasmus), compositeur et théoricien allemand ( ? v. 1445-1450 Vienne 1547).

Prêtre, il fut maître de chapelle du princeÉlecteur à Heidelberg, de 1510 à environ 1521 puis s’établit à Vienne (cloître des Écossais), grâce à l’archiduc Ferdinand d’Autriche. En 1545 encore, la cour de Vienne lui versait une pension. Il a composé des motets à quatre voix, des lieder à trois et quatre voix, des lamentations et une frottola édités dans divers recueils de l’époque. LA POUPLINIÈRE (Jean Joseph Le Riche de), mécène français (Chinon 1693 Paris 1762). Fils d’un fermier général, il devint fermier général lui-même et un des hommes les plus riches du royaume. Il mit une partie de sa fortune au service de la musique et fonda un orchestre, célèbre pour la qualité de ses instruments à vent. Parmi les artistes qui fréquentèrent sa somptueuse maison - où eurent lieu régulièrement répétitions et concerts -, on trouve le nom de Jean-Philippe Rameau à qui le mécène confia la direction de son orchestre. La Pouplinière joua un rôle non négligeable pour familiariser la société parisienne avec la nouvelle forme de la symphonie. LARDÉ (Christian), flûtiste français (Paris 1930). Il étudie au Conservatoire de Paris où il obtient les premiers prix de flûte et de musique de chambre (1948 et 1951). Il fait ses débuts à l’âge de dix-neuf ans comme flûte solo de l’orchestre de la radio irlandaise à Dublin. Deux ans plus tard, il est lauréat du Concours international de Genève. En 1956, il donne ses premiers concerts aux États-Unis et au Canada, où il se produira très fréquemment tout au long de sa carrière. En 1969, il est nommé professeur de flûte au Conservatoire de Montréal et en 1970 professeur de musique de chambre au Conservatoire de Paris. Très intéressé par la musique de son temps, il a assuré la création de pièces pour flûte de Taïra, Françaix, Casterède, Bancquart, etc. LARGHETTO. Mot italien, diminutif de largo, désignant des morceaux de caractère analogue à celui-ci, mais de mouvement un peu moins lent. Théoriquement, le larghetto (69 à 100 battements/minute) est un peu plus lent

que l’adagio (100 à 126), mais cette distinction est peu respectée. LARGO. Mot italien désignant un mouvement lent de caractère grave et solennel. Dans l’échelle théorique des mouvements, le largo (métronome 40 à 69 battedownloadModeText.vue.download 562 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 556 ments/minute) et son diminutif larghetto (69 à 100) sont censés être plus lents que l’adagio ! LENTO). Le mot largo est parfois employé comme titre pour des morceaux dont il indique le mouvement. L’un des plus célèbres largos, dit « largo de Haendel », est, en réalité, un air de l’opéra Serse (« Xerxès »), qui a été souvent transcrit sous ce nom pour les instruments les plus variés. LARIGOT. Jeu de mutation de l’orgue, de la famille des flûtes, faisant entendre l’harmonique 6 du son fondamental, c’est-à-dire sonnant à la 19e, soit 2 octaves et 1 quinte au-dessus de ce son fondamental. La hauteur du larigot est de 1 1/3 de pied pour une fondamentale de 8 pieds. LA ROCHELLE (Rencontres internationales d’art contemporain de). Festival fondé en 1973 à l’initiative de Claude Samuel, alors que celui-ci venait de quitter la direction artistique du festival de Royan. Il eut d’abord lieu à Pâques, puis en juillet. Il n’est pas ouvert seulement à la musique, mais il concerne également la danse, le théâtre, le cinéma, les arts plastiques, et s’est toujours tenu en liaison étroite avec la maison de la culture de la ville, s’efforçant à la fois de s’ouvrir sur un public autre que celui des spécialistes de musique contemporaine et de s’intégrer dans une action menée tout au long de l’année. Cet aspect « ouvert » du festival s’est fortement accentué à partir de 1980, année où Alain Durel a succédé à Claude

Samuel comme responsable artistique. Les deux dernières années de son existence (1983-1984), le festival a été dirigé par Patrick Szersnovicz. LARRIEU (Maxence), flûtiste français (Marseille 1934). Il suit les cours du Conservatoire de Paris, où il obtient le premier prix de flûte (1951) et celui de musique de chambre (1954). Il est également lauréat du concours international de Genève (1954). Il est ensuite soliste dans l’orchestre de l’Opéra de Paris jusqu’en 1978, puis, à partir de cette date, professeur au conservatoire de Genève. Il a donné des concerts dans le monde entier. LARROCHA (Alicia de), pianiste espagnole (Barcelone 1923). Elle apparaît en public dès l’âge de cinq ans, avant de commencer ses études avec F. Marshall à l’Académie de piano fondée en 1901 par Granados, à Barcelone. Elle donne un premier concert à douze ans avec l’Orchestre symphonique de Madrid dirigé par E. Fernandez Arbos, l’orchestrateur des Iberia d’Albéniz. En 1955, elle fait ses débuts aux États-Unis avec l’Orchestre philharmonique de Los Angeles. Mais peu d’événements viennent troubler une carrière entièrement vouée à la musique espagnole. Alicia de Larrocha la défend dans le monde entier, et elle enseigne à son tour à l’académie F.-Marshall, dont elle est nommée directrice en 1959. Élégante mozartienne, elle est insurpassable dans le répertoire ibérique, spécialement dans Granados, où ses qualités de vitalité et d’invention font merveille. LARSEN (Jens Peter), musicologue danois (Copenhague 1902 - id. 1988). Il a étudié les mathématiques (1920-21), puis la musique et la musicologie à l’université de Copenhague, obtenant sa maîtrise en 1928. S’étant intéressé à Haydn, il a obtenu son doctorat avec Die Haydn Uberlieferung (Copenhague, 1939), ouvrage fondamental étudiant de façon systématique le problème des sources et de l’authenticité des oeuvres de Haydn, et qui a inauguré les recherches modernes sur ce compositeur. A suivi Drei Haydn-Kataloge in Faksimile (Copenhague, 1941 ; rééd. rév., New York, 1979), publication en

fac-similé et avec commentaires des deux catalogues (Entwurf Katalog et Haydn Verzeichnis) que Haydn dressa lui-même ou fit dresser de ses oeuvres, ainsi que d’un troisième catalogue d’époque consacré à ses symphonies. Larsen a présidé, de 1949 à 1951, la Haydn Society et dirigé, de 1955 à 1960, le Joseph Haydn Institut de Cologne. Auteur de nombreux articles, en particulier sur le XVIIIe siècle, également spécialiste de Haendel, il est devenu professeur à l’institut de musicologie de l’université de Copenhague en 1945, et l’a dirigé de 1949 à 1965, prenant sa retraite en 1970. Il a enseigné également à Berkeley (1961) et à l’université du Wisconsin (1971-72), a présidé en 1975 le Congrès Haydn de Washington et ouvert celui de 1982 à Vienne. LARSSON (Lars-Erik), compositeur suédois (Åkarp 1908 - Hälsinborg 1986). Il a été l’élève d’Alban Berg à Vienne en 1929-30. S’il a évolué dans tous les styles d’écriture de notre temps, du néoclassicisme au sérialisme en passant par le néoromantisme ou le lyrisme nordique, c’est à ses oeuvres néoclassiques qu’il doit d’être l’un des compositeurs les plus populaires de son pays ; l’une de celles-ci, la Suite pastorale (1938), est probablement l’oeuvre suédoise la plus souvent interprétée. Entre 1955 et 1957, il a écrit 12 Concertini pour instrument solo et cordes, qui sont une réussite dans son oeuvre au même titre que les Kammermusik dans celle de P. Hindemith. Depuis 1960, il adopte un langage dérivé du sérialisme (Trois Pièces pour orchestre, 1960). Son style, son art de la forme moyenne, son habileté dans l’écriture instrumentale rendent quelque peu incompréhensible l’ignorance dans laquelle on tient son oeuvre hors des frontières de son pays. LA RUE (Pierre de) ou Pierchon, Petrus de Vico, Pieter Van der Straeten, compositeur franco-flamand (Tournai ? v. 1460 - Courtrai 1518). Ténor à la confrérie Notre-Dame de Boisle-Duc (1490-1492), il entra à la chapelle de Bourgogne (1492-1495). C’est dans ce milieu, et autour de cet héritage, qu’il travailla sans être tenté par le voyage en Italie. Cela lui valut, sans doute, sa réputation exceptionnelle au moment même où Josquin Des Prés brillait. Passé au ser-

vice de Philippe le Beau (fils de Marie de Bourgogne et de Maximilien Ier), il devint membre de sa chapelle de Lille (14961500) et l’accompagna en Espagne (15011502), puis de nouveau en 1505-1506, voyage au cours duquel mourut Philippe le Beau. Il entra alors au service de Marguerite d’Autriche, régente des Pays-Bas, à Malines (1506-1514), qui se conduisit à son égard en véritable mécène et lui obtint des prébendes (Gand, Namur, Termonde). En 1516, il se retira comme chanoine à Courtrai, où il mourut. La Rue apparut avant tout comme un compositeur religieux et un des meilleurs représentants de la solide école franco-flamande de contrepoint. Dans cette tradition, la plupart de ses messes, au nombre de 31, sont du type de la messe à teneur, souvent liturgique, parfois profane, employée avec une grande variété. Il excella à tirer des développements des figures les plus simples (Missa ut-fa), à utiliser comme Obrecht l’ostinato, et l’usage du canon est chez lui d’une virtuosité étourdissante (par exemple, Missa Ave sanctissima Maria, entièrement un triple canon, et Missa O Salutaris hostia, « Ô hostie salvatrice », où toutes les voix procèdent constamment par imitations canoniques). Dans ces messes, au-delà du dessin des parties, La Rue montre un sens harmonique certain, bien que l’augmentation du nombre des voix ne soit, en fait, qu’une amplification sonore (dans Ave sanctissima Maria, 3 des 6 voix doivent être déduites à la quarte supérieure). Le style de La Rue est généralement austère, parfois heurté avec de brusques arrêts, mais il peut faire preuve d’une écriture très claire, d’un sens mélodique très expressif. L’homophonie est un procédé qui ne l’attire guère. Ses chansons (une quarantaine, dont la célèbre Autant en emporte le vent), souvent mélancoliques conformément au climat de la cour de Marguerite, témoignent d’une grande habileté de composition : souplesse mélodique, richesses harmoniques (Pourquoi non ne veuil-je morir, à 4 voix). S’il semble downloadModeText.vue.download 563 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 557 s’être rapproché de Josquin Des Prés à la fin de sa vie, on peut cependant affirmer

qu’à l’écart de toute influence italienne il reste, en ce début du XVIe siècle, un représentant significatif du style des années 1480. LASCEUX (Guillaume), organiste et compositeur français (Poissy 1740 - Paris 1831). Il fut organiste à Chevreuse (1758) et à Saint-Étienne-du-Mont, à Paris (17691819). Outre une comédie lyrique (les Époux réconciliés), quelques sonates pour piano, un quatuor et des romances, son oeuvre consiste surtout en un Journal de pièces d’orgue, contenant des messes, magnificat et noëls à l’usage des paroisses et communautés religieuses, qu’il publia à partir de 1771. Ce journal fut suivi de nombreux autres recueils : Nouveau Journal, Nouvelle Suite de pièces d’orgue (1810), etc. Il est aussi l’auteur d’un Essai théorique et pratique sur l’art de l’orgue, très significatif sur la musique descriptive et naturaliste pratiquée par les organistes français autour de la Révolution. LASKINE (Lily), harpiste française (Paris 1893 - id. 1988). Élève d’Hasselmans au Conservatoire de Paris, elle remporte son premier prix à treize ans et entre aussitôt dans la carrière. À quatorze ans, elle se produit à Londres, et, à seize, elle est engagée à l’Opéra, où elle restera jusqu’en 1926. Soliste des concerts Koussevitski en 1921, des concerts Lamoureux de 1921 à 1940 et de 1943 à 1945, des concerts Straram à partir de 1926, des concerts Toscanini de Paris, de l’Orchestre philharmonique de Paris, de l’Orchestre national (1934-1938) et de diverses formations de chambre, elle a réintégré le Conservatoire de 1948 à 1958, cette fois en qualité de professeur, et formé une nouvelle génération de harpistes. LASSUS (Roland de, ORLANDO DI LASSO), compositeur franco-flamand (Mons 1532 - Munich 1594). Après une enfance dans le Hainaut, il fut, sans doute, membre du choeur de SaintNicolas de Mons. Attaché à Ferdinand Gonzague, vice-roi de Sicile (1545-1549), en raison de ses qualités vocales, il parcourut, à sa suite, la France, la Sicile, l’Italie. En 1546, il se trouvait à Milan. Puis, en 1549-50, il servit à Naples et à Rome un

chevalier de l’ordre de Malte, Constantino Castrioto. Et bientôt il fut appelé à assumer les responsabilités de maître de chapelle de Saint-Jean de Latran à Rome (1553). Ces déplacements lui permirent de multiplier les échanges musicaux, d’accélérer et de diversifier sa formation. Formation redevable, par ailleurs, à l’art italien pour lequel il se passionnait. Mais la maladie et la mort de ses parents (1554) l’obligèrent à regagner son pays. Après un passage en Angleterre, Lassus séjourna à Anvers (1555-56), où, chez Susato, parurent ses premières oeuvres, publiées dans le même temps à Venise. Il fut engagé comme ténor à la cour du duc Albert V de Bavière et fut nommé, en 1563, à Munich, maître de chapelle de la cour, poste qu’il devait occuper jusqu’à sa mort. Cette stabilité professionnelle ne restreignit en rien le nombre de ses voyages diplomatiques et artistiques - en Italie, en France (1571) et même à Vienne. Anobli en 1570, Lassus entretint d’étroites relations avec maintes cours européennes, qui, souvent, se conduisirent à son égard en véritables mécènes. Ainsi, en France, le roi Henri III lui accorda-t-il, en 1575, un privilège pour la publication de ses oeuvres. Et le musicien put se retirer quelque peu de la vie de cour à partir de 1580, pour se consacrer à la composition religieuse. Très vaste, l’oeuvre de Roland de Lassus exploite toutes les formes de l’époque. Par goût et pour satisfaire une « clientèle » aussi diverse qu’exigeante, le compositeur a écrit 700 motets, 53 messes, 101 magnificat, 180 madrigaux, 146 chansons françaises, 93 lieder, des hymnes, psaumes, offices, 4 passions, etc. Mais il n’a pas créé de genre : il a donné aux genres existants une dimension nouvelle, les élargissant et les approfondissant pour leur imprimer sa marque personnelle. Cette oeuvre, reflet de son expérience et de ses voyages, se présente comme une synthèse des tendances françaises, allemandes et italiennes qu’il sut parfaitement assimiler ; et Lassus y apparaît tel un trait d’union entre Ockeghem, Josquin Des Prés et Monteverdi. Ses contemporains ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, et lui ont décerné les qualificatifs de « Orpheus belgicus », « mirabile Orlando », « divin Orlande », « Prince des musiciens de notre temps », etc. La diffusion de sa musique à travers l’Europe fut

immense, à en juger par les transcriptions instrumentales auxquelles elle donna lieu et par le nombre de maisons d’édition qui souhaitèrent publier ses oeuvres. Les madrigaux à 5 voix tiennent, en nombre et en importance, le premier rang des oeuvres profanes, témoignage des dix années que Lassus passa en Italie à une époque déterminante de sa formation musicale. Le compositeur y adopte une attitude nouvelle, en laissant le texte, et non la prosodie, déterminer la forme musicale autant que le traitement fortement individualisé des motifs. De cette volonté de donner une traduction directe du texte découle un dessin très ferme, éloigné à la fois d’un maniérisme expressif et d’une fausse simplicité. Le madrigal sérieux prédomine, sous l’influence de Cyprien de Rore, par exemple dans Crudel, acerba, inesorabili morte, sur un texte de Pétrarque qu’il affectionne particulièrement et où il allie grandeur et profondeur. Mais, à la fin de sa vie, Lassus se tourna vers le madrigal spirituel, négligeant, en revanche, le madrigal pastoral à la mode vers 1580 et si prisé de Philippe de Monte. Le ton change peu à peu, en effet, de la gaieté des premières oeuvres à l’austérité et à la tension intérieure des derniers madrigaux, tel le cycle des Larmes de saint Pierre à 7 voix sur des textes de Luigi Tansillo. Selon un processus parallèle, Lassus se détourna de ses premières expériences chromatiques. Chez lui, la chanson française peut être pittoresque (Dessus le marché d’Arras), burlesque ou caustique avec un strict syllabisme (Un jour vis un foulon), grivoise (Il estoit une religieuse), courtoise (Ardant amour, Bonjour mon coeur) ou élégiaque (Je l’aime bien), mais les pages mélancoliques se firent plus nombreuses au fil des années. Avec Lassus, la chanson apparaît comme une synthèse des différents caractères du genre, tel qu’il était pratiqué à Paris au début de la seconde moitié du XVIe siècle (après Janequin) - sans toutefois atteindre la perfection, voire l’originalité d’un Claude Le Jeune -, et des éléments du madrigal. À côté des compositions à 4 voix, on trouve des édifices à 5, parfois 6 ou 8 voix. Le souci constant du rapport texte/musique (Lassus s’adresse volontiers à A. Chartier, F. Villon, et aux poètes de la Pléiade) se traduit par l’insertion d’éléments figuralistes, ainsi que par la recherche de l’expression à la fois

sur le plan mélodique et harmonique (la Nuict froide et sombre). De plus, Lassus juxtapose volontiers cellules homorythmiques et courts passages en imitations (Ô vin en vigne). François Lesure a souligné combien sont capitales dans l’histoire de la chanson française la publication en 1557 à Paris de deux chansons tirées du recueil de Susato et l’influence de Lassus en France dans la seconde partie du siècle. Adrian Le Roy, luthiste et éditeur, en fut l’artisan : il l’introduisit auprès de Charles IX, qui échoua dans ses tentatives pour le retenir à la cour de France (il retourna à Munich). Lassus était profondément croyant, et son oeuvre ne put s’abstraire du courant de la Contre-Réforme qu’il avait embrassé avec passion. Certes, malgré ses 53 messes, il ne saurait, en ce domaine, égaler un Palestrina ni parvenir à une émotion comparable. Dans ses 37 magnificat, il sacrifie à l’usage de la messe-parodie. Dans les messes brèves ou celles à 4 voix (Octavi toni, 8e ton), il se sent moins à l’aise que dans des formes plus amples, à 5 et 6 voix, où il peut accorder une place plus importante au développement et au lyrisme (Ecce nunc benedicite Dominum, à 6 v.). Les motets, qu’il écrivit tout au long de sa vie, restent son titre de gloire et son downloadModeText.vue.download 564 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 558 oeuvre la plus significative. Du genre, il a, en effet, considérablement élargi la forme et approfondi l’esprit : ses motets sont à la fois l’aboutissement de la polyphonie flamande et son éclatement sous l’influence italienne. Lassus préfère l’imitation libre et recherche notamment, dans les motets de 6 à 12 voix, les effets de sonorités, les modulations audacieuses, le chromatisme (une voie dans laquelle il n’a pas persévéré), les oppositions de style polyphonie-homophonie, les ruptures brusques et, en général, tout ce qui ne manque pas de surprendre, telle la déclamation quasi parlando (Super flumina Babylonis). Enfin, Lassus s’essaya, à la suite de Willaert à Venise, au double choeur, guidé dans cette voie par le souci de libérer toute l’émotion du texte. À cette méditation spirituelle se rattachent les cycles des Prophéties des sibylles, des Lamentations du prophète

Jérémie, fondées sur le contrepoint et le symbolisme madrigalesque, ainsi que les Psaumes de la pénitence à 5 voix, destinés à l’usage privé du duc de Bavière, et dont l’absence de chromatisme et la grandeur un peu massive ne nuisent en rien à l’intensité de l’expression. LAUDA (ital. : « chant de louange »). Forme particulière de chanson pieuse en langue italienne, avec strophes et refrain, mise en honneur vers 1225 par saint François d’Assise et ses disciples, mais dont l’existence est antérieure. Elle dérive sans doute des chants de louange à la Vierge ( ! LAUDE), dont certaines confréries spécialisées (laudesi) s’étaient fait un abondant répertoire, et tenait une grande place dans les processions des Flagellants qui se répandirent surtout en Italie à partir de 1260. D’abord monodique, la lauda prit parfois une forme polyphonique à partir du XIVe siècle (Jacopo de Bologne) ; elle dégénéra au XVe siècle pour sombrer souvent dans la simple adaptation de mélodies connues, alimenta le répertoire de l’Oratoire de saint Philippe Neri, où, vers 1600, naquit l’oratorio, et vécut jusqu’au XVIIIe siècle, au cours duquel elle s’éteignit progressivement. LAUDE. 1. En italien, pluriel ou variante du mot lauda. 2. En français, nom générique féminin donné jadis aux chants de louange (du lat. laus, laudis). L’une des plus célèbres est le Christus vincit chanté aux couronnements, dit « laudes carolingiennes ». 3. Laudes : nom donné à l’office qui fait suite à matines pour former avec elles l’office du début de la journée ( ! HEURES). Elles en ont d’abord été distinctes : les matines devaient se chanter de nuit, d’où leur surnom d’« office des ténèbres » et leur division en « nocturnes « ; les laudes se chantaient au lever du soleil. Les deux offices se sont peu à peu soudés l’un à l’autre. LAURENTIUS DE FLORENTIA (SER Lorenzo, LORENZO MASII ou MASINI), compositeur et pédagogue italien († Florence fin

1372 ou début 1373). Il enseigna dans différentes églises florentines et mit en musique des textes de Boccace, Niccoló Soldanieri, Franco Saccetti et Gregorio Calonista. C’était un esprit spéculateur, et ses oeuvres, qui comprennent, entre autres, des madrigaux, des ballate et des cacce, présentent surtout un caractère didactique (L’Antefana), ou expérimental, avec des raffinements de rythme et de notation. Il lui arrive ainsi, comme dans les madrigaux Sovra la riva et Vidi nell’ombra, de noter différemment un rythme identique. Il innova aussi au niveau de la mélodie, en introduisant de longs mélismes à la partie supérieure et en se préoccupant déjà de problèmes de tonalité. Son écriture harmonique, en revanche très conservatrice, privilégie les consonances parfaites et le mouvement parallèle des voix. LAURI-VOLPI (Giacomo), ténor italien (Lanuvio 1892 - Burjasot, Espagne, 1979). Il fit des études d’avocat, puis de chant à l’académie Sainte-Cécile de Rome. ll débuta dans le rôle d’Arturo des Puritains de Bellini à Viterbe en 1919. À partir de 1920, il fit une carrière internationale importante et devint l’une des vedettes du Metropolilan Opera de New York, où il se produisit dans 26 opéras différents, dont Luisa Miller de Verdi et Turandot de Puccini (qu’il créa aux États-Unis). Son timbre vocal était d’une grande beauté, avec un aigu claironnant et facile. Il avait beaucoup de succès dans les rôles à tessiture tendue, que l’on considérait dans les années 30 comme « héroïques », tel Arnold de Guillaume Tell. Il se produisait encore au théâtre à soixante ans passés. LǍUTAR (lǎuta ou alǎuta, « luth »). Musicien populaire roumain d’origine paysanne, citadine ou tzigane, faisant partie d’un petit orchestre (taraf) et jouant à l’occasion de noces, baptêmes, enterrements. Les lautari, organisés en corporations (bresle), se transmettent généralement la profession de père en fils. Leur répertoire, qui varie selon les époques et les régions, comprend des ballades, des doïnas, des chants de haïdouks, des chants d’amour, des danses populaires ou de salon, des chants rituels.

LAVALLÉE (Calixa), compositeur canadien (Verchères, Québec, 1842 - Boston 1891). Pianiste et violoniste d’une rare précocité (il obtint à huit ans un prix aux ÉtatsUnis), il commença sa carrière comme virtuose et voyagea à ce titre du Brésil aux Indes occidentales et aux États-Unis. Après avoir été chef d’orchestre à New York, où il présenta ses premières oeuvres, il reprit, à trente ans, ses études en France avec Bazin, Boieldieu fils et Marmontel. De retour au Canada, il s’y affirma comme le meilleur animateur de la vie musicale, notamment dans l’enseignement. Mais, déçu de n’être pas suivi, il s’exila aux États-Unis, où il devint organiste et maître de chapelle de la cathédrale de Boston. LAVIGNAC (Albert), pédagogue et musicologue français (Paris 1846 - id. 1916). Il fut élève de Marmontel, Bazin et Ambroise Thomas au Conservatoire de Paris, avant d’y être professeur de solfège (1871), puis d’harmonie (1891). Il eut notamment pour élèves Pierné et Debussy. Ses premiers ouvrages sont didactiques : Cours complet théorique et pratique de dictée musicale, Solfèges manuscrits, Cinquante Leçons d’harmonie, l’École de la pédale. Il est, également, l’auteur de la Musique et les musiciens (1895), le Voyage artistique à Bayreuth (1897), les Gaietés du Conservatoire (1899), l’Éducation musicale (1902), Notions scolaires de musique (1905-1906). Il fut le fondateur de l’Encyclopédie de la musique et dictionnaire du Conservatoire (histoire de la musique, technique, pédagogie et esthétique, dictionnaire de musique), dont les premiers volumes parurent à partir de 1912. LAWES, famille de musiciens anglais. Henry, compositeur et chanteur (Dinton, Wiltshire, 1596 - Londres 1662). Élève de John Coprario, il fut nommé Gentleman of the Royal Chapel de Charles Ier en 1626. Peut-être fut-il l’auteur de la musique du « masque » de Thomas Carew, Coelum britannicum (1634). Toujours estil qu’il collabora avec Milton pour la musique de l’un des premiers vrais masques dramatiques, Comus (1634). Cinq airs de ce spectacle, proche de l’opéra et où l’in-

fluence de la pastorale italienne demeure forte, sont conservés, conçus pour voix seule dans un style récitatif et accompagnés de la basse continue. Thomas Arne devait composer, en 1738, un opéra sur le même sujet. Des Select Musical Ayres de Henry Lawes furent publiés en 1652 dans le recueil de Playford. En 1653 parut un volume entièrement de lui, Ayres and Dialogues for One, Two and Three Voyces, qui connut un vif succès, ainsi que l’attestent les rééditions de 1655 et 1658. Pour le downloadModeText.vue.download 565 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 559 Siege of Rhodes de Henry Davenant, souvent considéré comme le premier opéra anglais, Lawes composa la musique des actes I et V. Également auteur de psaumes et d’anthems, Lawes fut très apprécié de ses contemporains ; Milton, par exemple, parle de « Harry, dont le Chant mélodieux et bien mesuré... » dans un sonnet élogieux intitulé To Mr. H. Lawes on the Publishing of his Ayres. Mais, contrairement aux prédictions du poète, Lawes tomba vite en disgrâce et la génération suivante lui porta plus de critiques acerbes que de louanges. Néanmoins, il demeure l’un des premiers à avoir clarifié les rapports entre le rythme de la langue anglaise et la musique, ouvrant par-là la voie à Purcell. William, compositeur (Salisbury 1602 Chester 1645). Comme son frère Henry, il fut l’élève de John Coprario et fut nommé Gentleman of the Royal Chapel. Lors de la guerre civile, il se battit pour la cause royaliste et trouva la mort pendant le siège de Chester. Sa carrière fut tournée vers la musique instrumentale. S’il resta fidèle au style traditionnel fondé sur l’emploi d’un cantus firmus (In nomine à 5 et 6 voix), il sut également innover et écrivit des oeuvres très personnelles axées sur l’avenir. William Lawes a laissé des fantaisies pour violes et un recueil de six suites de danses, The Royal Consort, qui fait appel à deux violons, deux basses de viole et deux théorbes. Plus « modernes » sont ses danses, conçues pour deux violons et basse continue dans le style de la sonate

en trio, et publiées après sa mort dans les Courtly Masquing Ayres de J. Playford (1662). Dans le domaine de la musique vocale, William Lawes a écrit des airs, de la musique d’église (par ex., son anthem, The Lord is my light), la musique pour le masque de Shirley The Triumph of Peace en collaboration avec Simon Ives (1634), et la musique pour un masque de William Davenant The Triumph of the Prince d’Amour (1636). LAZZARI (Sylvio), compositeur français (Bozen, Autriche, 1854 - Suresnes 1947). Autrichien de naissance, il fit ses premières études dans son pays natal, y subissant une profonde influence wagnérienne. Arrivé en France en 1882, il entra au Conservatoire de Paris dans les classes de Guiraud et de Gounod. Il se lia aussi avec Franck et Chausson, qui le conseillèrent. Il subit alors l’influence des impressionnistes et tenta de réaliser la problématique synthèse entre le style de Wagner et celui de ses contemporains français. Homme de tempérament indépendant, il occupa néanmoins plusieurs postes importants : il fut chef des choeurs à l’Opéra de MonteCarlo et présida la société Wagner à Paris. Il fut attiré par la Bretagne, dont s’inspire sa première oeuvre lyrique, Armor (créée à Prague, 1898). Si son orchestre possède la puissance, la sonorité, la couleur de celui de Wagner, ses mélodies respirent le plus pur accent du terroir breton. On peut regretter que ses oeuvres dramatiques comme la Lépreuse (1902) ou la Tour du feu (1928) soient aujourd’hui délaissées. LEBÈGUE (Nicolas), organiste, claveciniste et compositeur français (Laon 1631 - Paris 1702). Venu de bonne heure à Paris, il y fut marqué par Champion de Chambonnières. En 1664, il fut nommé titulaire de l’orgue de Saint-Merri, poste qu’il conserva jusqu’à sa mort. Hautement estimé par Louis XIV, il fut nommé organiste de la Chapelle royale en 1678. Son autorité en matière de facture d’orgues le fit appeler en expertise dans la France entière. Il a également été un professeur recherché, comptant parmi ses élèves d’Agincourt, Geoffroy et surtout Grigny. Compositeur, Lebègue fut l’un des plus

féconds de son temps. Ses deux livres de clavecin et ses trois livres d’orgue nous sont tous parvenus. Le Premier Livre d’orgue (1676), destiné aux virtuoses, est son chef-d’oeuvre, les deux autres étant écrits pour « ceux qui n’ont qu’une science médiocre ». Ces livres réunissent des suites, des noëls, des offertoires, des élévations, des versets de magnificat et des pièces de concert. Créateur d’un talent modeste, Lebègue n’en est pas moins le premier à avoir écrit dans les formes qui allaient être cultivées par tous les organistes des générations suivantes : récits, duos, trios, basses et dessus de trompette, de cornet ou de cromorne. Il a également donné de très nombreuses et précises indications d’exécution et de registration, dans des mélanges souvent nouveaux, indications qui, grâce à la diffusion de ses oeuvres imprimées, ont contribué à informer les organistes de province. LEBRUN (Ludwig), hautboïste et compositeur allemand (Mannheim 1752 - Berlin 1790). Titularisé dans l’orchestre de Mannheim à l’âge de quinze ans, il s’installa avec ce dernier à Munich en 1778 et lui resta attaché jusqu’à sa mort. Auteur de sept concertos et d’oeuvres diverses pour son instrument, il effectua après leur mariage (1778) plusieurs tournées en Europe avec sa femme, la soprano Franziska Dorothea Lebrun, née Danzi (1756-1791). LE CAINE (Hugh), compositeur et physicien canadien (Port Arthur, Ontario, 1914 - Ottawa 1977). Il a étudié à Kingston et à Birmingham (Angleterre), où il a obtenu un doctorat ès sciences en 1952. Il s’est orienté vers la mise au point d’instruments de musique électroacoustique et a contribué à la création de programmes d’études de musique électroacoustique à l’université de Toronto (1959), à l’université hébraïque de Jérusalem (1961) et à l’université McGill (1964), où il enseigne depuis 1966. Ses oeuvres, dont beaucoup sont très brèves, relèvent presque exclusivement du domaine électroacoustique ; citons Dripsody (1955), Ninety-Nine Generators (1956), The Burning Deck, mélodrame sur un texte de D. F. Hemans (1958), Sounds to forget (1963), Paulution (1970). LE CAMUS (Sébastien), violoniste,

théorbiste et compositeur français ( ? v. 1610 - Paris 1677). Intendant de la musique de S.A.R. Gaston d’Orléans (1648), il fut nommé en 1660 surintendant de la musique de la reine Marie-Thérèse. Il fut également membre de la Petite Bande, orchestre formé par Lully avec les meilleurs instrumentistes des Vingt-Quatre Violons du roi. Dans son Traité de la viole (1687), Jean Rousseau dit de lui : « Le seul souvenir de la beauté et de la tendresse de son exécution efface tout ce que l’on a entendu jusqu’à présent sur cet instrument. » Ses « beaux airs », dont il semble avoir écrit un grand nombre, furent fort appréciés de son vivant et continuèrent, après sa mort, à paraître dans les recueils collectifs de l’éditeur Ballard. Avec son contemporain Michel Lambert, Le Camus compte parmi les maîtres de l’air sérieux. C’est son fils Charles qui prépara le livre d’Airs à deux et trois parties de feu Monsieur Le Camus (1678). Sauf une exception (à 2 voix), ces airs sont pour 1 voix et basse continue ; ils témoignent d’une écriture soignée, d’une sensibilité envers le texte poétique et d’un langage harmonique souvent italianisant (cf. chromatisme du rondeau Amour, cruel amour). LE CERF DE LA VIEVILLE DE FRENEUSE (Jean-Laurent), écrivain français (Rouen, 1674 - id. 1707). Sa réputation de poète et de théoricien repose aujourd’hui sur sa célèbre Comparaison de la musique italienne et de la musique française (Bruxelles, 1704-1706 ; rééd. 1972), rééditée dans l’Histoire de la musique et de ses effets de P. Bourdelot (Amsterdam, 1721-1726). Ses critiques, pertinentes, sont souvent injustement sévères envers la musique italienne. Le Cerf est un ardent défenseur de la musique française et, en particulier, de l’opéra lullyste. Son étude constitue une mine de renseignedownloadModeText.vue.download 566 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 560 ments pour une interprétation plus « authentique » de la musique du XVIIe siècle et souligne l’importance souveraine du texte poétique dans la musique vocale.

LECHNER (Leonhard), compositeur allemand (Vallée de l’Etsch, Tyrol du Sud, v. 1553 - Stuttgart 1606). Chantre à la chapelle du duc de Bavière jusqu’en 1570, où il fut l’élève de Roland de Lassus, il mena probablement, à partir de cette date, une vie errante, qui le conduisit peut-être en Italie. En 1575, il obtint un modeste emploi à l’école paroissiale SaintLaurent à Nuremberg. Appointé comme musicien en 1577, il occupa, en 1582, la fonction de premier musicien de la ville. Au cours des années passées à Nuremberg, il fut également mêlé à la vie musicale de plusieurs cénacles patriciens auxquels il dédia certaines de ses oeuvres profanes. En 1584, il entra au service du comte Eitel Friedrich de Hohenzollern à Hechingen. Mais il quitta ce dernier presque aussitôt pour des raisons confessionnelles et se réfugia à Tübingen. N’ayant pu obtenir l’emploi qu’il espérait auprès du prince électeur de Saxe à Dresde, il fut chantre (1585-1589), compositeur (1589-1594), puis maître de chapelle à la cour du duché de Wurtemberg. Les sept recueils de chansons publiés entre 1576 et 1589 constituent la partie la plus importante de son oeuvre et son aspect le plus personnel. Dans ses chansons, il mêle au type de la villanelle italienne des passages écrits dans un style contrapuntique plus traditionnel. Sa Passion selon saint Jean (1593) tient une place prépondérante dans son oeuvre religieuse (motets et messes) par la rigueur avec laquelle il observe la mélodie liturgique et par la grande liberté qui régit la construction polyphonique de l’oeuvre. LECLAIR, famille de musiciens et compositeurs français des XVIIe et XVIIIe siècles. Antoine, passementier, violoncelliste et danseur (fin XVIIe - début XVIIIe s.). Sur ses huit enfants, six furent violonistes. Jean-Marie, dit L’aîné, compositeur et violoniste (Lyon 1697 - Paris 1764). Fils d’Antoine, c’est comme danseur et maître de ballet qu’il apparut tout d’abord, fidèle, en cela, à une tradition française qui alliait la pratique du violon et la danse : il fut alors à la cour de Turin (1722), où il travailla peut-être avec le célèbre violoniste J. B. Somis. Son 1er Livre de sonates fut publié à Paris (1723), mais Jean-Marie Leclair ne s’installa dans la capitale

qu’en 1728, se taillant un succès triomphal au Concert spirituel. Il entra en 1733 à la musique du roi, en même temps que Guignon. Son caractère difficile et son insociabilité lui firent rapidement quitter l’orchestre royal : il voyagea à l’étranger, se fixa quelque temps à Amsterdam, où il travailla avec Locatelli. Après un séjour à la cour de l’infant d’Espagne à Chambéry, il se fixa définitivement à Paris (1743), où il fit exécuter son opéra Sylla et Glaucus (1746). Il y mena une vie assez solitaire, séparé de sa seconde femme, et mourut mystérieusement assassiné. Caractère difficile et ombrageux, d’humeur instable, insociable et misanthrope, il ne fut ni aimable ni, sans doute, heureux : mais son oeuvre est de premier plan. À l’exception de son opéra, dans lequel le chorégraphe laisse des pages remarquables et où le symphoniste fait preuve d’une très grande richesse d’écriture et d’orchestration, c’est la musique instrumentale qui constitue la totalité de son oeuvre, considérable en nombre et en qualité. Celle-ci consiste en une série de recueils de sonates, publiées de 1723 à 1753 : Sonates pour violon et basse continue (4 recueils, 1723, 1728, 1734, 1738, plus un recueil posthume publié en 1767) ; Sonates pour deux violons sans basse (1730 et 1747) ; Sonates en trio pour deux violons et basse continue (1730, 1737, 1753, et un recueil posthume en 1766) ; auxquelles s’ajoutent deux séries de 6 Concertos (1737, 1743 ou 1744), tous écrits pour violon avec accompagnement de cordes, à l’exception d’un seul, pour la flûte ou le hautbois. Leclair était, en son temps, réputé pour la précision, la netteté, la justesse de son jeu, autant que pour sa virtuosité. Ses sonates manifestent à la fois la hardiesse et l’aisance technique de leur auteur. Mais, à la différence d’un Locatelli, Leclair ne tombe jamais dans l’excès de la virtuosité : la rigueur de la composition, la hauteur de la pensée, mais aussi le charme égalent l’éclat et le brillant de la technique. C’est cet équilibre qui le caractérise, et qui se retrouve dans l’alliance qu’il sait faire de l’écriture musicale et de la technique violonistique italiennes avec la tradition française : la stylisation des rythmes de danse caractéristique de la suite à la française

s’insère dans le cadre de la sonate à l’italienne, avec un développement des idées musicales visiblement issu d’outre-mont. Ses concertos ont adopté le plan vivaldien en trois mouvements (vif-lent-vif), alors que ses sonates conservent celui de la sonate da chiesa en quatre mouvements (grave, allegro, andante, vivace). Ce sont tous des concertos de soliste (pas de concerto grosso). Quatre tutti encadrent trois solos dans les mouvements vifs (trois et deux dans les mouvements lents). Les passages confiés au soliste sont variés : brillants et mélodiques, ou récitatifs tendres et frémissants ; tandis que le lyrisme et parfois la gravité se manifestent dans les mouvements lents. La richesse de l’invention mélodique et celle de l’écriture harmonique, autant que la sûreté de la technique font de Jean-Marie Leclair le plus éminent violoniste français de son temps, le premier à avoir su, sur leur propre terrain, égaler les grands Italiens. Jeanne, fille d’Antoine, violoniste ? (1699 - ?). Jean-Marie, dit Le Cadet, fils d’Antoine (1703-1777). Il fut un excellent violoniste à Lyon, mais aussi chef d’orchestre à Besançon, auteur de 12 sonates à 1 et 2 violons sans basse, remarquables, et de quelques oeuvres vocales. François, fils d’Antoine, violoniste ? (1705 - ?). Pierre, fils d’Antoine, violoniste (17091784). Il fut l’auteur de 2 recueils de sonates. Jean-Benoît, fils d’Antoine, violoniste (1714 - ?). Il épousa une violoniste. LECOCQ (Charles), compositeur français (Paris 1832 - id. 1918). Ses débuts furent d’autant plus difficiles que, souffrant de coxalgie congénitale, il ne pouvait marcher sans béquilles. Vainqueur, ex aequo avec Bizet, du concours institué par Offenbach en 1857 (il s’agissait de mettre en musique un livret d’opéra bouffe intitulé le Docteur Miracle), il n’en tira pas grand profit et continua de végéter jusqu’au succès de Fleur-de-Thé en 1868, qui le lança définitivement. Quantité d’opérettes et d’opéras-comiques al-

laient suivre, unissant la grâce à la gaieté. Giroflé-Girofla, les Cent Vierges, la Petite Mariée ou le Petit Duc sont assurément démodés, mais la Fille de Mme Angot (1872) peut suffire à la gloire de Charles Lecocq. LEÇON. Traduction abusive du mot latin lectio (« lecture »). On appelle leçon, dans les heures canoniales, des lectures latines placées en des endroits définis de l’office, et qui peuvent porter sur des textes de toute nature, principalement scripturaires (Ancien Testament), patristiques ou hagiographiques, cela à l’exclusion des livres du Nouveau Testament, réservés à la messe. Dans l’office chanté, la leçon est psalmodiée sur un timbre propre de récitation, mais certaines leçons ont parfois été traitées en musique figurée pour des offices particulièrement solennels. C’est le cas des leçons de ténèbres, forme créée en France vers 1660 par Michel Lambert, puis illustrée notamment par M. A. Charpentier, F. Couperin et M. R. Delalande, et qui porte sur les leçons nocturnes de la semaine sainte. Cette forme comportait trois leçons pour chacun des trois jours saints, chantées chaque fois la veille (mercredi, jeudi, vendredi) dans une église où les lumières étaient progressivement éteintes. downloadModeText.vue.download 567 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 561 Par analogie, on a aussi donné le nom de « leçons » à des textes non liturgiques psalmodiés à la manière des lectures de l’office ; cette dénomination s’est même appliquée à des poèmes chantés en langue vernaculaire, telle la Vie de sainte Foy d’Agen (XIe s.), qualifiée par l’auteur luimême de « leçon lue sur le 1er ton « ; ce qui porte un témoignage particulièrement flagrant sur la dérivation liturgique des cantilènes romanes. LEDROIT (Henri), haute-contre français (Villacourt 1946-Nancy 1988). À Nancy et Strasbourg, il étudie le piano, l’harmonie et le chant. En 1972, il rencontre Alfred Deller, puis travaille avec René Jacobs et Nigel Rogers. Après ses

débuts à Nancy dans Ariodante de Haendel et Giasone de Cavalli, il fonde en 1977 l’ensemble Nuove Musiche, redécouvrant des duos italiens du XVIIe siècle. En 1981, il chante le Couronnement de Poppée de Monteverdi, à Bruxelles, puis David et Jonathas de Charpentier, à Lyon. JeanClaude Malgoire, Michel Corboz, Philippe Herreweghe et la Camerata de Boston l’invitent régulièrement. Malgré la brièveté de sa carrière, il aborde aussi le XXe siècle avec le Songe d’une nuit d’été de Britten. Il laisse plusieurs enregistrements de Monteverdi, Rameau et Haendel. LEDUC. Maison française d’édition, fondée vers 1841 à Paris par Alphonse Leduc (Nantes 1804 - Paris 1868), sans lien de parenté avec la famille de Simon Le Duc. Lui succédèrent son fils Alphonse (Paris 1844 - id. 1892), le fils de ce dernier, ÉmileAlphonse (Paris 1878 - id. 1951), et les deux fils de celui-ci, Claude-Alphonse (né en 1910) et Gilbert-Alphonse (né en 1911). La maison, qui, en 1980, a absorbé les éditions Heugel, possède à son catalogue, outre de nombreux compositeurs français contemporains, un fonds très important d’ouvrages didactiques. LE DUC, famille de musiciens français. Simon, violoniste et compositeur (Paris 1742 - id. 1777). Élève de Pierre Gaviniès, il fut engagé en 1759 au Concert spirituel, d’abord comme second violon, puis, en 1763, comme premier violon et soliste. Il quitta ce poste en 1764, peu après avoir fait entendre sa première oeuvre, une sonate pour violon publiée en 1767 dans son opus 1. Il se produisit, à nouveau, au Concert spirituel en 1773, et, la même année, devint avec Gossec et Gaviniès codirecteur de l’institution. Il ne fut pas lui-même éditeur, mais publia à compte d’auteur, à partir de 1767, ses quatre premiers numéros d’opus. Comme violoniste, il fut admiré par Leopold Mozart. Comme compositeur, il écrivit 45 ouvrages, dont 6 sonates et 3 concertos pour violon, 3 trios pour orchestre, 1 symphonie concertante et 3 remarquables symphonies (17741776) publiées chez son frère Pierre, la première en 1776 et les deux autres en 1777, après sa mort.

Pierre, violoniste et éditeur (Paris 1755 Pays-Bas 1816). Frère et élève du précédent, il en publia et en diffusa les oeuvres, ayant fondé sa propre maison d’édition en 1775. Cette maison absorba notamment celle de La Chevardière en 1784 ou 1785 et publia, entre autres, des ouvrages de Haydn. Auguste, éditeur (Paris 1779 - id. 1823). Fils du précédent, il lui succéda à la tête de sa maison d’édition en 1803 ou 1804. LEE (Noël), pianiste et compositeur américain (Nankin, Chine, 1924). Il fait ses études à l’université Harvard (avec Walter Piston et Irving Fine), puis au conservatoire de la Nouvelle-Angleterre, à Boston, et à Paris (avec Nadia Boulanger). Il obtient les prix Lili-Boulanger (1953), prix de l’orchestre de Louisville (1954), prix de l’Académie américaine des arts et lettres (1959), et il mène de front une carrière de pianiste (Debussy, Ravel, Stravinski, Copland et Schubert sont, notamment, ses spécialités) et de compositeur, occasionnellement interrompue par son activité de pédagogue (université Brandeis, Dartmouth College, université Cornell). Dans un esprit néoromantique, mais curieux de tout ce qui peut apporter à son écriture une nuance originale (et parfois complexe), Lee a réalisé un catalogue copieux, particulièrement orienté vers l’expression vocale et la musique de chambre. Il a, par ailleurs, enregistré près de 100 microsillons et révélé en Europe quelques-unes des oeuvres posthumes de Webern. LEEUW (Ton de), compositeur néerlandais (Rotterdam 1926). Il fait ses études d’abord dans son pays avec Henk Badings, puis à Paris avec Olivier Messiaen, et travaille ensuite l’ethnomusicologie avec Jaap Kunst : cette matière va lui permettre de se dégager de l’académisme sériel. En 1961, il peut, grâce à une bourse du gouvernement des PaysBas, effectuer un voyage d’études en Inde. Ingénieur du son à la radio jusqu’en 1959, il enseigne la composition au conservatoire d’Utrecht et occupe actuellement un poste analogue à celui d’Amsterdam, qu’il a dirigé de 1971 à 1973. Il donne également des cours d’ethnomusicologie et des cours sur la musique moderne à l’institut de musicologie de l’université d’Amster-

dam. De son intérêt pour les musiques de l’Orient témoignent, notamment, son opéra De droom (le Rêve, 1963) et Gending pour orchestre de gamelan (1975). On lui doit aussi des oeuvres orchestrales comme Mouvements rétrogrades (1957), Ombres (1961), Symphonies pour vents (1963), Spatial Music I pour 32 à 48 musiciens (1966), III pour 4 groupes d’orchestre (1967) et IV (Hommage à Stravinski) pour 12 instrumentistes (1968), 2 quatuors à cordes (1958 et 1963), Spatial Music II pour 4 à 9 percussionnistes (1971), Haiku pour soprano et piano (1963), Haiku II pour soprano et orchestre (1968), Litanie de notre temps, opéra pour la télévision (1970), Lamento pacis I, II, III d’après Érasme pour choeur mixte et instruments (1969), et, dans le domaine électronique, l’oratorio radiophonique Job (1956), qui a obtenu le prix Italia, Syntaxis (1965) et la Naissance de la musique (1978). Citons aussi Résonances pour orchestre (1985) et un Concerto pour deux guitares et cordes (1988). Son livre Musique du XXe siècle est paru en 1964. LEFÉBURE (Yvonne), pianiste française (Ermont 1898 - Paris 1986). Ses dons précoces lui valent de remporter, à neuf ans, le prix des Petits-Prodiges du Conservatoire de Paris. Elle y conquiert six autres prix et débute en concert à l’âge de douze ans. Ses maîtres ont pour noms Maurice Emmanuel (histoire de la musique), Charles Marie Widor (fugue), Georges Caussade (contrepoint) et Paul Dukas (composition). Mais c’est l’enseignement d’Alfred Cortot à l’École normale de musique qui détermine véritablement sa carrière, partagée entre l’interprétation et la pédagogie. Concertiste, Yvonne Lefébure se produit dans le monde entier, aux côtés des plus grands chefs : Furtwängler, Mengelberg, Mitropoulos, Munch, Paray. Professeur, elle enseigne à l’École normale de musique jusqu’en 1939, au Conservatoire de Paris de 1952 à 1967, et fonde en 1965 une académie d’été, le Printemps musical de Saint-Germain-en-Laye. Âme forte de la musique, elle a rallié plusieurs générations de pianistes à sa quête perfectionniste et passionnée de la structure et du chant intérieur des oeuvres, et prê-

ché l’exemple en défendant la musique française de la première moitié du siècle, en particulier Ravel, Dukas et Maurice Emmanuel. LEFÉBURE-WÉLY (LEFEBVRE, dit), famille d’organistes et compositeurs français. Isaac-François, organiste ( ? 1746 - Paris 1831). Il fut organiste à Saint-Jacquesdu-Haut-Pas, à Paris, puis à Saint-Roch. Il publia quelques compositions (sonates pour violon et clavecin, quatuor pour deux violons, clavecin et basse continue, 3 recueils d’airs), et fut surtout connu pour son oratorio sur les Sept Paroles du Christ. downloadModeText.vue.download 568 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 562 Louis James Alfred, fils du précédent (Paris 1817 - id. 1869). Il fut, lui aussi, organiste et compositeur. Enfant prodige, il débuta très tôt : il suppléait son père à Saint-Roch dès l’âge de dix ans, et devint titulaire de l’instrument à quinze ans, avant même d’entrer au Conservatoire. Il a été ensuite organiste à l’église de la Madeleine (1847-1858), puis à Saint-Sulpice (1863-1869). Il fut le plus célèbre organiste du second Empire, admiré pour ses improvisations descriptives. Ardent propagandiste de l’harmonium, alors appelé « orgue expressif », il marque l’apogée de la décadence du goût et de la technique de l’orgue français, au moment même où s’en amorce la renaissance. Ses oeuvres témoignent de sa prolixité : l’Office catholique, l’Organiste moderne, Vademecum de l’organiste, les Grandes Orgues, nombreuses pièces pour harmonium, etc. Il est également l’auteur d’une abondante oeuvre pour piano, de musique de chambre et d’un opéra, les Recruteurs. LEFEBVRE ou LEFÈVRE, patronyme de très nombreux facteurs d’orgues français, se regroupant en plusieurs dynasties, dont les liens de parenté sont mal établis. Tous les Lefebvre ont été actifs au XVIIe et XVIIIe siècles en diverses provinces françaises : Normandie, Champagne, Bourgogne, Languedoc, Lyonnais. La plus importante des familles de ce nom est de

souche rouennaise et culmine en JeanBaptiste-Nicolas Lefebvre (1705-1784), qui fut le rival de François-Henri Clicquot et de Riepp. Il travailla aux instruments de Caudebec-en-Caux, Saint-Étienne et Saint-Pierre de Caen, Saint-Maclou de Rouen ; son chef-d’oeuvre est l’orgue de Saint-Martin de Tours (1761), le plus important instrument qu’ait réalisé la facture française classique, avec 4 claviers et 63 jeux. LEFEBVRE (Claude), compositeur français (Ardres, Pas-de-Calais, 1931). Il a étudié au Conservatoire de Paris avec Darius Milhaud, puis avec Pierre Boulez à Bâle. Nommé professeur d’analyse et de composition au conservatoire régional de Metz (1966), il a fondé dans cette ville en 1972 les Rencontres internationales de musique contemporaine, qui, après la disparition du festival de Royan, sont devenues, jusqu’à leur propre disparition en 1993, le principal festival de musique contemporaine en France. Il dirige depuis 1976 le studio de musique électroacoustique, alors créé en Lorraine, est responsable, depuis 1977, de l’animation musicale au centre Saint-Jacques de Metz, et dispense, depuis 1978, un cours sur les nouvelles musiques à l’université de Metz. Il fut aussi, dans cette ville, l’initiateurfondateur du Centre européen pour la recherche musicale. Il a obtenu le prix de musique de chambre de la S. A. C. E. M. en 1980. Claude Lefebvre a écrit notamment Montages pour 24 instruments (1967), D’un arbre de nuit pour flûte, violoncelle et piano (Royan, 1971), Musique en liberté pour trombone, 2 contrebasses et percussions (Metz, 1971), Naissances pour quatre joueurs pour hautbois et trio à cordes (Metz, 1971), Etwas weiter pour 24 exécutants (Domaine musical, 1972), Sous le regard du silence pour 2 groupes instrumentaux (Metz, 1973), D’une nuit transpercée pour orchestre (Metz, 1975), Ivresse-absence pour 19 cuivres (Paris, 1977), Dérives nocturnes pour choeur, 4 cors et orgue (Metz, 1978), Ramifications pour orgue (Orléans, 1978), Tourbillonnements pour un orchestre de jeunes de 21 instruments et 2 percussions (Metz, 1979), Mémoires souterraines pour flûte, clarinette et violoncelle amplifiés (Paris, 1980), Océan de terre pour soprano, solistes et bande, sur

un poème de G. Apollinaire (Metz, 1981), Lorraine pour cor et bande (1983), Vertige pour soprano et sextuor à cordes (1993). LEFEBVRE (Philippe), organiste français (Roubaix 1949). Il étudie au Conservatoire de Lille, ainsi qu’à Nice avec Pierre Cochereau. Dès 1968, il est nommé organiste de la cathédrale d’Arras, tout en poursuivant sa formation au Conservatoire de Paris. Entre 1968 et 1973, il obtient ses premiers prix d’improvisation et d’orgue dans la classe de Rolande Falcinelli, puis d’écriture. En 1976, il devient titulaire à la cathédrale de Chartres, puis en 1985 aux grandes orgues de Notre-Dame de Paris. Brillant virtuose et improvisateur, il dirige depuis 1980 le Conservatoire de Lille tout en contribuant aux restaurations d’orgues historiques de la région Nord-Pas-de-Calais. LE FLEM (Paul), compositeur et critique musical français (Lézardrieux, Côtesd’Armor, 1881 - Tréguier 1984). Ayant perdu ses parents de bonne heure, il songea à une carrière dans la Marine, mais s’orienta vers la composition, dès ses années d’études au lycée de Brest. Dans cette ville, Joseph Farigoul lui donna des leçons d’harmonie ; il se rendit à Paris à l’âge de dix-huit ans, eut Lavignac comme professeur au Conservatoire et écouta la parole de Bergson à la Sorbonne. Après un séjour en Russie (1902-1904) - où il fut précepteur dans une famille moscovite, apprit le russe et demeura attaché au monde slave -, il revint à Paris. À la Schola cantorum, Vincent d’Indy le mit dans la classe d’Albert Roussel. Le Flem devint ensuite professeur dans cette classe, après le départ de Roussel ; il y eut comme élèves Erik Satie, puis Roland-Manuel et André Jolivet. Il fut directeur des chanteurs de Saint-Gervais, chef des choeurs à l’OpéraComique, et assista à tous les grands événements de la vie musicale parisienne depuis la première de Pelléas ; un poste de critique à la revue Comoedia lui permit, de 1922 à 1938, de prendre la défense de nombreux compositeurs, dont Varèse, Villa-Lobos et Milhaud. La musique de Le Flem est tout imprégnée de sa Bretagne natale. L’influence du chant breton y est aussi nette que celles de d’Indy, de Debussy, de la polyphonie

des XVe et XVIe siècles et de Monteverdi. Sa personnalité est orientée vers la poésie, la couleur harmonique, le lyrisme, mais aussi vers cette vigueur non dénuée de rudesse, qui appartient à ceux dont le cadre quotidien a été marqué par la mer. Son oeuvre comprend des recueils pour piano, Par grèves (1908), Par landes (1908), Vieux Calvaire (1910), Avril (1911) ; une Sonate pour violon et piano (1904), un Quintette pour piano et cordes (1908-1909) ; une Fantaisie pour piano et orchestre (1911) ; des oeuvres orchestrales comme les 4 Symphonies (1908-1975) ; de la musique vocale, Chant de croisades (1923), Invocation (1918), In paradisium (1942), Hommage à Rameau (1964), Morven le Gaélique (1963) et la Maudite (1967-1971) pour solos, choeurs et orchestre. En musique théâtrale, il a donné Aucassin et Nicolette (1908-1909) sur un sujet d’origine arabe, tandis que le monde breton devait l’inspirer dans le Rossignol de Saint-Malo (1938), tiré d’une ancienne ballade, la Clairière des fées (1948), marquée par les bois et les forêts, et la Magicienne de la mer (1947), qui reprend la légende de la ville d’Ys. Trop souvent tenue à l’écart de la vie musicale, la musique de Paul Le Flem a connu un regain de curiosité lors de la célébration du centenaire du compositeur, qui étonna alors le monde musical par l’évocation de sa vie, dans des entretiens radiophoniques ou de presse. Il y fit montre d’une grande clarté d’esprit, d’une sûreté de jugement sur la musique d’un siècle, qu’il porte en haute estime pour sa diversité, et de confiance dans l’avenir de la musique. Son extraordinaire présence sur le plan verbal n’a eu d’égale que sa longévité en matière de création, cas unique dans l’histoire de la musique. Le musicien a expliqué que ses oeuvres anciennes, comme celles pour piano ou la Première Symphonie, avaient beaucoup de fraîcheur et de naturel, et qu’il était devenu violent à l’âge de quatre-vingt-quatre ans, à partir de son Conzertstück pour violon et orchestre (1965). « L’inconscient agit sur nous insidieusement, la musique a le pouvoir de traduire ou même de trahir, si nous ne voulons pas le reconnaître, les réactions les plus intimes de notre être. Il s’agit d’une violence longtemps refoulée, provenant d’une jeunesse vécue sans parents, du retour d’éléments affectifs de la downloadModeText.vue.download 569 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 563 première adolescence. » C’est ainsi que les deux dernières symphonies, la Troisième (1971) et la Quatrième (1975), ont une facture plus moderne que les précédentes, très éloignée de la forme sonate. Une ultime composition, les Trois Préludes pour orchestre, comporte des sous-titres significatifs : Calme, Obsession, Emporté. Ce n’est que la cécité qui a empêché Paul Le Flem de continuer à travailler au cours de ses dernières années. Artiste intègre, homme d’une grande bonté, Paul Le Flem s’est peut-être rendu artisan de la méconnaissance de son oeuvre : sa dévotion à la musique des autres lui a fait négliger la diffusion de la sienne propre. LEGATO. Mot italien désignant une manière de jouer ou de chanter en « liant » les sons entre eux sans aucune interruption. Le legato s’indique souvent par une courbe de liaison englobant l’ensemble des sons liés, et qui constitue l’une des principales indications du phrasé. Dans l’ancienne technique du clavecin et même de l’orgue, le legato impliquait que le doigt ne devait quitter la note qu’après que la suivante eut été attaquée ; on ne pratique plus guère aujourd’hui cette façon de procéder. LEGGE (Walter), imprésario anglais (Londres 1906 - Saint-Jean-Cap-Ferrat 1979). Ce mélomane passionné de lyrique a profondément marqué de son empreinte la vie musicale européenne de l’aprèsguerre. Déjà en 1927, engagé par la filiale anglaise de la firme la Voix de son Maître pour rédiger des pochettes de disques, il fit adopter le principe de la souscription pour éditer des oeuvres importantes jusque-là négligées par le disque : quatuors de Haydn, lieder de Wolf, intégrale des sonates de Beethoven (par Schnabel). Critique musical suppléant du Manchester Guardian (jusqu’en 1937), il fonda en 1932 le London Lieder Club et devint en 193839 l’assistant de sir Thomas Beecham à la tête de l’Opéra royal de Covent Garden. Mais c’est pendant la guerre que se ré-

véla son don d’organisateur et de « talent scout ». Il mit sur pied des concerts pour les soldats et les ouvriers. La paix revenue, il sillonna l’Europe pendant près de vingt ans, à la recherche de nouveaux talents pour le compte de la firme Gramophone Company. Des disques remarquables témoignent de son discernement : enregistrements du festival de Bayreuth 1951, Tosca dirigée par de Sabata, Falstaff et le Chevalier à la rose par Karajan, toutes les interprétations de Ginette Neveu, Callas, Lipatti, un grand nombre d’opérettes viennoises avec Élisabeth Schwarzkopf (sa seconde femme), etc. Parti d’un quatuor qu’il fonda en 1945, le Philharmonia Orchestra, mis sur pied grâce au soutien financier du mah¯ar¯adjah de Mysore, révolutionna la vie musicale britannique, sous la direction de Karajan, Cantelli, Toscanini, Klemperer, Giulini, etc. Cet orchestre fut complété en 1957 par un choeur confié à Wilhelm Pitz. Directeur associé de la Gesellschaft der Musikfreunde de Vienne en 1946, directeur artistique du Covent Garden de 1958 à 1963, Walter Legge se vit contraint en 1964 de dissoudre le Philharmonia Orchestra et abandonna sa compagnie au groupe EMI, sans renoncer pour autant à promouvoir des concerts et à produire des disques pour différentes compagnies. LEGLEY (Victor), compositeur belge (Hazebrouck 1915). Il a fait ses études à Ypres, puis à Bruxelles, et travaillé ensuite avec Jean Absil. Altiste à l’orchestre de la radio belge (1936-1948), second prix de Rome en 1943, il a enseigné l’harmonie (1949-1959), puis la composition (1959-1980) au conservatoire de Bruxelles, et les mêmes disciplines, ainsi que l’analyse, à la chapelle Reine-Élisabeth (1950-1980). Il a beaucoup fait pour la diffusion dans son pays de la musique contemporaine, en particulier comme chef de production au troisième programme de la radiotélévision belge (1962-1976). Dans un style robuste mais raffiné, il a écrit, notamment, 6 symphonies (1942, 1947, 1953, 1964, 1965, 1976), le poème symphonique la Cathédrale d’acier (1958), 2 concertos pour violon (1947, 1966), 4 quatuors à cordes (1941, 1947, 1956, 1963), et, plus récemment, plusieurs pièces pour orchestre d’harmonie, dont Hommage à Jean Absil (1979).

LEGRANT (Guillaume, dit Guillaume Lemacherier), compositeur français (déb. du XVe s.). Chantre à la chapelle pontificale en 1419, il était à Rouen en 1446. Il a laissé des fragments de messe et des chansons à 3 voix, qui ont eu l’honneur, à plusieurs reprises, d’une transcription instrumentale dans des recueils comme le Buxheimer Orgelbuch et le Fundamentum organizandi de Conrad Paumann. LEGRANT (Johannes), compositeur français (déb. du XVe s.). Il ne semble pas devoir être confondu avec Guillaume Legrant, compositeur à la même époque. On pense qu’il a été actif de 1420 à 1440. Il fut l’auteur de fragments de messe et de chansons à 3 voix, mais on ne possède sur lui aucune donnée biographique. LEGRENZI (Giovanni), compositeur italien (Clusone, près de Bergame, 1626 Venise 1690). Issu d’une famille de musiciens (son père était compositeur), il semble avoir reçu ses premières leçons à Bergame avant de travailler avec Giovanni Rovetta à Venise. On le trouve en 1645 organiste de l’église Santa Maria Maggiore à Bergame, puis, en 1657, maestro di capella de l’Accademia dello Spirito Sancto à Ferrare. Directeur du Conservatorio dei Mendicanti de Venise à partir de 1672, il fut ensuite nommé sous-maître de la basilique San Marco (1681), puis devint le titulaire de ce poste (1685) et, dès lors, se consacra, jusqu’à sa mort, à la musique religieuse. Il fut, à Venise, un professeur renommé et compta parmi ses élèves Antonio Caldara et Antonio Lotti. Auteur d’une vingtaine d’opéras, représentés pour la plupart à Venise, Giovanni Legrenzi contribua, avec une grande originalité, au développement du genre. Quatre partitions seulement nous sont parvenues : Eteocle e Polinice (1675), Germanico sul Reno (1676), Totila (1677), et Il Giustino (1683), qui semble sa plus grande réussite pour avoir été joué dans les principales villes d’Italie. Haendel devait mettre ce livret en musique pour Londres (1737). Entre 1676 et 1678, Legrenzi fit publier 3 recueils de musique vocale, des cantates et des canzonettes, qui emploient

une grande variété de formes. Tel est le livre de Cantate, e Canzonette a voce sola (Bologne, 1676), où les airs sont en général assez courts, solidement construits, alternant avec des récitatifs qui se transforment aisément en un arioso expressif. Les textes sont spécifiques de la poesia per musica de l’époque ; ils ont, le plus souvent, pour thème l’amour non partagé et contiennent tous les « effets » que le compositeur souhaitait y trouver. Legrenzi composa 6 oratorios, dont l’Oratorio del Giudizio (Vienne, 1665), La Vendita del cuor humano pour 4 voix et basse continue (Ferrare, 1676) et La Morte del cuor penitente (Vienne, 1705). Il a également laissé des messes, des motets et des psaumes. Il a fait imprimer plusieurs livres de musique instrumentale, des sonates da chiesa et da camera (1655, 1656, 1663 et 1673), où, là encore, son rôle fut déterminant pour l’histoire des formes. LEGROS (Joseph), chanteur et compositeur français (Monampteuil, près de Laon, 1730-La Rochelle 1793). Célèbre ténor, il chanta à l’Opéra de Paris de 1764 à 1783, participant de 1774 à 1779 à la création des opéras de Gluck Iphigénie en Aulide (rôle d’Achille), Orphée (rôletitre), Alceste (Admète) et Iphigénie en Tauride (Pylade). En 1777, il prit la direction du Concert spirituel, qu’il conserva jusqu’à sa dissolution en 1790, et en 1778 downloadModeText.vue.download 570 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 564 commanda à ce titre à Mozart sa Symphonie en ré majeur no 31 K.297 (Paris). LEGUAY (Jean-Pierre), organiste français (Paris 1939). Il étudie auprès d’André Maréchal, de Gaston Litaize et, au Conservatoire de Paris, de Rolande Falcinelli et d’Olivier Messiaen. Après y avoir obtenu un premier prix d’orgue en 1966, il remporte en 1967 le premier prix au Concours international d’improvisation de Lyon. Titulaire des orgues de Notre-Dame-des-Champs (Paris) jusqu’en 1984, il est nommé l’année suivante cotitulaire des grandes orgues de Notre-Dame de Paris. Il est aussi compositeur et enseignant.

LEHAR (Franz), compositeur autrichien (Komarom 1870 - Bad Ischl 1948). Après des débuts comme violoniste et comme chef de divers orchestres militaires, il se tourna vers l’opérette, dont il fut le rénovateur et le principal représentant au XXe siècle, et trouva là sa véritable voie. Ses oeuvres « sérieuses » de jeunesse, parmi lesquelles 2 concertos pour violon, sont, en revanche, totalement oubliées. Il commença à s’imposer avec Kukuschka (Leipzig, 1896), et parvint à la gloire avec la Veuve joyeuse (Vienne, 1905), ouvrage qui, du jour au lendemain, fit de lui l’héritier de Johann Strauss. Suivirent, entre autres, le Comte de Luxembourg (Vienne, 1909) et Zigeunerliebe (1910). Après la Première Guerre mondiale, il retrouva le succès avec une série d’opérettes écrites pour le ténor Richard Tauber : Paganini (1925), le Tsarévitch (1927), Friederike (1928) et surtout le Pays du sourire (1929). Sa dernière oeuvre, Giuditta, fut donnée à Vienne en 1934. Il eut recours aussi bien à la valse viennoise qu’à des danses plus modernes, et on décèle dans ses ouvrages non seulement de fortes influences slaves, mais aussi celles du folklore des divers pays où se situent leurs actions respectives. LEHMANN (Fritz), chef d’orchestre allemand (Mannheim 1904 - Munich 1956). Il mena de front des études musicales à la Hochschule für Musik de Mannheim (1918-1921) et une éducation générale aux universités de Heidelberg et de Göttingen. Il fut chef d’orchestre au théâtre de Gottingen (1923-1927), avant de se tourner vers l’enseignement, à la Folkswangschule d’Essen (1927-1929). À la fois chef de choeur et d’orchestre à Hildesheim (192728), puis à Hanovre (1929-1938), il prit, en 1934, à la suite de O. Hagen, la direction musicale du festival Haendel de Göttingen. Après avoir été successivement directeur général de la musique à Bad Pyrmont (1935-1938), à Wuppertal (1938-1947) et de nouveau à Göttingen (1947-1950), il revint à l’enseignement de la direction d’orchestre à partir de 1953, à la Hochschule für Musik de Munich. Les enregistrements qu’il réalisa à la tête de la Philharmonie de Berlin ou des phalanges de Bamberg et de Vienne sont des modèles d’équilibre et de pudeur, particulièrement

appropriés à l’univers d’un Haendel ou d’un Mozart, ses auteurs de prédilection. LEHMANN (Hans Ulrich), compositeur suisse (Biel 1937). Après des études musicales (violoncelle, théorie, composition) aux conservatoires de Biel, Zurich et Bâle, il a suivi les cours de composition de P. Boulez et de K. Stockhausen à l’Académie de musique de Bâle (1960-1963) et ceux du professeur K. von Fischer à l’université de Zurich. Il a été nommé professeur de théorie à l’Académie de musique de Bâle en 1964, puis professeur de musicologie à l’université (1969) et de composition et de théorie au conservatoire de Zurich (1972), établissement qu’il dirige depuis 1976. Lehmann porte une attention particulière au timbre instrumental. Sans utiliser l’électronique, il a considérablement élargi l’univers des timbres traditionnels. Il fut parmi les premiers à introduire les accords-flageolets (sons dits Bartolozzi), par exemple dans Mosaik pour clarinette solo (1964), et à utiliser pour les instruments à vent des accords, des sons doubles, des sons-bruits, des quarts de ton glissants, et la simultanéité du jeu et du chant, par exemple dans Konzert pour 2 instruments à vent (flûte et clarinette) et cordes (1969) ou dans Gegen-(bei-) spiele pour 5 instruments à vent (1973). Dans Tractus pour flûte, hautbois et clarinette, il a eu recours aux procédés d’indétermination. La matière sonore de ses oeuvres est toujours soumise à des gestes formels simples, facilement saisissables à l’écoute, et repose sur le principe de la transformation timbrale continue (le compositeur parle à ce propos de « musique végétative »). Des ouvrages comme Quod libet pour violon et piano (1974) ou comme ... zu streichen pour 2 violoncelles, 2 violons et 2 altos (1975) cherchent à mettre en évidence le côté proprement gestuel de la pratique musicale. On lui doit notamment Quanti I pour flûte solo et orchestre de chambre (1962), Régions pour flûte seule (1963), Discantus I pour hautbois et cordes (1971) et II pour soprano, orgue et orchestre de chambre (1971), Positionen pour orchestre (1971), À la recherche pour 2 orgues et voix (1973), Streuungen pour choeur et orchestre (1975-76), Tantris pour soprano, flûte et violoncelle sur un texte de J. Joyce (1976-77), Kammermusik « Hommage à Mozart » pour orchestre de

chambre (1978-79), Kammermusik II pour petit orchestre (1979), Duette pour 3 participants (1980) et Theolalie pour soprano, flûte et violoncelle (1981). LEHMANN (Lili), soprano allemande (Warzbourg 1848 - Berlin 1929). Elle étudia le chant avec ses parents, qui étaient tous deux chanteurs. Elle débuta à Prague en 1865 dans le rôle du premier génie de la Flûte enchantée de Mozart. Engagée à l’opéra de Berlin, elle y chanta pendant quinze ans une grande variété de rôles lyriques et coloratur. En 1880, elle fut Philiné dans Mignon d’Ambroise Thomas et Violetta dans la Traviata de Verdi à Londres. Puis elle évolua vers les rôles de soprano dramatique, aborda Wagner et incarna pour la première fois Isolde en 1884 sous la direction de Hans Richter. Elle participa à l’inauguration de Bayreuth en 1876, et, en 1896, y chanta Brunehilde. Ce qui ne l’empêcha pas d’incarner Donna Anna de Don Giovanni et Constance de Die Entführung aus dem Serail de Mozart au festival de Salzbourg, dont elle assuma la direction artistique en 1905. Elle quitta la scène en 1909, mais donna des récitals jusque dans les années 20. Elle interpréta 170 rôles différents en allemand, en italien et en français. Elle fut l’une des plus grandes techniciennes du chant et publia un traité en la matière. LEHMANN (Lotte), soprano allemande naturalisée américaine (Perleberg 1888 Santa Barbara, Californie, 1976). Elle fit ses débuts en 1903 à Hambourg dans la Flûte enchantée (rôle du troisième génie). Elle fut engagée en 1916 à l’opéra de Vienne, qui demeura son principal port d’attache jusqu’à l’Anschluss. Elle y créa les rôles du compositeur dans Ariane à Naxos (1916) et la teinturière dans la Femme sans ombre (1919) de Richard Strauss. Elle fut une des interprètes favorites de ce dernier, qui la fit venir à Dresde pour la création d’Intermezzo (rôle de Christine). À Vienne, elle chanta encore Arabella de Richard Strauss et surtout la Maréchale dans le Chevalier à la rose, où elle s’illustra particulièrement. Élisabeth dans Tannhäuser, Elsa dans Lohengrin, Eva dans les Maîtres chanteurs furent ses rôles wagnériens. On admirait aussi beaucoup sa Leonore dans Fidelio de Beethoven. De nombreux ouvrages italiens figuraient à

son répertoire, dont la Tosca, Soeur Angélique et Turandot de Puccini. Immigrée aux États-Unis, elle fut, jusqu’en 1945, une des étoiles du Metropolitan Opera de New York. Après cette date, elle donna des récitals encore pendant six ans. Son timbre vocal était d’une rare beauté. Elle possédait une présence à la fois musicale et humaine, qui l’a rendue inoubliable. downloadModeText.vue.download 571 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 565 LEIBNIZ (Gottfried Wilhelm), philosophe allemand (Leipzig 1646 - Hanovre 1716). Appartenant au siècle des Lumières, Leibniz contribua de fait à la naissance de l’esthétique théorique. Il n’a pas laissé d’écrit sur la musique, mais sa correspondance, avec Conrad Hefling notamment, montre qu’il s’est intéressé au calcul des intervalles et qu’il connaissait les bases théoriques de la musique. Dans son système de l’harmonie préétablie, la musique ne pouvait que rendre compte de l’ordre mathématique et harmonieux du monde et c’est là ce qui expliquait son effet sur les sens. Leibniz indiquait, d’autre part, quelle place il convenait d’attribuer à la musique au sein de sa théorie de la connaissance en écrivant dans une lettre à Christoph Goldbach (1712) : « Musica est exercitium arithmeticae occultum nescientis se numerare animi », et dans les Principes de la nature et de la grâce fondés en raison (1714) : « Les plaisirs mêmes des sens se réduisent à des plaisirs intellectuels confusément connus. La musique nous charme quoique sa beauté ne consiste que dans les convenances des nombres et dans le compte dont nous ne nous apercevons pas, et que l’âme ne laisse pas de faire, des battements ou vibrations des corps sonnants qui se rencontrent par certains intervalles. » LEIBOWITZ (René), compositeur, musicologue et pédagogue français d’origine polonaise (Varsovie 1913 - Paris 1972). Il étudia le violon à l’âge de cinq ans, vint à Paris en 1926 et fut marqué de façon décisive par les leçons de Schönberg et de Webern à Berlin et à Vienne (1930-1933). Il étudia aussi l’orchestration avec Ravel à Paris (1933). Sa grande notoriété lui vint de ses activités de professeur et de pédagogue.

C’est Leibowitz qui, de 1945 à 1947, à Paris, dans le cadre de cours privés, fit découvrir l’école viennoise de Schönberg, Berg et Webern, alors ignorée et/ou méprisée, à de nombreux jeunes compositeurs, parmi lesquels Pierre Boulez. Parallèlement, il publia, pour la première fois en France sur ce sujet, deux ouvrages fondamentaux, Schoenberg et son école (1946) et Introduction à la musique de douze sons (1949). Il exerça en même temps des activités de chef d’orchestre. Mais, dans son enseignement comme dans ses oeuvres, et fidèle en cela au dodécaphonisme le plus orthodoxe, il s’attacha exclusivement à l’organisation sérielle des hauteurs, ce qui le fit considérer comme démodé même par ceux qui avaient le plus profité de son enseignement. Il publia encore l’Artiste et sa conscience (1950), réfutation des thèses de Jdanov, l’Évolution de la musique de Bach à Schönberg (1952), Histoire de l’opéra (1957), Schönberg (1969), le Compositeur et son double (1971) et les Fantômes de l’opéra (posthume, 1973). Comme compositeur, René Leibowitz a laissé une centaine d’oeuvres, pour la plupart jamais jouées. Parmi celles-ci, 5 opéras, dont les Espagnols à Venise (1963, créé à Grenoble, 1970). Il joua un rôle essentiel à un moment décisif de l’histoire musicale du XXe siècle. LEICHTENTRITT (Hugo), musicologue allemand (Pleschen, Posen, 1874 - Cambridge, Mass., 1951). Également critique et compositeur, il étudia à Harvard, Paris et Berlin, rédigea une thèse sur les opéras de Keiser, et enseigna à Berlin, puis de 1933 à 1940 à Harvard (Geschichte der Motette, 1908 ; Music, History and Ideas, 1938). LEIDER (Frida), soprano allemande (Berlin 1888 - id. 1975). Elle connut une double formation vocale à Berlin et à Milan, ce qui lui permit d’aborder le répertoire italien, aussi bien que le répertoire allemand. Elle débuta à Halle en 1915 (Vénus de Tannhäuser). Bien que, sur le plan international, sa carrière se soit surtout spécialisée dans les rôles wagnériens (Isolde, Brunehilde), elle contribua,

en Allemagne, à la renaissance des opéras de Verdi, qui eut lieu dans les années 20. Elle excellait particulièrement dans Leonora d’Il Trovatore et dans Aïda. Elle était aussi une remarquable Donna Anna dans Don Giovanni de Mozart. Elle fut soprano principale à l’Opéra de Berlin de 1923 à 1940, ce qui ne l’empêcha pas de se produire à Londres, à Paris, à Chicago et à New York. Sa voix au timbre riche et corsé, sa musicalité accomplie, une très belle technique de chant, la firent triompher dans tous les grands rôles dramatiques qu’elle interpréta. LEIFS (Jón), compositeur, pianiste, chef d’orchestre et musicographe islandais (Ferme de Solheimer, Islande du Nord 1899 - Reykjavík 1968). Son rôle est important en Islande, car il a été à la fois un compositeur original et celui qui a effectué le plus de recherches pour justifier la naissance d’une école nationale. Il fit de nombreux voyages sur le continent européen, notamment en Allemagne, jusqu’à ce que, sous le IIIe Reich, il fût inscrit sur la liste noire des musiciens. Son oeuvre créée là-bas a disparu dans les bombardements. Nationaliste, Leifs n’est cependant pas un postromantique. Il s’intéresse aux rémur (danses) et aux tvísöngur (organa) et les amalgame à ses oeuvres (Islande, ouverture, op. 9). Il se plaît également à adjoindre à l’orchestre traditionnel romantique de nombreux instruments ou accessoires originaux : lurs, boucliers vikings, massues en bois, pierres, chaînes (Sögu-sinfonia op. 26, 1950 ; poème symphonique Hekla op. 52, 1964). Son oeuvre comprend encore 3 quatuors à cordes, des musiques de scène, des cantates et choeurs, 1 quintette, 1 concerto pour orgue et des pièces pour piano et orgue. LEINSDORF (Erich), chef d’orchestre américain d’origine autrichienne (Vienne 1912). Après avoir terminé ses études (piano, violoncelle et composition) à l’académie de musique de sa ville natale, il est engagé comme répétiteur au Singverein der Sozialdemokratischen Kunstelle, que dirige Webern. De 1934 à 1937, il est l’assistant de Bruno Walter, puis de Toscanini au festival de Salzbourg. À la suite d’une tournée remarquée en Italie, il est nommé, en 1937, sur la recommandation de Lotte

Lehmann, chef assistant au Metropolitan Opera de New York, où il débute en dirigeant la Walkyrie. Malgré l’opposition de certains chanteurs, dont Lauritz Melchior et Kirsten Flagstad, il se voit confier en 1939 la responsabilité du répertoire allemand. Il succède en 1943 à Arthur Rodzinski, à la tête de l’orchestre de Cleveland, qui rompt son contrat en 1946. Après avoir été directeur musical de l’orchestre philharmonique de Rochester (1947-1955), Leinsdorf renoue avec les théâtres lyriques, dirigeant tour à tour le New York City Opera (1956), puis le Metropolitan Opera (1957-1962), en tant que conseiller musical. Deux demi-échecs pour cet ennemi de la routine, qui accepte un dernier poste, celui de directeur musical de l’orchestre symphonique de Boston (1962-1969). Il y poursuit l’action de Charles Munch en élargissant le répertoire. À partir de 1969, renonçant à tout poste fixe, il mène une carrière de chef invité, aussi bien au Metropolitan (qu’il dirige à Paris, dans le cadre du Théâtre des nations) que dans différents festivals (en 1972, il dirige Tannhäuser à Bayreuth). Il se consacre de plus en plus à la pédagogie, aussi bien par des cours de perfectionnement, à Tanglewood, en particulier, que par des concerts pour enfants. Méconnu en Europe, où sa carrière lui a valu une réputation d’instabilité, Leinsdorf a toujours défendu une conception ludique de la musique, privilégiant la spontanéité et l’intuition. Sa direction est à l’image de l’homme : élégante et probe. LEITMOTIV (all. : « motif conducteur »). Terme inventé par le directeur des Bayreuther Blätter, Hans von Wolzogen, à l’usage du drame wagnérien, et qui a supplanté le terme employé par Wagner lui-même, le Grundthema (« thème fondamental »). Le leitmotiv est un thème qui, associé par convention à une idée ou à un personnage, permet à la musique, par la manière dont il est employé et éventuellement downloadModeText.vue.download 572 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 566 varié, non seulement d’évoquer la pré-

sence de cette idée ou de ce personnage, mais encore d’en suggérer les transformations ou de révéler les pensées secrètes des acteurs, voire de servir de base, à la manière d’un thème de symphonie, à l’architecture d’une scène musicale. Contrairement à ce que l’on croit souvent, le système du leitmotiv, qui devait transformer de fond en comble la conception du théâtre lyrique à la fin du XIXe siècle, n’a pas été inventé par Wagner. On en trouve chez Grétry. L’idée semble en avoir été aussi suggérée par Grillparzer à Beethoven, pour un projet d’opéra, Mélusine, jamais réalisé. C’est Berlioz (Idée fixe de la Symphonie fantastique), suivi par Liszt (dans ses poèmes symphoniques), qui en fut le véritable créateur, mais Wagner, après lui, l’a non seulement codifié, mais développé et poussé dans ses dernières oeuvres à un tel degré de perfection et de richesse que l’on peut légitimement lui en laisser le patronage. LEJET (Édith), femme compositeur française (Paris 1941). Élève de Marcel Beaufils (esthétique générale), Jean Rivier et André Jolivet (composition) au Conservatoire de Paris, elle a obtenu le prix de la Vocation en 1967, un premier second grand prix de Rome en 1968, et le prix de musique de chambre de la S. A. C. E. M. en 1979. De 1968 à 1970, elle a été pensionnaire de la Casa Velázquez à Madrid. On lui doit, notamment, Quatre Mélodies pour chant et piano sur un poème de F. García Lorca (1966), Monodrame pour violon et orchestre (1969), Journal d’Anne Frank pour choeur de jeunes filles et 8 musiciens (1968-1970), Musique pour René Char pour ensemble de chambre (1974), Hommage au maître des Hauteurs et des Lointains pour 24 cordes (1974-75), Harmonie du soir pour orchestre de chambre (1977), Deux Antiennes pour quintette de cuivres (1978), Concerto pour flûte (1980), oratorio les Rois mages (1987-1989), Sept Chants sacrés pour choeur et orgue (1990). LE JEUNE (Claude, Claudin), compositeur français (Valenciennes v. 1530 Paris 1600). On ignore tout de sa jeunesse et de sa formation (peut-être participa-t-il à une maîtrise du Nord et séjourna-t-il quelque temps en Italie) jusqu’à sa première men-

tion dans un recueil de chansons publié à Louvain (1552) et à son installation à Paris (v. 1564), où il devint le protégé de deux seigneurs protestants, François de la Noue et Charles de Téligny : il leur dédia ses Dix Pseaumes de David en forme de motets. Membre actif, dès sa fondation, de l’Académie de poésie et de musique (1570) fondée par J.-A. de Baïf et Courville, et qui avait pour but de restaurer l’union des deux arts ainsi que de faire revivre, dans la langue française, la musique mesurée à l’antique, Claude Le Jeune s’y imposa comme le musicien le plus novateur. Il sut en tirer toutes les possibilités rythmiques. Échappant aux massacres de la Saint-Barthélemy (1572), il entra comme maître de musique au service de François, duc d’Anjou et frère du roi Henri III (av. 1582), et l’accompagna vraisemblablement dans l’expédition d’Anvers contre les Espagnols. Dans cette ville fut publié, chez Plantin, son Livre de meslanges (1585). Le Jeune servit ensuite divers nobles protestants en un temps où sa réputation était aussi grande que celle du « divin » Orlande. Hostile à la Ligue, il s’enfuit à La Rochelle, tandis que Jacques Mauduit parvenait à mettre en lieu sûr ses manuscrits. En 1596, Henri IV nomma Claude Le Jeune compositeur ordinaire de la Chambre du roi. Rapin l’appelait le « Phénix des musiciens « ; Mersenne aimait louer la « beauté et diversité des ses mouvements ». Mais peut-être faut-il d’abord souligner la variété des genres qu’il pratiqua avec une égale liberté : psaumes, motets, chansons, chansons spirituelles, airs, etc. Par exemple, dans le Printemps (édité par sa soeur, Cécile Le Jeune, en 1603), il varie les dispositifs vocaux, fait alterner sur le plan structural couplets (chants) et refrains (rechants), sachant placer à bon escient un trait expressif. Son admiration pour Janequin s’y révèle par l’emprunt de l’Alouette et du Rossignol, deux pièces polyphoniques auxquelles Le Jeune ajoute une cinquième voix. Sans doute veut-il ainsi relier à la tradition le style nouveau, plus homorythmique et particulièrement personnel sur le plan harmonique, qu’il développe dans trente-trois des trenteneuf pièces du Printemps. Si faire naître des passions en retrouvant l’ethos primitif de la musique est l’une de ses aspirations, Le Jeune semble

avoir réussi auprès de ses contemporains, puisque l’exécution en 1605 de deux de ses Pseaumes par plus de cent chanteurs produisit un tel effet sur Eustache Du Caurroy qu’il « se convertit » à la musique mesurée. En la matière, mode et rythme ne sont que des moyens qui lui permettent, comme dans les Octonaires de la Vanité et inconstance du monde, sur un texte d’Antoine de La Roche Chandieu, de mieux cerner l’essence du poème, une oeuvre engagée, où la polyphonie très ornée concourt à l’expressivité. L’oeuvre se divise en douze sections, chacune écrite dans l’un des douze modes utilisables à la fin du XVIe siècle. Mais Claude Le Jeune ne saurait être enfermé dans une seule esthétique sur le plan de la musique spirituelle et religieuse : il a mis en musique Dix Pseaumes de David en forme de motets (1564), en faisant oeuvre originale du point de vue mélodique. La mélodie traditionnelle se rencontre, d’ailleurs, chez lui, dans une harmonisation note contre note, à 4 voix, à moins que, assurant le lien entre les diverses strophes, elle ne circule librement entre les parties. C’est le cas du Dodécacorde (1598), douze psaumes polyphoniques établis de nouveau sur les douze modes de Glaréan. Notons aussi qu’il a pu préférer aux vers de Marot, rebelles à l’esthétique nouvelle, ceux de Baïf et d’Agrippa d’Aubigné (126 Pseaumes en vers mesurés, Te Deum, 1606). Dans le recueil d’Airs paru chez Ballard en 1608, on retrouve des pièces remaniées écrites à l’origine pour le mariage du duc de Joyeuse (1581). Tel est le cas de Comment pensés vous que je vive : sur un bercement ternaire, les cinq voix entrent une à une avec chaque nouvelle strophe poétique, suggérant ainsi la mise en scène de cette pièce. Le modernisme du langage harmonique de Le Jeune n’est peut-être nulle part plus frappant, plus étonnant que dans la chansonnette pour 3 voix aiguës Qu’est devenu ce bel oeil, extraite du recueil de 1594. Enfin, il a signé un certain nombre de villanelle (par exemple, O Villanella bella à 4 voix) et de madrigaux italiens. Ces derniers, écrits dans le style de maturité du genre à 5 voix, exploitent les possibilités contenues dans le texte, que ce soit l’élan rythmique de Io ti ringrati’ amor ou la chute chromatique de Viv’ in dolor.

En somme, l’oeuvre de Claude Le Jeune se présente, en cette fin du XVIe siècle, comme une oeuvre de synthèse ouvrant la voie aux nouvelles formes du siècle suivant. Dans le domaine de la musique mesurée à l’antique en particulier, son influence a été grande chez les premiers maîtres de l’air de cour. LEJEUNE (Jacques), compositeur français (Talence 1940). Membre, depuis 1968, du Groupe de recherches musicales de l’I.N.A., à Paris, il y poursuit la réalisation d’oeuvres de musique électroacoustique marquées par une recherche de synthèse et de cohabitation entre des sons empruntés à la vie quotidienne et aux phénomènes naturels, et des matériaux sonores plus abstraits. Il excelle surtout à construire dans l’espace, à « orchestrer » des paysages sonores aux perspectives nettes et bien dessinées. Dans sa première période (D’une multitude en fête, 1969 ; Cri, 1972 ; OEdipe Underground, 1972), la balance penche encore vers l’humour, et les rencontres surréalistes de son hétérogènes. À partir de Parages (1973-74), oeuvre en 3 parties comprenant un « cycle d’Icare », thème cher au compositeur, et un vaste mouvement intitulé Traces et Réminiscences, et dans Entre terre et ciel (1979), il stylise l’évocation anecdotique, la dépouille de son pittoresque pour n’en garder que la valeur symbolique, « archétypale ». Les Paysaginaires 1 et 2 downloadModeText.vue.download 573 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 567 (1976) et Symphonie au bord d’un paysage (1981), où la bande magnétique dialogue respectivement avec une flûte, des percussions, des synthétiseurs joués en « live », élargissent le domaine d’expression du compositeur vers le jeu en direct. LEKEU (Guillaume), compositeur belge (Heusy, près de Verviers, 1870 - Angers 1894). Au cours de ses humanités classiques, à Poitiers, où ses parents s’étaient retirés, il se sent attiré par les sciences, la littérature, le violon. Subitement, en 1885, il prend conscience de sa vraie vocation : elle est musicale. Ayant lu attentivement les qua-

tuors de Beethoven, il se met à écrire : Trio en ré mineur et Tempo di Mazurka pour piano que suivent, en 1886, Commentaires sur les paroles du Christ et Méditation et Menuet pour quatuor à cordes, Lamento et Lento Doloroso pour piano, la Fenêtre de la maison paternelle (mélodie, inédite). En 1888, il vient à Paris, entreprend des études de philosophie. Puis, sur les conseils de Wyzewa et Sailles, il se tourne résolument vers la musique. D’abord élève de Vallin au Conservatoire (harmonie), il travaille ensuite avec Franck et surtout Vincent d’Indy (composition), recevant en 1891 la seconde récompense au concours belge pour le prix de Rome avec la cantate Andromène (jouée à Verviers avec succès, 1892). Remarqué par Ysaye, qui lui commande alors une Sonate pour piano et violon, Lekeu compose d’arrache-pied. Il meurt à vingt-quatre ans, du typhus, sans avoir pu donner sa vraie dimension. C’est un tempérament généreux, noble, soucieux de la dignité de son art. Tard venu à la musique, tôt disparu, Lekeu apparaît comme un artiste probe, sincère, plein de promesses auxquelles la maturité eût, sans aucun doute, apporté une richesse exemplaire. Davantage tourné vers la musique pure que vers la musique dramatique, il a laissé un oeuvre brûlant d’un feu intérieur très vif, générateur de lyrisme, qu’organise et discipline une solide structure cérébrale : en témoigne sa grande Sonate (1892). Familier de la poésie romantique et symboliste (il fréquente Mallarmé), Lekeu laisse une dizaine de mélodies, la plupart écrites sur ses propres textes. La qualité de ses compositions abouties ou inachevées (Sonate pour violoncelle et piano, 1888, et Quatuor à cordes, 1892, terminés par d’Indy) démontre son attachement au franckisme (forme et expression esthétique), mais aussi une volonté parallèle de le dépasser afin de s’exprimer pleinement. LEMMENS (Jacques Nicolas), organiste, pédagogue et compositeur belge (Zoerle-Parwijs, Anvers, 1823 - Zemst, près de Malines, 1881). Formé en ses débuts par son père, luimême organiste, puis par Adolf Friedrich Hesse à Breslau et par Fétis, il fut nommé professeur d’orgue au Conservatoire de

Bruxelles en 1849 et enseigna à partir de 1878 à l’École de musique religieuse de Malines. Maître de Guilmant, de Widor et de Clément Loret, il composa pour son instrument trois sonates (parues en 1874) et des pièces diverses. Il publia en 1862 École d’orgue basée sur le plain-chant romain. Son Du chant grégorien, sa mélodie, son rythme, son harmonisation parut à titre posthume (1884). Il connut comme interprète un succès international, se produisant à Paris à la Madeleine, à Saint-Vincent-de-Paul et à Saint-Eustache, et fut un des principaux artisans de la renaissance des oeuvres pour orgue de Bach. LEMNITZ (Tiana), soprano allemande (Metz 1897 - Berlin 1994). Elle commence ses études de chant à Metz et les poursuit à Francfort auprès d’Antoni Kohmann. Après ses débuts en 1920, elle appartient à la troupe de l’Opéra d’Aix-laChapelle jusqu’en 1924, à celle de Hanovre de 1928 à 1933. De 1934 à 1957, elle chante à la Staatsoper de Berlin, où elle connaît un très grand succès, ainsi qu’au Covent Garden de Londres (Eva des Maîtres chanteurs, Jenufa en création anglaise en 1950). Parmi ses grands rôles, il faut citer Mimi, Micaëla, Aïda, Sieglinde, et surtout Octavian et Pamina (dans le premier enregistrement intégral de la Flûte enchantée sous la direction de Beecham en 1937-38), ainsi que le répertoire slave et tchèque. Elle fut aussi une grande interprète de lieder. LEMOINE. Maison parisienne d’édition fondée en 1772 par le virtuose de la guitare Antoine Marcel Lemoine (1753-1817), et dirigée jusqu’à nos jours par ses descendants, actuellement André Lemoine (né en 1907) et son fils Max (né en 1922). Spécialisée dans les ouvrages d’enseignement, la firme a publié notamment les célèbres traités d’instrumentation et d’orchestration de Berlioz, Gevaert et Widor, ainsi que le Panthéon des pianistes et le Répertoire classique du chant français. LENAERTS (René Bernard Maria), musicologue belge (Bornem, près d’Anvers, 1902 - Louvain 1992). Ecclésiastique, il étudia en même temps au séminaire de Mechelen et à l’institut Lemmens. En 1929, il obtint un doctorat

de philologie germanique à Louvain avec une thèse sur la musique polyphonique néerlandaise au XVe siècle, Het Nederlands polifonies Lied in de 16de Eeuw, qui fut publiée en 1933. Il poursuit ses études de musicologie sous la direction d’André Pirro à Paris (1931-32). De 1944 à 1973, il enseigna à l’université catholique de Louvain, où il développa le département de musicologie, tandis qu’il succéda à Smijers à l’université d’Utrecht en 1958 et y resta jusqu’en 1971. Membre de l’IMS (International Musicological Society) et de l’Académie royale de Belgique, il a collaboré à la rédaction de la Revue belge de musicologie et à l’édition des Monumenta musicae belgicae. On lui doit de nombreux comptes rendus de ses travaux de recherches sur la musique polyphonique des XVe et XVIe siècles. LENAERTS (Constant), compositeur et chef d’orchestre belge (Anvers 1852 - id. 1931). Élève de Peter Benoit, il débuta, à dix-huit ans, comme chef d’orchestre du théâtre flamand d’Anvers. Il fut ensuite professeur au conservatoire de cette ville, chef des concerts populaires et du « Toonkunstenaarbond », et fondateur de la Société royale de l’harmonie. Parmi ses oeuvres, citons une cantate De triomf van’t licht (1890), de la musique instrumentale et des mélodies. LENDVAI (Erwin), compositeur hongrois (Budapest 1882 - Londres 1949). Élève de Koessler à Budapest et de Puccini à Milan, il enseigna successivement la théorie à l’institut J.-Dalcroze à Hellerau (Dresde) en 1913, au conservatoire Klindworth-Scharwenka de Berlin (1914-1920), puis à la Hochschule de Hambourg en 1923. Kappelmeister de différentes sociétés chorales allemandes entre 1923 et 1933, il dut fuir le nazisme et s’établit à Londres. Au lendemain de la guerre, il renoua des liens étroits avec la Hongrie et s’intéressa particulièrement à l’oeuvre de Béla Bartók, tout en dirigeant l’Académie de Györ. LENDVAY (Kamilló), compositeur hongrois (Budapest 1928). Il étudia la composition à l’académie Franz-Liszt auprès de János Viski, et dirigea le théâtre d’État de marionnettes, puis

le théâtre d’opérettes du Capitol, écrivant pour ces divers théâtres A harom testör (« les Trois Mousquetaires »), Musica leggiera (« ballet sur une musique de jazz », 1965), Knock out (1968), et, pour la télévision, A búvös szék (« la Chaise magique », 1972). Sa veine épique se manifesta dans Orogenesis (1969-70), oratorio pour choeur, cinq solistes, récitant et grand orchestre. Son cycle pour voix d’alto et ensemble de chambre Kocsiùt az éjszakában (« Chemin dans la nuit », 1970, sur des poèmes d’E. Ady) confirma ses dons de dramaturge. downloadModeText.vue.download 574 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 568 LENOT (Jacques), compositeur français (Saint-Jean-d’Angély 1945). Il a fait ses études à l’École normale d’instituteurs et au conservatoire de La Rochelle, et assisté aux cours d’été de Darmstadt en 1966. Devenu instituteur en 1965, il démissionna en 1970. Importantes pour lui furent ses rencontres avec Olivier Messiaen, Sylvano Bussotti et Franco Donatoni. Se considérant lui-même comme un autodidacte, il a écrit une oeuvre abondante, séduisante d’aspect, mais d’une grande maîtrise d’écriture. Citons Diaphaneis pour 51 cordes et percussions métalliques (1967, créé cette même année au festival de Royan), Barbelés intérieurs pour 2 pianos, ensemble à vent et percussion (1968), Cinq Sonnets de Louise Labé pour haute-contre, soprano et ensemble instrumental (1971), Immer, trio pour 7 claviers (1972), Beau Calme nu pour flûte seule (1973, créé en 1974, Royan), Symphonie pour grand orchestre (1975-76, créée en 1977, Royan), Océan captif pour 4 groupes de solistes (1976), 2 sonates pour piano, créées respectivement en 1972 (vers. rév., 1974) et en 1978, et Allégorie d’Exil IV, créé en 1980 par l’EIC sous la direction de Pierre Boulez, Un soleil obscur à la cime des vagues (créé en 1982). Ont suivi notamment le Tombeau de Henri Ledroit (1988), Concerto pour piano (1991, rév. 1993), Deuxième Livre d’orgue (Paris, 1995). LENTO (ital. : « lent »). Terme désignant un mouvement analogue à celui du largo sans en avoir obligatoire-

ment le caractère grave. LENYA (Lotte), actrice et chanteuse américaine d’origine autrichienne (Vienne 1898 - New York 1981). Sa première vocation de danseuse la conduisit à Zurich, où elle suivit la méthode Dalcroze et des cours de danse classique. Elle fut engagée au Stadttheater de Zurich jusqu’à son départ en 1920 pour Berlin. La rencontre de deux dramaturges, Franz Wedekind et Georg Kaiser, infléchit sa carrière vers le théâtre parlé et chanté. Découverte par Kurt Weill, qui l’épousa en 1926, elle devint son interprète privilégiée, créant successivement Mahagonny (1927) et l’Opéra de quat’sous (1928) au Theater am Schiffbauerdamm de Berlin. Le rôle de Jenny, popularisé par le disque et, surtout, par le film de G. W. Pabst (1931), la fit connaître mondialement. Chassée par le régime nazi, elle créa à Paris le rôle d’Anna dans les Sept Péchés capitaux (1933), puis, à New York, ceux de Miiriam dans The Eternal Road (1937) et de la Duchesse dans The Firebrand of Florence (1945). Après la mort de Weill (1950), elle continua à défendre son oeuvre, notamment par de nombreux disques qui fixèrent pour la postérité les interprétations d’une des rares « diseuses » de notre temps. L’univers de Kurt Weill semblerait incomplet sans cette voix savamment éraillée, d’un humour mordant et malicieux. À quatrevingts ans passés, Lotte Lenya continuait de se produire aux États-Unis, notamment à Broadway, où elle interpréta, en 1968, Cabaret. LEO (Leonardo), compositeur et pédagogue italien (San Vito degli Schiavi, auj. San Vito dei Normanni, 1694 - Naples 1744). Il entra en 1709 au conservatoire Santa Maria della Pietà dei Turchini de Naples, où il étudia avec Andrea Basso et Nicola Fago. En 1712, il composa un oratorio, S. Chiara o L’Infedelta abbattuta, exécuté la même année au conservatoire et à la cour. Dès sa sortie de l’école, l’année suivante, il commença une carrière prospère d’organiste et de maître de chapelle, qu’il mena presque simultanément à la chapelle de la cour (organiste adjoint en 1713, premier organiste en 1725, vicemaître assistant en 1730, vice-maître en 1737 et maître en janvier 1744, peu avant sa mort), à l’église Santa Maria della Solitaria en 1717, au conservatoire Santa Maria

della Pietà dei Turchini (vice-maître de chapelle de 1734 à 1737 et maître en 1741, à la mort de Fago) et au conservatoire San Onofrio, où il remplaça Feo en 1739. Malgré ces nombreuses charges, il composa beaucoup : sa production, qui comprend 6 concertos pour violoncelle et orchestre, 1 concerto pour 4 violons et orchestre, des toccatas pour clavier et des fugues pour orgue, relève surtout de la musique vocale. Il écrivit autant pour la scène (plus de 70 ouvrages) que pour les autres domaines vocaux, aussi bien sacrés (oratorios, messes, miserere, magnificat, motets, antiennes, psaumes, hymnes, etc.) que profanes (très nombreux airs). Il donna le meilleur de luimême dans ses opéras comiques et dans sa musique sacrée. Héritier d’A. Scarlatti, il fut l’un des compositeurs les plus importants de l’école napolitaine, et un des premiers à Naples à avoir ajouté des choeurs à ses opéras (dans Olimpiade, par exemple). Dans ses oeuvres sacrées, il fit preuve d’une maîtrise impressionnante du contrepoint. À la fin de sa vie, il se tourna plutôt vers un type d’écriture a cappella (son Miserere à 8 voix de 1739 en est un exemple remarquable). Grand pédagogue, il compta parmi ses élèves N. Jommelli et N. Piccinni. LEONCAVALLO (Ruggero), compositeur et librettiste italien (Naples 1857 - Montecatini, Toscane, 1919). La vie de ce musicien, dont le nom reste attaché à son opéra Paillasse, véritable manifeste du vérisme, demeure assez obscure, en raison des légendes qu’il a lui-même accréditées, notamment sur son âge véritable et ses diplômes universitaires. Fils d’un magistrat, formé au conservatoire de Naples, il suivit l’enseignement du poète Carducci à Bologne, voyagea (notamment en Égypte, où résidait un de ses oncles, diplomate) et vint gagner sa vie à Paris, jouant du piano dans les cafés-concerts, s’y liant avec Massenet et avec le baryton Victor Maurel, qui l’appuya alors de sa renommée. Sensible aux théories wagnériennes, excellent versificateur, il rédigea lui-même ses livrets, s’inspirant souvent de modèles littéraires élevés ; il avait déjà écrit Chatterton (créé seulement en 1896) lorsque le succès de Paillasse (1892), dont le prologue lui avait été suggéré par Maurel, devenu son inter-

prète, lui apporta la gloire et des profits immédiats. Une trilogie sur la renaissance florentine (Crepusculum), qui eût dû comprendre encore Savonarole et Cesare Borgia, se limita aux Medici (1893), dont l’insuccès le découragea. Sa Bohème (1897) souffrit du triomphe de l’opéra de Puccini, mais il rencontra un meilleur accueil avec Zaza (1900) et avec Der Roland von Berlin (1904), commande de Guillaume II. Il s’adonna quelque temps à la composition d’opérettes et renoua avec ses ambitions initiales avec un OEdipe Roi (1920), dont sa mort soudaine l’empêcha de voir la création. Le succès universel de Paillasse, réplique de la Cavalleria rusticana de Mascagni, détourna Leoncavallo de son idéal, mais il n’en demeure pas moins que cette oeuvre, libérée des interprétations médiocres, dont elle fut trop souvent victime, révèle non seulement ses qualités de poète et de dramaturge, mais un solide métier musical et une veine mélodique intense et sincère qui en font une étape de l’évolution de l’art lyrique. On doit encore à Leoncavallo quelques mélodies, dont la célèbre Mattinata, dédiée à Caruso (1904), ainsi que des livrets d’opéra écrits pour d’autres compositeurs. LEONHARDT (Gustav), organiste, claveciniste et chef d’orchestre néerlandais (‘s Graveland 1928). Il étudia l’orgue et le clavecin avec Eduard Müller à Bâle (1947-1950) et débuta à Vienne (1950), au clavecin, dans l’Art de la fugue de Bach. Professeur de clavecin à l’Académie de musique de Vienne (1952-1955), ainsi qu’au conservatoire d’Amsterdam (depuis 1954), il est aussi organiste à la Waalse Kerk (orgue du facteur Christian Müller, 1733). Il fonda en 1955 le Leonhardt Consort, ensemble spécialisé dans l’interprétation de la musique baroque. Son répertoire couvre les XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, et il a largement contribué à gagner à cette musique une plus large audience et à fixer pour elle des références stylistiques. Méditation et recueillement caractérisent son jeu, y compris comme chef de choeurs. Il a réalisé downloadModeText.vue.download 575 sur 1085

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569 en alternance avec Nikolaus Harnoncourt un enregistrement intégral des cantates de J.-S. Bach, et c’est lui qui incarne le rôle de ce compositeur dans le film de JeanMarie Staub Die Chronik der Anna Magdalena Bach (« la Petite Chronique d’A. M. Bach », 1967). LÉONIN, diminutif du prénom Léon (Leo), porté par le plus ancien maître de l’école de Notre-Dame de Paris au XIIe siècle, auteur d’organa, dont le corpus a été transmis par les manuscrits polyphoniques de cette école, mais mélangés à d’autres et sans signature. Le nom de Léonin, comme celui de Pérotin, nous est connu par un théoricien anglais du XIIIe siècle, dit « Anonyme IV de Coussemaker » (du nom de son premier éditeur), qui précise que plusieurs de ses oeuvres ont été « abrégées » par son successeur Pérotin ; on possède plusieurs oeuvres en double version qui corroborent la description et que l’on peut donc lui attribuer avec vraisemblance, sinon avec certitude. Aucune précision d’archives n’a malheureusement pu être apportée concernant ce magister Leo vel Leoninus, qualifié d’optimus organista (entendez « chanteur ou compositeur d’organa »), dont l’activité à Notre-Dame, ou dans l’église qui l’a précédée, semble se situer entre 1160 et 1180, et que l’on peut considérer, après un certain maître Albert parisiensis à l’activité plus modeste, comme le premier compositeur polyphonique connu de l’histoire musicale. LEONSKAÏA (Élisabeth), pianiste soviétique (Tbilissi 1945). Elle donne son premier concert à l’âge de onze ans et trois ans plus tard son premier récital. Lauréate du concours Enesco à Bucarest en 1964, elle entre la même année au Conservatoire de Moscou. Lauréate du concours Long-Thibaud en 1965 et du concours Reine Élisabeth de Belgique en 1968, elle donne de nombreux concerts en Union soviétique et en Allemagne de l’Est. Une série de récitals donnés au festival de Salzbourg en 1979 et 1980 lui assure le succès en Europe occidentale. Instal-

lée à Vienne depuis 1978, elle donne de nombreux concerts aux États-Unis et en Europe, dont en 1992 plusieurs récitals remarqués en compagnie de S. Richter. Elle excelle en particulier dans les romantiques allemands. LEOPOLITA (Martin), compositeur polonais (Marcin ? - Lvov 1589). Il occupe des fonctions à la cour royale de Cracovie, et est considéré comme un des musiciens les plus représentatifs du XVIe siècle polonais avec W. de Szamotuðy. Il est l’auteur de messes, notamment la Missa paschalis à 5 voix (cycle complet de messes a cappella, le document le plus ancien qui ait pu être conservé intégralement dans la musique polonaise, et dont le matériel mélodique est emprunté à un credo pseudo-grégorien), de motets pour l’année ecclésiastique ; outre ses aspects mélismatiques et effets d’imitation, l’écriture vocale de M. Leopolita se caractérise par un style de contrepoint fleuri tout en contrastes dans lequel chaque voix se fait entendre clairement et avec une relative liberté malgré une texture polyphonique généralement complexe. L’EPINE (Margherita de), soprano italienne ( ? 1683-Londres 1746). Elle arrive à Londres en 1702 et chante des cantates de Bononcini, Alessandro Scarlatti et Purcell. Sa liaison avec le comte de Nottingham défraie la chronique, mais son ascension est rapide. De 1704 à 1708, elle s’impose face à sa rivale Christina Gorce, incarnant volontiers les rôles masculins. Elle est la première chanteuse italienne à conquérir la gloire en Angleterre. En 1715, elle est engagée à Drury Lane par le compositeur Johann-Christoph Pepusch, qu’elle épouse en 1718. Elle fait triompher les masques Vénus et Adonis et la Mort de Didon, et crée des cantates italiennes. Elle se retire en 1720. L’ÉPINE, OU LESPINE, OU LÉPINE, famille de facteurs d’orgues français, originaires du sud-ouest de la France et actifs durant tout le XVIIIe siècle. Le plus ancien organier connu de la famille est Adrian (1er tiers XVIIIe s.), qui travailla à la restauration des orgues de la cathédrale de Bordeaux (1711), de SaintJean-de-Luz (1724) et de Saint-Michel de

Bordeaux (1731). Jean-François Ier, son frère (Abbeville v. 1682 - Toulouse 1762), s’est fixé à Toulouse vers 1725. Il est le véritable fondateur de la dynastie et en a établi la réputation. En relation avec les organiers Isnard et Cavaillé, il travailla à Albi et à Rodez. Ses principaux instruments sont les orgues des Cordeliers à Toulouse (1727) et de la cathédrale de Lodève (1752). Son fils, Jean-François II, dit L’AÎNÉ (Toulouse 1732 - Pézenas 1817), a travaillé avec Isnard et le fameux théoricien Dom Bédos de Celles. Établi à Pézenas, il a réalisé les instruments de Béziers, Pézenas (1755), Narbonne (Saint-Just, 1770-71) et Montpellier (cathédrale, 17761780). Adrien, frère de Jean-François II (Toulouse 1735 - Paris ?). Il s’est installé à Paris, où il a épousé la soeur de l’organier François-Henri Clicquot. Ses principaux instruments sont ceux de Nantes (cathédrale, 1767), Nogent-sur-Seine, Brie-Comte-Robert, la chapelle de l’École militaire de Paris (1772), Saint-Médard de Paris (1778) et Montargis (1778). Il a également construit des clavecins. En 1772, il a présenté à l’Académie des sciences un système de piano-forte organisé de son invention, à deux claviers, le second clavier actionnant quatre jeux d’orgue. LEPPARD (Raymond), chef d’orchestre, claveciniste et musicologue anglais (Londres 1927). Après des études au Trinity College de Cambridge, il est chargé de cours à l’université de Cambridge (1957-1967), conseiller musical du Royal Shakespeare Theatre de Stratford-on-Avon (19561968), chef de l’English Chamber Orchestra (à partir de 1963) et premier chef du B.B.C. Northen Orchestra (à partir de 1973). Il a également dirigé des opéras au festival de Glyndebourne, au Covent Garden de Londres et au festival d’Aixen-Provence. Ses « réalisations » d’opéras italiens du XVIIe siècle (Cavalli, Monteverdi), souvent discutées sur le plan de l’authenticité, ont néanmoins permis de faire revivre quelques chefs-d’oeuvre de manière convaincante. LEROUX (François), baryton français (Rennes 1955). Il étudie d’abord à l’Opéra-Studio de Paris avec Vera Rosza et Élisabeth Grümmer. De 1980 à 1985, il appartient à la troupe

de l’Opéra de Lyon et interprète Mozart (Papageno, Guglielmo, Don Giovanni). À partir de 1985, il obtient un grand succès dans le rôle de Pelléas, qu’il interprète sur plusieurs scènes et qu’il enregistre sous la direction de Claudio Abbado. Il fait ses débuts au Covent Garden de Londres en 1989. Parallèlement à ses interprétations de grands rôles lyriques (y compris contemporains, comme La Noche triste de J. Prodromidès en 1989), il s’illustre dans le répertoire de la mélodie française, enregistrant par exemple en compagnie de Jeff Cohen plusieurs disques de mélodies de Fauré, Gounod, Duparc et Hahn. LE ROUX (Maurice), compositeur et chef d’orchestre français (Paris 1923 - Avignon 1992). Élève du Conservatoire de Paris, il a fait ses études notamment avec Olivier Messiaen, puis avec René Leibowitz. Ayant obtenu un premier prix de direction avec Louis Fourestier en 1952, il dirigea l’Orchestre national de 1960 à 1968, se faisant une réputation de défenseur de la musique contemporaine. Il est ensuite devenu producteur d’une série d’émissions, Arcana, à la télévision, et aussi conseiller artistique à l’Opéra de Paris (1968-1973), puis inspecteur général de la musique (depuis 1973). Comme chef, il a notamment réalisé le premier enregistrement de la Turangalila Symphonie d’O. Messiaen. downloadModeText.vue.download 576 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 570 Comme compositeur, on lui doit, entre autres, une sonate pour piano (1946), Deux Mimes pour orchestre (1948), Trois Psaumes de Patrice de la Tour du Pin (1948), Au pays de la magie, mélodies sur des poèmes de Henri Michaux (1951), le Cercle des métamorphoses pour orchestre (1953), Un Koan (1974), les ballets le Petit Prince, d’après Saint-Exupéry (1949), et Sable (1956), des musiques de scène pour le Château de Kafka (1957) et Jules César de Shakespeare (1960), et de nombreuses musiques de film, dont celles de Crin blanc (1952), les Mauvaises Rencontres (1955), Ballon rouge (1955), Amère Victoire (1957), les Mistons (1958), le Petit Soldat (1960), Vu du pont (1961), la Chamade (1968), Contes immoraux (1975), les Jardins secrets

(1978). Il a aussi écrit, en 1944, la marche officielle de la 2e division blindée. Comme musicologue, il a signé quatre ouvrages : Introduction à la musique contemporaine (1947), Monteverdi (1951), la Musique (ouvrage collectif, 1979) et Boris Godounov (1980). LEROUX (Xavier), compositeur français (Velletri 1863 - Paris 1919). Élève au Conservatoire de Massenet et de Théodore Dubois, Prix de Rome en 1885, professeur d’harmonie au Conservatoire à partir de 1896, il aborda sa spécialité - le théâtre - par la musique de scène (Cléopâtre et la Sorcière de Victorien Sardou, les Perses d’Eschyle, etc.). Son premier opéra, Évangéline, créé à la Monnaie de Bruxelles en 1895, fut suivi d’Astarté (1901), la Reine Fiammette (1903), Vénus et Adonis (1905), le Chemineau (1907), le Carillonneur (1913) et deux oeuvres posthumes : Nausithoé (1920) et La Plus Forte (1924). Son chef-d’oeuvre est le Chemineau, dont l’Opéra-Comique a donné 106 représentations jusqu’en 1945. Xavier Leroux fut le directeur de la revue Musica. LE ROY (Adrian), éditeur, luthiste, guitariste, chanteur et compositeur français (Montreuil-sur-Mer v. 1520 - Paris 1598). Il fonda, avec son cousin Robert Ballard, la célèbre maison d’édition Le Roy et Ballard (1551), qui devait garder ses privilèges jusqu’à la Révolution de 1789. Le premier livre publié est un recueil de motets, de danses et de chansons, mis en tablature de luth. D’autres livres renferment des transcriptions de chansons de Certon, d’Arcadelt, de Sandrin. La maison Le Roy et Ballard édita également les oeuvres de Roland de Lassus et de Claude Le Jeune. Au XVIIe siècle, les tragédies lyriques de Lully furent publiées par cette maison, devenue aussi l’imprimerie de l’Académie royale de musique. Adrian Le Roy est également l’auteur de plusieurs ouvrages, notamment une méthode de guitare, et d’un grand nombre d’airs de cour et de chansons d’une excellente qualité. LESNE (Gérard), haute-contre français (Montmorency 1956). D’abord attiré par le rock, il suit des cours d’Irène Jarski au Conservatoire de Pantin, mais il est largement autodidacte. En 1979, il s’initie au répertoire médiéval en entrant dans le Clemencic Consort.

Il chante ensuite dans divers ensembles de musique ancienne tels qu’Organum et Hespérion XX, puis fonde en 1985 Il Seminario Musicale. Il s’y consacre surtout aux interprétations de Monteverdi, Caldara et Vivaldi, puis à la musique française du XVIIe siècle. Depuis 1990, son ensemble est en résidence à Royaumont, et il affectionne le festival d’Utrecht. Il reconstitue en 1994 la version intégrale des Leçons de ténèbres de Charpentier. Représentant d’une « troisième génération » d’alti masculins après celles de Deller et Jacobs, il n’hésite pas, depuis 1995, à enrichir son expérience en retrouvant l’univers du rock. LESSEL, famille de musiciens polonais d’origine tchèque. Wincenty Ferdinand, compositeur (Jilove, près de Prague, v. 1750 - Pulawy, près de Varsovie, 1827). Il s’établit avec sa famille en Allemagne en 1762, et, de 1781 à sa mort, fut au service du prince Adam Kazimierz Czartoryski. Franciszek, pianiste et compositeur (Varsovie v. 1780 - Piotrkow 1838). Fils du précédent, il s’installa à Vienne en 1797 pour y étudier la médecine, mais se tourna vers la musique et devint en 1799 élève de Haydn, qui en 1805 lui fit cadeau du manuscrit autographe de sa symphonie no 56. Il retourna en Pologne en 1809, et abandonna la musique en 1822 pour occuper divers postes dans l’enseignement rural et secondaire. Il a écrit des symphonies et des concertos, mais son importance réside surtout dans ses oeuvres pour piano seul ou de musique de chambre avec piano, qui font de lui un des initiateurs de l’école polonaise du XIXe siècle. LESSON. Terme anglais, qui, à partir de la fin du XVIe siècle, fut utilisé d’une part dans le sens d’étude, exercice, et, d’autre part, pour désigner des pièces pour clavier ou par extension des pages de musique de chambre à usage domestique. Cette seconde utilisation fut particulièrement fréquente à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe, alors qu’en musique pour clavier florissait le genre de la suite. Dans un tel contexte, lesson veut dire « suite » (A Choice Collection of Lessons, publication posthume de suites de Purcell,

1696). Les 30 premières sonates de Domenico Scarlatti, parues à Londres en 1738 ou 1739 comme Essercizi per gravicembalo, devaient y être rééditées sous le titre de Lessons. Le terme fut utilisé également pour des oeuvres de Haendel. L’ESTOCART (Paschal de), compositeur français (Noyon av. 1540 - ? apr. 1584). Il semble avoir séjourné très jeune en Italie, mais il se fixa bientôt à Bâle et à Genève, où il fréquenta une Académie des lettrés huguenote. Il obtint un privilège pour la publication de ses oeuvres en 1581 à Genève. L’année suivante parurent les deux livres des Octonaires de la vanité du monde sur des poèmes d’Antoine de La Roche-Chandieu, quelques années avant le chef-d’oeuvre de Cl. Le Jeune écrit sur ces mêmes poèmes de huit vers (octonaires). Nommé professeur à l’université de Bâle, il se mit ensuite au service du duc de Lorraine à Nancy. En 1583, il dédicaça au futur Henir IV ses 50 Psaumes de David mis en langue française par Cl. Marot et Th. de Bèze. Puis il remporta le prix de la harpe d’argent au puy d’Évreux pour son motet Ecce quam bonum et quam jucundum. Ses oeuvres reflètent une vive influence italienne, notamment par la présence fréquente de l’accord de sixte augmentée. D’autre part, son écriture reste dans la tradition d’un contrepoint sévère. LE SUEUR ou LESUEUR (Jean-François), compositeur français (Drucat-Plessiel, Somme, 1760 - Paris 1837). Il étudia la musique comme enfant de choeur à la collégiale d’Abbeville, puis à la cathédrale d’Amiens. Nommé maître de chapelle à la cathédrale de Sées (1778), il partit bientôt pour Paris afin de travailler l’harmonie avec l’abbé Roze, maître de chapelle de l’église des Saints-Innocents. Il obtint successivement les maîtrises des cathédrales de Dijon (1779), du Mans (1782), et Saint-Martin de Tours (1783), mais, à la mort de l’abbé Roze, il fut appelé pour lui succéder aux Saints-Innocents. En 1786, il devint maître de chapelle à Notre-Dame de Paris. Il y obtint l’autorisation d’ajouter de la musique symphonique à la musique d’orgue, lors des grandes fêtes religieuses de l’année : Assomption, Noël, Pâques et Pentecôte. Cette innovation inquiéta le clergé, mais obtint un grand succès auprès des fidèles et de la reine Marie-Antoinette.

Pendant la Révolution, Lesueur mit son art au service de la nation, de même que Méhul, Gossec ou Cherubini, et composa nombre d’hymnes et de pièces de circonstance pour les fêtes officielles. En 1793, il fit ses débuts au théâtre et obtint d’emblée un succès estimable avec la Caverne, représentée au théâtre Feydeau. Cet ouvrage manifeste déjà son goût pour la musique descriptive et pour ses recherches harmoniques. À la fondation du Conservatoire (1795), il fut élu membre de la commission des études musicales, et fut chargé, avec Méhul, Gossec et Catel, de la rédaction des Principes élémentaires de la musique et des downloadModeText.vue.download 577 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 571 Solfèges du Conservatoire. Napoléon l’estimait beaucoup et lui avait confié le soin de composer une Marche triomphale pour le jour de son sacre. Cependant, Lesueur ne parvenait pas à se faire représenter à l’Opéra, où l’importance de ses ouvrages et des effets scéniques qu’ils demandaient rebutait la direction. Il fallut que Paisiello abandonnât en 1804 son poste de maître de chapelle des Tuileries et que l’Empereur désignât Lesueur comme son successeur pour que l’Opéra lui ouvrît enfin ses portes. Aussitôt, son ouvrage Ossian ou les Bardes fut représenté avec un immense succès. Il fut cependant retiré de l’affiche dès la chute de l’Empire. En revanche, le Triomphe de Trajan, créé en 1807, se maintint jusqu’en 1827. Plusieurs de ses autres opéras restèrent non représentés, dont Alexandre à Babylone, composé en 1815. Sous la Restauration, Lesueur devint compositeur de la chapelle de la cour, et, en 1818, fut nommé professeur de composition au Conservatoire. Il eut parmi ses élèves Ambroise Thomas, Berlioz, Marmontel, Reber et Gounod ; son influence fut grande sur eux, en particulier sur Berlioz auquel il inculqua le goût des figurations considérables et de l’instrumentation somptueuse. C’est surtout à travers sa musique religieuse (messes, oratorios) que cette influence s’est exercée. Lesueur avait fait des efforts pour revenir aux modes et aux rythmes grecs, et consacra ses dernières années à étudier l’histoire de la musique ancienne. Un catalogue de ses oeuvres a

été réalisé par Jean Mongrédien (1980). LESURE (François), musicologue français (Paris 1923). Il a fait ses études à la Sorbonne, à l’École des chartes, à l’École pratique des hautes études et au Conservatoire de Paris : sa formation est celle d’un historien autant que d’un archiviste et d’un musicologue. Il devint, en 1950, conservateur au département de la musique de la Bibliothèque nationale, puis conservateur en chef de celui-ci de 1970 à 1988. En 1965, il fut nommé professeur de musicologie à l’université libre de Bruxelles et, en 1973, il succéda à Solange Corbin comme directeur d’études à l’École pratique des hautes études. De 1953 à 1967, il fut, en outre, chargé du secrétariat central du R. I. S. M. (Répertoire international des sources musicales) et il dirigea la publication des volumes consacrés aux recueils imprimés des XVIe et XVIIe siècles (Munich, 1960), puis du XVIIIe siècle (Munich, 1964), ainsi qu’aux écrits imprimés concernant la musique (Munich, 1971). Il a dirigé également à partir de 1967 la collection le Pupitre, éditée par Heugel et consacrée à la musique avant 1800. François Lesure est réputé comme spécialiste du XVIe siècle et de la sociologie musicale. Il fut président de la Société française de musicologie de 1971 à 1974. On lui doit aussi d’importantes publications sur Debussy : un Catalogue des oeuvres (1977), une Iconographie et les Lettres (1980), Claude Debussy avant « Pelléas » ou les Années symbolistes (1993), Claude Debussy (1994). LETTRES. 1. L’usage de désigner les notes par des lettres remonte à la notation grecque antique (IIIe s. av. J.-C.). Dans une première notation, dite instrumentale, on se servait de signes conventionnels obtenus par déformation de certaines lettres de l’alphabet. Une seconde notation, dite vocale, utilisait les lettres telles quelles, avec valeur de numérotation descendante des sons dans les trois genres. La notation grecque a cessé d’être en usage à partir du IVe siècle apr. J.-C., mais s’est néanmoins transmise dans les écoles par les traités et par l’autorité de Boèce, de sorte que le

Moyen Âge connut le procédé. Il l’adapta à l’alphabet latin vers le Xe siècle, mais cette fois en montant et pour le seul genre diatonique, les deux autres étant tombés en désuétude. Deux procédés principaux furent employés. L’un, attribué à tort à Odon de Cluny et dû sans doute à Guillaume de Vulpiano, partait de l’ut et couvrait deux octaves, de A à P. L’autre, de A à G, qui prévalut, s’inspirait de l’échelle grecque en commençant sur la et en reprenant au bout d’une octave les mêmes lettres écrites différemment (d’abord majuscules, ensuite minuscules, enfin avec doublement ou addition d’apostrophe). Au grave, quand on en ressentit le besoin, on employa le G grec ou gamma, d’où notre mot « gamme ». Ce qui donna lieu à la correspondance ci-après, qui, toutefois, n’est valable que pour le solfège moderne ( ! SOLMISATION) : ABCDEFG la si do ré mi fa sol Le B était mobile et pouvait s’écrire soit carré (B quadratum, d’où bécarre) s’il y avait un ton entre A et B, soit rond (B rotundum) s’il n’y avait qu’un demiton. On disait aussi B durum (B dur) ou B molle (B mou, qui a donné bémol). On notera l’illogisme, qui a fait choisir l’un des termes dans une nomenclature décrivant l’écriture, et l’autre dans une autre nomenclature décrivant cette fois l’intervalle musical. C’est beaucoup plus tard que ces signes, qui étaient d’abord des lettres désignant des notes, ont pris le sens d’altération affectant des notes au lieu de les représenter. Les lettres s’appelaient clefs (claves), et ce nom est resté aux signes qui en sont dérivés et que l’on place au début de la portée pour indiquer à quelle note correspond la ligne ( ! CLEF). Les syllabes ut, ré, mi, fa, sol, la, attribuées aux notes au XIe siècle par Guy d’Arezzo, n’avaient pas d’abord le sens qu’on leur donne aujourd’hui. Elles ne remplaçaient pas les lettres, mais s’ajoutaient à elles de manière variable. Ce n’est qu’au XVIIe-XVIIIe siècle qu’on les considéra comme équivalentes, en ajoutant la syllabe si pour compléter la nomenclature. En outre, les Allemands, et eux seuls, ajoutèrent la lettre H pour le si bécarre,

conservant B pour le si bémol, de sorte que la lettre B n’a pas la même valeur partout, désignant le si bémol pour les Allemands et le si naturel pour les Anglais, qui, comme eux, ont gardé l’usage des lettres alors que les Latins préféraient les syllabes. 2.Lettres romaniennes. Lettres minuscules placées au-dessus de certains neumes dans plusieurs manuscrits de chant grégorien de l’école de Saint-Gall aux IXe et Xe siècles, et qui indiquaient des particularités d’exécution exprimées par le mot dont elles étaient l’abréviation : c = celeriter (« accélérer »), t = tenete (« ralentir »), etc. 3. Lettres significatives (litterae significativae). Lettres insérées dans le texte des Évangiles de la Passion, et qui, après avoir indiqué un changement de timbre mélodique selon le personnage qui s’exprime, ont désigné ensuite le ministre chargé de ce personnage en lecture chantée et dialoguée. 4. Lettres musicales. On appelait ainsi, autrefois, les lettres susceptibles de recevoir une traduction en notes dans la nomenclature alphabétique exposée plus haut. Il y avait, comme on l’a vu, 8 lettres musicales dans le système allemand (A à H) et 7 dans le système anglais (A à G), et pas davantage. Schumann tenta d’en augmenter le nombre en utilisant phonétiquement la lettre S du suffixe es, qui, en allemand, désigne la note bémolisée (Es, contraction de Ees = mi bémol, As, contraction de Aes = la bémol). La tentative, employée dans le Carnaval (183435), est restée éphémère. C’est en 1910 que Jules Écorcheville, directeur de la revue française S. I. M., imagina de compléter systématiquement l’alphabet en continuant diatoniquement la série commencée pour lui permettre de traduire en notes n’importe quel nom propre comme Bach l’avait fait pour le sien (qui avait la chance de n’avoir que des lettres musicales). D’assez nombreux « hommages » purent ainsi être composés sur le nom de leur dédicataire. Malheureusement, le système employé ne fut pas codifié avec une clarté suffisante, de sorte que plusieurs « clefs » contradictoires ont été employées à cet effet. downloadModeText.vue.download 578 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE

572 LES PRINCIPALES FURENT LES SUIVANTES : « Clef allemande » (1910, pièces sur le nom de Haydn publiées dans la S. I. M.) : do ré mi fa sol la si si bémol bécarre AB C D E F G (I?) H (I?)-J K L M N O P Q RSTUV W XYZ « Clef anglaise » (1922, pièces sur le nom de Gabriel Fauré publiées par la Revue musicale) : do ré mi fa sol la si AB CDEFGHI JKLMNOP QRSTUVW XYZ noms reçus jusqu’à H « Clef allemande à base alphabétique » (1943, M. Duruflé, pièce sur le nom d’Alain) : ABCDEFGH la si b do ré mi fa sol si I JKLMNOP QRSTUVWX YZ noms reçus « Clef chromatique sur deux octaves » (1950, J. Chailley, fantaisie sur le C. A. E. M.) : a)Touches blanches

la si do ré mi fa sol (la) A (H) C D E F G 1re octave, noms reçus I JKLMNOP 2e octave b)Touches noires la dièse do dièse ré dièse fa dièse sol dièse (la) dièse si bémol ré bémol mi bémol sol bémol la bémol (si bémol) (B) Q R S T 1re octave (reçus) UVWXYZ 2e octave 5. Langage communicable. Sous le nom de langage communicable, O. Messiaen a présenté en 1969 (Méditations sur le mystère de la Sainte Trinité) une clef personnelle d’une grande complication, dotée en outre de valeurs fixes de durée ; elle est trop complexe pour pouvoir être exposée ici. LEUTGEB (Joseph), corniste autrichien (Vienne 1732 - id. 1811). De novembre 1761 à janvier 1783, il joua des concertos pour orgue à quatorze concerts au Burgtheater : parmi ces concertos, un de Michael Haydn (perdu) et sans doute celui en ré majeur Hob. VIId.3 de Joseph Haydn, daté de 1762. Il entra ensuite dans l’orchestre de Salzbourg, et en 1770 se produisit à Francfort et à Paris. Il se réinstalla à Vienne en 1777, s’occupant de la fromagerie de son beaupère. Mozart écrivit pour lui au moins le quintette K.407 (1782), le rondo K.371 (1781) et les concertos K.417 (1783), K.495 (1786), K.447 (1787-188) et K.412 (laissé inachevé en 1791). LEVASSEUR (Marie-Claude Josèphe, dite Rosalie), soprano française (Valenciennes 1749 - Neuwied-sur-le-Rhin 1826). Elle débuta en 1766. Considérée comme

une rivale par Sophie Arnould, elle chanta dans les cinq opéras en français de Gluck représentés à Paris de 1774 à 1779 : les trois derniers (Alceste, Armide et Iphigénie en Tauride) lui valurent ses plus grands triomphes. Tragédienne lyrique, elle parut également dans des ouvrages de Sacchini, de Piccinni, de Philidor et d’autres, et se retira en 1788. LEVI (Hermann), chef d’orchestre et compositeur allemand (Giessen 1839 Munich 1900). Il étudia la musique avec V. Lachner à Mannheim (1852-1855), puis avec Hauptmann et Rietz au conservatoire de Leipzig (1855-1858). Il fut directeur de la musique à Sarrebruck (1859-1861), chef d’orchestre à l’Opéra de Rotterdam (1861-1864), chef d’orchestre de la cour à Karlsruhe (18641872), puis à Munich (1872-1890), où il fut nommé en 1894 directeur général de la musique. Il dirigea la première de Parsifal à Bayreuth en 1882 et fut aussi l’ami de Brahms. LÉVINAS (Michaël), compositeur français (Paris 1949). Élève de Lazare Lévy (piano) dès l’âge de cinq ans, il entra au Conservatoire de Paris en 1959, y obtint notamment les premiers prix de piano (classe d’Y. Lefébure) et d’harmonie (classe de R. Challan), suivit le cycle de perfectionnement de piano avec Y. Loriod, et étudia aussi avec O. Messiaen. Il a également suivi un stage au G. R. M. et participé comme élève de Stockhausen aux cours internationaux de Darmstadt. En 1970, il a obtenu le premier prix du Concours international d’improvisation de la ville de Lyon. De 1975 à 1977, il a été pensionnaire à la villa Médicis à Rome. Il a de nombreuses activités de pianiste, en particulier dans le cadre de l’Itinéraire, et a obtenu le prix Enesco de la S. A. C. E. M., en 1980. Il enseigne depuis 1987 l’analyse et l’orchestration au Conservatoire de Paris. Intéressé par la lutherie électronique, par l’amplification des instruments en direct et par le synthétiseur comme révélateur des aspects vibratoires des instruments, il a écrit, dans un style souvent violent, plus d’une vingtaine d’oeuvres, parmi lesquelles Mélodie sur un thème de René Char pour piano, baryton et flûte (1969), Arsis et Thésis ou la Chanson du

souffle pour flûte basse sonorisée (1971), Orchestre pour grand orchestre et 3 trombones sonorisés (1972-73), Clov et Hamm pour trombone et tuba sonorisés, 1 percussionniste et 2 bandes magnétiques (1973), Musique d’une musique pour grand orchestre, oeuvre de recherche sur la vibration par sympathie (1973), Appels pour 10 musiciens (1974), Musique et musique pour grand orchestre, avec 19 caisses claires mises en vibration par sympathie (1974-75), Sons en circulation pour cuivres et percussion (1976), Concerto pour un piano-espace pour piano, synthétiseur, instruments et 2 bandes magnétiques (1976-77), Étude sur un piano-espace pour piano et synthétiseur (1977), Dans un espace souterrain pour ondes Martenot, piano et synthétiseur (1977), Voix dans un vaisseau d’airain, « Chant en escalier » pour voix, flûte, cor et piano (1977), Strettes tournantes-Migrations pour ensemble instrumental (1978), Ouverture pour une fête étrange pour 2 orchestres et bande magnétique (1979), Concerto pour un piano-espace no 2 pour piano, ensemble instrumental et bande magnétique (1980), Contrepoints irréels -Rencontres 2 pour 6 flûtes, orgue électrique, ondes Martenot, bande magnétique et 1 percussionniste (1980-81), les Rires du Gilles pour petit ensemble instrumental et bande (1981), Arcades pour alto et piano (1982), Flux et Reflux (1984), l’opéra la Conférence des oiseaux (1985), la Cloche fêlée pour orchestre (1988), Préfixes pour 17 instrumentistes (1991). LEVINE (James), chef d’orchestre et pianiste américain (Cincinnati 1943). Il s’oriente d’abord vers le piano avec Rudolf Serkin et Rosine Lhevinne à la Juilliard School. À dix-huit ans, il se tourne vers la direction d’orchestre, qu’il travaille à la Juilliard School avec Jean Morel, et devient trois ans plus tard l’assistant de G. Szell à Cleveland. En 1971, au Festival de Ravinia, il se produit pour la première fois à la tête de l’orchestre symphonique de Chicago, avec lequel il collaborera abondamment par la suite. Il est nommé en 1973 directeur musical de ce festival et chef principal du Metropolitan Opera de New York (où il a débuté en 1971), puis en 1975 directeur musical de cette maison. Cette même année, il fait ses débuts à Salzbourg. De 1975 à 1995, il dirige de nombreuses productions lyriques à Salzbourg et à Bayreuth et se pro-

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DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 573 duit régulièrement à la tête de l’orchestre philharmonique de Berlin. Il devient en 1986 directeur artistique du Metropolitan Opera de New York LÉVY (Lazare, dit LAZARE-LÉVY), pianiste et compositeur français (Bruxelles 1882 Paris 1964). Élève du Conservatoire de Paris (18941898), il y étudie le piano avec L. Diémer, l’harmonie avec A. Lavignac et la composition avec A. Gédalge. Après avoir obtenu une mention au prix Diémer en 1904 et s’être fait remarquer par des récitals essentiellement consacrés à Beethoven, Schubert et Chopin, il s’oriente vers la pédagogie, éditant une méthode de piano en 1907, en collaboration avec Diémer, avant d’assurer une classe de piano au Conservatoire de Paris (1921-1953). Citons, parmi ses élèves, Monique Haas, Yvonne Loriod, Jean Hubeau. Le compositeur a écrit de nombreuses pièces pour son instrument (Études, Valses, Sonatines, Enfantines, Préludes), pour l’orgue, la flûte, le violoncelle, ainsi que deux quatuors à cordes. L’interprète et le pédagogue ont laissé le souvenir d’un être simple et noble, plus enclin à la méditation qu’à la gloire. LHEVINNE (Josef), pianiste russe (Orel, près de Moscou, 1874 - New York 1944). Fils d’un violoniste, il manifeste très tôt des dons éclatants. Un musicien suédois, Krysander, lui donne ses premières leçons de six à onze ans, avant qu’il n’entre, en 1885, au conservatoire de Moscou, dans la classe du grand pédagogue Safonov, en même temps que Rachmaninov et Scriabine. Il en sort avec une médaille d’or en 1891. À quatorze ans, il éblouit Anton Rubinstein, qui lui demande de jouer sous sa direction le 5e Concerto de Beethoven. Malgré les premiers succès à l’étranger, il rentre en Russie, où il épouse une pianiste, Rosa Bessie, et enseigne, à Tiflis (1900-1902), puis au conservatoire de Moscou (1902-1906). Installé à Berlin en 1907 et retenu par la guerre jusqu’en 1919, il part pour les États-Unis travailler à la Juilliard School of Music de New York, où sa femme devient un professeur de renom.

Parmi ses élèves, John Browning, Arthur Gold, James Levine, Van Cliburn. Doué d’une prodigieuse technique, Josef Lhévinne n’a jamais sacrifié le message musical à la virtuosité gratuite, la rigueur du phrasé et de la mesure aux excès romantiques. Ses disciples à la Juilliard School, Sacha Gorodnitzki et Josef Raïeff, continuent sa tâche selon les préceptes qu’il a consignés dans un traité : Basic Principles in pianoforte playing (Philadelphie, 19241972). LIADOV (Anatoly Konstantinovitch), compositeur et pédagogue russe (SaintPétersbourg 1855 - domaine de Polynovka, prov. de Novgorod, 1914). Il reçut les bases de sa formation musicale auprès de son père, chef d’orchestre du théâtre Marie de Saint-Pétersbourg, et apprit le piano avec sa tante V. Antipova. En 1870, il entra au conservatoire de Saint-Pétersbourg dans les classes de Beggrov et de Cross (piano), puis dans celles de Johannsen (théorie et écriture) et de Rimski-Korsakov (composition). Ses étonnantes capacités techniques étaient malheureusement entachées par une paresse inguérissable. En 1876, il fut exclu du conservatoire pour absentéisme, mais, réintégré deux ans plus tard, il obtint aisément son diplôme de composition avec la cantate la Fiancée de Messine d’après Schiller. À cette date, il était déjà l’auteur de nombreuses pièces pour piano, dont le recueil des Birulki. En 1878, il fut nommé professeur de théorie et d’harmonie au conservatoire. Par Rimski-Korsakov, il fit la connaissance des membres de l’ancien groupe des Cinq, puis fit partie du groupe Belaiev, réuni à partir de 1883 autour du riche mécène, et constitué d’élèves de Rimski, dont Glazounov. En 1885, il fut nommé professeur d’harmonie à la Chapelle impériale de Saint-Pétersbourg, dirigée par Balakirev et Rimski. Dans les dernières années du siècle, il s’occupa activement à rassembler et à adapter les chants populaires, dans le cadre d’études effectuées par la Société de géographie. Il publia plusieurs recueils avec accompagnement de piano : 10 Choeurs pour voix de femmes (1899), 35 Chants du peuple russe (1902), 50 Chants du peuple russe (1903). En 1906, il orchestra 8 chants, dont il fit une suite. Dans son oeuvre, dont la majeure partie

est écrite pour piano ou pour orchestre, Liadov est un miniaturiste, qui a le sens de l’effet instantané, du coloris, du contraste, mais manque de souffle et d’envergure. Ses pièces pour piano (intermezzos, préludes, arabesques, barcarolle) révèlent une influence de Schumann et, surtout, de Chopin, qui va parfois jusqu’au pastiche. Sa Tabatière à musique, en revanche, est une pièce fort originale et toujours appréciée des pianistes. Ses poèmes symphoniques Baba-Yaga (1891-1904), Kikimora (1909) et le Lac enchanté (1909) se sont également bien maintenus au répertoire. Liadov s’y montre l’héritier de Rimski par son art d’évoquer l’insolite et le fantastique. Vers la fin de sa vie, il fut attiré par le mouvement symboliste. Il s’inspira de Maeterlinck (Nénie pour orchestre d’après Aglavaine et Sélysette, choeurs pour Soeur Béatrice), et écrivit une oeuvre d’une grande puissance, Extrait de l’Apocalypse (1910-1912). Il se rapproche ainsi de Scriabine, mais sans en avoir le radicalisme. Entre 1881 et 1903, il orchestra des fragments de la Foire de Sorotchintsi de Moussorgski. Nombre de ses projets d’oeuvres n’aboutirent pas. Ainsi, en 1909, il fut pressenti par Diaghilev pour composer l’Oiseau de feu, mais, devant son indécision, la commande échut à Stravinski. LIAISON. Signe d’exécution, représenté par une ligne tracée au-dessus, ou au-dessous, de plusieurs notes pour indiquer qu’elles doivent s’enchaîner d’un mouvement continu. La liaison signifie exactement : 1. pour les instruments à archet, que toutes les notes doivent être jouées dans le même coup d’archet ; 2.pour les instruments à vent, dans le même souffle ; 3.pour les instruments à clavier ou à cordes frappées ou pincées, que chaque note doit commencer au moment exact où la précédente est abandonnée sans aucune solution de continuité. La liaison, dans ce dernier cas, est dite « expressive ». LIAPOUNOV (Serge), pianiste et compositeur russe (Iaroslavl 1859 - Paris 1924). Il commença ses études musicales à Nijni-

Novgorod, puis entra au conservatoire de Moscou, où il fut élève de Klindworth et de Pabst (piano), ainsi que de Tanéiev (théorie de la composition). En 1885, à Saint-Pétersbourg, il fit la connaissance de Balakirev, dont il devint le disciple et auquel il resta attaché, subissant son influence. Après la mort de ce dernier, il s’appliqua à terminer ses oeuvres inachevées (dont le 2e Concerto pour piano) et à publier la correspondance de Balakirev avec Tchaïkovski et avec Rimski-Korsakov. De 1910 à 1923, il fut professeur de piano et de composition au conservatoire de Saint-Pétersbourg. Il émigra en 1923 et mourut à Paris l’année suivante. Liapounov appartient, comme Glazounov et Liadov, à la génération des épigones du groupe des Cinq. Son attachement au folklore et à l’orientalisme le rapproche de Moussorgski et de Borodine, tandis que son style orchestral et pianistique porte la double marque de Liszt et de Balakirev. Plus que ses oeuvres symphoniques (2 symphonies, poèmes symphoniques, ouverture solennelle sur des thèmes russes), c’est dans son oeuvre pour piano qu’il a mis le meilleur de lui-même : 2 concertos (1890 et 1909), Rhapsodie sur des thèmes ukrainiens (1907), et surtout le cycle d’Études d’exécution transcendantes (18971905), qui a le mieux survécu. La conception et l’effort d’une recherche technique au service de l’expression narrative sont évidemment une référence à Liszt. Certains titres évoquent ceux des Études lisztiennes (Ronde des sylphes, Rondo des esprits), et la pièce finale du cycle est une Élégie en hommage au compositeur. Mais dans d’autres (Byline, Sons de cloches), c’est downloadModeText.vue.download 580 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 574 la tradition nationale de l’inspiration qui reprend le dessus. Quant à la Lezghinka (danse caucasienne), restée la plus populaire, elle est une réponse au Islamey de Balakirev, dont elle imite, dans un style moins impétueux, mais plus lyrique, l’esprit oriental et les formules pianistiques. LIBERATI (Antimo), musicien italien (Foligno 1617 - Rome 1692). Notaire à Foligno (1636-37), il partit pour

Vienne au service de Ferdinand III et de l’archiduc Léopold. De retour à Foligno (1644), il vint à Rome sans doute en 1650, et y étudia avec G. Allegri et O. Benevoli. Il fut chanteur à la chapelle papale en 1661, puis en devint le maître de chapelle (167475), tout en exerçant la même fonction dans différentes églises romaines. Peu de ses oeuvres ont été conservées (1 Laudate Dominum à 4 voix, 1 Messe à 16 voix et 4 airs), mais il semble avoir aussi composé, entre autres, des oratorios, des psaumes et des madrigaux. Il est surtout demeuré célébre pour ses écrits et ses prises de position (Epitome della Musica, 1666 ; Lettera scritta... In riposta ad una del Sig. Ovidio Persapegi, 1684), qui, bien que souvent arbitraires, contiennent de précieux renseignements sur ses contemporains. Il condamne, en particulier, Monteverdi et l’opéra vénitien, et témoigne de la survivance du style de Palestrina dans l’école romaine du XVIIe siècle. LICENCE. 1. Dérogation consciente et volontaire aux règles d’écriture imposées par l’école. La licence, qui doit être reconnue comme justifiée, se distingue ainsi de la « faute », qui est une dérogation à ces mêmes règles, mais sans justification et généralement inconsciente ou involontaire. 2. Traduction peu usuelle de l’italien licenza. LICENZA. 1. Équivalent italien du français licence 1. C’est en ce sens que Beethoven décrit le finale de sa sonate op. 106 comme une fugue con alcune licenze. 2. Terme italien, généralement non traduit, et qui possède plusieurs significations : a)liberté d’interprétation dans le domaine de la mesure et des nuances. Con licenza, « sans s’astreindre à une mesure rigide « ; b) au XVIIIe siècle, brève composition (généralement récitatif et air) insérée dans une cantate ou un opéra pour rendre hommage à un personnage important (par exemple, Mozart, KV. 36 et 70) ; c) ornementation non écrite, le plus souvent dans une cadence, laissée à la libre improvisation de l’interprète. On emploie aussi le mot cadenza (par exemple, Bach, canon no 10 dans l’Art de la fugue).

LICEO (Gran teatro del). Opéra de Barcelone, le plus célèbre d’Espagne. Inauguré le 4 avril 1847 (3 600 places), il brûla en 1861. Le nouveau bâtiment (3 000 places), ouvert le 20 avril 1962 et obligé par ses statuts de donner au moins un opéra espagnol par an, brûla à son tour en 1994. On y entendit, avant la création scénique à Milan, Atlantida de Manuel de Falla en version de concert (1961). LIDHOLM (Ingvar), compositeur suédois (Jönköping 1921). Les événements les plus importants de sa formation ont été ses cours avec H. Rosenberg, sa participation au groupe du Lundi (Måndagsgruppen), ses séjours à Darmstadt - les premiers effectués par un compositeur suédois -, et son stage avec l’important moderniste Mátyas Seiber, en Angleterre. Altiste, chef d’orchestre, personnalité en vue en Suède, Lidholm est, avant tout, un symphoniste, qui, parti d’un style proche de celui de C. Nielsen, a abouti à une forme très personnelle d’écriture, souvent agressive, voire explosive. Dans ses oeuvres les plus marquantes, Ritornell (1955), Riter, ballet (1960), Poesis et Nausikaa ensam (1963), on peut remarquer son intérêt pour les problèmes d’organisation des timbres, de la dynamique, de l’équilibre entre les matériaux polyphoniques et mélodiques et son sens de leur utilisation dans une expression dramatique. LIEBERMANN (Rolf), compositeur et directeur de théâtre suisse (Zurich 1910). Il étudia le droit, la direction d’orchestre avec Hermann Scherchen, dont il fut l’assistant à Vienne jusqu’en 1938, et la composition avec Vladimir Vogel, qui l’initia au dodécaphonisme. Il se fit connaître en 1947 par le dynamisme spectaculaire de son Furioso pour orchestre. Suivirent notamment un célèbre Concerto pour jazzband et orchestre (1954) et le Concert des Échanges, machines (1964). On lui doit aussi des ouvrages lyriques, parmi lesquels Léonore 40/45, sur un texte bilingue franco-allemand transposant le sujet de l’opéra de Beethoven dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale (Bâle, 1952), Pénélope (Salzbourg, 1954), et l’École des femmes, d’après Molière

(Louisville, 1955 ; puis Salzbourg, 1957). Il prit, en 1950, la direction musicale de Radio-Zurich, et, en 1957, celle de la radio de Hambourg. Devenu directeur de l’opéra de Hambourg en 1959, il en fit, en particulier sur le plan de la création et du répertoire contemporains, la première scène lyrique du monde, et réalisa 15 productions d’opéras pour le cinéma et la télévision. Il fut également l’instigateur du tournage du Don Giovanni de Losey (1978-79). En 1971, il fut nommé à la tête de la Réunion des théâtres lyriques nationaux à Paris, et occupa ces fonctions du 1er janvier 1973 au 31 juillet 1980. Durant cette période faste furent montés au palais Garnier et à la salle Favart, des Noces de Figaro (mars 1973) à Boris Godounov (juin 1980), 54 spectacles différents, parmi lesquels, sous la direction de Pierre Boulez, la création mondiale de la version « intégrale » en 3 actes de Lulu d’Alban Berg (24 février 1979). En 1982, il a mis en scène Parsifal à Genève, et il est retourné à Hambourg comme intendant de l’Opéra de 1985 à 1988. En avril 1987 a été créé à Genève son opéra la Forêt. Il a composé depuis Enigma pour orchestre (1994-1995) et l’opéra Acquittement pour Médée (1992, créé à Hambourg en 1995). LIED (all., pl. lieder ; « chanson »). Terme généralement appliqué au genre très particulier de mélodie accompagnée au piano, qui se développa en Allemagne à l’époque romantique, genre dont les maîtres majeurs ont été Schubert, Schumann, Brahms et Wolf. Propre à la musique chantée allemande, le lied s’est prolongé jusqu’à nos jours, tandis qu’il s’élargissait en des formes plus vastes, avec accompagnement d’orchestre symphonique (Strauss, Mahler, Schönberg). Mais le mot et la notion mêmes de lied ont une origine bien plus ancienne, qui remonte au Moyen Âge. LE LIED AVANT LE LIED. Le terme de lied - ou plus précisément, sous ses formes anciennes, de liet ou de leich - peut être rapproché étymologiquement de celui de lai. Il désigne, tout d’abord, une forme de chanson pratiquée par les trouvères germaniques, les Min-

nesänger. Chanson monodique savante, sans doute accompagnée ou soutenue par un instrument, c’est originellement une musique à danser, avant de devenir une sorte de madrigal mettant en musique un poème d’amour courtois, de forme raffinée, le liet proprement dit. Le premier maître du genre est le Minnesänger Walther von der Vogelweide, à la fin du XIIe siècle. Ce lied savant, ou Kunstlied, est, en Allemagne, le pendant de la chanson des troubadours en pays d’oc ou des trouvères en pays d’oïl : il est la forme de musique vocale par excellence des Minnesänger, jusqu’au XVe siècle. Du haut Moyen Âge proviennent également de très nombreux chants populaires relevant du folklore - ou, pour employer l’expression allemande, du Volkslied. Ce sont ces lieder, dont les textes ont été, à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, collectés et rassemblés par des poètes allemands - Herder, Arnim, Brentano, Goethe lui-même - et publiés en des recueils, qui ont conquis une vaste popularité ; le plus downloadModeText.vue.download 581 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 575 célèbre d’entre eux est le Cor magique de l’enfant (Des Knaben Wunderhorn), qui ne contient pas moins de 700 Volkslieder (Gustav Mahler en a mis plusieurs en musique). On a voulu voir dans le Volkslied une des sources, sinon la source principale, du lied romantique. Mais si le mot de lied, commun aux deux genres, peut, en effet, abuser et induire une confusion entre les deux, ceux-ci s’opposent radicalement. Autant le lied romantique est une oeuvre savante, même lorsqu’il revêt un caractère poétiquement populaire, autant le Volkslied du Moyen Âge ou de la Renaissance, anonyme et transmis par tradition orale, est d’essence et de forme populaires : chantant les travaux des jours, les métiers, l’amour, la guerre, la vie quotidienne, etc., il s’apparente aux autres formes de la chanson populaire. Dans le domaine savant, la chanson polyphonique française de la Renaissance a son pendant en Allemagne avec le lied polyphonique, profane ou spirituel : chan-

sons d’inspiration séculière, motets religieux, en latin ou en allemand, prennent le terme générique de lieder sous la plume des musiciens du XVIe siècle, pour la plupart disciples de Roland de Lassus (Leonhard Lechner, Johannes Eccard, Hans Leo Hassler), dont ils adaptent le langage contrapuntique pour l’introduire dans le monde germanique luthérien. Deux grands événements historiques vont marquer profondément la musique allemande et comptent parmi les sources auxquelles s’est alimenté le lied romantique : la Réforme de Luther et la guerre de Trente Ans. L’influence de Luther est capitale dans l’évolution de la musique vocale allemande : directement, par les recommandations pratiques qu’impose le réformateur à sa communauté spirituelle ; indirectement et à plus long terme, par tout le courant de pensée qui sera celui du monde allemand dans les siècles suivants, intimement imprégné des grandes composantes du luthéranisme. D’une nature profondément musicienne, Luther centre la pratique cultuelle sur le chant communautaire, au temple ou dans la famille, faisant de cette pratique un acte liturgique. Le lien ainsi établi entre la musique (et plus particulièrement le chant) et le sacré orientera de façon décisive toute la pensée allemande et une certaine façon d’envisager la musique, propre à la culture réformée germanique. Pour les besoins du culte nouveau, Luther compose des chorals, en fait composer, collecter, adapter par les musiciens de son entourage, à partir, parfois, de chansons populaires. Sur plusieurs générations va ainsi se constituer un corpus de chorals, mélodies volontairement très simples dans la mesure où elles sont vouées à être chantées par tous. Même dans leur version harmonisée à plusieurs voix, les chorals demeurent d’une exécution très aisée, avec leur respiration régulière bien marquée - encore un trait dont se souviendra le lied romantique. De la sorte, Luther donne un formidable élan à la création d’une musique vocale - savante, puisque due à des compositeurs professionnels, mais de coupe simple et destinée à de multiples occasions de la vie quotidienne. Le sacré ne s’y distingue pas plus aisément du profane que le lied ne se différencie alors du choral.

Quant à la guerre de Trente Ans, au siècle suivant (1618-1648), elle provoque des ravages considérables dans la culture et la société allemandes ; mais elle suscite aussi une exacerbation de la spiritualité, qui s’incarne sur plusieurs générations en courants de pensée et en poèmes religieux (généralement sur fond de terreur et de mort, souvenir immédiat des atroces malheurs de la guerre). C’est, notamment, le courant piétiste, qui touche en profondeur les milieux bourgeois, et dont les principaux poètes sont Jakob Böhme et Angelus Silesius. LES PRÉDÉCESSEURS DE SCHUBERT. De ces mouvements naîtra le climat propice à la fondation d’un art musical typiquement allemand, que ce soit dans le drame lyrique (qui aboutira à partir de l’Enlèvement au sérail de Mozart) ou dans l’ode de salon. La veine populaire, marquée du caractère sérieux, « engagé », quasi sacré, qui sous-tend toute l’expression littéraire depuis le XVIe siècle, donnera naissance au Singspiel, dont Hiller est le premier grand représentant, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Mais c’est aussi le moment où l’Aufklärung, époque de pensée rationaliste du « Siècle des lumières », le temps du philosophe Leibniz ou du poète Klopstock, favorise l’éclosion d’innombrables musiques domestiques pour chant avec accompagnement instrumental : les cahiers d’odes rationalistes et moralisantes fleurissent au milieu du XVIIIe siècle dans toute l’Allemagne, composées par les Mizler, Mattheson, Schubart, Marpurg, Scheibe..., un courant qui se poursuivra jusqu’à certains des lieder de Mozart et de Beethoven, lesquels n’apporteront d’ailleurs pas au lied quelque forme nouvelle, décisive, à la mesure de leur génie. En Allemagne du Nord, un musicien comme Johann Abraham Peter Schulz (1747-1800) peut être considéré comme l’un des précurseurs du lied - chant simple, naturel, de caractère strophique, écrit pour tous, et dont certaines mélodies vont devenir populaires. Son recueil de Lieder im Volkston bey dem Klavier zu spielen, « Chansons de caractère populaire à exécuter avec piano » (1782), fait de lui l’initiateur du genre des Lieder im Volkston, chansons de caractère popu-

laire où s’essaient maints compositeurs du XVIIIe siècle finissant. Dans les années 1770-1780, en effet, très nombreuses sont les pièces lyriques de style populaire transcendé, dont le caractère vocal se fait d’ailleurs plus volontiers lyrique dans les régions méridionales de l’Allemagne, au contact de l’art italien, qui fleurit alors dans les cours princières. On ne saurait non plus mésestimer la vogue, à cette même époque, des mélodrames (la Médée de Benda devait fortement impressionner Mozart) : toute la charge émotive du récit y est assumée par la musique, sur laquelle le texte simplement parlé explicite l’action ou les sentiments en présence, texte acquérant du même coup un poids insoupçonné. Trois compositeurs peuvent alors être considérés comme les annonciateurs les plus directs du lied schubertien : Reichardt, Hiller et Zumsteeg. Johann Friedrich Reichardt (1752-1814) publie de très nombreux volumes de mélodies accompagnées, appelées elles aussi lieder, sur des poèmes de Goethe, Schiller, Claudius, Hölty, Klopstock - les poètes mêmes qui inspireront Schubert : Goethes Lieder ; Lieder der Liebe und der Einsamkeit, « Chansons d’amour et de solitude » (1798) ; Wiegenlieder für gute deutsche Mütter, « Berceuses pour les bonnes mères de famille allemandes » (1798) ; Oden, Balladen und Romanzen (1809-1811), etc. Il est également l’auteur d’opéras et de Singspiele, où fleurissent aussi ces ariettes quelque peu simplistes. On notera qu’il est le premier à avoir mis en musique le Roi des aulnes (Erlkönig) de Goethe, qui sera l’un des plus fameux lieder de Schubert. Johann Adam Hiller (1728-1804), dont on a rappelé qu’il était l’initiateur du Singspiel, a publié, à côté de multiples arrangements et d’harmonisations de chorals, des mélodies - « lieder » - avec accompagnement, depuis 1759 (Lieder mit Melodien an meinen Canarienvogel, « Textes de chansons avec leurs mélodies, pour mon canari ») jusqu’à 1790 (Letztes Opfer, in einigen Lieder-Melodien, « Dernière offrande, en quelques mélodies de chansons), dont un cahier de Lieder für Kinder, « Chansons pour les enfants », en 1769. Quant à Johann Rudolf Zumsteeg (1760-1802), il est le créateur de la bal-

lade pour chant et piano, grande mélodie « durchkomponiert » (composée de bout en bout, sans retour à des refrains ou à des couplets), dont il organise la forme en divers plans d’intensité dramatique et musicale. Ses poètes sont, comme pour Reichardt, ceux de l’Aufklärung des années 1740-1770, et ceux du courant littéraire nouveau, celui du premier romantisme allemand ou Sturm und Drang, influencé par les romans sentimentaux européens downloadModeText.vue.download 582 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 576 du XVIIIe siècle (Pamela de Richardson, la Nouvelle Héloïse de Rousseau) et les poèmes d’Ossian, et illustré principalement par le jeune Goethe : le surnaturel y perd de son caractère strictement religieux pour acquérir une dimension dramatique, profane, mais conservant toujours une vision mystique du monde, mêlée au sentiment de la mort. On a publié de Zumsteeg 7 livres de Balladen und Lieder. De ces musiciens, on peut rapprocher Carl Friedrich Zelter (1758-1832), ami et conseiller musical de Goethe, auteur, lui aussi, de nombreux lieder ; certains précèdent ceux de Schubert, d’autres en sont contemporains et même de peu postérieurs, mais sans toutefois être influencés par son apport résolument neuf à l’art du lied. Car le lied de Schubert est le premier à faire converger, génialement, en un seul foyer le climat sérieux et le caractère « engagé » issu du vieux fonds luthérien, l’intimité bourgeoise de la mélodie plus ou moins populaire et l’esprit de la musique de chambre. Cela beaucoup plus qu’il n’opère de synthèse de tous ces courants, dont il procède cependant et sans la connaissance desquels il est impossible de remonter aux sources de son art : les mouvements littéraires du piétisme, de l’Aufklärung et du Sturm und Drang, la recherche d’une expression musico-dramatique spécifiquement allemande, le monde du choral, le fonds populaire de la chanson, l’air d’opéra et de Singspiel, l’ode rationaliste et le lied im Volkston. UNE PRODUCTION UNIQUE, EN QUANTITÉ COMME EN QUALITÉ : LES LIEDER DE SCHUBERT.

En une quinzaine d’années seulement, Franz Schubert (1797-1828) a écrit quelque 625 lieder pour voix et piano. Cette production s’étend sur toute sa vie créatrice, de ses années de collège aux derniers jours de sa vie. Le premier de tous qui nous ait été conservé est la Plainte d’Agar dans le désert (1811), qui avait été précédé d’essais antérieurs, disparus ; le dernier est le Pâtre sur le rocher, avec un accompagnement de clarinette et de piano (1828). Doué d’une extraordinaire rapidité dans un genre qui était l’expression si intime de sa pensée, Schubert a écrit ses lieder très rapidement - jusqu’à cinq en une seule journée. Mais ce fait ne doit pas masquer que la rédaction d’un lied pouvait être précédée d’une lente rumination plus ou moins inconsciente, ni que certains lieder aient été repris, retravaillés, jusqu’à parvenir à leur forme achevée définitive. C’est ainsi, par exemple, que, parmi les premiers lieder de Schubert, certains, comme Gretchen am Spinnrade (« Marguerite au rouet », 1814) ou Erlkönig (« le Roi des aulnes », 1815), chefs-d’oeuvre si accomplis, malgré la jeunesse du compositeur, qu’on les donne généralement pour date de naissance du lied romantique, ont fait l’objet de plusieurs rédactions successives. Le Roi des aulnes a connu 4 versions, apportant chacune des différences minimes d’apparence, mais fort importantes quant à l’expressivité musicale. Chanté pour la première fois en 1820, le Roi des aulnes fut la première oeuvre publiée de Schubert, en 1821. Les lieder sont d’ailleurs la partie de l’oeuvre de Schubert qui se répandit le plus tôt, sinon dans le grand public, du moins dans les cercles musicaux et littéraires. Ce sont eux qui lui assurèrent, de son vivant même, une notoriété certaine - encore que Goethe ne répondît à aucun de ses envois -, notoriété que ne connut le reste de l’oeuvre que plusieurs dizaines d’années après la mort du musicien. La première édition complète des lieder ne fut cependant établie que de 1884 à 1897, par Mandyczewski, et publiée par Breitkopf und Härtel ; elle a été rééditée par Dover, aux États-Unis, en 19 volumes, de 1965 à 1969. Contrairement à ce que l’on avance généralement, Schubert ne fut pas un illettré qui aurait choisi ses poèmes au hasard. Tout au contraire, il a participé à d’innombrables réunions littéraires avec

ses amis ; et il montre dans ses choix de poètes une véritable intuition (bien plus grande que celle d’un Fauré, par exemple). C’est ainsi que plus de 60 de ses lieder, soit 1/10 de sa production, sont écrits sur des textes de Goethe, le plus grand poète allemand ; plus de 30 le sont sur des poèmes de Schiller. À la fin de sa vie, en 1828, il découvre, à peine publié, un jeune poète encore inconnu, Heinrich Heine, qui deviendra le poète de prédilection de Schumann. Schubert lui consacre 6 de ses derniers lieder, 6 chefs-d’oeuvre, du Chant du cygne. Quant aux poètes de moindre renom sur lesquels se fonde tout le reste de son oeuvre, ils ne sont pas pour autant de valeur négligeable ; leur univers est celui dans lequel se situe Schubert, dans lequel il se sent totalement impliqué. Le fait est essentiel, car écrire un lied n’est pas pour Schubert imaginer une jolie mélodie, soutenue au piano, par-dessus un texte ; c’est là le domaine de la romance, de la simple « mise en musique », et Victor Hugo avait bien raison d’interdire : « Défense de déposer de la musique le long de mes vers. » La musique, ici, que ce soit celle du piano ou celle du chant, deux éléments traités en étroite communion (comme dans la musique de chambre), cherche à approfondir la vision poétique du texte, à en prolonger les harmoniques, les vibrations, en symbiose intime avec le texte. L’opération est d’ordre musical : la charge poétique, affective du texte passe dans la musique, et le texte chanté ne fait que la traduire « en clair », comme c’était le cas dans le mélodrame. Non pas mise en musique, donc, mais transfiguration poético-musicale. Avec Schubert, le lied trouve d’un coup sa forme la plus achevée. Dresser la typologie du lied schubertien, c’est inventorier tout ce qui fait l’originalité de Schubert sur ses devanciers et souligner les grands traits du lied romantique allemand. Il faut donc envisager succinctement ces caractéristiques, d’ordre littéraire et d’ordre musical, et en commençant par le domaine poétique. D’abord parce que c’est du poème, mûrement choisi et provocateur du choc initial de la création musicale, que part le musicien, entrant en relation de tension avec le texte pour en fouiller, par les sons, toutes les virtualités ; mais aussi parce que, dans la pensée allemande, ce domaine littéraire pèse traditionnelle-

ment d’un bien plus grand poids que ce qui ne ressortit qu’à la seule musique. Le trait caractéristique le plus frappant à la lecture des poèmes utilisés par Schubert est la présence, dans une forte proportion, de la nature. Celle-ci apparaît comme simple paysage de claire détente (Au printemps, Chant du matin). Mais le décor est très souvent beaucoup plus riche de signification intime : au paysage naturel correspond le paysage intérieur du poète, l’âme et l’univers se reflètent l’un dans l’autre, comme le microcosme et le macrocosme. La description de la nature nous concerne en ce que la suite du poème et du lied nous y situe, le destin de l’homme se trouvant intimement lié à celui du monde naturel. C’est là le domaine d’un Wilhelm Müller (le poète de la Belle Meunière et du Voyage d’hiver), mais aussi des auteurs qui s’apparentent au Sturm und Drang et cultivent le fantastique cosmique (Herder, Percy, Ossian). À cette peinture de la nature participent évidemment les éléments. L’eau, principalement, élément de prédilection de Schubert : ruisseaux et rivières, fleuves et mers (Berceuse du ruisseau, Ruisseau d’été, À une source, la Truite, le Fleuve, Bord de mer, Au bord du fleuve) ; mais aussi l’eau courante en ce qu’elle incarne une image de la destinée humaine, dans son voyage inexorable de la source vers l’embouchure, de la naissance à la mort (c’est, notamment, le thème du choeur pour voix d’hommes sur le Chant des esprits au-dessus des eaux, de Goethe). Eau du destin, élément dans lequel se reflètent les hommes : c’est la substance même de la Belle Meunière, où le thème de l’eau joue le rôle de leitmotiv. Avec l’eau, l’orage et la tempête, les vents déchaînés (Matinée orageuse, la Jeune Religieuse, le Roi des aulnes), la neige et le gel (Voyage d’hiver), la nuit et la lune (sérénades, nocturnes, À la lune). Le thème de la destinée humaine prend souvent chez Schubert et ses poètes l’image du voyageur (der Wanderer). L’insatisfaction de l’homme, son inquiétude downloadModeText.vue.download 583 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 577 le poussent à quitter sa maison, son pays,

et à parcourir le monde ; il se met ainsi à l’unisson d’un univers qui n’est que mouvement, en marche comme la destinée et la vie ; mais la nostalgie (die Sehnsucht, thème corollaire, fondamental lui aussi) le ramène vers son pays, sa vraie patrie, qui sera en réalité la mort. C’est le thème du Tilleul, de Bienvenue et départ, comme des nombreux lieder de voyage : le Voyageur, Nocturne du voyageur, En voyage, etc., et surtout du cycle du Voyage d’hiver. Dans sa pérégrination, l’homme reste solitaire et ne rencontre pas l’amour, la bien-aimée est absente. Solitude schubertienne, dans la Belle Meunière et le Voyage d’hiver, dans Marguerite au rouet, la Plainte d’Agar dans le désert, Solitude, À l’absente, À la lointaine, le Sosie, la Ville, les divers Chants du harpiste et chants de Mignon, la Litanie pour le jour des morts. Solitude suprême, enfin, la mort, où aboutit toute destinée, mais généralement envisagée comme un apaisement. Le thème de la mort prend chez Schubert une importance croissante, en trois vagues successives. Dans les premières années, elle est composante d’un paysage funèbre (Couronne funèbre pour un enfant, Au postillon Kronos), pour s’intérioriser ensuite peu à peu, vers 1816-17 (À la mort, la Mort et la Jeune Fille, le Jeune Homme et la Mort). Enfin, dans les années 1823-1828, la mort est devenue intérieure et a rejoint la solitude, la maladie, le voyage, la nostalgie, dans une vision globale du monde intime, tragique et privée d’espoir (Voyage d’hiver, lieder sur des poèmes de Heine dans le Chant du cygne). Les motifs littéraires de tous ces poèmes sont empruntés à diverses sources : fonds légendaire de l’Allemagne et de l’Europe du Nord, motifs populaires et folkloriques (Petite Rose des bruyères), grands thèmes littéraires (Faust, le Divan occidental ou Wilhelm Meister, pour Goethe). Une petite touche chrétienne (Ave Maria, Pax vobiscum, Litanie) apporte rarement son éclairage à un monde essentiellement panthéiste, assez fortement teinté du paganisme véhiculé par les grands motifs de la mythologie grecque revisitée par Schiller et Goethe : Prométhée, Ganymède, les Dieux de la Grèce, le Groupe au Tartare, le Fils des muses, Chant d’un nautonnier aux Dioscures. De ces grands courants musicaux convergents, de ces divers types de

poèmes, subtilement sélectionnés, dépendent les types formels que Schubert met au point. Car, on l’a compris, il ne s’agit jamais de musique populaire, recueillie dans le terroir ou véhiculée par la tradition, à laquelle le musicien aurait octroyé un soutien instrumental pour en faire de la romance de salon. Populaire, le lied de Schubert l’est dans son apparente simplicité, dans une expression lyrique d’abord facile et aisément mémorisable, bien « dans la voix », dans toutes les connotations avec la vie des hommes simples et les paysages naturels. Il y a ainsi chez Schubert la permanence d’une « fiction populaire », qui couronne en le masquant un travail formel extrêmement savant et élaboré. Il est frappant d’observer que Schubert trouve d’emblée, dès ses premiers lieder, sa personnalité, l’originalité du lied romantique qu’il porte aussitôt à son point de perfection, et comme la forme évolue relativement peu tout au long de sa production, en dépit d’une maîtrise croissante des éléments de son langage musical. Ce sont d’abord, formes primitives, des sortes de petites cantates traitées avec un accompagnement qui évoque la réduction au piano d’une partie orchestrale. Très tôt abandonnée, cette forme débouche dans la grande ballade mélodramatique à la Zumsteeg, mais menée à un exceptionnel accomplissement expressif et formel. La voix et l’instrument s’y trouvent intimement mêlés, comme en une oeuvre de musique de chambre. La symphonie pianistique fait vivre les éléments de l’espace naturel et les frémissements de la vie intérieure, emportant la voix dans un grand mouvement épique. Composées de bout en bout, sans retours, les ballades s’entrecoupent de récitatifs articulant les temps forts de l’épopée poétique, opposent les plans d’intensité, les tonalités, les assises rythmiques. C’est tout un opéra en quelques minutes, tel que le brossent les poètes du Sturm und Drang (le Plongeur, le Gant, le Nain, le Groupe au Tartare, Au postillon Kronos, le Roi des aulnes). À ces formes de type excentrique s’opposent les formes concentriques de la méditation musicale, de l’introspection : une vision sonore est saisie comme en « instantané », et les mouvements obsessionnels de redites et d’incantation, de la voix

comme du piano, en explorent tous les harmoniques intérieurs. C’est le monde de Du bist die Ruh’ (« Tu es ma paix »), des lieder sur les poèmes de Heine ou des cycles. Un troisième registre est constitué des lieder de paysage pur, au caractère extraverti : évocations de la nature, échos, simplicité et lumière (Au printemps). Quelques groupes de lieder sont associés en « cycles ». C’est le cas de la dizaine de lieder de Mignon, d’après le Wilhelm Meister de Goethe ; mais il s’agit là d’un ensemble de lieder fondés sur une même oeuvre littéraire, sans que l’on puisse dégager une dramaturgie musicale unissant entre eux ces lieder. C’est aussi le cas du recueil du Chant du cygne, regroupant 14 lieder (7 de Rellstab, dont la populaire Sérénade, 6 de Heine et 1 de Seidl) ; mais, en fait, la composition de cet album et son titre larmoyant sont pure fantaisie de l’éditeur posthume, aucun lien n’ayant été voulu par Schubert entre ces diverses pièces. Restent 2 cycles, expressément composés comme tels : les 20 lieder de la Belle Meunière (1823), et les 24 du Voyage d’hiver (1827). Tous deux, sur des poèmes de Wilhelm Müller (de bien plus grande valeur qu’on ne le dit généralement), enchaînent des lieder en grande partie de type méditatif, selon une dramaturgie qui en fait de véritables récits, unis par l’emploi de leitmotive : les mouvements de doubles croches de la Belle Meunière, thème de l’eau quasi omniprésent et qui finit par recouvrir dans ses flots le petit meunier Schubert et son espoir déçu ; motif du pas du voyageur (noires ou croches insistantes) dans le Voyage d’hiver, avec ses interruptions de silences et ses cris désespérés, dans un monde gelé et raréfié. À ces grandes familles de lieder, il faudrait ajouter les ensembles vocaux et les choeurs pour voix d’hommes accompagnés de piano, qui ne procèdent pas directement du lied, mais s’y rattachent par leurs motifs poétiques. Les structures musicales utilisées par Schubert ne relèvent jamais, on l’a dit, de la mélodie accompagnée ; formes de musique de chambre, elles sont nombreuses et adaptées précisément à chaque type de poème, visant chaque fois à projeter

l’espace visuel et poétique dans un espace sonore qui en délivre les images. On trouve ainsi divers systèmes strophiques : rarement purs, si ce n’est pour quelques lieder de caractère franchement populaire et souvent devenus chants populaires de l’Allemagne romantique (Petite Rose des bruyères), mais faisant appel à des variations (rythmiques, mélodiques) ou à des contrastes (majeur opposé au mineur, ou inversement). La variation est, en effet, l’un des ressorts de la structure schubertienne, variations instrumentale (Au printemps) ou rythmique (Ganymède). Sur le plan mélodique, la variation peut se faire par amplification du galbe de la ligne vocale, le lied procédant alors par « cris » successifs. Lorsqu’il n’est pas rigoureusement durchkomponiert, le lied, surtout de type excentrique, la ballade, s’organise en marqueterie de motifs pianistiques et vocaux, structurés en paliers d’intensité expressive. Enfin, sur le plan du langage musical, le lied schubertien présente de grandes constantes, qui seront celles de tout le lied romantique allemand. Et d’abord, une extraordinaire concentration sonore. Dans une extrême économie de moyens, aucune note ne se présente comme un quelconque remplissage, comme le moindre bavardage. Rien qui ne soit essentiel, ce qui confère à la partie pianistique comme au chant une relative facilité d’exécudownloadModeText.vue.download 584 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 578 tion. Brèves introductions au piano, qui en quelques mesures, en quelques notes cernent l’espace sonore et psychologique du lied ; modulations instantanées, par enharmonie ou par simple translation de tonalités, altérations très brèves qui modifient tout à coup un éclairage. Les mouvements obsessionnels font appel à une figure rythmique ou mélodique, à la répétition d’une seule note, et à un élément dont Schubert est le premier, bien avant les musiciens sériels, à avoir évalué toute l’importance expressive : le silence. La substance musicale se raréfie parfois jusqu’à l’absence de toute musique exprimée, laissant les sons se prolonger à l’intérieur des auditeurs. Au silence s’opposent les cris, exacerbation de la ligne mélodique

qui finit par envahir tout l’espace sonore. Mais cette dilatation de la mélodie est ellemême utilisée avec beaucoup de parcimonie, en conclusion, pour faire éclater la vision dramatique du lied ; en règle générale, au contraire, la ligne de chant est très diatonique et contenue dans un ambitus relativement restreint. Toute la musique de Schubert chante - le piano, le quatuor à cordes, les instruments de l’orchestre comme la voix. Cette vocalité de Schubert explique comment des thèmes de lieder, son monde essentiel, font résurgence dans la musique de piano ou la musique de chambre (quintette la Truite, Wanderer Fantasie pour piano, quatuor la Jeune Fille et la Mort). Ce chant « naturel », où ne perce jamais la science de l’écriture, est sans aucun doute ce qui a pu accréditer la légende d’un Schubert populaire ; c’est, en tout cas, ce qui contribue à donner à ses lieder leur incontestable popularité. LES LIEDER DE SCHUMANN. Schubert a véritablement créé le lied romantique allemand, et lui a donné, d’un coup, ses plus hauts chefs-d’oeuvre. Tous les musiciens qui vont le suivre vont se définir par rapport à lui, à commencer par Robert Schumann (1810-1856), qui, en quelque sorte, le complète et achève d’explorer toutes les potentialités du lied. Et pourtant, on ne peut imaginer plus dissemblables que Schubert et Schumann. Autant le premier, autrichien, se masque de fiction populaire, autant le second, allemand, laisse à découvert sa complexité, son trouble univers. Schubert est homme de l’instinct - un instinct très sûr -, Schumann, lui, est issu d’une culture littéraire. Il avait songé aux lettres, s’y est essayé : son lied va perdre de l’immédiateté de celui de Schubert pour se charger de signes, de symboles et d’allusions. À quoi il faut ajouter, deuxième constante de son art du lied, une personnalité complexe, problématique, hantée de peurs et de vertiges, de nostalgie, et d’un drame d’emmuré vivant qui le conduira à l’asile. D’où un choix très différent de poètes et l’élaboration d’une langue musicale nouvelle. Les poètes, ce sont d’abord Heine, que Schubert lui désigne post mortem dans le Chant du cygne ; et puis Eichendorff, et Lenau, dans ce que leur oeuvre compte de plus désespéré ; et Chamisso, qui n’échappe pas à une certaine sensiblerie, avant de retrouver quelques textes

de Goethe, de Rückert, de Mörike, ou de découvrir une nouvelle génération, avec Byron, Burns ou Moore. C’est le monde des crépuscules et des lumières « entre chien et loup », où la raison bascule dans la folie, celui des noces tragiques, des amours comblées et malheureuses, des carnavals de l’âme, des rêves et des paysages méphitiques. Musicalement, la langue schumannienne porte témoignage de ces complexes et de ces contradictions. D’abord, dans une part différente dévolue au piano : à lui les introductions qui plongent au coeur d’un univers tourmenté, et les longues conclusions où tente de se résoudre et de se libérer le drame chanté que la voix seule n’est pas parvenue à exorciser - là où il fallait à Schubert un cri à peine répété et quelques accords. La ligne de chant, elle aussi, rompt avec la simplicité schubertienne : plus distendue, plus apparemment raffinée, elle souligne, avec le piano, les moindres intentions du texte en des altérations plus ou moins marquées. Schubert campait son lied dans une progression musicale et épique ; Schumann, au contraire, en lyrique, analyse et explore toutes les facettes de ses poèmes dans une opération beaucoup plus statique, presque contemplative. Et pour cerner le climat émotif des poèmes il en appelle au chromatisme, aux accords altérés (septième diminuée, neuvième), aux incertitudes rythmiques, aux mouvements syncopés. La production de lieder de Schumann compte quelque 250 morceaux, pour la plupart regroupés en recueils et même en cycles. Mais alors que les lieder accompagnent toute la vie créatrice de Schubert, ils n’apparaissent chez Schumann qu’en deux formidables vagues : 130 environ pour la seule année 1840, plus de 100 pour les années 1849 à 1852. En 1840, Schumann a trente ans. Dans les dix années qui précèdent, il n’a écrit que pour le piano : la quasi-totalité de ses chefs-d’oeuvre. Obtenant enfin l’autorisation d’épouser Clara, en cette même année 1840, il va consacrer toute l’année exclusivement aux lieder ; et, à part quelques pièces, il n’y reviendra qu’en 1849, après une longue série de crises. Pris alors par une frénésie de création, il s’adonne à tous les genres, dans les quatre années qui suivent, avant la chute de 1853.

À côté de la production des lieder pour voix et piano, il faut mentionner un nombre important de duos, trios et quatuors vocaux avec piano, 3 morceaux pour voix parlée avec piano, et de nombreux choeurs pour voix de femmes, voix d’hommes ou voix mixtes, pour la plupart sans accompagnement. À de rares exceptions près, toutes ces pièces ont vu le jour dans les deux grandes vagues de création des lieder - elles datent principalement de 1849. Et elles font appel aux mêmes poètes que les lieder pour voix et piano. Il est troublant de voir Schumann, au moment même d’épouser la pianiste Clara Wieck, qu’il attend depuis dix ans et pour qui il a écrit nombre de ses grandes pages pour le piano, abandonner ce piano et chercher dans le lied, et exclusivement, l’expression lyrique, explicite, d’amours malheureuses. Dans la production de cette année, 5 groupes de lieder sont baptisés « cycles » - Liederkreise : les opus 24 et 25 (Myrthes), 39, 42 (l’Amour et la vie d’une femme) et 48 (les Amours du poète), représentant en tout 71 lieder. Mais 2 seulement, les opus 42 et 48, constituent des ensembles cohérents, construits en tant que tels et animés d’une dramaturgie musicale interne (leitmotive, relations tonales entre les lieder, etc.). Le Liederkreis op. 24 est le premier bouquet de fleurs vénéneuses que Schumann cueille chez Heine - 31 lieder d’après Heine en 1840, presque plus ensuite. Le Liederkreis op. 25, Myrthes, rassemble 26 lieder de poètes divers en une couronne de fiançailles offerte à Clara, plus suaves, moins fervents que les autres. C’est Eichendorff qui donne les poèmes de l’opus 39, 12 chefs-d’oeuvre qui chantent la fiancée morte, la détresse du poète, les menaces de la nuit, dans un décor de châteaux en ruines et de forêts enchantées. Lui aussi offert à Clara, le cycle l’Amour et la vie d’une femme doit son texte sentimental et quelque peu larmoyant à Chamisso. Malgré le caractère petit-bourgeois de la Restauration (Biedermeier, en Allemagne), qui peut paraître d’une ingénuité un peu puérile, mais qui convient si exactement à toute une part de la sensibilité schumannienne, ce cycle de 8 tableaux évoque la vie sentimentale d’une jeune femme, depuis les premiers aveux jusqu’à la mort du bien-aimé, en passant par les

noces et la naissance de l’enfant. Huit portraits réunis en une seule suite, d’aspect étrangement prémonitoire. Les Amours du poète, enfin, sur des poèmes de Heine, sont une sorte de tragédie en réduction la tragédie du poète, dont la bien-aimée en épouse un autre, et qui en meurt : 16 miniatures organisées en contrastes, avec temps forts et moments de détente. 1840, toujours, pour le minicycle du Pauvre Pierre (de Heine, encore), ou quelques ballades, sortes d’ébauches d’opéras - l’opéra qui est la nostalgie de tout le romantisme allemand, et que seul Wagner, après Weber, réussira. Et puis downloadModeText.vue.download 585 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 579 plusieurs cahiers d’après des poèmes de moindre envergure de Rückert, de Reinick ou de Kerner. Dans les années de maturité, Schumann emprunte à un grand nombre de poètes, de Goethe et Schiller à des anonymes. À nouveau, des rêves, des scènes fantastiques, des chants de soldats ou des scènes médiévales : tout un monde très différencié, qui ne cesse de pétrir et de ressasser ces motifs de l’inquiétude qui ne tarderont pas à mener Schumann à la folie, mais qui constitue un corpus passionnant encore beaucoup trop ignoré des interprètes. AUTOUR DES MAÎTRES DU LIED. Le foisonnement de musique vocale avec piano - tout ce que l’on regroupe sous le terme générique de lied - ne s’est pas arrêté du jour où Schubert, puis Schumann ont porté le lied à sa perfection. Tout au contraire, ce foisonnement se poursuit, et il n’est guère de musicien allemand qui, au XIXe siècle, ne compose des lieder - musiciens mineurs -, ni créateur de génie chez qui le lied n’atteindra pas les sommets des maîtres du genre. On a indiqué que, avant Schubert, ni Mozart, ni Beethoven, ni d’ailleurs Haydn n’ont innové réellement en ce domaine. Certains de leurs lieder, cependant, pressentent ce que sera le lied romantique. Chez Mozart, Abendempfindung (« Sentiment du soir »), Unglückliche Liebe

(« Amours malheureuses ») ou Das Lied der Trennung (« le Chant de la séparation ») possèdent déjà un ton, un registre de sensibilité et un rapport entre chant et piano, qui seront ceux de Schubert. Dans ses délicates canzonettes anglaises, ou dans le lied de Wilhelm Meister, Haydn s’approche lui aussi du lied schubertien. Quant à Beethoven, il se situe en marge de cette évolution et ignore tout de Schubert ; ses quelque 70 lieder sont proches des mouvements lents de ses Sonates pour piano, et traités plus instrumentalement que vocalement. Mais ses Six Lieder sur des poèmes de Gellert op. 48 (1802), Adélaïde (1794-95), ses différents lieder sur des poèmes de Goethe - et notamment Nur wer die Sehnsucht kennt (« Seul, qui connaît la nostalgie », de Wilhelm Meister), son cycle À la bien-aimée lointaine (1815-16) possèdent une unité dramatique, une ambiance sonore, une subtilité dans le traitement du piano qui préfigurent par moments, plus que Schubert, Schumann et Wolf. Chez les contemporains de Schubert, peu de musiciens se détachent réellement. Ce ne sont ni Ludwig Spohr (1784-1859), ni même Carl Maria von Weber (17861826), qui, malgré quelques réussites (Prière à la bien-aimée, Poèmes de lyre et d’épée), reste le plus souvent enfermé dans la cantate ou surtout l’ariette populaire de Singspiel. Anselm Hüttenbrenner (1794-1868) est plus attachant, mais reste un peu dans l’ombre de son grand ami Schubert. C’est de Carl Loewe (1796-1869) qu’il faut le plus attendre. Non que tout soit chez lui du meilleur goût ni de la plus subtile facture : Loewe rassemble tous les grands thèmes littéraires, historiques et poétiques de son temps, il connaît bien la musique de ses contemporains, et se montre fort habile à composer des sortes de pots-pourris propres à séduire le public moyen. Mais il a aussi des intuitions et un souffle épique, qui vont le faire exceller dans le genre de la grande ballade. L’allure d’opéra que celle-ci prend chez lui n’est pas empruntée à autrui, mais au contraire préfigure les drames musicaux à venir : son Roi des aulnes annonce les tempêtes du Vaisseau fantôme de Wagner. Et des ballades comme Sire Oluf, la Fille de l’hôtelière, Edward, le Woyvode, Thomas le rimeur sont parmi ce qu’il a laissé de meilleur. L’épopée s’y fait volontiers descriptive, mais sa carrure, son galbe ont pu séduire Robert Schumann.

Si Conradin Kreutzer (1780-1849) se montre attachant en de nombreux lieder, pour la plupart composés sur des poèmes de Uhland, un Giacomo Meyerbeer (17911864) ou un Otto Nicolaï (1810-1849) n’apportent guère d’éléments décisifs à l’art du lied. Quant à Felix Mendelssohn (1809-1847), le lied (malgré les grands poèmes de Goethe ou de Heine auxquels il a recours) est la part la plus mièvre de son oeuvre et apparaît comme du Schumann affadi ; en revanche, son génie mélodique trouve une merveilleuse expression dans ses Lieder ohne Worte, Mélodies sans paroles, pièces écrites pour piano seul, où le pouvoir évocateur de sa musique peut s’épanouir pleinement, libéré des sollicitations charmeuses des poèmes. À la génération de Schumann appartiennent encore un Franz, un Hiller, un Cornelius. Robert Franz (1815-1892), protégé par Schumann, manque singulièrement de force musicale. Ses 350 lieder (sur des poèmes de Heine, Eichendorff, Lenau, Mörike) sont plus des complaintes, où s’exhalent tendresse, douceur et tristesse, sur un ton de confidence qui ne manque pas de charme. Mais Franz semble avoir délibérément laissé de côté l’apport des grands maîtres du lied pour offrir des pages plus largement destinées au grand public, à caractère populaire ; c’est ainsi qu’il ne manifeste aucun intérêt particulier pour la valeur intrinsèque des mots de ses poèmes, et enferme les vers dans des phrases de coupe très simple. Ferdinand Hiller (1811-1885) n’apporte guère plus, mais manifeste plus de tempérament que Franz. Quant à Peter Cornelius (18241874), quoique très attiré par Wagner, il demeure toujours extrêmement personnel, dans une écriture savante et rigide qui masque mal une très vive sensibilité de solitaire. Si son piano connaît des partitions amples, vastes, qui risquent de submerger le chant, ce dernier, en revanche, se trouve aéré par une prosodie très originale. Ses 77 lieder culminent en 3 cycles, Souffrance et consolation, Chants à la fiancée et Chants de Noël, sur des poèmes du musicien luimême, et annoncent parfois Hugo Wolf. Franz Liszt (1811-1886), créateur abondant et protéiforme, aborde tous les genres, y compris, naturellement le lied. Européen, il fait appel à des poètes de diverses nationalités, qu’il sert dans leur

langue originale (allemand, italien, français, anglais) : quelque 80 morceaux, dont certains ont reçu une nouvelle version plus tardive ou une orchestration. Contrairement à ce que l’on pourrait attendre, les parties de piano ne sacrifient pas à la virtuosité ; mais en se bornant à illustrer les poèmes elles brodent des variations à effets, des harmonies suggestives quelque peu en marge du sens profond des textes. Le chant, lui, déclame les poèmes, avec une emphase calquée sur le débit du texte, mais sans pour autant glorifier la poésie, ni en fouiller les résonances intimes. Chez Richard Wagner (1813-1883), les lieder appartiennent au début de la vie créatrice - il faut citer notamment les Sept Compositions sur le Faust de Goethe (1832). Il trouve sa voie dans le drame musical, auprès duquel le lied n’a plus de raison d’être. Mais, dans sa maturité, il écrit les Cinq Wesendonck Lieder, 5 lieder sur des poèmes de Mathilde Wesendonck, esquisses pour Tristan et Isolde : dans le format du lied, il enserre les grandes phrases lyriques de son opéra en gestation, et son piano semble, à lui seul, résumer l’orchestre qu’il pressent. Les Wesendonck Lieder seront d’ailleurs orchestrés ultérieurement, par Felix Mottl. Enfin, on ne peut que citer des compositeurs minimes, eux aussi tentés par le lied : Friedrich Nietzsche (1844-1900), le philosophe qui se piquait de composition musicale, Theodor Kirchner, Julius Schäffer, Louis Ehlert, Emanuel Klitzsch, Joachim Raff, Alexander Ritter. AVEC BRAHMS, UNE NOUVELLE GÉNÉRATION DU LIED ROMANTIQUE. Le lied accompagne toute la vie de Johannes Brahms (1833-1897) : 200 lieder, de ses vingt ans à l’avant-dernière année de sa vie. À quoi il faut ajouter 25 duos, une trentaine de quatuors vocaux, près de 100 chants populaires pour voix et piano et 26 pour choeur à 4 voix, soit une oeuvre vocale importante, où le lied se taille la part du lion. Mais, avec lui, c’est une nouvelle génération du lied romantique qui commence. Chez Schubert et Schumann s’est cristallisé un genre musical dont ils ont créé les archétypes. C’est à présent dans des formes établies que se coule l’inspiration des compositeurs. Ce qui va les individua-

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DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 580 liser, c’est d’abord le choix des poèmes auquel leur tempérament les mène. Or, il est curieux de voir Brahms s’adresser à un grand nombre d’auteurs différents, pour la plupart mineurs, voire inconnus. Deux noms surnagent, ses deux poètes de prédilection : Groth et Daumer, au talent bien éloigné des Goethe et des Heine de Schubert et de Schumann. Le choix des thèmes poétiques est très révélateur : à peu près pas de paysages, sinon de grisaille ; des textes volontiers abstraits et sentencieux, assez flous, sans grande force - textes très intériorisés, générateurs d’une ambiance vague, grise elle aussi, celle d’un solitaire qui semble vouloir délibérément se mettre à l’écart de son lied, alors que Schubert et Schumann s’y impliquaient totalement. La structure musicale de ses lieder, Brahms l’emprunte généralement à Schubert, allant des formes strophiques variées à la composition « de bout en bout », en passant par la forme « concentrique », développement libre balisé de formules qui construisent l’oeuvre en lui donnant un semblant d’unité. Mais, par rapport à Schubert, il lui manque la clarté, la netteté de plan, qui donnaient si précisément l’intelligibilité de l’ensemble. Mais la structure n’en est pas seule cause : le langage même du musicien s’y applique. La richesse, la somptuosité, même, de ses thèmes, l’épaisseur de ses parties de piano, le mouvement généralement très modéré engendrent un climat diffus, une lumière voilée. Brahms ne se confie pas, il invite son auditeur à le suivre dans un cheminement vers l’intérieur de lui-même, de sa solitude, tandis que sa pudeur ne cesse de dresser des barrages à cette introspection. C’est tout un domaine de la sensibilité allemande qu’il faut découvrir ici, non sans patience, dans la mesure où ces lieder demeurent très peu fréquentés des chanteurs - sans doute en raison de cette espèce d’impuissance à éclater dans l’espace sonore. Mais, à ce prix, on rencontrera de purs chefsd’oeuvre : C’était beau, Solitude de la cam-

pagne, D’amour éternel, Nous nous promenions, Toujours plus doucement. Ces lieder sont presque tous regroupés en recueils. Mais deux d’entre eux composent des cycles, ou plus exactement des albums de lieder réunis par une unité de ton et d’esprit : les Romances de Maguelonne et les Quatre Chants sérieux (il faudrait traduire plus précisément Quatre Chants graves). La composition des quinze Romances de Maguelonne s’étend de 1861 à 1868. Le poète Tieck en a pris l’argument dans un roman de chevalerie français du XIIe siècle. Les amours contrariées du chevalier Pierre et de la belle Maguelonne sont saisies, en 15 temps, dans des romances, comme les chansons, les « lyriques » d’une légende dramatique. Quant aux Quatre Chants sérieux, sur des textes bibliques, ils datent de 1896. Ce sont 4 méditations religieuses centrées sur le problème de la mort, dans un ton d’oratorio qui évoque quelque prolongement au Requiem allemand. LE LIED, PART ESSENTIELLE DE L’OEUVRE DE HUGO WOLF (1860-1903). Ses 340 lieder ont été composés sur une vingtaine d’années seulement. Les 245 qui ont été publiés de son vivant se regroupent en cahiers, dont les 5 plus importants présentent une très grande unité, due à la fois à l’unité poétique et au très court laps de temps de la composition : Lieder sur des poèmes de Mörike (53 lieder, 1888), Lieder sur des poèmes d’Eichendorff (20 lieder, pour la plupart de 1888), Lieder sur des poèmes de Goethe (51 lieder, 1888-89), Livre de lieder espagnol (44 lieder sur des poèmes de Heyse et de Geibel, 1889-90) et Livre de lieder italien (46 lieder sur des poèmes de Heyse, en 2 tomes, respectivement de 1890-91 et de 1896). Ces lieder ont été composés par courtes vagues successives, très brusques, coup sur coup, à raison de plusieurs parfois la même journée. Dans ses lieder comme dans sa vie, Wolf procède à la fois de Schubert et de Schumann. Du premier, il a la rapidité de la création, la solitude ; du second, l’exaltation, les angoisses et la folie ; et des deux, le plus sûr instinct poétique. Car c’est, avant tout, les poètes que cet homme très cultivé et connaisseur veut mettre en valeur, glorifier, et derrière lesquels il

cherche à s’effacer. C’est pourquoi on ne peut avec lui cerner un univers poétique dans lequel se définirait la personnalité du musicien, à la lumière des textes choisis par lui : ce qui l’intéresse en Goethe, par exemple, ce n’est pas le lieu de quelque projection de son moi profond, c’est le moi de Goethe lui-même. Ainsi de chacun de ses poètes - et quels poètes ! À côté des grands recueils, de Goethe, Mörike et Eichendorff, ce ne sont pas moins que Shakespeare, Ibsen, Byron, Heine, Lenau ou Michel-Ange. À l’opposé de Brahms qui se masque derrière ses poètes et se réfugie dans la musique du piano, Wolf met en lumière les poèmes qu’il révèle par la musique, dans une fusion absolue du verbe et du son. Avant d’entreprendre la composition d’un lied, Wolf commençait par en déclamer le texte à plusieurs reprises. D’où l’extrême raffinement dans les intonations du chant, le rythme de la déclamation lyrique, le débit de la voix, cette miraculeuse alchimie sonore qui sertit le poème en chacune de ses syllabes. Sous le chant, le piano n’a pas d’harmonies, d’altérations, de modulations, de fantaisie rythmique assez riches pour façonner le somptueux écrin révélant le poème : un langage wagnérien ramassé dans l’espace concentré du piano entendu dans un salon. Il procède par multiplication de petites facettes - un accent, une altération, une secousse rythmique -, dont la juxtaposition en kaléidoscope cherche à épuiser toutes les virtualités de chaque poème. De la même façon qu’au travers de tous ces poèmes, il semble vouloir épuiser une vision totale de l’univers, des évocations de la nature aux chansons de soldats, de l’amour à la mort, de la tendresse à l’humour et de la piété à la dérision. D’où l’immense diversité de ce monde musical, qu’il faudrait analyser pièce après pièce et, en tout cas, tirer de la méconnaissance quasi totale où le tiennent les mélomanes. Le monde poético-musical de Wolf n’est pas d’un accès très aisé ; et l’étroite sujétion des pouvoirs musicaux à la glorification d’un texte impose une totale compréhension de celui-ci, dans sa langue originale. Mais l’oeuvre de Wolf contient par gerbes entières des chefs-d’oeuvre de musique qu’on ne peut se priver d’ignorer. LES LIEDER DE MAHLER. Gustav Mahler (1860-1911) est l’exact

contemporain de Hugo Wolf, et appartient à la même génération que Richard Strauss. Parmi ses premières oeuvres, on compte 14 lieder pour voix et piano, composés de 1880 à 1892, et publiés sous le titre de Lieder und Gesänge aus der Jugendzeit (Lieder et chants de jeunesse), en 3 volumes, en 1885 et 1892. Mais, déjà, Mahler songe à la fusion de la voix et de l’orchestre, en composant la cantate en 3 parties Das klagende Lied, le Chant de la plainte (Légende de la forêt, le Ménestrel, Chant nuptial, 1880, révisée en 1892-93 et 1898-99). Alto, ténor et choeurs y chantent des poèmes du compositeur lui-même, inspirés par le vieux fonds légendaire. Dès ses débuts, donc, Mahler subit la double tentation du lied et de la symphonie. Or, c’est à ce moment que se joue une articulation décisive dans l’histoire du lied. Car Mahler vient de rencontrer le recueil poétique qui va orienter toute son oeuvre. Des Lieder und Gesänge aus der Jugendzeit, en effet, 9 des 14 lieder (ceux des volumes II et III) sont écrits sur des poèmes extraits du recueil Des Knaben Wunderhorn. Par la puissance d’évocation personnelle que ces textes éveillent chez lui se révèle un monde sonore que va pouvoir envahir la symphonie. Le piano des lieder de Wolf se substituait, avec ses moyens propres, à un orchestre sous-entendu. Wagner, dans les Wesendonck Lieder, « pensait orchestre » au piano. Et quand Mahler poursuit l’exploration du recueil du Wunderhorn, c’est déjà à l’orchestre qu’il songe. Dans les années suivantes (1891-1899), il tire du recueil merveilleux une nouvelle gerbe de lieder - 15 en tout. Mais, cette fois, c’est à l’orchestre symphonique qu’est destiné leur accompagnement. Dix downloadModeText.vue.download 587 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 581 de ces lieder seront publiés en 1905 sous forme d’un cycle, les Wunderhorn Lieder proprement dits ; 5 autres composent les 2 premiers numéros du recueil Sieben Lieder aus letzter Zeit (Sept Lieder de la dernière période), les 5 autres de ce recueil étant de Rückert ; un est le premier des Lieder eines fahrenden Gesellen (Chants d’un compagnon errant, de déc. 1883 à janv. 1885), les 3 autres poèmes étant de Mahler ; les 2

derniers, enfin, sont parties constituantes de symphonies : Es sungen drei Engel einen süssen Gesang (Trois anges chantaient une douce chanson) figure dans le 5e mouvement de la 3e Symphonie (Ce que me racontent les anges), et Urlicht (Lumière originelle) dans le quatrième mouvement de la 2e Symphonie. Mais ce n’est pas tout, car 2 autres poèmes du Wunderhorn se retrouvent dans les symphonies, sans avoir toutefois connu de rédaction séparée. Ce sont Ablösung im Sommer (Relève de l’été), 3e mouvement de la 3e Symphonie (Ce que me racontent les bêtes de la forêt), et Das himmlische Leben (la Vie céleste), finale de la 4e Symphonie. Pour être complet, il faut ajouter que la 2e et la 3e Symphonie font appel, pour leur partie chantée, à d’autres poèmes : l’ode Résurrection de Klopstock, révisée par Mahler, dans le finale de la 2e Symphonie, et un poème de Nietzsche, O Mensch, gib acht ! (Ô homme, prends garde !), extrait de Ainsi parlait Zarathoustra, dans le quatrième mouvement de la 3e (Ce que me raconte l’homme). Selon Bruno Walter, Mahler trouva dans Des Knaben Wunderhorn « tout ce qui remuait son âme ». « Nature, piété, nostalgie, amour, séparation, mort, fantômes, lansquenets, gaieté de la jeunesse, plaisanterie enfantine, humour étrange tout cela vivait en lui comme dans les poèmes, et c’est ainsi que ses lieder surgissaient, torrentueux. » Encore faudrait-il ajouter que Mahler a, non seulement, sélectionné dans le vaste recueil les quelques poèmes (26 sur quelque 700) avec lesquels il entrait le mieux en résonance, mais qu’il les a de surcroît adaptés quand il le fallait, modifiant ici un titre, là coupant des strophes. Mais c’est bien tout son monde intime qui s’incarne en ces poèmes, en ces lieder, à tel point que la fusion se fait inévitablement entre cet univers poétique et le domaine de la symphonie qui est le sien : c’est non seulement l’accompagnement qui devient symphonique, mais les lieder qui entrent dans la symphonie (nos 2, 3 et 4) ; plus encore, les mouvements purement orchestraux des symphonies, des premières, en tout cas, vont bruire de fanfares militaires et de sonneries de casernes, de marches de condamnés, de rires stridents et dérisoires, comme de chants d’oiseaux et de cris d’enfants. L’univers du lied semble s’être définitivement accompli chez Hugo Wolf, pour devenir générateur

de symphonie avec Mahler, au point que certains motifs orchestraux peuvent être entendus comme des lieder sans paroles. 1900 voit la fin de la longue période marquée par Des Knaben Wunderhorn : 4e Symphonie et Sieben Lieder aus letzter Zeit. C’est une seconde manière du lied mahlérien qui s’ouvre alors : tandis que les 3 nouvelles symphonies se font exclusivement instrumentales, 2 groupes de 5 lieder avec orchestre voient le jour, tous deux sur des poèmes de Rückert : les lieder 3 à 7 des Sieben Lieder aus letzter Zeit et les 5 Kindertotenlieder (Chants pour des enfants morts, 1901-1904). Le langage de Mahler se fait, ici, plus intérieur, plus dépouillé ; il manifeste une sorte de retrait par rapport au tumulte du monde, abandonnant les caractéristiques nettement populaires du langage de l’époque Wunderhorn, comme les danses paysannes ou les marches militaires. Quant à l’orchestre de ces lieder, il est relativement réduit par rapport à l’imposant effectif instrumental des symphonies contemporaines. Avec la 8e Symphonie (1906), Mahler revient à l’alliance de l’orchestre avec la voix - ici, 8 solistes, 1 double choeur mixte et un choeur d’enfants. Le Veni Creator et la scène finale du second Faust de Goethe y sont traités sur le mode oratorial. C’est la symphonie suivante qui va revenir au lied, celle que Mahler n’appelle pas « neuvième », mais Das Lied von der Erde (le Chant de la terre, 1908-1909), symphonie pour ténor et alto solos et orchestre - on notera, cette fois, l’absence de choeur. Les textes sont des traductions de poèmes chinois anciens, qui amènent avec eux leur dépaysement, leur résignation et leur sagesse. Les 5 premiers sont autant de cris désespérés, tandis que le 6e et dernier, de loin le plus développé, Abschied (Adieu), est, sur le thème poétique de l’adieu à l’ami, un adieu au monde, sans le moindre espoir, mais dans un climat de totale résignation. La voix y est traitée comme un instrument de l’orchestre, mais un orchestre dont le langage se fait ici étonnamment prophétique des futures conquêtes de Schönberg. RICHARD STRAUSS ET LES DERNIERS LIEDER. Avec Mahler, le lied s’élargit au domaine de la symphonie dans laquelle il se dissout. Richard Strauss (1864-1949), au contraire,

va maintenir autant que possible la tradition du lied romantique avec piano, comme il le fera aussi de l’opéra, durant toute la première moitié du XXe siècle. Ses oeuvres publiées comptent quelque 140 lieder avec piano (certains ont été orchestrés par le compositeur), et une quinzaine de lieder écrits directement avec accompagnement orchestral. La plupart d’entre eux datent de l’époque symphonique du compositeur, jusqu’à Salomé (1905) ; quelques groupes de lieder suivent, dans les années 1913 à 1921, puis un dernier petit recueil en 1929, avant le chef-d’oeuvre de la vieillesse, les Quatre Derniers Lieder de 1948. Admirable virtuose de l’écriture, doué d’une imagination que rien n’entrave, ouvrant sa palette sonore à tous les domaines de la poésie, il compose sous forme de lieder des fresques généreuses, rutilantes, d’un vif chatoiement harmonique et instrumental. Sa mémoire musicale le fait se souvenir de Schubert et de Schumann, surtout quand il lui arrive d’opter pour une forme courte. Mais la concision n’est pas son domaine, et il affectionne la véhémence et la sensualité - mais son goût et son savoir-faire l’empêchent de verser dans l’emphase. Avec les Quatre Derniers Lieder, le climat sonore n’a rien perdu de sa somptuosité capiteuse ; mais ce serein adieu au monde prend, en 1948, l’allure d’un testament qui scelle la mort du lied romantique. Hans Pfitzner (1869-1949) se montre un peu plus tourné vers l’avenir que son rival Richard Strauss ; plus de 100 lieder jalonnent son oeuvre, parmi lesquels il faut au moins mentionner les Cinq Lieder sur des poèmes d’Eichendorff (1888-89). Compositeur prolifique, Max Reger (1873-1916) n’a pas laissé moins de 270 lieder, mais qui ne représentent pas le plus passionnant de son oeuvre. Ces lieder oscillent du pastiche folklorique à l’archaïsme, et la réelle sensibilité du musicien tend trop souvent à disparaître dans un jeu de formules. Le lied ne représente pas l’essentiel de l’oeuvre d’Arnold Schönberg (18741951) ; en une cinquantaine de pièces, il fait briller de ses derniers feux la tradition de Schumann et de Wolf, dans un esprit violemment expressionniste. Mais une part doit être faite à la grande sympho-

nie vocale et orchestrale des Gurre Lieder. Orchestre énorme, partition énorme pour ces chants d’amour et de mort empruntés à la saga scandinave. Le langage musical doit beaucoup au Wagner de Tristan et à l’influence du Mahler des premières symphonies, dans son harmonie foisonnante, son lyrisme débridé, torrent musical d’une très puissante force poétique. Écrite en 1900-1901, l’oeuvre ne fut achevée qu’en 1910-11, avec le mélodrame final qui oppose à l’orchestre une voix parlée en une sorte de Sprechgesang qui anticipe sur Pierrot lunaire. Mais, malgré son soustitre (Trois Fois sept lieder), peut-on encore parler de lied à propos de Pierrot lunaire ? Sans doute pas : le chant a disparu, et avec lui tout ce qui reliait le lied le plus savant à ses sources les plus anciennes. Anton Webern (1883-1945) et Alban Berg (1885-1935) écrivent eux aussi des lieder ; mais après les premiers recueils, appartenant encore à l’héritage post-romantique, le langage radicalement atonal et plus encore la technique sérielle downloadModeText.vue.download 588 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 582 coupent le lied de ses racines populaires pour en faire des pages extrêmement raffinées, où les rapports traditionnels du chant avec le texte poétique se trouvent complètement réévalués. D’autres compositeurs, plus jeunes, tentent cependant de ne pas rompre le fil qui les unit à cette tradition. Ce sont le Suisse Othmar Schoeck (1886-1957), avec 170 lieder, Paul Hindemith (1895-1963), particulièrement dans le cycle Das Marienleben (la Vie de Marie, d’après Rilke, 1922-23, 2e version en 1936-1948), Ernst Křenek (1900-1991), Wolfgang Fortner (1907-1987) ou, plus près de nous, Aribert Reimann (1936). LE LIED HORS D’ALLEMAGNE. Le lied, on l’a vu, est une forme d’expression propre au monde germanique, dont le genre est si particulier, malgré ses diverses formes, qu’on ne peut en traduire même le nom : chanson, mélodie ? Mais cet univers est si puissant, si cohérent, si typé, qu’il a tenté d’autres musiciens, non

allemands, dont les mélodies s’apparentent au lied dans leurs caractéristiques poétiques et musicales comme par les noces qu’ils célèbrent entre un univers poétique, une déclamation chantée et une symphonie pianistique. Si l’on continue à parler de mélodies à propos des oeuvres pour chant et piano du Français Henri Duparc, du Norvégien Edvard Grieg ou du Russe Modeste Moussorgski, il n’en est pas moins vrai que leur cousinage est évident avec un art dont la plus certaine caractéristique reste d’être romantique et allemand. LIETO FINE (« fin heureuse »). Expression utilisée jusqu’au début du XIXe siècle pour désigner le dénouement heureux d’une intrigue dramatique (cf. l’expression anglaise « happy end »), ce dénouement pouvant être dû à l’intervention d’un « Deus ex machina » (l’Amour dans Orfeo ed Euridice de Gluck), à la générosité soudaine d’un souverain (la Clemenza di Tito de Mozart), au repentir d’un tyran (Lucio Silla de Mozart), à la fin d’un état de démence, etc. Reflets du siècle des Lumières, les livrets de Métastase se terminent à peu près tous de la sorte, donnant au lieto fine une dimension morale. En 1835 encore, Bellini se vit imposer un lieto fine pour les Puritains. Se terminant sur la mort du héros, la version viennoise de Don Giovanni (1788) omet le « lieto fine » de la version originale de Prague (1787). C’est néanmoins la version de Prague que, à de très rares exceptions près, on entend de nos jours. LIGATURE. 1. Procédé graphique consistant à grouper des notes de valeur inférieure à la noire, en remplaçant chaque crochet par une barre horizontale commune à toutes les notes du groupe. La ligature était, autrefois, exclue de la musique vocale en syllabes isolées ; cette distinction tend aujourd’hui à disparaître, l’emploi d’une courbe de liaison suffisant à distinguer des autres notes les groupes de notes affectées à une même syllabe. 2. En notation médiévale proportionnelle, dont des vestiges ont subsisté jusque vers 1620, groupement de notes accolées les unes aux autres d’une manière dont

se déduisait leur valeur rythmique selon des règles compliquées et, du reste, changeantes d’une époque à l’autre ; y intervenaient non seulement la forme des notes, mais encore la direction des queues ou du mouvement mélodique, la position des notes au début, au milieu ou à la fin, parfois même la valeur des notes environnantes. Les ligatures dérivaient des neumes* de la notation carrée grégorienne (parfois eux aussi désignés sous le nom de « ligatures ») auxquels elles donnaient une signification rythmique, qui ne leur appartenait pas ; elles ont ensuite évolué de manière autonome, distincte de celle des notes isolées. Elles étaient réservées soit à la musique instrumentale, soit aux groupes neumatiques ou vocalisés du chant, et n’ont pas laissé de traces dans la notation de l’époque classique. LIGETI (György), compositeur autrichien d’origine hongroise (Dicsöszentmarton, auj. Tirnaveni, Transylvanie, 1923). Bien que de peu l’aîné de Boulez et de Stockhausen, György Ligeti ne s’affirma au premier rang des compositeurs actuels qu’une décennie environ après eux, vers 1960, après avoir quitté la Hongrie. Élève de l’académie Franz-Liszt de Budapest de 1945 à 1949 (ses maîtres y furent Ferenc Farkas, puis Sandor Veress), il y enseigna l’harmonie, le contrepoint et l’analyse musicale de 1950 à 1956, après avoir effectué en Roumanie (1949-50) une tournée de recherches folkloriques, qui devait le conduire à privilégier la couleur sonore, le timbre, dans ses premières compositions. Durant ces années, il composa beaucoup, en général dans un style néobartokien, mais, aussi, sous l’influence de Berg : Six Bagatelles pour quintette à vent (1951-1953), Premier Quatuor à cordes, dit Métamorphoses nocturnes (1953-54). Il traversa ensuite une crise stylistique, dont témoignent plusieurs partitions inachevées, dont 2 fragments de requiem. Grâce à la radio, il put aussi entendre, à cette époque, plusieurs ouvrages de l’avantgarde occidentale. Ayant quitté son pays à la suite des événements de 1956, Ligeti travailla avec Karlheinz Stockhausen, Herbert Eimert et Gottfried Michael König au Studio de musique électronique de Cologne, et, en

1957-58, y élabora 3 morceaux : Glissandi, qu’on ne devait jamais connaître, Articulation (création le 25 mars 1958), et Atmosphères, inachevé et à ne pas confondre avec la partition orchestrale ultérieure du même nom. Il s’imposa ensuite avec 2 partitions orchestrales tournant le dos, à la fois, à l’électroacoustique et au sérialisme : Apparitions (1958-59, création à Cologne le 19 juin 1960), dont la première partie avait été esquissée dès 1956, et, surtout, Atmosphères (1961), dont l’idée lui était venue dès 1950. Cette dernière oeuvre, qui renonce d’une part aux percussions, d’autre part à la notion d’intervalles et de profils rythmiques perceptibles, est conçue sous le signe d’une micropolyphonie déterminée par des « surfaces de timbres » statiques d’étendues, de poids, de couleurs et d’épaisseurs très divers, le tout étant noté avec la plus extrême précision. Le compositeur poursuivit cette direction avec Volumina pour orgue (1962, vers. rév. 1966). Dans le même temps, les Trois Bagatelles pour piano (1961), Fragment pour orchestre de chambre (1961, rév. 1964) et le Poème symphonique pour 100 métronomes (1962) affirmèrent une position stylistique opposée, qui trouva sa première grande manifestation dans Aventures (1962-63), devenu plus tard Aventures et Nouvelles Aventures (1966), action scénique imaginaire, composition phonétique sur des textes imaginaires, non sémantiques, pour 3 solistes vocaux et 7 instrumentistes. Par opposition au statisme continu d’Atmosphères, Ligeti parla à propos d’Aventures de « style haché ». À noter que ce style avait déjà été annoncé dans Articulation. Une première synthèse des deux tendances fut atteinte dans le Requiem pour soprano, mezzo-soprano, 2 choeurs mixtes à 5 voix et orchestre (1963-1965) : l’Introitus et le Kyrie reprennent la technique d’Atmosphères et de Volumina, mais en y réintroduisant les notions de contrepoint et d’intervalle, et le Dies irae celle d’Aventures, tandis que le Lacrimosa retrouve celle du début de l’ouvrage. Le choeur Lux aeterna (1966) se rattache à l’Introitus et au Lacrimosa du Requiem tout en donnant plus d’importance à l’élément harmonique. Du Concerto pour violoncelle (1966), le premier mouvement s’inscrit dans la descendance d’Atmosphères, de Volumina et de Lux aeterna, le second

dans celle d’Aventures, car, là, « le violoncelle parle » (Ligeti). Une synthèse plus profonde encore fut réalisée en 1967 avec Lontano pour orchestre de cordes et de vents (sans percussion), où l’impression de continu résulte surtout de jeux harmoniques, de la « métamorphose graduelle de constellations d’intervalles » (Ligeti). downloadModeText.vue.download 589 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 583 En une dizaine d’années, jusqu’à l’opéra le Grand Macabre (créé en 1978), se succédèrent des oeuvres qui comptent parmi les plus jouées de Ligeti. Étude no 1 « Harmonies » pour orgue date de 1967, Continuum pour clavecin de 1968. Dans le Deuxième Quatuor à cordes (1968), en 5 mouvements, apparaît - comme, déjà, dans le Poème symphonique pour 100 métronomes et dans Continuum, et comme, plus tard, dans le Concerto de chambre une technique de superposition de plusieurs couches de « grillages de temps ». Les Dix Pièces pour quintette à vent (1968) forment une alternance de mouvements d’ensemble et de concertos de solistes en miniature. Ramifications pour orchestre à cordes à 12 voix ou 12 cordes solistes répartit cet effectif en 2 groupes accordés de façon nettement différente (un peu plus d’un quart de ton), et mène plus loin les déviations d’intonation voulues de certaines parties du Requiem et du Deuxième Quatuor à cordes. De 1969, également, date Étude no 2 « Coulée » pour orgue. Dans le Concerto de chambre pour 13 instrumentistes (hommage indirect à Alban Berg), composé en 1969-70, se confirme la tendance à faire surgir, d’une trame continue plus ou moins statique, des contours mélodiques, des profils rythmiques et des harmonies perceptibles. Dans Melodien pour orchestre de chambre (1971), la même tendance aboutit presque à la linéarité. Le Double Concerto pour flûte, hautbois et orchestre (1972) oppose à un premier mouvement lent et statique un second mouvement virtuose et emporté, et explore plus avant les micro-intervalles, conçus, ici, comme intonations incertaines mises en relation avec des hauteurs fixes tempérées. Clocks and Clouds pour 12 voix de femmes et orchestre (1972-73), ouvrage se référant au philosophe Karl Raimund Popper, oppose des proces-

sus exactement mesurables (horloges) à des processus indéterminés descriptibles uniquement par les statistiques (nuages). San Francisco Polyphony pour orchestre (1973-74) fut écrit pour l’Orchestre symphonique de San Francisco à l’occasion de son quatre-vingtième anniversaire. Avec l’opéra le Grand Macabre, composé de 1974 à 1977 d’après la farce de Michel de Ghelderode intitulée la Balade du Grand Macabre (1934), Ligeti réussit l’articulation de vocabulaires parfois hétérogènes, ayant recours à l’occasion à des tournures néodadaïques (comme déjà dans Aventures) et d’une façon plus générale à des procédés de montages et de citations s’intégrant néanmoins dans un continuum acoustique finement travaillé dans sa mobilité. Cette oeuvre ambitieuse a marqué dans sa carrière une étape importante. Depuis ou dans le même temps que le Grand Macabre, il a écrit Six Miniatures pour ensemble d’instruments à vent (1975), Monument, Selbstportrait, Bewegung, 3 pièces pour 2 pianos (1976), Passaglia ungherese et Hungarian Rock pour clavecin (1978), prises de position contre les courants néoromantiques et néotonaux actuellement en honneur en Allemagne, un Trio pour violon, cor et piano en hommage à Brahms (1982), Trois Fantaisies pour choeur a cappella d’après Hölderlin (1983), Études hongroises pour choeur mixte a cappella (1983), un Concerto pour piano (Graz 1986, version complète Vienne 1988), deux Études pour piano (1985 et 1988-93 ; une troisième est en cours de composition), un Concerto pour violon (1990), Mystères du Macabre pour soprano colorature (ou trompette) et ensemble ou trompette et piano (1990), Macabre Collage pour orchestre (1991). On lui doit également de nombreux écrits, parmi lesquels Décision et automatisme dans la Structure Ia de Pierre Boulez (1958), la Dimension harmonique dans la première cantate d’A. Webern (1960), la Composition sérielle et ses conséquences chez A. Webern (1961) et Effets de la musique électronique sur mon oeuvre de compositeur (1970). Il a obtenu notamment le prix Beethoven de la ville de Bonn en 1967, la médaille d’honneur de l’université d’Helsinki en 1967 et le prix Bach de la ville de Hambourg en 1975. Il a enseigné à Darmstadt à partir de 1959 et à l’École supérieure de musique de Stockholm de 1961 à 1971, et occupe depuis 1972 une

chaire de composition à l’École supérieure de musique de Hambourg. LINCOLN CENTER FOR THE PERFORMING ARTS. Complexe artistique édifié à New York dans le West Side, près de Broadway, et abritant notamment le Metropolitan Opera, le New York City Opera et la Juilliard School of Music. LIND (Jenny), soprano suédoise (Stockholm 1820 - Wynds Point, Hertfordshire, Grande-Bretagne, 1867). Elle débuta à Stockholm en 1838 dans le rôle d’Agathe du Freischütz de Weber. À Paris, trois ans plus tard, elle ne put achever une représentation de Norma et perdit la voix. Elle travailla alors avec García et fut en mesure de reprendre sa carrière. Elle triompha ensuite dans le monde entier, rivalisant avec Giulia Grisi dans le rôle de Norma. À Londres, en 1847, elle créa I Masnadieri que Verdi avait spécialement écrit pour elle. À partir de 1849, elle se retira de la scène, au nom des principes moraux en faveur dans la société victorienne, mais continua de se produire en récital ou dans des oratorios. Elle consacrait une grande partie de son temps à des causes charitables, à toutes sortes de bonnes oeuvres, non sans quelque ostentation. Sa voix était remarquable pour sa pureté et son agilité. Son étendue (presque trois octaves) lui permettait d’exceller aussi bien dans les rôles dramatiques que dans les parties de soprano aigu, qu’elle ornementait à l’extrême. Elle fut surnommée « le Rossignol suédois », et n’inspira pas moins d’une vingtaine de livres en anglais, allemand et suédois. LINDBERG Magnus), compositeur finlandais (Helsinki 1958). Après des études de piano et de composition à l’Académie Sibelius (avec Paavo Heininen, notamment), il étudie la musique électroacoustique et complète sa formation avec Gérard Grisey et Vinko Globokar à Paris et avec Franco Donatoni à Sienne. Ses premières apparitions sur la scène musicale internationale (... de Tartufe, je crois pour quatuor à cordes et piano, 1981 ; Action, situation, signification, pour orchestre, 1982) montrent déjà une personnalité dynamique, cherchant à asso-

cier « l’hypercomplexe et le primitif » dans l’esprit d’un « bruitiste rationaliste ». Ses images sonores, en perpétuel mouvement, mélangent souvent les instruments et les voix, comme dans Kraft (1983-1985), qui fit sensation. Dans Zona pour violoncelle et ensemble (1983), les actions musicales se dégagent des masses sonores à la tension fluctuante et aux contours accidentés. Dans Ur (1986), qui allie un petit ensemble instrumental et un dispositif live electronic piloté par un ordinateur, l’harmonie et le rythme résultent d’un programme informatique que le compositeur utilise avec souplesse, sans refuser une certaine technique de la suggestion et de la réminiscence. Lindberg s’est confirmé comme un des tout premiers compositeurs de sa génération avec la trilogie constitutée de Kinetics pour orchestre (1989), Marea pour orchestre (1990), aux couleurs raffinées, et Joy pour grand ensemble (1990). Il a mis en interaction le rythme et l’harmonie dans Duo concertante pour clarinette, violoncelle et ensemble (1990-1992), Aura pour orchestre « In memoriam Witold Lutoslawski » (1993-1994), le Quintette pour clarinette et quatuor à cordes (1992). Arena pour orchestre (1994-1995) a servi de morceau imposé lors du premier concours international de direction d’orchestre Jean-Sibelius (Helsinki, mai 1995). LINLEY, famille de musiciens anglais. Thomas, compositeur, claveciniste, impresario et maître de chant (Badminton, Gloucestershire, 1733 - Londres 1795). Élève de William Boyce à Londres, il dirigea des concerts à Bath, de 1755 à 1775 environ, et s’établit définitivement à Londres, en 1776, où il administra le théâtre de Drury Lane avec son gendre, l’écrivain Sheridan. Il dirigea l’établissement d’abord avec John Stanley, puis downloadModeText.vue.download 590 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 584 avec Samuel Arnold (1786). De 1775 (The Duenna, de Sheridan) à 1794 (Macbeth, de Shakespeare), il écrivit ou arrangea de la musique pour une vingtaine de pièces. Avec Samuel Arnold, il dirigea la Drury Lane Oratorio Society, et, selon certaines sources, c’est lui qui aurait transmis à Haydn, à Londres en 1795, le livret anglais

qui, arrangé en allemand par Van Swieten, allait devenir celui de la Création. Elisabeth Ann, soprano (Bath 1754 - Bristol 1792). Élève de Thomas, son père, elle débuta à Covent Garden en 1767. Considérée par beaucoup comme la plus grande cantatrice anglaise de son temps, elle cessa de paraître en public après sa fuite (1772) et son mariage (1773) avec Sheridan. Thomas, violoniste et compositeur (Bath 1756 - Grimsthorpe, Lincolnshire, 1778). Frère de Elisabeth Ann, il fut très précoce à la fois comme interprète et comme compositeur, et sa mort par noyade fut ressentie tragiquement. En 1770, il rencontra en Italie Mozart (avril) et Burney (septembre), et fut premier violon à Drury Lane de 1773 à sa mort. Ses oeuvres étaient de haute qualité, mais beaucoup ont disparu. Parmi celles ayant survécu, une sonate en la et un concerto en fa pour violon, The Duenna (1775, en collaboration avec son père), Ode on the Spirits of Shakespeare (1776), une musique de scène pour la Tempête de Shakespeare dans l’adaptation de Sheridan (1777), l’anthem Let God Arise (1773), l’oratorio The Song of Moses (1777), l’opéra-comique The Cady of Bagdad (1778). Thomas Linley senior eut douze enfants. Parmi ceux-ci furent également musiciens Mary (1758-1787), Maria (1763-1784), Ozias Thurston (1765-1831) et William (1771-1835). LIONCOURT (Guy de), compositeur français (Caen 1885 - Paris 1961). Il entra à la Schola cantorum comme élève de Roussel (1904), puis de Vincent d’Indy (1905), et en fut secrétaire général de 1914 à 1931. Il édita la revue mensuelle de cette école, Tablettes, et y enseigna le contrepoint et, comme successeur de Vincent d’Indy, la composition. Il dirigea à partir de 1942 l’école César-Franck, fondée par lui. On lui doit 137 ouvrages, dont le drame lyrique Jean de la lune (1921) et le drame liturgique le Mystère de l’Emmanuel (1924). Il a, en outre, publié le 3e tome du Cours de composition de Vincent d’Indy (Paris, 1950) et rédigé des Témoignages sur la musique et la vie au XXe siècle (Paris, 1956). LIPATTI (Dinu), pianiste et compositeur roumain (Bucarest 1917 - Chêne-bourg,

Genève, 1950). Son père est un excellent violoniste amateur, sa mère une pianiste de talent, son parrain est G. Enesco. Le jeune Lipatti se tourne tout naturellement vers la musique. De santé fragile, il reçoit à domicile les leçons de F. Musicescu (piano) et de M. Jora (composition) avant d’être admis par dérogation au conservatoire de Bucarest. Il en sort à quatorze ans couvert de récompenses. Pour son premier concert (1930), il interprète le Concerto de Grieg sur la scène de l’opéra de Bucarest. Et ses premières oeuvres (dont une Suite symphonique, les Tsiganes) lui valent le prix Enesco en 1932 et 1933. En 1934, un second prix obtenu au Concours international de Vienne provoque la colère d’Alfred Cortot, qui invite Lipatti à poursuivre ses études à Paris, à l’École normale de musique. Ce qu’il fait à l’automne, auprès du maître et de son assistante, Y. Lefébure. Il prend également des cours de direction d’orchestre avec C. Münch et de musique de chambre avec Alexanian. Il étudie la composition avec P. Dukas, puis avec Nadia Boulanger. Celle-ci va exercer sur lui une influence déterminante. Ensemble, ils enregistrent en 1937 les Liebesliederwalzer de Brahms, premier disque de Lipatti. L’année précédente, il a donné ses premiers concerts importants, en Italie et à Berlin. Devant les menaces de guerre, il rentre dans son pays natal, où il se produit aux côtés de G. Enesco. En 1943, il quitte la Roumanie pour Genève. Le conservatoire de cette ville lui offre la classe de virtuosité pianistique. Déjà affecté par les premiers assauts de la leucémie qui va l’emporter, il est obligé de réduire son activité, renonçant ainsi à une grande tournée aux ÉtatsUnis et au Japon, pour mieux se concentrer sur la réalisation de quelques disques, où son souci de perfection trouve un refuge idéal. Grâce à un traitement à base de cortisone (médicament très coûteux à l’époque, fourni par la générosité de nombreux musiciens, Münch, Menuhin, Stravinski, etc.), il connaît encore quelques mois de rémission, qu’il met à profit pour donner des concerts (l’ultime, le 16 septembre 1950, à Besançon, sera enregistré). La maladie seule a fixé les limites d’un répertoire que Lipatti mûrissait lente-

ment, pendant plusieurs années parfois, avant de juger une nouvelle interprétation prête à être livrée au public. Dans un premier temps, il se la jouait en imagination, par coeur, en envisageant tous les styles possibles ; ensuite il la disséquait mesure par mesure, sans aucun souci expressif. Enfin, il faisait la synthèse du travail technique et de son alchimie personnelle. Des mains très longues et solides (avec un petit doigt aussi développé que les autres et, comme eux, parfaitement indépendant) et des épaules de lutteur, contrastant avec la fragilité de l’homme, lui permettaient de doser les attaques et les touchers, de nuancer le son jusqu’à l’impalpable, et d’habiller son émotion de l’apparence la plus pure. Bach, Mozart et Chopin sont ses musiciens de prédilection, qu’il aborde avec une rigueur et une humilité inhabituelles en son temps. Il n’a que le temps d’effleurer les territoires de Schubert ou de Ravel et aborde trop tard Beethoven (dont il aurait enregistré la sonate Waldstein). Le musicien se passionne pour son époque, particulièrement pour Busoni, Enesco et Bartók (de ce dernier, il donne en première européenne le Troisième Concerto pour piano). Mais il reste sévère pour sa propre création, ne la jugeant pas mûre, malgré le succès du Concertino dans le style classique (1937) que joue Gieseking, ou de la Sonatine pour la main gauche (1941). Une symphonie concertante pour deux pianos et orchestre à cordes (1938), Trois Danses roumaines pour deux pianos (1943), des mélodies sur des textes de Verlaine, Rimbaud, Eluard et Valéry, et des cadences pour des concertos de Mozart et de Haydn forment le meilleur de son oeuvre. LIPINSKI (Karol Josef), compositeur et violoniste polonais (Radzyn 1790 Urlow, près de Lwów, 1861). Élève de Paganini, dédicataire du Carnaval de Schumann, premier violon de l’orchestre de la cour de Dresde en 1839, il édita avec le poète Zalewski un recueil de chants populaires polonais et ruthènes. Il composa l’opéra-comique la Sirène du Dniepr (1814), une Polonaise guerrière pour orchestre, quatre concertos pour violon (dont un Concerto militaire qu’il interpréta à Londres en 1836), des pièces diverses et des études.

LIPP (Wilma), soprano autrichienne (Vienne 1925). Elle fit ses débuts à Vienne en 1943, et s’imposa comme Reine de la nuit de la Flûte enchantée (1948), rôle auquel son nom reste étroitement attaché. Plus tard, elle a chanté d’autres rôles mozartiens, tels ceux d’Ilia (Idoménée) ou de Pamina (la Flûte enchantée), ainsi que des rôles de Verdi et Wagner. LIST (Eugène), pianiste américain (Philadelphie 1918 - New York 1985). Fils d’instituteur, enfant prodige, il joue dès 1930 le 3e Concerto de Beethoven avec la Philharmonie de Los Angeles. Mais il étudie ensuite au Curtis Institute avec Olga Samaroff-Stokowski. Sous les drapeaux entre 1940 et 1944, il donne un récital mémorable devant Churchill, Truman et Staline. En 1946, il fonde un duo de pianos avec sa femme Carrol Glenn. De 1964 à 1975, il enseigne à l’université de New York. Il a promu la musique des Amériques en jouant Gottschalk, MacdownloadModeText.vue.download 591 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 585 Dowell, Barber, et en créant des oeuvres de Villa-Lobos. LISZT (Franz [Ferenc]), pianiste et compositeur hongrois (Raiding, près de Sopron, 1811 - Bayreuth 1886). Il naquit d’un père hongrois, Adam Liszt, fonctionnaire du prince Esterházy et violoncelliste dans son orchestre, et d’une mère autrichienne, Anna Laager. L’origine hongroise des Liszt (à l’origine List) est d’autant plus douteuse que la famille venait probablement du canton de Neusiedl, et que sa langue usuelle était l’allemand. ÉTUDES ET PREMIERS SUCCÈS. Tout jeune, Liszt fit, grâce à son père, la connaissance des oeuvres de Haydn, Mozart et Beethoven. À dix ans, il partit pour Vienne (1821-1823), où il reçut l’enseignement de Salieri et de Carl Czerny, grand virtuose et dernier représentant de

l’école viennoise de piano issue de Mozart, et où il se produisit en public en décembre 1822. De 1823 à 1835, Liszt vécut principalement à Paris, où il avait été emmené par son père, et où Cherubini lui refusa l’entrée de l’École royale de musique (conservatoire). Il fit ses débuts à Paris en mars 1824, et y devint l’élève de Paer et de Reicha pour la fugue et le contrepoint. Il composa alors à quatorze ans, en collaboration avec Paer, son opéra Don Sanche ou le Château d’amour (1824-25), et fit plusieurs tournées en Angleterre. Au retour de l’une d’elles, son père mourut brusquement à Boulogne (1827). C’est à cette époque que, pour la première fois, Liszt manifesta le désir d’entrer dans les ordres, vocation sincère qui devait surgir à nouveau plus tard. Liszt rencontra vite le plus grand succès dans les salons parisiens. Il y fit la connaissance de Berlioz (1830), de Chopin et de Paganini (1831), qui, tous trois, devaient jouer un très grand rôle dans son évolution musicale. C’est ainsi qu’après avoir entendu Paganini il résolut de réaliser au piano les effets obtenus par celui-ci au violon. Il se lia également avec George Sand et Alfred de Musset. En 1834, sa rencontre avec la comtesse Marie d’Agoult (en littérature Daniel Stern) décida de sa carrière. De sa liaison avec elle naquirent trois enfants : Blandine (1835-1862), qui devait épouser Émile Ollivier ; Cosima (1837-1930), qui devait épouser Hans de Bülow, puis Richard Wagner, et Daniel, né en 1839 et mort de phtisie en 1859. UNE CARRIÈRE ITINÉRANTE. Mais la bonne société parisienne ne pardonna pas à Liszt cette union illégitime, et, après un court séjour à Genève, il entreprit une carrière itinérante de pianistevirtuose - de loin le plus grand de son temps -, qui devait le mener dans toutes les capitales et dans toutes les grandes villes européennes, jusqu’au coeur de la Russie. Durant cette période, il composa pour ses propres besoins une grande partie des Rhapsodies hongroises et des Études d’après Paganini. Il est d’ailleurs curieux de constater que ses programmes de récital ne comprenaient, outre ses oeuvres et celles de Chopin (ainsi qu’une sonate de Scarlatti), que des pages de musique allemande.

En 1842, le grand-duc de Weimar le nomma Kapellmeister extraordinaire. Ainsi débuta une nouvelle période de sa vie et de sa production musicale. Après avoir failli devenir musicien français, il s’engagea résolument dans une synthèse culturelle franco-allemande très féconde sur le plan de la création. On peut dire que, à partir de ce moment, il fut « culturellement français, musicalement plutôt allemand, et, pourrait-on ajouter, sentimentalement plutôt hongrois » (Serge Gut). Ces années virent naître le chefd’oeuvre qu’est la Sonate en « si » mineur (1853), la Faust symphonie (1854-1857), la Dante symphonie (1855-56), la Messe de Gran (1855 ; rév. 1857-58) et bien d’autres grands ouvrages. Ce début de « germanisation » de Liszt fut essentiellement le fait de Marie d’Agoult, allemande par sa mère et élevée en partie à Francfort. L’ENTRÉE EN RELIGION. Liszt finit par quitter la comtesse d’Agoult pour la princesse de Sayn-Wittgenstein, rencontrée lors d’un concert à Kiev en 1847, et qui devait devenir la grande égérie de la deuxième partie de sa vie, avant qu’il ne se décidât à entrer en religion. C’est elle qui le persuada de renoncer à sa carrière de pianiste-virtuose pour se consacrer uniquement à la composition. Durant ses années à Weimar, Liszt non seulement écrivit la majorité de ses oeuvres les plus célèbres, mais monta et dirigea comme maître de chapelle d’innombrables ouvrages de ses contemporains, créant notamment Lohengrin de Wagner en 1850. À la tête d’un orchestre, il put écrire, réviser et expérimenter dans un domaine qu’auparavant il avait peu pratiqué (d’où notamment la série de ses poèmes symphoniques). En outre, il attira autour de lui un grand nombre d’élèves, parmi lesquels Hans de Bülow et Peter Cornelius. Weimar devint en quelque sorte le lieu de ralliement de l’avant-garde de l’époque. À la suite d’une cabale menée contre lui et qui se transforma en incident, lors de la création du Barbier de Bagdad de Peter Cornelius, le 15 décembre 1858, Liszt démissionna de son poste à Weimar. Il ne quitta la ville qu’en août 1861, et, après un séjour à Paris, arriva à Rome en octobre. Ses espoirs d’épouser la princesse de SaynWittgenstein s’étant évanouis, car le pape avait refusé de prononcer le divorce de

cette dernière, il prit les ordres mineurs en 1865. Les convictions religieuses de l’abbé Liszt ont souvent été un sujet de plaisanterie, mais il reste que le compositeur, profondément croyant, devint homme d’église après que cette vocation l’eut accompagné toute sa vie. Il demeura installé à Rome jusqu’en 1869, et ce séjour marqua dans son évolution un jalon important, celui de sa découverte du répertoire vocal de la Renaissance, ce qui devait lui donner le goût des grandes oeuvres religieuses. De ces années datent les splendides variations sur le thème de Bach, Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen (1862), écrites sous le coup de la mort de sa fille Blandine, Christus (1862-1867), son plus bel oratorio, et la Messe du couronnement (1867). UNE « VIE TRIFURQUÉE ». À partir de 1869, et jusqu’à sa mort, le grand voyageur reprit la route, partageant son temps entre Rome, Weimar et Budapest : lui-même devait parler de sa « vie trifurquée ». À chacun de ces pôles correspondit alors une partie de ses activités. À Weimar, il redevint compositeur et chef d’orchestre au service des autres, il y fit créer en 1877 Samson et Dalila de Saint-Saëns. Rome fut pour lui un lieu de réflexion et de méditation mystique (il n’en perdit jamais le goût). Budapest, où il plaçait de vains espoirs et où sombrèrent définitivement ses prétentions de compositeur nationaliste, fut pour lui lieu d’ambiguïté. Lui, qui se définissait comme « moitié franciscain, moitié tsigane », et qui évoquait « cet étrange pays dont je me constitue le rhapsode », ne parlait pas le magyar ! À sa mort, le président du conseil hongrois devait même s’opposer au retour des cendres de ce grand compositeur hongrois. Ces années, celles de sa vieillesse, Liszt sut les remplir de nouveaux chefsd’oeuvre : les très beaux Jeux d’eau à la villa d’Este (1877), que devait entendre par le compositeur lui-même, à Rome, le jeune Debussy médusé, Via crucis (1878-79), qui sont les 14 stations de la croix, la 3e Année de pèlerinage, les pièces prophétiques pour piano que sont Gondole lugubre (1882), Csardas macabre (1881-82) ou la Bagatelle sans tonalité. Ces oeuvres tardives ne devaient rencontrer pendant près d’un siècle qu’ironie et incompréhension, même de la part de Richard Wagner, gendre de Liszt, qui mettait leurs côtés visionnaires sur le

compte de la sénilité et de l’abus d’alcool. Franz Liszt mourut de congestion pulmonaire, dans les bras de sa fille Cosima, à Bayreuth, le 31 juillet 1886, après avoir vu Parsifal le 23 et Tristan le 25, et en laissant une oeuvre prophétique, dont le souffle n’est pas près de s’éteindre. downloadModeText.vue.download 592 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 586 UNE ÉVOLUTION REMARQUABLE DANS L’HISTOIRE DE LA MUSIQUE ROMANTIQUE. Une fois mises à part les oeuvres de première jeunesse, influencées par Czerny, rien chez lui ne peut être comparé à la musique de son temps. Vers 1830 déjà (Liszt a dix-neuf ans), les premières mesures de Malédiction témoignent d’une audace qu’il devait conserver toute sa vie. De même, en 1834, il écrivit une des Harmonies religieuses et poétiques sans indication de tonalité et avec des changements de mesure de la plus moderne facture. Et cette évolution devait se poursuivre jusqu’aux dernières oeuvres, qui rejoignent Schönberg ou Debussy. Liszt parcourt le XIXe siècle en ouvrant toutes grandes les portes aux bouleversements du XXe, et se révèle, de plus en plus, n’être pas uniquement le compositeur du Rêve d’amour ou de quelques galopantes et populaires Rhapsodies hongroises. Des mille aspects de la légende de Franz Liszt, son amitié pour Richard Wagner est un épisode important. Pourtant, quelle différence de comportement entre les deux hommes, comme entre les deux compositeurs ! Il serait vain et inutile de revenir sur les problèmes de plagiat qui ont tant alimenté les discussions, mais, l’oeuvre de F. Liszt sortant aujourd’hui du purgatoire, il est amusant de découvrir que Richard Wagner, le révolutionnaire, n’était pas aussi audacieux qu’il se plaisait à le proclamer. À partir de l’Or du Rhin (1854), on remarque bien chez Wagner certaines libertés avec la tonalité, mais la conduite tonale reste toujours apparente. Ce n’est qu’avec Tristan (1859) qu’une certaine atonalité prend de l’importance, sans toutefois jamais rompre vraiment le fil tonal sécurisant. Dès 1854, Franz Liszt, en novateur acharné, prend au contraire le chemin de la polyharmonie - qui mènera à

la suppression de la tonalité (1873) - tout en prévoyant un système impliquant les quarts de ton. Il apparaît maintenant évident que, à sa mort, Liszt ouvrait la porte du XXe siècle, alors que Wagner fermait celle du XIXe. L’affirmation « Wagner, continuateur de Liszt » (Koechlin) est une erreur fondamentale, due en partie à la négligence et à la méconnaissance de l’oeuvre de Franz Liszt. LISZT PIANISTE. Il fut considéré, de son temps, comme le plus grand virtuose sur son instrument, même si, un moment, on a voulu lui donner un rival en la personne de Thalberg. Sans doute avait-il au départ de très grandes facilités, une conformation des mains idéale ; mais, infatigable travailleur, il a su remettre en cause plusieurs fois sa technique et reprendre point par point les problèmes digitaux tels que les sauts d’octaves, les thèmes en accords, les trilles parallèles, qu’il maîtrisa alors comme nul autre, dépassant de loin ceux que l’on considérait alors comme modèles, Moschelès ou Cramer. Il ne faut pas oublier que le facteur Sebastien Érard, à Paris, en avait fait son protégé pour qu’il l’aidât à promouvoir le piano à double échappement. Ainsi, contrairement à Chopin qui travaille « à l’intérieur » du piano choisi comme lieu stable d’expression, Liszt aborde cet instrument dans une perspective expansionniste, comme pour conquérir de nouveaux espaces. Il parle d’ailleurs, quelque part, de la « puissance assimilatrice » du piano, qui, selon lui, est en même temps un « microthée », un « petit dieu » individu (ce qui pourrait définir la position de Chopin) et un « microcosme » (un petit monde), et cette idée cosmique du piano lui est plus propre. Tout le monde de la musique est appelé à s’y refléter : ainsi les fameuses « transcriptions » (symphonies de Beethoven, de Berlioz, lieder de Schubert, paraphrases d’opéras italiens, etc.) ne sont-elles pas seulement des morceaux brillants ; il n’a pas cherché à y traduire seulement la ligne musicale, mais la masse, la couleur, parfois aussi le texte et la voix absents, au besoin en rajoutant, sur la pure et simple « réduction pour piano », des détails de son cru. De telles réductions étaient alors d’un usage courant, pour prendre connaissance chez soi du répertoire symphonique. Liszt prend cette forme « domestique » et privée, et

la transporte dans la salle de concert en la portant à un haut degré d’ambition - une ambition qu’on dirait presque d’appropriation passionnée -, car lui, qui vécut tant d’écouter et de soutenir la musique des autres et qui fut tant pillé lui-même, pouvait aimer brasser sous ses doigts le génie musical de ceux qu’il admirait, comme pour le faire sien. Dévorateur et dévoré, Liszt compositeur ne connaît pas la stabilité, le recueillement pur où le projet musical et technique se referme sur lui-même dans une délicate perfection. Il y a toujours chez lui une dynamique d’amplification qui brise la symétrie. Son jeu de pianiste était, selon les témoignages, emporté, convulsif, passionné, « déchirant la mélodie » (Clara Wieck), « hardi, avec une petite part de clinquant » (Schumann). Certes, l’aigu du clavier, avec ces fameux trilles étincelants comme dans les Jeux d’eaux à la villa d’Este des Années de pèlerinage, brille chez lui d’un éclat particulier, insistant, qu’on peut trouver ornemental : il lui oppose souvent des basses profondes, et une mélodie large dans le médium jouée par un pouce ou les deux (technique d’écriture pianistique à trois étages relevée par Claude Rostand). Ce médium passionné, martelé, souvent oratoire, entre les abîmes d’une basse toujours inquiète et d’un aigu vertigineux et grisant, est souvent, chez lui, le lieu du « je », de l’expression individuelle - là où il se situe comme sujet, comme sensibilité tiraillée. Par ailleurs, on sait quelle importance d’émulation eut pour lui Paganini (qui lui inspira des études d’après ses Caprices), bien plus que ses pseudo-rivaux pianistiques. Mais, là où Paganini brille en étoile inaccessible, Liszt se préoccupe de transmission, de communication, de pédagogie. On a pu dire que, si éblouissante qu’elle fût, sa technique pianistique était assez « naturelle » pour devenir peu à peu abordable par ses contemporains. Liszt peut également être considéré, dans le domaine du piano, comme le créateur du « récital de soliste », puisque Schumann lui-même note avec une sorte d’étonnement, en 1840, qu’il donne ses récitals « presque toujours seul ». Mais c’est sans doute son expérience de l’improvisation pianistique au long cours qui lui a inspiré ses grandes audaces de

forme, d’écriture, de sonorité, sa façon de renouveler le développement, jusque dans ses oeuvres symphoniques. Ainsi beaucoup de ses oeuvres semblent-elles chercher leur point d’appui dans le cours même de leur développement. L’OEUVRE MUSICALE. Pendant une grande période de sa vie, Liszt souffrit de n’être considéré que comme un virtuose égaré dans la composition - puisque telle était la réflexion que ses oeuvres pouvaient inspirer, dès qu’elles avaient en elles quelque chose de bizarre ou de nouveau. S’il a vécu très tôt le succès, il a vécu aussi de bonne heure le malentendu qui l’accompagne - car ce malentendu, mot qu’il emploie lui-même, n’a lieu que s’il y a au moins apparence de succès, autrement, il n’y a qu’ignorance ou mépris. Très jeune - c’est lui qui le raconte -, il avait « testé » ce que vaut la sincérité du goût musical, en s’amusant à donner pour une composition de Beethoven quelques-unes de ses esquisses personnelles et en voyant alors une admiration automatique se manifester. Cruel apprentissage de la fragilité des critères qui valent à une musique d’être tenue pour chef-d’oeuvre - et qui explique peut-être sa passion de rechercher chez ses pairs compositeurs le modèle d’une confiance en soi, qui, apparemment, lui faisait défaut. Dans la mesure où, en tant que compositeur (un compositeur qui s’affirma plus fortement comme tel, indépendamment du virtuose, après 1850), Liszt avait à surmonter l’image du pianiste doué aspirant aux prestiges de la création, sans en avoir la vocation - il dut en faire plus que tous les autres, se montrer plus audacieux, imposer plus radicalement l’idée de sa volonté créatrice. Il fut un progressiste déclaré, lecteur passionné des Lamennais, Hugo, Byron, se nourrissant autant de littérature que de musique, et cherchant downloadModeText.vue.download 593 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 587 un « renouvellement de la musique par une alliance plus intime avec la poésie [...] un développement plus libre et pour ainsi dire plus adéquat à l’esprit de ce temps ». Quand il parle d’allier la musique avec la

poésie, il a renoncé depuis longtemps à mettre un drame lyrique, voire des vers, en musique, sauf dans le domaine religieux. Son opéra de jeunesse, essai sans lendemain, semble avoir extirpé de lui toute ambition de s’exprimer sur la scène (son admiration pour Wagner en est d’autant plus forte). Il composera peu de lieder, et, dans le domaine religieux, préfère à la voix soliste le chant collectif. C’est à la musique sans texte, pour piano ou orchestre, que ce lecteur passionné demande de traduire la résonance en lui de ses lectures enivrées. On a pu dire que son esthétique était ornementale, mais, en ce cas, elle fait de l’ornementation un principe dynamique de développement et d’amplification, et non un principe statique, comme avec Chopin, chez lequel l’ornementation est centripète, refermant la phrase musicale dans son mystère, alors que chez Liszt elle est centrifuge, poussant la mélodie, l’oeuvre, l’inspiration en avant. L’aigu en particulier, zone traditionnellement ornementale, n’est pas chez Liszt une zone fragile et effleurée, c’est là qu’il met souvent son dynamisme, dans des frémissements et des ruissellements mystiques. Chez lui, le poème symphonique, forme où il expérimenta beaucoup, est un projet moins descriptif que psychologique et impressionniste - il s’agit de faire résonner des impressions chez le destinataire, le confident à convaincre qu’est pour lui l’auditeur. Par ailleurs, Liszt recourut rarement aux formes toutes faites, à la symphonie, au quatuor, et, quand il fait une sonate pour piano, c’est une oeuvre insolite, coulée dans le moule unique d’une forme cyclique d’un seul tenant. Cette sonate est d’ailleurs une des rares oeuvres où il semble se rassembler, se cristalliser, alors qu’il ne cesse ailleurs de se donner et se dépenser. Son identité, il croit la trouver un instant dans ses racines hongroises, mais il ne s’y arrête pas ; mais surtout dans le domaine de la musique religieuse, où il se considère comme sans rival à son époque : il y fait souvent vocation de simplicité, d’archaïsme, de rudesse antiornementale, en s’appuyant sur son étude de Palestrina, de Lassus, du grégorien, etc. Pourtant, là, toujours une inquiétude perceptible, même dans ces monuments granitiques que se veulent des oratorios comme Christus.

Finalement, cette énergie mystique, c’est d’abord sur l’estrade du virtuose adulé, où l’ont placé le sort et la prophétie de Beethoven à son endroit, qu’il la dépense avec le plus de force de conviction. Dans maintes pages des Années de pèlerinage, ou, même, dans telle Étude transcendante ou telle page d’album, on trouve une conjonction unique de sens religieux et de délire de virtuosité, comme si l’élan de la difficulté physique portait les mouvements de l’âme. C’est à son piano qu’il se sait prophète d’idéal, qu’il prêche le mieux peut-être, alors que c’est là qu’on le considère en bateleur. Ses deux Légendes (1865) sont éloquentes, puisque consacrées aux deux saints qui portent son prénom. Saint François d’Assise parlant aux oiseaux, n’est-ce pas Franz Liszt prêchant en notes perlées et mettant dans la virtuosité - là où beaucoup d’autres n’ont voulu mettre que leur part mondaine, méprisée - tout son amour et son altruisme. Pillée, dit-on, abondamment par Wagner, la musique de Liszt est, par excellence, celle de l’homme « mal assis », de celui qui ne sut jamais poser sa musique, l’installer, et la fit voyager, dans l’Europe, parmi les hommes, pour communiquer avec ses semblables par-delà le malentendu des succès mondains. LITAIZE (Gaston), organiste et compositeur français (Menil-sur-Belvitte 1909 Fays, Vosges, 1991). Malgré sa cécité, il a été l’élève au Conservatoire de Paris de Dupré (orgue et improvisation), de Caussade (contrepoint et fugue) et de Büsser (composition), et a remporté le second grand prix de Rome de composition en 1938. Il est organiste à l’église Saint-François-Xavier à Paris et à Radio-France, où il est également responsable de la musique des émissions religieuses. Professeur d’orgue et d’improvisation à l’Institution nationale des jeunes aveugles, il fait une carrière internationale de concertiste. Ses compositions, pour la plus grande part destinées à la liturgie, se fondent sur les thèmes du plain-chant qu’elles paraphrasent. Ainsi, pour l’orgue, 5 Pièces liturgiques pour orgue sans pédalier (1950), 24 Préludes liturgiques (1954), Grand-Messe pour tous les temps (1956), Messe basse pour tous les temps (1959). Il a également écrit plusieurs messes pour

choeur et orgue. LITANIE (grec médiéval litaneia, dérivé de litaneuo, « invoquer par des prières »). Prière dialoguée, soit chantée soit parlée, consistant en une série, parfois longue, de courtes invocations, auxquelles il est répondu par une même formule de demande ou de louange. Le mot a désigné d’abord toute supplication répétée (Kyrie eleison), puis les processions où se chantaient de telles supplications (litanies des rogations), enfin la forme même des prières à répétition, d’où son acception actuelle généralisée. LITERES (Carrion Antonio), compositeur espagnol (Arta, Majorque, 1673 - Madrid 1747). Violoniste et violoncelliste à la cour d’Espagne, il fut très estimé comme compositeur de cantates profanes et de musique de théâtre (zarzuela Accis y Galatea, 1709 ; opéra « dans le style italien » Los elementos). Après l’incendie qui en 1734 détruisit les collections royales, il dut composer de nouvelles oeuvres liturgiques (messes a cappella et psaumes pour les Vêpres). Ses deux fils occupèrent également des postes à la cour, José Literes Sanchez (mort en 1746) comme violoncelliste et Antonio Literes Montalbo (mort en 1768) comme organiste. LITOLFF, maison d’édition allemande fondée en 1828 à Brunswick par Gottfried Martin Meyer. Elle prit le nom de Henry Litolff après que celui-ci eut épousé (1851) la veuve de Meyer et adopté son fils Theodor (18391912). Ce dernier succéda à son beau-père après son divorce (1858), et eut comme successeur son propre fils Richard (18761937). Theodor assura le développement mondial de la firme en lançant en 1864 la célèbre collection Litolff d’oeuvres classiques, et aussi par des ouvrages pédagogiques comme la méthode de piano de Louis Köhler, qui, en 1914, avait été vendue à plus d’un million d’exemplaires. Rachetée en 1940 par les éditions Peters de Leipzig, la firme a ressuscité à Francfort en 1950. LITOLFF (Henry), pianiste et composi-

teur français (Londres 1818 - Bois-Colombes 1891). Fils d’un violoniste alsacien fait prisonnier par les Anglais pendant la guerre d’Espagne, il étudia avec son père et avec Moschelès, vécut en France, en Belgique et en Allemagne, et, en 1851, épousa la veuve de l’éditeur Gottfried Martin Meyer, deuxième de ses quatre femmes : la firme fondée par Meyer en 1828 prit alors le nom de Henry Litolff. En 1855, il devint maître de chapelle de la cour de Saxe-Cobourget-Gotha, et, en 1858, s’installa définitivement à Paris. Il continua à composer à partir de cette date, mais échangea sa carrière de pianiste pour celle de chef d’orchestre. On lui doit des oeuvres scéniques comme Die Braut von Kynast (Brunswick, 1847) ou Héloïse et Abélard (Paris, 1872) et des oeuvres instrumentales diverses, mais ses plus grandes réussites demeurent ses 5 Concertos symphoniques pour piano et orchestre. Le premier est perdu, les autres datent respectivement de 1844 et d’environ 1846, 1852 et 1867. Le Scherzo du quatrième bénéficie toujours d’une célébrité certaine. Henry Litolff reçut en dédicace le 1er Concerto pour piano de Liszt. downloadModeText.vue.download 594 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 588 LITERATUR-OPER. Nom donné, a posteriori, par les musicologues allemands aux opéras écrits non pas sur un livret, mais sur le texte même (tout ou partie, légèrement modifié ou traduit) d’une oeuvre dramatique déjà connue. Cette stricte acception écarterait donc de cette classification les textes que de grands auteurs (Goldoni, Sedaine, Goethe, etc.) destinèrent dès l’abord à être mis en musique. Utilisé dès le milieu du XIXe siècle par Dargomyjski et Moussorgski, à partir de textes de Pouchkine et Gogol, ce procédé devint plus fréquent dès la fin du siècle, avec Bruneau, Debussy, R. Strauss, Berg, Chostakovitch, Poulenc, etc., et se généralisa au-delà de 1940 ( ! OPÉRA). On peut, également, y associer l’exemple d’auteurs ayant euxmêmes remanié pour le compositeur des textes antérieurs, notamment J. Richepin, Maeterlinck, D’Annunzio, Hofmannsthal, Claudel, Brecht, etc.

LITURGIE (en gr. leitourgia, « service public, fonction publique », et, entre autres, « service du culte »). Terme désignant l’ensemble des services officiels et publics d’un culte, par opposition aux dévotions privées ; autrement dit, l’ensemble de ses prières publiques, rites, cérémonies et sacrements, où la musique, étroitement codifiée, joue un grand rôle. Les différentes Églises chrétiennes ont chacune leur liturgie propre, c’est-à-dire leur système de rites, de cérémonies et de chants, peu à peu mis au point par des conciles, des encycliques, des ordonnances, etc., avec pour préoccupation d’illustrer les articles de foi essentiels, mais surtout de réactualiser, par « anamnèse », les moments symboliques privilégiés de leur croyance. Ainsi, la liturgie catholique tourne autour de la messe, dans la mesure où celle-ci fait revivre chaque fois le sacrifice du Christ et la Cène. Dans cette fonction d’« anamnèse », il semble que la musique joue le rôle principal en réveillant le passé dans ses dimensions symboliques originelles, par le jeu du rythme et de l’harmonie, par l’effet des timbres, et surtout de la voix avec toutes les résonances corporelles et spirituelles des sons. Parmi les cultes chrétiens, on distingue les différentes liturgies occidentales (romaine, anglicane, ambrosienne, mozarabe), orientales (de saint Jean Chrysostome, saint Basile, saint Jacques, arménienne, copte, maronite), etc. LITVINNE (Félia), soprano d’origine russe (Saint-Pétersbourg 1861 - Paris 1936). Elle étudia à Paris avec Pauline Viardot et fit ses débuts en 1883 dans Ernani de Verdi (rôle d’Elvira). Elle chanta dans la plupart des grands théâtres du monde : au Metropolitan Opera de New York, à partir de 1896, au Covent Garden de Londres, à partir de 1899. Elle fut la créatrice des rôles d’Isolde à Paris (1899) et de Brunehilde à Bruxelles (1887). Elle quitta la scène en 1916, mais continua de chanter au concert jusqu’en 1924. Elle s’établit à Paris comme professeur et eut Germaine Lubin comme élève. Outre ses rôles wagnériens, elle était renommée pour ses interprétations de Gluck (Alceste) et aussi

de Meyerbeer (l’Africaine). Sa voix était puissante et son timbre, à la fois brillant et souple. Son style fougueux et convaincant parvenait à faire oublier sa corpulence. LIVE ELECTRONIC MUSIC (angl. : « musique électronique en direct »). Locution employée, même en France, pour désigner, à l’opposé des musiques préenregistrées sur bande magnétique, la musique électroacoustique qui s’exécute en direct, devant le public, par des « interprètes » jouant de synthétiseurs, de dispositifs électroacoustiques, d’instruments et de corps sonores électrifiés (c’est-à-dire reliés par l’intermédiaire de micros à des systèmes d’amplification et de traitement électronique du son). Cette musique peut être improvisée, ou jouée d’après une partition très précise. L’avantage de la « live electronic music » vient de la malléabilité et de la vie que, en apparence, elle apporte à la présentation en concert de l’oeuvre (par rapport à la musique électroacoustique sur bande, lue par un ou des magnétophones et seulement « orchestrée » dans sa diffusion) ; mais les inconvénients, ou plutôt la contrepartie, tiennent aux limitations dues au principe du « temps réel » en ce qui concerne la gamme des résultats sonores et musicaux possibles et la précision de leur contrôle. Certaines des techniques d’expression spécifiques de la musique électroacoustique (telles que le montage, par exemple) réclament encore impérativement le travail sur bande en studio et le différé. C’est la même différence qui existe entre le film de cinéma longuement tourné et monté et une retransmission télévisée en direct, si élaborée soit-elle. C’est d’abord aux États-Unis que cette technique s’est développée, avec des groupes pionniers comme le Sonic Art Union composé de Gordon Mumma, Alwin Lucier, Robert Ashley et David Behrman, qui ont poursuivi ensuite chacun sa ligne personnelle, dans des directions différentes. Un autre groupe pionnier, Musica elettronica viva, composé d’Italiens et d’Américains et qui pratiquait un « participationnisme musical » proche du Living Theater (impliquant le spectateur dans l’exécution), fut vivant et actif au point d’éclater en plusieurs groupes homonymes. On peut citer encore en Italie le groupe Nuove proposte sonore, et,

parmi les autres « collectifs » d’exécution et d’improvisation « live electronic », le Gimel, au Québec (fondé par Nil Parent) ; le Feedback-Studio à Cologne (Eötvös, Gelhaar, Maiguaschca, Fritsch, Johnson, MacGuire), qui s’est transformé pour devenir le Groupe Oeldorf, le groupe K und K en Autriche (Kaufmann) ; Gentle Fire en Angleterre ; en France, Opus N, entre 1970 et 1974 environ (Savouret, Clozier), et le Trio GRM-Plus (Dufour, Geslin, Cuniot), qui, depuis 1978, porte cette technique à un haut degré de précision. Mais il y a aussi des compositeurs-interprètes isolés qui pratiquent et écrivent en soliste la musique « live », comme René Bastian, Léo Küpper, Lorenzo Ferrero, Horaccio Vaggione, Giuseppe Englert, Donald Buchla (un des pères du synthétiseur), David Tudor, Morton Subotnick, etc. Nombre de ces groupes et de ces auteurs intègrent cette technique dans des formules dites multimédias de spectacles associant et multipliant les moyens d’expression de diverses disciplines (danse, cinéma, lasers, voire émission de parfums en direct, comme dans les spectacles de Joseph Anton Riedl). Le genre apparu à la fin des années 70 sous le nom anglo-saxon de performance (« représentation ») et qui se situe au carrefour des expressions plastiques, théâtrales et musicales utilise souvent des techniques de « live electronic ». Parmi les compositeurs qui ont beaucoup écrit de « live electronic music » sans être euxmêmes, ou en n’étant qu’occasionnellement, des interprètes, on citera aussi Karlheinz Stockhausen (le pionnier du genre en Europe, avec Mixtur et Mikrophonie 1 et 2), John Cage, Jean-Étienne Marie, Fernand Vandenbogaerde, etc. D’autres conçoivent, plutôt que des oeuvres, des dispositifs pour réagir en sons à l’environnement naturel ou à la présence du public (Max Neuhaus, Lucier). L’ordinateur est aussi employé en temps réel, pour engendrer des processus sonores, selon des programmes et des instructions plus ou moins préparés à l’avance, et c’est vers son utilisation dans ce sens que travaillent de nombreux studios de musique électroacoustique (tels, en France, G. R. M., G. M. E. M., G. M. E. B., I. R. C. A. M.). D’autres encore utilisent des systèmes de « biofeedback », faisant piloter, par exemple, des dispositifs électroniques, par

des ondes cérébrales ou des battements cardiaques (Lucier, Rosenboom, Henry et Lafosse). Innombrables sont donc les techniques, et imprévisibles leurs développements futurs, mais on peut prévoir sans risque que les applications les plus diverses de l’informatique y tiendront une place croissante à tous les niveaux. downloadModeText.vue.download 595 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 589 LIVRES LITURGIQUES. Recueil des textes et rubriques servant aux ministres du culte pour la célébration des offices. Les livres liturgiques de l’Église catholique sont composés de textes réunis soit selon la fonction, soit selon l’usage ; la première conception est privilégiée par les livres orientaux, la seconde par les occidentaux. Outre le calendrier liturgique (martyrologe), on distingue trois catégories principales : le missel pour la messe, le bréviaire pour les heures, le rituel pour l’administration des sacrements. S’y ajoutent, pour les évêques, le pontifical (office) et le cérémonial. Ne pas confondre, en dépit de certaines similitudes de noms (missel), avec les livres de choeur, qui concernent, cette fois, les chantres et les fidèles (antiphonaire, vespéral, etc.). LIVRET. Ouvrage littéraire, en vers ou en prose, destiné à être mis en musique en vue de la composition d’un opéra, d’un opéra bouffe, d’un opéra-comique, d’une opérette ou d’un ballet. Issu du madrigal et du ballet de cour, qui se contentaient d’illustrer des poèmes plus ou moins disparates en des scènes plus ou moins décousues, l’opéra dut faire appel à de véritables livrets quand il entreprit, dans l’Italie des alentours de l’an 1600, de traiter de façon cohérente des sujets mythologiques ou historiques précis. En France, les premiers livrets de cette sorte sont ceux que Philippe Quinault (1635-1688) fournit à Lully. D’une qualité littéraire certaine, que favorisait d’ailleurs le style noble du compositeur, ils seront pendant plus d’un siècle non

seulement imités, mais souvent réutilisés par d’autres musiciens. Le même phénomène se reproduisit au XVIIIe siècle avec Zeno et surtout Métastase, dont certains livrets d’opera seria furent mis en musique plusieurs dizaines de fois. Vers 1760, en France, un genre nouveau prend naissance et prospère : l’opéra-comique, où s’illustrent des librettistes tels que Favart, Marmontel, Sedaine, qui ne manqueront pas de successeurs au XIXe siècle. Le « grand opéra », pour sa part, va être sauvé par la révolution romantique, dont les aspirations n’ont pas grand-chose de commun avec l’idéal classique. Les musiciens, comme les autres artistes, en ont assez des Grecs et des Romains. Ils réclament de l’action, voire de la violence, des héros tout d’une pièce et des situations bien tranchées. Si les librettistes manquent d’imaginaton, ils n’ont qu’à puiser dans la littérature. S’ouvre alors l’ère des « adaptations » lyriques de pièces ou de romans célèbres, dont le seul titre attire les foules. Scribe, Barbier, Saint-Georges en France, Cammarano, Piave, Somma, Boito, Giacosa et Illica en Italie pillent sans vergogne Shakespeare, Walter Scott, Schiller, Goethe, Victor Hugo, Dumas fils et Victorien Sardou au profit de Donizetti, Verdi, Gounod, Puccini et autres grands fournisseurs du théâtre lyrique. Certains contemporains, Hugo par exemple, ont le mauvais goût de s’en plaindre alors qu’il s’agit d’une consécration. Qui parlerait encore du Roi s’amuse s’il n’y avait pas Rigoletto ? Et puis, l’exemple venait de loin, et de haut. Mozart n’avait-il pas emprunté Don Giovanni en partie à Molière et Le Nozze di Figaro à Beaumarchais par l’intermédiaire du subtil Lozenzo Da Ponte ? L’usage s’est longtemps conservé, en matière de théâtre lyrique, de citer le ou les librettistes avant le compositeur. On disait par exemple : « Faust, opéra en 5 actes de Jules Barbier et Michel Carré, musique de Charles Gounod ». Cela paraît ridicule, mais ce n’est pas tout à fait injuste. Aucun opéra, à plus forte raison un opéra bouffe ou une opérette, ne peut réussir sans un bon livret. Et ce n’est pas à la lecture qu’on peut juger s’il est bon ou mauvais. Les conventions du genre étant ce qu’elles sont, il vaut mieux chanter des niaiseries qui sonnent bien qu’un beau texte inchantable... qu’on ne comprendrait pas davantage. Le librettiste doit écrire, d’accord avec le compositeur, en

fonction du succès de la représentation. Ce n’est pas seulement un métier, mais un art véritable, qui exige quelques sacrifices. On sait ce que doivent Offenbach à Meilhac et Halévy, Verdi à Boito, Puccini à Giacosa et Illica, Richard Strauss à Hugo von Hofmannsthal, dont le Rosenkavalier est sans doute le seul livret d’opéra qui puisse se passer de musique, en d’autres termes être donné comme pièce de théâtre. Une autre exception qui confirme la règle est celle de Pelléas et Mélisande, que Debussy a réussi contre Maeterlinck... Quelques compositeurs, à la suite de Wagner, ont écrit leurs propres livrets. LLOBET (Miguel), guitariste espagnol (Barcelone 1878 - id. 1938). Il fut l’élève et le plus célèbre disciple de Tarrega, et vécut à Paris de 1904 à 1914, faisant, grâce à son compatriote Ricardo Vinès, la connaissance de Debussy, Ravel, Fauré, Albéniz. Doté d’une extraordinaire technique, il eut de la guitare une conception presque orchestrale, grâce à un extraordinaire maniement des timbres et de la polyphonie. En 1920, Falla écrivit pour lui son Homenaje destiné au « Tombeau de Claude Debussy ». LOBKOWITZ, famille princière originaire de Bohême, et dont plusieurs membres protégèrent des compositeurs. Au XVIIIe siècle, la « jeune lignée », dite de Melnick, fut représentée notamment par Georg Christian (1686-1755), grand admirateur de Gluck et qui reçut de lui les dédicaces d’Arsace (1743), La Sofonisba (1744) et Ippolito (1745), et par son fils Joseph Maria Carl (1725-1802), maréchal et diplomate, qui souscrivit aux concerts organisés par Mozart au Trattnerhof en 1784 et dans les salons duquel Beethoven fit ses débuts de pianiste à Vienne le 2 mars 1795. La « lignée ancienne », dite de Raudnitz, commença par Philipp Hyacinth (1680-1734), qui engagea le père de Gluck comme maître forestier ; par son fils Ferdinand Philipp (1724-1784), qui emmena Gluck à Londres et se lia à Berlin avec Carl Philipp Emanuel Bach (on dit qu’ils mirent sur pied une symphonie en composant tour à tour chacun une mesure) ; et par le fils de Ferdinand Philipp, le prince Joseph Franz Maximilian (1772-1816). Ce dernier fonda officiellement sa chapelle

musicale privée le 1er janvier 1797, plaçant à sa tête Antonin Vranicky. Doté d’une belle voix de basse, il passa dans l’histoire comme protecteur de Haydn et surtout de Beethoven. Il chanta plusieurs fois la Création de Haydn, et reçut au même moment la dédicace des Quatuors op. 77 de Haydn (composés en 1799 et publiés en 1802) et des Quatuors op. 18 de Beethoven (composés en 1799-1800 et publiés en 1801), et plus tard celles des symphonies nos 3, 5 et 6 ainsi que du triple concerto, du quatuor op. 74 et du cycle de lieder À la bien-aimée lointaine de Beethoven. C’est dans son palais de Vienne que fut donnée pour la première fois, en privé, vers le 9 juin 1804, la Symphonie héroïque, dont il avait reçu l’exclusivité pour six mois, et qu’il paya à Beethoven plus de 700 florins. LOCATELLI (Pietro Antonio), violoniste et compositeur italien (Bergame 1695 Amsterdam 1764). On suppose qu’il fut à Rome l’élève de Corelli. Son activité de virtuose le fit voyager en Europe occidentale (en Italie et en Allemagne notamment) jusqu’en 1729, date où il se fixa à Amsterdam. C’est là que devaient être éditées la plupart de ses oeuvres. Naturellement influencé au début par le style de Corelli au niveau des formes pratiquées (Concertos grossos op. I, 1721), il les fit sensiblement évoluer, par la suite (Sonates pour violon et basse, Sonates en trio), tandis que son langage harmonique se personnalisait rapidement. Sa technique du violon, dépassant les formules traditionnelles, en fait un prédécesseur de Paganini (recueil L’Arte del violino, avec les 24 Caprices, 1733). Son utilisation des accords brisés, du démancher et des positions élevées apparaît particulièrement audacieuse pour son époque. Locatelli appartient à cette pléiade de compositeurs-violonistes italiens qui constituèrent une véritable ère du violon et de la musique pour cordes (Vivaldi, Tartini, Geminiani, Nardini). Toutefois, Locatelli ne se limita pas à son instrument ; on lui doit aussi downloadModeText.vue.download 596 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 590 12 sonates pour flûte traversière et basse (1732). Il entretint une correspondance

avec le padre Martini et fut un pédagogue recherché, auprès duquel se perfectionna, entre autres, Jean-Marie Leclair. LOCKE (Mathew), compositeur et organiste anglais (Devon ? v. 1621-22 Londres 1677). Il fit probablement ses études musicales à Exeter sous la direction de Edward Gibbons. Choriste à la cathédrale jusqu’en 1641, il servit par la suite dans l’armée royale, tout en poursuivant sa carrière de musicien. De retour à Londres peu après 1650, il y fut, sous le Commonwealth, un compositeur très en vue, s’adonnant à tous les genres pratiqués : anthems, hymnes, ayres, pièces instrumentales. À la Restauration, Charles II le nomma Composer in Ordinary. Après la composition de sa Collection of Songes made when I was in the Lowe Countries (conservée en manuscrit) et la publication du Little Consort of Three Parts (1656) pour violes ou violons, Mathew Locke devint le compositeur le plus important pour l’histoire du théâtre musical en Angleterre avant H. Purcell. Son nom reste associé à un certain nombre d’oeuvres théâtrales : Davenant lui confia le premier acte du Siege of Rhodes (1656), puis Locke composa la musique pour des versions de Macbeth (adaptation de Davenant, 1663), The Tempest de Thomas Shadwell (1667), The Empress of Morrocco de Elkanah Settle et pour une Psyché de Shadwell. Mais Locke est resté surtout célèbre pour le « masque » dramatique de James Shirley Cupid and Death, qu’il mit en musique, et qui fut représenté en 1653 et 1659. Le manuscrit conservé date de 1659 et contient également des compositions de Christopher Gibbons pour ce même spectacle. Après le Comus de H. Lawes, Cupid and Death constitue, avec Venus and Adonis de John Blow et Didon et Énée de H. Purcell, un pas important dans la création de l’opéra proprement dit en Angleterre. LOCKSPEISER (Edward), musicologue et compositeur anglais (Londres 1905 Alfriston, Sussex, 1973). Il fit ses études au Conservatoire de Paris, notamment dans la classe de Nadia Boulanger, ainsi qu’au Royal College of Music de Londres avec Charles Herbert Kitson et Malcolm Sargent. D’abord compositeur

(la plupart de ses oeuvres datent des années 20, mais il a écrit aussi par la suite de la musique de film) et chef d’orchestre (il a fondé le Toynbee Hall Orchestra), il devint critique musical dans de nombreuses revues, telles que Music and Letters, The Listener, The Musical Times, et travailla à la B.B.C. de 1940 à 1951. E. Lockspeiser fut encore maître de conférence à l’université de Londres de 1966 à 1971, puis il enseigna au Collège de France à partir de 1971. Spécialiste de la musique française, il a écrit sur Berlioz, sur Bizet, et aussi plusieurs ouvrages importants sur Debussy. Sa biographie a été traduite en français (Paris, 1980), conjointement à une étude de l’oeuvre due à Harry Halbreich. LOCO (ital. : « à sa place »). Terme indiquant, après un passage marqué « in 8va » (« à l’octave », qu’il faut revenir à la tessiture normale ; ou encore, pour un violoniste, après un passage sur des cordes ou dans des positions plus graves ou plus élevées, un retour à la position ou au doigté normaux. Dans la mesure où elle supprime une « altération », l’indication « loco » peut se comparer à la présence d’un bécarre. LODÉON (Frédéric), violoncelliste et chef d’orchestre français (Paris 1952). En 1967, il entre dans la classe d’André Navarra au Conservatoire de Paris, où il obtient en 1969 et 1970 ses prix de violoncelle et de musique de chambre. Lauréat de plusieurs concours internationaux de 1972 à 1977, il fait des débuts remarqués à Prague en 1973, puis est invité au Festival de Gstaad, que dirige Y. Menuhin. Dans la décennie qui suit, il se produit dans le monde entier en soliste et en formation de musique de chambre. Victime d’un accident en 1984, il doit modifier sa carrière. À partir de 1987, il dirige et produit des émissions musicales à la télévision et à la radio. LOEFFLER (Charles Martin Tornow), violoniste et compositeur américain né en France (Mulhouse 1861 - Medfield, Massachusetts, 1935). Enfant, il suit ses parents, de nationalité

allemande, en Russie, Hongrie et Suisse. Il effectue ses études musicales à Berlin (violon avec E. Rappoldi et J. Joachim, composition avec F. Kiel) et à Paris (violon avec J. Massart et composition avec Guiraud), puis devient membre de l’orchestre Pasdeloup et de l’orchestre du baron russe Paul von Derwies. À la mort de celui-ci (1881), il émigre aux ÉtatsUnis et, en 1882, est engagé par le Boston Symphony Orchestra, qu’il quitte en 1903 pour se consacrer à la composition et à l’enseignement dans sa propriété de Medfield. La fin de sa vie, sédentaire, contraste étrangement avec sa jeunesse cosmopolite, qui aura une très grande influence sur ses compositions. Son oeuvre est, en effet, un amalgame de tendances variées : folkloriques tout d’abord (Night in the Ukraine, 1981 ; Conte espagnol, 1912 ; Memories of my Childhood, 1925 ; 5 Irish Fantasies, 1935), mystiques ensuite (Hora mystica, 1916 ; thème grégorien de sa Music for Four Stringed Instruments, 1917, sans doute son oeuvre la plus réussie). Vinrent enfin s’ajouter les influences plus contemporaines de Gershwin et du jazz (Clowns, 1928). Malgré cela, et à cause de sa naissance, de son éducation musicale et de son amour passionné pour les poètes et peintres français impressionnistes et symbolistes, il se considérera toujours comme un musicien de souche française. Ce lien culturel se traduit dans son choix de textes (la Mort de Tintagiles, d’après Maeterlinck, 1900 ; Poème, d’après Verlaine, 1918) et dans son écriture musicale, fortement influencée par Debussy et Fauré. Il reste pourtant un musicien assez conventionnel, et sa plus grande originalité réside dans une instrumentation souvent inhabituelle, comme dans le Psaume 137, pour choeur de femmes, violoncelle, 2 flûtes, harpe et orgue (1907), la Mort de Tintagiles, pour viole d’amour et orchestre, et les Memories of my Childhood, où figurent des cloches et un harmonica. LOEHRER (Edwin), chef d’orchestre suisse (Andwil, Saint-Gall, 1906 - Orselina, Locarno, 1991). Il étudie la direction d’orchestre et la composition à la Tonkunstakademie de Munich (1927-1932), l’orgue au conservatoire de Zurich et la musicologie à l’université de cette même ville. Il fonde en 1936 l’ensemble vocal de la radio de la Suisse italienne (Studio Lugano) et en

1961 la Società cameristica de Lugano, formation spécialisée dans l’interprétation de la musique italienne ancienne. LOEILLET, famille de musiciens belges originaire de Gand. Jean Baptiste, dit Jean de Londres (Gand 1680 - Londres 1730). Il fit ses études musicales à la maîtrise de la cathédrale de Gand, étudia l’orgue, le clavecin, la flûte, et enseigna ces diverses disciplines. En 1705, il fut engagé comme flûtiste à l’orchestre du Haymarket Theater de Londres. Il donna de nombreux concerts de flûte traversière, faisant connaître et apprécier cet instrument en Angleterre. Également compositeur, il écrivit plusieurs sonates en trio et des recueils d’exercices pour la flûte traversière et le clavecin (Lessons, v. 1712). Ces oeuvres, dans lesquelles la maîtrise du contrepoint va de pair avec un sens mélodique très séduisant, se rattachent à l’esthétique française autant qu’au style concertant italien. Il avait constitué une importante collection d’instruments de musique, qu’il légua, en 1729, à ses cousins. L’anglicisation de son nom en « Lullie » créa des confusions avec celui de Lully. downloadModeText.vue.download 597 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 591 Jacques (Gand 1685 - id. 1748). Comme Jean-Baptiste, son frère, il fit ses études à la maîtrise de la cathédrale de Gand. Après avoir été musicien du prince électeur de Bavière, Max Emmanuel, il fit carrière en France. En 1715, il faisait partie de la Chambre du roi Louis XV à Versailles en qualité d’hautboïste. Pendant ses loisirs il pratiqua, dit-on, la magie et donna à la cour des séances d’illusionnisme. Jean-Baptiste, dit L’oeillet de Gand, cousin des précédents (Gand 1688 - Lyon v. 1720). Mort de bonne heure, il composa néanmoins 48 sonates pour flûte et basse, qui furent toutes éditées chez Roger à Amsterdam entre 1710 et 1717. Elles présentent un compromis entre la sonata da chiesa et la sonata da camera. LOEWE (Carl), compositeur allemand (Löbejün, près de Halle, 1796 - Kiel 1869). Il étudia avec son père puis avec D. G.

Türk à Halle. Nommé en 1820 organiste et cantor de la Jacobikirche de Stettin, il devait rester dans cette ville quarante-six ans, y remplissant également les fonctions de directeur général de la musique et de professeur au Gymnasium. Il écrivit dans la Berliner Allgemeine Musikalische Zeitung d’Adolph Bernhard Marx (fondée en 1824), donna des concerts de ses oeuvres vocales à Vienne (1844), à Londres (1847), en Scandinavie (1851), en France (1857). Il fut, avant tout, un auteur de ballades pour voix avec accompagnement de piano ; Erlkönig (1818), sur le poème de Goethe (composé trois ans après le chefd’oeuvre du même nom de Schubert), fit sensation. Citons encore Herr Oluf (1821), Trois Ballades d’après Goethe, dont l’Apprenti sorcier (1832), Heinrich der Vogler (1836). Loewe fut un peu à la musique ce que Ludwig Uhland fut à la littérature allemande. On lui doit aussi 5 opéras, dont Die drei Wünsche (1834), des oratorios, dont Die Siebenschläfer (1833), des cantates et motets, 3 sonates pour piano, 2 symphonies. Dans les ballades, de couleur souvent populaire, à l’accompagnement descriptif, la musique varie en général d’une strophe à l’autre pour répondre aux exigences du texte. LOGOTHETIS (Anestis), compositeur autrichien d’origine grecque (Burgas, Bulgarie, 1921 - Lainz, Autriche, 1994). Élève d’Erwin Ratz (théorie) et d’Alfred Uhl (composition) à Vienne, il a travaillé en 1957 au Studio de musique électronique de Cologne avec Gottfried Michael König, et développé, à partir de 1958, un système original de notation graphique (cf. ses écrits Notation mit graphischen Elementen, Salzbourg, 1967 ; Zeichen als Agregatzustand der Musik, Vienne, 1974). De 1950 à 1960, il a écrit, surtout, des oeuvres de chambre et d’orchestre en notation traditionnelle et d’obédience sérielle. Parmi ses ouvrages en notation graphique, les ballets Himmelsmechanik (1960), 5 Porträte der Liebe (1960) et Odyssee (1963), les oeuvres de théâtre musical Party (1961) et Karmadharmadrama (1961-1968), et Entomology-party, écrit pour la radio (1972). Citons encore Klangfelder und Arabeske pour piano et bande magnétique ou orchestre de chambre (1976), et Daidalia oder Das Leben einer Theorie (Daidalia ou

la Vie d’une théorie, 1977), qui relève du théâtre musical. LOLLI (Antonio), violoniste italien (Bergame v. 1725 - Palerme 1802). Il fut violoniste à la cour de Stuttgart de 1758 à 1774, puis à celle de Saint-Pétersbourg jusqu’en 1778, et, en fin de carrière, voyagea beaucoup (Paris, Espagne, Londres, Palerme, Copenhague, Paris, Vienne, Naples). Doté d’une très grande technique, il a écrit - sans doute non sans être aidé - 8 concertos pour violon, 3 cahiers de sonates pour violon avec basse continue, 6 duos pour 2 violons, ainsi qu’une École du violon en quatuor (v. 1784). LOMBARD (Alain), chef d’orchestre français (Paris 1940). À sept ans, il prend ses premières leçons de violon avec Line Talluel. L’année suivante, il rencontre Suzanne Demarquez, qui lui enseigne le piano et le solfège. Admis à neuf ans au Conservatoire national supérieur de Paris, dans la classe de direction d’orchestre de Gaston Poulet, il dirige pour la première fois, deux ans plus tard, l’Orchestre Pasdeloup. Après son baccalauréat, il se consacre totalement à la musique, étudiant, notamment, avec le chef hongrois Ferenc Fricsay. Il commence sa carrière à l’Opéra de Lyon, comme chef assistant, puis principal. En 1962, à Paris, il dirige, en alternance avec Georges Prêtre, les premières représentations de l’Opéra d’Aran de Bécaud. Il débute à New York en 1963, à l’American Opera Society, avec Hérodiade de Massenet. En 1966, il remporte, devant trente-quatre concurrents, le prix Mitropoulos, et devient l’assistant de Bernstein à l’Orchestre philharmonique de New York et de Karajan au festival de Salzbourg. L’année suivante, il dirige Faust au Metropolitain Opera de New York, dont il devient chef assistant. Il est également nommé directeur musical de l’Orchestre de Miami (1967). Il a dirigé à partir de 1972 l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, où, de 1974 à 1979, il a été le responsable artistique du nouvel Opéra du Rhin. Il a été nommé pour la période 1981-1983 à la direction musicale de l’Opéra de Paris. Il a eu comme successeur à Strasbourg Theodor Guschlbauer, et a succédé à Roberto Benzi à la tête de l’Orchestre de Bordeaux-Aquitaine (1987-

1995). LOMBARDI (Luca), compositeur italien (Rome 1945). Après un baccalauréat au lycée allemand et une licence ès lettres à l’université de Rome, avec une thèse sur Hanns Eisler, il étudie la composition avec Roberto Lupi et Boris Porena au conservatoire Gioacchino-Rossini de Pesaro, et obtient son diplôme en 1970 ; de 1968 à 1973, à Cologne, il étudie avec Bernd Alois Zimmermann et Vinko Globokar et suit les cours de nouvelle musique de K. Stockhausen, H. Pousseur, M. Kagel et D. Schnebel, et découvre la musique électronique avec Herbert Eimert et G. M. König. Invité de l’Académie des arts de la R. D. A., il travaille avec Paul Dessau en 1973. De 1973 à 1978, il est professeur de composition au conservatoire Gioacchino-Rossini de Pesaro, puis à partir de 1980 au conservatoire Giuseppe-Verdi de Milan. On lui doit plusieurs livres et essais sur la musique (Hanns Eisler ; Musica della rivoluzione, Milan, 1978 ; Musik im Übergang, avec H. K. Jungheinrich, Munich, 1977 ; Conversazioni con Goffredo Petrassi, Milan, 1980). Ses oeuvres, d’inspiration marxiste, recherchent la communication d’un message politique, et, malgré certains traits caractéristiques de la musique postsérielle, relèvent du concept de « nouvelle intelligibilité » (Neue Deutlichkeit). Citons Albumblätter pour piano (1967-68), Wiederkehr pour piano (1971), Non Requiescat. Musica in memoria di H. Eisler pour orchestre de chambre (1973), Canzone pour orchestre de chambre (1974-75), Prima Sinfonia pour orchestre (1974-75), Variazioni su Avanti popola alla riscossa pour piano (1977), Essay pour contrebasse (1975), Essay 2 pour clarinette basse (1979), Hasta que caigan las puertas del odio pour 16 voix, texte de P. Neruda (1976-77), Tui-Gesänge pour soprano et 5 instruments, texte de A. Betz (1977), Variazioni pour orchestre (1977), E subito riprende il viaggio. Frammenti di Ungaretti pour 5 voix (1979-80), Majakowski, cantate pour basse, choeur et 7 instruments (1979-80), Klavierduo pour 2 pianos (1978-79), Celan-Lieder pour soprano et 6 instruments (1985), Faust, un travestimento, opéra en 3 parties (Bâle, 1991). LONCHAMPT (Jacques), critique musi-

cal français (Lyon 1925). Licencié en philosophie, il a été tout d’abord délégué régional des Jeunesses musicales à Lyon (1946-47), puis en 1947 rédacteur en chef de la revue des Jeunesses musicales de France, devenue plus tard Journal musical français (1948-1960). Il assuma en même temps diverses activités de critique, notamment à Radio-cinémadownloadModeText.vue.download 598 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 592 télévision, plus tard Télérama (1950-1961). Entré au journal le Monde en 1961 comme critique musical adjoint, il en devint premier critique et chef de rubrique musicale comme successeur de René Dumesnil (1965-1990). Il a écrit notamment les Quatuors de Beethoven (1956), Dictionnaire pratique des compositeurs et des oeuvres musicales (2 vol., 1955, 1959), et l’Opéra aujourd’hui (1970). LONDON (George, de son vrain nom G. BURNSTEIN), baryton-basse américain (Montréal 1920 - Armonk, New York, 1985). Élève de Hugo Strelizer et de Nathan Stewart à Los Angeles, il débuta dans la Traviata au Hollywood Bowl, sous le nom de George Burnson (1941). Il poursuivit ses études à New York et forma le Bel Canto Trio (1947), avec Francis Yeend et Mario Lanza, effectuant avec cette formation de vastes tournées à travers les ÉtatsUnis. Sa carrière internationale débuta au Staatsoper de Vienne (1949-1954). En 1951, il chanta Amfortas à Bayreuth, partageant dorénavant ses activités entre l’opéra de Vienne et le Metropolitan Opera. Il fut le premier étranger à chanter Boris Godounov (en russe) au théâtre du Bolchoï (1960), et incarna Wotan à Cologne (1962-1964). Il dut interrompre sa carrière pour raisons de santé et se consacra à l’administration artistique, montant intégralement le Ring de Wagner à Seattle (1975), cela pour la première fois en langue anglaise aux États-Unis. LONG (Marguerite), pianiste et pédagogue française (Nîmes 1874 - Paris 1966).

Initiée au piano par sa soeur, professeur au conservatoire de leur ville natale, elle entre à douze ans au Conservatoire de Paris, dans la classe de Tissot. Sortie premier prix à quinze ans, elle se dirige vers l’enseignement, encouragée par Marmontel, dont elle devient le disciple fervent. Commencée en 1893, sa carrière de concertiste s’infléchit vers la musique contemporaine au fil de rencontres décisives : en 1903, Fauré, dont elle recrée la Ballade, Albéniz (qui compose pour elle sa Navarra), Debussy (qui lui fait travailler ses oeuvres et dont elle crée en 1919 - le même jour que Cortot - la Fantaisie), Ravel (le Tombeau de Couperin en 1919 et le Concerto en « sol » en 1932), Milhaud (son premier concerto en 1934), F. Schmitt, R. Ducasse, etc. Parallèlement se déroule sa carrière de pédagogue : nommée professeur au Conservatoire de Paris en 1906, elle succède à L. Diémer à la tête d’une classe supérieure de piano. En marge de son enseignement, elle donne des cours-conférences à l’École normale de musique, sur l’oeuvre de Fauré, de Debussy, de Chopin, qu’elle illustre par ses concerts. Obligée de démissionner en 1940, elle fonde sa propre école avec l’aide de J. Thibaud. Ensemble, les deux artistes créent, en 1943, le concours qui porte leurs noms et qui prend une dimension internationale trois ans plus tard. J. Doyen, J. Février, N. Henriot, Y. Lefébure, L. Descaves, S. François, B. L. Gelber comptent parmi leurs élèves les plus prestigieux. Ils ont fait leur son goût de la clarté (obtenue par l’arrondi des doigts sur le clavier) et pour une mouvance naturelle des sons et des couleurs. LONGO (Alessandro), pianiste et compositeur italien (Amantea 1864 - Naples 1945). Il fut l’élève de son père, le pianiste et compositeur Achille Longo, avant d’entrer au conservatoire de Naples, où il étudia le piano avec B. Cesi, ainsi que l’orgue et la composition de 1878 à 1885. À partir de 1887, il y enseigna lui-même le piano et fut un professeur très recherché. En 1892, il fonda une société Domenico-Scarlatti et publia les oeuvres complètes pour clavier de ce compositeur (1906-1910). Bien que la classification qu’il adopta fût arbitraire, ce travail fit beaucoup pour relancer l’intérêt porté à Scarlatti. Depuis, cette classification des sonates de Scarlatti a été

communément remplacée par celle, chronologique, de Ralph Kirkpatrick. LONGTIN (Michel), compositeur canadien (Montréal 1946). Après avoir reçu une formation scientifique, il s’est tourné vers la musique en 1968, étudiant à Montréal et à Toronto, en particulier avec Serge Garant, et enseigne actuellement la composition et l’analyse à l’université de Montréal. Après s’être consacré pendant dix ans à la musique électroacoustique (Au nord du lac Supérieur, 1972 ; Trilogie de la montagne amorcée au studio de Bourges en 1977 et terminée au studio McGill en 1980), il s’est tourné également vers les grandes formations de chambre avec Pohjatuuli Hommage à Sibelius pour 12 instruments (1983, prix Jules-Léger 1986) ou encore Citortia (1990), et vers l’orchestre avec Autour d’Ainola (1986) ou encore Hommage à Euler (1990, pour le 700e anniversaire de la Confédération helvétique). Il se définit lui-même comme un « expressionniste pourtant très personnel ». LONGUE. 1. En métrique, valeur d’une syllabe par rapport à la brève considérée comme unité de temps. En principe, la longue vaut 2 brèves, mais dans certaines positions elle peut en valoir 3, ce qu’on retrouvera dans les principes de la notation proportionnelle. La longue s’indique par un petit trait horizontal surmontant la syllabe ; la brève ne fut d’abord pas notée, puis elle s’indiqua par un signe analogue à un demicercle ouvert vers le haut. 2. En notation médiévale proportionnelle, valeur de note analogue à celle de la longue en métrique, valant selon les cas 2 ou 3 brèves. La longue de 3 brèves était dite « parfaite », celle de 2 brèves « imparfaite », soit par allusion à la Trinité, soit parce que perfectus signifie à l’origine « complet, achevé ». La longue finale, de valeur indéterminée, équivalait à une note dotée d’un point d’orgue. La notation fut différente selon que l’écriture était ligaturée ( ! LIGATURE) ou syllabique ; dans ce dernier cas, seul en compte pour l’évolution ultérieure, la longue emprunta à l’origine la forme de la virga carrée (note carrée avec queue descendante à droite), tandis que la brève prenait celle du punc-

tum (carré sans queue). L’alternance initiale longue/brève, qui motivait le système, fit place peu à peu à des rythmes plus compliqués, où le principe de la proportionnelle perdit sa raison d’être, mais il resta en vigueur jusque vers le milieu du XVIIe siècle. 3. En notation classique, la valeur des notes écrites n’ayant entre-temps cessé de croître, la « brève » finit par devenir la « note carrée » valant 2 rondes, c’est-àdire, contrairement à son nom, une valeur déjà exceptionnellement longue. La longue resta dans la théorie, mais ne fut plus guère employée sinon en note finale avec sa valeur de point d’orgue. Elle s’écrivait, comme jadis, par un rectangle allongé avec queue descendante à droite. Elle est aujourd’hui tout à fait hors d’usage. LORENGAR (Pilar), soprano espagnole (Saragosse 1921 - Berlin 1996). En 1949, elle sort du Conservatoire de Barcelone, et se fait remarquer en 1952 en chantant des zarzuelas. Sa carrière internationale débute en 1954 à Londres et Paris, et en 1957 elle chante Pamina à Glyndebourne. En 1958, elle y incarne la Comtesse, puis, en 1961, est Ilia d’Idoménée à Salzbourg. Elle chante au Metropolitan entre 1966 et 1978. Mozartienne, elle maîtrise aussi les principaux rôles de Verdi et Puccini. En 1990, elle fait ses adieux sur scène dans Tosca à Berlin, et en récital à Oviedo en 1991. LORENZ (Max), ténor allemand (Düsseldorf 1901 - Salzbourg 1975). Il fit ses débuts en 1927 à Dresde dans Tannhäuser (rôle de Walther), chanta à l’Opéra de Berlin à partir de 1933 et commença une carrière internationale qui le conduisit de Vienne à Londres et de Paris à New York. Entre 1932 et 1939, il se produisit aussi au festival de Bayreuth, et revint régulièrement à Paris entre 1947 et 1952. Il fut l’un des grands ténors wagnériens du XXe siècle. Sa voix dramatique downloadModeText.vue.download 599 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 593 à l’aigu facile, sa présence physique, ses dons d’acteur en firent un Siegfried in-

comparable. Mais son Tannhäuser et son Tristan comptèrent également parmi des incarnations majeures. Parmi les rôles non wagnériens où il excella, il faut citer Don José dans Carmen de Bizet et Otello de Verdi. LORIOD, famille de musiciens français. Jeanne, ondiste (Houilles 1928). Remarquable ondiste de renommée internationale, elle commença très jeune une brillante carrière de soliste après avoir étudié le piano, puis les ondes Martenot au Conservatoire de Paris. Ayant, dès sa création, décelé les étonnantes ressources de l’instrument, elle l’étudia avec son créateur, Maurice Martenot, et en devint l’efficace et brillante propagandiste. Particulièrement appréciée de compositeurs contemporains, comme Messiaen, Jolivet, Honegger, Milhaud, Landowski, elle fonde en 1950 le quatuor, puis le sextuor d’ondes Martenot et, en 1974, le sextuor d’ondes Jeanne-Loriod. Elle enseigne depuis 1970 au Conservatoire national supérieur de Paris. Elle est la soeur d’Yvonne Loriod. Yvonne, pianiste et compositrice, soeur de la précédente (Houilles 1924). À quatorze ans, elle avait déjà à son répertoire le Clavier bien tempéré de Bach, les 27 concertos de Mozart, les 32 sonates de Beethoven et toute l’oeuvre pianistique de Chopin. Élève au Conservatoire de Paris de Lazare-Lévy et d’Olivier Messiaen (elle épousera ce dernier par la suite), titulaire de 7 premiers prix, elle s’est brillamment affirmée dans le monde musical contemporain, donnant en première audition mondiale ou française des oeuvres de Schönberg, Bartók, Jolivet, et en première mondiale toutes celles avec piano d’Olivier Messiaen, à partir des Visions de l’Amen (1943). Elle a aussi créé, avec le compositeur, le second livre de Structures de Pierre Boulez (Donaueschingen, 1961). Elle maîtrise également un répertoire traditionnel considérable (Mozart, Schumann, Debussy). Professeur au Conservatoire national de Paris depuis 1968, elle dirige, en outre, depuis 1958, une classe de piano à la Musikhochschule de Karlsruhe. Elle a réalisé de nombreux enregistrements, en particulier d’oeuvres d’O. Messiaen, et le premier en date de la Sonate de Jean Barraqué. Son oeuvre de compositeur comporte : Pièce sur la souffrance pour orchestre, Grains de cendre pour soprano et orchestre de chambre (1946), Mélopées

africaines pour ondes Martenot, piano, flûte (1945). LORTIE (Louis), pianiste canadien (Québec 1959). Il fait ses débuts avec l’Orchestre symphonique de Montréal à l’âge de treize ans. Il remporte plusieurs prix prestigieux au Canada et en Europe et, en 1978, accompagne la tournée en Chine et au Japon de l’Orchestre symphonique de Toronto. Il a joué avec les plus grands orchestres. Depuis 1992, il donne chaque année, avec Charles Dutoit et l’Orchestre de Montréal, une intégrale de l’oeuvre concertante d’un compositeur : Beethoven, Tchaïkovski, Liszt et Chopin sont suivis en 1996 d’un cycle Mendelssohn-Schumann. Au disque, il a signé notamment une intégrale de Ravel et commencé celle des sonates de Beethoven. En 1995, il fonde le trio LortieBerickLysy. LORTZING (Albert), compositeur allemand (Berlin 1801 - id. 1851). Il apprit les rudiments de la théorie musicale à la Singakademie de Berlin, mais se forma essentiellement en autodidacte. Ses parents, acteurs de théâtre, l’initièrent à la scène dès l’âge de onze ans. Ayant développé une voix agréable, il fut vite employé comme chanteur et comme acteur. Ayant épousé en 1823 l’actrice Rosina Ahles, il fut engagé avec elle au Théâtre de Cologne, où l’année suivante on représenta son premier singspiel Ali pascha von Janina. De 1826 à 1833, le couple appartint à la troupe du théâtre de cour de Detmold. Lortzing continua à composer des oeuvres qu’il interprétait lui-même, chantant et même jouant du violoncelle dans l’orchestre. En 1823, il fut engagé, avec sa femme, au Théâtre municipal de Leipzig. Il devait y rester douze ans, ses ouvrages lui gagnant peu à peu une grande réputation, sans lui ouvrir pour autant les portes du milieu musical dans lequel évoluent Mendelssohn et Schumann. De cette époque datent ses succès les plus populaires : Zar und Zimmermann (1839) et Der Wildschütz (1842). En 1844, il fut nommé maître de chapelle, mais perdit son poste l’année suivante. Il tenta alors une oeuvre plus ambitieuse : l’opéra romantique Undine (1845), représenté à Hambourg et à Magdebourg avec un succès limité. À dé-

faut d’invention musicale originale, on y trouve un lyrisme assez convaincant avec une utilisation précoce des leitmotive. En 1846, les Lortzing s’installèrent à Vienne, où la chance sembla revenir avec Der Waffenschmied. Devenu maître de chapelle au Teater an der Wien, le musicien perdit encore cette situation au bout de deux ans. La même mésaventure lui arriva à Leipzig, où il retourna en 1846. Après de nouvelles difficultés, il obtint une position médiocre de directeur musical dans un petit théâtre de Berlin. C’est là qu’il mourut dans une misère relative. Sans avoir jamais conquis une gloire au-delà des frontières de son pays, Lortzing a, cependant, conservé jusqu’à nos jours la faveur du public populaire allemand. Ses oeuvres mêlent en effet heureusement la tradition du singspiel à celle de l’opéra-comique français. LOSANGE. Forme de note sans signification précise (on dit aussi « note losange » ou « note losangée »), produite par l’inclinaison de la plume d’oie lorsqu’elle trace en descendant des groupes de notes, qui seraient carrées si le mouvement de main était horizontal, comme cela se produit dans les climacus et leurs dérivés. Dans la notation proportionnelle du Moyen Âge (XIIIe s. et au-delà), contrairement à d’autres neumes ( ! LIGATURES), ces groupes de notes, dits conjuncturae, conservèrent leur indétermination rythmique, tandis que la note losangée isolée fut empruntée pour la « semi-brève », dont l’évolution ultérieure aboutit vers le XVIIe siècle à notre « ronde » actuelle. LOS ANGELES (Victoria de), soprano espagnole (Barcelone 1923). Elle fit ses débuts au théâtre Liceo de Barcelone en 1945, dans le rôle de la Comtesse des Noces de Figaro. Son premier prix au concours international de Genève (1947) la lança dans une carrière internationale. Invitée par la radio anglaise en 1949, pour chanter le rôle principal dans la Vie brève de M. de Falla, elle revint l’année suivante incarner Mimi de la Bohème à Covent Garden. Puis elle interpréta Marguerite de Faust à l’Opéra de Paris. Elle chanta régulièrement au Metropolitan Opera de New York à partir de 1951 le répertoire de soprano lyrique français

et italien, aborda Élisabeth de Tannhäuser à Bayreuth, Rosine du Barbier de Séville à la Scala de Milan. Simultanément, elle a mené de front une carrière de récitaliste, où la mélodie française, le lied allemand et les « tonadillas » espagnoles occupent une part égale. Victoria de Los Angeles possédait un timbre exceptionnel à la fois chaud et pur. Sa personnalité musicale était particulièrement séduisante. LOTT (Felicity), soprano anglaise (Cheltenham 1947). Elle étudie à la Royal Academy de Londres, avant de débuter en 1975 à l’English National Opera dans le rôle de Pamina. Elle participe souvent au Festival de Glyndebourne, privilégiant les opéras de Mozart et Strauss. Elle aime aussi l’univers de la mélodie (Poulenc) et du lied. En 1976, elle crée Welcome to the River de Henze. En 1983, elle chante Louise de Charpentier à Bruxelles, et fait ses débuts au Metropolitan dans Capriccio en 1986. En 1993, elle incarne la Maréchale du Chevalier à la Rose à Glyndebourne et au Châtelet. downloadModeText.vue.download 600 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 594 LOTTI (Antonio), compositeur italien (Venise ou Hanovre 1666-67 - Venise 1740). Son lieu de naissance est incertain, par suite de la position de son père, maître de chapelle à Hanovre. En 1683, il est élève de Legrenzi à Venise et fait partie du choeur de la basilique Saint-Marc, dès sa formation en 1687. À part un voyage à Dresde, de 1717 à 1719, consacré à l’opéra, il restera toute sa vie à la basilique, d’abord comme chanteur et organiste (assistant du second organiste en 1690, second organiste en 1692 et premier organiste en 1704), puis comme maître de chapelle de 1736 jusqu’à sa mort. Il enseigne également à l’Ospedale degli Incurabili. Néanmoins, Lotti consacre la première partie de sa carrière créatrice à l’opéra. Dès 1692, il fait représenter à Venise Il Trionfo dell’ innocenza et sa production dans ce domaine est particulièrement riche dans les dix années précédant son voyage à Dresde. Il obtient un grand succès en Alle-

magne, avec, tout d’abord, Giove in Argo (1717), puis Li Quatro Elementi (1719). Son style, fondamentalement vénitien, trahit cependant une forte influence de l’opéra napolitain en plein essor, en particulier dans la forme. Malgré sa réussite à Dresde, Lotti abandonne définitivement le domaine de l’opéra à son retour à Venise, pour se consacrer à la musique sacrée. Sa production comprend des oratorios et de très nombreux motets, messes, psaumes, magnificat, miserere, etc. Son style, sévère et dépouillé, montre une grande maîtrise de la polyphonie. Très attentif au texte, il préfère une écriture a cappella et n’hésite pas à recourir au chromatisme dans un but expressif. Ses oeuvres, célèbres, resteront longtemps au répertoire de la basilique, en particulier l’extraordinaire Miserere en ré de 1733. Il est également l’auteur d’un certain nombre de pièces vocales profanes (cantates et madrigaux), dont un recueil de Duetti, terzetti e madrigali, publié en 1705. Enfin, son rôle pédagogique est loin d’être négligeable, et on compte parmi ses élèves de grands musiciens, tels Benedetto Marcello, Domenico Alberti et Baldassare Galuppi. LOUCHEUR (Raymond), compositeur français (Tourcoing 1899 - Nogent-surMarne 1979). Élève de Vincent d’Indy et de Nadia Boulanger, il fut nommé en 1925 professeur de musique dans des écoles parisiennes, et obtint en 1928 le premier grand prix de Rome pour sa cantate Herakles à Delphes. Il fut inspecteur de l’enseignement musical dans les écoles de Paris et du département de la Seine (1940), puis inspecteur général de l’éducation musicale dans les lycées et collèges de France (1946). De 1956 à 1962, il dirigea le Conservatoire national de Paris, où il a laissé le souvenir d’une administration particulièrement rigide. Toutes ces activités ne l’ont pas détourné de sa carrière de compositeur. Musicien au style audacieux et incisif, il a signé de nombreuses oeuvres vocales (Cinq Poèmes de Rainer-Maria Rilke, 1957) ; des partitions de musique de chambre ; des oeuvres concertantes (Concerto pour violon, 1963 ; Concerto pour violoncelle, 1967 ; Concertino pour percussion, 1963), et des oeuvres orchestrales, dont 3 symphonies (1932, 1944, 1970) aux élans rythmiques vigou-

reux, et la célèbre Rhapsodie malgache (1945). Il n’aborda le théâtre qu’une fois, avec un ballet inspiré d’un récit d’Edgar Poe, Hop-Frog, créé avec succès à l’Opéra en 1953. LOUIS XIII, roi de France (1601-1643). Grand amateur de musique dès son enfance, il succéda en 1610 à son père Henri IV, mais, malgré sa position, n’eut pas d’influence sur la vie musicale en France à cette époque. Son attitude fut plutôt celle d’un dilettante passionné, entouré de musiciens, et n’hésitant pas à prendre part, lui-même, aux ensemble vocaux, voire à diriger le choeur royal lors de l’absence de son chef. Il reste fort peu de ses oeuvres, bien que la tradition veuille faire de lui un compositeur de musique sacrée (motets, harmonisations de psaumes, De profundis). En fait, seul un psaume, Seigneur à qui seul je veux plaire, peut lui être attribué de source sûre. Il est, en revanche, l’auteur d’une chanson à 4 parties, Tu crois, ô beau soleil (publiée par Mersenne) et surtout de la partition intégrale (paroles et musique) du Ballet de la Merlaison, exécuté le 15 mars 1635 à Chantilly par le roi et des membres de la cour. LOUIS-FERDINAND DE PRUSSE, pianiste et compositeur allemand (Friedrichsfelde, près de Berlin, 1772 - Saalfeld 1806). Neveu du roi Frédéric II, ce prince développa très tôt des talents de pianiste, qui ne furent pas découragés par sa famille, et qui firent l’admiration de Beethoven à Berlin en 1796. Sa carrière militaire fut également brillante, surtout pendant les campagnes de 1792 à 1795, mais, après cette date, il souffrit à la fois de son inactivité sur ce plan, due à la neutralité prussienne, et de voir l’Allemagne succomber à l’influence napoléonienne. Il fut mortellement blessé à la bataille de Saalfeld. En 1804 s’était joint à son entourage, comme professeur de composition et comme amiconfident, Jan Ladislav Dussek ( ! ÉLÉGIE HARMONIQUE). Comme compositeur, Louis-Ferdinand fut un représentant typique du romantisme allemand en ses débuts. Ses oeuvres, presque toutes du genre piano seul ou musique de chambre avec piano, furent accueillies en leur temps au même titre, et avec la même faveur, que celles de Weber ou Hummel, et réguliè-

rement jouées jusque vers le milieu du XIXe siècle. Citons le quintette avec piano en ut mineur op. 1 (1803), ou encore les trios avec piano en la bémol op. 2 (1806) et en mi bémol op. 3 (1806). Treize numéros d’opus, dont la plupart posthumes, furent publiés jusqu’en 1823. Il reçut en dédicace le Concerto pour piano no 3 op. 37 de Beethoven. LOURE. Danse française d’origine rustique, qui prend place, au XVIIe siècle, avec tout un choix d’autres danses, dans la suite instrumentale. Elle figure également dans les ballets des ouvrages lyriques. Dans son Dictionnaire (1703), S. de Brossard apprend que le loure, tout en étant une sorte de musette, est « aussi souvent le nom d’un Air & d’une Danse qu’on écrit ordinairement sous la mesure de 6 pour 4. & qu’on Bat lentement ou gravement, & en marquant plus sensiblement le premier temps de chaque Mesure, que le second etc. ». Cette danse peut commencer par une anacrouse (par exemple, croche-noire), ce qui donne immédiatement à cette danse son caractère sautillant. On en trouve des exemples dans des Sonates de Fr. Couperin, dans la 5e Suite française de J.-S. Bach, et dans des oeuvres lyriques chez Collasse (Thétis et Pélée, 1689), Charpentier (Médée, 1693), Rameau (Castor et Pollux, 1737, les Fêtes d’Hébé, 1739). Parfois, le terme est associé à une autre danse, par exemple, à la Gigue (chez Couperin : les Nations, l’Espagnole). LOURIÉ (Arthur), compositeur américain d’origine russe (Saint-Pétersbourg 1892 - Princeton 1966). Il fit ses études au conservatoire de SaintPétersbourg, puis en autodidacte. Il fut directeur de la section musicale du Commissariat du peuple lors de la Révolution. Il se fixa à Paris de 1924 à 1940, puis aux États-Unis en 1941. Il se libéra de l’influence de Debussy, Stravinski et Schönberg au bénéfice d’une expression personnelle qui se réfère à la musique liturgique orthodoxe, avec le souci de la primauté mélodique. D’inspiration généralement religieuse ou philosophique, son oeuvre

doit sa séduction à la sincère adaptation des modes et du plain-chant grégorien à la sensibilité contemporaine. « Musique grave jusqu’à une sorte d’austérité, mais belle comme la nuit et la solitude », en a dit Julien Green. Son journal musical Profanation et sanctification du temps (Paris, 1966) contient d’intéressants documents sur la vie artistique entre 1910 et 1960. downloadModeText.vue.download 601 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 595 LOUVIER (Alain), compositeur français (Paris 1945). Élève au Conservatoire de Paris, il y a obtenu neuf premiers prix, dont un de composition, un d’analyse musicale (chez Olivier Messiaen) et un de clavecin. Il fut premier second grand prix de Rome en 1967, et premier grand prix de Rome en 1968. Devenu directeur du conservatoire de Boulogne-Billancourt, il a commandé à divers compositeurs des oeuvres destinées à de jeunes instrumentistes. Il a obtenu le prix Honegger en 1975. Comme compositeur, il s’est beaucoup préoccupé de renouveler la technique pianistique (ainsi que celle du clavecin), notamment en attribuant aux instrumentistes un rôle de mime-acteur, et s’est intéressé aux micro-intervalles. Dans ses diverses Études pour agresseurs, pour formations variées, il a exploré, en particulier, de nouveaux modes d’attaque. Il en va de même dans le Clavecin non tempéré (1979). Il a écrit Duel pour 2 à 5 percussionnistes (1971), Houles pour ondes Martenot, percussion et piano (1971), 7 Caractères d’après La Bruyère pour piano et ensemble (1972), Canto di Natale pour voix et instruments (1976), Messe des Apôtres (1978), Casta Diva pour le spectacle Béjart à l’I. R. C. A. M. (1980), Concerto pour orchestre avec bande de sons d’ordinateur (1982), Tutti pour orchestre de jeunes (1988), Livre pour virginal (1987-1993), Missa de Angelis pour choeur mixte, 2 cors et percussion (1995). Il a dirigé de 1986 à 1991 le Conservatoire national supérieur de musique de Paris et depuis 1992 y enseigne l’orchestration. LÜBECK (Vincent), organiste et compositeur allemand (Paddingbüttel, près de

Brême, 1654 - Hambourg 1740). Fils d’organiste, il reçut son éducation musicale à Flensburg, avant d’être nommé maître de tribune à Stade en 1675. En 1702, il devint organiste de l’église Saint-Nicolas de Hambourg (où il disposait d’un orgue nouvellement construit par le célèbre facteur Arp Schnitger) et il devait garder cette charge importante jusqu’à sa mort. Durant sa longue existence, il a beaucoup écrit pour son instrument, cultivant, outre la fantaisie sur le choral, la toccata fuguée dans le style de Buxtehude. Dans l’unique oeuvre imprimée de son vivant, la ClavierÜbung de 1728, comme dans ses 7 grandes Toccatas, il apparaît, avant tout, comme un compositeur du XVIIe siècle, même si les toccatas en ut mineur et fa majeur sont traitées en diptyque, dans un esprit plus moderne. Tempérament soucieux d’équilibre et de rigueur formelle, Lübeck a également écrit pour la voix, et 3 cantates sont parvenues jusqu’à nous, ainsi que 1 cantique pour la fête de Noël (Willkommen süsser Braütigam) et 1 Motet concertant (Gott, wie herrlich ist dein Name). Remarquable pédagogue, Lübeck a formé de nombreux élèves, dont deux de ses fils : Peter Paul, qui lui succéda à Stade, et Vincent, qui oeuvra à Hambourg jusqu’à sa mort, survenue en 1755. LUBIMOV (Alexei), pianiste et claveciniste russe (Moscou 1944). Il entre en 1963 au Conservatoire de Moscou où il étudie avec Heinrich Neuhaus. Lauréat du concours de Rio de Janeiro en 1965 et de celui de Montréal en 1968, il se produit principalement dans son pays. D’abord cantonné dans le répertoire classique de piano, il élargit peu à peu le champ, s’intéressant à la musique ancienne et à la création contemporaine(premières auditions en U.R.S.S. d’oeuvres de Boulez, Stockhausen, Cage). Il a fondé et dirige un festival de musique contemporaine (l’Alternative). LUBIN (Germaine), soprano française (Paris 1890 - id. 1979). Plus que le Conservatoire, abordé à dixhuit ans, importent ses rencontres décisives avec F. Litvinne et Lilli Lehmann.

Elle débute en 1912 à l’Opéra-Comique en chantant Antonia des Contes d’Hoffmann. Et, en 1916, à l’Opéra, dans le Chant de la cloche de V. d’Indy. Wagnérienne passionnée, elle est successivement Sieglinde dans la Walkyrie, en 1921 ; Elsa dans Lohengrin ; Eva dans les Maîtres chanteurs. Elle chante Ariane à Naxos sous la direction de R. Strauss à Vienne même, rôle qu’elle crée en France, ainsi que celui de la Maréchale du Chevalier à la rose (1927) et qu’Elektra (1932). Elle aborde en 1930, à l’Opéra de Paris, son rôle préféré, Isolde, qu’elle a l’honneur de chanter à Bayreuth même, en 1939, après y avoir été, l’année précédente, Kundry dans Parsifal. Elle chante encore Tristan en 1941 à l’Opéra de Paris, aux côtés de M. Lorenz et sous la direction du jeune Karajan, mais voit sa carrière brisée en 1944, à la Libération. Elle tente un retour en 1952, dans un répertoire de lieder qu’elle affectionne, avant de se retirer définitivement en 1956 pour se consacrer à l’enseignement. Grande cantatrice wagnérienne, elle fut aussi inégalable dans le répertoire français : l’Alceste de Gluck et l’Ariane (et Barbe Bleue) de Dukas comptent parmi ses plus grands rôles. Elle participe à la création de la Légende de saint Christophe de V. d’Indy, de la Chartreuse de Parme de Sauguet et du Maximilien de Milhaud. Tragédienne accomplie, elle animait chaque ouvrage autant par la vertu de sa beauté sculpturale que par une voix exceptionnellement ample et héroïque. LUCA (Giuseppe de), baryton italien (Rome 1876 - New York 1950). Il fait ses débuts à Piacenza en 1897 dans le rôle de Valentin du Faust de Gounod. Engagé, à partir de 1903, à la Scala de Milan, où il crée Sharpless dans Madame Butterfly de Puccini, il entreprend alors une carrière internationale qui le conduit à New York en 1915. Il s’y établit et chante pendant quarante ans au Metropolitan Opera tous les grands emplois du théâtre lyrique italien. En 1918, il est le créateur de Gianni Schicchi de Puccini, mais c’est dans Verdi qu’il excelle particulièrement aux côtés de Rosa Poriselle et de Giovanni Martinelli, contribuant à faire du Metropolitan le théâtre de Verdi par excellence, entre les deux guerres. En 1947, il célèbre en concert le cinquantenaire de ses débuts et enseigne à la Juilliard School jusqu’à sa mort. Son timbre chaud, son style classique et détendu, sa belle technique

vocale, ont contribué à faire de lui un des meilleurs barytons de son époque. LUCCIONI (José), ténor français (Bastia 1903 - Marseille 1978). Il fait ses débuts en 1931 dans le rôle de Mario Cavaradoni dans Tosca à Rouen, puis chante celui de Paillasse à l’Opéra de Paris l’année suivante. Dès lors, il partage sa carrière entre l’Opéra-Comique et l’Opéra, avec un certain nombre d’engagements internationaux (Monte-Carlo, Vérone, Chicago, New York). Ses rôles les plus importants, ceux où ses qualités de vaillance et de lyrisme ont le plus brillé, ont été, sans doute, Don José, Samson, Roméo et Othello. Son timbre, d’un éclat et d’une richesse exceptionnels, son phrasé ample, sa belle diction ont fait de lui un des chanteurs français les plus prestigieux de son époque. LUCERNE. Cette ville suisse, au bord du lac des Quatre-Cantons, a hébergé entre 1866 et 1872 Richard Wagner, qui habitait la villa Triebschen, devenue un lieu de visite et un musée Wagner. C’est là qu’il composa l’essentiel des Maîtres chanteurs et le Crépuscule des dieux, et qu’il fit jouer la Siegfried-Idyll pour la naissance de son fils Siegfried (1869). En 1938, fut fondé à Lucerne un Festival musical d’été, consacré en particulier à la musique symphonique et aux récitals. Interrompu seulement au cours de la Seconde Guerre mondiale, pour l’année 1940, ce Festival annuel n’a cessé de prendre une importance croissante avec des formations, des interprètes et des chefs de tout premier plan (Toscanini, Ansermet, Karajan, Giulini, Dorati, etc.) et naturellement avec la participation de l’orchestre de chambre du Festival Strings de Lucerne, fondé en 1956 et dirigé par Rudolf Baumgartner. Cet ensemble, spécialisé dans le répertoire baroque et downloadModeText.vue.download 602 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 596 classique (avec quelques incursions dans la musique contemporaine) fut créé dans le cadre du Conservatoire de musique de Lucerne, où Baumgartner enseignait le violon. Ce dernier, cofondateur de l’or-

chestre avec Wolfgang Schneiderhan, a assumé de 1968 à 1980 la direction artistique du Festival. LUDWIG (Christa), mezzo-soprano allemande (Berlin 1924). Fille d’Anton Ludwig et d’Eugenie Besalla, tous deux membres du Volksoper de Vienne, elle travailla d’abord avec sa mère une voix qui manquait à la fois de volume et d’aigu, et n’aborda la scène qu’en 1946, à Francfort, dans le rôle du prince Orlovsky de la Chauve-Souris. Sa carrière se poursuivit sans grand éclat dans d’autres théâtres d’Allemagne jusqu’à la révélation que fut son interprétation de Chérubin au festival de Salzbourg en 1954. L’année suivante, elle triomphait dans un troisième rôle travesti, celui d’Octavian du Chevalier à la rose, à l’Opéra de Vienne, puis dans un quatrième, celui du Compositeur d’Ariane à Naxos. Elle chante aussi Dorabella de Cosi fan tutte, puis Eboli de Don Carlos sous la direction de Karajan, avant de débuter au Metropolitan Opera de New York en 1959 dans les Noces de Figaro et le Chevalier à la rose. Cependant, sa voix s’est développée vers l’aigu et, encouragée par Karajan, elle trouve son premier rôle de soprano dramatique en 1962 dans Leonore de Fidelio. D’autres allaient suivre, notamment la Maréchale du Chevalier à la rose, Marie de Wozzeck, la Teinturière de la Femme sans ombre, Kundry de Parsifal. Dans le répertoire wagnérien, elle a été aussi Vénus, Ortrude, Brangaene et Fricka, faisant apprécier dans les emplois les plus divers une voix chaude et très homogène, une parfaite musicalité et un remarquable talent d’actrice. En 1971, elle a créé le rôle de Claire Zachanossian dans l’opéra de Gottfried von Einem, la Visite de la vieille dame, à l’Opéra de Vienne. Toutefois, Christa Ludwig s’est, peu à peu, détachée du théâtre pour se consacrer au concert, cultivant le lied et, en particulier, Schubert. Elle a quitté la scène en 1993. LUENING (Otto), compositeur, chef d’orchestre, flûtiste et professeur américain (Milwaukee 1900). Enfant prodige initié à la musique par ses parents, eux-mêmes musiciens, il étudie à la Staatliche Hochschule de Munich, ainsi qu’au conservatoire de Zurich, tout en commençant une carrière de flûtiste et de chef d’orchestre. Entre 1920 et 1925, il travaille à Chicago comme arrangeur musical

pour des films muets, puis comme directeur du département « opéra » à l’Eastman School, et directeur de la Rochester American Opera Company et de l’American Opera Company, entre 1925 et 1929. En 1930, il achève un opéra composé grâce à des bourses de la fondation Guggenheim, Évangéline. Puis il se consacre à l’enseignement, tout en continuant à composer (université d’Arizona, Bennington College, université Columbia de New York, et Juilliard School). C’est au sein de l’université Columbia qu’il fonde, au début des années 50, avec Wladimir Ussachevsky, le premier studio permanent aux États-Unis à créer de la « music for tape » (musique sur bande), équivalent de la musique électroacoustique, genre où il compose de nombreuses pièces, seul ou en collaboration avec Ussachevsky. Son oeuvre assez abondante comprend une forte proportion de pièces de musique de chambre, ainsi que des « musiques d’application » pour la scène, la télévision, le film. Avec ses références stylistiques très diverses (folklore, dodécaphonisme, électroacoustique), elle incarne un certain visage de l’éclectisme américain. LUISADA (Jean-Marc), pianiste français (Bizerte, Tunisie, 1958). Il entre au Conservatoire de Paris à l’âge de seize ans, dans la classe de Dominique Merlet, et obtient deux premiers prix (piano et musique de chambre) en 1977. Il étudie ensuite auprès de Paul BaduraSkoda et Nikita Magaloff. Lauréat de plusieurs concours internationaux (DinoCiani en 1983, prix Alex de Vries), il effectue plusieurs tournées en Italie. En 1983, il est lauréat du concours Chopin de Varsovie et donne dans les années qui suivent de nombreux récitals en Europe et au Japon. Il se produit également en formation de chambre (avec les quatuors Talich et Fine Arts ainsi qu’aux côtés de A. Dumay, J.-P. Rampal, F. Pollet, P. Gallois. LULLY ou LULLI (Jean-Baptiste), compositeur français (Florence 1632 - Paris 1687). Fils d’un meunier, il vient à Paris conduit par Roger de Lorraine, cousin de mademoiselle de Montpensier, qui désirait apprendre l’italien, et entre au service de celle-ci (1645). À la fin de la Fronde, il passe au service du jeune roi (1652),

comme violoniste et danseur, et prend part à la composition des ballets de cour. Dès 1653, il a le titre de compositeur de la musique instrumentale. La première partie de sa carrière est entièrement consacrée à la musique de ballets, et il ne compose de musique vocale qu’italienne (ballet de l’Amour malade, en collaboration avec Benserade pour l’opéra de Marazzoli, 1657, d’Alcidiane, 1658, de la Raillerie, 1659). Lors des représentations d’opéras italiens commandés par Mazarin (Xerxès, 1660, et Ercole amante, 1662, de F. Cavalli), il insère dans l’oeuvre italienne des ballets qui remportent un grand succès. Naturalisé, marié à la fille du compositeur Lambert, il prend le titre de surintendant et compositeur de la Chambre le 16 mai 1661. À partir de 1664, parallèlement aux grands ballets de cour auxquels il donne une ampleur et une homogénéité de conception plus grandes (ballets des Amours déguisés, 1664, de la Naissance de Vénus, 1665, des Muses, 1666, de Flore, 1669), il collabore avec Molière et crée avec lui le genre de la comédie-ballet (le Mariage forcé, 1664 ; la Princesse d’Élide, 1664 ; l’Amour médecin, 1665 ; le Sicilien, 1667 ; George Dandin, 1668 ; Monsieur de Pourceaugnac, 1669 ; le Bourgeois gentilhomme, 1670). Le style de Lully, bien que toujours marqué par l’Italie et avec une dominante comique, se francise peu à peu et atteint, dans certaines pages, au lyrisme. En 1671, il crée, avec Molière, Corneille et Quinault, la tragédie lyrique de Psyché, qui constitue un pas important vers l’opéra. Lully rachète alors le privilège, récemment accordé à Perrin et Lambert, par la création d’une Académie d’opéra (1672), rompt avec Molière et s’attache Quinault comme librettiste. Détenteur d’un privilège qui lui donne un pouvoir illimité sur toute musique de théâtre, il va créer chaque année un opéra nouveau, sous le titre de tragédie lyrique : Cadmus et Hermione, 1673 ; Alceste, 1674 ; Thésée, 1675 ; Atys, 1676 ; Isis, 1677. Psyché et Bellérophon (1678 et 1679) auront exceptionnellement Thomas Corneille pour librettiste. De nouveau avec Quinault, il compose Proserpine (1680), Persée (1682), Phaéton (1683). Avec Amadis (1684), il quitte les sujets mythologiques pour ceux de l’épopée, qu’il poursuit avec Roland (1685) et son chef-d’oeuvre, Armide (1686).

Il meurt d’une blessure accidentelle (1687), faite en dirigeant le Te Deum pour la guérison de Louis XIV. Homme d’une grande vivacité d’esprit, danseur et chorégraphe, compositeur, imprésario, homme d’affaires, homme de cour, doué d’une ambition sans limites, Lully a régné d’un pouvoir absolu sur la musique de son temps, et l’a marquée de son génie impulsif, et de son sens de l’organisation. L’art de Lully est essentiellement fait de synthèses successives : son génie est celui d’un ordonnateur, d’un coordinateur. D’abord compositeur italien, il assimile l’art instrumental et vocal français, et conçoit son propre style à partir de la fusion des deux traditions. Au goût français pour les formes chorégraphiques, il apporte une précision et une clarté de structure et d’écriture plus grandes. Il simplifie l’art vocal, l’opposant ainsi à la tradition de l’air de cour et à l’ornementation instrumentale. De la tradition italienne, il retient le recitativo et tente, dès ses ballets de cour, son adaptation dans le cadre de l’air à la française. Avec la comédie-ballet, il essaie une fusion d’un autre ordre : celle du downloadModeText.vue.download 603 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 597 ballet traditionnel, avec une action dramatique suivie. Enfin, la création de l’opéra permettra une synthèse plus vaste encore des genres appréciés du public français (le ballet, la comédie, la grande tragédie surtout). La grande innovation due à Lully est la création du récitatif français, calqué sur les impulsions de la déclamation oratoire et singulièrement adapté à la langue. Il est remarquable que les scènes dramatiques les plus importantes de ses tragédies lyriques soient traitées en forme de récitatif, et non en forme d’air. Chaque opéra est ainsi organisé autour d’une action dramatique traitée en récitatif, enserrant de vastes divertissements chantés et dansés issus de l’ancien ballet de cour, dont ils gardent l’esprit et la structure. C’est là surtout que se rencontrent les airs, généralement de forme binaire, issus de l’air de cour. L’évolution de l’opéra lullyste, de Cadmus à Armide, se fait néanmoins dans le sens d’une accentuation du caractère mélodique de ce récitatif. Du ballet, l’opéra conserve aussi une prédilection

pour l’emploi des choeurs, beaucoup plus nombreux que dans l’opéra italien. Le style et l’écriture de Lully sont aussi d’un architecte : grandes lignes simples, harmonie peu recherchée, procédant par vastes plans contrastés, dramatiquement efficaces. Même clarté et même puissance dans son écriture instrumentale, qui s’épanouit dans les symphonies descriptives, dans les ouvertures et interludes, dans les nombreuses pièces chorégraphiques qui prennent parfois des dimensions architecturales. Les amples chaconnes et passacailles de Phaéton, d’Amadis, d’Armide sont parmi les premières grandes pages symphoniques de l’histoire de la musique. La musique sacrée de Lully (grands motets pour la chapelle royale : Miserere, Dies irae, Te Deum) témoigne des mêmes qualités dramatiques, et représente de vastes fresques décoratives et oratoires. L’influence de Lully en France, et hors de France, a été considérable. L’opéra à la française ne modifiera rien à l’essentiel de ce que le surintendant avait conçu et conservera la même structure d’ensemble, la même conception du récitatif, jusqu’à Rameau inclus. Si cette musique vocale est trop liée à la langue pour avoir eu un impact important à l’étranger, en revanche, les formes instrumentales, la danse et le type d’ouverture qu’il a créé se retrouveront dans toute l’Europe, jusque chez Haendel, Telemann et J.-S. Bach. LUNA (Pablo), compositeur espagnol (Alhamade, Aragon, 1880 - Madrid 1942). Il fut l’un des derniers grands compositeurs de zarzuelas, et, comme directeur du Teatro de la Zarzuela, il se fit une spécialité de parodier les grands opéras classiques jusqu’à Wagner et Verdi. Son oeuvre la plus connue, éclatante réussite, est Molinos de viento (« Moulins à vent », 1910). LUPU (Radu), pianiste roumain (Galati 1945). Il étudie avec Florica Muzicescu et Cella Delavrancea, puis, de 1961 à 1968, au Conservatoire de Moscou auprès de Heinrich Neuhaus. Lauréat des concours Van Cliburn (1966), Enesco (1967), et de Leeds (1969), il s’installe à Londres puis se produit avec l’orchestre de Cleveland, l’or-

chestre philharmonique de Los Angeles, ainsi qu’à Salzbourg sous la direction de Karajan. Il privilégie notamment, dans des interprétations empreintes de finesse et de poésie, Schubert et Mozart. LUR. Mot qui vient de l’islandais luor (ou luthr), instrument à vent en bronze de la mythologie viking. Les lurs (ou lurerna) ont été créés vers 1500-500 avant Jésus-Christ (âge du bronze) et près de quarante exemplaires ont été trouvés au Danemark, en Suède, Norvège et Allemagne du Nord. La forme, recourbée en demi-cercle, des premiers lurs devint plus tard celle d’un S et leur échelle sonore est celle des 12 premiers harmoniques, ce qui ne signifie pas que l’usage primitif les utilisait tous. Dans les tourbières qui les ont conservés, les lurs étaient généralement deux par deux et symétriques de forme l’un par rapport à l’autre. On ignore tout de la musique des Vikings ; il est probable que les lurs ont servi aussi bien à la célébration des cultes païens que comme véhicules de signaux sonores, peut-être en mer. Le XIXe siècle scandinave s’est maintes fois référé à la mythologie viking (J.P.E. Hartmann : Ouverture d’Yrsa) et certains contemporains ont inclus des lurs dans l’orchestre moderne, tel le compositeur islandais J. Leifs dans sa Saga-symphonie (1950). LUTH. Instrument ancien à cordes pincées dont la vogue, considérable en Europe, du XVIe au XVIIIe siècle, est attestée par une littérature aussi remarquable que nombreuse. Descendant de l’« al laud » ou « al-ud » arabe qui lui donne son nom, il n’apparaît dans sa forme caractéristique, caisse bombée ovale et manche au chevillier recourbé, qu’à partir du XIVe siècle, muni alors de 4 cordes doubles en boyau, appelées « choeurs », dont l’accord varie fréquemment. On ne l’emploie jusqu’à la fin du XVe siècle que pour l’accompagnement du chant et des danses, mais il est déjà fort répandu puisque de nombreux princes d’Europe comptent au moins un luthiste à leur cour, tels les ducs de Lorraine, d’Autriche, de Bourgogne, la reine Anne de Bretagne, etc.

L’instrument fait, pour la première fois, son apparition parmi les musiciens de la Chambre du roi sous Charles VIII. Il commence à être utilisé comme instrument soliste au début du XVIe siècle, et des oeuvres de plus en plus nombreuses vont lui être consacrées, soit des pièces originales, soit sous forme de transcriptions de musique vocale. L’utilisation de « tablatures », système d’écriture emprunté aux organistes facilitant la lecture, se généralise et contribue à un essor rapide de l’instrument, qui jouit bientôt d’une faveur considérable et donne naissance à de très importantes écoles nationales en Italie, en France, en Allemagne, en Pologne, en Angleterre et aux Pays-Bas. Parmi d’innombrables noms se distinguent ceux de Francesco da Milano (1497-1543), Albert de Rippe (v. 1500-1551), Hans Newsidler (v. 15081563), Adrian Le Roy (v. 1520-1598), etc. L’instrument compte bientôt un minimum de 9 cordes, groupées en 5 « choeurs », nombre qui est souvent porté à 13 ou 14. L’accord le plus usité est alors appelé le « vieil ton », il utilise 11 cordes formant deux groupes de quartes séparées par une tierce majeure : sol, do, fa, la, ré, sol. Mais cet accord fera souvent l’objet de modifications, soit par l’adjonction de cordes supplémentaires, soit selon le ton du morceau à interpréter. On assiste aussi à l’apparition de luths de diverses dimensions, le « dessus de luth » ou « luth soprano », le « luth alto », le « luth ténor », et le « luth basse ». Des instruments dérivés directement du luth sont également utilisés, comme l’« archiluth », le « luth théorbé », le « théorbe », la « chitarrone », etc. Tous ont finalement pour objet d’élargir la tessiture pour mieux répondre aux besoins de plus en plus variés. Au XVIIe siècle, le luth subit peu de modifications hormis l’augmentation du nombre de cordes, et son usage continue de se répandre en Angleterre, avec Thomas Morley (1557-1602), John Dowland (1562-1626), Thomas Mace (1612 ou 16131706), en Allemagne, avec Reussner (16361679) et le Comte Logi (1638-1721), et en France, grâce à Besard, Francisque, Gaultier, etc. Mais son déclin va bientôt arriver en Italie, en Pologne, aux Pays-Bas, vers la fin du XVIIe siècle, ainsi qu’en France, où le luth disparaît totalement dans les premières années du XVIIIe. Seule l’Allemagne jouit encore du privilège d’héberger des luthistes à l’époque baroque, et non des moindres puisque l’on compte

parmi eux le célèbre Sylvius Leopold Weiss (1686-1750), qui nous laisse de magnifiques suites, écrites pour un luth à 13 « choeurs ». J.-S. Bach, lui-même, ne dédaigne pas de s’y intéresser et nous lui devons 4 suites, 2 préludes et 2 fugues pour luth, de même que Joseph Haydn, dont on connaît les Cassations pour luth obligé et trio à cordes. downloadModeText.vue.download 604 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 598 Mais, ne répondant plus aux besoins des compositeurs, l’instrument tombe en désuétude en Allemagne à la fin du XVIIIe siècle, malgré l’importance considérable qu’il a eue sur trois cents ans de musique. On assiste, depuis 1960, à plusieurs tentatives pour faire revivre le luth, de la part de guitaristes comme Julian Bream, Konrad Ragossnig, Aaron Skittri, Guy Robert, qui, tentés par l’importance du répertoire, et désireux d’authenticité, se sont mis à l’étude de sa technique sur des instruments restaurés ou copiés de l’ancien, et les recherches actives sur les anciennes tablatures permettent chaque jour la redécouverte de chefs-d’oeuvre oubliés. LUTHÉAL. Instrument, ou plutôt accessoire instrumental du piano à queue, dont le brevet est dû au Belge Georges Cloetens et utilisé par Ravel pour la création de Tzigane le 15 octobre 1924. Le dispositif du luthéal adapté à l’intérieur d’un piano de concert permet, au moyen de 4 boutons de commande, d’obtenir des sonorités nouvelles, des hauteurs variables et d’imiter d’autres instruments à l’instar des jeux d’orgues. Pour Tzigane, Ravel voulait obtenir, grâce à lui, des sonorités semblables à celles du cymbalum. Dans l’Enfant et les sortilèges (1925), le luthéal permet au piano de sonner comme un clavecin. LUTHER (Martin), réformateur, poète et musicien allemand (Eisleben 1483 - id. 1546). L’oeuvre de Luther intéresse la musique à plusieurs titres. D’abord, en ce qu’il a

organisé un culte largement fondé sur la parole et la musique communautaire, instituant notamment une messe allemande, qui fournira un schéma à de très nombreux compositeurs du monde protestant. Ensuite, en ce qu’il a, lui-même, écrit et composé des cantiques spirituels, et suscité une importante floraison de compositeurs, établissant ainsi un répertoire de thèmes de chorals, qui allaient servir de matériau thématique aux musiciens. Enfin, en ce que son mouvement de pensée sera déterminant sur la musique allemande, même non religieuse, et sur le rôle et l’importance de la musique dans la culture et la civilisation germaniques jusqu’à nos jours. Ses études, notamment à Eisenach, la future patrie de Jean-Sébastien Bach, font une large part à la musique, à laquelle il s’adonne durant sa jeunesse et qu’il ne cessera de pratiquer toute sa vie avec délectation. Entré dans les ordres, érudit professeur, « docteur en la sainte Écriture », par sa contestation de l’état présent de la foi et de l’église, Luther attire de nombreux sympathisants. Cette contestation se concrétise par les 95 Thèses de Wittenberg, véritable point de départ de la Réforme. Celles-ci lui valent, en 1520, l’excommunication, et la mise au ban de l’Empire en 1521. L’une de ses principales tâches sera désormais d’organiser la nouvelle communauté religieuse et civile qui se rallie massivement à ses idées et à sa pratique de la foi. Dès 1523, il publie De l’ordre du service divin dans la communauté et Formula missae et communionis, écrits qui affirment, entre autres, deux préceptes essentiels pour la musique religieuse : le service divin est centré sur le sermon, exégèse des textes sacrés, et le culte requiert la participation de la collectivité des fidèles par le chant. De ce type d’organisation cultuelle, on trouve la trace précise dans les cantates de Bach, qui en observent très rigoureusement l’ordonnance. En 1524, l’Épître aux Rathsherren propose un schéma décisif d’organisation de la vie cultuelle. Au temple, la communauté doit manifester sa participation active par le chant, soutenu à l’orgue. Puissant exercice respiratoire, le chant mène le fidèle à un état d’équilibre intérieur propice à la réception de la parole divine et de l’enseignement religieux. D’autre part, à la maison, la cellule familiale, microcosme de la communauté paroissiale, traduira sa piété par le chant

quotidien des cantiques. Pour Luther, profondément musicien, la musique agit comme un exorcisme. Elle est la médiatrice entre l’homme et Dieu ; elle met l’individu en communication directe avec le surnaturel : une idée qui va rencontrer la sensibilité germanique et s’y ancrer profondément, jusque dans son inconscient collectif, au point de lui devenir consubstantielle pendant des siècles. Pour doter les fidèles de la religion réformée d’un corpus de cantiques, Luther se met lui-même à l’oeuvre, écrivant les textes et les mélodies de chorals - il en composera en tout 36, dont le fameux Eine feste Burg ist unser Gott (« Une citadelle est notre Dieu »). Ne pouvant, seul, faire face à cette tâche considérable, il s’entoure de poètes et de musiciens, qui constituent peu à peu, sous ses directives, un vaste ensemble, dont l’élaboration se poursuit au long de la vie de Luther et après sa mort, empruntant notamment certaines mélodies au psautier huguenot français. Tous les motifs mélodiques des chorals ne sont, en effet, pas originaux. Nombre d’entre eux proviennent d’hymnes antérieures ou de chants médiévaux, sacrés ou profanes, auxquels de nouvelles paroles, en langue populaire et non en latin, sont adaptées. Mais, chaque fois, Luther et ses collaborateurs (ou leurs successeurs) modifient ces mélodies, quand ils n’en créent pas eux-mêmes, en leur donnant une carrure franche et bien découpée, résolument strophique, aux respirations régulières. Le premier des recueils de cantiques luthériens est le Geistliches Gesangbüchlein (« Petit Livre de chant spirituel »), publié en 1524 par Johann Walter (1496-1570), avec une préface de Luther, et contenant, entre autres, des poèmes et des chorals de Luther lui-même. Luther préfacera encore de la même façon des recueils de chorals postérieurs, en 1528, 1538, 1542 et 1545. En 1525, Johann Walter et Konrad Rupsch (ou Rupff) travaillent avec Luther à mettre au point des genres et des textes musicaux devant composer la messe allemande. Le fruit de ces travaux est consigné dans un ouvrage du réformateur daté de 1526, Messe allemande et ordre du service divin présentés à Wittenberg. Luther reviendra sur les questions musicales à bien d’autres reprises, à travers de nombreux écrits, notamment la Lettre à Ludwig Senfl (1530). Senfl est, en effet, l’un des principaux compositeurs luthériens de la première génération,

avant Hans Leo Hassler, Melchior Franck et Praetorius. Luther meurt en 1546, un an après la convocation du concile de Trente, qui aura, lui aussi, et sans doute sous son influence, à s’occuper de musique (cf. le pape Marcel II, en 1555). Mais recueils de chant et psautiers continuent à se constituer : Psautier Lobwasser (1565), Psautier Wolkenstein (1580), Psautier Osiander (1586). Ainsi se trouve rigoureusement réalisée une liturgie musicale fondée sur des thèmes bien connus de tous et très régulièrement pratiqués. Les compositeurs - Schütz, Buxtehude ou Bach, pour les plus célèbres -, qui les utiliseront dans leurs pièces polyphoniques, pour les voix ou pour l’orgue, ne le feront qu’en pensant précisément aux textes implicites qu’ils sous-tendent, et auxquels chaque croyant de la religion réformée peut mentalement associer les paroles qu’il a l’habitude de chanter, avec tout leur jeu de connotations spirituelles. Il n’y aura jamais, dans le monde luthérien, de citation musicale gratuite d’un thème de choral, mais toujours allusion précise à un texte de commentaire ou de réflexion religieux. Luther a mis au point une forme exemplaire de participation de la communauté au culte divin dont pourraient très utilement s’inspirer aujourd’hui ceux qui cherchent à réformer le chant religieux catholique. LUTHERIE, LUTHIER. À l’origine, le luthier est le faiseur de luths. Après le déclin de cet instrument, la signification du mot s’élargit pour désigner le fabricant d’instruments de la famille du violon. Par extension, le terme désigne parfois le fabricant d’instruments à cordes frottées ou pincées comportant un manche. La plus célèbre école italienne de lutherie est celle de Crémone (avec les Amati, les Stradivari, les Guarneri, C. Bergonzi et L. Guadagnini), à côté de laquelle il faut citer celles de Brescia downloadModeText.vue.download 605 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 599 (Gasparo da Salò, G. P. et P. S. Maggini), de Venise (Fr. Gobetti, D. Montagnana et Serafino Santo), de Naples (N. et G. Gagliano), de Milan (P. et G. Mantegatia, C. A. Testore), de Bologne (L. Mahler), de Turin (G. Fr. Pressenda) et de Rome

(D. Tecchler). L’école française est représentée, notamment, par J. Boquay, N. Lupot, J. Fr. Aldric et A. S. Ph. Bernardel à Paris, J. B. Vuillaume à Mirecourt, puis à Paris ; l’école anglaise par B. Banks à Salisbury ; l’école allemande par les Klotz à Mittenwald ; l’école autrichienne par J. Stainer à Absam, les Stadlmann, les Thir et Fr. Geissenhof à Vienne. Aux XIXe et XXe siècles furent créées des écoles de luthiers : celles de Markneukirchen, Mittenwald, Crémone et Mirecourt sont parmi les plus connues. Le luthier doit savoir réparer un instrument ancien, le recoller, le rebarrer, en rectifier les proportions ; il doit aussi savoir fabriquer un instrument neuf, sélectionner les bois et construire toutes les pièces à partir de modèles. Il se sert pour cela d’outils comme les rabots en fer, les ciseaux, les gouges et les scies (pour creuser les voûtes du fond et de la table et sculpter la volute du manche), le compas d’épaisseur (pour mesurer les épaisseurs du fond et de la table), le fer à plier (pour donner au bois la courbure voulue) et le traçoir (pour tracer, sur le fond et la table, la rainure devant recevoir les filets). Pour terminer, il procède au vernissage de l’instrument. LUTOSLAWSKI (Witold), compositeur polonais (Varsovie 1913 - id. 1994). Il apprit le piano à Varsovie dès l’âge de six ans, le violon à treize ans, et fit ses études musicales au conservatoire de cette ville (1932-1936), auprès de Witold Maliszewski pour la composition et Jerzy Lefeld pour le piano. L’audition de la 3e Symphonie de Karol Szymanowski lui causa une impression des plus profondes. La révélation du Stravinski de la première période et du Roussel de la 3e Symphonie détermina son orientation vers la musique contemporaine. Les plus représentatives de ses partitions d’avant la Seconde Guerre mondiale restent la Sonate pour piano (1934), la Double Fugue pour orchestre (1936) et surtout les Variations symphoniques (1936-1938), où se révèle un sens inné de la forme concise et équilibrée, du raffinement harmonique et instrumental. Fait prisonnier au cours de la campagne de Pologne de 1939, il s’évada et regagna Varsovie, ville où il passa les années d’occupation à jouer du piano dans des cafés pour gagner sa vie. C’est l’époque des Variations sur un

thème de Paganini pour deux pianos et de l’ébauche de la 1re Symphonie, où ressort l’influence d’Albert Roussel. Les années 1945-1955, au cours desquelles l’activité créatrice en Pologne fut étouffée, virent le compositeur se consacrer à des oeuvres pour les écoles, les théâtres, à des pièces radiophoniques, et à des études sur le folklore polonais. De cette période datent les Mélodies populaires pour piano (1945), la Petite Suite pour orchestre (1950), le Triptyque silésien pour soprano et orchestre (1951), les Bucoliques pour piano (1952), les Danses préludes pour clarinette et petit ensemble (1955). La 1re Symphonie, terminée en 1947, fut créée en 1948. Le Concerto pour orchestre (1950-1954) montra ensuite pour la première fois de quelle ampleur de conception le compositeur était capable. Indépendant par rapport aux modes éphémères, Lutoslawski se forgea peu à peu un langage personnel, à l’opposé de tout système. Une étape importante de cette évolution fut franchie avec la Musique funèbre pour orchestre à cordes (1958), au retentissement mondial. De la même époque date le cycle, d’une exceptionnelle délicatesse de touche, des Cinq Mélodies pour voix de femmes et piano, sur des poèmes de Kazimiera Illakowicz (1956-57) : il en existe une version pour mezzo-soprano et 30 instruments. Cofondateur du festival d’automne de Varsovie, Lutoslawski est devenu viceprésident de la Société internationale de musique contemporaine, il a donné des cours de composition et a entrepris une carrière de chef d’orchestre, dirigeant principalement ses propres oeuvres et initiant les instrumentistes à son « aléatoire contrôlé ». La meilleure manière de les découvrir est d’en suivre l’évolution chonologique à la suite de la Musique funèbre, qui avait marqué l’abandon de la tonalité et l’adoption du total chromatique. Après les Trois Postludes pour orchestre (19581960), le musicien a abordé, avec les Jeux vénitiens (1961), l’écriture « aléatoire contrôlée », où la liberté de chaque instrumentiste est réduite au tempo, ce qui n’affecte en rien la forme ou la couleur de la composition. Le compositeur a déclaré avoir opté pour la technique aléatoire dans le but de restaurer le plaisir de faire de la musique, d’obtenir une musique fluide, constamment changeante, un enrichissement rythmique, l’introduction de

nuances capricieuses et la richesse d’un jeu soliste dans le cadre d’un ensemble orchestral ou vocal. De 1962-63 date le premier grand chef-d’oeuvre du maître, les Trois Poèmes d’Henri Michaux pour choeur à 20 parties réelles et ensemble instrumental. Très sensible au problème de la réceptivité de la musique par le public, ce compositeur d’une grande concision de pensée a défini comment il avait intégré son langage en des formes différentes de celles des classiques, évitant de saturer l’auditeur dès le début d’une oeuvre : « J’ai trouvé une formule, où le début d’une oeuvre est une préparation à une expérience fondamentale placée à la fin de l’oeuvre. C’est une forme consistant en une série d’épisodes, placés au commencement, enchaînés ou non, et en un seul mouvement fondamental placé à la fin de l’oeuvre. » C’est la forme des Jeux vénitiens, du Quatuor à cordes (1964) ou de la 2e Symphonie (1966-67). Celle-ci comporte une courte introduction, Hésitant, suivie d’un second mouvement très développé, Direct. La pleine maturité de son art a été atteinte avec le Livre pour orchestre (1968) et le Concerto pour violoncelle (1970), dédié à Mstislav Rostropovitch, et qui emprunte ses situations au théâtre. Des éléments sont énoncés par un instrument et un groupe d’instruments intervient, dérangeant cet instrumentiste. On peut parler d’action en musique, mais cette oeuvre dramatique ne comporte pas de programme défini. À la suite des Poèmes d’Henri Michaux, le musicien a conçu de nouvelles oeuvres vocales sur des textes français, les Paroles tissées pour ténor et orchestre d’après JeanFrançois Chabrun (1965) et les Espaces du sommeil (1975) pour baryton et orchestre, sur des poèmes de Robert Desnos, dédiés à Dietrich Fischer-Dieskau. Le choix du français lui a été dicté par son amour du chant dans cette langue et le besoin qu’il ressentait de faire appel à une langue très internationale. Lutoslawski a, en outre, composé Préludes et fugue - 7 préludes et 1 seule et vaste fugue pour 13 instruments à cordes - (1972) ; Mi-Parti (1976) et Novelette (1978-79) pour orchestre ; une Épitaphe pour hautbois et piano (1979), un Double Concerto pour hautbois, harpe et orchestre de chambre (1980), une 3e Symphonie (1983), Chain I pour orchestre de chambre (1983), Partita pour violon et piano (1984), Chain II, dialogue pour

violon et orchestre (1985), Dix-Sept Noëls polonais pour choeur de femmes, soprano et orchestre de chambre (1985), Chain III pour orchestre (1986), un Concerto pour piano (1988), Chantefleurs et Chantefables pour soprano et orchestre sur des poèmes de Robert Desnos (1991), une 4e Symphonie (1993). Membre honoraire de plusieurs académies mondiales et titulaire de nombreux prix, Lutoslawski a laissé le souvenir d’un homme délicat, affable et généreux. Comme sa musique, sa personnalité respirait la vivacité et la mobilité d’esprit. LUTYENS (Elizabeth), femme compositeur anglaise (Londres 1906 - id. 1983). Fille de l’architecte sir Edwin Lutyens, elle étudia à l’École normale à Paris (1922) et au Royal College of Music, puis revint à Paris se perfectionner dans la classe de G. Caussade au Conservatoire. À son Concerto de chambre no 1, marqué par le sérialisme (1939), succédèrent des ouvrages de tendances très diverses, dont downloadModeText.vue.download 606 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 600 les Trois Préludes symphoniques (1942), d’obédience plutôt néoromantique. Elle parvint à maturité et développa un sérialisme personnel à partir de Ô saisons, ô châteaux ! pour soprano, mandoline, guitare, harpe et cordes, d’après Rimbaud (1946), mais n’obtint vraiment la consécration que dans les années 60, en particulier avec la cantate Catena (1961), Musique pour orchestre II (1962) et III (1963), et The Valley of Hatsu-se, sur des poèmes japonais (1965). Son langage prit une nouvelle ampleur avec Essence of our Happinesses, pour choeur et orchestre (1968). Depuis, elle s’est particulièrement attachée à la musique vocale. On lui doit encore les opéras de chambre The Pit (1947) et Infidelio (1954, joué en 1973), et les opéras The Numbered (1965-1967), Time Off ? Not a Ghost of a Chance ! (1967-68) et Isis and Osiris (1969-70). Son catalogue comprend plus de 150 numéros d’opus. Parmi ses dernières oeuvres, l’air de concert Dialogo op. 142 et Diurnal pour quatuor à cordes op. 146, créés en 1981. LUZZASCHI (Luzzasco), organiste et compositeur italien (Ferrare v. 1545 - id.

1607). Élève de Cyprien de Rore, il fit toute sa carrière dans sa ville natale, au service du duc Alphonse II d’Este dès 1571. Il y apparaît comme organiste, maître de chapelle et organiste de l’Académie de la Mort. Frescobaldi fut le plus illustre de ses élèves. Luzzaschi publia de nombreux recueils : 7 livres de Madrigali a 5 voci (1571-1604), Madrigali per cantar e sonare a uno, e doi, e tre soprani (1601), des Sacrae cantiones a cinque voci (1598), des Ricercari instrumentaux dont certains perdus. Ses madrigaux pour 1 à 3 voix s’affranchissent de la polyphonie rigoureuse pour tendre vers l’air accompagné. Quant aux madrigaux à 5 voix, ils montrent un usage croissant du chromatisme pour souligner l’expression des poèmes chantés. C’est autour de Luzzaschi que se développa l’école des « chromatistes », qui devait profondément impressionner Gesualdo lorsqu’il se rendit à Ferrare pour y épouser Éléonore d’Este. LYDIEN. Terme relatif à une peuplade barbare vivant à l’est du monde grec, en Asie Mineure, et ayant donné son nom dans la musique grecque à une harmonie ou échelle, puis à un ton. À partir du IXe siècle, ce nom fut attribué au 5e mode de la musique grégorienne, et, à partir du XVIe siècle, selon les écoles, au mode de fa, de mi ou de do de la musique modale harmonique. Pour Platon, l’harmonie lydienne (dite aussi lydisti) emprunte l’échelle d’une octave enharmonique à partir du 2e degré en montant (1/4 de ton au-dessus du mi) ; elle est rejetée de la République pour son ethos relâché et propre aux buveurs. Dans le système des « tons de transposition » de cette même musique grecque ( ! DORIEN), le ton lydien est situé 2 tons plus haut que le dorien, ce qui conduit à accorder l’octave moyenne de la lyre deux tons plus bas. Le dorien prenant pour accord de cette octave les intervalles de l’octave de mi, le lydien accordera son octave moyenne selon les intervalles de l’octave de do, ce qui a amené l’école de Westphal-Gevaert à considérer à tort le lydien comme un « mode de do ». Au IXe siècle, la confusion opérée par l’Alia musica, entre tons grecs et modes grégoriens, fit considérer

le lydien, 3e de la nomenclature topique de Boèce, comme l’authente du 3e ton couplé ou tritus, soit 5e ton de la nomenclature simple ; ce 5e ton ayant fa pour finale (avec ou sans triton selon les cas), on donna plus tard au mode de fa sans altération (donc avec triton obligé) le nom de lydien. C’est encore dans ce sens que l’emploie Beethoven dans son 15e Quatuor. Enfin Zarlino, dans sa « réforme » de 1573, assigna au lydien le rôle de mode de mi ; il fut suivi par Mersenne, Jean-Jacques Rousseau et quelques autres, mais son système ne fut guère généralisé. LYMPANI (Moura), pianiste anglaise (Saltash 1916). Enfant prodige, elle est l’élève de Paul Weingarten à Vienne. En 1938, elle remporte le second prix du concours Ysaÿe de Bruxelles. Elle inscrit soixante concertos à son répertoire, et devient progressivement la championne des musiciens anglais contemporains. Elle joue beaucoup les oeuvres de Britten et de Delius, ainsi que celles de Khatchaturian. En 1948, elle fait ses débuts à New York. À partir de 1950, sa carrière se déroule surtout dans le monde anglophone, y compris en Australie. LYRA-VIOL (de l’angl.). Petite basse de viole qui diffère peu de la basse de viole usuelle. L’instrument fut populaire en Angleterre au XVIIe siècle. John Payford (A Brief Introduction to Music, 1667) précise qu’elle était la plus petite des trois basses de viole (Consort bass, division viol, lyra-viol), donc plus facile à manier. C’est la manière de jouer (lyra way) qui semble avoir été caractéristique, puisque sa musique fait souvent appel au jeu en accords. En même temps se développent plusieurs façons d’accorder les 6 cordes de l’instrument. Son répertoire considérable (J. Coprario, J. Jenkins, W. Lawes, C. Simpson, etc.) se destinait tout aussi bien à la basse de viole classique. LYRE. Instrument archaïque à cordes pincées, dont notre civilisation gréco-latine, qui l’associe au dieu Apollon, a fait le symbole même de la musique. Sa forme, trop classique pour qu’il soit besoin de la décrire, découle vraisembla-

blement des matériaux primitivement employés à sa construction : carapace de tortue en guise de caisse de résonance et paire de cornes servant de montants. L’étendue de la lyre était évidemment limitée par le fait qu’elle ne pouvait recevoir que quelques cordes d’égale longueur, dont la hauteur de son n’était déterminée que par leur tension. Aussi a-t-elle été supplantée par la harpe, dont la disposition asymétrique permettait l’emploi de cordes plus nombreuses, longues dans le grave et courtes dans l’aigu. L’instrument ancien appelé en Italie lira da braccio n’avait en fait rien de commun avec une lyre, puisqu’il comportait une touche et se jouait de la même façon qu’une guitare. De même, la « guitare-lyre » du XIXe siècle n’est qu’une guitare avec une caisse développée en forme de lyre. LYSY (Alberto), violoniste et chef d’orchestre argentin (Buenos Aires 1935). En 1955, il rencontre Yehudi Menuhin, qui devient son professeur et dont il restera l’un des plus proches collaborateurs. En 1961, il fait ses débuts de soliste à New York, et en 1966 fonde l’Academia Interamericana à Buenos Aires. Dans son pays natal, il s’efforce de diffuser le répertoire classique en enseignant, et en fondant l’orchestre de chambre Camerata Bariloche. En 1962, il crée le Concerto pour deux violons de Malcolm Arnold avec Yehudi Menuhin. Ce dernier l’invite régulièrement au Festival de Bath, le nomme professeur dans son école de violon et directeur de l’Académie internationale Menuhin. En 1977, il crée à Gstaad, en Suisse, la Camerata Lysy. downloadModeText.vue.download 607 sur 1085

MAAZEL (Lorin), chef d’orchestre et violoniste américain (Neuilly 1930). Il commence l’étude du piano et du violon à l’âge de cinq ans. Ses parents, musiciens originaires de Los Angeles, s’installent à Pittsburgh en 1938, et, dès 1939, il dirige en public à New York et à l’Hollywood Bowl. En 1941, Toscanini l’invite à diriger l’orchestre de la N. B. C. Après avoir terminé des études de mathématiques et de philosophie à l’université de Pittsburgh et s’être produit quelque temps comme violoniste, il est nommé chef de l’orchestre symphonique de Pittsburgh (1949), et, en 1951, obtient une bourse pour aller

étudier en Italie la musique baroque. À la même époque, il commence à diriger les grands orchestres européens : il est le plus jeune chef et le premier Américain à diriger, en 1960, au festival de Bayreuth (Lohengrin). Invité à Salzbourg (1963), il donne en 1968, à Berlin, la première mondiale de l’Ulisse de Dallapiccola. De 1965 à 1975, il est directeur musical de l’orchestre de Radio Berlin. Codirecteur, avec Otto Klemperer, du New Philharmonia Orchestra de Londres de 1970 à 1972, il succède, dès 1972, à George Szell comme chef et directeur artistique de l’orchestre de Cleveland. En 1977, il est nommé chef principal de l’Orchestre national de France, auquel il reste attaché jusqu’en 1990. De 1988 à 1996, il a été directeur musical de l’Orchestre de Pittsburgh. Il a pris en 1993 la direction de l’Orchestre symphonique de la Radio bavaroise à Munich. C’est lui qui enregistre, en juillet 1978, Don Giovanni de Mozart pour le film de Joseph Losey. M MACDOWELL (Edward), compositeur et pianiste américain d’origine écossaise (New York 1861 - id. 1908). Il fit ses études à Paris (Savard et Marmontel) et à Francfort (Joachim Raff). Il débuta comme professeur à Darmstadt en 1881. Sur le conseil de Liszt, il se consacra à la composition dès son retour aux ÉtatsUnis. Les deux concertos pour piano et orchestre écrits pendant ses années d’études l’avaient déjà rendu célèbre et c’est également au piano qu’il confia alors ses quatre sonates (sous-titrées The Tragica [1893], The Eroica [1895], the Norse [1900] et The Keltic [1901]), ses douze études de virtuosité, son étude de concert et les Woodland Sketches (1896), pièces très romantiques d’inspiration et d’écriture où sa sympathie pour Grieg se révèle fréquemment, à côté d’autres influences telles que celles de Wagner, Liszt ou Mendelssohn. Nommé professeur à l’université de Columbia, il concilia pendant huit ans les obligations de sa charge avec la composition de son oeuvre, manifestant un grand intérêt pour la musique populaire et spécialement les thèmes indiens que lui avait révélés Théodore Baker. Sa deuxième suite d’orchestre, dite Suite indienne (1895), en utilise plusieurs.

MacDowell ne cessa de protester contre les idées de Dvořák en affirmant qu’il ne suffit pas d’arranger un thème populaire pour le baptiser musique américaine. Et, dans une déclaration souvent reproduite, il ajoutait : « Ce que nous devons chercher à exprimer, c’est la vitalité, la jeunesse, l’optimisme et la ténacité d’esprit qui caractérisent l’homme américain. » Son nom est fréquemment cité comme celui du premier compositeur américain digne de participer au concert universel. MACE (Thomas), luthiste anglais (Cambridge v. 1613 - ? v. 1706). Il est l’auteur d’un important ouvrage, le Musick’s Monument (1676), qui traite à la fois de l’enseignement du luth, de la composition et de la musique en général, et constitue un précieux document sur les problèmes musicaux de l’époque. Chantre au Trinity College de Cambridge, il inventa plusieurs instruments de musique incongrus, dont un luth à 50 cordes, le « dyphone ». MÁCHA (Otmar), compositeur tchèque (Ostrava 1922). Il est l’élève de F.-M. Hradil au conservatoire (1943-1945), puis de J. Řídký à l’Académie de musique et d’art dramatique de Prague (1945-1948). Il est nommé au service des émissions musicales de la Radio tchécoslovaque (1945-1955). Artiste austère et réfléchi, il écrit peu, si ce n’est des chansons, contes, ballades et choeurs d’enfants, qui montrent sa nature profondément lyrique. Après une première série d’oeuvres lumineuses et concises telles que ses Sonates pour violoncelle (1949), pour violon (1948), ou les Danses de Moravie septentrionale (Kopaničářské tance, 1950), son style atteint dès 1960 une extrême concentration, un dépouillement grandiose, proche de Berg. Mácha n’utilise le legs de l’école de Vienne qu’avec économie, bâtissant fréquemment ses oeuvres sur un seul motif dont le traitement harmonique et mélodique est fort riche. Ainsi, dans son poème symphonique Nuit et Espoir (Noc a naděje, 1959), ses Quatre Monologues de 1966, les Variations de 1968. De ses oeuvres se dégage une impression de puissance, de profonde humanité. Il est l’un des représentants les plus intéressants de l’école tchèque actuelle. downloadModeText.vue.download 608 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 602 MACHABEY (Armand), musicologue français (Pont-de-Roide 1886 - Paris 1966). Élève de Vincent d’Indy et d’André Pirro, il soutint en Sorbonne, en 1928, une thèse de doctorat sur l’histoire et l’évolution des formules musicales au Moyen Âge. Ses travaux sur Guillaume de Machault (2 vol., 1955) font autorité. Il s’est attaché à définir le champ et les méthodes de la musicologie. Ses ouvrages sont un exemple de la rigueur scientifique qu’il exige des adeptes de cette discipline. MACHAUT ou MACHAULT (Guillaume de), compositeur, poète et chroniqueur français (Reims ? v. 1300 - Reims ? v. 1377). Il est considéré comme le plus grand représentant en France du courant de l’Ars nova (théorisé par Philippe de Vitry). On le rapproche souvent à ce titre de son contemporain, l’Italien Francesco Landini (1325-1397), vivant à Florence. On pense qu’il étudia la théologie, à Paris probablement, après quoi il reçut le titre de « magister ». Il entra vers 1323 au service de Jean Ier de Luxembourg, dit l’Aveugle, roi de Bohême (1310-1346), qu’il accompagna comme « secretarius » durant ses nombreuses campagnes militaires en Europe (Silésie, Flandre, Lituanie - siège de Znaïm -, Russie, Italie, etc.). À partir de 1330, il reçut, comme son frère Jean, diverses charges de chanoine : à Verdun (1330), à Arras (1332), à Reims (1333), et de nouveau définitivement à Reims (1337), ville où on suppose qu’il se fixa dans ses dernières années, menant une vie plus paisible. Il resta cependant secrétaire de Jean de Luxembourg, devenu aveugle, jusqu’à la mort de ce dernier à la bataille de Crécy (1346), après quoi il entra au service de sa fille Bonne de Luxembourg, épouse de Jean II le Bon et mère de Charles V le Sage. Il fut également employé auprès de Charles, roi de Navarre, dit le Mauvais, du roi Charles V et du duc de Berry. Il acquit une grande réputation comme poète et musicien, publiant diverses chroniques et des recueils poétiques (le Dit du Vergier, oeuvre de jeunesse, Confort d’ami, 1357, dédié à Charles de Navarre,

Fontaine amoureuse, 1360-1362, dédiée à Jean, duc de Berry, et le Remède de Fortune, long poème narratif et allégorique contenant diverses petites pièces lyriques avec leur musique, lais, ballades, rondeau, complainte). Vers la fin de sa vie, à l’âge de soixante ans, il vécut une passion amoureuse avec une jeune fille d’une vingtaine d’années, Péronne d’Armentières, attirée (dit-il) par sa réputation et sa valeur d’artiste. Il allait faire de cette histoire un livre, le Veoir dict (« dit de vérité ») écrit entre 1362 et 1365, et contenant des lettres de leur correspondance intime et un long poème. « Toutes mes choses ont été faites de votre sentement, et pour vous especialement », écrivit-il à Péronne. L’oeuvre, considérée comme complète, de Machaut musicien nous est parvenue à travers une trentaine de manuscrits : elle est surtout composée de chansons profanes sur des thèmes amoureux (virelais, rondeaux) et, cependant, c’est son unique messe, la Messe de Notre-Dame (1349 ?-1364 ?), qui assure aujourd’hui sa célébrité au-delà du cercle des mélomanes connaisseurs et des professionnels. On a longtemps cru que cette messe à quatre voix (avec accompagnement instrumental par doublure des parties, pour certains mouvements) avait été écrite pour le sacre de Charles V, en 1364. Il est à peu près établi, aujourd’hui, que ce ne fut pas le cas, et certains pensent qu’il a pu l’écrire pour qu’elle soit jouée plus tard à sa propre mémoire et à celle de son frère. Cette messe comprend les 6 mouvements de l’ordinaire : Ite missa est, Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus, Agnus. Le Gloria et le Credo adoptent la forme du conduit avec une « teneur » librement inventée, tandis que les autres mouvements sont conçus comme des motets isorythmiques. À tort ou à raison, elle est considérée comme la première messe polyphonique de l’histoire de la musique occidentale, conçue comme un tout par son auteur, avec une unité organique créée par le retour de certains motifs rythmiques - mais pour en décider, il faudrait avoir conservé tout le répertoire de l’époque, ce qui n’est pas le cas. On la rapproche parfois, à ce titre, de la Messe de Tournai, 1323, oeuvre anonyme qui est une compilation d’éléments divers par un copiste. En tout cas, la vie rythmique et la générosité ornementale de cette oeuvre lui valent encore un certain succès.

Parmi ses 23 Motets, en majorité profanes, 17 ont un texte français et 6 un texte latin, qui chante souvent les bienfaits de la paix. Mais pour la plupart ils abordent des thèmes d’amour courtois et ils comprennent généralement, selon le modèle du motet isorythmique fixé par Philippe de Vitry, une voix principale chantée et ornementée, soutenue par deux ou trois voix d’accompagnement instrumental. Certains sont bilingues et comportent, aux deux voix supérieures, deux textes différents. Les 42 Ballades, la plupart avec une partie chantée et une ou deux parties instrumentales (jouables par l’orgue, la cornemuse, ou d’autres instruments ad libitum), traitent également de thèmes courtois. Parmi ses 22 Rondeaux, à deux, trois ou quatre voix (également du type « mélodie accompagnée », sur un sujet amoureux, mais plus léger), le rondeau Ma fin est mon commencement est devenu spécialement célèbre comme exercice d’écriture rhétorique : il s’agit d’un « canon à l’écrevisse » qui, comme son titre l’indique, fait se répondre deux voix dont l’une reproduit l’autre, lue de la dernière à la première note, comme dans un miroir, et qui de surcroît est chanté sur un texte livrant la clef du rébus - comme si la musique « parlait », pour se définir elle-même dans son autosuffisance : « Ma fin est mon commencement, et mon commencement ma fin / Et teneure vraiment se rétrograde ainsi. » Cette pièce a fasciné notamment les compositeurs de l’école française postwebernienne, qui y trouvaient une sorte de modèle dans le passé, légitimant leurs propres recherches abstraites. Du reste, si Machaut fut souvent joué et cité dans des associations de musique contemporaine comme le Domaine musical de Pierre Boulez, à titre de grand ancêtre, c’est en vertu de cette assimilation qui faisait des compositeurs modernes se « reconnaître » dans la démarche de l’Ars nova. Les 33 Virelais et les 19 Lais, pièces monodiques syllabiques dont le texte, comme pour les autres pièces, est de Machaut, dérivent de chansons à danser, toujours sur des thèmes amoureux. Les lais sont des pièces assez développées, en douze strophes ou paires de strophes. On a également de Machaut une complainte monodique, « Tel rit au matin qui soir », et une Chanson royale, « Joie plaisance et douce norriture », toutes deux insérées, avec leur musique, dans le recueil poétique du Re-

mède de Fortune ; ainsi qu’une pièce isolée, vraisemblablement instrumentale, à trois voix, le Hoquet David, ainsi nommée parce qu’elle utilise le mélisme « David », et qui témoigne de la survivance de la forme déjà en désuétude du « hoquet ». Selon certains musicologues, Guillaume de Machaut aurait cherché dans certaines de ses pièces lyriques et poétiques, de sujet profane, à introduire la polyphonie et l’écriture savante, et ce compositeur demeure, aux origines de l’histoire de la musique occidentale, comme une figure de chercheur, une sorte de Christophe Colomb de la polyphonie classique. Son oeuvre est considérée comme un pivot dans la naissance (mystérieuse) d’une conscience verticale de la musique, non seulement comme superposition de lignes, mais aussi comme succession de blocs harmoniques. L’Ars nova, certes, apportait l’usage des intervalles de tierce et de sixte pour enrichir les combinaisons harmoniques, mais les intervalles de quinte et d’octave dominent encore dans son oeuvre. Selon Jacques Chailley, « c’est peut-être la première fois dans l’histoire de la musique que l’on se trouve devant de véritables suites d’accords se présentant aussi nettement comme un bloc harmonique, et non plus comme résultante occasionnelle de lignes de contrepoint ». Peut-être la recherche d’ornementation favorise-t-elle ici la variété des rencontres harmoniques. Le souci de réaffirmer de temps en temps (pour éviter la dispersion downloadModeText.vue.download 609 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 603 du sentiment tonal) un accord à la stabilité prononcée est peut-être à l’origine de cette phrase musicale ponctuée, phrasée, découpée par ce que Pierre Boulez appelle des « clausules harmoniques ». L’usage abondant des syncopes et d’une certaine variété rythmique, dans une oeuvre polyphonique comme la Messe de Notre-Dame, produit une espèce de fourmillement de petites durées, vivant et sans martèlement, sans pesanteur, qui là encore a séduit les musiciens français sériels, dans l’après-guerre, redonnant à cette ancienne musique une jeunesse nouvelle - quoique fondée sur l’inévitable malentendu qui fait entendre le passé avec les références du

présent. MÂCHE (François-Bernard), compositeur français (Clermont-Ferrand 1935). Après avoir obtenu des prix de piano (1951) et d’harmonie (1952) au conservatoire de sa ville natale, il entra à l’École normale supérieure (1955) et obtint son agrégation ès lettres (1958). La même année, il entra au Groupe de recherches musicales de Pierre Schaeffer, où il devait rester jusqu’en 1963, et au Conservatoire de Paris, où il travailla avec Olivier Messiaen. À partir de 1959, il participa à la réalisation des premiers films expérimentaux du Service de la recherche, et, en 1960, obtint le prix de philosophie de la musique dans la classe d’O. Messiaen. Il fut successivement professeur de lettres à Chartres (1962), à Neuilly-sur-Seine (1963) et en classes terminales et préparatoires au lycée Louis-le-Grand à Paris (depuis 1968). Chroniqueur musical à la Nouvelle Revue française (à partir de 1969), il effectua un voyage dans le sud-est asiatique, en particulier à Java et à Bali, en 1972, et a obtenu un doctorat d’État (en esthétique) en 1980. Opposé par tempérament aux courants postsériels, présentés comme des « combinaisons très complexes, sans rapports au réel », il s’attache à des données purement sensorielles, utilisant d’une part des langues inconnues de lui, considérées comme des matériaux purement sonores, et d’autre part des sons/bruits enregistrés à l’état brut, sans aucune manipulation. Il n’en reconnaît pas moins l’apport considérable de la musique concrète, « intrusion de sons mal élevés... qui n’avaient pas droit de cité ». On lui doit notamment Duo pour violon et piano, première oeuvre de lui jouée au concert (1957) ; Prélude pour 3 pistes magnétiques (1959) et Lanterne magique pour 2 pistes magnétiques (1959) ; Safous Mélé, cantate pour 9 instruments, choeur de voix de femmes et voix d’alto (1959) ; la Peau du silence pour orchestre, commande du Service de la recherche (première version 1961-62 pour 30 exécutants, deuxième version 1964-1966 pour 110 exécutants, troisième version 1970 pour 83 exécutants) ; le Son d’une voix pour 16 instruments (1964) ; Nuit blanche pour 2 pistes magnétiques et récitant sur un texte d’Antonin Artaud (1966) ; Répliques, expérience orchestrale avec participation du public muni d’appeaux (1969, création la même année au festival de Royan) ; Rituel

d’oubli pour 20 instruments et 2 pistes magnétiques (1969) ; Danaé pour 12 voix mixtes et 1 percussionniste (1970) ; Kemit pour darbouka ou zarb solo (1970, création au festival de Royan de 1973) ; Agiba pour 2 pistes magnétiques (1971) ; Rambaramb pour orchestre, piano solo et bande magnétique (1972) ; Temes Nevinbür pour 2 pianos, 2 percussions et 2 pistes magnétiques (1973, création la même année au festival de Royan) ; Naluan pour 8 instruments et 2 pistes magnétiques (1974) ; le Jonc à trois glumes pour orchestre (1974) ; Marae pour 6 percussions et 2 pistes magnétiques (1974) ; Solstice pour clavecin et orgue positif (1975) ; Da Capo, oeuvre de théâtre musical créée au festival d’Avignon de 1976 ; Kassandra pour orchestre et bande magnétique (1977) ; les Mangeurs d’ombre, oeuvre de théâtre musical (1979) ; Aera pour 6 percussions (1979) ; Amorgos pour 12 instruments et bande magnétique (1979) ; Andromède pour double choeur, 3 pianos et orchestre (1979, créé en 1980) ; Temboctou, oeuvre-spectacle créée en 1982 ; Eridan pour quatuor à cordes (créé à Radio France en 1987), Cassiopée pour choeur mixte et 2 percussions (1988), Khnoum pour percussion (1990), Athanor pour dix instruments (1991). MACKERRAS (Charles), chef d’orchestre anglais d’origine australienne (Schenectady, New York, 1925). Il fit ses études musicales au New South Wales Conservatorium de Sydney, puis, avec Václav Talich, à l’Académie de musique de Prague, où régnait la musique slave, Janáček en particulier. Hautbois solo de l’orchestre symphonique de Sydney (1945-46), chef d’orchestre au Sadler’s Wells Opera de Londres (1948-1954), il dirigea la première britannique de Katia Kabanová de Janáček (1951). Premier chef d’orchestre du B.B.C. Concert Orchestra (1954-1956) et premier chef d’orchestre de l’Opéra de Hambourg (1966-1970), il devint directeur musical du Sadler’s Wells Opera (actuellement l’English National Opera) de 1970 à 1977. Depuis, il est chef invité du B.B.C. Symphony Orchestra et dirige régulièrement les grands orchestres américains. C’est un spécialiste reconnu de Janáček, dont il a dirigé et enregistré plusieurs opéras dans leur version originale. MACONCHY (Elisabeth), femme compositeur anglaise (Broxbourne 1907 -

Norwich 1994). Elle fit ses études à Dublin, puis à Londres (Vaughan Williams), Prague (Blumenthal), Vienne et Paris. Sous l’influence des différents courants d’Europe centrale, elle s’est créé un style personnel, à intonations expressionnistes, et d’une grande densité, principalement dans sa musique instrumentale. Elle est surtout connue par ses opéras en 1 acte (The Sofa [1956-57], The Departure [1960-61], The Birds [1967-68], The Three Strangers [1958-1967]), mais elle a écrit une oeuvre importante dans laquelle on trouve des pages symphoniques (deux symphonies, des concertos pour alto, clarinette, piano, basson, des suites, variations), des ballets (Great Agripa, The Little Red Shoes, Puck Fair), des quatuors à cordes et d’autres pages de musique de chambre, des choeurs en grand nombre (A Christmas Morning, Samson and the Gates of Gaza, motets) et des mélodies. MAÇONNIQUE (musique). Fondée en Angleterre, au début du XVIIIe siècle, sur des bases philosophiques de fraternité humanitaire qui n’ont évolué que tardivement, et dans certains pays seulement (en France notamment), vers l’activité politique et l’anticléricalisme, la franc-maçonnerie a connu sans tarder un tel développement dans toute l’Europe qu’il est devenu impossible de continuer, comme on en avait pris l’habitude, à la passer sous silence dans les histoires de la musique. Presque tous les grands compositeurs du XVIIIe siècle (Rameau, Haydn, Mozart, Gluck) et du XIXe (Beethoven, Schubert, Liszt, Wagner) ont été soit francs-maçons, soit influencés par les idées maçonniques. On en trouve de nombreux échos dans leur oeuvre, soit en gros plan (la Flûte enchantée, Parsifal), soit plus discrètement (la Création de Haydn, certains quatuors de Beethoven, le Voyage d’hiver de Schubert). En outre, plusieurs d’entre eux, et notamment Mozart, ont écrit pour les cérémonies de loge des musiques de circonstance (cantates, marches, musiques funèbres, etc.) reconnaissables à leur style et à leur composition instrumentale, riche en instruments à vent et surtout à anches (clarinettes, cors de basset, bassons), ces ensembles étant particulièrement employés dans les réunions de loge sous le nom de colonnes d’harmonie. Le secret qui jadis couvrait ces activités avait longtemps fait obstacle

à la connaissance de l’apport maçonnique à la musique ; sans avoir été entièrement abrogé, il est devenu aujourd’hui moins rigoureux, et permet d’en aborder une étude qui n’est encore qu’à ses débuts. downloadModeText.vue.download 610 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 604 MADEIRA (Jean), alto américaine (Centralia 1918 - Rhode Island 1972). Elle étudie d’abord le piano avec sa mère, puis le chant à la Juilliard School de New York. En 1943, elle fait ses débuts dans Martha de von Flotöw, et entre dans la troupe du San Carlo Company Touring Opera. En 1948, elle débute au Metropolitan, se distinguant particulièrement dans les rôles de Carmen et d’Amnéris. Après ses débuts européens en 1954, elle s’impose comme wagnérienne à Bayreuth de 1955 à 1967, et à Salzbourg en 1956 et 1957. Elle y incarne Waltraute, Erda et Rossweise. En 1968, elle crée Ulisse de Dallapiccola à Berlin. Elle fait ses adieux au Metropolitan en 1971. MADERNA (Bruno), compositeur et chef d’orchestre italien (Venise 1920 - Darmstadt 1973). Enfant prodige, il fut protégé par la princesse de Polignac, et, sous le nom de « Brunetto », fit sa première apparition publique à sept ans dans le concerto de Bruch. À huit ans, il dirigea à la Scala et aux arènes de Vérone. Il poursuivit ses études aux conservatoires de Milan (1935) et de Venise (1939), obtenant finalement ses diplômes de composition et de musicologie à celui de Rome (1940). Ses maîtres principaux furent Alessandro Bustini (composition) et Antonio Guarnieri (direction d’orchestre). Il étudia aussi à Venise avec Gian Francesco Malipiero, et après la guerre avec Hermann Scherchen, qui l’orienta vers la technique dodécaphonique. De 1947 à 1950, il enseigna la composition au conservatoire de Venise, comptant parmi ses élèves Luigi Nono, et, en 1950, il fut appelé par Karl Amadeus Hartmann à diriger un concert de la série Musica viva à Munich. En 1951, il se rendit pour la première fois à Darmstadt, où il enseigna régulièrement à partir de 1954. En 1955, il fonda avec Luciano

Berio le Studio de phonologie de la R. A. I. à Milan, et, de 1956 à 1960, dirigea avec lui dans cette ville les Incontri musicali, concerts consacrés à la musique contemporaine. En 1957-58, il enseigna aux cours d’été de Darlington, en Angleterre, et organisa au conservatoire de Milan un cours public sur la technique dodécaphonique. Il enseigna aussi la direction d’orchestre au Mozarteum de Salzbourg de 1967 à 1970, et dirigea en 1971-72 le Berkshire Music Center de Tanglewood. Comme chef d’orchestre, il dirigea de 1958 à 1967 l’Ensemble international de musique de chambre de Darmstadt, ville dont il fut fait citoyen d’honneur en 1970, enseigna au conservatoire de Rotterdam à partir de 1967, et, en 1971, fut nommé à la tête de l’orchestre de la R. A. I. à Milan. Outre le répertoire contemporain, il dirigea de nombreux ouvrages classiques et romantiques, dont Didon et Énée de Purcell à la Piccola Scala (1963). En 1967, sa réalisation de l’Orfeo de Monteverdi fut donnée au festival de Hollande. En avril 1973 se déclara un mal foudroyant qui devait l’emporter en quelques mois. En 1974, le prix Beethoven de la ville de Bonn lui fut attribué à titre posthume pour Aura, et, la même année, Pierre Boulez composa à sa mémoire Rituel. Depuis 1969-1970, sa production de compositeur s’était encore intensifiée, avec notamment une remarquable série d’ouvrages symphoniques. De quelques années l’aîné de Nono, de Berio, et aussi de Boulez, Maderna joua un rôle essentiel dans la naissance de l’avantgarde italienne d’après la Seconde Guerre mondiale, cela aussi bien par le rayonnement de sa personnalité que par son enseignement proprement dit. Esprit généreux et ouvert, ne reniant pas l’héritage du passé, il se mit largement, comme chef d’orchestre, au service d’autrui, et, comme compositeur, il sut, dans les années 1950, particulièrement bien montrer l’étendue et la diversité des possibilités expressives de la technique sérielle. Il fut en outre le premier à analyser John Cage à Darmstadt (1957). Contrairement à ce qu’on a affirmé parfois, il ne prit jamais (même après avoir fait de Darmstadt sa résidence principale) la nationalité allemande, mais c’est à juste titre qu’on a pu voir en lui un véritable musicien européen. Sa première phase créatrice fut celle des expériences instrumentales et élec-

troacoustiques. Il fit ses débuts officiels de compositeur en 1946 avec une Serenata pour 11 instruments restée inédite, peut-être révisée en 1954. Suivirent notamment un Concerto pour deux pianos et instruments (1948), Composizione no 1 (1949) et no 2 (1950) pour orchestre, Studi per il « Processo » di Kafka pour récitant, soprano et orchestre (1950), Improvisazione no 1 (1951) et no 2 (1953) pour orchestre. S’imposèrent encore davantage, toujours dans le domaine instrumental, un Concerto pour flûte destiné à Severino Gazzelloni (1954), le Quartetto in due tempi (quatuor à cordes, 1955), et la Serenata no 2 pour 13 instruments (1957). Ces deux dernières oeuvres surtout donnèrent à Maderna sa place spécifique dans l’avant-garde européenne de l’époque (la Serenata no 2 allie admirablement séduction et rigueur). Dans le même temps naquirent divers ouvrages électroniques comme Notturno (1955), Syntaxis (1957) et Continuo (1958), que devait suivre en 1962 la Serenata no 3, tandis que Musica su 2 dimensioni pour flûte et bande magnétique (1957) non seulement unissait aux nouvelles sources sonores un instrument traditionnel, mais faisait appel aux techniques aléatoires. Au Concerto pour piano (1959) correspond peut-être la poussée la plus extrême de Maderna vers le « modernisme ». De la même veine relève cependant Honeyrêves pour flûte et piano (1961). Les années 60 virent naître, sous le signe à la fois d’une extraordinaire veine lyrique et de la violence expressionniste, de grands ouvrages relevant soit du théâtre soit de la musique instrumentale, les deux catégories pouvant d’ailleurs se trouver en rapports étroits. Il y eut par exemple les deux premiers Concertos pour hautbois (1962 et 1967), et sur le plan théâtral l’opéra radiophonique Don Perlimplin, d’après Federico García Lorca (1961, créé à la R. A. I. le 12 août 1962), puis l’oeuvre lyrique en forme de spectacle Hyperion d’après Hölderlin (1964, créé le 6 septembre de cette même année à la biennale de Venise). Dans la mouvance d’Hyperion se situent Dimensioni III pour flûte et orchestre (1963), Aria da Hyperion pour soprano, flûte et orchestre (1964), et Stele per Diotima pour orchestre avec cadence pour solistes (1965), ces trois pièces pouvant se combiner de diverses façons entre elles et avec la cadence de flûte de Dimensioni

III pour donner Hyperion II, Hyperion III, ou Dimensioni IV. Suivirent entre autres Amanda pour orchestre de chambre (1966) et le drame radiophonique Ritratto di Erasmo (Portrait d’Érasme, 1969-70), qui valut au compositeur le prix Italia en 1970. Avec Quadrivium pour orchestre (1969) s’ouvrit la série des ultimes pages symphoniques. Outre celles-ci, Maderna composa dans ses dernières années un Concerto pour violon (1969), Serenata per un satellite, musique aléatoire (1969), Juilliard Serenade (1971), Tempo libero I, musique électronique (1971, la combinaison de cette pièce avec la précédente donnant Tempo libero II), Pièce pour Ivry pour violon seul, musique aléatoire (1971), Venetian Journal (de Boswell, 1972), Giardino religioso pour petit orchestre (1972), l’invention radiographique Ages, d’après Shakespeare (1972), Satyricon, opéra en un acte d’après Pétrone (créé au festival de Hollande en 1973), et un Troisième Concerto pour hautbois, sa dernière oeuvre (1973). Les pages symphoniques ont nom Grandes Aulodia pour flûte, hautbois et orchestre (1970), Ausstrahlung (avec voix de femme, 1971), Aura (1972), Biogramma (1972). À sa mort, Maderna avait en projet un concerto pour orchestre, violoncelle et deux pianos. MADETOJA (Leevi), compositeur et chef d’orchestre finlandais (Oulu 1887 - Helsinki 1947). Élève de J. Sibelius à Helsinki, de V. d’Indy à Paris et de R. Fuchs à Berlin, puis directeur de l’académie Sibelius, il est l’un des plus importants symphonistes finlandais de la première partie du XXe siècle, et parmi ceux-ci il représente la tendance lyrique. Son oeuvre se situe à la charnière de downloadModeText.vue.download 611 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 605 deux influences : l’appartenance au peuple ostrobothnien et son amour de la musique française. En 1913, il se fait connaître par son poème symphonique Kullervo op. 15 et, en 1915-16 et 1917-18, il acquiert le succès avec ses première et deuxième symphonies. Ses oeuvres de maturité sont ses opéras Pohjalaisia (« les Ostrobothniens »,

1923) et Juha (1934), ce dernier peut-être moins réussi que l’ouvrage composé sur le même sujet en 1922 par A. Merikanto, la troisième symphonie (1926) et le ballet pantomime Okon Fuoko (1930). À côté de son oeuvre symphonique, Madetoja a écrit de nombreuses pages de musique religieuse et parmi celles-ci Marian murhe (stabat mater, 1915) et un De Profundis (1925) ; 50 mélodies, dont le cycle Syksy, 1930-1940 (« Automne »), et autant de pièces chorales contribuent toujours aujourd’hui au rayonnement de son oeuvre. Considéré par beaucoup comme le compositeur finlandais le plus important de la génération immédiatement postérieure à celle de J. Sibelius, L. Madetoja, artiste introverti mais lyrique et imaginatif, voire puissant, souffre aujourd’hui de son appartenance au mouvement postromantique et d’avoir préféré son intégrité de pensée à une recherche du radicalisme à tout prix. MADRIGAL. Forme qui joua un rôle très important dans la musique italienne, d’abord au XIVe siècle, à l’apogée de l’Ars nova, ensuite, et sous un aspect très différent, au XVIe siècle. C’est à cette époque que le genre fut acclimaté en Angleterre où il devait devenir également très populaire auprès des musiciens élisabéthains et jacobéens. En fait, il semble que seul le nom soit commun au madrigal du XIVe siècle et à son homologue de la Renaissance. À l’origine, le mot dérive sans doute du terme cantus materialis ou matrialis, caractérisant ainsi un certain type de composition profane, par opposition au chant religieux (cantus spiritualis). LE MADRIGAL PRIMITIF. Apparu en Italie du Nord, dans la première moitié du XIVe siècle, le madrigal primitif est une sorte de court poème mis en musique, avec un ou deux vers isolés qui reviennent en guise de ritournelle sur un rythme différent. Fait de deux ou trois strophes de trois vers (endécasyllabes ou heptasyllabes), il recourt à des textes amoureux, parodiques ou allégoriques et à une polyphonie primitive où le cantus (voix supérieure) s’épanouit sur de longs mélismes au mouvement rapide et à la fonction nettement expressive, tandis

que le ténor, au mouvement plus modéré, l’accompagne et le soutient, canalisant le cours de la mélodie et l’orientant aussi vers les cadences. Essentiellement destiné à une exécution vocale, le madrigal de l’Ars nova peut également s’accommoder d’une transposition instrumentale et sa rapide diffusion dans la péninsule explique que les plus grands compositeurs du temps s’y soient intéressés : d’abord Giovanni da Cascia et Piero, puis Jacopo da Bologna et Francesco Landini, dit « l’aveugle des orgues » (cieco degli organi), sans doute le musicien le plus important de l’Italie du XIVe siècle, un créateur de la carrure de Machaut et continuateur de la manière des précédents, bien qu’il ait préféré au madrigal proprement dit les formes qui en dérivaient : caccio à trois voix et surtout ballate. LE MADRIGAL RENAISSANT. À partir du XVIe siècle, le genre connaît une nouvelle carrière avec, comme point de départ, la forme populaire de la frottola, née des chants de carnaval (canti carnascialeschi) et qui, harmonisée à trois ou quatre voix, connaît une incroyable faveur en Italie, de la fin du XVe siècle aux années 1530 (le premier recueil de frottole paraît à Venise, chez Petrucci, en 1504). En fait, le madrigal renaissant ne s’oppose pas à la frottola ni à son dérivé le strambotto (forme mélancolique de la frottola « qui se chante », comme disait une expression du temps, « chez les amoureux »), mais apparaît plutôt comme une idéalisation de ces musiques qui doivent elles-mêmes être considérées comme une saine réaction du sentiment national face aux spéculations de la musique savante, dominée en Italie par les compositeurs étrangers : Josquin Des Prés, Arcadelt, Heinrich Isaak. Au reste, les Franco-Flamands résidant en Italie - les « Allemani » comme on les appelait alors - vont vite se trouver associés à la riche floraison de l’école madrigalesque, car, dans l’enthousiasme de la nouveauté, le genre séduit tous les musiciens et le savoir-faire des Néerlandais leur permet, au début, d’y briller plus que d’autres. C’est à une revalorisation de l’élément poétique que l’on assiste d’abord, sous l’influence d’humanistes comme Pietro Bambo (ce qui implique une collaboration toujours plus étroite entre musiciens et auteurs). Le niveau des textes s’élève

rapidement et le prosaïsme - voire la vulgarité - des premières frottole est abandonné pour la meilleure des littératures, celle de Dante, Boccace, Pétrarque. À cette idéalisation de la matière poétique correspond la préoccupation des compositeurs, soucieux de transposer les jeux d’écriture de la tradition religieuse des Franco-Flamands à des fins profanes. Le premier recueil de madrigaux paraît en 1530, à Rome, chez Antico. Il s’agit des Madrigali da diversi musici, Libro Primo de la Serena, offrant des pages de Costanzo Festa et Philippe Verdelot. La musique y est encore démarquée, dans une large mesure, de la frottola, mais, en même temps, l’expression tend à être calquée sur les élans du verbe. À la suite de Verdelot, d’autres Néerlandais illustrent, nous l’avons dit, cette première école du madrigal. Ainsi Jacob Arcadelt et Adrian Willaert, tous deux passés maîtres dans le maniement de la polyphonie la plus complexe. Avec eux, le style imitatif coexiste encore avec l’homophonie chère à la frottola, mais l’écriture se fait aussi plus attentive au pouvoir du mot, à sa charge de poésie et d’émotion réunies, et laisse pressentir ce que seront les raffinements psychologiques de la dernière génération madrigalesque. Jacques de Werth, Cyprien de Rore, Roland de Lassus, Philippe de Monte, Palestrina et Ingegneri sont les chefs de file de cet âge classique et, bien que les étrangers y soient encore nombreux, le style se fait entièrement italien, investi par l’esprit de la race, usant de toutes les ressources du style hérité du motet néerlandais et cependant étroitement associé au génie de la langue, à son contenu poétique, au point que des « Allemani » comme de Rore y apparaissent aussi latins que les musiciens nationaux. À cet égard, Cyprien de Rore peut être considéré comme le véritable créateur du madrigal expressif par son souci d’unir la poésie à la liberté de la forme, au fil d’une écriture d’une étonnante mobilité, sans voix prépondérante, et où les hardiesses chromatiques vont dans le sens d’une évidente volonté de modernisme, à ceci près que ce modernisme ne nuit jamais à la spontanéité des sentiments. Si de Rore « a

mené le madrigal, vingt ans à peine après les débuts de ce genre, à une telle hauteur que bien peu de ses contemporains ont été capables de le suivre » (Nanie Bridgman), Lassus et Philippe de Monte ont atteint également dans ce répertoire des sommets, le premier surtout qui, très tôt, a ressenti l’appel irrésistible de l’Italie, accordant les expériences harmoniques les plus rares à la pleine interprétation du texte. Ses derniers madrigaux ne valent pas toutefois sa production de jeunesse, car il avait alors perdu tout contact vivant avec la culture italienne, mais dans ses meilleures pages il se montre un coloriste génial et ses trouvailles sonores témoignent d’une intuition poétique égale à son sens musical. Servi par tous ces maîtres, le madrigal devient vraiment le genre roi dans la seconde moitié du XVIe siècle. La trame de la polyphonie s’enrichit, passant de quatre voix à cinq et même six voix égales, et se resserre, quant à l’expression, d’une manière significative, multipliant les effets imitatifs et les jeux canoniques, réservés auparavant à la seule musique d’église. Ainsi, le madrigal s’éloigne de ses racines populaires downloadModeText.vue.download 612 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 606 pour devenir un genre d’une extrême subtilité, réservé aux virtuosi et vivant d’un bonheur (mélodique et harmonique) fondamentalement méditerranéen. L’ÂGE D’OR DU MADRIGAL. Apparaît alors la troisième génération, celle de la trilogie Marenzio, Gesualdo, Monteverdi, qui, à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe, coïncide avec le plein épanouissement du madrigal. L’extraordinaire fortune que connaît le genre se vérifie dans les innombrables recueils livrés à l’impression dans le même temps. Et cette apothéose consacre le triomphe des Italiens qui prennent définitivement le relais des compositeurs venus des Flandres pour écrire l’un des plus glorieux chapitres de leur histoire musicale. En toute logique, d’ailleurs, car seuls des transalpins pouvaient donner au madrigal cette couleur authentique, cette touche sensible ou émue, raffinée ou intense, qui « en font l’une des plus heureuses contributions de la nature italienne à l’art occidental »

(Nanie Bridgman). Point de rencontre des techniques du passé et du présent, comme des anticipations de l’avenir, il atteint à une rare acuité dans l’idée dramatique, mariée à une continuelle mobilité d’expression, et se montre désormais tout à fait capable de « dare spirito vivo alle parole » (« donner l’esprit même de la vie aux paroles ») et de réussir, comme le voulaient ses créateurs, la peinture des mots par le biais du symbole ou de l’image parlante. De Marenzio on peut dire qu’il est le classique du genre, préoccupé d’harmonie, d’équilibre entre forme et fond, le parfait dépositaire d’un art d’où sont exclues toute démesure, toute hardiesse gratuite. Soucieux du souffle de la vie, il se laisse aller aux procédés les plus virtuoses, mais seulement quand la « pittura delle orecchie » le commande. Avec lui, le symbolisme amoureux, caractéristique de la manière madrigalesque, se fixe en des évocations devenues très vite familières à ses continuateurs. Un mouvement ascendant de la mélodie décrit une montée, une quête et, par extension, le désir d’un objet inaccessible. L’aveu amoureux est traduit par un cheminement entrecoupé de pauses, de « soupirs », tandis que l’idée de douleur, de deuil et de mort est rendue par une récitation émaillée d’accidents chromatiques. En revanche, les sentiments pastoraux sont exprimés par une musique de bonheur, riche en accents consonants, de même que les unissons du chant à l’octave restent associés à la notion de paix, de repos. Gesualdo reste, pour sa part, le champion d’une musique hyperexpressive, où les hardiesses harmoniques et les stravaganze sont reines. Maître du chromatisme intensif et d’un chant qui épouse l’expression du mot pour en traduire tous les accents, le cri, le délire ou l’amour, il rejoint par des voies différentes le programme des mélodramatistes florentins qui créent dans les mêmes années le drame lyrique, en rendant le chant au pouvoir du verbe. C’est là une oeuvre expérimentale dont les excès - en particulier dans la recherche des dissonances - virent parfois au vertige, une musique irrémédiablement marquée par les crises dépressives de l’auteur et où un maniérisme d’esthète se mêle à la sincérité de l’expression torturée. Mais le génie y est au rendez-vous avec la violence

amoureuse et cette flamme sombre dans la confession des passions qui fit du cruel prince de Venosa un double assassin par honneur (sa femme et l’amant de celle-ci). Enfin, Claudio Monteverdi, célèbre à d’autres titres (et surtout comme pionnier de l’opéra avec son Orfeo de 1607), mais qui, dans les limites du genre, impose, une fois de plus, une sensibilité et une lucidité exceptionnelles, jointes à un instinct de l’humaine nature qui n’a pas été dépassé depuis. Artiste complet, comme Marenzio, Monteverdi use de tous les styles du madrigal à la fois : contrepoint imitatif, déclamation syllabique, homophonie verticale, etc. D’une grande souplesse d’écriture et d’une totale liberté d’expression, le madrigal monteverdien « colle » littéralement à la signification du texte, sans la moindre contrainte formelle. En outre, sa récitation virtuose, ouverte à toutes les trouvailles du stile nuovo, à toutes les audaces du temps, mais sans le systématisme qui pèse parfois sur les pièces de Gesualdo, est un modèle de vie, avec ce frémissement dans le chant qui est bien d’un génie moderne, celui-là même qui déclarait à son détracteur Artusi « fonder sa musique sur la vérité ». À ce stade de développement, le madrigal est devenu un véritable poème musical où tout - hardiesses harmoniques, chromatismes inouïs, science de l’écriture, liberté formelle - concourt à une impression de vie, de réalisme intense. Aller plus loin dans le même style va bientôt sembler impossible. De ce point de vue, Monteverdi est le révélateur qui, après avoir épuisé toutes les possibilités expressives du madrigal polyphonique (le discours à cinq voix égales dans les Livres IV et V, remarquables aussi par les contrastes accusés dans l’activité desdites voix, où registres aigus et graves ont même importance), va lui apporter une mort glorieuse, ou plutôt l’engager, la basse continue aidant, sur la voie de la monodie accompagnée, de la déclamation lyrique et du recitar cantando, jusqu’à l’apothéose du Livre VIII, où théâtre, drame et chant s’interpénètrent pour transfigurer un genre devenu autre, et devant tout au plus au terme une dénomination commode. Le madrigal monodique triomphe, et, avec lui, l’esprit de la nouvelle musique qui va déboucher aussi bien sur la cantate que sur l’opéra.

LE MADRIGAL DRAMATIQUE. Enfin, en marge du madrigal traditionnel, se développe avec Orazio Vecchi le madrigal dramatique, sorte de comédie théâtrale mise en musique dans un esprit proche de la commedia dell’arte et en style madrigalesque. « La vie est un modèle, dit Vecchi, où grave (sérieux) et piacevole (aimable) s’entremêlent continuellement. » Bien que chaque personnage s’exprime par le biais d’un petit madrigal polyphonique - ce qui favorise évidemment l’élément musical aux dépens du dramatique - cette forme a inspiré à Vecchi un chef-d’oeuvre : l’Amfiparnaso (1594), scène idéale où, sous la farce et la parodie, se cachent les ambitions du moraliste, et l’une des dernières grandes victoires, avec la Pazzia Senile (1598) d’Adriano Banchieri, dans le même esprit, de la polyphonie profane a cappella avant son renoncement. LE MADRIGAL EN EUROPE. Le madrigal italien s’est répandu dans toute l’Europe, mais avec un bonheur différent selon les pays. En Allemagne, il n’a été assimilé que comme madrigal spirituel, transposition au plan religieux du madrigal profane (l’Israëlsbrünnlein de Johann Hermann Schein). De grands compositeurs allemands ont écrit de très beaux madrigaux dans le style polyphonique traditionnel, comme Hans Leo Hassler, mais toujours sur des paroles italiennes. En Espagne, en revanche, la manière italienne a inspiré une riche école locale avec Brudieu (qui édite des Madrigales en 1585), Francisco et Pedro Guerrero, les deux Mateo Flecha, Juan Vasquez qui transforme le villancico et quelques autres, toujours attentifs aux tendances nouvelles venues de l’autre côté de la Méditerranée. C’est, toutefois, en Angleterre que la floraison madrigalesque a été la plus riche, tout à fait digne d’être comparée à son homologue transalpine. Une longue tradition de la chanson à plusieurs voix y était d’ailleurs implantée avant le XVIe siècle. Néanmoins, c’est l’influence du madrigal italien, renforcée par celle de la chanson française, qui est à l’origine de l’école du madrigal élisabéthain dont la grande période de création et d’édition dure une trentaine d’années (1590-1620). Les plus grands musiciens du temps s’illustrent durant ce bref âge d’or, à la suite de Byrd

dont le premier recueil madrigalesque est une adaptation pour voix seules de chansons écrites pour solo vocal et accompagnement de violes. Thomas Morley, l’un des maîtres du genre, publie deux livres (1597 et 1598) qui sont comme la synthèse des styles à la mode de l’époque (madrigaux et balletti principalement). Le même Morley réunit, en hommage à la reine ÉlidownloadModeText.vue.download 613 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 607 sabeth, les Triomphes d’Oriane auxquels participent tous les madrigalistes célèbres du temps. Chantant les joies de l’amour, comme ses tourments, dans le style des pastorales italiennes à grand renfort de mythologie, ou plus simplement attaché aux évocations réalistes, mettant en scène la société, surtout rurale ou villageoise, le madrigal anglais joue à peu près des mêmes thèmes que son aîné italien. Aussi bien, John Wilbye et Thomas Weelkes apparaissent qui sont les deux grands virtuoses du genre, le premier dans un registre intimiste qui n’exclut pas le lyrisme et où il impose une perfection presque classique à la Marenzio, l’autre à l’humeur moins sereine et plus inattendu, mais s’appuyant sur une science d’écriture et des madrigalismes subtils qui en font l’égal des plus grands italiens. Les deux jouent d’un riche éventail de sentiments et d’émotions, de la joie pastorale à la sombre mélancolie. Reprenant à leur compte les essais expressifs de Marenzio, voire de Gesualdo, ils usent en maîtres des contrastes, des suspensions, des accidents de parcours dissonants et du chromatisme, des effets de sonorités et de timbres, des oppositions entre langage harmonique et contrapuntique enfin. Avec eux se distinguent Kirbye, Farnaby, Bennet, Bateson, Orlando Gibbons (à l’aise surtout dans un registre à la gravité presque religieuse), Tomkins et dix autres qui apportent au genre le meilleur du génie anglais. En fait, nos voisins ont pris ici pour modèle l’Italie, mais bien plus comme genre que comme forme et avec une autonomie de manoeuvre et d’accents qu’autorisait la culture élisabéthaine, avec son abondante poésie lyrique, ses traditions de chansons populaires (canons, catches et chansons de taverne) et une

école de polyphonie sacrée qui, dans le cas qui nous occupe, recoupe, si on ose dire, ce riche patrimoine profane. Avec, comme dernier trait distinctif, le parallèle qu’il convient de faire entre madrigal vocal et le répertoire du chant ou air pour voix solo et luth. Les deux genres étant inséparables et complémentaires, pour la plus grande gloire de la musique britannique. MADRIGALISME. Terme employé par les théoriciens et historiens de la musique pour désigner, de façon générale, les différents moyens expressifs, harmoniques et mélodiques, dont disposaient les compositeurs de madrigaux au XVIe siècle et au-delà (en particulier en Italie, Angleterre), pour accentuer les sentiments, voire les passions, exprimés dans le texte poétique. Les madrigalismes trouvent ensuite leur place dans les premières monodies italiennes à voix seule, appelées souvent aussi des madrigaux. Sorti du genre spécifique du madrigal, c’est le mot figuralisme, d’introduction plus récente, qu’il convient d’employer. MAEGAARD (Jan), compositeur et musicologue danois (Copenhague 1926). Il fit ses études au conservatoire de sa ville natale et avec Jens Peter Larsen (musicologie), puis travailla aux archives Schönberg à Los Angeles (1958-59 et 1965). Il obtint un poste à l’université de Copenhague en 1971, et, l’année suivante, acheva une thèse consacrée à l’évolution de la technique sérielle chez Schönberg. Il fit beaucoup pour introduire dans son pays les oeuvres de l’école de Vienne, qui, après ses débuts dans la tradition néoromantique, devint sa principale référence comme compositeur aussi bien que comme musicologue. La sérénade O alter Duft aus Märchenzeit (1960) cite Pierrot lunaire non seulement dans son titre, mais dans ses dernières mesures. Parmi ses autres oeuvres, notons : Antigone pour choeur d’hommes et orchestre (1966), écrite à l’occasion d’une production à la télévision de la pièce de Sophocle, un quatuor à cordes (1970), et Musica reservata no 2 pour hautbois, clarinette, saxophone et basson (1976).

MAELZEL (Johann Nepomuk), inventeur allemand (Ratisbonne, 1772 - en mer, au large des côtes des États-Unis, 1838). Il s’installa à Vienne en 1792, et s’y consacra à l’enseignement et à la mise au point d’instruments mécaniques. L’un d’eux, le panharmonicon, fut pour lui l’occasion d’une collaboration avec Beethoven. Il inventa le métronome, qu’il fit breveter en 1816, mais sans avoir été le seul à l’origine de la découverte. C’est inspiré non pas par le métronome, mais par une autre invention de Maelzel que Beethoven aurait écrit le canon à l’origine du deuxième mouvement de sa huitième symphonie. MAESTOSO. Mot italien désignant un mouvement de caractère solennel (cf. le français majestueux). L’indication maestoso peut s’employer soit seule soit associée à une indication de mouvement, le plus souvent lent, mais non pas obligatoirement (par ex. allegro maestoso). MAESTRO (ital. : « maître »). Terme désignant le maestro di cappella, c’est-à-dire le chef d’orchestre. Plus particulièrement encore, le chef de théâtre était qualifié à l’époque classique de maestro al cembalo, car il accompagnait lui-même les récitatifs au clavecin tout en assurant simultanément la direction de l’orchestre et des chanteurs. MAETERLINCK (Maurice), écrivain flamand (Gand 1862 - Nice 1949). Que resterait-il de Maeterlinck si Debussy n’avait composé son unique opéra, Pelléas et Mélisande, sur une de ses pièces de théâtre ? Sans doute ni les divers poèmes que le même Debussy mit en musique, ni le cycle des Serres chaudes dû à Ernest Chausson (1896) n’eussent été suffisants pour établir la renommée d’un auteur lui-même peu amateur de musique et que l’histoire littéraire a, par ailleurs, bien oublié. Il demeure que cette disgrâce se désintéresse injustement du succès connu par Maeterlinck de son vivant et de la place qu’il occupe au sein du mouvement symboliste. Certes, son panthéisme mystique, largement influencé par Novalis

et Ruysbroeck, peut paraître aujourd’hui désuet, tout comme son langage imagé d’une naïve redondance. Pourtant, les tortures de l’âme étaient réelles chez un auteur fasciné par le côté absurde et tragique des rencontres entre le destin et l’innocence. Enfermé dans le monde clos de son esprit, miné par la torpeur et la stérilité toujours possible, le poète souhaitait constamment l’évasion, l’ouverture vers l’extérieur, mais ne voyait d’autre issue que celle du Verbe. Il fallait donc créer un langage « symboliste », fait de piétinements, d’un réseau d’images, de correspondances, à peine entrecoupées d’exclamations douloureuses. Cette multiplication des images devait rendre imperceptible le mouvement de l’âme tout en traduisant de son infinie complexité l’identique en mutation. Une telle prudence dans les sentiments s’explique, au théâtre surtout où elle est inhabituelle, par l’angoisse de la mort imminente, pressentie par l’âme bien avant que l’intelligence n’intervienne : en ce domaine, l’influence de Shakespeare (que Maeterlinck traduisit) céda vite pour laisser place à Edgar Poe. Cette intuition spontanée de l’inéluctable plonge les héros dans une attente inquiète, les conduit à scruter l’instant où la mort surgira avec une telle acuité qu’ils finissent par voir l’invisible ou entendre le silence. Plus d’une fois, ici, Maeterlinck rejoindra Villiers de l’Isle-Adam et Mallarmé. Ainsi, dans l’Intruse et les Aveugles (1890), qui préparent Pelléas (1892), assiste-t-on à l’attente d’un personnage qui ne vient pas, vécue par une famille groupée autour d’une femme jetée entre la vie qu’elle donne (elle accouche) et celle qu’elle rend : car la femme, selon Maeterlinck, est un pont tendu entre les mondes surnaturels. L’aventure se déroule dans un paysage intérieur, où l’on croit voir venir Dieu quand c’est la mort, seule, qui se présente. Ces frémissements inquiets, ce langage à l’opposé de toute exacerbation de l’expression, ont trouvé avec Claude Debussy un traducteur idéal. Parmi les oeuvres musicales (autres que Pelléas et downloadModeText.vue.download 614 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 608 Mélisande) d’après Maeterlinck, citons Monna Vanna de Rachmaninov (1907), Ariane et Barbe-Bleue de Paul Dukas

(1907), l’Oiseau bleu, musique de scène de Humperdinck (1910), et Herzgewächse de Arnold Schönberg (1911). MAGALOFF (Nikita), pianiste russe naturalisé suisse (Saint-Pétersbourg 1912 Vevey 1992). Au Conservatoire de Paris, il étudie dans la classe d’Isidore Philipp et obtient un premier prix de piano en 1929. Il se perfectionne ensuite auprès de Prokofiev, alors installé à Paris. D’importantes tournées le font connaître dans l’Europe entière. En 1949, il reprend la classe de Dinu Lipatti au Conservatoire de Genève. En 1956, il prend la nationalité suisse. Au long d’une carrière très brillante, il a été un interprète particulièrement remarqué de Chopin, et a eu l’occasion de se produire en compagnie de Joseph Szigeti et de Clara Haskil. MAGNARD (Albéric), compositeur français (Paris 1865 - Baron-sur-Oise 1914). Licencié en droit, il fut simple amateur de musique jusqu’à vingt ans. En 1886, il entra au Conservatoire de Paris dans les classes de Dubois (harmonie) et de Massenet (composition). Entre 1888 et 1892, il travailla avec Vincent d’Indy. En 1890, il écrivit sa première symphonie, en 1892 son drame lyrique Yolande, qui n’eut pas de succès. À partir de 1896, une surdité partielle accentua en lui une tendance à la misanthropie. Nommé professeur de contrepoint à la Schola cantorum, il y eut pour élève Déodat de Séverac. En 1899, il organisa lui-même un festival de ses oeuvres, qui attira l’attention sur lui. En 1901, il termina son opéra Guercoeur (créé à l’Opéra de Paris dans une nouvelle version réalisée par Ropartz en 1931), puis composa sa troisième symphonie (1902) et son quatuor (1904) dont la création à la Société nationale fit sensation. Il quitta bientôt Paris pour s’installer dans l’Oise, où il écrivit ses dernières oeuvres : Bérénice d’après la tragédie de Racine (1909, créée à l’Opéra-Comique en 1911) et sa quatrième symphonie (1911-1913). Il fut tué dans sa maison par des soldats allemands au début de la guerre. Indépendant et solitaire, se réclamant de Beethoven et de Rameau, Magnard s’est manifesté dans une recherche de l’expressivité. Sa musique noble et forte atteste une vitalité puissante. Ses quatre symphonies et sa musique de chambre sonate pour violon et piano (1901), qua-

tuor à cordes (1902-1903), trio avec piano (1904-1905), sonate pour violoncelle et piano (1909-1910) - s’inscrivent dans le renouveau français de la fin du XIXe siècle et du début du XXe aux côtés de celles de Franck, Saint-Saëns, Lalo, d’Indy, Dukas. MAGNIFICAT. Premier mot du cantique d’actions de grâces mis par l’Évangile dans la bouche de Marie lorsqu’elle rendit une visite à Élisabeyth après avoir appris par l’ange qu’elle enfanterait le Sauveur : Magnificat anima mea Dominum (« Mon âme magnifie le Seigneur »). Ce cantique a été transporté dans la liturgie des vêpres dont il constitue l’un des éléments essentiels. Il se chante sur une psalmodie analogue à celle des psaumes, mais plus ornée et en répétant à chaque verset l’intonation ornementale supprimée à partir du deuxième verset dans la psalmodie ordinaire. Une psalmodie spéciale, remontant probablement au XVIIe siècle, lui est parfois attribuée dans les paroisses où elle est restée populaire malgré la quasi-disparition des vêpres depuis Vatican II. De plus, son aspect solennel lui a valu d’être fréquemment chanté en faux-bourdon un verset sur deux ; aux XVIIe et XVIIIe siècles, ce faux-bourdon fut parfois remplacé par un verset d’orgue, et dans certaines circonstances, le texte entier fut traité en grand motet avec orgue et instruments. Le magnificat a été conservé dans la liturgie réformée, soit en latin, soit en langue vulgaire, parfois sous forme de choral (Meine Seele erhebt den Herrn). L’exemple le plus célèbre est le Magnificat latin de J.-S. Bach, dont la version usuelle en ré majeur est un remaniement de concert ; la version primitive, en mi bémol, conçue pour l’office, comprenait, intercalés entre les versets, les chants du Wegenlied ou « bercement de l’enfant », cérémonie traditionnelle du temps de Noël. À l’époque contemporaine, citons le Magnificat de K. Penderecki (1973-74). MAHLER (Gustav), compositeur et chef d’orchestre autrichien (Kaliste, près de Jihlava, Bohême, 1860 - Vienne 1911). Second des quatorze enfants d’un cabaretier-distillateur juif de langue allemande, Bernhard Mahler, et de Marie Hermann, il apprend dès l’enfance à jouer du piano et à composer. De quinze à dix-huit ans, il reçoit une formation complète au

conservatoire de Vienne avec Julius Epstein (piano), Robert Fuchs (harmonie) et Franz Krenn (composition). Plus tard, il fait ses études universitaires (1877-1879, philosophie, histoire de l’art, etc.), notamment avec Anton Bruckner dont il devient le familier et, dans une certaine mesure, le disciple. De dix-huit à vingt ans, il vit du maigre revenu que lui procure l’enseignement privé. Il compose en 1880 sa première grande oeuvre, la cantate Das klagende Lied. L’échec de cette partition au prix Beethoven et l’attitude négative des musiciens de la vieille garde comme Brahms l’incitent à aborder une carrière de chef d’orchestre. Il débute à Bad Hall, près de Linz, où il dirige des opérettes dans un petit théâtre saisonnier (été 1880). Engagé ensuite à Ljubljana (Slovénie, 1881-82), Olomouc (Moravie, 1883), Kassel (Prusse, 1883-1885), il est nommé à l’âge de vingtcinq ans kapellmeister à l’opéra de Prague par l’illustre impresario wagnérien Angelo Neumann. Ses interprétations de Wagner, de Mozart et de la Neuvième Symphonie de Beethoven établissent solidement sa réputation. Pourtant Mahler quitte Prague en juillet 1886 à la suite d’un violent conflit avec Neumann. À Leipzig, où il est engagé ensuite, il doit rivaliser pendant deux ans avec un collègue très brillant et de peu son aîné, Artur Nikisch. Ces années-là, sa vie sentimentale est particulièrement orageuse : les premières oeuvres importantes de Mahler, Das klagende Lied (1880), les Lieder eines fahrenden Gesellen (1884) et la Première Symphonie (1884-1888), ont été inspirées par trois amours malheureuses. À Kassel et à Prague, son goût pour les belles cantatrices a déjà fait du bruit et il en sera de même plus tard à Hambourg et même à Vienne. Le succès triomphal de l’opéra inachevé de Weber, Die drei Pintos (Leipzig, janvier 1888), terminé et orchestré par Mahler, fait de lui un homme célèbre. Il quitte Leipzig trois mois plus tard à la suite d’un nouveau conflit. Aussitôt après, il est nommé directeur de l’opéra de Budapest, où il assure la création hongroise des deux premiers drames du Ring, ainsi que celle d’un des premiers opéras véristes, Cavalleria rusticana. Par la qualité exceptionnelle de ses mises en scène et de ses exécutions musicales (de Mozart notamment), Mahler rallie de nombreux admirateurs, dont Brahms lui-même. La création de la Première Symphonie (Philharmonique de

Budapest, 20 novembre 1889) est un échec et Mahler renonce à renouveler pour l’instant l’expérience. En 1891, la nomination d’un nouvel intendant connu pour son chauvinisme et son autoritarisme, le comte Béla Zichy, le force à quitter Budapest. Il accepte le poste de premier chef à l’opéra de Hambourg (1891). Il trouve là un public vaste et averti et une troupe de chanteurs de rang international, mais un orchestre médiocre, des mises en scène ridicules, et surtout un directeur (Bernhard Pollini) qui ne s’intéresse qu’aux voix. Son travail lui vaut de nouveaux adeptes : les compositeurs qu’il interprète au théâtre (Massenet, Tchaïkovski, Mascagni, Alfred Bruneau, etc.) et l’illustre Hans von Bülow qui lui lègue plus ou moins la direction des Nouveaux Concerts d’abonnement. Pendant les six années hambourgeoises, Mahler compose durant l’été au bord de l’Attersee, près de Salzbourg, les Deuxième et Troisième Symphonies (1888-1894 et 1893-1896) ainsi que la plupart des Wunderhorn Lieder. En 1897, après sa conversion au catholicisme, il parvient, avec downloadModeText.vue.download 615 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 609 l’aide de Brahms et de son ami le critique Hanslick, à se faire nommer directeur de l’opéra de Vienne. L’oeuvre de musiciendramaturge qu’il va y accomplir (il règle lui-même l’essentiel des mises en scène) appartient à l’histoire. Pendant les cinq dernières années de son activité et grâce à sa rencontre avec un peintre-décorateur de génie, Alfred Roller, il travaille sans relâche à l’accomplissement de son idéal : une fusion unitaire des divers éléments visuel, dramatique et musical - de la représentation lyrique. Les étapes principales de cette collaboration glorieuse, qui fut un véritable âge d’or pour l’opéra de Vienne, sont Tristan (1903), Fidelio (1904), Don Giovanni (1905), Figaro (1906) et Iphigénie en Aulide (1907). Pendant trois ans, Mahler dirige aussi la Philharmonique. Les « retouches » qu’il apporte aux partitions des grands classiques déchaînent contre lui les fureurs de la critique. On le vénère ou on le déteste, mais on ne l’aime pas, car son fanatisme artistique fait peur.

En 1901, il épouse la jeune et ravissante Alma Schindler, fille d’un paysagiste célèbre, musicienne et même compositeur. La nature possessive et passionnée de la jeune femme, le goût qu’elle a d’ensorceler tous les hommes qu’elle rencontre mettront plusieurs fois en péril l’harmonie du couple. Le charme et la vivacité d’esprit d’Alma vont néanmoins métamorphoser l’existence de Mahler. Elle lui donne deux filles et il fait, grâce à elle, la connaissance de quelques artistes éminents, les peintres Gustav Klimt, Kolo Moser et Karl Moll (le beau-père d’Alma), le poète dramatique Gerhard Hauptmann et les deux chefs de l’avant-garde musicale viennoise, Arnold Schönberg et Alexander von Zemlinsky. Pendant ses vacances, qu’il passe au bord du Wörthersee, à Maiernigg, Mahler compose les symphonies nos IV à VIII et ses derniers lieder. À partir de 1902, il commence enfin à s’imposer comme compositeur et dirige ses oeuvres un peu partout en Allemagne, en Autriche et même en Hollande, où Willem Mengelberg prend fait et cause pour elles. En 1907, lorsque sa fille aînée, Putzi, meurt de la scarlatine, Mahler a déjà décidé de quitter l’opéra de Vienne pour celui de New York. Il ne rentrera plus en Europe que pour passer l’été dans le Tyrol du Sud, à Toblach (ou Dobiacco), où il composera le Chant de la terre, la Neuvième et les fragments de la Dixième. Malgré les intrigues et les attaques dont il a été la victime pendant dix ans, malgré l’antisémitisme - latent ou déclaré - des Viennois, il quitte à regret son pays natal. À New York, les soirées wagnériennes et mozartiennes qu’il dirige au Met (outre Fidelio, la Fiancée vendue et la Dame de pique) suscitent un réel enthousiasme. Il quittera pourtant le Met au bout de deux ans, le directeur allemand, Conried, ayant été remplacé par un Italien, Gatti-Casazza, qui amène avec lui un jeune chef plein de tempérament et d’ambition, Arturo Toscanini. L’Orchestre philharmonique ayant été entièrement réorganisé en son honneur, Mahler va diriger, pendant sa première saison, 45 concerts. La seconde doit en comprendre 65, mais il tombe malade le 21 février, après le 48e. Sa vie professionnelle vient d’être assombrie par l’hostilité systématique d’un critique et par un conflit aigu avec le comité des directeurs. Tout d’abord alité pour un simple mal de gorge, il lutte deux mois durant contre une infection généralisée. On a perdu tout

espoir de le sauver lorsqu’il quitte New York pour être traité pendant une semaine à Paris. Il meurt quelques jours après son retour à Vienne, le 18 mai 1911, peu avant d’avoir atteint sa cinquante et unième année. Quelques mois auparavant, le 12 septembre 1910, il a vécu à Munich, avec la création de sa Huitième Symphonie, le plus grand triomphe de sa carrière de compositeur. Mahler a laissé quelque 40 lieder - dont la moitié avec accompagnement orchestral -, la cantate Das klagende Lied et 11 symphonies (y compris le Chant de la terre et la Dixième inachevée). Comme compositeur, il a été longtemps sous-estimé, méprisé et attaqué, en partie à cause de sa double activité d’interprète et de créateur. On a longtemps reproché à sa musique de n’être qu’un tissu de réminiscences et de « citations » déguisées, de « banalités » scandaleuses et de complaisances sentimentales. À vrai dire, tout, dans son art, semblait fait pour choquer et pour provoquer, non seulement la simplicité plébéienne des rythmes (marche ou ländler) et la « facilité » apparente de l’invention mélodique, mais aussi les sautes d’humeur, les ruptures de ton, les contrastes abrupts, la rudesse des sonorités, la violence des couleurs et surtout la fameuse « hétérogénéité » du style. Aujourd’hui encore, quelques antinomies fondamentales sautent aux yeux dans son art : tragique/grotesque ; pathos/ironie ; noblesse/ vulgarité ; sérieux/humour ; simplicité folklorique/écriture sophistiquée ; mysticisme visionnaire et romantique/nihilisme lucide et critique. Mais ce sont justement ces paradoxes et ces antinomies qui donnent à l’art de Mahler son originalité et sa richesse. Sa musique est foncièrement nourrie de ses conflits intimes, de ses aspirations et de ses visions métaphysiques. Car Mahler n’avait rien d’un hédoniste, comme ses contemporains Richard Strauss et Debussy. Il a toujours cherché à « spiritualiser » la musique : Theodor Adorno n’hésite pas à voir en lui « le compositeur le plus métaphysique depuis Beethoven » et le seul autre musicien qui ait eu un « dernier style ». Certes, Mahler n’a jamais cherché à révolutionner la musique, ni à créer un nouveau langage. Pourtant la simplicité des rythmes et le diatonisme de l’harmonie ne doivent pas faire illusion : l’indéfectible

vénération que lui ont vouée Schönberg et ses disciples ne s’adressait pas seulement à l’homme, mais aussi au musicien et au précurseur. On trouve déjà chez Mahler toutes les semences de l’avenir : nouvelle liberté polyphonique, orchestration qui fait du timbre un paramètre de la composition, manipulation accumulative de matériaux hérités du passé, élimination des réexpositions littérales, abolition presque complète de la forme sonate, qui caractérise particulièrement ses dernières oeuvres, au profit d’un processus évolutif de « variante perpétuelle » (Adorno). Le même Adorno a comparé la symphonie mahlérienne à un roman en ce qu’elle enchaîne des épisodes différents et des péripéties souvent inattendues au lieu de développer des matériaux connus et de respecter un schéma préétabli. Même le gigantisme des effectifs et la longueur démesurée ont été imités par nombre de compositeurs d’aujourd’hui comme son désir d’exprimer la totalité de l’homme dans chacune de ses symphonies. Les crises, les déchirements, les conflits qu’il a mis en musique sont déjà ceux de notre temps, comme la suppression des barrières entre les genres et les styles, l’éclatement des formes, l’écroulement des valeurs traditionnelles et la grande question qui en résulte. À cet égard, Mahler est bien le contemporain et le frère de Freud ou de Kafka, tous deux juifs et bohémiens comme lui, et l’un des principaux acteurs d’une révolution des esprits dont la Vienne du début du siècle a été le théâtre permanent. MAI MUSICAL FLORENTIN (« Maggio musicale fiorentino »). Festival d’opéra fondé à Florence en 1933, essentiellement à l’initiative du chef d’orchestre Vittorio Gui. D’abord biennal, il devint annuel en 1938. Interrompu de 1943 à 1947, il s’est attaché à monter des ouvrages rarement joués, en particulier de Rossini, et assura même, en 1951, la création mondiale de l’Orfeo ed Euridice de Haydn, avec Maria Callas dans le rôle d’Euridice. En 1953, Leonard Bernstein y dirigea une mémorable Medea de Cherubini avec Maria Callas dans le rôle-titre. MAILLARD (Jean), compositeur français du XVIe siècle. On ignore ses dates de naissance et de

mort. Il semble avoir mené une vie de voyageur, s’arrêtant tantôt à la cour d’un seigneur, tantôt dans une maîtrise. Quoi qu’il en soit, il a beaucoup composé. Entre 1538 et 1570, plusieurs de ses oeuvres sont éditées à Paris par Le Roy et Ballard (Jean Maillard musici excellentissimi moteta, 1555 ; Missa ad imitationem downloadModeText.vue.download 616 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 610 missae Virginis Mariae, 1557 ; Missa ad imitationem moduli « M’amie un jour », 1558 ; Modulorum Jean Maillardi en 2 vol., 1565). D’autres pièces sont conservées en manuscrit ; d’autres encore sont perdues. Pour la plupart dans des recueils collectifs, on trouve une centaine de motets, un psaume de Cl. Marot, six messes, trois chansons spirituelles et une cinquantaine de chansons françaises, dont certaines ont été transcrites pour un instrument à cordes pincées. MAILLART (Louis Aimé), compositeur français (Montpellier 1817 - Moulins 1871). Il était le frère d’un acteur de la ComédieFrançaise, Adolphe Maillart. Il entra au Conservatoire de Paris dans la classe de violon de Guérin avant de devenir l’élève de Halévy et de Le Borne (écriture et composition). En 1841, il obtint le premier grand prix de Rome pour sa cantate Lionel Foscari. C’est Adolphe Adam qui le révéla en créant son opéra Gastibelza ou le Fou de Tolède, à l’occasion de l’inauguration, le 15 novembre 1847, de l’Opéra national, plus tard Théâtre-Lyrique. En dépit de sa paresse, Maillart fut un auteur à succès, doué d’un talent mélodique original et d’une grande facilité d’écriture. Son vrai triomphe fut les Dragons de Villars (1856). Mais c’est dans Lara (1864), traité avec une grande noblesse, qu’il écrivit ses pages les plus remarquables. Il quitta Paris en 1870 à l’arrivée des troupes allemandes, et se réfugia à Moulins où il mourut. MAIN GUIDONIENNE. Procédé pédagogique attribué sans preuves à Guy d’Arezzo (XIe s.), consistant à compter les sons de l’hexacorde sur les phalanges de la main ouverte pour en

retenir plus facilement la succession et les procédés de mutation, c’est-à-dire de passage dans la nomenclature d’un hexacorde à un autre. La main guidonienne pouvait aussi servir à apprendre les mélodies, le maître montrant sur sa main gauche ouverte l’emplacement des notes à chanter. Ce dernier procédé, qui a été en usage jusqu’à la fin du XVIe siècle, a été repris avec diverses variantes par plusieurs méthodes d’enseignement musical (Wilhem, Chevais, Kodály, etc.) sous le nom générique de phonomimie. MAINARDI (Enrico), violoncelliste et compositeur italien (Milan 1897 - Munich 1976). Il étudia le violoncelle et la composition au conservatoire de Milan, et perfectionna sa technique instrumentale avec Hugo Becker, à Berlin. Il fit ses débuts de concertiste à treize ans, forma des duos avec Dohnányi, Wilhelm Backaus, Carlo Zecchi et Edwin Fischer. Avec ce dernier, il fonda un trio, d’abord avec Kulenkampff, au violon, puis avec Scheiderhan. Parallèlement à ses activités d’interprète, il enseigna le violon et la musique de chambre à l’académie Sainte-Cécile de Rome, à Berlin, Salzbourg et Lucerne. Alors que Pizzeti écrivait pour lui son concerto pour violoncelle (1933-34), Richard Strauss l’invita à enregistrer sous sa direction son Don Quixote. Quatre ans plus tard, Malipiero composait aussi pour lui son concerto pour violoncelle, puis son triple concerto (1938). Le jeu de Mainardi, aux sonorités claires et chaudes, se distinguait par un tempo très lent, particulièrement dans les suites de Bach, dont il a laissé de surprenants enregistrements ainsi qu’une édition critique. MAISKY (Mischa), violoncelliste russe naturalisé israélien (Riga 1948). Lauréat du Concours Tchaïkovski à l’âge de 18 ans, il entre ensuite dans la classe de Mstislav Rostropovitch au Conservatoire de Moscou. Victime de la répression du gouvernement soviétique de 1969 à 1972 (du fait de l’émigration de sa soeur en Israël), il est emprisonné et interné en hôpital psychiatrique avant de réussir à rejoindre lui aussi Israël. Les années qui suivent marquent le véritable début de sa carrière. Lauréat du Concours Cas-

sado de Florence en 1973, il se produit aux États-Unis, puis en 1976 à Paris, où il donne plusieurs concerts de musique de chambre. Depuis lors, sa vie se partage entre la France et Israël. MAÎTRES CHANTEURS. À la fin du XIIIe siècle, certains poètes gnomiques, particulièrement fiers de la complexité à laquelle était parvenu leur art, se firent désigner du nom de maîtres. La légende veut que l’un d’entre eux, dit Frauenlob (celui qui s’entend à louer la femme), se fixa à Mayence et y fonda la première confrérie de maîtres chanteurs. Progressivement, le mouvement s’amplifia en même temps que l’invention poétique disparaissait au profit d’un dogme rigide : seule fut bientôt autorisée l’utilisation des strophes et mélodies créées par l’un des douze grands maîtres, règle que des marqueurs surveillaient étroitement en s’appuyant sur la tabulature, sorte de manuel, de code poétique. Composées pour l’essentiel de bourgeois et d’artisans (la petite noblesse disparaissait peu à peu), et donc expression d’un art urbain et non plus de cour, les confréries se dotèrent d’un cursus honorum aux multiples étapes, qui permettait de s’élever à la fois artistiquement, socialement et religieusement. Les sujets abordés, en effet, traités uniquement grâce à des combinaisons pédantes des innombrables modes officiels, aux noms plutôt fleuris, tournaient presque exclusivement autour de questions morales et théologiques. Animant les offices de leurs chants, les maîtres escomptaient mieux s’attirer les bonnes grâces de Dieu ; ils organisaient également des concours, sur le modèle des « disputes » alors en honneur dans les universités. À partir du XVIe siècle, leur art se fixa essentiellement à Nuremberg, Augsbourg et Breslau. Sous l’impulsion du réformateur Hans Foltz, barbier de son état, on essaya de rompre avec le rigorisme des confréries rhénanes, en autorisant à nouveau la création de chants et de bars neufs. Mais cette réaction, sans doute trop tardive, ne permit pas de ranimer un art dont la complexité et la lourdeur étaient bien loin des exercices brillants auxquels se livraient, à la cour de Bourgogne, les grands rhétoriqueurs. Le plus connu des maîtres, le cordonnier Hans Sachs (1494-1576), emphatiquement célébré par Goethe et Wagner et auteur d’environ 4 000 chants,

est d’ailleurs passé à la postérité moins en raison de son talent, ou de sa foi, que de la verve de ses farces populaires, souvent assez vertes, véritables mines pour les amateurs de traditions et de folklore. L’art des maîtres chanteurs disparut progressivement au cours du XVIIe siècle, sans jamais avoir été très connu des masses ni très apprécié des humanistes. MAÎTRISE. Choeur d’enfants attaché à une grande église ou à une collégiale, qui se sépare de l’école épiscopale entre le XIe et le XIVe siècle et se répand en France et en Belgique. Les enfants, recrutés sur concours, étaient totalement pris en charge par l’église et soumis à un enseignement et à une discipline rigoureux. Ils apprenaient, outre la musique (vocale et instrumentale), la grammaire, la littérature et le latin. Les effectifs, assez réduits, étaient variables (de 4 à 13 enfants, selon les époques et les églises). En plus d’un apprentissage très dur, les enfants étaient tenus d’assurer tous les services religieux. À leur sortie de l’école, ils entraient souvent dans les ordres ou devenaient musiciens professionnels. L’importance des maîtrises dans la vie musicale de cette époque était capitale, car c’était le seul endroit où l’on enseignait la musique aux enfants. Citons, parmi les plus importantes, celles d’Aixen-Provence, Bourges, Cambrai, Chartres, Clermont, Dijon, Paris (Notre-Dame) et Rouen. Des instrumentistes vinrent peu à peu se greffer sur le choeur proprement dit. Supprimées en 1791 lors de la Révolution, elles furent remplacées dans l’esprit, sinon dans la lettre, par le Conservatoire, créé en 1795. Elles réapparurent par la suite, mais sans la structure de l’Ancien Régime et certaines existent toujours (Dijon, par exemple). On leur donne aussi le nom de psallette, manécanterie, chapelle, etc. downloadModeText.vue.download 617 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 611 MAJEUR. 1. Se dit d’un intervalle qui, par référence à sa note inférieure considérée comme tonique, appartiendrait à une tonalité ma-

jeure (par ex., do-la = sixte majeure mais do-la bémol = sixte mineure). 2. Se dit d’un accord parfait quand sa tierce est majeure (par ex., do-mi-sol). Se dit aussi des accords de septième et de neuvième quand ces derniers intervalles sont majeurs (par ex., do-mi-sol-si = accord de septième majeure ; do-mi-sol-si bémol-ré = accord de neuvième majeure). 3. Se dit d’une tonalité quand elle est dans le mode majeur (par ex., do majeur). 4. Se disait, au Moyen Âge, d’un mode rythmique, ou d’une division rythmique ternaire. En ce sens, majeur était parfois synonyme de parfait (perfectus). [ ! INTERVALLE, ACCORD, MODE, TONALITÉ.] MALAGUEÑA. 1. Danse espagnole, originaire de Málaga, de rythme ternaire et plus ou moins apparentée au fandango. Le deuxième volet de la Rhapsodie espagnole de Ravel est intitulé Malagueña. 2. Musique qui accompagne ou non cette danse, d’une nuance angoissée et caractérisée par un soubresaut se heurtant à une formule harmonique stéréotypée allant de la dominante à la dominante. Au centre, un récitatif lyrique, généralement improvisé par le chanteur ou dans le style d’une improvisation, s’élève dans la même note inquiète, sur de discrètes figurations de guitare. MALEC (Ivo), compositeur yougoslave (Zagreb 1925). Il fait des études traditionnelles au conservatoire et à l’université de sa ville natale. Après quelques voyages en France, il s’y fixe en 1959 et, s’associant aux travaux du Groupe de musique concrète (qui deviendra le G. R. M.) de Pierre Schaeffer, il s’oriente délibérément vers la musique électroacoustique. Cette option, dit-il, « a fait basculer sa façon d’écrire, et changé totalement son approche du phénomène sonore ». Il a aussi appliqué à la musique instrumentale certaines méthodes acquises en « manipulant » du son en studio. Ayant d’autre part constaté les blocages des instrumentistes face à la complexité grandissante de l’écriture, il inaugure avec eux un nouveau mode de travail, les faisant participer à l’élaboration de l’oeuvre

sans qu’il s’agisse pour autant d’improvisation : il divise par exemple un grand ensemble en petites cellules agissant de manière autonome (avec toutefois un responsable), le compositeur coordonnant le tout. Cette démarche peut, selon lui, apporter des changements fondamentaux dans le comportement des musiciens, et surtout dans la manière d’aborder la composition. En dehors de son activité principale, Malec pratique la direction d’orchestre et a enseigné la composition au Conservatoire national de Paris de 1972 à 1990. On lui doit : des musiques électroacoustiques dont Luminétudes (1968), Bizarra (1972), Triola (1978), Recitativo (1980, oeuvre composée à l’aide de l’ordinateur) ; des oeuvres instrumentales comme Miniatures pour Lewis Caroll pour flûte, harpe et percussions (1964), Arco 11 pour onze cordes (1975), Arco 22 pour 22 cordes (1976), et Ottava alta pour violon et grand orchestre (1981) ; des musiques mixtes comme Lumina pour douze cordes et bande magnétique (1968), Cantate pour elle pour voix de soprano, harpe et bande (1966). Citons aussi : Dodécaméron pour douze voix solistes (1970) ; Vox, vocis f. pour 3 voix de femme et 9 instruments (1979) ; une tentative de théâtre musical d’après Victor Hugo, Un contre tous (Avignon, 1971) ; Actuor (1973) donné à Lyon en ballet avec les Percussions de Strasbourg, Exemples pour orchestre (1988) ; Artemisia pour bande (1991), Doppio coro pour ensemble (1993). Malec a su réaliser avec un bonheur toujours renouvelé une synthèse entre les nouvelles techniques et l’emploi de la lutherie traditionnelle. MALGOIRE (Jean-Claude), hautboïste et chef d’orchestre français (Avignon 1940). Après avoir étudié dans sa ville natale, il entre au Conservatoire de Paris où il obtient les premiers prix de hautbois et de musique de chambre (1960). Il est hautboïste et cor anglais à la Société des concerts du Conservatoire et en 1967 à l’Orchestre de Paris. En 1966, il crée l’ensemble la Grande Écurie et la Chambre du roi, dont les musiciens se spécialisent dans le jeu des instruments baroques. En 1970, il fonde le Florilegium musicum de Paris, groupe de chanteurs et d’instrumentistes qui se consacrent à la musique du Moyen

Âge et de la Renaissance (Machaut, Dufay, Zaccharias). À partir de 1974, il dirige et enregistre des opéras baroques : Alceste de Lully, Hippolyte et Aricie et les Indes galantes de Rameau, Xerxès et Rinaldo de Haendel, ainsi que de la musique religieuse, notamment Charpentier. Comme soliste, il a enregistré des concertos de Vivaldi, Albinoni, Marcello, et créé de nombreuses oeuvres contemporaines. En 1981, il a été nommé directeur de l’Atelier lyrique de Tourcoing. MALHERBE (Charles Théodore), musicologue français (Paris 1853 - Cormeilles, Eure, 1911). Il étudia le droit et la littérature, se tourna ensuite vers la musique et devint archiviste adjoint (1896) puis archiviste (1899) de l’Opéra de Paris. Il légua sa vaste collection d’autographes musicaux au Conservatoire de Paris. MALIBRAN (Marie), mezzo espagnole (Paris 1808 - Manchester 1836). En dépit de la brièveté de sa carrière (elle mourut accidentellement des suites d’une chute de cheval à vingt-huit ans), la Malibran a laissé un nom qui est peut-être le plus célèbre de l’histoire du chant. Fille du fameux ténor Manuel García, soeur d’une autre mezzo, Pauline Viardot, et du plus grand professeur de chant du XIXe siècle, Manuel García II, Marie Malibran semble avoir possédé une personnalité musicodramatique qui surpassait encore ses moyens vocaux et sa technique. Elle débuta à Londres à l’âge de dix-sept ans dans le rôle de Rosine aux côtés de son père qui avait créé dix ans plus tôt celui d’Almaviva dans le Barbier de Séville de Rossini. Entre 1825 et 1830, elle connut une succession de triomphes sans précédent à New York, à Paris, à Milan, à Rome et à Naples. Elle épousa successivement François Eugène Malibran dont elle se sépara en conservant le nom qu’elle immortalisa, puis le violoniste De Bériot. Elle chantait des rôles très différents comme Desdémone de Rossini, Norma de Bellini, Léonore de Beethoven. Sa voix semble avoir été primitivement celle d’un contralto que le travail était parvenu à étendre dans l’aigu jusqu’à la tessiture de soprano avec quelques notes creuses dans le milieu. Musset consacra son talent dans une ode célèbre.

MALIPIERO (Gian Francesco), compositeur et musicologue italien (Venise 1882 - Trévise 1973). Contemporain de Stravinski, il forma avec Pizzetti et Casella la triade du néoclassicisme italien ; il apporta à cette tendance une personnalité ascétique et attachante, aussi éloignée de la force irrésistible manifestée par le premier que de la large ouverture européenne du second. Sa vie fut une suite de remises en question de son art et de son message : issu d’une famille de musiciens et de poètes, formé par les premiers pionniers de la renaissance instrumentale italienne de la fin du XIXe siècle, il voulut se démarquer tant du postvérisme que de la richesse foisonnante du monde sonore de Wolf-Ferrari et de Respighi. Il détruisit en 1913 ses oeuvres de jeunesse, qu’il jugeait trop liées au passé et que la découverte soudaine de Stravinski, de D’Annunzio et de Ravel lui faisait renier. Après avoir donné une première preuve de son talent avec Pause del silenzio (1917) et Pantea (1919), drame chanté et dansé à la manière de la récente Légende de saint Joseph de Richard Strauss, il se consacra quelque temps à l’enseignement, puis s’isola dans une retraite dorée, à Asolo, de 1924 à 1936, période durant laquelle il downloadModeText.vue.download 618 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 612 écrivit quelques-uns de ses chefs-d’oeuvre lyriques (Torneo notturno, I Cantari alla madrigalesca, La Favola del figlio cambiato) et où il entreprit la résurrection des oeuvres de Monteverdi et de Vivaldi. Il retourna à l’enseignement (Padoue, 1936), assura la direction du conservatoire de Venise (1939-1952), y formant certains des compositeurs les plus en vue de la jeune école italienne, parmi lesquels Luigi Nono, puis reprit une activité créatrice plus intense qu’auparavant. Fortement marqué par le passé glorieux de l’Italie médiévale et renaissante, Malipiero, « de la même manière que les Russes avaient assimilé leur folklore », intégra les modes grégoriens à son langage, d’une grande richesse instrumentale, et qui, récusant avec ostentation les effusions romantiques et le chromatisme germanique, ferait parfois penser à un Pfitzner ou à un Honegger, mais avec un lyrisme que son sang italien

ne pouvait renier. En effet, malgré une importante production instrumentale qui ne comporte pas moins de onze symphonies, neuf concertos, huit quatuors à cordes, des sonates à la manière préclassique, des choeurs et diverses pages de musique de chambre dont le dépouillement touche parfois à la nudité, Malipiero fut essentiellement un compositeur lyrique, jusque dans ses oeuvres chorales ou sacrées telles que Saint François d’Assise, la Cène, la Passion (1935), etc. Ses opéras - plus de trente - peuvent se répartir en trois périodes : celle des oeuvres « à panneaux » où se juxtaposent des épisodes indépendants, période comprenant notamment les Sette Canzoni (Paris, 1920), qui, avec La Morte delle Maschere et Orfeo, devaient constituer sa trilogie L’Orfeide (Düsseldorf, 1925) ; ce style connut son point culminant avec Torneo notturno (1929), une suite de sept nocturnes, cependant que Malipiero avait déjà amorcé une deuxième manière qui, l’orientant vers de grands auteurs (Goldoni, Pirandello, Calderón, Euripide, Shakespeare), l’obligeait à adopter une progression dramatique, très nette dans La Favola del figlio cambiato (1934) d’après Pirandello, moins évidente dans Jules César ou Antoine et Cléopâtre, le compositeur demeurant inexorablement fidèle à son principe de la mélodie en perpétuel renouvellement exempt de tout développement. Il revint ensuite à sa conception originale des « panneaux » avec une importante succession d’opéras, depuis les Caprices de Callot (1942) jusqu’à Uno dei dieci, écrit à la veille de sa mort, oeuvres où l’auteur donna enfin libre cours à une création musicale de pure improvisation, déchargée de toute implication dramatique. MALIPIERO (Riccardo), compositeur et critique italien (Milan 1914). Neveu de Gian Francesco Malipiero, il a étudié le piano et la composition à Milan et à Turin (1930-1937), puis la composition à Venise avec son oncle. Depuis 1969, il dirige le Liceo Musicale de Varèse. Il a utilisé la technique sérielle dès 1946, avant de s’orienter davantage vers les recherches de timbre. On lui doit notamment l’opéra bouffe La donna è mobile (1954, créé à Milan en 1957), trois symphonies dont la deuxième (Sinfonia cantata) avec voix (1949, 1956, 1959), Serenata per Alice Tully pour orchestre de chambre (1969), Requiem 1975 pour orchestre (1975-76),

Notturno pour violoncelle et orchestre de chambre (1986). MALLARMÉ (Stéphane), poète français (Paris 1842 - Valvins 1898). Il a exercé une influence fondamentale sur la littérature, mais aussi sur la musique moderne. Il mène une activité très monotone de bureaucrate et de professeur d’anglais à Tournon, Besançon et Avignon, avant de s’installer définitivement à Paris et d’y vivre très retiré jusqu’en 1884. Il consacre sa vie à la création du Livre, « instrument spirituel » se proposant « l’explication orphique de la Terre ». Très attiré par la poésie des parnassiens, bouleversé par les Fleurs du mal de Baudelaire et par les poèmes d’E. Poe (qu’il traduit en 1888-89), il proclame dès 1862 la nécessité d’une oeuvre complexe et difficile d’accès parce qu’ambitieuse. Après ses premiers poèmes qui reprennent des thèmes baudelairiens, il écrit Hérodiade (1864-1869), poème tragique de la difficulté d’être, de l’absence, du monde abstrait, de l’idée pure. Parallèlement, il compose l’AprèsMidi d’un faune (1865-1876), que Debussy transpose en musique (1894). Après une période de doute (1866), Mallarmé redéfinit sa conception de la poésie, expérience métaphysique transposant les objets sur le plan de l’esprit : il s’agit de « peindre non la chose, mais l’effet qu’elle produit », en cherchant à bannir à jamais le hasard de la création artistique. Le conte particulièrement dense d’Igitur ou la Folie d’Elbeknon (1867-1880), les Tombeaux, hommage à Poe et Baudelaire (1877), enfin la Prose pour des Esseintes (1885) sont considérés par le poète comme des fragments énigmatiques du « grand oeuvre auquel ne suffit pas une vie », comme des bribes victorieusement arrachées au « vieux monstre de l’impuissance ». Consacré par Verlaine (cf. les Poètes maudits, 1883) et Huysmans (À rebours, 1884), Mallarmé devient brusquement en 1884 « chef de file », maître de la génération symboliste qui commence à se réunir chez lui, rue de Rome : là ont lieu les lectures du Livre. Il meurt une année après avoir écrit le poème Un coup de dés jamais n’abolira le hasard (1897), chefd’oeuvre de sa pensée poétique. La subtilité musicale des poèmes mallarméens a été particulièrement attrayante pour les compositeurs sensibles à son univers imaginaire et à la substance proprement phonique de son langage poétique. Après sa

première mise en musique d’un poème de Mallarmé - Apparition pour voix et piano (1882-1884) -, Debussy écrit le Prélude à l’après-midi d’un jaune pour orchestre (1892-1894), mais aussi Trois Ballades de Mallarmé (Soupir, Placet futile et Éventail, 1913) pour voix et piano. Sainte pour voix et piano (1896) et Trois Poèmes de Mallarmé pour voix, piano, quatuor à cordes, deux flûtes et deux clarinettes (1930) forment l’hommage de Ravel à l’art poétique de Mallarmé. La musique des trente dernières années témoigne d’un grand intérêt pour l’art poétique et les visées théoriques de Mallarmé. Ainsi, deux oeuvres capitales de P. Boulez, Pli selon pli/Portrait de Mallarmé (qui met en musique les sonnets le Vierge, le Vivace et le bel Aujourd’hui, Une dentelle s’abolit et À la nue accablante tue) et la Troisième Sonate pour piano (qui cherche la transposition musicale du projet mallarméen du Livre) s’inspirent directement de la recherche mallarméenne, car « dans le domaine de l’organisation de la structure mentale de l’oeuvre, certains écrivains sont allés beaucoup plus loin que les musiciens » (P. Boulez). Fasciné par l’art poétique mallarméen, par la technique de la « croissance continue » dans l’oeuvre conçue comme un « univers en expansion » (P. Boulez), par « l’espacement de la lecture », par la permutabilité des fragments, par « les symétries créatrices » et par « les particularités formelles, visuelles, physiques et décoratives » du Livre mallarméen, Boulez cherche à réaliser avec les moyens du musicien contemporain les projets partiellement menés à bien par Mallarmé. L’orientation structuraliste de l’époque postsérielle, ainsi que la recherche de « l’oeuvre ouverte » dans laquelle « il y a et il n’y a pas de hasard » rejoignent curieusement les aspirations mallarméennes. Le parallélisme entre les principes formels des oeuvres de Boulez inspirées directement par Mallarmé, d’une part, et ceux des oeuvres « ouvertes », réalisées au cours des années 60-70 indépendamment de l’influence du poète, d’autre part, prouve la contemporanéité incontestable des recherches mallarméennes.. MALVEZZI (Cristofano), organiste et compositeur italien (Lucques 1547 - Florence 1599). Venu très jeune à Florence, il est dès 1562 chanoine à S. Lorenzo, dont son père était l’organiste, en devient maître de chapelle en 1571 à la mort de Corteccia (il fut sans

doute son élève) et obtient le même poste à la cathédrale en 1596. Malgré cette carrière, aucune de ses pièces sacrées n’a été downloadModeText.vue.download 619 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 613 conservée. Il est l’auteur de livres de madrigaux (2 à 5 voix, 1 à 6 voix), de ricercari à 4 voix et surtout d’une grande partie des intermèdes donnés à l’occasion du mariage de François de Médicis et Bianca Cappello en 1579, de Cesare d’Este et Virginia de Médicis en 1585 (L’Amico Fido, de Bardi) et de Ferdinand de Médicis et Christine de Lorraine en 1589 (La Pellegrina, de Girolamo Bargagli). La maladie l’empêcha de composer à partir de 1589. Ses madrigaux, d’un style traditionnel hérité de Corteccia, annoncent néanmoins, par leur texture homophonique et le soin apporté à l’expression claire du texte, le nouveau style florentin. Son lien avec la Camerata a dû être assez profond, car il collabore, lors des intermèdes, avec Bardi surtout, Cavalieri et Peri, qui était son élève. Il est, pour cela, une figure importante de la musique à Florence au XVIe siècle. MANCHE. Élément constitutif de la plupart des instruments à archet et à cordes pincées (exceptions : psaltérions, harpes, cithares, etc.), prolongeant la caisse de résonance et le long duquel est posée la touche et sont tendues les cordes. Par la simple pression des doigts de la main gauche, l’exécutant peut ainsi raccourcir celles-ci de manière à en hausser le son à volonté. Tandis que sur les instruments à archet la touche est lisse, sur ceux de la famille des luths et des guitares, celle-ci est divisée par demi-ton à l’aide de frettes qui servent de point de repère à l’instrumentiste. MANCHICOURT (Pierre de), compositeur franco-flamand (Béthune v. 1510 Madrid 1564). Bien que les documents manquent sur son enfance, on sait qu’il fut choriste à la cathédrale d’Amiens vers 1525. Après un passage à Tours (1539), on le trouve ensuite à la cathédrale de Tournai (1545-

1556). En 1556, il est nommé chanoine d’Arras. Mais il reçoit bientôt la nomination de « maître de la chapelle flamande » du roi Philippe II d’Espagne et part pour Madrid en 1559. Il y restera jusqu’à sa mort. La musique religieuse occupe une part prépondérante dans son oeuvre : une vingtaine de messes, dont beaucoup sont écrites sur des thèmes empruntés à d’autres compositeurs (Sermisy, Mouton), plus de soixante-dix motets. Mais il est également l’auteur d’une cinquantaine de chansons. Nombre de ses oeuvres ont été publiées de son vivant chez les plus grands éditeurs de l’époque : Attaingnant, Susato, Du Chemin. Ses oeuvres religieuses, après les premiers motets influencés par Ockeghem, se rapprochent du style des successeurs de Josquin Des Prés, comme Nicolas Gombert. La technique en est savamment élaborée (écriture en imitation, surtout). Ses chansons, sauf rares exceptions, sont plus proches du style recherché et élégiaque des Franco-Flamands que de celui, populaire, de Janequin. MANCINI (Giovanni Battista), castrat et maître de chant italien (Ascoli 1714 Vienne 1800). Élève à Bologne de Bernacchi et du padre Martini, il fut appelé à la cour de Vienne par l’impératrice Marie-Thérése en 1757. On lui doit un écrit théorique notable, Pensieri e riflessioni pratiche sopra il canto figurato (Vienne 1774, trad. fr., 1776 et 1796), où il se montre analyste original et théoricien intelligent. MANDOLINE. Instrument à cordes pincées d’origine italienne. Sa caisse en forme de poire très renflée, plus rarement aplatie, résonne sous l’effet de quatre doubles cordes tendues sur un manche garni de frettes. Le son de la mandoline, beaucoup plus court que celui de la guitare, peut être entretenu par le grattement répété d’un plectre ou « médiator ». Sa tessiture, son accord et son doigté sont exactement ceux du violon. Nombre de compositeurs classiques, dont Vivaldi et Mozart, ont écrit pour la mandoline, qui était encore très populaire au début de ce siècle grâce à un choix à peu près illimité de transcriptions à l’usage des musiciens amateurs. Depuis, la guitare l’a

presque complètement supplantée. MANDYCZEWSKI (Eusebius) [Eusebie Mandicevschi], musicologue roumain (Cernauti [Tchernovtsy] 1857 - Vienne 1929). Fils d’un prêtre grec orthodoxe, il commença en 1875 des études à l’université de Vienne, ville où il devait demeurer toute sa vie. Élève de Hanslick (histoire de la musique) et de Nottebohm (théorie), il se lia d’une profonde amitié avec Brahms, et, en 1887, succéda à C. F. Pohl à la direction des archives de la Société des amis de la musique. Il participa activement à l’édition complète des oeuvres de Schubert (en particulier des lieder), Haydn (celle entreprise par Breitkopf et Härtel à l’occasion du centenaire de la mort de ce compositeur en 1909) et Brahms. Pour l’édition de Haydn, il s’occupa notamment des symphonies, et c’est lui qui, en 1907, en fixa la numérotation chronologique (de 1 à 104) telle qu’elle devait s’imposer par la suite. Des découvertes plus récentes ont montré que, sur certains points, cette « chronologie » demandait à être corrigée. Mais la liste des symphonies de Haydn dressée par Mandyczewski a l’immense mérite de ne comprendre que des oeuvres authentiques, et de n’en avoir omis que deux (Hob.I.107 et 108, toutes deux de jeunesse). Mandyczewski a édité également des oeuvres de Bach et de Caldara. Comme compositeur, on lui doit notamment douze messes orthodoxes. Il mourut peu après la tenue du congrès international Schubert de 1928, qu’il avait organisé. MANFREDINI, famille de musiciens italiens. Francesco, compositeur et violoniste (Pistoia 1684 - id. 1762). Élève de Torelli et de Perti à Bologne, il entra à l’Accademia dello Spiritu Santo à Ferrare. En 1704, il fut à la chapelle San Petronio de Bologne, puis, en 1711, il prit la fonction de maître de chapelle à la cour de Monaco. À partir de 1727, on le retrouve à la cathédrale de sa ville natale de Pistoia. Il a laissé de la musique instrumentale (concertini, sonates en trio qui s’inscrivent à la suite de celles de Torelli), et des oratorios : San Filippo Neri trionfante (1719), Tomaso Moro (1720), L’Assedio di Sammaria (1725). Vincenzo, compositeur (Pistoia 1737 -

Saint-Pétersbourg 1799). Il fut formé par son père Francesco, puis par Perti à Bologne, et par Fioroni à Milan. En 1758, il se rendit à Saint-Pétersbourg où il devint maître de chapelle du grand-duc et de Catherine II. En 1762, pour les fêtes du couronnement de Catherine, il fit représenter à Moscou le ballet Amour et Psyché (perdu), et l’opéra L’Olimpiade. Mais l’impératrice semble avoir peu goûté sa musique, et à l’arrivée de Galuppi (1765), Manfredini fut relégué au rôle de professeur de clavecin du grand-duc Paul. Il revint à Bologne en 1769. En 1770, il fit la connaissance de Mozart. Il collabora au Giornale Enciclopedico d’Italie, publié à Naples. En 1798, rappelé par le tsar Paul Ier, il retourna à Saint-Pétersbourg, où il mourut peu après. Son traité d’harmonie, Regole armoniche (Venise, 1775), qui fit autorité, fut par la suite traduit en russe par le compositeur Degtiariov. MANFROCE (Nicola Antonio), compositeur italien (Palmi Calabro 1791 - Naples 1813). Ce musicien qui, comme Pergolèse et Arriaga, disparut à la fleur de l’âge, fut l’un des auteurs les plus originaux de la période prérossinienne. D’abord élève de Zingarelli, il se démarqua vite des modèles traditionnels de l’opera seria, prêtant une oreille attentive non seulement à la représentation de la Vestale de Spontini donnée à Naples en 1811, mais, d’une façon générale, à tous les courants nouveaux venus de France et d’Allemagne, surclassant Mayr sur son propre terrain. Plus que dans sa musique de chambre, ses oeuvres sacrées et son opéra Alzira (Rome 1810), c’est dans Hecube, crée à Naples en 1812, que l’on trouve l’aboutissement d’une évolution dont Rossini allait aussitôt redownloadModeText.vue.download 620 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 614 cueillir les fruits ; signalons notamment une ouverture d’une puissance exceptionnelle, une tendance aux structures ouvertes, l’usage exclusif du récitatif obligé où prédominent les vents, un orchestre enrichi de quatre cors et trois trombones, une maîtrise quasi mozartienne des effets vocaux, et, fait insolite, une longue conclusion orchestrale après la mort de

l’héroïne. MANN (Thomas), écrivain allemand (Lübeck 1875 - Zurich 1955). Contemporain de Wagner et Nietzsche, et, par eux, de Schopenhauer († 1860), qui éclairent tous trois sa propre création artistique et résument à eux seuls la seconde moitié du XIXe siècle outre-Rhin (sinon plus encore), Thomas Mann a connu les deux guerres mondiales et les effondrements successifs de l’empire, de la république et du Reich nazi. Autant dire que cet héritier de la grande bourgeoisie protestante porte en lui les stigmates d’une course à l’abîme maladive, vécue pourtant avec un sens croissant de la responsabilité collective de la Germanie tout entière dans l’irruption du mal sur terre. Né dans l’impasse d’une civilisation gorgée de wagnérisme, Thomas Mann, qui se veut à son tour artiste moderne, constate que Wagner résume déjà toute la modernité, non seulement dans sa production mais aussi, surtout, dans son attitude. Toute création, dès lors que l’originalité est impossible, ne pourra plus être que conscience érudite de tout ce qui précède, juxtaposition ironique de citations. Les thèmes wagnériens abondent donc dans l’oeuvre de Mann, qui en est la parodie (au sens étymologique du mot) : une parodie acidulée d’ironie nietzschéenne, mais victime elle aussi de cet épuisement de l’âme et de l’art que dénonçait Zarathoustra (le Petit Monsieur Friedmann, Tristan, Tonio Kröger, Sang des Wälsungs et, dans une moindre mesure, Mort à Venise). Mann considère en effet que le problème essentiel de l’artiste moderne est celui d’une dualité entre l’esprit et la vie. L’esprit triomphant entraîne un appauvrissement de l’élan vital, un goût pour l’immoralisme, pour les interdits. En même temps, l’artiste porte au coeur la nostalgie d’un quotidien banal, aspirant à une bonne conscience qui lui permettrait de (re)devenir bourgeois. Grâce à l’ironie et à la psychanalyse, Mann espère sortir de la névrose wagnérienne. Ses héros, à la fois figures mythiques et psychologues, sont conscients de leur être, ne se leurrent pas sur eux-mêmes. Leur attitude n’implique aucun retour psychique au mythe qu’ils véhiculent ; ils le comprennent sans y participer vraiment. Toutefois, un tel recul est par essence conservateur. L’anamnésis à laquelle se livre Mann lui permet sans doute de déceler dans son temps les symptômes de la décadence, et même de les

découvrir en lui : il se refuse pourtant à y porter remède par un retour sincère au mythe de l’origine, car ce retour, dès lors que l’ironie (la conscience lucide) ne le guide pas, débouche inévitablement sur le totalitarisme, le réveil des vieux démons ; Mann ne vise pas ici les idées politiques de Wagner, mais surtout la structure même de son oeuvre, le rapport entretenu par la musique et le mythe, le climat des représentations de Bayreuth. En fait, c’est bien la musique, art de l’informulé, de l’irresponsable, de l’inconscient, qui apparaît politiquement dangereuse lorsqu’elle se hisse à pareil niveau de pouvoir, de volonté. Et Mann, qui ambitionne d’écrire une oeuvre littéraire comparable, dans la forme, le jeu du rythme, des constructions, aux grands livres de Bach ou à la Tétralogie wagnérienne (Joseph et ses frères, la Montagne magique, les Buddenbrook), adopte de plus en plus, en les transposant, les attitudes d’un Goethe par rapport à la musique, d’un Heine devant son époque. Face à l’animal dionysiaque (l’esprit), l’élu, le plus souvent un musicien, est un malade : Castorp, Félix Krull, Aschenbach, Jacob, Adrian Leverkühn, mettent leurs pas dans les empreintes laissées par Wagner jusqu’à ce que leur propre aventure se confonde avec celle de l’Allemagne et débouche sur l’hitlérisme (Doktor Faustus). Adrian Leverkühn, le héros du Docteur Faustus (roman qui devait provoquer une polémique avec Schönberg), apparaît finalement comme une sorte de prototype du compositeur contemporain. Les Confessions du chevalier d’industrie Félix Krull, que la mort empêcha Mann d’achever, devaient dénoncer ce mécanisme en montrant la parenté qui unit l’intellectuel et l’escroc aimé de ses victimes. MANNHEIM (école de). Elle tire son nom de la ville de Mannheim, sur le Rhin, et brilla d’un vif éclat de 1743 à 1777. Fondée au début du XVIIe siècle (1606), plusieurs fois détruite par la guerre dans les décennies qui suivirent, la ville de Mannheim ne devint un centre musical qu’en 1720, année où l’Électeur palatin Carl Philipp, délaissant Heidelberg, s’y installa. Contrairement à celles de la plupart des autres cours allemandes, la chapelle de Mannheim ne comprit dès ses débuts qu’une minorité d’Italiens. Seuls certains chanteurs venaient d’audelà des Alpes, les instrumentistes étant

originaires soit de Bohême et de Silésie, soit d’Innsbruck (où Carl Philipp avait tenu sa cour avant de devenir prince-électeur), soit de Düsseldorf et des Pays-Bas. Carl Philipp mourut le 31 décembre 1742, et eut comme successeur son fils Carl Theodor, mécène et prince éclairé dont le nom devait rester attaché à celui de l’école de Mannheim. Passionné de musique, instrumentiste lui-même, Carl Theodor disposa dès 1745 d’un ensemble de 48 chanteurs et instrumentistes : ce chiffre devait passer à 61 deux ans plus tard, et atteindre 90 en 1777 (dernière année passée par Carl Theodor à Mannheim). De 1745 à sa mort en 1757, l’orchestre de Mannheim fut dirigé par Johann Stamitz (Jan Stamic), natif de Bohême. Il eut comme successeur Christian Cannabich. Excellent violoniste, Stamitz fit de son orchestre un des meilleurs d’Europe. De cet orchestre, le célèbre crescendo (témoignage parmi d’autres de son extraordinaire discipline) fit sensation à travers l’Europe, et, en 1772, Burney en parla comme d’une « armée de généraux ». En firent partie de remarquables instrumentistes, dont beaucoup (à l’instar de Stamitz) originaires de Bohême : les violonistes Ignaz Fränzl, Carl et Anton Stamitz, fils de Johann, Karl Joseph et Johann Baptist Toeschi, Jakob et Wilhelm Cramer et Georg Zardt ; le violoncelliste Anton Filtz ; le flûtiste Wending ; le hautboïste Ramm. La plupart de ces instrumentistes étaient également compositeurs (parmi ces derniers, citons encore Franz Xaver Richter et Ignaz Holzbauer). D’où, dans beaucoup de musique écrite et entendue à Mannheim, un net souci de nuancer et de diversifier l’utilisation des instruments, ce qui se traduisit notamment par la composition d’innombrables symphonies, d’innombrables concertos et surtout d’innombrables symphonies concertantes (genre dont Mannheim se fit presque une spécialité). Mais cet accent mis sur la musique instrumentale n’empêcha à Mannheim l’essor ni de l’opéra ni de la musique religieuse (Georg Joseph Vogler, Ignaz Holzbauer). Le 31 décembre 1777, Carl Theodor reçut en héritage l’électorat de Bavière, et dut abandonner Mannheim ainsi que, non loin de là, le château de Schwetzingen, construit sur le modèle de Versailles. La plupart de ses musiciens le suivirent à Munich, et cet événement marqua la

fin de la grande période de Mannheim. Juste avant ce « déménagement » de l’orchestre, Mozart, venant de Salzbourg et en route vers Paris, s’était arrêté à Mannheim, et, de ce séjour, il devait profiter beaucoup. Pour cette raison et d’autres, plusieurs musicologues, à la tête desquels Hugo Riemann, ont voulu faire du style de Mannheim, dramatique mais sans surprises, aristocratique et populaire à la fois, l’ancêtre direct et la principale source d’influence du classicisme viennois (Haydn, Mozart). Une telle opinion n’est plus de mise aujourd’hui. D’une part, en effet, les traits de style les plus « tournés vers l’avenir » de l’école de Mannheim (crescendo, conception dramatique de la musique instrumentale) s’étaient déjà rencontrés auparavant en Italie (loin d’avoir inventé leur fameux crescendo, les musiciens de Mannheim s’en firent plutôt une downloadModeText.vue.download 621 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 615 spécialité) ; d’autre part, dans la mesure où ces traits constituaient une réaction contre l’ère baroque, on les trouvait également ailleurs, à Vienne en particulier. Enfin, tous les genres de musique n’étaient pas pratiqués à Mannheim de façon aussi « progressiste » que la symphonie ou la symphonie concertante : la musique religieuse, la musique de chambre et même le concerto témoignaient de tendances en général plus conservatrices, et quant aux symphonies, elles n’étaient pas toutes, et de loin, conçues selon les mêmes normes « avancées ». En même temps qu’à Mannheim, une école de symphonistes se développa à Vienne. Le catalogue Breitkopf montre que, dès les années 1760, les symphonistes viennois étaient plus diffusés en Europe que ceux de Mannheim, et c’est de l’école viennoise surtout que se nourrit en ses débuts l’art d’un Haydn, d’autant que, sur le plan musical, les relations entre Mannheim et Vienne étaient relativement peu développées. Elles n’eurent rien de comparable aux rapports étroits entretenus entre Mannheim et Paris, ville où se produisirent Johann Stamitz puis beaucoup d’autres musiciens de Carl Theodor, et qui se fit à son tour une spécialité de la symphonie concertante. Un Gossec ou un chevalier Saint-Georges subirent bien davantage l’influence de Mannheim qu’un

Haydn. Après le départ de Carl Theodor, la principale institution musico-culturelle demeurant à Mannheim fut le Théâtre national, fondé depuis peu. Avec Napoléon, la ville passa au grand-duché de Bade. À partir des années 1780, Vienne était devenue sans conteste le principal centre de création musicale dans les pays de langue allemande, ce que même Berlin, après avoir longtemps montré une opposition farouche (et accepté un peu mieux Mannheim), avait dû reconnaître. Le classicisme viennois reprit des éléments du style de Mannheim, mais en les intégrant dans une dynamique formelle toute nouvelle et d’une vigueur intellectuelle auparavant insoupçonnée. Dans le même temps, après avoir jeté mille feux et rempli une mission historique essentielle, mais éphémère, le style de Mannheim se survivait ici ou là, par exemple dans les productions agréables mais relativement pâles d’un Franz Danzi. MANOURY (Philippe), compositeur français (Tulle 1952). Philippe Manoury a travaillé la composition avec Gérard Condé, Max Deutsch, Ivo Malec et Michel P. Philippot. Il est, avec Pascal Dusapin, un des représentants les plus sérieux et les plus exigeants de la très jeune école française. Son écriture, d’une extrême richesse d’imagination et souvent d’un constructivisme assez sévère (Numéro cinq pour piano et 12 instruments, 1975), démontre un tempérament d’une évidente personnalité, tout en faisant preuve d’une grande certitude stylistique, librement issue du postsérialisme, et d’une réelle ascèse intellectuelle. Le sens de la polyphonie y est flagrant, ainsi qu’un goût pour la complexité, l’exploration des sonorités, la tension dialectique, l’expression discursive et parfois une éloquence lucide et délibérément romantique (Quatuor à cordes, 1977). Depuis son retour d’un long séjour au Brésil, Philippe Manoury travaille à l’I. R. C.A. M. du centre Beaubourg à Paris, où il a réalisé plusieurs ouvrages. Il est l’auteur d’un texte de recherche sur les corrélations entre le timbre et l’espace sonore. Ses principales oeuvres sont : une Sonate pour deux pianos (1972), Focus pour petit orchestre (1973, Royan 1974), Cryptopho-

nos pour piano (1974, Metz 1974) - une de ses pages les plus réussies -, Puzzle pour voix, violoncelle et orchestre (1974, Royan 1975), Numéro cinq pour piano et 12 instruments (1975) - peut-être son oeuvre la plus épurée et la plus rigoureuse -, un grand et expressif Quatuor à cordes (1977), le Tempérament variable pour clarinette, petit ensemble et bandes magnétiques (1978), Numéro huit pour deux orchestres (1980), Zeitlauf pour voix, instruments, dispositif électronique et bande (1982), Instantanés pour 18 instruments (1983), Aleph pour 4 chanteurs et 4 groupes d’orchestre (1985, version définitive 1987), Jupiter pour flûte et machine 4× (créé à l’IRCAM en 1987), Pluton pour piano et ordinateur 4× (IRCAM, 1989), version définitive de Numéro huit (Radio France, 1990), la Partition du ciel et de l’enfer pour orchestre et système temps réel (1989), Neptune pour clarinette et système temps réel (1991), Prélude pour grand orchestre (1992), Gestes pour trio à cordes (1992), Pentaphone, cinq pièces pour orchestre (1992), Matériaux en écho pour soprano et système temps réel (1992). MANUEL. Adjectif pris comme substantif et appliqué à l’orgue ou au clavecin pour désigner le clavier, par opposition au pédalier. Sur les partitions, le terme de « manuel » est souvent désigné par la lettre M. MANZONI (Giacomo), compositeur et musicologue italien (Milan 1932). Après des études musicales (composition) à Messine et au conservatoire de Milan et des études littéraires à l’université Bocconi à Milan, il travailla comme instrumentiste d’orchestre, chef de choeur, critique musical (critique à L’Unità de 1958 à 1966, rédacteur des revues Il Diapason, Prisma, Musica/Realtà). Il enseigna l’harmonie, le contrepoint et la composition au conservatoire Verdi de Milan et au conservatoire Martini de Bologne. Ses travaux en musicologie se traduisent par sa participation au Dictionnaire et à l’Encyclopédie de la musique (Milan, 1964) et par son ouvrage A. Schönberg - L’uomo, l’opera, i testi musicali (1975). (Manzoni a également traduit en italien Th. W. Adorno - Philosophie der neuen Musik, 1959, et Dissonanzen, 1959 et A. Schönberg - Harmonielehre, Milan,

1963 -, et d’autres textes didactiques intitulés Analisi e pratica musicale, 1974.) Il est auteur d’oeuvres pour le théâtre (Per Massimiliano Robespierre, 1974, créée à Bologne en 1975, scènes musicales en 2 temps sur des textes de Robespierre et d’autres ; Doktor Faustus d’après Thomas Mann, Milan 1989), d’oeuvres vocales-instrumentales (Hölderlin/Frammento [1972] pour choeur et orchestre, Masse : Omaggio a E. Varèse [1977] pour piano et orchestre, Modulor [1979] pour 4 orchestres, Parole da Beckett [1971] pour 2 choeurs, 3 groupes instrumentaux et bande magnétique, Variabili [1973] pour orchestre), et d’oeuvres pour ensembles de chambre (Quartetto à cordes [1971], Percorso a otto [1975] pour double quatuor à cordes, Sigla [1976] pour 2 trompettes et 2 trombones, Epodo [1976] pour quintette à vent, Percorso GG [1979] pour clarinette et bande magnétique, Hölderlin : Epilogo [1980] pour 10 instruments). MARA (Gertrud, de - son nom véritable Schmeling), soprano allemande (Cassel 1749 - Reval 1833). Elle étudia à Londres et à Leipzig et débuta à Dresde. Elle fut engagée à vie à l’Opéra de Berlin par Frédéric II en 1771, mais rompit son accord en 1780 pour faire une carrière internationale. Elle débuta à Londres en 1786 et remporta un énorme succès dans le rôle de Cléopâtre du Giulio Cesare de Haendel. Elle passe pour avoir été une actrice médiocre, mais sa voix très étendue était une des plus belles de son époque. Mara fut en fait la première cantatrice non italienne à triompher dans le bel canto sur toutes les scènes d’Europe. MARACAS. Instruments à percussion de la famille des « bois ». Elles sont faites de petites calebasses à manche, à l’intérieur desquelles roulent des billes de plomb, et se jouent par paires, secouées ou tournées. MARAIS (Marin), violiste et compositeur français (Paris, 1656 - id. 1728). Après avoir débuté comme enfant de choeur à la maîtrise de Saint-Germain-

l’Auxerrois, Marais devient, à seize ans, l’élève du célèbre violiste Sainte Colombe. Titon du Tillet (le Parnasse françois) raconte que l’élève « prenoit le tems en été que Sainte Colombe étoit dans son downloadModeText.vue.download 622 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 616 jardin enfermé dans un petit cabinet de planches... afin d’y jouer plus tranquillement et plus délicieusement de la Viole. Marais se glissoit sous ce cabinet ; il y entendoit son Maître ». En 1676, il est nommé « musicqueur du Roy » puis, en 1679, « ordinaire de la Chambre du Roy « ; il conserve ce poste jusqu’en 1725. C’est à Lully, duquel Marais a également reçu l’instruction, qu’il dédie son premier livre de pièces de viole (1686). Après la mort de l’intendant - qui lui demandait souvent d’assumer la direction de l’orchestre de l’Opéra - Marais compose quatre opéras pour l’Académie royale de musique. Le plus célèbre d’entre eux demeure Alcyone (1706) sur un livret de Houdar de la Motte. La fameuse Tempête de cet ouvrage est considérée à l’époque comme « une chose admirable ». C’est d’ailleurs probablement à cette occasion que Marais aurait introduit la contrebasse pour la première fois dans l’orchestre de l’Opéra. Sans doute le meilleur violiste de France, Marin Marais doit-il sa réputation à sa musique de chambre ? Comme ses opéras, fidèles au style lullyste, ses suites de pièces de viole (danses, pièces à titres descriptifs : les Fêtes champêtres, l’Arabesque, la Voix humaine) le montrent ardent défenseur de la musique française, c’est-à-dire sévère contre les Italiens. À en juger par leur difficulté technique (elles font un grand usage des accords arpégés), la virtuosité du maître, qui ne néglige pas pour autant la sensibilité ni les trouvailles harmoniques, a été exceptionnelle. Citons, à titre d’exemple, les trente-deux variations du Second Livre sur le thème des Folies d’Espagne. Enfin, dans le domaine de la musique religieuse, Marais a composé un Te Deum, chanté pour la convalescence du Dauphin (1701, perdu). MARCABRU, troubadour gascon ( ? v. 1100 - ? v. 1147).

Comme Guillaume IX et Jaufré Rudel, il appartient à la première génération de troubadours. Il était réputé pour son tempérament violent et pour sa misogynie. Ses origines modestes demeurent obscures. Un autre troubadour, le seigneur Aldric d’Auvillars, aurait trouvé l’enfant abandonné pour le prendre sous sa protection. Marcabru devient jongleur avant de voyager, dans le Midi, dans l’Île-de-France et probablement jusqu’en Angleterre. Il se rend également à la cour du roi Alphonse VII de Castille, et à celle du comte de Barcelone. Des cinquante chansons environ qui nous sont parvenues, quatre sont notées. L’une d’entre elles, une pastourelle particulièrement belle et pleine de mélancolie, Pax in nomine Domini, traite de la deuxième croisade (1147-1149). MARCATO. Mot italien désignant une manière de jouer en martelant quelque peu les notes. Le sens est légèrement différent du français « marqué », fréquemment employé surtout au XVIIIe siècle, et qui s’applique plutôt à la manière d’accentuer les temps de la mesure pour bien faire sentir celle-ci. MARCELLO, famille de musiciens italiens. Allessandro, compositeur (Venise 1684 id. 1750). Esprit éclairé, il s’adonnait également aux mathématiques et à la philosophie. Membre de l’académie des Arcadiens à Rome, il avait choisi le surnom de Eterico Stinfalico. Il donnait ses propres compositions lors de réunions hebdomadaires dans sa demeure. Son oeuvre comporte des cantates pour soprano et basse continue (1708), des sonates pour violon et basse continue (1708) ainsi que des recueils de concertos dont les Concerti à 5, publiés à Amsterdam (1716). Son oeuvre la plus connue demeure le Concerto pour hautbois et cordes en ré mineur, transcrit par Bach pour clavecin. Benedetto, compositeur (Venise 1686 Brescia 1739). Frère du précédent, il fut l’élève d’Antonio Lotti pour la composition, mais se consacra d’abord au violon et au chant. Il fut d’ailleurs le professeur de Faustina Bordoni, une des plus illustres cantatrices de l’époque. De famille noble, et très cultivé, ce « nobile Veneto » mena de front la musique et une carrière d’avo-

cat qui le conduisit à être juge au tribunal de la Seingurie de Venise, puis membre du Conseil des Quarante (1716) avant de devenir Provediteur de la République de Pola (1730-1738). Marcello fut aussi homme de lettres et publia des ouvrages parmi lesquels il convient de citer surtout une satire des milieux théâtraux de l’époque, Il Teatro all moda (1720), qui eut un grand succès. Ses oeuvres musicales, savantes et de haute qualité, tant instrumentales que vocales, sont caractéristiques du baroque italien à son apogée. Les douze Concerti a cinque (1708) témoignent d’une grande sensibilité et comptent parmi les meilleurs exemples du genre. Mais son oeuvre maîtresse reste les cinquante paraphrases des Psaumes de David sur des textes italiens de G. A. Giustiniani, conçus pour une à quatre voix avec l’accompagnement de la basse continue, et intitulés Estro poetico armonico (Venise, 1724-1726). Les préfaces de ces six volumes sont également intéressantes. Marcello fut actif aussi dans le domaine de l’oratorio (Giuditta, 1709, sans doute perdu ; Gioàz, 1726 ; Il Trionfo della poesia e della musica, 1733). En outre, il laissa des messes et des oeuvres spirituelles. Pour le théâtre, il composa l’opéra La Fede riconosciuta (1707), perdu et d’authenticité douteuse, et la pastorale Calisto in Orsa (id., 1725). Sa musique de chambre comporte des sonates pour clavecin, pour flûte et basse continue, des cantates, ainsi que des Canzoni madrigalesche e arie per camera (1717). MARCHAL (André), organiste français (Paris 1894 - Saint-Jean-de-Luz 1980). Aveugle, il fut, au Conservatoire de Paris, l’élève de Gigout (orgue et improvisation, 1913) et de Caussade (contrepoint et fugue, 1917). Il fut successivement suppléant de Gigout à Saint-Augustin, titulaire à Saint-Germain-des-Prés (19151945) et à Saint-Eustache (1945-1963), tout en enseignant l’orgue et l’improvisation à l’Institution nationale des jeunes aveugles. Exécutant de grand talent, il a contribué au regain d’intérêt pour la musique d’orgue française, en renouant avec l’art d’une registration colorée et variée, comme l’aimaient et l’exigeaient les maîtres anciens, et qui avait été négligé à l’époque romantique. En cela, il a beaucoup influencé les organistes et les fac-

teurs d’orgues vers un retour à l’esthétique classique. Son domaine d’élection fut l’improvisation, où se donnait libre cours une intense poésie intérieure. Son contemporain Marcel Dupré et lui ont représenté les deux pôles opposés et complémentaires de l’école d’orgue française, rigueur et sensibilité, austérité et liberté ; leur enseignement et leur exemple ont fécondé toute la jeune génération d’organistes français. MARCHAND (Louis), organiste, claveciniste et compositeur français (Lyon 1669 - Paris 1732). Élève de son père et très précocement doué, il fut organiste de la cathédrale de Nevers dès l’âge de quinze ans, puis à la cathédrale d’Auxerre. Venu à Paris en 1689, il y occupa les fonctions d’organiste chez les jésuites de la rue Saint-Jacques, aux églises Saint-Benoît, Saint-Honoré et à celle des Cordeliers, assurant à partir de 1706 l’une des charges d’organiste à la chapelle royale. Homme dissipé, de tempérament irascible, il fut contraint de se démettre de ses fonctions et de quitter la France. En Allemagne, on voulut l’opposer à J.-S. Bach, mais il ne se présenta pas au tournoi que Bach, à son corps défendant, remporta par forfait (on raconte que Marchand avait espionné Bach répétant, et avait préféré ne pas se mesurer à lui). De retour en France, il fut organiste à la cathédrale de Strasbourg et revint aux Cordeliers de Paris. Virtuose éblouissant et pédagogue écouté, il fut le professeur de D’Aquin et de du Mage. Dans le domaine de l’orgue, il marque l’apogée du style classique avec ses contemporains Couperin et Grigny. Dans ses compositions pour cet instrument, il reste fidèle au grand style de ses prédécesseurs, mais son downloadModeText.vue.download 623 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 617 humeur fantasque se manifeste par une imagination harmonique sans cesse en éveil et une rythmique souvent irrégulière. Il a laissé deux livres de pièces de clavecin, cinq Livres de pièces choisies pour orgue, trois Cantiques spirituels (sur les poèmes de Racine), une cantate, Alcyone, des airs français et italiens et un traité théorique, Règles de la composition.

MARCHE. Composition instrumentale de mesure binaire, au rythme accentué, servant à l’origine à marquer le pas d’une armée ou d’une procession. Dans le domaine militaire, la marche a connu un immense développement et s’est répandue dans la plupart des pays à tous les corps d’armée. Mais elle est également entrée dans la musique classique à partir du XVIIe siècle. C’est Lully qui l’introduit le premier dans l’opéra et le ballet. La marche a pris rapidement la forme du menuet : première partie à deux sections avec reprises, partie centrale (trio) plus mélodieuse, et retour de la première partie sans reprise, avec parfois quelques variantes. Son instrumentation, à l’origine, était composée essentiellement d’instruments à vent et de percussion. La marche trouva place, aux XVIIIe et XIXe siècles, dans l’oeuvre de Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert, Méhul. Mais à partir de la même époque, différents genres se distinguèrent : marche turque, marche funèbre, marche hongroise (marche de Rákóczi), marche nuptiale, sans compter les nombreuses marches écrites pour des occasions diverses (inaugurations, festivités, commémorations, etc.). La marche peut également être vocale (chants patriotiques et révolutionnaires notamment). MARCHE HARMONIQUE. Procédé d’harmonie consistant à enchaîner au moyen d’une formule de transition, susceptible d’être indéfiniment répétée, deux ou plusieurs fragments dont chacun reproduit le précédent, avec ou sans modulation, à une distance intervallique donnée. La pratique de la marche harmonique, dite aussi marche d’harmonie, considérée comme entraînement à la modulation, constituait autrefois un exercice pédagogique privilégié ; son abus l’a quelque peu discréditée en lui valant à la fin du XIXe siècle, surtout lorsqu’elle était modulante, le surnom péjoratif de rosalie, du nom d’une romance italienne qui en faisait usage. Elle est aujourd’hui, par réaction, considérée par les harmonistes avec quelque méfiance. La marche

d’harmonie est dite tonale lorsque, sans moduler, les intervalles s’adaptent aux degrés de l’échelle, modulante lorsqu’ils se reproduisent tels quels en entraînant modulation. MARCHETTUS DE PADOUE, théoricien italien de la première moitié du XIVe siècle. Sa biographie est mal connue ; il fut probablement au service des rois de Naples. Nous possédons de lui deux traités : Lucidarium in arte musicae planae et le Pomerium artis musicae mensurabilis. Un résumé du Pomerium, Brevis compilatio in arte musicae mensuratae, fut rédigé vers 1326. Le Lucidarium traite de la classification de la musique (consonances, dissonances, modes) ; le Pomerium s’attache aux notations italiennes et françaises et aux subdivisions de la brève (ternaire, binaire). MARCLAND (Patrick), compositeur français (Neuilly-sur-Seine 1944). Il a travaillé à l’École normale de musique de Paris la guitare classique avec Alberto Ponce ainsi que l’écriture et la composition avec Max Deutsch, puis l’analyse avec Yves Marie Pasquet au conservatoire de Bobigny et avec Claude Ballif au Conservatoire de Paris. On lui doit notamment un Trio pour clarinette, violon et violoncelle (1971), un Septuor pour flûte, hautbois, clarinette, basson, cor, harpe et percussion (1972), Tresses pour 12 cordes solistes (1974), Mètres pour flûte, alto et harpe (1974), Variants pour 16 instruments (1975), Passages pour flûte, alto, harpe et orchestre (1975-76), Fragments pour 2 ondes Martenot, guitare électrique et percussion (1977), Stretto pour harpe seule (1978), Failles pour flûte, alto, harpe et orchestre (1978), et Versets pour 19 instruments. Il a aussi écrit des musiques de film. Son opéra P.A., sur un livret de Jean Baillon d’après les contes de Perrault, a été donné à l’I. R. C. A. M. en novembre 1981. Suivirent notamment les ballets Elle venait du côté de la mer (1988) et La porte est refermée, la voilà sans lumière (1991). MARCO (Tomas), compositeur espagnol (Madrid 1942). Il bénéficie d’une double formation : il a suivi des cours à l’université (droit, psy-

chologie, sociologie), et a appris le violon et la composition, sans compter les cours de Darmstadt où il a participé, en 1967, à l’oeuvre collective de Stockhausen Ensemble ; il a également reçu l’enseignement de musiciens tels que Boulez et Ligeti. En 1969, il a obtenu pour Vitral (pour orgue et ensemble à cordes) le prix national de la musique en Espagne. Ce compositeur mène de front de multiples activités : il travaille à la radio espagnole, donne des cours au conservatoire de Madrid sur les nouvelles tendances ; et dirige le groupe Koan, consacré à la musique contemporaine, ainsi que des concerts poursuivant le même but, Estuvio Nueva Generación. Il a publié plusieurs ouvrages : des monographies sur Ives, Satie, Debussy et Ravel ; un livre d’intérêt général, Música Española de Vanguardia (1970). Il a même fondé une revue destinée à la musique de notre temps, Sonda, et a effectué des travaux sur la perception musicale, car « il se préoccupe non de la production du son, mais aussi de sa réception ». Marco ne refuse aucune des possibilités offertes par les techniques actuelles, mais l’électroacoustique l’intéresse comme moyen, non comme but, comme un élément intégré à la musique contemporaine. Il a présenté à Royan Rosa-Rosae, quatuor pour flûte, clarinette, violon et violoncelle (1969) et le concerto pour violon les Mécanismes de la mémoire (19711972). Il a composé des symphonies, dont Sinfonia no 4 « Espacio Quebrado » (1987) et Sinfonia no 5 « Modelos de Universo » (1988-1989). MARCUSSEN, facteurs d’orgues danois, établis depuis 1806. Dirigée aujourd’hui par Jürgen Zachariassen, la firme développe une activité importante de construction et de restauration en Scandinavie, aux Pays-Bas et en Allemagne. MARÉCHAL (Maurice), violoncelliste français (Dijon 1892 - Paris 1964). Après avoir commencé ses études au conservatoire de Dijon, il travaille au Conservatoire de Paris, où il obtient le premier prix de violoncelle en 1911. Il a été soliste des concerts Lamoureux (1919) et de l’Orchestre de New York (1926), et a fait une carrière internationale. De 1942

à 1963, il a enseigné au Conservatoire de Paris. Il a été le créateur de la sonate pour violon et violoncelle de Ravel (avec Hélène Jourdan-Morhange), de l’Épiphanie de Caplet, et des concertos de Honegger et de Milhaud. Pendant la Première Guerre mondiale, à laquelle il participa, il se fit fabriquer un violoncelle dans le bois d’une caisse à munitions, instrument aujourd’hui conservé au Musée instrumental du Conservatoire de Paris. MARENZIO (Luca), compositeur italien (Coccaglio 1553 - Rome 1599). Après avoir appartenu à la maîtrise de la cathédrale de Brescia (où il aurait eu pour professeur Giovanni Continuo), il servit le cardinal Madruzzo à Rome, avant de travailler pour le compte du cardinal Luigi d’Este. En 1588, il est à Florence, déjà connu (il a publié ses premiers livres de madrigaux), et il y oeuvre pour les Médicis (il collabore à la comédie-intermède La Pellegrina, qui marque une étape importante, dans l’histoire de la réforme mélodownloadModeText.vue.download 624 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 618 dramatique, sur la voie qui aboutira au jeune drame lyrique). Puis on le retrouve à Rome au service de plusieurs princes et prélats, dont le cardinal Cinzio Aldobrandini. Après un séjour à Venise en 1598, il meurt à Rome où il est enterré. Le succès que Marenzio a rencontré de son vivant comme madrigaliste fait qu’il a été pris comme modèle par plusieurs générations de musiciens, parmi lesquels on compte pratiquement tous les chefs de file du temps, à commencer par Monteverdi. Moins audacieux et moins singulier, dans ses stravaganze, que le cruel harmoniste Gesualdo, prince de Venosa, il peut être considéré comme le grand classique du mouvement madrigalesque car, chez lui, le souci du fond se marie toujours harmonieusement aux préoccupations de la forme. Charmeuse, ordonnée, amoureuse de lumière et de clarté, son écriture témoigne d’une admirable virtuosité, mais contrôlée par une sobriété expressive qui commande à l’émotion. Ce qui ne l’empêche pas de choisir avec un remarquable discernement ses textes (Pé-

trarque, Torquato Tasso, Guarini dont le célèbre Pastor Fido est, dans cette seconde moitié du XVIe siècle, la « bible » des compositeurs profanes) et de faire écho, par les effets descriptifs de la musique (le genre madrigalesque est ainsi parfois qualifié de « peinture par l’oreille »), à la vocation poétique des paroles (O Voi che sospirate). Sans doute son lyrisme raffiné est-il plus sensible au bonheur pastoral ou bucolique qu’au trait dramatique. Reste que ce maître parmi les maîtres sait aussi user de l’effet chromatique pour privilégier l’émotion avec le sentiment intense et que, chez lui, le polyphoniste s’ouvre souvent au nouveau style du temps, attentif à la souplesse et à la symétrie des rythmes, à la prosodie naturelle des mots et à une déclamation volontiers homorythmique (rejoignant en cela le programme esthétique des mélodramatistes florentins). MARI (Pierrette), femme compositeur et musicographe française (Nice 1929). Élève du conservatoire de Nice (19431946), où elle obtient quatre prix (piano, solfège, histoire de la musique, harmonie), elle reçoit également le prix de la Ville de Nice (1946). En 1950, elle entre au Conservatoire national de musique de Paris dans les classes de Noël Gallon, Tony Aubin et Olivier Messiaen, remporte un premier prix de contrepoint (1953) et un premier prix de fugue (1954). Le gouvernement autrichien lui alloue alors une bourse pour participer au colloque Musique et Théâtre à Salzbourg (1956). Premier prix de la mélodie française (1961), décerné par l’Union nationale des arts, elle a exercé des activités de critique dans plusieurs journaux, et écrit divers ouvrages : Olivier Messiaen, Belá Bartók et Henri Dutilleux. Elle est depuis 1977 chargée de cours à Paris IV-Sorbonne. Parmi ses oeuvres : Psaumes, pour récitant et orchestre (1954) ; Divertissement pour flûte et orchestre (1954) ; le Sous-Préfet aux champs (1956) ; Trois Mouvements pour cordes ; Concerto pour guitare (1971) ; les Travaux d’Hercule (1973), et Dialogue avec Louise Labé pour voix et cordes (1979). MARIE (Jean-Étienne), compositeur français (Pont-l’Évêque, Calvados, 1917 Nice 1989). Après des études de musique, de théologie

et de mise en ondes, il commence à travailler comme musicien metteur en ondes à l’O. R. T. F., à partir de 1949. Quelques années plus tard, il réalise des musiques électroacoustiques dans le cadre du Club d’essai, mais indépendamment du Groupe de recherches de musique concrète de la R. T. F. ; il produit une expérience de confrontation entre l’image composée et le son avec Polygraphie polyphonique no 1 (1957), pour violon et « film sonore », et il participe brièvement à l’expérience du Concert collectif du G. R. M., avec l’Expérience ambiguë (1962). Il affirme également son intérêt pour l’utilisation des micro-intervalles, dans un esprit proche du compositeur mexicain Julian Carillo, son inspirateur. C’est en hommage à ce dernier qu’il compose le Tombeau de Julian Carillo (1966), pour piano en tiers de ton, piano en demi-ton, et bande magnétique. Il écrit aussi, pendant les années 60, Images thanaïques (1960) pour orchestre et bande, Oboediens usque ad Mortem (1966) pour orchestre, Appel au tiers monde (1967) pour bande magnétique, sur un texte d’Aimé Césaire, Tlaloc (1967) pour orchestre et trois bandes magnétiques stéréo, et Concerto milieu Divin (1969), pour grand orchestre et dispositif électroacoustique de « tape delay » (enregistrement et relecture avec retard de l’exécution en direct, à laquelle elle est superposée). En 1966, il crée au sein de la Schola cantorum, où il est professeur, un studio et un centre d’enseignement de musique électroacoustique, le Centre international de recherches musicales (C. I. R. M.), installé à Nice depuis 1975, où viennent travailler divers compositeurs (dont son collaborateur Fernand Vandenbogaerde), qui y produisent de nombreuses oeuvres pour bande magnétique et « dispositif électroacoustique ». Il est aussi, pendant quelques années à partir de 1968, l’animateur des Semaines de musique contemporaine d’Orléans. Dans le cadre du C. I. R. M., il a réalisé des pièces comme S 68 (1969), « symphonie électroacoustique » pour bande magnétique en trois mouvements (Vent d’Est, Action, Demain), BSN 240 (1969) pour trois bandes stéréo à déroulement infini (ne retrouvant leur synchronisme de départ qu’au bout de deux cent quarante heures), Savonarole (1970) pour choeur, orchestre à cordes, deux récitants, six pistes magnétiques, Vos leurres de messe (1972), pour trompette, cor, et

dispositif électroacoustique, Symphonies (1972), pour orgue et bande magnétique, etc. Mais il abandonne au bout d’un certain temps ses lourdes tâches de direction pour se consacrer à ses recherches personnelles. Son intérêt pour une « formalisation mathématique » de toute la problématique musicale se développe, et il en élabore la théorie « globalisante », à la manière de Xenakis (mais peut-être sans les frappantes et immédiates intuitions de Xenakis), dans un gros ouvrage, l’Homme musical, qui brosse un programme pédagogique passant par la sociologie, la technique, les mathématiques, l’esthétique, etc. Les micro-intervalles, envisagés comme le moyen de « faire se rejoindre l’harmonie et le timbre », l’emploi de modèles mathématiques, une inspiration souvent religieuse, humaniste et tiers-mondiste, demeurent les axes de son oeuvre musicale, quand il entreprend de repartir à l’aventure en mettant au point une sorte de synthétiseur portable accordé en micro-intervalles non tempérés, qu’il baptise le C. E. R. M. (Complexe expérimental de recherche musicale). C’est sur cet appareil qu’il exécute en concert ses musiques nouvelles, telles que Irrationnelle homothétie (1979), et une série d’oeuvres pour C. E. R. M., avec piano, ou bande magnétique : Fractal-Figural I à IV (1978-1981). Il attache également une certaine importance à ses recherches sur les rapports du son et de l’image, ayant tenté notamment de donner une version sonorisée nouvelle du Cuirassé Potemkine d’Eisenstein. Jusqu’en 1986, il a dirigé le festival MANCA de Nice, son successeur étant en 1987 Michel Redolfi. MARIÉTAN (Pierre), compositeur suisse (Monthey 1935). Après des études au conservatoire de Genève sur les techniques d’écriture et le cor, puis après une maîtrise sur le chant grégorien, il aborde la composition avec Zimmermann à Cologne (1960), puis avec Stockhausen et Boulez à Bâle (1961-1963). Au lieu de se fixer sur une technique, il recherche une sorte de dialectique entre plusieurs systèmes. Installé à Paris, il fonde en 1966 le G. E. R. M. (Groupe d’études et de réalisations musicales). Son effort des années précédentes porte essentiellement sur l’acoustique musicale urbaine, ce qui l’a conduit à une « musicalisation

de l’espace habitable » et à des expériences sur l’écoute dans la ville de Monthey, ainsi qu’à Cologne, Bonn (1977), et enfin Paris. Il a enseigné à l’université de Paris I, traitant de « l’urbanisme, architecture, paysage, morphologie de l’environnement downloadModeText.vue.download 625 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 619 et de l’habitat ». Parmi sa quarantaine d’oeuvres, citons D’instant en instant pour 24 solistes (1980). MARIMBA. Instrument à percussion de la famille des « claviers ». C’est un xylophone basse, d’une étendue de trois et demie à cinq octaves, sonnant deux octaves plus bas que le xylophone classique. Il se distingue également de celui-ci par les tubes résonateurs fixés sous les lames pour prolonger leur vibration. MARINI (Biagio), compositeur et violoniste italien (Brescia v. 1587 - Venise 1663). Né dans une famille aisée, il fut violoniste à Saint-Marc de Venise en 1615, puis travailla successivement à Brescia (1620) et à Parme (1621). De 1623 à 1649, il vécut principalement en Allemagne comme maître de chapelle à la cour de Neuburg, sur le Danube, tout en effectuant de fréquents voyages. Il fut ensuite maître de chapelle à Milan (1649) et directeur de l’Accademia della Morte à Ferrare (165253). On le vit à Vicenza en 1655-56. Son oeuvre fut imprimée de son vivant en 22 numéros d’opus, dont certains perdus et d’autres incomplets. Il écrivit de la musique vocale, essentiellement des pièces à une ou plusieurs voix avec instruments (Madrigali e symfonie op. 2, Venise 1618), mais son importance réside surtout dans sa production instrumentale (Affetti musicali op. 1, Venise 1617 ; Sonate, symphonie... e retornelli op. 8, Venise 1629). MARKEVITCH (Igor), compositeur et chef d’orchestre italien d’origine russe (Kiev 1912 - Antibes 1983).

En 1914, sa famille quitta la Russie pour Paris, puis pour la région de Vevey en Suisse, où il commença ses études avec son père Boris (auteur d’un traité de piano) et avec Paul Loyonnet. Sa première composition, Noces (1925) retint l’attention de Cortot qui l’invita à rejoindre sa classe de piano à Paris. Il reçut également l’enseignement de Nadia Boulanger (harmonie, contrepoint, composition). En 1929, Serge de Diaghilev entendit sa Sinfonietta et lui commanda un concerto de piano. À la mort du mécène, il incorpora le matériel de son ballet l’Habit du roi dans une cantate sur un texte de Jean Cocteau. Son exécution par Roger Désormière (1930), puis celle d’un concerto grosso firent beaucoup pour asseoir sa renommée. Rébus (1932), qu’il dirigea lui-même à Paris, lui valut un triomphe, de même que l’Envol d’Icare (1933). Si le Psaume (1934), qui avait choqué le public, est resté une page de haute tenue, le Paradis perdu (1935) d’après Milton constitue sa création la plus importante. On a discerné, dans ses meilleures oeuvres, une rythmique à la Stravinski, une écriture polyphonique à la Hindemith. « Le langage de Markevitch n’est pas essentiellement personnel, a écrit Paul Collaer, il est éclectique. La profonde originalité de son art est due à l’esprit qui s’y manifeste. » En 1936, Igor Markevitch épousa Kyra, fille de Vaclav Nijinski ; l’année suivante, il fit sensation au Mai musical de Florence, en déclarant que les compositeurs étaient partiellement responsables de l’isolement dont ils se plaignaient. En 1938, le succès du Nouvel Âge apporta la confirmation de cette déclaration : Markevitch était en possession d’un langage capable, lui, d’atteindre un vaste public. Certaines de ses productions n’en suscitèrent pas moins de violentes critiques. La Taille de l’homme (1938-39), sur un texte de C. F. Ramuz, Laurent le Magnifique (1940) et Variations, fugue et envoi sur un thème de Haendel (1941) restent les trois dernières compositions originales du musicien, qui, durant la guerre, rejoignit en Italie les mouvements de résistance avant d’entamer une seconde carrière, celle de chef d’orchestre, domaine où il est universellement connu. Organisateur du Mai musical florentin en 1944, après la libération de Florence, il a acquis la nationalité italienne ; c’est également

l’époque de la dissolution de son premier mariage, et d’un second mariage. Au cours des trente ans qui suivirent, Markevitch tint plusieurs postes de chef d’orchestre permanent dans de nombreuses villes : Stockholm, Paris (orchestre Lamoureux), Montréal, Madrid, Monte-Carlo, Rome. Ses concerts firent date, et l’éminent critique suisse R. Aloys Mooser n’hésita pas à écrire : « Au cours d’une longue vie, j’ai rencontré seulement deux compositeurs à propos desquels on pouvait dire avec raison qu’ils possédaient des aptitudes égales dans l’art de la composition et dans celui de la conduite : Gustav Mahler et Richard Strauss. À ces deux noms exceptionnels, on peut ajouter celui d’Igor Markevitch. » Fixé à Saint-Cézaire, près de Nice, depuis 1954, Markevitch a travaillé pendant des années à la préparation de cours à l’attention de ses élèves et à une édition encyclopédique des symphonies de Beethoven qui a commencé à paraître en 1982. En 1980 est paru le premier tome de ses mémoires (Être et avoir été). En 1982, il a reçu le prix Arthur-Nikisch de la ville de Leipzig et obtenu la nationalité française. MARKOWSKI (Andrzej), chef d’orchestre et compositeur polonais (Lublin 1924 Varsovie 1986). Il a fait ses études de théorie et de composition à Lublin (1939-1941) et à Londres (1946-47), et, pour la direction d’orchestre, a été l’élève de Witold Rowicki (1947-1955). Sa carrière le mena tout d’abord dans diverses villes de Pologne, en particulier à Cracovie, où il organisa un festival pour jeunes musiciens, et, en 1971, il fut nommé à la tête de la Philharmonie nationale à Varsovie. Comme compositeur, il s’est consacré en particulier à la musique de film, mais sans négliger pour autant ni les genres traditionnels ni le domaine électroacoustique. MARLBORO. Il est convenu d’appeler « festival de Marlboro » une série annuelle de 16 concerts de musique de chambre donnés du début du mois de juillet à la mi-août, en fin de semaine, à Marlboro College (Vermont). Ces manifestations prestigieuses ne sont en fait que la partie publique des activités de la Marlboro Music School and Festi-

val, vaste atelier de musique de chambre fondé en 1950 par Louis et Marcel Moyse, Blanche Honegger-Moyse, Adolf et Hermann Busch, et le pianiste Rudolf Serkin, qui en est devenu le directeur artistique. Chaque été, environ 85 musiciens (concertistes, membres d’ensembles de musique de chambre, premiers pupitres d’associations symphoniques) sont invités à Marlboro pour étudier et exécuter le répertoire de la musique de chambre classique et contemporaine, échanger des idées et partager leurs connaissances. Toutes les formations imaginables, du duo à l’orchestre de chambre, peuvent être constituées « sur le tas », et une centaine d’oeuvres sont travaillées chaque semaine. Certaines font l’objet d’exécutions publiques. Bien que les programmes du « festival de Marlboro » ne soient jamais annoncés avant le jour même du concert, les bureaux de location affichent complet longtemps à l’avance. De nombreux interprètes célèbres, parmi lesquels on peut citer Pablo Casals et Rudolf Serkin, ont associé leur nom à celui de Marlboro. Depuis 1965, des ensembles baptisés « Music from Marlboro » effectuent régulièrement des tournées dans les villes des États-Unis et du Canada. MARMONTEL (Antoine), pianiste et pédagogue français (Clermont-Ferrand 1816 - Paris 1898). Il fut au Conservatoire de Paris l’élève de Zimmermann (piano) et de Lesueur (composition). Il obtint le premier prix de piano en 1832. En 1848, il succéda à Zimmermann. Pédagogue réputé, il forma un grand nombre de pianistes et compta parmi ses élèves Guiraud, Bizet, Diémer, Albéniz, Debussy, Planté, M. Long. Ses nombreuses compositions pour son instrument comprennent des sonates, des études et des morceaux de genre. Il est downloadModeText.vue.download 626 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 620 également l’auteur de traités, d’essais, et de plusieurs ouvrages musicographiques sur les interprètes : les Pianistes célèbres (1878), Symphonistes et Virtuoses (1881),

Virtuoses contemporains (1882). MAROS (Rudolf), compositeur hongrois (Stachy, Slovaquie, 1917 - Budapest 1982). Il étudie l’alto avec Temesváry et la composition avec Zoltán Kodály à l’académie Franz-Liszt de Budapest. Il vient ensuite à Prague suivre la classe d’Aloïs Hába et suit les cours d’été de Darmstadt (19581960). Il enseigne lui-même dès 1942 au conservatoire de Pécs, puis devient titulaire d’une chaire de musique de chambre, de théorie de l’orchestration et de composition à l’académie Franz-Liszt de Budapest (1949-1972). Son oeuvre fait de lui le seul successeur spirituel de Bartók qui ait eu une personnalité suffisante pour assumer un tel héritage. Il fut certainement le représentant le plus éminent de sa génération. À partir de 1956, il s’adonna essentiellement à la musique instrumentale, jouant sur des blocs sonores aux timbres raffinés tout en conservant un expressionnisme direct et saisissant, dans la tradition bartokienne. MAROT (Clément), poète français (Cahors 1496 - Turin 1544). Plusieurs fois emprisonné et fugitif comme adepte de la religion réformée, il traduisit en vers les psaumes : 13 parurent de façon anonyme à Strasbourg en 1539, avec la musique utilisée depuis dans la liturgie calviniste, et 30 autres à Anvers en 1541, sans musique. Leur total devait atteindre 53, et les rééditions furent nombreuses. La diffusion de ce « psautier huguenot », plus tard complété par Théodore de Bèze, fut considérable. Dès le XVIe siècle, la poésie de Marot fut une très grande source d’inspiration pour les musiciens : seul Ronsard fut alors mis en musique plus souvent que lui. Janequin, Lassus, Sermisy et bien d’autres s’inspirèrent de ses chansons et épigrammes. De même, les Psaumes furent traités de façon polyphonique par de nombreux compositeurs de l’époque, avec à leur tête Claude Goudimel. À la période contemporaine mirent en musique la poésie de Marot des compositeurs comme Jean Rivier, Peter Warlock, Jean Langlais et surtout Maurice Ravel (Deux Épigrammes, 1896-1899). MARPURG (Friedrich Wilhelm), musicologue, théoricien et compositeur allemand (Seehof, Wendemark, 1718 - Berlin

1795). Sa vie est assez mal connue. Issu d’une famille aisée, il reçoit une éducation très complète, puis dépense toute sa fortune en voyages. En 1746, il est secrétaire d’un général « Bodenburg » (il s’agit sans doute du général Friedrich Rudolph von Rothenburg) à Paris, où il rencontre Voltaire, d’Alembert et Rameau. À partir de 1749, il est à Berlin et participe alors très activement à la vie musicale, avec en particulier la publication de trois périodiques : Der kritische Musicus an der Spree (1749-50), Historisch-kirtische Beyträge zur Aufnahme der Musik (1754-1762, 1778) et Kritische Briefe über die Tonkunst (17601764). Il ne se limite pas à la critique musicale, mais se consacre également à la composition, à l’édition musicale et à la rédaction d’ouvrages didactiques. Il semble avoir été moins actif à partir de 1763, date à laquelle il obtient un poste à la loterie royale de Prusse, qu’il dirige trois ans plus tard. Il a composé et édité surtout des pièces pour clavier (sonates, fugues, préludes, chorals) et des chants strophiques (lieder et odes), d’un intérêt plus historique qu’artistique. Il accompagne ces publications d’ouvrages théoriques : Die Kunst das Clavier zu spielen (1750), Anleitung zum Clavierspielen (1755), Handbuch bey dem Generalbasse und der Composition (1755-1758), Anleitung zur Singcomposition (1758). De tendance plutôt conservatrice, il est un fervent admirateur de l’art contrapuntique de J.-S. Bach (dont il préface une nouvelle édition de l’Art de la fugue en 1752) et écrit un Abhandlung von der Fuge (1753-54) qui, bien que considéré comme démodé à l’époque, est en fait la première tentative historique d’analyse globale de cette forme. Il a, d’autre part, le mérite d’introduire en Allemagne les théories françaises sur la musique (en particulier l’esthétique de Batteux), avec lesquelles il s’est familiarisé lors de son séjour en France. Sa traduction des Élémens de musique de d’Alembert (1757) permet aux idées de Rameau de se répandre. Ces différentes prises de position lui valent de nombreux adversaires (Kirnberger, G. A. Sorge). Dans ses périodiques au ton tantôt satirique, tantôt didactique, il aborde, outre les questions déjà signalées, les problèmes du tempérament, du récitatif d’opéra, et présente diverses biographies

de musiciens. Son oeuvre constitue ainsi un panorama très complet de l’Allemagne musicale à cette époque, qu’il approfondit par un certain nombre d’ouvrages : Anfangsgründe der theoretischen Musik (1757), Kritische Einleitung in die Geschichte und Lehrsätze der alten und neuen Musik (1758), Versuch über die musikalische Temperatur (1776), Legende einiger Musikheiligen (1786). MARQUER. Verbe transitif signifiant qu’un passage ou un accord doit être souligné ou accentué. Deux indications peuvent être utilisées, soit le terme italien marcato, soit des signes en forme de cône, droit (^) ou renversé (347 av. J.-C.). Il est resté célèbre chez les musiciens pour avoir professé une certaine conception éthique de la musique, notamment dans ses deux ouvrages « utopiques », la République et les Lois, où il édicte les règles auxquelles la musique doit se plier

pour contribuer à maintenir l’ordre et la vertu dans la Cité. Une telle conception de la musique était courante à l’époque, et il s’agissait chez Platon des spéculations d’un homme sans pouvoir, qui parlait en défenseur de vieilles valeurs tombant en désuétude. Si Platon entend mettre de l’ordre dans la musique, c’est qu’il lui attribue une haute mission éducative et morale, presque à égalité avec la philosophie, avec laquelle il la compare souvent (la philosophie, dit-il dans le Phédon, est la plus grande des musiques). De son temps, elle est une des disciplines auxquelles sont formés les « hommes de bien », et à ce titre elle intéresse les pédagogues. La musique, dit Platon, doit être inspirée par la droiture (« orthotès ») et la simplicité, et pour cela on proscrira de la Cité l’usage des « modes » musicaux qui n’incitent pas à la vertu pour ne conserver finalement que les modes dorien et phrygien (cela en référence à la théorie de l’« ethos », qui attribuait à chaque mode, ou « harmonie », un effet spécifique sur les ) ; la bonne musique doit être une « imitation » (« mimesis ») des mouvements et des accents de l’homme de bien ; elle doit accompagner un chant et un texte, car la musique purement instrumentale n’est qu’un divertissement émollient. Dans la République, Platon propose de bannir de la Cité idéale les joueurs d’aulos (instrument du satyre Marsyas, jugé orgiaque et dionysiaque), au profit de la cithare, de la lyre, instrument d’Apollon, et de la flûte accompagnant le chant (mais les « aulètes » sont admis à nouveau dans l’autre utopie de Platon, les Lois, ouvrage de vieillesse). Enfin, la simplicité est requise dans l’accompagnement du chant à l’unisson (pas trop d’ornementation et d’hétérophonie). On tiendra compte de la différence des sexes pour concevoir une musique « qui a de la grandeur et entraîne au courage » (pour les hommes), et « qui entraîne à la modestie et à la sagesse » (pour les femmes). Les concours musicaux seront jugés sous la présidence d’hommes âgés et avisés. Ainsi la musique, traitée en « affaire d’État », peut-elle, selon Platon, restaurer l’ordre et l’entente chez l’homme, ce qui est sa vocation primitive (Timée, dialogue faisant état des théories pythagoriciennes du nombre), et honorer les divinités. Platon n’était certes pas le seul, de son

temps, à identifier le point de vue esthétique et le point de vue moral : le préfixe « eu », dans les notions d’ « eurythmia » (eurythmie) et « euharmonia » (euphonie), signifie à la fois « bien » et « bon », convenable. On est fondé à croire que quand Platon spéculait ainsi sur une musique idéale, c’était dans une période d’abandon des modes traditionnels et de développement de la musique de divertissement, et peut-être de contamination de la musique grecque par des influences orientales. Pour lui, comme pour un Bach, la musique a un sens religieux profond, elle s’identifie notamment au chant (Timée, Philèbe), et donc elle est liée à un certain contenu qui ne peut être « neutre » moralement. Les idées platoniciennes, notamment sur l’« ethos » des modes, ont influencé certains Pères de l’Église. La conception de la musique comme « mimesis » (imitation) des mouvements de l’âme a été reprise par Zarlino et Monteverdi. Le XVIe siècle italien, féru d’Antiquité, a cherché souvent à appliquer les théories platoniciennes en reconstituant tant bien que mal les modes et les rythmes anciens. Le mythe de l’« harmonie des sphères » a nourri l’imaginaire de la musique occidentale jusqu’à nos jours. Même un compositeur contemporain, sincèrement démocrate, mais utopiste, comme Yannis Xenakis, avoue la profonde impression faite sur lui par les thèses de Platon. Il est vrai que celles-ci représentent, dans la downloadModeText.vue.download 793 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 787 culture occidentale, une des rares visions de la musique qui aient une certaine ampleur morale et mythique. Platon a d’ailleurs repris et synthétisé des théories et des idées qui avaient cours de son temps : aussi bien la théorie pythagoricienne de la musique que les thèses d’un certain Damon, dont s’inspireraient largement les spéculations de la République. Aujourd’hui, les écrits de Platon restent une mine d’idées et de renseignements sur la musique dans la Grèce antique, tout en continuant de propager une conception utopiste de la musique, qui n’a pas perdu son pouvoir de faire rêver.

PLATTI (Giovanni Benedetto), compositeur italien (Venise v. 1700 -Würzburg 1763). On ne connaît rien sur le début de sa vie ni sur sa formation. En 1722, il est présent à la cour de Würzburg, où il était sans doute venu avec un groupe de musiciens vénitiens, et y travaille jusqu’en 1761 au moins. Engagé en qualité d’hautboïste, il fait également office de professeur de chant, ténor de chambre et violoniste, et, à l’occasion, de violoncelliste et claveciniste. Il a composé de la musique sacrée (six messes, Requiem, Stabat Mater), un opéra et quelques pièces vocales profanes, mais s’est surtout consacré à la musique instrumentale : deux recueils de six sonates pour clavecin op. 1 et 4 (1742 et 1745), six concertos pour clavecin et cordes op. 2 (1742), six sonates pour flûte avec violoncelle op. 3 (1743), ainsi qu’un certain nombre de sonates et pièces inédites pour clavecin, hautbois, violon et violoncelle. Bien que ses oeuvres (surtout les premières) se rattachent encore, d’une certaine façon, à l’époque baroque par leur usage de divers procédés polyphoniques (en particulier celui du fugato), ses dernières sonates, dont la recherche mélodique est évidente et où se fait sentir l’influence de C. Ph. E. Bach, permettent de le considérer comme un compositeur préclassique. PLÉ-CAUSSADE (Simone), femme compositeur française (Paris 1897 - id. 1986). Après de brillantes études au Conservatoire de Paris avec Alfred Cortot, Henri Dallier et Georges Caussade, elle prend en 1928 la succession de son mari Georges Caussade à la tête de la classe de fugue. Elle a composé de la musique sacrée, des mélodies, des pièces pour orgue, de la musique de chambre (sonate pour violon et piano, quatuor) et deux recueils de pièces de piano pour enfants. Parmi ses élèves, Gilbert Amy et Betsy Jolas. PLECTRE. Petit morceau de matière variable (écaille, bois, ivoire, métal, plastique) servant à pincer les cordes sur quelques instruments comme la cithare, la mandoline et certaines guitares. Se nomme également parfois « média-

tor ». PLEIN-JEU. Jeu de mixture de l’orgue, qui consiste en la réunion de la cymbale et de la fourniture. L’exécutant compose lui-même le plein-jeu en appelant ces deux registres, ou un registre spécial portant ce nom. Le plein-jeu compte 3 à 10 tuyaux aigus par note. Le terme de plein-jeu désigne également l’ensemble des jeux de fond et de mixtures d’un orgue, terme auquel on préfère aujourd’hui celui, moins équivoque, de plenum. Par extension, les organistes français des XVIIe et XVIIIe siècles ont appelé plein-jeu des pièces mettant en oeuvre le plenum de l’instrument ; un « grand plein-jeu » en accords, au clavier de grand orgue, s’y opposait généralement à un « petit plein-jeu », plus léger et plus rapide, au clavier de positif. PLENUM. Terme employé par les organistes pour désigner une registration particulière, qui fait sonner l’ensemble des jeux de fond du type principal (montres, principaux, prestant, doublette) et du type bourdon, de toutes hauteurs, avec les jeux de mixtures. Plenum se dit pour « organum plenum », l’orgue en son plein ; on parle aussi, en italien, de « pleno » (pour « organo pleno ») ou de ripieno. PLEYEL, famille de musiciens français d’origine autrichienne. Ignaz, compositeur, éditeur et facteur de pianos (Ruppersthal, Basse-Autriche, 1757 - Paris 1831). D’abord élève de Vanhal, il fut envoyé par son protecteur, le comte Ladislas Erdödy, auprès de Haydn à Eszterháza, et y resta sans doute de 1772 à 1777. Il fut ensuite maître de chapelle du comte Erdödy, puis voyagea en Italie, en particulier à Naples, où fut représenté en 1785 son opéra Ifigenia in Aulide. En 1783 ou 1784, il devint assistant de Franz Xaver Richter à la cathédrale de Strasbourg, lui succédant comme maître de chapelle en 1789. De décembre 1791 à mai 1792, il séjourna à Londres, appelé par le Professional Concert pour concurrencer

son ancien maître Haydn. Les relations des deux compositeurs restèrent néanmoins très cordiales. De retour en Alsace, il échappa de peu à la guillotine, et, en 1795, il s’installa à Paris, où il fonda une maison d’édition qui devait poursuivre ses activités jusqu’en 1834, et en 1807 une fabrique de pianos qui devait fusionner en 1961 avec Gaveau-Érard, l’ensemble devant être racheté en 1976 par Schimmel, de Brunswick. Comme éditeur, Pleyel publia en 1801 la première collection complète des quatuors de Haydn, et en 1802 les premières partitions de poche, inaugurées avec quatre symphonies de Haydn. Comme compositeur, il écrivit assez peu de musique vocale (Die Fee Urgele, Eszterháza, 1776), et cultiva essentiellement le domaine instrumental (symphonies, concertos, symphonies concertantes, oeuvres de musique de chambre du duo au septuor). Sa production en ce domaine, extrêmement abondante, fit l’objet de multiples arrangements, et il fut, en son temps, le compositeur le plus édité. Ses symphonies et quatuors le firent souvent comparer à Haydn, dont il fut l’élève le plus célèbre, et Mozart, après avoir pris connaissance du deuxième opus paru de Pleyel, Sei quartetti composti e dedicati al celeberrimo e stimatissimo fu suo Maestro il Signor Gius. Haydn in segno di perpetuo gratitudine, alla jusqu’à écrire : « Il serait bon et heureux pour la musique que Pleyel puisse être en mesure, avec le temps, de nous remplacer Haydn » (24 avril 1784). L’apogée de la carrière créatrice de Pleyel correspondit aux années de Strasbourg, ce dont témoigne notamment un contrat avantageux qu’il signa le 20 décembre 1786 avec l’éditeur parisien Imbault. À noter que deux de ses trios furent longtemps attribués à Haydn (Hob. XV. 3 et 4). Un catalogue thématique de ses oeuvres a été dressé par Rita Benton (New York, 1977). Camille, compositeur, pianiste et homme d’affaires (Strasbourg 1788 - Paris 1855). Fils du précédent, il l’accompagna à Vienne en 1805 et devint son associé en 1815. Plus tard, il se lia d’amitié avec Chopin. Marie, née Moke, pianiste, pédagogue et compositrice (Paris 1811 - Saint-Josseten-Noode, près de Bruxelles, 1875). Elle épousa Camille Pleyel après avoir été fian-

cée à Berlioz, mais s’en sépara au bout de quatre ans (1835). PLUDERMACHER (Georges), pianiste français (Paris 1944). Entré à onze ans au Conservatoire de Paris, il y étudie auprès de Lucette Descaves, Jacques Février, Geneviève Joy et Henriette Puig-Roget. Lauréat des Concours Vianna da Motta de Lisbonne en 1968 et de Leeds en 1969, il remporte le 1er Prix du Concours Géza Anda de Zurich en 1979. Son répertoire est vaste et sa curiosité musicale toujours en éveil ; il défend la musique de son temps en créant de nombreuses oeuvres contemporaines et en participant à la publication d’articles sur des compositeurs d’aujourd’hui. En musique de chambre, il se produit notamment aux côtés de Nathan Milstein et downloadModeText.vue.download 794 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 788 Christian Ferras. Ses enregistrements des Études de Debussy et des Variations Diabelli de Beethoven ont reçu plusieurs prix du disque. Il consacre aussi une part de son activité à l’enseignement, comme professeur au Conservatoire de Paris. POCHETTE. Petit violon dont se servaient les maîtres à danser pour accompagner les exercices de leurs élèves. Son manche était de proportions normales, mais sa caisse si courte et étroite qu’il pouvait se transporter dans une poche de l’habit, d’où son nom. La pochette, dont le son était nécessairement grêle et nasillard, a été abandonnée au cours du XIXe siècle au profit du piano. PODROMIDES (Jean), compositeur français (Neuilly-sur-Seine 1927). Élève de Messiaen, de Duruflé et de Leibowitz, il a composé des oeuvres symphoniques et de chambre avant de se tourner pour l’essentiel vers les formes lyriques et dramatiques et la recherche théâtrale, collaborant avec Louis Erlo, Jean-Louis Barrault, Antoine Bourseiller, René Terrasson, Maurice Béjart. Il s’est imposé

avec l’oratorio dramatique radiophonique les Perses (1961), et a composé ensuite les ballets la Belle et la Bête (1962), Salomé (1969) et Une saison en enfer (1969), des musiques de film dont celle du Danton de Wajda (1982), l’étude symphonique Parcours (1974), l’oratorio le Livre des Katuns (1977), ainsi que les opéras Passion selon vos doutes (Lyon 1971), les Traverses du temps (Nantes 1979), H. H. Ulysse (Opéra du Rhin 1984), La Noche Triste (Nancy 1989), Goya (Montpellier 1996). Il a succédé à Henri Sauguet à l’Académie des beaux-arts. POÈME SYMPHONIQUE. Genre de composition musicale pour orchestre seul, généralement en un seul mouvement, inspiré directement et explicitement par un thème, un personnage, une légende, un poème, et très souvent par un texte. Ce genre est apparu dans le milieu du XIXe siècle, et il dérive de plusieurs genres déjà existants comme l’« ouverture de concert » (les Hébrides de Mendelssohn, 1829-1832), la « symphonie à programme » (Symphonie pastorale, de Beethoven, 1808 ; Symphonie fantastique, de Berlioz, 1830) et aussi la musique de ballet ou d’opéra. On peut considérer que les initiateurs de ce genre furent Berlioz et Liszt : le premier, implicitement, par ses symphonies à programme et ses ouvertures ; le second, explicitement, en définissant le genre, et en l’illustrant par une longue série de treize oeuvres. On parle en allemand de symphonische Dichtung ou de Tondichtung (« poésie en sons »), et les grands auteurs du genre furent, outre Liszt et Berlioz, Richard Strauss, Smetana, Dvořák, Sibelius et les compositeurs russes. Genre traditionnellement ramassé de proportions, le poème symphonique peut s’amplifier en une grande « symphonie à programme » en plusieurs mouvements, comme les Dante-Symphonie et Faust-Symphonie, de Liszt, ou bien donner lieu à des « cycles » regroupant plusieurs poèmes symphoniques distincts et brefs autour d’un thème central (cycle patriotique de Smetana, héroïque de Richard Strauss, romain de Respighi, etc.). La forme musicale du poème symphonique, en principe assujettie à la narration dont elle s’inspire, reprend souvent des moules formels traditionnels qui correspondent à

un trajet dramatique particulier : la forme sonate à deux thèmes, ABA’, exprime en elle-même, musicalement, le concept d’exposition (d’un point de départ), de départ, et de retour ; la forme thème et variations (dans le Don Quichotte de Strauss, par exemple) est tout indiquée pour servir à illustrer les aventures d’un personnage qui persiste dans son choix initial ; la ballade de Goethe qui inspira à Paul Dukas son Apprenti sorcier lui suggéra aussi la forme légère et répétitive d’un scherzo libre, et la gaieté picaresque et populaire des malices de Till l’Espiègle est idéalement traduite dans la plus universelle des formes, le rondo (Till Eulenspiegel, de Richard Strauss). D’autres poèmes symphoniques adoptent la forme rhapsodique d’une succession de tableaux reliés entre eux par des motifs conducteurs, des « leitmotive ». En effet, la mise au point du leitmotiv par Berlioz, Liszt, Wagner, n’est pas étrangère à l’essor du genre, puisque cette « trouvaille » du leitmotiv consiste à personnaliser un motif (plus court, ouvert, mobile et malléable qu’un thème complet) pour l’investir d’un rôle à la fois formel et symbolique : le genre du poème symphonique est en ce sens caractéristique d’une époque où l’on a cherché à faire « penser » la musique, à lui faire véhiculer des idées et des messages. Ainsi beaucoup de poèmes symphoniques sont architecturés autour de leitmotive très caractéristiques (Ein Heldenleben, « Une vie de héros », de Richard Strauss, en comporte au moins 70) plutôt qu’autour de thèmes fermés se concluant par une cadence. L’écriture de ces poèmes, souvent dégagée des moules traditionnels, en devient souvent plus mobile, souple, discursive, inattendue, fantasmagorique, pulvérisée. Le style « pointilliste » (pour l’époque) des tableaux symphoniques de Debussy et des premières pièces pour orchestre de Schönberg et Webern découle plus du poème symphonique romantique que des grandes symphonies postromantiques aux amples arches. Autre caractéristique du poème symphonique romantique, inscrite dans son appellation même : malgré l’exception de « poèmes symphoniques » pour instruments solistes (version originale pour piano des Tableaux d’une exposition, de Moussorgski), il s’affirme surtout avec le développement du grand orchestre de Berlioz à Wagner. Un orchestre démons-

tratif, dramatique, pictural, pittoresque, où les pupitres se divisent et se mélangent entre eux, quittant leur « plan de table » traditionnel pour former toutes sortes de figures et d’associations. Aux instruments solistes est souvent donné un rôle symbolique ou évocateur. En quelque sorte, le poème symphonique prolonge dans la salle de concert, sous une forme condensée et comme « chiffrée » (non explicitée par un texte chanté), l’opéra, ses images et ses évocations, pour un public féru de musique théâtrale et narrative. Il témoigne aussi d’une nouvelle espèce de compositeurs qui se veulent artistes complets, écrivent, pensent, se réclament de la « grande littérature », et non des services de librettistes professionnels plus soucieux d’efficacité que de « poésie ». Souvent, le compositeur de poèmes symphoniques, en connivence culturelle avec un public de concert, lui propose en dioramas musicaux spectaculaires les « grands thèmes », les « grands auteurs » et les « grands mythes » qui l’intéressent. Et souvent, comme on le verra, ces thèmes sont ceux qui agitaient la société de l’époque : l’identité nationale, la révolution, etc. Hector Berlioz est le fondateur du poème symphonique, bien qu’il n’ait jamais usé de cette expression pour désigner ses oeuvres. L’idée-force de sa Symphonie fantastique (1830), de son Harold en Italie (1834), d’après Byron, de son Roméo et Juliette, d’après Shakespeare (1839) [avec des interventions vocales et chorales épisodiques] est d’utiliser les seuls pouvoirs de l’orchestre pour traduire une dramaturgie inspirée de ses « grands hommes « : Gluck, Shakespeare. L’orchestre symphonique, avec lui, est dans sa texture même, sa pâte, remué par des idées, des sensations, des mouvements, plus profondément que chez ses devanciers. En même temps, il développe le caractère pictural de l’orchestre, chez lui moins « fonctionnel » et plus souple, plus mêlé, à chaque fois renouvelé, personnalisé. Après Berlioz, Franz Liszt, également passionné de « grande littérature », codifie en quelque sorte et développe le poème symphonique. Esprit complet et cultivé, curieux de tout, trait d’union de tous les aspects du romantisme, il fait du poème symphonique, à travers ses treize incursions dans le genre, le lieu de rencontre de multiples intérêts poétiques, esthétiques, métaphysiques. Sa Dante-Sym-

phonie (1855-56) et sa Faust-Symphonie downloadModeText.vue.download 795 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 789 (1854-1857) sont au croisement du poème symphonique et de la symphonie à programme. Son Il Tasso (1856), en hommage à Goethe (auteur d’une pièce sur le poète), mais d’après un texte de Byron, fait se rencontrer trois de ses écrivains favoris, de trois grandes nations romantiques (Italie, comme référence, Angleterre et Allemagne). Mais c’est le Français Victor Hugo qui lui inspire Ce qu’on entend sur la montagne (1857) et Mazeppa (1856) ; de la lecture de Shakespeare provient un Hamlet (1861) ; Herder inspire un Prométhée (1856), Lenau la Procession nocturne (1865), Schiller les Idéaux (1858) et Fêtes (1861), et le poète Joseph Autran (et non Lamartine, comme on l’a cru) les célèbres Préludes (1854-1856), méditation sur la destinée. L’Héroïde funèbre (1857), Hungaria (1857), la Bataille des Huns (1861), se rattachent à la vieille tradition de la « bataille » musicale (de Janequin à Beethoven), et il faut citer encore un Orphée (1856), et Du berceau à la tombe (1883). Certes, quand Liszt se réfère à Hugo, Shakespeare, Dante, etc., il s’agit pour lui non seulement de littérature, mais aussi de l’humanité, de la destinée des hommes et des peuples. Par opposition avec la musique religieuse baroque et classique, qui dresse un temple à l’Éternel en laissant au second plan le drame humain (ou en le sublimant), le poème symphonique, chez Liszt et certains de ses successeurs, se plaît à illustrer une métaphysique humaniste et « laïque » de la destinée, du héros « prométhéen », du progrès de la race humaine : en ce sens, c’est un genre caractéristique de l’âge « critique » du romantisme. Cette vocation métaphysique est reprise par Richard Strauss dans Mort et Transfiguration (1888-89) et Also sprach Zarathustra (« Ainsi parlait Zarathoustra », 1896), d’après Nietzsche, « tableau du développement de la race humaine ». Mais ses portraits de destinées, Macbeth (18861888), Don Juan, d’après Lenau (1888), Till Eulenspiegel (1894-95), Don Quichotte (1897), débouchent sur une autobiographie en musique sobrement intitulée Ein Heldenleben, « une vie de héros » (1898).

Ses deux symphonies à programme, Sinfonia domestica (1903), et Symphonie alpestre (1915), se rattachent à la tradition descriptive des Quatre Saisons et de la Symphonie pastorale. Il est amusant de mettre en regard des biographies straussiennes, conquérantes et colorées, les trois poèmes symphoniques antiprométhéens de Saint-Saëns, néoclassiques d’écriture, d’orchestration et de forme, le Rouet d’Omphale (1873), Phaéton (1873), la Jeunesse d’Hercule (1877) : tous trois illustrent en effet, avec un autre point de vue que le héros germanique, celui du « parnassien » sceptique, la même thématique de l’« ubris » grecque, de la prétention condamnée, du héros enchaîné. Du même Saint-Saëns, la fameuse Danse macabre (1874) s’inscrit dans toute une série de tableaux fantastiques pittoresques, où se rangent des poèmes symphoniques de César Franck (les Éolides, 1876, d’après Leconte de Lisle ; le Chasseur maudit, 1882, d’après Bürger ; les Djinns, 1884, d’après Hugo), Paul Dukas (l’Apprenti sorcier, 1897, d’après Goethe), Vincent d’Indy (la Forêt enchantée, 1878, d’après Uhland), Henri Rabaud (la Procession nocturne, 1899, d’après Lenau), Henri Duparc (Lénore, 1875, d’après une ballade de Bürger), Ernest Chausson (Viviane, 1882). Vincent d’Indy d’attachera à toutes les possibilités du poème symphonique, légende narrative (Sauge fleurie, 1884), tableau descriptif (Jour d’été à la montagne, 1906, en 3 parties ; Poèmes des rivages, 1919-1921, en 4 parties), destinée héroïque d’un « perdant « (trilogie de Wallenstein, 1874-1880, d’après Schiller). Le poème symphonique sera aussi l’occasion, en particulier dans les nations de l’Est et du Nord, d’illustrer l’identité nationale, à travers ses légendes, ses dates, ses traditions, ses mythes : on citera le cycle Ma patrie, de Smetana (1874-1879), en 6 poèmes symphoniques dont la Moldau, les « légendes tchèques « de Dvořák d’après Erben (l’Esprit des eaux, le Rouet d’or, la Sorcière de midi), le « cycle nordique « de Sibelius avec la Suite de Lemminkainen (1896), En Saga (1901), la Fille de Pohjola (1906), Chevauchée nocturne et Lever de soleil (1907), le Barde (1913), les Océanides (1914) et surtout Tapiola (1926), la trilogie romaine de Respighi (Pins de Rome, Fontaines de Rome, Fêtes romaines). L’école russe affectionnait le

poème symphonique, forme souple, plus propice que les cadres européens traditionnels pour traduire sa pensée, et pour évoquer les paysages de la Russie et les thèmes historiques ou légendaires (Thamar, 1882, de Balakirev ; Dans les steppes de l’Asie centrale, 1880, de Borodine ; Schéhérazade, 1888, de Rimski-Korsakov ; Nuit sur le mont Chauve, 1867, de Moussorgski et Rimski-Korsakov), tandis que l’» européanisé « Tchaïkovski s’inscrit plutôt dans la tradition de l’ouverture de concert romantique avec Roméo et Juliette (1869), Manfred (1885), Hamlet (1888). On peut considérer, ou non, comme poèmes symphoniques les oeuvres plus récentes qui n’en revendiquent pas le titre, comme la Mer de Debussy ou ses trois Images pour orchestre, le Pelléas et Mélisande de Schönberg (1903), le Pacific 231 (1924) ou le Rugby (1928) de Honegger. Ces oeuvres tendent souvent à abandonner les thèmes héroïques et les grandes interrogations sur la destinée humaine pour revenir à une tradition naturaliste, mais avec un regard nouveau sur le réel : la mer de Debussy n’est plus celle, brossée à gros traits, d’un Wagner dans son Vaisseau fantôme ou d’un Rimski-Korsakov dans Schéhérazade, qui est encore une mer de théâtre, de coulisses. On pourrait aussi s’amuser à pourchasser dans le répertoire contemporain, chez Messiaen, Xenakis, Bayle, la continuation du poème symphonique. Leurs musiques, pourtant, ne font que proposer des modes nouveaux de « mimesis « (imitation) de la nature et de l’homme, comme les Grecs et les Chinois d’antan. Il faut bien considérer le poème symphonique comme un genre historiquement daté (seconde moitié du XIXe siècle, début du XXe) correspondant à certains courants musicaux (et plus généralement idéologiques et esthétiques) propres à l’époque où ce genre prit son essor. POGORELICH (Ivo), pianiste serbe (Belgrade 1958). Il étudie à l’École centrale de musique de Moscou puis au Conservatoire Tchaïkovski. L’événement déterminant de sa formation est sa rencontre avec la pianiste Alice Kezeradzé, qui lui ouvre de nouveaux horizons, tant pour la technique que pour l’interprétation. Lauréat du Concours Casagrande en 1978 et de celui

de Montréal en 1980, année de son mariage avec A. Kezeradzé, il fait ses débuts aux États-Unis en 1981 au Carnegie Hall, et joue depuis dans le monde entier. Outre son activité de soliste, il enseigne et dirige le Festival de Bad Wörishofen, qu’il a créé. POHL (Carl Ferdinand), musicologue, organiste et compositeur allemand (Darmstadt 1819 - Vienne 1887). Il s’installa à Vienne en 1841, y devint élève de Simon Sechter, et, de 1849 à 1855, y fut organiste de l’église protestante du faubourg de Gumpendorf. De 1863 à 1866, il vécut à Londres, et ce séjour fut à l’origine de son Haydn und Mozart in London (Vienne, 1867, réimpr. New York, 1970). Nommé en 1866 archiviste et bibliothécaire de la Société des amis de la musique, il s’intéressa à l’histoire de la vie musicale dans la capitale autrichienne, ce qui se traduisit notamment par Denkschrift aus Anlass des hundertjährigen Bestehens des Tonkünstler-Societät... in Wien (Vienne 1871). Sa grande tâche fut sa biographie de Haydn, base de toutes les recherches ultérieures sur ce compositeur : Joseph Haydn (vol. I, Leipzig, 1875, 2e éd. 1878, réimpr. Wiesbaden, 1971 ; vol. II, Leipzig, 1882, réimpr. Wiesbaden, 1971). Le volume III fut rédigé après la mort de Pohl, et largement d’après ses notes, par Hugo Botstiber (Leipzig, 1927, réimpr. Wiesbaden, 1970). downloadModeText.vue.download 796 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 790 POINT (D’ARRÊT, D’ORGUE, PIQUÉ). 1. Un point placé après une note augmente la durée de celle-ci de la moitié de sa valeur. La note est dite pointée. 2. Le point d’orgue est un signe conventionnel ( ), qui, placé au-dessus ou audessous d’une note ou d’un silence, en augmente la durée autant que peut le souhaiter l’exécutant. Le point d’orgue est de durée indéterminée. 3.Le point d’arrêt remplit la même fonction que le point d’orgue, mais pour une durée plus brève. Il a souvent la valeur d’un ou deux temps. Il est beaucoup moins employé. Il se note parfois par le

signe ( ), ou, même, s’indique aussi par une simple virgule. -4.Un point placé audessus de la note indique que cette note doit être détachée (staccato). Certains théoriciens disent incorrectement que la valeur de la durée de cette note est diminuée de moitié. Ce point est dit piqué. POKORNY (Franz Xaver), compositeur originaire de Bohême (Mestec Kralove 1728 - Ratisbonne 1794). Élève de J. Stamitz, Filtz et F. X. Richter à Mannheim, il entra en 1753 au service du prince d’Oettingen-Wallerstein, puis en 1770 du prince de Thurn und Taxis à Ratisbonne. Il est l’auteur de plus de 160 symphonies, de très nombreux concertos (pour clarinette, hautbois, cor et surtout clavecin) et d’oeuvres de chambre avec ou sans basse. ( ! SCHACHT.) POLAK (Jacub, également JACOB REYS, ou RETZ, ou JACOB LE POLONAIS), luthiste et compositeur polonais (Pologne v. 1540 Paris v. 1605). Certaines parties de sa biographie restent obscures. On sait cependant qu’il a compté parmi les musiciens d’Henri III, qu’il a passé la fin de sa vie à la cour de France, et qu’il a fait un séjour à Tours vers 1593. Il était en relation avec le facteur d’instruments Robert Denis et l’éditeur Ballard. Jacub Polak est l’auteur de fantaisies, de préludes, de gaillardes pour luth, dans lesquelles les techniques d’imitation et l’improvisation jouent un grand rôle. Nombre de ses compositions s’apparentent au ricercar. Certaines de ses pièces se trouvent dans les tablatures de Besard (Novus partus) et de Van Hove (Deliciae). POLKA. À l’origine, danse paysanne tchèque (et non polonaise), à deux temps, caractérisée par le demi-pas qui lui a donné son nom (pulka signifiant « moitié »). Adoptée à Prague en 1837 comme danse de société, la polka gagna rapidement Vienne, puis Paris, où elle connut une vogue extraordinaire, largement entretenue par les compositions de Johann Strauss fils. POLLAROLO (Carlo), organiste et compositeur italien (Brescia v. 1653 - Venise 1723). Organiste de la cathédrale de Brescia où

il succède à son père (1676), il devint en 1690 second organiste et en 1692 second maître de chapelle à Saint-Marc de Venise, et composa ou fit reprendre pour les principaux théâtres de cette ville de très nombreux opéras. Il échoua dans sa tentative de devenir premier maître de chapelle à Saint-Marc (1702), mais fut à partir de 1696 maître de chapelle aux Incurables, composant pour cette institution des oratorios latins. Son fils Antonio (Brescia 1676 - Venise 1746), auteur d’opéras et d’oeuvres sacrées, assuma à partir de 1702 ses fonctions à Saint-Marc, et y devint maître de chapelle en 1740 comme successeur d’Antonio Lotti. POLLET (Françoise), soprano française (Boulogne-Billancourt 1949). Elle étudie au Conservatoire de Versailles, puis à la Hochschule für Musik de Munich. Grâce à sa formation allemande, elle acquiert une grande connaissance de Wagner et de Richard Strauss. De 1983 à 1986, elle chante dans la troupe de l’Opéra de Lübeck, où elle incarne la Maréchale du Chevalier à la rose et Elisa dans Tannhaüser. En même temps, elle aborde Mozart. En 1986, elle dé 1010 bute en France, et fait redécouvrir au Festival de Montpellier un lied inédit de Strauss, Malven. En 1990, elle chante Bérénice de Magnard et Ariane et Barbe-Bleue de Dukas en 1991, année de ses débuts à l’Opéra-Bastille. Elle y incarne la Comtesse des Noces de Figaro. En 1992, elle est Sieglinde dans le Ring dirigé par Janowski, et en 1993 elle joue les Troyens de Berlioz au Metropolitan de New York et au Colon de Buenos Aires. En 1994, elle donne son premier récital de mélodies salle Gaveau. En 1995, entre autres prestations, elle crée Freispuch für Medea de Liebermann à Hambourg. POLLINI (Maurizio), pianiste italien (Milan 1942). Manifestant des dons exceptionnels dès l’âge de cinq ans, il entreprend des études de piano avec C. Lonati et C. Vidusso, en marge de sa formation générale, et donne son premier concert à onze ans à Milan. Malgré un second prix (premier prix non attribué) au concours de Genève obtenu à quinze ans, un premier prix, en 1959,

au concours E.-Pozzoli et un diplôme du conservatoire de Milan (où il apprend la composition et la direction d’orchestre), il choisit la carrière musicale seulement après avoir brillamment remporté en 1960 le concours Chopin de Varsovie. Encore ne répond-il à cette vocation tardive qu’à la fin d’une semi-retraite de quatre ans, consacrée à réfléchir sur son art et à mûrir son jeu au contact d’Arturo Benedetti Michelangeli. Ce lent cheminement conforte une personnalité d’une grande richesse intérieure, qui, au lieu de se refermer sur ellemême, est profondément engagée dans son temps, comme le confirment ses choix politiques et artistiques. Il participe aux Concerts populaires organisés par Paolo Grassi à la Scala de Milan, aux côtés de Claudio Abbado et de Luigi Nono, ou bien, toujours en compagnie de ses amis, va au-devant des publics ouvriers dans les usines avec l’atelier Musica Realtà, fondé en 1972. Il met son piano au service des bonnes causes (reconstruction du Viêtnam, lutte contre le fascisme renaissant) et des oeuvres engagées de Luigi Nono, dont il crée Como una ola de fuerza y luz (Venise, 1972) et Sofferte onde serene (1976). Le répertoire contemporain - Boulez, Schönberg, Bartók, Webern, Stockhausen - lui fait redécouvrir la part de modernité des oeuvres du passé. Il poursuit avec méthode et économie (pas plus de 80 concerts par an) une carrière exemplaire, arrêtée un temps en 1975 par un grave accident de voiture et jalonnée par quelques enregistrements d’une plénitude impressionnante, mais qui reflètent incomplètement la tension irremplaçable des concerts, où il fait toucher, à force de nudité et d’introspection poétique, la vérité de chaque oeuvre. Il a donné des cours d’interprétation en 1972 à l’Accademia Chigiana de Sienne et fait ses débuts de chef d’orchestre en 1982, dirigeant à Pesaro La Donna del Lago de Rossini. POLO. Chant et danse andalous, exécuté par les gitans. Traditionnellement écrit à 3/8 et en mineur, de mouvement modéré, le chant proprement dit est en général prédécé d’un prélude à la guitare et ponctué d’onomatopées (« ay »). La danse consiste

principalement en contorsions du corps, rappelant certaines danses orientales, et s’accompagne de castagnettes et du claquement des pieds et des mains. Le polo a inspiré plusieurs compositeurs, en particulier M. de Falla, qui en a fait le dernier de ses Siete canciones españolas. POLONAISE. Danse de cour à trois temps, de caractère solennel. Si cette sorte de marche, d’une grande noblesse, est effectivement d’origine polonaise, ce sont les compositeurs allemands du XVIIIe siècle, dont Telemann et J.-S. Bach, qui ont le plus contribué à la répandre en tant que genre musical. Ils ont été relayés au concert par Chopin et par Liszt, puis, au théâtre, par Tchaïkovski et Rimski-Korsakov, notamment. downloadModeText.vue.download 797 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 791 POLYCHORALITÉ. Réunion en polyphonie de plusieurs choeurs personnalisés. Le terme est peu usuel. POLYPHONIE. Par opposition à monodie, se dit en principe de toute musique où se font entendre simultanément plusieurs parties différentes. Toutefois, le terme s’emploie surtout lorsqu’on veut mettre en relief le fait que ces parties, qu’elles s’accordent ou non harmoniquement, sont mélodiquement indépendantes, ce qui oppose polyphonie à hétérophonie, où l’une des voix est une variante d’une autre, ou bien dont la polyphonie résulte d’accidents d’exécution, conscients ou non, sans qu’il y ait vraiment conception d’une voix différente. Le terme implique aussi que toutes les voix ont une valeur mélodique individuelle, ce qui oppose la polyphonie à la monodie accompagnée. Le terme est très employé en ethnomusicologie ; en musique classique, on l’emploie surtout pour les périodes où le contrepoint avait prééminence sur l’har-

monie, c’est-à-dire pour celles qui ont précédé la basse continue (Moyen Âge et Renaissance). Au-delà, son emploi devient exceptionnel et ne s’applique plus guère qu’aux passages écrits dans un style particulièrement contrapuntique. À ses origines écrite (IXe s.), la polyphonie n’était guère qu’un artifice quelque peu fonctionnel de solennisation ou d’ornementation des textes monodiques préexistants, liturgiques ou non. Sans abandonner cette fonction, elle n’a cessé de progresser jusqu’à devenir une oeuvre d’art d’abord (la mutation se produit à peu près avec l’école de Notre-Dame de Paris, à la fin du XIIe s.), un art autonome ensuite, dont la musique occidentale, contrairement à d’autres, a fait le fondement même de sa technique et la base de son développement, qui lui assure l’essentiel de sa spécificité, face notamment aux musiques primitives ou orientales pour lesquelles, lorsqu’elle existe, la polyphonie ne joue qu’un rôle secondaire et souvent négligeable. POLYRYTHMIE. Superposition de plusieurs parties ayant chacune un rythme différent et dont les accents d’appui ne coïncident pas entre eux. Le terme est surtout employé en ethnomusicologie. POLYTONALITÉ. Procédé consistant à superposer deux ou plusieurs fragments appartenant chacun à une tonalité différente. On trouve de fréquents exemples de polytonalité dans l’ethnomusicologie et aussi dans la musique polyphonique du Moyen Âge ou de la Renaissance. Dans une réponse en strette, par exemple, chaque partie semble souvent se mouvoir dans sa propre tonalité. Bach présente des exemples analogues (par ex. dans la fugue 8 de l’Art de la fugue, numérotation de l’éd. Leduc), mesures 23-31, le « grand sujet » apparaît au ténor en fa majeur dans un ensemble harmonique en ré mineur. Elle n’en est pas moins « cachée » par une harmonie monotonale, qui la fait passer inaperçue à l’audition superficielle. Les premiers exemples apparents, encore que

toujours analysables monotonalement, apparaissent chez Beethoven, puis chez Wagner, et plus nettement encore chez Debussy et Richard Strauss. C’est à partir du Sacre du printemps de Stravinski (1913) que la polytonalité s’évade franchement de la consonance et de l’analyse monotonale (cf. D. Milhaud, Honegger), pour connaître, vers 1925, une période d’apogée qui durera jusque vers 1945 ; ensuite, elle cédera peu à peu la place aux tendances atonales prônées par l’école de Schönberg. POMMIER (Jean-Bernard), pianiste et chef d’orchestre français (Béziers 1944). Il commence l’étude du piano à l’âge de quatre ans avec Mina Kosloff, puis au Conservatoire de Paris, auprès d’Yves Nat, dont il est l’un des derniers élèves, et de Pierre Sancan, et se perfectionne avec Eugène Istomin. Il donne son premier concert à l’âge de dix ans et remporte en 1960 le premier prix du Concours des Jeunesses musicales de Berlin. Lauréat du Concours Tchaïkovski deux ans plus tard, il est invité à se produire au Festival de Prades. Après une vingtaine d’années consacrées uniquement à une carrière de pianiste, il commence à diriger au début des années 80. Il enseigne également, et dirige à partir de 1990 le festival d’été de Melbourne. PONCE (Manuel), compositeur et pianiste mexicain (Fresnillo, Zacatecas, 1882 - Mexico 1948). Il étudia au conservatoire de Mexico, puis à Bologne et à Berlin, où il donna un récital en 1906. Il devint professeur de piano au conservatoire de Mexico en 1909, vécut comme critique musical à La Havane, de 1915 à 1917, puis reprit son enseignement au conservatoire de Mexico. De 1925 à 1933, il vécut à Paris, où il travailla avec Paul Dukas. En 1934-35, il dirigea le conservatoire de Mexico, où il eut comme élève Carlos Chavez. Il essaya dès lors de concilier dans ses oeuvres les techniques modernes et les éléments folkloriques. Sa recherche d’un art authentiquement national l’amena à recueillir de nombreuses mélodies populaires. On lui doit notamment 1 concerto pour piano (1912), la Balada mexicana pour piano et orchestre (1914), Chapultepec, 3 esquisses symphoniques (1929 ; rév., 1934), Poema elegiaco pour orchestre de chambre (1935),

Concierto del Sur, pour guitare et orchestre (1941), destiné à A. Segovia, et de nombreuses chansons. Sa dernière grande oeuvre, le Concerto pour violon (1943), contient en son deuxième mouvement des échos d’Estrellita, une chanson publiée par lui en 1914 et qui était devenue le plus grand succès d’Amérique latine. PONCET (Antoine PONCE, dit Tony), ténor français (Maria 1918 - Libourne 1979). En 1947, il étudie au Conservatoire de Paris avec Fernand Francell et Vuillermos. De 1955 à 1958, il remporte de grands succès en Belgique, à la Monnaie de Bruxelles notamment. À partir de 1958, il chante souvent à l’Opéra-Comique et à l’Opéra de Paris. Il triomphe aussi bien dans l’opéra français en incarnant don José, Nadir et Faust, que dans Verdi avec Aïda, le Trouvère et Rigoletto. Il a aussi interprété de nombreuses opérettes, notamment le Pays du sourire de Franz Lehar, qu’il a enregistré. PONCHIELLI (Amilcare), compositeur italien (Paderno Fasolaro, Crémone 1834 - Milan 1886). Il entra à neuf ans au conservatoire de Milan (où il fut plus tard le professeur de Puccini et de Mascagni), se fit remarquer avec une opérette et de la musique de chambre, puis, en 1856, avec ses Promessi Sposi (rév. en 1872) et s’affirma avec I Lituani (Scala de Milan, 1874), d’après Praga, l’un des pionniers du vérisme littéraire. Boito lui fournit l’excellent livret de sa Gioconda, d’après Angelo tyran de Padoue de Hugo (1876). Dans cet opéra, dont le succès ne s’est jamais démenti, Ponchielli réussit habilement à jeter un pont entre les dernières exigences du grand opéra, avec ses ensembles de type verdien, et le chant plus déclamé qu’adoptera bientôt la « jeune école ». Désormais célèbre, il put se consacrer à la musique instrumentale ou sacrée, revenant parfois au genre lyrique, avec notamment le Fils prodigue (1880), drame intérieur d’une belle sobriété, et Marion Delorme (1885), sorte de retour à un romantisme méditatif. D’une personnalité discrète et trop modeste, Ponchielli a parfois plié son inspiration aux goûts du public, ce qui ne doit pas faire négliger son très réel talent dramatique ni son rôle efficace en cette période charnière entre le

dernier Verdi et le vérisme naissant. PONS (Lily), soprano américaine, d’origine française (Draguignan 1898 - Dallas 1976). Elle étudia d’abord le piano au Conservatoire de Paris, puis se tourna vers le downloadModeText.vue.download 798 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 792 chant, et fit ses débuts en 1928 à Mulhouse dans le rôle de Lakmé. C’est dans ce rôle, ainsi que dans celui de Lucia de Lammermoor, avec lequel elle débuta en 1931 au Metropolitan Opera de New York, qu’elle remporta ses plus grands triomphes. Elle possédait une voix de colorature très agile, qui lui permettait de monter très haut dans l’aigu. PONSELLE (Rosa), soprano américaine (Merifen 1897 - Baltimore 1981). De parents immigrants napolitains, elle commença sa carrière en duo avec sa soeur Carmella comme attraction dans les cinémas locaux. Découverte par Caruso, qui la fit engager au Metropolitan Opera de New York, pour le rôle de Leonora de La Forza del destino de Verdi, elle y débuta aux côtés du célèbre chanteur en 1918. Son succès fut immédiat, et elle devint, jusqu’en 1937, la principale vedette du répertoire italien au Metropolitan. De nombreuses reprises furent effectuées pour elle dans ce théâtre, et, en particulier, la Vestale de Spontini, Norma de Bellini, La Gioconda de Ponchielli. Dans le même temps, elle chanta à Londres en 1929, 1931 et 1935, et à Florence en 1931. Sa voix, profonde et dramatique, était d’une égalité absolue, sa musicalité parfaite et son style superbe. De plus, Rosa Ponselle était belle et possédait une présence scénique considérable. Elle fut probablement la plus grande soprano verdienne du XXe siècle. Elle se retira à l’âge de quarante ans, au sommet de ses capacités, parce que son interprétation de Carmen avait été discutée. PONT. Désigne, dans l’analyse traditionnelle, la

section de transition reliant le premier au second thème dans l’exposition d’un mouvement de forme sonate. Il permet, le plus souvent, de moduler de la tonique, ton du premier thème, à la dominante, ton du second thème. POOT (Marcel), compositeur belge (Vilvorde, près de Bruxelles, 1901 - Bruxelles 1988). Il fit ses études aux conservatoires de Bruxelles (Lunssens, de Greef) et d’Anvers (Mortelmans), puis avec Paul Gilson et Paul Dukas. Professeur à l’Académie de musique de Vilvorde, puis au conservatoire de Bruxelles (contrepoint), il fonda avec Paul Gilson la Revue musicale belge en 1925, appartint au groupe des Synthétistes, et devint directeur du conservatoire de Bruxelles en 1949. Son langage, traditionnel et généralement tonal, ignore les problèmes qui dépassent celui de la polytonalité, mais sert une expression toujours directe, vivante, souvent pleine d’humour et d’un lyrisme profondément humain. Son oeuvre la plus célèbre est l’Ouverture joyeuse (1934). POP MUSIC. Ensemble des musiques apparues au début des années 60 en Grande-Bretagne, puis aux États-Unis, dérivées du rock and roll, du blues noir, du folk song et de la musique country, et enrichies d’influences diverses (musiques classique, électronique, indienne, etc.). L’expression « pop music » désigne d’abord aux États-Unis toutes les musiques commerciales et massivement diffusées par les radios, c’est-à-dire aussi bien la chanson de variétés (le cha-chacha, le rock and roll d’Elvis Presley) que la simple musique d’ambiance. Avec l’arrivée, en 1962, des Beatles et l’explosion du rock anglais, le mot « pop » va peu à peu, surtout en France, ne plus dénommer que ce que l’on appelait « rock » aux ÉtatsUnis, à savoir une branche précise de la « popular music « : la musique rythmée et électrique dans laquelle va se reconnaître, dans le monde entier, toute une génération de jeunes. Ce formidable phénomène musical, qui trouvera son apothéose lors des rassemblements géants de Woodstock (1969 aux États-Unis) et de l’île de

Wight (1970 en Angleterre), se double d’un phénomène social et politique. Au départ simple mode (la mode vestimentaire Beatles), le mouvement pop va vite se confondre avec le grand mouvement de contestation radicale qui agite la jeunesse, dans les années 60. Les grandes stars de la pop music sont avant tout des groupes (Beatles, Rolling Stones, Who, Animals, Pink Floyd, Byrds, Beach Boys, Jefferson Airplane, Doors, le Crosby, Stills, Nash and Young, le Grateful Dead), deux « pop stars » faisant exception à la règle : Bob Dylan et Jimi Hendrix. Au début des années 70, le terme « pop music », trop vague et impropre à rendre compte de la totalité de la musique populaire anglo-saxonne, issue du rock and roll, sera remplacé par le terme américain de « rock music » ou simplement de « rock ». Au début des années 80, le mot « pop » désigne une branche précise de la « rock music », façonnée pour les radios et les hit-parades. Cette variante douce du rock se caractérise par des rythmes simples, des refrains accrocheurs, des arrangements soignés et bien huilés (groupes Blondie et Supertramp). PORPORA (Nicola), compositeur et pédagogue italien (Naples 1686 - id. 1768). Entré en 1696 au Conservatorio dei Poveri di Gesù Cristo de Naples, il y resta environ dix ans, puis fit représenter dans la même ville ses opéras Agrippina (1708), Flavio Anicio Olibrio (1711) et Basilio re d’oriente (1713). Il fut, à cette époque, maître de chapelle de l’ambassadeur du Portugal et du prince de Hesse-Darmstadt, général de l’armée autrichienne qui occupait la ville. En 1714 fut donné à Vienne Arianna e Teseo. Porpora s’imposa alors comme un remarquable professeur de chant, n’ayant pas son pareil pour déceler les possibilités d’une voix et l’amener au plus haut degré de perfection. De 1715 à 1721, il enseigna cette matière au Conservatorio di S. Onofrio de Naples. Il compta alors parmi ses élèves les deux futurs castrats Farinelli et Caffarelli, ainsi que le compositeur Hasse. En 1733, après quelques années à Venise, il se rendit à Londres, où il dirigea l’Opera of the Nobility, qui s’opposait à l’influence de Haendel, et donna, notamment, Arianna in Nasso (1733). Il quitta l’Angleterre en 1736 pour Venise, puis

Naples (1739). Il séjourna à Dresde de 1747 à 1751, puis de la fin de 1752 ou du début de 1753 à Vienne, où il eut comme élève le jeune Haydn. En 1760, il était de nouveau à Naples, où, après avoir repris quelque temps ses anciennes fonctions au Conservatorio di S. Maria di Loreto, il mourut dans la misère. Il écrivit quelques oeuvres instrumentales, mais l’essentiel de sa production relève du domaine vocal (opéras, cantates profanes, oratorios, ouvrages sacrés divers). Beaucoup de ses oeuvres ont disparu. Sa connaissance de la voix lui servit énormément dans ses opéras, mais ceux-ci, en contrepartie, mettent parfois l’accent sur la virtuosité au détriment de la substance musicale. PORTAL (Michel), clarinettiste français (Bayonne 1935). Après avoir obtenu en 1959 un 1er Prix de clarinette au Conservatoire de Paris, il est lauréat des Concours de Genève (1963) et de Budapest (1965) et travaille la direction d’orchestre avec Pierre Dervaux. Son activité mêle d’emblée le classique et le jazz. Il porte également un intérêt croissant à la musique contemporaine, participant à de nombreux festivals et concerts (Donaueschingen, Royan, Venise, etc.). Avec Carlos Roque-Alsina, Jean-Pierre Drouet et Vinko Globokar, il fonde le New Phonic Art. Ouvert à toutes les formes d’expression musicale, il compose des musiques de film et de scène. Son itinéraire est celui d’un musicien complet, jazzman, musicien classique et grand connaisseur de la musique de son temps. PORTAMENTO. Manière de lier deux notes en « portant » légèrement la première vers la seconde et en faisant entendre ainsi tous les sons intermédiaires très rapidement et avec moins d’intensité. Ce procédé est principalement employé par les instrumentistes à archet et par les chanteurs ; il peut être explicitement indiqué par le compositeur, mais il est génédownloadModeText.vue.download 799 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 793 ralement implicitement sous-entendu,

notamment dans le contexte de l’écriture de certaines époques anciennes. Pour la technique vocale, les Italiens utilisent également le mot legatura (« liaison »). Cette pratique, essentielle dans l’émission vocale, a, malgré de sensibles variations au cours des siècles, toujours été recommandée depuis Caccini et Monteverdi jusqu’à nos jours, bien que l’école française semble l’avoir en partie proscrite au XXe siècle. Le portamento (ou « port de voix ») descendant est souvent déconseillé, mais, en mouvement ascendant, il donne une grande élégance au phrasé et évite les ruptures audibles entre les registres de la voix. Il doit être exécuté assez rapidement (dans le cas contraire le son est dit « traîné »), et toujours en haussant la première note vers la seconde, jamais en attaquant la seconde en dessous de la hauteur donnée. C’est d’ailleurs dans ce seul cas que le terme français « port de voix » prend une nuance péjorative, de même que le mot « glissade » désigne, pour les instruments à cordes, un portamento mal exécuté. PORTATIF. Petit orgue de dimensions très réduites, aisément transportable. En usage pendant le Moyen Âge, il était joué de la main droite, tandis que l’autre main actionnait le soufflet placé à l’arrière de l’instrument ; il était soit porté en bandoulière, soit posé sur les genoux ou sur un meuble. Le clavier, court, faisait sonner les notes élevées de deux ou trois jeux de fond. Le portatif servait ainsi à accompagner le chant, à remplacer d’autres instruments ou à s’y mêler, en de très nombreuses circonstances de la vie quotidienne. PORT DE VOIX. 1. Synonyme d’appoggiature pour de nombreux auteurs français des XVIIe et XVIIIe siècles. Utilisé dans la musique vocale et instrumentale baroque, il était le plus souvent ascendant, par opposition à l’appoggiature descendante, appelée coulement (J. Hotteterre) ou cheute (C. Dieupart). L’appoggiature étant très souvent suivie d’un mordant, le port de voix a fini par désigner l’ensemble « appoggiature-mor-

dant » (Fr. Couperin), bien qu’on trouve parfois l’expression « port-de-voix et pincé » (Dandrieu). 2. De nos jours, synonyme de portamento. Il consiste à glisser légèrement d’un son à un autre, sans qu’il soit possible de distinguer les sons intermédiaires. Employé surtout en musique vocale, on le rencontre également appliqué à certains instruments (violon, trombone, etc.). Son abus est souvent d’un très mauvais effet. PORTÉE. Ensemble de lignes horizontales et équidistantes servant de points de repère pour indiquer la hauteur des notes. C’est à tort qu’on attribue à Guy d’Arezzo l’invention de la portée. Elle se fit par étapes successives. D’abord une seule ligne pour indiquer une note de référence, puis deux lignes de couleurs différentes pour le do et le fa (G. d’Arezzo), puis, quatre lignes (tradition conservée dans la notation du chant grégorien), puis cinq lignes et, même, six lignes (surtout en Angleterre au XVIIe s.). Notre portée s’est stabilisée à cinq lignes, ce qui semble correspondre le mieux à la perception visuelle humaine. PORTER (Quincy), compositeur américain (New Haven, Connecticut, 1897 Bethany 1966). Il fit ses études à l’université Yale (avec Horatio Parker et D. S. Smith), puis à Paris (avec Vincent d’Indy), New York (avec Ernest Bloch) et Cleveland. Altiste du quatuor de Ribeaupierre, il enseigna tour à tour au College Vassar et à l’université Yale avant d’être nommé doyen de la faculté de musique de Nouvelle-Angleterre à Boston, puis directeur du conservatoire de cette ville. Respectueux de la tradition, d’obédience néoclassique, il cultiva principalement le quatuor à cordes (8, de 1923 à 1959). POSITIF. Petit orgue, de dimensions modestes, plus petit qu’un instrument de tribune, mais plus important qu’un portatif. Il est posé à même le sol ou sur un meuble (d’où son nom), mais peut être déplacé. Instrument à plusieurs jeux et un

clavier d’étendue moyenne, il fait appel à un souffleur indépendant pour laisser l’organiste libre de jouer de ses deux mains. Principalement destiné à l’accompagnement liturgique, on le trouvait dans les couvents ou à la tribune des églises, en avant du grand orgue. Dès le XVe siècle, on l’associa au grand orgue de tribune : c’est l’origine du petit buffet principal dans la disposition classique des grands instruments. La tuyauterie du positif est alors actionnée à partir d’un des claviers de l’orgue, qui prend le nom de positif. Par extension, l’appellation de positif a été systématiquement donnée, au XIXe siècle, à l’un des claviers des orgues de plus de deux claviers, même quand la tuyauterie en était logée dans le buffet du grand orgue. Aujourd’hui, on construit à nouveau des positifs indépendants, soit à l’usage des communautés religieuses ou des choeurs d’églises, soit surtout comme instrument de réalisation de la basse chiffrée dans les formations orchestrales et vocales : aisément transportable en camionnette, il permet de donner des concerts en des lieux dépourvus d’orgue utilisable à cet effet. POSITION. Place que doit occuper la main gauche sur le manche d’un instrument à cordes pour assurer le doigté correct d’une série de notes. Dans le cas de la corde mi (chanterelle) du violon, la première position est définie par le placement du premier doigt (l’index) sur le premier degré après la note à vide, c’est-à-dire le fa ; les trois doigts suivants correspondent respectivement au sol, au la et au si. En « démanchant » d’un degré vers le chevalet, on passe à la deuxième position qui donne les notes sol, la, si, do, et ainsi de suite jusqu’à une treizième position assez acrobatique et fort peu usitée (c’est seulement à la fin du XVIIIe siècle que les virtuoses dépassèrent la cinquième position). Chaque position donne des résultats correspondants sur les trois cordes voisines, d’où la possibilité de jouer deux octaves sans démancher. Le même système s’applique à l’alto, le violoncelle et la contrebasse moyennant des modifications (demi-positions) nécessi-

tées par les intervalles plus grands, ainsi qu’aux instruments à cordes pincées. La notion de position s’applique également aux degrés d’allongement de la coulisse du trombone. La première s’applique à la tessiture la plus aiguë, instrument fermé, et la septième à l’allongement maximal de la coulisse. Enfin, les musicologues emploient le même terme pour qualifier l’espacement des notes d’un accord (position plus ou moins large ou serrée), et sa situation par rapport à la basse fondamentale. POSTHORN (all. pour « cor de postillon »). Instrument sans piston utilisé par les postillons pour annoncer leur arrivée à l’étape. Bach l’imita au clavecin dans son Capriccio sopra la lontananza del suo fratello dilettissimo (Capriccio sur l’éloignement de son frère bien-aimé) BWV 992 (1704). Mozart l’utilisa en solo dans le second trio du second menuet de sa sérénade en ré majeur K.320 (Posthorn) de 1779 ainsi qu’à la fin (Promenade en traîneau) de ses Trois Danses allemandes K.605 (1791) et Beethoven à la fin de ses Douze Danses allemandes WoO 8 (1795). À la mesure 9 de la symphonie en ré majeur no 31, dite Mit dem Hornsignal (Appel de cor), de Haydn (1765), le premier des quatre cors fait entendre un motif authentique de cor de postillon : endroit marqué « Cor de poste de Nuremberg » sur l’édition parisienne de Sieber (annoncée en 1788) et « alla Posta » sur une copie anglaise d’époque. downloadModeText.vue.download 800 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 794 POSTLUDE. Antonyme de prélude, ce terme désigne une pièce de construction assez libre et servant de commentaire à une cérémonie qui vient de s’achever ou à une oeuvre musicale dont on vient d’entendre l’essentiel (Postlude pour l’office de Complies pour orgue de Jehan Alain, postlude pianistique des Amours du poète de Schumann). POTHIER (Dom Joseph), moine bénédictin français, restaurateur du chant grégorien (Bouzemont, Vosges, 1835 -

Conques, Belgique, 1923). Ordonné prêtre en 1858, il prononce ses voeux à Solesmes en 1860. D. Guéranger le charge, la même année, d’aider D. Jausions à préparer une nouvelle édition des chants liturgiques à l’usage choral. Il termine seul ce travail après la mort de D. Jausions et, en 1880, paraît la première partie de ses recherches, les Mélodies grégoriennes d’après la tradition, suivie du Liber gradualis (1883), des Processionale monasticum et Variae preces (1888), Liber antiphonarius (1891), Liber responsorialis (1895) et Cantus mariales (1903). Nommé prieur de l’abbaye de Ligugé en 1893, puis de Saint-Wandrille en 1895, il devient abbé de ce monastère en 1898. La suppression de cette abbaye l’oblige à partir en Belgique en 1912. Sa première publication souleva un vif enthousiasme lors du Congrès grégorien d’Arezzo de 1882, mais le Liber gradualis de 1883 provoqua des dissensions entre la nouvelle école de Solesmes et les partisans de l’édition néomédicéenne, publiée chez Pustet à Ratisbonne en 1868. Il lui fallut attendre 1904 pour s’imposer, lorsqu’il fut nommé à la tête d’une commission chargée par Pie X de réaliser une édition vaticane du chant grégorien et qu’il présidera jusqu’en 1913. Son travail fut capital pour la restauration du chant grégorien. Il donna, le premier, une transcription mélodique exacte des neumes et précisa l’accentuation de la phrase en fonction du mot latin. Il négligea, cependant, la valeur rythmique des neumes qui, pour lui, étaient égaux. Cette lacune fut rapidement comblée par son élève et successeur D. Mocquereau. POT-POURRI. Expression dérivée de l’espagnol olla potrida (plat de viandes et légumes mélangés), et utilisée en France au XVIIIe siècle pour désigner, en musique, des collections de thèmes connus, notamment d’airs d’opéras en vogue. Aujourd’hui, on appelle pot-pourri (en anglais medley, en allemand Potpourri) une pièce de musique de style léger qui enchaîne rapidement, sans les développer, différents thèmes connus (airs d’une opérette, succès d’une vedette, airs classiques d’un certain genre - musette, viennois, etc.). Mais le pot-pourri est un genre

ancien, né pour le seul plaisir de faire entendre et reconnaître en peu de temps une série de thèmes appréciés et évocateurs. Il joue sur la connivence, la nostalgie, le plaisir du « déjà connu », et il existe depuis longtemps sous les noms de « fricassée » (en France, XVIe s.), « quodlibet », c’est-àdire « tout ce qu’on veut », « ce qui plaît » (en Allemagne, XVIe et XVIIe s., cf. le Quodlibet de 2 thèmes populaires dans la fin des Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach), ensalada en Espagne, et misticanza en Italie. Au XVIIIe siècle, Bonin publie des sélections de danses sous le titre de Pot pourry Français. Joseph Gelinek écrit des pots-pourris pour piano d’airs d’opéras de Mozart, et, au XIXe siècle, Diabelli s’attaque de la même manière aux oeuvres de Beethoven. Chopin appelle « pot-pourri » sa Fantaisie op. 13 sur des airs polonais, et l’on publie beaucoup de « sélections » pour piano, orchestres de kiosque, bals, des airs des opéras en vogue. Aujourd’hui, le genre est bien vivant, que ce soit dans la musique de variété, ou dans la musique « sérieuse » où il revit à travers les musiques de « collage » (pot-pourri beethovénien du Ludwig van de Mauricio Kagel, et troisième mouvement de la Sinfonia de Luciano Berio [1968], qui est un grand pot-pourri de la musique occidentale construit autour du scherzo de la Deuxième Symphonie de Mahler). POUCHKINE (Alexandre Sergueiévitch), poète et écrivain russe (Moscou 1799 Saint-Pétersbourg 1837). Un grand nombre de poèmes, pièces et nouvelles de Pouchkine ont servi de sujets d’opéras aux compositeurs russes : Rouslan et Ludmilla de Glinka (Pouchkine, ami du compositeur, avait projeté de faire luimême l’adaptation de son poème, mais sa mort prématurée l’en empêcha), la Roussalka, le Convive de pierre de Dargomyjski, Boris Godounov de Moussorgski, Eugène Onéguine, Mazeppa (d’après la Poltava) et la Dame de pique de Tchaïkovski ; Mozart et Salieri, le Conte du tsar Saltan, le Coq d’or de Rimski-Korsakov ; Doubrovski de Napravnik ; Aleko (d’après les Tziganes) et le Chevalier avare de Rachmaninov ; Mavra de Stravinski, d’après la Petite Maison de Kolomna. D’autres vers de Pouchkine ont servi de base à de nombreuses mélodies, choeurs ou cantates. POUGIN (Arthur), musicologue et critique français (Châteauroux 1834 - Paris

1921). Formé au Conservatoire de Paris, il fut chef d’orchestre et violoniste avant de se consacrer à la critique et à l’histoire de la musique. Chroniqueur de plusieurs journaux, rédacteur en chef du Ménestrel (1885-1914), il collabora au Larousse universel, rédigea le supplément de la Biographie universelle des musiciens de Fétis et publia une cinquantaine d’ouvrages. Ses connaissances étaient vastes, sa curiosité et son activité inlassables, mais son érudition n’était pas toujours sûre et le véritable sens critique lui faisait défaut ainsi que l’attestent ses jugements sévères sur Carmen et sur Pelléas et Mélisande. PRINCIPAUX ÉCRITS. L. Kreutzer (1868), Meyerbeer (1864), Rode (1874), Viotti (1888), les Vrais Créateurs de l’opéra français : Perrin et Cambert (1881), Dictionnaire historique et pittoresque des théâtres et des arts (1885), Méhul (1889), l’Opéra-Comique pendant la Révolution (1891), Hérold (1906), Massenet (1914). POULENARD (Isabelle), soprano française (Paris 1961). Elle débute dans le répertoire baroque, où elle connaît un succès immédiat. Elle chante en 1982 au Festival d’Innsbruck l’Orontea de Cesti, et l’enregistre sous la direction de René Jacobs. En 1990, elle est dans les Indes galantes à Aix-en-Provence sous la direction de William Christie, avec lequel elle a aussi abordé Hippolyte et Aricie à l’Opéra-Comique. À Londres, elle se produit dans Iphigénie en Aulide avec Richard Hickox, et fait des tournées en France avec Jean-Claude Malgoire, notamment dans Platée et Montezuma de Vivaldi. On a pu aussi l’entendre dans un répertoire plus classique : elle a chanté Despina, Yniold et les Tréteaux de maître Pierre de De Falla. En 1995, elle reprend le Dialogue des carmélites à Bordeaux. Elle a créé notamment les Visites espacées de Philippe Hersant et le Tombeau d’Henri Ledroit de Jacques Lenot. POULENC (Francis), compositeur français (Paris 1899 - id. 1963). Aujourd’hui considéré comme un des plus grands compositeurs français de la première moitié du XXe siècle, il a débuté dans

la musique comme petit pianiste prodige. Instruit sur cet instrument par sa mère, elle-même excellente pianiste, puis par Ricardo Viñes (« Je lui dois tout », dira-t-il plus tard), il rencontre, grâce à lui, Erik Satie et Georges Auric, dont la culture le fascine et qui sera un de ses grands amis, et se trouve rapidement introduit dans les milieux parisiens de la création musicale. Sa Rhapsodie nègre, gentiment provocatrice et « fauviste », en 1917, fait beaucoup attendre de ses dons remarquables. Mobilisé lors de la Première Guerre mondiale, il compose peu pendant cette période militaire, sauf le Bestiaire (1918-19), sur des poèmes d’Apollinaire, mélodies qui sont sa première réussite d’un genre où il fut reconnu comme très grand - celui de la mélodie. Il consolide sa formation musicale d’autodidacte avec Charles Koechlin. Quand le critique Henri Collet baptise et consacre en 1920 le groupe des Six, réuni downloadModeText.vue.download 801 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 795 autour de Cocteau (comme le groupe des Cinq russes l’était autour de Stassov), Poulenc est naturellement l’un deux, un des plus jeunes, des plus brillants. Pendant quinze ans, il va satisfaire à cette réputation d’artiste agréable, français, léger. Les influences perceptibles à l’époque dans son style, sont celles de Satie, Auric, Chabrier. La création de ses Biches en 1924, par les Ballets russes, scelle sa renommée ; on retrouve dans cette partition la quintessence de l’esprit groupe des Six, clins d’oeil, orchestre léger, thèmes d’allure « flon-flon », et savoir-faire. Des dates musicalement plus importantes sont celles de son Concert champêtre (1928), pour clavecin et orchestre, commandé par Wanda Landowska, et de son Aubade (1929), pour piano et 18 instruments, oeuvres où se fait jour, derrière le badinage « galant », une certaine amertume et un certain sens du tragique. Le tournant décisif est amené par une oeuvre modeste, sa première oeuvre religieuse, les Litanies de la Vierge Noire (1936), où, tout d’un coup, il trouve sa dimension de grand musicien catholique. Il professe alors une espèce de « foi du charbonnier », qu’il se plaît à opposer à son côté « voyou » (Claude Rostand) et libertin. Toute sa car-

rière, désormais, surtout après la Seconde Guerre mondiale, va se structurer et se concentrer autour de la musique vocale et dramatique ; l’inspiration profane et l’inspiration religieuse assumées de manière parallèle se rejoindront dans une audacieuse tentative d’opéra moderne à sujet religieux (sans les séductions mythiques et fantastiques d’un sujet comme Parsifal), Dialogues des carmélites (1953-1956 ; créé à la Scala de Milan en 1957), d’après Bernanos. Même une oeuvre de musique « pure », comme le Concerto pour orgue et timbales (1938), comporte des accents liturgiques. Pendant la guerre, il a peu composé, sauf un ballet d’après La Fontaine, les Animaux modèles (1941) et la cantate Figure humaine (1943) sur un texte d’Eluard - un de ses auteurs favoris, auquel il a consacré plusieurs de ses cycles de mélodies. Son oeuvre de rentrée est un essai dramatique burlesque sur la pièce d’Apollinaire les Mamelles de Tiresias (1944 ; 1re, Opéra-Comique en 1947), oeuvre dont le thème (un homme devenant femme, se ressentant femme) court en filigrane dans son oeuvre. Sa foi catholique lui inspire un Stabat mater (1950), auquel fera écho le Gloria (1959), une de ses dernières oeuvres, dont il s’estimait très satisfait, et dans laquelle il essaie d’exprimer un sentiment religieux tour à tour grave et gai. Ses Dialogues des carmélites sont une oeuvre ambitieuse, hantée par la mort. Le rôle principal de Blanche de La Force (à laquelle il n’est pas exagéré de dire qu’il s’identifiait) triomphe dans l’interprétation de Denise Duval, grande soprano pour laquelle il écrira aussi la Voix humaine (1959), d’après Cocteau. Il effectue un voyage musical couronné de succès aux États-Unis. Si les tendances d’avant-garde le troublent parfois (« Ma musique n’est tout de même pas si mal »), il les suit avec intérêt, et elles ne l’empêchent pas d’écrire selon son goût, naturellement éclectique (les Dialogues sont placés sous le signe de Moussorgski, Monteverdi, Debussy). Après 1945, il ne composera presque plus de « musique pure ». Il n’est pas l’homme des grandes constructions abstraites, mais il aime destiner ses oeuvres à ses amis interprètes, Denise Duval, le pianiste Jacques Février (avec lequel il joue en duo), le baryton Pierre Bernac (qu’il accompagne au piano).

Poulenc aime aussi voyager, enregistrer, se réfugier dans sa maison de Noizay en Touraine, dans une « solitude peuplée de visites d’amis ». Célibataire jusqu’à sa mort, très discret dans sa vie privée, il saura toujours entretenir des liens profonds d’amitié. Peu de temps après avoir achevé ses Répons sur les temps des ténèbres, il meurt d’une attaque cardiaque, le 30 janvier 1963. Ses Entretiens avec Claude Rostand, publiés en volume, ont contribué à maintenir vivante sa figure, et il est l’un des rares compositeurs français de sa génération (sinon le seul) à avoir évité le « purgatoire » et à être encore abondamment joué et repris vingt ans après sa mort. Certes, il savait plaire d’instinct, et quels que soient les risques pris au niveau du sujet, garder son public avec lui. Il est vrai que, si ses oeuvres symphoniques et lyriques sont souvent reprises, sa musique de piano et ses mélodies, réputées, restent dans l’ombre. On n’insistera pas sur ses qualités reconnues de « musicien français « : clarté, sens de la mesure, sensualité, humour, etc. Tout son problème fut peutêtre d’échapper à ses dons et à sa facilité incontestable. Son anodine Rhapsodie nègre de 1917 montre déjà à dix-huit ans, au complet, sa musicalité, son art de faire de la musique avec rien et de se faire écouter, son sens exact des timbres. Le succès avec lequel elle fut accueillie avec ses pareilles, dans une époque où cette « esthétique d’agrément » battait son plein, exposait Poulenc à répéter indéfiniment la même inspiration gracieuse et un peu courte. Heureusement, il sut devenir plus que ce qu’il était au départ, plus qu’un musicien avec tous les dons, mais qui, ayant reçu les qualités mêmes de ceux qu’il adorait, n’en possédait aucune à un point vraiment important : moins acéré que Satie, moins vivant que Chabrier, moins profond que Debussy, moins pur que Mozart, moins orchestrateur que Ravel, bien qu’il tînt des uns et des autres. Il avait aussi - et ceci, seul, fit son succès - un sens inné de la mélodie comme totalité, comme courbe, dans ses proportions et son phrasé. Cela même quand l’inspiration en est plate - ce qui lui arrive souvent -, et on ne sait pas toujours quand c’est « voulu ». Un rien de vulgarité bourgeoise, de laisser-aller, de complaisance se retrouve même dans la très belle mélodie initiale

de sa Sonate pour piano et flûte. Avec cette façon un peu suffisante de retomber sur ses pieds dans la cadence (moment où Poulenc laisse souvent sentir la facilité), elle n’emporte pas vraiment l’émotion, sa beauté est comme un masque, une parade. L’élément de risque, de frémissement, qui manquait à ce style si coulant, fut trouvé par Poulenc dans le domaine religieux et dramatique. Il ne voyait pas pourquoi, musicalement, il se fût « refusé » quelque chose, voulait ignorer ce que cela signifie, mais c’est avec une sympathique franchise qu’il citait ou imitait Mozart, Moussorgski ou Chabrier. Il s’est donc rajeuni et a été « sauvé » par l’Église et par la scène, toutes deux associées dans le projet insolite de ces Dialogues des carmélites, qui l’occupa trois ans. Même ses mélodies, sur des poèmes de Paul Eluard, Apollinaire, Louise de Vilmorin, dont la production ponctue à peu près régulièrement sa carrière, et que les connaisseurs apprécient pour leur concentration et la qualité de leur prosodie, sont restées un peu confinées dans leur « succès d’estime » et n’auraient pas, à elles seules, suffi à sortir l’oeuvre de Poulenc du cercle où elle s’était d’abord enfermée, avec quel talent cependant : car une des grandes qualités de la musique de Poulenc, sa lisibilité, distingue des oeuvres comme les Biches ou le Concert champêtre de tant de « musiques d’agrément », qui ont mal vieilli et sont devenues, pour nos oreilles modernes, pâteuses et informes. Reconnaissons donc, à travers toute son oeuvre, un certain génie de la clarté qui n’a pas été donné à beaucoup. Et qu’on n’aurait pu imiter, si ce compositeur, qui sut prendre son bien partout, avait eu des imitateurs. Au moins la seconde partie de sa carrière lui a-t-elle permis de conquérir sa solitude. POULET (Gérard), violoniste français (Bayonne 1938). Fils du chef d’orchestre Gaston Poulet, enfant prodige, il entre à l’âge de onze ans au Conservatoire de Paris et obtient un 1er Prix l’année suivante, à l’unanimité. Lauréat en 1956 du Concours international Paganini de Gênes, il reçoit les conseils de Francescatti, Menuhin et, surtout, Henryk Szeryng, qu’il considère comme son maître. Parallèlement à ses concerts dans le monde entier, il enseigne à partir de 1979 au Conservatoire de Paris. Cette double carrière de soliste et de pédagogue le mène en Chine et au Japon, où il donne

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DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 796 des récitals et des master-classes. Il fait partie du Trio Stradivarius. POUSSÉ. Mouvement de l’archet de la pointe vers le talon. Il permet d’attaquer la corde avec moins de vigueur, mais plus de souplesse que le « tiré », son contraire. POUSSEUR (Henri), compositeur belge (Malmédy 1929). Il a fait ses études au conservatoire de Liège (1947-1952), où il obtint un premier prix d’harmonie et un second prix d’orgue, puis à celui de Bruxelles (1952-53), où il remporta un premier prix de fugue dans la classe de Jean Absil. À Liège, il se lia au groupe vocal Variations, organisé autour de Pierre Froidebise. Il rencontra Pierre Boulez dès 1951 et, en 1954, travailla au studio de musique électronique de Cologne. Il passa, en 1957, deux mois à celui de Milan et, en 1958, il fonda le Studio de musique électronique de Bruxelles. Les premières oeuvres de Pousseur témoignent de son admiration pour Webern : Trois Chants sacrés, pour soprano et trio à cordes (1951) ; Symphonies à 15 solistes (1954-55) ; Quintette à la mémoire d’Anton Webern, pour clarinette, clarinette basse, violon, violoncelle et piano (1955, joué à Donaueschingen la même année) ; Mobile, pour 2 pianos (19561958) ; Madrigal I, pour clarinette (1954). En 1954 fut réalisé à Cologne Seismogrammes I et II, pour bande à une piste, et en 1957, à Milan, Scambi, pour bande à 2 pistes. En 1960 suivit à Bruxelles le ballet électronique Électre, qui obtint la même année le prix Italia. Pousseur travailla, de 1961 à 1963, au Studio de musique électronique de Monaco, et en 1962 il fonda le centre d’études Musiques nouvelles, dans le cadre duquel il organisa des séries de concerts avec l’Ensemble musiques nouvelles dirigé par Pierre Bartholomée. Il enseigna, de 1962 à

1968, à l’École supérieure de musique de Cologne et, en 1963-64, à l’Académie de musique de Bâle. En 1965, il travailla au Studio de musique électronique de l’université de Gand. Cette même année ainsi qu’en 1967, il tint une série de séminaires au Centre de sociologie de la musique de l’université libre de Bruxelles et, en 196667, il fut invité à l’université de Buffalo. Entre 1957 et 1967, il enseigna à Darmstadt. Durant cette période, il s’intéressa de plus en plus aux matériaux extramusicaux, à l’aléatoire et aux multimedia. Il en résulta notamment Rimes, pour différentes sources sonores (1958-59 ; créé à Donaueschingen, 1959), Ode, pour quatuor à cordes (1960-61), Madrigal II, pour flûte, violon, viole de gambe et clavecin (1961), et III, pour clarinette, 2 percussions, piano, violon et violoncelle (1962), et Trois Visages de Liège (1961), oeuvre pour bande à 2 pistes composée pour le spectacle Forme et Lumières de la ville de Liège. En 1967, l’année de Couleurs croisées, pour orchestre, Pousseur acheva une de ses oeuvres maîtresses, la fantaisie variable genre opéra Votre Faust (1960-1967), pour soprano, alto, ténor, basse, 5 acteurs, 12 instruments et bande et résultant d’une collaboration avec Michel Butor (création le 15 janvier 1969 à la Piccola Scala de Milan). Cet ouvrage, où le public a la possibilité d’intervenir et d’orienter l’action dans tel ou tel sens, fait du procédé de la citation littéraire et musicale un usage vaste et subtil et donna naissance à plusieurs « oeuvres satellites » comme Miroir de votre Faust (1964-65), Portail de votre Faust (1960-1966), Jeu de miroir de votre Faust (1967), Échos de votre Faust (1967), Ombres de votre Faust, Fresques de votre Faust. En 1970, Pousseur se réinstalla à Liège, où il fonda le Centre de recherches musicales de Wallonie, et fut d’abord chargé d’enseignement à l’université de cette ville. Au conservatoire de Liège, il fut chargé d’un séminaire de musique expérimentale, puis en 1971 de la classe de composition. En 1975, il devint directeur de cet établissement et s’attacha principalement à une tâche de rénovation pédagogique tout en dirigeant également la Société des concerts du Conservatoire (avec comme instrument principal l’orchestre dirigé depuis 1977 par Pierre Bartholomée). Parmi

les principales oeuvres de cette période, les Éphémérides d’Icare II, pour piano et instruments, page se référant notamment à Michel Butor et, à travers lui, à Charles Fourier ; Crosses of Crossed Colors, pour voix de femme amplifiée, piano et 6 sources sonores (1970) ; Invitation à l’utopie (1970-71, version amplifiée des Éphémérides d’Icare II), pour récitant, 2 voix de femmes, choeur à 4 voix, une soliste principale, un concertino et un concerto grosso ; Midi-Minuit, déroulement ininterrompu de musiques (1971) ; Stravinski au futur, composition collective (1971), Ex-Dei in machina memoria, pour un instrument mélodique et appareillage électroacoustique (1971) ; l’Effacement du prince Igor, pour grand orchestre (1971) ; Vue sur les jardins interdits, pour quatuor de saxophones (1973, version pour orgue parue la même année) ; Schönbergs Gegenwart ou les Épreuves de Pierrot l’Hébreu, pour acteurs, chanteurs et instruments (1974, pour le centenaire de Schönberg, version française Procès du jeune chien, 1978) ; Liège à Paris, oeuvre électroacoustique pour l’ouverture de l’I. R. C. A. M. (1977) ; Chevelure du temps, oratorio populaire en collaboration avec Michel Butor (1979) ; les Îles déchaînées pour ensemble de jazz, ensemble expérimental et orchestre symphonique (1980) ; la Seconde Apothéose de Rameau, pour ensemble (1981 ; créée à Paris par l’Ensemble intercontemporain, novembre 1981) ; Nacht der Nächte, créé à l’opéra de Hambourg en 1985 ; Dichterliebesreigentraum pour soprano, baryton, 2 pianos, choeur et orchestre (1994). On doit également à Henri Pousseur de nombreux écrits, dont l’Apothéose de Rameau (essai sur la question harmonique) [Paris, 1968], Fragments théoriques I sur la musique expérimentale (Bruxelles, 1970), Stravinski selon Webern selon Stravinski (Paris, 1971) et Musique, sémantique, société (Paris, 1972). Il a pris en 1983 puis abandonné la direction générale et scientifique de l’Institut de pédagogie musicale mis en place pour la future Cité de la musique à la Villette. PP. Abréviation usuelle de « pianissimo ». PRADES (festival de). Il se tient, depuis 1950, dans ce chef-lieu

d’arrondissement des Pyrénées-Orientales, où Pablo Casals avait choisi de s’exiler après l’établissement en Espagne du régime de Franco. L’initiative en revient au violoniste Alexandre Schneider, qui, venu rendre visite à Pablo Casals en 1949, lui proposa d’inviter chaque année à Prades des musiciens pour jouer avec lui. Pablo Casals accepta. Selon le voeu de son créateur, essentiellement consacré à la musique de chambre, et pris en charge depuis 1968 par la ville de Prades, le festival se déroule de la fin juillet à la mi-août dans l’abbaye romane de Saint-Michel-deCuxa, au pied du Canigou. Se sont notamment produits au festival de Prades Clara Haskil, Rudolf Serkin, Wilhelm Kempff, William Primrose, Isaac Stern, Henryk Szeryng, Marcel Dupré, Pierre Fournier, Igor Oïstrakh, Christoph Eschenbach, Yehudi Menuhin, Kurt Redel, et Alexandre Schneider. PRAETORIUS, famille de musiciens allemands. Jacob, organiste et compositeur (Magdebourg v. 1530 - Hambourg 1586). Peut-être élève de Martin Agricola à Magdebourg, il fut, de 1558 à sa mort, premier organiste à Saint-Jacobi de Hambourg. Sa seule oeuvre connue est un Te Deum à 4 voix. Hieronymus, compositeur, organiste et éditeur (Hambourg 1560 - id. 1629). Fils du précédent, il fut son assistant à Saint-Jacobi, lui succéda en 1586 comme premier organiste et conserva ce poste jusqu’à sa mort. On lui doit des messes, des Magnificat et plus de 100 motets, dont la plupart en latin. Toutes ces oeuvres sauf 5 furent publiées à Hambourg entre 1616 et 1625. Les messes sont toutes parodiques (4 d’après ses propres motets). Cinquante de downloadModeText.vue.download 803 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 797 ses motets sont des oeuvres polychorales pour un nombre de voix allant de 8 à 20, et comptent parmi les premiers ouvrages inspirés du style polychoral vénitien à avoir été publiés en Allemagne du Nord. Il écrivit aussi quelques pages pour orgue. Jacob, compositeur, organiste et péda-

gogue (Hambourg 1586 précédent, il étudia linck à Amsterdam et de la musique vocale d’orgue.

- id. 1651). Fils du l’orgue avec Sweeécrivit des motets, profane, des oeuvres

Johannes, organiste et compositeur (Hambourg v. 1595 - id. 1660). Frère du précédent, il fut comme celui-ci élève de Sweelinck à Amsterdam et occupa, de 1612 à sa mort, le poste d’organiste à la Nikolaikirche de Hambourg. PRAETORIUS (Michael), compositeur, organiste et théoricien allemand (Creuzburg an der Werra v. 1571 - Wolfenbüttel 1621). Esprit encyclopédique, il étudia la musique, la philosophie et la théologie, principalement à Francfort-sur-l’Oder, où il fut organiste. On le retrouve ensuite à Gröningen et à Wolfenbüttel, où il se fixa dès 1593 et où il demeura jusqu’à sa mort, tout en remplissant diverses fonctions : maître de chapelle de la Cour à Wolfenbüttel, conseiller de la maison de Saxe et maître de chapelle (de 1613 à 1616) à Dresde, conseiller à Sandershausen, à Kassel, à Leipzig et à Nuremberg, sans jamais occuper de poste stable pendant longtemps. Il contribua à la fondation, en 1618, de la Concert music de la cathédrale de Magdebourg, avec Scheidt et Schütz. Ses oeuvres musicales sont très nombreuses et ont été presque toutes publiées de son vivant ; il en a donné lui-même la liste à la fin de son traité Syntagma musicum. Ce sont principalement, pour la musique religieuse, les motets, les hymnes et les psaumes contenus dans les 9 volumes des Musae sioniae (de 2 à 12 voix ; 16051610), les Motectae et psalmi (de 4 à 16 voix ; 1607), la Missodia sionia (de 5 à 8 voix ; 1611), l’Hymnodia sionia (de 5 à 8 voix ; 1611), la Kleine und Grosse Litaney (de 5 à 8 voix ; 1613), la Polyhymnia caduceatrix et panegyrica (de 1 à 21 voix, avec basse continue ; 1619) et la Polyhymnia exercicatrix (de 2 à 8 voix, avec basse continue ; 1619) ; et, pour la musique profane, 9 volumes portant le titre général de Musa aonia et composés de Terpsichore (2 vol.), Calliope (2 vol.), Thalia (2 vol.), Erato (1 vol.), Diana Teutonica (1 vol.) et Das Regensburgische Echo (l’Écho de Ratisbonne, 1 vol.) ; ces recueils contiennent des danses et des chansons polyphoniques.

Le trait dominant qui caractérise les oeuvres de Praetorius réside dans l’enrichissement qu’il a apporté au style musical pratiqué dans l’Allemagne du Centre de son temps par l’adjonction de plus en plus marquée d’éléments de langage empruntés à la musique italienne qu’il a beaucoup étudiée. Ses premières oeuvres font encore appel à la polychoralité, plusieurs choeurs à plusieurs voix étant réunis, et, sur le plan de la forme, au motet fondé sur le choral harmonisé. Mais, rapidement, il fait évoluer ces formes anciennes et rigides en les marquant de la souplesse expressive du madrigal italien, puis en leur ajoutant des parties instrumentales qui contribuent, avec l’ornementation des parties chantées, à enrichir la polyphonie de sonorités nouvelles et plus variées. Cette évolution le mène à concevoir une véritable basse continue instrumentale, qui apparaît très nettement dans ses dernières oeuvres (les recueils de Polyhymnia de 1619). Ainsi, en une époque de complète transformation du langage musical, Praetorius contribue puissamment, en Allemagne, à faire passer la polyphonie chorale héritée du XVIe siècle à la musique baroque qui va se développer au XVIIe siècle. À son actif, il faut également relever un nouveau mode de traitement du choral, dont la mélodie se voit accompagnée de voix polyphoniques empruntant leurs lignes à des motifs issus du thème même, selon une technique dont se souviendra J.-S. Bach. Mais Praetorius eut également une profonde influence par ses écrits, dans lesquels il fit la synthèse des très nombreuses connaissances qu’il avait acquises. On connaît de lui un Traité de l’orgue, resté manuscrit ; mais son principal ouvrage est la grande somme des 3 tomes du Syntagma musicum (« Traité de la musique »), publié à Wolfenbüttel de 1614 à 1620. Écrit en latin et en allemand, il traite, dans son premier tome, de l’ancienne musique religieuse et des différentes musiques liturgiques connues (juive, grecque, égyptienne, latine, jusqu’aux formes pratiquées en Allemagne), ainsi que des musiques profanes anciennes, des compositeurs et des théoriciens. Le deuxième volume, intitulé Organographia, est un magistral traité d’organologie : nomenclature et description de tous les instruments connus, du passé et du présent, et de leur facture. Enfin, le troisième volume est consacré à la théorie de la musique : notation, solmi-

sation, rythme, contrepoint. PRATELLA (Francesco Balilla), compositeur, théoricien et musicologue italien (Lugo di Romagna 1880 - Ravenne 1955). Il fait ses études au Liceo musicale de Pesaro, où il travaille, notamment, avec P. Mascagni, puis dirige, de 1910 à 1929, le même établissement à Lugo di Romagna, et, de 1927 à 1945, celui de Ravenne. Il a composé quelques pièces instrumentales, de la musique dc chambre, des chansons, des poèmes symphoniques et surtout des oeuvres pour la scène (opéras, opérettes, musiques de scène, musiques de film, etc.). Il est surtout connu pour ses prises de position au début du siècle, lorsqu’il adhère au mouvement futuriste de Marinetti. Pratella publie alors 3 ouvrages (Manifesto dei musicisti futuristi, 1910 ; Manifesto tecnico della musica futurista, 1911 ; La distruzione della quadratura, 1912), dans lesquels il expose de nouveaux principes de composition (atonalité, entre autres). Après quelques tentatives d’application souvent peu convaincantes (Musica futurista op. 30, composée en 1912 et rebaptisée peu après Inno alla vita ; L’aviatore Dro op. 33, 1911-1914), il se consacre plutôt à la recherche musicologique (Musica italiana, 1915 ; L’evoluzione della musica : dal 1910 al 1917, 1918-19...) et en particulier à l’étude de la musique folklorique italienne (surtout romagne) sur laquelle il publie un certain nombre d’ouvrages de valeur : Saggio di gridi, canzoni, cori e danze del popolo italiano (1919), Etnofonia di Romagna (1938), Primo documentario per la storia dell’etnofonia in Italia (1941). Il a, en outre, édité divers recueils de musique vocale : Il terzo libro delle Laudi spirituali (1916), Il libro della musica e del canto in coro, en trois volumes (1951). PREINDL (Joseph), compositeur autrichien (Marbach, Basse-Autriche, 1756 Vienne 1823). Également organiste et théoricien, il étudia avec Albrechtsberger, à qui il succéda en 1809 au poste de maître de chapelle de la cathédrale Saint-Étienne de Vienne. Comme compositeur, il s’illustra surtout dans le domaine religieux. PRÉLUDE. Genre musical qui a pris plusieurs formes dans l’histoire de la musique occidentale,

avec certaines constantes. Normalement et en mettant à part le prélude d’opéra traité à la fin de cet article, il s’agit d’une pièce musicale destinée à un instrument soliste (rarement à la voix ou à l’orchestre) qui a pour fonction d’introduire à une autre pièce de caractère plus composé (alors que la forme du prélude est souvent libre, et son style proche de l’improvisation). Le prélude, en tant qu’oeuvre écrite, est d’ailleurs issu des improvisations introductives des luthistes, des organistes, quand ils essayaient leur instrument, se mettaient en train, affirmaient la tonalité, etc. L’équivalent du prélude se retrouve dans certaines musiques non européennes, la musique indienne, par exemple, avec ses alaps, improvisations de rythme fluide, où l’on « touche » l’instrument et où on dessine peu à peu la figure du « mode » utilisé (raga). Le prélude est donc souvent, à maints égards, la musicalisation, l’intégration musicale de ce moment presque informel où l’interprète prend contact avec l’instrument, le downloadModeText.vue.download 804 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 798 prend en main, pour l’accorder (luthiste, guitaristes), l’essayer, le faire résonner, se le mettre en doigts, etc., et il utilise de manière privilégiée les modes de jeu spécifiquement instrumentaux : traits, accords arpégés, ornements. En quelque sorte, il affirme l’instrument et son accord déroule un discours musical abstrait. À partir de la fin du XIXe siècle, le prélude est aussi devenu, avec Hummel et Chopin, un genre pianistique, consistant en une ou plusieurs pièces autonomes (qui ne préludent plus à... un autre mouvement), pièces assez brèves et de forme libre, souvent regroupées en cahiers et en recueils qui embrassent la totalité des 24 tons majeurs et mineurs (comme l’avait fait le cycle de Jean-Sébastien Bach, le Clavier bien tempéré, avec ses 48 préludes et fugues). Howard Ferguson propose, avec pertinence, de distinguer 3 types de préludes : le prélude qui a une suite spécifique, c’est-à-dire intégrée dans un ensemble où il prélude à une autre pièce particulière

(premier type) ; le prélude unattached, c’est-à-dire destiné à introduire toute pièce de même tonalité pour le même instrument - il est publié par recueils de plusieurs préludes et constitue le second type (les Préludes de choral, dans l’Église protestante, destinés à introduire le chant d’un choral en le paraphrasant, seraient une forme particulière de prélude unattached) ; et enfin, le prélude tout à fait indépendant, comme les préludes pianistiques de Chopin, Debussy, etc. La littérature musicale du XVIe et du XVIIe siècle proposait de très nombreux préludes des deux premiers types, parfois sous le titre d’intonazione, de toccata, d’intrada, de ricercare, etc. On en trouve dans les Fiori musicali, pour orgue, de Frescobaldi (1635), dans le Fitzwilliam Virginal Book (1609-1619). Mais les premiers préludes notés sont apparus au début du XVe siècle (tablature d’orgue d’Adam Ileborgh, 1448), et, auparavant, ils étaient pratiqués couramment par les instrumentistes sans être notés (cf. chansons polyphoniques de la Renaissance). Le prélude non mesuré, à la française, où ne sont notées que les notes de base de l’improvisation, en rondes sans barre de mesure, témoigne de cet état primitif : il serait né chez les luthistes, dont l’instrument nécessite un long accord, et la vérification de cet accord en faisant courir les doigts librement sur les cordes. Les premiers préludes non mesurés pour luth datent de 1630 environ. On en trouve, par la suite, pour la viole et, surtout, pour le clavecin, chez Louis Couperin, D’Anglebert, Nicolas Lebègue, Louis Marchand. Leur style est souvent proche de la « toccata », ou bien du « tombeau » en hommage à des sommités disparues. Leur partition se présente comme un canevas de notes « flottantes » (aucune durée n’étant marquée), qu’il s’agit d’arpéger, d’ornementer, de relier, de rythmer, d’harmoniser librement, dans un rythme non pulsé (ce caractère non pulsé du prélude non mesuré, comme dans l’alap indien, est à relever). Au XVIIe siècle, et dans la première moitié du XVIIIe siècle, c’est le prélude du premier type qui prédomine, servant à introduire une fugue, ou une suite de danses. Chez Bach, les Suites anglaises se distinguent des Suites françaises par la

présence d’un prélude avant les danses proprement dites. Dietrich Buxtehude contribue à développer le genre prélude et fugue, que Jean-Sébastien Bach va porter à son apogée (notamment avec les 48 préludes et fugues du Clavier bien tempéré). La musique occidentale a connu peu de formes aussi expressives dans leur concision et leur juxtaposition brutale que les préludes et fugues de Bach. Le XVIIIe siècle « galant » ayant généralement délaissé la fugue (sauf dans quelques oeuvres isolées), on voit réapparaître le couple prélude et fugue surtout au XIXe siècle, mais déjà dans une optique néoclassique, en référence à Bach - père de la musique -, ainsi en est-il des 6 Préludes et fugues op. 35 de Mendelssohn (18321837), de la Fantaisie et fugue de Liszt sur les lettres B, A, C, H, des 2 Préludes et fugues de Brahms pour orgue (1856-57), ou du Prélude, choral et fugue, pour piano, de César Franck (1884). C’est au XIXe siècle que le prélude devient un genre plus spécifiquement pianistique : le prélude du second type (unattached) s’est perpétué avec les 50 Préludes op. 73 de Moscheles, écrits en 1827, et qui affichent un propos pédagogique, tout en cherchant, à l’instar du Clavier bien tempéré, à épuiser toutes les tonalités. Cette formule, inspirée de Bach, d’un cahier de 24 préludes parcourant tous les tons majeurs et mineurs et cherchant plus ou moins à exprimer un ethos, un climat propre à chaque ton, sera reprise dans l’op. 67 de Johann Nepomuk Hummel (1814-15), puis illustrée par Frédéric Chopin (24 Préludes op. 28, 1836-1839), Stephen Heller (op. 81, 1853), Charles-Valentin Alkan (op. 31, 1847), César Cui (op. 64, 1903), Ferrucio Busoni (op. 37, 1879-80), etc. Il s’agit alors de préludes indépendants, du troisième type : le prélude a coupé le cordon ombilical avec sa fonction primitive d’introduction. L’édition française des Préludes de Chopin, pour piano, fut dédiée à Camille Pleyel, leur éditeur, à qui Chopin en avait vendu d’avance le projet. Chopin les écrivit sur une période assez longue, et les termina à Majorque (lors de son séjour sur cette île avec George Sand), assemblant les 24 pièces qui composent l’ensemble comme les pièces très disparates et variables d’une mosaïque dissymétrique et cependant très cohérente. Ils se souviennent très librement des préludes du

Clavier bien tempéré, que Chopin se jouait quotidiennement. Schumann nota dans un article leur aspect d’« esquisses », de « commencements », parlant même de « ruines », de « plumes d’aigle détachées », alors qu’il s’attendait à retrouver l’esprit large et ample des Études. Liszt en souligna, lui, l’allure « improvisée » (« tout y semble du premier jet, d’élan, de soudaine venue »). De fait, avec ces 24 pièces ordonnées tonalement selon le cycle des quintes (de plus en plus de dièses, puis, dans les tons bémolisés, de moins en moins de bémols, chaque pièce dans un ton majeur étant suivie d’une pièce dans son relatif mineur), Chopin compose un microcosme de ses styles, de ses manières, de ses humeurs. On y trouve des « nocturnes », des « études », une esquisse de mazurka, une autre de marche funèbre, et quelques pièces assez inqualifiables d’un style sauvage et douloureux (Prélude no 2 en la mineur, no 24 en ré mineur). On sent qu’il a cherché à rendre chaque pièce aussi imprévisible et asymétrique que possible par rapport à la précédente. Le prélude, avec Chopin et ceux qui l’ont suivi dans cet esprit, ne se définit plus comme un genre, une fonction, mais comme un concept, un état d’esprit, une inspiration : volontiers virtuose, lié au caprice du moment, mais ouvert sur un avenir dont la figure ne sera pas précisée ; non assujetti par une forme préétablie qui oblige la musique à retourner sur ses pas, à se récapituler, à se refermer sur un appel, ce prélude « en soi », s’il introduit à quelque chose, c’est à son prolongement imaginaire dans l’esprit de l’auditeur. Ainsi le prélude no 7 en la majeur, de 16 mesures seulement, semble n’être qu’un thème noté à la hâte sur un bout de papier à musique, en laissant à l’imagination le soin de le développer, de le traiter. Liszt avait raison de se référer à la littérature et à l’usage qu’elle fait de la note, du brouillon, du fragment, comme tremplin pour la rêverie. Par opposition aux formes classiques, pour la plupart, architecturées selon des arches plus ou moins symétriques, (selon le plan expositionvoyage-retour), le prélude est dans la musique occidentale, qu’il soit du premier, du second ou du troisième type, un genre fondamentalement asymétrique, comme le sont les organismes vivants ; il est le mouvement de la vie, ne revient pas sur ses pas, ne conclut pas et fuit en avant, ou, au contraire, trébuche rapidement. Chez

Chopin, il est parfois à la limite d’être de la « musique conceptuelle », de la « musique imaginaire « : on sent bien comment la plupart de ses 24 préludes pourraient se développer, se boucler, et c’est par rapport à ce « possible » que nous écoutons downloadModeText.vue.download 805 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 799 certaines de ces esquisses, comme si elles étaient à compléter. Qu’il soit de Bach ou de Chopin, le prélude s’autorise souvent de ce qu’il est situé dans l’« avant », de ce que ce n’est pas encore le moment d’être sérieux, définitif, pour s’offrir de grandes licences d’écriture ; il est comme un bouillonnement vital plus ou moins anarchique, celui d’une « libido » pas encore canalisée, structurée, et il renvoie à une espèce d’état d’enfance, d’irresponsabilité avant la loi des adultes. Il sera bien temps, plus tard, de faire quelque chose qui « se tienne « ; c’est le temps « non mesuré » (au figuré et, parfois, au propre), avant le temps compté et mesuré, symétrique, prévisible de la forme classique. En même temps, chaque prélude de Chopin est unique, se situe dans une région particulière ; chaque prélude est comme un geste saisi dans son élan, et transcrit tel quel. C’est de l’aquarelle ou de la calligraphie japonaise : le geste doit être le bon, il n’y a pas de retouche possible. On peut aussi comprendre ces 24 préludes de Chopin comme une oeuvre unique, une composition de gestes ou un « roman par lettres », dans lequel les vides, les sousentendus comptent autant que ce qui est écrit. Avec l’ensemble des 24 préludes pour piano de Chopin, l’ensemble des préludes de Debussy est le plus célèbre ; mais, au contraire des préludes de Chopin, ceux de Debussy sont moins célèbres comme « ensemble » que comme « collection » de pièces dont certaines sont très belles et sont connues indépendamment de l’ensemble. Ces préludes sont d’ailleurs parus en deux séries de douze, la première publiée en 1910, la seconde en 1913. On sait qu’ils comportent tous un titre imagé renvoyant à des impressions de nature, de

plein air, des situations, des personnages, mais que ces titres, qui peuvent renvoyer à une sorte de « programme », ne trônent pas en tête de chaque morceau, mais sont renvoyés, selon le voeu de Debussy, à la fin de chaque morceau, où ils sont imprimés discrètement comme un point d’orgue ultime. Raison alléguée pour cette coquetterie : éviter de faire apparaître les préludes comme de la « musique à programme », illustrant un propos. Comme si, somme toute, la musique préludait ici à son titre ou, plutôt, aux échos de ce titre et de la musique mêlés dans l’imaginaire de l’auditeur. Seulement, on a eu vite fait de connaître, d’annoncer et d’entendre ces préludes sous leur post-titre, devenu titre conventionnel. Ici encore, l’ensemble se présente comme microcosme de l’univers du compositeur. Le premier cahier des préludes de Debussy comprend : 1)lent et grave (Danseuses de Delphes) ; 2)modéré (Voiles) ; 3) animé (le Vent dans la plaine) ; 4)modéré (Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir), titre repris d’un vers de Baudelaire ; 5)vif (les Collines d’Anacapri) ; 6) triste et lent (Des pas sur la neige) ; 7)animé et tumultueux (Ce qu’a vu le vent d’Ouest) ; 8)très calme et doucement expressif (la Fille aux cheveux de lin), cette pièce serait issue d’une mélodie de jeunesse anciennement écrite pour Mme Vasnier ; 9)modérément animé (la Sérénade interrompue) ; 10)profondément calme (la Cathédrale engloutie) ; 11)capricieux et léger (Danse de Puck), allusion au lutin du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare ; 12)nerveux et avec humour (Minstrels) ; allusion aux musiciens noirs des music-halls américains. Le second cahier (1912-13) : 1)extrêmement égal et léger (Brouillards) ; 2)lent et mélancolique (Feuilles mortes), 3)mouvement de habanera espagnole (La puerta del vino), une porte de Grenade dont Manuel de Falla avait envoyé à Debussy la carte postale ; 4)rapide et léger (Les fées sont d’exquises danseuses) ; 5)calme (Bruyères) ; 6)dans le style et le mouvement d’un cakewalk (General Lavine Eccentric), allusion à une marionnette comique de music-hall présentée aux Folies-Bergère ; 7)lent (la Terrasse des audiences au clair de lune), titre emprunté à un livre de Pierre Loti sur l’Inde ; 8)scherzando (Ondine) ; 9)grave (Hommage à S. Pickwick Esq.), c’est-à-dire

au héros de Dickens ; 10)très calme et doucement triste (Canope), une ancienne ville égyptienne sur le Nil ; 11)modérément animé (Tierces alternées) ; 12)léger, égal et lointain (Feux d’artifice). Ces préludes sont souvent de grandes pièces assez développées, relativement symétriques et fermées sur elles-mêmes, et indépendantes chacune les unes des autres : la seule loi qui règle leur ordonnance est celle de diversité et de contraste. Le prélude, selon Debussy, ne garde de sa définition première que la liberté d’allure et de conception. Il en est plus ou moins de même des préludes pour piano de Rachmaninov op. 23 (1903) et 32 (1910), Scriabine (90 Préludes), Martinů, Chostakovitch, Olivier Messiaen (8 Préludes, 1929), Frank Martin (8 Préludes, 1948), Georges Migot, mais aussi Fauré, Florent Schmitt, Satie, etc. Marius Constant a présenté, en 1959, 24 Préludes pour orchestre, qui essayaient d’appliquer à l’orchestre la conception chopinienne : grande concision, unité organique de l’ensemble conçu comme microcosme, recherche de variété et d’exploration imprévisible des possibles. Les préludes pour orchestre de Liszt (1854) sont en réalité un poème symphonique inspiré par des poèmes de Joseph Autran, et une citation de Lamartine. Les préludes d’opéra, voire d’oratorio (cf. la Création de Haydn), sont un cas particulier d’ouverture. Par rapport à l’ouverture classique, ils ont pour caractéristique de participer déjà à l’action et d’échapper au moule classique. On emploie ce terme, dans l’opéra, surtout pour Wagner, dont le prélude de l’Or du Rhin, introduisant à toute la Tétralogie, peut être baptisé « prélude des préludes « : fondé sur les harmoniques de mi bémol, ce flux harmonique continu et originel, dont les principaux motifs de la Tétralogie sortiront par complexification et différenciation, ne se présente rien de moins que comme une genèse de la musique elle-même, une cosmogonie. On parle aussi de prélude pour les introductions symphoniques de tous les actes d’un opéra (par ex., prélude du troisième acte de Lohengrin). PRÉLUDE ET FUGUE. Diptyque formel ne portant pas nécessairement cette dénomination dans les sources, particulièrement employé dans la

musique baroque de la fin du XVIIe siècle et du début du XVIIIe (Buxtehude, Bach), mais aussi plus tard (Monn, Albrechtsberger), et pouvant être destiné à l’orgue, au clavier, à un ensemble de cordes ( ! CLAVIER BIEN TEMPÉRÉ, PRÉLUDE). PRÉPARATION. En harmonie classique, on considère une dissonance comme préparée lorsque la note formant dissonance appartenait déjà à l’accord précédent et y formait consonance. Les anciens traités étaient très stricts sur la nécessité de préparer les dissonances. Sous la pression des exemples contraires, la sévérité s’est beaucoup relâchée. PRÉSENCES. Festival de musique contemporaine, largement consacré à la création d’oeuvres nouvelles, organisé chaque année par Radio France depuis 1992. Chaque édition met prioritairement en relief la création d’un compositeur important (Ligeti, Goubaïdoulina, Kagel) et/ou un mouvement, une école (jeunes compositeurs, la musique russe contemporaine, compositeurs chinois). Il passe de nombreuses commandes à des compositeurs aux orientations les plus diverses et poursuit une politique conséquente de retransmissions radiophoniques. PRESTI (Yvette MONTAGNON, dite Ida), guitariste française (Suresnes 1924 - Rochester 1967). Elle apprend la guitare avec son père, et fait ses débuts d’enfant prodige à l’âge de dix ans. Dès 1936, elle se produit en soliste avec la Société des concerts du Conservatoire. Le compositeur Turina lui prodigue ses conseils, ainsi que Rodrigo. De ce dernier, elle donne en 1948 la première audition française du Concerto d’Aranjuez. En 1950, elle se marie avec Alexandre Lagoya, downloadModeText.vue.download 806 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 800 et forme avec lui un duo mondialement célèbre. Elle est dédicataire de la Sérénade de Jolivet, de la Sarabande de Poulenc et

de l’Élégie de Daniel-Lesur. Villa-Lobos, Pierre Petit et Rodrigo écrivent aussi des pièces pour le duo Presti-Lagoya. Un mois avant de disparaître en pleine gloire, elle crée salle Gaveau le Concerto pour deux guitares de Jean Wiener. Musicienne inspirée, elle est, avec Andrés Segovia, la première guitariste à avoir donné ses lettres de noblesse à la guitare classique. PRESTISSIMO (ital. : « très vite »). Le terme a pris toute sa signification à partir du XIXe siècle avec les progrès de la technique instrumentale et notamment pianistique. Il invite le virtuose à atteindre la limite de sa vélocité. PRESTO (ital. : « vite »). Théoriquement plus rapide que l’allégro, le presto l’est souvent moins, notamment dans la musique baroque. Il s’applique en effet à des pièces écrites en noires et en croches, tandis que les doubles et triples croches abondent dans les allégros. PRESTON (Simon), organiste anglais (Bournemouth 1938). Il est choriste au King’s College de Cambridge pendant trois ans, avant d’étudier l’orgue à la Royal Academy de Londres avec C. H. Trevor. Il est ensuite organiste pendant cinq années au King’s College, tout en travaillant avec David Willcocks. De 1962 à 1967, il occupe un poste d’organiste à Westminster Abbey, et s’impose en enregistrant les oeuvres de Messiaen. En 1970, il devient titulaire et chef du Choeur de la Christ Church d’Oxford, qui livre des interprétations prestigieuses de Lassus, Byrd, Haendel, Vivaldi ainsi que des messes de Haydn. En 1981, il est de nouveau à Westminster Abbey, mais cette fois comme premier organiste et chef des choeurs. En 1986, il arrange et compose la musique attribuée à Salieri dans le film Amadeus. En 1987, il démissionne de Westminster et poursuit une carrière de virtuose. Directeur du Festival d’orgue de Calgary, il dirige Alexander’s Feast de Haendel à Berlin et Leipzig en 1996. PRÊTRE (Georges), chef d’orchestre français (Waziers, Nord, 1924). Il a étudié la trompette et la composition au Conservatoire de Paris, et la direction d’orchestre avec André Cluytens. Nommé

en 1946 chef d’orchestre à l’Opéra de Marseille, il fut ensuite directeur artistique des théâtres de Lille, Casablanca et Toulouse, et fit ses débuts à Paris en dirigeant à l’Opéra-Comique la première représentation dans cette ville de Capriccio de Richard Strauss. Il resta attaché à ce théâtre jusqu’en 1959, et, en 1960, débuta à l’Opéra de Paris, où il fut plus tard directeur de la musique (1970-71). Il dirigea à Paris des représentations auxquelles participèrent Maria Callas et Tito Gobbi (Tosca, Norma), ainsi que Birgit Nilsson (Turandot), et attacha son nom à celui de Francis Poulenc, dont il créa la Voix humaine et le Gloria. Il a mené également une brillante carrière internationale, notamment comme premier chef invité de l’Orchestre symphonique de Vienne (1986-1991). Il a pris en 1995 la direction de l’Orchestre symphonique de la radio de Stuttgart. PREY (Claude), compositeur français (Fleury-sur-Andelle, Eure, 1925). Il a fait ses études au Conservatoire de Paris avec Darius Milhaud et Olivier Messiaen. Il est essentiellement un homme de théâtre : son important catalogue ne comprend pas une seule oeuvre de musique « pure ». Il a toujours été son propre librettiste, sauf pour le Coeur révélateur, opéra de chambre sur un texte de Philippe Soupault (1962 ; Italia, 1963). Dans son théâtre, le langage joue un rôle prédominant, la même phrase pouvant avoir plusieurs sens suivant la notation de son intonation, de son rythme, de son ambitus, voire de son timbre. On lui doit Lettres perdues, opéra radiophonique (1960) ; la Dictée (1961) ; le Coeur révélateur (1962) ; L’Homme occis (1963, créé à Paris en 1975) ; Jonas, opéra-oratorio (1964) ; Mots croisés (1965, créé à Paris en 1978) ; Métamorphose d’Écho, opéra de concert (1965) ; Donna Mobile I (1966) ; la Noirceur du lait, opéra-test (1967) ; On veut la lumière ? Allons-y !, opéra-parodie (1968) utilisant la série pour unifier des éléments très disparates et se livrant à une véritable analyse structuraliste de la musique de l’époque de l’affaire Dreyfus ; Fêtes de la faim (1969) ; le Jeu de l’oie (1970) ; Théâtrophonie, ouvrage pour 12 chanteurs et piano écrit à l’occasion de l’année Proust (1971) ; Donna Mobile II (1972) ; les Liaisons dangereuses, d’après Choderlos de Laclos

(1973), opéra épistolaire créé à l’Opéra du Rhin et repris à Avignon, puis, en 1980, à Aix-en-Provence, et qui demeure sa partition la plus célèbre ; Young Libertad (1976, créé à Lyon par l’Opéra-Studio) ; les Trois langages, écrit pour des enfants (1978) ; Utopopolis (1980) ; l’Escalier de Chambord, créé à Tours en 1981 ; Paulina (Tourcoing, 1983) ; le Rouge et le Noir (Aix-en-Provence, 1989). PREY (Hermann), baryton allemand (Berlin 1929). Après avoir, tout enfant, chanté comme soprano solo au Mozart Chor de Berlin, il fit ses débuts à Wiesbaden en 1952, puis à Hambourg, où il chanta les Aventures du roi Pausole, un ouvrage bouffe d’Honegger. En 1957, il se produisit à Vienne et à Berlin, fit partie en 1959 de la reprise de la Femme silencieuse de Richard Strauss à Salzbourg, et, l’année suivante, chanta Don Giovanni à Cologne et à Hambourg. Après avoir incarné Wolfram dans Tannhäuser au Metropolitan Opera en 1960, il interpréta le rôle à Bayreuth en 1965. C’est pourtant dans les rôles de Mozart qu’il excelle, surtout à la scène (Papageno, Guglielmo et Figaro), mais il triompha aussi à Salzbourg comme Figaro de Rossini. Il mena également une carrière d’interprète de lieder qui le conduisit dans le monde entier. Doué d’une voix plus timbrée que vraiment dramatique, Hermann Prey est un des meilleurs barytons allemands de la période d’après-guerre. PRICE (Margaret), soprano anglaise (Tredegar, pays de Galles, 1941). Dès son enfance, ses parents l’accompagnent dans des lieder de Schubert ou Schumann. Formée au Trinity College de Londres, elle débute en 1962 au Welsh National Opera. Très attachée à ses origines galloises, elle reste fidèle à ce théâtre tout au long de sa carrière. En 1963, elle remplace Teresa Berganza à Covent Garden, et s’impose dans les opéras de Mozart à Glyndebourne. De 1969 à 1975, elle chante sur toutes les grandes scènes d’Europe et d’Amérique Pamina, Donna Anna, Fiordiligi ou la Comtesse. En 1976, elle aborde Verdi et triomphe dans Otello sous la direction de Georg Solti. En 1978, elle chante dans Don Carlos à la Scala avec Abbado, puis aborde Isolde avec Carlos Kleiber. Elle élargit son répertoire avec des

lieder de Mahler. En 1994, elle chante les Nuits d’été de Berlioz avec Armin Jordan, et décide de retrouver le répertoire français, qu’elle avait délaissé pour la musique germanique. PRIMA DONNA. Née vers le milieu du XVIIe siècle, cette expression signifie « première dame » et désigne la chanteuse titulaire du principal rôle féminin dans un opéra ou dans une troupe, et la chanteuse à qui reviennent de tels rôles. Ce titre honorifique et hiérarchique devint vite des plus recherchés, ce qui, au XVIIIe siècle, conduisit d’une part à un véritable culte de la prima donna, d’autre part à l’attribution de titres encore plus prestigieux tels que prima donna assoluta, voire prima donna assoluta e sola. Très souvent, les privilèges de telle ou telle prima donna furent fixés par contrat (dimension des lettres de leur nom sur les affiches, etc.). À la longue, l’expression fut utilisée également pour qualifier les cantatrices célèbres par leurs caprices, ainsi que, par extension, toute vedette au caractère insupportable, sans distinction de discipline ni même de sexe. Certaines oeuvres littéraires (Il teatro alla moda de B. Marcello, v. 1720) et de nomdownloadModeText.vue.download 807 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 801 breux livrets (La cantante e l’impresario de Métastase, 1724) ont raillé plus ou moins subtilement la prima donna. La personnalité ou la voix de telle ou telle prima donna ont, en revanche, été déterminantes pour la caractérisation musicale de nombreux personnages d’opéra. PRIMA PRATICA. Terme employé par G. C. Monteverdi dans la préface des Scherzi musicali de son frère Claudio (1607), pour désigner le style d’écriture contrapuntique strict des XVe et XVIe siècles, tel qu’il avait été codifié par Zarlino. Il l’oppose à la seconda pratica, dans laquelle l’expression du texte prime, menant ainsi à une écriture plus monodique et autorisant de nombreuses licences harmoniques et rythmiques. Cette distinction

correspond à peu près à celle entre le stile antico et le stile moderno. G. C. Monteverdi nomme, comme représentants de la prima pratica, les Franco-flamands, tels J. Ockeghem, Josquin, P. de La Rue, J. Mouton, Th. Crecquillon, Clemens non Papa, N. Gombert et, surtout, A. Willaert, par opposition aux Italiens, adeptes de la seconda pratica, tels C. de Rore, C. Gesualdo, E. de Cavalieri, G. Bardi, L. Marenzio, J. de Wert, J. Peri, G. Caccini, C. Monteverdi. PRIMA VISTA (ital. : pour « à première vue », « à vue », « en déchiffrant »). Le 4 février 1778, de Mannheim, Mozart écrivit avec enthousiasme à son père à propos d’Aloysia Weber : « Rendez-vous compte, elle a joué Prima vista mes difficiles sonates, lentement mais sans rater une note ! » PRIMA VOLTA. (ital. : pour « première fois »). Quand dans une oeuvre une section répétée se conclut différemment chaque fois, on inscrit parfois prima volta sur la transition menant à la reprise, et seconda volta sur celle menant à ce qui suit. On trouve cependant en général, à la place des ces expressions, les indications plus simples 1 et 2 : c’est le cas, sur l’autographe, à la fin de l’exposition des deux mouvements extrêmes du quatuor en fa majeur opus 77 no 2 de Haydn (1799). Un exemple célèbre et particulièrement dramatique de cette démarche différenciée se trouve à la fin de l’exposition de l’allegro initial de la sonate en si bémol majeur no 29 opus 106, dite Hammerklavier (1818), de Beethoven : on entend à la mesure 120 la première fois une progression ascendante sol - la - si bémol (ce qui ramène à la tonique), la seconde fois une progression sol - la - si (ce qui confirme provisoirement le sol majeur établi à la mesure 45). PRIMO UOMO (ital. : pour « Premier homme »). Au XVIIIe siècle, chanteur (castrat) interprétant dans un opéra le principal rôle pour soprano masculin, ou principal chanteur remplissant cette fonction dans une troupe. PRIMROSE (sir William), altiste écossais (Glasgow 1903 - Provo, Ohio, 1982).

Il apprend le violon dans sa ville natale avec C. Richter, puis à la Guildhall School of Music de Londres, avant d’aborder l’étude de l’alto auprès de E. Ysaye (19251927). Il commence sa carrière comme violoniste, en 1923, et fait partie du London String Quartet (1930-1935). Il est premier alto de l’Orchestre de la NBC, créé à New York pour Toscanini (1937-1942), et fonde en 1939 son propre quatuor, avant de participer, en 1961, aux concerts Heifetz-Piatigorsky. Ardent propagandiste d’un instrument qu’il a contribué à faire mieux connaître, il a commandé et créé sur son andrea guarnerius plusieurs oeuvres nouvelles, dont l’ultime concerto de Bartók (terminé par T. Serly et créé à Minneapolis en 1949, avec A. Dorati), et des concertos de Q. Porter, E. Rubbra, P. R. Fricker. Il enseigne à partir de 1961 à l’université de Los Angeles, à l’École de musique de Bloomington, et depuis 1972 à l’université des beaux-arts et de la musique de T¯oky¯o. C’est grâce au panache et à la conviction d’un Primrose que l’alto moderne a conquis ses lettres de noblesse. PRINCIPAL. Famille de jeux de fond de l’orgue, aux tuyaux de bois ou plus souvent de métal. Existant à toutes les hauteurs (du 32 pieds au 1 pied), il constitue la base de la matière sonore de l’instrument. La section des tuyaux est de taille moyenne, moins large que celle des flûtes, moins étroite que celle des gambes, ce qui confert aux principaux une sonorité à la fois ronde et franche. Selon sa hauteur, le jeu de principal peut porter d’autres noms : prestant (4 minutes), doublette (2 minutes), piccolo (1 minute) ; placé en façade, il prend le nom de montre. Les principaux servent à de nombreuses registrations, dont celles destinées aux ensembles polyphoniques. PRINTZ (Wolfgang Caspar), compositeur et théoricien allemand (Waldthurn 1641 - Sorau 1717). Il a, lui-même, fourni d’abondants détails sur sa vie assez mouvementée dans deux biographies, l’une contenue dans son Historische Beschreibung (1690), l’autre terminée par son fils et insérée dans le Grundlage einer Ehren-Pforte de Mattheson (1740). Obligé d’arrêter ses études en 1661, il commença, à Vohenstrauss, une carrière de ministre luthérien, que la

conversion au catholicisme des autorités locales l’oblige bientôt à interrompre. Il se tourne alors vers la musique et voyage en Italie. De retour en Allemagne en 1662, il fut successivement employé à Sorau par le comte Erdmann Leopold von Promnitz, cantor à Triebel, puis à Sorau, et en 1682 directeur de la musique du comte Balthasar Erdmann von Promnitz. Presque aucune de ses oeuvres n’a été conservée. Il est surtout connu pour ses traités, témoignages de grande valeur sur la musique en Allemagne à la fin du XVIIe siècle. Son Compendium musicae (1668), qui s’appuie sur des observations de Descartes (Compendium musicae, 1618), est un traité de rythme tout à fait essentiel. Son Phrynis Mitilenaeus, oder satyrischer Componist (1690, publié antérieurement en 3 vol. séparés) présente, sous une forme de récits et de dialogues satiriques, un panorama complet des différents aspects de la musique et des musiciens de l’époque. Enfin, l’Historische Beschreibung est sans doute la première histoire importante de la musique en Allemagne. Printz annonce les grands théoriciens allemands du XVIIIe siècle, en particulier Mattheson. PRITCHARD (John), chef d’orchestre anglais (Londres 1921 - San Francisco 1989). En 1943, il dirige son premier orchestre, le Derby String Orchestra. En 1947 et 1948, il est répétiteur à Glyndebourne, et remplace Fritz Busch en 1949 lors d’une représentation de Don Giovanni. Il sera désormais l’un des piliers du festival, en y dirigeant vingt-huit ouvrages de 1951 à 1977. À Covent Garden, il assure la création houleuse de Gloriana de Britten en 1953, du Midsummer Mariage de Tippett en 1955, et de King Priam du même compositeur en 1962. De 1962 à 1966, il dirige l’Orchestre philharmonique de Londres et, à partir de 1973, anime la Huddersfield Choral Society, excellent choeur amateur non loin de Manchester. De 1978 à 1989, il dirige l’Orchestre de Cologne et, de 1981 à 1987, réorganise l’orchestre de la Monnaie de Bruxelles. Enfin, en 1985, il est nommé à la tête de l’Orchestre de San Francisco. Il s’est imposé dans tous les genres comme l’un des plus importants chefs anglais du siècle. PRIULI Giovanni), organiste et compositeur italien (Venise v. 1575 - Vienne ?

1629). Élève de Giovanni Gabrieli, il publia dans sa ville natale trois recueils de madrigaux dans le style aussi bien a cappella que concertato. Vers 1615, il entra au service des Habsbourg, d’abord comme maître de chapelle de l’archiduc Ferdinand à Graz, puis, après que ce dernier fut devenu l’empereur Ferdinand II (1619), à Vienne. Il publia alors, toujours à Venise, deux downloadModeText.vue.download 808 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 802 volumes de Sacri concentus (1618-1619), deux nouveaux recueils de madrigaux (1622 et 1625) et deux volumes de messes concertantes (1624). Il fut à Vienne le premier d’une longue lignée de maîtres de chapelle impériaux italiens dont le dernier devait être Salieri. PRIX DE ROME. Le concours de Rome était destiné, à l’origine, aux seuls peintres, sculpteurs et architectes. C’est Louis XIV qui décida de désigner annuellement les plus prometteurs d’entre eux pour les envoyer pour cinq ans à l’Académie de France que Colbert avait fondée à Rome en 1666. Le prix de Rome musical ne fut créé qu’en 1803 lorsque l’Académie des beaux-arts (créée en 1795) fut chargée de préparer, d’administrer et de contrôler l’épreuve de ce concours annuel ouvert à tous les Français célibataires de moins de trente ans. Les candidats devaient en un premier temps écrire une fugue et un choeur avec accompagnement d’orchestre. La section musicale de l’Académie (6 membres), sélectionnait 6 d’entre eux. Ceux-ci, enfermés en loge durant un mois devaient alors composer une scène dramatique à 3 personnages (appelée cantate), dont le sujet et le livret leur étaient imposés. La même section musicale, enrichie de 2 musiciens réputés, écoutait alors des cantates et proposait un classement. Mais le jugement définitif revenait à l’Académie des beaux-arts réunie au grand complet. De ce fait, le premier grand prix de Rome de la musique était désigné par un aréopage de 40 membres, dont 6 seulement étaient musiciens. Cette situation devait évidemment provoquer des mécontente-

ments. Berlioz, en particulier, se révéla un violent contestataire (dans ses Mémoires), bien qu’il fût lauréat en 1830, après trois tentatives infructueuses. Le candidat désigné comme premier prix pouvait se rendre à Rome comme pensionnaire de la villa Médicis durant cinq ans, à charge d’envoyer chaque année à Paris une oeuvre de sa composition. Si l’on considère la liste des prix de Rome, on constate que près de la moitié des lauréats, surtout ceux du XIXe siècle, ont totalement disparu de l’histoire de la musique. Parmi les autres, on relève un certain nombre de compositeurs de second ordre, qui ont surtout fait carrière dans l’enseignement : Ambroise Thomas (1832), Ernest Guiraud (1859), Théodore Dubois (1861), Bourgault-Ducoudray (1862). Parmi les noms restés célèbres, il faut citer, outre Berlioz, Bizet (1857), Massenet (1863), Debussy (1884), Florent Schmitt (1900) et, plus récemment, Dutilleux (1938). Quelques autres lauréats se sont rendus célèbres dans d’autres domaines musicaux : le chef d’orchestre Paul Paray (1911), l’organiste Marcel Dupré (1914). Plusieurs femmes ont obtenu le premier grand prix : Lily Boulanger (1913), Yvonne Desportes (1932), Adrienne Clostre (1949). Le ratage le plus célèbre fut celui de Ravel. Le dernier lauréat fut Alain Louvier. La désignation des prix ayant à plusieurs reprises provoqué des incidents, voire des scandales, le concours de Rome fut supprimé en 1968. PROD’homme (Jacques Gabriel), musicologue français (Paris 1871 Neuilly-sur-Seine 1956). En 1902, il fonda avec Lionel Dauriac et Jules Écorcheville la section française de la Société internationale de musicologie, dont il devait être secrétaire de 1903 à 1913, et créa avec La Laurencie, en 1917, la Société française de musicologie. Il fut aussi bibliothécaire et archiviste de la bibliothèque de l’Opéra, à partir de 1930, et de celle du Conservatoire, à partir de 1934, postes qu’il devait garder jusqu’en 1940. Il collabora en outre à de nombreuses revues musicales françaises et étrangères, et écrivit plusieurs biographies de musiciens, surtout romantiques (Hector Berlioz 1803-1869 : sa vie et ses oeuvres, 1905 ; Paganini, 1907 ; Franz Liszt, 1910 ; Gounod, en collaboration

avec Dandelot, 1911, etc.). Il s’intéressa particulièrement à Beethoven (les Symphonies de Beethoven (1800-1827), 1906 ; la Jeunesse de Beethoven, 1770-1800, 1921 ; les Sonates pour piano de Beethoven, 17821832, 1937, etc.) et à Wagner (Guides analytiques de l’Anneau du Nibelung, Crépuscule des dieux, avec C. Bertrand, 1902 ; Richard Wagner et la France, 1921, etc.). Il a traduit de l’allemand plusieurs ouvrages essentiels, entre autres des écrits de musiciens : oeuvres en prose (13 vol., 19071925) et livrets de Wagner (1922-1927) ; les Cahiers de conversation de Beethoven, 1819-1827 (1946) ; les Écrits divers sur la musique et les musiciens de Schumann (1946) ; le Mozart de A. Schurig (1925) ; les Entretiens sur la musique de W. Furtwängler (1953). Il a également publié des Écrits de musiciens (XVe-XVIIIe s.) [1912], l’Opéra, 1669-1925 (1925), Pensées sur la musique et les musiciens (1926). PROGRAMME (musique à). Terme général par lequel on a coutume de désigner toute musique d’essence narrative, évocatrice, descriptive ou illustrative, donc renvoyant à une donnée « extramusicale « ; cela par opposition à la musique « pure », qui ne ferait appel qu’à une perception « abstraite », sans référence à aucun élément extramusical. Définie ainsi, la musique à programme engloberait les genres « appliqués » comme le ballet, la musique de scène et de ballet, les genres « à texte » comme le lied, la chanson, l’opéra, la cantate, etc., ainsi que le poème symphonique, l’ouverture de concert et toutes les musiques formant « tableau » pour l’auditeur par leurs titres, leurs évocations, etc. : de la Symphonie pastorale de Beethoven aux Miroirs de Ravel, de la Danse macabre de Liszt aux Tableaux d’une exposition de Moussorgski. L’arbitraire d’une distinction tranchée entre musique à programme et musique pure apparaît cependant, si l’on considère que beaucoup d’oeuvres dites « à programme » ne sont telles que par leur titre évocateur d’images (la Mer, Scènes d’enfant, Jeux d’eau à la villa d’Este) et qu’elles possèdent une architecture musicale autonome, en soi, et sont justifiables et analysables du seul point de vue de la forme, du discours, des proportions, comme « musique pure ».

On peut entendre aussi le terme de « musique à programme » dans le sens plus restreint que lui donnait Franz Liszt, quand il introduisit cette notion : le « programme » désignait pour lui très concrètement un papier, un texte d’intention, pour une oeuvre purement instrumentale (sans texte chanté), par lequel le compositeur explicite ses thèmes d’inspiration (lecture, mythe, légende, etc.), afin de « préserver son oeuvre de l’arbitraire d’une explication poétique erronée et d’orienter par avance l’attention sur l’idée poétique du tout ou sur un point particulier ». C’était le cas, en 1830, de la Symphonie fantastique de Berlioz, et de son « programme » (très contesté par certains musiciens, dont Schumann) distribué aux auditeurs avant l’exécution pour guider leur écoute. Toujours conciliateur, Liszt s’efforçait ainsi de légitimer et de limiter l’usage d’un procédé que beaucoup taxaient de facilité et de racolage : donner à l’auditeur une trame narrative toute faite, lui permettant de « rêver » sur la musique et de se bercer d’images, au lieu d’en écouter la structure et le discours. Il insistait fortement sur l’idée que la musique à programme doit en même temps se justifier complètement comme musique pure dans ses « proportions, ordonnance, harmonie et rythme ». Dans cette acception lisztienne de la musique à programme (illustrée par ses propres « poèmes symphoniques »), la forme musicale est subordonnée au propos, « le retour, le changement, les motifs et les modulations de ces motifs sont conditionnés par leur relation à une idée poétique », ce qui n’empêche pas que la musique doive toucher directement l’auditeur, sans la connaissance obligatoire de cette trame cachée. L’époque moderne, très puritaine sur ce point, tend à qualifier de « musique à programme » toute musique dès lors qu’elle est entachée d’un titre faisant image, ou d’une intention descriptive explicite. Dans l’idée de « programme », il ne faut pas entendre seulement une inspiration descriptive ou évocatrice. Le mot implique aussi une histoire, une certaine downloadModeText.vue.download 809 sur 1085

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évolution dans le temps, dont la musique s’efforce de suivre les phases successives : cela par opposition aux simples musiques descriptives statiques d’un animal (le Coucou de Daquin), d’une idée, d’un milieu naturel. Des musiques « à programme », comme le Cappricio sopra la lontananza de Jean-Sébastien Bach, les Métamorphoses de Carl Ditters von Dittersdorf, les Sonates bibliques de Kuhnau, les Quatre Saisons de Vivaldi, les Tableaux d’une exposition de Moussorgski, le Phaéton de Saint-Saëns, racontent toutes une « succession » de phases ou d’événements. Sous cet angle, la musique à programme est aussi une manière d’entendre la musique, toute musique, comme narration, comme succession d’états moteurs, affectifs. Ainsi Schumann s’amusant à entendre dans les Variations de Chopin sur La Ci darem la mano de Mozart le « si bémol » sur lequel Zerline succombe. Derrière ces fantaisies narratives, auxquelles se sont abandonnés les musiciens et mélomanes les plus sérieux, il ne faut pas oublier que toute forme musicale possède en même temps une dimension narrative, et toute séquence dramatique d’événements une dimension symbolique, formelle. Le nombre des situations dramatiques, des « modèles », n’est pas infini, on trouve un nombre limité de « schèmes » narratifs qui ont leur correspondance dans les formes musicales : la forme sonate à 2 thèmes raconte une sorte d’histoire qui constitue son « programme » (exposition, voyage et luttes des thèmes, retour au bercail du ton principal à la réexposition), de même que la forme rondo, la forme thème et variations, etc. Simultanément, ces formes peuvent être envisagées d’un point de vue purement « géométrique », en considérant le temps comme un espace (non orienté, susceptible d’être parcouru dans les deux sens). La musique à programme serait ainsi la musique dans sa dimension « en temps », inscrite dans une durée irréversible et dramatique, tandis que la musique pure serait censée se justifier d’un point de vue « hors temps » comme traduction sonore de proportions, de relations d’intervalles. Toutes les musiques dites « formelles » ou abstraites (Ars nova, Art de la fugue de Bach, musique sérielle) insistent d’ailleurs sur l’utilisation de procédés d’écriture « en miroir » (rétrogradations), qui nient le temps dans son irréversibilité et le

maîtrisent comme un espace où l’on passe et revient à volonté dans les deux sens. Selon cette perspective formelle, le principal péché de la musique « à programme » est d’inscrire la musique dans un temps dramatique, lourd de ses contingences mortelles, de son caractère événementiel, quotidien. Le débat sur le problème de la musique à programme et de la musique pure est essentiellement une question de « point de vue » sur la musique : toute musique est, en un sens, les deux à la fois, selon la manière dont on l’écoute. PROKOFIEV (Serge), compositeur russe (Sontsovka, Ukraine, 1891 - Moscou, 1953). Ayant reçu de sa mère, pianiste, les premières notions musicales, Prokofiev montre des dispositions étonnamment précoces pour la composition : à cinq ans les premières mesures d’un Galop indien, pour piano, à neuf-dix ans de petites scènes lyriques, le Géant et Sur les îles désertes. Un étudiant du conservatoire de Moscou, Youri Pomerantsev, puis le jeune compositeur Glière lui enseignent les bases de l’harmonie. Ses essais de composition sont encouragés par Serge Tanéiev. En 1904, il entre au conservatoire de Saint-Pétersbourg ; il y est l’élève de Liadov en harmonie, de Winckler puis de Essipova en piano, de Vitol en composition, de Rimski-Korsakov en orchestration et de Tchérepnine en direction d’orchestre. Il y fait la connaissance de Nikolaï Miaskovski, qui restera toute sa vie son plus proche ami. Peu fait par nature pour l’enseignement scolastique, Prokofiev s’intéresse de bonne heure aux compositeurs contemporains : Debussy, Strauss, Reger (tous mal vus au conservatoire) et Schönberg, dont il interprète les oeuvres lors de ses premiers récitals. Il s’impose rapidement en tant que pianiste, impressionnant ou choquant le public par sa puissance et sa technique. Il a à peine vingt ans lorsque l’éditeur Jurgenson publie ses premières oeuvres : sa première sonate pour piano, qui porte encore l’influence de Schumann, Reger et Rachmaninov, 4 études et 8 pièces pour piano. En 1914, il se présente avec succès au concours Rubinstein de piano, et joue lors de l’épreuve avec orchestre son propre premier concerto pour piano. Dans cette oeuvre (1911-12), ainsi que dans sa 2e sonate pour piano, son style se précise : goût pour la carrure rythmique

et la vigueur de frappe, pour les harmonies âpres et imprévues, et contrastes entre cette force manifestée et un lyrisme élégiaque, parfois douloureux, qui se ressent de la veine mélodique populaire. Contemporainement au Manifeste des futuristes, publié en 1912 par un groupe de poètes russes (dont Maïakovski) et intitulé Gifle au goût du public, Prokofiev écrit son 2e concerto pour piano, dont l’exécution en 1913 provoque un scandale mémorable. Ce concerto atteint les limites des possibilités physiques du soliste. À côté de cela, cependant, c’est un Prokofiev beaucoup plus fin et intimiste qu’on trouve dans les 10 pièces pour piano op. 12, preuve que les deux extrêmes constituent à part égale la nature du compositeur. À l’occasion d’un voyage à Londres, en 1914, Prokofiev rencontre Diaghilev ; il espère l’intéresser à un projet d’opéra d’après le Joueur de Dostoïevski, mais Diaghilev lui commande un ballet « sur un sujet russe ou préhistorique ». Ce sera Ala et Lolly, sur un livret du poète symboliste Serge Gorodetski, tiré de la mythologie scythe. La partition déplaît à Diaghilev, qui la refuse. Prokofiev la retravaille et en fait la Suite scythe. oeuvre d’une violence rarement atteinte, parcourue de visions fantasmagoriques, s’achevant sur un terrible crescendo évoquant le lever du soleil, la Suite scythe utilise un orchestre immense et s’inscrit dans la lignée du courant panmongoliste. C’est la réponse de Prokofiev au Sacre du printemps de Stravinski. Le refus de Diaghilev n’a pas découragé Prokofiev d’une collaboration avec lui, et ils choisissent ensemble un nouveau sujet de ballet : Chout (« le bouffon »), extrait d’un recueil de contes russes. Mais ce projet ne trouvera sa concrétisation que six ans plus tard. En 1916-17, Prokofiev compose dans les genres les plus divers : il achève le Joueur (1917), écrit ses 3e et 4e sonates pour piano, son 1er concerto pour violon, le cycle des vingt Visions fugitives (1915-1917), qui sont à la musique de leur époque ce que les Préludes de Chopin sont à la musique romantique. C’est aussi la date de deux oeuvres aussi différentes que possible : la Symphonie classique, qui témoigne du goût de Prokofiev pour la forme pure, et de la cantate Ils sont sept (1917-18 ; rév., 1933),

sur un poème de Constantin Balmont, « invocation chaldéenne » écrite dans le pressentiment du bouleversement de la Révolution, et qui se rattache à l’esthétique de la Suite scythe. En même temps, il fait la connaissance de Maxime Gorki et de Maïakovski. Mais, dans les mois à venir, leurs chemins vont diverger. Révolutionnaire en musique, mais peu intéressé par la politique, Prokofiev ne voit guère de possibilités de faire carrière en Russie au lendemain de la Révolution, et demande à Lounatcharski, commissaire du peuple à l’Instruction, l’autorisation de sortir du pays pour raison de santé. En mai 1918, il part pour les États-Unis, en passant par le Japon, où il donne quelques récitals. Il s’impose assez rapidement aux États-Unis, malgré la malveillance de certains critiques. Le chef d’orchestre de l’Opéra de Chicago, l’Italien Campanini, se voit proposer par lui un sujet d’opéra sur l’Amour des trois oranges, fable de Gozzi, auteur du XVIIIe siècle. Prokofiev écrit rapidement la partition, mais le décès subit de Campanini provoque le report de la représentation. En avril 1920, Prokofiev quitte les États-Unis pour la France. Il entre dans le cercle de Diaghilev, aux côtés de Stravinski, Poulenc, Milhaud, de Falla, Ravel. Entrecoupé de deux nouveaux voyages aux États-Unis, dont le sedownloadModeText.vue.download 810 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 804 cond pour la création de l’Amour des trois oranges (décembre 1921), le séjour parisien de Prokofiev est marqué par la représentation de Chout (mai 1921). La même année voit naître le 3e concerto pour piano (commencé en 1917), d’une structure plus rationnelle et d’un dynamisme plus contrôlé que le précédent. En 1922, Prokofiev s’installe à Ettal dans les Alpes bavaroises, où il travaille à un nouvel opéra, l’Ange de feu, d’après une nouvelle de Valéry Briussov ; le sujet en est un cas de « possession diabolique » au XVIe siècle. En même temps, le compositeur continue à donner des concerts dans les capitales occidentales (Londres, Berlin, Bruxelles). Son nom commence à être connu, tant grâce à ses propres efforts qu’à ceux du chef d’orchestre Koussevitski, récemment émigré, qui est un propagateur

actif de la musique russe. En 1923, Prokofiev revient à Paris. C’est l’année de son mariage en premières noces avec Carolina Codina, jeune femme d’origine mi-franco-polonaise, mi-espagnole. De ce mariage naîtront deux fils, Sviatoslav et Oleg. Carolina (Lina) et Prokofiev se sépareront en 1941. En 1948, Prokofiev épousera en secondes noces Mira Mendelssohn. La même année, Lina sera arrêtée par la police secrète, pour n’être libérée que sous Khrouchtchev. Avec la 2e symphonie (1924-25), Prokofiev aborde l’esthétique constructiviste, à laquelle Honegger a rendu hommage avec son Pacific 231. Deux ans plus tard, Diaghilev commande à Prokofiev un ballet constructiviste sur le thème des réalisations industrielles et de la nouvelle vie en Union soviétique. C’est le Pas d’acier, créé en 1927 avec des décors de Iakoulov sous la direction de R. Desormière. Depuis quelques années précisément, Prokofiev est de plus en plus attiré par l’Union soviétique, se sentant étranger aussi bien parmi les Occidentaux que parmi ses compatriotes émigrés, qu’il juge trop passéistes. Au début de 1927, il fait un premier séjour en U. R. S. S., où il renoue avec ses anciens amis, dont Miaskovski, et où sa musique a déjà pénétré. Toutefois, le Pas d’acier est désapprouvé par les Soviétiques, et considéré comme caricatural. Achevant l’Ange de feu en 1927, Prokofiev entreprend de composer à partir du matériau thématique de l’opéra sa 3e symphonie. L’année suivante, une nouvelle et dernière - commande de Diaghilev est à l’origine du ballet le Fils prodigue, d’après la parabole évangélique, le rôle-titre est créé par Serge Lifar. Peu après Diaghilev meurt à Venise, ce qui rompt une des principales attaches de Prokofiev avec l’Occident. Pendant sept ans, Prokofiev va mener un mode de vie instable, partagé entre l’Occident et l’U. R. S. S. : en 1930, un nouveau voyage aux États-Unis est à l’origine de la composition de son 1er Quatuor commandé par la Library of Congress. En 1932, le ballet Sur le Borysthène, élaboré avec Lifar, connaît un retentissant échec à l’Opéra de Paris. Une autre déception est celle du 4e concerto pour piano (1931), composé, comme le Concerto pour la main gauche de Ravel, à l’intention de Paul Wittgenstein, et refusé par le dédicataire. Le

5e concerto (1931-32), qui s’apparente au 2e et au 3e, connaîtra une meilleure fortune. Mais c’est en U. R. S. S., dont il n’est pourtant pas encore citoyen, que Prokofiev reçoit, dès 1933, les commandes les plus intéressantes, à commencer par la musique du film de Feinzimmer, Lieutenant Kijé, qui marque son retour à un style plus classique, afin de se mettre à la portée des masses. En 1936, il écrit pour les enfants Pierre et le loup, tout en élaborant avec le metteur en scène Radlov un grand ballet, Roméo et Juliette (créé à Brno en 1938), son premier ballet soviétique, et sa première grande référence à un thème de la littérature classique. Le ballet donne lieu, outre à trois suites symphoniques (ce que Prokofiev fait de la plupart de ses oeuvres scéniques), à une série de pièces pour piano. En 1937, Prokofiev se voit confirmer la citoyenneté soviétique. Par malchance, il renoue avec son pays au moment où le contrôle du pouvoir s’étend à tous les domaines culturels : en 1932, création de l’Union des compositeurs soviétiques ; en 1936, célèbre affaire de l’opéra Lady Macbeth de Mzensk de Chostakovitch, qualifié de « galimatias musical ». Et, de plus en plus, les artistes qui déplaisent pour une raison ou une autre se voient taxés de « formalisme », tare suprême définie comme « le sacrifice du contenu social et émotionnel de la musique au profit de la recherche d’artifices avec les éléments de la musique : rythmes, timbres, combinaisons harmoniques ». Tandis que nombre de musiciens russes (Rachmaninov, Chaliapine, Tchérepnine, Medtner, Glazounov) ont choisi d’émigrer, refusant l’avenir soviétique, afin de conserver leur passé russe et leur liberté, Prokofiev fait le choix inverse : il sacrifie sa liberté pour revenir à la Russie comme à une source indispensable, et pour devenir un compositeur soviétique officiel, subissant tous les avantages et les inconvénients de ce statut. En 1937, Prokofiev achève une Cantate pour le 20e anniversaire de la Révolution qu’il projette depuis plusieurs années. Il y met en musique des textes de théoriciens du marxisme, dont Lénine. Mais l’oeuvre est refusée par la censure, ce type de textes « n’étant pas prévu pour être chanté ». La rencontre avec le cinéaste Eisenstein va donner lieu à une collaboration fructueuse. Prokofiev écrit la musique pour la grande fresque historique et patriotique

Alexandre Nevski (1938), dans laquelle on reconnaît le style de la période occidentale du compositeur (les Croisés dans Pskov, Bataille sur la glace) à côté de pages dont l’inspiration populaire et épique correspond aux exigences de l’esthétique soviétique (Chant sur Alexandre Nevski, Sur le champ de la mort, finale). Prokofiev y renoue avec les traditions des opéras nationaux russes du XIXe siècle. En décembre 1939, pour le soixantième anniversaire de Staline, il se joint au choeur des panégyristes en écrivant la cantate Zdravitsa (« bonne santé »). La même année, il compose son premier opéra soviétique, Siméon Kotko, inspiré de la guerre civile en Ukraine. En même temps, il commence à travailler à trois nouvelles sonates pour piano (nos 6, 7 et 8, dites « les sonates de guerre »), oeuvres monumentales qui constituent le sommet de sa production pianistique. Les deux premières sont créées par Sviatoslav Richter (1943), qui révèle également aux Soviétiques le 5e concerto ; la 8e sonate est jouée par Guilels (1944). En 1940, Prokofiev fait la connaissance de la jeune poétesse Myra Mendelssohn qui devient sa nouvelle compagne, ainsi que sa collaboratrice. Elle lui suggère le thème d’un opéra-comique, les Fiançailles au couvent, d’après la Duègne de Sheridan ; et ils élaborent ensemble le livret de Guerre et Paix d’après Tolstoï, opéra que Prokofiev commence en 1941 et auquel il travaillera jusqu’à la fin de sa vie. Dès le début des hostilités germano-russes, Prokofiev est évacué au Caucase et au Kazakhstan (Alma-Ata), avec nombre d’autres artistes et intellectuels. Il y reste pendant deux ans. Les oeuvres les plus marquantes de cette période sont la Ballade du garçon resté inconnu, le 2e quatuor écrit sur des thèmes kabardes, la sonate pour piano et flûte (transcrite ensuite pour piano et violon à la demande d’Oïstrakh), qui frappe par sa limpidité, aux côtés d’oeuvres pathétiques et tourmentées. Mais, surtout, Prokofiev va, dès 1942, retravailler avec Eisenstein pour un nouveau film historique, Ivan le Terrible. Le premier épisode, projeté en 1945, obtient le prix Staline, mais le second est interdit par la censure (il ne sera montré qu’à partir de 1958). La mort d’Eisenstein en 1948 mettra fin aux activités de Prokofiev dans le domaine de la musique cinématographique.

Les années 1945-1947 voient l’achèvement et la création de plusieurs oeuvres ébauchées au cours des années précédentes : la 5e symphonie, le ballet Cendrillon (théâtre Bolchoï, novembre 1945), la première partie de Guerre et Paix (Leningrad, théâtre Maly, juin 1946). Simultanément à deux oeuvres de circonstance pour le trentième anniversaire de la Révolution, Poème de fête et Fleuris, pays tout-puissant, il compose en 1947 sa 9e et dernière sonate, dédiée à Richter et qui marque un certain dépouillement downloadModeText.vue.download 811 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 805 du langage. La même année il obtient le titre d’artiste du peuple de la R. S. F. S. R. Mais cette distinction ne le met pas à l’abri des redoutables attaques qu’il subit l’année suivante, dans le cadre d’une campagne antiformaliste sans précédent, lancée par Andreï Jdanov, et qui atteint les plus grands noms de la musique soviétique : Chostakovitch, Khatchaturian, Miaskovski, Kabalevski. Toute une série d’oeuvres de Prokofiev est condamnée, en particulier celles de sa période occidentale (Chout, le Pas d’acier, le Fils prodigue, l’Ange de feu), et même certaines oeuvres soviétiques, dont la 8e sonate. Contraint de faire son autocritique, le compositeur attire cependant l’attention sur celles de ses oeuvres qui ont échappé à la condamnation : Roméo et Juliette, Alexandre Nevski, la 5e Symphonie. Mais, quelques mois plus tard, la censure refuse son nouvel opéra Histoire d’un homme véritable, inspiré pourtant de la vie héroïque d’un aviateur soviétique pendant la guerre. Malgré un état de santé précaire (hypertension), Prokofiev consacre toute son énergie à la composition. À partir de 1946, il passera tous les étés dans sa maison de campagne (datcha) de Nikolina Gora, à 35 km de Moscou. En 1950, il écrit la Garde de la paix, oeuvre avec laquelle il se rachète aux yeux du régime. Ses dernières oeuvres importantes sont la sonate pour piano et violoncelle écrite pour Rostropovitch et Richter, la 7e symphonie, et surtout le ballet la Fleur de pierre ; s’inspirant des légendes de l’Oural et créé à Moscou en 1954. C’est à Moscou que Prokofiev meurt le 5 mars 1953. Mais sa mort passe pratiquement inaperçue, car elle survient le

même jour que celle de Staline. Excepté la musique religieuse, Prokofiev a abordé tous les genres. Il a donné le meilleur de lui-même dans la musique pour piano (ses concertos, sonates et ses nombreuses miniatures sont au premier rang du répertoire pianistique du XXe s.), dans les oeuvres chorégraphiques et cinématographiques, où il excelle à donner l’équivalent musical des mouvements et des scènes visuelles. Sa musique lyrique présente plus d’inégalités, en dépit de la puissance incontestable du Joueur ou de l’Ange de feu, et de certains épisodes de Siméon Kotko et de Guerre et Paix : Prokofiev est incomparablement plus novateur dans le domaine harmonique et instrumental que dans celui de l’écriture vocale, et il est davantage un illustrateur et un narrateur qu’un psychologue. Réaliste, volontaire, tourné vers le concret et vers l’avenir, caustique et dur, spirituel et provocateur, Prokofiev n’en est pas moins, à côté de cela, un lyrique, qui a toujours su adapter son invention mélodique aux divers styles qu’il a pratiqués. C’est aussi un héritier direct des classiques, par son sens de la forme et de la construction solide, et la discipline de son inspiration. Ce qui explique, dans une grande mesure, ses facilités d’adaptation et sa productivité. PROLATION. Procédé « solfégique » de la notation proportionnelle en usage aux XIVe et XVe siècles, permettant de diviser une valeur tantôt en 2, tantôt en 3. D’abord terme général, le mot s’est progressivement limité à la division de la semi-brève (graphie de notre ronde actuelle) en minimes (graphie de notre blanche actuelle) : selon une convention fixée par le signe de « mesure » précédemment apposé, la semi-brève se divisait tantôt en 2 minimes (prolation mineure), tantôt en 3 (prolation majeure). La prolation constituait le troisième échelon de la progression mode (longues en brèves), temps (brèves en semi-brèves), prolation enfin (semi-brèves en minimes). L’expression n’est plus employée aujourd’hui, mais la prolation mineure n’en a pas moins été conservée, tandis que la prolation majeure s’est vue remplacer selon les cas soit par le système des triolets, soit par la division ternaire des mesures composées.

PROLOGUE. Situé après l’ouverture (ou sinfonia), il s’agit de la première scène, rattachée ou non à l’action principale, qui sert d’introduction à un opéra. La majeure partie des opéras à l’époque baroque comporte un prologue. Une introduction apparemment banale peut, au moyen de l’allégorie, transformer le livret en un sujet d’actualité, comparant les exploits du héros à ceux du dédicataire de l’ouvrage, qui, le plus souvent, est l’objet même de sa création. C’est le cas des premiers opéras, ou favole in musica, créés à Florence ou à Mantoue. Le prologue, en imitation des deux pastorales dramatiques qui ont mené directement à l’opéra (Aminta du Tasse ; Il Pastor Fido de Guarini) prend d’abord la forme d’un air strophique, chanté par une voix seule. Ainsi, dans l’Euridice de Rinuccini/ Peri (1600), la tragédie s’adresse à Marie de Médicis, à l’occasion de son mariage avec Henri IV, et lui demande d’écouter le chant du Thracien Orphée. Au cours des années, le prologue se développe, incorporant d’autres personnages allégoriques qui veillent sur le déroulement de l’action (la Nature, l’Éternité, le Destin). Cependant, en Italie, le prologue, après l’ouverture des théâtres publics, et l’éloignement de l’opéra des cours princières vers un nouveau centre (Venise), ne jouera plus son rôle glorificateur. Désormais, il se lie davantage à l’action. Par exemple, dans le prologue de l’Egisto (1643) de Cavalli, la Nuit, puis l’Aurore introduisant la scène initiale de l’acte I et la rencontre baignée de soleil des amants : Ecco l’alba, ecco Clori. En France, le prologue joue un rôle politique pendant plus d’un siècle. Celui d’Ercole amante (1662) associe les victoires glorieuses d’Hercule à celles de Louis XIV et bénit son mariage de paix avec MarieThérèse d’Autriche. Puis, à l’Académie royale de musique, les ouvrages lyriques de Lully et Rameau continueront cette tradition : le triomphe de l’amour et du pouvoir absolu de la monarchie sur toutes les adversités. Contrairement à ce qu’on a longtemps prétendu, le prologue possède toujours un rapport avec le sujet de l’opéra. Zoroastre (1749) de Rameau est le premier opéra français dépourvu de prologue mais, encore en 1777, J.-J. Rousseau précise que « les opéras français sont... les seuls où l’on ait conservé des prologues ». Sa description du terme mérite

d’être citée : « Comme le sujet des prologues est ordinairement élevé, merveilleux, ampoulé, magnifique et plein de louanges, la musique en doit être brillante, harmonieuse, et plus imposante que tendre et pathétique » (Dictionnaire de musique). La période classique (Gluck, Haydn, Mozart) abandonne le prologue presque entièrement. Au XIXe siècle, il réapparaît occasionnellement, mais, cette fois, il sera purement dramatique. Chez Wagner, l’Or du Rhin forme un prologue à l’ensemble du Ring. Puis, chez Leoncavallo, on retrouve le prologue sous forme de monologue, comme à ses débuts Paillasse. Les opéras avec un prologue ne sont pas rares au XXe siècle ; citons, de R. Strauss, Ariane à Naxos, 1912 ; de Prokofiev, l’Amour des trois oranges, 1921 ; de Berg, Lulu ; de Britten, Peter Grimes, 1945 ; de Poulenc, les Mamelles de Tirésias, 1947 et, de Dallapiccola, Ulysse, 1968. PROLONGATION. 1. On appelle ainsi le fait de maintenir une valeur au-delà de sa durée écrite soit par un signe spécial (point, point d’orgue, etc.), soit en la liant à une autre dont la durée s’additionne à la sienne sans donner lieu à une nouvelle attaque. 2. En harmonie, on appelle parfois prolongation le maintien d’une note au-delà de la consonance qui la justifiait ; la prolongation prend le plus souvent le nom des diverses catégories de notes étrangères qu’elle engendre : retard, pédale, etc. PROPORTION. 1. Manière dont les parties d’un tout s’équilibrent entre elles et avec ce tout. C’est le sens usuel, valable en musique comme ailleurs. 2. En acoustique, rapport de nombres définissant un intervalle. Le rapport de 1 à 2, de 1 à 3, etc., s’appelle proportion double, triple, etc. ; le rapport de 2 à 3 s’appelle proportion hémiole ou sesquialtère. Une downloadModeText.vue.download 812 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 806 proportion est dite superpartielle, ou su-

perparticulière, quand l’un de ses nombres est supérieur ou inférieur à l’autre d’une unité, ce qui est toujours le cas quand l’intervalle en cause correspond à deux harmoniques consécutifs d’une même fondamentale. La théorie ancienne classait également les proportions en 3 catégories : arithmétique, harmonique, géométrique, principalement lorsqu’elle s’appliquait à la recherche des médiétés, c’est-à-dire de la manière dont, entre les sons A et B d’un intervalle connu, doit se placer un son x susceptible de le diviser rationnellement pour former deux intervalles nouveaux. Les sons sont, on le rappelle, définis sur le monocorde par un nombre représentant la longueur de corde qui les produit à partir d’un point commun d’origine de valeur zéro. Peu importe le choix du nombre initial et de l’unité de mesure, puisque seules comptent les proportions, c’est-à-dire les rapports. On peut également « tirer », c’est-à-dire faire résonner la corde, indifféremment à droite ou à gauche, à condition de compter à partir du même point zéro, puisque les proportions restent les mêmes. Soit par exemple une octave B = 2A, dont A = 6, B = 12. Selon la proportion arithmétique, x est donné par la formule : soit x = 9. Elle divise l’octave, de bas en haut, 2 en quarte + quinte. Selon la proportion harmonique, inverse de la précédente, x est donné par la formule soit x = 8. Elle divise l’octave, de bas en haut, en quinte + quarte. Selon la proportion géométrique, x est donné par la formule , soit Elle divise l’octave en deux intervalles égaux de triton. Cette dernière proportion, aux nombres irrationnels, est en général négligée par les anciens théoriciens. Ceux-ci ont d’abord considéré les deux premières comme de valeur équivalente, puis ont peu à peu découvert la prééminence de la proportion harmonique dans le mode naturel de formation des intervalles par la résonance, dont le phénomène des harmoniques est l’expression privilégiée

(d’où le nom qu’on leur a donné lors de leur découverte au début du XVIIIe s.). 3. Dans la notation des XIIIe-XVIe siècles, dite pour cette raison « proportionnelle », on appelait « proportion » la manière variable dont, selon les cas, une valeur pouvait se diviser tantôt en 2 (proportion double) tantôt en 3 (proportion triple). Selon qu’elle s’appliquait aux longues, brèves ou semi-brèves, la proportion à partir du XIVe siècle prit le nom de mode, temps ou prolation. 4. Par extension du sens précédent, on appelait proportion, aux XVe et XVIe siècles, le procédé consistant à signaler une augmentation ou diminution de valeur par simple changement de l’unité de battue sans en modifier l’écriture. La pratique des proportions a engendré un système compliqué de signes conventionnels, dont nous avons conservé des résidus tels que le demi-cercle (improprement appelé « lettre C ») et son dérivé C barré ; il y a, en effet, « proportion double » dans le fait que la même valeur (blanche) vaut 2 temps avec C et un seul avec C barré. PROQUARTET. Association française créée en 1987 dans le but de contribuer au rayonnement du quatuor à cordes. Présidée par Marc Vignal (président d’honneur Henri Dutilleux) et dirigée par Georges Zeisel, elle organise des concerts (intégrale des quatuors et des quintettes de Mozart et de Haydn, « Franz Schubert et l’esprit viennois », « Beethoven et Schönberg »), des master-classes (avec notamment des membres des quatuors Amadeus, Berg, LaSalle), encourage la création pour quatuor (commandes passées à Philippe Hersant, Pascal Dusapin, Gilbert Amy, Betsy Jolas), produit des films documentaires, des émissions de télévision. PROSE. 1. Au sens courant, texte non soumis aux règles de la versification, sans qu’il soit pour autant exclu qu’y apparaissent des éléments de caractère poétique, notamment dans l’assonance et dans le rythme. La prose liturgique latine, surtout quand elle est destinée à la cantillation, abonde en formules rythmiques cadencielles, qui

ont été cataloguées sous le nom de cursus et dont plusieurs (mais non pas toutes) sont héritées de la rhétorique cicéronienne. 2. Synonyme de séquence. L’origine du mot dans ce sens est mal expliquée, d’autant plus qu’à partir du XIIe siècle la prose est généralement en vers. On a supposé qu’il pouvait s’agir d’une mauvaise lecture de l’abréviation fréquente pro sa, c’est-àdire pro sequentia, mais cette explication reste hypothétique. Il semble peu probable en tout cas qu’il faille rattacher le terme au sens usuel, dérivé de prorsus (prorsa oratio, « discours qui va de l’avant »), par opposition à versus (de vertare, « retourner en arrière »). PROSODIE. 1. En métrique antique, la prosodie est la partie de la versification qui traite de la longueur des syllabes en vue de leur insertion dans les « pieds » qui définissent le vers. L’étymologie du mot est d’origine musicale (du gr. pros-oidia, « lié au chant ») et atteste le caractère chanté de la poésie primitive. 2. En musique, le mot a un sens plus large et définit, dans les textes mis en musique, l’art de régler correctement la longueur et l’accentuation des syllabes de manière à mettre en accord leur phrasé verbal et leur traitement mélodique. PROVENZALE (Francesco), compositeur et pédagogue italien (Naples 1627 ? - id. 1704). Il joua un rôle de premier plan dans la naissance de l’opéra napolitain, débutant avec Il Ciro (1653), Xerse (1655 ?) et Artemisia (1657 ?), sans doute adaptations des ouvrages du même nom de Cavalli. Seuls deux opéras avec musique entièrement de lui ont survécu : Lo schiavo di sua moglie (1671) et La Stellidaura vendicata (1674). Il fut peu à peu supplanté par Alessandro Scarlatti, mais continua par son enseignement et grâce à ses nombreux postes officiels à participer au développement de la vie musicale à Naples. PRUNIÈRES (Henry), musicologue français (Paris 1886 - Nanterre 1942). Il fait ses études à la Sorbonne sous la

direction de Romain Rolland et soutient deux thèses de doctorat : l’Opéra italien en France avant Lully (1913) et le Ballet de cour avant Bensérade et Lully (1914), deux sujets qui sont loin d’être épuisés encore de nos jours par la recherche musicologique. Il a également signé, dans un style agréable, une étude sur Monteverdi (1924), une monographie romancée intitulée la Vie illustre et libertine de J. B. Lully (Paris, 1929 ; rééd., 1977), et un ouvrage sur Cavalli et l’opéra vénitien (Paris, 1931), à une époque où ce musicien était pratiquement inconnu. Il a en outre fondé la Revue musicale (1920) et organisé les concerts de la Revue musicale à partir de 1921. Il a commencé l’édition complète des oeuvres de Lully. Dix volumes ont paru entre 1930 et 1939 ; ce travail n’a pas été repris depuis la mort du musicologue. PSALMODIE. 1. En musique grecque antique, selon le sens étymologique strict, chant (ôdé) accompagné par un instrument à cordes pincées tel que lyre ou cithare (psallein, « pincer une corde »). 2. En musique grégorienne, manière de chanter les psaumes à l’office, en employant un timbre défini, comportant des règles particulières d’intonation, de repos et de terminaison à partir d’une « teneur » ou « corde de récitation », note principale sur laquelle se chante le corps downloadModeText.vue.download 813 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 807 du texte, et dont le rapport avec la note finale détermine le « mode » ou « ton de récitation ». La dérivation à partir du sens no 1 s’explique par le fait que le roi David était censé chanter ses psaumes en les accompagnant sur la harpe, d’où leur nom. Celui-ci leur est resté, une fois l’habitude prise de chanter les psaumes sans accompagnement. 3. Par extension et analogie, on applique le mot « psalmodie » à tout chant qui, par son caractère de récitation sur une seule note, brodée ou non, évoque l’aspect répétitif et monotone du chant des psaumes à l’office.

PSALTÉRION. Désigne deux types d’instruments à cordes pincées. 1. On appelle ainsi la harpe grecque, de forme triangulaire et d’usage peu fréquent. Le terme est parallèlement employé au IVe siècle av. J.-C. dans le Septuagint, version grecque de l’Ancien Testament, comme dénomination de la harpe biblique triangulaire. Cette assimilation se perpétue jusqu’au Moyen Âge, en particulier dans la Vulgate, version latine de la Bible réalisée par saint Jérôme, et se retrouve dans toute la littérature chrétienne du Moyen Âge. Sous les Carolingiens, cependant, le psaltérion biblique est maintenant décrit comme un instrument rectangulaire. À partir de cette époque, il apparaît sous ces deux formes, triangulaire et rectangulaire, dans l’iconographie, en particulier sur les tympans des églises. On commence également à distinguer sous les cordes, une table de résonance, qui ôte à l’instrument sa qualité de harpe. 2. Au XIIe siècle se répand en Europe, par l’intermédiaire des Maures espagnols, une cithare trapézoïdale, le q¯an¯un ou canon. On ignore d’où provient son nom de psaltérion. Sans doute, du fait d’erreurs iconographiques successives, finit-on par identifier cet instrument à la harpe biblique ; en contrepartie, il influencera certainement les représentations de cette dernière (ce qui justifie peut-être l’apparition d’une table de résonance dans les reproductions). Sa forme varie beaucoup selon les lieux et les époques, les plus répandues étant le trapèze avec choeurs de trois ou quatre cordes au sud de l’Europe, alors qu’au nord, on préfère un trapèze aux côtés incurvés, dit « tête de porc » (c’est ainsi que le décrit Praetorius en 1619 dans Syntagma musicum), avec une ou deux cordes par note. On trouve l’instrument sous ces deux formes dans les Cantigas de santa Maria d’Alfonso El Sabio de Castille (XIIIe s.). En Europe de l’Est, en revanche, certains instruments combinent les caractéristiques de la harpe et du psaltérion et portent alors le nom de « psaltérionsharpes ». Malgré ces divergences de forme, l’instrument est fixé à la fin du Moyen Âge. Il s’agit d’une table de résonance trapézoïdale, en général, s’ouvrant en rosaces, sur laquelle sont tendues parallèlement des cordes de métal (au lieu de boyau), soit

individuelles, soit par choeurs de 2 à 4 et de nombre variable (aux environs de 10, en général), qu’on pince avec les doigts ou à l’aide d’un plectre. Cet instrument, très répandu en Europe jusque vers 1500 environ, est utilisé soit en soliste, soit dans des ensembles, et n’a pas de répertoire qui lui est propre. Il subira diverses transformations par la suite : frappé avec des marteaux, il deviendra le dulcimer ou tympanon ; et il suffira de le munir d’un clavier pour avoir le premier prototype de clavecin. Il s’est conservé sous sa forme originale dans la musique folklorique (gusli russe, kantele finlandais...). PSAUME. Nom donné dans la Bible à un recueil de 150 poèmes moralistes ou religieux (livre des psaumes), dont la composition est en partie attribuée au roi David et à son fils Salomon. Le terme, qui évoque un instrument à cordes pincées ( ! PSALMODIE), a été introduit au IIIe siècle av. J.-C. par la traduction grecque de la Bible due aux Septante (le mot hébreu est mizmor) et conservé latinisé par l’Église chrétienne. Il laisse entendre que ces poèmes étaient, à l’origine, chantés avec accompagnement d’un instrument de ce genre, ce qui valut au roi David d’être fréquemment représenté, dans l’iconographie chrétienne, sous l’aspect d’un roi harpeur. Cette étymologie fut assez vite oubliée du fait que les psaumes, dans la liturgie catholique, où ils tiennent une place considérable, se chantent sans accompagnement, même si, probablement au XVIIIe siècle, sinon au XIXe, on leur a adjoint un léger soutien d’orgue purement fonctionnel. Non seulement la harpe s’est vu bientôt remplacée sur l’image par n’importe quel instrument, mais les dérivés musicaux du mot « psaume » se réfèrent tous, non pas au jeu de l’instrument étymologique, mais au mode spécial de cantillation qui caractérise la psalmodie : récitation sur une seule note dite « teneur » ou « corde de récitation », coupée si le verset est trop long par des inflexions de repos, ou « flexes », avec trois formules mélodiques liées au « ton » adopté : une formule d’« intonation » (souvent réservée au seul verset initial), une formule de « médiante » marquant la séparation des demi-versets (indiquée par un astérisque dans les livres de

chant), une formule conclusive pour la fin du verset (chaque ton possède plusieurs formules conclusives de rechange). Les psaumes étaient chantés primitivement, comme à la synagogue, sous forme responsoriale, c’est-à-dire par un seul chantre récitant, auquel l’assemblée répondait par un court refrain de louange ou d’approbation. Cette forme a été supplantée vers le IVe siècle, à l’instigation de saint Ambroise de Milan, par une forme dite « antiphonique », c’est-à-dire en deux demi-choeurs alternés, encadrés par un court chant mélodique de même ton, généralement tiré de l’Écriture sainte, et dénommé par analogie « antienne » (antiphona). On termine les psaumes, à l’office, par un couple de versets à la louange de la Sainte Trinité (Gloria Patri...), appelé doxologie. La Réforme du XVIe siècle a adopté également le chant des psaumes pour base de son répertoire, mais sous la forme d’adaptations versifiées en langue vulgaire. Les versets sont devenus des strophes, et un grand nombre de mélodies nouvelles ont été composées à leur intention. En Allemagne, les psaumes se sont plus ou moins confondus avec les autres cantiques de même type, sous le nom générique de « choral ». En France, ils ont constitué un répertoire propre, dit Psautier huguenot. La forme initiale en est presque toujours monodique, mais ils ont été fréquemment harmonisés ou développés du XVIe siècle à nos jours. Il y eut également des essais de psaumes en langue vulgaire jusque chez les catholiques : Marot au XVIe siècle, Godeau au XVIIe siècle. La numérotation des psaumes diffère partiellement d’un usage à un autre. L’usage catholique suit la version de la Vulgate dite « italique », établie d’après la traduction grecque des Septante (les psaumes furent exceptés de la révision de l’italique par saint Jérôme), qui a condensé en un seul les psaumes 9 et 10 et divisé en deux le psaume 147, de sorte que le nombre total reste le même, mais qu’il y a divergence d’un numéro entre les psaumes ci-dessus. L’usage réformé refuse la correction de la Vulgate et coïncide par conséquent avec l’usage hébraïque. Indépendamment des harmonisations ou développements des psaumes réformés, le texte des psaumes a souvent été mis en musique et fournit une part impor-

tante des motets du XVIe au XVIIIe siècle, de Josquin Des Prés à Mozart en passant par l’important ensemble dû à Benedetto Marcello. Quelque peu négligé au XIXe siècle, malgré des exceptions comme Mendelssohn et Liszt, le psaume semble avoir connu un regain de vitalité dans la première partie du XXe siècle, surtout en France (cf. Lily Boulanger, Florent Schmitt, Albert Roussel, Arthur Honegger), pour culminer en 1930 avec la Symphonie de psaumes de Stravinski, réunion artificielle de 3 textes de psaumes formant les 3 mouvements d’une symphonie avec choeurs. downloadModeText.vue.download 814 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 808 PSAUTIER. Au sens usuel, recueil de psaumes. Par extension, on donne parfois le nom de psautier à l’antiphonaire ou à tout autre livre d’heures, mais ce terme n’appartient pas comme tel à la terminologie officielle. On donne également le nom de psautier à l’ensemble des 150 psaumes considéré dans une version déterminée. Le psautier hébraïque a d’abord été, comme toute la Bible, traduit en grec avant l’ère chrétienne par les Septante, puis il connut diverses traductions latines de seconde main, généralement d’après la version grecque des Septante. C’est à celle de Rome et de l’Italie du Sud, dite « vieille italique », que sont empruntés la plupart des extraits de psaumes chantés à l’office hors de la psalmodie, d’où parfois des variantes de texte avec celle-ci. Quand saint Jérôme (331-420) refit d’après l’hébreu une nouvelle version diffusée sous le nom de Vulgate, certains pensent qu’il en excepta le psautier qui aurait été rédigé par saint Ambroise (340-397), mais d’autres le lui attribuent également. Toujours est-il que celui-ci connut dans la Vulgate même 3 versions ; c’est la seconde, rédigée vers 386, qui fut adoptée pour la psalmodie de l’office. Elle prit le nom de « psautier gallican » après que les Carolingiens en eurent imposé l’usage en Gaule à la fin du VIIIe siècle, et, sauf à Saint-Pierre de Rome, est restée seule en usage après l’interdiction de l’italique par Pie V.

Le XXe siècle a connu plusieurs tentatives de révision du psautier : en 1945, celle du P. Béa, dite Psautier de Pie XII ; en 1969, celle des bénédictins de Saint-Jérôme à Rome, dite néovulgate ; depuis le concile Vatican II, de nombreux pays travaillent à un psautier dans leurs langues propres, et une commission interconfessionnelle prépare un psautier oecuménique qui serait commun aux trois religions catholique, orthodoxe et protestante. Cette dernière donne le nom de Psautier huguenot à la collection des 150 psaumes traduits en vers français strophiques par Clément Marot et Théodore de Bèze au XVIe siècle (avec adjonction de quelques cantiques, dont celui de Siméon), et qui est restée la base du chant collectif de l’église calviniste et de ses harmonisateurs. PUCCINI (Giacomo), compositeur italien (Lucques 1858 - Bruxelles 1924). Issu d’une vieille famille de musiciens d’église - son grand-père Domenico écrivit aussi pour le théâtre -, il perdit son père en 1864, fit ses premières études au séminaire, puis entra à l’Institut musical de Lucques en 1874, y écrivant son Prélude symphonique (1876) et diverses oeuvres religieuses, réunies plus tard en une messe (1880). Fortement marqué par une représentation d’Aïda vue à Pise en 1876, il décida de se consacrer au théâtre et réussit brillamment un examen d’entrée à Milan en 1880. Doté d’une bourse exceptionnelle de la reine, il y étudia avec Bazzini et Ponchielli et obtint son diplôme en 1883 avec son Caprice symphonique (dont il réutilisera des fragments inaltérés treize ans plus tard dans La Bohème), ayant, en outre, composé des mélodies et un quatuor à cordes. L’originalité et le modernisme de son écriture éclatèrent dès son premier opéra, le Villi, d’après Heine et Th. Gautier, joué en 1884 au Del Verme de Milan. Dédaigné par le jury du concours organisé par la jeune Maison Sanzogno, cet opéra attira l’attention de l’éditeur Ricordi, qui accorda sa confiance et son aide financière au jeune musicien. Puccini put ainsi travailler durant quatre ans à Edgar, d’après la Coupe et les lèvres de Musset, créé sans succès à la Scala de Milan en 1889 ; réduit de 4 actes à 3, l’opéra reçut un meilleur accueil à Ferrare en 1892. Ricordi n’en avait pas moins conservé sa confiance

à Puccini, qui, par ailleurs, menait une vie sentimentale difficile, vivant avec la femme d’un de ses amis, Elvira, qu’il ne put épouser qu’en 1904. Ayant vu Sarah Bernhardt jouer la Tosca de V. Sardou en 1889, Puccini s’était enflammé pour ce sujet, mais ne pouvant en obtenir les droits, il décida, quatre ans après le succès de la Manon de Massenet, de traiter le même thème, et, au terme de longs démêlés avec plusieurs librettistes, fit représenter sa Manon Lescaut à Turin en 1893, huit jours avant la création du Falstaff de Verdi à Milan. Ce fut un triomphe, et l’oeuvre fut jouée dans toute l’Italie, en Amérique du Sud, en Russie, en Espagne et en Allemagne l’année même, à Lisbonne, Budapest, Londres, Prague, Montevideo et Philadelphie en 1894, bientôt à Mexico, à Varsovie, New York, Athènes, etc., n’atteignant toutefois la France qu’en 1906 (à Nice et à Bordeaux). La succession de Verdi semblait dès lors assurée, et, désormais célèbre, Puccini se fixa à Torre del Lago, près de Lucques. C’est là qu’il écrivit sa Bohème, d’après Murger ; cet opéra, créé à Turin en 1896 sous la baguette de Toscanini, connut un départ incertain, tant l’orchestration et l’harmonie en parurent révolutionnaires, contrastant avec le sentimentalisme postromantique de Manon Lescaut. L’oeuvre s’affirma néanmoins rapidement, alors que, Franchetti lui en ayant abandonné généreusement les droits, Puccini put enfin écrire sa Tosca, qui, créée à Rome en 1900, fut jouée immédiatement dans le monde entier, triomphant devant les publics les plus traditionnels, malgré son langage extrêmement audacieux. Après avoir traité cinq sujets d’inspiration française, c’est durant un voyage à Londres que Puccini découvrit le drame de John Luther Long qui lui inspira Madame Butterfly, dont l’achèvement fut retardé par son grave accident d’automobile de 1903, et qui, après son échec initial à la Scala de Milan en 1904, triompha à Brescia trois mois plus tard dans une version remaniée. Alors qu’il supervisait en Amérique la production de ses oeuvres, il trouva dans une pièce de Belasco un nouveau thème de dépaysement, le Far West : La Fanciulla del West fut créée triomphalement au Metropolitan Opera en 1910 avec Caruso et E. Destinn, sous

la baguette de Toscanini, et cette réussite rasséréna Puccini qui, d’une part, avait usé ici d’un langage très hardi et qui, d’autre part, venait de traverser une crise personnelle très grave, Elvira Puccini ayant été jugée responsable du suicide d’une jeune servante qu’elle avait injustement accusée d’être la maîtresse de son mari. Au faîte de la gloire, bien que vilipendé par une certaine presse, notamment en France, Puccini entreprit des oeuvres de caractères divers : un projet d’opérette à la viennoise, mais que les circonstances politiques durent modifier et dont il fit un opéra (la Rondine, créée à Monte-Carlo en 1917) ; 3 oeuvres courtes réunies sous le titre de Triptyque (créées à New York en 1918) ; la Houppelande, drame vériste de Didier Gold, nimbé d’un climat musical impressionniste ; Suor Angelica, douloureuse tragédie sentimentale imaginaire située dans la Florence de la Renaissance ; Gianni Schicchi, tiré de l’Enfer de Dante et où Puccini renouait avec la grande tradition du comique remise à l’honneur par Verdi dans Falstaff et surtout par Wolf Ferrari au début du siècle, dans ses comédies lyriques inspirées par Goldoni. C’est à un autre Vénitien classique, Carlo Gozzi, que Puccini emprunta le thème de son dernier opéra, Turandot, dans lequel la fable exotique (un sujet chinois tiré d’une légende persane) s’effaçait devant la dimension du grand opéra auquel le musicien avait songé toute sa vie. Audacieuse dans son harmonie, d’une rare difficulté d’exécution, l’oeuvre ne put être achevée par son auteur qui, victime d’un douloureux abcès à la gorge, s’éteignit dans une clinique de Bruxelles après une opération infructueuse. L’opéra fut achevé par son ami Alfano, qui récusa parfois les esquisses laissées par Puccini, et créé à la Scala de Milan en avril 1926 ; lors de la première, la représentation s’acheva par la scène de la mort de Liù, là où le compositeur avait posé la plume. La célébrité de Puccini a longtemps reposé sur des malentendus, ses partisans et ses détracteurs ayant cru pouvoir apparenter son oeuvre total au courant vériste, dont il s’était pourtant si nettement démarqué ; en outre, cette célébrité s’appuya d’abord sur l’adhésion des amateurs traditionnels de l’opéra du XIXe siècle, amoureux des effusions lyriques contenues dans downloadModeText.vue.download 815 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 809 ses opéras, et séduits par son extraordinaire efficacité dramatique, mais parfaitement indifférents aux si importantes innovations de son théâtre et de son langage orchestral et harmonique. C’est pourquoi cette gloire fut jugée suspecte par une certaine « élite » de la musicologie, qui, il faut en convenir, ne s’était guère attardée à étudier ses partitions. Mais, si Debussy, Fauré ou Dukas ont émis des jugements qui ne leur font pas honneur, ce furent aussi, dès l’abord, des compositeurs tels que Mahler et Ravel qui clamèrent leur admiration pour Puccini, cependant que les premiers musicologues à avoir resitué ce musicien parmi les grands novateurs du siècle furent deux spécialistes de la musique moderne, l’Américain Mosco Carner et le Français René Leibowitz. En fait, bien qu’élevé au sein de la scapigliatura milanaise, Puccini avait échappé à l’emprise du courant vériste, ses goûts le portant vers le romantisme (ses premiers inspirateurs furent Heine, Gautier et Musset), en même temps que sa formation sévère l’incitait à rendre à l’orchestre un rôle essentiel qu’avait négligé Verdi, créant, en outre, un climat harmonique nouveau, presque inconcevable en Italie. Enfin, son sens de la construction théâtrale, dont témoignent les incessants démêlés avec ses librettistes et l’extrême concision de ses livrets (pour ne pas parler de raccourcis excessifs) le portaient aux antipodes de la pompe romantique et des excès du vérisme. En même temps, son intimité avec la culture française lui dictait un langage harmonique apparenté à celui de Chabrier, et dont les audaces anticipèrent parfois celles de Debussy, tandis que son orchestration « éparpillée », axée sur l’individualité des timbres et la brièveté des cellules, précédait de plus de dix ans celle de Ravel : la Bohème est de douze ans antérieure à la première oeuvre d’orchestre pur de Ravel. En outre, dans sa conception même de l’opéra, Puccini adoptait d’emblée les procédés récents de la mélodie continue (pour ne rien dire du chromatisme wagnérien de Tosca), en éliminant les airs séparés. Les quelques monologues contenus dans ses oeuvres sont toujours en situation, plus brefs que ceux de l’opéra wagnérien, indispensables à

l’action et toujours enchaînés dans le discours musical, et ils apparaissent de plus en plus rares au fur et à mesure de l’évolution du compositeur, pour ne même plus être assimilables à la notion d’aria dans ses dernières oeuvres. Le génie de Puccini, dans sa conception du chant, fut d’avoir maintenu la pérennité de la voix chantée dans son intégrité, non seulement en confrontant une lignée mélodique « facile » à un langage orchestral complexe, mais en requérant de la voix toutes ses nuances sur toute son étendue, contrairement aux compositeurs véristes ; seuls les sujets de ses opéras sont parfois tributaires de l’esthétique de la « tranche de vie », encore que leur action soit trop souvent dépaysée dans le temps et dans la géographie pour y souscrire totalement. Enfin, si l’on excepte la grandiose tentative de Turandot, c’est à un phénomène de « raréfaction musicale », selon l’expression appliquée à l’oeuvre de Webern, que l’on assiste dans son évolution, ses premiers opéras, jusqu’à Manon Lescaut se situant dans le postromantisme européen d’un Tchaïkovski, d’un Massenet, d’un Catalani, pour offrir dès la Bohème des audaces inconnues de ses contemporains (sinon du Rimski-Korsakov des dernières oeuvres), auxquelles s’ajouteront l’utilisation du total chromatique (les accords de Scarpia au début de Tosca), l’utilisation de la gamme par ton (La Fanciulla del West), l’impressionnisme du Tabarro et la série du premier acte de Turandot. PUGNANI (Gaetano), violoniste et compositeur italien (Turin 1731 - id. 1798). Il effectue l’essentiel de ses études avec G. B. Somis, et, dès l’âge de dix ans, figure au dernier pupitre des seconds violons du Teatro Regio de Turin, où il est officiellement nommé en 1748. Ses débuts à Paris en 1754, où il joue un de ses concertos au Concert spirituel, assurent sa renommée. En 1763, il prend la tête des seconds violons à Turin, puis assure de 1767 à 1769 les fonctions de chef d’orchestre au King’s Theatre de Londres, où son premier opéra, Nanetta e Lubino, obtient un vif succès (1769). Il est enfin nommé premier violon de l’orchestre de la cour de Turin en 1770, et, en 1776, premier virtuose de la chambre et directeur général de la musique instrumentale. De 1780 à 1782, il effectue une grande tournée de concerts à

travers l’Europe, accompagné de son élève préféré, G. B. Viotti. Son jeu puissant faisait l’admiration de toute l’Europe, et il influença probablement la conception de l’archet moderne. Comme compositeur, il s’imposa surtout par ses oeuvres instrumentales (concerto, sonates avec basse continue, duos pour deux violons, sonates et menuets en trio). Il écrivit aussi de la musique de chambre (trios, menuets, quatuors et quintettes) et orchestrale (ouvertures, symphonies). Il contribua à l’établissement du classicisme en Italie, mais resta par certains côtés assez conservateur, comme le prouve le maintien de la basse continue dans une partie de sa musique de chambre. Comme violoniste, il fit le lien entre Corelli (qui avait formé son maître Somis) et Viotti, son élève. PUGNO (Stéphane Raoul), pianiste et compositeur français (Montrouge 1852 Moscou 1914). Il fit ses études musicales à l’école Niedermeyer et au Conservatoire de Paris. En 1870, il fut nommé organiste de l’église Saint-Eugène. Il y fut maître de chapelle dès 1872 et resta à ce poste pendant vingt ans. Mais parallèlement il aborda une carrière lyrique en écrivant une opérette À qui la troupe (1877), puis des opéras-comiques, des ballets, ainsi qu’un oratorio la Résurrection de Lazare (1879). Ce n’est qu’assez tardivement qu’il se fit connaître comme pianiste. C’était un musicien complet, émouvant et sensible, célèbre par la finesse de son toucher, la limpidité de sa technique et son art du déchiffrage. Avec le violoniste Eugène Ysaye, il donna des concerts de musique de chambre restés historiques. Il fut nommé professeur d’harmonie en 1892, et, en 1896, professeur de piano au Conservatoire. Il collabora avec Nadia Boulanger pour la musique de scène de la Ville morte de D’Annunzio et pour les mélodies de Verhaeren les Heures claires. Il a laissé plusieurs enregistrements d’oeuvres de Haendel, Scarlatti, Chopin, Liszt, Chabrier. PURCELL (Daniel), compositeur anglais ( ? v. 1663 ? - Londres 1717). Frère de Henry Purcell, il fut l’organiste de Magdalen College à Oxford de 1688 à 1695, date à laquelle il vint à Londres, probablement à cause de la maladie de son

frère qui mourut cette même année. Ce fut à Londres que commença sa véritable carrière de compositeur, lorsqu’il écrivit le masque final de The Indian Queen (1696). Il devint un compositeur de théâtre très demandé et signa plus d’une quarantaine de partitions de musique de scène. En 1700, il participa à un concours et obtint le troisième prix (derrière Weldon et Eccles) pour sa musique du masque de W. Congreve, The Judgement of Paris. Il fut organiste à l’église de Saint-Andrew’s, Holborn, de 1713 jusqu’à sa mort. Par ailleurs, il composa de la musique religieuse (antiennes, Magnificat), des pièces vocales profanes, dont 6 cantates à 1 voix et basse continue (1713), et de la musique instrumentale comprenant des sonates pour violon et pour flûte, des pièces de clavecin, ainsi qu’un recueil intitulé The Psalms Set Full, pour orgue ou clavecin (1718). PURCELL (Henry), compositeur anglais (Londres ou Westminster 1659 - Westminster 1695). Fils de Henry Purcell senior, « gentilhomme de la chapelle royale » et maître de choeur à Westminster, il est élevé dans un milieu très favorable de musiciens professionnels (son oncle Thomas était également membre de la chapelle royale) et initié très tôt à la pratique de son art. downloadModeText.vue.download 816 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 810 Admis sans doute très jeune à la chapelle de Charles II, dirigée par le célèbre capitaine Cooke, puis par Pelham Humfrey, il compose, dès 1670, une ode pour l’anniversaire du souverain. En 1673, un document atteste son départ de la maîtrise de la chapelle (à cause de la mue ?). Il parachève, la même année, sa formation chez John Hingeston, conservateur et restaurateur des orgues et instruments de la chapelle royale. Cependant que John Blow succède à Humfrey à la tête de la musique de Charles II, Purcell est nommé, en 1677, à la mort de M. Locke, compositeur « ordinaire « pour les violons de la chapelle. Deux ans plus tard, c’est précisément John Blow qu’il remplace aux orgues de Westminster, fonction qu’il gardera jusqu’à sa mort.

À la même époque (1680 ou 1681), il se marie à une certaine miss Frances, dont on ne connait pas les origines, mais qui devait se montrer une compagne pleine de zèle et de compréhension. De ce mariage le musicien aura six enfants, dont deux seulement atteindront l’âge adulte. Célèbre désormais dans toute l’Angleterre et jouissant d’une très bonne situation matérielle, Purcell est, en quelque sorte, le musicien officiel de la monarchie et reconnu par ses compatriotes comme le premier de son temps. L’histoire de sa vie - sans problèmes - se confond dès lors avec celle de sa carrière. Les chefsd’oeuvre, d’ailleurs, apparaissent dans les mêmes années (Élégie à la mémoire de Matthew Locke, écrite en 1677, Fantaisies et In nomine, pour violes, composés vers 1680, Sonates en trio, pour cordes, écrites sous l’influence du style italien et de Corelli et dont le premier recueil à trois parties paraît en 1683). À la fois respectueux de l’admirable tradition nationale et novateur ouvert à toutes les expériences du temps, Purcell ne va plus cesser, jusqu’à sa mort, d’être sollicité par les compositions de cour, les commandes privées, pour lesquels il laissera dans les dix dernières années de sa vie une imposante production : opéras, semi-opéras, masques et musiques de scènes diverses, où triomphe son génie lyrique, l’un des premiers du XVIIe siècle. À la chute de Jacques II, en 1688, Purcell, immédiatement rallié au nouveau régime, compose la musique du couronnement de Guillaume de Nassau et de Mary d’Angleterre. On crut longtemps que Didon et Enée, qui devait devenir le symbole de l’opéra anglais, avait été composé en 1689 pour un collège de jeunes filles de Chelsea. On estime maintenant que seule une partie de l’ouvrage est parvenue jusqu’à nous, et que la première représentation eut lieu à la cour quelques années auparavant (1684 ou 1687). Influencé par le Vénus et Adonis de John Blow, Didon et Énée consacre le ton dramatique de Purcell et, malgré certains emprunts formels à Lully et à sa tragédie lyrique, atteint à une densité et à une vérité dans la confession des sentiments que seuls les plus grands égaleront par la suite. Didon et Énée, chanté de bout en bout, était un véritable opéra. Dorénavant, le compositeur, sacrifiant au goût des Lon-

doniens qui préféraient ce genre hybride à l’opéra à l’italienne, va s’orienter vers le masque, ou « semi-opéra », qui entrecoupe les épisodes chantés d’importants dialogues avec accompagnement instrumental. Les ouvrages majeurs se succèdent : Dioclétien (1690), King Arthur (1691), The Fairy Queen (1692), The Married Beau et Timon d’Athènes (1694), The Tempest et The Indian Queen (1695). Parallèlement à cette activité théâtrale, Purcell écrit une abondante et admirable musique liturgique (Anthems, Hymnes, psaumes et chants sacrés pour le service anglican) et profane (Odes et chants d’anniversaire comme l’Ode pour l’anniversaire de la Reine Mary, Come ye, sons of Art (1694) et l’Ode à sainte Cécile, Hail bright, Cecilia (1692). Et ce sont ces occupations multiples de compositeur, professeur, chanteur et instrumentiste (comme organiste et claveciniste) qui expliquent sa mort prématurée en 1695. La cause exacte de son décès n’est pas connue avec certitude (refroidissement ou tuberculose ?), mais ce qui est évident, c’est que le surmenage a fortement contribué à miner une santé qu’il semble avoir eu fragile. Sa célébrité incita les contemporains (qui avaient conscience qu’il s’était usé à la tâche) à l’honorer au cours d’une imposante cérémonie funèbre où furent exécutés les Anthems qu’il avait écrits, peu de temps auparavant, pour les obsèques de la reine Mary. Il fut enterré dans l’abbaye de Westminster au pied de l’orgue qui lui était familier. Ce qui caractérise avant tout la production de l’ « Orphée britannique », c’est son étonnante diversité. Musicien complet comme Mozart (et souvent, malgré les époques différentes et la divergence des styles, le rapprochement s’impose irrésistiblement entre les deux hommes), Purcell a abordé pratiquement tous les genres, pour y réussir pareillement. Cette diversité et ce bonheur rares dans l’inspiration, Purcell les doit à son génie qui a su tirer le meilleur parti des possibilités de son siècle. À l’époque où il vécut, la musique anglaise se trouvait engagée dans plusieurs voies et le grand mérite du compositeur est d’avoir su exploiter celles-ci à fond, sans en négliger aucune, mais aussi sans se décider à choisir, à trancher en faveur de l’une aux dépens de l’autre. Créateur moderne dans le sillage de l’école italienne (mais dans un ton et un style parfaitement personnels et immédiatement identifiables), Purcell, par delà

toute découverte, se souvient toujours de la tradition nationale et contrapuntique qui l’a formé et il se garde bien de la désavouer au nom de la musique nouvelle. Et, sans doute, une grande part de la fascination qu’exerce son oeuvre sur l’auditeur d’aujourd’hui tient à cette ambiguïté - non résolue - entre deux conceptions de l’art musical : conception modale, héritée de la Renaissance, et conception tonale, favorisée par l’essor du style concertant, dans la seconde moitié du XVIIe siècle. N’ayant donc jamais renié l’acquis de sa première éducation contrapuntique, malgré les nouveautés italiennes, et possédant une souplesse d’écriture qui s’accordait à un sens inné de la mélodie et « que ne gênait pas encore la rigide carrure de ce qui allait devenir très vite le style classique » (Suzanne Demarquez), Purcell a merveilleusement combiné, au long de sa musique - l’instrumentale comme la vocale, la profane comme la religieuse trois composantes, caractéristiques de son art, en une synthèse sans équivalent dans toute l’histoire européenne : « Une polyphonie libre, la régularisation des formes et des tonalités de l’ère baroque et une compréhension profonde et sans précédent de la valeur poétique de la langue anglaise » (Henry Raynor). Technicien hors pair, il a, toute sa vie durant, été attiré par les problèmes de composition pure et, à cet égard (et malgré son tempérament intuitif), il est le contraire d’un musicien « simple ». Chez lui, sous l’émotion poignante de l’expression, se cache souvent un art suprêmement complexe et subtil. Et, sans considérer la virtuosité comme une fin en soi, il ressent une joie évidente à résoudre au mieux les difficultés soulevées par l’emploi d’une basse obstinée, par exemple. C’est d’ailleurs dans le même esprit qu’il provoque de fréquentes - et inattendues rencontres polyphoniques, en recourant simultanément aux gammes modales et tonales. Amoureux des fausses relations (qui sont à interpréter, avec lui, comme un archaïsme, hérité de ses grands prédécesseurs, et non comme un modernisme) et des dissonances laissées sans résolution, Purcell est aussi l’un des premiers maîtres de la modulation, avec des sauts continuels du majeur au mineur et inversement, et ce trait, joint à la grande beauté de sa ligne mélodique - toujours per-

sonnelle, toujours surprenante, toujours émouvante -, en fait en quelque sorte un précurseur de Schubert. Dans le domaine instrumental, outre les admirables Fancies et In nomine de 1680, nourris de la leçon polyphonique de l’âge d’or élizabéthain (mais les dernières pièces s’orientent vers une écriture homophone), il est l’auteur des Sonates en trio de 1683. La préface de ces pages nous dit que l’auteur y « a fidèlement tenté une imitation des plus célèbres maîtres italiens ». C’est-à-dire essentiellement Corelli, bien downloadModeText.vue.download 817 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 811 que son nom ne soit pas cité. Pourtant, Purcell, tout en reprenant à son compte les trouvailles et séductions (surtout mélodiques) de la manière transalpine, ne cesse d’y faire oeuvre de musicien typiquement national et « anglais », restant remarquablement lui-même dans le libre mouvement du discours instrumental, par exemple, dont les arêtes vives étonnent, si on les compare à l’équilibre déjà classique des Sonates en trio corelliennes. Dans le domaine vocal (et choral), Purcell, attaché à l’abbaye de Westminster (remarquons en passant qu’il n’a pratiquement rien laissé pour le répertoire d’orgue et que le claveciniste, chez lui, n’a pas la même importance que chez Haendel), a évidemment beaucoup écrit pour le culte. Destinés soit à Westminster, soit à la chapelle royale, ses Anthems sont, eux aussi, profondément marqués par la glorieuse tradition de l’école élizabéthaine et jacobéenne. L’influence de Byrd, Gibbons et des autres maîtres de la Rennaissance anglaise y est déterminante, mais, bien entendu, Purcell adapte les modèles qu’il s’est choisis ici (et qu’il connaissait bien pour les avoir étudiés à fond durant ses années d’apprentissage auprès de Henry Cooke) au goût et aux mentalités du temps, en d’autres termes, aux exigences expressives nées en Italie de la nouvelle musique. Comme dans ses odes et sa production lyrique, il y fait valoir un instinct prosodique très sûr et un sens de l’écriture syllabique qui s’adapte admirablement à l’accent tonique, si mouvant, de la langue anglaise. Écrits pour les effectifs les plus

divers, de la voie seule au choeur avec orchestre, trompettes et timbales, outre la basse continue, les Anthems et chants sacrés sont d’un très grand musicien religieux, joignant l’élan spirituel à une expressivité intense, à un art de l’accent toujours générateur d’un décor sonore fascinant (The Witch of Endor). Dans les pages de circonstance, enfin, comme l’Anthem de couronnement pour Jacques II, My heart is inditing (1685) ou le Te Deum et Jubilate en ré de 1694, Purcell recourt à la puissance et à la gloire des sonorités et cède au plaisir de la virtuosité exubérante, avec des effets vocaux, des ornements et mélismes de la ligne de chant et des passages de trompette traités avec une agilité déjà haendélienne, à ceci près que, chez Haendel, ces procédés, sans être superficiels, ne participent qu’à des fins seulement musicales, alors que, chez son aîné, ils font partie intégrante de la structure profonde - musique et expression - de l’oeuvre. Parallèlement, mais cette fois commme auteur profane, Purcell a composé de nombreuses odes. Les premières ne sont pas sans défaut, dans le traitement des voix (solistes et choeurs), mais, à la fin de sa vie, le musicien a laissé une série de six chefsd’oeuvre : les odes écrites pour célébrer, chaque année, l’anniversaire de la reine Mary, femme de Guillaume III. Ainsi, Come ye, sons of Art aussi bien que l’Ode à sainte Cécile de 1692, nous montrent Purcell au sommet de son art, mariant l’élan dynamique à la mobilité des rythmes et à une vocation poétique dont témoignent d’abord l’éclat de l’accompagnement instrumental (la rutilance des trompettes et timbales), mais surtout l’incroyable liberté et le don mélodique de la ligne de chant où triomphe de nos jours, comme du reste à l’époque de Purcell (qui avait, nous disent les annales, ce type de voix), le timbre agile des haute-contres. Outre les odes, Purcell a laissé de nombreux canons et catches, chansons de taverne, le plus souvent, qui se réfèrent, là encore, à l’art du passé et qu’anime une réjouissante veine populaire, dans le droit fil de la Merry Old England (Come let us drink). Puis, dans un registre tout différent, il y a les airs où Purcell fait montre de son immense savoir-faire, d’une élégance dans

l’écriture qui égale, quand elle ne la dépasse pas, la maîtrise des plus habiles Italiens. Ses chansons sur un ground (basse obstinée) sont d’extraordinaires réussites, où l’art cache l’art, où le chant atteint à une intensité - et à une nudité -, dans la confession intimiste, véritablement fabuleuse (Ô Solitude, immortalisé, au disque, par le regretté Alfred Deller). Reste à parler du musicien de théâtre, c’est-à-dire du compositeur d’opéras, de masques et de semi-opéras, aussi bien que de l’auteur de nombreuses musiques instrumentales pour la scène (Stage Music), conformément aux modes du temps. Un seul opéra, dans cette production lyrique : Didon et Énée. Mais c’est là un extraordinaire chef-d’oeuvre balayé du souffle et des contrastes de la vie et dont l’intense pouvoir tragique, la perfection musicale et formelle appellent irrésistiblement la comparaison avec Monteverdi, malgré le décalage de l’époque et du style. Écrit au départ pour un simple pensionnat, l’ouvrage échappe, en fait, à ses origines modestes - tout comme la Flûte enchantée de Mozart - pour atteindre à la dimension et à la vérité des musiques universelles, et l’opéra anglais aura là un modèle qui ne sera jamais égalé par la suite. Le don mélodique et métrique est le trait dominant de Didon et Énée, avec un sens de la modulation et une intuition dans le rapport des tonalités qui témoignent du génie psychologique de Purcell. Comme chez Monteverdi, c’est « le grand théâtre de la vie » qui se trouve mis en scène ici, à travers l’histoire de la princesse carthaginoise délaissée. Musicien de l’étrange et du fantastique (une tradition du théâtre anglais depuis Shakespeare et les élizabéthains), Purcell a greffé en contrepoint sur la légende une sombre scène de sorcières sorties tout droit de Macbeth. Son inspiration s’accorde parfaitement aux exigences prosodiques de la poésie et le maître rythmicien qu’il est triomphe dans le traitement des choeurs et des danses qu’il manie avec une aisance suprême. Notons, à ce sujet, combien Purcell sera fasciné, dans toute sa production, par les possibilités d’irrégularité métrique offertes par les danses du folklore national, en particulier par le Hornpipe (à l’origine, pas de marin pour danseur seul, mesuré à 3/2 ou 3/4 et offrant toute une gamme de combinaisons de mesures), qui connut une grande

popularité à la fin du XVIIe siècle. Quant au personnage de Didon, magistralement caractérisé, il appartient déjà à la galerie des grandes héroïnes qui jalonnent la carrière de l’opéra, de l’Ariane de Monteverdi à la Lulu de Berg, et sa déploration finale est l’une des plaintes les plus déchirantes qu’ait jamais poussées la musique. Après cet unique essai dans un genre qui n’avait pas, à Londres, le succès qu’il rencontrait alors en Italie, voire en France, Purcell ne compose plus pour le théâtre que des musiques de scène et des semi-opéras, ou masques. Proches, au plan formel, de la suite instrumentale mise au point par le Stuttgartois Johann Jacob Froberger, sous l’influence de Frescobaldi et des clavecinistes français, les Stage Music - dont les plus connues sont Abdelazer ou la Vengeance du More, The Virtuous Wife, The Gordian Knot, The Double Dealer, The Old Bachelor - témoignent de la maîtrise atteinte par l’auteur dans ce répertoire qu’il marque de sa griffe personnelle, malgré d’indéniables emprunts - dans les ouvertures notamment - au style de la suite lullyste. Cela dit, c’est peut-être dans les 5 semi-opéras que se tient le plus grand Purcell. Dioclétien (1690), musique de circonstance, destinée à fêter les victoires de Guillaume III sur les Irlandais, est un semi-opéra guerrier, tout comme The King Arthur or the british Worthy (le Roi Arthur ou la Valeur britannique), qui, représenté en 1691, brûle d’une ardente flamme patriotique (le choeur du 5e acte, Old England), mais où le fantastique, ou plutôt l’irréel, fait irruption sous la légende, au gré d’évocations saisissantes et quasi visuelles (au 3e acte, la scène du peuple du Froid, dont les incroyables chromatismes et trémolos procédé alors nouveau en Angleterre - ont peut-être été transposés par Purcell, mais en plus convaincant, du choeur des Trembleurs tiré de l’Isis de Lully). The Fairy Queen (1692), inspiré - mais très librement - du Songe d’une nuit d’été, est un autre sommet de la production lyrique de Purcell. Une musique de vent et d’eau, toute bruissante des rumeurs du monde comme dans le modèle shakespearien (dont elle devait illustrer la représendownloadModeText.vue.download 818 sur 1085

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812 tation). Le compositeur est à l’origine, ici, d’un climat poétique intimement accordé aux humeurs et à la fantaisie fondamentale du grand Will, malgré le regrettable manque de cohérence du livret de Settle. Enfin, à quelques mois de sa mort, Purcell écrit une musique pour la Tempête (celle de Shakespeare, bien entendu) et, sur un texte assez satisfaisant de Dryden et Howard, The Indian Queen (la Reine indienne), où il est également au plus haut de son inspiration, jouant du réalisme comme du merveilleux et réussissant à faire passer une véritable idée dramatique dans le développement musical. De proportions plus réduites que The Fairy Queen, la Reine indienne mêle sentiments et états d’âme les plus divers, avec, comme dans l’ouvrage précédent, l’inévitable, mais toujours impressionnante, intrusion du surnaturel dans le cours de l’action, tout en sauvegardant l’heureuse conception unitaire de l’ensemble. Au terme de ce rapide parcours, on peut toujours s’interroger - comme pour Mozart d’ailleurs - sur ce qu’aurait encore donné Purcell à la musique, s’il avait vécu plus longtemps. Ce qui est évident, c’est que, bien que respectueux du patrimoine national et de l’héritage du passé, Purcell est en avance sur son temps, au niveau de l’imagination comme de l’expression pure, qu’il écrive pour l’Église, la Cour ou le théâtre. Ce sens novateur éclate ainsi dans les derniers semi-opéras, ou masques, tant dans la facture des airs que dans l’écriture orchestrale, qui pourrait être d’un maître du XVIIIe siècle, par exemple signée Telemann, mais avec le génie en plus. Tout comme éclate l’autre trait dominant du musicien, son signe distinctif en quelque sorte : une rare vigueur d’accent qui fait de Purcell un grand dramaturge musical, de la même race que Monteverdi et Mozart, dont il partage l’exigeant idéal de beauté et de vérité et l’infaillible instinct scénique. Et c’est cette race qu’a bien reconnue notre époque qui se retrouve dans l’élan d’une oeuvre vivant d’une jeunesse conquérante, dans la joie comme dans le cri ou le deuil, dans la plainte comme dans la fantaisie déchaînée, et allant droit au coeur. PUYANA (Rafael), claveciniste colom-

bien (Bogotá 1931). Après des études de piano, en particulier à Boston (1949), il fut élève de Wanda Landowska pour le clavecin de 1951 à 1957, et devait rapidement s’imposer comme son plus grand disciple. On trouve chez lui la même précision, la même vigueur rythmique. Il a donné son premier récital à New York en 1957, et à Londres en 1966. De l’ampleur de son répertoire témoignent notamment ses nombreux enregistrements, dont un, justement célèbre, du Fandango de Soler. downloadModeText.vue.download 819 sur 1085

Q QÂNÛN. Le qânûn est une cithare orientale de type psaltérion à cordes pincées. Ses origines semblent gréco-arabes et son essor est lié aux musiques savantes de la culture arabo-irano-turque. C’est une cithare de bois, plate et en forme de trapèze rectangle, dont les multiples cordes, enfilées par le petit côté perpendiculaire aux bases, franchissent un grand chevalet reposant sur quatre ou cinq membranes de peau et aboutissent à un grand sillet de bois disposé en diagonale avant d’être enroulées sur les chevilles. La table d’harmonie est faite de bois fin, ajourée d’ouïes et ornée d’incrustations (fort nombreuses et riches sur les qânûn-s fabriqués en Syrie). Les cordes, autrefois en boyau, sont désormais en nylon. Elles sont au nombre de soixante-trois à quatre-vingt-dix. Regroupées par choeurs de trois lors de l’accordature, elles produisent de vingt et un à trente notes, soit trois à quatre octaves. QUADRILLE. Danse de société d’origine française (la contredanse) qui fit fureur pendant tout le XIXe siècle. Exécuté par quatre couples au moins, qui se faisaient vis-à-vis et évoluaient en carré (d’où son nom), le quadrille se composait généralement de cinq parties ou « figures » d’égale longueur, sur un rythme alternativement binaire et ternaire. La musique, particulièrement entraînante, était souvent empruntée à des airs à la mode arrangés pour les besoins de

la cause, mais des compositeurs comme Offenbach et Johann Strauss n’ont pas dédaigné de sacrifier au genre. Adopté par toutes les classes sociales, des bals de cour aux bals populaires, le quadrille a pénétré jusque dans les campagnes américaines sous le nom de « square dance ». En matière de danse classique, le même terme désigne un groupe de quatre danseurs et quatre danseuses. C’est aussi l’échelon le moins élevé dans la hiérarchie traditionnelle du corps de ballet. QUADRIVIUM (lat. : « ensemble à 4 voies »). Terme désignant, dans la pédagogie du Moyen Âge, selon une classification inspirée de saint Augustin et établie au Ve siècle par Martianus Capella, l’étage supérieur de l’ensemble des connaissances spéculatives groupées sous le nom des sept arts libéraux et préparant l’accession à la théologie, science suprême. Le quadrivium comprenait les quatre arts considérés comme mathématiques : arithmétique, musique, géométrie, astronomie. Il succédait au trivium (ensemble à 3 voies) qui groupait les arts « humanistes », c’est-à-dire relatifs à la science de l’homme : grammaire, dialectique et rhétorique. La présence de la musique dans un ensemble auquel elle paraît aujourd’hui donner quelque disparate provient des conceptions pythagoriciennes héritées d’Aristote et transmises par Boèce, selon lesquelles, en raison des proportions numériques qui régissent les consonances, on voyait dans le système où elles prenaient place une véritable imago mundi, un reflet des lois régissant le cosmos sous l’autorité des Nombres, de sorte que l’étude de la théorie musicale apparaissait comme une voie détournée pour parvenir à la connaissance de l’Univers. C’est surtout cet aspect spéculatif qu’envisageait l’insertion de la musique dans le quadrivium. Son étude pratique appartenait à une discipline différente que l’on désignait souvent sous le nom de cantus et que les philosophes rangeaient non sans dédain dans une catégorie inférieure, estimant avec Boèce qu’« il est plus grand de savoir ce que les autres font que de faire ce que les autres savent ».

QUADRUPLE CROCHE. Note d’une durée égale au huitième d’une croche, soit le seizième d’une noire. QUANTZ (Johann Joachim), compositeur, flûtiste et théoricien allemand (Oberscheden, Hanovre, 1697 - Potsdam 1773). Fils d’un forgeron de village, il apprit dans sa jeunesse à jouer de tous les instruments à l’exception de celui qui devait devenir sa grande spécialité, la flûte traversière, étudia le contrepoint à Vienne en 1717, et en 1718, fut nommé hautboïste dans la chapelle polonaise d’Auguste II à Varsovie et à Dresde. De 1724 à 1727, il voyagea en Italie, en France et en Angleterre. Ayant accompagné Auguste II à Berlin en 1728, il y retourna ensuite deux fois par an pour donner des leçons de flûte au princehéritier Frédéric de Prusse. Devenu Frédéric II, celui-ci appela Quantz à Berlin (1741) et en fit son musicien de chambre et son compositeur de cour. En trente ans, Quantz écrivit pour le roi environ 300 concertos et 200 partitions de musique de chambre pour flûte, auxquels il faut ajouter quelques airs et quelques lieder spirituels. On lui doit aussi divers écrits, parmi lesquels une autobiographie parue dans les Historischkritische Beyträge de Marpurg (1754) et surtout une méthode de flûte (Versuch einer Anweisung die Flöte traversiere zu spielen, Berlin, 1752) qui reste le témoignage le plus complet et le plus riche sur le jeu de cet instrument à la fin de l’époque baroque. downloadModeText.vue.download 820 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 814 QUART DE SOUPIR. Figure de silence dont la durée est égale à la valeur d’une double croche. QUART DE TON. Comme son nom l’indique, division du ton en 4 ou du demi-ton en 2 intervalles égaux. Mais la définition n’est simple qu’en apparence. Elle n’est en effet applicable telle quelle que dans le tempérament égal, le seul pour lequel tons et demi-tons

forment des intervalles constants (ton = demi-ton = . Ce tempérament, bien que connu dès le XVIIe siècle, n’est généralisé que depuis le XIXe siècle ( ! TEMPÉRAMENT), et dans la musique occidentale seulement. Avant, et ailleurs, la division des intervalles s’opère selon divers procédés dont le plus important est le cycle des quintes et quartes (rapports 3/2 et 4/3), mêlé depuis le XVIe siècle à des rapports de tierces (5/4 et 6/5). Ils aboutissent à des catégories de tons différents entre eux et introduisent l’irrégularité dans leurs divisions (demitons) et subdivisions (quarts de ton, etc.). Cependant, comme il s’agit de très petits intervalles, et que les différences sont peu sensibles à une oreille moyenne, on a souvent donné le nom de quart de ton à tout intervalle divisant en deux le demiton, et de demi-ton (autrefois semi-ton) à tout intervalle divisant le ton en deux, que cette division soit égale ou non et quelle que soit la mesure exacte des tons dans des gammes qui en comportaient plusieurs variétés. Les Grecs anciens donnaient au quart de ton le nom de « diesis », mais ce terme était susceptible de valeurs très différentes, et la question de savoir s’il divisait l’intervalle en valeurs égales était un problème d’école controversé. Sous ces réserves, et dans l’acception élargie mentionnée, le quart de ton reste exceptionnel dans les musiques étudiées par l’ethnomusicologie. Il apparaît parfois dans certaines échelles, mais presque toujours à titre de resserrement du demi-ton compensé par l’élargissement de l’intervalle voisin. La musique grecque antique est l’une des rares qui connaissent la succession de deux quarts de ton de suite, réservée au genre « enharmonique », mais la compensation n’y est pas moins présente, reportée sur l’intervalle différentiel (tierce majeure) créé par cette succession à l’intérieur de la quarte, de sorte qu’il s’agit moins de quarts de ton que d’un très fort resserrement attractif de degrés mobiles à l’intérieur d’un cadre fixe de quarte juste. Au Moyen Âge, le quart de ton disparaît de la musique occidentale (les rares indices qu’on a cru trouver de sa survie sont peu convaincants), puis certains humanistes du XVIe siècle tentent artificiel-

lement de le réintroduire dans le cadre de leurs essais pour le « retour à l’antique », sous le nom d’enharmonique. La tentative échoue. Au XIXe siècle, les théoriciens proposeront dans le cadre du tempérament égal une nouvelle définition de l’enharmonie avec quarts de ton théoriques, en continuant le cycle des quintes jusqu’aux doubles altérations : (voir ci-dessus) Cette explication, encore parfois enseignée, ne répond à aucune réalité, notamment dans le système tempéré égal auquel on prétend l’appliquer. La musique du XXe siècle a parfois procédé à des essais de musique à quarts de ton par division égale du demi-ton tempéré (Hába, Wychnegradsky), et des instruments spéciaux ont été construits dans ce but, notamment des pianos à deux claviers décalés d’un quart de ton. Le plus ancien essai est sans doute tenté à Moscou en 1864. Le compositeur mexicain Julián Carrillo (1875-1965) utilise un clavier unique à l’aspect usuel, mais dont chaque touche est distante de sa voisine d’un seizième de ton, ce qui permet de jouer le quart de ton sous l’aspect d’une tierce majeure. QUARTE. Intervalle produit, dans la gamme diatonique, entre deux notes distantes de 4 degrés, départ et arrivée inclus. Employé absolument, le terme désigne la quarte « juste », c’est-à-dire répondant théoriquement à la définition acoustique du rapport 4/3 correspondant aux harmoniques nos 3 et 4, différence logarithmique entre l’octave et la quinte, abstraction faite des très légères différences d’intonation introduites par les divers tempéraments. Selon les degrés où elle se présente ou les altérations dont elle est affectée, la quarte peut être juste ou déformée ; la quarte déformée (on disait jadis « fausse quarte ») peut être soit augmentée (intervalle de triton, soit 3 tons entiers, ex. fa-si), soit diminuée (1 ton entre 2 demi-tons, ex. fa dièse/si bémol). La quarte déformée est considérée comme créant une tension qui demande résolution. L’intervalle de quarte (juste) partage avec la quinte le privilège d’être, après l’octave, la première des relations consonantiques établies par la nature dans le

phénomène de la résonance : d’où son importance structurelle et sa présence d’une constance presque absolue dans la quasitotalité des systèmes atteignant l’ambitus nécessaire, et cela à peu près dans tous les langages musicaux connus. QUARTOLET. Groupe de 4 notes dont la valeur est égale à celle de 3 notes de même espèce rythmique : QUATRE PIEDS. On désigne ainsi, à l’orgue, tout jeu dont le tuyau donnant la note la plus grave (ut2) mesure approximativement quatre pieds de hauteur. Les jeux de quatre pieds (on écrit aussi 4’) sonnent à l’octave supérieure de la voix humaine et contribuent à enrichir en les éclaircissant les jeux de huit pieds qui sonnent, eux, à l’unisson de la voix. Les jeux de quatre pieds les plus fréquemment rencontrés sont, dans la famille des principaux, le principal 4’, dit aussi prestant 4’ ; dans la famille des flûtes, la flûte 4’ ; et dans la famille des trompettes, le clairon 4’. Le prestant est le jeu de référence pour l’accord de l’orgue. Par extension, on emploie la même expression de quatre pieds au clavecin, pour les jeux donnant l’octave supérieure de la normale. QUATUOR À CORDES. Le genre du quatuor à cordes tel que le mirent sur pied, indépendamment l’un de l’autre, mais à peu près à la même date (v. 1760-1770), Haydn et Boccherini, implique des ouvrages sans basse continue, pour 4 instruments à cordes solistes de la même famille (2 violons, alto et violoncelle), traitant ces 4 instruments avec une dignité égale et obéissant, du moins à l’époque, aux principes de ce que plus tard on devait appeler la forme sonate. Les éléments de cette définition n’apparurent pas tous avec la même force au même moment, ni au même degré dans les mêmes oeuvres, et c’est Haydn, bien plus que BocdownloadModeText.vue.download 821 sur 1085

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cherini, qui devait les maîtriser tous, mais aucun n’est en soi secondaire. Constitué généralement dans le troisième quart du XVIIIe siècle, le quatuor à cordes apparut alors comme un genre tout à fait nouveau, aux origines très diverses mais relativement récentes, pas plus anciennes que l’époque (1720 environ) où les différents genres instrumentaux de la musique baroque s’étaient enfin clairement différenciés les uns des autres. Le nouveau genre du quatuor à cordes naquit peu à peu à partir d’éléments bien précis de différents genres de la fin du baroque, et en synthétisant ces éléments en une nouvelle unité : ceci sans négliger les actions personnelles et décisives, dans ce contexte, de Haydn et de Boccherini. Le quatuor à cordes prit ses racines en Italie, ainsi qu’en France et surtout en Autriche et en Bohême. Il les prit dans la sinfonia a quattro (à cause du nombre de voix, mais il y avait plusieurs instruments par voix, ou partie) et dans la sonata a quattro italiennes, plus encore dans le concerto et le concertino a quattro (dans la mesure où là on tendait vers un seul instrument par partie) : il y eut une évolution directe du concertino a quattro au quatuor concertant (où les 4 instruments sont tour à tour traités en solistes par rapport aux 3 autres) tel que le pratiquèrent, à Paris, un Boccherini et surtout un Cambini et un Viotti, et il faut citer ici, parmi les ancêtres du quatuor à cordes, les Six Quatuors (Paris, 1736) ou les Nouveaux Quatuors en six suites (Paris, 1738) de Telemann ou encore les Six Sonates en quatuors ou conversations galantes et amusantes entre une flûte traversière, un violon, une basse de viole et la basse continue (Paris, 1743) de Louis-Gabriel Guillemain. Le quatuor à cordes prit aussi ses racines dans l’école de Mannheim, dans la mesure où ses membres distinguèrent de plus en plus nettement oeuvres d’orchestre et oeuvres de chambre, tout en accordant dans les deux catégories le même soin à la conduite des voix. Les oeuvres des deux types furent éditées à Paris, les secondes un peu plus tard que les premières (à partir du début des années 1760), avec, d’une part, des titres comme Sei sinfonie a più stromenti ou Six Symphonies à quatre parties (op. 3 et op. 4 de J. Stamitz, v. 1757), d’autre part, des titres comme Six Symphonies ou quatuors dialogués. Ces qua-

tuors dialogués furent le plus souvent à Paris, jusqu’à l’arrivée de Boccherini, des oeuvres avec flûte et non des quatuors à cordes, mais l’idée de « dialogue », de « conversation » entre des solistes est à retenir. Le quatuor à cordes prit enfin ses racines dans le divertimento autrichien, dont relèvent les 10 premiers « quatuors » (no 0, op. 1 nos 1-4 et 6, op. 2 nos 1, 2, 4 et 6) de Haydn. L’apparition d’une musique de chambre avec un seul instrument par partie et sans le soutien de la basse continue (à noter cependant que des éditeurs comme Hummel n’hésitèrent pas à doter d’une basse chiffrée des quatuors de Haydn postérieurs à l’opus 9) fut un des phénomènes les plus importants du début de la seconde moitié du XVIIIe siècle. À cause, notamment, du ton de confidence intime qui devait devenir le sien, le quatuor à cordes devint peu à peu synonyme de musique de chambre en soi et acquit un prestige qu’il n’a pas perdu de nos jours. Or ce prestige repose essentiellement sur les débuts de l’histoire du genre, sur la période d’un peu plus d’un demi-siècle séparant l’opus 20 de Haydn (1772) des derniers quatuors de Beethoven et de Schubert (1826). Ce n’est pas le fait du hasard. Qu’au développement du style classique et de ses structures globales dynamiques fondées sur un phénomène de dissonance par rapport à un accord parfait de trois notes ait correspondu celui d’un genre faisant appel à 4 instruments de même famille, propres à toutes les audaces d’écriture et dont l’un pouvait toujours servir de voix dissonante, est dans l’ordre des choses, tout comme l’est la concordance de la maîtrise du « style sonate » par Haydn et par Beethoven et de la position en flèche, au sein de leur musique de chambre, voire de leur production tout entière, du genre quatuor à cordes. C’est à Vienne qu’il faut rechercher l’origine du style « quatuor à cordes » de Haydn. Le divertimento a quattro autrichien évolua, en particulier à partir de 1760, et bien qu’auparavant des exécutions à un seul instrument par partie aient été concevables, voire prévues, d’un style souvent « orchestral » à un style « de chambre » au niveau de l’écriture : évolution concrétisée par les différences chez Haydn entre, d’une part, les quatuors no 0 op. 1 et op. 2 et, d’autre part, les quatuors à partir de l’opus 9, et qu’on retrouve, avec ses ambiguïtés, chez des composi-

teurs comme Franz Xaver Richter, Florian Gassmann ou Jan Krtitel Vanhal. Le style « de chambre » (le style « soliste ») se définit notamment par davantage d’indépendance pour chaque partie, par une dynamique plus différenciée, par des rythmes plus variés, par des dissonances plus audacieuses, par plus de complication dans le phrasé, par une exploration plus systématique des registres très aigus ou très graves, sans oublier l’identification de la ligne de basse avec le seul violoncelle (à l’exclusion non seulement de l’ancien continuo, mais aussi de la contrebasse). Son établissement fut à l’origine d’une extraordinaire floraison de quatuors à cordes, illustrée non seulement par ceux de Haydn à partir de l’opus 9, puis par ceux de Mozart, mais par ceux d’Albrechtsberger, d’Ordonez, de Michael Haydn, de Vanhal, de Luigi Tomasini, de Dittersdorf ou d’Ignaz Pleyel. HAYDN. Les investigations auxquelles on peut se livrer quant aux origines probables du quatuor à cordes montrent bien que, pas plus qu’en ce qui concerne la symphonie, Joseph Haydn n’est l’inventeur d’un genre totalement inconnu des contemporains de Bach et de Haendel. Mais ses activités, dans ce domaine, constituent l’un des chapitres les plus fondamentaux de l’histoire de la musique, tant par leur durée (toute la seconde moitié du XVIIIe s. et même un peu au-delà) que par la fantastique évolution esthétique qu’elles représentent. Les premières compositions de Haydn pour 2 violons, alto et violoncelle se situent, en effet, dans la perspective souvent aimable du divertimento. Par leur dialectique serrée, leur tension dramatique et leur densité émotionnelle, les dernières correspondent véritablement au quatuor idéal tel qu’on le conçoit encore à notre époque. Il n’est pas inutile de préciser une donnée non négligeable : celle qui concerne le nombre de quatuors à cordes écrits par Joseph Haydn. L’édition Pleyel, qui, pendant très longtemps, allait servir de référence, en compte 83. De cette liste chronologique, reprise telle quelle par Hoboken, il faut retrancher l’opus 1 no 5, qui est une symphonie, les opus 2 nos 3 et 5 (sextuors avec deux cors), les Sept Paroles du Christ (transcription d’oeuvres pour orchestre), et les Six Quatuors op. 3, sans doute dus

au padre Romanus Hofstetter. Mais il faut ajouter le quatuor en mi bémol « no 0 », ce qui permet de créditer Haydn de 68 quatuors. La série s’ouvre sur les dix partitions (no 0, op. 1 nos 1, 2, 3, 4 et 6, op. 2 nos 1, 2, 4, 6), rédigés avant 1760 (1757 ?) pour le baron Carl Joseph Edler von Fürnberg ou, plus exactement, pour les séances de musique d’ensemble données, au château de ce dernier (à Weinzierl), par deux violonistes (dont le compositeur), un altiste et un violoncelliste. Les ouvrages - déjà importants - écrits pour le baron Fürnberg ne relèvent pas vraiment du genre quatuor tel qu’on l’entendra par la suite. De ce point de vue, ils sont même moins avancés que l’opus 2 de Boccherini (1762). Ils se situent plutôt dans l’optique du divertissement de plein air, dont la plupart d’entre eux (no 0, op. 1 nos 1, 2, 4 et 6 ; op. 2 nos 1, 2 et 4) adoptent le schéma formel (vif-menuet-lent-menuetvif). C’est dans le mouvement lent central, où le premier violon domine, que le côté sérénade des oeuvres se manifeste avec le plus d’évidence. Dans l’Entwurf-Katalog, Haydn s’en tient, pour la désignation de ces pages, aux expressions « cassatio » ou « divertimento a quattro ». Publiée par Chevardière en 1764 (Paris), la première downloadModeText.vue.download 822 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 816 édition imprimée de quatre d’entre elles (op. 1 nos 1 à 4, avec, en complément, deux quatuors avec flûte de Toeschi) concerne des « symphonies » ou « quatuors dialogués ». Déjà relativement équilibrés quant aux fonctions dévolues à chacun des interprètes (surtout dans les menuets et dans plusieurs mouvements rapides comme le presto initial de l’opus 1 no 4 ou la finale de l’opus 2 no 6), ces premiers essais n’impliquent jamais, lorsqu’on les exécute, la participation d’un instrument à clavier pour la réalisation d’un continuo. C’est là une caractéristique essentielle qui les situe dans une perspective résolument nouvelle. Publiés pour la première fois en 1777 et sous le nom de Haydn - par le Parisien Bailleux, acceptés par l’auteur de la

Création pour l’édition complète d’Ignaz Pleyel, les 6 quatuors op. 3 sont-ils d’Hoffstether ainsi que le prétendaient certains spécialistes (H. C. Robbins Landon, entre autres) ? Ce moine d’Amorbach, en Allemagne, comptait parmi les admirateurs de Haydn, et nombreuses furent ses compositions qui, sous le nom de ce dernier, circulèrent en copies manuscrites. Aux considérations « pratiques » qui plaident en sa faveur quant à la paternité de l’opus 3 (aucune mention de celui-ci dans l’Entwurf-Katalog, par exemple) peut s’ajouter une appréciation d’ordre esthétique, pas totalement déterminante, certes, mais qui laisse tout de même planer un certain doute : il y a, dans ces quatuors (et spécialement dans le célèbre quatuor-sérénade no 5 op. 3) une séduction mélodique « caressante », presque « italianisante » qu’on ne discerne ni dans les 10 quatuors op. 1 et 2, ni dans les 6 quatuors op. 9. À propos de cet opus 9 composé dans les années 1769-70, Haydn aurait déclaré, dans sa vieillesse, qu’il s’agissait de ses véritables premiers quatuors. Effectivement, nous avons affaire à des oeuvres en 4 mouvements, qui, du point de vue de la densité expressive et pour l’émancipation des instruments graves (violoncelle mais, surtout, alto), marquent un progrès considérable sur les précédentes. Les premiers mouvements et les menuets (lesquels figurent toujours en deuxième position) sont plus amples, plus complexes, le côté « cassation » ou « musique de plein air » complètement éliminé, sauf dans certains mouvements lents. Seuls les finales, relativement brefs et légers - celui de l’opus 9 no 6 n’a que 53 mesures - demeurent partiellement tributaires des anciennes formules. Datés de 1771, les 6 quatuors op.17 consolident et exploitent les acquis de l’opus 9. Ces menuets viennent toujours après les premiers mouvements, mais des principes d’écriture commencent à s’imposer (monothématisme, contrepoint), dont les quatuors de la maturité exploiteront magistralement l’extraordinaire potentiel dramatique. Ces Divertimenti a quatro, comme Haydn les appelle encore (et comme il appellera l’opus 20), sont bien des quatuors au sens moderne du mot. Des 6 quatuors op. 20 de 1772 (année de la fameuse symphonie no 45 les Adieux), on peut affirmer qu’ils sont aussi importants, aussi déterminants dans l’évolution

du genre auquel ils se rattachent que le Don Giovanni de Mozart pour l’opéra ou l’Héroïque beethovénienne pour la symphonie. Avec cette série qui - fait exceptionnel - comporte deux partitions dans le mode mineur, chaque mouvement acquiert une densité (voire une gravité) qui n’a plus rien à voir avec les séductions immédiatement efficaces d’une musique de délassement. Ces quatuors de vaste envergure (certains resteront parmi les plus longs de Haydn) et fortement individualisés (cf. l’atmosphère tragique de l’opus 20 no 5, l’ambiance « comédie légère et spirituelle » dans laquelle évolue l’opus 20 no 6) consacrent l’émancipation « pleine et entière » de chacun des partenaires - émancipation du violoncelliste, entre autres, auquel est confié le soin d’exposer le thème initial de l’opus 20 no 2. Ils montrent également que leur auteur maîtrise de mieux en mieux la forme sonate - schéma structurel d’avenir - et que, par le jeu des thèmes, des timbres, des tonalités et des rythmes, il sait magistralement approfondir le cheminement dramatique du discours. Ces Quatuors du soleil, ainsi qu’on devait les appeler à cause du frontispice de l’édition Hummel de 1779, se situent vraiment à l’aube d’une ère nouvelle. Avec eux, qui « suscitèrent » très probablement les quatuors « viennois » de Mozart, Haydn continue pourtant de se référer à un passé encore proche dont il n’estime pas avoir épuisé toutes les ressources. Pour donner plus de poids aux finales, pour les rendre mieux « compatibles » avec les 3 mouvements qui les précèdent, il revient même (par trois fois, dans l’opus 20 nos 2, 5 et 6, par ex.) à la fugue stricte de l’ère baroque. Pendant les neuf ans qui s’écoulèrent entre la composition de l’opus 20 et celle de l’opus 33, Haydn rédigea de nombreuses symphonies et plusieurs opéras italiens. Ce fut aussi durant cette quasi-décennie qu’il incorpora, à sa musique instrumentale, ces éléments de style populaire qu’on trouve rarement chez Mozart et qui allaient constituer l’une des composantes essentielles des grands chefs-d’oeuvre de sa vieillesse. Aussi bien, les 6 quatuors à cordes op. 33, composés en 1781 et publiés en 1782, sont-ils écrits - selon leur propre auteur - « d’une manière nouvelle et spéciale ». Plus brefs, plus détendus, plus souriants que ceux de l’opus 20 (au lyrisme profond de leurs mouvements lents s’associant parfois de comiques véhémences

dans leurs épisodes vifs), ils synthétisent en un tout harmonieux et dialectiquement logique, le principe moderne de la mélodie accompagnée et les exigences « archaïques », mais toujours fructueuses, de l’écriture sévère... Cela, par le biais du travail thématique déjà plus qu’ébauché dans les 2 opus précédents, mais qui, dans la genèse de l’opus 33, devient une donnée fondamentale. Dans ces quatuors, le mouvement de danse n’est plus intitulé menuet mais scherzo, ou scherzando (opus 33 no 1). En fait et sauf dans le cas de l’opus 33 no 5 -, ces termes différents ne correspondent pas à une réelle modification de la nature des mouvements. Les vrais scherzos viendront beaucoup plus tard, dans les ultimes quatuors, mais ils conserveront le nom plus traditionnel de menuets ! Vivement impressionné par les nouveautés décisives qu’apportait l’opus 33 en fait, ce dernier atteignait à l’essence même du genre quatuor -, Mozart écrivit, de 1782 à 1785, la série des 6 quatuors dédiés à Joseph Haydn. Et celui-ci, qui en admira d’emblée l’ampleur, la science, l’originalité, les richesses expressives, fit le point de ses propres recherches en ce domaine par le truchement d’un quatuor étrangement bref, apparemment simple mais qu’il n’aurait sûrement pas pu écrire à l’époque des opus 1 et 2. Cet énigmatique quatuor op. 42 en ré mineur faisait-il partie des quatuors destinés à l’Espagne, dont Haydn parle dans sa lettre du 5 avril 1784 à Artaria et dont on n’a jamais retrouvé la moindre trace ? Aux dires du compositeur, ces ouvrages fantômes devaient être très courts et en 3 mouvements seulement. L’opus 42 remplit la première condition, mais pas la seconde (il comporte 4 parties). Les relations amicales qui unirent Haydn et Mozart constituent certainement l’un des chapitres les plus sympathiques, voire les plus émouvants de l’histoire de la musique. Ces deux créateurs s’apprécièrent, s’admirèrent et se louèrent mutuellement, en toute sincérité et sans rien abdiquer de leur propre personnalité. Ainsi, les quatuors op. 50 que Haydn écrivit en 1787 pour le roi de Prusse Frédéric Guillaume II procèdentils d’un monothématisme volontaire, diamétralement opposé au généreux lyrisme

de Mozart. Cet opus ne renonce pas pour autant à la dualité tension-détente, aux contrastes dramatiques qu’implique le maniement de la forme sonate. Mais c’est par les mutations mélodiques, rythmiques ou harmoniques d’un même thème qu’il y parvient, plutôt que par la mise en jeu de motifs foncièrement différents. Dans l’opus 50, le violoncelle joue un rôle important, parfois essentiel (cf. le début de l’opus 50 no 1). Aussi bien, le royal dédicataire le pratiquait-il en amateur éclairé. C’est, par contre, le premier violon que downloadModeText.vue.download 823 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 817 Haydn privilégie - sans, pour autant, rompre le nécessaire équilibre des 4 voix solistes - dans les 12 quatuors écrits pour Johann Tost vers 1788 (opus 54 et 55) et en 1790 (opus 64). Violoniste de l’orchestre Esterházy, futur commerçant prospère, ce Tost allait être également associé à l’histoire des symphonies nos 88 et 89. Des 3 quatuors op. 54, le plus étonnant, sinon le plus insolite, sur le plan structurel, est le second en ut majeur. Il comporte bien les trois premiers mouvements habituels, mais s’achève - cas unique pour l’ensemble des quatuors de Haydn - par un adagio momentanément et brièvement interrompu par un spirituel presto. En no 2 de l’opus 55 figure le magnifique quatuor en fa mineur, dit du Rasoir, débutant par un mouvement lent et comportant un extraordinaire allegro à la rythmique agressive qui ne détonerait absolument pas dans un quatuor de Beethoven. L’opus 64 est extrêmement raffiné (influence manifeste de Mozart), riche de sonorités captivantes et de modulations inorthodoxes. Dans un climat d’intimité n’excluant pas de nombreuses et robustes véhémences, ce recueil (qui comprend le célèbre quatuor op. 64 no 5, l’Alouette) propose la musique de chambre esthétiquement idéale et telle qu’on a envie de la pratiquer entre amis, à l’abri des regards de la foule... C’est, par contre, au concert public, à la salle de concerts, que sont, en priorité, destinés les 6 quatuors op. 71 et 74. Et cela, ce qui est nouveau - non seulement pour

Haydn mais pour n’importe quel autre compositeur de son temps -, explique le caractère général de ces oeuvres écrites en 1793, entre les deux séjours londoniens, et dédiées au comte Anton Georg Apponyi : sonorités plus « massives » que pour les quatuors précédents, accentuation des contrastes dynamiques ou de tempos (mouvements lents plus lents, mouvements rapides plus « déboutonnés », préface - lente ou non - de quelques mesures pour les premiers mouvements. De tous les quatuors à cordes de Joseph Haydn, l’opus 71 no 2 en ré majeur est le seul à comporter, à la manière des grandes symphonies, les Londoniennes de la même époque, une véritable introduction lente : en l’occurrence, un court adagio de 4 mesures. L’opus 74 no 3 en sol mineur a été surnommé le Cavalier, à cause des rythmes bondissants de ses mouvements rapides. Quant à l’Orchestral op. 74 no 1 en ut majeur (allegro moderato surtout), c’est celui qui témoigne avec le plus d’éloquence (cf. son andantino grazioso) de l’influence bénéfique de Mozart sur le cheminement, jamais prévisible, de la pensée haydnienne. Avec l’opus 76 que Haydn composa en 1797, nous inaugurons la série des ultimes chefs-d’oeuvre. L’historien de la musique Charles Burney sut, d’emblée, discerner la grandeur exceptionnelle de ces pages sublimes, « pleines d’invention, de feu, de bon goût et d’effets nouveaux ». Liberté formelle, asymétrie, logique interne irréfutable, concision, expressivité « visionnaire » caractérisent ces pages extraordinaires, qui anticipent, à maints égards, sur les derniers quatuors de Beethoven et même sur des compositions chronologiquement très proches de notre temps (celles d’un Bartók, en particulier). Le largo ma non troppo, cantabile e mesto (noter la précision avec laquelle Haydn définit le climat affectif qu’il veut créer !) de l’opus 76 no 5, la fantasia et le finale de l’opus 76 no 6 n’appartiennent plus au XVIIIe siècle et se situent bien au-delà des canons éphémères du romantisme. De ces 6 quatuors, que leur auteur dédia au comte Joseph Erdödy, la postérité a retenu, en priorité, l’opus 76 no 2 les Quintes, l’opus 76 no 3 l’Empereur, l’opus 76 no 4 Lever de soleil. Mais les quatuors en sol majeur, ré majeur et mi bémol majeur (op. 76 nos 1, 5 et 6) sont tout aussi étonnants, aventureux et neufs. La série comporte, par ailleurs,

de véritables scherzos (même s’ils ne sont pas expressément désignés comme tels, cf. dans opus 76 nos 1 et 6), qui précèdent, par conséquent, ceux que Beethoven incorporera à ses propres quatuors. Restent, outre le quatuor inachevé op. 103 de 1803, les deux quatuors op. 77 rédigés en 1799 pour le prince Lobkowitz. Le recueil devait comprendre 6 partitions, mais pour des raisons de santé et aussi parce qu’il travaillait aux monumentales Saisons, Haydn ne put le terminer. Avec les 2 quatuors en sol majeur et en fa majeur, le vieux maître allait, une fois de plus, se surpasser... Et faire preuve d’une vitalité totalement renouvelée ainsi qu’en témoigne le scherzo dionysiaque de l’opus 77 no 1 ou le vivace assai rythmiquement « échevelé » de l’opus 77 no 2. Mais il dut pourtant se résoudre à poser la plume après n’avoir mené à bien que les 2 mouvements centraux d’un quatuor en ré mineur (tonalité du menuet) qu’il fit publier en 1806 et qui, pour Rosemary Hughs, évoque la « dernière incandescence d’une flamme désormais captive dans un corps défaillant ». MOZART. Chronologiquement, les 23 quatuors à cordes de Mozart s’inscrivent tous à l’intérieur de la carrière de Haydn. Composé en mars 1770 lors du premier séjour en Italie, le premier d’entre eux (K.80 en sol majeur) n’a vraiment rien à voir avec les quatuors que Joseph Haydn écrivait à l’époque (cf. opus 9) et que, de toute façon, le futur auteur de Don Giovanni ne devait pas connaître. D’abord en 3 mouvements (adagio, allegro, menuetto), complété - fin 1773, début 1774 - par un rondo reprenant le thème d’une ariette de Gluck (de l’opéra l’Île de Merlin), ce premier quatuor, oeuvre de transition, aimable, ensoleillé, italianisant pour tout dire, se situe encore dans la perspective du divertimento, voire de la symphonie pour cordes. Et c’est aussi à cette esthétique souriante, mais prodigieusement raffinée, que se rattachent les 3 divertimenti pour quatuor à cordes (K.136, 137, 138), rédigés à Salzbourg dans le premier trimestre de 1772 et qui peuvent aussi bien être exécutés par un ensemble de cordes que par 4 solistes. Ces pages célèbres (K.136, surtout) ne font pas partie de la liste « officielle » des quatuors de Mozart... On serait en droit de les y

inscrire, au même titre que les 6 Quatuors milanais (K.155 à 160), conçus d’octobre 1772 à mars 1773, et qui, eux aussi, ne comportent que 3 mouvements. À ce stade de ses travaux, Mozart ne semble pas vraiment participer à la mise au point du véritable genre quatuor que Haydn et Boccherini avaient déjà doté de nombreux chefs-d’oeuvre. Tout va changer avec les Quatuors viennois de 1773, habituellement dédaignés par les commentateurs, mais qui marquent pourtant un progrès considérable sur tous ceux qui les précèdent. Ces 6 partitions sont révélatrices d’une « remise en cause » totale, d’une réflexion approfondie sur la façon d’aborder, d’exploiter et d’enrichir une matière musicale dont toutes les potentialités n’étaient pas apparues jusqu’alors. Et cela - sans aucun doute né de la découverte des opus 17 et 20 de Haydn - allait déboucher sur des oeuvres en 4 mouvements renouant, à l’exemple de l’opus 20 tout particulièrement, avec les vertus de l’écriture sévère. Seulement, alors que Haydn avait su ajouter la fantaisie, l’humour et l’émotion à ses constructions les plus « archaïquement » rigoureuses, Mozart ne parvint pas, dans les quatuors K.168 à 173, à se débarrasser d’une certaine raideur dogmatique, d’une certaine « application scolaire » qui résultaient peut-être de l’imitation trop « respectueusement fidèle » des superbes modèles choisis. Si équilibrés soientils dans leur structure, leur architecture et les interventions confiées à chacun des protagonistes, les Quatuors viennois manquent, généralement, de naturel et de spontanéité... Qualités qu’on trouve en abondance dans les Quatuors du soleil - même parmi les plus « sérieux », sinon les plus mélancoliques - de Haydn. Détail significatif : des 13 premiers quatuors à cordes de Mozart, le quatuor K.173 est le premier à adopter le mode mineur dans ses mouvements rapides... Et, plus exactement, la tonalité de ré mineur à laquelle son auteur n’allait se rallier qu’une seule fois (K.421) dans les quatuors qui lui restaient à écrire... Pour l’heure - et toujours à l’exemple de Joseph Haydn - il se détourna d’un genre déjà parfaitement downloadModeText.vue.download 824 sur 1085

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maîtrisé par son aîné mais dans lequel luimême n’avait pas encore donné toute sa mesure. Et si, neuf ans plus tard, il revint au quatuor, ce fut parce que Haydn avait montré, avec son opus 33 de 1781, le chemin nouveau qu’il fallait délibérément emprunter. Le premier des quatuors dédiés à Haydn (K.387 en sol majeur) fut achevé le 31 décembre 1782, quelques mois après la composition de l’Enlèvement au sérail, de la sérénade en ut mineur K.388 et de la symphonie Haffner. Les deux derniers furent terminés presque simultanément, le 10 et le 14 janvier 1785, peu de temps avant l’imposant concerto pour piano K.466 en ré mineur. Mozart mit donc plus de deux ans à mener à bien une entreprise qu’il voulait aussi réussie que possible et dont le résultat allait, ainsi que nous l’avons déjà remarqué, susciter l’admiration enthousiaste de Joseph Haydn. De celui-ci, qui sans le vouloir bien sûr - avait servi de guide et de maître à penser, la leçon était, cette fois, totalement assimilée, « magnifiée », « transcendée »... Les quatuors K.387, 421, 458, 464 et 465 reprennent à leur compte, dans le cadre d’une parfaite indépendance des voix instrumentales, le principe « moteur » du développement thématique définitivement mis au point par Haydn dans l’opus 33. Mais ils sont plus amples, plus généreusement mélodiques que ce dernier et - parce que cela correspond à la personnalité profonde du compositeur - plus ambigus quant aux émotions et aux sentiments qu’ils expriment. L’un d’eux (K.465 en ut majeur) commence par l’étrange introduction lente de 22 mesures qui lui a valu le surnom de Quatuor des dissonances. Un autre (K.387) renoue avec le style fugué pour son finale, mais - contrairement à ce qu’on pouvait observer dans certains épisodes des Quatuors viennois - sans le moindre soupçon d’académisme. Un troisième (K.464) comporte, entre autres, un immense andante à variations d’une extraordinaire intensité expressive et un allegro non troppo terminal auquel un chromatisme persistant confère une sorte d’aura un peu trouble. En vérité, tout serait à citer de ces chefs-d’oeuvre auxquels n’allaient succéder, dans la partie du catalogue mozartien réservée au quatuor à cordes, que le ré majeur K.499 d’août 1786, le ré majeur K.575 de juin 1789, le si bémol majeur K.589

de mai 1790 et le fa majeur K.590 de juin 1790. Publié par l’éditeur Hoffmeister, le quatuor en ré majeur K.499 est contemporain - à quelques mois près - des Noces de Figaro, du Concerto pour piano no 25 et de la Symphonie no 38 Prague. Quant aux trois derniers quatuors, dits Quatuors prussiens, ils sont postérieurs à l’exceptionnel Don Giovanni et à l’ultime trilogie symphonique. Mozart les écrivit pour le roi de Prusse Frédéric Guillaume II - lequel avait déjà reçu, en particulier, des oeuvres de Haydn et de Boccherini - et veilla à ce que la partie de violoncelle (celle que pouvait exécuter le monarque, rappelons-le) y soit élégamment mise en valeur. Un mot doit être dit, ici, des autres compositions mozartiennes pour quatuor, c’est-à-dire de celles qui mobilisent des formations différentes de l’ensemble constitué par 2 violons, 1 alto et 1 violoncelle. Il y a en particulier, datant de la période qui sépare les Quatuors viennois des quatuors dédiés à Haydn, 3 quatuors avec flûte, 1 quatuor avec hautbois. Les premiers, qui furent rédigés à Mannheim pour le flûtiste hollandais De Jean, renouent avec la distinction et le charme mélodique d’un Jean-Chrétien Bach. Destiné au hautboïste Ramm, ami du compositeur, le second est plus ambitieux, mais toujours situé dans l’optique d’une musique de divertissement soigneusement débarrassée de toute banalité et de tout élément superficiel. C’est tout le raffinement, tout l’esprit d’une époque dont les subtilités affectives nous échappent qui s’expriment dans cette partition ainsi que dans les quatuors pour piano, violon, alto et violoncelle, K.478 en sol mineur et K.493 en mi bémol majeur, respectivement terminés le 16 octobre 1785 et le 3 juin 1786. Reste le quatuor pour flûte et cordes K.298 en la majeur qu’Alfred Einstein n’hésite pas à situer en 1778 (cette date figure effectivement, mais notée par une main étrangère, sur le manuscrit), mais que d’autres estiment contemporain de Don Giovanni, de la Plaisanterie musicale et de la Petite Musique de nuit (1787). BEETHOVEN. Contrairement à ce qu’on a trop tendance à croire, les réalisations admirables de Beethoven dans le domaine du quatuor à cordes ne relèvent ni du miracle ni de la génération spontanée. Pour les

rendre possibles, il fallait une première condition : que le génie - cette caractéristique mystérieuse qui se constate après coup plus qu’elle ne se définit - participât à l’aventure. Mais il en fallait aussi une seconde, qui, précisément, se trouva remplie au bon moment : que l’acquis à partir duquel le compositeur allait travailler fût exceptionnellement riche. À la fin du XVIIIe siècle, lorsque Beethoven commença la rédaction de son opus 18, le quatuor pour 2 violons, alto et violoncelle avait atteint, grâce à Haydn et à Mozart, un degré de perfection qui, pour les nouveaux créateurs, constituait une sorte de défi apparemment insurmontable. Imiter sans relâche - c’est-à-dire tourner en rond - ou découvrir des chemins nouveaux : tels étaient les termes d’une alternative qui, après les ultimes symphonies de Mozart et les Londoniennes de Haydn, s’appliquait également à la symphonie. La chronologie fit bien les choses, qui permit à Beethoven d’arriver au bon moment et d’enrichir, dans des proportions que personne n’eût osé imaginer, l’héritage de ses prédécesseurs. Pour commencer, Beethoven se garda bien de s’éloigner de ses modèles. Sur le plan des idées et de leur mise en oeuvre, les 6 quatuors op.18, dédiés au prince Lobkowitz et publiés chez Mollo (à Vienne) en 1801, doivent beaucoup aux deux premiers représentants de la première école viennoise. Dans son allegro initial et dans son troisième mouvement, par exemple, le quatuor en ré majeur op. 18 no 3 (le premier dans l’ordre chronologique de composition) rend très nettement hommage à l’auteur de Don Giovanni... Ainsi que l’opus 18 no 5 en la majeur qui, dans son finale, présente une analogie thématique avec l’épisode correspondant du K.464. L’allegro con brio de l’opus 18 no 1 en fa majeur est, tout entier, dominé par un bref motif que Haydn aurait très bien pu utiliser dans son opus 33 ou dans son opus 50 (dans ce dernier surtout, qui consacre le triomphe du monothématisme). L’allegro molto presto de l’opus 18 no 2 en sol majeur (une oeuvre à laquelle on a donné le surnom de Complimenterquartett, Quatuor des compliments ou des révérences) débute au violoncelle comme le premier mouvement de l’opus 20 no 2 (un des Quatuors du soleil). L’andante scherzo quasi allegretto de l’opus 18 no 4 en ut mineur traite, en fugato, un thème inci-

sif et décidé « à la Haydn »... Et cela, dans une perspective humoristique, exempte de toute pédanterie, que l’auteur des Saisons n’eût probablement pas rejetée... Il faut bien sûr signaler comme annonciatrice d’une orientation nouvelle et d’une démarche inédite, la poignante Malinconia (La Mélancolie), qui, adagio, inaugure le dernier mouvement de l’opus 18 no 6 en si bémol majeur. Mais ce qui compte avant tout, dans ce finale, c’est moins l’inorthodoxe organisation architecturale (Haydn, lui aussi, s’étant montré des plus insolites dans son opus 54 no 2) que la densité et l’efficacité des sentiments exprimés. Après l’achèvement de l’opus 18, plusieurs années s’écoulèrent durant lesquelles Beethoven produisit, entre autres, de nombreux chefs-d’oeuvre dans le domaine orchestral (Deuxième et Troisième Symphonie) et dans celui du piano (Sonates op. 31 nos 1, 2 et 3 ; sonate Waldstein op. 53 ; Quatrième Concerto en sol majeur). Lorsqu’il revint au quatuor, l’auteur de Fidelio fut, désormais, le seul à assurer génialement la défense d’un genre éminemment difficile à traiter. Joseph Haydn vivait encore, mais ne composait plus... Dédiés au comte André Razumowski, ambassadeur de Russie à Vienne, les downloadModeText.vue.download 825 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 819 3 partitions op. 59 de 1806 ont, comme première caractéristique évidente, d’être beaucoup plus développées que toutes celles qui les précèdent. C’est particulièrement vrai de l’opus 59 no 1 en fa majeur, dont l’allegretto vivace e sempre scherzando (second mouvement) ne comporte pas moins de 476 mesures et qui enchaîne ses deux derniers mouvements (adagio molto e mesto -allegro) en une construction gigantesque digne des titanesques proportions de la Symphonie héroïque. Parallèlement - et relativement à leur exécution - ces quatuors impliquent la fin de l’« amateurisme » (au sens noble du terme) tel qu’on le concevait au XVIIIe siècle, et nécessitent la participation de musiciens « professionnels ». Avec eux,

nous entrons définitivement dans l’ère du concert payant, donné par des spécialistes et fréquenté par des mélomanes, qui, désormais, n’ont rien d’autre à faire que d’écouter... Pour rendre hommage au dédicataire, Beethoven introduisit des thèmes russes dans son opus 59, en particulier dans le finale du no 1 et dans le troisième mouvement du no 2. Contemporaines de la sonate pour piano op. 81 A les Adieux, du cinquième concerto pour piano et d’Egmont, les deux partitions op. 74 et 95 appartiennent à l’avant-dernière des quatre périodes au cours desquelles Beethoven s’intéressa plus particulièrement au quatuor. Publié en décembre 1810 chez Breitkopf et Härtel à Leipzig, dédié « à son Altesse le Prince régnant de Lobkowitz, duc de Raudnidz », le quatuor op. 74 en mi bémol majeur, baptisé les Harpes (à cause des pizzicati de son premier mouvement), est une oeuvre d’un lyrisme intense, pourvu d’un adagio ma non troppo à la sérénité ineffable et s’achevant par un - souvent désinvolte allegretto con variazioni. Esquissé en mai 1810, terminé en octobre de la même année et publié par Steiner de Vienne en décembre 1816, l’opus 95 en fa mineur retrouve l’héroïsme fier et un peu hautain qui caractérisait la musique d’Egmont. L’auteur lui-même a donné le surnom de Quartetto serioso à cette page effectivement des plus sérieuses, mais qui, pour renoncer à toute séduction facile et immédiate, n’en verse pas pour autant dans la sécheresse. Les cinq derniers quatuors ainsi que la Grande Fugue sont postérieurs à la Neuvième Symphonie, à la Missa solemnis et aux dernières sonates pour piano. Avec eux, qui, chronologiquement, débutèrent par la trilogie composée pour le prince Galitzine, Beethoven allait exploiter, jusqu’à leurs ultimes conséquences, les principes « compositionnels » définis par Haydn dans son opus 20 et dans son opus 33. Ces quatuors « Galitzine » (no 12 op. 127, no 15 op.132, no 13 op.130) furent respectivement donnés en première audition privée, par le quatuor Schuppanzigh, le 6 mars et le 9 septembre 1825, le 21 mars 1826. Dans sa forme originale, l’opus

130 s’achevait par la Grande Fugue qu’à l’instigation de l’éditeur viennois Artaria, Beethoven remplaça ultérieurement par un allegro plus détendu. Avec l’opus 131 (no 14 en ut dièse mineur), terminé en septembre 1826 et dédié au baron von Stutterheim, qui avait rendu service au neveu du compositeur, Beethoven proposait l’un de ses quatuors les plus insolites sur le plan de l’organisation architectonique : 7 mouvements apparemment sans vrai rapport les uns avec les autres, mais qu’un examen plus attentif permet néanmoins de regrouper en 4 parties principales correspondant à l’habituelle division structurale du genre. Plus bref que ses prédécesseurs immédiats (au départ, il ne comportait même que 3 mouvements), dédié à Johann Wolfmayer à qui l’opus 131 était primitivement destiné, le quatuor no 16 op. 135 en fa majeur est, par la précision, la netteté des idées qu’il contient et la logique concise qui préside à leur mise en oeuvre, encore plus proche de Haydn que ne l’était l’opus 18. Les prodigieuses explorations beethovéniennes dans le domaine du quatuor à cordes n’ont jamais impliqué cette totale rupture avec le passé que d’aucuns préconisent dangereusement de nos jours. SCHUBERT. La numérotation couramment adoptée des quatuors de Schubert concerne quinze ouvrages et correspond, sauf pour le no 10 (D.87), à l’ordre chronologique de composition. Sur ces quinze quatuors, treize sont en quatre mouvements. Inachevés, les quatuors no 5 (D.68) et no 12 (D.703) ne comportent, respectivement, que deux et un seul mouvement. À cette série « officielle », il faut ajouter diverses esquisses ou fragments tels que D.998 en fa majeur, D.87A en ut majeur, retrouvé par Christa Landon, les trois mouvements de D.3 (repris, pour deux d’entre eux, dans le quatuor no 2 D.32). Pour être relativement complet, il faut aussi inclure des oeuvres perdues comme les quatuors D.19, D.19A, D.40 et l’ouverture en si bémol D.20 pour quatuor à cordes. Ce bref inventaire d’une bonne vingtaine de partitions n’a d’autre but que de souligner l’intérêt soutenu porté par Schubert à un genre qu’il allait fortement marquer de son empreinte personnelle et mener sur des chemins très différents de ceux qu’avait choisis Beethoven.

À vrai dire, ce fut aux premiers quatuors de ce dernier et, surtout, aux chefsd’oeuvre de Mozart et de Haydn qu’il se référa - et cela, pendant plusieurs années - pour l’élaboration de ses propres quatuors. Ceux-ci, qu’il écrivit à partir de 1810-11 (pour peu que l’on considère bien le ré majeur D.18 comme le véritable premier), étaient généralement exécutés en famille avec Franz à l’alto, ses frères Ferdinand et Ignaz au premier et au second violon, son père au violoncelle. De ces pages juvéniles, nombreux sont les passages qui mériteraient d’être mis en exergue... La sombre introduction lente sur motif chromatique descendant du quatuor no 4 (D.46) par exemple... Ou encore le bref et vigoureux Menuetto du no 7 en ré majeur (D.94) [manifestement tiré, sauf coïncidence extraordinaire, de la symphonie no 56 de Haydn !], le pathétique Andante sostenuto en sol mineur du no 8 (D.112), le finale très « haydnien » du no 9 D.173, l’Allegro vivace conclusif du no 11 D.353, dont le thème paraît avoir été emprunté au dernier mouvement de la symphonie no 39 K.543 de Mozart... Ce « onzième » quatuor en mi majeur par lequel s’achève, en quelque sorte, la série des « quatuors de jeunesse » doit dater de 1816 (on n’en est pas absolument sûr), ce qui le rend contemporain des trois sonatines pour piano et violon, des symphonies nos 4 et 5, et de nombreux lieder. Jusqu’en 1820, Schubert n’écrivit plus pour deux violons, alto et violoncelle. En décembre de cette année-là, parallèlement à la composition de l’admirable Chant des esprits au-dessus des eaux, il s’essaya à un nouveau quatuor en ut mineur (D.703) qui, à l’instar de celui d’avril 1814 (D.103), allait être abandonné en cours de route. Mais le seul mouvement complet qui nous soit parvenu (l’Allegro assai à 6/8 dit quartettsatz) est, avec ses sinistres trémolos d’accompagnement, ses tragiques véhémences et ses oppositions de tonalités (ut mineur, la bémol majeur, sol majeur), d’une telle intensité dramatique qu’on sent immédiatement qu’avec lui le quatuor schubertien vient de franchir l’étape ultime des chefs-d’oeuvre hautement personnels. Composé en février et mars 1824, juste après le très séduisant mais beaucoup moins profond octuor en fa majeur D.803,

le quatuor en la mineur D.804 (no 13 de la liste « officielle ») fut donné en première audition, dès le 14 mars, par la formation d’Ignaz Schuppanzigh qui avait créé la plupart des quatuors de Beethoven. Ce quatuor, le seul de Schubert publié du vivant de l’auteur, est une sorte d’immense « lied instrumental » et évolue dans un climat de résignation douloureuse qui le situe aux antipodes des conceptions beethovéniennes. Et cela, aussi bien dans son Allegro ma non troppo où la douceur domine, que dans son Andante basé sur un thème de Rosamunde (entracte après le troisième acte) et que dans son Menuetto sobrement poignant qu’inaugure la downloadModeText.vue.download 826 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 820 sombre et presque menaçante interrogation du violoncelle. Cette volonté de « clair-obscur », de « demi-teinte » qui se manifeste dans tout le quatuor en la mineur (y compris dans l’Allegro moderato en la majeur faussement optimiste), nous ne la retrouvons absolument pas dans les deux quatuors suivants, les derniers de Schubert. De mars 1824 également, mais joué pour la première fois deux ans plus tard (1er février 1826) chez le chanteur Joseph Barth, le quatuor en ré mineur D.810 est tout entier dominé par l’idée de la mort, dont, sans emphase ni subjectivisme outrancier, il analyse la révoltante fatalité. C’est le fameux quatuor la Jeune Fille et la Mort qui reprend, pour les variations de son second mouvement (Andante con moto en sol mineur), l’introduction et la conclusion du lied de ce nom. Avec l’Adagio en mi mineur du quintette à deux violoncelles (1828-D.959), son mouvement lent constitue l’une des méditations les plus désespérément tragiques qui aient jamais été conçues dans le domaine de la musique de chambre. Seul Schubert pouvait écrire des pages aussi totalement en marge des courants dominants imposés par les chefs-d’oeuvre d’un Haydn et d’un Beethoven... On a quelque peine à imaginer que l’immense et complexe quatuor en sol majeur D.887 ait pu être rédigé en moins

de deux semaines (du 20 au 30 juin 1826) ! Cette fois-ci, c’est à une oeuvre d’une puissance quasi orchestrale que nous avons affaire (notons, en particulier, les trémolos de doubles croches ou de croches qui « saturent » véritablement les trois premiers mouvements) et qui, dans un jeu permanent mais très sérieux d’ombre et de lumière, associe et juxtapose les véhémences les plus sauvages aux effusions les plus élégiaques. D’où, par exemple, la tendre mélodie de violoncelle par laquelle débute l’Andante un poco moto, et la violence qui se déchaîne après une quarantaine de mesures... D’où, également, le contraste extraordinaire entre un scherzo rageusement incisif (Allegro vivace) et un trio enchanteur (Allegretto) qui, momentanément, chasse les ténèbres maléfiques. LE QUATUOR APRÈS SCHUBERT. Pour les compositeurs du XIXe siècle, le genre du quatuor à cordes a été fortement marqué par Beethoven, comme celui-ci avait aussi marqué la symphonie. Cependant, alors que toute symphonie ne pouvait qu’être post-beethovénienne et tenir compte du gigantesque travail d’expansion et d’affirmation du genre, le quatuor à cordes, lui, à quelque excès de recherches et à quelque distension de la forme et de l’expression que l’ait conduit le maître de Bonn, demeurera une forme accessible, qui ne suppose pas qu’on plane constamment dans les hauteurs. Pour preuve, Franz Schubert, qui avait mis du temps à trouver « son » expression, son ton propre dans la symphonie, mais qui s’était affronté au quatuor de plain-pied, de façon plus libre et dégagée. L’évolution du genre est marquée, par ailleurs, par tout le contexte de la musique symphonique du XIXe siècle : à mesure que l’orchestre d’un côté, le piano de l’autre, c’est-à-dire les deux moyens d’expressions favoris du romantisme, voient s’élargir leur palette, s’enrichir leurs registres et leurs couleurs, le quatuor à cordes, lui, jusqu’à la fin du XIXe siècle, fonctionne sur les mêmes possibilités de jeu que le quatuor haydnien ou mozartien. Il devient peu à peu une forme sévère, intime, dépositaire d’une certaine tradition de « musique pure », puisqu’on n’y trouve plus les mêmes séductions sonores que dans le piano ou l’orchestre. En même temps, il se prête à la confidence, à l’autobiographie,

chez quelques auteurs comme Smetana ou Janáček. Un certain nombre de compositeurs du XIXe siècle, en « reconduisant » tel quel le quatuor, contribuent donc à en faire cette forme traditionnelle et réservée à la musique pure : ainsi Mendelssohn, avec ses six quatuors à cordes (op. 12, en mi bémol majeur, op. 44 no 1 en ré majeur, no 2 en mi mineur, no 3 en mi bémol majeur, op. 80 en fa majeur, op. 81 en mi majeur). De même pour Robert Schumann, dont les trois quatuors à cordes (op. 41 no 1 en la mineur, no 2 en ut majeur, no 3 en la majeur) furent composés en 1842, mais n’ont pas atteint le même degré d’évidence et de popularité que les grands quatuors schubertiens, malgré leurs recherches pour renouveler le genre. Le Quatuor avec piano, en mi bémol, op. 47, atteste l’aisance de Schumann à faire de son instrument, le piano, le « primus inter pares » de la musique de chambre (voir le Quintette en mi bémol op. 44). Les quatuors de Johannes Brahms se répartissent en trois quatuors à cordes (op. 51 no 1 en do mineur, no 2 en la mineur - tous deux publiés en 1873 - et op. 67 en si bémol majeur) et trois quatuors avec piano (op. 25 en sol mineur, op. 26 en la majeur, op. 60 en do mineur - ce dernier achevé en 1874 et inspiré par l’histoire tragique de Werther, on dit aussi par l’attachement de l’auteur à Clara Schumann). Parmi les quatuors de la fin du XIXe siècle, on citera les six quatuors de Max Reger (dont l’opus 74 en ré mineur, et l’opus 121 en fa dièse mineur), de Grieg (en fa majeur, inachevé) et de... Giuseppe Verdi, pièce à part dans la production de son auteur, composée en 1873 pour occuper un « moment creux » de son activité, et qui est sa seule pièce conservée de musique de chambre. Il peut paraître exagéré et artificiel de parler d’une « école d’Europe centrale » pour le quatuor : il reste que les Quatuors de Dvořák, Smetana, plus tard de Janáček ou de Bartók, ont en commun un enracinement dans la tradition violonistique de ces pays ; cette nouvelle jeunesse, cette nouvelle identité, cette bouffée d’air frais dans l’écriture pour archet, ce sens de la sonorité âpre et fraîche sont apportés par le violon populaire, lequel se trouvait déjà ici et là dans certains moments « tziganisants » des quatuors de Haydn,

Mozart, Beethoven, Schubert. C’est peutêtre pourquoi, par rapport à ces fleurs de serre que sont plus ou moins les quatuors allemands post-schubertiens, les quatuors à cordes d’Anton Dvořák (neuf quatuors à cordes dont l’opus 34 en ré mineur, l’opus 51 en mi bémol majeur, l’opus 61 en do majeur, l’opus 80 en mi majeur, l’opus 96 en fa majeur, surnommé Quatuor américain, l’opus 105 en la bémol majeur, l’opus 106 en sol majeur), de Bedřich Smetana (deux quatuors dont l’un, autobiographique, sous-titré Ma vie), du Russe Borodine (deux quatuors), ont une sève populaire, un allant que revigore le genre, mais aussi qui prolonge le sens schubertien du vagabondage. Quant aux deux quatuors à cordes de Leoš Janáček (dont le second, Lettres intimes, publié en 1928, est une déclaration d’amour à une jeune femme), leur totale liberté de forme et de pensée nous emmène loin des conventions d’austérité du genre. Il est vrai que Beethoven lui-même avait déjà donné l’exemple du quatuor autobiographique, comme confession pour quatre archets, avec des moments comme le Chant de reconnaissance en mode lydien du Quinzième Quatuor en la mineur op. 132. À l’opposé de cette direction « slave », où le quatuor est un genre à la fois léger et familier, parfois tragique, mais toujours aéré, le quatuor français de la fin du XIXe siècle et du début du XXe est souvent une oeuvre de haute intimité, méditée, serrée, sur laquelle pèse le poids de toute une tradition d’écriture : nulle inspiration populaire directement puisée dans le terroir (les violoneux français n’inspirent guère nos compositeurs), mais beaucoup de raffinement et de distinction, des coups de chapeau à Beethoven dans son inspiration la plus sévère, des exercices de composition très travaillés dont la spontanéité n’est pas la qualité première, mais qui sont souvent de la très belle musique. Le Quatuor à cordes de César Franck est une oeuvre de vieillesse : l’auteur s’y est repris à trois fois pour échafauder cette pièce, achevée en 1889, qui prend en compte les grands monuments beethovéniens (que l’on se mettait à découvrir voir Proust - et autour desquels se développait un véritable culte) et qui cherche plus ou moins à en atteindre les hauteurs. On y retrouve également dans la fugue, par exemple, des références à Bach. Il downloadModeText.vue.download 827 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 821 comprend quatre mouvements : allegro, scherzo, larghetto, allegro molto, organisés autour d’un thème générateur, et, par la fermeté de sa composition très élaborée, il valut à l’auteur, à sa création, un bel accueil. Le Quatuor à cordes de Claude Debussy - lui aussi quatuor unique amoureusement ciselé - fut écrit et créé en 1893. Obéissant au plan traditionnel, il comporte quatre mouvements : animé et très décidé (correspondant à l’allégro traditionnel), assez vif et bien rythmé (écrit comme un scherzo), andantino, doucement expressif, et enfin, après une introduction, le final, très mouvementé et avec passion. Il est amusant de relever que des critiques à l’époque trouvèrent ce quatuor « barbare, informe et truculent », alors qu’on en voit maintenant beaucoup mieux la fermeté de construction, et beaucoup moins la « truculence ». Ce quatuor est resté une des oeuvres les plus célèbres et les plus jouées de Debussy, tout en restant à part dans sa production : certains la trouveraient aujourd’hui plutôt sage et classique. Il est vrai que son « travail thématique », très appuyé, et sa conception cyclique le rapprochent de César Franck, et des conceptions formelles de la Schola, ici poussées jusqu’au bout, comme si Debussy avait voulu se prouver qu’il était capable, s’il le voulait, de tenir une forme toute entière dans une construction architecturée très visible. Le fameux thème cyclique, dynamique et affirmatif, énoncé dès la première mesure, apparaît très visible dans le second mouvement, plus déguisé et lointain dans le troisième, et enfin reparaît en fanfare dans le finale. Le second mouvement, ainsi, se contente de reprendre textuellement ce thème, d’en changer le rythme, de l’accélérer, et de « mettre en boucle » sa première mesure, comme thème de ronde, en y ajoutant une inflexion chromatique. Dans l’andantino, le gruppetto caractéristique de trois notes liées en rappelle la présence ; enfin l’introduction du quatrième mouvement réalise un véritable traitement beethovénien de ce thème, déformé chromatiquement, avec des marches harmoniques systématiques,

et l’animé lui ménage une rentrée triomphale, en prenant pour premier thème une formule nerveuse et volontaire qui se trouvera ensuite utilisée comme prolongement, comme étendard dressé au-dessus du thème cyclique élargi. La dernière forme sous laquelle il apparaît le réduit à son essence, qui est un pur mouvement, très appuyé, de seconde majeure descendante (dont la variante est une seconde mineure descendante), la deuxième note étant fortement accentuée et prolongée. Si cette pièce est quasi beethovénienne et franckiste par la tension et le volontarisme affichés de sa forme (avec toute une dramaturgie de tension, d’opposition, née de la forme sonate, des rentrées, des combats de thèmes, et du « travail » sur les motifs pour en extraire la quintessence), en revanche, son harmonie, pleine, confortable, sensuelle, sonnant toujours bien, est proprement debussyste. Cette plénitude est renforcée par la façon dont Debussy écrit pour le quatuor à cordes. Il le traite souvent comme un orchestre à cordes en réduction (cf. le tout début, tout à fait homorythmique et global), contrairement à un Bartók, par exemple, dont les quatuors sont conçus pour quatre instruments utilisés comme tels. On pourrait d’ailleurs transcrire facilement pour orchestre à cordes le quatuor de Debussy. Aucun des instruments n’y est très longtemps particularisé, même dans les rares solos que comporte l’oeuvre (alto au début du second et du troisième mouvement ; violoncelle au début du quatrième). Le Quatuor de Debussy oppose et compose plus des lignes, des parties, des pupitres, que des individus. Le premier violon, ou l’alto, ne sont pas « personnalisés » comme tels. Cela peut étonner, chez un compositeur comme lui, qui passe pour un maître du timbre instrumental dans sa spécificité. Debussy évite ici ce qu’ont souvent tenté Bartók et même Beethoven : pousser l’instrument soliste à bout, dans ses limites (suraiguës, notamment), là où il est proche du cri et du vide, rendu à sa solitude. Or, il n’est que de jeter un coup d’oeil sur la partition du Quatuor pour voir que Debussy fait jouer très souvent les quatre instruments tous ensemble, comme un même corps (particulièrement dans le premier mouvement, où par exemple le premier violon et le violoncelle, les deux extrêmes, jouent quasiment sans interruption). C’est une

oeuvre qui a horreur du vide et de la sonorité creuse, avec sa pâte harmonique tout à fait pleine et chaude. De là vient peut-être que ce quatuor de Debussy est un des quatuors, sinon le quatuor moderne le plus populaire - d’autant que Debussy n’y a pas laissé affleurer ses thèmes les plus secrets, son inspiration morbide, et ne s’est pas exposé comme il l’a fait ailleurs. À l’opposé, le Quatuor de Ravel, qui passe pour une oeuvre charmante, s’expose plus dans sa surface, est plus inquiet, moins confortable. Ce Quatuor en « fa », autre oeuvre de jeunesse (il fut achevé en 1902), ne fut pas jugé assez probant par l’Institut pour permettre à Ravel de concourir à nouveau pour le prix de Rome. Et pourtant l’oeuvre avait été longuement travaillée par son auteur. Comme beaucoup de quatuors, sonates ou symphonies de l’époque, elle utilise des motifs cycliques. Cependant, elle n’a pas le côté « assis » et compact que conserve même le Quatuor de Debussy ; la substance en est plus agile, plus arachnéenne ; et le travail du quatuor à cordes comme « matière » y est plus poussé, plus évident, plus caractérisé que chez ses contemporains. Cette matière du quatuor est ramassée, variée dans sa texture, éparpillée, divisée, animée par des frémissements et des ondulations. Le thème qui ouvre le premier mouvement, comparé au thème inaugural de Debussy, manifeste la différence : plus diaphane, plus ondoyant. La tension thématique est moins sensible, mais les ruptures de rythme plus constantes ; le registre moyen de l’oeuvre est plus déporté vers l’aigu, un aigu un peu écorché, suspendu. Ainsi, même dans la séduction et la légèreté, l’oeuvre est plus chargée d’angoisse, par la simple façon dont elle accuse de subites variations de régime, et dont elle traduit des états du corps instables et inconfortables. Ce quatuor de Ravel compte quatre mouvements : un allegro de forme sonate, un assez vif à variations, un très lent, dont la mélodie distendue, relancée par des soubresauts, des griffures, est déjà caractéristique du Ravel des grandes oeuvres futures, et enfin un vif très brillant. Gabriel Fauré, d’une génération plus ancienne, n’écrivit lui aussi qu’un Quatuor à cordes en mi mineur, oeuvre de vieillesse (comme celui de Franck), ache-

vée en 1924, année de la mort du compositeur, qui en confia la finition à Roger Ducasse. Il avait composé deux quatuors avec piano, le premier en ut mineur, en 1879, et le second en sol mineur, en 1887. Dans cette école du quatuor français, on peut encore citer, en remontant en arrière, le quatuor à cordes de Charles Gounod, celui d’Albéric Magnard, les deux quatuors de Saint-Saëns, les trois de Vincent d’Indy, le Quatuor de Chausson avec piano ; plus récemment, l’unique Quatuor à cordes d’Albert Roussel, op. 42, en quatre mouvements, écrit en 1935 ; celui de Florent Schmitt, op. 112, composé en 1947, en quatre mouvements, Rêve, Jeu, In memoriam, Élan (très difficile, il demanda une longue mise au point au quatuor Calvet, qui le créa) ; le quatuor de jeunesse d’André Jolivet, en trois mouvements (volontaire, allant, vif), écrit en 1934 ; les deux premiers quatuors d’Henri Sauguet, premier Quatuor en ré majeur, 1941, et second Quatuor en quatre mouvements, 1948 (oeuvre autobiographique comme celle de Smetana, mais qui fut écrite à la mémoire de la mère du compositeur, dont elle évoque la figure à travers un andantino capricioso, un lento molto espressivo, un tempo di valse, et un andante espressivo évoquant les derniers moments ; ce fut encore le Quatuor Calvet qui la créa) ; les trois quatuors à cordes d’Arthur Honegger, oeuvres assez abstraites et contrapuntiques : un premier en 1919, marqué par l’atonalisme allemand, et auquel Honegger était très attaché, comme on peut l’être à une oeuvre de jeunesse pleine d’audace downloadModeText.vue.download 828 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 822 qu’il avait dédiée à Florent Schmitt ; puis un deuxième quatuor commandé par la Biennale de Venise, écrit en 1934-1936, également en trois mouvements, comme le sera le troisième et dernier, composé en 1936-37, à la demande d’une mécène, Mrs. Sprague-Coolidge ; les trois quatuors de Charles Koechlin ; le Quatuor de Jacques Ibert ; les trois de Georges Migot ; ceux de Daniel-Lesur (1941), de Louis Durey (deux quatuors à cordes), de Germaine Tailleferre, Guy Ropartz (cinq quatuors, dont le dernier, 1939-40, sous-titré Quasi una fantasìa), de Robert Bernard, Suzanne

Demarquez, Henri Martelli, Georges Dandelot, Jean Françaix, etc. L’abondant Darius Milhaud fit exception, avec sa fluviale production de dix-huit quatuors, dont le Cinquième, très polyphonique, fut dédié à Schönberg, et dont les Quatorzième et Quinzième ont été écrits pour être exécutés indépendamment l’un de l’autre, mais aussi pour être joués ensemble, formant par superposition un très volubile octuor. En Europe, dans d’autres contextes musicaux, le quatuor se trouve illustré au début du siècle par Jean Sibelius (quatuor Voces intimae, 1909), Alois Hába (seize quatuors dont beaucoup en micro-intervalles), Ernest Bloch (cinq quatuors), Gian Francesco Malipiero (huit), Paul Hindemith (sept), Dimitri Chostakovitch (quinze), tandis que le prolifique Heitor Villa-Lobos composait dix quatuors à cordes, et que Prokofiev n’en tentait que deux : le premier, op. 50, en 1930 (sur la commande de la Library of Congress de Washington) et le second, op. 92 en fa majeur, sur proposition officielle, en 1941, pour célébrer la culture populaire des « Bakar-Kabardines », une province de l’Union soviétique. « Il me semblait, devait écrire l’auteur, que la conjonction du folklore oriental original, totalement neuf, et de la plus classique des formes classiques qu’est le quatuor à cordes, pouvait donner des résultats intéressants et inattendus. » BARTÓK. Le plus bel ensemble de quatuors composé au XXe siècle, et qu’on ait pu comparer à celui de Beethoven, est celui de Bartók. Son cas est unique, puisque ses six quatuors à cordes, composés sur une large période de temps (successivement en 1908, 1917, 1927, 1928, 1934, 1939) forment un véritable ensemble, à la fois dense, varié, uni et totalement engagé, concentrant le meilleur de ce compositeur. Alors qu’on voit d’autres grands auteurs « tâter » brillamment du quatuor, un peu comme s’ils sacrifiaient à un rite de passage (celui qui garantit l’entrée dans le professionnalisme et la science de l’écriture), Bartók s’approprie totalement, de l’intérieur, cette forme d’expression, la repense. D’abord en cassant le moule classique en quatre mouvements, pour recréer une forme originale qui soit entièrement sienne : ses six quatuors, sauf le dernier, ont grosso modo une

forme en arche (trois à cinq mouvements, enchaînés ou non, construits autour d’une clé de voûte constituée par le mouvement central). Ensuite en en recréant le style. Le violon, l’alto, le violoncelle de Bartók sont âpres, appuyés, percussifs, rarement fluents, moelleux et détendus. Bartók se réfère souvent à l’expressionnisme du violon tzigane, plutôt qu’à l’expressivité coulante du violon italien. C’est un violon tellurique plutôt qu’aérien ou aquatique. De plus, Bartók trouve dans le quatuor à cordes la formule instrumentale qui exprime le mieux son sens de la musique comme cri, effort arraché au silence, pris dans les limites de l’instrument poussées à bout. Nombre de moments de ces quatuors sonnent comme des conquêtes sur le vide, le noir. L’émission de l’instrument à archet est accusée dans son côté pénible, grinçant, « crincrin », dans ce qu’elle a de douloureux et d’antinaturel, au lieu d’être oubliée, comme chez Debussy, dans la plénitude de la sonorité. Plus même que certains musiciens d’« avant-garde » qui l’ont suivi, Bartók repense sa musique à partir de l’émission du son, dans ses inégalités, sa tension, ses retombées. Comme le souligne Pierre Citron, les thèmes ne sont pas donnés d’emblée ; ils se forment souvent à partir d’une seule note, ou de deux, ressassées dans une genèse difficile. Les intervalles de hauteurs utilisés sont souvent très resserrés, Bartók les « économise », puisque son « unité thématique », celle avec laquelle il bâtit ses thèmes, est plus souvent le demi-ton que le ton. Le thème cyclique du Quatrième Quatuor s’énonce d’abord sous sa forme contractée, dans un ambitus minuscule d’une tierce mineure. Mais il se trouve tôt ou tard un moment où le ressort qui « compresse » la mélodie dans une zone aussi réduite se détend, où le thème subit une sorte d’expansion naturelle de ses intervalles, et adopte un contour diatonique, très franc, voire archaïque (début du dernier mouvement du même Quatrième Quatuor). Ce principe de resserrement, de condensation, guide aussi la façon d’écrire pour les quatre parties, qui ne sont pas harmonieusement étagées pour « couvrir » toute la tessiture, mais qui sont serrées, mises en boules les unes contre les autres, dans un véritable corps à corps contrapuntique. Les moments abondent où les parties « se marchent sur les pieds ».

L’impression dominante est celle d’une lutte et d’un travail dans un espace de hauteur étroitement mesurée. En revanche, Bartók varie considérablement les modes d’attaque, donc les timbres et les couleurs : harmoniques, pizzicati, pizzicati suivis de glissandi, pizzicati violents avec rebondissement de la corde sur la touche (quatrième et cinquième quatuors), vibrato ou non vibrato, archet « sul ponticello », ou jeu « col legno » - il joue de toute une palette entre le timbre plein et facile, le timbre rude et « arraché », et le timbre complètement blanc, mourant et décoloré (partie « senza colore », sans couleur, du Sixième Quatuor). L’émission du son traduit ainsi différents états de la force vitale, avec des alternances de dépression ou de fièvre. Il ne faut pas oublier que Bartók était par ailleurs un pianiste virtuose, avec un goût et un talent certain pour le brillant. Il aborde le quatuor comme si, par ce genre, il voulait révéler l’autre face de lui-même, en réaction intime contre sa propension au brillant facile. Ainsi, à la vigueur lumineuse et perlée du piano, s’oppose dans son oeuvre la rudesse terrienne des cordes, dans ses quatuors. Cependant, même dans ses quatuors les plus austères, il n’oublie jamais d’utiliser son sens dramaturgique de la forme, pour faire de ces oeuvres de véritables aventures de sentiments et de sensations, des drames prenants : pour ménager des surprises, des repos, des pirouettes ; pour faire cadeau à l’auditeur d’un moment facile et distrayant ou d’un ostinato revigorant, au milieu d’un passage aride. Si bien que ces oeuvres sont à la fois tendues et variées, denses, humaines et sévères : en un mot, de véritables microcosmes où le compositeur se donne tout entier, sans précaution et sans réserves. Le Premier Quatuor, composé en 1908, reprend donc, comme l’a souligné Pierre Citron, le flambeau beethovénien : le travail architectural mis en oeuvre dans cette pièce en trois mouvements, lento, allegretto, allegro vivace, tendu dans un mouvement d’accélération progressive du tempo, laisse peu de place à la séduction et au repos. Il débouche cependant, comme beaucoup d’oeuvres de Bartók, sur un épanouissement dans la danse populaire. Le Deuxième Quatuor (1916-17),

contemporain de la Suite pour piano, enrichit son écriture de procédés d’émission variés (pizzicati, glissandos) et adopte toujours la forme « en arche » chère à l’auteur de la Musique pour cordes, percussions et célesta : moderato, allegro molto capriccioso, lento, le dernier mouvement traduisant la fascination de Bartók pour le silence toujours prêt à engloutir la musique ; certains passages semblent conquis sur l’« à quoi bon » de l’instinct de mort. Le Troisième Quatuor, lui, composé dix années après, en 1927, obtint un prix de la Musical Fund Society de Philadelphie. Il poursuit le travail de forme des précédents quatuors, par l’adoption d’un parcours musical d’un seul tenant, avec ses quatre parties enchaînées, dont la dernière se présente comme « coda « : prima parte (moderato), seconda parte (allegro), ricapituladownloadModeText.vue.download 829 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 823 zione della prima parte (moderato), et coda (allegro molto, reprenant des éléments de la première partie). Ce fut le premier quatuor de Bartók à connaître une relative popularité ; sa rigueur étant tempérée par la brièveté et la netteté de sa forme. Il varie encore les procédés d’attaque de l’instrument. À partir de ce Troisième Quatuor, on peut dire que Bartók a « trouvé » son inspiration dans cette forme musicale, que celle-ci lui appartient ; et les trois quatuors suivants en tireront les conséquences : le Quatrième et le Cinquième étant les plus épanouis, les plus extravertis, cependant que le Sixième semble s’infléchir en pente douce vers la mort. Dédié au Quatuor Pro Arte de Bruxelles, le Quatrième Quatuor amplifie et systématise, dans une durée assez large et détendue, le principe de la forme en arche, organisée autour d’un noyau, moment de suspension des contraintes, qui est ici le troisième mouvement. On a successivement un allegro de forme sonate (d’une densité et d’une énergie incroyables ; on pense à quatre travailleurs robustes, associés dans une tâche commune et urgente), puis un prestissimo con sordino constituant le premier scherzo (c’est un mouvement perpétuel de « fileuse », vertigineux et irréel, de forme symétrique ABA’), puis

le non troppo lento (mouvement central, récitatif extatique avec des solos de violoncelle, de violon, d’alto, moment de félicité « cantabile », conquis de haute lutte, s’élevant du milieu de l’oeuvre comme depuis un endroit élevé, inentamable par le temps), après quoi vient un allegro pizzicato (deuxième mouvement perpétuel et second scherzo ; de forme ABA’, faisant écho au premier, dont il semble une version « solidifiée », avec ses pizzicati et reprenant de cet autre scherzo des éléments thématiques, qu’il renouvelle par un de ces procédés d’expansion diatonique dont nous avons déjà parlé), enfin un allegro molto, de forme ABA’, débutant comme une de ces danses de village extrêmement dynamiques et telluriques (avec un thème procédant du thème cyclique initial, toujours par élargissement des intervalles) avant de revenir à l’écriture plus tendue et aux intervalles plus resserrés du premier mouvement, dont la fin va se trouver presque textuellement reprise pour conclure le quatuor tout entier. On voit à quel degré Bartók a poussé ici la recherche de la symétrie. Ailleurs cette symétrie décrit souvent un cycle naissance-vie-mort ; tandis qu’ici le caractère général est dynamique et positif. C’est dans le sublime troisième mouvement que l’on trouve un des chants les plus ouverts et les plus aériens de Bartók. Une fois n’est pas coutume dans les quatuors, ce mouvement central est fait, avant tout, de solos accompagnés, où les solistes, soutenus par les accords du reste du quatuor, jouant comme « à bouche fermée », se livrent à l’extase du chant. Le violon est ici arraché à la pesanteur, à la terre, à son travail ingrat de labourage thématique, pour se laisser aller, sans arrière-pensée formelle, à l’effusion orale pure. Ce n’est pas pour rien qu’on a ici les sonorités les plus déliées du quatuor bartokien. On peut dire du Cinquième Quatuor qu’il fait fond sur l’optimisme et la dynamique expansionniste du précédent, puisqu’on y retrouve la même ampleur et la même structure symétrique en cinq mouvements. Cependant Bartók a inversé les oppositions de tempos, et au lieu du schéma modéré-vif-lent-vif-modéré, on a ici le schéma rapide-lent-vif-lent-rapide, qui donne plus d’importance à l’allure lente. Les cinq mouvements sont : allegro (attaquant de manière claironnante et dé-

cidée, mais aussi déjà entrecoupée, guettée par une destructuration possible), puis un adagio, sur un ton général de murmure (musique de bruissements, que l’on peut rapprocher de la « Musique de nuit » de la Suite en plein air, ou d’autres nocturnes bartokiens), un scherzo central alla bulgarese, avec trio (et qui, avec ses rythmes 4 + 2 + 3, et 3 + 2 + 2 + 3, représente cette part que Bartók accorde toujours, malgré tout, dans ses oeuvres les plus tendues, à la danse) ; puis un andante faisant écho à l’adagio (mais moins « objectif », plus dramatique, voire romantique, avec ses appels en tierce mineure ascendante) et enfin un final très survolté, avec des ruptures de ton tout à fait étonnantes, comme ce petit thème insignifiant en la majeur venant couper une frénésie chromatique. C’est dans cette sorte de caprice soudain que, comme chez Beethoven, on ressent une espèce de délire d’exaltation formelle, qui entraîne à des gestes de provocation, comme ce brutal collage d’un la majeur idiot et redondant dans une musique très tendue. Quant au Sixième Quatuor, le dernier, il a été composé en 1939, peu avant le départ de Bartók pour les États-Unis, et, dit-on, dans la mémoire de sa mère, qui venait de mourir. Cette musique désolée utilise un thème cyclique, tournoyant et désespéré, qu’il déploie peu à peu, dans un ralentissement constant du tempo. Le premier mouvement énonce le thème en question, chromatique et plaintif, pour introduire un mesto vivace ; le second mouvement est tiré mesto marcia ; le troisième est une burletta, un grotesque sans joie, et le quatrième et dernier, mesto tout court, « achève » l’oeuvre dans une atmosphère sans espoir, où le puzzle formel, achevant de s’assembler, débouche sur la mort et l’atonie. Ainsi, les six quatuors de Bartók forment un cycle complet où le travail d’écriture n’est jamais une brillante formalité, mais où l’homme s’expose tout entier. Après Bartók, on n’a plus trouvé de cycle équivalent. Certes, la musique d’avant-garde respecte toujours la forme prestigieuse et « sévère » du quatuor. Les trois Viennois eux-mêmes, dont l’oeuvre a eu une telle influence sur la jeune musique d’après la Seconde Guerre mondiale, avaient honoré cette forme : Arnold Schönberg compose, outre un quatuor de jeunesse (1897),

quatre quatuors officiellement enregistrés : un premier en ré mineur, op. 7, avec quatre mouvements cycliques, ne comportant aucune reprise (1904-1905) ; un deuxième quatuor en fa dièse mineur op. 10 (1907-1908), avec une voix soliste dans les deux dernières parties, chantant sur un poème de Stefan George ; un troisième quatuor op. 30, de langage dodécaphonique (1926), et enfin un quatrième quatuor op. 37, composé en 1936, bâti sur une série unique. Quant à Alban Berg, on lui doit le quatuor de 1910 (op. 3) et surtout la Suite lyrique (1925-26), en six mouvements, quatuor « autobiographique », plus encore qu’on ne l’avait imaginé, puisque les notes des motifs sur lesquelles il est construit sont des messages d’amour chiffrés. Enfin Anton von Webern dédia au quatuor à cordes ses Cinq Mouvements op. 5 (1909), ses Six Bagatelles op. 9 (1913), et son Quatuor à cordes op. 28 (1938), en trois mouvements. Parmi les quatuors à cordes contemporains, souvent mais pas toujours marqués par l’abstraction post-wébernienne, on peut citer des oeuvres comme ST-4 (1956-1962), de Yannis Xenakis, Sincronie (1962-1964), de Luciano Berio, les deux quatuors de Betsy Jolas, dont le second utilise une chanteuse soprano, pour des vocalises purement instrumentales, avec le pari d’intégrer la voix humaine dans cette famille jalouse et fermée du quatuor à cordes ; le Livre pour quatuor (1948), de Pierre Boulez, une de ses oeuvres les plus sévères qu’il reprit, transcrivit et recréa pour en faire un Livre pour cordes ; le quatuor d’Henri Dutilleux Ainsi la nuit (1976) ; l’Archipel II d’André Boucourechliev, écrit pour la formation du quatuor Parrenin (qui fut un des meilleurs défenseurs du quatuor moderne), oeuvre aléatoire aux limites du silence ; les quatuors « tachistes », pleins d’effets de sonorités, de Penderecki, mais aussi ceux de Lutoslawski, Durko, Elliott Carter, Scelsi, Ferneyhough, Dusapin, Kagel, et de très nombreux autres compositeurs. Ainsi le genre du quatuor à cordes reste-t-il un des plus stables dans l’histoire de la musique occidentale, avec sa formation canonique. Cependant, le répertoire moderne compte aussi des quatuors pour des formations uniques comme le Quatuor pour la fin du temps d’Olivier Messiaen. downloadModeText.vue.download 830 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 824 QUATUOR ALBAN BERG. Fondé en 1970, il est d’abord constitué par Günther Pichler (1er violon), Klaus Mätzl (2e violon), Hatto Beyerle (alto) et Valentin Erben (violoncelle). En 1978, Gerhard Schulz prend la place de Klaus Mätzl, en 1981, Thomas Kakuska celle de Hatto Beyerle. Le Quatuor Alban Berg est unanimement reconnu comme l’une des meilleures formations de son temps, en particulier pour ses interprétations du répertoire germanique, du XVIIIe siècle à l’école de Vienne. On a pu l’entendre aussi dans les quatuors de Bartók, ceux de Janáček, ainsi que dans plusieurs créations contemporaines (Quatuor no 1 de Berio en 1988, Quatuor no 1 de G. von Einem en 1976, Quatuor no 4 de Rihm en 1983, Quatuor no 4 de Schnittke en 1989, etc.). Son jeu extrêmement rigoureux se caractérise aussi par un savant dosage des plans sonores, dans les grandes architectures beethoviennes comme dans les oeuvres au langage plus aéré de Mozart ou de Haydn. Son enregistrement des Quatuors opus 59, dits Razumovsky, de Beethoven est considéré, à juste titre, comme tout à fait exceptionnel. QUATUOR AMADEUS. Fondé en 1947 par les violonistes Norbert Brainin et Siegmund Nissel, l’altiste Peter Schidlhof, tous trois viennois, et le violoncelliste anglais Martin Lovett, il s’impose très rapidement et donne des concerts dans le monde entier à partir des années 1950. Interprète privilégié des quatuors de Mozart, comme son nom l’indique, il joue et enregistre aussi l’intégrale des quatuors de Beethoven et, de façon plus générale, les quatuors classiques et romantiques. Chacun des quatre musiciens joue sur un instrument rare (trois stradivarius et un guarnerius). En 1987, la mort de Peter Schidlhof met fin à l’activité du quatuor, mais les trois autres interprètes continuent à se produire en formation restreinte en compagnie d’autres musiciens, dont le pianiste Georges Pludermacher. QUATUOR ARDITTI. Quatuor à cordes anglais constitué en 1974 et composé, depuis 1994, d’Irvine Arditti, Graeme Jennings, Garth Knox et Rohan de Saram.

Spécialisé dans la musique contemporaine, l’ensemble a largement contribué aux bouleversements actuels du genre, grâce, surtout, à sa disponibilité, à la technique remarquable de ses membres et à l’esprit de collaboration qui s’est installé entre les musiciens et les compositeurs interprétés. Son répertoire comprend plus de 800 oeuvres de Cage, Nono, Xenakis, Lachenmann, Kurtag, Kagel, Nancarrow, Radulescu, Harvey, Dusapin, etc. QUATUOR BUSCH. Fondé en 1913 par quatre musiciens de l’orchestre du Wiener Konzertverein, il prend d’abord le nom de cet orchestre. Dissous pendant la guerre de 1914-1918, il se reforme en 1919 et prend alors son nom définitif. Au début de la Seconde Guerre mondiale, Adolphe Busch et son frère Hermann, alors violoncelle du quatuor, émigrent aux États-Unis, suivis peu après par les deux autres musiciens. À nouveau dissous en 1945, le quatuor se reforme en 1946 avec les deux frères Busch, le violoniste Bruno Straumann et l’altiste Hugo Gottesmann, et sera définitivement dissous en 1952, à la mort d’Adolf Busch. Les années 1920-1930 sont les plus abouties de son activité, dans le répertoire allemand en particulier, en association assez fréquente avec le pianiste Rudolf Serkin. QUATUOR CALVET. Formé en 1919 par le violoniste Joseph Calvet, il prend un grand essor dans l’entre-deux-guerres, interprétant en particulier les oeuvres de Fauré, Debussy et Ravel. Mais les trois partenaires de Joseph Calvet meurent en 1940, et c’est avec le violoniste Jean Champeil, l’altiste Maurice Husson et le violoncelliste Manuel Recasens que ce quatuor reprend force et vie en 1944 et donne un premier concert triomphal en 1945. Il sera définitivement dissous à la mort de J. Calvet, en 1950. Il a créé avant la guerre le Quatuor de Jean Françaix (1937), les Quatuors no 3 et no 4 de Guy Ropartz (1925 et 1935) et, après guerre, le Quatuor de Florent Schmitt (1948) et le Quatuor no 2 d’Henri Sauguet (1949). QUATUOR CAPET. Formé par le violoniste Lucien Capet à sa sortie du Conservatoire de Paris en 1893, il connaît de nombreuses configurations,

avec toujours son fondateur au premier violon. De 1899 à 1903, la nomination de Lucien Capet comme professeur à Bordeaux interrompt son activité. La cinquième formation (1918-1928) est la plus célèbre : avec Maurice Hewitt, second violon, Henri Benoît, alto, et Camille Delobelle, violoncelle. Quelques enregistrements réalisés à Londres de 1923 à 1928 témoignent de cette période. Le Quatuor Capet doit sa notoriété principalement à ses interprétations des quatuors de Beethoven qu’il a fréquemment inscrits au programme de ses concerts. QUATUOR DE BUDAPEST. Fondé en 1917 par quatre musiciens de l’orchestre de l’Opéra de Budapest (les violonistes Emil Hauser et Alfred Indig, l’altiste István Ipolyi et le violoncelliste Hary Són), il conserve son appellation après l’arrivée dans les années 30 de musiciens russes. En 1938, il s’installe aux États-Unis : Washington de 1940 à 1962, puis Buffalo de 1962 à 1967, année de sa dissolution. Il est de ceux qui ont donné les meilleures interprétations des quatuors de Beethoven. Il a aussi créé des oeuvres de Hindemith, Milhaud et Tansman. QUATUOR GUARNERI. Fondé en 1964 à New York par le violoniste Arnold Steinhardt, avec John Dalley, second violon, Michael Tree, alto, et David Soyer, violoncelle, ce quatuor s’est d’abord produit à ses débuts en compagnie d’Arthur Rubinstein, avant de créer, en 1975, les concerts Guarneri and Friends à New York. Parallèlement à leurs activités de concertistes, ses membres ont aussi enseigné (Curtis Institute de Philadelphie, universités de Floride du Sud et de Maryland). QUATUOR HONGROIS. Quatuor à cordes en activité de 1935 à 1970. De 1910 à 1923, un premier Quatuor hongrois avait été fondé sous l’impulsion de Bartók et Kodály. En 1935, Sandor Vegh, Peter Szervanski, Dénes Koromzay et Vilmos Palotaï sont respectivement premier et second violon, alto et violoncelle. En 1936, ils donnent la première hongroise du Cinquième Quatuor de Bartók, puis émigrent en Hollande dès 1937. Ils créent aussi des oeuvres de Sandor Veress et

Karl-Amadeus Hartmann. En 1936, Zoltan Szekely prend définitivement la place de Sandor Vegh, qui devient second violon jusqu’en 1940, avant d’être remplacé par Alexandre Moskowsky entre 1940 et 1959, puis Michaël Kuttner de 1959 à 1970. Gabriel Magyar succède à Palotaï en 1956. En 1950, le quatuor s’installe en résidence à Los Angeles à l’Université de Californie du Sud. En 1953 et 1966, deux intégrales discographiques des quatuors de Beethoven couronnent leur carrière internationale. QUATUOR JOACHIM. Fondé en 1851 par le violoniste Joseph Joachim, il a connu des configurations très diverses. Il s’est produit à Weimar en 1851 et 1852, a été reformé avec de nouveaux partenaires en 1852 à Hanovre, où son activité cesse en 1866, à Londres (1859-1897) et à Berlin (1869-1907) - cette dernière formation étant la plus connue. Aux côtés de J. Joachim : Ernst Schiever, second violon (la première année), puis Heinrich De Ahna (1871-1892), Johann Kruse (1892-1897), Karol Halir (18971907) ; à l’alto, Heinrich de Ahna (186970), Eduard Rappoli (1871-1877), Emmanuel Wirth (1877-1906) et Karl Klinger (1906-07) ; au violoncelle, Wilhelm Müller (1869-1879) puis Robert Hausmann (1879-1907). Dans ses diverses configudownloadModeText.vue.download 831 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 825 rations ce quatuor s’est fait connaître en donnant plusieurs intégrales des quatuors de Beethoven. Il a aussi créé des quatuors de Brahms (no 2 et no 3), de Dvořák (no 10) et de Dohnanyi. QUATUOR JUILLIARD. Fondé à New York en 1946 par quatre professeurs de la Juilliard School (Robert Mann et Robert Koff, violons, Rafaël Hillyer, alto, et Arthur Winograd, violoncelle), il donne son premier concert devant Yehudi Menuhin et Zoltán Kodály. Il connaît très rapidement le succès, se produisant dans un répertoire qui mêle les oeuvres classiques et romantiques aux partitions de compositeurs américains contemporains. Au long d’une cinquan-

taine d’années, il s’est produit dans de très nombreux pays et a réalisé trois intégrales discographiques des quatuors de Beethoven. Sa configuration a varié depuis ses débuts : Isidor Cohen, Earl Carlyn et Joel Smirnoff ont succédé à R. Koff au second violon ; Samuel Rhodes à R. Hillyer à l’alto ; Claus Adam et Joël Krosnick à A. Winograd au violoncelle. QUATUOR KRONOS. Quatuor à cordes américain constitué en 1973. Composé depuis 1978 de David Harrington, John Sherba, Hank Dutt et Joan Jeanrenaud, il se consacre exclusivement à la musique du XXe siècle et s’est imposé par son jeu décontracté et intelligent, sa séduction et son éclectisme. Son répertoire juxtapose des oeuvres de Chostakovitch et de Jimmy Hendrix, de Morton Feldman et d’Astor Piazzola, de Terry Riley (création du magnifique Different Trains) et de Bill Evans, ainsi que des partitions dues à des compositeurs du Zimbabwe, de Gambie ou de l’Azerbaïdjan. QUATUOR ROSÉ. Fondé en 1882 par Arnold Rosé, il se produit à Vienne jusqu’en 1938, puis à Londres jusqu’en 1945, avec tout au long de son existence son fondateur au premier violon et, à ses côtés : Julius Eggard, puis Anton Loh, August Siebert, Siegmund Bachrirch et Paul Fischer au second violon ; Anton Loh, puis Siegmund Bachrirch, Hugo von Steiner, Anton Ruzitska et Max Handl à l’alto ; Eduard Rosé, puis Reimhold Hummer, Friedrich Buxbaum, Anton Walter et à nouveau Friedrich Buxbaum au violoncelle. Au long de six décennies d’activité, il a créé notamment le Quintette opus 111 de Brahms, la Nuit transfigurée, les Quatuors opus 7 et opus 10 et la Symphonie de chambre opus 9 de Schönberg, les Cinq Mouvements opus 5 de Webern et le Quatuor no 2 de Zemlinsky. QUATUOR VEGH. Fondé en Hongrie en 1940 par Sandor Vegh, avec Sandor Zöldy au second violon, Georges Janzer à l’alto et Paul Szabo au violoncelle, il se produit pendant quarante ans et il est en 1946 lauréat du Concours de Genève. La même année, Sandor Vegh s’installe à Paris, y entraînant son quatuor. En 1978, Philippe Naegel succède à S. Zöldy et B. Giuranna à

G. Janzer. Grand interprète de Mozart, Schubert et Brahms, le Quatuor Vegh a assuré la création de plusieurs quatuors contemporains. QUÉFFELEC (Anne), pianiste française (Paris 1948). Elle étudie d’abord à l’École normale de musique de Paris, puis au Conservatoire de Paris, où elle est l’élève de Lélia Gousseau. Elle y obtient un 1er Prix de piano en 1964 et, deux ans plus tard, un 1er Prix de musique de chambre (classe de Jean Hubeau). Elle se perfectionne ensuite auprès de Brendel, Demus et Badura-Skoda. 1er Prix du Concours de Munich en 1968 et de Leeds en 1969, elle se produit ensuite en récital et en formation de musique de chambre, en compagnie des violonistes Régis Pasquier, Pierre Amoyal, Patrice Fontanarosa, notamment. QUERELLE DES GLUCKISTES ET DES PICCINNISTES. Elle se déroula pour l’essentiel à Paris, entre 1776 et 1779, et opposa moins les compositeurs Gluck et Piccinni que leurs partisans respectifs, et ce pour des motifs où la musique ne fut pas seule en cause. En 1776, Gluck, qui avait déjà donné à Paris en 1774 Iphigénie en Aulide (sur un livret de Du Roullet) et la version française d’Alceste, travaillait à Vienne à Roland et à Armide. Il apprit alors que l’administration de l’Opéra avait proposé le premier de ces deux sujets à Piccinni, arrivé à Paris (venant de Naples) le 31 décembre 1776 : d’où une longue lettre de Gluck à Du Roullet, dans laquelle il déclara renoncer à Roland tout en vantant par avance son Armide. L’Armide de Gluck fut représentée à Paris le 23 septembre 1777, le Roland de Piccinni le 27 janvier 1778. L’un et l’autre travaillèrent ensuite à une Iphigénie en Tauride : celle de Gluck fut donnée à Paris le 18 mai 1779, celle de Piccinni en 1781 seulement, alors que Gluck avait pris sa retraite à Vienne. À la base de cette succession d’oeuvres, le fait que les trois premiers opéras français de Gluck avaient partagé Paris en deux clans, les adversaires de Gluck, avec, à leur tête, La Harpe, Marmontel et d’Alembert, lui reprochant à la fois son origine étrangère (sans voir qu’il poursuivait dans une certaine mesure la tradition

de Lully et de Rameau) et de s’être trop écarté de l’idéal italien. Piccinni, quand on fit appel à lui, se trouvait au sommet de sa gloire. Il ne se rendit d’ailleurs pas compte du rôle qu’on souhaitait lui faire jouer. L’entreprise, et c’est l’essentiel, se trouvait faussée au départ. Loin d’opposer à Gluck, en la personne de Piccinni, un représentant typique de l’ancien opéra italien, et donc d’essayer de prouver que l’opera seria n’avait pas été détrôné par les « réformes » de l’auteur d’Alceste, on le fit travailler, lui aussi, sur un livret français (Roland), dans une langue qu’il savait à peine. Le succès d’Armide dépassa nettement celui de Roland. Avec Iphigénie en Tauride, Gluck obtint son plus grand triomphe. Piccinni parvint à s’imposer, mais avec un de ses anciens opéras bouffes, La buona figliola (1760), et non avec sa propre Iphigénie en Tauride. La bataille entre l’opéra « dramatique » (Gluck) et l’opéra « musical » (Piccinni) ne fut donc pas livrée. Et c’est Mozart qui, sur ces entrefaites, sans proclamations ni manifestes, devait montrer comment la transcender. QUINAULT (Philippe), poète et librettiste français (Paris 1635 - id. 1688). Après avoir été le valet de Tristan L’Hermite et écrit sa première comédie, les Rivales, à l’âge de dix-huit ans, il entre en 1655 au service du duc de Guise. Introduit dans les salons des « précieuses », il compose d’élégantes strophes pour les airs de cour mis en musique par M. Lambert, M. Le Camus, B. de Bacilly, etc. Son association avec Lully, dont il devient le fidèle librettiste, commence en 1671 avec un divertissement de cour, Psyché, en collaboration avec Molière et Corneille. Entre 1673 (Cadmus et Hermione) et 1686 (Armide), excepté pendant trois années de disgrâce, Quinault fournit les livrets de douze tragédies lyriques pour l’Académie royale de musique et son surintendant Lully. Jamais ce dernier n’accepte un sujet de Quinault sans l’avoir montré d’abord au roi. La manière du poète de mêler à des sujets fondamentalement héroïques les douceurs de la pastorale nécessite la musique pour trouver sa pleine expression. De plus, il sait choisir les mots qui se chantent bien. Ses successeurs s’en souviennent et la réputation de Quinault sera durable : le livret d’Armide, par exemple, sera mis en

musique par Traetta (1767), Gluck (1777) et le compositeur tchèque Mysliveček (1779), sans parler de ceux qui ont servi de modèles à d’autres librettistes. QUINTA PARS ou QUINTA VOX. Nom donné au XVIe siècle à la 5e voix d’une polyphonie de plus de 4 voix. Cette voix, à l’emplacement variable (on la dénomme parfois vagans), ne possède pas de nom spécifique du fait qu’on la considérait comme surajoutée au cadre normal de la polyphonie à 4 voix (superius, altus, downloadModeText.vue.download 832 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 826 tenor, bassus). On possède effectivement plusieurs pièces dont il existe deux versions, l’une à 4 voix (qui se suffit comme telle), l’autre avec ajout ultérieur d’une quinta pars, parfois même composée par un autre musicien (par exemple, le Chant de l’alouette de Clément Janequin, avec une quinta pars ajoutée par Claude Le Jeune). Au-delà de 5 voix (sexta pars, septima pars, etc.), la définition reste la même. QUINTE. 1. Intervalle produit, dans la gamme diatonique, entre deux notes distantes de 5 degrés, départ et arrivée inclus. Employé absolument, le terme désigne la quinte « juste », c’est-à-dire répondant théoriquement à la définition acoustique du rapport 3/2 correspondant aux harmoniques nos 2 et 3, abstraction faite des très légères différences d’intonation introduites par les divers tempéraments. Selon les degrés où elle se présente ou les altérations dont elle est affectée, la quinte peut être juste ou déformée. La quinte déformée (on disait autrefois « fausse quinte ») peut être soit augmentée (4 tons entiers, par exemple fa-do dièse), soit diminuée (2 tons entre 2 demi-tons, par exemple si-fa). La quinte déformée est considérée comme créant une tension qui demande résolution. Ce qui a été dit de la quarte au sujet de son importance structurelle ( ! QUARTE) est également valable pour la quinte, et pour la même raison. 2. En harmonie, on donne le nom d’ac-

cord de « quinte à vide » à un accord parfait dont la tierce n’est pas exprimée. Le terme « accord de quinte » est en général évité à cause de son ambiguïté : il peut désigner en effet soit l’accord de quinte à vide, soit l’accord parfait intégral avec quinte et tierce. 3. En organologie, on donnait autrefois le nom de « quinte » à l’instrument à cordes de la famille des violes ou des violons qu’on désigne aujourd’hui sous le nom d’alto. 4. En facture d’orgue, on donne le nom de « jeu de quinte » à une famille de jeux de mutation faisant entendre soit la quinte de la fondamentale, soit (le plus souvent) l’une des octaves de cette quinte. Le plus courant des jeux de quinte est le « nasard » qui fait entendre la 12e (harmonique 3). 5. Dans l’ancien tempérament inégal, pour obtenir des tierces justes (5/4) et des quintes justes (4/3) sur les accords les plus employés, on sacrifiait ceux qu’on estimait d’un emploi moins fréquent. En principe on calculait les touches noires sous forme de 3 dièses (fa-do-sol) et 2 bémols (si-mi), de sorte qu’on jouait pour la bémol une note accordée en réalité comme sol dièse, ce qui rendait particulièrement faux les accords où se trouvaient mêlés un dièse et un bémol. Le maximum de discordance apparaissait entre les notes extrêmes de la chaîne, soit entre un la bémol qui était accordé comme sol dièse et un mi bémol qui était bien accordé comme mi bémol. Cette quinte la bémol/mi bémol portait le nom de « quinte du loup ». QUINTE ET SIXTE (accord de). On nomme ainsi, en harmonie, le 1er renversement de l’accord de 7e mineure du IIe degré, placé en conséquence sur le IVe degré (en do, fa-la-do-ré, renversement de ré-fa-la-do). Il portait autrefois le nom d’accord de grande sixte, et exigeait résolution sur la dominante (sur son analyse, ! SUBSTITUTION). QUINTETTE. Cette appellation s’applique en principe à toute pièce écrite pour 5 parties harmoniques réelles, soit vocales, soit instrumentales. À la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe en relèvent par exemple une des

trois messes de Byrd (à 5 voix), les madrigaux de Gesualdo et de Monteverdi, ainsi que beaucoup de pièces pour ensemble de violes. Les combinaisons de voix les plus utilisées sont alors 2 sopranos, alto, ténor et basse, ou encore soprano, alto, 2 ténors et basse, et sur le plan instrumental 1 dessus de viole, 3 violes intermédiaires et 1 basse de viole. Ultérieurement s’affirma surtout l’écriture à 4 voix, tant pour les choeurs que pour la musique de chambre pour cordes seules (avec le remplacement définitif de la famille des violes par celle des violons) : à partir de 1770-1780, la norme en ce dernier domaine devint le quatuor à cordes (qui, il est vrai, supplanta essentiellement le trio à cordes, et non le quintette). D’admirables quintettes à cordes n’en furent pas moins écrits à la fin du XVIIIe siècle, mais de façon plus ou moins marginale (ce qui n’implique aucun jugement de valeur) : quintettes à 2 violoncelles (un second violoncelle s’ajoutant au quatuor à cordes) de Boccherini, quintettes à 2 altos de Boccherini, Michael Haydn et surtout Mozart (6). Toujours comme quintettes à cordes, on trouve au XIXe siècle ceux à deux altos de Beethoven (1), Bruckner (1) et Brahms (2), ainsi que celui à 2 violoncelles de Schubert, tandis que les 34 quintettes d’Onslow et l’opus 77 de Dvořák ajoutent au quatuor à cordes une contrebasse. Parallèlement, écrivirent des quintettes avec piano (quatuor à cordes et piano) des maîtres tels que Schumann, Brahms, Dvořák, Franck, Fauré, Ernest Bloch, Chostakovitch. Celui de Schubert dit la Truite ajoute au piano un trio à cordes (violon, alto, violoncelle) et une contrebasse. À noter que, dans le quintette avec piano, le critère d’appellation n’est pas le nombre de parties harmoniques réelles, mais le nombre d’instruments. D’autres quintettes opposent au quatuor à cordes un instrument à vent, les plus connus et les plus remarquables étant ceux avec clarinette de Mozart, Weber, Brahms et Reger. Enfin, toujours dans le domaine instrumental, existent un certain nombre de quintettes à vent (Reicha, Onslow, Taffanel, Nielsen, Schönberg). En matière d’opéra, on appelle quintette toute scène ou tout épisode faisant appel à 5 chanteurs, cela sans tenir compte du rôle spécifique de l’orchestre : ont acquis une célébrité particulière les trois quintettes

de la Flûte enchantée de Mozart, celui des Maîtres chanteurs de Wagner, celui du Bal masqué de Verdi, et celui de Carmen de Bizet. QUINTOLET. Groupe de 5 notes dont la valeur totale est la même que le groupe normal de 4 notes ayant même graphie dans la division ordinaire : ainsi une noire qui se divise normalement en 4 doubles croches se divisera en 5 doubles croches de quintolet. Il en est de même pour la mesure composée, mais en ce cas le quintolet peut prendre la graphie soit de la valeur supérieure, soit de l’inférieure (ainsi, à 6/8, la croche pointée se divise normalement en 3 croches ou 6 doubles croches, mais si elle se divise en 5, le quintolet pourra s’écrire à volonté en croches ou en doubles croches). Le quintolet se note en inscrivant le chiffre 5 surmonté d’un crochet ou d’une courbe de liaison au-dessus du groupe concerné. QUODLIBET (lat. : « ce que vous voulez »). Locution désignant un morceau vocal ou instrumental dans lequel sont insérées ou enchaînées des citations de chansons plus ou moins populaires à titre d’amusement ou de moquerie (d’où le terme usuel de « quolibet »). La dernière pièce des Variations Goldberg de Bach est un quodlibet. Le genre a été surtout en vogue du XVe au XVIIIe siècle, mais il en subsiste des traces au XIXe (Carnaval de Schumann, morceau final). Le terme est surtout employé en Allemagne, mais possède ses équivalents ailleurs (fricassée en France, ensalada en Espagne). Il diffère du centon en ce que ce dernier, qui est généralement sérieux, vise à une nouvelle cohérence en reliant entre eux des fragments empruntés dont il cherche à faire oublier les origines, alors que lui les accuse, et aussi du pot-pourri en ce que, dans ce dernier, les emprunts sont juxtaposés plus ou moins sommairement, tandis que le quodlibet les insère dans un contexte qui conserve sa propre structure, soit accordée au caractère gai des citations, soit au contraire contrastant comiquement avec lui. downloadModeText.vue.download 833 sur 1085

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RAAFF (Anton), ténor allemand (Gelsdorf, près de Bonn, 1714 - Munich 1797). Il mena une carrière internationale, puis se fixa en Italie, où il créa les rôles-titres de Catone in Utica (Naples 1761) et Alessandro nell’Indie (Naples 1762) de Johann Christian Bach. Engagé en 1770 par l’Électeur palatin Carl Theodor à Mannheim, il y chanta dans deux autres opéras de ce compositeur, Temistocle (1772) et Lucio Silla (1775). En février 1778, à Mannheim, Mozart écrivit pour lui l’air de concert « Se al labbro mio non credi » K.295, et le 18 juin suivant, à Paris, au concert qui vit la création de la symphonie en ré majeur no 31 K.297 (Paris) de Mozart, Raaff chanta le célèbre « Non so d’onde viene » de Alessandro nell’Indie. Le 29 janvier 1781, il créa à Munich le rôle-titre de Idomeneo de Mozart, dont il avait peut-être obtenu la commande. Sa grande force était le cantabile. RABAUD (Henri), compositeur et chef d’orchestre français (Paris 1873 - Neuillysur-Seine 1949). Petit-fils du flûtiste Dorus et de la soprano Dorus-Gras, fils du violoncelliste Hippolyte Rabaud, il entra au Conservatoire de Paris en 1891 dans les classes de Taudon (harmonie), de Gédalge (contrepoint et fugue) et de Massenet (composition). Il obtint le prix de Rome en 1894 avec sa cantate Daphné. Revenu de la villa Médicis, il organise avec Max d’Ollone des concerts de musique française à Vienne et à Rome, et se fait connaître comme compositeur avec la Procession nocturne jouée aux Concerts Colonne en 1899. Après avoir manifesté de la réticence envers Franck et Wagner, il commence à s’intéresser à eux, et cette double influence est sensible dans son oratorio Job (1900) qui porte l’empreinte du mysticisme franckiste et de celui de Parsifal. Quatre ans plus tard, l’Opéra-Comique crée son premier ouvrage lyrique, la Fille de Roland (1904), tiré de la tragédie d’Henri de Bornier : l’oeuvre, d’une écriture souvent académique, n’obtient qu’un succès moyen. De 1908 chestre guerre, rouf le

à 1914, Rabaud est chef d’orà l’Opéra. En 1914, à la veille de la il connaît un triomphe avec Masavetier du Caire, son oeuvre maî-

tresse. De 1915 à 1917, il dirige les Matinées musicales de la Sorbonne, et en 1918 part pour les États-Unis comme chef d’orchestre du Boston Symphony Orchestra. Élu à l’Institut en 1919, il succède l’année suivante à Gabriel Fauré comme directeur du Conservatoire de Paris, poste qu’il conserve jusqu’en 1941. En 1924 et 1925, il signe respectivement les premières partitions originales écrites pour le cinéma muet : le Miracle des loups et le Joueur d’échecs, films de Raymond Bernard. 1938 le trouve en Amérique du Sud, où il dirige de nombreux concerts, et, de 1941 à 1946, il assure par intérim le poste de présidentchef d’orchestre des Concerts Pasdeloup, en attendant le retour d’Albert Wolff, alors retenu en Argentine. Rabaud a écrit de nombreuses musiques de scène, dont Antoine et Cléopâtre (1908), le Marchand de Venise (1917), adaptation de Népoty d’après Shakespeare, et Pour Martine, pièce de Jacques Bernard (1947). Son dernier ouvrage, le Jeu de l’amour et du hasard, un opéra-comique d’après Marivaux, resta inachevé et fut terminé par Max d’Ollone et Henri Busser. RAČEK (Jan), musicologue tchèque (Bucovioece, Moravie, 1905 - Brno 1979). Il dirigea les archives musicales du Musée régional de Moravie (1930-1948) ainsi que le département d’ethnographie et de folklore de l’Académie des sciences à Brno (1948-1970). Il s’intéressa particulièrement à Smetana et à Janáček ainsi qu’à la musique tchèque des XVIIe et XVIIIe siècles, et fut le principal éditeur de la série Musica antiqua bohemica. RACHMANINOV (Serge), pianiste et compositeur russe (Oneg 1873 - Los Angeles 1943). Manifestant de bonne heure des talents de pianiste, il entre à douze ans au conservatoire de Moscou dans les classes de Zverev (piano), Taneiev (contrepoint) et Arensky (composition). Il travaille également le piano avec son cousin A. Ziloti. En 1892, il obtient la médaille d’or du conservatoire pour son opéra Aleko. Il entame alors une brillante carrière de virtuose qui durera toute sa vie, et le fera reconnaître comme l’un des plus grands pianistes de son temps.

Son activité de compositeur, encouragée par Tchaïkovski, s’exprime dès 1892 dans des Pièces-fantaisies pour piano op. 3, une Fantaisie-tableau pour deux pianos op. 5 (1893), le poème symphonique le Rocher (1893), le Trio élégiaque (piano, violon, violoncelle ; 1892) à la mémoire de Tchaïkovski, ainsi que de nombreuses mélodies. Mais, en 1897, l’échec de sa 1re symphonie paralysera sa créativité pendant près de trois ans. La même année, cependant, il est engagé comme chef d’orchestre à l’opéra privé de Mamontov à Moscou. Il s’y lie d’amitié avec Chaliapine. Ayant suivi un traitement de psychothérapie auprès du docteur Niels Dahl, il compose en 1901 son 2e concerto pour piano, qui reste son oeuvre la plus populaire. La période 19011917 est la plus productive : Sonate pour piano et violoncelle (1901), Variations sur downloadModeText.vue.download 834 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 828 un thème de Chopin pour piano (1903), les opéras, le Chevalier avare écrit à l’intention de Chaliapine (1903-1905, créé le 24 janvier 1906), et Francesca da Rimini (1904-1905, créé le 24 janvier 1906), la 2e Symphonie (1907), le poème symphonique l’Île des morts (1909) d’après un tableau de Böcklin, le 3e Concerto pour piano (1909), et surtout des oeuvres pour piano seul dont les deux cahiers de Préludes op. 23 et 32 (1901-1903 et 1910), les Études-tableaux op. 33 et 39 (1911 et 1916-17) et deux Sonates (1907 et 1913, rév. 1931). Intéressé d’autre part par le renouveau qui s’élabore depuis la fin du XIXe siècle dans la musique religieuse, il compose pour solistes et choeur a cappella les deux cycles monumentaux de la Liturgie de saint Jean Chrysostome (1910) et des Vêpres (1915). En décembre 1917, profitant d’une tournée en Suède, il émigre. Il vit ensuite aux États-Unis jusqu’en 1928, puis en France et en Suisse, avant de retourner définitivement aux États-Unis en 1935. Il ne s’adaptera jamais véritablement au mode de vie occidental et souffrira de la

nostalgie jusqu’à la fin de ses jours. Son activité de concertiste lui assure pourtant la renommée et la fortune. Mais, au cours de ses vingt dernières années, ses oeuvres s’espacent. Si le 4e concerto pour piano (1926, rév. 1941) porte l’empreinte de la musique américaine et apparaît moins personnalisé que les autres, c’est un Rachmaninov d’une incontestable originalité qu’on découvre dans la Rhapsodie sur un thème de Paganini pour piano et orchestre (1934), et dans les Variations sur un thème de Corelli (1931), qui sont un des sommets de ce genre dans la littérature pianistique. Sa 3e Symphonie (1936, rév., 1938) est traversée d’un souffle épique. Son testament musical est constitué par les Danses symphoniques (1940). Contemporain de Scriabine, de Ravel et de Bartók, Rachmaninov, immuablement attaché au système tonal, est sans conteste le dernier compositeur romantique, dans la lignée de Chopin, de Liszt et de Tchaïkovski, ses trois principaux modèles. Si cela explique le peu d’estime que lui portent les musicologues, sa faveur auprès des mélomanes et des interprètes n’en a jamais souffert. Il serait inexact de voir en Rachmaninov un compositeur exclusivement imitatif. Son style pianistique en particulier et son invention mélodique possèdent un cachet indiscutablement personnel. Son lyrisme tourmenté, tumultueux, douloureux n’est pas une prise de position délibérée par rapport à un courant esthétique, mais le reflet direct de sa personnalité nerveuse, angoissée et introvertie. La totalité de son oeuvre pianistique a survécu, même si le succès démesuré du 2e Concerto ou du Prélude en ut dièse mineur a pu nuire à d’autres compositions non moins intéressantes. Parmi ses nombreuses mélodies, certaines font partie du répertoire courant des chanteurs (les Eaux printanières, le Lilas, Chanson géorgienne, Le Christ est ressuscité, Vocalise). Ses opéras connaissent relativement peu les faveurs de la scène, en dépit de pages d’une incontestable puissance dans le Chevalier avare et dans Francesca da Rimini. De son oeuvre symphonique, l’Île des morts est un chef-d’oeuvre trop peu connu, dans lequel Rachmaninov se montre authentiquement symboliste. Le thème du Dies irae médiéval qui s’y profile a également trouvé place dans la

Rhapsodie sur un thème de Paganini et dans les Danses symphoniques, ces diverses citations reflétant la crainte latente et constante de la mort. Le même pessimisme se retrouve dans la cantate les Cloches (1913) sur un poème de Balmont. Rachmaninov a laissé un grand nombre d’enregistrements de ses oeuvres et de celles d’autres auteurs, qui révèlent une interprétation fortement personnalisée, bien que contestable dans certains cas (la Marche funèbre de Chopin). Les oeuvres pour piano et violon jouées avec Kreisler constituent des documents inoubliables. RACINE (Jean), poète dramatique français (La Ferté-Milon 1639-Paris 1699). C’est seulement vers la fin de sa carrière, et en liaison avec son retour à la religion, qu’il s’est rapproché de la musique. Jusque-là, diverses tentatives d’écrire des livrets d’opéras étaient restées sans suite marquante : vers 1674, à la suite d’une brouille entre Lully et Quinault, son librettiste attitré, Madame de Montespan aurait demandé à Racine d’écrire pour le maître italien. Avec l’aide de Boileau, il aurait ainsi esquissé une Chute de Phaéton. La réconciliation de Quinault avec Lully vint enterrer le projet. En 1677, il aurait travaillé de nouveau avec Boileau sur un sujet proposé par Louis XIV. Les mêmes, en 1683, écrivent pour une fête un petit opéra, dont apparemment on n’a pas de traces. En 1685, Racine rédige pour Lully le livret, celui-là conservé, mais assez anodin, d’une cantate, l’Idylle de la paix, destinée à une cérémonie offerte à Louis XIV, dans le château de Sceaux, et qui chante les louanges de ce roi guerrier, présenté comme un pacificateur. L’Iphigénie de Racine avait été jouée en 1680 à SaintGermain avec des interludes musicaux, mais son premier contact important avec la musique se produit quand il écrit, en 1688-89, Esther, un drame biblique pour les demoiselles de Saint-Cyr, qui le créent en janvier 1689. Il conçoit alors cette pièce sur le modèle de la tragédie grecque, réalisant un ancien projet, qui était « de lier (...) le choeur et le chant avec l’action, et d’employer à chanter les louanges du vrai Dieu cette partie du choeur que les Anciens employaient à chanter les louanges de leurs fausses divinités ». Esther comporte donc des airs et des choeurs de jeunes filles israélites, écrits pour ensemble vocal et voix

solistes, et mis en musique par Jean-Baptiste Moreau, maître de musique du roi. Ce fut le même compositeur qui devait faire la musique de la seconde pièce biblique de Racine, Athalie, écrite en 1691 pour la même destination que la première, à la demande de Madame de Maintenon. Dans la préface d’Athalie, l’auteur réaffirme son intention d’« imiter des Anciens (Grecs) cette continuité d’action qui fait que le théâtre ne demeure jamais vide », en se servant de la musique et des choeurs pour lier l’action. La pièce comporte notamment une scène de prophétie où le grand prêtre Joas, introduit par une « symphonie » de l’orchestre, prédit la ruine du Temple de Jérusalem et la venue du Sauveur. Cette scène, disait Racine, justifiait l’intervention d’interludes symphoniques par « la coutume qu’avaient plusieurs prophètes d’entrer dans leurs saints transports au son des instruments », et l’on y voit Joas lui-même inviter les instruments à jouer (« Lévites, de vos sons prêtez-moi les accords »). En 1694, retiré de la carrière dramatique, Racine écrivit encore quatre très beaux Cantiques spirituels que JeanBaptiste Moreau mettait en musique la même année (À la louange de la Charité, Sur le bonheur des justes et le malheur des réprouvés, Plaintes d’un chrétien, Sur les vaines occupations des gens du siècle). Louis Marchand, Michel Richard de La Lande, Pascal Collasse, et d’autres devaient après Moreau s’attaquer à ces textes très propices à la musique. Le Cantique de Jean Racine, de Gabriel Fauré, oeuvre de ses débuts, utilise non pas un de ces cantiques, mais un des Hymnes traduits du bréviaire romain, écrits sans doute par Racine dans sa jeunesse à Port-Royal. Le génie de Racine est tellement lié à sa langue, plutôt qu’à son « dramatisme », qu’on connaît peu d’opéras marquants qui ont été inspirés par ses tragédies (sauf injustice de la postérité). On citera l’Andromaque de Sacchini (1761), et celle de Paisiello (1797), l’Athalie de Gossec (1791), et celle de Boieldieu (1810) [ainsi que la musique de scène de Mendelssohn pour cette pièce, 1843], une Bérénice de Piccinni (1765), un Britannicus de Graun (1751), une Esther de Haendel (1720) et une adaptation de Darius Milhaud (Esther de Carpentras, 1937), des Mithridate de Porpora (1730), Graun (1750), Mozart (1770). On peut citer aussi, dans

l’époque contemporaine, le ballet Phèdre de Georges Auric (1950), sur un argument de Jean Cocteau d’après Racine, et la musique de scène de Pierre Schaeffer, downloadModeText.vue.download 835 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 829 musique « concrète » composée en 1960 pour la tragédienne Marie Bell. RACZ (Aladar), virtuose du cymbalum et compositeur hongrois (Jaszapati 1886 Budapest 1958). Dès 1894, il joua dans des orchestres tziganes, en particulier dans celui de Laci Racz (simple homonyme), qui le décida à entreprendre une carrière de virtuose du cymbalum. Il se rendit à Paris et Genève, où il rencontra Stravinski (Ragtime) et Ansermet, et fit du cymbalum un instrument soliste dont il modifia complètement la technique. Il transcrivit pour lui de nombreuses pièces pour clavecin, écrivit lui-même des fantaisies ainsi que des danses ou rhapsodies hongroises, roumaines ou serbes, et forma toute l’école hongroise actuelle aux sortilèges du cymbalum. RADOM (Nicolas de ou RADOMSKI, claveciniste polonais (première moitié du XVe s.). Il entra au service de la reine Sophie vers 1422 et est aujourd’hui considéré comme l’un des tout premiers polyphonistes polonais particulièrement représentatif de l’Ars Nova. Neuf de ses oeuvres ont pu être conservées, dont un Magnificat, un hymne à la ville de Varsovie, Et in terra, composition à 3 voix, et Hystorigraphi aciem mentis, d’une qualité d’écriture comparable aux plus grandes oeuvres des centres musicaux européens les plus réputés. RADULESCU (Horatiu), compositeur français d’origine roumaine (Bucarest 1942). Il fait ses études de composition à Bucarest (1er Prix nommé à l’Académie en 1969), puis suit les cours de Darmstadt et travaille notamment avec Stock hausen, Ligeti, Xenakis et Kagel. Dans sa pensée théorique comme dans sa mu-

sique, il remet radicalement en question le matériau et la forme, abolissant la notion d’échelle et de division égale et tempérée du continuum sonore. Le concept le plus général de sa démarche part du fait que l’art musical doit être tout autre chose que la réalité, c’est-à-dire qu’il doit créer un état plutôt qu’une action. Son système de pensée aborde plusieurs chapitres qui doivent être regardés comme des systèmes interdépendants : l’espace infini du son, de toute information auditive, se déployant entre les « points cardinaux » suivants : N (noise : bruit, qui représente l’apériodicité et le caractère nébuleux du spectre), S (sound : son, spectre « serein », cristallisation des composantes fréquentielles dans une géologie exponentielle, périodicité, composition du timbre, matière du son). Si les deux pôles Noise et Sound caractérisent la qualité de la matière sonore, deux autres pôles caractérisent la quantité de passage dans le temps qui, hors du temps, est aussi une qualité de densité : W (width : largeur, agglomération, grande densité spectrale) et à l’opposé E (élément, filtré jusqu’au faisceau sonore). Les sources globales du son qui sont, selon Radulescu, historiquement au nombre de cinq : L (langage articulé), I/O (instrument/objet sonore), H (source humaine abstraite, par exemple voix et sifflements simultanés), N (phénomènes acoustiques purement naturels) et E (sons électroniques, computers, etc.) : il s’agit pour le compositeur d’analyser les situations (les « points cardinaux » de l’espace infini du son) comme les sources globales du son, qu’elles soient intérieures à nous (L et H), tangentes à nous (I/O et E) ou extérieures à nous (N) de telle manière que la cause et l’effet du résultat sonore soient sans cesse cachées. Si l’on réussit à les rendre effectivement non décelables, on arrive à créer un monde non-manufacturé, à dépasser l’état artisanal de l’art ainsi qu’à cerner les notions de plasma sonore et d’analyse spectrale infinitésimale. « Savoir voyager dans un tel espace de son veut dire dépasser une vitesse terrestre, celle des quatre écritures historiques de la musique (monodie, polyphonie, homophonie, hétérophonie) qui étaient ancrées dans l’action sonore et le geste acoustique, pour créer un état sonore sur l’émanation de ces écritures, état qui ne pourra plus se réduire à une ana-

lyse quelconque de l’une de ces quatre écritures du passé. C’est pour cela que le rythme, aussi bien micro que macroformel, ainsi que l’intense vie de la dynamique (intensité) deviennent le résultat de véritables pulsations spectrales... À la base de beaucoup de mes oeuvres, les sons fondamentaux utilisés sont très souvent déduits eux-mêmes des composantes fréquentielles d’un spectre unique, c’est-à-dire des harmoniques naturelles, cellules du timbre qui sont émancipées elles-mêmes des organismes-sons, ce qui assure une grande soudure et une grande unicité à l’« être-musique ». La vie de la dynamique et du timbre de chacun des sons ainsi choisis est tellement intense qu’elle crée d’elle-même une pulsation spectrale originale. On déclenche et on dirige des micro-phénomènes sonores qui composent comme des vecteurs le macroorganisme de la partition entière » (H. Radulescu). Radulescu a composé à ce jour 43 oeuvres dont les plus révélatrices sont sans doute Cradle to Abysses opus 5 pour piano (1967-68), Vies pour les cieux interrompus opus 6 pour quatuor à cordes, deux « écho-pianos » et six bandes magnétiques (1966-1971), Taaroa opus 7 pour orchestre (1968-69), Credo opus 10 pour neuf violoncelles solistes (1969-1976), Everlasting longings opus 13a pour vingtquatre cordes (1971), Capricorn’s Nostalgic Crickets opus 16 pour sept bois (sept flûtes ou sept hautbois ou sept clarinettes, etc.) [1973], Wild Incantesimo opus 17b pour neuf orchestres (1969-1978), Lamento di Gesu pour grand orchestre opus 23 (1973-1975), A doïni opus 24a pour dix-sept musiciens jouant d’« icônes de sons » (pianos verticaux) [1974], Doruind opus 27 pour 48 voix solistes a cappella (14 sopranos, 10 altos, 10 ténors, 14 basses) [1976], Ecou Atins opus 39 pour flûte (aussi flûte-basse), cor, violoncelle, voix de soprano et cordes de piano (1979), The outer time opus 42 pour vingt-trois flûtes solistes (1979-1980), Iubiri opus 43 pour seize musiciens (deux flûtes piccolos, aussi flûte-basse et flûte-contrebasse, deux clarinettes piccolos, aussi clarinette-basse et clarinette en si bémol, deux contrebassons, aussi bassons, 1 cor, 1 trompette, 1 trombone, 2 percussions, 2 violons, alto, violoncelle, contrebasse) et bandes magnétiques (1980-81), Incandescent serene Opus 35 pour flûte contrebasse, cor, alto,

contrebasse et bande (1978-1982), Awakening opus 52 pour 4 solistes, ensemble et sons préenregistrés (1983), Das Ardere pour alto solo (1984) et Christe eleison pour orgue (1986). RAFF (Joachim), compositeur suisse (Lachen, canton de Zurich, 1822 - Francfort 1882). Protégé par Mendelssohn et par Liszt, il s’établit en 1850 à Weimar pour être à proximité de ce dernier : jusqu’en 1856, il y fut son assistant. Il se fixa ensuite à Wiesbaden, et en 1877 prit la direction de l’École supérieure de musique de Francfort. Il composa des opéras, parmi lesquels König Alfred (Weimar 1851) et Dame Kobold (Weimar 1870), de la musique de chambre et, surtout, onze symphonies (dont la dernière inachevée), pour la plupart à programme et dont la plus célèbre est la Cinquième, dite Lenore (d’après la ballade de Bürger, 1872). La Huitième et les trois suivantes (1876) illustrent les Quatre Saisons. RAGTIME (de l’angl. ragged, « heurté », « haché », « désordonné »). Style de piano en vogue entre 1896 et 1917, qui naquit dans le Missouri et fut, avec le blues, un des éléments constitutifs du jazz. Musique écrite et publiée, jouée à l’origine en tempo modéré, le ragtime, qui, à la différence du blues, se veut gai et enjoué, se compose généralement de quatre parties ou « strains » (airs) de seize mesures avec reprise disposées selon le schéma AABBACCDD, avec modulation et parfois interlude de deux ou quatre mesures entre chaque partie. Cette coupe typiquement occidentale est inspirée de la polka downloadModeText.vue.download 836 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 830 et du quadrille, mais plus encore, certainement, de certaines marches militaires jouées par les fanfares alors très répandues aux États-Unis, et qui finirent par inscrire elles-mêmes des cakewalks et des ragtimes à leur répertoire. Rythmiquement, on fait dériver le rag-

time d’une danse de plantation appelée « cakewalk » (le pas du gâteau) : sur un rythme à 2/4 fortement marqué par la main gauche (influence de la marche), la main droite joue une mélodie très syncopée basée sur une succession théorique de huit doubles croches accentuées selon un décalage ternaire. Cette façon de diviser la mesure selon une constante qui relève plus de la métrique que de l’accentuation proprement dite trahit, selon Borneman, « une origine et une approche in contestablement africaines ». Ainsi, le plus européen des matériaux du jazz renvoie quand même, au-delà de l’harmonie occidentale, aux sources africaines. Forme fixe à l’origine, le ragtime (on dit également : rag) évoluera rapidement, ne gardera plus que deux parties (dont, généralement, la troisième de la forme originale), se jouera en tempo plus rapide, intégrera les blue notes qui lui étaient étrangères à ses débuts et laissera une large place à l’improvisation. Ainsi se fera le passage au jazz et au style de piano stride illustré par l’école de New York avec James P. Johnson, Fats Waller, etc. RAIMBAUT DE VAQUEIRAS, troubadour provençal (Vaqueiras, Vaucluse, 1150 - Salonique 1210). Il fut au service des princes d’Orange, des Baux et surtout de Boniface de Montferrat qu’il accompagna à la guerre de Sicile (1194) et à la croisade de 1202. Il s’éprit de Béatrice de Montferrat, soeur de Boniface, qui fut l’objet de plusieurs de ses chants, en particulier le Calenda maia, qui devint une célèbre danse de jongleurs. On lui doit une vingtaine de chansons d’amour, plus spirituelles que passionnées, et des sirventes étincelants de verve guerrière relatifs à la croisade de 1202. Il composa également des albas, des coblas, des descorts et des tensos, toutes pièces provençales, dont une trentaine ont été conservées. Il chanta enfin les fêtes qui saluèrent la nomination de son protecteur à la couronne du royaume de Salonique. RAIMON DE MIRAVAL, troubadour de la région de Carcassonne (actif v.1180 1215). Son nom apparaît dans des documents

allant de 1157 à 1213, mais ceux-ci ont probablement trait à plusieurs personnes différentes. Protégé par le comte Raimond VI de Toulouse, il perdit ses biens lors de la croisade des albigeois et mourut peutêtre au monastère de Lerida, en Espagne. Lui sont attribuées 47 pièces, dont 22 avec notation musicale. RAIMONDI (Ruggero), baryton-basse italien (Bologne 1941). Après des études à l’Académie Sainte-Cécile de Rome, il débute en 1964 dans la Bohème. La même année, il chante Figaro et Méphisto à La Fenice. Puis il débute à la Scala dans Turandot, en 1969 à Glyndebourne dans Don Giovanni, et en 1970 au Metropolitan avec Ernani. En 1979, il incarne magistralement Don Giovanni dans le film de Losey et, en 1983, aborde Boris Godounov à la Scala et à l’Opéra de Paris. Interprète exigeant, toujours prêt à se remettre en cause, il a acquis un sens dramatique et une expressivité vocale hors du commun. Il excelle dans les rôles inquiétants ou hautains comme ceux de don Juan, Basile, Scarpia, et sait aussi traduire la vulnérabilité pathologique de Boris Godounov, Arkel ou don Carlos. Au cinéma, il incarne Escamillo dans Carmen de Rosi en 1984, le rôle-titre de Boris Godounov tourné par Zulawski, et Scarpia dans une Tosca télévisée depuis les lieux mêmes où se situe l’action. Il choisit l’Opéra de Nancy pour s’essayer à la mise en scène, avec Don Giovanni en 1986 et le Barbier de Séville en 1992. RAISON (André), compositeur et organiste français ( ? v. 1640 - Paris 1719). En 1666, il fut nommé titulaire de l’orgue de l’abbaye de Sainte-Genevièvedu-Mont, où il avait fait ses études. Il conserva ce poste jusqu’en 1716, tout en étant organiste des jacobins de la rue Saint-Jacques à partir de 1687. Ses oeuvres consistent en deux livres d’orgue, comme en publiaient alors les maîtres organistes. Son Premier Livre d’orgue (1688) se compose de Cinq Messes suffisantes pour tous les tons de l’Église, suivies d’une Offerte du Ve Ton, « le Vive le Roy des Parisiens à son entrée à l’hostel de Ville le 30e janvier 1687 », à laquelle J.-S. Bach emprunta un fragment du thème de sa Passacaille en « ut » mineur. Dans sa préface, l’auteur

indique que ses messes « peuvent aussi servir en Magnificat pour ceux qui n’ont pas besoin de Messe « ; il précise en outre que chaque morceau présente un rapport avec une danse donnée, et qu’il faut les jouer « avec le même air qu’au clavecin », mais plus lentement, « à cause de la sainteté du lieu ». Brillant exécutant et improvisateur, il ne fait pas appel au plain-chant pour les différentes parties de ses messes, mais révèle un sens aigu de la couleur et de la registration, qu’il prend soin d’expliquer en préface. Son 2e Livre d’orgue (1714), moins important, contient des pièces diverses « sur les acclamations de la paix tant désirée » (paix d’Utrecht ou de Rastatt), et des noëls variés ; il est précédé d’un avis donnant des conseils sur la registration à l’orgue. Raison eut pour élève Clérambault, qui lui dédia son propre Livre d’orgue en 1710. RAITIO (Väinö), compositeur finlandais (Sortavala 1891 - Helsinki 1945). Il a tiré le meilleur parti de ses études à Moscou (1916-17), Berlin (1921) et Paris (1925-26), et on peut le considérer, à côté de A. Merikanto, comme le représentant dans son pays du mouvement radical des années 20, qui les situe à la charnière des tendances qui existent au même moment en France, en Russie et en Allemagne. Visionnaire de tempérament, Raitio est un impressionniste introverti qui excelle dans les tableaux symphoniques (Joutsenet, « les Cygnes », 1919 ; Kuutamo Jupiterissa, « Clair de lune sur Jupiter », 1922), oeuvres d’une grande richesse, rattachées à l’esthétique impressionniste nordique, tout comme Puistokuja (« l’Avenue », 1926) pour soprano et orchestre. Son orchestration est particulièrement remarquable dans une tradition qui allie Scriabine, R. Strauss et Debussy. Dans les années 30, il se consacre à la scène et écrit des ballets et des opéras qui, à l’inverse de son oeuvre orchestrale, n’ont pas franchi les frontières de son pays. RAMEAU (Jean-Philippe), compositeur français (Dijon 1683 - Paris 1764). Il est fils de Jean Rameau, organiste à Saint-Bénigne, à Notre-Dame et à SaintÉtienne de Dijon. Après des études générales médiocres, il quitte Dijon à dix-huit

ans pour l’Italie, où il ne reste que quelques mois, sans dépasser Milan : il le regrettera plus tard. La première partie de sa carrière est décousue et on a peine à le suivre à la trace : organiste à Notre-Dame-des-Doms d’Avignon (1702), puis de la cathédrale de Clermont (1702) pour six ans ; mais dès 1706, il est à Paris, organiste des jésuites de la rue Saint-Jacques et des pères de la Merci, et y publie son Premier Livre de pièces de clavecin (1706). Il succède à son père à Dijon (1709), se retrouve organiste des jacobins à Lyon (1713). Il semble avoir séjourné à Montpellier, avant qu’on ne le retrouve à Clermont, poste qu’il quitte à nouveau avant le terme pour se fixer à Paris (1723), où il restera jusqu’à sa mort : il y a été précédé par la publication de son Traité de l’harmonie réduite à ses principes naturels (1722) qui a fait sensation. Organiste des jésuites et de SainteCroix-de-la-Bretonnerie, il publie un Deuxième Livre de pièces de clavecin (1724), se marie (à quarante-deux ans) avec une jeune fille de dix-neuf ans, Marie-Louise Mangot (1726), écrit un second ouvrage, le Nouveau Système de musique théorique, et travaille pour le théâtre de la foire Saint-Germain. Le fermier général La Pouplinière le prend sous sa protection downloadModeText.vue.download 837 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 831 et lui fait pénétrer le milieu intellectuel et artistique de son temps. Il tente en vain d’obtenir un livret d’opéra de Houdar de la Motte ; Voltaire écrit pour lui le livret de Samson, dont il commence la composition : mais la pièce est interdite. Enfin, l’abbé Pellegrin lui propose Hippolyte et Aricie qui est représenté à l’Académie royale en 1733 : Rameau a cinquante ans. Cette oeuvre fait scandale par sa trop grande richesse musicale et la remise en cause de l’orthodoxie lulliste. Désormais, la vie de Rameau se confond pratiquement avec celle de ses opéras. De 1733 à 1749, paraissent les six grands chefs-d’oeuvre que sont les Indes galantes (1735), Castor et Pollux (1737), Dardanus et les Fêtes d’Hébé (1739), Platée (1745), Zoroastre (1749). Entretemps, il publie, en 1728, un troisième volume de Pièces de clavecin et, en 1741,

les Pièces de clavecin en concert. Depuis 1745, il est compositeur de la Chambre du roi, universellement admiré et comblé d’honneurs. C’est alors qu’éclate la Querelle des bouffons, à l’occasion des représentations de La Serva padrona de Pergolèse (1752), au cours de laquelle les « philosophes » vont mener une attaque en règle contre la tradition française de l’opéra. Autour de Diderot, Grimm et Rousseau, qui a rédigé les articles musicaux de l’Encyclopédie, se constitue l’opposition à Rameau, d’où un échange de libelles, au premier rang desquels on trouve la Lettre sur la musique française de Rousseau (1754) et les Erreurs sur la musique dans l’Encyclopédie de Rameau (1755). Rameau compose régulièrement durant ses dernières années, et ses dernières oeuvres, les Paladins (1760) et les Boréades (en répétition à sa mort et jamais représenté) ne sont pas les moins puissantes. Il meurt plus qu’octogénaire en 1764. Il était immense et maigre, solitaire et taciturne ; ses contemporains l’ont exagérément dépeint comme sec, avare et rude. Il était plus sensible qu’ils ne l’ont dit, et ses collègues musiciens, dans la mesure où ils étaient compétents, n’ont jamais eu à se plaindre de lui. LA MUSIQUE SACRÉE. Des nombreuses années durant lesquelles Rameau fut organiste et maître de chapelle, il ne reste que 4 motets, un cinquième douteux, et une petite oeuvre à une voix qui peut lui être attribuée. Le Deus noster refugium (Lyon, av. 1716) est ample mais froid. In convertendo et Quam dilecta (Lyon, v. 1718-1720) sont, en revanche, des oeuvres remarquables. Rameau reprend la tradition française du motet à grand choeur et petit choeur avec symphonie, mais déploie une science déjà consommée et, en particulier dans le dernier, une inspiration soutenue. Laboravi est une oeuvre à cinq voix sans orchestre ni solistes, d’un seul tenant (Clermont, av. 1722). LES CANTATES PROFANES. Composées entre 1720 et 1730, elles sont la préparation directe de Rameau à l’art dramatique. Elles ressortissent au genre de

la cantate française, qui fleurit durant les trente premières années du XVIIIe siècle : opéra en miniature, généralement à une voix, avec une basse continue et parfois un ou deux instruments. Rameau a dû en composer plus que les six qui nous restent. On peut dater les Amants trahis, Orphée, l’Impatience d’avant 1722 ; Thétis, Aquilon et Orithie d’avant 1727 ; le Berger fidèle a été chanté en 1728. Composées d’une succession de récitatifs et d’airs, elles témoignent d’une parfaite maîtrise, mais d’un art encore impersonnel, fortement marqué par l’influence italienne : mais quelques pages sont remarquables. Rameau a inséré des fragments de ses cantates dans ses oeuvres ultérieures. L’OEUVRE POUR CLAVECIN. Elle se répartit en trois livres auxquels s’ajoutent les Pièces de clavecin en concert (1706, 1724, 1728, 1741). L’évolution est assez claire. Dans le Premier Livre, un art assez traditionnel consistant en une suite précédée d’un prélude non mesuré : l’influence de Louis Marchand est assez évidente, malgré une écriture personnelle, austère et dense. Le Deuxième Livre, dixhuit ans plus tard, marque une évolution très nette : la forme de la suite s’efface, et on a dix-huit pièces librement réunies en deux groupes. Les danses y alternent avec des pièces libres, descriptives, évocatrices ou pittoresques. D’écriture et de sensibilité plus légères, elles évoquent, avec une fermeté plus grande, Couperin. Dans le Troisième Livre, le langage s’élargit et s’intensifie, prend une totale possession du clavier (d’où une virtuosité accrue) et une ampleur de pensée admirables. Dans le quatrième recueil, le clavecin seul sera insuffisant, et Rameau le flanquera de deux instruments. D’une manière générale, Rameau traite le clavier en symphoniste, et bon nombre de pièces figureront dans ses opéras en version orchestrale. L’OEUVRE LYRIQUE. C’est l’essentiel de l’oeuvre de Rameau, avec 29 oeuvres, soit 80 actes au total, étalés sur trente ans. C’est là que le compositeur donne sa pleine mesure, de mélodiste, de symphoniste, d’orchestrateur. Par sa structure d’ensemble, l’opéra de Rameau n’est pas novateur : il se situe dans la lignée lulliste, développée par Campra, et il continue, en les assouplissant et en les affirmant à la fois, les principes de l’opéra à

la française, qu’il transfigure de l’intérieur sans modifier l’essentiel du cadre général. Cette oeuvre dramatique recouvre les genres pratiqués en France de son temps : - la tragédie lyrique en cinq actes, à intrigue suivie et à ton soutenu (Hippolyte et Aricie, 1733 ; Castor et Pollux, 1737 ; Dardanus, 1739 ; Zoroastre, 1749 ; Abaris ou les Boréades, 1764) ; - la pastorale héroïque en trois actes, au ton plus léger, qui domine la production de Rameau autour de 1750 (Zaïs, 1748 ; Naïs, 1749 ; Acanthe et Céphise, 1751 ; Daphnis et Églé, 1753) et la pastorale (Lysis et Délie, 1753) ; - l’opéra-ballet, oeuvre à plusieurs sujets brièvement traités (un par acte) groupés autour d’un thème commun, et faisant très large place à la danse (les Indes galantes, 1735 ; les Fêtes d’Hébé, 1739 ; les Fêtes de Polymnie, 1745 ; le Temple de la Gloire, 1745 ; les Fêtes de l’Hymen et de l’Amour, 1747 ; les Surprises de l’amour, 1748) ; - l’acte de ballet, pièce en un acte, d’un ton généralement léger (Pygmalion, 1748 ; la Guirlande, 1751 ; les Sybarites, 1753 ; la Naissance d’Osiris, 1754 ; Anacréon, 1754 et 1757 ; Zéphire, Nélée et Myrtis, Io) ; - la comédie-ballet (la Princesse de Navarre, 1745). On retrouve dans les opéras de Rameau la conception du chant caractéristique de l’art lyrique français depuis Lully, en particulier l’importance accordée au récitatif et à sa qualité mélodique. Plus encore que celui de ses prédécesseurs, celui de Rameau se situe aux confins de l’air, et le passage de l’un à l’autre est souvent insensible. Les pages les plus intenses de ses oeuvres (lamentation de Phèdre dans Hippolyte et Aricie, air d’Iphise dans Dardanus, de Télaïre dans Castor et Pollux) affectent cette forme indécise qui suit de près une valeur mélodique : forme libre, indépendante de toute structure préétablie. L’accompagnement par l’orchestre y est fréquent. L’air proprement dit est du domaine du divertissement. Il affecte deux formes principales : celle de la danse (menuets, gavottes, sarabandes, musettes chantés) et

celle de l’ariette, où se retrouve la structure de l’air de bravoure à l’italienne. L’importance accordée par Rameau à ce dernier genre constitue l’une des innovations les plus notables par rapport au schéma lulliste. Comme toute oeuvre lyrique depuis Lully, l’opéra de Rameau fait une large place au choeur et à la danse. Les premiers (qui peuvent apparaître sous la forme de trios [trio des Parques d’Hippolyte et Aricie]) ont fréquemment un aspect dramatique, ou s’insèrent dans les grandes scènes cérémonielles (hymne au soleil de l’acte des Incas dans les Indes galantes, cérémonies de Zoroastre). La danse est présente à chaque acte, et Rameau, par la richesse de son orchestration et son invendownloadModeText.vue.download 838 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 832 tion mélodique, fait d’elle une des parts les plus séduisantes de son oeuvre, sous la forme du divertissement ou par le ballet figuré inséré dans l’action. C’est cet orchestre ramiste qui est l’agent essentiel de la transformation essentielle apportée par le compositeur à l’opéra, et c’est lui qui frappa ses contemporains. Il accompagne le récitatif, soulignant chaque intention ; il s’insère dans les scènes en de vastes symphonies chorégraphiques ou descriptives (tempête, éruption volcanique dans les Indes galantes, invocations magiques, apparition du monstre dans Dardanus). La richesse du tissu musical dense, la science de l’harmonie complexe, la recherche de la couleur instrumentale font de cette orchestration l’un des aspects les plus remarquables de l’opéra de Rameau. RAMEAU THÉORICIEN. L’oeuvre théorique de Rameau n’est pas moins considérable que son oeuvre artistique. Le nombre de ses écrits est important et, à aucun moment, du Traité de l’harmonie réduite à ses principes naturels (1722) à sa mort, il n’a dissocié sa création de sa réflexion. D’abord sereine et purement didactique (Nouveau Système de musique théorique, 1726 ; la Génération harmonique, 1737 ; etc.), son oeuvre est

devenue polémique, à la suite des attaques dont il fut l’objet et de ses dissensions avec les Encyclopédistes et Rousseau (Erreurs sur la musique dans l’Encyclopédie, 1755 ; Suite des Erreurs, 1756 ; Réponse de M. Rameau aux éditeurs de l’Encyclopédie, 1757 ; Lettre à d’Alembert, 1760 ; etc.). Complexe et minutieuse, souffrant parfois pour la clarté de l’exposé du manque de culture générale du musicien, cette oeuvre théorique a une portée considérable. À la confusion héritée des siècles précédents, où la théologie, la métaphysique, les mathématiques et l’empirisme se mêlaient, Rameau substitue une pensée cohérente, qu’il fonde, en homme de son temps, sur la physique. La résonance et les harmoniques naturels sont les bases sur lesquelles il se fonde, justifiant l’harmonie sur un seul son et non plus sur les divisions de l’octave. C’est à partir de la basse fondamentale que se déduit « en raison » non seulement l’harmonie, mais aussi l’ensemble des effets psychologiques de la tonalité. RAMIN (Günther), organiste, chef de choeur et compositeur allemand (Karlsruhe 1898 - Leipzig 1956). Il chanta comme enfant dans le choeur de Saint-Thomas de Leipzig, étudia dans cette ville l’orgue avec Karl Straube, et lui succéda comme organiste à Saint-Thomas en 1918, quand Straube devint cantor. Il lui succéda comme cantor en 1940. Également célèbre comme claveciniste et comme accompagnateur de lieder, il dirigea aussi les choeurs du Gewandhaus de Leipzig (1933-34 et 1945-1951) et ceux de la Philharmonie de Berlin (1935-1943), et dirigea les festivals Bach à Leipzig en 1950, 1953 et 1955. Il fut un des plus grands et un des plus vigoureux interprètes de Bach, et a laissé de mémorables enregistrements de sa musique sacrée. RAMPAL (Jean-Pierre), flûtiste français (Marseille 1922). Parallèlement à des études de médecine, il apprend la technique de son instrument auprès de son père, Joseph Rampal, au conservatoire de Marseille, puis à celui de Paris, où il remporte un premier prix. Il est successivement flûte solo de l’orchestre de l’opéra de Vichy (1946-1950), de celui de l’Opéra de Paris (1956-1962), avant

d’entreprendre une carrière de soliste. Entre-temps, il a créé le Quintette à vent français (1945), puis l’Ensemble baroque de Paris (1953). En marge d’une brillante carrière de virtuose qui le mène régulièrement aux États-Unis et au Japon, il se consacre à l’enseignement, comme participant à l’Académie internationale d’été de Nice, et comme professeur depuis 1969 du Conservatoire de Paris. Il a contribué à remettre au premier plan toute la littérature baroque écrite pour son instrument et a suscité et créé des oeuvres nouvelles, de Jolivet, Poulenc, Françaix, S. Nigg, H. Tomasi, et de compositeurs étrangers, comme les Illuminations d’Erik Norby. Ses mémoires (Musique, ma vie) ont paru en 1989. RANGSTRÖM (Ture), compositeur suédois (Stockholm 1884 - id. 1947). Il est considéré comme l’un de ceux qui a le mieux su rendre l’« âme » de son pays, surtout par son attachement au monde du mot ; aussi, plus que dans ses symphonies (no 1 A. Strindberg in memoriam, 1914 ; no 2 Mon pays, 1919 ; no 3 Mélodie sous les étoiles, 1929 et no 4 Invocatio, 1935) ou dans sa musique instrumentale, c’est dans son oeuvre vocal qu’il a su le mieux exprimer son lyrisme dramatique, notamment en utilisant les poèmes de Bo Bergman mais aussi ceux de Runeberg ou Strindberg. Son opéra Kronbruden (« la Fiancée couronnée », 1915, créé à Stuttgart en 1919) sur un livret de Strindberg, qui possède de nombreux points communs avec le Jenufa de Janáček, est peut-être son chef-d’oeuvre. RANKI (Deszö), pianiste hongrois (Budapest 1951). À l’Académie Franz-Liszt de Budapest, il est l’élève de Pal Kadosa et de Ferenc Rados. En 1969, il remporte le Concours Schumann de Zwickau, et se perfectionne en 1971 auprès de Géza Anda à Munich. En 1973, il est l’assistant de Pal Kadosa puis, à partir de 1976, il enseigne à l’Académie Franz-Liszt. De 1980 à 1995, il effectue plusieurs tournées mondiales et joue en duo de pianos avec Edit Klukon. Invité dans les plus grands festivals, il est surtout apprécié dans le répertoire hongrois, de Liszt à Gyorgy Kurtag, dont il défend beaucoup l’oeuvre. Bien qu’il affectionne les oeuvres contrapuntiques de

Bach ou les sonates de Beethoven, il fait autorité dans Bartók, dont il est l’un des spécialistes. RANZ DES VACHES (en all. Kuhreihen). Chant de plein air de caractère fonctionnel, qui servait dès le Moyen Âge à rassembler les troupeaux dans les alpages, tout particulièrement en Suisse. Très en faveur à l’époque romantique (Rossini l’a introduit dans son Guillaume Tell), le ranz des vaches, souvent enrichi d’autres apports folkloriques de même origine (cor des Alpes, jodler), est devenu en quelque sorte le symbole musical de la Suisse. On en trouve une stylisation dans le dernier mouvement de la Symphonie pastorale de Beethoven. RAPPRESENTATIVO (stile) [« style représentatif »]. Mode de chant utilisé par Monteverdi et impliquant une volonté d’expressivité extrême, la recherche d’un dramatisme constant dans la déclamation monodique, avec le souci de décrire une action et de planter un décor, par les seuls moyens de la musique. C’est surtout dans la célèbre Lettre amoureuse et sa « réponse « en quelque sorte, la Partenza amorosa, que Monteverdi joue en virtuose de toutes les ressources de ce procédé. Ces deux pages comptent d’ailleurs parmi les joyaux du 7e Livre de madrigaux (1619). Mais dès 1608, Monteverdi avait recouru au style représentatif avec le Ballo dell’ingrate, composa (avec l’opéra Arianna) à l’occasion du mariage du fils du duc de Mantoue. Francesco Gonzague. Et, en 1624, le Combat de Tancrède marie en une étonnante synthèse dramatique le même genre représentatif aux trouvailles du style concitato (agité), le plus propre à traduire la colère et le conflit des passions violentes. Dans chaque cas, le compositeur se montre suprêmement attentif à l’accent qui doit détacher le mot clé, à tous les accidents expressifs du discours, à ses contrastes aussi, et à l’intensité du « geste verbal « qui vient appuyer l’action et amplifier le pouvoir du texte (dans le Combat de Tancrède et Clorinde, les interprètes, précise Monteverdi, mimeront au besoin

cette action). Il reste que la grande nouveauté du genre représentatif est avant tout de dondownloadModeText.vue.download 839 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 833 ner l’illusion du théâtre, de la vie et du visuel en dehors de toute représentation scénique. D’où l’importance primordiale que prend ici la conduite de la déclamation en soi, avec la volonté d’une parfaite diction jointe à l’ornementation d’une ligne de chant littéralement sculptée sur les paroles afin de rendre, selon le voeu des mélodramatistes florentins, la musique au monde des sentiments et de l’émotion. De ce point de vue, le style représentatif réussit la fusion parfaite du verbe et des notes. Une fusion dont Monteverdi, en créateur moderne qu’il est, équilibre au mieux les composantes dramatiques et mélodiques pour exalter les déchirements de la « guerre d’amour « dont il se fait le chantre dans ses derniers Livres de madrigaux, laissant finalement en suspens, comme au reste tous les grands de l’opéra, de Mozart à Alban Berg, l’éternelle question de la primauté des paroles sur la musique. RAPPRESENTAZIONE SACRA (ital. : « représentation sacrée »). Dans le cadre des activités spirituelles de la congrégation de l’Oratoire à Rome, à la fin du XVIe siècle, la représentation sacrée naît de la laude, chant religieux homophone dont la tradition remonte à l’Italie médiévale. « Sous l’influence du mouvement mélodramatique qui devait aboutir à la création de l’opéra primitif, la laude tend à se dramatiser suivant les péripéties du dialogue mis en musique » (Adelmo Damerini). On emprunte alors des sujets à l’Ancien et au Nouveau Testament, tandis que le style monodique et le recitar cantando précipitent l’évolution du genre vers des horizons nouveaux. Cavalieri donne ainsi, en février 1600, la Représentation de l’Âme et du Corps qui admet l’élément scénique et visuel. À la suite de Cavalieri, l’école romaine, avec Agazzari et Landi, devait continuer à s’illustrer dans la représentation sacrée (qui est en fait un véritable opéra spiri-

tuel). Mais, dans le même temps, certains musiciens s’éloignaient de la représentation et de sa dimension scénique pour imaginer l’oratorio. Celui-ci retient l’élément narratif et dramatique, mais se passe de l’aspect visuel et de l’élément représentatif proprement dit, et use d’un texte latin ou italien, avec le personnage essentiel du récitant (le storico, testo ou storia qui deviendra l’évangéliste des Passions de Bach). Aussi bien, c’est l’oratorio qui fera, au siècle suivant, la carrière glorieuse que l’on sait, opposant la monodie et le récitatif qui caractérisent les interventions des personnages solistes aux épisodes choraux qui mettent en scène le personnage collectif de la foule (turba), tandis que la représentation sacrée sera très vite oubliée des compositeurs comme du public. RATTLE (Simon), chef d’orchestre anglais (Liverpool 1955). Il étudie d’abord la percussion et le piano. Engagé comme percussionniste dans le Royal Liverpool Philharmonic, il fonde en 1970 son propre orchestre, le Liverpool Sinfonia, qu’il dirige jusqu’en 1972. De 1973 à 1975, il est chef assistant de l’Orchestre symphonique de Bournemouth et du Bournemouth Sinfonietta. Il dirige à Glyndebourne en 1977, et devient en 1980 premier chef du City of Birmingham Symphony Orchestra. Il a mené depuis, à la tête de cet orchestre, une carrière exemplaire, mais a annoncé en 1996 qu’il ne demanderait pas le renouvellement de son contrat en 1998. Il a débuté à Covent Garden en 1990 et au Festival de Salzbourg en 1993, et a été anobli en 1994. RATZ (Erwin), musicologue autrichien (Graz 1898 - Vienne 1973). Élève de Guido Adler (1918-1922), de Schoenberg (1917) et de Webern (1925), il enseigna la théorie à l’Académie de Musique de Vienne et, en 1955, devint président de la Société internationale GustavMahler, dirigeant l’édition complète des oeuvres de ce compositeur. RAUGEL (Félix), musicologue et chef d’orchestre français (Saint-Quentin 1881 - Paris 1975). Premier prix d’alto au conservatoire de Lille, où il est élève de Charles Queste, il vient à Paris travailler l’orgue avec Decaux, le contrepoint avec Roussel et la

composition avec Vincent d’Indy. Chef d’orchestre à la Société Haendel (19091914), il devient aussi maître de chapelle à Saint-Eustache en 1911. De 1912 à 1962, il est directeur de l’Orchestre philharmonique de Reims. Il est également maître de chapelle à Saint-Honoré-d’Eylau à partir de 1928, adjoint de Mme Octave Homberg à la tête de la Société des études mozartiennes (1930-1939), et chef des choeurs de la Radio (1934-1947). Il joue un rôle important dans la restauration de la musique sacrée. Historien de l’orgue, il a écrit de nombreux ouvrages sur cet instrument, sur ses interprètes et ses compositeurs (les Organistes, 1923, rééd. 1961), sur les buffets d’orgue de la région parisienne, et sur les maîtres de l’ancienne facture française. Parmi ses autres ouvrages, il faut citer Palestrina (1930), le Chant choral (1948, rééd. 1966), l’Oratorio (1948). Il a été directeur musical des disques de l’Anthologie sonore, vice-président de la Société française de musicologie, et membre de la Commission des monuments historiques. Il a collaboré à de nombreuses revues. RAUPACH, famille de musiciens allemands. Christoph, organiste, écrivain et compositeur (Tondern 1686 - Stralsund 1744). Il vécut à Hambourg, puis fut nommé organiste à Stralsund en 1703. Il composa des suites pour clavecin, des cantates. Hermann Friedrich, claveciniste et compositeur (Stralsund 1728 - Saint-Pétersbourg 1778). Fils du précédent, il devint maître de chapelle à Saint-Pétersbourg en 1758, puis se rendit à Paris, où il rencontra en 1764 le jeune Mozart. En 1768, il retourna à Saint-Pétersbourg. Mozart fonda sur des pièces de Raupach l’allegro initial de son concerto pour clavier en fa K.37, les deux mouvements extrêmes de celui en si bémol K.39 et l’andante de celui en sol K.41 (Salzbourg, 1767). RAUTAVAARA (Einojuhani), compositeur finlandais (Helsinki 1928). Élève de A. Merikanto, A. Copland, V. Persichetti, R. Sessions, V. Vogel et H. Petzold, il se fait connaître aux États-Unis en 1954 avec A Requiem of Our Time op. 3 (1953). Compositeur prolifique, esprit éclectique, Rautavaara est un maître du

langage et des sonorités. Son style d’écriture englobe toutes les techniques de composition, qu’il aborde avec un égal bonheur, et il réussit souvent à apparaître comme un moderniste, même quand il traite un matériau musical académique. Esprit cultivé, Rautavaara est professeur de composition à l’Académie Sibelius. Parmi ses ouvrages les plus importants ou les plus joués, citons Pelimmanit op. 1 pour piano (1952), 2 Préludes et fugues op. 36 pour violoncelle et piano (1965), 5 symphonies (1956, 1957, 1961, 1964, 1986), 4 quatuors à cordes (1952, 1958, 1965, 1975), Cantus articus pour orchestre et bande (1972), des opéras, dont Kaivos (« la Mine », 1963), Apollon contra Marsyas (1970), le Rapt du Sampo (1983), Thomas (1985), Vincent (1990). RAUZZINI (Venanzio), castrat et compositeur italien (Camerino, près de Rome, 1746 - Bath 1810). Il étudia à Rome et peut-être à Naples avec Porpora, et débuta comme chanteur à Rome en 1765. Son premier opéra, Pirame e Tisbe, fut écrit pour Munich en 1769. En janvier 1773, à Milan, Mozart composa pour lui son motet Exsultate, jubilate. À la fin de 1774, Rauzzini s’installa définitivement en Angleterre. Il chanta au King’s Theatre de Londres jusqu’en 1777, date à laquelle il choisit comme résidence la ville de Bath. Là, il s’occupa de concerts dans le cadre desquels il joua et chanta ses propres oeuvres. Il séjourna aussi à Dublin en 1778 et revint plusieurs fois à Londres. En août 1794, il reçut à Bath la visite de Haydn, qui composa à la mémoire de son chien le downloadModeText.vue.download 840 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 834 canon Turk was a faithful dog and not a man (« Turk était un chien fidèle et non un homme »). RAVALEMENT. Technique utilisée aux XVIIe et XVIIIe siècles, et consistant à prolonger en « aval », c’est-à-dire vers le grave, l’étendue normale du clavier d’un instrument, principalement clavecin et orgue. On pratiqua le petit ravalement (descente de l’ut au sol) ou le grand ravalement (extension

d’une octave entière). À l’orgue, le ravalement s’exerça surtout sur les jeux d’anche du pédalier ; on trouve ainsi des jeux de 12 pieds (commençant au sol inférieur de l’ut de 8 pieds, et sonnant à l’octave normale), et même des jeux de 24 pieds (commençant au sol inférieur de l’ut de 16 pieds et sonnant à l’octave grave). La généralisation de l’extension des claviers au XIXe siècle a rendu inutile le procédé du ravalement. RAVEL (Maurice), compositeur français (Ciboure 1875 - Paris 1937). D’origine savoyarde et suisse du côté paternel, Maurice Ravel naît au Pays basque, qui est le pays de sa mère, le 7 mars 1875. Il a trois ans lorsque son père, un ingénieur qui joint à ses connaissances scientifiques une culture artistique des plus étendues, s’installe à Paris. Ce père avisé veille sur les premières études musicales de son fils. Maurice Ravel entre au Conservatoire de Paris en 1889, à l’âge de quatorze ans ; il a pour professeurs Charles de Bériot (piano), Émile Pessard (harmonie), André Gédalge (contrepoint et fugue), Gabriel Fauré (composition) et poursuit ses études jusqu’en 1900. En 1901, il remporte un second prix au Concours de Rome, avec la cantate Myrrha. En 1902 et 1903 il se présente à nouveau, sans succès, au Concours de Rome, et en 1905, une dernière fois, il tente sa chance. On lui refuse l’accès au concours car il a dépassé de quelques mois la limite d’âge. Jugé scandaleux, ce refus provoque une campagne de presse et finit par entraîner la démission du directeur du Conservatoire, Théodore Dubois, qui est remplacé par Gabriel Fauré. Défenseur d’une tradition figée, Théodore Dubois n’a vu en Maurice Ravel qu’un révolutionnaire. Le scandale est, selon lui, qu’un élève du Conservatoire ait osé proclamer son admiration pour Emmanuel Chabrier, fréquenter Erik Satie et commettre dans ses devoirs des « incorrections terribles d’écriture ». Gabriel Fauré, au contraire, a jugé Maurice Ravel avec bienveillance, découvrant en lui un « très bon élève, laborieux et ponctuel » et « une nature musicale très éprise de nouveauté, avec une sincérité désarmante ». Il faut préciser qu’en 1905 Maurice Ravel est déjà un compositeur connu et discuté. Dès 1895, sa personnalité s’est affirmée avec le Menuet antique

et la Habanera ; elle s’est définitivement confirmée en 1901 avec les Jeux d’eau, en 1903 avec le Quatuor en « fa » et Schéhérazade. Enfin délivré des soucis du prix de Rome, entre 1905 et 1913, Maurice Ravel compose la part la plus importante de son oeuvre : la Sonatine, les Miroirs, les Histoires naturelles, la Rhapsodie espagnole, l’Heure espagnole, Ma mère l’Oye, Gaspard de la nuit, les Valses nobles et sentimentales, Daphnis et Chloé, les Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé. En 1910, il est un des fondateurs de la S. M. I. (Société musicale indépendante) qui s’oppose à la Société nationale de musique, soumise à l’influence de Vincent d’Indy et devenue trop conservatrice. En 1911, il fait entendre à la S. M. I., sans nom d’auteur, ses Valses nobles et sentimentales, et le public, décontenancé, ne sait à qui les attribuer. L’Opéra-Comique monte, en 1911, l’Heure espagnole, qui n’est guère mieux accueillie que ne l’ont été, en 1907, les Histoires naturelles. Ni l’exacte prosodie qu’adopte le musicien, ni son humour, ni sa poésie, qui se situe entre le familier et le féerique, ne sont compris du public. En 1912, Daphnis et Chloé, commandé par Diaghilev, est créé aux Ballets russes dans les décors de Bakst et la chorégraphie de Fokine, avec Nijinski et Karsavina dans les deux premiers rôles ; Pierre Monteux est au pupitre. L’année suivante, Ravel rencontre Stravinski qui vient d’écrire ses Poèmes de la lyrique japonaise et lui parle du Pierrot lunaire de Schönberg. Utilisant une formation instrumentale analogue à celle de ces deux ouvrages, il compose alors ses Trois Poèmes de Mallarmé. Il vient de terminer, en 1914, un Trio pour piano, violon et violoncelle lorsque la guerre survient. Maurice Ravel obtient, à force de démarches, d’être engagé comme conducteur de camion. Envoyé sur le front, du côté de Verdun, il tombe malade en 1916 et il est démobilisé en 1917. Cette année-là, il termine le Tombeau de Couperin, suite de six pièces pour piano dédiées à des amis morts au combat. Sa santé est ébranlée ; la mort de sa mère, au début de 1917, l’a profondément affecté. Maurice Ravel ne reprend qu’en 1919 un projet qui lui tient à coeur, la composition d’un poème chorégraphique, la Valse, auquel il pense depuis 1906 et qui n’est créé qu’en 1928. Promu chevalier

de la Légion d’honneur en 1920, Maurice Ravel refuse cette distinction. Son style évolue. Il recherche maintenant un art dépouillé, sans surcharges ni enjolivures. Cette esthétique, à vrai dire, a toujours été la sienne. Lorsqu’il s’est approché de l’impressionnisme (Jeux d’eau, Miroirs), c’est moins en coloriste qu’en graveur au trait parfois acéré. Quant au droit à la dissonance, les Valses nobles et sentimentales l’ont déjà revendiqué. La Sonate pour violon et violoncelle (1920-1922) marque toutefois un tournant dans la carrière du musicien, tournant qu’il caractérise lui-même en ces termes : dépouillement poussé à l’extrême, renoncement au charme harmonique, réaction de plus en plus marquée dans le sens de la mélodie. Il n’en reste pas moins que les chefs-d’oeuvre de la dernière période de sa vie créatrice, l’Enfant et les Sortilèges (créé à Monte-Carlo en 1925) les deux Concertos pour piano et orchestre (1929-1931), en échappant aux impératifs d’une esthétique trop caractérisée, libèrent le lyrisme et l’imagination du compositeur. Une tournée de concerts aux ÉtatsUnis, en 1928, une autre en Europe centrale, en 1932, après la création du Concerto en « sol » par Marguerite Long, permettent à Maurice Ravel de mesurer sa célébrité à l’étranger ; mais, en 1933, la maladie le frappe. Les médecins diagnostiquent une affection cérébrale. Diminué, condamné à l’inaction, mais demeuré lucide, le musicien survivra quatre ans encore. Une intervention chirurgicale est tentée en vain. Maurice Ravel meurt le 28 décembre 1937. Il est inhumé au cimetière de Levallois et sa maison de Montfortl’Amaury, où il vécut de 1921 à sa mort, est maintenant un musée. RAVENSCROFT (Thomas), compositeur et théoricien anglais ( ? v. 1582 - ? v. 1633). Petit chanteur à la cathédrale Saint-Paul de Londres, il y eut pour maître Edward Pearce. Il devint Bachelor of Music à Cambridge vers 1607 et enseigna la musique au Christ’s Hospital de Londres de 1618 à 1622. Il a publié trois recueils de pièces vocales, le plus souvent à trois ou quatre voix : Pammelia (1609, premier des rounds et des catches imprimés en Angleterre), Deuteromelia (1609) et Me-

lismata (1611). Ces volumes contiennent des catches, des rounds, des ballades, des chansons à boire, la plupart de caractère humoristique et populaire, bien que quelques pièces de Pammelia soient écrites sur un texte sacré latin ou anglais dans le genre du psaume métrique. Il est aussi l’auteur d’un Brief Discourse (1614) où, traitant de la musique mesurée, il déplore les libertés prises en ce domaine par les musiciens contemporains et prône un retour au système médiéval. Il doit aussi sa célébrité à sa publication d’une centaine de psaumes assez pauvrement harmonisés (dont 48 par lui-même), connue sous le titre de Ravenscroft Psalter et encore en usage. downloadModeText.vue.download 841 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 835 RAWSTHORNE (Alan), compositeur anglais (Haslingden, Lancashire, 1905 Cambridge 1971). Il a étudié à partir de 1925 au Royal College of Music de Manchester, puis à Berlin avec Egon Petri. Il a enseigné ensuite quelque temps, à partir de 1932, à la Darlington Hall School. En 1939, ses Études symphoniques furent jouées au Festival de la S. I. M. C. à Varsovie. D’une oeuvre assez abondante, surtout dans le domaine instrumental, on retiendra notamment 3 symphonies dont la 2e pour soprano et orchestre (1950, 1959, 1964), 2 concertos pour piano (1939, rév. 1942, 1951) et 2 pour violon (1948, 1956), de la musique de chambre, la cantate A Canticle of Man (1952). RAXACH (Enrique), compositeur néerlandais d’origine espagnole (Barcelone 1932). Élève de Nuri Aymerich de 1949 à 1952, il s’installa à Paris en 1958 pour y rencontrer Pierre Boulez, puis à Munich, Zurich et Cologne (jusqu’en 1962). De 1959 à 1966, il suivit les cours de Darmstadt. Installé aux Pays-Bas en 1962, il en devint citoyen en 1969. Il a écrit de la musique d’orchestre comme Metamorphose I (1956), II (1958) et III (1959), Syntagma (1964-65), Equinoxial (1967-68), Figuren in einer Landschaft (1975), Erdenlicht (1975), de la musique de chambre com-

prenant notamment 2 quatuors (1961 et 1971, le second avec équipement électronique), Aubade pour quatuor de percussion (1978) et Cadenza pour timbales (1979, rév. 1980), de la musique vocale dont Paraphrase pour mezzo-soprano et 11 exécutants (1969), Sine nomine pour soprano et orchestre (1973) et Soirée musicale pour clarinette basse, choeur de femmes et orchestre (1978). RÉ. La deuxième des sept syllabes qui, dans les pays latins, désignent aujourd’hui les notes de la gamme diatonique. Elle est placée un ton au-dessus de la première (do ou ut) et correspond au D du système alphabétique anglo-saxon. Dans l’ancienne solmisation, la syllabe ré pouvait correspondre, selon l’hexacorde, aux lettres clefs D (sol-ré-la), G (sol-ré-ut) ou A (la-mi-ré). RÉALISATION. Se dit de l’opération qui consiste, soit par écrit, soit directement à l’instrument, à compléter une notation abrégée, principalement s’il s’agit d’un signe d’ornement ou d’une basse de continuo, chiffrée ou non. REANEY (Gilbert), musicologue anglais (Sheffield 1924). Il étudie le français et la musique à l’université de Sheffield, où il est reçu Master of Arts en 1951 avec une thèse sur Guillaume de Machaut (The Ballades, Rondeaux and Virelais Set to Music by Guillaume de Machaut), puis obtient une bourse du gouvernement français pour mener à bien une étude sur le Roman de Fauvel à la Sorbonne (1950-1953). Il enseigne ensuite successivement aux universités de Reading (1953-1956), Birmingham (19561959), Hambourg (1959-60) et, depuis 1960, à UCLA (University of California at Los Angeles). Gilbert Reaney s’est entièrement consacré à l’étude de la musique du Moyen Âge et du début de la Renaissance et a publié un très grand nombre d’articles sur Machaut, mais aussi sur l’Ars nova, sur la musique médiévale anglaise et sur plusieurs points de théorie épineux (modes, altérations, formes musicales médiévales). Il a également réalisé les deux volumes du RISM sur les sources de la musique polyphonique du XIe au XIVe siècle, coédité la

revue Musica disciplina et a aussi édité la série Corpus scriptorum de musica de l’American Institute of Musicology, se chargeant lui-même des traités de Philippe de Vitry et de Francon de Cologne. REBEC. Petit instrument à cordes frottées, vraisemblablement issu du reb¯eb maghrébin, qui fut très populaire au Moyen Âge et est encore en usage dans les pays balkaniques. Assez semblable à la vièle quant à l’aspect extérieur, tandis que la forme brisée de son manche évoque le luth, il annonce le violon par sa touche dépourvue de frettes et l’accord par quintes de ses trois cordes. Les bois durs employés à sa construction ne favorisent pas la vibration dans l’aigu, d’où un son étriqué caractéristique. L’étendue de l’instrument, joué avec un court archet courbe, dépasse à peine deux octaves. REBEL, famille de musiciens français des XVIIe-XVIIIe siècles. Jean ( ? - Versailles v. 1692). En 1661, il entra en qualité de « haute-taille » à la chapelle royale. Par la suite, il chanta dans de nombreux divertissements royaux, et dans des opéras de Lully (Cadmus et Hermione, Alceste). Jean-Ferry (Baptiste), violoniste, claveciniste et compositeur, (Paris 1666 - id. 1747). Fils du précédent. Élève de Lully, membre des 24 Violons du roi en 1705, il devint en 1713 claveciniste accompagnateur à l’Opéra, puis compositeur de musique de la Chambre en 1718. Auteur de la tragédie lyrique Ulysse (1703), il a surtout joué un rôle important dans la musique instrumentale, et a été l’un des premiers en France à écrire des sonates pour violon (Recueil de 12 sonates, composé en 1695, publié en 1712-13). Il est également l’auteur de symphonies instrumentales, dont les Caractères de la danse (1715), où se révèle son souci du choix des timbres, et du ballet les Élémens (1737). Anne-Renée, cantatrice, (Paris 1663 Versailles 1722). Soeur du précédent, elle épousa en 1684 Michel Richard Delalande. François, violoniste et compositeur, (Paris 1701 - id. 1775). Fils de Jean-Ferry.

Il fut musicien à l’Opéra dès l’âge de treize ans. Couvert d’honneurs et de gratifications, il devint surintendant de la musique de la Chambre (1733-1753) et inspecteur de l’Académie royale de musique, conjointement avec son ami Francoeur, avec lequel il écrivit en collaboration la musique de nombreux spectacles (le Ballet de la paix, 1738 ; les Augustales, 1749 ; Zelindor le roi des Sylphes, 1745). En dépit des nombreuses difficultés qu’il avait rencontrées à l’Académie royale, il en devint néanmoins administrateur général en 1772. REBOTIER (Jacques), écrivain, metteur en scène et compositeur français (Paris 1947). Très libre, faite de ruptures et d’interrogations, sa musique se caractérise par un sens personnel de la gestion du temps et se nourrit volontiers de poésie orale. Il a écrit notamment Accidents de discours pour violoncelle, clarinette, percussion et voix (1987), P(l)ages pour récitant, flûte, clarinette, violoncelle, tambour de guerre, de sable et d’eau (1988), La musique adoucit les sons pour contrebassiste-récitant (1991), Je te dis : rien pour orchestre symphonique et soprano (1994), Requiem pour 7 clarinettes, accordéon, cymbalum, 7 voix, 7 morts, choeur d’enfants et soprano solo (1994), De rien pour clarinette, tuba, contrebasse et voix de femme (1995). RÉCIT. Nom d’un des claviers de l’orgue, auquel sont dévolus les jeux de détail propres aux solos, aux récits ou aux dialogues, par opposition aux larges plans sonores du clavier de grand-orgue. Le terme de récit désigne également les mélodies ornées et accompagnées qui abondent dans les livres d’orgue des maîtres français de l’âge classique : récits de cornet, de tierce, de cromorne, etc. RÉCITANT. Ce terme désignait, à l’origine, le chantre chargé de psalmodier les passages narratifs au cours de la lecture de la Passion. Il fut, par la suite, appliqué à l’Évangéliste des Passions-oratorios et au narrateur (« historicus » ou « testo ») des premiers downloadModeText.vue.download 842 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 836 oratorios. Ce rôle tend à être supprimé dès la seconde moitié du XVIIe siècle, dans un effort d’assimilation de l’oratorio à l’opéra, et jusqu’au XIXe siècle, on appelle récitant tout soliste qui se détache du choeur. On assiste, au XIXe siècle, à un renouveau du rôle du récitant (qui est soit chanté, soit déclamé), en particulier chez Berlioz qui redonne au narrateur sa place au sein de l’oratorio (l’Enfance du Christ) et en fait même l’unique protagoniste d’un drame où la partie du héros est parlée (Lélio ou le Retour à la vie). L’usage du récitant se généralise au XXe siècle sous sa forme traditionnelle avec Honegger (le Roi David), mais surtout par la multiplication des rôles parlés (Un survivant de Varsovie de Schönberg). Cette tendance est particulièrement sensible chez Stravinski, que ce soit dans Histoire du soldat, écrite pour plusieurs récitants, OEdipus Rex (interventions d’un speaker entre les scènes) ou Perséphone. Dans cette oeuvre, la partie récitée de l’héroïne contraste avec le rôle chanté du personnage secondaire (Eumolpe), créant ainsi de curieux dialogues. RECITAR CANTANDO (ital. : « dire en chantant »). Expression utilisée lors de la naissance de l’opéra (Peri, Caccini) pour désigner le chant monodique à la base du genre. Pour ménager un contraste, et éviter il tedio del recitativo (« l’ennui du récitatif »), Monteverdi lui opposa l’aria, et ce dualisme, sous des formes diverses, est demeuré attaché à l’opéra jusqu’à nos jours. RÉCITATIF. Partie d’une oeuvre vocale, ou manière de chanter un texte en se rapprochant de la déclamation parlée ; le tempo et le rythme exact du récitatif ne peuvent généralement pas être notés strictement. À l’origine de la monodie accompagnée, on différenciait peu le récitatif (ou récit), parfois orné, et l’aria presque décla-

mée ( ! RECITAR CANTANDO), mais peu à peu, le récitatif devint un genre en soi sur lequel reposait l’essentiel de l’action et des dialogues dans l’opéra, la cantate ou l’oratorio, une action interrompue par l’aria où s’exprimait un état d’âme. On distinguait, en Italie, le récitatif secco, soutenu par le clavecin (ou le continuo), et le récitatif obbligato, soutenu par l’orchestre : J.-J. Rousseau, dans son dictionnaire, séparait plus précisément le récitatif accompagné, où l’orchestre se substituait seulement au continuo, du véritable récitatif obbligato où l’orchestre dialoguait avec le chanteur. Le récitatif secco, au débit souvent très rapide, se maintint dans l’opera buffa jusque vers 1830, mais dans l’opera seria, il s’effaça progressivement devant le récitatif obbligato, notamment avec Jommelli, Traetta, Anfossi puis avec Gluck et Mozart, ces deux derniers le distinguant encore assez nettement de l’aria. Après eux, Rossini amplifia le genre du récitatif par une ornementation qui le rapprochait de l’aria, avec laquelle il finit peu à peu par se confondre au cours du XIXe siècle. En Allemagne, le récitatif était parfois chanté et très lyrique (notamment chez J.-S. Bach), ou simplement parlé, comme parfois dans le singspiel, mais Beethoven et ses successeurs adoptèrent bientôt une attitude conforme à celle de Rossini. En France, Lully avait aussi créé un récitatif calqué sur la déclamation de l’alexandrin, soutenu par les instruments, et différant d’abord assez peu de l’air proprement dit. Avec Rameau s’opéra une fusion presque totale entre un récitatif très chanté, dialoguant avec l’orchestre, et les airs ou fragments d’airs souvent inclus au sein du récitatif, l’ensemble tendant vers l’arioso. Avec Gluck, le récitatif se sépara à nouveau de l’aria ; ce clivage s’estompa avec Cherubini, Spontini, Berlioz et Gounod, mais ne disparut qu’à la fin du XIXe siècle. Pour sa part, l’opéra-comique ne comportait généralement pas de récitatifs chantés, mais un dialogue parlé. Dans les derniers opéras de Wagner et de Verdi, et de façon générale à la fin du XIXe siècle, le récitatif fut pratiquement confondu avec l’aria (son emploi chez certains auteurs du XXe siècle ne fut que référence au passé), et c’est pour réagir contre la subordination presque

totale du texte au chant pur que certains compositeurs (à l’image de Dargomyjski et de Moussorgski qui furent les précurseurs du genre nouveau) en vinrent au contraire à rechercher une expression chantée qui fût plus proche du récit que de l’arioso, notamment en France, où on assista à diverses tentatives de récitatifs mesurés se superposant au discours orchestral (cf. Honegger et Milhaud) ; le Sprechgesang proposait aussi en 1911, une solution de « chant parlé » propre à la langue allemande. Il faut encore noter que, dans les traductions d’oeuvres lyriques, il est fréquent que le récitatif secco italien soit remplacé, en français, par des dialogues parlés (dits alors récitatifs parlés), comme dans les Noces de Figaro ou le Barbier de Séville, alors qu’au contraire les opéras-comiques français comportent des récitatifs chantés dans leurs versions traduites, ou pour leur adaptation au genre de l’opéra, entièrement chanté ; ces transformations furent parfois réalisées par les auteurs euxmêmes (Gounod pour son Faust, notamment) ou par des adaptateurs, après la mort du compositeur (Carmen, les Contes d’Hoffmann, etc.). Il faut également mentionner que, dans la musique instrumentale, il est fait parfois mention d’un style récitatif, tel que Beethoven l’employa dans son quinzième quatuor, sa neuvième symphonie, etc. RECTO TONO (lat. : « sur un ton droit, uni »). Expression désignant un chant modulé sur une seule note sans aucune inflexion mélodique, telle qu’on l’emploie notamment pour la partie de la psalmodie placée sur la corde de récitation. RÉCURRENCE. La récurrence (on dit aussi : la forme rétrograde, ou la rétrogradation) d’un thème, d’une ligne mélodique ou d’une « série » (dans la musique sérielle), est sa forme inversée dans le sens du temps, c’est-à-dire lue de la dernière note à la première. Ce procédé qui consiste à faire réapparaître un thème par sa récurrence, se rencontre presque uniquement dans les musiques écrites savantes (où les notes sont visualisées comme une structure spa-

tiale autant que temporelle, ce qui suggère des procédés d’inversion en miroir, de symétrie, qu’on rencontre plus souvent dans les arts plastiques). En particulier, on la trouve dans la forme ancienne du canon à l’écrevisse pratiqué par les contrapuntistes (« Krebskanon », en allemand), où une voix se superpose à sa récurrence ; et dans la musique sérielle, où la récurrence est une des quatres formes de base que peut prendre la série (forme originale ; récurrence ; renversement des intervalles, qui montent au lieu de descendre et inversement tout en gardant les mêmes valeurs ; et enfin renversement de la récurrence). Cette quatrième forme, qui consiste à combiner deux inversions (l’une dans le sens du temps, horizontal, l’autre dans le sens vertical de l’espace des hauteurs), comme si on utilisait deux fois un miroir, se trouvait aussi dans la musique contrapuntique ancienne, avec les canons à l’écrevisse au miroir (« Spiegelkrebskanon »). Dans la symphonie no 47 de Haydn (1772), la seconde moitié du menuet est la récurrence de la première, et il en va de même dans son trio. REDA (Siegfried), compositeur et organiste allemand (Bochum 1916 - Mülheim 1968). Élève de Ernst Peping et de Hugo Distler, il enseigna à Essen et à Mülheim, et contribua grandement à l’évolution de la musique d’église protestante après la Seconde Guerre mondiale. Il a écrit de nombreuses oeuvres pour orgue et des oeuvres chorales dont la principale est un Requiem (1963). downloadModeText.vue.download 843 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 837 REDEL (Kurt), chef d’orchestre, flûtiste et musicologue allemand (Breslau 1918). Il étudia la flûte, le violon, l’histoire de la musique, la composition et la direction d’orchestre au conservatoire de Breslau, débuta comme chef et comme soliste en 1938 et, la même année, fut nommé professeur au Mozarteum de Salzbourg. En 1952, il fonda l’orchestre Pro Arte de Munich.

Chef d’orchestre avant tout, mais aussi éminent flûtiste, il a récemment enregistré plusieurs concertos inédits, pour flûte, de Frédéric II, roi de Prusse. Fondateur et directeur du festival de Pâques de Lourdes, consacré à la musique sacrée, il a reconstitué et enregistré la Passion selon saint Marc de Telemann. REDLICH (Hans Ferdinand), musicologue anglais d’origine autrichienne (Vienne 1903 - Manchester 1968). Tout en suivant une formation universitaire à Vienne, puis à Munich, il étudia la musique en privé avec Paul Weingarten (piano) et Hugo Kauder (théorie) à Vienne, puis Carl Orff (composition) à Munich. Après avoir occupé des postes de chef d’orchestre à Berlin (1924-25) puis à Mayence (1925-1929), il poursuivit ses études à Francfort (1929-1931) et obtint son doctorat de philosophie en 1931 avec une thèse sur les madrigaux de Monteverdi (Das Problem des Stilwandels in Monteverdis Madrigalwerk). En 1939, il émigra en Angleterre, dont il devint citoyen en 1947. De 1941 à 1955, il fut chargé de cours à la Worker’s Educational Association et aux universités de Cambridge et de Birmingham. Il enseigna l’histoire de la musique à l’université d’Édimbourg à partir de 1955, puis fut nommé professeur de musique à l’université de Manchester en 1962. Il a joué un rôle important comme musicologue et comme éditeur, centrant surtout son activité autour de Monteverdi (La Favola d’Orfeo, 1936 ; Vespro della Beata Vergine, 1949 et 1958 ; L’Incoronazione di Poppea, 1958 ; messes, 1952 et 1962, et madrigaux, 1954), Haendel (12 concerti grossi op. 6, Water Music et Fireworks Music, 1962) et Mozart (L’Oca del Cairo, 1940, ainsi que de nombreuses oeuvres instrumentales). Il a également édité un recueil de musique sacrée, Meister des Orgelbarock (1931), et beaucoup écrit sur Monteverdi (Claudio Monteverdi : Leben und Werk, 1949) et sur la musique viennoise (Gustav Mahler : eine Erkenntnis, 1919 ; Bruckner and Mahler, 1955 ; Alban Berg, 1957). REDOLFI (Michel), compositeur français (Marseille, 1951). Il est un des membres fondateurs du

Groupe de musique expérimentale de Marseille, auquel il apporte son expérience très poussée de la technique de synthèse informatique des sons, acquise en grande partie lors des séjours aux États-Unis (où il réside une partie de son temps), ainsi que son dynamisme innovateur : on lui doit la conception d’un système de diffusion par « homo-parleur », ainsi que des expériences de musiques « sous l’eau » (projet WET). Sa musique est marquée par un sens cosmique de l’énergie naturelle, notamment marine, qui donne beaucoup de puissance à des oeuvres comme Instant blanc, pour flûte et bande magnétique (1973), Pacific Tubular Waves (1979), Immersion pour bande magnétique (1980). Succédant à Jean-Étienne Marie, il a pris en 1986 la direction du festival MANCA de Nice. REDOUBLEMENT. Se dit habituellement (et par impropriété de terme) lorsque la note supérieure d’un intervalle se trouve répétée à une octave plus élevée. Ainsi, le redoublement de la quinte devient une douzième. Se dit aussi beaucoup plus rarement (mais plus justement) lorsqu’un intervalle est doublé. Dans ce dernier cas, le redoublement de la quinte est deux quintes, soit une neuvième. RÉDUCTION. 1. Opération consistant, soit par écrit, soit à vue, à ramener une partition d’orchestre aux dimensions d’une partition de piano ou d’un instrument analogue, pour en permettre soit l’exécution par un seul instrumentiste, soit une lecture plus aisée, tout en renonçant à signaler les détails de l’instrumentation. 2.Réduction d’orchestre : partition écrite en fonction de l’opération précédente. 3.Réduction de valeurs : opération consistant, sans modifier l’exécution, à remplacer dans l’écriture une mesure donnée par une autre ayant une moindre unité de mesure ; par exemple, un C barré (deux blanches) par 2/4 (deux noires). REESE (Gustave), musicologue américain (New York 1899 - Berkeley 1977). Il fit ses études à l’université de New York,

et c’est là qu’il enseigna, presque sans interruption, à partir de 1927. Il s’imposa au premier rang de la musicologie américaine par deux ouvrages fondamentaux : Music in the Middle Ages (1940) et Music in the Renaissance (1954), complétés par un certain nombre d’articles publiés dans diverses revues de musicologie. Cofondateur, en 1935, de l’A.M.S. (American Musicalogical Society), dont il s’occupa pendant plus de vingt ans, membre durant de longues années de l’IMS (International Musicalogical Society), coéditeur (1933-1944), puis éditeur (1944-45) du Musical Quarterly, il fut aussi cofondateur et membre de plusieurs sociétés de musique ancienne (Plainsong and Mediaeval Music Society, Renaissance Society of America). Dans le domaine de l’édition musicale, il a dirigé les publications des firmes G. Schirmer (1940-1945) et C. Fischer (1945-1955). Il a enfin formé toute une nouvelle génération de musicologues. RÉEXPOSITION. Dans le plan d’un morceau classique basé sur une présentation initiale des thèmes dite exposition que suit leur développement, démarche consistant à faire entendre à nouveau les thèmes qu’avait présentés l’exposition, sous une forme soit identique, soit très voisine, comme pour donner un poids supplémentaire à son discours avant de l’achever. La réexposition est l’un des éléments essentiels de la forme sonate, mais on la trouve aussi dans nombre d’autres formes, notamment dans la fugue. Dans la sonate dite dithématique, la réexposition obéit à un principe tonal consistant à ramener au ton principal tous les thèmes réexposés, pour en affirmer la signification conclusive. REFRAIN. Phrase musicale, instrumentale ou vocale, accompagnée ou non d’un texte, et qui, au cours d’une pièce de musique, se trouve textuellement répétée à certains intervalles, et coupée par des épisodes plus ou moins variés que l’on nomme « couplets » (dans les suites de Louis Couperin, le refrain se nomme « grand couplet », par opposition aux couplets proprement dits). Le principe du refrain est quasi univer-

sel, et se retrouve dans un grand nombre de cultures musicales. Ce refrain peut être plus ou moins court, intervenir dans les chansons comme vers isolé à la fin des strophes, ou bien être constitué d’une strophe entière. Le refrain est fondé sur le principe structurel le plus simple de la musique : la répétition textuelle. Une phrase musicale, si courte soit-elle, devient refrain par le fait qu’elle est un élément répété textuellement par rapport à d’autres éléments qui, eux, varient. Mais, s’il y a uniquement une répétition textuelle qui s’enchaîne à elle-même, il n’y a pas de refrain proprement dit. Il faut que cette répétition soit brisée, coupée par des épisodes, et que le refrain soit le retour de quelque chose qu’on a momentanément quitté (dans les rondos des sonates et des concertos classiques, le retour au refrain est en même temps le retour à la tonalité principale du morceau) et qui constitue le vif du sujet. En ce sens, le refrain est un peu l’inverse de la ritournelle instrumentale de l’opéra monteverdien - laquelle est également une downloadModeText.vue.download 844 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 838 phrase instrumentale (assez courte) répétée textuellement, mais servant à couper le chant, à reposer du « vif du sujet » pour nous y replonger ensuite. Dans de nombreuse formes musicales, liturgiques, symphoniques, etc. qui opposent un individu soliste à une communauté dont il émane, le refrain est très souvent dévolu à la communauté, à la collectivité, et les épisodes, ou couplets, à l’individu. Même quand les rondos des concertos classiques débutent par le refrain attaqué par le soliste, ce refrain est aussitôt repris par le tutti, consacrant les retrouvailles, la fusion du soliste avec la collectivité. Dans la chanson à couplet, le refrain et le couplet ont souvent une musique spécifique - et du point de vue strictement musical, puisque la musique du couplet se répète textuellement elle aussi, un point de vue faussement naïf pourrait envisager couplet et refrain comme identiques de nature, et délimités seulement par une

convention. En réalité, le refrain s’identifie comme tel, non seulement parce qu’il comporte généralement les mêmes paroles sur la même musique (alors que les couplets sont faits de paroles qui se renouvellent sur la même musique), mais aussi parce qu’il est souvent rythmiquement et mélodiquement plus marqué, plus dessiné, plus incisif et mémorisable que le couplet - lequel est souvent plus proche d’un récitatif, avec un dessin mélodique plus fluide, mois prégnant. C’est un peu la définition du refrain que d’être un élément conçu pour s’imprimer fortement dans la mémoire, avec un sorte d’évidence de sa forme et de son dessin. Transposée musicalement, la structure refrain/couplet est à la base de la forme la plus stable de la musique occidentale : la forme rondo, qui repose sur des couplets variés de virtuosité, avec un refrain vigoureux et entraînant qui commence et parfois termine le mouvement. RÉGALE. Sorte de petit orgue portatif à un jeu unique d’anche battante, sans tuyau résonateur, en vogue à la Renaissance. Son clavier, étendu parfois jusqu’à quatre octaves, permettait de jouer en polyphonie et d’accompagner le chant. En usage en Angleterre, en Allemagne et en Italie, on en connaît bien le timbre âpre et nasillard par l’emploi qu’en fit Monteverdi pour soutenir dans l’Orfeo (acte III) le chant de Charon et les personnages du monde souterrain en général (Pluton). La régale tomba en désuétude au XVIIIe siècle. Le terme de régale désigne également un jeu d’orgue à anche et à tuyau raccourci, de caractère proche du jeu de voix humaine. REGAMEY (Constantin), compositeur et philologue suisse (Kiev 1907 - Lausanne 1982). Après des études à Varsovie et à l’École des hautes études à Paris, c’est en autodidacte qu’il vint à la musique et qu’il commença à composer en 1942. Chargé de cours à Varsovie (philologie indienne) de 1935 à 1939, puis professeur de linguistique à Fribourg (1946) et Lausanne (1949), cet humaniste à l’esprit brillant et distingué a admis les disciplines les plus diverses à condition qu’elles correspondent à une

véritable nécessité créatrice. À partir de 1963, il s’est dirigé vers une synthèse des musiques tonales, atonales, dodécaphoniques et autres, cela sans exclure la musique indienne, et certaines de ses oeuvres sont ainsi alternativement tonales et sérielles. REGER (Johann Baptist Joseph Max[imilian]), pianiste, organiste et compositeur allemand (Brand, Oberpfalz, 1873 - Leipzig 1916). Aîné des cinq enfants d’un instituteur installé à Weiden en 1874, Joseph Reger, et de Philomena Reichenberger, qui lui apprennent très jeune à jouer de divers instruments, il est ensuite, pendant huit ans, l’élève de l’organiste Adalbert Lindner, qu’il remplace, dès l’âge de treize ans, à l’orgue de la paroisse catholique de Weiden. En 1888, pour récompenser la réussite scolaire de son fils, Joseph lui offre un voyage à Bayreuth qui va confirmer sa vocation de compositeur. Mais ce n’est qu’à dix-neuf ans qu’intervient la décision définitive. En secret, Lindner a envoyé les oeuvres de son disciple au célèbre maître Hugo Riemann qui, honneur insigne, l’accepte comme élève, tout d’abord à Sondershausen, puis à Wiesbaden (18901893). Là, Reger se lie d’amitié avec Ferrucio Busoni et obtient d’enseigner l’orgue et la théorie au conservatoire Freudenberg (1893-1896). À l’âge de vingt-trois ans, Reger fait la connaissance de Brahms à qui il voue depuis longtemps une vive admiration et il lui dédie sa Suite d’orgue op. 16. Subjugué, le vieux maître lui donne sa photo avec une dédicace où il déclare lui transmettre le flambeau de la musique allemande, après l’avoir lui-même reçu des mains de Schumann. Après un an de service militaire, Reger rentre dans sa famille, qu’il suivra trois ans plus tard à Munich. C’est là qu’il épouse Elsa von Bercken, née von Bagensky (1902). À partir de cette date et jusqu’à sa mort, il ne cessera plus de composer chaque jour. En 1905, il est nommé professeur d’orgue et de composition à la Königliche Akademie der Tonkunst de Munich. Ses récitals d’orgue attirent l’attention de Karl Straube, célèbre organiste, qui désormais interprétera régulièrement les oeuvres de Reger en public. En 1902,

Straube est nommé organiste à Saint-Thomas de Leipzig, puis en 1907 professeur au conservatoire de cette ville. Reger finit par le rejoindre pour y enseigner la composition (1907). À Munich, ses oeuvres ont déchaîné l’hostilité violente des membres de la « Nouvelle Allemagne » (Ludwig Thuille, Rudolf Louis et Max von Schillings), mais Reger entretient avec son chef de file, Richard Strauss, des liens d’amitié et d’admiration mutuelles. C’est avec l’accord de Strauss qu’il publie alors une série d’articles sur l’esthétique de la nouvelle musique et les droits sacrés du compositeur moderne. À Leipzig, Reger sera peu à peu submergé de distinctions universitaires et honorifiques venues de toute l’Allemagne. Cependant, il continue ses tournées d’organiste et de musique de chambre, notamment à Londres en 1909. À Dortmund, en 1910, un premier festival Reger est organisé. Deux ans plus tard, Reger se voit confier la direction du célèbre orchestre de la Meininger Hofkapelle, fondé par Hans von Bülow. Pendant trois ans, il effectue avec lui de nombreux voyages et compose à son intention quelques grandes partitions orchestrales. Il n’en conserve pas moins son poste au conservatoire de Leipzig. En 1914, une grave affection nerveuse consécutive à l’abus d’alcool le contraint à plusieurs mois de repos. Il abandonne l’orchestre de Meiningen et s’installe à Iéna, d’où il poursuit ses tournées et donne des cours à Leipzig une fois par semaine. C’est là, dans un hôtel, qu’il est terrassé par une crise cardiaque à l’âge de quarante-trois ans. L’oeuvre de Reger n’est comparable en abondance qu’à celle des grands maîtres classiques. Elle est, aussi, incontestablement inégale, comme il le reconnaissait lui-même. Il a abordé tous les genres sauf le théâtre. Mêlant la « force baroque » à la « tendresse romantique », une parfaite maîtrise de l’écriture à une mobilité harmonique toute moderne, sa musique reste très personnelle. Les principales références en sont Beethoven et Schumann, mais le chromatisme wagnérien n’en est pas moins sous-jacent. Le modèle le plus proche et le plus accepté demeure celui de Brahms pour la synthèse entre l’inspiration et le métier, la subjectivité et

l’objectivité, la rigueur néoclassique et l’expressivité romantique. L’expérience de l’organiste, interprète de Bach, conditionne toute la production pour orgue : on a même parlé de lui comme d’un « second Bach ». Surmontant le style quelque peu « confus » et « chaotique » de ses premières oeuvres, Reger tend, surtout à la fin de sa vie, vers un nouvel idéal fait d’économie des moyens, de simplicité et de transparence. Il faut reconnaître cependant que downloadModeText.vue.download 845 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 839 certaines de ses oeuvres les plus célèbres, qui datent de « l’époque d’Iéna », comme les Variations et Fugue sur un thème de Telemann op. 134 (1914) et les Variations sur un thème de Mozart op. 132 (1914), sont en réalité moins caractéristiques que ses partitions néobaroques et surchargées de la période munichoise. REGISTRATION. Art, pour un organiste (ou un claveciniste), de composer choix, mélanges et oppositions de sonorités en fonction de l’oeuvre à exécuter et des ressources de l’instrument utilisé. Comparable à l’orchestration, la registration a fait, depuis le XVIIe siècle, l’objet de nombreuses indications de la part des compositeurs et des théoriciens, en France surtout. Mais l’absence de notation de registration (chez les classiques allemands comme Bach, particulièrement), l’évolution des timbres désignés par des termes identiques, le style de chaque instrument et la limitation de ses ressources rendent parfois la registration très délicate, sinon impossible à réaliser. Après une éclipse, l’art de bien registrer est redevenu aujourd’hui un élément d’interprétation important des organistes. REGISTRE. En musique, toutes les acceptions du mot registre semblent dériver du latin médiéval registrum campanae, corde pour tirer la cloche (du verbe regerere, « tirer »). À partir de là, le mot a pris des sens concrets (mécanismes servant à « tirer » un jeu, à en sélectionner un, pour les instruments

basés sur différents jeux, comme l’orgue et le clavecin), ou plus abstraits : le registre se met à désigner le « jeu » lui-même, sa sonorité particulière, ou encore, dans une voix ou un instrument, les « zones » caractéristiques correspondant à une couleur particulière. 1. Registre d’orgue : dans les orgues à transmission mécanique, on appelle registre, au sens le plus concret, une sorte de réglette mobile et coulissante (entre deux lattes fixes, nommées « faux-registres » ou « registres dormants »), laquelle, percée de trous, permet ou non d’établir la communication entre les embouchures des tuyaux d’un même jeu et l’air arrivant de la soufflerie - suivant que ces trous coïncident ou non avec les trous du sommier. Le registre est donc d’abord la pièce qui permet de faire « parler » tel jeu - mais, par métonymie, on appelle également registre (ou « bouton de registre ») le tirant manuel installé sur la console, à portée de main de l’organiste, et qui lui permet, à raison d’un registre par jeu, en l’enfonçant ou en le tirant, d’actionner la réglette dans un sens ou dans l’autre, donc de faire parler ou taire le jeu choisi. Enfin, par glissement de sens, on appelle souvent aussi registre le jeu d’orgue lui-même - d’où le nom de registration donné au choix des jeux qui sont utilisés pour jouer une partition ou une improvisation. 2.Registre de clavecin : par analogie avec l’orgue, on appelle registres, sur les clavecins qui en comportent plusieurs, les différentes séries de cordes, à l’octave les unes des autres, correspondant à des jeux différents, ainsi que différents modes d’attaque ou de résonance de la corde, pour créer des timbres différents. Comme pour l’orgue, ces jeux sont actionnés par des tirants ou des pédales, et par analogie encore avec l’orgue, les trois registres principaux sont appelés jeu de huit pieds (8ʹ), registre de base, jeu de seize pieds (16ʹ) à l’octave inférieure, et jeu de quatre pieds (4ʹ) à l’octave supérieure. 3.Registre instrumental ou vocal : on appelle encore registre, dans toute l’étendue d’une voix ou d’un instrument, les zones caractéristiques correspondant à un certain type de sonorité, de timbre, d’émission : ainsi, on distingue souvent les registres grave, médium et aigu d’un

instrument ou d’une voix. Dans le domaine vocal, plus précisément, on a longtemps distingué le registre de poitrine (ou voix de poitrine) et le registre de tête (ou voix de tête) - en nommant parfois registre mixte une zone dans laquelle le chanteur mélangerait les deux types d’émission. Le « passage » d’un registre à l’autre, pour masquer la différence de timbre et de couleur, était enseigné au chanteur, auquel on apprenait à localiser, dans sa voix, les notes sur lesquelles ce passage devait s’opérer. Ce passage se fait, pour les femmes, de la voix de tête, vers la voix de poitrine, donc vers le grave ; et inversement pour les hommes, de la voix de poitrine vers la voix de tête, donc vers l’aigu, et c’est ainsi qu’il est encore enseigné dans de nombreux cours de chant. D’autres apprennent à homogénéiser la voix sur toute l’étendue, par un mélange des différents types d’émission, et certains nient la spécificité des registres « de tête » et « de poitrine ». On parle aussi de registre pour les timbres propres au médium, au grave et à l’aigu de l’instrument. Ces registres reçoivent parfois des noms, comme c’est le cas pour la clarinette, aux registres effectivement bien différenciés : registre grave, ou « chalumeau », registre médium, ou « clairon », et registre aigu. On peut aussi caractériser les registres aigus du basson, grave de la flûte traversière, etc. REIBEL (Guy), compositeur français (Strasbourg 1936). Nanti d’une formation d’ingénieur, et après des études musicales chez Serge Nigg et Olivier Messiaen, il entre en 1963 au Groupe de recherches musicales de Paris, où il commence par collaborer aux recherches de Pierre Schaeffer sur la perception du son et l’objet sonore. Il s’affirme ensuite comme compositeur, avec une production d’oeuvres où la voix humaine (traitée en général collectivement : choeurs, groupes, et ensembles vocaux) ainsi que les moyens électroacoustiques tiennent une place importante. Il a acquis une certaine réputation dans le milieu des chorales d’amateurs, avec un grand nombre de pièces musicales et de jeux musicaux, écrits à leur intention, dans une notation et une conception modernes, mais accessibles à tous. Il n’a pas délaissé

pour autant les chanteurs professionnels, auxquels il a destiné des pièces pour ensemble vocal, où des textes poétiques sont parfois utilisés comme prétextes phonétiques, réservoirs de mots et de sonorités à faire éclater dans tous les sens : Chanson de Geste (1971, sur des textes de poètes contemporains) et Ode à Villon (1972), entre autres. Une certaine superficialité, quand il s’agit d’aborder un texte ou de traiter un propos explicite, se révèle avec la Suite pour Edgar Poe (1972), pour bande magnétique, ou dans l’opéra choral Rabelais en liesse (1974). Ses oeuvres « abstraites » sont plus convaincantes, comme Antinote (1967), pour bande, et les Variations en étoile (1967), pour bande magnétique avec percussion en direct ad libitum, essai plutôt réussi dans un genre classique en musique électroacoustique : celui qui consiste à créer une oeuvre entière à partir de quelques sons de base soumis à de nombreuses manipulations, qui en tirent la plus grande variété possible de dérivés. Avec Vertiges (1969), pour guitare électrique et bande, se manifeste son goût pour les sons aigus, crissants, spasmodiques, goût dont témoignent aussi les Granulations-Sillages (1976), oeuvre électroacoustique « multi-pistes ». Dans son important Triptyque électroacoustique (Signal sur bruit, Cinq Études aux modulations, Franges du signe, 1973-74), Reibel donne peut-être le meilleur de lui-même, mettant sa faconde et son habileté au service d’un propos plus inspiré, plus médité, canalisé dans une forme plus puissante et plus efficace. REICH (Steve), compositeur américain (New York 1936). Avec son compatriote Phil Glass, il est le plus talentueux représentant de la tendance « répétitive », qu’il a inventée, et qui a connu beaucoup d’imitateurs. Sa musique est en effet fondée, en général, sur le traitement par répétition, emboîtement, superposition, décalage, de motifs plus ou moins brefs - ces motifs de base possédant toujours une pulsation rythmique très downloadModeText.vue.download 846 sur 1085

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affirmée et régulière, et un centre d’attraction tonale également très défini (accord parfait, gamme diatonique, etc.). Sur ces deux points, la musique de Steve Reich s’est toujours radicalement opposée à la tendance atonaliste postsérielle. C’est à l’âge de quatorze ans que Steve Reich commence à découvrir la musique classique : notamment Bach et la musique baroque, Stravinski, Bartók, Webern, qui, avec le jazz et les musiques africaines et balinaises, et, plus tard, avec la cantillation hébraïque, seront ses principales sources d’inspiration. Durant ses études de philosophie, sa vocation musicale se cristallise : il entre en 1958 à la Juilliard School. Au Mills College (Californie), il étudie avec Berio et Milhaud tout en cherchant dans des directions nouvelles. C’est à travers une oeuvre pour bande magnétique, It’s Gonna Rain (1965), basée sur le simple « déphasage » et « rephasage » d’une boucle de voix humaine superposée à ellemême sur deux magnétophones tournant simultanément, qu’il découvre la technique de déphasage (c’est-à-dire de décalage entre des phénomènes périodiques superposés), qui commandera sa musique jusqu’en 1971. Il en déduit le principe d’une musique conçue comme « processus graduel », c’est-à-dire construite comme le déroulement implacable et précis d’une loi simple qui commande à la fois « l’ensemble des détails note après note (son après son) et la totalité de la forme (comme dans un canon ad infinitum) ». La vieille structure du canon, ainsi que le procédé de développement par augmentation, sont deux des bases de son écriture qui appartiennent au fond ancestral de la musique traditionnelle occidentale. En effet, s’il a étudié, en interprète autant qu’en compositeur, les musiques africaines (tambourinage africain, étudié au Gh¯ana, en 1970) et balinaises (apprentissage du jeu de gamelan balinais, en 1973 et 1974, aux États-Unis), il se réclame sans gêne d’une continuité avec la tradition occidentale. Dans le même sens, il abandonne rapidement l’utilisation des moyens électroacoustiques, après Come Out (1966), et Melodica (1966), deux oeuvres pour bande magnétique dans la lignée de It’s Gonna Rain, pour faire réaliser ses projets de composition par des instrumentistes jouant en direct. En effet, si sa musique, dans sa rigueur « mathématique » de rythme et

de structure, semble demander aux interprètes une précision de machines, cette précision demeure toujours, comme chez les Balinais, une précision humaine, et sensible comme telle, et non la précision indifférente d’un mécanisme, d’autant que Steve Reich affirme son attachement à la beauté du son instrumental traditionnel, franc et lumineux. Ses premières oeuvres « répétitives » pour instruments explorent de manière assez didactique et systématique des processus simples de déphasage : Piano Phase (1967), pour deux pianos ; Violin Phase (1967), pour quatre violons (ou pour violon et une bande magnétique diffusant l’enregistrement des autres parties) ; Four Organs (1969), pour quatre orgues électriques et maracas ; Phase Patterns (1970), pour quatre orgues électriques. Installé à New York depuis 1965, il y a collaboré avec des chorégraphes et rencontré des cinéastes, sculpteurs et vidéo-artistes d’« avant-garde ». Enfin, il a fondé son propre ensemble, Steve Reich and Musicians, pour expérimenter et exécuter sa musique, et y joue lui-même (piano, percussions, etc.), jugeant indispensable de s’investir comme interprète dans sa création. De son étude du tambourinage au Gh¯ana, il tire une longue oeuvre nommée Drumming (1971), pour différentes percussions, sifflet, piccolo, et voix utilisées « instrumentalement ». Cette oeuvre introduit des techniques nouvelles chez lui de changement graduel de timbre, et de « substitution progressive des temps aux pauses », et l’amène à abandonner les techniques de déphasage et sa conception antérieure de la composition comme développement d’un processus unique. Music for Mallet Instruments, Voices and Organ (1973), Music for 18 Musicians (1974-1976), Music for Large Ensemble (1978), Octuor (1979), Variations for Winds, Strings and Keyboard (1981) sont les étapes successives d’une évolution qui le mène à la fois vers un certain succès public, vers l’utilisation d’ensembles de plus en plus importants et différenciés dans leurs timbres, et vers l’emploi de structures musicales plus variées, inattendues, contrastées, colorées (jeu sur les timbres et sur des motifs beaucoup plus nombreux, utilisation, dans Music for 18 Musicians, au lieu d’un seul accord de base, d’un large « cantus firmus » harmonique de onze ac-

cords, etc.). Sa musique est également marquée par sa redécouverte de la cantillation hébraïque (Tehillem [1981], pour trois voix de femme et ensemble instrumental, oeuvre qui met en musique des textes tirés de psaumes bibliques très connus, comme le Psaume 19 et le Psaume 150). La musique de Steve Reich s’impose par sa beauté apollinienne et rigoureuse, très dynamique cependant, et par la qualité de sa réalisation. Si, comme celle de Phil Glass, elle a été beaucoup imitée, elle est le fruit d’une grande indépendance d’esprit, notamment vis-à-vis de l’influence, grande aux États-Unis, de John Cage. Par rapport à ce dernier, Reich a toujours souhaité une musique très déterminée, mais qui ne soit pas pour autant une effusion personnelle (il s’agit, dit-il, de « détourner son attention du lui, du elle, du toi et du moi pour la projeter en dehors, à l’intérieur du ça »). Il cherche à créer une beauté objective, où l’homme trouve une certaine extase qui n’est pas sans résonances religieuses. En 1993 a été créé The Cave. REICHA, famille de musiciens tchèques. Josef, violoncelliste, chef d’orchestre et compositeur (Chudenice, près de Klatovy, 1752 - Bonn 1795). Après plusieurs années à Prague, il fut successivement premier violoncelle de l’orchestre du prince d’Oetinngen-Wallerstein à Harburg (1774), et violoncelliste et premier violon de l’Orchestre électoral de Bonn (1785). Il prit la direction de cet ensemble en 1789. Ses oeuvres influencèrent le jeune Beethoven. Antonin (Antoine), compositeur et théoricien (Prague 1770 - Paris 1836). Neveu du précédent, orphelin de père de bonne heure, il fut accueilli à Bonn par son oncle. Après l’occupation de la Rhénanie par l’armée française, il s’installa à Hambourg (1794-1799), à Paris (1799-1802), puis à Vienne (1802-1808), où il fréquenta Haydn et Beethoven (il avait connu ce dernier à Bonn). Ses 36 Fugues pour piano (1803) furent dédiées à Haydn. Fixé définitivement à Paris en 1808, il devint professeur de composition au Conservatoire en 1818. Naturalisé en 1829, il succéda à Boieldieu à l’Institut en 1835, et il eut comme élèves Berlioz, Liszt, Franck et Gounod.

On lui doit des opéras, de la musique religieuse, des symphonies, des concertos, de la musique de chambre pour cordes, des pièces pour piano, mais c’est surtout par ses quintettes à vent que ce musicien parfois étrange, aux trouvailles harmoniques et rythmiques souvent prophétiques, voire tout à fait expérimentales, s’est maintenu au répertoire. REICHARDT (Johann Friedrich), compositeur et musicographe allemand (Königsberg 1752 - Giebichenstein, près de Halle, 1814). Fils d’un luthiste, il s’inscrivit à l’université de Königsberg en 1767, et en 1771, entreprit le premier de ses nombreux voyages (Allemagne du Nord et Bohême). Il en rapporta une monographie sur l’opéra-comique allemand (Über die deutsche comische Oper, Hambourg, 1774, rééd. 1974) et des notes publiées en 2 volumes, dans le but notamment de répondre aux attaques de Burney contre la musique en Allemagne (Briefe eines aufmerksamen Reisenden die Musik betreffend, 1774 et 1776). En 1775, il succéda à Agricola comme maître de chapelle de l’Opéra royal de Berlin, et y dirigea des opéras à l’italienne de Graun et Hasse. En 1776, il épousa en premières noces Juliana Benda, et sa maison devint vite un lieu de downloadModeText.vue.download 847 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 841 rencontre pour artistes et intellectuels. Des congés lui permirent de se rendre à Vienne et en Italie (1782-83), puis en Angleterre et à Paris (1785). Confirmé dans ses fonctions de maître de chapelle par Frédéric Guillaume II de Prusse (1786), il noua des liens étroits avec Goethe et Schiller, et en 1789, collabora avec Goethe pour le singspiel Claudine von Villa Bella, qu’il présenta à Berlin. En 1790-1792, il voyagea de nouveau en Angleterre et à Paris, où il sympathisa avec les idées révolutionnaires. À son retour à Berlin, il publia sous un pseudonyme ses Vertraute Briefe über Frankreich (1792-93), ce qui en 1794 lui valut de perdre sa place de maître de chapelle. Il s’installa à Giebichenstein, et en

1796, fut nommé par Frédéric Guillaume II directeur des mines de sel de Halle. En 1802-1803, il était de nouveau à Paris, et en 1806, Giebichenstein fut ruiné par l’occupation française. Nommé en 1808 directeur général des théâtres et de l’orchestre du roi Jérôme Bonaparte à Cassel (le poste devait bientôt être offert, mais en vain, à Beethoven), Reichardt effectua durant l’hiver 1808-1809 un voyage à Vienne, en principe pour y recruter des chanteurs. Il y rencontra Haydn, Beethoven et d’autres musiciens, et publia ses souvenirs de ce séjour dans l’intéressant volume intitulé Vertraute Briefe geschrieben auf einer Reise nach Wien und den österreichischen Staaten zu Ende 1808 und zu Anfang 1809 (Amsterdam, 1810). Comme compositeur, son importance réside surtout dans ses lieder (environ 1 500 sur des textes de plus de 120 poètes différents) et dans ses ouvrages pour la scène, en particulier ses singspiels. Il abandonna définitivement l’opera seria italien et les imitations de Hasse et de Graun à partir de Tamerlan et Panthée (1785-86), ouvrages inspirés de Gluck, et Claudine von Villa Bella marqua l’introduction de la langue allemande sur la scène lyrique berlinoise. Dans ses oeuvres instrumentales, il se montra plutôt conservateur, plus proche des disciples de Carl Philipp Emanuel Bach que de Haydn. On lui doit aussi de la musique sacrée. Comme écrivain, il publia notamment, outre ses souvenirs de voyage, d’intéressants programmes explicatifs pour le Concert spirituel de Berlin, et édita divers journaux et revues : Musikalisches Kunstmagazin (Berlin, 1782-1791) ; Musikalischer Almanach (Berlin, 1796) ; Berlinische musikalische Zeitung (Berlin 1805-1806). REIMANN (Aribert), compositeur allemand (Berlin 1936). Il a mené de front une carrière de pianiste et une carrière de créateur. Après des études à l’École supérieure de musique de Berlin, il a séjourné à Vienne (1958) puis travaillé en autodidacte. Il a d’abord suivi la voie ouverte par l’école de Vienne, en particulier par Webern, puis a abandonné la technique sérielle en 1967. Il s’est, en revanche, familiarisé avec les musiques d’Asie, de l’Inde notamment, et en a tiré de nouvelles sources d’inspiration. Comme pianiste, il a accompagné les plus

grands chanteurs de lieder. On lui doit notamment Ein Totentanz, suite pour baryton et orchestre de chambre (1960) ; Fünf Gedichte von Paul Celan pour baryton et piano (1960) ; 2 concertos pour piano (1961 et 1972) ; Hölderlin-Fragmente pour soprano et orchestre (1963) ; Ein Traumspiel, opéra d’après Strindberg (1964) ; Verrà la morte, cantate d’après Pavese (1966) ; Einführung pour ténor et piano, texte de Paul Celan (1967) ; Loqui pour orchestre (1969) ; Die Vogelscheuchen, ballet de Günter Grass (1970) ; Melusine, opéra (1970) ; Zyklus pour baryton et orchestre, textes de Paul Celan (1971) ; Wolkenloses Christfest, requiem pour baryton, violoncelle et orchestre (1974) ; Variations pour orchestre (1975) ; Lear, opéra d’après Shakespeare (1976-1978) ; Nachtstück II pour baryton et piano, d’après Eichendorff (1978) ; Invenzioni pour 12 exécutants ; un Requiem créé à Kiel en 1982, les opéras Die Gespenstersonate d’après Strindberg (Berlin 1984), et Troades (Munich 1986) ; Fragmente pour orchestre (Hambourg 1988), Concerto pour violon, violoncelle et orchestre (1989), Neuf pièces pour orchestre (1993), Finite Infinity pour soprano et orchestre d’après Emily Dickinson (1994-1995). REINAGLE (Alexander), pianiste, pédagogue et compositeur américain d’origine anglaise (Portsmouth, Angleterre, 1756 - Baltimore 1809). Né de parents autrichiens, il correspondit avec Carl Philip Emanuel Bach. En 1786, il s’embarqua pour les États-Unis et s’installa à Philadelphie. Organisateur de concerts, directeur musical de plusieurs théâtres ou sociétés artistiques, il composa des oeuvres vocales et instrumentales, en particulier des sonates pour clavier avec ou sans accompagnement. REINECKE (Carl), compositeur, pianiste et chef d’orchestre allemand (Altona 1824 - Leipzig 1910). Formé par Mendelssohn et Schumann, pianiste à la cour de Christian VII à Copenhague (1846-1848), il occupa divers postes avant de devenir chef d’orchestre des concerts du Gewandhaus de Leipzig (1860-1895) et, à partir de 1860, professeur de piano et de composition au conservatoire de la même ville, qu’il dirigea de 1897 à 1902. Pianiste éminent, il a écrit dans tous les genres : opéras, 3 sym-

phonies, 4 concertos pour piano, concertos pour violon, violoncelle, harpe, flûte, musique de chambre, dont la sonate pour flûte et piano opus 167 Undine (v. 1885). REINER (Fritz), chef d’orchestre hongrois naturalisé américain (Budapest 1888 - New York 1963). À l’Académie Franz-Liszt de Budapest, il étudie le piano avec Istvan Thoman et la composition avec Hans Koessler (qui furent également les professeurs de Bartók), tout en poursuivant des études de droit. Il débute à l’opéra-comique de Budapest en dirigeant en 1909 Carmen. Il est successivement chef d’orchestre du Landestheater de Laibach en 1910 (aujourd’hui Ljubljana), du Volksoper de Budapest (1911-1914), où il donne la première audition hongroise de Parsifal, et du Hofoper de Dresde, où il succède à Ernst von Schuch comme chef principal (1914-1921). Quelques rencontres le marquent profondément : celles des chefs d’orchestre Nikisch et Muck, des compositeurs Richard Strauss (il dirige en 1919 la première allemande de la Femme sans ombre) et Mahler, qu’il s’attachera à faire connaître aux États-Unis où il émigre en 1922, pour succéder à Ysaye à la tête de l’Orchestre symphonique de Cincinnati. Il y donne notamment les premières américaines de la Suite de danses (1925), de la suite du Mandarin merveilleux (1926) et du Premier Concerto pour piano (1928) de Bartók, avant d’être en 1943 le créateur auprès du compositeur et de sa femme du Concerto pour deux pianos, percussion et orchestre, tiré de la Sonate pour deux pianos et percussion. Se consacrant essentiellement à l’enseignement de 1931 à 1938, au sein du Curtis Institute de Philadelphie (Leonard Bernstein compte parmi ses élèves), il se produit régulièrement avec l’orchestre symphonique local, celui de Chicago et le Philharmonique de New York. Il dirige en 1937 à Philadelphie la création d’Amelia au bal de Menotti. De 1938 à 1948, il prend en main les destinées de l’Orchestre symphonique de Pittsburgh, dirige au Metropolitan Opera de New York de 1948 à 1953 (notamment, en 1953, la première américaine du Rake’s Progress de Stravinski) et, à partir de 1953, l’orchestre symphonique

de Chicago, qui devient sous sa baguette l’un des meilleurs du monde. REINKEN ou REINCKEN (Johann Adam), compositeur et organiste allemand ( ? 1623 - Hambourg 1722). Après un séjour en Hollande, à Deventer, il s’établit à Hambourg où il devint l’élève de Scheidemann, avant d’être son assistant (1658), puis son successeur (1663) à l’orgue de l’église Sainte-Catherine, l’un des plus beaux et des plus riches de toute l’Allemagne. downloadModeText.vue.download 848 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 842 Lorsqu’il était élève de la Michaelisschule de Lüneburg (1700-1703), JeanSébastien Bach vint à plusieurs reprises écouter celui qu’avec Buxtehude on considérait alors comme le plus grand organiste de son temps. Il se fit plus tard entendre de lui, en 1720, quand il postula le poste d’organiste de l’église Saint-Jacques ; Reinken, âgé de quatre-vingt-dix-sept ans, lui déclara, après l’avoir écouté improviser sur le choral An Wasserflüssen Babylons, que lui-même avait traité : « Je croyais cet art mort, mais je vois qu’il vit encore en vous » - témoignage qui montre bien l’influence des maîtres du Nord sur le jeune Bach. Mais celui-ci put aussi entendre à Hambourg les ouvrages lyriques représentés sur la scène de l’opéra du Gänsemarkt (ou « marché aux oies »), fondé en 1678 par Reinken et Johann Theile, puis dirigé par Reinhardt Keiser. L’essentiel de l’oeuvre connue de Reinken a été publié en un recueil, Hortus musicus (« Jardin musical ») en 1687, pièces de musique de chambre pour deux violons, viole de gambe et basse continue. On possède aussi de lui des variations instrumentales (Partite diverse), des pièces d’orgue (deux fantaisies et des variations sur des chorals, deux toccatas, quelques fugues) et une cantate d’église, Es erhub sich ein Streit. Reinken est l’un des plus brillants représentants de l’école d’orgue de l’Allemagne du Nord, caractérisé par sa virtuosité des mains et des pieds et la richesse de ses registrations. RENAISSANCE.

Période de l’histoire des arts en Europe que l’on situe à peu près, en ce qui concerne la musique, dans la seconde moitié du XVe siècle et au XVIe siècle. Comme son nom l’indique, on la considère comme une ère de floraison, de réveil des idées et d’humanisme, après ce couvre-feu obscurantiste qu’aurait été le Moyen Âge. La réalité n’est pas si simple et bien des traits que l’on considère comme caractéristiques de la Renaissance étaient annoncés depuis longtemps. Plusieurs traits dominants caractérisent la période de la Renaissance du point de vue musical. D’abord, ce qui justifie le nom donné à cette période, c’est un renouveau d’intérêt pour l’Antiquité grecque et latine, et notamment pour les écrits de théorie musicale légués par ces cultures : Platon, Aristote, Aristoxène de Tarente, Aristide, Quintilien, Boèce, etc. On spécule beaucoup sur ce que ces écrits laissent entendre quant aux « effets » moraux ou magiques liés à l’emploi de certains modes et de certains rythmes, et on essaie plus ou moins de faire revivre la lettre ou l’esprit de cette musique mythique, dont il ne reste pratiquement aucune trace musicale directe. Le célèbre Marsile Ficin (1433-1499), prêtre helléniste, platonicien déclaré, élabore une théorie sur les « effets » de l’art des sons, qui aura une certaine influence sur ses contemporains (traité De Triplici Vita, 1489). Cette théorie reprend aux Anciens le principe de l’« ethos », c’est-à-dire de l’effet moral attribué à chaque mode en particulier, et prêche pour les retrouvailles d’une unité « perdue » entre texte et musique, comme du temps de Platon. On publie ainsi de nombreux traités théoriques (V. Galilei, Dialogo della musica antica e moderna, 1581, et surtout Gioseffo Zarlino, 15171590, auteur des Institutioni harmoniche, 1558, dont le travail contribuera à la définition de la gamme tempérée). Quelquesuns tentent même de refaire de la musique « à l’antique « : Ludwig Senfl, Paul Hofhaimer (1459-1537), qui s’attaque à la mise en musique des Odes d’Horace, comme le feront aussi Claude Goudimel (1555) et P. T. Tritonius. Avec Jacques Mauduit et Claude Le Jeune, Goudimel est le plus grand chercheur dans le domaine de la musique

« mesurée à l’antique », s’efforçant de retrouver les mètres de la musique ancienne, fondés sur des alternances de longues et de brèves, et parfois ses modes particuliers, tout en visant une étroite fusion du texte et de la musique. Ce projet « volontariste » et savant (on peut le comparer au courant français sériel d’après la Seconde Guerre mondiale) aboutit à un nombre limité d’oeuvres plutôt expérimentales, qui en raison de leur difficulté et de leur caractère dissymétrique et tourmenté seront sans postérité directe, mais contribueront à assouplir la rythmique de la musique française (le Printemps, de Claude Le Jeune). Dans cette entreprise, l’Académie de poésie et de musique, fondée vers 1570 par Jean-Antoine de Baïf et Thibault de Courville, a joué un certain rôle, en se donnant pour objectif de « renouveler l’ancienne façon de composer des vers mesurés pour y accommoder le chant, pareillement mesuré selon l’art métrique « ; il s’agit aussi de mettre au point une métrique spécifique à la langue française, et non calquée sur le chant italien. C’est pendant la Renaissance qu’on situe l’apparition d’une conscience verticale de la musique, non plus seulement comme superposition de lignes, mais aussi comme enchaînements d’accords - ceci en liaison avec des recherches « expressives » souvent accrochées au mot à mot du texte. De cette naissance de la mélodie accompagnée, les Italiens, en favorisant le chant du soprano, auraient été les principaux responsables. La primauté de l’Italie s’affirme, qui vole à la Flandre son sceptre de « patrie de la musique » en Europe, et qui s’impose comme le centre de la création musicale, comme elle l’est aussi pour les arts plastiques. Au début du XVIe siècle, l’Italie importe beaucoup d’étrangers, des Français, des Allemands, des Flamands, possédant la prestigieuse science polyphonique, mais qui, au contact de la musique populaire italienne, et surtout de cette langue si propice au chant, créent un style plus coulant et plus « cantabile « : le Flamand Willaert, maître de Zarlino et de Gabrieli, est élu maître de chapelle de Saint-Marc à Venise en 1527, et c’est là qu’il fonde l’école vénitienne, développant (avec d’autres, comme Philippe Verdelot, à Florence) le genre du madrigal, et aussi celui du ricercar. Lancé par des non-Italiens, le madrigal, forme savante issue de la chanson

populaire italienne, ou frottole, croisée avec la chanson polyphonique francoflamande, trouve en Italie son apogée, en tant que genre expressif, inspirant, pour coller au texte et provoquer de l’effet sur l’auditeur, des chromatismes échevelés et des accords très marqués comme tels. Après les madrigalistes de la « deuxième génération », comme Ingegneri, Merulo, Palestrina, de Monte, c’est la frénésie expressive des madrigalistes de la « troisième génération « : Luca Marenzio, Monteverdi, Gesualdo. Le modèle du madrigal sera repris et adapté par les Anglais à la fin du XVIe siècle (Byrd, Gibbons, Dowland, Wilbye, etc.) et sera à l’origine des différents genres de chant accompagné. Par ailleurs, la musique italienne commence à se diffuser et à s’exporter à l’étranger, s’implantant dans les capitales étrangères, Paris, Londres. L’imprimerie se développe au cours du XVe et du XVIe siècle, avec des éditeurs comme Pierre Attaingnant, Adrien le Roy en France, Susato et Phalèse en Flandre, Schöffer en Allemagne, et plus tardivement Tallis en Angleterre. Un des grands faits liés à la floraison de musique imprimée est l’invention de la tablature pour noter les parties destinées à l’exécution instrumentale, par le luth, l’orgue, la viole de gambe, la guitare, etc., favorisant l’émergence d’une musique spécifiquement instrumentale, émancipée de sa fonction de doublure ou de substitut du chant. Dans ces tablatures, en effet, la partie supérieure est souvent seule destinée au chant, les autres devant être exécutées en accompagnement par l’instrument, qui d’instrument accompagnateur (et plus seulement doubleur) deviendra bientôt « soliste » à part entière. Les premières tablatures de luth et d’orgue datent du début du XVIe siècle. Parallèlement, se développe la facture instrumentale ; on élargit le registre des instruments, on en diversifie les formes, les fabriquant systématiquement par « familles » de quatre (nommées aujourd’hui : basse, ténor, alto, soprano) : c’est le cas des flûtes à bec, des violes, des cromornes, etc. Le luth devient au XVIe siècle l’instrument domestique le plus utilisé, comme plus tard le clavecin, downloadModeText.vue.download 849 sur 1085

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et plus tard encore le piano. Des genres spécifiquement instrumentaux, qui s’appuient plus ou moins sur la virtuosité, le toucher, commencent ainsi à naître : le ricercar, le prélude, la variation, etc. La Réforme religieuse suscite un renouveau, voire un bouleversement de la musique religieuse, notamment par le choix de la « langue vulgaire » pour célébrer les rites. Luther, contrairement à d’autres, est favorable à l’emploi de la musique et du chant ; il répand l’usage du cantique populaire en langue allemande, ou choral, ce choral dont Walther, Senfl, Dietrich, et, dit-on, Luther lui-même ont créé le répertoire de base, et qui sera le soubassement de la musique religieuse germanique pendant des siècles. En France, Calvin fait mettre en musique des psaumes en vers français de Marot et Théodore de Bèze, par les compositeurs Janequin, Goudimel, Philippe Jambe de Fer, etc., qui constituent un répertoire de psaumes harmonisés ou de polyphonies (Psautier genevois, 1562, publié par Calvin), lequel sera très loin d’avoir le même retentissement populaire et historique que le choral luthérien ; là encore, on retrouve les problèmes typiquement français de créer une tradition en langue vulgaire, et de faire le lien entre musique religieuse savante et musique populaire. Dans le monde catholique, le concile de Trente répond aux innovations liturgiques des protestants par un effort pour assainir sa propre liturgie, et pour la rendre en même temps plus proche des vraies sources et plus efficace : ainsi, il préconise une simplification de la luxuriance polyphonique, pour rendre son intelligibilité au texte et son rang premier à la parole sacrée, que noient les arabesques d’écriture. On encourage ainsi le style « note contre note », homorythmique, dont sortira une conscience harmonique plus forte. Cependant, même si Palestrina, Lassus, en Espagne Juan del Encina, en Angleterre Byrd et Dowland évoluent vers un style plus simple, il reste que, dans la tradition musicale catholique, c’est le « stilo antico » sévère, apollinien et parfaitement horizontal du contrepoint palestrinien qui sera définitivement consacré comme style classique, comme source à laquelle s’efforceront de revenir les vagues successives de « retour à la tradition » dans la musique religieuse, au XVIIe, au XVIIIe, au XIXe et

même au XXe siècle, pour combattre les dégénérescences mondaines, théâtrales ou expressionnistes de la musique religieuse catholique. La circulation des textes et des hommes et le développement des échanges commerciaux et culturels contribuent à la fois à propager des styles (comme le style italien), et à faire se cristalliser, par réaction, des tendances nationales. Roland de Lassus est considéré comme le type du grand musicien cosmopolite reconnu et demandé dans toute l’Europe, et qui prend son bien où il le trouve. En même temps, les genres nationaux s’affirment, comme le madrigal italien, ou le madrigal anglais, d’un autre style (Byrd, Morley, Dowland, Gibbons), dont le développement est contemporain de l’âge d’or élisabéthain ; la chanson française (Janequin, Costeley, Certon, Sermisy, etc.) ; les genres religieux, comme le choral luthérien ; et les genres instrumentaux, évoqués plus haut. À travers ces formes, qui tendent souvent vers le style « note contre note », l’équilibre initial entre contrepoint et harmonie est subtilement dérangé en faveur de l’harmonie : de la prise de conscience harmonique, et du style « mélodie accompagnée » sortira naturellement l’opéra comme genre expressif et dramatique polarisé sur des héros individuels. La coupure définie par le découpage traditionnel entre un « Moyen Âge » et une « Renaissance » reprenant la musique plus ou moins à zéro est complètement fausse : les préoccupations savantes platoniciennes, par exemple, existaient depuis longtemps dans la culture du Moyen Âge, et rien ne se produit dans la Renaissance qui n’ait sa source dans la période précédente. Mais il faut bien envisager l’histoire de la musique selon une perspective dynamique, et pas seulement énumérative. RENVERSEMENT. 1. Se dit (par impropriété de terme) d’un accord qui n’est pas dans sa position fondamentale. 2. Se dit d’un intervalle qui, restant égal à lui-même, est d’une direction inversée. Par exemple, do-fa quinte descendante est le renversement de do-sol quinte ascendante.

3. Se dit d’une ligne mélodique ou d’un accord dont tous les intervalles sont renversés (les intervalles ascendants devenant descendants et vice versa). 4. Se dit d’un contrepoint dans lequel l’ordre des voix est interverti, par exemple la basse devenant le soprano et vice versa. Lorsque le contrepoint est prévu pour que cette interversion soit possible, il est dit renversable. RÉPÉTITIVE (musique). Phénomène spécifiquement américain connu aux États-Unis sous l’appellation de new music ou spaced out music, et en France, sous le nom de musique répétitive car basée sur l’énoncé itératif d’une caractéristique. Ce mouvement a pris naissance à la fin des années 50 et au début des années 60 à un moment où Cage, Brown, Feldman et Wolff tentent sous l’influence de la peinture, notamment de l’école de New York, de donner aussi à la musique des racines américaines, en rompant avec les orientations postsérielles européennes. L’influence de Cage fut déterminante. Les procédés utilisés par les principaux représentants de ce type de musique strictement élaborée dans ses moindres détails (seul La Monte Young improvise autour d’une fréquence-bourdon) et leurs orientations sont divers, mais complémentaires. La Monte Young, le pionnier, travaille sur le son continu et ses effets de dérive ainsi que sur l’action du temps dans la modification de notre perception. Terry Riley procède par étagements utilisant, d’après la technique du loop (ou boucle), un système d’échos retardés constamment réinjectés. Steve Reich travaille sur le déphasage graduel de deux ou plusieurs séries et la substitution des battements aux silences. Phil Glass, pour sa part, travaille sur la progression additive dans le temps de figures répétées. Leur musique n’est ni narrative ni directionnelle (« Pas de début, pas de fin », Glass), et renonce à tout schéma préexistant. De plus, le processus itératif n’est pas conçu comme un jalon, comme un repère sécurisant qui serait de l’ordre du souvenir : dans la musique répétitive, l’écoute est de l’ordre de l’observation. À la fois passé, présent et futur, elle propose une nouvelle percep-

tion du temps. Et l’énoncé itératif a pour but l’organisation et la configuration du mouvement répétitif comme tel, au point que l’on peut parler de désobjectivisation de l’acte musical. Ces 4 musiciens prennent tous en considération les effets du son sur les auditeurs et son pouvoir magique. Écouter le son pour ce qu’il est en lui-même (« un être vivant, complexe et actif »), voir comment le son agit à l’intérieur de nous, vibre en nous, ou inversement faire pénétrer l’auditeur dans le son (La Monte Young), tel est aussi leur but. De la disponibilité d’esprit de chacun dépend la fascination ou l’agacement. Leur musique exige une nouvelle écoute, une nouvelle appréhension de l’espace temporel. L’Orient n’est guère éloigné : tous se sont initiés à la musique de l’Inde, et Reich à celles de Bali et du Gh¯ana. Mais, si des influences techniques sont sensibles dans leurs compositions, c’est surtout sur le plan philosophique que celles-ci se situent. RÉPONS. Pièce liturgique de style orné faisant suite à une « leçon » ou lecture chantée (lectio). Elle se compose habituellement d’un texte principal, dit corps du répons, suivi d’un ou plusieurs versets de soliste (versus, versiculus) après lequel chaque fois on reprend en partie le corps du répons (réclame). Sauf cas particuliers, le verset est chanté, avec les adaptations requises par le texte, sur une mélodie type, chacun downloadModeText.vue.download 850 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 844 des 8 tons du plain-chant possédant son timbre spécifique ; on préfère aujourd’hui, plutôt qu’à un soliste, le confier à un petit choeur. On distingue les répons brefs (aux petites heures) et les répons prolixes (à matines). Le graduel de la messe appartient également à la catégorie des répons (on l’appelle parfois répons-graduel). Les répons de la Semaine sainte ont été souvent mis en musique polyphonique, surtout au XVIe siècle (Ingegneri, Victoria). RÉPONSE.

Motif mélodique qui, dans la fugue, est l’imitation du sujet (thème). Dans la réponse, les fonctions de tonique et de dominante sont interverties par rapport à ce qu’elles étaient dans le sujet. On a les cas suivants : - sujet dans le ton principal : réponse dans le ton de la dominante ; - sujet allant de la tonique à la dominante : réponse allant de la dominante à la tonique ; - sujet allant de la dominante à la tonique : réponse allant de la tonique à la dominante. REPRISE. Répétition intégrale d’une partie d’une oeuvre musicale. La reprise est souvent indiquée par une double barre de mesure, dite barre de reprise, précédée de points. Parfois, la reprise n’est pas textuelle, mais laisse place à diverses modifications (variations) qui laissent cependant reconnaissable la forme originale déjà entendue. Elle est dite, dans ce cas, reprise variée. REQUIEM. Premier mot de l’introït de la messe des morts (Requiem aeternam dona eis, Domine, « donnez-leur, Seigneur, le repos éternel »), et par extension l’ensemble de cette messe elle-même. On dit aussi « messe de requiem ». Dans la liturgie, la messe de requiem est l’une des plus complètes de l’ordo, ayant conservé des parties souvent disparues telles que la séquence (Dies Irae, composé au XIIIe siècle par Thomas de Celano, mais dont il existe des modèles dès le IXe siècle) et les versets d’offertoire et de communion. On y joint parfois aussi divers rites mortuaires tels que l’absoute, ou bénédiction du corps, avec ses chants particuliers (Libera me, In paradisum). Elle ne s’est du reste uniformisée que tardivement, vers le XVIe siècle. La messe de requiem a souvent été mise en polyphonie depuis le XVe siècle. Dufay (sa messe est perdue), Ockeghem, Certon, R. de Lassus, Palestrina, Victoria, etc. ont

écrit des requiem. Celui d’Eustache du Caurroy, édité en 1633, a été longtemps de tradition aux obsèques des rois de France. D’un Requiem en musique mesurée écrit par J. Mauduit pour le service de « bout de l’an » de Ronsard (1586), ne subsiste qu’un fragment, conservé par Mersenne. Jusqu’à la fin du XVIe siècle, la messe de requiem en polyphonie ne se distingue que peu des autres pièces empruntées à l’office, et en développe le plus souvent les thèmes liturgiques sans dramatisme particulier. L’entrée en scène de l’orchestre la transforme au XVIIe siècle en matière à composition d’ampleur. Lully traite la séquence Dies Irae en motet à grand choeur. Au XVIIIe siècle, on exécute des « requiem en musique » dont chaque morceau est traité comme un « grand motet », avec symphonies, solos, ensembles, choeurs. En raison de sa longueur, il est rare que le propre y figure en entier : le compositeur fait généralement un choix variable de l’un à l’autre, mais le requiem restera jusqu’à nos jours la seule messe en musique où le propre soit habituellement intégré aux côtés du commun. Les requiem de Gilles, Campra, Mozart, sont les plus célèbres. Le Requiem de Mozart, inachevé, est l’une de ses dernières oeuvres. Terminé par son élève Süssmayer, il a donné lieu à bien des légendes. Le romantisme a profondément transformé l’esprit du requiem. Le considérant plutôt comme un livret d’oratorio que comme un élément du culte, il en a surtout développé les parties dramatiques, centrées autour des terreurs du Jugement dernier (Berlioz, Verdi). Fauré réagira en 1888 en rendant au requiem ses dimensions de l’office et en remettant en lumière l’idée pacifiante que contient son titre même, ce que reprendra et accentuera en 1947 le Requiem de Maurice Duruflé, synthèse entre l’art de Fauré et celui du grégorien. Depuis le concile Vatican II, l’office des morts a perdu beaucoup de son unité, comme en témoignent des oeuvres aussi diverses que les requiem de Chion (1973), de Kokkonen (1981) ou encore de Rebotier (1994). RESERVATA (musica). Expression latine au sens non entièrement

élucidé, que l’on rencontre quelquefois dans la seconde moitié du XVIe siècle, surtout en France et en Italie, à propos de musiques polyphoniques particulièrement élaborées. Certains (Lowinski) ont voulu déduire de cette expression que ces musiques contenaient des règles secrètes d’exécution (chromatismes non écrits entre autres) connues des seuls initiés. Avec beaucoup plus de vraisemblance, il semble que l’expression signifie simplement que cette musique, à partir d’un certain degré de sophistication, cessait d’être accessible au plus grand nombre, et se voyait surtout appréciée dans les milieux spécialisés. RES FACTA. Jusqu’au XIXe siècle, on désignait parfois ainsi, soit en latin, soit en traduction française « choses faites », toute musique d’église polyphonique exécutée sur parties notées, par opposition au « chant sur le livre », qui désignait diverses ornementations à plusieurs voix, généralement assez sommaires, improvisées par les chantres qui ne suivaient « sur le livre » que la partie principale de plain-chant non orné. On disait aussi « musique rompue », sans doute par confusion entre les mots latins facta et fracta. RÉSOLUTION. 1. En langage harmonique, détente provoquée par le fait qu’une note dissonante, qui créait tension parce qu’elle ne s’intégrait pas à l’accord où elle se trouvait mêlée, rejoint dans le même accord ou non une position consonante qui fait cesser cette tension. La dissonance est dite alors résolue (on disait autrefois « sauvée »). Une résolution se fait normalement au « plus court chemin », la note dissonante rejoignant par la voie mélodique l’emplacement consonant le plus voisin possible ; s’il n’en est rien, la résolution est dite « exceptionnelle ». La résolution peut être retardée par l’intercalation d’autres notes si celles-ci ne laissent pas oublier la tension initiale. Certains accords aujourd’hui consonants (par exemple la 7e naturelle) étaient autrefois considérés comme dissonants, et par là soumis à l’obligation ci-dessus. Mélodiquement parlant, certains degrés étaient également considérés comme for-

mant tension et par là appelant résolution (par exemple de la sensible sur la tonique). Cette obligation subsiste ou disparaît selon la manière dont ils sont aujourd’hui employés et selon qu’ils créent ou non une relative tension. 2. On appelait résolution, principalement au XVIIIe siècle, l’opération consistant à exposer d’un bout à l’autre la solution développée d’un contrepoint obligé présenté graphiquement en abrégé (par exemple, écrire en partition complète toutes les voix d’un canon dont seul était proposé l’antécédent). RÉSONANCE. L’orthographe résonnance, parfois employée, est quelque peu archaïque. 1. Pour les physiciens, la résonance, ou vibration par sympathie, est un phénomène selon lequel tout corps élastique susceptible de vibrer sur une fréquence N entre spontanément en vibration, audible ou non, lorsqu’on émet dans son entourage un son ayant soit cette fréquence N, soit une fréquence N’ dont N est un harmonique proche. Cette particuladownloadModeText.vue.download 851 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 845 rité est utilisée par certains instruments (théorbe, palme des ondes Martenot, etc.) dans lesquels on dispose à proximité de la source d’émission du son des cordes dites « sympathiques » (d’où le nom de la « viole d’amour ») soigneusement accordées, mais que l’exécutant ne touche jamais : elles entrent seules en vibration le moment venu en renforçant ou modifiant la sonorité de la corde réellement jouée. 2. Pour les musiciens, la résonance est l’ensemble des phénomènes liés à la présence des harmoniques dans un son musical donné. Elle inclut donc la résonance des physiciens, mais ne se limite pas à elle. L’extension du terme découle principalement de l’usage qu’a fait Rameau, à partir de 1735 (Génération harmonique, postérieure au Traité de l’harmonie de 1722), de l’expression « résonance naturelle des corps sonores », à laquelle il rattache l’ensemble des phénomènes harmoniques

qui constituent la base de l’harmonie classique. On appelle accords de résonance les accords qui reproduisent, avec un minimum d’approximations, tout ou partie de l’ensemble formé par une fondamentale accompagnée de ses harmoniques proches, ce qui donne naissance aux consonances naturelles : accords de quinte, accord parfait majeur, accords de 7e, 9e et même 11e naturelle. On appelle harmonie de résonance les systèmes harmoniques fondés sur cette superposition, sans préjudice des multiples extensions qui peuvent être apportées à ce phénomène de base (consonances analogiques, altérations, etc.) et dont l’étude analytique, aujourd’hui sérieusement entreprise, a été trop longtemps tributaire d’anciennes erreurs accumulées de Rameau à nos jours. 3. Ensemble des propriétés acoustiques d’un matériau, particulièrement en ce qui concerne la manière dont il reçoit et transmet les ondes sonores : la « table d’harmonie » d’un violon ou d’un piano est parfois dite « table de résonance ». Ensemble des qualités qui déterminent l’acoustique d’une salle, et particulièrement les phénomènes de réverbération qui amplifient ou prolongent les sons émis : dire qu’une salle a une forte résonance signifie que cette prolongation y est importante. Dire qu’elle a de l’écho n’en est pas un synonyme : la résonance désigne une prolongation sans interruption, l’écho une répétition après interruption, même si les causes sont du même ordre (réflexion du son). RESPIGHI (Ottorino), compositeur italien (Bologne 1879 - Rome 1936). Élève de Torchi et de Martucci à Bologne, il s’intéressa aussitôt à la renaissance de la musique instrumentale italienne, puis, nommé violoniste à Saint-Pétersbourg, travailla l’orchestration avec RimskiKorsakov. Ses premières mélodies dénotèrent néanmoins plus d’originalité que ses essais dans le genre de l’opéra, et, fixé à Rome comme professeur à l’académie Sainte-Cécile en 1913, il s’engagea à fond sur la voie du renouveau symphonique, donnant notamment avec succès les Fontaines de Rome (1914-1916), les Pins de Rome (1923-1924), Triptyque botticellien (1927) et les Fêtes romaines (1928), tandis que ses attaches avec le courant néoclassique apparaissaient plus nettement dans ses brillantes orchestrations de Rossini

(la Boutique fantasque, pour Diaghilev en 1919, puis Rossiniana, 1925), dans sa suite les Oiseaux (1927), d’après les clavecinistes du XVIIe siècle, et dans ses Airs et Danses antiques pour luth (1917), ainsi que dans sa musique de chambre (sonate pour piano et violon, deux quatuors à cordes, dont le Quatuor dorique) et instrumentale (Concerto grégorien, 1921). Mais, dès 1923, Respighi tentait la synthèse entre ses diverses aspirations et revenait à la composition lyrique, où il entendait renouer avec une tradition authentique en donnant en outre à ses opéras de larges prolongements philosophiques : Belfagor (1923), La Campana sommersa (1927), Marie l’Égyptienne (1932) et La Fiamma (1934), la plus discutée de ses oeuvres, connurent une plus grande fortune en Allemagne ou dans les deux Amériques qu’en Italie. RESPIRATION. 1. Au sens physique usuel du mot, la respiration est l’un des éléments essentiels de l’art du chant et s’y voit travaillée comme tel, tant pour l’émission du son que pour la manière de lier les phrases et de les séparer l’une de l’autre. Il en est de même pour la technique de tous les instruments à vent. 2. Par extension du sens précédent, on nomme respiration, dans toute musique quelle qu’elle soit, l’art de séparer les sons en suggérant la présence d’une respiration physique nécessaire à l’intelligence du phrasé. L’interruption de son nécessaire à la respiration n’est généralement pas comptée dans la mesure écrite. Elle peut alors être indiquée par un signe en forme de virgule ou d’apostrophe placé entre deux notes, ou encore par un signe en forme de V tracé de manière cursive. Ce dernier signe, très employé par les professeurs d’instruments, se retrouve rarement en imprimerie. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les respirations n’étaient indiquées qu’exceptionnellement dans la notation et devaient être détectées par l’interprète ; plus récemment encore, elles se déduisaient surtout de la disposition des courbes de liaison, sans être explicitement notées. Elles sont pourtant l’un des éléments les plus importants de l’interprétation d’un morceau, tant instrumental que vocal.

3. Par analogie, on dit qu’une musique manque de respiration (ou d’aération) quand elle traite la matière sonore de façon compacte et continue, sans y ménager de repos suffisants. RESPONSORIAL. 1. Livre de chant liturgique contenant l’office de nuit, complété par l’antiphonaire qui comprend l’office de jour. 2. Chant responsorial : l’une des deux grandes formes d’alternance chorale qui se partagent le chant liturgique. Elle consiste en un dialogue entre le soliste et le choeur des fidèles, ce dernier chantant un refrain ou répétant les derniers mots du soliste. Le chant responsorial s’oppose au chant antiphonique qui fait dialoguer deux demi-choeurs, et lui est le plus souvent antérieur. RESZKE (Édouard de), basse polonaise (Varsovie 1853 - Garnek 1917). Formé à Varsovie puis en Italie, il incarne en 1876 le Roi lors de la création d’Aïda à l’Opéra de Paris, sous la direction de Verdi. En 1880, il fait ses débuts à Covent Garden. En 1881, il participe à la création de la version révisée de Simon Boccanegra à la Scala de Milan. À partir de 1884, il chante au Metropolitan de New York, où il aborde les rôles wagnériens. Avec sa soeur Joséphine (1855-1891) et son frère Jean (1850-1925), il est un chanteur très populaire du tournant du siècle. Il arrête sa carrière assez tôt, en 1903. RESZKE (Jean de), ténor polonais (Varsovie 1850 - Nice 1925). Frère du précédent, il débute en 1874 dans la Favorite de Donizetti en chantant un rôle de baryton sous le pseudonyme de Giovanni di Reschi. En 1876, il chante à l’Opéra de Paris aux côtés de son frère. Après avoir travaillé avec Sbriglia, il change de tessiture : c’est comme ténor qu’il devient une vedette de l’Opéra de Paris. En 1894, il triomphe dans Hérodiade de Massenet, et en 1895 le compositeur écrit le Cid à son intention. S’il chante à Paris jusqu’en 1902, il travaille aussi à Covent Garden et au Metropolitan de New York. Il s’impose alors comme un grand wagnérien. À partir de 1903, il se consacre à l’enseignement et compte

Magie Teyte et Germaine Lubin parmi ses élèves. RETARD. En harmonie, prolongation d’une note d’accord sur l’accord qui suit quand elle n’appartient pas à ce dernier. Elle devient donc dans le nouvel accord une note étrangère, et comme telle doit normaledownloadModeText.vue.download 852 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 846 ment être résolue en rejoignant par le plus court chemin une note réelle de ce nouvel accord. Le retard peut être assimilé à une appoggiature préparée. RETHBERG (Élisabeth), soprano allemande (Schwarzenberg, Saxe, 1894 Yorktown Heights, New York, 1976). Elle fit ses études au conservatoire de Dresde, et débuta dans cette ville en 1915. Elle y resta jusqu’en 1922, date à laquelle elle fit ses débuts au Metropolitan de New York comme Aïda. Elle devait rester attachée à cet établissement durant vingt ans, et y triompher dans plus de trente-cinq rôles allemands, français et italiens. En 1928, elle créa à Dresde le rôle titre dans Hélène d’Égypte de Richard Strauss. Grande interprète de Mozart et Verdi, elle était considérée par Toscanini comme la plus grande soprano de son époque. REUBKE (Julius), pianiste, organiste et compositeur allemand (Hausneindorf, près de Quedlinburg, 1834 - Pillnitz 1858). Fils d’un facteur d’orgues, élève de Liszt à Weimar, il écrivit deux oeuvres remarquables : une sonate pour piano en si bémol mineur (1856-57), d’un seul tenant comme celle de Liszt (son dédicataire) et de dimensions semblables, mais plus morcelée ; et une sonate pour orgue (en ut mineur sur le psaume 94), achevée en 1858 et apparentée à la fantaisie et fugue sur le choral « Ad nos ad salutarem undam » de Liszt. Il eut deux frères également musiciens : Emil (1836-1885), qui hérita de la firme de leur père Adolf (1805-1875), et Otto (1842-1913), pianiste, chef d’or-

chestre et compositeur. REUENTHAL (Neidhart von), minnesänger ( ? v. 1180 - ? apr. 1237). Hēr Nīthart, « der von Riuwental » (la vallée du regret), était attaché à la cour de Louis de Bavière. Il passa en 1230 au service de Frédéric II d’Autriche. L’oeuvre de Neidhart représente un aspect tout à fait original de la lyrique allemande, assez éloigné du grand Minnesang : la poésie « villageoise de cour ». Simples et pittoresques mais en même temps violemment réalistes ou satiriques, ses Sommerreien et ses Winterlieder (Der wald stuont aller gr¯ise) parodient la Minne dans une langue à la fois triviale et hermétique, et sur un rythme endiablé (Sinc, ein guldin huon). REUTTER (von), famille de musiciens autrichiens. Georg, organiste et compositeur (Vienne 1656 - id. 1738). Peut-être élève de Kerll, il lui succéda en 1686 comme organiste de la cathédrale Saint-Étienne de Vienne, et après un voyage en Italie, au cours duquel il fut anobli, il devint organiste de la cour de Vienne en 1700. Il succéda à Fux comme vice-maître de chapelle (1712), puis comme maître de chapelle (1715) à Saint-Étienne. Comme compositeur, il est connu surtout pour ses toccatas pour orgue. Georg, organiste et compositeur, (Vienne 1708 - id. 1772). Fils du précédent, il étudia la composition avec Caldara, et après en avoir assumé les fonctions, succéda officiellement à son père comme premier maître de chapelle à Saint-Étienne (1738). C’est en cette qualité qu’en 1739 ou 1740, il engagea comme petit chanteur Haydn âgé de sept ou huit ans. Il devint également vice-maître de chapelle de la cour en 1747, chef de la seconde chapelle de Saint-Étienne en 1756, et maître de chapelle de la cour en 1769 (après avoir, dans les faits, assumé ces dernières fonctions à partir de 1751). Personne avant lui n’avait cumulé tous ces postes à Vienne, et personne ne devait les cumuler par la suite. Sous sa tutelle, la chapelle impériale déclina considérablement. Comme compositeur, il resta ancré dans le style baroque, et laissa surtout dans le domaine religieux

une production abondante mais d’inégale qualité. REVERDIE. Genre particulier de la chanson de trouvères, caractérisé par son cadre printanier, son aspect poétique, et souvent aussi par la présence de personnages fictifs et allégoriques. REVERDY (Michèle), femme compositeur française (Alexandrie, Égypte, 1943). Elle a fait ses études au Conservatoire de Paris, en particulier avec Olivier Messiaen et Claude Ballif, travaillé au Groupe de recherches musicales de l’I. N. A., et a été pensionnaire à la Casa de Velasques à Madrid (1979-1981). Depuis 1979, elle est professeur d’analyse au Conservatoire national de région de Paris, ainsi que dans divers conservatoires municipaux de la même ville. Elle a écrit : Cante jondo, trois mélodies pour voix de femme et ensemble instrumental sur des poèmes de Federico García Lorca (1974 ; rév., 1980) ; Espaces, pour orchestre (1975), pièce largement fondée sur une série de 12 accords ; Kaléidoscope, pour clavecin et flûte (1975) ; Figure, pour piano (1976) ; le Rideau bleu, pour flûte(s), clarinette(s), violon, violoncelle et piano (1978) ; Météores, pour 17 instrumentistes (1978) ; Arcane, pour clarinette, violon, violoncelle, piano et percussion (1979) ; Through the Looking-Glass, pour récitant, voix de femme, clarinette, alto, 2 trombones et piano (1979), avec textes de Lewis Carroll, lus en exergue ; Quintette à vents (1980) ; Mimodrame, pour 4 percussionnistes, 2 trombones, 4 « joueurs » et 3 danseurs (1981) ; le Château, opéra d’après Kafka (1980-1986) ; Sept Enluminures pour soprano, clarinette, piano et percussion (1987) ; Vincent, opéra (19841989) ; le Précepteur, opéra d’après Jakob Lenz (1990) ; Messe pour la paix (1991) ; l’Intranquillité pour quatuor à cordes (1991) ; le Nom sur le bout de la langue, conte pour enfants (1993) ; Concerto pour orchestre (1994). On lui doit également un ouvrage sur l’oeuvre de piano d’Olivier Messiaen (Paris, 1978). REYER (Ernest REY, dit), compositeur et critique musical français (Marseille 1823 - Le Lavandou, Var, 1909).

Dans sa jeunesse, il fut contraint de travailler quelques années dans la comptabilité, sous la direction de son oncle à Alger ; de cette époque date déjà une Messe solennelle pour l’arrivée du duc d’Aumale à Alger (1847). Contre la volonté de ses parents, Reyer vint à Paris en 1848 et travailla le piano sous la direction de ses cousins Aristide et Louise Farrenc. Il se lia avec Théophile Gautier, dont les textes lui fournirent le sujet de son premier poème symphonique avec voix et choeurs, le Sélam (1850), d’une inspiration africaine qui l’a fait comparer au Désert de Félicien David. Par la suite, il se consacra essentiellement à la musique de scène. Entre 1854 et 1864, il produisit trois opéras - Maître Wolfram, sur un texte de Méry et Gautier (1854), la Statue (texte de Barbier et Carré, d’après les Contes des mille et une nuits, 1861), Érostrate (texte de Méry et Pacini, 1862) - et un ballet, Sacountalâ (livret de Gautier, d’après un sujet hindou, 1858). Exception faite pour Érostrate, ces oeuvres eurent du succès et reçurent notamment les éloges de Berlioz. De 1866 à 1898, Reyer exerça la profession de critique musical dans divers journaux : la Revue française, la Presse, le Courrier de Paris, et surtout le Journal des débats, où il succédait à Berlioz et à d’Ortigue. Sa productivité musicale baissa considérablement, mais c’est au cours de cette période qu’il écrivit Sigurd (1884) et Salammbô (1890), qui restent ses oeuvres majeures. Bien qu’admirant Wagner, il se refusait à l’imiter et c’est comme continuateur du grand opéra français qu’il apparaît même dans le sujet wagnérien de Sigurd. REZNICEK (Emil Nikolaus von), compositeur et chef d’orchestre autrichien (Vienne 1860 - Berlin 1945). Il occupa des postes à Mannheim, Varsovie, Berlin, écrivit de la musique instrumentale dont 2 symphonies, mais reste connu surtout par ses opéras. Le plus célèbre est Donna Diana (Prague, 1894). downloadModeText.vue.download 853 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 847 RHAPSODIE.

Étymologiquement, oeuvre d’un rhapsode ou aède, sorte de barde itinérant qui, dans l’Antiquité grecque, déclamait des poèmes épiques. La part d’improvisation qui entrait nécessairement dans l’art de ces poètes de tradition orale a sans doute déterminé au début du XIXe siècle, c’est-àdire à l’aube du romantisme, le choix de ce terme pour désigner une composition musicale de forme libre et de caractère contrasté, où l’inspiration semble tenir beaucoup plus de place que les règles académiques. Le compositeur tchèque Venceslas Tomašek, champion résolu de l’improvisation, fut vraisemblablement le premier à produire des « rhapsodies » déclarées comme telles. Il ne devait pas manquer de disciples, plus illustres que lui, qui ont pareillement exploité au gré de leur fantaisie (et de leur science musicale) des thèmes populaires nationaux ou régionaux parfois réels, parfois imaginaires, l’essentiel étant de conserver à la rhapsodie sa couleur locale et son caractère épique. Franz Liszt a écrit non seulement ses fameuses Rhapsodies hongroises (ou plutôt tziganes), mais une Rhapsodie espagnole, comme le fera plus tard Maurice Ravel. Il y aura aussi les Rhapsodies slaves de Dvořák, la Rhapsodie norvégienne de Lalo, la Rhapsodie d’Auvergne de SaintSaëns, la Rhapsodie flamande de Roussel, la Rhapsodie nègre de Milhaud, la Rhapsodie bretonne de Ropartz, les Rhapsodies roumaines d’Enesco, et la Rhapsody in Blue de Gershwin, pour ne citer que les plus connues. Mais d’autres compositeurs ne se soucieront même pas d’attribuer à leur oeuvre une origine folklorique. C’est le cas de Brahms (Rhapsodie pour contralto, choeur d’hommes et orchestre), de Claude Debussy (Rhapsodie pour clarinette et piano), de Rachmaninov (Rhapsodie sur un thème de Paganini) et de Béla Bartók (deux Rhapsodies pour violon). Les deux Rhapsodies pour piano op. 79 de Brahms doivent moins cette appellation à leur forme, assez stricte, qu’à leur caractère de ballade épique. RHEINBERGER (Joseph), compositeur, organiste, chef d’orchestre et pédagogue allemand (Vaduz 1839 - Munich 1901).

Enfant prodige, il étudia au conservatoire de Munich, et mena toute sa carrière dans cette ville (professeur au conservatoire, directeur de la musique de la cour). Il a composé dans tous les genres, laissant en particulier 20 sonates pour orgue. RHENÉ-BATON (René Baton, dit), compositeur et chef d’orchestre français (Courseulles-sur-Mer, Calvados, 1879-Le Mans 1940). Il fut l’élève de Bloch et de Gédalge au Conservatoire de Paris. Il commença à composer des pièces pour piano et des mélodies, mais s’orienta rapidement vers la direction d’orchestre. En 1907, il fut nommé chef des choeurs à l’Opéra-Comique. Il fut ensuite directeur de la Société populaire des concerts d’Angers et de la Société Sainte-Cécile de Bordeaux. En 1918, il prit la tête des concerts Pasdeloup, qui venaient de reprendre vie après une longue interruption. Il en conserva la direction jusqu’en 1932 et se montra un défenseur actif de la musique française. Dans ses oeuvres, Rhené-Baton a chanté la Bretagne avec goût et un réel sens des couleurs (le Pardon de Rumengol pour piano, Pièce symphonique pour les funérailles d’un marin breton). RHYTHM’N’BLUES. Variété de musique syncopée, apparentée au jazz populaire, très prisée aux ÉtatsUnis, particulièrement dans le grand public noir. À ses débuts, dans l’immédiat aprèsguerre, le rhythm’n’blues, qui fait une place prépondérante aux thèmes de blues, ne se distingue du jazz que par la grossièreté des effets (afterbeat exagéré, jeu et attitude exhibitionnistes des saxophonistes, vocaux chantés sans grand souci de musicalité). Par la suite, sous l’influence de la pop music anglo-saxonne, les groupes de rhythm’n’blues ont adopté la rythmique binaire ( ! ROCK’N’ROLL), se séparant ainsi du jazz. RICCI (Rich WILSON, dit Ruggiero), violoniste américain (San Francisco 1918). Né dans une famille de musiciens, il est l’élève de Louis Persinger dès l’âge de cinq ans. En 1929, il joue le Concerto de Mendelssohn au Carnegie Hall devant Fritz

Kreisler, qui admire ses dons prodigieux. En 1932, il effectue une première tournée européenne, jouant sous la direction de chefs tels que Paul Paray, Georges Szell ou Ernst von Dohnanyi. Sa virtuosité subjugue les foules, et l’on n’hésite pas à le comparer à Paganini. Il réalise d’ailleurs le premier enregistrement intégral des 24 Caprices du maître italien. De 1940 à 1945, il sert dans l’armée de l’air américaine, mais dès 1946 reprend ses tournées mondiales. Il est le premier violoniste américain à se rendre en U.R.S.S. lors de trois voyages en 1961, 1963 et 1969. À partir de 1975, il enseigne à la Juilliard School de New York. En 1962, il a créé le Concerto d’Alexander Goehr, celui de Ginastera en 1963, et de Gottfried von Einem en 1970. RICCIOTTI (Carlo). ! WASSENAER (UNICO WILHELM, COMTE VAN). RICERCARE ou RICERCAR. Mot italien dérivé de « recherche » et qui a longtemps désigné les premières manifestations de musique instrumentale en dehors des danses, conçues sans le secours de paroles exprimées ou non. On trouve le même mot, avec diverses variantes, en Espagne et en Allemagne. En France, on préfère le mot « fantaisie » qu’adopte également l’Angleterre (« fantasy », « fancy »), et en Espagne on emploie souvent le mot « tiento ». D’abord employé dans le sens général de « pièce instrumentale » sans idée de forme particulière, le terme s’est peu à peu cristallisé autour de l’idée de développement contrapuntique à partir d’un thème librement inventé, en prenant pour modèle le motet polyphonique dont il conserve la gravité et adopte les aspects formels. Né à la fin du XVIe siècle chez les Franco-Flamands de Venise (Willaert), il se développe rapidement et ses transformations le mèneront jusqu’à la fugue, avec laquelle il se confondra quelque temps (ricercari de l’Offrande musicale de J.-S. Bach) avant de disparaître vers le milieu du XVIe siècle. Si l’on excepte les deux périodes extrêmes, le ricercare peut être considéré comme une fugue dont il diffère surtout par deux points : 1. Il n’est pas obligatoirement bâti sur un

sujet unique, mais le plus souvent divisé en sections développant chacune un sujet différent, ce qui correspond aux phrases successives d’un motet développées l’une après l’autre ; 2. L’exposition du sujet en entrées successives selon les principes de la fugue n’est obligatoire qu’au début de la première section, et n’y requiert pas toujours la même rigueur que dans la fugue : l’ordre des entrées en alternance tonique-dominante (sujet-réponse) y est moins strict, et les entrées en strette y sont fréquentes comme dans le motet. C’est principalement quand disparaîtront ces deux particularités (unification du sujet, intangibilité de l’exposition sans strette) que le ricercare deviendra la fugue classique. RICHARD IER (Coeur de Lion), poète et compositeur (Oxford 1157 - Châlus, près de Limoges, 1199). Fils d’Henri Il Plantagenêt et d’Aliénor d’Aquitaine, et arrière-petit-fils de Guillaume IX d’Aquitaine, le « premier troubadour », il devint comte de Poitou en 1169, duc d’Aquitaine en 1171 et roi d’Angleterre en 1189. Au retour de la croisade, il fut fait prisonnier par le duc Léopold d’Autriche, et on prétend que c’est une chanson qui permit à son ménestrel, downloadModeText.vue.download 854 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 848 Blondel de Nesle, de découvrir son lieu de captivité et de le délivrer en 1194. Cette légende, sur laquelle est basé le Richard Coeur de Lion de Grétry (1784), est fausse, mais le rôle musical de Richard Ier n’en demeure pas moins réel, surtout par la protection qu’il accorda aux troubadours et trouvères de son entourage. Il ne reste que deux pièces de sa composition : un sirventès, Dalfin je us voill desrenier, et une complainte écrite apparemment pendant sa captivité, Ja nus hons pris, qui constitue l’un des premiers exemples de rotrouenge. RICHTER (Franz Xaver), compositeur allemand d’origine tchèque (Holešov, Moravie, 1709 - Strasbourg 1789). Il se forma avec le Gradus ad Parnassum de Fux, peut-être directement avec

ce dernier, et après un voyage en Italie, entra au service du prince-abbé Anselm von Reichlin-Meldegg à Kempten (1740). En 1747, à la mort du prince-abbé, il fut appelé, d’abord comme chanteur puis comme violoniste, chef d’orchestre et compositeur, à la cour du prince électeur de Mannheim, et, avec Johann Stamitz, domina la première génération de compositeurs de l’école à laquelle cette ville devait donner son nom. Il composa alors la plus grande partie de sa production instrumentale (symphonies, concertos, quatuors, sonates de chambre). Dans ces oeuvres, il sut éviter les pièges de la galanterie, et eut souvent recours à l’écriture fuguée. Ses six quatuors à cordes op. 5, en trois mouvements et publiés en 1768, remontent à quelques années auparavant. De 1769 à sa mort, il fut maître de chapelle à la cathédrale de Strasbourg, où il eut comme assistant et successeur Ignaz Pleyel, et se consacra beaucoup à la musique religieuse. Deux seulement de ses nombreuses messes datent de la période de Mannheim. Il compta parmi ses élèves Johann Martin Kraus et Carl Stamitz, et laissa également un des rares ouvrages théoriques produits à Mannheim (Harmonische Belehrungen, manuscrit, éd. fr. Paris, 1804). RICHTER (Hans), chef allemand d’origine austro-hongroise (Raab, auj. Györ, 1843 - Bayreuth 1916). Né d’un père maître de chapelle et d’une mère cantatrice, Josephine Csazinsky (créatrice à Vienne du rôle de Vénus de Tannhäuser), il fait partie en 1853 du choeur de la chapelle royale de Vienne et fait ses études au Konvikt Löwenburg. Au conservatoire de Vienne (1860-1865), il apprend la composition (avec Simon Sechter) ainsi que le piano et le cor, instrument qu’il pratique de 1862 à 1866 au sein de l’orchestre du Théâtre de la Porte de Carinthie. La rencontre à Lucerne de Wagner, chez qui il séjourne en 1866-67, est déterminante : chargé de la copie de la partition des Maîtres chanteurs pour une prochaine impression, il est nommé sur la recommandation du maître chef de choeurs puis chef d’orchestre adjoint de Hans von Bülow à l’opéra de Munich (1867-1869), avant de diriger les répétitions et la pre-

mière à Bruxelles de Lohengrin (1870). Et c’est lui qui tient la partie de trompette lors de la première exécution à Tribschen de Siegfried-Idyll. Chef d’orchestre du Théâtre national de Budapest de 1871 à 1875, il est appelé à succéder à Dessoff à la tête de l’orchestre de l’opéra de Vienne en 1875. De 1875 à 1898, il dirige également les fameux Concerts philharmoniques et, de 1880 à 1890, la Gesellschaft der Musikfreunde. Wagner lui confie la direction de la première intégrale du Ring en 1876 à Bayreuth, où il dirigera régulièrement jusqu’en 1912, se retirant sur une magnifique exécution des Maîtres chanteurs. À partir de 1877, il prend une part prépondérante dans la vie musicale britannique, y dirigeant les premiers festivals Wagner, et ses propres concerts de 1879 à 1897, devenant directeur musical du festival de Birmingham (1885-1909) et premier chef de l’orchestre Hallé de Manchester (1897-1911), enfin en dirigeant en 1909 au Covent Garden la première intégrale en anglais du Ring. Il vient également à Paris, où il interprète pour sa première visite la Neuvième de Beethoven. Fervent wagnérien, Richter fut également un ardent propagandiste de la musique de Brahms et de celle de Bruckner (dont il a créé les symphonies no 1 - version viennoise -, no 3 - version 1889 -, nos 4 et 8), de Dvořák et d’Elgar (qui lui a dédié sa première symphonie). En revanche, il affichait le plus grand mépris pour la musique française. RICHTER (Karl), organiste et chef de choeur allemand (Plauen 1921 - Munich 1981). Fils d’un pasteur protestant, il accède à la musique par la religion et fait ses études à la Kreuzschule de Dresde, puis à Leipzig, auprès de Rudolf Mauersberger, Karl Straube, Gunther Ramin, et du professeur Kobler. Chef de choeur à l’église du Christ de Leipzig en 1946, organiste un an plus tard de l’église Saint-Thomas, et, en 1951, de l’église Saint-Marc, il commence à enseigner la même année à l’École supérieure de musique, dont il est nommé professeur en 1956. Fondateur du choeur et de l’orchestre Bach de Munich, il a fait de la capitale bavaroise un second Leipzig voué à la cause de Bach, interprétant et enregistrant la majeure partie de l’oeuvre vocale et instrumentale

(jusqu’en U. R. S. S., où il dirige en 1968 la Passion selon saint Jean et la Messe en si). Héritier d’une tradition qui s’attache plus au message spirituel qu’aux contingences stylistiques des oeuvres, il la sert avec rigueur et objectivité. RICHTER (Sviatoslav), pianiste soviétique (Jitomir 1915). Fils d’un compositeur organiste, qui lui donne ses premières leçons de piano, il se destine d’abord à la composition et à la direction d’orchestre. Après avoir été à quinze ans répétiteur à l’opéra d’Odessa, et chef d’orchestre assistant à dix-huit, il donne, l’année suivante, son premier récital de piano et entre, à vingt-deux ans, au conservatoire de Moscou, dans la classe de Heinrich Neuhaus. À l’orée de sa carrière, il crée, en 1942, la Sixième Sonate de Prokofiev, avec qui il va se lier d’amitié, créant par la suite la Septième, puis la Neuvième (qui lui est dédiée), dirigeant exceptionnellement Rostropovitch lors de la création en 1952 de la Symphonie concertante et publiant en 1961 un livre de souvenirs sur le compositeur. Malgré les différents trophées qu’il remporte (Concours de l’Union des Républiques en 1945, prix Staline en 1949), il n’apparaît sur la scène occidentale qu’en 1960, en Finlande, puis aux États-Unis, où il triomphe. Depuis lors, grâce à ses tournées régulières et à ses enregistrements, il s’est imposé comme l’un des maîtres du clavier. Musicien d’une vaste culture artistique, Richter enrichit continuellement un répertoire étendu (plus de trente concertos), mettant un point d’honneur à renouveler ses programmes. Délaissant le grand circuit international, il préfère jouer dans quelques lieux privilégiés, comme les festivals d’Aldeburgh et Spolète, ou la Semaine musicale d’Innsbruck et les Fêtes musicales de la grange de Meslay, en Touraine, qu’il fonde en 1964, et qu’il inspire directement depuis. Amateur fervent de chant et de musique de chambre, il a accompagné Élisabeth Schwarzkopf, Dietrich Fischer-Dieskau et Nina Dorliac, sa femme, David Oïstrakh et Mstislav Rostropovitch, etc. Disposant d’une palette sonore infiniment nuancée (réalisée sur des pianos choisis pour leur neutralité) et d’un jeu alliant puissance et pudeur, rigueur et liberté, il crée pour chaque oeuvre le rythme intérieur approprié, toujours in-

tensément visionnaire. Il a abordé la mise en scène lyrique en 1983. RICORDI. Maison d’édition italienne fondée en 1808 par Giovanni Ricordi (Milan 1785 - id. 1853). Violoniste et chef d’orchestre, par la suite attaché à la Scala comme principal souffleur et copiste, G. Ricordi s’était initié à l’édition auprès de Breitkopf & Härtel à Leipzig. La Casa Editrice Ricordi absorba bientôt plusieurs maisons rivales et prit tant d’importance que les plus célèbres compositeurs italiens du temps downloadModeText.vue.download 855 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 849 Rossini, Bellini, Donizetti et Verdi - traitèrent avec elle. On doit aussi à Giovanni Ricordi la création en 1842 de l’influente Gazzetta musicale di Milano, qui vécut soixante ans. La firme renforça encore ses positions sous la direction de son fils Tito (Milan 1811 - id. 1888), qui racheta son concurrent Lucca, éditeur italien de Wagner. Giulio (Milan 1840 - id. 1912), fils du précédent, brillant dilettante autant qu’homme d’affaires avisé, ouvrit des succursales à Leipzig et New York tout en développant son catalogue dans deux directions : la musique contemporaine (Boito, Puccini, Ponchielli, etc.) et la musique ancienne. Il était l’ami intime de Verdi. Son fils Tito II (Milan 1865 - id. 1933) lui succéda, mais, en conflit avec les actionnaires de la firme, dut se retirer en 1919. C’était la fin d’une dynastie dont le règne absolu avait duré cent onze ans, mais non celle de son oeuvre. Le fonds des éditions Ricordi a aujourd’hui largement dépassé 50 000 titres et ne cesse de s’accroître. En dehors des partitions, la maison Ricordi a publié de nombreux ouvrages de critique et de musicologie, plusieurs revues, un Dizionario della musica e dei musicisti (1959), une Enciclopedia della musica (1964) et même des disques. RIEGGER (Wallingford), compositeur

américain (Albany 1885 - New York 1961). Il fit ses études à New York, puis à Berlin avec Max Bruch. Chef d’orchestre du théâtre de Würzburg et de l’orchestre Blüthner de Berlin, il fut, à son retour aux États-Unis, violoncelliste à l’orchestre de Saint Paul, puis professeur à l’Institut musical de New York et au conservatoire d’Ithaca. Il fut l’un des premiers compositeurs américains de naissance à employer le système dodécaphonique, découvert par lui en 1927. Après des pages néoromantiques (musique de chambre et notamment un trio pour piano, 1920) et néo-impressionnistes (la Belle Dame sans mercy pour 4 voix et 8 instrumentistes, 1923), c’est une conception toute nouvelle de l’harmonie qu’il proposa avec Study in Sonority pour 10 violons ou n’importe quel multiple de 10 (1927), ou Dichotomy pour orchestre de chambre (1931-32), qui substitue aux traditionnels accords de tonique et de dominante deux autres accords jouant le même rôle, et utilise deux séries de 11 et 13 notes dans un ensemble dominé par la « séquence cumulative » (qui consiste à conserver le motif original et à y ajouter une séquence au-dessus ou au-dessous). Toutes ses oeuvres exploitèrent désormais les découvertes des années 1930, jusqu’à une période plus récente où la musique électronique retint son attention. Ses quinze dernières années ont été particulièrement riches en partitions de tous genres, et l’importance des précédentes fut enfin reconnue, vers 1948, lors de la création de sa 3e Symphonie. Signalons sa passion pour les chants d’oiseaux, qui le conduisit à en noter plusieurs centaines. On lui doit notamment quatre symphonies, dont la dernière écrite en 1957. RIEMANN (Hugo), musicologue et théoricien allemand (Grossmehlra, près de Sondershausen, 1849 - Leipzig 1919). Après de premières études musicales auprès de son père Robert, il se fixa en 1871 à Leipzig, où il étudia au conservatoire avec E. Fr. Richter et C. Reinecke, et à l’université avec O. Paul. Sa thèse Über das musikalische Hören ayant été refusée à Leipzig, il la soutint à Göttingen où il obtint, en 1873, un doctorat de philosophie. Il fut à

partir de 1876 chef d’orchestre et professeur de piano à Bielefeld, et reçut en 1878 son diplôme d’habilitation de l’université de Leipzig en présentant ses Studien zur Geschichte der Notenschrift. Réinstallé définitivement dans cette ville en 1895, il y fut d’abord nommé maître assistant à l’université puis, à partir de 1901, professeur, et devint en outre directeur du Collegium musicum de l’université (fondé par lui) en 1908 et du Forschungsinstitut für Musikwissenschaft en 1914. L’importance considérable de ce chercheur est attestée par les traductions et rééditions multiples dont ses écrits ont été l’objet. Ses principes d’analyse ont été adoptés dans tous les pays germaniques et son Musiklexikon (dont la 12e édition est parue en 1959) est encore, à l’heure actuelle, un des ouvrages de référence. Il fut aussi le premier à attirer l’attention sur l’école de Mannheim, mais en surestimant son rôle dans la formation du style de Haydn. Son influence fut sensible à la fois chez les compositeurs (citons, parmi ses élèves, M. Reger et Pfitzner) et chez les musicologues. Par son approche systématique et méthodique du phénomène musical, qu’il considère sous un aspect global et universel, il a donné de nouvelles perspectives à la musicologie et a sans doute été le dernier à avoir eu une vision encyclopédique de la musique. RIEPP (Karl Joseph), facteur d’orgues français d’origine allemande (Eldern 1710 - Dijon 1775). Naturalisé en 1747, il s’établit à Dijon. Peu nombreux, ses instruments sont des chefsd’oeuvre de la facture classique. Ce sont surtout ceux de la collégiale de Dole et les deux orgues du choeur de l’abbaye d’Ottobeuren, en Souabe (1766). RIES, famille de musiciens allemands. Franz Anton, violoniste (Bonn 1755 Godesberg 1846). Fils d’un trompettiste et violoniste de l’orchestre du prince électeur de Cologne à Bonn, il donna des leçons à Beethoven, et assista en 1845 à l’inauguration de la statue de ce dernier à Bonn. Ferdinand, pianiste, copiste et compositeur, (Bonn 1784 - Francfort 1838). Fils aîné du précédent, il vécut à Vienne de 1801 à 1805 et en 1808-1809, et, lors de son premier séjour, servit de secrétaire à

Beethoven, dont il reçut aussi des leçons de piano. Il effectua ensuite des tournées en Europe, et de 1813 à 1824 vécut à Londres. Comme compositeur, on lui doit beaucoup d’oeuvres pour piano (sonates, pièces diverses, musique de chambre avec piano, concertos) ainsi que des ouvrages pour orchestre et des pages vocales. Il publia avec Wegeler les Biographische Notizen über Ludwig van Beethoven (Coblence, 1838), ouvrage largement basé sur ses propres souvenirs et qui constitue une des premières biographies importantes de l’auteur de Fidelio. Il eut quatre frères également musiciens. RIGAUDON. Danse très animée, plus rapide que la gavotte, généralement notée à deux temps et commençant sur une anacrouse. À l’origine danse populaire de la Provence, du Dauphiné et du Languedoc, le rigaudon se dansait en cercle. Au XVIIe siècle, il gagna Paris et devint une danse de cour stylisée mais garda son ambitus modal et, le plus souvent, sa tonalité majeure. On inventa le mot « rigaudonner » pour évoquer un badinage gai, léger et enjoué. Le rigaudon s’intégra quelquefois dans la suite instrumentale chez les clavecinistes (Fr. Couperin, E. Jacquet de la Guerre, Rameau) et figura dans les opéras de l’époque. S’il n’existe que deux exemples, d’ailleurs non précisés, dans l’oeuvre de Lully, ses successeurs, et particulièrement Rameau, semblent l’avoir aimé davantage. Exemple : Marc-Antoine Charpentier, David et Jonathan, acte IV : On trouve le rigaudon également à la même époque en Allemagne et en Angleterre. Depuis le XVIIIe siècle, il est tombé en désuétude, mais réapparaît parfois dans certaines oeuvres (Grieg : Holberg Suite ; Ravel : le Tombeau de Couperin). RIGEL (originellement RIEGEL), famille de musiciens français d’origine allemande. Henri-Joseph (Wertheim, Franconie, 1741 - Paris 1799). Il se fixa à Paris en 1767, vivant de leçons de musique, puis de concerts. Sa production des années 1770, downloadModeText.vue.download 856 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 850 essentiellement instrumentale, s’inscrit dans la tradition de Schobert. Il faut y ajouter deux oratorios : la Sortie d’Égypte (1774) et la Destruction de Jéricho (1778), joués au Concert spirituel, dont Rigel devint chef d’orchestre en 1783. À partir de 1778, il se consacra à l’art lyrique, et produisit quatorze ouvrages, opéras-comiques pour la plupart. Nommé en 1784 maître de solfège à l’École royale de musique, il s’y maintint après la Révolution, lorsque l’École fut réorganisée en Conservatoire, et y fut professeur de piano. Anton, frère cadet du précédent (Wertheim v.1745 - Mannheim ? apr. 1807). Il arriva à Paris en 1776, s’y imposa comme professeur de flûte et de piano, se fit applaudir au Concert spirituel, et s’occupa de l’édition des oeuvres de son frère. Son oeuvre, d’importance secondaire, est uniquement instrumentale. En 1787 il retourna en Allemagne. Henri-Jean, fils cadet de Henri-Joseph (Paris 1772 - Abbeville 1852). Entré à l’École royale de chant, il fit montre d’une telle précocité qu’il fut nommé à l’âge de treize ans sous-maître de solfège. En 1787, il fit ses débuts au Concert spirituel avec une cantate. Nommé en 1795 professeur au Conservatoire, il quitta ce poste en 1798 pour suivre Bonaparte en Égypte, où il devint membre de l’Institut égyptien des sciences et des arts et fut nommé directeur du Théâtre français du Caire. Deux ans plus tard, revenu en France, il devint professeur de piano renommé. En 1804, Napoléon le nomma pianiste de sa Musique particulière. En 1825, il fut élu président de la Société académique des enfants d’Apollon, où il fit exécuter des oeuvres de son père et les siennes propres. RIGUTTO (Bruno), pianiste français (Charenton 1945). Au Conservatoire de Paris, il obtient deux premiers prix (piano en 1962, musique de chambre en 1963) et travaille avec Marguerite Long. Lauréat en 1965 du Concours Long-Thibaud et en 1966 du Concours Tchaïkovski, il mène rapidement une carrière brillante, se produisant sur les grandes scènes, en soliste et en formation de chambre. À partir de 1981, il

enseigne au Conservatoire de Paris. RIHM (Wolfgang), compositeur allemand (Karlsruhe 1952). Il commence ses études musicales par le piano. À partir de 1968-69, il étudie à la Musikhochschule à Karlsruhe : théorie musicale et composition chez E. W. Velte, piano chez I. Slavin et H. Searle. Les conseils de W. Fortner sont d’une importance capitale pour ses recherches de compositeur. En 1970, il fréquente pour la première fois les cours d’été de Darmstadt et plus tard, à la fin de ses études (diplôme de composition à la Musikhochschule à Karlsruhe), il est accepté comme élève par K. Stockhausen. Ses travaux avec Stockhausen en 1972-73, puis avec Klaus Huber à Fribourg-en-Brisgau constituent deux expériences décisives pour la formation de son style personnel. Parallèlement, il suit en musicologie l’enseignement de H. H. Eggebrecht à l’université de Fribourg. De 1973 à 1978, il enseigne la théorie et l’analyse musicale à la Musikhochschule à Karlsruhe. Titulaire de nombreux prix, il séjourne en 1979-80 à l’Académie allemande, villa Massimo, à Rome. Il vit à Fribourg et à Karlsruhe. Wolfgang Rihm fut d’abord le représentant le plus connu et le plus productif du mouvement de la jeune musique allemande appelé « Nouvelle simplicité ». Son art a ensuite évolué vers un expressionnisme original et violent (Spur pour orchestre, 1985). Opposé à « l’avant-gardiste (des années 50-60) devenu l’académicien d’aujourd’hui », il se déclare « allergique au dilettantisme » et crée une « musique humaine », particulièrement expressive et directement adressée à l’auditeur, parce que « complexe et claire, troublée et passionnée, précise et étonnée comme l’existence humaine ». Après l’intellectualisme exacerbé des avant-gardistes des années 50-60 et l’objectivisme simpliste des postcagiens, la recherche de Rihm se propose « l’expression de différents états in oratio directa », en élaborant une technique compositionnelle particulière qui s’inspire sans gêne des styles antérieurs. Qualifiée souvent, un peu trop à la hâte, de néoromantique ou de néo-expressionniste, l’écriture de Rihm correspond en réalité à sa conception de la musique en tant que « force et énergie immédiatement et physiquement vécues ». L’expérience person-

nelle et le savoir littéraire participent au même processus créateur qui explore les zones frontières entre le moi et la folie : ses symphonies et ses quatuors à cordes, des oeuvres comme l’opéra de chambre Jakob Lenz, Hölderlin-Fragmente, Alexanderlieder, Wölfli-Liederbuch, Tutuguri, l’opéra OEdipus, l’oratorio Missa non est (1989) et Vers une symphonie fleuve III (Stuttgart 1995), témoignent de son intérêt profond pour la subjectivité psychologique non maîtrisable, soigneusement mise entre parenthèses par la tradition structuraliste des années 50-60. RILEY (Terry), compositeur et improvisateur américain (Corfax, Californie, 1935). Après avoir étudié le piano et la composition à San Francisco et à l’université de Berkeley, il se tourne vers l’improvisation, d’abord dans un groupe formé avec Pauline Oliveros. Il rencontre La Monte Young en 1960, voyage en Europe, travaillant avec divers instrumentistes de pop et de jazz (avec le guitariste David Allen en 1962 dans un bar de Pigalle, puis avec le trompettiste Chet Baker). Il travaille aussi pour les ballets Ann-Halprin, et développe ses techniques d’improvisation, basées sur la répétition de brèves cellules et sur l’utilisation des magnétophones pour multiplier un instrumentiste et lui permettre de former un ensemble : soit en studio et en différé, avec le « re-recording », soit en direct, avec les procédés d’écho retardé et de « tape delay » (exécution enregistrée au fur et à mesure, et rejouée avec un certain décalage dans le temps par d’autres magnétophones). Certaines de ses premières pièces jouables en re-recording, ou par plusieurs instrumentistes, comme les Keyboard Studies (1965-66), et surtout In C (1966) [en do majeur], font sensation dans l’avant-garde musicale, avec leur langage agressivement consonant et tonal, et leur principe de répétition obstiné : Riley fut ainsi le premier « répétitif » à percer dans le grand public, avant Glass, Reich, ou Gibson, mais alors que ceux-ci sont restés dans le cercle d’une « avant-garde », même élargie et popularisée, Riley fabrique une musique moins rigide, plus « pop ». À la fin des années 60, ses oeuvres Poppy No Good and the Phantom Band (1967), pour saxophone soprano, orgue et dispositif de multiplication par « tape delay », et surtout A Rainbow in Curved Air (1969), lumineux mouvement per-

pétuel pour orgue électronique en re-recording, le font connaître, par le disque, d’un large public de tous les milieux. Après quoi, de plus en plus influencé par une certaine musique orientale (indienne, notamment), il continue une carrière de compositeurimprovisateur, utilisant en guise de partitions des structures de base « mises en orbite à l’intérieur de sphères concentriques », et créant dans la durée une musique extatique. Parmi ses créations récentes, on peut citer Persian Surgery Derviches, la musique du film les Yeux fermés, Happy Ending et Journey from a Death of a Friend. RILLING (Helmut), organiste et chef de choeur allemand (Stuttgart 1933). Élève de Karl Gerock (orgue), Johann Nepomuk David (composition) et Hans Grischkat (direction chorale) à Stuttgart de 1952 à 1955, il étudia aussi l’orgue avec Fernando Germani à Rome (1955-1957) et la direction d’orchestre avec Leonard Bernstein à New York (1967). Il a fondé en 1954 la Gächinger Kantorei, puis en 1957 le Figuralchor de la Gedächtniskirche de Stuttgart, donné une nouvelle vie à la Spandauer Kantorei de Berlin (19631966), et, en 1969, lors de sa nomination comme professeur à l’École supérieure de musique de Stuttgart, a succédé à Kurt Thomas à la tête de la Frankfurter Kantorei. Il a entrepris en 1972 un enregistrement intégral des cantates de J.-S. Bach. downloadModeText.vue.download 857 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 851 RIMSKI-KORSAKOV (Nikolaï A.), compositeur russe (Tikhvine 1844 - Lioubensk 1908). Placé dès l’âge de six ans devant un piano, il se familiarise rapidement avec Beethoven, Mozart, les ouvertures de Verdi, Auber, Spontini et les pots-pourris d’opéras italiens, répertoire quotidien de sa famille, de la noblesse campagnarde éclairée. Mais destiné à faire carrière dans la marine, il est envoyé à l’École des cadets de la flotte à Saint-Pétersbourg (18561862). La capitale lui offre la révélation décisive du théâtre lyrique, en l’occurrence Meyerbeer, Weber, Verdi, Rossini, Mozart (Don Giovanni), et surtout Glinka, dont

il ressent toute l’importance. Parallèlement, dès 1860, Canilla, son professeur de piano, lui fait connaître Bach, Schumann, et approfondir Beethoven ; il encourage même ses premières compositions et le présente, en novembre 1861, à Balakirev, qui lui demande d’écrire une symphonie. Mais, promu au grade d’aspirant, il doit s’embarquer pour une croisière de trois ans autour du monde : peut-être en rapporte-t-il son goût du pittoresque, des couleurs et du folklore. Le succès de sa première symphonie, achevée à son retour, le décide à voir dans la musique sa vraie vocation, alors même que, sous l’influence des idées de Liszt et Berlioz il entreprend Sadko, son premier poème symphonique. Mais sa nomination en 1871 comme professeur de composition et d’orchestration au conservatoire de Saint-Pétersbourg marque un tournant décisif dans sa vie. Si le groupe des Cinq trouve là un lieu de vulgarisation de ses idées, cette promotion amène Rimski-Korsakov à entreprendre pendant cinq ans un véritable recyclage, sa formation d’autodidacte ne pouvant nourrir son enseignement. Lui, qui n’avait jamais harmonisé un choral, jamais fait un exercice de contrepoint, se met à l’étude des fugues de Haendel et de Bach (il en écrira lui-même 61), des polyphonistes italiens et néerlandais, du traité de Chérubini et de celui de Berlioz, cela avec l’aide de Johansen et de Tchaïkovski. Étonnant Rimski-Korsakov, qui, par conscience professionnelle, substitue la technique à l’empirisme de sa première manière ! Exemple unique dans ce groupe des Cinq et qui explique partiellement les tâches de « révision », d’un bonheur parfois douteux, qu’il s’assignera, notamment en ce qui concerne Moussorgski et Borodine. Enfin, sa nomination comme inspecteur des musiques des équipages de la flotte (1873) lui permet de vivre de et par la musique tout en le conduisant à s’intéresser aux instruments à vent et même à apprendre la clarinette et la flûte. La collecte des chants populaires l’absorbe alors pendant près de deux ans (1876-1878) et lui fait découvrir les vieux rites païens, notamment du Dieu-Soleil, qui l’obséderont dans ses oeuvres lyriques. Jusqu’en 1882, date à laquelle il se consacre à la révision

des manuscrits de Moussorgski (18821884), il dirige l’École libre de musique, puis, de 1886 à 1890, les Concerts symphoniques russes de Saint-Pétersbourg, tout en étant directeur adjoint de la chapelle impériale confiée à Balakirev (18831893). Il a noué aussi des liens d’amitié avec Belaïev, autour duquel s’est formé un cénacle plus ouvert, plus technique que celui du groupe des Cinq, moins passionnant peut-être, mais où Palestrina, Bach, et les nouvelles oeuvres de Wagner trouvent grâce. Liadov, Glazounov, plus tard Tcherepnine et Scriabine s’y retrouveront. À l’initiative de Belaïev, RimskiKorsakov dirige, au Trocadéro, deux grands concerts de musique russe dans le cadre de l’Exposition universelle de 1889, occasion pour lui de prendre un premier contact avec les musiciens français et les courants musicaux nouveaux (il y reviendra avec Diaghilev en 1907). Écarté de ses différentes activités et interdit d’exécution (le Coq d’or ne sera créé qu’après sa mort en 1909) pour avoir soutenu le mouvement de 1905, pris le parti des étudiants et même mis en musique Doubinouchka, l’hymne populaire de la première révolution, Rimski-Korsakov n’est réintégré qu’officieusement quand un infarctus le terrasse le 22 juin 1908, au moment même où Snegourotchka est représenté à l’Opéra-Comique de Paris. L’essentiel de son activité de compositeur fut consacré à ses quinze opéras. Mais si en 1868-69, lorsque sonne l’heure des réalisations pour le groupe des Cinq, Rimski choisit l’épisode historique de la révolte de la ville de Pskov réprimée par Ivan le Terrible, la Pskovitaine, ce type de sujet constitue à vrai dire une exception. Le monde de Rimski est un monde de poésie, de beauté et de lumière, et il est plus attiré par les sujets tirés des contes populaires où s’affirme la sagesse profonde du peuple et par les thèmes féeriques, sinon fantastiques. Cette orientation, sensible dans la Nuit de mai (1878-79), Snegourotchka (1880-81), Sadko (1894-1896), Kastcheï (1901-1902), Kitège (1903-1905), le Coq d’or (1906-1907), véhicule une critique sociale qui lui vaut quelques démêlés avec la censure (il doit supprimer dans la Nuit de Noël toute allusion à Catherine

II ; Kastcheï a été bien compris comme une protestation contre l’oppression et une allusion au grand inquisiteur Pobedonostev, le Coq d’Or comme une satire du gouvernement). Bien plus, l’optique générale reflète aussi une certaine conception de l’opéra : l’acceptation du caractère conventionnel du genre, l’idée que sur scène tout est spectacle et stylisation, la méfiance à l’égard du réalisme vériste. Distinguons chez lui trois types d’opéra : le genre italien (la Fiancée du tsar) ; la mélodie ininterrompue héritière à la fois de Wagner et Dargomyjski (Mlada, 1889-90 ; Mozart et Salieri, 1897 ; Kitège (1903-1905) ; l’oeuvre de compromis entre l’opéra lyrique et l’opéra déclamatoire (Snegourotchka, 1880-81 ; Sadko, 18941896, la Nuit de Noël, 1894-95 ; Tsar Saltan, 1899-1900 ; le Coq d’or, 1906-1907), où les « morceaux séparés » alternent avec des scènes entières construites selon les idées du drame wagnérien. Rimski-Korsakov refuse, en effet, de se laisser guider par des théories, seuls comptent pour lui le résultat et la nécessité musicale. Ainsi l’emploi du leitmotiv est-il chez lui tout autre que chez Wagner : il n’est pas le tissu de la trame orchestrale, il peut devenir thème, air, véritable motif rythmico-mélodique, parfois succession harmonique (cf. la leit-harmonie du cri du Coq d’or). Mais ce qui frappe avant tout dans son oeuvre, c’est sa science de l’orchestration (cf. ses Principes d’orchestration, 18961908, édités en 1913) qui s’appuie sur les expériences des compositeurs allemands (Weber, Mendelssohn, Wagner, Liszt), français (Meyerbeer et surtout Berlioz), russes (la marche de Tchernomor de Glinka dans Rousslan et Ludmilla étant le modèle). En ce domaine, il a marqué toute une génération, y compris Stravinski, fortement influencé par l’orchestre, la couleur et les procédés d’écriture du Coq d’or : l’Oiseau de feu et Petrouchka en témoignent. Rimski a un goût certain pour les combinaisons neuves (par ex. bois, cuivres et percussions), la sonoristique (cf. Capriccio espagnol, Schéhérazade, la Grande Pâque russe), et il aimait à comparer l’orchestre à une sorte de clavier idéal. Son langage harmonique ne plonge pas seulement dans la musique populaire, il pousse l’harmonie, comme dans Katscheï, « jusqu’aux extrêmes limites, bien qu’on n’aboutisse jamais à la sur-harmonie »

(Rimski). Il affectionne, d’autre part, les accords augmentés et certaines trouvailles peuvent l’apparenter à Debussy ; l’ouverture de Kitège peut même faire songer à Chostakovitch. Sans doute a-t-il été le chef d’école le plus important de la Russie de la fin du XIXe siècle. RINGEISSEN (Bernard), pianiste français (Paris 1936). De 1947 à 1951, il étudie au Conservatoire de Paris, où il obtient un 1er Prix de piano, et travaille ensuite avec Marguerite Long et Jacques Février. Lauréat de plusieurs concours internationaux (Genève 1954, Long-Thibaud 1955), il donne des concerts en France et en Europe, interprétant volontiers les oeuvres de compositeurs méconnus : Charles-Valentin Alkan, downloadModeText.vue.download 858 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 852 Reynaldo Hahn, César Cui, ou encore Saint-Saëns, dont il a enregistré l’intégralité de l’oeuvre pour piano. RINUCCINI (Ottavio), poète et librettiste italien (Florence 1562 - id. 1621). Poète humaniste dans la tradition de Guarini et du Tasse, il fréquente dès sa jeunesse diverses académies florentines, dont celle des Alterati, où il rencontre entre autres Bardi et Corsi. À l’exclusion de trois séjours à la cour de France, où il avait les faveurs d’Henri IV et de Marie de Médicis, et d’un voyage à Mantoue pour le mariage de François Gonzague (1608), il se consacre aux festivités de la cour des Médicis à Florence. Il collabore, en particulier, aux intermèdes donnés en 1589 pour le mariage du grand-duc Ferdinand Ier. Son livret de Dafne (1594), mis en musique par Peri et exécuté chez J. Corsi en 1598, constitue la première tentative d’oeuvre lyrique entièrement chantée et composée dans le nouveau style récitatif. Il est également l’auteur, entre autres, du livret d’Euridice, mis en musique par Peri en 1600 et par Caccini en 1602, et collabore en 1608 avec Monteverdi pour Arianna et le Balletto delle ingrate, où est nettement perceptible l’influence du

ballet de cour français. Il écrivit, en outre, de nombreux poèmes qu’utilisent les compositeurs de madrigaux et en particulier Monteverdi. RIPIENO (ital. : « ce qui remplit »). Dans le concerto grosso (fin XVIIe - début XVIIIe s.), terme par lequel on désigne l’ensemble de l’orchestre (constitué généralement des cordes, avec deux flûtes ou deux hautbois, un basson, et un clavecin réalisant la basse continue), par opposition au concertino, petit groupe de deux ou trois instruments extraits de l’ensemble, auxquels sont confiées des parties solistes. Le principe du concerto grosso consiste dans l’alternance entre l’écriture verticale, harmonique, du ripieno, et l’écriture horizontale, contrapuntique, du concertino. RISLER (Édouard), pianiste français (Baden-Baden 1873 - Paris 1929). Il naît d’une mère allemande et d’un père alsacien. Cette double origine se reflète tout au long de sa carrière : plus qu’aucun autre interprète de son temps, il illustre le lien musical entre la France et l’Allemagne. Il est l’élève de Diémer et Dubois au Conservatoire de Paris, puis de Klindworth et Eugen d’Albert en Allemagne. En 1896 et 1897, il est répétiteur à Bayreuth. Il y rencontre Cortot, qu’il influence beaucoup, et avec lequel il crée Dolly de Fauré en 1898. Wagnérien ardent, il assiste Lamoureux pour la première exécution de Lohengrin à Paris. Dans la capitale française, il fait entendre pour la première fois une intégrale des sonates de Beethoven et de l’oeuvre de Chopin, répertoire qu’il joue par coeur. Il se produit en duo de pianos avec Diémer, et joue souvent le Clavier bien tempéré. En Allemagne, il fait connaître Franck, Chabrier et Saint-Saëns. Il est aussi un grand lisztien. Dédicataire de la Bourrée fantasque de Chabrier et d’extraits des Goyescas de Granados, il crée en 1897 Quelques Danses de Chausson, et en 1901 la Sonate de Dukas. De 1906 à 1923, il enseigne au Conservatoire de Paris. Il y est nommé par Fauré, dont il crée en 1907 l’Impromptu no 4 et la Barcarolle no 8. RISSET (Jean-Claude), compositeur et chercheur français (Le Puy 1938). Il mène de front des études scientifiques

(École normale supérieure) et musicales (écriture avec Suzanne Demarquez, composition avec André Jolivet). Dans le cours des années 60, il travaille, trois années durant, aux côtés du pionnier Max Mathews, dans les laboratoires de recherches de la Bell Telephone, près de New York, et il se trouve ainsi associé, avec Guttman et Pierce, aux recherches déterminantes de Mathews sur la synthèse des sons par ordinateur. En 1969, Risset publie ainsi un « catalogue de sons d’ordinateur », fondé sur l’emploi du programme de Mathews Music V, et qui fait date dans cette recherche. On lui doit particulièrement la conception de sons « paradoxaux » basés sur des phénomènes d’illusion acoustique, tels que le son qui semble monter indéfiniment, ou descendre de même ; il les a utilisés lui-même dans sa musique de scène Little Boy (1968, pour une pièce de Pierre Halet sur Hiroshima) et dans l’oeuvre pour bande Mutations I (1969), commandée par le G. R. M., une des premières oeuvres importantes entièrement synthétisées par ordinateur. Elle sera suivie d’une série de pièces « mixtes », combinant la bande magnétique (réalisée à partir de sons d’ordinateur) avec des parties instrumentales jouées en direct, dans un style coulant et euphonique, de bonne compagnie : Dialogues (1975), pour flûte, clarinette, percussion et bande ; Inharmoniques (1977), pour soprano et bande ; Moments nextoniens (1977), pour quatuor à cordes, piano, deux trompettes, et bande ; Mirages (1978) ; Songes (1980), pour bande, etc. En 1976, Jean-Claude Risset prenait la direction du département « ordinateur » de l’I. R. C. A. M. dirigé par Pierre Boulez au centre Pompidou à Paris, mais il devait en démissionner trois ans plus tard. Il est depuis 1985 directeur de recherche au C. N. R. S. Ses recherches et ses oeuvres, d’un style plutôt « rassurant », faisant la liaison avec la musique instrumentale postsérielle, ont beaucoup contribué à faire admettre les sons synthétisés par ordinateur à un public plus large. Citons encore Phases pour grand orchestre (1988), Attracteurs étranges pour clarinette et bande (1988), Saxatile pour saxophone soprano et ordinateur (1992), Invisibles pour soprano et ordinateur (1994).

RITOURNELLE (de l’ital. ritornello, « retour »). Retour d’un passage instrumental, entendu au début du morceau, et servant ainsi de refrain. À l’origine, le terme s’applique à une sorte de chanson populaire italienne comportant des strophes de trois vers (le premier rimant avec le dernier). Au XIVe siècle, le madrigal italien pouvait inclure un ritornello, ou refrain, sur les deux derniers vers de ses strophes de huit ou onze vers. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, l’introduction instrumentale à une pièce vocale, répétée au cours du morceau, modifiée ou non, s’appelle ritournelle. Elle détermine régulièrement la forme des airs strophiques chez Monteverdi et Cavalli. Intitulée « entrata », l’introduction du Ballo de Monteverdi Movete al mio bel suon ponctue de la même manière les strophes du chanteur. En revanche, Lully donne souvent le nom de « ritournelle » à un prélude instrumental au début d’un acte d’opéra ou d’un air important, sans qu’il y ait reprise. Chez Haendel et ses contemporains, la plupart des airs de forme da capo débutent par une ritournelle exposant le thème principal et réentendue ensuite. Les reprises étaient introduites, selon J.-J. Rousseau, afin de « reposer la voix ». Cette forme ritournelle est adoptée dans le concerto baroque avec les retours du tutti initial. La technique se perpétue dans le concerto classique et romantique, où une ritournelle continue à précéder l’entrée du soliste. RIVIER (Jean), compositeur français (Villemomble 1896 - Aubagne 1987). Il commença à étudier la musique en autodidacte, puis fut mobilisé lors de la Première Guerre mondiale, au cours de laquelle il fut gazé et réformé. Il se mit alors à travailler l’harmonie avec Jean Gallon et le contrepoint avec Georges Caussade, puis entra au Conservatoire de Paris dans les classes de Paul Braud (piano), Paul Bazaire (violoncelle) et Maurice Emmanuel (histoire de la musique). En 1926, il obtint un premier prix de contrepoint et de fugue. Il se consacra alors à la composition, et fut un compositeur fécond (7 symphonies, concertos pour violon, pour clarinette, pour basson, pour hautbois,

concertino pour alto, nombreuses oeuvres de musique de chambre, un requiem, mélodies, choeurs). Son oeuvre a subi l’influence de Ravel, de Roussel, puis celle de downloadModeText.vue.download 859 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 853 Prokofiev, de Jolivet, et du jazz. À partir de 1948, il fut une année sur deux professeur de composition au Conservatoire de Paris, en alternance avec Darius Milhaud, titulaire de la classe et auquel il succéda (1962-1966). ROBERDAY (François), compositeur et organiste français (Paris 1624 - Auffargis 1680). Fils d’un orfèvre en renom, grand amateur de musique, il fut lui-même reçu orfèvre en 1650 et devint orfèvre du roi. Il fut organiste chez les Petits-Pères, à Paris, acheta une charge de valet de chambre de la reine, et vécut dans une grande aisance jusqu’à ce que des revers de fortune le ruinent, le contraignant à se retirer à la campagne. En 1660, il publia son unique recueil de musique, Fugues et Caprices à 4 parties, mises en partition pour l’orgue et dédiées aux amateurs de musique. En insistant sur les mots « mises en partition », Roberday met l’accent sur l’originalité de l’écriture de son recueil, présenté ni en tablature, comme on le faisait pour les instruments à clavier ou le luth, ni en parties séparées, selon l’usage pour la musique à plusieurs instruments. Dans son avertissement, il précise que ces morceaux sont en partie empruntés à d’autres auteurs (Cavalli, d’Anglebert, Louis Couperin, Bertali, de la Barre, Cambert et Froberger), traités dans un contrepoint très solide et un ardent lyrisme qui apparente Roberday à Frescobaldi et à Froberger, dont il a par ailleurs copié des pièces. Beau-frère de d’Anglebert, Roberday aurait été l’un des maîtres de Lully. ROBERT (Pierre), compositeur français (Louvres, près de Paris, v. 1618 - Paris 1699). Éduqué à la maîtrise de Notre-Dame de Paris, il est ordonné prêtre très jeune. Il devient maître de chapelle de la cathédrale de Senlis en 1648 et de celle de

Chartres en 1650, puis occupe la même fonction à Notre-Dame de Paris de 1653 à 1663. Cette année-là, il est nommé, avec H. DuMont, sous-maître de la chapelle royale et en 1672, à la mort de Thomas Gobert, les deux musiciens se partagent le poste de compositeur de la chapelle du roi. En 1684, DuMont meurt et Robert quitte le service du roi, mais il conserve jusqu’à sa mort les charges d’abbé de Chambon et de Saint-Pierre de Melun qu’il a acquises respectivement en 1671 et 1678. On ne conserve de lui que des motets : un recueil imprimé de 24 grands motets à 5 et 6 voix avec basse continue (Motets pour la chapelle du roi, 1684) et 10 petits motets de 2 à 4 voix recueillis par Philidor l’Aîné en 1688 dans les Petits Motets et élévations de MM. Carissimi, de Lully, Robert, Daniélis et Foggia. Deux autres motets, Memorare dulcissime Jesu, à 3 voix, et Splenda aeternae gloriae, à 2 voix, figurent dans des anthologies. Ses grands motets à deux choeurs sont, comme ceux de Du Mont et de Lully, fidèles à l’esthétique grandiose de Louis XIV. Son style est bien plus intéressant dans les petits motets où l’usage expressif de dissonances et de modulations et l’écriture en dialogue et imitation attestent sa familiarité avec les compositeurs italiens de l’époque. ROBERTSON (David), chef d’orchestre américain (Santa Monica 1958). Il étudie le cor et l’alto puis s’oriente vers la direction d’orchestre et poursuit ses études à la Royal Academy of Music de Londres, puis auprès de Kiril Kondrachin en Hollande et de Rafael Kubelik à Lucerne. Second Prix au Concours de direction d’orchestre Nicolaï Malko à Copenhague en 1980, il dirige de nombreux orchestres en Scandinavie. En 1981, il commence à diriger à la Deutsche Oper de Düsseldorf. De 1985 à 1987, il est chef assistant à l’Orchestre de Jérusalem. Invité par de grands orchestres européens, il dirige de nombreuses productions lyriques ainsi que la musique du XXe siècle. À la demande de Pierre Boulez, il prend en septembre 1992 la direction musicale de l’Ensemble InterContemporain. ROBILLIARD (Louis), organiste français (Beyrouth 1939). Il fait ses études au Conservatoire de Paris et obtient en 1967 les premiers prix

d’orgue et d’improvisation à l’unanimité. Il est nommé la même année professeur d’orgue au Conservatoire de Lyon. Il se fait connaître du public français en 1971 en interprétant en direct sur France-Musique l’intégrale de l’oeuvre d’orgue de Franz Liszt. En 1974, il est nommé organiste titulaire de l’église Saint-Françoisde-Sales, à Lyon, et en 1976, rapporteur auprès de la Commission nationale des orgues historiques. Il participe ensuite à de nombreux festivals et concerts et enregistre des oeuvres de Reger, Liszt, etc. ROBIN (Mado), cantatrice française (Yzeure-sur-Creuse 1918 - Paris 1960). Véritable phénomène vocal pour qui le contre-ut était presque une note grave, elle fut révélée au public parisien en 1945 dans un programme de music-hall à l’A. B. C., avec des chansons acrobatiques du type la Gitane et l’Oiseau. Aussitôt engagée à l’Opéra, elle y débuta la même année dans le rôle de Gilda de Rigoletto. En 1946, elle incarna Lakmé à l’OpéraComique, puis brilla dans la plupart des emplois de soprano colorature, dont la Reine de la nuit. Elle créa le Rossignol de Stravinski à Monte-Carlo et sa renommée était devenue internationale quand une maladie implacable l’emporta. ROCHLITZ (Johann Friedrich), écrivain et critique musical allemand (Leipzig 1769 - id. 1842). Il fut éduqué à la Thomasschule, où il étudia avec J. F. Doles, et composa très jeune des cantates, des lieder et de la musique pour piano. Doutant de son talent après sa rencontre avec Mozart en 1789, il décida d’étudier la théologie, mais abandonna cette voie en 1794 au profit d’une carrière littéraire. En 1798, il fut choisi par la maison d’édition Breitkopf et Härtel comme rédacteur en chef de la nouvelle Allgemeine musikalische Zeitung, qu’il dirigea jusqu’en 1818 et à laquelle il collabora jusqu’en 1835. Il fut aussi membre de la direction du Gewandhaus et s’imposa, dans le domaine littéraire, par sa traduction de l’Antigone de Sophocle et sa version allemande du Don Giovanni de Mozart. Par ses longues années de critique à l’Allgemeine musikalische Zeitung et par sa position au Gewandhaus, il joua un rôle décisif dans la musique allemande.

Il avait une préférence très nette pour Bach, Haendel, Mozart et Haydn, et son attitude envers Beethoven, qu’il rencontra à Vienne en 1822, fut toujours ambiguë. Beethoven cependant respectait son jugement. Il a rassemblé une partie de ses réflexions dans Für Freunde der Tonkunst (2 vol., 1824 ; 4 vol., 1830-1832). ROCK AND ROLL. Style musical à prédominance vocale, issu de la rencontre de la musique populaire noire (blues et rhythm and blues) avec des éléments empruntés au folklore américain blanc (musique hillbilly, country and western). Caractérisé par un rythme 4/4 vigoureusement appuyé sur le deuxième et le quatrième temps, le rock and roll utilise une instrumentation où dominent les guitares électriques (rythmique et basse, même si la contrebasse acoustique est encore employée dans les premières années) et la batterie, accessoirement le piano et le saxophone. L’expression « rock and roll » a été lancée en 1952 par un animateur de radio de Cleveland, Alan Freed. Le blues et le rhythm and blues utilisaient depuis longtemps les termes « rock » et « roll », très répandus dans le vocabulaire afro-américain, pour désigner des changements de tempo et de position, tout autant dans la danse que dans les relations sexuelles. Alan Freed fut le premier à intituler son émission, destinée aux jeunes Blancs, « Rock and Roll Party », afin de passer dans son programme de la musique noire, en évitant soigneusement de la présenter sous l’étiquette de rhythm and blues. Deux musiciens ont joué un rôle capital dans l’avènement du rock and roll : un Noir, Fats Domino, et un Blanc, Hawk downloadModeText.vue.download 860 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 854 Williams. Fats Domino fut le premier artiste à triompher dans le hit-parade blanc, en particulier avec son grand succès Ain’t that a shame. Il contribua ainsi à populariser le rhythm and blues de la NouvelleOrléans auprès de la jeunesse américaine. Hawk Williams, s’inspirant du folklore

hillbilly, donna au rock and roll sa structure : une chanson dont l’alternance couplet-refrain raconte une histoire, avec une recherche sur l’arrangement et l’effet. En 1954, un chanteur a l’idée de reprendre la formule de Fats Domino en y adaptant l’héritage de Hawk Williams : Bill Haley, qui, avec Rock around the clock, signe l’acte de naissance officiel du rock and roll. Très vite, les groupes et les chanteurs prolifèrent. Le rock and roll se diversifie alors en deux courant : d’une part, le rockabilly, uniquement interprété par des Blancs, surtout du sud des ÉtatsUnis (Elvis Presley, Buddy Holly, Eddie Cochran, Ricky Nelson, Gene Vincent, Carl Perkins, Jerry Lee Lewis) ; d’autre part, directement issu du blues, le rock and roll noir, plus violent, au tempo endiablé (Little Richard, Bob Diddley, Chuck Berry). Pour la première fois, une musique venue du sud des États-Unis, le rock and roll (blanc et noir), devient populaire auprès des Blancs du Nord. Après avoir envahi l’Amérique, il atteint l’Europe vers 1957-58. La vogue du rock and roll touche en premier lieu la Grande-Bretagne et y connaît une extension particulière, d’abord avec Tommy Steele, Cliff Richard et les Shadows, puis, après 1962, avec les Beatles, les Who, les Rolling Stones, trois groupes très fidèles au rock and roll et au blues à leurs débuts, mais qui évolueront par la suite vers la pop music. La vague du rock and roll atteindra la France avec quelque retard. Johnny Halliday, Eddy Mitchell et Dick Rivers se contenteront d’offrir des versions françaises des succès américains. La récupération par le show-business du phénomène du rock and roll donnera la vague « yé-yé », une version rassurante du modèle original. Explosion musicale, révolte contre l’ordre familial, le rock and roll marque un événement sociologique nouveau : pour la première fois, les adolescents, les « teenagers », se donnent un style et une musique qui n’appartiennent qu’à eux et s’affirment comme une classe d’âge dont l’importance économique ne fera que croître avec le temps. RODE (Pierre), violoniste et compositeur français (Bordeaux 1774 - château de

Bourbon 1830). Il reçoit à l’âge de six ans ses premières leçons de Fauvel aîné, donne ses premiers concerts en 1786 et devient, l’année suivante, à Paris, l’élève préféré de Viotti, dont il crée le 13e Concerto en 1790 pour ses débuts parisiens. Chef de pupitre des seconds violons de l’orchestre du théâtre Feydeau, il participe en 1794 aux concerts de la Semaine sainte et accompagne en tournée le chanteur Garat. C’est le début d’une vie de voyages, entrecoupée de séjours parisiens et de nominations importantes : professeur de violon au Conservatoire nouvellement créé (1795), violon solo de l’Opéra (1799), violon solo de la Musique personnelle de Bonaparte (1800), et de succès couronnant les interprétations de ses oeuvres et de celles de Viotti. Expulsé d’Angleterre avec ce dernier pour raisons politiques (1798), il se lie d’amitié à Madrid avec Boccherini et fait un long séjour à Saint-Pétersbourg de 1803 à 1808, comme violon solo de l’orchestre de la cour. Devant l’accueil maussade du public parisien à son retour en 1808, il repart, crée à Vienne la sonate op. 96 pour violon et piano de Beethoven (1812), se marie à Berlin (1814), compose ses 12e et 13e concertos, écrit 24 caprices pour le violon ainsi que 12 études, et, après un essai infructueux à Paris en 1828, cesse de jouer et meurt deux ans plus tard paralysé. Rode est le père de l’école française de violon. La virtuosité nerveuse et élégante de son jeu est à l’image d’une oeuvre brillante, encore utilisée comme matière à étude par les violonistes. Il a laissé également une méthode de violon (réalisée avec Baillot et Kreutzer) adoptée par le Conservatoire dès 1803. RODRIGO (Joaquín), compositeur espagnol (Puerto Sagunto, Valence, 1902). Frappé, tout enfant, de cécité, Rodrigo commença ses études musicales à Valence, puis se rendit en Allemagne (1922) où il écrivit ses premières compositions. Élève de Paul Dukas à Paris (1927-1932), il y rencontra Falla et Ricardo Viñès, dont les conseils le marquèrent profondément. Sa première oeuvre importante, le Concerto d’Aranjuez (1939), fut accueillie avec un enthousiasme qui ne s’est jamais démenti depuis, et a exercé une influence

déterminante sur l’évolution de la guitare au XXe siècle. La syntaxe de Rodrigo ne cherche pas à s’évader d’une clarté folklorisante qui lui vaut, du reste, une très vaste audience. Ses mélodies, ses pages orchestrales et d’inspiration religieuse se réclament de la même esthétique, indifférente au progrès, mais d’un charme indéniable. On lui doit aussi un Concerto andalou pour 4 guitares (1967). RODZINSKI (Artur), chef d’orchestre polonais naturalisé américain (Split 1892 Boston 1958). En 1918, il travaille la composition à Vienne avec Schreker, la direction avec Schalk et le piano avec Sauer et Lalevicz. En 1921, il fait ses débuts de chef à Lvov, puis, de 1921 à 1925, dirige à la Philharmonie et à l’Opéra de Varsovie, où Stokowski l’entend dans les Maîtres chanteurs. Il se laisse convaincre d’émigrer aux États-Unis, où, de 1926 à 1929, il assiste Stokowski au pupitre de l’Orchestre de Philadelphie. De 1929 à 1933, il dirige à Los Angeles, puis, de 1933 à 1943, l’Orchestre de Cleveland. En 1937, il est chargé par Toscanini de recruter les membres du NBC Orchestra. De 1943 à 1947, il est à la tête de la Philharmonie de New York, où son assistant est Leonard Bernstein. En 1948, il retourne en Europe et se fixe en Italie. Il a beaucoup marqué les orchestres américains, et ses enregistrements de Prokofiev ou Gershwin évoquent à la fois la rigueur de Toscanini et la jubilation expressive dont hérite Bernstein. Il défend le répertoire symphonique américain, créant des oeuvres de Barber et Copland (Appalachian Spring en 1945), mais diffuse aussi la musique russe (première audition américaine de l’opéra Lady Macbeth de Chostakovitch en 1935). Il crée les Métamorphoses symphoniques d’Hindemith en 1934, le Memorial to Lidice de Martinu en 1943, et l’Ode à Napoléon de Schönberg en 1944. ROGÉ (Pascal), pianiste français (Paris 1951). Issu d’une famille de musiciens, il étudie d’abord le piano avec sa mère et se produit en public à l’âge de dix ans, avant même son entrée au Conservatoire, où il est l’élève de Lucette Descaves. Titulaire de deux premiers prix (piano et musique de chambre), il en sort en 1966 et se perfec-

tionne auprès de Julius Katchen. Lauréat du prix Enesco de Bucarest en 1967 et 1er Grand Prix Long-Thibaud en 1971, il se produit dans le monde entier. ROGER-DUCASSE (Jean), compositeur français (Bordeaux 1873 - Le Taillan-Médoc 1954). Élève au Conservatoire de Charles de Bériot, Pessard, Gédalge et Gabriel Fauré, il obtint en 1902 le second grand prix de Rome, devint inspecteur général de l’enseignement du chant dans les écoles de la ville de Paris et succéda en 1935 à Paul Dukas comme professeur de composition au Conservatoire. Il a écrit pour le théâtre un Orphée - « mimodrame lyrique » qui est en fait un ballet avec choeurs -, créé à Saint-Pétersbourg en 1914, et l’opéracomique Cantegril (18 représentations salle Favart en 1931). Son style élégant et sa science de l’écriture musicale ont également brillé dans des poèmes symphoniques (le Jardin de Marguerite, 19011905 ; Ulysse et les Sirènes, 1937), des pièces, pour orchestre (Marche française, 1914 ; Épithalame, 1923, etc.), des motets et pièces chorales, deux quatuors à cordes downloadModeText.vue.download 861 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 855 et un quatuor avec piano, ainsi que de nombreuses pièces pour piano. ROGG (Lionel), organiste suisse (Genève 1936). Il a été au conservatoire de Genève l’élève, pour l’orgue, de Pierre Segond, et, pour le piano, de Nikita Magaloff. Il s’est fait principalement connaître par ses trois enregistrements intégraux de l’oeuvre d’orgue de Jean-Sébastien Bach et de nombreuses autres réalisations discographiques, tant au clavecin qu’à l’orgue. Son art se fonde sur un toucher d’une exceptionnelle maîtrise, qui lui permet, mieux que par la registration, d’individualiser les diverses voix des oeuvres polyphoniques qu’il interprète. ROJDESTVENSKI (Guennadi), chef d’orchestre soviétique (Moscou 1931). Son père, Nicolas Anosov, était chef d’or-

chestre et professeur au conservatoire de Moscou ; sa mère, Natalya Rojdestvenskaia, une cantatrice connue. Il reçut son éducation musicale dans la classe de son père et avec Lev Oborine. En 1951, ses débuts au théâtre Bolchoï dans la Belle au bois dormant de Tchaïkovski révélèrent sa maturité, sa vive intelligence musicale, sa mémoire remarquable (il dirigea le ballet de mémoire). À l’élégance et à la précision, à la décision et à la puissance expressive de ses gestes, on reconnaît l’influence de l’école du ballet sur l’art de ce chef. Dès le début de sa carrière, Rojdestvenski se déplaça en Europe occidentale et orientale aussi bien qu’en Amérique. En 1963, il devint chef principal de l’Orchestre symphonique de la Radio de Moscou, et, en 1965, chef principal du théâtre Bolchoï, ce qui lui permit, entre autres créations, de présenter pour la première fois en U. R. S. S. des opéras comme le Joueur de Prokofiev et le Songe d’une nuit d’été de Britten. Paris connut ses saisissantes interprétations de la Dame de pique et de Boris Godounov lors de la tournée de ce théâtre en 1969 ; Londres et le festival d’Édimbourg découvrirent ses présentations de symphonies de Chostakovitch (au festival d’Édimbourg, 1962, Rojdestvenski assura la première audition en Occident, dans des conditions triomphales, de la Quatrième Symphonie de ce compositeur). La suite de sa carrière est marquée par de nombreuses tournées et prises de postes : à l’Orchestre philharmonique de Stockholm (1974-1977), à l’Orchestre symphonique de la BBC (1978-1981), à l’Orchestre symphonique de Vienne (1981-1983), au nouvel Orchestre symphonique du ministère de la Culture à Moscou (1982-1991). Il assure parallèlement la direction musicale de l’Opéra de chambre de Moscou, dont la production du Nez de Chostakovitch a imposé l’oeuvre en de nombreux pays. L’un de ses plus beaux titres de gloire lui vient de sa spécialisation dans la musique de Prokofiev qu’il défend avec une ardeur peu commune, ayant fait découvrir des pages oubliées comme les deuxième et troisième symphonies et enregistrant une quasi-intégrale discographique de ce compositeur. Son intégrale des symphonies de Sibelius au disque ne fait pas moins auto-

rité. ROLAND-MANUEL (Roland Alexis Manuel Lévy, dit), compositeur, musicologue et pédagogue français (Paris 1891 - id.1966). Il prit ses premières leçons de violon à Liège où il passa plusieurs années de sa jeunesse ; puis il entra à Paris à la Schola cantorum, où il fut l’élève d’Albert Roussel et de Serieyx. Il fut, d’autre part, l’un des rares élèves de Maurice Ravel, dont il devint le biographe et l’exégète (Maurice Ravel et son oeuvre, 1914 ; Maurice Ravel, 1938, 2e éd. 1948, Ravel par quelquesuns de ses familiers, Paris, 1939). Il était également un proche ami du groupe des Six. Son oeuvre musicale (Trio à cordes, 1917 ; Suite dans le goût espagnol pour orchestre de chambre, 1938 ; oeuvres chorégraphiques, mélodies) porte l’influence de Ravel. D’origine israélite, il se convertit au catholicisme et s’attacha comme oblat à l’ordre des bénédictins. Humaniste d’une rare culture, il anima à la radio l’émission Plaisir de la musique qui prit en 1945 la succession d’une émission similaire d’Émile Vuillermoz. En 1947, il fut nommé professeur d’esthétique musicale au Conservatoire de Paris, classe qu’il partageait avec Marcel Beaufils. Aux éditions Gallimard, il dirigea une collection musicale et la réalisation d’une Histoire de la musique (2 vol., 1960-1963). ROLLAND (Romain), écrivain français (Clamecy 1866 - Vézelay 1944). La place de la musique dans la vie et l’oeuvre de Romain Rolland est tout à fait prépondérante : non content d’avoir développé en France, par le biais notamment de ses cours à l’École normale supérieure, la science musicologique, il écrivit une douzaine d’ouvrages consacrés à des genres ou des compositeurs (Histoire de l’opéra avant Lulli et Scarlatti, 1895 ; Musiciens d’autrefois, musiciens d’aujourd’hui, 1908 ; Vie de Beethoven, 1903 ; Voyage musical au pays du passé, 1919 ; les quatre tomes de Beethoven, les grandes époques créatrices, 1928-1944), et confia à son héros Jean-Christophe, luimême compositeur, le soin de ranimer la conscience de ses concitoyens par un nouvel idéal musical. C’est en effet prioritairement à la musique allemande que s’intéresse Rolland

et, au-delà, à l’âme allemande. La « musique aimante », « musique mère », « musique maîtresse », est présentée comme « la seule source profonde où (il a) puisé une connaissance presque charnelle de l’âme germanique ». De fait, Rolland n’alla que peu outre-Rhin, et ses rares voyages, dont un à Bayreuth, lui furent pénibles tant la lourdeur et la vulgarité servile des Allemands blessaient l’idéal qu’il avait de leur culture. Car cet esprit fasciné par l’humanisme de « l’Allemagne éternelle du coeur », désireux d’infuser dans la pensée logique française la masse de sentiments obscurs éveillés par la musique allemande, était en même temps fort lucide, tout à la fois quant aux méfaits d’un esprit revanchard et exterminateur (l’époque, de 1870 à 1914, puis dans les années 30, s’y prête), et quant à l’évolution qu’il constate en Germanie. Si donc il stigmatise Mahler, « bric-à-brac » opulent et criard », et Richard Strauss, « barbare et décadent », auteur de « chefs-d’oeuvre odieux » trempés à l’encre de Hofmannsthal, ce « neurasthénique » « impuissant », « hystérique », « névrosé », « dégénérescent », s’il vomit Wagner et les Associations Wagner, c’est qu’il y voit les symptômes d’un besoin grégaire masqué sous les oripeaux d’un faux idéalisme, d’un respect hypnotique de la force s’épanchant en contentements de soi d’une mélancolie fade. Le problème allemand, qu’il soit culturel ou politique, lui paraît toutefois devoir s’insérer dans un ensemble plus vaste touchant à la décadence morale de l’Europe tout entière. Il en rend responsables « la crise des volontés, la neurasthénie, l’abdication de l’intelligence, elles-mêmes conséquences de l’introduction de la pensée nordique » dont l’Allemagne porte le poids, avec le constat schopenhauerien et wagnérien de la vanité de la lutte pour la vie, la nostalgie qu’ils véhiculent d’un nirv¯ana où la volonté n’est plus ; le pressentiment tragique de cette nourriture et de la guerre imminente fait reconnaître à Rolland, derrière l’ivresse de la puissance qui habite l’Allemand, « Mars-commis voyageur », l’incertude du vouloir. Mais ses appels antiprussiens à une régénération de la véritable âme allemande, celle de la fin du XVIIIe siècle, dénoncés en France comme les traîtrises d’un germanophile enragé, n’eurent outre-Rhin

qu’un faible écho, tant on était là-bas habitué à de telles exhortations, lesquelles y revêtaient un sens tout différent. Au soir de sa vie, Rolland eut la douleur d’assister à un second soubresaut de la volonté wilhelminienne remise au goût d’une Allemagne éternelle bien éloignée de celle qu’il appelait de ses voeux. downloadModeText.vue.download 862 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 856 RÖLLIG (Karl), compositeur et instrumentiste allemand (Hambourg ? - Vienne 1804). Il se fit une spécialité de l’harmonica de verre inventé par B. Franklin, qu’il perfectionna et dont il devint le plus grand virtuose. À partir de 1791, il vécut à Vienne. ROMAN (Johan Helmich), compositeur suédois (Stockholm 1694 - Haraldsmala 1758). Surnommé Den svenska musikens fader (« le père de la musique suédoise »), d’origine finlandaise, enfant prodige, violoniste dans l’Orchestre royal, il étudie ensuite en Angleterre (1715-1721) où on le surnomme « The Swedish Virtuoso ». De 1721 à 1735, il est appelé à diriger l’Orchestre royal de Suède, après quoi il voyage en Angleterre, en France, en Italie et rejoint son pays en 1737, après s’être arrêté en Autriche et en Allemagne. À partir de 1740, le triomphe de l’opéra, la mort de sa deuxième femme et celle de sa protectrice la reine Ulrika Eleonore le contraignent à se retirer dans le sud du pays où il continue de composer jusqu’à sa mort. Son oeuvre (près de 400 numéros) comprend surtout de la musique instrumentale ; il s’y affirme très proche de Haendel qu’il avait rencontré à Londres, et il laisse des sinfonie, 3 concertos pour violon, des concertos pour hautbois, des sonates (13 en trio, 12 pour flûte, violon et clavecin, 12 pour clavecin), des pièces pour violon seul (Assaggi a violino solo, 1740) et une monumentale suite pour orchestre, Drottningholmsmusiken (1744) en 24 mouvements, écrite pour le mariage de Lovisa Ulrika et Adolf Fredrik de Hesse, roi de Suède. Dans le domaine vocal, peu attiré

par l’opéra, Roman s’est surtout consacré à la musique religieuse. ROMANCE. 1. Genre musical qui fut très en faveur en France, à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, jusque dans la seconde moitié du XIXe siècle, où elle disparut pour laisser la place, dans la musique « savante », à la mélodie. On appelait romance une chanson sentimentale (chanson d’amour le plus souvent), sur une mélodie simple, de caractère plutôt « naïf et attendrissant » (Marmontel), et adoptant la forme populaire strophique, avec des couplets qui pouvaient être plus ou moins variés et ornementés à la reprise. La vogue de la romance, genre aimable donnant lieu à d’importants tirages et à un commerce lucratif, est plus ou moins liée à la redécouverte, à la fin du XVIIIe siècle, d’un Moyen Âge pittoresque, avec troubadours et pucelles, par exemple dans les opéras médiévaux de Grétry (Richard Coeur de Lion, 1784), qui, comme d’autres opéras-comiques de l’époque, contiennent des romances destinées à être popularisées en versions séparées. En fait, la romance est au carrefour de la musique populaire et de la musique de salon : elle peut être écrite par des musiciens « sérieux » en style populaire, dans un « goût un peu antique » (comme dit Jean-Jacques Rousseau). On peut la faire dériver de la chanson de toile médiévale et de l’air de cour. Au XVIIIe siècle, la romance s’opposait à l’ariette (genre plus brillant et virtuose) par son caractère modeste et sa facilité d’intonation. Peu à peu, les romances, d’abord souvent écrites sur des « timbres » (airs connus du domaine public), furent ensuite de plus en plus créées sur des mélodies originales, avec un accompagnement noté (pour piano, mais aussi pour harpe ou guitare, parfois avec contrechant de flûte ou de violoncelle). De célèbres paroliers de romances, au XVIIIe siècle, furent Florian, Fabre d’Églantine, Marmontel, et même Chateaubriand. Les compositeurs « sérieux » qui s’adonnèrent à ce genre ne manquèrent pas, qu’il s’agisse de Philidor, Cherubini, Martini, Méhul, Gossec, Grétry, Boieldieu, Dalayrac, Devienne, et même Jean-Jacques Rousseau. Il s’agissait parfois de spécia-

listes essentiellement voués à ce genre, comme Romagnesi, Plantade, Gaveaux, Garat, Blangini, Panseron. C’était aussi un genre musical où la possibilité était laissée aux femmes de réussir, puisque Pauline Duchambge (qui mit en musique les poètes romantiques français) et Loïsa Puget furent des auteurs de romances très réputées. Le déclin de la romance à la fin du XIXe siècle, après une période très florissante, peut être attribué à une certaine lassitude née de la saturation de romances fades et convenues. La romance disparue, la chanson populaire retourna à sa verve réaliste et énergique, et, dans le domaine « savant », on vit s’affirmer, en référence au lied allemand que l’on commençait à connaître en France, le genre plus écrit de la mélodie - notamment grâce à Berlioz, dont l’oeuvre fait la transition entre romance et mélodie. Aujourd’hui, à part quelques mélodies entrées dans le trésor commun, la romance est un genre oublié et rétrospectivement méprisé. Il fut un des rares genres musicaux, en France, à faire le pont entre la musique populaire et la musique savante. 2. Genre instrumental se référant à la romance chantée : il s’agit d’une pièce pour orchestre, formation concertante, instrument soliste ou musique de chambre, qui se caractérise par son inspiration très chantante dans un tempo modéré. On peut citer la Romance du deuxième mouvement du Concerto en « ré » mineur KV.466 de Mozart ou les deux Romances pour violon et orchestre de Beethoven. Le titre français donné aux Lieder ohne Worte pour piano de Mendelssohn, Romances sans paroles, témoigne de l’assimilation qui régnait à l’époque entre le genre de la romance et celui de la chanson (lied signifiant chanson, chant). 3. Au masculin, genre de chanson épique ou narrative en vers de huit syllabes, spécifique à la culture espagnole. Le mot en est venu à désigner diverses formes de chansons espagnoles (enfantines, savantes, populaires). On parle aussi, dans ce sens, de romancero. À signaler que le mot français romance, dérivé de l’espagnol, désigne aussi bien un texte poétique que la musique chantée sur ce texte ; un genre littéraire aussi bien que musical.

ROMANESCA. Thème musical utilisé pour des danses, des airs et des variations instrumentales aux XVIe et XVIIe siècles. Bien qu’il soit, à l’origine, mélodique (tétracorde de deux tons et un demi-ton descendants répété deux fois et aboutissant à la tonique), sa basse, plus ou moins constante, devient peu à peu suffisamment caractéristique pour se substituer à la mélodie initiale (III-VII-I-V-III-VIII-[V]-I) : Il s’agit d’une formule de base que le compositeur peut à loisir varier mélodiquement, rythmiquement et harmoniquement, et à laquelle se greffe souvent une reprise ou coda. L’étymologie du mot et l’origine de la forme sont obscures, car la romanesca apparaît parallèlement dans des sources italiennes et espagnoles. Très proche de la folia et du passamezzo antico avec lesquels elle se confond parfois, on la retrouve également sous d’autres formes, qu’il s’agisse de gaillardes (pièces d’Attaingnant), du villancico « Guardame las vacas » (Romanesca o Guardame las vacas de Mudarra), du cantus romanescus ou de la pavana milanese (de P. P. Borrono). Le terme est employé très tôt en Espagne par Mudarra en 1546 (pièce ci-dessus), D. Ortiz en 1553 (Tratado de glosas) et surtout Fr. Salinas qui en donne une description précise dans son De musica de 1577. À la fin du XVIe siècle, la romanesca est utilisée comme thème de danse pour la vihuela en Espagne (pièces de E. de Valderrabano, par exemple) et le luth en Italie (pièces de C. Bottegari et V. Galilei). Au début du XVIIe siècle, la forme inspire plus particulièrement les premiers monodistes italiens, qui en donnent des versions pour voix solo et basse continue (pièces de G. et F. Caccini, Cifra, Banchieri, Monteverdi, etc.). Elle sera, en outre, adaptée à divers ensembles vocaux et instrumentaux, en particulier au clavier avec des pièces de downloadModeText.vue.download 863 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 857 E. Pasquini, Frescobaldi (Partite sopra la

romanesca), B. Storace et Gr. Strozzi. ROMANTISME. Dans l’histoire de la musique occidentale, on a coutume de parler de période « romantique » pour les deux premiers tiers du XIXe siècle, et de qualifier de romantisme le courant musical qui s’est alors développé, comme il y eut un romantisme littéraire, pictural, etc. On y trouve évidemment bien des traits propres au romantisme en général : mise en valeur de l’expression individuelle, référence à un Moyen Âge redécouvert (et plus ou moins mythique) et à l’identité nationale, thèmes humanistes et révolutionnaires, etc. Les grands compositeurs considérés comme romantiques par excellence sont Weber, Schubert, Liszt, Schumann, Chopin, Wagner, et même Mendelssohn pour une partie de son inspiration, puisque ce dernier, comme plus tard Brahms, se réfère à un néoclassicisme qui s’affirma en même temps que le romantisme, avec ou contre lui. Le père des romantiques en musique est Beethoven, même si l’on trouve déjà chez Mozart, Haydn, et dans le courant Sturm und Drang de la fin du XVIIIe siècle, un début d’exacerbation de l’expression individuelle des sentiments par la musique. Car si la musique baroque et classique connaissait déjà le pathétique et l’expression, c’est le romantisme, et avant lui le Sturm und Drang, qui introduisit cette dimension individuelle de l’expression, référée à un « Je », un Moi qui est l’auteur, auquel s’identifie l’auditeur. On dirait aujourd’hui que le romantisme se développa sous le signe de la « politique des auteurs », et le héros de référence du romantisme, parangon du compositeur romantique, ce fut bien Ludwig van Beethoven, avec sa destinée tragique, sa pensée progressiste, et l’affirmation résolue de son génie créateur. On se bornera ici à relever quelques traits propres au romantisme dans la musique. 1. Au XVIIIe siècle, s’il y a une patrie de la musique, et plus particulièrement de la musique lyrique, c’est bien l’Italie. Avec la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe et avec le développement des genres symphoniques et instrumentaux, l’Allemagne supplante l’Italie. L’installation du romantisme musical en Alle-

magne est plus ou moins liée à la prise de conscience par les Allemands de leur identité nationale, cimentée par l’opposition à Napoléon. Romantisme musical devient synonyme de musique allemande ou autrichienne ; en France, Berlioz est une grandiose et unique exception de figure de musicien romantique, d’ailleurs reconnu comme tel par ses confrères germaniques, Mendelssohn, Schumann, Liszt, Wagner. Quant aux Italiens, c’est sur la scène, dans les genres dramatiques, qu’ils vont reconquérir une certaine suprématie localisée dans l’opéra, mais perdue dans les autres genres. 2. La littérature est l’art de référence du romantisme musical (inversement, et par une sorte de revanche ironique, le symbolisme littéraire de la fin du siècle prendra la musique comme modèle absolu d’inspiration, voir Mallarmé face à Wagner). Selon leurs propres dires, Berlioz, Liszt ou Wagner ont été autant, voire plus inspirés dans leur création musicale par leurs lectures de Shakespeare, Virgile, Byron, le Tasse, Goethe, Hoffmann, que par les génies musicaux du passé. À l’inverse, on ne trouve guère de traces chez les compositeurs classiques ou baroques d’un enthousiasme créateur déclenché par des lectures. Il ne s’agit pas seulement de faire exprimer par la musique des sentiments, mais aussi des idées, et même des mythes : le mythe de Faust, recréé dans les lettres par Goethe et Lenau, est le mythe clé du romantisme, puisqu’il traite de l’individu dans son destin face au reste du monde, et la plupart des musiciens romantiques, Schubert, Spohr, Berlioz, Liszt, Wagner, etc., l’ont abordé dans leurs oeuvres. Quant à Shakespeare, il est de loin l’auteur le plus cité, celui qui a inspiré le plus d’oeuvres aux musiciens de ce XIXe siècle. 3. On associe souvent, non sans raison, le développement du romantisme à la mise en vedette et au perfectionnement du piano comme instrument-confident, instrument-reflet du compositeur, et aussi instrument-orchestre, manié par un seul individu. Mozart, Haydn, et surtout Beethoven, avaient ouvert la voie dans ce sens, mais c’est au XIXe siècle que le piano devient l’instrument romantique par excellence, et que l’on invente le récital de soliste, qui est d’abord le récital de piano (jusqu’alors, les programmes des concerts mêlaient toujours aux pièces pour solistes

des pièces avec petits ensembles, formations de chambre, chanteurs, etc.). Dans le même sens, apparaissent des genres instrumentaux nouveaux, comme le poème symphonique, en tant qu’expression d’idées et de sensations puisées essentiellement dans la littérature (plutôt que comme genre imitatif) ; on voit aussi le concerto de soliste, comme opposition de l’individu à la collectivité, prendre une grande extension, chercher à lutter en ampleur et en ambition avec la symphonie, mais sans jamais retrouver l’équilibre miraculeux que lui a donné Mozart ( ! CONCERTO). Du point de vue musical, on a accusé le romantisme de dissoudre la forme dans des épanchements incontrôlés. Mais en même temps, celui-ci a inventé des formes nouvelles, asymétriques, individuelles. Des romantiques purs comme Schumann ou Liszt attachaient une grande importance à la densité de la forme et à son renouvellement - tout comme leur « père » Beethoven. Un nouveau principe musical, plus ou moins latent dans la musique occidentale depuis longtemps, apparaît également avec le romantisme, c’est le leitmotiv, bref motif conducteur non fermé par une cadence obligatoire (par opposition au thème, qui se ferme sur lui-même, et qui demande une certaine durée), et considéré comme porteur d’une idée, d’un concept, d’une identité : c’est en ce sens qu’il est développé par Berlioz, Liszt, et même Schumann, mais systématiquement dégagé et utilisé par Wagner, qui l’érige en base de son système. En tant que motif non fermé, le leitmotiv amène aux formes continues, qui ne sont pas ponctuées, à intervalles fréquents, de cadences parfaites. En tant que principe actif et autonome, le leitmotiv est une sorte de microthème individualisé qui dit « moi je... », beaucoup plus que le thème traditionnel, lequel reste assujetti à la carrure et à une courbe prédessinée qui le mène à sa mort cadencielle. C’est également avec le romantisme que l’oeuvre musicale tend de plus en plus souvent à être unique, irrépétable, et non pas un échantillon dans une longue série d’oeuvres taillées sur le même patron. On n’écrit plus les concertos ou les quatuors par quatre ou par six, mais on

fait, par exemple, une sonate pour piano conçue sur un modèle unique (Liszt), ou un cycle unique de vingt-quatre préludes (Chopin). L’oeuvre se veut souvent plus longue, dense, méditée, elle demande plus de travail, et le catalogue du compositeur, à quelques exceptions près (Liszt), comprend souvent quatre ou cinq fois moins d’opus qu’au siècle précédent. C’est aussi que les conditions de l’offre et de la demande musicale ont changé. Il subsiste toujours une grosse production commerciale de littérature musicale pour salons (romances, pièces pour piano), mais rares sont les grands romantiques (à part Schubert et, à moindre titre, Liszt) qui y ont sacrifié. 4. En réaction contre les tendances « dissolvantes » du romantisme par rapport à la pureté et à l’autonomie de la musique est née, au sein même du romantisme, et des conditions mêmes qui l’ont suscité, une réaction néoclassique - illustrée par Mendelssohn, quelques oeuvres de Schumann, et plus tard par Brahms, ainsi que par les écrits de Hanslick. Il ne faut pas oublier que ce sont les musiciens romantiques eux-mêmes qui se sont tournés vers leur passé musical, en remontant plus loin que la période galante et classique, pour ressusciter Bach, et plus loin encore, Palestrina. Cette réaction néoclassique se donne pour programme de faire une mudownloadModeText.vue.download 864 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 858 sique basée sur la forme, la composition en soi, non porteuse d’idées extrinsèques. Elle remet en honneur la dimension horizontale, contrapuntique, apollinienne de la musique, alors que le romantisme, essentiellement expressif, privilégie l’harmonie, la mélodie accompagnée, la dimension verticale de l’accord ou de la masse instrumentale. Même si on a méconnu que le romantisme était aussi un grand inventeur de formes, et que les musiques romantiques n’étaient rien moins qu’invertébrées, il reste que ce courant fut déstabilisateur, qu’il engagea la musique dans une dynamique d’expansion, d’exagération (des proportions, de la forme, de l’effectif orchestral, de l’ambition), avec une exploi-

tation systématique de l’entorse aux règles (utilisation dramatique de la dissonance, dilution de la forme classique carrée et compartimentée dans une forme continue), qui ne pouvait mener qu’à des réactions, des renversements, des extrêmes... À maints égards, on peut dire que nous ne sommes pas sortis du romantisme, que nous en vivons encore les effets, notamment du point de vue du statut du compositeur, toujours défini par la « politique des auteurs « : la classe musicale attend toujours son Sauveur qui viendra la régénérer (Pierre Boulez a été, malgré lui, investi de cette mission), elle attend toujours des génies individuels, et un créateur comme Stockhausen, un des plus populaires dans la musique d’aujourd’hui, agit et compose en romantique, et se trouve reconnu et fêté par les autres comme peut l’être un compositeur romantique. La réaction néoclassique du début du XXe siècle vers une musique plus « objective » ou une « Gebrauch-Musik », se voulant plus proche d’un rapport quotidien, familier, dépassionné à la musique (Hindemith), n’a pas pu grand-chose à cette tendance et n’a rien changé à l’état d’esprit romantique : c’est que le statut social, matériel, idéologique de l’auteur de musique a irrémédiablement changé, même si souvent l’État, les institutions ou les fondations tiennent aujourd’hui la place que tenaient autrefois les mécènes. Ceuxlà mêmes qui en appellent à une musique fondue dans la société, répandue dans la vie, de plain-pied, sont les premiers, en cas de difficultés, à se comporter en génies méconnus. ROMBERG, famille de musiciens allemands. Andreas Jakob, violoncelliste et compositeur (Vechta, près de Münster, 1767 Gotha 1821). Fils d’un violoniste et clarinettiste, il accompagna avec son cousin, dans leurs tournées, son père et le frère de celui-ci, se produisant à Paris en 1784 et en 1785, et jouant avec Beethoven dans l’orchestre de Bonn en 1790. Après une visite à Vienne en 1796, qui donna lieu à un concert avec Beethoven et à des relations amicales avec Haydn, il s’établit à Hambourg, qui devint sa résidence principale à partir de 1801. Après cette date, il se consacra surtout à la composition.

Bernhard Heinrich, violoncelliste et compositeur, cousin du précédent (Dinklage, Oldenburg, 1767 - Hambourg 1841). Il mena jusqu’en 1801 une carrière identique à celle de son cousin, et se consacra, après cette date, à une brillante carrière d’interprète. ROMERO (Pepe), guitariste espagnol naturalisé américain (Málaga 1944). Son père, Celedonio Romero, l’initie à la guitare et le fait débuter à Séville. En 1967, avec ses deux frères et son père, il fonde le fameux Quatuor de guitares Romeros, qui fascine le public par un répertoire où le flamenco côtoie la musique classique. Dès l’année de sa fondation, Rodrigo lui dédie le Concerto andalou. Vivant aux ÉtatsUnis, il enseigne à l’Université de Caroline du Sud. En 1983, il crée le Concerto para una fiesta de Rodrigo. RONCONI (Giorgio), baryton italien (Milan 1810 - Madrid 1890). Il étudia avec son père, le ténor Domenico Ronconi (1772-1839), qui fit une moins grande carrière, et débuta à Pavie en 1831. En 1842, il créa le rôle-titre dans Nabucco de Verdi à la Scala de Milan, et, jusqu’en 1866, chanta dans toute l’Europe et plus particulièrement à Londres. Outre ses interprétations verdiennes, son incarnation de Figaro dans le Barbier de Séville était très admirée. Plus que ses qualités purement vocales, on appréciait chez Ronconi une puissance dramatique exceptionnelle alliée à un grand sens de l’expression musicale. Ce fut un des très grands artistes lyriques du XIXe siècle. RONDE. 1. Danse collective dans laquelle les danseurs forment un cercle fermé et tournent en se tenant par la main. Fréquente chez les enfants, on la trouve avec de nombreuses variantes dans les différents folklores. Elle prend peut-être son origine dans la carole médiévale. Des rondes de caractère rituel ou religieux semblent aussi avoir existé au Moyen Âge sous le nom de choreae. 2. Valeur cercle ou double de ronde est depuis le

de note ayant la forme d’un d’un ovale incliné, valant le la blanche, soit 4 noires. La la transformation graphique, XVIIe siècle, de l’ancienne semi-

brève de la notation blanche, qui avait la forme d’un losange. Elle a parfois continué à en porter le nom jusqu’au XVIIIe siècle. RONDEAU. 1. Au Moyen Âge, le rondeau est une forme poético-musicale dont le contenu a fortement évolué depuis le XIIIe siècle où il prend naissance jusqu’au début du XVIe où il disparaît. Le rondeau du XIIIe siècle est une pièce monodique courte, souvent destinée à la danse (rondets de carole), consistant en une seule phrase musicale en 2 parties A et B. Ces parties sont répétées selon un schéma AB aA ab AB, où les majuscules désignent la répétition en refrain des paroles initiales, les minuscules des vers différents, mais de même rime et sur la même mélodie. À la fin du siècle, Adam de la Halle écrit des rondeaux à 3 voix qui conservent la forme ci-dessus, mais dont disparaît le caractère de danse (on inclut parfois à tort parmi les rondeaux d’Adam des pièces de forme différente, virelai ou ballade, reproduisant ainsi une erreur de rubrique figurant dans l’un de ses principaux manuscrits). Il en est de même au XIVe siècle, où les rondeaux de Jehannot de Lescurel et surtout de Guillaume de Machaut, plus longuement développés, prendront un caractère de plus en plus élaboré. Au XVe siècle, le rondeau (ou rondel) devient surtout un genre poétique, et si l’alternance refrain-couplet en reste l’élément permanent, la forme s’en diversifie. Les compositeurs, surtout à la cour de Bourgogne (Binchois, etc.), les mettent volontiers en musique, mais les poèmes n’en sont pas moins écrits hors musique par des poètes de cour. Il est nécessaire pour les interprètes de cette musique d’en connaître les règles, car elles conditionnent tout un système de reprises parfois complexe dont les partitions ne rendent pas toujours compte. 2. Forme française du mot italien rondo, très employé aux XVIIe et XVIIIe siècles dans une langue ou l’autre indifféremment hors de leur pays d’origine pour désigner une forme refrain-couplets. Le rondeau vocal est surtout employé dans l’opéra lulliste ou ramiste (airs en rondeau) où il caractérise volontiers les « airs à maxime » de type léger ; le couplet y prend souvent l’aspect d’un récitatif s’opposant à un refrain en style d’air populaire. Le rondeau instrumental conserve généralement ce

caractère au refrain, mais diversifie le couplet, tantôt l’opposant au refrain, tantôt l’en dérivant. Il s’adapte volontiers aux caractères des différentes danses et en détermine alors la forme (gavottes, menuets, etc., « en rondeau »). Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle (Haydn, Mozart), le mot italien rondo tend à prévaloir, et le rondo devient une des formes privilégiées des finales de sonate, de symphonie ou de concerto. Amplifiant des essais de Carl Philipp Emanuel Bach, Haydn et Beethoven chercheront à fondre la forme rondo dans la forme downloadModeText.vue.download 865 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 859 sonate, diversifiant la présentation des refrains, introduisant les développements à l’intérieur des couplets et donnant au dernier refrain le caractère d’une réexposition. Au XIXe siècle enfin, le rondeau (qu’on écrira de préférence à la française) tendra à devenir un genre de brillante virtuosité (Mendelssohn, Chopin) plutôt qu’une forme rigoureuse. Toutefois, même assouplie, la notion de refrain-couplets en est toujours restée le caractère dominant, au point que certains analystes donnent parfois abusivement le nom de forme rondeau à toute structure présentant un refrain, oubliant que la notion de rondeau n’évoque pas seulement l’idée d’une forme, mais aussi celle d’un style. 3. Au XIIIe siècle, on a donné quelque temps le nom de rondeau (rotundellus) au canon, parce qu’il semblait tourner en rond avec ses reprises sans fin. L’usage en a disparu, mais on en retrouve la trace dans l’anglais round et l’allemand Radel. RONSARD (Pierre de), poète français (La Possonnière, près de Vendôme, 1524 Saint-Cosme, près de Tours, 1585). Il a fait siens les idéaux humanistes que J. du Bellay expose dans son manifeste Défense et illustration de la langue française de 1549, acte de naissance de la Pléiade : la musique soumise à la poésie doit produire les mêmes « effets » moraux que les poètes antiques, par leur poésie chantée,

produisaient sur l’âme de leurs auditeurs ; l’union de la musique aux paroles ressuscitera le lyrisme antique. Ronsard explique, dans son Abbrégé de l’art poétique (1565), qu’il a pris soin de donner à ses poèmes la régularité métrique qui permet de les mettre plus aisément en musique. Pour la même fin, il y alterne les rimes masculines et féminines. Dès 1552, les Amours (à Cassandre) ont paru avec un supplément musical. Quatre, sur les neuf pièces mises en musique par Muret, Certon, Janequin ou Goudimel, y sont présentées comme une sorte de « timbre », propre à accompagner d’autres sonnets, pourvu qu’ils soient de structure identique. La musique de Janequin sur Qui voudra voyr comme un Dieu me surmonte y est conçue pour pouvoir être chantée sur 92 sonnets de même schéma rythmique. Ces exemples montrent les limites, en ce cas, de l’union de la musique au verbe : ce n’est qu’une union formelle, non une soumission au sens, à ce que chaque poème recèle d’unique. Au contraire de son compagnon J. A. de Baïf, Ronsard, malgré sa volonté de mesurer ses vers « à la lyre », ne s’est pas soucié des problèmes techniques qu’entraîne cette ambition. Surtout, il n’a pas résolu la difficulté que soulève la différence de nature entre la durée musicale et la durée prosodique. Aussi bien, la faveur des musiciens s’explique plutôt par les qualités propres de la poésie de Ronsard : variété des formes, richesse des images, sincérité du ton, vigueur du lyrisme, puissance expressive,etc. Sur ceux de son temps, Ronsard a exercé une véritable fascination : entre 1552 et 1600, plus de deux cents de ses poèmes ont été mis en musique. Des Parisiens comme Costeley ou N. de La Grotte, mais aussi des Flamands, comme Lassus ou Ph. de Monte, puis des provinciaux, tels G. Boni ou A. de Bertrand, ont composé des polyphonies, parfois des monodies (Chardavoine), ou des airs homorythmiques (Le Jeune), sur ses odes, ses sonnets ou ses « chansons ». À sa mort, J. Mauduit a écrit un requiem à 5 voix, comme pour les funérailles d’un prince. La préférence peu à peu accordée à l’inspiration pastorale (et à l’afféterie) de Desportes et le dédain professé par Malherbe ont ensuite contribué à plonger l’oeuvre du poète dans un oubli deux fois séculaire. Mais l’ère romantique a suscité pour elle un regain d’intérêt parmi les musiciens de tous pays. De Wagner à L. Berkeley en passant par Bizet, Gounod,

Roussel et Poulenc, cette popularité, désormais, ne s’est plus démentie. ROPARTZ (Joseph Guy Marie), compositeur français (Guingamp, Côtes-du-Nord, 1864 - Lanloup, Côtes-du-Nord, 1955). Il commenca à travailler la musique tout en faisant ses études de droit. Obtenant sa licence à Rennes en 1885, il entra la même année au Conservatoire de Paris dans les classes de Dubois, de Massenet, puis dans celle de Franck, dont l’influence sur toute son oeuvre restera fondamentale. Il se lia alors d’amitié avec Albéric Magnard et Vincent d’Indy, et fréquenta Chabrier, Fauré, Dukas, Duparc, Chausson, Messager. Il mena parallèlement des activités musicales et littéraires, publiant notamment les recueils Adagiettos (1888), Modes mineurs (1890), les Muances (1892) et, en collaboration avec L. Tiercelin, le Parnasse breton (1899), ainsi que les Notations artistiques (1891), récit de son voyage de Paris à Stockholm en passant par Bayreuth. En 1894, il devint directeur du conservatoire de Nancy, puis, en 1919, de celui de Strasbourg, ce qui l’amena à repenser les problèmes de l’enseignement musical et à jouer un rôle important dans la diffusion de la musique française contemporaine. En 1929, il se retira dans son manoir de Lanloup. Les sources premières de son inspiration musicale furent sa foi religieuse (3 messes, un requiem, psaumes, motets, nombreuses pièces d’orgue), et sa Bretagne natale (les Landes, 1888 ; Dimanche breton, 1893 ; la Chasse du prince Arthur, 1912 ; le drame lyrique le Pays d’après l’Islandaise de Ch. Le Goffic, 1910). Il a également rassemblé des cantiques en langue bretonne (Kanovenno santel). Mais, dans ses oeuvres, il préfère souvent recréer des thèmes folkloriques plutôt que de les citer. Par goût et par formation, il a privilégié des oeuvres d’écriture complexe et d’architectonique savante (5 symphonies, 6 quatuors à cordes), ce qui a donné à sa musique une réputation d’aridité. Mais il apparaît aussi comme un miniaturiste de talent, en particulier dans ses nombreuses mélodies (les Heures propices, 1927). Pénétré de l’esprit franckiste, il a su dégager sa propre personnalité en se montrant éclectique dans ses goûts, comme le prouve notamment son admiration pour

Debussy. Après la mort d’Albéric Magnard, il orchestra deux actes de son opéra Guercoeur. ROQUIN (Louis), compositeur français (Aulnay-sous-Bois 1941). Élève du Conservatoire de Paris de 1962 à 1969 (trompette, harmonie, contrepoint), il a effectué un stage au Groupe de recherches musicales (1969-70) et un autre avec Henri Pousseur, et a étudié avec Pierre Schaeffer (classe de musique fondamentale appliquée à l’audiovisuel) et JeanÉtienne Marie (Schola cantorum). On lui doit notamment Ricercare II, pour 8 pistes magnétiques et instruments (1971) et III (musique électroacoustique et symphonique, 1971), Report, théâtre musical pour bande magnétique, rythmes gestuels, 28 triangles, 3 grosses caisses, cymbales et gong (1971), Machination, pour effectifs variables et formations libres (1973), Cicero, pour ensemble instrumental (1975), Textuel, pour voix (bande magnétique), trombone basse, jeu de cloches-tubes, 7 cloches à vaches, tôle manipulée, cristaltôle I et II et tôle-percussion (1977), Machination III, pour 2 percussions, flûte, alto, trompette, clarinette, piano, cor, contrebasse à cordes, avec crécelles, fouets et triangles (1979), et De Concert (1985). RORE (Cyprien de), musicien flamand (Malines 1515 ou 1516 - Parme 1565). Le nom de Rore paraît être la transposition latine du néerlandais Dauwens (de Rosée). Ses maîtres ne nous sont pas connus, mis à part Antoine Barbé, chef de chant à Notre-Dame d’Anvers. À peine âgé de dix-neuf ans, il quitte les Pays-Bas pour Venise et devient chantre à SaintMarc, sous la direction d’un autre Flamand, le célèbre Adrian Willaert. De cette période vénitienne date un Premier Livre de madrigaux (1542). En 1547 (sans doute dès 1545), il est attaché à la cour des Este à Ferrare et y rencontre Nicolo Vicentino dont les théories sur les systèmes chromatique et enharmonique de l’Antiquité (L’Antica Musica ridotta a la moderna prattica) auront une influence déterminante sur ses oeuvres. downloadModeText.vue.download 866 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE

860 À la suite d’un séjour prolongé à Anvers en 1558 (où il était venu rendre visite à ses parents), il perd le bénéfice de sa charge de maître de chapelle à Ferrare. Après un court intermède au service du duc de Parme, Octave Farnèse (1561), il est choisi comme maître de chapelle à Saint-Marc de Venise, à la mort de Willaert. Mais il ne retire pas d’une telle charge tous les avantages escomptés et revient en 1564 au service du duc de Parme pour mourir à ce poste un an plus tard. De son vivant, de Rore a été considéré comme l’un des plus grands musiciens de son temps, d’abord comme madrigaliste (il a laissé cent quatre-vingt-dix-sept pièces à trois, quatre et cinq voix), mais aussi comme musicien d’église, où il perpétue le style de Josquin Des Prés associé à l’influence de Willaert. Dans les deux cas, son chromatisme exacerbé a fortement aidé « à libérer le chant du vieux système modal » (N. Bridgmann). Aussi bien, ses contemporains lui reconnurent un véritable rôle de chef de file, n’hésitant pas à le saluer du surnom de « Cipriano il divino ». ROSBAUD (Hans), chef d’orchestre autrichien (Graz 1895 - Lugano 1962). Il étudia le piano et la composition à Francfort, et, dès le début de sa carrière de chef, montra un intérêt spécial pour la musique contemporaine. Il fut successivement directeur de l’école de musique de Mayence et chef des concerts de cette ville (1921), directeur de la musique à la radio de Francfort - ce qui le fit entrer en contact avec Schönberg, Webern, Berg, Bartók, Stravinski -, directeur de la musique à Münster (1937-1941), puis à Strasbourg (1941-1944), et chef de la Philharmonie de Munich (1945-1948). De 1948 à sa mort, il dirigea l’orchestre du Südwestfunk de Baden-Baden, ce qui l’associa étroitement au festival de Donaueschingen. Il dirigea à Aix-en-Provence, dans les premières années du festival, les Noces de Figaro et Don Giovanni de Mozart, ainsi que Platée de Rameau. Il créa notamment les Quatre Chants op. 22 de Schönberg en 1933, et, l’année suivante, avec le compositeur au piano, le 2e Concerto de Bartók. Après la guerre, il créa Moïse et Aaron de Schönberg à la radio de Hambourg en 1954, puis à la scène à Zurich en 1957. À

Donaueschingen, ainsi qu’aux festivals de la S. I. M. C. (dont il reçut la médaille Schönberg en 1952), il dirigea Boulez ou Stockhausen, et, en 1960, assura la création à Donaueschingen de Chronochromie d’Olivier Messiaen. Musicien précis et objectif, il ne fut pas sans influencer Boulez chef d’orchestre, et excella également dans Haydn et dans Sibelius, compositeur qu’il estimait au même titre que ceux de l’école viennoise. ROSE (Leonard), violoncelliste américain (Washington 1918 - White Plains, New York, 1984). Il commence à étudier le violoncelle à l’âge de dix ans au Conservatoire de Miami. Quatre ans plus tard, il fait déjà des tournées en Floride. À New York, il étudie ensuite avec Franck Miller. En 1934, il obtient une bourse du Curtis Institute de Philadelphie et joue pendant ses études en soliste avec l’orchestre de cette ville. Engagé par Toscanini en 1938 pour l’orchestre de la NBC, il y est nommé premier violoncelle, puis occupe la même fonction à l’Orchestre de Cleveland et à l’Orchestre philharmonique de New York. Un an plus tard, il devient violoncelle solo de cet orchestre et le reste sept ans, quittant ensuite ses fonctions pour se consacrer à une carrière de soliste. Il est pendant de nombreuses années le violoncelliste du fameux trio Istomin-Stern-Rose. ROSÉ (Arnold), violoniste autrichien (Jassy 1863 - Londres 1946). Élève de Heissler au conservatoire de Vienne, il débute à seize ans dans l’orchestre du Gewandhaus de Leipzig avant de devenir le Konzertmeister de l’Orchestre de la cour, devenu l’Orchestre philharmonique de Vienne, de 1881 à 1938, poste qu’il occupe également à la tête de l’orchestre du festival de Bayreuth, de 1888 à 1896. Époux d’une soeur de Mahler, Justine, il épaule avec vigueur l’action novatrice de son beau-frère à la tête de l’Opéra royal de Vienne. Son nom reste lié à l’existence d’un quatuor éminent, qu’il fonde en 1882 avec son frère Eduard (1859-1943) au violoncelle, Egghard (second violon) et Loh (alto), et qui crée les dernières oeuvres de Brahms ainsi que celles de Pfitzner, Reger, Schönberg. Arnold Rosé enseigne à l’Académie de musique de Vienne de 1893 à 1924. Abandonnant l’Autriche en 1938, il achève en

1945 en Angleterre une carrière particulièrement longue, entièrement vouée à l’orchestre et à la musique de chambre. Le jeu de Rosé était réputé pour sa pureté et sa conviction. ROSEN (Charles), pianiste et historien de la musique américain (New York 1927). Il étudie le piano très jeune, d’abord à la Juilliard School of Music (1934-1938), puis avec M. Rosenthal et H. KannerRosenthal. Il suit également une formation générale à l’université de Princeton et se spécialise dans les langues romanes, discipline dans laquelle il obtient son doctorat en 1951. Il entame la même année une carrière de pianiste, dont le succès immédiat le pousse à abandonner l’enseignement des langues, où il débutait. Son approche de la musique en général est extrêmement intellectuelle, et il excelle plus particulièrement au piano dans des oeuvres plutôt austères. Interprète remarquable de Schönberg et Webern, il a en outre enregistré notamment l’Art de la fugue et les Variations Goldberg de J.-S. Bach, des sonates de Haydn, les dernières oeuvres de Beethoven et les sonates de P. Boulez. Sa démarche se retrouve dans ses écrits, en particulier dans son ouvrage essentiel : The Classical Style : Haydn, Mozart, Beethoven (1971 et 1972, trad. fr. Paris, 1978). Il a publié plus récemment Arnold Schoenberg (1975, trad. fr. Paris, 1979), Sonata Forms (1980) et Romantic Generation (1995). ROSENBERG (Hilding), compositeur et chef d’orchestre suédois (Bosjökloster 1892 - Bromma 1985). Organiste, il commence tard des études sérieuses d’écriture avec W. Stenhammar (1921-1925), ce qui ne l’empêche pas de devenir la figure centrale de la vie musicale suédoise de la première moitié du XXe siècle. Après avoir subi, tout d’abord, les influences de Schönberg, Stravinski et des néoclassiques français, son style s’épure à partir de 1930 (4e Quatuor à cordes et 3e Symphonie, 1939). À partir de 1956, il adopte un langage issu du dodécaphonisme (Quatuors nos 7 à 12), et, après un semblant de retour sur lui-même (4 Mélodies de J. Edfelt, 1959), son style s’épanouit et il écrit des oeuvres brillantes, virtuoses et expansives (Salomé, ballet, 1963 ; la Tour de Babel, ballet, 1966 ; 7e Symphonie, 1968). Dans les années 70, il

continue d’écrire des partitions de grande ampleur (symphonie no 8 In candidum, 1974) tout en révisant ses oeuvres de jeunesse. Compositeur éclectique, premier moderniste suédois de ce siècle avec M. Pergament et G. Nystroem, Rosenberg a, aujourd’hui, écrit 12 quatuors, de nombreuses oeuvres symphoniques parmi lesquelles 8 symphonies, des ballets, des oeuvres chorales, des concertos, des oeuvres instrumentales, un opéra-oratorio et 6 opéras dont Marionetter (« Marionnettes », 1938, créé à Stockholm en 1939). ROSENBOOM (David), compositeur américain (Fairfield, Iowa, 1947). Il est l’un des pionniers de l’utilisation du « bio-feedback » en musique, c’est-à-dire, dans son cas, de l’amplification des ondes électriques du cerveau commandant en direct des synthétiseurs programmés pour réagir à ces ondes. Avec le « Corticalart » mis au point en France par Roger Lafosse et expérimenté par Pierre Henry selon le même principe d’ensemble, on observe une volonté d’intervention très active du musicien dans l’expérience. Il semble qu’au contraire David Rosenboom laisse agir plus librement, dans une esthétique plus méditative et minimale, le dispositif de bio-feedback conçu par lui. downloadModeText.vue.download 867 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 861 ROSENMÜLLER (Johann), compositeur allemand (Oelnitz, Vogtland, v. 1620 Wolfenbüttel 1684). Étudiant à l’université de Leipzig vers 1640, il devint l’assistant du cantor de l’église Saint-Thomas, Tobias Michael, et, en 1651, fut nommé organiste de l’église Saint-Nicolas. Après avoir en vain espéré le cantorat de l’église de la Sainte-Croix à Dresde, il fut inquiété en 1655 pour des affaires de et dut quitter la Saxe. Après un séjour à Hambourg, il gagna l’Italie pour s’installer à Venise comme professeur de musique de 1660 à 1674. Cette même année, il se décida à revenir en Allemagne comme maître de chapelle à la cour de Wolfenbüttel, foyer musical très actif où il bénéficiait de la protection du duc régnant

Anton Ulrich et où il devait travailler jusqu’à sa mort. Avant tout, Rosenmüller s’illustra comme champion des influences italiennes dans le répertoire instrumental. Alors que dans ses premières oeuvres (Suites en trio, 1645 ; Studentenmusik, 1654, dédiée aux étudiants de Leipzig), il se réfère à l’ancien style allemand (avec pavane, allemande, courante, ballo et sarabande), ses Sonates da camera à cinq parties, qu’il fit éditer à Venise en 1667, sont précédées d’une sinfonia, dans le nouveau style du temps. Ces sinfonie qui remplacent la traditionnelle pavane se rapprochent de la sinfonia d’opéra vénitienne, de coupe tripartite. En 1682, il publia un nouveau recueil de Sonates qui s’apparentent, quant à la forme, à la Sonate d’église de Corelli. Écrites pour un groupe de cordes de deux à cinq voix, ces pages qui comportent, comme toutes les autres oeuvres de Rosenmüller, une partie de continuo, représentent sans doute « ce que l’art allemand a produit de plus parfait, dans le répertoire instrumental de la seconde moitié du XVIIe siècle » (Kurt Gudewill). Au reste, Rosenmüller qui ne cessa, sa vie durant, d’oeuvrer à la réunion des goûts allemand, italien et anglais, jouit d’une popularité égale à celle de Buxtehude et Pachelbel dans l’Allemagne du temps. Comme musicien vocal, il s’illustra surtout dans le domaine du lied où il mérite d’être comparé à Adam Krieger. Sa musique d’église qui comprend plus de 175 pièces à l’état de manuscrit, du petit concert spirituel à la façon de Schütz aux psaumes et messes (celles-ci en latin) qui perpétuent la manière polychorale de l’école vénitienne, est également d’un maître parmi les maîtres et l’on comprend pourquoi Jean-Sébastien Bach a repris son ultime choral dans sa Cantate no 27. En revanche, l’opinion du théoricien Scheibe le comparant, au XVIIIe siècle, à Lully semble plus curieuse ; elle s’applique à un artiste beaucoup plus tenté par le mariage de l’intériorité allemande et de la couleur et du mélodisme transalpins que par les symétries de l’école française. ROSENTHAL (Manuel), compositeur et chef d’orchestre français (Paris 1904).

Il entra au Conservatoire de Paris en 1918 dans les classes de Mme Marcou (solfège) et de J. Boucherit (violon). Après avoir été violoniste dans des orchestres de cinéma, il devint en 1928 chef d’orchestre des concerts Pasdeloup, tout en continuant à étudier le contrepoint et la fugue au Conservatoire avec J. Huré. Dès 1926, il avait commencé à travailler la composition avec Maurice Ravel, dont il fut, avec Roland-Manuel, l’un des rares élèves. De cette époque datent ses premières compositions : sonatine pour piano, sérénade pour orchestre, opéra-bouffe le Rayon des soieries (1930). En 1934, il fut nommé chef d’orchestre adjoint de la Radiodiffusion française. Dix ans plus tard, devenu chef permanent, il entreprit des tournées en Europe, en Israël et en Amérique du Sud. En 1948, il devint chef de l’Orchestre de Seattle. Il travailla à Buenos Aires (1952), puis à Cuba (1954). Il revint à Paris en 1960. Tout en dirigeant des ballets à l’Opéra, il assura à partir de 1962 les reprises de Pelléas et de Zoroastre à la salle Favart. Comme compositeur, on lui doit notamment le ballet Gaité parisienne, sur des thèmes d’Offenbach (1938), la comédie musicale la Poule noire (1934-1937) et le drame lyrique Hop ! Signor (19571961). ROSETTI (Antonio ou Franz Anton RÖSSLER), compositeur et contrebassiste tchèque (Litomerice v. 1750 - Ludwigslust 1792). Il étudia à Prague, et entra en 1773 au service du prince d’Oettingen-Wallerstein, dont il devint maître de chapelle en 1785. En 1789, il fut nommé au même poste chez le duc de MecklembourgSchwerin, et mourut au retour d’un voyage à Berlin. Prenant Haydn comme modèle, il écrivit surtout des symphonies, des concertos et de la musique de chambre dont un certain nombre de pièces pour vents seuls. Il eut au moins cinq homonymes, dont l’un fut violoniste à Eszterháza de 1776 à 1781. ROSS (Scott), claveciniste et organiste américain (Pittsburgh 1951 - Assas 1989). Installé en France en 1965, il étudie au Conservatoire de Nice (clavecin et orgue) puis à celui de Paris de 1969 à 1971, auprès de Robert Veyron-Lacroix et de Laurence Boulay. Il se perfectionne ensuite à

Anvers auprès de Kenneth Gilbert. Premier prix du Concours international de Bruges en 1971, il se spécialise rapidement dans le répertoire français des XVIIe et XVIIIe siècles. Parallèlement à une intense activité de soliste, il enseigne, participe à plusieurs grandes éditions de pièces de clavecin et réalise de nombreux enregistrements, dont l’intégrale pour clavecin de Rameau (1975) puis de F. Couperin (1978), ainsi que l’intégrale des sonates de Domenico Scarlatti (au nombre de 555 !), qui assure sa gloire un an avant sa mort. ROSSETER (Philip), luthiste et compositeur anglais ( ? v. 1567-68 - Londres 1623). On ne connaît rien de sa jeunesse et, après la publication de quelques-unes de ses pièces dans le New Booke of Tablature de W. Barley en 1596, son nom n’apparaît qu’en 1601 lors de l’édition de son Booke of Ayres. De cette époque date son amitié avec Th. Campion. En 1603, il est nommé luthiste à la cour de Jacques Ier et, à partir de 1609, il s’associe à la direction d’une compagnie théâtrale de jeunes garçons, les Children of Whitefriars (ou Children of the Queen’s Revels), qui, après quelques saisons entrecoupées de déménagements, fusions et autres remous, se démantèle en 1617. Outre le Booke of Ayres de 1601 contenant 42 chansons (21 de lui et 21 de Campion) avec luth, orpharion et basse de viole, il a composé quelques pièces pour luth (préludes, pavanes et gaillardes) et un recueil de Lessons for Consort (1609). Ses chansons, plutôt légères, sont caractéristiques par leur mélodie gracieuse et un accompagnement plutôt cordal, que Rosseter déclare préférer au style contrapuntique. ROSSI (Luigi), compositeur, chanteur et organiste italien (Torremaggiore, Foggia, v. 1597 - Rome 1653). Ses premières années demeurent obscures, mais il semble avoir été l’élève à Naples vers 1608 du Flamand Jean de Macque avant de s’installer à Rome en 1621 environ, probablement au service de la famille Borghèse. En 1627, il épouse Costanza de Ponte. En 1633, il est nommé organiste de l’église Saint-Louis-des-Français, poste qu’il conserve jusqu’à sa mort. À partir de 1641, ses talents sont sollicités par le cardinal Barberini. Le premier de ses deux

opéras, Il Palazzo incantato (1642), est représenté dans le théâtre privé des Barberini, et le spectacle dure sept heures. Après un séjour à Bologne, et le départ de la famille Barberini, exilée en France, Mazarin invite le compositeur à suivre son ancien maître et à composer un nouvel opéra. Rossi accepte, arrive à Paris en 1646 et termine son Orfeo quelques jours seulement avant la création, le 2 mars 1647. Avec les ballets de Lully entre les actes, l’oeuvre est très applaudie mais les dépenses, colossales pour l’époque, déclenchent de sévères critiques. Persécuté et menacé pendant la Fronde, Rossi redownloadModeText.vue.download 868 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 862 tourne définitivement en Italie vers 1650. À sa mort, il est enterré en l’église Santa Maria in via Lata. La réputation de Luigi Rossi est fondée principalement sur ses quelque 300 cantates de chambre. Leur popularité est attestée par le nombre de manuscrits qui en subsistent en Italie, en Grande-Bretagne, et en France. Les cantates de Rossi sont chantées, entre autres, par Pierre de Nyert, un chanteur français qui faisait « pleurer de joie » le compositeur (SaintÉvremond). Allant de la simple aria ou canzone strophique aux cantates plus développées comportant également des récitatifs (par exemple, La Gelosia à une voix et basse continue), ces oeuvres ont fortement contribué à l’évolution du genre. Rossi possède un sens dramatique aigu - ses récitatifs souples se transforment facilement en efflorescences mélodiques -, et son harmonie se caractérise par sa science et sa sobriété. Il excella dans le style grave et mélancolique. Le plus célèbre, peut-être, de ses lamenti est la cantate sur la mort de Gustave-Adolphe de Suède, Un ferito cavaliero di polve. Parmi ses quelques partitions religieuses figure son oratorio sur un livret italien de l’abbé Buti, Giuseppe, figlio di Giacobbe, oeuvre particulièrement expressive accordant une place importante à des choeurs grandioses jouant le rôle des fils de Jacob. Considéré avec Cavalli, par un contem-

porain, comme l’un des « nouveaux cygnes » du bel canto, Rossi est, avec Carissimi, le compositeur le plus influent de l’école romaine de la première moitié du XVIIe siècle. ROSSI (Salomone), compositeur italien (Mantoue 1570 - id. ? v. 1630). « Juif de Mantoue », comme le désignaient ses contemporains, Salomone Rossi appartenait à une vieille famille israélite où les arts étaient honorés depuis toujours. Violoniste virtuose, il bénéficia de la protection des Gonzague et, instrumentiste à la chapelle ducale durant plus de trente ans (1589-1628), il eut le privilège de travailler plusieurs années sous l’autorité de Monteverdi. Précisément, il collabora avec celui-ci et quelques autres à la composition du drame sacré La Maddalena (aujourd’hui perdu), et mit en musique l’un des intermèdes de L’Idropica (joué au mariage du jeune duc en 1608). Il écrivit aussi des madrigaux, des canzonette à trois voix, des psaumes et cantiques en hébreu, qui offrent comme particularité d’être à double choeur dans le style vénitien et sont souvent d’un grand intérêt musical, avec une intonation soliste préludant au tutti du choeur. Mais c’est le virtuose instrumental qui est le plus original comme dans ses Sonates, Sinfonie et Gagliarde, où il fait valoir, dans le maniement de l’écriture à trois, quatre et cinq voix, une réelle maîtrise et d’indéniables dispositions « modernes » (style alternativement contrapuntique et homophone et recours à la basse continue). Après la mort du dernier duc de Gonzague en 1628 et la mise à sac de Mantoue par les Impériaux en 1630, les juifs perdirent tous les avantages acquis et durent quitter précipitamment la ville. Avec ce départ, on perd la trace de Salomone Rossi et l’on pense qu’il mourut lors de l’épidémie de peste la même année. ROSSINI (Gioachino), compositeur italien (Pesaro 1792 - Paris, Passy, 1868). Élevé au hasard des tournées de ses parents (son père jouait remarquablement du cor, sa mère fit une brève mais belle carrière de soprano), et sans avoir reçu une éducation musicale approfondie, Rossini savait jouer

du violon et composer lorsqu’à douze ans il écrivit ses sonates à quatre, témoignant d’une maturité précoce unique dans toute l’histoire de la musique. La science du contrepoint, acquise à la lecture des partitions de Mozart et de Haydn, lui avait déjà plus appris que n’allait pouvoir le faire Stanislas Mattei, directeur du Lycée musical de Bologne dont il suivit les cours de 1804 à 1810, mêlant l’étude des auteurs anciens à la pratique des auteurs plus récents. Durant ces années d’adolescence, il dut gagner sa vie comme chanteur puis comme répétiteur et accompagnateur de théâtre, pratiquant, outre le clavecin, le violon et l’alto, le cor et le violoncelle, et composant des sinfonie, messes et cantates, l’opéra Demetrio e Polibio, et diverses oeuvres instrumentales, révélant la même précocité et le souci d’une harmonie et d’une instrumentation assez rares dans l’Italie d’alors. En 1810, La Cambiale di matrimonio (Venise) lui ouvrit les portes des meilleurs théâtres du Nord pour lesquels il écrivit en un temps record quelques partitions de style léger qui établirent sa réputation à Venise, Ferrare et Milan (La Pietra del paragone, 1812), cependant que Ciro in Babilonia, un opéra sacré, démontrait une connaissance approfondie du style sévère. L’année 1813 lui apporta la gloire à vingt et un ans : après Il Signor Bruschino, Venise applaudit l’opera seria Tancrede et le dramma giocoso l’Italienne à Alger qui renouvelaient singulièrement les lois des deux genres. Après avoir essuyé quelques échecs, Rossini fut appelé par l’impresario Barbaja à Naples où des conditions exceptionnelles lui étaient offertes : un orchestre et une équipe de chanteurs incomparables notamment les ténors Davide, Nozzari, García et surtout Isabel Colbran pour qui il devait écrire ses meilleurs rôles avant de l’épouser en 1822 - et un public familiarisé avec toutes les nouveautés européennes. Durant sept ans, il devait mener une existence incessante de compositeur, impresario, chef d’orchestre, s’imposant dès 1815 dans le genre tragique avec Elisabetta, puis, l’année suivante, avec Otello, qui élargissaient singulièrement les structures habituelles de l’opera seria. D’autre

part, il donnait à Rome en 1816 le Barbier de Séville qui, malgré une première houleuse, triompha rapidement, puis, en 1817, Cendrillon et la Pie voleuse, deux comédies sentimentales avec lesquelles il prenait congé du genre léger, apportant désormais tout son soin au renouvellement du genre tragique, établissant de nouveaux types vocaux, soignant comme nul avant lui l’écriture vocale, développant le rôle de l’orchestre et des choeurs, importants dans Mose (1818), cependant qu’en 1819 il signait l’acte de naissance de l’opéra romantique en puisant chez Walter Scott l’inspiration de La Donna del lago. Lassé par les critiques apportées à ses innovations, Rossini quitta Naples, se rendit à Vienne, de mars à juillet 1822, où il déchaîna l’enthousiasme du public, essuya la jalousie de Weber, rencontra Beethoven le 22 avril, et « fit pleurer Hegel ». Invité par Metternich au congrès de Vérone, il quitta l’Italie après avoir donné Semiramide à Venise en 1823 et se rendit à Londres. Mais l’épisode anglais tourna au fiasco financier ; il accepta les propositions de Charles X et se fixa à Paris d’abord comme inspecteur du chant, puis comme codirecteur du Théâtre-Italien dont Paër lui abandonna bientôt l’entière responsabilité, cependant qu’il s’engageait à écrire une oeuvre par an pour l’Opéra de Paris. Tenant compte des impératifs du style français et des possibilités assez limitées de ses chanteurs, Rossini remania d’abord profondément deux oeuvres anciennes, Maometto II et Mose, devenues respectivement le Siège de Corinthe (1826) et Moïse (1827), puis écrivit le Comte Ory (1828) dans le style léger de Boieldieu. Guillaume Tell (1829), un opéra politique qui révélait un sens de la nature inattendu, déçut le public malgré l’attente fébrile de celui-ci, mais devint le prototype jamais égalé du grand opéra français. La révolution de 1830 mit implicitement fin à son contrat, cependant qu’il assistait, étonné, au triomphe de Meyerbeer (qu’il avait lui-même appelé à Paris), cependant qu’il ouvrait les portes du succès à Bellini et Donizetti. Hostile à la pompe assez creuse du nouvel opéra français, il préféra abandonner la place, d’autant qu’il allait, durant plus de dix ans, traverser de graves crises nerveuses et physiques, consécutives à ses abus de jeunesse et à

l’incessant labeur mené pendant vingt années au cours desquelles il avait écrit downloadModeText.vue.download 869 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 863 messes, cantates et oeuvres diverses, outre une quarantaine d’opéras dont il avait assuré la réalisation à la scène et tous les remaniements consécutifs aux reprises en d’autres théâtres. Se séparant d’Isabel Colbran, il vécut avec la Française Olympe Pelissier qui l’avait affectueusement soigné, et qu’il épousa en 1845. Il écrivit encore pour Paris ses Soirées musicales (1836) et un Stabat Mater (créé en 1842), mais retourna vivre à Bologne dès 1836, puis se fixa à Florence en 1848. Complètement rétabli, il revint à Paris de 1855 à sa mort, y écrivant quelque deux cents pièces diverses réunies sous le titre de Péchés de vieillesse, et occupant un rôle éminent dans la vie musicale française : Wagner, qu’il reçut en 1860, avoua que « Rossini était le seul musicien d’envergure qu’il ait rencontré à Paris ». Les soirées que Rossini organisait en son logis de la Chaussée-d’Antin accueillirent la nouvelle génération d’interprètes et de compositeurs français (Diémer, Planté, Mathias, Saint-Saëns, etc.), qui allait précisément assurer cet « après-Wagner » qu’il avait su prévoir, tandis que les cantatrices qu’il conseilla allaient assurer plus tard la pérennité de son enseignement du chant. Après avoir laissé une prophétique Petite Messe solennelle (1863), il s’éteignit en 1868, fut inhumé à Paris, et sa dépouille transportée, avec des honneurs extraordinaires, à Florence où il repose désormais auprès de Raphaël et de Michel-Ange. Contemporain, par son oeuvre, de Beethoven, Schubert et Weber, posant la plume à l’heure de leur disparition, Rossini mena, dans le domaine de l’opéra, le même combat qu’avaient mené ceux-ci pour la symphonie, la sonate ou le lied, entre la disparition de Mozart et l’éclosion du véritable romantisme musical. Or, l’image du compositeur est celle qui a le plus souffert du mépris dans lequel une certaine musicologie - notamment en France - tint l’opéra italien durant un siècle. De son vivant, Rossini avait

déjà survécu de près de quarante années à l’esthétique de son oeuvre lyrique, et avait vu disparaître de l’affiche nombre de ses opéras désormais inaccessibles à des chanteurs formés aux impératifs dramatiques des oeuvres nouvelles de Verdi et des auteurs allemands. Au-delà de sa mort, à l’heure de l’invasion du « drame lyrique », les oeuvres tragiques de Rossini parurent à tort surannées, et « surchargées de vocalises, dépourvues d’intérêt dramatique », termes que l’on retrouve encore parfois dans la critique contemporaine, cependant que ne se maintenaient au répertoire que ses oeuvres comiques (et essentiellement le Barbier de Séville) qui représentent en réalité moins du quart de sa production, et accessoirement Moïse, ou bien Guillaume Tell, interprété de façon exagérément héroïque, telle que l’auteur l’avait lui-même condamnée. Dès 1930, on entreprit de réestimer la portée d’une oeuvre considérable dont tout le XIXe siècle avait témoigné, à commencer par Schopenhauer dont il représentait l’idéal esthétique, mais aussi Stendhal (auteur, dès 1823, de la première biographie rossinienne) dont les relations fantaisistes, reprises par ses imitateurs, contribuèrent à fausser bien des jugements. Il faut se souvenir que Rossini, bien qu’Italien, avait su préférer les leçons venues du Nord et s’inspirer de Haydn, Mozart, Beethoven ou Mayr plus que des petits maîtres qui l’avaient précédé, les Zingarelli, Generali, Pavesi, Fioravanti, etc., dont il ne retint que le minimum indispensable ; se souvenir aussi que Rossini, quel que fût son génie propre, avait su s’adapter aux temps nouveaux tout en demeurant farouchement attaché à certains principes inaltérables de l’art classique : un objectivisme inviolable, une structuration rigoureuse des formes lyriques, et un chant qui redevînt plus humain qu’instrumental, appuyé sur les principes du bel canto (extension de la gamme chantée, absence d’aigus donnés en force, colorature plus expressive que décorative, etc.). Sensible aux réformes déjà apportées aux structures de l’opéra par Jommelli, Traetta ou Mozart, il réussit mieux qu’eux la parfaite synthèse entre les genres seria, semiseria et buffa, mais, à la différence de

Mozart qui avait introduit le tragique dans les structures de l’opera buffa, il parvint à insuffler à l’opera seria la souplesse des structures du genre semiseria, et sa prétendue « réforme » napolitaine ne fut que la concrétisation d’objectifs plus anciens, rendue possible par les moyens dont il disposa soudain : il put ainsi achever de bannir le récitatif secco au profit d’un récit très lyrique, et souvent orné - retournant ainsi à l’esprit du recitar cantando originel -, dialoguant avec un orchestre coloré et actif (ce que lui reprochèrent ses contemporains qui le surnommèrent « Signor Vacarmini », ou « Il Tedeschino » - le petit Allemand) ; il réussit à enchevêtrer avec souplesse ces récits avec les arias, duos ou ensembles, les entrecoupant parfois d’interventions du choeur, construisant de vastes finales de conception tout à fait nouvelle, mais n’en demeurant pas moins fidèle toujours à la conception du morceau isolé (pezzo chiuso) considéré comme un commentaire affectif, isolé de l’action, et aisé à transporter d’une oeuvre à une autre, ainsi qu’en avaient toujours usé Bach, Haendel, Gluck, Mozart, etc. Il réduisit également les points d’orgue et les passages, rédigeant souvent luimême l’essentiel de l’ornementation, mieux accordée à chaque situation, puis, prenant acte de la disparition du castrat, il redistribua totalement l’échelle des tessitures vocales ( ! CHANT). Enfin, il ne faut pas oublier de mentionner ce microcosme parfait de la forme sonate que représente l’ouverture d’opéra aux structures très strictes, ni l’importance expressive donnée à un orchestre de type beethovenien (Matilde di Shabran, Ermione, etc.) avec l’emploi préférentiel des instruments romantiques tels que cor et clarinette, non plus que l’introduction des thèmes romantiques (La Donna del lago), féerique (Armide) ou libertaire (Guillaume Tell). Créateur d’une trop brève école de chant française qui unit les principes du bon chant italien à ceux de la noble déclamation française, et telle que la définit Manuel García junior dans son traité de 1847, fidèle aux objectifs d’une musique pure dont la beauté devait demeurer vierge de toute subjectivité (préfigurant en cela le retour à l’art « gratuit » de Mallarmé), il préféra, la maladie aidant, s’abstenir de

prendre part au déferlement du romantisme européen, mais sut, dans ses dernières années, se montrer à l’avant-garde des jeunes générations françaises de 1870. ROSTAL (Max), violoniste autrichien naturalisé anglais (Teschen 1905 - Berne 1991). Il est l’élève d’Arnold Rosé à Vienne et de Carl Flesch à Berlin. De 1928 à 1930, il assiste ce dernier à la Musikhochschule, et y enseigne de 1930 à 1933. Il émigre en Angleterre dès l’avènement du nazisme et, de 1944 à 1958, professe à la Guildhall School de Londres, où les membres du Quatuor Amadeus sont ses élèves. De 1957 à 1982, il enseigne à Berne et à Cologne. Il réalise, pour les éditions Schott notamment, tout un répertoire de transcriptions pour l’alto et le violon. En tant que soliste, il donne la première audition anglaise du Second Concerto de Bartók, et crée des oeuvres de Benjamin Frankel. En 1981, il publie un livre sur les sonates pour violon et piano de Beethoven. ROSTAND (Claude), musicologue et critique musical français (Paris 1912 - Villejuif 1970). Tout en faisant ses études de lettres et de droit, il fut au Conservatoire de Paris élève de Jacques Février, de Norbert Dufourcq, de E. Mignan et de M. Vaubourgoin. Il fut critique musical au Monde et au Figaro littéraire, correspondant des revues Melos et Musical America, conférencier des Jeunesses musicales de France et fit de nombreuses émissions à la radio. Ouvert aux musiques les plus diverses, il s’est particulièrement consacré à l’étude du XIXe et du XXe siècle, et s’est fait l’historiographe de Fauré, de Strauss, de Brahms, de Liszt, de Webern. downloadModeText.vue.download 870 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 864 Il a publié également la Musique française contemporaine (1952), Entretiens avec Darius Milhaud (1952) et avec Francis Poulenc (1954), et s’est fait l’exégète de la musique d’avant-garde dans sa série d’émissions Éphémérides de la musique contemporaine, et dans son Dictionnaire de la musique contempo-

raine (1970), ouvrage aux prises de position parfois percutantes. En 1966, il avait réalisé pour la télévision de Baden-Baden un film sur Erik Satie. Il a participé à plusieurs publications collectives : Histoire de la musique de la Pléiade (1960-1963), Stravinski (ouvrage collectif, 1963), la Musique sérielle d’aujourd’hui (196566, dans le cadre d’une enquête dirigée par A. Boucourechliev), Schumann (ouvrage collectif, 1970). ROSTROPOVITCH (Mstislav), violoncelliste, pianiste et chef d’orchestre soviétique (Bakou 1927). Né d’un père violoncelliste et d’une mère pianiste, il commença ses études musicales avec son père, pour les poursuivre, à partir de 1943, au conservatoire de Moscou, où il eut comme professeurs Chebaline et Chostakovitch (composition) ainsi que Kozoloupov (violoncelle). Premier prix de concours internationaux à Prague et à Budapest, il entreprit des tournées de concerts dès les années 50, ce qui permit aux auditoires de nombreux pays de découvrir son jeu superbe, son intensité expressive, sa puissance, sa plénitude dans tous les registres. Professeur au conservatoire de Moscou de 1949 à 1974, professeur honoraire au conservatoire de Leningrad de 1960 à 1967, lauréat des prix Lenine et Staline, l’artiste est titulaire de nombreuses médailles et distinctions, tant en Union soviétique qu’en de nombreux pays. Comme pianiste, il a accompagné la soprano Galina Vichnievskaia, son épouse depuis 1955. Comme chef d’orchestre, il fit ses débuts à Gorki en 1961, et c’est à l’occasion d’une production d’Eugène Onéguine au Bolchoï de Moscou, où son épouse chantait le rôle de Tatiana, qu’il s’affirma dans cette nouvelle fonction (1968). C’est à Paris que la production fut enregistrée sur disques, au cours de la tournée de ce théâtre. Notamment pour avoir hébergé Soljenitsyne, le couple quitta l’Union soviétique en 1974, pour une durée de deux ans, mais fut déchu de sa nationalité le 15 mars 1978, « pour activités portant atteinte au prestige de l’Union soviétique ». Dans cette période d’exil, Rostropovitch mena une intense activité de chef d’orchestre, ou de récitaliste avec sa

femme, faisant connaître la musique de son pays, et réalisant des enregistrements. Fidèle à une promesse faite lors de ses adieux à Chostakovitch en 1974, il dirigea, en Angleterre, l’enregistrement de Lady Macbeth de Mtsensk dans sa version originale. De 1977 à 1994, il fut comme successeur d’Antal Dorati chef musical de l’Orchestre symphonique national de Washington. Il s’est à nouveau produit dans son pays natal à partir de 1990. Le répertoire du violoncelle devait s’enrichir grâce à Rostropovitch puisqu’une cinquantaine de sonates et de concertos ont été conçus pour lui. En 1952, Prokofiev révisa son Concerto pour violoncelle avec sa collaboration, lorsqu’il en fit la Symphonie concertante op. 125. Aidé par Kabalevski, le grand violoncelliste termina en outre le Concertino op. 132 que Prokofiev avait laissé inachevé. Chostakovitch (deux concertos), Britten (six oeuvres), Glière, Khatchatourian, Kabalevski, Jolivet, Dutilleux, Sauguet, Auric, Wiener, Ohana, Lutoslawski et Landowski lui ont dédié des compositions. En France, Mstislav Rostropovitch a été fait commandeur de l’ordre des Arts et Lettres et officier de la Légion d’honneur et est devenu en 1988 président des Rencontres musicales d’Évian. Aux ÉtatsUnis, il a reçu le prix pour la Défense des droits de l’homme. ROSWAENGE (Helge), ténor danois (Copenhague 1897 - Munich 1972). Il fit ses débuts en 1921 à Neustrelitz dans le rôle de Don José de Carmen. Après des engagements dans divers théâtres d’Allemagne, il chanta régulièrement à l’Opéra de Berlin entre 1924 et 1925, puis à Vienne à partir de 1936. Entre-temps, il incarna le rôle de Parsifal à Bayreuth et ceux de Tamino dans la Flûte enchantée, de Huon dans Oberon et de Florestan dans Fidelio à Salzbourg. Après la guerre, il retourna à Berlin et à Vienne où sa carrière se prolongea jusque dans les années 60, tant dans le répertoire allemand qu’italien. La beauté de son timbre vocal, son exceptionnelle facilité dans le registre aigu, sa musicalité expressive, firent de Helge Roswaenge le meilleur ténor lyrico-dramatique d’Europe centrale entre les deux guerres. ROTA ou ROTTA.

Nom latin ou italien, dérivé du mot « roue ». 1. Au Moyen Âge, l’un des noms donnés au canon ( ! RONDEAU). 2. Au Moyen Âge, sorte de harpe portative en forme de triangle isocèle montée d’une trentaine de cordes (fr. rote), apparentée au crouth gallois. 3. Du XIVe au XVIe siècle, danse italienne de type rapide, faisant parfois suite à une pièce plus lente (rotta du Lamento di Tristano). ROTRUENGE ou ROTROUENGE. L’un des genres de chanson à refrain chez les trouveurs. Souvent en vers décasyllabes, il partage avec le rondeau, le virelai et la ballade le procédé des répétitions d’incises mélodiques, sans qu’il soit toujours possible d’en fixer les règles avec précision, compte tenu de la diversité des schémas que présente la douzaine de rotruenges qui nous est parvenue (8 seulement sont notées). ROUCHÉ (Jacques), impresario et metteur en scène français (Lunel, Hérault, 1862 - Paris 1957). Polytechnicien et industriel de formation, il était un homme de l’art par goût personnel. En 1907, il prit la direction de la Grande Revue où il publia Giraudoux, D’Annunzio et Jules Renard. À la suite d’un voyage d’études à travers l’Europe, il publia en 1910 l’Art théâtral moderne. La même année, il prit la direction du théâtre des Arts de Paris, aujourd’hui théâtre Hébertot, où il monta de nombreuses oeuvres dramatiques et lyriques dont Idoménée de Mozart, les Fêtes d’Hébé de Rameau, et le Couronnement de Poppée de Monteverdi. En 1915, il fut appelé à la tête de l’Opéra de Paris, poste qu’il conserva jusqu’en 1945. Il sut s’entourer de collaborateurs de talent comme Cocteau, Philippe Gaubert, Albert Aveline. Attachant une grande importance à l’art chorégraphique, il invita à se produire les troupes de Diaghilev et d’Ida Rubinstein, et s’assura à partir de 1929 le concours de Serge Lifar. Parmi les représentations et les créations d’opéras et de ballets dues à son initiative, les oeuvres françaises occupèrent

une place primordiale. En même temps, il constitua un vaste répertoire d’oeuvres de Wagner, Verdi, Moussorgski, Richard Strauss. Grâce à lui, le palais Garnier devint l’une des plus grandes scènes mondiales. En 1924, il avait été élu membre de l’Institut. ROUGET DE LISLE (Claude-Joseph), compositeur et poète français (Lons-leSaulnier 1760 - Choisy-le-Roi 1836). Fils aîné des huit enfants d’un avocat du roi au bailliage et au présidial de la ville, il fit ses études au collège de sa ville natale avant de recevoir à Paris sa formation militaire. Après être passé par l’école du génie de Mézières, il séjourna de nouveau dans la capitale (février 1790 - mai 1791), se signalant alors comme librettiste (Bayard dans Bresse, musique de Stanislas Champein). Puis il arriva à Strasbourg où fut exécuté son Hymne à la Liberté mis en musique par Ignaz Pleyel (25 septembre 1791). Il y fut nommé capitaine (23 février 1792) et c’est là qu’il composa dans la nuit du 25 au 26 avril 1792 son Chant de guerre pour l’armée du Rhin (la Marseillaise), qui l’immortalisa. downloadModeText.vue.download 871 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 865 Il participa aux polémiques opposant les Feuillants (ou modérés) aux Jacobins, et connut les avatars du modéré dépassé par la radicalisation du processus révolutionnaire. Sa vie durant, il fut également dépassé par la réussite éclatante et le rayonnement mondial de la Marseillaise qu’aucune de ses compositions, antérieures ou postérieures, n’aura égalée. Après avoir été emprisonné sous la Terreur, il rejoignit les ennemis de la Révolution, mais s’opposa aux assaillants royalistes du 13 vendémiaire, et, en cette même année 1795, rentra définitivement dans la vie littéraire et musicale, publiant ses Essais en vers et en prose. Puis il s’opposa au césarisme de Bonaparte, qui lui avait commandé un Chant des combats (13 nivôse an VIII) destiné à supplanter la Marseillaise, mais dont la création avait été un échec. Sous la Restauration, il chercha à sortir

de l’ombre et à gagner les bonnes grâces des nouveaux maîtres par des écrits et des chants d’allégeance royaliste tout en subsistant grâce à des travaux de traduction et de copie musicale. En 1826, un an après la publication de son recueil Cinquante Chants français, il fut emprisonné pour dettes à Sainte-Pélagie. Pensionné et décoré par Louis-Philippe au lendemain des journées de Juillet qui avaient vu ressusciter la Marseillaise, il reçut encore de Berlioz la dédicace de sa géniale orchestration de la Marseillaise. Le 14 juillet 1915, ses cendres furent transférées aux Invalides. ROUND. 1. Bref canon vocal à l’unisson (ou à l’octave) exécuté sans accompagnement. De caractère simple, parfois sérieux, pouvant être religieux ou profane, le round (mot anglais) offrait une possibilité aux personnes non initiées de faire de la musique ensemble. Il se pratiquait déjà au Moyen Âge. Pammelia, la première publication d’un recueil de Rounds and Catches, signée Thomas Ravenscroft, date de 1609 et contient une centaine d’exemples du genre dont le célèbre Three Blind Mice. Particulièrement adapté à l’enseignement du chant à plusieurs voix à l’école, le round se perpétue ainsi de nos jours. 2. Danse anglaise, populaire aux XVIIe et XVIIIe siècles. Comme son nom l’indique, les danseurs formaient un cercle. ROUSSEAU (Jean-Jacques), écrivain et compositeur genevois (Genève 1712 Ermenonville 1778). Après une formation essentiellement autodidacte, Rousseau manifesta rapidement son intérêt pour la musique par des fragments d’opéras, écrits à Chambéry, puis à Lyon, entre 1739 et 1742. Sa première publication d’ordre musical est un essai de réforme de la notation (Projet concernant de nouveaux signes pour la musique, 1742), défendu l’année suivante par une Dissertation sur la musique moderne. Cette tentative fut accueillie par un scepticisme général, et situa d’emblée Rousseau sur le plan d’une polémique agressive avec ses contemporains. Mais l’expérience déterminante dans la formation de son goût musical fut sans doute la familiarité avec l’opéra italien qu’il acquit en 1743-44 comme secrétaire de

l’ambassadeur de France à Venise. De retour à Paris, Rousseau termina les Muses galantes, un opéra-ballet commencé en 1743 ; l’oeuvre attira des commentaires peu amènes de Rameau et ne dépassa jamais le stade d’une représentation privée. C’est avec un « intermède », le Devin du village, représenté à Fontainebleau en 1752, que Rousseau connut enfin le succès comme librettiste-compositeur. Il s’engagea ensuite vigoureusement dans la querelle des Bouffons, parmi les tenants de la musique italienne ; sa Lettre sur la musique française en constitua le pôle extrême, avec la thèse selon laquelle « notre langue (est) peu propre à la poésie, et point du tout à la musique ». Rousseau tira les conséquences de cette assertion dans une « scène lyrique », Pygmalion (1770), où « les paroles et la musique, au lieu de marcher ensemble, se font entendre successivement ». On peut y voir le point de départ du « mélodrame », genre dramatique hybride qui fleurit en Allemagne dans les années 1770. Il ne reste que des esquisses et des fragments d’une dernière pastorale, Daphnis et Chloé. Rousseau représente le cas extrême d’un compositeur dont l’influence fut sans commune mesure avec la qualité propre de sa musique. Le Devin du village est d’une écriture fruste, mais concrétise de manière achevée l’aspiration de ses contemporains à un art dépouillé, prêchant les vertus de la morale naturelle. Musicalement, le Devin du village se situe à l’origine de la « comédie mêlée d’ariettes », bien que son principe d’une musique continue soit resté quasi sans descendance. Quant aux écrits de Rousseau, ils restent l’un des plus précieux témoignages sur la conception que le XVIIIe siècle se faisait de la musique. Les articles qu’il rédigea pour l’Encyclopédie, réunis en un Dictionnaire de musique (1768), sont une mine de renseignements, où se rejoignent les diverses expériences de leur auteur, comme écrivain, comme compositeur et même, plus modestement, comme copiste. ROUSSEL (Albert), compositeur français (Tourcoing 1869 - Royan 1937). Issu d’une famille d’industriels du Nord, Albert Roussel perd ses parents lorsqu’il n’est encore qu’un enfant. Il est élevé par son grand-père paternel, puis, après la

mort de celui-ci, en 1880, par un de ses oncles. Il reçoit, à onze ans, ses premières leçons de piano. En 1884, il entre comme interne au collège Stanislas à Paris, obtient son baccalauréat et prépare le concours de l’École navale. Il consacre à la musique ses jours de congé. Une exécution de la 7e Symphonie de Beethoven le bouleverse. Admis à l’École navale en 1887, Albert Roussel embarque sur le Borda, le navireécole ancré à Brest. En 1889, il découvre le Proche-Orient. Embarqué à Toulon, puis à Brest, enfin à Cherbourg sur le cuirassé Victorieuse, le jeune officier de marine s’essaie à la composition. Le jour de la Noël 1892, il fait entendre à l’église de la Trinité de Cherbourg un Andante pour violon, alto, violoncelle et orgue (détruit). En 1893, Albert Roussel effectue sur une canonnière, le Styx, une croisière en Extrême-Orient. À son retour en France, il obtient un congé de plusieurs mois et s’installe à Roubaix pour étudier l’harmonie sous la direction de Julien Koszul, directeur du conservatoire de cette ville. Ce dernier ne tarde pas à reconnaître les dons exceptionnels de son élève et lui conseille de poursuivre ses études musicales à Paris, sous la direction d’Eugène Gigout. Albert Roussel suit ce conseil, démissionne de la marine et arrive à Paris en octobre 1894. Gigout lui enseigne le piano, l’orgue, l’harmonie, le contrepoint et la fugue. En 1897, Albert Roussel adresse, en deux envois séparés et sous deux pseudonymes différents, deux Madrigaux à quatre voix au concours de la S. A. C. E. M. Tous deux sont primés. L’année suivante, il entre à la Schola cantorum pour étudier, sous la direction de Vincent d’Indy, la composition et l’orchestration. En 1904, sa première oeuvre pour orchestre, Résurrection, est dirigée à la Société nationale par Alfred Cortot. Cette année-là, il compose sa première symphonie, le Poème de la forêt. Entre 1902 et 1912, Albert Roussel écrit de nombreuses mélodies pour chant et piano (Poèmes d’Henri de Régnier, Poèmes chinois) et des oeuvres de musique de chambre, parmi lesquelles le Divertissement pour flûte, hautbois, clarinette, basson, cor et piano (1906) offre déjà, par l’importance accordée à la rythmique, un caractère très personnel.

En 1908, Albert Roussel se marie avec Blanche Preisach. L’année suivante, les jeunes époux font un voyage aux Indes, à Ceylan et au Cambodge. Les cavernes d’Ellor¯a, les ruines de Jaipur, Bénarès et le Gange inspirent au musicien le triptyque des Évocations. Albert Roussel et sa femme visitent aussi Tchitor, la ville où régnait Padmâvatî. En 1912, pour le théâtre des Arts que dirige Jacques Rouché, Albert Roussel compose un ballet, le Festin de l’araignée, qui obtient à sa création, le 3 avril 1913, un succès très vif. downloadModeText.vue.download 872 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 866 En 1914, il entreprend la composition de Padmâvatî, opéra-ballet en 2 actes, sur un livret de Louis Laloy. À la déclaration de guerre, il demande sa réintégration dans la marine ; elle lui est refusée. Mobilisé dans l’armée de terre en 1915, il commande une section de transports à Verdun, en 1916. Réformé en 1918, il se remet au travail et achève Padmâvatî, créé à l’Opéra en 1923. En 1920, son poème symphonique Pour une fête de printemps, lumineuse fête des rythmes et du contrepoint, amorce la série des chefs-d’oeuvre qui vont désormais jalonner sa carrière : en 1924, les Joueurs de flûte et la Deuxième Sonate pour piano et violon, en 1926, la Suite en « fa », en 1927 le Concert pour petit orchestre, etc. En 1922, il a acheté une maison au bord de la mer, à Varengeville, et c’est là qu’il compose presque toutes ses oeuvres. En 1930, Albert Roussel se rend aux États-Unis pour assister, à Boston, à la création de sa Symphonie en sol mineur dirigée par Serge Koussevitski. L’année suivante, son ballet Bacchus et Ariane est créé à l’Opéra de Paris. Bruxelles accueille Aeneas en 1935. En 1937, Albert Roussel achève sa dernière oeuvre importante, un Trio à cordes. Sa santé, déjà précaire depuis 1935, décline rapidement. Le musicien quitte Varengeville dont le climat ne lui convient plus et s’installe à Royan où il meurt d’une crise d’angine de poitrine le 23 août 1937. Le 27 août, il est inhumé dans le petit cime-

tière marin de Varengeville. Chez Albert Roussel, il faut d’abord considérer le musicien, car il lui importe plus de construire son oeuvre et de découvrir des combinaisons sonores nouvelles que de se confesser. L’homme maîtrise ses sentiments, discipline acquise dès l’enfance (une enfance privée de l’affection des parents disparus très tôt), et cultivée par le jeune officier de marine. Non pas froideur, mais une extrême pudeur, une certaine réserve, une constante fierté. Parfois féminine par la grâce et l’agilité de son écriture, la musique d’Albert Roussel est toujours mâle par la pensée. Une force l’habite, la soutient, l’entraîne en des élans dionysiaques dont Bacchus et Ariane offre le plus bel exemple, mais aussi le préserve des excès romantiques. Ajoutons à cela l’expérience du marin, du voyageur, l’ouverture sur l’ExtrêmeOrient, la contemplation de la mer, et le rêve, caressé un jour, de traduire par la musique ce qu’elle recèle de puissance et d’infini, de charme, de colère, de douceur, et force est de constater que le cas d’Albert Roussel est des plus complexes. Une telle personnalité ne se classe pas facilement dans les écoles musicales ou les courants esthétiques. Son art transparent et délié, art de contrapuntiste formé à la Schola cantorum, a trouvé du côté de l’impressionnisme l’allégement de la pensée, le sens de l’ellipse. Albert Roussel a fait siennes les leçons de fluidité incluses dans l’oeuvre de Debussy. Quant à la mobilité, car il n’est pas de musique plus mobile, plus nerveuse, plus agile que la sienne, comment n’y pas déceler également l’influence des Images pour orchestre de Claude Debussy ? L’évolution d’Albert Roussel l’a conduit vers un classicisme où logique et sensualité s’équilibrent, où musique pure et évocation sont de la même essence. Ses plus grands chefs-d’oeuvre, Bacchus et Ariane, la Troisième et la Quatrième Symphonie, marquent précisément le triomphe de ce classicisme. ROUSSET (Christophe), claveciniste et chef d’orchestre français (Avignon 1961). Il étudie le clavecin auprès d’Huguette Dreyfus, Kenneth Gilbert et Bob Van

Asperen. 1er Prix au Concours international de Bruges, il commence une carrière de soliste et se produit à Amsterdam, Cologne, Aix-en-Provence, Berlin, etc. À la fin des années 80, il est l’assistant de William Christie à la tête des Arts florissants et commence à diriger. Il fonde en 1991 son propre ensemble, les Talens lyriques, et mène une double carrière de claveciniste et de chef, interprétant le répertoire des XVIIe et XVIIIe siècles, français en particulier. ROUVIER (Jacques), pianiste français (Marseille 1947). Il apprend le piano au Conservatoire de Marseille, avant d’entrer au Conservatoire de Paris en 1963. Il étudie avec Aline van Barentzen, Vlado Perlemuter et Pierre Sancan. En musique de chambre, il est l’élève de Jean Hubeau. En 1970, il fonde un trio avec le violoniste Jean-Jacques Kantorow et le violoncelliste Philippe Muller. Avec cette formation, il s’impose dans le répertoire français, jouant toute la musique de chambre de Ravel, Debussy, Franck et Lalo. Il aborde aussi les trios de Chostakovitch, et joue en duo avec Théodore Paraskivesco. Il enseigne à l’Académie Ravel de Saint-Jean-de-Luz et, depuis 1979, au Conservatoire de Paris. ROVESCIO (al) [ital. : « à l’envers »]. L’expression s’applique aussi bien à la récurrence (rétrogradation) qu’au renversement. La symphonie en sol majeur no 47 de Haydn (1772) contient un Menuetto al Roverso (la seconde partie est la rétrogradation de la première, et il en va de même dans le trio) - mouvement repris dans la sonate en la majeur no 41 (Hob. XVI.26) de 1773 -, et la sérénade pour vents en ut mineur K.388 de Mozart (1782-1783), un Trio in Canone al Rovescio (en canon renversé). ROY (Jean), critique musical français (Paris 1916). Licencié en philosophie, il a débuté en collaborant dès 1937 à la Revue musicale dirigée par Henry Prunières. Parallèlement à une carrière de fonctionnaire, de 1941 à 1977, aux ministères de l’Intérieur et de la Culture, il a poursuivi ses activités de critique en publiant des articles dans de nombreux journaux et revues, et réa-

lisé plusieurs émissions radiophoniques. Ses ouvrages, la Vie de Berlioz racontée par Berlioz (1954), Présences contemporaines : musique française (1962), Francis Poulenc, (1964), Darius Milhaud (1968), Bizet (1983), le Groupe des Six (1994) et de nombreux textes sur des compositeurs français témoignent d’une orientation à laquelle il faut adjoindre une ouverture sur l’ensemble des arts dont la musique, selon lui, ne peut jamais être séparée. ROYAN (festival international d’art contemporain de). Créé en 1963, ce festival consacré essentiellement à la musique contemporaine a eu lieu 14 années de suite, durant une semaine aux environs de Pâques, de 1964 à 1977. Il eut comme président-fondateur le docteur Bernard Gachet, et comporta également des manifestations théâtrales, cinématographiques, chorégraphiques ou picturales annexes. Jusqu’en 1972, son directeur artistique fut Claude Samuel, qui eut comme successeur, à partir de 1973, Harry Halbreich. Certaines années, l’accent fut plus ou moins mis sur tel ou tel aspect de la production musicale d’aujourd’hui : les pays de l’Est (1971), ou encore la jeune génération (1972). Par le nombre des partitions commandées, par celui des premières auditions françaises ou mondiales, le festival de Royan prit rapidement une importance internationale qui en fit au moins l’égal de ceux de Donaueschingen ou de Venise. Celui de 1974, par exemple, annonça 49 compositeurs (dont 15 nés après 1940) originaires de 18 pays, et représentés par 120 oeuvres dont 100 créations (39 mondiales et 61 françaises). Dans le cadre du festival a eu lieu à cinq reprises, jusqu’en 1971, le concours international de piano OlivierMessiaen, auquel a fait suite, pour une année (1972), un concours de flûte. Avec l’arrivée de Harry Halbreich, le festival s’est plus encore orienté vers la création, à la fois par le nombre des premières auditions mondiales et françaises que par la programmation de jeunes compositeurs (nés entre 1940 et 1955) français ou étrangers jusqu’alors peu ou très peu joués. Les derniers festivals de Royan ont ainsi mieux fait connaître ou même révélé des compositeurs de la génération de BoudownloadModeText.vue.download 873 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 867 lez ou de peu ses cadets, comme Berndt Alois Zimmermann, Isan Yun, Dieter Schnebel, Klaus Huber, Franco Donatoni, Cristobal Halffter, Hans Joachim Hespos, Jean-Claude Éloy ou Heinz Holliger, mais aussi et surtout des compositeurs nés à partir de 1940 comme Hugues Dufourt, Brian Ferneyhough, Giuseppe Sinopoli, Emanuel Nunes, Horatiu Radulescu, Jacques Lenot, Tristan Murail, Michael Levinas, Michael Finnissy, Sandro Gorli, Philippe Manoury, Wolfgang Rihm ou José-Ramón Encinar (d’une façon générale les jeunes écoles italienne, espagnole et allemande). Cet aspect « forum de la création « n’a pas échappé à la critique, et il est certain qu’il ne saurait constituer à lui seul une politique de la musique contemporaine. Son utilité n’en demeure pas moins, et il est non moins certain que depuis 1977 rien n’est venu remplacer, en France en tout cas, et malgré l’existence des Rencontres de Metz (jusqu’en 1992), du festival Présences de Radio France et du festival Musica de Strasbourg, le festival de Royan sur ce point. PRINCIPALES CRÉATIONS MONDIALES OU FRANÇAISES (F) AU FESTIVAL DE ROYAN. 1966 : Triade de Gilbert Amy, Interférences de Paul Méfano, De natura sonoris de Penderecki, Terretektorh de Xenakis, Variations pour orchestre de Stravinski (f) ; 1967 : archipel I de Boucourechliev, D’un opéra de voyage de Betsy Jolas, Dans le deuil des vagues de Gérard Masson ; 1968 : Trajectoires de Gilbert Amy, le Temps restitué de Jean Barraqué, Lignes de Paul Méfano, Imaginario II de Luis de Pablo, Punkte de Stockhausen (f), Solo de Donatoni (f), Nuits de Xenakis ; 1969 : Sinfonia de Berio (f), Archipel II de Boucourechliev, Reliefs polychromés de Jean-Pierre Guézec, Quadrivium de Bruno Maderna, Nomos Gamma de Xenakis ; 1970 : Cette étoile enseigne à s’incliner de Gilbert Amy, Archipel IV de Boucourechliev, Quatorze Stations de Marius Constant, Cérémonie II de Pierre Henry, Holydays Symphony de Charles Ives (f), la Cérémonie de Paul Méfano ; 1971 : Schichten d’Alsina, Austrahlungen de Globokar, Écran de Vieru, Synaphai de Xenakis ; 1972 : Ludwig Van de Kagel

(f), Madrigal de Paul Méfano, Lovercraft de Tristan Murail ; 1973 : Solo de Donatoni (f), Préludes et fugue de Lutoslawski (f), Kermit de François-Bernard Mâche, Bleu loin de Gérard Masson, Extensions de Francis Miroglio, 24 Préludes de Maurice Ohana, Concerto pour violoncelle de Penderecki, Choralvorspiele de Dieter Schnebel (f), Photoptosis et Action ecclésiastique de Berndt Alois Zimmermann (f) ; 1974 : Clocks and Clouds de Ligeti (f), Symphonie de René Koering, la Dérive des continents de Tristan Murail, Missa brevis et Sieben Sterne de Brian Ferneyhough, Shanti de Jean-Claude Éloy, Mélodies de Paul Méfano, Tenebrae de Klaus Huber (f), Bergkristall de Bussotti (f), Aura de Maderna (f), Sur Mi de Philippe Boesmans, Quatuor de René Koering, Quatuor de Gérard Masson ; 1975 : Sonatas pour quatuor à cordes et Transit de Ferneyhough, Quatuor de Heinz Holliger, Sables de Tristan Murail, Souvenirs à la mémoire de Giuseppe Sinopoli, Lamento di Gesu de Radulescu, Espressivo de Franco Donatoni, Pinturas Negras et Tiempo para espacios de Cristobal Halffter, Puzzle de Philippe Manoury, Thrène de Boucourechliev, Down to a Sunless Sea de Hugues Dufourt (f), Musik im Bauch de Stockhausen ; 1976 : Ondes de Paul Méfano, Ecce Opus de Francisco Guerrero, Concerto pour violoncelle de Cristobal Halffter, Concerto pour violoncelle de Isan Yun, Sinfonie de Freidrich Cerha ; 1977 : l’Orage et Erewhon de Hugues Dufourt, Symphonie de Jacques Lenot, Lichtzwang de Wolfgang Rihm, Symphonie no 3 de Henryk Gorecki, Ruf d’Emanuel Nunes. ROYON-LEMÉE (Franck), compositeur français (Paris 1952). Membre du Groupe de musique expérimentale de Marseille, il est également un étonnant interprète maîtrisant des techniques nouvelles d’émission vocale qu’il utilise dans ses propres oeuvres électroacoustiques. La plus remarquable de cellesci est un important Office constitué de plusieurs pièces indépendantes, et où se manifestent son goût de la beauté sonore et son sens du rituel. RUBATO (de l’ital. tempo rubato, « temps volé »). Indication d’expression prescrivant d’accélérer certaines notes d’une mélodie et

d’en ralentir d’autres pour échapper à la rigueur de la mesure, la basse conservant en principe un rythme immuable. Appliqué au chant mais aussi à la pratique instrumentale à partir du début du XVIIe siècle, le rubato fut pris en compte au XVIIIe par des théoriciens de l’interprétation tels que Carl Philipp Emanuel Bach, et connut une vogue certaine à l’époque romantique, en particulier dans le répertoire pour piano. Certains interprètes des alentours de 1900, par exemple Eugène d’Albert, en firent usage d’une façon qui semble aujourd’hui exagérée, mais il n’existe pour ainsi dire pas de musique vivante sans un minimum de rubato. Dans la musique contemporaine, cette technique tend à s’intégrer au processus compositionnel lui-même, dans la mesure notamment où cette musique cherche à se libérer de l’écrit, de la périodicité régulière, des valeurs égales, et elle est importante également dans le jazz. RUBBRA (Edmund), compositeur anglais (Northampton 1901 - Gerrad Cross, Buckinghamshire, 1986). Élève de Cyril Scott, puis de Gustave Holst au Royal College of Music (1921-1925), il a enseigné à l’université d’Oxford de 1947 à 1968, ainsi qu’à la Guildhall School of Music à partir de 1961. De ses onze symphonies (entre 1935-1937 et 1978-79), citons notamment la 5e (1947-48), la 9e, dite Sinfonia sacra (pour solistes vocaux, choeurs et orchestre, 1971-72), et la 10e, dite Sinfonia da camera (1974). Il a écrit aussi des oeuvres de musique de chambre dont quatre quatuors à cordes (1933, 1952, 1962-63 et 1976-77) et de la musique chorale (Festival Te Deum, 1951). RUBINI (Giambattista), ténor italien (Romano, près de Bergame, 1794 - id. 1854). Il fut le plus célèbre ténor de la première moitié du XIXe siècle. Bellini composa pour lui Il Pirata, La Sonnambula, I Puritani, et Donizetti Anna Bolena. Sa voix était puissante, mais son timbre évoquait le velours davantage que le métal. Sa technique, basée sur le mélange parfait des registres, lui permettait d’atteindre le contre-fa dans l’aigu en falsetto appuyé : d’où l’écriture du rôle d’Arturo dans I Puritani, que les techniques de chant actuelles ne permettent guère de maîtriser. Excellent acteur, il s’identifiait à ses rôles de manière absolue.

RUBINSTEIN, famille de musiciens russes. Anton, pianiste, compositeur et pédagogue (Vykhvatintsy, Moldavie, 1829 - Peterhof, près de Saint-Pétersbourg, 1894). Ayant commencé l’étude du piano avec sa mère, puis travaillé avec A. Villoin, il se révèle un enfant prodige, et dès 1840 effectue des tournées en Europe. Il travaille avec Siegfried Dehn à Berlin, rencontre Mendelssohn, Liszt, Chopin. Une première période créatrice voit naître plusieurs opéras sur des sujets russes, Dimitri Donskoï (Saint-Pétersbourg, 1852), la Vengeance d’après Lermontov (1852), les Chasseurs sibériens (Weimar, 1854), dans lesquels il s’efforce sans y parvenir d’imiter le style national russe. Il ne se reconnaîtra que dans la tradition des formes germaniques. Sa 2e symphonie, Océan, considérablement influencée par Schumann et Mendelssohn (1851, rév. 1863 et v. 1880), est une oeuvre d’infiniment plus de valeur. De la même période (1850-1854) datent trois de ses cinq concertos pour piano. Dès la fin des années 1850, Rubinstein s’impose comme animateur d’activités musicales : il crée à Saint-Pétersbourg une Académie de chant (1858) et surtout la Société musicale russe, qui fut bientôt transformée en conservatoire (1862). Le conservatoire de Saint-Pétersbourg fut le downloadModeText.vue.download 874 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 868 premier de ce genre en Russie. Rubinstein s’opposa dès lors à la tendance nationale du groupe des Cinq, en prônant la nécessité d’un enseignement académique à la mode occidentale. Il fut directeur et professeur du conservatoire jusqu’en 1867, et eut Tchaïkovski parmi ses élèves. Il quitta son poste en 1867 et pendant vingt ans mena de front sa carrière de virtuose et ses activités de compositeur. Sa réconciliation avec Balakirev et les compositeurs nationalistes correspond à l’époque de la composition de son opéra le Démon d’après Lermontov (Saint-Pétersbourg, 1875), qui est une de ses oeuvres ayant le mieux survécu. Cela ne l’empêcha pas, quatre ans plus tard, de composer un

authentique opera seria, Néron (Hambourg, 1879), qui connut également un certain succès. En 1885-1887, les cycles de « concerts historiques » qu’il donna dans diverses capitales européennes (Berlin, Londres, Paris, Vienne), ainsi qu’à SaintPétersbourg et à Moscou, contribuèrent, entre autres, à faire connaître l’oeuvre pour piano de l’école russe. En 1887, il reprit son poste de directeur et de professeur au conservatoire, dont l’esprit s’était quelque peu « russisé » depuis l’arrivée de Rimski-Korsakov en 1871. En 1888-89, Rubinstein fit un cycle de cours consacrés à l’histoire du répertoire pianistique, qu’il illustra avec l’interprétation de plus de 800 oeuvres, des virginalistes du XVIe siècle à Liszt. Quittant définitivement le conservatoire en 1891, il vécut à Dresde jusqu’en 1894 et rentra en Russie peu de temps avant sa mort. L’immense mérite de Rubinstein fut d’avoir imposé en Russie un enseignement musical officiel de haut niveau, tâche dans laquelle il fut activement secondé par son frère Nicolai, et d’avoir jeté les bases d’une tradition pianistique russe, servant de lien entre le style de Liszt et celui de Tchaïkovski et de Rachmaninov. Avec le contrepoids important qu’a représenté le groupe des Cinq, Rubinstein a assuré à l’école russe l’équilibre entre l’authenticité nationale et le métier classique. Le catalogue de ses oeuvres est considérable (13 opéras, 5 opéras sacrés et oratorios, dont Sulamith, 1883, 6 symphonies, 5 concertos pour piano, de nombreuses oeuvres pour piano seul, des mélodies, de la musique de chambre). Si la majeure partie d’entre elles a été oubliée à juste titre, certaines n’en méritent pas moins de survivre ; le cycle de mélodies Chansons persanes (1854) manifeste, curieusement, un sens de l’orientalisme que viendront confirmer de nombreuses pages vocales et symphoniques du Démon ; la 2e symphonie Océan, le 4e concerto pour piano (1864), le quintette pour piano et vents (1855, rév. 1860), tous d’un style intégralement occidental, n’en sont pas moins d’incontestables réussites. Nicolai, pianiste, chef d’orchestre et pédagogue russe (Moscou 1835 - Paris 1881). Frère du précédent, il étudia le piano et l’écriture musicale à Berlin auprès de Theodor Kullak et de Siegfried Dehn (1844-1846), puis se perfectionna à SaintPétersbourg avec Villoin qui avait été

le professeur de son frère. S’il resta peu connu comme compositeur, bien qu’ayant composé une série de pièces pour piano, il fit une brillante carrière de virtuose et de chef d’orchestre, et fut, aux côtés de son frère, organisateur et animateur de l’enseignement musical en Russie. Il fonda en 1859 la section moscovite de la Société musicale russe dont il resta président toute sa vie, et qui fut à l’origine du conservatoire de Moscou, inauguré en 1866. Rubinstein y assura en permanence la direction des concerts, contribuant à faire connaître les oeuvres de l’école russe, et tout particulièrement celles de Tchaïkovski. En 1878, il vint à Paris et se produisit aux Concerts russes de l’Exposition universelle. RUBINSTEIN (Artur), pianiste polonais naturalisé américain (Flód’z 1887 - Genève 1982). Enfant prodige, il aborde le piano à trois ans, est exhibé dans des concerts entre sept et dix ans, avant d’être entendu à Berlin par Joachim, qui, ébloui, prend en charge son enseignement, le confiant à Heinrich Barth pour le piano, à Robert Kahn et Max Bruch pour l’harmonie et la composition. C’est sous sa direction qu’il fait ses véritables débuts en 1899, à Berlin, interprétant le 23e concerto en la majeur de Mozart. Après une tournée en Russie avec l’orchestre Koussevitski, il séjourne quelques mois en Suisse chez Paderewski et fait ses débuts parisiens en 1904, au Nouveau Théâtre, provoquant en particulier l’admiration de Saint-Saëns. Une tournée de soixante-quinze concerts aux États-Unis, en 1906 (il joua pour ses débuts à Philadelphie le 1er concerto de Chopin), clôt la période d’apprentissage du jeune prodige. Conscient de son immaturité, il se remet à l’étude et parfait son répertoire, avant de reparaître dans les capitales européennes, notamment à Londres en 1912 (en compagnie de Casals), où il s’installe de 1914 à 1916, donnant des « joint-recitals » avec Ysaye pour les troupes alliées. En 1916, il découvre dans l’enthousiasme l’Espagne et la musique de Granados, d’Albéniz et de Falla qu’il va contribuer à faire connaître. À partir de 1919, il partage ses activités entre les États-Unis, où il effectue de nombreuses tournées dans les années 20, l’Europe et l’Amérique du Sud dans la décennie suivante. De 1932 (année de son mariage) à 1937, il vit à Paris dans

une semi-retraite, provoquée par sa rivalité avec Horowitz, révisant entièrement son jeu et sa technique. Il fait une rentrée triomphale en novembre 1937, interprétant le 1er concerto de Tchaïkovski avec l’Orchestre philharmonique de New York. Animé d’une prodigieuse vitalité, il se dépense en des concerts-marathons (jouant fréquemment les deux concertos de Brahms ou trois de Beethoven en une seule soirée), fait de la musique de chambre en duo avec Paul Kochanski, Jascha Heifetz, Henryk Szeryng, en trio avec Heifetz et Feuermann (puis Piatigorski), Szeryng et Fournier, et joue avec les quatuors Pro Arte et Guarneri. Il a enregistré tout l’oeuvre de Chopin et les grands concertos du répertoire (ceux de Beethoven par trois fois). Atteint de cécité, il a abandonné la carrière après un récital d’adieu donné au Wigmore Hall de Londres en avril 1976. Le fringant vieillard immortalisé par le cinéma (l’Amour de la vie, de F. Reichenbach, 1969) et par ses Mémoires (les Jours de ma jeunesse, 1976 ; Grande est la vie, 1980) fut également dans sa jeunesse un ardent défenseur de la musique de son temps, jouant aussi bien Szymanowski (qui lui dédie ses Variations op. 3), Stravinski (qui fait de même avec sa PianoRag Music, 1919), Debussy, Ravel, Poulenc, Prokofiev, Villa-Lobos et les maîtres espagnols. Interprète familier des romantiques, de Brahms surtout qu’il chérit, Rubinstein reste d’évidence le grand traducteur de Chopin, par ses interprétations fougueuses et aristocratiques, préférant la luminosité au flou, le lyrisme à l’émotion, quitte à paraître parfois superficiel à force de brio. Sans abandonner un idéal d’interprétation privilégiant l’élan, lui-même a su évoluer d’un jeu spontané et virtuose à une conception plus méditative et plus décantée, ouvrant la voie à de nouvelles lectures de l’oeuvre de Chopin. RÜCKERS. Dynastie de facteurs de clavecins travaillant à Anvers à la fin du XVIe et au long du XVIIe siècle. D’origine flamande, on les trouve aussi sous les noms de Ruyckers, Ruekaers, Rieckers, etc. Le fondateur de la dynastie, Hans (ou Johannes), dit L’aîné (Malines v. 1550 - Anvers 1598), s’installe à Anvers

dès 1575, s’y marie et entre, en 1579, à la Guilde de Saint-Luc comme facteur de clavecins. En ces temps de troubles avec l’Espagne, où l’achat d’un clavecin pouvait passer au second plan des préoccupations et des besoins, il survécut en assurant l’entretien et la restauration des orgues des églises d’Anvers, notamment à la cathédrale Notre-Dame et à Saint-Jacques. Deux de ses fils prirent sa suite. Johannes, dit Hans le Jeune (Anvers 1578 - id. 1643), fut admis en 1611 à la Guilde de Saint-Luc. Il assura lui aussi la construction, la restauration et l’entretien des instruments à clavier, orgues, clavedownloadModeText.vue.download 875 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 869 cins, épinettes. Il passe pour le meilleur représentant de la famille. Son frère, Andreas (ou Andries), dit L’aîné (Anvers 1579 - id. apr. 1645), fut aussi estimé que son père et que Hans « le Jeune ». Reçu maître en 1610 ou 1611, il construisit des clavecins, des virginals, et entretint gratuitement l’orgue de la chapelle de NotreDame, en qualité de membre de la confraternité de la cathédrale. Son fils, Andreas (ou Andries), dit Le Jeune, (Anvers 1607 - id. av. 1667), fut reçu maître en 1636. Un autre Rückers, Christoph, est actif à Anvers au début du XVIIe siècle, mais on ignore son éventuelle parenté avec les précédents ; on connaît de lui deux instruments. Très prisés dès l’époque même de leurs fabricants, les instruments des Rückers apparaissent aujourd’hui comme des chefsd’oeuvre à la fois d’exécution, de décoration (les meilleurs peintres, dont Rubens, en ont orné) et de sonorité. Même s’ils ont été altérés par le temps ou des soins maladroits, leur restauration actuelle en révèle l’incomparable richesse de timbre. Celle-ci est due à la qualité des matériaux employés et à la précision de leur fabrication. Les instruments des Rückers n’ont cessé de servir de modèles pour les générations suivantes, et certains sont utilisés pour réaliser des copies modernes. On connaît environ cent trente instruments signés des Rückers ; plus de cinquante

d’entre eux, parmi les plus beaux, sont à présent visibles dans des musées (Londres, Bruxelles, Anvers, Paris, États-Unis). RUDY (Michael), pianiste russe naturalisé français (Tachkent 1953). Il étudie le piano au Conservatoire de Moscou avec Y. Flière. 1er Grand Prix Marguerite Long en 1975, il commence l’année suivante une grande carrière en U.R.S.S. et en Europe de l’Est. En 1977, il se fixe à Paris. Aux côtés d’orchestres tels que le Philharmonique de Berlin, l’Orchestre de Paris, les orchestres de Cleveland et de Philadelphie, et aussi en soliste, il se produit sur les grandes scènes du monde, dans le répertoire romantique mais aussi dans les oeuvres slaves du début du XXe siècle (Rachmaninov, Scriabine, dont il enregistre l’intégrale de l’oeuvre pour piano, Janáček...). RUFFO (Titta), baryton italien (Pise 1877 - Florence 1953). Après des débuts à Rome en 1898 dans le rôle du Héraut de Lohengrin, il devint le plus grand interprète des ouvrages de la dernière période de Verdi, ainsi que des opéras véristes des compositeurs qui lui étaient contemporains (Puccini, Mascagni, Leoncavallo). Cette similitude dans le répertoire fit de lui le partenaire d’élection de Caruso, dont il partageait également le style de chant, fondé sur une accentuation expressive du mot. À cet égard, il s’opposait à la manière de son rival Battistini, partisan de la pure tradition du bel canto où l’expression est obtenue par des moyens vocaux et musicaux. La voix de Titta Ruffo était une des plus belles de son époque, et sa puissance était considérable. Sa carrière internationale dura plus de trente ans. RUGGLES (Carl), compositeur américain (Marion, Massachusetts, 1876 - Bennington, Vermont, 1971). Violoniste amateur, il se fixa de bonne heure à Boston où il fut musicien d’orchestre et prit ses premières leçons avec Paine. À l’université de Harvard, il étudia ensuite la composition avec W. Spalding et Timner. Professeur dans une école locale à Winona (Minnesota), il y fonda un orchestre (1907) et commença à composer (1912). Ses oeuvres les plus importantes

datent de 1920 à 1940. Professeur à l’université de Miami de 1938 à 1943, il devint membre de l’Institut des arts et lettres (1954), mais vécut de longues années dans un petit village du Vermont, Arlington, avant de se retirer, après 1966, dans une maison de repos. Il a peu écrit, mais ses tentatives témoignent d’une remise en question de la matière sonore. D’où chez lui la fréquence des combinaisons instrumentales originales : Portals pour 13 instruments à cordes (1925, plusieurs fois remanié) ; Men and Mountains pour 31 instruments (1924, plusieurs fois remanié). Parti de l’utilisation très libre du contrepoint dissonant, puis venu en toute indépendance à la syntaxe de Schönberg et de Berg, il fit partie, à ce titre, de la première avant-garde américaine. Mais son expression, parfois austère, a conservé toute sa puissance, son authenticité et son originalité. RUSSOLO (Luigi), compositeur et peintre italien (Portogruaro 1885 - Cerro di Laveno 1947). Il est le théoricien et le pionnier de la musique « bruitiste ». Il étudie la musique avant de se tourner vers la peinture. À Milan, il entre en 1910 dans le groupe des futuristes, formé entre autres par l’écrivain Marinetti, les peintres Boccioni et Balla, et dont le projet est de rénover tous les arts en les ouvrant au dynamisme de la vie moderne et des machines. S’inspirant des théories et des réalisations de Balilla Pratella, Russolo publie en 1913 son manifeste l’Arte dei rumori (l’Art des bruits), qui proclame en termes énergiques et enthousiastes la désuétude des musiques instrumentales traditionnelles et la nécessité de « conquérir la variété infinie des sons-bruits » (sons de la vie moderne, de la nature, de la ville... et de la guerre) pour les composer harmoniquement et rythmiquement. Établissant une classification sommaire des bruits, Russolo imagine, pour les recréer et en jouer, des instruments qu’il appelle des « intonarumori » (bruiteurs) : ceux-ci ont l’aspect de caisses cubiques dont sortent des trompes pour porter le son, et contiennent des mécanismes que l’on peut actionner grâce à une manivelle,

avec un levier permettant de contrôler approximativement la hauteur des sons. Réalisés avec Ugo Piatti, ces instruments se divisent en hululeurs, grondeurs, crépiteurs, froufrouteurs, éclateurs, bourdonnateurs, glouglouteurs et sibileurs. Russolo écrit pour eux des pièces en notation graphique (Réveil d’une capitale, Rendez-vous d’autos et d’aéroplanes, Escarmouche dans l’oasis, On dîne à la terrasse du casino), pièces qui, malgré leurs titres, veulent dépasser le niveau purement imitatif pour recréer des « compositions » ordonnées de bruit, susceptibles de donner une « nouvelle volupté acoustique ». Ces oeuvres sont jouées dans différents concerts à Milan, Gênes, Londres, en 1914, avec un accueil souvent houleux. Enrôlé et blessé dans la Première Guerre mondiale, Russolo recommence à diffuser sa musique en 1921 (concerts à Paris, suivis par Stravinski, Ravel, et surtout Varèse). Il perfectionne ses bruiteurs et finit par les regrouper en un seul instrument à clavier, le rumorharmonium ou russolophone, mis au point entre 1923 et 1927, et qui, avec ses douze « jeux », donne aussi bien des bruits que des accords parfaits. Quand Russolo s’établit à Paris en 1927, c’est avec cet instrument qu’il gagne sa vie, s’en servant pour accompagner et bruiter en direct des films muets d’avant-garde au cinéma du Studio 28. Il rencontre alors Varèse, intéressé mais réticent, ainsi qu’Honegger, également tenté par l’utilisation du rumorharmonium, mais là encore, l’intérêt du milieu musical n’aura pas de suite. L’avènement du cinéma parlant ruine les applications commerciales du rumorharmonium, dont le seul exemplaire semble aujourd’hui perdu. Russolo arrête ses activités d’avant-garde, et se fixe en 1937 à Cerro di Laveno, se désolidarisant des positions fascistes prises par certains futuristes. C’est là que meurt en 1947, dans l’indigence, cet homme modeste et désintéressé dont l’oeuvre de précurseur de la musique concrète (laquelle fit usage de sons enregistrés, au contraire du bruitisme) commence à être redécouverte, grâce entre autres aux travaux de Giovanni Lista. Malheureusement, les principales traces qui restent de cette tentative sont des textes, et la recréation des expériences de Russolo demanderait un travail

important. Pierre Henry devait rendre en downloadModeText.vue.download 876 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 870 1975 un hommage à Russolo, avec son oeuvre Futuristie. RUST, famille de musiciens allemands. Friedrich Wilhelm, violoniste, pianiste et compositeur (Wörlitz, près de Dessau, 1739 - Dessau 1796). Il étudia notamment avec W. F. Bach, F. Benda et C. P. E. Bach, voyagea en Italie dans la suite du prince Léopold III d’Anhalt-Dessau, et s’établit à Dessau en 1765. Il acquit une célébrité inattendue aux alentours de 1900, notamment auprès de Vincent d’Indy et de la pianiste Blanche Selva, grâce à la parution de certaines de ses sonates pour piano, ce qui le fit considérer alors comme un important précurseur de Beethoven et du romantisme. Mais en réalité, ces oeuvres avaient été, avant publication, fortement revues, voire récrites, par son petit-fils Wilhelm. D’Indy en réédita certaines, de toute façon remarquables, d’après les autographes. Wilhelm Karl, pianiste, organiste et pédagogue, fils du précédent (Dessau 1787 id. 1855). Il fut, comme pianiste, particulièrement apprécié de Beethoven. Wilhelm, organiste, pianiste, compositeur et éditeur, neveu du précédent et petit-fils de Friedrich Wilhelm (Dessau 1822 - Leipzig 1892). Il s’établit en 1849 à Berlin, où, à partir de 1853, il représenta la Bach-Gesellschaft de Leipzig. En 1858, il assuma la responsabilité principale de l’édition complète des oeuvres de Bach, éditant lui-même 26 volumes, et en 1878 s’installa à Leipzig comme organiste de Saint-Thomas et professeur au conservatoire. En 1880, il devint cantor à SaintThomas. RUTINI (Giovanni Marco), compositeur italien (Florence 1723 - id. 1797). Il étudia à Naples, séjourna à Prague en 1748 (il y signa alors la dédicace de ses Sonate per cembalo op. 1) et en 1753 (il y fit représenter Semiramide, son premier opéra), puis se rendit à Dresde, Berlin

et Saint-Pétersbourg (1758). À partir de 1761, il vécut à Florence, entretenant avec le Padre Martini une correspondance suivie, et composant jusqu’en 1777 au moins quatorze opéras. L’essentiel de sa production est formé par ses sonates pour clavecin, qui furent admirées du jeune Mozart et exercèrent sans doute une influence non négligeable sur les premières de Haydn. RUYNEMAN (Daniel), compositeur néerlandais (Amsterdam 1886 - id. 1963). Il étudia au conservatoire d’Amsterdam (avec Zweers), mais fut surtout autodidacte influencé par l’école française (Debussy, Ravel) et par la musique javanaise. Dès ses premiers essais, il rechercha des sonorités nouvelles, en incorporant aux instruments traditionnels des éléments insolites et en utilisant la voix pour le simple jeu de couleur des voyelles. Peu à peu, son évolution le conduisit à des architectures plus solides, dans un langage attentif à toutes les nouveautés de sa génération. Ses dernières oeuvres firent de lui un des principaux représentants néerlandais de l’avant-garde sérielle. Fondateur de la Société néerlandaise de musique contemporaine (1930), rédacteur en chef de la revue De Moderne Musick de 1930 à 1940, il eut un rôle important dans la défense de toutes les tendances contemporaines. RYBA (Jakub Šimon Jan), compositeur et pédagogue tchèque (Prestice 1765 Rožmitál 1815). Fils de l’instituteur et professeur de musique de Prestice, il étudia la philosophie à Prague de 1780 à 1785, puis devint l’assistant de son père, essayant de faire partager ses idées nouvelles puisées dans Sénèque, Catulle, Rousseau, Voltaire, écrivant des monographies sur ces grands humanistes, quatre volumes sur la théorie de la musique et un dictionnaire musical encyclopédique. Son enseignement fut apprécié à Prague, mais il supportait difficilement la résistance latente aux réformes qu’il expérimentait dans l’école de la petite ville bohème de Rožmitál, et il se suicida lors d’une crise de dépression. Il laisse plus d’une centaine d’oeuvres dont des quatuors de jeunesse colportés sous la signature de « Fisch » ou « Poisson », traduction littérale de son nom tchèque. Sa Missa solemnis pastoralis (1796) est

une suite de pastourelles de Noël réalisée sous forme de dialogue en langue du pays. Mélodiste doué d’une facilité peu ordinaire, Ryba est un des rares maillons permettant de passer du répertoire de Komensk’y à l’art choral populaire d’un Janáček. RYCHLÍK (Jan), compositeur tchèque (Prague 1916 - id. 1964). Esprit brillant parlant sept langues, pianiste de jazz, il entra en 1940 au conservatoire de Prague dans la classe de J. Řídký. Passionné de « musique vivante », il fut le promoteur à Prague des arts nouveaux venant d’Occident : jazz, « free jazz », musiques traditionnelles d’Afrique et d’Asie, école viennoise de Webern, et s’imposa durant ces vingt années d’activité comme le véritable animateur et catalyseur de la création, s’intéressant notamment à la percussion et aux origines des musiques non écrites. Animateur infatigable, il se ruina la santé, laissant à sa mort soixante ouvrages, essentiellement pour petites formations de chambre, ainsi que la musique de cinquante-cinq films et huit pièces. Pendant dix ans, il s’attacha aux problèmes de timbre, de rythmes, comme dans son Cycle africain pour neuf instruments (1961), puis s’essaya aux techniques postweberniennes, fréquemment aléatoires, comme dans ses Relazioni pour flûte alto, cor anglais et basson, sa dernière oeuvre (1963). Son héritage spirituel, fondamental pour l’avenir de la musique tchèque, a ouvert la voile aux recherches de Z. Vostřák, O. Mácha, J. Klusák, L. Fišer, M. Ištvan ou M. Kopelent. RYSANEK (Léonie), soprano autrichienne (Vienne 1926). Elle débuta à Innsbruck en 1949 dans le rôle d’Agathe du Freischütz, fut engagée à Munich en 1952 et à Vienne en 1954, et parut la même année à Paris dans le rôle d’Arabella de l’oeuvre de Richard Strauss et au festival d’Aix-en-Provence dans celui d’Elvire (Don Giovanni de Mozart). Dans le même temps, elle chanta Sieglinde et Elsa à Bayreuth. En 1959, elle incarna Lady Macbeth dans l’opéra de Verdi au Metropolitan Opera de New York, où elle se partagea pendant dix ans entre les répertoires allemand et italien. Elle fut aussi Desdémone et Aïda à la Scala de Milan. Sa

grande voix au timbre riche, à l’aigu facile et assuré, et sa présence scénique exceptionnelle font d’elle une des tragédiennes lyriques les plus marquantes de l’aprèsguerre. Outre certains rôles spectaculaires de Richard Strauss, telles l’impératrice de la Femme sans ombre et Hélène d’Égypte dans l’oeuvre du même nom, elle a abordé plus récemment Médée de Cherubini et Kundry dans Parsifal de Wagner. Son incarnation de Salomé fut un des grands événements du festival d’Orange de 1974. RYTHME. Du grec rhythmos, dérivé de rhéo, couler (l’ancienne orthographe rhythme est aujourd’hui abandonnée). Ordonnance des sons dans le temps selon des proportions accessibles à la perception, fondées sur la succession de leurs durées et l’alternance de leurs points d’appui. C’est au rythme, et au rythme seul, que s’applique la définition de saint Augustin : Musica est ars bene movendi, que Stravinski a paraphrasée (« La musique nous a été donnée à seule fin d’établir un rapport entre le temps et nous ») en oubliant que le titre du De musica de saint Augustin recouvre exclusivement un traité de métrique. La définition du rythme a du reste donné lieu à de fréquentes approximations. Il a été et est encore souvent confondu, tantôt avec la métrique (exposé de formules faites avec des successions de longues et de brèves), tantôt avec la mesure (retour d’un temps fort à intervalles réguliers), tantôt avec les formules rythmiques propres à un morceau ou à un genre de morceaux (notamment pour les danses), tantôt enfin avec le simple énoncé d’une phrase musicale, abstraction faite de ses hauteurs dans la seule succession de ses durées. downloadModeText.vue.download 877 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 871 L’étude méthodique du rythme ne date que du début du XIXe siècle. Préparée vers 1803 par J. J. de Momigny, que Riemann appelle « le père de la théorie du phrasé », elle a été surtout développée par Mathis Lussy en 1874 et s’est ensuite scindée en écoles antagonistes, dont la plus perspicace est sans doute celle établie pour le chant grégorien par l’école de Solesmes (Dom Mocquereau, le Nombre musical,

1908), assimilant le déroulement des appuis hiérarchisés au rebondissement d’une balle qui prépare le rebondissement suivant, et décomposant ce mouvement, à l’exemple des anciens métriciens, en une succession de levés (arsis) et de posés (thésis) prenant appui sur des « touchements » ou ictus. De son côté, Marius Schneider insiste sur le rôle de la périodicité, c’est-à-dire du retour plus ou moins régulier d’une perception de schémas métriques déjà mémorisés, que ces schémas soient euxmêmes régulièrement divisibles ou non ; les ethnologues, par exemple, font grand cas de rythmes « boiteux » qu’ils appellent « aksak », dont chaque cellule est formée d’éléments asymétriques : le retour régulier de ces cellules irrégulières n’en crée pas moins la périodicité. Le solfège dit « classique » est loin d’ailleurs de faire l’inventaire de toutes les possibilités de rythmes. Par exemple, ce qu’il note habituellement à 6/8 dans la musique populaire (noire-croche, soit longue de 2 et brève de 1) est très souvent ce que les Grecs appelaient un « spondiasme », c’està-dire une longue de 3 et une brève de 2 ; une mesure de menuet du XVIIe siècle formée de 3 noires est décomposée en 3 temps égaux, alors que les contemporains y voyaient 2 temps inégaux : un temps long de 2 noires, un temps « léger » d’une noire, etc. Il n’est pas certain non plus que la périodicité soit une condition nécessaire, et la perception du rythme peut très bien se produire en son absence. J. Chailley divise le rythme en deux grandes familles : le rythme gestuel, dérivé des mouvements réguliers du corps (marche, danse, rame, etc.), et le rythme verbal, dérivé des inflexions de la parole. Il insiste sur le fait qu’un rythme n’est pas une simple succession de durées juxtaposées, mais la perception consciente ou subconsciente d’un rapport de temps dans la succession des points d’appui ; ceux-ci sont normalement isochrones dans le rythme gestuel, ils ne le sont plus obligatoirement dans le rythme verbal. Ils ne créent le rythme que s’ils sont effectivement perçus, ce qui cesse d’être possible au-delà d’un seuil de saturation variable selon les cas, mais qui peut être très bas, de sorte que des rythmes

trop complexes, ou qui, émis simultanément, se contrarient au-delà d’une certaine limite, équivalant pratiquement à la disparition du rythme. Oublier ce fait très simple a parfois mené d’éminents compositeurs parmi les plus savants « spécialistes » du rythme à de pénibles illusions. En langage courant, des expressions telles que « avoir du rythme, manquer de rythme, un rythme entraînant », etc., font référence à la capacité d’un morceau ou d’un interprète à communiquer avec l’intensité suffisante le sens des pulsations mises en valeur par les rapports entre elles, et spécialement dans les dérivés de la musique gestuelle, la rigueur de leur isochronisme, surtout s’il s’agit d’une succession de temps forts et faibles (mais sans limitation à cette catégorie). RYTHME LOMBARD. Nom donné quelquefois à une manière d’exécuter les valeurs brèves de rythme inégal à l’inverse de la manière courante : alors que celle-ci, devant deux croches écrites égales, a tendance à allonger la première aux dépens de la seconde, le rythme lombard abrège la première et allonge la seconde. On dit aussi alla zoppa. downloadModeText.vue.download 878 sur 1085

S SAARIAHO (Kaija), compositeur finlandaise (Helsinki 1952). Elle étudie la composition avec Paavo Heininen à l’Académie Sibelius et travaille ensuite avec Klaus Huber et Brian Ferneyhough à Fribourg-en-Brisgau. Depuis 1982, elle vit à Paris, où elle fréquente souvent les ateliers et les studios de l’I.R.C.A.M (Jardin secret, 1984-85). La musique de Saariaho se distingue par l’imagination sonore, par un goût particulier pour la manipulation du timbre et des surfaces qui s’imbriquent et se séparent dans un perpétuel mouvement aux contours « liquides » (Du cristal... à la fumée pour orchestre, 1991-92). Cette facture néoimpressionniste est agencée grâce à un effort de plus en plus poussé d’intégration (Nymphea pour quatuor à cordes, 1987 ; Amers pour violoncelle, ensemble et dispositif électronique, 1992). Son ca-

talogue comprend aussi Verblendungen pour orchestre et bande (1983), Lichtbogen pour ensemble et « live electronic » (1986), Io pour ensemble instrumental et bande (1987), Maa, musique de ballet en sept scènes (1991), Trois Rivières pour 4 percussionnistes (1993-94), Château de l’âme pour soprano, 8 voix de femme et orchestre, commande du Festival de Salzbourg (1995). Son Concerto pour violon « Graal Théâtre » (1995) a été créé à Londres par Guidon Kremer. SABATA (Victor de), chef d’orchestre et compositeur italien (Trieste 1892 - Santa Margherita 1967). Fils d’un chef de choeur, il étudia au conservatoire de Milan le contrepoint, la fugue et la composition, et remporta divers succès, en particulier avec l’opéra Il Macigno (1917) et le poème symphonique Juventus (1910). Il commença sa carrière de chef à l’opéra de Monte-Carlo (19191929), où il créa notamment l’Enfant et les Sortilèges de Ravel (1925). Après quelques mois passés à la tête de l’Orchestre symphonique de Cincinnati (1929), il commença avec la Fille du Far West de Puccini, une longue collaboration avec la Scala (1929-1957), rivalisant par la fougue et l’exigence musicale avec Toscanini, à qui il succéda comme directeur du théâtre milanais en 1953. En 1939, il dirigea à Bayreuth un Tristan mémorable réunissant Germaine Lubin, Max Lorenz et Josef von Manowarda. Chef d’une précision et d’une sobriété extrêmes, il faisait naître une tension intérieure exemplaire sous l’apparence linéaire de ses interprétations. SACCHINI (Antonio), compositeur italien (Florence 1730 - Paris 1786). Élève de Durante à Naples, il connut des débuts difficiles, fut applaudi à Venise (Alessandro Severo, et Alessandro nelle Indie, 1763) et triompha à Padoue la même année avec son Olimpiade. Il quitta Venise pour Londres en 1772, y connut le succès tant dans l’opera buffa que dans l’opera seria, mais en fut chassé pour affaire de . Fixé à Paris en 1781, il y tira la leçon de la querelle entre gluckistes et piccinnistes, remania pour le goût français quelques ouvrages anciens, dont son Armida (1772) devenue Renaud (1783), et écrivit Dardanus (1784) où il opérait une magistrale synthèse entre les genres italien et fran-

çais, ce pour quoi l’oeuvre déçut le public. Il mourut sans voir représenter son OEdipe à Colone (1786) qui s’imposa, et fut joué sans interruption jusqu’en 1844, puis fréquemment repris de nos jours. SACHER (Paul), chef d’orchestre suisse (Bâle 1906). Il suit l’enseignement de Felix Weingartner au conservatoire de Bâle et de Karl Nef à l’université. Désireux de servir la musique préclassique comme la musique contemporaine, il fonde en 1926 l’Orchestre de chambre de Bâle et, deux ans plus tard, lui ajoute un choeur. À la tête de cet ensemble, il a créé plus de cent oeuvres, dont un grand nombre de commandes : Musique pour cordes, célesta et percussion, Sonate pour deux pianos et percussion et Divertimento de Bartók, Die Harmonie der Welt de Hindemith, Deuxième et Quatrième Symphonies et la Danse des morts de Honegger, Petite Symphonie concertante de Frank Martin, Métamorphoses de Richard Strauss, Concerto en « ré » et A Sermon, A Narrative and A Prayer de Stravinski, la Passion grecque de Martinºu, et des pages de Beck, Britten, Burckhardt, Fortner Henze, Malipiero, Tippett, Veress, etc. Il dirige également à partir de 1941 le Collegium musicum de Zurich. Fervent mozartien, Sacher participe aux festivals de Lucerne (jouant les Sérénades), d’Édimbourg, de Glyndebourne (pour Idoménée) et d’Aix-en-Provence. Dès 1953, il complète son action en faveur de la musique ancienne en créant un Institut de recherche sur l’interprétation, la Schola cantorum basiliensis, intégrée en 1954 dans la Musikakademie de Bâle, qu’il dirige depuis 1969. Ses efforts parallèles en faveur de la musique contemporaine se sont concrétisés, au-delà de son mécénat, par des cours de composition et d’interprétation (assurés un temps par Pierre Boulez) et par d’importantes responsabilités au sein de la branche suisse de la S. I. M. C. et de l’Association des musiciens suisses. Il a acheté en 1983 l’ensemble des archives Stravinski à New York, et en 1986 a été inauguré à Bâle le bâtiment de la Fondation Paul-Sacher, qui abrite de très nombreuses archives. downloadModeText.vue.download 879 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE

873 SACHS (Curt), musicologue, organologue et ethnomusicologue américain d’origine allemande (Berlin 1881 - New York 1959). Il fait ses études à l’université de Berlin où, tout en suivant des cours d’histoire de la musique avec Fleisher, Kretschmar, Wolff et Friedländer, il se spécialise en histoire de l’art. Il se consacre, à partir de 1909, à la musique et est nommé, après la guerre, directeur de la Staatliche InstrumentenSammlung de Berlin. Ses activités pédagogiques s’accompagnent de nombreuses responsabilités au sein des musées allemands et dans les organismes éducatifs officiels. Ses origines juives l’obligent à émigrer à Paris en 1933, où il enseigne à la Sorbonne et travaille avec André Schaeffner au musée de l’Homme. Il y édite, de 1934 à 1938, la première série d’enregistrements de musique « primitive », l’Anthologie sonore. Il part pour les États-Unis en 1937, et enseigne dans diverses universités américaines. Il a écrit un nombre prodigieux d’ouvrages et d’articles qui témoignent d’une pensée tout à fait rigoureuse, d’une volonté constante d’approfondir et d’élargir ses domaines de recherche et d’une aisance d’expression le mettant à la portée de tous. Ses premières publications concernèrent plus particulièrement la musique allemande et surtout Berlin. Il se consacra ensuite à l’étude des instruments de musique et devint très rapidement un des plus grands organologues de tous les temps tout en s’imposant comme un des pionniers de l’ethnomusicologie. Il fut amené à envisager l’organologie dès ses origines, et publia divers ouvrages sur les instruments anciens en Égypte et dans certaines collections européennes. Ces considérations l’orientèrent vers l’histoire de la musique ancienne et certains domaines annexes mais indissociables, comme la notation musicale ou la danse. SACHS (Hans), maître chanteur (Nuremberg 1494 - id. 1576). Après des études à l’École latine de Nuremberg, il commença un apprentissage de cordonnier en 1509. De 1510 à 1516, de nombreux voyages le conduisirent à

travers l’Allemagne du Sud et l’Autriche. Il fut parmi les premiers partisans de la Réforme et publia en 1525 des poèmes d’inspiration chrétienne à l’imitation des Psaumes. Son art de maître chanteur illustré par Richard Wagner est révélé par de très nombreux poèmes en vers accentués et par treize mélodies de sa composition. Son oeuvre littéraire - récits et théâtre - dépasse de loin celle de ses contemporains et occupe une place décisive dans l’histoire de la littérature allemande. SACQUEBOUTE. (ou sacquebute, saqueboute, saquebute). Instrument ancien de la famille des cuivres, ainsi appelé en France lors de son apparition au XVe siècle. Il ne présentait aucune différence fondamentale avec le posaune allemand et le trombone italien, et c’est le terme italien qui a prévalu, au XVIIIe siècle, pour désigner le trombone à coulisse moderne. SADIE (Stanley), musicologue anglais (Londres 1930). Auteur de la thèse de doctorat British Chamber Music, 1720-1790 (1958), il a enseigné au Trinity College of Music (19571965) et été critique musical au Times de Londres (1964-1981) et rédacteur en chef du Musical Times (1967-1987). À partir de 1969, il a dirigé la préparation de The New Grove Dictionary of Music and Musicians (20 vol., 1980), dont ont paru dans les années suivantes de nombreux « sousproduits », avec ajouts ou non, parmi lesquels The New Grove Dictionary of Musical Instruments (1984), The New Grove Dictionary of American Music (4 vol., 1984), The New Grove Dictionary of Opera (4 vol., 1992), The New Grove Dictionary of Women Composers (1994). Il dirige actuellement la préparation d’une refonte complète, destinée à paraître vers l’an 2000. Il a écrit des monographies sur Haendel (1962 et 1968), Mozart (1966), Beethoven (1967), et publié également Haendel Concertos (1972). SAETA. Chant religieux généralement improvisé, sur un texte de quelques vers, qui accompagne traditionnellement les processions de la Semaine sainte en Espagne.

Ces brefs poèmes incantatoires, qui invitent les fidèles à méditer sur les souffrances du Christ, sont musicalement interprétés avec une liberté et une hardiesse lyrique qui correspondent bien à l’origine latine du mot saeta : sagitta (flèche). SAEVERUD (Harald), compositeur et chef d’orchestre norvégien (Bergen 1897 - Siljustol 1992). Il est l’un des plus remarquables représentants du nationalisme non folkloriste de son pays. Ses premières oeuvres sont celles d’un romantique tardif (2e Symphonie, 1922), mais il évolue vite, et, attiré un instant par l’atonalité (Concerto pour violoncelle, 1931), il aboutit à un langage diatonique et polyphonique qui revient à une conception élargie de la tonalité (50 petites variations pour orchestre op. 8, 1931). L’essentiel de son oeuvre a été écrit après 1940 et représente l’engagement de l’artiste contre l’invasion allemande. Saeverud se rapproche alors du folklore et produit successivement Slåtter og stev fra Siljustkol pour piano, des « airs » (slåtter) pour orchestre dédiés à la résistance norvégienne, et les Symphonies no 5 (1941), no 6 (Dolorosa, 1942), la Ballade de la révolte (1945) et la Psaume-Symphonie (1945). Après-guerre, ses oeuvres les plus importantes ont été la remarquable musique de scène pour Peer Gynt (1947), le 2e Concerto pour piano (1950), le Poème héroïque (1955), le Concerto pour violon (1956) et les Symphonies nos 8 (Minnesota, 1958) et 9 (1966). SAGUER (Louis), compositeur français (Charlottenburg, Allemagne, 1907 - Paris 1991). D’origine allemande, il a pris ce pseudonyme sous lequel on le connaît, sans divulguer sa biographie ni son nom de naissance ; aussi ses débuts sont-ils mal connus. Élève présumé d’un disciple de Busoni, il est l’auteur de l’opéra Maria Pineda (1967), d’après García Lorca, de pièces de musique de chambre (Musique à 3, 1943), de pièces d’orchestre (Musique d’après-midi, 1942 ; Musique d’été, 1944 ; Mouvement 60, 1963 ; Messages, 1964) et de la cantate Quanta belle giovinezza (1972), ainsi que de l’opéra Lili Merveille d’après Jean-Louis Bory, et de nombreuses oeuvres vocales.

SAINTE-COLOMBE (DE), violiste et compositeur français (seconde moitié du XVIIe s.). Son personnage reste mystérieux : ni ses dates de naissance et de mort, ni même son prénom ne sont connus, pas plus que les détails de son existence. Virtuose (probablement « dilettante ») de la viole, qu’il perfectionna en lui adjoignant une septième corde, il eut pour disciples la plupart des violistes français de son temps, dont Jean Rousseau (1644 - v. 1700), qui lui dédia son Traité de la viole (1687), et le grand Marin Marais, qui lui avait une grande reconnaissance et lui dédia en 1701 un « tombeau », Sainte-Colombe est ainsi au point de départ de l’apogée de l’art de la viole en France. Un manuscrit contenant 67 Suites à deux violes esgales a été découvert en 1966 dans la bibliothèque d’Alfred Cortot et publié en 1973. Certaines doivent être datées d’après 1687. Son fils se produisit à Édimbourg en 1707 et à Londres en 1713. SAINT-ÉVREMOND (Charles de SaintDenis, seigneur de), écrivain français (Saint-Denis-le-Gast, Manche, avant 1614 - Londres 1703). Il fait une brillante carrière dans l’armée française (il est nommé maréchal de camp en 1652) tout en se montrant extrêmement actif dans le domaine littéraire, jusqu’à sa regrettable Lettre au marquis de Créqui sur la paix des Pyrénées (1659) qui signe sa disgrâce et l’oblige à s’exiler, downloadModeText.vue.download 880 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 874 tout d’abord aux Pays-Bas, puis définitivement à Londres en 1670. Il obtient immédiatement les faveurs de Charles II et anime bientôt, en compagnie d’Hortense Mancini, duchesse de Mazarin, un cercle littéraire et artistique. Ses écrits, dont il a interdit la publication de son vivant, paraissent en 1706 chez Des Maizeaux à Amsterdam (oeuvres meslées, 5 vol.) et connaissent de nombreuses rééditions au cours du XVIIIe siècle. De nature très diverse (politiques, sur le théâtre, critiques littéraires, etc.), ils se caractérisent par un ton en général caustique. Il a écrit plusieurs ouvrages sur la musique : Idylle

en musique, Éclaircissement sur ce qu’on dit de la musique des Italiens, à M. Lully et surtout Sur les opéras, où il déclare que la musique, impuissante à exprimer tous les sentiments, doit être mêlée au drame musical et non lui être substituée. Sa prise de position en faveur du style vocal français contre l’italien est par ailleurs surprenante pour l’époque. Enfin, sa comédie satirique, les Opéras, est une source d’informations précieuse sur les débuts de l’opéra français et sur Cambert, en particulier. SAINT-FOIX (Marie-Olivier-Georges Poulain, comte de), musicologue français (Paris 1874 - Aix-en-Provence 1954). Après des études de droit à la Sorbonne et de musique avec V. d’Indy à la Schola cantorum, il décide, sur le conseil de Théodore de Wyzewa, de se consacrer à la musicologie. Ils publient ensemble, en 1912, les deux premiers volumes d’une impressionnante étude sur Mozart (Wolfgang Amédée Mozart), dont Saint-Foix publiera les trois derniers volumes en 1936, 1939 et 1946, s’imposant comme l’un des grands spécialistes de ce musicien (rééd. Paris, 1977). Il écrit, par ailleurs, les Symphonies de Mozart (1932) et effectue de nombreuses recherches sur les précurseurs, contemporains et héritiers du compositeur (Schubert, Sammartini, Gluck, Clementi, J.-C. Bach, J. et M. Haydn), et les oeuvres de jeunesse de Beethoven et Schubert, qu’il complète par la publication d’oeuvres mal connues de ces compositeurs et de Mozart. Il fut en outre cofondateur de la Revue française de musicologie. SAINT-GALL (ABBAYE DE) Ville de Suisse, près du lac de Constance, célèbre par son abbaye fondée au VIIe siècle par les Irlandais. Elle accueillit vers 870 des moines de Jumièges chassés par les Normands et qui avaient apporté avec eux les premiers antiphonaires tropés connus. L’un des moines sangalliens, Notker, s’en inspira pour créer le genre de la séquence, où s’illustrèrent avec lui d’autres moines sangalliens, Tutilon, Hartmann Radpert. Ainsi fut créée l’« école de Saint-Gall », qui s’illustra jusqu’au XIe siècle. L’abbaye dut également sa renommée à son scriptorium, où fut mise au point une notation neumatique spéciale considérée comme la plus riche de tout le Moyen Âge en ren-

seignements précis sur les détails d’exécution du plain-chant du IXe au XIe siècle. Il ne reste plus rien aujourd’hui des bâtiments anciens, qui furent reconstruits au XVIIIe siècle. SAINT-GEORGES (Joseph BOULOGNE, chevalier de), violoniste et compositeur français (Basse-Terre, Guadeloupe, v. 1739 - Paris 1799). Fils d’un ancien conseiller au parlement de Metz et d’une Noire de la Guadeloupe, il arriva à Paris en 1749, et y acquit rapidement dans le domaine de l’escrime une réputation qu’il devait conserver toute sa vie. En 1769, sans doute après des études musicales suivies, il devint violoniste dans l’orchestre de Gossec au Concert des amateurs. Il fit ses débuts en public en 1772, et, l’année suivante, prit la direction du Concert des amateurs, Gossec assumant désormais celle du Concert spirituel. La plupart de ses oeuvres (quatuors à cordes, concertos, symphonies concertantes, symphonies) parurent entre 1772 et 1779. Il fut ensuite un des fondateurs du Concert de la Loge olympique, et ce fut probablement lui qui servit d’intermédiaire entre cette organisation et Haydn lors de la commande des six symphonies parisiennes. Il vécut à Londres de 1785 à 1787, puis de nouveau pour quelques mois à partir de décembre 1789. En 1791, il devint capitaine de la garde nationale à Lille. Il se rendit ensuite à Saint-Domingue, et revint à Paris en 1797. SAINT-LAMBERT (Michel de), claveciniste et théoricien français (fin du XVIIe s. début du XVIIIe s.). On sait simplement de lui qu’il enseigna quelque temps en province. On peut situer son domaine d’activité à Paris vers 1700, grâce à sa publication de deux traités, les Principes du clavecin (1702), dans lesquels il fait allusion à certaine pratique de Lully dans l’interprétation d’Armide (1686), et le Nouveau Traité de l’accompagnement du clavecin, de l’orgue, et des autres instruments (1707). À part deux pièces figurant en appendice des Principes, il ne nous reste aucune de ses compositions. Le premier traité est plus axé sur la technique même de l’instrument, avec des indications de doigtés et un chapitre, très utile, sur les ornements, qui reste dans la tradition de D’Anglebert. Le Nouveau Traité est consacré en grande partie aux règles de

l’harmonie (intervalles, armure, etc.) et au traitement de la basse continue. Ces deux ouvrages sont remarquables par la clarté de leurs explications et, pour cette raison, constituent encore, à l’heure actuelle, une source d’informations très précieuse sur la pratique instrumentale à cette époque. SAINT-MARTIAL. Célèbre abbaye de Limoges, aujourd’hui détruite, et qui fut du IXe au XIe siècle, avec Saint-Gall, l’un des centres les plus remarquables dans la création du répertoire des tropes et séquences, puis aux XIe et XIIe siècles dans l’élaboration de la polyphonie. Sa bibliothèque, constituée surtout au XIIIe siècle par les soins de Bernard Itier, et acquise vers 1730 par l’abbé Bignon pour la Bibliothèque royale (aujourd’hui nationale), contient l’une des plus riches collections du Moyen Âge dans tous les domaines musicaux paraliturgiques : tropes, séquences, versus, drames liturgiques, etc. C’est dans l’un de ses manuscrits (lat. 1154) que se trouve le plus important recueil de poèmes chantés carolingiens ; dans un autre (tropaire lat. 1118) que l’on voit les fameux dessins de jongleurs si souvent reproduits, dans un troisième (lat. 1139) qu’est noté le Sponsus, premier drame liturgique chanté faisant appel à la langue vulgaire, etc. Ces manuscrits, toutefois, semblent pour la plupart avoir été plutôt acquis de bonne heure par l’abbaye que rédigés pour elle : leur aire de rédaction est principalement limousine, mais couvre une grande partie de l’Aquitaine, descendant jusqu’à Narbonne et peut-être Cuxa. En 1063, l’abbaye fut contre son gré rattachée à Cluny, mais refusa toujours de se reconnaître vassale de la métropole bourguignonne et conserva jusqu’à sa disparition (XVIIIe s.) un statut particulier. SAINT-SAËNS (Camille), compositeur français (Paris 1835 - Alger 1921). Normand par son père, emporté deux mois après sa naissance par une phtisie que lui-même cherchera à éviter toute sa vie en multipliant les fuites vers les pays du soleil, Saint-Saëns fut élevé par sa mère et sa grand-tante. Sachant ses notes avant de savoir lire, il a à peine cinq ans quand

il compose son premier morceau, et dans le même temps, il tient le piano dans une sonate pour violon et piano de Beethoven. Dès lors il ne quittera plus le piano, dont il sera l’un des virtuoses les plus accomplis et ne cessera de composer, avec une facilité et une constance infatigable, qu’à la veille de sa mort, « produisant, ainsi qu’il l’a dit, des oeuvres pour accomplir une fonction de (sa) nature, comme un pommier produit des pommes ». À sept ans on le confie à Stamaty. Déjà se manifeste son indépendance, cette indocilité en face de qui contrarie ses idées, sa volonté. En définitive, il ne fut reconnaissant à son professeur de piano que de l’avoir dirigé vers Maleden - « professeur incomparable », assurait-il - qui lui enseidownloadModeText.vue.download 881 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 875 gna la théorie et la composition. Que ce premier maître, par l’exemple de son enseignement en marge des voies officielles, ait affermi son indépendance ne semble guère douteux. À onze ans il donnait, salle Pleyel, ses deux premiers concerts. Entré en 1849 au Conservatoire dans la classe d’orgue de Benoist, il en sort, en 1851, avec un premier prix. Improvisateur remarquable, il est salué par Liszt comme « le premier organiste du monde ». Cette même année 1851, Halévy l’accueille dans sa classe de composition. Plus tard, juge redouté des candidats au concours de Rome, il se voit refuser alors, et à deux reprises, ce prix. Exceptionnel échec à l’aube d’une carrière jalonnée de succès quasi constants. En 1852 la société Sainte-Cécile couronne son Ode à sainte Cécile. Cette même société exécute en 1853 sa Ire symphonie et, trois ans plus tard, une seconde restée inédite. Depuis 1853, il a été nommé organiste à Saint-Merri qu’il quittera en 1858 pour tenir le grand orgue de la Madeleine. En 1877, un héritage le libère de toute contrainte. De 1861 à 1865, il avait effectué un bref passage à l’école Niedermeyer, comme professeur de piano, où il eut Fauré et Messager parmi ses élèves. Aux côtés de

Castillon et de Bussine, il fonde, au lendemain du désastre de Sedan, la Société nationale de musique qui, sous sa fière devise « Ars Gallica », accueille l’école française moderne. Il en démissionnera en 1886, se trouvant en désaccord avec les disciples de Franck, d’Indy en tête. Dès 1861, il avait ébloui Wagner par ses dons ; Berlioz, dans une lettre de 1867, le signale comme « un maître pianiste foudroyant... et l’un des plus grands musiciens de notre époque ». L’admiration qu’il suscite chez ses aînés est partagée par ses camarades notamment par Bizet - qui voient en lui le chef de l’école française. Comme compositeur, il aborde tous les domaines, tous les genres, religieux comme profanes, s’inspirant de tous les styles, à l’aise dans les formations vocales et instrumentales les plus variées. Curieusement, ce grand pianiste n’a laissé, parmi les trente-quatre oeuvres qu’il a dédiées à son instrument, aucune partition vraiment marquante. On relèvera néanmoins ses Variations sur un thème de Beethoven pour 2 pianos, op. 35 (1874), et trois cahiers de 6 Études chacun, op. 52 (1877), op. 111 (1899), op. 135 (1912), les dernières pour la main gauche seule. Maniant les timbres orchestraux avec une éblouissante sûreté, c’est en l’associant à l’orchestre qu’il a privilégié son instrument, notamment dans cinq concertos op. 17 (1858), op. 22 (1868), op. 29 (1869), op. 44 (1875) et op. 103 (1896). En disciple de Liszt, il s’est plu à sonder les ressources offertes par la virtuosité et a également confié trois concertos au violon, op. 20 (1859), op. 58 (1858), op. 61 (1880), sans préjudice d’un Rondo capriccioso (1863) et d’une Havanaise (1887), ainsi que deux autres concertos au violoncelle op. 33 (1872) et op. 119 (1902). Pionnier dans le domaine de la musique de chambre, il n’a pas écrit moins de trente-six oeuvres, la première étant un Quintette, op. 14, datant de sa vingtième année. On y trouve deux sonates pour violon et piano, op. 75 (1885) et op. 102 (1896) ; deux sonates pour violoncelle et piano, op. 32 (v. 1873) et op. 123 (1905) ; deux trios, op. 18 (1863) et op. 92 (1892) ; un quatuor pour cordes et piano, op. 41 (1875) ; deux quatuors à cordes, op. 112 (1899) et op. 153 (1918) ; un septuor op. 65

(1881), sans parler du célèbre Carnaval des animaux (1886). Il fut l’un des rénovateurs de la symphonie. Sur les cinq qu’il composa, deux sont restées inédites. La troisième, op. 78 (1886), dédiée « à la mémoire de Franz Liszt », innove, tant dans sa composition orchestrale que sur le plan formel. À la suite de Liszt, il est le premier compositeur français à s’aventurer dans le poème symphonique qui lui inspire, coup sur coup, le Rouet d’Omphale (1872), Phaéton (1873), la Danse macabre (1874) - née d’une mélodie -, et la Jeunesse d’Hercule (1877). D’un grand nombre de mélodies (119), on extraira les curieuses Mélodies persanes, op. 26 (1870). Incroyant, il a pourtant écrit un Oratorio de Noël (1858), le Déluge (1875), un Requiem (1878), The Promised Land (1913). Épris de théâtre comme tous les musiciens de sa génération, il a connu l’amertume de ne point voir ses oeuvres lyriques remporter le succès qu’il en escomptait, à l’exception toutefois de Samson et Dalila (1877) qui s’est imposé non sans difficultés. Du grand opéra historique à l’opéra-comique léger, il a été tenté par tous les genres consacrés et fit représenter successivement la Princesse jaune (1872), le Timbre d’argent (1877), Étienne Marcel (1879), Henri VIII (1883), Proserpine (1887), Ascanio (1890), Phryné (1893), les Barbares (1901), Hélène (1904), l’Ancêtre (1906), Déjanire (1911), sans parler du ballet Javotte (1896). À cette importante production, il faut ajouter de nombreuses révisions de partitions de M.-A. Charpentier, de Gluck, et surtout l’édition des oeuvres complètes de Rameau dont il fut l’un des plus ardents à remettre en lumière le génie oublié. Il laisse aussi plusieurs ouvrages parmi lesquels Harmonie et Mélodie (Paris, 1885) et Portraits et Souvenirs (3e éd., 1909), d’un intérêt qui ne s’est pas émoussé. Le fait, par contre, que ce fort en thème n’ait pas laissé le plus petit ouvrage didactique témoigne de son éclectisme, de sa hantise de tout systématisme qui, dès qu’il le subodore, le hérisse. Son savoir est prodigieux. Debussy qui ne l’aimait guère affirmait : « Saint-Saëns

est l’homme qui sait le mieux la musique du monde entier. » Cette érudition, l’admiration qu’il porte aux grands maîtres du passé, son extraordinaire don d’assimilation jugulent plus son inspiration qu’ils ne la libèrent. Et, de son propre aveu, il impose à sa nature une « raideur » qui ne lui est pas naturelle et que la perte tragique de ses deux jeunes fils accentuera encore. Qu’il desserre son corset et libère en lui le gamin espiègle, il s’exprime avec une fantaisie pleine d’invention, une alacrité pimentée qu’on découvre moins dans ses grandes oeuvres ambitieuses que dans ses pièces plus légères, en tout cas dans de nombreux scherzos où éclate sa verve primesautière comme dans la Danse macabre ou dans ce petit chef-d’oeuvre d’humour corrosif qu’est le Carnaval des animaux où il se met en scène parmi les Fossiles ! -, qu’il refusa de faire éditer de son vivant par crainte, sans doute, de laisser paraître un portrait de lui trop ressemblant et non conforme à l’idée qu’il s’était faite de sa « figure ». Quelque précaution pourtant qu’il ait prise pour se montrer insensible et comme détaché d’une oeuvre qu’il entendait hautainement maîtriser sans en être la proie ni la dupe, on perçoit, néanmoins, çà et là, chez ce romantique enchaîné, la palpitation d’un coeur qui bat. On a cru voir en lui le plus parfait représentant de la doctrine de l’art pour l’art et lui-même a prêté le flanc à cette interprétation. « Pour moi, a-t-il dit, l’art c’est la forme. L’expression, la passion, voilà qui séduit avant tout l’amateur. Pour l’artiste, il en va autrement. L’artiste qui ne se sent pas pleinement satisfait par des lignes élégantes, des couleurs harmonieuses, une belle série d’accords ne comprend pas l’art... Pendant tout le XVIe siècle on a écrit des oeuvres admirables dont toute émotion est exclue. » Au vrai, il fut un incorrigible amateur de pittoresque et excella dans le tableau de genre. De caprices danois en fantaisies africaines, il recueille la couleur locale, pratiquant le placage en tout genre et faisant se côtoyer, comme des accessoires d’atelier destinés à situer le tableau, gammes modales, exotiques, rythmes folkloriques. Mais la perfection de son métier - sa maîtrise orchestrale, notamment - ennoblit tout ce qu’il touche et lui a valu des admirations qui se révélèrent fructueuses, celles de Fauré, de Ravel, pour ne citer que

ces deux grands créateurs. S’il a fini par incarner une tradition académique, vieillard illustre, statufié avant sa mort, fatigué peut-être par tant d’honneurs venus à lui, membre de l’Institut, n’oublions pas tout ce que la musique downloadModeText.vue.download 882 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 876 française lui doit et tout spécialement un retour aux sources les plus nobles et les plus pures de notre art dans ce qu’il offre d’incomparablement dessiné, un regard pénétrant et une ardeur de prosélyte envers Bach et Rameau dans un temps où ils étaient quasi oubliés sinon méprisés et, à l’opposé, une défense de ceux qu’on aurait pu croire les plus éloignés de son art impassible, les démiurges de l’ombre, ces musiciens maudits que dans sa jeunesse généreuse il avait exaltés, les Liszt, Berlioz, Schumann, Wagner. SALABERT. Maison d’édition française fondée en 1886 par Édouard Salabert. Tout d’abord spécialisée dans la musique militaire, elle étendit considérablement ses activités sous la direction de Francis Salabert (1884-1946), fils d’Édouard, qui publia les oeuvres des principaux compositeurs français de musique légère (Messager, Reynaldo Hahn, Christiné, Maurice Yvain, Scotto, Van Parys, etc.), ainsi que de nombreux classiques contemporains tels que Pierné, Milhaud, Enesco, Ibert, Auric et Rivier. À son propre fonds se sont ajoutés ceux de Dufrenne en 1923, de Gaudet en 1927, de Mathot en 1930, de Rouart-Lerolle et Sénart en 1941, de Deiss en 1946, ce qui a fait entrer dans la maison Schmitt, Poulenc, Chausson, Satie, Duparc, Roussel, Dukas, d’Indy, Honegger et Ropartz, entre autres. La veuve de Francis Salabert, Mira, a présidé aux destinées des éditions de 1946 à 1981. Lui a succédé Nelly Boufathal. SALIERI (Antonio), compositeur et pédagogue italien (Legnago e Veneto, 1750 Vienne 1825). Formé à Venise, il fut remarqué par F.

Gassmann et se fixa en 1766 à Vienne, où, encouragé par Métastase, Calzabigi et Gluck, il composa ses premières oeuvres lyriques, comiques ou sérieuses, avant d’occuper, dès 1774, diverses charges officielles. Son opéra L’Europa riconosciuta fut choisi pour l’inauguration de la Scala de Milan en 1778. Il composa en allemand pour le Théâtre national du singspiel (Der Rauchfangkehrer, 1781), et, toujours recommandé par Gluck, il donna à Paris les Danaïdes, en 1784 ; c’est là que Beaumarchais lui écrivit le livret de Tarare (1787), remanié pour Vienne en italien sous le tire de Axur, re d’Ormus. Maître de chapelle impérial à partir de 1788, il éclipsa Mozart à Vienne, fut joué dans toute l’Europe. Il écrivit, notamment sur des poèmes de l’abbé Casti, La Grotta di Trofonio (1785) et Prima la musica e poi le parole (1786). Falstaff fut, en 1799, une de ses dernières productions importantes, alors qu’il se consacrait de plus en plus à l’enseignement ; il eut pour élèves, entre autres, Beethoven, Schubert, Liszt, Meyerbeer, Hummel, Moschelès, etc. Extrêmement doué, capable d’assimiler les divers styles européens mieux que ses rivaux (son succès rendit jaloux Cherubini), évoquant tour à tour Gluck ou Mozart, plus élégant que profond, il sut faire preuve, selon le caractère de ses opéras, d’une étonnante variété d’écriture que l’on retrouve dans son importante production instrumentale et surtout sacrée. Dernier grand représentant de la tradition napolitaine, il mourut comblé d’honneurs, regrettant sincèrement que son succès ait réduit Mozart à la misère. De la légende sans fondements selon laquelle il aurait empoisonné son rival s’emparèrent successivement Pouchkine et Rimski-Korsakov. SALLINEN (Aulis), compositeur finlandais (Salmi 1935). Il est actuellement un des compositeurs finlandais vivants les plus connus et joués à l’étranger. Il réussit en effet à exprimer avec une grande clarté des idées simples et directes au moyen d’une syntaxe et d’un vocabulaire musical remarquablement agencés. Après ses Quatuors à cordes no 1 (1958) et no 2 (1960) et surtout Mauermusik pour orchestre (1962-63), qui le fit connaître, il écrivit plusieurs grandes oeuvres : Élégie pour Sebastian Knight

pour violoncelle seul (1964), les Quatuors à cordes no 3 « Quelques aspects de la marche funèbre de Hintriikki de Peltonieli » (1969) et no 4 (1971), puis s’affirma dans le domaine orchestral avec Chorali (1970) et les Symphonies no 1 (1971), no 2 (1972) et no 3 (1975). Il approfondit ses techniques d’écriture avec Musique de chambre no 1 pour cordes (1975). Il écrivit ensuite le Quatuor à cordes no 5 « Pièces de mosaïque » (1983), les Symphonies no 5 « Mosaïque de Washington » (1985) et no 6 « D’un journal de Nouvelle-Zélande » (1989-1990), Chants de vie et de mort pour baryton, choeur et orchestre (1994). Mais c’est surtout dans le domaine de l’opéra qu’il s’est imposé depuis une vingtaine d’années, avec le Cavalier (Savonlinna 1975), le Trait rouge (Helsinki 1978), le Roi partira pour la France (Savonlinna 1984), Kullervo (Los Angeles 1992) et le Palais (Savonlinna 1995). SALMENHAARA (Erkki), compositeur et musicologue finlandais (Helsinki 1941). Élève de Kokkonen et de Ligeti, professeur de musicologie à l’université d’Helsinki depuis 1975, il commença à composer très tôt, et ses premières oeuvres, à la fin des années 1950, le firent considérer comme l’enfant terrible de la musique finlandaise. Son rôle dans l’éveil de son pays aux mouvements d’avant-garde fut d’ailleurs essentiel. Des influences subies lors de sa première période, marquée notamment par Élégie I et II (1963), le Quintette à vents (1964), la Symphonie no 1 « Crescendi » (1962-63), la Symphonie no 2 (1963-1966) et la Symphonie no 3 (1963-64), la plus durable fut celle de Ligeti. Une transformation stylistique fut inaugurée avec le Bateau ivre pour célesta, clavecin et cordes (1965-66), Suomi - Finlande pour orchestre (1966), la Fille en mini-jupe pour orchestre (1967) et le Requiem profanum pour solistes, cordes, piano et orgue (1968-69). Les années 1970 furent marquées par une plus grande simplicité, avec notamment Illuminations pour orchestre (1971), la Symphonie no 4 « Nel mezzo del cammin di nostra vita » (1971-72), l’opéra la Femme portugaise (1970-1972) et la Missa profana (1977). Certains procédés « naïvistes » disparurent ou se transformèrent à leur tour à partir du Quatuor à cordes no 1 (1977), tandis que le Concerto pour orgue (1978), oeuvre sombre et introvertie, semblait réaliser l’amalgame des principales tendances manifestées dans les oeuvres de jeunesse.

Ont suivi notamment un Concerto pour violoncelle (1983-1987) et la Symphonie no 5 « Ile de bénédiction » pour soli, choeur et orchestre d’après Alexis Kivi (1989), commande de l’université d’Helsinki pour son 350e anniversaire (1990). Il a écrit sur Brahms, Mahler, Sibelius (Jean Sibelius, 1984), Kokkonen, Ligeti. SALOMON (Johann Peter), violoniste, impresario et compositeur allemand (Bonn 1745 - Londres 1815). Né dans la même maison que Beethoven mais vingt-cinq ans avant lui, il fut nommé musicien de cour à Bonn dès l’âge de treize ans, puis s’établit à Dresde, et, en 1764, devint directeur de la musique du prince Henri de Prusse à Rheinsberg, où il resta sans doute jusqu’en 1780. Il se rendit alors à Paris et à Londres, ville où il fit ses débuts le 23 mars 1781, et qui devait rester sa résidence principale. À partir de 1783, il y organisa des concerts par souscription. C’est pour ces concerts qu’en 1791-92 puis en 1794-95 il réussit à faire venir Haydn dans la capitale britannique : ce fut l’origine des douze symphonies londoniennes. Lui-même occupait, dans l’orchestre, la place de premier violon. Il dirigea en 1800 la deuxième audition à Londres de la Création, et, en 1813, participa à la fondation de la Royal Philharmonic Society, au premier concert de laquelle il tint la partie de premier violon. Il mourut des suites d’une chute de cheval. Comme compositeur, on lui doit notamment des oeuvres scéniques comme les Recruteurs (Rheinsberg, 1771), la Reine de Golconde (Rheinsberg, 1776) et Windsor Castle (Londres, 1795, en collaboration avec R. Spofforth et Haydn, qui écrivit l’ouverture et trouva la musique de Salomon « passable »), et des pages pour violon. Il arrangea en outre pour diverses downloadModeText.vue.download 883 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 877 combinaisons de chambre les douze symphonies londoniennes de Haydn. SALONEN (Esa-Pekka), chef d’orchestre et compositeur finlandais (Helsinki 1958).

Il étudie d’abord le cor à l’Académie Sibelius d’Helsinki, puis la composition et la direction d’orchestre. À Sienne et Milan, il se perfectionne auprès de Franco Donatoni et commence à diriger en 1979, devenant en 1985 chef principal de l’Orchestre symphonique de la radiodiffusion suédoise, et principal chef invité du Philharmonia Orchestra de Londres et de l’Orchestre philharmonique d’Oslo. Passionné par la musique du XXe siècle, il participe à de nombreuses manifestations consacrées à ce répertoire et dirige régulièrement l’Ensemble InterContemporain. En 1991, il prend la direction artistique de la Biennale d’Helsinki. L’année suivante, il est nommé directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Los Angeles. SALTARELLE. Danse d’origine italienne (saltarello), de style vif et enjoué, caractérisée, comme son nom l’indique, par la place considérable qu’y tient la saltation. Connue en Italie dès la fin du Moyen Âge, elle se répandit dans toute l’Europe, s’y confondant d’ailleurs avec d’autres « danses hautes », telles que la gaillarde. On la trouve aussi, jusqu’au XVIIe siècle, associée à des « basses danses » comme la pavane, dont le rythme binaire assez lent alternait avec la légèreté de son propre 6/8. SALUT. Introduit vers le XVIe siècle comme interpolation à l’office de vêpres, après le Salve Regina d’où lui vint son nom, le salut (ou bénédiction) du saint sacrement (en abrégé « salut solennel », voire « salut » tout court) est une cérémonie semi-liturgique étrangère à l’office monastique. Il prenait place en fin d’après-midi et consistait, devant le saint sacrement exposé, en une série de chants librement choisis suivis d’une bénédiction avec l’ostensoir au chant du Tantum ergo (deux dernières strophes de l’hymne Pange lingua), puis d’un chant de sortie. La relative liberté laissée au choix des textes et la prédilection du roi Louis XIV pour cette cérémonie ont favorisé en France l’éclosion d’un ample répertoire de motets à elle destiné, et ont fait longtemps du salut, sur le plan musical, la plus riche des cérémonies du culte catholique. La plupart des motets de Lully, Charpentier, Lalande, etc., ont été écrits pour des saluts solennels. L’ordon-

nance habituelle des saluts comportait un motet pour la fête du temps, un motet à la Vierge et un chant du saint sacrement, puis le Tantum ergo (généralement chanté en plain-chant simple) et un chant de sortie. Mais cette ordonnance n’avait pas la fixité des offices liturgiques proprement dits. SALVE REGINA. L’une des quatre grandes antiennes à la Vierge, qui se chante de la Pentecôte à la fin de l’année liturgique. Elle connut une grande diffusion, et ses paroles ont été attribuées à saint Bernard de Clairvaux (1090-1153). La mélodie anonyme sur laquelle elle s’est répandue connaît deux versions : une simple et une ornée ; cette dernière est la plus célèbre, et a souvent été utilisée par les compositeurs, jusqu’au XXe siècle, comme base de messes, de motets ou de pièces d’orgue. SAMAZEUILH (Gustave), compositeur et musicographe français (Bordeaux 1877 - Paris 1967). Tout jeune, il se rendit à Bayreuth et en devint un assidu, se liant avec la famille de Wagner. Il travailla la musique avec Chausson et Dukas avant d’entrer à la Schola cantorum en 1900, où il fut six années durant l’élève de Vincent d’Indy. Pianiste de talent, c’est cependant dans la critique musicale qu’il se fit un nom. Il fut le familier, voire le confident, de nombreux grands compositeurs de son temps : Fauré, Ravel, Roussel, et surtout Richard Strauss, dont il était l’ami. Il défendit leurs oeuvres avec acharnement et consacra la majeure partie de son temps à la musique des autres. Ce fut cependant un compositeur de qualité : le Sommeil de Canope pour voix et orchestre (1906), le Chant de la mer pour piano (1920), Naïades au soir pour orchestre (1928). Dans ses oeuvres, il s’inspira toujours de Debussy, mais défendit en même temps une esthétique diamétralement opposée à celle de Debussy. Il a rédigé de remarquables études sur ses deux premiers maîtres, Dukas (1913) et Chausson (1941). SAMMARTINI, famille de musiciens italiens.

Giuseppe, hautboïste et compositeur (Milan 1695 - Londres 1750). Il étudia sans doute le hautbois avec son père, un Français nommé Alexis Saint-Martin, et en 1728, probablement, quitta l’Italie pour Londres, où il passa le reste de sa vie, jouant notamment dans l’orchestre de Haendel. Il composa surtout de la musique instrumentale (sonates, concertos) dont la plus grande partie ne fut publiée qu’après sa mort. Giovanni Battista, compositeur, (Milan 1700 ou 1701 - id. 1775). Frère du précédent, il fit toute sa carrière à Milan, y dirigeant la musique d’au moins onze églises différentes. De 1737 à 1741, probablement, il fut le maître de Gluck, qui utilisa des mouvements de ses symphonies pour ses opéras Le Nozze d’Ercole et d’Ebe (1747) et La Conteza dei numi (1749), et, lors de leurs passages à Milan, il aida et apprécia Jean Chrétien Bach, Boccherini et le jeune Mozart. Il composa des cantates, de la musique religieuse et trois opéras de jeunesse, Menet (Lodi, 1732), L’Ambizione superata dalla virtù (Milan, 1734) et L’Agrippina, moglie di Tiberio (Milan, 1743), mais l’essentiel de sa production relève du domaine instrumental. Comme symphoniste, il fut un des compositeurs les plus inventifs de la période préclassique, et sa renommée fut plus grande en Autriche ou à Paris que dans son pays natal. Son style nerveux et incisif et ses libertés dans le traitement de la forme sonate le rapprochent beaucoup du jeune Haydn, bien que celui-ci ait plus tard nié avoir été influencé par le musicien milanais. Des symphonies de Sammartini, dont 68 ont survécu, il est difficile de tracer une chronologie exacte. Celles en trois mouvements et pour cordes seules, proches de Vivaldi, comptent parmi les plus anciennes. Plus tard s’ajoutèrent des hautbois et des cors, tandis que l’élément purement mélodique prenait une importance accrue. On lui doit aussi des concertos et plus de deux cents oeuvres de musique de chambre. Beaucoup d’oeuvres douteuses ou apocryphes ont circulé sous son nom. SAMSON (Joseph), chef de choeur, compositeur et musicologue français (Bagneaux-sur-Loing 1888 - Dijon 1957).

Fils d’un organiste, il acquiert dès l’enfance la pratique et le goût de la musique sacrée. Élève de Gédalge, Widor, Maurice Emmanuel, Vincent d’Indy et Koechlin, il débute comme maître de chapelle de la cathédrale de Versailles en 1910. En 1930, il succède à Mgr Moissenet à la direction de la célèbre maîtrise d’enfants de la cathédrale SaintBénigne à Dijon et consacre sa vie au choeur, faisant revivre les chefs-d’oeuvre des XIVe, XVe et XVIe siècles, composant des messes, des motets et des psaumes dans un esprit qui le rattache aux maîtres anciens, concevant admirablement les rapports de l’architecture et de la musique, et condensant ses réflexions dans des livres d’une haute portée artistique et spirituelle. OEUVRES PRINCIPALES. 14 Messes de 2 à 6 voix, avec orgue ou a cappella. Des Motets, des Hymnes, des Psaumes. ÉCRITS. À l’ombre de la cathédrale enchantée (Paris, 1928) ; Palestrina ou la Poésie de l’exactitude (Genève, 1939) ; Grammaire du chant choral (Genève, 1947) ; Paul Claudel ou le Poète musicien (Genève, 1947) ; Musique et downloadModeText.vue.download 884 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 878 Vie intérieure (1951) ; la Polyphonie sacrée en France des origines à nos jours (Schola cantorum, 1953) ; Musique et Chants sacrés (1957). SANCAN (Pierre), pianiste français (Mazamet 1916). Il étudie d’abord le piano à Meknès (Maroc), puis au Conservatoire de Toulouse, et entre au Conservatoire de Paris, où il est l’élève d’Yves Nat. Il y travaille aussi la fugue, la composition, ainsi que la direction auprès de Charles Münch et Roger Désormière. Il en sort avec cinq premiers prix (piano en 1937, composition en 1939). En 1943, il est 1er Grand Prix de Rome. Il succède à Yves Nat en 1956 au Conservatoire de Paris et y enseigne jusqu’en 1985. Il mène une triple carrière de pianiste soliste, de composi-

teur et de pédagogue, formant toute une génération de pianistes, composant des ballets, un opéra, une symphonie ainsi que des pièces pour piano solo. SAN CARLO (Teatro di). Principal théâtre d’opéra napolitain depuis plus de deux siècles et demi. Sa construction fut décidée par le roi bourbon Charles VII de Naples et de Sicile, devenu en 1759 Charles III d’Espagne, et il fut inauguré le 4 novembre 1737 (jour de la Saint-Charles) avec Achille in Sciro de Domenico Sarro, sur un livret de Métastase : il était alors le plus grand et le plus splendide théâtre d’Europe. Il fut agrandi en 1777 et en 1812, et brûla en 1816. Le nouveau bâtiment fut inauguré en 1817, en présence de Stendhal, avec Il Sogno di Partenope de Mayr. Endommagé par un bombardement en 1943, il demeure l’un des plus beaux du monde. Avant d’être supplanté par la Scala au milieu du XIXe siècle, le San Carlo fut le point de mire de la vie lyrique italienne. Il détient toujours le record absolu des créations mondiales (plus de 450), avec notamment celles de deux des trois opéras composés en Italie par Johann Christian Bach, Catone in Utica (4 novembre 1761) et Alessandro nell’Indie (20 janvier 1762, jour non de la fête mais de l’anniversaire de Charles III d’Espagne), de neuf ouvrages de Rossini, de Elisabetta regina d’Inghileterra (1815) à Zelmira (1822), de dix-sept de Donizetti, parmi lesquels Lucia di Lamermoor (1835) et Roberto Devereux (1837), et d’autres de Bellini, Mercadante, Pacini, Verdi (Luisa Miller en 1849). Après 1945, le San Carlo a assuré les premières italiennes de Judith de Honegger, Neues vom Tage de Hindemith, Boulevard Solitude de Henze, le Joueur, Fiançailles au couvent et Guerre et paix de Prokofiev, Lady Macbeth de Mtzensk de Chostakovitch. SANCTUS. Texte d’acclamation au dieu des Armées (Deus Sabaoth) tiré du livre d’Isaïe (VI, 3), édulcoré en « dieu de l’Univers » dans la messe postconciliaire, bien que le terme hébreu se trouve confirmé par saint Paul lui-même (Romains IX,29). Autrefois chanté simultanément par le prêtre et par les fidèles, il est préparé par la préface et figure parmi les six pièces du commun de la messe. C’est le dernier

chant avant l’élévation. Il correspond au Trisagion (trois fois saint) de la liturgie byzantine. On lui a adjoint une seconde partie (Benedictus) empruntée à un verset du psaume 118 et qui, si elle suit toujours la première dans le plain-chant, en a souvent été détachée dans les messes polyphoniques ; celles-ci en font presque toujours un morceau à part, souvent même de caractère opposé au premier (message de paix après la proclamation de la puissance guerrière). Vers le XVe siècle, on prit l’habitude de chanter le Benedictus après l’élévation, et parfois de le supprimer pour le remplacer par un motet (généralement O salutaris), ce qui explique que plusieurs messes du XVIIe siècle n’aient pas de Benedictus. Dans les messes symphoniques, le sanctus est presque toujours un morceau brillant, le Benedictus un morceau mélodique (au XVIe siècle, on le faisait souvent chanter par un plus petit nombre de voix). Dans la Messe en si de Bach, le Sanctus est un vaste chant de louange fait d’encensoirs balancés ; dans la Messe en « ré » de Beethoven, un long solo de violon venant des hauteurs traduit la descente du messager pacifique après les fanfares guerrières. Rien de tout cela ne reste compréhensible dans la nouvelle version conciliaire. SANDBERGER (Adolf), musicologue et compositeur allemand (Würzburg 1864 Munich 1943). De 1881 à 1887, il étudia la composition aux universités de Würzburg et Munich, et la musicologie à Munich et Berlin (avec Ph. Spitta). Après avoir soutenu sa thèse de doctorat à Würzburg en 1887 (Peter Cornelius), il effectua pendant deux ans des voyages d’études à travers l’Europe, puis se fixa à Munich, où il enseigna jusqu’en 1930. De 1900 à 1931, il édita les Denkmäler der Tonkunst in Bayern, dans lesquels il publie, entre autres, des oeuvres de Pachelbel, J. K. Kerll, A. Steffani, F. E. dall’Abaco, H. L. Hassler, et de 1924 à 1942 le Neues Beethoven-Jahrbuch. Ses compositions obtinrent un certain succès, en particulier l’opéra Ludwig der Springer (1894). Il a écrit un grand nombre d’articles consacrés en partie à R. de Lassus (dont il publia les oeuvres complètes de 1894 à 1927, en collaboration avec F. X. Haberl) et aux maîtres du style classique viennois : Mozart, Haydn, Beethoven.

Vers 1935, sa prétendue découverte de soixante-dix-huit symphonies inconnues de Haydn déclencha une longue polémique avec Larsen. Il a formé de nombreux élèves parmi lesquels A. Einstein, K. Huber, H. Engel, Bernet Kempers, K. G. Fellerer, E. Schenk, L. Schiedermair. SANDERLING (Kurt), chef d’orchestre allemand (Arys, Prusse-Orientale, 1912). Après avoir commencé sa carrière à Berlin, il émigra en 1936, et fut chef de l’Orchestre radio-symphonique de Moscou jusqu’en 1941, puis de 1942 à 1960, chef de la Philharmonie de Leningrad en même temps que Mravinsky. Il revint à Berlin en 1960 comme chef de l’Orchestre radiosymphonique de Berlin-Est, et dirigea de 1964 à 1967 les concerts de la Staatskapelle de Dresde. On lui doit de remarquables enregistrements des symphonies de compositeurs aussi divers que Haydn, Sibelius ou Chostakovitch. SANGLOT. Ornement de la musique vocale française des XVIIe et XVIIIe siècles. Employé dans les pièces tristes et languissantes, en particulier dans des moments de douleur (soupirs, sanglots), souvent d’un très bel effet, précise S. de Brossard (1703), il permet de couper de manière expressive le son avant de terminer par une appoggiature faisant sa résolution sur la note inférieure. SANZ (Gaspar), guitariste et compositeur espagnol, bachelier en théologie (Calanda 1640 - ? 1710). Après un séjour à Naples, où il étudie avec l’organiste C. Carisani à la chapelle royale, il entre au service du vice-roi d’Aragon. Son oeuvre essentielle, Instrucción de música sobre la guitarra española (Saragosse, 1674), comprend des conseils pour le jeu de l’instrument et diverses pièces d’un intérêt à la fois technique et musical. SARABANDE (en esp. zarabanda). Danse généralement lente et grave, à trois temps, et de structure binaire, caractérisée, sous sa forme classique, par une accentuation sur le deuxième temps de la première mesure.

Son rythme caractéristique est ainsi : noire, noire pointée (accentuée), croche pour la première mesure ; noire et blanche pour la seconde mesure. Certaines sarabandes commencent sur le temps fort, c’est-à-dire le premier temps ; d’autres sur la levée du deuxième temps. Mais ces caractéristiques sont celles qu’a fixées la suite baroque. En réalité, la sarabande a pris des formes variées au cours de son histoire. Si elle a toujours été connue comme danse d’origine espagnole, son ascendance downloadModeText.vue.download 885 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 879 est peut-être plus lointaine : de l’Andalousie pour certains, de danses populaires féminines de fécondité, pour d’autres. On a dit qu’elle venait de l’Orient, par exemple de chez les Mauresques (père Mersenne), et on a même parlé d’une lointaine filiation aztèque. Au XVIe siècle espagnol, on connaissait déjà, comme l’attestent les écrits de Cervantès, deux types de sarabande, l’une vive, l’autre plus lente et compassée. La forme rapide serait celle de la sarabande populaire, qui subit les foudres des pouvoirs ecclésiastiques et séculiers (interdiction temporaire par Philippe II) à cause de sa lascivité et de son impudicité. Il ne faut pas oublier qu’il s’agissait alors d’une danse chantée, dont les paroles à elles seules (sur des sujets amoureux et érotiques) pouvaient la marquer d’un caractère licencieux. C’est dans les cours françaises, où elle fut introduite vers la fin du XVIe siècle, que la sarabande aurait pris sa forme grave et noble et son rythme modéré. Elle se popularise et se propage comme danse instrumentale par les tablatures, les recueils imprimés, comme le Terpsichore de Praetorius. Les sarabandes qui figurent dans la musique instrumentale italienne du XVIe siècle sont plutôt rapides, mais on trouve, en fait, selon les recueils et les écoles, tous les tempos possibles, du lent au vif en passant par le modéré. Des sarabandes figurent dans les sonates, mais surtout dans les nombreuses suites pour clavier de Louis Couperin, François Cou-

perin, Rameau, Froberger, Telemann, Haendel, Jean Sébastien Bach (qui en écrivit une quarantaine et en parsema ses suites, partitas, ouvertures, dont l’ouverture, dite Suite, pour flûte et orchestre à cordes en si mineur). Dans la suite, la sarabande prend place normalement après la courante, et, sous cette forme sublimée et détachée de la danse, elle peut adopter un style extrêmement ornementé, chez Bach notamment. Par exemple, sarabande de la Suite en « sol » mineur (no 8) pour clavecin de Haendel : Après la période baroque, la sarabande tomba en désuétude et ne fut plus utilisée que dans une intention historique ou pittoresque. Beethoven a donné un rythme très marqué de sarabande à l’introduction de son ouverture d’Egmont, par allusion au sujet du drame de Goethe (lutte contre la tyrannie espagnole). De même, c’est dans un esprit archaïsant qu’Erik Satie écrivit ses trois Sarabandes pour piano (1887), célèbres pour leurs innovations harmoniques, et qui respectent l’accent sur le deuxième temps ; et que Debussy introduisit une sarabande dans sa suite Pour le piano. SARASATE (Pablo de MARTIN MELITÓN SARASATE Y NAVASCUÉS), violoniste et compositeur espagnol (Pampelune 1844 - Biarritz 1908). Il étudie à Madrid avec M. R. Sáez puis, à partir de 1856, à Paris. Ses tournées le conduisent à Constantinople, Vienne, en Amérique du Nord et du Sud, en Russie et dans toute l’Europe. Les enregistrements qu’il a laissés révèlent une technique éblouissante, d’une sûreté incroyable, et un jeu très élégant, assez superficiel. De nombreuses oeuvres furent composées pour lui, notamment la Symphonie espagnole de Lalo, le 2e Concerto et la Fantaisie écossaise de Max Bruch, le Concertstück, l’Introduction et Rondo capriccioso et le Concerto en « si » mineur de Saint-Saëns. Il a lui-même écrit un grand nombre de pièces brillantes pour violon, parmi lesquelles Rêverie, Zigeunerweisen, Caprice basque, Jota aragonesa, Navarra, Introduction et Caprice-jota, Introduction et Tarentelle, Fantaisie sur Carmen, Fantaisie sur Faust, etc.

SARASTE (Jukka-Pekka), chef d’orchestre finlandais (Helsinki 1956). Il étudie le violon et la direction d’orchestre à l’Académie Sibelius d’Helsinki. En 1980, il fait ses débuts à la tête de l’Orchestre philharmonique d’Helsinki. Depuis 1987, il est chef permanent de l’Orchestre de la Radio finlandaise, avec lequel il enregistre les symphonies de Sibelius et effectue des tournées en Asie. En 1991, il crée How slow the wind de Takemitsu, et dirige régulièrement l’Ensemble InterContemporain, l’Ensemble Modern de Francfort, et les séries Musica Nova à Munich. De 1987 à 1991, il dirige le Scottish Chamber Orchestra et, depuis 1994, l’Orchestre symphonique de Toronto. SARDANE. Danse traditionnelle catalane se rapprochant d’une ronde, dont la chorégraphie (réglée par Manuel Pardas) fait alterner les pas courts (ou légers) et larges (ou graves) suivant un rituel rigoureux. Son origine est incertaine, la ronde en chaîne fermée étant évoquée dès Homère, mais les sculptures et les poteries attestent que la Catalogne a connu le « ball rodo » depuis le XIIIe siècle. Localisée jusqu’à la fin du siècle dernier dans la seule terre d’Empourdan, elle a gagné toute la province grâce à Peps Ventura et Enric Morera (auteur de la Santa Espina). Malgré son rythme dactylique pris dans un mouvement assez vif, la sardane est une danse noble où la sobriété des attitudes répond à un certain état contemplatif respecté par chacun des danseurs. Elle est obligatoirement accompagnée par la cobla, ensemble instrumental traditionnel, lui-même spécialisé dans l’exécution des sardanes. SARRETTE (Bernard), officier et administrateur français, fondateur du Conservatoire de musique de Paris (Bordeaux 1765 - Paris 1858). Capitaine de la garde nationale, il forme dans ce corps une école de musique en 1789, ayant pour double but la participation aux fêtes patriotiques et l’enseignement des instruments à vent aux jeunes soldats. Pour en affermir les bases, il obtient sa transformation en Institut national de musique (8 novembre 1793). Puis, afin d’élargir l’enseignement musical au

chant, aux instruments à cordes et à clavier, il demande la fusion de cet Institut et de l’École royale de chant, et, grâce à l’appui oratoire de Marie-Joseph Chénier, il fait adopter par la Convention la loi du 16 thermidor an III (3 août 1795), qui ordonne la fondation du Conservatoire de musique de Paris. Après un directorat de vingt années, considéré comme « révolutionnaire », il est renvoyé en décembre 1815. En 1822, il décline l’offre de reprendre son poste, par amitié pour Luigi Cherubini, qui continue brillamment son oeuvre, et meurt trente-six ans plus tard dans l’oubli. Il n’était pas musicien, mais ses qualités d’organisation, d’adaptation et d’initiative firent de lui un personnage de premier plan de la vie musicale française sous la Révolution et l’Empire. SARRUSOPHONE. Instrument à vent composite, de construction métallique, inventé en 1866 par le chef de musique Sarrus. L’aspect général du sarrusophone est celui d’un ophicléide (sauf la version soprano qui est de forme droite), mais il est muni d’une anche double de basson au lieu d’une embouchure. Son doigté l’apparente au saxophone, ce qui a grandement facilité son adoption par les musiques militaires, les ensembles d’harmonie et même les orchestres symphoniques. SARTI (Giuseppe), compositeur italien (Faenza 1729 - Berlin 1802). Violoniste apprécié, organiste et compositeur de talent, il quitta l’Italie pour se fixer à Copenhague, en 1753, comme maître de chapelle puis directeur de l’Opéra italien et de la musique de cour ; il y demeura jusqu’en 1775, exception faite d’un bref voyage en Italie (1765-1768). De retour à Venise, il y donna quelques opéras, enseigna à Milan où il forma le jeune Cherubini et fit créer Giulio Sabino (1781) puis Fra i due litiganti (1782) qui fit fureur à Vienne, et que Mozart cita deux fois, en particulier dans Don Giovanni. En 1784, il succéda à Paisiello auprès de Catherine II à Saint-Pétersbourg où il downloadModeText.vue.download 886 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE

880 demeura désormais. De même qu’il s’était consacré à former un théâtre de langue danoise, il s’employa à l’organisation de la musique en Russie, écrivant dans le plus pur style mozartien des oratorios russes, et organisant les spectacles de la cour avec un faste inattendu chez ce typique belcantiste (il alla jusqu’à joindre à son orchestre des carillons et des salves de canon). Il collabora avec Pashkevitch et Cannobio à la composition d’un opéra sur un livret de l’impératrice, puis se consacra essentiellement à ses fonctions d’enseignant, organisateur, critique, etc. SARTORI (Claudio), musicologue italien (Brescia 1913 - Milan 1994). Il fut élève de Zampieri à l’université de Pavie, de Vittadini au conservatoire de cette ville, et de Gérold à Strasbourg. Après avoir été bibliothécaire, il fut, à partir de 1943, professeur de lettres au conservatoire de Bologne, puis à celui de Milan (1967). Il a collaboré à l’édition « Classici musicali italiani » et au Répertoire international des sources musicales. Il a effectué d’importants travaux de bibliographie, dont Bibliografia delle opere musicale stampate de Petrucci (1942) et Bibliografia della musica strumentale stampata in Italia fino al 1700 (1952). Ses recherches ont porté sur la musique italienne tant ancienne (Monteverdi, Scarlatti) que plus récente (Puccini, Malipiero), et tout particulièrement sur l’histoire musicale de Milan (Josquin Des Prés cantore del duomo di Milano, 1956 ; Musica nell’duomo e nella corte fino alla seconda metà del ‘500, 1961). Il a été rédacteur du Dictionnaire musical et de l’Enciclopedia Ricordi (1959, 196364), et a participé à la rédaction du nouveau Répertoire Vogel (1977). SATIE (Alfred-Erik LESLIE-SATIE, dit Erik), compositeur français (Honfleur 1866 Paris 1925). Il naît d’une mère anglaise, de confession protestante, qui meurt en 1870, et d’un père courtier maritime, catholique. Sortant de pension en 1878, et marqué par la mort dramatique d’une grand-mère, il suit d’abord des leçons de piano d’un certain Vinot, élève de Niedermeyer. Son père se remarie avec Mlle Barnetsche, une pianiste, et il entre au Conservatoire de Paris (classes de piano, d’harmonie, de

solfège - avec Lavignac), tout en se liant avec le poète Contamine de la Tour. Ses Ogives (1886), oeuvres brèves et sérieuses pour piano, dans un style de « plain-chant » rigidifié et verticalisé par une harmonisation pleine, portent la trace de son intérêt pour le Moyen Âge, un Moyen Âge rude et stylisé, mystique. Elles sont suivies de Sarabandes (1887), dont on vantera plus tard la simplicité et l’harmonie, révolutionnaire dans son « tachisme », et des Trois Gymnopédies (1888), pour piano, qui sont devenues avec les Six Gnossiennes (1890-91) son oeuvre la plus populaire (Debussy orchestra la première et la troisième) : le Satie aimé du grand public est là, avec sa mélancolie infinie. Il commence par gagner sa vie comme pianiste accompagnateur au cabaret du Chat-Noir, puis à l’auberge du Clou, où il fait la connaissance de Debussy. La découverte de la musique de l’Asie et de l’Europe centrale, à l’Exposition de 1889, aurait marqué les Gnossiennes, qui clôturent une première période d’oeuvres effusives, sans autre but que l’expression. En effet, il éprouvera bientôt le besoin de mettre systématiquement son art, encore sobre et basé sur un « vocabulaire » assez réduit, au service d’une foi, d’une cause esthétique, fût-ce celle de la dérision. Bref, il ne se contente pas d’offrir sa musique toute seule, mais l’accompagne de mots, de manifestes, la fait épauler par des amis - tandis que lui-même demeure, dans sa vie la plus privée, un homme très seul. Ses premières pièces « engagées » et militantes sont pour le « Sâr » Joseph Péladan, sorte d’occultiste et mage, rénovateur du mouvement de la Rose-Croix : ce sont la musique de scène pour le Fils des étoiles (1891), un drame de Péladan, Trois Sonneries de la Rose-Croix (1891-92), pour piano, son instrument de prédilection, auquel sont destinés quelques préludes ainsi que des Danses gothiques (1893), et enfin un Prélude de la porte héroïque du ciel (1894) qu’orchestre Roland-Manuel. Puis Satie prend ses distances avec Péladan et fonde, peut-être pour rire, une Église métropolitaine d’art de Jésus conducteur, dont il est seul adepte, et dont il rédige le bulletin paroissial. Il y manifeste déjà son très grand talent d’écrivain humoriste. Sa Messe des pauvres (1895), pour orgue, pro-

longe, comme son titre l’indique, son esthétique « minimale », à base de juxtaposition d’accords très nus, enchaînés d’une manière statique et antifonctionnelle, qui fait penser à l’« archaïsme » reconstitué de certaines musiques pour films historiques. En 1898, Satie s’installe à Arcueil, dans une chambre retirée, « tour d’ivoire » où il ne laissait entrer, paraît-il, personne, et où il habitera jusqu’à sa mort. Sans doute tourmenté par la crainte que son inspiration ne réponde pas aux exigences de son orgueil (la crainte de l’impuissance artistique, pour tout dire), et aussi, peutêtre, marqué par des déceptions d’ordre privé sur lesquelles il fut d’une très grande pudeur, c’est à Arcueil qu’il commence à « organiser son échec », donnant des titres dérisoires à une foule de recueils de pièces pour piano souvent pleins de talent et d’expression (Pièces froides, 1897 ; Trois Morceaux en forme de poire, 1903, pour piano à quatre mains ; Nouvelles Pièces froides, 1906-1910 ; Aperçus désagréables, 1908-1912 ; Préludes flasques et Véritables Préludes flasques pour un chien, 1912 ; Descriptions automatiques, 1913 ; Embryons desséchés, 1913 ; Vieux Sequins et Vieilles Cuirasses, 1913 ; Trois Valses distinguées du précieux dégoûté, 1914 ; Avant-Dernières Pensées, 1915 ; etc.) - pièces musicales qui volontairement visent court, et qu’il « parasite », comme le dit très bien Anne Rey, par des annotations burlesques d’exécution, ou par des petits poèmes qui sont de véritables « haïkus » humoristiques. Ses Mélodies pour chant et piano, destinées à Paulette Darty (1900) [Je te veux, la Diva de l’Empire, Tendrement, Poudre d’or], sont des parodies moins truculentes que celles de Chabrier, situées exprès à la limite où l’on ne peut décider si elles se situent au « second degré ». Mais il entretient une amitié admirative pour son confrère Debussy, qui de son côté l’estime sincèrement. Et quand, en 1905, Satie essaie de repartir sur un nouveau pied, entreprenant à trente-neuf ans des études de contrepoint à la Schola cantorum (dans la classe de Roussel, notamment), il ne faut pas y voir une provocation de plus, mais une tentative sincère (et menée avec sérieux, comme ses professeurs l’attestent) pour enrichir sa syntaxe et son vocabulaire musicaux. Des pièces comme En habit de cheval (1911), pour

orchestre, nées après une certaine période de stérilité, profitent de cette expérience, puisqu’elles contiennent des fugues, du contrepoint - ce qui ne les a pas empêchées d’être mal reçues. Mais en même temps, l’esprit de révolte de Satie se durcit, il fait un principe de sa non-réussite, et décrète que l’art en est arrivé au « temps du dérisoire ». Même s’il est touché par le fait que des « jeunes » comme Ravel ou Alexis RolandManuel le découvrent, lui consacrent des concerts entiers et ressortent ses premières Sarabandes, il sent bien qu’il est souvent utilisé comme porte-étendard, comme prétexte pour diverses croisades dont il n’est pas lui-même l’initiateur : croisade anti-d’Indyste et anti-académique, puis croisade anti-impressionniste menée par Cocteau et le groupe des Six, croisade anti-art de Dada, etc. C’est le drame de Satie d’avoir vécu « dans sa chair » certaines impasses esthétiques, et d’avoir ouvert la voie à des innovations sur lesquelles d’autres bâtiront leur carrière d’un coeur beaucoup plus léger : musique « de fond » (qu’il appelle musique d’« ameublement ») ; musique graphique et conceptuelle, avec ses partitions calligraphiées accompagnées de dessins et de poèmes qu’il « défend de lire à haute voix » (Sports et Divertissements, 1914) ; musique de collage, avec les citations et les effets réalistes et bruitistes de Parade ; musique ininterrompue, de méditation, avec Vexations, pour piano, etc. downloadModeText.vue.download 887 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 881 Avec le ballet Parade (1917), créé au théâtre du Châtelet sur un argument de Cocteau, et des décors et costumes de Picasso, vient pour lui le temps du succès-malentendu. C’est en 1914 que Cocteau avait noué avec lui certains liens, en vue d’une collaboration future qui devait aboutir à ce « ballet cubiste », où Satie a fait sagement une musique conforme à l’esprit du projet : objective, orchestrée en « à plat », avec des effets de bruits très sommaires (machine à écrire, sirènes), des répétitions de thèmes élémentaires, des rythmes mécaniques (la machine fascinera toujours Satie) et sans trace de sentimentalité, mais aussi sans trace de la

personnalité complexe de son auteur. Là encore, il ouvre la voie à la musique objective et apollinienne des répétitifs américains, mais dans un style marqué par l’autodérision, le « paupérisme » affiché. Il semble que le succès de scandale de Parade n’ait pas abusé Satie, et qu’il ait bien senti que sa musique y fonctionnait comme élément de décor, plutôt que comme objet esthétique. Cocteau, dans son libelle le Coq et l’Arlequin, jeta Satie en pâture à la postérité, comme exemple d’une nouvelle musique dégraissée, régénérée, saine, stylisée - une musique de la « ligne ». Mais l’oeuvre où Satie met à la fois son ambition propre et son ambivalence, c’est le « drame symphonique » Socrate (1918), pour trois mezzo-sopranos, soprano, et orchestre de chambre, utilisant des fragments de dialogues de Platon dans la traduction de Victor Cousin pour évoquer la figure et la mort du sage grec. La commande en venait de cette généreuse mécène que fut la princesse de Polignac, et elle devait en principe permettre à Satie de se libérer de son encombrante « image de marque » de provocateur. Écrit dans un style de récitatif nu et austère, anti-expressif, c’est une gageure dans son parti pris de « blancheur » et de pauvreté, et on y voit à l’oeuvre les procédés autodestructeurs par lesquels Satie barre délibérément la route à toute expressivité, à toute couleur - immobilisant et dévitalisant sa musique au maximum, comme si, à l’instar de Socrate, elle avait elle aussi bu la ciguë. En 1920, il s’associe à une autre expérience d’avant-garde, en collaboration avec Darius Milhaud, une « musique d’ameublement » servant d’intermède à une pièce de Max Jacob - nouvelle provocation anti-artistique. Puis voilà Satie, déjà traité en patriarche précurseur, bien qu’il ne soit guère âgé (mais son affectation de s’habiller en vieux professeur à lorgnons et barbiche y prêtait), qui se trouve associé au mouvement dada, à Tristan Tzara, à Picabia, pour lequel il écrit la musique du « ballet instantanéiste » Relâche (1924), comprenant une partition pour le film muet de René Clair Entr’acte, oeuvre quasi suicidaire dans sa « simplicité saugrenue », comme le releva avec justesse

et cruauté Roland-Manuel. Déjà, le ballet Mercure (1924), avec Picasso et Massine, avait fait crier à la lassitude devant cette musique trop dégarnie. En apparence, Satie n’est pas seul : des jeunes compositeurs qui le respectent, Henri Clicquet-Pleyel, Roger Desormière, Henri Sauguet, Maxime Jacob, s’associent avec lui et Charles Koechlin pour former une « école d’Arcueil », du nom de sa « retraite », et dont il est l’esprit tutélaire, le grand-oncle. Mais, par une sorte de malédiction, tout ce mouvement se fait comme sur son dos : son personnage, plus que sa musique, est pris comme emblème. Il a tellement « marqué » sa musique de sa pittoresque figure, de ses titres, ses actes, ses manifestes, son humour, etc., que cette musique, dénudée de tout cela, dont elle semble indissociable, paraît souvent réduite à l’os. Et Satie ne s’est jamais entièrement consolé de ne pas avoir fait une oeuvre autonome par rapport à lui-même, une oeuvre qui, comme celle de ses pairs, puisse vivre toute seule, au-delà des étiquettes et des mouvements esthétiques. Vers la fin de sa vie, Satie se fâche plus ou moins avec une partie de ses admirateurs ; on le brouille avec la mémoire de Debussy, mort avant lui, et qui lui aurait « volé », prétend-on, l’esthétique de Pelléas et des innovations harmoniques. La manière, provocante et amère à la fois, avec laquelle Satie cultive son ressentiment donne à penser qu’il n’avait pu ou voulu « localiser » l’origine de son propre sentiment d’échec. Il meurt assez tristement le 1er juillet 1925 à l’hôpital SaintJoseph, des suites, disent certains, d’une cirrhose du foie soigneusement cultivée. Puis son oeuvre suit son chemin dans l’histoire, toujours revendiquée au service d’esthétiques diverses, rarement aimée de manière directe, pour elle-même. Aux États-Unis, notamment, John Cage rend un hommage retentissant au travail « indispensable » de pionnier accompli par Satie, qui devient, après avoir été considéré comme un « amuseur » ou un « mystificateur » par ses compatriotes, le musicien français le plus vénéré par l’avant-garde internationale. Mais ces oeuvres à la fois faciles et inimitables que sont les Gymnopédies et les Gnossiennes lui valent une popularité authentique, dans le coeur du très grand public, loin de toute revendication posthume d’« avant-gardisme ».

Satie n’était pas un créateur étriqué : il manie merveilleusement les mots, et se montre, quand il le veut, très musicien. Mais s’il fut « en porte-à-faux », c’est moins par rapport au public que par rapport à lui-même. Il ne renonça jamais vraiment à être le « grand musicien » qu’il reprochait aux autres de prétendre devenir, et sa musique n’est jamais complètement désinvestie de tout besoin d’exprimer quelque chose de son auteur, puisque son côté narquois ne fait souvent qu’en ressasser la dénégation. Rien de moins populaire et de plus « populiste », dans le sens militant et fastidieux du mot, que certains flonflons de Parade ou de Relâche, à côté d’une poignée d’oeuvres brèves et sensibles, comme les Gymnopédies, qui méritent de conquérir le semi-anonymat et le repos des Classiques favoris. SAUER (Emil von), pianiste et compositeur allemand (Hambourg 1862 - Vienne 1942). Il fut élève de N. Rubinstein au conservatoire de Moscou. Après une tournée en Espagne et en Italie, il étudia pendant quelques mois avec Liszt à Weimar, en 1884-85. En 1886, il reprit ses activités de concertiste. De 1901 à 1907 et de 1914 à 1922, il donna des cours de perfectionnement à Vienne. À la fois brillant virtuose et poète sensible, Sauer possédait un toucher d’une beauté remarquable. Il a laissé une trentaine d’enregistrements. Il a aussi composé deux concertos pour piano, deux sonates, des études et autres pièces pour piano et des lieder. SAUGUET (Henri), compositeur français (Bordeaux 1901 - Paris 1989). Dès l’enfance, Henri Sauguet est initié à la musique ; il apprend le piano et chante à la maîtrise de sa paroisse. La Première Guerre mondiale l’empêche de se présenter au conservatoire de Bordeaux ; son père étant mobilisé, il doit gagner sa vie au lieu de poursuivre ses études. Sa vocation s’affirme. Henri Sauguet découvre avec ferveur l’oeuvre de Debussy, et, en 1918, employé à la préfecture de Montauban, étudie la composition sous la direction de Joseph Canteloube. En 1919, il envoie à Darius Milhaud ses premières compositions et fonde à Bor-

deaux, avec J.-M. Lizotte et Louis Emié, un « groupe des Trois » qui donne un concert d’avant-garde. Darius Milhaud l’invite à Paris en 1921. Henri Sauguet quitte alors définitivement Bordeaux, trouve un gagne-pain dans la capitale, et reçoit des leçons de Charles Koechlin. En 1922, il est présenté à Erik Satie qui, l’année suivante, patronne l’« école d’Arcueil », constituée de Henri Cliquet-Pleyel, Roger Desormière, Maxime Jacob et Henri Sauguet. Il débute au théâtre en 1924 avec un opéra bouffe : le Plumet du colonel, et un ballet, les Roses. Les Ballets russes de Diaghilev créent à Monte-Carlo, en 1927, son second ballet, la Chatte. Dès 1926, Henri Sauguet projette d’écrire un opéra sur la Chartreuse de Parme de Stendhal. Cette oeuvre, achevée en 1936, sera créée à l’Opéra de Paris en 1939. Transposant le romantisme italien downloadModeText.vue.download 888 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 882 dans son propre style, Henri Sauguet a fait ici une oeuvre originale dont le langage, qui est celui du XXe siècle, ne fait pas obstacle à une certaine nostalgie du passé. Cette couleur mélancolique que l’on retrouvera dans d’autres oeuvres « romantiques », telles que les Caprices de Marianne (1954), la Dame aux camélias (1959), est, d’une manière plus générale, un des attraits et une des caractéristiques de la musique de Sauguet. En 1945, dû à la collaboration de Boris Kochno, Christian Bérard, Roland Petit et Henri Sauguet, le ballet les Forains, dédié à la mémoire d’Erik Satie, devint très vite populaire. De là à enfermer Sauguet dans la spécialité de compositeur de ballets, il n’y aurait qu’un pas. Mais, en 1948, un remarquable Quatuor à cordes et un recueil de mélodies sur des poèmes de Max Jacob, Visions infernales, démontrent l’universalité du compositeur, qui écrit, l’année suivante, une Symphonie allégorique : les Saisons. Entre 1950 et 1964, Henri Sauguet compose de nombreuses oeuvres dont les plus importantes, le Cornette, sur des poèmes de Rilke, les Caprices de Marianne, opéra d’après Alfred de Musset, la Dame aux camélias, ballet d’après Alexandre Dumas fils, L’oiseau a vu tout cela, sur un

poème de Jean Cayrol, Mélodie concertante pour violoncelle et orchestre, indiquent l’étendue du « registre poétique » du musicien. SAUTEREAU. Pièce essentielle du mécanisme des instruments à clavier et à cordes pincées (épinette, clavecin). Il consiste en une courte règle de bois dur, munie d’une languette mobile portant un bec de plume ou de cuir de buffle, et d’une pièce de feutre faisant fonction d’étouffoir. Quand l’enfoncement de la touche correspondante soulève le sautereau, le bec accroche la corde au passage et la met en vibration ; la touche une fois lâchée, le sautereau retombe, bec effacé, et le feutre arrête les vibrations de la corde. Les facteurs modernes n’ont rien changé à cet ingénieux dispositif, mais ont souvent recours aux résines synthétiques pour remplacer tout ou partie des matériaux traditionnels. SAVALL (Jordi), violiste espagnol (Igualada, près de Barcelone, 1941). Après avoir obtenu en 1966 son diplôme de violoncelle au conservatoire de Barcelone, attiré par la musique ancienne, il se met à travailler seul la viole de gambe, qu’il contribue à faire renaître, en ajoutant aux efforts des pionniers Nikolaus Harnoncourt et Wieland Kuijken un esprit de fantaisie novateur. Diplômé en 1970 de la Schola cantorum basiliensis, il y enseigne depuis la viole de gambe, et prolonge son activité pédagogique par de nombreux stages et concerts, seul ou au sein de l’ensemble Hesperion XX, qu’il fonde en 1974 avec la soprano Montserrat Figueras, sa femme, le luthiste Hopkinson Smith et le flûtiste-percussionniste Lorenzo Alpert. Il revendique, aussi bien pour son instrument que pour son ensemble, le recours à l’improvisation, conçue comme un moyen de retrouver les vertus expressives de la musique ancienne. On lui doit la renaissance d’un répertoire oublié, maîtres espagnols du XVIe siècle (tel Diego Ortiz) et français du XVIIe (Forqueray, Marin Marais, Caix d’Hervelois). Il a composé la musique du film de Jacques Rivette Jeanne la Pucelle (1993), et fondé à Barcelone la Capella Reial de Catalunya (1987) et le Concert des Nations (1989).

SAVONLINNA. Ville du sud-est de la Finlande où se déroule chaque année un festival d’opéra, la plupart des représentations ayant lieu dans la forteresse d’Olavinlinna, construite à partir de la fin du XVe siècle comme lieu de défense contre la Russie. Fondé par la soprano Aino Ackté, le festival fut inauguré en 1912 avec Aino d’Erkki Melartin, ainsi que par des récitals et concerts, et se poursuivit en 1913 (la Mort d’Elina d’Oskar Merikanto), 1914 (la Chasse du roi Charles de F. Pacius et la Fille du Nord de O. Merikanto) et 1916 (Faust de Gounod). Des difficultés financières mirent fin à l’entreprise, ressuscitée par Aino Ackté pour la seule saison 1930 (les Ostrobothniens de L. Madetoja). Le festival renaquit pour de bon en 1967 (Fidelio de Beethoven), et a lieu depuis lors chaque année, avec notamment comme directeurs artistiques Martti Talvela, Walton Grönroos et Jorma Hynninen. Y ont été créés le Cavalier (1975), Le roi partira pour la France (1984) et le Palais (1995) de Sallinen, ainsi que le Couteau de Heininen (1989). En 1997 doit avoir lieu la création d’Aleksis Kivi de E. Rautavaara. Depuis un quart de siècle, le Festival de Savonlinna à très largement contribué à la découverte et à la popularité de l’opéra en Finlande. SAVOURET (Alain), compositeur, pianiste et chef d’orchestre français (Vanves 1942). Collaborateur du Groupe de musique expérimentale de Bourges depuis 1973 (après quatre années passées au Groupe de recherches musicales de Paris), il est l’un des deux ou trois plus importants compositeurs de musique électroacoustique de sa génération, en tout cas le plus brillant et le plus habile, et celui qui pousse le plus loin le travail sur la forme et l’articulation pour accorder plus d’intérêt à la matière sonore ou aux procédures techniques de fabrication. Sa première oeuvre importante, Kiosque (1969), pour bande et musiciens-improvisateurs, manifeste d’emblée le « baroquisme » propre à l’auteur, qui consiste pour lui à faire voisiner dans une forme très maîtrisée des éléments aussi hétérogènes que possible, du « musical » à l’« anecdotique », de l’abstrait au concret, etc. Le même principe est à l’oeuvre dans

la Valse molle (1973), pièce de musique légère pour bande. Selon (1970), pour 2 joueurs de clavier sonorisé, et la Suite pour clavier à rallonges (1973), pour bande, mettent en valeur son goût de la virtuosité digitale : il est pianiste-improvisateur et a fondé avec Christian Clozier le groupe d’improvisation électroacoustique Opus N. Tango (1971) et l’Arbre et Caetera (1972), pour bande, sont des exercices très vivants de forme et d’écriture, travaillant dans la plus grande économie de matériau (sons d’orgue électronique pour la première oeuvre, sons concrets « quadraphoniques » non manipulés pour la seconde). Enfin, la Sonate baroque, entreprise en 1974, est un monument électroacoustique dont les trois premiers mouvements (allegro, andante, scherzo) totalisent une heure et demie et font s’épanouir et se réconcilier, dans une cohabitation harmonieuse et dynamique, toutes les tendances, toutes les « tentations » de l’auteur - celles déjà relevées, mais aussi son humour, son « mauvais goût », son lyrisme. Une écriture très élaborée, sur des matériaux d’une grande transparence sonore, une technique impeccable, une forme superbe font déjà de cette Sonate l’une des oeuvres électroacoustiques majeures du répertoire. À partir de là, Savouret revient à la musique instrumentale et mixte, sauf pour des incursions isolées dans la musique électroacoustique pure (Don Quichotte Corporation, 1981), et, parmi des oeuvres récentes, on peut citer Phil Cello et Joe Sax chez les Trogloustiques (1979), pour violoncelle, saxophone alto et bande magnétique, la Main du clown (1980), pour quintette à vent, Il était une fable (1981), pour trois groupes instrumentaux, Mauvaise Journée (1981), pour piano principal et huit instruments, et une pièce constituant le finale de la Sonate baroque, l’Ouïe-Spartacus (1981), pour bande magnétique et ensemble instrumental. SAWALLISCH (Wolfgang), chef d’orchestre allemand (Munich 1923). Enfant, il apprend le piano avant d’étudier la direction d’orchestre (avec Hans Rosbaud) et la composition à la Musikhochschule de Munich. Engagé en 1947 comme répétiteur au Théâtre municipal d’Augsbourg, il y fait ses débuts de chef d’or-

chestre avec Haensel et Gretel. Il remporte en 1949, en duo avec le violoniste Gerhard Seitz, le premier prix du concours de Genève, mais joue rarement en soliste, préférant accompagner les récitals de lieder d’Elisabeth Schwarzkopf, Dietrich downloadModeText.vue.download 889 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 883 Fischer-Dieskau et Hermann Prey. Il est nommé directeur général de la musique à Aix-la-Chapelle (1953-1958), Wiesbaden (1958-1960) et Cologne (1960-1963), où il enseigne la direction d’orchestre. L’année 1957 voit ses débuts au festival de Bayreuth et à Londres, où il accompagne Schwarzkopf et dirige le Philharmonia Orchestra. Premier chef de l’Orchestre symphonique de Vienne (1960-1970), directeur musical de la Philharmonie de Hambourg (1961-1973), il conduit de 1970 à 1980 l’Orchestre de la Suisse romande et dirige jusqu’en 1992 l’Opéra de Munich. Il travaille également régulièrement avec l’Orchestre radiosymphonique de la NHK de Tokyo, avec celui de l’académie SainteCécile de Rome et avec la Scala de Milan (à partir de 1965). Il dirige depuis 1993 l’Orchestre de Philadelphie. Précise et sobre, sa direction s’attache plus à la substance des oeuvres qu’à leur parure expressive, parti pris qui l’a fait taxer, à tort, d’insensibilité. Car, pour le public de Bayreuth ou de l’Opéra de Munich, ses interprétations de Wagner et de Richard Strauss possèdent le frémissement même de la vie. SAX, famille belge de facteurs d’instruments à vent. Charles-Joseph (Dinant 1791 - Paris 1865). Installé à Bruxelles en 1815, il fournissait en instruments certains corps d’armée belges. En 1824, il créa le cor omnitonique, mais cette invention lui fut disputée par la suite. En 1853, il vint s’installer à Paris. En 1867 des instruments de sa fabrication furent présentés à l’Exposition universelle. Antoine Joseph, dit Adolphe, (Dinant 1814 - Paris 1894). Fils du précédent, il étudia la flûte et la clarinette au conservatoire de Bruxelles. Après avoir créé un

nouveau modèle de clarinette (1830) et de clarinette basse (1838), il vint à Paris en 1842. C’est là qu’il créa les instruments qui devaient faire sa renommée et auxquels il donna son nom : le saxhorn (1845) sur la base du bugelhorn déjà existant, et le saxophone (1846). SAXHORN. Instrument à vent de la famille des cuivres. Contrairement aux autres « cuivres », qui se sont passés de pistons pendant des siècles, le saxhorn (du nom du facteur Adolphe Sax et de « horn » qui signifie « cor » en allemand et en anglais) est né de l’invention du cor à pistons en 1813. Il apparut aussitôt que ce tuyau pouvait s’adapter à des formes nouvelles du tuyau sonore, et cette recherche aboutit en 1835 au premier « tuba », dénomination allemande calquée sur le mot latin qui désigne la trompette au sens le plus général. Ce tuba à trois pistons était caractérisé par la conicité accentuée du tuyau, que terminait un pavillon large et profond dirigé vers le haut. Il fut rapidement adopté dans toute l’Europe en version basse et baryton, mais c’est à Paris qu’A. Sax, à partir de 1842, le perfectionna de façon définitive et créa toute la famille. Les contrebasses et basses, munies de trois à six pistons, conservent même en France le nom de tuba et sont pratiquement les seules qu’utilise l’orchestre symphonique pour leur sonorité caractéristique, à la fois puissante, ronde et douce. Les autres saxhorns rendent de grands services dans les fanfares et harmonies militaires ou civiles, surtout dans les formations d’amateurs où leur facilité d’émission est fort appréciée. Tous sont à trois pistons, mais seuls le baryton et l’alto ont la disposition verticale du tuba ; le bugle, héritier d’un clairon à pistons inventé dès 1829 par l’Anglais Halliday (d’où son nom qui signifie « clairon »), est construit et se joue horizontalement. Il existe, notamment en Allemagne et en Europe centrale, de nombreuses variantes de tous ces instruments. L’hélicon n’est qu’une basse ou contrebasse dont l’enroulement circulaire facilite le port (et l’exécution) dans les défilés. Le sousaphone américain, avec son imposant pavillon orienté vers l’avant, est un autre avatar du

saxhorn contrebasse. SAXOPHONE. Instrument à vent de la famille des bois. Il est en fait de construction métallique, mais il emprunte aux bois son système de clés, actionnant des « plateaux » destinés à fermer ses trous, ainsi qu’une anche simple fixée sur un bec à l’imitation de la clarinette. À la différence de la plupart des autres instruments à vent, qui ont mis des siècles à atteindre leur profil actuel, celui-ci est sorti tout armé du cerveau (et des ateliers) de son inventeur : A. Sax. Dès son premier brevet (1846), le saxophone avait sa forme caractéristique en « S », son mécanisme et sa sonorité puissante et chaleureuse. À vrai dire, le principe de l’association de l’anche simple et du tuyau conique était fort ancien ; quant au mécanisme, il devait beaucoup à ceux dont les autres bois venaient d’être dotés. Le saxophone n’en était pas moins un instrument nouveau, que les musiques d’harmonie adoptèrent aussitôt. Il fut plus long à s’imposer à l’orchestre symphonique en raison de son caractère réputé bâtard ; Ambroise Thomas, Bizet et Massenet furent les premiers à l’employer couramment, suivis de presque tous les compositeurs contemporains. Et l’on sait quelle place il tient dans la musique de jazz. Dès l’origine, le saxophone fut construit en plusieurs versions. Le sopranino en mi bémol aigu, pratiquement inusité, et le soprano en si bémol familièrement appelé « carotte » ont la forme droite de la clarinette. L’alto en mi bémol est le plus répandu de la famille, celui auquel on pense quand on parle de « saxo » sans autre précision. Le ténor en si bémol et le baryton en mi bémol graves sont particulièrement appréciés des musiciens de jazz. Mais les énormes basse et contrebasse sont d’un emploi exceptionnel. SCALA (Teatro alla). Théâtre d’opéra milanais, construit à la suite de l’incendie du Teatro Ducale (1776), où avaient été créés Mitridate (1770), Ascanio in Alba et Lucio Silla (1772) de Mozart. Il fut inauguré (environ 3 000 places)

le 3 août 1778 avec une oeuvre spécialement commandée pour l’occasion : L’Europa riconosciuta de Salieri, hommage à l’impératrice Marie-Thérèse. Sans que soit bouleversée son architecture générale, des aménagements lui furent apportés, en particulier en 1838 et à la suite du bombardement de 1943. À la fin du XVIIIe et au début du XIXe, Milan était en Italie une ville d’importance moyenne, mais cette situation se modifia, et la Scala s’affirma peu à peu face à La Fenice de Venise et au San Carlo de Naples, grâce aussi aux liens étroits entretenus avec l’établissement par l’éditeur Ricordi. Furent créés à la Scala les trois premiers opéras de Verdi, dont Nabucco (1842), puis, un demi-siècle plus tard, Otello (1887) et Falstaff (1894), Mefistofele de Boito (1868), Madame Butterfly (1904) et Turandot (1926) de Puccini, ainsi que, plus récemment, Dialogue des carmélites de Poulenc (1957, en version italienne) et Atlantida de Falla (1962, posthume). Tous les grands chefs italiens ont attaché leur nom à la Scala, de Toscanini à Abbado et à Muti en passant par Serafin, Sabata, Cantelli et Giulini, et le niveau des prestations vocales y a toujours été très élevé. Après la dernière guerre a été adjointe à la grande salle, pour le répertoire baroque et classique, la salle de la Piccola Scala, inaugurée en 1955 avec Il Matrimonio segreto de Cimarosa. SCARLATTI (Alessandro), compositeur italien (Palerme 1660 - Naples 1725). Il vint étudier à Rome à douze ans, s’y maria en 1678, et y donna en 1679 son premier opéra, Gli Equivoci nel sembiante, qui connut un énorme succès, et, fait assez rare à l’époque, fut joué dans de nombreuses autres villes. Entré au service de la reine Christine de Suède, maître de chapelle de San Girolamo della Carità, protégé par les Colonna, Ottoboni et autres grands de la noblesse romaine, il eut des contacts avec d’autres centres italiens, et partagea ses activités de compositeur entre la cantate, l’oratorio et l’opéra : parmi ses premières oeuvres figurent L’Onestà negli downloadModeText.vue.download 890 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 884 amori (1680) et Il Pompeo (1683) dont certaines arias sont restées célèbres.

À la suite d’intrigues familiales, il fut nommé en 1684 maître de chapelle à la cour de Naples, où, durant une vingtaine d’années, sa production fut considérable, mais inégale, cependant que certains de ses opéras étaient joués jusqu’en Allemagne (Pirro e Demetrio à Brunswick, en 1694, créé à Naples la même année). Des différends artistiques et humains avec la cour de Naples le conduisirent à rechercher d’autres appuis, et il écrivit des opéras pour Florence de 1703 à 1706 et fut à nouveau à Rome où il connut Corelli grâce au cardinal Ottoboni. Il y écrivit un grand nombre de cantates à grand effectif, les milieux ecclésiastiques romains tenant alors l’opéra pour un genre suspect. N’ayant pu y obtenir de situation stable, il alla donner à Venise son fastueux Mitridate Eupatore (1707), retourna assurer sa charge à Naples en 1709, et, de 1717 à 1721, se partagea entre cette dernière ville et Rome où il donna La Griselda (1721, livret de Zeno), avant de consacrer ses dernières années à la musique instrumentale : il publia en 1725 un recueil de quatuors pour instruments solistes qui pourraient établir un pont entre l’ancienne sonate à trois et la forme à venir du quatuor à cordes. La personnalité musicale de Scarlatti se dégage encore mal de son oeuvre abondante, partiellement révélée, et dont il est malaisé de tirer des conclusions de synthèse. En fait, il sut prêter son talent aux styles les plus divers, selon les époques, les villes, et la destination de ses oeuvres ; plus de six cents cantates profanes ou religieuses à une voix, quatre-vingt-dix cantates à plusieurs voix ou avec instruments concertants, trente-cinq oratorios, des messes, au moins quatre-vingt-cinq opéras et pastiches, et une oeuvre instrumentale non négligeable dont douze concertos grossos, des sonates pour flûte, et des oeuvres diverses pour clavier. Sa Passion selon saint Jean (v. 1680), une de ses premières oeuvres, influencée par Carissimi, est l’une de ses meilleures productions religieuses, tandis que son oratorio Il Sedecia (1705), de grandes proportions, a toutes les caractéristiques de l’opéra alors en cours à Naples ; ses préludes et fugues, ses toccatas pour clavier jettent un pont entre l’oeuvre de Frescobaldi et celle, autrement moderne, de

son fils Domenico ; ses madrigaux à voix seules appartiennent au siècle précédent, mais ses concertos grossos préfigurent le style galant de la future école napolitaine. Ses cantates se plient également aux styles les plus variés, mais, comme ses oratorios, elles témoignent d’un plus grand soin et d’une plus grande richesse que ses opéras où il ne semble jamais avoir cherché à se démarquer des modèles en vogue dans les villes pour lesquelles il écrivait, sans se soucier des courants de réforme du livret. Il ne peut absolument pas être tenu pour le père d’un « opéra napolitain « : ses premières oeuvres, encore tributaires du style contrapuntique, s’inspirent très largement de Stradella, auquel il emprunte la formule de l’aria da capo qu’il va systématiser dans ses opéras écrits pour Naples, où se schématisent l’ouverture tripartite extrêmement brève, l’usage d’un récitatif secco assez mécanique, et une longue succession d’arias, généralement da capo, n’utilisant que rarement l’instrument à vent soliste, et dont la nudité allait autoriser l’excessive surcharge ornementale des interprètes qu’il désapprouva souvent, mais où, comme dans Tigrana, s’intercalent également des ariettes de style plus moderne. En revanche, Mitridate Eupatore, écrit pour Venise, emploie largement l’orchestre et les choeurs, quasi absents de ses oeuvres napolitaines. Enfin, l’élément comique présent dans ses premiers opéras romains disparaît progressivement de son oeuvre, mais, pour des raisons d’ordre familial, il donnera en 1718 au théâtre dei Fiorentini de Naples une véritable comédie, Il Trionfo dell’onore, l’un de ses chefsd’oeuvre. SCARLATTI (Domenico), compositeur italien (Naples 1685 - Madrid 1757). Sixième des dix enfants d’Alessandro Scarlatti, il eut comme marraine la vicereine de Naples, et, dès 1701, il était organiste et compositeur de la chapelle royale de Naples. En 1702, il effectua avec son père un séjour à la cour de Toscane et, à son retour à Naples, composa coup sur coup trois opéras, Ottavia ristituita al trono (1703), Giustino (1703) et Irene (1704). En 1705, Alessandro l’envoya à Venise avec une lettre de recommandation adressée à Fernando de Médicis : « Ce fils est un aigle dont les ailes ont poussé. Il ne faut pas qu’il reste oisif dans son nid,

et il ne m’appartient pas de l’empêcher de prendre son vol. » À Venise, Domenico prit des leçons auprès de Francesco Gasparini (1668-1727), et il est probable que, grâce à lui, il fut initié à l’art de Frescobaldi. De 1709 à 1719, il vécut à Rome, où il fit la connaissance de Haendel - auquel l’opposa une joute légendaire qui se termina par la victoire du Saxon à l’orgue et du Napolitain au clavecin - et du musicien anglais Thomas Roseingrave, qui, une vingtaine d’années plus tard, devait faire beaucoup pour la diffusion à Londres de ses premières sonates. Il fut d’abord (jusqu’en 1714) maître de chapelle de la reine exilée de Pologne, puis (à partir de décembre 1713) à la chapelle Giulia au Vatican. En 1714, après le départ de Rome de la reine de Pologne, il devint également maître de chapelle de l’ambassadeur du Portugal, le marquis de Fontes. De cette époque datent sans doute son Miserere en sol et son magnifique Stabat Mater à dix voix. Il composa aussi durant ces années des cantates de circonstance et de nombreux opéras parmi lesquels Tolomeo (1711), Orlando (1711), Ifigenia in Aulide (1713), Ifigenia in Tauri (1713), Ambleto (1715) et l’intermezzo Dirindina (1715). Sa dernière oeuvre en ce genre fut Berenice (1718). Le grand tournant de la carrière de Domenico Scarlatti intervint en 1719, date à laquelle il s’installa à Lisbonne comme maître de chapelle du roi João V de Portugal. On crut longtemps qu’en 1719 il s’était rendu en Angleterre, mais Ralph Kirkpatrick a réduit à néant cette hypothèse, tout en avançant de plusieurs années l’installation à Lisbonne. Là, Domenico Scarlatti fut chargé de l’éducation musicale du frère du roi, don Antonio, et surtout de sa fille, la princesse Maria Barbara, pour laquelle il écrivit la plupart de ses sonates. Il ne retourna en Italie qu’en 1724 (à Rome), en 1725 (à Naples pour y revoir une dernière fois son père) et en 1728 (il épousa alors à Rome sa première femme, Maria Catalina Gentili). Durant les trente-sept dernières années de son existence, il ne quitta donc plus, exception faite de ces trois voyages, la péninsule Ibérique. En 1729, la princesse Maria Barbara de Portugal épousa l’infant d’Espagne,

futur Ferdinand VI. Domenico la suivit à Madrid, qu’il ne devait plus quitter. Il n’écrivit plus désormais que de la musique pour clavier, à l’exception d’un Salve Regina pour soprano et cordes que l’on suppose être sa dernière oeuvre. Fait en 1738 chevalier de l’ordre de Santiago par João V de Portugal, il le remercia avec la dédicace des célèbres Essercizi per gravicembalo, parus à Londres la même année, et qui ne sont autres que les trente premières sonates de la numérotation de Kirkpatrick. Sa femme étant morte en 1739, il se remaria au plus tard en 1742. De ses neuf enfants, quatre survécurent, mais aucun ne devint musicien. Tant qu’il vécut en Italie, Domenico Scarlatti ne fut qu’un compositeur parmi tous ceux qui oeuvraient dans le domaine de l’opéra napolitain, genre alors dominé par son père. De cette époque datent aussi ses dix-sept sinfonie pour ensemble instrumental. Son départ pour le Portugal lui permit de se libérer du monde de l’opéra, de faire ses propres expériences et de découvrir ce pour quoi il était né : la sonate pour clavier (clavecin). Domenico Scarlatti, exact contemporain de Bach et de Haendel et de deux ans le cadet de Rameau, est effectivement un des plus grands maîtres du clavier de tous les temps. La préface des Essercizi étant un des deux seuls textes de Scarlatti ayant survécu, il vaut la peine de le reproduire downloadModeText.vue.download 891 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 885 ici : « Lecteur, que vous soyez dilettante ou connaisseur, n’attendez pas de ces compositions un profond enseignement, mais plutôt un ingénieux badinage artistique destiné à vous familiariser avec la majesté du clavecin. Je n’ai été poussé à les publier ni par des considérations d’intérêt ni par ambition, mais simplement par l’obéissance. Peut-être vous seront-elles agréables : je répondrai alors d’autant plus facilement à d’autres commandes, pour vous plaire dans un style plus facile et varié. Montrez-vous donc plus humains que critiques, et par là, accroissez votre plaisir. En ce qui concerne la position des mains, sachez que par D est indiquée la droite, et par M la gauche. Adieu. »

Des 555 sonates (moins de dix sont incomplètes ou d’authenticité douteuse) de Scarlatti dénombrées par Kirkpatrick, aucun autographe ne nous est parvenu, et très peu furent publiées du vivant du compositeur. À peu près toutes les éditions d’époque sont anglaises, et toutes sont fondées sur l’unique publication signée par Scarlatti lui-même, les trente Essercizi de 1738. En 1739, Thomas Roseingrave y ajouta douze sonates, parvenant ainsi à un total de quarante-deux. Une nouvelle édition des Essercizi parut à Amsterdam en 1742, plusieurs éditions d’un nombre très limité de sonates virent le jour à Paris entre 1741 et 1746. Au début du XIXe siècle, Muzio Clementi, le seul compositeur italien de son temps sur lequel Domenico Scarlatti ait laissé des traces autres qu’épisodiques, publia en Angleterre un recueil intitulé Scarlatti’s Chefs d’oeuvre, for the Harpsichord or Piano-Forte. En 1839, Czerny fit paraître deux cents sonates, mais en les adaptant au goût d’une époque qui les considérait surtout comme d’utiles études pour délier les doigts. En 1906 seulement, on assista à une première tentative d’édition complète : celle d’Alessandro Longo, qui publia un total de 544 sonates groupées par « suites » dans telle ou telle tonalité, mais dans un ordre totalement arbitraire ne tenant aucun compte de la chronologie. L’édition Longo fit longtemps autorité, malgré ses concessions au postromantisme, et sa numérotation reste en vigueur jusqu’à l’apparition de celle de Kirkpatrick. Une édition complète selon la numérotation Kirkpatrick a été réalisée dans les années 70 par Kenneth Gilbert. Pour établir sa classification chronologique, d’ailleurs parfois sujette à caution, Kirkpatrick eut recours aux sources fondamentales de notre connaissance des sonates de Scarlatti : pour l’essentiel, deux groupes de manuscrits de quinze volumes chacun, copiés parallèlement entre 1742 (voire 1752) et 1757, et ayant appartenu à Maria Barbara. Un groupe (treize volumes numérotés de I à XIII et totalisant 496 sonates plus deux volumes non numérotés) se trouve à la bibliothèque de Saint-Marc à Venise, l’autre (quinze volumes totalisant 463 sonates) à la Bibliothèque palatine à Parme. Les deux volumes de Venise non

numérotés à l’origine, et numérotés par Kirkpatrick XIV et XV, furent copiés respectivement dès 1742 et dès 1749 : ils comprennent les sonates les plus anciennes, dont les trente Essercizi de 1738. À l’autre extrême, les volumes Venise XIII et Parme XV, copiés l’un et l’autre en 1757, contiennent des sonates qu’une autre source, la collection des manuscrits de l’abbé Fortunato Santini (1778-1862), préservée à Münster, présente comme les « Dernières Sonates pour Clavecin de Domenico Scarlatti composées en 1756 et en 1757 l’année de sa mort ». Les cinq volumes de Münster totalisent 349 sonates. Enfin, sept volumes ayant appartenu à Johannes Brahms et totalisant 308 sonates sont conservés à la Société des amis de la musique à Vienne. L’origine des manuscrits de Venise et de Parme est assez claire. En même temps que Domenico Scarlatti, vécut à la cour de Madrid le célèbre castrat Carlo Broschi, dit Farinelli. Arrivé en Espagne en 1737, Farinelli y resta jusqu’en 1759, date de la mort du roi Ferdinand VI. Il reçut de la reine Maria Barbara non seulement ses plus beaux clavecins, mais ses manuscrits de sonates de Scarlatti, et c’est certainement par l’intermédiaire de Farinelli, qui termina ses jours en Italie, que les deux groupes de quinze volumes chacun aboutirent respectivement à Venise et à Parme. Quant à l’abbé Santini, « collectionneur authentique au meilleur sens du terme » (Mendelssohn), et dans la maison duquel Cramer et Liszt jouèrent du Scarlatti, ce sont ses manuscrits qui servirent à Czerny pour son édition de 1839. Voici comment se répartissent, selon les diverses sources, les 555 sonates de Scarlatti selon la numérotation Kirkpatrick : - K.1-30 : Essercizi per gravicembalo (Londres, 1738) ; - K.31-42 : Douze sonates ajoutées aux Essercizi par Thomas Roseingrave dans son édition de 1739 ; - K.43-93 : Venise XIV (1742) ; - K.94 : Manuscrit de Coïmbre ; - K.95-97 : Édition parisienne (avant

1746) ; - K.98-138 : Venise XV (1749) ; - K.139-144 : Manuscrit londonien (après 1746) ; - K.145-146 : Manuscrit de Cambridge ; - K.147 : Münster I ; - K.148-176 : Venise I (1752) ; - K.177-201 : Venise II (1752) ; - K.202-205 : Parme IV (1752) ; - K.206-235 : Venise III (1753) ; - K.236-265 : Venise IV (1753) ; - K.266-295 : Venise V (1753) ; - K.296-325 : Venise VI (1753) ; - K.326-355 : Venise VII (1754) ; - K.356-357 : Parme IX (1754) ; - K.358-387 : Venise VIII (1754) ; - K.388-417 : Venise IX (1754) ; - K.418-451 : Venise X (1754) ; - K.452-453 : Münster II ; - K.454-483 : Venise XI (1756) ; - K.484-513 : Venise XII (1756) ; - K.514-543 : Venise XIII (1757) ; - K.544-555 : Parme XV (1757). Dans la mesure où cette chronologie est fondée uniquement sur les dates des sources, elle ne correspond pas toujours aux dates ni à l’ordre de composition, et l’on peut supposer, en l’absence du moindre autographe, que telles qu’elles nous sont parvenues certaines sonates ne sont que la version définitive d’ouvrages conçus différemment à une époque antérieure. Kirkpatrick a néanmoins tenté de dégager, pour les divers volumes copiés, des caractéristiques générales : statisme des Essercizi, par opposition au dynamisme des volumes suivants ; impression de maturité à partir de Venise III et IV,

avec notamment dans ces volumes d’admirables mouvements lents ; transparence de l’écriture et renonciation aux effets extérieurs dans Venise V-VII ; sommets et synthèses à partir de Venise VIII. En 1967, une classification chronologique fondée sur des critères uniquement stylistiques a été tentée par Giorgio Pestelli : elle aussi reste largement incertaine. Les sonates de Scarlatti sont toutes en un seul mouvement (ce qui ne veut pas toujours dire un seul tempo), et numérotées individuellement dans toutes les sources, mais les manuscrits de Venise et de Parme les réunissent souvent par groupes de deux (plus rarement de trois), en général dans la même tonalité (mais pas toujours groupées de la même façon dans les divers manuscrits). On peut admettre que Scarlatti en faisait autant lorsqu’il les jouait lui-même. Par leur caractère, les sonates ainsi réunies (chez Kirkpatrick, numéros se succédant) peuvent aussi bien s’opposer que se compléter. La forme est toujours binaire, chacune des deux parties étant en principe répétée, et les fins de chaque partie sont toujours identiques (fin de la première partie à la dominante ou à ce qui en tient lieu, fin de la seconde partie à la tonique). Mais, différence essentielle avec la forme sonate classique, le début de la sonate n’est pratiquement jamais repris au cours de la seconde partie (quelques exceptions cependant, comme K.159 ou K.256). Le sentiment de « réexposition » est donc fortement atténué, malgré le rôle de « développement modulant » fréquemment assumé par le début de la seconde partie. En fait, dans ce cadre apparemment restreint et uniforme, Scarlatti déploie les trésors d’une imagination inépuisable. downloadModeText.vue.download 892 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 886 On peut en gros distinguer deux types de sonates : celles de forme « fermée » aux deux parties semblables, et celles (plus dynamiques) de forme « ouverte », aux deux parties dissemblables par la succession des thèmes et des tonalités. Dans toutes ces oeuvres, et c’est un aspect de leur étonnant modernisme, la structure harmonique est plus importante que la structure théma-

tique. Scarlatti ne recule devant aucune modulation, oppose brutalement les tonalités les plus éloignées, emprunte de fulgurants raccourcis enharmoniques, et s’aventure même jusqu’à la polytonalité. Il eut de la dissonance une conception dynamique, et ses sonates, bien davantage que n’importe quel ouvrage de Bach, de Haendel ou même de Jean-Philippe Rameau, sont une succession d’événements dramatiques articulés : à ce titre, elles annoncent de très près le classicisme viennois. Les rythmes sont tout aussi prodigieux et variés, et contribuent grandement à la grâce, à l’élégance ou à la vigueur d’un discours exempt de la moindre lourdeur. D’autant que Domenico se passionna pour la musique populaire, en particulier pour le folklore ibérique, au point qu’on le prendrait presque pour un compositeur espagnol. Il emprunta certaines tournures modales étranges au flamenco andalou, et son écriture évoque souvent la guitare : d’où ces grappes d’accords dissonants que de nombreux éditeurs et copistes crurent devoir corriger, alors qu’en réalité on a là des « fausses notes pour le plaisir » qui rapprochent Scarlatti de compositeurs pour piano du XXe siècle comme Albéniz ou Ravel : plus sans doute qu’aucun maître du clavier, il sut user de l’acciaccatura. Mais on trouve aussi chez lui des dissonances expressives, des chromatismes annonçant Schumann ou Brahms. Dans sa musique, l’imitation du chant des charretiers, des muletiers et d’autres gens du peuple, les sonorités de chasse ou de bals populaires coexistent avec les plus profondes méditations. Cette musique est aussi suprêmement virtuose, souvent d’une difficulté technique extrême : sauts, croisements de mains, batteries, gammes, arpèges, elle intègre tout ce qu’il y a de plus difficile pour les doigts. Relativement isolé en son temps, Domenico Scarlatti n’eut comme disciples directs que des compositeurs ibériques, avec à leur tête le padre Antonio Soler. Son oeuvre est comme un diamant unique, un solitaire : elle en a l’éclat et la perfection. SCARLATTI (Giuseppe), compositeur italien (Naples v. 1718 ou 1723 - Vienne 1777). Probablement neveu d’Alessandro et cousin de Domenico, il partagea sa carrière

entre l’Italie (Rome, Florence, Lucques) et Vienne, rendit sans doute visite à Domenico en Espagne vers 1752 et composa au moins 32 opéras. SCELSI (Giacinto), compositeur italien (La Spezia 1905 - Rome 1988). Il étudia avec Respighi et Casella, et obtint ses premiers succès à Paris, notamment avec la création par Pierre Monteux de Rotative pour orchestre (1931). Il voyagea ensuite au Proche-Orient et en Afrique, et étudia les techniques dodécaphoniques à Vienne avec Walter Klein (1935-36). En 1937, il organisa à Rome avec Petrassi une série de concerts de musique contemporaine, et, durant la guerre, résida en Suisse, où il collabora à la revue la Suisse contemporaine tout en écrivant de nombreux essais musicologiques. Il publia à Paris de la poésie en français (1949, 1954, 1962), et participa à Rome aux activités du groupe Nuova Consonanza. À partir de 1952, il s’est orienté comme compositeur vers des solutions radicales teintées parfois d’ésotérisme ou de mysticisme, et qui font que se reconnaissent en lui aussi bien un Ligeti ou un Feldman que des membres de la jeune génération actuelle. En témoignent notamment les Quattro Pezzi su une nota sola pour orchestre de vingt-six musiciens (1959), Hurqualia pour grand orchestre et instruments amplifiés (1960), O-ho-i pour seize cordes (1966), ses cinq Quatuors à cordes (de 1944 à 1985), ou Pranam pour voix, douze instruments et bande magnétique (1972). SCÈNE. En matière de théâtre, subdivision facultative d’un acte selon le découpage déterminé par la logique de l’action. Le mot « scène », ou plutôt « scena » sous sa forme italienne, désigne également un grand monologue lyrique de caractère dramatique. Au pluriel, enfin, il a servi de titre à de nombreuses suites instrumentales ou orchestrales de caractère évocateur ou simplement descriptif, telles que les Scènes d’enfants de Schumann ou les Scènes alsaciennes de Massenet. SCÈNE (musique de). 1. Dans un opéra, musique instrumentale exécutée non dans la fosse d’orchestre, mais sur scène (par des musiciens en

costumes) ou en coulisses. Il s’agit parfois d’une petite formation de chambre, comme à l’acte II du Don Giovanni de Mozart, mais le plus souvent d’une fanfare comme dans les Huguenots, Lohengrin, le Faust de Gounod, Don Carlos, Aïda, etc. 2. Dans une oeuvre théâtrale, toute musique destinée à accompagner l’action, à l’enrichir d’un divertissement (comédie-ballet ou tragédie-ballet à partir du XVIIe siècle) ou à contribuer à l’ambiance d’une scène. Ce genre a été couramment pratiqué jusqu’au début du XXe siècle, ainsi qu’en témoigne le fait que la Comédie-Française ou l’Odéon étaient pourvus d’une fosse d’orchestre. Et il a inspiré des chefs-d’oeuvre dont quelques-uns des plus célèbres sont les musiques de scène de Beethoven pour Egmont de Goethe, de Mendelssohn pour le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, de Bizet pour l’Arlésienne d’Alphonse Daudet, de Richard Strauss pour le Bourgeois gentilhomme de Molière, de Grieg pour Peer Gynt d’Ibsen, de Sibelius pour Pelléas et Mélisande de Maeterlinck ou pour la Tempête de Shakespeare. De nos jours, les frais qu’entraîne la mobilisation d’un orchestre symphonique rendent cette forme de spectacle pratiquement irréalisable. La musique de scène subsiste toutefois, ramenée à des proportions plus modestes, avec la participation d’ensembles instrumentaux réduits qui sont généralement enregistrés sur bande. SCHACHT (Theodor, baron von), pianiste, chef d’orchestre et compositeur allemand (Strasbourg 1748 - Ratisbonne 1823). Élève de Jomelli à Stuttgart, il fut attaché à partir de 1771 à la cour des Thurn und Taxis à Ratisbonne, et en dirigea la musique de 1773 à 1805. De 1805 à 1812, il vécut à Vienne, où en 1809 Napoléon lui commanda six messes. Il écrivit environ 25 symphonies, des concertos (en particulier pour clarinette), de la musique de chambre. Il falsifia les archives Thurn und Taxis, attribuant à divers compositeurs, par jalousie envers son collègue Pokorny, de nombreuses symphonies composées en réalité par ce dernier. SCHAEFFER (Pierre), compositeur français (Nancy 1910 - Les Milles, près d’Aix-

en-Provence, 1995). On le connaît d’abord comme le « père de la musique concrète », mais c’est aussi un excellent écrivain, un pionnier et un vétéran de la radio, le fondateur et le directeur de nombreux services, dont le Service de la recherche de l’O. R. T. F., qu’il anima de 1960 à 1975. Enfin c’est un penseur et un chercheur, dont la réflexion s’est appliquée à la communication audiovisuelle (Machines à communiquer), mais surtout à la musique : son oeuvre théorique, dans ce domaine, est aussi importante que sa production réduite. Sorti de l’École polytechnique en 1934, Pierre Schaeffer entre à la Radiodiffusion française, où il crée en 1944 un Studio d’essai voué à la formation et à l’expérimentation radiophonique. C’est dans ce studio qu’en 1948 sa curiosité l’amène à « inventer » la musique concrète par des tâtonnements successifs qu’il a racontés avec humour (À la recherche d’une downloadModeText.vue.download 893 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 887 musique concrète). Déjà il se préoccupe de trouver des bases perceptives et une méthode à la fois empirique et rigoureuse pour faire progresser une musique dont l’incongruité le fascine et lui fait horreur tout à la fois. Son ambivalence profonde par rapport à cette musique nouvelle qu’il a inventée sera une des marques dominantes de sa création et de sa pensée. Rejoint par le jeune Pierre Henry en 1949, il en fait son collaborateur et compose avec lui plusieurs oeuvres, dont la fameuse Symphonie pour un homme seul (1949-50), qui s’impose comme le premier classique du genre. En 1951, il fonde au sein de la Radiodiffusion française le Groupe de musique concrète, qui devient en 1958 le Groupe de recherches musicales, nom qu’il a conservé depuis. Le G. R. M. est d’abord mobilisé sur une recherche collective autour des hypothèses de son fondateur : définition d’un « solfège expérimental » de l’univers sonore, basé sur l’écoute, et remise en question de ces notions faussement évidentes que sont la musique, l’écoute, le timbre, le son, etc. Le monumental Traité des objets musicaux,

publié en 1966 par Pierre Schaeffer, dresse le bilan considérable de cette recherche. Après quoi, son auteur laisse la direction du G. R. M. à François Bayle, et se consacre principalement à l’animation du Service de la recherche, qu’il a fondé en 1960 et qui l’occupera jusqu’en 1975, date du démantèlement officiel de l’O. R. T. F., où il est relevé de son poste, et où ce Service de la recherche disparaît pour laisser la place à un Institut national de l’audiovisuel. Après la publication de son Traité, il ne délaisse pas l’expérience musicale : comme « professeur associé », il assure, à partir de 1968, un séminaire sur la musique expérimentale au Conservatoire de musique de Paris, dans le cadre d’un enseignement organisé par le G. R. M. Dans de nombreuses conférences, publications, etc., il prolonge les thèses de son Traité. La production musicale de Pierre Schaeffer, exclusivement électroacoustique, est constituée d’un nombre réduit d’oeuvres, réalisées sur des périodes courtes. Une première série est celle des « primitifs » de la musique concrète, les Études de bruits de 1948 (Étude violette, aux chemins de fer, aux tourniquets, pathétique), brèves pièces demeurées aussi fraîches et attachantes qu’au premier jour, la dernière étant de toutes la plus réussie. La Flûte mexicaine (1949) et l’Oiseau RAI (1950) sont de petites « pièces de genre » sans prétention, cependant que la curieuse Suite 14 (1949) est une tentative désespérée pour réintégrer l’ancienne musique (avec notes et instruments) dans la nouvelle. Le manque de sérieux apparent, le surréalisme sans prétention et les titres cocasses de ces oeuvres firent scandale auprès des musiciens sériels, qui ne badinaient pas avec ce genre de chose à cette époque. Elles utilisent beaucoup le « sillon fermé », équivalent au disque de la « boucle » de magnétophone : c’est sur des disques souples, en effet, qu’ont été réalisées jusqu’en 1951 environ les premières musiques concrètes. Une deuxième série est celle des oeuvres composées en collaboration avec Pierre Henry. Outre le bref Bidule en « ut » (1950), elle comprend deux pièces plus longues et ambitieuses : la Symphonie pour un homme seul (1949-50) et l’opéra concret Orphée

51 (1951, remanié plusieurs fois), dont Schaeffer écrivit le livret. Ces deux oeuvres expressionnistes lui doivent leur ton très particulier, grinçant et nostalgique. Elles rappellent aussi que Schaeffer fut un grand « homme de radio ». L’association provocante, dans Orphée, du chant classique et de la bande magnétique fit scandale à Donaueschingen comme un crime de lèse-avant-garde. La troisième série, quelques années plus tard, prend le contrepied des deux premières et cherche à créer une musique concrète purement « musicale », sans effets surréalistes et anecdotiques, se fondant seulement sur les qualités intrinsèques des sons - celles-là mêmes que le « solfège expérimental » entrepris par l’auteur cherche à définir et à classer. Elle est constituée de trois Études (l’auteur affectionne cette formule, et ce terme) : l’Étude aux allures (1958), l’Étude aux sons animés (1958), toutes deux très réussies, et surtout l’Étude aux objets (1959), le chefd’oeuvre de son auteur. Cette pièce utilise un nombre limité d’« objets sonores », qu’elle assemble de cinq manières différentes en cinq mouvements très contrastés. Elle a la poésie d’une belle prose bien cadencée, mais aussi des caprices, des trouvailles, des coups de folie inattendus. Son influence est notable chez de nombreux compositeurs de musique concrète et, en général, électroacoustique. En 1960, Pierre Schaeffer cesse de composer, estimant que la musique a plus besoin de « chercheurs » que d’« auteurs ». Mais sa mise en disponibilité, en 1975, lui redonne du temps libre pour réaliser, avec l’assistance de Bernard Dürr, une série de pièces à base de sons électroniques (qu’il emploie pour la première fois), baptisée le Trièdre fertile. Les quinze années passées sans composer ont été largement occupées par la musique, et d’abord par le Traité des objets musicaux. Le « T. O. M. », comme disent ses familiers, est un monument encore mal connu, et il bouscule trop d’idées toutes faites pour être facilement accepté. Il se présente comme un travail interdisciplinaire, et la musique y est envisagée comme un art-carrefour, où se rencontrent la linguistique, la psychoacoustique, la phénoménologie, etc. Énumérons pêle-mêle quelques-uns des jalons révo-

lutionnaires que cet ouvrage pose pour une nouvelle musique : distinction des « quatre écoutes » (écouter, ouïr, entendre, comprendre) et analyse de ce « circuit de la communication musicale » en quatre secteurs ; définitions complémentaires de « l’objet sonore » et de « l’écoute réduite », deux notions clés introduites par Schaeffer ; dialectique perceptive de « l’objet » et de la « structure « ; critique des notions classiques de timbre et de paramètres qui prétendent décrire, pour les manier, les phénomènes sonores, et contre-proposition, en retour, de sept critères perceptifs principaux, perçus dans le triple « champ perceptif » naturel de l’oreille ; tout cela pour en arriver à un vaste programme de recherche musicale, dont le Traité se présente comme le préambule. Le « T. O. M. » illustre notamment cette double thèse : la musique est faite pour être entendue (ce qui récuse toute conception à priori de la composition sur le papier, négligeant le fait perceptif) ; la musique est double : culturelle, certes, comme tout le monde l’admet, mais aussi naturelle, c’est-à-dire s’appuyant sur des propriétés perceptives naturelles de l’oreille (phénomène d’octave, par exemple) que respectent les musiques traditionnelles, et que les recherches contemporaines ne peuvent ignorer impunément. On comprend mieux la relative impopularité du Traité des objets musicaux. Non qu’il se présente comme une nouvelle bible de la musique moderne, mais plutôt comme un questionnement, que bien peu ont encore osé aborder en face. C’est la rigueur, la profondeur et la très grande honnêteté de ce questionnement qui font de Schaeffer un homme aussi important pour la musique par son travail de chercheur que par sa production réduite de compositeur : paru en 1966, le Traité s’est d’ailleurs révélé prophétique, bon nombre de ses thèses ayant été confirmées depuis par des expériences menées avec l’aide de l’ordinateur. Passionnante figure que celle de Pierre Schaeffer, rare et même unique dans une avant-garde musicale qui cultive plutôt un optimisme progressiste sans nuances. Les scrupules, les questions, le scepticisme de cet « homme seul », dans un concert si unanime, apportent une dissonance nécessaire et vitale.

SCHAEFFNER (André), ethnologue et musicologue français (Paris 1895 - id. 1980). Élève de S. Reinach à l’école du Louvre, de Vincent d’Indy à la Schola cantorum, de M. Mauss à l’École des hautes études, il a reçu une formation des plus complètes grâce à laquelle il a pu mener à bien des travaux très variés. Son ouvrage downloadModeText.vue.download 894 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 888 sur Stravinski, ses études sur Debussy, sont remarquables. Mais c’est principalement dans le domaine de l’ethnologie musicale, dont il a été l’introducteur en France, qu’André Schaeffner a acquis une réputation qui dépasse nos frontières. Il a fondé en 1929, au musée de l’Homme, un département d’ethnomusicologie et a été chargé de plusieurs missions scientifiques en Afrique. Il a dirigé la 3e édition française du Dictionnaire de Riemann (1931). Entre 1958 et 1961, il fut président de la Société française de musicologie. PRINCIPAUX ÉCRITS. Le Jazz, en collaboration avec A. Coeuroy (1926) ; I. Stravinski (Paris, 1931) ; Origine des instruments de musique (Paris, 1936, rééd. 1967) ; les Kissi, une société noire et ses instruments (Paris, 1951). ÉDITION. F. Nietzsche. Lettres à Peter Gast (Monaco, 1957) ; Segalen et Debussy, avec A. JolySegalen (Monaco, 1961) ; Debussy et ses rapports avec la musique russe (in Musique russe, I, 1953) ; Au fil des esquisses du Sacre du printemps (Revue de musicologie, tome 57, 1971, no 2). SCHÄFFER (Boguslaw), compositeur et théoricien polonais (Lvov 1929). Il fit ses études de violon, puis de composition, avec A. Malawski à Cracovie, obtint son diplôme de musicologie à l’université de Cracovie en 1953, et, depuis 1963, est titulaire de la chaire de composition à l’École supérieure de musique de cette ville. Il commença sa carrière comme théoricien de la musique nouvelle, pu-

bliant en 1958 un ouvrage intitulé la Musique nouvelle. Problèmes de la technique de composition contemporaine, et assumant les fonctions de rédacteur en chef de la revue Ruch Muzyczny. Auteur en 1953 de la première oeuvre dodécaphonique polonaise (Musique pour cordes : Nocturne), il écrivit d’abord une série d’oeuvres encore relativement « classiques » comme Quattro Movimenti pour piano et orchestre (1957), Tertium datur pour clavecin et instrument (1958) et Monosonata pour vingtquatre instruments à cordes (1959), puis élargit ses préoccupations en direction des rapports de la musique à des phénomènes tels que l’image, le graphisme, l’espace, la gestique. À partir de 1963, il composa une série de pièces de théâtre musical où l’action scénique ainsi que le jeu instrumental assument un rôle aussi fondamental que le résultat sonore lui-même : ainsi Tis-Mw2 (1962-63), composé à l’intention de l’ensemble Mw2 de Cracovie pour un acteur, un mime et une ballerine accompagnés de deux pianos, une chanteuse, une flûte et un violoncelle, ou encore Out of Tune pour soprano et violoncelle (1972). Il explora aussi le happening, avec notamment Non-Stop pour piano (1960), Expressive Aspects pour flûte et soprano (1963), Creative Act (1968), ou Negative Music pour n’importe quel instrument (1972). Ses « musiques d’action » comme Quartet SG pour ensemble de musiciens (1968) ou Synectics pour trois exécutants (1970) se situent entre le voir et l’entendre, et, d’une façon générale, sa démarche rejoint la signification toujours donnée par John Cage à la notion d’expérimental. Il s’est en outre intéressé à l’écriture musicale et aux partitions graphiques, par exemple dans Free Form no 1 (1972), à l’électroacoustique, comme dans Synthistory : Electronic Music (1973), et au jazz (Blues no 2 pour ensemble instrumental, 1973). Citons encore Missa elettronica pour choeur de garçons et bande (1975), Heideggeriana pour ensemble (1979), Autogenic Composition pour soprano, flûte, violoncelle, piano et quatre acteurs (1980), Cinq Introductions et Un épilogue pour petit orchestre de chambre (1981), et l’ouvrage théorique Introduction à la composition (1976).

SCHALK (Franz), chef d’orchestre autrichien (Vienne 1863 - Edlach 1931). Il fut au conservatoire de Vienne l’élève de Hellmesberger (violon), Epstein (piano), mais surtout de Bruckner (composition). Après avoir été chef d’orchestre à Graz, à Prague, à Berlin, et avoir été invité à Londres et à New York, il fut nommé en 1900 à l’Opéra de Vienne. De 1919 à 1924, il en fut le directeur, conjointement avec Richard Strauss, puis directeur en titre jusqu’en 1929. Il y dirigea en 1919 la création de la Femme sans ombre de Strauss. Avec son frère Josef (Vienne 1857 - id. 1900), il s’était appliqué à faire connaître les symphonies de Bruckner, mais en leur ayant fait subir certains remaniements injustifiables. SCHAT (Peter), compositeur néerlandais (Utrecht 1935). Élève de Kees Van Baaren au conservatoire de sa ville natale, il étudia aussi avec Matyas Seiber à Londres et Pierre Boulez à Bâle. D’abord influencé par Stravinski et par les quatuors de Bartók, il se tourna ensuite vers Webern et Stockhausen, et devint un des principaux chefs de file de l’avant-garde de son pays. Son Septuor (1957), conçu selon la technique dodécaphonique, attira l’attention par ses qualités formelles et sonores. Suivirent notamment Mozaiken pour orchestre (1959), Signalement pour six percussions et trois contrebasses (1961), et l’opéra Labyrinth (1961-62), créé sous la direction de Bruno Maderna en 1966. En 1969, il joua le rôle essentiel dans la conception et la réalisation de l’opéra collectif Reconstruction. Lié depuis 1967 au Studio de musique électroinstrumentale d’Amsterdam, ce qui devait se refléter dans un certain nombre d’oeuvres dont Thema pour hautbois solo, dix-huit vents, quatre guitares électriques et orgue électrique (1970), et To You (1972), il fonda en 1973 le Cirque électrique d’Amsterdam, groupe pour lequel il composa Het vijde seizoen, pièce de théâtre musical (1973). Le circus-opéra Houdini (composé en 1974-1976, créé en 1977) donna naissance, entre autres, à la Houdini symfonie pour solistes, choeurs et orchestre (1976), et au ballet I am Houdini pour ténor, choeur et deux pianos (1976). Citons encore une Symphonie no 1 (1978, rév. 1979), et Aap verslaat de Knekelgeest

pour cinq chanteurs et douze instrumentistes (Amsterdam, 1980). SCHEIBE (Johann Adolph), compositeur et théoricien allemand (Leipzig 1708 Copenhague 1776). Ce fils d’organiste dont la candidature fut refusée à la Nikolaikirche de Leipzig en 1729, J. S. Bach étant l’un des examinateurs, fonda une revue musicale hebdomadaire intitulée Der kritische Musicus (17381740), prit violemment à partie J. S. Bach, et défendit avec ardeur le style allemand contre les influences étrangères et notamment italiennes. Nommé en 1739 maître de chapelle du margrave de BrandebourgKulmbach, beau-frère de Christian VI de Danemark, il rejoignit Copenhague en 1740. Dès lors, son oeuvre se développe, dominé par ses cantates et surtout ses grands concerts de la Passion (Gottselige Gedanken bei dem Kreuze unseres Erlösers, 1742 ; Tränen der Sünder bei dem Kreuze ihrer Erlösers, 1746). En 1746, il est mis à la retraite, le nouveau roi Frederik V préférant l’opéra et les styles italien et français, et Scheibe ne réapparaît qu’en 1766 pour écrire une Passions Cantata pour les funérailles de Frederik. Scheibe rejette le style musical italien, il utilise avec simplicité l’arioso, attribue un rôle important à l’orchestre, et il apparaît comme une personnalité représentative de la période de transition entre les époques baroque et classique. La plupart de ses oeuvres musicales sont perdues. Sa critique de Bach, qui lui fut violemment reprochée par la postérité, à partir du XIXe siècle (Spitta) surtout, doit être replacée dans le contexte de l’époque. En fait, Scheibe fut un des principaux théoriciens de la musique dans l’Allemagne de son temps, et c’est comme « progressiste », comme annonciateur et propagateur, par ses idées, de la révolution mélodique et harmonique qui devait mener au classicisme viennois, que Scheibe trouva Bach, ce « grand homme », artificiel et confus. Pour lui, dont les écrits symbolisèrent la fin de l’âge baroque, le musicien le plus représentatif du temps était Telemann. downloadModeText.vue.download 895 sur 1085

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Très significative de son état d’esprit est la phrase suivante, écrite par lui en 1745 : « La mélodie est plus importante que l’harmonie, car elle est plus noble, c’est d’elle que dépend l’invention et c’est chez elle qu’il faut chercher les fondements de l’accompagnement harmonique. » SCHEIDT (Samuel), compositeur et organiste allemand (Halle 1587 - id. 1654). Issu d’une famille de musiciens, il fit ses études musicales auprès de Sweelinck, « le faiseur d’organistes », de 1605 à 1608 ou 1609. Sweelinck lui transmit son art de l’orgue, du contrepoint et l’héritage musical anglo-néerlandais. De retour à Halle en 1609, Scheidt y est organiste à l’église Saint-Maurice et à la cour de Brandebourg. Vers 1619, il devient maître de chapelle de Christian Wilhelm de Brandebourg et administrateur de l’archevêché de Magdebourg, mais continue à assurer ses fonctions à l’église de la cour à Halle. Sa renommée va croissant, grâce à la publication de ses premières oeuvres, mais les malheurs de la guerre de Trente Ans entraînent en 1625 la dissolution de la cour. En 1628, il est nommé director musices de la Marienkirche, toujours à Halle dont c’est la principale église. Mais en 1630, à la suite de différends, il perd ce poste qui avait été créé spécialement pour lui et vit alors des revenus que lui rapportent ses oeuvres publiées, et cela jusqu’au rétablissement de la cour, en 1642, et des protections princières dont il jouira jusqu’à sa mort. Son premier recueil d’oeuvres, les 39 Cantiones Sacrae a 8 vocum, paraît en 1620, suivi en 1621 et 1622 par les deux recueils de pièces diverses pour plusieurs voix avec accompagnement d’instruments publiées sous le titre de Concertus sacri. Il édite ensuite quatre volumes de Ludi musici (ou Ludorum musical), dont seul le deuxième nous est parvenu, puis les trois volumes de sa Tabulatura Nova (1624), recueils de pièces d’orgue contenant des variations, fantaisies, cantilènes, passamezzos, canons, toccatas, échos, psaumes, hymnes, un Magnificat et des paraphrases du Kyrie et du Credo. Viennent ensuite les quatre volumes des Geistliche Konzerte (« Concerts spirituels », 105 oeuvres vocales de deux à six voix avec basse continue et soutien facultatif d’instruments), respectivement en 1631, 1634, 1635 et

1640. En 1644, ce sont les LXX Symphonien auff Concerten manir (« 70 Préludes dans le mode concertant », dix pour chacune des sept tonalités), et enfin le Görlitzer Tabulaturbuch (« Livre de tablature de Görlitz », 100 harmonisations de chorals pour orgue ou instruments). Sous le titre des « 3 S », on a rangé Scheidt auprès de ses contemporains, nés à une année d’intervalle, Schütz et Schein. Mais son originalité tient au fait qu’il a su, tout en restant fidèle au choral ou à la mélodie qui servent de base à ses commentaires ou à ses variations, opérer une synthèse entre l’art des musiciens d’Allemagne du Nord, la technique du contrepoint et de la variation des Néerlandais et des Anglais, que lui avait enseignée Sweelinck, et le jeu concertant, comme la recherche de l’expressivité musicale des mots, propres à l’Italie et qu’avait pu lui transmettre l’encyclopédique Michael Praetorius. Lié d’amitié avec Praetorius, lui-même maître de chapelle à Halle, il avait d’ailleurs fondé avec lui et avec Schütz la Concert Music de la cathédrale de Magdebourg, en 1618. Grand fournisseur de musique spirituelle au moment où son pays, ravagé par la guerre de Trente Ans (1618-1648), connaît une exacerbation de sa pratique religieuse, il en fit évoluer le style depuis ses premières oeuvres à plusieurs choeurs jusqu’à ses Concerts spirituels. Là, un style contrapuntique rigoureux et fidèle à la tradition s’enrichit de l’apport expressif du madrigal et des instruments concertants, mais toujours dans le but très précis de servir les textes spirituels - attitude qui rapproche davantage Scheidt de Schütz que de Schein et en fait l’un des précurseurs de la cantate de choral. On retrouve ce même amour pour les anciennes règles léguées par la tradition dans son oeuvre instrumentale. Il est un héritier direct de Sweelinck pour la manière de varier un thème en l’enrichissant progressivement et pour la rigueur de sa polyphonie instrumentale. Mais il innove en empruntant au ricercar italien la construction contrapuntique sur plusieurs thèmes, ou en phrasant de façon plus variée, à l’imitation de la technique expressive du violon. De la sorte, il contribue à créer un style d’écriture spécifiquement instrumentale, bien différenciée de

la technique vocale, et un art de synthèse qui va profondément influencer ses successeurs jusqu’à Jean Sébastien Bach. Mais à la différence de ce que fera - génialement - ce dernier, Scheidt ne modifie jamais la ligne mélodique d’un choral, qui reste toujours lisible sous sa forme primitive dans les lignes de la polyphonie. SCHEIN (Johann Hermann), compositeur, maître de chapelle et poète allemand (Grünhain 1586 - Leipzig 1630). Il fit ses études à Dresde, à Pforta et à l’université de Leipzig. En 1609, un recueil de musique vocale et instrumentale qu’il fait paraître à Wittenberg sous le titre de Venus Kräntzlein révèle ses dons musicaux et décide de son orientation. Il sera successivement précepteur et directeur de la musique domestique au château de Weissenfels (1615-16), puis, de 1616 à sa mort en 1630, cantor de Saint-Thomas et director musices à Leipzig - les fonctions exactes qui seront celles de J. S. Bach un siècle plus tard. Dans ses oeuvres religieuses ou profanes, Schein se montre toujours résolument novateur, et, à ce titre, il influencera profondément ses contemporains et successeurs. Le caractère dominant de son style est d’emprunter à la musique italienne de nombreux traits d’écriture - harmonies, disposition du concert de solistes. Il trouve dans le madrigal l’écho de ses propres préoccupations : la primauté donnée au verbe et à l’expression contenue dans les mots, ce qui le mènera à abandonner parfois le support musical liturgique (thème de choral) de certaines de ses oeuvres. En cela, il poursuit le chemin ouvert par Praetorius et se montre le principal représentant allemand du premier âge baroque. Outre de nombreuses oeuvres publiées dans des recueils collectifs, Schein a fait éditer douze volumes de ses propres compositions. En musique religieuse, Cymbalum Sionum (Leipzig, 1615), Opella nova (2 recueils, Leipzig, 1618 et 1626), Israels Brünnlein (« la Fontaine d’Israël », madrigaux spirituels à 5 voix et basse continue, Leipzig, 1623) et Cantional (Leipzig, 1627). En musique profane, Venus Kräntzlein (pièces instrumentales et vocales, Wittenberg, 1609), Banchetto musicale (pièces instrumentales, Leipzig, 1617), Musica boscarecchia (vilanelles

concertantes à 3 voix et basse continue, 3 recueils, Leipzig, 1621, 1626 et 1628), Diletti pastorali (madrigaux allemands à 5 voix et basse continue, Leipzig, 1624) et Studenten Schmauss (Leipzig, 1626). SCHELLE (Johann), organiste et compositeur allemand (Giesing, Thuringe, 1648 - Leipzig 1701). Auteur essentiellement de musique sacrée, il devint en 1677 cantor de l’église Saint-Thomas de Leipzig, où son successeur fut son cousin Kuhnau, lui-même prédécesseur de Bach. SCHENK (Johann Baptist), compositeur et pédagogue autrichien (Wiener Neustadt 1753 - Vienne 1836). Élève de Wagenseil, il composa de la musique instrumentale, entre autres des symphonies qui lui valurent l’approbation de Haydn, mais obtint surtout le succès dans le genre du singspiel, en particulier avec Der Dorfbarbier (1796), joué jusqu’au XXe siècle. En 1793, pour compléter celles de Haydn, il donna des leçons à Beethoven. Son autobiographie, rédigée en 1830 et publiée dans une version condensée et modifiée en 1837, constitue cependant l’unique source de ses rapports avec ce dernier. downloadModeText.vue.download 896 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 890 SCHENKER (Heinrich), théoricien autrichien d’origine polonaise (Wisniowczki, Galicie, 1867 - Vienne 1935). Élève de Bruckner et ami de Brahms, qui l’encouragea comme compositeur, il se consacra à Vienne à l’enseignement en privé de la théorie et du piano, et à l’édition critique d’oeuvres classiques (J.-S. et C. P. E. Bach, Haendel, dernières sonates de Beethoven) fondée sur les sources les plus sûres, en particulier les autographes. Il compta parmi ses élèves Wilhelm Furtwängler et A. Van Hoboken, et c’est à son instigation que fut créé en 1927 à la Bibliothèque nationale de Vienne un département d’autographes et de manuscrits musicaux (Wiener Photogramm-Archiv für musikalische Meisterhandschriften) confié à O. E. Deutsch.

Ses analyses musicales, effectuées selon des méthodes que lui-même estimait ne pouvoir s’appliquer qu’aux chefs-d’oeuvre de la musique tonale de Bach à Brahms, et fondées notamment sur une conception originale de l’harmonie et du contrepoint, s’efforçaient de saisir l’oeuvre à tous les niveaux, et ont contribué de façon décisive au renouveau de cette discipline (cf. notamment celles de la symphonie en sol mineur K.550 de Mozart, ou de l’Héroïque de Beethoven). SCHERCHEN (Hermann), chef d’orchestre allemand (Berlin 1891 - Florence 1966). Autodidacte, il débute à seize ans comme altiste de l’orchestre Blüthner, avant d’entrer à l’Orchestre philharmonique de Berlin (1907-1910), où il fait à vingt ans ses premières armes de chef, dirigeant en Allemagne Pierrot lunaire qu’il a étudié avec Schönberg avant la création (1912). Nommé en 1914 chef de l’Orchestre symphonique de Riga, il est fait prisonnier de guerre par les Russes. De retour à Berlin en 1918, il y fonde la Neue Musikgesellschaft et son propre quatuor, lance un an plus tard son premier journal musical, Melos. Il dirige une chorale d’ouvriers (1920), enseigne la musique moderne à la Musikhochschule de Berlin, mène l’Orchestre Grotrian-Steinweg de Leipzig (1921) et celui de la Radio de Francfort (1923). Nommé directeur du Musikkollegium de Winterthur (1923) et directeur de la Radio de Königsberg (1928), il quitte l’Allemagne en 1933 pour la Belgique où il édite un nouveau journal, Musica Viva (1933-1936), puis pour la Suisse, où il dirige successivement l’Orchestre de RadioZurich et celui de Beromunster, et donne des cours de direction d’orchestre en été. Il crée en 1939 l’orchestre Ars Viva (et en 1950 les éditions du même nom). Après la guerre, il participe activement à l’avant-garde musicale par ses cours d’interprétation de Venise et de Darmstadt et par la création de son studio électroacoustique à Gravesano (1954), dont les recherches sont analysées dans ses Gravesaner Blätter (1956-1962). Ses élèves ont noms Hartmann, Maderna, Libermann, Nono, Goehr, Dallapiccola, Xenakis.

Des créations importantes ont jalonné sa carrière de chef : trois fragments de Wozzeck (1924) et le Vin de Berg (1934), Matka et Der Weg des Lebens de Haba (1930 et 1934), les Variations pour orchestre op. 30 de Webern, le Prisonnier de Dallapiccola (1950), Das Verhör des Lukullus de Dessau (1951), la Danse du Veau d’or de Moïse et Aaron (1951), le Roi cerf de Henze (1956), Terretektohr de Xenakis (1966). Clarté et énergie sont les maîtres mots pour définir les interprétations de Scherchen, jaillissantes et novatrices. Plus de cent vingt disques portent témoignage de ses goûts : Bach (il est sans doute le premier à avoir dirigé en concert à Paris l’Art de la fugue), Haydn (première intégrale des symphonies londoniennes), Haendel, Berlioz, Mahler, etc. Le compositeur laisse des lieder, des choeurs, un trio, une sonate pour piano, et le chef un livre essentiel sur l’art de la direction d’orchestre (Lehrbuch des Dirigierens, Leipzig, 1929). SCHERCHEN-HSIAO (Tona), compositrice suisse (Neuchâtel 1938). Fille de Hermann Scherchen et de la compositrice Hsiao Shu-sien, elle a passé à partir de 1949 dix années en Chine, où elle a pu approfondir la culture classique de ce pays, puis étudié à partir de 1960 avec Henze, Messiaen (1963-1965) et Ligeti (1966-67). Très imprégnée de poésie chinoise, très consciente d’avoir une perception du temps différente de celle des Occidentaux, elle n’a cependant jamais fait usage de la musique chinoise, et ses oeuvres sont exemptes de tout exotisme. Citons Shen pour six percussions ou percussions et orchestre (1968), Tzi pour choeur à seize voix a cappella (1969-70), Tao pour alto et orchestre (1971), VagueTao pour orchestre (1974-75), l’Invitation au voyage pour orchestre de chambre (1976-77), Ziguidor pour quintette à vent (1977), oeil de chat pour orchestre (197677), Loeo pour trombone et douze cordes (1978-79), Complainte du fou, musique électronique (1989), le Jeu de Pogo, film radiophonique imaginaire (1991). SCHERING (Arnold), musicologue allemand (Breslau 1877 - Berlin 1941). Violoniste de formation, il étudie plus particulièrement la musicologie à par-

tir de 1898 aux universités de Berlin, Munich, puis Leipzig (avec Kretschmar), où il soutient en 1902 sa thèse de doctorat (Geschichte des Instrumental-[Violin] Konzerts bis A. Vivaldi). Après sa seconde thèse sur les débuts de l’oratorio soutenue à Leipzig en 1907, il enseigne l’histoire de la musique au conservatoire de Leipzig à partir de 1909. Il succède à H. Abert à l’université de Halle en 1920, et, de 1928 à sa mort, est professeur de musicologie à l’université de Berlin. Il se préoccupe particulièrement de l’interprétation de la musique ancienne et bouleverse certaines notions établies, comme celle de l’exécution a cappella de la musique sacrée. Il développe ces problèmes dans Die niederländische Orgelmesse in Zeitalter der Josquin (1912), Studien zur Musikgeschichte der Frührenaissance (1914) et surtout Aufführungspraxis alter Musik (1931). Il édite parallèlement plusieurs oeuvres des maîtres allemands de la Renaissance et accorde une attention toute particulière à J.-S. Bach, surtout à sa période de Leipzig (J. S. Bachs leipziger Kirchenmusik, 1936 ; J. S. Bach und das Musikleben in Leipzigs im 18. Jh, 1941...), et à Beethoven (Beethoven und der deutsche Idealismus, 1921 ; Beethoven in neuer Deutung, 1934 ; Beethoven und die Dichtung, 1936 ; Zur Erkenntnis Beethovens, 1938 ; Humor, Heldentum, Tragik bei Beethoven, 1955). Il est, en outre, l’auteur d’une histoire de la musique célèbre et souvent rééditée : Geschichte der Musik in Beispielen (1931). SCHERZANDO. Terme italien indiquant un passage à exécuter « en plaisantant ». SCHERZO (ital. : « plaisanterie »). Au sens le plus courant, ce terme désigne un mouvement instrumental en général à 3/4 et de forme analogue à celle du menuet (avec trio central), mais plus rapide et léger, voire plus tendu, et doté fréquemment d’une force motrice considérable. Mais il apparut d’abord dans la musique vocale (les Scherzi musicali de Monteverdi sont légers de ton et modestes de facture). Bach n’utilisa le terme qu’une fois, dans l’avant-dernier mouvement, de caractère léger, de sa partita en la mineur BWV 827. Haydn appela « scherzos » ou « sche-

rzandos » les menuets de ses Quatuors russes op. 33, mais ces pages ne diffèrent parfois en rien de ses menuets habituels (l’exception la plus notable étant fournie par l’opus 33 no 5 en sol). Certains menuets des derniers quatuors de Haydn (op. 74 no 1, op. 76 nos 1, 4 et 6, op. 77 nos 1 et 2) ont un caractère de scherzo, mais c’est avec Beethoven et ses successeurs que son emploi se généralisa à la place (et parfois à côté) de celui du menuet, non seulement dans la musique de chambre ou de piano mais aussi à l’orchestre. Dans les symphonies de Beethoven, en particulier dans les nos 4, 7 et 9, le scherzo tend vers des dimensions considérables, pour équilibrer celles acquises par les autres mouvements, mais on ne trouve la dénomination proprement dite downloadModeText.vue.download 897 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 891 que dans les nos 2 et 3. À noter, cependant, que, dans les nos 4 et 7, les dimensions nouvelles sont atteintes essentiellement grâce à une double apparition du trio. La 8e symphonie est la seule à ne pas comporter de scherzo, mais son deuxième mouvement, à 2/4, en possède l’esprit (il est marqué allegretto scherzando) ; à ce mouvement succède un menuet. De fait, aux XIXe et XXe siècles, l’humour et la légèreté disparurent souvent du scherzo pour faire place à un sentiment tragique ou dramatique et se retrouver dans d’autres types de mouvement avec l’indication « scherzando » accolée à un tempo. Parmi les plus célèbres scherzos de la période romantique, citons les quatre de Chopin (pour piano), celui du Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn et celui de Roméo et Juliette (la reine Mab) de Berlioz. Brahms introduisit le scherzo dans son 2e concerto pour piano (op. 83), mais s’en dispensa dans ses symphonies nos 1 et 3, le remplaçant par des mouvements de tempo modéré et de caractère lyrique. Dans certaines symphonies « nationales » de la fin du XIXe siècle, le scherzo céda la place à des danses populaires (furiant dans la 6e symphonie de Dvořák), et Mahler eut souvent recours au ländler.

SCHIEDERMAIR (Ludwig), musicologue allemand (Ratisbonne 1876 - Bensberg, près de Cologne, 1957). Élève de Sandberger, il enseigna de 1915 à 1945 à Bonn, où il fonda en 1927, puis dirigea les Archives Beethoven. Il édita les lettres de Mozart, et publia un ouvrage important sur la jeunesse de Beethoven (Der junge Beethoven, 1925, rév. 1939). SCHIFF (Andras), pianiste hongrois naturalisé autrichien (Budapest 1953). Sa famille se réfugie à Londres en 1956. Il y étudie auprès de G. Malcolm. 1er Prix du Concours des jeunes talents de la télévision hongroise en 1968, il entre à l’Académie Franz-Liszt de Budapest et travaille avec P. Kadosa et F. Rados. En 1974, il est lauréat du Concours Tchaïkovski et, un an plus tard, de celui de Leeds, inaugurant ainsi une carrière qui fait une large part au répertoire romantique germanique ainsi qu’aux oeuvres de Bartók et de Bach. En 1979, il s’installe à Salzbourg, prend la nationalité autrichienne en 1987 et fonde les Musiktage de Mondsee. Il se produit comme accompagnateur de lieder, aux côtés de D. Fischer-Dieskau et de P. Schreier, et en musique de chambre. Il joue également du pianoforte. SCHIKANEDER (Emanuel), directeur de théâtre, acteur, chanteur et compositeur autrichien d’origine allemande (Straubing, près de Ratisbonne, 1751 - Vienne 1812). Il étudia au collège des jésuites de Ratisbonne, et passa plusieurs années comme acteur et directeur de troupes ambulantes (en 1780, il séjourna à Salzbourg, où il connut la famille Mozart). En novembre 1783, il s’installa pour quinze mois au théâtre de la Porte de Carinthie à Vienne, où il donna notamment La Fedeltà premiata de Haydn. Il travailla ensuite à Ratisbonne chez le prince de Thurn et Taxis, et en 1789 obtint un privilège pour le Theater auf der Wieden à Vienne, où fut créée deux ans plus tard (avec lui-même dans le rôle de Papageno) la Flûte enchantée de Mozart, oeuvre dont il avait écrit le livret. Il abandonna la direction de cet établissement en 1799, mais en conserva la responsabilité artistique jusqu’à sa fermeture (12 juin 1801). Le lendemain, Schikaneder inaugura le nouveau Theater an

der Wien, faisant ainsi usage d’une licence qu’il avait obtenue quinze ans auparavant. Il resta à la tête de l’établissement jusqu’en 1806, non sans avoir fait appel à Beethoven pour des projets d’opéras. Il dirigea ensuite le théâtre de Brünn (Brno). Il joua un rôle de premier plan dans la vie théâtrale en Autriche et en Allemagne du Sud, et écrivit lui-même plus de 50 pièces (dont une dizaine avec musique) et à peu près autant de livrets d’opéras et de singspiels. Ses frères Urban (Ratisbonne 1746 - Vienne 1818) et Karl (Freising 1770 Prague 1845), et sa nièce Anna ( ? 1767 Ratisbonne 1862), fille d’Urban, furent également actifs dans le monde du théâtre. Anna chanta le premier des trois Garçons lors de la création de la Flûte enchantée. SCHILLER (Friedrich von), écrivain allemand (Marbach 1759 - Weimar 1805). Brimé par une famille obstinément autoritaire, il détourna sa révolte en se plongeant dans les livres. Sa fréquentation de Shakespeare, Goethe, Klopstock et Leibniz l’incita très tôt à se tourner vers le théâtre, pour y exprimer à la fois sa violente jeunesse et ses croyances toutes neuves en l’harmonie universelle. En témoigne sa première pièce, les Brigands, créée en 1872 avec un succès éclatant. Pièce politique, les Brigands mettent en scène le héros type de Schiller : un jeune homme en rébellion contre l’ordre, mais qui pressent intimement que son combat est désespéré. Suivirent la Conjuration de Fiesque (1873) et Intrigue et Amour (1784, mieux connu sous son titre allemand Kabale und Liebe, ou par l’opéra que Verdi en tira, Luisa Miller). En 1785, Schiller vient s’installer à Leipzig chez un de ses admirateurs, Körner. C’est de cette année que date l’Hymne à la joie (appelé aussi Hymne de Gohlis), sur lequel Beethoven composera le 4e mouvement de sa 9e Symphonie. Très inspiré par l’Aufklärung et par les idées de liberté, de droits de l’homme, qui commençaient à secouer l’Europe intellectuelle, il écrit Don Carlos, ce même Don Carlos où Verdi, encore lui, puisera le sujet de son Don Carlo. L’intérêt de Verdi pour Schiller s’explique sans doute, par-delà le goût pour un certain pathos, par la situation politique que connaissait l’Italie à l’époque. Parallèlement au théâtre, Schiller rédige plusieurs ouvrages d’esthétique, puis se lie d’amitié avec Goethe. Il évolue alors considérablement, se déclare déçu par son idéalisme

(ce que le héros des Brigands annonçait déjà, en dénonçant la médiocrité de ses compagnons), et s’avoue degoûté par l’exécution de Louis XVI. Portent témoignage de ce revirement la trilogie Wallenstein (1796-1799), qui inspirera ( ?) d’Indy, Marie Stuart, tragédie classique de belle facture (1799-1800), la Fiancée de Messine (1803), tentative quelque peu ratée d’adapter Sophocle (Schumann en écrira une ouverture) et la Pucelle d’Orléans (1801). Cette vision fort contestable de Jeanne d’Arc sera reprise par Verdi et Tchaïkovski ; Schiller y développe, pour la première fois, l’idée de nation, qu’il traitera bien mieux dans Guillaume Tell (1804), dernier de ses drames achevés, et que Rossini immortalisera. La poésie de Schiller a également inspiré des auteurs de lieder, et parmi eux Schubert (31 lieder), ce dernier faisant toutefois preuve d’une certaine timidité à l’égard du style de l’écrivain. SCHILLINGER (Joseph), théoricien, acousticien et compositeur américain d’origine russe (Kharkov, Ukraine, 1895 New York 1943). Il fit ses études à Saint-Pétersbourg. Professeur à Kharkov (1918-1922) et chef d’orchestre, il devint compositeur pour le Théâtre académique d’État de Leningrad (1925-1928). Il se fixa aux États-Unis en 1928, où il fut professeur à la New School for Social Research et au Teacher’s College of Columbia (New York). Il eut notamment comme élèves Oscar Levant, Mark Warnow, Benny Goodman et Gershwin, qui lui demanda de superviser la composition de Porgy and Bess. Ses théories, rigoureusement scientifiques, sur le processus créateur, visaient à systématiser les procédés et à reprendre mathématiquement la démarche des grands créateurs. Schillinger avait déjà conseillé Theremin, en 1925, pour la construction de l’oscillateur et du rythmicon, et il fut l’un des premiers à écrire pour les instruments électroacoustiques (First Airphonic Suite). En dehors de ses oeuvres personnelles, ses ouvrages théoriques ont eu une certaine influence sur les compositeurs de l’entre-deuxguerres. Comme compositeur, il a laissé notamment quelques pages orchestrales. downloadModeText.vue.download 898 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE

892 SCHILLINGS (Max von), compositeur et chef d’orchestre allemand (Düren 1868 Berlin 1933). Il étudia à Bonn et à Munich, où sa rencontre avec Richard Strauss le décida à se consacrer à la musique. En 1892, il devint assistant et, en 1902, chef de choeur au Théâtre de Bayreuth. Ses trois premiers opéras, Ingwelde (1894), Der Pfeifertag (1899) et Moloch (1906), portent la marque du wagnérisme et ont été comparés respectivement à la Tétralogie, aux Maîtres chanteurs et à Parsifal. Nommé professeur en 1903, il eut Furtwängler parmi ses élèves. En 1908, il devint directeur musical du Théâtre de Stuttgart, où fut représenté en 1915 son dernier opéra, Mona Lisa. De 1919 à 1925, il fut intendant de l’Opéra de Berlin. Il passa ensuite plusieurs années en tournées à travers l’Europe et les ÉtatsUnis. En 1932, il fut nommé président de la Société des compositeurs allemands. Outre ses quatre opéras, il composa plusieurs mélodrames, dont Kassandra sur un texte de Schiller, de nombreux lieder, les fantaisies symphoniques Meergruss et Seemorgen (1895), un concerto pour violon (1910) et de la musique de chambre. SCHINDLER (Anton Felix), violoniste, chef d’orchestre, compositeur et musicographe allemand (Meedl, Moravie, 1798 - Francfort-sur-le-Main 1864). Ayant travaillé le violon dans son enfance, il vint à Vienne en 1813 pour y faire des études de droit. Il y fit la connaissance de Beethoven, et devint, à partir de 1816, son secrétaire bénévole et son homme à tout faire, ce qui l’incita à se consacrer entièrement à la musique. En 1822, il fut premier violon au Josephstadttheater, et en 1825 chef d’orchestre au Kärtnerthor-Theater. Une brouille le sépara de Beethoven pendant deux ans (1824-1826), le compositeur l’ayant accusé à tort d’avoir détourné une partie de la recette lors de la création de la 9e Symphonie. Néanmoins, dans les derniers mois de la vie de Beethoven, Schindler retrouva sa place auprès de lui. Se trouvant en possession de nombreuses lettres, et surtout de près de 400 cahiers de conversation, il en détruisit plus de la moitié pour des raisons personnelles, et en falsifia d’autres. Toute sa vie, il se prévalut de son intimité avec Beethoven, et écrivit sa biographie (1840 ; 3e rééd. rév. en 1860 ;

plusieurs rééd. posthumes), qui reste un document de base, en dépit de certaines erreurs, surtout sur la première partie de la vie de Beethoven, sur laquelle Schindler ne possédait que des témoignages verbaux. Il fut directeur musical à Münster (1831), puis à Aix-la-Chapelle (1835-1840), avant de s’installer à Francfort en 1848. SCHIPA (Tito), ténor italien (Lecce 1889 New York 1965). Il commença sa carrière en composant des mélodies. Il étudia le chant à Milan et débuta dans Alfredo de La Traviata à Vercelli en 1910. En 1915, Toscanini lui fit chanter Fenton dans ses fameuses représentations de Falstaff. En 1917, il créa le rôle de Ruggero dans la Rondine de Puccini. Entre 1920 et 1935, il mena une grande carrière de théâtre aux ÉtatsUnis (New York, Chicago, San Francisco) et chanta en récital jusqu’à sa mort à peu près partout dans le monde. Sa technique vocale était parfaite et son style impeccable avec un phrasé exceptionnellement élégant. Une diction, un goût musical admirable contribuèrent à faire de Tito Schipa un des plus grands artistes lyriques du XXe siècle. Sa voix n’était ni grande ni longue, mais il savait la colorer avec beaucoup de diversité et parvenait à triompher dans des rôles pour lesquels il n’avait ni les notes ni la vaillance. SCHIRMER. Maison d’éditions musicales américaine, fondée au XIXe siècle par le Saxon Gustav Schirmer (1829-1893). Après avoir travaillé comme marchand de musique chez Kerksieg et Breusing, Schirmer prit la direction de la maison en 1854, s’associa en 1861 avec Bernard Beer, avant de devenir seul propriétaire en 1866, date à laquelle il donna son nom à l’entreprise (G. Schirmer, Music Publishers, Importers and Dealers). Après lui, la maison fut dirigée par ses descendants, et, de 1929 à 1944, par Carl Engel. Parmi les grandes publications des éditions Schirmer, il faut citer la série Library of Musical Classics (à partir de 1892), la Collection of Opera Librettos (1911), le Baker’s Dictionary of Music (1900 ; 6e édit. 1978, sous la direction de N. Slonimski) et la revue musicale The Musical Quarterly (1915). Une partie importante de l’édition est naturellement réservée à la musique américaine, des

American Folk Song Series, consacrées à la musique populaire, aux compositeurs les plus éminents du XXe siècle, parmi lesquels A. Schönberg, E. Bloch, G. C. Menotti, S. Barber, Ch. Ives, L. Bernstein, P. Grainger, E. Carter. SCHLICK (Arnold), organiste et compositeur allemand ( ? v. 1445 - Heidelberg ? v. 1525). Aveugle, il fit sa carrière comme organiste en Allemagne et aux Pays-Bas, notamment à Heidelberg et à Torgau. Musicien réputé et recherché, ce fut lui qui joua au couronnement de l’empereur Maximilien Ier, et, sans doute, aussi de Charles Quint. Il fut aussi un remarquable connaisseur en facture d’orgues, comme l’attestent ses expertises à Strasbourg, à Spire, à Neustadt, etc., et son traité, le premier consacré à l’orgue, Spiegel der Orgelmacher und Organisten (« Miroir du facteur d’orgues et des organistes », Spire, 1511). Ses compositions pour orgue (psaumes et motets) et ses lieder polyphoniques, pour plusieurs voix avec ou sans partie de luth, ou pour luth seul, ont été publiés dans divers recueils, en tablatures. SCHLUSNUS (Heinrich), baryton allemand (Braubach 1888 - Francfort 1952). Il fit ses débuts à Hambourg en 1915 dans Lohengrin (rôle du hérault). Il entra à l’Opéra de Berlin en 1917 et y chanta jusqu’en 1951 avec toute la plénitude de ses moyens. Il se produisit aux États-Unis, dans les années 20, et il a laissé le souvenir d’un Wolfram incomparable dans Tannhäuser, au festival de Bayreuth, dans les années 30. Une partie importante de son activité théâtrale fut consacrée à la résurrection, en Allemagne, des opéras de Verdi entre les deux guerres. Il fut, en particulier, un des grands interprètes de Rigoletto au XXe siècle. En même temps Schlusnus était célèbre dans le domaine du lied qu’il défendit partout. Sa voix était admirable avec un timbre de la plus rare beauté que servait une technique de chant exemplaire. Sa musicalité expressive, son tempérament dramatique contribuèrent à faire de lui un artiste exceptionnel. SCHMELZER (Johann-Heinrich), compositeur autrichien ( ? v. 1623 - Prague 1680). Virtuose du violon, il fut musicien de

chambre de la chapelle impériale à Vienne, puis devint vice-maître de chapelle en 1671 et Kapellmeister en 1679. Élève d’Antonio Bertali, il publia dans le style italien un recueil de Sonates pour violon seul (1663-64). Compositeur surtout instrumental, il a beaucoup aidé, avec Biber, à l’épanouissement d’une école de violonistes, propre à l’Autriche et à l’Allemagne du Sud, et caractérisée par une riche écriture contrapuntique et le recours à la scordatura. Ses oeuvres principales, éditées de son vivant, sont le Sacroprofanus concentus musicus fidium aliorumque instrumentarum, treize sonates à plusieurs instruments (1662), Aria per il balletto a cavallo nella... festa Leopoldo I (1667), Duodena selectarum sonatarum applicata ad usum tam honesti fori quam devoti chori (1669), etc. Mais un grand nombre de partitions ont été conservées à l’état de manuscrit dans les bibliothèques de Vienne et d’Uppsala. On y relève de la musique d’église (vêpres, motets), une Messe (publiée par G. Adler en 1918 et marquée par les techniques vénitiennes) et, bien entendu, des pages instrumentales, comme des sonates en trio. Dans l’ensemble, Schmelzer a été peu marqué par le style de l’école lullyste, empruntant plutôt des éléments d’inspiradownloadModeText.vue.download 899 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 893 tion à l’Italie. Pour le fond comme pour la forme, il a joué un rôle important dans la diffusion de la suite instrumentale dans les provinces d’Allemagne du Sud et contribué à imposer une écriture violonistique privilégiant le chant et l’ornement mélodique. Enfin, à partir de 1672, il écrivit des musiques de ballet pour les opéras du répertoire viennois. SCHMIDT (Andreas), baryton allemand (Düsseldorf 1960). Il est l’élève d’Ingeborg Reichelt à Düsseldorf, et de Fischer-Dieskau à Berlin. En 1979, il se fait remarquer à Orange en remplaçant Ruggero Raimondi au pied levé dans le Requiem de Verdi. Depuis, il s’impose sur les plus grandes scènes du monde, dans Verdi mais aussi dans Mozart, Wagner et le répertoire français.

En 1991, il incarne le Comte des Noces de Figaro à Aix-en-Provence, et aborde au Metropolitan de New York Fidelio et Tannhaüser. Il accorde une place grandissante à la mélodie et au lied. SCHMIDT (Franz), violoncelliste, pédagogue et compositeur austro-hongrois (Poszonyi, ex-Presbourg, auj. Bratislava, 1874 - Perchtolsdorf, près de Vienne, 1939). Il fut au conservatoire de Vienne l’élève de Ferdinand Hellmesberger pour le violoncelle et de Robert Fuchs pour la composition. Mais son admiration juvénile allait à Anton Bruckner, dont il put suivre quelques leçons à l’université. Il entre en 1896 à l’orchestre de l’Opéra. Nommé en 1901 professeur de violoncelle au conservatoire, il laissera peu d’oeuvres pour son instrument, mais le traitera avec prédilection dans l’orchestre, lui confiant de longs solos, de même que dans la musique de chambre. Comme instrumentiste, il suit toute la carrière de Mahler à l’Opéra de Vienne, et c’est au cours de la tournée de la Philharmonie en 1900 à Paris qu’il recueille les sujets de ses deux futurs opéras : Notre-Dame, d’après Victor Hugo (terminé en 1904, créé seulement en 1913) ; et Fredigundis, écrit de 1916 à 1921 et créé à Berlin en décembre 1922. En 1911, Schmidt quitte la Philharmonie et en 1913 l’Opéra, pour ne conserver que son enseignement au conservatoire, où il est nommé directeur des études en 1925 ; il en deviendra bientôt le recteur (1927 à 1931). À ce titre, il donne en 1929 à Schönberg l’occasion d’y faire entendre ses oeuvres et tient lui-même le piano. Souffrant d’angine de poitrine, il subit en outre des chocs moraux terribles avec la démence de sa première épouse et la mort en couches, en 1932, de sa fille unique, et mourut en laissant inachevée sa cantate Deutsche Auferstehung - concession au régime nazi qui ne lui a pas encore été pardonnée par la postérité. Franz Schmidt demeure le plus important symphoniste autrichien après Bruckner et Mahler. Il s’inscrit surtout dans la descendance du premier, associant en une synthèse très personnelle cette influence à celle de Brahms. Sa printanière Symphonie no 1 en mi majeur lui valut dès 1902 le prix Beethoven ; mais c’est la Symphonie no 2 en mi bémol majeur, écrite de 1911 à 1913 et créée le 3 décembre 1913 par Franz

Schalk, qui demeure son chef-d’oeuvre spécifique et l’une des plus hautes manifestations de la grande tradition orchestrale après Mahler. Après l’intermède de la Symphonie no 3 en la majeur, hommage à Schubert, qui, en 1928, recueillit le prix autrichien du concours Columbia, la Symphonie no 4 en ut majeur, de 1933, est un douloureux thrène qui clôt la carrière du symphoniste par une innovation formelle remarquable, une structure unitaire où les divers mouvements, joués sans interruption, s’identifient aux épisodes successifs d’une unique forme sonate. Dans l’opéra également, les formes instrumentales sont mises en oeuvre par Franz Schmidt avant de l’être par Busoni, dans Doktor Faust, et par Berg, dans Wozzeck. Sa musique concertante avec piano fut entièrement écrite pour la main gauche seule, sur commande de Paul von Wittgenstein : Variations sur un thème de Beethoven et Concerto en mi bémol, auxquels il faut adjoindre les trois beaux Quintettes (1926 ; 1932 ; 1938), dont les deux derniers comportent une partie de clarinette. L’orgue est redevable à Franz Schmidt d’un « corpus » considérable, culminant en 1925 sur la Chaconne en ut dièse et qui se situe dans la mouvance directe de Max Reger. Enfin, l’oeuvre la plus célèbre de Franz Schmidt, et la seule vraiment connue à l’étranger, demeure l’oratorio le Livre aux sept sceaux, terminé en 1937 et créé à Vienne en 1938. SCHMIDT-GÖRG (Joseph), musicologue allemand (Rudinghausen, Westphalie, 1897 - Bonn 1981). Il étudia à Bonn avec Ludwig Schiedermair, et sa double formation de musicologue et de scientifique l’incita à se pencher sur les problèmes de l’acoustique. Il soutint en 1926 une thèse sur les messes de Clemens non Papa, et, en 1930, rédigea une thèse complémentaire sur le tempérament musical (Die Mitteltontemperatur). En 1927, il devint assistant du BeethovenArchiv, nouvellement créé à Bonn, et, en 1930, professeur d’acoustique, puis, en 1938, professeur de musicologie à l’université jusqu’à sa retraite en 1965. Ses travaux ont porté sur les sujets les plus divers : acoustique, musique du Moyen Âge (Musik der Gothik, 1946) et de la Renaissance (Nicolas Gombert, notamment, dont il publia l’oeuvre intégrale ; Rome, 1951-1975), et, naturellement, Beethoven.

Il devint directeur du Beethoven-Archiv en 1946 et éditeur des Veröffentlichungen des Beethovenhauses in Bonn (1951), ainsi que de la nouvelle édition complète des oeuvres du compositeur, cela jusqu’en 1972. Sur Beethoven, Schmidt-Görg a publié, notamment, Katalog der Handschriften des Beethoven-Hauses und Beethoven-Archivs Bonn (Bonn, 1935), Beethoven : dreizehn unbekannte Briefe an Josephine Gräfin Deym, geborene Brunsvik (Bonn, 1957) et Beethoven : die Geschichte seiner Familie (Bonn, 1964), et édité Des Bonner Bäckermeister Gottfried Fischer Aufzeichnung über Beethovens Jugend (Bonn et Munich, 1971). SCHMIDT-ISSERSTEDT (Hans), chef d’orchestre et compositeur allemand (Berlin 1900 - Hambourg 1973). Il étudia la composition à la Hochschule de Berlin avec F. Schreker, la philosophie et la musicologie aux universités de Berlin, de Heidelberg et de Münster. Il fut, successivement, chef d’orchestre aux Opéras de Wuppertal, de Rostock, de Darmstadt, à la Deutsche Musikbühne et à l’Opéra de Hambourg. En 1943-44, il dirigea ce dernier établissement. En 1945, il fut nommé à la tête de l’orchestre du Norddeutscher Rundfunk de Hambourg, et, de 1955 à 1964, à l’Orchestre philharmonique de Stockholm. Spécialiste de Mozart et de Beethoven, il fit également connaître les oeuvres du compositeur suédois Franz Berwald, et fut un propagandiste fervent de certains compositeurs contemporains, comme Hindemith et Stravinski. Schmidt-Isserstedt a composé une symphonie concertante, pour violon et alto, de la musique de chambre, l’opéra Hassan gewinnt et de la musique de scène. SCHMITT (Florent), compositeur français (Blamont, Meurthe-et-Moselle, 1870 - Neuilly-sur-Seine 1958). Il fait ses premières musicales à Nancy et entre, en 1889, au Conservatoire de Paris, où il a pour professeurs Théodore Dubois et Lavignac (harmonie), Gédalge (fugue), Massenet et Fauré (composition). En 1892, il rencontre Debussy et se lie avec Satie. Quatre ans de suite (1896-1899), il concourt sans succès pour le prix de Rome. En 1900, la cantate Sémiramis lui

ouvre enfin les portes de la villa Médicis. Pensionnaire indiscipliné, de 1901 à 1904, il séjourne à Rome le moins longtemps possible. Il visite l’Italie, l’Autriche, l’Allemagne, l’Espagne, la Grèce, la Turquie, la Suède, la Pologne, et trouve néanmoins le temps de composer. Schmitt met en chantier son Quintette, pour piano et cordes, et achève en octobre 1904 son Psaume XLVII. Le 27 décembre 1906, la première audition du Psaume XLVII est saluée comme un événement. downloadModeText.vue.download 900 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 894 Léon-Paul Fargue écrit qu’« un cratère de musique s’ouvre » et l’humoriste Willy proclame Florent Schmitt « vainqueur du Derby des Psaumes ». Autre événement : en 1907, la création de la Tragédie de Salomé, au Théâtre des Arts, par la danseuse Loïe Fuller. En 1908, le Quintette, pour piano et cordes, fait également une très forte impression. Dès lors, la réputation du compositeur est solidement établie, mais aucune des oeuvres qu’il écrira par la suite n’aura le même retentissement que celles de ses débuts. En 1924, le ballet le Petit Elfe Ferme-l’oeil est créé à l’OpéraComique. En 1932, Florent Schmitt se rend aux États-Unis et joue à Boston, sous la direction de Koussevitski, la Symphonie concertante pour piano et orchestre. En 1936, il est élu à l’Institut. En 1948, son Quatuor à cordes est créé au festival de Strasbourg. C’est à ce même festival que, le 15 juin 1958, Charles Münch crée la Deuxième Symphonie op. 137, ultime récompense d’une vie magnifiquement féconde. La générosité de l’inspiration mélodique, la sensualité du langage harmonique, la richesse de l’invention rythmique (particulièrement dans la Tragédie de Salomé), la virtuosité de l’écriture orchestrale et instrumentale (son Trio à cordes en est un exemple significatif), la maîtrise des formes sous une apparente liberté, l’abondance, voire la prodigalité, telles sont les composantes du style de ce musicien qui était un ennemi de la mièvrerie et de la préciosité, autant que du formalisme desséchant. Florent Schmitt avait une personnalité assez rude, que caractérisaient

l’indépendance et la franchise. Debussy, Stravinski, Schönberg n’ont eu sur lui aucune influence, bien qu’il ait connu parfaitement leurs oeuvres et les ait, à l’occasion, vigoureusement défendues. Il n’a jamais caché ses opinions, dussent-elles lui faire du tort. Humoriste à ses heures, s’amusant à donner à certaines de ses partitions des titres mystificateurs, il était foncièrement un romantique, et, si, par pudeur, il préférait parfois la boutade à la confidence, le ton de certaines de ses oeuvres ne trompe pas : son Petit Elfe Ferme-l’oeil révèle le poète de l’enfance et son Quatuor à cordes est d’une grande intériorité. SCHNABEL (Artur), pianiste et compositeur autrichien, naturalisé américain (Lipnik 1882 - Morschach, Suisse, 1951). Il étudie à Vienne, de 1889 à 1897, la théorie musicale avec Mandyczewski, et le piano avec Leschetizky qui l’oriente vers une conception plus musicale que virtuose de l’instrument, l’encourageant à jouer les sonates de Schubert, complètement négligées jusque-là. À Berlin, où il vit de 1900 à 1933, la rencontre de sa future épouse, Thérèse Behr, contralto renommée pour ses interprétations de lieder, le conforte dans cette voie : ils donneront ensemble en 1928 de véritables schubertiades, mêlant le piano et la voix. Schnabel a mené de front les carrières de soliste, de compositeur, de pédagogue et de chambriste, se voulant un musicien à part entière. Il joue avec Carl Flesch, Pablo Casals, Emanuel Feuermann, Pierre Fournier, Paul Hindemith, Bronislav Hubermann, William Primrose, Josef Szigeti, etc., et forme, en 1920, un trio avec Wittenberg et Hekking. Il enseigne, à partir de 1925, au sein de l’Académie de musique de Berlin. Clifford Curzon et Calude Frank figurent parmi ses élèves. Depuis son premier concert donné à l’âge de huit ans, l’interprète a constamment repris et approfondi l’étude de ses maîtres : Mozart, Schubert, Beethoven. À plusieurs reprises, il a donné en un cycle de concerts l’intégrale des 32 sonates de ce dernier, en 1927 et 1933 à Berlin, en 1934 à Londres, en 1936 à New York, et fut le premier à l’enregistrer dès 1932. Il quitte Berlin en 1933 pour Londres et Tremezzo (sur le lac de Côme), où il donne des cours d’été, avant d’émigrer en 1939 aux ÉtatsUnis. En butte à l’incompréhension du public (surtout manifeste lors de sa pre-

mière tournée en 1922) et des bureaux de concerts qui attendent de sa part une programmation plus conventionnelle, il délaisse la scène pour l’enseignement (de 1940 à 1945 à l’université de Michigan) et la composition, et rentre en Europe vivre ses dernières années. À l’image d’un toucher varié à l’infini, la subtile alchimie de ses interprétations, faisant fusionner les inconciliables, rigueur et liberté, réflexion et poésie, donne aux sonates ultimes de Beethoven et de Schubert un élan et un phrasé d’une intensité et d’une beauté constantes. C’est un art fait d’économie et de hardiesse, qui trouve son reflet dans l’oeuvre même de Schnabel, méconnue et attachante par ses recherches harmoniques, parallèles à celles d’un Schönberg (il a joué dans sa jeunesse sous sa direction Pierrot lunaire) : Trio à cordes (1925), Sonate pour violon (1935), Pièces pour piano (1937), Symphonie (1940), Rhapsodie pour orchestre (1948), quatuors à cordes, un concerto pour piano et le Duodecimet pour douze voix (1950). SCHNEBEL (Dieter), compositeur allemand (Lahr, Bade du Sud, 1930). Il compte parmi les plus importants des compositeurs postsériels. Après ses études musicales - piano chez W. Resch (19451949) et théorie et histoire de la musique chez E. Doflein à la Musikhochschule à Fribourg-en-Brisgau (1949-1952) - et l’obtention d’un diplôme de pédagogie musicale en 1952, il se consacra à la théologie protestante, à la philosophie et à la musicologie à l’université de Tübingen, tout en continuant son travail dans le domaine de la musique. Il découvrit Scriabine, Bartók, Berg et Stravinski, étudia les techniques de la deuxième école de Vienne (réalisant en 1952 une analyse musicologique importante des Variations op. 27 pour piano de Webern), et fréquenta les cours d’été à Darmstadt, où il rencontra Křenek, Nono, Boulez, Henze, mais aussi Adorno, ce qui l’amena à reconsidérer son travail de compositeur. En 1953, il écrivit Analysis, pour cordes et percussions, pièce où l’organisation sérielle des hauteurs est étroitement liée à la composition des timbres. Tout en prenant des leçons de piano à Stuttgart, il étudia la théologie de K. Barth et découvrit Hegel, Marx, Freud et Bloch, dont les positions idéologiques devaient fortement influencer ses recherches ultérieures. En

1955, il termina ses études de théologie et de musicologie (ces dernières avec un travail théorique sur la dynamique chez Schönberg), et commença en 1957 sa carrière de vicaire dans plusieurs villages du palatinat de Pfalz, puis de pasteur à Kaiserslautern (1957-1963) et de pasteur et professeur de théologie, philosophie et psychologie à Francfort (1968-1970) et à Münich (1970-1976). Depuis 1976, il vit à Berlin et enseigne la musique expérimentale et la musicologie à la Hochschule der Künste. Avec ses étudiants, il réalise des pièces contemporaines et des projets de composition collective (de Cage, Wolff, Schnebel, etc.). Ses travaux musicologiques récents sont consacrés à la musique de Bruckner, Janáček, Debussy, Satie, Varèse, Verdi, Ives et à la musique américaine contemporaine. Particulièrement intéressé, dans les années 50-60, par les recherches de Stockhausen, Schnebel étudia ses oeuvres et publia ses textes théoriques. La découverte de la musique et des théories de J. Cage vers la fin des années 50 fut également pour lui d’une importance capitale. Après l’extension des techniques vocales et la dissolution de la matière verbale dans des oeuvres d’inspiration sérielle comme dt 31.6 (1956-1958), pour 12 groupes vocaux, Das Urteil, d’après Kafka (1959), et Glossolalie (1959-60/1960-61), pour récitants et instrumentistes, il se sentit attiré par l’extension de la matière proprement musicale, par la modification de la pratique du concert et par la transformation du rôle des musiciens et du public. Des pièces comme Abfälle I (1960-1962), Réactions, pour un instrumentiste et public, Visible music I, pour un chef et un musicien, ou Modelle (Ausarbeitungen) [1961-1966], exercices dramatiques pour instrumentistes et chanteurs, cherchent à intégrer aux sons composés par l’auteur des matériaux sonores extérieurs (comme les bruits-sons produits par le public) ou les comportements gestuels-visuels des participants. L’utilisation du geste corporel comme matériau compositionnel downloadModeText.vue.download 901 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 895 transforme l’oeuvre musicale en pièce de théâtre musical. À cette époque, Schnebel

s’intéressa particulièrement à la recherche théâtrale de M. Kagel : d’où son livre M. Kagel - Musik, Theater, Film (Cologne, 1970). Poursuivant « l’expérience des limites », la musique de Schnebel explore toutes les possibilités matérielles du « faire « : les matières sonores, visuelles et gestuelles, la musique muette des corps, l’environnement sonore quotidien, les relations entre musiciens et public, la communication entre participants, l’insertion de l’expérience artistique dans la vie quotidienne, l’expérience individuelle de l’écoute-lecture. Ainsi, dans la série de compositions dénommée globalement Radiophonien (1970), qui comporte Hörfunk (1969-70) et No (1979-80), l’objet du travail compositionnel est l’écoute de la radio : les compositions utilisent des bruits-sons environnants, des fragments d’émissions parlées et des bruits-sons provenant des archives sonores de la radio, et mettent en relation des phénomènes acoustiques considérés habituellement comme incompatibles et étrangers à l’expérience artistique. L’intérêt pour la distribution spatiale des dispositifs sonores et visuels utilisés définit le propos théorique de la série de pièces intitulées globalement Räume (1963-1977) : Ki-no (1963-1967), musique de nuit pour projecteurs et auditeurs, MO-NO (1969), musique à lire, et Gehörgänge (1972), musique pour « des oreilles qui cherchent » (forschende Ohren), jouent avec les composantes sonore et visuelle de l’expérience artistique, mais aussi avec le paramètre « temps ». Conçues dans la lignée des musiques « silencieuses » de J. Cage, les réalisations de MO-NO et de Gehörgänge peuvent totalement supprimer le son et se dérouler dans des laps de temps variables. Les Produktionsprozesse (« processus de production ») se détournent de la notion d’oeuvre en tant qu’objet fini. La partition écrite ne se propose plus de fixer le résultat sonore définitif du jeu, mais de définir les instructions pour les actions qui produisent les sons-bruits et pour le déroulement global du processus (cf. Maulwerke, 1968-1974, pour organes d’articulation et appareils de reproduction ; ou Körpersprache, 1979-80, action musicale pour 3 à 9 exécutants). Les processus de production chez Schnebel sont souvent réalisables par des musiciens et par des non-musiciens. Ils visent non pas l’exécution « pour » un public passif, mais

l’activité artistique « avec » les autres (le Mitmachen, le « faire avec » [les autres], selon l’optique du philosophe de l’utopie E. Bloch). Schulmusik (1973), destinée à des élèves pas nécessairement musiciens, comporte apprentissage, exercices, expériences, transformations, improvisations, pièces, et cherche à éveiller la créativité des individus. Dans cet ordre d’idées, Schnebel forme en 1972 le groupe Neue Musik au lycée Oskar-von-Müller à Munich, et réalise avec lui de nombreux projets de composition collective tout en lui faisant interpréter un répertoire assez vaste de musique contemporaine. La série récente de compositions intitulée Bearbeitungen (1972-1980) relie le travail de Schnebel à la grande tradition classique et romantique : Webern-Variationen, pour ensemble instrumental variable (1972), Bach-Contrapuncti, pour voix (1972-1976), Schubert-Phantasie, pour grand orchestre (1977-78) et Wagner-Idyll, pour ensemble de chambre (1980) se proposent de mettre en valeur certaines particularités des oeuvres connues, en développant plus particulièrement le paramètre de la distribution spatiale de la matière sonore. En 1988 est créée à Berlin la Messe de Dahlem. Schnebel est enfin l’auteur de Denkbare Musik (« Musique imaginable », « Musique à penser » ou « Penser la musique », DuMont Schauberg, Köln, 1972), ouvrage regroupant ses travaux théoriques, de 1952 à 1972. SCHNEIDER (Alexander), violoniste russe naturalisé américain (Vilnius 1908 - New York 1993). Il est l’élève d’Adolph Rebner à Francfort, et hérite de l’école franco-belge de violon en étudiant avec Carl Flesch, élève de Martin Marsick. Violoniste d’orchestre, il est de 1933 à 1944 le second violon du Quatuor de Budapest, où son frère Misdra est violoncelliste. En 1938, il émigre aux États-Unis, où il réside à la Library of Congress de Washington, qui lui confie un stradivarius de 1699. En 1944, il crée et dirige le Dumbarton Oaks Orchestra, et rejoint le New York Piano Quartet de Horszowski. En 1950, avec le Quatuor Schneider, il entreprend une intégrale discographque des quatuors de Haydn, mais n’en enregistre que quarante-six. La même année, il joue en trio avec Istomin

et Casals, et en 1957 fonde avec ce dernier l’Orchestre et le Festival de Porto-Rico. De 1955 à 1967, il est à nouveau membre du Quatuor de Budapest, et fonde en 1972 les Brandenburg Players. À la fois soliste, chambriste et chef d’orchestre, il a animé plusieurs festivals en Amérique et en Israël. SCHNEIDER (Hortense), soprano française (Bordeaux 1833 - Paris 1920). Elle fait ses débuts à Agen à l’âge de vingt ans. Sa première apparition parisienne a lieu aux Bouffes-Parisiens, où elle interprète le Violoneux d’Offenbach ; elle se produit dans les années qui suivent dans les opéras-comiques en vogue à l’époque, surtout ceux d’Offenbach. Créatrice du rôle-titre de la Belle Hélène en 1864, de celui de la Grande-Duchesse de Gérolstein en 1867, elle connaît un très grand succès. Après la guerre de 1870, elle chante aussi à Saint-Pétersbourg. Dotée d’une personnalité volcanique et d’une vie privée un peu trop agitée au goût de ses contemporains, elle conquiert le public par la qualité de sa diction et de son chant et un grand talent dramatique. SCHNEIDERHAN (Wolfgang), violoniste autrichien (Vienne 1915). Enfant prodige, il donne son premier concert à cinq ans avant de suivre en 1923 l’enseignement de Otakar Ševčik aux cours d’été de Pisek et celui de Julius Winkler à Vienne. Premier violon de l’Orchestre symphonique de Vienne (1933-1937), puis de la Philharmonie (1937-1951), il fonde son propre quatuor (1937-1951) et crée un trio avec Edwin Fischer et Enrico Mainardi (1949-1960). En 1951, il abandonne orchestre et quatuor pour se consacrer à la carrière de soliste, mais continue d’enseigner au Mozarteum de Salzbourg (1938-1956), à l’Académie de musique de Vienne (1939-1950) et au conservatoire de Lucerne (à partir de 1949), et participe à la création en 1956, avec Rudolf Baumgartner, du festival Strings de Lucerne. Schneiderhan a également dirigé, notamment en 1975, la Notre-Dame de Franz Schmidt. Ce musicien sobre vaut plus par sa profonde musicalité que par sa sonorité âpre, peu soucieuse de virtuosité. Il s’est par-

ticulièrement attaché à défendre l’oeuvre de Stravinski, de Henze et de Frank Martin ; ces deux derniers ont composé pour sa femme, Irmgard Seefried, et lui-même des oeuvres originales pour soprano, violon et orchestre : Ariosi de Henze (1963) et Maria Triptychon de Frank Martin (1968). SCHNITTKE (Alfred), compositeur soviétique (Ingels, région de Saratov, 1934). Il est l’élève, en composition, de E. Goloubev au conservatoire de Moscou (1953-1958). Il enseigne, depuis 1960, la composition instrumentale et la lecture de partitions à ce conservatoire. En tant que compositeur, il est passé en moins de dix ans de l’admiration pour Prokofiev (1er Concerto pour violon, 1957) à une musique spirituellement engagée s’en tenant au strict cadre de la musique de chambre. Ainsi, son Quatuor à cordes (1966), sa 2e Sonate pour violon (1968) semblent avoir assimilé l’héritage simultané de Berg, Bartók, de l’école polonaise contemporaine sans perdre leur personnalité. Citons encore ses Hymnes (I, II, III, 1974-75), son Quintette avec piano (1976), le Concerto grosso pour 2 violons, clavecin et cordes (1977). Dans une production déjà importante, on peut distinguer trois groupes de partitions : celles héritées de Prokofiev (1er Concerto pour violon, 1re downloadModeText.vue.download 902 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 896 Sonate pour violon), celles rationnellement organisées sur une base sérielle (2e Concerto pour violon, 1966 ; Dialogues pour violoncelle, 1965), celles influencées par Lutoslawski (Sérénade, 1968 ; 2e Sonate pour violon, 1968 ; Symphonie, 1972 ; Concerto grosso, 1977 ; Prélude à la mémoire de Chostakovitch, 1975 ; Quintette avec piano, 1976 ; 2e Quatuor à cordes [Évian, 1981]). Citons encore un Quatuor à cordes no 3 (1983), un Concerto pour alto (1985), Concerto grosso no 4/Symphonie no 5 (1988), un Concerto pour Violoncelle (Évian 1990), l’opéra Vie avec un idiot (Amsterdam, 1992). SCHNORR VON CAROLSFELD (Ludwig), ténor allemand (Munich 1836 - Dresde 1865).

Il étudia à Karlsruhe avec Édouard Devrient et débuta dans cette ville en 1858. Il s’affirma rapidement comme l’un des plus remarquables chanteurs produits par l’Allemagne au XIXe siècle. Il fut lié, de 1860 à 1865, par contrat à l’Opéra de Dresde, où Wagner l’entendit dans Lohengrin. Sa voix, au médium solide, correspondant au type nouveau dont Wagner avait besoin, celui-ci le fit engager à Munich pour créer le rôle de Tristan (sa femme Malvina incarnait Isolde). Ludwig Schnorr devait mourir, peu après, d’insuffisance cardiaque. On a dit, à l’époque, que le rôle de Tristan l’avait épuisé. Malvina, soprano danoise (Copenhague 1825 - Karlsruhe 1904), moins célèbre que son époux, abandonna sa carrière peu après la mort de celui-ci et se consacra à l’enseignement. SCHNYDER VON WARTENSEE (Xaver), compositeur et pédagogue suisse (Lucerne 1786 - Francfort 1868). Il fit ses études à Vienne avec Kienlen et fut peut-être conseillé par Beethoven. Il fut professeur à l’institut Pestalozzi d’Yverdon, puis à Francfort, où son influence fut grande sur toute une génération de jeunes musiciens, notamment dans le domaine du rythme. Influencé par Beethoven et Weber, il a écrit deux symphonies et un opéra féerique, Fortunat, créé à Francfort en 1831. On possède également de lui un oratorio, Zeit und Ewigkeit (1838), des cantates et de nombreuses pages d’inspiration religieuse. Il fut critique musical et correspondant à Francfort de la Caecilia de Mayence et de l’Allgemeine musikalische Zeitung de Leipzig. SCHOBERT (Johann), compositeur allemand (Silésie ? v. 1735 - Paris 1767). On ne sait rien de précis sur sa vie avant son arrivée à Paris en 1760 ou en 1761. Il entra au service du prince de Conti comme maître de musique et claveciniste de chambre : les salons s’ouvrirent ainsi devant lui, et il publia lui-même sa propre musique. Exception faite de l’opéra-comique le Garde-Chasse et le Braconnier (1765), il n’écrivit que de la musique instrumentale avec clavier, réunie en 20 numéros d’opus. Beaucoup de ces pièces ont un accompagnement (violon, violon et violoncelle, violon et cors), mais celui-

ci est souvent ad libitum, ce qui fait que les mêmes pièces peuvent être jouées soit comme de la musique de chambre, soit comme des sonates pour clavier. Mozart, enfant, fit la connaissance de Schobert lors de ses deux premiers séjours à Paris (1763-64 et 1766), et Georges de SaintFoix n’hésita pas à qualifier celui-ci de « premier poète que Mozart ait rencontré sur son chemin ». De fait, Schobert fut à tout point de vue un pionnier et un audacieux solitaire, une des personnalités les plus singulières de l’époque de l’Empfindsamkeit. Il ne prescrivit pas, pour ses oeuvres, le piano-forte moderne, mais (sans qu’aujourd’hui il faille le prendre à la lettre) le clavecin. Ses contemporains n’en estimèrent pas moins qu’il avait « transplanté la symphonie au clavier ». Il excella à évoquer des atmosphères poétiques rares, tantôt âpres et sombres, tantôt viriles et décidées, mais, le plus souvent, rêveuses et nostalgiques. Cornélie, la soeur de Goethe, annonçant au poète la mort de Schobert, parla des « sentiments douloureux » qui perçaient son âme quand elle jouait ses sonates. L’andante du concerto pour clavier K.39 de Mozart n’est autre qu’une adaptation d’un mouvement de Schobert, et, en 1778, lors de son ultime séjour à Paris, le futur auteur de Don Giovanni faisait étudier à ses élèves, de préférence à toute autre, la musique de celui qui l’avait tant impressionné une quinzaine d’années auparavant, tout en le citant dans l’andante de sa sonate en la mineur K.310. Avec les trios de jeunesse de Haydn, ceux avec clavier de Schobert comptent parmi les premiers du genre. Il mourut avec presque toute sa famille pour avoir mangé des champignons vénéneux ramassés en forêt de Saint-Germain. SCHOECK (Othmar), compositeur suisse (Brunnen, canton de Schwyz, 1886 - Zurich 1957). Fils d’un peintre et d’abord attiré par la peinture, il se destina à la musique après des études aux conservatoires de Zurich et de Munich (1907-1908, avec Max Reger). Il fut notamment chef du Choeur des professeurs à Zurich (1911-1917) et, tout en vivant dans cette dernière ville, chef d’orchestre à Saint-Gall (1917-1944). Plus de 400 lieder sur des textes allemands (Eichendorff, Lenau, Mörike, Goethe),

ordonnés en de vastes cycles, forment l’essentiel d’une production directement influencée par le romantisme germanique et s’inscrivant dans la succession de Hugo Wolf. Son second domaine d’élection fut la scène, avec, notamment, Erwin und Elmire d’après Goethe (musique de scène et chants, 1911-1916), Don Ranudo de Colibrados, opéra-comique d’après Holberg (1917-18), Venus, opéra d’après Mérimée (1919-20), Penthesilea, opéra d’après Kleist (1924-25), Massimila Doni, opéra d’après Balzac (1934), et Das Schloss Dürande, opéra d’après Eichendorff (1938-39). SCHOLA CANTORUM (lat. : « école des chanteurs »). Il en existait dans la Rome antique, c’étaient plutôt des sociétés musicales que des écoles, qui se transformèrent dans les premiers temps du christianisme en centres de formation à la musique sacrée. Ce fut vraisemblablement saint Grégoire le Grand, pape de 590 à 604, qui regroupa ces scholae en une institution unique, exclusivement pontificale, qui dura avec des fortunes diverses jusqu’à sa suppression en 1370 par le pape d’Avignon Urbain V. Par la suite, le nom de Schola cantorum a été adopté par plus d’une école de musique européenne, la plus importante étant celle que fonda Charles Bordes, à Paris, en 1894, avec la collaboration de Vincent d’Indy et d’Alexandre Guilmant. Ce fut d’abord une « École de chant liturgique et de musique religieuse », qui se proposait de réagir contre la décadence de la musique sacrée. À partir de 1896, V. d’Indy, devenu son principal animateur, étendit son activité à la musique profane, et la Schola cantorum, à l’étroit dans ses premiers locaux, alla s’installer dans l’ancien couvent des bénédictins anglais, rue Saint-Jacques, où elle se trouve encore. Disposant bientôt de son propre orchestre, d’une chorale et d’un bureau d’édition, elle joua un rôle considérable dans la redécouverte de la musique ancienne. La mort de Vincent d’Indy, dont les cours de composition étaient mondialement réputés, fut un coup sévère pour la Schola cantorum. Une scission se produisit en 1935 parmi ses successeurs et les dissidents fondèrent l’école César-Franck.

Longtemps dirigée par Jacques Chailley, la Schola cantorum enseigne l’ensemble des disciplines musicales, ainsi que l’art dramatique et la danse (classique et moderne). Ses classes instrumentales vont de la flûte à bec au piano-jazz. SCHÖNBACH (Dieter), compositeur allemand (Stolp, Poméranie, 1931). Il a étudié, de 1949 à 1959, avec Günter Bialas à Detmold et Wolfgang Fortner à Fribourg, et a été, de 1959 à 1973, directeur de la musique au théâtre de Bochum. Il est un des principaux représentants en Allemagne, avec Joseh Anton Riedl, de downloadModeText.vue.download 903 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 897 la musique pour multimédia, et a collaboré avec des chorégraphes, des peintres, des architectes et des metteurs en scène de cinéma. Il a participé, par exemple, à la réalisation d’un programme audiovisuel pour le compte de l’Office du tourisme de la ville de Cologne. On lui doit, notamment, le film Geometrie, Sprache der Formen (1958) ; Der Sturm, spectacle multimédia, d’après Shakespeare (1970) ; Die Chöre des OEdipus, composition parlée pour la radio, d’après Hölderlin (1973) ; Metro Media, formation de sons cinétiques pour chemin de fer souterrain (1973) ; et, dans le domaine traditionnel, un concerto pour piano (1958), Orchesterstück 1 « Farben und Klänge », (1958), 2 « Ritornelle » (1961), 3 « Pour Varsovie » (1963) et 4 « Entre » (1964), ainsi que des pages vocales comme Canticum psalmi resurrectionis, pour soprano et instruments (1957) ou Chant liturgique, hommage à Pérotin, pour choeur et orchestre (1964). SCHÖNBERG (Arnold), compositeur autrichien (Vienne 1874 - Los Angeles 1951). « Je suis un conservateur qu’on a forcé à devenir révolutionnaire « : ainsi se définit lui-même un des plus grands artistes du XXe siècle, un des rares à avoir eu un sens aigu de l’histoire. Il se considéra toujours comme l’héritier authentique de la tradition classique et romantique allemande, et, à ce titre, comme une force historique inévitable. Lorsque, durant la Première

Guerre mondiale, il fut enrôlé dans l’armée autrichienne, un de ses supérieurs lui demanda s’il était bien le compositeur Arnold Schönberg, dont la musique était si dissonante, si moderne, etc., sa réponse fut typique : « Personne n’ayant voulu l’être, je me suis porté volontaire. » La mission historique qu’il assuma consciemment consista, après constat de l’épuisement du système tonal, à mettre fin à celui-ci, puis à bâtir à sa place un nouveau système. D’où sa « révolution » en deux étapes : ce que faute de mieux on appela l’atonalisme « libre » (à partir de 1908), puis le dodécaphonisme sériel (officiellement à partir de 1923). À noter, cependant, que, comme toutes les vraies révolutions, la sienne eut un aspect de « consolidation du passé ». Né dans une famille de la petite-bourgeoisie israélite, Schönberg commença à composer et à jouer du violon dès l’âge de huit ans. Il se tourna ensuite vers le violoncelle pour pouvoir faire de la musique de chambre, et, pour l’essentiel, se forma en autodidacte. Son seul maître fut son futur beau-frère, le compositeur Alexandre von Zemlinski. En début de carrière, il se passionna à la fois pour Wagner et pour Brahms, ce qui semblait alors contradictoire. Le fait est que, s’il partit de l’hyperchromatisme wagnérien, le sens brahmsien de la forme devait régner jusque dans ses oeuvres de vieillesse. Dans sa jeunesse, Schönberg composa de très nombreuses oeuvres inédites. De 1897 date un quatuor à cordes en ré majeur dans l’esprit de Dvořák. En 18981900 furent écrits plusieurs lieder, dont 12 devaient paraître sous les numéros d’opus 1 à 3. En 1898, l’un d’eux provoqua un scandale. « Et depuis, le scandale n’a jamais cessé » (Schönberg beaucoup plus tard). En septembre 1899, Schönberg composa en trois semaines une oeuvre qui, malgré le scandale de sa première audition à Vienne en 1902, devait rapidement devenir une de ses plus jouées : le sextuor à cordes Verklärte Nacht (la Nuit transfigurée), d’après un poème de Richard Dehmel. Il devait lui-même en réaliser deux transcriptions pour orchestre à cordes (1917 et 1943). Il s’agit de la première de ses grandes partitions encore tonales et de style postromantique. « Quand on me demande pourquoi je ne compose plus comme au temps de Verklärte Nacht, je réponds en général que c’est justement ce

que je fais, mais que je n’y peux rien si les gens ne s’en aperçoivent pas » (Schönberg en 1927). Verklärte Nacht découle fortement de Wagner, mais ses tournures mélodiques sont très personnelles, avec leurs vastes sauts d’intervalles et leur quasi-absence de référence à l’accord parfait. Et il reste que « les innovations décisives de Schönberg n’auraient pas été possibles si dans Verklärte Nacht il ne s’était détourné de la pompe des poèmes symphoniques du temps pour prendre modèle sur l’écriture obligée des quatuors de Brahms » (Adorno). Dans la période tonale et postromantique de Schönberg s’inscrivent encore le poème symphonique Pelléas et Mélisande op. 5 (1903) et les Gurrelieder (19001911) ; et beaucoup moins déjà le Premier Quatuor à cordes op. 7 (1905) et la Première Symphonie de chambre op. 9 (1906). Écrits pour solos, choeurs et orchestre, les Gurrelieder font appel à des effectifs énormes. Ils furent conçus en 1900, mais leur orchestration ne fut menée à bien qu’en 1911. Leur première audition à Vienne en 1913 valut à Schönberg un triomphe, mais ce triomphe fut, en quelque sorte, posthume : il s’adressa en effet à un compositeur qui, dans l’intervalle, avait radicalement évolué et rencontré dans sa ville natale des résistances confinant parfois à la haine, et mues parfois par des sentiments ouvertement antisémites. De 1901 à 1903, Schönberg vécut à Berlin, où pour subsister il dut orchestrer des opérettes. À son retour à Vienne, il découvrit l’art de Gustav Mahler, qu’auparavant il avait peu apprécié, et commença sa longue carrière pédagogique, extraordinaire aventure qui devait marquer profondément la musique du XXe siècle. Parmi ses premiers élèves, Anton Webern et Alban Berg, qui, chacun à sa manière, devaient le suivre dans ses audaces pour former avec lui la fameuse « trinité viennoise ». Avec l’opus 7 (officiellement en ré mineur) et l’opus 9 (officiellement en mi majeur), Schönberg parvint aux limites du monde tonal. Première manifestation chez lui de l’expressionnisme musical, la Symphonie de chambre op. 9 remplaça notamment les harmonies de tierce par des superpositions impitoyables de quartes, et, par sa structure en un seul mouvement, renouvela de façon originale la forme sonate. Le pas décisif vers l’atonalité fut franchi

en 1907-1908 avec le Deuxième Quatuor à cordes op. 10, dont les deux premiers mouvements sont encore tonaux, mais dont les deux derniers (qui font intervenir la voix), s’ils le restent par leur vocabulaire (accords classés), ne le sont plus par leur syntaxe (ces accords ne s’enchaînent pas selon les lois de la tonalité). Schönberg déclara à leur propos : « Les troisième et quatrième mouvements définissent clairement une tonalité à tous les points d’articulation de la forme. Mais les dissonances sont si nombreuses qu’elles ne sauraient être équilibrées par la simple apparition, de temps à autre, d’accords parfaits correspondant à telle ou telle tonalité. Il m’a semblé absurde de faire entrer de force un mouvement dans le lit de Procuste d’une tonalité en l’absence des progressions harmoniques s’y rapportant. Tel fut mon problème, et mes contemporains auraient dû s’en préoccuper également. » Ces premières pages atonales de Schönberg furent composées exactement au moment où en peinture apparut le cubisme, et une comparaison s’impose entre l’opus 10 et les Demoiselles d’Avignon de Picasso (ils sont de la même année) : aux deux premiers mouvements (encore tonaux) de l’opus 10 correspond la partie gauche (traditionnelle) du tableau, aux deux derniers mouvements (atonaux) de l’opus 10 la partie droite (cubiste) du tableau. Suivit pour Schönberg une période de création intense, avec les chefs-d’oeuvre de style « atonal libre » que d’aucuns, en particulier Pierre Boulez, considèrent comme ses plus hautes réussites. On parle souvent, pour caractériser cette période, d’émancipation de la dissonance. Il faut entendre par là que, d’une part, n’importe quel accord pouvait dorénavant succéder à n’importe quel autre, et que, d’autre part et surtout, une dissonance n’était plus obligée de se résoudre à plus ou moins longue échéance en une consonance (accord parfait). Ce refus de la résolution fut la source principale de l’aptitude du style de Schönberg, vers 1908 et les années suivantes, à représenter l’angoisse, le macabre. De 1908-1909 date le Livre des jardins suspendus op. 15, cycle de 15 mélodies sur des poèmes de Stefan George. En downloadModeText.vue.download 904 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE

898 1909 se succédèrent les Cinq Pièces pour orchestre op. 16, les Trois Pièces pour piano op. 11 et le monodrame Erwartung op. 17, dont la première représentation ne devait intervenir qu’en 1924. Dans l’opus 16, l’orchestre est traité comme un grand ensemble de solistes. Cet intérêt pour le timbre en soi est net dans la troisième des cinq pièces, faite presque exclusivement d’un seul accord de cinq notes transférées d’un registre à l’autre et d’un instrument à l’autre. Schönberg ne fit là que mettre en pratique un principe qu’il avait déjà défini dans ses travaux théoriques, celui de la Klangfarbenmelodie (mélodie de timbres). Erwartung, d’une durée d’une demiheure environ, met en scène un seul personnage, un femme cherchant son amant dans une forêt et ne trouvant finalement qu’un cadavre. Il s’agit en fait d’un cauchemar : Erwartung, qui pousse jusqu’à ses plus extrêmes limites le principe de non-répétition d’une idée musicale et qui confine à l’athématisme, est le premier ouvrage de l’histoire de la musique à contenu essentiellement psychanalytique. Par ses lignes mélodiques et par son phrasé, Schönberg parvint à y recréer la dialectique tension-détente qui, dans la musique tonale, avait découlé des rapports dissonance-consonance. Dans Erwartung, le retour périodique d’un accord de six sons produit des zones de stabilité relative. La dernière page est significative : en quelques secondes, Schönberg y sature l’espace chromatique tempéré, fait entendre à plusieurs registres, dans leur succession et leur superposition, les douze sons de l’échelle chromatique tempérée. Dans Erwartung réellement, dans les autres ouvrages de l’époque virtuellement, la consonance absolue n’est plus l’accord parfait, mais le total chromatique, la plénitude chromatique. En 1910, Schönberg se consacra presque constamment à la peinture et fit montre dans ses toiles d’un expressionnisme aussi violent que dans sa musique de 1909. Il participa activement, avec Kandinski, Klee et Franz Marc, au mouvement pictural dont l’organe fut la revue Der blaue Reiter (le Cavalier bleu). En 1911, l’année de la mort de Mahler, il composa Herzgewächse, sur un texte de Maeterlinck, acheva son Traité d’harmonie

et s’installa de nouveau à Berlin, pour y rester jusqu’en 1914. C’est là que, en 1912, il composa et fit entendre Pierrot lunaire op. 21, l’oeuvre qui le rendit célèbre « pardelà le bien et le mal ». Ces « trois fois sept poèmes... pour voix parlée, piano, flûte (ou piccolo), clarinette (ou clarinette basse), violon (ou alto) et violoncelle », chacun étant d’une durée moyenne d’une minute et demie, résultèrent d’une commande de l’actrice viennoise Albertine Zehme, spécialisée dans le mélodrame. La voix y est traitée selon le principe du Sprechgesang. Par leur courte durée, les 21 pièces qui composent Pierrot lunaire relèvent de la « petite forme », déjà utilisée par Schönberg en 1910 dans ses Trois Pièces pour orchestre de chambre (posthumes) et, en 1911, dans ses Six Petites Pièces pour piano op. 19 (la dernière des six, aux limites du silence, est une « vision » de l’enterrement de Mahler), et dont Webern devait se faire une spécialité (avec d’autres principes formels d’ailleurs). oeuvre clé du XXe siècle, Pierrot lunaire est typique de la période expressionniste de Schönberg par son mélange d’ironie et de sadomasochisme macabre et sanglant. En 1913, Schönberg écrivit encore Die glückliche Hand op. 18 (la Main heureuse), drame avec musique, et, en 1913-1916, les Quatre Lieder avec orchestre op. 22. Les années suivantes ne le virent plus rien publier. Il les passa à travailler à son oratorio inachevé l’Échelle de Jacob (1917-1922), à s’occuper de la Société d’exécutions musicales privées, grâce à laquelle il tenta, de 1918 à 1921, de combler les lacunes des concerts officiels en matière de musique contemporaine, et à mettre au point le dodécaphonisme sériel, sa « méthode de composition avec douze sons n’ayant de rapports qu’entre eux ». Avec cette méthode, point de départ officiel de la musique sérielle, il voulut non seulement remplacer l’ordre tonal par un ordre nouveau mettant fin à l’anarchie de l’atonalité « libre » des années 1908-1913, mais aussi, et surtout, retrouver le fil de la grande tradition classique et romantique allemande. En témoignent aussi bien son retour, dans les années 20, à des formes traditionnelles, que sa déclaration à son disciple Josepf Rufer : « J’ai fait une découverte qui assurera la prédominance de la musique allemande pour les cent années à venir » (1921). Les premières manifestations du dodécaphonisme sériel furent la valse ter-

minant les Cinq Pièces pour piano op. 23 (1920-1923), le Sonnet de Pétrarque de la Sérénade op. 24 (1920-1923) et, surtout, la Suite pour piano op. 25 (1921-1923). Schönberg poussa ensuite sa méthode vers une virtuosité et une complexité extrêmes dans le Quintette à vents op. 26 (1923-24), dans le Troisième Quatuor à cordes op. 30 (1927) et dans les Variations pour orchestre op. 31 (1926-1928). Il en fit ensuite usage au théâtre avec l’opéra bouffe Von heute auf morgen (D’aujourd’hui à demain) op. 32 (1928-29), de nouveau au piano avec les Pièces op. 33a (1928) et op. 33b (1931), et avec la Musique d’accompagnement pour une scène de film op. 34 (1929-30), où il montra qu’elle n’était pas incompatible avec l’expressionnisme de sa période d’avant-guerre. Titulaire depuis 1925, comme successeur de Busoni, d’une classe de composition à l’Académie des arts de Berlin, Schönberg en fut chassé à l’arrivée de Hitler au pouvoir, alors qu’il venait de terminer les deux premiers actes d’une oeuvre maîtresse destinée à demeurer inachevée, l’opéra Moïse et Aaron. Il se rendit d’abord à Paris, où, le 30 juillet 1933 - lui qui, à l’âge de dix-huit ans, s’était converti au protestantisme -, il réintégra solennellement la religion israélite : cette démarche fut d’ailleurs l’aboutissement d’une évolution intérieure qui avait débuté peu après 1920 et qui s’était manifestée notamment par la rédaction d’un drame toujours inédit, Der biblische Weg (la Voie biblique, 1927). En octobre 1933, il émigra aux États-Unis, qu’il ne devait plus quitter. Il enseigna d’abord à Boston et à New York, puis, de 1936 à 1944, à l’université de Californie. Le Concerto pour violon et orchestre op. 36 (1934-1936) et le Quatrième Quatuor à cordes op. 37 (1936) sont deux grandes oeuvres sérielles. Plus tard, Schönberg réintroduisit dans sa musique certaines références ou fonctions tonales, comme dans Kol Nidre op. 39 (1938) ou dans l’Ode à Napoléon op. 41, d’après Byron (1942). Après sa mise à la retraite par l’université de Californie, il dut, pour vivre, reprendre des élèves particuliers, et, en 1945, il se vit refuser par la fondation Guggenheim une bourse qui, espérait-il, aurait pu lui permettre de terminer l’Échelle de Jacob, Moïse et Aaron et plusieurs ouvrages théoriques.

Le 2 août 1946, à la suite d’une violente crise d’asthme, le coeur de Schönberg s’arrêta de battre. Une injection le sauva, et le splendide Trio à cordes op. 45, écrit du 20 août au 23 septembre, fut (entre autres) la traduction musicale de cette mort momentanée. L’année suivante, le récit d’un rescapé du ghetto fut à l’origine d’Un survivant de Varsovie op. 46. En 1949 fut menée à bien la Fantaisie pour violon avec accompagnement de piano op. 47. Les ultimes créations de Schönberg furent vocales et d’inspiration religieuse. En 1950, il entreprit la rédaction des Psaumes modernes, et, pour bien montrer la continuité qu’il y voyait par rapport aux Psaumes de David, il donna au premier d’entre eux le no 151. Il commença à le mettre en musique, mais la mort laissa cette dernière oeuvre (opus 50C) inachevée. Peu de créateurs sont aussi stimulants pour l’esprit que Schönberg. Sa musique en témoigne, mais aussi ses innombrables écrits. C’est qu’il ne négligea ni l’argumentation solide, ni l’acuité psychologique, ni l’humour plus ou moins sarcastique. Toute sa vie, il aima cultiver le paradoxe. Ainsi, une de ses professions de foi fut : « Je crois aux droits de la plus petite minorité. » Or, elle venait d’un homme si conscient de sa valeur et de sa position en flèche en tant qu’artiste que, à quelqu’un venu lui dire lors d’un festival international que son temps de répétition avec les interprètes était terminé et que downloadModeText.vue.download 905 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 899 d’autres compositeurs attendaient leur tour, il répondit sans sourciller : « Tiens, il y a d’autres compositeurs ici ? » Ainsi encore, en 1948, dans une lettre à un ami, après avoir violemment exprimé sa désillusion, pour ne pas dire plus, envers la politique, il écrivit : « Nous qui vivons dans la musique n’avons dans la politique aucune place, et devons la considérer comme un domaine tout à fait étranger. Nous sommes apolitiques, et tout au plus pouvons-nous essayer de rester bien tranquilles à l’arrière-plan. » Or, vers 193233, dans le contexte de la prise de pouvoir imminente par Hitler, il avait déclaré sans ambages à Adorno : « Aujourd’hui, il y a des choses plus importantes que l’art. » Et,

dès 1923, pour des raisons personnelles mais grâce aussi à son extraordinaire intuition, il avait dans une lettre véhémente à Kandinski parlé de Hitler en termes prophétiques. Schönberg était un adversaire résolu de tout art « engagé », ou plutôt orienté, ce qui dans les années 20 entraîna de très sérieuses divergences et controverses entre lui et son ancien élève Hanns Eisler. Celuici jugeait profondément réactionnaire la vision sacrale que conservait Schönberg de l’art et de l’artiste, et, plus tard, sans pour autant s’empêcher de reconnaître son génie, de lui rendre hommage et de s’en réclamer, il devait le traiter de « petitbourgeois de la pire espèce ». Schönberg de son côté, en 1947, visant Eisler, devait déclarer considérer avec scepticisme ces artistes « qui auraient certainement quelque chose de mieux à faire, mais qui s’empêtrent dans des plans de réforme universelle, alors que l’histoire montre comment tout cela finit... S’il veut paraître important, qu’il écrive de la musique importante ». Or, Schönberg est l’auteur de l’Ode à Napoléon et de Un survivant de Varsovie, qui est à la musique ce que Guernica de Picasso est à la peinture. Il s’intéressa de près à la fondation de l’État d’Israël, et, quoi qu’il en ait dit, il élabora lui-même plus d’un plan de réforme universelle, exerçant ses talents d’inventeur pas seulement en musique. On lui doit notamment (inventions qu’il ne fit jamais breveter) une machine à écrire la musique, un échiquier à cent cases avec comme figures supplémentaires un évêque et un amiral, un appareil à aimant pour opérer les yeux, les tickets de transport combinés et les couloirs d’autobus. « Une oeuvre authentique d’un compositeur authentique provoquera les réactions les plus diverses sans l’avoir recherché. » Cette formule de Schönberg demande à être nuancée et précisée, mais contient sa part de vérité. Peut-être l’écrivit-il en réaction contre le fait, qu’il connaissait bien, que la musique, à la fois la plus abstraite (elle ne s’appuie sur aucun objet comme peuvent le faire la littérature, la peinture ou l’architecture, et ses formes ne trouvent guère de préfiguration dans la nature) et la plus concrète (son pouvoir de suggestion est extraordinaire et elle agit directement sur les nerfs et les sens) de tous les arts, se prête admirablement à des fins extramusicales. Elle convient mal aux professions de foi,

surtout sans support textuel, mais elle est fort apte à en accentuer la portée. De son vivant, Schönberg n’eut jamais une audience de masse, et sa réputation de compositeur difficile subsiste encore aujourd’hui, plus de trente ans après sa mort. Il le ressentait durement, lui qui déclarait souhaiter entendre les gens siffler sa musique comme celle de Tchaïkovski, mais il savait ce souhait irréalisable, lui qui écrivit un essai intitulé Comment on devient solitaire. S’il assuma cette situation, ce fut grâce à ce sens de l’histoire dont il a déjà été question, et qui le fit à la fois opérer consciemment et délibérément une rupture radicale, ou qu’il proclamait radicale, avec le passé et la tradition, et se présenter non comme un des continuateurs, mais comme le continuateur nécessaire et inévitable, le seul continuateur authentique, de cette tradition. Telle est la raison pour laquelle il déclara toujours avoir « découvert » (en all. gefunden), et non « inventé » (en all. erfunden), le principe sériel. Les avatars du dodécaphonisme sériel, du sérialisme, illustrent parfaitement les ambiguïtés du révolutionnaire Schönberg, du contemporain de Lénine qu’était Schönberg. Le sérialisme schönbergien se proposa d’abolir, en se limitant d’ailleurs aux hauteurs, les hiérarchies entre les sons, mais d’autres hiérarchies devaient surgir sournoisement. En outre, le dodécaphonisme sériel apparaît avec le recul comme l’étape ultime de l’utilisation du total chromatique de la gamme de douze sons tempérés. Il se développa, en fait, à partir de certaines traditions les plus profondes de la musique occidentale et en particulier germanique, reconnaissant notamment la tyrannie de l’octave et la primauté des hauteurs (ou plutôt des intervalles) sur les autres paramètres musicaux, n’excluant pas en soi la poursuite d’une pensée fondée sur la notion de thème et sur les formes allant de pair avec cette notion. Le compositeur « pantonal » (il préférait cette dénomination à celle de compositeur « atonal ») Arnold Schönberg en fut sans doute conscient, pour lui le dodécaphonisme sériel fut largement un substitut des puissants moyens architecturaux auparavant fournis à la musique par la tonalité classico-romantique. Il reste que la musique occidentale n’aurait pu faire l’économie du sérialisme de Schönberg et de ses successeurs. Comme avant lui le « classicisme vien-

nois » de Haydn, Mozart et Beethoven, ce sérialisme déboucha en effet, en tant que lieu de convergence ayant concentré et dynamisé l’évolution globale, sur un éclatement de la musique en courants fort divers et sur la réintégration de tendances qui, en son temps, avaient pu sembler marginales. Cet éclatement, qui aujourd’hui à son tour pose problème, n’aurait pu se produire sans une puissante concentration préalable. Il importe enfin de préciser que de la difficulté de la musique de Schönberg, atonalité et sérialisme sont loin de rendre compte à eux seuls. Ils n’en sont d’ailleurs pas, et de loin, la raison essentielle. La cause profonde de cette difficulté réside dans le rythme et dans l’exceptionnelle densité d’une pensée qui, comme celle de Haydn, concentre une multitude d’événements musicaux en un espace sonore et temporel qui, chez d’autres, aurait pris des dimensions bien plus vastes. C’est ainsi que, pour illustrer son essai intitulé Pourquoi la musique de Schönberg est-elle si difficile à comprendre ? (1924), Alban Berg choisit à dessein une oeuvre encore tonale, le Premier Quatuor à cordes op. 7. Et on connaît la boutade de Schönberg : « Ma musique n’est pas moderne, elle est mal jouée. » Aujourd’hui, les questions de langage et de vocabulaire s’estompent devant la profonde unité spirituelle de son oeuvre : c’est bien au service d’une affectivité exacerbée qu’il mit son incomparable virtuosité technique. La résistance acharnée qu’il rencontra, en particulier avec ses oeuvres de 1908-1913, fut due moins à son abandon de la tonalité qu’à l’univers de sentiments nouveaux qu’il mit au jour. Si son message fut mal accepté, c’est qu’il ne fut que trop bien compris. Il était doté de très fortes qualités intellectuelles dont il n’avait pas honte de faire usage, mais son intuition n’était pas moins grande, et un de ses traits de caractère fut justement de s’attacher à justifier rationnellement ses découvertes. De ce dualisme, reflété notamment dans le titre d’un de ses plus célèbres articles (Coeur et esprit en musique), Zemlinski s’aperçut dès 1902 : « Il (Schönberg) en sait plus que moi, et ce qu’il ne sait pas, il le ressent. » Vénéré comme un dieu par ses disciples et amis, malgré sa personnalité souvent écrasante, intraitable dès qu’il s’agissait de son art, Schönberg a laissé dans l’histoire

l’empreinte qui n’est réservée qu’aux plus grands. SCHÖNE (Charlotte BODENSTEIN, dite Lotte), soprano autrichienne naturalisée française (Vienne 1891 - Paris 1978). Élève à Vienne de Luise Ress et de Maria Brossement, elle chante au Volksoper de la même ville de 1912 à 1925. En 1927, Bruno Walter l’engage au Städtische Oper de Berlin, où elle triomphe dans les rôles de sopranos légers mozartiens. Elle incarne Despina, Zerline ou Blonde, et excelle aussi dans les opérettes, qu’elle downloadModeText.vue.download 906 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 900 enregistre parfois avec Richard Tauber. De 1922 à 1934, elle chante au Festival de Salzbourg mais émigre à Paris dès 1933. Sa carrière à l’Opéra et à l’Opéra-Comique est interrompue par la guerre et les persécutions antisémites. Elle aborde ensuite Mélisande, Micaëla, et Mimi dans la Bohème. De 1945 à 1953, elle reprend une carrière de soliste avant de se consacrer à l’enseignement. SCHORR (Friedrich), basse baryton hongrois, naturalisé américain (Nagyvorod 1888 - Farmington, Connecticut, 1953). Il débute à Graz, en 1912, dans le rôle de Wotan de la Walkyrie (rôle auquel il attachera son nom de façon très spectaculaire). Il fait une carrière internationale tant en Europe qu’en Amérique, et est considéré comme un des plus grands chanteurs wagnériens de son époque (outre Wotan, ses interprétations de Hans Sachs dans les Maîtres chanteurs et du Hollandais dans le Vaisseau fantôme sont justement réputées). Il chante à Bayreuth de 1925 à 1933, puis se fixe aux États-Unis, où il demeure l’une des vedettes du Metropolitan Opera de New York jusqu’en 1944. Sa voix unissait la richesse du timbre à l’ampleur, et ses demi-teintes étaient d’une extrême beauté. Artiste d’une rare sensibilité, il possédait une présence scénique convaincante. SCHOTT, maison d’édition allemande.

Ce fut, à l’origine, un simple atelier de gravure fondé à Mayence en 1770 par Bernhard Schott (Eltville 1748 - Mayence 1809), lui-même fils de graveur, qui joignait à son métier une solide culture musicale. Nommé graveur de la cour en 1780, il eut le monopole des publications musicales de la cour et des églises de Mayence, devenant ainsi éditeur. Il étendit bientôt cette activité aux oeuvres de l’école de Mannheim, entre autres. Ses fils Johann Andreas (1781-1840), Johann Joseph (1782-1855) et Adam Joseph (17941840) lui succédèrent, d’où le nom, B. Schotts Söhne (« les fils de B. Schott »), que prit définitivement la firme. Les frères Schott créèrent en Allemagne et à l’étranger (jusqu’en Australie) des filiales, dont deux subsistent encore, à Londres et à Bruxelles, après s’être séparées de la maison mère de Mayence. Ils publièrent plusieurs oeuvres maîtresses de Beethoven (Missa solemnis, Neuvième Symphonie, etc.), ainsi que des opéras de Rossini, Donizetti, Auber et Adam. Leur successeur Franz Philipp (18111874), fils de Johann Andreas, fut bourgmestre honoraire de Mayence et publia notamment le Ring et les Maîtres chanteurs de Wagner. Parsifal fut également confié à la maison Schott, mais celle-ci était passée sous le contrôle de Ludwig Strecker (1853-1943), qui inaugura une nouvelle dynastie en accueillant Liszt, Peter Cornelius, Humperdinck et Hugo Wolf. Ludwig Strecker n’attendit pas de mourir nonagénaire pour céder la place à ses fils Ludwig (1883-1978) et Willi (1884-1958). Après 1952, le gendre de Ludwig II, Heinz Schneider-Schott, a maintenu la tradition familiale de constante mise à jour d’un catalogue qui comprend les oeuvres de Hindemith, Stravinski, Orff, Egk et Henze, ainsi que le célèbre dictionnaire de Hugo Riemann. La présidence de la firme a été assumée en 1974 par Arno Volk, puis, en 1977, par Ludolf Freiherr von Canstein. SCHREIER (Peter), ténor allemand (Meissen 1935). Enfant, il chante comme soliste dans la chorale Sainte-Croix de Dresde. Ses débuts de ténor remontent à 1953 dans le rôle de l’Évangéliste de la Passion selon saint Matthieu de Bach. Après une carrière

de chanteur d’oratorio, il aborde, pour la première fois, l’opéra à Dresde en 1961 (rôle du premier prisonnier dans Fidelio de Beethoven). Pendant deux ans, il se crée un répertoire d’opéra italien qu’il chante avec succès (le Barbier de Séville, Don Pasquale, Rigoletto). Engagé en 1963 à l’Opéra de Berlin, il va s’affirmer, enfin, comme un des meilleurs ténors mozartiens de l’après-guerre. Et c’est le début de sa grande carrière internationale. Il chante Tamino, Belmonte, Ottavio, Ferrando dans les principaux théâtres et festivals du monde : Vienne, Londres, Munich, Glyndebourne, Milan, New York, Salzbourg. Dans le même temps, il continue ses récitals de lieder, et s’est produit récemment comme chef d’orchestre. Musicien et styliste accompli, Peter Schreier possède une technique d’une agilité exceptionnelle. SCHREKER (Franz), compositeur, dramaturge et pédagogue austro-hongrois (Monaco 1878 - Berlin 1934). Élève de Robert Fuchs au conservatoire de Vienne, il rencontra, grâce à ses oeuvres de jeunesse (une ouverture, un psaume), des succès flatteurs. Surtout attiré par le théâtre, il présenta en 1902 un opéra en 1 acte, Flammen, en l’accompagnant luimême au piano. Cet essai n’eut de suite que le jour où Schreker, mécontent de tous les livrets qu’on lui avait proposés, décida de ne se fier qu’à son propre talent et d’écrire, comme Wagner ou comme Busoni, ses poèmes lui-même. C’est ainsi que Der ferne Klang triompha à Francfort en 1912, point de départ d’une des plus fulgurantes carrières lyriques de l’histoire. Le compositeur, qui, jusque-là, avait vécu de petits emplois, fut aussitôt nommé professeur au conservatoire de Vienne, poste qu’il devait conserver jusqu’à son départ en 1920 pour Berlin. Là, il dirigea la Hochschule für Musik jusqu’à son éviction par les nazis en 1932. C’est lui notamment qui y fit nommer Schönberg à la succession de Busoni en 1924. À Vienne, comme chef du Choeur philharmonique qu’il avait fondé, il créa en 1913 les Gurrelieder de Schönberg. En 1913, son second grand ouvrage, Das Spielwerk und die Prinzessin, connut l’honneur rarissime d’être créé le même jour (15 mars) à Francfort et à Vienne ; mais le

public de cette dernière ville, dérouté par les aspects symboliques du livret, se divisa en deux camps antagonistes ; et la soirée se termina en quasi-émeute, tout comme à Paris la création, deux mois plus tard, du Sacre du printemps. Le dramaturge n’en était pas moins engagé sur la voie de triomphes tels que peu de musiciens les connurent en notre siècle : son auditoire n’eut d’égal que celui de Wagner, et dépassa largement celui que son concurrent direct Richard Strauss connaissait à la même époque. Certains des drames suivants furent en effet simultanément à l’affiche dans dix pays différents. Les premiers furent Die Gezeichneten (« les Stigmatisés »), oeuvre maîtresse, dont le livret avait d’abord été commandé à Schreker par Zemlinski à son propre usage (composée de 1912 à 1915, créée en 1918 à Francfort et en 1920 à Vienne) ; et Der Schatzgräber (« le Chercheur de trésor »), écrit entre 1915 et 1918, créé en 1920 à Francfort et représenté la même année à Zurich et en 1922 à Vienne. Mais Irrelohe (1924, Cologne) fut un demi-échec du fait des aspects trop novateurs de l’écriture musicale, partiellement sérielle ; et Christophorus, terminé en 1927, ne put être représenté à l’époque (sa création n’a eu lieu que pour le centenaire du compositeur, à Francfort). Le déclin fut aussi brutal que le succès avait été rapide et éclatant. La montée du nazisme autant que les dithyrambes abusifs d’un Paul Bekker (qui concluait qu’auprès de Schreker Wagner devait être oublié) n’y furent pas étrangers. En 1928, Der singende Teufel ne se maintint pas à Berlin ; et en 1932 Der Schmied von Gent ne put être monté dans cette ville que grâce au courage du directeur de la Deutsche Opernhaus, P. Breisach. Sa démission forcée et la mise à l’index dès 1933 de toute son oeuvre abattirent l’artiste qui, victime le 18 décembre 1933 d’une grave attaque, mourut trois mois plus tard. Les exigences de la scène ont retardé dans le cas de Schreker une renaissance qui semble inéluctable, si l’on en juge par l’intérêt qu’ont suscité les reprises récentes, colloques et expositions qui ont eu lieu tant en Autriche qu’en Allemagne. Au concert, Schreker ne donna que peu de pages significatives ; mais on citera au moins la Kammersymphonie, pour 23 downloadModeText.vue.download 907 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 901 instruments, à rapprocher de la première Symphonie de chambre de Schönberg, et le Vorspiel zu einem Drama, qui n’est autre qu’un développement du prélude des Stigmatisés. L’oeuvre mélodique de Schreker est plus abondante : après une série de lieder pianistiques de jeunesse, elle culmine sur une admirable page, deux grandes mélodies avec orchestre d’après Walt Whitman, réunies sous le titre Vom ewigen Leben (1926, orchestrées en 1929), et par lesquelles Schreker s’inscrit dans le droit fil du dernier Mahler. SCHRÖDER (Jaap), violoniste néerlandais (Amsterdam 1925). Formé au Conservatoire d’Amsterdam, il arrive en 1948 à Paris où il travaille avec Jacques Thibaud, et étudie la musicologie à la Sorbonne. De 1950 à 1963, il est violon solo de l’Orchestre de chambre de la Radio néerlandaise et, parallèlement, se spécialise dans la musique baroque jouée sur instruments d’époque. De 1960 à 1968, il anime le Quadro Amsterdam puis le Concerto Amsterdam, le Quatuor Esterhazy de 1973 à 1981, et le Quatuor Smithson depuis 1982. Chef d’orchestre, il enregistre les symphonies de Mozart avec l’Academy of Ancient Music de Londres, et aborde Bach, Vivaldi et Leclair. Enseignant à la Schola cantorum de Bâle et, depuis 1982, à la Juilliard School de New York, il mène de front une carrière de soliste et de chef d’orchestre de musique baroque. SCHROEDER-DEVRIENT (Wilhelmine), soprano allemande (Hambourg 1804 Cobourg 1860). Elle étudia le chant avec son père, le baryton Friedrich Schroeder, et la comédie avec sa mère, la tragédienne Antoinette Sophie Bürger. Elle débuta, en 1821, dans le rôle de Pamina de la Flûte enchantée, où on lui reprocha ses inégalités vocales, mais triompha l’année suivante dans Agathe du Freischütz, sous la direction de Weber, puis dans Léonore de Fidelio. Elle chanta de 1823 à 1847 à Dresde, où on la célébra comme une « tragédienne cantatrice », emploi nouveau dans l’histoire de l’opéra. Dans le même temps, elle fit une

carrière internationale, paraissant à Paris et à Londres, où elle faisait sensation dans Léonore, Donna Anna de Don Giovanni et Euryanthe. Elle fut également remarquée pour ses interprétations de Rossini et de Bellini Otello et I Capuletti, où son génie dramatique parvenait à compenser certaines faiblesses techniques. Wagner l’admirait particulièrement et écrivit pour elle le rôle travesti d’Adriano dans Rienzi, celui de Senta dans le Vaisseau fantôme et celui de Vénus dans Tannhäuser. Elle créa les trois, bien que, en 1845, lorsque fut donné le dernier de ces ouvrages, ses moyens vocaux aient été en baisse certaine. Sa voix, d’une étendue exceptionnelle, était plus émouvante que belle. On l’avait surnommée « la Reine des larmes ». En 1823, elle avait épousé l’acteur Devrient, dont elle divorça en 1828. SCHUBART (Christian), poète, journaliste et compositeur allemand (Obersontheim, Souabe, 1719 - Stuttgart 1791). Après avoir occupé divers postes d’organiste, il fut banni du Wurtemberg à cause de sa vie dissolue (1773), et, en 1774, fonda à Augsbourg un périodique intitulé Deutsche Chronik et consacré à la politique, à la littérature et à la musique. Emprisonné en 1777 sur ordre du duc Carl Eugen de Wurtemberg dans la forteresse du Hohenasperg, il y dicta et y rédigea son autobiographie en 1778-79 (Leben und Gesinnungen, von ihm selbst im Kerker aufgesetzt, Stuttgart, 1791-1793), et, en 1784-85, ses Ideen zu einer Ästhetik der Tonkunst (Vienne, 1806). Beaucoup de ses compositions musicales datent également de ses années de prison. Libéré en 1787, il devint poète de cour et de théâtre à Stuttgart, et refit paraître sa revue sous le nom de Vaterländische Chronik. Ses écrits, dans lesquels il condamne le style galant et les italianismes et soutient l’Empfindsamkeit de Carl Philipp Emanuel Bach et des compositeurs de l’Allemagne du Nord, donnent une idée précise et complète de la vie musicale dans les pays germaniques dans le troisième quart du XVIIIe siècle. Il est l’auteur des paroles de la Truite de Schubert. SCHUBERT (Franz Peter), compositeur autrichien (Vienne 1797 - id. 1828). Il est le troisième et dernier des grands musiciens classiques viennois, après Jo-

seph Haydn et Mozart. Il naquit dans une maison à l’enseigne de l’Écrevisse rouge, dans le Himmelpfortgrund - la « Porte du Ciel » -, aujourd’hui, Nussdorferstrasse 54, dans le 9e arrondissement, qui était à l’époque un faubourg. Le père de Schubert, Franz-Theodor (1763-1830), avait quitté sa ville natale de Neudorf en Moravie pour rejoindre son frère aîné vers 1780 et pour devenir, comme lui, instituteur à Vienne. La mère, Elisabeth Vietz, était silésienne c’est-à-dire polonaise. Franz Schubert représente donc le type du Viennois issu des provinces non allemandes de l’Empire ; et cette diversité de ses origines jouera un rôle non négligeable dans la richesse et la versatilité de son art. Né le 31 janvier 1797 et baptisé le lendemain à la paroisse de Lichtenthal, il est déjà le douzième enfant de l’instituteur ; trois seulement de ses aînés sont toujours en vie, le plus âgé, Ignaz (1785-1844), adjoint de leur père, l’aidera aussi dans la première éducation de l’enfant, notamment en musique. Ils découvrent vite les dons exceptionnels du jeune Franz et, ne pouvant plus rien lui enseigner en cette matière, le confient dès sa huitième année à l’organiste de la paroisse, Michaël Holzer, qui lui donne sa première pratique de l’improvisation et du développement. En 1808, deux postes devenus vacants lui permettent d’entrer au Stadtkonvikt, école formant des petits chanteurs et rattachée à l’université. Si Franz y brille par la facilité de sa voix et par ses progrès étonnants en musique, il est moins assidu dans les matières d’enseignement général, et surtout souffre de la dure vie d’internat, qui exacerbe le côté indépendant de son caractère. D’un autre côté, il retire un bénéfice essentiel de cette communauté : les liens qu’il noue avec de nombreux camarades qui deviendront les plus sûrs appuis de son âge adulte et les partenaires des futures « schubertiades ». DU KONVIKT À LA LIBERTÉ. Le plus âgé d’entre eux, Josef von Spaun, futur juriste, fut le témoin privilégié des premiers essais de composition de Franz, et lui fournit même le papier, dont il faisait déjà grand usage en cachette (car son père ne souhaitait pas qu’il devînt musicien). Les premiers ouvrages qui subsistent datent de la treizième année, mais ils furent sûrement précédés de bien d’autres que le jeune garçon distribua ou détruisit. On conserve, de l’époque du Konvikt,

près d’une centaine d’oeuvres qui vont de la Fantaisie en « sol » D.1 à la Symphonie no 1 D.82, en passant par 2 autres fantaisies pour 4 mains, 10 quatuors à cordes (joués dans la maison paternelle), des trios, 1 octuor à vents, plusieurs ouvertures, de nombreuses danses, un fragment d’opéra (Der Spiegelritter), des pièces sacrées, mais relativement peu de lieder (le premier fut Hagars Klage, D.5). Schubert découvre bientôt non seulement les poètes classiques, mais également des auteurs de sa propre génération, comme le jeune Theodor Körner, chantre de la guerre de libération contre Napoléon et qui mourra au combat en 1813. Quant à sa formation théorique de compositeur, il l’a complétée auprès de Salieri. Ce maître assurera au jeune Franz une parfaite connaissance des fondements de son art, mais ne lui ouvrira pas encore les portes de la musique contemporaine la plus avancée. À seize ans, c’est-à-dire, à l’époque de son départ volontaire du Konvikt (nov. 1813), il jugeait Beethoven « excentrique » et « mêlant sans distinction le sacré et l’arlequinade « ! En revanche, il vénérait Mozart, et, grâce à Spaun, avait découvert le théâtre de Gluck. Ayant renoncé à sa bourse d’études, il acquiert tant bien que mal, l’année suivante, un diplôme d’instituteur à l’école Sainte-Anne, et, à l’automne de 1813, entre comme adjoint de son père à sa propre école. Il a la douleur de ne plus y retrouver sa mère (morte en 1812) ; sa downloadModeText.vue.download 908 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 902 belle-mère, Anna Kleyenböck, donnera le jour à cinq autres enfants. S’étant épris d’une jeune choriste de la paroisse, Thérèse Grob, Franz écrit pour elle et dirige lui-même une vaste Messe en « fa » majeur, D.105 - où l’on note déjà, comme dans toutes les suivantes, l’omission délibérée du fameux verset « Et unam sanctam, catholicam et apostolicam Ecclesiam »... Cette Messe, grâce probablement à l’intervention de Salieri, est redonnée quelques semaines plus tard à l’aristocratique église des Augustins. À dix-sept ans, le jeune Schubert, qui vient de terminer son opéra Des Teufels Lustschloss, D.84 - une ambitieuse pièce en 3 actes -, et qui a subi un

choc esthétique décisif avec la création de la version définitive de Fidelio, où il a reconnu la grandeur de Beethoven, entre donc de plain-pied dans la vie musicale de la capitale. Hors de nouveaux quatuors à cordes pour l’usage familial, il donne le 19 octobre 1814 ce qui, plus tard, sera considéré comme l’acte de naissance du lied allemand : Gretchen am Spinnrade (« Marguerite au rouet »), suivi, en 1815, parmi une profusion de compositions de tous genres, du chef-d’oeuvre absolu qu’est Erlkönig (« le Roi des aulnes »). On sait le peu de cas que fera Goethe de ces pages trop novatrices. Mais le cercle des amis du Konvikt et même le vieil organiste de la cour, Ruzicka, accueillent la pièce avec enthousiasme et ils se cotisent pour la faire imprimer. Schubert reste instituteur pendant quatre ans. La tentation de la liberté ne tardera pas à l’emporter sur l’obéissance filiale, et même sur l’amour de Thérèse Grob, qui rompt ses fiançailles en 1819. Dès 1816, le jeune compositeur a reçu 100 florins (plus de deux fois son salaire annuel !) pour une cantate : Prométhée, D.451, dont le sujet même était une véritable provocation et dont tout le matériel a disparu, mais qui fut alors exécutée en privé. Désormais il fournit régulièrement, et en abondance, des pièces de commande, si bien que, dès la fin de 1817, il envisage d’abandonner l’école, et, dans un premier temps, quitte le toit paternel pour s’installer chez son ami Schober. L’occasion de renoncer aussi à l’enseignement ne se fera pas attendre longtemps. Au printemps de 1818, il reçoit l’offre du prince Johann-Karl Esterházy de l’accompagner dans sa résidence d’été de Zseliz en Hongrie (aujourd’hui Zeliezovce, Slovaquie), comme maître de musique de ses filles Caroline et Marie. Il quitte Vienne au début de juillet et n’y rentrera qu’à la mi-novembre, mais ne rejoindra pas son poste d’instituteur, demandant d’abord un congé d’un an qui deviendra définitif. Schubert est ainsi le premier grand compositeur qui ait débuté en vivant uniquement de sa plume (et de quelques leçons) : Mozart ou Beethoven n’y avaient abouti que plus tardivement, et se produisaient aussi comme exécutants. DE LA PROLIXITÉ À L’INHIBITION. Sa situation sera, dans l’immédiat, et,

même, d’une certaine façon pour le restant de ses jours, des plus précaires. L’image nous est devenue familière du jeune artiste désargenté, obligé de changer plusieurs fois par an de domicile, trouvant refuge tantôt chez son frère Ferdinand, tantôt même chez son père (où il retournera à deux reprises vivre pendant plusieurs mois), mais le plus souvent chez ses anciens camarades, partageant parfois une petite chambre avec un ou deux d’entre eux, ayant rarement un piano à sa disposition, mais produisant régulièrement plusieurs lieder par jour, sans parler de toutes les piécettes pour piano, danses, ensembles vocaux de circonstance et autres besognes alimentaires. La réalité est beaucoup plus complexe. Lentement mais sûrement, le nom de Schubert fait son chemin à Vienne et, bientôt, à l’étranger. Dès 1816, il a été présenté à l’une des « vedettes » du temps, le chanteur Michaël Vogl, qui s’intéressera vite à sa production mélodique, y voyant sans doute l’occasion inespérée de trouver un « second souffle « ! Quoi qu’il en soit, il la propagera sur toutes les scènes d’Autriche et fera de longues tournées avec le compositeur, qui, le plus souvent, l’accompagnera au piano. Cet instrument permet aussi à Schubert, quoique plus rarement, de se produire en soliste ; et son jeu était au moins aussi apprécié de ses contemporains que ses compositions elles-mêmes. Il faut d’ailleurs signaler que l’année 1817 a été la plus féconde quant à la production pianistique, avec 7 Sonates, dont 3 resteront fragmentaires. À la même époque survient à Vienne l’invasion de la mode italienne, avec le triomphe de l’opéra rossinien (dix ans plus tard, le phénomène se répétera avec Paganini). La plus grande partie de l’Italie était terre d’empire, et les artistes italiens étaient donc à Vienne dans leur propre capitale. Bref, Schubert n’échappe pas à cette influence, et c’est à elle qu’on doit le style très particulier de la 6e Symphonie, D.589, comme des deux Ouvertures voisines, D.590 et 591, dont l’une sera, selon toute probabilité, la première oeuvre d’orchestre de Schubert jouée en public, le 17 mai 1818. (Auparavant, ses symphonies n’avaient été exécutées que dans le cadre des soirées musicales du Konvikt ; seule la 5e Symphonie, D.485, à l’instrumentation volontairement simplifiée, avait été entendue en ville, mais en privé). L’hiver précédent, Franz a vu aussi imprimer pour la première fois une de ses oeuvres : le lied Am Erlafsee, D.586, paru

dans un almanach viennois en simple annexe à des poèmes du même auteur, Mayrhofer. Schubert en est déjà, chronologiquement, à sa six centième composition ! Et le choc en retour, inévitable devant une telle accumulation, va arriver brutalement. De toute l’année 1818, il ne produit que les quelques morceaux dont il doit illustrer ses leçons aux jeunes comtesses Esterházy : ils comprennent, il est vrai, les Variations (D.624) qu’il dédiera à Beethoven, ainsi qu’une remarquable Sonate à 4 mains, D.617. Mais, pendant plusieurs années, jusqu’en 1822, vont se succéder un nombre impressionnant de tentatives inabouties dans tous les genres : qu’il s’agisse de symphonies (dont 4 « inachevées » en 1818, 1820-21, 1821 et 1822), d’opéras ou de singspiels, de quatuors (le célèbre Quartettsatz D.703, de 1820, comporte un second mouvement fragmentaire), de sonates pour piano (2 fragments en 1818) ou même de lieder. Quant à la Messe no 5 en la bémol, D.678, la plus importante depuis la toute première, entreprise en 1819, elle ne sera péniblement achevée que trois ans plus tard. Et l’on n’oubliera pas le cas de l’unique oratorio entrepris par Schubert, Lazare ou la Fête de la Résurrection, D.689, dont il ne subsiste, de 1820, que la première partie et le début de la seconde (mais rien ne prouve que la suite n’a pas existé). Les causes de cette « inhibition » ne sont pas seulement dans le surmenage antérieur, dans l’existence bohème, ni même dans les premiers symptômes de la syphilis contractée (à Zseliz ou à Vienne ?) auprès d’amours passagères. Elles doivent aussi et surtout être recherchées dans la puissante exigence de progrès qui animait notre musicien, d’autant plus qu’il se tournait désormais vers un public nouveau, plus vaste mais plus anonyme, dont il attendait sa rétribution et auprès duquel il avait donc à établir puis à fortifier sa position. Or, le décalage lui apparut vite entre ses ambitions d’artiste novateur et ce que ce public pouvait accueillir favorablement ; et, dans un premier temps, ce fut pour lui un hiatus infranchissable. Il le résolut lentement, en dissociant de plus en plus souvent ces deux parts complémentaires de sa production : celle qu’il livrait à l’auditoire, pages à usage immédiat, parfois même de commande comme le Quintette, D.667, la Truite, ou même le remarquable Octuor en fa, D.803 (1824), qui, pour calquer sa forme sur le Septuor de Beethoven, n’en

est pas moins une oeuvre profondément originale, et celle qui répond bien davantage à des recherches formelles avancées ou à une nécessité intérieure d’expression telles qu’on les trouve dans les derniers Quatuors - surtout dans ceux en ré mineur, la Jeune Fille et la Mort, D.810 (1824), et en sol majeur, D.887 (1826) -, dans les dernières symphonies, dans les grandes sonates pour piano et dans les vastes cycles mélodiques, surtout dans le Winterreise, D.911 (1827). downloadModeText.vue.download 909 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 903 LA QUÊTE DE LA RÉUSSITE : L’OEUVRE SCÉNIQUE. En même temps que la maladie fait ses premiers ravages - en 1823 Schubert est longuement hospitalisé et suit un traitement douloureux qui s’accompagne de la chute de ses cheveux mais ne soulage guère ses maux de tête de plus en plus violents -, arrivent, ô ironie, les premiers honneurs, signe certain de la reconnaissance publique. Les soeurs Fröhlich, artistes et mécènes, l’introduisent à la Gesellschaft der Musikfreunde (fondée en 1813) : il deviendra en 1825 membre suppléant du comité et, deux ans plus tard, y siégera à part entière ; et, dans ses dernières années, son nom sera le deuxième en fréquence sur les programmes, après Rossini et avant Mozart et Beethoven dans cet ordre ! Au printemps de 1823, il est élu membre de la Société musicale de Styrie et, par l’intermédiaire de Josef Hüttenbrenner, envoie en remerciement les deux premiers mouvements de sa Symphonie en « si » mineur, en gardant toutefois par devers lui la seconde page, incomplète, du scherzo. C’est le point de départ d’une énigme non encore totalement résolue aujourd’hui. Mais il manque encore à son succès un élément déterminant : la réussite au théâtre, seule susceptible de lui assurer la faveur du plus large public, et qu’il a vainement recherchée depuis des années. Sur la bonne douzaine d’opéras ou singspiels écrits jusqu’en 1823, date de la dernière et plus vaste entreprise, Fierabras, D.796, un seul, Die Zwillingsbrüder (« les Frères jumeaux », D.647), a été produit au VieuxThéâtre de la porte de Carinthie en juin 1820 : il n’a eu que six représentations !

L’été suivant voit, il est vrai, la création d’un spectacle hybride, Die Zauberharfe (la Harpe enchantée), pour lequel Schubert a écrit une musique de scène que d’aucuns jugent admirable, d’autres envahissante (c’est le prototype de ce que nous appellerions aujourd’hui « théâtre musical », et c’est aussi, probablement, après l’oeuvre presque homonyme de Mozart, une pièce initiatique). La belle ouverture, D.644, fut reprise plus tard par Schubert pour Rosamunde, et publiée sous ce titre en 1827. L’automne et l’hiver 1821-22 sont consacrés à la composition d’Alfonso e Estrella, sur un livret de Schober pas plus mauvais que ceux qui réussiront à Weber. Schubert, d’ailleurs, admira sincèrement le Freischütz, qu’il vit à Vienne à la même époque ; mais il sera plus réservé vis-àvis d’Euryanthe, et se brouillera avec son auteur. Quant à Alfonso, il ne connaîtra les feux de la rampe qu’en 1854, à Weimar, à l’initiative de Liszt, qui fit tant pour la gloire posthume de Schubert (son orchestration de la Wanderer-Fantasie peut passer pour le concerto pour piano que notre musicien n’a pas écrit). L’ouverture D.732 est parfois aussi associée à Rosamunde : il semble que ce soit celle qui accompagna les premières représentations de cette pièce de Helmina von Chézy en décembre 1823. Le reste de l’admirable musique de scène de Rosamunde (D.797 : 6 pièces symphoniques et 4 pièces vocales) avait été écrit par Schubert dans un temps si bref qu’on peut penser qu’il réemploya également le matériau prévu pour servir de finale à la 8e Symphonie - et qui serait devenu l’entracte no 1 en si mineur. L’échec de cette pièce sonna le glas des ambitions théâtrales de Schubert. Un an avant sa mort seulement, il s’enthousiasme à nouveau pour un livret d’opéra écrit pour lui par son ami Eduard von Bauernfeld : le Comte de Gleichen. Il en composera la plus grande partie au brouillon et y pensera encore dans ses tout derniers instants. L’oeuvre aurait, à coup sûr, contenu des pages d’une audace géniale ; mais on ne pourra en juger que quand interviendra sa publication, qui se heurte à de graves difficultés de déchiffrage. LE « CHEMIN DE LA GRANDE SYMPHONIE ». Le 14 mars 1824, le quatuor en la mineur (dont le mouvement lent varie un beau thème de Rosamunde) triomphe sous les

archets du quatuor Schuppanzigh. À la fin du même mois, dans une lettre célèbre à Leopold Kupelwieser, Schubert déclare ne composer ces oeuvres instrumentales que pour se « frayer la voie vers la grande symphonie ». Parole capitale qui éclaire l’opiniâtreté avec laquelle il tente d’aboutir à la forme idéale, dont il rêve, et qui apportera un renouveau décisif à l’histoire de la symphonie. Au printemps, il est à nouveau invité à Zseliz, et part fin mai pour la Hongrie avec « l’intention d’écrire une symphonie » (Moritz von Schwind). Les oeuvres qu’il ramènera de Zseliz à la mi-octobre n’en contiendront point, mais on s’accorde à voir dans la Sonate à quatre mains, D.812, publiée à titre posthume sous le titre de Grand Duo, la concrétisation de ce projet (l’oeuvre fut instrumentée par plusieurs auteurs, et dès 1855 par Josef Joachim). Sa santé délabrée, Schubert sait désormais que ses jours sont comptés, mais son génie surmonte et transfigure l’angoisse métaphysique qui l’étreint - car il ne trouve pas, dans une foi toute relative, de certitude suffisante. La connaissance de son mal, autant que l’écart de leurs conditions sociales, l’empêche de donner suite à la passion naissante qui l’unit à Caroline Esterházy - passion qui semble avoir été partagée, car la jeune femme ne se mariera que longtemps après la mort du musicien. Pourtant, celui-ci connaîtra encore des jours presque heureux, notamment au cours de l’été de 1825, où il entreprend en compagnie de Vogl une tournée de concerts en Haute-Autriche et au Tyrol, entrecoupée de deux séjours de villégiature à Gmunden et à Badgastein. C’est là qu’il entreprend, ou qu’il poursuit, le projet de sa Grande Symphonie en « ut » majeur, terminée l’année suivante, qu’il offrira, en octobre 1826, à la Gesellschaft der Musikfreunde. Le fait que celle-ci n’ait pas commandé l’oeuvre l’oblige à dissimuler l’entrée du manuscrit et à justifier la remise de 100 florins au compositeur sous des dehors d’« encouragement « ; il sera aussi responsable de la méprise de sir George Grove, qui croira à l’existence d’une symphonie perdue, et la fera si bien admettre qu’on cherchera l’oeuvre en vain - et pour cause - un siècle durant ! Après que l’Anglais John Reed (1972) eut empiriquement rétabli les faits, l’analyse scientifique de l’autographe (R. Winter) puis la redécouverte récente des factures des copistes qui préparèrent le matériel

au début de 1827 ont confirmé point par point sa thèse. On continue cependant à s’interroger sur la postdatation de l’autographe (« mars 1828 »), qui peut avoir été mal lue, ou résulter d’un projet d’édition qui se situe à cette date et, bien sûr, n’eut pas de suite. En 1839, Robert Schumann trouva une copie de l’oeuvre en la possession de Ferdinand Schubert, et la fit créer à Leipzig par Félix Mendelssohn. Sa nouveauté était telle qu’un siècle plus tard elle n’était pas encore définitivement entrée dans la conscience musicale du public, surtout hors du monde germanique : c’est, semble-t-il, chose faite aujourd’hui, mais l’expression de Schumann, « céleste durée » (au singulier !), demeure un perpétuel sujet de malentendu. Sans remettre en cause les conclusions précédentes, l’hypothèse n’est pas à exclure qu’une symphonie en mi majeur (dite « no 2 »), dont l’existence a été signalée récemment (H. Goldschmidt, Berlin-Est), ait pour origine une ébauche de Schubert remontant aussi à l’année 1825. Il y aurait surtout travaillé à Gmunden, mais l’aurait bientôt abandonnée au profit de celle en ut. L’oeuvre aujourd’hui produite (présumée complétée par un auteur inconnu à la fin du XIXe siècle, et créée en 1982) comporte un nombre insolite de citations schubertiennes, notamment du Wanderer et de l’Octuor ; en outre, le scherzo s’y trouve placé en seconde position. Si le plan est vraiment de Schubert (et les relations tonales tendraient à le prouver), ce serait chez lui un cas unique. Il n’existe aucune trace autographe de cette éventuelle ébauche ; mais H. Goldschmidt fait aussi allusion à des séances de spiritisme suivies par Schubert à Vienne peu avant son départ pour Gmunden, et où le thème du Wanderer aurait été évoqué. UNE INCOMPARABLE SÉRIE DE CHEFSD’OEUVRE. Les mêmes années 1825-26 voient la naissance d’un magnifique ensemble de sonates pour piano (3, dont une incomplète, downloadModeText.vue.download 910 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 904 dite Reliquie, en 1825 ; une, en sol, D.894, en 1826), suivi en 1827 des deux célèbres

séries d’Impromptus, D.899 et D.935, dont la seconde figure en vérité une sonate. Le dernier et plus beau quatuor, en sol majeur, D.887, d’une sonorité inouïe par l’emploi prébrucknerien du trémolo, naît en quelques jours en juin 1826 : un seul mouvement en sera entendu du vivant de son auteur, au début du fameux et unique concert de ses oeuvres qu’il put donner le 26 mars 1828, jour anniversaire de la mort de Beethoven. Le programme comprenait, outre des lieder et des choeurs, une autre grande page terminée et créée peu auparavant : le Trio avec piano en mi bémol, D.929 (quant à l’oeuvre jumelle, en si bémol, D.897, longtemps attribuée à 1828, elle remonte très vraisemblablement à 1825 ou 1826, comme l’a aussi montré John Reed). Schubert, qui venait seulement de fêter ses trente et un ans et n’avait déjà plus que quelques mois à vivre, approchait de sa millième composition. Mais les chefs-d’oeuvre accumulés jusqu’alors vont encore le céder à tout ce que cette dernière année va apporter d’inouï dans le sens le plus fort du terme. Préfigurées par le second cahier du Winterreise, ces pages capitales touchent d’abord le duo de piano, avec l’ensemble formé par la Fantaisie en « fa » mineur (D.940, dédiée à Caroline Esterházy : « Mais toutes mes oeuvres ne lui sont-elles pas dédiées ? », dira le malheureux compositeur), l’allegro Lebensstürme (D.947, titre apocryphe) et le Rondo en « la » majeur D.951 ; puis, en juin et juillet, la musique sacrée avec la dernière Messe, no 6 en mi bémol, D.950, la plus vaste et celle où l’écriture contrapuntique, avec la grande fugue qui termine le credo, atteint une complexité que seul Bruckner dépassera ; puis, à la fin de l’été (où Schubert, ayant dilapidé comme à l’habitude la recette de son concert, a dû renoncer à se rendre à nouveau en Haute-Autriche), le piano solo avec l’ensemble des trois dernières et plus aventureuses sonates : en ut mineur (D.958), en la majeur (D.959, avec l’explosion terrifiante qui secoue le mouvement lent en son centre), et en si bémol (D.960, la plus lyrique au contraire et la seule connue à sa mesure). Au même moment, après les lieder sur des poèmes de Heine qui seront intégrés au Schwanengesang, il achève le Quintette en « ut », D.956, avec 2 violoncelles, le plus haut sommet de sa musique de chambre, où l’introspection des premiers mouvements se prolonge encore au trio. C’est enfin un ultime retour à

la symphonie avec l’ébauche très avancée d’une Symphonie en « ré » majeur qui serait devenue la 10e Symphonie, et qui devait demeurer insoupçonnée près d’un siècle et demi bien qu’on ait toujours connu l’existence du manuscrit qui la renfermait ! L’ULTIME REMISE EN CAUSE ET LA MORT. Les problèmes d’écriture soulevés par ces travaux font ressentir au compositeur la nécessité d’effectuer un retour sur les fondements mêmes de son art, et de remettre en cause sa formation technique. Lui, dont l’invention a atteint des cimes que nul ne retrouvera jamais, va frapper humblement à la porte d’un professeur de contrepoint déjà très réputé : Simon Sechter (17881867), Bohémien d’origine, qui deviendra trente ans plus tard le maître de Bruckner. On a cru que Schubert était mort avant d’avoir pris sa première leçon. En réalité, il en prit une et reçut des exercices à faire chez lui (on en trouve trace sur le brouillon de l’andante de la 10e Symphonie). La dernière oeuvre cataloguée de Schubert est donc un exercice de contrepoint... Brusquement, sa maladie s’aggrava au début de novembre 1828. On crut à un typhus, car le musicien, qui vivait alors chez son frère Ferdinand, ne supportait aucune nourriture. Mais l’absence de fièvre jusqu’aux derniers jours fait conclure au Dr Dieter Kerner, dans un ouvrage récent consacré aux maladies des grands musiciens, que la syphilis seule, parvenue à son dernier stade, est responsable de la mort de Schubert, ce que confirment les résultats de l’autopsie, qui montra la détérioration de l’enveloppe cérébrale. Peu s’en fallut que, comme Hugo Wolf ou Nietzsche, Schubert ne soit atteint par la paralysie et la folie, si bien qu’il serait vain d’imaginer qu’il eût jamais pu concrétiser les « grandes espérances » dont parla Grillparzer sur sa tombe. Il mourut le 19 novembre 1828 au terme d’une journée de délire où il se prit un instant pour Beethoven et demandait s’il y avait encore une place pour lui en ce monde... Inhumée d’abord au cimetière de Währing, sa dépouille, en même temps que celle de son grand aîné, a été transférée en 1888 au cimetière central de Vienne, au lieudit « Panthéon des artistes ». L’OEUVRE ET SA DESTINÉE. De ce simple survol, il résulte que Schubert demeura beaucoup moins inconnu de ses contemporains qu’on a bien voulu

le dire ; mais l’image de l’artiste pauvre et malchanceux va trop de pair avec le stéréotype du compositeur romantique pour qu’on admette la vérité : dans ses dernières années, notre musicien fut à Vienne l’un des artistes les plus en vue, et son nom n’était ignoré de nul amateur averti. Reste que cette réputation ne se fondait nullement sur ses oeuvres essentielles - et force est de constater que ce n’est pas même encore le cas aujourd’hui ! La liste des oeuvres publiées de son vivant est éloquente à cet égard : elles n’atteignent qu’une centaine de numéros (le dixième du total) et concernent pour la plupart des genres mineurs, avec çà et là, il est vrai, l’un ou l’autre chef-d’oeuvre. Mais lorsque, en février 1828, Schubert écrit à deux éditeurs allemands, Probst et Schott, pour leur soumettre un choix de ses « dernières compositions », il n’offre en priorité que de la musique de chambre ou des choeurs (les pages les plus hardies, les quatuors, seront d’ailleurs écartées), et n’indique qu’en appendice « 3 opéras, 1 messe et 1 symphonie » (la Grande)... « pour que vous soyez au courant de mes ambitions dans les formes les plus hautes de l’art « ! En dépit de quoi, et malgré l’absence à cette époque de toute législation sur les droits d’auteur, les recettes de l’artiste auraient suffi largement à le tenir à l’abri du besoin s’il avait su les gérer correctement. Mais non seulement il ne savait pas réclamer son dû (il céda maintes fois des trésors à vil prix), mais sa générosité le rendait incapable de conserver le nécessaire pour lui-même, et il préférait régaler ses amis au cours d’interminables soirées demeurées légendaires... La gloire de Schubert reposa donc d’abord sur sa production mélodique, que la France découvrit dès les années 1830 grâce au chanteur Adolphe Nourrit - nous devrions dire plutôt sur une très petite partie de cette production, qui recèle encore de nos jours des trésors insoupçonnés. Seuls la redécouverte et le succès fulgurant de la Symphonie en « si » mineur imposèrent son nom dans le domaine de l’orchestre, encore que sur un malentendu... Les symphonies de la première période n’atteignirent le public qu’à la fin du XIXe siècle ; et bien qu’à la même époque ait paru la première édition complète de l’oeuvre schubertienne (Breitkopf et Härtel, Leipzig), son nom ne devait figurer longtemps encore à l’affiche,

dans le domaine instrumental, que par un très petit nombre de titres (2 quatuors, 1 trio, le quintette la Truite et quelques pièces pour piano favorites à l’exclusion des grandes sonates), qui ne donnaient aucune idée réelle de l’importance de sa production et moins encore de l’ampleur et de la continuité de son évolution stylistique - plus d’un biographe n’alla-t-il pas jusqu’à lui dénier toute évolution ! Il aura fallu l’ère récente de l’enregistrement « encyclopédique » pour qu’une vue plus globale et plus correcte commence à s’imposer, et pour que, à la faveur des commémorations de 1978 et de la préparation de la Neue Schubert-Ausgabe (en chantier depuis 1965 : Bärenreiter, Kassel), la musicologie schubertienne connaisse un renouveau sans précédent. Celui-ci s’est déjà traduit non seulement par d’ambitieuses monographies (B. Massin), mais par des redécouvertes, des restitutions ou des études philologiques qui conduisent parfois à une remise en cause fondamentale des notions admises. downloadModeText.vue.download 911 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 905 LA VRAIE GRANDEUR DE SCHUBERT. Il en ressort qu’à âge égal (critère nécessaire de toute juste appréciation), Schubert est certes le plus fécond mais aussi le plus novateur des grands musiciens. Loin d’être l’épigone, le double « féminin » de Beethoven qu’on voulait faire de lui, il ne connaît en vérité de rival dans aucun des principaux genres et pas seulement dans le lied. Tout au plus le cède-t-il dans le domaine scénique (encore que son sens du théâtre ait été fort mésestimé) ou dans le concerto, qui l’intéressait peu. Il n’avait ni le goût de la virtuosité ni celui de l’antagonisme, mais plutôt le goût de la complémentarité entre partenaires ; et même lorsqu’elle fait intervenir un soliste, sa musique est rien moins que démonstrative, ce qui n’a pas été sans nuire à son succès... Mais la sonate, le quatuor, la symphonie et la musique sacrée lui doivent des apports essentiels, incomparables en quantité comme en qualité. Schönberg, taxé un jour de « révolutionnaire », répondit qu’il en était « un bien petit auprès de Schubert », et toute l’oeuvre de maturité de celui-ci, surtout celle des deux dernières

années, illustre et confirme cet aphorisme révélateur ! Dans toutes les grandes formes, la production de Schubert, clivée par la remise en cause des années 1818 à 1822-23, se répartit en trois étapes d’importances et de significations très différentes : jusqu’en 1818, de 1818 à 1823, après 1823. La première période (1810-1818) est celle de l’oeuvre juvénile, très spontanée, pleine d’ardeur et d’insouciance (le jeune musicien s’adresse, ne l’oublions pas, à un cercle familial ou amical), encore que non dépourvue de réflexion ou de recherche formelle. C’est ainsi que certaines sonates ou quatuors répondent à des coupes inhabituelles (toutefois, la part doit être faite de la perte de l’un ou l’autre mouvement ou de leur réunion arbitraire par un éditeur). Mais c’est l’ampleur du discours, tout imprégné d’une veine mélodique sans équivalent chez nul autre musicien, qui frappe dès ces essais souvent aventureux par l’étendue des expositions (dès la 2e Symphonie, le groupe de cadence acquiert une autonomie inconnue jusqu’alors) et plus encore par leurs plans tonaux. Ici les contrastes se meuvent d’emblée dans des régions très inattendues ; et c’est à cette particularité, très reconnaissable même par l’auditeur le moins averti, que l’oeuvre schubertienne doit sa couleur propre. LES ANNÉES DE RECHERCHE : NAISSANCE DE LA STRUCTURE CYCLIQUE. Entre 1818 et 1823, nous assistons à un double phénomène de mûrissement : psychologique et formel, qui se traduit - on l’a dit - par une accumulation très insolite d’entreprises inabouties. Mais ces fragments sont, dans chacun des genres concernés, éminemment significatifs, et comprennent certaines des pages à la fois les plus émouvantes et les plus riches de conséquences du grand musicien. Ils vont du Quartettsatz en « ut » mineur à la Symphonie en « si » mineur en passant par plusieurs sonates et par trois autres projets symphoniques. En outre on a vu que, d’une certaine manière, la sublime Missa solemnis en la bémol, bien qu’achevée, appartient aussi à cette catégorie d’oeuvres marquées par une genèse difficile. Certaines de ces pages peuvent faire l’objet de reconstitutions, notamment si l’esquisse n’est privée que de sa réexposition ou si une trame est fournie jusqu’à la

fin de l’oeuvre - l’exemple le plus notable de ce dernier cas est la Symphonie no 7 en mi majeur, D.729 (août 1821). En même temps que Schubert s’adresse à un nouveau public, il se livre alors à une recherche expressive et formelle plus systématique. En sorte que ces années de doute représentent aussi le véritable passage de la musique viennoise (et, on peut le dire, de la musique tout court) de l’ère classique à l’ère romantique : c’est une percée, un Durchbruch d’une importance capitale, que deux oeuvres peuvent illustrer plus particulièrement : l’une inaboutie, précisément, la Symphonie en « mi « ; l’autre beaucoup plus connue mais pas toujours bien comprise, la Wanderer-Fantasie, D.760 (novembre 1822). Bien que son auteur lui-même l’ait presque prise en aversion pour son côté brillant, à l’opposé de sa nature profonde, elle est une des plus spécifiques, à la fois du thème de l’errance si familier à notre compositeur, et de son invention formelle, puisqu’il s’agit en vérité d’une sonate cyclique en 4 mouvements ininterrompus, forme lisztienne avant la lettre. En outre, elle varie un motif emprunté à une oeuvre vocale antérieure procédé qui se retrouvera souvent dans l’oeuvre de maturité. À cette Fantaisie, on peut associer la sonate suivante, en la mineur, D.784 (février 1823), exemple non moins significatif d’une pensée unitaire dans une forme tout autre (3 mouvements symétriques) : ce qui en fait la première des « grandes ». Par ces quelques oeuvres et par toutes celles qui suivront, Schubert se révèle comme le véritable auteur de la plus puissante révolution formelle des temps modernes : l’avènement de la structure cyclique à composante cellulaire. Ce modèle, qui consiste à élaborer les thèmes de tous les mouvements à partir d’un petit nombre de cellules élémentaires, les unes rythmiques, les autres mélodico-harmoniques, avait certes été exploré par Haydn, Mozart et Beethoven, mais Schubert (qui sera suivi en cela par Bruckner) va en faire le fondement de tous les chefs-d’oeuvre de sa dernière période. Mais ce qui est plus admirable encore, c’est que la microstructure ne compromet nullement, ni chez l’un ni chez l’autre, l’équilibre des vastes courbes mélodiques qu’elle engendre. Qu’on en juge seulement par le thème de l’allegro de la 7e Symphonie, qui se déroule

superbement sur 23 mesures, tout comme celui de la future symphonie homologue (et de même ton) de Bruckner. LES « GRANDES SYMPHONIES ». C’est justement la comparaison de leurs microstructures qui permet d’affirmer que la Symphonie no 8 en si mineur et l’entracte no 1 de Rosamunde procèdent initialement d’une même conception. L’abandon de la partition d’orchestre de la symphonie n’a donc rien à voir avec une prétendue baisse d’inspiration. Elle ne s’expliquerait pas seulement par des circonstances extérieures, mais aussi et surtout (M. Chusid) par certains emprunts beethovéniens (on relève des éléments des 2e et 5e Symphonies du maître de Bonn), dont Schubert aurait été conscient et qu’il aurait craint de se voir reprocher. Il aurait donc « évacué » l’oeuvre en envoyant la partie achevée à Graz, sachant qu’elle ne serait pas rendue publique (ou peut-être même à cette condition). Retrouvée, comme on sait, et créée en 1865 par Johann Herbeck, la symphonie aujourd’hui la plus jouée du monde n’est pas pour autant un moindre chef-d’oeuvre, par l’alliance d’un lyrisme spontané et d’une forme rigoureuse et cohérente à laquelle seule la version complétée ( ! NOMENCLATURE) rend vraiment justice. S’il n’a pas atteint le stade de la partition d’orchestre, le Grand Duo, D.812, ne concrétise pas moins le projet symphonique de 1824 à la fois dans son microcosme et dans son macrocosme, c’est-à-dire non seulement par sa structure cellulaire, mais par l’ampleur et la disposition des mouvements, et par la nature orchestrale de l’écriture, déjà remarquée par Schumann dès la parution de l’oeuvre en 1838. À partir de 1824, la pleine possession d’une technique qu’il vient de forger de toutes pièces permet à Schubert de mener à bien les entreprises les plus vastes, d’abord par le moyen de la sonate (10 chefs-d’oeuvre en moins de cinq années, tout gorgés d’une sève inimitable), du duo (piano à 4 mains ou violon et piano), du trio, du quatuor, de l’octuor, et bientôt, enfin, dans la symphonie. On ne s’étonnera pas que nous donnions ici à cette dernière une place prépondérante : c’est l’image même de l’ambition clairement exprimée du compositeur, qui, en trois lustres, n’a pas entrepris moins de 14, voire 15 symphonies (en moyenne une

par an), même si la moitié seulement sont parvenues à leur forme définitive. L’oeuvre fondamentale qui va voir le jour en 1825 et 1826, la Symphonie no 9 en « ut » majeur, dite la Grande Symphonie, par sa place downloadModeText.vue.download 912 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 906 unique, représente donc la clé de voûte de toute la carrière de son auteur, et, dans son respect de la forme stricte, un jalon aussi essentiel que celle de Beethoven (qui la rompt). En tant qu’exemple parfait d’unité interne (une demi-douzaine de motifs élémentaires la gouvernent de bout en bout), elle est la pierre angulaire de toute la littérature orchestrale moderne ; et elle porte aussi à son apogée le don d’instrumentateur du musicien, qui, en dépit de son peu de pratique de la direction, trouve d’emblée, et par une intuition géniale, l’équilibre admirable de couleurs et d’expressions qui rend son orchestre à la fois si limpide et si homogène : double qualité que seul Bruckner saura retrouver. Et, par-dessus toutes ces vertus, c’est le comble du don de soi que représente cette oeuvre qui, créée dans la souffrance, est un miracle de joie ! Le drame toutefois va, dans les deux dernières années, devenir de plus en plus insoutenable et, pour la première fois, confiner à la désespérance. Ce qui n’empêchera pas la recherche formelle de se poursuivre et de se concentrer sur les problèmes d’écriture qui, dans les semaines qui précèdent sa mort, conduisent Schubert à se remettre à l’étude du contrepoint. De plusieurs façons différentes (H. Halbreich), l’esquisse de la Symphonie no 10 en « ré » majeur, entreprise au même moment (automne 1828, D.936 A), ouvre de nouvelles voies, riches de progrès et d’initiatives hardies, qui font de sa révélation récente (le fac-similé parut en 1978 conjointement aux esquisses de 1818 et 1820-21 anciennement confondues dans le même cahier) un événement capital. Des 3 mouvements, le plus prophétique est de très loin le poignant andante central, en si mineur, où Schubert anticipe jusque sur le dernier Mahler, et se conduit lui-même au tombeau ! SCHUBERT ET LA MUSIQUE VOCALE.

À mesure que les brumes de l’oubli, de l’ignorance ou de l’incompréhension se dissipent autour de cet immense corpus qu’est la production instrumentale de Schubert, sa musique vocale, perdant un peu de sa primauté, acquiert une signification nouvelle, plus proche, semble-t-il, de la réalité : celle d’un fluide vital, d’un sang qui alimente tout le reste de l’organisme. En date du 25 mars 1824, Schubert note dans un de ses rares agendas (aujourd’hui perdu, mais publié par Bauernfeld et cité par W. Dahms puis par O. E. Deutsch) : « Une beauté unique doit accompagner l’homme tout au cours de sa vie... ; mais la lumière de cet émerveillement doit éclairer tout le reste. » Ces lignes, de huit jours antérieures à la fameuse lettre sur le « chemin de la grande symphonie », définissent aussi bien le rôle du lied schubertien, « éclairant le reste » de l’oeuvre. Dans les cas limites, un lied inspire directement une pièce instrumentale (généralement de musique de chambre). Outre les exemples les plus connus, déjà évoqués plus haut, n’oublions pas les Variations, pour flûte et piano, D.802, sur Trockne Blumen (« Fleurs séchées », un lied de la Belle Meunière) ; ni la Fantaisie en ut majeur, pour violon et piano, D.934, commandée par J. Slavik avec ses variations sur Sei mir gegrüsst, D.741. Quant au 2e mouvement du Trio en mi bémol, D.929 (que Schumann « ne pouvait écouter sans pleurer »), il s’inspire également d’une mélodie, mais d’un autre compositeur, peu connu, le Suédois Isaak Borg. Plus tard, Mahler suivra le même processus, sauf qu’il utilisera ses lieder presque textuellement en les orchestrant et les amplifiant pour les besoins de ses symphonies, alors que Schubert varie les siens de façon bien plus subtile. GENÈSE DU LIED SCHUBERTIEN. Plus de 600 mélodies pour voix seule et environ 130 pour des ensembles vocaux allant du trio ou du quatuor au grand choeur avec ou sans soliste - voilà, couvrant toute la période créatrice de sa vie, la gigantesque production vocale de Schubert. Génération spontanée, pourrait-on croire. Ce n’est pas tout à fait exact. On pourrait mentionner, comme antécédents, quelques grands noms du Moyen Âge et de la Renaissance : Walter von der

Vogelweide, Wolfram von Eschenbach, et, surtout, l’étonnant Oswald von Wolkenstein. Mais rien ne porte à croire que Schubert les ait connus (en fait, pour lui, l’histoire de la musique ne remontait pas à plus de deux ou trois générations, et Bach lui-même n’était pas encore redécouvert). En revanche, il connaissait fort bien l’oeuvre de ses prédécesseurs immédiats, les illustres - Haydn, Mozart, Beethoven, Weber - et les relativement obscurs, mais compositeurs vocaux plus spécifiques (Liederkomponisten) - Zelter, les Reichardt père et fille (la très douée Luise Reichardt avait déjà trouvé quelques accents préschubertiens), Schulz et Zumsteeg (le « père de la ballade romantique »). Mais Schubert donne une ampleur, un rayonnement et un poids nouveaux à ce qui, somme toute, n’était avant lui qu’un genre secondaire, voire mineur, où l’on chercherait en vain un chef-d’oeuvre sinon celui, absolu mais isolé, qu’est An die ferne Geliebte, de Beethoven (d’ailleurs postérieur aux premières réussites schubertiennes). On remarquera qu’après quelques tâtonnements de prime jeunesse, dès ses opus 1 et 2 - Gretchen am Spinnrade et Erlkönig, D.118 et 328 -, Schubert crée une forme à la fois neuve et accomplie. « La révolution de Schubert dans le domaine du lied, écrit le regretté musicologue anglais E. G. Porter, peut être comparée à celle qu’accomplit Wagner dans l’opéra ; mais nous ne pouvons savoir quelle était dans cette création la part d’un raisonnement clair et calculé » (Schubert’s Song Technique, 1961). Selon un homme mieux placé que quiconque pour en juger et en témoigner, le chanteur Michaël Vogl, ami et principal interprète de Schubert, les lieder de ce dernier étaient le fruit d’une « révélation divine », produit dans un état de « voyance musicale » (musikalische Clairvoyance). Révélation et voyance, certes ; mais aussi invention et travail continus, aboutissant à une immense variété de genres. Côté formel : lieder strophiques, strophiques modifiés, de schéma A-B-A ou de bien d’autres, trop longs à énumérer, ou encore durchkomponiert (« d’une composition continue », selon l’heureuse traduction de J. Chailley). Pour ce qui est du contenu, lieder lyriques (en majorité), épiques - relevant plus ou moins de la ballade -, monologues et scènes bibliques

ou antiques, tableaux intimistes... ; et, couronnant l’ensemble, les deux grands cycles : Die schöne Müllerin, D.795, et Winterreise, D.911, auxquels s’ajoute l’ultime recueil Schwanengesang, D.957. Deux grands lieder tardifs ajoutent au piano, de façon fort originale, un instrument à vent : le cor pour Auf dem Strome, D.943, dont les amples proportions reproduisent les péripéties d’un long voyage fluvial ; la clarinette pour Der Hirt auf dem Felsen (« le Pâtre sur le rocher »), D.965. CHOEURS ET ENSEMBLES VOCAUX. Dans ce domaine aussi, la production de Schubert est plus riche que celle de la plupart de ses contemporains. Musicalement, elle se distingue par une diversité et une puissance d’invention exceptionnelles : on peut dire que Schubert se trouve, là encore, sur un terrain à peu près vierge, où toutes les expériences sont permises. Ainsi crée-t-il, en toute liberté, des formes nouvelles qui, de loin, se relient au madrigal ancien et préfigurent, sous une forme vocale, le poème symphonique à venir. Citons, parmi les pièces les plus remarquables et les plus fréquemment entendues : Gesang der Geister über den Wassern, D.714, d’après Goethe, pour choeur d’hommes ; Nachthelle, D.892, pour ténor et choeur ; Nachtgesang im Walde, D.913, pour choeur et quatre cors ; Der Gondelfahrer, D.809, pour choeur et piano ; Ständchen, D. 920, d’après Grillparzer, pour contralto, choeur et piano ; Der 23. Psalm, D.706, pour choeur de femmes et piano ; Coronach, D.836, idem ; Hymnus an den Heiligen Geist, D.964, pour choeur d’hommes et vents ; enfin le monumental Mirjams Siegesgesang, D.942, d’après Grillparzer, pour soprano solo, choeur mixte et piano, orchestré par Franz LachdownloadModeText.vue.download 913 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 907 ner d’après l’intention de Schubert au lendemain de sa mort. L’importance de cette production n’est pas uniquement musicale. Elle est également sociologique. Au début du XIXe siècle, sous l’impulsion notamment du musicien suisse Naegeli, se formaient dans les pays germaniques des Liederta-

feln, petits ensembles vocaux répondant au désir de faire participer à la musique la plus grande variété de couches sociales. En Autriche, ces Tafeln étaient aussi des foyers de résistance à la tyrannie policière. Manquait un répertoire valable, jusqu’à la venue de Schubert, dont l’oeuvre allait en constituer l’essentiel - tant aux amicales schubertiades qu’à la Gesellschaft der Musikfreunde, constituée depuis peu. Et, désormais, en Autriche comme en Allemagne, des groupements de plus en plus nombreux et de plus en plus fournis (jusqu’à deux cents chanteurs) prendront souvent le titre de Schubertbund. SCHUBERT ET LA POÉSIE. La fable d’un Schubert purement instinctif, peu cultivé, et plus ou moins dépourvu de sens critique est inacceptable. Plus de 70 poèmes de Goethe, 70 de Schiller (en comptant les pages chorales), 22 de Hölty, 21 de Schlegel, et un vaste panorama poétique allant de la Bible, d’Eschyle (traduit par Mayrhofer), de Shakespeare, d’Ossian au tout jeune Heine, en passant par Walter Scott, Novalis, Rücker, Körner, Grillparzer... - de quoi former une anthologie très complète de la poésie de son époque, et de quelques autres aussi -, quel autre musicien, même « cultivé », peut présenter pareille moisson ? Reste le problème des poètes « mineurs » - sans parler de Schubert luimême, auteur de quelques textes non négligeables. D’abord Johann Mayrhofer (47 poèmes) et Wilhelm Müller (45). Le premier a été éloquemment réhabilité par E. G. Porter, qui lui trouve des accents comparables à maints romantiques... anglais ! En tout cas, Schubert lui doit quelquesuns de ses plus beaux thèmes poétiques (Fahrt zum Hades, D.526 ; Lied eines Schiffers an die Dioskuren, D.360 ; Nachtstück, D.672...). Le cas de Müller est un peu différent. Si l’homme était aussi cultivé que Mayrhofer (il enseignait le grec et le latin), sa poésie se veut populaire sinon populiste ; le titre global de ses deux recueils est Gedichte aus den hinterlassenen Papieren eines Waldhornisten - ce « corniste » plaçant l’oeuvre dans le sillage du célèbre Des Knaben Wunderhorn, antérieur de quelques années. Détail émouvant : sans avoir connu Schubert, il l’a pressenti. « Mais patience, écrit-il : il peut se trouver une âme accordée à la mienne, qui entendra la mélodie latente dans mes paroles,

et me la restituera » (cité par W. Dahms, Schubert, 1913). Mais que dire de Matthäus von Collin, dont les « bouts rimés » ont inspiré à Schubert deux de ses plus purs chefs-d’oeuvre, le lyrique, l’extatique Nacht und Träume, D.827, et le surprenant Der Zwerg, D.771 ? Que dire aussi de Lappe (Im Abendrot, D.799) de Leitner (Der Winterabend, D.938) ? On ne peut que s’émerveiller devant cette alchimie schubertienne toujours renouvelée. Ajoutons que devant ces poètes discutables, dont certains étaient ses amis, d’autres des personnages haut placés comme ce sympathique Ladislaus Pyrker, patriarche de Venise (Das Heimweh, D.851, et Die Allmacht, D.852), et dont il avait surtout besoin pour alimenter son intarissable production, Schubert gardait tête claire. Dans une lettre à l’éditeur Schott, il énumère, entre autres oeuvres : « Des chants à une voix avec accomp. de piano, poèmes de Schiller, Goethe, Klopstock, etc., et de Seidl, Schober, Leitner, Schulze, etc. », faisant ainsi clairement la distinction entre les « vrais » poètes et les autres. CYCLES ET RECUEILS. À la Belle Meunière, au Voyage d’hiver et au recueil posthume intitulé Chant du cygne, D.957, par l’éditeur Haslinger, il convient peut-être d’adjoindre la série des WilhelmMeister-Lieder (disséminés dans le catalogue Deutsch), avec ses deux volets - du Harpiste et de Mignon. Ce bipartisme se retrouve dans les grands cycles, y compris dans le recueil du Schwanengesang. Die schöne Müllerin débute dans l’attente, l’espoir et l’assouvissement de l’amour. Mais au no 14, à l’apparition du cruel et bientôt triomphant chasseur, l’horizon s’obscurcit ; et le reste du cycle se déroule sous le signe, plus sensible encore dans la musique que dans les poèmes, de la jalousie, de la tristesse et, enfin, du désespoir. Dans Winterreise, composé en 1827 (févr., pour les nos 1 à 12, qui mettaient en musique la seule part alors publiée des poèmes ; octobre pour les douze suivants), cette division en deux est plus difficile à saisir. Elle a été principalement mise en lumière par J. Chailley dans sa pénétrante étude le Voyage d’hiver de Schubert, dont voici un passage clé : « (En son second

cahier), au lieu d’une histoire banale de soupirant évincé, la Winterreise devient, comme le faisait pressentir Irrlicht (no 9), le périple de l’homme en marche vers le tombeau, interrogeant le ciel sans obtenir de réponse sur sa destinée en rejetant finalement l’illusion des dogmes pour se réfugier dans le néant... Certains détails, dont les plus transparents se trouvent dans Der Wegweiser, laissent transpercer une philosophie d’origine maçonnique parfaitement assimilée par le musicien... » Une vue aussi neuve ne saurait surprendre, venant de l’exégète de la Flûte enchantée. Ajoutons qu’il s’appuie sur une analyse détaillée des 24 lieder pris un à un. Quant au Schwanengesang, c’est le hasard qui l’a scindé en deux, en mettant entre les mains de Haslinger deux recueils séparés, l’un sur 7 poèmes assez impersonnels de Rellstab, l’autre sur 6 autres, les plus originaux de l’époque : ceux de Heinrich Heine. Or il s’établit entre ces deux volets une fortuite mais heureuse symétrie. Après les variations sur le thème de l’absence que sont les Rellstab-Lieder et la rayonnante évocation, par la musique de Schubert, du monde extérieur et de ses quatre éléments, c’est dans les abîmes du « moi » que le musicien pénètre à la suite de Heine, le dépassant parfois : hallucination d’une ville-fantôme, Die Stadt, dont Brahms empruntera les arpèges dans son 2e Quatuor avec piano ; autre hallucination, celle du Doppelgänger, l’une des rares mélodies de terreur, annonçant les Chants et danses de la mort, de Moussorgski (et dont le thème, déjà présent en 1821 dans l’introduction lente de la Symphonie en « mi », obsédera tant Schubert qu’il le réemploiera dans l’Agnus Dei de sa Messe en « mi » bémol). Quant à Die Taubenpost, ultime mélodie de Schubert, arbitrairement ajoutée au recueil par Haslinger, elle a, toutefois, un effet euphorisant après les cauchemars. Par son rythme, elle renoue quelque peu avec les ruisseaux et les chevauchées des Rellstab-Lieder. Et son mot clé est Sehnsucht, « nostalgie « : celle de Franz Schubert, pour les mondes inconnus de la musique, dont il fut l’explorateur émerveillé. SCHULLER (Gunther), compositeur, chef d’orchestre et pédagogue américain (New York 1925). Fils d’un violoniste de la Philharmonie

de New York, il étudia la composition, la flûte et le cor (1938-1942), jouant, dès 1944, comme corniste un concerto écrit par lui. Il cessa de jouer du cor en 1959. Comme pédagogue, il a enseigné à la Manhattan School of Music (1950-1963), à la Yale School of Music (1964-1967) et au New England Conservatory, qu’il présida de 1967 à 1977. Il a également travaillé à Tanglewood, notamment comme codirecteur artistique (à partir de 1969). Il a, enfin, réalisé de nombreux programmes à la radio et à la télévision et édité des oeuvres de Charles Ives, Scot Joplin et Kurt Weill. Comme compositeur, Schuller s’est formé, pour l’essentiel, en autodidacte et s’est toujours largement inspiré du jazz, tout en s’efforçant parfois de le faire bénéficier des acquis sériels. Il a développé la notion de musique third stream (« troisième courant »), concevant celle-ci comme un amalgame du jazz et des tendances les plus savantes et les plus avancées. Son oeuvre la plus célèbre est l’opéra downloadModeText.vue.download 914 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 908 The Visitation, d’après Kafka (créé à Hambourg en 1966). SCHUMAN (William), compositeur américain (New York 1910 - id. 1992). Élève de l’université Columbia, il a fait ses premiers pas dans le jazz et la variété, avant de rencontrer Roy Harris (qui attira sur lui l’attention de Copland et de Koussevitski) et de poursuivre avec lui des études sérieuses à la Juilliard School. En 1939, Koussevitski dirigea son American Festival Overture, puis créa la Symphonie no 3 (1941), A Free Song, cantate d’après Walt Whitman (1942-43), qui valut au compositeur le prix Pulitzer, et la Symphonie pour cordes (symphonie no 5, 1943). William Schuman enseigna au Sarah Lawrence College (1935-1945), et fut nommé, en 1945, président de la Juilliard School (il fut ainsi à l’origine de la formation du quatuor à cordes du même nom). Dans l’intervalle, il avait été quelques mois directeur de publications aux éditions Schirmer. De 1962 à 1969, il fut président du Lincoln Center de New York. Sa mu-

sique est surtout orchestrale, et de cette production se détachent 10 symphonies, dont les deux premières (1935-36 et 1937) retirées par l’auteur. Douze années séparent la 6e (1948) de la 7e (1960). La 9e, dite Le Fosse ardeatine, date de 1968, et la 10e, dite American Muse, de 1976. Dans un style éclectique, il a composé également de la musique de chambre et des oeuvres vocales, ainsi que quelques partitions pour la scène, dont les ballets Undertow (1965), Judith (1949-1950) et The Witch of Endor (1965), et l’opéra The Mighty Casey (19511953 ; rév. cantate 1976). SCHUMANN (Clara, née WIECK), pianiste et femme compositeur allemande (Leipzig 1819 - Francfort-sur-le-Main 1896). Élève de son père, Friedrich Wieck, elle donna son premier concert en 1828 à Leipzig. En 1831, au début de sa première tournée qui la conduisit à Paris, elle joua devant Goethe. Au retour, elle compléta ses études de composition. Sa renommée précoce lui valut d’être nommée pianiste de la cour d’Autriche en 1838. L’année suivante, au cours d’un second séjour à Paris où elle songea à se fixer, elle fit connaître à un cercle restreint les premières oeuvres qu’elle avait inspirées à Robert Schumann. Elle l’épousa le 12 septembre 1840, au terme d’une longue et douloureuse attente provoquée par l’opposition de Wieck. Grâce à Schumann qui l’initia intensivement à J. S. Bach et à Beethoven, la virtuose qu’elle était devint l’une des premières interprètes de son temps. Mais sa carrière fut entravée par huit maternités. Jusqu’en 1856, elle n’effectua que deux tournées importantes, l’une au Danemark (1842), l’autre en Russie (1844), et créa à Leipzig, le 1er janvier 1846, le concerto pour piano que Schumann avait conçu pour elle. Un peu avant la mort de celui-ci, elle reprit par nécessité la vie errante de concertiste, moralement soutenue par l’amitié passionnée que lui vouait Johannes Brahms. De 1856 à 1891, année de son dernier concert public, elle se rendit seize fois en Angleterre, deux fois à Paris (1862 et 1863), où elle joua avec le quatuor Armingaud le quintette que Schumann lui avait dédié, fit une seconde tournée en Russie (1864) et donna plusieurs concerts avec le violoniste Joseph Joachim. Dans son répertoire qui s’étendait de Bach à Brahms, elle marqua toujours une prédilection pour les oeuvres les

plus brillantes de Schumann. Son jeu, bien que puissant et timbré, était basé sur une technique opposée à celle de Liszt, pour qui elle avait peu de sympathie. D’esprit conservateur, elle prit parti pour Brahms contre Wagner. En 1878, elle fut nommée professeur au conservatoire de Francfort. Elle établit, en collaboration avec Brahms, une édition complète des oeuvres de Schumann (1881-1893) et publia en 1885 sa correspondance de jeunesse. Inspiratrice et conseillère de deux des plus grands musiciens du romantisme, Clara Schumann a sous-estimé ses dons de compositeur. Sa production, une quarantaine d’oeuvres, est d’une réelle qualité. L’ensemble des pièces pour piano écrites avant 1840, sous l’influence de Chopin et de Mendelssohn, est dominé par le concerto op. 7 (1835). Ensuite, son évolution suit celle de Schumann et culmine avec le trio op. 17 (1847). Ce sont surtout ses trois recueils de lieder (1840, 1844, 1853) qui sont remarquables. Schumann, qui avait déjà écrit ses Impromptus op. 5, ses Davidsbündlertänze op. 6 et sa 3e Sonate op. 14 à partir de motifs empruntés à des oeuvres de sa fiancée, a inclus dans son Liebesfrühling op. 37 (1840) trois lieder de l’opus 12 de Clara, qui égalent sa propre inspiration. SCHUMANN (Elisabeth), soprano allemande (Mersebourg an der Saale 1888 New York 1952). Elle fit ses débuts en 1909 à Hambourg dans Tannhäuser (rôle du berger). Elle se produisit pour la première fois au Metropolitan Opera de New York en 1914. Engagée à l’Opéra de Vienne en 1919, elle y demeura jusqu’en 1937, tout en paraissant régulièrement aux festivals de Salzbourg et de Munich. Elle quitta l’Autriche au moment de l’Anschluss et se fixa aux États-Unis, où elle enseigna le chant. Elle fut incomparable dans les rôles légers de Mozart (Suzanne, Zerine, Blondine) et son incarnation de Sophie, dans le Chevalier à la rose de Richard Strauss, fut rarement égalée. Elle possédait une voix dont la pureté était extrême. Le raffinement musical de ses interprétations en fit aussi une admirable interprète de lieder. SCHUMANN (Robert Alexandre), compositeur allemand (Zwickau 1810 - Endenich, près de Düsseldorf, 1856).

Bien qu’évoluant dans un milieu éclairé et sensible à l’art (son père est un libraire érudit ; sa mère une excellente pianiste), Robert Schumann ne montre guère de dons précoces. À neuf ans, toutefois, entendant la Flûte enchantée et un récital de Moschelès, il désire devenir virtuose du clavier. Son père l’oblige alors à acquérir des bases intellectuelles sérieuses et à passer son Abitur. Mais Schumann, lecteur avide des classiques, attentif à l’art autant qu’à la nature, se tourne vers la musique, fondant, à douze ans, un orchestre de collégiens, écrivant même un Psaume CL. En 1826, ayant découvert les romans de JeanPaul Richter, dont il se fait consciemment le « double », il se recroqueville et devient taciturne. Crise de croissance qu’accentuent (1828) le suicide de sa soeur, puis la mort de son père, enfin un amour impossible pour Agnès Carus, femme d’un ami médecin. Sa mère et son frère aîné, devenu chef de famille, lui intiment alors d’étudier son droit à Leipzig, où il s’installe après un voyage en Franconie et à Munich (où H. Heine lui réserve un accueil glacial qui le navre). Agnès Carus lui vient en aide, le présentant à Wieck dont l’enseignement précis, rigoureux jusqu’au despotisme, inculque quelque rigueur au jeune artiste romantique (en lui révélant Bach notamment). Bientôt las de la cité saxonne, Schumann s’installe à Heidelberg en 1829, y glane ses premiers succès d’estrade et, après un voyage en Suisse et Italie (pays qui n’aura d’ailleurs aucune influence sur lui, au contraire de nombreux artistes allemands), revient à Leipzig afin de poursuivre ses leçons avec Wieck. Ce dernier a, en effet, convaincu la mère de Schumann des capacités musicales de ce dernier et s’est engagé à faire de lui un brillant pianiste. Ayant jusque-là hésité entre poésie, littérature et musique, Schumann, désormais sûr de lui, se consacre tout entier à son art : fugue et contrepoint avec Dorn, piano avec Wieck, orchestration avec Müller. Déjà auteur de quelques Valses, Quatuor et Concerto pour piano (inachevés), révélé au public de Heidelberg par ses Variations Abegg, issues des moules classiques, mais déjà typiquement romantiques, il écrit son opus 2, Papillons, d’après Jean-Paul Richter, puis, pour parfaire sa technique pianistique, se lance dans une expérience folle qui, par ligature de l’annulaire droit et sous prétexte

de développer les autres doigts, entraîne finalement l’ankylose, puis la paralysie de sa main. Affolé et voyant sa carrière de virtuose anéantie, au seul profit de la downloadModeText.vue.download 915 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 909 composition, Schumann vit, à l’automne 1833, une profonde dépression qu’accentue la mort de son frère Julien et de sa belle-soeur. Dans la nuit du 17 octobre, il se voit devenir fou, crise qui préfigure tragiquement celle de 1854 et dont il lui restera la phobie des étages élevés et des objets tranchants. Plongé plusieurs mois dans une atonie apeurée, il regagnera, guéri, Leipzig à la fin de l’hiver 1833-34 et se lancera immédiatement dans la création et rédaction de la Neue Zeitschrift für Musik, où, avec quelques amis d’abord mais le plus souvent seul, il mène l’assaut des Davidsbündler (« Compagnons de David ») contre les Philistins de l’art Cramer, Czerny, Thalberg, Ruckgaber, Meyerbeer -, dénoncés comme pédants, timorés, conservateurs et fossoyeurs de la grande et vraie musique incarnée par Mozart, Haydn, Beethoven. Publication d’une importance capitale, où Schumann se fait critique de son temps et où, sous des pseudonymes divers, se reconnaissent ses amis rédacteurs, lui-même se désignant sous le double vocable d’Eusebius (rêveur mélancolique) et Florestan (impétueux et passionné). Au même moment, il s’éprend d’Henriette Voigt (son « âme en la mineur »), puis d’Ernestine von Frincken, allant, avec cette dernière, jusqu’à d’éphémères fiançailles qui nous vaudront au moins le Carnaval op. 9 et les Études symphoniques op. 13. En avril 1835, il prend lucidement conscience de son seul et véritable amour : Clara Wieck. Il rompt alors avec Ernestine, qui ne lui en tiendra pas rigueur, écrit pour Clara les sonates op. 11, 14 et 22, toutes gonflées de passion. C’est alors que meurt sa mère (4 février 1836), que Wieck quitte la Revue musicale et interdit tout commerce entre sa fille et Robert. Nouveau coup pour Schumann, déjà secoué par les dissensions chez les Davidsbündler et par la mort d’Henriette Voigt et qui, une fois de plus, se réfugie dans la composition : Fantaisie op. 17,

un des chefs-d’oeuvre du piano (« Charte du romantisme musical », a-t-on pu dire), Fantasiestücke, Novelettes, Scènes d’enfants, Kreisleriana, autant de pages où transparaît en filigrane son amour pour Clara et où s’affirment la puissance de sa vision ainsi que la profondeur de son sentiment poétique et romantique. Wieck ayant (faussement) consenti au mariage à la double condition que Schumann ait des revenus suffisants et s’éloigne de Leipzig, le compositeur se rend à Vienne, en proie à une nonchalence morbide. Puis, soudain, dans un accès de fièvre, il compose coup sur coup l’Arabesque, les Blumenstücke, la grande Humoresque terminée le 11 mars 1839, enfin les Nachtstücke op. 23 et le Carnaval de Vienne op. 26. Clara ayant usé de ses droits légaux pour faire plier son père, le mariage, finalement, fut célébré à Schönefeld le 12 septembre 1840. Pressentant cette issue heureuse, Schumann, depuis le printemps, composait dans l’exaltation : 1840 est, en effet, l’année des lieder (136 sur un total de 246), dont l’Amour et la vie d’une femme, les Amours du poète, Liederkreis, les Deux Grenadiers, les Myrten, les Romances et ballades op. 45, 49 et 53, ainsi qu’un premier recueil de Lieder und Gesänge. Menant une vie modeste à Leipzig, écrivant en commun avec Clara leur émouvant Journal à deux voix, Schumann s’adonne à la composition. En 1841, « année symphonique », voient le jour outre son premier enfant, Marie - la 1re Symphonie, Ouverture, Scherzo et Final, la Fantaisie pour piano et orchestre (devenue en 1845 le célèbre Concerto), la 4e Symphonie, qui trahissent la quiétude mais aussi la passion du musicien. En 1842, la musique de chambre est à l’honneur avec les 3 Quatuors op. 41, l’admirable Quintette en mi bémol, et le Quatuor avec piano. En 1843, année marquée par la naissance d’Élisa, il compose le Paradis et la Peri, mais, devant les difficultés financières, décide une tournée de concerts en Russie, où Clara triomphe en jouant parfois certaines de ses oeuvres. De retour à Leipzig, il est repris de vertiges, de rhumatismes, et, gagné par une lassitude croissante, prend en horreur Leipzig, surtout lorsque, après le départ de son ami Mendelssohn, le Gewandhaus lui préfère Gade. À l’automne 1844, il quitte donc Leipzig pour Dresde. Aussitôt installé, Schumann cherche à recréer une vie

musicale, fait « une cure de contrepoint » (4 Fugues, op. 72 ; Fugues sur le nom de Bach), tente de lier amitié avec Richter, Reinich ou Wagner. Peines perdues. La composition reste une fois de plus son seul dérivatif (2e Symphonie) ; mais, à l’instar de tous les cyclothymiques, il lui faut du changement : c’est à nouveau un séjour (décevant) à Vienne. De retour à Dresde, il veut s’imposer - comme tous les romantiques - à travers l’opéra. Il écrit donc Genoveva, dont l’avancement est constamment retardé par de multiples soucis familiaux (une fille et trois fils, dont un mourra immédiatement, naîtront à Dresde) ; surtout par de nouveaux troubles physiques - phobies, hallucinations, désordres auditifs - et le choc éprouvé à la mort de Mendelssohn (4 nov. 1847). S’étant rétabli, il compose de nombreux lieder a capella pour la Liedertafel locale, dont il prend la direction, puis, en 1848, de nouvelles oeuvres pour le piano (Vision d’Orient, pour 4 mains ; l’Album pour la jeunesse), ainsi que Manfred. Surnommée « l’année féconde », 1849 verra l’éclosion de lieder pour voix solo, duos, choeur ; d’oeuvres pour piano, les opus 78, 85 notamment ; du Requiem pour Mignon, de plusieurs Scènes de Faust. Le 25 mai 1850, le théâtre de Leipzig monte Genoveva. Le « succès d’estime » qui est réservé à la pièce désespère Schumann qui, las de Dresde, vient s’installer à Düsseldorf. Impression réconfortante et roborante au début, qui lui dicte le Requiem op. 90, les 6 Lieder de Lenau, en octobre le Concerto pour violoncelle, en novembre la 3e Symphonie (« Rhénane »). Cette volonté d’innover, doublée d’une hâte à produire, ne cacherait-elle pas l’irrémédiable ? Dès cette époque, en effet, Schumann semble conscient du peu de temps qu’il lui reste pour créer. D’où cette frénésie à écrire, vite, encore lucidement : en 1851 des ouvertures pour la Fiancée de Messine, Jules César, Hermann et Dorothée ; puis, pour piano, les Scènes de bal, les Phantasiestücke, op. 111 ; des lieder également sur textes d’Elisabeth Kühlmann ou Mörike ; de la musique de chambre (3e Trio, op. 110 ; 2 Sonates pour piano-violon, tourmentées, aux thèmes distendus). L’année 1852, malgré le repos imposé par Clara, verra naître le Pèlerinage de la rose, la Messe, le Requiem op. 148. Mais, de plus en plus, il éprouve de « pénibles souffrances » et note dans le Journal : « Triste épuise-

ment de mes forces. » Le 28 octobre 1852, le mot « résignation » y apparaît. Schumann, dès lors, semble accepter de ne plus exprimer les états sublimes que l’enthousiasme lui avait révélés naguère, parce qu’il ne peut plus aller au-delà du langage qu’il possédait et parce qu’il consent à se réfugier dans la folie, dans sa folie. En mai 1853, une brève résurgence de confiance en lui sera à l’origine du Concerto, puis de la Fantaisie pour violon et orchestre. Il écrira encore quelques pièces (l’opus 134 ; les Contes de fée, pour clarinette, alto et piano) ; puis, une dernière fois, il se tourne vers le piano : Chants de l’aube op. 133. Mais c’est l’aube de la nuit. Le 13 février 1854, le délire l’assaille ; le 27, après quelque accalmie, il veut se rendre, de luimême, à l’asile d’Endenich. Quittant alors subitement son foyer, il se jette dans le Rhin : acte de démence ou, au contraire, dernier acte de désespoir lucide ? Mystère. Repêché par des mariniers, il sera conduit cinq jours plus tard à Endenich. C’est là qu’après d’atroces souffrances - physiques et morales, car il est conscient de son état - il mourra, le 29 juillet 1856. Après l’enterrement, deux jours plus tard, dans le cimetière de Bonn, Clara affronta la vie avec courage et, restée seule avec sept enfants - quatre garçons, trois filles -, se multiplia en concerts jusqu’à sa mort, en 1896, afin d’imposer définitivement au monde l’oeuvre de son mari. Un « romantique » au plein sens du terme, qui fait se dérouler sa vie et son oeuvre sur les seuls plans de l’intériorité, de la passion : tel apparaît bien Robert Schumann. L’introspection, l’étude, comme la culture volontaire de tous les phénodownloadModeText.vue.download 916 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 910 mènes, intérieurs ou extérieurs, sont pour lui les données fondamentales de la création poétique. Il a fait sien l’idéal que Jean-Paul Richter définissait dès 1804 : être à la fois « poétique, pictural, musical », trouver au sein de l’univers l’harmonie des choses et des êtres et, à travers leur vie cachée, révéler leur vraie nature comme leur sens secret. D’où l’immense part réservée au rêve, à la fantaisie (Phantasiestücke, Noveletten, Fantaisie op. 17), à la vie profonde de la nature, de la forêt

(Waldszenen), à l’enfance qui sait garder et recréer le merveilleux (Album pour la jeunesse, Kinderszenen). D’où, surtout, la part faite à l’inspiration, à cette force intérieure, qui, sous l’effet de la passion, explose et débouche sur l’oeuvre d’art. Moment de fièvre saisi au vol, qui trouve sa « cristallisation », sa pérennité, dans la composition (mais aussi le plus souvent dans la souffrance), comme l’avait bien vu le peintre Friedrich : « Toute oeuvre d’art authentique est conçue dans une heure mystique et enfantée dans une heure joyeuse, souvent à l’insu de l’artiste, sous l’impulsion intime du coeur. » Partir à la recherche du « moi des profondeurs » revient alors souvent à forcer les portes d’un autre soi-même, caché à la multitude et qui s’impose comme le miroir véritable de l’artiste. Ce Doppelgänger, Schumann l’a constamment auprès de lui, conscient de cette dualité en Florestan et Eusebius, et qu’il décrit ainsi dans son Journal « à la fois pauvre et riche, abattu et vigoureux, las de la vie et plein d’ardeur ». Cassure, dédoublement en deux entités faustiennes, dont la prise de conscience conduit à l’écartèlement et à l’exaspération de l’être et crée précisément le tragique de sa destinée. Dès lors, la sensibilité déjà aiguë du musicien se fait à la fois naturelle et morbide, et la désagrégation de son moi qui le conduira à la folie n’est peut-être, finalement et en dehors de toute hérédité possible, que la conséquence même de l’acuité d’un regard partant à la découverte des plus secrets replis de l’âme : ce n’est pas sans danger que l’homme s’embarque pour l’exploration de soi-même. D’où le langage, la forme de la création schumannienne. L’écriture, d’une criante personnalité, se contente paradoxalement de la grammaire du temps. L’harmonie est héritée de Beethoven ; seuls la ligne de la mélodie et l’agrégat des accords expriment l’unicité de l’expression, la personnalité du musicien. La forme, en revanche, acquiert des caractères nouveaux. Secrètement hanté par le classicisme, Schumann a cherché à utiliser le cadre de la sonate (opus 11, 14, 22 notamment) et même dans les pages apparemment les plus libres (Fantaisie op. 17), l’on perçoit une volonté organisatrice, cette fameuse « règle qui corrige l’émotion ». Mais ce moule classique, recherché, utilisé et vécu comme un

rempart salvateur face aux débordements de l’imagination, éclate, en fait, de toutes parts (à un moindre degré dans les Symphonies), sous la pression de la passion, de la vie et de la poésie intérieure. C’est pourquoi Schumann se meut le plus à l’aise dans la fantaisie, la variation, chacune révélant un visage nouveau, dans les pièces brèves surtout (« Stücke ») réunies ou non en recueils. C’est pourquoi, également, il aborde le lied avec tant de bonheur puisque là se fondent les harmonies des sons et du verbe, allant même jusqu’à leur donner les dimensions d’un cycle (Dichterliebe) et où, tout en restant lui-même, il sait conserver à chacun des poètes sa propre personnalité. Jamais strophiques, donc mouvantes comme la vie même, ses admirables compositions pour la voix, qui font de lui l’un des deux pôles du lied germanique, dénotent une compréhension poétique exceptionnelle, fruit de sa culture, certes, mais aussi de sa propre émotivité que vient sublimer une texture musicale devenue spontanément sous sa plume description pittoresque, état d’âme, kaléidoscope de sensations et d’émotions. Ainsi se trouve expliquée chez Schumann la mouvance de la forme, de la facture même (oeuvres pour piano ou musique de chambre), parcourue de frissons, soupirs, d’envolées lyriques ou d’abattements subits, prenant tour à tour le ton de l’épopée ou de la confidence, la musique restant toujours explication de l’indicible, révélatrice du caché, voire de l’inconscient. Toute l’oeuvre de Schumann n’est en effet qu’une longue, troublante, dévorante confession : voilà bien ce qui le rend si humain et si proche de nous, merveilleux « poète-musicien » happé par les forces de la nuit, de la forêt, de l’enfance, du merveilleux. Épris de poésie, de littérature, de philosophie, Schumann a cherché à transmuer en sons les forces disparates de son siècle, poussant jusqu’à leur ultime limite, par soif d’authenticité, les contradictions de son époque et celles de sa propre nature. Il ne pouvait, ainsi, vivre autrement que dangereusement. Sa folie, dès lors - comme celle de nombreux artistes contemporains, Hölderlin, Hoffmann, Heine, Wackenroder, Novalis -, semble bien née de cette constante hypertension, de cette double aspiration à saisir le quotidien et l’inexprimable, autant que d’avoir voulu, jusqu’à en mourir, assumer son destin de pur musicien romantique.

« Ma musique, avait-il écrit, n’est pas une besogne de manoeuvre ; le métier n’y a point de part ; mais elle a coûté à mon coeur plus qu’on ne saurait imaginer. « Sa grandeur vient d’en avoir accepté le terrible enjeu. SCHUPPANZIGH (Ignaz), violoniste et chef d’orchestre autrichien (Vienne 1776 - id. 1830). Il apprit l’alto, puis le violon, vers 1793, et compta bientôt parmi les virtuoses les plus demandés à Vienne, dirigeant en 1798-99 les fameux concerts de l’Augarten. L’événement essentiel de son existence fut la formation d’un quatuor à cordes dont il fut premier violon, qui interpréta de façon mémorable Haydn, Mozart, puis Beethoven, et qui, à partir de 1808, passa sous le patronage du comte Razumovski. Après l’incendie du palais Razumovski en 1814, Schuppanzigh mena une vie de musicien itinérant et s’installa à Saint-Pétersbourg. De retour à Vienne fin 1823, il y renoua des relations d’amitié avec Beethoven, dont il créa les 5 derniers quatuors, près de vingt ans après avoir assuré celle de l’opus 59. C’est également lui qui mena l’orchestre lors de la création de la 9e Symphonie. Il joua aussi l’Octuor de Schubert, qui, en retour, lui dédia son 13e Quatuor. De plus en plus handicapé par sa corpulence, il mourut en laissant quelques compositions, dont seuls avaient été édités un « solo de violon avec le quatuor » et 2 séries de variations. SCHURICHT (Karl), chef d’orchestre allemand (Dantzig 1880 - Corseaux-sur-Vevey 1967). Issu d’une lignée de facteurs d’orgues, il fait ses études à la Hochschule für Musik de Berlin (1901-1903) avec E. Rudorff et E. Humperdinck, puis à Leipzig auprès de Max Reger. Il complète sa formation comme chef assistant à Mayence, Kreuznach, Dortmund, Goslar et Zwickau. Il dirige, à partir de 1909, le choeur du Rühl’schen Oratorienverein à Francfortsur-le-Main. C’est à Wiesbaden qu’il fait l’essentiel de sa carrière, de 1912 à 1944, comme directeur musical, y organisant notamment un festival de musique contemporaine consacré à Debussy, Ravel, Schönberg, Stravinski, Delius, etc., ainsi que des concerts d’été en Hollande, à Scheveningen.

Vivant en Suisse à partir de 1944, il est invité régulièrement par l’Orchestre symphonique de Londres et celui de la BBC, celui de Radio-Stuttgart et en France l’Orchestre de la Société des concerts du Conservatoire, avec lequel il enregistre une intégrale des symphonies de Beethoven d’une simplicité et d’une rigueur exemplaires. SCHUSTER (Joseph), compositeur et chef d’orchestre allemand (Dresde 1748 - id. 1812). Fils d’un musicien de la cour de Dresde, il effectua trois voyages en Italie (17651768, 1774-1777 et 1778-1781), et termina sa carrière à Dresde, où il devint maître de chapelle en 1787. Il écrivit des opéras downloadModeText.vue.download 917 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 911 italiens et des singspiels allemands dont l’un, Der Alchymist oder Der Liebesteufel (1778), était encore joué au XIXe siècle. Dans le domaine vocal, il écrivit aussi de la musique religieuse et des cantates. Sa musique instrumentale comprend des symphonies, des concertos et des pièces pour piano, de la musique de chambre. Ses 6 Divertimenti da camera, pour clavecin et violon (v. 1777), firent à Munich, en 1777, une profonde impression sur Mozart et furent sans doute à l’origine des sonates K.296, 301-303 et 305 de ce dernier. Un de ses quatuors à cordes, en ut majeur (1780), fut faussement attribué à Mozart (K. suppl. 211). SCHÜTZ (Heinrich), compositeur allemand (Köstritz 1585 - Dresde 1672). Fils de Christoph Schütz (qui tenait enseigne à la Grue d’or), le jeune Heinrich reçoit une éducation soignée dans laquelle la musique n’est pas oubliée. En 1591, toute la famille s’établit à Weissenfels (où les parents du musicien viennent d’acquérir une autre hôtellerie, à l’enseigne de l’Archer). Là, l’enfant a comme professeur le cantor Georg Weber et l’organiste Heinrich Collander, tous deux de bonne réputation. Sous leur autorité, il fait de rapides progrès, surtout comme chanteur, au point que le landgrave de Hesse, Maurice dit le

Lettré, ayant passé une nuit dans l’auberge familiale, est tellement impressionné par le petit sopraniste qu’il propose immédiatement aux parents de parfaire l’éducation de l’enfant dans sa chapelle musicale, promettant de l’élever et de l’instruire « dans tous les arts et les plus nobles vertus chrétiennes ». Après quelques réticences, Christoph Schütz consent à la séparation, et Heinrich entre comme pensionnaire au Collegium Mauritianum de Cassel (1599). Bien qu’ayant très vite perdu sa voix de « déchant », par suite de la mue, le jeune Schütz devient rapidement l’un des meilleurs éléments de l’établissement, tout en y recevant une excellente culture générale (outre la musique, les mathématiques, la théologie, le grec, le latin et le français). À vingt ans, à l’instigation de ses parents (qui ne pouvaient envisager l’état de musicien pour leur fils), Heinrich commence des études de droit à l’université de Marburg et y apporte beaucoup de zèle, au point de ne plus songer momentanément à son art. Pourtant, en 1609, il ne résiste pas à l’offre de Maurice de Hesse, lui proposant une bourse de 200 thalers par an « pour poursuivre des études musicales sérieuses » auprès du « célèbre Giovanni Gabriel (sic), qui se trouve toujours en vie à Venise ». Schütz arrive auprès d’un tel maître au printemps de la même année, et l’entente entre les deux hommes s’avère tellement positive pour le jeune Allemand que seule la mort de Gabrieli mettra fin au séjour de l’élève dans la République. Un recueil paraît d’ailleurs en 1611, à Venise, un recueil qui, curieusement, n’est pas le fait du compositeur religieux, mais du polyphoniste profane : le Premier Livre de madrigaux à cinq voix, travail d’école où les promesses de l’élève sont tenues au-delà de toute espérance. Schütz assimile avec une réelle maîtrise et un ton superbement personnel le style virtuose des chefs de file du genre : Marenzio, mais aussi Monteverdi, sinon Gesualdo et ses stravaganze. Gabrieli étant mort en août 1612, en laissant à son « disciple bien-aimé » un anneau « en gage de sa très vive affection », Schütz regagne l’Allemagne au début de l’année suivante. Après s’être remis sans grand enthousiasme aux études de droit

à Leipzig (où il se lie, néanmoins, avec le cantor de Saint-Thomas, Sethus Calvisius), il entre comme second organiste dans la chapelle de Maurice de Hesse. Une carrière musicale commence qui, exemple presque unique de longévité, ne prendra fin que près de soixante ans plus tard ! Malheureusement pour le landgrave, dans le même temps où il cherche à s’attacher définitivement les services du jeune musicien, le hasard fait que celui-ci se produit à la cour du prince Électeur de Saxe Johann-Georg, pour un intérim, et qu’il y plaît à un tel point que, à quelques mois de là, Maurice le Lettré reçoit une nouvelle demande de service pour son protégé. Désormais, Schütz ne retournera pratiquement plus jamais à la cour de Cassel, malgré les lettres de protestations de son ancien maître, qui, dans ce différend, avait évidemment affaire à plus puissant que lui. À Dresde, Schütz remplace, en fait, le grand Hans-Léo Hassler († 1612), et, dès 1617, il est nommé maître de la chapelle ducale (la première d’Allemagne après celle de Bavière). À ce titre, il occupe une situation « aussi prestigieuse que lourde de responsabilités », supervisant les répétitions, conduisant les concerts à la chambre comme à l’office, veillant au bon entretien et au remplacement des instruments, se tenant informé de la production des rivaux, auditionnant les futurs élèves, attentif aux desiderata de chacun, chantre ou instrumentiste. Et par-dessus tout, il y a les exigences de la composition et la commande d’oeuvres nouvelles. À toutes ces tâches, il apporte une conscience exemplaire, bénéficiant, en contrepartie, d’un réel bien-être au plan financier et matériel (du moins tant que la Saxe se tiendra à l’écart de la guerre de Trente Ans). À cet égard, cette première décennie d’activité à Dresde est certainement la période la plus heureuse de la vie du compositeur, et aussi la plus riche en succès. En 1617, à l’occasion de la venue de l’empereur Matthias, Schütz écrit un grand ballet mythologique, dans l’esprit du ballet de cour (malheureusement, cette partition a été détruite, comme beaucoup d’autres, par l’incendie qui ravagea la bibliothèque électorale en 1760). Puis, à l’automne de la même année, les fêtes commémoratives du centenaire de la

Réforme sont célébrées avec éclat, avec, comme page maîtresse, le Magnificat latin, où le Sagittarius reconduit avec brio les techniques vénitiennes du concert polychoral avec instruments. En 1619 paraît le très important recueil des Psaumes de David, qui, dans le même esprit que le Magnificat latin, magnifient la glorieuse leçon reçue de Giovanni Gabrieli (il se peut d’ailleurs que certains psaumes aient été composés dès le séjour vénitien de 1609-1613). Puis, à Bayreuth, Schütz rencontre un mécène averti, le prince Posthumus de Reuss, qui deviendra, pour lui, un ami fidèle et lui commandera le Requiem de 1636. Et parallèlement à de nombreux déplacements où le musicien accompagne le prince Électeur, d’autres ouvrages capitaux du musicien voient le jour : l’Histoire de la Résurrection (1623), premier type d’oratorio connu en Allemagne, à l’imitation du genre né en Italie, puis les Cantiones sacrae (1625), où Schütz revient, malgré le recours ad libitum à la basse continue, à la manière du grand motet renaissant hérité Roland de Lassus, mais en la transposant complètement au plan expressif et en insistant sur l’interprétation subjective des textes et l’élan individualiste de la prière, dans la perspective du madrigal spirituel défendu par Schein dans sa Fontaine d’Israël. Dans le même temps, Schütz s’est marié à Magdalena Wiedeck (1619), et de leur union sont nées deux filles, Anna Justina et Euphrosyne. Malheureusement ce bonheur conjugal est de courte durée, car sa femme meurt en septembre 1625. Schütz cherche une consolation à ce deuil dans la composition du Psautier de Becker, destiné au culte (1628). Mais, auparavant, le musicien profane avait écrit le premier opéra allemand, la tragi-comédie pastorale Daphné, représentée en 1627 au château de Hartenfels, à l’occasion du mariage de la fille du prince Électeur avec le landgrave de Hesse-Darmstadt. L’oeuvre, également perdue, réussissait sans doute la synthèse du drame lyrique et du récitatif à l’italienne avec le Liedstil allemand. La guerre de Trente Ans, cependant, va atteindre la Saxe, et les premiers touchés par les impératifs de l’économie de guerre sont, bien entendu, les musiciens de la chapelle. Schütz se résout à adresser, le jour des Rameaux 1628, une émouvante supplique au duc pour défendre la cause

de ses administrés, dont la plupart n’ont pas perçu de salaire depuis de longs mois. Mais la démarche reste sans effet, et le SadownloadModeText.vue.download 918 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 912 gittarius, prenant prétexte d’une promesse faite par Johann-Georg au lendemain de la création de Daphné, demande et obtient l’autorisation de retourner à Venise parfaire en toute tranquillité « le petit talent qu’il a reçu de Dieu », auprès du « subtil » Monteverdi, et, le 1er novembre 1628, il retrouve avec émotion les canaux, palais et campi de la République. Lors de son premier séjour auprès de Gabrieli, Schütz avait surtout étudié la polyphonie religieuse et son correspondant profane, le madrigal. Auprès du maître de l’Orfeo, c’est au stile nuovo qu’il s’attaque, travaillant le récitatif, l’arioso et tous les modes de chant concertant. Paru à Venise, en 1629, le Premier Livre de symphonies sacrées consigne, en quelque sorte, les acquisitions de ce second séjour. Jamais, sans doute, Heinrich ne sera aussi « italien » que dans ce recueil éclatant de modernité et de jeunesse. Revenu à Dresde à la fin de 1629, le compositeur retrouve une charge réduite au minimum, avec des crédits de plus en plus rognés par la guerre. Faire subsister sa chapelle, et pour tout dire, survivre, devient son unique souci. Alors que meurt, à Leipzig, l’ami affectionné Schein, cantor à Saint-Thomas (1630), la vie musicale se fige à la cour électorale, la Saxe devenant le champ de bataille privilégié où s’affrontent impériaux, Suédois et protestants. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que le Sagittarius, découragé par une situation aussi hostile, ait sollicité et obtenu, courant 1633, un nouveau congé pour se rendre au Danemark et y préparer, entre autres, le mariage du prince héritier local avec Magdalena Sybilla, fille du prince Électeur. Grand amateur de musique, le roi Christian réussit à garder auprès de lui le compositeur jusqu’en mai 1635, et le comble de cadeaux à son départ, lui arrachant la promesse d’un prompt retour. Revenu en Saxe, Schütz retrouve sa chapelle dans une inactivité quasi totale.

Il parvient pourtant à publier quelques oeuvres en 1636 : d’abord les Musikalische Exequiem (autrement dit le Requiem), composés à la demande de Posthumus de Reuss ; ensuite, la première partie des Petits Concerts spirituels. Ces dernières pages, Heinrich les a écrites poussé par une espèce de nécessité intérieure et en y mettant toute sa ferveur, mais la ferveur d’un croyant bouleversé par les violences et les misères de la guerre. Aussi bien, constatant, quelques mois plus tard, qu’il n’est plus d’aucune utilité à personne en tant que Cappellmeister, il se décide à demander un nouveau congé pour regagner la cour de Copenhague, où il est impatiemment attendu pour réorganiser la musique royale. Les documents manquent sur ce deuxième séjour, mais l’on sait que, parti en août 1637, Schütz était de retour à Dresde à l’automne 1638, après un détour par Wolfenbüttel, pour saluer la duchesse amie, Sophie-Élisabeth. En 1639, paraît le Deuxième Recueil de petits concerts spirituels, où, sous l’angoisse de l’expression, brûle toujours la petite flamme de l’espérance et où l’art du musicien reste nourri de la leçon de la monodie monteverdienne. Conscient cependant des rigueurs et des privations engendrées par l’époque, Schütz promet, dans sa préface, des oeuvres plus importantes pour des jours meilleurs. Immobilisé par une grave maladie, pendant l’hiver 1640-41, le compositeur, sitôt rétabli, attire une nouvelle fois l’attention de Johann-Georg sur la situation désespérée du Corpus musicum, qui, selon lui, se trouve « à l’article de la mort », et réclame de toute urgence le recrutement de jeunes chanteurs et instrumentistes. Mais le souverain reste indifférent à cet appel, et le compositeur n’a d’autre solution que de reprendre - avec moins d’empressement qu’auparavant, car il eût sans doute préféré oeuvrer sur place à la restauration de la chapelle ducale - le chemin du Danemark. Il y restera deux ans (1642-1644), mis à part un bref intermède en Saxe, y sera nommé maître de chapelle, et, au terme de ce troisième et dernier séjour, remettra en guise d’adieu au prince héritier un exemplaire manuscrit de ses Symphonies sacrées no 2. Dans ce livre, imprimé à Dresde en 1647, les techniques modernes héritées toujours de Monteverdi (déclamation monodique, chant soliste virtuose, traitement émancipé des voix) se fondent sans heurt à la

tradition allemande en une synthèse hautement personnelle. À son retour définitif en Saxe, le Sagittarius ne trouve pas une situation améliorée, bien au contraire. La guerre se prolongeant, l’argent fait toujours défaut et le compositeur, à présent sexagénaire, doit batailler quotidiennement pour obtenir quelques subsides pour ses malheureux administrés. Dès ce moment, l’aspiration du musicien à une retraite paisible va devenir le leitmotiv de ses doléances. Pourtant, il continue, malgré sa lassitude, à assumer les responsabilités de sa charge avec le même sérieux que naguère et trouve le moyen de faire éditer quelques nouvelles oeuvres essentielles. Vers 1645, il revient à l’oratorio avec les Sept Paroles du Christ en croix, où il transpose génialement le nouveau style religieux et dramatique de l’école romaine (Luigi Rossi et Carissimi). Et, en 1648, c’est la publication de la Geistliche Chormusik, « somme » monumentale du savoir du Sagittarius qui marque, dans une certaine mesure, le retour à la grande tradition communautaire et objective du motet luthérien. Cette même année 1648 voit la fin d’un cauchemar : la signature des traités de Westphalie apporte la paix tant désirée à l’Allemagne. Cette paix ne ramène pas pour autant de l’argent dans les caisses du prince Électeur et Schütz doit toujours batailler pour trouver quelque crédit pour sa chapelle. Bien plus - et malgré le succès rencontré par l’édition de la troisième partie des Symphonies sacrées en 1650 -, le prince héritier, cédant aux modes du jour, suscite un rival au vieux maître en la personne de l’Italien Bontempi. Schütz se fâche alors tout net et déclare qu’il n’acceptera jamais d’être commandé, devant ses musiciens, par un homme trois fois plus jeune que lui et de surcroît un castrat ! Devant cette explosion, le prince Électeur n’insiste pas, et l’affaire en reste là. De toute façon, la seule chose qu’espère à présent le Sagittarius, c’est de voir ses droits à la retraite enfin reconnus. Mais il lui faudra attendre encore deux ans pour obtenir satisfaction, à la mort du vieux prince en octobre 1655. Début 1656 donc, le compositeur vend sa maison de Dresde sans abandonner tout

à fait ses fonctions officielles à la cour ; il conserve son titre de premier maître de chapelle à titre honoraire (avec appointements à l’appui) et il est entendu que, deux ou trois fois l’an, il reste à la disposition du duc de Saxe pour des cérémonies exceptionnelles. Désormais, le Sagittarius va consacrer les quinze dernières années de son existence à la composition, car il craint que la mort ne le surprenne « avant qu’il ne se soit mis en paix avec lui-même comme créateur ». Ainsi est écrite, de 1657 à 1671, une dernière moisson de partitions capitales : les 12 Chants spirituels (1657), l’Histoire de la Nativité (1664) qui renouvelle complètement le genre de l’oratorio par le biais du style parlando, les 3 passions, dont la Passion selon saint Luc (peut-être composée dès 1653), la Passion selon saint Jean et la Passion selon saint Matthieu (1666), fruits d’une réflexion sans précédent et d’un archaïsme volontaire dans la narration de l’évangéliste (sorte de grégorien réinventé d’une rare sobriété expressive). Puis, ayant donné son chant du cygne avec le Magnificat allemand de 1671, le vieux maître s’éteint à Dresde le 6 novembre 1672, unanimement reconnu comme la première autorité musicale de son pays, le pédagogue qui aura formé dans les rangs de la chapelle électorale véritable pépinière de talents - les chefs de file de la nouvelle génération : Christoph Bernhard, C. C. Dedekind, Adam Krieger, les deux Kittel, Hofkonz, Gaspar Ziegler, etc. Et c’est sous le porche de l’ancienne Frauenkirche qu’il fut inhumé, treize ans avant que ne naisse Jean-Sébastien Bach, dont on peut dire sans risque d’erreur que le Sagittarius est le véritable père spirituel. L’évolution du style chez Schütz est étroitement liée aux influences qu’il a reçues (et qu’il a toujours transposées, en downloadModeText.vue.download 919 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 913 fait, à des fins très personnelles) et aux choix auxquels il s’est trouvé confronté durant sa très longue carrière. Au départ, le disciple de Giovanni Gabrieli, ébloui par le séjour vénitien, cède aux tentations individualistes du stile nuovo. Ainsi, les

Psaumes de David oublient-ils dans une large mesure l’héritage polyphonique traditionnel pour la puissance et la gloire de l’école de Saint-Marc et les jeux de timbre du langage concertant. Les Cantiones sacrae de 1625, malgré leurs références à l’art a cappella, poursuivent dans le même sens en privilégiant une ferveur subjective, et pour tout dire piétiste, caractéristique de la foi de leur auteur. Avec les Symphonies sacrées de 1629, nouveau tournant esthétique et expressif dans la production du musicien, qui met en évidence l’influence déterminante jouée par Monteverdi, lors du second séjour à Venise en 1628-29. Si, auparavant, Schütz avait pu donner l’illusion de rechercher la splendeur des sonorités comme un but en soi (Psaumes de David), il était toujours resté fidèle aux racines collectives de sa foi luthérienne. À présent, le climat qui domine est celui d’une « confession éminemment individuelle » (A. A. Abert). La monodie triomphe, avec la déclamation lyrique à l’italienne, tant dans ce Premier Livre de symphonies sacrées que dans les Petits Concerts spirituels de 1636-1639, à cette différence près, comme le fait toujours remarquer A. A. Abert, que Schütz tend à intérioriser le discours monodique, là ou Monteverdi et ses continuateurs privilégient tout naturellement le trait dramatique. Et, malgré un indiscutable retour de l’élément germanique et luthérien dans ce recueil, les Symphonies sacrées no 2 de 1647 appartiennent encore à cette période postmontéverdienne du compositeur, sans doute celle où le Sagittarius est le plus proche de la spiritualité transalpine, voire « catholique » de son illustre modèle. Puis, passé 1648 (et déjà les Sept Paroles du Christ en croix, refusant la « théâtralité sacrée » des oratorios de Carissimi, s’engageaient plus avant dans la méditation des textes que l’Histoire de la Résurrection de 1623), commence le grand retour du compositeur ayant dépassé la soixantaine à ses origines religieuses, voire culturelles. Le novateur opère alors comme un repli sur lui-même et redécouvre la valeur d’un art objectif et communautaire, en conformité de pensée avec l’assemblée luthérienne. Ce revirement qui s’accompagne d’un retour à la grande tradition polyphonique du XVIe siècle (dont le meilleur exemple nous est fourni par la Geistliche Chormusik de 1648) ne signifie pas, bien sûr, que Schütz renonce soudain aux acquisitions

et trouvailles du langage moderne, au style monodique comme à l’interprétation personnelle des Écritures, lui qui avait montré la voie à suivre à tous ses contemporains dans ce domaine. Seulement, cette modernité, l’auteur la confronte désormais aux nécessités du sentiment et de la prière collectifs, le musicien individualiste s’effaçant de plus en plus devant le porteparole de la communauté des croyants, pour des actes de foi d’une portée universelle. Et rien n’est plus émouvant, tant dans l’Oratorio de Noël de 1664 que dans les Passions a cappella et le Magnificat allemand de 1671, que cette modestie du vieux maître (l’« archicantor » comme l’appelaient ses contemporains), qui vient mettre la liberté formelle et expressive si brillamment conquise autrefois, au service de l’immense foule des hommes de bonne volonté. Par là, cette oeuvre exceptionnelle rend aujourd’hui de singuliers accents oecuméniques et invite même les confessions et les races à communier dans une compréhension mutuelle. À ce titre, l’humaniste Schütz, de la quête subjective des débuts « aux aspirations individualistes décantées de la vieillesse », a bien mérité notre admiration et notre reconnaissance. SCHWANBERGER (Johann Gottfried), pianiste, organiste, théoricien et compositeur allemand (Wolfenbüttel 1740 Brunswick 1804). Fils d’un élève de Jean-Sébastien Bach à Leipzig, il occupa le poste, de 1762 à 1802, de maître de chapelle à Brunswick, où il se montra très actif à l’Opéra jusqu’à sa fermeture en 1768. Lorsqu’en 1771 Wilhelm Friedemann Bach brigua (en vain) un poste d’organiste dans cette ville, Schwanberger vanta chaleureusement ses mérites. Appelé parfois Schwanenberg, il est sans doute le véritable auteur d’une sonate jadis attribuée à Haydn (Hob. XVI.17 en si bémol) et qui lui est maintenant réattribuée. SCHWARZ (Jean), compositeur français (Lille 1939). Après des études musicales à Paris et à Versailles, il partage son activité entre la pratique du jazz (comme batteur) et l’étude de la musique non-européenne, comme chargé de recherches du C. N. R. S., attaché au département d’ethnologie du musée de l’Homme, à Paris. Il rejoint plus

tard le Groupe de recherches musicales, dont il reste jusqu’en 1981 membre permanent. Dans le domaine électroacoustique, il a composé, au G. R. M. ou avec ses moyens privés, un certain nombre de pièces pour bande magnétique seule : Erda (1972), la suite Il était une fois (1973), Symphonie (1974), Don Quichotte (197576), Gamma (1978), etc., et des oeuvres « mixtes » comme Anticycle (1972), pour bande et percussionniste (oeuvre utilisant des enregistrements d’instruments à percussion non-européens), Klavierband (1978), pour piano et bande, Gamma Plus (1979), pour synthétiseurs joués en direct et bande, ainsi que des musiques pour la scène et le ballet, notamment pour la danseuse-chorégraphe Carolyn Carlson (Year of the Horse, 1978). On lui doit aussi des séquences musicales électroacoustiques et des effets spéciaux sonores pour des films de long métrage : Comment ça va, de Jean-Luc Godard, Histoire d’A, de Charles Belmont, Providence, d’Alain Resnais, etc. Il a tenté des expériences de confrontation de musiciens improvisateurs de jazz avec des éléments musicaux préenregistrés sur bande : Surroundings (1978-79) et And Around (1981). Il aime travailler avec un son électronique carré et rythmique, un peu dur, et ses oeuvres font souvent référence à la musique extra-européenne et au jazz. SCHWARZKOPF (Elisabeth), soprano allemande (Jarotschin 1915). Élève de Lula Mysz-Gmeiner au conservatoire de Berlin (1934), elle fait ses débuts en 1938 à l’Opéra municipal de cette ville, en fille-fleur de Parsifal, puis en Musette de la Bohème et en Zerbinette de Ariane à Naxos, son premier grand rôle straussien. Maria Ivogün, qui devient son professeur, l’aide à trouver sa véritable voix et l’initie, avec son mari, l’accompagnateur Michael Raucheisen, aux trésors du lied, dont elle va devenir la plus illustre interprète de l’après-guerre. Elle débute dans ce répertoire à Berlin en 1942. Elle entre en 1943, à l’invite de Karl Böhm, dans la troupe de l’Opéra de Vienne, avec laquelle elle fait ses débuts au Covent Garden en 1947, avant de faire partie de la troupe londonienne pendant cinq ans. Elle y chante aussi bien le répertoire italien (Violetta, Gilda, Mimi, Madame Butterfly) que les

rôles mozartiens qu’elle approfondit, notamment, au fil de ses apparitions au Festival de Salzbourg (de 1949 à 1964), après y avoir débuté dans le rôle de la Comtesse des Noces de Figaro. C’est également le premier personnage qu’elle incarne à la Scala de Milan (1949) où elle est régulièrement invitée jusqu’en 1963 (parmi ses autres rôles, Mélisande, Marguerite et Iole du Hercule de Haendel), tandis que son second rôle fétiche, la Maréchale du Chevalier à la rose, est celui de ses débuts à l’Opéra de San Francisco (1955) et au Metropolitan de New York (1963), ainsi que de ses adieux à la scène, en 1971, au théâtre de la Monnaie de Bruxelles. Son répertoire, d’un grand éclectisme, comprend encore Manon de Massenet, Marcelline et Leonore de Fidelio, Marenka de la Fiancée vendue, Alice Ford de Falstaff, Éva des Maîtres chanteurs (pour son unique apparition à Bayreuth en 1951) et la création du rôle d’Anne Trulove dans The Rake’s Progress de Stravinski (Venise, 1951). En concert, elle interprète les grands oratorios de Bach, Haendel, downloadModeText.vue.download 920 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 914 Haydn, les requiem de Brahms (sous la direction de Karajan, avec qui elle aime à travailler) et de Verdi (qu’elle chante à Venise en 1951, sous la direction de Sabata, pour la commémoration du cinquantième anniversaire de la mort de Verdi), ainsi que de Tippett A Child of our Time. Pour son premier récital à Salzbourg en 1953, elle interprète, accompagnée par Furtwängler, des lieder de Wolf, qu’elle contribue à faire redécouvrir. La gloire de Schwarzkopf reste liée aux innombrables enregistrements que son mari Walter Legge, directeur artistique, réalise, immortalisant ses meilleures interprétations (entre autres, les quatre derniers lieder de Richard Strauss, qu’elle est la première à enregistrer en 1953). Quand Walter Legge meurt en 1979, elle se retire définitivement, n’accordant plus que quelques cours d’interprétation, en 1981, dans le cadre des Fêtes musicales de Touraine (après ceux donnés à la Juilliard School de New York en 1976). La même année, elle fait, à Bruxelles, des débuts

remarqués de metteur en scène dans le Chevalier à la rose. Partie des rôles de colorature, elle s’est transformée, grâce aux leçons de Maria Ivogün, en une soprano lyrique accomplie, à la voix éclatante et chaude, qu’elle a modelée et disciplinée dans le sens d’une plénitude artistique sans failles. SCHWEITZER (Albert), organiste et musicologue français (Kaysersberg, Alsace alors allemande, 1875 - Lambaréné, Gabon, 1965). Il fut aussi pasteur, philosophe, théologien et médecin ; son oeuvre humanitaire lui valut en 1952 le prix Nobel de la paix. En tant qu’organiste, on le connaît par de médiocres enregistrements réalisés dans sa vieillesse, alors qu’il avait abandonné tout professionnalisme pour se consacrer à son hôpital de Lambaréné ; mais, élève de Widor, il eut son heure de célébrité dans les premières années du siècle, mettant tout son talent à défendre ses idées musicologiques. Celles-ci s’expriment en deux domaines : la connaissance de J.-S. Bach et le renouveau de l’orgue baroque. S’ils ont pu être controversés, et surtout si les données de la musicologie ont progressé depuis, il n’en demeure pas moins que les travaux de Schweitzer ont grandement contribué à l’essor des domaines auxquels il s’est attaqué. Pour ce qui est de Bach, son apport réside en deux ouvrages : J.-S. Bach, le musicien poète (en français, Leipzig, 1905), et la version allemande qu’il donna lui-même de ce livre, considérablement augmentée (J. S. Bach, Leipzig, 1908). Schweitzer y envisage l’oeuvre de Bach sous l’angle de la symbolique musicale, si importante chez les musiciens de l’âge baroque. Une grande partie de l’oeuvre de Bach se référant à des textes sacrés, Schweitzer souligne leur caractère descriptif dans le langage musical du compositeur ; cela vaut notamment pour les chorals pour orgue, dont, en France tout du moins, on ignorait totalement qu’ils fussent des commentaires sur des textes de cantiques chantés dont la signification était primordiale. Cet aspect poétique, symbolique et baroque de la musique de Bach, par opposition au maître d’une architecture abstraite et d’une perfection formelle que l’on se figurait jusqu’alors, fit progresser considérablement la perception de l’esthétique de Bach et ouvrit la

voie à bien des recherches. Les progrès de la musicologie ont amené à revoir certaines des conceptions de Schweitzer, mais son ouvrage reste fondamental et n’a guère été critiqué en France que par des ignorants. Dans le domaine de la facture d’orgues, Schweitzer a prôné un retour à l’orgue polyphonique baroque, avec des jeux de détail et des mixtures, contre l’engouement excessif pour l’orgue symphonique. De même, il recommandait la traction mécanique à l’ancienne. Certaines de ses idées n’ont heureusement pas été suivies, comme celle d’une console normalisée, ni ses compositions de jeux qui demandaient à être revues à la lumière de recherches plus poussées sur l’orgue baroque. Mais l’influence de Schweitzer a là aussi été décisive sur l’évolution des travaux ultérieurs. SCHWEITZER (Anton), chef d’orchestre et compositeur allemand (Coburg 1735 Gotha 1787). Après avoir occupé divers postes, il séjourna de 1772 à 1774 à Weimar, où fut créé en mai 1773 son singspiel Alceste (livret de Wieland), un des premiers grands succès du genre. En 1780, il succéda à Jiri Antonin Benda comme directeur de la musique à Gotha. SCIARRINO (Salvatore), compositeur italien (Palerme 1947). Autodidacte, il commence à écrire vers l’âge de douze ans. Après avoir vécu à Rome et à Milan (où il enseigne de manière intermittente au Conservatoire) et dirigé le Teatro Communale de Bologne, il se retire à Città di Castello. Sciarrino cultive un son recherché, parfois hédoniste. Attiré par le théâtre, il le pratique avec des mots, des personnages (Amore e Psyche, opéra en trois actes, 1973 ; Perseo e Andromeda, opéra pour voix, bande magnétique et « live electronic », d’après Jules Laforgue, 1990) ou sans personnages (Vanitas, « nature morte en un acte », pour voix, violoncelle et piano, 1981 ; Lohengrin, « action invisible » pour soliste, instruments et voix amplifiées, 19821984) et même sans texte (Caprici pour violon, 1976 ; La Malinconia pour violon et alto, 1981), dans un style allusif et nostalgique où les références à la musique du passé sont fréquentes. Sciarrino écrit

souvent pour cordes (Sei quartetti brevi, 1967-1992), et en traite le timbre avec imagination. L’image y est souvent fragile, instable, volontairement fatiguée. On lui doit aussi De la nuit pour piano (1971), Variazioni pour violoncelle et orchestre (1974), Kindertotenlied pour soprano, ténor en écho et petit orchestre, sur un texte de Rückert (1978), Un’immagine di Arpocrate pour piano et orchestre avec choeur, sur des fragments de Goethe et de Wittgenstein (1974-1979), Autoritratto della notte pour orchestre (1982), Variazione su uno spazio ricurvo pour piano (1990). Il est lauréat de plusieurs prix de composition (S.I.M.C. 1971 et 1974, etc.). SCIMONE (Claudio), chef d’orchestre italien (Padoue 1934). Après des études de direction auprès de Zecchi, Ferrara et Mitropoulos, il fonde à l’âge de vingt-cinq ans l’ensemble I Solisti Veneti, qu’il dirige au long de toute sa carrière. À la tête de cet ensemble, il interprète les oeuvres de Tartini et Vivaldi, deux de ses compositeurs de prédilection, mais s’intéresse aussi au répertoire du bel canto (Rossini, Donizetti), ainsi qu’à la création contemporaine (Bussotti, Luis de Pablo, Marius Constant). Depuis ses débuts, et malgré son intense activité à la tête des Solisti Veneti, il dirige aussi d’autres orchestres, dont, de 1979 à 1986, celui de la Fondation Gulbenkian de Lisbonne. SCORDATURA (en all. Verstimmung). Modification apportée à l’accord habituel d’un instrument à cordes et permettant d’étendre la tessiture, de faciliter certains problèmes techniques ou de varier la couleur de l’instrument. SCOTCH SNAP (angl. pour (mot à mot) « claquement écossais »). Expression indiquant la rétrogradation d’un rythme avec note pointée, la note brève venant en première position (sur le temps) et la longue (pointée) en seconde position : rythme populaire en Italie aux XVIIe et XVIIIe siècles et alors appelé dans les pays germaniques « rythme lombard ». On en trouve dans le thème principal du Moderato e maestoso initial de la symphonie en ré majeur no 42 de Haydn (1771), ou encore dans le trio du quatuor en ré mineur K.421 de Mozart (1783).

Le menuet de la symphonie en mi bémol majeur no 103 (Roulement de timbales) de Haydn (1795) l’utilise de façon très spirituelle et subtile. downloadModeText.vue.download 921 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 915 SCOTT (Cyril), compositeur, poète et musicographe britannique (Oxton 1879 - Eastbourne 1970). Ses premières tentatives de composition datent de l’âge de sept ans. À douze ans, il partit pour Francfort, où il travailla au conservatoire avec Uzielli (piano) et Humperdinck (composition). Revenu à Liverpool, où il fut élève pour le piano de Steudner-Welsing, il repartit à Francfort pour travailler la composition avec Ivan Knorr. Avec plusieurs camarades, dont Percy Grainger, il constitua le groupe de Francfort. L’influence du poète Stefan George élargit son horizon. En 1898, il se fixa à Liverpool. En 1900, sa Première Symphonie était jouée à Darmstadt. De la même période datent ses premiers poèmes. Entre 1901 et 1909, il écrivit des oeuvres pour piano, des mélodies, un Quatuor avec piano, sa 2e Symphonie (1903). Passionné de religions orientales et de théosophie, il chercha à en donner une application musicale en écrivant une Sonate pour piano et violon, et une Sonate pour piano sans armature de clef ni mesure (1910). Parmi ses oeuvres passées à la postérité, il faut retenir ses pièces pour piano et ses mélodies, écrites dans un style se rattachant à l’impressionnisme, qui l’a fait surnommer le « Debussy anglais ». Scott a également composé deux opéras, The Alchimist (1925) et Maureen O’Hara (inachevé). On lui doit aussi un livre intitulé Music, its secret influence through the ages (1933). SCOTUS (Johannes Eriugena ou Erigena, dit John), philosophe et théologien irlandais (en Irlande v. 810 - sans doute en Angleterre v. 880). La seule information certaine que nous ayons sur sa vie est sa présence à l’école de la cour de Charles le Chauve, en

France, où il enseigne la grammaire et la dialectique, à partir de 850 environ. Il est connu pour ses traductions de Denys l’Aréopagite et de Maximus Confessor, et pour deux ouvrages philosophiques, le De predestinatione (v. 851) et le De divisione naturae (v. 866), le plus important de ses écrits, dont plusieurs passages concernent la musique. On y rencontre, en particulier, une des allusions les plus anciennes faites à l’organum, première forme de polyphonie. Ses théories, de tendance panthéiste, ont été condamnées par l’Église catholique à plusieurs reprises au IXe, puis au XIIIe siècle. SCRIABINE (Alexandre N.), pianiste et compositeur russe (Moscou 1872 - id. 1915). Né d’un père diplomate et d’une mère pianiste qui meurt un an après sa naissance, il entra à l’école des Cadets de Moscou, mais très vite renonça à la carrière militaire pour la musique. Admis au même moment au conservatoire de Moscou dans les classes de Safonov (piano), Arensky (harmonie, contrepoint), Taneev (composition), il y obtient un premier prix de piano en 1892. Sans attendre cette récompense, il avait entrepris une carrière de pianiste qui attira sur lui l’attention de Belaïev, alors même qu’il composait encore sous l’influence de Chopin. Sa vie durant, il poursuivit ses tournées de concerts (exclusivement consacrés à ses oeuvres) que seules interrompirent ses années d’enseignement (piano) au conservatoire de Moscou (1898-1903). Ses premières tournées en Europe lui apportèrent la révélation de Wagner, de Liszt (qui lui proposa un élargissement des procédés d’écriture pianistique), de Strauss, Debussy et Ravel. Il trouva en Vera Ivanova Issakovitch (qu’il épousa en 1897) une fervente propagandiste : même après leur séparation en 1905, après que Scriabine eût rencontré Tatiana de Schloezer, elle devait continuer à jouer ses oeuvres. À son départ du conservatoire de Moscou, il résida à l’étranger entre ses tournées (ÉtatsUnis, 1906-1907), d’abord en Suisse puis en Belgique, où il côtoya les cercles théosophiques de Bruxelles, qui confirmèrent son penchant au mysticisme. Rentré à Moscou en 1911, il ne devait s’en éloigner que pour des concerts londoniens (1913 et 1914). Un mal infectieux, consécutif à une piqûre de mouche charbonneuse à la

lèvre, l’emporta en 1915. « Il se pourrait bien qu’il soit fou », notait Rimski-Korsakov, après avoir entendu au piano Scriabine jouer des passages du Poème de l’extase. Il est vrai que la personnalité de Scriabine est complexe, pleine de contradictions même ; sa remise en question du système tonal, sa volonté d’organiser ou de réorganiser la musique s’entourent de considérations philosophico-mystiques et d’un sentiment romantique exalté confinant à la morbidité et l’emphase qui explique le jugement de « décadence » qui a été jeté sur sa musique à partir de 1925-1930. La musique est pour lui « une force théurgique d’une puissance incommensurable appelée à transformer l’homme et le cosmos tout entier » (Marina Scriabine). Il rejoint, là, la conception de l’art de symbolistes tel Ivanov, un compagnon des dernières années, ou, sans le savoir, la pensée du poète romantique allemand Novalis. La musique est donc pour lui un moyen de libération et cette idée a pu nourrir les points de vue marxistes auxquels il adhère passagèrement lors de son séjour en Suisse, fondant son socialisme sur la pitié et l’amour de l’homme. Il refuse néanmoins « toute concession au grand nombre » et tout emprunt au folklore ; en cela, son art reste essentiellement aristocratique. Il est un novateur et son originalité s’exerce d’abord dans le domaine harmonique, bien que les autres aspects de son langage en soient difficilement dissociables. En effet, parti de l’influence de Chopin (cf. les 24 Préludes et, en général, toute son oeuvre jusqu’en 1903), il découvre à travers Wagner l’hyperchromatisme. En outre, Wagner l’oriente vers des oeuvres orchestrales de style néoromantique (cf. la 1re et la 2e Symphonie). La libération de la tonalité n’intervient qu’à l’issue de cette étape intermédiaire et prend la forme de l’accord mystique (do, fa dièse, si bémol, mi, la, ré, pour Prométhée), c’està-dire d’un accord de 6 sons, formé de quartes justes et altérées et fondé sur la résonance harmonique. Par ce biais, Scriabine évite le piège de l’attraction tonale. Il lui accorde, en outre, une valeur mystique dans la mesure où il le comprend comme un « principe unificateur » et un moyen de refléter « l’harmonie des mondes ». Dans ses dernières sonates, toute armure disparaît même à la clef : la mobilité de l’oeuvre devient une dimension de l’atonalité.

Mais, dépassant Wagner, à qui il reproche d’avoir maintenu l’autonomie du texte et de la musique, Scriabine tente la fusion des arts et des sens, car « le mystère » ne peut être qu’un acte total. Dans cette optique, il utilise pour Prométhée (1910) des projections colorées établies sur la base d’une table de correspondances du spectre des hauteurs sonores et du spectre des couleurs (do = rouge, sol = orange, ré = jaune brillant, la = vert, mi = blanc bleuâtre, etc.). Il s’agit en somme d’un clavier lumineux dont il imputa l’échec, lors de la création de Prométhée, au mauvais fonctionnement de la machine de l’Anglais Remington. Ses recherches devaient trouver leur aboutissement dans le Mystère que la mort ne lui permit pas d’achever. Selon son ami Oscar von Riesemann, il envisageait de « faire circuler l’air de la nature elle-même dans l’acte à la fois artistique et liturgique du Mystère : le bruissement des feuilles, le scintillement des étoiles, les couleurs du lever et du coucher de soleil devaient y trouver place » avec la participation active du public. Stockhausen ne dit pas, ne fait pas autre chose depuis Sternklang, Cage non plus. Cette rupture avec le monde occidental annonce les nouvelles relations OrientOccident dans la musique à partir des années 60, une fois dépassé le stade des emprunts conscients (Messiaen). En effet, outre les recherches de timbres (célesta, cloches, clochettes, tam-tam dans le Poème de l’extase [1905-1907], gong dans Prométhée), Scriabine, à partir de 1905, après avoir découvert Nietzsche et Schopenhauer, se tourne vers la philosophie hindoue, parallèlement au théosophisme : alors commencent « l’ascension vers le downloadModeText.vue.download 922 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 916 soleil » et l’accession « par l’extase à la fusion avec le cosmos », dont les oeuvres de 1903 à 1915 sont les préliminaires. La fougue, la violence, si caractéristiques de son style, l’amènent d’autre part à faire éclater le cadre formel de la sonate, soit qu’il rejette le schéma de la forme sonate pour le monothématisme (cf. 4e Sonate, 1904, 2e partie), soit qu’il se tourne (der-

nières Sonates, 3e Symphonie, Poème de l’extase, Prométhée) vers une construction continue en un mouvement qui, seule, par l’absence de cloisonnement, peut rendre compte de l’élan de sa pensée. Alors qu’à sa mort en 1915 Scriabine était considéré comme le chef de file des modernistes et qu’un public sans cesse grandissant s’enthousiasmait pour ses oeuvres, alors même qu’il exerçait une influence certaine sur Miakovski, Medtner, Szymanovski, Krioukov ou Feinberg, il est aujourd’hui toujours aussi méconnu ou mal compris parce qu’il y a eu, trop longtemps, polarisation sur son discours souvent obscur ou primaire. Néanmoins, au-delà de ce débordement, ce « romantique total » (B. de Schloezer) ne clôt pas seulement une époque, il mérite toute notre attention si nous nous penchons sur les sources de la musique du XXe siècle. SCRIBE (Eugène), auteur dramatique et librettiste français (Paris 1791 - id. 1861). Étudiant en droit saisi par le démon du théâtre, il débuta à dix-neuf ans, sous un pseudonyme, avec un vaudeville en 1 acte, qui fut copieusement sifflé aux Variétés. Mais il savait tirer parti de ses échecs et, bientôt, n’eut plus rien à apprendre des ficelles du métier. Ses négligences de style, aussi légendaires que son habileté et sa fécondité, ne l’empêchèrent pas d’entrer à l’Académie française en 1836. Fournisseur attitré des Variétés, du Gymnase, du Vaudeville, de la Porte-Saint-Martin et de la Comédie-Française, sans parler des scènes lyriques, il signa seul ou en collaboration plus de 350 ouvrages, dont de nombreux livrets d’opéra ou d’opéracomique qui sauvent son nom de l’oubli. Citons au moins la Dame blanche (Boieldieu) [1825], le Comte Ory (Rossini) et la Muette de Portici (Auber) [1828], Fra Diavolo (Auber) [1830], Robert le Diable (Meyerbeer) [1831], le Chalet (Adam) [1834], la Juive (Halévy) [1835], les Huguenots (Meyerbeer) [1836], la Favorite (Donizetti) [1840], l’Étoile du Nord (Meyerbeer) [1854], les Vêpres siciliennes (Verdi) [1855], Barkouf (Offenbach) [1860], et l’Africaine (Meyerbeer) [1865]. Son énorme production, répartie sur un demi-siècle, lui rapporta une fortune considérable. SEARLE (Humphrey), compositeur et musicologue anglais (Oxford 1915 Londres 1982).

Il fit ses études au Royal College of Music (1937) et à Vienne avec Webern (193738), qui exerça sur lui une influence durable. Il travailla à la BBC, de 1938 à 1948 (exception faite des années de guerre), et fut conseiller musical à Sadler’s Wells, de 1951 à 1957. S’étant toujours intéressé à la musique de Liszt, il joua un rôle prépondérant dans la fondation de la Société Liszt, et en devint secrétaire honoraire en 1950. Presque toutes ses oeuvres, depuis 1946, font usage du dodécaphonisme sériel, qu’avait déjà approché en 1943 sa Night Music op. 2, pour orchestre de chambre, en l’honneur du soixantième anniversaire de Webern. Sa Passacaglietta in nomine Arnold Schönberg op. 16, pour quatuor à cordes (1949), pour le soixantequinzième anniversaire de Schönberg, est en même temps un hommage à la mémoire de Webern. Sa Sonate pour piano op. 21 (1951), pour le cent quarantième anniversaire de Liszt et créée le jour même de cet événement, est en un seul mouvement, comme la Sonate en si mineur du maître hongrois, et étroitement modelée sur celle-ci. Dans cette oeuvre apparaît le côté romantique de Searle. On peut en dire autant de ses 5 symphonies (1953, 1958, 1960, 1962 et 1964), en particulier de la première (op. 23), sérielle, généreuse d’expression, et en un seul mouvement. La 5e Symphonie (op. 43) est de nouveau dédiée à la mémoire de Webern. On lui doit encore les opéras The Diary of a Madman, d’après Gogol (1958), The Photo of the Colonel, d’après Ionesco (1964), et Hamlet, d’après Shakespeare (1965-1968), diverses pages d’orchestre, de la musique de chambre, de la musique vocale dont la trilogie formée de Gold Coast Customs, d’après E. Sitwell (1949), de The Riverrun, d’après Joyce (1951), de The Shadow of Cain, d’après E. Sitwell (1951), et de nombreux livres et écrits, parmi lesquels The Music of Liszt (1954, rév. 1966) et Twentieth Century Counterpoint (1954). SEBASTIAN (Georges), chef d’orchestre hongrois naturalisé français (Budapest 1903 - La Hauteville, Yvelines, 1989). À Budapest, il étudie la composition avec Léo Weiner et Kodály, alors que Bartók est son professeur... de piano ! Dès 1922, il est l’assistant de Bruno Walter à Munich puis, de 1927 à 1930, à l’Opéra de Berlin. Il y crée Johnny spielt auf de Krenek et

dirige le Château de Barbe-Bleue de Bartók. De 1931 à 1937, il est à Moscou au pupitre de l’Orchestre de la Radio et de la Philharmonie, abordant les symphonies romantiques. En 1938, il émigre aux États-Unis, où il s’occupe notamment des programmes CBS diffusés sur 130 chaînes de radio. Il se fixe en France en 1947, où il participe à plusieurs événements exceptionnels : il dirige à l’Opéra de Paris Maria Tebaldi et le légendaire concert de Maria Callas en décembre 1958. En 1961 et 1964, il donne les premières auditions françaises de la Troisième et de la Huitième Symphonie de Mahler. En 1966, il dirige à Aix-enProvence une célèbre production d’Ariane à Naxos, avec le trio Crespin-TroyanosMesplé. Avec l’Orchestre de l’O.R.T.F., il a aussi fait découvrir en France l’Ange de feu de Prokofiev. SEBOK (Gyorgy), pianiste hongrois (Szeged 1922). De 1938 à 1943, il étudie à l’Académie Liszt de Budapest, où il est à la fois élève de piano et accompagnateur de diverses classes instrumentales, tout en étudiant la composition avec Kodály et la musique de chambre avec Léo Weiner. Après la guerre, son premier concert important a lieu à Bucarest sous la direction d’Enesco en 1946. Pendant dix ans, son activité est limitée aux pays de l’Est, qu’il visite presque tous, y compris l’U.R.S.S. Il remporte le premier prix du Concours Franz Liszt de Budapest et celui du Concours international de Berlin. En 1949, il est nommé professeur de piano au Conservatoire Bartók de Budapest. En 1957, il s’établit à Paris, où il devient rapidement une importante figure du monde musical. À partir de 1957, il joue régulièrement dans la plupart des pays d’Europe de l’Ouest, ainsi qu’au Japon, en Afrique du Sud et en Amérique du Sud. Pédagogue réputé pour la finesse et la générosité de son enseignement, il donne de nombreuses master-classes et enseigne depuis 1962 à l’Université d’Indiana, prenant en 1970 la nationalité américaine. SECCO. Dans l’opéra classique, et plus particulièrement l’opéra bouffe italien, le recitativo secco est un texte débité à la cadence rapide de la conversation, accompagné par des accords de clavecin sans intervention

de l’orchestre. SECHTER (Simon), théoricien, compositeur, organiste et chef d’orchestre autrichien (Friedberg, Bohême, 1788 - Vienne 1867). Il arriva à Vienne en 1804, où il étudia avec Albrechtsberger et L. Kozeluck, et, de 1810 à 1825, enseigna le piano et le chant à l’Institut pour jeunes aveugles de cette ville. En 1825, il devint premier organiste de la cour. Très réputé comme professeur de théorie, il attira de nombreux élèves, parmi lesquels Schubert, qui prit une leçon avec lui le 4 novembre 1828, juste avant sa mort. Son élève le plus célèbre fut Bruckner. Il fut aussi le maître, entre downloadModeText.vue.download 923 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 917 autres, de Gustav Nottebohm et de Carl Ferdinand Pohl. De 1851 à 1863, il enseigna la basse continue et le contrepoint au conservatoire de Vienne, où il eut comme successeur son ancien élève Bruckner. Compositeur très fécond, il écrivait, diton, au moins une fugue par jour. On lui doit aussi des oratorios, des opéras, dont un seul représenté (Ali Hitsch-Hatsch, Vienne, 1844), de la musique religieuse, dont 35 messes et 2 requiem. Parmi ses écrits théoriques, une édition révisée du Traité de fugue (Abhandlung von der Fuge) de Marpurg (1843), et Die Grundsätze der musikalischen Komposition (3 vol., 185354). SECONDA PRATICA (ital. : « seconde manière »). Terme employé par le compositeur Claudio Monteverdi et son frère Giulio Cesare pour distinguer entre la manière des Anciens (prima pratica) et les techniques nouvelles, qui accordaient une importance capitale au texte poétique. SECONDE. 1. Intervalle produit, dans la gamme diatonique, entre deux notes conjointes, c’est-à-dire dont les noms se suivent dans l’énoncé de la gamme, quel qu’en soit l’intervalle. La seconde peut être majeure (1 ton, par exemple, do-ré), ou mineure (1/2

ton, par exemple, mi-fa, ou do-ré bémol). Déformée, elle peut être augmentée (1 ton 1/2, par exemple, do-ré dièse), mais non diminuée. Il n’est pas d’usage d’employer le terme seconde pour le demi-ton chromatique (par exemple, do-do dièse), bien qu’aucune règle ne soit édictée à cet égard. 2. En harmonie, on donne le nom d’accord de seconde au 3e renversement de l’accord de 7e (par exemple, fa-sol-si-ré) par le fait que l’intervalle de seconde s’y trouve à la base. SEEFRIED (Irmgard), soprano allemande (Köngetried 1919 - Vienne 1988). Fille d’un maître d’école-musicien, elle chante à onze ans le rôle de Gretel dans Hänsel et Gretel de Humperdinck. Parallèlement à ses études au conservatoire d’Augsbourg, elle fait partie de nombreuses chorales, aussi bien dans cette ville qu’à Aix-la-Chapelle, où Karajan la remarque et la fait engager en 1939 à l’Opéra. Entrée au Staatsoper de Vienne en 1943, où elle fait toute sa carrière, elle chante pour ses débuts Eva des Maîtres chanteurs, aux côtés de Max Lorenz et sous la direction de Karl Böhm, et, peu après, sa première Susanna, avec Paul Schöffler. En 1944, elle tient le rôle du compositeur dans Ariane à Naxos, pour le quatre-vingtième anniversaire de Richard Strauss. Incomparable mozartienne, formée à l’école de Josef Krips et de Ferenc Fricsay, elle manifeste un grand intérêt pour la musique de son temps, Bartók, Poulenc, Berg, créant notamment les Motets de Noël de Hindemith, et pour les maîtres méconnus, Cornelius, Wolf, Mahler (qu’elle étudie avec Bruno Walter). Avec son mari, le violoniste Wolfgang Schneiderhan, elle crée également les Ariosi de Henze et le Magnificat de Frank Martin écrits à leur intention. Elle possède, en plus d’une voix pure et aérienne, de grandes qualités de charme et d’émotion. SEGERSTAM (Leif), chef d’orchestre et compositeur finlandais (Vaasa 1944). De 1952 à 1963, il étudie le violon, le piano et la composition à l’Académie Sibelius d’Helsinki et, de 1963 à 1965, il est l’élève de Louis Persinger à la Juilliard School de New York. Après avoir occupé plusieurs postes dans les maisons d’opéra finlandaises, danoises et allemandes, il est de

1975 à 1982 à la tête de l’Orchestre symphonique de la Radio autrichienne (ORF). De 1983 à 1989, il dirige la Philharmonie du Palatinat et, depuis 1989, l’Orchestre de la Radio danoise à Copenhague. Avec ce dernier, il enregistre les symphonies de Mahler et de Sibelius. Il dirige beaucoup de musique contemporaine, créant des oeuvres de Rihm, Globokar, Nunes ou Eliasson. Lui-même est un compositeur prolifique : en 1995, il compte à son catalogue vingt-sept quatuors, dix-sept symphonies, d’innombrables concertos, notamment pour cuivres, et des mélodies. Il définit son style comme la recherche d’une « libre pulsation musicale et vitale ». SEGOVIA (Andrés), guitariste espagnol (Linares 1893 - Madrid 1987). Il est assurément celui qui a le plus contribué à la renaissance et à l’essor considérable de la guitare. Son nom est désormais légendaire et on lui doit, outre ses multiples enregistrements, un grand nombre de transcriptions diverses, la redécouverte de pièces originales, et, surtout, la constitution d’un répertoire contemporain. Né d’une famille bourgeoise (son père était notaire), il commença très jeune la pratique musicale et entreprit l’étude de la guitare à l’âge de huit ans, après avoir essayé le piano, le violon et le violoncelle. Handicapé par le mépris des musiciens pour cet instrument populaire et surtout par l’absence totale de professeur, il n’en franchit pas moins, avec une géniale intuition, tous les obstacles d’une technique qu’il lui fallut réinventer en complet autodidacte. À l’âge de quinze ans, il donna à Grenade son premier concert et commença ainsi sa carrière en même temps qu’il convainquait les nombreux sceptiques du sérieux de son entreprise. Alors que sa renommée progressait à travers toute l’Espagne, il ressentit l’étroitesse du répertoire et entama un immense travail de recherches et de transcriptions qu’il continua toute sa vie. Dès son premier récital, triomphal, à Paris en 1924, il jouit d’une réputation qui incita plusieurs compositeurs à écrire pour lui, tels Roussel, Falla, Torroba, puis, plus tard, alors que sa gloire devint universelle, Turina, Ibert, Ponce, Rodrigo, Tansman, etc. En outre, interrompant chaque année ses tournées de concerts dans le monde entier, il se consa-

cra pendant plusieurs semaines à l’enseignement et peu de guitaristes n’ont pas, un jour ou l’autre, fait étape à l’académie Chigiana de Sienne ou à Saint-Jacques-deCompostelle pour en bénéficier. SÉGUEDILLE. La seguedilla espagnole est à la fois une chanson et une danse, apparemment dérivée de la seguida et apparentée au bolero. Son rythme ternaire, assez rapide, accompagne des couplets de quatre vers alternativement longs et courts. Populaire dès le Moyen Âge dans plusieurs provinces d’Espagne, la séguedille a gagné l’Amérique latine et, par le biais du théâtre, une bonne partie de l’Europe. SEIBER (Matyas), compositeur et pédagogue anglais, d’origine hongroise (Budapest 1905 - parc national Kruger, Afrique du Sud, 1960). Élève de Kodály à Budapest (violoncelle et composition), il décida, compte tenu du caractère conservateur de la vie musicale hongroise, de faire carrière à l’étranger, jouant sur les paquebots, créant une classe de jazz au conservatoire Hoch de Francfort, pratiquant son instrument au sein du Quatuor Lenzevski et dans divers orchestres symphoniques. En 1935, il s’installa en Angleterre, et, en 1942, à l’invitation de Michael Tippett, commença à enseigner au Morley College. Il forma toute une génération de compositeurs anglais et étrangers, parmi lesquels Peter Racine Fricker, Don Banks, Anthony Milner, Peter Schat, Hugh Wood, et Ingvar Lidholm. En 1945, il fonda les Dorian Singers, spécialisés aussi bien dans l’interprétation des oeuvres du XVIe siècle que du XXe. Il mourut d’un accident de voiture lors d’une tournée de conférences dans les universités sud-africaines. Sa musique, souvent influencée par le jazz, reflète aussi son admiration pour Bartók, Berg et Schönberg. Il parvint à la renommée avec la cantate Ulysse, pour ténor, choeurs et orchestre, d’après Joyce (1946-47, créée en 1949). On lui doit aussi, entre autres, 3 quatuors à cordes (1924, 1934-35, 1948-1951), 1 musique de scène pour une production radiophonique du Faust de Goethe (1949), Fantasia concertante, pour violon et cordes (1943-44), Elegy, pour alto et

cordes (1953), Tre pezzi, pour violoncelle downloadModeText.vue.download 924 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 918 et orchestre (1956), Improvisations, pour jazz band et orchestre (1959), une sonate pour violon et piano (1960). SEIXAS (Carlos), compositeur, organiste et claveciniste portugais (Coimbre 1704 - Lisbonne 1742). II devint de bonne heure un organiste de talent, ayant sans doute travaillé avec son père, auquel il succéda en 1718 à l’orgue de la cathédrale de Coimbre. Deux ans plus tard, il vint s’installer à Lisbonne, où il acquit rapidement une réputation comme virtuose et comme compositeur. Il gagna l’estime de Scarlatti, qui se trouvait à Lisbonne à la même époque. L’essentiel de son oeuvre consiste en sonates pour clavecin, écrites pour la plupart en trois ou quatre mouvements, ce qui les différencie de celles de Scarlatti. SEIZIÈME DE SOUPIR. Silence dont la durée correspond au seizième d’une noire, soit une quadruple croche. SELLE (Thomas), compositeur allemand (Zörbig, près de Bitterfeld, 1599 - Hambourg 1663). Il étudia à l’université de Leipzig, peutêtre aussi à la Thomasschule, et occupa divers postes de cantor en Allemagne du Nord, dont le dernier au Johanneum de Hambourg (à partir de 1641). lnfluencé par Schein et par Praetorius, il écrivit de la musique d’église (Concerts sacrés ; Passion selon saint Matthieu, 1636 ; Passion selon saint Jean, 1641, rév. 1643 ; Histoire de la Résurrection) et profane, dans un style assez éclectique, mêlant l’ancien et le nouveau. SELVA (Blanche), pianiste française (Brive 1884 - Saint-Amant-Tallende 1942). Enfant prodige, elle devient en 1895 l’élève de Vincent d’Indy à la Schola cantorum. Son répertoire et sa carrière reflètent les

centres d’intérêt du cercle de la Schola : elle devient une interprète de Franck et de d’Indy, participe aux concerts de la Société nationale et, en 1904, joue toute l’oeuvre de Bach en dix-sept concerts - une première à Paris. Chaque année, de 1906 à 1908, elle crée un des quatre cahiers d’Ibéria d’Albéniz, puis, en 1908, la Sonate de d’Indy. En 1923, elle crée le Treizième Nocturne de Fauré, et en 1925 le Quintette de d’Indy, suivi en 1926 du Thème varié, Fugue et Choral. Elle interprète aussi Roussel, Roger-Ducasse et Déodat de Séverac, avec lequel elle est très liée. De 1901 à 1922, elle enseigne à la Schola cantorum et dans toute l’Europe. On lui doit également un livre sur Séverac (1930) ainsi que d’autres ouvrages. SEMI-BRÈVE. Dans l’ancienne notation proportionnelle, valeur de note qui, après avoir été d’abord la plus courte au XIIIe siècle (2/3 ou 1/3 d’une « brève » selon les cas), a vu progressivement sa durée augmenter à mesure qu’on lui inventait de nouvelles subdivisions, jusqu’à devenir sans changer de nom l’une des valeurs les plus longues actuelles. Écrite sous la forme d’un losange, d’abord noir, puis évidé, elle a perdu ses angles au XVIIe siècle pour prendre le tracé arrondi qui lui a valu le nom de ronde encore en usage. Bien que devenu archaïque, le terme de semi-brève a continué parfois à être employé jusqu’au XIXe siècle, et s’est maintenu actuellement encore dans plusieurs autres langues. Alla semibreve : battue dans laquelle la ronde (semi-brève) prend la valeur d’un temps. Cette convention était usuelle au XVIe siècle ; elle est plus tard devenue exceptionnelle, entraînant un aspect visuel d’apparence lente en contradiction avec l’exécution rapide. Il en est de même, et plus encore, dans l’alla breve où c’est théoriquement l’ancienne brève (= 2 ou même 3 rondes) qui est prise comme unité de battue. SÉNÉCHAL (Michel), ténor français (Taverny 1927). Il fait ses études au Conservatoire de Paris, dans la classe de Gabriel Paulet, y obtenant en 1950 son premier prix, et se voit engagé à Bruxelles, au théâtre de la Monnaie (1950-1952). Il est le premier chanteur français, en 1952, à remporter le

grand prix du concours de Genève. Ayant approfondi le style baroque français, il surmonte les délicats problèmes d’ornement et de tessiture du Platée de Rameau, qu’il recrée en 1956 au festival d’Aix-enProvence (sous la direction de H. Rosbaud), avant de le jouer en Hollande, à Bruxelles et à l’Opéra-Comique (1977). Ses qualités innées de comédien ajoutées à son bagage technique lui valent d’être invité régulièrement par Karajan à Salzbourg et de compter parmi les valeurs sûres de l’Opéra de Paris, où il a participé à la création française d’oeuvres de Britten (notamment Peter Grimes en 1981), et incarné Gonzalve de l’Heure espagnole de Ravel, Basile des Noces de Figaro, l’Innocent de Boris Godounov, etc. Il a également incarné avec truculence les personnages d’Offenbach. Il a dirigé jusqu’en 1992 l’école d’art lyrique de l’Opéra de Paris. SENESINO (Francesco BERNARDI, dit), castrat italien (Sienne v. 1680 - id. ? 1759). Son pseudonyme lui vint de sa ville natale. Il chanta en Italie, puis à Dresde (17171720), où Haendel, l’ayant entendu en 1719, le recruta pour la seconde saison (1720-21) de sa Royal Academy londonienne. Très admiré pour ses dons d’acteur et son art du récitatif, il resta attaché à cette compagnie jusqu’à sa dissolution en 1728. Il retourna ensuite durant deux saisons en Italie, puis revint à Londres, où il passa trois saisons avec la nouvelle Royal Academy de Haendel avant de rejoindre l’Opera of the Nobility de Rolli et Porpora. Il regagna définitivement l’Italie en 1736. SENFL (Ludwig), compositeur suisse (Bâle ? 1486 ? - Munich 1542 ou 1543). Sur les gravures 25 et 26 du Triomphe de Maximilien Ier, de Hans Burgkmair, figure aux côtés de Georf Slatkonia, le directeur de la chapelle, Ludwig Senfl. Ce dernier fut, en effet, l’un des compositeurs attitrés de la cour itinérante de l’empereur. Membre de la chapelle impériale d’Augsbourg jusqu’à sa dissolution, il gagna alors Vienne (avec 13 autres chanteurs et interprètes) et devint l’élève (et le transcripteur) d’Isaac avant de le remplacer après son départ pour Florence (1512). Après le licenciement de la chapelle par Charles Quint (1520), il se consacra au Liber selectarum cantionum (1520), recueil de chants renfermant le répertoire complet

des motets de la cour, et acheva le Choralis constantinus d’Isaac ainsi que le Livre d’Odes d’Horace d’Ofhaimer. En 1523, il fut appelé à la cour de Munich comme « intonator », et malgré ses sympathies pour la Réforme, demeura à Munich jusqu’à sa mort. Très appréciée et admirée, passant pour la plus importante de l’Allemagne à son époque, son oeuvre comporte des messes ou fragments pour l’ordinaire ou le propre, des motets, des psaumes, mais aussi des lieder, qui lui valurent une part importante de sa célébrité. Le cantus firmus est à la base de ses compositions polyphoniques, qui, parfois, empruntent à la technique de la parodie ou de l’ostinato. Le premier, il a proposé de traiter polyphoniquement le choral (il fut vers 1530 en relation avec Luther, qui le pria d’écrire un motet sur l’antienne In pace). Senfl est le maître incontesté du contrepoint dans l’Allemagne de la première moitié du XVIe siècle. SENSIBLE. Nom donné depuis le XVIIe siècle environ au 7e degré de la gamme, lorsqu’il est situé 1/2 ton en dessous de la tonique, ce qui, dans la conception classique, crée attraction vers sa « résolution » sur cette tonique. Situé à plus d’1/2 ton, par exemple en mineur descendant, ou dans les modes de ré ou la, le 7e degré n’est plus une sensible, mais une sous-tonique. On étend aujourd’hui le terme de sensible à tout degré situé à distance minimum (1/2 ton en tempéré, mais ce peut être moins dans d’autres systèmes) sous un degré fort dont il subit l’attraction (par ex. sensible de dominante, c’est-à-dire 4e degré haussé downloadModeText.vue.download 925 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 919 par attraction de la dominante). Mais on n’emploie guère le mot que si l’attraction est ascendante, bien qu’il existe aussi des attractions descendantes de nature analogue. SEPTIÈME. 1. Intervalle produit entre deux notes, dont les noms, départ et arrivée compris,

et quelle que soit la grandeur de l’intervalle, se suivent en montant à une distance de 7 degrés (par exemple, do [ré-mi-fa-solla-] si). La septième peut être majeure (dosi), mineure (do-si bémol) ou diminuée (do dièse-si bémol). Son « renversement » (même nom de notes, mais en descendant) est la seconde. 2. Note formant avec la note la plus grave d’un accord un intervalle de septième. 3. On appelle accord de 7e un accord dans lequel figurent à la fois une fondamentale et sa 7e. Un tel accord, en harmonie classique, est toujours formé d’une série de notes, quel qu’en soit l’agencement, dont les noms peuvent s’énoncer par tierces à partir de la fondamentale de l’accord (par exemple, si-fa-sol-ré = sol-si-ré-fa), mais il s’agit là d’une particularité pédagogiquement commode, non d’une caractéristique déterminante de la nature de l’accord, car celui-ci est en réalité composé non de tierces superposées (sol-si + si-ré + ré-fa), mais de quinte + tierce + septième (sol-ré + sol-si + sol-fa). Cette erreur d’analyse a longtemps sévi et a entraîné les plus graves perturbations dans la théorie. On appelle accord de 7e naturelle l’accord de 7e qui, dans un ordre ou dans un autre, reproduit dans ses intervalles le modèle du tableau des harmoniques (sons nos 1 à 7, soit accord parfait majeur + 7e mineure, l’harmonique 7 étant assimilé à la 7e tempérée, malgré une certaine marge d’intonation, en vertu du phénomène de tolérance, par exemple sol-si-ré-fa). L’accord de 7e naturelle prend le nom de 7e de dominante, en harmonie classique, lorsqu’il est placé sur le 5e degré de la tonalité, et dans ce cas seulement. Il est abusif de généraliser le terme comme on le fait parfois fautivement par confusion entre terminologie de nature et terminologie de fonction. De plus, l’harmonie scolaire a longtemps considéré l’accord de 7e naturelle comme dissonant, considérant à tort la 7e comme une dissonance « ajoutée » à l’accord parfait et exigeant sa résolution au 1/2 ton inférieur ; cette « obligation » est aujourd’hui beaucoup plus nuancée, mais la théorie porte encore le poids de toutes ces erreurs d’analyse, dont le principe remonte à une défaillance de Rameau. Les accords de 7e autres que l’accord naturel rentrent dans la catégorie des accords

artificiels ou analogiques, et prennent des noms divers, dans l’usage desquels règne parfois un certain flottement. Du fait de leur classification en « espèces » numérotées, les traités leur donnent parfois le nom barbare de « 7e d’espèces ». Ils sont nombreux, et on en trouve à la fois nomenclature et fonction tonale si, après avoir dressé un tableau des 4 gammes classiques (1 majeure, 3 mineures), on y relève les différentes 7e possibles avec leurs altérations. Les principaux sont les accords de 7e majeure (do-mi-sol-si = parfait majeur + 7e majeure), 7e mineure (do-mi bémol-solsi bémol = parfait mineur + 7e mineure) et de 7e diminuée (do dièse-mi-sol-si bémol = quinte diminuée + 7e diminuée). Dans ces 3 accords, toutes les composantes ont même qualification que le nom global de l’accord, ce qui en facilite la mémorisation. On trouve aussi les accords de 7e sur mineur (c’est-à-dire 7e majeure sur parfait mineur : do-mi bémol-sol-si bécarre), et de 7e mineure sur diminué (c’est-à-dire 7e mineure sur quinte diminuée : do dièse-misol-si bécarre). Ce dernier accord prend le nom de 7e de sensible lorsqu’il est placé sur la sensible (7e degré) du ton, exemple en do, si-ré-fa-la. Il crée souvent ambiguïté avec l’accord de 9e naturelle à fondamentale sous-entendue (sol sous-entendu sous si-ré-fa-la). Son 1er renversement (ré-fa-lasi), très employé en langage classique sur le 4e degré mineur, y partageait autrefois avec son homologue du majeur (IV = acc. de 7e min.) le nom d’accord de grande sixte, avec résolution obligée sur l’accord de dominante. 4. Jeu d’orgue (rare avant le XIXe siècle) produisant faiblement à 2 octaves de distance la 7e mineure de la note jouée, ou plus exactement son harmonique 7, un peu plus bas qu’elle. Il s’ajoute aux autres jeux de mutation correspondant aux harmoniques antérieurs pour former l’ensemble du « plein jeu » ou « grand cornet ». SEPTOLET. Groupe de sept notes de même valeur jouées en un seul temps, fraction ou multiple de temps. SEPTUOR.

Composition musicale pour 7 voix ou instruments, et la formation vocale ou instrumentale qui l’exécute. Pratiquement ignoré des compositeurs en tant que formation à cordes, le septuor instrumental doit son existence aux vents et, surtout, aux ensembles mixtes (Septuor op. 20 de Beethoven). SÉQUENCE (du lat. sequentia, « ce qui suit » l’alléluia). 1. Pièce strophique d’une structure particulière chantée à certaines fêtes après l’alléluia ou le trait de la messe. Le nombre des séquences est aujourd’hui réduit à 5, mais leur nombre était auparavant considérable (on en a recensé environ 4 500), et leur structure elle-même a fortement varié depuis l’invention du genre à SaintGall au IXe siècle par Notker le Bègue ( ! SAINT-GALL). On hésite à ranger parmi les séquences les « prosules » primitives antérieures, consistant simplement à doter syllabiquement de paroles les mélodies vocalisées ou « neumes » (neumae, du gr. pneuma, « souffle ») supportées par le e du kyrie et surtout le a de l’alléluia, tantôt en conservant le mot kyrie ou alléluia (solution préférée par les Latins), tantôt en le remplaçant lui aussi (solution préférée par les Germains). Il s’agit là de tropes d’adaptation, dans lesquels la mélodie originale n’est pas modifiée ; ces « prosules », comme on les nommera plus tard, sont en général assonancées au modèle, e pour le kyrie, a pour l’alléluia, sans rythme particulier. On discute également si le terme longissimae melodiae, employé par Notker pour désigner les mélodies sur lesquelles il a travaillé, désigne un genre particulier, qui reste hypothétique - les exemples cités étant généralement postérieurs à l’invention de la séquence et semblant être des « mélismes séquentiels » résultant de la suppression a posteriori des paroles de la séquence développée, et non l’inverse -, ou bien si, comme il est probable, le terme est un simple adjectif s’appliquant normalement aux mélodies usuelles. On s’accorde, en revanche, à faire crédit au récit de Notker lorsqu’il nous narre son initiative, non seulement de doter de paroles syllabiques la mélodie vocalisée de l’alléluia, comme le faisait

Jumièges, mais d’en tirer une forme nouvelle. Il développe, en effet, cette mélodie pour construire à partir de ses éléments une forme semi-strophique caractérisée par un groupement de versets en paires, la mélodie de chaque strophe impaire se répétant sur la suivante paire et sur elle seule. Le trope d’adaptation de Jumièges se voyait ainsi transformé en trope de développement, et chaque cellule du modèle donnait lieu à répétitions avec variations ou adaptations, en insérant des clausules intermédiaires ou terminales en cours de route. Comme les tropes d’adaptation, les premières séquences étaient habituellement assonancées en a, souvenir de l’alléluia générateur. Après quelque temps, le souvenir de l’alléluia se perdit et la séquence, conservant sa forme, devint une composition libre, toujours soumise à la répétition binaire des versets. Dans le même temps, l’assonance en a disparaissait pour faire place à des rimes régulières. Ainsi se forma la séquence de transition, dont un spécimen a été conservé parmi les séquences rescapées du concile de Trente : le VicdownloadModeText.vue.download 926 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 920 timae paschali laudes attribué au chapelain bourguignon Wipo († v. 1060), rimé mais non rythmé. Sa structure qui semble irrégulière dans la version conservée ne l’était pas à l’origine, car on en a assez tôt dérangé l’ordonnance en supprimant, par courtoisie envers les juifs, une strophe où ils étaient traités de menteurs. Au cours du XIIe siècle intervint une transformation importante : la séquence adopta de manière généralisée un type de vers nouveau, à la fois rimé et rythmé, basé sur un retour régulier de l’accent toutes les 2 syllabes, ce qui ne devait pas tarder à se décalquer à son tour sur le rythme musical : l’accentuée tendit à s’allonger et à devenir une longue de 2 temps, d’où cette ternarisation générale du rythme qu’on retrouvera chez les trouveurs comme dans les « modes rythmiques » des motets d’Ars antiqua. À l’exception près déjà citée, toutes les séquences conservées appartiennent à ce type dit de nouvelle séquence : rythmons par exemple le Veni

Sancte Spiritus, nous trouverons VEni SANCte SPIriTUS/, ET eMITte CEliTUS / LUcis TUae RAdiUM. Il en est de même partout. Le nombre des séquences, accru par d’abondantes compositions de caractère local, n’a cessé de s’accroître du IXe au XIIIe siècle au moins, bien que les mélodies fussent souvent reprises pour de nouveaux textes : une séquence comme Laetabundus était passée au rang d’un véritable timbre, sur lequel on refaisait constamment des paroles nouvelles (on en fit et même de profanes, voire parodiques, jusqu’au XVIe siècle). Saint-Gall et SaintMartial de Limoges avaient été les principaux producteurs de l’ancienne séquence, l’abbaye Saint-Victor de Paris s’illustra particulièrement dans la nouvelle avec le frère Adam dit Adam de Saint-Victor († 1177), mais aucune des séquences d’Adam n’a été conservée, alors qu’on a retenu l’adaptation de l’une d’elles, laudes Crucis attollamus, devenue Lauda Sion salvatorem ; il est vrai que la paternité même du Laudes crucis lui a été contestée au bénéfice du « primat » Hugues d’Orléans. L’abondance du répertoire incita, au XVIe siècle, le concile de Trente à considérer la séquence comme un genre parasite et à en décider l’élimination. Seules furent alors sauvées les deux séquences déjà mentionnées (Victimae paschali et Lauda Sion), et deux autres séquences du XIIIe siècle : l’une, Veni Sancte Spiritus, qui avait pour auteur l’archevêque de Cantorbéry Etienne Langton († 1228) avait détrôné pour la Pentecôte le Sancti Spiritus adsit nobis gratia de Notker, qui avait été l’un des prototypes de la séquence ancien style. L’autre, Dies irae, dite « prose des morts », est restée jusqu’au temps du romantisme le type parfait de ce qu’on croyait être le plain-chant. En fait, c’est un remaniement tardif, attribué par les uns au franciscain Jacopone de Todi († 1306), par les autres au cardinal Malabranca (Latino Orsini), ce qui en avancerait la date de plus d’un siècle (le cardinal était le beau-père naturel de Laurent de Médicis, né en 1449). On y trouve en effet une refaçon d’un ancien versus carolingien du répertoire de Saint-Martial de Limoges, le versus de die judicii, appartenant à un cycle de pièces sur le Jugement dernier dont les ramifications s’étendent jusqu’à Aniane, mêlée à des souvenirs du répons de l’office

des morts, Libera me Domine. Une cinquième séquence, Stabat Mater, attribuée au frère franciscain Jacopone de Todi († 1306) n’est entrée que tardivement à l’office (Benoît XIII, 1727 ; à noter que Benoît XIII était lui aussi un Orsini). En tant que séquence, elle est passée inaperçue, tandis que, transformée de bonne heure en cantique strophique avec une mélodie de caractère populaire, elle est devenue sous cette forme l’un des chants les plus répandus de la semaine sainte (V. STABAT MATER). On voit que la séquence, à la fin du XIIe siècle, était devenue une forme musicale et littéraire tout autant qu’un genre liturgique. Il n’est donc pas étonnant que son influence se soit étendue sur d’autres formes musicales étrangères à la liturgie, et même à des formes de danse comme l’estampie du XIIIe siècle. On la retrouve aussi dans le lai lyrique et il n’est pas interdit d’en suivre le prolongement jusque dans les formes binaires de la construction classique, qui nous vaudront l’Hymne à la joie de la 9e Symphonie de Beethoven. 2. Ensemble mélodique ou harmonique découpé dans un ensemble plus vaste tout en restant cohérent. Le terme a été quelque temps employé, en harmonie, pour désigner une cellule destinée à se reproduire sur d’autres degrés - une marche harmonique, par exemple, était considérée comme formée d’une succession de séquences ; sous l’influence du vocabulaire cinématographique, le terme tend à se généraliser, sans rencontrer pour autant l’adhésion générale ; Messiaen notamment y proclame son hostilité. SÉQUENCEUR. Dispositif (appareil spécialisé ou programme d’ordinateur) qui réalise l’enregistrement, la lecture, l’édition et le montage d’événements sonores numériques selon la norme MIDI, joués sur un synthétiseur ou entrés directement dans le programme. Dans ce dernier cas, le séquenceur doit être associé à un expandeur pour pouvoir jouer les séquences enregistrées en mémoire. Il gère à la fois plusieurs pistes qui recueillent l’information d’un ou de plusieurs canaux MIDI (un timbre diffé-

rent peut être affecté à chaque canal). Le séquenceur a un fonctionnement analogue à celui d’un magnétophone (l’interface en reprend d’ailleurs le plus souvent l’aspect), à cette différence près que l’information manipulée est numérique et non pas analogique. On peut, à l’aide d’un séquenceur, modifier cette information (changement de la hauteur, du timbre, du mode d’attaque, quantification des valeurs rythmiques, disposition des valeurs selon une « grille » prédéterminée, modification du tempo ou de la métrique), effacer une piste ou combiner plusieurs d’entre elles. Très souvent, le séquenceur est associé à un éditeur de partitions qui affiche l’information numérique selon la notation musicale traditionnelle. Une forme spécialisée de séquenceur est la « boîte à rythmes », qui génère des formules rythmiques stockées en mémoire ou programmées par l’utilisateur. SERAFIN (Tullio), chef d’orchestre italien (Rottanova di Caverzere 1878 Rome 1968). Il étudie le violon et la composition au conservatoire de Milan. De ses débuts à Ferrare en 1898 à sa dernière apparition à l’Opéra de Rome en 1962 (pour Otello de Rossini), sa carrière fut entièrement consacrée à l’art lyrique. Il dirige au Covent Garden (1907), est engagé comme chef principal de la Scala de Milan (19091914 et 1917-18), puis par le Metropolitan Opera de New York (1924-1934), avant de diriger le Teatro Reale de Rome (1934-1943) et d’être appelé à l’Opéra de Chicago (1956-1958). Tullio Serafin fut le créateur de L’Amore dei tre re (1913) et de La Nave (1918) de Montemezzi, de The King’s Henchman (1927) et de Peter Ibbetson (1931) de Deems Taylor, de The Emperor Jones de Gruenberg (1933) et de Merry Mount de Howard Hanson (1934), sans compter les innombrables premières italiennes ou américaines qu’il dirigea. Il a contribué à la découverte et à la gloire de certains des plus grands chanteurs de son temps : Benjamino Gigli, Rosa Ponselle, Maria Callas et Joan Sutherland, restant quant à lui d’une discrétion exemplaire jusque dans ses interprétations, rigoureuses et pures. SÉRÉNADE (du lat. serus, « tardif »). D’une façon très générale, le terme signifie

« musique du soir », par opposition à aubade, « musique de l’aube ». Au sens strict, la sérénade est un concert de voix et d’instruments donné la nuit, en plein air, sous les fenêtres de quelqu’un (précisément d’une femme), pour lui rendre hommage : ainsi la sérénade chantée par Don Giovanni accompagnée d’une mandoline au début du second acte de l’opéra de Mozart. Le même type, sous le nom allemand de Ständchen, se retrouve chez Schubert, soit downloadModeText.vue.download 927 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 921 pour voix et piano (cf. la célèbre Sérénade D.957 no 4 sur des paroles de Rellstab), soit pour voix de femme et quatuor vocal (D.920). À la fin du XVIe siècle, le terme serenata désigne certaines oeuvres vocales, et, au XVIIe, des oeuvres vocales et instrumentales à caractère de célébration. Heinrich Ignaz Biber l’appliqua à des pages instrumentales (Sérénade du veilleur), et cette destination instrumentale tendit à dominer au XVIIIe siècle. Mais, pour des théoriciens comme Johann Gottfried Walther, Schiebe, Marpurg ou Quantz, le terme de « sérénade » ne vaut encore que pour une composition vocale de cour destinée au théâtre ou à la « chambre », et un « opéra » tel qu’Ascanio in Alba de Mozart (1771) eut comme appellation d’origine serenata teatrale. De même, Bach avait composé une Serenata (BWV 173 A) pour l’anniversaire du prince de Coethen. Dans le domaine instrumental, on employa souvent indistinctement, au XVIIIe siècle, les termes divertimento, cassation, nocturne ou sérénade pour qualifier la même oeuvre. Mais, en particulier avec Mozart, le terme « sérénade » tendit à s’appliquer plus spécifiquement à des oeuvres en plusieurs mouvements pour grand orchestre - et non pour petites formations ou pour formations de chambre, ce point est important - conçues pour des occasions spéciales. De cette catégorie relèvent plusieurs partitions en 7 ou 8 mouvements (dont 2 ou 3 mouvements avec un ou plusieurs instruments solistes et formant une sorte de concerto intercalaire) écrites par Mozart à Salzbourg : sérénades Andretter, Colloredo, Haffner, Posthorn.

Mais, à partir de 1780, la promotion de la symphonie, également pour orchestre, devait barrer la route au genre plus relâché de la sérénade pour orchestre. La sérénade instrumentale devint alors chez le Mozart des années viennoises (K.388 en ut mineur pour instruments à vent, K.525 Petite Musique de nuit), puis chez le jeune Beethoven (cf. opus 8 pour trio à cordes, opus 25 pour flûte, violon et alto) une oeuvre plus confidentielle et tendre, relevant de la musique de chambre ou s’en rapprochant. Il survécut néanmoins sous diverses formes au XIXe siècle et, même, au XXe (sérénades op. 11 et op. 16 de Brahms ; sérénades pour cordes op. 22 et pour vents op. 44 de Dvořák ; sérénade pour cordes op. 48 de Tchaïkovski ; sérénade pour vents op. 7 de Richard Strauss ; sérénades pour violon et orchestre op. 69 de Sibelius ; sérénade pour flûte, violon, alto, violoncelle et harpe op. 30 de Roussel). SÉRIELLE (musique). Le terme « musique sérielle », qui n’est synonyme ni de « musique dodécaphonique » ni de « musique atonale », apparut pour la première fois dans les descriptions des oeuvres de Schönberg, Berg et Webern postérieures à 1920-1923 et faisant usage de la série dodécaphonique, et fut utilisé surtout à partir de 1945-1950. Dans une musique sérielle quelle qu’elle soit, les éléments « mis en série » sont en principe égaux en droit et régis selon l’ordre dans lequel ils apparaissent et se succèdent. Pour abolir, du moins en principe, toute hiérarchie entre les sons, Schönberg eut recours, après la période de silence qui elle-même avait suivi ses grandes oeuvres dites « atonales libres », à l’atonalité et au sérialisme. Mais il n’appliqua ce dernier qu’à l’un des 4 paramètres (hauteur, durée, timbre, intensité) du son traditionnel : les hauteurs. Et il prit comme matériau de base pour ses séries les douze degrés de la gamme chromatique. Ses séries sont donc dodécaphoniques, et on a associé à son système le terme de dodécaphonisme. La série dodécaphonique schönbergienne est l’énoncé dans un ordre quelconque des douze sons de l’échelle chromatique tempérée, chaque son étant énoncé et chacun ne l’étant qu’une fois : le nombre des séries possibles s’élève ainsi à (1 × 2 × 3 × 4 × 5 × 6 × 7 × 8 × 9 × 10 × 11 × 12) = 479 001 600. À la base d’une oeuvre,

une série précise choisie par le compositeur en fonction de divers critères, et pouvant y être utilisée sous sa forme originale, récurrente (de la dernière note à la première), renversée (en changeant la direction de ses intervalles), ou récurrente renversée, chacune de ces quatre formes étant en outre transposable sur les onze autres degrés de l’échelle chromatique. D’où un total de 48 formes différentes de la même série. De ces 48 formes, qui s’inscrivent dans les 479 001 600 théoriquement possibles, le compositeur dispose « à volonté », avec en outre le principe de l’identité de l’horizontal et du vertical (présentation soit successive, soit simultanée, c’est-à-dire sous forme d’accord, des notes de la série), celui de l’équivalence entre elles de toutes les notes du même nom quel que soit leur registre, et la possibilité de faire passer d’une voix à l’autre telle ou telle forme de la série choisie et d’en faire entendre simultanément diverses formes, à des vitesses de déroulement et à des rythmes divers, aux différentes voix. Ces divers principes, qui en outre peuvent se combiner, montrent bien que fondamentalement la série dodécaphonique n’est pas un thème au sens classique du terme (elle n’est pas forcément « reconnaissable » mélodiquement), mais essentiellement une succession d’intervalles. Il résulte de ce qui précède que : 1. une musique peut être sérielle sans être dodécaphonique, si elle fait appel à des séries de moins de 12 sons (séries défectives, fréquentes chez le dernier Stravinski) ou de plus de 12 sons (dans le cas d’un langage utilisant des intervalles plus petits que le demi-ton) ou si elle « met en série » des paramètres autres que les hauteurs de son ; et sans être atonale, si la série est choisie de manière à susciter un sentiment tonal ; 2. une musique peut être atonale sans être dodécaphonique au sens schönbergien (les oeuvres de Schönberg de 1908-1915 ne sont dodécaphoniques qu’au sens large et les oeuvres modales anciennes pas du tout), ni sérielle ; 3. une musique dodécaphonique (au sens schönbergien) et sérielle peut néanmoins être tonale par beaucoup d’aspects si la série est choisie de manière à susciter un

sentiment tonal (Concerto pour violon d’Alban Berg) ; 4. si les oeuvres de Schönberg, relevant de sa « méthode de composition avec douze sons n’ayant de rapports qu’entre eux » sont (en principe) à la fois atonales, dodécaphoniques et sérielles, elles ne constituent qu’un cas particulier aussi bien de l’atonalité que du sérialisme. À noter, enfin, que le terme « dodécaphonique » n’a été employé ci-dessus qu’au sens schönbergien, mais qu’au sens large on peut l’appliquer à la musique tonale occidentale des XVIIIe et XIXe siècles, fondée elle aussi sur les douze degrés de la gamme chromatique tempérée. On trouve d’ailleurs des séries (au sens schönbergien) de 12 sons, intégrées dans un contexte tonal, dans un récitatif du Don Giovanni de Mozart, au début de la Faust Symphonie de Liszt, et dans la fugue de Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss. Schönberg, Berg et Webern acquirent rapidement dans l’usage de la série une grande maîtrise, mais en l’adaptant à leurs besoins personnels. Avant la Seconde Guerre mondiale, seuls de rares compositeurs, parmi lesquels Ernst Kreňék et Luigi Dallapiccola, les suivirent dans cette voie. Mais, après 1945, beaucoup de jeunes compositeurs, avec, à leur tête, Luigi Nono, Pierre Boulez, Karlheinz Stockhausen, se joignirent à eux. Avec cette nouvelle génération, le principe sériel s’étendit à d’autres paramètres que les hauteurs de son : durées, timbres, intensités. Ce fut, jusque vers 1955, la période du « sérialisme intégral », ou du « sérialisme post-webernien ». La « pensée sérielle » fut à l’ordre du jour, illustrée notamment par cette définition qu’en donna Stockhausen : « Le principe sériel signifie d’une façon générale que pour une oeuvre donnée on choisit en nombre limité des grandeurs différentes ; que ces grandeurs sont apparentées les unes aux autres par leurs proportions ; qu’elles sont disposées dans un ordre et à des intervalles déterminés ; que cette sélection sérielle intervient pour tous les éléments qui serviront au travail compositionnel ; qu’à partir de ces séries downloadModeText.vue.download 928 sur 1085

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fondamentales le travail compositionnel débouche sur de nouvelles séries de configurations d’un degré supérieur qui à leur tour sont variées sériellement ; que les proportions de la série constituent le principe structurel dominant de l’oeuvre à composer, celle-ci devant en tirer les conséquences formelles indispensables » (Zur Situation des Metiers, 1953-54). La méthode de Schönberg trouva son premier emploi dans la 5e pièce (valse) de l’opus 23 pour piano (12 sons toujours présentés dans le même ordre selon des dispositions variées) ; puis, avec la Sérénade op. 24 (septuor) et surtout avec la Suite pour piano op. 25. Son utilisation se généralise jusqu’aux Variations op. 31 pour grand orchestre (1927-28) et à l’opéra Von Heute auf Morgen (« D’aujourd’hui à demain », 1929). La série dodécaphonique marque une distanciation par rapport à l’acte compositionnel traditionnel, constitue le principe organisateur de l’oeuvre tout en n’affectant que les hauteurs, et peut même être considérée comme la quintessence de la variation. Elle consacre, évidemment, la non-dissociation de l’harmonie et de la mélodie qui « ne sont que les deux aspects, l’un vertical, l’autre horizontal, d’une même réalité musicale fondamentale » (Webern, 1932). Toutefois, les pages précitées mettent bien en relief que la série des hauteurs est conçue par Schönberg comme un « ultrathème » lié aux formes classiques du contrepoint et n’entrave en fait ni l’humour, ni le lyrisme, ni en un mot la sensibilité. Est-ce un cas particulier ? Un regard sur l’oeuvre de Berg le dément car elle constitue une tentative pour « rattacher au passé chaque nouvelle étape du devenir de l’univers schönbergien » (R. Leibowitz). Dans la Suite lyrique (1925-26), Berg fait coexister, parfois dans le même mouvement, les principes d’écriture tonale et la méthode de composition à 12 sons sans affecter l’unité de style, la cohérence générale tandis que les 4 derniers sons de la série du Concerto à la mémoire d’un ange sont précisément les 4 premières notes du choral de Bach cité. Berg a, d’ailleurs, lui-même, souligné le double aspect de son oeuvre : romantique, mais aussi mathématique. De fait, il fut le premier, dans Lulu, à découvrir et utiliser les premières permutations qui lui permirent d’engendrer de nouvelles séries dérivées (un procédé repris et perfec-

tionné par Boulez et Barraqué). Chez Webern, la série jouant un rôle de cohérence, exerce un contrôle rigoureux sur les moyens d’écriture ; elle devient une fonction d’intervalles et doit être envisagée « comme une fonction hiérarchique engendrant des permutations qui se manifeste par une répartition d’intervalles, indépendante de toute fonction horizontale ou verticale » (P. Boulez). Car Webern s’abstient de toute référence (H. Pousseur a parlé à propos de la logique de sa démarche « d’une pure construction du refus ») et, considérant chaque phénomène sonore comme autonome, relègue au second plan les problèmes strictement harmoniques et élargit sa réflexion et son contrôle aux autres paramètres du son ; il tente, en effet, de créer des séries de rythmes (cf. 2e mouvement des Variations op. 27, 1936) et même une organisation des hauteurs, durées, intensités dans l’exposition du premier mouvement du Concert op. 24 : 12 sons divisés en 4 groupes de 3 sons (cette atomisation créant des blocs sonores qui permettent d’engendrer des structures complexes), un rythme articulé dans la proportion 1 : 2, l’intensité décroissant du f au p (cf. aussi la seconde Cantate op. 31). Ce sont ces tentatives (et l’esprit de Webern) que radicalisent les jeunes compositeurs de la classe de Messiaen, puis de Leibowitz (qui fit redécouvrir la trilogie viennoise en France et familiarisa les créateurs avec le dodécaphonisme strict), au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Il semble bien que, dès 1942, Messiaen ait songé à appliquer le principe de la série dodécaphonique aux autres paramètres du son (cf. Liturgie de cristal dans Quatuor pour la fin du temps, 1941). Dans les 4 Études de rythmes composées par Olivier Messiaen en 1949, la 2e (Mode de valeurs et d’intensités), dont on connaît l’impact sur Boulez et Stockhausen, est vraiment construite sur une série rythmique (ou de valeurs) de 24 durées, sur une série dynamique de 7 intensités, du ppp au fff, sur une série de 12 attaques. Ainsi, tout son devient un phénomène identifiable par ses qualités propres. La même année, Boulez, avec son Livre pour quatuor (1949), propose un traitement sériel successif de tous les paramètres, créant parallèlement aux séries de hauteur des séries de durées, de timbres ou attaques, de dynamiques trai-

tées de manière autonome. Mais le premier essai d’organisation totale simultanée de l’espace sonore (à laquelle travaille de son côté aux États-Unis depuis 1948 Milton Babbitt (cf. ses 3 Compositions pour piano) n’est réalisé qu’avec Polyphonie X (1951), appelée ainsi en raison du croisement de certaines structures, et dont Boulez, lui-même, reconnaît l’échec partiel, du fait de sa trop grande rigidité qui aboutit à des résultats aussi imprévus que malheureux sur le plan sonore, et le 1er livre des Structures pour 2 pianos (1952), dont la série initiale reprend la première division du mode de 36 hauteurs de Mode de valeurs et d’intensités d’O. Messiaen (la première pièce fut écrite avant Polyphonie X ). C’est ce type de musique, avec traitement sériel de tous les paramètres ou, du moins, d’un autre paramètre en sus des hauteurs, qu’on a plus volontiers désigné sous le nom de musique sérielle au début des années 50. De plus, très vite, l’utilisation de la série cesse d’être liée au chiffre 12 (« une croyance comique en l’efficacité de l’arithmétique », P. Boulez) et les critères retenus peuvent différer pour chacun des paramètres. La musique dodécaphonique n’est donc qu’un aspect, restrictif puisque limité aux hauteurs de la musique sérielle. Bien plus, cette dernière ne saurait être circonscrite à une technique de vocabulaire. Certes, la généralisation sérielle peut être conçue comme un garant d’asymétrie, de non-répétition, c’est-àdire d’un univers en perpétuelle transformation et expansion, comme un moyen aussi de remédier à la pauvreté rythmique que Boulez reprochait à la musique dodécaphonique ; elle est, surtout, une manière d’appréhender l’acte compositionnel, le fait musical, et devient « un mode de pensée polyvalent » qui s’élargit à la structure même de l’oeuvre qu’elle engendre et où le surdéterminé rejoint l’imprévisible de manière irréversible. On peut donc affirmer que la musique sérielle est non directionnelle et se rattache à une esthétique du discontinu. Les cours d’été de Darmstadt, où Leibowitz enseigne en 1948 et 1949, et où les premiers débats mémorables interviennent en 1952 quand Boulez et Stockhausen présentent leurs premiers travaux, deviennent le creuset de cette nouvelle musique et lui assurant un rayonnement international, en font le fait

collectif musical du XXe siècle. On peut affirmer que presque tous les grands créateurs nés entre 1920 et 1930 ont eu leur période sérielle (cf. outre Boulez et Stockhausen, déjà cités, Luigi Nono, Luciano Berio, Bruno Maderna, Henri Pousseur, Serge Nigg, etc.), tant il est vrai qu’une certaine tyrannie intellectuelle s’est alors exercée. Boulez n’écrivait-il pas, en 1952, qu’« après la découverte des Viennois, tout compositeur est inutile en dehors des recherches sérielles « ? Le cas de Jean Barraqué (mort en 1973) avec ses séries proliférantes mérite une attention particulière : rejetant l’atomisation de la série de base, qu’il présente avec clarté soit verticalement sous la forme de blocs, soit horizontalement, il engendre, par toute une série de subdivisions, des séries, certes différentes de la série initiale, mais présentant toujours des rapports avec elle (cf. Sonate pour piano). Il y a là une sorte d’évolution en spirale qui lui permet de concevoir une possibilité de matériau à l’infini, d’où cette oeuvre tirée de la Mort de Virgile de Hermann Broch (4 parties achevées), à laquelle il voulait consacrer le reste de sa vie. Preuve en est que la grande variation beethovénienne n’est guère très éloignée et que la musique sérielle peut ne pas manquer de force, ni de lyrisme. downloadModeText.vue.download 929 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 923 Mais, à vrai dire, peu de compositeurs suivirent le strict sérialisme à cause de la rigidité même du système. Des signes de liberté interviennent très tôt dans son application, dès 1952-53 avec Nono (cf. 1re Épitaphe de García Lorca ; Due espressioni ; et mieux Canti per 13, 1954 ; et Incontri, pour 24 instr., 1955) ou Donatoni (cf. Composition en 4 mouvements). Au moment où il vient de terminer Metastasis et travaille à Pithoprakta, Xenakis n’hésite pas à intituler un article paru dans le premier numéro du Gravesaner Blätter (revue de H. Scherchen) en 1955, la Crise de la musique sérielle. Il y attaque sa polyphonie linéaire, qui se détruit d’elle-même par sa complexité naturelle, soulignant ainsi la contradiction entre le système et le résultat ; la dispersion fortuite de l’état massique des sons dont la densité ne peut

être contrôlée que par une moyenne statistique issue de l’application de la logique probabiliste. Il faut bien, en effet, reconnaître que la variation continuelle de l’ordonnance de tous les possibles de chaque paramètre dans la musique sérielle s’annulait même au niveau global du résultat sonore, entraînant rapidement par sa monotonie une perte de l’intérêt. Ce nivellement a été ressenti comme une sorte d’épuisement a priori de la matière et du processus générateur d’où le désir de trouver des moyens de différenciations plus importantes, le besoin d’améliorer le « rendement formel » des organisations sérielles, de le régénérer par la « technique des groupes ». Dès 1954, dans un article Recherches maintenant paru dans le no 23 de la Nouvelle N. R. F., Boulez lui-même bat en brèche le sérialisme intégral. En fait, sa prise de conscience était encore plus ancienne : si, dans les Structures pour 2 pianos, la première pièce (1951) est purement automatique, écrite « à partir d’un phénomène qui a annihilé l’invention individuelle » (P. B.), la deuxième et la troisième (1952) obéissent à un choix personnel (peu perceptible), c’est-à-dire à une direction imposée au matériau, à une tension de l’acte compositionnel, qui, dès cette date, libère de son propre aveu Boulez de ses complexes vis-à-vis d’une organisation stricte du matériau. Approfondissant cette idée d’un univers musical relatif, c’est-à-dire organisé selon des schémas variants, Boulez est amené à introduire certaines possibilités de choix de parcours qui posent aussi le problème de nouveaux rapports entre l’interprète et le compositeur, avec sa 3e Sonate pour piano (1957). Deux mois plus tôt avait éclaté à Darmstadt la bombe du Klavierstück XI de Stockhausen, une organisation mobile de 19 séquences au contenu déterminé. La musique sérielle était bien morte même si elle mit quelques années encore à agoniser. De ce point de vue la venue à Darmstadt de Cage, l’été 1958 (séminaire sur « La composition comme processus »), aura une influence déterminante sur la jeune génération. À la sérialité se substitue l’aléatoire comme nouveau mot d’ordre. Il en est partiellement la conséquence logique. SERKIN (Rudolf), pianiste américain, d’origine autrichienne (Eger, Bohême, 1903 - New York 1991).

Il fait ses études à Vienne auprès de Richard Robert (piano), de Joseph Marx et de Schönberg (composition), et débute à douze ans, accompagné par l’Orchestre symphonique de Vienne et Oskar Nedbal. La rencontre en 1920 à Berlin du violoniste Adolf Busch est déterminante pour le jeune virtuose, qui découvre en même temps Bach (avec l’orchestre de chambre Busch), la musique de chambre (en duo ou en trio avec Adolf et Hermann Busch) et, surtout, une éthique musicale héritée d’Adolf Busch, qui devient bientôt son beau-père. En dehors des nombreuses tournées qu’ils font ensemble, Serkin vit et travaille à Darmstadt (1922), puis à Bâle, où il enseigne, avant d’émigrer en 1933 en Suisse avec son maître. Il fait d’éclatants débuts américains en 1936 avec l’Orchestre philharmonique de New York, dirigé par Toscanini, et s’y installe trois ans plus tard, la guerre venue. Il est chargé de l’enseignement du piano au Curtis Institute de Philadelphie, qu’il dirigera (19681976), et préside aux destinées du festival de musique de Marlboro. Il a donné des cours aux collèges Williams et Oberlin et à l’université de Rochester. Ascète du piano, Serkin a peu à peu dépouillé son jeu des habits de la séduction pour mieux faire entendre le chant profond des oeuvres, ciselé par un toucher lumineux et une articulation péremptoire. SERMISY (Claudin de), compositeur français ( ? v. 1495 - Paris 1562). On ne dispose d’aucune information sur sa jeunesse. On sait qu’il était, en 1508, enfant de choeur à la Sainte-Chapelle et, peu après (av. 1515), chantre à la chapelle royale. Nommé chanoine de NotreDame-de-la-Rotonde à Rouen, il échange cette position en 1524 contre une position similaire à Cambron près d’Abbeville. En 1532, il est déjà sous-maître de la chapelle royale et cumule, dès l’année suivante, ce poste avec celui de chanoine de la SainteChapelle. Il conservera ces deux positions vraisemblablement jusqu’à sa mort, bien qu’on lui ait octroyé en 1554 la prébende de Sainte-Catherine de Troyes. Il jouissait d’une très grande réputation et ses contemporains le considéraient comme l’un des grands maîtres de leur époque, à l’égal de Josquin. Il a écrit autant de musique sacrée que profane, de qualité égale, ce qui est remarquable pour un musicien de sa génération. Il semble s’être consacré

plus particulièrement à la musique sacrée à la fin de sa vie, la plupart de ses chansons ayant été écrites avant 1536. Il est, dans ce domaine, l’auteur de 12 messes environ (en général à quatre voix), dont une Messe de requiem, d’une soixantaine de motets (de 3 à 6 voix, mais surtout à 4 voix), d’une Passion selon saint Matthieu et de pièces diverses (Magnificat, fragments de messes, etc.). Ses messes sont en majorité des messes parodies. Il s’inspire souvent de ses propres oeuvres, motets (Missa « Domini est terra », Missa « Tota pulchra est », etc.) ou chansons, bien qu’il utilise également des oeuvres d’autres compositeurs (Missa « Voulant honneur », sur une chanson de Sandrin, par ex.). Sa Passion est une des plus anciennes passions polyphoniques qui nous aient été conservées. Le style polyphonique de ses messes et motets est bien sûr hérité de l’école franco-flamande et en particulier de Josquin (groupement des voix 2 par 2, imitations, etc.), mais il l’allège en faisant intervenir des passages plus homophoniques et en simplifiant ses mélodies, ce qui favorise la clarté du texte et trahit l’influence du style de la chanson sur sa musique sacrée. Ses chansons, en général assez courtes et à 4 voix, ont eu une vogue immédiate. Écrites sur des poèmes de François Ier, Bonaventure des Périers et, surtout, Clément Marot, elles se caractérisent par des phrases aux mélodies bien dessinées et au rythme très varié et ont souvent en commun un début homophonique, une écriture plutôt syllabique et un usage très discret du figuralisme. SEROCKI (Kazimierz), compositeur polonais (Torun 1922 - Varsovie 1981). Après des études au conservatoire de >Ðód’z et à l’École supérieure de musique de Varsovie avec K. Sikorski, il travailla à Paris, en 1947-48, la composition avec Nadia Boulanger et le piano avec Lazare Lévy. Il se tourna tout d’abord vers le folklorisme et le néoclassicisme, écrivant dans ce style plusieurs oeuvres qu’il devait plus ou moins renier par la suite : Triptyque pour orchestre de chambre (1948), Symphonie no 1 (1952), Symphonie no 2 pour soprano, baryton, choeurs et orchestre (1953), Concerto pour trombone (1953). En 1956, il participa à la création de l’Automne de Varsovie, et, peu après, fut un des premiers en Pologne à adopter le sérialisme. De son évolution à cette époque témoignent Musica concertante, pour orchestre (1958) ; Épisodes, pour 50 cordes

et 6 percussions (1959) ; et, surtout, Segmenti, pour 12 instruments à vent, 5 instruments à cordes et 4 percussions (1961). Suivirent A piacere, pour piano (1962-63), inspiré du Klavierstück XI de Stockhausen, Fresques symphoniques, pour grand orchestre (1964), Continuum, pour 6 percussionnistes (1966), Forte e piano, pour 2 pianos et orchestre (1967). Parallèlement downloadModeText.vue.download 930 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 924 naquirent plusieurs oeuvres vocales, dont Niobe, pour récitant, récitante, choeurs et orchestre (1966) et Poèmes, pour soprano et orchestre de chambre (1968-69). Au cours de sa dernière décennie, Serocki, qui n’aborda jamais l’opéra, n’écrivit que de la musique instrumentale, mettant toujours davantage l’accent sur le paramètre « timbre ». Citons notamment Dramatic Story, pour grand orchestre (1971), Fantasia elegiaca, pour orgue et orchestre (197172), et Pianophonie, pour piano, orchestre et live-electronic (1976-1978). SEROV (Alexandre), critique musical et compositeur russe (Saint-Pétersbourg 1820 - id. 1871). Juriste de formation et de métier, il fut autodidacte en musique. Ses rencontres avec Vladimir Stassov, puis avec Glinka (1842) l’incitèrent à se consacrer activement à la musique. Mais ce n’est qu’en 1851 que débuta son activité de critique dans les revues Sovremennik (« le Contemporain ») et Pantheon. Ses premiers articles concernèrent Spontini, Mozart, Beethoven, le chant populaire russe et Glinka, dont il se fit l’exégète. Polémiste de talent, il fut en Russie un pionnier de la critique musicale « engagée ». En 1858, il envoya une violente riposte à Fétis à la suite des articles de ce dernier sur Glinka. Ayant, en 1858-59, entendu en Occident les opéras de Wagner, il s’appliqua activement à son retour en Russie à faire connaître l’art et les principes de ce maître. Il soutint, en leurs débuts, les compositeurs du groupe des Cinq, mais se brouilla avec eux par la suite. En 1867, il fonda la revue Musique et Théâtre, qui ne connut qu’une année d’existence. En tant que compositeur, Serov est passé à la postérité grâce à ses trois opéras, Judith (1862), Rognéda

(1865), et la Puissance du mal (1871), qui sont chacun représentatifs d’un courant esthétique propre à l’école nationale russe : l’orientalisme et la dimension épique dans Judith, qui encouragea Moussorgski à commencer son Salammbô ; le haut Moyen Âge russe dans Rognéda, dont l’influence s’est exercée sur Rimski-Korsakov ; la critique sociale dans la Puissance du mal, qui s’inscrit dans la succession de la Roussalka de Dargomyjski. Mais les conceptions musico-dramatiques de Serov, en dépit de son admiration pour Wagner, le rapprochaient surtout du grand opéra français. SERVICE. Par ce terme, il faut entendre plusieurs types de musique liturgique, propres aux cultes anglican et judaïque. Aux XVIe et XVIIe siècles, le service est destiné à accompagner l’office dominical de l’Église anglicane, nouvellement née. Tallis, Byrd (qui, bien qu’il fût catholique, écrivit plusieurs « services » pour la chapelle de la reine Élisabeth Ire, dans le style polyphonique traditionnel de la Renaissance), puis Purcell s’illustreront dans ce répertoire, qui, en fait, correspond à la liturgie de la messe latine, et, par définition, se prête moins aux audaces de langage et aventures harmoniques que le motet. De la même manière, de nombreux musiciens de religion juive ont, à la suite du Mantouan Salamone Rossi, contemporain de Monteverdi, cherché à rehausser le culte synagogal de musiques et chants spécifiques, qualifiés eux aussi de « services ». Et c’est ainsi qu’au XXe siècle des compositeurs aussi célèbres que Ernest Bloch et Darius Milhaud, s’inspirant de la tradition ancestrale, ici ashkénaze, là sépharade, ont enrichi le patrimoine musical de leur race de « services sacrés », qui marient la solennité à l’intensité du sentiment spirituel. SESSIONS (Roger), compositeur et pédagogue américain (Brooklyn 1896 Princeton, New Jersey, 1985). Il fut l’élève d’Horatio Parker à Yale University, puis de Nadia Boulanger et d’Ernest Bloch dont, après avoir enseigné à Smith College depuis 1917, il devait devenir l’assistant à Cleveland (1921). Il débuta en 1923 par une musique de scène pour The Black Maskers d’Andriev, dont la puissance dramatique s’exprimait dans une

langue originale, en dépit des influences avouées d’Ernest Bloch et de Stravinski. Il passa ensuite en Europe huit années (1925-1933), au cours desquelles il s’intéressa spécialement à Schönberg et à Alban Berg, mais aussi à Richard Strauss et à Hindemith. Le résultat fut une synthèse de ces différents éléments, dont aucun n’est déterminant, mais dont chacun a contribué à l’essor d’une personnalité scrupuleuse et à sa libre expression. Prix de Rome en 1928, il présenta à New York, de 1928 à 1931, avec Copland, les « Copland-Sessions Concerts ». À son retour définitif aux États-Unis, il devint enseignant au département de Musique de Princeton (1935-1944). Les pages qu’il écrivit alors sont fidèles à une esthétique néoclassique (Pastorale pour flûte solo, Concerto pour violon) qui devait évoluer, à partir de la 2e Symphonie (1946) et de la 2e Sonate pour piano (1946), vers un chromatisme de plus en plus dissonant, caractéristique de sa période atonale. Son opéra The Trial of Lucullus (1947), son second Quatuor et sa 3e Symphonie (1957) marqueront les différentes étapes de son évolution vers un dodécaphonisme employé d’ailleurs librement et dans un esprit proche de celui d’Alban Berg. Ses activités de président de la section américaine de la Société internationale de musique contemporaine et de professeur à Berkeley (1944-1952), Princeton (1953-1965), Berkeley (1966-67) et Harvard (1968-69) ne semblent pas avoir nui à une carrière de compositeur qui a suivi une démarche régulière pendant près d’un demi-siècle. Proclamé par les uns chef des compositeurs américains progressistes, et par les autres « le Brahms américain », il a réalisé par des moyens strictement personnels une oeuvre d’une puissance et d’une saveur remarquables sur laquelle il a toujours refusé de s’expliquer, mais où il est facile de reconnaître, en marge de sa solide culture classique, l’intelligente assimilation des influences qu’il a su admettre. On lui doit notamment 9 symphonies (de 1927 à 1978). SETĀR ou SEHTĀR. Luth à manche long. Apparenté au tanbūr ou tunbūr de l’islam médiéval, le setār ou sehtār est un

luth à manche long utilisé dans les musiques traditionnelles savantes de l’Iran et des pays limitrophes situés au nord et à l’est de l’Iran, soit la Transcaucasie, l’Afghānistān et l’Asie centrale. La caisse et la table sont généralement en bois de mûrier. La touche du long manche est garnie de vingt-cinq frettes ajustables au mode joué et correspondant sur chaque rang à une octave et une quinte. Le setār est pourvu de quatre cordes accordées du grave à l’aigu en fonction de l’octave, de la quinte et de la quarte. Les rangs sont pincés à l’aide d’un plectre. SÉVERAC (Déodat de), compositeur français (Saint-Félix-de-Caraman 1872 Céret 1921). Né dans un village du Lauraguais, fils d’un peintre de talent qui lui a transmis son attachement au terroir, il commence ses études musicales à Toulouse et les poursuit, de 1897 à 1907, à la Schola cantorum de Paris, où il est l’élève de Vincent d’Indy, de Charles Bordes et d’Albéric Magnard. Sa thèse de fin d’études, la Centralisation et les Petites Chapelles, plaide la cause d’un art national, fidèle au génie propre des diverses provinces. Cette cause, une de ses premières oeuvres, le recueil pour piano le Chant de la Terre (1900), l’avait déjà illustrée, dans un langage coloré et vivant. La saveur originale et la luminosité du talent du musicien s’affirment avec plus de vigueur encore dans la suite En Languedoc, dans les Baigneuses au soleil, dans Cerdana, oeuvres composées entre 1904 et 1911. Agrémentée de mordants et d’appoggiatures, l’écriture brillante et audacieuse de ces pages pianistiques a séduit, à juste titre, des virtuoses tels que Ricardo Viñès et Blanche Selva. Mieux que dans son poème lyrique le Coeur du moulin (1908), c’est dans ses pièces pour piano que Déodat de Séverac traduit avec une sincérité touchante, et une poésie familière qui lui est propre, l’amour qu’il porte aux hommes et au paysage de chez lui. downloadModeText.vue.download 931 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 925 Revenu dans son pays, où il trouve sa voie et son équilibre, et où le réchauffent le soleil et l’amitié, Déodat de Séverac dédie en 1918, « à la mémoire des maîtres aimés

Chabrier, Albéniz et Charles Bordes «, sa suite pour piano Sous les lauriers roses. SEXTOLET. Groupe de six notes égales exécutées pendant la durée d’un temps. SEXTUOR. Composition musicale pour six voix ou instruments, et la formation vocale ou instrumentale qui l’exécute. Le sextuor à cordes classique (Boccherini, sextuors op. 18 et op. 36 de Brahms), se compose de deux violons, deux altos et deux violoncelles, et le sextuor à vents (Haydn, Mozart, op. 71 de Beethoven) de deux hautbois, deux bassons et deux cors, mais bien d’autres combinaisons sont possibles, y compris les formations mixtes, couramment pratiquées par les compositeurs modernes. SEYFRIED (Ignaz Xaver von), compositeur, chef d’orchestre et pédagogue autrichien (Vienne 1776 - id. 1841). Élève de Mozart, Kozeluch et Albrechtsberger, il fut chef d’orchestre au Theaterauf-der-Wieden puis au Theater-an-derWien de 1797 à 1828, et composa de très nombreux singspiels. En 1832, il publia un ouvrage sur les études de Beethoven avec Haydn et Albrechtsberger (Ludwig van Beethoven’s Studien...), plus tard réfuté par Nottebohm. SGRIZZI (Luciano), pianiste et claveciniste italien (Bologne 1910 - Monaco 1994). Il étudie, de 1926 à 1931, le piano, l’orgue et la composition à Bologne, à Parme (avec F. Trecate) et à Paris (avec Bertelin). Malgré des débuts prometteurs de pianiste en Europe et en Amérique du Sud, il décide, en 1948, de se consacrer au clavecin et au clavicorde. Il mène de front une carrière de soliste, très souvent au sein de la Società cameristica di Lugano (dirigée par Edwin Loehrer), et de compositeur, notamment d’un concerto pour piano, de suites pour orchestre de chambre, de divertimentos et d’une Sinfonietta rococo, ainsi que de pièces pour piano, les Ostinati. Il a également réalisé de nouvelles éditions de musique italienne (Banchieri, Rinaldo da Capua, Marcello, Pergolèse, A.

Scarlatti, Vivaldi). SHAKESPEARE (William), poète dramatique anglais (Stratford-upon-Avon, Warwickshire, 1564 - id. 1616). Nul dramaturge, et peut-être nul auteur, ne tient une place aussi grande que lui dans le royaume de la musique. Ses pièces, déjà, accordent à l’expression musicale une grande importance, par les chansons (chanson d’Ophélie dans Hamlet, romance du Saule dans Othello, chant du Fou dans le Roi Lear), par des musiques de duels, de sérénades, de banquets de funérailles, par des sonorités venant d’instruments invisibles, et destinées à créer une atmosphère magique (le Songe d’une nuit d’été, la Tempête) ; et nous savons que les représentations de son théâtre comportaient très souvent l’intervention de voix chantées et d’instruments. Les situations, aussi bien que les indications scéniques, sont éloquentes à cet égard. Enfin, le texte est riche en allusions à la musique, considérée comme une grande métaphore de l’harmonie universelle. Après sa mort, on a rapidement adapté sa musique en versions chantées, en opéras : un Macbeth de Matthew Locke (1673), une Tempête de Shadwell et Purcell (1695), et la Fairy Queen de Purcell d’après le Songe d’une nuit d’été. Mais c’est surtout au XIXe siècle que ses drames (surtout ses tragédies, plus rarement ses drames historiques, moins souvent ses comédies) inspirent une multitude d’opéras, de musiques de scène et d’ouvertures. Ainsi, Othello suscite des opéras de Rossini (1816), de Verdi (1887), une ouverture de Dvořák op. 63 ; Hamlet : des opéras de Faccio (1871), d’Ambroise Thomas (1868), après celui de Domenico Scarlatti (1715), des ouvertures, musiques de scène et poèmes symphoniques de Liszt (1858), Tchaïkovski (1888), Pierné, Berlioz (Marche funèbre, 1848), etc. ; Macbeth : une ouverture de Spohr, des opéras d’Hippolyte-André Chelard (livret de Rouget de Lisle, 1827), de Rastrelli (1817), Verdi (1847), des poèmes symphoniques de Richard Strauss (1890), Tcherepnine, etc. ; Roméo et Juliette : des opéras de Bellini (les Capulets et les Montaigus, 1830) et Gounod (1867), la « Symphonie dramatique » de Berlioz, l’ouverture de Tchaïkovski (1869) ; le Roi Lear : des ouvertures de Berlioz (1832) et Paul

Dukas (1883), l’opéra inachevé de Felipe Pedrell, la pièce pour orchestre de Balakirev (1859) ; le Songe d’une nuit d’été : des opéras de Weber (Obéron), Ambroise Thomas, la musique de scène de Mendelssohn ; la Tempête : des opéras de Halévy (1850), Luigi Caruso (1799), des musiques de scène de Felix Weingartner, Ernest Chausson (1888) et Jean Sibelius (1926), la Fantaisie de Tchaïkovski (1872) et celle de Berlioz incorporée dans Lelio, ainsi qu’un ballet d’Ambroise Thomas (1889) ; Jules César : après des opéras de Cavalli (1646), et de Haendel (1724), une ouverture de Schumann (1850) ; Beaucoup de bruit pour rien : l’opéra Béatrix et Benedict (1862), de Berlioz (lequel détient sans doute le record d’adaptations musicales du maître anglais par un même compositeur), etc. Ces titres ne représentent qu’une infime partie d’une gigantesque production musicale. Au XIXe siècle, si les versions musicales sont moins nombreuses, on peut l’imputer à une production plus réduite d’opéras originaux : on peut citer tout de même le Marchand de Venise de Reynaldo Hahn, Antoine et Cléopâtre et Jules César de Malipiero, le Songe d’une nuit d’été (1960) et le Viol de Lucrèce de Britten, Lear de A. Reimann, opéras auxquels il faut ajouter des ballets comme les Roméo et Juliette de Prokofiev (1936) et Ragnar Grippe, et des musiques de film comme celles de William Walton pour les adaptations de Laurence Olivier, etc. SHARP (Cecil), folkloriste et éditeur anglais (Londres 1859 - id. 1924). Il étudia les mathématiques et la musique à Cambridge, et après un séjour en Australie, fut de 1896 à 1905 à la tête du conservatoire de Hampstead. Il tourna son attention vers les chants et les danses populaires à partir de 1899, et devint un des membres les plus importants de la Folk-Song Society, fondée en 1898. Sa première publication fut Folk-Songs from Somerset (5 volumes de 1904 à 1909), et son étude intitulée English Folk-Song : Some Conclusions (1907) demeura très longtemps sans égale. The Morris Book (1913) fut sa première publication consacrée à la danse. Durant la Première Guerre mondiale, il effectua plusieurs voyages aux États-Unis, et y entreprit, en particulier dans les Appalaches, des travaux similaires à ceux qu’il avait menés en Angleterre. À la fin de sa vie, il avait réuni 4 977

mélodies, en avait publié 1 118 et avait doté d’un accompagnement 501 d’entre elles. Son action influença fortement des compositeurs comme Vaughan Williams, Holst ou Butterworth. SHAW (George Bernard), écrivain et dramaturge irlandais (Dublin 1856 - Ayot Saint Lawrence 1950). Fils d’un tromboniste et d’une cantatrice, il aurait voulu être baryton d’opéra. S’il ne réalisa pas ce rêve, il resta toujours proche de la musique, notamment de Mozart, qu’il considérait comme une sorte de maître à vivre, de formateur (ses oeuvres y font souvent allusion, notamment à Don Giovanni). Il travailla comme critique musical dans divers journaux, The Hornet, The Star, The World, et y défendit Verdi et Wagner, sur lequel il publia un essai, le Parfait Wagnérien (1898), analyse du Ring. Parmi ses amis, il comptait le compositeur Elgar (pour lequel il écrivit un livret d’opéra) et Arnold Dolmetsch. De nombreux personnages de compositeurs et de musiciens apparaissent dans ses oeuvres de fiction. Ses pièces donnèrent lieu à des adaptations lyriques, comme le Héros et le Soldat (Arms and the Man, 1894), qui downloadModeText.vue.download 932 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 926 devint une opérette d’Oscar Strauss sous le titre Chocolate Soldiers (1908), et Pygmalion (1912), dont fut tirée la célèbre opérette de Loewe, My Fair Lady (1956). SHAW (Robert), chef d’orchestre américain (Red Bluff 1916). Il étudie la théologie avant de se consacrer à la musique. Il devient rapidement célèbre comme chef de choeur : en 1941, il fonde à New York la Collegiate Choral qui regroupe 200 amateurs et, en 1946, il crée le Festival d’Anchorage. De 1948 à 1966, il anime la Chorale Robert-Shaw, ensemble d’une quarantaine de professionnels. Toscanini collabore avec ce choeur pour le Requiem et plusieurs opéras de Verdi et de Puccini, ainsi que pour la Missa solemnis et la Neuvième Symphonie de Beethoven. En 1953, il se consacre à la direction d’orchestre avec l’Orchestre de San Diego. De 1956 à 1967, il dirige l’Orchestre et les

Choeurs de Cleveland avec Georges Szell. De 1966 à 1988, il préside aux destinées de l’Orchestre symphonique d’Atlanta, qu’il professionnalise. Prenant sa retraite en 1988, il fonde dans le Quercy un festival et une Académie de chant choral. SHIELD (William), compositeur anglais (Swalwell, Durham, 1748 - Londres 1829). Il écrivit de nombreux opéras avec dialogues parlés, dont Rosina (1782) et The Woodman (1791), et s’intéressa de près à la musique populaire de différents pays, en particulier de Russie. Il connut Haydn à Londres en 1794, recevant de lui le trio Pietà di me, et en 1818, comme « Master of the King’s Music », écrivit la dernière ode destinée à un monarque britannique. SHINOHARA (Makoto), compositeur japonais (¯Osaka 1931). Il étudia la musique à l’université des Arts de T¯oky¯o, avec Yasukawa (piano) et Ikenouchi (composition), avant d’aller à Paris suivre les cours d’analyse d’Olivier Messiaen (1954-1959). Il les compléta en suivant à Cologne des cours de Karlheinz Stockhausen, dont il fut une année durant l’assistant. Parmi ses oeuvres, on peut citer Solitude (1961), pour orchestre, Alternance (1962), pour ensemble de percussionnistes, Vision et Mémoires (1965 et 1966), deux oeuvres pour bande magnétique réalisées au Studio d’Utrecht, Personnage (1968), pour voix d’homme et bande, Vision II (1970), pour orchestre, Rencontre (1972), pour percussions et bande, Relation (1976), pour flûte et piano, Égalisation (1976), pour vingt-cinq instruments, etc. SHIRAI (Mitsuko), alto japonaise (Japon 1952). Elle étudie en Suisse avec Ruth Marshall, puis en 1972 à Stuttgart avec Konrad Richter et Uta Kutter. Elle rencontre aussi Elisabeth Schwarzkopf et se lie avec Fischer-Dieskau : sans renier sa formation japonaise, elle déclare n’avoir cerné la tradition stylistique du lied qu’en Europe. En 1973, elle remporte le Prix Schumann à Zwickau. Épouse du pianiste Hartmut Höll, elle entreprend avec lui un travail exigeant, s’attachant au dialogue entre voix et piano et à la théâtralité des textes. Elle aborde Schumann, Brahms et Wolf,

et témoigne d’une grande curiosité en chantant Szymanovski, Das Marienleben de Hindemith et Le Stagioni Italianiche de Malipiero. Rare à la scène, elle y débute en 1987 en incarnant Despina dans Cosi fan tutte. Avec orchestre, elle aborde les Nuits d’été de Berlioz, Berg, Mahler et Manuel Venegas de Wolf. En 1991, elle collabore avec le comédien Peter Härtling et l’altiste Tabea Zimmermann pour offrir une version inhabituelle du Winterreise de Schubert. Depuis 1994, elle anime un Lied Zenter à la Musikhochschule de Karlsruhe. SHIRLEY-QUIRK (John), baryton anglais (Liverpool 1931). Il étudie le chant avec Roy Henderton, et se forme au sein de plusieurs chorales londoniennes. En 1961, il débute à Glyndebourne en incarnant le Docteur dans Pelléas. De 1964 à 1976, il est membre de l’English Opera Group, et s’impose progressivement dans des rôles comme don Juan, Pimène et Golaud. Très tôt, il voue une prédilection à Benjamin Britten : il chante la Rivière du Courlis et le Viol de Lucrèce à Covent Garden, et, en 1973, participe à la création de Mort à Venise. En 1974 et 1978, il reprend cette oeuvre au Metropolitan de New York. En 1990, il crée Herbst d’Antal Dorati. SI. La dernière des sept syllabes qui, dans les pays latins, désignent actuellement les notes de la gamme diatonique. Elle est placée un ton au-dessus du la et correspond, dans la nomenclature anglo-américaine, à la lettre B, et dans la nomenclature allemande à la lettre H si le si est « naturel », à la lettre B s’il est bémolisé. Cette syllabe était inconnue de la nomenclature médiévale, fondée sur le système de l’hexacorde ut-la. Elle a été introduite peu à peu, au cours du XVIIe siècle, non pas comme on l’a dit pour supprimer le système des hexacordes à mutation, mais pour diminuer le nombre de ces dernières : jusqu’au XVIIIe siècle, on disait encore E-la-mi-si. Après quoi, l’hexacorde naturel, transformé par le si en heptacorde, étant resté seul en usage, le si est devenu l’équivalent du seul B, non sans des flottements dont témoigne la divergence des deux usages anglais et allemand. On ignore la source exacte de la déno-

mination, mais on pense que la syllabe a été forgée, en analogie avec les précédentes, à partir du dernier vers de l’Ut queant laxis (Sancte Iohannes) par la réunion acrostiche des deux mots. En Hongrie, elle a été modifiée en ti, à l’initiative de Z. Kodály, pour éliminer le doublet de son initiale avec celle de sol (simplifié en so), ce qui permet d’écrire chaque syllabe par sa seule initiale : drmfslt. SIBELIUS (Johan Julius CHRISTIAN, dit Jean), compositeur finlandais (Tavastehus 1865 - Järvenpää 1957). Après avoir entrepris des études de droit, il s’inscrivit en 1886 à l’Institut musical fondé en 1882 à Helsinki par Martin Wegelius, et y resta trois années (1886-1889) au cours desquelles il écrivit notamment diverses pages de musique de chambre tout en espérant, pour un temps, devenir violoniste virtuose. Il fit à cette époque, à Helsinki, la connaissance de Ferruccio Busoni. Il passa l’hiver 1889-90 à Berlin comme élève du théoricien Alfred Becker, puis l’hiver 1890-91 à Vienne, où il étudia avec Robert Fuchs et Carl Goldmark, et composa ses premières partitions orchestrales, une Scène de ballet et une Ouverture en mi majeur, tout en ébauchant sa première grande oeuvre, la symphonie pour solistes, choeurs et orchestre Kullervo (op. 7), d’après la mythologie finlandaise du Kalevala. La première audition de Kullervo, le 28 avril 1892 à Helsinki, fonda sa renommée en Finlande. Quelques semaines après ce premier triomphe, Sibelius épousa Aino Järnefelt (1871-1969), ce qui le fit entrer dans une des plus anciennes familles de Finlande. Kullervo fut réentendu en 1893, puis seulement en 1958. L’ouvrage s’est ensuite solidement inscrit au répertoire. La première période créatrice de Sibelius, dite « romantico-nationale », vit naître également le poème symphonique En Saga op. 9 (1893, rév. 1901), le poème symphonique la Nymphe des bois op. 15 (1895), réentendu en 1899 puis seulement en 1996, la Suite de Lemminkainen op. 22, également d’après le Kalevala et dont le deuxième volet n’est autre que le célèbre Cygne de Tuonela, ainsi que la Symphonie no 1 en mi mineur op. 39 (1899) et la Symphonie no 2 en ré majeur op. 43 (1902). Ceci sans oublier plusieurs pages liées aux revendications autonomistes de la

Finlande, qui faisait alors partie, comme grand-duché, de l’empire des tsars : la plus célèbre est Finlandia op. 26 (1899), qui à l’origine faisait partie des Scènes historiques op. 25. À noter également qu’avant de se tourner pour l’essentiel vers la musique d’orchestre, Sibelius avait espéré se faire un nom dans l’opéra. Mais à la suite notamment d’une visite à Bayreuth en 1894, il avait abandonné un ambitieux projet en ce sens, intitulé la Construction du bateau (d’après le Kalevala) et dont le downloadModeText.vue.download 933 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 927 prélude, remanié, devait devenir le Cygne de Tuonela. Seul devait suivre en 1896 un modeste opéra en un acte toujours inédit, la Jeune Fille dans la tour. Les premières pages d’orchestre de Sibelius éditées et entendues hors de Finlande furent la musique de scène pour le Roi Christian II op. 27 (1898). En 1897, il avait reçu du gouvernement une rente annuelle qui, dix ans plus tard, devait être transformée en pension à vie (sans suffire pour autant ni à le faire vivre, ni à éponger ses nombreuses dettes). Sa réputation internationale commença par l’Allemagne, mais non sans qu’auparavant, il ait accompagné en 1900 l’Orchestre symphonique d’Helsinki dirigé par Robert Kajanus à l’Exposition universelle de Paris. En 1901, il participa avec Richard Strauss à Heidelberg au 37e Festival de la Société des musiciens allemands, et en 1903, il effectua le premier de ses six séjours en Angleterre (le dernier eut lieu en 1921). En 1904, Sibelius s’installa à Järvenpää, à une trentaine de kilomètres au nord d’Helsinki, dans une maison entourée d’arbres qu’il devait habiter jusqu’à sa mort plus d’un demi-siècle plus tard. De cette époque datent le célèbre Concerto pour violon op. 47 (1903, rév. 1905), la musique de scène pour Kuolema op. 44, dont est tirée la fameuse Valse triste (1903), et la musique de scène pour Pelléas et Mélisande op. 46 (1905). L’installation à Järvenpää marqua le début d’une nouvelle phase stylistique, plus universelle, plus concentrée, plus « classique » que la précédente, et illustrée notamment par les poèmes symphoniques la Fille de Pohjola

op. 49 (1906) et Chevauchée nocturne et Lever de soleil op. 55 (1907), et surtout par la Symphonie no 3 en ut majeur op. 52 (1904-1907), véritable porche de la grande maturité de Sibelius. En 1909, lors du quatrième voyage en Angleterre, fut terminé le quatuor à cordes Voces intimae op. 56, l’unique partition de chambre de grande envergure du compositeur. Suivirent une série d’oeuvres qui comptent parmi les plus austères et les plus radicales de Sibelius, et dont la genèse fut peut-être partiellement due à la crainte que celui-ci éprouva alors de mourir d’un cancer : la Symphonie no 4 en la mineur op. 63 (1910-11), le poème symphonique le Barde op. 64 (1913), le poème pour soprano et orchestre Luonnotar op. 70 (19101913). De la même ascèse relèvent les trois Sonatines pour piano op. 67 (1912), qui sans doute constituent le meilleur de ce que Sibelius destina à un instrument pour lequel, de son propre aveu, il n’éprouvait pas de grandes affinités. À l’occasion de son unique voyage aux États-Unis (1914), juste avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale, Sibelius composa un de ses plus beaux poèmes symphoniques, les Océanides op. 73. Durant la guerre, ses voyages se limitèrent à la Scandinavie. Le 8 décembre 1915, jour de son 50e anniversaire, eut lieu à Helsinki la création de la version primitive (en quatre mouvements) de sa Symphonie no 5 en mi bémol majeur op. 82 (rév. 1916, version définitive et seule publiée 1919). Le 6 décembre 1917, après la révolution russe, la Finlande proclama son indépendance, puis fut plongée jusqu’en avril 1918 dans la guerre civile : Sibelius dut abandonner Järvenpää, et se réfugier à Helsinki dans la clinique psychiatrique dirigée par son frère. La paix revenue, il reprit ses voyages et ses tournées : Angleterre (où il rencontra pour la dernière fois Busoni) en 1921, Norvège et Suède en 1923, Suède en 1924, Italie en 1924 et en 1926. Les oeuvres importantes de ces ultimes années créatrices furent la Symphonie no 6 op. 104 (officiellement en ré mineur, 1923), la Symphonie no 7 en ut majeur op. 105 (1924, créée sous la direction du compositeur non à Helsinki comme les six précédentes, mais à Stockholm), la musique de scène pour la Tempête de Shakespeare op. 109 (1925-26), et le poème symphonique Tapiola op. 112 (1926).

Ensuite, il n’y eut plus d’oeuvre majeure. Sibelius passa ses trente dernières années dans le silence. Une Symphonie no 8 fut entreprise et menée à bien vers 1932-33, puis détruite dans les années 1940. Avec les années 30 débuta pour Sibelius, dans les pays anglo-saxons, une période de grande renommée et de grand prestige marquée notamment par des livres de Cecil Gray (Sibelius, Londres, 1931) et Constant Lambert (Music Ho !, Londres, 1934) et le festival de ses oeuvres organisé à Londres en 1938 par sir Thomas Beecham. Sibelius quitta à nouveau son pays en 1927 pour un séjour à Paris, puis pour la dernière fois en 1931, se rendant à Berlin « pour y travailler » (certainement à la 8e Symphonie). On ne le vit, malgré les invitations qu’il avait reçues, ni au festival londonien de 1938, ni à celui d’Édimbourg de 1947. Il sortit de sa retraite le 1er janvier 1939 pour diriger à la Radio d’Helsinki, à l’intention de l’Exposition universelle de New York, son Andante festivo de 1922, passa toute la Seconde Guerre mondiale à Järvenpää, malgré plusieurs offres d’accueil aux États-Unis, et mourut quelques semaines après avoir dicté à son gendre, le chef d’orchestre Jussi Jalas, un accompagnement pour orchestre à cordes destiné à Come Away, Death, premier de ses deux lieder op. 60 (1909) sur la Nuit des rois de Shakespeare. Peu de grands compositeurs ont suscité des jugements aussi contradictoires que Sibelius. Voici en effet un artiste qui d’une part, depuis son entrée en scène vers 1890, n’a cessé de faire parler de lui, et qui reste un des rares au XXe siècle à avoir suscité d’abondants commentaires d’ordre strictement musical (nombreuses analyses des sept symphonies), mais qui d’autre part a été largement passé sous silence, du moins jusqu’à une époque récente, dans les milieux dits d’avant-garde, et dont le nom, dans de très sérieuses histoires de la musique du XXe siècle, n’est même pas mentionné. Trop souvent, Sibelius n’a été commenté qu’en termes pittoresques ou mythologiques. D’où la fausse idée d’un Sibelius aussi isolé de la musique de son temps que la Finlande du reste de l’Europe. En réalité, durant toute sa vie active, Sibelius fut un grand voyageur, et ce qui se faisait autour de lui, non seulement il le connut parfaitement, mais il en tint

compte. La solitude n’en exista pas moins pour lui, et il la ressentit durement, mais elle se situa à un niveau fort différent, et beaucoup plus intéressant. Pour en revenir aux jugements contradictoires portés sur lui, trois citations suffiront à les illustrer : « Le plus grand symphoniste depuis Beethoven » (Cecil Gray en 1931) ; « L’éternel vieillard, le plus mauvais compositeur du monde » (René Leibowitz en 1955) ; « Le principal représentant, avec Schönberg, de la musique européenne depuis la mort de Debussy » (Constant Lambert en 1934). La réaction contre Sibelius connut son point culminant vers l’époque de sa mort, à l’issue de la grande vague sérielle du second après-guerre, et alors qu’on commençait à réagir également contre cette vague (en Angleterre, on se sentit en outre coupable d’avoir, depuis 1930, prôné Sibelius au détriment de Schönberg, Berg, Webern et même Stravinski). Aujourd’hui, le recul du temps permet d’y voir clair, et les problèmes actuels de la musique redonnent toute sa valeur à l’attitude saine d’un Constant Lambert, qui dans Music Ho ! (1934) eut la clairvoyance de citer comme chefs-d’oeuvre récents à la fois les Variations pour orchestre de Schönberg (1928) et la 7e Symphonie de Sibelius (1924). En tant que musicien national, Sibelius est à rapprocher de Janáček ou de Bartók, en ce sens qu’il fut de ceux qui, pour se libérer de l’emprise germanique, eurent recours à l’antidote debussyste. Ses relations avec la Finlande ne furent d’ailleurs jamais d’ordre folklorique, il n’y a pas chez lui de citations de thèmes populaires, ni même, malgré les couleurs souvent très subtilement modales, et non tonales, de sa musique, de folklore recréé comme chez Bartók. Mais après avoir entendu, à Londres en 1909, les Nocturnes pour orchestre de Debussy, Sibelius nota dans son journal : « J’ai dormi, et me suis échappé de Finlande juste à temps. » Cette phrase reflète non seulement ce vers quoi, du moins en partie, il se sentait attiré, mais aussi les problèmes qu’avait suscités en lui le fait d’être originaire d’un pays « excentrique ». downloadModeText.vue.download 934 sur 1085

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Cela dit, entre la Finlande et lui, il n’y eut jamais rupture. Comme tous les grands créateurs, Sibelius mit le national et l’universel en relation dialectique, et il faut ajouter qu’il échappa non seulement au provincialisme, mais au cosmopolitisme au sens stravinskien, au sens « entre-deux-guerres » du terme. La plupart des poèmes symphoniques n’en ont pas moins comme source d’inspiration le Kalevala, vaste épopée nationale de plus de 75 000 vers publiée en 1849, et qui exerça sur les artistes finlandais de la seconde moitié du XIXe siècle et du début du XXe une très grande influence : à une époque où la Finlande s’efforçait d’affirmer son identité nationale face aussi bien à la Suède qu’à la Russie, peintres, sculpteurs ou musiciens (dont Sibelius) y puisèrent largement. Enfin et surtout, il existe des affinités entre la musique de Sibelius et le rythme de la langue finnoise. Celleci met l’accent sur la première syllabe des mots ou sur le début d’une phrase, le reste se déroulant ensuite plus vite, de façon plus égale et moins intense, et avec un bref sursaut terminal. On observe la même chose dans une mélodie typiquement sibelienne comme le thème conclusif du premier mouvement de la 2e Symphonie, avec sa note tenue initiale, son alternance régulière de deux notes, et son sursaut terminal avec quinte descendante incisive : Ce microcosme à la fois statique (la note tenue) et dynamique (le reste) peut servir de point d’appui pour explorer la synthèse unique de statisme et de dynamisme en laquelle réside la profonde originalité de Sibelius, et qui fait de sa production un phénomène fondamental de civilisation : des pages comme le premier mouvement de la 5e Symphonie, ou comme la 7e Symphonie tout entière, adoptent en effet pour leur structure globale, c’est-à-dire à une échelle beaucoup plus vaste, le même type de démarche. Depuis le romantisme, le problème du statisme et du dynamisme se posait de façon cruciale. Le XIXe siècle, avec ses phénomènes de repli en soi et de mise en valeur émotionnelle de l’instant (Schumann), eut un effet considérable sur le rythme de l’action musicale. Haydn et Beethoven, par le biais de la forme sonate, avaient doté la musique d’une énergie proprement musculaire, d’un sens du mouvement incluant la notion tout à fait nouvelle de dépaysement (ce qui, comme

l’a fait remarquer Robert Simpson, aurait donné le vertige à tout musicien de la génération de J.-S. Bach), d’une dimension authentiquement vectorielle. À partir de Schubert, grand inventeur de formes s’il en fut, le rythme de l’action musicale eut tendance à ralentir, ce qui devait déboucher notamment sur la découverte cruciale par Wagner du fait qu’une forme musicale pouvait être suffisamment élargie pour embrasser tout un acte d’opéra. Formellement, l’acte III de Parsifal, l’oeuvre de Wagner qui avec Tristan fit la plus profonde impression sur le jeune Sibelius, n’est qu’une immense et unique modulation de si majeur à la bémol majeur. Ces ralentissements ne furent possibles que dans la mesure où parallèlement s’affaiblissaient les fonctions tonales. Le prélude de l’acte III de Parsifal évolue d’abord dans une vague région entre si bémol mineur et si majeur, et c’est ce type d’imprécision, transplanté à grande échelle, qui permit à Wagner de procéder par vagues successives et d’accumuler la tension à un rythme très lent. Au XXe siècle, on aboutit ainsi, avec Schönberg, à la négation de la tonalité, et aussi, surtout avec Webern, à la négation du type de mouvement qu’avait engendré la tonalité. Avec certaines pages de Debussy, Bartók et surtout Stravinski, la liquidation du sens du mouvement issu du classicisme viennois eut tendance à se traduire par des musiques de ballet donnant parfois l’impression, par-delà leur agitation, d’un trépignement sur place, et apparaissant aussi statiques que du Webern. Il est évident que de telles observations demandent à être nuancées, et n’impliquent en soi aucune condamnation esthétique, mais il reste que dans ce contexte, la personnalité de Sibelius prend un relief singulier. Fasciné en ses débuts par Liszt et par Berlioz, et assez influencé par les Russes, Sibelius réalisa à un moment donné que sa musique devait être davantage qu’une réponse colorée au Kalevala, et à la longue, il se détourna de cette source d’inspiration, du moins sous ses aspects les plus extérieurs. Il réussit à exorciser le spectre du romantisme, et devint le type même de l’artiste romantique discipliné. Ses oeuvres majeures ne dédaignent ni les images les plus évocatrices, ni les senti-

ments personnels les plus intenses, mais les présentent avec une précision microscopique, avec la plus extraordinaire objectivité, sans réduire à eux le monde, en les plaçant dans la perspective d’une réalité plus vaste, elle aussi bien présente. À ce titre comme à d’autres, Sibelius s’oppose à son contemporain Gustav Mahler, comme en témoigne la fameuse conversation qu’ils eurent ensemble à Helsinki en 1907 : « Quand nous en vînmes à parler de l’essence de la symphonie, je dis que j’admirais sa sévérité de style, et la logique profonde qui crée entre tous ses motifs une unité interne. L’opinion de Mahler était juste à l’opposé : Non, la symphonie doit être comme le monde, elle doit tout embrasser. » Quant au peu de goût que, très tôt, Sibelius déclara éprouver à l’égard de Wagner, il n’alla pas sans une sorte de fascination qui certainement dura toujours, mais fut sans doute symptôme de la prise de conscience du fait que Wagner avait détourné sinon sa propre attention, du moins celle de beaucoup de ses « fidèles », d’une des plus précieuses conquêtes des classiques et en particulier de Beethoven, à savoir ce sens dynamique du mouvement qui avait fait l’âge d’or de la symphonie. Ce problème précis, si l’on en juge par ses oeuvres, Sibelius le perçut assez tôt, mais ne le maîtrisa qu’en plusieurs étapes. Typique en tout cas est sa fameuse phrase sur Beethoven, que tout bien pesé on pourrait appliquer à lui-même : « Je suis conquis aussi bien par l’homme que par sa musique. Il est pour moi une révélation. C’est un titan. Tout était contre lui, et pourtant il a triomphé. » La grande force de la musique de Sibelius est que de ses profondeurs statiques, jamais synonymes d’immobilité totale, surgit inexorablement une force motrice considérable, les deux allant dans les meilleurs cas (Symphonie no 7) jusqu’à se mêler inextricablement. La succession des sept symphonies de Sibelius permet d’observer la croissance de sa maîtrise du mouvement et de son autodiscipline. Les deux premières ont encore des côtés XIXe siècle. Le romantisme de la Première (1899) est plutôt individuel et légendaire, celui de la Deuxième (1902) collectif et national. Dans le premier des quatre mouvements de la Première, on trouve déjà, trait typique, une longue pédale de fa dièse s’étendant

sur soixante-huit mesures, mais n’interrompant en rien le cours dynamique des événements, car à cette pédale se superpose de façon autonome une grande activité motrice. Très neuf apparaît le premier des quatre mouvements de la Deuxième, qui consolide progressivement, non sur le plan thématique mais sur le plan dynamique et sonore, un discours apparaissant au début comme une mosaïque éparse. La Troisième (1907), écrite entre Salomé et Elektra de Richard Strauss et au moment où Schönberg s’apprêtait à franchir le pas de l’atonalité, est un acte de courage avec sa tonalité d’ut majeur nettement affirmée, son orchestration économe, son climat allégé et éclairci. Le premier de ses trois mouvements, d’une immense énergie, est projeté dynamiquement de l’avant dès ses premières mesures. Il est malheureusement impossible d’analyser ici en détail cette forme sonate si subtile, en particulier par ses métamorphoses thématiques, ni la façon dont la coda, plus lente, est soudée à ce qui précède. Après un andantino en sol dièse mineur, le finale, création capitale ne se référant à aucun schéma formel préexistant, constitue le premier grand exemple chez Sibelius de synthèse du rythme lent wagnérien et de la dynamique beethovenienne. En un sens, c’est une downloadModeText.vue.download 935 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 929 immense pédale d’ut majeur, sauf en son centre, lors d’un bref passage sans tonalité définie et servant à reprendre haleine. Mais la lenteur sous-jacente de ce mouvement n’empêche pas un tempo très rapide. Fondamentale est sa construction globale, en quatre parties. La première, très courte, tient lieu d’introduction, les deux suivantes, séparées par une de ces rafales dont Sibelius avait le secret, de scherzo, et la quatrième, progression inexorable sur un ostinato rythmico-mélodique, de finale proprement dit, en même temps que de conclusion à toute la symphonie. Fondamental est aussi le fait que chacune des quatre parties tend à donner a posteriori à la précédente ou aux précédentes un caractère introductif très marqué. Enfin et surtout, ces quatre parties n’ont pas d’existence propre : entendues isolément, elles n’auraient aucun sens. La quatrième,

dominée par les cuivres, sert d’exutoire à la tension accumulée, mais de perpétuels coups de boutoir quasi stravinskiens lui insufflent en même temps l’énergie nécessaire pour aller jusqu’au bout. Le sommet atteint, tout est dit, et la musique s’arrête net. Avec d’une part son soubassement harmonique quasi immuable, ou plutôt sa tonalité d’ut majeur examinée sous différents angles avant d’éclater à la fin en pleine lumière, et d’autre part sa superstructure dynamique mettant en relation morcellement et direction vectorielle, contraction et expansion, le finale de la Troisième est le terrain d’un gigantesque rapport de forces, et un extraordinaire témoignage de l’art qu’avait Sibelius de « mettre les choses ensemble » (Brian Ferneyhough). La multitude d’événements qu’il contient se comprime en neuf à dix minutes seulement, et correspond à une seule grande respiration, malgré ses brusques ruptures de plan, malgré les brusques dénivellations du discours. Il y a plusieurs façons d’être d’avantgarde. Les oeuvres de Sibelius de 19101914, années cruciales qui virent naître aussi Pierrot lunaire ou le Sacre du printemps, sont celles qui par certains aspects se rapprochent le plus de l’avant-garde de l’époque. L’ascétique Quatrième (1911), dont l’élément fondamental (tonalement disruptif) est le triton (ou quarte augmentée), utilise de manière quasi sérielle les relations d’intervalles comme matière première architecturale, et le poème symphonique le Barde, par sa brièveté et ses sonorités, peut faire penser à Webern. Mais cela n’empêcha pas Sibelius d’écrire à propos de cette Quatrième, partition aphoristique et anti-rhétorique que d’aucuns devaient qualifier de musique cubiste, de musique du XXIe siècle : « Elle se révèle comme une protestation contre ce qu’on fait aujourd’hui. Rien, absolument rien qui évoque le cirque. » Ce cirque était moins Petrouchka que la musique allemande et ses débordements. Mais, autre paradoxe, c’est à cette époque que Sibelius fasciné déchiffra au piano Elektra, et que dans son journal, il qualifia Das klagende Lied de Mahler de « musique géniale », cela avant de répondre en 1914 à un journaliste qui à son arrivée aux États-Unis lui demandait qui, à son avis, était le plus grand compositeur vivant : « Schönberg,

mais j’aime aussi ma propre musique. » Une autre phrase de Sibelius permettra d’y voir plus clair : « L’erreur de notre temps a longtemps été sa foi en la polyphonie. On a souvent cru qu’il suffisait, pour donner une valeur à un tout, d’empiler des banalités les unes sur les autres. Certes, la polyphonie est une force tant qu’il y a de bonnes raisons derrière, mais je pense qu’à cet égard, il y a eu depuis quelque temps une sorte d’épidémie chez les compositeurs. » De fait, malgré le splendide tissu polyphonique du début de la Sixième ou du début de la Septième, on ne trouve jamais ou presque chez Sibelius de contrepoint au sens traditionnel, au sens « fugue d’école ». Ce fut de sa part un acte de clairvoyance, mais aussi de courage, car on a là une des raisons de sa condamnation comme réactionnaire par Adorno, pour qui toute musique se mesurait et se jugeait en définitive à l’aune de la tradition germanique. La musique de Sibelius est topologique, fondée sur des variations topologiques de tension, sur des déformations continues du matériau et de la masse orchestrale, à la limite aussi étirée en longueur que celle de Varèse l’est en hauteur. Elle tourne le dos aux configurations polyphoniques du passé de la même façon qu’aujourd’hui l’étude des surfaces tourne le dos à la géométrie euclidienne. C’est ce qui explique que dans le premier des quatre mouvements de la Quatrième, page réussissant en dix minutes seulement la synthèse d’un tempo très lent, au rythme wagnérien, et d’une forme sonate aussi concise et aussi riche que du Webern, on puisse trouver un développement central monodique, mais n’en correspondant pas moins, dans sa contraction et dans son étirement, à un paroxysme de tension. Ce trait inouï, il fallait attendre les années 60, en particulier Ligeti, pour qu’en apparaisse vraiment la descendance. Sibelius déclara un jour que « ce qui est essentiellement symphonique, c’est le courant irrésistible qui parcourt le tout, cela par opposition au pittoresque ». Le premier des trois mouvements de la Cinquième (1919), la plus immédiatement puissante des sept symphonies de Sibelius, est une nouvelle synthèse de rythme wagnérien et de dynamisme beethovenien, mais les deux cette fois ne sont pas (comme dans le finale de la Troisième) superposés, ou du moins pas uniquement. On passe ici de l’un à l’autre, sans que soit

mise pour autant en question l’unité organique de l’ensemble, qui reste un immense rapport de forces et une seule grande respiration. Il y a quatre parties, qui toutes débouchent sur un sommet d’intensité. Les deux premières (de tempo modéré) sont semblables, la deuxième apparaissant comme la consolidation de la première. La troisième est gageure : une sorte de torsion y étire le matériau en longueur, on est aux limites de l’atrophie, la musique semble devoir se perdre dans le vague faute d’énergie motrice. Mais un immense sursaut, relié à ce qui précède par des notes tenues, crée par ses rafales et ses coups de boutoir une tension dramatique telle qu’un scherzo de type beethovenien en apparaît comme le seul exutoire possible. Dans toute l’histoire de la symphonie, il n’y a pas de transition - et Wagner ne peut-il pas se définir comme un musicien de la transition ? - plus magistrale que celle-là. Le dynamisme surgit sans crier gare, avec toute la brillance de si majeur et comme dans un train rapide un paysage de campagne à la sortie d’un tunnel, or on a l’impression que depuis le début, il était présent. Ce n’est pas dû au fait, pourtant important, que, d’un bout à l’autre du mouvement, les thèmes restent les mêmes, quoique soumis à de perpétuelles métamorphoses, mais à la maîtrise de Sibelius dans l’écriture par couches superposées se mouvant à des vitesses différentes et dont tantôt l’une, tantôt l’autre, prend le dessus. L’art de Sibelius est un art de fusion, et la plasticité des thèmes donne chez lui aux jalons thématiques proprement dits beaucoup moins d’importance qu’aux variations de tempo et aux ruptures de plan dynamiques. On a beaucoup épilogué sur le silence de Sibelius au cours de ses trente dernières années, et sur la destruction de la Huitième. Une des raisons de cette destruction fut sa peur de décevoir et lui-même, et ses admirateurs. Sibelius fut certainement inhibé par sa position dans le siècle, et sa réaction fut totalement opposée à celle, superbement indifférente, de Richard Strauss. Le sérialisme ne signifia rien pour lui, et pour cause, mais il ne faut pas prendre à la légère sa phrase selon laquelle « Alban Berg est la meilleure oeuvre de Schönberg ». Sans doute se reconnut-il en ces « formes à transformation », en ce « sens

du développement continu avec énormément d’ambiguïté » que Pierre Boulez a déclaré récemment tant apprécier chez Berg. En tant que symphoniste, Sibelius, comme Mahler, ne pouvait renoncer à la tonalité, et les procédés si efficaces auxquels il eut recours pour assurer la continuité dynamique en l’intégrant à une lenteur cosmique, ou mythique, balayant tout sur son passage - longues pédales, notes tenues surgissant des profondeurs downloadModeText.vue.download 936 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 930 de l’orchestre avant de donner naissance à des thèmes ou à des paragraphes entiers -, eurent même comme résultat une certaine fixation tonale (phénomène qu’en soi on retrouve d’ailleurs chez Mahler). Mais un des moyens de Sibelius pour produire la tension est justement le refus de la modulation à portée de main, et c’est de ce refus héroïque de reconnaître à certaines notes leur fonction tonale que découlent les couleurs souvent modales de sa musique. La parfaite Sixième (1923), en quatre mouvements, et dont la tranquillité de surface cache de puissants orages intérieurs, requiert une analyse à la fois tonale et modale, les deux se complétant ou s’opposant. Elle n’est en ré mineur qu’officiellement, et si mineur y joue aussi un rôle essentiel. Ayant recours notamment aux modes dorien et lydien, elle les traite parfois comme des tonalités, et parvient en outre à faire apparaître ut majeur non comme une tonalité, mais comme le mode de do. On a rarement remarqué que Sibelius s’est tu à peu près au même moment qu’Edgard Varèse, définitivement et non provisoirement, mais en toute probabilité pour la même raison : l’épuisement du matériau à sa disposition. « Quand nous voyons ces rochers, nous savons pourquoi nous pouvons traiter l’orchestre comme nous le faisons » (Sibelius à son élève et ami Bengt von Törne, à propos des rochers qui parsèment la Baltique et le golfe de Finlande). On croirait entendre Varèse parler de la ville, des machines et de la civilisation industrielle. Sibelius d’autre part déclara une fois : « Qu’on me donne pour composer soit les immensités de Fin-

lande, soit les pavés d’une grande ville : là seulement, on peut parler de solitude. » La musique de Varèse et celle de Sibelius ont en commun la haine de la campagne et l’amour de la nature, pour Varèse bruits de civilisation créés par l’homme, pour Sibelius rapport de forces élémentaires dont l’homme est absent. Tel est le message fondamental, chez Sibelius, de Tapiola, composé la même année (1926) qu’Arcana de Varèse. On sait ce que Varèse pensait des violons, instruments pour lui d’un autre âge. Sibelius ne renonça jamais aux cordes, mais en tira des sonorités distordues, des effets de rouleau compresseur annonçant les clusters des générations suivantes. En outre, ce sont des cuivres que proviennent le plus souvent chez lui les coups de boutoir et les tenus qui sont autant de ressorts du discours (cf. en particulier le prélude de la Tempête). Dans les années 60, les postsériels ont découvert chez Mahler l’alliance des grandes masses et de la clarté, la notion d’objet sonore, une vue critique du passé et une pensée thématique menée à terme (cf. la 6e Symphonie de Mahler, 1904). Sibelius, pour sa part, donna aux thèmes et aux jalons thématiques de moins en moins d’importance, ses thèmes ont souvent l’air de flotter et de se déformer à un autre rythme que celui qui globalement porte la musique. « D’où l’allure paradoxale de sa forme symphonique, qui commence dans la dispersion, la pure successivité, et dans une relative indifférence aux jalons thématiques. Tous ces linéaments seront repris et absorbés par le processus unificateur de la dynamique, qui les investit peu à peu, les intègre et les dispose, par approfondissements successifs, dans un rapport de convenance mutuelle » (Hugues Dufourt). Bien sûr, Sibelius tire ses effets inouïs d’un orchestre dépassant à peine en effectifs celui de Beethoven, et il n’alla pas aussi loin que Bartók, dont il portait très haut les quatuors à cordes, dans l’émancipation de la dissonance, ni que Mahler dans l’exploration du contrepoint préschönbergien. Mais son apport au niveau syntaxique, dans le renouvellement de la forme musicale organique, est unique, ou du moins dans le prolongement immédiat de ce qu’avait fait Debussy, et en prise directe avec les problèmes de la musique dans les années 70 et 80. La Septième (1924), apothéose pan-

consonante d’ut majeur composée au moment où Schönberg publiait ses premières oeuvres dodécaphoniques sérielles, est une architecture d’un seul bloc, comme la Symphonie de chambre op. 9 de Schönberg (1906). Mais dans cet opus 9, chaque mesure et chaque grand épisode se définissent de façon précise par rapport aux thèmes, aux mouvements ou aux parties de mouvement traditionnels. Rien de tel dans la Septième, faite de plusieurs masses en train de se heurter, et qui à la fois élargit l’instant aux dimensions d’une totalité et impose à l’éternité ses propres proportions et sa propre conception du temps. Remarquable est son contrôle simultané de plusieurs tempos différents. L’épisode lent qui ouvre l’oeuvre est d’une ampleur telle qu’on s’attend à une durée totale d’environ trois quarts d’heure, mais, par la vertu de la dialectique contraction-expansion, cette durée se réduit à une vingtaine de minutes. Il y a accélération non seulement du tempo, mais du temps lui-même. La Septième est le seul ouvrage auquel puisse s’appliquer la fameuse phrase de Schönberg : « Il reste beaucoup de chefsd’oeuvre à écrire en ut majeur. » Mais elle utilise surtout cette tonalité comme couleur, en particulier par le truchement d’un thème de trombone intervenant à plusieurs reprises avec une majesté et une grandeur olympiennes telles qu’elles finissent par baigner la partition tout entière. Vers le centre, et jusqu’au-delà du troisième quart, l’énergie motrice domine. Elle semble soudain brisée net, par une de ces variations ambivalentes de tempo dont Sibelius avait le secret, mais n’en subsiste pas moins fortement à un niveau sous-jacent durant l’apothéose terminale. La fin, assez abrupte, comme imposée par une main de fer, est un véritable manifeste : une progression si-do (sensibletonique), surgissant d’une masse assez compacte et s’élevant portée par la pureté des seules cordes. La Septième, pendant sibelien du premier mouvement de la 9e Symphonie de Mahler (1909), exige de ses interprètes et de ses auditeurs la plus extrême concentration. Malgré Tapiola, qui devait suivre, on ne peut s’empêcher de penser, en l’écoutant, à deux professions de foi de Jean Sibelius. À celle-ci, tout d’abord : « C’est curieux, plus j’observe la vie, et plus je me sens convaincu que le classicisme est la voie de l’avenir. » Et surtout à cette autre, reflet de cette force

morale qui lui permit d’aller de l’avant : « Voyez les grandes nations européennes, et ce qu’elles ont enduré. Un état de barbarie y aurait succombé. Je crois en la civilisation. » SICILIENNE. Bien que le terme siciliana, ou alla siciliana, figure dans des compositions italiennes depuis la fin du Moyen Âge, rien ne prouve qu’il existe un lien quelconque entre cette forme musicale et le folklore sicilien. C’est une pièce instrumentale ou symphonique de caractère chantant, écrite à 6/8 ou 12/8 sur un rythme balancé qui évoque la barcarolle. Mais alors que celleci a connu sa plus grande vogue à l’époque romantique, la sicilienne a été abondamment cultivée au XVIIIe siècle pour être complètement abandonnée au XIXe. Dans les suites ou concertos de J. S. Bach, Haendel et Telemann, pour ne citer que les principaux musiciens allemands influencés par le style italien, les mouvements lents sont fréquemment des siciliennes, dont on retrouve l’équivalent chez plus d’un compositeur italien ou français de l’époque baroque. Beaucoup plus récemment, le charme archaïque de la sicilienne a été redécouvert par des compositeurs modernes, notamment Gabriel Fauré dans sa musique de scène pour Pelléas et Mélisande. SIEBER (Jean-Georges), éditeur français d’origine allemande (Reiterswiesen 1738 - Paris 1822). Arrivé à Paris en 1758, corniste dans divers orchestres (dont celui du Concert spirituel de 1777 à 1786), il commença ses activités d’édition en 1770-1771. Contrairement à d’autres, il publia essentiellement de bonnes éditions (dont plusieurs d’opéras en partition) de compositeurs de premier plan : Stamitz, Johann Christian Bach (dont il fut probablement l’agent « autorisé » dans la capitale française), Haydn (plus de 50 symphonies et de nombreuses oeuvres de chambre), Mozart (symphonie downloadModeText.vue.download 937 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 931 en ré majeur no 31 K.297 dite Paris avant 1783 ; première édition des sonates pour

piano et violon K.301-306 en 1778). En 1786, il publia néanmoins avec un finale apocryphe la symphonie en ré majeur no 53 (l’Impériale) de Haydn, et c’est chez lui que parurent en 1801 les Mystères d’Isis, pastiche tiré de la Flûte enchantée. Son fils Georges-Julien (1775-1847) travailla d’abord avec lui (1795), puis de façon autonome (1799), avant de lui succéder en 1824. SIEPI (Cesare), basse italienne (Milan 1923). Autodidacte, il a débuté à Schio (près de Venise) en 1941, dans le rôle de Sparafucile. Réfugié en Suisse pendant la guerre, à cause de ses activités antifascistes, il fit de nouveaux débuts à Venise en 1945 et fut engagé à la Scala de Milan l’année suivante. En même temps, il commença une carrière internationale qui le conduisit au Festival de Salzbourg dont il fut la vedette de 1953 à 1958, aussi bien dans les rôles de Mozart (Don Giovanni et Figaro) que de Verdi (Philippe II dans Don Carlos). Après 1958, refusant la concurrence de Boris Christoff à la Scala de Milan, il quitta définitivement l’Italie pour s’installer à New York, où il occupa au Metropolitan Opera la place laissée vide par Ezio Pinza. Plus récemment, il aborda le répertoire wagnérien (Gurnemanz de Parsifal en 1975). Acteur remarquable, musicien parfait, Siepi possède une des plus belles et des plus longues voix de basse qu’on ait pu entendre récemment. SIFACE (Giovanni Francesco GROSSI, dit), castrat italien (Chiesina Uzzanese, Pistoia, 1653 - près de Ferrare 1697). Son pseudonyme lui vint de son interprétation du rôle de Siface dans Scipione affricano de Cavalli (Rome 1671). Attaché à partir de 1675 à Francesco II d’Este, duc de Modène, il chanta à Venise (pour l’inauguration du San Giovanni Grisotomo en 1678), Rome (où il fut remarqué par la reine Christine de Suède) et Naples, puis (après être passé par Paris) à Londres (1687). Lors de son retour en Italie, Purcell composa la pièce de clavecin Sefauchi’s Farewell (publiée en 1689 dans Musick’s Handmaid). Siface dut sa célébrité à son art de l’ornementation. Il mourut assassiné entre Ferrare et Bologne. SILBERMANN,

célèbre dynastie de facteurs d’orgues du XVIIIe siècle. Originaires de Saxe, ils s’établirent à Strasbourg, et leur activité s’étendit principalement en Alsace. André (16781734), élève de François Thierry, construisit trente-cinq instruments, parmi lesquels ceux de Marmoutier (1710) et d’Ebersmünster (1732) sont restés en parfait état. Son frère, Gottfried (16831753), fut son élève, puis retourna s’établir en Saxe, à Freiberg. Là, il construisit quarante-neuf orgues, mais s’intéressa également au clavicorde et au piano-forte. Il connut J. S. Bach, et, après une période de mésentente, ce dernier put apprécier les piano-forte de Gottfried Silbermann. À Strasbourg, l’entreprise d’André se poursuivit avec son fils aîné, Jean-André (1712-1783), mais aucun des cinquantesept instruments que celui-ci édifia en Allemagne, en Alsace et en Suisse ne subsiste aujourd’hui dans son état d’origine. Érudit, Jean-André écrivit plusieurs ouvrages historiques et laissa cinq volumes manuscrits de très précieuses informations historiques sur la facture d’orgues dans sa famille et à son époque. Son frère cadet, Jean-Daniel (1717-1766), fut son associé avant d’aller reprendre l’entreprise de son oncle Gottfried à Freiberg. Les autres membres de la famille en poursuivirent la tradition jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, comme facteurs d’orgues et de piano-forte, et comme organistes, tant en Alsace qu’en Saxe. SILCHER (Philipp Friedrich), compositeur et folkloriste allemand (Schnait, Wurtemberg, 1789 - Tübingen 1860). Il reçut de son père les bases de la formation musicale, et travailla ensuite à Fellbach avec l’organiste Auberlen, tout en gagnant sa vie comme instituteur. Une rencontre avec Weber en 1809, puis des leçons avec Konradin Kreutzer et Hummel achevèrent de le convaincre de se consacrer à la musique. En 1817, il devint directeur de l’université de Tübingen et maître de chapelle à l’École évangélique. Adepte de l’enseignement musical fondé sur le chant populaire d’après les méthodes de Pestalozzi qu’il rencontra, et de Naegeli avec qui il collabora, il s’occupa à rassembler et à faire éditer de nombreux

chants populaires allemands. Il contribua à la formation de sociétés chorales et rédigea plusieurs ouvrages à l’intention d’un large public, dont le traité Harmonie-und Komposition-Lehre (1851). Il composa lui-même un grand nombre de lieder, de choeurs, ainsi que quelques pièces et variations instrumentales. SILENCE. Interruption ou absence du son. Dans la notation, signe signifiant cette interruption, qu’elle soit ou non mesurée. SILLET. Petite pièce de bois dur (ébène), ivoire ou métal, située en haut de la touche des instruments à cordes ; le sillet est entaillé de crans par où passent les cordes. SILOTI (ou ZILOTI, Alexandre Illitch), pianiste, chef d’orchestre et organisateur de concerts russe (Kharkov 1863 - New York 1945). Cousin de Rachmaninov, il entra à huit ans au conservatoire de Moscou dans la classe de N. Zverev, puis en 1875 dans celle de Nicolas Rubinstein. En 1883, il alla se perfectionner chez Liszt à Weimar. Ses souvenirs sur Liszt, qu’il publia en 1911, contiennent d’intéressants témoignages. De 1888 à 1891, il enseigna le piano au conservatoire de Moscou. De 1891 à 1900, il vécut en France et effectua des tournées de concerts en Europe. Rentré en Russie, il fonda en 1903 à Saint-Pétersbourg les Concerts qui prirent son nom et qui furent jusqu’en 1919 l’un des principaux centres d’intérêt de la vie musicale de cette ville. Ils révélèrent, entre autres, des oeuvres de Prokofiev, Stravinski et Scriabine. Nombre d’artistes étrangers y participèrent : Max Reger, Arthur Nikisch, Félix Mottl, Alfred Cortot, Jacques Thibaut, Eugène Isaye, Wanda Landowska. En 1919, Siloti émigra aux États-Unis où il poursuivit une carrière de pianiste, et fut nommé en 1926 professeur de piano à la Juilliard School. SILVESTROV (Valentin Vassilievitch), compositeur ukrainien (Kiev 1937). Il fait ses études à l’école de musique puis au conservatoire de sa ville natale, sous la direction de Boris Lyatochinski,

notamment. Esprit ouvert aux courants esthétiques et aux techniques musicales occidentales, Silvestrov s’attire vite la suspicion des autorités communistes, qui lui ferment les portes des circuits officiels après la création de son Quintette avec piano (1961). Mais sa Symphonie no 3 gagne, en 1967, un prix de la Fondation Koussevitzky, aux États-Unis, tandis qu’Hymnes sera couronnée par la Fondation Gaudeamus, aux Pays-Bas (1970). L’esthétique de Silvestrov se caractérise par la volonté de faire cohabiter plusieurs styles musicaux à la fois - dodécaphonisme, modalité - avec des réminiscences de musique tonale (Kitsch-Musik pour piano, 1977). La Symphonie no 2 (1965) ou la Sérénade pour orchestre à cordes (1978) montrent une volonté de mettre en place un système recherché, esthétisant en quelque sorte, raffiné, fait de dérapages étudiés, d’inconséquences voulues. Silvestrov a composé par ailleurs six symphonies, ainsi que Misteria pour flûte, alto et percussion (1964), Meditatsia pour orchestre de chambre (1972), un Quatuor à cordes (1974), Widmung-Concerto pour violon et orchestre (1990-91), le poème symphonique Metamusik (1992). downloadModeText.vue.download 938 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 932 SIMIONATO (Giulietta), mezzo-soprano italienne (Forli 1910). En 1933, elle obtient le premier prix au concours de bel canto à Florence. Malgré cette récompense, ses débuts furent difficiles. Elle chanta des petits rôles dans les opéras de la province italienne avant d’être engagée à la Scala de Milan en 1940. Mais, là encore, les grands emplois lui furent bloqués par ses aînées, Pederzini et Stignani. C’est seulement avec le déclin de ces grandes devancières que Giulietta Simionato put s’affirmer. Sa voix s’étant dans l’intervalle élargie, elle passa des emplois rossiniens de mezzo-coloratura aux rôles verdiens : Amneris, Azucena, Ulrica. La Favorite de Donizetti compta aussi parmi ses grands succès, ainsi que Jane Seymour dans Anna Bolena (avec Maria Callas). Sa voix vibrante au timbre caractéristique était d’une longueur exceptionnelle lui permettant d’aborder le rôle de soprano dramatique de Valentine dans la

reprise des Huguenots à la Scala de Milan en 1962. Elle fit une carrière internationale, chantant aux États-Unis, en Angleterre, en France et en Allemagne. Carmen et Orphée figurèrent encore parmi ses grands rôles. Son tempérament dramatique, ses dons d’actrice, son style accompli firent d’elle une des grandes cantatrices italiennes de l’après-guerre. SIMONEAU (Léopold), ténor canadien (Montréal 1920). Il débuta dans sa ville natale en 1943 (rôle de Basile dans les Noces de Figaro de Mozart). Il allait devenir en peu d’années le plus grand ténor mozartien de l’aprèsguerre. Très à l’aise aussi dans le répertoire français, il chanta beaucoup à Paris entre 1947 et 1950. Ses interprétations de Nadir (les Pêcheurs de perles) et de Wilhelm (Mignon) étaient renommées. Il a fait une carrière internationale qu’il abandonna de bonne heure - il n’avait pas quarante ans - pour se consacrer entièrement à l’enseignement. SIMPSON (Robert), compositeur anglais (Leamington 1921). Il se tourna d’abord vers la médecine, puis étudia l’harmonie et le contrepoint avec Herbert Howells (1942-1946). Il travailla au département musical de la BBC de 1951 à 1980, donnant au bout de trente ans sa démission sur des questions de programmation. Comme compositeur Simpson est essentiellement un symphoniste. Après quatre symphonies de jeunesse détruites par lui, et dont l’une avait fait usage de techniques sérielles, il en écrivit onze en quarante ans (1951, 1956, 1962, 1971-72, 1972, 1976, 1977, 1982, 1986, 1989, 1991), et ces oeuvres le situent dans la descendance d’une part de Haydn et Beethoven, d’autre part et surtout de Nielsen et Sibelius. La plus évidente de ces influences est celle de Nielsen, en particulier dans le traitement de la tonalité. Comme celles du compositeur danois, les symphonies de Simpson font usage de la « tonalité évolutive », sont organisées autour de plusieurs pôles tonaux dont on ignore, avant la fin, lequel prendra le dessus. À noter cependant qu’à l’époque de sa Symphonie no 1,

dont les pôles tonaux sont mi bémol et la, Simpson ne connaissait rien de Nielsen. On lui doit aussi, entre autres, une Sonate pour piano (1946), Variations et Finale sur un thème de Haydn pour piano (1948), un Concerto pour violon (1957-1959) un Concerto pour piano (1967), un Quintette avec clarinette (1968), un Quatuor pour cor, piano, violon et violoncelle (1976), des Variations sur un thème de Nielsen (1986) et quinze Quatuors à cordes (de 1951 aux années 1990). Parmi ses écrits et ses livres, d’une grande pénétration et d’une grande intelligence, il faut citer Carl Nielsen, Symphonist (Londres, 1952, 2e éd. rév. 1979), Sibelius and Nielsen (Londres, 1965), The Essence of Bruckner (Londres, 1967, 2e éd. 1977) et Beethoven Symphonies (Londres, 1970). SIMROCK (Nikolaus), corniste et éditeur allemand (Mayence 1751 - Bonn 1832). Corniste dans l’orchestre du princeÉlecteur de Cologne, en résidence à Bonn, il y eut comme collègue le jeune Beethoven. Il fonda sa maison d’édition en 1793, publiant des oeuvres de Haydn (première édition sous leur aspect original des symphonies no 99, 102 et 104 en 1801), Beethoven (variations pour piano sur un thème de Dittersdorf WoO 66 dès l’automne 1793, Sonate à Kreutzer en avril 1805) et d’autres, puis de Bach, Weber, etc. Une filiale fut créée à Paris en 1802 par Heinrich Simrock, et une autre à Cologne en 1812 par Peter Joseph Simrock (Bonn 1792 - Cologne 1868), qui succéda à son père Nikolaus en 1834 et eut lui-même comme successeur son fils Friedrich August (1837-1901). Ce dernier s’installa à Berlin en 1870 et publia un très grand nombre d’oeuvres de Brahms et, à l’instigation de ce dernier, plusieurs de Dvořák. SINDING (Christian), compositeur norvégien (Kongsberg 1856 - Oslo 1941). À la suite de Grieg, Svendsen et BackerGrøndahl, Sinding prolonge l’époque la plus brillante de l’histoire de la musique norvégienne dans ses aspects les plus divers puisqu’il écrit quatre symphonies, un concerto pour piano et trois pour violon, le célèbre Rondo infinito pour orchestre, de la musique de chambre, des pièces pour piano et près de deux cent cinquante mélodies. Sinding est un pur produit du romantisme norvégien passé par l’école

de Leipzig. C’est son Quintette avec piano (1882-1884) qui le révèle. À Leipzig il rencontre Grieg, Halvorsen et Tchaïkovski mais c’est l’influence de Wagner qui sera la plus forte et marquera son oeuvre symphonique (2e Symphonie, 1907). SINFONIA (ital. : « symphonie »). Mot qui apparaît vers la fin de la Renaissance en Italie pour désigner une musique composée spécifiquement pour un groupe d’instruments qui, selon le sens étymologique, « sonnent ensemble ». Avec l’essor de la musique instrumentale, la sinfonia constitue la première pièce, comme un prélude, dans une suite de danses. J. S. Bach s’en souvient avec la Sinfonia initiale de la Partita en do mineur (BWV 826). Sous la forme d’une courte pièce sans définition précise, la sinfonia pouvait servir d’ouverture d’opéra, de pièce descriptive (bataille, scène de sommeil, entrée de personnages importants, etc.), précéder les sections d’une messe concertante et les parties d’un oratorio ou, encore, se placer à la tête d’une cantate d’église. Contrairement à la ritournelle, elle n’est pas ordinairement répétée et n’a pas vraiment de rôle formel. À la fin du XVIIe siècle, la sinfonia évolue vers l’ouverture à l’italienne, généralement de style brillant, caractérisée par ses trois mouvements : vif-lent-vif (une danse) et illustrée notamment par A. Scarlatti. Divorcée du théâtre et composée pour être jouée au concert, elle se trouve à l’origine, chez G. B. Sammartini et ses collègues, de la symphonie classique. Les termes sinfonia et ouverture sont longtemps restés interchangeables : cela est attesté par J. Haydn qui, en 1777 encore, donne le titre de « Sinfonia » à l’ouverture de son opéra Il Mondo della luna. SINFONIETTA. Diminutif italien de sinfonia, employé à l’époque moderne pour désigner une composition symphonique de dimensions restreintes, conçue sans prétention et légèrement orchestrée. Prokofiev et Janáček, Albert Roussel, Poulenc et Georges Migot, entre autres, se sont illustrés dans ce genre. SINGSPIEL (pl. singspiele).

Nom donné en Allemagne à un genre de théâtre où, comme dans l’opéra-comique français, alternent le parlé et le chanté. Si, à sa naissance à la fin du XVIIIe siècle, le singspiel se fixa pour but de créer un type d’opéra largement populaire démarqué des modèles italien et français, le terme fut d’abord appliqué indistinctement à toutes formes d’expression de langue allemande ( ! OPÉRA), telles qu’un Alceste de Schweitzer en 1749, ou que les spectacles downloadModeText.vue.download 939 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 933 de marionnettes donnés à Vienne vers 1750. Ce genre populaire se définit mieux dans certaines oeuvres de Haydn (Der Krumme Teufel, 1752, perdu), mais on retient généralement comme créateur du genre Johann Adam Hiller (Der Teufel ist los, 1766). Avec G. Benda, le choix des sujets s’élargit vers des thèmes moyenâgeux ou mythologiques, traités avec un effectif choral et orchestral important, tandis que s’ouvrait à Vienne en 1778 le Nationalsingspiel (ou Opéra allemand), où Mozart donna en 1782 l’Enlèvement au sérail. Des écrivains tels que Goethe et Wieland contribuèrent à la diffusion d’un genre auquel il faut rattacher la Flûte enchantée, les opéras de Schubert ainsi que Fidelio, le Freischütz ou Oberon, qui par leurs structures appartiennent au singspiel de la même façon que Carmen à l’opéra-comique. À la fin du XIXe siècle, en Allemagne, on assista à une sorte de résurrection du genre avec de nombreux compositeurs tels que Humperdinck, Theile, Bittner, Urspruch, etc., mais leurs oeuvres n’utilisent pas expressément la dénomination de singspiel. SINOPOLI (Giuseppe), compositeur et chef d’orchestre italien (Venise 1947). Il commence ses études musicales à l’âge de douze ans, d’abord à Messine (orgue et harmonie), puis à partir de 1965 au conservatoire B.-Marcello à Venise (harmonie et contrepoint). En 1968, il suit les cours de K. Stockhausen à Darmstadt. En 1969, il rencontre F. Donatoni dont il

est l’élève en 1970 à Sienne, puis le collaborateur en 1972-73. Parallèlement, il fait des études de médecine générale et de chirurgie à l’université de Padoue, s’intéressant plus particulièrement à la psychologie de la perception. En 1971, il termine ses études de médecine par une thèse sur certains problèmes anthropologiques et psychiatriques. L’année suivante, il est nommé professeur de musique contemporaine et de musique électronique au conservatoire B.-Marcello à Venise. À la même époque, il s’installe à Vienne, où il suit les cours de direction d’orchestre de H. Swarowski, analyse l’Harmonielehre (Traité d’harmonie) de Schönberg et réalise une étude de l’opéra Lulu commandée par la Fondation Alban-Berg. En 197475, il fonde l’Ensemble Bruno-Maderna à Venise. Joué à partir de 1975 dans les principaux festivals internationaux, il s’impose simultanément comme un des chefs d’orchestre les plus importants de sa génération. Après ses débuts de chef d’opéra en 1977 au théâtre La Fenice à Venise, il dirige avec un grand succès Macbeth de Verdi à la Deutsche Oper de Berlin, et c’est à la demande de l’Opéra de Munich et de l’Opéra de Berlin qu’il écrit son premier opéra, Lou Salomé, créé en 1981 à Munich. En 1984, il devient premier chef de l’Orchestre Philarmonia de Londres. Nommé en 1990 chef permanent du Deutsche Oper à Berlin, il démissionne la même année. Il prend en 1992 la direction musicale de la Staatskapelle de Dresde. SIOHAN (Robert), compositeur et chef d’orchestre français (Paris 1894 - id. 1985). Il fait ses études au Conservatoire national, où il obtient des premiers prix d’alto, d’harmonie, de contrepoint et de direction d’orchestre. Il est, pendant une dizaine d’années, altiste et chef d’orchestre de diverses formations instrumentales, puis fonde, en 1929, les Concerts Siohan, qu’il dirige jusqu’en 1936 et au sein desquels il assure la création de nombreuses oeuvres contemporaines françaises (Honegger, Messiaen, Milhaud, Ibert, etc.). Chef de choeur de l’Opéra à partir de 1932 et professeur de déchiffrage au Conservatoire de 1945 à 1962, il est nommé inspecteur général de la Musique en 1964. Ses oeuvres, qui

incluent des opéras, une symphonie, des concertos, de la musique de chambre, des pièces pour piano et des mélodies, sont de tendance néoclassique et souvent influencées par Debussy. Il a par ailleurs publié, à la suite de sa thèse de doctorat soutenue à la Sorbonne en 1954 (Théories nouvelles de l’harmonie), une série d’ouvrages et d’articles sur la musique contemporaine : Horizons sonores, évolution actuelle de l’art musical (1956), Stravinski (1959). SIRVENTÈS. Un des genres de chansons pratiqués par les troubadours. Le terme vient de « servir » et signifie que la chanson a été écrite par le serviteur d’un seigneur. Les sirventès de troubadours de langue d’oc ont un contenu polémique, satirique, politique, ou servent parfois à invectiver un adversaire. Passé ensuite chez les trouvères de langue d’oïl, le sirventès a rapidement changé de caractère et est devenu un chant d’inspiration religieuse. La forme du sirventès s’identifie à celle du canso. On en trouve dans l’oeuvre de Peire Cardinal, Bertrand de Born, Richard Coeur de Lion. Chez les Minnesänger allemands, le « spruch » était le genre équivalent. SIXTE. 1. Intervalle produit entre deux notes dont les noms, points de départ et d’arrivée compris, et quelle que soit la grandeur de l’intervalle, se suivent en montant à une distance de six degrés (exemple : do-la). La sixte normale peut être majeure (quinte + 1 ton, ex. do-la) ou mineure (quinte + 1/2 ton, ex. do-la bémol). La sixte déformée peut être augmentée (quinte + 1 ton 1/2, ex. do-la dièse ; la sixte diminuée, homophone de la quinte (ex. do dièse-la bémol homophone de do dièse-sol dièse) est très exceptionnelle. Le renversement de la sixte (mêmes noms de notes, mais en descendant) est la tierce. 2. Note formant avec la note de basse d’un accord un intervalle de sixte. 3. On appelle accord de sixte (le nom complet serait « tierce et sixte » par oppositon à « quarte et sixte », voir ce terme) le 1er renversement d’un accord de triade, parfait ou non, comportant une sixte entre ses voix extrêmes, et une tierce en son milieu (ex. do-mi-la). Ce dernier point

distingue l’accord de sixte de l’accord de quarte et sixte, qui lui aussi comporte une sixte entre extrêmes, mais avec une quarte en son milieu (ex. do-fa-la ; on rappelle que les intervalles partent toujours de la note de basse). L’accord de sixte est normal quand il ne contient aucun intervalle déformé tel que quarte diminuée ou augmentée ; il peut alors être majeur ou mineur, en prenant la qualification de sa tierce (accord majeur do-mi-la ; mineur do-mi bémol-la bémol). Il est déformé s’il contient une quarte augmentée (ex. do-mi-la dièse) ou diminuée (ex. do-mila bémol), et prend lui-même en ce cas le nom d’accord de sixte augmentée ou diminuée. Lorsqu’il est placé sur le 2e degré, ce qui crée entre ses extrêmes un intervalle de sixte dont la note supérieure est la sensible (ex. en do, ré-fa-si), l’accord de sixte augmentée est dit accord de sixte sensible ; il est alors le 1er renversement de la triade de quinte diminuée (si-ré-fa) construite sur la sensible, qu’on peut aussi analyser comme un accord de 7e de dominante à fondamentale sous-entendue (sol sous-entendu + si-ré-fa). On voit que contrairement à la règle habituelle, on a donné le nom de sixte « sensible » en considérant la note supérieure de l’accord, et non sa note de basse, ce qui n’est pas très logique. Sur les accords de grande sixte (ou quinte et sixte), sixte napolitaine, sixte et quarte (ou quarte et sixte), voir les articles correspondants. SIXTE ET QUARTE (accord de), ou QUARTE ET SIXTE. Deuxième renversement d’un accord de triade, parfait ou non, formé d’une quarte et d’une sixte comme son nom l’indique. Si la quarte est juste, l’accord est normal, et peut être soit majeur (ex. sol-do-mi) soit mineur (ex. sol-do-mi bémol) selon que sa sixte est majeure ou mineure. On le chiffre 6/4 ou 4/6, mais non pas 6, qui est réservé à l’accord de sixte. Si la quarte est augmentée (elle ne peut pas être diminuée), l’accord est dit déformé et prend le nom d’accord de sixte et quarte augmentée, chiffré 6/+4 ou +4/6, ce qui lui donne souvent downloadModeText.vue.download 940 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE

934 la signification d’un accord de 7e naturelle à fondamentale sous-entendue. L’accord de 6/4 majeur est un accord naturel, formé des harmoniques 3-4-5 d’une fondamentale sous-entendue, mais l’absence de cette fondamentale lui donne une grande instabilité qui se traduit par le besoin d’une résolution : celle-ci se fait le plus souvent sur la même basse, en considérant la quarte et la sixte comme des appoggiatures de triade (ex. sol-do-mi ] sol-si-ré). Si la résolution fait défaut, on obtient un effet de suspension qui a été souvent utilisé pour préparer les cadences de soliste dans les concertos. Quoique artificiel, l’accord de 6/4 mineur, formé par analogie avec le majeur, possède, à un degré moindre, les mêmes caractères et s’emploie de façon analogue. SIXTE NAPOLITAINE. Nom, apparemment injustifié, donné à une altération descendante du 2e degré dans l’accord de sixte placé sur le 4e degré du mode mineur (ex. en do mineur, le ré bémol de l’accord fa-la bémol-ré bémol). Toujours employée dans un but de soulignement expressif (plainte ou assombrissement), la sixte napolitaine semble avoir été surtout introduite au début du XVIIe siècle par le Romain Carissimi ; elle se résolvait toujours sur la dominante, avec ou sans transition, par un accord de quarte et de sixte sur le 5e degré. Plus tard, son emploi s’est considérablement enrichi : on l’emploie aussi bien en majeur qu’en mineur, sa résolution a perdu son automatisme, et la dénomination aujourd’hui tend à se reporter sur l’altération en elle-même, qu’elle soit ou non du 2e degré, incluse dans une véritable sixte. SKALKOTAS (Nikos), compositeur et violoniste grec (Khalkis 1904 - Athènes 1949). Après des études brillantes de violon au conservatoire d’Athènes sous la direction de Tony Schulze, il obtint une bourse qui lui permit d’aller en 1921 à Berlin et d’étudier le violon à la Hochschule für Musik avec Willy Hess. À partir de 1925, il se consacra à la composition. Ses principaux maîtres furent Philipp Jarnach (19251927) et Arnold Schönberg (1927-1931). Il retourna en Grèce en 1933 où il vécut

toute sa vie durant en tant que violoniste dans l’orchestre d’Athènes et aussi dans deux autres orchestres. Il continua à composer jusqu’à sa mort dans un isolement accru par l’indifférence, voire l’hostilité, des milieux musicaux grecs. Skalkotas, malgré le temps relativement court consacré à la composition, laissa un nombre considérable d’oeuvres. Parmi celles composées pour orchestre, il convient de distinguer trois concertos pour piano (1931, 1938, 1939), un concerto pour violon (1938), un concerto pour violon, alto, vents et contrebasses (1940), deux suites symphoniques (1935, 1944-1949), dont la seconde de proportions gigantesques (75 minutes), trentesix danses grecques (1936-1949), dix « sketches musicaux » pour orchestre à cordes (1940) et la symphonie en un mouvement intitulée le Retour d’Ulysse (1943). Sa musique de chambre compte, entre autres, une sonate pour violon seul (1925), la deuxième sonate pour violon et piano (1940), quatre sonatines pour violon et piano (1929, 1935), quinze petites variations (1927), quatre suites (1936, 1940, 1941), trente-deux pièces (1940) et quatre études (1941) pour piano, quatre quatuors à cordes (1928, 1929, 1935, 1940), un trio à cordes (1935), huit variations sur un thème populaire grec pour trio avec piano (1938), un duo pour violon et alto (1938) et un octuor pour quatuor à cordes, flûte, hautbois, clarinette et basson (1931). Enfin, sa musique vocale comprend des oeuvres comme les seize mélodies pour contralto et piano (1941) et Métoú Maïoú tá máya (« les Sortilèges de mai ») pour orchestre, contralto et choeur (1944-1949). Le style de Skalkotas est imprégné de l’esthétique de Schönberg, mais il faut souligner qu’il porte toujours le cachet de la personnalité du compositeur grec. Ainsi, la série dodécaphonique de Schönberg se transforme souvent en une multitude de séries indépendantes servant de base à la structure de l’oeuvre. Tel est le cas de la symphonie en un mouvement le Retour d’Ulysse où l’on trouve dix-huit séries superposées par quatre, créant une intensité poussée aux limites, et des blocs sonores superposés mais suffisamment transparents pour qu’ils soient perceptibles. Les formes classiques prennent souvent des proportions gigantesques et sont parfois

mixtes. Ainsi, le quatrième mouvement de la deuxième suite symphonique est en forme sonate-variation, remarquable par la transparence de son écriture. En dehors de la technique dodécaphonique et sérielle, Skalkotas composa aussi dans un style atonal libre (par exemple, le duo pour violon et alto). Souvent une grande variété de styles et de techniques se retrouvent miniaturisés dans une même oeuvre, comme les trente-deux pièces pour piano. Ici, l’on retrouve des formes et des styles baroques, classiques et romantiques à côté de rythmes fortement influencés par le jazz ou la musique populaire grecque, le tout dans une écriture libre, proche de la technique dodécaphonique mais indépendante. Les rythmes de Skalkotas sont souvent aussi très libres ou fluctuants. Ainsi, les 3/4 du menuet de la troisième suite pour piano deviennent souvent 2/4 et même 5/4. Quant au « thème et variations » de cette même suite, le rythme est totalement libre ; cela n’empêche pas, dans un espace très restreint, une progression d’une extraordinaire intensité, à l’instar de la variation beethovenienne. SLEZAK (Leo), ténor tchèque (Krasnattora 1873 - Tegernsee 1946). Il chanta tout jeune dans les choeurs de l’Opéra de Brnó. Puis il débuta dans ce même théâtre en 1895 (rôle de Lohengrin). Deux ans plus tard, il chantait à Berlin, et en 1901, à l’Opéra de Vienne, où il allait paraître régulièrement pendant un quart de siècle. Entre-temps, il alla perfectionner sa technique à Paris, travaillant avec Jean de Resské (1908-09). Dans les années suivantes, il triompha à Londres et à New York. À l’apogée de sa carrière, sa grande voix héroïque apparaissait admirablement disciplinée, et son tempérament artistique, adapté aux grands rôles de ténor dramatique aussi bien qu’aux mélodies qu’il chantait en récital. Au théâtre, il fut un des plus grands Otello du siècle. On l’admirait également dans Radamès de Aïda, dans Lohengrin et dans Raoul des Huguenots. Après s’être retiré de la scène, il parut dans de nombreux films où il aimait à jouer les emplois comiques.

SLONIMSKI (Sergueï), compositeur soviétique (Leningrad 1932). Fils de l’écrivain Mikhaïl Slonimski, neveu du compositeur-chef d’orchestre Nikolaï Slonimski (1894-1995), qui fut l’ami de Varèse et créa certaines de ses oeuvres, il sortit en 1955 de la classe de composition d’O. Evlakhov, et, en 1956, de la classe de piano de V. Nilsen, au conservatoire de Leningrad. En 1958, il termine ses études supérieures de musicologie. Il enseigne les disciplines théoriques de la musique depuis 1959, la composition depuis 1967, et est le responsable musical de l’Opéra de Kirov et de la compagnie de ballet de Leningrad. Ses premières partitions rendent hommage au dernier Prokofiev et au Stravinski de la période russe : Symphonie (1960), Sonate pour piano (1962), Chants de liberté sur des textes populaires pour mezzo, baryton et grand orchestre (1961), retrouvant le faux archaïsme de Noces. Dans les années 1965-66, il parcourut la campagne des anciens États baltes, notant de très anciens chants d’origine païenne qui allaient lui servir de matériaux pour nombre de ses ouvrages à venir : l’opéra Virinéia (1967), le truculent Concerto buffo. Intégrant ces éléments de folklore archaïsant dans un langage sériel, il composa le ballet Icare (1971), où se mêlent chants de troubadours, musique quasi concrète et relents de foire, puis des pièces vocales comme Chants de troubadours (1975) pour soprano, ténor, quatre flûtes à bec et luth, ou encore Pesnokhorka (1976) pour contralto, flûte, hautbois, trompette, balalaïka, batterie, guitares électriques. downloadModeText.vue.download 941 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 935 SMALLEY (Roger), pianiste et compositeur anglais (Manchester 1943). Il a étudié au Royal College of Music (1961-1965), en particulier avec Peter Racine Fricker, et travaillé aussi avec Walther Goehr et avec Stockhausen à Cologne (1965-66). Comme pianiste, il a souvent été associé avec ce dernier, et, dans les années 60, il s’est fait connaître comme propagandiste de ses oeuvres (en particulier de Kontakte) en Angleterre. Comme compositeur, il a subi son influence sur-

tout à partir de 1967, notamment dans The Song of the Highest Tower (d’après Blake et Rimbaud) pour soprano, baryton, choeur et orchestre (1968), dans Transformation I pour piano et modulateur à anneaux (1969), et dans Pulses pour 5 × 4 exécutants, cuivres, percussion et modulateurs à anneaux (1969). Zeitebenen, pour ensemble et bande à quatre pistes (1973), est un ouvrage particulièrement audacieux. On lui doit encore, entre autres, un quatuor à cordes (1979), Echo III pour trompette et bande (1979), Konzertstück pour violon et orchestre (1980). SMART (sir George), chef d’orchestre, organiste et compositeur anglais (Londres 1776 - id. 1867). Pendant plus d’un demi-siècle, il joua un rôle considérable dans la vie musicale britannique, sur laquelle il a laissé de très intéressants renseignements. Comme violoniste des concerts Salomon, il reçut de Haydn une leçon de timbales. En 1813, il fut au nombre des fondateurs de la Royal Philharmonic Society, dirigeant quaranteneuf de ses concerts jusqu’en 1844. En 1826, il dirigea la première audition britannique de la IXe Symphonie de Beethoven (que peu de temps auparavant il avait rencontré à Vienne), et c’est chez lui que, la même année, Weber mourut peu après la première d’Oberon. Organiste (1822) puis compositeur (1838) de la chapelle royale, il dirigea également en 1836 la première en Angleterre de Paulus de Mendelssohn. SMETANA (Bedřich [Frédéric]), compositeur tchèque (Litomyšl, Bohême, 1824 Prague 1884). Enfant prodige bénéficiant d’une ambiance familiale humaniste, avec un père maître brasseur et violoniste amateur, il jouait déjà si bien du violon à quatre ans qu’il remplaça son père dans l’exécution d’un quatuor de Haydn au second violon. À six ans, il transcrivait au piano la Muette de Portici d’Auber. En 1835, son père abandonne le métier de brasseur et s’installe comme exploitant agricole à Rüžkova Lhotice au pied du mont Blanik. Après ses études secondaires, Smetana se rend à Prague en 1843 pour se perfectionner en piano. Décidé à devenir un artiste malgré les réticences de son père, il est engagé comme professeur de musique chez

le comte Leopold Thun où l’ambiance l’amène à composer nombre d’oeuvres aujourd’hui disparues. Il connaissait évidemment Mendelssohn, Hummel, Henzelt et même Schumann, dont les oeuvres étaient alors fréquemment jouées à Prague. Les événements révolutionnaires de 1848 le transforment en fervent propagandiste du nationalisme en Bohême. Aidé par Liszt et Clara Schumann, il fonde en 1849, à Prague, une école de musique privée où le tchèque est la langue obligatoire, marquant ainsi son opposition à l’enseignement officiel de culture allemande. Il milite alors dans le groupe armé Concorde et devient l’ami des radicaux-démocrates de la capitale. Il fait ainsi la connaissance de Karel Sabina, écrivain politique, qui devait écrire le livret de ses deux premiers opéras. Alors que, dans ses dix premières années de compositeur, il écrivait ballades, polkas, impromptus, des Feuillets d’album schumanniens... pour le piano, l’ambiance révolutionnaire fait de lui un auteur de marches, telles celles de la Légion des étudiants de Prague, de la garde nationale et un chant guerrier, ou des ouvertures, plus joyeuses que solennelles. Le 27 août 1849, Smetana épouse Catherine Kolářová, jeune femme de vingtdeux ans, ravissante et enjouée. Elle lui donna quatre filles, dont seule Sophie, la troisième, dépassa la petite enfance. Sa femme, pulmonaire, devait rapidement lui donner de profonds soucis. Son école de musique périclite, alors que ses tournées de concerts en tant que pianiste n’atteignent pas la notoriété espérée. Il songe à s’expatrier. Dans l’espoir de voir l’empereur François-Joseph Ier se faire sacrer roi de Bohême, il écrit une symphonie triomphale à l’occasion du mariage du jeune empereur avec Elisabeth de Bavière. Utilisant des citations de l’hymne autrichien dû à Haydn, il espérait une réponse à son envoi à Vienne, qui ne vint jamais. Mais Bedřiška, sa fille aînée, disparaît. Il dédie à sa mémoire son trio pour piano, violon et violoncelle dont le ton de sol mineur ajoute au sentiment de désespoir et de détresse. On y entend des mélodies étranges, des bruits sourds d’une marche funèbre, tandis que le final conclut dans le ton énergique de sol majeur. À l’automne 1856, Smetana rencontre

à nouveau Liszt qui lui conseille de partir pour Göteborg, en Suède. Il dirige ainsi l’Harmoniska Sällskapet de Göteborg de 1856 à 1861. Mais sa femme Catherine disparaît et les succès remportés par ses trois poèmes symphoniques, Richard III, le Camp de Wallenstein et Hakon Jarl, hommage vibrant à Liszt, ne suffisent pas à atténuer son mal du pays. Rentré définitivement à Prague, il s’aperçoit que la vie musicale nationale bohémienne prend son essor. Il prête son concours à toutes les tentatives fructueuses ou non en ce sens. Il prend la direction de l’association chorale Hlahol, puis d’une école de musique avec F. Heller (1824-1912). Il devient en 1866 le chef régulier du théâtre provisoire devenu le Théâtre bohémien de Prague. La première de son opéra les Brandebourgeois en Bohême est un événement national tant par l’emploi de la langue tchèque que par le sujet. Mais sa popularité ne devient immense qu’avec la version définitive de son opérette devenue opéra-comique, la Fiancée vendue, véritable hymne national de Bohême, dont l’ouverture est un chefd’oeuvre aujourd’hui universellement connu. Cette veine nationale lui inspire Dalibor (1868), opéra tragique racontant la lutte nationale contre la domination étrangère. Mais le style musical étant jugé trop wagnérien, il est accusé de trahison ! Il écrit alors Libuše (1872), glorification de la nation tchèque et de son éternité historique, alors que son opéra-comique les Deux Veuves (1874) forme un tableau inimitable de la vie et de l’amour, scherzo rayonnant prenant ses racines mélodiques dans les polkas et les danses de Bohême. Mais Smetana éprouve des vertiges, sent son ouïe se détériorer. Il se réfugie alors chez sa fille Sophie à Jabkenice. Il ne reviendra plus à Prague que pour soutenir ses partisans et assister à la création de ses nouveaux opéras et pièces symphoniques. Son génie, issu du folklore bohémien, prend toute son universalité dans son cycle Ma Vlast (Ma patrie), dont les six volets sont comme la description imagée, champêtre, dansante de tout un peuple. Malgré les influences de Chopin sur ses oeuvres de piano de jeunesse, de Liszt, puis de Wagner, la musique de Smetana est

profondément originale par son héroïsme, son humour, sa tension permanente. Sa souplesse mélodique, sa rythmique de plus en plus complexe bien que naturelle en sont les marques extérieures. Mais il serait injuste de ne voir en Smetana que le père de l’opéra national tchèque. Il a effectivement permis au patrimoine bohémien d’atteindre l’audience internationale, en effectuant une exceptionnelle synthèse entre une forme néoromantique et un individualisme culturel jusqu’alors préservé. Mais il ne faut pas négliger l’apport de Smetana dans le domaine de la musique de chambre ; deux quatuors à cordes dont le second en ré mineur annonce la complexité harmonique d’un Janáček, des pièces pour piano telles que Macbeth et les Sorcières (1859-1876) ou Rêves (1875) qui précèdent Liszt dans l’annonce du XXe siècle. De même, ses dix cycles de choeurs pour voix d’hommes atteignent une puissance expressive, une perfection downloadModeText.vue.download 942 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 936 de forme qui leur permettent d’ouvrir la voie à l’école moderne tchèque. SMIJERS (Albert), prêtre et musicologue néerlandais (Raamsdonksveer, NordBrabant, 1888 - Utrecht 1957). Il fait ses études au séminaire de Haaren et est ordonné prêtre en 1912. Il enseigne quelque temps au séminaire de Beekvliert et étudie avec Averkamp à Amsterdam, avant de se rendre à Vienne en 1915. Élève de Guido Adler à l’université, il soutient sa thèse de doctorat en 1917 (Karl Luython als Motetten-Komponist), puis enseigne à nouveau à Beekvliert de 1918 à 1929, et de 1929 à 1933, au conservatoire d’Amsterdam. Il est nommé en 1930 professeur de théorie et d’histoire de la musique à l’université d’Utrecht, et occupe ce poste, première chaire de musicologie aux Pays-Bas, jusqu’à sa mort. Il se spécialise dans l’étude de la musique néerlandaise (Nederlandsche Musiekgeschiedenis, 1930), en particulier de la période franco-flamande, et ses recherches aboutissent à la publication d’une anthologie en sept volumes (Van Ockeghem tot Sweelinck, 19391956), d’une nouvelle édition des oeuvres d’Obrecht (Jacob Obrecht, Opera omnia,

3 vol. 1953-1956) et surtout des oeuvres complètes de Josquin Des Prés (Werken van Josquin Des Prés), dont il publie 41 volumes de son vivant (1921-1956). SMITH (Hopkinson), luthiste américain (New York 1946). Il fait ses études à l’Université Harvard, puis travaille la musique et la musicologie auprès d’Alfred Deller, ainsi qu’à la Schola cantorum de Bâle, où il est nommé professeur de luth en 1976. À partir de 1975, il se produit dans le monde entier, s’associant à plusieurs ensembles de musique ancienne. Il enregistre de nombreux disques (Bach, compositeurs français du XVIIe siècle). SMYTH (Dame Ethel), femme compositeur anglaise (Marylebone 1858 - Woking 1944). Elle étudia au conservatoire de Leipzig et en privé avec Heinrich von Herzogenberg, et s’imposa à Londres avec une messe en ré (1893). Elle se tourna ensuite vers l’opéra, donnant notamment, à Leipzig en 1906 puis à Londres en 1909, The Wreckers. Elle s’identifia par la suite à la cause des suffragettes, ce dont témoigne en particulier The Boatswain’s Mate (Londres, 1916). SOCIÉTÉ INTERNATIONALE POUR LA MUSIQUE CONTEMPORAINE (S. I. M. C.). Fondée le 11 août 1922 à Salzbourg à l’issue d’un festival de musique de chambre contemporaine tenu dans le cadre du Festival, la S. I. M. C. se fixa pour objectif, par le biais d’un festival annuel tenu dans l’un des pays membres et en dépassant les barrières nationales, de dresser régulièrement le bilan d’une année de production musicale. Son premier festival eut lieu à Londres en 1923, et son premier président fut Edward J. Dent. Il y avait 14 sections nationales en 1923, 27 en 1976. De 1957 à 1969, le président a été Heinrich Strobel. Le président actuel (1982) est Siegfried Palm. Dans le cadre des divers festivals ont été créés, entre autres, le Concerto pour violon de Berg (Barcelone, 1936), Das Augenlicht et la 2e Cantate de Webern (Londres, 1938, et Bruxelles, 1950) et le Marteau sans Maître de Pierre Boulez (Baden-Baden, 1955). SÖDERSTROM (Élisabeth), soprano suédoise (Stockholm 1927).

Elle fait ses débuts à l’Opéra de Stockholm en 1948, où elle ne tarde pas à devenir vedette absolue dans les emplois de soprano lyrique. À partir de 1951 commence sa carrière internationale. Elle chante Marguerite de Faust au Metropolitan Opera de New York, où elle est la partenaire de Siepi et de Bjorling, et se produit également à Salzbourg et à Glyndebourne. Son répertoire comprend les rôles principaux de Puccini et de Richard Strauss. Elle est une des rares cantatrices à avoir chanté successivement les trois rôles féminins (la Maréchale, Octave, Sophie) du Chevalier à la rose. Plus récemment, elle a abordé des ouvrages modernes, tels que Wozzeck d’Alban Berg et Élégie pour de jeunes amants de Hans Werner Henze. À son timbre transparent et chaud s’ajoutent des dons dramatiques remarquables et une personnalité attachante. Elle est depuis 1990 directrice artistique du théâtre de Drottningholm. SOFRONITZKI (Vladimir), pianiste russe (Saint-Pétersbourg 1901 - Moscou 1961). Il passe son enfance à Varsovie, où il commence ses études de piano. Au Conservatoire de Saint-Pétersbourg, il est ensuite l’élève de Léoonid Nikolaïev et de Glazounov. Ami d’Horowitz, condisciple de Maria Yudina, il donne de nombreux concerts, rencontre Rachmaninov, Chaliapine, Paderewski, Godowsky, Heifetz, ainsi que le dramaturge Meyerhold, qui lui dédie sa mise en scène de la Dame de pique. De 1943 jusqu’à sa mort, il enseigne au Conservatoire de Moscou. Malgré la carrière flamboyante qu’il a menée dans son pays, il est pendant longtemps resté inconnu en Europe occidentale, jusqu’à ce que ses enregistrements y soient diffusés, après sa mort. SOL. La cinquième des sept syllabes qui, dans les pays latins, désignent actuellement les notes de la gamme diatonique. Elle est placée un ton au-dessus du fa et correspond à la lettre G du système alphabétique anglosaxon. Dans l’ancienne solmisation à six syllabes, la syllabe sol pouvait correspondre, selon l’hexacorde, aux lettres (clefs) G (sol-ré-ut), D (la-ré-sol) ou C (sol-fa-ut) [sur le mécanisme de la transformation, voir l’article UT]. Dans la théorie de Gui

d’Arezzo, la syllabe sol n’a qu’une valeur de nomenclature. En revanche, selon l’exégèse ésotérique de l’hymne Ut queant laxis d’où la syllabe a été tirée, elle joue dans le texte de l’hymne un rôle essentiel par sa double représentation du soleil central (sémantisme et graphisme). SOLAGE, compositeur français (fin du XIVe siècle). Il n’est connu que par dix chansons à trois et quatre voix (sept ballades, deux virelais et un rondeau), qui figurent dans le Manuscrit de Chantilly. Elles ne sont pas datées, mais trois des ballades suggèrent que le compositeur était proche de la famille royale dans les années 1380. S’aincy estoit est dédiée au duc Jean de Berry, et Calextone qui fut et Corps féminin font sans doute allusion au mariage du fils du duc avec Catherine de France en 1386. Ces pièces présentent une certaine unité stylistique par leur écriture à trois voix, leur complexité rythmique (en particulier S’aincy estoit) et leur extrême richesse harmonique, et s’apparentent ainsi à l’« Ars subtilior ». Elles sont certainement tardives dans l’oeuvre de Solage car elles contrastent avec les chansons à quatre voix, au style beaucoup plus simple, très proche de celui de Machaut. SOLAL (Martial), pianiste et compositeur de jazz français (Alger 1927). Il s’imposa à Paris dès 1954, puis sur le plan international, comme l’un des plus brillants pianistes de sa génération. Artiste solitaire, un peu marginal, il se produit le plus souvent en concert, seul ou accompagné d’un ou deux musiciens. Très admiré pour sa virtuosité - seuls Tatum et Peterson peuvent lui être comparés sur le plan de la technique instrumentale -, il apparaît, en raison de sa musicalité, de son imagination et de l’audace de ses conceptions, comme le soliste européen le plus important depuis Django Reinhardt à la guitare (On Green Dolphin Street). On lui doit de nombreux thèmes (Vice Versa), des partitions de musique de film (À bout de souffle, 1962), des oeuvres pour ensemble (Suite en ré bémol, 1959) ou orchestre de jazz (Fluctuat nec mergitur, 1972), et Stress (en collaboration avec Marius Constant, 1980). downloadModeText.vue.download 943 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 937 SOLER (Padre Antonio), compositeur espagnol (Olot, Catalogne, 1729 - El Escorial 1783). Il fit ses études à l’école de chant de Montserrat, où l’organiste était Benito Valls, et, vers 1750, devint « maestro de capilla » à Lérida. Il rejoignit ensuite la communauté des moines de l’Escorial, et reçut les ordres mineurs en 1752. La même année, il composa son premier villancico à huit voix. Pour sa profession de foi en 1753, il écrivit un Veni Creator. Il put encore étudier à Madrid avec Domenico Scarlatti (mort en 1757), dont il fut le plus grand disciple, et, en 1762, fit paraître un grand ouvrage théorique qui devait susciter de nombreuses controverses, Llave de la modulación. En 1765, alors qu’il avait déjà composé quatre livres de sonates pour clavier, il entama avec le Padre Martini une correspondance suivie. Expert en mathématiques et en construction d’orgue, il mit au point pour le prince Gabriel d’Espagne, son élève, un instrument à clavier appelé afinador ou templante et destiné à illustrer les différences entre les diverses sortes de tons ou de demi-tons. Comme Domenico Scarlatti, le Padre Soler est connu presque exclusivement par ses sonates pour clavier. Elles sont au nombre de 120 (par opposition aux 555 de Scarlatti), et beaucoup parmi les plus tardives ont trois ou quatre mouvements, parfois avec fugue, rondo ou menuet. On y trouve davantage de pièces de tempo modéré que chez Scarlatti et, sur le plan de l’écriture, moins d’acciaccaturas et davantage de basses d’Alberti (ce qui indique le piano-forte plutôt que le clavecin). Mais leur virtuosité et leur utilisation de rythmes de danses ibériques sont aussi grandes. Sur le plan instrumental, Soler est également l’auteur d’un célèbre Fandango de 450 mesures, de six concertos pour deux orgues destinés au prince Gabriel, et de six quintettes pour deux violons, alto, violoncelle et orgue (1776). Sa production vocale est immense (plusieurs centaines d’oeuvres religieuses) mais encore pratiquement inexplorée. Particulièrement séduisants apparaissent ses villancicos en langue vulgaire A Belen a ver (1753), Dos gitanas y un gitano (1765), Con garbo muchachos (1772) et Los negros

vienen de zumba (en dialecte nègre, 1758). Un catalogue critique de sa production a été établi par le père Samuel Rubio (1980). SOLESMES. Abbaye bénédictine située près de Sablé (Sarthe), installée en 1833 dans les bâtiments d’un ancien prieuré. Elle a acquis une renommée universelle par les travaux de restauration du chant grégorien qui y furent entrepris à partir de 1840 sous l’impulsion de l’abbé dom Guéranger, et se sont poursuivis sans interruption jusqu’à nos jours. Le premier travail notable de Solesmes fut en 1880 la publication du livre les Mélodies grégoriennes de dom Joseph Pothier, oeuvre de pionnier à laquelle succédèrent en 1908 et 1927 les deux volumes du livre de base de la rythmique grégorienne, le Nombre musical de dom André Mocquereau, précédé d’un ample travail de documentation qui n’a cessé de se poursuivre autour des manuscrits, et qui s’est matérialisé par la création d’un « scriptorium » spécialisé et la publication périodique d’une importante collection de fac-similés ou d’études techniques, la Paléographie musicale (depuis 1889). Le choeur des moines de l’abbaye, dirigé d’abord par dom Joseph Gajard (1914) puis par dom Jean Claire, est renommé pour sa qualité, et ses enregistrements sont considérés comme des modèles de référence. Chassés de France en 1901 par la loi sur les congrégations, les moines s’étaient alors réfugiés en Angleterre (Appuldurcombe, puis Quarr Abbey dans l’île de Wight). Ils ont repris possession de leur abbaye en 1922. SOLFÈGE (en ital. solfeggio, dérivé de sol-fa). Ensemble des conventions relatives à la manière de nommer les notes, et par extension de les lire et de les écrire. Exercices destinés à assurer la connaissance de ces conventions. Récemment étendu à l’ensemble des sytèmes existants (P. Schaeffer l’applique même à la classification des bruits musicaux), le terme avait été primitivement réservé au seul système à sept noms de notes

de valeur fixe aujourd’hui en usage (mais qui ne s’annexa qu’à la fin du XIXe siècle le domaine de la hauteur absolue). Il s’opposait aux anciennes méthodes à six noms comportant des mutations d’un hexacorde à l’autre, et qui furent finalement rangées sous le titre général de solmisation, bien que celui-ci n’eût été à l’origine que l’un des nombreux systèmes essayés, à côté d’autres à l’existence éphémère (bébisation, bocédisation, etc.). Le solfège s’implanta définitivement au cours du XVIIIe siècle et demeure aujourd’hui l’une des bases élémentaires exigées de l’éducation musicale. SOLMISATION. 1.Terme dérivé des syllabes sol-mi, qui désignait l’ancienne manière de nommer les notes avant la généralisation du solfège. La solmisation, dont l’invention est attribuée à Gui d’Arezzo (XIe s.), a pour justification une grave ambiguïté de la nomenclature alphabétique ancienne. Celle-ci en effet, issue du système grec, désignait les sons par des lettres ou clefs (claves) de A à G (puis a à g, etc.) dont A correspondait à notre la actuel, mais il pouvait y avoir deux sortes de B : l’un bas ou « mou » (bémol), l’autre haut ou « dur », écrit carré (bécarre). L’objet de la solmisation était de déterminer à l’avance lequel des deux B devait être choisi. Pour cela elle divise le « clavier », c’est-à-dire l’ensemble des touches correspondant aux lettres (clefs), en tranches de six notes ou hexacordes comportant chacune un seul demi-ton. Il pouvait y avoir trois sortes d’hexacordes. Le modèle était donné par celui, dit naturel, qui ne comportait pas le B litigieux, et allait donc de C à A (pour nous, do à la). Le B, lui, se voyait inséré selon le cas dans l’un ou l’autre des deux hexacordes qui, tout en présentant la même suite d’intervalles que l’hexacorde naturel, plaçait le B l’un en position basse (c’est l’hexacorde mou ou par bémol, de F à D, pour nous fa à ré avec si bémol), l’autre en position haute (c’est l’hexacorde dur ou par bécarre, de G à E, pour nous sol à mi avec si bécarre). Dans chacun des trois hexacordes, dont les intervalles devenaient dès lors semblables, chaque son était désigné par une syllabe ou voix (vox), empruntée par mnémotechnie à un hymne à saint Jean-Baptiste, déjà remarquable par ses qualités symboliques.

Les syllabes ou voix (voces) n’étaient donc pas l’équivalent des lettres (claves), et chacune des deux nomenclatures gardait sa fonction. Les syllabes doublaient les lettres en précisant à l’avance, selon la syllabe choisie, si le B, losqu’il se présenterait, serait haut (bécarre) ou bas (bémol). Ces deux termes n’étaient pas, comme ils le sont devenus, un adjectif accolé (si bémol, si bécarre), mais le nom même de la note B, précisé dans son acception. Dans la théorie, le nom complet de la note se déduisait du tableau et réunissait la clef et la voix tels qu’ils y apparaissent ci-dessus : F fa-ut, G sol-ré-ut, A fa-miré, B fa ou B mi, C sol-fa-ut, D la-sol-ré, E la-mi. Pour « solfier «, on ne chantait pas les clefs, mais l’une des syllabes au choix, selon l’hexacorde qui convenait. Si l’on débordait l’hexacorde, on passait d’une nomenclature à une autre ; c’est ce qu’on appelait faire muance ou mutation. Ce système, en soi fort ingénieux, est resté en usage jusqu’au XVIIIe siècle. Bien adapté à son objet tant qu’il n’y eut, comme dans le plain-chant, qu’une seule note mobile, le B, il commença à grincer lorsque, notamment dans la polyphonie, en apparurent d’autres (fa dièse dès le XIIe siècle). On s’en sortit par le procédé compliqué et absurde de la musica ficta qui, sans résoudre les problèmes, aboutit à de véritables rébus. Devenues de plus en plus graves, ses inconséquences finirent par rendre nécessaire la refonte du système. Cette réforme se fit attendre jusqu’à la fin du XVIIe siècle et s’effectua graduellement. Elle commença par l’invention d’une 7e syllabe, si, qui permit de diminuer downloadModeText.vue.download 944 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 938 le nombre des muances : on disait par exemple E la-mi-si, et on pouvait dès lors tout ramener au modèle de l’hexacorde naturel (d’où l’expression « si naturel »). Cela fait, il apparut assez vite que les deux nomenclatures désormais se doublaient inutilement ; on fut d’accord pour ne conserver que l’une des deux, mais non pour décider laquelle. Il en résulta une nouvelle inconséquence, encore aujourd’hui en cours : les pays latins ont re-

noncé aux lettres et conservé les syllabes, les pays anglo-saxons ont fait le contraire, mais sans se mettre d’accord entre eux sur le B, qui désigne le si naturel pour les Anglais et le si bémol pour les Allemands, mais rien ne distingue plus les deux momenclatures dans la façon d’employer lettres ou syllabes. Fait plus grave, lorsqu’on inventa en 1859 (1885 dans d’autres pays) le diapason normalisé, c’est-à-dire la hauteur absolue, on lui appliqua indifféremment la nomenclature en usage sans rien conserver pour la distinguer de la hauteur relative, et les malentendus sur ce point n’ont cessé depuis lors de se multiplier et de s’aggraver. Quoi qu’il en soit, la solmisation alors disparut d’elle-même, cédant la place au solfège, avec sa nomenclature unique entraînant une redéfinition des altérations, qui devinrent des adjectifs qualifiant l’» état « des notes « naturelles « en s’appliquant indifféremment à n’importe laquelle des « notes « du clavier. Toutefois, les problèmes non résolus des rapports entre hauteur absolue et hauteur relative n’ont cessé de tourmenter les théoriciens les plus clairvoyants, et ont entraîné les résurgences de solmisation qui vont être à présent examinées. 2. Intervention, dans certaines pédagogies, de principes de hauteur relative empruntés à l’ancienne solmisation, mais adaptés au solfège moderne, pour remédier à ses déficiences en ce domaine. Ayant renoncé en effet au principe de la double nomenclature ( ! SOLMISATION) et ayant attribué à sa nomenclature unique la valeur de hauteur absolue introduite au milieu du XIXe siècle par les mesures de normalisation du diapason, il ne possède plus le moyen de différencier celle-ci de la hauteur relative, qui ne connaît que des successions d’intervalles, sans intervention de hauteur absolue. Les solmisations modernes ont pris le parti d’appliquer la nomenclature par lettres à la hauteur absolue et d’adapter à celle-ci un système de syllabes mobiles inspiré de l’ancienne solmisation pour la hauteur relative, en l’adaptant toutefois au système en cours. Ces principes, toutefois, sont restés limités à l’usage scolaire et n’ont pas modifié la pratique professionnelle.

Les deux principaux systèmes de solmisation relative sont le tonic sol-fa, proposé en Angleterre par John Curwen en 1840, et le système Kodály généralisé en Hongrie depuis plusieurs décennies. Ils sont basés sur l’analyse tonale et leur valeur formatrice s’est révélée très supérieure à celle du système en usage en France, mais ils n’ont pas su encore surmonter toutes leurs difficultés d’adaptation, et leur internationalisation se heurte à de difficiles problèmes. SOLOMON (Cutner), pianiste anglais (Londres 1902 - id. 1988). Enfant prodige, il reçoit ses premières leçons d’une élève de Clara Schumann, Mathilde Verne, et joue à huit ans au Queen’s Hall de Londres le premier Concerto de Tchaïkovski. Interrompant une précoce et brillante carrière, il vient à Paris étudier, cinq ans durant, avec Lazare-Lévy et Marcel Dupré, et ne réapparaît qu’après avoir mûri son art. Sa réputation s’étend en Europe (sauf en France) et aux États-Unis, où il crée le Concerto pour piano d’Arthur Bliss (New York, 1939). Pendant la Seconde Guerre mondiale, il soutient par de nombreux concerts le moral des troupes alliées. Fervent de musique de chambre, il joue en duo avec Gregor Piatigorski et forme un trio avec Zino Francescatti et Pierre Fournier (Édimbourg, 1955). Mozart, Beethoven, Chopin, Brahms et Debussy sont ses auteurs de prédilection. La maladie interrompt en 1956 la carrière de ce pianiste étrangement méconnu en France, s’effaçant derrière la musique à force de dépouilllement et de transparence. SOLOMON (Maynard), directeur de firme discographique et musicologue américain (New York 1930). Cofondateur et copropriétaire de la Vanguard Recording Society, Inc. (19501986), qui « lança » Alfred Deller, il a enseigné à la City University of New York (1979-1981). Comme musicologue, il s’est surtout consacré à Beethoven, publiant notamment Beethoven (1977, trad. fr. 1987), Beethoven Essays (1988), ainsi que, dans Beethoven Studies 3 (1982), le journal tenu par le compositeur de 1812 à 1818 (Beethoven’s Tagebuch 1812-1818). Non sans solides arguments, il a tenté de

démontrer que l’Immortelle Bien-Aimée était Antonie Brentano. Il a également publié Marxism and Art (1973), Myth, Creativity and Psychoanalysis (1978) et Mozart : A Life (1995). SOLTI (sir Georg), chef d’orchestre anglais d’origine hongroise (Budapest 1912). Élève à l’académie Franz-Liszt de Budapest (Dohnanyi, Bartók, Kodály), il a fait ses débuts à l’Opéra de Budapest en 1938 dans les Noces de Figaro, après avoir assisté Toscanini au festival de Salzbourg (1936-37). Réfugié en Suisse en 1939, il y remporte le concours de piano de Genève (1942). De 1946 à 1952, il fut directeur musical de l’Opéra d’État de Bavière, où il fit des débuts éclatants dans Fidelio, tout en enregistrant ses premiers disques, comme pianiste en duo avec George Kulenkampff (l’intégrale des sonates pour violon et piano de Beethoven), et comme chef d’orchestre, à la tête de l’Orchestre de la Tonhalle de Zurich et de l’Orchestre philharmonique de Londres. Directeur musical et artistique de l’Opéra de Francfort et des Concerts du Museum de 1952 à 1962, il fit parallèlement ses débuts aux festivals d’Édimbourg (en 1952, avec l’Opéra de Hambourg) et de Glyndebourne (1954), aux États-Unis (en 1953, à San Francisco) et au Covent Garden (en 1959, pour le Chevalier à la rose). Il fut premier chef de l’Opéra de Chicago (1956-57) et surtout, de 1961 à 1970, directeur musical du Covent Garden, dont il devait faire une des premières scènes mondiales, en favorisant l’école de chant anglaise au sein de nouvelles productions : Moïse et Aaron de Schönberg (première anglaise), la Femme sans ombre (première sur cette scène), le Ring de Wagner, Billy Budd et A Midsummer’s Night Dream de Britten, Iphigénie en Tauride, Otello, Falstaff, etc. Formé à la discipline du théâtre, Solti ne s’est consacré véritablement à l’orchestre symphonique qu’à partir de 1969, comme successeur de Fritz Reiner à la tête de l’Orchestre symphonique de Chicago. En 1971, à l’issue de la première tournée européenne de cette phalange, il accepte la direction musicale de l’Orchestre de Paris (1972-1975), puis le poste de conseiller musical de l’Opéra de Paris (1973). Il est

également depuis 1979 directeur artistique de l’Orchestre philharmonique de Londres. Il a quitté l’orchestre de Chicago en 1991 et assuré de 1990 à 1993, comme successeur de Karajan, la direction artistique du festival de Pâques à Salzbourg. La renommée de Solti est indissociable des enregistrements (plus de 200) qu’il a réalisés à la tête de ses différents orchestres : la première intégrale du Ring de Wagner (1958-1966), Salomé, Arabella, le Chevalier à la rose et Elektra de Richard Strauss, l’intégrale des symphonies de Mahler et de Beethoven, etc. Peu versé dans la musique contemporaine (il a pourtant créé en 1972 à Chicago Heliogabalus Imperator de Henze), Solti excelle dans les grandes fresques postromantiques, où sa prédilection pour les grands contrastes dynamiques, la précision rythmique et la volupté sonore peut se donner libre cours. downloadModeText.vue.download 945 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 939 SOMERS (Harry), compositeur canadien (Toronto 1925). Il a fait ses études au conservatoire de Toronto, puis à San Francisco et à Paris (avec Darius Milhaud). Brillant représentant de l’école de Toronto, il se réclame généralement de l’exemple de Weinzweig, mais ses intérêts vont du grégorien à Debussy et au monde sonore électronique. Ses premières oeuvres (du quatuor à cordes no 1 de 1943 à la 3e sonate de piano et à la symphonie de 1951) sont d’un néoclassique passant avec aisance de l’atonalité à une syntaxe traditionnelle. Il devait ensuite évoluer vers la recherche d’un nouveau matériau sonore, principalement à la suite d’un stage au Studio de musique électronique de Toronto (1963). Mais son opéra Louis Riel (1967), l’un des très grands succès de la Canadian Opera Company, utilise le langage musical indien et cite des mélodies recueillies par Marius Barbeau. On lui doit notamment, pour orchestre, Symphonie no 1 (1951), Passacaille et Fugue (1954), 2 concertos pour piano (1947 et 1956), Symphonie pour vents et percussions (1961), et Picasso Suite (1964) ; de la musique vocale et de la musique de chambre dont trois

quatuors à cordes (1943, 1950 et 1959) et cinq sonates pour piano (1945, 1946, 1950, 1950 et 1957) ; et, pour la scène, l’opéra de chambre The Fool (1953, créé à Toronto en 1956), les ballets The Fisherman and his Soul (1956), Ballad (1958) et The House of Atreus (1964), l’opéra Louis Riel (1967) et la pièce de théâtre musical Improvisation (1968). SOMFAI (Laszlo), musicologue hongrois (Jaszladany 1934). Il a étudié à l’Académie de Budapest avec D. Bartha et B. Szabolcsi, obtenant sa maîtrise en 1959 avec une dissertation sur les quatuors de Haydn. Entré aux archives Bartók en 1963, il en est devenu directeur en 1972, et enseigne depuis 1969 la musicologie à l’Académie F.-Liszt de Budapest. Il a surtout travaillé sur Haydn et Bartók, publiant notamment Haydn als Opernkapellmeister (Budapest, 1960, avec D. Bartha), le premier ouvrage iconographique scientifique sur Haydn (Joseph Haydn : sein Leben in zeitgenössischen Bildern, Budapest et Kassel, 1966) et un livre en hongrois sur les sonates de Haydn (1979, trad. anglaise The Keyboard Sonatas of Joseph Haydn, Chicago et Londres, 1995). SOMIS (Giovanni Battista), violoniste et compositeur piémontais (Turin 1686 - id. 1763). Il fut pendant quatre ans l’élève de Corelli, à Rome, avant de regagner sa ville natale où, maître de musique de la cour, il forma à son tour de nombreux disciples. Son frère Lorenzo (Turin 1688 - id. 1775) fut également violoniste de la cour et séjourna à Paris. SOMMIER. Pièce de bois massif renforcé qui reçoit les chevilles des cordes d’un piano ou d’un clavecin. À l’orgue, le sommier est une grande caisse de bois alimentée en air comprimé, sur laquelle repose une partie ou la totalité de la tuyauterie correspondant à chaque clavier et au pédalier. L’intérieur du sommier comporte, au-dessus d’un réservoir commun, des divisions transversales correspondant à chaque note, obturées par des soupapes, et des divisions longitudinales correspondant à chaque série de tuyaux ou jeu, commandées par des re-

gistres. La technique de traction pneumatique, puis surtout l’électrique, ont modifié l’organisation intérieure des sommiers, qui reste néanmoins toujours soumise à ces principes. SON. Les sons, dont l’agencement particulier dans le temps constitue l’art musical, n’existent pas en tant que tels ; ils sont dus à des vibrations de l’air, animé de surpressions et de dépressions, vibrations que l’oreille recueille et transforme en influx nerveux ; celui-ci est transmis au cerveau, où naît la sensation auditive que nous appelons son. L’air est mis en mouvement par divers procédés - percussion, mouvement matériel (sirène, fronde), vibration d’un muscle (voix) ou d’un corps physique (instruments à tuyaux et à vent), frottement d’une corde. Pour que l’oreille puisse traiter ce phénomène physique, et le cerveau le transformer en sensation sonore, il faut qu’il réponde à certaines conditions. Son intensité (ou niveau sonore) doit être approximativement comprise, aux fréquences moyennes, entre 30 décibels (seuil d’audibilité, en dessous duquel l’oreille ne réagit pas) et 130 décibels (seuil de la douleur, au-dessus duquel il y a détérioration de l’oreille interne). Quant à sa hauteur (définie en physique par la fréquence), elle doit être comprise, pour un individu jeune et en bonne santé, entre 20 hertz (ou vibrations par seconde) et 20 000 hertz. En dessous, on parle d’infrasons ; au-dessus, ce sont les ultrasons, auxquels sont sensibles de nombreux animaux. Physiquement, le son est un phénomène périodique dont l’étude ressortit à la mécanique ondulatoire. Il peut être sinusoïdal - c’est le cas le plus simple, celui auquel on ramène schématiquement les phénomènes complexes pour pouvoir les étudier ; son privé de timbre, comme celui émis par les générateurs électroniques, il n’intéresse guère les musiciens. Ceuxci préfèrent les sons timbrés des voix et des instruments, aux possibilités expressives plus riches. Le son se présente alors comme un phénomène périodique non sinusoïdal, mais formé de la somme de signaux sinusoïdaux élémentaires ayant chacun avec le son fondamental ou résul-

tant des relations de niveau, de fréquence et de phase plus ou moins simples : ce sont les harmoniques ou les partiels. Peuvent s’y ajouter des sons complexes et aléatoires, les transitoires, correspondant aux bruits d’attaque du son et pour partie responsables de l’identification du timbre. SONATA DA CAMERA, SONATA DA CHIESA (ital. : « sonate de chambre, sonate d’église »). Ce sont deux sortes de musique instrumentale composées aux XVIIe et XVIIIe siècles pour un ou deux instruments mélodiques, en général accompagnés par la basse continue. Dans le cas de la sonata da chiesa, l’orgue peut avantageusement remplacer le clavecin pour le continuo. La sonata da camera commence le plus souvent par un prélude suivi d’une série de mouvements de danses (allemandecourante-sarabande-gigue-gavotte, etc.). En revanche, la sonata da chiesa adopte un ton plus sérieux. Ses mouvements (trois ou, surtout, quatre) portent des titres indiquant le tempo et le caractère de chaque pièce : par exemple, lento (grave)-allegro (souvent de style fugué)-adagio-allegro. Arcangelo Corelli a laissé de célèbres exemples des deux genres avec les Sonate da camera a tre (1685 et 1694) pour deux violons et violone ou clavecin et les deux recueils de sonates d’église à trois (1681 à 1689) pour deux violons et violone ou archiluth et orgue. Parfois, Corelli remplace le prélude ou premier mouvement de la sonata da camera par un adagio. Ainsi, après 1700, les deux genres commencent à se mélanger. La sonata da chiesa prendra le titre de sonata tout court tandis que la sonata da camera se confond avec la suite et les formes analogues. En France, une flûte traversière peut alterner avec le violon. Une réunion particulièrement heureuse des deux styles évolués est atteinte par F. Couperin dans les sonates intitulées les Nations (1726). SONATE (forme). Ce principe structurel domina la musique occidentale en gros de 1750 à 1950, ou de la première école de Vienne (Haydn, Mozart, Beethoven) à la seconde (Schönberg, Berg, Webern). Théoriquement, il s’applique non à une oeuvre entière, mais

à un mouvement isolé, ce dernier pouvant évidemment faire partie d’une oeuvre en plusieurs mouvements. En réalité, il est possible et fréquent, à partir de la maturité de Haydn et Mozart, de retrouver le principe de la forme sonate à l’échelle d’une oeuvre en plusieurs mouvements. Dans une symphonie de Haydn par exemple, le finale joue souvent un rôle de résolution analogue à celui d’une réexposition downloadModeText.vue.download 946 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 940 dans une forme sonate. À noter enfin que la forme sonate vaut pour tous les genres instrumentaux pratiqués à partir de 1750 (pas seulement la sonate, mais aussi la symphonie, le concerto, le quatuor à cordes, etc.), et même, dans certains cas, pour les genres vocaux. De la forme sonate, on ne trouve pas chez Haydn, Mozart et Beethoven, ses premiers grands représentants, deux exemples identiques. Elle n’eut rien de schématique, et ses « règles » furent bien moins nombreuses qu’on ne le croit. Le terme lui-même ne devait d’ailleurs voir le jour que bien après la mort des trois classiques viennois. Czerny prétendit avoir été le premier, vers 1840, à en donner une définition. À partir de Czerny, la forme sonate fut le plus souvent définie comme une structure mélodique en trois parties : exposition, avec premier thème ou premier groupe de thèmes à la tonique, et second thème ou second groupe de thèmes à la dominante ; puis (après reprise de l’exposition) développement, avec fragmentation et combinaison des thèmes dans diverses tonalités ; enfin réexposition (éventuellement suivie d’une coda), avec les deux thèmes ou les deux groupes de thèmes à la tonique. Ce schéma, confirmé par beaucoup de mouvements du XVIIIe siècle mais contredit par d’autres, a comme inconvénients principaux moins son anachronisme (c’est le XVIIIe siècle revu par le XIXe) et son caractère approximatif que son caractère de recette (pour des plats au demeurant devenus impossibles à préparer) et sa tendance à faire passer les pages de Haydn,

Mozart et Beethoven ne s’y conformant pas comme autant de violations (mises au compte de leur génie, bien sûr) de règles qui en réalité n’avaient jamais existé. D’où peu à peu l’apparition d’une autre définition de la forme sonate, admettant quant à elle la priorité de la structure tonale sur la structure mélodique, et distinguant non plus trois parties mais essentiellement deux : début à la tonique et passage à la dominante, puis passage à d’autres tonalités et retour à la tonique. Son inconvénient, outre de faire comme si les thèmes n’avaient aucune importance, est d’être davantage une description qu’une définition, de s’appliquer à trop de musiques écrites entre 1700 et 1950, et de ne faire aucune distinction entre Haydn, Mozart et Beethoven d’une part, leurs contemporains de seconde zone d’autre part, bref de se borner à des points de grammaire sans rendre compte de l’esprit de la forme, de sa signification en tant que produit de la fin du XVIIIe siècle, ni au sein de chaque oeuvre des rapports entre structure et matériau. Les éléments constitutifs de la forme sonate apparurent parallèlement en une constante interaction dont peut aider à saisir le mécanisme une bonne compréhension de la portée exacte de la tonalité et de la modulation classiques. En musique tonale, et particulièrement depuis Haydn et Mozart, la tonalité principale d’un morceau ou d’une oeuvre joue, par rapport aux autres tonalités dans lesquelles s’aventure ce morceau ou cette oeuvre, le même rôle que, dans une tonalité donnée, l’accord parfait (consonant) par rapport aux autres accords, plus ou moins dissonants : un rôle de résolution de tension. Revenir à la tonique ou s’en rapprocher est en soi réducteur de tension : le retour de cette tonique à la fin d’une oeuvre classique correspond à une exigence fondamentale de l’époque. Quitter la tonique (la tonalité principale) ou s’en éloigner est en soi générateur de tension : plus la modulation est articulée dramatiquement, plus la nouvelle tonalité est éloignée de la principale, et plus la tension créée sera forte. Corollaire : plus une tonalité est éloignée de la principale, plus il lui sera difficile d’établir un nouvel équilibre, de se fixer et de se transformer en tonique provisoire. D’où, chez Haydn et Mozart, le rôle

essentiel de la dominante, de toutes les tonalités génératrices de tension la plus aisée à établir, parce que la plus proche de la principale. D’où aussi, chez Beethoven et ses successeurs, créateurs de structures aptes à supporter en leurs points d’articulation de plus fortes tensions, la fréquente attribution à des tonalités plus éloignées du rôle précédemment dévolu à la dominante. La sonate Waldstein de Beethoven est en ut majeur : de son premier mouvement, la seconde partie de l’exposition ne se fixe pas à la dominante sol majeur, mais à la médiante mi majeur, utilisée comme substitut de dominante. Le phénomène du passage à la dominante (ou au relatif majeur pour un morceau en mineur), en soi antérieur à l’époque de Haydn et Mozart, devint avec eux irrésistible. Cela dit, en tant que tels, les phénomènes du passage à la dominante et du retour à la tonique furent moins chez eux des éléments de forme que de simples points de grammaire, des conditions d’intelligibilité. Essentielle fut leur façon de mettre en oeuvre des démarches qui, pour les auditeurs du temps, allaient de soi. Au début du XVIIIe siècle, on n’était pas censé les souligner ; eux les mirent en évidence. Au début du siècle, en particulier dans les danses, on trouvait fréquemment la progression schématique suivante : énoncé d’un matériau avec progression de la tonique à la dominante, puis énoncé du même matériau ou d’un matériau très semblable avec progression de la dominante à la tonique. D’où une double symétrie binaire, A-B/A-B au point de vue mélodique, et A-B/B-A au point de vue tonal, avec impression d’ensemble binaire et déroulement assez continu, la plus forte réaffirmation de la tonique n’intervenant pas lors de sa réapparition en cours de morceau, mais étant réservée pour la fin. La révolution menée à terme par Haydn et Mozart, et qui donna naissance à la forme sonate, consista à articuler dramatiquement aussi bien le passage à la dominante que le retour de la tonique, en d’autres termes à transformer, nettement quoique provisoirement, la dominante en nouvelle tonique, et à réaffirmer avec force la tonique dès les deux tiers d’un morceau, parfois même dès sa moitié, au plus tard à ses trois quarts. Ces deux dramatisations, la seconde surtout, expliquent l’impression tripartite, et non plus bipartite, lais-

sée par la plupart des morceaux de la fin du XVIIIe siècle, les trois parties se définissant non par leur longueur, pas forcément la même, mais par l’articulation, en définitive par leur fonction. Ces dramatisations, auxquelles d’autres vinrent s’ajouter, furent le moteur principal de la forme sonate classique, fondée sur la relation dialectique tension-détente, avec entre autres caractères essentiels une stabilité des extrêmes, de la fin plus encore que du début, et une tension maximale vers le centre. Les préclassiques, le jeune Haydn et le jeune Mozart s’en tinrent souvent, pour leurs premiers mouvements et surtout leurs derniers mouvements de symphonies, à la double symétrie binaire définie ci-dessus. Mais au fur et à mesure que se développa en musique instrumentale le sens du drame, une seconde partie purement symétrique devint de moins en moins acceptable, et on put observer en son début une tendance à l’accroissement de la tension harmonique et expressive par le biais notamment de modulations dans diverses tonalités. À une tension accrue vers le centre (développement) devait fatalement correspondre une résolution (réexposition) plus marquée : d’où la mise en valeur du retour de la tonique et d’une section conclusive la quittant très peu, avec comme résultat une structure tripartite obtenue en quelque sorte par fission du second volet de l’ancienne structure bipartite. Tous les ouvrages de Haydn, Mozart et Beethoven sont dialectiquement écartelés entre le drame et la symétrie (terme non synonyme de répétition textuelle), mais cette contradiction sans cesse apparente, chacun de leurs chefs-d’oeuvre la résolut à sa manière. Le nombre de « thèmes » d’un mouvement de « forme sonate » n’était par exemple en rien fixé. D’une exposition, on se bornait à exiger qu’elle posât un premier conflit en affirmant la tonique, puis la dominante (ou un substitut de dominante). Rien ne l’empêchait d’affirmer en passant d’autres tonalités à rôle structurel moins fondamental. Le côté dramadownloadModeText.vue.download 947 sur 1085

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tique de l’établissement de la dominante pouvait être renforcé par l’apparition simultanée d’un nouveau thème (démarche fréquente chez Mozart et la plupart de ses contemporains), mais aussi bien par la répétition à la dominante du thème initial (solution fréquente chez Haydn). Beethoven et Haydn (symphonies no 92, dite Oxford, ou 99) combinèrent volontiers les deux méthodes, en répétant d’abord le thème initial à la dominante, avec quelques changements, par exemple dans l’orchestration, pour bien montrer que sa fonction dans l’architecture globale n’était plus la même, et en n’introduisant qu’ensuite un nouveau thème, à fonction plutôt conclusive. Présenter deux fois la même idée sous des angles différents est aussi dramatique, sinon plus, qu’en énoncer deux. Le critique du Mercure de France, après avoir entendu les symphonies parisiennes, fit remarquer d’un ton admiratif qu’alors que tant de compositeurs avaient besoin de plusieurs thèmes pour construire un mouvement, un seul suffisait à Haydn. Quand il y avait deux thèmes ou plus, ils n’étaient pas nécessairement contrastés. C’est souvent le cas chez Mozart et encore plus chez Beethoven, mais du premier mouvement de la symphonie militaire de Haydn, les deux thèmes ont le même caractère : les sections à la tonique et à la dominante sont articulées surtout par l’orchestration. De toute façon, c’est par la transformation des thèmes, obtenue parfois par le simple fait de les placer dans un contexte différent, et non par leurs contrastes, que Haydn, Mozart et Beethoven nous surprennent le plus. On dit souvent d’une oeuvre de la seconde moitié du XVIIIe siècle qu’elle est d’autant plus progressiste que sa section centrale (développement), située en principe entre les accords semi-conclusifs de dominante (fin de l’exposition) et le retour de la tonique et du thème du début (commencement de la réexposition), est plus nette et plus vaste. Il est vrai que chez Haydn, Mozart et Beethoven, cette section manque rarement, et qu’en particulier chez Beethoven, ses dimensions peuvent être considérables. Il est vrai également qu’en général la tension y culmine, rendant ainsi nécessaire et désirable la résolution amorcée par le retour de la tonique. Cela dit, ni la grande étendue ni

même l’existence d’un « développement » ne sont indispensables à la forme sonate. Aussi bien dans l’ouverture des Noces de Figaro de Mozart que dans le premier mouvement de la symphonie Oxford de Haydn, le retour de la tonique (réexposition) intervient alors que le morceau n’en est pas encore à sa moitié. C’est dû chez Mozart à l’absence de développement (après l’exposition, quelques mesures de transition conduisent directement à la réexposition) ; chez Haydn, aux dimensions exceptionnelles de la réexposition, en outre suivie d’une coda. On ne saurait dire pour autant que le morceau de Mozart, qui voulut sans doute préfigurer la rapidité d’action de la pièce de Beaumarchais dont était tiré son livret, est moins « avancé » que celui de Haydn : les deux le sont autant. Chez Haydn, Mozart et Beethoven, exposition, développement, réexposition et coda ne sont en rien des compartiments étanches. Les définir par leur position dans un mouvement est commode, mais ne correspond qu’à une partie de la réalité. Ce sont les fonctions d’exposition, de développement et de réexposition qui importent, et, chez les trois maîtres classiques, on les trouve en général réparties, inégalement il est vrai, sur tout un mouvement ou presque. Haydn et Beethoven en particulier commencent souvent à « développer » leurs thèmes ou motifs dès l’exposition. L’arrivée d’un nouveau thème dans le développement, comme souvent chez Mozart, comme chez Haydn dans la symphonie les Adieux ou chez Beethoven dans l’Héroïque, provoque certes un dépaysement : a-t-elle aussi une fonction d’exposition ? Dans l’Héroïque de Beethoven, la coda faisant suite à la réexposition n’est pas un ajout gratuit. Le résidu de tension qu’elle sert à résoudre provient de la nature du développement proprement dit, si vaste et si dramatique qu’il écrase quelque peu la réexposition, plus courte et incapable de l’équilibrer à elle seule : une coda se révèle donc indispensable. De même, sans le tribut au langage de l’époque que sont les quelque cinquante mesures martelant l’accord parfait d’ut majeur à la fin de la 5e symphonie de Beethoven, l’énorme tension accumulée au cours de cette oeuvre gigantesque n’aurait pu être résolue.

L’articulation et la périodicité à tous les niveaux entraînèrent dans les oeuvres classiques une grande diversité rythmique et un besoin accru de symétrie, d’équilibre. De ce besoin, les réexpositions de forme sonate sont une manifestation à grande échelle, mais celles de Haydn en particulier rappellent que symétrie et répétition textuelle ne sont pas synonymes. Ces réexpositions sont écartelées entre leur fonction de résolution et la nécessité de maintenir la musique en mouvement jusqu’au bout. Elles prennent ainsi en compte la temporalité de l’art musical en général et le dynamisme de celui de la fin du XVIIIe siècle en particulier. D’où, en leur sein, de nouvelles surprises. Les retours d’événements déjà vécus y sont non de simples redites, mais des réinterprétations. On dit d’une réexposition qu’elle est d’autant plus régulière qu’elle se modèle plus étroitement sur l’exposition. Les réexpositions de Haydn sont souvent très irrégulières, mais la raison principale n’en est pas un simple souci de variété. Chez Haydn, les expositions sont déjà tellement dramatiques, surtout quand y domine un seul court motif (symphonie no 88), qu’une réexposition textuelle à la tonique serait un pur non-sens, voire une stricte impossibilité. Tous les épisodes qui, dans les expositions ou les développements de Haydn, apparaissent dans une tonalité autre que la principale n’en ont pas moins leur contrepartie dans la réexposition : ils y sont en général récrits, réinterprétés, arrangés dans un autre ordre, mais toujours résolus. Mozart, avec ses expositions plus volontiers polythématiques et faites de longues mélodies, peut se permettre des réexpositions plus textuelles mais elles réinterprètent autant que celles de Haydn. Dans la sonate pour piano en sol majeur K. 283 de Mozart, on trouve dans l’exposition (mesure 17) et la réexposition (mesure 84) une phrase identique, mais qui donne une impression de passage à la dominante dans un cas, d’affirmation de la tonique dans l’autre. Cette différence, moyen de clarification de la forme, est due à ce qui dans chaque cas précède la phrase en question. On a là un exemple, inconcevable sous cet aspect aux époques précédentes, de la mise en relation des parties et du tout

dans le style classique viennois. En même temps, l’exemple de la sonate de Mozart montre que dans ce style les parties sont préformées par le tout, parfois de manière indélébile. Ainsi que l’a noté Tovey, en tombant en cours de déroulement sur un mouvement inconnu de Haydn, Mozart et Beethoven, un auditeur peut se rendre compte si ce mouvement en est vers son début, son milieu ou sa fin, ce qui est beaucoup plus difficile avec Bach. Inversement, la forme concrète n’est pas imposée de l’extérieur, mais déterminée par le matériau, propulsée par lui de l’intérieur. Les idées initiales de Haydn et Beethoven, souvent concises et en soi chargées d’énergie, donnent alors immédiatement une impression de conflit dont le déroulement et la résolution ne seront autres que l’oeuvre elle-même : ce fut leur plus grande contribution à l’histoire de la musique. Le quatuor à cordes op. 50 no 1 de Haydn débute calmement sur un multiple énoncé, au violoncelle, de la note de tonique : le passage à la dominante se fait attendre, et les conflits les plus violents n’interviennent que dans le développement. Son quatuor op. 50 no 6 (la Grenouille) s’ouvre au contraire sur un mi isolé d’autant mieux mis en valeur que son registre est aigu, et dont le caractère dissonant (c’est la dominante de la dominante) apparaît au bout de trois mesures, quand on réalise enfin que la tonalité principale est ré majeur. Cet élément de conflit posé downloadModeText.vue.download 948 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 942 immédiatement, Haydn l’exploite à fond dès l’exposition, une de ses plus violentes. La forme sonate du classicisme viennois fut une manière d’écrire, en définitive un mode de pensée défini par Charles Rosen comme « la résolution symétrique de forces opposées ». Il ajoute : « Si cette définition semble aussi large que la forme artistique elle-même, c’est que le style classique est devenu pour une bonne part le modèle d’après lequel nous jugeons toute autre musique - d’où son nom. Cela dit, si dans le baroque il y a aussi résolution, elle est rarement symétrique, et les forces opposées, qu’elles soient rythmiques, dynamiques ou tonales, y sont bien moins

nettement définies. Dans la musique de la génération de 1830 (Schumann), la symétrie est moins marquée, et parfois même esquivée (sauf dans les genres/formes académiques comme la sonate romantique), et le refus d’une résolution complète fait souvent partie de l’effet poétique. » Ce mode de pensée produisit une grande variété de « formes », il pénétra aussi bien le rondo que la forme lied, chez Mozart les grands finales d’opéra, et surtout chez Beethoven la fugue et la variation. Socialement, il avait, du moins en partie, trouvé son origine dans l’apparition d’un public plus nombreux et avide de divertissement. L’apparition de ce public avait été une des causes du caractère superficiel de bien des musiques immédiatement postérieures à Bach. « Les compositeurs durent se faire les agents du marché, dont les désirs pénétrèrent leurs oeuvres jusqu’au plus profond d’elles-mêmes » (Adorno). Mais, ajoute Adorno, « il n’est pas moins vrai qu’en vertu justement de cette interpénétration, le besoin de divertissement se transforma en besoin de variété au sein de l’objet composé, de la composition elle-même, ceci par opposition au déroulement unitaire et relativement continu du baroque. Or ce souci d’alternance au sein d’un même morceau devint le fondement de la relation dynamique entre unité et diversité qui n’est autre que la loi du classicisme viennois. Cette relation dynamique fut pour l’acte compositionnel un progrès immanent qui, après deux générations (avec la maturité de Haydn et Mozart), compensa les pertes qu’au début le changement de style (consécutif à la mort de Bach) avait entraînées ». Ce mode de pensée eut comme contradiction interne celle existant entre un dynamisme global se projetant de l’avant et tendant vers le développement perpétuel, et le retour, à un moment donné, du début (réexposition), ou encore celle résultant de la présence d’une identité statique dans une forme en devenir. De cette contradiction, indispensable vers 1780-1815 à la vérité artistique, mais que le XIXe siècle, en raison notamment de l’évolution de la tonalité, devait ressentir avec de plus en plus de gêne, et ce jusqu’aux liquidations schönbergiennes, on trouve un indice dans le soin que prit si souvent Joseph Haydn d’introduire, dans l’entourage im-

médiat de ses réexpositions, une modification aussi minime soit-elle par rapport au début, mettant ainsi une fois de plus identité et changement en relation dialectique. Beethoven, en particulier dans ses symphonies, alla dans cette direction aussi loin qu’il était possible sans détruire le langage. Le premier mouvement de sa 9e symphonie s’ouvre pianissimo avec quelques instruments, sa réexposition est martelée fortissimo par tout l’orchestre. Identité et changement ne font plus qu’un, leur proclamation simultanée ayant été rendue possible par une démarche préalable aboutissant à faire de la réexposition un phénomène non seulement attendu, mais hautement désiré, et du retour du point de départ le résultat inéluctable d’un processus déclenché par ce point de départ luimême. Le « faux départ » du cor, quatre mesures avant la réexposition du premier mouvement de l’Héroïque, n’est autre que la sédimentation dans l’oeuvre elle-même du résultat de cette démarche et de son idéologie sous-jacente. Adorno voit d’une part en Beethoven « le prototype musical de la bourgeoisie révolutionnaire (et) d’une musique ayant échappé à la servitude », et d’autre part « dans la gestique affirmative de la réexposition (de ses) plus grands mouvements symphoniques un répressif et autoritaire C’est ainsi ». Il met en outre en parallèle l’identité du statique et du dynamique que proclament ces réexpositions, et notamment leurs débuts, avec « la situation historique d’une classe (la bourgeoisie) en train de dissoudre l’ordre statique sans pour autant, de peur de se dissoudre elle-même, s’abandonner à sa dynamique propre ». Le parallèle est intéressant, et historiquement convaincant, surtout si l’on songe aux avatars de la forme sonate au XIXe siècle. Elle avait été un organisme vivant, elle tendit à devenir un exercice d’école. Ou alors, ses contours s’estompèrent. Il y eut bien sûr des démarches héroïques, tendant comme celle de Bruckner à la mener plus avant, ou comme celle de Schubert à la repenser dans ses rapports avec le déroulement du temps, ou encore, comme celle de Liszt (sonate en si mineur), à lui tourner le dos, du moins en apparence. Il reste que dans les premières années du XXe siècle, les jeux étaient faits. Les grands inventeurs de formes participèrent dorénavant à la liquidation de la « sonate », même et surtout quand ils réussirent à en magnifier

l’esprit. Significatif est le cas de l’extraordinaire 6e symphonie en la mineur de Mahler (1904), à la fois apothéose de la « forme sonate » dans tout ce qu’elle avait alors de normatif, et gigantesque mise au tombeau, par son message, de cette forme et de ce qui l’avait accompagnée. SONATE (genre). Le terme de sonate a une longue histoire. Sa première utilisation pour désigner une pièce de musique instrumentale (sonate étant dans cette acception très générale entendu par opposition à cantate = pièce vocale) remonte au XIIIe siècle : dans le texte sacré Vida de Santa Douce on parle de « Mens que sonavan la rediera sonada de matinas ». Au cours du XVIe siècle, il est réservé exclusivement aux pièces pour luth. Du XIIIe siècle à nos jours, il fait partie de la terminologie musicale la plus répandue, mais désigne des formes musicales assez différentes par leurs structures, leurs particularités stylistiques ou leur inscription dans la vie musicale. LA SONATE BAROQUE (env. 1585-1750). Le terme « sonata » (ou « suonate », « sonnada ») désigne à cette époque une pièce instrumentale et s’avère particulièrement fréquent dans les tablatures de luth (espagnoles ou italiennes). Le terme « sonata » (de « sonare », jouer, sonner/klingen, tönen) s’oppose aux termes « canzona » et « cantata » (de « cantare », chanter/singen), sans que les principes compositionnels soient différents : les tablatures de luth d’O. Petrucci (1509) sont à la fois « per cantar e sonar ». Les sonates sont à l’origine des versions instrumentales de pièces vocales : au XVIe siècle, les termes « canzona » et « sonata » recouvrent la même forme musicale, qu’on peut jouer ou chanter ; en 1572, N. Vicentino parle de « canzon da sonar », c’est-à-dire de chanson qui suppose une exécution instrumentale. L’appartenance de la sonate à la musique purement instrumentale est un phénomène relativement tardif. Les « sonates » orchestrales avec un ou plusieurs choeurs chez G. Gabrieli, ses Sacrae simphoniae ou ses Canzoni e sonate à 3, 5, 6, 7, 8, 10, 12, 14, 15 et 22 voix constituent des genres spécifiques particulièrement importants pour l’école vénitienne de la fin du XVIe siècle.

Au cours de la première moitié du XVIIe siècle, la « canzona » instrumentale, plutôt rapide et avec traits polyphoniques, fait partie, comme deuxième mouvement, de la sonata da chiesa du cycle. Au début du XVIIe siècle, la théorie musicale établit une distinction entre canzone et sonates selon la formation (vocale ou instrumentale) et les traits stylistiques - mouvement rapide et joyeux pour les canzone, caractère solennel et somptueux pour les sonates (M. Praetorius, Syntagmatis Musici [1615, 1618-19]). Mais dans la pratique musicale jusqu’aux années 1750, les termes de sonata, concerto et sinfonia sont souvent confondus, et utilisés au même titre pour downloadModeText.vue.download 949 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 943 désigner des oeuvres instrumentales assez différentes par leurs traits stylistiques et leurs particularités formelles. Ces problèmes ne sont pas à l’époque objet de réflexion théorique. Le Dictionnaire de S. de Brossard de 1701 donne une définition de la sonate relativement proche de la pratique de l’époque classique : l’auteur souligne l’importance de l’invention émotive, harmonique, rythmique et contrapuntique, sans que le compositeur soit « assujetti aux règles générales du contrepoint « ; la sonate est destinée à une formation instrumentale comportant de une à huit voix ; la formation très répandue est celle d’un (ou deux) violon(s) avec basse continue. Le même auteur distingue aussi la sonata da camera, constituée d’une introduction lente et d’une série de danses, de la sonata da chiesa, qui comporte des mouvements lents et des mouvements rapides, souvent contrapuntiques. Au cours du XVIIIe siècle, le terme sonate perpétue la tradition de la sonata da chiesa (cf. les Sonates de Bach), tandis que la tradition de la sonata da camera, qui relève davantage de la musique de cour, se poursuit avec les dénominations suite, partita, ouverture à la française ou ordre (cf. les Partitas ou les Suites de Bach, par exemple). Les formations instrumentales de la sonate à l’époque baroque sont fort diverses.

Le baroque du début du XVIIe siècle se spécialise dans la sonate pour instrument seul avec basse continue et dans la sonate pour ensemble de cordes avec basse continue (cf. les Sonates de A. Corelli, P. Locatelli, J. Schenk, D. Buxtehude). Les sonates pour instrument seul sans basse continue (à l’exception des sonates assez nombreuses pour luth) sont relativement rares (cf. les Sonates pour orgue d’A. Banchieri, pour violon solo de H. Biber, pour clavecin de G. Del Buono). La sonate en trio, très répandue à l’époque, fait appel à un ensemble instrumental assez flexible qui dépend directement des possibilités concrètes du jeu. Elle est en principe pour 2 instruments « mélodiques » (2 violons, ou violon et flûte, par exemple), un instrument chargé de la basse continue (clavecin, par exemple), et un instrument à cordes grave (viole, violoncelle) chargé de renforcer cette basse continue, ce qui, paradoxalement, donne un total non pas de trois, comme le terme « en trio » semblerait l’indiquer, mais de quatre instruments. Cette flexibilité se retrouve dans des formations plus grandes, comportant des cordes, des vents, des théorbes, des luths, des guitares et orgue (ou clavecin). La tradition vocale des sonates de l’école vénitienne se perpétue dans la musique de M. Neri, F. Cavalli, G. Legrenzi. La sonate baroque est caractérisée par la présence obligatoire de la basse continue, et est faite de motifs relativement courts et souvent répétés, sur une pulsation rythmique et harmonique rapide et continue, ayant recours à des procédés polyphoniques relativement simples. Domine la sonate à plusieurs mouvements (cf. les Sonates d’A. Corelli, F. M. Veracini, J. S. Bach, G. Tartini, J.-M. Leclair). Les mouvements sont contrastés par leur mètre (mouvement ternaire-mouvement binaire), leur style d’écriture (texture polyphonique-texture homophone), leur tempo (lent-rapide). La tendance générale est celle d’une réduction du nombre des mouvements (de 4 à 5 au début de l’époque baroque vers 3 à 4 au XVIIIe siècle). La structure formelle du cycle est très souvent modelée sur celle de la sonata da chiesa, ce qui donne une succession de quatre mouvements : lent-rapide-lent-rapide (cette succession est typique des sonates en trio d’A. Corelli) : le premier mouvement est d’habitude un allegro de rythme binaire, le deuxième une forme bipartite avec

une texture polyphonique relativement simple, le troisième une sarabande solennelle, et le quatrième une gigue ternaire rapide, sans que les dénominations de ces danses deviennent celles des divers mouvements (ce qui au contraire fait loi dans les suites et les sonates « da camera »). La structure en trois mouvements (rapide-lent-rapide, ou bien lent-rapide-rapide) est fréquente chez G. Tartini, C. W. Gluck, ou G. P. Telemann. La cohérence du cycle provient entre autres de son unité tonale. Les débuts des mouvements peuvent en outre être fondés sur des formules mélodiques et métrorythmiques similaires (cf. les Sonates d’A. Corelli) ; les mouvements peuvent avoir le même schéma formel et le même fondement harmonique. La structure la plus fréquente est la forme bipartite asymétrique, liée à l’origine aux danses de la suite (allemande, courante, sarabande, gigue, etc.). Les titres ou programmes verbaux à contenu sémantique sont rares dans la sonate baroque (les Histoires bibliques de J. Kuhnau ou les Apothéoses de F. Couperin forment autant d’exceptions). La sonate baroque fut un genre dominant au début du XVIIe siècle, d’abord en Italie du Nord, puis en Autriche, en Allemagne, en Angleterre et en France. Presque tous les compositeurs de l’époque baroque, à l’exception de C. Monteverdi, G. Frescobaldi, H. Schütz ou J.-B. Lully, qui néanmoins comptent parmi les plus connus, ont écrit des sonates pour diverses formations instrumentales. On en trouve de nombreuses chez G. Gabrieli, G. B. Fontana, B. Marini, M. Neri, G. Legrenzi, A. Stradella, G. B. Vitali, G. Torelli, A. Corelli, G. B. Bassani, T. Albinoni, A. Vivaldi, B. Marcello, F. Veracini, G. Tartini, P. Locatelli, F. Geminiani, F. Durante, G. B. Martini, G. Pergolesi, mais aussi de J. A. Reinken, D. Buxtehude, H. Biber, G. Muffat, J. Pachelbel, J. J. Fux, J. Kuhnau, G. P. Telemann, J. Mattheson, J. S. Bach, G. F. Haendel, H. Purcell, Ch. W. Gluck, F. Couperin, J.-M. Leclair, etc. Elles permettent de suivre de près les transformations de l’écriture musicale et de la pensée formelle qui devaient mener au classicisme. LA SONATE CLASSIQUE

(env. 1735-1820). La définition de la sonate classique comme forme musicale dotée de particularités thématiques harmoniques et formelles spécifiques ne devait intervenir que très tard, au cours des années 1840-1850, en plein romantisme. Les théoriciens de l’époque classique se bornèrent à souligner la variété expressive de la sonate en fonction des milieux et des sociétés (J.-J. Rousseau, J. G. Sulzer), à noter l’importance des relations tonales à distance (J. G. Portmann), et à insister sur les similitudes de caractère entre la sonate, l’ouverture et la symphonie (H. C. Koch), sans négliger pour autant leurs différences. Pour Koch, la symphonie, en tant que sonate pour orchestre, d’une part dispose d’un thématisme plus vaste et plus complexe que la sonate instrumentale, et, d’autre part, comporte davantage de relations thématiques à distance et davantage de continuité dans son déroulement global (Versuch einer Einleitung zur Komposition, 1782-1793). [ ! SONATE (FORME).] Les critiques violentes lancées contre la profusion de la sonate (cf. l’Encyclopédie) posèrent en fait le problème de la place de la musique purement instrumentale par rapport à la musique vocale. Alors que la sonate baroque avait été étroitement liée à l’évolution des instruments à cordes, l’histoire de la sonate classique fut largement celle des instruments à clavier : à partir des années 1760 (rappelons que le piano-forte de B. Cristofori date de 1709), un très grand nombre de sonates sont écrites exclusivement pour ce nouvel instrument. Le passage du clavecin au piano-forte coïncida largement, au XVIIIe siècle, avec le passage de la sonate baroque ou préclassique à la sonate classique. Les indications données dans les partitions des années 1750, « pour clavecin ou piano » (« cembalo o pfte »), se transforment en « pour piano ou clavecin » (« pfte o cembalo ») dans les partitions de sonates des années 1770. Vers la fin du XVIIIe siècle le clavecin disparut des partitions en tant que substitut possible du piano, ce qui ne manqua pas de se traduire sur le plan de l’écriture et de la pratique compositionnelle. La sonate pour instrument solo (cordes ou vents) avec piano se répandit, elle aussi, largement à la même époque, avec cette

différence par rapport à l’époque baroque que l’instrument à clavier, émancipé de son rôle de basse continue, devint le plus downloadModeText.vue.download 950 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 944 important des deux, puisqu’on eut affaire à deux véritables solistes. Les premiers exemples en ce sens, compte non tenu de pages telles que les Pièces en concert de Rameau (1743), datent des années 1760 (cf. les sonates de P. Giardini, D. Pellegrini, L. Boccherini). À citer également les sonates pour piano à quatre mains de J. C. Bach et Mozart, ou pour deux instruments de Pleyel (deux violons), Haydn (violon et alto) ou Mozart (basson et violoncelle). Dans la tradition des ensembles baroques variables, la sonate « accompagnée » pour piano, très répandue au XVIIe siècle, ajoutait parfois à la partie de piano une partie d’instrument ad libitum (violon, violoncelle ou instrument à vent) relativement facile à jouer. Cette pratique d’exécution et d’édition répondait aux besoins d’une vie musicale assez active, à laquelle participaient volontiers des musiciens non professionnels. Jusque vers 1770, Haydn appela divertimentos ce que nous considérons actuellement comme des sonates pour clavier. De même, il appela jusqu’en 1795 « sonates pour piano-forte avec accompagnement de violon et de violoncelle » ce que nous considérons actuellement comme des trios. De même, la Sonate op. 47 (pour R. Kreutzer, 1805) de Beethoven porta encore la dénomination « Sonata per il pianoforte e un violino obbligato ». La Sonata per il clavicembalo o forte-piano con violino e violoncello (K 502, 1786) de Mozart est en fait un trio avec partie soliste pour les trois instruments. La sonate du début du classicisme comportait le plus souvent trois mouvements : rapide-lent-rapide. Cette structure est la plus fréquente chez Haydn et Mozart, et reste dominante chez Beethoven. Dans ces sonates à trois mouvements, l’ordre et la nature des mouvements peut varier. Chez Mozart, l’ordre vif-lent-vif domine nettement. Il y a davantage de variété

chez Haydn : vif-lent-vif, mais aussi vifmenuet-vif, vif-lent-menuet, lent-menuet-vif, lent-vif-menuet. La succession « italienne » en deux mouvements (deux mouvements rapides ou bien rapidemodéré), fréquente dans les sonates des compositeurs italiens (D. Alberti, L. Boccherini), se retrouve chez Haydn et Beethoven. Ce dernier transposa également dans plusieurs de ses sonates la structure « symphonique » en quatre mouvements (vif-lent-menuet [ou scherzo]-vif). Ses successeurs (Schubert, Schumann, Weber, Brahms) devaient le suivre largement sur ce point. On retrouve également cette structure chez Jan Ladislas Dusík, moins chez Muzio Clementi ou Johann Nepomuk Hummel. Comme Hummel dans sa sonate en fa mineur op. 20, Beethoven utilisa comme finale de sonate la forme fuguée (cf. Hammerklavier) Tous les compositeurs de l’époque classique - en Italie, en Allemagne, en Autriche, en Espagne, en France ou en Angleterre - ont écrit des sonates pour diverses formations. Parmi les plus connus : D. Scarlatti, G. B. Sammartini, D. Alberti, P. Nardini, G. Sarti, G. Pugnani, L. Boccherini, J. Nyslivecek, G. C. Wagenseil, L. Mozart, J. Stamitz, C. Stamitz, A. Filtz, I. Pleyel, F. X. Richter, W. F. Bach, C. P. E. Bach, J. C. Bach, C. G. Neefe, P. Gaviniès, G. B. Viotti, M. Clementi, E.-N. Méhul, J. Haydn, W. A. Mozart et L. van Beethoven. LA SONATE ROMANTIQUE APRÈS SCHUBERT. Après Schubert, la sonate pour piano est un genre qui inspire de moins en moins de grands cycles de vingt ou de trente oeuvres, et qui, plus encore que la symphonie, se fait rare, est pratiqué au coup par coup, les compositeurs produisant rarement plus de deux ou trois sonates, et faisant de chacune un cas particulier. Il est vrai qu’en même temps se développent de nouvelles formes pianistiques, qui ont en commun de privilégier la formule du recueil, de l’album - qu’il soit simple juxtaposition, comme avec les nombreux cycles d’études, de fantaisies, de romances sans paroles, de nocturnes, etc., ou bien au contraire savante mosaïque conçue comme un tout (Carnaval de Schumann, ou Préludes de Chopin). Face à ces formes fluides et variées, la sonate, avec ses trois

ou quatre mouvements dont on respecte généralement le moule, fait figure de genre figé et sérieux. Comme la symphonie, elle aura tendance à évoluer, dans les mains de certains, vers la conception cyclique, où l’on recherche une unité thématique entre les différents mouvements. Parmi les sonates pour piano du XIXe siècle, citons les trois sonates de Chopin (ut mineur, 1828 ; si bémol mineur, 1839, avec la Marche funèbre ; si mineur, 1844), plutôt rhapsodiques d’esprit, et guère animées par des préoccupations d’unité thématique ; les trois sonates op. 1, op. 2, et op. 5 de Brahms, à tendance cyclique ; les trois sonates de Schumann (op. 11 en fa dièse mineur, 1835, soustitrée Florestan et Eusebius ; op. 14 en fa, 1836, sous-titrée Concert sans orchestre, et d’esprit cyclique ; op. 22 en sol mineur, 1835-1838, auxquelles il faut ajouter trois sonatines). Plus tardivement, mais dans cette même lignée, la sonate op. 7 pour piano de Grieg. Mais le chef-d’oeuvre de la sonate romantique est une pièce qui ne répond en rien au modèle formel de la sonate classique, et qui renouvelle complètement le genre : il s’agit de la grande sonate en si mineur de Franz Liszt (1853), oeuvre cyclique d’une seule coulée, malgré ses moments contrastés, et apogée d’une certaine dramaturgie de la forme en constante réinvention, que l’on trouve déjà en germe chez Beethoven. Le travail architectural passionné qui y est à l’oeuvre témoigne bien que le moule formel traditionnel en quatre mouvements, s’il convient encore très bien à la symphonie (laquelle a toutes les ressources de l’orchestre, et l’ampleur de sa forme pour se renouveler), paraît désormais un peu caduc, poussif, et manquant de souplesse, pour le genre de la sonate pour piano seul. Quel que soit l’intérêt des sonates de Chopin et de Schumann, on y sent fréquemment une certaine raideur, dont Liszt s’est libéré par un total bouleversement du genre. En revanche, la sonate pour piano et violon, genre plus léger, voire mondain, puisqu’il offre des possibilités concertantes et se prête à une rhétorique de dialogue entre les deux instruments, se continue avec aisance chez Schumann (deux sonates), Brahms (trois sonates op. 78 en ré mineur, op. 100 en la majeur, op. 108

en sol majeur), Grieg (trois sonates op. 8, op. 13, op. 45), Dvořák, etc. Le genre voisin de la sonate pour violoncelle et piano est illustré par Brahms (op. 38 et op. 99), Schumann (une sonate), Chopin, Grieg, etc. On citera aussi les deux sonates pour clarinette et piano de Brahms, les six sonates pour orgue de Mendelssohn, et les douze sonates pour violon et guitare de Paganini (lequel appelle également « sonates » certaines de ses oeuvres pour violon et orchestre). LA SONATE MODERNE ET CONTEMPORAINE. Dans l’évolution plus récente du genre, on peut distinguer deux facettes, qui ont différemment évolué : soit la sonate en tant que forme définie par ses trois ou quatre mouvements et par son plan proche de celui de la symphonie ; soit la sonate comme genre consistant à mettre en valeur, à faire sonner un instrument généralement accompagné par le piano et faisant la démonstration de ses possibilités (sonates pour violon, violoncelle, mais aussi pour instruments à vent, ces dernières se développant au XXe siècle particulièrement). Sonate pour piano seul. L’évolution de la sonate pour piano vers une conception plus sérieuse, construite et méditée (par opposition à la littérature pianistique « pittoresque » ou « impressionniste » se développant parallèlement), se confirme à la fin du XIXe siècle et au XXe siècle. Les sonates pour piano isolées et denses d’Alban Berg (op. 1, 1907-1908), de Béla Bartók (1926), de Paul Dukas (1900), dont Debussy salua l’« émotion hermétique », de Georges Auric (op. 32), considérée par certains comme son chef-d’oeuvre, et, bien plus tard, la grande sonate d’Henri Dutilleux (1949), sont des pièces très construites et volontaristes, où l’auteur a downloadModeText.vue.download 951 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 945 mis la part la plus sérieuse et la plus essentielle de son inspiration. En revanche, ces deux compositeurs-pianistes que sont Scriabine, avec ses dix sonates, et Prokofiev, avec ses onze sonates (dont l’admirable Septième) - les deux dernières ayant été laissées inachevées en 1953 -, sont

presque les seuls, dans l’époque moderne, à se lancer dans de grands cycles. On citera aussi les deux sonates de Stravinski, dont celle pour piano seul (1924), explicitement inspirée par le travail architectural des sonates de Beethoven, mais aussi la Sonate pour deux pianos, 1943-44 les deux sonates de Rachmaninov, les deux de Chostakovitch, et la Sonata canonica écrite par Luigi Dallapiccola. Quand l’ambition se fait plus modeste, on parle de sonatine, comme chez Maurice Ravel, Maurice Emmanuel, ou encore Sibelius. Quant aux trois sonates de Pierre Boulez, elles sont des étapes dans un processus de prise en compte, puis de destruction du moule traditionnel. La deuxième, écrite en 1950, aux dires de son auteur, est conçue comme une dissolution systématique des formes classiques attachées à chaque mouvement de la sonate classique (forme sonate du premier mouvement, mouvement lent, forme scherzo, forme canonique et fuguée pour le dernier mouvement), et Boulez signale cette oeuvre comme la dernière où il fait référence aux modèles traditionnels. La troisième sonate, sous-titrée Formants, reconstruit sur cette destruction le projet d’une oeuvre à multiples parcours, dont l’auteur s’est expliqué dans son article Aléa (on peut en jouer les segments dans différents ordres). Quant à la Sonate pour deux pianos et percussion de Bartók, elle mérite ce titre par la tension formelle qui parcourt ses trois mouvements ; car il est courant que la sonate moderne se limite à trois mouvements, et non à quatre, pour obtenir un effet de concentration de pensée accrue. Sonate pour piano et violon. On connaît les sonates françaises de Saint-Saëns (op. 75 et op. 102), de Fauré, de D’Indy, de Roussel, de Dukas, mais la plus célèbre et la plus « pensée », échappant au bavardage concertant, est la grande sonate cyclique en la majeur de César Franck (1886), où le travail d’engendrement des thèmes et d’évolution de la forme à partir de cellules d’intervalles génératrices est poussé extrêmement loin. Chez Franck, la préoccupation formelle prime sur toute autre. D’autres sonates sont plutôt l’occasion de confronter ces deux entités, le violon et le piano, dans leur différence, qu’on met en évidence au lieu de la réduire : ainsi dans la sonate de

Ravel (où l’auteur a voulu accuser l’incompatibilité des instruments) et peutêtre dans les deux de Bartók (1921-22), remarquables en ce que les deux instruments n’y mettent pas en commun leurs motifs, et ont chacun des thèmes propres. On citera encore les deux sonates de Prokofiev (1938-1946 et 1944) - la seconde étant une transcription de sa sonate pour piano et flûte -, les deux d’Arthur Honegger, les trois de Darius Milhaud, les sept de Max Reger, les cinq de Martinºu, sans oublier celles de Gabriel Pierné, Leoš Janáček, William Walton, Delius, etc. Quant à la sonate pour violon et piano de Debussy (1915-1917), elle ne peut être citée qu’en la rattachant à ce cycle de six sonates que l’auteur voulait réaliser, et qu’interrompit sa mort : il n’en écrivit que trois, les deux autres étant la sonate pour piano et violoncelle, et la sonate pour flûte, alto et harpe : il est clair qu’il s’agit ici non de ressusciter ou de régénérer une forme, mais surtout de faire sonner des instruments solistes, dans un esprit de vagabondage formel et de légèreté. Sonate pour violon seul. Glorieusement illustré par Jean Sébastien Bach, ce genre sévère a connu une certaine renaissance au XXe siècle avec les oeuvres de Béla Bartók (1945), Prokofiev, Hindemith, Max Reger, Honegger, Migot, etc. Formules diverses. Le violoncelle a été associé au piano dans la sonate déjà citée de Claude Debussy, mais aussi par Vincent d’Indy, Georges Migot, Hindemith, Prokofiev, Britten, Martinºu, et utilisé en solo dans les sonates de Kodály et Sauguet. La sonate pour flûte, comme les autres genres de sonates pour instruments à vent, est généralement traitée comme un genre aimable et rêveur avec les sonates et sonatines pour flûte et piano de Prokofiev, Poulenc, Dutilleux, Sauguet, Ibert, et même la Sonatine de Pierre Boulez. Aujourd’hui, la sonate en tant que forme est, à quelques exceptions près, plutôt délaissée : si des oeuvres d’avantgarde en prennent le titre (Sonate baroque, d’Alain Savouret, pour bande magnétique, et Sonata pian’e forte, de Gilbert Amy), c’est à un degré second, comme référence de genre et de forme complètement transposée et repensée.

SONATINE. Diminutif de sonate, ce terme déjà employé auparavant s’est imposé vers le début du XIXe siècle pour désigner des oeuvres de même forme et de même caractère que la sonate, mais en général plus courtes et plus faciles. Les deux sonates pour piano op. 49 de Beethoven ont une allure de sonatine, même si elles n’en portent pas le nom. Clementi, Kuhnau ou Diabelli écrivirent alors des sonatines, d’un intérêt musical parfois secondaire, et largement utilisées pour l’apprentissage du piano. Le terme a survécu jusqu’au XXe siècle (6 sonatines pour piano de Busoni, 3 sonatines pour piano op. 67 de Sibelius). SONTAG ou SONNTAG (Henriette), soprano allemande (Coblence 1806 Mexico 1854). Fille d’acteurs, elle étudia au conservatoire de Prague et chanta à Vienne à partir de 1822. Weber l’entendit l’année suivante et lui offrit le rôle-titre à la création d’Euryanthe. Ses succès dans les rôles de bel canto (Mozart, Rossini et Bellini) l’amenèrent à Londres et à Paris où sa voix pure et brillante, à laquelle venait s’ajouter un charme musical particulier, lui assura vite la suprématie sur ses rivales illustres. Elle renonça à cette carrière exceptionnelle, âgée à peine de vingt-cinq ans, pour épouser le comte Rossi. Mais la ruine de celuici, après les événements de 1848, motiva la rentrée de la Sontag, en pleine possession de moyens qui lui permirent de triompher dans le monde entier au cours des quinze années qui suivirent. Elle devait mourir du choléra au cours d’une tournée. SOPRANISTE. Chanteur doté d’une voix de soprano. Au temps des castrats, plusieurs de ceuxci (non pas tous) étaient sopranistes, mais cette voix peut également exister chez des chanteurs de sexualité normale. Elle n’en est pas moins exceptionnelle. SOPRANO. Mot italien (pl. soprani, parfois francisé sopranos, ou même entièrement francisé en soprane), ayant supplanté au XVIIe siècle l’ancien terme latin superius ou ses équi-

valents tels que discantus, treble, etc., mais ayant pris, outre le sens harmonique de ces derniers, un second sens affecté à la classification vocale des chanteurs. Le soprano s’écrivait autrefois en clef d’ut1 ; cette clef est sortie de l’usage dans la première moitié du XIXe siècle au bénéfice de la clef de sol2 ; celle-ci est aujourd’hui seule employée, sauf dans les traités d’harmonie qui, près de deux cents ans plus tard, commencent seulement à s’apercevoir du changement. 1. Au sens harmonique, le soprano, comme l’ancien superius, est la partie supérieure de la polyphonie. Théoriquement, le soprano des exercices d’harmonie est censé coïncider avec la voix de ce nom. En fait, et malgré l’habitude de déclarations liminaires de pure forme, on y prête le plus souvent fort peu d’attention. 2. Tessiture la plus élevée des voix féminines ou assimilées (jeunes garçons, castrats, etc.). Dans un choeur, les sopranos sont normalement au-dessus des altos, mais ils peuvent se subdiviser ; en ce cas, le nom de soprano reste à la partie supérieure, et la deuxième partie est dite de mezzo-soprano (ou mezzo tout court). On dit parfois aussi premier et deuxième soprano. En tant que voix soliste, on distingue, du plus aigu au plus grave : soprano downloadModeText.vue.download 952 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 946 léger ou coloratura (francisé parfois en colorature), apte aux notes suraiguës des vocalises de virtuosité (rôle type : Reine de la Nuit) ; soprano lyrique, sans suraigu, mais de timbre plus homogène (type Pamina) ; soprano dramatique, plus timbré vers le grave et parfois confondu avec le mezzo (type Ortrude dans Lohengrin). Diverses chanteuses ont également donné leur nom à des types vocaux spéciaux ( ! FALCON, DUGAZON, etc.). SOPRONI (Jǒzsef), compositeur hongrois (Sopron 1930). Il commence ses études musicales dans sa ville natale, puis devient l’élève de János Viski à l’académie F.-Liszt de Budapest (1949-1956). Depuis 1963, il enseigne le

contrepoint et le solfège en cette même académie. En tant que compositeur, il se réfugie fréquemment dans des partitions denses, courtes, au contrepoint aussi ingénieux que complexe. Une telle démarche esthétique s’oppose violemment à l’école de F. Szabo et de Farkas. Elle est pourtant d’une réelle rectitude. Après avoir tenté de retrouver la veine sensible de Bartók (Concerto pour cordes, 1953 ; Quatuors, 1958-1960 ; 4 Bagatelles pour piano, 1957), Soproni a réussi à affirmer son goût pour un pointillisme linéaire, générateur de contrastes dynamiques peu courants, dans des partitions telles que Eklypsis pour orchestre (1969), ses 3e et 4e Quatuors (1965, 1973) ou sa Sonate pour flûte et piano (1971), hommage conscient à Pierre Boulez. SOR (ou SORS Y SORS [Fernando]), guitariste espagnol (Barcelone 1778 - Paris 1839). Il est sans doute le plus célèbre guitariste de l’histoire. Entré à l’âge de sept ans au monastère de Montserrat, il y étudie le violon, le violoncelle et l’orgue avant de se consacrer exclusivement à la guitare et à la composition. Très vite célèbre et applaudi dans toutes les capitales, il sillonne longtemps l’Europe entière puis se fixe à Paris où le monde musical le surnomme le « Paganini de la guitare ». Ami de Méhul et de Cherubini, il subit surtout l’influence de Mozart et de Haydn. Son oeuvre, sans être d’un intérêt comparable, constitue cependant une part essentielle de la littérature de l’instrument, à la fois par ses dimensions (soixante-sept numéros d’opus pour la guitare) et par le fait qu’on y décèle les premières tentatives réussies d’une écriture à plusieurs voix, ainsi qu’une approche de la grande forme (sonates, thèmes et variations, etc.) jusqu’alors réservée aux autres instruments. Outre son oeuvre pour guitare, la production de Sor compte plusieurs opéras, de la musique de chambre, trois symphonies, des pièces pour piano et de nombreuses autres partitions. SOUBASSE. Jeu d’orgue de la famille des jeux de fond, c’est un bourdon sonnant à l’octave grave de la tessiture normale (16 pieds), ou même parfois à la double octave (32 pieds).

Il apparaît principalement au pédalier et au clavier de grand orgue, où il sert de basse dans l’accompagnement ou dans les tutti. SOUFFLERIE. Ce sont les divers organes qui procurent aux tuyaux d’un orgue leur alimentation en air sous une pression stable et contrôlée. Un ventilateur électrique a remplacé les anciens soufflets actionnés à la main ou au pied. L’air ainsi débité est emmagasiné dans de grands réservoirs primaires qui en régularisent la pression, puis dirigé vers les différents sommiers par l’intermédiaire de porte-vent. Des réservoirs anti-secousses et des régulateurs assurent constamment à chaque tuyau la pression convenable, et mettent le jeu de l’exécutant à l’abri des à-coups qui altéreraient la hauteur, l’intensité et le timbre des sons. SOUFFLET. Organe essentiel de l’alimentation en air sous pression des instruments à clavier utilisant des tuyaux ou des anches : orgue, harmonium, accordéon, etc. Le même terme désigne également le signe crescendo immédiatement suivi du signe decrescendo. SOUPIR. Silence dont la durée correspond à celle d’une noire. SOURDINE. Accessoire destiné en principe à atténuer le son d’un instrument, mais dont l’effet essentiel est d’en modifier le timbre. Dans le cas particulier du piano, il ne faut pas confondre les étouffoirs qui retombent sur la corde sitôt la touche lâchée, sauf si la pédale droite est enfoncée comme le veut Beethoven dans l’adagio « senza sordini » de la Sonate au clair de lune, et la barre garnie de feutre qui s’applique sur l’ensemble des cordes, sous l’action de la pédale gauche dite « douce », dans la plupart des pianos anciens et des pianos droits. (Dans les pianos modernes, la pédale douce déplace légèrement le mécanisme vers la droite, en sorte que les marteaux ne frappent qu’une corde sur

deux ou deux sur trois, sans que le timbre de l’instrument en soit changé.) En ce qui concerne les instruments à cordes frottées de la famille du violon, la sourdine est une sorte de peigne placé sur le chevalet, ou une petite masse métallique en contact avec lui, qui en limite les vibrations. Pour les cuivres, enfin, la sourdine est un cône introduit dans le pavillon, de forme et de matière très variables selon l’effet à obtenir. Le jazz, en particulier, use largement de la « trompette bouchée » et du trombone muni de la sourdine « ouahouah ». SOURIS (André), compositeur belge (Marchienne-au-Pont 1899 - Paris 1970). Il fit ses études de violon et de composition au conservatoire de Bruxelles (19111918), avec Paul Gilson. Il étudia plus tard la direction d’orchestre avec Hermann Scherchen (1935). D’abord influencé par l’impressionnisme français, il participa activement au mouvement surréaliste et rechercha en musique l’équivalence de la peinture dans ses premiers essais (Quelques airs de Clarisse Juranville ou Comptines pour enfants sinistres). Successivement professeur au conservatoire de Charleroi, chef d’orchestre à l’Institut national de radiodiffusion, directeur du Studio musical de radiodiffusion, directeur du Studio musical du Séminaire des arts, professeur au conservatoire de Bruxelles, président de la section belge de la Société internationale de musique contemporaine, il a été un animateur efficace de la vie musicale de son pays, ouvert à toutes les nouveautés et militant intrépide en faveur de la plus extrême avant-garde. Sa participation au mouvement surréaliste, aux côtés de Magritte, Nougé et Scutenaire, lui avait gardé une indépendance d’esprit et une disponibilité dont son activité de chef et de musicologue a largement profité : c’est ainsi qu’au cours des dix dernières années de sa vie il avait entrepris un vaste travail de transcription et d’édition de tablatures de luth des XVIe et XVIIe siècles, après avoir dirigé des fanfares d’amateurs, fondé la revue Polyphonie et révélé en Belgique la première oeuvre de Boulez (1947). Son oeuvre de compositeur a probablement souffert d’une telle dispersion et d’une lucidité critique qui le tint à l’écart des recettes académiques et avant-gardistes. Sa connaissance approfondie des tech-

niques, de l’histoire et de l’esthétique l’a toujours conduit à utiliser les timbres et les rythmes avec une sûreté et un goût infaillibles. Humaniste et homme d’une grande culture, il a également publié des poèmes et différents essais sans jamais dissocier l’esprit créateur de la réflexion critique. SOUSA (John Philip), compositeur et chef de musique américain (Washington 1854 - Reading, Pennsylvanie, 1932). Engagé dans la marine américaine dès l’âge de treize ans, il y poursuit des études musicales commencées avec John Esputa, et conduit bientôt des petits ensembles de danse et de variétés. En 1880, nommé chef de musique de la Marine nationale, downloadModeText.vue.download 953 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 947 il transforme l’ensemble médiocre qu’il avait alors sous ses ordres en une phalange de premier plan. Il l’abandonnera en 1892 pour constituer son propre orchestre d’harmonie, qu’il conduira pendant près de quarante ans, et avec lequel il fera d’innombrables tournées tant en Amérique que dans le monde entier. Il est l’auteur de cent quarante marches, quatorze opérettes (The Smugglers, Désirée, The Queen of Hearts, El Capitán, The Bride Elect, The Charlatan, etc.), de poèmes symphoniques (The Chariot-Race), de plusieurs suites d’orchestre (The Last Days of Pompeii, Three Quotations, Sheridan Ride), de danses et de mélodies. On lui doit également des méthodes de violon, de trompette et de timbales ainsi qu’un recueil d’airs patriotiques et typiques de toutes les régions d’Amérique. SOUS-DOMINANTE. 1. Nom donné par Rameau en 1726 au 4e degré de la gamme, quarte juste de la tonique (ou plus exactement sa quinte inférieure), lorsqu’il a une fonction harmonique, et dans ce cas seulement. 2. Accord ayant ce degré pour fondamentale. 3. Dans un rapport de tonalités, tonalité ayant pour tonique la sous-dominante du

ton précédent ou celle du ton principal. SOUS-TONIQUE. Septième degré de la gamme, précédant la tonique, celle-ci étant numérotée VIII comme degré mélodique, mais I comme degré harmonique. Le nom est justifié quel que soit l’intervalle formé entre la sous-tonique et la tonique, mais on l’emploie presque exclusivement lorsque cet intervalle est plus grand qu’un demi-ton, préférant dans le cas contraire employer le terme sensible, auquel « sous-tonique » tend alors à s’opposer. SOUSTROT (Marc), chef d’orchestre français (Lyon 1949). Il étudie d’abord au conservatoire de sa ville natale, puis au Conservatoire de Paris (trombone, musique de chambre, analyse et direction). 1er Prix du Concours international de la Rupert Fondation de Londres en 1974, puis au Concours international de Besançon en 1975, il est nommé la même année chef assistant du London Symphony Orchestra. En 1976, il succède à J.-C. Casadesus comme chef adjoint de l’Orchestre philharmonique des Pays de la Loire, dont il devient directeur musical en 1978. La le au de

même année, il commence à diriger répertoire lyrique, à l’Opéra de Paris, Grand Théâtre de Genève, au Festival Bregenz, etc. De 1986 à 1990, il dirige

l’Opéra de Nantes. En 1995, il est nommé directeur général de la musique à Bonn. SOUZAY (Gérard), baryton français (Angers 1918). Élève de Lotte Lehmann et de Vanni-Marcoux, il a fait essentiellement une carrière de récitaliste. Il a triomphé dans le monde entier comme interprète de la mélodie française et du lied allemand, sans négliger pour autant la musique baroque qu’il a contribué à ressusciter. Au théâtre, il a surtout chanté le rôle de Don Juan et celui de Golaud (Pelléas et Mélisande), où son art raffiné apparaissait fort bien employé. Sa musicalité exceptionnelle, son sens du phrasé, son articulation exemplaire en firent un des meilleurs chanteurs français de l’après-guerre. SPECTRALE (musique).

Mouvement musical apparu, notamment en France, vers la fin des années 1970. Les compositeurs qui revendiquent, avec plus ou moins de fermeté, l’appartenance à ce courant (Dufourt, Radulescu, Levinas, Murail, Grisey, mais aussi les Roumains Nemescu et Dumitrescu, ainsi que leurs héritiers, Benjamin en Angleterre, Saariaho en Finlande) prennent la structure acoustique du son comme modèle pour l’élaboration d’une syntaxe sonore renouvelée. Considérant le son comme un univers, ils préfèrent travailler « dans le son » plutôt qu’« avec des sons » et ne se limitent pas à considérer le timbre comme l’une des dimensions majeures, voire déterminantes, du sonore, mais essaient au contraire de s’inspirer de la structure du spectre pour le choix des hauteurs, la définition de la facture et de la forme musicale (conçue d’ailleurs, le plus souvent, comme un processus). Les tenants du spectralisme admettent en général, comme précurseurs, des compositeurs tels que Ligeti, Scelsi ou Stockhausen (Stimmung). Le mouvement spectral représente un retour à la pensée verticale et totalisante en musique, après l’hégémonie de la pensée polyphonique et analytique instaurée par le dodécaphonisme et le sérialisme. SPERGER (Johann Matthias), contrebassiste et compositeur allemand (Valtice, Bohême, 1750 - Ludwigslust 1812). Il fut au service du cardinal von Batthyani à Presbourg (1777-1783) puis de la famille Erdödy (1783-1786), et enfin, de 1789 à sa mort, du duc de Mecklemburg à Ludwigslust. Considéré en son temps comme le plus grand virtuose de la contrebasse, il composa également beaucoup pour son instrument, qu’il traita en soliste dans plusieurs de ses symphonies. SPICCATO. Variante du coup d’archet sautillé, dans laquelle l’archet est soulevé après chaque note. SPITTA (Philipp), musicologue allemand (Wechold, près de Hoya, 1841 - Berlin 1894). Il étudia la théologie et la philologie classique à Göttingen. Devenu professeur de

lycée, il s’intéressa de plus en plus à l’histoire de la musique, en particulier à Bach, et, en 1873, publia le premier volume de sa grande étude sur ce compositeur. Cette parution fit date, et, en 1875, Spitta fut nommé professeur d’histoire de la musique à l’université de Berlin et directeur de l’École supérieure de musique de cette ville, postes qu’il devait conserver jusqu’à sa mort. Comme biographe, il avait le sens de l’histoire et du contexte historique, et comme pédagogue, il forma Oskar Fleischer, Max Friedländler et Max Seiffert. En 1885, il fonda avec Friedrich Chrysander et Guido Adler le Vierteljahrsschrift für Musikwissenschaft, un des premiers périodiques scientifiques consacrés à la musique. Outre son ouvrage sur Bach (Johann Sebastian Bach, Leipzig, 1873-1880), il a publié notammment des Musikgeschichtliche Aufsätze (Berlin, 1894), et édité des oeuvres de Buxtehude, Schütz et Frédéric II de Prusse. SPIVAKOV (Vladimir), violoniste russe (Oufa 1944). Il étudie d’abord au Conservatoire de Leningrad, puis à celui de Moscou, où il entre à l’âge de treize ans et travaille avec Jankélévitch. Lauréat des Concours LongThibaud en 1965, de Montréal en 1968, Paganini en 1969 et Tchaïkovski en 1970, il commence à se produire en Occident en 1975. En 1979, il fonde un orchestre de chambre, les Virtuoses de Moscou, dont il est à la fois le chef et le violon solo. À la tête de cet ensemble, il fait de nombreuses tournées dans le monde, se produisant dans un répertoire très vaste, allant de Bach à Chostakovitch. En 1990, il s’installe avec cet orchestre à Oviedo (Espagne) et enseigne au Conservatoire de Madrid. Il est depuis 1989 directeur artistique du Festival de Colmar. SPOHR (Louis), compositeur, chef d’orchestre et violoniste allemand (Brunswick 1784 - Cassel 1859). Il entra dès 1779 dans la chapelle de la cour de Brunswick. Après de premières tournées de concerts, il dirigea la chapelle de la cour de Gotha (1805-1812), puis fut nommé en 1813 chef d’orchestre au Théâtre an der Wien à Vienne, où il composa son premier succès dramatique, Faust (Prague, 1816). Il était alors considéré comme le premier violoniste downloadModeText.vue.download 954 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 948 allemand et avait déjà accompli avec sa femme, célèbre harpiste, de nombreuses tournées. De sa renommée témoigne, entre autres, le concerto pour violon op. 47, dit in modo di scena cantante (1816). Directeur de l’Opéra de Francfort de 1817 à 1819, il devint, en 1822, sur la recommandation de Weber, maître de chapelle à la cour de Cassel, où il devait finir ses jours. Sous sa direction, la vie musicale prit à Cassel un grand essor, en particulier dans le domaine de l’opéra. Il y créa son second succès dramatique, Jessonda (1823), et y donna le Vaisseau fantôme de Wagner en 1843, puis Tannhäuser en 1853. À l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de son arrivée, il fut fait Generalmusikdirektor. Mais ses relations avec la cour se tendirent, et c’est contre son gré qu’il fut mis à la retraite en 1857. Ses dernières années furent, en outre, assombries par une fracture du bras gauche qui lui interdit de jouer du violon. Compositeur très fécond, il écrivit notamment 10 symphonies (de 1811 à 1857), 17 concertos pour violon et 4 pour clarinette, un célèbre quadruple concerto pour quatuor à cordes et orchestre, une très grande quantité de musique de chambre, dont plusieurs pièces faisant appel à la harpe, près de 100 lieder, des oratorios et 10 opéras. Ces ouvrages font de lui un des principaux représentants du romantisme allemand dans l’esprit de Mendelssohn. D’où, à la fois, le très grand succès qu’il rencontra de son vivant, en particulier en Angleterre (où il eut même une renommée posthume appréciable), et l’oubli presque total dans lequel il tomba par la suite. Vers 1830-1840, on vit parfois en lui l’héritier le plus authentique de Haydn, Mozart et Beethoven. Il effectua dans le domaine du chromatisme des recherches assez poussées, mais n’en déboucha pas moins, très souvent, sur le néoclassicisme. Cela dit, ses meilleures oeuvres de musique de chambre, comme le célèbre Nonet op. 31 pour violon, alto, violoncelle, contrebasse, flûte, hautbois, clarinette, basson et cor, l’Octuor op. 32 ou le Septuor op. 147, témoignent non seulement de son grand talent, mais aussi de tout un courant musical - courant quelque peu provincial, mais

synthétisant non sans bonheur les côtés les plus brillants de la tradition en matière d’opéra et de musique instrumentale, que plus que tout autre il sut personnifier. Parmi ses écrits, une méthode de violon (Violinschule, 1832) et une intéressante autobiographie posthume en 2 volumes (Selbstbiographie, 1860-61). SPONSUS (lat. : « époux »). Mot servant, dans le manuscrit lui-même, de titre à l’un des drames liturgiques les plus importants du XIe siècle, conservé avec sa musique dans un manuscrit provenant de Saint-Martial de Limoges (mais non rédigé pour cette abbaye), aujourd’hui conservé à la Bibliothèque nationale de Paris (lat., 1139). Il a pour sujet la parabole évangélique des Vierges sages et des Vierges folles, considérée comme une prophétie de la venue du Christ et par là rattachée à la liturgie de Noël ; il s’enchaîne du reste avec l’un des nombreux « Drames des prophètes » localisés aux matines de Noël, et en forme peut-être un prologue. Les répliques strophiques, toutes chantées, sont, alternativement, en latin et en français (dialecte limousin). SPONTINI (Gaspare), compositeur italien (Maiolati, Ancona, 1774 - id. 1851). Voué à l’état ecclésiastique, il s’en détourna grâce à sa passion pour l’orgue, étudia à Naples dès 1793 et fut encouragé par Cimarosa et Piccinni. En 1796, il donnait à Rome I Puntigli delle Donne, mais, peu fait pour le genre bouffe, réussissait davantage avec son opera seria Il Teseo riconosciuto (1798). Après avoir écrit une quinzaine d’ouvrages légers, il vint s’établir à Paris, où sa Finta filosofa, jugée naguère trop sévère à Naples, conquit le public français en 1804. Il donna alors des opéras-comiques où il adoptait la manière des Grétry, Cherubini et Méhul, puis une cantate d’un ton nouveau (L’Eccelsa Gara, 1806), qui lui valut d’être nommé directeur de la musique de l’impératrice. C’est à elle qu’il dut de triompher des attaques de Grétry et de Lesueur et qu’il put faire jouer à l’Opéra sa Vestale en 1807. Plus audacieuse encore, sa partition de Fernand Cortez (1809) ne s’imposa véritablement que dans son remaniement de 1817, année où il opta pour la nationalité française. En 1810, il avait pris la direction du Théâtre-Italien, où il

donna pour la première fois Don Giovanni en version originale et, après y avoir fait créer Olympie (1819), il quitta Paris, pour s’établir à Berlin où ses idées réformatrices obtinrent un accueil favorable ; il y donna notamment un chef-d’oeuvre grandiose, Agnes von Hohenstauffen (1829, remanié 1837), eut avec la presse des démêlés qui conduisirent Ludwig Rellstab en prison et dut, en 1842, laisser son poste à Meyerbeer. Ayant été fait membre de l’Institut en 1831, il regagna Maiolati et s’intéressa à la réforme de la musique religieuse. Représentant typique du cosmopolitisme musical de l’ère napoléonienne, considéré à tort par la postérité comme le témoin d’un « style empire » assez glacé, il sut, mieux que Cherubini, adapter sa veine mélodique italienne à la grandeur de la tragédie lyrique française et au nationalisme de l’opéra romantique allemand naissant, dont il fut le véritable initiateur. Ses audaces d’écriture, son chromatisme, inattendu à l’aube du XIXe siècle, son orchestration innovatrice eurent, durant tout le siècle, une forte influence sur Berlioz, sur Verdi et sur Wagner qui le portait en grande estime. En 1845, Spontini déclarait précisément à ce dernier « qu’aucune partition n’avait été écrite, depuis sa Vestale, qui n’ait pillé ses innovations ». Jugement excessif, sans doute, mais plus fondé qu’il n’y parut alors. SPRECHGESANG (all. : « chant parlé »). Dans ce style de récitation, utilisé par Schönberg dans Pierrot lunaire, les notes ne sont considérées que comme des indications de hauteur non absolues et ne doivent pas être soutenues, chacune étant liée à la précédente et à la suivante par un port de voix ascendant ou descendant, apparaissant au niveau de la notation. Il est à noter que l’auteur, enregistrant plus tard son oeuvre, ne fit pas respecter les hauteurs de notes indiquées. En fait, le Sprechgesang s’inscrit dans la notion plus générale de Sprechstimme (« voix parlée »), envisagée de différentes façons par les compositeurs allemands : Humperdinck l’emploie dans Königskinder (mimodrame datant de 1897, puis transformé en opéra), remplaçant alors la note par une croix sur la portée, et à la même époque Max von Schillings dans Hexenlied. Dans Moïse et Aaron (1931), Schönberg suggère seulement la hauteur des notes en n’employant

plus qu’une seule ligne et non plus la portée traditionnelle de cinq lignes. Berg, qui utilise le Sprechgesang dans Wozzeck (1921), le différencie soigneusement des autres expressions chantées ou entièrement parlées. Il faut noter qu’une sorte de « style Sprechgesang » a été utilisé par certains chanteurs d’opéra, et étendu abusivement à l’exécution des opéras de Wagner, de Strauss, par exemple, notamment par Max Lorenz, Gustav Neidlinger, Wolfgang Windgassen, etc. SRAUBE (Karl), organiste et chef de choeur allemand (Berlin 1873 - Leipzig 1950). Son père est facteur d’orgue, et dès 1895 il est organiste à Berlin. En 1897, il est titulaire des orgues de la cathédrale du Wesel, et rencontre Max Reger, qui lui dédie en 1900 sa Fantaisie sur Wachet auf. En 1902, il devient organiste à Saint-Thomas de Leipzig. Il envisage ce poste comme un sacerdoce dévoué à Bach, et joue un rôle majeur dans la diffusion des oeuvres du cantor : de 1904 à 1923, il organise six festivals Bach, et en 1918 il est nommé cantor de Saint-Thomas. Il dirige aussi le Bach-Verein et, de 1920 à 1932, une chorale rassemblant le Choeur Bach et celui du Gewandhaus. Professeur au Conservatoire, il organise de 1931 à 1937 un cycle de concerts dominicaux consacrés aux cantates de Bach. downloadModeText.vue.download 955 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 949 STABAT MATER. Poème sur les douleurs de la Vierge pendant la Passion, attribué à Jacopone da Todi, franciscain de la fin du XIIIe siècle. Mis en musique sous forme de séquence, il est entré très tardivement à l’office, postérieurement à la sévère limitation du nombre des séquences par le concile de Trente, mais, par contre, il s’est largement popularisé sous forme de cantique strophique populaire, et a inspiré de nombreux musiciens, parmi lesquels Palestrina, Alessandro Scarlatti, Pergolèse, Haydn, Rossini, Dvořák, Szymanowski, et, de nos jours, Poulenc et Penderecki, qui a inséré son Stabat dans sa célèbre Passion

selon saint Luc ( ! SÉQUENCE). STABILE (Mariano), baryton italien (Palerme 1888 - Milan 1968). Il est l’élève de Cotogni à l’Académie Sainte-Cécile de Rome. En 1911, il débute à Palerme dans la Bohème. En 1921, Toscanini le choisit pour incarner Falstaff à la Scala. C’est un triomphe, renouvelé en 1926 à Covent Garden, où il chante aussi don Juan et Iago aux côtés de Lotte Lehmann. De 1935 à 1939, il poursuit sa carrière dans Verdi à Salzbourg, puis comme mozartien à Glyndebourne. Très apprécié en Angleterre, il séduit par ses dons d’acteur et son exceptionnelle diction, compensant des moyens vocaux plus ordinaires. Il laisse le souvenir d’un humour irrésistible dans les rôles de Figaro, Falstaff et Malatesta. STACCATO. Terme indiquant que les notes doivent être jouées bien séparées les unes des autres. Dans la technique des instruments à cordes frottées, le staccato consiste généralement en une série de sons légèrement martelés, joués en « détaché » ou bien dans le même coup d’archet. L’archet, sans quitter la corde, exécute de petites attaques mordantes suivies chacune d’un relâchement. Dans un tempo rapide, le staccato « volant » (appelé aussi « rebondissant » ou « à ricochet ») consiste à lancer l’archet sur la corde, créant ainsi une impulsion qui permet d’articuler plusieurs notes dans le même coup d’archet par une suite de petits rebondissements. STADLER (Anton), clarinettiste et joueur de cor de basset autrichien (Bruck-ander-Leitha 1753 - Vienne 1812). Membre de l’orchestre de la cour jusqu’en 1799, célèbre pour son registre grave (de chalumeau), il fut l’ami et le frère en maçonnerie de Mozart, qui écrivit pour lui au moins son trio K.498 (1786), son quintette K.581 (1789), son concerto K.622 (1791) et les parties de cor de basset de l’air de Sesto « Parto, ma tu ben mio » et du rondo de Vitellia « Non più di fiori vaghe catene » de La Clemenza di Tito (1791). Son frère Johann (1755 - 1804) fut premier clarinettiste de l’orchestre de la cour.

STAIER (Andreas), claveciniste et pianofortiste allemand (Göttingen 1955). Il étudie le piano et le clavecin à la Musikhochschule de Hanovre dans les classes de Gustav Leonhardt et Nikolaus Harnoncourt, avant de rejoindre Ton Koopman au Sweelinck Conservatorium d’Amsterdam. Ayant découvert le piano-forte, il choisit d’en faire son instrument de prédilection. Lauréat de plusieurs concours en Allemagne, il est de 1983 à 1986 soliste de l’ensemble Musica Antiqua de Cologne. Il mène dans les années qui suivent une carrière de pianofortiste, se produisant dans de grands festivals, effectuant des tournées aux États-Unis, en Asie, en Australie, et réalisant plusieurs enregistrements. À partir de 1987, il est professeur à la Schola cantorum de Bâle. Il participe à la fondation de l’ensemble les Adieux et donne des récitals avec R. Jacobs, C. Prégardien et M. Schöpfer. On lui doit de remarquables enregistrements de Bach, Scarlatti, Haydn, Dussek et (comme accompagnateur de lieder) Schubert. STAMITZ (STAMIC), famille de musiciens originaires de Bohême. Johann Anton, violoniste et compositeur (Nemecky Brod 1717 - Mannheim 1757). Il étudia avec son père, puis au collège des jésuites de Jilhava (1728-1734) et à l’université de Prague (1734-35). Probablement en 1741, il fut engagé à la cour de Mannheim, et y devint premier violon en 1743, puis Konzertmeister en 1745 ou 1746, et enfin directeur de la musique instrumentale en 1750. Sous sa direction, l’orchestre de Mannheim devint l’un des plus réputés d’Europe et la ville, l’un des principaux lieux de développement de la symphonie préclassique ( ! MANNHEIM [ÉCOLE DE]). En 1754, il se rendit à Paris, débutant au Concert spirituel (où l’on avait déjà joué au moins une de ses symphonies) le 8 septembre, et resta dans cette ville, où parurent alors ses Trios d’orchestre op. 1, environ un an. La plupart de ses ouvrages publiés le furent d’ailleurs dans la capitale française. Il écrivit des concertos, de la musique de chambre et 8 oeuvres vocales, dont 1 messe en ré, célèbre de son vivant (et donnée à Paris le 4 août 1755), mais son importance réside surtout dans ses symphonies, dont 58 ont survécu, et dans ses 10

trios pour orchestre, pour cordes seules, et qui occupent une position intermédiaire entre la musique orchestrale et la musique de chambre (ils peuvent se jouer avec un ou plusieurs instruments par partie). Les symphonies les plus anciennes sont pour cordes et 2 cors, les suivantes font appel en outre à 2 flûtes, à 2 hautbois ou même (pour les plus tardives) à 2 clarinettes, et pour 5 d’entre elles à 2 trompettes et timbales. Plus de la moitié des symphonies, et 9 des 10 trios pour orchestre, sont en 4 mouvements avec menuet en 3e position. Il cultiva le crescendo et fit progresser l’art de l’orchestration ainsi que le travail thématique, mais, loin d’en avoir été l’inventeur, il adapta à la symphonie naissante ces traits de style largement originaires d’Italie. En cela, et par l’impulsion qu’il donna à l’école de Mannheim, dont il fut le premier grand représentant, il joua un rôle considérable. Il fut redécouvert au début du XXe siècle, surtout grâce à Hugo Riemann, mais il n’est plus possible aujourd’hui de voir en lui, comme le fit ce dernier, le principal prédécesseur de Haydn. Carl, compositeur, violoniste et altiste (Mannheim 1745 - Iéna 1801). Fils du précédent, il étudia avec son père, puis avec Cannabich, Holzbauer et Richter, et, de 1762 à 1770, fut second violon dans l’orchestre de Mannheim. En 1770, il se rendit à Paris, où il fut protégé par le duc de Noailles, avec lequel il voyagea en Europe. Son départ définitif de Paris intervint sans doute en 1777. Après cette date, il fut surtout virtuose itinérant, séjournant dans de nombreuses villes d’Allemagne. Il écrivit beaucoup de musique de chambre, mais sa réputation repose surtout sur ses quelque 50 symphonies et sur ses 38 symphonies concertantes (pour un nombre d’instruments solistes allant de 2 à 7). On lui doit aussi de nombreux concertos (pour violon, clarinette, flûte, basson), ainsi que des ouvrages pour viole d’amour. Anton, compositeur, violoniste et altiste (Nemecky Brod 1750 - Paris ou Versailles entre 1789 et 1809). Frère du précédent, il se rendit avec lui en 1770 à Paris, qu’il ne quitta sans doute jamais plus, et où il écrivit la plupart de ses oeuvres (symphonies, concertos, musique de chambre). STANFORD (sir Charles Villiers), compositeur, pédagogue et chef d’orchestre

britannique (Dublin 1852 - Londres 1924). Il étudia à Cambridge, ainsi qu’à Leipzig avec Reinecke (1874 et 1875) et à Berlin avec Friedrich Kiel (1876), et assista en 1876 au premier festival de Bayreuth. Il dirigea le London Bach Choir de 1885 à 1902 et enseigna la composition au Royal College of Music dès sa fondation en 1883, ainsi que la musique à Cambridge à partir de 1887 (il occupa ces deux postes jusqu’à sa mort). Comme pédagogue, son influence fut considérable, et il forma à peu près tous les compositeurs anglais des deux générations suivantes (Vaughan Williams, Holst, Coleridge-Taylor, downloadModeText.vue.download 956 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 950 Ireland, Bridge, Butterworth, Bliss, Moeran). De la part qu’il prit avec Elgar ou Parry dans le renouveau de la musique en Grande-Bretagne à partir de la fin du XIXe siècle témoignent aussi ses activités de compositeur, en particulier dans le domaine religieux (Morning, Communion and Evening Services en si bémol op. 10, 1879). On lui doit notamment des oratorios (The Resurrection d’après Klopstock, 1875), des ouvrages pour la scène, dont 10 opéras, de la musique d’orchestre, dont 7 symphonies, de la musique de chambre et de piano et des chants où transparaissent souvent ses origines irlandaises. STAPHAN (Rudi), compositeur allemand (Worms 1887 - Tarnopol, Galicie, 1915). Il étudie à Worms, Francfort et Munich. Ses oeuvres, parmi lesquelles l’opéra Die ersten Menschen, la ballade pour baryton et orchestre Liebeszauber (d’après Hebbel), et diverses pages instrumentales, annonçaient une carrière brillante qui fut tragiquement brisée par la guerre. STARKER (Janos), violoncelliste hongrois, naturalisé américain (Budapest 1924). Il entre à sept ans à l’académie FranzLiszt de Budapest et achève ses études à l’Académie de musique de Vienne, où il fonde une société de musique de chambre. Premier violoncelle de l’Orchestre de l’Opéra et de la Philharmonie de Buda-

pest (1945-46), puis, aux États-Unis où il émigre, de l’Orchestre symphonique de Dallas (1948-49), du Metropolitan Opera de New York (1949-1953), de l’Orchestre symphonique de Chicago (1953-1958), il accorde peu d’importance à la carrière de soliste, préférant enseigner à l’université de Bloomington ou se consacrer à la musique de chambre (il est membre du quatuor Roth, de 1950 à 1953, et d’un trio réputé, avec Julius Katchen et Josef Suk, jusqu’en 1969). Il a créé le concerto de Miklos Rosza, qui lui est dédié, et imposé de façon transcendante la Sonate pour violoncelle seul de Kodály. Ses interprétations des Suites de Bach, profondément introverties, sont d’une beauté linéaire jusqu’à l’aridité. Il joue sur un instrument de Matteo Gofriller, le Star de 1706. STARZER (Joseph), violoniste et compositeur autrichien (Vienne v. 1727 - id. 1787). D’abord violoniste à Vienne, il vécut ensuite à Saint-Pétersbourg (jusqu’en 1768), et une fois rentré dans la capitale autrichienne, composa beaucoup de ballets pour Noverre. En 1779, pour un concert de la Tonkünstlersocietät, qu’il avait contribué à fonder en 1771, il réorchestra Judas Maccabée de Haendel. Il remit au goût du jour plusieurs autres ouvrages de Haendel pour Van Swieten, qui après sa mort s’adressa à Mozart. STASSOV (Vladimir Vassiliévitch), critique musical russe (Saint-Pétersbourg 1824 - id. 1906). Directeur du département artistique de la Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg de 1872 à sa mort, il joua un rôle important dans la vie culturelle de son pays. Nationaliste ardent, croyant à un art réaliste et utile à la société, se passionnant pour l’archéologie et le folklore, il se lia avec les musiciens du groupe des Cinq, dont, autant que Balakirev, le fondateur du cénacle, il orienta la doctrine. Son influence sur Moussorgski, dont il dirigea les lectures, qu’il conseilla pour le livret de Boris Godounov, et à qui il fournit presque tout l’argument de Khovanchtchina, fut déterminante. STEFFAN (Joseph Anton), compositeur et pianiste tchèque (Kopidlno, Bohême, 1726 - Vienne 1797).

Élève de Wagenseil, il utilisa pour ses oeuvres pour clavier - éditées en 17591760, 1762, 1763 - le terme « sonate » dès 1760 (opus 2), et était alors devenu, en la matière, le compositeur viennois le plus « avancé » après Haydn. En 1766, il suppléa Wagenseil malade comme maître de clavecin des archiduchesses Marie-Caroline et Marie-Antoinette. STEFFANI (Agostino), compositeur italien (Castelfranco, près de Venise, 1654 Francfort-sur-le-Main 1728). Remarqué à treize ans par le prince électeur de Bavière, il resta à Munich de 1667 à 1688, non sans effectuer un séjour d’études de deux ans à Rome (1672-1674). Il se rendit également à Paris, où il assista sans doute à la création de Bellérophon de Lully, et à Turin (1678-79). En 1681, il devint directeur de la musique de chambre du nouveau prince électeur de Bavière, Maximilien II, et donna la même année son premier opéra, Marco Aurelio. Quatre autres opéras, dont deux perdus, furent encore écrits à Munich entre 1685 et 1688. C’est pour le compte de la cour de Munich que, parallèlement à ses activités de musicien, Steffani, qui avait été ordonné prêtre en 1680, commença sa carrière diplomatique. De 1688 à 1703, il fut au service du duc Ernst August de Hanovre, d’abord surtout comme musicien (il composa probablement durant cette période huit opéras italiens), ensuite surtout comme diplomate, et de 1703 à 1709 au service de l’Électeur palatin à Düsseldorf (il se consacra alors surtout à la diplomatie). En 1706, il devint évêque de Spiga, et, de novembre 1708 à avril 1709, séjourna à Rome comme médiateur entre le pape et l’empereur alors en guerre. Nommé en 1709, après cette mission, nonce apostolique en Allemagne du Nord, il passa ses dernières années principalement à Hanovre, et mourut alors qu’il se rendait une nouvelle fois en Italie. Comme compositeur, il écrivit, outre ses opéras, de la musique sacrée, mais son importance réside surtout dans ses duos de chambre pour soprano et alto, soprano et ténor ou soprano et basse (telles sont du moins les combinaisons vocales les

plus fréquentes qu’on y rencontre) avec basse continue. Ces oeuvres, composées pour la plupart avant 1702, marquèrent profondément le jeune Haendel. Elles comprennent jusqu’à six mouvements et traitent en général des douleurs de l’amour non partagé. STEIBELT (Daniel), pianiste et compositeur allemand (Berlin 1765 - Saint-Pétersbourg 1823). Déserteur de l’armée prussienne en 1784, il mena une vie de virtuose itinérant qui le mena notamment à Paris - où il arriva avant la Révolution puis séjourna de façon permanente de 1790 à 1796 -, Londres, Vienne (où en 1800 il se mesura au piano avec Beethoven) et de nombreuses villes d’Allemagne. Le 24 décembre 1800, il dirigea devant Bonaparte, qui en se rendant au concert avait failli périr dans l’attentat de la rue Saint-Nicaise, la première parisienne de la Création de Haydn. Il arriva à Saint-Pétersbourg en 1808, et, en 1810, y succéda à Boieldieu au poste de maître de chapelle impérial, qu’il devait conserver jusqu’à sa mort. Il écrivit de nombreux opéras ainsi que de la musique de chambre. Pianiste réputé, il composa pour son instrument d’innombrables pièces brillantes mais en général dénuées de profondeur, ainsi que 8 concertos (17961820). Acquirent une popularité particulière le 3e en mi op. 33 (l’Orage, 1799), le 6e en sol mineur (le Voyage au mont SaintBernard, v. 1816) et le 7e avec 2 orchestres (Grand Concerto militaire, dans le genre des Grecs, v. 1816). Le finale du 8e en mi bémol fait intervenir les choeurs. STEIN, famille germano-autrichienne de facteurs d’orgues et de pianos. Johann Andreas Stein (Heidelsheim 1728 - Augsbourg 1792). Il fut d’abord l’élève de son père, le facteur d’orgues Johann Georg (1687-1754). Il travailla ensuite à Strasbourg avec J. A. Silbermann, puis à Ratisbonne avec P. J. Späth, avant de se fixer en 1751 à Augsbourg avec son frère Johann Heinrich. C’est surtout dans la facture de pianos-fortes qu’il s’illustra, ainsi qu’en témoigne Mozart. Il en perfectionna le mécanisme et inventa divers autres instruments à clavier qui n’eurent pas d’avenir. Il laissa trois enfants. downloadModeText.vue.download 957 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 951 Maria Anna, dite Nannette (Augsbourg 1769 - Vienne 1833). Elle fut en quelque sorte la démonstratrice des instruments paternels. Elle épousa un autre pianiste, Johann Andreas Streicher, et transféra l’entreprise familiale à Vienne, où elle connut Beethoven dont elle devint l’interprète et l’amie dévouée. Matthäus Andreas (Augsbourg 1776 Vienne 1842). Il avait accompagné sa soeur à Vienne et se sépara d’elle en 1802 pour fonder ses propres ateliers. Il eut pour successeur son fils Karl Andreas (1797-1863). Andreas Friedrich (Augsbourg 1784 Vienne 1809). Il abandonna très tôt la facture pour une très brève carrière de pianiste et de compositeur. STEIN (Horst), chef d’orchestre allemand (Elberfeld 1928). De 1940 à 1947, il étudie au Conservatoire de Cologne, et en 1947 fait ses débuts en dirigeant des opéras au Théâtre de Wuppertal. De 1951 à 1965, il dirige surtout à Hambourg et au Staatsoper de Berlin, où l’appelle Carlos Kleiber. De 1963 à 1970, il est directeur général de la musique à Mannheim, et en 1969 il dirige Parsifal à Bayreuth, puis le Ring en 1970. À partir de 1975, il est le conseiller musical de Wieland Wagner. Il dirige l’Orchestre de la Suisse romande de 1980 à 1985, avant d’être au pupitre de l’Orchestre symphonique et de l’Opéra de Bâle, de 1987 à 1994. Depuis 1985, il a aussi succédé à Witold Rowicki à l’Orchestre de Bamberg. STEINECKE (Wolfgang), critique et administrateur allemand (Essen 1910 Darmstadt 1961). Il fonda en 1946 les Cours d’été de Darmstadt pour la Musique nouvelle, et les dirigea ensuite jusqu’à sa mort. STEINWAY, facteurs de pianos allemands et américains. L’origine de la firme Steinway and Sons, fondée à New York en 1853, est assez curieuse. En effet, Heinrich Engelhard Steinweg (Wolfshagen, Harz, 1792 ou 1797 - New York 1871) eut une vie mou-

vementée. Dans la province de Saxe, berceau de la facture allemande du piano, il construit son premier instrument en 1835, à Seesen, puis fonde l’année suivante une petite manufacture à Rondenbarg, également dans le Harz. Pour trouver, sans doute, de nouveaux marchés à ses produits et pour échapper à l’instabilité économique de son pays natal après 1848, Heinrich Steinweg et quatre de ses fils émigrent aux ÉtatsUnis en 1850. Le fils aîné, Carl Friedrich Theodor, poursuit alors la direction de la fabrique, en l’installant à Wolfenbüttel et, finalement, en 1859, à Braunschweig, où elle existe toujours sous le nom de Grotrian-Steinweg par suite de l’association conclue en 1858 avec Friedrich Grotrian. De leur côté, Heinrich et ses fils américanisent leur nom, qui devient Steinway pour d’évidentes raisons commerciales, et fondent la maison Steinway and Sons en 1853 à New York, trois ans seulement après leur arrivée, marque d’une grande activité et capacité de travail. La fabrication s’oriente d’abord vers les grands pianos à queue, mais la fortune du piano carré aux États-Unis est telle, depuis les premiers modèles de J. Berend à Philadelphie en 1775 et les instruments colossaux de Krakauer (plus de deux mètres de long), que les Steinway s’y engagent un peu plus tard, en les portant rapidement à une tessiture (large pour l’époque) de sept octaves. Les innovations techniques ne leur échappent pas, puisqu’ils lancent dès 1855 leurs pianos à cadre acier (full iron). Vers 1860, la firme produit environ 500 pianos par an. Émigrant à son tour en 1865, Theodor Steinweg abandonne son usine de Braunschweig à Wilhelm Grotrian et prend la place de son père (mort en 1871) à la direction de New York. En quelques années, il multiplie la production par six (3 400 pianos par an vers 1872) et donne à sa société les moyens d’un renom qui ne faiblira pas : présentation du premier piano droit en 1866 ; inauguration à New York, la même année, d’une salle de concerts qui porte son nom, le Steinway Hall ; fondation d’une agence de concerts qui a notamment représenté A. Rubinstein, I. Paderewski et Fr. Kreisler, et, de nos jours, aide encore certains pianistes ; création de filiales à l’étranger, en 1877 à Londres, en

1880 à Hambourg et, en 1909, à Berlin. La fabrication de modèles devenus désuets comme le piano carré est abandonnée en 1888. La maison Steinway and Sons profite, dans la seconde moitié du XIXe siècle, de l’immense marché américain et peut se consacrer, grâce aux moyens importants dont elle dispose, à la mise au point des grands pianos de concert. Elle ne recherche pas actuellement une production massive de ces instruments (1 500 pianos à queue pour l’Europe en 1981), mais, en se limitant à une clientèle restreinte, elle désire conserver la solide réputation acquise depuis sa création. STENDHAL (Henri BEYLE, dit), écrivain français (Grenoble 1783 - Paris 1842). Il a maintes fois exprimé sa passion pour l’opéra italien et son regret de ne pas avoir pu consacrer sa vie à la musique : ses études musicales (un peu de violon et de clarinette) étaient très sommaires. Ses grandes admirations étaient Cimarosa, Mozart, Rossini et Pergolèse - en tant qu’auteurs de musique vocale, naturellement. En 1814, il publia, sous le pseudonyme de César Bombet des Lettres sur le célèbre compositeur Haydn, suivies d’une vie de Mozart, et de considérations sur Métastase, rééditées en 1817, toujours sous pseudonyme, sous le titre de Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase. En fait, une grande partie de cet écrit était un plagiat éhonté d’un ouvrage de Giuseppe Carpani, publié en 1812. Celui-ci s’en plaignit publiquement, dans deux lettres au Constitutionnel. Enfin, en 1824, Stendhal publia sa Vie de Rossini, un compositeur alors très célèbre et dont Stendhal se donnait comme le familier, bien que Rossini ne le connût pas du tout. On peut voir dans ces traits un signe de malhonnêteté, mais aussi la marque d’un authentique regret de ne pas vivre au sein de la musique, que Stendhal aimait sincèrement. Surtout et avant tout, il aimait la musique vocale, car, pour ce qui est de la musique instrumentale, ses goûts étaient assez conventionnels (témoin cette critique sur certaines symphonies « savantes et pleines de recherches » de Mozart et de Beethoven, qui par « la quantité et la bizarrerie des modulations [...] n’ont pro-

duit aucun effet sur le public »). Il était l’amateur d’opéra par excellence, celui qui va chercher à la Scala de Milan (lieu qu’il fréquenta assidûment) la plus pure jouissance physique. STENHAMMAR (Wilhelm), compositeur et pianiste suédois (Stockholm 1871 Göteborg 1927). Admirateur de Beethoven et de Wagner, il se rattache davantage à la tradition germanique qu’à l’école nationale romantique du Nord. Son oeuvre comprend un grand nombre de mélodies, parmi les plus belles de toute la littérature musicale suédoise (Visor och stämningar op. 25, 1906-1909), 6 quatuors à cordes écrits entre 1894 et 1916, quelques oeuvres pour piano, 2 sonates (pour piano, 1890 ; pour violon et piano, 1899-1900), 2 concertos pour piano et orchestre, les 2 très célèbres Romances, pour violon et orchestre (1910), 2 symphonies (1902-03 et 1911-1915), des oeuvres chorales dont la cantate Sången (1921), sa dernière grande oeuvre, 2 opéras, Gildet på Solhaug (1892-93) et Tirfing (1897-98), et des musiques de scène. STEPHANIE (Johann Gottlieb, dit Stephanie le JEUNE), acteur et librettiste allemand (Breslau 1741 - Vienne 1800). Arrivé en Autriche comme prisonnier durant la guerre de Sept Ans, il se fit un nom à Vienne comme acteur, devint en 1776 l’un des cinq directeurs du Théâtre national et fut nommé en 1781 directeur du National Singspiel, fondé en 1778 par Joseph II et inauguré le 17 février de cette même année avec Die Bergknappen d’Igaz Umlauf. Stephanie adapta les livrets des downloadModeText.vue.download 958 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 952 deux singspiels suivants d’Umlauf (Die schöne Schusterin et Das Irrlicht). Pour Mozart, arrivé à Vienne sur ces entrefaites et désireux de composer pour le National Singspiel, Stephanie possédait au moins deux qualités : il « peut tout auprès de l’empereur » et « s’y connaît en matière de théâtre ». Le 30 juillet 1781, Stephanie remit à Mozart un livret qui, après modifications, devint celui de l’Enlèvement au sérail. Il confectionna également en 1786

celui de Der Schauspieldirektor. STÉRÉOPHONIE. Littéralement, le mot signifie « écoute en relief ». On l’a forgé pour désigner les techniques d’enregistrement et de reproduction des sons qui, après la monophonie, permettaient de restituer une impression de relief à la source sonore reproduite. Cette technique fait appel à deux canaux séparés véhiculant les informations sonores, mais une stéréophonie, au sens strict, peut être obtenue avec un nombre plus grand de canaux. On a ainsi procédé à des expériences plus ou moins abouties de stéréophonie à quatre canaux (tétraphonie, ou quadriphonie), à six canaux (hexaphonie) et même huit canaux (octophonie). La stéréophonie phonographique consiste à enregistrer à travers deux voies différentes les informations provenant de la gauche et de la droite d’un auditeur idéal situé à un emplacement privilégié devant la source sonore. Les informations de ces deux canaux sont gravées dans les deux flancs du sillon d’un disque (ou fixées sur les deux pistes d’une bande magnétique). À la lecture du disque ou de la bande, les informations captées par le phonolecteur (ou cellule de lecture) ou la tête magnétique sont dirigées au travers de deux circuits électroniques d’amplification et de correction à deux systèmes de haut-parleurs restituant les informations sonores captées lors de la prise de son dans une disposition correspondant à l’émission originale à gauche et à droite ; l’auditeur se trouve ainsi placé face à une « image » sonore dans une position analogue à celle de l’auditeur idéal devant l’« objet » sonore lors de l’enregistrement. Les techniques de la stéréophonie phonographique ont été pressenties dès les origines du disque. Les premiers brevets ont été déposés dans les années 20 de notre siècle, et les premières expériences, tentées - avec succès - dans les années 30, aux États-Unis (avec la participation du chef d’orchestre Léopold Stokovski) et en Grande-Bretagne (avec sir Thomas Beecham). Il faudra cependant attendre le milieu des années 50 pour que se généralise l’enregistrement stéréophonique sur bande magnétique, et 1959-60, pour qu’apparaissent dans le commerce les premiers disques stéréophoniques gravés et

pressés industriellement, ainsi que les premiers équipements techniques capables de les lire. Pour éviter que les possesseurs d’appareils de reproduction seulement monophoniques ne soient pénalisés par la généralisation de disques stéréophoniques incompatibles avec leurs équipements, on a mis au point un procédé de gravure dans lequel les fréquences basses (jusqu’à 600 Hz environ) sont mises en commun dans les deux canaux. Cet artifice, appelé stéréo compatible (ou parfois « gravure universelle »), permet de lire sans difficultés mécaniques le sillon stéréophonique au moyen d’une cellule monophonique, avec un résultat sonore (monophonique) tout à fait cohérent, sans pour autant affecter sensiblement la restitution du relief sonore en lecture stéréophonique. Cette technique se fonde sur le fait que l’effet stéréophonique est dû aux déphasages subis par les seules fréquences élevées dans leur cheminement pour atteindre les deux oreilles de l’auditeur. On a utilisé le terme de stéréophonie pour désigner les effets de spatialisation recherchés par de nombreux compositeurs : Sinfonie de Gabrieli à Saint-Marc de Venise, effets scéniques au théâtre lyrique, depuis l’Orfeo de Monteverdi, oeuvres à double choeur, double orchestre, jusqu’aux dispositions « éclatées » d’oeuvres contemporaines comme Gruppen ou Carré de Stockhausen, Kamakala d’Éloy, Terretektorh de Xenakis, etc. Ces formules de dispersion des sources musicales ont été expérimentées et utilisées dès le Xe siècle, avec la répartition sur plusieurs tribunes de certaines églises des chanteurs exécutant le plain-chant et se répondant les uns aux autres. C’est là, cependant, une application impropre du terme de « stéréophonie », impuissant à rendre compte de l’extrême variété des formules de spatialisation imaginées au cours des siècles par les compositeurs. STERKEL (Johann Franz Xaver), pianiste, pédagogue et compositeur allemand (Würzbourg 1750 - id. 1817). Ordonné prêtre en 1774, il vécut principalement à Mayence, Würzbourg et Ratisbonne, mais voyagea en Italie en 1782. Beethoven l’entendit jouer et joua devant lui à Aschaffenburg en septembre

1791. Il composa surtout de la musique de chambre et de piano. STERN (Isaac), violoniste américain (Kriminiesz 1920). Il commence à six ans l’étude du piano qu’il abandonne deux ans plus tard pour le violon, au conservatoire de San Francisco. Il étudie avec Louis Persinger et surtout Naoum Blinder, avec qui il débute à quinze ans dans le Concerto pour deux violons de Bach. Il joue dès 1935 le Concerto de Brahms avec l’Orchestre symphonique de San Francisco dirigé par Pierre Monteux et donne en 1937 son premier récital new-yorkais, mais c’est la première apparition à Carnegie Hall en 1943 qui marque véritablement le début de sa jeune gloire. Après l’interruption de la guerre (il se produit pour les troupes alliées jusque dans le Pacifique), il donne ses premiers concerts en Europe, aux festivals de Lucerne (1948, sous la direction de Charles Munch), de Prades (1950), d’Édimbourg (1953) et en Union soviétique (1956). Il forme un trio en 1960 avec Eugen Istomin et Leonard Rose. Malgré le rythme effréné de sa carrière, Isaac Stern parvient à enrichir son répertoire, créant les concertos de William Schumann et de Leonard Bernstein, jouant ceux de Rochberg, Penderecki, Barber, Hindemith, Prokofiev, Bartók, etc. Il participe activement à la vie musicale américaine, comme membre du Conseil national des arts et comme président de Carnegie Hall, qu’il a contribué à sauver de la démolition, et apporte son aide aux jeunes musiciens, prêtant fréquemment quelques-uns de ses neuf violons, se gardant pour lui les deux guarnerius, le Vicomte de Panette de 1737 et l’Ysaye de 1740. Ses interprétations reflètent l’homme, rayonnantes, intensément lyriques, d’un romantisme juvénile. STEUERMANN (Eduard), pianiste américain, d’origine polonaise (Sambor 1892 New York 1964). Il étudie le piano avec Vilem Kurz et Busoni, qui le recommande à Schönberg. Il participe en 1912 à la première audition du Pierrot lunaire et à la plupart des créations du maître viennois, comme pianiste de la Verein für musikalische Privataufführungen créée en 1918 par Schönberg. Il

transcrit pour piano Erwartung et la Symphonie de chambre ; pour deux pianos, Die glückliche Hand et le Concerto pour piano ; pour trio avec piano la Nuit transfigurée. Il fut également le premier interprète de la Sonate pour piano et du Kammerkonzert de Berg et de la plupart des oeuvres avec piano de Webern et un ardent propagandiste de Debussy et de Scriabine. L’interprète se double d’un pédagogue exemplaire, dès 1918 en Pologne, puis à Vienne, Prague et aux États-Unis (où il émigre en 1938), à la Juilliard School (de 1952 à sa mort). Il compte parmi ses élèves Adorno, Brendel, Kalichstein, Lili Kraus, Moura Lympany, etc. Il est l’auteur de mélodies, de pages de musique de chambre et orchestrales, d’obédience sérielle, où se retrouve le goût de la clarté et de la beauté du son qui caractérise son jeu. downloadModeText.vue.download 959 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 953 STICH (Johann Wenzel [Jan Vaclav] [Giovanni Punto]), corniste tchèque (Zehuslice, près de Caslav, 1746 - Prague 1803). Il fut peut-être le plus grand corniste de tous les temps. D’abord protégé par le comte Thun, il voyagea ensuite à travers l’Europe, effectuant notamment plusieurs séjours à Londres et à Paris. Dans cette dernière ville, Mozart écrivit pour lui la partie de cor de sa symphonie concertante pour quatre instruments à vent (1778). Il passa de nouveau à Paris les années 1789 à 1799. En 1800, à Vienne, Beethoven écrivit pour lui sa sonate pour cor et piano op. 17, qu’ils créèrent ensemble le 18 avril. STICH-RANDALL (Teresa), soprano américaine (West Hartford, Connecticut, 1927). Elle fait ses études à la Hartford School of Music et à l’université de Columbia, où elle crée The Mother of us all de Virgil Thomson (1947) et Evangeline de Otto Luening (1948). Ses premières participations aux enregistrements par Toscanini de Aïda et de Falstaff (1948-49) et sa victoire au concours de chant de Lausanne (1951) préludent à ses brillants débuts européens la même année à Florence (dans le rôle de la Sirène dans Oberon), puis à Bâle. Elle s’affirme mozartienne incom-

parable aux festivals de Salzbourg (1952) et d’Aix-en-Provence (1953), dont elle devient un des fleurons. Engagée par le Wiener Staatsoper en 1952, elle y débute dans La Traviata et sera en 1962 la première chanteuse américaine à être honorée du titre de Kammersängerin. Cette voix au timbre diamantin trouve également son plein emploi au concert, où elle interprète Bach, Haendel et Schubert avec une virtuosité consommée, frôlant parfois le maniérisme. STOCHASTIQUE (musique). Nom donné par le compositeur Yannis Xenakis à une nouvelle conception de la composition musicale qu’il a mise au point à partir de 1954, et essentiellement fondée sur le principe d’une définition globale des états sonores successifs dont est faite la musique, en utilisant le calcul des probabilités pour calculer dans le détail les particules sonores et le passage d’un état à un autre, états et passages dont on a déterminé les moyennes, la tendance générale : du discontinu au continu, du désordre à l’ordre, etc. D’où le nom de stochastique, du grec stochastikos, « qui tend bien vers un but », adjectif dérivé de stochos, « but ». Xenakis a été amené à concevoir une approche stochastique de la composition, en tentant de trouver une formulation abstraite des lois présidant aux phénomènes sonores de masse qui l’avaient profondément marqué, et dont il voulait reproduire musicalement le principe : évolution de l’ordre au désordre dans une manifestation populaire de masse, chant des grillons, histoire des gouttes de pluie sur un toit, etc. Les mathématiques et le calcul des probabilités, ainsi que la théorie cinétique des gaz lui ont permis de trouver des lois générales commandant globalement ces processus et permettant de définir, par la loi des grands nombres, les coordonnées de temps, de hauteur, de timbre, etc., de chaque particule sonore isolée qui ne constitue pas une « note » signifiante en elle-même mais qui concourt par son effet de masse avec les autres à produire un état ou une évolution globale statistique : Pithoprakta (1955-56), pour orchestre à cordes, trombones, xylophone et woodblock, est la première oeuvre officiellement « stochastique » de Xenakis, utilisant les lois de Laplace-Gauss et de Poisson, pour

calculer des événements sonores de masse agglomérant les particules sonores émises par les 46 cordes jouant individuellement : le compositeur définit d’abord globalement ces états et ces évolutions par des critères de « vitesse », de « densité », de « température », etc., et c’est ensuite qu’il calcule individuellement, en s’aidant éventuellement de l’ordinateur, les coordonnées individuelles de chaque son de l’oeuvre, autour des moyennes fixées. C’est en 1954, dans les Gravesaner Blätter, publication éditée par Hermann Scherchen, que Xenakis a formulé pour la première fois sa méthode de composition stochastique, dans une série d’articles que devait reprendre et compléter son ouvrage Musiques formelles publié en 1963 par la Revue musicale. Dans ce livre, Xenakis distingue une musique stochastique « libre » et une musique stochastique « markovienne » (utilisant les « chaînes de Markov »). À côté de la musique stochastique, il y élabore également la théorie d’une musique « stratégique » (utilisant la théorie des jeux) et une musique « symbolique » (au sens mathématique). D’emblée, il envisage l’élargissement de la conception stochastique à l’étude des oeuvres du passé, comme à la réalisation d’oeuvres de peinture, de sculpture, d’architecture, de cinéma... Il est à noter, cependant, que tout en précisant et en affinant sa méthode au fil des années Xenakis a de moins en moins recouru au terme « stochastique » pour la présenter, et que ce terme disparaît peu à peu de ses propos théoriques dans les années 70. D’autre part, si presque aucun autre compositeur que Xenakis n’a revendiqué le terme de stochastique pour qualifier sa démarche esthétique, beaucoup de ses confrères, et de ses cadets en particulier, ont profité de ses intuitions, et notamment de son idée d’appliquer le calcul des probabilités à la composition, ce calcul permettant de garder un contrôle sur l’écriture tout en échappant à la complexité enchevêtrée et linéaire créée par l’emploi de la technique sérielle généralisée. Précisément, avec son article la Crise de la musique sérielle, écrit en 1954, Xenakis avait émis de pertinentes critiques sur cette technique, en remarquant notamment que « la polyphonie linéaire se détruit d’elle-même par sa complexité. Il y a par conséquent contradiction entre le système polyphonique linéaire et le résultat entendu qui est sur-

face, masse. Cette contradiction disparaîtra lorsque [...] les combinaisons linéaires et leurs superpositions polyphoniques n’étant plus opérantes, ce qui comptera sera la moyenne statistique des états isolés et les transformations des composants à un instant donné ». Le concept de musique stochastique s’est ainsi forgé comme alternative à l’impasse de l’ultradéterminisme sériel, mais aussi en même temps que l’on commençait à parler de « musique aléatoire » et de « hasard limité » dans la composition : ici, si le hasard est compris dans la définition de la musique stochastique, il s’agit d’un hasard calculé, le seul véritable hasard pour Xenakis, les autres hasards organisés plus ou moins par le compositeur n’en étant selon lui que des simulacres. STOCK (Frederick), chef d’orchestre allemand naturalisé américain (Jülich 1872 Chicago 1942). Au Conservatoire de Cologne, il étudie le violon puis la composition avec Humperdinck. En 1895, il arrive à Chicago, où il fera toute sa carrière. Il est d’abord assistant au Theodore Thomas Symphony Orchestra, futur Orchestre symphonique de Chicago, qu’il dirige dès 1905. À ce poste, il organise dès 1917 un Festival Mahler, et joue un grand rôle dans la reconnaissance des compositeurs européens aux ÉtatsUnis : il interprète Debussy, Ravel, Hindemith et, en 1921, le Concerto no 3 de Prokofiev, avec le compositeur au piano. Lié à Busoni, qui lui dédie Rondino arlechinesco, il assure en 1941 la création américaine de la Troisième Symphonie de Mahler et du Concerto pour orchestre de Kodály. La même année, il commande des oeuvres à Stravinski, Milhaud et Walton pour célébrer le cinquantenaire de son orchestre. STOCKHAUSEN (Karlheinz), compositeur allemand (Mödrath, près de Cologne, 1928). Issu d’une famille rhénane de souche paysanne, il a vécu une prime jeunesse pauvre et difficile, marquée par l’avènement du régime hitlérien, la guerre et les conséquences de la défaite de l’Allemagne nazie. Sa mère, atteinte de dépression, fut internée dans un hôpital psychiatrique, où elle fut officiellement exécutée, sur ordre du gouvernement, en 1941. Son père, instituteur, s’engagea comme volontaire en 1939

et disparut en Hongrie. Orphelin, le jeune downloadModeText.vue.download 960 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 954 Stockhausen travaille dans un hôpital de guerre, puis comme ouvrier agricole dans une ferme. Il apprend le piano chez l’organiste du village, le violon et le hautbois dans une école d’État, joue du jazz pour survivre « physiquement, mentalement et spirituellement » aux épreuves et aux horreurs qu’il côtoie jusqu’à l’âge de dixhuit ans. De 1946 à 1947, il suit les cours d’un gymnasium (lycée), rentre au conservatoire de Cologne en 1947 dans la classe de piano de Hans Otto Schmidt-Neuhaus, un élève d’Eduard Erdmann. Il suit également des études de musicologie, de philosophie et de philologie à l’université de Cologne, prépare une licence d’éducation musicale (1948-1951) sous la direction de Hermann Schroeder et obtient son diplôme avec félicitations. Pendant toute cette période, il travaille pour subsister (pianiste de jazz dans des bars de Cologne, accompagnateur de l’illusionniste Adrion, ouvrier d’usine, directeur d’une troupe d’opérette, etc.) et prie beaucoup (il est de religion catholique). Il commence à étudier la composition avec le compositeur suisse Frank Martin. La rencontre d’Herbert Eimert, critique musical au Kölnisches Rundschau, lui fait connaître la seconde école de Vienne (Schönberg, Berg, Webern). L’été 1951, il participe pour la première fois aux cours de Darmstadt, où il découvre la musique de Karel Goeyvaerts, celle de Pierre Boulez et surtout celle d’Olivier Messiaen, dont le Mode de valeurs et d’intensités l’impressionne fortement. À la fin de cette même année, il épouse Doris Andreae, dont il aura quatre enfants. En 1952, il séjourne à Paris où il suit les cours d’Olivier Messiaen (esthétique et analyse), ayant au préalable composé ses toutes premières oeuvres, qui relèvent déjà d’un système sériel généralisé à tous les paramètres : Kreuzspiel, Formel, Spiel, les premières versions de Schlagtrio et de Punkte. Il aborde aussi la musique expérimentale avec le Groupe de musique concrète de la R. T. F. animé par Pierre Schaeffer. En 1953, il compose sa première oeuvre de musique électronique (Étude I pour sons sinusoïdaux),

achève Kontrapunkte et les Klavierstücke I à IV, participe à la fondation du Studio de musique électronique de Cologne, dont il deviendra le collaborateur permanent (et même le directeur artistique, en 1963). De 1954 à 1956, parallèlement à ses activités de composition et de recherche, il étudie la phonétique et les nouvelles techniques de communication avec le professeur Werner Meyer-Eppler à l’université de Bonn. Il enseigne (depuis 1953) aux cours d’été de Darmstadt. Entre 1954 et 1960, il produit une série d’oeuvres décisives, où il s’affirme comme un des deux grands leaders de la musique contemporaine (l’autre étant Pierre Boulez) : les Klavierstücke V à X, où le pointillisme sériel disparaît au profit de structures sérielles globales ; Zeitmasse, pour cinq vents, où le compositeur résout le problème de l’indépendance des tempos d’un groupe d’exécutants vis-àvis du chef qui les dirige ; Gesang der Jünglinge, première réussite de l’association d’éléments « concrets » (la voix humaine) et des sons électroniques ; le Klavierstük XI première oeuvre aléatoire avec la Troisième Sonate de Boulez, où est introduite la « forme ouverte « ; Gruppen et Carré qui exploitent la « forme de groupes », la spatialisation et résolvent avec virtuosité les problèmes de relation son-temps-espace ; Zyklus, oeuvre à la fois « ouverte » et « directionnelle « ; Kontakte, superbe synthèse entre les timbres traditionnels de la musique instrumentale et les timbres électroniques fixés sur bande magnétique. Dans toutes ces oeuvres, Stockhausen pose comme premier principe « l’identification de la structure du matériau à la forme, c’est-à-dire l’unicité du matériau et de la forme ». En 1958, Stockhausen fait une première tournée de 30 concerts-conférences aux États-Unis et au Canada ; depuis, il sera amené à parcourir de nombreux pays dans les 5 continents, soit comme compositeur, soit comme chef et interprète - notamment, depuis 1959, avec un petit groupe d’interprètes amis. En 1962, sa pensée créatrice connaît un premier apogée avec Momente (1re version), où à la forme ouverte, à la spatialisation du matériau sonore s’ajoutent de nouvelles techniques de collage, de citation, et s’affirme le concept de momentform (« forme momentanée »). Entre 1964 et 1967, il poursuit, avec Mikrophonie I, Mixtur, Mikrophonie II, Telemusik et Prozession, une recherche

sur la transformation instantanée des sons électroniques ; il devient le promoteur d’une nouvelle « musique électronique/ instrumentale » vivante. Ayant fondé en 1964 un groupe de quelques interprètes rompus au « live electronic » il donne dans le monde entier des concerts de musique électronique instrumentale, dont il tire le concept de musique intuitive (cf. Aus den sieben Tagen). De 1963 à 1968, il devient le directeur artistique des Cours de musique nouvelle de Cologne ; il enseigne également à l’université de Philadelphie, à l’université de Davis (Californie), devient professeur de composition à l’École supérieure de musique de Cologne. En 1967, il épouse en secondes noces l’artiste plasticienne Mary Bauermeister dont il aura deux enfants. En 1970, pendant cent quatre-vingt-trois jours, à raison de cinq heures et demie par jour, il exécute ses propres oeuvres avec 20 solistes de 5 pays différents, dans l’auditorium du pavillon d’Allemagne à l’Exposition universelle d’¯Osaka (Japon), devant près d’un million d’auditeurs. À partir de Hymnen (1966-67), de Stimmung (1968) et de Mantra (1970) jusqu’à aujourd’hui, l’évolution de la pensée compositionnelle de Karlheinz Stockhausen se révèle considérable, allant sans cesse de pair avec une simplicité de style accrue, une conception de plus en plus subjective et même liturgique de la musique, un prophétisme à la fois sophistiqué et naïf. Ses compositions ne sont plus des oeuvres au sens traditionnel, mais deviennent de véritables rituels. Depuis 1977 (date de l’achèvement de Sirius), Stockhausen n’envisage plus qu’une seule immense oeuvre, Licht (« Lumière ») - dont l’exécution durera une semaine entière et qui devrait être terminée en l’an 2002. Trois « journées « intégrales ont déjà été créées à la Scala de Milan, en 1981 (Donnerstag aus Licht), 1984 (Samstag aus Licht) et 1988 (Montag aus Licht) respectivement. « Je crois vraiment aux nouveaux matériaux, aux ondes alpha de l’homme, aux vibrations qui permettront dans quelques années - pas dans cent ans, dans vingt ans tout au plus - de moduler une onde avec un homme pour le faire voyager en dehors de notre système solaire. Car, comme tous les scientifiques, je veux faire le voyage cosmique ; il n’est pas question de rester sur cette île pour toujours, ce serait trop bête, il y a trop de problèmes idiots à régler sur notre

Terre. Je crois à la découverte perpétuelle des formes musicales, des vibrations sonores et des ambiances qui permettront à l’homme de s’émerveiller à nouveau, de saisir le miracle qui lui donne raison de continuer à vivre. Et quand je vois un nouveau synthétiseur, un nouveau computer, je ne comprends pas ces techniciens qui se satisfont de résoudre avec lui de tout petits problèmes, alors qu’il y a des milliers de possibilités qui nous permettraient d’avancer tellement plus vite... » (Karlheinz Stockhausen au journal le Monde, en 1977). Chef de file, pendant plus de vingt ans, du mouvement international avec Pierre Boulez, Stockhausen, quelle que soit son orientation présente et à venir, peut d’ores et déjà être considéré comme un des phénomènes artistiques les plus grands et les plus originaux de notre temps, et comme une des personnalités musicales les plus puissantes du XXe siècle. « Sa prospection inquiète et fébrile se poursuit toujours : au moment même où un problème atteint sa résolution, les interrogations se multiplient » (Jean-Pierre Guézec). Issu du rêve romantique germanique le plus pur (celui de Schumann davantage sans doute que celui de Wagner), se remettant sans cesse en question, il accomplit une trajectoire assez vertigineuse dont les aspects idéaliste, intellectuel et même métaphysique ne doivent pas masquer la rigueur spéculative et la prodigieuse richesse technique. downloadModeText.vue.download 961 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 955 STOKOVSKI (Leopold), chef d’orchestre et compositeur américain d’origine polono-irlandaise (Londres 1882 - Nether Wallop, Angleterre, 1977). Il fit ses études de violon, de piano et d’orgue au Collège royal de musique. En 1902, il fut nommé organiste et chef de choeur à Saint-James de Piccadilly. Entré au Queen’s College d’Oxford, il en sortit en 1903 avec le titre de Bachelor of Music. En 1905, il fut appelé à New York en tant qu’organiste et chef de choeur à l’église Saint-Bartholomew. Il débuta comme chef d’orchestre en 1908 à Londres, et fut nommé en 1909 directeur musical de l’orchestre de Cincinnati, avant de

devenir celui de l’Orchestre de Philadelphie (1912-1941), lequel devint, sous sa baguette, l’un des premiers du monde. Parmi les innombrables premières dues à ses soins, il faut signaler, en créations mondiales, Amériques et Arcana de Varèse (1926-27), la Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov (1937), le Concerto pour violon de Schönberg (1940), et, en créations américaines, le Sacre du printemps de Stravinski (1922), 4 symphonies de Chostakovitch, 3 de Sibelius, Noces de Stravinski (1929), Wozzeck de Berg, OEdipus rex de Stravinski (1931), Alexandre Nevski de Prokofiev (1943). En 1915, Stokovski avait obtenu la nationalité américaine. Il fut animateur de concerts pour enfants (1921) et réalisa le premier enregistrement « électrique ». En 1927-28, il fit un séjour aux Indes pour y étudier la musique orientale. De 1937 à 1940, il tourna les films Big Broadcast 1937, 100 Men and 1 Girl, et Fantasia. De 1941 à 1949, il partagea avec Toscanini la direction de l’Orchestre de la NBC, puis devint codirecteur, avec Mitropoulos, du New York Philharmonic (1949). En 1953, il créa la Société de musique contemporaine de New York, puis devint le directeur musical de l’orchestre de Houston (19551960). En 1965, il dirigea la première exécution de la 4e Symphonie de Charles Ives. À partir de 1974, il cessa, sauf exception, de paraître en public et se consacra exclusivement aux enregistrements. Ouvert aux musiques de tous les âges et de tous les pays, Stokovski était également préoccupé des problèmes d’acoustique, et pendant longtemps ses disques furent les mieux enregistrés du monde. Si l’on excepte certaines transcriptions fort discutables (Bach, Moussorgski, Wagner), il est resté un propagateur infatigable des musiques les plus difficiles ou les plus actuelles, un interprète remarquable de Mahler, Sibelius, Chostakovitch, Stravinski, un chef d’orchestre sinon toujours très orthodoxe, du moins sincère et efficace, plein de vie et de présence. STOLZ (Robert), compositeur et chef d’orchestre autrichien (Graz 1880 - Berlin 1975). Benjamin des chefs d’orchestre quand il débuta au Théâtre an der Wien à l’âge de douze ans, il allait en devenir le doyen quatre-vingts ans plus tard. Robert Stolz tint en effet la baguette pratiquement jusqu’à sa mort, spécialisé dans l’interpré-

tation du grand Johann Strauss, qu’il avait personnellement connu. Il a, d’autre part, composé une cinquantaine d’opérettes, viennoises comme il se doit. La première, en 1909, s’appelait Die lustigen Weiber von Wien ; la dernière, en 1949, Frühling in Prater. C’est à mi-chemin, en 1921, qu’il signa son chef-d’oeuvre : Die Tanzgräfin. STOLZEL (Gottfried Heinrich), compositeur et théoricien allemand (Gründstädt, Erzgebirge, 1690 - Gotha 1749). Après des études à Leipzig, il voyagea en Italie (1713-1715), puis passa trois ans à Prague et un an à Bayreuth. À partir de 1720, il fut au service de la cour de SaxeGotha. On lui doit notamment douze cycles annuels de cantates. Bach inclut sa partita en sol mineur dans le Klavier-Büchlein pour Wilhelm Friedemann (1720). STORACE, famille de musiciens anglais d’origine italienne. Stephen (Stefano), contrebassiste (Torre Annunziata v. 1725 - ? v. 1781). Il était en 1748 à Dublin, et en 1758 à Londres, où il traduisit en anglais La Serva padrona de Pergolèse. En 1778, il emmena sa famille en Italie, et c’est probablement là qu’il mourut deux ou trois ans après. Stephen, compositeur, fils du précédent (Londres 1762 - id. 1796). Il alla étudier à Naples en 1776, et fut rejoint en Italie par ses parents et par sa soeur en 1778. En 1782, il était de retour à Londres, il envoya à sa soeur, qui séjournait à Vienne, des oeuvres de musique de chambre qui lui valurent de la part de Joseph II, désireux de plaire à Nancy dont il voulait faire sa maîtresse, la commande de deux opéras, dont l’un, Gli Equivoci, sur un livret de Da Ponte d’après The Comedy of Errors de Shakespeare. Stephen Storace se rendit à Vienne pour leurs premières représentations (1785 et 1786), auxquelles participa sa soeur, et y prit peut-être des leçons de Mozart. En 1787, il retourna à Londres avec sa soeur et le chanteur Michael Kelly. Il écrivit alors une série d’opéras anglais dont le plus favorisé par le succès fut The Haunted Tower (1789), et le plus réussi, The Pirates (1792). Pour le finale du deuxième acte de cette dernière oeuvre, il puisa largement dans celui du premier acte de Gli Equivoci. Nancy (Ann Selina, Anna), soprano,

soeur du précédent (Londres 1765 - id. 1817). Elle se rendit en Italie avec ses parents en 1778, puis fut prima donna à Vienne (1783-1787). Elle y créa le rôle de Susanna dans les Noces de Figaro de Mozart, qui écrivit pour elle, lors de son départ l’année suivante, l’air de concert Ch’io mi scordi di te (K. 505). De retour à Londres, où elle espéra, mais en vain, faire inviter Mozart, elle chanta dans presque tous les opéras anglais de son frère. En 1791, elle participa comme chanteuse aux mêmes concerts que Haydn, et était présente dans la salle lorsque ce dernier, en juillet, fut fait docteur d’Oxford. En 1797, elle entreprit une tournée en Europe avec le ténor John Braham, qu’elle ne put épouser étant donné que son premier mari, le compositeur John Fisher, dont elle vivait séparée pratiquement depuis leur mariage à Vienne, était toujours vivant, et se retira de la scène en 1808. De petite taille, dotée d’une voix claire et puissante mais assez rude, elle excellait dans les rôles comiques. STRADELLA (Alessandro), compositeur italien (Rome 1644 - Gênes 1682). D’ascendance noble, il fut chantre à San Giovanni dei Fiorentini, puis à l’Oratorio del Crocifisso. Appelé à Venise en 1676, après avoir été expulsé de Rome pour complicité dans une escroquerie, il revint dans sa ville natale, accompagné de la cantatrice Ortensia Grimani, mais dut s’enfuir à nouveau, poursuivi par des tueurs à gages au service du mari de la dame. Blessé gravement par ceux-ci à Turin, il reprit son existence errante, toujours menacé par la vengeance de l’époux jaloux, pour finir poignardé à Gênes en compagnie de sa maîtresse. Malgré cette dimension de musicien maudit qui devait lui valoir les sympathies des romantiques (et, de fait, Niedermeyer et Flotow, entre autres, devaient tirer des opéras de son existence aventureuse), Stradella est surtout important à nos yeux pour l’oeuvre qu’il laisse (et dont la plus large part est conservée à l’état de manuscrits dans de nombreuses bibliothèques italiennes et européennes). Dilettante quant à sa formation, il apparaît cependant comme l’un des maîtres les plus inventifs de son temps, faisant valoir un mélodisme intense, un dynamisme et un lyrisme qui permettent de l’identifier rapidement. Il a abordé tous les genres

du XVIIe siècle, les formes instrumentales, comme celle toute nouvelle du concerto grosso, dont il peut être considéré comme le codificateur, sinon le créateur, et, bien entendu, les formes vocales comme la cantate et l’oratorio qu’il marque également de sa griffe personnelle. Puissamment expressif, l’oratorio San Giovanni Battista est, à cet égard, un authentique chef-d’oeuvre où Stradella joue en fresquiste des contrastes d’atmosphère, des effets de couleurs et de rythmes. Et, grâce au recul que permet aujourd’hui la musidownloadModeText.vue.download 962 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 956 cologie, nous percevons mieux la place primordiale que le compositeur occupe dans l’évolution de l’école italienne entre Carissimi et Alessandro Scarlatti, sans parler de son intuition déjà romantique de la confession dramatique. STRADIVARI (Antonio), luthier italien (Crémone ? 1644 - id. 1737). Descendant d’une très ancienne famille noble, il est le plus illustre représentant de l’école de Crémone et de toute la lutherie. Après avoir été l’élève d’Amati, il travailla toute sa vie durant à perfectionner la facture du violon, tant par la forme donnée aux instruments que par le choix du bois, la composition et l’application de la laque, et l’esthétique du travail. On s’accorde à diviser son oeuvre en trois périodes : 1) 1666-1690, sous l’influence d’Amati, il fabrique de petits modèles dits « stradivarius amatisés » (sauf quelques exceptions comme le « hellier » orné de 1679) ; 2) 1690-1700, il adopte un modèle de forme plus allongée, dit « longuet « ; 3) à partir de 1700, c’est la période des chefs-d’oeuvre, dite la période d’or, qui voit la fabrication d’instruments devenus historiques : « le Viotti » (1709), « le Vieuxtemps » (1710), « le Dauphin » (1714), « l’Alard » (1715), « le Messie » (1716) ; il fabrique également des violoncelles : « le Duport » (1711, actuellement en possession de Rostropovitch), « le Batta » (1714), « le Piatti » (1720). Le nombre total d’instruments authentiques existant actuellement est d’environ 600 violons, 12 altos, 50 violoncelles et 3 guitares.

Ses fils Francesco (Crémone 1671 - id. 1743) et Omobono (Crémone 1679 - id. 1742) furent éclipsés par l’art de leur père, bien que leur travail ne fût pas sans mérite. STRARAM (Walter MARRAST, dit Walther), chef d’orchestre français (Londres 1876 Paris 1933). En 1892, il est violoniste aux Concerts Lamoureux, avant de faire ses débuts à l’Opéra de Lyon comme chef de chant. De 1909 à 1913, il est assistant d’André Caplet à l’Orchestre symphonique de Boston. De retour à Paris, il se passionne pour la musique nouvelle, dont il devient l’ardent défenseur. En 1918, il crée le Dit des Jeux du monde d’Honegger au Vieux-Colombier. En 1925, il fonde les Concerts Straram et son propre orchestre, qui fait découvrir Berg, Webern et Hindemith aux Parisiens, créant aussi Agamemnon de Milhaud en 1927. De Roussel, il crée le Concert de 1927 et la Petite Suite en 1930. En 1928, il est au pupitre à l’Opéra de Paris pour la première du Boléro de Ravel. Enfin, en 1931 et 1933, il crée les Offrandes oubliées et Hymne du jeune Olivier Messiaen. Son orchestre est d’une qualité telle que Toscanini le choisit pour ses débuts parisiens en 1934, dirigeant entre autres la Neuvième Symphonie de Beethoven. C’est une récompense posthume pour cet explorateur de nouveaux horizons. STRAUS (Oscar), compositeur et chef d’orchestre autrichien (Vienne 1870 Bad Ischl 1954). Il travailla à Vienne avec Gradener et à Berlin avec Max Bruch. C’est à Berlin que fut joué son premier opéra Die Waise von Cordona (1894). Il fut ensuite chef d’orchestre successivement à Bratislava, Brno, Toeplitz, Hambourg et Mayence. En 1900-1904, il travailla à Berlin comme pianiste compositeur au cabaret Uberbrettl. En 1904, il regagna Vienne, où fut créée sa première opérette Die lustigen Niebelungen, amusante parodie wagnérienne, et où triomphèrent Ein Walzertraum (1907) et Der Tapfere Soldat (1908). En 1939, il vint se réfugier en France, puis aux États-Unis. En 1937, Die drei Walzer avait été monté aux Bouffes-Parisiens. Cet opéra utilisait en partie de la musique de Johann et Joseph Strauss, avec lesquels Oscar Straus n’avait aucun lien de parenté. En 1948, il

revint vivre à Bad Ischl. Sa dernière oeuvre fut Bozena (1952). Il écrivit également de nombreux lieder et des musiques de films, dont la Ronde (1950). STRAUSS, musiciens autrichiens. Le père et le fils, tous les deux prénommés Johann, et dont, pour cette raison, on confond souvent les oeuvres, d’autant qu’ils ont été successivement, à leur époque, des « rois de la valse viennoise ». Strauss (Johann père), compositeur autrichien (Vienne 1804 - id. 1849). De milieu modeste et violoniste de formation, il fonde avec son ami Lanner un quatuor qui joue dans les brasseries. Ce quatuor s’agrandit bientôt jusqu’à devenir un petit orchestre de bals, de brasseries, de concerts-promenades. Johann Strauss fonda ensuite son propre orchestre, diffusant ses propres valses. C’est à cette occasion qu’il parfait ses connaissances dans les techniques d’écriture. Il devient le « roi de la valse », voyage énormément, est invité dans les cours. En 1846, il atteint la consécration officielle avec sa nomination comme directeur des bals de la cour d’Autriche à Schönbrunn. Affaibli depuis longtemps par la maladie (il avait eu une crise de méningite en 1839), il meurt de la scarlatine à Vienne en 1849, et ses obsèques sont l’occasion de grandes manifestations publiques. Son oeuvre, parmi laquelle la célèbre Marche de Radetzky, est souvent attribuée à son fils. Elle comprend évidemment des valses (environ 150), mais aussi 14 polkas, 28 galops, 35 quadrilles, 19 marches, donc exclusivement des oeuvres de danse et de divertissement. Strauss (Johann fils), compositeur autrichien (Vienne 1825 - id. 1899). Son père s’opposa à ce qu’il suive comme lui la carrière musicale, bien qu’il lui eût offert des cours de piano. Il dut donc étudier pour devenir employé de banque. Après le divorce de ses parents, il monte, contre leur gré, son propre orchestre de musique légère, au casino Dommayer, devenant ainsi concurrent de Johann Strauss père qui essaie de le contrer. Mais peu avant la mort de ce dernier, il se réconcilie avec lui. Il se voit nommé, en 1848, chef de la musique municipale de Vienne, lors de la révolution qui avait mis son père dans une légère disgrâce. Quand ce dernier

meurt en 1849, le fils fusionne les deux orchestres et entreprend de nombreuses tournées en Europe. La fatigue l’oblige, en 1853, à confier la baguette de cet orchestre à son frère Joseph, ingénieur, et à ne plus diriger que pendant l’été. En 1862, il épouse la cantatrice Jetty Treffz. Elle mourra en 1877, et il épousera successivement Angelika Dietrich en 1878, et Adèle Deutsch en 1889. Il est nommé en 1863 directeur des bals de la cour. Il délaisse alors complètement, pour raisons de santé, la direction de son orchestre, le confiant à ses frères Joseph (1827-1870) et Edouard (1835-1916), et se consacre à la composition de musique légère. Ce serait Offenbach qui l’aurait incité à s’attaquer à la composition d’oeuvres plus ambitieuses, comme des opérettes. Mais sa troisième opérette, la Chauve-Souris, ne s’impose pas tout de suite. Fêté à son tour comme roi de la valse viennoise, ami de Brahms et estimé de nombreux compositeurs, il meurt en 1899 d’une pneumonie et on lui fait des funérailles nationales, en l’enterrant aux côtés de Brahms et de Schubert. Parmi ses 15 opérettes, les plus connues sont Die Fledermaus (la Chauve-Souris) [1874], sur un livret original de Haffner et Genée ; Cagliostro (1875) ; Une nuit à Venise (1883) ; Der Zigeuner Baron (le Baron tzigane) [1885], livret de von Schnitzer ; Wiener Blut (« Sang viennois ») [1899] d’après sa célèbre valse, sur un livret de Léon et Stein. Il s’attaqua même à l’opéra avec Ritter Pasman (1892), sur un livret de Docsy. Mais ses oeuvres les plus populaires sont ses valses viennoises. 170 environ sont cataloguées, certaines admirables et grandioses, dont An der schönen blauen Donau (« le Beau Danube bleu ») [1867] ; Künstlerleben (« Vie d’artiste ») [1867] ; Wein, Weib und Gesang (« Du vin, des femmes, et des chansons ») [1869] ; Wiener Blut (« Sang viennois ») [1873] ; Frühlingstimme (« Voix du printemps ») [1883] ; Kaiser Walzer (« Valse de l’Empereur ») [1889]. On lui doit aussi environ 80 quadrilles, 140 polkas, 45 marches, 32 mazurkas, etc. Ses oeuvres sont considérées comme la quintessence de la musique viennoise, et downloadModeText.vue.download 963 sur 1085

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ont marqué de manière ineffaçable toute la musique : de Mahler à Ravel, en passant par Berg, beaucoup de musiciens « sérieux » lui ont rendu hommage. STRAUSS (Richard), compositeur et chef d’orchestre allemand (Munich 1864 Garmisch 1949). Son père, Franz, était un corniste réputé, appartenant au Théâtre de la cour de Munich. Il apprit les rudiments de la musique avec divers membres de sa famille (le piano avec sa mère, le violon avec son oncle), puis la composition avec F. W. Meyer. Ses premières oeuvres, écrites lorsqu’il était très jeune, témoignent de l’influence de Mendelssohn et de Schumann. À l’âge de seize ans, il rencontre Hans von Bülow qui lui fait découvrir Wagner. À dix-huit ans, il assiste à la création de Parsifal qui fait sur lui une impression définitive. Bülow dirige les premières oeuvres marquantes de Richard Strauss, dont son premier concerto pour cor (1885), avec son père comme soliste. La même année, Bülow le recommande à Meiningen, où il est nommé d’orchestre. En 1886, il part pour l’Italie d’où il rapportera son poème symphonique Aus Italien, oeuvre originale et colorée où sa personnalité s’affirme d’emblée. À son retour, il accepte le poste de troisième chef d’orchestre à Munich. Il y reste trois ans, durant lesquels il compose deux nouveaux poèmes symphoniques, Macbeth et surtout Don Juan qui passe pour son chefd’oeuvre dans le domaine de la musique orchestrale. En 1889, il quitte Munich pour Weimar où on lui offre le poste de Kapellmeister. Mort et Transfiguration est de cette même année. Une grave maladie l’oblige à interrompre pendant quelques mois son activité. Durant sa convalescence, il voyage en Grèce et en Italie, où il ébauche son premier opéra Guntram. Très influencé par Wagner, cet ouvrage fait fiasco à Weimar, lors de sa création en 1894. Richard Strauss s’y intéresse de nouveau à la fin de sa vie et le remanie. En 1894, il dirige Tannhäuser au Festival de Bayreuth, puis revient à Munich, comme premier chef d’orchestre. Il y reste jusqu’en 1898. De cette période datent Till Eulenspiegel, Ainsi parla Zarathoustra et Don Quichotte (variations pour violoncelle et orchestre qui constituent, en même temps, une suite de tableaux des-

criptifs retraçant la vie du héros de Cervantès). Son sens particulier de la polyphonie s’épanouit dans ces trois oeuvres à programme de façon exceptionnelle. En 1898, Richard Strauss est nommé chef de l’Orchestre royal de Prusse à Berlin. Il y termine la Vie d’un héros, autobiographie symphonique, dans laquelle sa maîtrise du coloris orchestral atteint un sommet. Son deuxième opéra, Feuersnot, marque un nouveau retour à Wagner, mais, cette fois, le succès remporté à Dresde en 1901 répond aux espérances du compositeur. À noter que Richard Strauss a été son propre librettiste pour ses deux premiers ouvrages lyriques. Cependant la réputation internationale du compositeur commence à s’établir : en 1904, il dirige à New York la première de sa Symphonie domestique, qui correspond à la partie familiale de son autobiographie symphonique, sans pour autant renoncer au grandiose. Enfin, en 1905, c’est le triomphe, mitigé de scandale, obtenu par Salomé, où Richard Strauss avait mis en musique une pièce particulièrement osée, écrite en français par Oscar Wilde. Désormais, soit pendant la seconde moitié de son existence, Strauss se consacre presque exclusivement au théâtre dont il devient le compositeur majeur de la première moitié du XXe siècle. Avec Elektra (1909), il poursuit plus avant cette veine du réalisme légendaire passant par Freud, en s’attaquant à une tragédie de Hugo von Hofmannsthal. Convaincu que la musique de Strauss apportait à ses préoccupations un approfondissement, Hofmannsthal consacre les trente années qui lui restent à vivre à écrire des livrets pour Richard Strauss. Et ce fut là, pour le compositeur, un apport qu’on ne saurait sous-estimer. Cependant, après avoir atteint dans Elektra une violence et une intensité inconnues dans l’opéra, Strauss effectua avec le Chevalier à la rose (1911) la plus extraordinaire volteface. C’en est fait désormais du wagnérisme qu’il s’est efforcé d’abord de dépasser. Enjambant à reculons le romantisme, il reprend la tradition viennoise de l’opéra de caractères que Mozart avait, avec les Noces de Figaro, porté à un degré de perfection jamais dépassé. Dans le Chevalier à la rose, Strauss recherche un style néobaroque qu’on retrouve, sous une autre forme, dans Ariane à Naxos (1912, version

rév. 1916), où le mélange des genres (commedia dell’arte et opera seria) donne lieu à une synthèse essentiellement moderne. L’oeuvre, écrite pour un orchestre réduit à une trentaine de musiciens, trouve son origine dans la musique de scène composée pour une traduction en allemand, par Hofmannsthal, du Bourgeois gentilhomme de Molière. L’opéra de Strauss était primitivement destiné à remplacer la cérémonie turque, située à la fin de la pièce. Un prologue lyrique composé ultérieurement fut joué ensuite à la place de la comédie de Molière. La Légende de Joseph, composée pour Diaghilev, constitue une des rares incursions de Richard Strauss dans le domaine du ballet. C’est une de ses oeuvres les moins intéressantes avec la Symphonie alpestre, énorme partition qui semble destinée au cinéma avant la lettre. En 1919, Strauss est nommé à la direction artistique de l’Opéra de Vienne. Il inaugure son poste avec la création de Die Frau ohne Schatten (« la Femme sans ombre »), sur un livret d’Hofmannsthal, qui demeure son opéra le plus ambitieux par des préoccupations symbolistes et métaphysiques. Citons encore le ballet viennois Schlagahers et Intermezzo (1924), une comédie bourgeoise inspirée par une aventure personnelle de Strauss, où il se met lui-même en scène avec sa femme, l’ex-cantatrice Pauline de Ahna. En 1925, le compositeur quitte l’Opéra de Vienne, commet le moins bon des opéras de sa maturité, Hélène d’Égypte (1928), et une version remaniée d’Idoménée de Mozart. En 1933, il se rachète avec Arabella qui retrouve avec bonheur la manière viennoise du Chevalier à la rose. C’est le dernier livret qu’écrivit pour lui Hofmannsthal, qui mourut en 1929. Richard Strauss ne parviendra jamais à le remplacer et, en dépit des réussites musicales évidentes, ses derniers opéras manqueront du sens théâtral particulier d’Hofmannsthal. Cela n’est pas tout à fait vrai pour Die schweigsame Frau (1935), fort adroitement adapté par Stefan Zweig, d’après Ben Jonson. Strauss y aborde avec bonheur un genre nouveau pour lui : l’opera buffa dans la manière de Don Pasquale. Malheureusement, Stefan Zweig devra s’exiler devant la montée du nazisme et c’est Josef Gregor, poète davantage prolixe que dramaturge, qui lui fournira ses trois livrets suivants, Friedenstag (1938), opéra poli-

tique à thèse, Daphné (1938) et Die Liebe der Danae (1944, création officielle 1952) que la mythologie grecque inspire de nouveau. Du point de vue musical, le climat pastoral de Daphné est merveilleusement créé et contribue, malgré l’artifice des situations, à en faire une oeuvre marquante. C’est pourtant dans sa dernière oeuvre lyrique, Capriccio (1942), que Richard Strauss, à près de quatre-vingts ans, parvient encore à se surpasser. Composé sur un livret qu’il écrivit lui-même en collaboration avec son ami, le chef d’orchestre Clemens Krauss, Capriccio constitue un dernier hommage à cette culture française que Richard Strauss honora plusieurs fois au cours de sa carrière. Que le musicien ait consacré cette période, particulièrement tragique de l’histoire universelle (Capriccio fut donné à Munich en 1942), à mettre en musique un sujet qui est la querelle esthétique des gluckistes et des piccinnistes, peut paraître surprenant. Richard Strauss était évidemment le contraire d’un compositeur « engagé ». Dans ce cas particulier, on peut même dire qu’il avait cherché le dérivatif le plus frivole possible pour l’éloigner d’un monde en train de s’effondrer. Quel est l’élément primordial de l’opéra : la musique ou les paroles ? La réponse est : leur juste équilibre. Telle est la thèse défendue par Richard Strauss avec un brio qui fait de Capriccio l’oeuvre théâdownloadModeText.vue.download 964 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 958 trale majeure de sa dernière période. Il lui reste pourtant à composer en 1945 Metamorphosen, étude pour 23 instruments à cordes, qui est peut-être le chef-d’oeuvre musical de toute sa vie, en même temps que le point final mis consciemment au romantisme par un des plus grands compositeurs du XXe siècle. Quelques mois avant sa mort, survenue en 1949, Richard Strauss écrira ses 4 dernières mélodies pour soprano et orchestre qui constituent le plus bel adieu possible à cette vie qui l’avait tant comblé. En cette époque de révolution du langage musical que fut la première moitié du XXe siècle, il faut constater que Richard

Strauss ne fut en aucune façon un novateur comme Schönberg où Stravinski. Du point de vue de l’esthétique et du style, son importance est cependant considérable. En prolongeant une tradition héritée du XIXe siècle, il réalise une synthèse essentiellement moderne : celle d’un romantisme à la poursuite de l’idéal classique. Cet idéal, il l’atteindra dans ses meilleures oeuvres, alors que ses moins bonnes compositions, dans lesquelles les procédés transparaissent, sont presque toujours sauvées par la sincérité et la générosité de l’inspiration, unies à la noblesse et à l’élégance de la forme. Hitler, qui avait choisi d’opposer la musique de Richard Strauss à la musique dite « décadente » de compositeurs comme Schönberg et son école, en avait fait, bien malgré lui, le musicien national de son régime. Loin de profiter de cette position, Strauss s’en servit pour aider les artistes persécutés. STRAVINSKI (Igor), compositeur russe, naturalisé français, puis américain (Oranienbaum, près de Saint-Pétersbourg, 1882 - New York 1971). Fils de Féodor Stravinski, célèbre basse du théâtre Marie à Saint-Pétersbourg, Igor Stravinski mène à bien (1905) des études juridiques, tout en travaillant l’écriture musicale avec Rimski-Korsakov (19021908). Les premières oeuvres révélatrices de sa personnalité, le Scherzo fantastique et Feu d’artifice, sont créées au concert Ziloti (hiver 1908-1909) en présence de Diaghilev. Cette rencontre marque les débuts d’une collaboration qui ne prendra fin qu’avec la mort de Diaghilev en 1929 et oriente Stravinski vers le ballet. Bien plus, en lui commandant l’Oiseau de feu (190910) Diaghilev non seulement révèle Stravinski au grand public, mais encore il impose d’emblée sur le plan international la nouvelle musique russe. Venu à Paris assister à la création de son ballet, Stravinski partage dès lors son temps entre Clarens (Suisse), où il passe l’hiver, et la propriété de sa femme à Oustiloug (Volhynie), où il réside l’été. C’est là qu’il met en chantier le Sacre du printemps, un tableau de la Russie païenne, entrecoupé par la composition d’un concert pour piano qui devient, sur les conseils de Diaghilev, une évocation de la fête populaire de la Semaine grasse sur la place de l’Amirauté à Saint-Pétersbourg et du drame du personnage le plus célèbre au théâtre de marionnettes, Petrouchka

(1911), qui voit le triomphe de Nijinski. Le scandale du Sacre (1913) au Théâtre des Champs-Élysées, scandale sans doute plus chorégraphique que musical si l’on tient compte du succès de sa création en concert l’année suivante, projette Stravinski au premier rang de l’actualité : avec Schönberg, il devient, dans une optique tout à fait différente, le symbole du musicien révolutionnaire. Et pourtant, cette oeuvre historique n’aura pas de postérité. Suivant dans leurs déplacements les Ballets russes, qui quittent définitivement la Russie en 1912 et se fixent à Monte-Carlo, Stravinski se lie avec Debussy, Ravel, Satie, Falla et Casella. Alors que dans son refuge vaudois il travaille aux Noces (1914-1917) et à Renard, « une histoire burlesque, chantée et jouée, faite pour la scène » (1916-17), il fait la connaissance du poète suisse Ramuz (1915). Une collaboration s’instaure par le biais du livret français des ouvrages en chantier et sans doute Ramuz est-il à l’origine de l’Histoire du soldat, dont il fut le librettiste, une oeuvre destinée au théâtre ambulant pour récitant et 7 instruments, sur le thème de la lutte du bien et du mal pour la possession de l’âme humaine traité avec un humour un peu grinçant. La révolution de 1917, qui surprend Stravinski en Suisse, lui fait perdre sa fortune, et le coupe de son pays natal jusqu’en 1962. Il décide alors de s’installer en France (1920). Ce déracinement n’est pas étranger à l’élargissement de ses sources d’inspiration musicale vers un cosmopolitisme européen et une recherche rigoureuse d’universalité qui s’accompagne d’un goût de plus en plus marqué pour les problèmes religieux. Avec Pulcinella (1919), une commande de Diaghilev sur des thèmes de Pergolèse, s’ouvre la période dite « néoclassique » qui le conduit jusqu’au Rake’s Progress (1948-1951). À partir de 1923, pour des raisons matérielles, Stravinski tente de faire une carrière de pianiste (qui motive la composition d’oeuvres pour son instrument) et de chef d’orchestre qui le conduit aux États-Unis dès 1925 et l’amène à enregistrer ses propres ouvrages dès 1927. Naturalisé français en 1934, il postule (1936) un fauteuil à l’Académie des beaux-arts : on lui préfère Florent Schmitt. Convié en 1939-40 par l’université Harvard à donner une série de cours sur la Poétique

musicale, il se fixe à Hollywood le temps de la Seconde Guerre mondiale. Il y reste jusqu’à sa mort (1971) après avoir choisi, en 1945, la nationalité américaine. C’est dans le cadre des échanges culturels soviéto-américains qu’il retournera en U. R. S. S. en 1962 : voyage triomphal où il est salué comme « le plus grand compositeur de notre temps », alors même que, depuis 1953 et sous l’influence de R. Craft, il a adopté la technique sérielle que précisément un Kabalevski ou un Khatchatourian venaient de condamner comme contraire à la nature humaine ! On a coutume de diviser l’oeuvre créatrice de Stravinski en 3 périodes : russe, néoclassique et sérielle. De fait, de l’Oiseau de feu aux Noces, Stravinski puise dans son patrimoine culturel tant sur le plan des thèmes traités que des éléments mélodiques ou rythmiques. Toutefois, même si, en 1914, il entreprend un voyage à travers la Russie pour recueillir une documentation qu’il utilise notamment dans Noces, Pribaoutki, les Berceuses du chat, les 4 choeurs a cappella, pour voix de femmes, même s’il a eu recours aux cahiers dans lesquels Rimski-Korsakov a consigné sa collecte ethnomusicologique de 18761878 (cf. Petrouchka), il recrée plus qu’il n’emprunte le matériau musical folklorique (un seul thème populaire authentique dans Noces, par ex.) et le transcende jusqu’à l’abstraction. En effet, comme le remarque Boris de Schoelzer, « ni la polyphonie de l’art stravinskien, ni sa structure tonale, ni sa complexité harmonique, ni ses rythmes syncopés ne sont de provenance russe : toutes ces particularités marquent l’aboutissement de certaines traditions occidentales ». Son goût pour les intervalles distendus, pour le triton comme centre harmonique (cf. l’Oiseau de feu, Petrouchka), l’écriture par blocs (le Sacre) le conduit à instaurer avant Milhaud une polytonalité triomphante. Théoriquement, il atteint l’atonalité non pas dans le Sacre, mais déjà dans la danse de l’Oiseau de feu et la scène infernale de Kastchei, toutefois, loin de nier la dissonance, il la perçoit comme un enrichissement. Quant à la sauvagerie soulignée par Debussy, elle repose sur la nouveauté de son apport rythmique : usage de la syncope, rythmes non symétriques, déplacements des accents, ruptures continuelles, simultanéité des dessins rythmiques avec des oppositions de mesures ternaires et

binaires (polyrythmie). Mais ce primitivisme, Stravinski l’obtient aussi par des contrastes de dynamiques et par l’accroissement des effectifs instrumentaux (38 vents dans l’orchestre du Sacre). Pourtant, il a retenu la leçon de Schönberg (il assiste à la création du Pierrot lunaire à Berlin en 1912) au niveau de la concision de la forme (3 Poésies de la Lyrique japonaise, 1912 ; 3 Pièces pour quatuor à cordes, 1914 ; 3 Pièces pour clarinette seule, 1919), de la recherche instrumentale dans le cadre de la musique de chambre, souvent dans des combinaisons inhabituelles (Renard, Histoire du soldat, Noces). downloadModeText.vue.download 965 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 959 De plus, lui, qui devait écrire plus tard une Circus Polka (1942) pour les éléphants de Barnum et Barley et des Scènes de ballets (1944) pour Billy Roose, le producteur de shows de Broadway, remet dès cette période en question les genres : si la valse de Josef Lanner ou la rengaine Elle avait un’ jamb’ de bois peuvent dans Petrouchka procéder du collage, l’influence du jazz sur l’Histoire du soldat (on y trouve aussi un paso-doble, un tango et une valse) est d’une autre nature. Ce ragtime est déjà une quête d’expression collective et d’universalité et préfigure Ragtime pour 11 instruments, Piano Rag music et Ebony Concerto (1946), pour l’ensemble de Woody Hermann. Une si forte personnalité pouvait-elle se tourner vers le pastiche ? La démarche de Stravinski, à partir de 1919, a certes plongé public et critiques dans la plus grande perplexité. Elle se présente, en effet, comme une suite de « retour à » inaugurée par Pulcinella sur des thèmes de Pergolese, dont il s’efforce de sauvegarder la personnalité même lorsque, sur le plan de l’harmonie ou de l’instrumentation, il la charge d’une note personnelle. Avec la Symphonie pour instruments à vent (1920) dédiée à la mémoire de Debussy, Stravinski revient à ses sources ancestrales « comme un adieu à ce monde perdu » que prolonge Mavra (1922), opéra bouffe en 1 acte d’après un conte de Pouchkine basé sur la convention stylistique de Glinka, mais surtout de Tchaïkovski. L’Octuor pour instruments à vent (1922-

23) marque un retour à la musique de chambre pure, mais surtout souligne des préoccupations polyphoniques qui subsisteront jusque dans les oeuvres sérielles. Stravinski abandonne les recherches basées sur la couleur au profit d’un contrepoint linéaire qui accorde toute son importance à Bach (en dépit de tonalités équivoques, de changements de mesure). Ce souci du dessin qui ordonne la matière le conduit aussi à mettre en avant un instrument susceptible de rendre ce triple travail (ligne, accord, rythme), le piano, dont l’écriture fréquemment à deux voix rappelle le cantor de Leipzig (Stravinski a transcrit l’un de ses chorals d’orgue pour voix et instruments) dans le Concerto pour piano et orchestre d’harmonie (1923-24) ou, à cause de l’ornementation de l’adagietto de la Sonate pour piano (1924), le style des clavecinistes français du XVIIIe siècle (Rameau servant, d’autre part, de référence à Apollon Musagète). Le caractère intime du 3e Brandebourgeois guide plus tard (1938) l’esprit du contrepoint du Concerto en « mi » pour orchestre (cf. aussi pour 2 Piano-forte solos). D’où le sommet polyphonique de la fugue à 4 voix du second mouvement de la Symphonie des psaumes (1930) qui s’achève en une double fugue entre les choeurs et l’orchestre. Ce retour est aussi un retour aux formes classiques tripartites (Octuor, Concerto pour piano et orchestre d’harmonie, Capriccio, 1929 ; Concerto pour violon, 1931 ; Symphonie en « ut », 1939-40, avec un premier mouvement de forme sonate et un scherzo), dont il essaie progressivement de tempérer la sévérité par un climat de gaieté sereine. Le plus parfait produit reste la Symphonie en 3 mouvements (1945), où Stravinski retrouve l’énergie créatrice de Beethoven. Pourtant, dans ce cadre, il ne saurait renoncer à combiner polyphonie classique et bitonalité (cf. Concertino pour cordes, 1920 ; Symphonie en « ut », Sonate pour 2 pianos, 1943). Orphée (1947), un ballet pour Balanchine, marque le retour à la musique du Moyen Âge et de la Renaissance que Monteverdi lui a fait découvrir (il a travaillé aussi sur Gesualdo), d’où l’emploi de formations ad libitum dans l’esprit de l’époque, une certaine austérité polyphonique et un langage modal. La Messe (1945-1947) participe au même esprit avec ses références à Machaut et même au-delà à Byzance, notamment avec les sections alternées solos/réponses du

choeur dans le Gloria. Déjà dans la Symphonie des psaumes (1930) était sensible une volonté de remonter aux sources de la musique occidentale par l’emploi d’une forme de psalmodie, d’un chant de faible ambitus dans l’esprit du grégorien, l’utilisation de modes ecclésiastiques ainsi que du latin, élément de distanciation garant d’objectivité mais aussi matériau rituel. Ce sujet biblique est le pendant d’OEdipus rex, thème mythologique emprunté à Sophocle, traduit et arrangé par Cocteau et retraduit en latin par Jean Daniélou comme l’exigeait Stravinski : un opéraoratorio mais plus resserré (sans ouverture, interludes et récitatifs), d’une simplicité extrême qui confine à l’inexpression, presque un documentaire. Enfin The Rake’s Progress est une ultime tentative pour sauver la tradition lyrique de Mozart (Don Juan) à Gounod en passant par Gluck et Verdi. Sans doute, cette série de « retour à » correspond-t-elle, au-delà de la légitime curiosité et de la virtuosité de l’analyse stylistique qu’elle suppose, à une sorte d’appropriation qui témoigne du désir de Stravinski de se trouver de nouvelles racines, en s’occidentalisant. Ce voyage de l’intérieur est « un acte de culture en même temps qu’un acte d’invention ». Il semble bien, d’autre part, que ce modèle ne soit jamais chez lui un aboutissement, donc pas un pastiche, mais le point de départ d’une recherche, celle de l’objectivité stylistique dans le cadre de l’universalité de la forme et de l’esprit qui explique aussi son attirance pour des sujets « hors temps » quasi rituels. L’oeuvre de Stravinski recèle une unité profonde qui ne s’explique que par la recherche des archétypes et des styles, « l’expression collective d’une époque », qui concrétise son aspiration au « supra-individuel ». Comment comprendre, dès lors, qu’à la suite de son voyage en Europe pour assister à la création de son Rake’s Progress à Venise (1952), au théâtre de La Fenice, dans le cadre du Festival de musique contemporaine, Stravinski ait adopté la pensée sérielle ? Certes, l’amitié qui le liait depuis 1947 à Robert Craft, fervent admirateur du dodécaphonisme, n’y est pas étrangère (ils accomplissent tous les deux le pèlerinage à Mittersill sur la tombe de Webern). Ainsi voit-on à partir de la Cantate, sur des poèmes anonymes des XVe et XVIe siècles, Stravinski se familiariser et utiliser progressivement la technique

sérielle dans son propre travail de composition à travers les 3 Chansons pour Shakespeare (1953), le Septuor (2e mouvement, 1952-53), les Canons funèbres (1954), sur des poèmes de Dylan Thomas, et le Canticum Sacrum (1956) ou encore Threni (1958), une oeuvre religieuse sur le texte des Lamentations de Jérémie, fidèle à la pensée sérielle et dont tout le matériau est issu de la série dodécaphonique. Parallèlement, il découvre en 1954 le Marteau sans maître qu’il salue comme « la seule oeuvre marquante d’une période exploratrice » alors même que Boulez se moque de sa conversion sérielle. Mais si Stravinski utilise jusque dans ses dernières oeuvres la sérialité, il ne renonce jamais à sa propre pensée et, de ce fait, on peut dire qu’il a été un disciple dissident des Viennois : ainsi le Septuor et Agon, où coexistent sérialité et modalité. D’autre part, la sérialité, l’aboutissement suprême de l’esprit de variation, rencontre son souci d’écriture polyphonique, contrapuntique, dominé comme dans Agon par la fugue et le canon (cf. aussi Double Canon, un hommage à Dufy, 1959). Les Variations pour orchestre peuvent être, sur ce point, l’oeuvre la plus significative : Stravinski y met en relation les notions de série (et sa combinatoire) et de variations en prenant pour bases référentielles les Variations Goldberg de Bach. Il renonce d’ailleurs si peu aux formes anciennes (Agon regroupe gaillarde, pavane, branle, etc.) que dans le Requiem Canticles (1965-66), les 4 formes basques de la série font office dans l’introït de cantus firmus. Précisément, il semble bien que Stravinski se soit, dans sa période néoclassique comme dans sa période sérielle, attaché aux mêmes ordonnances rituelles de la forme et du langage ; il a toujours manifesté un souci de rigueur au détriment de l’élément subjectif. En somme, le choix de la sérialité chez lui (outre l’enrichissement harmonique qu’il y trouve) s’éclaire par sa période dite néoclassique, mieux, il en est un prolongement : dans sa quête des archétypes, Stravinski choisit le seul phénomène musical collectif du XXe siècle. Ainsi, son oeuvre apparaît-elle non plus faite d’une succession d’adhésions et de downloadModeText.vue.download 966 sur 1085

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désengagements mais dans sa profonde unité. STRETTE. Francisation du mot italien stretto (« serré »), parfois conservé tel quel. 1. Dans un contrepoint polyphonique, procédé consistant à superposer un thème à lui-même, littéralement ou non, le plus souvent sur des degrés différents ; les degrés privilégiés sont habituellement l’octave, la quinte et la quarte. La première entrée est dite antécédent, les suivantes sont les conséquents. L’entrée en strette se distingue de l’entrée en « fugue » par le fait que le conséquent n’attend pas la fin de l’antécédent pour entrer lui-même, comme il le fait dans une exposition de fugue. Si le conséquent entre sur la quinte ou la quarte, il se voit plus ou moins assimilé à une réponse de fugue et peut être amené à en respecter les principes (notamment en ce qui concerne la « mutation »). L’entrée en strette est, de très loin, la plus fréquente dans les motets et chansons polyphoniques de style contrepoint du XVe au XVIIe siècle. Il en est de même dans les plus anciens ricercari ; le remplacement de l’entrée en strette par l’exposition de fugue dans ce dernier genre a été l’un des éléments essentiels de la transformation du ricercare en fugue, même si le nom s’est parfois transmis de l’un à l’autre sans critères bien précis. Bach donne aux fugues de son Offrande musicale le nom de ricercare et emploie l’entrée en strette dans l’une des sections de son Art de la fugue, mais à son époque ces mélanges de noms étaient déjà exceptionnels. 2. Dans la fugue classique, après disparition de l’entrée en strette, ce dernier procédé s’est trouvé reporté sur une section spéciale qui en a pris le nom et se place généralement à l’approche de la fin, comme point d’aboutissement du travail thématique accompli sur le sujet - ou plus rarement sur le contre-sujet. Il peut y avoir plusieurs strettes, présentées de manière de plus en plus serrée. La strette est dite réelle quand elle superpose exactement le sujet et sa réponse, libre quand elle dispose les entrées sur d’autres degrés, ou ne respecte pas la littéralité intégrale du sujet. 3. Dans un choeur, un final d’opéra, etc., on appelle quelquefois strette, sans exigence technique précise, une progression

donnant l’impression d’un resserrement progressif des entrées, souvent lié à une accélération du mouvement. 4. Indication d’exécution liée comme dans le sens précédent à une certaine accélération du tempo (piu stretto). STRICKER (Rémy), musicologue français (Mulhouse 1936). Élève d’Yvonne Lefébure (piano), Norbert Dufourcq (histoire de la musique), Marcel Beaufils (esthétique) et Roland-Manuel, il est producteur à Radio France depuis 1962 et enseigne depuis 1971 l’esthétique musicale au Conservatoire de Paris. Il a publié Musique du baroque (1968), Mozart et ses opéras, fiction et vérité (1980), Robert Schumann, le musicien de la folie (1984), Franz Liszt, les ténèbres de la gloire (1993), Artiste et société (édition critique de certains écrits de Franz Liszt, 1995), les Mélodies de Duparc (1996). STRIGGIO (Alessandro), compositeur italien (Mantoue, v. 1535 - id. 1592). Originaire de Mantoue, il restera toujours en relation avec les Gonzague, en particulier à la fin de sa vie. La plus grande partie de sa carrière musicale se déroule cependant à Florence à la cour des Médicis, où il est, à partir de 1560 environ jusqu’en 1584, le principal compositeur avec Francesco Corteccia, et collabore aux différentes productions officielles (intermèdes pour La Cofanaria en 1565, I Fabii en 1568, La Vedova en 1569, etc.). Instrumentiste à corde renommé à l’époque, il doit surtout sa réputation à ses 7 livres de madrigaux (dont 5 à 5 voix, 2 à 6 voix), publiés de 1558 à 1597 et dont la popularité s’étendit à l’étranger. Fidèle à l’esthétique de son temps, il use d’une écriture contrapuntique très élaborée et riche en modulations, tout en faisant un usage restreint du chromatisme. Ses derniers madrigaux, cependant, laissent pressentir l’avènement du style monodique. Il a, par ailleurs, écrit 1 messe à 5 voix, Missa in dominicis diebus, et 1 motet à 40 voix pour 4 choeurs, Ecce beatam lucem. Son fils Alessandro (Mantoue 1573 Venise 1630), diplômé en droit et secrétaire du duc de Mantoue à partir de 1611, est surtout connu pour les livrets qu’il écrivit pour Monteverdi : La Favola di

Orfeo (1607), sans doute aussi Tirsi e Clori (1615) et Il Lamento d’Apollo, perdu.. STROBEL (Heinrich), musicologue allemand (Ratisbonne 1898 - Baden-Baden 1970). Nommé directeur de la musique à la radio de Baden-Baden (Südwestfunk) en 1946, il fut alors l’âme de la résurrection du festival de Donaueschingen, qu’il dirigea jusqu’à sa mort. Il écrivit notamment un livre sur Debussy (1943, trad. fr. 1952). STROE (Aurel), compositeur et musicologue roumain (Bucarest 1932). Il commence très tôt ses études musicales (piano) et complète sa formation au Conservatoire de Bucarest, avec notamment Mihaïl Andricu (composition) et Theodor Rogalski (orchestration). Il suit les cours de Darmstadt (1966-1969), où il va revenir enseigner entre 1986 et 1994. Il est professeur de composition au Conservatoire de Bucarest (1962-1985 et depuis 1994), professeur invité à l’Université de l’Illinois, Urbana (1985-1986). Lors d’un voyage d’études aux États-Unis (1968), Stroe s’intéresse déjà à la composition assistée par ordinateur. Il travaille entre 1963 et 1968, avec des mathématiciens et des informaticiens de l’Université de Bucarest, à l’élaboration d’un programme capable de générer une « classe de composition » dans laquelle il va expérimenter les principes d’une musique « non informationnelle ». De cette classe sont issues des oeuvres comme la Musique de concert pour piano, cuivres et percussion (1964), Laudes I et II pour orchestre (1966-1968), Canto I et II pour orchestre (1967-1971). La musique d’Aurel Stroe se distingue alors par son goût de l’essentiel, la recherche de structures extrêmement pures, polies, débarrassées de tout geste surajouté. Le compositeur s’oriente ensuite vers le théâtre musical : d’où la trilogie Orestie d’après Eschyle, comprenant les Choéphores (1977, créé au festival d’Avignon en 1979), Agamemnon (1983) et les Euménides (1991) et dite « trilogie des cités fermées ». Il y travaille selon des principes influencés, dans une certaine mesure, par la théorie des catastrophes de René Thom, en faisant cohabiter différents systèmes d’intonation « incommensurables » et en contrôlant les ruptures de niveaux des structures unificatrices

à l’aide de principes morphogénétiques. Il s’intéresse maintenant à un nouveau type de complexité, obtenue par la dynamisation de structures historiquement constituées (Caprices et Ragas pour violon et orchestre, 1991 ; Prairie, Prières pour saxophone et orchestre, 1994 ; Ciaccona con alcune licenze pour percussion et grand orchestre, 1995). STROPHE. En musique comme en poésie, la strophe est un ensemble cohérent, d’une dimension suffisante, nettement séparé de l’ensemble suivant et/ou précédent, avec lequel il présente un minimum d’analogies sans toutefois aller obligatoirement jusqu’à l’identité. La strophe constitue ainsi un moyen terme entre la séquence, qui ne préjuge pas des rapports avec les ensembles voisins, et le couplet qui, au contraire, exige une quasi-identité par rapport à eux. S’il y a d’un groupe à l’autre répétition de mélodie, de façon irrégulière, avec des timbres distribués différemment en fonction d’un groupement de vers différent comme c’est le cas au Moyen Âge pour le lai ou la chanson de vers -, il n’y a plus strophe, mais laisse. downloadModeText.vue.download 967 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 961 Outre les strophes régulières, les trouveurs ont souvent pratiqué la demistrophe terminale, appelée tornada chez les troubadours. Elle se chantait sur la première ou la dernière partie de la mélodie. Dans la tragédie grecque, enfin, le système strophique était organisé en fonction d’un dialogue entre deux demi-choeurs : l’un énonçait la strophe, l’autre répondait sur la même mélodie par l’antistrophe. Une 3e partie, chantée sur une mélodie différente, constituait l’épode. Ce système, avec les mêmes noms, a été parfois imité par les musiciens de la fin de la Renaissance. STROZZI (Giulio) poète, écrivain et librettiste italien (Venise 1583 - id. 1652). Il fut très actif à l’Académie de Rome puis à celle de Venise ; dans cette dernière ville, il

fonde, chez lui, en 1637, l’Accademia degli Unisoni. Surtout connu pour ses livrets d’opéras, il a pris une part importante à la création de l’opéra vénitien. Citons, en tout premier lieu, parmi les compositeurs qui ont utilisé ses textes, Monteverdi (La Finta pazza Licori, 1627 ; Proserpina rapita, 1630), F. Manelli (La Delia o sia La Sera sposa del sole, 1639), Sacrati (La Finta pazza, 1641), puis Cavalli (Veremonda, 1652). Ses poèmes ont aussi inspiré les madrigalistes, en particulier Monteverdi et sa fille adoptive Barbara Strozi. Barbara Strozzi (Venise 1619 - id. ? apr. 1664), cantatrice de talent, se produisit surtout lors des séances de l’Accademia degli Unisoni créée par son père adoptif. Dans ses compositions, qui incluent des madrigaux, cantates, ariettes, duos, elle fait preuve d’une grande invention mélodique et laisse transparaître, parfois, l’influence de son maître Cavalli. STRUNGK (Nicolaus Adam), violoniste, organiste et compositeur allemand (Brunswick 1640 - Dresde 1700). Fils d’un organiste, il séjourna à Wolfenbüttel et à Celle, puis à Vienne (16611665). Il entra ensuite à Hanovre au service de l’Électeur Johann Friedrich, et fut nommé en 1688 vice-maître de chapelle et organiste de chambre, puis en 1692 maître de chapelle, de la cour de Dresde, poste dont il démissionna en 1696. Il donna à Hambourg les opéras Esther (1680) et Semiramis (1681), et obtint l’autorisation d’ouvrir à Leipzig un Opéra, inauguré en 1693 avec son Alceste. STRUNK (Oliver), musicologue américain (Ithaca, New York, 1901 - Grottaferrata, Italie, 1980). Après des études à Cornell University, il travailla la composition en privé et passa une année à Berlin (1927-28). Entré à la bibliothèque du Congrès en 1928, il en dirigea le département de Musique de 1934 à 1937, et enseigna à Princeton de 1937 à 1966. Il participa, en 1928, à la fondation de l’American Musicological Society, qu’il présida en 1959-60 et dont il fut en 1948 le premier éditeur du journal. Spécialiste de musique byzantine (il édita, de 1961 à 1971, les Monumenta musicae byzantinae) et du chant liturgique des Églises d’Orient et d’Occident, il a écrit sur des sujets nom-

breux et variés, et fut un des principaux fondateurs de la musicologie américaine, comptant parmi ses élèves Joseph Kerman et Charles Rosen. Son ouvrage le plus célèbre est Source Reading in Music History, anthologie critique d’écrits sur la musique des Grecs anciens à Wagner (New York, 1950 ; réimpr., 1965 ; rééd., Londres, 1981). STUCKENSCHMIDT (Hans Heinz), musicologue et critique musical allemand (Strasbourg 1901 - Berlin 1988). Musicien partiellement autodidacte, il prend, très jeune, parti pour la nouvelle musique et écrit dans diverses revues (Aufbruch, Auftakt, Melos, Modern Music, puis Bohemia, à Prague, et, à partir de 1929, Berliner Zeitung am Mittag), tout en animant des séries de concerts. Il est auditeur des cours d’analyse musicale de Schönberg de 1931 à 1933, mais doit, par suite de ses prises de position, cesser toute activité critique en Allemagne à partir de 1934. Il est nommé, après la guerre, directeur du Studio für Neue Musik de la RIAS à Berlin et critique musical de la Neue Zeitung (1947), puis de la Frankfurter allgemeine Zeitung (à partir de 1957). Il enseigne, par ailleurs, l’histoire de la musique à la Technische Universität de Berlin de 1948 à 1967. Il a écrit de nombreux ouvrages de référence sur la musique moderne : Neue Musik zwischen den beiden Kriegen (1951), Schöpfer der Neuen Musik (1958), Oper in dieser Zeit (1964), Twentieth Century Music (1968), Twentieth Century Composers (1970), Die Musik eines halben Jahrhunderts : 1925-1975 (1976), d’où se dégage un intérêt particulier pour Schönberg qu’il développe dans Arnold Schönberg (1951) puis Schönberg... (1974). Il a, d’autre part, publié des études sur I. Stravinski, B. Blacher, J. N. David, M. Ravel, F. Busoni. STUDER (Cheryl), soprano américaine (Midland 1955). Elle étudie à l’Université du Tennessee, puis se perfectionne à Vienne avec Hans Hotter. De 1980 à 1986, elle chante dans les Opéras de Munich et de Hambourg, tout en intégrant la troupe du Deutsche Oper de Berlin. Si elle remporte de grands succès dans Bizet, Verdi et Mozart, c’est avant tout comme wagnérienne qu’elle acquiert une renommée précoce. Depuis 1985, elle a chanté à Bayreuth, puis à

l’Opéra de Paris et à la Scala de Milan. En 1989, elle s’impose à Salzbourg dans le rôle de Chrysothemis d’Elektra, dirigé par Abbado. Richard Strauss est d’ailleurs, avec Wagner, son compositeur de prédilection. STURM UND DRANG. Le phénomène du Sturm und Drang « Orage et Passion », typiquement germanique mais de portée universelle, fut essentiellement littéraire. Il eut comme père spirituel Jean-Jacques Rousseau, et tira son nom, qui lui fut attribué après coup, de celui d’une pièce du dramaturge Maximilian von Klinger (1752-1831), écrite en 1776 et jouée en 1777. Ce phénomène eut comme expression littéraire la plus célèbre et la plus parfaite le Werther de Goethe (1773), et culmina sans doute avec Die Räuber (les Brigands, 1780-81) de Schiller. Inséparable de ce mouvement fut la renaissance, dans les pays de langue allemande, des tragédies de Shakespeare. Ses buts artistiques furent d’émouvoir très fortement et très profondément, d’étonner, de donner le frisson. En musique, sa première manifestation, encore assez isolée, fut sans doute la scène finale du ballet Don Juan de Gluck (1761), dans la descendance de laquelle se situe, entre autres, la scène du Commandeur dans le finale du second acte de Don Giovanni de Mozart (1787). Il est sûr qu’à l’époque, le Sturm und Drang fut un élément important de la musique théâtrale, ce dont témoignent, par exemple, les ouvertures à sensation (Hamlet, 1778) de l’abbé Vogler ou les ballets produits par lui à Mannheim. Mais il se manifesta aussi en musique instrumentale, en particulier dans les genres nouveaux, et largement nés en Allemagne et en Autriche, du quatuor à cordes et de la symphonie. En d’autres termes, au niveau musical, le Sturm und Drang signifia à la fois sur un plan général la prise de conscience de l’Allemagne par elle-même, et sur un plan particulier une individualisation de plus en plus nette, dans les genres du quatuor à cordes ou de la symphonie, de chaque ouvrage pris isolément, ainsi qu’un rôle de plus en plus important joué par la subjectivité : la différence avec l’Empfindsamkeit étant que ces sentiments, au lieu de rester tributaires des velléités de l’instant, tentèrent de s’intégrer dans une discipline d’en-

semble, même quand ils prirent la forme d’explosions brusques (les symphonies et les quatuors écrits par Haydn vers 1772 se caractérisent aussi bien par une profonde subjectivité que par une grande force intellectuelle). Le Sturm und Drang musical fut, pour une large part, un phénomène autrichien, et, en tant que tel, il culmina vers 17701772. D’aucuns ont contesté cette appellation. Elle a pour elle sa commodité, car le terme de Sturm und Drang est très parlant, downloadModeText.vue.download 968 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 962 et aussi le fait de s’appliquer à une musique (celle écrite dans l’orbite de Vienne vers 1770-1772) en définitive très neuve et très typique techniquement et émotionnellement, même si sur le plan technique (recours à la polyphonie, par exemple), ses traits les plus caractéristiques demeurent ancrés dans une tradition qui au cours des années précédentes n’avait pas, et de loin, complètement disparu : les trios pour baryton écrits par Haydn à partir de 1765 déjà sont, entre autres, un laboratoire de recherches contrapuntiques. Il reste que, aux alentours de 1770, Haydn écrivit davantage d’oeuvres instrumentales dans le mode mineur qu’à tout autre moment de sa carrière, et que, au même moment, il se préoccupa spécialement des aspects expressifs du contrepoint (fugues finales des quatuors à cordes op. 20 nos 2, 5 et 6), pas seulement de ses aspects « tour de force ». De fait, technique et expression se mêlèrent comme jamais auparavant, et c’est alors que l’association du mode mineur à la passion ou à la douleur devint nettement plus étroite. À noter cependant que si Haydn, vers 1770, eut largement recours au contrepoint savant dans ses quatuors ou dans ses symphonies - le menuet de la 44e (Funèbre) est un canon, le mouvement lent de la 47e est en double contrepoint à l’octave et son menuet est fait de deux phrases dont la seconde est la rétrogradation exacte de la première -, ce fut non seulement pour leur donner plus de sérieux et de poids, mais sûrement aussi pour montrer ce dont il était capable, sur le plan du métier, aux critiques d’Allemagne du Nord qui lui reprochaient violemment ses côtés autrichiens, son sens de

l’humour, ses mélodies populaires balkaniques, ses passages abrupts de la tragédie à la comédie. Le paradoxe est justement que le Sturm und Drang ne fit pas disparaître tous ces traits plébéiens de la musique de Haydn : au contraire, son climat général de violence et d’introspection les mit, par contraste, plutôt en valeur. Première synthèse dans la formation du style classique, le Sturm und Drang ne parvint pourtant pas à mettre complètement en relation harmonieuse, dans une oeuvre ou un mouvement d’oeuvre, les parties et le tout. En outre, le facteur rythme resta encore fortement imprégné d’esprit baroque. Des splendeurs et des sortilèges du Sturm und Drang, qui avaient également marqué leurs contemporains, Mozart et Haydn finirent (non sans en conserver les traces) par se détourner vers 1774, Mozart assez brusquement, sous la pression du milieu salzbourgeois, Haydn, qui vivait dans l’isolement et pour qui il avait signifié davantage, plus lentement. L’un et l’autre finirent par rejeter ce qui n’était que rébellion, éparpillement ou morbidité, au profit d’une forme organique capable de démarrer, mais aussi d’aboutir. Ils accomplirent cette démarche sous le signe d’une subjectivité moins jaillissante peut-être, mais de mieux en mieux intégrée dans un tout harmonieux, et par là d’autant plus puissante et durable dans ses effets. Par le biais du style galant, ils parvinrent en moins de dix ans à leur grande maturité classique. STUTZMANN (Nathalie), contralto française (Suresnes 1965). Fille de la soprano Christine Stutzmann et du baryton Christian Dupuy, elle étudie le piano et le basson au Conservatoire de Nancy. Douée d’un timbre rare, elle est dès 1983 lauréate du Concours de Bruxelles. Puis elle étudie avec Hans Hotter à l’École lyrique de l’Opéra de Paris, d’où elle sort en 1987. Dès 1986, elle chante Didon et Enée à l’Opéra-Garnier, et commence une carrière internationale. Triomphant dans Faust, Boris Godounov et la Flûte enchantée, elle privilégie cependant les récitals avec orchestre ou piano. Depuis 1994, c’est la pianiste Inger Sördergen qui l’accompagne. Elle entreprend au disque une intégrale des lieder de Schumann commencée avec Catherine Collard - et enregistre des mélodies françaises. En 1993, elle interprète les lieder de Mahler

avec orchestre, puis aborde Haendel avec Marc Minkowski et chante les Passions de Bach avec Harnoncourt et Sawallisch. En 1994, elle participe aux Mozartwochen de Salzbourg, et crée Ombra Felice (Mozart Pasticcio) d’Ursel et Hermann. STYLE. 1. En musique, ensemble des caractères qui sont propres à un compositeur, une époque, un courant esthétique, une manière d’interpréter, un mode de jeu instrumental, etc., et qui les distinguent des autres. Ces caractères stylistiques, dont la conjonction définit un « style », sont de toutes sortes : emploi de certaines tournures récurrentes, adoption de certaines formes, formules mélodiques, harmoniques, rythmiques, etc., particulières, façon d’émettre ou de tenir le son, conventions d’interprétation, etc., sans compter d’autres caractères beaucoup plus difficiles à saisir, surtout quand il s’agit de ce que l’on appelle le style d’un compositeur. Il arrive même que, pour un auteur, on distingue dans son évolution plusieurs styles ou manières se succédant. Au sens large, le mot « style » désignait autrefois non point tant une manière, une originalité, qu’une technique particulière d’écriture, adaptée à telle fonction : on parlait de stile antico (style antique, à la manière de Palestrina, pour la musique religieuse), et par opposition de stile nuovo ; on parla aussi plus tard de style galant, pour désigner la « nouvelle » manière d’écrire, en réaction contre la musique rigide et chargée de la période précédente. La notion de style n’avait alors pas le sens qu’elle a pris depuis de caractère personnel et distinctif d’un compositeur. Au XVIIe et au XVIIIe siècle, on distinguait aussi les styles (qu’on appelait aussi « goûts ») selon des nations : il y avait le style (ou goût) italien et le style français, auxquels vint s’ajouter, élaboré plus tard, le style allemand. Les styles correspondent donc à des différenciations perçues à l’intérieur d’un même système musical - lequel ne saurait être nommé « style ». Le style est une certaine manière de jouer à l’intérieur du système, même si, à la longue, il conduit à une évolution de ce système. Pour un Occidental, il n’est guère possible, s’il n’est

pas un spécialiste très averti, d’apprécier différents styles à l’intérieur d’un même système non occidental, sauf si ces styles correspondent à des genres instrumentaux très définis. Il est reconnu qu’un style répond souvent à une définition qui n’est pas seulement formelle, mais aussi humaine et « psychologique « : le style ancien « fugué » et le style « galant », qui peuvent coexister à l’intérieur d’une même oeuvre de Mozart, correspondent non seulement à des procédés d’écriture, des tournures musicales différents, mais également à des « climats », des modes d’être de la musique : sévère et rigoureux, opposé à coulant et agréable, etc. Dans la musique contemporaine, en l’absence d’un système commun à tous et codifié, le style d’un compositeur se définit déjà par l’adoption - ou non - d’un certain nombre de règles, de procédés, de formes ; il est souvent indiscernable de son système. Mais l’on peut dire aussi qu’il est des systèmes musicaux qui ne renvoient à aucun style, c’est-à-dire à aucun propos personnel. L’étude des styles musicaux est un des domaines de la musicologie ; elle peut se borner à inventorier des procédés et des tournures récurrents. On a aussi essayé, dans des recherches récentes, de relever systématiquement les caractères stylistiques d’une période, d’un compositeur, en s’aidant de l’ordinateur, pour recréer ensuite, toujours par l’intermédiaire de la machine, des « pastiches » de ce style (Iliac Suite, oeuvre pour cordes calculée par Hiller et Baker [ ! ORDINATEUR] et pastichant dans un de ses mouvements le style de Haydn). L’étude stylistique d’un compositeur a cependant été rarement menée aussi loin qu’on l’a fait pour les écrivains, car elle demande une bonne formation musicale, moins répandue que la formation littéraire. 2. On dit aussi d’un compositeur, d’un interprète, ou d’une expression musicale qu’ils « ont du style « ; il faut entendre par là qu’ils traduisent quelque chose à la fois de personnel et d’élégant, d’aisé et de vigoureux, par opposition à ceux qui downloadModeText.vue.download 969 sur 1085

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ne décollent pas d’une application sage et mécanique des règles et des conventions. SUBSTITUTION. 1. Au piano, artifice de doigté consistant à glisser de façon muette un doigt à la place d’un autre sur une touche déjà en action. 2. En harmonie, on a longtemps employé le mot « substitution » (Fétis) à propos d’une ambiguïté d’analyse entre l’écriture apparente d’un accord et sa signification réelle lorsque cet accord comportait des sons sous-entendus ou des notes étrangères non résolues. Ainsi, dans un enchaînement sol-si-mi suivi de l’accord de do tonique, le 1er accord peut être entendu soit comme un renversement de 2e degré (analyse littérale apparente : accord de mi mineur), soit comme un accord appoggiaturé dans une cadence ordinaire V-I (mi appoggiature d’un ré sous-entendu). Bien que, hors d’un contexte modal rare autrefois, la deuxième explication soit la plus conforme au sens musical, ainsi que le prouve la possibilité sans en changer le sens d’y ajouter sa 7e fa (ce que fait Chopin en écrivant sol-fa-si-mi), on l’expliquait autrefois en supposant que l’accord du 11e degré (mi mineur) se « substituait » au 5e qui, disait-on, conservait néanmoins sa basse grâce au renversement. On expliquait de même l’accord de quinte et 6e construit sur le 4e degré (exemple fa-la-doré/sol-si-ré/do) ; au lieu d’y voir le premier renversement de l’accord de 7e du 2e degré (ré-fa-la-do) produisant entre fondamentales exprimées ou sous-entendues une descente normale de quintes ré-sol-do soit II-V-I, on le rattachait à la cadence IV-V-I suggérée par la basse IV en y voyant, sur cette basse IV, « substitution » d’un accord de seconde dissonant à l’accord consonant obtenu en enlevant le ré. Ce genre de raisonnement, dont l’arbitraire paraît surprenant, se rattache à toute une école de bizarreries analytiques malheureusement fréquentes dans la tradition scolaire. SUCHOŇ (Eugen), compositeur slovaque (Pezinok 1908 - Bratislava 1993). Il écrit des pièces pour son instrument favori, le piano, dès 1923, alors qu’il est l’élève à Bratislava de Frico Kafenda (1923-1931). Il vient à Prague travailler auprès de V. Novák, qui est, en fait, avec Moyzes et Cikker, l’un des fondateurs d’une véritable école nationale slovaque.

Il enseigne à Bratislava de 1935 à 1960 et est, depuis 1969, le président de l’Union des compositeurs slovaques. Empruntant l’essentiel de ses sujets à l’histoire nationale slovaque, il adopte un style vigoureux, techniquement évolué, de climat fortement modal, propre à l’utilisation de mélodies slovaques primitives. Théoricien expert, il a su faire sien le patrimoine de Novák, tout en restant proche de la rudesse et de la spontanéité du langage parlé slovaque. D’où le succès de ses deux opéras : Krútňava (« le Tourbillon ») en 1949 et Svätopluk en 1960. SUITE (fr., succession) Forme musicale à plusieurs mouvements, à l’origine série de différentes danses (réellement dansées ou stylisées) écrites dans la même tonalité et pour le même instrument ou ensemble instrumental. Les mouvements de la suite peuvent comporter des éléments thématiques commmuns (ce sont souvent les formules initiales), des structures harmoniques et formelles similaires : relations possibles, mais non obligatoires. Les mouvements peuvent aussi être thématiquement indépendants et unifiés uniquement par la présence de la même tonalité. La suite est constituée de mouvements fort différents : danses anciennes ne faisant plus partie de la pratique sociale de la danse, danses à la mode, danses stylisées et ornementées, pièces de type lied ou marche, pièces musicales non liées à la danse (cf. les suites de H. Purcell, Fr. Couperin, J. S. Bach). La suite en tant que forme cyclique de la musique instrumentale a une structure formelle beaucoup plus libre que celle de la sonate : elle a, en principe, un nombre variable de mouvements (danses ou nondanses), elle peut aussi être constituée d’une succession de plusieurs danses du même type, comporter des contrastes métrorythmiques et thématiques dans la succession des mouvements ou, au contraire, des mouvements similaires (c’est le cas des doubles qui varient la danse précédente). La différence entre suite et sonate, en tant que formes principales de la musique instrumentale, devient explicite au cours du XVIIIe siècle : après une période d’interaction et de mélange très fréquents des principes formels de sonate et de suite à l’époque baroque, la pratique musicale du XVIIIe siècle pose la distinction expli-

cite entre la suite, forme cyclique liée à la danse, et la sonate, forme cyclique continuant la tradition de la sonata da chiesa. ORIGINE DU TERME. Le terme « suite » apparaît d’abord dans les publications d’Attaignant à Paris (cf. les Suyttes de bransles dans le 7e Livre de danceries [1557] d’Estienne du Tertre). La plupart des suites de branles sont alors constituées de morceaux à usage pratique et ne cherchent pas à former une oeuvre cyclique unifiée. Les relations thématiques, mais aussi la présence de la même tonalité dans tous les mouvements, sont rares. Au XVIe siècle, la suite française comporte d’habitude 4 branles, avec accélération progressive vers la fin : branle double (lent), branle simple (calme), branle gai (animé) et branle de Bourgogne (rapide). Les deux premiers sont binaires, les deux autres ternaires. Autres dénominations pour la suite : partita (ital. partire, « partager », « séparer », « diviser »), c’est-à-dire succession de parties, de morceaux ou de danses ; ordre (cf. fr. succession, série), c’est-à-dire série de pièces (cf. les Ordres de F. Couperin) ; et, aussi, ouverture (ouverture française) en tant que suite ou succession de mouvements. ÉVOLUTION HISTORIQUE. À l’origine de la suite, aux XVe et XVIe siècles, se trouvent les couples de danses . La suite en deux mouvements comporte d’habitude une danse binaire relativement modérée ou lente (pavane, padoane, passamezzo) et une danse ternaire rapide (gaillarde, saltarello, proportio, Huplauf, Hopeldantz). Dans la pratique populaire, ces couples de danses sont connus sous les noms de Dantz et de Huplauf ; dans la musique de cour au XVIe siècle, ce sont la pavane et la gagliarde, puis la pavane et le saltarello, remplacés au cours du XVIIe siècle par le couple allemande-courante. Les suites les plus anciennes (XVe-XVIe siècles) sont constituées de deux, parfois de trois mouvements, toujours dans la même tonalité. Au cours du XVIe siècle, et surtout à la cour d’Henri IV (1589-1610), la suite française joue un rôle particulièrement important : étroitement liée à la pratique du ballet de la cour, elle se montre aussi

influencée par les « masques » anglais ou les « balli » ou« mascherate » italiens. Le ballet de cour commence d’habitude par une « entrée », introduction solennelle en métrorythme binaire, et comporte une série de plusieurs danses relativement courtes (branles, gaillardes, courantes, gavottes, canaries, sarabandes, etc.), se succédant selon le principe de contraste métrorythmique et de tempo. La tradition italienne de la suite est marquée par le goût pour la variation. Les exemples les plus anciens du XVe siècle reposent en fait sur le principe de la variation rythmique. Un même « tenor » peut servir de base à plusieurs danses fortement différentes : la bassadanza grave, la quadernaria modérée, le saltarello animé et la piva très vive. Les tablatures de O. Pettrucci (15061508), les cycles triparties de J. Dalza ou les tablatures de luth de A. Rotta et D. Bianchini comportent des séries de danses qui poursuivent la tradition de la variation, tout en introduisant de nouvelles danses (passamezzo, gaiarda, padovana, etc.). La succession de trois danses est particulièrement fréquente dans la suite italienne. Ainsi, dans Intabulatura de lauto (1506) de Petrucci, le compositeur et arrangeur J. Dalza signale : « Nota che tutte le pavane hanno el suo Saltarello e Piva. « Les downloadModeText.vue.download 970 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 964 suites de D. Bianchini comportent aussi très souvent trois mouvements - pass’e mezzo, padoana et saltarello - fondés sur la variation du même matériau thématique. Assez fréquentes dans la musique instrumentale italienne de cette époque sont aussi les suites comportant plusieurs danses du même type (cf. les suites de P. Borrono, constituées d’une pavane et de trois saltarellos successifs), ainsi que les suites conçues comme compilations relativement hasardeuses de pièces de différents auteurs. La pratique des couples de danses est aussi très répandue : les suites italiennes à deux mouvements sont constituées de bassadanza et saltarello sur le même tenor au cours du XVe siècle, de pavana (ou pazzamezzo) et gaillarde (ou saltarello) sur le même matériau au cours

du XVIe siècle. Les suites des luthistes italiens du XVIe siècle (Borrono, Rotta, Bianchini) deviennent très connues en Europe après leur publications par H. Gerle à Nurnberg et par Phalèse à Anvers. Chez M. Praetorius (Terpsichore, 1612), la suite égale la seguitur, c’est-à-dire la succession de plusieurs pièces. Dans sa préface, M. Praetorius précise que plus de 400 des mélodies dans Terpsichore lui ont été données par A. Emeraud, maître danseur français à la cour du duc de Brunswick. Les mélodies sont typiques pour le répertoire de la musique de cour sous Henri IV, liées à la pratique des ballets et des suites de branles. De ce fait, l’oeuvre de Praetorius s’avère particulièrement significative en ce qui concerne l’évolution de la musique de danse française et la suite instrumentale liée à cette pratique. En Italie, en France et en Angleterre, l’évolution de la suite jusqu’à la fin du XVIe siècle est étroitement liée à la danse théâtrale en tant que pratique sociale. Les mascherate et balli en Italie, les ballets de cour en France, les masques anglaises déterminent les principes formels des suites instrumentales. Elles commmencent, en règle générale, par une entrée (intrada) et enchaînent des danses à la mode et des pièces, composées spécialement pour accompagner les actions théâtrales et le jeu mimique. Au début du XVIIe siècle, on observe une montée considérable de la musique instrumentale en Europe et une interaction permanente des styles nationaux italien, français, allemand, anglais, espagnol. La France exporte des maîtres danseurs et des luthistes virtuoses, les anthologistes allemands publient des collections comportant des oeuvres instrumentales de musiciens étrangers et contribuent à l’expansion de la suite partout en Europe. La pratique instrumentale des suites est liée encore à la tradition des couples de danses et à la pratique vivante de la danse, mais aussi à la pratique vocale. La suite instrumentale est souvent la version sans texte d’une oeuvre vocale. Ainsi, A. Brunelli publie en 1616 un « balleto » dans une version vocale à 5 voix avec texte (selon la tradition du madrigal) et une version instrumentale ornementée pour chitarrone per sonare solo senza cantare (« pour jouer

seulement sans chanter »)[cf. Scherzi, lib. III, Venezia, 1616]. Ce « balleto » vocal et instrumental est structuré comme une suite à 3 mouvements, avec un ballo grave au début, une gagliarda comme deuxième mouvement et une corrente à la fin. L’interaction de la musique vocale et de la musique instrumentale dans le domaine de la suite est explicite aussi chez les compositeurs allemands (cf. les Neue liebliche Melodien, 1598-1606, ou Neue artige und liebliche Täntze, 1598-1606, de W. Haussmann). Parmi les premiers compositeurs auteurs de suites conçues en tant qu’oeuvres cycliques pensées dans leur intégrité formelle, citons Peuerl (cf. Neue Padouan, Intrada, Däntz und Galliarda, 1611) et Schein (son Banchetto musicale, 1617, contient 20 successions de paduana, gagliarda, courante, allemande et tripla). La succession des mouvements typique pour la suite devient, au cours du XVIIe siècle, allemande, courante, sarabande et gigue. À ces mouvements principaux s’ajoutent souvent d’autres danses, une introduction, des doubles (versions ornementées de la danse précédente) ou des pièces relativement éloignées de la pratique vivante ou historiquement antérieure de la danse. C’est à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle que la gigue devient progressivement mouvement obligatoire de la suite, après l’allemande, la courante et la sarabande. On continue tout de même à écrire à la même époque des suites tripartites (allemande, courante et sarabande, sans gigue). Ce type de suite est très répandu chez les luthistes français et les maîtres danseurs de la cour française, chez les compositeurs de la English Consort Music (W. Lawes) et les compositeurs allemands, auteurs de suites pour clavier (J. Kindermann, J. Froberger) ou pour ensembles instrumentaux (J. Rosenmül-ler, N. Hasse, W. Fabricius, J. Beck, C. Abel). Les compositeurs italiens de la même période sont particulièrement attachés à la sonata da camera pour ensembles instrumentaux (Torelli, Concerti da camera, 1686), mais aussi à la suite pour instrument solo à 3 mouvements (chez les guitaristes A. Bartolotti, Fr. Corbetta) et pour ensembles instrumentaux (Torelli, Pasquini, B. Gianoncelli). La gigue s’impose commme mouvement obligatoire de la suite autour de 1650 dans les oeuvres de J. Froberger en

Autriche, de D. Gaultier en France, de Playford en Angleterre. Sa place à l’intérieur du cycle est, au départ, instable. Le manuscrit de Kassel de musique orchestrale française (1650-1688) comporte des successions : allemande-courante-giguesarabande. M. Weckmann écrit des suites pour clavier ; dans l’ordre : allemandegigue-courante-sarabande, mais aussi allemande-courante-sarabande-gigue. Les anthologies de suites pour ensembles instrumentaux de J. Beck (1664, 1666) et K. Rieck (1658) comportent des suites selon l’ordre : allemande-gigue-courantesarabande, avec interpolation d’autres danses. La place de la gigue à l’intérieur de la suite - la deuxième, juste après l’allemande, ou la dernière, terminale - est définie très souvent au XVIIe siècle non pas par le compositeur, mais par l’éditeur. Les premières suites avec la succession devenue classique (allemande-courantesarabande-gigue) publiées en Allemagne sont destinées au luth (E. Reusner, Delitiae testudinis, 1667). La première publication allemande de suites pour ensemble instrumental avec cette succession date de 1668 (D. Becker, Musikalische FrühlingsFrüchte). La structure ancienne tripartite (sans gigue) reste néanmoins largement répandue. C’est donc dans la suite baroque allemande (chez Froberger, Kuhnau, Pachelbel, Buxtehude, Reincken, Böhm) que s’affirme la succession typique de la suite. Le principe de variations relie très souvent l’allemande à la courante, ce qui donne au cycle plus d’unité et de cohérence. Généralement, les 4 mouvements sont thématiquement indépendants, mais toujours unifiés par la même tonalité. Vers la fin de l’époque baroque, la succession allemande-courante-sarabande-gigue est élargie par l’insertion de mouvements de type intermezzo, aria ou ballo (très souvent entre la sarabande et la gigue), voire introduction ou sonatina (au début). Au cours du XVIIe siècle, en Allemagne, se développe aussi le type suite-variations. C’est une suite en plusieurs mouvements, composés dans la même tonalité et fondés sur le même matériau thématique (cf. les suites-variations de Peuerl et de Schein). La succession habituelle pour les suites de Peuerl est la suivante : paduan-intradaDantz-galliarde. Les premières publications de suites du type allemande-courante-sarabandegigue apparaissent en Angleterre : le

Court-ayres de Playford est constitué de suites à 4 mouvements, écrites par les compositeurs W. Lawes, J. Cobb, W. Gregory, G. Hudson. Les structures en 3 mouvements (sans gigue) et en 4 mouvements (avec gigue) sont très fréquentes chez les clavecinistes anglais (Locke, Rogers, Sandley). Dans Der volkommene Capellmeister (1739), J. Mattheson définit la suite en tant que succession déterminée de quatre danses : « L’allemande... avant la courante, et celle-ci avant la sarabande et la gigue. On nomme leur succession de mélodies downloadModeText.vue.download 971 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 965 suite. » Cette définition correspond à une pratique concrète, largement répandue déjà au cours de la seconde moitié du XVIIe siècle. Il n’existe pourtant, à l’époque de Mattheson, que relativement peu de suites constituées uniquement de ces 4 mouvements considérés comme obligatoires. Dans la plupart des cas s’ajoutent à ces mouvements principaux, au début de la suite, un prélude (praeludium) [chez H. Purcell, J. Fischer], une sinfonia ou sonata (chez J. Rosenmüller, D. Becker, J. Reincken), ou une ouverture (chez J. Kusser, G. Muffat, J.-S. Bach, G. F. Haendel). D’autres mouvements (loure, gavotte, menuet, aria, etc.) sont intercalés entre les mouvements de la suite, très souvent entre la sarabande et la gigue. Au XVIIe siècle, les préludes dans les suites pour instrument solo ne sont souvent que partiellement notés, et destinés en fait à l’improvisation de l’instrumentiste. La suite française de J. Champion de Charbonnière à Fr. Couperin a une structure particulière. Le nombre des mouvements, fort élevé, est très variable. Les suites de Couperin, par exemple, appelées ordres, comportent parfois plus de 20 mouvements. Les mouvements de la suite française sont d’habitude thématiquement indépendants, et souvent, quoique pas nécessairement, liés aux mouvements typiques de danses. Ils portent aussi des titres, sortes de programmes minimes qui indiquent le caractère général de la pièce (la Majestueuse, par exemple). Les principes formels des mouvements sont très

simples : formes bipartites ou formes rondos. La suite française semble étroitement liée à la tradition du ballet scénique avec ses épisodes dansés (cf. les suites de Lully, Rameau). Au cours du troisième quart du XVIIe siècle, on trouve de nombreuses suites, conçues comme des successions de pièces dans la même tonalité, mais pas nécessairement du même compositeur. Cette pratique est un reflet de la vie musicale du temps, particulièrement active, et de l’expansion de la musique instrumentale, qui cherche largement son répertoire dans les opéras et les ballets les plus connus (les suites de D’Anglebert, par exemple, incluent des transcriptions de pièces provenant des ballets et des opéras de Lully). Au cours du XVIIIe siècle français, la suite occupe une place très importante dans l’oeuvre instrumentale de Fr. Couperin, qui élabore trois types distincts de suites : les Nations : sonates et suites de symphonies en trio (1726), pour cordes et clavecin, sont, en fait, des « ordres » qui superposent les principes formels de la sonata da chiesa à ceux de la suite classique à la française, et sont destinées aux académies de musique et aux concerts particuliers ; les Concerts royaux (1722), pour clavecin, cordes et vents, sont constitués d’un prélude et d’une succession assez libre de pièces avec titres-programmes (Air tendre, Plainte, la Tromba, par ex.) ; les Concerts et Apothéoses (1724-25) sont des suites liées aux représentations théâtrales et, de ce fait, supposent une mise en scène et un contenu sémantique explicité dans les titres. Les Concerts royaux et les Apothéoses sont destinés aux concerts de chambre pour le roi. La suite chez Couperin est conçue comme un ordre libre et relativement ouvert : elle comporte les pièces obligatoires, mais aussi des pièces à titres, et n’exige pas l’exécution de toutes les pièces de l’ordre. Les similarités thématiques entre les mouvements de la suite française sont en principe relativement rares. Les mêmes pièces peuvent parfaitement faire partie de différentes suites. Toutes ces particularités de la suite française indiquent qu’elle n’est pas pensée comme une « oeuvre totale » (comme c’est le cas de beaucoup de suites allemandes et surtout des suites-variations), mais comme une oeuvre ouverte, toujours apte à accepter de nouveaux mouvements, conformément à l’usage et aux nécessités concrètes de la vie musicale. Parmi les auteurs les plus importants de

suites pour clavecin et ensembles instrumentaux : Louis et François Couperin, J. F. Dandrieu, L. Marchand, E. Jacquet de la Guerre, N. Siret, L. A. Dornel, J.-Ph. Rameau. La suite joue un rôle particulièrement important dans les oeuvres instrumentales de Bach et de Haendel. Bach a écrit plus de 40 suites instrumentales. Ses Suites françaises (1720) comportent les 4 danses fondamentales, auxquelles s’ajoutent, entre la sarabande et la gigue, d’autres danses, de 2 à 4. Le titre original Suites pour le clavecin a été remplacé plus tard par le titre Suites françaises, par opposition, très vraisemblablement, aux Suites anglaises, composées « pour les Anglais ». Les Suites françaises n’ont pas de prélude et comportent un nombre variable de pièces entre la sarabande et la gigue. Les Suites anglaises (autour de 1720) commencent toujours par un prélude (d’où leur titre original Suites avec préludes) et comportent la succession des 4 mouvements obligatoires, avec l’insertion de doubles ou d’autres pièces entre la sarabande et la gigue. Les partitas (1731) ont des préludes d’une écriture très variée, avec des titres différents. Elles comportent aussi une aria (ou air) entre la courante et la sarabande, ainsi que d’autres danses entre la sarabande et la gigue. Les 6 Suites pour violoncelle solo, toujours avec prélude, reproduisent le principe des Suites anglaises. Les 3 Sonates et les 3 Partite pour violon solo ont une structure plus libre et plus riche et forment une encyclopédie musicale extraordinaire de l’art du violon (cf. la chaconne de la Partita no 2 en ré mineur ou la fugue de la Sonate no 3 en do majeur). Les 4 suites orchestrales sont aussi d’une écriture musicale et d’une structure formelle assez libres. Les suites orchestrales de Haendel, mais aussi ses ouvertures à plusieurs mouvements, témoignent d’une grande liberté dans le choix de leurs mouvements constitutifs. Les suites pour clavecin, par contre (plus de 20), contiennent toujours les 4 danses devenues obligatoires : allemande, courante, sarabande et gigue (c’est également la structure des deux Suites pour la princesse Louise, 1736). Dans les suites de Haendel, on observe aussi l’interaction des différents styles, l’italien et l’allemand, par exemple, dans ses grandes suites de 1720.

La suite baroque évolua jusqu’à la première moitié du XVIIIe siècle. Plus tard, elle fut presque remplacée par le divertimento, la sérénade, et surtout par la sonate et la symphonie. Dans la pratique de la danse, les vieilles danses cèdent leur place au Ländler, à la valse, à la polka, etc. Des diverses danses de la suite, seul le menuet survécut dans la sonate ou la symphonie classiques. À partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, l’évolution de la suite prend diverses directions. Les suites de L. Mozart (cf. Notenbuch seinem Sohne Wolfgang Amadeus... geschenkt, 1762) sont en fait des successions de pièces de différents auteurs. Le successeur direct de la suite baroque est le divertimento. Le principe formel de la suite subsista néanmoins pour certaines oeuvres musicales de l’époque classique, et même jusqu’à l’époque contemporaine, parfois sous l’aspect de copies ou de pastiches stylistiques (cf. Mozart, Klaviersuite KV 399 ; Reger, Suite im alten Stil op. 93 ; Debussy, Suite bergamasque ; Ravel, le Tombeau de Couperin ; Poulenc, Suite française ; Schönberg, Suite op. 25 ; Berg, Suite lyrique). À l’époque classique, la suite est évincée par la sonate et la symphonie. La tradition de la suite baroque est maintenue dans les suites de danses (de 6, voire de 12 du même genre), souvent organisées par des relations tonales symétriques (chez Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert, Dittersdorf, Hummel). Après 1800, la suite évolue exclusivement en tant que suite de ballet, pot-pourri d’opéras ou suite de musique militaire. Au cours du XIXe et du XXe siècle, la suite est très souvent une série de pièces issues d’un ballet, d’un opéra, d’une musique de scène, d’un spectacle théâtral ou d’un film. La suite du XIXe siècle est d’habitude liée à un programme (cf. la suite Schéhérazade de Rimski-Korsakov, la suite Peer Gynt ou la suite Aus Holbergs Zeit op. 40 de Grieg) et comporte plusieurs pièces contrastantes, liées aux genres musicaux très différents. Une forme particulière de la suite romantique est constituée par les cycles de miniatures chez Schumann : Papillons, Kreisleriana, Carnaval, Faschingsschwank downloadModeText.vue.download 972 sur 1085

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aus Wien sont en fait des suites de pièces aux caractères forts différents, liées à une idée poétique unifiante et à des relations thématiques, tonales ou de texture agissant à distance. Les suites de miniatures représentent une des manifestations les plus significatives de la musique à programme et des recherches formelles de l’époque romantique. Les principes formels de la suite interfèrent souvent avec ceux de la sonate et du cycle de la sonate ou la symphonie (cf. les Études symphoniques pour piano de Schumann ou son Manfred, « poème dramatique : fragments disposés en suite d’orchestre »). Au cours du XIXe et du XXe siècle les danses continuent à faire partie des mouvements de la suite, sans que leur rôle soit aussi important qu’à l’époque baroque. La valse, mais aussi la marche, l’élégie, le scherzo, le nocturne, la romance, ainsi que des pièces avec des titres-programmes indiquant leur caractère général (cf. le Jeu des sons, les Rêves de l’enfant dans la Deuxième Suite pour orchestre de Tchaïkovski) sont également admis dans la suite. Les relations tonales et thématiques à l’intérieur de la suite du XIXe siècle deviennent beaucoup plus libres : chaque mouvement peut être écrit dans une tonalité différente ; la même tonalité n’est même plus obligatoire pour le premier et le dernier mouvement du cycle ; les relations thématiques à distance sont liées dans chaque cas au programme sémantique concret et au projet formel global de l’oeuvre. La structure formelle des mouvements est aussi beaucoup plus complexe que celle des danses de la suite baroque : les pièces qui constituent la suite peuvent avoir la structure formelle de forme bi- ou tripartite simple, mais aussi la structure de forme tripartite complexe, de rondo, thème et variations, sonate ou rondo-sonate. Le nombre des mouvements qui constituent la suite est aussi très variable. Après le déclin de la suite baroque, sa tradition se perpétue, considérablement transformée, dans les suites de ballets (cf. Tchaïkovski, Casse-Noisette ; Prokofief, les suites de l’Amour des trois oranges et de Roméo et Juliette). Au XXe siècle, la suite évolue dans une optique néoclassique (cf. les suites « à l’antique » de Hindemith d’après Gervaise, de Stauss d’après Couperin, d’Egk d’après Rameau, de Stravinski d’après Pergolèse) et dans des orientations stylistiques très différentes (cf. Satie, Chapitres tournés en tous sens ;

Bartók, Tanzsuite pour orchestre, Suite op. 14 ; Schönberg, Suite pour cordes, Suite pour piano op. 25 ; Berg, Suite lyrique ; Stockhausen, Momente, etc.). SUJET. 1. Outre son acception habituelle - le sujet d’un opéra -, ce terme s’emploie spécialement, dans la fugue, pour désigner le thème principal présenté dans l’exposition, et qui doit devenir l’élément essentiel du développement. Le mot « sujet » cesse de s’employer lorsque ce thème est présenté sous la forme et dans les notes où il répond pour la première fois au sujet initial ; le thème garde alors toujours son nom de « réponse », tandis que le mot « sujet » peut être employé dans tous les autres cas (sujet à la sous-dominante, au IIe degré, etc.). 2. En langage de ballet, le terme désigne les différents grades du corps de ballet (premier sujet, grand sujet, etc.). SUK, famille de musiciens tchèques. Josef, violoniste, pédagogue et compositeur (Krecovice 1874 - Benesov 1935). Fils d’instituteur, musicien et mélomane, il apprend le violon dès l’âge de quatre ans. Admis dans la classe de violon d’Antonin Bennewitz au conservatoire de Prague en juillet 1885, il travaille l’harmonie (Josef Foerster) et la composition (Antonín Dvořák), et devient le camarade, puis l’ami, de Vitezslav Novak. Admis dans l’intimité de Dvořák à Vysoka, il fait la connaissance de sa fille Otilka. Il fonde avec Karel Hoffmann, premier violon, Oskar Nedbal, alto, et Otto Berger, violoncelle, le Quatuor tchèque, sous la direction du célèbre violoncelliste et professeur Hanus Wihan. Ce quatuor donne son premier concert le 19 janvier 1893 à Vienne. Suk restera le deuxième violon de cet ensemble jusqu’à son concert d’adieu, le 20 mars 1933. De 1893 à 1905, il écrit de nombreuses pièces pour le piano, Six Pièces op. 7, Feuillet d’album, Pièces op. 12, Impressions d’été op. 22b, ainsi que la célèbre Sérénade pour cordes op. 6, sous l’influence directe de son maître, devenu son beau-père, depuis son mariage avec Otilka. Le 1er mai 1904, alors que Suk vient de se faire applaudir par le public tchèque pour son immense poème

symphonique Praga, Dvořák meurt subitement. Le 5 juillet 1905, Otilka meurt, à son tour, de tuberculose. Désormais, Suk n’est plus le chantre du printemps et de l’amour. Son style devient d’une grande complexité polyphonique et polyrythmique. En mémoire de sa femme et de son beau-père, il écrit un immense chant funèbre, une Symphonie en ut mineur, Asraël, dont l’ossature thématique est constituée par le thème du destin, qui s’unit à celui de la mort, telle la malédiction de Roduz, et Mahulena. Cet immense poème en 5 mouvements forme le premier pilier d’une tétralogie qui comporte aussi le Conte d’été op. 29 (1909), Maturation op. 34 (1917) et Épilogue op. 37 (1933). Suk est pourtant le fondateur de l’école tchèque moderne et, avec Novak, celui qui a su faire passer la forme du quatuor, comme celle du poème symphonique, de Brahms et Strauss à Janáček, Hába et Martinºu. La puissance méditative, la vitalité, la tendresse expressionniste de Maturation s’opposaient, à l’époque de la création de l’ouvrage, à la musique « blanche » d’un Stravinski et aux principes de non-répétition de l’école viennoise. Aujourd’hui, Suk attend sa réhabilitation, tout comme l’autre école de Vienne, celle allant d’Hauer à Franz Schmidt. Josef, violoniste (Prague 1929). Petitfils du précédent et arrière-petit-fils de Dvořák, il a fait ses débuts en public dès 1940, a étudié au conservatoire de Prague jusqu’en 1951, a été premier violon du Quatuor de Prague (1951-52), et, en 1962, a formé un duo avec la claveciniste Zuzana Ruzickova. Il s’est imposé à l’étranger à partir de 1959, et est le premier violoniste tchèque de sa génération, tant comme soliste que comme musicien de chambre. SULLIVAN (sir Arthur), compositeur et chef d’orchestre anglais (Lambeth, Londres, 1842 - Londres 1900). Il écrivit dans de nombreux genres beaucoup d’oeuvres sérieuses qui le firent parfois considérer comme le principal compositeur anglais de son temps (Irish Symphony, 1866 ; Ouverture di ballo, 1870). Mais presque aucune de ces oeuvres ne lui a survécu, et c’est à ses ouvrages scéniques à la veine légère, en particulier à

ceux qu’il produisit avec comme librettiste W. S. Gilbert, qu’il doit son immortalité. Parmi ces ouvrages (plus ou moins dans la descendance d’Offenbach) de « Gilbert & Sullivan », citons HMS Pinafore, or The lass that loved a sailor (1878), The Pirates of Penzance (1879), Iolanthe (1882), The Mikado (1885), The Yeomen of the Guard (1888) et The Gondoliers (1889). SUL PONTICELLO (ital. : « sur le chevalet »). Indication de jeu non pas « sur », mais « près » du chevalet, afin de produire un son nasillard. On la trouve à la variation III (premiers et seconds violons en doubles croches) de l’Adagio ma non troppo de la symphonie en ut majeur no 97 de Haydn (1792). SUPERVIA (Conchita), cantatrice espagnole (Barcelone 1895 - Londres 1936). Elle débuta à quinze ans au Colón de Buenos Aires, chanta Carmen en 1911 à Bari, et Oktavian à Rome pour la création italienne du Chevalier à la rose. Dalila à Barcelone en 1912, elle s’imposa dès lors, en Europe et en Amérique, dans Carmen, dans Chérubin, mais aussi dans le répertoire comique rossinien. Elle fut Rosine du Barbier de Séville dès 1915, Cenerentola dès 1921, et Isabella de l’Italienne à Alger downloadModeText.vue.download 973 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 967 en 1925, rôles qu’avec Carmen elle interpréta triomphalement à Paris et à Londres dès 1929. Elle mourut en couches au sommet de sa gloire. Soprano grave plus que véritable mezzo-soprano, maîtresse d’une technique absolue, Conchita Supervia possédait un timbre inimitable, sa voix unissant un vibrato très serré au grave intense des chanteuses de flamenco (elle a laissé un enregistrement essentiel des Sept Chansons de Manuel de Falla) et aux inflexions presque infantiles de son registre aigu. Excellente comédienne, elle possédait une vis comica naturelle qui lui permit de s’affirmer dans le répertoire rossinien, pour lequel elle n’avait pas les moyens vocaux exacts, mais son interprétation d’une Car-

men jeune, spontanée mais tragique est sans doute demeurée jusqu’à présent inégalée. SUPPE (Franz von), compositeur autrichien (Spalato, Dalmatie, 1819 - Vienne 1895). Après avoir montré des dispositions musicales précoces, il commença des études de médecine. Mais une rencontre avec Donizetti le ramena à la musique. Il travailla alors avec Ignace von Seyfried, un disciple de Haydn, et fut engagé au Josephstadt Theater de Vienne comme chef d’orchestre et, surtout, comme compositeur et arrangeur de vaudevilles. Il le quitta bientôt pour le Théâtre An der Wien, pour lequel il devait écrire la plupart de ses opérettes. Parmi ses plus grands succès, il faut citer Dix Filles et Aucun homme (1862), Fatinitza, extraite de la Circassienne de Scribe (1876), et Boccaccio (1879). Ses partitions, nourries de valses viennoises, témoignent d’une forte influence italienne au niveau de l’écriture vocale et montrent d’ingénieuses trouvailles instrumentales. Suppe fut, avec Johann Strauss, le plus heureux et le plus fécond des compositeurs de la belle époque viennoise. Seules, cependant, certaines de ses ouvertures sont vraiment passées à la postérité : Poète et Paysan, Cavalerie légère. SUSATO (Tylman), compositeur et éditeur de musique flamand (v. 1500 - Anvers ? 1561/1564). Il est calligraphe, en 1529, et trompettiste, en 1531, de la cathédrale d’Anvers, et devient la même année musicien de la ville. Il le restera jusqu’en 1549. Après deux tentatives infructueuses de coopération avec les imprimeurs Henry ter Bruggen et Willem Van Vissenaecken (1541), puis avec Van Vissenaecken seul (1542), il obtient en 1543 son propre privilège et publie alors, jusqu’en 1561, 57 recueils de musique : 3 livres de messes, 19 livres de motets (4 livres de sacrarum cantionum et 15 d’ecclesiasticarum cantionum), 11 Musyck boexken et 24 recueils de chansons, dont une série en 14 livres. Une grande partie de ses publications est consacrée aux compositeurs franco-flamands en général sous forme d’anthologies. Il consacre, par exemple, 4 Musyck boexken à Clemens non Papa, et 4 autres, à

son élève G. Mes ;, 1 recueil de chansons, à Th. Crecquillon ; 1 autre à P. de Manchicourt ; 1 album rétrospectif, à Josquin Des Prés, et plusieurs, à ses propres compositions. Il édite, en effet, lui-même la plupart de ses oeuvres, dont 1 messe (In illo tempore), 7 motets, 10 Souterliedekens (dans les recueils consacrés à Clemens non Papa), 1 livre de danses (volume 3 des Musyck boexken) et quelque 90 chansons. Premier imprimeur de musique important en Flandre, il fut également l’un des premiers à publier des oeuvres de Lassus, auquel est consacré l’unique volume édité par son fils et successeur, Jacques Susato, en 1564. SUS-DOMINANTE. Nom donné au 6e degré de la gamme lorsqu’il a une fonction harmonique, et dans ce cas seulement. Cet emploi étant exceptionnel, en langage classique contrairement à la dominante et à la sousdominante -, le terme est peu employé. Il est, du reste, contestable, car il a été forgé par analogie à partir d’un contresens sur le mot « sous-dominante ». Ce dernier, à l’origine, ne voulait pas signifier « degré au-dessous de la dominante », mais « dominante du dessous », c’est-à-dire la quinte inférieure de la tonique comme la dominante en était la quinte supérieure. Dans une telle acception, le mot « sus-dominante » n’avait aucun sens. SÜSSKIND (Walter), chef d’orchestre et pianiste tchèque naturalisé anglais (Prague 1913 - Berkeley 1980). À l’Académie de Prague, il étudie le violon avec Josef Suk et la composition avec Alois Haba, avant de rencontrer Georges Szell à Berlin. De 1934 à 1938, il en est assistant et pianiste au Théâtre-Allemand de Prague. Il émigre à Londres en 1938, où il joue jusqu’en 1942 dans le Trio tchèque avant de diriger, de 1943 à 1945, la Carl Rosa Opera Company. De 1946 à 1952, il dirige au Sadler’s Wells et au Scottish National Opera. En 1956, il commence une carrière canadienne en étant, jusqu’en 1965, à la tête de l’Orchestre symphonique de Toronto. À partir de 1962, il dirige le Festival d’Aspen, et termine sa carrière à l’Orchestre de Cincinnati, de 1978 à 1980. Il a fait découvrir les symphonies de Mahler et de Bruckner au public canadien. Il a réalisé de remarquables enregistrements du Prince de bois, du Château de Barbe-

Bleue et de la Cantate profane de Bartók. SÜSSMAYR (Franz Xaver), compositeur autrichien (Schwanenstadt, Haute-Autriche, 1766 - Vienne 1803). Il étudia avec son père, puis au monastère de Kremsmünster (1779-1787), et, en 1788, s’installa à Vienne comme professeur de musique. En 1790 ou 1791, il fit la connaissance de Mozart, qui lui enseigna la composition. Après la mort de Mozart, il étudia le style vocal avec Salieri, et, de 1794 à sa mort, fut maître de chapelle au Burgtheater pour l’opéra allemand, obtenant le succès dans le genre du singspiel avec Der Spiegel von Arkadien (1794), Die edle Rache (1795), Der Wildfang (1797) ou encore Soliman der Zweite oder Die drei Sultaninnen (1799). On se souvient principalement de lui pour la part qu’il prit dans l’achèvement du Requiem de Mozart ( ! EYBLER), dont il acheva aussi le concerto pour cor K.412. Il composa aussi probablement les récitatifs non accompagnés (secco) de la Clémence de Titus. SUTHERLAND (Joan), soprano australienne (Sydney 1926). Avant son arrivée à Londres en 1950, elle avait débuté à Sydney dans le principal rôle d’un opéra d’Eugène Goossens : Judith. À Londres, elle chanta d’abord des rôles lyriques comme Micaëla de Carmen et Agathe du Freischütz. En 1955, elle créa The Midsummer Marriage de Michael Tippett. Son mariage avec Richard Bonynge, l’année suivante, donna un tournant décisif à sa carrière. Avec Lucia di Lammermoor en 1959, elle s’affirma comme une des plus brillantes stars du bel canto orné et commença une carrière internationale, dans laquelle Haendel, Rossini, Donizetti, Bellini, devaient trouver en elle une virtuose exceptionnelle. Dans les années 70, elle exhuma avec bonheur un certain nombre d’opéras français oubliés tels que Esclarmonde et le Roi de Lahore de Massenet, auxquels elle donna un regain de popularité. La caractéristique la plus étonnante de la voix de Sutherland, plus encore que son étendue (du do3 au sol5), est sans doute sa puissance unie à une extraordinaire agilité. C’est avant tout une cantatrice d’abattage. Son brio, dans les mouvements rapides, paraît insurpassable. Mais sa diction laisse à désirer et son expression paraît souvent conventionnelle.

SVANHÖLM (Set), ténor suédois (Västeräs 1904 - Saltsjö-Duvnäs 1964). Il étudie l’orgue, et devient en 1927 l’élève de John Forsell à Stockholm. Il débute en 1930 à l’Opéra de Stockholm, mais il est d’abord baryton. En 1936, il fait ses débuts de ténor. À partir de 1938, il s’impose comme wagnérien à Salzbourg, Berlin et Budapest, avant de chanter à Bayreuth en 1942. De 1946 à 1956, il poursuit sa carrière au Metropolitan de New York, et dirige l’Opéra royal de Stockholm de 1956 downloadModeText.vue.download 974 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 968 à 1963. Il a marqué les rôles de Siegmund et Siegfried dans la Tétralogie, ainsi que Tristan. Dans les pays scandinaves, on l’a souvent comparé au Danois Lauritz Melchior. SVEINSSON (Atli Heimir), compositeur et pédagogue islandais (Reykjavík 1938). Il étudie à Reykjavík, Cologne et Darmstadt avec G. M. Koening, K. Stockhausen, H. Pousseur et A. Zimmermann. Sveinsson est un avant-gardiste qui, après avoir hésité entre l’aléatoire (Mengi pour piano, 1970) et l’exactitude (Drei Impressionen, 1961), a réussi à équilibrer ces deux tendances dans ses oeuvres les plus récentes : Concerto pour alto (1971), Concerto pour flûte et Könnun (1972). Avec Bizarreries, pour soprano, flûte, piano et bande magnétique (1973), il introduit des éléments de théâtre musical qu’il développe dans Flower Shower (1974). Président de l’Union des compositeurs islandais, il a été joué en Europe continentale, notamment à l’Automne de Varsovie. SVENDSEN (Johan), compositeur et chef d’orchestre norvégien (Oslo 1840 - Copenhague 1911). Considéré comme le premier symphoniste norvégien, il étudie à Leipzig de 1863 à 1867, où, encore étudiant, il écrit 2 de ses principaux ouvrages : l’Octuor à cordes op. 3 et la 1re Symphonie en ré majeur. Sa 2e Symphonie en si bémol majeur date de 1876, après un séjour à Paris, où, semblet-il, la découverte de Berlioz l’avait fortement impressionné. D’une écriture vigoureuse, ses oeuvres, Norsk Kunstnerkarneval

(1874), Carnaval à Paris (1872), la célèbre Romance pour violon (1881), Roméo et Juliette (1876), les 4 Rhapsodies norvégiennes, sont le témoignage d’un maître de l’orchestration et elles lui valurent un très grand succès auprès de ses contemporains, notamment à Paris, où il vécut quatre ans (1868-1870, 1878-1880). En 1883, Svendsen fut nommé chef de l’orchestre du Théâtre royal de Copenhague et il y termina sa carrière. SVETLANOV (Evgueny), chef d’orchestre russe (Moscou 1928). Ses parents, membres de la troupe du Bolchoï, le font chanter dans les choeurs alors qu’il est encore enfant. Il entreprend ensuite ses études musicales à l’École Gnessine (piano et composition). Il entre en 1951 au Conservatoire de Moscou, où il travaille avec Gaouk et Chaporine. En 1955, il fait ses débuts de chef en dirigeant une de ses propres oeuvres, Fantaisie sibérienne. Cette même année, il est nommé chef assistant du Théâtre du Bolchoï, puis premier chef en 1962. En 1963, il commence une longue collaboration avec l’orchestre symphonique d’U.R.S.S. (aujourd’hui de Russie), qui acquiert rapidement une renommée internationale. Fervent défenseur de la tradition musicale de son pays, il enregistre une anthologie de la musique symphonique russe, ainsi que ses propres compositions pour diverses formations instrumentales. Sa vie et son oeuvre ont fait l’objet d’un film, le Chef d’orchestre. SWAROWSKY (Hans), chef d’orchestre autrichien (Budapest 1899 - Salzbourg 1975). De 1920 à 1927, il a de prestigieux professeurs : Richard Strauss, Schönberg et Webern. Jusqu’en 1937, il dirige plusieurs opéras à Hambourg, Berlin et Zurich. Pendant la guerre, il est dramaturge du Festival de Salzbourg, puis, en 1944 et 1945, il dirige l’Orchestre philharmonique de Cracovie. En 1946, il crée la Grande Suite du Chevalier à la rose de Richard Strauss. Poursuivant ses activités, il est surtout réputé comme pédagogue : il enseigne à partir de 1949 à la Hochschule de Vienne, où il compte parmi ses élèves Abbado, Mehta et Ralf Weikert. Il est considéré comme un dépositaire de la grande tradition de l’opéra et de la valse viennoises. De 1957 à

1959, il dirige le Scottish National Opera, puis se consacre à l’édition de partitions et à l’enseignement. SWEELINCK (Jan Pieterszon), organiste et compositeur néerlandais (Deventer 1562 - Amsterdam 1621). Fils de Peter Swybertszoon, organiste de la Oude Kerk d’Amsterdam, et de Elsken Sweling, descendante d’une famille connue d’orfèvres de Cologne, il adopte le nom de sa mère dès ses premières publications. Il reçoit son enseignement de son père, puis, après la mort de celui-ci (1573), de W. J. Lossy, à Harlem. En 1577, il est nommé, en succession de son père, aux orgues de la Oude Kerk, poste qu’il occupera jusqu’à sa mort. Mais, l’année suivante, la ville d’Amsterdam se rangeant dans le camp de la Réforme calviniste, la place de l’orgue dans les cérémonies religieuses devient presque nulle. Une courte improvisation à l’orgue précède encore et suit le sermon chaque jour ; en dehors de cette intervention liturgique, le fonctionnaire municipal qu’est l’organiste de la Oude Kerk utilise l’instrument qui lui est confié dans un esprit profane ; il organise des concerts d’orgue quotidiens qui font, bientôt, de lui le personnage le plus en vue de la société musicale d’Amsterdam. Il forme également un Collegium musicum vocal et instrumental, composé d’amateurs qui exécutent ses oeuvres. Sa réputation se répand à l’étranger ; il semble avoir été en rapport particulièrement étroit avec les musiciens anglais. Il reçoit de nombreux élèves, dont les plus célèbres sont M. Praetorius, S. Scheidt, H. Scheidemann. John Bull lui rend hommage lors de sa mort en écrivant une fantaisie sur un de ses thèmes favoris. Sweelinck laissa cinq enfants ; son fils aîné Dirck lui succéda aux orgues de l’Oude Kerk et fut un compositeur apprécié. L’importance de Sweelinck se manifeste dans trois domaines. Il fut un remarquable compositeur pour le clavier, pour l’orgue en particulier. Dans ce domaine, il doit beaucoup à l’école anglaise, mais ses constructions sont plus élaborées et il s’attaque à des formes complexes et largement développées. On peut considérer que ses fantaisies pour le clavier sont, avec leur utilisation d’un contrepoint à 3 voix, un des premiers exemples de fugues pleinement développées. Il est également le

premier à avoir utilisé la forme de la variation de choral. Ses innovations furent répandues par ses élèves - on le surnomma le « faiseur d’organistes ». Autour de chacun d’eux se forment des centres musicaux importants, Halle pour Scheidt, la cour de Brunswick pour Praetorius, Hambourg pour Scheidemann. À travers ce relais se forme toute l’école d’orgue de l’Allemagne du Nord, dont les noms les plus célèbres seront Buxtehude et Bach. L’oeuvre de Sweelinck restera inédite de son vivant. Elle circulera à l’état de manuscrits dont l’aire de diffusion dès le XVIIe siècle nous permet de mesurer l’importance du musicien et de son influence. On trouve, en effet, des copies de ses oeuvres d’Uppsala à Padoue, de Paris à Oxford ou au fond de la Hongrie. C’est pourtant par son oeuvre vocale que Sweelinck fut d’abord le plus universellement connu. La plus grande part de cette oeuvre est composée sur des textes français. Trois collections de chansons françaises sont éditées entre 1592 et 1594 ; elles sont suivies de 4 livres de psaumes (qui incluent la totalité du Psautier genevois) de 1604 à 1621 et des Rimes françoises et italiennes en 1612. Les Cantiones sacrae, enfin, paraissent en 1619. Une partie de cette production s’est perdue, mais il nous reste 254 pièces vocales. Elles représentent l’expression ultime de l’art de la polyphonie hollandaise ; marquées de nombreux italianismes, elles tendent vers un classicisme, au sein duquel trouvent place des rémanences de divers genres plus anciens, motet, madrigal, chanson, villanelle. Certains textes des Cantiones sacrae donnent à penser que Sweelinck, sur ses vieux jours, est probablement revenu au catholicisme ; de toute façon, il semble avoir entretenu toute sa vie d’excellents rapports avec les Églises opposées. Max Seiffert a publié, entre 1894 et 1904, une édition complète des oeuvres de Sweelinck en 10 volumes, édition revue et augmentée en 1943. downloadModeText.vue.download 975 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 969 SWIETEN (Gottfried, baron Van), diplomate, mécène et compositeur autrichien

de naissance hollandaise (Leyde 1733 Vienne 1803). Fils de Gerhard Van Swieten, médecin personnel de l’impératrice Marie-Thérèse à partir de 1745, il entra dans le service diplomatique autrichien en 1755, séjournant à Bruxelles (1755-1757), Paris (17601763), Varsovie (1763-64) et Londres (1769). Au cours de ces années, il écrivit 3 opéras-comiques, les Talents à la mode, Colas, toujours Colas et la Chercheuse d’esprit (perdu). Il composa au moins 10 symphonies, dont 7 ont survécu. Il fut, de 1770 à 1777, ambassadeur d’Autriche à Berlin, où il développa un goût pour la musique de J.-S. Bach et de Haendel, et d’où il commanda à C. P. E. Bach, alors à Hambourg, 6 symphonies pour cordes (1773). À son retour à Vienne, il devint bibliothécaire impérial, et, comme président de la commission de l’éducation et de la censure, participa activement à la politique de réformes de Joseph II. Il fit connaître à Mozart la musique de Bach et de Haendel, et, après 1785, pour promouvoir des exécutions privées d’oratorios, fonda la Gesellschaft der Associierten (Société des associés), composée d’une douzaine de membres de la haute aristocratie, dont lui-même, jouant un rôle de mécène. C’est pour cette société que Mozart réalisa ses arrangements d’Acis et Galatée (1788), du Messie (1789) et enfin de l’Ode à sainte Cécile et d’Alexanders Feast (1790) de Haendel, et que Haydn composa la version vocale des Sept Paroles du Christ (1796), puis surtout la Création (1798) et les Saisons (1801). De la Création et des Saisons, Van Swieten rédigea en outre les livrets. Beethoven, qu’il avait protégé dès son arrivée à Vienne en 1792, lui dédia sa Première Symphonie (1800), et Forkel sa biographie de J.-S. Bach (1802). SWING. Courant rythmique propre au jazz, qui résulte d’une certaine construction de la phrase, d’une distribution typique des accents, de leur mise en place dans l’exécution et du caractère à la fois vivant et décontracté de celle-ci. Différents types de swing sont concevables, selon que la section rythmique met plus ou moins en valeur l’afterbeat, mais un accord doit toujours se faire, sur le plan de la dynamique comme sur celui des durées, entre la section rythmique et le so-

liste (ou les divers pupitres de l’orchestre). Historiquement, le swing se manifeste à toutes les époques de l’histoire du jazz, mais c’est à partir de 1930-1935 qu’il cesse d’être un don individuel assez rare pour devenir une acquisition collective, permettant ainsi la constitution d’un nombre relativement élevé d’orchestres de jazz. Dans le free jazz, toutefois, la recherche du swing cesse d’être la motivation essentielle du musicien. Ultérieurement, certains chefs d’orchestre, en intégrant à l’occasion la rythmique binaire du rock’n’roll, ont accepté de ne plus même se référer à cette notion longtemps tenue pour fondamentale. SWING CRAZE : période, de 1935 à 1941, pendant laquelle le jazz orchestral, qu’on appelait alors « swing music », fut très apprécié du grand public américain. SYMPHONIE. Dans son sens principal, le terme de symphonie désigne le plus important genre orchestral, avec le concerto, de la musique occidentale à partir du XVIIIe siècle ; le plus représentatif aussi, puisque la symphonie beethovénienne a été dans toute la planète l’ambassadrice privilégiée de cette musique. La symphonie est caractérisée par : - l’emploi de l’orchestre comme ensemble-masse, sans qu’il y ait opposition permanente d’un soliste à cette masse ; les solos dans les symphonies sont en principe des « prises de parole » isolées, au nom et au bénéfice de l’ensemble dont ils se détachent ; - un plan en 4 mouvements, disposés selon le moule de la sonate classique : allégro de forme sonate, précédé ou non d’une courte introduction lente ; mouvement lent, adagio ou andante ; menuet ou scherzo dansant à trois temps ; finale rapide de forme sonate, ou rondo-sonate ; on a parfois appelé, pour cette raison, la symphonie une sonate pour orchestre ; - des proportions qui, après Haydn, « fondateur » de la symphonie au sens moderne, et à partir de Beethoven, tendent (à de notables exceptions près il est vrai)

à être de plus en plus importantes (une heure et demie chez Mahler, voire deux heures chez Messiaen). Étymologiquement, le terme de symphonie dérive du grec symphonia (sun, « avec « ; phônê, « son »), « union de sons », « harmonie », « accord », « consonance » et aussi « concert ». Il a pris par métonymie une foule de sens, désignant tantôt un instrument (dans l’Antiquité une sorte de tambour et au Moyen Âge, sous le nom de « chifonie » ou « chifoine » la vielle à roue ou un autre instrument basé sur le même principe), tantôt la masse de l’orchestre lui-même, tantôt une intervention purement instrumentale ou orchestrale au sein d’une oeuvre vocale sacrée (motet) ou profane (opéra), et enfin, à partir du XVIIe siècle, différents genres musicaux d’abord peu définis, dont le point commun était d’employer le ou les instruments sans la voix ni le texte, qu’il s’agisse de suites instrumentales (Symphonies pour les soupers du roy, de Michel Richard Delalande), de pièces polyphoniques pour instruments seuls (les sinfonie de Rossi et Banchieri) ou même de pièces instrumentales en solo (sinfonia au début d’une partita pour clavecin de Jean-Sébastien Bach). La symphonie moderne ne s’est trouvée qu’au milieu du XVIIIe siècle, mais il est curieux de noter qu’elle s’est définie d’abord par l’exclusion de la voix et du texte, et que celui qui l’a portée le plus haut, Beethoven, est aussi celui qui a fini par y réincorporer, dans sa 9e, le texte et la voix. Comme si la symphonie avait toujours conservé un rapport secret avec la voix humaine et la musique dramatique, fût-ce sous la forme de l’exclusion ou de la sublimation. Au XVIIe siècle, le dictionnaire de musique de Brossard définit la symphonie comme une « composition pour les instruments », et, dans celui de Jean-Jacques Rousseau on lit que « le mot symphonie s’applique à toute musique instrumentale, tant à des pièces qui ne sont destinées que pour les instruments, comme les sonates et les concertos, qu’à celles où les instruments se trouvent mêlés avec les voix, comme dans nos opéras et dans plusieurs autres sortes de musique ». On fait dériver la symphonie au sens moderne, c’est-à-dire la « sonate pour orchestre » dont Haydn a stabilisé le moule,

de genres tels que l’ouverture d’opéra à l’italienne, avec ses 3 mouvements viflent-vif, jouée avant le lever du rideau, ou que l’ouverture d’opéra à la française fixée par Lully, également à 3 parties, mais dans l’ordre inverse : lent (pointé)-vif (fugué)-lent. De l’ouverture à la française, la symphonie aurait gardé le principe d’une introduction lente au premier mouvement rapide, enchaînée directement à lui. Les genres de la suite, du concerto et de la sonate instrumentale ont également contribué à la naissance de la forme symphonique. NAISSANCE DE LA SYMPHONIE CLASSIQUE. Le XVIIIe siècle voit d’une manière générale l’émancipation des formes instrumentales en dehors du cadre religieux ou dramatique, c’est-à-dire en dehors de la voix, du texte et du rite. Parallèlement à la symphonie, et en rapports étroits avec elle, naquit et se développa la salle de concerts. On sait l’importance qu’eut en France et en Europe la fondation d’une institution comme le Concert spirituel, grande consommatrice de pièces instrumentales, et en particulier de symphonies : ces pièces, destinées au début à être exécutées avant les grands motets, attirèrent peu à peu l’intérêt. Au Concert spirituel furent jouées les symphonies d’auteurs français comme Charles-Henri Blainville (né en 1711), Louis-Gabriel Guillemain, François Martin (1727-1757), Joseph Touchemoulin (1727-1801), Jean-Baptiste Miroglio, et downloadModeText.vue.download 976 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 970 plus tard celles de François Joseph Gossec (1734-1829), auteur d’une quarantaine de symphonies qui purent le faire passer pour un Haydn français. La plupart de ces symphonies françaises sont encore en 3 mouvements. Les origines de la symphonie de concert sont aussi à chercher en Italie, du côté des sinfonie (pluriel de sinfonia) émancipées de leur fonction de préludes d’opéras, mais surtout de l’autre côté du Rhin : d’abord à Vienne, avec les symphonies en 3 ou en 4 mouvements de ces prédécesseurs ou contemporains de Haydn que furent G.-M. Monn (1717-1750),

Wagenseil (1715-1777), Carlo d’Ordonez (1734-1786), Michael Haydn (1737-1806), Johann Baptist Vanhal (1739-1813) ou Carl Ditters von Dittersdorf (1739-1799). Il est vrai que l’époque consommait les symphonies comme aujourd’hui le public consomme des films, et Barry S. Brook, dans une étude sur la symphonie française à l’époque, compte environ 1 200 symphonies différentes exécutées à Paris entre 1750 et 1800. Mais c’est surtout à Mannheim que l’on a voulu localiser la naissance de la symphonie moderne. De l’école de Mannheim, il semble à présent que l’on ait surestimé le rôle, même s’il ne fut pas mince. Les précurseurs et les modèles de Haydn sont en effet à rechercher à Vienne, et non à Mannheim. L’orchestre de Mannheim, assez important en effectifs, et dont le premier chef fut Johann Stamitz, permit à la symphonie de trouver un certain équilibre formel et orchestral ( ! FORME SONATE). Il faut signaler aussi, en Allemagne et en Angleterre, les symphonies de J. H. Hasse (1699-1783), de Johann-Gottlieb Graun (1698-1771), Karl-Henrich Graun (1701-1759), de J.-M. Molter (1695-1765), sans oublier celles des quatre fils de JeanSébastien Bach. Dans toute cette activité symphonique européenne, s’affirment, malgré les différences notables quant au nombre et à la nature des mouvements, à la forme, à l’orchestration et au statut donné au genre, quelques constantes : raffinement de l’écriture orchestrale, des nuances et des procédés d’exécution ; enrichissement de la palette, avec des instruments à vent plus individualisés, sortant parfois de leur rôle de doublure ou de soutien harmonique pour tenir une partie propre ; allégement progressif de la basse continue. Ainsi, l’orchestre assouplit ses articulations et assoit sa formule de base : la naissance du genre de la symphonie s’accompagne de celle de l’orchestre symphonique au sens moderne. LE PLAN DE LA SYMPHONIE. La naissance de la symphonie moderne est généralement associée à l’ajout d’un 4e mouvement venant se glisser entre le mouvement lent central et le mouvement rapide final de l’ouverture à l’italienne de

coupe vif-lent-vif, donc à l’intérieur d’une forme traditionnelle tripartite conservée par le concerto, et qui en soi témoignait d’une belle symétrie. Mince conquête, en apparence, que ce petit menuet issu de la suite, avec son trio central, son rythme simpliste et son inspiration aimable : comment put-il contribuer à engendrer une forme nouvelle ? En cassant et en décentrant la symétrie vif-lent-vif, il donna à la symphonie ses bases modernes. Succédant à la gravité ou au charme mélodique du mouvement lent, le menuet vint affirmer un besoin de mouvement et de légèreté tout en aidant le finale à reprendre dans une dimension plus sérieuse et plus ambitieuse. En faisant « tampon » entre les langueurs du mouvement lent et la brillance du finale, le menuet ou le scherzo permettent à l’auditeur de respirer, et aux mouvements qui le précèdent et le suivent de s’étendre l’un et l’autre, de se raffiner, et de devenir infiniment plus complexes. On peut dire que le finale de symphonie ne conquit son indépendance, son ambition, sa largeur de perspectives qu’à la faveur du « détour » apporté par le 3e mouvement - détour qui, en l’éloignant encore plus du premier mouvement, lui permit de renouer avec lui un lien plus fort, plus large. Quand 2 mouvements vifs se tendent la main par-delà un seul mouvement lent, comme dans le concerto, on débouche sur une simple complicité entre gens d’action, sans grand enjeu, pour une partie gagnée d’avance : souvent, l’allégro final d’une forme tripartite ne peut que viser court. Mais quand 2 mouvements, et non un seul, séparent le premier et le dernier, et que l’un de ces 2 mouvements est nettement léger - le finale ne peut que viser plus loin et plus haut. Il doit en effet contrebalancer un échafaudage déjà lourd et complexe de 3 mouvements contrastés dont les forces convergent en lui. La symphonie conserva en outre des liens secrets avec l’opéra, puisqu’elle est issue, notamment, de l’ouverture d’opéra. Le finale de symphonie se joue sur une scène plus vaste, plus encombrée de péripéties, que le finale de concerto, et ne peut plus compter, pour s’imposer, sur un simple effet de contraste et de dynamisme. Tout cela n’est, bien sûr, qu’une tendance, une potentialité, et il s’en faut de beaucoup que tous les finales de symphonies soient aussi ambitieux. Mais, dans certains finales de symphonies très plaisantes se contentant de prolonger sur une allure

binaire et vive la gaieté ternaire du menuet-scherzo (cf. la 6e Symphonie de Schubert), on ressent, qu’on le veuille ou non, une certaine impression de redondance. À moins que, comme dans l’Italienne de Mendelssohn, ne soit jouée la carte du « toujours plus vite, plus brillant ». Ainsi, le finale tend à être placé sous le signe du « plus « : plus brillant, plus rapide, plus étonnant, plus savant. L’oeuvre de Mozart (cf. la symphonie Jupiter) et celle de Joseph Haydn comptent déjà de ces finales placés sous le signe du triomphe et de la surenchère. Mais c’est évidemment avec Beethoven et surtout avec ses successeurs que le finale acquiert cette fonction dans la symphonie moderne. Un autre problème de plan est celui de la place respective des 2 mouvements centraux, le mouvement lent et le menuetscherzo. Une innovation de plus en plus fréquente, à partir de la 9e Symphonie de Beethoven, consiste à intervertir l’ordre habituel pour placer le scherzo en deuxième position. On en voit bien la raison dans le cas précis de la Neuvième, où l’adagio est traité comme une longue méditation introductive au finale. Un scherzo placé immédiatement après cet adagio viendrait en effacer la tension, et la dépenser sous la forme d’une excitation légère. Il devint d’ailleurs plus difficile, au XIXe siècle, de réussir un finale rapide immédiatement précédé d’un scherzo. La variante introduite par Beethoven fut donc assez souvent reprise, car elle est propice aux vastes finales dramatiques venant exploser après la lenteur recueillie d’un adagio. De même, mis en deuxième position, le scherzo introduit souvent un élément terrestre et mondain, voire païen et dionysiaque, après lequel le mouvement lent apparaîtra d’autant plus recueilli et plus grave. C’est donc encore une fois ce mouvement intermédiaire de « divertissement » (au sens pascalien) qu’est le scherzo qui, selon son emplacement avant ou après le mouvement lent, conditionne l’équilibre ou plutôt le déséquilibre général. Ceci dans la mesure où étant facteur de dissymétrie et de déséquilibre, le scherzo ou le menuet devient du même coup facteur d’ouverture, d’inquiétude et d’expansion, par opposition à la symétrie satisfaite et fermée du concerto classique, à peine remise en cause pendant des siècles. À noter également que, grâce à ses menuets-scherzos, la musique symphonique

put honorer ses racines populaires. Entre les 4 parties de la symphonie, quel que soit leur ordre, il y a une répartition des fonctions, avec des dominances : dominance de la forme et de l’affirmation tonale dans le premier mouvement ; dominance de l’élément mélodique et lyrique pour le mouvement lent ; dominance de la pulsation rythmique pour le scherzo ou le menuet. Que reste-t-il alors au finale ? Une dimension théâtrale, rhétorique et dramaturgique, par sa fonction même, donnant à la forme son point d’aboutissement, peut-être son sommet, ou à défaut son issue. Quand Debussy salue l’effort de Beethoven pour faire, avec sa 9e Symphonie, écladownloadModeText.vue.download 977 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 971 ter le moule de la symphonie, et qu’il considère le genre comme usé et épuisé après cette tentative, connaît-il les créations de Bruckner et de Mahler ? On ne le dirait pas, car c’est sur la symphonie « cyclique » type César Franck et la symphonie « sur un thème folklorique » type Dvořák que portent ses sarcasmes : « Une symphonie est construite généralement sur un choral que l’auteur entendit tout enfant. La première partie, c’est la présentation habituelle du « thème » sur lequel l’auteur va travailler ; puis commence l’obligatoire dislocation... ; la deuxième partie, c’est quelque chose comme le laboratoire du vide... ; la troisième partie se déride un peu dans une gaieté toute puérile, traversée par des phrases de sentimentalité forte ; le choral s’est retiré pendant ce temps-là c’est plus convenable ; mais il reparaît et la dislocation continue, ça intéresse visiblement les spécialistes, ils s’épongent le front... » (écrit en 1902). Évidemment, Mendelssohn est le premier visé, avec sa symphonie Réformation, que Debussy n’aimait pas. En fait, la symphonie s’est montrée plus vivace, beaucoup plus susceptible de renouvellement qu’il ne l’a dit. HAYDN ET MOZART. Officiellement, Haydn est le « père de la

symphonie » au sens moderne, c’est lui qui, par ses 104 - ou plutôt 106 - symphonies cataloguées, écrites de 1757 environ à 1795, a, le premier, donné au genre ses lettres de noblesse. Il s’est, le premier, révélé comme ayant « l’esprit symphonique », cet esprit pouvant se définir comme la faculté de fusionner divers éléments en un tout organique, de maintenir le sens du mouvement et d’exercer sur lui un contrôle continu, de maintenir la musique active ou du moins en activité latente, à tous les niveaux, de suggérer un sens de l’espace tendant vers l’infini et à dimension épique (tout cela par le biais de la forme sonate et d’une conception neuve de la tonalité). On distingue dans la production symphonique de Haydn plusieurs étapes avec notamment les symphonies Sturm und Drang, les 6 Parisiennes et les 12 Londoniennes (nos 93 à 104), ces dernières étant considérées comme le plus haut stade de la pensée symphonique de Haydn. Elles sont les plus proches de la symphonie à venir de Beethoven et de Schubert. Selon certains (cf. Pierre Barbaud), ces oeuvres récupèrent et vulgarisent le travail formel accompli dans les quatuors (recherche d’unité thématique fondée sur de courts motifs générateurs, écriture savante), tandis que, pour d’autres, il y a là une richesse d’inspiration qui, en dehors de toute question de proportions extérieures, leur donne l’ampleur et la profondeur de pensée des constructions beethovéniennes. Le corps des quelque 50 symphonies de Mozart, écrites de 1764 à 1788, n’est pas aussi réputé, pas aussi décisif dans l’évolution du genre (un phénomène inverse se produisit pour celui du concerto pour piano). Les très grandes pages de Mozart pour la symphonie ne sont que d’admirables cas particuliers, tandis que ses concertos forment un ensemble avec un trajet. On a parlé de la « docilité » de Mozart à la forme symphonique. Les 3 dernières symphonies, celles de 1788, sont sublimes, mais il est difficile d’en dégager une essence commune. Elles présentent des audaces et une liberté d’inspiration incontestable, mais ce sont toujours 1 ou 2 mouvements qui se détachent du tout, qui donnent le ton de l’ensemble : l’allégro initial dans la 40e Symphonie en sol mineur, et son menuet ; et, pour la Jupiter, le dernier mouvement. Il semble que Mozart ne s’investisse pas totalement dans la forme symphonique et qu’elle lui reste

organiquement extérieure. LES PARADOXES BEETHOVÉNIENS. Les 9 symphonies de Beethoven, créées de 1800 à 1824, ont si fort marqué le genre qu’il n’a plus été possible de faire une symphonie sans en tenir compte dans un sens ou dans l’autre. Elles sont dans la musique occidentale ce qui parle le plus immédiatement au public le plus large. Il n’est pas jusqu’à leur numérotation qui n’ait acquis une résonance magique. Est-ce à dire qu’elles ont mis au point un modèle, un canon unique de la symphonie ? Justement pas. C’est leur variété qui fascine, à l’intérieur du modèle haydnien, jamais remis en cause de façon fondamentale, pas même dans la 6e Symphonie (Pastorale), ni même dans la 9e (« avec choeurs »). C’est leur autorité comme ensemble, et leur variété dans les tons qui en fait quelque chose d’unique. On peut y trouver en germe toutes les directions prises ultérieurement par la symphonie : la Pastorale préfigure les symphonies descriptives (Richard Strauss) et en même temps les symphonies cosmiques et évocatrices de tableaux naturels de Mahler. Dans la 9e Symphonie, il y a la symphonie mahlérienne avec choeurs et solistes, ainsi que le principe cyclique d’un thème prépondérant amené par la récapitulation des thèmes précédents. Dans cette même oeuvre, l’inversion du scherzo par rapport à l’adagio est un geste formel qui sera beaucoup imité, en particulier par Mahler dans sa 6e. La 8e annonce les symphonies néoclassiques, néohaydniennes et vivaces (cf. la Symphonie classique) de Prokofiev. L’Héroïque préfigure toutes les symphonies guerrières, nationales et conquérantes de Dvořák ou Tchaïkovski. Inversement, on peut trouver le germe de la Fantastique de Berlioz dans différentes symphonies de Beethoven : la Scène aux champs rivalise avec la Pastorale, le principe cyclique avec thème conducteur découle un peu de la 5e. Il y a un côté démonstratif, oratoire, dans la façon dont ces symphonies travaillent la forme : le travail des motifs ne peut être caché, dissimulé, comme dans les ricercari à l’ancienne manière, faits pour l’amateur ; il est, au contraire, affiché, souligné, dramatisé, créant par lui-même la matière d’un drame. Chez Beethoven,

l’architecture apparaît en pleine lumière, alors qu’auparavant on cherchait plutôt à la dissimuler. Le travail formel s’exhibe donc avec une certaine impudeur, et les thèmes sont souvent susceptibles de se réduire à une cellule de base rythmique très identifiable : les « quatre coups du destin » dans la 5e Symphonie, le rythme noiredeux croches dans l’adagietto de la 7e, etc. LA SYMPHONIE APRÈS BEETHOVEN : SCHUBERT, MENDELSSOHN, SCHUMANN, BRAHMS. Ces quatre compositeurs regroupés sous l’étiquette « romantique » ont composé des symphonies dans la suite directe de leur grand prédécesseur, et chacun a résolu à sa manière le problème de cette paternité. Ainsi, Schubert passait de son vivant, comme on sait, pour un petit maître dans une petite forme : le lied. Peu de gens s’attendaient à ce qu’il donnât des symphonies grandioses et architecturées. Luimême ne semblait pas s’en juger capable au début, car ses 6 premières symphonies connues sont de proportions modestes et, à part la Tragique, c’est-à-dire la 4e, qui a des accents beethovéniens, renvoient plutôt à Mozart et au Beethoven des 2 premières symphonies. Ces 6 premières symphonies sont des oeuvres attachantes, délicieuses, mais très circonscrites et policées dans leur forme, sans ce côté éperdu que Schubert mettait dans ses sonates pour piano et certains de ses quatuors. Mais, après la fameuse Inachevée, classée 8e, la 9e, dite la Grande Symphonie en ut (1825-26), redécouverte elle aussi après la mort de Schubert et saluée par Schumann, réalise complètement l’assimilation du genre : c’est une longue symphonie, mais de ton schubertien. Elle trouve son souffle, non en haussant sa voix ou en s’acharnant sur un travail de forme paralysant, mais en suivant son cours, aussi ductile, aussi coulante qu’une oeuvre pour piano. oeuvres de synthèse, les 5 symphonies de Mendelssohn (si on laisse de côté ses 12 symphonies pour cordes de prime jeunesse [1821-1823]) veulent réconcilier la référence descriptive et évocatrice, ou le message religieux, avec la logique et la fermeté d’une forme classique, comme pour faire la jonction entre le projet romantique de type berliozien et un souci de néoclassicisme. Ainsi, le propos « touristique » des symphonies Italienne et Écossaise n’empêche pas ces oeuvres de garder downloadModeText.vue.download 978 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 972 des proportions et une forme sévèrement tenues. La symphonie Réformation est un des premiers exemples de la symphonie « à choral » dont se moque Debussy, mais dont Bruckner devait porter très haut l’inspiration. Et la symphonie avec choeurs Lobgesang est une oeuvre festive qui, inévitablement, louche vers la 9e de Beethoven. Un des plus grands soucis de Mendelssohn, avec la retenue orchestrale, reste l’« unité », la cohésion, le souci cyclique qui fait de l’oeuvre « un ensemble étroitement noué « : c’est ainsi que l’Écossaise doit s’exécuter d’une traite. Ce même projet néoclassique de fermer la symphonie sur elle-même est à l’oeuvre dans les 4 symphonies de Robert Schumann, qui n’est pas toujours le romantique échevelé qu’on croit : autant, au piano, il se donne toute licence de forme, autant, à l’orchestre, il est respectueux de la tenue formelle de la symphonie, et de son caractère de continuité et de gravité. Il y a évidemment de l’originalité et de la grandeur dans la conception cyclique de la 4e Symphonie en ré mineur entreprise en second, et achevée la dernière, et destinée à être, comme l’Écossaise de Mendelssohn, exécutée d’une traite. On en retient cependant une certaine grisaille et le même sentiment d’obsession tourmentée et laborieuse que dans l’Écossaise ; mais le travail formel a quelque chose d’une machine qui tourne à vide. Ce n’est pas un hasard si les très grandes symphonies postbeethovéniennes sont celles où le compositeur risque tout, se donne tout entier, comme c’est le cas pour Bruckner et Mahler, qui ont investi tout leur travail de compositeur sur ce genre. Même les belles symphonies de Brahms gardent un côté laborieux et démonstratif qui a fait parler à leur propos d’« inutile beauté ». Brahms a longtemps attendu avant de s’attaquer à la symphonie. Bien sûr, aucune des 4 qu’il composa n’a de programme, ni ne contrevient au modèle classique en 4 parties. Curieusement, dans leur solidité formelle et leur couleur compacte, elles ont parfois plus de séduction, de largeur, d’abandons, de surprises, que les symphonies de Schumann - une fois franchi le cap de la 1re Symphonie en ut

mineur, qui semble portée à bout de bras par le souci de faire bonne figure à côté de Beethoven, car c’est bien à propos du finale de cette oeuvre et de son thème en ut majeur, sorte de pastiche de l’Hymne à la joie savamment amené, qu’on peut légitimement parler de beauté creuse et suffisante. Dès la 2e Symphonie, Brahms se laisse souvent aller au romantisme et à la liberté de ses intermezzi pour piano. APRÈS BEETHOVEN : BERLIOZ ET LISZT. D’autres compositeurs prirent la suite de Beethoven en considérant implicitement le moule classique comme n’offrant plus de ressources neuves, et en cherchant à ouvrir la symphonie à la liberté. Berlioz et Liszt furent de ceux-là. On sait comment Hector Berlioz s’arrangea pour écrire 4 symphonies dont aucune ne se ressemble, et dont aucune n’est conforme au modèle traditionnel (la Fantastique en 1830 ; Harold en Italie, en 1834 ; Roméo et Juliette en 1839 ; et la Symphonie funèbre et triomphale en 1840). La notion de symphonie devient alors un fourre-tout très utile pour innover, pour expérimenter, à l’abri d’un titre propre à rassurer les foules... et les organisateurs de concerts. Liszt, admirateur de Berlioz, reprit à ce dernier la forme symphonique libre à programme, avec la Dante-Symphonie (1854) et surtout la Faust-Symphonie (18541857), qui annonce les grandes symphonies autobiographiques de Mahler. On rattache souvent au modèle berliozien de la symphonie à programme les deux symphonies descriptives de Richard Strauss, Sinfonia domestica (1904) et Alpensymphonie (Symphonie des Alpes, 1915), sortes de grands dioramas pittoresques qui tiennent en effet plus de la tradition descriptive française que du projet lisztien, lequel est plus dramatique, voire religieux. L’ULTRASYMPHONIE : ANTON BRUCKNER ET GUSTAV MAHLER. Nous appelons « ultrasymphonie » la symphonie brucknérienne et mahlérienne, parce qu’elle poursuit le genre en le faisant passer dans une dimension plus large, celle, presque, d’un opéra, d’un parcours dramatique complet et, comme disent les Allemands, « abendfüllend » (« remplissant une soirée »). À part cela, les deux compositeurs ont des démarches

et des styles très différents. Bien que très développées, les symphonies de Bruckner conservent les 4 parties classiques, avec un scherzo situé généralement en troisième position, et adoptent pour les mouvements extrêmes une forme sonate élargie et raffinée (avec en général 3 thèmes au lieu de 2). Leur orchestration est grandiose, mais fuit les effets pittoresques et descriptifs. Elles sont concentrées sur elles-mêmes. Bruckner apparaissait néanmoins à ses contemporains, et non sans raisons, comme un musicien compliqué, névrotique, obscur et wagnérien. Il élabora, en effet, une musique très modulante, raffinée de forme, extrêmement abrupte et pathétique et souvent remise sur le métier. Il porta la nouveauté au sein de la symphonie classique, dont il distendit le modèle en le respectant, la forme ancienne n’ayant pas, contrairement à ce que d’autres pensaient, tout dit avec Beethoven. À l’opposé, Gustav Mahler voulut étendre ses symphonies aux dimensions du monde, en particulier en y intégrant la voix. Des 9 (ou 10) symphonies achevées, 4 seulement comprennent une importante partie vocale et/ou chorale (2e, 3e, 4e, 8e), mais on peut dire que toutes suivent un « programme » métaphysique et autobiographique, explicite ou implicite. Adorno les a judicieusement comparées à des romans. Reste en outre le cas particulier du Chant de la terre. On connaît la définition personnelle que Mahler en donnait : « Le terme symphonie signifie pour moi : avec tous les moyens techniques à ma disposition, bâtir un monde » (1895) ; et sa boutade au jeune Bruno Walter : « C’est inutile de regarder le paysage, j’ai tout mis dans ma 3e Symphonie » (1896). Il y a souvent plus de 4 mouvements, et l’ordre traditionnel est rarement respecté, Mahler adoptant le genre de la symphonie comme le plus propre à faire accepter par le public des conceptions musicales et stylistiques tout à fait singulières. Mahler et Bruckner composèrent tous deux après Wagner et d’après Wagner ; ils prennent en compte le phénomène wagnérien dans son énormité, en tirent des inspirations de forme, d’orchestration, d’écriture (travail des motifs), et eurent le même réflexe de ne pas chercher à lutter contre lui sur le terrain où il

s’était affirmé : l’opéra. Bruckner distendit le modèle de la symphonie de l’intérieur, dans son tissu même ; Mahler introduisit dans ce tissu des corps étrangers. Le genre s’avéra pour ces deux compositeurs, non pas un ersatz d’opéra, un pis-aller, mais plutôt un magnifique « lieu de projection », à la fois riche, stable, et susceptible d’expansion infinie. LA SYMPHONIE FRANÇAISE. On aurait pu penser que les Français auraient revendiqué l’exemple de liberté donné par Berlioz. Par un chassé-croisé assez typique, ce fut au contraire Liszt qui s’inspira de Berlioz, tandis que les Français semblent avoir eu à coeur de prouver qu’ils s’entendaient aussi bien que les Allemands à faire de belles symphonies, dans les règles et les proportions classiques : ainsi, Saint-Saëns, Vincent d’Indy, Lalo, Chausson, Paul Dukas, Albéric Magnard, etc. C’est néanmoins la Symphonie en ré mineur de César Franck (1886-1888) qui reste la plus jouée. On a là un admirable exemple de symphonie cyclique, dans laquelle le principe de « retour du thème » ne sonne pas le creux, et où tous les mouvements sont soudés par une affinité profonde. Les 4 symphonies d’Albert Roussel relèvent d’une solide et talentueuse inspiration néoclassique et sont peut-être parmi les plus spécifiquement françaises du répertoire, dans leur mélange de vivacité, de concentration et de rigueur. downloadModeText.vue.download 979 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 973 LA SYMPHONIE « NATIONALE « : RUSSIE, EUROPE CENTRALE, ETC. De manière inattendue et logique, le genre à la fois très codifié et très populaire de la symphonie a servi à des compositeurs issus de pays « excentriques » par rapport à la vieille Europe (Russie, Europe centrale, pays scandinaves, etc.) pour se faire introduire et reconnaître non seulement dans leurs propres pays, mais aussi dans les milieux musicaux de cette vieille Europe. Ces symphonies inspirées par le modèle formel classique prennent souvent une estampille nationale et offi-

cielle par l’utilisation de thèmes folkloriques empruntés à la tradition du pays. Ainsi, on fait coup double : on donne à la musique populaire et à la tradition qu’elle représente ses « lettres de noblesse », et, en même temps, on réalise une sorte d’appropriation nationale d’un genre, pour la plus grande gloire de la patrie. Beaucoup de ces symphonies « nationales » et héroïques ne le sont que par l’apparition d’un ou de plusieurs thèmes du fonds populaire, passés à la moulinette d’un même style savant international ; mais, pour énoncer ces thèmes, elles adoptent un ton altier, un ton de proclamation, qui donne au moindre motif une allure de déclaration d’indépendance ou de patriotisme. Or, le ton « national » que l’orchestre peut prendre est le même pour tous les pays. Debussy s’est moqué avec esprit de cette veine « folklorique », qui, pourtant, a aidé bien des cultures nationales à s’affirmer et à se faire respecter, en passant l’examen de passage de la symphonie réglementaire. « La jeune école russe, dit Debussy, tenta de rajeunir la symphonie en empruntant des idées aux thèmes populaires : elle réussit à ciseler d’étincelants bijoux ; mais n’y avait-il pas là une gênante disproportion entre le thème et ce qu’on l’obligeait à fournir de développements ? Bientôt, cependant, la mode du thème populaire s’étendit sur tout l’univers musical : on remua les moindres provinces, de l’est à l’ouest ; on arracha à de vieilles bouches paysannes des refrains ingénus, tout ahuris de se retrouver vêtus de dentelles harmonieuses. Ils en gardèrent un petit air tristement gêné ; mais d’impérieux contrepoints les sommèrent d’avoir à oublier leur paisible origine. » Cette remarque est pertinente pour une oeuvre folklorisante un peu empruntée comme la Symphonie sur un chant montagnard français de Vincent d’Indy. En revanche, pour la jeune école russe ou toute autre jeune école nationale, Debussy se trompe en affectant de croire que c’était pour « rajeunir la symphonie » que les compositeurs de ces pays empruntaient des thèmes à leur culture populaire - alors que c’était plutôt pour appuyer leur jeune talent et leur propre culture sous l’autorité d’un genre ancien et respecté. Glinka parla cependant de la difficulté de marier la musique populaire à la technique allemande du développement. Tchaïkovski, dans ses 6 symphonies,

évolua de la symphonie folklorisante à la symphonie autobiographique. On doit également des symphonies basées sur des thèmes populaires russes à Rimski-Korsakov, Borodine, Balakirev, Glazounov et plus tard Rachmaninov. En Tchécoslovaquie, Smetana incorpora le folklore national dans sa Symphonie triomphale (1853), et Dvořák ne composa pas moins de 9 symphonies entre 1865 et 1893, avec, en particulier, des scherzos et des mouvements lents portant souvent une inspiration populaire. Les pays scandinaves eurent également leurs symphonistes nationaux, comme le Suédois Franz Berwald, les Danois Niels Gade et Carl Nielsen, et surtout le Finlandais Jean Sibelius, qui, avec ses 7 symphonies données entre 1899 et 1924, s’imposa comme un des principaux rénovateurs du genre. En Grande-Bretagne, un des pays qui, au XXe siècle, a le plus cultivé la symphonie, il faut citer avant tout les 2 d’Elgar, les 9 de Vaughan Williams, les 4 de Michael Tippett, les 5 de Peter Maxwell Davies. Bien que composées au XXe siècle, on peut situer dans la continuité des écoles nationales les créations symphoniques de Prokofiev et de Chostakovitch. Le premier composa 7 symphonies, dont la première, la Symphonie classique (1916-17), rend un hommage à Haydn en forme de pastiche. Les suivantes évoluent d’un modernisme tonitruant (cf. la 3e) jusqu’à une inspiration populaire et dynamique représentée par les 3 dernières. Quant à Chostakovitch, pour qui la symphonie était « le plus complexe de tous les genres et le plus accessible à l’oreille des masses », il en écrivit 15, où se retrouvent toutes les vocations extramusicales du genre. RETOUR À LA SYMPHONIE PURE. On s’est aussi préoccupé de refaire de la symphonie un genre de « musique pure », de l’arracher aux longueurs mahlériennes, aux confessions et aux messages. Il est significatif de voir comment Schönberg et, surtout, Webern ont fait porter sur la symphonie, comme genre symptôme, leur effort de concentration et de resserrement : qu’il s’agisse des 2 Symphonies de chambre de Schönberg ou de la très incisive et transparente Symphonie op. 21 (1928)

d’Anton Webern, pur et bref exercice d’écriture sérielle, où l’orchestre réduit est atomisé en parties solistes. Dans un style tout différent, Hindemith a poursuivi le même propos, qui était de redonner à la symphonie sa dignité de genre objectif construit sur une forme, non sur des idées. Après la guerre, en Allemagne, Karl Amadeus Hartmann et Hans Werner Henze ont continué dans cette voie, et compte non tenu de la Symphonie de psaumes et des Symphonies d’instruments à vent, dont le titre se réfère au sens ancien du terme, Stravinski a réalisé avec sa Symphonie en ut (1940) et sa Symphonie en trois mouvements (1945) des oeuvres ostensiblement néoclassiques et objectives, dégagées de tout message comme de tout romantisme. Mais l’immense production de la symphonie « américaine » atteste que pour ce jeune pays, comme pour les Tchèques, la symphonie est une façon de se relier au tronc commun de la musique occidentale. À côté de la symphonie néoclassique, on y trouve des symphonies d’esprit mahlérien comme celles de Charles Ives. On peut citer aussi celles de Walter Piston, Samuel Barber, Aaron Copland, William Schumn, etc., et pour l’Amérique du Sud, celles de Carlos Chavez, Heitor Villa-Lobos, de Vagn Holmboe pour le Danemark, de Hilding Rosenberg pour la Suède, de Melartin, Klami, Englund, Kokkonen, Sallinen, Rautavaara, Aho, Kaipainen pour la Finlande, etc. LA SYMPHONIE FRANÇAISE MODERNE. Ni Debussy, ni Ravel, ni Fauré n’ont laissé de symphonies : le genre était sans doute pour eux trop conventionnel et usé. Mais il fut repris et illustré par des compositeurs du groupe des Six : Darius Milhaud, fidèle à son optique méditerranéenne, compose des symphonies d’un style assez délié et il ose même en faire plus de 9, affrontant l’interdit auquel ni un Tchèque comme Dvořák ni un Finlandais comme Sibelius n’avaient osé déroger. On ne lui doit pas moins de 12 symphonies pour grand orchestre et 6 symphonies pour orchestre de chambre. Quant à Arthur Honegger, il s’est recréé dans ses 5 symphonies sa propre tradition, intégrant librement les références germaniques sous une forme ramassée en 3 mouvements seulement. C’est de cette tradition humaniste que s’est réclamé Marcel Landowski pour ses 3 symphonies, dont Jean de la Peur (1949),

tandis que Serge Nigg, lui, dans sa Jérôme Bosch-Symphonie (1960), s’est référé au poème symphonique. La TurangalilaSymphonie (1946-1948) d’Olivier Messiaen, avec son orchestre colossal et ses 10 mouvements, pourrait être d’un Mahler français contemporain. On peut citer aussi les 13 symphonies de Georges Migot (1919-1967), les 5 d’André Jolivet (19531964), les 7 de Jean Rivier, celles d’Henri Barraud, Georges Hugon, Jacques Chailley, Jean Martinon, Alain Bancquart, etc. Parmi les symphonies françaises contemporaines les plus célèbres et les plus personnelles se distinguent celles d’Henri Dutilleux, qui prouve que la forme et le nom de « symphonie » sont encore capables d’inspirer les oeuvres downloadModeText.vue.download 980 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 974 les plus variées et les plus personnelles. L’époque moderne n’a pas tué la symphonie. On peut citer, par exemple, la Sinfonia, de Luciano Berio (1968), qui se défend d’être une symphonie alors qu’elle en présente bien des caractères. La vitalité de la symphonie montre que ce genre est à la fois forme et esprit, au carrefour de la musique « pure » et de la musique « à idées », genre synthétique où la musique occidentale a trouvé un lieu de projection sans égal. SYNTHÈSE SONORE. Technique qui permet d’obtenir des sons à partir d’un matériel électronique et/ou informatique. On distingue généralement deux types de synthèse. La synthèse analogique consiste à additionner des ondes électriques simples pour obtenir un son complexe. Elle se sert le plus souvent de la « transformée » de Fourier, modèle mathématique qui décrit la variation de l’amplitude de chacune des composantes du spectre. La synthèse numérique part de descriptions informatisées des différentes formes d’onde. Les techniques les plus souvent utilisées aujourd’hui sont la synthèse par modulation de fréquence et la synthèse par échantillonnage. SYNTHÉTISEUR.

Assemblage de générateurs de divers types et de dispositifs de manipulation électrique, notamment des modulateurs de matière ou de forme, des dispositifs de correction ou de réverbération, et enfin des systèmes de liaison ou de couplage entre ces divers organes. La partie la plus pertinente d’un synthétiseur, du point de vue musical, réside dans son pupitre de commande, qui constitue l’accès du compositeur aux effets qu’il recherche. SZEKELY (Zoltán), violoniste hongrois naturalisé néerlandais, puis américain (Kocs 1903). Ami d’enfance de Bartók, il étudie à l’Académie de Budapest avec Jenö Hubay en violon, et Kodály en composition. Entre 1923 et 1938, il joue souvent en duo avec Bartók, créant en Hongrie la Sonate pour violon et piano de Debussy. En 1932, le compositeur lui dédie sa Rhapsodie no 2, et, en 1939, le Concerto pour violon. De la création du Quatuor hongrois en 1935 à sa dissolution en 1970, il en est le premier violon. Émigrant en Hollande dès 1938, il accorde une grande place aux oeuvres de Ravel et Honegger en tant que soliste ou chambriste. En 1960, il se fixe aux ÉtatsUnis, où il enseigne à l’Université de Californie du Sud, privilégiant Beethoven, la musique française et Bartók. On lui doit aussi plusieurs compositions instrumentales. SZELL (George), chef d’orchestre américain, d’origine hongroise (Budapest 1897 - Cleveland 1970). Élève à Vienne de Mandyczewski (théorie musicale), de J. B. Foerster (composition) et de Richard Robert (piano), et, à Leipzig, de Max Reger, il joue à onze ans ses premières oeuvres pour piano et à seize dirige l’Orchestre symphonique de Vienne. Engagé par Richard Strauss comme répétiteur au Staatsoper de Berlin (1915-1917), il y revient comme premier chef de 1924 à 1929, après avoir fait ses classes à Darmstadt (1921), à Dusseldorf (1922), à Strasbourg et à Prague, où il est directeur général de la musique de 1929 à 1937. Jusqu’en 1946, il mène une carrière de chef invité, notamment à Glasgow, où il dirige l’Orchestre écossais (19371939), à La Haye avec l’Orchestre de la Résidence, et aux États-Unis, où il dirige

à New York l’Orchestre de la NBC (194142), le Metropolitan Opera (1942-1946) et l’Orchestre philharmonique (1943-1956). Mais son plus grand titre de gloire reste d’avoir dirigé, de 1946 à 1970, l’Orchestre de Cleveland, devenu sous son règne l’une des meilleures phalanges américaines. À force de discipline, il en a façonné le son et l’âme de manière exemplaire, comme purent en juger à trois reprises les mélomanes européens (1957, 1965 et 1967). De 1946 à 1970, George Szell dirige un cours de direction d’orchestre de grande renommée, d’où sont issus notamment James Levine, Louis Lane, Matthias Bamert. Chef invité du Concertgebouw d’Amsterdam (à partir de 1958), conseiller musical de l’Orchestre philharmonique de New York, il crée au Festival de Salzbourg deux ouvrages de Liebermann, Pénélope (1954) et l’École des femmes (1957), et Légende irlandaise de Egk (1955). Essentiellement tourné vers le répertoire classique et romantique, il vise dans ses interprétations à une objectivité respectueuse du texte musical, se refusant à « verser de la crème au chocolat sur les asperges ». SZERYNG (Henryk), violoniste mexicain, d’origine polonaise (Varsovie 1918 - Cassel 1988). Il reçoit de sa mère ses premières leçons de piano, mais, ayant choisi le violon, il part pour Berlin en 1928 étudier avec Carl Flesch, et débute en 1933 dans quatre capitales européennes, dont Paris, où il étudie la composition, de 1933 au début de la guerre, auprès de Nadia Boulanger. Il donne pendant la guerre près de 30 concerts pour les troupes alliées, et défend la cause des réfugiés polonais, notamment au Mexique, qui devient, la paix revenue, sa patrie d’adoption. Professeur à l’université de Mexico à partir de 1946, il reprend la carrière seulement en 1954, encouragé par Arthur Rubinstein. Il soutient la jeune école mexicaine et crée des oeuvres de Chavez, Ponce, R. Halffter, Maderna, Martinon, Penderecki, etc., ainsi que le 3e Concerto de Paganini (Londres, 1971), récemment redécouvert. Son jeu allie la clarté à l’élégance. SZIGETI (Joseph), violoniste américain, d’origine hongroise (Budapest 1892 Lucerne 1973).

Son père et son oncle lui donnent ses premières leçons de violon, et Jenö Hubay complète sa formation, à l’académie Franz-Liszt de Budapest (1903-1905). À peine âgé de dix ans, il joue en public et donne, trois ans plus tard, son premier véritable concert. Puis il se produit à Dresde et travaille pour les théâtres de Francfort et de Würzburg. En 1906, négligeant les offres d’enseignement de Joachim, qui lui prédit un grand avenir, il choisit de vivre à Londres (jusqu’en 1913), où il joue sous la direction de Beecham, accompagne Nellie Melba, Myra Hess, Wilhelm Backhaus, Ernst von Lengyel, et interprète le Concerto de Busoni sous la direction de l’auteur. En 1909, Szigeti crée la première oeuvre composée à son intention, le Concerto de Hamilton Harty. Les années de guerre correspondent à une période de réflexion et de travail en profondeur, prolongée par les cours qu’il donne au conservatoire de Genève, de 1917 à 1924, avant de reprendre une carrière vouée de plus en plus à la musique de son temps. Il est ainsi le premier à jouer le Concerto no 1 de Prokofiev en U. R. S. S. (en 1924, lors de la première de 11 tournées, de 1924 à 1929) et à interpréter les oeuvres de ses amis, Stravinski, Bloch, F. Martin, Bartók, Busoni, lors de ses visites aux États-Unis (il y débute en 1925 avec l’Orchestre de Philadelphie), en Extrême-Orient, en Australie, etc. Il retrouve aux États-Unis, où il s’installe à partir de 1940, Bartók, avec qui il joue en duo (notamment à la Library of Congress de Washington en 1940), et dont il crée, avec le commanditaire, Benny Goodman, les Contrastes. Vivant en Suisse à partir de 1960, il se retire peu à peu de la carrière (ses derniers récitals en Californie en 1962 sont voués à Bach), se consacrant à la rédaction de livres sur son art et participant comme juré aux grands concours internationaux. Créateur de la Première Rhapsodie et des Contrastes de Bartók, de la Sonate de Rawsthorne, de la Nuit exotique de Bloch, de la Mélodie sans paroles op. 35 bis no 5 de Prokofiev, des Concertos de Casella, Harty et F. Martin et de la Sonate en « sol » d’Ysaye, toutes oeuvres qui lui sont dédiées, il a également interprété et enregistré des pages de Berg, Milhaud, Ravel, Stravinski, Cowell, Dohnanyi, Hindemith, Ives, et fait redécouvrir des pièces de Tartini et la Rêverie, romance et caprice de

Berlioz. Évoluant d’une virtuosité insodownloadModeText.vue.download 981 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 975 lente à la sobriété d’une conception privilégiant justesse et puissance expressive, au détriment parfois de la beauté même du timbre, Szigeti a su concilier une technique héritée du XIXe siècle (particulièrement sensible dans la tenue de l’archet, coude au corps) avec l’esprit nouveau-né de la littérature pour violon du XXe siècle. SZOKOLAY (Sándor), compositeur hongrois (Kunágota 1931). Il reçoit sa première éducation musicale à l’école de Békéstarhos, puis vient suivre la classe de Ferenc Szabo et de Ferenc Farkas à l’Académie de Budapest. Entre 1951 et 1957, il enseigne le solfège dans le secondaire. Jusqu’en 1961, il est producteur musical à la radio de Budapest. Depuis, il se consacre à la composition, ayant reçu le prix Erkel en 1960 et 1965, et le prix Kossuth en 1966. Il marque une préférence pour les oeuvres scéniques et la musique vocale, dans lesquelles il peut user de sa verve dramatique, de son goût pour l’ostinato rythmique et pour les ornements rythmiques archaïsants, ce qui n’est pas sans rappeler parfois C. Orff. Mais, contrairement au compositeur bavarois, il ne recherche pas que l’effet produit par des percussions multiples, mais se sert, à bon escient, de toutes les formes musicales nécessaires à l’expression dramatique. Ainsi dans les Noces de sang (Vérnász, 1962-1964), Sámson (1973), il adapte chaque forme (rondeau, sonate, caprice, passacaille, trio, variations, etc.) au climat cherché pour soutenir l’action. Il réserve même des formes mélodiques strictement dodécaphoniques aux instants essentiels (dernier adieu des Noces, scène finale de Samson... et intégralité d’Hamlet). Tout comme Berg, dont le Wozzeck reste un modèle pour lui, il a su s’identifier successivement à l’univers de ses librettistes, García Lorca (Vérnász, 1964), Shakespeare (Hamlet, 1966-1968) et László Németh (Samson, 1973). Les deux Quatuors à cordes (1973 et 1982) montrent que Szokolay n’est pas seulement un homme de théâtre, mais aussi un créateur complet. Parmi ses oeuvres récentes, un Concerto

pour orchestre (1982), l’opéra-Passion Ecce homo (1984), l’opéra Szavitri (1987-1989). SZYMANOWSKA (Maria Agata, née Wolowska), pianiste et femme compositeur polonaise (Varsovie 1789 - Saint-Pétersbourg 1831). Elle travailla à Varsovie avec Lisowski et Gremm. Les tournées qu’elle fit en Europe, de 1823 à 1826, remportèrent un grand succès. Goethe écrivit des poèmes en son honneur. Cherubini la remarqua à Paris et lui dédia une sonate. En 1822, elle fut nommée pianiste de la cour de Russie. Elle a composé des polonaises, des mazurkas, des nocturnes, 24 préludes et études. Son écriture pianistique dénote l’influence de Hummel et de Field (dont elle n’a pas été élève, contrairement à une version accréditée), et annonce directement celle de Chopin. SZYMANOWSKI (Karol), compositeur polonais (Timochovka 1882 - Lausanne 1937). Ce musicien issu d’une famille noble polonaise installée en Ukraine commença à étudier la musique avec son père, dès l’âge de sept ans, puis dans une école de musique d’Elisavetgrad dirigée par son oncle le pianiste Gustav Neuhaus, alors que ses frères et soeurs faisaient tous de la musique, de la peinture ou de la poésie. Son frère Feliks devint pianiste et compositeur, sa soeur Stanislawa cantatrice. Quelques pièces instrumentales, les opéras de jeunesse Roland et la Cime d’or - dont les manuscrits sont aujourd’hui égarés -, constituaient le bagage du jeune compositeur au moment de son arrivée à Varsovie en 1901, où il étudia avec le compositeur Noskowski, se lia d’amitié avec Arthur Rubinstein, Grzegorz Fitelberg et Pawel Kochanski, qui devinrent ses premiers interprètes. Il s’intéressa aux oeuvres de Wagner et de Strauss, et fonda le groupe Jeune Pologne, aux côtés de Szeluto, Karlowicz, Rozycki et Fitelberg, pour rechercher de nouvelles voies et combler le vide créé dans la musique polonaise depuis la mort de Chopin ; on étudiait à fond la musique moderne d’Europe. Les concerts des artistes du groupe furent mal accueillis par les critiques conservateurs. L’histoire de Szymanowski lui-même est celle d’une lente maturation, de la

période des influences reçues de Reger, Strauss, Scriabine, Debussy ou Stravinski, à l’affirmation d’un style personnel. Dans sa première période, alors que ce style n’était pas encore défini, il avait lui-même qualifié sa 1re Symphonie (1906-1907) de monstre harmonique. Toutefois, la 2e Symphonie (1910-11) et la 2e Sonate pour piano (1909-10) remportèrent un grand succès à Vienne, où l’éminent critique Richard Specht en salua l’originalité, la force passionnée. Les éditions Universal proposèrent un contrat au compositeur. Szymanowski lutta contre les tendances des musiciens contemporains qui prenaient pour des oeuvres d’avant-garde celles qui n’étaient hardies que par leur forme ou leur technique, sans contenir d’idées nouvelles ; il se fit le champion de la musique en tant que moyen d’expression, bâtissant ses ouvrages sur des thèmes précis, créant un impressionnisme bien à lui où l’accent est mis sur la mélodie, véhicule de l’expression. Passionné de culture arabe et orientale, découvrant la Sicile, l’Afrique du Nord, il abandonna parfois le système tonal afin d’utiliser des gammes orientales, imaginant de nouveaux coloris instrumentaux. Il composa deux cycles de mélodies sur des vers du poète persan du XIVe siècle Mohammed Hafiz, les Chants d’amour de Hafiz, en 1911 et 1914. Pianiste virtuose, il n’en oeuvra pas moins pour le développement de la technique violonistique. Des traits impressionnistes s’insèrent de manière toute spéciale dans le recueil pour violon et piano intitulé Mythes (1915), comprenant Fontaine d’Aréthuse, Narcisse et Dryades et Pan, où le quart de ton est employé. De 1916 date le cycle pour piano des Masques, dont la perfection n’a d’égale que sa difficulté d’exécution. La période de la Première Guerre mondiale fut très fertile, l’intérêt du musicien pour les possibilités expressives tirées de l’Orient trouva un point élevé d’accomplissement dans la 3e Symphonie, dite « le Chant de la nuit », pour ténor ou soprano, choeurs et orchestre, créée à partir de vers de Djelal ed Din Roumi, le plus grand poète mystique persan. Écrit d’un seul tenant, inspiré par une rencontre avec le poète Micinski, le 1er Concerto de violon (1917) est dominé par une étonnante richesse d’invention, une parure orchestrale d’un raffinement inouï. Pawel Kochanski prodigua ses conseils éclairés lors de la composition des deux

concertos de violon de Szymanowski et en écrivit les cadences. Sa sensualité, son expression passionnée, la tension, le mystère contenus dans sa musique achevèrent de distancer Szymanowski des musiciens qui avaient pu l’influencer, alors que son champ d’activité créatrice s’étendait à toutes les formes. Les thèmes méditerranéens et orientaux dominent ses opéras Hagith (1913) et le Roi Roger (1918-1924). Le livret du Roi Roger, ouvrage qui représente une somme de culture, est dû au grand poète Jarosðaw Iwaszkiewicz et au compositeur lui-même. Au cours de cette même époque, Szymanowski écrivit un grand roman érotique, Ephebos, dont le manuscrit devait disparaître dans un incendie, à Varsovie, en 1939. Sa vie connut un tournant lorsque les biens de famille furent balayés par la révolution d’Octobre. Après la guerre, le compositeur se rendit à deux reprises en tournée, via Londres, aux États-Unis, aux côtés de Kochanski et de Rubinstein. Il eut à cette même époque la révélation des Ballets russes, de Stravinski et de Diaghilev. Rentré en Pologne, il prépara le ballet Harnasie (1923-1931), sur des motifs populaires polonais. C’est la période où, atteint de tuberculose pulmonaire, il profita de séjours forcés à Zakopane pour étudier les chants, les danses et la musique des Tatras. L’oeuvre la plus émouvante de toute sa production reste le Stabat Mater (1925-26). À partir de 1926, il assura la direction du conservatoire de Varsovie, où l’attitude de professeurs hostiles à ses idées novatrices, ajoutée à un labeur écrasant, contribua à ruiner sa santé déjà prédownloadModeText.vue.download 982 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 976 caire et l’amena à démissionner. Dans une situation financière catastrophique, il dut rassembler ce qui lui restait d’énergie pour effectuer de longues tournées, jouant la partie de soliste de sa Symphonie concertante pour piano et orchestre (1932). Les créations des dernières années ont une structure tonale claire. Synthèses de la musique du nord et du sud de la Pologne, les Mazurkas pour piano (1925) s’élèvent au-dessus des caractères régionaux ; ce sont les seules mazurkas du

répertoire qui ne visent pas à l’imitation de Chopin. Dans le 2e Quatuor à cordes (1927), le 2e Concerto de violon (1932-33) et la Symphonie concertante, le folklore, transcendé, parvient à un classicisme de portée universelle. De nouvelles pages chorales virent le jour : les Six Chants de Kurpie (1926), le Veni Creator (1930), les Litanies à la Vierge Marie (1930-1933), partition qui devait rester inachevée, de même qu’un Concertino pour piano, dont le manuscrit disparut lors de la destruction de Varsovie en 1945. Szymanowski eut le temps d’assister au succès de son ballet Harnasie, à Prague en 1935, à Paris en 1936 ; il s’éteignit dans un sanatorium de Lausanne le 29 mars 1937. Si sa musique connut une éclipse, c’est finalement à la faveur du renouveau de la musique polonaise d’après 1956 que s’est révélée la dette envers un maître qui élabora un style de musique nationale, de même que Chopin avait défini un style au XIXe siècle. On n’a pu qu’explorer avec profit, et on explorera encore longtemps, l’apport de Karol Szymanowski sur le plan de la technique instrumentale, de l’harmonie, de la conception chorale et orchestrale, tout en saluant sa richesse expressive et l’élévation de sa pensée. downloadModeText.vue.download 983 sur 1085

T TABACHNIK (Michel), chef d’orchestre et compositeur suisse (Genève 1942). Après des études de piano, de composition et de direction d’orchestre au Conservatoire de Genève, il suit les cours de Pousseur, Stockhausen et Boulez à Darmstadt. À Bâle, Pierre Boulez lui propose de devenir son assistant. Parallèlement, il dirige Xenakis. Sa carrière de chef prend peu à peu le pas sur celle de compositeur. En 1971, Karajan l’invite à diriger la Philharmonie de Berlin. À partir de cette époque, il dirige également le Concertgebouw d’Amsterdam, l’Orchestre national de France, celui de la Suisse romande. Chef permanent de la Fondation Gulbenkian de Lisbonne en 1973, il fonde en 1975 l’Orchestre philharmonique de Lorraine, qu’il dirige de 1976 à 1981. À partir de 1983, il dirige au Canada (Opéra national, Orchestre des jeunes du Québec, Orchestre symphonique de l’Université de Toronto).

À la tête de ces diverses formations, il crée des oeuvres de nombreux compositeurs, dont une dizaine de Xenakis. TABLATURE. 1. Nomenclature des instruments figurant dans une partition d’orchestre. 2. Méthode de notation propre aux instruments à clavier ou à cordes pincées, ayant pour objet soit d’abréger le graphisme en employant des lettres ou autres signes convenus (tablatures d’orgue), soit de guider les doigts de l’exécutant au lieu de figurer les sons de manière abstraite (tablatures de luth, guitare, cistre, etc.). Les tablatures d’orgue apparaissent au XIVe siècle et restent employées concurremment avec la notation usuelle jusque vers le milieu du XVIIIe siècle (Bach se sert normalement de cette dernière, mais note parfois encore ses corrections en tablature). On les trouve surtout en Espagne et en Allemagne aux XVIe et XVIIe siècles. Plus récentes (XVIe siècle), les tablatures d’instruments à cordes pincées ont d’abord été largement majoritaires, puis se sont peu à peu effacées devant la notation usuelle sans jamais disparaître tout à fait. Le principe le plus fréquent consiste pour elles à figurer les cordes de l’instrument par des lignes parallèles qui prennent ainsi l’aspect d’une portée, mais doivent être comprises de manière différente. Sur la ligne représentant la corde à pincer, on trace des lettres ou des chiffres indiquant l’emplacement du doigt au moment de l’attaque. Les signes de durée sont placés à part au-dessus de la portée, mais marquent seulement l’emplacement des attaques, non la durée de tenue des notes, qui dépend matériellement de la sonorité de l’instrument et ne figure pas sur la notation. Des signes annexes ont trait aux doigtés et aux divers artifices instrumentaux, et des séparations verticales analogues aux barres de mesure marquent les divisions des phrases. Plusieurs systèmes concurrents ont été simultanément en usage, le plus souvent groupés par pays (tablatures française, italienne, allemande, espagnole), mais presque tous se réfèrent aux principes ci-dessus. Par rapport à la notation usuelle, que l’on appelait autrefois « en musique », la tablature des instruments à cordes pin-

cées possède plusieurs supériorités, parmi lesquelles celle de fixer sans équivoque le mode d’attaque des sons et la valeur des altérations, point sur lequel la notation usuelle est restée flottante jusqu’au XVIIe siècle ; par contre elle est parfois de lecture malaisée pour d’autres que pour l’exécutant, car elle exige la connaissance préalable de toutes les particularités de l’instrument réellement joué, y compris le mode d’accord de ses cordes, souvent variable ; elle ne rend pas compte, dans la superposition des voix, de la marche de celles-ci, et la perspicacité qu’elle exige du lecteur rend compte des divergences que l’on relève parfois entre différentes « transcriptions » de la même pièce en notation usuelle. On peut rattacher aux tablatures divers procédés guide-doigts que l’on emploie encore aujourd’hui, en dépit de leurs évidentes contre-indications pédagogiques, pour faciliter aux débutants l’exécution de morceaux faciles sur certains instruments (cithare, orgue électrique, etc.) en leur « économisant » l’apprentissage du solfège, au moyen de cartons mobiles que l’on place sur l’instrument et qui indiquent par des dessins appropriés les cordes ou touches à actionner pour obtenir l’air désiré. TABLE (MUSIQUE DE). Cette expression, littéralement traduite de l’allemand Tafelmusik, ne désigne pas un genre particulier, mais toute musique accompagnant les repas de société, à plus forte raison les banquets et les festins exceptionnels, selon un usage qui remonte à l’Antiquité et qui s’est maintenu jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. C’est toutefois en Allemagne, à l’époque baroque, que la musique de table proprement dite a connu son apogée, servie par de petites formations composées essentiellement d’instruments à vent. Au XIXe siècle, âge d’or de la musique de brasserie et du café-concert, la musique de table n’était déjà plus le privilège des princes et des riches bourgeois. Elle a achevé de se démocratiser - et de dégénérer - depuis l’apparition des moyens de reproduction électromécaniques, qui mettent n’importe quel fond sonore à la portée de tous, pendant ou entre les repas. downloadModeText.vue.download 984 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 978 TABLE DE RÉSONANCE ou D’HARMONIE. Dans le piano, surface plane - le plus souvent en sapin - qui, en vibrant, accroît la sonorité des cordes tendues au-dessus d’elle. TACCHINO (Gabriel), pianiste français (Cannes 1934). Il prend ses premières leçons de piano à l’âge de six ans dans sa ville natale, puis étudie au Conservatoire de Nice. Il entre en 1946 au Conservatoire de Paris dans la classe de J. Batalla. Après avoir obtenu un premier prix en 1952, il est dans les années qui suivent lauréat de plusieurs concours internationaux (Concours Busoni de Genève, Casella de Naples, etc.) En 1958, il joue à Paris sous la direction de Cluytens, puis se fait entendre avec Leinsdorff, Monteux, Karajan, Paray, etc. En 1962, il débute aux États-Unis, en 1965, au Japon et en U.R.S.S. En 1975, il est nommé professeur au Conservatoire de Paris. La même année il fonde les Nuits musicales du Suquet. À partir de 1992, il dirige aussi le Festival international de musique classique, qu’il a créé. Il a enregistré entre autres la première intégrale de l’oeuvre pour piano de Poulenc, avec qui il a travaillé dans sa jeunesse. TACTUS (lat. : « touchement »). Nom donné jusqu’au XVIe siècle à la manière ancienne de battre la mesure, non pas comme aujourd’hui par des figures conventionnelles tracées dans l’espace, mais par des mouvements de main faisant se succéder des séries d’appuis (ictus) matérialisés ou non par de légers coups frappés avec le doigt sur le pupitre, l’épaule d’un partenaire, etc. Primitivement, le tactus marquait ce qu’on appelle aujourd’hui les « temps » sans intervenir sur leur groupement en « mesures » comme le fait la battue actuelle. Il s’est ensuite perfectionné en distinguant des touchements forts (abaissement de la main, dit thesis, positio) et faibles marqués par son élévation (arsis, elevatio), arsis et thesis n’ayant pas obligatoirement même durée : une mesure à 3 temps par exemple était habituellement considérée comme à 2 temps inégaux,

seuls étant marqués les temps 1 et 3. La battue actuelle des chefs d’orchestre et des solfégistes est assez récente (sans doute XIXe siècle) et s’est longtemps divisée en deux écoles, dont on relève encore aujourd’hui la survivance : l’école italienne ramenant le geste à une série de baissés et de levés (ex. 4 temps = 2 temps baissés, 2 temps levés ; 3 temps = 2 temps baissés, 1 temps levé), et l’école française donnant à chaque temps une direction différente fixée par convention. Cette dernière est seule enseignée en France, mais on retrouve souvent la première par instinct. TAFFANEL (Paul), flûtiste et chef d’orchestre français (Bordeaux 1844 - Paris 1908). Lauréat du Conservatoire de Paris pour la flûte, l’harmonie et la fugue, il fut engagé à dix-huit ans à l’Opéra-Comique, et, deux ans plus tard, à l’Opéra. Flûte solo de la Société des concerts du Conservatoire de 1865 à 1892, il donna également des concerts dans toute l’Europe et forma de nombreux élèves dont Philippe Gaubert, Gaston Blanquart et Louis Fleury. Des ennuis dentaires l’ayant obligé à abandonner son activité de virtuose, il se tourna vers la direction d’orchestre. En 1893, l’année même de son retour au Conservatoire en tant que professeur, il fut nommé premier chef d’orchestre à l’Opéra mais continua de monter régulièrement au pupitre de la Société des concerts. Sa Méthode complète de flûte fait encore autorité. TAGLIAFERRO (Magda), pianiste et pédagogue française d’origine brésilienne (Petropolis 1893 - Rio de Janeiro 1986). Elle fait ses études au Conservatoire de Paris (Marmontel, puis Alfred Cortot), effectue sa première tournée en 1908 avec Gabriel Fauré, et commence aussitôt une brillante carrière internationale avec un répertoire très étendu, faisant une large part à la musique contemporaine. Professeur au Conservatoire de Paris (1937), elle est chargée en 1939 d’une mission de propagande aux États-Unis et en Amérique du Sud, et donne des cours à São Paulo et Rio de Janeiro. De retour à Paris, elle fonde une école de piano, des cours publics d’interprétation et un concours international qui porte son nom. TAGLIAVINI (Luigi Ferdinando), organiste et musicologue italien (Bologne

1929). Il étudia la musique au conservatoire de Bologne, puis à celui de Paris, où il reçut l’enseignement de Marcel Dupré. Il fut élève de Riccardo Nielsen En 1952, il est docteur de l’université de Padoue. Depuis 1954, il dirige la bibliothèque du conservatoire de Bologne, et enseigne l’orgue à celui de Bolzano. Il compose (Passacaille d’orgue sur un thème de Hindemith, 1954), mais on lui doit surtout de nombreux écrits : Studi sui testi delle cantate sacre di J. S. Bach (1956), des éditions critiques (Mozart, D. Zipoli), des articles et ouvrages divers. TAGORE (Rabindran¯ath), poète et compositeur indien (Calcutta 1861 - Santiniketan, près de Calcutta, 1941). Il composa environ deux mille cinq cents chansons dans le style classique et populaire, certaines inspirées par des chants d’origine anglaise. Elles furent publiées après sa mort, et les deux États de l’Inde et du Bangladesh adoptèrent chacun une de ces chansons comme hymne national. On lui doit aussi des écrits sur la tradition musicale indienne, et la création d’une forme de drame musical chanté et dansé, le Nrtya-Natya. TAILLE. 1. Catégorie vocale désignant un ténor de tessiture grave. Apparu en France au XIVe siècle, ce terme était d’usage courant au temps de Lully pour distinguer la taille du ténor haute-contre, de tessiture plus aiguë. En 1762, le Dictionnaire de l’Académie distingue la haute-taille (ou taille haute) de la basse-taille, équivalent du baryton. On utilise encore couramment ce mot dans le choeur, où la taille soutient une partie plus grave que celle du « premier ténor », et équivaut cette fois au terme de « second ténor », par assimilation aux premier et second violons dans l’échelle des tessitures du quatuor à cordes. 2. Le terme était appliqué naguère pour désigner une tessiture précise parmi une famille d’instruments, un usage encore très courant au XVIIe siècle. On peut citer en exemples la taille de hautbois (ou hautbois-taille), la taille de viole, de violon, de cromorne, etc.

TAILLEFERRE (Germaine), compositrice française (Saint-Maur-des-Fossés 1892 Paris 1983). Elle entre au Conservatoire de Paris en 1904, et, avec ses condisciples Auric, Honegger, Milhaud, elle demande des conseils à Koechlin. En 1917, elle rencontre Erik Satie, qui, l’année suivante, à l’occasion d’un concert, présente ses Jeux de plein air pour deux pianos, et dont l’influence est manifeste dans le ballet Marchand d’oiseaux (1923). Membre du groupe des Six, elle collabore aux Mariés de la tour Eiffel, et reçoit de Ravel, entre 1925 et 1930, des cours d’orchestration. La Cantate de Narcisse (1937), écrite sur l’invitation de Valéry, témoigne de son évolution vers le dépouillement. Elle se situe dans une tradition française qui va de Couperin à Chabrier en passant par Grétry, et où se mêlent les influences de Debussy, Ravel, Satie et Stravinski. Elle a écrit notamment, outre de nombreuses oeuvres instrumentales, un Quatuor à cordes (1918), l’opéra-comique Il était un petit navire (1951), des musiques de scène et de film, et Concerto de la fidélité pour voix élevée et orchestre (1981). TAIRA (Yoshihisa), compositeur japonais (T¯oky¯o 1938). Ses études musicales se déroulent à T¯oky¯o (université des Arts) et à Paris (André Jolivet, Henri Dutilleux et Olivier Messiaen), où il obtient en 1971 le prix Lili-Boulanger et où il se fixe pour plusieurs années. Assez tôt à l’écart de la downloadModeText.vue.download 985 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 979 tendance postwebernienne, qui était en faveur au Japon même pendant ses études, il revendique une esthétique basée sur le chant, la nature, la profération du son dans le silence. On lui doit notamment un Quatuor à cordes (1962), Hiérophonie I pour quatre violoncelles (1969), II pour quinze instrumentistes (1970), III pour orchestre (1969), IV pour quatre flûtes avec un seul exécutant (1971) et V pour six percussionnistes (1974-75), Sonomorphie I

pour piano (1970), II pour cinq musiciens (1971) et III pour grand orchestre (19741976), Ignescence pour deux pianistes et un percussionniste (1972), Chromophonie pour orchestre (1973), Luisances pour deux ondes Martenot, guitare électrique et percussion (1973), Pentalpha pour cinq solistes (1974), Convergence I pour marimba solo (1975), II pour contrebasse solo (1976) et III pour violon solo (1976), Méditations pour grand orchestre (19751977), Iris pour grand orchestre (1978), Érosion I pour flûtiste et orchestre (1980), Delta pour 12 instruments (1981-82), Moksa Vimoksa pour orchestre (1983), Polyèdre pour orchestre (1987), Flantissimo pour 32 flûtes. TAKEMITSU (Toru), compositeur japonais (Tōkyō 1930 - id. 1996). Il étudie la musique en autodidacte, ainsi qu’avec le compositeur Yasuji Kiyose. En 1950, il fonde à T¯oky¯o un atelier interdisciplinaire où se rencontrent, pour collaborer, des musiciens, des poètes et des peintres : le Jikken Kobo (atelier expérimental) auquel la Sony Corporation apporte une aide, notamment avec un studio de musique électroacoustique où lui-même compose des oeuvres qui ont été parmi les premières du genre au Japon : Relief statique (1954), Vocalism A-I (1955), etc. Sous l’influence de Webern, Messiaen, Debussy, mais surtout à partir de sa propre expérience de jeune Japonais au sortir de la guerre, quand la musique occidentale a envahi le Japon, il crée un style, extrêmement éclectique et souple, où interviennent aussi bien les instruments occidentaux que les instruments traditionnels japonais, et la musique électroacoustique. Ce style assume et met en jeu le choc des cultures occidentale et japonaise comme une « fertile antinomie » où les deux blocs, les deux types de pensée « se combattent ». Quant à la forme, elle est, comme chez Debussy, toujours réinventée, se présentant comme le « résultat direct et naturel que les sons imposent d’eux-mêmes et que rien ne prédétermine au départ ». Takemitsu a abondamment composé pour le cinéma, notamment pour les films Harakiri (1963) et Kwaidan (1965) de Masaki Kobayashi, la Femme de sable (1963) de Teshigara, Dodes’ caden (1970) de Ku-

rosawa, et la Cérémonie (1971) d’Oshima. Parmi ses oeuvres de concert, on peut citer Pause Uninterrupted, pour clarinette (1950), Requiem, pour orchestre à cordes (1957), Solitude sonore, pour orchestre (1958), le Son-Calligraphie I à III, pour huit cordes (1958-1960), Landscape , pour quatuor à cordes (1960), Music of Trees, pour orchestre (1961), Piano Distance, pour piano (1961), Ring, pour flûte, guitare et luth (1961), Coral Island, pour soprano et orchestre (1962), Corona, pour un ou plusieurs pianos (1962), Water Music, pour bande magnétique (1963), Arc, pour piano et orchestre (une de ses oeuvres les plus jouées dans le monde, 1963-1966), Éclipses, pour biwa et shakuhachi (1966), The Dorian Horizon, pour dix-sept cordes (1966), Novembersteps, pour biwa, shakuhachi et orchestre (1967), Greens (Novembersteps II), pour orchestre (1967), Textures, pour orchestre (1967), Stanza, pour instruments solistes et voix de femme (1969), Cross Talk, pour deux bandonéons et bande magnétique (1968), Eucalyptus, pour flûte, harpe, hautbois et cordes (1970), Seasons, pour percussions (1970), Voice, pour flûte solo (1971), Winter, pour orchestre (1971), Cassiopeia, pour orchestre (1971), Gémeaux, pour hautbois, deux orchestres avec deux chefs (1971-72), Stanza II, pour harpe et bande magnétique (1971), Blue Aurora, pièce de théâtre musical pour Toshi Ichiyanagi (1971), In Motion, oeuvre audiovisuelle (1972), Quatrain, pour violon, clarinette, piano et orchestre (1973), Autumn, pour biwa, shakuhachi et orchestre (1973), Gitimalaya, pour orchestre (1975), A flock descends into pentagonal garden, pour orchestre (1977), Fantasma/Cantos pour clarinette et orchestre (1991). TAL (Joseph), compositeur, pianiste et chef d’orchestre israélien d’origine polonaise (Pinne, près de Poznán, 1910). Il étudia à la Hochschule für Musik de Berlin, avant que la persécution nazie ne l’incite à venir s’établir en Palestine. Il présida à l’organisation de la vie musicale dans le nouvel État d’Israël, entre 1941 et 1952. Son oeuvre est abondante et éclectique, utilisant aussi bien les moyens de la musique électronique, dont il fut l’un des pionniers dans son pays (Exodus II, ballet, 1954), que le dodécaphonisme (Concerto pour violoncelle). Ashmedai (1968-69), sur un texte d’Eliraz, créé à Hambourg

en 1971, est un exemple d’opéra dodécaphonique. On lui doit aussi, avec Massada 967 (1973-74), un « opéra électronique » où la bande magnétique tient la place de l’orchestre face aux choeurs et aux voix. Citons aussi trois symphonies (1953, 1960, 1978), divers concertos, des oeuvres d’inspiration biblique, trois concertos pour piano et bande magnétique (1962, 1964, 1970) et des musiques de ballet pour bande magnétique. La base de sa musique, souvent très dynamique, est l’inspiration « mitteleuropéenne » (Hindemith, etc.). TALEA. En latin, terme d’architecture désignant le tenon qui retient ensemble plusieurs pièces de bois. Par analogie, le terme a été appliqué, au XIVe siècle, à la manière dont s’articulent, spécialement dans une teneur isorythmique, plusieurs cellules rythmiquement semblables. La talea détermine donc le rythme et se trouve complétée par le color qui détermine le mouvement mélodique. Le terme, francisé en taille, a été transporté dans le domaine des tessitures, et, comme la talea s’appliquait surtout à la teneur, en est venu à désigner la tessiture de cette teneur, c’est-à-dire le registre de ténor ou de baryton, placé entre le bassus et l’altus. L’expression a eu cours jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. TALICH (Vaclav), chef d’orchestre tchèque (Kromeriz 1883 - Beroun 1961). Sur la recommandation de Dvořák, il fait ses études au conservatoire de Prague (1897-1903) avec J. Marak et O. Sevcik. Engagé en 1903 à la Philharmonie de Berlin, il en devient l’année suivante premier violon, sous la baguette de Nikisch, qui lui communique le virus de la direction d’orchestre. Premier violon à l’Opéra d’Odessa, professeur de violon à Tbilissi (1904-1906), il fait ses débuts de chef à Prague en 1907, puis dirige à Ljubljana (1908-1912), tout en suivant les cours de M. Reger, H. Sitt et A. Nikisch à Leipzig et de A. Vigni à Milan. Il travaille jusqu’à la guerre pour l’Opéra de Pilsen et entreprend en 1917-18 une longue collaboration avec la Philharmonie tchèque, dont il fut chef principal de 1919 à 1941 et directeur de 1946 à 1948 et dont il a forgé la renommée internationale.

Responsable de l’Orchestre de l’Opéra national de 1935 à 1945, puis de 1947 à 1948, fondateur de l’Orchestre de chambre tchèque (1946), directeur de la Philharmonie slovaque nouvellement créée à Bratislava (1949-1952), Talich fit également, à partir de 1924, de fréquents séjours en Angleterre et surtout en Suède, où il dirigea, de 1931 à 1933, les Konsertföreningen à Stockholm. Il fut aussi titulaire de la classe supérieure de direction d’orchestre du conservatoire de Prague (1933-1945), comptant parmi ses élèves Ancerl, Krombholc, Krejci, Vasatá, Slovak et Mackerras. Il cesse ses activités musicales en 1956. Martinºu lui a dédié Julietta. downloadModeText.vue.download 986 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 980 TALLIS (Thomas), compositeur anglais (v. 1505 - Greenwich 1585). Il séjourna et travailla dans plusieurs monastères (entre autres comme maître de choeur ou organiste à l’abbaye de Waltham) jusqu’à la dissolution royale de 1540. Quelque temps après, il devint gentilhomme et principal organiste et compositeur de la chapelle royale. Il composa pour l’Église anglicane sous Édouard VI, puis selon le rite catholique avec Marie Tudor, pour revenir à la religion réformée par Élisabeth Ire. Doyen des musiciens anglais, il obtint, pour lui et son disciple Byrd, le monopole de l’édition musicale, tout en restant organiste de la chapelle royale. Ce n’est pourtant que plus tard que ce monopole devait devenir fructueux, lorsque le genre du madrigal connut auprès du public la popularité que l’on sait. Tallis, qui garda la foi catholique, a donc composé indifféremment pour les deux cultes, apparemment avec la même facilité (mais la présence du motet latin dans la liturgie anglicane aidait à cette ambivalence). Ses Messes sont d’un maître de la polyphonie et usent d’un contrepoint imitatif, assez proche de celui de Lassus. Également remarquables par la profondeur de leur inspiration et l’élan spirituel sont les deux Lamentations et le grand motet Spem in alium, page spectaculaire à quarante voix réelles, écrite à l’occasion

du 40e anniversaire de la reine Élisabeth (1573). Pour la liturgie nouvelle de l’Église réformée d’Angleterre, il a composé des « services », des psaumes et une douzaine d’anthems, toujours dans la grande tradition sacrée de la Renaissance (que l’héritier Byrd, qui tint à rendre hommage à l’art de Tallis, en une déploration qui compte parmi les plus belles de toute l’histoire de la musique, maintiendra vivante jusqu’au début du XVIIe siècle). Enfin, le virginaliste n’est pas, chez lui, sans talent avec des variations virtuoses sur le Felix Namque. TALVELA (Martti), basse finlandaise (Hiitola 1935 - Juva 1989). En 1961, il débute à l’Opéra de Stockholm dans Rigoletto et, dès 1962, il intègre la troupe du Deutsche Oper à Berlin. Remarqué par Wieland Wagner, il est engagé à Bayreuth en 1962, et y incarne Gurnemantz, Hunding et le roi Mark jusqu’en 1970. Débutant à la Scala en 1963, il est appelé par Karajan en 1967 au Festival de Salzbourg. Il y aborde les rôles mozartiens. Doué de grands talents d’acteur et mesurant deux mètres, il est un Osmin, un Commandeur ou un Sarastro redoutables. Il chante cent fois en vingt ans au Metropolitan de New York, et, de 1972 à 1980, dirige le Festival de Savonlinna, où il triomphe dans Boris Godounov. En 1981, il a enregistré la Flûte enchantée avec James Levine et, en 1987, l’Enlèvement au sérail. Attaché au répertoire finlandais, il laisse également des disques de mélodies de Sibelius et de Kilpinen. TAMAYO (Arturo), chef d’orchestre espagnol (Madrid 1946). Il fait des études de droit et étudie la musique au Conservatoire de Madrid (piano, percussion, composition). En 1969, il commence à étudier la direction d’orchestre auprès de Pierre Boulez. À partir de 1971, il étudie à la Musikhochschule de Fribourg (composition auprès de W. Fortner, direction auprès de F. Travis). Il dirige les concerts Musica Viva et voyage avec l’Ensemble de musique contemporaine de Fribourg. En 1976, il achève ses études de direction avec W. Rowicki à Vienne et commence sa carrière, s’intéressant d’emblée au répertoire contemporain. À partir du début des années 80, il dirige fréquemment le répertoire lyrique,

contemporain en particulier, créant par exemple la Célestine de M. Ohana (1980) ou la Noche triste de J. Prodromidès (1989). TAMBA (Akira), compositeur japonais (Yokohama 1932). Il a étudié à l’université des Arts de T¯oky¯o (1953-1957), a été chargé de cours à l’Université nationale de Yokohama, puis est entré en 1960 au Conservatoire de Paris comme élève de Tony Aubin et d’Olivier Messiaen. Entré au C. N. R. S. en 1967, il a obtenu un doctorat de musicologie à Paris-Sorbonne en 1971 (la Structure musicale du nô). Il enseigne la musicologie japonaise à l’université de Paris III. On lui doit notamment une sonate pour flûte et piano (1958), Cinq Mélodies de Manyô pour voix et piano (1961-1965), Deux Poèmes de Baudelaire (musique concrète, 1966 ; pour voix et orchestre, 1965-66), Sûnyatâ pour orchestre et 6 percussions (1972), Chant du monde pour grand orgue et percussion (1973), le Fil de l’araignée, oratorio-ballet pour orchestre et choeurs (1974), Héloïse et Abélard, drame musical pour le Festival d’Avignon (1977), Vision vocale I à VI pour divers ensembles vocaux et instrumentaux (1975-1980), Elemental I pour harpe et percussion (1976), II pour saxophone et percussion (1978) et III pour contrebasse solo (1979), Interférence I pour 3 instruments japonais (1980) et II pour 4 instruments japonais et soprano (1981). TAMBOUR. Instrument à percussion de la famille des « peaux ». Le terme générique de « tambour », significativement issu du persan, désigne toutes sortes d’instruments anciens ou exotiques, très différents les uns des autres par la forme, les dimensions et le matériau employé. Tel que l’a adopté et adapté le monde occidental, c’est un cylindre métallique de hauteur variable, muni à chaque extrémité d’une peau tendue par des cordes et des passants de cuir dans les modèles traditionnels, par des tringles filetées dans les instruments modernes destinés à l’orchestre. Sur la peau inférieure s’applique un « timbre » formé de boyaux (deux au minimum) qui freine sa résonance. Une paire de baguettes, frappant

la peau supérieure, permet une grande variété de roulements et autres batteries, d’un volume sonore considérable. TAMBOUR DE BASQUE. Instrument à percussion de la famille des « peaux ». Ce tambour très plat et de petite taille (20 à 40 cm de diamètre) n’a qu’une peau et en est même parfois dépourvu. Dans son fût réduit à un cercle de bois sont percées de cinq à quinze ouvertures où, enfilées sur de petites tringles, sont disposées autant de paires de minuscules cymbales. Sauf exception, le tambour de basque se tient d’une main et se joue de l’autre, qui frappe la peau ou glisse sur les cymbalettes d’un mouvement circulaire. On peut aussi faire tinter les cymbalettes en secouant l’instrument. TAMBOURIN. Instrument à percussion de la famille des « peaux ». C’est, comme son nom l’indique, un petit tambour, de caractère folklorique, dont l’emploi à l’orchestre est exceptionnel. TAMB¯URA. Lyre pourvue de six cordes ou plus que l’on trouve en Égypte et dans les pays arabes du Golfe et de la Péninsule (sud de l’Iraq, Koweït, Arabie Saoudite, Bahreïn, Qatar, Émirats, Oman, Yémen). Généralement intégrée à des ensembles populaires comportant en outre des instruments à vent (hautbois, cornemuses) et des percussions, et interprétant des musiques pentatoniques, elle aurait été introduite dans ces pays par des esclaves noirs originaires de la Corne de l’Afrique. TAMBURINI (Antonio), baryton italien (Faenza 1800 - Nice 1876). De 1824 à 1832, il s’affirma peu à peu, chantant en Italie exclusivement, dans des théâtres de plus en plus importants. Puis ce fut la carrière internationale qui l’amena à Londres et à Paris. Sa technique phénoménale lui valut le nom de « Rubini des basses-tailles ». Sa voix était ronde et puissante. Il créa le rôle de Ric-

cardo dans I Puritani de Bellini et celui de Malatesta dans Don Pasquale de Donizetti. Par ailleurs, il s’illustra en incarnant Don downloadModeText.vue.download 987 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 981 Giovanni de Mozart. Il fut un des plus célèbres chanteurs de l’époque romantique et sa popularité était considérable. TAM-TAM. Instrument à percussion de la famille des « métaux ». On s’explique mal cette dénomination qui évoque le tambour africain, alors qu’elle désigne une sorte de gong dont l’origine est asiatique. Comme le gong, c’est un cercle de tôle battue à bords relevés, suspendu verticalement à un portique. Étant beaucoup plus grand, il produit un son plus grave, mais indéfini, et résonne encore plus longtemps. TANEÏEV (Sergueï Ivanovitch), compositeur, théoricien et pédagogue russe (Vladimir 1856 - Dioudkovo, près de Moscou, 1915). De 1866 à 1875, il fréquenta le conservatoire de Moscou dont il fut l’un des premiers élèves. Il y travailla avec Tchaïkovski (harmonie, composition), Hubert (contrepoint) et Nicolas Rubinstein (piano). Ses conceptions de l’histoire de la musique furent influencées par celles du critique Hermann Laroche. En 1876-77, Taneïev effectua une tournée de pianiste virtuose en Europe occidentale, séjourna en France et rencontra Pauline Viardot, Saint-Saëns, Gounod, Fauré et Vincent d’Indy. En 1878, il fut nommé professeur au conservatoire de Moscou et enseigna successivement l’harmonie, l’instrumentation, le piano, la composition, la fugue et les formes musicales. Il compta parmi ses nombreux élèves Scriabine, Rachmaninov, Medtner, Liapounov, Glière, et encouragea, à titre personnel, les débuts du jeune Prokofiev. De 1885 à 1889, il fut directeur du conservatoire. Il le quitta en 1905 à la suite de désaccords avec le nouveau directeur Safonov. Il fut ensuite l’un des fondateurs du Conservatoire populaire de Moscou (1906) et de la

Bibliothèque de théorie musicale (1908). Esprit universel, Taneïev était ouvert aux sciences les plus diverses : mathématiques, philosophie, histoire, linguistique (il étudiait l’espéranto). Il était un proche de la famille de Léon Tolstoï. Passionné par les problèmes de théorie musicale, il passa de nombreuses années à étudier le contrepoint, auquel il consacra deux traités : le Contrepoint mobile de style rigoureux (1909) et la Science du canon (inachevé). Il s’intéressa également à la musique populaire russe ainsi qu’à certaines musiques ethniques (caucasiennes), et s’efforça d’élaborer un style contrapuntique spécifiquement russe. Cependant sa musique se distingue fondamentalement de celle de la tendance nationaliste de l’école russe. S’il se rapprocha de Rimski-Korsakov et de Glazounov, l’esthétique de Moussorgski lui resta toujours étrangère. Ses premières oeuvres furent naturellement influencées par Tchaïkovski (1re Symphonie, 1874, premiers choeurs a capella, Trio à cordes, 1880). Mais son style personnel s’affirma rapidement. Son écriture musicale se distingue par une prédominance de la polyphonie. Ses grandes oeuvres vocales sont écrites sur des textes à fond éthique et religieux. Dans son seul opéra, l’Orestie (1894), Taneïev évite la séduction facile d’une stylisation de la musique antique et traite le sujet dans une optique universellement humaine, à l’image de Gluck. Sa philosophie religieuse trouve son expression dans ses deux grandes cantates Saint Jean Damascène (1884, sur un poème d’Alekseï Tolstoï) et Après la lecture d’un psaume (1915, sur un texte de Khomiakov). Ses nombreux choeurs a capella ainsi que ses quatuors sont remarquables par leur science de la conduite des voix. Cependant, le sérieux et parfois l’austérité de sa musique ont pu le desservir auprès de nombreux mélomanes. Il n’en reste pas moins injuste que Taneïev, en tant que compositeur, ait été éclipsé d’une part par la gloire de son maître Tchaïkovski, d’autre part par celle de ses disciples Rachmaninov et Scriabine. TANGO. Ancienne danse d’Amérique latine dont les origines sont imprécises : rituel noir

ou indien ? Rythme populaire mauresque adopté par les Gitans d’Andalousie et ayant, de là, gagné l’Argentine et Cuba où il rejoint la habanera ? Sa forme primitive (mouvement lent et mélodie lascive) lui assignait un pouvoir érotique que les milieux noirs d’Amérique accompagnaient d’une mimique inconvenante. Peu avant la Première Guerre mondiale, le tango gagna (ou regagna) l’Europe, non sans que sa matière « offensante pour la morale » soit temporairement contestée. Son rythme a survécu dans un certain nombre de partitions contemporaines (Stravinski, Chávez, Hába, Hindemith). TANSMAN (Alexandre), compositeur français d’origine polonaise (Lód’z 1897 - Paris 1986). Il fit ses études musicales au conservatoire de Lód’z. À vingt ans, il faisait exécuter une Sérénade symphonique de sa composition. Il alla se perfectionner à Varsovie avec Rytel, et suivit en même temps les cours à la faculté de droit. En 1919, il obtint deux prix de composition. La même année, il quitta la Pologne pour la France. À Paris il se rapprocha de Ravel, Roussel, Florent Schmitt, Migot et du groupe des Six. Les chefs d’orchestre V. Gloschmann, Koussevitski, Stokowski, Toscanini dirigèrent ses oeuvres : Intermezzo sinfonico (1920), Danse de la sorcière (1923), Symphonie en la mineur (1926), concertos pour piano. Il effectua une tournée aux États-Unis en 1927, et en Extrême-Orient en 1932-33. De ces années datent sa Symphonie concertante, sa Partita pour cordes, son ballet la Grande Ville. Pendant la guerre, il vécut à Hollywood où il devint l’ami de Stravinski, dont il avait déjà ressenti l’influence. Il lui consacra un ouvrage (1948), et par la suite écrivit à sa mémoire une Stèle pour voix et instruments (1972). Dans le domaine dramatique, il a écrit les opéras la Nuit kurde (1925), le Serment (1954), et l’opéra-comique Georges Dandin d’après Molière. Ses références sont diverses : d’où un style qui fait voisiner tonalité, polytonalité et atonalisme. Outre Stravinski, avec lequel il a en commun la rigueur, le dépouillement et l’éclectisme, il a été influencé par

Ravel et surtout Milhaud, auquel l’apparentent de fréquentes références à divers folklores. Ses origines hébraïques et polonaises ont naturellement trouvé une large place dans son oeuvre (Rhapsodie hébraïque, 1932 ; Isaïe le prophète, oratorio, 1951), et l’image de Chopin est présente dans son style pianistique comme dans sa sensibilité : quatre danses polonaises, mazurkas pour piano, Hommage à Chopin. Mais on trouve aussi chez lui l’attrait de l’Orient, avec ses Mélodies japonaises (1919). Il a également écrit de la musique de scène (Huon de Bordeaux, 1923) et de film (Poil de carotte, 1932 ; Paris underground, 1945). TAPPY (Éric), ténor suisse (Lausanne 1931). Il étudie au Conservatoire de Genève jusqu’en 1958. Dès 1959, il crée le Mystère de la Nativité de Frank Martin, puis son Monsieur de Pourceaugnac en 1963. Son timbre et ses moyens vocaux le prédisposent à chanter des oratorios et des opéras baroques. En 1964, il débute à Paris, dans Zoroastre de Rameau. En 1966, il aborde Orfeo et le Couronnement de Poppée à Hanovre. La même année, il crée Pilate de Frank Martin, et en 1973 et 1974, chante la Clémence de Titus à Aix-en-Provence. Il collabore aux productions mozartiennes de Jean-Pierre Ponnelle à Salzbourg. Au Grand-Théâtre de Genève, il s’illustre aux côtés de Teresa Stich-Randall dans les opérettes d’Offenbach, Strauss et Léhar. Depuis 1981, il se consacre à l’enseignement, et dirige l’Atelier lyrique de Lyon de 1980 à 1990. TAPRAY (Jean-François), organiste et compositeur français (Gray, HauteSaône, 1738 - Fontainebleau 1819). Organiste à Dôle, à Besançon (1763), à la chapelle de l’École militaire à Paris (1767), puis à Saint-Louis de Fontainebleau downloadModeText.vue.download 988 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 982 (1768), il fut un des premiers en France à écrire spécifiquement pour le pianoforte. TÂR.

1. Luth à manche long utilisé en Iran et en Azerbaïdjan dans la musique traditionnelle. Il est de création relativement récente. La caisse de bois à double renflement est recouverte d’une table de peau. La touche du long manche est garnie de vingt-cinq frettes ajustables au mode joué et correspondant sur chaque rang à une octave et une quinte, soit dix-sept intervalles par octave. Le târ est pourvu de trois doubles rangs de cordes accordées du grave à l’aigu en fonction de l’octave, de la quinte et de la quarte. 2. Instrument de percussion utilisé dans les musiques traditionnelles arabo-islamiques. Au Maghreb, les târ-s sont des tambours de basque. Au Moyen-Orient arabe et sur le golfe Arabo-Persique, les târ-s sont des grands tambours sur cadre à une membrane. ( ! BANDÎR, DAFF, RIQ.) TARENTELLE. Une double étymologie rattache l’origine de cette danse à la ville de Tarente, en Italie du Sud, et à l’araignée dite tarentule dont la piqûre passait pour provoquer une agitation comparable à la danse de Saint-Gui. Devenue très populaire à Naples au début du XVIIIe siècle, influencée par le fandango espagnol, c’était une danse très vive, à 6/8, généralement accompagnée au tambour de basque. De nombreux compositeurs, de Rossini (la Danza) à Debussy (les Collines d’Anacapri), ont écrit ou introduit dans leurs oeuvres des tarentelles. La musique de ballet classique a également fait grand usage de ce rythme caractéristique qui évoque irrésistiblement Naples et la Sicile. TARTINI (Giuseppe), compositeur et violoniste italien (Pirano 1692 - Padoue 1770). Ses parents le destinaient à vivre dans les ordres, et il fut envoyé en 1709 à l’université de Padoue pour y étudier les lettres, mais se maria secrètement, en 1712, avec la jeune Elisabetta Premazore, avant de commencer à gagner sa vie comme violoniste d’orchestre. On lui attribue une jeunesse dissipée de bretteur, et en tout cas de proscrit, puisqu’il dut se réfugier à Assise après son mariage secret. On dit que c’est là qu’il jouait derrière un rideau pour ne pas être reconnu, faisant l’admiration des auditeurs par sa sonorité, et qu’il reçut des leçons d’un franciscain tchèque. C’est là

aussi que le diable lui serait apparu pour lui suggérer l’effet instrumental qu’il devait exploiter dans la sonate dite du « Trille du Diable ». Il fréquenta aussi les cercles de Corelli et Geminiani. En 1721, il était premier violoniste à la basilique de Saint-Antoine à Padoue, ville où il devait, après ses voyages, revenir se fixer à partir de 1728. Entre 1723 et 1726, il reste à Prague, attaché au service du prince Kinsky, chancelier de Bohême. En 1728, à Padoue, il fonde une académie de musique nommée École des nations et où il enseigne, à côté de l’art violonistique, le contrepoint et la composition. Particulièrement réputé pour sa technique d’archet, il attire des élèves de tous les pays, dont Pugnani, Naumann, La Houssaye et surtout Nardini. Son style était célèbre pour son expressivité, mais selon certains il se mit en vieillissant à pratiquer une ornementation de plus en plus chargée. Son Trattato delle appoggiature fut un des premiers traités d’ornementation de l’époque. Ses autres écrits importants sont sa fameuse Lettre à Maddalena Lombardini de 1760, où il s’adresse à une de ses élèves, en lui énonçant ses principes d’exécution et d’ornementation, et qui reste un document instructif sur les techniques de jeu violonistique de l’époque (Tartini préconise notamment l’emploi d’un archet plus léger et de cordes plus volumineuses). Mais surtout, il publia en 1754 son fameux Trattato di musica secondo la vera scienza dell’armonia, qu’il devait rééditer dans une version nouvelle en 1767. Le système harmonique qui y est exposé, et qui suscita des polémiques, notamment de la part du Padre Martini, est basé entre autres sur la théorie des « sons résultants » (terzi tuoni), et fait appel à des notions d’algèbre et de géométrie, ainsi qu’aux notions platoniciennes, pour expliquer la génération harmonique. Rousseau, dans son Dictionnaire de musique, l’oppose à celle de Rameau : « Monsieur Rameau fait engendrer les dessus par la basse ; Monsieur Tartini fait engendrer la basse par les dessus », ce qui revient à tirer l’harmonie de la mélodie. Des oeuvres de Tartini, il nous reste

environ 125 concertos parmi les 200 qu’il aurait composés. On a conservé de même 160 sonates sur 200 attestées, certaines ayant été éditées de son vivant. Citons encore l’Arte del arco, recueil de variations sur une gavotte de Corelli, 50 sonates en trio, des symphonies et des concertos de violoncelle. TASKIN, dynastie de musiciens français d’origine belge. Pascal (Theux, près de Liège, 1723 - Paris 1793). Il étudia la facture du clavecin à Paris chez François Étienne Blanchet, auquel il succéda après sa mort et dont il épousa la veuve. En 1768, il fit construire un nouveau type de clavecin, munissant l’un des rangs de sautereaux de cuir de « buffle » (en réalité boeuf d’Italie), au lieu de la traditionnelle plume de corbeau ; ce procédé a pour effet d’adoucir le son. Il remplaça également les registres à main par des genouillères, permettant de changer de registre sans lever les mains du clavier. En 1773, il fut nommé garde des instruments du roi, succédant à Chiquelier. Cette charge accaparante de restaurateur et réparateur explique le nombre relativement réduit de ses propres instruments. Vers la fin de sa vie, il commença également à fabriquer des pianos, ainsi qu’une harpe-psaltérion nommée Armandine, se présentant sous la forme d’un clavecin sans clavier. Pascal-Joseph, neveu du précédent (Theux 1750 - Paris 1829). Il fit le même métier que son oncle, dont il fut l’élève. De 1771 à la Révolution, il fut facteur du roi, puis accordeur à l’École de chant de 1793 à 1795. Au-delà de cette date, il semble avoir cessé ses activités. Henry-Joseph, fils du précédent (Paris 1778 - id. 1852). Il se distingua de bonne heure comme claveciniste et fut page musical de Louis XVI. Il composa de la musique instrumentale, des opéras restés inédits, et s’essaya même à la musicologie. Alexandre, petit-neveu du précédent (Paris 1853 - id. 1897). Il étudia le chant au Conservatoire avec Bussine et Ponchard. Il débuta à l’Opéra-Comique en 1878 et fit une brillante carrière de baryton. Il connut un succès particulier dans Carmen et dans les Contes d’Hoffmann. Sa fille Arlette, cantatrice, épousa l’organiste Louis

Vierne. TASSEAUX. Pièces de bois (saule, tilleul, sapin ou peuplier) renforçant certains instruments à cordes de l’intérieur. Le violon possède deux tasseaux : le tasseau supérieur assure la stabilité du manche ; le tasseau inférieur est percé d’un trou par où passe le bouton où se fixe la corde d’attache du cordier. TASTO SOLO (ital. : « une seule touche »). Expression indiquant que, dans une oeuvre avec basse continue, seules les notes écrites de la ligne de basse doivent être jouées par l’instrument à clavier utilisé, sans être surmontées d’harmonies, « de réalisation ». Elle correspond au chiffre 0 sur la basse chiffrée. TATE (Jeffrey), chef d’orchestre anglais (Salisbury 1943). Il fait ses études de médecine avant de s’orienter vers la musique. Engagé en 1971 à Covent Garden, il y occupe les fonctions de chef de chant, puis de chef assistant, auprès de Solti, Davis, Krips, Kleiber, etc. Assistant de Boulez à Bayreuth, de Levine au Metropolitan Opera de New York, il se downloadModeText.vue.download 989 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 983 spécialise dès ses débuts dans le répertoire lyrique, avec une certaine prédilection pour la musique germanique (de Mozart à Berg). En 1985, il est nommé chef permanent de l’English Chamber Orchestra. De 1986 à 1991, il occupe le même poste à Covent Garden et, de 1989 à 1993, il est directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Rotterdam. Il se produit régulièrement à la tête de l’Orchestre national de France, dont il est devenu premier chef invité. À partir de 1990, il dirige l’Orchestre des jeunes de la Communauté européenne. TAUBER (Richard), ténor autrichien, naturalisé anglais (Linz 1892 - Londres 1948).

Il fit ses débuts à Chemnitz en 1919 dans le rôle de Tamino de la Flûte enchantée. Il chanta à Dresde de 1919 à 1925, puis à Vienne jusqu’en 1938 où il excella dans les emplois les plus différents. En même temps, il se produisait aux festivals de Salzbourg et de Munich. Juste avant la guerre, il s’établit à Londres, chantant à Covent Garden où il parut pour la dernière fois en 1947 avec ses anciens collègues de l’Opéra de Vienne dans la Flûte enchantée. Sa voix possédait un timbre très particulier qu’on pouvait trouver mieux adapté à la mélodie qu’au théâtre (ce fut d’ailleurs un très grand interprète du lied allemand), mais son art consommé parvenait à persuader qu’il avait une voix convenant exactement au rôle qu’il interprétait, quel que fût ce rôle : Ottavio de Don Giovanni ou Calaf de Turandot, Mario de La Tosca ou Max du Freischütz. Il fit également de nombreuses incursions dans l’opérette, créant la plupart des derniers ouvrages de Franz Lehar qui lui sont dédiés. TAUSIG (Karl), pianiste autrichien (Varsovie 1841 - Leipzig 1871). Formé par son père Aloys (1820-1885), puis par Liszt, il commença à l’âge de dix-sept ans une carrière de virtuose aussi brillante que brève. Ami non seulement de Liszt dont il était l’interprète préféré, mais de Brahms et Hans von Bülow, il fut nommé en 1865 pianiste de la cour à Berlin et y fonda une école. On lui doit un certain nombre de transcriptions et de fantaisies, notamment sur des oeuvres de Wagner. TAVENER (John), compositeur anglais (Londres 1944). Il a fait ses études à la Highgate School, puis à la Royal Academy of Music avec Lennox Berkeley (1961-1965). Il se fit connaître avec la cantate Caïn et Abel (1965), puis surtout avec la cantate biblique The Whale (1965-66, créée en janvier 1968 au premier concert du London Sinfonietta). Il a continué depuis lors à privilégier le domaine religieux, notamment avec le Celtic Requiem (1969), le Little Requiem for Father Malachy Lynch (1972) et le Requiem for Father Malachy (1973). Il s’est inspiré de saint Jean de la Croix, en particulier dans Últimos ritos (1972), et sur le plan musical, surtout du

dernier Stravinski. Son style est éclectique mais indéniablement personnel. On lui doit encore l’opéra Therese (19731976, créé à Covent Garden en 1979), The Last Prayer of Mary Queen of Scots pour soprano et cloches à main (1977), Akhmatova : requiem (1979-80), Palin pour piano (créé en 1981), Ritual Procession (1983), Ikon of light pour choeur (1984), Let not the Prince be Silent pour choeur (1988). TAVERNER (John), compositeur anglais (Tattershall, Lincolnshire, v. 1490 - Boston, Lincolnshire, 1545). En novembre 1526, il est nommé informator choristarum à Cardinal (auj. Christ Church) College. Il est impliqué assez gravement dans les querelles religieuses qui agitent le collège. Ses prises de position en faveur des propagateurs de la doctrine luthérienne ne lui valent, de la part du cardinal Wolsey, que de légères réprimandes ; elles ne l’empêchent pas de composer abondamment pour le culte traditionnel. On lui doit huit messes (dont la plus célèbre est la messe Western Wynde à quatre voix), des alléluia, des antiennes et psaumes, un Te Deum. Son oeuvre, presque uniquement destinée à l’église, est marquée par l’emploi d’une polyphonie complexe et par une grande vigueur d’expression. Vers 1530, il quitte Oxford. Les dernières années de sa vie restent mystérieuses. Il est certain qu’en 1538 on le retrouve comme agent de Thomas Cromwell dans les commissions chargées de préparer la dissolution des monastères. Il semble que sa participation aux campagnes anticatholiques ait été plus active et ait même atteint la délation systématique. Il faut toutefois se méfier des légendes qui en font un personnage majeur de cette époque troublée. Les dernières années de sa vie, à partir de 1540, se passent à Boston où il vit en paix en assurant des fonctions administratives au service de la ville. Il ne semble pas qu’il ait poursuivi sa vocation musicale au-delà des années passées à Oxford. TAWASTSTJERNA (Erik), musicologue et pianiste finlandais (Helsinki 1916 - id. 1993). Issu d’une famille célèbre dans le monde des arts et des sciences, il a travaillé avec H. Neuhaus à Moscou, A. Cortot à Paris

et P. Baumgartner à Bâle, et commencé une brillante carrière de concertiste, mais, à partir de 1960, il s’est voué uniquement à la musicologie. Critique musical de Helsingin Sanomat à partir de 1957, il fut le spécialiste incontestable de la vie et de l’oeuvre de son compatriote Jean Sibelius, auquel il a consacré une importante monographie (5 vol. 1965-1988 ; trad. angl. en 3 vol., 1976, 1986 et 1996). TCHAÏKOVSKI (Petr Ilitch), compositeur russe (Votkinsk 1840 - Saint-Pétersbourg 1893). Fils d’un ingénieur des mines ayant épousé Alexandra d’Assier, descendante d’une famille française émigrée à la suite de la révocation de l’édit de Nantes, il était destiné à la magistrature. Ce n’est donc qu’à l’issue de ses études de droit et après avoir occupé un poste de secrétaire au ministère de la Justice qu’il se tourne vers la musique et décide (1862) de devenir un musicien professionnel. Il s’inscrit au conservatoire, suit trois ans durant les cours de Rubinstein (orchestration) et Zaremba (composition) et travaille, outre le piano, la flûte et l’orgue ; il admire Mozart, Beethoven, Glinka, Meyerbeer, Weber, Schumann et Liszt. Sa nomination comme professeur d’harmonie (1866-1877) au conservatoire de Moscou, dirigé par Nicolas Rubinstein, résout ses problèmes matériels. Elle lui vaut, en outre, l’honneur d’accueillir officiellement en 1867 Berlioz, lors de son second voyage en Russie. En 1868, il entre en relation avec le groupe des Cinq, mais, s’il sympathise avec Balakirev, il ne se départit jamais d’une certaine méfiance face à Rimski-Korsakov et d’une franche hostilité à l’égard de Moussorgski dont la personnalité se situait à l’opposé de la sienne. De cette époque datent aussi ses premières compositions (notamment trois symphonies, le 1er Concerto pour piano, dédié à H. von Bülow, des opéras - Voïévode, Ondine, Opritchnik, Vakoula et le Lac des cygnes). Les thèmes populaires nourrissent parfois son discours (cf. la 2e Symphonie, particulièrement le final, ou Snegourotchka). Tchaïkovski les travaille avec une science plus occidentale, encore que son emprunt dans Snegourotchka soit plus respectueux que la transposition que lui fait subir Rimski-Korsakov dans une

oeuvre du même nom. Curieusement, ses rapports avec le groupe des Cinq l’amènent à se tourner, en apparence du moins, vers l’Occident, à l’initiative de Stassov qui, réservant à ses amis les sujets russes, impose à Tchaïkovski des sujets occidentaux. Il est à l’origine d’oeuvres pour lesquelles il lui suggère même des plans détaillés, en l’occurrence Roméo et Juliette, la Tempête, Manfred. Pourtant, Tchaïkovski saura cultiver un caractère très profondément russe lié à une certaine mélancolie jusque dans ces cantilènes et mélodies qui plairont tant : « Je suis russe, russe jusqu’à la moelle des os », écrit-il un jour à son frère. downloadModeText.vue.download 990 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 984 À partir de 1875, il élargit le cercle de ses relations musicales : il se lie d’amitié avec Saint-Saëns, fréquente Liszt, Bizet dont Carmen l’a enthousiasmé, Massenet, et tente en vain de rencontrer Wagner à l’issue de son voyage à Bayreuth. Mais 1876 est l’année clé car N. Rubinstein le met en relation avec la richissime Mme von Meck (qui engagea en 1879 Debussy comme professeur de piano d’une de ses filles). Elle va devenir son égérie et son mécène sans que jamais ils ne se rencontrent (convention de départ), mais leur correspondance assidue au fil des quatorze années que durent leurs relations permet de suivre pas à pas cette singulière « idylle ». Les sommes régulières qu’elle met à sa disposition le placent à l’abri de tout problème financier : il se dégage alors de ses obligations de pédagogue et retrouve, après l’épisode d’un mariage raté (1877), un certain goût pour les voyages et la vie mondaine (Clarens, Paris, Venise, Rome, Florence, San Remo). C’est la période des grandes oeuvres. Ses débuts de chef d’orchestre se situent en 1886, mais, dès 1888, il part pour une tournée de concerts en Europe avant de franchir l’Atlantique : ses oeuvres trouvent là-bas un accueil enthousiaste et, le 5 mai 1891, il inaugure le Carnegie Hall. Fait docteur honoris causa de l’université de Cambridge (en même temps que Max Bruch, Saint-Saëns et Grieg) en juin 1893, il meurt le 28 octobre de la même année,

condamné au suicide par un jury d’honneur à la suite d’une affaire de , au lendemain de la création de la Symphonie pathétique, son testament spirituel et musical. Sans doute, le souci de la vérité d’expression, de la sincérité comme de la simplicité est-il lié, chez Tchaïkovski au thème fondamental - nous pourrions dire unique - de ses oeuvres symphoniques et lyriques : le destin de l’homme, la lutte que celui-ci mène pour essayer de le maîtriser et son échec. Comment, en effet, lire autrement le poème symphonique Fatum (1868), ses trois dernières symphonies et cette Messe funèbre qui constitue le final de la Pathétique et consacre la défaite de l’homme devant le Destin ? Comment comprendre autrement des personnages comme Lenski, Hermann, Jeanne d’Arc même ? Il y a, chez lui, un désir passionné de traduire le tragique et les passions humaines avec une générosité et une hypersensibilité quasi pathologiques. Lui-même n’en était pas dupe (« Quel vieux pleurnicheur je fais ! »), mais voyait en la musique la seule consolatrice valable, et on peut se demander si, dans cet hyper-romantisme, Mme von Meck n’a pas cru trouver l’écho de ses déceptions et de ses aspirations ? Si ses mélodies ne sont que la traduction d’un état d’âme, la symphonie n’est pour lui rien d’autre que « la confession musicale de l’âme », son épanchement, car il n’admet pas une musique qui ne soit seulement qu’un jeu de sons sans but. L’ampleur du cadre formel lui convient : il lui permet de laisser s’y épanouir les longues mélodies qui le caractérisent, les thèmes larges et décoratifs, et évoluer d’une manière naturelle, spontanée, d’amples développements. Il sollicite volontiers les cordes et ne force jamais le volume sonore ; son orchestre, certes, moins brillant que celui de Rimski-Korsakov, peut être d’une grande richesse comme dans Manfred, le type même de la symphonie romantique à programme dans la ligne de Berlioz dont il semble s’être franchement inspiré. Bien que sa symphonie ne soit qu’une exacerbation de l’écriture romantique allemande postmendelssohnienne - toute nouveauté étant pour lui manifestation d’ignorance -, Tchaïkovski est assurément le meilleur symphoniste russe de sa génération. Dix opéras, dont les sujets varient du

thème historique (la Pucelle d’Orléans) au drame psychologique (Eugène Onéguine ; la Dame de pique), constituent sa contribution au lyrique. Refusant la conception wagnérienne comme le réalisme de Moussorgski, Tchaïkovski choisit une conception formelle plus proche de celle d’un Glinka - une succession d’airs et d’ensembles liés par un récitatif -, mais dans un climat qui se veut poétique. Le récitatif ne doit, en effet, être qu’un élément de liaison entre les grands moments de l’opéra (« Un opéra construit sur la forme d’un récitatif mélodique est un opéra sans musique »). La Dame de pique, de son côté, est nettement marquée par Carmen, c’està-dire par une oeuvre où la musique est, pourrait-on dire, toujours en situation. Le lyrisme un peu facile de Tchaïkovski peut expliquer le succès qu’il a rencontré et qui s’appuie sur une nostalgie passée : celle des années 1850-1860 en Russie ; il est d’ailleurs significatif que, au lendemain de la révolution, on essaya de condamner ses opéras comme ayant une mentalité petite-bourgeoise. On pourrait aujourd’hui formuler la même opinion à propos de sa musique de ballet (le Lac des cygnes, 1876 ; la Belle au bois dormant, 1889 ; Casse-Noisette, 1892). Ce serait injustement oublier qu’il a participé, après Léo Delibes, à une restauration de la musique de ballet qui devenait une oeuvre en soi de qualité indépendante, avant d’être avec Diaghilev une oeuvre d’avant-garde. TCHEREPNINE, famille de musiciens russes. Nicolas Nicolaïevitch, compositeur et chef d’orchestre (Saint-Pétersbourg 1873 - Issy-les-Moulineaux 1945). Il fut élève de Rimski-Korsakov au conservatoire de Saint-Pétersbourg, puis y fut lui-même professeur (1908-1918) de la classe de direction d’orchestre qu’il avait lui-même créée. Il eut parmi ses élèves Prokofiev, ainsi que nombre de futurs chefs d’orchestre de renom, dont A. Gauk et N. Malko. Lui-même était en outre chef d’orchestre du théâtre Mariinski. En 1909-1912, il dirigea plusieurs spectacles de Diaghilev, dont son propre ballet le Pavillon d’Armide (1909). Il fut aussi l’un des orchestrateurs du Carnaval de Schumann. En 1918, il fut appelé en Géorgie et dirigea pendant trois ans le conservatoire

de Tiflis. En 1921, il vint s’installer à Paris où il fut, à partir de 1925, directeur du Conservatoire russe fondé par des musiciens émigrés. Le style de Tcherepnine s’inscrit dans la lignée du groupe des Cinq et du groupe Belaïev (exotisme, références au folklore et à la musique religieuse), mais avec une ouverture sur l’esthétique occidentale, française en particulier, du début du XXe siècle. Son oeuvre compte plusieurs ballets, dont Narcisse et Écho (1911), le Masque de la mort rouge (1922) d’après E. Poe, le Roman de la momie (1924) d’après Th. Gautier, deux opéras, Svat (1930) et Vanka (1932), un oratorio, la Descente de la Sainte Vierge à l’Enfer (1934), de la musique de chambre, de piano, des mélodies et des choeurs. En 1922, il termina et orchestra l’opéra inachevé de Moussorgski la Foire de Sorotchintsy qui fut représenté à Monte-Carlo. Alexandre Nicolaïevitch, compositeur et pianiste, (Saint-Pétersbourg 1899 - Paris 1977). Fils du précédent, il étudia la musique avec son père, avec L. Kachperova (piano) et au conservatoire de Saint-Pétersbourg avec Sokolov (harmonie). Il suivit son père en Géorgie, puis à Paris, et se fit rapidement connaître comme pianiste virtuose et comme compositeur. À Paris il se perfectionna avec P. Vidal (contrepoint) et I. Philipp (piano). Il avait alors déjà écrit de nombreuses pièces pour piano, dont son 1er Concerto op. 12, et de la musique de chambre. En 1923, il composa à la demande d’Anna Pavlova son premier ballet, Fresques d’Ajanta, créé à Londres la même année, et, en 1925, son premier opéra, 01-01, d’après les Jours de notre vie de L. Andreïev, drame inspiré de la vie estudiantine. En 1926, il effectua une tournée aux États-Unis. En 1927, la création de sa 1re Symphonie à Paris provoqua un scandale. 1930 vit la composition d’un nouvel opéra, le Mariage de Sobéide, sur un texte de Hofmannsthal. En 1933, il compléta et orchestra l’opéra inachevé de Moussorgski, le Mariage. Les années 30 furent celles de nombreux voyages : dans les pays balkaniques, en Égypte, en Palestine, et surtout, en 1934-1937, en Extrême-Orient. Ce séjour eut une influence primordiale sur son oeuvre. À Shanghai, il rencontra la piadownloadModeText.vue.download 991 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 985 niste Lee Hsien Ming, qui allait devenir son épouse. Jusqu’en 1948, ils vécurent à Paris. En 1945-46, Tcherepnine composa, en collaboration avec A. Honegger et T. Harsanyi, le ballet Chota Rostaveli, sur un argument de Lifar. En 1948, il s’installa aux États-Unis où il devint professeur de musique à l’université De-Paul à Chicago. Parmi les oeuvres importantes composées à partir de cette date, il faut citer les 2e, 3e et 4e Symphonies, l’opéra The Farmer and the Nymph, la Flûte perdue pour récitant et orchestre, l’Oraison symphonique pour orchestre. En 1967, il fut invité pour une tournée en U. R. S. S. Le style de Tcherepnine est constitué de multiples éléments rassemblés en un tout d’une étonnante homogénéité. De bonne heure, dès les années 20, il utilisa une gamme de son invention, constituée de trois cellules comprenant chacune un demi-ton, un ton et un demi-ton. Du point de vue culturel, ses influences premières furent naturellement le folklore russe et l’ancien chant religieux (« znamenny »), auxquels se sont joints les idiomes musicaux de l’Extrême-Orient (pentatonisme notamment). Ils dominent nombre de ses oeuvres : Sept Chansons chinoises, 4e Concerto pour piano, Études pour piano sur la gamme chinoise. Mais, tout en donnant ainsi l’image d’un Russe ayant retrouvé ses racines orientales, Tcherepnine fut aussi marqué par les compositeurs européens, notamment Martinºu, Mihalovici, Honegger, dont il fut proche. Il subit également l’influence du « motorisme » de Prokofiev, auquel l’apparente une conception plus structurée que sentimentale de la musique. La diversité de toutes ces références, ainsi que son égale familiarisation avec l’Europe, l’Asie et l’Amérique ont fréquemment fait attribuer à Tcherepnine les épithètes de « cosmopolite » et de « citoyen du monde ». TEBALDI (Renata), soprano italienne (Pesaro 1922). Elle fait ses débuts à Rovigo en 1944 dans Hélène du Mefistofele de Boïto. Son timbre

d’une admirable qualité la fait distinguer par Toscanini qui l’engage pour chanter le Requiem de Verdi, lors du concert d’inauguration de la Scala de Milan reconstruite après la guerre. En peu d’années, elle s’affirme comme la plus belle voix italienne de l’après-guerre et règne sur la Scala en reine incontestée jusqu’à l’engagement de la Callas en 1952. À partir de cette époque, ce sont deux écoles d’interprétation qui s’opposent, et Tebaldi finira par céder la place, pour continuer sa carrière au Metropolitan Opera de New York. Outre sa voix exceptionnelle, elle possédait une technique d’émission exemplaire, mais apparentée à l’école vériste, davantage qu’à la grande tradition du bel canto. La beauté du son resta toujours l’essentiel de son art au service d’une expression musicale souvent conventionnelle. Elle était au meilleur d’elle-même dans les ouvrages de Puccini (rôles de Mimi, Butterfly, Liu), mais triompha également dans certains rôles de Verdi, comme Aïda, et Leonore de La Forza del Destino. TE DEUM. Cantique terminal de l’office de matines, utilisé depuis le XVIIe siècle au moins comme cantique d’action de grâces pour célébrer tout événement officiel de caractère heureux : victoires militaires, naissance ou mariage de princes, etc. Attribué à divers auteurs, dont le plus probable est l’évêque Nicétas de Remesiana (Yougoslavie) au début du Ve siècle, il comporte plusieurs parties dont seule la première est un hymne de louanges, la suite s’infléchissant vers la crainte et la supplication ; mais l’éclat de cette première partie a fait oublier le caractère des suivantes, et le Te Deum a fini par supplanter le Christus vincit carolingien comme chant officiel de gloire et d’action de grâces. Ce transfert a probablement été favorisé par le fait que les mystères de la fin du Moyen Âge, qui se jouaient sur la place publique, avaient conservé de leur origine de drame liturgique, placé alors à matines avant le chant du Te Deum liturgique, l’habitude de placer ce chant en conclusion de leurs fastueuses représentations. On s’est ainsi habitué à le considérer comme un hymne de remerciement au ciel à la suite de quelque événement mémorable.

Au sacre des rois de France, le Te Deum était de rigueur, mais il y était toujours chanté en plain-chant, non en polyphonie. Il n’en a pas moins été fréquemment traité par les compositeurs ; c’est un verset du Te Deum (Tu Patris) qui, au IXe siècle, est choisi par la Musica Enchiriadis pour servir de support aux premiers exemples de polyphonie de notre histoire. Haendel n’a pas écrit moins de cinq Te Deum, dont le plus connu est celui pour la victoire de George II à Dettingen (1743). C’est au Te Deum de Marc-Antoine Charpentier (1703) que l’Eurovision a longtemps emprunté son indicatif. Parmi les Te Deum les plus célèbres, on cite ceux de Lully (1664), Purcell (1694), Haydn (v. 1800), Berlioz (1849), Bruckner (1884), Verdi (1898), etc., et c’est par un Te Deum de Gossec que fut célébré en 1790 l’anniversaire de la prise de la Bastille au Champde-Mars pour la fête de la Fédération. TE KANAWA (Kiri), soprano néozélandaise (Gisborne 1944). Née de père maori et de mère européenne, elle étudie d’abord à Auckland. Elle se perfectionne auprès de Vera Rosza à Londres, et débute dès 1971 à Covent Garden. Depuis 1973, elle chante à Glyndebourne, au Metropolitan de New York et à la Scala de Milan. Elle marque les rôles de Desdémone, donna Elvira et Pamina. En 1977, elle aborde Richard Strauss avec succès dans Arabella, et chante la Bohème en Australie. Elle est donna Elvira dans le film Don Giovanni de Losey. En 1982, elle triomphe à l’Opéra de Paris dans Tosca et la Bohème, mais, depuis 1986, elle prend des distances avec l’opéra. Très populaire en Grande-Bretagne, elle estime avoir fait le tour des rôles qui lui conviennent et poursuit des expériences inattendues. Elle chante Bernstein et Gershwin, puis crée en 1986 le Liverpool Oratorio de Paul McCartney. En 1992, elle signe un album de jazz réalisé avec la complicité d’André Prévin, Kiri Side Tracks. TELEMANN (Georg Philipp), compositeur allemand (Magdeburg 1681 - Hambourg 1767). Ses dates témoignent de la prodigieuse longévité de Georg Philipp Telemann, sans doute le compositeur le plus fécond de toute l’histoire de la musique (environ

six mille oeuvres dont, à la fin de sa vie, il était bien incapable de dresser la liste). Né à Magdeburg, neuf ans après la mort de Schütz, et quatre ans avant Bach, il meurt à Hambourg trois ans avant la naissance de Beethoven, et alors que l’Europe a déjà applaudi (et quelque peu oublié) un enfant prodige nommé Wolfgang Amadeus Mozart, et le prince Esterhazy entendu une bonne trentaine de symphonies de son maître de chapelle Joseph Haydn. Fils d’un pasteur, il s’oriente dans sa jeunesse non seulement vers la musique, mais aussi vers le droit, la géométrie, le latin, le grec. Dès l’âge de douze ans, il écrit et fait représenter avec succès un opéra, et se met à composer abondamment en prenant comme modèles des musiciens tant allemands (Rosenmüller) qu’italiens (Corelli, Caldera). Mais il est surtout autodidacte. Après avoir fait, à Halle en 1701, la connaissance de Haendel, il se rend à Leipzig pour y poursuivre ses études de droit. « Découvert » comme compositeur par le bourgmestre Romanus, il écrit tous les quinze jours une cantate pour l’église Saint-Thomas, dont le cantor est Johann Kuhnau. Il interrompt bientôt ses études de droit, et s’étant tourné définitivement vers la musique, prend la direction de l’Opéra de Leipzig et fonde le Collegium Musicum, organisation de concerts publics. En 1705, il devient maître de chapelle du comte Erdmann von Promnitz, à Sorau. Il écrit pour son maître, passionné de musique française, des oeuvres inspirées de Lully et de Campra, et l’accompagne dans ses domaines de Pologne, où il entre en contact avec la musique populaire et les danses slaves. downloadModeText.vue.download 992 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 986 En 1706, il est à Eisenach où il rencontre Bach, dont il deviendra le parrain du deuxième fils, Carl Philipp Emanuel. En 1712, il s’installe à Francfort-sur-le-Main, et en 1721 à Hambourg, où il devient cantor au Gymnasium Joanneum et directeur de la musique dans les cinq églises principales de la ville. Il y restera fixé jusqu’à sa mort, non sans avoir brigué contre Bach la succession de Kuhnau à Leipzig (1722), ni ef-

fectué encore de nombreux voyages, dont un à Paris en 1737. Non content de fournir la métropole hanséatique en opéras, en musique sacrée et en musique de concert, il fonde en 1728 puis dirige le Maître de musique fidèle (Der getreue Musik-Meister), la première revue musicale allemande, approvisionne régulièrement diverses cours princières en oeuvres nouvelles et inédites, et trouve le temps de cultiver soigneusement son jardin (pour lequel Haendel lui envoie les oignons de tulipe et de jacinthe les plus rares) tout en se livrant à une étude approfondie des penseurs, des poètes et des écrivains des « lumières ». Il compte, dans ses dernières années, parmi les pionniers de genres nouveaux comme le quatuor à cordes, et son ultime partition achevée, la cantate Ino (1765), offre de curieuses ressemblances avec Gluck. Telemann, qui de son vivant éclipsa tous ses contemporains par sa célébrité, tomba après sa mort dans un oubli profond : « La postérité (fit) payer cher à Telemann l’insolente victoire que, de son vivant, il remporta sur Bach. Cet homme, dont la musique était admirée dans tous les pays d’Europe, depuis la France jusqu’à la Russie, et que (...) le sévère Mattheson déclarait le seul musicien qui fût au-dessus de l’éloge, est aujourd’hui oublié, dédaigné. On ne cherche même pas à le connaître » (Romain Rolland en 1919). La situation, depuis, a changé. Telemann a été redécouvert, grâce surtout au microsillon. « Bach-si mineur, Telemannut majeur », déclarait déjà au siècle dernier le musicologue Philipp Spitta. Le caractère extraverti et la verve sympathique de Telemann appelaient cette boutade. D’autant que Bach et lui-même assumèrent de façon fort différente leur position européenne. Bach, génie de la synthèse et de l’unification des tendances et des courants les plus divers, s’oppose nettement à Telemann, qui sut également s’adapter et tirer profit de tout, mais à la manière d’un caméléon, en changeant chaque fois d’habit pour ainsi dire. Il illustra ainsi tous les genres pratiqués à son époque, et grâce à sa curiosité et à son inlassable vivacité d’esprit, en laissa des spécimens qu’on peut sans hésiter ranger

au nombre des meilleurs. On lui doit environ cent oratorios dont le Jugement dernier (Der Tag des Gerichts, 1762), des cantates profanes comme les Heures du jour (Die Tageszeiten, 1759), quarante-quatre Passions, quarante opéras dont Pimpinone (1725), intermezzo bouffe précédant de huit ans la Servante maîtresse (La Serva padrona, 1733) de Pergolèse, douze séries de cantates pour tous les dimanches et toutes les fêtes de l’année, six cents ouvertures à la française et d’innombrables concertos et pièces de musique de chambre faisant partie ou non de la fameuse Musique de table (Tafelmusik, 1733), des pièces pour clavecin, des lieder. Nul plus que lui, sans doute, ne chercha à répondre aux exigences contradictoires de l’ancienne polyphonie et du style galant, d’où ses triomphes (passés et actuels), et aussi ses limites. TEMPÉRAMENT. Manière de répartir les intervalles de la gamme sur un clavier ou un instrument à sons fixes. Le mot implique une idée de compromis dû au fait que ces instruments ne peuvent procéder, comme le doigt d’un violoniste ou la voix d’un chanteur, aux très légères fluctuations de hauteur que le musicien fait normalement subir à une même note selon le contexte et la force des attractions qu’elle subit. Ils doivent donc fixer cette hauteur une fois pour toutes, ce qui ne peut se faire que par une série d’approximations, dont aucune ne peut être considérée comme parfaite, mais dont de multiples variantes ont été proposées et mises en usage. 1. Le tempérament égal. Aujourd’hui largement généralisé, c’est de loin le plus simple pour l’usager, mais non pour l’accordeur ni pour l’harmonicien. Divisant l’octave 2/1 en 12 demi-tons égaux, il élimine tous problèmes d’enharmonie et rend toutes les gammes semblables quelle qu’en soit la tonalité, contrairement à la conception qu’on en avait auparavant. Il se traduit par des nombres irrationnels (chaque demi-ton = racine 12e de 2) et ne peut être réalisé que par des approximations dans l’accord (quintes réglées d’abord justes, puis raccourcies au jugé). Hormis l’octave 2/1, aucun intervalle n’y

est acoustiquement juste, c’est-à-dire conforme au modèle donné par la nature dans le tableau des harmoniques (quinte = 3/2, quarte = 4/3, tierce majeure = 6/5, etc.), mais les écarts sont suffisamment faibles pour être acceptés à la faveur du phénomène de tolérance. Peu sympathique aux acousticiens, dont le premier à en avoir donné la théorie semble avoir été Andreas Werckmeister en 1687, le tempérament égal paraît avoir été pratiqué de manière empirique bien avant cette date, notamment pour la disposition des frettes de luth, mais il ne s’est vraiment généralisé qu’au début du XIXe siècle. On a cru longtemps que J.-S. Bach, par son Wohltemperierte Klavier, s’en était fait le défenseur, mais cette opinion est aujourd’hui contestée. Bach semble avoir écrit son recueil en 1722, puis en 1744, non pour défendre un système contre un autre, mais pour fournir un critère de jugement : « Le clavier bien tempéré sera celui qui pourra jouer ce que je vais écrire. » Le tempérament égal nous semble aujourd’hui celui qui répond le mieux à ce critère, mais seulement une fois acceptées ses approximations de base, si bien que l’on peut dire que le véritable clavier « bien tempéré » n’existe pas et, par définition même, ne peut pas exister. 2. Le tempérament pythagoricien. C’est le plus ancien, et sans doute le seul pratiqué au Moyen Âge. Il correspond à un stade où seule la triade quinte-quarte-octave était reconnue consonance parfaite, et peut donc normalement accorder toutes ses quintes justes, sans se préoccuper de l’incidence sur les tierces, dont les majeures se trouvent hautes et les mineures basses. L’accord se pratique généralement du mi bémol au sol dièse, ce qui rend impraticable la jonction entre ces deux notes, dite quinte du loup (sol dièse-mi bémol, le la bémol n’étant pas envisagé). Ce tempérament a été codifié au XVIIe siècle par l’astronome Mercator et le théoricien anglais Holder, qui ont proposé de diviser l’octave en 53 degrés-commas dont 9 forment un ton, divisé respectivement en deux demi-tons inégaux de 4 et 5 degrés-commas ; on introduit ainsi une nouvelle unité d’intervalle, le comma, valant dans ce système (et dans lui seul) un neuvième de ton (mais de ton de Holder et non d’un autre). La gamme de Merca-

tor-Holder n’est pas tout à fait la gamme pythagoricienne, mais s’en approche suffisamment pour se confondre avec elle en pratique. L’assertion souvent reproduite selon laquelle le comma est la neuvième partie du ton n’est exacte que dans ce seul système et ne repose sur rien ailleurs. 3. Les tempéraments zarliniens, dits « inégaux ». À partir du XVIe siècle, la tierce ayant été définitivement intégrée aux consonances parfaites, on ressentit le besoin de modifier le tempérament antérieur pour lui assurer dans la triade d’accord parfait sa valeur acoustique exacte 5/4, incompatible avec l’accord par quintes du système pythagoricien. Une même note prenait ainsi des hauteurs différentes selon qu’on la calculait comme quinte d’une autre ou comme tierce d’une troisième : la, par exemple, était plus haut comme quinte de ré que comme tierce de fa. Devant l’impossibilité de résoudre tous les cas à moins d’un clavier à touches multipliées (ce qu’on essaya quelque temps), on se résolut au principe d’assurer la jusdownloadModeText.vue.download 993 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 987 tesse des accords les plus fréquents en sacrifiant les autres. Le principe fut exposé dès 1511 (Pietro Aaron) et fut généralisé dans la seconde moitié du siècle sous l’autorité de Zarlino (1558) qui lui a donné son nom. Le principe du tempérament zarlinien est d’assurer la justesse des trois accords majeurs et des trois accords mineurs pour les trois degrés de base du ton d’ut : do, fa et sol. On obtient ainsi un tempérament où quatre notes sont prises par quintes 3/2 : fa-do-sol-ré, puis, à partir des notes précédentes, trois par tierce majeure 5/4 : la-mi-si, et trois par tierce mineure 6/5 : la bémol, mi bémol, si bémol. Soit dix notes sur douze assurant six accords justes sur trois degrés seulement. Les deux notes restantes, fa dièse et do dièse, ne peuvent entrer dans aucun accord juste, et tous les accords autres que ceux de do, fa et sol seront faux. On a donc renoncé à appliquer strictement le principe théorique, et

on a multiplié les systèmes de compromis, généralement désignés sous le nom global de « tempéraments inégaux ». Ceux-ci sont fort nombreux et ne peuvent tous être décrits. Parmi les plus importants, signalons celui de J. Kirnberger (1760), élève de J.-S. Bach (ce qui a fait penser que le tempérament préconisé par celui-ci pouvait être le sien), de JeanJacques Rousseau (1768), de dom Bédos de Celles (1778). La plupart, à l’instar du pythagoricien, renoncent à l’emploi du la bémol au bénéfice du sol dièse et conservent donc la « quinte du loup » sol dièse-mi bémol en interdisant tout accord de la bémol majeur à moins d’une volonté de « dureté » exceptionnelle et affirmée. Pour le reste, ils recherchent sans toujours y parvenir le maximum de triades à tierces et quintes justes ou « supportables ». Quel que soit le système adopté, tout tempérament inégal implique que chaque gamme d’un ton donné possède une sonorité intervallique différente de celle de la même gamme transposée dans un autre ton. D’où la doctrine de l’ethos des tonalités (tel ton est joyeux, tel autre sombre, etc.) qui repose ici sur une réalité, et qui n’a rien à voir avec la hauteur absolue, mais qui a été parfois reprise sans aucun fondement dans le cadre du tempérament égal, où elle devient une fiction sans consistance. TEMPO (ital. : pl. tempi). Terme qui désigne la plus ou moins grande rapidité d’exécution. L’indication du tempo souhaité par le compositeur se fait de l’une des trois manières suivantes : 1. indication approximative, en allant du tempo le plus lent au plus rapide : grave, lento, adagio, andante, moderato, allegretto, allegro, presto, vivace, et toutes les indications combinées (ex : allegro moderato, modérément rapide) ; 2. indication par référence à des tempi déjà connus, habituellement parce que ce sont ceux d’une danse : tempo di menuetto, tempo di valse, etc. ; 3. indication précise, quoique souvent sujette à l’erreur, qui est le tempo dit métro-

nomique. Son principe consiste à indiquer une unité de temps suivie (avec un usage coutumier, mais erroné) du signe « égal » et du nombre de ces unités de temps qui doivent être jouées en une minute. TEMPO ORDINARIO. ! ALLA BREVE. TEMPO PRIMO. Indique un retour au tempo d’origine après une modification de tempo. TEMPS (UNITÉ DE). Unité rythmique qui est elle-même la subdivision d’une mesure. Dans les tempi lents ou modérés, et dans les mesures dites simples, le nombre de temps correspond au numérateur de la fraction qui indique la mesure (ex. : 4/4 est une mesure à 4 temps, 3/4 une mesure à 3 temps). Dans les mesures dites composées, les temps étant eux-mêmes divisés en trois parties (ou même irrégulièrement), ils sont une division (souvent par 3) du dit numérateur (ex. : 6/8 est une mesure à 2 temps dont chacun est formé de 3 croches [3 × 2 = 6]). Dans les tempi rapides, il arrive que les unités de temps soient regroupées dans une même battue. Par exemple, une valse à 3/4 pourra être considérée comme ayant un seul temps ternaire, soit un temps par mesure, à condition qu’elle soit suffisamment rapide. Le scherzo sera pratiquement toujours considéré comme ayant une mesure à un seul temps ternaire, quoique noté 3/4 ou 3/8. Dans une mesure, les temps sont dits forts ou faibles en fonction de leur accentuation rythmique. TENEUR. Traduction française médiévale du latin tenor, dans ses deux acceptions anciennes ci-dessous, mais non dans celle relative à la tessiture vocale de ce nom, qui est une acception tardive introduite en français à travers l’italien tenore. Noter que le mot français est féminin. 1. En chant grégorien, la teneur est la note sur laquelle dans une psalmodie se récite le corps du texte, et dont les rapports avec les autres degrés, notamment avec la finale,

déterminent le mode. On dit aussi corde de récitation. En dehors de la psalmodie, le rôle de la teneur est plus variable, mais n’en reste pas moins l’un des principaux éléments de l’analyse modale, où elle représente en principe le point d’appui et parfois le pivot de la mélodie au-dessus de la finale. Elle a pris au XVIIe siècle le nom de dominante sous lequel on la désigne aujourd’hui. 2. Dans la polyphonie médiévale, voix principale d’une polyphonie, souvent empruntée à une mélodie préexistante, religieuse ou profane, et présentée soit telle quelle, soit en valeurs allongées (teneurs d’organum), soit dans un rythme retravaillé selon les principes de la talea (spécialement dans les motets). Son nom est justifié par le fait que c’est à partir d’elle que sont élaborées les autres voix : quia discantum tenet (parce qu’elle tient le déchant), dit un théoricien du XIIIe siècle. Au XIVe siècle, on a refait sur elle l’expression contre-teneur (lat. contratenor). Le terme est encore vivace au XVe siècle (« Sathan, tu feras la teneur », dit un personnage de la Passion d’Arnoul Gréban), mais il disparaît à peu près au XVIe siècle, où on n’emploie plus guère que la forme latine tenor. TÉNOR. 1. Équivalent latin du français teneur. 2. Depuis le XVIIIe siècle environ, tessiture vocale correspondant aux voix d’hommes aiguës normales ; le terme a été refait, non directement sur le latin, mais à travers l’italien tenore qui l’empruntait lui-même au latin. La dérivation s’explique par le fait que la teneur d’une polyphonie, qui avant le XIVe siècle était habituellement la voix la plus grave, s’est vue à ce moment repoussée d’un cran vers l’aigu par l’adjonction d’une contre-teneur grave devenue ensuite le bassus. C’est pourquoi, dans la polyphonie classique à quatre voix, le ténor est normalement la deuxième partie à partir de la basse. Dans le choeur mixte, aujourd’hui le plus répandu, le ténor correspond à la voix d’homme la plus aiguë, mais il n’en a pas toujours été ainsi, car jadis les parties d’alto (altus signifie « profond », mais aussi et surtout « élevé ») étaient souvent confiées à des voix d’hommes suraiguës (

! HAUTE-CONTRE). En tant que voix soliste, on distingue deux classes principales de ténors selon qu’ils attaquent les notes aiguës en voix de tête (ténor léger) ou en voix de poitrine (fort ténor, dit aussi ténor dramatique ou héroïque, voire « wagnérien »). La tessiture normale va dans les deux cas du mi2 au la3, avec pour les solistes possibilité de dépassement au grave jusqu’à l’ut2 (déconseillé), à l’aigu jusqu’au si3, exceptionnellement ut4. Ces dernières notes sont souvent prises en fausset par les ténors légers, mais non par les forts ténors, chez qui l’« ut de poitrine » constitue une prouesse guettée par les amateurs. Les premiers sont surtout prisés pour leur downloadModeText.vue.download 994 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 988 souplesse et leur musicalité, les seconds pour la force de leur voix et la vaillance avec laquelle ils « poussent la note ». Le tenorino est un ténor léger de faible puissance et quelque peu détimbré, dont les aigus sont à la limite du fausset ; le trial est un ténor léger quelque peu nasillard, surtout dévolu aux rôles comiques. 3. À l’intérieur des familles d’instruments, on donne le nom de ténor à celui dont la tessiture se rapproche de celle de la voix de ce nom : viole de gambe ténor, saxophone ténor, etc. TENORLIED. Type de chanson polyphonique construite selon les techniques les plus diverses sur une mélodie placée au ténor et empruntée le plus souvent à la chanson de cour. Ce genre musical, qui constitue une des productions les plus originales de la musique allemande, apparaît pour la première fois dans le Lochamer Liederbuch (v. 1450) et le Schedelsches Liederbuch (v. 1460). Son épanouissement coïncide avec l’ère culturelle marquée par l’humanisme et la Renaissance dans l’Allemagne méridionale, en Suisse et en Autriche. Des compositeurs comme H. Isaac, P. Hofhaimer, L. Senfl, contribueront à donner à ce répertoire comprenant plus de mille cinq cents titres ses lettres de noblesse.

Si les premiers recueils parus entre 1512 et 1519 chez P. Schöffer (Mayence) et E. Öglin (Augsbourg) représentent principalement un répertoire de cour, les collections de Hans Ott, éditeur et libraire à Nuremberg, ou du médecin Georg Forster témoignent de la large diffusion de ce répertoire auprès de la bourgeoisie cultivée. Ce type de composition s’effacera après 1570 environ devant l’influence grandissante de la chanson française et italienne. TENSON. Terme d’ancien français (provençal tensó) désignant une discussion chantée en strophes alternées entre deux partenaires. Elle est analogue au jeu-parti, mais l’obligation que comporte celui-ci pour chaque partenaire de choisir l’un des termes d’alternative proposés au début y est moins rigoureuse. La tenson se rapprocherait ainsi plutôt du débat que du partimen, encore que les frontières entre ces différents genres restent assez indécises et quelque peu arbitraires. TENUE. Série de notes semblables réunies par des signes de liaison pour n’en former qu’une. TERFEL (Bryn), baryton-basse gallois (Panglas 1965). Lauréat de la Kathleen Ferrier Memorial Scholarship (1988), diplômé de la Guildhall School of Music de Londres (1989), il a débuté en 1990 au Welsh National Opera dans les rôles mozartiens de Guglielmo et de Figaro, puis comme Figaro à Covent Garden (1994) et au Metropolitain Opera. Il a notamment participé à des enregistrements des Vêpres de Monteverdi, de la Veuve joyeuse de Léhar (le Baron) et de Salomé de Richard Strauss (Jokanaan), et donné, dans le cadre d’un récital de mélodies anglaises, une remarquable version discographique des Songs of Travel de Vaughan Williams. TERNAIRE. S’applique, en musique, à tout ce qui présente un groupement par 3 ou qui est susceptible d’une division par 3.

MESURE TERNAIRE : mesure dont l’unité de temps (en général une valeur pointée) se divise en 3 ; par exemple à 6/8 ou à 9/8, l’unité de temps qui est la noire pointée se divise non pas en deux croches comme à 2/4 ou 3/4 (où cette unité est la noire), mais en trois. On dit aussi mesure composée. On parle de même de construction ternaire, de rythme ternaire, etc. TERTIS (Lionel), altiste anglais (West Hartlepool 1876 - Wimbledon 1975). Il étudie au Trinity College de Londres, puis avec Alexander Mackenzie à la Royal Academy of Music. De 1900 à 1904, il est alto solo de l’Orchestre du Queen’s Hall puis, de 1906 à 1909, du New Symphony Orchestra fondé par Thomas Beecham. Dès 1901, il enseigne à la Royal Academy de Londres. Grand pédagogue, il contribue à faire sortir l’alto du rôle d’instrument mal-aimé du quatuor. Il s’attache aussi à doter l’instrument d’un répertoire spécifique. En 1924, il crée la Sonate pour alto et piano d’Arnold Bax, et en 1930, le Concerto de William Walton. En 1934, il crée également Lyric Movement de Holst et la Suite pour alto et orchestre de Vaughan Williams. Il est l’auteur de plusieurs livres sur son instrument. TESSARINI (Carlo), violoniste et compositeur italien (Rimini v. 1690 - ? apr. 1766). Rares sont les informations concernant ses activités, qui semblent avoir été centrées autour d’une carrière de virtuose international. Violoniste à Saint-Marc de Venise en 1720, il dirige en 1729 les Concerts du conservatoire et est violoniste à la cathédrale d’Urbino de 1733 à 1757 environ, avec plusieurs interruptions de durée variable. Il est à Brünn de 1735 à 1738 et à Rome en 1740-1742. De 1744 à 1750, la dédicace de ses oeuvres permet de penser qu’il séjourna quelque temps à Paris et il donne, en 1747, plusieurs concerts aux Pays-Bas (Arnhem et Amsterdam), où il retourne vers 1761. On perd sa trace après un concert à Arnhem en 1766. À ses oeuvres (20 opus) s’ajoute le traité de violon Grammatica di musica... (1741), témoignage précieux sur la technique de cet instrument au XVIIIe siècle.

TESSIER (Roger), compositeur français (Nantes 1939). Installé à Paris en 1959, cofondateur de l’Itinéraire (1972), il est devenu en 1982 directeur artistique du festival « Musiques du XXe siècle » d’Angers, inauguré en juillet 1983, et a, de plus en plus, orienté ses recherches vers le son lui-même (Ojma pour trio à cordes, 1976 ; Isomerie pour 15 cordes, 1979 ; Mobile/Immobile pour 16 instruments, 1980 ; Diffractions pour ensemble instrumental amplifié et transformé et instruments électroniques, 1982) ; Attaque-Résonance pour ensemble instrumental, 1988 ; Urjammer pour soprano et orchestre, 1990. TESSITURE. 1. Terme désignant l’espace de hauteurs dans lequel une voix donnée chante au mieux, entre une certaine note inférieure et une certaine note supérieure. Dans sa tessiture propre, elle peut employer divers « registres ». De même, la tessiture d’un instrument, par extension, est la zone de hauteurs dans laquelle il sonne bien. Certains font une distinction précise entre la tessiture, qui délimite une zone optimale, et l’étendue, ou ambitus, qui se définit par les notes extrêmes que peut atteindre la voix ou l’instrument, du côté des graves et du côté des aigus. 2. On désigne aussi par tessiture la zone de hauteurs (moyenne, grave, médium, aiguë, suraiguë) dans laquelle un morceau ou une partie vocale ou instrumentale sont écrits, dans laquelle une voix ou un instrument sonnent, etc. TÊTE (VOIX DE). Terme généralement opposé à celui de voix de poitrine, et qui admet deux acceptions : il peut définir un son émis en pur falsetto par le chanteur ou la chanteuse, qui ne met en jeu que les résonances supérieures de l’appareil vocal ; dans cette acception, la voix de tête est donc utilisée par les femmes sur la plus grande partie de leur étendue vocale, ainsi que par les falsettistes, ou dans des cas exceptionnels par les chanteurs masculins recherchant certains effets particuliers dans l’aigu. Mais ce terme, tel qu’il était utilisé aux XVIIIe et XIXe siècles, et tel qu’il tend à être repris à l’époque moderne, définit aussi

les résonances de tête qui, utilisées par le chanteur dès le registre médian de la voix, se mêlent intimement aux résonances dites thoraciques ; dans cette acception, la voix de tête, même chez l’homme, peut être brillante et puissante. downloadModeText.vue.download 995 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 989 Il y a donc lieu de distinguer les sens divers que peut revêtir ce terme, selon les époques et selon l’usage scientifique ou populaire. TÉTRACORDE. Chez les anciens théoriciens, et à partir de ce que l’on connaissait de la musique des Grecs, ce terme s’applique à quatre notes descendantes par intervalles de deux fois un ton suivis d’un demi-ton (mi-ré-dosi). Ce tétracorde était dit de genre diatonique ( ! CHROMATIQUE ET ENHARMONIQUE). Au Moyen Âge, les tétracordes ont joué un rôle important dans la théorie des gammes. Par un souci de symétrie, on s’efforçait de construire les gammes avec deux tétracordes identiques. Toujours au Moyen Âge, on connaissait quatre tétracordes principaux du type ton-1/2 ton-ton (sol-fa-mi-ré et ré-do-si-la) et du type tonton-1/2 ton (la-sol-fa-mi et mi-ré-do-si), dits respectivement gravium, finalium, superiorum et excellentium. La théorie des tétracordes était très complexe. TEYTE (Dame Maggie TATE), soprano anglaise (Wolverhampton 1888 - Londres 1976). Elle complète des études de chant faites au Collège royal de musique de Londres en suivant, à Paris, l’enseignement de Jean de Reszke et de Reynaldo Hahn. Pour ses débuts, elle interprète le rôle de Zerline (Paris, 1905 ; Monte-Carlo, 1907). Membre de la troupe de l’Opéra-Comique (1908-1910), où elle est utilisée à contresens, elle est remarquée par Debussy, qui la choisit pour chanter Mélisande après la créatrice, Mary Garden (Paris, 1908 ; Londres, 1910), rôle qu’elle reprend encore à soixante ans passés (New York City Opera, 1948). Elle interprète Chérubin pour ses débuts américains, en 1911 à Philadelphie, et, plus tard, au Covent Gar-

den (1922-23), fait partie de la troupe de l’Opéra de Chicago (1912-1914) et chante également à Boston (1915-16). Mais sa carrière lyrique, malgré ces brillantes incarnations, et quelques créations dont Circé de Hillemacher (1908), le Secret de Suzanne de Wolf-Ferrari (1909) et The Perfect Fool de Holst (1923), s’efface devant son dévouement à la cause de la mélodie française, dès la fin de la Première Guerre mondiale (accompagnée par Cortot ou Gerald Moore), puis durant la Seconde lors de concerts de soutien à la cause alliée. Elle fait ses adieux en 1951, à Londres, en chantant Didon et Énée de Purcell, aux côtés de Flagstad. THALBERG (Sigismond), pianiste et compositeur autrichien (Genève 1812 Naples 1871). Formé à l’École polytechnique de Vienne, élève de Mittag, Sechter et Hummel, il donna très jeune de nombreux récitals privés. On l’opposa comme rival à Liszt, qui ne pouvait le souffrir, et, après une sévère critique de ce dernier contre une de ses compositions, l’affaire se conclut par une joute finale, à Paris en 1837, où Liszt remporta la palme. Thalberg fit des tournées couronnées de succès au Brésil (en 1855 et 1863), et en Amérique du Nord (1856). Pendant ses dernières années, il mena une vie retirée dans sa villa près de Naples, où il s’occupait de ses vignes. Il avait épousé en 1843 la veuve du peintre Boucher. Thalberg était réputé pour son legato, et on peut lui attribuer l’invention d’une technique reprise par Liszt, et consistant à faire chanter une mélodie dans le médium avec les deux pouces, tout en jouant des accords, des arpèges et des traits dans les graves et les aigus. Son jeu de virtuose lui valut de nombreux admirateurs, mais il était peu apprécié auprès de connaisseurs comme Chopin. Son oeuvre est avant tout composée de nombreuses pièces pour piano solo (études, caprices, fantaisies sur des thèmes d’opéras, sonates), d’un Concerto pour piano op. 55, de cinquantequatre lieder et de deux opéras (Florinda, 1851 ; Cristina di Svezia, 1865). THAYER (Alexander Wheelock), écrivain américain (South Natick, Massachusetts, 1817 - Trieste 1897).

Diplômé de Harvard, il passa les années 1849-1851 en Europe à rassembler des matériaux sur Beethoven après avoir constaté les divergences entre les biographies de Schindler d’une part, de RiesWegeler d’autre part. Il poursuivit ses recherches à Berlin, dans le but notamment de déchiffrer les Cahiers de conversation, et, à partir de 1858, ayant pu s’installer définitivement en Europe, il travailla à sa propre biographie de Beethoven tout en s’efforçant de rencontrer tous ceux qui jadis avaient connu le compositeur. De 1865 à 1882, il fut consul des États-Unis à Trieste. Trois volumes d’une édition allemande de sa biographie (traduits, édités et révisés par Hermann Deiters) parurent en 1886, 1872 et 1879. Les deux derniers volumes, édités par Hugo Riemann, parurent en 1907-1908 : ils avaient été précédés d’une révision du premier, et devaient encore être suivis de révisions des trois premiers. Une édition anglaise envisagée par Thayer ne put être réalisée de son vivant. La première fut menée à bien par H. Krebhiel (New York, 1921), la seconde par E. Forbes (Princeton, 1964, rév. 1967). Conformément aux intentions de Thayer, Krebhiel puis Forbes éliminèrent toutes les analyses musicales ajoutées dans les éditions allemandes pour se concentrer sur la biographie, Forbes tenant compte en outre des recherches les plus récentes. Le « Thayer-Forbes » reste l’ouvrage de base sur la vie de Beethoven. THEILE (Johann), compositeur allemand (Naumburg 1646 - id. 1724). Étudiant en droit à l’université de Leipzig, il apprit l’art du chant, fut joueur de viole et profita des leçons de Heinrich Schütz, retiré à Weissenfels. Il enseigna ensuite la musique à Stettin et à Lübeck. Maître de chapelle du duc de Holstein à la cour de Gottorf, de 1673 à 1675, il gagna Hambourg l’année suivante et c’est son singspiel, Adam und Eva, oder der erschaffene, gefallene, und wieder aufgerichtete Mensch, qui fut joué pour l’ouverture du célèbre opéra du Marché-aux-Oies (Gänsemarkt). Par la suite, il fut nommé maître de chapelle à la cour de Wolfenbüttel (1685), où il succédait à Rosenmüller, puis à la cour de Merseburg (1691). Revenu à Naumburg en 1694, il travailla un certain temps pour la cour de Berlin. Attaché à l’Opéra de Naumburg, après 1700, il a formé de nombreux musiciens, parmi lesquels Die-

trich Buxtehude. Son oeuvre, outre la musique lyrique, comprend vingt messes, une Passion selon saint Matthieu, des cantates, des pièces instrumentales, et aussi des traités théoriques sur le contrepoint (ContrapunctsPraecepta, etc.). Élève, comme il est dit plus haut, de Schütz, il doit à ce dernier son goût pour la conservation des vieilles règles de composition et a ainsi écrit plusieurs messes in stile antico. Enfin, il fonda une école de contrapuntistes pour l’Allemagne du Nord et du Centre, d’où le surnom de « père du contrepoint » qu’il reçut de ses contemporains. Mais ce respect du répertoire ancien et l’amour de l’oeuvre archaïsante ne l’empêchèrent pas d’écrire pour l’église dans le style concertant du temps. THÈME. Phrase musicale bien caractérisée (ou fragment de phrase) destinée à réapparaître dans la suite du morceau à titre de rappel ou de base de développement. À la différence des autres éléments analytiques (incise, cellule, colon, etc.), le thème doit toujours présenter un sens musical complet et rester aisément perceptible à l’auditeur. Le plus souvent, le thème est de caractère mélodique, mais il peut aussi y avoir des thèmes harmoniques, rythmiques, etc. La musique contemporaine tente même d’introduire la notion de « thème de timbres ». Bien qu’aujourd’hui universellement répandue, la notion de thème n’est pas très ancienne, et le terme n’est sans doute pas antérieur au XIXe siècle. ( ! MOTIF, LEITMOTIV, SUJET.) downloadModeText.vue.download 996 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 990 THÉORBE (ital. tiorba ; angl. theorbo). Instrument à cordes pincées de la famille des archiluths. Il se distingue du luth ordinaire par un deuxième chevillier situé à l’extrémité du manche prolongé sur lequel sont tendues plusieurs cordes graves, sonnant à vide. Autre détail caractéristique : les cordes sont en général simples et non pas doubles

comme sur l’archiluth ou le chitarrone. Le diapason des deux cordes aiguës est baissé d’une octave afin d’éviter une tension trop grande. Selon Mersenne (1636), le théorbe serait une invention italienne : « Il n’y a que trente ou quarante ans que le Bardella (Antonio Bardi) l’inventa à Florence. » L’instrument semble avoir été employé pour la première fois en France dans les concerts de Jacques Mauduit, vers 1610, peut-être sous l’influence de la visite de Giulio Caccini à la cour en 16041605. Bien qu’il possède un répertoire de soliste, le théorbe a été surtout employé en France aux XVIIe et XVIIIe siècles pour réaliser la basse chiffrée, improvisant à vue l’accompagnement d’un air de soliste ou complétant l’harmonie dans les ensembles instrumentaux. Une des premières publications qui font appel à cette technique, alors nouvelle en France, est la Pathodia Sacra et Profana de C. Huygens (Paris, 1647). Puis apparaissent les traités d’accompagnement comme ceux de Nicolas Fleury (Méthode pour apprendre facilement à toucher le théorbe avec la basse continue, 1660) et Denis Delair (1690). THÉORIE MUSICALE. Le terme peut avoir des sens différents selon qu’il s’applique à la recherche fondamentale ou au domaine scolaire. 1. Au plan fondamental, la théorie est la recherche des principes qui constituent la musique et déterminent son évolution. Elle inclut donc les branches les plus variées : philosophie, esthétique, sociologie, philologie musicale, etc., dont chacune constitue une science plus ou moins autonome, tantôt précise et tantôt conjecturale, en contact permanent avec les autres branches de l’esprit humain : acoustique, physiologie, sciences du langage, symbolique, etc. 2. Sur le plan scolaire, on appelle théorie l’ensemble des règles régissant la lecture ou l’écriture de la musique : la théorie est ainsi l’une des composantes du solfège. Mais on emploie aussi le terme pour désigner l’ensemble des disciplines autres que celles qui concernent la pratique instrumentale ou vocale : solfège, harmonie, contrepoint et fugue, histoire de la mu-

sique. THESIS. Mot grec signifiant « posé » et qui s’oppose à arsis qui signifie « levé ». L’usage actuel le plus fréquent attribue au posé (thesis) l’appui rythmique dont le levé (arsis) n’est que la préparation ou la répercussion, mais cet usage n’est pas universel et d’innombrables discussions n’ont cessé d’avoir cours sur ce sujet. Si l’on se réfère à la gestique de la battue de mesure, on constate que l’école n’a cessé d’enseigner la coïncidence de l’appui ( ! ICTUS) avec le geste de descente de la main, alors que beaucoup, instinctivement, pratiquent l’assimilation inverse. Si l’on se réfère à l’écriture musicale, la conclusion est analogue : on enseigne la coïncidence du « temps fort » avec le premier temps de la mesure, après la barre, alors que le phrasé exige souvent le déplacement de l’appui de cet emplacement (thesis) à l’anacrouse arsique. L’ancienne battue de mesure se faisait volontiers de gauche à droite et vice versa, en arc de cercle, ce qui excluait toute distinction entre arsis et thesis. Ces deux termes sont parfois employés en métrique ; ils signifient alors simplement élévation ou abaissement de la voix. On appelait autrefois fugue par arsis et thesis un genre particulier de fugue, dit aussi contre-fugue, dans lequel à l’exposition du sujet correspondait une réponse par renversement du sujet. Bach a inclus des contre-fugues de ce genre dans son Art de la fugue. THIBAUD (Jacques), violoniste français (Bordeaux 1880 - Mont-Cemet 1953). À cinq ans, il donne son premier récital de piano -, mais c’est à douze ans qu’il fait ses débuts publics au violon, à Angers, interprétant notamment la Romance en fa de Beethoven. En 1892, à Bordeaux, il joue le Concerto de Wieniawski. Encouragé par Ysaye, il devient, en 1893, au Conservatoire de Paris, l’élève d’un autre maître belge du violon, Martin Marsick (le professeur de Carl Flesch et de George Enesco). Il suit également les classes d’harmonie de Pugno et de Xavier Leroux. En 1896, il succède à Lucien Capet comme violon solo des concerts Rouge.

Remarqué par Édouard Colonne, qui l’engage dans son orchestre comme violon de rang, puis rapidement comme second violon solo, il devient célèbre du jour au lendemain par son interprétation du Prélude de l’oratorio le Déluge de Saint-Saëns. Ses premières tournées en 1903 en Allemagne et en Amérique marquent le début de sa gloire. Entre deux tours du monde, il s’adonne à la musique de chambre, en compagnie de Cortot et de Casals avec qui il forme, de 1905 à 1935, un célèbre trio. Hédoniste, l’art de Thibaud ignore l’effort, la rigueur de tempo ou de style, il n’est que séduction, tendresse instinctive, pure invite au bonheur. Idéalement accordé à l’esprit de Mozart et au romantisme fin de siècle de Saint-Saëns, Lalo, Chausson, Franck, il convainc moins dans le répertoire germanique et gagne à être balancé par la rigueur de Cortot et l’élan de Casals. Les enregistrements du trio (Schubert, Mendelssohn, Beethoven, Haydn, Schumann) restent les meilleurs témoignages de son art, au milieu d’une discographie éparpillée en pièces de bravoure (dont une Danse espagnole composée pour lui par Granados). Chef d’orchestre occasionnel, il est le plus souvent accompagné par le fidèle Tasso Janopoulo, son alter ego depuis 1923. Armé de son Carlo Bergonzi, puis du stradivarius « Baillot », Jacques Thibaud joue encore à soixante-dix ans passés, jusqu’à son dernier concert à Biarritz quelques jours avant l’accident de l’avion qui l’emportait une fois encore au Japon. Il laisse pour perpétuer son souvenir un concours international créé en 1943 en compagnie de Marguerite Long. THIBAULT (Geneviève, comtesse Hubert de Chambure), musicologue française (Neuilly-sur-Seine 1902 - Strasbourg 1975). Diplômée d’études supérieures de la Sorbonne en 1920 avec une thèse sur John Dowland, et de l’École pratique des hautes études en 1952 (édition du Chansonnier de Jean de Montchenu), elle écrit avec A. Pirro une thèse sur la Chanson française et la Musique instrumentale de 1450 à 1550. Ayant développé très jeune un intérêt pour les instruments anciens dont elle rassemble une collection de très grande

valeur, elle est cofondatrice, en 1925, de la Société de musique d’autrefois, au sein de laquelle elle collabore à la publication de Textes musicaux (à partir de 1954) et d’une revue, les Annales musicologiques (à partir de 1955). De 1961 à 1973, elle est conservateur du Musée instrumental du Conservatoire de Paris. Elle se spécialise dans la musique des XVe et XVIe siècles, en particulier dans la chanson française, en publiant plusieurs ouvrages et articles sur les musiciens de l’entourage de Ronsard, et en réalisant de nombreuses études sur des manuscrits et chansonniers de l’époque, et des bibliographies d’éditeurs (Nicolas du Chemin, A. Le Roy et R. Ballard). THIBAULT DE COURVILLE (Joachim), musicien français ( ? v. 1535 - Paris 1581). Fondateur avec Antoine de Baïf de l’Académie de poésie et de musique, il a écrit pour le chant, le luth et la lyre qu’il pratiquait personnellement, mais la plupart de ses oeuvres ne nous sont pas parvenues. THIBAUT IV DE CHAMPAGNE (Thibaut le Chansonnier), trouvère français, downloadModeText.vue.download 997 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 991 comte de Champagne et de Brie, et roi de Navarre (Troyes 1201 - Pampelune 1253). Petit-fils de Marie de France, elle-même petite-fille de Guillaume IX d’Aquitaine, il est le descendant d’une lignée impressionnante de poètes et de musiciens. Élevé à la cour du roi de France, il prend part à la bataille de Bouvines puis au siège d’Avignon en 1226. Il abandonne, à cette occasion, le roi et, à sa mort, se rallie à la coalition dressée contre la régente Blanche de Castille. Son revirement peu après lui attire les représailles de ses anciens alliés. Devenu roi de Navarre en 1234, il prend la tête d’une croisade en 1239-40 et, à son retour, essuie de nouvelles défaites contre les Anglais (1242-1244), puis contre le clergé de Navarre. Il est, de loin, par le nombre de ses chansons conservées (une soixantaine), le plus important des trouvères. Il s’agit, pour les deux tiers environ, de chansons courtoises, mais on trouve aussi plusieurs chansons de croisades, deux pastourelles et quelques pièces reli-

gieuses (des chansons à la Vierge, un lai et un sirventès). Il a également participé à une dizaine de jeux-partis et à trois tensons. Ses mélodies, en général syllabiques et à la modalité très nette, sont assez dépouillées et connurent une vogue internationale durable, en particulier Aussi con l’unicorne sui, De bone amour et Tant ai Amours. Certaines sont encore mentionnées au début du XIVe siècle, en particulier par Dante et Jean de Grouchy. THIERRY (Pierre), facteur d’orgues français (Paris 1604 - id. 1665). Élève de Crespin Carlier, il rénova l’orgue de Saint-Gervais sur les indications de Louis Couperin (ajout d’un nasard et d’une tierce au positif et d’un clavier d’écho), travailla sur ceux de l’hôtel-Dieu de Pontoise (1637-1641) et de Saint-Paul à Paris (1644-1649, et construisit celui de Saint-Germain-des-Prés (1661). Il devint facteur du roi en 1664. Il eut trois fils : Jean ( ? v. 1638 - Paris 1689), qui construisit l’orgue de Saint-Père de Chartres, Charles (Paris 1641 - ?), qui travailla aux orgues de Saint-Séverin et de Saint-Merri, et Alexandre ( ? v. 1646 - Paris 1699), qui travailla comme son père sur l’orgue de Saint-Gervais, termina celui de Saint-Séverin (1675) et construisit ceux de SaintEustache (168?-1689), de l’école de SaintCyr de Mme de Maintenon (1685) et de Saint-Louis-des-Invalides (1687). François (Paris 1677 - id. 1749), fils de Jean, construisit l’orgue des Innocents (1723) et reconstruisit celui de Notre-Dame (17301733) en y introduisant le premier manuel de bombarde. THILL (Georges), ténor français (Paris 1897 - Lorgues, Var, 1984). Il étudia avec Fernando de Lucia et fit ses débuts à l’Opéra de Paris, en 1924, dans Thaïs (rôle de Nicias). Il y chanta jusqu’à la guerre les principaux rôles du répertoire français, ainsi que quelques rôles wagnériens dont Lohengrin et Walter (les Maîtres chanteurs). Dans le répertoire italien, son interprétation de Radamès (Aïda) était justement admirée. Dans le même temps, il paraissait à l’Opéra-Comique, où Don José et Werther furent ses plus grands triomphes. Il fit également une carrière internationale au Metropolitan Opera de New York, au Covent Garden de Londres, au théâtre Colón de Buenos Aires et à la Scala de Milan. Il pos-

sédait un timbre incomparable à la fois chaud et vibrant et une voix parfaitement homogène sur toute l’étendue de son registre. À ces qualités, il convenait d’ajouter une parfaite maîtrise des demi-teintes et une articulation parfaite. Georges Thill compta parmi les artistes lyriques majeurs du XXe siècle dont le chant français peut s’enorgueillir. THIOLLIER (François-Joël), pianiste français (Paris 1943). Issu d’une famille de musiciens, enfant prodige, il prend ses premières leçons avec sa mère et donne son premier concert à l’âge de cinq ans. Il entre trois ans plus tard au Conservatoire de Paris, où il étudie avec Robert Casadesus. À la Juilliard School (1953-1962), il est l’élève de Gorodnitzki. Lauréat de nombreux concours internationaux, dont les Concours Tchaïkovski en 1966 et Reine Élisabeth de Belgique en 1968, il se produit avec un grand succès pendant les années qui suivent, interprétant la musique russe (en particulier Rachmaninov) et Gershwin parallèlement aux pièces plus courantes du répertoire classique. THIRIET (Maurice), compositeur français (Meulan 1906 - Puys 1972). Ayant commencé à composer dès l’âge de treize ans, il soumit ses premiers essais à Ravel, qui reconnut son talent. Il travailla au Conservatoire de Paris avec Silver, Koechlin et Roland-Manuel. On lui doit de nombreuses musiques de scène dont OEdipe roi pour la pièce de Cocteau (1941, écrit en captivité), des ballets (la Nuit vénitienne, 1938 ; l’oeuf à la coque, 1949 ; Psyché, 1950) et des musiques de film, notamment pour Marcel Carné (les Visiteurs du soir, 1942 ; les Enfants du paradis, 1945 ; Thérèse Raquin, 1953). THIRY (Louis), organiste français (Fléville 1935). Il étudie d’abord au Conservatoire de Nancy avant de devenir l’élève d’André Marchal à Paris. De 1956 à 1958, il est au Conservatoire de Paris dans la classe d’orgue de Rolande Falcinelli, et en écriture avec Simone Plé-Caussade. De 1951 à 1972, il est titulaire des orgues de Saint-Martin-de-Metz. Il aborde alors l’oeuvre pour orgue de Messiaen, dont il

est un grand spécialiste : sur les orgues de la cathédrale Saint-Pierre de Genève, il enregistre toutes les oeuvres comprises entre le Banquet céleste de 1928 et le Livre d’orgue de 1951. Depuis 1971, il enseigne au Conservatoire de Rouen, et poursuit une carrière internationale de soliste. Il joue aussi le répertoire baroque français, et exécute le Clavier bien tempéré à l’orgue. THOMAS (Ambroise), compositeur français (Metz 1811 - Paris 1896). Fils d’un maître de musique, il entra en 1828 au Conservatoire de Paris où il fut l’élève de Kalkbrenner (piano), Dourien (harmonie), Barbereau (contrepoint) et Lesueur (composition). Il obtint un premier prix de piano en 1829 et le premier prix de Rome en 1832. Il passa trois ans à la villa Médicis, où il rencontra Berlioz, qui admira ses premières compositions. En 1837, il débuta à l’Opéra-Comique avec la Double Échelle, et bientôt à l’Opéra avec le ballet la Gipsy (1839), puis avec une comédie musicale, le Comte de Carmagnola (1841). S’ils furent accueillis avec sympathie, ces ouvrages ne se maintinrent cependant pas. Les premiers vrais succès de Thomas furent le Caïd (1849), spirituel pastiche de la musique bouffe italienne, et le Songe d’une nuit d’été (1850). En 1851, il fut admis à l’Institut en succession de Spontini. Pendant quinze ans, il connut, comme compositeur, des fortunes diverses. C’est en abandonnant le style léger de l’opéracomique au profit du sérieux et de la grandeur qu’il connut ses deux véritables triomphes : Mignon (1866) et Hamlet (1868). En 1871, il fut nommé directeur du Conservatoire, où depuis plusieurs années il secondait A. Adam comme professeur de composition. Il se révéla un administrateur habile, consciencieux mais autoritaire et d’esprit étroit dans ses jugements esthétiques. Il se montra l’adversaire de compositeurs dont les audaces lui paraissaient inadmissibles (Franck, Lalo, Bizet, Fauré). Cette attitude lui valut plus tard beaucoup d’animosité. Après avoir subi l’influence italienne, Thomas a fait un effort pour s’en affranchir et s’affirmer comme un compositeur français doté d’un solide métier. Mais bien que Mignon et Hamlet se soient longtemps

maintenus à l’affiche, le compositeur, adulé de son vivant, est devenu aussitôt après sa mort le symbole du conformisme. Outre ses vingt ouvrages lyriques et ses trois ballets, il a laissé de nombreuses downloadModeText.vue.download 998 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 992 compositions vocales profanes et religieuses, quelques oeuvres de musique de chambre, de piano et d’orgue, et des recueils de leçons de solfège. THOMAS (Jess), ténor américain (Hot Springs, Dakota du Sud, 1927 - San Francisco 1993). Il renonce à un doctorat de psychologie entrepris à l’université de Stanford pour se consacrer entièrement au chant, avec son professeur Otto Schulman. Il fait ses premiers pas dans le rôle de Fenton (Falstaff) et débute à l’Opéra de San Francisco dans celui de Malcolm de Macbeth (1957). Il vient en Europe étudier avec Emmy Seiberlich, et fait des débuts wagnériens remarqués à Karlsruhe, où il chante pendant trois ans. En 1960, il compose un Bacchus truculent dans Ariane à Naxos à Stuttgart et à Munich. L’année suivante, Wieland Wagner lui fait incarner Parsifal à Bayreuth et Radamès (de Aïda) à Berlin. Il est Walter von Stolzing (les Maîtres chanteurs) au Metropolitan Opera de New York (1962) et au Covent Garden (1969). En 1962, à l’apogée de ses moyens, il incarne avec éclat et intelligence Lohengrin et Parsifal à Bayreuth, deux interprétations fixées par le disque, et participée à la Tétralogie enregistrée par Karajan (19661970). THOMSON (Virgil), compositeur américain (Kansas City 1896 - New York 1989). Issu de l’université Harvard, il fut l’élève de Nadia Boulanger et vécut en France de 1925 à 1940, étroitement mêlé à la vie intellectuelle et artistique parisienne. C’est toutefois dans le folklore purement américain des negro spirituals qu’il a trouvé l’inspiration de son premier opéra, Four Saints in Three Acts, sur un livret de Gertrude Stein (1934). Parmi les oeuvres les plus marquantes de ce musicien presque classique, citons aussi la partition du film Louisiana Story, la Missa pro defunctis, et

l’opéra Lord Byron (1972). Virgil Thomson a été également critique musical du New York Herald Tribune (1940-1954). TIBBETT (Lawrence), baryton américain (Bakersfield 1896 - New York 1960). En 1924, il débute au Metropolitan de New York, puis triomphe l’année suivante dans le rôle de Ford de Falstaff. Il devient l’un des piliers du Metropolitan, durant vingt-cinq ans de carrière ininterrompue. En 1937, il remporte de grands succès à Paris dans Verdi et Puccini : il y incarne Rigoletto, Iago et Scarpia de façon mémorable. Il marque aussi le rôle d’Otello, et celui de don Carlos dans la Force du destin. Dans les années 1930, il crée plusieurs opéras américains de Taylor ou Gruenberg, au Metropolitan. Il s’est aussi produit en récital. TIENSUU (Jukka), compositeur finlandais (Helsinki 1948). Élève pour la composition de Paavo Heininen à l’Académie Sibelius et de Klaus Huber et Brian Ferneyhough à Fribourg, il a étudié également la musique électronique, la direction d’orchestre, le piano et le clavecin. Il a enseigné à l’Académie Sibelius et travaillé à l’I.R.C.A.M. (19781982) ainsi qu’au Massachusetts Institute of Technology (1989), dirigé la Biennale d’Helsinki en 1981 et 1983 et fondé le festival de musique contemporaine de Viitasaari, dont il a été le directeur artistique de 1981 à 1987. En se concentrant surtout sur le timbre et sur l’harmonie, et en utilisant largement les micro-intervalles, il a écrit notamment Prélude non mesuré pour piano (1976), qui fait appel à l’aléatoire, MXPZKL pour orchestre (1977), Passage pour soprano, ensemble de chambre et live electronics (1980), M pour clavecin, cordes et percussion (1980), L pour piano amplifié à 4 mains (1981), P = Pinocchio ? pour soprano, ensemble de chambre et ordinateur (1982), Tokko pour choeur d’hommes et bande synthétisée par ordinateur (1987, premier prix de la Tribune internationale des compositeurs de l’UNESCO en 1988), Manaus pour kantele (1988), Puro pour clarinette et orchestre (1989), Arsenic et vieilles dentelles pour clavecin et quatuor à cordes (1990), Lume pour orchestre (1991), Halo pour orchestre (1994), Plus V pour accordéon et orchestre à cordes (1994).

TIENTO (espagnol dérivé du latin tentare). Forme caractéristique très en faveur auprès des organistes espagnols des XVIe et XVIIe siècles, le tiento unit certaines des caractéristiques du prélude et du ricercare italien. La première définition en a été donnée par Luis de Milán dans son traité El Maestro (1535) : « Cette musique, c’est comme essayer l’instrument, mêler les sonorités à des roulements. » L’organiste Correa de Arauxo en donne en 1626 une description beaucoup plus précise et détaillée. Selon lui, il s’agit d’une suite de courtes fugues se suivant sur des mélodies différentes. La raison d’être du tiento était de donner à l’organiste la possibilité de connaître les diverses possibilités d’un instrument. On distinguait au XVIIe siècle les tientos de bataille, genre très populaire qui décrivait musicalement les sons d’une armée en campagne avec imitations de trompettes, de tambours, du chant des soldats ; les tientos de lleno (de plein) où toutes les voix étaient utilisées tant en contrepoint qu’en accords pleins ; les tientos de falsa (de fausses) basés sur le jeu des dissonances ; les tientos de main droite ou de main gauche qui se jouaient le plus souvent en combinant les possibilités de l’orgue à registres coupés de façon qu’une moitié de ceux-ci servent à l’exposition de la mélodie et à ses ornements, tandis que l’autre moitié, de sonorité différente, se contentait d’accompagner en contrepoint. Cabezón, Correa, de Arauxo, Cabanilles comptent parmi les plus célèbres des auteurs de tientos. Une pièce pour orchestre intitulée Tiento a été composée en 1980 par Cristobal Halffter. TIERCE. 1. Intervalle produit, dans la gamme diatonique, entre deux notes distantes de trois degrés, départ et arrivée inclus. Selon les altérations employées, la tierce peut être normale ou déformée ; la tierce normale est selon les cas soit majeure divisible en deux tons, soit mineure divisible en un ton et demi, mais dans certains systèmes mélodiques, la tierce mineure peut être un intervalle incomposé, c’est-à-dire perçu directement sans se subdiviser intérieurement en ton + demi-ton, ce qui lui

permet d’être employé comme intervalle conjoint (par exemple en pentatonique), ce qui n’est pas le cas de la tierce majeure. La tierce déformée peut être soit diminuée (ex. do dièse-mi bémol), ce qui, en tempéré, lui donne le même espace que le ton, mais compris différemment ; soit plus rarement augmentée (ex. do-mi dièse), ce qui lui donne le même espace que la quarte, mais compris différemment. La tierce déformée est toujours comprise comme un intervalle psychologiquement dissonant tendant vers sa résolution, même si, par le jeu du tempérament, sa sonorité matérielle est analogue à celle d’une consonance. La valeur acoustique de la tierce est différente selon le système dans lequel on l’envisage. En pythagoricien, système qui régit instinctivement la mélodie non harmonisée, la tierce est obtenue par le report de quatre quintes (ex. do-sol-réla-mi), ce qui donne à la tierce majeure un grand écartement (définition 81/64), tandis qu’en zarlinien, système qui régit l’entendement harmonique tonal, elle est obtenue directement par l’harmonique 5 (définition 5/4), ce qui la rend au contraire très basse ; le tempéré 3 se situe entre les deux. La tierce mineure est la différence (logarithmique s’entend) entre la quinte et la tierce majeure prises l’une et l’autre dans le même système. 2. En facture d’orgue, on donne le nom de tierce à un jeu de mutation faisant entendre soit la tierce majeure de la fondamentale, soit l’une de ses octaves, le plus souvent à deux octaves de distance, ce qui correspond à l’harmonique 5. 3. Dans la polyphonie populaire de Corse, et notamment dans la paghiella, on donne le nom de tierce (terza) à la voix la plus aiguë de la polyphonie à trois voix, les voix downloadModeText.vue.download 999 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 993 étant numérotées de bas en haut (bassu, segunda, terza). TIERCE PICARDE. Expression désignant, dans un morceau

de tonalité mineure, une conclusion sur l’accord de tonique majorisé. Le procédé est ancien (probablement XVIe s.) et s’explique aisément par le caractère de l’accord majeur, consonance naturelle plus franchement conclusive que l’accord mineur, consonance artificielle ; mais l’expression est restée longtemps incomprise, les Picards n’ayant ni l’exclusivité du procédé, ni un plus fort pourcentage que d’autres dans son emploi. La véritable explication, détectée récemment, est sans doute l’emploi en ancien français de l’adjectif picart ou piquart au sens de « piquant, aiguisé », ce qui n’a rien à voir avec la province de Picardie. TIERSOT (Julien), musicologue français (Bourg-en-Bresse 1857 - Paris 1936). Formé au Conservatoire de Paris où il fut l’élève de Massenet (composition), de Franck (orgue) et de Bourgault-Ducoudray (histoire de la musique), il a consacré l’essentiel de ses recherches à la chanson populaire. Il fut bibliothécaire au Conservatoire et présida la Société française de musicologie. PRINCIPAUX ÉCRITS. Histoire de la chanson populaire en France (1889) ; Rouget de Lisle (1892) ; les Fêtes et les Chants de la Révolution française (1908) ; J.-J. Rousseau (1912) ; Histoire de la Marseillaise (1915) ; les Couperin (1926) ; Smetana (1926) ; la Musique aux temps romantiques (1930) ; la Chanson populaire et les Écrivains romantiques (1931). TIETJEN (Heinz), chef d’orchestre allemand (Tanger 1881 - Baden-Baden 1967). De 1904 à 1907, il est chef d’orchestre et metteur en scène au Théâtre de Trèves, dont il devient l’intendant en 1919. Durant toute sa carrière, il cumule les fonctions de directeur de théâtre, de chef et de dramaturge. De 1919 à 1922, il est à l’Opéra de Sarrebruck, puis de 1922 à 1924 à Breslau (actuelle Wrocðaw), et travaille au Staatsoper de Berlin de 1925 à 1945. De 1931 à 1944, il succède à Siegfried Wagner comme directeur artistique du Festival de Bayreuth. En 1944, Richard Strauss lui dédie l’Amour de Danaé. Après la guerre, il poursuit sa carrière jusqu’en 1959 à Berlin et à Hambourg.

TILSON-THOMAS (Michael), chef d’orchestre et pianiste américain (Hollywood 1944). Il étudie à l’Université de Californie du Sud, et part à Bayreuth, où il est assistant. Après avoir obtenu le Prix Koussevitzky, il dirige en 1948 l’Orchestre des jeunes de Tanglewood, puis l’Orchestre symphonique de Boston et celui de Buffalo jusqu’en 1980. De 1981 à 1985, il est premier chef invité de la Philharmonie de Los Angeles, et fonde le New World Symphony Orchestra, un orchestre de jeunes. Il consacre alors des festivals à Brahms et Rimski-Korsakov, mais aussi à Steve Reich. Sa discographie reflète ses goûts éclectiques. Il crée des oeuvres d’Oliver Knussen, The Four Sections de Reich en 1987, et Quotation of Dreams de Takemitsu en 1991. En 1995, il prend la tête de l’Orchestre symphonique de San Francisco. TIMBALE. Instrument à percussion de la famille des « peaux » dont les origines, fort lointaines, sont probablement orientales et militaires. Aujourd’hui encore, la cavalerie de la garde républicaine a ses timbaliers qui, pour garder les mains libres, guident le cheval au pied grâce à de longues rênes attachées aux étriers. Chacune de ces timbales, disposées par paire en avant et de chaque côté de la selle, consiste en un bassin de cuivre approximativement hémisphérique, fermé par une peau dont la tension (et par conséquent la note émise, dans les limites d’une quinte environ) peut être modifiée au moyen de clés à vis disposées sur le pourtour de l’instrument. À l’orchestre symphonique, où elles figurent régulièrement depuis le XVIIIe siècle et furent presque seules à représenter les percussions jusqu’à l’époque romantique, les timbales sont plus grandes (d’un diamètre moyen de 70 cm), montées sur pied, et vont par jeu de quatre. L’accord des timbales modernes est assuré par un système de pédales beaucoup plus rapide et pratique que les anciennes clés, au nombre de six, qu’il fallait manoeuvrer pour passer d’une note à l’autre. De même, le cuivre rouge des « fûts » est souvent remplacé par la fibre de verre, et les

« peaux » artificielles en matière plastique, robustes et moins sensibles aux variations atmosphériques, ont supplanté le parchemin naturel qui, d’ailleurs, serait hors de prix. La qualité de ce magnifique instrument n’en est pas altérée, qu’on le joue avec des mailloches ou avec toutes sortes de baguettes à tête de feutre ou de bois, selon l’effet souhaité. TIMBRE. 1. L’une des cinq qualités qui déterminent l’identification d’un son, les quatre autres étant la hauteur (ou fréquence), la durée, l’intensité et la localisation spatiale. Le timbre, souvent associé à l’identification de l’émetteur du son (timbre d’un chanteur, d’un violon, etc.), est le résultat de diverses composantes dont la principale (mais non pas la seule) est la manière dont se superposent au son principal les divers harmoniques qui l’accompagnent, et qui, souvent inaudibles en tant que tels, sont décelés par l’analyse spectrale : le timbre varie selon que certains harmoniques sont renforcés, tels autres affaiblis ou absents. Mais il est également affecté par d’autres facteurs, tels que le mode d’attaque, l’intensité d’émission, l’environnement acoustique, etc. Si aux harmoniques se mélangent des sons « partiels » n’appartenant pas à la série harmonique, le timbre est perturbé et tend à perdre sa possibilité d’identification de hauteur : il devient un « bruit ». Dans les mêmes conditions, la voix cesse d’être « timbrée » ou « voisée » et devient éraillée ou chuchotée. 2. Mélodie susceptible de s’adapter à des textes différents. L’usage des timbres est très ancien : le chant grégorien en fait grand usage dans les antiennes, les versets de répons, etc. Il est à la base de la pratique des « vaudevilles » qui ont donné naissance à l’opéra-comique, et se retrouve dans de très nombreux domaines, notamment dans l’histoire du cantique populaire. Des recueils de timbres ont été publiés tout au long du XIXe siècle sous le titre la Clef du caveau. 3. Instrument formé de lames, coupes ou autres objets vibrants mis en action par frappement et produisant un son aigu et cristallin. Le « jeu de timbres » est analogue au glockenspiel allemand utilisé par

Mozart dans la Flûte enchantée. TINCTORIS (Johannes), compositeur et théoricien de la musique (Nivelles v. 1435 - ? 1511). Sans doute chantre à Cambrai vers 1460, il est de 1474 à 1476 à la cathédrale SaintLambert de Liège avant d’entrer (1476) au service de Ferdinand Ier d’Aragon, roi de Naples, comme chantre et chapelain pour plus de quinze ans. De 1481 à 1483, on le trouve néanmoins à Liège et en 1487 il effectue un voyage à la cour de Bourgogne et à celle de Charles VIII afin d’y recruter des chantres pour Ferdinand. Il vit à Rome en 1492 et encore en Italie en 1495, mais on ignore le lieu de sa mort en 1511. C’est lors de son séjour à la cour de Naples qu’il rédige ses douze traités dédiés au roi Ferdinand, à sa fille Béatrice et à de grands musiciens contemporains. Ils constituent une sorte de somme des connaissances musicales de son temps. Certes, Tinctoris y apparaît comme un disciple du néopythagorisme (cf. notamment le traité des Proportions, exposé de la méthode d’approche des proportions mathématiques à la notion musicale où il se laisse emporter par un enthousiasme spéculatif et hyperrationnel). downloadModeText.vue.download 1000 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 994 Mais s’il développe longuement la signification magique et incantatoire de la musique comme sa valeur éthique, il admet cependant que la musique peut avoir pour seul but de divertir et qu’elle peut apporter la gloire à ceux qui sont experts en cet art. Ce sont là des idées neuves. TINEL (Edgar), compositeur et pédagogue belge (Sinay, Flandre-Orientale, 1854 - Bruxelles 1912). Prix de Rome belge avec la cantate De Klokke Roeland (1877), il succéda à Lemmens comme directeur de l’Institut de musique religieuse de Malines (1881) et fut nommé en 1889 inspecteur général de l’enseignement musical en Belgique. Il prit en 1908 la direction du Conservatoire de Bruxelles, où il enseignait depuis 1896, et devint en 1910 maître de chapelle

de la cour. Il composa l’oratorio Franciscus (1888), les opéras Godelieve (1897) et Katharina (1907), de la musique pour orchestre, etc. TIPPETT (Michael), compositeur anglais (Londres 1905). Il a hérité des traits et du tempérament celtiques de son père, natif de Cornouailles. Au Royal College of Music de Londres, il s’imprègne du répertoire classique : Palestrina, la polyphonie de la Renaissance anglaise, qui le marquera particulièrement, Bach, Haendel, et surtout Beethoven, à la musique duquel, selon sa propre expression, « il se soumet entièrement ». Après s’être perfectionné, notamment en contrepoint, il est enfin satisfait de lui avec le beethovenien Premier Quatuor à cordes (1934-35), marqué, comme les suivants, par l’intérêt exclusif qu’il porte aux questions de forme. Après une Première Sonate pour piano (1936-37), remplie d’airs folkloriques anglais, il s’estime arrivé totalement à maturité avec le Concerto pour double orchestre à cordes (1938-39), sa partition instrumentale demeurée la plus jouée, amalgamant des tournures mélodiques et des rythmes caractérisant la musique anglaise depuis Purcell, et certains autres, syncopés, typiquement américains. Jusqu’en 1945, deux passions dominent sa vie : l’art de l’éducation et la politique. Il prend la direction de la musique au Morley College, où il crée de nombreuses oeuvres, anciennes et contemporaines, inconnues jusqu’alors ; profondément affecté par les ravages de la « Grande Dépression », il dirige un orchestre de musiciens chômeurs. Trotskiste, un moment engagé au sein du parti communiste, il se rend compte qu’il est, avant tout, un individualiste, d’une farouche indépendance. En 1942, objecteur de conscience, il est condamné, malgré le soutien de Vaughan Williams, à trois mois de prison, qu’il jugera positifs, « test » nécessaire à ses croyances. De cette sombre époque, datent le Deuxième Quatuor à cordes (1941-42) [à l’intense andante dont il nota le thème pendant les journées de Munich, en 1938], la Première Symphonie (1944-45), réponse aux souffrances de la guerre, le Troisième Quatuor à cordes (1946), d’un lyrisme passionné, reflétant l’influence directe des six quatuors de Bartók.

Tippett exprime la compassion qu’il ressent pour les opprimés en un oratorio, qu’il veut « populaire », au vrai sens du terme, A Child of Our Time (1939-1941), dont le texte qu’il a rédigé lui-même sur les conseils de T. S. Eliot (comme il le fera désormais pour la plupart de ses oeuvres), est une protestation passionnée contre les conditions qui rendent toute persécution possible, et poussent un être pacifique à commettre un acte de violence. La phrase finale de l’oratorio (« Je connaîtrai mon ombre et ma lumière, ainsi serai-je en mon entier ») résume la conviction fondamentale de Tippett : l’homme n’atteindra la sagesse que par la connaissance du Bien et du Mal dans sa nature, et l’harmonie intérieure que par leur réconciliation. Ce concept de recherche personnelle de la plénitude spirituelle, ou processus d’« individuation », décrit par Jung, Tippett l’entreprend précisément à l’époque avec un analyste jungien. Il le voit alors, sur le plan musical, comme relié à une nécessaire redécouverte des valeurs classiques et morales, remarquablement réussie jusqu’alors, culminant dans son visionnaire opéra-comédie The Midsummer Marriage (1946-1952), où son classicisme sonne de façon absolument naturelle, avec un lyrisme plus brillant, dans un resplendissant la majeur. L’influence directe du foisonnement contrapuntique, et la lumineuse opulence de cet opéra (et spécialement celle du monde magique des célèbres « Danses rituelles », à l’acte II) se retrouvent dans la stravinskienne Deuxième Symphonie (1956-57), néoclassique (le climat de l’adagio évoque Charles Ives), et surtout dans la complexe Fantaisie concertante sur un thème de Corelli (1953), évoquant le mysticisme de la nature, très représentative de la tradition pastorale dans la musique anglaise, celle de Vaughan Williams, Elgar, Delius, avec laquelle il présente une forte continuité (Tippett restera toujours un homme de la terre ; il vivra, à partir de 1951, retiré à la campagne). Au milieu des années 50, Tippett réalise qu’il ne peut aller plus loin dans cette voie sans se répéter, éprouve aussi le besoin d’étendre son vocabulaire musical. Avec King Priam (1958-1961), son deuxième opéra, dont la partition ressemble à une énorme mosaïque, il opère un changement abrupt et complet, une rupture

décisive avec le passé : prédominance de l’harmonie sur le contrepoint ; pas de progression tonale claire, la musique ne se développant pas (Tippett ne retournera d’ailleurs plus à la tonalité traditionnelle). Les possibilités mosaïques formelles de ce nouveau style sont explorées dans la Deuxième Sonate pour piano (1962), le Concerto pour orchestre (1962-63), et aboutissent aux superpositions étincelantes d’une de ses partitions les plus ambitieuses et les plus profondes, l’oratorio la Vision de saint Augustin (1963-1965), consacré à l’une de ses préoccupations philosophiques majeures : le temps. Dans son troisième opéra The Knot Garden (1966-1970), Tippett accomplit une riche synthèse de tous ses styles antérieurs, avec certaines innovations, et surtout, une véritable « américanisation » de sa musique. Celle-ci marquera la Troisième Symphonie (1970-1972), dont la « Première Partie » se caractérise par l’opposition entre une musique dynamique (l’obsession de Tippett pour les allégros beethoveniens, qui se retrouve d’ailleurs dans la Troisième Sonate pour piano de 1972-73) et statique, suspendue dans les airs, et dont la « Deuxième Partie » est consacrée à une réflexion sur la signification et l’actualité du message prodigué par l’Hymne à la joie, de Beethoven et Schiller (dont sept mesures sont citées) au siècle des camps de la mort et du goulag ; à sa place, Tippett offre une « ode à la compassion », sous forme d’une série de blues, chantés par la soprano solo, se terminant sur une citation de Martin Luther King : « Nous ressentons un immense pouvoir de compassion, pour guérir, pour aimer », clef de son quatrième opéra The Ice Break, nouvelle oeuvre de signification contemporaine où l’on retrouve les allusions au jazz et au blues, les arabesques mélodiques à l’ornementation exubérante, les harmonies de quartes, les appels de cors, les scintillements de célesta et de glockenspiel. Avec la Quatrième Symphonie (197677), en un seul mouvement, d’une sauvage grandeur, Tippett retourne à une conception abstraite, purement instrumentale : partition virtuose, directement inspirée par les qualités de l’Orchestre symphonique de Chicago, mais avec

comme programme le cycle de la vie humaine. Après un Quatrième Quatuor (1977-78) de la même veine, le Triple Concerto pour violon, alto et violoncelle (1980) explore de nouveaux domaines instrumentaux (sons inspirés par la musique de Bali). Tippett a achevé en 1983 une nouvelle partition qui apparaît comme le couronnement de son oeuvre, The Mask of Time, pour quatre solistes, choeurs et orchestre, d’après Milton et Shelley (création en 1984) et en 1984 une Quatrième Sonate pour piano. En 1989 a été créé à Houston son cinquième opéra, New Year, et en 1991 composé son Cinquième Quatuor. Suivirent encore ByzandownloadModeText.vue.download 1001 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 995 tium pour orchestre (1991) et The Rose Lake, chant sans paroles pour orchestre (1993). Ayant débuté de façon conservatrice par une recréation de la tonalité classique, Tippett, en une série de contrastes brutaux, a graduellement abandonné le système tonal pour pratiquer une atonalité essentiellement diatonique, et a créé ainsi un monde propre, poétique et passionné, aisément reconnaissable, jamais conventionnel ni superficiel, dont l’individualisme exubérant contraste avec la « dépersonnalisation » sécrétée par le langage international du sérialisme. Tippett est, par ailleurs, sûrement le seul compositeur contemporain, avec Zimmermann, qui ait été le plus radicalement influencé par le jazz, et en ait approché l’essence, car il s’est senti concerné par cette musique des opprimés, lui, qui, comme Zimmermann, Hartmann, Chostakovitch, Britten, a consacré sa vie à une conception généreusement humaniste de l’art. Le ton exalté, extatique, de ses musiques les plus originales le place, avec Messiaen, parmi les seuls authentiques visionnaires contemporains : comme il l’écrit lui-même dans son recueil de textes Moving into Aquarius, il s’est assigné une immense tâche, et a réussi à « créer des images des profondeurs de l’imagination, et à leur donner une forme visuelle, intellectuelle ou musicale (...) dans une époque de médiocrité et de

rêves évanouis, des images d’une beauté généreuse, exubérante ». TIRASSE. Nom du mécanisme permettant, à l’orgue, de remiser l’accouplement d’un clavier sur le pédalier, c’est-à-dire de faire jouer par le pédalier les notes d’un clavier manuel. La tirasse est réalisée mécaniquement ou électriquement, beaucoup plus rarement pneumatiquement. Un dispositif mécanique analogue permet d’associer un pédalier à un piano, en l’accouplant aux notes graves de l’instrument. TIRÉ. Mouvement descendant de l’archet, du talon vers la pointe, favorisant les attaques énergiques et l’exécution des accords ( ! POUSSÉ). TISNÉ (Antoine), compositeur français (Lourdes 1932). Élève de Darius Milhaud et de Jean Rivier au Conservatoire de Paris (composition), il a obtenu le deuxième prix de Rome et le prix Lili-Boulanger en 1962, et le prix de la fondation Serge-Koussevitski en 1965. En 1968, il est devenu inspecteur principal de la musique au ministère des Affaires culturelles. Dans un style éclectique se voulant indépendant de tout système, il a écrit notamment trois concertos pour piano (1959, 1961 et 1963), deux symphonies (1959-60 et 1964), un Concerto pour flûte (1965), un pour violoncelle (1965) et un pour violon (1969), Cosmogonies pour trois orchestres (1967), Impacts pour ondes Martenot et deux orchestres (1970), Arches de lumière pour orchestre (1972), Arborescences pour orchestre (1972), Célébration pour trois choeurs et trois orchestres (1975), Dolmen pour orchestre de chambre (1977), Reliefs irradiants de New York (1980), les oratorios le Chant des yeux (1986) et Maryam (1990), l’opéra Pour l’amour d’Alban (1993). Ses nombreux séjours à l’étranger (États-Unis, Danemark, Espagne, Grèce) ont considérablement élargi son horizon expressif. TITCHENKO (Boris), compositeur soviétique (Leningrad 1939). Il fait ses études dans les classes de G. Oustvolskaïa, V. Salmanov, V. Volochinov et

O. Evlakhov au conservatoire de Leningrad, avant de devenir l’un des pupilles de D. Chostakovitch. Musicien passionné, digne continuateur de Chostakovitch, il use d’un style réaliste, sans recherches inutiles, tout en se conformant aux stricts canons de l’écriture venant de la tradition de Rimski-Korsakov et Miaskovski. Pianiste, il crée son propre concerto en 1962, dédiant à Rostropovitch celui qu’il écrit pour violoncelle (1968). Son style devient plus personnel dans son ballet les Douze (d’apr. A. Block) ou la nouvelle symphonie Crainquebille, d’après Anatole France. TITELOUZE (Jehan ou Jean), organiste et compositeur français - (Saint-Omer, alors dans les Pays-Bas espagnols, 1563 Rouen 1633). Il est vraisemblablement originaire d’une famille catholique chassée d’Angleterre par la Réforme. En 1585, il est organiste de l’église Saint-Jean à Rouen. Il succède à François Josseline comme organiste de la cathédrale en 1588, et en 1604, obtient la naturalisation demandée en 1595. En 1610, il est nommé chanoine de la cathédrale de Rouen. Expert en facture d’orgue, il est appelé en consultation dans de nombreuses églises, jusqu’à la cathédrale de Poitiers. Il fait agrandir l’orgue de la cathédrale de Rouen par Crespin Carlier (pédalier porté à trente notes). Virtuose, compositeur, pédagogue, c’est aussi un théoricien et un érudit : il est lié avec le père Mersenne, et prend part à ses travaux. Il a laissé deux importants cahiers de musique : Hymnes pour toucher sur l’orgue avec les fugues et recherches sur leur plainchant et Magnificat ou Cantique de la Vierge pour toucher sur l’orgue, suivant les huit tons de l’église (Ballard, Paris, respectivement en 1623 et 1626). Son style est marqué par la référence au plain-chant, par la connaissance des polyphonies pratiquées en Angleterre, Italie, Espagne et en France, par la souplesse et la liberté qui viennent en équilibrer la rigueur. Son influence fait de lui le véritable père de l’école française d’orgue. TITON DU TILLET (Évrard), écrivain français (Paris 1677 - id. 1762). Capitaine des armées du roi jusqu’en 1697, il est ensuite maître d’hôtel de Marie-Adé-

laïde de Savoie, duchesse de Bourgogne, jusqu’à sa mort en 1712. Il est surtout connu pour son projet d’édification d’un « Parnasse français », où devaient figurer, autour d’un Louis XIV apollinien, les grands noms du monde des lettres et des arts français. Le projet n’aboutit pas, mais il publia une Description du Parnasse français en 1727, complétée en 1732 et dont le succès lui valut trois suppléments en 1743, 1755 et 1760. Surtout intéressante pour les notices biographiques sur les compositeurs (Lully, Couperin, Marais, Delalande, Campra, etc.), poètes et librettistes contemporains, elle contient en outre des informations précieuses sur des instrumentistes, chanteurs et acteurs, et constitue un témoignage de valeur sur l’esthétique française au début du XVIIIe siècle. TOCCATA (de l’italien toccare, « toucher »). Ce terme, qui apparaît en Italie à la fin du XVe siècle, définit des compositions, jouées isolément ou au début d’un office ou d’un concert, et destinées à faire valoir le toucher de l’interprète. Ce sont des pièces de virtuosité que caractérisent la liberté de la forme, un caractère apparent d’improvisation, de fréquentes modifications rythmiques ou mélodiques, un jeu d’ornementation qui se lie à une certaine richesse mélodique et prend le pas sur le respect strict des règles du contrepoint. Une des seules exigences propres à la toccata est de s’adapter, de façon rigoureuse, à l’instrument sur lequel elle sera exécutée. Dans ses premières manifestations, la toccata se distingue encore mal de la sonate (de l’italien suonare, « sonner »), plus précisément destinée à faire valoir les sonorités de l’instrument, et des autres morceaux de forme libre par lesquels un instrumentiste ouvre un concert, le prélude, le ricercare, l’intonazione, l’intrada, etc. La confusion entre ces différents noms durera jusqu’au milieu du XVIIIe siècle ; on la trouve encore dans le traité de Mattheson sur les organistes (1719) et dans le grand ouvrage de Marpurg (1754-1778). LA TOCCATA D’INSTRUMENTS AUTRES QUE LE CLAVIER. Un des plus anciens emplois du mot toccata se trouve dans une description du couronnement du roi Alphonse II de

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DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 996 Naples (1494). Il s’agit d’une « toccata de trombe », probablement une fanfare triomphale pour l’arrivée du monarque. C’est encore avec une « toccata con tutti li stromenti » que s’ouvre l’Orfeo de Monteverdi (1607). À l’époque, la toccata commence pourtant à prendre place dans les genres habituellement réservés aux instruments à clavier, à l’orgue en particulier. Mais l’usage se perpétuera en Italie pendant longtemps de remplacer une pièce d’orgue par sa transcription pour plusieurs instruments à vent (cuivres en général) dans certaines circonstances particulièrement solennelles ou dans des lieux qui ne possèdent pas d’orgue. Il ne fait pas de doute que de nombreuses toccatas pour orgue ont été connues du public dans de telles exécutions. Par ailleurs, le mot toccata continue d’apparaître, généralement lié à celui de sonate, dans la littérature du violon. On trouve ainsi une toccata comme mouvement initial des Sonate accademiche, op. 2, de Veracini, publiées simultanément à Londres et à Florence en 1744. LA TOCCATA POUR CLAVIER EN ITALIE. La toccata pour clavier se rencontre aux deux pôles de la vie musicale italienne. Dans la région vénitienne, des organistes, tels que les Gabrieli (Andrea comme Giovanni), Padovano, Merulo, cherchent à lui donner une structure un peu plus formalisée. Aux mouvements complètement libres, d’allure récitative, et aux canzone, ils opposent des passages fugués beaucoup plus rigoureux. On trouvera ainsi des alternatives entre de simples expositions mélodiques où l’interprète joue sur les inégalités de mesure, et des passages de grande rigueur polyphonique. Par ailleurs, au sein de l’école napolitaine, la toccata présentera les formes les plus irrégulières et les plus propres à faire briller les qualités de l’interprète. Rythmes et tonalités seront bouleversés dans une recherche permanente de l’effet de surprise. À Naples brillent les noms de Jean de Macque, qui est d’origine flamande, et

de Trabaci. Mais c’est à Rome que la toccata va rencontrer son grand créateur en la personne de Frescobaldi. C’est lui qui commencera à organiser la variété interne de la toccata en la subdivisant en fragments opposés les uns aux autres mais obéissant chacun à une grande rigueur interne. Les changements de rythme à l’intérieur d’un développement permettent, en ne faisant que peu appel au contrepoint, d’obtenir un effet de variété en réutilisant, sous des formes aux décorations différentes, le même élément mélodique relativement court. De plus, Frescobaldi va systématiquement raccrocher la toccata à un usage liturgique fréquent (toccatas « après l’épître », « après le Credo », « à jouer à l’élévation », etc.). Ce sera dans cet esprit qu’il publiera en 1635 son recueil des Fiori musicali. Dans un tel contexte, si le côté improvisation apparente de la toccata persiste, son allure de pièce de virtuosité n’a plus de raison d’être. L’influence de Frescobaldi sera profonde, tant sur ses élèves italiens, tels que Michelangelo Rossi, que sur les musiciens allemands venus apprendre auprès de lui un nouvel art de l’orgue, tels Froberger ou Tunder. La tradition frescobaldienne restera vivante en Italie. Perpétuée par des musiciens tels que Pasquini, Zipoli ou Alessandro Scarlatti, elle se marquera au début du XVIIIe siècle par une séparation entre la toccata pour orgue et celle pour clavecin. Jusque-là, en effet, la spécificité des pièces était très peu marquée, Frescobaldi lui-même étant, malgré ses fonctions officielles à Saint-Pierre de Rome, plus intéressé par le clavecin que par l’orgue. Il faut remarquer que c’est au moment ou la toccata pour le clavecin prend son autonomie qu’elle perd, en Italie tout au moins, les caractères qui la distinguent de la sonate. Cette confusion est sensible dans les recueils de Della Ciaja (1717), de Leonardo Leo (1744) et même dans ceux de Domenico Scarlatti, qui qualifie encore à l’occasion de toccatas des pièces qui n’ont plus aucun rapport avec le genre pratiqué un siècle et demi auparavant. LA TOCCATA POUR CLAVIER EN ALLEMAGNE.

L’Allemagne ne semble pas avoir attendu l’influence italienne pour connaître la forme, sinon le nom, de la toccata. Certains des plus anciens recueils d’orgue comportent des préludes à forme irrégulière qui sont bien proches du genre que pratiqueront les Vénitiens. L’entrée de la nouvelle forme se fera sous une double influence. D’une part, celle des organistes de l’Europe septentrionale qui, après Jan Pieterszoon Sweelinck et dans la foulée de ses innovations, vont élaborer un style très riche et libre à la fois, profitant au maximum des richesses de timbre et de sonorité des grandes orgues des villes de l’Allemagne du Nord. Ce courant passe par Scheidt et Buxtehude qui se montrera le maître incontesté, avant Bach, de la grande forme de la toccata, enchâssant ou précédant une fugue. L’autre courant, venu de l’Allemagne du Sud, sera plus directement inspiré de Rome et de l’art frescobaldien. Son protagoniste le plus important, Froberger, est d’ailleurs un élève de l’organiste de SaintPierre. C’est dans l’art de Jean-Sébastien Bach que vont fusionner les deux tendances. Si l’on s’en tient rigoureusement aux titres sous lesquels les oeuvres de Bach circulent, celui-ci aurait écrit quatre toccatas pour orgue, toutes suivies de fugues, et sept toccatas pour clavecin. Il s’agit dans l’ensemble d’oeuvres de jeunesse composées, les plus anciennes à Mülhausen, les autres pendant le séjour à Weimar. La réalité est plus complexe. Si les six toccatas pour clavecin qui portent les numéros de catalogue BWV 910 à 915 présentent une structure commune, dans laquelle se sent une certaine évolution du rapport interne des divers éléments constitutifs, il n’en va pas de même de la Toccata BWV 916 en sol majeur, dont la forme ressemble beaucoup à celle d’un concerto instrumental à l’italienne. Le phénomène se retrouve inversé avec la Fantaisie chromatique BWV 903, composée vraisemblablement en 1720, mais remaniée dix ans plus tard et qui présente les caractéristiques des plus belles toccatas bachiennes. Débutant sur un mouvement très rapide, plein de traits d’une virtuosité étonnante, elle se développe dans un réci-

tatif instrumental fortement dramatique. Les deux éléments, virtuosité et dramatisme, se complétant tout au long du discours musical pour atteindre au plus haut niveau de l’expression. Ce qu’il faut remarquer, c’est que la Fantaisie chromatique introduit une fugue, d’allure assez libre d’ailleurs, tandis que les pièces qualifiées du titre de toccatas incluent dans leur développement un ou deux thèmes fugués en alternance avec des sections de construction moins rigoureuse. Dans la mesure où il est possible d’avancer une datation pour la composition de ces oeuvres, on voit que, de 1706, date possible de la BWV 913 (Toccata prima) à 1712 que l’on peut retenir pour les deux dernières (BWV 910 et 911), la conception technique du compositeur semble avoir évolué. D’une forme très prolixe, présentant une fragmentation poussée des mouvements et des rythmes, se rapprochant des règles de la musique d’orgue, il va se diriger vers un maximum de concentration des thèmes qu’il lui sera possible alors de développer plus amplement. Le nombre des mouvements diminue mais ils sont plus élaborés. La quantité d’émotion dégagée y gagne, en même temps que les oeuvres s’éloignent de la conception première du terme toccata. Dans le domaine de la musique d’orgue, Bach suivra un itinéraire assez semblable. Il importe toutefois de préciser que, contrairement à ses pièces pour clavecin, ses toccatas pour orgue (elles sont officiellement au nombre de quatre) servent toutes d’introduction à une fugue. La plus ancienne, qui est aussi la plus célèbre, la Toccata en ré mineur BWV 565, a probablement été composée à Weimar aux environs de 1708. Elle est encore très proche, dans la hardiesse de son attaque, dans l’utilisation des silences, dans le foisondownloadModeText.vue.download 1003 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 997 nement harmonique, des grandes oeuvres de Buxtehude et des organistes du nord de l’Allemagne. L’évolution se fera sentir dans les oeuvres suivantes, entre 1715 et 1720.

Sous l’influence indirecte de l’école romaine, Bach utilise son matériau musical de façon beaucoup plus homogène, resserrant le tissu de la composition sur un modèle proche de celui du concerto italien. Mais ce serait une erreur de limiter aux quatre oeuvres baptisées toccatas, les BWV 565, 540, 538 (Toccata « dorienne ») et 564, l’usage fait par Bach de cette forme musicale. Qu’il s’agisse de la Fantaisie en sol mineur BWV 542 ou du Prélude et Fugue BWV 532, on trouve dans le mouvement d’ouverture toutes les mêmes caractéristiques que dans les grandes toccatas. Pour la dernière, on peut même remarquer sa parenté avec l’attaque de la Toccata pour clavecin BWV 912. L’enchaînement libre des diverses parties sera la règle dans les préludes pour orgue de Bach jusqu’à ce qu’il adopte les contraintes beaucoup plus strictes de la sonate en trio ; mais cette modification ne se produira guère avant Leipzig et les années 1730. Lorsqu’il aura renoncé à la liberté particulière que donnait la toccata, c’en sera fini du genre dans l’Allemagne du Nord. Seuls quelques-uns parmi les plus conservateurs de ses élèves feront encore appel à un genre devenu démodé. LA TOCCATA APRÈS L’ÂGE BAROQUE. Au XIXe siècle, la toccata retrouvera un peu de son renom primitif comme pièce brillante, destinée à mettre en valeur la virtuosité d’un pianiste. C’est dans ce but qu’en composent des artistes aussi différents que Clementi, Czerny ou Schumann. De leur côté, les organistes de l’école de Niedermeyer verront dans l’utilisation de la forme toccata un retour aux sources du grand art et de l’orgue bachien et pré-bachien. C’est ainsi que la forme sera employée par des musiciens comme Gigout, Widor, Vierne, Boëllmann (ce dernier indique bien l’esprit de ce retour à la toccata en incluant une pièce sous ce titre dans sa Suite gothique). Cette volonté d’archaïsme se transforme en un goût du pastiche chez les pianistes du XXe siècle débutant, qui emploient dans un contexte classicisant ou parodique des toccatas. Il en est ainsi de Max Reger, de Prokofiev, de Busoni ou de Hindemith, les exemples les plus remar-

quables étant dus à Ravel (le Tombeau de Couperin) et Debussy (Pour le piano). Dans ces deux derniers cas, la rapidité du mouvement combinée avec l’égalité de valeur des notes donne à la toccata une allure de moto perpetuo. TOESCHI (Carl Joseph), violoniste et compositeur allemand d’origine italienne (Ludwigsburg 1731 - Munich 1788). Élève de J. Stamitz et d’Anton Filtz à Mannheim, il entra dans l’orchestre de cette cour en 1752 et en devint premier violon en 1759. Compositeur fécond, il laissa plus de 70 symphonies, des ballets, des concertos pour son instrument ainsi que de la musique de chambre. TOGNI (Camillo), compositeur italien (Gussago, près de Brescia, 1922 - Brescia 1993). Dès l’âge de sept ans, il étudie le piano, d’abord avec A. Casella (à Rome et à Sienne), puis avec G. Anfossi à Milan et A. B. Michelangeli à Brescia. Il obtient le diplôme de pianiste au conservatoire de Parme en 1946 et fait des études de philosophie à l’université de Parme qu’il termine en 1948 avec une thèse sur l’esthétique de B. Croce et les problèmes de l’interprétation musicale. Ses maîtres de composition sont Fr. Margola à Brescia (1936-1939) et A. Casella à Rome et Sienne (1939-1943). Ses débuts de compositeur sont marqués par son admiration pour A. Schönberg. À partir de 1940, il adopte avec beaucoup de conviction la technique sérielle. Ses oeuvres, exclusivement instrumentales et vocales-instrumentales, témoignent d’un vif intérêt pour la technique de la deuxième école de Vienne (cf. celles sur des textes de G. Trakl), mais aussi pour les tendances néoclassiques (cf. Fantasia concertante, Préludes et Rondeaux, Rondeaux per 10, etc.). Entre 1951 et 1957, il fréquente systématiquement les cours d’été de Darmstadt. Il a enseigné au conservatoire de Parme. OEUVRES PRINCIPALES : Coro di T. Eliot (1952) pour choeur mixte a cappella ; Fantasia concertante (1957) pour cordes ; Helian di Trakl (1961), version pour soprano et orchestre de chambre (G. Trakl) ; Gesang zur Nacht (1962) pour

soprano et instruments (G. Trakl) ; Préludes et Rondeaux (1963-64) pour soprano et clavecin (Ch. d’Orléans) ; Rondeaux per 10 (1963) pour soprano et instruments (Ch. d’Orléans) ; Aubade pour 6 (1965) ; Sei notturni (1965) pour contralto, clarinette, violon et deux pianos (G. Trakl) ; Trio à cordes (1978) ; la Guirlande de Blois (1978), 3 mélodies sur des textes de Robertet, Ch. d’Orléans et Fr. Villon pour soprano et piano ; Te duetti (1977-1980) pour soprano et flûte (M. G. Barelli). TOMASEK (Vacláv Jan Křtitel), compositeur, pianiste et pédagogue tchèque (Skuteč 1774 - Prague 1850). Il commença à composer dès l’âge de quatre ans, étudia le chant et le violon à Chrudim (1783-1785), et en 1790 se rendit à Prague, où il donna des leçons de piano tout en étudiant à partir de 1794 les mathématiques, l’histoire et l’esthétique à l’université. En 1797, il se tourna vers le droit. En 1806, il entra au service du comte Buquoy, et occupa ce poste, qui lui laissait largement le temps de voyager et de travailler pour lui-même, pendant seize ans. Sa maison de Prague devint une sorte de conservatoire non officiel, et il y reçut des musiciens tels que Clementi, Forkel, l’abbé Vogler, Paganini, Ole Bull et Clara Schumann. De 1845 à 1850, il fit paraître dans le périodique praguois Libussa des Mémoires du plus haut intérêt. Il commença dans le culte de Mozart, et fut un des premiers à apprécier Beethoven. Brillant pianiste, il écrivit pour son instrument des pièces tournant le dos à la virtuosité plus ou moins creuse de l’époque, et qui influencèrent aussi bien son élève Vorisek que Schubert, Schumann ou Dvořák : 42 Eglogues en sept recueils de six pièces chacun (op.35, 1807 ; op.39, 1810 ; op.47, 1813 ; op.51, 1815 ; op.63, 1817 ; op.66, 1819 ; op.83, vers 1823) ; 15 Rhapsodies (6 op.40, 1810 ; 6 op.41, 1810 ; 3 op. 110) ; pièces diverses. On lui doit aussi quelques pages scéniques et chorales, de la musique de chambre dont 3 quatuors à cordes (1792-93), 3 symphonies (en ut, 1801 ; en mi bémol, 1805 ; en ré, 1807), 2 concertos pour piano (en ut, 1805 ; en mi bémol), et surtout de nombreux lieder dont près des trois quarts sur des textes en allemand (Goethe, Schiller, Heine, Hölty, Gellert). Il en envoya certains à Goethe, avec qui il échangea une corres-

pondance suivie et qu’il rencontra en 1822 et en 1823. Ses autres lieder sont en langue tchèque. TOMASI (Henri), chef d’orchestre et compositeur français - (Marseille 1901 Paris 1971). Après des études musicales dans sa ville natale, il se perfectionne au Conservatoire de Paris auprès de Caussade (harmonie), d’Indy (direction d’orchestre) et Vidal (composition). Premier prix de direction d’orchestre et premier prix de Rome à vingt-six ans, il se voit également attribuer le prix Alphen et le prix des Beaux-Arts de la ville de Paris. Aussitôt, il est appelé à diriger les Concerts du journal, puis à créer le poste de Radio-Colonial, et, désormais, il mènera de front une carrière internationale de chef d’orchestre appelé, par la suite, à partager avec Inghelbrecht la direction de l’Orchestre national, et celle de compositeur. On lui doit notamment Don Juan de Manara, drame lyrique d’après Milosz (1935), l’Atlantide, drame lyrique et chorégraphique d’après Pierre Benoit (1951), le drame lyrique Sampiero Corso (1956), et le Silence de la mer, drame lyrique d’après Vercors (1959). downloadModeText.vue.download 1004 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 998 Dans le domaine du folklore librement adapté, citons Tam-Tam, poème symphonique (1931), Vocero, poème symphonique et chorégraphique (1932), Chants laotiens pour baryton ou contralto et orchestre (1934), les Santons, pastorale provençale pour soliste et choeurs sur un argument de René Dumesnil (1939), Sinfonietta provençale (1958), Symphonie du tiers monde, à la mémoire d’Hector Berlioz (1967), Chant pour le Vietnam, poème symphonique (1969), et des arrangements a cappella de Chants populaires de l’île de Corse (1971). TOMASINI (Alois Luigi), violoniste et compositeur italien (Pesaro 1741 - Eisenstadt 1808). Engagé en 1757 comme laquais par le prince Paul Anton Esterhazy, il fut orienté

vers la musique au plus tard en 1759, et devint premier violon de l’orchestre en 1761, juste après l’engagement de Haydn comme vice-maître de chapelle, pour occuper ce poste jusqu’à sa mort. Le document le plus ancien le désignant comme Konzertmeister est cependant de 1789. En 1802, il devint en outre directeur de la musique de chambre du prince Nicolas II ( ! HUMMEL). Haydn écrivit pour lui au moins deux de ses concertos pour violon (ceux en ut et en ré). Lui-même composa des oeuvres pour baryton, plus de vingtcinq quatuors à cordes dont trois (en quatre mouvements avec menuet) publiés à Vienne comme opus 8, au moins deux concertos pour violon et deux symphonies, et un Salve Regina. II eut deux fils musiciens, Anton (Eisenstadt 1775 - id. 1824) et Alois Luigi (Eisenstadt 1779 Neustrelitz 1858). TOMBEAU. 1. Au XVIIe siècle et au début du XVIIIe en France, oeuvre instrumentale composée par un musicien à la mémoire d’un maître ou d’un ami : le genre se développe d’abord chez les luthistes (E. Gaultier, Tombeau de Mézangeau ; D. Gaultier, Tombeau de M. de l’Enclos), puis chez les clavecinistes (L. Couperin, Tombeau de M. Blancrocher ; Froberger, Tombeau de M. de Blancheroche ; d’Anglebert, Tombeau de Chambonnières) et les violistes (Marais, Tombeau de Lully et de Sainte-Colombe). Le tombeau affecte l’allure d’une danse grave et lente, très proche d’une allemande ; cette forme le distingue des autres genres de déplorations vocales (Du Buisson, Déploration pour la mort de Lambert), à l’allure récitative. 2. Après son éclipse aux XVIIIe et XIXe siècles, le tombeau revient en honneur en France, sous la forme libre d’un hommage rendu par un musicien à un autre : c’est, semble-t-il, à Ravel qu’est due cette résurrection (Tombeau de Couperin, 1917) ; le lien avec la musique française ancienne est en tout cas évident. Les compositeurs y font une profession de foi d’allégeance, soit à un musicien d’autrefois (Migot, Tombeau de Dufault, Tombeau de Grigny ; Dupré, Tombeau de Titelouze), soit rendent hommage à un contemporain : la Revue musicale a suscité, en 1920, un tombeau collectif à Debussy, et en 1936, à Paul Dukas.

TOMKINS, famille de compositeurs anglais, originaires de Cornouailles. Thomas I (Loswithiel 1545 - Gloucester 1627) fut maître de choeur et organiste de la cathédrale de Saint Davids (pays de Galles). Thomas II (Saint Davids, Pembrokeshire, 1572 - Martin Hussingtree, Worcestershire, 1656). Fils du précédent, il fut le disciple de Byrd et devint organiste de la cathédrale de Worcester en 1596. Nommé organiste de la chapelle royale en 1621, il publia, l’année suivante, un recueil de vingt-quatre Madrigaux (songs) à trois, quatre, cinq et six voix. Aucune autre de ses oeuvres ne fut éditée de son vivant, mais en 1668, son fils Nathaniel publiait l’ensemble de sa production religieuse, sous le titre Musica Deo Sacra (dont cinq services et quatre-vingt-quinze anthems). La musique de Thomas II est le plus souvent tournée vers le passé. Ses fullanthems reconduisent avec beaucoup de talent la manière polyphonique de Byrd. Par contre, les verse-anthems (pour solo, duo, trio ou quatuor vocal) sont proches, par la mobilité de leur ligne mélodique, du premier style baroque. Comme madrigaliste, Tomkins fait montre d’une invention très personnelle, digne des plus grands (Weelkes ou Wilbye). Ses oeuvres pour clavier mêlent la virtuosité à la touche lyrique et jouent des rythmes les plus savants. Mais c’est peut-être dans les fantaisies et pièces pour violes que Tomkins est le plus étonnant. Marqué, comme il est dit plus haut, par l’enseignement de Byrd, il y perpétue plus que partout ailleurs les techniques et les formes chères à son maître génial. Partisan de l’accident chromatique pour mieux souligner l’expression dramatique, il recourt avec bonheur à l’In Nomine, mais brille aussi dans les danses (gaillardes, pavanes) et, tout comme ses aînés les plus célèbres, dans la variation à partir d’un thème populaire. Ce qui ne l’empêche pas, sous cette fidélité exemplaire à la tradition, de se montrer polyphoniste aventureux, le dernier grand représentant, en tout cas, de l’école élisabéthaine et jacobéenne. Il faut également citer John (15861636), Gilles († 1668), Robert et Natha-

niel (1599-1681), respectivement demifrère, frères et fils de Thomas II et tous musiciens de renom, surtout le dernier, organiste, comme son père, en la cathédrale de Worcester. TON. 1. Intervalle de seconde majeure produit entre deux degrés voisins de la gamme ; il est reconnaissable sur le clavier au fait qu’il est divisible en deux intervalles plus petits appelés demi-tons. Il est considéré comme l’unité d’intervalle. La valeur du ton est variable selon le système acoustique pris en référence. En système pythagoricien, il est la différence entre la quinte 2/3 et la quarte 3/4, soit 8/9. En système zarlinien, il diffère selon qu’il est « majeur », soit 8/9, ou « mineur », soit 9/10, si bien que do-ré, ton majeur, est plus grand que ré-mi, ton mineur. En tempéré égal, base de la pratique courante actuelle, il est la sixième partie de l’octave, soit racine 6e de 2. Les différences sont minimes et n’apparaissent qu’aux oreilles exercées. 2. Synonyme de tonalité dans le langage courant. Cette assimilation n’en est pas moins inexacte, car au sens propre, la tonalité se compose de deux éléments distincts qui sont le ton (défini par le choix de la tonique) et le mode (défini par la qualification de la tierce). Ainsi dans la tonalité de sol majeur (dite improprement le « ton » de sol majeur), le ton est sol, majeur est le mode. 3. Son de référence pour l’accord des instruments : donner le ton. Avant la normalisation du diapason (fin du XIXe siècle), on employait souvent des expressions telles que ton de la chapelle, ton de l’opéra, haut ou bas ton des orgues, etc., chacun d’eux impliquant un diapason différent. 4. En musique grecque antique, on appelait ton (abrégé de tonos systematikos, « degré de tension du système ») ou encore trope (littéralement « manière », que le latin traduira par modus), la hauteur réelle à laquelle se plaçait la note de référence du « système » proposant la gamme. Le ton n’avait pas de valeur fixe, mais se définissait par comparaison avec ses voisins ; l’ensemble des tons formait une échelle dite thétique sur laquelle se plaçait

l’échelle propre de chaque ton, dite échelle dynamique. Les tons étaient désignés par des noms topiques, c’est-à-dire empruntés au nom d’une peuplade ou dérivés de ce nom (dorien, phrygien, lydien, ou encore hypodorien, mixolydien, etc.). On disait par exemple que le ton phrygien était un ton au-dessus du ton dorien. Cette terminologie n’a pas été sans créer, par la suite, de grandes confusions avec la terminologie des « modes » qui employait les mêmes termes dans un sens différent. Les modernes ont parfois employé le terme de « ton de transposition », downloadModeText.vue.download 1005 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 999 ce qui est inexact, puisqu’il ne s’agit pas de transport d’un ton dans un autre, mais de choix entre divers tons de valeur équivalente. TONADILLA. Composition musicale en honneur en Espagne aux XVIIe et XVIIIe siècles et qu’on peut considérer comme l’ancêtre de la zarzuela romantique. Le terme désignait à l’origine les chansons qui terminaient les intermèdes théâtraux, qu’elles fussent « jácaras » populaires ou mélodies plus élaborées. Il s’étendit ensuite à l’intermède entier faisant partie des villancicos ou des spectacles lyriques influencés par le style italien et dans lesquels la tonadilla représentait une manifestation typiquement espagnole. La « tonadilla escénica » (par opposition à la tonadilla religieuse), très brève au début, devint, au XVIIIe siècle, un genre dans lequel les compositeurs ont pu se spécialiser (Luis Mison, Pablo Esteve, Blas de Laserna). Ses caractéristiques étaient alors le ton populaire, la grâce et la satire souriante. Elle devait évoluer vers une ambition moralisatrice qui en compromit la spontanéité et la fraîcheur. La vogue de l’opéra italien et de l’opérette française (qui lui doit peut-être quelques-uns de ses traits) lui porta alors un coup fatal. TONAL.

1. Qui obéit aux principes de la tonalité. Mais le vocable a pris une connotation particulière dans la seconde moitié du XXe siècle du fait de la prolifération des systèmes qui entendent échapper à ces principes, de sorte que l’on tend abusivement à appeler « tonales » toutes musiques où se perçoit peu ou prou un centre d’attraction harmonique quelconque. 2. En fugue, on appelle tonale une réponse qui, à l’aide de mutations, se maintient dans la même tonalité que le sujet, alors que la réponse littérale correspondante, dite « réelle », la transporterait ipso facto dans le ton de la dominante. TONALITÉ. 1. Dans le sens le plus général, caractère propre à toute musique fondée, dans le maniement des hauteurs, sur le principe d’une hiérarchie entre les différents degrés de hauteur, donnant à certains d’entre eux, et surtout à l’un, la tonique, le statut privilégié de notes attractives vers lesquelles tendent les autres degrés, et sur lesquelles on se repose. Dans certains cas, comme celui de la musique occidentale classique, la tonalité obéit à des lois complexes et à un système très raffiné ; dans d’autres cas (certaines musiques contemporaines, par exemple) la répétition obstinée d’une note suffit à créer un « sentiment tonal » très diffus, mais néanmoins très perceptible : par exemple dans les Métaboles d’Henri Dutilleux, par la répétition ou la tenue en « pédale » de la note mi, dans un contexte pourtant très chromatique. Il est bien connu qu’il suffit de répéter un degré de hauteur plus souvent que les autres pour lui donner ce magnétisme « attractif », en faire une espèce de repère, de pivot, de plaque tournante... D’où l’intransigeance et la complexité des règles proposées par Schönberg pour organiser l’atonalité, c’est-à-dire pour créer de toutes pièces une musique sans degrés privilégiés. Il en ressort que la musique dans ses états élémentaires, les moins savants et les plus spontanés, est toujours plus ou moins « tonale », même s’il s’agit d’une tonalité « sauvage », ce que démontrent les expériences d’improvisation libres (dans le free jazz, la musique contemporaine) qui retrouvent très vite des centres d’attraction tonale. L’atonalité est un carac-

tère réservé à certaines musiques savantes, elle doit être voulue et entretenue en permanence, par des procédés d’écriture très rigides, pour barrer la route à tout retour de la tonalité refoulée. 2. Plus spécifiquement, on parle de tonalité par opposition à la modalité, quand il s’agit du système tonal occidental qui ne conserve plus que deux modes, le majeur et le mineur. Tout autre musique non atonale est alors, par opposition, déclarée « modale » alors que dans un certain sens, la musique occidentale tonale l’est elle-même par l’emploi des modes mineur et majeur. Dans ce sens particulier, le système tonal s’est affirmé au cours du XVIIe siècle et s’est poursuivi jusqu’à nos jours où, contrairement à ce qu’ont proclamé, espéré, ou redouté certains, il est plus vivace que jamais, quand il n’a pas laissé la place à une « tonalité » plus diffuse. La tonalité occidentale se définit donc par la limitation à deux modes, le majeur et le mineur, celui-ci étant posé comme « relatif » de celui-là ; par un système harmonique spécifique basé sur l’accord parfait, sur des règles d’enchaînements et d’attractions entre accords dissonants et consonants, « notes sensibles » et « notes toniques », selon le schème « tensiondétente » qui caractérise la cadence classique ; par la détermination de degrés élus comme les plus caractéristiques du ton (les notes tonales, par opposition aux notes modales, lesquelles spécifient le majeur ou le mineur) ; et par le choix pour chaque morceau d’une échelle principale définie par la hauteur absolue de sa tonique, qui est le « ton » ou la « tonalité » du morceau, au sens défini plus loin. Ce système de la tonalité a acquis une grande stabilité, ébranlée tout de même par le chromatisme qui se répandit au XIXe siècle, et dont la généralisation, mettant toute les notes à égalité, et brouillant les fonctions tonales, créait de grandes incertitudes tonales, autrement dit, souvent ne permettait plus de localiser où était la tonique. Il a fallu, pour empêcher la tonalité de se réinstaller, mettre en place des systèmes très rigides comme le système dodécaphonique sériel. On a vu par ailleurs des emprunts très

fréquents aux modes anciens, ou à des modes nouvellement créés autres que le majeur et le mineur (Debussy, Messiaen, Stravinski), mais, comme le dit très bien Serge Gut, « une véritable modalité posttonale est presque impossible à réaliser, car elle absorbe toujours des éléments et des réflexes de l’époque tonale ». La plus grande partie de la musique actuelle, depuis le domaine des variétés jusqu’à une bonne proportion de la musique contemporaine savante, y compris certaines musiques électroacoustiques, baigne dans une sorte de tonalité généralisée réduite parfois à sa plus simple, mais non moins efficace, définition, c’est-à-dire à l’existence d’une note prédominante. 3. On appelle, dans la musique occidentale classique, tonalité d’un morceau son ton principal de référence, dans lequel il est écrit, et qui est désigné par le nom de sa tonique ( ! TON, sens 2). TON DE RECHANGE. En facture instrumentale, on nommait ainsi, avant l’adoption des pistons, une partie amovible de la tubulure de certains instruments de cuivre : en remplaçant un ton par un autre, on changeait l’accord de l’instrument et on pouvait ainsi transposer sans modifier la façon de jouer. ( ! TRANSPOSITION.) TON ECCLÉSIASTIQUE. En chant grégorien, jusqu’à une époque récente, ton est synonyme absolu de mode. Un troisième synonyme, trope, était même proposé par Boèce, autorité suprême du Moyen Âge en matière de théorie musicale, mais il est assez vite tombé en désuétude. Boèce, en effet, entendait parler des « tons de hauteur » de la musique grecque antique ( ! TON, sens 4) alors qu’il a été compris comme s’il parlait des « modes » du plain-chant. Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que les grégorianistes de l’école de Solesmes ont introduit une distinction entre « ton » et « mode », réservant exclusivement le premier terme à la détermination des « tons psalmodiques », c’est-à-dire des formules mélodiques de récitation des psaumes, et généralisant le mot « mode » à tous les autres emplois. Précédemment, le mot ton était beaucoup plus fréquemment employé que « mode », et l’équivalence des

deux termes se retrouve jusque dans les downloadModeText.vue.download 1006 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1000 débuts de l’histoire de la tonalité classique, où la distinction entre ton et mode ne s’est dégagée que progressivement. TON ÉLOIGNÉ, TON VOISIN. En harmonie, on appelle tons voisins des tonalités possédant un nombre suffisant d’accords communs pour que le passage de l’une à l’autre puisse s’effectuer sans heurts. Le critère habituellement retenu est que deux tons voisins ne doivent pas différer de plus d’une altération constitutive, que celle-ci soit ou non représentée à l’armature. Si l’on s’en tient à la seule forme harmonique du mineur, le majeur possède trois tons voisins : son relatif mineur, sa dominante V en majeur, sa sous-dominante IV en majeur ; le mineur ne possède qu’un ton voisin, son relatif majeur. Si l’on envisage le mineur descendant (ou le mineur sans sensible), le « faux relatif » mineur (3e degré du majeur) est également un ton voisin, car il ne diffère du majeur que par une seule altération, celle de son 2e degré. Les tonalités non voisines sont dites éloignées. Les tons les plus éloignés sont ceux placés à un demi-ton ou à un triton l’un de l’autre, de sorte que le passage rapide de l’un à l’autre présente presque toujours un caractère heurté ou expressif, dont les compositeurs ont souvent tiré parti (notamment Schubert). TONIQUE. C’est la première note d’une gamme. Une oeuvre musicale tonale ou modale se termine toujours avec la tonique à la basse et très souvent aussi à la partie supérieure. C’est la tonique qui donne son nom au mode ou à la tonalité. Par exemple, la gamme du mode de ré est ré-mi-fa-sol-lasi-do ; celle de do majeur est do-ré-mi-fasol-la-si ; celle de la mineur est la-si-do-rémi-fa (dièse) -sol (dièse). La tonique est la fondamentale principale du mode ou du ton. TONS DIRECTS (ou HOMONYMES).

En harmonie classique, on appelle ainsi des tonalités, l’une majeure et l’autre mineure, établies sur la même tonique (ex. do majeur et do mineur). TON-THAT-TIET, compositeur d’origine vietnamienne - (Hué 1933). Il s’est établi en France. Sa musique est d’inspiration métaphysique et se réfère souvent à la philosophie chinoise. On lui doit notamment Incarnations structurales, pour flûte, violon et harpe (1967), Vang Bong Thoi Xua, Hy Vong 14, pour clavecin et cor anglais, et un important ensemble d’oeuvres pour diverses formations, et instruments solistes, formant un cycle en sept parties, Chu-Ky (de 1976 à 1993), dont la forme et l’écriture sont inspirées par les cycles cosmiques et leurs lois. TORELLI (Giuseppe), violoniste et compositeur italien (Vérone 1658 - Bologne 1709). On sait peu de chose sur ses débuts, sinon qu’il aurait étudié à Vérone avec Giuliano Massaroti. En 1684, il vint à Bologne et fut admis comme violoniste à l’Académie philharmonique. En même temps, il travailla la composition avec Perti, qui fut aussi par la suite le maître de G. Martini. De 1686 à 1696, il fut membre de l’orchestre de la basilique San Petronio, où il joua de la « violette » et de l’alto. De cette période datent les éditions de ses premières sonates en trio et de ses sinfonie à deux, trois ou quatre instruments (1686, 1687, 1692). Il écrivit également de nombreuses oeuvres pour la trompette (sinfonie, concertos), cet instrument étant à l’honneur à Bologne. En 1696, l’orchestre de San Petronio fut dissous, et Torelli quittant l’Italie séjourna, avec son ami le chanteur castrat Pistocchi, à Berlin, à Ansbach et à Vienne. Ses concertos op. 6 sont dédiés à l’Électrice de Brandebourg. Au cours de son séjour à Vienne il fit jouer son oratorio Adam chassé du paradis terrestre, une de ses rares oeuvres vocales. En 1701, il revint à Bologne et reprit son poste à San Petronio, dont l’orchestre venait d’être reconstitué et placé sous la direction de Perti. C’est en 1709, l’année de sa mort, que furent publiés ses concertos op. 8.

Les termes de sinfonia, concerto ou sonate par lesquels Torelli désigne ses oeuvres n’impliquent pas des formes différentes. Les oeuvres publiées lors de la première période bolognaise gardent la forme de la sonate d’église (lent, vif, lent, vif), les mouvements vifs étant d’écriture contrapuntique, et souvent, pour le dernier mouvement, de caractère dansant. Dans les oeuvres ultérieures, où il s’attache à mettre en valeur les possibilités techniques du violon, Torelli se révèle comme le véritable créateur du concerto de soliste, tandis qu’il partage avec Stradella et Corelli la paternité du concerto grosso, adoptant la forme en trois mouvements (vif, lent, vif) qui deviendra classique. TORREFRANCA (Fausto), musicologue italien (Monteleone Calabro 1883 Rome 1955). Il enseigna à l’université de Rome (1913), au conservatoire de Naples (1914), et dirigea la bibliothèque de cet établissement (1915-1923) ainsi que celle du conservatoire de Milan (1924-1938). En 1941, il devint professeur à l’université de Florence. Dans le Origini italiana del Romanticismo musicale (1930), il s’attacha à montrer que les sources de la musique instrumentale moderne se trouvaient surtout dans la musique italienne du XVIIIe siècle. TORTELIER (Paul), violoncelliste français - (Paris 1914 - Château de Villarceaux, Val d’Oise, 1990). Élève au Conservatoire de Feuillard et de Gérard Hekking pour le violoncelle, et de Jean Gallon pour l’harmonie, il obtient à seize ans son premier prix. Engagé à Monte-Carlo (1935-1937), il joue Don Quichotte sous la direction de Richard Strauss, et Koussevitski l’engage, de 1937 à 1939, dans l’Orchestre symphonique de Boston. Premier violoncelle de l’Orchestre du Conservatoire (1946-47), il choisit la carrière de soliste. En 1947, il est une nouvelle fois le soliste à Londres, Beecham dirigeant, du Don Quichotte, ce qui marque le début de sa popularité outre-Manche. Il fait ses débuts américains en 1955, avec l’Orchestre de Boston, dirigé par Munch. La même année, il part vivre dans un kibboutz en Israël, où il compose une Symphonie à la gloire du pays. Nommé en 1957 professeur au Conser-

vatoire de Paris, il consacre la majeure partie de son temps à l’enseignement (il donne en 1964 des cours d’interprétation à la BBC) et à la composition. Disciple de Casals, il sacrifie en famille à sa passion de la musique de chambre, sa femme étant violoncelliste, et ses enfants Yan-Pascal, Marie de la Pau et Pomona respectivement violoniste (et chef d’orchestre), pianiste et violoncelliste. TOSCANINI (Arturo), chef d’orchestre italien - (Parme 1867 - New York 1957). Sa précocité lui ouvre à neuf ans les portes du conservatoire de sa ville natale, où il étudie le violoncelle (avec Leandro Carini), le piano et la composition, et obtient, en 1885, son diplôme. Son admiration pour Verdi naît en 1887 à la Scala de Milan où, second violoncelliste, il participe à la création d’Otello, mais leurs gloires se sont croisées dès 1886 à Rio de Janeiro où le violoncelliste a pris la place d’un chef défaillant pour diriger de mémoire Aïda. En Italie, Toscanini se consacre à la défense des musiciens de son temps, les véristes, créant Edmea de Catalani (Turin, 1887), Paillasse de Leoncavallo (Milan, 1892), la Bohème de Puccini (Turin, 1896). Sa réputation grandissante lui permet d’imposer l’oeuvre encore méconnue en Italie de son dieu, Wagner, au Teatro Regio de Turin, qui lui confie la direction de la musique et le soin de créer un orchestre. Il y donne en première audition italienne le Crépuscule des dieux (1895) et crée les Quatre Pièces sacrées de Verdi (1898). Mais c’est à la Scala de Milan, où il est appelé en 1898, qu’il peut véritablement donner la mesure de son art. Ennemi acharné de la routine et de la médiocrité, il enrichit le répertoire par des créations downloadModeText.vue.download 1007 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1001 italiennes (les Maîtres chanteurs, Eugène Onéguine, Pelléas et Mélisande, la Damnation de Faust, Euryanthe) et part en guerre contre les tics des chanteurs et du public (l’abus des bis, notamment). Son exigence en matière artistique n’étant jamais satisfaite, il prend ses distances avec la Scala, de 1903 à 1906, tournant en Italie avec l’Orchestre de Turin et les oeuvres nou-

velles de Richard Strauss et de Debussy, dirigeant à Bologne et à Buenos Aires, avant d’accepter, de 1908 à 1915, la direction du Metropolitan de New York. Là encore, il se heurte à l’inertie administrative et à la mauvaise volonté des chanteurs (aux noms prestigieux : Caruso, Scotti, Farrar, Destinn, Martinelli, etc.). Il y dirige en première américaine Boris Godounov, Armide de Gluck et en création mondiale la Fille du Far West de Puccini (1910). Rentré en Italie en 1915, il participe à l’effort de guerre en donnant des concerts pour les soldats, jusque sur le front. Rappelé en 1920 à la direction de la Scala, il réorganise l’orchestre et le choeur, qu’il dirige en tournée en Amérique du Nord, à Vienne et à Berlin. Malgré son apolitisme farouche, son caractère intransigeant, hérité d’un père garibaldien, lui fait refuser toute compromission avec les fascismes naissants. En 1926, il refuse de diriger à la Scala, lors de la création de Turandot, l’hymne mussolinien. Il rompt en 1933 avec le Festival de Bayreuth, après y avoir dirigé, en 1930 et 1931, Tannhäuser, Tristan et Parsifal, puis en 1938, avec le Festival de Salzbourg, où il interprète, de 1934 à 1937, Falstaff, Fidelio, les Maîtres chanteurs et la Flûte enchantée. Il accepte de diriger le concert inaugural de l’Orchestre de Palestine (Tel-Aviv, 1936) et de participer aux premiers festivals de Lucerne (1938-39). De 1928 à 1936, il se voit confier la direction de la Société philharmonique de New York, qu’il conduit en Europe en 1930. La chaîne NBC crée à son intention un orchestre de luxe, qu’il dirige de 1937 à 1954, réalisant dans le Studio 8H la plupart de ses enregistrements. Après avoir inauguré la Scala reconstruite et La Fenice, il fait ses adieux au public de New York en 1954. Les quelques fragments de répétition connus donnent la mesure du perfectionnisme exacerbé de Toscanini, qui s’exhalait en reproches, voire en injures contre les malheureux musiciens, mais ne disent pas son extrême sévérité pour lui-même, ni l’inaccessible hauteur de son idéal. Au théâtre comme au concert - car il fut un des rares chefs italiens de son temps à concilier les deux -, il s’évertue à décaper le répertoire de toute tradition interprétative, et prône le respect absolu de l’oeuvre,

de son chant intérieur et de sa structure rythmique. Serviteur fervent de Verdi, Wagner et Beethoven, il a également laissé des interprétations lumineuses de Puccini, Cherubini, Rossini, Mendelssohn, Brahms, Richard Strauss, Debussy, Ravel, Kodály. TOSI (Pier Francesco), castrat, compositeur et pédagogue italien (Bologne v. 1653 - Faenza 1732). Auteur de cantates de chambre, très apprécié comme chanteur, il fut engagé à Londres, aux cours de Vienne et de Dresde ainsi qu’à Bologne. Il rédigea un important traité de chant, Opinioni de’cantori antichi e moderni (Bologne 1723), traduit en anglais par le hautboïste, organiste et compositeur de musique théâtrale d’origine allemande John Ernest Galliard avec comme titre Observations on the Florid Song (Londres 1742). TOST (Johann), violoniste et commerçant autrichien (Hradisch, Hongrie, v. 1755 - Vienne 1831). Second violon principal dans l’orchestre du prince Esterházy de 1783 à 1788, il semble avoir organisé à Eszterháza une entreprise de copie clandestine destinée à diffuser à son propre bénéfice les oeuvres jouées chez le prince, en particulier celles de Haydn. Fin 1788, il se rendit à Paris, où il vendit à l’éditeur Sieber les quatuors à cordes op. 54 et 55 et les symphonies nos 88 et 89 de Haydn, apparemment sans informer ce dernier des conditions exactes de la transaction. Il reçut ensuite en dédicace les quatuors op. 64 de Haydn (cf. leur édition originale en avril 1791), et commanda à Mozart ses deux derniers quintettes à cordes (en ré K. 593 et en mi bémol K. 614). Installé à Vienne comme marchand à partir de 1799, il commanda par la suite des oeuvres à Ludwig Spohr. TOUCHE. 1. Partie du manche des instruments à cordes - généralement faite d’ébène - sur laquelle se posent les doigts ; elle comporte un sillet où passent les cordes. La touche de certains instruments à cordes pincées, comme la guitare et la mandoline, comporte des divisions formant de petites cases qui délimitent les tons ou demi-tons.

2. Dans les instruments à clavier, petit levier qui, en basculant sur une pointe de clavier, permet l’émission du son. Les touches blanches sont recouvertes d’ivoire et d’os ou de galatithe, et les touches noires d’ébène. TOUCHEMOULIN (Joseph), violoniste et compositeur français (Chalon-sur-Saône 1727 - Ratisbonne 1801). Il entra avant 1753 comme violoniste dans l’orchestre de l’Électeur de Cologne à Bonn, et en devint maître de chapelle en 1760 malgré les objections du grand-père de Beethoven, qui estimait que le poste devait lui revenir, ce qui se produisit l’année suivante, quand Touchemoulin partit pour Ratisbonne. Il y resta jusqu’à sa mort, comme premier violon et maître de chapelle du prince de Thurn et Taxis. Élève de Tartini, il composa des symphonies et des concertos (ses six symphonies op. 1 parurent à Paris en 1761, ses six concertos op. 2 dans la même ville en 1775). On lui doit aussi quelques pièces de musique de chambre et de musique vocale. TOUCHER (en ital. toccare). Autrefois, jouer d’un instrument à clavier, orgue, clavecin, clavicorde, etc. On utilise maintenant ce terme pour indiquer la manière de jouer d’un instrument à clavier, le plus souvent le piano. Selon Marie Jaëll, « le beau toucher est souvent un don naturel, mais il peut aussi s’acquérir par l’égalité des doigts, par la souplesse des mouvements des doigts et des mains, et par la rapidité de l’émission du son ». TOURNEMIRE (Charles), organiste et compositeur français (Bordeaux 1870 Arcachon 1939). Il fut élève de César Franck et de CharlesMarie Widor au Conservatoire de Paris. En 1898, il succède comme organiste de Sainte-Clotilde, à Paris, à César Franck et Gabriel Pierné. En 1919, il est nommé professeur de la classe d’ensemble du Conservatoire de Paris. Il mène une brillante carrière internationale de concertiste, et se montre remarquable improvisateur. En 1933, après avoir dirigé la rénovation et la transformation de l’orgue de SainteClotilde (confiées à Beuchet-Debierre), il inaugure une série de concerts annuels pour en couvrir les frais.

À côté de compositions diverses, musiques chorales, orchestrales (huit symphonies), musique de chambre, opéras (Les dieux sont morts, Paris, Opéra, 19 mars 1929 ; Nittetis), l’essentiel de son oeuvre est écrite pour l’orgue : Ite missa est (op. 24), Triple Choral (op. 41), Trois Poèmes (op. 59), Sei fioretti (op. 60), Petites Fleurs musicales (op. 66), Sept Chorals-Poèmes pour les sept paroles du Christ (op.67), mais surtout son ouvrage majeur, l’Orgue mystique (51 offices de l’année liturgique, op. 55-57). Il exprime sa conception du rôle liturgique de l’organiste dans son volume inachevé, De la haute mission de l’organiste à l’église. Il a publié César Franck (Paris, 1931) et Précis d’exécution, de registration et d’improvisation à l’orgue (Paris, 1936). TOVEY (sir Donald Francis), musicologue, compositeur et pianiste anglais (Eton 1875 - Édimbourg 1940). Ayant commencé à composer dès l’âge de huit ans, il étudia le contrepoint et la philosophie, mais se destina tout d’abord au piano, et, à partir de 1894, apparut comme pianiste avec le quatuor Joachim. Nommé downloadModeText.vue.download 1008 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1002 professeur de musicologie à l’université Reid d’Édimbourg en juillet 1914, il y organisa immédiatement des concerts historiques, et fonda en 1917 l’orchestre Reid, pour les concerts duquel il rédigea une série de programmes explicatifs plus tard réunis en plusieurs volumes sous le titre de Essays in Musical Analysis (Londres, 1935-1939, réimpr. Londres, 1972). Ses nombreux écrits et essais, parmi lesquels A Companion to the Art of Fugue (Londres, 1931), Beethoven (Londres, 1944), A Companion to Beethoven’s Piano Sonatas (Londres, 1948, réimpr. 1976), ou encore Haydn’s Chamber Music (pour la Cyclopaedia of Chamber Music de Walter Wilson Cobbett, Londres, 1913-1916), ont exercé en leur temps et exercent toujours une très nette influence en Angleterre et ailleurs, tant pour leurs qualités de pensée que de style. TRAETTA (Tommaso), compositeur ita-

lien (Bitonto 1727 - Venise 1779). Élève de Porpora et de Durante à Naples, il y débuta dans l’opera seria (Farnace, 1751), puis, nommé à Parme, subit l’influence culturelle française qui y régnait ; influencé par Rameau dont il entendit les oeuvres, il écrivit sur des poèmes adaptés des originaux français Ippolito ed Aricia (1759) et I Tindarini (1760, d’après Castor et Pollux), répondant ainsi aux impératifs de la réforme de l’opera seria formulés par Algarotti en 1755. Invité à Vienne par le comte Durazzo, il y présenta son Ifigenia in Tauride (écrite probablement en 1758) et donna Armide (1761) et Sofonisbe (1762), oeuvres dont devaient s’inspirer Calzabigi et Gluck. C’est à Vienne qu’il connut Métastase dont il devait bientôt récuser l’esthétique ; succédant à Galuppi, il fut nommé auprès de Catherine II à Saint-Pétersbourg où il demeura de 1768 à 1775, et où il fit jouer sa nouvelle Antigona en 1772, chefd’oeuvre de sobriété, par la majesté d’un récitatif obbligato où l’expressivité de l’orchestre atteint le point extrême d’une évolution amorcée dès son Farnace, par l’importance des choeurs mêlés à l’action, la présence des danses et la puissance dramatique des airs et des scènes librement articulées. On doit encore à Traetta deux oratorios et quelques intermezzos qui semblent annoncer ceux de Piccinni, mais c’est dans le domaine de l’opera seria qu’il s’imposa comme une des figures majeures du siècle, son oeuvre ayant opéré la jonction entre l’art de Rameau et ceux de Gluck et de Mozart. TRAIT. 1. Passage de virtuosité dans l’exécution d’un morceau. 2. Sorte d’antienne ornée formée d’une succession de versets et prenant la place de l’alleluia dans les offices de caractère pénitentiel ou endeuillé (carême, office des morts, etc.). Tous les traits sont uniformément en 2e ou en 8e ton, et présentent souvent un caractère de centonisation assez marqué. Leur nom vient de ce que tous les versets étaient autrefois chantés à la suite (tractim) par le même chantre.

TRANSCRIPTION. Adaptation, à l’usage d’un instrument ou groupe d’instruments, d’une composition musicale dont la version primitive était destinée à la voix ou à d’autres instruments . Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, la transcription était d’autant plus couramment pratiquée que la plupart des compositeurs n’avaient pas un souci exagéré de la couleur instrumentale. Il paraissait naturel qu’une chanson populaire fût transformée en pièce pour orgue, ou qu’un concerto pour flûte fût joué par un hautbois, un violon ou même un clavecin. Toutefois, c’est au XIXe siècle que se situe l’âge d’or de la transcription, celleci ayant pour but de mettre n’importe quelle musique à la portée de l’amateur qui joue d’un instrument populaire ou très répandu : piano (à deux ou quatre mains), harmonium, accordéon, violon, flûte, mandoline ou guitare. De la plus savante réduction pour piano d’une partition d’orchestre à la plus ridicule fantaisie sur Don Juan pour cornet à pistons, cette pratique a largement contribué à la diffusion des grandes oeuvres symphoniques et lyriques. Aussi presque tous les compositeurs ont-ils autorisé de semblables arrangements, quand ils ne les ont pas faits eux-mêmes. Parmi les grands musiciens de l’époque romantique, le champion de la transcription est sans doute Liszt, qui a signé la version pianistique de six préludes et fugues pour orgue de Bach, des neuf symphonies de Beethoven, de la Symphonie fantastique de Berlioz, de l’ouverture de Tannhäuser, d’une soixantaine de lieder de Schubert et de quantité d’autres, sans parler de nombreuses paraphrases de concert sur des opéras célèbres. Par la suite, plus d’une oeuvre moderne (Debussy, Liszt, etc.) existe en plusieurs versions instrumentales, et Prokofiev n’a pas hésité à réécrire pour le violon, à l’intention de David Oïstrakh, sa Sonate pour flûte et piano. Les puristes qui condamnent le principe même de la transcription se montrent donc, dans bien des cas, plus royalistes que le roi. Ajoutons que la transcription, aujourd’hui éliminée par le disque et la radio

en tant que moyen de vulgarisation, continue de se rendre utile en fournissant un répertoire soliste aux instruments qui en manquent. Grâce à elle, bien des musiciens du XVIIIe siècle ont écrit sans le savoir des concertos pour trompette. TRANSPOSITION. Exercice consistant à copier ou à exécuter un morceau dans un autre ton que celui où il est écrit ou proposé ; ou encore, si le morceau n’a pas de tonalité propre, à en changer la hauteur absolue en haussant ou baissant toutes les notes d’un même intervalle, ce qui n’en modifie pas la signification en hauteur relative. La transposition peut être écrite ou à vue. Elle se pratique soit d’instinct (retrouver une sonorité donnée à partir d’une note de départ différente), soit par divers procédés mécaniques. Les deux principaux sont la transposition par intervalles, consistant à hausser ou baisser chaque note d’un même intervalle déterminé, et la transposition par les clefs, consistant à lire ou copier le modèle dans une autre clef que celle qu’il comporte. Ce dernier procédé est généralement préconisé par les méthodes scolaires, mais il suppose en cours de route des modifications d’altérations qui en certains cas peuvent devenir complexes, et de ce fait il requiert un certain entraînement. Certains instruments écrivent ou lisent systématiquement dans un ton autre que celui entendu : on les appelle instruments transpositeurs. La seule justification de ce système barbare tient au fait que certains instruments d’une même famille (par exemple le hautbois et le cor anglais) utilisent le même doigté pour produire des sons de hauteurs différentes. En reproduisant sur l’instrument accessoire les sons produits par le même doigté appliqué à l’instrument principal, l’écriture transposée complique la lecture, mais facilite le doigté. Cette raison n’existe pas pour d’autres instruments, qui ne sont transpositeurs qu’en vertu d’une convention gratuite attribuant la note ut, dans les instruments à vent, au son produit par le tube vibrant à l’état fondamental. Si ce son n’est pas un véritable ut, on doit, pour lire en « ton réel », transposer le ton écrit de l’inter-

valle qui sépare la note ut du ton de l’instrument, dont il faut en outre savoir s’il transpose au grave ou à l’aigu. Soit, par exemple, un cor en fa (grave) : il y a en descendant (puisque l’instrument transpose au grave) une quinte d’ut à fa : il faudra donc tout transposer d’une quinte descendante, et lire par exemple un do3 si on voit un sol3. Pour une petite clarinette en mi bémol (aigu), ce sera le contraire : il faudra prendre en montant l’intervalle entre ut et mi bémol, et transposer d’une tierce mineure à l’aigu, par exemple lire fa si on voit ré. Jusque vers 1920, les partitions d’orchestre reproduisaient pour tous ces downloadModeText.vue.download 1009 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1003 instruments l’écriture tranposée, ce qui rend certaines partitions à peu près illisibles sans un entraînement spécialisé. Aujourd’hui, la plupart des compositeurs écrivent en ton réel sur leurs partitions les parties d’instruments transpositeurs, mais comme les exécutants n’ont pas renoncé à ce mode de lecture, le copiste se charge de tranposer pour eux en « tirant » le matériel, de sorte que le chef d’orchestre n’a pas sous les yeux les mêmes notes que les instrumentistes sur leurs pupitres. Ce système aussi compliqué qu’absurde ne cesse de poser des problèmes constants tant dans la pratique que dans la pédagogie des instrumentistes concernés. Il est d’autant moins défendable, hormis les cas signalés plus haut, que pour la plupart des instruments, notamment les clarinettes et les cors, la facture est aujourd’hui à peu près standardisée (clarinettes en si bémol, cors en fa), si bien que rien ne s’opposerait à la disparition de ces inutiles complications, sinon une routine qu’il semble bien difficile de vaincre. TRAUTONIUM. Instrument électronique dû à l’ingénieur allemand F. Trautwein. Le trautonium utilise des sources électroniques riches en harmoniques, dont les timbres sont façonnés avec des filtres. Quelques compositeurs

(dont Hindemith) ont écrit pour le trautonium, dès sa fabrication, vers 1930. TREBLE. Mot du vieux français, provenant du latin triplum, qui désignait, au Moyen Âge, la partie supérieure du motet à trois voix. Le sens du superius a été conservé aujourd’hui dans la langue anglaise. On appelle notamment les voix d’enfants qui chantent les dessus d’un choeur, les trebles. De même, pour certaines familles d’instruments anciens : la flûte à bec alto se nomme le treble recorder et le dessus de viole, le treble viol. Enfin, la clef de sol 2e ligne se dit encore en anglais la treble clef. TREMBLAY (Gilles), compositeur canadien (Arvida, Québec, 1932). Il a fait ses études au conservatoire de Montréal avec Claude Champagne, puis à Paris (1954-1961) avec Olivier Messiaen, Yvonne Loriod, Andrée Vaurabourg-Honegger et Maurice Martenot. Il a aussi travaillé au Groupe de recherches musicales et à Darmstadt. Nommé professeur d’analyse et de composition au conservatoire de Montréal en 1962, il a occupé ce poste jusqu’en 1966. En 1972, il a effectué un voyage de plusieurs mois en ExtrêmeOrient, séjournant notamment à Bali. En 1958, Yvonne Loriod créa à Cologne Phases et Réseaux pour piano (1956-1958), et, en 1963, Cantique de durées pour orchestre (1960) fut entendu pour la première fois au Domaine musical sous la direction d’Ernest Bour. Tremblay manifeste, dans ses oeuvres, une prédilection marquée pour les vents et pour la percussion. La voix n’intervient que dans Kékoba pour soprano, alto, ténor, percussion et ondes Martenot (1965), et dans Oralléluiante pour soprano et huit exécutants (1975). On lui doit encore, pour ensemble instrumental, Champs I (1965, rév. 1969), Souffles (Champs II) [1968], Vers (Champs III) [1969], « ... le Sifflement des vents porteurs de l’amour... » (1971), et Solstices (ou Les jours et les saisons tournent) [1971] ; et pour orchestre, Jeux de solstices (1974) et Fleuves (1976), qui cite en exergue le poème le Fleuve en l’arbre de son ami, le poète québécois Fernand Ouellette. En 1967, il a sonorisé le pavillon du Québec (stéréophonie en 24

canaux) lors de l’Exposition universelle de Montréal. TREMBLEMENT. ! BEBUNG, TRILLE. TRENTE-DEUX PIEDS. Jeu de l’orgue dont le tuyau le plus grave mesure en principe trente-deux pieds (10,40 m) et fait entendre le do1. Ce jeu donne à la double octave inférieure des notes écrites. TRIADE. Ensemble de sons formé par la réunion d’une fondamentale, de sa quinte et de sa tierce. Lorsque la quinte est juste, la tierce étant alors soit majeure soit mineure, la triade forme un accord parfait, et elle est habituellement désignée sous ce nom. La triade à quinte augmentée avec tierce majeure (accord de quinte augmentée), et celle à quinte diminuée avec tierce mineure (accord de quinte diminuée) font également partie des accords classés. Les autres triades sont exceptionnelles, sans être formellement exclues. Le terme est d’un emploi relativement récent. TRIANGLE. Instrument à percussion de la famille des « métaux ». Fait d’une lame d’acier repliée en forme de triangle isocèle, presque équilatéral, il est suspendu par son sommet et joué avec une ou deux battes spéciales, mais aussi n’importe quel type de baguette de bois ou de métal, voire une lime à ongles ou un clou, frappant sa base de haut en bas. Le son émis, aigu et mince, parvient à émerger de la masse orchestrale. TRICINIUM. Nom quelquefois donné, au XVIe siècle, aux pièces à trois voix, ou encore à un fragment à trois voix dans une pièce en comportant un plus grand nombre. L’équivalent à deux voix est bicinium. TRILLE (en all. Triller ; en angl. trill, shake ; en it. trillo).

Triller signifie battre de manière régulière, avec netteté et rapidité (mais selon le caractère du morceau), la note principale avec celle qui lui est supérieure d’un ton ou un demi-ton. Autrefois, à l’époque de G. Caccini (XVIIe siècle), le terme italien trillo indiquait non pas un trille comme nous l’entendons aujourd’hui, mais une même note que le chanteur, ou instrumentiste, répétait de façon martelée. En revanche, c’est du gruppo, ornement placé essentiellement aux cadences, que le trille est issu au cours du siècle. D’ailleurs les Français appelaient le trille un « tremblement » ou bien une « cadence ». Cet ornement peut être attaqué soit sur la note principale, soit sur la note supérieure, selon sa durée, sa fonction harmonique ou mélodique, l’endroit où il est placé, la phrase musicale et l’époque en question. Dans la musique baroque, le trille commence presque toujours sur la note supérieure, jouée sur le temps. Bien qu’il n’y ait souvent aucun signe, il est généralement sous-entendu dans les formules cadentielles. Divers signes peuvent indiquer l’emplacement du trille. À l’époque de Mozart, une cadence pour l’instrument soliste, dans un concerto pour clavier par exemple, se terminait souvent par un trille accompagné d’une basse Alberti. Sans doute l’ornement le plus usité de tous, le plus difficile à exécuter, le trille est un atout incontestable pour un chanteur. P. Tosi écrivait en 1723 : « Quiconque a un beau trille, même s’il lui manque tous les autres agréments, peut toujours se prévaloir de l’avantage de ne pas offenser l’oreille dans une fin ou cadence où il est le plus souvent très nécessaire. » Il est également très fréquent et apprécié dans la musique de violon (flûte, hautbois) tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles. TRIO. 1. Ensemble de trois instrumentistes concertants. Morceau écrit pour un tel ensemble. Ne pas confondre le trio proprement dit, qui est une réunion de trois artistes solistes, avec l’expression « en trio », fréquente dans le répertoire de la basse continue (ex. sonate en trio), qui indique le nombre de parties d’un en-

semble, mais non forcément le nombre d’exécutants ; on sait notamment que l’accompagnateur chargé de la réalisation downloadModeText.vue.download 1010 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1004 de la basse continue n’était pas compté au nombre de ceux-ci, de sorte qu’une sonate en trio pouvait comporter plus de trois exécutants. Depuis 1750 environ, le trio est considéré comme l’une des formes usuelles de la musique de chambre, et adopte souvent le cadre formel des sonates à trois ou quatre mouvements. Les trios les plus fréquents sont le trio à cordes (violon, alto, violoncelle), le trio avec piano (piano, violon, violoncelle), le trio d’anches (hautbois, clarinette, basson), mais toutes les autres formations peuvent être également utilisées. L’orgue, de son côté, considère comme trio, en individualisant chaque partie comme si elle était le fait d’un instrument distinct, une pièce à trois voix répartie entre trois timbres différents (deux claviers manuels et pédalier), ou même (surtout dans l’orgue français classique peu porté sur l’emploi concertant de la pédale) sur deux claviers manuels seulement. 2. Dans un menuet ou autre pièce apparentée (scherzo, marche, etc.), partie centrale précédant la dernière reprise et qui forme souvent diversion grâce à un caractère plus mélodique et à une orchestration plus légère. Au temps de Lully, cette partie était habituellement confiée à un trio de deux hautbois et basson, d’où son nom qui a été conservé une fois sa raison d’être disparue. TRIOLET. Lorsque la division du temps musical est binaire, une division exceptionnelle de ce temps en trois parties égales est nommée triolet. Par exemple, une noire se divise normalement en deux croches, mais peut se diviser exceptionnellement en un triolet de trois croches. TRIPLE CROCHE. Note d’une durée égale au quart d’une

croche, correspondant au huitième de soupir. TRIPLUM (en fr. triple). 1. Nom latin donné dans l’Ars antiqua des XIIe et XIIIe siècles aux organa à trois voix, la teneur étant comptée comme l’une d’elles. L’organum à deux voix, teneur incluse, était dit duplum (ou organum proprement dit), celui à quatre voix était dit quadruplum. 2. Du XIIe au XVe siècle, on a désigné ainsi la partie supérieure d’une polyphonie sans égard au nombre réel de ses voix. Dans les premières polyphonies à trois voix, celles-ci étaient dénommées, du grave à l’aigu, teneur, motet et triple, ce dernier terme étant alors justifié. On l’a conservé lorsqu’on a ajouté au grave une contreteneur qui faisait du triple la quatrième voix et non plus la troisième. On retrouve le mot dans l’anglais treble qui désigne un violon aigu, et aussi dans le mot trouble employé au XVe siècle, peut-être par jeu de mots, dans la description du motet des diables de la Passion d’Arnoul Gréban. TRITON. 1. Intervalle formé de trois tons, par exemple fa-si. Dans la génération mélodique par cycle des quintes, le triton est le dernier intervalle formé dans le cadre du diatonisme (fa-do-sol-ré-la-mi-si) et a toujours été considéré comme particulièrement dissonant ; l’une des règles principales de la mélodie médiévale et renaissante consistait à l’éviter au moyen d’altérations. On le classe également, en harmonie classique, parmi les « fausses relations » à éviter en langage châtié. Mais le surnom qu’on lui donne souvent de diabolus in musica (le diable en musique), toujours présenté comme traditionnel et médiéval, n’est jamais attesté dans les textes avant le XIXe siècle. Il est également très probable que le triton n’a pas toujours été pourchassé avec la rigueur légendaire, et il semble même avoir été parfois recherché pour sa saveur quelque peu étrange ; il n’en est pas moins resté d’un emploi exceptionnel, et vouloir le réintégrer par principe dans les restitutions anciennes, par réaction contre les anciens excès de rigorisme, comme s’il faisait partie du vocabulaire courant, serait

sans doute un sérieux contresens. 2. On donne le nom d’accord de triton à l’accord qui contient cet intervalle à partir de sa basse, et dont l’expression la plus usuelle est le 3e renversement de l’accord de 7e de dominante (en do, fa-sol-si-ré ou toutes autres positions). On le chiffre + 4 en chiffrage d’intervalles, V surmonté de trois points en chiffrage de fonction. TRITONIQUE. Échelle ne comportant que trois sons à l’octave. On emploie parfois ce mot abusivement pour désigner n’importe quelle échelle de trois sons, mais l’acception propre est celle dans laquelle ces trois seuls sons prennent place dans l’échelonnement des échelles produites par l’enchaînement des quintes (fa-do-sol, d’où diverses formes telles que do-fa-sol, fa-sol-do, do-fa-sol-do, etc.), sans exclure la possibilité d’une altération attractive de fa vers sol, par exemple do-fa dièse-sol. Le tritonique fait suite au ditonique, et la série se poursuit ensuite par le tétratonique, le pentatonique, l’hexatonique, et, enfin, l’heptatonique qui clôt le cycle des échelles diatoniques. TROJAHN (Manfred), compositeur allemand (Cremlingen 1949). Il a fait ses études à Brunswick (19661970), obtenant notamment un diplôme de flûte en 1970, puis à Hambourg avec K. H. Zöller et D. de la Motte (composition), et obtenu le premier prix du Forum international des compositeurs (U. N. E. S. C. O.) en 1978 ainsi que le prix de Rome en 1979. Il relève du courant appelé en Allemagne, très souvent sans raison, « nouvelle simplicité ». Il conçoit l’oeuvre non pas comme un processus ouvert, mais comme un « objet fixe délimité dans le temps », ce en quoi il s’oppose à l’avant-garde des années 60 et 70. À l’objectivisme exacerbé des postcagiens, il oppose une subjectivité qui ne craint pas les regards en arrière, en particulier vers les symphonies monumentales du XIXe siècle, les harmonies traditionnelles et les polyphonies tonales. On lui doit notamment Risse des Himmels pour soprano, flûte et guitare (19681974), les Couleurs de la pluie pour six flûtes (1972), Kammerkonzert pour huit

instruments (1973), une Symphonie no 1 (Makramee, 1973-74), Architectura caelestis pour huit voix de femmes et orchestre (1974-1976), Madrigal pour choeur à huit voix (1975), Quatuor à cordes (1976), Notturni trasognati pour flûte alto et orchestre de chambre (1977), ... stiller Gefährt der Nacht pour soprano, flûte, violoncelle, percussion et piano (1978), une Symphonie no 2 (1978), Abschied..., fragment pour orchestre (1978), Konzert pour flûte et orchestre (1977-1979), une Symphonie no 3 (Berlin, 1985), Requiem (1985), la Nuit (1988). TROMBONCINO (Bartolomeo), compositeur italien (Vérone v. 1470 - Venise ? apr. 1535). Il passe la plus grande partie de sa vie à la cour de Mantoue, où s’était fixé son père, Bernardino Piffaro, mais la quitte à plusieurs reprises pour une durée variable. Probablement actif à Florence entre 1494 et 1501, il est au service de Lucrezia Borgia à Ferrare de 1502 à 1508 au moins. Il se fixe vers la fin de sa vie à Venise (1521 ?), où il mourut très certainement. Mis à part quelques pièces sacrées (des Lamentations, un Motet et des Laude, pour la plupart des contrafacta de frottole) écrites dans le style plutôt homophonique du début du XVIe siècle italien, il est surtout célèbre pour ses nombreuses frottole, publiées en partie dans des recueils de Petrucci. Il met également en musique des strombotti, sonnets, odes, etc. Le choix de ses poèmes est particulièrement soigné et reflète les goûts d’Isabella d’Este, au service de laquelle il se trouve. TROMBONE. Instrument à vent de la famille des cuivres. downloadModeText.vue.download 1011 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1005 Son nom français (et anglais) est en réalité italien, formé de « tromba » (trompette) et du suffixe augmentatif « one ». Il s’agit en effet d’une grande trompette, donc d’une basse de trompette. L’inconnu qui eut l’idée, au Moyen Âge, de recourber l’encombrant tuyau en forme de « S », en sorte que la partie postérieure de l’instrument passe derrière l’épaule de

l’exécutant, prépara la voie à une invention capitale : celle de la coulisse mobile qui, au XVe siècle, fut substituée à l’anse antérieure du « S ». Grâce à cette coulisse manoeuvrée de la main droite, le tuyau sonore pouvait être allongé par degrés, dont chacun représentait un demi-ton vers le grave, avec tous les harmoniques correspondants. Le trombone fut ainsi le premier des « cuivres » à disposer d’une échelle chromatique complète, d’où la place considérable qu’il tient dans les compositions religieuses ou profanes des polyphonistes du XVIe siècle. Il devait conserver ce monopole jusqu’à l’invention, au début du XIXe siècle, du cor et de la trompette à trois pistons. Le trombone ténor moderne, en si bémol, n’est guère différent de son ancêtre. Il présente d’ailleurs le même inconvénient : comme une octave sépare les sons 1 et 2 de l’échelle des harmoniques, les sept positions de sa coulisse ne permettent d’atteindre que le mi compris entre ces deux si bémol ; après quoi l’instrument est muet jusqu’au si bémol grave, que suivent six autres « notes pédales ». Le trombone dit « basse » comble cette lacune - et c’est pourquoi il tend à supplanter le ténor - au moyen d’une tubulure supplémentaire commandée par un barillet ; sa perce et son embouchure sont un peu plus grosses, afin de faciliter l’émission des notes graves, mais son étendue globale est pratiquement la même. Mentionnons pour mémoire un énorme trombone contrebasse, un vrai trombone basse, des trombones alto, soprano et même sopranino, mais surtout le trombone à pistons qui, épargnant à l’exécutant le soin délicat d’ajuster la coulisse, fut très employé dans les orphéons du XIXe siècle. TROMPETTE. Instrument à vent de la famille des cuivres. Ses ancêtres, dont l’existence est attestée dès les temps préhistoriques, se confondent pratiquement avec ceux du cor, du trombone et autres « trompes » formées d’un tuyau sonore mis en vibration par une embouchure. Elle fut longtemps rectiligne, comme le « salpynx » grec et la « buccina » des Romains, puis se replia vers la fin du Moyen Âge à la ma-

nière d’une épingle de sûreté, le pavillon restant dirigé vers l’avant. Dès lors, rien ne la distinguait extérieurement d’une trompette de cavalerie moderne. Il apparut à la même époque que la puissance et l’éclat qui destinaient la trompette à orner les célébrations militaires, religieuses et civiles, pouvaient trouver leur emploi dans des ensembles musicaux moins fonctionnels. Mais cet usage mélodique et concertant se heurtait aux lois de l’acoustique, en ce sens que le tuyau sonore simple ne peut émettre que les harmoniques du son fondamental. Le cas de la trompette était encore plus grave que celui du cor. Ce dernier, grâce à sa longueur, disposait dans l’aigu d’une série d’harmoniques assez rapprochés tandis que la première, relativement courte, en était réduite au bas de l’échelle où la série des harmoniques comporte des lacunes beaucoup plus importantes. Dès le XVIe, mais surtout au XVIIIe siècle, tout fut essayé pour combler ces vides, au moins en partie ; il y eut des trompettes à « tons » amovibles (comme les cors d’harmonie), à coulisse (comme les trombones), à trous et à clés (comme les « bois »), jusqu’à l’invention du système à trois pistons qui régla le problème au début du XIXe siècle ( ! COR). La trompette moderne en ut ou si bémol possède une étendue de deux octaves et une sixte. Il existe aussi une trompette alto en fa et une « petite trompette » en ré, de moins en moins employées, ainsi que des trompettes basses en ut, si bémol et fa grave. Parmi d’autres variantes, la plus répandue de nos jours (grâce au répertoire baroque et, en particulier, aux solos du Deuxième Concerto brandebourgeois) est la trompette piccolo en si bémol aigu, munie d’un quatrième piston qui la transpose en fa. TROPAIRE. 1. Recueil de tropes. Les tropaires, souvent réunis aux séquentiaires, sont particulièrement nombreux du Xe au XIIe siècle ; ils se raréfient ensuite et disparaissent complètement à la suite du concile de Trente. 2. En musique byzantine, hymne ou prière brève ne comportant qu’une seule strophe. Le répertoire en est étendu, et il

est utilisé en divers endroits de l’office, notamment aux vêpres. TROPE. 1. En musique grecque antique, le mot trope (tropos) est synonyme de ton (tonos). Boèce, au Ve siècle, l’a latinisé en tropos et en même temps l’a traduit par modus, qui a comme lui le sens assez vague de « manière d’être ». Il déclare équivalents les trois termes tonus, tropus, modus, ce qui n’a pas été sans provoquer bien des confusions sur leur emploi, surtout pour ton et mode, car tropus en ce sens est assez vite tombé en désuétude. 2. Nom donné depuis le IXe siècle à des amplifications non officielles de textes liturgiques, destinées en général à leur donner une plus grande solennité, ou à adapter à telle ou telle circonstance un texte prévu dans un sens général. J. Chailley a classé les tropes en six catégories correspondant à peu près à l’histoire de leur formation : tropes d’adaptation (paroles syllabiques placées sous une mélodie vocalisée), de développement (composition nouvelle à partir des cellules successives du modèle ; le type le plus achevé en est la séquence) ; d’interpolation (addition d’un texte nouveau, soit mélismatique, soit avec paroles, entre les fragments du texte primitif sans modification de celui-ci) ; d’encadrement (composition d’un prélude ou d’un postlude pour la pièce à troper) ; de complément (composition d’une pièce indépendante insérée dans l’office en un emplacement non prévu, sans liaison obligatoire avec les pièces existantes) ; de substitution enfin (amplification de l’original prenant entièrement la place de celui-ci ; les plus fréquents sont les tropes versifiés du Benedicamus Domino qui ont proliféré jusqu’à la fin du Moyen Âge. L’un d’entre eux, O filii et filiae, écrit au XVe siècle par le frère franciscain Jean Tisserand, est resté en usage jusqu’à nos jours comme cantique pascal, sur une mélodie de caractère populaire probablement refaite au XVIIe siècle). Michel Huglo, de son côté, a proposé un classement en tropes logogènes (générateurs de textes) et mélogènes (générateurs de mélismes sans paroles) ; la présence de ceux-ci pose de difficiles problèmes, la plupart d’entre eux pouvant être considérés soit comme des amplifications ornementales de solemnisation ( ! NEUME,

sens 2), soit comme des mélismes séquentiels faisant alterner le chant d’un verset de séquence muni de ses paroles et celui de la même mélodie vocalisée sans paroles. On considère comme origine des tropes la création vers le milieu du IXe siècle, par l’abbaye de Jumièges, de tropes d’adaptation à partir desquels, à Saint-Gall, Notker créa le type de tropes de développement qui devint la séquence. Les autres types de tropes ne tardèrent pas à suivre, et les deux centres les plus actifs en furent les abbayes de Saint-Gall en Suisse et de Saint-Martial-de-Limoges en Aquitaine. Les tropes proliférèrent jusque vers le XIIe siècle, puis la production se ralentit (sauf pour les tropes de substitution du Benedicamus Domino) et à quelques exceptions près, telles que le Gloria des messes de la Vierge qu’on trouve encore en polyphonie avec ses tropes chez plusieurs compositeurs, ils n’étaient plus guère en usage au XVIe siècle, lorsque le concile de Trente décida d’en abolir définitivement l’emploi et de les retirer des livres de choeur. downloadModeText.vue.download 1012 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1006 Ils sont aujourd’hui abandonnés en tant que tels, mais il en subsiste de nombreuses traces, soit dans le répertoire (tel l’Ave verum, primitivement trope de Sanctus), soit dans les nombreux dérivés qui leur doivent leur existence et leur développement, notamment la poésie lyrique à travers les versus et le théâtre à travers le drame liturgique, puisque celui-ci est issu des tropes de leçons de matines pour le cycle de Noël (drame des Prophètes), du trope Quem quaeritis de l’introït pascal pour le cycle de Pâques. L’influence des tropes aura donc été considérable, et déborde largement la valeur littéraire ou musicale que l’on peut reconnaître à leur répertoire proprement dit. TROUBADOUR. Nom donné, entre le XIIe et le XIVe siècle, aux poètes-compositeurs écrivant et chantant en langue d’oc, par opposition aux trouvères, lesquels s’exprimaient en langue d’oïl. Leur répertoire était formé de chansons monodiques accompagnées sur des instruments. La plupart du temps,

seule la ligne mélodique nous reste de leurs oeuvres, avec le texte, sur des manuscrits nommés « chansonniers » dont la plupart furent établis après leur mort, pour garder une trace de cette musique orale. On y trouve tous les types de chansons, satiriques et politiques y compris, mais surtout des chansons d’amour. Elles sont écrites dans des formes populaires à refrain, obéissant à certains modèles comme le rondeau, qui commandent aussi bien la construction métrique (nombre de vers et de pieds, distribution des rimes) que la forme musicale. Les plus célèbres des troubadours furent Bernard de Ventadour, Jaufré Rudel, Bertrand de Born, Peire Vidal, Marcabru. TROUVÈRE. Nom donné, aux XIIe et XIIIe siècles, aux chanteurs-musiciens-poètes, s’inspirant des troubadours mais s’exprimant en langue d’oïl, avec des variantes selon les dialectes, et issus de régions du nord de la France, de la Belgique, de la Bretagne, etc. Leurs oeuvres, comme celles des troubadours, nous sont parvenus par les « chansonniers », manuscrits de compilation rédigés après coup, et adoptent des formes basées sur la répétition et le refrain. On cite le plus fréquemment, parmi les grands trouvères, Adam de la Halle (Jeu de Robin et Marion), Marie de France, Rutebeuf (Miracle de Théophile) et Chrétien de Troyes. TROYANOS (Tatiana), mezzo-soprano américaine (New York 1938 - id. 1993). Elle étudie à la Juilliard School avec Hans Heinz et débute, de 1963 à 1965, dans la troupe du New York City Opera. De 1965 à 1975, elle chante à Hambourg, et débute en 1966 à Aix-en-Provence dans le rôle du Compositeur d’Ariane à Naxos. En 1969, elle crée les Diables de Loudun de Penderecki, et chante le Chevalier à la rose à Salzbourg. Comédienne hors pair, elle a triomphé dans Monteverdi autant que dans Strauss, dans Werther de Massenet et Albert Herring de Britten. Son incarnation de Carmen, enregistrée en 1976 avec Solti, est inoubliable, de même que celle de Didon, gravée en 1977 avec Raymond Leppard. De 1976 à 1990, elle chante plus de deux cents fois au Metropolitan. En 1992, elle crée The Voyage de Phil Glass avant de disparaître en pleine gloire.

TUBA. Instrument à vent de la famille des cuivres, à pistons et de tessiture grave. Le terme désigne aujourd’hui au moins trois représentants du groupe des saxhorns, inventés par le facteur belge Adolphe Sax au milieu du siècle dernier : le tuba à six pistons, en ut, dont l’étendue atteint quatre octaves, le bass-tuba ou contrebasse en ut ou si bémol, à quatre pistons, et le tuba ténor qui n’est autre que le saxhorn baryton. Tous ont une sonorité puissante, mais un peu sourde, et permettent toutes les nuances du pianissimo au fortissimo. Le « Wagner-tuba », spécialement construit pour les besoins de la Tétralogie en deux formats - ténor et basse -, s’apparente plutôt au cor dont il a emprunté l’embouchure étroite. TUBIN (Eduard), compositeur et chef d’orchestre suédois d’origine estonienne (Kallaste, près de Tartu, 1905 Stockholm 1982). Il étudia à Tartu et fut de 1931 à 1944 chef d’orchestre du théâtre de cette ville. En 1938, il rencontra à Budapest Bartók et Kodály et prit des leçons auprès de ce dernier. Il se réfugia en Suède en 1944 et obtint en 1961 la nationalité du pays, mais pendant près de trente ans il dut gagner sa vie en préparant des partitions pour le Théâtre de Drottningholm, et il ne fut vraiment reconnu qu’après sa mort. Son opéra Barbara von Tisenhusen a été créé à Tallinn en 1969. On lui doit notamment de la musique de chambre, Requiem pour des soldats tombés pour alto, choeur d’homme, trompette, percussion et orgue, et onze symphonies, dont la dernière inachevée (les dix premières de 1934 à 1973). TUCKER (Reuben TICKER, dit Richard), ténor américain (Brooklyn 1913 - Kalamazoo 1975). Initié à la musique par le cantor d’une synagogue new-yorkaise, il est encouragé à commencer sa carrière par son beau-frère, le ténor Jan Peerce. En 1945, il débute au Metropolitan de New York dans La Gioconda de Ponchielli. Dès 1947, il chante ce même opéra à Vérone aux côtés de la Cal-

las. À partir de 1958, sa carrière est aussi importante en Europe qu’au Metropolitan. Parmi ses rôles fétiches, citons don Alvaro dans la Force du destin, Alfredo dans la Traviata, le Duc dans Rigoletto et Cavaradossi dans Tosca. Ténor verdien par excellence, il laisse plusieurs enregistrements, dont Aïda dirigé par Toscanini. TUDOR (David), compositeur américain (Philadelphie 1926). Il fait ses études à Philadelphie et New York. Organiste à Saint-Marc de Philadelphie et Swarthmore College, professeur à l’École de musique contemporaine de New York, il est l’une des personnalités les plus saillantes de l’entourage de John Cage, dont il est l’associé dès 1948. Membre du « Cage’s project for magnetic tape » (1951), premier groupe américain organisé pour produire de la musique électronique, il a poursuivi depuis lors une brillante carrière de pianiste au service de ses contemporains Cage, Bussotti, Stockhausen et Boulez (dont il a créé la Deuxième Sonate aux États-Unis). Également habile dans l’électronique, il en a fait bénéficier son oeuvre personnelle, généralement associée à un programme visuel (Bandonéon ! comporte un tel programme axé sur les sonorités du bandonéon argentin). Ses innovations ont inspiré beaucoup de compositeurs, parmi lesquels David Behrman, Toshi Ichiyanagi ou Gordon Mumma. TUILAGE. Procédé primitif de polyphonie, volontaire ou non, consistant pour une voix ou un demi-choeur à entrer avant que le précédent n’ait terminé, de sorte que la fin de l’une des parties forme pendant quelque temps avec le début de l’autre une polyphonie rudimentaire à deux voix. TŮMA (František Ignác Antonín), organiste, violoniste et compositeur tchèque (Kostelec, près d’Orlicí, 1704 - Vienne 1774). Son père, Václav, organiste à l’église locale, lui apprend la musique dès son plus jeune âge. Il rentre comme petit chanteur à l’école des jésuites de Prague. On pense qu’il fut l’élève de B. M. Černohorsk’y, car l’influence de ce dernier est manifeste dans son oeuvre religieuse. Remarqué par le prince František Ferdinand Kinsk’y, il

part avec lui à Vienne, où il peut travailler avec J. J. Fux. À partir de 1722, il occupe différentes places d’organiste, puis de Kapellmeister, dans diverses églises viennoises. En 1731, il est le maître de chapelle de son protecteur, suivant ce dernier entre Vienne et Prague. Il fait ainsi la connaisdownloadModeText.vue.download 1013 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1007 sance de G. Tartini, soliste invité au palais du prince Kinsk’y à Prague. À la mort du prince en 1741, il devient Kapellmeister de l’impératrice Élisabeth-Christine jusqu’en 1750. Son oeuvre profane s’inspire encore de l’école baroque vénitienne. L’influence de Vejvanovsk’y et de l’école de Biber et Schmelzer est sensible dans son écriture pour les cuivres. Ses symphonies regardent vers l’école de Mannheim. Son oeuvre religieuse, beaucoup plus importante, dénote l’abandon progressif des règles polyphoniques strictes au profit d’une belle invention mélodique. TUNDER (Franz), organiste et compositeur allemand (Lübeck 1614 - id. 1667). Il fait ses débuts à Gottorp, à la cour du duc de Schleswig. On le trouve à Rome, où il étudie avec Frescobaldi ; puis en 1641, il est nommé au poste important d’organiste de l’église Sainte-Marie à Lübeck. Cette église servant, les jours de Bourse, de lieu de rencontre pour les négociants et les magistrats, il prend l’habitude d’y donner des concerts d’orgue. Devant leur succès, il développe les célèbres Abendmusiken : ces concerts du soir comprenaient des pièces d’orgue, mais aussi des solos d’instruments et des cantates, car il engage des musiciens et des chanteurs. Son successeur et gendre, Buxtehude, poursuivra et transformera les Abendmusiken de Lübeck. Son oeuvre n’a pas été publiée de son vivant. Elle comprend des pièces pour voix, solo ou choeur, avec accompagnement de cordes et orgue, des pièces pour orgue du type variations ou fantaisies de choral, ainsi que des toccatas. Il est un des premiers à utiliser la toccata dans sa fonction de prélude à une fugue. TURBA (lat. ; « foule » [plur. turbae]).

Dans les Passions, choeur représentant un ou plusieurs groupes de personnages : la « foule » des prêtres, des soldats, des disciples, le peuple, etc. TURINA (Joaquín), compositeur, pianiste et pédagogue espagnol (Séville 1882 - Madrid 1949). Il fait ses études à Madrid avec José Trago (piano), puis à Paris avec Moskovski (piano) et Vincent d’Indy (composition). Ses premières oeuvres datent de son séjour en France (1903-1914) : Quintette, Sevilla, Procesión del Rocío. Il trouve alors en Albéniz un ami, un guide et un protecteur généreux. C’est grâce à lui notamment qu’il connaît Debussy et Ravel et qu’il s’évade des seules ambitions scholistes pour réaliser une musique « hispanoarabe » authentique. De retour à Madrid, il y passera pratiquement le reste de sa vie dans une activité multiple - compositeur, directeur d’orchestre au théâtre Real (notamment pour l’orchestre des Ballets russes), professeur (directeur du conservatoire de Madrid), pianiste, critique musical et commissaire général de la musique (de 1939 à sa mort). Si l’on excepte les oeuvres de la période parisienne écrites dans une esthétique post-franckiste, toute la production de Turina s’inspire des chants populaires et des rythmes espagnols et plus spécialement andalous. L’influence d’Albéniz fut décisive dans l’orientation de sa carrière. Ses pièces pour piano doivent également à l’exemple d’Iberia la fermeté de leur dessin et leur vie intense, d’esprit rapsodique. Mais l’influence des maîtres français ne fut pas moindre dans le coloris de ses pages orchestrales et dans l’expression d’un lyrisme qui fut exactement l’écho de sa sensibilité délicate. Ces différents éléments se sont superposés à la discipline dindyste (culte de la forme cyclique qu’on retrouve dans presque toutes ses oeuvres) pour donner à la palette de Turina sa physionomie originale. TÜRK (Daniel Gottlob), théoricien et compositeur allemand (Clausnitz, près de Chemnitz, 1750 - Halle 1813). Il étudia à la Kreuzschule de Dresde sous la direction de G. A. Homilius, ancien élève de Bach, puis à Leipzig à l’université et avec J. A. Hiller. En 1774, il devint

cantor à l’Ulrichskirche de Halle, et, en 1779, directeur de la musique à l’université de cette ville. Il écrivit alors quatre symphonies ainsi qu’un grand nombre de cantates, lieder et ouvrages vocaux divers. En 1787, il devint organiste et directeur de la musique de la Marktkirche de Halle, poste qu’il devait occuper jusqu’à sa mort. À partir de cette date, il se consacra surtout à ses travaux théoriques. Parurent entre autres Von den wichtigsten Pflichten eines Organisten : ein Beitrag zur Verbesserung der musikalischen Liturgie (Halle, 1787, réimpr. 1966), une Clavierschule (Leipzig et Halle, 1789, réimpr. 1967), Kurze Anweisung zum Generalbasspielen (Leipzig et Halle, 1791), ouvrage utilisé par Beethoven pour ses leçons à l’archiduc Rodolphe, et Anleitung zu Temperaturberechnungen (Halle, 1808), où se trouvent exposés avec une grande exactitude les différents systèmes de tempérament. Une Violinschule ne fut jamais terminée. Türk forma de nombreux élèves dont le plus important fut Carl Loewe. TURNER (Eva), soprano anglaise (Oldham 1892 - Londres 1990). Étudiante à la Royal Academy of Music de Londres, elle chante dans les choeurs de Carl Rosa en 1911. En 1924, Toscanini l’engage pour chanter Freia dans l’Or du Rhin à la Scala. À cette occasion, par souci de la diction, elle apprend en quelques mois... l’italien ! Elle s’impose aussi en incarnant Fricka et Sieglinde. En 1926, peu de temps après la création de l’oeuvre, elle reprend le rôle-titre de Turandot, qu’elle chante au San Carlo de Naples en 1927, puis à Covent Garden en 1928. De 1928 à 1948, elle est la première soprano dramatique anglaise à s’imposer dans le monde entier. De 1950 à 1959, elle enseigne à l’Université d’Oklahoma, puis de 1959 à 1966 à la Royal Academy de Londres. De nombreux chanteurs viennent prendre ses conseils, notamment Gwynneth Jones. TUTTI (ital. : « tous »). Terme utilisé pour indiquer soit que, dans une oeuvre donnée, les effectifs au complet sont mis en jeu, soit, dans un concerto, les épisodes purement orchestraux (à effectifs complets ou non) au cours desquels le soliste se tait (tutti s’opposant alors à solo).

TVEITT (Geirr), compositeur et pianiste norvégien (Hardanger 1908 - Oslo 1981). Il fut peut-être le compositeur norvégien contemporain qui affirma le style nordique de la musique avec le plus d’ampleur. Il a recherché notamment de nouvelles voies dans les rapports entre la mélodie, le rythme et la dynamique en s’appuyant sur les modèles primitifs de la musique norvégienne, selon des théories personnelles assez controversées. Son langage s’appuie sur ce qu’il appelle les vieux modes nordiques (rir, sum, fum, tyr), et il s’est expliqué sur sa technique dans son traité Tonalitätstheorie des parallelen Leittonsystems (1937). Dans un oeuvre abondant, il faut mentionner Hundrad Hardingtonar op. 151, adaptation de cent thèmes populaires de Hardanger, six suites pour orchestre qui ont conquis une grande popularité, des ballets (Baldurs draumar, 1960), des opéras (Jeppe op. 250, 1966), des concertos (dont deux pour violon de Hardanger et six pour piano), de la musique de chambre, près de trente sonates pour piano, et de nombreuses mélodies. TYE (Christopher), compositeur anglais ( ? v. 1500 - ? 1572). Choriste au King’s College de Cambridge de 1508 à 1513, il fut ensuite musicien de monastère, et la rupture avec Rome le mit dans l’obligation de trouver un nouveau mode de vie et de travail. Maître de choeur à la cathédrale d’Ely en 1541, il semble avoir été le maître de musique d’Édouard VI et avoir bénéficié de ses faveurs. Peu d’années après, il entrait dans les ordres et devait être ordonné prêtre en 1559. Il conserva, par ailleurs, son emploi à la cathédrale d’Ely jusqu’en 1561. Comme ecclésiastique, il fut recteur de Donington jusqu’en 1571, mais son successeur ayant été nommé en mars 1573, il est probable que le vieux maître mourut à la fin de 1572. downloadModeText.vue.download 1014 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1008 Auteur, en 1553, d’une version anglaise, harmonisée à quatre voix, des Actes des Apôtres, Tye a pourtant écrit une grande partie de son oeuvre religieuse sur des textes latins. Cette oeuvre comprend trois messes, des motets et psaumes, mais aussi

des services en langue vulgaire et une douzaine d’anthems. À cet égard, Tye eut le grand mérite, en recourant à des textes anglais, d’alléger la prosodie, de lui donner un tour plus naturel et plus populaire. Mais ce précurseur de la musique anglicane s’est également illustré dans le répertoire instrumental et a laissé d’admirables pièces pour les consorts de violes, dont vingt et un In nomine qui égalent presque en beauté et en maîtrise d’écriture ceux de Byrd. Aussi bien, avant ce dernier, Tye est avec Tallis le grand nom du premier âge d’or britannique. TYMPANON. Instrument ancien à cordes frappées, très voisin du dulcimer et du psaltérion. Probablement importé au Moyen Âge du Proche-Orient (où il est d’ailleurs encore pratiqué), il se composait d’une table d’harmonie trapézoïdale, formant la partie supérieure d’une caisse de résonance plate, disposée horizontalement et généralement montée sur pieds. Il se jouait au moyen d’une paire de battes de bois dur, légèrement incurvées vers le haut, qui attaquaient directement les cordes métalliques, en nombre variable, dont certaines étaient doubles, triples et même quadruples. Muni, vers l’époque de la Renaissance, de marteaux déclenchés par un clavier, cet instrument a donné naissance au clavicorde et figure à ce titre parmi les ancêtres du piano moderne. Mais il a subsisté en Europe occidentale jusqu’au XVIIIe siècle et, agrandi et amélioré, s’est conservé jusqu’à nos jours sous le nom de « cymbalum » en Europe centrale, tout particulièrement en Hongrie. On appelle également « tympanon » le tambourin primitif de l’Antiquité grecque, formé d’une peau tendue sur un simple cerceau de bois. TYSON (Alan), musicologue anglais (Glasgow 1926). Il a fait ses études à Oxford, où il est devenu professeur (1952) puis chargé de recherche (1971). Il a aussi étudié la médecine et la psychanalyse, obtenant ses diplômes en 1965, et traduit en anglais des oeuvres de Freud. Ses recherches et publications musicales, centrées surtout sur Mozart, Beethoven et leurs contem-

porains, portent essentiellement sur les questions d’authenticité, sur les éditions et les copies d’époque, les esquisses et les filigranes, ce qui lui a permis de préciser pour beaucoup d’oeuvres les dates et les processus de composition. Parmi ses ouvrages et articles, citons Haydn and Two Stolen Trios (1961), The Authentic Early Editions of Beethoven (1963), Who Composed Haydn’s Opus 3 ? (avec H. C. Robbins Landon, 1964), John Field’s Earliest Compositions (1966), The 1803 Version of Beethoven’s Christus am Oelberg (1970), Yet another Leonore Overture ? (1977). Ses études sur Mozart ont été réunies en volume dans Mozart, Studies of the Autograph Scores (1987). Il a en outre publié The Beethoven Sketchbooks. History - Reconstruction - Inventory (avec Douglas Johnson et Robert Winter, 1985), Proposed New Dates for Many Works and Fragments Written by Mozart from March 1781 to December 1791 (1991) ainsi que Thematic Catalogue of the Works of Muzio Clementi (1967), et édité trois volumes de Beethoven Studies (1973, 1977, 1982). downloadModeText.vue.download 1015 sur 1085

UKULÉLÉ. Petite guitare hawaiienne à quatre cordes en boyau. UMLAUF, famille de musiciens autrichiens. Ignaz, compositeur, altiste et chef d’orchestre (Vienne 1746 - Meidling, près de Vienne, 1796). Altiste dans l’orchestre de la cour de Vienne, il inaugura avec son singspiel Die Bergknappen (1778) le Singspiel national (ou Théâtre national allemand) adjoint par Joseph II au Burgtheater. Il fut avant Dittersdorf le principal compositeur viennois de singspiels (Die Apotheke, 1778 ; Die schöne Schusterin, 1779 ; Das Irrlicht, 1782), mais Mozart, avec l’Enlèvement au sérail, mit pratiquement un terme à sa carrière en ce domaine. Michael, compositeur, violoniste et chef d’orchestre (Vienne 1781 - Baden, près de Vienne, 1842). Fils du précédent, il occupa à la cour de Vienne divers postes de maître de chapelle, et à plusieurs reprises (pour Fidelio en 1814, pour la 9e Symphonie en 1824), à la place de Beethoven rendu incapable par sa surdité, assuma dans les faits les fonctions de chef d’orchestre. On lui

doit le singspiel Der Grenadier (1812) et l’opéra Das Wirtshaus in Granada. UNA CORDA. Terme italien désignant l’usage de la sourdine (ou pédale douce) au piano. Le retour à la normale est indiqué par tre corde ou tutte corde. UNGER (Karoline), contralto autrichienne (Vienne 1803 - Florence 1877). Malgré de brillants débuts, à Vienne en 1824, dans le rôle de Dorabella (de Cosi fan tutte), sa participation à la création de la Neuvième Symphonie de Beethoven et U un grand talent de mélodiste, la carrière de Karoline Unger sera entièrement consacrée au répertoire italien, qu’enrichiront pour elle Donizetti (Maria de Rudenz), Bellini, Mercadante et Pacini. Que ce soit dans la péninsule même, de 1825 à 1833, ou à Paris, au Théâtre-ltalien, de 1833 à 1841, ses interprétations, notamment de Rossini et de Meyerbeer, suscitent l’admiration par leur intelligence dramatique et la qualité de la voix, homogène du la au ré3. Elle se retire en pleine gloire en 1843. UNISSON. 1. Position de deux ou plusieurs notes situées à la même hauteur. Lorsqu’il s’agit d’en déterminer l’intervalle, le terme propre, mais peu usité, est l’intervalle de prime, comme on dit seconde, tierce, etc. 2. Action pour plusieurs exécutants, habituellement différenciés, de se réunir occasionnellement pour jouer ou chanter ensemble de manière identique un morceau, un fragment de morceau ou même une note ou quelques notes. On dit qu’ils jouent ou chantent à l’unisson. UNIVERSAL-EDITION. Maison d’édition autrichienne. Fondée à Vienne en 1901, elle ne publia que des classiques jusqu’à l’acquisition en 1903 des droits d’édition de Bruckner, suivie en 1904 du rachat de la firme munichoise Josef-Aibl avec des oeuvres de Richard Strauss et Max Reger. À partir de 1907, la musique moderne représen-

tée par Mahler, Schönberg, Berg, Webern, Janáček, Bartók, Kodály, Malipiero, Milhaud, Kurt Weill, Martinºu, etc., tint une place de plus en plus grande dans les activités d’Universal-Edition. L’ouverture de succursales à New York (1920), puis à Londres, Mayence et Zurich, le rachat du Philharmonischer Verlag en 1927, témoignent de la vitalité et de l’expansion de la firme, dont le catalogue réunit actuellement les plus grands noms de la musique contemporaine : Berio, Boulez, Stockhausen, Messiaen, Frank Martin et Pousseur, entre autres. URSULEAC (Viorica), soprano roumaine (Czernovitz 1894 - Ehrwald 1985). Elle est l’élève de Philip Forsten et de Lilli Lehmann à Vienne. De 1924 à 1926, elle chante au Volksoper de Vienne sous la direction de Felix Weingartner. De 1926 à 1930, elle est à l’Opéra de Francfort, où elle rencontre le chef d’orchestre Clemens Kraus, qu’elle épouse. À Vienne, puis au Staatsoper de Berlin, son ascension se trouve facilitée par l’avènement du régime nazi. De 1937 à 1944, elle est sans rivale sérieuse en Allemagne et chante à l’Opéra de Munich et à Salzbourg. Sa rencontre avec Richard Strauss est déterminante : en 1933, elle crée le rôle-titre d’Arabella. Strauss lui dédie plusieurs lieder ainsi que Friedenstag en 1938. Puis, en 1942, elle crée le rôle de la Comtesse de Capriccio, et l’Amour de Danaé en 1944. Après la guerre, elle chante en récital avec son mari, en Amérique du Sud notamment, puis reprend sa carrière. Elle se retire en 1954, et se consacre à l’enseignement. USTVOLSKAYA (Galina), compositeur russe (Petrograd 1919). Elle fait des études au conservatoire de sa ville natale (1937-1947) et devient, en 1939, l’élève de Dmitri Chostakovitch. Elle en sera l’assistante en 1947 et continuera d’enseigner au Conservatoire de Leningrad jusqu’au début des années 1990. Tempérament étranger à toute concession, esthétique ou politique, Ustvolskaya mène une existence marginale downloadModeText.vue.download 1016 sur 1085

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et sa découverte à l’étranger, peu avant la chute du régime communiste, fera l’effet d’une véritable révélation. Sa musique ne s’inscrit dans aucun courant du siècle et ne s’apparente, par sa droiture et son refus de toute concession, qu’à celle de Varèse ou, dans une certaine mesure, à celle de Scelsi. D’inspiration religieuse, beaucoup de ses oeuvres se distinguent par l’intensité du sentiment, parfois déclamatoire, mais toujours très direct, loin de toute sophistication, comme dans Composition I « Dona Nobis Pacem » (1971), où elle exploite les paradoxes expressifs issus du caractère volontaire de la réunion de trois instruments : flûte piccolo, tuba et piano. Elle fait souvent appel à des ensembles, comme dans son Octuor pour deux hautbois, quatre violons, timbales et percussion (1950). Ces étranges combinaisons ne visent cependant pas l’exotisme ; elles n’ont rien de démonstratif, mais soulignent au contraire une sorte de mystique de l’immanence, une austérité allant souvent de pair avec une violence peu habituelle (Composition II « Dies Irae » pour huit contrebasses, percussions et piano, 1973). Dans ses six Sonates pour piano, composées entre 1947 et 1988, elle poursuit en quelque sorte l’expérience du dernier Stravinski, dans le sens d’un hiératisme altier et d’une mise en page absolument libre et désinvolte (par exemple, l’inexorable Sonate no 6 de 1988, avec ses surfaces rectilignes et ses contrastes dynamiques vertigineux). Elle a écrit aussi quatre symphonies, dont la deuxième est intitulée Vraie et éternelle béatitude (1979) et la troisième, Jésus Messie sauve-nous (1983). UT. Nom ancien de la note aujourd’hui communément appelée do. Empruntée à l’hymne Ut queant laxis, ut était la première des six syllabes introduites au XIe siècle par Gui d’Arezzo pour déterminer les syllabes de l’hexacorde ( ! SOLMISATION). Connaissant les intervalles de celui-ci (pour T = ton et S = semi-ton ou 1/2 ton, T T S T T), il suffisait de chanter ut sur une note quelconque pour que les intervalles suivants se trouvent déterminés. Par rapport aux clefs, c’est-à-dire à la disposition des notes sur le clavier, ut pouvait se placer sur l’une des trois clefs (notes), C (aujourd’hui do), F (aujourd’hui fa) ou G (aujourd’hui sol), déterminant par là

l’un des trois hexacordes dits naturel, par bémol ou par bécarre. Avec la disparition des deux derniers vers le XVIIe siècle, l’ut de l’hexacorde naturel, placé sur C, est resté seul en usage, et c’est pourquoi on considère aujourd’hui C et ut comme synonymes, ut naturel étant le nom de la note dans les pays latins, C le même nom de note dans les pays anglosaxons. Anciennement, ut (ou C) n’était que le premier degré de la succession diatonique dans la gamme classique majeure. Dans la confusion introduite au XIXe siècle entre hauteur « absolue » et hauteur « relative », ces deux termes ont l’un et l’autre pris une valeur de hauteur absolue (fréquence) qu’ils n’avaient pas à l’origine : tierce mineure au-dessus du la du diapason, ou l’une quelconque de ses octaves. L’ancienne acception n’en est pas moins conservée dans la hauteur relative, ce qui n’est pas sans amener parfois des malentendus. UT QUEANT LAXIS. Hymne à saint Jean-Baptiste, écrite au IXe siècle par le poète Paul Diacre dans le mètre saphique, et dont la première strophe a été utilisée au XIe siècle par Gui d’Arezzo pour donner les syllabes de la solmisation solfégique. Cette strophe est la suivante : UT queant laxis REsonare fibris MIra gestorum FAmuli tuorum SOLve polluti LAbii reatum Sancte Iohannes. Les syllabes retenues (ut, ré, mi, fa, sol, la) correspondent aux débuts d’hémistiche des trois premiers vers. Le dernier vers n’a pas été utilisé par Gui d’Arezzo, mais on a plus tard (XVIIIe siècle) repris les deux lettres acrostiches de Sancte Iohannes pour en faire la syllabe SI qu’on a alors attribuée à la septième note de la gamme. Contrairement à ce que l’on croit fréquemment, Gui d’Arezzo n’a emprunté pour son opération solfégique que les paroles de l’hymne et non sa mélodie. Cette dernière semble avoir été soit fabriquée par lui pour les besoins de la cause,

soit empruntée à un chant scolaire que l’on trouve à la même époque adapté à plusieurs odes d’Horace de même mètre. L’hymne, par contre, ne s’est jamais chantée avant le XIe siècle sur une mélodie solfégique. De plus, Jacques Viret et Jacques Chailley ont découvert en 1981 que le poème de Paul Diacre, indépendamment de la mélodie, constituait un cryptogramme dans lequel les syllabes retenues plus tard pour les notes de la gamme (et aussi celles non utilisées par Gui d’Arezzo) présentaient un sens caché cohérent. Au centre, la syllabe SOL, qui en latin signifie « soleil » et en reproduit l’image par le graphisme de sa lettre centrale O. Cette lettre O est la transcription latine de la lettre grecque oméga, dernière lettre de l’alphabet ; jointe à la première lettre alpha (que le Moyen Âge orthographie couramment alfa), elle contient la définition que Dieu se donne à lui-même dans l’Apocalypse : « Je suis l’alpha et l’oméga. » Dans l’hymne, SOL est encadré par les deux syllabes FA et LA, qui, lues en convergence vers l’oméga du SOL, forment précisément le mot ALFA. La syllabe précédente MI réunit les deux lettres M et I qui, dans la numérotation alphabétique latine, représentent le plus grand nombre transcriptible (M, mille) et le plus petit (I, un) ; elle est donc une image du macrocosme et du microcosme, représentation de l’univers. Les deux syllables initiales du dernier vers, SANcte IOhannes, réunies et lues comme ALFA mais en sens inverse, forment le mot IONAS, nom du prophète qui sortit vivant après trois jours du ventre d’une baleine, et pour ce fait fut considéré comme la préfiguration de la résurrection du Christ, image elle-même de la renaissance printanière après le sommeil de l’hiver. Si enfin on réunit à SOL et à IO les syllabes UT et RE, on obtient, dans un autre ordre, le mot alchimique RESOLUTIO, qui désigne le mystère fondamental de la nature, à savoir la dissolution des éléments dans la mort pour leur reconstitution ultérieure dans un autre ordre pour une nouvelle vie (mort/résurrection, cycle des saisons, etc.). Le groupe RESOLUTIO/ ALFA-OMÉGA peut être représenté par une croix latine régulière :

RE LA SOL FA UT IO La dédicace à saint Jean-Baptiste concourt elle aussi à la signification du cryptogramme, car la fête de ce saint, précurseur du Christ ressuscité, prenait place au solstice d’été, lié traditionnellement aux célébrations populaires des mystères saisonniers (feux et danses de la SaintJean). En choisissant cette hymne pour les syllabes de son « solfège », Gui d’Arezzo consacrait en quelque sorte une valeur symbolique antérieurement reconnue. `ŪD (oud). Luth oriental à manche court, à touche lisse et à cordes pincées utilisé dans les musiques traditionnelles arabo-iranoturques de l’islām. C’est l’ancêtre des luths occidentaux et des guitares. On trouve d’antiques vestiges du luth chez les peuples de l’Asie, la Mésopotamie, l’Orient méditerranéen ; mais l’essor du `ūd est lié à celui des musiques traditionnelles arabo-irano-turques de l’isl¯am. Il semble naître de la confluence culturelle des luths byzantins, arabes antéislamiques (mizhar, kirān, muwattar) et persans sassanides (barbat), au sein du royaume lakhmide de Hr¯a (Iraq actuel) vers le Ve siècle. Introduit à La Mecque et à Médine à partir du VIe siècle, il sera l’instrument des poètes-chanteurs sous les califes omayyades. Avec les califes downloadModeText.vue.download 1017 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1011 abbāssides de l’Iraq, il va devenir le luth concepteur des genres et modes des musiques méso-islamiques, et créateur des mélodies, rôle qu’il conservera jusqu’à nos jours dans les musiques arabes savantes et populaires. Du VIIIe au XVIe siècle, savants, théoriciens et musiciens de l’islām, successive-

ment Zalzal (VIIIe siècle), Ibrāhīm et Ishāq Mawsil (id.), Ziryāb et Kind (IXe s.), Fārāb (Xe s.), Ibn Snā dit Avicenne (XIe s.), Safiy al-Din (XIIIe s.), Jurjān (XIVe s.), Lādhiq (XVIe s.), élaborent sur le `ūd des traités sur les modes et intervalles (helléniques ou empiriques), et proposent des techniques ou des cordes supplémentaires (jusqu’à sept doubles cordes). Ces méthodes « médiévales » très élaborées utilisent les quatre doigts de la main gauche (tous les traités classiques) et évoluent avec l’adoption du démanché et des nuances dynamiques (Ishāq), puis le recours au délicat plectre de penne d’aigle (Ziryāb). À partir du XVIe siècle, l’hégémonie du `ūd est amoindrie par l’essor du setār en Iran et l’éclat du tanbūr des Ottomans. À la fin du XIXe siècle, le `ūd arabe est devenu un instrument populaire dont la technique, en régression, ne mobilise plus que deux doigts à gauche et un plectre banal sans nuances. Au XXe siècle, Cherif Muhieddin, descendant du Prophète, conçoit un retour au raffinement médiéval adaptable à la virtuosité. En 1937, il fonde l’École de luth de Bagdad (Ma `had al-mūsq f Baghdād) qui va former les meilleurs virtuoses cultivés : Jaml Bachr, Salmān Chukur, Munr Bachr et Jaml Ghānim, désormais appréciés dans le monde entier. Cependant, la « tradition » dans le « style XIXe siècle » de Fard al-Atrach ou `Omar Naqichband garde la faveur des foules arabes. Du VIIe siècle à nos jours, le `ūd est resté l’instrument modèle de la civilisation arabo-islamique. Il en a conçu les degrés, les intervalles, les genres et les modes (maqām-s) spécifiques. Il est donc la clef de toute analyse des structures modales. Il a été le confident du poète, l’accompagnateur du chanteur, la base du « quatuor » (takht), l’animateur des réunions, avant de devenir au XXe siècle le `ūd solo du récital des grands virtuoses, constituant alors un couple « idée-matériau » hautement sensible, modulant l’inspiration lors de l’improvisation au comma près. `ŪD ACTUEL. C’est un luth à manche court, à touche lisse, à cordes pincées dont le chevillier forme avec le manche un angle obtus. La caisse, piriforme et renflée, est formée de côtes accolées (treize à vingt-sept selon la

qualité du `ūd). Elle est fermée par une table d’harmonie plate et ajourée d’ouïes et de rosaces, décorée d’incrustations (mirifiques sur les `ūd-s des chanteurs, rares sur les `ūd-s fabriqués par les luthiers réputés de Bagdad, Damas ou Istanbul à l’intention des très grands virtuoses). Les cordes du `ūd ont une longueur moyenne de 600 millimètres. Issues du cordier collé sur la table, elles passent devant la touche lisse, franchissent le sillet et aboutissent aux chevilles. Elles sont pressées contre la touche par les doigts de la main gauche, et pincées à l’aide d’un plectre tenu à droite et manipulé sèchement (à l’égyptienne) ou en douceur (à la turque). Le nombre des rangs de cordes a suivi l’évolution du `ūd. On en a décrit quatre au VIIIe siècle, cinq au XIIIe siècle, six au XVIe siècle, parfois sept à partir du XIXe siècle. On trouve actuellement cinq rangs doubles sur le `ūd usuel et une corde grave supplémentaire sur les `ūd-s sophistiqués des grands luthiers du début du XXe siècle (Manol et Onnik d’Istanbul, Nah¯at d’Alep, `Al de Bagdad) et sur leurs dérivés. L’accordature a suivi le dogme historique des quartes avec quelques adaptations, soit du grave à l’aigu le schéma suivant : corde grave (qarār-rāst, parfois qarār-dūgāh) / quinte, parfois quarte / 1er rang (yegāh) / seconde majeure / 2e rang (`achrān) / quarte / 3e rang (dūgāh) / quarte / 4e rang (nawā) / quarte / 5e rang (gardān), soit éventuellement : do1 /sol1 /la1 /ré2 /sol2 /do3. Ce schéma classique est transposable, car il n’y a pas de hauteur absolue. La hauteur d’accordature dépend du « ton-clef » rāst adopté par l’école ou le musicien, qui peut être la, si bémol, do, ré fa, ou sol. Les instruments dérivés du luth oriental `ūd ont un manche plus long et sont pourvus de quatre rangs de cordes doubles. On trouve le `ūd`arb et la kwitra du Maghreb, le lavuta de Turquie accordé par quintes exclusives et garni de frettes, le zenne et le kadin-`ūdu qui étaient de petits `ūd-s utilisés autrefois par les femmes de la haute société d’Istanbul ou par leurs servantesmusiciennes. downloadModeText.vue.download 1018 sur 1085

V VACHON (Pierre), violoniste et compositeur français (Arles 1731 - Berlin 1803). Il se rendit à Paris vers l’âge de vingt ans,

faisant ses débuts au Concert spirituel en 1756 dans un concerto de sa propre composition. En 1761, il devint premier violon dans l’orchestre du prince de Conti, à qui il dédia la même année ses six symphonies op. 2. Il composa cinq opérascomiques entre 1765 et 1773. Après une dizaine d’années passées à Londres, il se rendit en Allemagne, et en 1786, était devenu premier violon de l’orchestre royal de Berlin, poste qu’il conserva jusqu’à sa retraite en 1798. Ses quatuors à cordes, au nombre d’une trentaine, sont de haute qualité, et il fut un des premiers compositeurs français à aborder le genre (de tous ses compatriotes, il s’y montra le plus prolifique). VAGGIONE (Horacio), compositeur argentin (Córdoba 1943). Il fait des études de composition à l’Université nationale de Córdoba où il sera cofondateur du Centre de musique expérimentale (1965-1968). Titulaire d’une bourse Fullbright, il suit des cours d’informatique musicale à l’Université de l’Illinois (1966). Il a été membre du groupe de musique électronique en direct ALEA de Madrid et a travaillé dans différents studios des États-Unis et d’Europe (à l’I.R.C.A.M., à l’Université technique de Berlin, à l’Institut de sonologie de La Haye). Vaggione vit en Europe depuis 1967. Docteur en esthétique de l’université Paris-VIII, il y enseigne l’informatique musicale. Ses oeuvres sont régulièrement jouées dans des festivals comme ceux de Venise, Berlin, Darmstadt, Helsinki, Genève, Bourges. La musique de Vaggione se distingue par ses couleurs vives, souvent violentes, mais aussi par les relations subtiles qui s’établissent entre les instruments acoustiques et la partie enregistrée ou générée par l’ordinateur (Thema pour saxophone basse et bande-ordinateur, 1985), par une réflexion sur la signification du matériau utilisé et sur ses potentialités, sur la portée symbolique des figures musicales (Septuor pour ensemble électronique, 1981). Le compositeur crée un code personnel de fonctions sémantiques, à valeur intrinsèque, qu’il traite ensuite avec un sens remarquable de l’évidence (par exemple, le cycle constitué par Till pour piano et bande-ordinateur, 1991 ; Tahil pour piano seul, 1992 ; Leph pour piano et dispositif électroacoustique ; Schall pour bande, 1994). On lui doit notamment

Triadas pour orchestre (1967), Daedalus pour ensemble électronique et instrumental (1980), Octuor pour ordinateur-bande magnétique (1982), Charybde pour bande (1983), Set pour basson amplifié et bande (1986), Tar pour clarinette basse et bandeordinateur (1987). VALEN (Fartein), compositeur et organiste norvégien (Stavanger 1887 Haugesund 1952). Il fut l’un des premiers modernistes de son pays et adopta très tôt les principes dodécaphoniques (Trio op. 5, 1917-1923), dans le cadre d’une écriture polyphonique riche et complexe. Mais l’essentiel de son oeuvre de maturité commence en 1930 avec la Pastorale op. 11. Il développa alors un système de contrepoint dissonant très strict qu’on retrouve dans le 2e Quatuor à cordes (1931), les Sonetti di Michelangelo (1932), Epithalamion op. 19 (1933), le Cimetière marin op. 20 (1934) et La Isla de las calmas op. 21 (1934), les cinq Symphonies, dont la dernière inachevée. Le rôle de Valen a été très important dans l’émancipation des compositeurs norvégiens du XXe siècle, vis-à-vis d’une tradition postromantique qui l’influença dans sa jeunesse et contre laquelle il montra qu’on pouvait réagir sans pour autant rompre totalement avec elle. VALENTINI-TERRANI (Lucia), mezzo-soprano italienne (Padoue 1946). Étudiante au Conservatoire de Padoue, elle débute à Brescia dans la Cenerentola de Rossini. En 1972, elle remporte le premier prix Rossini et débute à la Scala en 1973. En 1974, elle est au Metropolitan de New York pour l’Italienne à Alger et le Barbier de Séville. En 1979, elle travaille avec Giulini pour le Requiem de Verdi, et aborde le rôle de Marina dans Boris Godounov. En 1984, elle chante Werther sous la direction de Georges Prêtre. Elle est souvent invitée au Festival de Pesaro, et s’impose surtout dans les opéras de Rossini. En 1993, elle a chanté Il Viaggio a Reims avec Abbado. VALLAS (Léon), musicologue français (Roanne 1879 - Lyon 1956). Docteur ès lettres, il enseigna l’histoire de la musique au conservatoire de Lyon, professa en Sorbonne et aux États-Unis,

et fut, de 1938 à 1941, directeur artistique de Radio-Lyon. Il fonda en 1903 la Revue musicale de Lyon, devenue en 1912 la Revue française de musique, puis la Nouvelle Revue musicale (1920-1925). De 1937 à 1943, il présida la Société française de musicologie. Vivantes et bien documentées, ses biographies de César Franck, Vincent d’Indy et Claude Debussy constituent l’essentiel de son oeuvre d’historien. PRINCIPAUX ÉCRITS : Un siècle de musique à Lyon, 1688-1789 (1932) ; les Idées de Claude Debussy, musicien français (1927) ; Claude Debussy et son downloadModeText.vue.download 1019 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1013 temps (1932 ; rééd. 1958) ; Vincent d’Indy (2 vol., 1946, 1949) ; la Véritable Histoire de César Franck (1955). VALLIN (Ninon), soprano française (Montalieu-Vercieu 1886 - Lyon 1961). Elle débuta au concert dans la Demoiselle élue de Debussy et participa à la création du Martyre de saint Sébastien (la voix de la vierge Érigone). Elle fut engagée à l’Opéra-Comique pour chanter Micaela en 1912. Par la suite, elle y chanta une grande variété de rôles tant dans le répertoire de soprano lyrique, comme Rozenn du Roi d’Ys, que dans celui de soprano lyrico-dramatique, comme Louise, ou celui de mezzo-soprano, comme Charlotte de Werther. Elle assura aussi un certain nombre de créations dans des ouvrages contemporains (Xavier Leroux et Camille Erlanger). Elle parut aussi avec succès à la Scala de Milan et au théâtre Colón de Buenos Aires. Son timbre conservait la même qualité à la fois brillante et chantée sur toute la longueur d’un registre assez étendu. Sa musicalité était raffinée, mais son talent d’actrice conventionnel. VALLS (Francisco), théoricien et compositeur espagnol ( ? v. 1665 - Barcelone 1747). En 1696 au plus tard, il devint maître de choeur à la cathédrale de Barcelone. Il composa dix messes, dont la plus cé-

lèbre fut la Missa Scala aretina pour trois choeurs vocaux et un choeur instrumental (1702), ainsi nommée en raison de son usage de la gamme de six sons (hexachorde), dont l’invention était attribuée à Guido d’Arezzo. Une dissonance non préparée de neuvième (à la onzième mesure du Qui tollis du Gloria) suscita de violentes polémiques : plus de cinquante musiciens espagnols en débattirent. En 1740, Valls abandonna son poste à la cathédrale de Barcelone pour rédiger son traité Mapa armonico (préface datée de 1742) : il y expliqua notamment que cette dissonance avait été introduite par lui pour rehausser l’expression. VALSE (en all. Walzer ; du verbe walzen, « rouler »). Danse à 3 temps, qu’on a dit issue de la « volte », danse provençale du XVIe siècle, également à 3 temps, mais cette origine a été contestée. Elle se danse par couples et en tournant. C’est au cours du XVIIIe siècle que se répand le terme de « valse ». Elle n’est alors pas très éloignée d’autres danses vives à 3 temps comme la danse allemande ou le Ländler. C’est à Vienne que la valse finit par trouver sa patrie. Danse à la fois noble, distinguée et voluptueuse et même parfois dionysiaque, la valse, sous sa forme entraînante et rapide, triomphe au XIXe siècle, avec les productions de Lanner et de la famille Strauss. Les valses sont alors souvent écrites avec une ouverture lente, qui met en valeur leur déchaînement rythmique (Invitation à la valse de Weber). Franz Schubert, avec ses Valses nobles et ses Valses sentimentales, est un des très nombreux compositeurs de valses publiées au XIXe siècle pour répondre à cette mode. Parmi les recueils romantiques pour piano, celui des 14 Valses op. 18, op. 34 et op. 64 de Chopin, auxquelles il faut ajouter quelques numéros posthumes, est le plus populaire : beaucoup des pièces qui le composent adoptent le style « tourbillonnant » de rigueur, tandis que d’autres (Valse en « la » mineur, op. 34 no 2) sont plus mélancoliques et rêveuses. Dans la musique occidentale, la valse est une des rares danses à avoir fait se rejoindre musique savante et sensibilité

populaire : les grandes valses de Johann Strauss fils sont appréciées de tous, ce qui est moins le cas de ses polkas et quadrilles, plus confinés dans leur fonction de divertissement. On trouve donc des valses absolument partout : dans les bals populaires ou de la haute société, mais aussi dans des oeuvres symphoniques (Berlioz, Mahler), dans des ballets (Tchaïkovski, Messager, Delibes, etc.), mais encore dans des opéras (Faust, de Gounod ; les Maîtres chanteurs de Nuremberg, de Wagner ; le Chevalier à la rose, de Richard Strauss ; Wozzeck, d’Alban Berg, etc.) et même dans des oeuvres savantes et atonales (Schönberg). En effet, la valse présente cette particularité d’être une danse susceptible de s’adapter à une écriture complexe et baroque, tout en conservant son caractère dansant fondamental : on rencontre ainsi des valses extrêmement sophistiquées, chromatiques (Méphisto-Valse, de Liszt), et même électroacoustiques (Valse molle, d’Alain Savouret ; valse de la Symphonie pour un homme seul, de Pierre Schaeffer et Pierre Henry), en passant par les valses raffinées d’un Ravel (Valses nobles et sentimentales, pour piano, et la Valse, poème symphonique cherchant à exprimer la quintessence de cette danse viennoise). À côté de la forme rapide et distinguée, on trouve aussi la valse lente, ou valse anglaise, et la forme populaire de la valse musette. VAN ASPEREN (Bob), claveciniste néerlandais (Amsterdam 1947). Il est l’élève de Gustav Leonhardt au Conservatoire d’Amsterdam et obtient en 1971 son diplôme de soliste. Il se produit ensuite avec la Petite Bande, le Quadro Hotteterre, ainsi qu’avec le flûtiste Frans Brüggen. Parallèlement à ses activités européennes, de nombreux engagements le mènent en U.R.S.S., aux États-Unis, en Australie, et divers grands prix récompensent ses enregistrements. À partir de 1981, il dirige comme « maestro al cembalo » l’orchestre de chambre Melante 81, qu’il a fondé et qui joue sur instruments anciens. De 1973 à 1988, il enseigne le clavecin au Conservatoire royal de La Haye. VAN BAAREN (Kees), compositeur néerlandais (Enschede 1906 - Oegstgeest 1970). Il étudia avec Pijper au conservatoire de La Haye, puis à l’Académie de musique de

Berlin, où il rencontra Berg et Schönberg. Intéressé, dès ses débuts, par la technique sérielle, il réalisa avec son Septuor (1952) la première grande oeuvre néerlandaise conçue dans cette discipline. Directeur du conservatoire de La Haye à partir de 1957, il eut sur ses élèves, parmi lesquels « les Cinq », groupe formé de Louis Andriessen, Misha Mengelberg, Reinbert de Leeuw, Peter Schat et Jan Van Vlijmen, la plus heureuse influence, et ses oeuvres servirent fréquemment d’exemples, malgré la lenteur de leur élaboration, car chacune d’elles atteste un approfondissement de l’organisation sérielle. OEUVRES. - Musique pour orchestre. Sinfonia, Variations, Concerto pour piano. Musique de chambre. 2 quatuors, Quintette à vent, Septuor. Musique vocale. The Hollow Men (cantate d’après T. S. Eliot). VAN BEINUM (Eduard), chef d’orchestre néerlandais (Haarlem 1901 - Amsterdam 1959). Élève de Sem Dresden au conservatoire d’Amsterdam, il fit ses débuts à Haarlem, puis devint associé de Wilhelm Mengelberg au Concertgebouw d’Amsterdam (1938), avant de lui succéder à la tête de cet orchestre de 1945 à sa mort. Sa carrière internationale le conduisit alors à effectuer de fréquentes tournées en Europe et en Amérique. En 1956, il fut nommé chef de l’Orchestre de Los Angeles, mais renonça à ce poste et revint en Europe. Avec une technique claire et analytique, Eduard Van Beinum a souvent défendu les grandes oeuvres contemporaines. Il fut aussi un très grand interprète de Bruckner. VAN CAMPENHOUT (François), compositeur belge (Bruxelles 1779 - id. 1848). Il commença sa carrière comme violoniste au théâtre de la Monnaie, puis comme chanteur. Il étudia ensuite à Amsterdam et pratiqua le chant jusqu’en 1827, date à laquelle il se fixa à Bruxelles pour se consacrer à la composition. On lui doit 17 opéras (dont Gratius, le Passe-Partout, l’Heureux Mensonge), des ballets (Diane et Endymion), 3 messes, 6 divertissements, 1 Sinfonia, 9 cantates avec orchestre, un TeDeum, etc. Il est également l’auteur de la Brabançonne (1830).

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DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1014 VAN CLIBURN (Harvey), pianiste américain (Schreveport, Louisiane, 1934). Il joue pour la première fois en public à l’âge de quatre ans, et, à douze ans, il remporte un concours de piano qui lui permet de se produire en compagnie de l’Orchestre symphonique de Houston. En 1948, il joue pour la première fois à Carnegie Hall et remporte le concours de la Juilliard School en 1953. Prix Leventritt en 1954, il se produit la même année sous la direction de Mitropoulos. 1er Prix du Concours Tchaïkovski de Moscou en 1957, il est porté aux nues. Fondateur du concours qui porte son nom, il interrompt sa carrière en 1978, après de nombreux concerts et enregistrements. VAN DAM (Joseph VAN DAMME, dit José), baryton belge (Bruxelles 1940). Au Conservatoire de Bruxelles, il est l’élève de Frederic Anspach. En 1960, il entre dans la troupe de l’Opéra de Paris, et triomphe en 1965 dans le rôle d’Escamillo. De 1967 à 1973, il intègre la troupe du Deutsche Oper de Berlin. En 1968, il crée Ulisse de Dallapiccola, et chante les Contes d’Hoffmann à Salzbourg sous la direction de Karajan, qui l’apprécie beaucoup. À la Scala, à Covent Garden ou à Paris, il incarne avec succès Méphisto, Colline dans la Bohème, Golaud dans Pelléas, ou Wozzeck. En 1983, il crée le rôle-titre de Saint-François d’Assise de Messiaen. En 1988, il joue dans le film de Gérard Corbiau le Maître de musique. En 1992, c’est la reprise de Saint-François à l’Opéra-Bastille dans une mise en scène de Peter Sellars. En 1994, il ajoute Don Alfonso, Scarpia et Hans Sachs à son répertoire. Il a le projet de fonder une école de chant où se déroulerait un travail en profondeur, permettant aux jeunes chanteurs de retrouver les conditions de formation des troupes d’opéra aujourd’hui disparues. VANDENBOGAERDE (Fernand), compositeur français (Roubaix 1946). Il fit des études à la fois scientifiques et musicales, ces dernières au conservatoire

de Roubaix, à la Schola cantorum, au Conservatoire de Paris (analyse, esthétique), à Cologne avec Stockhausen, à Darmstadt, et enfin au G.R.M. Il a donné des conférences en Amérique latine, et a enseigné à la Schola cantorum, au conservatoire de Pantin et à l’université Paris-XIII. Depuis 1976, il est directeur du conservatoire du Blanc-Mesnil. Très attiré par la conception massique de Xenakis, il se veut néanmoins indépendant, et refuse tout carcan idéologique. Ses oeuvres, très nombreuses, sont presque toutes électroacoustiques ou mixtes : Métamorphoses, pour bande magnétique (1969), Kaléidoscope, musique électroacoustique en six pistes (1976), Jeu de temps, pièce pédagogique pour piano et dispositif électroacoustique (1977), Temps/Couleurs, pour clarinette basse, flûte basse, trombone, violoncelle et dispositif électroacoustique (1979), Musique à dix, pour vents (1980), Librations pour bande (1983), Sextine, pour onze cors, tuba et six percussions (1988), Quatuor de trios, pour douze instruments (1991). VAN DEN BORREN (Charles), musicologue belge (Ixelles 1874 - Uccle 1966). Élève d’Ernest Closson, il fut bibliothécaire du Conservatoire royal de musique de Bruxelles, enseigna aux universités de Bruxelles et de Liège et devint, en 1946, président de la Société belge de musicologie. Il a fondé, avec Safford Cape, l’ensemble Pro musica antiqua. PRINCIPAUX ÉCRITS : L’oeuvre dramatique de César Franck (Bruxelles, 1907) ; les Origines de la musique de clavier en Angleterre (Bruxelles, 1912) ; les Débuts de la musique à Venise (Bruxelles, 1914) ; les Origines de la musique de clavier dans les Pays-Bas (Bruxelles, 1914) ; Guillaume Dufay (Bruxelles, 1925) ; Études sur le XVe siècle musical (Anvers, 1943) ; Roland de Lassus (Bruxelles, 1943) ; César Franck (Bruxelles, 1950). VAN DYCK (Ernst), ténor belge (Anvers 1861 - Berlaer-lez-Lierre 1923). Venu étudier à Paris avec Saint-Yves Bax, il est découvert par Charles Lamoureux, qui le fait débuter en concert en 1883 et sur scène en 1887, dans le rôle de Lohengrin qu’il crée à Paris. Les leçons de Julius

Kniese, le maître de chant de Bayreuth, lui permettent d’y incarner dès 1888 Parsifal, avant d’y tenir, jusqu’en 1901, tous les emplois de Heldentenor. Membre de l’Opéra de Vienne de 1888 à 1900, il y défend aussi le répertoire français, Des Grieux de Manon en 1890, et Werther, qu’il y crée en 1892. Il chante également à Bruxelles (1894), Chicago (1898), New York (1898-1902), Londres (1907), Paris (1908, 1914) et Monte-Carlo (1906, 1909, 1910). Une voix chaude au timbre éclatant, sa noblesse de diction et de geste et sa prestance de comédien ont fait de lui le premier Heldentenor de son époque. D’une culture étendue, il fut également librettiste et enseigna, à partir de 1906, à Paris et en Belgique. VANHAL (Johann Baptist ou JAN KŘTITEL), compositeur tchèque (Nove Nechanice, Bohême, 1739 - Vienne 1813). Après avoir été organiste à Marsov, il arriva à Vienne vers 1760, et, dans cette ville, il eut comme maître Dittersdorf, son contemporain exact, avant de donner luimême des leçons à Pleyel. De 1769 à 1771, il séjourna en Italie, où il composa notamment 2 opéras perdus et où il rencontra Gluck et Gassmann. Après son retour à Vienne, il fut sujet à des dépressions nerveuses, et, de 1772 à 1780, séjourna plusieurs fois, pour se remettre, sur les terres du comte Johann Erdödy en Croatie. À partir de 1780, il vécut de nouveau à Vienne en musicien indépendant, délaissant peu à peu la composition d’oeuvres importantes au profit de la musique de salon et de ses activités d’enseignant. Auteur de très nombreuses partitions vocales (messes, requiem, motets) et surtout instrumentales, dont 54 quatuors, environ 30 concertos, des sonates, des variations et des danses, il joua un rôle de premier plan, à partir de 1765 environ et pour une dizaine d’années, dans l’évolution de la symphonie. Il en laissa 73, dont 13 en mineur, qui, par leurs teintes souvent mélancoliques, font de lui un des meilleurs représentants du Sturm und Drang autrichien. Des diverses étapes de l’évolution de J. Haydn, à qui furent attribués plusieurs de ses ouvrages, celle du Sturm und Drang semble l’avoir attiré tout particulièrement. La Symphonie en sol mineur composée par Vanhal vers 1770 forme avec la 39e de Haydn et la 25e

de Mozart, à peu près contemporaines et dans la même tonalité, une remarquable et très intéressante trilogie. VAN IMMERSEEL (Jos), claveciniste belge (Anvers 1945). Il étudie au Conservatoire de sa ville natale et obtient trois premiers prix (piano, orgue, et clavecin dans la classe de K. Gilbert). Lauréat de plusieurs concours internationaux, il commence une carrière où l’enseignement tient une part importante (d’abord au Conservatoire d’Anvers puis, à partir de 1992, au Conservatoire de Paris, où il enseigne le pianoforte). En 1985, il fonde l’orchestre Anima Eterna. VAN MALDERE (Pierre), compositeur et violoniste belge (Bruxelles 1729 - id. 1768). Peut-être élève de J.-J. Fiocco et de H.-J. de Croes, il entra en 1746 au plus tard dans la chapelle de Charles de Lorraine, gouverneur général des Pays-Bas autrichiens, séjourna grâce à lui à Dublin (1751-1753), et se fit entendre en 1754 au Concert spirituel à Paris. Il devint alors directeur des concerts de Charles de Lorraine, auquel il devait rester attaché jusqu’à sa mort. À la fois parce que Charles de Lorraine était le beau-frère de l’impératrice Marie-Thérèse et parce que le gouverneur général et son protégé séjournèrent en Bohême et en Autriche au début de la guerre de Sept Ans (jusqu’en 1758), les oeuvres de Van Maldere furent vite connues et appréciées à Vienne. Après de nouveaux voyages avec Charles de Lorraine, en particulier à Paris, il fut directeur du Grand Théâtre de Bruxelles de 1762 à 1767. Il écrivit des downloadModeText.vue.download 1021 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1015 oeuvres pour la scène, dont le Déguisement pastoral (Schönbrunn, 1756) et la Bagarre (Paris, 1763), et de la musique de chambre, mais son importance tient surtout à ses symphonies, qui, par leur forme comme par leur écriture, constituent la partie la plus avancée de sa production. Elles parurent à Paris, Lyon, et Londres à partir de 1760, et certaines furent attribuées à Haydn.

VANNI-MARCOUX (Jean), baryton français (Turin 1877 - Monte-Carlo 1962). Il débuta à Turin en 1894. Il fut engagé à l’Opéra de Paris en 1909, où, assez curieusement, il s’imposa dans des rôles marqués par Chaliapine, dont il était loin d’avoir les moyens vocaux : le Boris Godounov de Moussorgski et le Don Quichotte de Massenet, où il parvenait à racheter par l’intelligence de l’interprétation et la musicalité ce qui lui manquait en volume. Il a fait de nombreuses créations, dont la dernière en date fut Flambeau de l’Aiglon d’Ibert et Honegger en 1937. Il a enseigné au Conservatoire de Paris de 1938 à 1945 et dirigé ensuite le Grand-Théâtre de Bordeaux. Vanni-Marcoux était un artiste lyrique au raffinement exceptionnel et à la personnalité convaincante. VAN VLIJMEN (Jan), compositeur néerlandais (Rotterdam 1935). Il fut l’élève de Kees Van Baaren alors que celui-ci était encore directeur du conservatoire d’Utrecht. Ses premières oeuvres, parmi lesquelles un quatuor et des mélodies sur des textes de Morgenstern, révèlent l’influence de Berg et de Schönberg, ainsi qu’un esprit postromantique (1955-1958). Son quintette à vents (1958) marque son passage du dodécaphonisme strict au sérialisme. Il s’impose sur le plan international avec Costruzione, pour 2 pianos, joué à Darmstadt en 1961, et Gruppi per 20 strumenti e percussione (1962), oeuvre influencée par la Gruppenform, telle que l’avait élaborée Stockhausen, et dans la suite de laquelle s’inscrivent notamment Serenata I, pour 12 instruments divisés en 3 groupes (1964 ; rév., 1967), Serenata II, pour flûte et 4 groupes instrumentaux (1964), Sonata per pianoforte e tre gruppi strumentali (1966) et Per diciassette, pour 17 instruments à vent (1968). On lui doit encore un concerto pour violon (Omaggio a Gesualdo, 1971), Axel, opéra en 3 actes d’après Villiers de L’Isle-Adam (1977), et Quaterni, pour ensemble instrumental (1979). Nommé directeur adjoint du conservatoire de La Haye en 1965, il a succédé comme directeur à Kees Van Baaren en 1970. En 1969, il a participé à l’opéra collectif Reconstruction. Il a relativement peu composé, mais occupe une place importante dans l’école néerlandaise actuelle. VANZO (Alain), ténor français (Monaco

1928). Il se forme en autodidacte et, de 1950 à 1954, joue et chante dans des orchestres de musique légère. Un professeur de chant, Mme Darcour, l’entend dans une brasserie et lui donne des cours pendant un an. En 1954, il est lauréat du Concours des ténors de Cannes. De 1955 à 1960, il gravit les échelons de l’Opéra de Paris et de l’OpéraComique, dans Bizet, Verdi ou Delibes. De 1961 à 1963, il chante à Covent Garden et remporte des triomphes en incarnant Rodolphe dans la Bohème, Nadir dans les Pêcheurs de perles ou Don Ottavio dans Don Giovanni. En 1976, il accompagne la tournée de l’Opéra de Paris aux ÉtatsUnis, et, en 1985, chante Robert le Diable au Palais-Garnier. Il a composé de nombreuses mélodies et plusieurs ouvrages lyriques. VARADY (Julia), soprano roumaine naturalisée allemande (Oradea 1941). De 1953 à 1960, elle étudie au Conservatoire Gheorghe Dima de Cluj, et débute à l’Opéra dans la tessiture d’alto. Elle rencontre ensuite Emilia Popp, qui la fait évoluer vers le timbre de soprano, et suit depuis son travail. En 1971, elle triomphe dans le rôle de Vitellia de la Clémence de Titus, et commence une carrière internationale. Elle s’impose surtout dans Mozart et Verdi. De Richard Strauss, elle chante Arabella sous la direction de Sawallisch, et le Compositeur d’Ariane à Naxos avec Karl Böhm. En 1986, elle incarne Leonora dans la Force du destin et l’Impératrice de la Femme sans ombre. En 1994, elle aborde le Bal masqué à Munich, et étend son répertoire sans jamais forcer ses limites. Elle maîtrise maintenant Aïda et triomphe dans Santuzza de Cavalliera Rusticana, aux côtés d’Astrid Varnay. VARÈSE (Edgard), compositeur américain, d’origine française (Paris 1883 New York 1965). Lorsque ce grand créateur solitaire disparut à New York, il était depuis longtemps considéré, malgré les scandales qu’il avait provoqués, comme un de ceux ayant le plus profondément marqué le passage du XXe siècle. Né d’une mère bourguignonne et d’un père d’origine italienne, il commença à travailler (en cachette de son père) l’harmonie et le contrepoint à Turin, où sa famille s’était installée en

1892. Ayant regagné Paris en 1903, il entra à la Schola cantorum en 1904 (d’Indy, Roussel), puis au Conservatoire en 1905 (Widor). Il écrivit en 1905 Prélude à la fin d’un jour, pour 120 musiciens, et en 1906 une Rhapsodie romane, pour orchestre. L’année 1906 le vit aussi fonder la chorale de l’Université populaire du faubourg Saint-Antoine, avec laquelle il donna des concerts publics. De 1907 à 1914, il vécut principalement à Berlin, où il se lia avec Busoni, Richard Strauss, le chef Karl Muck et l’écrivain Hugo von Hofmannsthal. En 1908, il fit à Paris la connaissance de Debussy, à qui il révéla les premières oeuvres atonales de Schönberg, et commença OEdipe et le Sphinx, opéra sur un livret de Hofmannsthal (il devait y travailler jusqu’en 1914). Le poème symphonique Gargantua devait lui aussi demeurer inachevé, mais un autre, Bourgogne, fut créé à Berlin le 15 décembre 1910 (Varèse ne devait détruire le manuscrit qu’en 1962). En 1911, il entreprit Mehr Licht, qui, remanié, prit place l’année suivante dans l’opéra les Cycles du Nord. Le 4 janvier 1914, il dirigea avec grand succès un concert de musique française à Prague. La guerre le surprit à Paris, et tous ses manuscrits demeurés à Berlin devaient y être détruits par l’incendie d’un entrepôt. Mobilisé durant six mois, puis réformé, il partit pour les États-Unis en décembre 1915. En 1917, il dirigea à New York le Requiem de Berlioz « à la mémoire des morts de toutes les nations », et, en 1919, fonda pour l’interprétation de la musique nouvelle le New Symphony Orchestra : ce fut un échec. En 1921, l’année de l’achèvement d’Amériques, sa première composition ayant subsisté, il fonda l’International Composers’ Guild, dont le premier concert eut lieu en 1922 et le dernier en 1927. Son manifeste est demeuré célèbre : « Mourir est le privilège de ceux qui sont épuisés. Les compositeurs d’aujourd’hui refusent de mourir. » En six ans d’activité, l’International Composers’ Guild devait révéler aux Américains des oeuvres telles que Pierrot lunaire de Schönberg, Noces de Stravinski ou le Concerto de chambre de Berg. Les années les plus fécondes de Varèse s’étendirent de 1920 à 1934 : naquirent alors 8 oeuvres maîtresses que rien dans leur écriture n’empêcherait de figurer dans

la production du second après-guerre. La première est Amériques, pour grand orchestre (1920-21 ; rév., 1929), hymne au lyrisme violent et à la solitude de l’univers industriel moderne. Suivirent Offrandes, pour soprano et orchestre de chambre (1921), oeuvre plus subjective de ton que d’habitude chez le compositeur ; Hyperprism, pour petit orchestre et percussion (1922-23), la plus brève (4 à 5 minutes) de toutes ses partitions instrumentales ; Octandre, pour 6 instruments à vent et une contrebasse à cordes (1923), oeuvre dont pour une fois la percussion est absente ; Intégrales, pour petit orchestre et percussion (1924-25), aux sonorités évoquant plus que jamais la future musique électronique ; Arcana, pour grand orchestre (1926-27), sans doute son chef-d’oeuvre ; Ionisation, pour 37 instruments à percussion (1929-1931) ; et Ecuatorial, pour downloadModeText.vue.download 1022 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1016 choeur, trompettes, trombones, piano, orgue, 2 ondes Martenot et percussion (1934). Au cours de cette période, Varèse séjourna à Paris une première fois en 1924 et une nouvelle fois en 1927, pour ensuite y vivre durant cinq années consécutives, de 1928 à 1933. Il s’y lia avec Villa-Lobos (1929) et, en 1930, accepta comme élève André Jolivet, que lui avait envoyé Paul Le Flem. De retour à New York (1933), Varèse y travailla avec le physicien et électronicien Léon Thérémine avant de traverser les années les plus noires de son existence (1935-1949). Brisé par la tension qu’avait occasionnée pour lui le fait d’arracher aux instruments traditionnels des sons extraordinaires et véritablement inouïs, il apparut alors comme un homme fini, qui avait connu les scandales, mais sur qui maintenant tombait l’oubli. Il continua à travailler à Espace, projet remontant à 1929, mais de cette « traversée du désert » ne restent sur le plan de la création que deux témoignages, Densité 21,5, pour flûte seule (1936), et Étude pour « Espace » (1947), vestige du projet déjà mentionné. En 1935, devant l’échec de ses tentatives pour obtenir un laboratoire acoustique, il songea au suicide. En 1936, répondant à l’appel du désert, il s’installa

quelque temps à Santa Fe, dans le Nouveau-Mexique, et y fit des conférences musicales. De 1938 à 1940, il vécut à Los Angeles, mais ne parvint pas à travailler pour le cinéma. En 1941, à New York, il fonda le New Chorus, devenu en 1942 le Greater New York Chorus, et avec lequel il dirigea beaucoup de musique antérieure à Bach. En 1948, il donna à la Columbia University de New York une série de cours de composition et de conférences sur la musique du XXe siècle qui marquèrent les débuts de sa « renaissance ». En 1950, il commença la composition des parties instrumentales de Déserts et enseigna à Darmstadt, où il eut pour élève Luigi Nono. En 1952 furent achevées les parties instrumentales de Déserts. Cette oeuvre inaugura une brève mais foudroyante résurrection créatrice due notamment à l’apparition de la musique sur bande magnétique (concrète et électronique), dont Varèse s’empara aussitôt. Du début de 1953 à la fin de 1954, il réalisa les interpolations sur bandes magnétiques destinées à Déserts (il devait faire une deuxième version de ces interpolations en août 1960, une troisième en avril 1961 et une quatrième et définitive en août 1961). Déserts, dont la création à Paris le 2 décembre 1954, sous la direction de Hermann Scherchen, déclencha un mémorable scandale, est une oeuvre pour orchestre d’instruments à vent et de percussions avec « deux pistes de sons organisés sur bande magnétique ». Suivirent la Procession de Vergès, « son organisé » sur bande magnétique (durée : 2 minutes 47 secondes) destiné à un film sur Joan Miró (1955), Poème électronique, pour le pavillon Philips de l’Exposition internationale de Bruxelles (1958), et Nocturnal, pour soprano, choeur et orchestre (1959-1961), terminé après la mort de Varèse par son élève Chou-WenChung. Aux 14 ouvrages du compositeur vient en outre s’ajouter Nuits (sur un poème d’Henri Michaux), pour soprano, 8 vents, contrebasse à cordes et percussions, également inachevé, mais laissé en l’état. En considérant le timbre comme un phénomène en soi, en faisant du son un événement, en ouvrant à la musique la dimension spatiale, mais aussi par ses nouveautés radicales en matière de rythme, de mélodie et de forme, Varèse ne fut ni plus ni moins qu’un complément

indispensable de la révolution sérielle dans la constitution du paysage musical d’aujourd’hui. Il ne poursuivit pas la tradition, ni n’en prit le contrepied, mais l’ignora tout simplement, même si dans sa musique on en trouve des traces. Ayant poursuivi des études d’ingénieur électroacousticien, il fut le premier à vouloir faire de la musique avec des sons, et non plus avec des notes, et on a pu dire que si l’électronique avait existé dès 1916, il aurait été le seul musicien capable de s’en servir. Son drame fut que sa pensée et sa poésie précédèrent de trente ans les découvertes de la technologie. Il n’aimait pas les violons, mais manifesta, toute sa vie, une prédilection pour les instruments à vent et pour la percussion, dont il révolutionna l’usage. Le premier, il analysa la structure harmonique du son en la décomposant, et, dès 1920, il déclara « travailler avec les rythmes, les fréquences, les intensités ». Sa méthode d’analyse spectrale du son ne fut pas étrangère à son admiration pour l’alchimie et pour Paracelse, dont il plaça un extrait en exergue d’Arcana. Il restitua à l’harmonie son rôle primitif de résonance et de timbre. L’agrégat sonore ne fut plus pour lui un accord avec des fonctions harmoniques, mais un objet fait de superpositions de fréquences où le timbre crée la différenciation des onces, des plans et des volumes, l’intensité étant un élément d’intégration formelle modelant le son dans l’espace et le temps, et le rythme un élément stable, de cohésion. Dès 1915, Varèse comprit que l’empire sonore pouvait s’étendre au-delà des limites traditionnelles, et rechercha aussi bien des sons inouïs que des nouveaux moyens techniques. La crise de 1929 ne permit pas aux contacts qu’il avait pris avec la Bell Telephone Company, pour la création d’un laboratoire de musique électroacoustique, d’aboutir. Il lui fallut attendre vingt-cinq ans pour réaliser des oeuvres sur bande reculant les frontières du monde sonore, remettant en question le tempérament et la distinction entre son et bruit, posant le problème d’une nouvelle écoute et de la spatialisation du son. En fait, dès 1931, avec Ionisation, il avait mis en relation des « événements ou des processus physiques ou chimiques », et souligné son attirance quasi physique pour le son brut. De plus, cette oeuvre, liaison entre l’Orient et l’Occident, témoigne de sa quête des sources primi-

tives de la musique et de leur puissance incantatoire (cf. aussi Ecuatorial). Enfin, la sirène témoigne dans Ionisation (comme les bruits d’usine dans la bande sonore de Déserts) de l’intégration du quotidien dans l’univers de Varèse, qui se déclara plus d’une fois incapable de vivre hors d’une grande ville (New York). Il employa aussi les instruments traditionnels de façon inusitée, violentant leur nature : nouveaux modes d’attaque, sons rétrogradés dans Hyperprism ou Intégrales ; oppositions systématiques de tessitures et d’intensités, jeu sonore des clés dans Densité 21,5 ; vents utilisés dans des tessitures d’exception dans Octandre. Lui-même inventa des instruments : un tambour à friction (rugissement du lion), une machine à vent. Fasciné par la décomposition de la lumière dans les prismes, il tenta d’écrire une musique prismatique décomposant, faisant éclater les sonorités de manière fulgurante (Hyperprism). La percussion joue chez lui un rôle de diffraction de la lumière des cuivres, dans une forme antiphonale à partir d’une cellule de base constituée d’une appoggiature et d’une note pivot, figure chère à Varèse (Octandre). Intégrales alla encore plus loin, car cette oeuvre fut conçue « pour une projection spatiale du son » et « pour certains moyens acoustiques qui n’existaient pas encore ». Ce fut, en somme, une oeuvre d’anticipation, car, pour Varèse, « la musique de demain sera spatiale », « les sons donneront l’impression de décrire des trajectoires dans l’espace, de se situer dans un univers sonore en relief ». Ces routes du son, il les concrétisa dans le Poème électronique. Enfin, pour cet alchimiste, pour ce sculpteur du matériau brut, le silence aussi faisait partie de l’univers organisé des sons : en témoigne l’utilisation qu’il en fit dans les dernières mesures d’Arcana, ou mieux encore à la fin de Déserts, où ce silence doit être battu. Varèse ne fut pas un précurseur de la musique du XXe siècle, mais l’un de ses grands créateurs. VARGA (Tibor), violoniste hongrois naturalisé anglais (Györ 1921). De 1931 à 1938, il étudie à l’Académie de Budapest avec Jenö Hubay, puis à Berlin avec Carl Flesch. Il débute un importante carrière de soliste, jouant avec Furtwängler, Rosbaud ou Dobrowen. Il interprète aussi bien les concertos de Bach que ceux de Bartók et de Schönberg. Se fixant en

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DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1017 Allemagne, il dirige de 1954 à 1988 son orchestre de chambre Tibor Varga. Il fonde aussi, en 1964, un festival, une académie d’été et un concours en Suisse, à Sion. Il y installe aussi une école de musique. De 1989 à 1993, il succède à Patrice Fontanarosa à la tête de l’Orchestre des Pays de Savoie. En 1995, il collabore à la formation des musiciens des Conservatoires de Paris et de Lyon. Il édite aussi une collection discographique d’oeuvres du XXe siècle. VARIATION. Au sens premier, il y a variation lorsqu’on exécute un morceau ou un fragment sous une forme non identique à celle d’abord présentée, le plus souvent en y ajoutant des ornementations plus ou moins étendues. Le sens n’a cessé de s’étendre jusqu’à désigner une forme de composition de plus en plus complexe. Le principe de la variation est extrêmement ancien et se retrouve dans la plupart des civilisations musicales non écrites. L’apport de chaque exécutant réside souvent dans sa manière propre d’introduire des variantes personnelles à partir d’un schéma fixé par la tradition et que les auditeurs avertis doivent pouvoir reconnaître. Tel était sans doute le principe de nome de la Grèce antique ; on le retrouve dans la plupart des musiques primitives ou orientales (ràga hindou, maq¯am arabe, etc.), pour aboutir aux pratiques actuelles du jazz, dont les modèles écrits n’ont souvent que des rapports lointains avec ce qui est réellement exécuté ; ils n’ont du reste souvent d’autre ambition que de fournir un point de départ à l’improvisation des interprètes, ce qui explique la prédominance prise par ceux-ci dans l’histoire du jazz, où le rôle du compositeur en tant que tel apparaît singulièrement minimisé par rapport à celui que lui attribue la musique classique. Dans la musique écrite, on voit apparaître la variation implicitement dès le chant grégorien (lequel d’ailleurs n’est souvent écrit qu’a posteriori) : un grand nombre de pièces (antiennes, traits, ver-

sets de répons, etc.) apparaissent comme des variations adaptées au détail du texte verbal, à partir de schémas que l’on retrouve d’une pièce à l’autre à l’intérieur d’un même mode. Ce fait rentre d’ailleurs pour une part non négligeable dans la définition du mode lui-même, qu’on ne saurait ramener, comme on y tend parfois à tort, à la seule analyse de l’échelle employée. On peut également rattacher à la variation la technique des motets et chansons polyphoniques de la Renaissance lorsqu’ils développent section par section un modèle monodique ou non, ainsi que les messes parodies ou les messes sur thème donné fréquentes aux XVe et XVIe siècles. Ce n’est, toutefois, qu’avec la musique instrumentale individualisée que la variation devient un genre défini. Elle est déjà présente dans le premier document connu de ce genre de musique, le recueil pour clavier du manuscrit de Faenza (XIVe s.), et elle restera l’un des genres essentiels de la musique instrumentale jusqu’à la fin du XIXe siècle, et au-delà. On trouve son apogée en Espagne au XVIe siècle avec les differencias ou glosas de la musique de luth, en Angleterre à l’époque élisabéthaine avec la musique de clavecin, au XVIIIe et, surtout, au XIXe siècle avec la musique de clavier, puis de piano. Les différentes sortes de variations peuvent être classées en fonction de la manière dont est traité le thème préétabli. La forme la plus ancienne est sans doute la variation sur cantus firmus, dans laquelle le modèle mélodique est maintenu intégralement (parfois en valeurs modifiées) et entouré de revêtements divers par les autres parties : tels sont, par exemple, les versets d’orgue à cantus firmus des organistes des XVIIe et XVIIIe siècles (Couperin, 1er Kyrie de la Messe des paroisses). De nombreuses danses du XVIe au XVIIIe siècle, bâties sur basse obstinée, peuvent y être rattachées ; les innombrables chaconnes ou passacailles du XVIIe et du XVIIIe siècle sont, en fait, des variations sur un cantus firmus de convention, rattachables à quelques types bien définis (les Variations Goldberg de Bach appartiennent à ce genre). Dans la variation ornementale, très en honneur au XVIIIe siècle (presque tous les noëls d’organistes français sont de ce type), le thème ne reste plus littéralement intact, mais il demeure reconnaissable

d’un bout à l’autre, chaque fragment de la variation restant superposable au fragment correspondant du modèle, même s’il change de rythme, de mode, etc. Le thème est d’abord généralement présenté sans ornements (ou dans sa forme originale s’il s’agit d’un thème emprunté), puis les variations se succèdent en ordre croissant de complexité (thème et variations). On peut appeler variation développée celle où les variations cessent d’être superposables au thème, les variations apportant des éléments de développement qui modifient les proportions ; les éléments du thème ne s’en retrouvent pas moins, dans le même ordre, au cours de la variation, et l’auditeur peut encore, avec attention, reconstituer le thème d’un bout à l’autre. Avec ce que Vincent d’Indy appelle la grande variation, ou variation amplificatrice, et dont les dernières variations de Beethoven donnent le type, toute superposition au modèle devient impossible. Chaque variation devient une composition indépendante, qui prend son point de départ dans une particularité quelconque du modèle et oublie ensuite celui-ci. Enfin, l’école sérielle a introduit la notion de variation sans thème, où chaque variation modifie la précédente sans référence aucune à un thème initial. La manière de varier un thème peut être diverse, bien que les auteurs du XVIIIe siècle (Mozart, premières variations de Beethoven, etc.) aient introduit un certain nombre de procédés assez vite passés au rang de stéréotype (variation en rythme ternaire, variation en changement de mode, etc.). Elle peut affecter la ligne mélodique, l’harmonie, le rythme, et le maintien d’un seul de ses éléments peut souvent suffire à évoquer le modèle. À peu près tous les compositeurs ont écrit des variations, et le répertoire en est innombrable. Le XIXe siècle notamment a été inondé de milliers de variations pour piano, dont la plupart, exercices mécaniques de virtuosité brillante et creuse, ont sombré dans l’oubli. Mais le genre a laissé aussi des chefs-d’oeuvre en grand nombre. Parmi ces derniers, on peut citer les Variations Goldberg de Bach, les 32 Variations en ut mineur ou les 33 Variations sur une valse de Diabelli de Beethoven, celles de Brahms sur des thèmes de Paganini ou de Haendel, les Variations symphoniques pour piano et orchestre de César Franck, les Variations sur un thème de Rameau

de Paul Dukas, mais une énumération de ce genre ne peut en rien prétendre à l’exhaustivité. VARNAY (Astrid), soprano américaine (Stockholm 1918). Fille de deux chanteurs hongrois renommés, elle étudie le chant aux États-Unis avec sa mère et Hermann Weigert. Une voix puissante et des dons exceptionnels de tragédienne l’ont orientée dès ses débuts en 1941 au Met, dans le rôle de Sieglinde, vers le répertoire wagnérien. À New York (1941-1956) comme à Bayreuth (1951-1968), elle incarne avec une ardeur bouleversante tous les emplois wagnériens (Brünnhilde, Isolde, Senta, Ortrud, Kundry), ainsi que les héroïnes de Strauss (Salomé, Elektra) et de Verdi (lady Macbeth). Nommée en 1970 professeur de chant au conservatoire de Düsseldorf, elle achève sa carrière en abordant avec intelligence les rôles de mezzo-soprano (notamment Clytemnestre). VARSANO (Daniel), pianiste français (Paris 1954 - id. 1988). Installé à Los Angeles à l’âge de quinze ans, il étudie à l’Université de Californie du Sud. Il est ensuite l’élève de Pierre Sancan, de Magda Tagliaferro et de Rosalyn Turreck, et commence à jouer à Paris en 1974. Ses quelque douze années de carrière l’ont vu se produire aussi bien dans le répertoire traditionnel qu’au synthétiseur. downloadModeText.vue.download 1024 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1018 VATELOT (Étienne), facteur et restaurateur de violons français (Paris 1925). Il se forma d’abord dans l’atelier que son père, Marcel Vatelot (1884-1970), avait fondé en 1909, puis auprès d’Amédée Dieudonné à Mirecourt, de nouveau à Paris avec Victor Quénoil et enfin à New York (1949). Il rejoignit alors son père, qui lui transmit la direction de l’atelier en 1959, non sans continuer d’y être actif jusqu’à sa mort. Expert parmi les plus demandés dans le monde, en particulier pour les instruments anciens, Étienne Vatelot a conseillé la plupart des grands solistes, et notamment, lors de leurs pre-

mières apparitions en Occident, David Oistrakh, Leonid Kogan et Rostropovitch. VAUDEDIVERS. L’origine du terme a prêté à certaines confusions entre « vau (val) de Vire », impliquant une provenance normande du genre, et « voix de ville ». La seconde hypothèse est la plus plausible : il s’agit, en effet, au début du XVIe siècle, de chansons urbaines constituées de petits couplets se chantant sur une même mélodie. La première apparition d’un « vaul de ville » se rencontre dans une « moralité » (jeu de cour) de Nicolas de la Chesnaye, la Condamnation de banquet (1507). Vers le milieu et la fin du siècle, le vaudeville s’étend aux couches supérieures de la société et va se confondre avec l’air de cour, prenant facilement un caractère grivois. Parmi les premiers compositeurs qui publient des livres de vaudevilles ou d’airs de cour, il faut citer Pierre Certon (1552), suivi par Adrien Le Roy (Livre d’airs de cour mis sur le luth, 1571). Les premiers vaudevilles sont critiqués par du Bellay à cause de leur vulgarité. Quant à leur style musical, à l’inverse de l’écriture savante polyphonique, il adopte l’harmonisation verticale. Au XVIIe siècle, le vaudeville retourne à ses origines populaires, et une distinction entre airs de cour et vaudevilles commence à se préciser, tenant essentiellement au caractère de plus en plus satirique de ces derniers, fréquemment dirigés contre les personnages et les de la Cour. Un recueil de Ballard, la Clef des chansons (1717), rassemble 300 vaudevilles, dont certains datent « de cent ans et plus ». Il est à noter que la tradition des vaudevilles se transmet plus oralement que par écrit. Les mélodies sont appelées « timbres ». Au début du XVIIIe siècle, les vaudevilles constituent la base musicale des théâtres populaires des foires de Saint-Germain et de Saint-Laurent. Les interdictions et les restrictions imposées par l’Académie de musique aux spectacles non officiels conduisent à des subterfuges amusants : ainsi les fameuses « pièces par écriteaux » où les acteurs auxquels il est interdit de chanter portent sur la poitrine des pancartes avec des textes satiriques, tandis que les musiciens jouent des airs de vaudevilles connus. Des spectacles de

ce genre sont couramment pratiqués par Favart, père de l’opéra-comique français (auquel néanmoins un arrêté, en 1745, interdit de s’exprimer), Lesage, d’Orneval, qui ouvrent la voie à Duni, Philidor, Monsigny. Avec eux, le genre passe dans le domaine professionnel et s’officialise. L’importance historique du vaudeville, tant musicale que scénique, est donc d’avoir permis, au XVIIIe siècle, la naissance et l’évolution de l’opéra-comique. En 1792, un théâtre du Vaudeville est ouvert à Paris par Piis et Barré. Mais, à partir du XIXe siècle, le vaudeville, tout en restant un genre comique, burlesque et de plus en plus nourri d’intrigues bouffonnes, perd ses attaches musicales folkloriques. VAUGHAN WILLIAMS (Ralph), compositeur anglais (Down Ampney, Gloucestershire, 1872 - Londres 1958). Artisan principal du renouveau de la musique anglaise au XXe siècle, il étudia au Royal College of Music avec Parry (18901892), à Cambridge (1892-1895), puis de nouveau au Royal College of Music avec Stanford (1895-96). Il se rendit ensuite pour quelques mois à Berlin, où il travailla avec Max Bruch. En 1895, il avait rencontré au Royal College of Music Gustav Holst, nouant avec lui une profonde amitié. Il réalisa que l’imitation des modèles étrangers ne le mènerait à rien, et sa personnalité se révéla au contact des chansons populaires de son pays, qu’il étudia et traita à la manière de Bartók et de Kodály en Hongrie, et de la musique élisabéthaine et jacobéenne des XVIe et XVIIe siècles. Il parvint à maturité relativement tard, mais composa jusqu’à son dernier souffle, abordant à peu près tous les genres, des plus modestes aux plus ambitieux. En outre, il participa étroitement, pendant près de soixante ans, à la vie musicale britannique, témoignant d’un sens de la communauté rare au XXe siècle. Souvent en collaboration avec son ami Cecil Sharp, il réunit en tout plus de 800 chansons populaires (la première, Bushes and Briars, en 1903). Sa première oeuvre restée dans la mémoire collective est le chant Linden Lea, pour voix et piano (1901). Suivirent notamment les Songs of Travel, d’après Robert Louis Stevenson (1901-1904), In the Fen Countries (1904) et les 3 Norfolk Rhapsodies, pour orchestre (1905-1906),

et Toward the Unknown Region, pour choeur et orchestre, d’après Walt Whitman (1905-1906). De décembre 1907 à février 1908, Vaughan Williams séjourna à Paris, où il étudia avec Ravel (surtout l’orchestration). Sa période d’apprentissage prit fin avec A Sea Symphony, pour soprano, baryton, choeur et orchestre, d’après Whitman (1903-1910), et qui est, en fait, la première de ses 9 symphonies. L’oeuvre fut exécutée en 1910. La même année, la Fantaisie sur un thème de Thomas Tallis consacra la célébrité du compositeur. Citons encore un quatuor à cordes en sol mineur (1908-1909), premier fruit des études avec Ravel, le cycle de mélodies On Wenlock Edge, d’après Housman (1908-1909), et une musique de scène pour les Guêpes d’Aristophane (1909). A London Symphony (1912-1914) et l’opéra Hugh the Drover (1910-1914), qui renouvela le genre de l’opéra-ballade, sont deux oeuvres à la fois ambitieuses et d’un bel élan. De la même époque date The Lark Ascending, pour violon et orchestre (1914). Après la guerre, qu’il passa en France et à Salonique, Vaughan Williams enseigna au Royal College of Music et devint directeur du Bach Choir (1920-1928). Naquirent alors de nombreuses oeuvres reflétant chez lui certains traits qu’on a pu qualifier de visionnaires, et recouvrant des genres et des modes d’expression fort variés : A Pastoral Symphony (1916-1922), la messe en sol mineur pour choeur a cappella (1920-21), Flos Campi pour alto et petit orchestre (1925), l’oratorio Sancta Civitas (1923-1925), le concerto pour violon et cordes (Concerto accademico, 192425), le concerto pour piano (1926-1931 ; rév. 2 pianos, 1946), le Benedicite (1929), et le ballet Job (1927-1930). Il faut encore mentionner 3 opéras : Sir John in Love, d’après Shakespeare (1924-1928, créé en 1929), The Poisened Kiss (1927-1929, créé en 1936), et surtout Riders to the Sea, d’après Synge (1925-1932, créé en 1937). Cette période déboucha sur la Symphonie no 4 en fa mineur (1931-1934, créée en 1935), dont l’âpreté et la violence sont en contraste total avec la douceur modale et le folklore recréé de la Pastoral. Interrogé sur cette oeuvre qui surprit, mais dont on avait pu entendre des prémisses dans les épisodes « sataniques » de Job, le compositeur eut cette boutade : « Je ne sais si j’aime ça, mais c’est ce que j’ai voulu dire. »

Suivirent notamment Dona nobis pacem, cantate pour soli, choeurs et orchestre (1936), Five Tudor Portraits, et Serenade to Music (1938), ouvrage pour 16 voix solistes et orchestre d’après Shakespeare écrit pour le jubilé de sir Henry Wood en tant que chef d’orchestre. La lumineuse Symphonie no 5 en ré majeur, créée en 1943 et dédiée « sans permission » (la Finlande et la Grande-Bretagne étaient officiellement en guerre l’une contre l’autre) à Jean Sibelius, transposa sur un plan plus abstrait le message de la Pastoral tout en faisant usage d’éléments pris dans un opéra d’après Bunyan entrepris depuis longtemps, mais qui ne devait être achevé qu’en 1949 et créé en 1951, The Pilgrim’s Progress. Dans le sillage de la 5e Symphonie se situent, entre autres, Five downloadModeText.vue.download 1025 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1019 Variants of Dives and Lazarus, pour cordes et harpe (1939), le quatuor à cordes en la mineur (1942-1944) et le concerto pour hautbois et cordes (1944). La Symphonie no 6 en mi mineur (19441947, créée en 1948) est souvent considérée comme le chef-d’oeuvre de Vaughan Williams. Dramatique et heurtée, elle approfondit le message de la 4e, et son finale (Epilogue), d’un bout à l’autre pianissimo (senza crescendo), est l’image même de la désolation. La Sinfonia antartica (no 7) fut entreprise en 1949, mais avant son achèvement (1952) et sa création (1953) intervinrent notamment An Oxford Elegy, pour récitant, petit choeur et petit orchestre (1947-1949), Fantasia on the Old 104th, pour piano, choeur et orchestre (1949), une Romance, pour harmonica, cordes et piano (1951) et les Three Shakespeare Songs, pour choeur sans accompagnement (1951). En 1953, Vaughan Williams abandonna le poste de premier chef d’orchestre du Leith Hill Festival, qu’il avait occupé depuis 1905 et qui lui avait permis de diriger de mémorables exécutions de Bach, en particulier de la Passion selon saint Matthieu. Dans ses dernières années, il écrivit encore la cantate de Noël Hodie (1953-54), un concerto pour tuba basse (1954), les Ten Blake Songs, pour voix et hautbois (1957), les Four Last Songs (19541958), une sonate en la mineur pour piano

et violon (1954), et surtout la Symphonie no 8 en ré mineur (1953-1955, créée en 1956), sorte de concerto pour orchestre témoignant de l’intérêt du compositeur, dans ses dernières années, pour les problèmes de sonorité, et la Symphonie no 9 en mi mineur (1956-57, créée en 1958), d’un pessimisme assez amer. Il coupa radicalement les ponts avec l’Allemagne et l’Italie, mais sans tomber dans le provincialisme. Au contraire, son ampleur de vue, son nationalisme intelligent, ainsi que sa parfaite connaissance et sa juste appréciation de la société britannique de son temps, dont il réussit à se faire accepter tout en s’attachant sur le plan musical à la faire évoluer à tous les niveaux, lui permirent de donner à son pays ce dont il avait le plus besoin : une tradition contemporaine profonde et authentique, et capable par là de se développer à long terme. Il reste, avant Michael Tippett, Peter Maxwell Davies, Brian Ferneyhough ou encore James Dillon, un des plus grands compositeurs qu’ait produit la Grande-Bretagne en notre siècle. VAUTOR (Thomas), compositeur anglais ( ? fin XVIe - ? début XVIIe siècle). En l’absence de toute autre source d’information biographique, on peut seulement déduire de la dédicace de son livre de madrigaux qu’il fut au service de sir George Villiers à Brooksby (Leicestershire), puis à celui de son fils le duc de Buckingham à Goadby. Il obtint, en 1616, le grade de Bachelor of Music à l’université d’Oxford. On ne connaît de ses oeuvres qu’un volume de madrigaux, The First Set, beeing Songs of Divers Ayres and Natures, of Five and Sixe Parts, Apt for Vyols and Voyces (1619-20), particulièrement intéressants pour leur figuralisme, et qui l’apparentent, stylistiquement, à Weelkes et Wilbye. VECCHI (Orazio), compositeur italien (Modène 1550 ? - id. 1605). Il est éduqué à San Pietro de Modène et étudie la musique avec Salvatore Essenga, avant d’être ordonné prêtre. En 157778, il accompagne le comte Baldassarre Randoni à Bergame et à Brescia, puis est nommé maître de chapelle de la cathédrale de Sal¯o en 1581. Il exerce les mêmes fonctions à Modène (1584-1586) et à la collégiale de Corregio (Reggio Emilia) de

1586 à 1591, où il est archidiacre en 159192. Il effectue, à cette époque, plusieurs séjours à Venise, pour y superviser l’édition de ses oeuvres par Gardano et collaborer à la révision du graduel romain. De nouveau maître de chapelle à la cathédrale de Modène en 1593, il participe, par ailleurs, activement à la vie musicale à la cour de Cesare d’Este, qui le nomme « maestro di corte » en 1598, et accompagne en 1600 le cardinal Alessandro d’Este à Rome. Sa fidélité à la ville de Modène (il refuse, en 1603, de succéder à Ph. de Monte à la cour de l’empereur Rudolf II) ne l’empêche pas d’être évincé de son poste en 1604 par un élève envieux, Geminiano Capilupi, et il meurt quelques mois plus tard. Ce fut un compositeur extrêmement prolifique, à la fois dans les domaines sacré et profane. Ses oeuvres religieuses (un livre de motets à 4-8 voix, un livre de messes à 6-8 voix, des lamentations, des hymnes à 4 voix, des Sacrarum cantionum 5-8 voix, un Magnificat) sont écrites dans un style contrapuntique simple, soucieux de clarté, et il ne néglige pas, dans cette optique, les ressources de l’homophonie. Ce goût pour la simplicité est particulièrement évident dans sa musique profane, qui renferme ses oeuvres les plus caractéristiques. Il a publié 6 livres de Canzonette (un à 3 voix, quatre à 4 voix, un à 6 voix), 2 livres de madrigaux (un à 5 voix, un à 6 voix), et 4 recueils de pièces récréatives : Selva di varia recreatione (1590), Il Convito musicale (1597), Le Veglie di Siena (1604) et L’Amfiparnaso (1597), sans aucun doute son oeuvre la plus célèbre. Son intention est de traiter à égalité, tout en les contrastant, le piacevole et le grave, qui représentent, pour lui, les deux pôles de la vie humaine, et il y parvient en juxtaposant dans la même oeuvre une grande variété de formes musicales (capricci, arie, balli, canzonette, madrigali, serenate, dialoghi, etc.), où les éléments pathétiques, parodiques et bouffons foisonnent, en accentuant le plus souvent le côté humoristique. Cette union est particulièrement bien réalisée dans L’Amfiparnaso, où l’ensemble des pièces s’insère dans un cadre dramatique (comedia harmonica en 3 actes et 1 prologue). Il constitue donc un chef-d’oeuvre de synthèse de la musique polyphonique vocale profane italienne du XVIe siècle, à l’heure où le genre dramatique se tourne résolument vers l’ère monodique.

VECSEY (Franz von), violoniste hongrois (Budapest 1893 - Rome 1935). Dans sa ville natale, il est l’élève de Jenö Hubay, et se produit déjà à l’âge de dix ans. Joseph Joachim, qui l’auditionne, le dirige alors. En 1904, il joue le Concerto pour violon de Beethoven avec son maître au pupitre. Il laisse le souvenir d’un virtuose hors pair, et enregistre quelques oeuvres entre 1925 et 1930. Il est le dédicataire du Concerto pour violon de Sibelius. VEGH (Sandor), violoniste hongrois naturalisé français (Kolozsvar 1912). Élève de Jenö Hubay pour le violon et de Zoltán Kodály pour la composition, il se produit à l’âge de dix-neuf ans sous la direction de Richard Strauss. Au début des années 30, il commence une carrière de soliste et fonde en 1935 le Quatuor hongrois, puis en 1940 le quatuor qui porte son nom. Il enseigne pendant la guerre à l’Académie de musique de Budapest et s’installe en 1946 en France, prenant la nationalité française en 1953. Après sa rencontre avec Pablo Casals en 1952, il se produit régulièrement au Festival de Prades et donne des cours d’été à Zermatt. Au long d’une carrière très active, il consacre une part importante à l’enseignement, aux Conservatoires de Bâle, Fribourg, Düsseldorf, et, à partir de 1971, au Mozarteum de Salzbourg. Il a aussi fondé et dirigé un orchestre de chambre qui porte son nom ( ! QUATUOR VEGH). VEJVANOVSKY (Pavel Josef), compositeur tchèque (Hukvaldy v. 1633 ou v. 1639 - Kroměříž [Kremsier] 1693). Il est parfois désigné sous le nom de Weiwanowski. On retrouve les premiers documents authentiques sur sa vie au collège des jésuites d’Opava, dont il sort en 1660. En 1664, il entre au service de l’évêque d’Olomouc. En 1670, il succède à H. Biber comme maître de chapelle du prince Lichtenstein-Kastelkorn, nouvel évêque d’Olomouc, au château de Kroměříž (Kremsier). Il signait ses compositions du titre de tubicen campestris. L’essentiel des manuscrits authentifiés se trouve au château de Kroměříž. Sa production instrumentale fut très nombreuse, mais l’ensemble de ses ma-

downloadModeText.vue.download 1026 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1020 nuscrits ne nous est pas parvenu. Il est le plus grand représentant de l’école baroque tchèque, et, comme tel, fut profondément influencé par l’école italienne. Ses maîtres semblent avoir été JohannHeinrich Schmelzer, Pietro-Andrea Ziani et Heinrich Biber. On a retrouvé 33 manuscrits datant de la seule année 1666, année de son mariage avec Anne-Thérèse Miniscator, fille du maire de Kroměříž. Par son style, il relève d’un axe VeniseVienne. Ses nombreuses sonates sont toutes du type de la canzona italienne ; on y trouve des ébauches de variations, et une écriture particulièrement virtuose pour les instruments à vent. Sa ligne mélodique est souvent pimentée de citations plus ou moins textuelles de thèmes populaires tchèques. VENGEROV (Maxim), violoniste russe (Novossibirsk 1974). Il étudie le violon auprès de Galina Turchaninova à Novossibirsk puis à l’École centrale de musique de Moscou. Il est ensuite l’élève de Z. Bron. 1er Prix du Concours polonais junior de Lublin en 1985, il donne son premier concert en 1987 au Festival du SchleswigHolstein. En 1989, il entre à la Musikhochschule de Lübeck, où Z. Bron est nommé professeur, et remporte le prix Davidoff. 1er Prix l’année suivante du Concours Carl Flesh de Londres, il s’établit peu après en Israël avec sa famille. Les années qui suivent sont marquées par une série de concerts sous la direction de Barenboïm, Abbado, Marriner, Dutoit, etc., et d’enregistrements discographiques. VÊPRES (du lat. vesper, « soir »). Dans la suite des heures qui constitue la journée liturgique, les vêpres, primitivement prière d’action de grâces pour la lumière du jour au moment où elle se retire, sont l’office de fin d’après-midi précédant les complies qui « achèvent » le cycle. Les grandes fêtes comportent deux offices semblables : les premières vêpres célébrées la veille et les vêpres proprement dites ou deuxièmes vêpres. L’essentiel de

l’office consiste dans la lecture chantée par deux demi-choeurs alternés (psalmodie antiphonique) d’une suite de 5 psaumes (4 dans l’office bénédictin) encadrés de leurs antiennes et suivis d’une hymne et du chant du magnificat. Diverses formules dialoguées complètent l’office. Chez les bénédictins s’y ajoute un répons bref. Enfin, l’ordonnance de l’office a été profondément modifiée après le concile Vatican II. Jusqu’à ce concile, qui les a en fait retirées des , les vêpres ont été, après la messe, l’office le plus important de la pratique religieuse des fidèles, et n’ont cessé d’être fréquentées par eux malgré l’absence d’obligation. Aux fêtes les plus importantes, cathédrales et grandes chapelles célébraient parfois des « vêpres solennelles » ou « en musique », dont certaines parties en nombre variable pouvaient être déléguées à la maîtrise, d’où composition d’un répertoire important, comportant soit l’office entier, soit un florilège de psaumes, hymnes ou magnificat destinés à cet usage, en polyphonie au XVIe siècle (Palestrina, Lassus, etc.), avec soli, choeurs et orchestre aux XVIIe et XVIIIe siècles. Mozart a ainsi écrit pour la cathédrale de Salzbourg un certain nombre de vêpres solennelles. À partir du XIXe siècle, ces compositions sont devenues exceptionnelles, les vêpres en musique, plus rares, faisant davantage appel au répertoire existant qu’aux compositions nouvelles. VERACINI, famille de musiciens italiens. Antonio, violoniste et compositeur (Florence 1659 - id. 1733). Virtuose fort estimé, il a écrit plusieurs pièces de musique de chambre, ainsi que des oratorios. Francesco Maria, violoniste et compositeur, (Florence 1690 - id. 1768). Neveu et élève du précédent, enfant prodige, il effectua de brillantes tournées de concerts en Italie, en Angleterre et en Allemagne. Comme compositeur, il écrivit notamment 3 recueils de 12 sonates pour violon, 5 opéras et autant d’oratorios. VERBUNKOS (de l’all. Werbung, « recrutement »). Danse de « racoleurs » apparue sous ce nom vers 1780, et devenue le symbole de la danse hongroise authentique au

XIXe siècle. Elle fut mise en honneur par Lavotta, Bihari et Csermàk, et ses formes, ses structures et ses rythmes régissent encore l’essentiel du patrimoine musical des danses d’origine instrumentale. Bartók en retrouva les caractères authentiques en parcourant la campagne hongroise, tandis qu’un Liszt le confondit avec les rythmes tziganes. En général, le verbunkos se compose d’une danse lente (lassu), débouchant sur une danse très vive (friss). Mais il a su conserver son caractère d’improvisation : c’est l’illustration d’une attitude de danse plus qu’une forme musicale stricte. Son rythme suit l’accentuation de la langue hongroise parlée. Mais le verbunkos n’est une musique ni populaire ni folklorique. Il demeure une forme savante, vocale à l’origine, puis progressivement instrumentale (violon). Sa grande souplesse lui a permis de s’insérer peu à peu dans toutes les formes musicales évoluées, supportant ornementation, répétition, devenant l’archétype des formes alla ungherese de tous les compositeurs de l’époque, de Haydn à Liszt. VERDELOT (Philippe Deslouges), compositeur français (Les Loges, Seine-etMarne, entre 1470 et 1480 - Florence ? av. 1552). Seule la période florentine de sa vie (15231527) est connue : il fut maître de chapelle au baptistère de San Giovanni (15231525) et jouit d’une solide réputation, comme en témoigne son audition par le pape Clément VII (Jules de Médicis), dès sa nomination. Ses oeuvres semblent indiquer qu’il participa ensuite à la vie musicale romaine (1529/30-1533), toujours dans le cercle des Médicis, où il côtoya, entre autres, des musiciens français. Son activité de compositeur se partagea alors entre des oeuvres religieuses et des madrigaux (les premiers publiés en 1530). Au genre du madrigal, il se consacra presque exclusivement de 1535 à 1542, avant de revenir à celui de la messe et du motet. Sans doute termina-t-il sa vie dans la chapelle des Médicis à San Lorenzo de Florence. Il fut l’un des principaux représentants de la chanson parisienne en Italie, l’un de ceux que A. Einstein rend responsables de la « pause artistique » de l’Italie avant le madrigal, genre que, pourtant, il put se vanter d’avoir inauguré avec C. Festa, Willaert et Arcadelt, tant il est vrai qu’il s’impré-

gna de la musique et du goût italiens. Huit livres de madrigaux montrent comment, proche au départ du style de la frottola (homorythmie stricte, tierces parallèles), il participa étroitement à l’expansion du genre dans l’expression comme dans la structure : alternance d’une homophonie rythmique et d’un tissu polyphonique en imitation, usage d’altérations expressives pour souligner le sens des mots (Italia mia, 1538, ou mieux encore Per altimonti, 1540). On peut le considérer comme le précurseur de Luca Marenzio. VERDI (Giuseppe), compositeur italien (Le Roncole di Busseto 1813 - Milan 1901). Issu d’une famille pauvre, et malgré ses dons évidents, il connut une première formation quelque peu difficile, étudiant et composant déjà au hasard des possibilités d’une petite ville. Grâce au mécénat d’Antonio Barezzi, dont il devait épouser la fille Margherita, il put se rendre à Milan, où, refusé par le conservatoire comme pianiste en raison de défauts techniques rédhibitoires, il y fut au contraire encouragé dans la voie de la composition, et Vincenzo Lavigna lui révéla Mozart et Haydn, cependant que la capitale lombarde et ses théâtres lui permettaient de se familiariser avec les exécutions d’oeuvres de Donizetti, Bellini, Vaccai et Rossini. Il eut la chance exceptionnelle d’obtenir d’emblée une commande de la Scala de Milan, et y fit représenter son premier opéra, Oberto (1839), avec un succès suffisant pour se voir aussitôt réclamer une downloadModeText.vue.download 1027 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1021 autre oeuvre par ce théâtre. Mais, alors qu’il était occupé à la composition de cette nouvelle oeuvre - une comédie légère -, sa jeune épouse mourut à la suite de leurs deux enfants ; Un giorno di regno (1840) fut un échec à Milan, mais devait, par la suite, connaître quelques succès sur d’autres scènes. Grâce à la ténacité de quelques amis, parmi lesquels la cantatrice Giuseppina Strepponi (qu’il épousera en 1859, légalisant ainsi leur longue union), il put surmonter ses épreuves, et il présenta, toujours à la Scala, Nabuccodo-

nosor (1842), qui fut un triomphe dû à la violence d’un langage vocal qui marquait la naissance d’un art « populaire » et au large emploi des choeurs symbolisant le peuple (l’influence du Moïse de Rossini y est patente) ; mais ce succès fut aussi fonction des prolongements patriotiques du sujet, la Lombardie ployant alors sous le joug de la répression autrichienne. Les Lombards (1843) s’inspirèrent de cette même veine épique d’un grand opéra à fond historique, mais ce n’est qu’avec Ernani, d’après Hugo (Venise, 1844), que Verdi put enfin affirmer ses dons dramatiques accordés aux situations typiques du romantisme latin, avec ses amours irréalisables, le sacrifice final du héros - ou de l’héroïne -, ses arrière-plans politiques ou humains, cependant que l’action, resserrée au maximum, accordait encore la priorité aux schémas musicaux d’un type d’opéra toujours tributaire d’une souveraineté vocale quasi inaltérée. Désormais célèbre, Verdi allait devoir écrire un ou plusieurs opéras par an, sans cesse sollicité par les grandes scènes italiennes, et déjà réclamé à l’étranger. En 1847, il fit créer I Masnadieri à Londres (avec Jenny Lind) et à Paris Jérusalem (avec Duprez). Durant ces « années de galère », la production de Verdi fut parsemée d’éclatantes réussites et d’échecs : il s’agissait, en fait, d’oeuvres parfois inégales en elles-mêmes, mais dont bien souvent le succès ou la chute fut le fait des interprètes, insuffisamment préparés à un langage fort nouveau, et choisis avec plus ou moins de discernement. Ces oeuvres du « jeune Verdi », récemment remises en question avec des critères plus objectifs que ceux des générations précédentes, font apparaître la qualité exceptionnelle de nombreuses pages dans Giovanna d’Arco, I Due Foscari, Attila, Alzira ou Il Corsaro, opéras où l’orchestre joue souvent un très grand rôle, et dont les sous-entendus politiques déterminèrent de nombreux choix. Macbeth, en 1847, marquait, dans l’évolution dramatique du compositeur, un tournant que confirma Luisa Miller, d’après Schiller, en 1849. Ce n’est toutefois qu’avec Rigoletto, en 1851, puis en 1853 avec le Trouvère et la Traviata (dits « la trilogie populaire ») que Verdi fut enfin tenu pour le compositeur vivant le plus célèbre de l’Italie, et probablement du monde entier.

Sa situation matérielle assurée, il put désormais consacrer plus de temps à la composition de chaque oeuvre, choisir ses sujets avec plus de soin, discuter de plus en plus âprement la rédaction du livret et surtout prendre en main le soin de l’exécution de ses opéras. L’échec initial de la Traviata se mua ainsi en un triomphe l’année suivante. En 1855, pour la première Exposition universelle, c’est Verdi qui fut convié à écrire une oeuvre nouvelle (les Vêpres siciliennes) pour l’Opéra de Paris, mais l’échec de Simon Boccanegra à Venise en 1857 lui prouva que le public n’était pas encore suffisamment disposé à accepter un type d’opéra où la profondeur psychologique l’emportât sur le chant pur, à l’heure où l’engagement politique des oeuvres antérieures n’avait plus sa raison d’être. Alors qu’Un bal masqué triomphait à Rome (1859), Verdi, considéré comme l’un des héros du Risorgimento, fut élu député de Busseto et reçu à Turin par Victor-Emmanuel II (V. E. R. D. I. avait été, pour les libertaires italiens, le sigle de Victor-Emmanuel Roi D’Italie). Il revint à la composition pour donner, en 1862, la Force du destin à Saint-Pétersbourg, mais le rythme de sa production devait alors se ralentir singulièrement ; après avoir remanié Macbeth en 1865, il écrivit en français pour l’Opéra de Paris Don Carlos (1867), qui triompha en version italienne à Londres et en Italie ; mais Aïda, créée au Caire en 1871 avec un luxe inouï (et des émoluments jamais offerts à un compositeur), consacrait une gloire mondiale sans rivale. Après un grandiose Requiem écrit à la mémoire de Manzoni (1874), Verdi, contesté par la nouvelle vague des musiciens italiens, se réconcilia avec son adversaire de naguère, Arrigo Boito, et, requerrant sa collaboration en tant que poète, fit triompher une version remaniée de Simon Boccanegra (1881) et lui confia la rédaction des livrets d’Otello (1887) et de Falstaf (1893), partitions qui affirmaient la jeunesse étonnante et l’effort de renouvellement de cet octogénaire. Après la mort de Giuseppina Strepponi (1897), Verdi terminait en 1898 ses Pièces sacrées. Demeuré sans héritier, il fonda la Maison de repos des musiciens, à Milan, où il mourut le 27 janvier 1901. Après les obsèques sobres qu’il avait désirées, le transfert de ses cendres à cette maison de repos, le 27 février, fut célébré par près de 900 exécutants que dirigeait Arturo Toscanini.

Si la vie du musicien, hormis les déboires et les deuils de sa jeunesse, ne comporte aucun fait saillant, sa carrière de compositeur de soixante années représente un arc évolutif presque unique dans l’histoire de la musique : ses premières oeuvres furent créées dans l’ambiance aristocratique de la Lombardie autrichienne encore attachée aux derniers feux du bel canto, et les dernières furent postérieures à l’affaire Dreyfus, à l’invention du cinéma et du disque, alors que Moussorgski, Mahler ou Debussy avaient déjà totalement bouleversé les lois de l’écriture musicale et que le vérisme avait envahi la scène italienne, le bel canto ayant fait place à un chant plus héroïque et déclamatoire. Si l’on oublie les premières oeuvres de Verdi démarquant mal les opéras de Mercadante, et en laissant à part le recueillement sublime des Pezzi sacri, ainsi que le renouvellement proprement incomparable de Falstaff, cette véritable évolution le conduisit de Nabucco à Otello, soit d’un drame aux structures isolées, avec ses choeurs figés, ses grandes arias triparties (récit-air-cabaletta) et son extrême virtuosité en même temps que sa puissance impétueuse, à la parfaite expression du drame lyrique plus déclamé, à peu près conçu selon la formule du discours continu, avec son harmonie plus originale coulée sur les modèles français et allemand, mais demeurant quelque peu en retrait, ainsi que le nota Stravinski, par rapport au Verdi populaire des premières années. Pourtant, dans l’un et l’autre cas, la personnalité et la puissance de Verdi empoignent de la même façon, et ce sens de la grandeur est tout autant décelable dans les accents patriotiques et la « vocalité » débridée de Nabucco, d’Attila, d’Ernani ou du Corsaire que dans les fines ciselures d’Aïda et d’Otello. Or, cette grandeur ne réside certes pas dans l’adhésion de Verdi au drame lyrique par renoncement à l’opéra traditionnel, un phénomène largement européen dont le XXe siècle remettra largement en question le bien-fondé ; ni dans la qualité de ses livrets, car il reste à démontrer si les vers de Boito furent plus efficaces que ceux de Piave ou de Cammarano, collaborateurs des premières années. En revanche, la recherche d’une inspiration due à Schiller, Shakespeare, Gutierrez ou Hugo semble plus significative de la part d’un musicien qui désirait

avant tout des « situations fortes », où la déraison du romantisme autorisait tout, où la politique même fût d’abord au service de l’humain. Cette recherche de l’efficacité dramatique ne put, toutefois, aller sans causer quelque dommage au support essentiel de l’opéra italien, le chant : ayant voulu plier les impératifs du bel canto à son souci de violence et d’héroïsme dans la caractérisation des personnages - un domaine où Verdi n’eut comme seul maître que Mozart -, il dut peu à peu renoncer à la colorature que ne savaient plus manier des chanteurs dont il avait requis des effets de puissance alors inconnus, notamment par l’enrichissement d’un orchestre trop souvent amené à doubler à l’unisson la downloadModeText.vue.download 1028 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1022 ligne de chant, ainsi qu’en avaient usé dangereusement Spontini et Weber. Dans le domaine vocal, on peut dire que Verdi tenta de concilier l’inconciliable en abaissant peu à peu les tessitures vocales récemment haussées par Bellini et par Donizetti, mais en exigeant de voix plus dramatiques la même souplesse, les mêmes effets de tendresse pathétique et la même maîtrise des nuances dans leur registre aigu. Sur le plan dramatique, l’efficacité verdienne réside d’abord dans la concision du livret, dans l’introspection psychologique de l’humain (cf. Rigoletto, la Traviata et surtout Don Carlos) et dans la création de conflits où s’interpénètrent les thèmes de l’amour, mais aussi de l’amitié (Un bal masqué, Don Carlos) ou de la politique. Les affrontements de Boccanegra et Fiesco, de Philippe II et l’Inquisiteur comptent parmi les grandes réussites dramatiques de tous les temps. C’est sans aucun doute cette concentration sur les personnages qui conduisit Verdi à réduire, dès Rigoletto, le rôle de l’orchestre, à moins qu’il ne lui assignât une fonction plus essentielle dans le support de leitmotive (avant l’expérience wagnérienne) d’une sobre efficacité : celle qui brille essentiellement dans les chefs-d’oeuvre étendus de la « trilogie populaire » à Don Carlos, autant d’aboutissements suprêmes du drame romantique dans la plus parfaite conjugaison de l’exaltation des passions et d’une riche profusion lyrique.

VERESS (Sándor), compositeur, folkloriste et musicographe hongrois (Kolozsvár, aujourd’hui Cluj, en Transylvanie, 1907 - Berne 1992). Il fut l’élève de Bartók (piano) et de Kodály (composition) à l’académie FranzLiszt de Budapest, où il enseigna de 1943 à 1948. Passionné de recherches folkloriques, il assista Bartók et Lajtha, sur le terrain, ainsi qu’au Musée ethnographique de Budapest. En 1948, il quitta la Hongrie pour Berne (1948-1950), puis émigra aux États-Unis, où il a enseigné au Goucher College de Baltimore. Il a aidé Bartók à publier ses divers recueils de chansons populaires hongroises (1921-1929, 19301936). Son oeuvre, éditée à Milan, porte la marque de sa grande sensibilité et, sur le plan de l’écriture, de sa connaissance approfondie des gammes modales des mélodies hongroises anciennes, s’ouvrant ainsi sur un postsérialisme lumineux. OEUVRES PRINCIPALES. 2 symphonies (1940, 1953) ; Suite (1941) ; Lamentation in memoriam Béla Bartók (1945) ; Sonate pour orchestre (1953) ; Variations sur un thème de Kodály (1962) ; Exposition-Variation-Récapitulation (1964) ; Musica concertante, pour 12 cordes (1964) ; Hommage à Paul Klee, pour 2 pianos et cordes (1952) ; Passacaille, pour hautbois et orchestre (1961) ; 2 Sonatines (1932, 1934) ; Quatuors à cordes (1931, 1937) ; Trios à cordes (1954), avec piano (1963) ; Élégie, pour baryton et cordes (1964) ; Psaume de saint Augustin, pour basse, choeur mixte et orchestre (1944) ; Laudatio musicae (1958) ; Catherine de Térszil (1943 ; Stockholm, 1949). ÉCRITS. Béla Bartók, l’homme et l’oeuvre (Londres, 1948) ; la Collecte de la musique populaire hongroise (en ital., Rome, 1949). VÉRISME. Terme définissant un courant littéraire italien, et appliqué, par extension, au genre lyrique correspondant. Par commodité, mais de façon incorrecte, on regroupe souvent sous cette étiquette tous les opéras écrits en Italie entre

1890 et 1904 par les contemporains de Puccini, notamment Mascagni, Giordano, Leoncavallo, Cilea, Franchetti (définis plus justement comme « jeune école »), mais aussi Bossi, Mugnone, Spinelli et une douzaine d’autres auteurs, dits « véristes mineurs » ( ! OPÉRA). Ce vocable définit parfois aussi un type de chant lié à un type d’interprétation vocale postérieur à ce courant, s’en réclamant, et appliqué à tous les styles. Le vérisme se rattache aux différentes manifestations du réalisme tragique porté sur les scènes lyriques en Europe, dès 1855 en Russie, en France avec Carmen, en 1875 (dont les musiciens italiens se réclamèrent), puis avec l’école naturaliste (Bruneau, Charpentier, Leroux, Laparra, etc.), en Allemagne avec Kienzl, D’Albert (Tiefland, 1903) et, dans une certaine mesure, plus tard avec Strauss et Berg, en Europe centrale avec Janáček, en Espagne avec de Falla (la Vie brève, 1905), etc. Or, il n’y eut ni manifeste du vérisme, ni communauté de style ou d’esthétique entre ses plus célèbres représentants, souvent séparés par des dissensions humaines, artistiques ou d’ordre local (rivalités entre Milan et Naples). En outre, des oeuvres débordant les dates ci-dessus appartiennent à ce courant, mais la plupart des opéras célèbres écrits durant cette période s’en écartent, par leur sujet, et par leur écriture musicale. Une perspective historique peut aider à cerner le vérisme, né de la scapigliatura milanaise (du titre d’un roman de Cleto Arrighi, paru en 1862, l’année des Misérables), « mode de vie plutôt que courant artistique » (cf. C. Parmentola), sorte de Saint-Germain-des-Prés d’une jeunesse littéraire rendue à l’art pur après son combat pour l’unité italienne, jeunesse encore imbue de romantisme et admiratrice de Victor Hugo, dans les rangs de laquelle milita Boito, puis furent formés la plupart des librettistes de la future « jeune école », Fontana, Illica, Oliva, Praga, etc. Mais le mouvement avait été en quelque sorte coiffé par l’arrivée à Milan de leur aîné, le romancier sicilien Giovanni Verga (18401922), un exact contemporain de Daudet et de Zola, qui, dans sa Vie des champs (1880), avait décrit en termes simples les passions parfois brutales mais sincères et immédiates des classes paysannes, notamment celles du Sud qui revendiquaient

aussi contre l’industrialisation massive du Nord et le règne d’une nouvelle bourgeoisie, responsable de la Triple-Alliance, ressentie comme une trahison de l’idéal du Risorgimento. Une des nouvelles de cette Vie des champs, Cavalleria rusticana, fut portée à la scène avec la Duse (Turin, 1884), et le naturalisme de l’oeuvre autant que le style moderne de l’interprétation précisèrent un style vériste. Et, à l’heure où Verdi laissait indifférentes les couches populaires et s’enfermait dans l’élitisme de son Otello (1887), l’opéra que tira Mascagni du drame de Verga (Rome, 1890) devint peu à peu le symbole d’un mode d’expression nouveau qu’explicita mieux encore le texte du prologue de Paillasse de Leoncavallo (Milan, 1892) : décrire sans détours la « tranche de vie » avec « ses pleurs et ses cris de rage ». Mais cette « esthétique du coup de couteau » puisée dans la vie contemporaine, brûlante de sincérité, bénéficiant de livrets idoines, lancée au moment de la constitution du parti socialiste italien et soutenue par Edoardo Sonzogno, éditeur des jeunes musiciens français et rival de Ricordi (l’éditeur de Verdi), ne se retrouva plus que très rarement dans l’oeuvre des meilleurs musiciens de la jeune école ; de formation romantique, ceux-ci retournèrent à leur vocation première, affinèrent leur art, et, décevant par là leur public initial, firent appel à des sujets de type bourgeois (souvent empruntés à la littérature française) situés dans un passé plus ou moins proche, puis à des thèmes historiques, mythologiques, exotiques, symbolistes, etc. Or, le mouvement ne pouvait s’évader de la résonance sociale qui l’avait porté, et le naturalisme fondé sur les particularismes locaux (cf. l’excellent Mala vita de Giordano, d’après Di Giacomo, Naples, 1892) fut voué à l’échec ou à des succès sans lendemain, eussent-ils leur rayonnement à l’étranger comme A basso porto de Spinelli (1865-1909), créé à Cologne en 1894 et joué dans tous les pays germaniques. Si on ne peut tenir pour véristes à part entière, en raison de leur sujet, des opéras tels que Iris de Mascagni, Christophe Colomb de Franchetti, non plus que Fedora ou Adrienne Lecouvreur, drames certes, mais drames de boudoir, non plus que les partitions trop raffinées de Puccini, toutes ces oeuvres empruntent parfois quelques traits communs au vérisme, pris d’abord comme une réaction contre le roman-

tisme, ses thèmes, sa dramaturgie pesante, downloadModeText.vue.download 1029 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1023 son écriture vocale trop savante (grands ensembles, derniers échos du bel canto). À cette stylisation succéda une autre convention, celle d’un souci évident de compréhension du texte dans une exaltation du mot qui renouait avec certains objectifs des humanistes de la Renaissance, cependant que des éléments « populaires » (romances, chansons à boire, choeurs villageois, sérénades) s’inséraient dans un discours basé sur un charme mélodique évident qui cachait parfois une science très profonde dont ne se souciait ni le public, trop attaché à l’action, ni la critique, hostile de principe. Mais l’apport essentiel du vérisme fut de rendre leur humanité à ses héros, dépouillés de leur légende, ramenant les souffrances d’un Chénier à celles de Turiddu, et le conflit du bien et du mal à l’affrontement de l’homme et de la femme, comme dans Carmen, et pour cette raison privilégiant quasi exclusivement les voix de ténor et de soprano. Mais il appartint aux meilleurs musiciens de ces écoles de savoir, par leur musique, sublimer le quotidien de cette tranche de vie, et de renouer avec la catharsis esthétique ou tragique. VERLAINE (Paul), poète français (Metz 1844 - Paris 1896). En tête de son Art poétique publié dans Jadis et Naguère (1884), Verlaine réclame de « la musique avant toute chose ». À la couleur, il préfère la nuance qui, seule, « fiance le rêve au rêve et la flûte au cor ». Proscrivant l’éloquence et la rime indiscrète, il oppose à l’esthétique parnassienne sa propre aspiration à la musicalité, affirmée par les titres de ses recueils, la Bonne Chanson (1870), Romances sans paroles (1874), et, déjà, merveilleusement exaucée par certains des Poèmes saturniens (1866) et par les Fêtes galantes (1869). En 1864, Verlaine fait la connaissance d’Emmanuel Chabrier qu’il trouve « gai comme les pinsons et mélodieux comme les rossignols ». Pour Chabrier, entre 1864 et 1869, il ébauche deux livrets d’opéra

bouffe : Fisch-ton-Khan et Vaucochardet-Fils Ie, dont quelques fragments ont été retrouvés et joués en 1941. Admirateur de Wagner dès 1866, Verlaine collabore en 1886 à la Revue wagnérienne (deux sonnets : À Louis II de Bavière, Parsifal). Son beau-frère, Charles de Sivry, était compositeur. Sa belle-mère, Mme Mauté, qui se prétendait élève de Chopin, a donné des leçons de piano au jeune Claude Debussy. Le poète n’a eu personnellement avec la musique et les musiciens que des relations épisodiques, mais ses vers, d’une sonorité si délicate, si rare, sa vision subtile, son art raffiné ont exercé une extraordinaire attraction sur deux des plus grands musiciens de son temps, Gabriel Fauré et Claude Debussy. Ils étaient très différents. Mais à l’un comme à l’autre Verlaine apportait une poésie qui était déjà une musique. Entre cette musique et la leur existaient de réelles affinités. De cette rencontre, sont nés quelques-uns des chefsd’oeuvre de la mélodie française : Clair de lune (1887), Cinq Mélodies op.54 (1891) et la Bonne Chanson (1894) de Gabriel Fauré, les Ariettes oubliées (1888) et les deux recueils des Fêtes galantes (1891-1904) de Claude Debussy. VERLET (Blandine), claveciniste française (Paris 1942). Au Conservatoire de Paris, elle obtient un 1er Prix de clavecin en 1963 (classe de Marcelle Delacour) et, la même année, le prix spécial du Concours international de Munich. Elle se perfectionne ensuite auprès d’Huguette Dreyfus, Ruggero Gerlin et Ralph Kirkpatrick, tout en développant une carrière de soliste et en réalisant de nombreux enregistrements. Outre le répertoire baroque de clavecin, elle s’intéresse aussi aux oeuvres contemporaines, interprétant par exemple des pièces de Ligeti et de Boucourechliev. Parallèlement au récital, elle se produit aussi en formation d’ensemble, qu’elle dirige de son clavecin, et enseigne à l’Académie de musique ancienne de Semur-en-Auxois et au Conservatoire de Bordeaux. VERMEULEN (Matthijs), compositeur néerlandais (Helmond 1888 - Laren 1967). Autodidacte, il ne fut encouragé que par Diepenbrock et Daniel de Lange qui lui révèlent, par ailleurs, Wagner et, plus

tard, Schönberg. Ses premières symphonies, atonales et polymélodiques, se heurtèrent à l’incompréhension et à l’hostilité des chefs d’orchestre. De dépit, il se fixa en France pendant vingt-cinq ans. Critique musical passionné et impulsif, il exerça néanmoins une action stimulante sur la renaissance de la conscience musicale de son pays. Ses dernières oeuvres, écrites après la guerre, comportent des sous-titres qui sont autant de programmes en marge de l’actualité (les Victoires, Les lendemains qui chantent, les Minutes heureuses). En dehors de ses 7 symphonies, il n’a écrit que quelques pièces de musique de chambre, quelques mélodies et la musique de scène pour le Hollandais volant de Nijhoff. Il est l’auteur de plusieurs traités (2 Musiques, Sound Board, Principes de la musique européenne, la Musique, un miracle, etc.). Il fut, avec Willem Pijper, le plus important compositeur néerlandais de sa génération. VERROT (Pascal), chef d’orchestre français (Lyon 1959). Il étudie à la Sorbonne, et devient l’élève de Jean-Sébastien Béreau au Conservatoire de Paris. Il se perfectionne à Sienne avec Franco Ferrara. En 1985, il est lauréat du Prix de Tokyo, et Seiji Ozawa l’engage comme assistant à Boston de 1986 à 1990. Il y dirige l’orchestre d’élèves du New England Conservatory. En 1987, il débute à l’Opéra de Lyon dans la Chauve-Souris de Johann Strauss, et, l’année suivante, il dirige l’Orchestre de Paris. En 1991, il prend la tête de l’Orchestre symphonique de Québec. Il est régulièrement invité au Japon et aux États-Unis, ainsi que par les orchestres français. VERSAILLES (COUR DE). Les liens traditionnels de l’institution monarchique et de la musique, renforcés par le goût personnel des souverains, ont durant cent ans fait de Versailles, modeste pavillon de chasse à l’origine, l’un des principaux centres musicaux de l’Europe. La musique n’y a sans doute guère eu de place sous les règnes de Henri IV et de Louis XIII - même si ce dernier, aussi mélomane que grand chasseur, a su parfois mêler ses deux divertissements favoris, comme dans le Ballet de la merlaison (chasse au merle), dont il composa, diton, la musique. C’est Louis XIV qui, avec les Plaisirs de l’île enchantée (1664), inau-

gure la série des grandes fêtes royales qui vont donner au château son premier statut musical : centre périodique des principaux divertissements de la Cour (fête de 1668, fête de 1674...). À ce premier Versailles (1664-1682) sont ainsi liées quantité d’oeuvres, la plupart de Lully (la Princesse d’Élide, 1664 ; Georges Dandin, le Grand Divertissement, 1668 ; Alceste et les Fêtes de l’Amour et de Bacchus, 1674). En 1682, Louis XIV prend la décision de fixer la Cour à Versailles de manière permanente. Dès lors, les structures musicales de la monarchie se fixent à Versailles et, sous l’impulsion de ce roi passionné de musique et de danse, se développent. Les institutions. Ce sont essentiellement : a)LA CHAPELLE. Dirigée par 4 sousmaîtres se succédant trimestriellement (le titre de maître est réservé, honorifiquement, à un prélat), la musique de la chapelle compte plus de 80 chanteurs et musiciens vers 1700 ; recrutés par concours, les 4 sous-maîtres sont, à partir de 1683, Minoret, Coupillet, Collasse et Delalande ; ce dernier accaparera peu à peu tous les postes. Les 4 organistes se succèdent également « par quartier « ; parmi eux, à partir de 1693, François Couperin. La musique composée pour la Chapelle consiste essentiellement en motets : grands motets pour double choeur et symphonie, petits motets à une, deux ou trois voix. b)LA CHAMBRE. La musique de la Chambre, dirigée par 2 surintendants trimestriels (dont Lully, 1662-1687 ; Delalande, 1689-1726), se compose d’un petit downloadModeText.vue.download 1030 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1024 nombre de musiciens d’élite (8 chanteurs, 1 claveciniste, 3 luths et 1 théorbe, 4 flûtistes et 4 violons), des « 24 violons » chargés principalement de la musique des ballets, et des « petits violons », dont le statut n’est pas clair. La musique de la chambre accompagne les ballets, les divertissements périodiques, la musique de table ou du coucher, les petits concerts du soir, du dimanche après-midi, etc.

c)L’ÉCURIE se compose des instruments de plein air : 12 trompettes, 6 hautbois, 6 hautbois de Poitou, fifres et tambours, ainsi que de la bande des 12 « grands hautbois ». Ces instruments prêtent leur concours à la Chambre et à la Chapelle. Ces institutions évolueront peu jusqu’à la Révolution, à l’exception de la refonte qui, en 1761, regroupera la Chapelle et la Chambre. Les oeuvres. Versailles a exercé un effet d’attraction sur un grand nombre de compositeurs, et les moyens financiers dont disposaient les institutions musicales, autant que la qualité des oeuvres composées pour la Cour, lui ont assuré un rayonnement très grand sur le reste du royaume. Cela est vrai en particulier de la musique de la Chapelle. Le grand motet versaillais (créé, avant Versailles, par Robert, Du Mont et Lully, et développé en particulier par Delalande, puis par Campra) a servi de modèle à l’essentiel de la musique sacrée française jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Leopold Mozart, en 1763, témoigne encore de la perfection de cette musique et de son exécution. La musique de ballet, si importante au XVIIe siècle, s’efface un peu lors de l’installation de la Cour à Versailles : il faut attendre la Régence et le règne de Louis XV pour voir quelques oeuvres importantes, telles que le Ballet de la jeunesse de Delalande. Il en est de même à l’opéra. Après la création à Versailles de Phaéton (1683) et de Roland (1685) de Lully, Louis XIV se désintéressant de l’opéra, les grandes oeuvres lyriques seront créées à Paris, sauf exception correspondant à un divertissement particulier ou à une célébration (la Princesse de Navarre de Rameau, 1745, mariage du Dauphin). En revanche, la musique de chambre a eu, tout au long du séjour de la monarchie à Versailles, une importance très grande. Louis XIV faisait venir son guitariste Robert de Visée à peu près chaque soir ; chaque dimanche avait lieu un concert de chambre, pour lequel François Couperin, entre autres, composa les Concerts royaux et les Goûts réunis. Les jours de fête, maints concerts avaient lieu au souper, au coucher, etc. Le goût versaillais, mélange de noblesse et d’élégance, ainsi que les formes particulières de la musique française (ouverture, suite de danses) ont marqué l’Europe de la fin du XVIIe et du premier tiers du

XVIIIe siècle, en particulier l’Allemagne et l’Angleterre. Centre moteur de la vie musicale française jusqu’en 1715, l’influence de Versailles est (sauf pour la musique sacrée) concurrencée par celle de « la ville » à partir de la Régence. Elle reste néanmoins forte jusque vers les années 1760-1770, lorsqu’un mouvement parti d’Allemagne et d’Autriche, accentué par l’avènement de Marie-Antoinette, marquera fortement la musique française dans son ensemble. VERSET. Dérivation du latin versiculus, diminutif de versus. 1. Dans les chants liturgiques dialogués entre soliste et choeur, le verset, indiqué par un V barré, désigne les parties chantées par un soliste et s’oppose au répons, indiqué par un R barré, qui désigne les réponses du choeur. La dénomination a survécu à la disparition de l’usage du soliste, de sorte que les versets de nombreuses pièces liturgiques sont aujourd’hui chantés soit par un petit choeur, soit même par le choeur entier, tandis que le mot répons a fini par désigner de manière privilégiée un genre de pièce particulier qui en a pris le nom. 2. Dans les psaumes et formes apparentées, nom donné aux divisions du texte qui en constituent la structure propre. Le nombre des versets d’un psaume est variable, et chacun d’eux est divisé en deux par une pause médiane, indiquée par une étoile dans les livres de choeur. La longueur de chaque partie ne doit pas excéder la longueur de souffle d’une émission continue, sinon elle est à son tour subdivisée par une flexe ou inflexion de semi-repos ; les flexes ne se trouvent en principe que dans la première partie du verset et sont indiquées dans les livres par une petite croix. 3. Dans la littérature d’orgue, court morceau destiné à remplacer un verset chanté lorsqu’il y a alternance entre le choeur et l’orgue dans le chant liturgique. 4. Dans le choral protestant et les chants apparentés, nom donné parfois à la strophe. VERSUS.

Mot latin qui signifie « vers », et dont le singulier et le pluriel ont la même forme, ce qui rend parfois difficile d’en connaître le nombre. Le sens primitif du mot était « sillon », par allusion à la disposition graphique qui l’oppose à prorsus (prorsa oratio, d’où « prose », qui poursuit sans retour en arrière). Le nom de versus, au singulier attesté, a été donné du IXe au XIIe siècle à un répertoire de pièces chantées latines en vers, le plus souvent religieuses et strophiques, syllabiques ou faiblement mélismatiques, cultivé surtout autour des grandes abbayes, et spécialement autour de SaintMartial de Limoges, en dehors de l’usage liturgique. On en retrouve le nom dans les chansons des premiers trouveurs, qui s’appelaient elles aussi un « vers » au singulier, et on a conjecturé avec vraisemblance la filiation des deux répertoires. On a également nommé versus, sans pouvoir préciser le singulier ou le pluriel, diverses compositions liturgiques en vers placées en addition à l’office (trope de complément). Ce sont surtout des pièces de caractère processionnel, acclamatoire ou litanique. VEYRON-LACROIX (Robert), claveciniste français (Paris 1922 - id. 1991). Élève, au Conservatoire de Paris, de Samuel Rousseau et de Yves Nat, il remporte les premiers prix de piano, de clavecin et de théorie. Depuis le début de sa carrière, en 1949, son nom est lié aux répertoires baroque et contemporain qu’il interprète avec un sens raffiné du rythme et de la couleur, notamment en compagnie du flûtiste Jean-Pierre Rampal. Il enseigna à la Schola cantorum de Paris et à l’Académie internationale d’été de Nice avant d’être nommé en 1967 professeur au Conservatoire de Paris. VIADANA (Lodovico GROSSI, dit), compositeur et pédagogue italien (Viadana v. 1560 - Gualtieri o Po 1627). Maître de chapelle à la cathédrale de Mantoue avant 1590, il se fit moine franciscain en 1596. Maître de chapelle à la cathédrale de Fano (1612), il fut l’un des premiers à doter d’une partie obligée de

continuo un recueil de concerti vocaux sacrés (1602). Parmi ses autres recueils de musique vocale sacrée, on peut citer la Missa dominicalis pour voix soliste et continuo (1607), premier exemple connu de monodie liturgique, et les ambitieux Salmi a 4 cori (1612). En 1615, il se fixa à Piacenza, d’où il se retira au monastère franciscain de Gualtieri. VIARDOT (Pauline), mezzo-soprano française, d’origine espagnole (Paris 1821 - id. 1910). Elle était la fille de Manuel García et la soeur cadette de Maria Malibran. Elle étudia le chant avec son père et le piano avec Liszt, et fit ses débuts à Bruxelles en 1837 dans Otello de Rossini, puis à Londres. Engagée au Théâtre-Italien de Paris en 1839, elle devait épouser, deux ans plus tard, son directeur Louis Viardot. Meyerbeer écrivit pour elle le rôle de Fides dans le Prophète. Sa voix de mezzo était à la fois très puissante et très agile, plus dramatique que véritablement belle. La grande étendue de son registre lui permit d’aborder certains downloadModeText.vue.download 1031 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1025 rôles de soprano, comme Valentine des Huguenots et même Norma. Ce fut une artiste considérable qui marquait de son empreinte tous les ouvrages qu’elle abordait. Berlioz l’admirait beaucoup et réalisa pour elle sa version de l’Orphée de Gluck (1859). En 1861, elle aborda Alceste. Elle parut en scène pour la dernière fois en 1863, mais participa encore en 1874 à une représentation privée du second acte de Samson et Dalila que Saint-Saëns lui avait dédié. Elle fut la maîtresse de Tourgueniev, l’amie intime de Schumann, composait elle-même de la musique, écrivait des poèmes et peignait. VIBRAPHONE. Instrument à percussion de la famille des claviers, dont il est le représentant le plus moderne et le plus sophistiqué. Sa construction rappelle celle du xylophone, mais, outre les lames métalliques du glockenspiel et les tubes résonateurs

du marimba, il possède un système de palettes mobiles qu’un moteur électrique fait tourner à vitesse variable, d’où un vibrato plus ou moins serré. La résonance, très longue, peut être contrôlée au moyen d’une pédale. Les sons produits (sur 3 octaves qui correspondent à peu près à la tessiture du violon), doux et fluides, ont un caractère presque immatériel. VIBRATO. D’une façon générale, le vibrato consiste à imprimer au son, dans un but expressif, une légère ondulation plus ou moins serrée de part et d’autre de la hauteur prescrite. Pour les chanteurs, c’est un trémolo atténué, d’une exécution d’autant plus délicate que, trop lâche ou trop appuyé, il risque de dégénérer en chevrotement. Pour les instruments à vent, le vibrato peut être obtenu soit au niveau du souffle, soit par l’action du doigt sur un trou (« bois »), soit par un léger va-et-vient de la coulisse dans le cas du trombone. Mais ce sont surtout les instruments à cordes, et tout particulièrement à archet, qui utilisent le vibrato, d’autant plus qu’il a pour effet d’amplifier le son. On y parvient par un tremblement du doigt posé sur la corde ou un ample mouvement de toute la main. VICHNEVSKAIA (Galina), soprano russe (Leningrad 1926). Elle fit ses débuts à Leningrad en 1950 (dans Kholopka de Strelnikov). Engagée au théâtre Bolchoï en 1952, elle y resta jusqu’en 1974, année où, avec son mari le violoncelliste-chef d’orchestre Rostropovitch, elle émigra pour s’installer à Paris. Douée d’une voix lyrico-dramatique chaude et corsée, elle est le seul soprano russe de sa génération à avoir fait une carrière internationale. Elle a chanté Madame Butterfly et Aïda à New York en 1952, Aïda à Londres et à Paris en 1962, Liu (Turandot) à Milan en 1966, et créé en 1969 la 14e Symphonie de Chostakovitch. Dans le répertoire russe, sa Tatiana (Eugène Onéguine) fut particulièrement admirée. Elle fait aussi une carrière de récitaliste, où ses dons d’interprète et sa présence font merveille. Marcel Landowski, dont elle a créé plusieurs oeuvres, lui a consacré un opéra (Galina, 1996). VICKERS (Jon), ténor canadien (Prince Albert 1926).

Il fait ses débuts au Festival de Stratford en 1956, dans le rôle de Don José de Carmen. Engagé au Covent Garden de Londres l’année suivante, il y chante Énée dans les Troyens de Berlioz, et participe au célèbre Don Carlos, mis en scène par Luchino Visconti, sous la direction de Carlo Maria Giulini. Depuis lors, sa réputation s’est étendue au monde entier. Il est à Bayreuth en 1958, à Vienne en 1959. Il se produit à Paris, à Milan, à New York, à Salzbourg et dans tous les grands théâtres du monde, où la puissance de ses caractérisations vocales et dramatiques apparaît incomparable. Dans les années 70, il est reconnu comme le plus grand tragédien lyrique de l’époque, dans les répertoires italien, allemand et français. Son Tristan et son Otello n’ont peutêtre jamais été égalés. Acteur exceptionnel, autant que grand musicien, Vickers occupe une place à part dans l’histoire du chant au XXe siècle. VICTORIA (Tomás Luis de), compositeur espagnol (Ávila v. 1548/1550 - Madrid 1611). Élève du collège germanique de Rome en 1565, comme plusieurs de ses compatriotes, il semble avoir fait auparavant partie de la maîtrise de sa ville natale, mais les documents précis manquent sur cette première partie de sa vie. À Rome, Victoria, qui, parallèlement à sa formation musicale, poursuit des études de théologie, a pour principal maître Palestrina et se lie d’amitié avec ses deux fils. L’influence de l’illustre polyphoniste est d’ailleurs si forte sur l’élève que celui-ci va jusqu’à imiter ses manières et son habillement. En 1569, Victoria est chanteur et organiste en l’église Santa Maria di Montserrato, puis, de 1573 à 1578, occupe le poste de maître de chapelle au Séminaire romain (où il remplaçait Palestrina). Son Premier Livre de motets, paru en 1572, est dédié à Jacobus de Kerle, maître de chapelle du cardinal Otto von Waldbourg, qui joue sans doute un rôle dans les études musicales du jeune Espagnol. En 1575, Victoria reçoit les ordres mineurs et est ordonné prêtre ; quatre ans plus tard, il entre comme chapelain au service de l’impératrice Marie, fille de Charles Quint et veuve de Maximi-

lien II d’Autriche (il devait conserver cette fonction plus de vingt ans durant, indépendamment d’une autre charge de chapelain qui le lie à San Girolamo della Carità et où il va collaborer avec saint Philippe Neri). Après un retour à Madrid en 1587, il revient en Italie, pour un nouveau séjour à Rome de 1592 à 1594. Il y dédie son Deuxième Livre de messes, de 4 à 8 voix, au cardinal Albert d’Autriche, fils de l’impératrice Marie retirée au couvent des Déchaussées royales de Madrid. En 1596, Victoria reprend auprès de celle-ci ses fonctions de chapelain, jusqu’à la mort de sa protectrice, survenue en 1603 (il écrit, à cette occasion, une Messe de requiem). Les dernières années du musicien restent obscures. Toujours attaché au couvent des Déchaussées royales comme chanteur et simple organiste, Victoria, devenu aveugle, paraît avoir voulu terminer sa vie dans l’anonymat le plus total, lui qui, par humilité, n’a jamais recherché de poste officiel à Rome. Aussi bien, quand il meurt en 1611, est-il pratiquement oublié en Espagne, tout autant qu’en Italie. L’oeuvre de Victoria est le monument le plus important de toute la polyphonie ibérique. D’un point de vue quantitatif, cette production - vingt messes et quarante-quatre motets, entre autres - ne peut soutenir la comparaison avec celles de Palestrina et de Roland de Lassus. Mais elle ne leur est nullement inférieure du point de vue de la qualité d’écriture et les surpasserait même quant à l’intensité du sentiment religieux. À cet égard, et plus encore que les messes et motets, les deux sommets du polyphoniste sont l’Office de la semaine sainte et l’Office des morts (Officium Hebdomadae Sanctae et Officium defunctorum) qui comptent certainement parmi les moments sublimes et poignants de toute la musique sacrée occidentale. Nourri des principes esthétiques chers à la Contre-Réforme, comme à son modèle Palestrina, Victoria, qui oeuvra exclusivement au service de la liturgie catholique, se propose toujours d’édifier, d’émouvoir et d’élever l’esprit de son auditoire « jusqu’à la contemplation des saints mystères » (et, en cela, il rejoint aussi les préoccupations de saint Philippe Neri). Dans cette perspective, sa musique, qui n’emprunte jamais ses thèmes au répertoire profane (les messes-parodies en sont absentes), mais seulement au plain-chant

ou à des motifs dérivés de lui, reste éprise de naturel et de simplicité. Ainsi récuset-elle le style savant, compliqué et parfois surchargé d’imitations des Franco-Flamands, au contraire de son aîné Morales. En fait, elle est l’équivalent exact de l’itinéraire spirituel d’une Thérèse d’Ávila ou d’un Jean de la Croix. Seul un mystique de l’envergure de Victoria - si proche, par bien des points, des délires visuels du Greco et toujours downloadModeText.vue.download 1032 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1026 guidé par le génie de la race - pouvait réussir cette transposition visionnaire de la vie intérieure et rendre les élans sacrés de l’âme espagnole, naturellement portée vers l’adoration, la compassion et la ferveur brûlante. VIDAL (Pierre), organiste, écrivain et compositeur français (Clichy 1927). Élève de Marcel Dupré, de seize à vingt ans (piano et orgue), il a suivi les cours d’harmonie de Henri Challan au Conservatoire de Paris, mais se dit essentiellement autodidacte. Il a particulièrement analysé l’oeuvre pour orgue de Jean-Sébastien Bach, ainsi que des textes (Schweitzer, B. de Schloezer) et des interprétations le concernant (Furtwängler, Mengelberg, Landowska, Münchinger, Walcha). Titulaire de l’orgue de l’église Saint-JeanBaptiste de Belleville (1956-1970), il est, depuis 1967, à la tête d’une classe d’orgue au conservatoire de Strasbourg. Il est l’auteur de deux ouvrages : Bach et la Machine-Orgue (1973), et Bach, les psaumes : passions, images et structures dans l’oeuvre d’orgue (1977). On lui doit aussi quelques compositions : Magnificat, Pièces pour orgue. VIÈLE. Nom donné au Moyen Âge à de nombreux instruments à cordes frottées dérivés du crouth, mais, à la différence de celui-ci, comportant un manche nettement distinct de la caisse. La forme de la vièle et le nombre de ses cordes ne se sont stabilisés que pour donner naissance à la viole.

VIELLE À ROUE. Instrument ancien à cordes frottées. Ses cordes de boyau en nombre variable, dont plusieurs « bourdons » et une ou deux cordes mélodiques ou « chanterelles », vibrent simultanément par contact avec une roue colophanée que l’exécutant fait tourner au moyen d’une petite manivelle, tout en enfonçant les touches d’une « boîte à clavier » qui agit sur les chanterelles. La mélodie jouée au clavier est donc accompagnée par la basse continue des bourdons, ce qui fait de la vielle à roue l’équivalent, dans le domaine des cordes, de la cornemuse dans le domaine des vents. L’instrument, dont l’importante caisse de résonance englobe la roue, se tient horizontalement sur les genoux, ou suspendu par une courroie si le « vielleux » est debout. Sa sonorité aigre n’a pas empêché la vielle de faire fureur dans les salons jusqu’au XVIIIe siècle. Elle est maintenant cantonnée dans la musique folklorique (Bretagne et Massif central principalement). VIERNE (Louis), organiste et compositeur français (Poitiers 1870 - Paris 1937). Presque aveugle de naissance, il entre comme pensionnaire à l’Institut des jeunes aveugles de Paris. Durant neuf années, il y apprend la musique, en particulier le piano, l’orgue, le chant choral, et même le violon pour en tenir la partie dans l’orchestre de l’Institut. César Franck prend Vierne sous sa protection. En 1889, il le fait entrer comme auditeur dans sa classe d’orgue du Conservatoire. À la mort de Franck, l’année suivante, Widor, qui lui succède au Conservatoire, apporte à Vierne formation, conseils, amitié et aide matérielle. En 1892, il le prend comme répétiteur dans sa classe d’orgue : Vierne assurera pendant dix-sept ans, auprès de Widor, puis de Guilmant, ces fonctions de professeur bénévole. Il compte parmi ses élèves M. Dupré, M. Duruflé, B. Gavoty, E. Souberbielle. Cependant, en 1911, il sera écarté de la succession de Guilmant au profit de Gigout. En 1894, Vierne a fini par obtenir, malgré des cabales, le premier prix d’orgue et d’improvisation au Conservatoire. Widor lui confie sa suppléance aux orgues de Saint-Sulpice. En 1900, il est choisi à l’unanimité au concours pour le poste d’organiste à Notre-Dame de Paris.

Ses talents d’interprète et d’improvisateur lui valent la célébrité et attirent d’innombrables auditeurs à Notre-Dame. La guerre de 1914 lui enlève un fils et son frère René Vierne, organiste de Notre-Dame-desChamps et auteur d’une Méthode d’harmonium. De 1920 à 1930, il donne des séries de concerts internationaux. Cependant, sa santé est usée par des difficultés de toutes sortes ; ses yeux exigent des soins pénibles. À l’âge de soixante-six ans, il donne à Notre-Dame son 1 750e récital : au moment d’improviser, il est terrassé par la mort qui le saisit, selon ses voeux, aux claviers de ses grandes orgues. Il laisse une oeuvre importante. Sa musique pour orgue ne représente qu’une partie, mais la plus originale, de ses compositions. Son style, influencé par celui de son maître Widor, est marqué par l’immense instrument qui lui impose de larges plans contrastés, où apparaissent, en alternance, des thèmes lyriques révélant toute sa sensibilité. Pour orgue, il compose 6 symphonies, de 1898 à 1930. La 3e Symphonie pour orgue op. 28, écrite en 1911 et dédiée à Marcel Dupré, est considérée comme son chef-d’oeuvre. Sont encore écrits pour l’orgue : 24 Pièces en style libre (1913), 24 Pièces de fantaisie (1926-27), 2 messes basses (1912, 1934), un Triptyque (1929-1931) ; on peut ajouter la Marche triomphale avec cuivres et timbales pour la célébration du centenaire de la mort de Napoléon. Il écrit aussi des pièces pour piano : Suite bourguignonne (1899), Nocturnes (1916), Solitude et Silhouettes d’enfants (1918), 12 Préludes (1921), de la musique de chambre (sonates pour piano et cordes, quatuor, quintette avec piano) ; de la musique orchestrale (1 symphonie, 19071908), et vocale (des oeuvres lyriques avec orchestre, d’après Victor Hugo, les Djinns, 1912, et Psyché, 1914), et des mélodies (Verlaine, Leconte de Lisle, Baudelaire, Sully Prudhomme, Richepin). VIERU (Anatol), compositeur, chef d’orchestre et musicologue roumain (Iasi 1926). Après des études de composition au Conservatoire de Bucarest (1946-1951), il poursuit sa formation au Conservatoire de Moscou (1951-1954), avec notamment Aram Khatchatourian. Il enseigne depuis

1954 la composition au Conservatoire de Bucarest. Vieru s’est fait connaître, sur le plan international, surtout après avoir remporté le Prix Reine Marie-José (Genève, 1962) par son Concerto pour violoncelle et orchestre. Auteur de trois opéras (Jonas, 1971-1975 ; le Festin des gueux et, dernièrement, un « opéra-clepsydre » sur des textes de Pouchkine et Boulgakov, 1974-1996), de six symphonies (19661989), de plusieurs concertos pour différents instruments (dont le Concerto pour violon, violoncelle et orchestre, 1979, et le Concerto pour deux violoncelles et orchestre, 1992), Vieru est un esprit indépendant, postmoderne avant le postmodernisme (et même avant le modernisme !), qui refuse les classifications et les modes pour rechercher sa propre vérité musicale. Dans la Symphonie no 2 (1973), il utilise déjà des éléments du vocabulaire musical tonal, qu’il fait cohabiter avec des principes génératifs et transformationnels. Dans le même esprit, il conçoit la musique comme un processus (Ode au silence pour orchestre, 1966-67, Écran pour orchestre, créé à Royan en 1970), pratique le collage (le Crible d’Érathosthène pour ensemble, 1969) ou la musique « perforée » (Museum Music, 1968), mais, derrière les procédés, il y a, chez Vieru, une pensée rigoureuse et stable, toujours fidèle à elle-même. De son catalogue, on peut citer aussi huit quatuors à cordes (1955-1991), Memorial (1990) et Psalm 1993 pour orchestre, Joseph et ses frères pour 11 interprètes et bande magnétique (1979), Die Waage, oeuvre multimédia sur des textes de Heidegger et d’Urmuz (1986). Il a entrepris aussi des recherches concernant la théorie des modes, étudiée à l’aide des ensembles et de la structure de groupe algébrique (The Book of Modes, dernière édition complétée, Bucarest, 1994). downloadModeText.vue.download 1033 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1027 VIEUXTEMPS (Henri), violoniste et compositeur belge (Verviers 1820 - Mustapha, près d’Alger, 1881). Il prend ses premières leçons avec son père et avec un musicien local. À six ans, il joue en public un concerto de Rode. L’année suivante, Bériot, impressionné par ses dons, l’emmène à Paris et le prend

comme élève. En 1831, après le départ de Bériot pour l’Italie, il revient à Bruxelles. En 1833, il fait un voyage en Allemagne où il obtient un grand succès et rencontre Spohr. Il passe l’hiver à Vienne où il travaille le contrepoint avec Sechter, et, en 1834, fait la connaissance de Paganini à Londres. En 1835, il étudie la composition avec Reicha à Paris. De cette époque datent ses premières oeuvres. En 1837, il va à Vienne. Il voyage également en Russie (1838) et en Amérique (1844). De 1846 à 1852, il est violon solo du tsar et professeur au conservatoire de Saint-Pétersbourg. Il fait plusieurs tournées aux États-Unis, en 1857-58 avec Thalberg, et en 1870-71. De 1871 à 1873, il enseigne au conservatoire de Bruxelles, où il a Ysaye pour élève. Chef de l’école belge du violon, il a surtout composé pour son instrument. Si ses transcriptions et fantaisies, écrites pour mettre en valeur la virtuosité de l’interprète, sont aujourd’hui démodées, certains de ses concertos - notamment le 4e en ré mineur op. 31, que Berlioz appelait « une magnifique symphonie avec violon principal », et le 5e en la mineur op. 37 sont encore maintenant au répertoire des plus grands violonistes. VIHUELA. Instrument espagnol à cordes, de la même famille que le luth et la guitare. Connue depuis le XIVe siècle, ce n’est toutefois qu’au cours du XVIe que la vihuela s’est répandue et que son répertoire s’est constitué, prenant une place importante dans la renaissance musicale espagnole. On distingue différentes sortes de vihuela : vihuela de arco (viole à archet), vihuela de penola (à plectre), vihuela de mano, la plus courante, à cordes pincées. Au XVIe siècle, la vihuela possédait 6 doubles cordes. Le premier compositeur à avoir publié de la musique pour cet instrument fut Luis Milán, dont le recueil intitulé El Maestro parut à Valence en 1536. Les contemporains ou successeurs immédiats de Milán furent Luis de Narvaez, Alonso Mudarra, Diego Pisador, Miguel de Fuenllana, Enriquez de Valderrabano, Antonio de Cabezón. Le répertoire de la vihuela comprenait aussi bien des transcriptions d’oeuvres polyphoniques d’auteurs espa-

gnols ou étrangers (Josquin Des Prés, Morales), que des compositions originales. Les formes les plus courantes de ces dernières étaient la fantasía, le tiento, le fabordón (faux-bourdon), la glosa, la diferencia (variation), et parfois des danses, dont la pavane. En outre, la vihuela servait fréquemment d’accompagnement au chant des romances et des villancicos. Les oeuvres pour vihuela étaient notées sous forme de tablatures. VILLA-LOBOS (Heitor), compositeur brésilien (Rio de Janeiro 1887 - id. 1959). Le père du compositeur, Raúl Villa-Lobos, d’origine espagnole, faisait autorité en matière d’histoire, cultivait la musique, ce qui lui permit d’enseigner le violoncelle et la clarinette à son fils. Sa mère, Noemia, continua son éducation après la mort de Raúl en 1899. À Rio de Janeiro, Villa-Lobos connut la musique de salon importée d’Europe, mais aussi celle des musiciens populaires. Sa famille voulait l’orienter vers d’autres activités, mais il persévéra et devint guitariste dans des ensembles de musiciens de « chôros », improvisant dans les rues sur des airs en vogue (valses, polkas, lundus). Ses premières compositions datent de ses quatorze ans. Quant aux auteurs classiques, cet autodidacte en avait déchiffré seul les partitions : Bach l’avait attiré dès son plus jeune âge. Devenu violoncelliste dans l’orchestre du théâtre Recreio, il jouait un répertoire des plus variés, constitué d’opéras, d’opérettes et de zarzuelas. En 1905 commença l’ère des voyages à l’intérieur du Brésil. Guidé par un instinct infaillible, il apprit à concevoir l’âme sonore brésilienne, à partir de chants de primitifs indiens, de rythmes des Noirs de Bahia, de chansons populaires urbaines et rurales, mais il bénéficia en même temps des recherches de son ami l’ethnomusicologue Roquette-Pinto. S’il fut influencé par Wagner et Puccini pour la mélodie, par Vincent d’Indy, dont il étudia le cours de composition musicale, plus tard par Debussy et par Stravinski, la question des influences allait graduellement perdre son sens chez un créateur qui possédait la musique en lui-même. Les oeuvres de VillaLobos commencèrent à être jouées en 1915. Ce fut le début d’une exploration de toutes les formes : musique de chambre, concerto, musique symphonique, opéra (Izaht). La composition de Myremis, du

Naufrage de Kleonicos, puis, en 1917, de Amazonas et de Uirapuru, basés sur des légendes amérindiennes, établit un genre qu’il allait exploiter à diverses étapes de sa vie créatrice, celui du poème symphonique amazonien et primitif, du kaléidoscope sonore débordant de vie rythmique et de virtuosité instrumentale. Une série de 5 symphonies vit le jour entre 1916 et 1920. Trois d’entre elles furent marquées par les événements mondiaux : la 3e (la Guerre), la 4e (la Victoire), la 5e (la Paix). En 1923, le compositeur vint à Paris, où sa musique, jouée devant des salles souvent houleuses, fut loin de passer inaperçue et lui valut de durables amitiés dans le monde artistique. Florent Schmitt, par ses critiques pertinentes et chaleureuses, ainsi que Paul Le Flem et René Dumesnil contribuèrent à asseoir sa renommée. Arthur Rubinstein, ami de la première heure au Brésil, lui trouva un éditeur, Max Eschig. Les Chants typiques brésiliens, la Famille du bébé, le Rudepoema, Amazonas, le Nonetto, les Chôros faisaient partie d’un arsenal sauvage destiné à conquérir les auditoires. Les grands Chôros, ses pièces les plus novatrices, dominaient cet ensemble. De retour au Brésil en 1930, il partagea ses activités entre la composition et une oeuvre pédagogique importante. Fixé à Rio de Janeiro pour y diriger la Superintendance de l’éducation musicale et artistique, il devait s’affirmer comme un animateur aussi infatigable qu’efficace, dirigeant de nombreux concerts, organisant l’enseignement musical dans les écoles. Ses programmes laissaient toujours une large place à la musique française ; des pages d’Honegger, Milhaud, Ravel, Roussel, Schmitt, Poulenc connurent ainsi leur création au Brésil. Il fonda le Conservatoire de chant orphéonique et dirigea des ensembles choraux impressionnants, dans des stades. En 1942, quarante mille écoliers chantèrent ensemble sous sa direction. L’orientation que prenait son art vers l’universalité se cristallisa avec la série des neuf Bachianas brasileiras, élaborées, comme les Chôros, pour les formations les plus inattendues, tandis que le recueil du Guide pratique de pièces pour piano, chant et choeurs contribua à la diffusion du folklore brésilien. Interrompu pendant vingtquatre ans, le cycle des symphonies reprit en 1944 avec la 6e, inspirée par les mon-

tagnes du Brésil, pour se terminer avec la 12e en 1957. À partir de 1940, Villa-Lobos entreprit des tournées de concerts à travers les Amériques ; après la guerre, il partagea sa vie entre le Brésil, les États-Unis et l’Europe, principalement Paris. Dirigeant lui-même ses oeuvres, il donna des concerts restés mémorables, effectua des enregistrements, avec l’Orchestre national de la Radiodiffusion française. En 1952, la première audition intégrale de la Découverte du Brésil fut ainsi réservée au public parisien. D’autres premières suivirent. Sa musique gagnait en lyrisme et en universalité ; il reçut de nombreuses médailles et distinctions de plusieurs pays d’Europe et d’Amérique. Les dernières années furent également consacrées à parachever une création multiforme. Toujours hanté par l’âme indienne et primitive, il retrouva son élan vital avec Genesis, Érosion, sa fresque Forêts de l’Amazone, ruisselante de sonorités nouvelles, tout en écrivant des opéras - dont Yerma d’après GarciaLorca - et de nouveaux quatuors à cordes downloadModeText.vue.download 1034 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1028 (il en écrivit 17). C’est au moment où le catalogue d’Heitor Villa-Lobos approchait du chiffre de mille oeuvres que le destin arrêta le cours du fleuve d’inspiration le plus tumultueux et le plus fécond de la musique du XXe siècle. Deux femmes avaient partagé la vie du compositeur : la pianiste Lucilia Guimarães, qu’il avait épousée en 1913, puis Arminda Neves d’Almeida, dédicataire de presque toutes ses oeuvres à partir de 1930. Elle assuma à partir de 1960 la direction du musée Villa-Lobos créé par les autorités brésiliennes, dans le cadre du ministère de l’Éducation et de la Culture à Rio de Janeiro. À sa mort, en 1985, sa succession a été assurée par Turibio Santos. Heitor Villa-Lobos fut le premier musicien brésilien à connaître une renommée mondiale, sa musique est à l’image de l’infinie diversité physique et humaine de son pays, contenant des descriptions typiques et humoristiques, des créations très élevées, dans une recherche instrumentale constante, avec une harmonie très libre, opposant timbres, rythmes et tonalités. « Mon oeuvre est la conséquence

d’une prédestination. Elle est de grande quantité parce que fruit d’une terre immense, ardente et généreuse. » Instinctivement, Villa-Lobos aura passé toute sa vie, au prix d’une certaine solitude et d’une lutte constante contre la misère et les préjugés, à doter son pays du répertoire qui lui manquait. En dehors de ses harmonisations, il ne cita jamais de thèmes, traduisant ce qu’il avait assimilé par tous ses sens en un langage personnel. « Le folklore, c’est moi ! », avait-il déclaré. Sa musique orchestrale se situe au sommet de sa production, mais il avait le don de rester lui-même, de conserver la même richesse de sonorité, dans tous les genres abordés. Même lorsqu’elle exprime ce type de mélancolie née sous les tropiques, de terribles torpeurs ou de sourdes luttes, elle laisse volontiers la joie dominer le drame, cette joie jaillissant spontanément d’une contemplation panthéiste de l’univers. En tenant compte des multiples sources qui irriguèrent un art finalement homogène, puissant lien affectif et culturel entre l’Ancien et le Nouveau Monde, aussi bien l’Européen que l’Américain se reconnaissent en lui. VILLANCICO. Chant religieux connu en Espagne dès la fin du XVIe siècle et dont l’origine est à la fois religieuse (chants de Noël) et profane (danses populaires). Il comprenait à l’origine un refrain généralement varié, et un certain nombre de couplets pour voix accompagnée ou ensemble vocal. Au XVIIIe siècle, il a évolué dans le sens d’une suite destinée aux fêtes solennelles (Nativité, Fête-Dieu, fêtes patronales) écrite dans un style libre où alternent le soliste et les choeurs, sur un accompagnement instrumental, et dont l’instrumentation est devenue plus riche. L’influence italienne le marquera ensuite profondément et accusera, au détriment de l’esprit religieux, son visage dramatique et pittoresque. VILLANELLA (ital.) . Chanson polyphonique généralement à 3 ou 4 voix, d’origine napolitaine et populaire en Italie au XVIe siècle. Elle est d’une écriture simple, avec ou sans accompagnement instrumental ; le texte chanté, souvent en dialecte, se caractérise par sa

légèreté, son ton raffiné et son désir de satiriser le madrigal sérieux. Le plus souvent, on chantait chaque strophe sur la même musique, sur le même rythme dans toutes les voix, avec la mélodie à la voix supérieure et une harmonie employant de fréquentes quintes successives. De Naples, le genre se répand à travers l’Italie et sera pratiqué surtout à Venise, par Willaert et par Lassus. Là, sous l’influence de la chanson française, naît une tendance à écrire des villanelle avec une mélodie continue, par exemple, Un giorno mi prego de Willaert (1545), où le texte grivois persiste à se moquer du madrigal traditionnel. À la fin du siècle, la villanella est utilisée avec profit dans les comédies madrigalesques. Dans Le Veglie di Siena d’O. Vecchi, publiées en 1604, elle figure à côté d’autres formes analogues telles que la villotta, la mascherata, la todesca, la giustiniana qui contrastent avec le caractère grave des madrigaux. En France, la villanella a été illustrée notamment par Cl. Le Jeune. VINAY (Ramon), ténor chilien (Chillan 1912 - Puebla, Mexique, 1996). Il débute comme baryton à l’Opéra de Mexico. En 1938, il change de tessiture et incarne don José dans Carmen. Il a cependant acquis l’étendue et la couleur propres aux ténors verdiens, et se révèle dans Otello de Verdi qui sera son rôle fétiche. Il le chante souvent sous la direction de Toscanini. De 1952 à 1962, il aborde aussi les rôles wagnériens à Bayreuth. Il y chante Parsifal, Tristan et Telramund, pouvant à nouveau interpréter des rôles de baryton. Il a gravé de nombreux enregistrements d’opéras de Wagner et de Verdi. VINCI (Leonardo), compositeur italien (Strongoli, Calabre, v. 1690 ou 1696 Naples 1730). Il étudia à partir de novembre 1708 au conservatorio dei Poveri di Gesù Cristo de Naples et devint, en 1719, maître de chapelle du prince de Sansevero, puis, en 1725, à la mort d’Alessandro Scarlatti, provicemaestro à la chapelle royale, poste qu’il devait occuper jusqu’à sa mort. Son premier opéra connu, la comédie en dialecte napolitain Le Doje Lettere, est de 1719. Dans la même veine, il écrivit notamment Lo Cecato fauzo (1719), Lo Barone di Trocchia (1721), Don Ciccio (1721), La Mogliera fedele (1724), mais seule la

partition de Le Zite ‘n galera (1722) a survécu. Son grand domaine fut l’opera seria. Là, il sut allier la musique à la poésie en simplifiant la mélodie, tout en témoignant d’un grand souci du détail, attirant ainsi l’attention de l’auditeur sur la beauté de la ligne vocale. De Publio Cornelio Scipione (1722) à Artaserse (1730), son plus grand succès (livret de Métastase), il ne composa en ce genre pas moins de 24 ouvrages qui font de lui, plus encore que d’Alessandro Scarlatti, le père de l’école napolitaine de la fin du XVIIIe siècle. Citons Semiramide (1723), Ifigenia in Tauride (1725), Didone abbandonata (1726), ou encore Catone in Utica (1728). VIÑES (Ricardo), pianiste espagnol (Lérida 1875 - Barcelone 1943). Il fit ses études à Barcelone (J. B. Pujol), puis à Paris (Lavignac, Benjamin Godard, Bériot). Brillant virtuose, surtout remarquable par sa palette sonore, il fut l’ami et le plus fidèle interprète de tous les compositeurs de son temps, entre autres de Debussy, de Ravel (qui avait été son camarade de classe au Conservatoire), Satie, Albéniz, Manuel de Falla, Séverac, et des générations suivantes, Poulenc, Milhaud, Lesur et Messiaen. Il forma quelques disciples, dont Francis Poulenc. VIOLA. Terme générique italien primitivement appliqué à divers instruments à archet du type de la vièle, de la viole et même du violon. Il ne désigne plus aujourd’hui, dans certaines langues occidentales comme l’italien ou l’anglais, que l’instrument de la famille du violon appelé en français « alto ». VIOLE. Nom générique d’une famille d’instruments à archet issue de la vièle médiévale. D’une grande variété de tailles, de tessitures et d’accords, les violes étaient montées de 4 à 7 cordes ; le fond était plat, les éclisses relativement hautes, les ouïes en forme de flammes, et le manche garni de frettes se terminait généralement par une tête sculptée de femme ou d’animal. Durement concurrencées dès le XVIIe siècle par la famille des violons plus brillants et sonores, les violes avaient pratiquement disparu à la fin du XVIIIe siècle.

On appelait viola da braccio la viole de tessiture élevée qui se jouait soutenue par le bras, comme de nos jours le violon et l’alto, par opposition à la viola da gamba (« viole de gambe ») de tessiture grave downloadModeText.vue.download 1035 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1029 qui, en raison de ses dimensions, devait se tenir entre les genoux. Les violes de gambe constituaient à elles seules toute une famille, mais c’est surtout la basse de viole, correspondant au violoncelle, que désigne le plus souvent ce terme générique. La viola bastarda doit son nom à son étendue considérable, qui lui permettait en principe de se substituer à plusieurs violes de tessitures différentes. Montée de six cordes de boyau, un peu plus volumineuse que le ténor de viole et d’une sonorité plus puissante, elle était percée d’une rosace en plus des ouïes et une simple volute remplaçait la tête sculptée. La viola pomposa était une viola da braccio à peine plus grande que l’alto moderne, mais qui sonnait à l’octave inférieure, donc à la hauteur du violoncelle, grâce à l’épaisseur de ses cordes filées. C’est JeanSébastien Bach qui, faisant ajouter une cinquième corde à la viola di fagotto ainsi nommée en raison d’une sonorité qui évoquait le basson, aurait inventé ce substitut du violoncelle piccolo. La viole d’amour ou viola d’amore fut probablement mise au point au XVIIe siècle par des luthiers anglais. Elle était montée de 6 ou 7 cordes mélodiques doublées à l’unisson par autant de cordes sympathiques qui passaient à travers le chevalet et sous la touche pour rejoindre le chevillier. La vibration de ces cordes sympathiques apporte à sa sonorité une couleur si particulière et d’un tel charme que cet instrument a survécu à tous les autres types de violes. Meyerbeer, Massenet et Puccini l’ont employée dans leurs opéras ainsi que, plus récemment encore, plusieurs compositeurs modernes dont Janáček et Hindemith. VIOLON.

Instrument de musique à cordes frottées, tenu sous le menton et joué avec un archet, et considéré, aussi bien dans l’orchestre qu’en solo, comme le roi des instruments. LES ORIGINES. Si le violon connaît, au cours des siècles, une grande floraison d’écrits musicologiques, scientifiques et littéraires, ses origines n’en restent pas moins assez obscures. En effet, il existe souvent une confusion entre les termes vièle, viole, violon, et il est difficile, d’un point de vue organologique, de situer exactement la date de fabrication du premier violon. Sous le rapport de la forme, celui que nous connaissons aujourd’hui a peu évolué depuis le XVIe siècle ; son nom apparaît d’ailleurs pour la première fois sous François Ier dans les comptes des Menus Plaisirs du roi, en 1529. Le violon aurait pour ancêtre la cithare, faite d’une caisse de résonance percée d’ouïes, d’un manche et d’un système de chevilles. L’apparition de l’archet provoque au Moyen Âge la naissance d’un grand nombre d’instruments à cordes frottées, ce qui en complique les origines : rebecs, gigues, rotes, lyres et, en particulier, vièles à archet qui se rapprochent davantage de notre violon, par leur facture et la façon d’être posés sur ou contre l’épaule pour en jouer. Au XVIe siècle, la vièle est désignée sous le nom de viole de bras, en opposition à la viole de gambe, dont la facture est d’ailleurs différente. À cette époque déjà, les familles des violes et des violons coexistent. Ceux-ci sont plutôt réservés à l’accompagnement des danses en plein air, tandis que les violes, à la sonorité beaucoup plus douce, restent l’instrument noble par excellence. En 1592, Zacconi, dans Prattica di musica, présente la famille des six violes avec leur accord. On peut y voir la parenté des deux instruments : la plus petite viole, ou dessus, s’accorde déjà comme notre violon, sur sol-ré-la-mi. Le grand succès de la viole, à la Renaissance, a sans doute contribué à retarder l’apparition du violon dans une musique plus « élaborée », reléguant celui-ci au rang de vulgaire instrument. Les écrits de cette époque l’attestent : peu de théoriciens sont favorables au violon, d’autres n’en parlent pas. Cependant, même s’il n’est pas toujours bienvenu,

on voit son importance grandir en lisant l’Épitomé musical des tons, sons et accordz de Philibert Jambe-de-Fer, en 1556 : « Le violon est fort contraire à la viole (...). Nous appelons viole c’elles desquelles les gentils hommes marchantz et autres gens de vertuz passent leur temps. (...) L’autre s’appelle violon et c’est celuy duquel on use en dancerie communément et à bonne cause « ; ou encore Mersenne dans l’Harmonie universelle, en 1636, qui nous dit n’avoir « jamais rien ouï de plus ravissant on de plus puissant », et en 1680, Furetière, dans son dictionnaire, le désigne comme « Roy des instruments ». Luthier, A. Stradivarius, en perfectionne les dimensions, les vernis, mais la forme générale et les principes acoustiques de l’instrument ne changent guère. HISTOIRE DE LA LUTHERIE. Le premier grand nom attaché à la lutherie du violon est celui de la famille des Tieffenbrucker, nom déformé par le français en « Duiffoprugcar », dont le plus célèbre représentant, Gaspard, s’établit à Lyon en 1553. Il ne reste de lui que de fort belles violes, mais point de violon. Peu après, deux écoles naissent presque simultanément en Italie : Brescia et Crémone. À Brescia, deux noms importants s’affirment : Gasparo Bertolotti, ou « Da Salo », et Paulo Maggini, dont les altos en particulier sont considérés comme les meilleurs. À Crémone se trouvent les plus illustres écoles de lutherie : celle d’un Andrea Amati, de ses fils et surtout petit-fils, Nicola, dont la production au XVIIIe siècle est aussi prisée que celle de Stradivarius. Cependant, la sonorité douce de ses violons les fait reculer au second plan lorsque les musiciens désirent des instruments plus sonores. Antonio Stradivarius (16441737) fut son élève : la lutherie atteint alors son apogée. Plusieurs périodes correspondent aux recherches du maître : des « longuets », vers 1690, il revient à un modèle plus court vers 1700. Il fixe les proportions définitives du violon, et, par la qualité de son vernis, le fini de son exécution, en fait le modèle encore inégalé aujourd’hui. D’autres noms illustres vont faire de l’Italie le centre international du violon aux XVIIe et XVIIIe siècles : les Guarnerii, les Ruggeri, les Gagliano, les Guadanini... Toutes les autres écoles, austro-allemande (Stainer et l’école de Mittenwald

dans le Tyrol), française (Lambert, Renaudin, Vuillaume, puis l’école de Mirecourt) dépendent du modèle italien. LA FACTURE. Dans sa structure générale, le violon apparaît comme un instrument relativement simple : une caisse de résonance, un manche, quatre cordes et quelques accessoires. Ce n’est cependant qu’une apparente simplicité, puisque le violon est un assemblage d’environ quatre-vingts pièces. Observons le détail et la fonction précise des plus importantes d’entre elles. La caisse de résonance se compose d’une table d’harmonie, voûtée, en sapin à fibres parallèles, percée par des ouïes (dont la place doit être exactement déterminée, car elles permettent, pense-t-on, une augmentation des vibrations de la table, donc une meilleure sonorité) ; d’un fond bombé en érable appelé à petites ondes (souvent en deux parties) ; et de parois latérales, les éclisses, d’environ trois centimètres de hauteur, reliant la table au fond. Les deux tables sont voûtées, car elles doivent résister à la pression des cordes. Au milieu de ces deux tables, une échancrure en forme de C est pratiquée pour le passage de l’archet sur les cordes extrêmes sol et mi. À cette étape du travail, le violon n’aurait qu’une faible sonorité si deux pièces primordiales n’étaient pas placées : la barre d’harmonie et l’âme. La barre d’harmonie, en sapin, est collée dans la longueur de la table d’harmonie (environ les deux tiers) non pas dans l’axe médian, mais décalée vers la gauche (sous le pied gauche du chevalet). Elle mesure environ un centimètre à sa plus grosse épaisseur et s’affine vers les extrémités. Elle a deux fonctions : empêcher l’affaissement de la voûte et renforcer la sonorité des notes graves de l’instrument. L’âme, petite pièce cylindrique en sapin d’environ cinq millimètres de diamètre, est mise sans être collée entre la table et le fond, à downloadModeText.vue.download 1036 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1030 peu près sous le pied droit du chevalet. Les bouts sont taillés en biais pour s’adapter à la courbure de la table et du fond. Elle retient la table d’harmonie qui pourrait plier

sous la pression des cordes et favorise la sonorité aiguë de l’instrument. Pour la finition et l’ornementation de la caisse de résonance, on incruste les filets, souvent en alisier, parfois en ébène, aux bords des deux tables. Cependant, certains luthiers s’accordent à leur donner une importance toute fonctionnelle : ils seraient alors un pourtour consolidant la table, limitant mieux le champ vibratoire. Le manche, en érable, d’une seule pièce, se termine par le chevillier maintenant les quatre chevilles sur lesquelles s’enroulent les cordes. Le chevillier est surmonté d’une volute sculptée d’une manière plus ou moins artistique selon les époques. Un sillet d’ébène sert de point d’appui aux quatre cordes entre le chevillier et la touche. Cette dernière, en ébène aussi, est collée sur le manche jusqu’à la caisse de résonance, puis évidée au-dessus de la table. Les cordes sont attachées à une extrémité aux chevilles, et, à l’autre, au cordier, pièce triangulaire en ébène, elle-même attachée à la caisse par l’intermédiaire d’un gros morceau de corde en boyau et d’un bouton enfoncé dans l’éclisse. Le chevalet, sculpté dans l’érable, mesure environ trois centimètres de hauteur, quatre millimètres d’épaisseur aux pieds et deux millimètres à sa partie supérieure. Il se place à égale distance des deux ouïes et dans leur axe médian, qui passe exactement à l’endroit où le luthier creuse deux petites encoches. Le chevalet doit rester perpendiculaire à la table, et joue un rôle important dans la sonorité de l’instrument, car il transmet les vibrations des cordes à la table d’harmonie. Si sa place est mauvaise, sa courbure mal calculée ou son calibre trop épais, la sonorité s’en ressent fortement. L’accord du violon se fait de quinte en quinte, donnant du grave à l’aigu : sol-ré-la (diapason) -mi. Les cordes sont en boyau de mouton, renforcé par un filetage depuis le XIXe siècle. Le mi, ou chanterelle, plus tendu donc plus fragile, se fait en métal depuis le début du siècle. Leur tension est d’environ trente kilogrammes ; elles exercent une pression d’environ 12 kilogrammes sur le chevalet. La dernière opération d’un luthier consiste à appliquer son vernis. Le public le croit souvent essentiel pour obtenir la meilleure qualité sonore possible. De là, la légende du mystérieux vernis de Crémone ! Il s’agit, en fait, d’une simple protection. Un mauvais vernis, certes, trop

gras ou trop sec, peut influer sur la sonorité, car il s’infiltre dans les fibres du bois et empêche alors les vibrations. Mais un violon bien fait possède toute sa puissance à l’état « brut ». Les vernis sont en général composés d’alcool, d’huile de lin, d’essence de térébenthine ou de romarin, laissés à oxyder à l’air libre et teintés par du benjoin, du sandragon ou d’autres coloris. Pour achever l’instrument, une mentonnière est fixée sur le bord gauche du violon. Celle-ci permet à l’instrumentiste de tenir l’instrument plus commodément et de ne pas empêcher la table de vibrer au contact du menton. Pour la même raison pratique, les violonistes accrochent sur le fond un coussin pour obtenir une position plus confortable. L’archet se compose de deux éléments : la baguette et la mèche. La baguette est faite en bois de Pernambouc (Brésil) ; cambrée à chaud, elle s’affine vers l’extrémité. Son poids peut aller de 60 à 68 grammes environ. La mèche, en crin de cheval, est attachée d’une part au talon, ou « hausse » - dans laquelle une vis permet une tension plus ou moins forte des crins et d’autre part à la pointe. La collophane, simple résine, s’applique sur les crins pour qu’ils adhèrent aux cordes. Très longtemps, l’archet est resté convexe, sous la forme d’un arc. L’instrumentiste en réglait la mèche par la pression des doigts, ou par un système de crémaillère. L’archet évolue lorsque le violoniste ne se satisfait plus d’un matériel aussi peu maniable. Tourte, vers 1750, en fait un modèle parfait, incurvant la cambrure dans l’autre sens, et remplaçant la crémaillère par une vis. Le bois étant l’élément essentiel du violon, il paraît indispensable de rappeler l’origine et l’utilisation précises de ce matériau. Pour le luthier, le choix de ses bois et les traitements qu’il leur fait subir constituent la partie la plus importante de son travail. Il choisit pour la table, la barre et l’âme, un sapin dit « épicéa », plus sonore que les autres variétés. Pour remplir les meilleures conditions possibles, l’arbre doit pousser en terrain sec et rocailleux et ne pas être fendillé. Adulte, on le coupe à l’arrière-saison, juste avant les gelées. Du tronc, on débite des morceaux de 50 centimètres sans noeuds. Ensuite, sous forme de planchettes, on entrepose le futur violon dans un endroit aéré pour le laisser

sécher cinq à quinze ans, ou plus. Aujourd’hui pour les fabriques industrielles, les noeuds sont soigneusement camouflés sous les vernis, et le séchage est effectué au four en quelques heures. Le luthier choisit ensuite pour les éclisses, le manche, la tête et le chevalet, l’érable, bois plus résistant et plus élastique que l’épicéa. Les meilleurs arbres viennent de Suisse. Ils subissent les mêmes traitements que les bois précédents. Les coins, les tasseaux et les contreéclisses (à l’intérieur de la caisse) sont en aulne, les chevilles en buis ou en cormier. Le luthier, ensuite, découpe, dégrossit, aplanit, met en voûte à la main avec l’aide de ciseaux, de rabots, de papiers de verre. Lui seul sait arrêter la gouge à l’épaisseur voulue. Selon la régularité de la table et du fond, un violon peut avoir des sons étouffés ou peut tout simplement casser sous la pression du chevalet. Si l’on attache tant d’importance au matériau lui-même, c’est qu’il joue un rôle prépondérant dans la sonorité. Les principes acoustiques du violon sont trop complexes pour que l’on en fasse le détail ici. Voici en quelques mots comment le son évolue : lorsque l’archet frotte la corde, la vibration est transmise au sommet du chevalet, puis dans les deux pieds. C’est ici que l’élasticité du bois joue son rôle : le pied communique par une légère pression la vibration à la table, puis à la barre et à l’âme, qui, elles-mêmes, répercutent cette vibration aux éclisses, puis au fond. On voit donc que cette simple caisse de bois, véritable terrain mouvant, est susceptible de faire circuler et d’amplifier les vibrations. Chaque pièce de l’instrument a son importance et son rôle à jouer. LE JEU DU VIOLON. Il reste maintenant au violoniste à montrer les moyens techniques employés sur son instrument. Depuis le XVIe siècle, la position du violon a évolué : d’abord tenu contre la poitrine, il est appuyé plus tard contre le cou, entre la clavicule et le menton ; il faut attendre le XVIIIe siècle pour que le violon trouve cette position. Tartini, grand virtuose de ce siècle, fixe la mentonnière à droite du cordier, et Spohr propose encore, en 1832, de la mettre au milieu. Baillot, le grand pédagogue français du XIXe siècle, mettra fin aux querelles dans son Art du violon, en 1834, établissant la position définitive de l’instrument.

La technique du violon, fondée sur la vélocité, le brillant, mais aussi la variété des couleurs, des intonations, du phrasé, se partage en deux parties très distinctes : celle de la main gauche, et celle de l’archet à la main droite. La technique de la main gauche est basée sur l’agilité des doigts et la justesse des intonations que l’on travaille au moyen de gammes et d’arpèges. Aujourd’hui, toute l’étendue du manche et de la touche est utilisée, grâce au système des positions et des démanchés. La main gauche, appuyant les cordes à la base de la touche, vers la volute, est dite « en première position « ; si elle se rapproche de la caisse du violon pour donner des sons plus aigus, elle atteint les troisième, quatrième, cinquième positions, ce que le violoniste appelle « monter en position ». Le démanché permet de passer d’une position à l’autre en glissant sur un doigt ; tout l’art consiste à bien savoir doser ce glissando. Mais il n’en a pas toujours été ainsi, surtout en France, lorsque le violon servait encore d’instrument de danse. La tessiture était alors très limitée. Les Italiens, les premiers, étendent rapidement le jeu de la main gauche, et l’on cite souvent l’exemple de Locatelli, en 1723, qui downloadModeText.vue.download 1037 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1031 monte jusqu’à la treizième et quatorzième position. Paganini, le célèbre virtuose du XIXe siècle, ne les dépassera pas, celles-ci se trouvant à l’extrémité de la touche. On sait, cependant, que, dès le XVIIe siècle, les instrumentistes comblaient les passages de cadence par des exercices de virtuosité. Vivaldi le faisait très couramment dans ses concertos. La vélocité de la main gauche peut aussi s’exprimer par la polyphonie, c’est-à-dire, par l’utilisation des doubles cordes et des accords. On use très tôt de ce procédé. Mersenne en parle dans son Traité en 1636. Jean-Sébastien Bach portera cette technique de la main gauche à son plus haut degré de perfection dans ses sonates et partitas pour violon seul. Quelques procédés encore, moins usités mais intéressants, sont à signaler : les sons harmoniques et les pizzicati à la main gauche. Les harmoniques produisent un son très flûté et doux, le doigt se posant seulement sur la corde pour l’effleurer, à

certaines distances du sillet. Ils sont naturels ou artificiels. Les « pizz » main gauche restent assez rares et relèvent plutôt d’un artifice que d’une technique courante. Paganini en utilise souvent dans ses Caprices ou ses concertos. Malgré tout cet aspect technique que revêt la main gauche, son rôle reste principalement expressif par la bonne utilisation du démanché et du vibrato. Le vibrato, oscillation régulière du doigt sur une corde, donne une sonorité plus chaude et plus vivante, la rapprochant de la voix humaine. Il doit « ravir les oreilles et l’âme », dit Mersenne. C’est en partie par ces deux moyens expressifs que se révèle la personnalité de l’interprète. L’archet détient aussi un pouvoir expressif par l’utilisation d’un phrasé intelligent, sensible, et surtout par la variété de ses moyens d’action. On le tient entre le pouce, sous la baguette, et le majeur, sur la hausse. Ces deux doigts face à face, forment un anneau autour duquel se disposent les autres doigts. On distingue trois coups d’archet principaux. « À la corde », du talon à la pointe, l’archet reste sur la corde. On peut alors varier les dynamiques, de pianissimo à fortissimo, ou le contraire. Dans un même coup d’archet, deux à plusieurs notes peuvent être englobées : il s’agit du legato. Les coups d’archet toujours à la corde, mais rapides, donnent le grand détaché, le détaché bref, le martelé du talon ou de la pointe, et, enfin, le staccato dans lequel les notes brèves, séparées par de très courts silences, se jouent dans un même mouvement de l’archet. Enfin les coups d’archet où celui-ci doit quitter la corde pour rebondir grâce à l’élasticité de la baguette et la tension de la mèche : le sautillé, le staccato « volant », le spiccato. La main droite permet aussi d’autres effets comme les pizzicati qui imitent luths et guitares, cette fois plus aisés à exécuter que ceux de la main gauche. En 1626, Monteverdi les utilise dans le Combat de Tancrède et Clorinde. LA MUSIQUE DU VIOLON. Au XVIe siècle, si la forme définitive du violon est déjà fixée, le répertoire reste encore bien pauvre. Les luths et les violes ont la préférence des princes et des gens for-

tunés. Relégué parmi les instruments de danses et de chansons à boire, il est donc principalement joué en plein air comme le montre, en 1529, les Six Violons de François Ier. Il faut seulement retenir, aux tout débuts de l’implantation du violon en France, le nom de Baltazar de Belgioso, Italien qui fait partie des Violons du roi en 1580. Aucune indication ne subsiste sur son jeu ou sa technique violonistique. Cependant l’instrument semble ne plus être celui d’un ménestrel ou d’un domestique, mais celui d’une personnalité musicale. De même que l’instrument sort d’ateliers italiens, les premières pièces du répertoire viennent de compositeurs italiens. Monteverdi dans Orfeo, en 1607, fait déjà usage du violon, et, la même année, Salomone Rossi publie un recueil de sonates. D’autres Italiens, comme Marini, Fontana, Bassini, Vitali, confirment peu à peu, au cours du XVIIe siècle, l’importance que prend le violon dans la musique instrumentale. Zanetti écrit d’ailleurs, en 1645, une méthode de violon, la plus ancienne que l’on connaisse. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, d’autres écoles vont éclore en Europe. En Allemagne, en particulier, une école de virtuoses se développe avec Kerll, Walter - dont les scherzos pour violon seul et l’Hortulus chelicus font montre de virtuosité parfois fort fantaisiste -, Schmelzer qui fait imprimer ses premières sonates pour violon et basse en 1664. En France, après Belgioso, devenu Beaujoyeulx, et grâce à Lully, le violon entre dans le domaine de l’expression et quitte peu à peu celui du simple divertissement. Mersenne nous dit, en 1636, qu’« il peut apporter la tristesse comme le fait le luth et animer comme la trompette, et que ceux qui le savent toucher en perfection, peuvent représenter tout ce qui leur tombe en imagination ». Lully accroît le répertoire du violon par des suites de danses qui font pressentir le futur concerto. Il organise aussi l’orchestre à cordes avec sa fameuse « bande des petits violons », créée en 1656. À cette époque, les suites de danses s’organisent selon une unité tonale, un schéma plus structuré avec une alternance lent-vif-lent. À l’orée du XVIIIe siècle, deux formes naissent, la sonate et le concerto, dont l’influence et la rapide propagation sont favorisées par l’intérêt que l’on

porte au violon. Une fois de plus l’Italie est au premier plan. La sonate intitulée « à trois », car elle comprend deux violons et une basse (à laquelle on ajoute un continuo au clavecin), et le concerto sont illustrés par Corelli (6 recueils de sonates et 12 concerti grossi) et surtout par Vivaldi. Si le premier ne s’est pas dirigé vers la virtuosité, mais plutôt vers la mélodie noble et expressive, le second renoue volontiers avec la musique descriptive et la vélocité. Les Quatre Saisons en sont un parfait exemple. Le concerto évolue tout au long du XVIIIe siècle, parallèlement à la sonate, et offre aux violonistes italiens l’occasion de faire valoir leur virtuosité : Albinoni, Vitali, Geminiani, Locatelli, Pugnani, Tartini (avec ses fameux « trilles du diable ») ont largement contribué à l’essor du violon par l’élargissement de la tessiture, et par l’établissement d’une solide technique d’archet. Leur influence se fait encore sentir à travers toute l’Europe : nombre d’entre eux séjournent en Allemagne et, en échange, de jeunes solistes allemands sont envoyés dans la péninsule, afin de parfaire leur technique. Tels Pisendel, son élève Graun, Cannabich, auteur de nombreuses sonates et concertos, Haendel et Telemann. Jean-Sébastien Bach, lui-même violoniste à la cour de Weimar, ajoute au répertoire - en dehors de ses sonates et partitas pour violon seul - 6 sonates avec clavecin et 3 concertos. L’aspect pédagogique du violon est illustré par la méthode de L. Mozart, Versuch einer gründlichen Violinschule, en 1756, véritable mine de renseignements sur la technique, les façons d’ornementer et d’interpréter. L’importance considérable de l’école de Mannheim, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, ne peut être passée sous silence. Les Stamitz, grande famille de violonistes, mettent alors tout leur art à l’élaboration de l’orchestre à cordes, faisant du violon et de sa famille la base de l’orchestre. Cela correspond peut-être à un certain renouvellement de la conception du violon par un jeu typique d’orchestre, caractérisé par la précision des nuances, la netteté des attaques en groupe, et les oppositions de timbre entre violons et instruments à vent : c’est la naissance de l’esprit symphonique, dans lequel le timbre du violon n’est plus conçu en solo, mais en masse. W. A. Mozart ajoute à ses 5 concertos,

à la Symphonie concertante et à ses 30 sonates des oeuvres importantes pour le violon dans sa nouvelle conception « mannheimiste », comme ses divertimentos pour cordes, ses sérénades et surtout ses symphonies. D’autre part, on peut remarquer que, à partir de cette époque, hormis Mozart, les compositeurs ne sont plus des violonistes mais des pianistes. Cela s’accentuera encore au XIXe siècle. En France, les virtuoses italiens jouissent de la faveur d’une grande partie du public et inspirent les compositeurs. downloadModeText.vue.download 1038 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1032 Corelli avait mis la sonate à la mode, et c’est sur ce modèle que le claveciniste F. Couperin - en se donnant d’ailleurs le nom de « Coperuni » - écrit ses premières sonates à trois en 1692. Un trop grand nombre de musiciens français s’illustrent dans le répertoire du violon pour qu’il soit possible d’en parler ici. Citons seulement les plus grands : Francoeur, dont les sonates se rapprochent fort de leurs homologues italiennes ; Aubert, connu pour ses dix concertos de soliste ; J.-M. Leclair possède un style plus personnel et hausse l’école française au niveau de sa rivale italienne. Son oeuvre pour violon est considérable et la virtuosité n’y est jamais gratuite ; l’écriture, plus concise, donne toute l’importance à la partie soliste. Dans la même école, on peut citer Mondonville, spécialiste des sons harmoniques, et Guillemain. Après 1750, la période du préromantisme est dominée par Gaviniès, dont les aptitudes pédagogiques sont encore incontestées avec ses Matinées. À la même époque, les violonistes étrangers s’illustrent au Concert spirituel : Viotti y est une révélation en 1782. Ses 29 concertos et 51 duos sont devenus des classiques du répertoire. C’est aussi l’époque de Rode, Baillot et Kreutzer, grands pédagogues, dont les oeuvres sont toujours travaillées dans les conservatoires. À la fin du XVIIIe siècle, le violon devient le roi des instruments. Il n’y a pas de soirées au Concert spirituel sans nouveaux

concertos ; aristocrates et bourgeois possèdent un orchestre ou jouent eux-mêmes du violon. Peu à peu, l’école italienne cède la place à une école française, vivace d’ailleurs depuis Leclair. Si, au XIXe siècle, la fulgurante technique de Paganini suscite un enthousiasme unanime, ses célèbres Caprices et concertos n’exercent pas beaucoup d’influence dans une Italie alors tournée vers l’opéra. En Allemagne, quelques grandes oeuvres pour violon marquent le siècle du romantisme : les concertos et les sonates de Beethoven, Mendelssohn, puis Brahms, à qui l’on doit aussi le double concerto pour violon et violoncelle, comptent parmi les plus beaux ouvrages écrits pour l’instrument. Deux grands violonistes ont contribué à les faire connaître : Spohr et Joachim. En France, l’influence des pédagogues favorise la naissance d’une école franco-belge, illustrée par les grands violonistes Massart et Vieuxtemps. La fin du siècle et le début de notre époque voient fleurir une multitude d’oeuvres françaises, avec les concertos de Saint-Saëns, de Lalo, les sonates de Fauré, Franck, Lekeu, d’Indy, le Concert et le Poème de Chausson. Au début du XXe siècle, des partitions remarquables sont offertes par Roussel, Debussy, Honegger, Ravel. Ce dernier ajoute au répertoire une oeuvre magistrale, influencée par la technique des violonistes d’Europe centrale : Tzigane (1924). Milhaud, Poulenc, Jolivet et bien d’autres encore, élargissent par leurs oeuvres diverses le répertoire contemporain du violon. En Allemagne, il faut retenir le nom de Hindemith qui fait montre d’une parfaite connaissance de l’instrument. L’Europe centrale révèle aussi des personnalités tout à fait remarquables, qui enrichissent la musique du violon par des recherches esthétiques nouvelles : le Hongrois Bartók, les Autrichiens Schönberg et Berg, le Tchèque Martinºu. Il ne faut pas omettre les compositeurs de pays plus lointains comme les Russes Tchaïkovski, Prokofiev, Khatchatourian et Chostakovitch, le Norvégien Grieg ou le Finlandais Sibelius, dont le concerto fait partie des plus redoutables ouvrages pour le violon. Le regain d’intérêt pour l’instrument, au cours de ce XXe siècle, fait découvrir

un aspect tout nouveau du violon par des effets techniques, par l’inspiration de certains compositeurs pour des musiques moins conventionnelles comme le jazz (sonate de Ravel), et par son insertion même dans la variété avec Grappelli. D’autre part, de grands solistes tels Milstein, Heifetz, Stern, Menuhin, Szering, Ferras, Perlmann donnent l’occasion d’entendre et de découvrir ce vaste répertoire de l’instrument. L’intérêt que porte le public aux concerts symphoniques, l’engouement pour les nombreux enregistrements de ces solistes, enfin l’envie de pratiquer lui-même un instrument réputé difficile, assurent pour longtemps encore le succès du « Roy des instruments ». VIOLONCELLE. Instrument de musique à quatre cordes frottées, de la famille du violon, mais de sons plus graves, accordé en quintes, à l’octave inférieure de l’alto : do, sol, ré, la. Son origine est confuse et mal connue. De par sa tenue verticale entre les genoux, il est fréquent de lui attribuer la viole de gambe pour ancêtre. Le violoncelle est cependant la « petite basse » de la famille du violon, dérivée des violes de bras. En 1592, Zacconi décrit l’ensemble des six violes dans Prattica di musica ; on aperçoit alors la similitude entre cette basse de viole et notre violoncelle actuel, par l’accord en quintes (baissé simplement d’un ton). La famille des violons existait déjà, et quelques gravures du XVIe siècle le prouvent. Mais, alors que les violes sont appréciées pour leur sonorité douce et chaude, les violons restent l’instrument propre à l’accompagnement des danses et des chansons à boire. Tout d’abord appelé « violoncino » en Italie - diminutif pour le distinguer de la basse de viole -, il faut attendre 1665 pour voir apparaître le nom de « violoncello », dans un recueil de sonates anonymes. En France, cependant, la lutte entre les deux instruments est si féroce que, en 1740, H. le Blanc fait encore paraître à Amsterdam une Défence de la basse de viole contre les emprises du violon et les prétentions du violoncelle. C’est seulement à la fin du XVIIIe siècle que le violoncelle fait disparaître sa rivale. Sa tenue diffère selon les époques. Au

XVIIe siècle, on le pose par terre ou sur un tabouret. Dans les cortèges, il est attaché au cou de l’instrumentiste. Lorsque Stradivarius, le grand luthier de Crémone, corrige les proportions de la famille des violons, il réduit la caisse de résonance du violoncelle à 75 cm de hauteur ; on peut alors le tenir entre les genoux, serré par les mollets. La position actuelle est trouvée par le violoncelliste Franchomme, au XIXe siècle, qui ajoute une pique à l’instrument, lui assurant ainsi une plus grande stabilité. Aujourd’hui la pique se rentre à l’intérieur du violoncelle, au niveau du bouton du cordier. Accordé à l’octave grave de l’alto, le violoncelle a une tessiture qui va de ut1 à mi5, donc de plus de quatre octaves. Sa facture est très proche de celle du violon. Il comprend une caisse de résonance, faite d’une table et d’un fond bombés (contrairement à la viole), pour résister à la pression des cordes. Les deux tables sont reliées par des éclisses, et sont échancrées au milieu, par les C, permettant ainsi à l’archet de jouer sur les cordes extrêmes do et la. De même que pour le violon, l’instrument n’aurait aucune sonorité sans l’ajout de deux pièces importantes, la barre d’harmonie et l’âme. La barre d’harmonie, collée sur la longueur de la table, a pour rôle d’empêcher l’affaissement de la voûte, et de renforcer les graves de l’instrument. L’âme, petite pièce cylindrique, se place à peu près sous le pied gauche du chevalet. Elle aussi retient la table d’harmonie, et renforce la sonorité aiguë du violoncelle. Le manche se prolonge par le chevillier ; quatre chevilles ou clés y maintiennent les cordes. On termine l’instrument par la volute, pièce décorative qui, autrefois, représentait des têtes de personnages ou d’animaux. Le cordier, en ébène, retient les cordes à l’autre extrémité et se maintient au violoncelle par un gros boyau enroulé autour du bouton planté dans l’éclisse inférieure. Le chevalet permet par sa courbure d’empêcher l’archet de toucher plusieurs cordes ensemble. On constate que la courbure du chevalet des violes est beaucoup moins accentuée que celle du violoncelle, facilitant ainsi le jeu des accords et de la polyphonie plus important à la viole dans les musiques des XVIIe et XVIIIe siècles. Les cordes sont accordées en quinte depuis plus de deux siècles, à la diffé-

rence des violes de gambe comportant six downloadModeText.vue.download 1039 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1033 cordes, accordées en quarte. Elles sont en boyau filé, et leur pression sur le chevalet est de 45 kg. Cependant, devant sonner à l’octave grave de l’alto, il faudrait au violoncelle des cordes deux fois plus longues. Cela étant irréalisable pour les possibilités physiques de l’exécutant, il a fallu changer légèrement les dimensions de l’instrument et la grosseur des cordes. Le dessin de la table et du fond reste identique, mais le manche devient plus trapu, les éclisses plus grandes proportionnellement à celles du violon (11 cm au manche, 12 cm au bouton du cordier), le chevalet plus haut. L’archet est plus gros mais plus court (70 cm) que celui du violon ; il pèse environ 70 à 75 grammes. La technique du violoncelle est aussi très proche de celle du violon, malgré leurs positions absolument différentes. La main gauche doit résoudre les mêmes problèmes de justesse, de vélocité et de vibrato. Cependant, le manche étant plus gros et plus long, les écarts entre les doigts deviennent plus importants. Alors qu’au violon à chaque doigt peut correspondre un ton, au violoncelle, chaque doigt abaissé donne un demi-ton. De ce fait, les démanchés, ou passages d’une position à l’autre, sont plus difficiles à effectuer. La main droite, celle de l’archet, utilise la même technique d’articulation que celle du violon, mais l’émission des cordes graves est plus délicate. Une autre difficulté que ne connaissent pas les violonistes est celle de la position du pouce, technique héritée du jeu de la trompette marine. Dans l’aigu, toujours à cause des grandes proportions de l’instrument, le violoncelliste doit se servir du pouce comme d’un sillet mobile, en l’appuyant sur sa partie latérale. Les doigtés se rapprochent alors de ceux du violon. Si cette position de pouce est utilisée très tôt par Boccherini, c’est le Français Berteau qui en fixe définitivement la technique à la fin du XVIIIe siècle. L’aspect polyphonique s’est aussi fort développé depuis le XVIIIe siècle, époque illustrée par les six suites pour violoncelle seul de J.-S. Bach.

Les autres artifices, comme pizzicati ou sons harmoniques, sont, de même qu’au violon, pratiqués couramment. SON RÔLE ET SON RÉPERTOIRE. À la fin du XVIe siècle, ses premiers emplois sont d’accompagner les voix, puis les violons ; il sert alors de base à l’orchestre, pour les symphonies ou les ritournelles d’opéra. En Italie, il prend très vite le rôle de la viole. Il joue la basse de petits ensembles, comme les sonates à trois, genre le plus important du XVIIe siècle. Il y double souvent le clavecin, mais parfois remplit quelques passages harmoniques d’improvisations. Certains écrits attestent même l’exagération de violoncellistes imaginatifs, et leur demandent de la modération ! Dès la fin du XVIIe siècle, on trouve les riccercari de Gabrieli et les sonates de Jacchini. Le répertoire s’enrichit considérablement au XVIIIe siècle avec les sonates de Caldaro, Marcello, Boccherini, les concertos de Leo, Vivaldi (une vingtaine). Boccherini semble le premier à s’être intéressé à toutes les possibilités techniques du violoncelle. De 1756 à 1785, il compose vingt-sept sonates et onze concertos. En augmentant la tessiture dans l’aigu, il veut rivaliser avec le violon et faire du violoncelle un instrument virtuose. Ses oeuvres font toujours partie des programmes de concert ou de concours. En Allemagne, l’instrument est plutôt utilisé en ensemble avec Haendel, Telemann, J. S. Bach. Les concertos de C. P. E. Bach, en 1751, et de Haydn, en 1783, ne sont pas non plus négligeables. En France, l’instrument étant moins bien accueilli par les compositeurs et le public, le violoncelle s’implante plus tardivement. Il faut attendre le XVIIIe siècle pour voir les premières sonates de B. de Boismortier en 1726, de Corette en 1740. Les grands noms de M. Marais, C. d’Herlevois, s’illustrent dans le répertoire de la viole, dédaignant ce « misérable cancre, hère et pauvre diable » de violoncelle (H. Le Blanc) ! Cependant, l’ancien violoniste Berteau sait imposer ses concertos au Concert spirituel, suivi par Duport, Bréval, Aubert. Leur but est de rivaliser avec le violon en virtuosité. La technique actuelle du violoncelle vient d’ailleurs en

partie de Duport le Jeune, par son ouvrage didactique Essai sur le doigté du violoncelle et la conduite de l’archet (avant 1800). Au début du XIXe siècle, de même que pour le violon, l’importance quantitative des pièces pour violoncelle décline. Le romantisme affirme, cependant, la personnalité de l’instrument en tant que soliste, avec l’aide du piano-forte alors beaucoup plus en vogue. Les sonates de Beethoven, de Brahms et de Chopin en sont des exemples. Le violoncelle devient l’instrument lyrique par excellence, aussi bien en soliste qu’à l’orchestre d’ailleurs : on pense au fantastique récitatif de la 9e Symphonie de Beethoven. Deux grands concertos allemands marquent cette période romantique : ceux de Schumann et de Brahms (double concerto pour violon et violoncelle). À la même époque, de grands concertistes et pédagogues font de l’Europe centrale un important foyer pour l’enseignement du violoncelle. Il s’agit de Romberg, Bohrer, Dotzauer, Haussmann. Au XXe siècle, l’instrument connaît un véritable regain d’intérêt. Aux concertos de Saint-Saëns, Lalo, Dvořák, grands classiques du répertoire, s’ajoutent ceux de Honegger, Milhaud, Dutilleux (Tout un monde lointain). Un grand nombre de sonates enrichissent aussi le répertoire de la musique de chambre, celles de Fauré, d’Indy, Migot, Poulenc, Prokofiev, Britten. La Sonate de Debussy montre un violoncelle tout en finesse, tandis que Kodály va jusqu’aux limites des possibilités techniques dans sa Sonate pour violoncelle seul. Des auteurs plus contemporains, comme Dallapiccola ou Xenakis, s’intéressent aux nombreuses possibilités de l’instrument. Si la technique du violoncelle atteint son plus haut degré de virtuosité au XXe siècle, il faut dire qu’elle est parfaitement servie par de grands instrumentistes. Dans la lignée des virtuoses du début du siècle, comme Maréchal, Hekking, Cassado, le grand interprète Casals marque fortement la nouvelle génération de violoncellistes, tels Navarra, Tortelier, Fournier, Piatigorski, Starker, Rostropovitch. VIOLONE. Ce terme, augmentatif italien du mot viola, désigne l’instrument le plus grave de la famille des violes, sonnant à l’octave

inférieure de la basse. Monté à l’origine de six cordes, comme la plupart des violes, il n’en a finalement conservé que trois ou quatre pour se confondre avec la contrebasse moderne, qui, malgré la disparition des frettes, s’apparente aux violes plus qu’aux violons. En italien, violone signifie également contrebasse. VIOTTI (Giovanni Battista), violoniste et compositeur italien (Fontanetto da Po 1755 - Londres 1824). Élève de Pugnani, ce qui fit de lui le dernier grand représentant d’une tradition violonistique remontant à Corelli, il fut violoniste dans l’orchestre de la cour de Turin de 1775 à 1780. En 1780-81, il accompagna Pugnani dans une tournée européenne, puis arriva seul à Paris, débutant au Concert spirituel le 17 mars 1782, et s’imposant immédiatement comme le premier violoniste de son temps. Il resta dans la capitale française jusqu’en 1792, entrant au service de Marie-Antoinette en 1784, dirigeant quelque temps l’orchestre du prince de Rohan-Guéménée, prenant en 1788, grâce au patronage du comte de Provence (futur Louis XVIII), la direction d’un nouveau théâtre d’opéra, le théâtre de Monsieur (plus tard théâtre Feydeau). À l’issue de ces années parisiennes, il avait à son actif dix-neuf de ses vingt-neuf concertos pour violon. En juillet 1792, il se réfugia à Londres, faisant ses débuts à un concert de Johann Peter Salomon le 7 février 1793. Durant la saison 1794, il participa aux mêmes concerts que Haydn, et pour celle de 1795, assuma la direction d’une nouvelle entreprise, l’Opera Concert (c’est là que furent créées les trois dernières symphonies de Haydn, nos 102 à 104). Accusé de menées jacobines, il dut quitter l’Angleterre pour Hambourg en 1798, mais en 1801 au plus tard, il était de downloadModeText.vue.download 1040 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1034 nouveau à Londres. Il abandonna alors la musique pour se livrer au commerce du vin. Il fut néanmoins l’un des fondateurs, en 1813, de la Royal Philharmonic Society. Ayant fait faillite en 1818, il fut nommé

par Louis XVIII directeur de l’Opéra de Paris, mais il démissionna en 1821 et retourna à Londres en 1823. Comme violoniste, Viotti peut être considéré comme le fondateur de l’école française de violon de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe (Rode, Kreutzer, Baillot). Le premier des trois fut son élève, les deux autres comptèrent parmi ses disciples, et la Méthode de violon de Rode, Kreutzer et Baillot (1803) ainsi que l’Art du violon, nouvelle méthode de Baillot (1834) reflètent largement ses principes. Le jeu de Viotti était large et puissant. Comme compositeur, il écrivit essentiellement pour son instrument. On ne possède de lui aucune oeuvre pour le théâtre, et ses quelques airs sont d’importance secondaire. Quant à ses pages pour piano, ce sont des arrangements, sauf peut-être les trois sonates op. 15. Ses duos pour deux violons, ses trios pour deux violons et basses, ses sonates pour violon et basse et ses quatuors à cordes (ces derniers relèvent du genre quatuor concertant et font la part belle au premier violon) ne manquent pas de valeur, mais son importance réside essentiellement dans ses vingt-neuf concertos. Les dix derniers, écrits à Londres, en particulier le 21e en mi majeur (avec lequel il fit ses débuts dans cette ville), le 22e en la mineur (ressuscité dans la seconde moitié du XIXe siècle par Joseph Joachim), et le 24e en si mineur (1795), témoignent des mêmes qualités dramatiques que les précédents, mais aussi d’une orchestration plus fournie et d’un lyrisme jusqu’alors inhabituel. VIRDUNG (Sebastian), théoricien et compositeur allemand (Amberg 1465 ? ). Immatriculé à l’université de Heidelberg en 1483, il entra quelques années plus tard au service de la chapelle du Palatinat. Après un bref service auprès du duc de Wurtemberg, il fut engagé en 1507 à la cathédrale de Constance. Il abandonna cet emploi en 1508. Sa Musica getutscht publiée à Bâle en 1511 est le premier traité en langue allemande consacré aux instruments de musique. Son principal objet constitue l’analyse pratique des notations instrumentales spécifiques à l’orgue, au luth et à la flûte. VIRELAI.

Forme de chanson en usage en France, apparue vers la fin du XIIIe siècle, répandue surtout au cours du XIVe, puis à une moindre fréquence au cours du XVe. Bien que les explications concernant sa provenance soient contradictoires, il semblerait que l’origine en soit hispano-arabe, et que le virelai s’apparente au villancico resté en usage en Espagne. Sensiblement contemporain de la ballade et du rondeau, le virelai représente une forme plus modeste et plus réduite. Guillaume de Machaut le définit comme une « chanson balladée ». La forme type du virelai est ABBʹAʹA, répétée plusieurs fois : un refrain, deux couplets de textes différents mais musicalement identiques, un refrain de texte différent mais musicalement identique au premier, et reprise du refrain initial, servant de jonction à de nouveaux couplets. G. de Machaut est l’auteur de trente-trois virelais, monodiques dans la majorité des cas, plus rarement polyphoniques (à deux voix). Du point de vue littéraire, le virelai est généralement un texte d’amour courtois. VIRGINAL. Terme désignant en Angleterre, vers l’an 1600, tous les instruments à clavier et à cordes pincées. Ce n’est que plus tard que sera établie la distinction entre « harpsichord » (clavecin) et « virginal » (qui deviendra synonyme d’épinette, instrument à un seul registre, sorte de petit clavecin portatif). L’origine du terme serait selon les uns le mot « virga » (sautereau), selon les autres le fait que l’instrument, le plus souvent en forme de boîte rectangulaire avec clavier sur le côté, était généralement joué par des jeunes filles. On ne saurait en tout cas y voir une allusion à la « reine vierge » (Élisabeth). En tant qu’instrument, le virginal n’est d’ailleurs pas d’origine anglaise, et beaucoup, au XVIe siècle, sont fabriqués aux Pays-Bas. Mais sa musique appartient bien à l’Angleterre, qui donne ainsi naissance, par-delà l’influence d’un Cabezón, par exemple - venu en 1554 dans la suite de Philippe II à la cour de la reine Mary,

où il a introduit le nouveau style espagnol, en particulier la variation -, à la première grande école de compositeurs pour clavier occidentale, celle des virginalistes. Le premier musicien à composer pour le virginal est sans doute Hugh Atson († 1552), et le plus grand très certainement John Bull (1563-1628), dont les oeuvres dénotent une virtuosité d’autant plus extraordinaire qu’à l’époque, le passage du pouce étant encore chose inconnue, on ne joue le plus souvent qu’avec trois doigts de chaque main. Immédiatement après lui se situent William Byrd (1543-1623), dont environ cent cinquante pièces nous sont parvenues, Thomas Morley (15571603), Orlando Gibbons (1583-1625) et Giles Farnaby (v. 1565-1640), qui, parfois, contrairement à Bull, ne se débarrassent pas du style de la musique vocale, et donc écrivent moins bien pour l’instrument. De fait, en ses débuts, la musique pour virginal consiste principalement en arrangements et transcriptions de pièces vocales. Mais de plus en plus, on exploite les possibilités et les effets particuliers de l’écriture pour clavier (traits virtuoses, gammes arpèges, notes répétées, larges écarts de la main droite annonçant curieusement Domenico Scarlatti). Les deux plus importants recueils édités de pièces pour virginal sont, au début du XVIIe siècle, le Parthenia, édité en 1611, et le Fitzwilliam Virginal Book, important manuscrit de 416 pièces (de John Bull, William Byrd, Thomas Morley, Peter Philipps, Thomas Tallis, John Dowland, Giles Farnaby et bien d’autres), confectionné avant 1630 et légué en 1816 par un riche collectionneur à l’université de Cambridge, qui le publiera en 1899. De ces trésors, quatre genres principaux (outre les transcriptions de pièces vocales) se dégagent : la variation sur des mélodies de plain-chant, des airs de danse ou des chansons populaires (comme celles sur John kiss me now de Byrd ou sur Walsingham de Bull) ; la fantaisie, exercice de virtuosité contrapuntique ; la danse (pavane et gaillarde surtout) ; et les oeuvres de musique descriptive, comme la Bataille (Mr. Byrd’s Battle) ou les Cloches (The Bells) de Byrd, ou encore The Duke of Brunschwig et The Duchess of Brunschwig de Bull. Le dernier grand virginaliste, Thomas Tomkins (1572-1656), utilisera en outre dans ses variations le procédé de la basse obstinée,

plus tard repris par Purcell. VISÉE (Laurent Robert de), compositeur et joueur de théorbe français ( ? v. 1650 ? v. 1725). On suppose qu’il fut l’élève de l’Italien Francesco Corbetta, auquel il dédia par la suite un Tombeau. Il a publié trois livres d’oeuvres pour la guitare (1682, 1686, 1689). Ainsi qu’il ressort de la préface de son premier livre, dédié à Louis XIV, il était fréquemment invité à se produire devant le roi et le dauphin. En 1709, il fut nommé chanteur de la Chambre. De 1719 à 1721, il fut maître de musique du roi, poste auquel son fils François lui succéda. Les oeuvres de Robert de Visée sont des suites constituées de morceaux usuels (allemande, courante, sarabande, gigue), mais se terminant habituellement par une gavotte, une bourrée ou un menuet. VITALI, famille de compositeurs italiens. Giovanni Battista (Bologne 1632 - Modène 1692). Élève de Maurizio Cazzati, il fut maître de chapelle de San Rosario à Bologne, puis s’établit à Modène, où il dirigea la chapelle du duc d’Este de 1684 jusqu’à sa mort. Il composa des oratorios et des cantates, et surtout de downloadModeText.vue.download 1041 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1035 la musique instrumentale nourrie d’influences diverses. Tommaso Antonio, dit Vitalino, (Bologne 1663 - Modène 1745). Fils du précédent, il débuta à douze ans comme violoniste de la chapelle ducale de Modène. Son oeuvre de compositeur est peu abondante, mais il forma de nombreux disciples dont son propre fils Fausto, maître de chapelle de la cour pendant un quart de siècle. VITALI (Filippo), compositeur et chanteur florentin (fin du XVIe siècle - Florence ? 1653). Il fut chantre de la chapelle pontificale, puis dirigea la chapelle ducale de San Lorenzo à Florence à partir de 1642. Il fut aussi maître de chapelle à Bergame en 1648-49 et laissa un certain nombre

de pièces vocales, tant religieuses que profanes. VIVACE (ital., « vivement », « avec vivacité »). Employé seul ou associé à une indication de tempo, ce terme prescrit une exécution de caractère enjoué. VIVALDI (Antonio Lucio), compositeur italien (Venise 1678 - Vienne 1741). Fils d’un violoniste attaché à la basilique Saint-Marc de Venise, violoniste lui-même, il fut tonsuré à quinze ans et ordonné prêtre à vingt-cinq. Atteint d’une maladie chronique que l’on suppose être de l’asthme, celui que Venise surnomma « le Prêtre roux », en raison de sa blondeur « vénitienne », sut se faire exempter de ses devoirs ecclésiastiques dès 1703 et put, dès lors, se consacrer à la composition et à l’enseignement. Nommé responsable musical à la Pietà (hospice réservé aux orphelines et enfants illégitimes de la ville), il devait, en dépit d’interruptions parfois très longues (plus de deux ans à Mantoue entre 1718 et 1720), rester fidèle à cette fonction jusqu’en 1740. Il voyagea pourtant de plus en plus comme virtuose et compositeur (Rome, 1722 et 1724, où il joua devant le pape ; probablement Dresde et Darmstadt ; sûrement Amsterdam, où l’essentiel de son oeuvre fut publié ; Florence, Prague, Vienne, enfin, où il mourut, oublié et dans la misère). À la Pietà, il devait former des élèves, entretenir un orchestre (vite réputé dans l’Europe entière), et composer à l’intention des concerts publics que l’hospice offrait le dimanche. À ces occupations, déjà considérables pour un homme se plaignant sans cesse de sa santé vacillante, il ajouta, dès 1713, une débordante activité d’impresario et de compositeur d’opéras, domaine dans lequel il acquit une autorité suffisante pour susciter des rivalités tenaces et même un pamphlet, rédigé contre lui par Benedetto Marcello (Il Teatro alla moda, 1720). Cette consécration dans tous les genres (car il fut également fécond en matière de musique religieuse) devait conférer au compositeur une gloire internationale sans doute sans précédent dans l’histoire

de la musique. Tous les touristes passant par Venise cherchèrent à voir et à entendre le « Prêtre roux », de Edward Wright au violoniste Pisendel en passant par le flûtiste J. J. Quantz, l’épistolier De Brosses ou le roi Frédéric IV du Danemark. Ainsi possédons-nous de nombreux et précieux témoignages sur ce qu’était la vie musicale à Venise dans la première moitié du XVIIIe siècle et sur l’effet électrisant du jeu et des créations de Vivaldi. Nombre de ses partitions publiées furent ainsi dédiées à des grands de ce monde : Ferdinand III de Toscane (L’Estro armonico, 1711), le comte Morzin (Il Cimento dell’armonia e dell’invenzione, 1724, recueil contenant les Quatre Saisons), Charles VI de Habsbourg (La Cetra, 1728). Recueils imprimés et copies manuscrites (notamment des Concertos) de Vivaldi circulèrent dans toute l’Europe jusque vers 1750, et on sait que Jean-Sébastien Bach conçut pour ces oeuvres, à partir de 1720 semble-t-il, un enthousiasme tel qu’il en recopia ou en transcrivit un grand nombre (la plus connue et la plus intéressante de ces transcriptions étant celle du Concerto pour quatre violons op. 3 no 10 en Concerto pour quatre claviers BWV 1065), assurant ainsi, sans l’avoir recherché, la survie de l’oeuvre de son modèle. Il semble que, tout au long de sa vie, Vivaldi ait été considéré comme un artiste hors des normes, volontiers extravagant, voire scandaleux (ses ennemis avaient matière à se répandre en ragots, notamment sur son goût affiché pour l’argent et l’éclat, sur ses amours vraies ou supposées avec une mezzo-soprano nommée Anna Giro, fille d’un perruquier français nommé Giraud, et pour laquelle il écrivit nombre de pages vocales). Ce tapage entretenu à Venise autour de son personnage explique-til son éclipse subite et sa mort misérable dès qu’il eut commis l’imprudence de quitter l’Italie, où les commentaires suscités par sa personne servaient de publicité à sa musique ? L’importance de son oeuvre instrumentale, idéalement symbolisée par la série de quatre concertos suggérés par les Quatre Saisons, vient de l’autorité avec laquelle il sut rejeter le concerto grosso de Corelli pour imposer très vite la forme plus brève (huit à dix minutes) du concerto pour soliste en seulement trois mouvements symétriques (vif-lent-vif). Soliste lui-même, Vivaldi pratiqua tout natu-

rellement cette forme concertante, alors que la sonate, la symphonie ou le quatuor étaient également à la veille de naître. Esprit aventureux, oreille exceptionnelle, virtuose intrépide improvisant volontiers, chef d’orchestre aussi (l’un des premiers de l’histoire), Vivaldi consacra tout son génie à découvrir sans cesse de nouvelles combinaisons rythmiques et harmoniques et des alliages imprévus d’instruments, à donner un rôle de premier plan aux personnages nouveaux destinés à se faire une place dans l’orchestre, comme le violoncelle (vingt-sept concertos) ou le basson (trente-neuf), sans oublier le hautbois ni la flûte, qu’il traite toujours de façon très personnelle, voire d’autres instruments plus marginaux encore, comme la mandoline ou l’orgue. Des pratiques de Saint-Marc, il hérita en outre le goût de faire dialoguer plusieurs « choeurs » d’instruments. Ces dons d’invention et les côtés descriptifs de sa musique (dans de nombreuses pages intitulées le Chardonneret, la Tempête en mer ou les Saisons) placent Vivaldi à l’origine du concept moderne d’« orchestration ». Personne avant lui, en effet, ne s’était soucié à ce point de la couleur et de la spécificité mélodique de chaque instrument, et donc de leur disposition à la fois dans le déroulement de l’oeuvre et dans l’espace au moment de l’exécution. D’où par exemple des effets de « masque » ou d’écho sciemment mis en oeuvre (peu soucieux de ces spécificités, ne songeant qu’à la riche neutralité polyphonique et n’ayant comme souci que d’enrichir l’harmonie, Bach commit dans ses transcriptions le contresens de modifier l’instrumentation). Seul avant le romantisme, l’oeuvre de Haydn devait manifester des intentions analogues. Or Haydn fut vers 1760 le musicien des Morzin, avec lesquels Vivaldi avait été très lié : il semble dès lors probable que le jeune musicien autrichien ait étudié les oeuvres du Vénitien alors que ce dernier était déjà tombé dans l’oubli. Ce qui est sûr, c’est que Haydn put trouver les Quatre Saisons dans la bibliothèque musicale du prince Esterházy. Cette préoccupation constante de Vivaldi de donner un maximum de vie à tous les instruments se traduit, dans les mouvements vifs, par une grande alacrité

de rythmes qui donne tout leur éclat à environ huit cents oeuvres dont, immédiatement, on identifie l’auteur. Les mouvements lents sont d’une intensité dont on trouve confirmation dans la production religieuse de Vivaldi, où s’intercalent des choeurs fiévreux et de longs solos vocaux de caractère parfois extatique. On a retrouvé trace de plus de quatrevingt-dix opéras de la main de Vivaldi (ou auxquels, selon les habitudes du temps, il a participé partiellement). Ces oeuvres dramatiques abordent tous les climats expressifs, de l’aventure profane au récit féerique en passant par l’histoire biblique, downloadModeText.vue.download 1042 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1036 traitée dans un style noble pouvant rivaliser avec celui des oratorios de Haendel. Juditha triumphans, par exemple, peut être envisagé soit comme opéra, soit comme « oratorio militaire et sacré », ainsi que l’indique le sous-titre du manuscrit daté de 1716. Tout comme la musique religieuse, l’opéra vivaldien doit désormais être exploré avec autant d’attention que l’a été sa musique purement instrumentale. L’engouement des musiciens et du public envers Vivaldi depuis 1945 semble à la longue avoir nui à l’idée qu’on doit se faire d’un créateur d’une telle envergure. Le fait que le Vénitien ait été pratiquement oublié jusqu’aux travaux de Marc Pincherle (entrepris en 1913) n’est sans doute pas étranger au fait qu’on ait souhaité tout réentendre. Aussi est-il temps désormais d’épurer et de remodeler, notamment en direction de l’oeuvre vocale, un répertoire instrumental inutilement pléthorique, afin de restaurer Vivaldi dans son authenticité, dans sa diversité et dans sa grandeur à la fois extatique et réjouie, panthéiste et péremptoire. VLAD (Roman), compositeur et pianiste italien d’origine roumaine (Cernauti 1919). Fixé à Rome en 1938, il y a été l’élève d’Alfredo Casella avant de se convertir à un langage musical ouvert aux techniques les plus modernes. Prix Enesco en 1942 pour sa Sinfonietta, il a abordé presque tous les

genres y compris la musique électronique, et dirigé l’Accademia filarmonica romana (1955-1958), la section italienne de la Société internationale de musique contemporaine (1960-1963) ainsi que le Mai musical de Florence et l’Orchestre symphonique de la RAI de Turin (1976-1981). Il a également été surintendant de l’Opéra de Rome (1980-1982). Il est l’auteur d’un Stravinsky (Turin, 1958 ; rééd., 1973) et de l’opéra Il Sogno, d’après Strindberg (Bergame, 1973). VOCALISE (de voyelle, vocable). Chant ou fragment mélodique chanté sur une ou plusieurs voyelles, soit pour une fin artistique, soit surtout comme moyen didactique (la vocalise remplaçant pour la voix l’étude de piano ou de violon), dans laquelle certaines formules peuvent être utilisées (gammes, arpèges, etc.). La pratique de la vocalise chez les Égyptiens et les Hébreux est passée dans la liturgie chrétienne (alléluia, Kyrie, graduel) et ensuite dans les mélodies profanes monodiques et polyphoniques du XVIIe siècle qui créèrent les supports d’un plus ample développement dans les airs des mélodrames et des cantates de l’époque baroque. VOGEL (Vladimir), compositeur et pédagogue suisse d’origine russe (Moscou 1896 - Zurich 1984). Il fut l’élève de Scriabine, Tiessen, Busoni et Scherchen. Il vécut successivement à Berlin et à Paris avant de se fixer en Suisse en 1934. Professeur à Ascona, il mena de front une activité de pédagogue et une carrière de compositeur qui explora avec une intelligente curiosité les différentes tendances de la musique contemporaine. L’ésotérisme de Scriabine, qui marqua ses premiers essais et dont il tenta de se détacher au contact de l’équilibre classique de Busoni, ne fut jamais tout à fait absent de ses préoccupations spirituelles et de son esthétique. Après les 4 Études d’orchestre, la Tripartita (1934) et l’oratorio la Chute de Wagadou par la vanité (1930), qui attestent un généreux humanisme, son colossal oratorio Thyl Claes (1938-1945), dont l’exécution s’étend sur deux soirées entières, semble réaliser la synthèse des langages et des styles de sa génération. Dès le Concerto pour violon (1937), qui cite en une série de douze notes l’ouverture de

la Flûte enchantée, il adopta la technique sérielle, mais ce n’est qu’en 1950 qu’il s’astreignit au sérialisme intégral. Parmi ses élèves, citons Jacques Wildberger et Rolf Liebermann. VOGELWEIDE (Walther von der), minnesänger ( ? v. 1170 - ? v. 1230). Il fut le plus grand représentant du Minnesang. Son érudition lui valut la célébrité à la cour de Vienne. Après la mort de son protecteur, le duc Frédéric Ier (1198), il mena une vie errante à travers les cours allemandes. Il recueillit l’héritage des premiers poètes de cour allemands, en particulier Reinmar, dont il fut le disciple à la fois admiratif et critique, mais il abandonna vite les conventions de la lyrique courtoise au profit d’un art plus familier et spontané (Unter der linden, an der heide). Chantre raffiné de la Minne, il fut aussi le maître éloquent du Spruch et son oeuvre révèle les querelles religieuses et politiques auxquelles il fut mêlé en prenant le parti d’Othon de Brunswick contre le pape et les Staufen. Il est souvent qualifié de « cantor ». Il était effectivement musicien, à en juger par le célèbre Palästinalied, écrit après la croisade de 1228, et qui offre un compromis entre le récitatif épique et le style orné d’église, ou la charmante mélodie d’allure toute populaire, Maneger klaget die schoenen zît. VOGLER (abbé Georg Joseph), théoricien, pédagogue, organiste et compositeur allemand (Würzburg 1749 Darmstadt 1814). Il étudia le droit à Würzburg, puis la théologie à Bamberg. En 1771, il se fixa à Mannheim, où le prince-Électeur le nomma chapelain (1772) puis vice-maître de chapelle (1775) de sa Cour. Entre-temps, il avait pu effectuer un voyage d’études en Italie. Parurent alors ses premiers ouvrages théoriques : Tonwissenschaft und Tonsetzkunst (Mannheim, 1776 ; réimpr., 1970), Kuhrpfälzische Tonschule (Mannheim, 1778), Betrachtungen der Mannheimer Tonschule (Mannheim, 1778-1781 ; réimpr., 1974). Après être allé à Paris et à Londres, il devint en 1784 maître de chapelle à Munich, où le prince-Électeur qu’il avait connu à Mannheim était installé depuis 1778, mais entreprit l’année suivante une tournée de

concerts, et en 1786, démissionna pour devenir maître de chapelle de Gustave III de Suède et maître du prince héritier. Il continua néanmoins à voyager, en particulier en Grèce, à Gibraltar et en Afrique du Nord (1792-93). En 1793, il revint en Suède, où il servit quelque temps Gustave IV, puis voyagea de nouveau beaucoup, et en 1807, fut nommé maître de chapelle et conseiller pour les affaires religieuses du grand-duc de Hesse-Darmstadt, postes qu’il devait occuper jusqu’à sa mort. Comme théoricien, il écrivit sur l’acoustique, l’histoire de la musique et ses conditions d’exécution, et il étudia tout particulièrement la science des accords. Ses voyages témoignent notamment de son intérêt pour les musiques extra-européennes. Il enseigna à Mannheim mais aussi à Stockholm et Darmstadt, et compta parmi ses élèves Weber et Meyerbeer. Grand improvisateur au clavier, il construisit à Amsterdam en 1789 son orchestrion, sorte de petit orgue portatif au mécanisme simplifié qui lui valut les foudres de certains organistes conservateurs. Il fut aussi un conférencier très demandé. Comme compositeur, il fut moins apprécié. Il écrivit beaucoup d’oeuvres vocales sacrées et profanes, des ouvrages scéniques, de la musique orchestrale et de chambre. Citons une musique de scène pour Hamlet (1779), le singspiel Erwin und Elmire, d’après Goethe (Darmstadt, 1781), le drame lyrique Gustav Adolph och Ebba Brahe (Stockholm, 1788), et le mélodrame Zoroastre (v. 1796). VOIX. Instrument de musique privilégié, la voix humaine peut être employée seule ou collectivement, dialoguer avec un instrument (notamment le piano), un groupe d’instruments, ou l’orchestre ; qu’elle soit parlée ou chantée, la voix peut servir de support à un texte, ou être sollicitée pour sa sonorité pure. Tenue pour le plus ancien instrument de musique, la voix ne dissociait pas, à son origine, parole et chant : c’est sa domestication qui a conduit progressivement à séparer son rôle fonctionnel (nommer des personnes ou des objets, puis des concepts) et son rôle incantatoire. downloadModeText.vue.download 1043 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1037 Cette ambiguïté des deux pouvoirs de la voix se retrouve dans les querelles dogmatiques et esthétiques de l’histoire, deux conceptions extrêmes se reflétant entre les civilisations rationnelles, d’une part, magiques de l’autre, privilégiant ici la syllabisation (civilisations nordiques, mais aussi l’Afrique noire, etc.), et là la vocalise ou l’incantation (Orient, Méditerranée, etc.). C’est la voix parlée qui, par l’amplification de son accentuation naturelle, a donné naissance au chant, et cette filiation est encore attestée de nos jours, notamment chez les aborigènes dont le chant diffère peu de la parole, ou aux Indes, où la récitation védique fondée sur trois degrés a peu à peu conduit au raffinement incantatoire du r¯aga, dans lequel la voix couvre trois octaves, utilise des micro-intervalles (octave divisée en vingt-deux shrutis) et doit, selon les cas, employer ou proscrire le vibrato. On relève la même imprécision des frontières entre voix chantée et voix parlée dans le drame grec classique, et en général dans les diverses expressions vocales des langues à forte accentuation : la lecture du Coran, lors des solennités, a, par exemple, d’étroites affinités avec le chant flamenco originel. Considéré comme divertissement ou comme acte esthétique, le rôle de la voix découla constamment des diverses fonctions que lui assignait le culte : récitation stricte des textes essentiels (ou scripturaires), puis récitation cantilée, psalmodiée, et enfin vocalise jubilatoire. Notons que ce rôle magique de la voix peut être aussi bien facteur de paix (cf. le plain-chant) ou d’excitation (chant du dithyrambe, danses de transes, finales des r¯aga, etc.) qu’acte esthétique incantatoire ou cathartique. Qu’il s’agisse de l’officiant ou du chanteur classique, la voix doit être soumise à une stricte éducation, mais dont les buts varient : grande étendue vocale assortie d’une faible puissance, ou au contraire impératifs d’intensité, sensibilité aux micro-intervalles ou bien aux douze demitons de notre gamme tempérée, soin apporté à la pureté de la voix, ou recherche de timbres composites (notamment en

Afrique noire), homogénéité des registres ou exploitation de leur diversité (on retrouve le jodel - ou tyrolienne - aussi bien au Japon que chez les Pygmées), facteurs d’endurance, de puissance, de diction, d’articulation, de virtuosité, etc. Dans le chant classique, la connaissance scientifique de la phonation a tenté de se substituer à l’empirisme, notamment dans le souci de souder les registres de la voix chantée, souci confirmé par Monteverdi en 1624, repris un siècle plus tard par P. F. Tosi, et, au XIXe siècle, par le chanteur Manuel García ; mais c’est seulement avec l’invention du laryngoscope par le fils de ce dernier, en 1855, que fut mis en évidence le rôle des cordes vocales, sans d’ailleurs apporter aucun avantage à l’éducation de la voix. Pour nous limiter à son rôle dans la musique élaborée, on notera que les compositeurs ont requis la voix dans le chant sacré, dans l’opéra et ses dérivés, dans la mélodie et le lied, et parfois aussi comme simple instrument vocal, notamment au XXe siècle. Son utilisation s’étend donc de la parole au chant, en passant par les formules intermédiaires du parlé rythmique, du parlando, du Sprechgesang, des divers types de récitatifs, du chant à bouche fermée (notamment dans les choeurs), du rire, etc. Dans Wozzeck, Alban Berg a systématiquement exploité toutes ces possibilités de la voix. La classification des voix chantées repose sur divers facteurs : leur place dans l’échelle des sons, d’abord, mais aussi leur étendue propre, leur tessiture privilégiée, leur timbre ou leur couleur, leur fonction dramatique, leur puissance (celleci étant toutefois liée à la dimension du local). Dans la mesure où la voix reflète la physiologie et la psychologie de l’individu, ces facteurs sont généralement en parfaite harmonie (tempérament dramatique associé à une voix sombre et puissante, tempérament élégiaque assorti d’un organe plus clair, et de moindre intensité, etc.), mais leur éventuelle dissociation est ressentie différemment selon qu’il s’agisse d’un excès de puissance ou de tempérament dramatique, ou au contraire d’une carence en ce domaine, voire de la contradiction entre ces divers éléments. D’où la nécessité de classer les voix également selon leur caractère propre.

Les noms donnés aux différents types de voix ont sensiblement varié au cours de l’histoire ( ! CHANT), et divergent encore selon les pays. Jusqu’en 1850, les voix étaient, de façon générale, moins diversifiées qu’aujourd’hui parce que moins caractérisées sur le plan dramatique, et surtout parce que les compositeurs les sollicitaient fréquemment sur une étendue de deux octaves et demie. La diminution très sensible de cet ambitus (due notamment à l’accroissement du volume sonore des orchestres, entraînant les voix à rechercher une puissance accrue sur une plus faible étendue) a conduit à multiplier les catégories et sous-catégories. On peut, de façon succincte, retenir le schéma suivant, de la voix la plus aiguë à la plus grave : voix féminines de sopranos (respectivement léger, lyrique, dramatique), de mezzo-sopranos, de contraltos ; voix masculines de falsettistes (sopranistes et contraltistes), de ténors (haute-contre, léger, lyrique, dramatique), de barytons (Martin ou viennois, Verdi, d’opéra), de basses (chantante, noble ou profonde). On appelle voix blanches les voix d’enfants avant la mue, généralement dépourvues de vibrato (par opposition aux castrats dont les voix avaient toutes les caractéristiques des voix adultes). On relève de très nombreuses autres dénominations liées à : - la spécialisation dans un répertoire précis d’une époque donnée (cf. colorature dramatique, Heldentenor, Falcon, etc.) ; - l’emploi de comédie au théâtre (trial, laruette, basse bouffe, ténor de caractère, desclauzas, dugazon ou mère-dugazon, etc.) ; - la situation administrative d’un artiste au sein d’une troupe théâtrale, ou dans son époque, termes généralement tombés en désuétude (cf. prima donna, primo uomo - en fait le castrat -, première chanteuse, forte chanteuse, soubrette, fort ténor, ténor d’opéra-comique, etc.) ; - la nomenclature des emplois au sein du choeur, et selon sa fonction : dans l’interprétation de la musique ancienne, les termes de superius, altus (ou alto), contreténor, etc. s’appliquent à une fonction et non à un type de voix masculine ou fémi-

nine. Enfin, dans les choeurs de théâtres, on conserve parfois les dénominations anciennes de premier dessus, second dessus, taille (ténor grave par opposition au ténor haute-contre), etc. VOIX CÉLESTE. Jeu d’orgue ondulant, dont le battement caractéristique est obtenu par les interférences entre deux rangées de tuyaux de gambe, dont l’une est légèrement désaccordée par rapport à l’autre. Très prisé dans la facture française du XIXe siècle, on le trouve aussi au XVIIIe siècle dans les instruments italiens, sous le nom d’« unda maris ». Le même effet d’ondulations par battements est obtenu sur l’harmonium, entre deux rangées d’anches libres en léger désaccord. Sur les orgues électroniques et les synthétiseurs, on en fait un large emploi ; la technique électronique permet de l’affecter à n’importe quel jeu et d’en régler le mouvement. VOIX HUMAINE. Jeu d’orgue à anche, dont le tuyau est très court et en partie bouché. On l’utilise avec le tremblant doux dans des récits ou des dialogues, ou pour exposer une mélodie de choral. Dans la facture italienne, le terme de voix humaine désigne un jeu ondulant proche de la voix céleste. VOLKMANN (Friedrich Robert), compositeur allemand (Lommatzsch, Saxe, 1815 - Budapest 1883). Installé en 1841 dans la capitale hongroise après avoir étudié la musique à Leipzig, enseigné le chant à Prague et séjourné à Vienne, il fut professeur de composition downloadModeText.vue.download 1044 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1038 à l’Académie de musique de Budapest de 1875 à sa mort. Ses compositions, presque toutes instrumentales, témoignent de sa fidélité à l’école allemande de Schumann et Mendelssohn.

VOLKONSKI (Andreï Mikhaïlovitch), compositeur et claveciniste soviétique (Genève 1933). Il commença ses études de piano au conservatoire de Genève avec Aubert et Lipatti, et travailla également à Paris avec Nadia Boulanger en 1945. En 1947, sa famille s’installa en U.R.S.S. Il entra en 1950 au conservatoire de Moscou dans la classe de composition de Chaporine, mais en fut exclu en 1954 pour « indiscipline ». De cette période datent les cantates Rouss, d’après les Âmes mortes de Gogol (1952), et Obraz mira (« l’Image du monde », 1953). Volkonski a rapidement manifesté son opposition au style officiel de l’art soviétique, en se réclamant de Stravinski et bientôt du dodécaphonisme (Musica stricta pour piano, 1956 ; Suite des miroirs pour soprano, instruments et percussion, 1960). Sous l’influence de Boulez et de Stockhausen, il évolua bientôt vers le pointillisme (les Plaintes de Chtchaza, 1961). En 1964, il fonda l’ensemble Madrigal, spécialisé dans la musique de la Renaissance et du baroque, avec lequel il effectua des tournées. Ayant appris en autodidacte l’orgue et le clavecin, il se produisit également comme virtuose. Sa musique cependant fut boudée par la critique officielle, et, en 1973, il revint en Occident. Ses oeuvres ont figuré aux programmes de plusieurs festivals de musique contemporaine. VOLKSLIED (all. : chant populaire). La notion de Volkslied appartient essentiellement au monde germanique et ne peut être confondue avec celle de chant folklorique. Il ne s’agit pas en effet de chants d’origine populaire issus d’un fonds collectif non identifiable, mais de chants traduisant les états d’âme collectifs (Stimmung) d’un peuple, et dont la caractéristique essentielle est de pouvoir être chantés ensemble par des gens aux voix peu préparées. L’histoire du Volkslied est relativement complexe. La première définition en a été donnée par Herder, lorsqu’il a publié, en 1778-79, son répertoire de Volkslieder, le premier et l’un des plus grands qu’ait connus l’Allemagne. La définition donnée par Herder est très proche de celle qu’on peut appliquer à tout folklore : témoignage d’authenticité, excluant tout art

élaboré, le Volkslied se caractérise, selon Herder, par son caractère de spontanéité ; il doit être ancien, anonyme (on ne saurait y admettre des compositions élaborées par des professionnels du chant ou de la poésie) et beau, d’une beauté qui exclut toute trivialité, conformément aux canons esthétiques du premier préromantisme allemand. Cette définition est liée étroitement à une conception philosophique de l’Histoire qui fait du « peuple » une communauté d’ordre presque mystique déterminée par le terroir, le climat, la situation historique. C’est dans ce cadre de pensée, lié au mouvement du Sturm und Drang, que se situent les grands recueils de Volkslieder collectés à la jonction des XVIIIe et XIXe siècles. Le plus célèbre est celui d’Arnim et Brentano, Des Knaben Wunderhorn (le Cor merveilleux de l’enfant), publié de 1805 à 1808 et qui comporte plus de sept cents pièces. Il faut remarquer que ce recueil a alimenté chez Mahler la plus savante et la moins populaire des musiques. La notion idéalisée de la valeur morale du chant en commun rejoint la théorie et la pratique luthériennes qui ont été à l’origine du choral d’église. Dans l’histoire du XIXe siècle, on trouvera dans l’utilisation du Volkslied une volonté de pédagogie collective qui s’accusera après l’échec des révolutions de 1848. Répandu par l’armée, par les Églises, par les écoles, le Volkslied deviendra un moyen de faire saisir à un peuple entier les lignes de force de sa sentimentalité propre. Dans ce cadre nouveau, les normes fixées par Herder perdront de leur valeur impérative. Un foisonnement de pièces lyriques sur un mode « populaire » sublimisé verra le jour ; les pièces purement anonymes céderont bien souvent la place devant des compositions élaborées dont les poètes et/ou les musiciens sont parfaitement identifiés. Un exemple typique en est la célèbre Lorelei : le texte n’est pas celui de la vieille ballade populaire, mais est composé par H. Heine dans un style volontairement simplifié ; la musique en est de Fr. Silcher, dont l’activité dans ce domaine est abondante. On en est ainsi ramené à un critère qui est avant tout celui de l’utilisation. La

fonction du Volkslied est le chant en commun. Sa diversité correspondra à la diversité des groupes sociaux qui l’utilisent. On y retrouvera ainsi, suivant les couches de population, de simples chansons d’enfant, des romances sentimentales très proches par le goût du style Biedermeyer des années 1830, de très nombreuses chansons de route, dont le développement correspond à celui des mouvements de Wandervögel (oiseaux migrateurs) qui traversent à pied les paysages allemands. Les douze ans de l’aventure national-socialiste ne manqueront pas de donner au Volkslied une empreinte particulière, exaltation de certaines formes de jeunesse et de force. Dans ces différents avatars, le Volkslied conserve un certain nombre de constantes, nécessaires à son utilisation en groupe : forme strophique avec éventuelle répétition de certains vers, rythmes accusés, simplicité tonale. Les grands thèmes de la poésie allemande telle qu’elle apparaît dans le lied se retrouvent tout naturellement dans le Volkslied : thèmes du voyageur, de l’arbre, de l’eau, de l’adieu et du retour, des amours impossibles ; dans un cadre légèrement différent, thèmes de la camaraderie et de la mort, de l’errance. La source du Volkslied n’est pas épuisée ; on voit aujourd’hui encore se former de nouveaux chants autour des notions de contestation sociale et d’écologie. Le processus de création ne diffère vraiment pas d’une génération à l’autre. VOLTAIRE (François Marie AROUET, dit), écrivain français (Paris 1694 - id. 1778). Il écrivit à peu près sur tout, y compris sur la musique. On lui doit aussi un certain nombre de livrets d’opérascomiques, d’opéras, d’opéras bouffes. Parmi ceux-ci, le livret d’un essai d’opéra biblique en cinq actes écrit pour Rameau, Samson (1732). La censure fit barrage à la représentation de l’oeuvre, à cause du sujet religieux que l’on considéra incompatible avec le cadre profane de la scène. Pour Rameau encore, Voltaire écrivit une comédie-ballet, la Princesse de Navarre (1745), et un opéra-ballet, le Temple de la Gloire (1745), destinés à la cour de Versailles (il ne faut pas oublier, dans la « collusion » Voltaire-Rameau, le rôle de la Querelle des bouffons, avec les prises de parti de Jean-Jacques Rous-

seau contre l’auteur des Indes galantes). Pour le jeune Grétry, qui avait adapté son conte l’Ingénu en opéra-comique, sous le titre du Huron (livret de Marmontel), Voltaire écrivit en 1769 deux livrets d’opera buffa, comprenant des scènes en italien, le Baron d’Otrante (1769) et les Deux Tonneaux (1769). Une bonne partie des tragédies et des comédies de Voltaire furent adaptées en opéras et en opéras-comiques : Zaïre par Mercadante et Bellini, Tancrède par Rossini, Olympe par Spontini, les Cythes par Simon Payr et Mercadante, Sémiramis par Rossini. Enfin, les Romans et Contes les plus connus inspirèrent quelques adaptations musicales (comme, au XXe siècle, un Candide de Marius Constant). VOLTE. Danse ancienne d’origine provençale, à trois temps, apparentée à la gaillarde, qui fit fureur aux XVIe et XVIIe siècles. Elle se dansait par couples et, malgré un rythme assez lent, faisait appel à des figures sautées presque acrobatiques. downloadModeText.vue.download 1045 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1039 VOLUNTARY. Terme anglais qui désigne une pièce d’orgue jouée avant ou après l’office religieux, mais qui n’en fait pas intégralement partie. Les premiers voluntaries remontent au début du XVIe siècle ; ce sont de courts morceaux d’orgue construits sur le thème d’une messe donnée. Avec la Réforme, nombre de pièces de Byrd ou de Gibbons intitulées « In nomine », fantaisies ou préludes seront utilisées comme voluntaries malgré leur coupe profane et cela, d’autant plus facilement que les orgues anglaises ne comporteront pas de pédaliers avant les dernières décennies du XVIIIe siècle. L’Angleterre purcellienne connaîtra des « middle voluntaries » destinés à être exécutés durant le service religieux ; c’est aussi l’époque où l’emploi du voluntary au théâtre provoque des réactions scandalisées telles que celle du Spectator qui, en

mars 1712, critique « les joyeuses fins de tragédies et leurs voluntaries sautillants ». La vague de piété qui suivra le renouveau méthodiste, puis le retour aux sources recherché par l’Église victorienne, redonneront au voluntary toute sa splendeur liturgique. Parmi les compositeurs qui se sont illustrés dans ce genre, il faut citer, avec Purcell lui-même, John Stanley, Benjamin Cooke, et surtout les deux Wesley, neveu et petit-neveu du grand réformateur religieux, et organistes prestigieux de l’Angleterre du XIXe siècle. VORISEK (Jan Vaclav), compositeur tchèque (Vamberk, Bohême, 1791 Vienne 1825). Il travailla avec son père, maître d’école, organiste et chef de choeur, et devint très jeune virtuose du piano. Il étudia aussi le droit, les mathématiques et la philosophie à Prague (1810-1813) tout en complétant sa formation musicale avec Tomasek. Il s’installa ensuite à Vienne, où il travailla le piano avec Hummel et devint fonctionnaire au ministère de la Guerre puis (1818) chef d’orchestre à la Société des amis de la musique (Gesellschaft der Musikfreunde), poste qu’il devait occuper jusqu’à sa mort. En 1822, il abandonna son poste de fonctionnaire, et devint organiste adjoint de la Cour, puis premier organiste en 1824. Lors de sa dernière maladie, Beethoven (à qui il avait montré en 1814 ses douze Rhapsodies pour piano op. 1) lui envoya son propre médecin. Il mourut de tuberculose. Il écrivit de la musique vocale (lieder, oeuvres religieuses), mais son importance réside surtout dans sa production instrumentale, en particulier dans ses pièces pour piano ou avec piano. Ses six Impromptus op. 7 (1822) illustrent admirablement un genre que devait reprendre Schubert, et sa Sonate pour piano et violon op. 5 (1820) ainsi que sa Sonate pour piano en si bémol mineur op. 20 (1822-1824) sont des chefs-d’oeuvre. Citons encore, pour piano, la Fantaisie op. 12 et le Thème et Variations op. 19. Sa Symphonie en ré est digne des premières de Schubert. VOSTRAK (Zbynek), compositeur et chef d’orchestre tchèque (Prague 1920 Strakonice 1985).

Il a étudié au conservatoire de Prague (1937-1943), puis a été lecteur à l’Académie de musique et d’art dramatique (1946-47) tout en enseignant au département opéra du conservatoire (19451948). Depuis 1963, il est le chef de Musica viva pragensis, véritable « Domaine musical » tchèque. Jusque vers 1955, il a écrit dans un style postromantique et néo-classique (opéra-comique Rohovin Ctverrohy, 1949). Il a ensuite été influencé par Webern, et a écrit ses premières pièces sérielles en 1962 (opéra la Cruche cassée, d’après Kleist, 1963 ; Trois Essais pour piano, 1962 ; Éléments pour quatuor à cordes, 1964). Depuis 1966, l’influence de Boulez, Cage et surtout Stock-hausen est prédominante (les Échelles de lumière pour bande, 1967). Depuis 1970, il a dû peu à peu ralentir son activité de chef d’orchestre, et la nouvelle création tchèque s’est scindée entre les tenants des influences européennes et américaines, dont il est un représentant, et ceux qui veulent vivre dans un contexte plus spécifiquement national. VOZLINSKY (Pierre), musicien français (Paris 1931 - id. 1994). Il renonça à une carrière de pianiste pour produire des émissions musicales à la télévision (l’Homme et sa musique, 19661970 ; film sur P. Casals, 1970). Chef du service de la musique à la télévision, il y organisa l’année Beethoven (1970). Il fut ensuite directeur des programmes et des services musicaux à Radio France (19751983), puis directeur général d’Eratoproduction et du Midem classique (19831986), de l’Opéra Bastille (1986-87) et enfin, à partir de 1987, de l’Orchestre de Paris (où il a eu comme successeur Stéphane Lissner). Il fut, pendant trente ans, l’un des principaux artisans du renouveau de la vie musicale en France. VRANICKY (WRANITZKY), famille de musiciens tchèques. Antonín (Anton), violoniste et compositeur (Nova Rise, Moravie, 1761 - Vienne 1820). Il arriva à Vienne au plus tard en 1783, y étudia la composition avec Mozart, Haydn et Albrechtsberger, et en 1790 au plus tard, entra au service du prince Maximilian Lobkowitz. Lorsque le prince, en 1807, prit la direction

des théâtres de la cour et de l’Opéra, il nomma Vranicky à la tête de l’orchestre, poste que ce dernier devait conserver jusqu’à sa mort. Ami de Haydn et de Beethoven, il eut comme élève de violon Schuppanzigh et fit paraître une méthode pour cet instrument (Violin Fondament, Vienne, 1804). Comme compositeur, il écrivit surtout des symphonies, des concertos et de la musique de chambre. Pavel (Paul), violoniste, chef d’orchestre et compositeur (Nova Rise, Moravie, 1756 Vienne 1808). Frère du précédent, il se rendit à Vienne à l’âge de vingt ans, et y étudia avec Haydn et (en 1783) Johann Martin Kraus. Vers 1785, il devint directeur de la musique du comte Johann Nepomuk Esterházy, et vers 1790, premier violon des orchestres des théâtres de la Cour (Burgtheater et théâtre de la Portede-Carinthie). Comme premier violon ou comme chef d’orchestre, il fut particulièrement apprécié de Haydn et Beethoven, qui lui confièrent expressément l’un la Création en 1799, l’autre la première audition de la Première Symphonie le 2 avril 1800. Comme secrétaire de la Tonkünstler Sozietät, il facilita en décembre 1797 l’admission de Haydn dans cette institution. Il écrivit des oeuvres scéniques, parmi lesquelles le singspiel Oberon (1789) et le ballet Das Waldmädchen (1796), de la musique de chambre dont de nombreux quatuors à cordes, des concertos, des symphonies. L’une d’elles, la Grande Sinfonie pour la paix avec la République Françoise, fut interdite par décret impérial du 20 décembre 1797, son titre ayant été jugé trop provocateur. VUATAZ (Roger), compositeur et chef d’orchestre suisse (Genève 1898 Chêne-Bougeries 1988). Il fait ses études à Genève (Mottu et Barblan) au conservatoire et à l’Institut Jaques-Dalcroze, mais il est avant tout autodidacte. Organiste (1916), il est chef des choeurs et professeur à l’Académie de musique de Genève. De 1928 à 1934, il est critique musical au Journal de Genève. En 1940, il fonde la Maîtrise protestante. De 1942 à 1963, il est directeur des émissions musicales de Radio-Genève et, en 1962, président du Concours international d’exécution musicale. Passionné par les musiques anciennes (psaumes de la Réforme) et par celle de Bach (il a ins-

trumenté l’Art de la fugue et l’Offrande musicale), il a su assimiler les techniques les plus récentes en demeurant hostile à toute école. Son lyrisme austère et souvent tourmenté s’allie parfois à l’atonalité ou à la technique sérielle, mais les quelque 500 partitions qu’il a écrites relèvent en général d’une écriture modale qui lui est personnelle. downloadModeText.vue.download 1046 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1040 VUILLERMOZ (Émile), critique français (Lyon 1878 - Paris 1960). Élève de Gabriel Fauré au Conservatoire de Paris, auteur de quelques compositions et d’harmonisations de Chansons canadiennes et françaises, il a débuté dans la critique musicale comme collaborateur de Henry Gauthier-Villars (Willy). Il devient, en 1910, rédacteur en chef de la Revue S. M. I., organe de la Société musicale indépendante dont il a été un des fondateurs. Entre 1918 et 1940, il est critique musical au Temps, à l’Excelsior, à Candide, à Comoedia. Il publie en 1949 une Histoire de la musique, puis, en 1957 et 1960, deux ouvrages sur Claude Debussy et Gabriel Fauré. Il réussit à traduire avec des mots la substance de la musique, et s’appuie sur l’image pour défendre ses opinions. Appliquée à Fauré, à Ravel, à Debussy, cette critique « impressionniste » et sensualiste fait merveille, mais s’attache davantage à l’art lui-même qu’à ses sources et à ses motivations profondes. Il reste qu’Émile Vuillermoz, grâce à son talent et à son goût, a donné à la critique musicale des pages d’une rare perfection dont la subtilité demeure sans doute inégalable. VULPIUS (Melchior), compositeur allemand (Wasungen, près de Meiningen, v. 1570 - Weimar 1615). Cantor à Weimar de 1596 à sa mort, il fut le plus important compositeur de mélodies de cantiques luthériens de son époque, et en harmonisa un grand nombre dont il n’était pas l’auteur. Comme théoricien, il écrivit le traité Musicae compendium. La

femme de Goethe était probablement une de ses descendantes. downloadModeText.vue.download 1047 sur 1085

WAECHTER (Eberhard), baryton autrichien (Vienne 1929 - id. 1992). Il est l’élève d’Elisabeth Rado à Vienne. En 1953, il débute au Volksoper de la même ville dans Paillasse, puis en 1955 au Staatsoper. Sa carrière se confond avec ce théâtre lyrique où il chante, sous la baguette de Böhm et de Karajan notamment, pendant plus de 1 300 représentations ! Mozartien à Glyndebourne et à Salzbourg, il est invité dès 1958 à Bayreuth par Wieland Wagner. Il chante Wolfram, mais son rôle fétiche est Amfortas, qu’il aborde sous la direction de Knappertsbusch. En 1959, il signe un Don Giovanni légendaire avec Giulini. Il excelle aussi dans les opérettes viennoises. En 1987, il est nommé intendant du Volksoper de Vienne et, en 1991, du Staatsoper. Il poursuit un idéal qui semble incompatible avec les conditions économiques du star-system actuel : reconstituer des troupes de chanteurs dans l’esprit des traditions viennoises ; en désaccord, Abbado démissionne alors de son poste au Staatsoper. Waechter meurt avant d’avoir pu mener à bien cette politique. WAGENAAR, famille de musiciens néerlandais. Johan, compositeur et pédagogue (Utrecht 1862 - La Haye 1941). Il étudia à l’École de musique d’Utrecht et à Berlin, et, en 1887, succéda à son ancien maître Richard Hol aux postes de directeur de l’École de musique et d’organiste de la cathédrale d’Utrecht. De 1919 à 1937, il fut directeur du conservatoire de La Haye. Il compta parmi ses élèves Willem Pijper. Influencé par Brahms, Berlioz et Richard Strauss, il écrivit notamment l’ouverture Cyrano de Bergerac (1905), le poème symphonique Saul en David (1906), la cantate W De Schipbreuk (1889), les opéras De doge van Venetie (1901) et De Cid (1915). Bernard, compositeur, violoniste et chef d’orchestre (Arnhem 1894 - York, Maine, 1971). Fils et élève du précédent, il émigra aux États-Unis en 1920 et fut naturalisé en

1927. Il fut violoniste à la Philharmonie de New York (1921-1923), puis enseigna à l’Institute of Musical Art, devenu plus tard la Juilliard School (1925-1968). On lui doit notamment quatre symphonies (1926, 1930, 1936, 1946) et Song of Mourning pour orchestre (1944), à la mémoire des patriotes néerlandais tombés durant la guerre. WAGENSEIL (Georg Christoph), compositeur et claveciniste autrichien (Vienne 1715 - id. 1777). Élève de Fux, de Gottlieb Muffat et de Matteo Palotta, il obtint une bourse d’études de la cour en 1736 et, la même année, fit entendre sa première messe (Missa spei). Il fut nommé compositeur de la cour en 1738, fut organiste à la chapelle de la veuve de l’empereur Charles VI de 1741 à 1750, et en 1749, devint professeur de clavecin des enfants de l’impératrice Marie-Thérèse. Dans sa jeunesse, il mena assez haut la tradition baroque, écrivant notamment plusieurs messes, parmi lesquelles la Missa Domine libera animam meam (1737) et la Missa panem quotidiam (1739), ainsi qu’environ 90 ouvrages liturgiques (entre 1737 et 1755). De 1740 date sa cantate dramatique I Lamenti d’Orfeo. En 1745, il se rendit en Italie, où fut donné son premier opéra, Ariodante (Venise, 1745). Suivirent notamment La Clemenza di Tito (Vienne, 1746), Demetrio (Florence, 1746), Alessandro nell’Indie (Vienne, 1748), Il Siroe (Vienne, 1748) et L’Olimpiade (Vienne, 1749), ainsi que les pasticci Andromeda (Vienne, 1750) et Euridice (Vienne, 1750). Dans cette dernière oeuvre en particulier, il réussit à élaborer de grandes scènes intégrant récitatifs, airs, ensembles et choeurs. En tout, il collabora à 5 pasticci et écrivit 10 opéras, 43 cantates et airs ainsi que 3 oratorios, Gioas, re di Giuda (1755), La Redenzione (1755) et Il Roveto di Mosè (1756). Son importance ne fut pas moindre dans le domaine instrumental, où il apparaît davantage comme un compositeur préclassique. De ses 96 symphonies, toutes sauf 4 sont en trois mouvements. On lui doit aussi 93 ouvrages de musique de chambre, 3 doubles concertos (2 pour deux violons et 1 pour hautbois et basson), 3 concertos pour flûte, 2 pour violoncelle, 1 pour violon, 1 pour trombone et 93 pour instruments à clavier (1 pour

quatre clavecins solistes, 6 pour deux clavecins, 12 pour clavecin ou orgue, 2 pour clavecin ou harpe, 3 pour piano-forte et 69 pour clavecin). Ses pièces pour clavecin, en particulier ses sonates, et sa musique de chambre avec clavecin frayèrent directement la voie au jeune Haydn. À signaler en particulier les Divertimenti da cembalo parus à Vienne en quatre groupes de six (1753, 1755, 1761 et 1763), tous dédiés à une archiduchesse d’Autriche. Wagenseil fut le premier musicien autrichien dont la musique se répandit largement à Paris, à la fois par l’édition (vingt-neuf publications de 1755 à 1781) et au concert (au moins neuf auditions au Concert spirituel de 1759 à 1781). En 1759, il se rendit une dernière fois en Italie. En 1762, Mozart, âgé de six ans, joua un de ses concertos à Schönbrunn. À partir de 1764, malade, il se fit peu à peu remplacer comme professeur de clavecin à la cour par Matthäus Schlöger, puis par ses élèves Joseph Anton Steffan et Leopold Hofmann. Parmi ses autres élèves, Johann downloadModeText.vue.download 1048 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1042 Baptist Schenk, qui raconte dans son autobiographie que Wagenseil utilisait, pour son enseignement, le Clavier bien tempéré de Bach, et Frantisek Xaver Dusek, l’ami de Mozart. WAGNER (Cosima), seconde épouse de Richard Wagner (Bellagio 1837 - Bayreuth 1930). Fille de Franz Liszt et de la comtesse d’Agoult, elle épousa le pianiste-chef d’orchestre Hans von Bülow, élève de son père et protégé de Wagner, à l’âge de dix-neuf ans : mariage sans passion dont les liens volèrent en éclats dès les premières rencontres avec Wagner, alors exilé en Suisse. Avec courage et orgueil, Cosima accepta toutes les conséquences de cet « amour fatal » qui la liait au compositeur. Leurs trois enfants virent tous le jour avant le divorce d’avec Bülow, prononcé en 1870 : Isolde, Eva, qui épousera H. S. Chamberlain (auteur des Fondements du XIXe siècle, ouvrage pangermaniste, il fut

pendant longtemps, avec l’assentiment de Cosima, le coordinateur de l’exégèse wagnérienne), et Siegfried. En cette même année 1870, Richard et Cosima, qui vivaient ensemble à Tribschen depuis 1868, régularisèrent une situation qui faisait des gorges chaudes à Munich (où Bülow exerçait ses fonctions de chef d’orchestre) et fut l’une des raisons du bannissement de Wagner (1866). Dès lors Cosima ne vécut plus que pour son dieu, dont elle accompagna la création d’un amour inquiet et volontaire, puis qu’elle protégea de son mieux, à Wahnfried, des tracas du monde extérieur, enfouissant au plus profond de son Journal l’expiation du tort fait à Bülow. En 1883, elle songea un moment à accompagner Wagner dans la mort, puis décida d’assumer pleinement l’héritage de Bayreuth, qu’elle transmit en 1907 à son fils Siegfried. WAGNER (Siegfried), fils de Richard Wagner (Tribschen 1869 - Bayreuth 1930). Wagner, qui n’avait de l’avenir de son seul fils qu’une très vague idée, ne pensait certainement pas que ce dernier se retrouverait en 1907 placé à la direction du Festival de Bayreuth. Or, modestement, Siegfried suivit les traces de son père ; il composa de nombreuses pièces instrumentales et quatorze opéras-contes de fées, aujourd’hui bien oubliés, parmi lesquels on peut citer : Der Bärenhäuter (l’Homme à la peau d’ours, 1898), Sonnenflammen (Flammes de soleil, 1912), Der Friedensengel (l’Ange de la paix, 1914), An allem ist Hütchen schuld (Tout est de la faute de Hutchen, 1915), Die Heilige Linde (le Tilleul sacré, 1927) et Das Flüchlein, das jeder mitbekam (La petite malédiction qui frappait chacun, 1930). Mais c’est surtout comme chef d’orchestre qu’il acquit une réputation internationale. En 1915, il épousa Winifred Klindworth-Williams (1897-1980) dont il eut, très vite, ses quatre enfants : Wieland (1917-1966) ; Friedelind (née en 1918), auteur d’un livre de souvenirs fort critique pour sa mère, Héritage de feu ; Wolfgang (né en 1919) et Verena (née en 1920). Il disparut quelques mois après sa mère, ayant laissé Winifred s’engager toujours plus avant aux côtés du parti national-socialiste : monarchiste convaincu, mais peu

militant, Siegfried ne sut sans doute pas apprécier les dangers qui menaçaient la république de Weimar - ou bien crut-il, naïvement, qu’ils épargneraient Bayreuth. WAGNER (Wieland), fils aîné de Siegfried Wagner (Bayreuth 1917 - Munich 1966). Il commença sa carrière à Bayreuth en dessinant les décors des Maîtres chanteurs donnés au cours des saisons 194344. Après la guerre, il prit avec son frère Wolfgang la direction du Festival que sa mère, interdite d’activité par un tribunal de dénazification, mais seule héritière de Siegfried, accepta de leur céder. Entre 1951 et 1961, les deux frères se partagèrent la tâche difficile de relancer l’entreprise tout en imposant un style visuel nouveau, dont porta témoignage la mise en scène de Parsifal, à l’affiche jusqu’en 1973 et constamment améliorée. Le dépouillement esthétique, progressif, l’utilisation prioritaire des ressources de l’éclairage pour sculpter l’espace et les corps, se doublèrent d’une analyse universaliste, au sens strict, de l’oeuvre de Wagner. À partir de 1961, Wieland assura seul la totalité des créations : dépassant l’humanisme transcendant par lequel il glorifiait ses héros, il osa petit à petit certaines remises en question. Le matériau décoratif utilisé avait beau demeurer le même, le rapport qu’entretenaient avec lui les personnages évolua considérablement, dans le sens d’une individuation moins rigoureuse des héros et de leur réinsertion dans un contexte socio-politique gommé jusque-là au profit de descriptions archétypiques. De cette évolution témoignèrent en particulier les différentes productions de Tannhäuser (1954, 1961, 1964) et des Maîtres chanteurs (1956, 1963), ainsi que l’engagement de Pierre Boulez pour diriger Parsifal en 1966. Après avoir dégagé Wagner - et Bayreuth - d’une histoire allemande trop immédiate, Wieland se préparait sans doute à désacraliser le style même du nouveau Bayreuth. Sa mort prématurée priva le théâtre lyrique d’un de ses plus importants chefs de file, puisque aussi bien il mit en scène Verdi et Beethoven, Berg et Richard Strauss. Il fut le plus souvent servi par une interprète selon son coeur, Anja Silja, meilleur exemple de ces retrouvailles

de l’acteur avec son rôle que prônait Wieland en réaction contre les conventions standardisées du genre opéra. WAGNER (Wilhelm Richard), compositeur, chef d’orchestre et théoricien allemand (Leipzig 1813 - Venise 1883). Le génie de Wagner apparaît un peu comme l’aboutissement triomphal d’une longue lignée de petits fonctionnaires obscurs, épris de Dieu comme des Muses. Sa mère, Johanna Rosine Pätz (1778-1848), douée pour l’art dramatique, épousa le greffier de police Friedrich Wagner (17701813), acteur amateur lui-même et dont le frère Adolf (1774-1835), homme de lettres et théologien, jouissait, dit-on, de l’estime de Goethe. Quant aux frères et soeurs de Richard, Albert (1799-1874) allait devenir chanteur et metteur en scène ; Rosalie (1803-1837), actrice, devait créer à Leipzig la Marguerite du Faust de Goethe ; Louise (1805-1871) suivit sa soeur sur les planches ; Clara (1807-1875) épousa le chanteur Wolfram, et Ottilie (1811-1883) le philologue Hermann Brockhaus, dont Nietzsche allait être le disciple. Seul Julius (1804-1862) fut simplement orfèvre. Friedrich Wagner meurt du typhus quelques mois après la naissance de Richard et Johanna, neuf mois plus tard, se remarie avec Ludwig Geyer (1778-1821), acteur, portraitiste et poète, intime des Wagner. Geyer fut-il le véritable père de Richard ? On n’en possède aucune preuve, mais Wagner hésitera toute sa vie : son oeuvre abonde en orphelins hantés par la figure du père - d’autant plus inquiétante que Geyer était juif. De cette union naît, en 1815, Cécile. Ainsi, après la disparition prématurée de Geyer, Richard grandit entre la nervosité de sa mère et les caresses de ses soeurs, dans les froufrous des robes et des costumes. À la piété déiste de Johanna se mêlent les échos des drames de théâtre : tout naturellement, le petit Richard, que chacun dans la famille a voulu ou veut artiste, écrit, met en scène, d’invraisemblables poèmes tragiques où s’entrecroisent Hoffmann, Tieck, Shakespeare, Schlegel, mythes grecs et romains (l’enfant est, déjà, l’infatigable lecteur que l’homme restera jusqu’à sa mort), voire Weber. Il découvre aussi, au Gewandhaus de Leipzig, Beethoven... et la soprano Wilhelmine Schröder-Devrient, venue jouer Fidelio.

Wagner, dont les études classiques à la Kreuzschule de Dresde et aux collèges Nicolaï et Thomas de Leipzig ont été assez désordonnées, décide de devenir musicien. « Cancre » dont la riche personnalité, l’affectivité à fleur de peau, l’indépendance se plient mal à la structure de l’enseignement officiel, il trouve en Theodor Weinlig, cantor à la Thomasschule, un maître selon son goût. Mais, pressé d’essayer downloadModeText.vue.download 1049 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1043 sans plus attendre ses connaissances toutes neuves, Wagner ne prendra jamais le temps, comptant sur son intuition, de devenir « bon » technicien ou virtuose. Il veut produire les effets sonores qui habitent son inspiration - et sa technique, il la forgera lui-même, asservie péniblement à l’expression de son art, pétrie de maladresses, de traits de génie, de contradictions esthétiques qui ne se résolvent que dans l’unité de la démarche, celle d’un genre où, précisément, l’artiste complet est une gageure. En 1833, il est nommé chef des choeurs au théâtre de Würzburg. C’est le début d’une longue période (elle durera jusqu’en 1864) de déboires divers : fuites face aux créanciers ou aux policiers, échecs affectifs ou professionnels, misère, dépressions, maladies. UN GÉNIE QUI SE CHERCHE. En 1834, Wagner est directeur musical de la troupe Bethmann et il y rencontre Minna Planner (1809-1866), qu’il épouse en 1836. Le couple (deux instables à la poursuite de leurs rêves de célébrité, d’embourgeoisement) erre dès lors de Magdebourg à Königsberg, puis vers Riga (1837) avant d’échouer à Paris (1839). À cette époque, Wagner est l’auteur inconnu de quelques pièces pour orchestre ou piano sans grand intérêt, et de trois opéras dont il a écrit lui-même le livret, tout à fait révélateurs d’un génie qui se cherche après avoir assimilé les leçons apprises au contact du répertoire lyrique italien et français : les Noces (1832), laissées inachevées sur les conseils moqueurs de sa soeur Rosalie, les Fées (1834) et la Défense

d’aimer (1836). Mais, dans son périple, il emporte les projets de Rienzi (achevé en 1840) et du Vaisseau fantôme, qu’il termine à Paris en 1841. Toutefois, persuadé que Meyerbeer allait intervenir en sa faveur et obtenir que l’on joue Rienzi à l’Opéra de Paris, Wagner doit vite déchanter ; pour subsister, il est contraint d’écrire : des articles, publiés par la Gazette musicale et la Neue Zeitschrift für Musik que dirige Schumann à Leipzig, mais aussi quantité de corrections, arrangements, réductions pour piano, voire même cornet à piston, des opéras alors en vogue. Pire : il vend le sujet du Hollandais volant aux librettistes Foucher et Révoil, sur le texte desquels Dietsch composera son Vaisseau fantôme. Alors, apprenant que Dresde accepte Rienzi, Wagner se sent envahi de nostalgie patriotique et s’empresse de quitter la France et les créanciers qui l’y talonnent. Le succès de Rienzi lui permet d’être nommé maître de chapelle à la cour royale de Saxe (1843). Mais il s’embrouille dans les intrigues de palais, ne parvient à s’imposer comme auteur ni avec le Vaisseau fantôme (1843) ni avec Tannhäuser (1845). En revanche, il collectionne les succès publics par ses exécutions des symphonies de Beethoven. Pourtant, les propositions de réformes qu’il multiplie, concernant tant l’orchestre que le théâtre de Dresde, se heurtent à des refus de plus en plus catégoriques, d’autant qu’il emploie pour les présenter des arguments politiques marqués au coin de ses fréquentations : avec l’Association des patriotes, il exalte les soulèvements qui ont lieu un peu partout en Europe et contraignent les princes allemands à de nombreuses concessions. Wagner, à cette époque, rédige plusieurs projets d’opéras mêlant l’histoire et la mythologie allemandes (les Mines de Falun, 1842 ; les Maîtres chanteurs, 1845 ; Frédéric Barberousse, 1846 ; les Nibelungen, 1847) à un christianisme étrange où le Messie est un révolutionnaire social nostalgique de la mort, décidant d’entrer dans le néant pour calmer l’agitation politique que ses discours provoquent (Jésus de Nazareth, 1849). En même temps, le musicien noue avec Liszt des liens d’amitié qui se révéleront profitables et d’autres, plus dangereux,

avec Bakounine : en effet, la répression des Princes entraîne l’entrée de troupes prussiennes en Saxe. Dresde se révolte (1849) : Wagner court parmi les insurgés. Il finit par fuir avec Bakounine et rejoint Liszt à Weimar. Le virtuose l’aide à passer la frontière suisse pour échapper au mandat d’arrêt lancé par la police saxonne. Wagner s’installe à Zurich, repart bientôt pour la France, revient en Suisse, lit beaucoup, écrit des essais théoriques (l’Art et la Révolution, l’oeuvre d’art de l’avenir), accueille indifférent l’arrivée de Minna, et oublie émeutes autant qu’émeutiers en rédigeant le livret de Wieland le Forgeron et en surveillant de loin la création de son dernier opéra, Lohengrin, que Liszt dirige à Weimar (1850). Il noue une intrigue rocambolesque avec la femme d’un négociant bordelais, Jessie Laussot, écrit le Judaïsme dans la musique (1850) et Opéra et Drame (1851). À Zurich, il dirige assez régulièrement et forme Hans von Bülow au métier de chef d’orchestre avant de l’envoyer étudier auprès de Liszt, auquel, entre deux pressantes demandes d’argent, il confie étouffer aux côtés de Minna. En même temps qu’il rédige Une communication à mes amis, il reprend son projet des Nibelungen et lui donne sa forme définitive : trois journées précédées d’un prologue (1851). Durant l’année 1852, il voyage beaucoup tout en achevant les poèmes de l’Anneau du Nibelung : soit, dans l’ordre de la représentation, l’Or du Rhin, la Walkyrie, Siegfried et le Crépuscule des dieux. En 1853, il donne des concerts, voyage encore (en Italie), tombe malade et rencontre Liszt plusieurs fois. Il se rapproche progressivement de la femme de son nouveau mécène (et voisin) Otto Wesendonck : avec Mathilde, profitant des absences de Minna et d’Otto, il a de longues conversations émues au cours desquelles il expose son enthousiasme tout neuf pour Schopenhauer et parle de son nouveau projet, Tristan et Isolde (1854). Se constitue à Zurich, autour de Wagner et Wesendonck, un groupe d’intellectuels : Herwegh, l’architecte Semper, Gottfried Keller sont les plus assidus. Le compositeur mène de front l’Anneau, Tristan, les esquisses des Vainqueurs (1856) et de Parsifal (1857), des tournées de concerts (certains avec Liszt) et des cures de santé. LA MATURITÉ CRÉATRICE.

La composition de Tristan est une période fondamentale dans la vie de Wagner : l’oeuvre marque en effet la prise de conscience violente, névrotique, des horizons ouverts au musicien par la révélation de son génie. Crise à multiples faces : matérielle, car Wagner vit pour une large part de la générosité d’amis ; affective, car son ménage se disloque, victime de l’inconstance foncière de Richard (quel que soit son talent pour travestir ses amours, où seul l’émeut le temps de la conquête, en tragédies « exemplaires ») ; philosophique, enfin, car, en étudiant Schopenhauer, Wagner relit ses propres ouvrages et leur découvre soudain des racines et des prolongements qu’il ne soupçonnait pas. Fasciné par la possibilité d’un système, il réalise l’ampleur de sa tâche : découragé par les exigences nouvelles qu’il entrevoit pour l’Anneau, il délaisse progressivement ce dernier au profit d’une oeuvre où il pourra déverser et maîtriser la fièvre qui le brûle en faisant l’expérience immédiate d’un langage nouveau ; l’étape est indispensable dans la réflexion entreprise par le compositeur sur la cohérence globale de sa production, mais elle l’est tout autant, sinon plus, dans l’immédiat, pour l’artiste cherchant désespérément une oeuvre qui lui apporterait succès et finances. Le 2 août 1857, il suspend la composition de Siegfried après avoir ébauché l’orchestration de l’acte II, et se consacre à Tristan et à sa passion pour Mathilde Wesendonck. Pour la nouvelle élue, il rédige cinq lieder pour piano et soprano (1857-58), les Wesendonck Lieder, alors que la jalousie de Minna provoque disputes et scandales. Wagner choisit de fuir à Venise, où il achève l’acte II de Tristan et entretient sa flamme en tenant un Journal destiné à Mathilde. À Lucerne il compose l’acte III (1859), semble guéri de son amour, mais sollicite encore les largesses d’Otto Wesendonck. Enfin, il part pour Paris où il séjourne presque sans interruption en 1860, préparant le public à une représentation de Tannhäuser par des concerts qui obtiennent un franc succès : quelques influents à la cour de Napoléon III, acquis downloadModeText.vue.download 1050 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE

1044 à la cause du compositeur, ont en effet obtenu de l’empereur la promesse d’une création exceptionnelle de l’oeuvre à l’Opéra de Paris, ce dont Berlioz, qui attend en vain d’être reconnu par ses compatriotes, tirera quelque amertume. Mais, après un nombre inouï de répétitions et d’exigences satisfaites, dans une atmosphère survoltée, Tannhäuser tombe sous les coups conjugués de la cabale, de la presse, et des réactions violentes du public aux sentiments anti-français de Wagner (13 mars 1861). Paradoxalement, si de nombreux artistes parisiens (Baudelaire, Gounod, Reyer, Théophile Gautier, Catulle Mendès) ont reconnu le génie de Wagner, les villes allemandes s’ouvrent soudain « au compositeur que les Français ont sifflé ». La situation matérielle de ce dernier ne s’améliore pas pour autant : ses ruses habituelles sont éventées, nul ne veut acheter les droits d’oeuvres qui ne se jouent pas. Pour lui permettre d’achever les Maîtres chanteurs, Wesendonck vient une fois encore à son secours (1862). À ce moment, Wagner, qui mène déjà de front deux aventures avec Mathilde Maier et Frédérique Meyer, flirte doucement avec la fille de Liszt, Cosima, qui a épousé Hans von Bülow. Il bénéficie enfin d’une amnistie totale, dont il profite peu : au cours de l’année 1863, il s’épuise en une série de concerts russes, hongrois, viennois, tchèques, allemands enfin, emportant dans ses bagages le projet d’un « théâtre des Festivals » (Festspielhaus) destiné aux représentations de l’Anneau. Criblé de dettes, épuisé, il échoue à Stuttgart le 28 avril 1864. C’est là que le rejoint un émissaire du jeune roi Louis II de Bavière (monté sur le trône le 10 mars), lequel lui offre l’aide et l’affection sans limite de son maître... ainsi que la liquidation de ses dettes par le royaume. À peine installé sur les bords du lac de Starnberg, Wagner prie Mathilde Maier de le rejoindre. Se heurtant à un refus, il invite alors la famille Bülow. Cosima précède Hans - et s’unit à Richard. « Sur ordre du roi », Wagner reprend l’Anneau. Louis II décide également d’édifier à Munich le théâtre dont rêve Wagner et en confie les plans à Semper. Mais Wagner est bientôt pris dans les rivalités de clans qui entourent le jeune roi. Pourtant, il a

la double joie d’apprendre la naissance de sa première fille, Isolde (1865-1919), fruit de sa liaison avec Cosima, et d’assister à la première de Tristan à Munich. En même temps, il commence à dicter à Cosima son autobiographie, Ma vie, et reprend Parsifal. Mais la cour se déchaîne contre lui, le rend responsable des égarements du roi, et il doit s’exiler en Suisse. Près de Genève, il esquisse une Mort de Roland, poursuit la composition des Maîtres et décide, avec Cosima, de s’installer à Tribschen, au bord du lac des Quatre-Cantons. Bülow, attentif à éviter tout scandale, demeure en poste à Munich pendant que Cosima multiplie les séjours auprès de Richard. Mais le scandale éclate, touchant Louis II, juste avant la naissance du deuxième enfant adultérin de Wagner, Eva (1867-1942). Cette même année, le compositeur achève les Maîtres, qui seront créés à Munich en 1868, alors que Cosima vient s’installer définitivement à Tribschen. Le couple y reçoit les visites assidues de Nietzsche, baptise son troisième enfant Siegfried (1869-1930) et vit, impuissant, les créations munichoises de l’Or du Rhin et de la Walkyrie, ordonnées par Louis II contre la volonté de l’auteur (1869 et 1870). La guerre franco-prussienne et la défaite des armées de Napoléon III donnent à Wagner une occasion de vengeance mesquine : mais la publication en France de son pamphlet Une capitulation conduira ses admirateurs d’outre-Rhin, soupçonnés de sentiments peu patriotiques, à se faire discrets : l’adjectif « wagnérien », forgé à cette époque, sent la botte prussienne ! Le 25 août 1870, soit un peu plus d’un mois après la prononciation du divorce de Cosima et Hans von Bülow, Wagner épouse à Lucerne la fille de Liszt, ce que Louis II, blessé dans son amitié exclusive, et Liszt, choqué par l’égoïsme de son ami, pardonneront lentement. Quatre mois plus tard, pour l’anniversaire de son épouse, Wagner fait exécuter en aubade Siegfried Idyll, qu’il vient d’achever. En 1871, Wagner décide d’établir son théâtre à Bayreuth, en pose la première pierre (1872) et s’installe dans la petite ville. Alors seulement il s’occupe de trouver l’argent nécessaire au financement de son entreprise, et fonde à cet effet les

Sociétés Wagner (Wagnervereine). Mais celles-ci se révèlent si peu efficaces, et les démarches effectuées par ailleurs si infructueuses, qu’il faudra une nouvelle fois l’aide de Louis II, accordée sans compter, pour sauver le Festspielhaus. Pendant ce temps, Nietzsche prend de la distance, mais Wagner ne fait aucun effort pour reconnaître l’originalité de son disciple et persiste à attendre que la crise passe d’ellemême. En 1874, le Crépuscule des dieux, dernier volet de l’Anneau, est achevé. Wagner prend possession de la villa Wahnfried, presque entièrement payée par Louis II, et organise les répétitions (1875). Le premier Festival de Bayreuth, consacré à l’Anneau, se déroule au cours de l’été 1876 ; mais le déficit est tel qu’il interdit tout nouveau festival l’année d’après... et les années suivantes. Dès lors, Wagner partage son temps entre Bayreuth et l’Italie, composant lentement Parsifal et divers essais (Religion et Art, 1880 ; Héroïsme et Christianisme, 1881). En même temps, il espère avoir le temps de produire les Vainqueurs et... neuf symphonies. Mais la maladie l’accable : il assiste à la création de Parsifal (Bayreuth, 1882) dans un état de fatigue extrême, et meurt quelques mois plus tard à Venise, d’une crise cardiaque. Son état général le condamnait : à divers maux d’origine psychosomatique (érésipèle, dysenteries, refroidissements fréquents) s’ajoutaient d’importants troubles de la vue et du système nerveux ; les organes vitaux (coeur, foie, reins) étaient tous atteints, et c’est un vieillard exténué que l’on enterra dans le jardin qui jouxte sa villa Wahnfried à Bayreuth. LE THÉÂTRE LYRIQUE, LIEU D’INITIATION. On ne comprendrait rien au génie de Wagner si l’on ne voulait voir en lui qu’un compositeur d’opéras parmi les plus joués du répertoire. Obsédé toute sa vie par la fondation d’une école, Wagner considérait le théâtre lyrique comme le lieu d’une initiation. C’est en ce sens qu’il faut comprendre les termes « jeu scénique solennel » (Bühnenfestspiel) et « jeu scénique solennel sacré » (Bühnenweihfestspiel) attachés à l’Anneau et à Parsifal. La fusion entre les différents arts (poésie, musique, théâtre, danse) obéit par conséquent à un projet pour l’homme, dont Wagner a tenté

de définir les lignes dans ses différents essais théoriques : il s’agit, pour commencer, de débarrasser l’Allemagne de ses aspirations troubles, d’évacuer les démons (juifs pour la plupart) importés d’Europe au temps de l’Aufklärung. On restaurera ainsi un nouveau berceau de civilisation, où pourront se régénérer et se reconnaître un peuple, une génération, une époque. Alors que le rationalisme de l’Aufklärung ramenait l’art à une imitation de la Nature, le génie allemand dégagera une vérité au-delà des apparences. Une telle attitude, recherche constante de l’identité individuelle en relation avec l’appartenance au Tout, est, selon Wagner, l’expression la plus haute de la vraie foi ; elle définit une communauté nationale, terme plus mystique que politique, mais dont il conviendra de traduire politiquement l’impérieuse nécessité. La tragédie, alpha et oméga de tous les autres arts (tous viennent d’elle et tendent à y retourner), apparaît au compositeur le meilleur moyen d’aider les hommes à communier au spectacle de leur propre aventure : ils s’y reconnaîtront, prendront conscience d’une même détresse. Dès lors, ils n’auront de cesse de mettre un terme à leur errance souffrante en se regroupant derrière un chef capable de porter le poids de l’exigence spirituelle de ses sujets et de la traduire en actes. L’artiste, au cas où le souverain oublierait ce devoir sacré, interviendra pour éclairer l’âme de ceux qui cherchent et les guider provisoirement. C’est ce rôle que downloadModeText.vue.download 1051 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1045 Wagner estime jouer à son époque. Et si le compositeur ne formula clairement les principes du drame musical qu’au moment où il construisait l’Anneau du Nibelung, toutes ses oeuvres antérieures, à compter du Vaisseau fantôme, conduisent à cette alchimie où le texte devient musique, la musique action et l’action théâtre. UN LANGAGE PERSONNEL. Il n’est pas indifférent, bien au contraire, que Wagner ait été le premier compositeur

à écrire lui-même ses livrets. L’unité de sa pensée créatrice demeurant assurée, les livrets furent naturellement rédigés, dans leur durée comme dans leur structure, en fonction de la partition à venir. Restant maître de son temps dramatique, Wagner renonça progressivement au découpage traditionnel des opéras en airs, récitatifs et ensembles. Plus exactement, il rejeta leur juxtaposition arbitraire pour les réintroduire dans la continuité du drame, dont le déroulement ne pouvait être rythmé par des numéros au rôle trop précis : celui, par exemple, d’assurer à chaque soliste, en quantité équivalente, des « moments de bravoure ». Rejetant de même la succession de mélodies autonomes, il crée la mélodie continue, tout entière issue du discours et le soutenant. Il est ainsi conduit à inscrire le mouvement musical dans de longs espaces de temps, qu’il baptise « actes » sans rechercher pour eux une terminologie nouvelle : comment, d’ailleurs, qualifier les quatre tableaux de l’Or du Rhin, exécutés sans interruption ? C’est l’alternance des rythmes qui structurera la partition du drame musical, reproduisant une sorte de respiration tout à la fois physique et intellectuelle. De ce point de vue, le rythme de la phrase musicale est lié à celui de la phrase écrite. L’alternance des sonorités, des consonnes et voyelles, la sonorité propre de la phrase induisent son traitement musical, pléonastique, complémentaire ou contradictoire, faisant du texte lui-même une partition. Au balancement régulier de la poésie classique allemande (Goethe, Schiller, etc.), qu’il imite au début, Wagner substitue bientôt un langage plus personnel. Retrouvant, peut-être inconsciemment, le Stabreim du Moyen Âge allemand, il est le premier à utiliser rationnellement les multiples possibilités de la langue allemande dans un but musical. Il remplace la rime par une succession d’allitérations qui rythment des phrases à la syntaxe très libre. Le procédé culminera dans Tristan, mais ne figurera plus dans les Maîtres (rimés) que de manière négligente ou narquoise. Quant au texte de Parsifal, il n’obéit plus à d’autre règle que celle d’une musicalité propre, sereine, comme parfaitement maîtrisée : la lente minutie avec

laquelle Wagner composa la partition explique sans doute l’adéquation parfaite entre notes et mots. Il est enfin le premier à avoir utilisé la respiration ou le cri comme modèles pour un développement musical, le premier aussi à caractériser des personnages par l’emploi exclusif de certaines sonorités verbales. La musique elle-même est action : les préludes et ouvertures ne sont plus de simples morceaux symphoniques plus ou moins bien accrochés à l’oeuvre ; ils résument l’action passée ou à venir, introduisent en un lieu, préparent un climat, annoncent un personnage ou un événement, et ne se contentent plus d’exposer les thèmes des airs principaux. Certes, l’éthique de la philosophie allemande a toujours chargé la musique d’un sens qui dépasse le plaisir de l’oreille : venant après Weber et Beethoven, Wagner voyait sa route tracée. Il lui revient de l’avoir explorée complètement. Le rôle ainsi dévolu à la partition est tout d’abord permis par l’emploi systématique du leitmotiv, ou motif conducteur. Chaque personnage, dans les différents aspects de son histoire ou de sa personnalité, chaque sentiment, objet, situation, se voient attacher un thème, parfois réduit à quelques notes, ou à un accord, voire à une tonalité ou une structure rythmique. Chaque motif est susceptible d’altérations, de renversements, d’autant de modifications qu’il sera nécessaire pour traduire musicalement l’évolution d’une pensée. Il ne s’agit pas d’une « carte de visite » ou d’un commentaire pléonastique, mais bien d’un langage parallèle. Toutefois, Wagner ne comprit qu’avec l’Anneau tout le parti qu’il pouvait tirer du motif conducteur. L’ouverture du Vaisseau fantôme expose les thèmes du Hollandais, du Rachat par l’amour et du Choeur des matelots, mais ils reviendront dans la partition sous la même forme et dans la même orchestration, utilisés plus comme repères mnémotechniques que pour préciser la psychologie des héros. Tannhäuser et Lohengrin témoignent d’une lente évolution : l’augmentation du nombre des leitmotive permet naturellement de diversifier leurs fonctions. Mais, de l’Or du Rhin à Parsifal, Wagner ne cessera de raffiner son système, en liaison avec les progrès de son langage orchestral. Car le rôle dévolu à l’orchestre est bien entendu fondamen-

tal, et pas seulement parce que l’orchestration, elle aussi, sert aux variations des motifs. Le drame musical exige en effet de l’orchestre une participation constante aux fluctuations de l’action. À dire vrai, Wagner a peu innové en matière d’orchestre : il emploie celui de Beethoven (le Beethoven de la 9e Symphonie) en renforçant les pupitres de cuivres. Ses trouvailles en matière de coloris et d’alliages de timbres viennent plutôt de la révolution qu’il introduit dans l’harmonie. La cassure, cette fois encore, se situe au niveau de Tristan. Jusque-là, Wagner est fondamentalement tonal, modulant peu, même si l’écriture harmonique se complique au fur et à mesure qu’il acquiert du métier. Non que Tristan échappe réellement aux lois de la tonalité, mais Wagner y rompt avec Beethoven (accords parfaits, tonalités précises, cadences stables, etc.) pour retrouver Bach et exacerber le chromatisme. L’écriture devient contrapuntique, chaque partie acquiert son autonomie, et les leitmotive circulent librement de l’une à l’autre, donnant à la trame musicale une animation constante. Souvent, Wagner affleure la bitonalité : cette incertitude savamment calculée le conduit à utiliser de préférence appoggiatures, altérations, notes de passage, et surtout les accords de septième et de neuvième, soumis à un travail complexe et novateur quant à leur agencement. Tristan, en particulier dans l’acte III, donne donc l’exemple : il n’en faudrait pas croire pour autant que, dès ce moment, Wagner n’évoluera plus : les Maîtres apparaissent essentiellement diatoniques, tandis que Siegfried (pour l’acte III) et le Crépuscule des dieux, d’une part, Parsifal, d’autre part, seront soumis à des recherches assez différentes quant à la polyphonie, l’art de moduler, de structurer les cellules musicales, d’orchestrer enfin. L’ACTION MUSICALE DEVIENT THÉÂTRE. Quelques exemples suffisent à le faire comprendre. La partition peut, tout d’abord, servir de « véhicule spatio-temporel « ; les interludes de l’Or du Rhin, le voyage de Siegfried sur le Rhin qui lie, dans le Crépuscule des dieux, le prologue à l’acte I, les interludes de Parsifal au cours desquels « le temps devient espace » ne sont pas des pièces symphoniques à programme : ils

mêlent à la description des lieux traversés la transformation qui s’opère dans l’esprit des héros. Plus significative encore est la marche funèbre du Crépuscule : bâtie sur les motifs attachés à l’histoire de Siegfried, elle est l’occasion pour la foule (public compris) de réfléchir à la valeur de la mort du héros. Plusieurs effets dramatiques, en second lieu, impliquent leur visualisation : au deuxième acte de Siegfried, le sang du dragon qui éclabousse la main du héros permet à ce dernier de comprendre le sens caché des paroles de Mime, le nain qui veut l’empoisonner ; si le public est mis dans la confidence, l’acteur qui tient le rôle du Nibelung doit jouer le contraire de ce qu’il chante. D’une manière générale, c’est d’ailleurs le rapport dialectique du texte et de la musique qu’il importe de visualiser par la mise en scène. Enfin, l’outil qu’est devenu le théâtre de Bayreuth a permis à Wagner de pendownloadModeText.vue.download 1052 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1046 ser différemment la musique : l’étagement des choeurs dans la coupole de Montsalvat, prévu par la mise en scène (Parsifal, acte I), est directement responsable du son que le compositeur a imaginé, en fonction de l’acoustique du Festspielhaus. « L’orchestre invisible » de Bayreuth autorisa d’ailleurs le gonflement des pupitres de cuivres, parce que la disposition des instrumentistes dans la fosse (cuivres et percussions au bas des gradins, seconds violons avec le F tourné vers le devant de l’orchestre, premiers violons avec le F vers l’arrière) réalisait un équilibre du son unique en son genre. Cet équilibre, que Wagner a voulu pour l’Anneau, en fonction duquel il a orchestré Parsifal, avantage naturellement les chanteurs. En ce qui concerne ces derniers, il est utile, pour savoir ce que Wagner attendait d’eux, de rappeler l’adoration qu’il vouait à Wilhelmine Schröder-Devrient. Il reconnaissait ses limites (une voix usée, peu virtuose), mais restait confondu devant son tempérament de tragédienne. De même, parlant de Schnorr von Carosfeld, le créateur de Tristan, il louait « une voix

pleine, sensible et brillante, instrument à la disposition d’une tâche intellectuelle parfaitement maîtrisée », et consacrait plus de temps à détailler l’interprétation dramatique du ténor que ses prouesses vocales. Les témoignages précis sont rares sur la manière dont dirigeait Wagner : de sa volonté, maintes fois affirmée, de libérer le tempo de la mesure, de son souci de préserver avant tout la clarté et l’intelligibilité du texte, du soin apporté à l’acoustique du Festspielhaus, on peut légitimement conclure qu’il refusait déclamation hachée, à bout de souffle, autant que boursouflures orchestrales. La « tradition » instituée par Cosima, le faible intérêt porté longtemps aux textes et aux indications de Wagner, l’idée, trop répandue, que l’orchestre wagnérien doit sonner avec force, l’apparition de chanteurs aux moyens vocaux surdimensionnés, voire même les progrès des techniques d’enregistrement, ont fait oublier le vrai visage du chant wagnérien. Sans doute Wagner n’a-t-il pas vécu assez pour constituer une distribution idéale : mais Carosfeld, Marianne Brandt (créatrice de Kundry), Franz Betz (créateur de Sachs et Wotan), Karl Hill (créateur d’Alberich et Klingsor), Gustav Siehr (créateur de Hagen et Gurnemanz) ou Theodor Reichmann (créateur d’Amfortas) correspondaient vraisemblablement à ses désirs. Il semble d’ailleurs que Wagner a su très tôt définir les types vocaux dont il avait besoin ; Senta, le Hollandais ont pratiquement servi de modèles à tous les développements ultérieurs du soprano et du baryton-basse wagnérien : une tessiture assez étendue mais n’exigeant aucune « pyrotechnie vocale », un grave sonore, un aigu éclatant, un médium richement coloré. Pour les ténors, en revanche, après l’imitation de Lortzing et Flotow (Erik du Vaisseau) ou de l’opéra italo-français (Tannhäuser), il opte pour une voix de tessiture peu large (l’ultime aigu est généralement au la, en dépit de l’ut inscrit au Crépuscule des dieux), mais tendue, nécessitant souplesse, sonorité et endurance ; c’est pourquoi Wagner enseigna surtout à ses interprètes l’art de la respiration naturelle du chant : il leur suffisait de suivre intelligemment le texte pour vaincre les difficultés de la partition. Il savait vraisemblablement à quoi s’en

tenir, lui qui avait écrit pêle-mêle texte, chant et mise en scène, guidant aussi (ce qui est capital) la baguette de ses chefs d’orchestre attitrés (Bülow, Richter, Levi, etc.). Mais ce précieux conseil fut vite oublié. Certes, Wagner dut compter avec l’horizon musical d’où venaient ses premiers interprètes (Tischatschek était un rossinien idéal, mais il défendit Rienzi et Tannhäuser ; Carosfeld étincelait dans Robert le Diable lorsqu’il aborda Tristan) ; mais c’est précisément cette richesse d’inflexions que le compositeur s’efforça d’inculquer à Niemann, Vogl, Unger, Gudehus, Winckelmann (qui, à Bayreuth, furent les ténors de l’Anneau et de Parsifal), qu’il fut heureux de rencontrer chez Marianne Brandt (laquelle chantait aussi Elvire de Don Giovanni), voire chez Lili Lehmann. LA POLYMORPHIE DU DISCOURS. Il demeure que l’exégèse concernant les opéras de Wagner, le sens du message que les interprètes sont censés véhiculer n’a cessé de se compliquer, et ce dès l’époque du compositeur. Survivant aux remises en question les plus radicales comme aux récupérations idéologiques, elle a donné naissance à une abondante littérature, à l’édification de chapelles, attirant dans son orbite, avec plus ou moins de bonheur, tous les systèmes d’analyse possibles. Cette volonté de mettre en lumière les différentes sources de l’écriture wagnérienne et les différentes possibilités de sa lecture a paradoxalement souvent abouti à des schémas d’explication fort réducteurs dans leur désir de trouver l’unique clef ouvrant toutes les portes du wagnérisme. C’est dire à quel point la polymorphie du discours wagnérien pose problème, à quel point aussi il est capable de renvoyer à toutes les époques l’image de ses certitudes et de ses inquiétudes et, par là, d’échapper aux modes. Il est difficile en tout cas de ne pas se demander dans quelle mesure, à la cohérence de la trame dramatique des opéras de Wagner, répond une cohérence de la pensée qu’ils mettent en scène. La rigueur de l’enchaînement des scènes et des actions, la fascination exercée par l’orchestre et le chant peuvent masquer le fond du discours, soit en lui donnant une évidence émotionnelle qu’il ne possède pas rationnellement, soit en l’introduisant subrep-

ticement alors que l’attention du public reste braquée sur des événements jusquelà présentés comme essentiels. On s’aperçoit aisément en effet que le finale des opéras wagnériens contient une accélération brutale de la pensée, un déplacement soudain de la problématique, insidieusement masqués par l’agitation surabondante de l’action ou son apaisement. Comme si l’auteur, ayant mené jusque-là un discours souterrain parallèle, éprouvait quelque peine à affirmer clairement le choix effectué in fine entre les différents raisonnements, quelque hésitation à attirer l’attention sur ce qu’il considère désormais comme essentiel, entendons sur le personnage soudainement parvenu au premier plan : celui qui tire la leçon des événements, ne se contente pas d’achever l’action mais fait en sorte qu’elle ne puisse plus jamais avoir lieu, celui qui écarte le danger du recommencement, celui qui sauve. Wagner entrecroise donc, au cours d’une même action, plusieurs parcours. Celui, tout d’abord, de deux héros déstabilisés et déstabilisateurs. La réaction, en second lieu, d’une société qui, perturbée par la présence en son sein ou à ses frontières des deux hors-la-norme, tente de résister au vertige, se crispe ou s’abandonne, cherche à reconstituer son unité. L’intervention, enfin, d’une tierce personne qui, par son sacrifice, permet une certaine forme de réconciliation. Les sociétés que présente Wagner sont généralement décadentes, au sens tout au moins où il entend le mot : elles ont oublié le sens profond des lois qui les gouvernent, elles ont perdu le secret de leur origine divine. Gangrenées par des apports étrangers impurs, elles sont victimes de ceux qui profitent des hésitations de la conscience collective pour détourner le pouvoir au profit de leurs ambitions propres. Les héros apparaissent dès lors comme les premières victimes de ce déracinement : images d’un monde coupé de son origine, oublieux de son sens (sa signification mais aussi son histoire), ils en vivent les contradictions de manière exacerbée. C’est à leur malheur que Wagner nous permet d’assister, ne négligeant aucun aspect de cette pathologie. C’est sur eux qu’il attire l’attention du public, sans jamais le détromper : car si les héros se révoltent et se présentent en dénonciateurs

du monde organisé, si Wagner les accompagne scrupuleusement, l’auteur se garde bien jusqu’à la fin d’indiquer l’essentiel, à savoir que si leur aventure est exemplaire, ce n’est point tant parce qu’elle est digne d’être imitée, mais parce qu’elle est révélatrice d’un besoin. On assiste donc downloadModeText.vue.download 1053 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1047 aux tentatives désespérées des héros pour échapper aux tortures du monde : cette attitude, loin d’être salvatrice, conduit à la pire angoisse. Elle sert peut-être le destin individuel des héros, mais en aucun cas celui de l’humanité. L’intervention d’une tierce personne est donc nécessaire, afin d’organiser la violence issue de la crise et de donner un sens à la souffrance. Dans un premier temps, Wagner confie ce rôle à Dieu, réellement deus ex machina venant réconcilier l’apparemment inconciliable, récupérer la dénonciation du monde au profit de sa consolidation. Par la suite, Wagner introduira un troisième héros, évoluant de manière souterraine. L’ambiguïté, déjà dénoncée par Nietzsche, vient de ce que Wagner s’avère incapable de présenter de manière positive une théorie du renoncement et de la béatitude : le bouddhisme qui devait inspirer les Vainqueurs a vite cédé devant les sortilèges hautement dramatiques qu’offrait la passion chrétienne. En conséquence de quoi, Wagner estime préférable d’exacerber l’angoisse et les douleurs nées du vouloir-vivre, imaginant que, par contrecoup, celui qui annoncera son renoncement en paraîtra plus grand et plus héroïque. Il n’empêche que le théâtre wagnérien se nourrit essentiellement de la souffrance, et que Wagner se montre fort discret quant à la philosophie et à l’organisation sociale qui jailliront du renoncement. Car c’est bien de renoncement qu’il s’agit : hanté par la possibilité toujours offerte du péché (être coupé de Dieu), Wagner en vient à dénoncer l’instrument de ce péché : la femme, moteur de l’Histoire humaine, nécessaire pour précipiter l’homme dans le doute, nécessaire à sa prise de conscience, à son retour sur

soi, mais soudainement inutile et dangereuse dès que le contact est renoué avec Dieu (avec les autres hommes), dès que l’Histoire prend fin et que se reconstitue l’âge d’or. Au contraire de Nietzsche qui exaltait l’éternel recommencement de tout, Wagner se crispe violemment sur un acquis : il dénonce les moteurs du désir, il dénonce le désir lui-même qui condamne l’individu à oublier son appartenance à un Être originel et le précipite dans une quête insensée du soi. Ce n’est pas au travers de la multiplicité des expériences que l’homme acquiert sa totalité mais, bien au contraire, par l’éradication brutale des apparences trompeuses nées de la création. Il faut désirer un état, celui de l’originelle totalité, dans lequel le désir, né de la multiplicité, n’existe plus. Car, pour Wagner, toute création est imparfaite, donc mauvaise, parce que Dieu n’a pu créer qu’en se mutilant. Il faut donc mettre fin aux individus. Mais, condamné par les lois de son théâtre à mettre l’accent sur l’individu, Wagner a quelque honte à avouer qu’en réalité son théâtre aboutit à une négation farouche de l’individu. Or, mettre en scène pareille contradiction revient parodoxalement à justifier encore Bayreuth, qui se nourrit ainsi pour survivre de sa propre dénonciation. On ne peut avoir raison du phénomène wagnérien. WAGNER (Wolfgang), troisième enfant de Siegfried Wagner (Bayreuth 1919). À partir de 1951, il partagea avec son frère Wieland la direction du Festival de Bayreuth. En 1961, il délaissa la mise en scène pour se consacrer à la gestion administrative de l’entreprise. La mort de Wieland, en 1966, fit de lui le seul responsable du Festspielhaus. Ses propres réalisations nouvelles, par lesquelles il remplaça progressivement les productions de son frère, différaient assez sensiblement, en dépit d’une évidente parenté décorative, de celles du disparu. Elles se signalaient par une utilisation très colorée des techniques d’éclairage et de projection qui lui servirent surtout à illustrer de façon assez banale des oeuvres dont il neutralisait les arrière-plans idéologiques.

Or l’accélération culturelle provoquée par l’année 1968, l’émergence de nouveaux lieux wagnériens où se manifestait le désir d’en revenir à la reconstitution d’un quotidien légendaire très traditionnel par le biais d’un plus grand réalisme émotif (comme le fera Karajan à Salzbourg), l’intérêt nouveau, enfin, porté à l’opéra par des chercheurs venus d’horizons très divers étaient autant de raisons de remettre en cause un style d’interprétation qui ne pouvait même plus prétendre équilibrer la tradition du carton-pâte et les recherches esthétiques ou idéologiques des nouveaux venus. Reconnaissant qu’il ne pouvait maintenir seul le rôle d’atelier du théâtre lyrique dévolu au Festival, Wolfgang engagea des metteurs en scène de toutes tendances sans pour autant renoncer à ses propres travaux. Cette politique a contribué à renouveler profondément le public du Festspielhaus ; elle a, en outre, permis à Bayreuth de retrouver sa place au premier rang des festivals. En contrepartie, elle a engendré de notables différences de qualité entre les spectacles. Il a publié ses Mémoires en 1995. WAGNER-REGENY (Rudolf), compositeur allemand d’origine roumaine (Szasz-Regen, Transylvanie, 1903 - Berlin-Est 1969). Il étudia à Leipzig (1919) et à Berlin (1920), et fut naturalisé en 1930, après s’être fait connaître par de courtes pièces théâtrales comme Sganarelle oder Der Schein trügt, d’après Molière (Essen, 1929) ou Der nackte König, d’après Andersen (Gera, 1930). En 1935, son opéra Der Günstling (d’après Hugo) fut créé avec succès à Dresde, mais Die Bürger von Calais, d’après Froissart (Berlin, 1939) et surtout Johanna Balk (Vienne, 1941) suscitèrent la réprobation du régime national-socialiste. Après 1950, il enseigna à Rostock et à Berlin-Est, et développa une conception personnelle de la technique sérielle. Il écrivit alors l’oratorio scénique Prometheus (Cassel, 1959) l’opéra Das Bergwerk zu Falun (Salzbourg, 1961), et diverses partitions instrumentales. WALCHA (Helmut), organiste allemand (Leipzig 1907 - Francfort-sur-le-Main 1991).

Élève de Günther Ramin, il devint complètement aveugle vers l’âge de seize ans, et, en 1929, fut nommé organiste de la Friedenskirche (église de la Paix) à Francfort. En 1933, il devint professeur au conservatoire de Francfort, et, en 1938, il fut nommé à l’Académie nationale de musique. En 1946, il devint aussi titulaire de l’orgue de la Dreikönigskirche (église des Trois-Rois) de Francfort. C’est à cette date qu’il prit la direction du Centre d’études Bach à l’université de Francfort. Il y fonda l’Institut de musique sacrée, et en devint directeur en 1947. Admirable technicien de l’orgue baroque, il donne de nombreux concerts en Allemagne et à l’étranger, et a interprété au disque l’oeuvre pour orgue de Jean-Sébastien Bach et de ses prédécesseurs. On lui doit des éditions de Bach et Haendel, des articles et quelques compositions. WALCKER. Importante famille de facteurs d’orgues allemands, établis depuis 1871 et aujourd’hui fixés à Ludwigsburg. En près d’un siècle d’activité, la firme Walcker a construit plus de 5 000 instruments, dans l’Europe entière, mais aussi en Amérique du Nord et du Sud, et au Japon. Le plus important est le nouvel orgue de SaintMichel de Hambourg (164 jeux sur 5 claviers, 1912). Elle a su évoluer au cours des âges et maintenir ainsi sa suprématie en Europe, malgré le renouvellement des tendances esthétiques. De nos jours, elle a contribué au mouvement de retour au classicisme. WALDSTEIN (Ferdinand, comte von), mécène et compositeur germanotchèque (Dux [Duchov], Bohême, 1762 Vienne 1823). Arrivé à la cour du prince-Électeur de Cologne à Bonn en janvier 1788, il fut reçu dans l’Ordre teutonique en juin, et se lia d’amitié avec le jeune Beethoven. En 1791, le Ritter ballet (Wo01) de Beethoven fut attribué dans un compte rendu de la cour à Waldstein lui-même, qui peut-être en downloadModeText.vue.download 1054 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1048 avait composé certains thèmes. Lors du

départ de Beethoven pour Vienne en novembre 1792, c’est Waldstein qui écrivit sur son carnet la fameuse phrase : « Par une application incessante, recevez l’esprit de Mozart des mains de Haydn ». Une douzaine d’années plus tard, Beethoven dédia à Waldstein sa Sonate pour piano no 21 en ut majeur op. 53, composée pour l’essentiel début 1804 et parue à Vienne au Bureau des arts et d’industrie en mai 1805. WALDTEUFEL (Emil), pianiste et compositeur français (Strasbourg 1837 - Paris 1915). Il commença ses études musicales à Strasbourg, mais fut l’élève de Marmontel et de Laurent au Conservatoire de Paris. Il débuta en faisant éditer quelques valses qui eurent du succès. En 1865, il était nommé pianiste de la chambre de l’impératrice Eugénie, et fut chargé d’organiser les festivités, en particulier les bals, aux palais des Tuileries et de Compiègne. Il dirigea également jusqu’à la guerre de 1870 les bals de l’Opéra. Il se consacra uniquement à la musique de danse et ne cessa d’écrire des valses jusqu’à sa mort. Après la guerre de 1870 et la chute de l’Empire, il dirigea les orchestres des grands bals de Paris. On le surnommait « le Strauss français ». WALLEZ (Jean-Pierre), violoniste et chef d’orchestre français (Lille 1939). Au Conservatoire de Paris, il obtient deux premiers prix (violon et musique de chambre). Il est lauréat de plusieurs concours internationaux (Long-Thibaud en 1957, Genève en 1958, 1er Prix du Concours Paganini de Gênes en 1960), et la première partie de sa carrière est consacrée au violon. D’abord membre de la Société des concerts du Conservatoire (1961 à 1963), puis de l’orchestre de l’Opéra et de l’Opéra-Comique (de 1962 à 1974), il est ensuite premier violon solo à l’Orchestre de Paris (1975 à 1977). Il fonde son propre ensemble, l’Ensemble instrumental de France, qu’il dirige de 1968 à 1983. En 1978 se constitue sous son impulsion l’Ensemble orchestral de Paris, qu’il dirige jusqu’en 1986. Directeur du Festival et de l’Académie d’été d’Albi de 1974 à 1990, il est nommé en 1985 professeur au Conservatoire de Toulouse, et en 1987 à celui de Genève. WALSH (John), éditeur anglais (mort à Londres en 1736).

D’abord facteur d’instruments, il se lança dans l’édition en 1696 et y réussit d’autant mieux que la concurrence était alors inexistante. Il fut notamment l’éditeur de Haendel. Son fils, également prénommé John (mort à Londres en 1766) lui succéda. WALTER (Anton), facteur de pianos allemand (Neuhausen-an-der-Fildern, Souabe, 1752 - Vienne 1826). Installé à Vienne avant 1780, il travailla au début de 1781 douze jours à Eszterháza à la réparation de clavecins et de divers instruments à clavier, et construisit des pianoforte célèbres pour le raffinement de leur mécanisme, répondant aux exigences des interprètes virtuoses, et particulièrement appréciés de Mozart dans ses dernières années. WALTER (Bruno W. Schlesinger, dit Bruno), chef d’orchestre américain d’origine allemande (Berlin 1876 - Hollywood 1962). Il fait ses études au conservatoire Stern de Berlin et se produit comme pianiste en 1886. Dès ses débuts à l’Opéra de Cologne en 1894, il révèle des dons éclatants de chef lyrique, qu’il confirme à l’Opéra de Hambourg, de 1894 à 1896. Il y rencontre Gustav Mahler, qui lui ouvre les portes du Hofoper de Vienne, où il est chef d’orchestre de 1901 à 1912, après avoir dirigé à Breslau, Presbourg, Riga et Berlin. Successeur de F. Mottl comme directeur général de la musique à Munich, de 1913 à 1922, il y dirige notamment les festivals Wagner et Mozart et se voit régulièrement invité à Salzbourg, à partir de 1922, et à Londres, de 1924 à 1931. Directeur général de la musique à l’Opéra de Berlin, à partir de 1925, chef de l’orchestre du Gewandhaus de Leipzig, à partir de 1929, Bruno Walter choisit l’exil en 1933, d’abord à Vienne, où il dirige le Staatsoper de 1936 à 1938, puis en France en 1938 et aux États-Unis en 1939. Naturalisé américain en 1946, il accepte de diriger de 1947 à 1949 la Philharmonie de New York et se produit régulièrement au Met, notamment de 1941 à 1945 et lors des saisons 1950-51 et 1956-57. Entre 1948 et 1960, il fait de fréquentes tournées en Europe, dirige pour la dernière fois à Paris en 1956 et consacre ses dernières années à compléter sa discographie.

Mahlérien de la première heure, il a créé le Chant de la Terre et la Neuvième Symphonie, en 1911 et 1912, et écrit en 1932 un essai ému sur son maître. Beethoven, Brahms, Bruckner et surtout Mozart, qu’il servit aussi bien comme pianiste que comme chef, furent ses autres passions. L’oeuvre du compositeur, pour l’essentiel deux symphonies, des lieder, un quatuor, un trio, s’est effacée derrière la carrière du chef. Ses interprétations, spontanées et lumineuses, recèlent un charme subtil, qui échappe à la pesanteur du temps et des chapelles, à force de ferveur. WALTHER (Johann), compositeur allemand (Kahla 1496 - Torgau 1570). Tout en servant le prince-Électeur de Saxe, il se prit d’amitié pour Martin Luther, qui commençait à prêcher la Réforme, et compta parmi les premiers musiciens du mouvement. En 1524, Luther écrivit la préface de son ouvrage le Geistlich Gesangbüchlein. Parallèlement, Walther chantait la partie de basse dans la maîtrise du prince de Saxe, et, l’année suivante, prenait la direction de la même maîtrise à Torgau. Bien que le Corpus musicum du souverain ait été supprimé en 1530, le compositeur se fixa dans cette localité et y fonda la première société de chant allemande. Au rétablissement de la chapelle électorale à Dresde, en 1548, il en prit à nouveau la direction jusqu’en 1554, date à laquelle il se retira à Torgau, pensionné par le prince, sans cesser de composer dans la stricte continuité luthérienne. Walther se situe dans le droit fil de la grande tradition franco-flamande, illustrée par Josquin Des Prés (le musicien préféré de Luther) et Isaak. Mais les particularismes de l’école allemande sont sensibles dans ses lieder, les uns homophones à quatre voix, les autres polyphoniques, à cinq et même six voix. Tout à la fin de sa vie, Walther, qui fut aussi le principal artisan de la Messe allemande (Deutsche Messe) voulue par Luther, composa les premiers motets de chorals affranchis de la règle du cantus firmus et les premiers psaumes allemands. Son oeuvre comprend de nombreux motets, un Magnificat, une Passion selon saint Matthieu, prototype de la passionrépons en Allemagne, et des mélodies de chorals (deux recueils seront imprimés en

1552 et 1561, avec le célèbre cantique sur le choral de Luther Von Himmel hoch). Il a également laissé un important poèmeépitaphe sur la mort du réformateur, et son travail comme maître de choeurs à Torgau en fait le premier cantor de l’histoire de la musique luthérienne, un modèle qui se perpétuera jusqu’à l’époque de Jean-Sébastien Bach et au-delà. De ce point de vue, son influence a été grande, même hors des pays germaniques, et la musique protestante a trouvé, avec lui, un ton naturel et des harmonisations simples et chantantes dont Goudimel, en France, fera son profit. WALTHER (Johann Gottfried), organiste, compositeur et lexicographe allemand (Erfurt 1684 - Weimar 1748). Élève de Johann Bernhard Bach, il a subi, par son intermédiaire, l’influence - déterminante dans l’Allemagne centrale - de Johann Pachelbel. Organiste à Saint-Thomas d’Erfurt de 1702 à 1707, il obtint en 1707 le poste important de maître de tribune à Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Weimar. Durant les années que Jean-Sébastien Bach passa dans cette ville comme maître de chapelle (1708-1714), Johann Gottfried Walther appartint au petit cercle de ses familiers et amis. Ses contempodownloadModeText.vue.download 1055 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1049 rains (notamment le célèbre Mattheson) semblent l’avoir tenu en grande estime, comme compositeur d’abord (pièces vocales, pièces pour orgue dont des toccatas, préludes et fugues et paraphrases de mélodies de chorals qui jettent un pont entre Pachelbel et les organistes de l’école nordallemande comme Buxtehude et Vincent Lübeck, etc.), comme musicographe ensuite (son Musikalisches Lexikon, publié en 1732, est le premier dictionnaire musical en allemand, et le premier aussi à donner des articles biographiques sur les auteurs du temps). À ce titre, Walther apporte une documentation de première main sur la vie musicale de son siècle. WALTHER (Johann Jacob), compositeur et violoniste allemand (Witterda, près d’Erfurt, 1650 - Mayence 1717).

Il passa ses années d’apprentissage en Italie pour revenir en Allemagne comme premier violon à la cour de Dresde en 1674. En 1688, il passa au service de l’Électeur de Mayence comme secrétaire à la cour (Hofsekretär), sans obligation musicale d’ailleurs. Il fut l’un des rares instrumentistes allemands à soutenir la comparaison avec les plus célèbres virtuoses italiens du temps. Il a publié des Scherzi da violino solo, con il basso continuo ( 1676) et aussi Hortulus chelicus uno violino duabus, tribus et quatuor subinde chordis simul sonantibus harmonice modulanti (1688) qui ne le cèdent en rien - en technique et en mélodisme - à la manière transalpine. WALTON (sir William), compositeur anglais (Oldham 1902 - Ischia 1983). Il étudia à Oxford, et s’imposa par un quatuor à cordes joué au Festival de la S. I. M. C. à Salzbourg en 1923 et immédiatement retiré par lui, et surtout par Façade pour récitant et six instruments sur un texte d’Edith Sitwell (1921-22, rév. 1923 et 1942), et par l’ouverture pour orchestre Portsmouth Point (1925). Il apparut alors comme une sorte de pendant anglais des membres du groupe des Six. Suivirent notamment un Concerto pour alto (1928), créé par Hindemith, l’oratorio Belshazzar’s Feast (1930-31), la Symphonie no 1 en si bémol mineur (1934-35), et un Concerto pour violon (1938), commandé par Heifetz. Citons aussi la marche Crown Imperial, pour le couronnement de George VI, ainsi que plusieurs musiques de film dont celles pour Henry V (194344), Hamlet (1947) et Richard III (1955) de Laurence Olivier. Après la guerre, il écrivit entre autres un Quatuor à cordes en la mineur (19451947), les opéras Troilus and Cressida, sur un livret de Christopher Hassall d’après Shakespeare (Londres, 1954), et The Bear, d’après Tchekhov (Aldeburgh, 1967), Coronation Te Deum, pour le couronnement d’Élisabeth II (1952-53), un Concerto pour violoncelle destiné à Piatigorski (1956), une Symphonie no 2 (1959-60), Variations sur un thème de Hindemith (1962-63), Improvisations sur un Impromptu de Benjamin Britten (1969) et Prologo e Fantasia (1981-82) pour orchestre. Il joua un rôle non négligeable dans la renaissance musicale de l’Angleterre au XXe siècle.

WAND (Günter), chef d’orchestre allemand (Elberfeld 1912). À Cologne, il est notamment l’élève de Paul Baumgartner. De 1939 à 1944, il est premier chef de l’Opéra de Cologne, où il est directeur général de la musique de 1945 à 1975. Il est, après la guerre, le premier chef allemand a avoir été invité en U.R.S.S. De 1974 à 1981, il se consacre à une intégrale des oeuvres de Bruckner, enregistrées à partir de 1978. De 1982 à 1991, il dirige l’Orchestre symphonique de Hambourg, et ce n’est qu’en 1991 qu’il apparaît aux États-Unis, à Chicago. Outre le répertoire postromantique, il aborde volontiers Zimmermann, Fortner et Ligeti. WARD (John), compositeur anglais (Canterbury 1571 - ? 1638). Protégé par la famille Fanshawe, il a laissé un volume de madrigaux (publié en 1613 et comprenant 28 pièces de trois à six voix), de la musique pour ensemble de violes et des oeuvres sacrées remarquables notamment par leur usage du chromatisme et de la dissonance. WARLOCK (Peter), compositeur anglais (Londres 1894 - id. 1930). Sous son vrai nom de Philip Heseltine, il commença par écrire sur la musique, en particulier sur l’école anglaise des alentours de l’an 1600, et en 1910, se lia d’amitié avec Frederick Delius. Il utilisa pour la première fois son pseudonyme en 1919. Il écrivit quelques pages instrumentales, dont la plus célèbre est la Capriol Suite (1926), mais son importance réside essentiellement dans ses mélodies, au nombre de plus d’une centaine. The Curlew, pour ténor, flûte, cor anglais et quatuor à cordes, d’après Yeats (1921-22), est sans doute son chef-d’oeuvre. WASSENAER (Unico Wilhelm, comte van), fonctionnaire et compositeur amateur néerlandais (Twickel 1692 - La Haye 1766). Ambassadeur des Provinces-Unies à Paris et à Cologne, directeur de la Compagnie des Indes orientales, il est le véritable auteur des six Concerti armonici à sept parties publiés anonymement en 1740 et attribués par la postérité d’abord à Pergolèse, puis

(en se fondant sur l’édition londonienne de John Walsh, 1755) à Ricciotti. Van Wassenaer les dédia à son ami le comte Willem Bentinck. Violoniste et impresario italien établi en 1702 à La Haye, où il dirigea une troupe d’opéra française, bénéficiaire de la licence d’édition de 1740, Carlo Ricciotti (v. 1681 - La Haye 1756) servit simplement d’intermédiaire entre l’auteur et le dédicataire. La paternité de Van Wassenaer a été établie en 1980 par le musicologue Albert Dunning. WATKINSON (Carolyn), mezzo-soprano anglaise (Preston 1949). Elle étudie au Royal College of Music de Manchester, puis se fixe aux Pays-Bas, à La Haye. Spécialisée dans le répertoire baroque, elle collabore souvent avec JeanClaude Malgoire et Helmut Rilling. En 1981, elle chante Ariodante de Haendel à la Scala, et est invitée à Glyndebourne depuis 1984. À la BBC, elle chante sous la direction de Christopher Hogwood et de Gardiner dans les cantates et les oratorios de Bach et de Haendel. Elle aborde aussi Mahler au Concertgebouw d’Amsterdam avec Bernard Haitink, et au Gewandhaus de Leipzig avec Kurt Masur. En 1992, elle chante Rinaldo de Haendel dans une mise en scène de Pizzi à Reggio Emilia. WEBBE (Samuel), organiste et compositeur anglais (Londres ? 1740 - id. 1816). Organiste à la chapelle du Portugal et à celle de Sardaigne en 1776, il devint bibliothécaire du Glee Club lors de sa fondation en 1787, puis secrétaire du Catch Club en 1794, poste qu’il devait occuper jusqu’à sa mort. Il fut le plus célèbre de tous les compositeurs de glees, et son Glorious Apollo fut chanté à l’ouverture de toutes les réunions du Glee Club tant que ce dernier exista. Comme organiste, il compta parmi ses élèves Vincent Novello, et ne fut pas sans influencer Samuel Wesley. WEBER (Alain), compositeur français (Château-Thierry 1930). Entré à onze ans au Conservatoire de Paris, il en sortit à vingt-deux avec le grand prix de Rome, après avoir étudié avec René Challan, Noël Gallon, Tony Aubin et Messiaen. Ses oeuvres, essentiellement instrumentales, sont caractérisées par une indépendance totale à l’égard des systèmes et une recherche constante des

sonorités originales. WEBER (Carl Maria von), compositeur, pianiste et chef d’orchestre allemand (Eutin, Holstein, 1786 - Londres 1826). Son père, Franz Anton (1734-1812), était le frère cadet de celui de la femme de Mozart, Constance. Mozart et Weber étaient donc cousins germains par alliance. Franz Anton, entrepreneur théâtral, fit mener à ses enfants une vie itinérante. Carl Maria reçut ses premières leçons de son demi-frère Fridolin (1761-1833), qui avait downloadModeText.vue.download 1056 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1050 lui-même étudié avec Haydn. Il travailla également avec Heuschkel à Hildburghausen, avec Michael Haydn à Salzbourg (1797), et avec Kalcher à Munich (17981800). Au cours d’un nouveau séjour à Salzbourg, il termina sous la direction de Michael Haydn son troisième opéra, Peter Schmoll und seine Nachbarn (1801, créé à Augsbourg en 1803). L’hiver 18031804 fut passé à Vienne, où Weber étudia non avec Joseph Haydn, comme il l’avait espéré, mais avec l’abbé Vogler. De cette époque datent, entre autres, les Variations pour piano op. 5 et op. 6 sur des thèmes de l’abbé Vogler (tirés respectivement de Castor et Pollux et de Samori). Ayant accepté le poste de maître de chapelle à Breslau, Weber y arriva en juin 1804. Ses projets de réforme ayant rencontré une forte opposition, il démissionna bientôt. En 1806, il obtint à Carlsruhe (Haute-Silésie) un poste d’intendant du prince Eugène de Wurtemberg, pour l’orchestre duquel il écrivit alors ses deux symphonies, et en 1807, il devint à Stuttgart secrétaire du duc Ludwig, frère du prince, et professeur de musique de ses filles. Là, il se lia avec Franz Danzi. Malheureusement, divers incidents, dont un provoqué par son père Franz Anton, le firent expulser à perpétuité du territoire du Wurtemberg. À Stuttgart, il avait composé notamment son opéra Silvana (Francfort, 1810), une musique de scène pour Turandot de Schiller (1809), la Grande Polonaise op. 21 pour piano et plusieurs lieder. Weber se rendit d’abord à Mannheim

et à Heidelberg, puis à Darmstadt, où il reprit ses études auprès de l’abbé Vogler, avec entre autres condisciples Meyerbeer. Il termina alors son Premier Concerto pour piano, et commença son singspiel Abu Hassan (Munich, 1811). En outre, il se produisit de plus en plus comme pianiste. En février 1811, il quitta Darmstadt pour une tournée qui le mena à Bamberg, puis à Munich, où avec le clarinettiste Heinrich Bärmann il donna un concert avec au programme son Concertino pour clarinette. Cette oeuvre eut un tel succès que le roi de Bavière lui commanda deux concertos pour clarinette. Pour l’orchestre, qui lui en avait demandé plusieurs pour divers instruments, il n’écrivit que celui pour basson. Ayant refusé un poste de maître de chapelle à Wiesbaden, Weber entreprit de nouvelles tournées, d’abord en Suisse, puis (avec Bärmann) à Prague, Leipzig, Dresde, Gotha, Weimar, Francfort, Nuremberg, Bamberg et Berlin, où il arriva en février 1812, et composa notamment sa Première Sonate pour piano (ut majeur, op. 24). En décembre, il joua à Gotha son Deuxième Concerto pour piano et, en janvier 1813, il arriva à Prague. Il s’y vit offrir le poste de directeur de l’Opéra, devenu vacant, et qu’il devait occuper jusqu’en 1816. Il effectua dans l’établissement de profondes réformes, et réunit une troupe de chanteurs de premier plan, et dont fit partie, à dater de décembre 1813, la soprano Caroline Brandt, sa future femme. En trois ans, Weber fit représenter à Prague soixante-deux opéras de plus de trente compositeurs différents. Parmi ces derniers, beaucoup de Français ou de Français d’adoption (Dalayrac, Grétry, Catel, Méhul, Isouard, Boieldieu, Cherubini, Spontini), mais aussi Beethoven (Fidelio). À Prague, Weber composa entre autres son Quintette pour clarinette et sa cantate Kampf und Sieg (1815). Ayant démissionné de son poste après divers incidents, il partit en juin 1816 pour Berlin, où il acheva son Grand Duo concertant pour clarinette et piano et ses sonates pour piano no 2 (la bémol majeur, op. 39) et no 3 (ré mineur, op. 49). Le 25 décembre 1816, il fut nommé maître de chapelle de la cour de Saxe à Dresde : ce devait être son dernier poste officiel. Les traditions d’opéra de la ville

étaient italiennes, et une des tâches confiées à Weber consistait à y développer l’opéra allemand (ce qui devait provoquer pour lui de nombreuses difficultés dans ses rapports avec Fr. Morlacchi, chargé de l’opéra italien). Le 30 janvier 1817, Weber fit ses débuts à Dresde en dirigeant Joseph de Méhul. Le 4 novembre, à Prague, il épousa Caroline Brandt. À Dresde, il poursuivit son habituelle politique de réformes, tout à fait comparable à celle à laquelle, à la fin du siècle, Gustav Mahler devait attacher son nom, et rencontra le poète Friedrich Kind, futur librettiste du Freischütz. Weber commença à travailler à cette oeuvre peu après son mariage. Ses deux messes de maturité, en mi bémol et en sol, datent respectivement de 1817-18 et de 1818-19. Un projet d’opéra avec Kind (Alcindor) ayant été abandonné, Weber, tout en poursuivant le Freischütz, se tourna vers la musique instrumentale : Polacca brillante op. 72 pour piano (1819), Rondo brillante op. 62 pour piano (1819), Invitation à la valse (1819), Trio pour flûte, violoncelle et piano (1819). Il composa également une musique de scène pour Preciosa de P. A. Wolff (1820, création à Berlin le 14 mars 1821). Et le 18 juin 1821, jour de la création à Berlin du Freischütz, il termina son Konzertstück en fa mineur pour piano et orchestre. Le Freischütz connut un triomphe non seulement à Berlin mais dans toute l’Allemagne, et fut le premier opéra allemand à conquérir immédiatement l’Europe entière ou presque. Ce triomphe fut à l’origine de la commande, par le théâtre de la Porte-de-Carinthie à Vienne, d’un nouvel opéra « dans le style du Freischütz ». Le résultat devait être Euryanthe (Vienne, 25 octobre 1823). Entre-temps, le Freischütz avait été donné à Dresde (26 janvier 1822) et à Vienne (ce qui avait été l’occasion d’une rencontre avec Schubert), et Weber avait composé à Dresde en 1822 sa 4e Sonate pour piano (mi mineur, op. 70). Parallèlement, il avait renoncé définitivement à un opéra entrepris en 1820 sur un livret de Theodor Hell, les Trois Pintos (terminé par Gustav Mahler en 1888). Weber, qui souffrait de phtisie, vit alors sa santé se détériorer rapidement. Il dirigea Euryanthe à Dresde le 31 mars 1824, puis durant l’été les Saisons de Haydn et le

Messie de Haendel pour les fêtes du centenaire de Klopstock à Quedlinburg. En août, il reçut de Covent Garden la commande d’un opéra. Il choisit le sujet d’Oberon (livret de James Robinson Planché). En décembre 1825, il dirigea Euryanthe à Berlin. Avec comme compagnon le flûtiste Kaspar Fürstenau, il quitta Dresde en février 1826, arrivant le 25 à Paris (où le jeune Berlioz courut après lui toute une journée sans réussir à le voir), et le 4 mars à Londres. Il y dirigea la première d’Oberon le 12 avril, et mourut dans la nuit du 4 au 5 juin chez sir George Smart, qui l’avait accueilli dès son arrivée. En 1844, ses restes furent transférés à Dresde à l’instigation de Wagner, qui occupait alors son ancien poste dans cette ville. Né seize ans après Beethoven et onze ans avant Schubert, Weber mourut le premier des trois, un an avant Beethoven et deux ans avant Schubert. Tous trois furent donc largement contemporains. Une des meilleures façons d’aborder Weber, le premier grand musicien romantique allemand, est de réfléchir sur son attitude envers Beethoven. On connaît sa déclaration (1810) : « Je diffère trop de Beethoven dans mes vues pour que je puisse jamais me rencontrer avec lui. Le don brillant et incroyable d’invention qui l’anime est accompagné d’une telle confusion dans les idées, que ses premières compositions seules me plaisent, tandis que les dernières ne sont pour moi qu’un chaos, qu’un effort incompréhensible pour trouver de nouveaux effets, au-dessus desquelles brillent quelques célestes étincelles de génie qui font voir combien il pourrait être grand s’il eût voulu maîtriser sa trop riche fantaisie. Ma nature ne me porte pas à goûter le génie de Beethoven. » Du génie de Beethoven, Weber était évidemment persuadé comme tout un chacun. Significatif est le fait que de tous les grands compositeurs romantiques, il ait été avant Chopin le seul à ne pas se réclamer expressément de Beethoven. Loin de s’en indigner, il faut y voir de sa part un trait de lucidité, car Weber mit ainsi en accord ses déclarations officielles avec sa pratique. Il fut au XIXe siècle le premier grand compositeur à ne plus se mouvoir dans l’orbite de Vienne. Certes, on peut tracer une lignée des Saisons de Haydn à downloadModeText.vue.download 1057 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1051 son propre Freischütz. Certes, pour lui, Mozart était un dieu, et nul n’ignore que, comme lui, il magnifia la clarinette. Mais en Mozart, il admira le dramaturge plutôt que le symphoniste. Bref, sa rupture avec le classicisme viennois fut beaucoup plus radicale que celle de Schubert, natif de la capitale des Habsbourg et qui y passa toute sa vie, et il en fit bénéficier des genres bien précis : ni la symphonie (les deux qu’il écrivit en 1807 sont d’importance secondaire), ni le quatuor à cordes (il n’en composa aucun), mais l’opéra, le concerto, la variation brillante. Il ne fut pas un maître de la forme sonate, et dans ses concertos, les premiers mouvements lui donnèrent toujours le plus de mal, au point qu’il les écrivit généralement en dernier, et que dans certains cas (Concertino pour cor, Andante e Rondo ungarese pour alto révisé plus tard pour basson), il alla jusqu’à s’en passer. À la place du travail thématique rigoureux et de la variation organique surgirent avec lui l’élan, le geste conçu comme un mouvement chargé de signification (dramatique ou non) : Weber était virtuose ! Et on s’aperçoit que les tendances humanitaires et tendant vers l’universel des classiques viennois, échos des idéaux officiels de la Révolution française, firent place chez lui à une attitude velléitaire fondée largement sur l’irrationnel, avec comme toile de fond une catastrophe toujours possible, pas toujours évitée. La scène de la « Gorge aux loups » du Freischütz est typique, et s’oppose dans son fantastique à celle de la mort de Don Giovanni chez Mozart. Adorno l’a noté : « (Cette scène) est composée d’images, elle est presque allusive comme dans un film, à chaque image correspond une situation ou une apparition de fantômes. C’est justement de cette réserve, du fait qu’elle ait su se limiter à la musique de scène et renoncer au vaste finale intégré du type deuxième acte de Figaro ou scène du cachot (de Fidelio), que la scène principale du Freischütz tire son originalité fondamentale. Sans crainte, elle se met à la merci de la fuite des images. Des prétentions d’ordre symphonique seraient ici déplacées, elles jureraient avec

les couleurs de ces instants changeants, avec cette vision d’enfer en miniatures Biedermeier. Au moment précis où fut composé le Freischütz, on inventa le kaléidoscope : quelques-uns des besoins qui provoquèrent cette invention devinrent musique dans la Gorge aux loups. » Le romantisme de Weber, son germanisme, ses couleurs orchestrales, son sens de la nature et du fantastique, découlent de telles prémisses. Avec le Freischütz, il fit passer dans la musique les grands espaces de la forêt allemande, le romantisme de la nature. Avec Euryanthe et Oberon, il y fit passer également, en contemporain de Walter Scott, un romantisme chevaleresque et historicisant, celui qu’on retrouve dans beaucoup d’opéras-comiques français du temps de Charles X, par exemple dans la Dame blanche de Boieldieu (que Weber ait préféré l’opéra français à l’opéra italien n’a rien que de très normal). Entre la nature dans la Pastorale de Beethoven et dans le Freischütz, peu de points communs : dans un cas, on ressent, ou à la rigueur on contemple un tableau, dans l’autre on y est plongé. On y est même tellement plongé que cette nature est tout, sauf pittoresque, sauf innocente. C’est déjà celle, consolatrice et menaçante à la fois, de la Symphonie no 3 de Mahler. Elle dégage un parfum national sans verser dans le nationalisme : en tant que spécimens du germanisme en musique, le Freischütz et les Maîtres chanteurs ne se ressemblent pas. Au niveau exceptionnel qui est le sien, et par-delà ses tenants et aboutissants, le Freischütz apparaît pour ainsi dire comme une oeuvre exterritoriale, presque sans tradition. Un demi-siècle plus tôt, alors que le classicisme viennois prenait son essor, les opéras de Gluck s’étaient comportés de même. Or de Berlioz, ce pourfendeur de ce qui à son avis sentait l’école, qui furent les ancêtres vénérés ? Beethoven bien sûr, mais surtout Gluck et Weber. Comme compositeur pour piano et comme virtuose du piano, Weber personnifia génialement des aspirations plus que latentes chez Clementi, Dussek, Hummel et même le premier Beethoven. Bien que d’une taille au-dessous de la moyenne, il avait des doigts d’une longueur lui per-

mettant de couvrir sans difficulté un intervalle de douzième. Son art du crescendo combla d’aise, à Weimar en 1812, le vieux Wieland. Il brilla surtout dans l’improvisation, et sortit vainqueur de nombreux tournois. Il passa la plus grande partie de sa brève existence comme chef d’orchestre d’opéra, mais après sa mort, un journaliste remarqua qu’il « jouait de l’orchestre comme un virtuose d’un instrument ». Les pièces pour piano ne se groupent pas en grands cycles solides comme les sonates de Beethoven ou de Mozart, mais s’éparpillent en variations, rondos, polonaises, valses, pièces de danse, pièces à quatre mains (même les quatre sonates sont rarement perçues comme formant un ensemble) : c’est une des raisons de leur peu de renommée. Elles méritent beaucoup mieux, malgré leurs tendances curieusement opposées, voire contradictoires. Le virtuose se rappelle à nous par la fréquence des intervalles très larges, comme dans le rondo du Concerto no 2 ou dans le menuet de la Sonate no 1, des gammes rapides en tierces ou en glissandi d’octaves, des traits agiles, des accords brisés (pour en augmenter la difficulté, il arrivait à Weber de jouer en ut dièse le finale de la Sonate no 1 en ut, parfois publié isolément sous le nom de Mouvement perpétuel). Mais parallèlement se manifestent un goût très prononcé pour la couleur orchestrale (Weber fut un des plus grands orchestrateurs de tous les temps) et des souvenirs d’opéra d’autant plus remarquables que l’écriture pour piano reste toujours impeccable. Sous cet angle, contrairement à Beethoven, et contrairement à ce qu’il fit lui-même ailleurs, Weber fut un très grand styliste. Fidèle à une tendance du temps qui lui était particulièrement chère, il mit souvent son imagination au service d’une expression plus ou moins exotique : plusieurs pièces pour piano ont un parfum espagnol, hongrois, polonais, russe, bohémien. Or là aussi, on ne peut qu’admirer leur sûreté de main, leur goût parfait, avec, unifiant le tout, ces qualités si typiques de Weber au meilleur de lui-même : la bravoure, le panache. Ne parla-t-il pas, dans une de ses professions de foi, de l’indispensable « énergie de l’expression « ?

Il exerça aussi des activités de critique, et ses lettres et écrits divers, fort intéressants, ont fait l’objet de plusieurs éditions. Son fils Max Maria (1822-1881) fut son premier biographe (Carl Maria von Weber : ein Lebensbild, Leipzig, 18641866, rééd. abr. 1912, trad. angl. abr. 1865, réimpr. 1968). Son petit-fils Carl (18491897) communiqua à Mahler, pour qu’il l’achevât, le manuscrit des Trois Pintos. WEBER (Dionys), compositeur et pédagogue tchèque. (Velichov, Bohême, 1766 - Prague 1842). Maître de Moscheles, il fut un des fondateurs du conservatoire de Prague, qu’il dirigea de 1811 à sa mort. Auteur de plusieurs traités théoriques, adversaire de Beethoven et de Carl Maria von Weber, il soutint néanmoins le jeune Richard Wagner, dont il créa en 1832 la symphonie en ut. WEBER (Édith), musicologue française (Strasbourg 1925). Après des études de piano et d’histoire de la musique au conservatoire de Strasbourg, puis à l’université de cette ville (1950-1953), elle soutient en 1971 son doctorat d’État avec une thèse sur la Musique mesurée à l’antique en Allemagne. Elle a enseigné à partir de 1972 à l’U. E. R. de musique et musicologie à l’université de Paris-Sorbonne (Paris-IV) et à partir de 1969 à l’Institut catholique de Paris. Elle s’intéresse à la musique protestante en Allemagne et en France à la Renaissance et aux problèmes de méthodes en musicologie. downloadModeText.vue.download 1058 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1052 WEBERN (Anton), compositeur autrichien (Vienne 1883 - Mittersill, Autriche, 1945). Il naît dans une famille de « von Webern » (dont il abandonnera plus tard la particule), ancienne lignée de propriétaires terriens du sud du Tyrol. Ses premières années se passent à Vienne, Graz, et Klagenfurt. En 1902, il s’inscrit pour des études de philosophie et de musicologie à

l’université de Vienne, où il est l’élève de Guido Adler. Sa thèse de doctorat, achevée en 1906, porte sur le Choralis Constantinus d’Isaac, et manifeste son intérêt pour la polyphonie ancienne et ses jeux d’écriture. En même temps, il commence à composer, probablement sous l’influence de Wagner, mettant en musique la ballade de Uhland Siegfrieds Schwert (1901-1902). En 1904, il fait la rencontre d’Arnold Schönberg, dont il devient le premier et le plus dévoué disciple. Leur association, à laquelle se joindra Alban Berg, sera à l’origine de la seconde école de Vienne. Webern commence par gagner sa vie comme chef d’orchestre de théâtre et comme chef de choeurs. En 1911, il épouse une cousine, Minna, dont il aura trois filles (parmi lesquelles Christina, à laquelle est dédiée l’opus 21) et un fils, qui mourra sur le front russe. Mobilisé lors de la Première Guerre mondiale, il est réformé pour cause de mauvaise vue. Il est d’ailleurs sujet à des ennuis de santé, à des périodes de dépression et de troubles psychosomatiques qui contredisent l’image qu’on se fait souvent d’un Webern détaché et séraphique. Après la guerre, il dirigera pendant dix ans un orchestre et un choeur populaires, le Wiener Arbeitersymphoniekonzert, et le choeur populaire du Kunststelle (19231933), formations destinées aux travailleurs et lui permettant de mettre en pratique ses idées socialistes. Dans le répertoire qu’il défend au concert figure la musique viennoise, mais aussi Mahler dont il est un très grand admirateur (alors que la dimension de leurs oeuvres semblerait les opposer, ce qui prouve que l’esthétique n’est pas une affaire de proportions extérieures). Comme chef d’orchestre, Webern est précis, transparent, méticuleux. En 1927, il dirige les programmes de la radio de Vienne, ce qui l’amène à être invité en Allemagne, en Suisse, en Angleterre. Ses compositions musicales sont distinguées deux fois, en 1924 et en 1932, par le prix de la ville de Vienne, et Universal l’édite à partir de 1925. Webern s’est mêlé à la vie culturelle, a connu le groupe du Blaue Reiter, rencontré Robert Musil (c’est de cette période que date son célèbre portrait par Kokoschka, peint en 1914), mais son coeur

reste attaché à la montagne, aux fleurs, à la nature, qu’il aime passionnément. À partir de 1918, il vit à Mödling près de Vienne, où il compose et enseigne. Mais la montée du nazisme, puis l’annexion de l’Autriche par le IIIe Reich, en 1938, bouleversent sa vie. Sa musique est rangée au nombre des productions d’« art dégénéré », Schönberg s’est exilé aux États-Unis, Alban Berg meurt en 1935. Webern reste donc seul du groupe, et ses fonctions lui sont peu à peu retirées. Il survit grâce à des travaux de lectures et de corrections d’épreuves pour Universal. Vienne étant bombardée, il se réfugie à la fin de la guerre à Mittersill, une petite ville au sud-ouest de Salzbourg. C’est là que le 15 septembre 1945, après la fin de la guerre, il meurt abattu par un soldat américain au cours d’une opération de perquisition chez son gendre, soupçonné de marché noir, alors que, semble-t-il, il était simplement sorti pour prendre l’air et fumer une cigarette malgré le couvrefeu imposé ce jour-là. Après la guerre, l’oeuvre de Webern fut redécouverte, remise à sa juste place, et érigée en modèle par la jeune génération sérielle formée par des hommes comme René Leibowitz. Cette génération vit en lui le plus rigoureux et le plus radical utilisateur de la méthode sérielle de Schönberg, qu’il avait adoptée à partir de son opus 17. Ce « moine obscur oeuvrant dans le silence » (Pierre Boulez) fut alors salué pour sa soif d’absolu, sa nouveauté. Toujours selon Boulez, un des jeunes compositeurs qui le prirent alors avec enthousiasme comme inspirateur, « tandis que Schönberg et Berg se rattachent à la décadence du grand courant romantique allemand et l’achèvent [...] par le style le plus luxueusement flamboyant, Webern, à travers Debussy, réagit violemment contre toute rhétorique d’héritage, en vue de réhabiliter le pouvoir du son. C’est bien, en effet, le seul Debussy qu’on puisse rapprocher de Webern dans une même tendance à détruire l’organisation formelle préexistante à l’oeuvre, dans un même recours à la beauté du son pour lui-même, dans une même elliptique pulvérisation du langage » (1954). Le même Boulez lui reconnaissait une seule innovation d’importance dans le

domaine du rythme : « Cette conception où le son est lié au silence en une précise organisation. » En résumé, « Webern est le seuil ». Ces quatre mots résument toute une vision de Webern comme une sorte de Moïse modeste désignant la « Terre promise ». On sait que la musique sérielle d’inspiration « webernienne », ou (comme on dit parfois) « post-webernienne », n’a pas duré plus de vingt ans avant de tomber en désuétude, ou de glisser vers l’académisme. De plus en plus, on se met à réécouter Webern non comme un prophète ou un modèle, mais simplement comme un repère et un grand musicien. Seulement, on en parle toujours avec les mêmes mots qu’il y a trente ans (musique de rupture, d’ascétisme, point de non-retour), alors qu’on aperçoit aujourd’hui beaucoup mieux dans quelles continuités cette musique prétendument réinventée de fond en comble se situait, de l’aveu même de Webern. Il reste évident que Webern, contrairement aux deux autres Viennois, a rompu avec un certain romantisme pour promouvoir une musique objective, pur jeu de valeurs et de proportions (nous préférons ce terme d’objectif à celui de cérébral, souvent employé, mais qui en l’occurrence ne veut rien dire). Une constante dans son évolution : l’amour de la discrétion sonore, la haine du bruit inutile, le culte des formes très concises. Sa production officielle complète - trente et un numéros d’opus - tient en moins de quatre heures, et certaines oeuvres, invraisemblablement brèves, ne dépassent pas trois minutes. Ses oeuvres sont courtes et denses, jamais chargées ni enchevêtrées. Des trois Viennois, il est encore celui qui a consommé le plus radicalement la rupture avec la tonalité. On sait que Schönberg et Berg n’auront de cesse de réintégrer plus ou moins le tonal dans le sériel. Webern, au contraire, ne manifeste jamais une telle préoccupation. De la technique dodécaphonique sérielle, à partir de l’opus 17, Webern cherche à tirer les plus radicales conséquences, mais aussi à rendre son emploi le plus simple et le plus limpide possible. C’est ainsi qu’il aime employer des séries de douze sons dérivées de micro-séries de trois ou quatre sons, ce qui limite considérablement le

nombre de leurs présentations possibles (vingt-quatre ou douze, au lieu de quarante-huit), et rend plus ou moins audible une certaine permanence des intervalles fondateurs de la série. Par exemple, la série sur laquelle est basé le Concerto pour neuf instruments op. 24 se divise en trois ou quatre sections, qui sont elles-mêmes des présentations différentes de la même microsérie, ce qui réduit le nombre des combinaisons d’intervalles. Plus Webern abolit la répétition et promeut une musique qui est variation permanente, plus il circonscrit et délimite cette variation dans des formes claires et brèves, ce que feront rarement ses disciples à titre posthume, qui préféreront une complexité plus ramifiée et développée. Les postsériels de l’après-guerre faisaient gloire à Webern d’avoir aboli la contradiction entre les dimensions verticale et horizontale, et pensé sa musique dans une dimension « diagonale », « sorte de répartition des points, des blocs ou des figures non plus dans le plan, mais dans l’espace » (Boulez). Certes, mais il est évidownloadModeText.vue.download 1059 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1053 dent que cet espace, bien que visible sur la partition, demeure un espace conceptuel, non temporel. Schönberg a écrit de la musique de Webern : « Elle fait tenir un roman dans un soupir », et Webern s’était donné comme devise esthétique Non multa sed multum - pas beaucoup de choses (en nombre), mais quelque chose de conséquent. Webern est aussi, dans l’école de Vienne, celui qui a poussé le plus loin, après les Cinq Pièces pour orchestre op. 16 de Schönberg, la recherche sur les « mélodies de timbre », la Klangfarbenmelodie ; pas seulement dans sa célèbre orchestration du Ricercare de l’Offrande musicale de Bach, où le thème, toutes les deux ou trois notes, passe à un autre instrument, mais aussi dans ses créations personnelles, dans lesquelles, de plus en plus, il distribue chaque ligne contrapuntique entre des instruments solistes qui se relaient (début

de la Symphonie op. 21). Le choix des sonorités et leur emploi va dans le sens de la clarté. Il affectionne spécialement la clarinette, qu’il emploie fréquemment, dans le même esprit mystique que le Messiaen du Quatuor pour la fin du temps ; il aime aussi les sonorités nettes, douces et lumineuses de la guitare, de la mandoline, du glockenspiel (employées chez lui discrètement, mais dont la musique postwebernienne abusera jusqu’à la nausée). Il fuit le pâteux, l’épais, le lourd, le chargé. Avec ses bois par quatre, l’orchestre du Daphnis et Chloé de Ravel lui semble « zu gross » (trop grand, trop gros). Cet amoureux de la haute montagne cherche peut-être à retrouver cette résonance particulière des sons en altitude, cette matité transparente du plein air où rien n’est confus ou caverneux. Par ailleurs, Webern utilise de moins en moins chaque instrument pour un type particulier de traits, de formules, et, comme le dit Leibowitz, « tous les instruments sont traités de la même façon ». Ainsi, l’écriture des Variations opus 27, pour piano, n’a absolument rien de « pianistique ». Le timbre instrumental est comme une couleur pure mise individuellement sur chaque note, mais l’instrument ne détermine jamais a priori le discours et l’écriture. On a donc beaucoup parlé de la « rupture » qu’auraient introduite cette esthétique webernienne et les oeuvres qui l’ont illustrée, mais beaucoup moins des racines de cette esthétique, des influences qui l’ont aidée à se former. Parmi ces racines, il y a la polyphonie ancienne, sur laquelle Webern fit sa thèse, le vieux contrepoint, avec ses formes courtes et géométriques et sa façon de considérer l’instrument comme véhicule de la pensée, plutôt que sous l’optique d’une virtuosité ou d’une spécificité instrumentale. Mais il y a aussi la musique postwagnérienne de son temps, et notamment celle de Gustav Mahler. Il est indiscutable, bien qu’on l’ait rarement dit, que le Webern des Six Pièces pour orchestre op. 6 et des Cinq Pièces op. 10 est préfiguré dans certains moments transparents et raréfiés des symphonies de Mahler, qui, d’une façon générale, par ses sonorités, apparaît plus proche de Webern que de son contemporain Richard Strauss. Webern a repris des

procédés mahlériens dans une tout autre pensée, objective et « scholastique » - ce terme étant employé sans aucune connotation péjorative. Mais la filiation est évidente. Il semble à ce propos qu’une des leçons de Webern ait été mal comprise : c’est celle de l’économie. On a complaisamment repris les procédés weberniens pour surenchérir sur la densité, la complexité, l’enchevêtrement des structures, perdant cette transparence à laquelle tenait beaucoup l’auteur des Cinq Pièces. S’il faisait court et raréfié, ce n’était pas seulement par souci pédagogique, c’était aussi par instinct d’équilibre et d’harmonie. Bien que basées sur des séries simplifiées aux combinaisons de base limitées, les structures des oeuvres de Webern sont déjà bien complexes à saisir. Derrière cette complexité, Webern cherche pourtant les symétries cachées, les formes A-B-A (le chiffre 3 semble se retrouver dans beaucoup d’oeuvres), une articulation des mouvements extrêmement claire. Enfin, on a fait un peu systématiquement l’impasse sur l’inspiration religieuse et mystique d’une grande partie de l’oeuvre de Webern, sur le fait également que sur trente et un numéros d’opus, dix-sept sont des oeuvres vocales (de préférence pour voix de soprano) ; que ces oeuvres ont donc un texte, et que ce texte porte un sens. Il s’agit fréquemment de textes de piété naïve et populaire, ou bien d’amour mystique et panthéiste. Webern ne s’est-il pas passionné pour la poésie d’Hildegard Jones, poésie pleine de suavité dans laquelle Dieu, la personne aimée, et l’univers sont adorés dans un même élan de douce effusion, au point de mettre en musique un nombre important de ses textes (entre autres Trois Lieder op. 25, Das Augenlicht op. 26, et les Cantates op. 29 et op. 31) ? Il y a chez Webern un côté « quiétiste » et angélique, souvent négligé et masqué, et que l’on peut redécouvrir, maintenant que sa musique n’est plus un porte-drapeau. L’OEUVRE D’ANTON WEBERN. On proposera ici un bref parcours de cette évolution sans grandes secousses, à l’intérieur d’une oeuvre finalement très homogène malgré les changements techniques. Il est vrai que Webern a établi son

catalogue à partir de la première oeuvre qu’il ne reniait pas, laissant de côté une certaine production postromantique de ses premières années. La Passacaille op. 1, pour orchestre, de 1908, est la seule oeuvre que Webern ait conservée de sa production nettement tonale (elle est en ré mineur). Encore cette tonalité est-elle souvent allusive. D’emblée, avec elle, Webern place son oeuvre de maturité sous le signe de la variation. Quant au bref choeur a capella sur un poème de Stefan George, Entflieht auf leichten Kähnen, op. 2 (1908), on y trouve déjà le procédé cher à Webern de l’écriture en canon, et une musique déjà entrée en apesanteur. Les deux opus suivants, op. 3 et op. 4 sur des poèmes de Stefan George également, appartiennent à cette région injustement méconnue de l’oeuvre de Webern, celle de ses lieder pour voix et piano, formule que ses disciples trouveront conservatrice et romantique. Il y a beaucoup de délicatesse et de beauté, pourtant, dans ces lieder très intimes où la voix n’est pas du tout maltraitée, mais sur lesquels glisse le plus souvent l’exégèse postwebernienne. À partir de l’opus 5, les Cinq Mouvements pour quatuor à cordes (1909), commence l’oeuvre officiellement reconnue et fêtée de Webern. Ces mouvements sont encore assez romantiques, et on peut trouver de même un charme expressionniste à l’opus 6, les Six Pièces pour orchestre de 1909 (révisées en 1928), qui sont sa seule oeuvre pour très grande formation, encore que celle-ci y soit rarement employée dans sa masse et sa puissance. Avec les Quatre Pièces op. 7 (1910) pour violon et piano, et les Deux Lieder op. 8 (1910) pour voix moyenne et instruments, s’ouvre la période des oeuvres ultra-courtes, qui culmine dans les Six Bagatelles pour quatuor op. 9 (1913), les Cinq Pièces pour orchestre op. 10 (1913), les Trois Petites Pièces pour violoncelle et piano op. 11 (1914). On peut parler ici d’un impressionnisme de la concision. Les Cinq Pièces pour orchestre op. 10, qui durent au total environ six minutes, sont un sommet du Webern présériel. Leur effectif n’est pas traditionnel, car à côté des vents, de percussions assez abon-

dantes (mais plutôt discrètes), et d’instruments spéciaux tels que harmonium, célesta, mandoline, guitare et harpe, le quatuor à cordes y figure sous sa forme soliste (un violon, un alto, un violoncelle, une contrebasse) et non sous sa forme collective et orchestrale. Il s’agit donc d’une formation de solistes employés par petites touches très éparpillées dans un vide cristallin. Mais cette musique n’a rien de déshumanisé : la moindre phrase de quatre notes déborde d’accents expressifs (la mention espressivo figure çà et là). La troisième pièce, centre de cet édifice, est tout à fait à part dans l’oeuvre de downloadModeText.vue.download 1060 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1054 Webern, puisque fondée non sur une articulation de notes, mais sur un « bruit », un bruissement changeant et continu, formé par des superpositions de trilles et de notes répétées, sorte de peinture musicale d’une sonorité naturelle, avec des cloches très discrètes, des résonances lointaines, des grondements de tambour. Sur ce fond mouvant, qui n’est déjà plus de la musique de notes au sens traditionnel, quelques instruments solistes, le violon, le cor, le trombone, tous avec sourdines, égréneront de courts motifs expressifs. C’est la page la plus impressionniste, la moins systématique et la plus « ouverte » de Webern, qui revient ensuite dans la quatrième pièce à une musique « de notes », basée sur des valeurs de hauteur et de durée, et non plus sur ces textures continues qu’après lui recréeront les musiques électroacoustiques. Suit une vaste série, mal connue, de lieder et de chants sacrés, qui va de l’opus 13 à l’opus 16. À partir de l’opus 14, Webern renonce à l’accompagnement pianistique pour employer soit un petit ensemble de solistes, soit la clarinette solo, sorte de seconde voix sublimée par rapport à la voix humaine proprement dite, celle d’une soprano. L’écriture vocale, pure et précise, n’est jamais dramatisée par un Sprechgesang, même fugitif. La voix est employée dans une optique purement instrumentale, comme chez Bach, mais en revanche l’instrument qui l’accompagne acquiert la ductilité et la spiritualité d’une

voix humaine. L’opus 17 de 1924, Trois Hymnes traditionnels pour soprano, clarinette, clarinette basse, violon et alto, marque la première utilisation du système sériel, sans rupture absolue de style : il y a longtemps que l’écriture de Webern s’est préparée à entrer en sérialisme, par son atomisation méticuleuse, et par l’emploi de formes d’école, comme le canon en mouvement contraire, qui se retrouve dans les procédés sériels de récurrence. Il faut noter que dans son écriture sérielle, Webern s’autorise à répéter un son, une hauteur, pourvu que ce soit immédiatement après, par le même instrument (comme si c’était la même note énoncée en deux, trois fois au lieu de l’être en une) ; ce qui donne un style « morse » très caractéristique. C’est à partir de la Symphonie op. 21 que débute la grande période classique. Cette symphonie emploie dans son premier mouvement une forme sonate adaptée (exposition, développement, réexposition, coda) et elle débute par un double canon rigoureux. Son plan général en deux mouvements (lent ou modéré/plus vif) est devenu par la suite typiquement webernien. Le très diaphane Concerto op. 24 pour neuf instruments est célèbre pour sa série « à transpositions limitées ». Quant aux dernières oeuvres, elles vont, sur ce terrain conquis, essayer de retrouver une certaine ampleur, une certaine épaisseur, une certaine durée : les premières oeuvres de Boulez ou d’autres seront assez proches de cette musique plus touffue du dernier Webern, celui des Cantates, où il recrée des complexes sonores constituant un matériau de base plus global, moins dénudé, sorte de « brique », de bloc sans fonction harmonique, où certains voudront voir une sorte de prémonition de l’« objet sonore » de la musique concrète. On remarquera que Webern n’a laissé qu’une oeuvre pour un instrument soliste, comme s’il craignait de laisser l’instrument seul avec lui-même : il s’agit des Variations pour piano op. 27, aussi peu virtuoses que possible. Webern n’a jamais favorisé qu’un instrument : la voix. Ailleurs, même dans le Concerto op. 24, toute hiérarchie est supprimée entre les différents postes instrumentaux.

Webern fut un musicien passionné et exclusif, qui, à l’exception de Willi Reich, ne compta pratiquement pas de disciples directs. Il faut rendre grâce à ceux qui l’ont sorti de l’ombre où sa discrétion l’avait placé, mais aussi réapprendre à l’entendre, et peut-être à le jouer, sans en faire à tout prix une musique de rupture absolue. Nous comprenons aujourd’hui que cette rupture ne fut que relative, et qu’elle ne prétendit jamais au caractère total qu’on lui a attribué. Webern fut un moment particulier de la musique. Il poursuivit une aventure très personnelle, sur laquelle tout n’a pas été dit, et dont l’interprétation et la compréhension ne sont pas closes une fois pour toutes. WEBSTER (James), musicologue américain (Evanston, Illinois, 1942). Il a étudié à Harvard, à Vienne et à Princeton, et enseigne depuis 1971 à la Cornell University (New York), où il est devenu professeur en 1982. Ses travaux ont porté surtout sur Haydn, Mozart et leurs contemporains. Outre de nombreux articles dans des revues ou ouvrages collectifs, parmi lesquels Towards a History of Viennese Chamber Music in the Early Classical Period (1974), The Chronology of Haydn’s String Quartets (1975), The Bass Part in Haydn’s Early String Quartets (1977), The Falling-out between Haydn and Beethoven : The Evidence of the Sources (1984), The Analysis of Mozart’s Arias (1991), ou encore The Concept of Beethoven’s « Early » Period in the Context of Periodization in General (1994), il a publié l’important ouvrage Haydn’s « Farewell » Symphony and the Idea of Classical Style (1991) : dans les plus grandes oeuvres instrumentales de Haydn, les différents mouvements sont reliés les uns aux autres de façon cyclique, la Symphonie des Adieux constituant l’exemple le plus conséquent de cette démarche avant la Cinquième Symphonie de Beethoven. WECKERLIN (Jean-Baptiste), compositeur, musicologue et folkloriste français (Guebwiller, Haut-Rhin, 1821 - Trottberg, Haut-Rhin, 1910). Fils d’industriels alsaciens, il fit ses études secondaires à Colmar avant d’entrer au Conservatoire de Paris où il étudia de 1844 à 1848 avec Elwart (harmonie), Ha-

lévy (composition) et Ponchard (chant). Il se consacra ensuite à l’enseignement tout en composant quelques romances, l’opéra bouffe l’Organiste dans l’embarras (1853), des petits opéras de chambre représentés dans des salons, plusieurs opéras bouffes en dialecte alsacien, de la musique symphonique et des oeuvres religieuses. En 1876, il succéda à Félicien David comme conservateur de la bibliothèque du Conservatoire, poste qu’il occupa jusqu’en 1909, enrichissant la bibliothèque de nombreuses partitions, de collections de lettres et d’autographes, et dressant un catalogue détaillé. Il effectua également d’importants travaux de folkloriste, rassemblant, harmonisant et publiant des chansons de diverses régions : Chansons populaires des provinces de France (1860), Chansons populaires de l’Alsace (1883), l’Ancienne Chanson populaire en France : XVIe et XVIIe siècles (1887). WECKMANN (Matthias), compositeur et organiste allemand (Niederdorla ?, Thuringe, 1619 - Hambourg 1674). En 1630, il entre comme jeune soprano dans la chapelle de la cour de Dresde dirigée par H. Schütz. En 1637, celui-ci le fait envoyer à Hambourg pour apprendre l’orgue et la composition avec Jacob Praetorius et Scheidemann. Après trois ans d’études, l’Électeur de Saxe le nomme organiste et chef des choeurs de sa chapelle de Dresde ; mais, en 1642, il prête son organiste au prince de Danemark en visite à Dresde. En 1647, Weckmann quitte Copenhague pour reprendre son poste à Dresde. À la suite de rivalités, il abandonne la chapelle de Dresde en 1655 pour le poste d’organiste de l’église SaintJacques à Hambourg. Avec les musiciens de cette ville, Scheidemann, Praetorius, Bernhard, etc., il crée le Collegium Musicum de Hambourg. Dans les concerts publics produits par cette fondation, il acquiert une grande réputation de virtuose. Il a composé des oeuvres vocales, dans le style des Concerts sacrés de Schütz, dont trois furent écrites en 1663, pendant l’épidémie de peste à Hambourg. Il a écrit aussi pour l’orgue (huit variations de chorals), et pour divers instruments. Son oeuvre n’a pas été publiée de son vivant. downloadModeText.vue.download 1061 sur 1085

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1055 WEELKES (Thomas), compositeur anglais (Elsted, Sussex, v. 1576 - Londres 1623). On sait très peu de chose de son existence, sinon qu’il est organiste à la cathédrale de Winchester de 1598 à 1601, puis organiste et directeur de la maîtrise de la cathédrale de Chichester de 1601 à 1617. Il est renvoyé de ce poste en raison de sa mauvaise conduite. En 1602, il reçoit le titre de Bachelor of Music de l’université d’Oxford, et se marie en 1603. Avec son contemporain John Wilbye, Thomas Weelkes compte parmi les plus grands maîtres du madrigal anglais. Si son oeuvre n’est pas toujours l’égale de celle du premier, elle est nettement plus abondante ou, en tout cas, mieux conservée. Quatre livres de madrigaux, de Balletts, d’Ayeres or Phantasticke Spirites for Three Voices, ont paru en 1597, 1598, 1600 et 1608 à Londres. Sa musique religieuse (services, antiennes, Magnificat, Nunc Dimitis, Te Deum) est restée manuscrite à l’exception de deux pièces incluses dans les Teares and Lamentations of a Sorrowful Soul de Leighton (1614). Quelques oeuvres instrumentales, pour clavier ou pour un ensemble de violes (In nomine, pavanes), complètent cette liste. Fasciné par la cosmographie, par le fantastique, Weelkes emploie un chromatisme parfois excessif. En revanche, cette étrangeté trouve sa pleine expression dans un madrigal extraordinaire : Thule, the Period of Cosmography (1600). Gai, extraverti, parfois maladroit, son talent s’exerce également dans les pièces du genre brillant ou populaire. Si The Cries of London n’atteignent pas la perfection de forme, de contrastes et d’invention des Cris de Paris de Clément Janequin, la simplicité de la scène évoquée est peut-être plus réaliste. Pour Th. Morley, l’ami qui lui a sans doute inspiré ses Balletts (de l’italien balletto), Weelkes compose la déploration à six voix intitulée Death hath deprived me of my dearest friend (1608). WEGELER (Franz Gerhard), médecin allemand (Bonn 1765 - Cologne 1848). Ami de Beethoven à Bonn jusqu’au départ de ce dernier pour Vienne en novembre 1792, il séjourna lui-même à Vienne

d’octobre 1794 à 1796, date après laquelle Beethoven et lui échangèrent quelques lettres. Il épousa Éléonore (Lorchen) von Breuning en 1802 - la famille von Breuning, à savoir la mère (veuve depuis 1777), trois fils et une fille, avait offert à Beethoven durant sa jeunesse à Bonn une sorte de second foyer - et se fixa à Cologne en 1807. En 1838, il publia avec Ferdinand Ries des Biographische Notizen über Ludwig van Beethoven (2e éd. avec supplément de Wegeler seul 1845). WEGELIUS (Martin), compositeur et pédagogue finlandais (Helsinki 1846 - id. 1906). Il étudia à Vienne, Leipzig et Munich, et se fit d’abord connaître dans sa ville natale comme compositeur. Fervent admirateur de Wagner, il fonda en 1882 à Helsinki un institut musical dont il conserva la direction jusqu’à sa mort : sur la recommandation de Hugo Riemann, il y engagea Busoni comme professeur de piano (18881890), et y compta parmi ses élèves Sibelius (1886-1889), Armas Järnefelt, Erkki Melartin et Selim Palmgren. En 1939, l’institut fut rebaptisé Académie Sibelius. WEIDINGER (Anton), trompettiste autrichien (Vienne 1767 - id. 1852). Il entra dans l’orchestre de la cour en 1792 et inventa vers 1793 une trompette à trous et à clés (appelée parfois « trompette organisée ») permettant de jouer sur deux octaves tous les degrés de la gamme chromatique. Cet instrument suscita rapidement au moins trois oeuvres : le concerto de Haydn (1796, créé en public par Weidinger le 28 mars 1800), une symphonie concertante pour sept solistes de Leopold Kozeluch (jouée par Weidinger et d’autres les 22 et 23 décembre 1798) et le concerto de Hummel (1803, joué par Weidinger à la cour le 1er janvier 1804 au retour d’une tournée à Leipzig et à Londres). Neukomm l’utilisa dans son requiem à la mémoire de Louis XVI (1815). L’instrument moderne ne devait cependant apparaître qu’avec la trompette à pistons de Blühmel (1813). WEIGL, famille de musiciens autrichiens. Joseph, violoncelliste (Bavière 1740 Vienne 1820). Engagé en même temps que Haydn (qui écrivit pour lui son Concerto pour violoncelle en ut Hob. VIIb.1) par le prince Esterházy en 1761, il occupa son

poste jusqu’en 1769, puis devint premier violoncelle au théâtre de la Porte-de-Carinthie à Vienne. En 1792, il entra dans la chapelle impériale. Joseph, compositeur et chef d’orchestre (Eisenstadt 1766 - Vienne 1846). Fils du précédent et filleul de Haydn, il étudia à Vienne avec Salieri, qui l’introduisit dans les milieux du théâtre (il fit répéter et dirigea les Noces de Figaro et Don Giovanni de Mozart, puis participa aux répétitions de Così fan tutte). Maître de chapelle et compositeur des théâtres de la cour en 1792, il obtint son premier succès en 1794 avec La Principessa d’Amalfi. Suivirent de nombreux opéras italiens et de nombreux singspiels, parmi lesquels surtout Das Waisenhaus (1808) et Die Schweizerfamilie (Robinson suisse, 1809). De 1827 à 1838, il fut vice-maître de chapelle impérial. Il écrivit aussi de la musique sacrée, ainsi que deux autobiographies demeurées manuscrites. Thaddäus, compositeur, chef d’orchestre et éditeur, (Vienne ? 1776 - Vienne 1844). Frère du précédent, il fonda sa maison d’édition en 1803. À la suite d’une faillite en 1831, elle fut reprise par Diabelli et Artaria. WEILL (Kurt), compositeur américain d’origine allemande (Dessau 1900 - New York 1950). Encouragé très tôt à la musique par son père, il étudie auprès de A. Ding et entre en 1918 dans la classe de E. Humperdinck et celle de R. Krasselt à l’École supérieure de musique de Berlin. Pour gagner sa vie, il se produit comme pianiste de cabaret et fait des arrangements de musiques scéniques. En 1919, il assure les fonctions de corépétiteur au théâtre de Dessau et en 1929 de directeur musical au théâtre de Lüdenscheidt, et se trouve ainsi directement en contact avec les milieux de la scène. En 1921, il entre dans la classe de Busoni en présentant sa Première Symphonie en un mouvement, et compose des musiques d’inspirations diverses, assez influencées par Mahler et par Schönberg (Die Zaubernacht, 1922 ; Der Frauentanz, 1924 ; Quatuor op. 8, 1923). Il prend part au même moment aux activités de groupements idéologiques comme le Novembergruppe. Il obtient un premier succès

en 1924 avec son Concerto pour violon et instruments à vent, d’écriture concise et directe, mais qui n’est pas sans présenter un certain côté expressionniste dont il ne se départira jamais. Cette période européenne est ensuite marquée par trois rencontres décisives, tout d’abord celle avec Fritz Busch, en 1922, qui devient un de ses plus fidèles interprètes et le présente à Georg Kaiser, écrivain dramatique expressionniste à tendances sociales, avec qui il collabore à plusieurs reprises. Il lui fournit le livret du Protagoniste (1924-25), court drame comicotragique pour lequel Weill fait s’opposer deux orchestres et introduit dans sa musique des éléments de jazz et de danses modernes. La seconde rencontre berlinoise est celle de Yvan Goll, écrivainpoète expressionniste gagné à l’esthétique de l’absurde, qui lui procure le texte du Nouvel Orphée (cantate scénique, 1925), et de Royal Palace (1927), « Zeitoper » (opéra d’actualité) inspiré de l’opérette et du cabaret et qui ne renonce à aucun des gadgets modernes, des hélices d’avion aux projections de diapositives. Il écrit la même année une « comédie à la manière ancienne » sur un texte de Kaiser, Le tsar se fait photographier, dans laquelle il allie choeur de vieillards à l’antique et airs de tango diffusés par un électrophone. Mais il s’adonne en même temps à un style plus sombre, celui de la ballade Vom Tod im Walde (1927) et du downloadModeText.vue.download 1062 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1056 Berliner Requiem (1928), choeur composé à la mémoire de l’assassinat de Rosa Luxembourg. La rencontre capitale est celle de Brecht, en 1927. Le dramaturge essaie à ce moment-là d’imposer sa conception « épique » du théâtre, libérée des boursouflures du drame. Dans ses pièces, il relate froidement les faits, démonte pour les caricaturer les processus de l’âme humaine, et confie à la musique le devoir de véhiculer les idées principales. C’est Weill qui, alors à la recherche d’un public nouveau et plus vaste, trouve

l’impact nécessaire à cela dans ses songs, sorte de ballades modernes apparentées au moritat et à la chanson de cabaret. Martelées de façon prosodique à l’oreille de l’auditeur, à la manière des chants d’agitproptruppen (groupes d’agitation-propagande), et soutenues par les accents syncopés d’un orchestre repris au jazz, leurs harmonies rudes d’accords parfaits superposés, leurs ruptures tonales brusques, leurs « fausses basses » viennent tour à tour appuyer, contredire ou parodier le contenu des paroles et obliger le spectateur à une « distanciation » critique vis-àvis du spectacle. Les plus belles réussites dans le genre sont l’Opéra de quat’sous (Drei Groschen Oper, 1928) est les deux versions de Grandeur et Décadence de la ville de Mahagonny (Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny, singspiel : 1927 ; opéra : 1929), dans lesquels se produit sa jeune femme Lotte Lenya. Puis, après Happy End (D. Lane, 1929), célèbre pour le Surabaya Song et le Bilbao Song, Weill s’essaie avec Brecht au genre du Lehrstück, cantate scénique didactique ; il compose en 1929 le Lindberghflug, en collaboration avec Hindemith, et, en 1930, Der Jasager. Mais leurs personnalités respectives les obligent à se séparer en 1930, et c’est à K. Neher que Weill demande le livret de Die Bürgschaft (« la Caution », 1931), oeuvre d’envergure qui émousse malheureusement par ses dimensions l’efficacité du song, puis à Kaiser celui de Der Silbersee (1932), qui attaque le nazisme naissant. En 1933, il doit se réfugier à Paris, puis à Londres, et écrit pour Balanchine un ballet mêlé de songs et de monologues, les Sept Péchés capitaux (Die sieben Totsünde, 1933), ultime oeuvre sur un livret de Brecht. En 1935, répondant à un appel de Max Reinhardt, il s’installe définitivement aux États-Unis (il est naturalisé en 1943), où il partage sa vie entre New York et Hollywood. Le changement est total. Possédant à fond son métier d’homme de théâtre et de musicien, Weill s’adapte immédiatement aux courants américains et aux lois du show-business, et se met à composer en grand nombre des opéras à succès influencés par l’opérette et le show en vogue à Broadway. Son langage, parfois très conventionnel, comme dans One

touch of Venus (1943), fait volontiers parler de cotton-candy-music. Toutefois, il ne se départit pas d’une certaine orientation idéologique, dans The Eternal Road par exemple (F. Werfel, 1935, drame biblique sur la question juive), dans les oeuvres sur textes de M. Anderson (Knickerbocker Holiday, 1938 ; Lost in the Stars, 1949), dans Johnny Johnson (1936) ou Down in the Valley (1948, opéra didactique). Il s’ouvre en même temps aux courants de la psychanalyse, en particulier dans Lady in the Dark (1940), succès qui consacre définitivement sa rupture avec l’Europe. Ainsi, Weill n’est pas à considérer du seul point de vue de sa période créatrice des années 20, mais bien en fonction de son adaptation constante aux courants de son époque, en fonction d’une personnalité aux facettes multiples, qui lui a donné de préserver son indépendance vis-à-vis de tout mouvement particulier, et qui explique son influence sur toute une génération de compositeurs allemands, parmi lesquels Eisler et Dessau. WEINGARTNER (Felix Paul von), chef d’orchestre et compositeur autrichien (Zara, Dalmatie, 1863 - Winterthur 1942). Élève du compositeur W. A. Remy à Graz, il entre au conservatoire de Leipzig en 1881 avant de se rendre en 1883 à Weimar auprès de Liszt, qui fait représenter son opéra Sakuntala. De 1884 à 1891, il est successivement chef d’orchestre à Königsberg, Dantzig, Hambourg, Francfortsur-le-Main et Mannheim avant d’être, de 1891 à 1897, chef d’orchestre de l’Opéra et des concerts symphoniques de l’orchestre de la cour à Berlin. Il mène de front les carrières de chef lyrique et de chef symphonique, dirigeant successivement à Munich les concerts Kaim (1898-1903), la Hofoper de Vienne (1908-1911), au Théâtre de Hambourg (1912-1914), les activités musicales de Darmstadt (1914-1919), la Volksoper de Vienne (1919-1924) et les concerts de la Philharmonie de Vienne (1908-1927). De 1927 à 1933, il dirige le conservatoire et la Société des concerts de Bâle. Directeur musical du Staatsoper de Vienne (1935-36), il se retire à Interlaken où il donne des cours d’été de direction d’orchestre. Il a composé un certain nombre d’opéras, dont il a écrit également les livrets : Malawika, Genesius, Oreste, Caïn et Abel, etc., sept symphonies, deux concertos

pour violon, quatre quatuors et de nombreux lieder. Il a laissé également plusieurs traités dont l’Art de diriger, la Symphonie après Beethoven et des Mémoires. WEINZWEIG (John), compositeur canadien (Toronto 1913). Il fit ses études musicales à l’université de Toronto (Ernest Mac Millan, Healey Willan) et à l’Eastman School (Bernard Rogers). Après une maîtrise de musique (1938), il découvrit Alban Berg et utilisa le langage sériel dès sa Suite pour piano (1939). Éclectique, il se référa également tantôt aux chants populaires, tantôt au jazz, dans une écriture remarquable par sa maîtrise instrumentale et contrapuntique. Il fonda la Ligue canadienne des compositeurs (1951) et enseigna à la faculté de musique de Toronto. Parmi ses élèves, citons Murray Schafer et Harry Somers. Le rayonnement de son rôle d’éducateur et l’intelligente évolution de sa pensée musicale font de lui l’une des figures les plus significatives de sa génération. WEISS (Sylvius-Leopold), luthiste allemand (Breslau 1684 - Dresde 1750). Il fut le plus remarquable luthiste de la dernière période du luth en Allemagne. Il fut probablement en rapport avec J. S. Bach à Dresde, où il occupa un poste de musicien à la cour de 1717 à sa mort, et sans doute son talent joua-t-il un rôle dans l’intérêt que le Cantor porta au luth, pour lequel il écrivit plusieurs pièces dont deux suites. C’est également cette forme que Weiss adopte la plupart du temps. Toutes ses oeuvres portent la marque d’un grand interprète, mais aussi d’un maître du contrepoint. Exploitant au maximum les possibilités polyphoniques du luth, il en aborde en même temps les limites et constitue sans doute l’aboutissement d’une évolution auquel l’instrument ne survivra d’ailleurs pas. WEISSENBERG (Alexis), pianiste bulgare naturalisé français (Sofia 1929). Il est d’abord l’élève de Pantcho Wladigerow et apprend aussi la composition. En 1943, il entre au Conservatoire de Jérusalem pour y étudier le piano auprès du professeur Schröder. Il se perfectionne ensuite avec Olga Samarov à la Juilliard School de New York. Prix Leventritt en 1947 et, la même année, 1er Prix de la

Youth Competition de l’Orchestre de Philadelphie, il donne ses premiers concerts aux États-Unis, puis en Europe et dans le monde entier. Sous la direction de grands chefs d’orchestre, dont Karajan, il se produit en récital ou en concerto sur les scènes internationales, proposant en particulier des interprétations remarquées des oeuvres de J. S. Bach (dont un certain nombre de transcriptions pour le piano), qui assument la modernité de l’instrument, dans une approche dépouillée, parfois austère. Le caractère méditatif de son jeu est une constante de son approche du piano, et presque un signe distinctif. downloadModeText.vue.download 1063 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1057 Parallèlement à son activité de concertiste, il enseigne et compose. WELIN (Karl Erik), compositeur, organiste, pianiste et pédagogue suédois (Genarp 1934 - Majorque 1992). Il est le représentant de l’avant-garde sous toutes ses formes. Personnalité éclectique et parfois déroutante, il est presque aussi important comme interprète, notamment d’oeuvres qu’il suscite et commande, que comme compositeur. Son oeuvre comprend de nombreuses pièces pour petits ensembles instrumentaux (Pereo pour cordes, et Warum nicht, 1964 ; Etwas für... pour quintette à vent, 1967 ; Eigentlich nicht pour cordes, Hommage à... et Improvisation pour orgue, 1967 ; PC 139, 196970 ; Recidivans, 1972 ; Reciduo pour quatuor à cordes, 1974), mais aussi vocales (Dummerjöns, d’après H. C. Andersen, 1966 ; Ett svenskt rekviem sur un texte de C. von Linné, 1976). WELLER (Walter), violoniste et chef d’orchestre autrichien (Vienne 1939). Il étudie le violon à la Hochschule für Musik de Vienne avec Moravec et Samolyl et, en 1956, intègre la Philharmonie de Vienne où son père est violoniste. De 1958 à 1971, il anime le Quatuor Weller : ses interprétations des quatuors de Haydn sont des modèles de précision et d’humour. En 1961, il est premier violon de la Philharmonie et de l’Opéra de Vienne. En 1966, il prend conseil auprès de Joseph Krips et de

Georges Szell, et, en 1968, débute comme chef d’orchestre. Sa carrière est brillante, à Vienne et à Londres. De 1977 à 1980, il dirige la Philharmonie de Liverpool, et celle de Londres de 1980 à 1985. En 1989, il dirige le Vaisseau fantôme à la Scala, et est invité en Espagne et en Écosse. Chef aussi inspiré qu’il avait été un violoniste génial, il est nommé en 1994 à la tête de l’Orchestre symphonique et de l’Opéra de Bâle. WELLESZ (Egon Joseph), compositeur, pédagogue et musicologue autrichien (Vienne 1885 - Oxford 1974). Il commença des études de droit qu’il abandonna bientôt, et prit des leçons privées de piano et d’harmonie (Carl Frühling) en même temps que de musicologie (Guido Adler). Les représentations dirigées par Mahler à l’Opéra de Vienne confirmèrent sa vocation. En 1904, il rencontra Schönberg, qui lui enseigna le contrepoint pendant deux ans. Il passa son doctorat de musicologie avec deux thèses brillantes sur Giuseppe Bonno (1908) et Francesco Cavalli (1913). Après avoir enseigné l’histoire de la musique au Nouveau Conservatoire de Vienne (1911-1915), il se spécialisa dans l’étude des musiques de l’Orient chrétien. Devenu professeur à l’université de Vienne (1929-1938), il se consacra avec succès au déchiffrement de l’écriture musicale byzantine, fondant en 1932 l’Institut de musique byzantine de la Bibliothèque nationale de Vienne. À Londres, où il émigra en 1938, il donna des cours au Royal College of Music, puis à l’université de Cambridge, avant d’être nommé, l’année suivante, conférencier sur la musique byzantine et professeur à Oxford, postes qu’il devait occuper jusqu’en 1956. Invité à plusieurs reprises à donner des cours aux États-Unis (Princeton et Dumbarton Oaks), il écrivit de nombreuses études sur la musique byzantine et devint le rédacteur en chef de deux volumes de la New Oxford History of Music (1953). Comme compositeur, il a été fortement influencé par Mahler, et plus encore par Schönberg, dont il fut le premier biographe (Vienne, 1921 ; trad. angl. 1924 ; réimpr. 1969), mais sa connaissance approfondie des musiques religieuses proche-orientales a laissé également

des traces évidentes dans sa musique. Son oeuvre très abondante (plus de cent numéros d’opus) aborde tous les genres. Membre très actif du comité directeur de la S. I. M. C., il a énergiquement contribué à sa renaissance après 1945. On lui doit notamment le ballet Das Wunder der Diana (1924), les opéras Die Prinzessin Girnara (1921, rév. 1928), Alkestis (1924) et Incognita (1951), des oeuvres vocales, de la musique de chambre dont neuf quatuors à cordes (1911-12 à 1966), et de la musique d’orchestre dont neuf symphonies (1945 à 1971). WENZINGER (August), violoncelliste et gambiste suisse (Bâle 1905). De 1915 à 1927, il étudie au Conservatoire de Bâle, et s’intéresse au jeu de la viole de gambe dès 1925. Élève d’Emmanuel Feuermann à Berlin, il est de 1929 à 1934 violoncelle solo de l’Orchestre de Brême. Il se fait connaître grâce au Cercle de musique de chambre Scheck-Wenzinger, premier ensemble baroque à avoir joué sur instruments d’époque, et dirige l’ensemble Kabeler Kammermusik à Hagen (Westphalie). En 1934, il fonde avec Paul Sacher la Schola cantorum basiliensis. Jusqu’en 1970, il y enseigne à la fois la viole et le violoncelle, et anime un quatuor de gambes. De 1945 à 1958, il dirige la Cappella colonisiensis. Auteur d’une méthode de viole et de nombreux ouvrages sur la musique ancienne, il est un pionnier : sa démarche a inspiré tout le renouveau de l’interprétation baroque des années 1960. Il enseigne aussi à Hanovre et Hambourg et, de 1972 à 1989, dirige l’Institut international baroque d’Oberlin, dans l’Ohio. WERCKMEISTER (Andreas), organiste, compositeur et théoricien allemand (Benneckenstein 1645 - Halberstadt 1706). Issu d’une famille de musiciens, il devint organiste en plusieurs localités et finalement à Halberstadt (1692), où il demeura jusqu’à sa mort, assurant également l’inspection des orgues de la principauté. Il a laissé quelques compositions pour son instrument, ainsi que pour violon et basse continue. Mais s’il est passé à la postérité, c’est par son oeuvre de théoricien, qui fit sa célébrité de son vivant même. Il a publié plus de dix volumes d’écrits qui

touchent aux divers domaines de la composition musicale et de l’organologie, et montrent l’étendue de ses connaissances. En matière de composition, il faut mentionner principalement Die nothwendigsten Anmerckungen und Regeln, wie der Bassus continuus oder General-Bass könne tractiren werden (traité de la basse continue, Aschersleben, 1698) et Harmonologia musica (Francfort et Leipzig, 1702, dans lequel il développe une théorie sur le renversement des accords). La plupart de ses autres ouvrages ont trait à la facture d’orgue (Orgel-Probe, Francfort et Leipzig, 1681, réédité et augmenté en Erweiterte und verbessene Orgel-Probe, Francfort et Leipzig, 1698 ; Organum Gruningense redivivum, étude sur l’orgue ancien à partir de l’instrument de Groningen, Quedlinburg et Aschersleben, 1705). Mais le domaine dans lequel Werckmeister exerça la plus grande influence est celui de l’acoustique et de l’accord des instruments à clavier. Pour résoudre les problèmes de division de la gamme en intervalles aussi peu dissemblables que possible, il proposa plusieurs systèmes de tempérament dans son ouvrage Musicalische Temperatur (Francfort et Leipzig, 1686-87), et alla plus loin sur la voie d’un tempérament égal dans Hypomnemata musica (Quedlinburg, 1697). Il est plus que vraisemblable que Bach ait eu connaissance des ouvrages de Werckmeister, au moins par son ami et parent Walther, son collègue à Weimar, qui avait été peu de temps auparavant (1704) l’élève de Werckmeister à Halberstadt. Le Clavier bien tempéré, dont le premier volume a été achevé en 1722, est la démonstration musicale du bienfondé des théories de Werckmeister, non pas sur un tempérament rigoureusement égal, qui n’était pas encore connu, mais bien, comme l’indique son titre, sur un bon tempérament, permettant à la fois de jouer et de moduler dans tous les tons tout en préservant le caractère individuel propre à chacun des tons. WERLE (Lars Johan), compositeur suédois (Gävle 1926). Élève de S. E. Bäck, il commence à composer assez tard mais ses débuts sont très remarqués (Pentagram, quatuor à cordes, 1959-60). L’essentiel de son oeuvre est downloadModeText.vue.download 1064 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE

1058 destiné à la scène (trois opéras : Drömmen om Thèrese, « Pour une nuit d’amour », 1963-64 ; Resan, « le Voyage », 1968-69 ; Tintomara, 1972 ; de la musique de ballet : Zodiac, 1967 ; de la musique de chambre et instrumentale : Musique d’été 1965 ; Attitudes pour piano, 1955 ; Variété, 1971 ; et des oeuvres chorales : Canzone 126 di Francesco Petrarca, 1967 ; Préludes nautiques, 1970). Compositeur d’une remarquable virtuosité d’écriture, Werle utilise souvent la parodie ; c’est le cas notamment dans ses opéras qui se sont imposés hors des frontières de son pays et qui, par bien des côtés, peuvent évoquer à l’auditeur français le monde musical de C. Prey. WERNER (Gregor Joseph), compositeur autrichien (Ybbs-sur-le-Danube 1693 Eisenstadt 1766). Il fut organiste à Melk de 1715 à 1716 (ou 1721), puis vécut à Vienne, et en 1728, fut engagé comme maître de chapelle des Esterházy à Eisenstadt, poste qu’il devait occuper jusqu’à sa mort avec comme vice-maître de chapelle, à partir de 1761, Joseph Haydn. Durant ses cinq dernières années, Werner n’eut plus en charge que la musique religieuse, Haydn ayant autorité sur tout le reste (musique instrumentale, musique vocale profane, relations avec l’orchestre). Werner se sentit quelque peu dépassé par les événements, et en octobre 1765, dans une pétition au prince, alla jusqu’à se plaindre de ce que par la faute de Haydn, le désordre régnait un peu partout. Jusqu’à son dernier jour, il écrivit beaucoup de musique religieuse (a cappella ou dans le style concertant), et de 1729 à 1762, il dirigea tous les vendredis saints un de ses oratorios à Eisenstadt. On lui doit aussi des oeuvres instrumentales, parmi lesquelles un curieux Musicalischer Instrumental-Calender (1748). En 1804, Haydn transcrivit pour quatuor à cordes et fit paraître chez Artaria six de ses préludes d’oratorios. WERT (Giaches de, Jaches de), compositeur flamand (Anvers 1535 - Mantoue 1596). Sa vie musicale commence, semble-t-il, à Avellino, près de Naples où, très jeune, il

est envoyé pour devenir enfant de choeur chez la marquise della Padulla. En 1561, il se trouve à Parme, une étape importante, puisqu’il s’y instruit auprès de Cipriano de Rore, le père du madrigal dramatique. Ensuite, après un séjour à Milan, Wert s’installe à Mantoue, nommé maître de chapelle de Santa Barbara en même temps que maître de chapelle à la cour du duc Guglielmo Gonzaga. Là, il compose des messes, des motets, des magnificat, un grand nombre de madrigaux (onze livres sont publiés à Venise entre 1558 et 1595), des musiques de circonstance, de fêtes (malheureusement perdues). Monteverdi arrive à Mantoue en 1589 et joue de la viole dans l’orchestre que dirige Wert. Gastoldi compte alors parmi les assistants du maître flamand. À sa mort, Wert est remplacé à la cour de Mantoue non pas par Monteverdi, mais par l’habile Benedetto Pallavicino (que Claudio jugeait tout juste « capable »). Gastoldi est nommé maître de chapelle à Santa-Barbara. Giaches de Wert a sans doute influencé le jeune Monteverdi, notamment dans le domaine de la seconda prattica encore à ses débuts. Ensemble ils ont pu apprécier les voix merveilleuses des trois dames de Ferrare qui ont inspiré un bon nombre des madrigaux de Wert dont, par exemple, Vezzosi Augelli, où le compositeur agrémente un texte du Tasse de vocalises melliflues et d’une polyphonie aérée. WESLEY, famille d’ecclésiastiques et de musiciens anglais. John, ecclésiastique (Epworth, Lincolnshire, 1703 - Londres 1791). Fondateur du méthodisme, il encouragea l’utilisation pour les hymnes de mélodies profanes. Son frère Charles (1707-1788) en composa lui-même un grand nombre. Charles, compositeur, neveu de John (Bristol 1757 - Londres 1834). Enfant prodige, il étudia avec William Boyce. Ses oeuvres, très conservatrices, restent ancrées dans le style de Haendel. Samuel, organiste et compositeur, frère du précédent (Bristol 1766 - Londres 1837). Il se développa plus lentement mais plus sûrement que lui. Il commença à se familiariser avec l’orgue vers l’âge de six ans, et, vers huit ans, acheva son oratorio Ruth. Il devint un très grand virtuose du violon

et surtout de l’orgue. En 1784, il se convertit au catholicisme. Victime en 1787 d’un très grave accident, il devint instable et irritable. Grand admirateur de J.-S. Bach, il joua un rôle de premier plan dans la diffusion de sa musique en Angleterre, convertissant à sa cause Charles Burney, participant de 1810 à 1813 à une édition du Clavier bien tempéré bien plus satisfaisante que les trois qui existaient déjà en Allemagne. Ses oeuvres sont fort nombreuses : symphonies (plusieurs dans la manière de J.-C. Bach puis une dans celle des londoniennes de Haydn), musique de chambre, pièces pour piano, oeuvres vocales profanes, oratorios Ruth (1774) et The Death of Abel (1779), oeuvres religieuses en latin ou pour le culte anglican. On lui doit aussi une autobiographie demeurée manuscrite (vers 1836). Son intéressante correspondance a été en grande partie éditée par sa fille naturelle Eliza (1819 - 1895). Samuel Sebastian, organiste et compositeur, fils naturel du précédent (Londres 1810 - Gloucester 1876). Il reçut comme prénoms ceux de son père et de J.-S. Bach, et, de 1832 à sa mort, occupa divers postes d’organiste. Il écrivit quelques pièces instrumentales (orgue, piano, orchestre) et quelques pièces vocales profanes, mais son importance réside essentiellement dans sa musique religieuse en langue anglaise. Il fut, en ce domaine, le plus grand compositeur entre Purcell et Stanford. WESTRUP (sir Jack Allan), musicologue anglais (Londres 1904 - Headley 1975). Il fit ses études au collège de Dulwich et au Balliol College d’Oxford. Directeur de l’Oxford Opera Club en 1926, il fut en 1929-30 chef d’orchestre du London Opera Festival. Il enseigna au King’s College de Newcastle et à l’université d’Oxford (1947-1971), où il avait obtenu son doctorat de musicologie en 1946. Par la suite, il dirigea l’Oxford Bach Choir et l’orchestre de l’université. Après avoir été critique musical au Daily Telegraph et au Monthly Musical Record, il devint rédacteur de la revue Music and Letters (1959). En 1947, il avait supervisé l’édition de la New Oxford History of Music. Ses travaux ont porté essentiellement sur la musique de la Renaissance et du XVIIe siècle. En 1925, il avait publié une

édition de l’Orfeo de Monteverdi, et, en 1927, du Couronnement de Poppée. Spécialiste de la musique anglaise, il a écrit sur Purcell un ouvrage considéré comme définitif (Purcell, 1937, dernière rééd., 1980). On lui doit également des études sur Haendel (1938), sur Liszt (1940) ainsi que sur les symphonies de Tchaïkovski, les cantates de Bach, la musique de chambre de Schubert. Il avait été anobli en 1961. WEYSE (Christoph Ernst Friedrich), compositeur et organiste danois (Altona 1774 - Copenhague 1842). Il fut l’élève de J. A. P. Schulz. Son premier succès, Sovedrikken (« la Potion somnifère », comédie lyrique, 1809), lui permit d’être engagé à la cour, qui lui commanda la majorité de son oeuvre, cantates et comédies où se développent ses principales qualités : une grande sensibilité au texte et un remarquable instinct linguistique. Ces caractéristiques firent de lui le premier et l’un des principaux compositeurs danois de mélodies, notamment avec les Morgen-og Aftensange (« Chants du matin et du soir ») sur des textes de B. S. Ingemann, en 1837-38. Prodigieux improvisateur, admiré par Liszt, il ne laisse que peu d’oeuvres pour clavier (études, trois sonates), pour lesquelles Moscheles avait une grande considération. downloadModeText.vue.download 1065 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1059 WIDOR (Charles Marie), organiste et compositeur français (Lyon 1845 - Paris 1937). Son père, d’ascendance hongroise, était organiste à Lyon, et fut son premier professeur. Entré au conservatoire de Bruxelles, il y fut l’élève de Lemmens (orgue) et de Fétis (composition). À l’âge de vingt ans, il commença à effectuer des tournées d’organiste ; en 1869 il devint organiste de l’église Saint-Sulpice à Paris, poste qu’il devait conserver soixantecinq ans, jusqu’en 1934. Entre 1876 et 1900, il écrivit ses dix symphonies pour orgue, qui rénovent totalement la technique et l’esthétique de l’orgue français. Bien plus qu’un instrument liturgique, l’orgue devient pour lui un instrument de concert, dont il utilisa avec habileté tous

les contrastes. En dehors de l’orgue, son oeuvre instrumental comprend des sonates et des pièces diverses pour piano, des concertos (piano, violoncelle), de la musique de chambre (notamment deux quintettes) et quatre symphonies. Il a également écrit pour le théâtre les ballets la Korrigane (1880), et Jeanne d’Arc (1890) et trois opéras dont le plus marquant est les Pêcheurs de la SaintJean (1905). Mais c’est surtout à l’orgue que son nom est resté lié. En 1890, Widor succéda à Franck à la classe d’orgue du Conservatoire de Paris, puis à Théodore Dubois à la classe de composition. Il devint membre de l’Académie des beaux-arts en 1910 et son secrétaire perpétuel en 1914. Il collabora avec Albert Schweitzer pour l’édition des grandes oeuvres d’orgue de Bach. De 1920 à 1934, il dirigea le Conservatoire américain de Fontainebleau. Enfin, il créa à Madrid la villa Velázquez, qui exista jusqu’en 1936 et fit pendant à la villa Médicis. Héritier des principes de Franck, qu’il développa, Widor précéda dans le monde de l’orgue les grands artistes qui devaient s’y révéler et dont beaucoup furent ses élèves : Tournemire, Vierne, Dupré. Ce dernier fut son successeur en 1934 à la tribune de Saint-Sulpice. WIÉNER (Jean), pianiste et compositeur français (Paris 1896 - id. 1982). Après avoir été encouragé par Gabriel Fauré, il fut au Conservatoire (jusqu’en 1914) l’élève d’André Gédalge. Par l’intermédiaire du pianiste Yves Nat, il eut son premier contact avec la musique négroaméricaine, qu’il s’attacha à divulguer après la Première Guerre mondiale. Le 28 avril 1920, il donna son premier récital, Salle Érard, avec la cantatrice Jane Bathori. À la même époque, il attirait l’attention avec une Sonatine syncopée, suivie d’une Suite pour piano et violon, où se mêlaient formules classiques et rythmes américains. Cette « salade », chère à Jean Wiéner, fut aussi mise en pratique dans les programmes des concerts qu’il organisa de 1921 à 1925 : des musiques de jazz y côtoient des créations d’ouvrages contemporains classiques comme Pierrot lunaire de Schönberg, donné pour la première fois en France sous la direction de Darius Mil-

haud (1921). En 1933, Wiéner composa sa première musique de film (l’Âne de Buridan). Il devait en signer près de trois cents, dont la plus populaire demeure sans doute celle de Touchez pas au grisbi ! (1954). En 1938, il participa à l’un des spectacles du Front populaire et devint critique musical à Ce soir. On lui doit encore de très nombreuses musiques de scène, un Concerto franco-américain (1923), un Concerto pour accordéon (1964), un Concerto à deux guitares destiné à Ida Presti et Alexandre Lagoya et une Sonate pour violoncelle (1968) demandée par Rostropovitch. Il a publié ses mémoires en 1978 sous le titre Allegro appassionato. WIENIAWSKI, famille de musiciens polonais. Henryk, violoniste et compositeur (Lublin 1835 - Moscou 1880). Il étudia à Lublin avec J. Hornziel et S. Serwacz’ynski, et, en 1843, entra dans la classe de Clavel au Conservatoire de Paris, puis dans celle de Massart avec lequel il travailla jusqu’en 1848. Après ses premiers triomphes à Paris et à Saint-Pétersbourg, il fit une grande tournée de concerts dans toute l’Europe en compagnie de son frère Josef, pianiste. De 1860 à 1871, il fut violoniste à la cour de Saint-Pétersbourg. De 1872 à 1874, il effectua une tournée aux États-Unis (dont une série de concerts avec A. Rubinstein). De 1874 à 1876, succédant à Vieuxtemps, il fut professeur de violon au conservatoire de Bruxelles. Virtuose exceptionnel, il se jouait des difficultés techniques les plus ardues : dixièmes, pizzicati de la main gauche, sons harmoniques, doubles, staccato volant, etc. Il a composé des oeuvres (dont deux concertos) destinées à son propre usage, pour mettre en valeur son étonnante technique. Josef, pianiste et compositeur (Lublin 1837 - Bruxelles 1912). Frère du précédent, il fut l’élève de Liszt à Weimar (1855-56), et fut professeur de piano au conservatoire de Bruxelles de 1878 à sa mort. WIKMANSON (Johan), compositeur suédois (Stockholm 1753 - id. 1800). Élève de l’abbé Vogler et de Johann Martin Kraus, il fut élu membre de l’Académie royale de musique de Suède en 1788, et y devint directeur du département de l’Édu-

cation en 1796 et professeur d’harmonie et de théorie musicale en 1797. On lui doit notamment une trentaine de lieder, des oeuvres pour piano, et trois quatuors à cordes publiés par sa fille en 1801 avec une dédicace à Haydn. WILBYE (John), compositeur anglais (Diss, Norfolk, 1574 - Colchester, Essex, 1638). Fils d’un tanneur, Mathew Wilbye, John est baptisé le 7 mars 1574. Puis on perd sa trace jusqu’au moment de la publication de son premier livre de madrigaux en 1598. À cette époque, il est déjà entré au service de la famille de sir Thomas Kytson, près de Bury St. Edmond’s (Suffolk). Il reste trente ans à ce poste, jusqu’à la mort de lady Kytson en 1628, et passe les dix dernières années de sa vie chez une amie de longue date, lady Rivers, à Colchester. En 1609, il publie le Second Set of Madrigals to 3, 4, 5 and 6 Parts Apt for Both Voyals and Voyces. Un autre madrigal se trouve dans le recueil The Triumphs of Oriana (1601) et deux autres pièces dans The Teares and Lamentations of Sorrowful Soul (1614) de sir W. Leighton. Quelques pièces isolées, généralement incomplètes, sont conservées en manuscrit. On ne connaît de lui aucune oeuvre religieuse. Les deux recueils renferment un total de soixante-quatre madrigaux. C’est peu. Mais par la qualité uniformément élevée de cette musique, Wilbye s’affirme comme le plus grand de tous les madrigalistes anglais. Il possède le métier sérieux et la maîtrise du contrepoint de W. Byrd, le don mélodique et la gracieuse légèreté dans le style canzonette cher à Th. Morley (Fly not so swift), ainsi que la science du madrigal italien (Ferrabosco). C’est un musicien plus raffiné et plus égal que Th. Weelkes ; le chromatisme de Wilbye demeure toujours discret et au service de l’expression. En cela il se rapproche de Luca Marenzio. Quant aux textes littéraires, il les traite en connaisseur : chaque image miroite dans sa musique qui développe une intensité incomparable. Un titre encore, le superbe madrigal Draw on, sweet night à six voix qui, avec ses alternances de majeur/mineur, décrit la douceur de la nuit et, ensuite, l’homme harassé qui vient y chercher un apaisement.

WILDBERGER (Jacques), compositeur suisse (Bâle 1922). Entré en 1940 au conservatoire de sa ville natale, il devint en 1948 l’élève de Vladimir Vogel, qui l’initia aux techniques sérielles. Depuis 1966, il enseigne la théorie et la composition à l’Académie de musique de Bâle. Après avoir écrit en 1952 un quatuor pour flûte, clarinette, violon et violoncelle s’inspirant formellement des Variations pour orchestre de Schönberg, il s’imposa en 1953 à Donaueschingen avec Tre mutazioni pour orchestre de chambe, où se manifeste l’influence de Webern. Intensio-Centrum-Remissio pour orchestre downloadModeText.vue.download 1066 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1060 fut créé sous la direction de Pierre Boulez à Aix-en-Provence en 1958. Avec Musique pour 20 cordes solistes (1960), Wildberger étendit le sérialisme aux durées. Citons encore Contratempi pour flûte, flûte alto, flûte basse et quatre groupes d’orchestre (1970), et des oeuvres vocales comme Épitaphe pour Évariste Galois pour récitants, soprano, baryton, choeur parlé, orchestre et bande (1962), La Notte pour cinq instruments et bande, d’après des textes de Michel-Ange et de Hans Magnus Enzensberger (1967), et Die Stimme, die alte schwächer werdende Stimme pour soprano, violoncelle, orchestre et bande (1974), Canto pour orchestre. WILLAERT (Adriaan), compositeur flamand (Bruges ? v. 1490 - Venise 1562). Il reçut à Paris l’enseignement de J. Mouton après avoir, semble-t-il, abandonné des études juridiques. Le milieu musical parisien le marqua d’ailleurs profondément (choix des textes, stylistique). Mais c’est en Italie qu’il devait faire carrière : à la cour de Ferrare (1522) et à Milan (1525-1527) comme chantre, puis à Venise (1527), où, pendant trente ans, il occupa le poste de maître de chapelle à Saint-Marc. Il fut le véritable fondateur de l’école de Venise par sa personnalité et ses oeuvres, par son enseignement et par la qualité de ses disciples : Cyprien de Rore, son successeur à Saint-Marc, A. Gabrieli,

Mesulo, Porta, les théoriciens Zarlino et Vicentino. Ces deux derniers ont fort bien mis en relief son apport en écrivant sous son influence, le premier les Istitutioni harmoniche (1558), l’une des bases de l’enseignement du contrepoint pendant plus d’un siècle, et le second L’Antica Musica (1555), où sont soulignées les possibilités de l’expression et du chromatisme. L’originalité de Willaert et de l’école vénitienne à sa suite est, en effet, d’avoir su faire fusionner l’héritage de la polyphonie nordique et les ressources de l’expression, de la couleur. Dans ses motets (350), Willaert utilise très tard la technique du cantus firmus et les procédés du canon, mais dès le motet à six voix Verbum bonum et suave (1519), il sait trouver des phrases courtes et une sobriété pleine de vigueur, et par-delà sa science des enchaînements de période, fait preuve d’un certain sens de l’harmonie. Les messes soulignent bien que son dessein fut de dépasser les maîtres franco-flamands par la clarté et par la recherche d’un « certain plaisir à surprendre l’oreille », ce qui se traduit notamment par l’usage de retards. Ce n’est pas sans raison que l’Arétin, qui exigeait de la musique une « volupté immédiate », le surnomma le « père de la musique ». Dans un esprit de rénovation et de diversification, il introduisit également des procédés français : d’où un souci des mots et de leur sonorité. Il n’inventa pas le double choeur, mais sut admirablement en tirer parti (cf. Salmi spezzati, 8 v., 1550). Willaert est avec Festa, Arcadelt, Verdelot, l’un des créateurs du madrigal. Ses premiers madrigaux sont encore très proches de la frottola. Mais son art devint, plus tard, extrêmement savant et raffiné sur le plan sonore et expressif, sans renoncer pour autant au contrepoint. Certains ont pu lui reprocher un manque de véritable émotion, mais ses contemporains ont su reconnaître la justesse de sa déclamation, la clarté et l’audace de son harmonie. La fusion qu’il opéra des styles des pays du Nord et de l’art italien représente un tournant important dans l’histoire de la musique. WILLIAMS (John), guitariste australien (Melbourne 1942).

Il commence l’étude de la guitare avec son père. Après l’installation de sa famille en Angleterre en 1952, il travaille avec A. Segovia. De 1956 à 1959, il étudie le piano, l’harmonie et l’histoire de la musique au Royal College of Music de Londres. Dès l’âge de seize ans, il commence une brillante carrière, qui devient rapidement internationale. En récital soliste et en formation de musique de chambre, il se produit dans un répertoire qui inclut le jazz, la création contemporaine et la musique pop (en particulier avec l’ensemble qu’il a créé : The Height Below). De 1960 à 1973, il enseigne au Royal College of Music de Londres et dirige à partir de 1984 plusieurs festivals en Angleterre et en Australie. WILLIAMSON (Malcolm), compositeur australien (Sydney 1931). Il a étudié au conservatoire de sa ville natale avec Eugene Goosens, puis à Londres avec Élisabeth Lutyens (1950). Fixé dans la capitale britannique depuis 1953, il est devenu Master of the Queen’s Music en 1975, succédant à ce poste à sir Arthur Bliss. Il a écrit notamment des opéras, parmi lesquels Our Man in Havana, d’après Graham Greene (1963), English Eccentrics, d’après Edith Sitwell (1964), Julius Caesar Jones, opéra pour enfants (1966), Dunstan and the Devil (1967), The Growing Castle, d’après Strindberg (1968), Lucky Peter’s Journey, d’après Strindberg (1969), et The Red Sea (1972), Mass of Christ the King (1977, dont Agnus Dei à la mémoire de B. Britten), les Olympiques pour mezzo-soprano et cordes, d’après Montherlant (1977), et cinq symphonies (de 1957 à 1980). WILLIENCOURT (Dominique de), violoncelliste français (Lille 1959). Au Conservatoire de Paris, il étudie auprès d’André Navarra et de Philippe Müller, et obtient en 1981 deux premiers prix (violoncelle et musique de chambre). Lauréat du Concours Rostropovitch la même année, il se perfectionne auprès de Mstislav Rostropovitch. Sa carrière se partage d’emblée entre les concerts (en solo et, surtout, en formation de musique de chambre) et l’enseignement. Avec Bruno Walter et Laurent Verney, il fonde le trio BWV, se produit avec de nombreux autres instrumentistes, réalise des enregistrements. Il appartient à l’association « Pour

que l’esprit vive » au Domaine de la Prée, où se retrouvent en résidence interprètes et créateurs. WINDGASSEN (Wolfgang), ténor allemand (Annemasse 1914 - Stuttgart 1974). Il fut élève de son père, Fritz Windgassen, lui-même ténor principal à l’Opéra de Stuttgart de 1923 à 1944. Il fit ses débuts à Pforzheim en 1941, dans le rôle d’Alvaro de La Forza del destino. Il chanta à Stuttgart à partir de 1945 et au Festival de Bayreuth à partir de 1951, et devait s’affirmer dans les années suivantes comme le meilleur ténor wagnérien de l’immédiat aprèsguerre. Bien qu’on ait pu trouver sa voix un peu légère pour Tristan et Siegfried, en se basant sur les critères laissés par Lauritz Melchior ou Max Lorenz, Windgassen triomphait dans ces rôles par la beauté du phrasé et une articulation impeccable. Son timbre était remarquablement égal sur toute l’étendue du registre et ses interprétations ne manquaient ni d’expression ni de poésie. WINTER (Peter von), compositeur et chef d’orchestre allemand (Mannheim 1754 - Munich 1825). Élève de l’abbé Vogler dans sa ville natale, il suivit l’orchestre de Mannheim en 1778 à Munich, où il en prit la direction. En 1787, il devint vice-maître de chapelle de la cour de Bavière, occupant ensuite le poste de maître de chapelle de 1798 à sa mort. Il écrivit d’abord de la musique instrumentale et des opéras (Das unterbrochene Opferfest, Vienne 1796), et, à la fin de sa vie, surtout des oeuvres religieuses. WIRÉN (Dag), compositeur suédois (Striberg 1905 - Danderyd 1986). Dans ses années d’études à Paris (19311935), il a subi l’influence de Stravinski, Prokofiev et Honegger (Trio pour piano op. 6, 1933 ; Sinfonietta en do op. 7a, 1934 ; Serenad pour cordes, 1937). Après avoir, jusque vers 1940, utilisé un langage pastoral, élégant, proche du divertissement, il modifia son style, reprenant la tradition de Nielsen dans ses oeuvres majeures : le Concerto pour violon (1946), la 4e Symphonie (1951-52), les Quatuors à cordes nos 4 (1952-53) et 5 (1970), et la 5e Symphonie (1964). Cette attitude le rapproche de celle

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DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1061 du compositeur danois V. Holmboe et fait de Wirén l’un des plus importants symphonistes suédois des années 1970. WISPELVEY (Peter), violoncelliste néerlandais (Haarlem 1962). Il a étudié avec Dicky Boeke et Anner Bylsma à Amsterdam, puis avec Paul Katz à Rochester (États-Unis) et enfin avec William Pleeth en Angleterre, et remporté en 1992 le prix Elisabeth Everts - récompense accordée tous les deux ans aux musiciens néerlandais les plus prometteurs ainsi que le prestigieux Prix musical des Pays-Bas. Il joue du violoncelle aussi bien baroque que moderne, dans un répertoire allant de Bach à la musique contemporaine (Carter, Kagel, Crumb, Schnittke). WITT (Friedrich), violoncelliste et compositeur allemand (Niederstetten, Wurtemberg, 1770 - Würzburg 1836). De 1789 à 1796 environ, il fut membre de l’orchestre du prince d’Oettingen-Wallerstein. Il se mit ensuite à voyager et, de 1802 à sa mort, vécut à Würzburg comme maître de chapelle du prince-évêque puis (1814) du théâtre de la ville. Il est le véritable auteur de la symphonie en ut découverte à Iéna en 1909 par Fritz Stein et alors attribuée par celui-ci à Beethoven (dont le nom se trouvait sur deux des parties du manuscrit). Cette oeuvre fait apparaître Witt comme un habile imitateur de Haydn : son premier mouvement évoque d’assez près celui de la symphonie no 97, et son deuxième mouvement est un véritable plagiat de celui de la symphonie no 81 de Haydn. Une autre symphonie de Witt, en la majeur, possède un mouvement lent et un menuet calqués respectivement sur deux autres pages de Haydn : le mouvement lent de la symphonie no 82 (l’Ours) et le menuet du quatuor op. 33 no 2 (la Plaisanterie). De cette même symphonie en la, le finale est basé sur le célèbre Ah, ça ira ! WITTGENSTEIN (Paul), pianiste autrichien naturalisé américain (Vienne

1887 - Manhasset 1961). Il est l’élève de Leschetitzky à Vienne, et inaugure ses récitals en 1913. En 1914, il perd son bras droit sur le front russe. Ce tragique événement donne à sa carrière une direction originale : de nombreux compositeurs lui dédient des oeuvres pour la main gauche. Strauss écrit pour lui le Parergon sur la Sinfonia Domestica et Panatenäenzug, Ravel lui dédie son Concerto pour la main gauche en 1930, et Britten, Diversions on a Theme en 1940. Il crée aussi des oeuvres de Hindemith et de Korngold, tout en réalisant de nombreuses transcriptions. En 1938, il s’installe à New York et y fonde une école pour la main gauche. WOLF (Hugo), compositeur autrichien (Windischgrätz, auj. Slovenj Gradec, 1860 - Vienne 1903). Il est l’un des deux principaux émules d’Anton Bruckner, avec Gustav Mahler, son contemporain exact. Son père, d’ascendance allemande, dut reprendre l’entreprise paternelle de tannerie, mais conservera sa vie durant la nostalgie d’une vocation artistique (il aurait souhaité être architecte). Sa mère, née Katharina Nussbaumer (germanisation de l’original slovène Orchovnik), de souche paysanne, avait aussi du sang italien. Tout le tempérament artistique du futur compositeur est déjà déterminé par la fusion de ces atavismes, fusion éminemment caractéristique du creuset viennois à l’époque où Hugo Wolf va faire toute sa carrière. Après des études secondaires « cahotantes », il découvre les grands classiques viennois, qui nourrissent sa passion exclusive pour la musique. Les premiers essais de composition, dès la quatorzième année, sont destinés au piano ; le lied fait bientôt son apparition ; si bien qu’en arrivant à Vienne pour s’inscrire au conservatoire à la rentrée de 1875, le jeune homme peut entrer d’emblée en seconde année de composition. LA MATURITÉ PRÉCOCE : DU « QUATUOR » À « PENTHÉSILÉE ». À côté d’études qu’il écourtera volontairement dès 1877 (il n’aura pas moins obtenu plusieurs récompenses), les premières années viennoises sont surtout marquées par la découverte émerveillée du monde musi-

cal contemporain « avancé », et d’abord de Wagner, que Wolf approche personnellement dès décembre 1875. C’est l’opéra qui cristallise à cette époque toutes ses émotions - il en entreprend d’ailleurs un lui-même, König Alboin, dont quelques esquisses ont été conservées. Mais l’oeuvre la plus originale des années de conservatoire est de très loin la symphonie dont seuls les deux mouvements terminaux nous sont parvenus (ils ont été publiés sous le titre Scherzo und Finale für grosses Orchester), mais qui fut à l’époque menée à bien sous deux formes différentes. Le scherzo notamment contient déjà des trouvailles très remarquables (le modèle privilégié de Wolf était alors Berlioz). Menant déjà une vie déréglée, il se satisfait de modestes leçons, et n’occupera que pendant quelques mois, fin 1881, l’emploi de chef de choeur au théâtre de Salzbourg, sous la direction de Karl Muck. C’est un échec qui portera plus tard ses fruits, car non seulement il détermine l’ambition de Wolf de s’imposer un jour au théâtre, mais il contribue à lui montrer sa voie, celle du style comique, et à l’éloigner du drame wagnérien. De sa passion orageuse pour la jeune Valentine (Wally) Franck, nièce d’un professeur au Collège de France, à qui il a d’abord donné quelques leçons de piano, émergent six Choeurs sacrés d’après Eichendorff (1881). L’écho s’en fait entendre aussi dans l’oeuvre majeure de ces années de maturité précoce, le vaste Quatuor à cordes en « ré » mineur, qui portera en suscription ces mots tirés du Faust de Goethe : Entbehren sollst du, sollst entbehren - ce ne sera là que le premier de multiples renoncements ! De dimension beethovénienne (mais le souffle lyrique doit autant à Schubert qu’à Wagner), ce Quatuor, entrepris dès 1878, mais terminé seulement en 1884, sera reconnu dès sa création en février 1903, à la veille de la mort du compositeur, comme une partition prophétique qui influencera notamment deux des principaux admirateurs de Wolf : Reger et Schönberg. Mais le jeune maître allait encore audevant d’une déconvenue avec l’oeuvre unique qu’il allait laisser pour l’orchestre, et qui est aussi le legs fondamental de cette première partie de sa vie créatrice : le poème symphonique Penthésilée, entrepris

à l’instigation de Liszt en 1883 et terminé deux ans plus tard. Présentée en 1886 à la lecture des nouveautés par la Philharmonie, l’oeuvre devait y être tournée en dérision par Hans Richter, furieux de voir le critique Wolf déchirer à belles dents la musique de « maître Brahms ». Il est temps aujourd’hui de reconnaître enfin combien Penthésilée non seulement surclasse ses modèles lisztiens, mais se situe au-delà de toutes les futures productions similaires d’un Strauss : et cela grâce à la seule connaissance que Wolf pouvait avoir déjà de la symphonie brucknérienne par les deux ouvrages de son grand aîné (Symphonies nos 3 et 4) qu’il avait entendus. Si le propos dramatique (ici le schéma fourni par Kleist) est traduit avec un surprenant réalisme, l’oeuvre de Wolf répond en effet, de surcroît, à une structure symphonique dont l’unité interne, cimentée par l’intervalle de seconde mineure qui gouverne tous les thèmes, n’est pas moins parfaite que celle qu’on rencontre chez Bruckner à la même époque. Il s’agit, en fait, du trait d’union historique entre les poèmes symphoniques de Liszt et le Pelléas et Mélisande de Schönberg ! LE LIED : UNE PRODUCTION VOLCANIQUE. L’échec de Penthésilée, conséquence directe des prises de position de son auteur en faveur des « musiciens de l’avenir » contre le formalisme qui règne en maître à Vienne sous la férule de Brahms et de Hanslick, a donc sonné le glas de l’ambition de symphoniste de Hugo Wolf - qui d’ailleurs abandonnera dès l’année suivante (1887) sa chronique au Wiener Salonblatt. Après être retourné momentanément à la musique de chambre avec l’Intermezzo en mi bémol (1886) puis surtout downloadModeText.vue.download 1068 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1062 la célèbre Sérénade italienne (mai 1887, instrumentée en 1892), Wolf a la joie de voir paraître ses premiers cahiers de lieder imprimés, qui rencontrent un succès immédiat (1887). Ceci explique la véritable explosion à laquelle on assiste dès l’année 1888, où voient le jour près d’une centaine de lieder géniaux, répartis en trois grands recueils sur des vers respectivement

de Mörike (53), d’Eichendorff (13), de Goethe (25). Et les deux années suivantes voient la poursuite du même effort, selon un rythme il est vrai moins soutenu, avec un second ensemble de vingt-six poèmes de Goethe, puis, entre octobre 1889 et avril 1890, le Spanisches Liederbuch (en deux volets également). Celui-ci sera luimême suivi du premier des deux recueils de l’Italienisches Liederbuch, créé en deux étapes, à un an de distance, fin 1890 et fin 1891. Les intervalles représentent autant de silences douloureux, de crises d’impuissance dont la correspondance du musicien porte l’empreinte tragique. Au contraire, il est porté par sa propre création à des enthousiasmes parfois délirants, mais où l’émotion rejoint la terreur, ce qui donne la mesure du désordre qui s’installe dès cette époque en lui, et dont on sait aujourd’hui l’origine syphilitique (la contamination remonterait à 1877 déjà). Des pages chorales ou scéniques de commande complètent la moisson de ces années décisives : Christnacht, petit oratorio de Noël d’après Platen (déc. 1886 - mai 1889) ; Das Fest auf Solhaug, musique pour le drame d’Ibsen (fin 1890-1891), créé au Burgtheater le 12 novembre 1891 et repris en concert quelques mois plus tard (et en édition posthume). La réputation de Wolf s’est donc établie, déjà de son vivant, essentiellement par les grands cycles de lieder dont la composition est ramassée sur une brève période de quatre années - il s’y ajoutera, en 1896, le second recueil de l’Italienisches Liederbuch et des poèmes d’auteurs divers dominés par les trois admirables Michelangelo Lieder, son chant du cygne. Romain Rolland, et à sa suite la plupart des biographes du compositeur, en ont conclu un peu hâtivement que toute la création de Wolf se circonscrivait à ces quelques années centrales. C’est là une vue totalement erronée, dont ce qui a été dit plus haut fait déjà justice. Mais il est commode de qualifier Wolf de « Wagner du lied » comme on a qualifié Bruckner de « Wagner de la symphonie « ; et il reste vrai que cette forme a connu en lui son plus grand représentant après Schubert. Il n’est pas moins vrai que le compositeur lui-même fut irrité de se voir confiné

à ce qu’il qualifiait de « petite forme », et ne cessa, durant les deux grandes décennies de sa vie créatrice, d’ambitionner des réussites de premier plan dans les genres « nobles ». Nous en avons déjà vu deux exemples avec le Quatuor et Penthésilée ; c’est encore le cas de l’oeuvre clé, et guère moins malchanceuse, qu’est le Corregidor. LE SOMMET DE L’OPÉRA-COMIQUE ALLEMAND. Tiré par Rosa von Mayreder du roman de Pedro de Alarcón le Tricorne ( ! M. DE FALLA), le Corregidor - littéralement « le Magistrat » - est entrepris fiévreusement au printemps de 1895, terminé dans l’année même et créé avec un indéniable succès le 7 juin 1896 à Mannheim. Il tombe cependant très vite, mais sera encore repris une fois du vivant de Wolf, à Strasbourg. Après sa mort, il ne fera que des apparitions sporadiques sur les scènes germaniques, et trouvera cependant en Bruno Walter - qui le comprit vraiment dans son essence - un défenseur enthousiaste (Salzbourg, 1936). L’insuccès du Corregidor a couramment été mis au compte de la prétendue absence de sens scénique du compositeur : l’oeuvre tiendrait davantage du recueil de lieder orchestraux - au demeurant admirables que de l’ouvrage de théâtre. Or, il s’agit de tout autre chose. En fait, l’aspect négatif de la pièce tient uniquement à la définition du caractère du héros, personnage grotesque - l’exact contraire de Carmen que très peu d’interprètes savent « faire passer ». Reste qu’au terme d’une histoire longue et riche (v. notamment Lortzing, Cornelius, Goetz), le Corregidor pourrait bien représenter la véritable apogée de l’opéra-comique allemand, c’est-à-dire de pièces vraiment comiques mais dont la signification dépasse le simple comique. Si Wolf a retenu la leçon de Wagner, il l’a, selon P. Balascheff, transposée en caractérisant chaque personnage par un rythme propre. Bref, loin des mauvais « mélos » du style de La Tosca, c’est bien plutôt vers un chef-d’oeuvre comme Falstaff qu’il faut se tourner pour établir un parallèle. LES DERNIERS PROJETS ET LA FIN. L’année de la création de l’opéra fut aussi, on l’a dit, celle des derniers grands lieder. Parmi les expressions ultimes de l’art de Wolf, une place à part doit être réservée, outre aux Michelangelo, au Morgengesang

de Reinick, dont il donnera un an plus tard, alors qu’il se trouvera déjà à l’hospice du Dr Svetlin, une admirable adaptation chorale sous le titre de Morgenhymnus (décembre 1897). Mais le grand projet de cette année tragique demeure celui du second opéra, Manuel Venegas, tiré d’une autre pièce d’Alarcón, El Niño de la bola. La musique du premier acte est esquissée au cours de l’été de 1897, dans un enthousiasme semblable à celui qui vit naître l’oeuvre précédente. Mais celle-ci sera brutalement interrompue par une crise précipitée par l’emploi d’alcool comme stimulant, et occasionnée le 20 septembre 1897 par une visite à Mahler. Ce dernier ayant promis à son ancien condisciple de monter le Corregidor, Wolf est en effet ulcéré par ses atermoiements, et entre tout à coup dans une grande excitation qui dégénère rapidement et justifie son internement. Après deux mois passés dans un isolement complet, il peut reprendre une certaine activité, tente de développer sa Sérénade italienne et d’en entreprendre une autre, qui demeurera embryonnaire. Il quitte l’hospice fin janvier 1898, et passera une année calme, menant une vie végétative, voyageant avec des amis, en particulier en Italie. Un matin d’octobre, il tentera de se noyer dans le Traunsee, et devra être à nouveau et définitivement interné à Vienne, où il survivra encore près de cinq années. Une pneumonie le délivrera enfin le 22 février 1903, et il sera inhumé auprès de Beethoven et de Schubert. HUGO WOLF ET LE LIED. Dans la majorité de ses lieder, Schubert qui sera suivi en cela par Brahms et par Richard Strauss - s’inspirait d’un certain état d’âme ou d’un climat régnant dans le texte choisi, et ne se souciait pas forcément de suivre dans le détail l’expression verbale que le poète avait donnée à ses sentiments. Cela lui permettait de traiter avec un égal bonheur des textes de grands auteurs ou de poètes de second ordre : il cherchait une réalité spirituelle ou affective derrière les paroles. Cependant, certaines de ses oeuvres tardives ouvraient aussi une autre voie : celle qui consiste à suivre méticuleusement la diction du poète, en négligeant, s’il le faut, les contraintes de construction régnant dans la musique instrumentale. Les exemples les mieux connus sont les six lieder sur des textes de Heine qui font

partie du Schwanengesang. Là il cherche la réalité à travers les paroles. Cette méthode mène à Hugo Wolf et au Sprechgesang de Schönberg, tandis que chez Schumann on peut constater une manière d’équilibre entre les deux conceptions. Hugo Wolf s’inscrit donc résolument dans cette seconde filière, et ce, dès le début. Déjà le premier recueil (Liederstrauss, 1878, textes de Heine) porte le titre « Gedichte » (poèmes) et non pas celui de « Lieder », indiquant ainsi que l’essentiel pour lui est la parole. Et, sur les soixantedix lieder posthumes publiés ou réédités par la Hugo-Wolf-Gesellschaft, qui représentent des oeuvres de jeunesse non jugées dignes de publication par le compositeur, il ne se trouve que quatre textes de poètes inconnus et quatorze de poètes mineurs. Nous connaissons aussi la méthode de travail de Wolf : il lisait plusieurs fois à haute voix le poème choisi, puis se couchait et composait le lied en se réveillant. On sait qu’une caractéristique de la musique post-beethovénienne est le rétrécissement de la cellule génératrice accomdownloadModeText.vue.download 1069 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1063 pagné d’un élargissement de la forme (v. les articles Schubert et Bruckner, ou cidessus ce qui est dit de Penthésilée). Ce double phénomène s’observe dans la production mélodique de Wolf. Si l’on compare, par exemple, sa version du lied de Mignon Nur wer die Sehnsucht kennt avec celle de Schubert (D. 877/4), on constate que Wolf établit le climat psychologique par un motif de quatre notes, tandis que, dans l’ensemble, sa partition (57 mesures) est plus étendue que celle de Schubert (46 mesures). Cette technique libère la voix chantée de tout souci de la phrase musicale, et lui permet de reproduire la moindre inflexion de la voix parlée. Ceci ne veut pas dire que Wolf reste l’esclave de ses poètes : il se permet des entorses à la prosodie (syllabes faibles sur une note élevée), mais elles sont rares et toujours dictées par un souci d’expressivité. Du rythme il fait le même usage que ses devanciers, notamment pour constituer un décor sonore comme le galop d’un che-

val. Mais le chromatisme hérité de Wagner lui permet un jeu harmonique infiniment plus varié que chez les anciens. La tonalité est rarement établie d’emblée ; et si un accord parfait ouvre le discours, il est aussitôt quitté pour ne revenir qu’à bon escient : ainsi par exemple dans le prélude de Gebet (Mörike n[o+] 28) où, intervenant après des chromatismes troubles (l’inquiétude de l’âme avant la prière), il fait l’effet d’un rayon de soleil pénétrant dans une cathédrale du haut de la coupole. LES GRANDS CYCLES ALLEMANDS. La grande époque du lied, on l’a dit, débute chez Hugo Wolf par sa découverte de Mörike. Cet engouement ne laisse pas de surprendre à première vue. Mörike (18041875), pasteur paisible d’une petite ville provinciale de la Souabe, est considéré comme le poète du repos de l’âme, du sage contentement, de l’humour quelque peu désabusé. Le bouillonnant Wolf, qui dans d’autres circonstances préférait un auteur aussi explosif que Kleist, que venait-il faire dans cette galère ? Soupçonnait-il la lave qui couvait sous la surface de calme apparence et qui se devine à travers quelques poèmes tels que Peregrina ? Fut-il attiré par l’étonnante diversité de ces poésies ? Toujours est-il que, dans Mörike, Wolf a donné le meilleur de lui-même ; et si l’on jouait au jeu de l’île déserte, c’est le volume Mörike qu’il faudrait choisir. Non pas que les autres compositions soient de qualité inférieure, loin de là. Mais le volume Mörike est le plus complet. Tout s’y trouve. Du sentiment religieux le plus intériorisé (Gebet ; Schlafendes Jesuskind ; Auf eine Christblume) jusqu’à l’humour le plus débridé (Zur Warnung ; Abschied, où l’on notera, dans le postlude, l’emploi original d’une valse viennoise qui accompagne la chute du critique dans l’escalier), rien d’humain n’est absent de ces poèmes. Le charme goguenard (Elfenlied) côtoie le drame halluciné (Der Feuerreiter, dont Wolf donnera aussi, en 1892, une version pour choeur et orchestre). Eichendorff (1788-1857) est surtout populaire comme chantre de la fameuse « Wanderlust » - protestation écologiste avant la lettre, de l’âme allemande contre la vie réglementée de l’industrialisation récente. Il semble que ce soit ce côté contestataire qui ait surtout attiré

Hugo Wolf. Les chants nostalgiques, les rêves d’un passé à jamais disparu, qui ont tant séduit Schumann, sont chez Wolf en minorité (Nachtzauber ; Heimweh). La plupart de ses lieder chantent, sur un ton fort rythmé et quelque peu désinvolte, le défi aux valeurs courantes de la société. Ce sont les marginaux, soldats, marins, aventuriers, musiciens ou poètes indifférents à l’argent, aux honneurs, au succès, qui ont ici droit à la parole. Un défilé de « hippies », dirait-on. Comme une fleur isolée dans un jardin sauvage, s’élève le seul vrai chant d’amour du recueil, le merveilleux Verschwiegene Liebe. Des différentes phases que parcourut Goethe au cours de sa longue vie (17491832), la première, de style galant, « anacréontique », n’intéressait pas Wolf. De la seconde, celle du bouillonnant poète du « Sturm und Drang », révolution littéraire et contestation sociale des années 1770, le musicien n’a retenu que trois hymnes : Prometheus, Ganymed et Grenzen der Menschheit, où, en doublant Schubert, il s’y oppose. Les lieder de Wolf font donc presque tous appel à la grande maturité du poète. On y respire un air de sagesse ironique, de détachement, d’une existence en dehors de la mêlée. Les tons tragiques ne sont certes pas absents : les chants de Mignon et du Harfenspieler (« Harpiste ») sont ce que Goethe a écrit de plus désespéré. Mais ces paroles ont attiré d’autres compositeurs également (Schubert, Schumann). L’originalité de Wolf réside plutôt dans la recherche délibérée de l’humour, trait pourtant peu caractéristique de Goethe (Der Rattenfänger ; Ritter Kurts Brautfahrt ; Gutmann und Gutweib ; Epiphanias). Quant au second volume, il est presque entièrement consacré aux poèmes du West-östliche Divan, recueil de textes que Goethe, sexagénaire, écrivit sous la double impulsion d’un nouvel amour et de la poésie persane qu’il venait de découvrir. Mais Wolf écarte les poèmes passionnés et se concentre sur des chants en éloge à la boisson, ou sur d’autres où Goethe joue avec l’amour plutôt qu’il n’aime vraiment. À sept ans de son effondrement, Wolf se comporte ici en homme rangé et sage. On notera qu’il évite cette fois les textes déjà illustrés par d’autres. LES RECUEILS « MÉDITERRANÉENS ».

Les deux recueils suivants sont consacrés à des poèmes étrangers, traduits par deux poètes de seconde zone, Heyse et Geibel. Le Spanisches Liederbuch (« Chants espagnols », 1889-90) comporte une partie de chants sacrés et une partie de chants profanes. Les chants sacrés commencent en hymne à Marie, à laquelle sont consacrés les trois premiers ; puis nous assistons à la naissance de Jésus, saluons l’enfant merveilleux, qui nous conduit doucement vers le Sauveur martyrisé. Le ton est simple, les harmonies moins chromatiques que dans la plupart des autres compositions ; la profonde religiosité de Wolf, qui ne s’était guère exprimée depuis Mörike, revient ici à la surface. Les chants profanes, quant à eux, se caractérisent par un délicieux climat entre larmes et sourire, tout à fait particulier à ce recueil, et qui ne se trouve guère exprimé ailleurs avec pareil bonheur. C’est mi-amusés, mi-attendris que nous assistons aux déboires de tel amoureux trop timide (Wer sein holdes Lieb verloren), ou de tel autre auquel les oeillades de la belle promettent le bonheur, tandis que le geste de son doigt lui ôte tout espoir (Seltsam ist Juanas Weise ; Auf dem grünen Balkon mein Mädchen). Dans l’Italienisches Liederbuch (« Chants italiens », 1890-91 et 1896), un des thèmes auxquels Wolf est particulièrement attentif est la dispute entre amoureux. Deux merveilleux lieder chantent la réconciliation : Wir haben beide lange Zeit geschwiegen et Nun lass uns Frieden schliessen ; d’autres nous mènent au milieu de la bataille, dont le ton taquin laisse cependant prévoir un dénouement heureux (Du sagst mir... ; Nein, junger Herr ; Wer rief dich denn ?). Deux seulement sont d’une teneur vraiment dramatique : Hofärtig seid ihr, schönes Kind (où l’amant malheureux claque la porte avec un accord dissonant), et Was soll der Zorn mein Schatz. Les lieder non compris dans ces recueils mais publiés par Wolf de son vivant sont réunis sous le titre Lieder nach verschiedenen Dichtern (d’après différents poètes). En dehors du ravissant Mausfallen-Sprüchlein (encore Mörike !) et des six poèmes d’après Gottfried Keller, les mieux connus sont les trois lieder d’après Michel-Ange, lourds de tristesse et de mélancolie.

WOLFF (Albert), compositeur et chef d’orchestre français (Paris 1884 - id. 1970). Il étudia au Conservatoire de Paris dans les classes de Gédalge, Leroux et Vidal. Après avoir été organiste à Saint-Thomas-d’Aquin, il fut engagé en 1908 à l’Opéra-Comique, comme chef de chant, puis en 1911 comme chef d’orchestre. Il occupa ce poste pendant soixante ans, créant un grand nombre d’oeuvres (dont downloadModeText.vue.download 1070 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1064 les Mamelles de Tirésias de Poulenc, 1947), et assurant de grandes reprises (Pelléas, Orphée, Tristan et Isolde). Au cours de tournées à l’étranger, il fit connaître les oeuvres françaises contemporaines. En 1921, il fonda avec Richepin les Concerts modernes au théâtre de Mogador. De 1934 à sa mort, il fut président-chef d’orchestre de l’Association des concerts Pasdeloup. Compositeur, il a laissé notamment un Requiem (1938), des concertos pour flûte (1946) et pour violoncelle (1964), ainsi que plusieurs opéras, dont l’Oiseau bleu, créé à New York en 1919. WOLFF (Christian), compositeur américain d’origine française (Nice, France, 1934). Menant une carrière de professeur de littérature et de musique (Mills College d’Oakland, Californie ; Dartmouth College de Hanover, New Hampshire), il travailla un temps avec David Tudor et Morton Feldman. Sa musique, d’esprit minimal, donne une grande place à l’indétermination, au silence, aux interruptions, à une interréaction plus ou moins aléatoire et imprévisible entre les exécutants, de façon à déconcerter le jeu des syntaxes conventionnelles. Son projet est de laisser le son vivre comme entité libre. D’où la réalisation de partitions graphiques ou verbales, qui peuvent éviter toute relation obligatoire de temporalité ou de causalité. La particularité de ses nombreuses oeuvres, qui sont souvent plutôt des « propositions », est de faire appel à des ins-

truments traditionnels (à choisir souvent ad libitum) et d’être, techniquement, à la portée de tout le monde. Parmi celles-ci, on peut citer plusieurs musiques de ballets pour Merce Cunningham (Chance, 1959 ; Rune, 1959 ; Reads, 1970), et des pièces comme Duo for Pianists I et II (1957-58) ; Summer (1961), pour quatuor à cordes ; Septet (1964), pour instruments ad libitum ; Edge (1968), pour n’importe quel instrument ; Prose Collection (1968-1971), pour différentes combinaisons instrumentales avec, selon les cas, n’importe quel instrument ou objet sonore ; Toss (1968), pour huit musiciens ou plus ; Snowdrop (1970), pour clavecin ou autre clavier ; Lignes (1972), pour quatuor à cordes ou autres cordes ; Exercices (1973-74), pour n’importe quel nombre d’instruments ; Wobbly Music (1975-76), pour choeur mixte et instrument, etc. WOLFF (Christoph), musicologue allemand (Solingen 1940). Il a étudié à Berlin et à Erlangen. Sa thèse Der stile antico in der Musik Johann Sebastian Bachs : Studien zu Bachs Spätwerk (1966) a été publié en 1968. Il a enseigné à Erlangen (1965-1969), Toronto (19681970), à la Columbia University (19701976), et, depuis 1976, il est professeur à Harvard. En 1984, il a découvert à Yale une source contenant trente-huit préludes de choral (dont trente-trois auparavant inconnus, publiés en 1985) de J. S. Bach. Il s’est consacré essentiellement à Bach et à Mozart, publiant notamment Bach Compendium : Analytisch-bibliographisches Repertorium der Werke Johann Sebastian Bachs (avec Hans-Joachim Schulze, 5 vol. 1985) et Mozarts Requiem : Geschichte Musik - Dokumente - Partitur des Fragments (1991). Il a réuni plusieurs de ses études sur Bach dans Bach : Essays on His Life and Music (1991) et édité The String Quartets of Haydn, Mozart and Beethoven : Studies of the Autograph Manuscripts (1980). WOLF FERRARI (Ermanno), compositeur italien (Venise 1876 - id. 1948). Fils d’un peintre bavarois, il étudia les beaux-arts à Rome, puis à Munich, où il décida de sa nouvelle orientation, complétant sa formation musicale à Venise et Milan. Un opéra, Irene (Venise, 1895), dont il avait écrit le livret, une audition de

ses oeuvres en 1897 et Cendrillon (Milan, 1900) ne lui apportèrent que déboires ; mais, en 1903, ses Donne curiose, d’après Goldoni, triomphaient à Munich en lui révélant sa véritable vocation : en pleine époque naturaliste, cette oeuvre en totale contradiction avec le langage de Tosca, Louise, Pelléas, Salomé, Butterfly ou Résurrection semblait renouer avec l’esprit de Mozart et Da Ponte. Un succès croissant salua I Quattro Rusteghi (1906) - avec ses dialogues en vénitien -, le Secret de Suzanne (1909) et les Joyaux de la Madone (1911), ces trois oeuvres n’ayant jamais quitté le répertoire international. L’Amour médecin, d’après Molière, puis Sly, une tentative plus dramatique, connurent moins de succès, mais avec La Vedova scaltra (1931) et Il Campiello (1935), Wolf Ferrari renouait heureusement avec Goldoni, bien que le genre fût désormais épuisé. Wolf Ferrari demeure un isolé dans l’évolution du théâtre lyrique italien, avec son lyrisme riche mais sans complaisance, son harmonie dont la science se cache sous l’apparente facilité, et avec un sens du « parlé » et un tempo intérieur rapide rarissime en son temps. Il n’en a pas moins, avec Respighi, préparé le terrain aux compositeurs de la « génération des années quatre-vingts », et dans sa musique instrumentale (notamment son célèbre Concerto pour hautbois), s’inscrit parfaitement dans le courant du néoclassicisme européen de son époque. WÖLFL (Joseph), pianiste et compositeur autrichien (Salzbourg 1773 Londres 1812). Élève de Leopold Mozart et de Michael Haydn, il séjourna à Vienne (1790) puis à Varsovie, et revint à Vienne en 1795, où, comme pianiste, il fut sans doute le plus sérieux rival de Beethoven. En 1799, il partit en tournée, arrivant en septembre 1801 à Paris, puis en mai 1805 à Londres, qu’il ne devait plus quitter. Rival également de Johann Ladislav Dussek, il écrivit quelques opéras-comiques et deux symphonies (en sol mineur et en ré majeur), mais se consacra surtout, comme compositeur, à son instrument, avec notamment sept concertos, trente sonates pour piano seul (dont les trois de l’opus 6, parues à Augsbourg en 1798 avec une dédicace à

Beethoven), et dix-neuf sonates avec accompagnement de violon (dont les trois de l’opus 14, parues à Leipzig en 1801 et basées sur des thèmes de la Création de Haydn). WOLKENSTEIN (Oswald von), poète et musicien autrichien (château de Schöneck, Tyrol, v. 1377 - Merano 1445). Après des années de formation à travers l’Europe, il participa en 1401-1402 aux campagnes italiennes de Robert du Palatinat. En 1407, il obtint par héritage l’évêché de Bressanone et prit une part active aux affaires politiques locales. En 1409, il quitta l’Europe pour un pèlerinage d’un an à Jérusalem. Le concile de Constance (1415), au cours duquel il apprit probablement à connaître la chanson polyphonique française, marqua son entrée au service du futur empereur Sigismond. Une ambassade au Portugal le conduisit probablement jusqu’au Maroc la même année. De graves différends avec le duc Frédéric IV conduiront au démantèlement de son château de Greifenstein et à son incarcération dans les geôles du duc en 1422 et 1427. Après leur réconciliation, il participa encore à la diète de Nuremberg en 1431, puis, après un séjour en Italie, à Piacenza, il fit le voyage de Bâle en 1432, à l’occasion du concile. L’essentiel de son oeuvre fut achevé dès 1425. Elle comprend cent vingt-six chansons de genre et de facture très divers qui puisent leurs thèmes dans la narration autobiographique, l’amour courtois, la ferveur chrétienne ou l’univers plus grivois des bains et des tavernes. L’invention mélodique de ses chansons monodiques se situe dans le prolongement de l’art des minnesänger, tandis que ses quarante compositions polyphoniques traduisent, par-delà certains traits parfois frustes, l’influence de la musique savante de l’Ars nova ou du Trecento et ouvrent la voie au Tenorlied. downloadModeText.vue.download 1071 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1065 WOLPE (Stefan), compositeur américain d’origine russe (Berlin 1902 - New York 1972). Il fit ses études à Berlin avec Paul Juan, Franz Schreker et, en privé, avec Busoni,

Webern et Hermann Scherchen. Après deux années de voyage (au cours desquelles il étudia notamment le chant grégorien à Poligny), il revint à Berlin comme directeur musical du Volkstheater où il fut étroitement associé avec Bertolt Brecht. Un séjour de quatre ans en Palestine (comme professeur de composition au conservatoire) précéda son départ pour les États-Unis (1938), où il fut tour à tour professeur à Black Mountain College et à Mannes School. Il eut, à ce titre, une très grande influence sur la jeune génération de compositeurs américains. Attiré, à ses débuts, par l’union du jazz et des différentes techniques contemporaines, il a évolué vers un style personnel, sous l’influence de Schönberg, Webern, Stravinski et Bartók : variation développée, rythmes asymétriques et phrases irrégulières, contrepoint rigoureux, l’ensemble au service d’une esthétique néoromantique et d’une nature curieuse et vive. WOOD (sir Henry), chef d’orchestre anglais (Londres 1869 - Hitchin 1944). Il étudia à la Royal Academy of Music (1886-1888), et commença sa carrière dans diverses compagnies théâtrales. En 1893 fut ouverte à Londres une nouvelle salle de concerts, Queen’s Hall (détruite dans un bombardement en 1941), et à partir de 1895 y fut organisée tous les ans une série de concerts qui prirent le nom de Promenade Concerts (certains auditeurs disposant de places non assises). Wood prit la direction de ces Promenade Concerts, et devait la conserver seul jusqu’en 1940 (il eut alors comme assistant Basil Cameron), sauf pour une partie de la saison de 1912 et lorsque divers compositeurs contemporains vinrent y diriger leurs propres oeuvres. Depuis la destruction de Queen’s Hall, ces concerts ont lieu au Royal Albert Hall, tous les ans, de juillet à septembre et, depuis la mort de Wood, ils portent officiellement son nom (Henry Wood Promenade Concerts). Depuis 1927, la BBC en assume la responsabilité. C’est dans le cadre des Promenade Concerts, ou « Proms », élément essentiel de la saison d’été londonienne, qu’en 1912 Wood assura la création des Cinq Pièces pour orchestre op. 16 de Schönberg. WOODWARD (Roger), pianiste australien (Sydney 1944).

Il étudie la composition au Conservatoire de Sydney avec Raymond Hanson, puis part à Varsovie où il travaille avec Alexander Sverjenski. Il se passionne d’emblée pour la musique contemporaine. Dans ce domaine, il est sans doute le pianiste qui possède le plus vaste répertoire. Barraqué, Cage, Berio, Xenakis et Penderecki sont parmi ses auteurs favoris. En 1985, il consacre cependant, à Sydney, une série de concerts à Chopin. En 1988, il y fonde l’orchestre de chambre Alpha Centauri, puis un festival. Débordant d’activités, il est souvent invité à Pékin et à Shanghai. Il est aussi compositeur, et signe en 1989 Sound by Sound, pour le Bicentenaire de la Révolution française. WORK-SONG. Expression anglaise signifiant « chant de travail » et s’appliquant en général à toutes sortes de musiques vocales destinées à soutenir un travail dont elles épousent le rythme (chants de laboureurs, de piqueurs de riz, de bûcherons), et en particulier aux chants afro-américains nés de l’esclavage et qui sont une des origines du blues et du jazz. Le work-song présente en général un caractère lancinant et répétitif, et utilise souvent le principe du « call and response pattern » (structure d’appel et de réponse) : un soliste lance une formule à laquelle répond la collectivité. Le rythme peut être marqué par l’outil de travail (pioche, hache, marteau, etc.). Certains pionniers du jazz comme Huddie Ledbetter (1889-1949) ont enregistré des worksongs sous leur forme ancienne. WOTQUENNE (Alfred), musicologue belge (Lobbes, Hainaut, 1867 - Antibes 1939). Après des études au conservatoire de Bruxelles, il devint bibliothécaire (1894) puis secrétaire et inspecteur des études (1896) de cet établissement. Il resta bibliothécaire jusqu’en 1918, accomplissant un important travail de réorganisation et de catalogage, faisant l’acquisition de nombreux manuscrits. Il participa à l’édition complète des oeuvres de Grétry, laissa en manuscrits plusieurs catalogues thématiques (sonates de Tartini, oeuvres de Steffani), et publia ceux des oeuvres de Gluck (Leipzig, 1904) et de Carl Philipp Emanuel

Bach (Leipzig, 1905 ; réimpr. Wiesbaden, 1972). Ce dernier catalogue n’est autre, à peu de chose près, qu’une copie de celui réalisé au début du XIXe siècle par l’organiste Johann Jacob Heinrich Westphal (1756-1825), ami de Carl Philipp Emanuel Bach, et est désormais remplacé par celui d’Eugène Helm (1989). WUNDERLICH (Fritz), ténor allemand (Kusel 1930 - Heidelberg 1966). Élève du conservatoire de Fribourg-enBrisgau, de 1950 à 1955, il abandonne le cor pour le chant et fait des débuts remarqués en 1955 dans le rôle de Tamino. Il est engagé la même année par l’Opéra de Stuttgart et, en 1960, par l’Opéra de Bavière. Il débute en 1959 au Festival de Salzbourg, dans la Femme sans ombre, et se produit également à Aix-en-Provence et à Édimbourg. Malgré la brièveté de sa carrière, il s’est imposé comme le ténor lyrique allemand de sa génération, excellant aussi bien dans les répertoires mozartien, straussien, verdien que dans l’oratorio. Il s’y montre l’égal de ses prestigieux aînés, Karl Erb et Julius Patzak, notamment dans le rôle de Palestrina de Pfitzner. Il crée en 1960 le rôle de Tirésias dans l’OEdipe de Carl Orff. Doté d’une voix ample et lumineuse, il a incarné les jeunes premiers mozartiens avec une ferveur peu commune et s’est révélé un incomparable interprète de lieder. WUORINEN (Charles), compositeur américain (New York 1938). Il a fait ses études à l’université Columbia (avec Otto Luening), a été accompagnateur, chanteur dans un groupe vocal, ingénieur du son, professeur à l’université Columbia (1964-1971), et a remporté de nombreux prix et distinctions (notamment le mémorial Lili-Boulanger de 1960). Son style relève des différentes tendances contemporaines (technique sérielle notamment), mais il demeure respectueux des principes formels de l’âge classique. Il est l’auteur de trois symphonies, trois concertos de chambre, de pièces de musique de chambre, de choeurs et de compositions électroniques, dont Orchestral and Electronic Exchanges pour orchestre et bande (1965). WYSCHNEGRADSKI (Ivan Alexandrovitch), compositeur russe (Saint-Péters-

bourg 1893 - Paris 1979). Fils d’un financier qui était aussi compositeur amateur, il commença des études de droit avant de travailler la musique au conservatoire de Saint-Pétersbourg avec N. Sokolov. En même temps, il découvrit la musique de Scriabine, qui l’enthousiasma autant que la personnalité et l’idéologie du compositeur. Cette découverte, ainsi qu’une expérience mystique qu’il affirmait avoir vécue, furent à l’origine de la grande oeuvre qu’il composa en 191617, la Journée de l’Existence, pour récitant, choeur et orchestre (remaniée ensuite par deux fois, en 1927 et en 1940), inspirée de la philosophie hindoue, et décrivant l’apparition et l’évolution d’une « conscience cosmique ». Cette oeuvre, qu’il considéra toujours comme sa plus importante, fut à la fois un aboutissement et une ouverture vers une technique nouvelle. Ne pouvant plus se satisfaire du système chromatique traditionnel, il éprouva le besoin d’introduire dans la musique des micro-intervalles (quarts de tons, sixièmes de tons), visant à la création d’un « continuum sonore ». Désormais, la plupart de ses oeuvres aldownloadModeText.vue.download 1072 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1066 laient être écrites dans ce style ultrachromatique, qui fut également pratiqué par le Mexicain Julián Carrillo et le Tchèque Alois Hába. En 1920, Wyschnegradski émigra et s’installa en France. Un séjour en Allemagne en 1922-23 lui fit rencontrer Hába, et ils travaillèrent ensemble à l’élaboration d’un piano à quarts de tons, qui fut réalisé par la firme Foerster. Nombre d’oeuvres de Wyschnegradski nécessitent cependant l’emploi de plusieurs pianos accordés spécialement à différentes échelles. Bien que Wyschnegradski eût intéressé certains musicologues et compositeurs (Messiaen notamment), il eut des difficultés à s’imposer. Des concerts de ses oeuvres eurent lieu en 1937 et 1945, révélant notamment sa symphonie pour quatre pianos Ainsi parlait Zarathoustra (Nietzsche était, avec Dostoïevski, l’une

des principales références littéraires du compositeur). Toutefois, il ne fut réellement reconnu que dans les dernières années de sa vie et put alors entendre des oeuvres qu’il avait composées plus d’un demi-siècle auparavant, dont la Journée de l’Existence, créée en janvier 1978 à RadioFrance, et son Premier Quatuor (1924), exécuté dans le cadre de l’exposition Paris-Moscou de 1979. En dehors de l’ultrachromatisme, il explora les possibilités des « espaces non octaviants » dont il donna l’application dans une pièce originale pour piano, Étude sur le carré magique sonore (1956). Il laissa un certain nombre d’écrits expliquant ses théories, dont un Manuel d’harmonie à quarts de tons (1932). Si nombre de compositeurs du XXe siècle ont utilisé occasionnellement l’écriture ultrachromatique (Messiaen, Boulez, Ligeti, Xenakis), le système de Wyschnegradski fut tout particulièrement suivi par Bruce Mather, Alain Bancquart et surtout Claude Ballif. WYTTENBACH (Jürg), compositeur suisse (Berne 1935). Il a étudié au conservatoire de sa ville natale, puis à celui de Paris (piano avec Yvonne Lefébure). Il a enseigné le piano aux conservatoires de Biel (1959-1967) et de Berne (1962-1966), et, depuis 1967, il enseigne le piano et l’interprétation de la musique nouvelle à l’Académie de musique de Bâle. D’abord influencé par Bartók et Stravinski, puis par Boulez, il a écrit notamment une Sonate pour hautbois (1961), Trois Pièces pour hautbois, harpe et piano (1963), De metalli pour baryton et orchestre (1965), Exécution ajournée I (gestes pour treize musiciens, 1970), II (pour quatuor à cordes, 1970-71) et III (pour quatuor à cordes, 1973), Clastrophonie pour six exécutants (1973), la comédie-madrigal Chansons ricochets (1981). WYZEWA (Théodore de), musicologue français d’origine polonaise et de naissance russe (Kalusik 1862 - Paris 1917). Il arriva en France en 1869, et passa une licence ès lettres à Nancy (1882), avant de s’installer à Paris, où il fonda la Revue wagnérienne (1884-1888) et, avec Adolphe Boschot et Georges de Saint-Foix, la Société Mozart (1901). Extrêmement érudit, critique dans de nombreux journaux et

revues, ami de Mallarmé, de J. Laforgue et d’A. Renoir, il écrivit les deux premiers volumes de l’ouvrage monumental sur Mozart en collaboration avec Saint-Foix, qui acheva seul l’ouvrage. On lui doit aussi Beethoven et Wagner (Paris, 1898), ainsi que des écrits sur la jeunesse de Mozart, la période Sturm und Drang de Haydn et le développement de la littérature wagnérienne en France. Il a également édité, avec une importante préface, des oeuvres pour piano de Muzio Clementi. downloadModeText.vue.download 1073 sur 1085

X XENAKIS (Iannis), compositeur français d’origine grecque (Brǎila, Roumanie, 1922). Son père était agent d’import-export en Roumanie, et sa mère, qui aimait jouer du piano, mourut quand il avait cinq ans. Il s’inscrit à l’École polytechnique d’Athènes pour devenir ingénieur, tout en commençant des études musicales avec Aristote Kondourov. Quand les pays de l’Axe envahissent la Grèce, il entre dans la résistance communiste à laquelle il prend une part active et héroïque. En décembre 1944, au cours de combats, il est gravement blessé par un éclat d’obus de mortier : il en gardera une partie du visage endommagée, et un oeil gauche aveugle. Il a parfois évoqué le rôle que cet accident a joué dans sa sensibilité : « Comme mes sens sont réduits de moitié, c’est comme si je me trouvais dans un puits, et qu’il me fallait appréhender l’extérieur à travers un trou (...) J’ai été obligé de réfléchir plus que de sentir. Donc je suis arrivé à des notions beaucoup plus abstraites. » Mais son courage s’exerce encore une fois quand il reprend ses études et ses activités de résistance. Il entre dans la clandestinité, et, condamné à mort par contumace, s’enfuit de Grèce en 1947 avec une fausse carte (il n’y retournera que vingtcinq ans plus tard environ, quand aura été mis en échec le régime fasciste). Arrivant à Paris, il y trouve du travail comme ingénieur au cabinet de l’architecte Le Corbusier, avec lequel il travaillera, d’abord comme exécutant, puis en prenant une part de plus en plus active à ses travaux, jusqu’en 1959. Il n’obtiendra la nationalité française qu’en 1965. Et c’est

en 1952 qu’il épouse une ancienne héroïne de la résistance française, la future romancière Françoise Xenakis. Toujours désireux de composer, mais encore dans l’attente et dans la recherche de son style particulier, il suit divers enseignements musicaux : auprès d’Arthur Honegger (à l’École normale) et de Darius Milhaud. Mais c’est avec Olivier Messiaen, qui le prend en 1951 dans sa classe du Conservatoire de Paris, qu’il trouve un milieu d’enseignement accueillant, et une grande ouverture à sa propre pensée : l’auteur des Petites Liturgies l’encourage en effet à suivre sa voie et sa « naïveté ». Les premières oeuvres de Xenakis sont déjà basées sur des spéculations abstraites, la recherche de proportions cosmiques, le projet de trouver une « expression mathématique de la musique ». En même temps, il se met à collaborer de plus près aux projets architecturaux de Le Corbusier, concevant les plans du couvent de La Tourette et cherchant une voie d’unification entre l’architecture et la musique (cet esprit « unificateur » est un des traits qui le définissent le mieux, esthétiquement). Mais l’oeuvre qui devait le rendre célèbre, et où pour la première fois il livre au grand public sa recherche d’un nouveau type de discours musical, massique et statistique, c’est Metastasis pour 61 instruments jouant 61 parties différentes (195354). Cette oeuvre est fondée sur les mêmes calculs et les mêmes configurations que ceux qui lui ont servi pour une de ses réalisations architecturales. C’est en quelque sorte un graphique, un ensemble de courbes au dessin très net, que le compositeur a projeté dans l’espace des sons, avec un sens très efficace de la durée : beaucoup d’oeuvres de Xenakis sont ainsi comme un dépliement dans le temps d’une conception globale que l’on peut apprécier d’un coup d’oeil, comme totalité, par sa représentation visuelle. Metastasis est créé en 1955 au Festival de Donaueschingen, sans suite immédiate pour le compositeur ; et ce n’est que plus tard que son caractère révolutionnaire, par rapport au pointillisme sériel alors en pleine vogue, deviendra évident. Peu à peu sa théorie musicale se développe sous le nom de musique stochastique. Il prend contact avec des musiciens : d’abord avec

le chef d’orchestre Hermann Scherchen, grand « découvreur » de nouveaux talents, animateur d’un studio de musique électroacoustique en Suisse, et qui publiera Xenakis dans sa revue et le soutiendra généreusement ; ensuite avec Pierre Schaeffer, qui, bien que ne partageant pas ses conceptions, l’accueille également très libéralement, en 1957, au Groupe de musique concrète, qui va devenir le Groupe de recherches musicales de la R.T.F. Dans un article publié en 1955, la Crise de la musique sérielle, Xenakis précise sa découverte d’un principe de composition des sons comme masse, par moyennes statistiques, et s’opposant ainsi à la musique dodécaphonique. Comme le dit très bien Nouritza Matossian, dans son ouvrage sur Xenakis, « ces moyennes militaient contre les valeurs chères à la plupart des musiciens (...). Xenakis recherchait une vue panoramique afin de se distancier de la perspective étriquée du gros plan imposé par le sérialisme ». Pithoprakta, pour quarante-six cordes, deux trombones, xylophone et wook-block (1955-56), en est une première application, complètement dégagée de l’emprise sérielle et pointilliste encore sensible dans quelques passages de Metastasis. Vers 1957, Xenakis entre en conflit avec Le Corbusier dans la revendication de la paternité du pavillon Philips de l’exposition de Bruxelles 1958. Le grand architecte se l’attribuait, mais finit par concéder que downloadModeText.vue.download 1074 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1068 Xenakis en était le coauteur. Le spectacle lumineux donné à l’intérieur du pavillon (Poème électronique, avec la musique de Varèse, et une sorte d’interlude de musique concrète de Xenakis, Concret PH, 1958) est une première occasion pour lui de roder la conception de ses futurs spectacles de musique et de lumière. Quant aux autres oeuvres de musique concrète qu’il réalise au Groupe de recherches musicales (Diamorphoses, 1957 ; Orient-Occident, 1960), leur style très personnel est dû non seulement à son grand sens de la sonorité (qui, curieusement, sera moins efficace dans la plupart de ses

oeuvres électroacoustiques ultérieures), mais aussi à ce qu’elles sont pensées selon les mêmes modèles esthétiques que ses oeuvres instrumentales : là encore, son esprit unificateur se manifeste. Mais c’est l’époque où, dans le domaine instrumental, sa conception abstraite se durcit et s’affirme avec des oeuvres comme Achorripsis, pour vingt et un instruments (1956-57), Duel pour deux orchestres (1959, oeuvre de « musique stratégique », utilisant la théorie des jeux), Syrmos pour orchestre à cordes (1959), Analogiques A et B pour neuf cordes et bande magnétique, Herma pour piano (1960-61), ST/4 (1956), ST/10 (1956) et ST/48 (1956-1962), respectivement pour quatuor à cordes, dix instruments et grand orchestre. Ces pièces sont relativement arides par rapport à sa production plus « expressionniste » de la fin des années 60. Xenakis fut aussi, à travers certaines de ces pièces, un des premiers à s’intéresser à l’utilisation de l’ordinateur dans la composition. La fin des années 50 voit le début d’un certain succès et d’une certaine reconnaissance par le public. L’ouvrage Musiques formelles, paru en 1963, marque une date en regroupant certains de ses articles théoriques et en divulguant ses hypothèses. Il est invité pour donner des cours aux États-Unis, à Tanglewood, puis à Berlin-Ouest. C’est alors qu’il compose, avec Polla tha Dina pour choeurs d’enfants et orchestre (1962), et Eonta (1963-64), des oeuvres dont la simple et lumineuse robustesse, par rapport à l’esprit plus « corpusculaire » des oeuvres qui précèdent, contribuera à intéresser à sa musique un public plus large. Cette musique apparaît de plus en plus comme une alternative, une autre voie plus excitante, dans une musique contemporaine jusqu’alors assez confinée, à quelques exceptions près. Sa réputation grandit avec sa première expérience de musique orchestrale « spatialisée », faisant entrer l’auditeur au milieu des musiciens, comme si « chacun individuellement se trouvait perché au sommet d’une montagne au milieu d’un orage (...) soit dans une barque frêle que ballotte la pleine mer, soit encore au sein d’un univers parsemé de petites étoiles sonores « : c’est Terretektorh, pour 88 musiciens éparpillés dans le public (1965-66). Là, l’auteur manifeste son lyrisme cos-

mique, mais aussi son sens de l’efficacité et de l’essentiel, construisant une oeuvre à la fois fidèle à sa conception mathématique, et produisant un « effet » puissant sur le public, qui reçoit l’oeuvre (dirigée en 1966 par Hermann Scherchen au Festival de Royan) avec enthousiasme. Désormais Xenakis a atteint la place de premier plan qu’il occupe toujours : des oeuvres comme Nuits pour douze voix solistes (1968), Nomos Gamma pour 98 musiciens répartis dans le public (1969, prolongement de l’expérience de Terretektorh), Anaktoria pour octuor (1969), Synaphai pour piano et orchestre (1970), Persephassa pour six percussionnistes répartis autour du public (1969), confirment cette popularité par leur vitalité, leur chaleur, et leur solidité de conception. Leur succès coïncide avec l’ouverture d’un plus large public, en France, à la musique contemporaine. Xenakis devient alors un des compositeurs les plus sollicités par de nombreuses commandes, dont il s’acquitte avec la même continuité de style et la même vigueur, témoignant d’une belle stabilité alors même que d’autres compositeurs sont en crise et passent de l’abstraction sérielle au néoromantisme. Ce succès lui permet de se voir confier des moyens plus importants pour réaliser ses projets de « spectacle total », compositions abstraites de sons et de formes visuelles (flashes, rayons lasers) dont il conçoit simultanément la « partition ». Les spectacles Hibiki-Hanama (1969-70) où, pour la seule fois, la « partition visuelle » n’est pas de lui, mais d’un artiste japonais, Persepolis (1971), Polytope de Cluny (1972), Diatope (1977), représentent différentes étapes de sa progression dans cette recherche d’une « musique audiovisuelle ». On peut malgré tout estimer qu’il n’a pas autant marqué ce domaine que le domaine proprement musical, le jeu avec le visuel restant chez lui assez théorique, et un peu pâle. Il y reste cependant fidèle à lui-même, c’est-à-dire proche des phénomènes naturels élémentaires, dont ses oeuvres réalisent la transposition de la sublimation abstraite, par l’intermédiaire de formulations mathématiques : une fois pour toutes, sa technique de composition, lentement mûrie et méditée, lui a permis de dépasser cette antinomie que beaucoup d’autres compositeurs instaurent entre

l’abstrait et le concret. C’est l’emploi de modèles mathématiques et physiques qui lui permet de réaliser de véritables « tableaux vivants » de phénomènes naturels, orages, manifestations, bruits nocturnes, tout en conservant l’abstraction et la pensée pure. En même temps, il poursuit ses recherches fondamentales au sein d’un groupe qu’il a rassemblé autour de lui, le C. E. M. A. M. U., et dont l’objectif est de réaliser la jonction art-science-technologie. L’existence et les réalisations de ce groupe ne seront connues du grand public que vers 1980, avec la mise au point de cet outil de réalisation pédagogique et musical qu’est la « machine à composer » appelée l’U. P. I. C. Parallèlement, sa production reste abondante et homogène, avec Aroura pour douze instruments (1971), Antikhton pour orchestre (1971), LinaiaAgon pour trois cuivres (1972), Eridanos pour six cuivres et cordes (1973), Evryali pour piano (1973), Cendrées pour choeur mixte et orchestre (1973), Erikhton pour piano et orchestre (1974), Gmeeorh pour orgue (1974), Noomena pour orchestre (1974), Empreintes pour orchestre (1975), Phlegra pour onze instrumentistes (1975), Psappha pour un percussionniste (1975), Khoaï pour clavecin (1976), Windungen pour douze violoncelles (1976), Akanthos pour flûte, clarinette, soprano, deux violons, alto, violoncelle, contrebasse et piano (1977), la Légende d’Er, bande magnétique pour le Diatope (1977), Jonchaies pour très grand orchestre (1977), Ikhoor pour trio à cordes (1978), Mycenae A pour bande magnétique (1978), Pléiades pour six percussions (1978), Palimpsest pour cinq instruments (1979), Anemoessa pour orchestre et choeur (1979), Mists pour piano (1980), Aïs pour baryton, percussion et orchestre (1980), Embellie pour alto (1980), Nekuïa pour choeurs et orchestre (1980), Shaar pour cordes (1982), Akea (1986), le concerto pour piano Keqrops (1986), Tracées (Paris 1987), Ata (Lisbonne 1988) pour orchestre, Okho pour percussions (1989), Kyania pour orchestre (1990), Roaï pour orchestre (1991), Dox Orkh pour violon et orchestre (1991), les Bacchantes d’Euripide pour choeur de femmes et instruments (1993). Certaines de ces oeuvres évoluent vers un lyrisme plus direct, toujours tellurique, mais plus humain. Reconnu plus tard que d’autres compo-

siteurs, ayant mis plus de temps à se trouver, Xenakis s’est acquis en même temps une position plus forte, plus solide, qu’il maintient sans dévier, et sans se laisser porter par les courants divers qui agitent la musique contemporaine autour de lui. On ne développera pas ici sa théorie de la composition ( ! STOCHASTIQUE), mais on évoquera sa musique telle qu’elle se donne à ses auditeurs. Indiscutablement méditerranéenne, vigoureuse, ignorant jusqu’à une date récente le clair-obscur et les états d’âme, elle a une manière bien à elle de sonner : les instruments y sont parfois poussés à leurs limites, mais toujours pour donner au son de la vie, de l’éclat. Dans son écriture, le hautbois, la flûte, le viodownloadModeText.vue.download 1075 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1069 lon, la percussion, retrouvent la verdeur de son des instruments populaires dont ils sont les lointains cousins. Xenakis fuit les mélanges de sonorités à la Debussy ou à la Dutilleux, et il hait aussi le vibrato, préférant le son droit, un peu dur et acide. Naturellement, ses procédés orchestraux tels que l’emploi de réseaux de glissandi entrecroisés aux cordes, ou bien les « nuages », c’est-à-dire les pluies de petites particules sonores, et les glissements en tiers de ton ont été souvent imités et reproduits dans une esthétique impressionniste et moins abstraite, moins structurée que la sienne. Mais surtout, Xenakis possède un don bien rare dans la musique d’aujourd’hui : il a le sens de l’essentiel et de la franchise, il sait ne pas charger le détail, simplifier sans appauvrir, au service de son propos, et affirmer la forme globale dans ses grands contours, sans se perdre dans les maniérismes ou l’enchevêtrement. Il n’est pas étonnant non plus qu’avec son indiscutable sens dramatique, ses diverses musiques de scène - Hiketides, les Suppliantes (1964), Oresteia (1965-66), Médée (1967), Hélène (1977) - soient bien conçues pour leur fonction. Il y a évidemment chez Xenakis, audelà du musicien, un architecte, et surtout un utopiste, d’esprit platonicien, rêvant de bâtir des villes cosmiques et de gagner l’auditeur à une nouvelle conscience du

monde et de l’espace-temps. Les côtés un peu dogmatiques, inaccessibles au doute et messianiques de ce programme, tel que Xenakis lui-même le présente, seraient plutôt gênants si ce dernier n’était pas l’homme qu’il est : une personnalité dont l’indépendance, la responsabilité et l’esprit de suite - qualités que l’on retrouve dans la facture de sa musique - forcent le respect. XYLOPHONE. Instrument à percussion de la famille des claviers. Ses lames sonores de palissandre, disposées à plat sur deux rangs comme les touches d’un piano, vibrent sous le choc de baguettes de caoutchouc, de bois ou de matière plastique. D’une sonorité sèche et brève, le xylophone possède généralement une étendue de trois octaves à partir de l’ut du milieu de la portée (clé de sol). Il existe aussi un « xylorimba », aux lames plus larges et plus sonores, qui descend une octave plus bas. downloadModeText.vue.download 1076 sur 1085

Y YAKAR (Rachel), soprano française (Lyon 1936). Elle est l’élève de Germaine Lubin au Conservatoire de Paris. En 1964, elle intègre la troupe de l’Opéra du Rhin à Düsseldorf, où elle se forge un vaste répertoire, de Verdi à Stravinski, d’Offenbach à Puccini. Elle triomphe en particulier dans Arabella de Strauss et, en 1975, chante Freia à Bayreuth. Dès 1977, elle s’impose comme mozartienne à Glyndebourne, et aborde Lucio Silla en 1981 à Zurich. En 1985, elle participe au cycle Mozart d’Harnoncourt et Ponnelle à Salzbourg. L’intelligence de sa carrière lui permet d’aborder plusieurs rôles très différents. En 1994, elle est Clymène dans Phaéton de Lully avec Marc Minkowski. Elle a chanté tous les rôles et les oeuvres religieuses de Mozart et, en 1995, elle enregistre des mélodies de Lekeu et d’Henri Collet. YAMADA (Kosaku), compositeur, chef d’orchestre et pédagogue japonais (Tōkyō 1886 - id. 1965).

Il étudia à Tōkyō (1904-1908), puis à Berlin (composition avec Max Bruch et Karl Leopold Wolf), où il termina en 1912 son premier opéra, Ochitaru tennyo (créé à Tōkyō en 1929). En 1915, il dirigea à Tōkyō le premier concert jamais donné par un orchestre japonais, et, en 1918, dirigea à New York un concert de ses propres oeuvres. Après un voyage en Europe (1922), il fonda en 1925 la Société philharmonique du Japon. En 1931, il écrivit pour le théâtre Pigalle à Paris son opéra Ayame, et revint dans la capitale française en 1937, dans le cadre d’une tournée européenne. Ses deux derniers opéras furent Kurofune (1939, créé à Tōkyō en 1940) et Hsiang Fei (1946-47, créé à Tōkyō en 1954). Ses pièces orchestrales sont fortement influencées par Wagner et Strauss, mais ses pages vocales, en particulier ses nombreuses mélodies, sont d’une touche plus légère et d’un lyrisme typiquement japonais. Auteur d’environ 1 500 oeuvres, il jeta les bases de la musique japonaise de tradition occidentale. YEPES (Narciso), guitariste espagnol (Lorca 1927). Il commença ses études de guitare à Lorca (Jesús Guevara), puis les poursuivit au conservatoire de Valence, où Vicente Asencio l’incite à élargir la technique de la guitare classique en utilisant tous les doigts de la main droite. Il débuta à Madrid en 1947 dans le Concerto d’Aranjuez de Rodrigo, conduit par Argenta. Il fit ensuite des tournées en Europe (1948), en Amérique du Sud (1957), au Japon (1960) et aux États-Unis (1964). Depuis 1964, il joue d’un instrument dont il est l’inventeur et qui comporte quatre cordes supplémentaires de basse (accordées en ut, si bémol, la bémol et sol bémol) pour permettre un renforcement harmonique de toutes les sonorités, et un meilleur équilibre de la résonance. Docteur honoris causa de l’université de Murcie (1977) et membre de l’académie Alphonse-leSage (1977), il consacre une partie de son activité à l’enseignement et à la recherche d’un répertoire ancien. Plus de six mille oeuvres retrouvées par lui sont en instance de publication. Un certain nombre de compositeurs contemporains (Ohana, Maderna) ont écrit pour lui. YODEL.

Forme de chant particulière à la Suisse, au Tyrol, à la Styrie. Chanté d’ordinaire par des hommes en falsetto mais passant rapidement à la voix de poitrine, très libre rythmiquement et se limitant en principe aux harmoniques naturelles, ce chant évoque aussi bien le cor des Alpes que le ranz des vaches. YOUNG (La Monte), compositeur américain (Bern, Idaho, 1935). Après des études musicales à Los Angeles, à l’université de Berkeley et à New York (musique électronique avec Richard Maxfield), il commence à composer dans un style dodécaphonique dont il se détournera vite. Il travaille un moment avec Terry Riley pour la direction musicale de la troupe de danse d’Ann Halpern. En 1962, il fonde son propre atelier, The Theatre of Eternal Music, où il commence à réaliser ses projets de musique minimale à base de notes tenues sur des durées infinies. Avec le peintre et artiste cinétique Marian Zazeela, qu’il a épousée en 1963, il conçoit des spectacles de sons et de lumières se déroulant sur des heures ou des journées dans une « dream house » (maison du rêve). Il a l’occasion de fortifier ses conceptions en faveur d’une musique méditative en étudiant le style vocal Kirana auprès d’un musicien indien, le pandit Pran Nath, qu’il accompagne dans des tournées comme joueur de tampura. Son projet se catalyse dans une oeuvre globale et infinie, conçue en 1964, The Tortoise, his Dreams and Journeys (« la Tortue, ses rêves et ses voyages »), comprenant un grand nombre de sections durant chacune jusqu’à une semaine, utilisant des sons électroniques immobiles, des interventions vocales et instrumentales (cordes), et des effets lumineux - et devant se jouer, dans l’idéal, éternellement. Un grand nombre de ses pièces des années 70 s’inscrivent dans le cadre de ce projet global. Enfin, à la fin des années 70, il reprend une oeuvre de 1964, fondée sur le principe d’un accord « juste », non temdownloadModeText.vue.download 1077 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1071

péré, du piano, The Well Tuned Piano (« le Piano bien accordé »). YSAYE (Eugène), violoniste, chef d’orchestre et compositeur belge (Liège 1858 - Bruxelles 1931). Dès l’âge de quatre ans, il étudia le violon avec son père, et en 1865, entra au conservatoire de Liège. Il y obtint un deuxième prix en 1867, puis, après avoir quitté l’établissement durant deux ans, un premier prix en 1873 et une médaille d’argent en 1874. Il étudia ensuite au conservatoire de Bruxelles avec Wieniawski, puis à Paris pendant trois ans avec Vieuxtemps. En 1879, il devint premier violon de l’orchestre Bisle à Berlin, puis fit des tournées avant de s’installer à Paris (1883-1886). Il enseigna ensuite pendant douze ans au conservatoire de Bruxelles, où il fonda les Concerts Ysaye, destinés à promouvoir le répertoire belge et français contemporain. Il fit ses débuts à Londres en 1889, et en 1894, effectua la première de ses huit tournées aux États-Unis. Son agilité ayant diminué, il se tourna aussi vers la direction d’orchestre, et de 1918 à 1922 fut à la tête de l’Orchestre symphonique de Cincinnati. En 1922, il retourna à Bruxelles et y rétablit les Concerts Ysaye. Il transmit au XXe siècle la tradition de Vieuxtemps et de Wieniawski, en particulier leur intense vibrato, et développa une sonorité unique dont Kreisler devait se faire l’émule. Pionnier de l’école moderne de violon, il était révéré comme un maître par des artistes tels que Jacques Thibaud, George Enesco ou Joseph Szigeti. Au cours de son séjour à Paris, il se lia avec de nombreux compositeurs de l’époque : il reçut en dédicace, outre la Sonate de Guillaume Lekeu, celle de César Franck, le Poème et le Concert de Chausson, ainsi que le Quatuor, les Nocturnes et Pelléas et Mélisande de Debussy. Du concours international Eugène-Ysaye, fondé en 1937 et devenu plus tard volet du concours ReineÉlisabeth, le premier lauréat fut David Oïstrakh. Comme compositeur, il écrivit notamment un Poème élégiaque pour violon et orchestre op. 12 (v. 1895), dont Chausson s’inspira pour son Poème, et six sonates pour violon seul op. 27 (1924). YUN (Isang), compositeur coréen (Tongyong 1917 - Berlin 1995).

Il étudia les techniques européennes de composition en Corée et au Japon de 1939 à 1943, et enseigna dans sa ville natale à partir de 1946, puis de 1954 à 1956 à Séoul. Il compléta sa formation à Paris et surtout à Berlin (1956-1959), notamment avec Boris Blacher et Josef Rufer. Installé à Berlin à partir de 1964, il y fut enlevé en 1968 par les services secrets de son pays, sous l’accusation d’espionnage, et incarcéré à Séoul. Deux fois condamné à mort, il fut libéré en 1969, et regagna Berlin. Il a enseigné à l’École supérieure de musique de Hanovre en 1969-70, et a obtenu une classe de composition à l’École supérieure de musique et des arts figuratifs de Berlin en 1970. De 1973 à 1985, il a enseigné à l’Académie des arts de Berlin. On lui doit notamment Musique pour sept instruments (1959), un 3e Quatuor à cordes (1959), Scène symphonique pour orchestre (1960), Loyang pour orchestre de chambre (1962), Garak pour flûte et piano (1963), Fluktuationen (1964) et Reak (1966) pour orchestre, Tuyaux sonores pour orgue (1967), Glissées pour violoncelle (1970), Konzertante Figuren pour orchestre de chambre (1972), Harmonia pour vents, harpe (ou piano) et percussion (1974), un Concerto pour violoncelle (1976), un Concerto pour flûte et orchestre de chambre (1977), un Double Concerto pour hautbois, harpe et orchestre de chambre (1977), Namo pour trois sopranos et orchestre (1978), un Concerto pour clarinette (1981) et deux pour violon (1982 et 1986), cinq Symphonies, une Symphonie de chambre no 1 (1988), Silla, légende pour orchestre (1992), Quatuor à cordes no 6 (1993), Concerto pour violon no 3 (1993), Anges en flammes (1994) et les opéras Der Traum des Liu-Tung (1965 ; Nuremberg, 1969), Die Witwe des Schmetterlings (1968 ; Nuremberg, 1969), Geisterliebe (1969-70 ; Kiel, 1971) et Sim Tjong (1971-72 ; Munich, 1972). YVAIN (Maurice), compositeur français (Paris 1891 - Suresnes 1965). Fils d’un trompettiste de l’Opéra, il étudia le piano avec Diémer et la composition avec Leroux au Conservatoire de Paris. Il fut pianiste au cabaret des Quat’z’Arts, puis à Monte-Carlo. Ses premières chansons furent bientôt rendues célèbres par Maurice Chevalier et par Mistinguett : Mon homme, J’ai fait ça en douce, Billet

doux, etc. En 1922, il composa sa première opérette, Ta bouche, qui fut suivie d’une vingtaine d’autres, parmi lesquelles la Dame en décolleté (1923), Gosses de riches (1924), Pas sur la bouche (1925), Au soleil du Mexique (1935), le Corsaire noir (1958). Son ballet Blanche-Neige a été créé à l’Opéra de Paris en 1951. downloadModeText.vue.download 1078 sur 1085

Z ZABALETA (Nicanor), harpiste espagnol (Saint-Sébastien 1907 - Porto Rico 1993). Il fit ses études en Espagne, puis à Paris (Marcel Tournier, Samuel-Rousseau et Eugène Cools). D’abord harpiste de l’Orchestre symphonique de Madrid, il partit pour les États-Unis (1933) comme soliste et y mena pendant vingt ans une brillante carrière de virtuose et de concertiste qui incita beaucoup de compositeurs à écrire pour la harpe : Milhaud, Villa-Lobos, Tailleferre, Damase, Bacarisse, Krenek, Rodrigo. Il a en outre recherché les oeuvres anciennes originales pour harpe, et a édité celles des compositeurs espagnols et portugais du XVIe au XIXe siècle, ainsi que certaines autres d’auteurs divers comme Bach et ses fils, Beethoven, Boieldieu, Hummel, Viotti. Il est l’un des artisans de l’adaptation de la harpe au répertoire contemporain, notamment par l’adjonction d’une grande pédale qui permet, en étouffant la résonance des ondes métalliques, un jeu plus net et plus clair. ZACH (Jan), compositeur et organiste tchèque (Celakovice 1699 - Ellwangen 1773). Après avoir été organiste et violoniste de différentes paroisses de Prague, il ne put obtenir en 1737 le poste d’organiste de la cathédrale Saint-Guy, et décida de s’expatrier. Il parcourut l’Europe jusqu’en 1745, date à laquelle il succéda à son compatriote Jan Ondraček comme maître de chapelle du prince Électeur de Mayence. D’une humeur irascible, il fut suspendu en 1750 et congédié en 1756. Il recommença alors à voyager, séjournant notamment au monastère de Stams (Tyrol) et au collège des jésuites de Munich, ainsi que peut-être en Alsace. Auteur de musique instrumentale (sinfonias et partitas, pièces d’orgue) et sacrée (29 messes, pièces diverses, Requiem en ut mineur), il

joua un rôle important dans le passage du baroque au préclassicisme. Un catalogue thématique de ses oeuvres a été dressé par K. M. Komma (Cassel, 1938 ; suppl. par A. Gottron et W. Senn, Mayence, 1955) ; un autre est en préparation par W. Senn. ZACHARIAS (Christian), pianiste allemand (Jamshedpur, Inde, 1950). Élève d’Irène Slavin à la Hochschule de Karlsruhe, il remporte en 1969 le Second Prix du Concours de Genève. De 1970 à 1973, il étudie le piano à Paris auprès de Vlado Perlemuter et remporte dans les deux années qui suivent plusieurs prix aux Concours Van Cliburn et Maurice Ravel. À partir de 1975, il se fait connaître dans le répertoire de piano solo ainsi qu’en formation de musique de chambre (avec en particulier Ulf Hoelscher et Heinrich Schiff). Son jeu, notamment dans les oeuvres de Mozart, est marqué par l’intériorité et une grande finesse dans la recherche des timbres. ZACHER (Gerd), organiste allemand (Meppen, près d’Ems, 1929). De 1949 à 1952, il étudia à l’académie de Detmold avec Kurt Thomas et Gunther Bialas, et en 1952 et 1953 aux cours d’été de Darmstadt, où il subit l’influence d’Olivier Messiaen. Puis en 1954, il fut enfin à Hambourg l’élève de Theodor Kaufmann, lui-même disciple de Busoni. Après avoir exercé de 1954 à 1957 les fonctions de cantor et d’organiste à l’église allemande évangélique de Santiago du Chili, il fut nommé en 1957 titulaire de l’orgue de la LutherKirche de Hambourg-Wellingbüttel, puis en 1968 directeur de la musique d’église à Lübeck. Très marqué par sa formation et par un répertoire largement ouvert à la musique contemporaine, il interprète de façon originale la musique classique. De nombreux musiciens d’avant-garde, parmi lesquels Juan Allende-Blin, John Cage, Mauricio Kagel, Ligeti, Isang Yun, ont écrit pour lui des oeuvres d’orgue qu’il a données en première audition. Il fait usage des clusters ainsi que des variations de pression obtenues par ouverture progressive des registres. Il a créé en 1967, à Hambourg, Étude I de Ligeti et la Fantaisie pour orgue de Kagel, oeuvres composées pour le dixième anniversaire de sa prise de fonction à la Luther-Kirche.

Comme compositeur, il a surtout écrit pour l’église. ZACHOW (Friedrich Wilhelm), compositeur et organiste allemand (Leipzig 1663 - Halle 1712). Formé à la musique par son père Heinrich, « musicien de ville » à Leipzig, il fut nommé en 1684 titulaire de l’orgue de l’église Sainte-Marie de Halle (Liebfrauenkirche), poste qu’il devait occuper pendant toute sa carrière. Musicien consciencieux, formé aux disciplines fondamentales que l’on était en droit d’attendre de l’organiste de la première église de Halle, Zachow est surtout connu pour avoir été, de 1694 à 1702, le maître de Georg Friedrich Haendel. Une culture musicale fort étendue, une connaissance des développements de la musique italienne aussi bien qu’allemande ont contribué à l’ouverture d’esprit de son célèbre élève. Sa production propre est loin d’être négligeable. Elle comporte des pièces d’orgue et une trentaine de cantates (plus de quarante ont disparu) montrant à quel point était enracinée dès la fin du XVIIe siècle une tradition que Bach devait porter à sa perfection. Les compositions de Zachow ont été éditées par Max Seiffert dès 1905. Pour les éléments de biogradownloadModeText.vue.download 1079 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1073 phie, nous dépendons principalement de la littérature consacrée à Haendel et aux légendes controuvées qui s’y sont greffées. ZANDONAI (Riccardo), compositeur italien (Sacco di Rovereto 1883 - Pesaro 1944). Élève de Mascagni au Lycée musical de Pesaro (dont il sera le directeur en 1940), il adhéra aux buts esthétiques de la jeune école lyrique italienne, mais sut ajouter à son idéal d’efficacité et de sensibilité parfois morbide un langage harmonique nouveau et un sens de l’orchestration hérité de Debussy et de Ravel. Encouragé par Boito et par l’éditeur Ricordi, Zandonai connut le succès avec le Grillon du foyer, d’après Dickens (1908), et surtout avec Conchita d’après Pierre Louýs (1911). C’est néan-

moins grâce à D’Annunzio qu’il réussit son chef-d’oeuvre, Francesca da Rimini (1914), y dressant des portraits d’une sensibilité frémissante, d’une étonnante vérité et d’une force dramatique nouvelle, sans aucune concession à la facilité, mêlant un langage vocal tour à tour violent et tendre à une orchestration raffinée. Enfermé dans la gloire de ce chefd’oeuvre, il ne se renouvela qu’imparfaitement dans ses huit opéras suivants, parmi lesquels Giulietta e Romeo (1922) et surtout I Cavalieri di Ekebu (1925), où le fantastique de la saga lui fournit l’occasion de renouveler son inspiration. On lui doit encore des oeuvres concertantes avec orchestre, de la musique de chambre, des partitions de films, des ballets, un Requiem et un Te Deum. ZANÉSI (Christian), compositeur français (Lourdes 1952). Révélé par son oeuvre Stop l’horizon (1980), ce compositeur membre depuis 1978 du Groupe de recherches musicales de l’I.N.A. est sans doute le talent le plus impressionnant de sa génération dans le domaine de la musique électroacoustique : il a su intégrer et dépasser les influences revendiquées d’aînés comme Bernard Parmegiani et Karlheinz Stockhausen (auquel il rend hommage dans un chef-d’oeuvre : Arkheion, les mots de Stockhausen, 1995 pour se forger un style à la fois puissant et lyrique, sachant se déployer dans le temps - qu’il traite comme un espace à traverser, comme des arches vigoureusement dessinées, tout en maintenant une invention et une sensibilité constantes dans le détail - alors que la musique électroacoustique, chez d’autres, prédispose souvent à un miniaturisme sans forme ou, au contraire, à une éloquence un peu massive. Christian Zanési, actif pédagogue, sur les ondes, de la musique électroacoustique, a composé en outre pour le théâtre et le cinéma (films d’animation de René Laloux), et créé la revue Ars Sonora. ZARLINO (Gioseffo), théoricien et compositeur italien (Chioggia 1517 - Venise 1590). Prêtre organiste de la cathédrale de sa ville natale, il s’installa à Venise en 1541 et y devint élève de Willaert. De 1565 à sa mort, il fut maître de chapelle à San Marco. Ses compositions sont d’un inté-

rêt secondaire, mais il a joué un rôle de tout premier plan dans l’évolution de la théorie musicale, et notamment dans celle du contrepoint, dont (en prenant pour modèle les oeuvres de Willaert, témoignant ainsi de son souci d’allier spéculation et pratique) il fut au XVIe siècle le plus grand représentant. De ses traités, le plus important est les Istitutioni harmoniche (Venise, 1558 [réimpr. 1965] ; rév. 1562, 1573 [réimpr. 1966], 1593). Fondant sur des bases harmoniques sa théorie du contrepoint, il fut le premier à dégager les principes du système diatonique tonal et des proportions arithmétiques. Ses règles de contrepoint furent diffusées notamment par son élève Artusi et largement reprises par la suite, mais leurs fondements théoriques et mathématiques furent réfutés non sans raisons, en particulier par son élève Vincenzo Galilei (Dialogo della musica antiqua e della moderna, Florence, 1581 ; Discorso intorno all’opere di messer G. Zarlino, Venise, 1589). À ces critiques, Zarlino répondit, sans parvenir à les réfuter, dans ses Sopplimenti musicali (Venise, 1588 ; réimpr. 1966). ZARZUELA. Forme particulière à l’Espagne de théâtre populaire accompagné de musique et de chant. Aux XVIe et XVIIe siècles déjà, bien des pièces de Lope de Vega puis de Calderón (jouées au palais de la Zarzuela, près de Madrid, d’où le nom laissé au genre) s’inspirèrent d’événements de l’actualité et furent entrecoupées de chansons et de ballets. Longtemps subalterne, voire oubliée, cette tradition prit soudain un essor foudroyant aux alentours de 1860. La zarzuela s’apparente alors au théâtre satirique, voire chansonnier, et va chercher sa musique dans les fredons populaires qui courent les rues et qu’elle prolonge, enrobe, enrichit. C’est par cette dépendance étroite de l’actualité mondaine, politique, voire artistique, et par son peu de scrupules à réutiliser des motifs connus de tous (plaza de toros, folklore urbain de toute provenance, de la danse faubourienne à la chanson et au cante jondo) que la zarzuela se distingue radicalement de l’« opérette » telle qu’elle est conçue dans le reste de

l’Europe : par sa perméabilité même, la zarzuela se veut locale, anecdotique, mais d’autant plus proche du quotidien spécifiquement espagnol. Portée par une musique caractéristique, elle se rapproche ainsi de la grande tradition ibérique du roman picaresque. Sa qualité même est garantie par ses auteurs les plus connus, tous musiciens de premier ordre et fort estimés dans les domaines les plus divers : Jerónimo Gimenez était un homme politique ; Amadeo Vives fut à la fois un fervent wagnérien et un folkloriste passionné ; Tomas Bretón, chef d’orchestre et professeur renommé, fut notamment le maître de Pablo Casals ; Ruperto Chapi, ancien chef d’une harmonie militaire, travailla à Rome sur les anciens polyphonistes espagnols et contribua à la résurrection de Victoria ; Francesco Barbieri, enfin, un homme de science doublé d’un chanteur, était lui aussi passionné découvreur des musiques des XVe et XVIe siècles, fervent wagnérien et même traducteur d’Ésope en vers castillans. Parodiant volontiers les grands compositeurs du siècle (notamment Wagner et Verdi), mêlant le burlesque et le sentimental, la zarzuela apparaît ainsi comme une forme d’expression à mi-chemin entre le théâtre et la musique, abordant aussi bien les « problèmes de l’heure » (racisme, suffrage universel, liberté des femmes) que les contes traditionnels, voire des canevas empruntés au théâtre classique. Sa vitalité musicale se nourrit d’une extraordinaire accumulation de clichés ibériques, qui, de cette juxtaposition, tirent un caractère auto-parodique. Or, traditionnellement, la parodie de l’Espagne par les Espagnols (Cervantès, Quevedo, Moratín, etc.) est toujours riche de prolongations et de finesses, les mêmes tournures, depuis Don Quichotte au moins, pouvant servir à peindre les profondeurs de l’âme ou à les tourner en ridicule. C’est dans cet esprit que les plus grands, Albéniz, Granados et même l’austère Manuel de Falla, se risquèrent à la zarzuela. Après le tournant du XXe siècle, abordé par des artistes ne parvenant plus à renouer avec l’ironie désinvolte de leurs prédécesseurs, la zarzuela va péricliter, de

même qu’actuellement trop de chefs et de chanteurs espagnols abordent ce répertoire virulent dans un esprit beaucoup trop solennel pour lui restituer son cachet. Paradoxalement, l’esprit de la zarzuela s’est perpétué dans la comédie musicale américaine, elle aussi soucieuse d’efficacité, d’actualité, de vigueur et de sentimentalité populaire, elle aussi réutilisant volontiers les airs accueillis par le folklore citadin, elle aussi sans équivalent dans le panthéon musical. ZASLAW (Neal), musicologue américain (New York 1939). Il a étudié à Harvard (Bachelor of Arts en 1961) et à la Juilliard School (Master downloadModeText.vue.download 1080 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1074 of Science en 1963), puis la musicologie avec Paul Henry Lang à Columbia (Master of Arts en 1965). Il a publié en 1964 Edward A. MacDowell et enseigne depuis 1970 à Cornell University (Ithaca, New York). Spécialiste de Mozart, intéressé en particulier par la genèse de la notion d’orchestre à l’époque classique, il est l’auteur de Mozart’s Symphonies : Context, Performance Practice, Reception (Oxford, 1989), a coédité avec William Cowdery The Complete Mozart : A Guide to the Musical Works of Wolfgang Amadeus Mozart (New York et Londres, 1990), et dirige actuellement la préparation du catalogue Köchel 9 (à paraître aux alentours de l’an 2000). ZBAR (Michel), compositeur français (Clermont-Ferrand 1942). Il a fait ses études au Conservatoire de Paris, notamment avec Pierre Sancan (piano), Olivier Messiaen (premier prix d’analyse, 1966) et Tony Aubin (premier prix de composition, 1967). Il a fait un stage au Groupe de recherches musicales en 1965, et été pensionnaire à la villa Médicis à Rome (1973-74). Il a également poursuivi des études d’acoustique musicale à la faculté des sciences de Paris, et exercé des activités d’animation musicale en milieu scolaire. Il dirige depuis 1992 l’École nationale de musique de Montreuil. On lui doit notamment Tropismes pour violon et grand orchestre (1970),

Incandescences pour soprano, récitant et orchestre (1970), Swingle Novae pour huit voix mixtes, récitant, jazzmen et petit orchestre (1970), Jeu 1 à 5 pour divers ensembles instrumentaux (1971-72), Apex pour ensemble de cordes (1971), Apex 2 pour douze cordes (1972), Contact II pour ensemble de cuivres (1974), le Voyage pour huit voix mixtes en ensemble instrumental (1974), la Lumière sortant par soimême des ténèbres pour trois choeurs, trois percussions et bande magnétique (1976), Rituel pour choeur d’amateurs (1977), Ricercare pour trois percussions (1978), Suite pour violon, cordes et bande (1987), Franges du songe pour 12 voix et bande (1987), Lignes doubles pour 2 hautbois (ou 2 clarinettes) et clarinette (1990). ZECHLIN (Ruth), femme compositeur allemande (Grosshartmannsdorf, Saxe, 1926). Elle a étudié à Leipzig, et enseigne la composition à l’École supérieure de musique Hanns-Eisler de Berlin-Est (1969) et à l’Académie des arts de R.D.A. (1973). Elle a écrit notamment six quatuors à cordes (1959 à 1977), trois symphonies, des concertos, Musik zu Bach pour 3 flûtes, 2 hautbois, 3 trombones, percussion et cordes (1985). ZELENKA (Jan Dismas), compositeur tchèque (Lounoviče, Bohême, 1679 Dresde 1745). Il étudia probablement au collège des jésuites à Prague, et en 1709-1710, fut dans cette ville au service du comte Hartig. En 1710, il devint contrebassiste dans l’orchestre royal de Dresde. Envoyé en Italie avec d’autres musiciens (1715), il s’arrêta à Vienne pour y étudier avec Johann Joseph Fux, et à Venise, travailla avec Lotti. Sur le chemin du retour, il s’arrêta de nouveau à Vienne (1717-1719), puis regagna Dresde pour y rester jusqu’à sa mort, exception faite d’un séjour à Prague lors du couronnement de Charles VI comme roi de Bohême : fut alors donné son « Melodrama de Sancto Wenceslao » Sub olea pacis et palma virtutis conspicua Orbi regia Bohemia corona. À Dresde, il assuma peu à peu les charges du maître de chapelle David Heinichen. À la mort de ce dernier (1729), il brigua sa succession, mais se vit finalement préférer Johann Adolf Hasse, tenant du goût

italien, et passa ses dernières années dans un relatif isolement. Admiré par Bach et par Telemann, il témoigne dans ses oeuvres d’une grande maîtrise contrapuntique, ce qui ne l’empêcha pas de se livrer en même temps à d’audacieuses recherches harmoniques. Rythme, contrepoint et harmonie retiennent chez lui également l’intérêt, et il attacha aussi une importance particulière aux indications d’intensité. Il fut longtemps considéré essentiellement comme un compositeur de musique religieuse, mais depuis un quart de siècle environ, on reconnaît également la grande valeur de sa production instrumentale. Cette dernière comprend notamment six sonates pour deux hautbois, basson et basse continue, et neuf oeuvres avec orchestre : cinq Capriccios, Concerto a 8, Hipocondrie a 7 (1723), Sinfonia a 8 (1723), Ouverture en « fa ». Dans le domaine religieux, on lui doit entre autres trois oratorios (II Serpente di bronzo, 1730 ; Gesù al Calvario, 1735 ; I Penitenti al sepolcro del Redentore, 1736), des messes dont les cinq dernières surtout (Missa Sanctissimae Trinitatis, Missa Votiva, Missa Dei Patris, Missa Dei Filii, Missa Omnium Sanctorum, composées de 1736 à 1741) sont d’envergure monumentale, un Magnificat en ré (1725), un Requiem (1730), des motets, trois cantates pour le collège des jésuites de Prague (1709, 1712, 1716), et les Six Lamentations pour les veillées de la semaine sainte (Lamentations de Jérémie, 1722). ZELTER (Carl Friedrich), compositeur d’orchestre et pédagogue allemand (Berlin 1758 - id. 1832). Fils d’un maçon, il se fit connaître assez jeune, en particulier par un Concerto pour alto en mi bémol daté de 1779. En 1786, sa Cantate sur la mort de Frédéric II fut jouée dans l’église de la Garnison à Berlin. Entré en 1791 dans le Singverein (Société de chant) - ultérieurement Singakademie (Académie de chant) - de son ancien maître Carl Fasch, il en assuma la direction à la mort de ce dernier (1800), et conserva ce poste pendant près de trente ans, contribuant ainsi à fonder une tradition d’interprétation de la musique ancienne. Il devint membre de l’Académie des beaux-arts de Prusse en 1806, et professeur de musique à l’université de Berlin lors de la fondation de cet établissement

(1809). De 1803 à 1813, Zelter publia une série de sept mémoires sur la « réorganisation de la vie musicale de l’État et de la Ville, de l’Église et de l’École », fondant en fait l’enseignement musical tel qu’il devait se développer dans la Prusse du XIXe siècle. En 1807, il fonda la Ripienschule, groupe instrumental destiné à accompagner la Singakademie et dont finalement devait naître en 1882 la Philharmonie de Berlin, et en 1809 le Liedertafel, prototype des sociétés chorales masculines allemandes du XIXe siècle. Il fut à l’origine des premières exécutions berlinoises de la Création (un de ses articles les plus célèbres est celui qu’il consacra à cette oeuvre dans l’Allgemeine musikalische Zeitung en 1802) et des Saisons de Haydn, et participa encore en 1822 à la fondation de l’Institut royal de musique sacrée, et, en 1829, à celle du département de la Musique de la Bibliothèque royale. Zelter exerça sur la vie musicale berlinoise une influence durable et profonde. Il compta parmi ses élèves Mendelssohn (c’est dans le cadre de la Singakademie, et dans la continuité de l’action menée en faveur de Bach par Zelter lui-même, que ce dernier dirigea en 1829 sa fameuse exécution de la Passion selon saint Matthieu), Nicolai, Carl Loewe et Meyerbeer, et, pendant de nombreuses années, échangea avec Goethe une correspondance d’un très grand intérêt le faisant apparaître, en matière de musique, comme une sorte de conseiller de l’auteur de Faust. Comme compositeur, on lui doit notamment environ deux cents lieder (les premiers parurent en 1796), des cantates, de la musique sacrée et de nombreux choeurs pour voix d’hommes. ZEMLINSKI (Alexander von), compositeur et chef d’orchestre autrichien d’origine polonaise (Vienne 1871 - Larchmont, New York, 1942). Il étudia au conservatoire de Vienne (1884-1890) avec Anton Door (piano), Franz Krenn et Robert Fuchs (contrepoint) et Johann Nepomuk Fuchs (composition). Son Quintette à cordes, créé en 1893 par le Quatuor Hellmesberger, retint l’attention de Brahms. Il dirigea en 1894 downloadModeText.vue.download 1081 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1075 l’orchestre d’amateurs Polyhymnia, dans lequel le jeune Arnold Schönberg, alors employé de banque, tenait un pupitre de violoncelle. Leur amitié devait durer vingt ans et être renforcée par le mariage de Schönberg avec Mathilde, soeur de Zemlinski. Ce dernier dirigea en 1896 la première audition publique d’une composition de Schönberg, qui, à son tour, travailla à la réduction pour piano du premier opéra de Zemlinski, Sarema (couronné en 1897 par le prix Leopold, de Munich). En 1900, le deuxième, Es war einmal, fut accepté par l’Opéra de Vienne et créé sous la direction de Gustav Mahler. La même année, Zemlinski obtint le poste de chef d’orchestre du Carl-Theater, puis du Theater an der Wien, qu’il devait quitter quatre ans plus tard pour la Volksoper (1904). La même année, il fonda avec Schönberg l’éphémère Vereinigung der Schaffender Künstler (Société des artistescompositeurs), avec comme président d’honneur Mahler. Celui-ci engagea bientôt Zemlinski à l’Opéra de Vienne (1907), quelques mois avant de le quitter lui-même. Mais Zemlinski retourna au bout d’un an à la Volksoper, à la suite d’un conflit avec le nouveau directeur, Felix Weingartner. En 1911, il fut nommé directeur de l’Opéra de Prague, charge qu’il devait conserver jusqu’en 1927 et qui lui permit de donner sa pleine mesure de musicien-dramaturge, chef d’orchestre et administrateur. Il y dirigea deux de ses opéras, Eine florentinische Tragödie (d’après Oscar Wilde) et la version définitive de Kleider machen Leute (d’après Gottfried Keller), et y créa sa Symphonie lyrique ainsi que Erwartung et Die glückliche Hand de Schönberg. Parallèlement, il enseigna la composition à la Deutsche Musikakademie. À la Krolloper de Berlin, où il fut engagé ensuite par Otto Klemperer, il dirigea de nombreux ouvrages contemporains tout en occupant une chaire à l’Akademische Hochschule für Musik. En 1931, après la fermeture de la Krolloper, il retourna à Vienne, d’où il entreprit quelques tournées comme chef invité. En 1938, au moment de l’Anschluss, il

partit pour les États-Unis, espérant sans doute un engagement au Metropolitan Opera, dont son ami Artur Bodanzki était le principal chef d’orchestre. C’est à l’instigation de Bodanzki qu’il mit en chantier son dernier opéra, Circe, resté inachevé. Après quatre années de difficultés matérielles, il mourut d’une crise cardiaque sans avoir été reconnu, ni même connu, du public américain. Chef d’orchestre magistral et pédagogue éminent (Erich Wolfgang Korngold lui devait l’essentiel de sa formation et Arnold Schönberg déclarait avoir reçu de lui le seul enseignement digne de ce nom), Zemlinski ne s’est jamais imposé de son vivant d’une manière durable comme compositeur, malgré le vif succès remporté par certains de ses opéras. Sa musique fut appréciée pour son intensité expressive et son originalité harmonique, mais elle resta longtemps à peu près inconnue. Depuis quelques années, une réhabilitation méritée semble se dessiner, avec notamment trois enregistrements discographiques de la Symphonie lyrique et en 1974, un symposium lui a été consacré à l’Automne styrien de Graz. Les influences conjuguées de Mahler et de Strauss ont laissé des traces indiscutables sur son style. Il prit un chemin moins radical que celui de Schönberg, se contentant d’assouplir les contraintes de l’harmonie traditionnelle. ZENDER (Hans), compositeur et chef d’orchestre allemand (Wiesbaden 1936). Il a étudié à l’École supérieure de musique de Francfort (1956-1959), puis avec Wolfgang Fortner à Fribourg-en-Brisgau. Il fut premier chef au théâtre de Bonn (1964-1968) et directeur de la musique à Kiel (1969-1971) avant de devenir chef d’orchestre de la radio de Sarrebruck (1971), puis de Hambourg. De 1984 à 1987, il est generalmusikdirektor de l’Opéra de cette ville, puis devient chef permanent de l’Orchestre de Chambre de la radio néerlandaise à Hilversum (19871994). À ce poste, il s’est beaucoup consacré à la musique contemporaine. Comme compositeur, il a écrit notamment Trois Pièces pour orchestre (1955), Schachspiel pour deux groupes instrumentaux (1970), Canto I pour soprano et orchestre de chambre (1965), II pour soprano, choeur et orchestre (1967), III (Der Mann von La

Mancha) pour soprano, ténor, baryton, instruments et synthétiseur (1969), IV (4 Aspekte) pour choeur et seize instruments (1971) et V (Continuum und Fragmente) pour voix (1973), Litanei pour trois violoncelles (1976), Happy End, quatre études pour orchestre (1976), Die Wüste hat zwölf Ding pour mezzo soprano et orchestre (créé en 1986), l’opéra Stephen Climax (Francfort, 1986), Nanzen no Kyo pour choeur et orchestre (1992), Don Quijote de la Mancha, 31 aventures théâtrales (Stuttgart 1993). ZENO (Apostolo), écrivain et librettiste italien (Venise 1668 - id. 1750). Critique, historien, rédacteur du Journal des écrivains italiens de 1710 à 1719, il succèda à Silvio Stampiglia (1664-1725) comme poète officiel de la cour de Vienne (1718-1729), y précédant Métastase. Passé à la postérité pour ses livrets d’opéras, Zeno méprisait quelque peu cette activité, et déclamait ses poèmes devant ses amis, peu soucieux des possibilités musicales de ses vers, fades et conventionnels. Il occupe néanmoins une place essentielle dans la « réforme » du livret entreprise par l’académie des Arcadiens à Rome, réforme amorcée par G. Frigimelica-Roberti, Salvi, et surtout Domenico David (La Forza della virtù, 1693), tendant à rationaliser l’action et à rendre l’opéra « moral » et édifiant. Zeno, qui vantait la primauté du livret sur la musique, s’intéressa à sa structure, ramenant généralement le nombre des personnages à six, liés entre eux par de complexes intrigues sentimentales, et celui des actes, progressivement, de cinq à trois. Dans ses Préfaces, plus que dans les faits, Zeno prône le respect des unités de temps et d’action, la fidélité au costume et aux sources, se justifiant lorsqu’il modifie une fable connue, soit pour rendre l’action plus riche, soit pour conférer à ses héros des desseins plus nobles. Mais Zeno ne récuse pas encore les personnages ni les scènes comiques, et n’impose guère plus que ses prédécesseurs le dénouement heureux. Trop enclin au genre pastoral vanté par les Arcadiens, Zeno trouva parfois le ton dramatique idoine (Alessandro Severo, 1716), et, lorsqu’il collaborait avec Pietro Pariati (1665-1733), laissait à celuici le soin de versifier la trame établie. Il appartint à Métastase de réaliser avec un véritable génie de poète l’action entreprise par Zeno, qui, entre 1695 et 1734, écrivit,

outre dix-sept actions sacrées, trente-six livrets qui donnèrent naissance à plus de deux cents opéras, en Italie, et à une centaine à l’étranger. Son poème le plus célèbre, La Griselda (1701), fut utilisé sous sa forme originale, ou adapté, plus de quinze fois au XVIIIe siècle et repris encore au siècle suivant. Les principaux musiciens qui mirent en musique ses poèmes furent, notamment, Caldara, Pollarollo, Albinoni, Vinci, Lotti, A. Scarlatti, Haendel, Pergolèse, Porpora, Hasse, etc., et jusqu’à Traetta et même Mercadante (Nitocri, 1824). ZILLIG (Manfred), compositeur et chef d’orchestre allemand (Würzburg 1905 Hambourg 1963). Il travailla le droit et la musique dans sa ville natale, puis étudia à Vienne avec Schönberg (1925) avant de le suivre à Berlin (1926-1938), où, en 1927-28, il fut assistant d’Erich Kleiber à l’Opéra. Comme répétiteur au théâtre d’Oldenburg (1928-1932), il participa à la première représentation de Wozzeck dans une ville de province. Après la guerre, il fut premier chef d’orchestre à la radio de Francfort (1947-1951) et chef du département de la musique de la radio de Hambourg (1959-1963). Auteur notamment de deux quatuors à cordes (1927, 1944), de Passacaille et Fugue sur le choral des « Maîtres chanteurs » pour orchestre (1963), et d’opéras parmi lesquels Das Opfer (1937), Troilus und Cressida d’après Shakespeare downloadModeText.vue.download 1082 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1076 (1949, rév. 1963), et Die Verlobung in St Domingo d’après Kleist (1956), il a également achevé l’orchestration de l’oratorio l’Échelle de Jacob de Arnold Schönberg. ZIMMERMANN (Bernd Aloïs), compositeur allemand (Bliesheim, près de Cologne, 1918 - Königsdorf, près de Cologne, 1970). Zimmermann passa sa vie entière en Rhénanie. Élève jusqu’à l’âge de dix-sept ans au couvent des salvatoriens de Steinfeld, influencé profondément par cette vie de retraite, il est attiré par la littérature, la peinture, la philologie romaine. Son

amour de l’orgue, qu’il pratique souvent au couvent, le décide à se diriger définitivement vers la musique. En 1939, il entre à l’Académie de musique de Cologne, puis se perfectionne aux cours d’été de Darmstadt (où il se convertit à l’écriture dodécaphonique sous l’influence de Fortner et de Leibowitz). À partir de 1950, il est maître de conférence à l’Institut de musicologie de l’université de Cologne, puis professeur de composition à l’École supérieure de musique de cette ville, où il dirige également un séminaire de composition pour la musique de scène et de film. Ses vingt-deux années d’activité créatrice produisent quarante oeuvres, qu’Harry Halbreich divise en trois phases essentielles : expressionniste, pluraliste, statique. Entre elles, il n’existe aucune cassure, mais une progression continue vers l’accomplissement d’un idéal esthétique et philosophique. Zimmermann luimême exprime la dualité existant dans son oeuvre (et à l’intérieur même de chacune de ses oeuvres) en se décrivant comme « un mélange typiquement rhénan de moine » (le mystique, l’ascète, l’introverti) et « de Dyonisos » (le passionné, l’explosif, l’apocalyptique). Sa période expressionniste débute avec le ballet Alagona (1940-1950), suite de cinq caprices brésiliens à la manière du Milhaud de Saudades do Brasil, contenant déjà certains éléments de son style (premiers collages, attirance pour le ballet). Le très dramatique Concerto pour violon (1950), expressif et lyrique, influencé par Hindemith et les rythmes stravinskiens, révèle l’impact du jazz et le thème cyclique de la mort et de la vie, qui sera son obsession majeure. Le point culminant de la période expressionniste de Zimmermann est atteint avec la Symphonie en un mouvement (1947-1953), qui, selon ses propres mots, fait alterner la « menace apocalyptique » et le « calme mystique ». Il utilise largement le jazz dans le Concerto pour trompette (1954), se réfère à Berg dans la Sonate pour alto solo (1955), dont l’écriture, très difficile pour l’instrument, n’a plus rien à voir avec celle de l’auteur de Lulu. Les Perspektiven pour deux pianos (1954-1956) absorbent complètement la pensée sérielle du Webern de la dernière manière, présentent une structure polyrythmique complexe et contiennent les tout premiers clusters (grappes de notes

ou de sons). Le violoncelle est l’instrument de prédilection de Zimmermann ; il en a enrichi le répertoire d’oeuvres très importantes parmi lesquelles son premier concerto, Canto di speranza (1957), strictement sériel, intime, lumineux et serein, dédié à sa femme. Des passages des Écritures saintes fournissent la base du texte de sa cantate pour soprano et dix-sept instruments Omnia Tempus habent (1957). À cette époque, Zimmermann en est arrivé à unir la force expressive et la richesse sonore au sein d’une organisation formelle très stricte. Aucune musique contemporaine n’ayant pu pénétrer en Allemagne, isolée du monde jusqu’en 1945, il avait dû assimiler d’un coup l’école de Vienne, Hindemith, Bartók, Stravinski, que les jeunes générations apprenaient au cours de leurs études régulières. Il dut ainsi faire face au problème majeur d’avoir eu vingt ans au début de la Deuxième Guerre mondiale sans se trouver pour autant plus avancé que Henze ou Stockhausen, ce qu’il résuma lui-même dans cette formule : « Je suis le plus vieux des jeunes compositeurs. » En 1957, Zimmermann redécouvre le chef-d’oeuvre négligé de Jakob Lenz, Die Soldaten, dont il décide tout de suite de faire un opéra. En effet, la structure pluraliste de la pièce de Lenz (au niveau de l’action) est en parfaite correspondance avec le thème de la « sphéricité du temps », essentiel chez Zimmermann : le temps est conçu comme une unité du passé, du présent et de l’avenir, une sphère qui se manifeste dans une perpétuelle simultanéité de tous les phénomènes. Ce pluralisme le conduit à juxtaposer des couches sonores différentes souvent opposées par le style et la chronologie (techniques de la citation et du collage, influencées par la poésie moderne et la peinture surréaliste), et, au point de vue scénique, à l’initiative révolutionnaire des actions simultanées (jusqu’à douze). Zimmermann a vécu dans un état de tension nerveuse jusqu’au 15 février 1965, date de la création de ses Soldats, qui laissa une profonde impression. En effet, s’étant retrouvé dans la même situation que le Bruckner de la Huitième Symphonie, il avait été obligé de réécrire sa partition, rejetée comme injouable par l’Opéra

de Cologne, pour en réaliser une version exécutable, ce qui lui fit perdre beaucoup de sa plasticité spatio-temporelle. Il souhaitait en effet la faire représenter dans une salle circulaire, équipée de fauteuils tournants et munie de douze scènes, chacune ayant son propre orchestre (avec son chef), l’ensemble interprétant simultanément des passages variés de l’oeuvre. La fantastique « intégration » de tous les moyens sonores, visuels et expressifs existant à ce jour, opérée par Zimmermann dans sa deuxième rédaction, n’en voit pas moins sa puissance décuplée par l’engagement humaniste qui illumine l’opéra et va droit au coeur du public, bien que le laissant en état de « choc ». Sommet de son écriture sérielle et première manifestation majeure de la phase pluraliste, les Soldats, l’une des partitions capitales de ce siècle, demeurent toujours « avant-gardistes « : presque aucune salle d’opéra ne possède l’infrastructure technique permettant de réaliser pleinement les exigences de son auteur. Dans la Sonate pour violoncelle (1960), véritable guide des techniques de jeu moderne pour cet instrument, Zimmermann utilise, pour la première fois, des microintervalles (quarts de ton), et de nouveaux types de pizzicati. Présence (1961), « ballet blanc » en cinq scènes, pour violon, symbolise Don Quichotte par le violon, Molly Bloom (de Joyce) par le violoncelle, et Ubu-roi par le piano, et comprend de nombreux collages. Antiphonen (1962), pour alto et vingt-cinq instrumentistes, est une importante étape vers le « lingual » du Requiem, car les exécutants doivent lire simultanément, et dans leurs langues respectives, des extraits du Livre de Job, des Frères Karamazov et d’Ulysse. Le Concerto pour violoncelle et orchestre en forme de pas de trois (1965-66), dédié à Siegfried Palm, violent et tendre, virtuose à l’extrême et lyrique tout à la fois, synthétise plusieurs obsessions de Zimmermann : le ballet imaginaire, le concerto instrumental, les harmonies sérielles raffinées et d’une grande délicatesse (émanant notamment de la mandoline, de la guitare électrique, de la harpe, du piano, du clavecin), de furieuses explosions de jazz. Avec l’oeuvre purement électronique Tratto I et avec Intercomunicazione pour

violoncelle et piano (1967) s’ouvre l’ultime phase de l’expansion temporelle, ou « statisme musical « : le violoncelle effectue de longues tenues, avec des variations infinitésimales, des modifications microtonales, des doubles cordes et des quarts de ton. Les structures de sons statiques et épars prédominent également dans la musique de scène Die Befristeten (Ode à la liberté sous forme de danse de mort) [1967], que son amour du jazz a conduit Zimmermann à composer pour un quintette de jazz. En effet, l’auteur des Soldats est, avec Michael Tippett, le musicien contemporain à avoir le plus approché l’essence du jazz, expression des opprimés, qui ne pouvait qu’être chère à l’humaniste ! Le prélude pour grand orchestre Photoptosis (1968-69), grand monolithe de sons, constitue une des rares - et la derdownloadModeText.vue.download 1083 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1077 nière - oeuvres de paix avant la plongée finale dans le désespoir cosmique du Requiem pour un jeune poète (1967-1969), à la première duquel la maladie l’empêche d’assister, bien qu’il explique que « tout » dépend pour lui de cette exécution. Son idée de la sphéricité du temps atteint ici son apothéose : c’est une fresque synthétique de cinquante années d’histoire du monde, qui donne tout son sens à ses paroles : « Le compositeur est un reporter, pas au sens journalistique du terme (les journaux recherchent le sensationnel) ; l’action de l’authentique sensation, qui n’est pas « à sensation », procède du spirituel et atteint le niveau le plus profond de l’âme. » Une telle partition, aux implications philosophiques écrasantes pour un être humain aussi hypersensible que Zimmermann, l’a profondément ébranlé et peut l’avoir tué. Elle s’achève par l’affirmation suivante : « Y a-t-il des raisons d’espérer ? Il n’y a rien d’autre à espérer que la mort. » Les Soldats se terminaient par l’interrogation : « Doiventils tous trembler, ceux qui souffrent de l’injustice et se réjouir, seuls, ceux qui la commettent ? » Le 10 août 1970, Zimmermann met fin à ses jours, à l’âge de cinquante-deux ans. Si la détérioration régulière de sa santé,

l’indifférence injuste dont il souffrit, le fait d’être consumé par sa propre création ont partiellement causé son suicide, la raison essentielle en fut le conflit de base qu’il ne put jamais surmonter, résumé dans le titre de sa dernière partition, terminée cinq jours avant sa mort : Je me détournai et considérai toute l’oppression qui se fait sous le soleil, « action ecclésiastique » pour deux récitants, basse soliste, orchestre et trois trombones disséminés dans le public, sur un texte rédigé par lui-même, inspiré de la parabole célèbre du « Grand Inquisiteur » (les Frères Karamazov de Dostoïevski), et comprenant de larges citations de l’Ecclésiaste et de la Bible de Luther. Le Grand Inquisiteur (second récitant) blâme amèrement le Christ (premier récitant) d’avoir surestimé l’humanité, d’avoir trop demandé à l’homme, de l’avoir cru capable d’un sacrifice aussi grand que le sien... Le lamento de la basse soliste semble la voix de Zimmermann lui-même : « Malheur à celui qui est seul ! » Les longues étendues de sons statiques alternent avec de terrifiantes explosions tonales, des martèlements de leurs estrades par les coups de pied des récitants, des sons nouveaux (déchirements de papier, etc.), et des passages aléatoires (improvisations des percussionnistes sur des rythmes de blues). L’oeuvre se termine brutalement par la citation « fortissimo » aux trombones du choral de Bach Es ist genug (« C’est assez ! »), déjà utilisé par Berg dans son Concerto pour violon. Son dépouillement et sa terrible violence expressive se retrouvent, en écho, dans l’avant-dernière partition de Zimmermann, les Quatre Études brèves pour violoncelle, écrite à l’instigation de Siegfried Palm. ZIMMERMANN (Krystian), pianiste polonais (Zabrze 1956). Élève d’Andrej Jasinsky à Katowice, il fait sa première grande apparition publique lors du Concours Beethoven de Vienne en 1975, année où il remporte aussi le 1er Prix au Concours Chopin de Varsovie. À partir de 1976, qui est aussi l’année de sa rencontre avec Artur Rubinstein, il donne de nombreux récitals en Allemagne, proposant des programmes qui font une large part à l’oeuvre de Chopin. Son répertoire cependant s’étend d’année en année, favorisé par un véritable travail de maturation,

lors de périodes entières, d’une année souvent, où K. Zimmermann cesse de donner des concerts pour approfondir son art. ZINGARELLI (Nicola Antonio), compositeur italien (Naples 1752 - Torre del Greco 1837). Élève de Fenaroli, Anfossi et Sacchini, condisciple de Cimarosa, il se fit connaître rapidement, mais ne se distingua véritablement qu’en 1781 avec Montezuma, où il révélait plus de science que d’inspiration profonde. Dès 1785 il fut régulièrement joué sur toutes les scènes italiennes et même à l’étranger (Antigone, d’après Marmontel ; Paris, 1790). On retiendra notamment Gerusalemme distrutta, action sacrée (1794), et son chef-d’oeuvre Giulietta e Romeo (Scala de Milan, 1796), écrit pour le castrat Crescentini, qui, dit-on, était l’auteur vériable de l’aria Ombra adorata, admirée de Stendhal. En 1811, le succès de Rossini, qu’il haïssait, le contraignit à abandonner la scène. Maître de chapelle à la cathédrale de Milan en 1792, à Naples, puis à SaintPierre de Rome (1804), il laissa un nombre impressionnant d’oeuvres sacrées, de la musique de chambre, des pièces pour clavecin, orgue, etc. ZINGARESCA (ou alla zingarese). Terme italien désignant une pièce musicale dans le style tzigane ou gitan. ZIPOLI (Domenico), organiste et compositeur italien (Prato 1688 - Córdoba, Argentine, 1726). En 1696, il se fixe à Rome où il est l’élève de A. Scarlatti, puis de B. Pasquini. En 1715, on le trouve comme organiste de l’église de Gesù à Rome. En 1716, il entre dans l’ordre jésuite et commence son noviciat à Séville. Le 5 avril 1717, il s’embarque comme missionnaire de Cadix pour le Paraguay. De 1717 à sa mort, il est organiste de l’église jésuite de Córdoba. Il a écrit deux oratorios, Sant’Antonio di Padova et Santa Caterina, vergine e martire, exécutés à Rome respectivement en 1712 et 1714 ; seuls les livrets sont conservés. Il n’a publié qu’un seul recueil d’ouvrages pour clavier : Sonate d’intavolatura per organo e cimbalo... (Rome, 1716 ; rééd. à Londres en deux volumes par Walsh).

ZNAMENNY (de « znamia », neume). Chant traditionnel de l’Église orthodoxe russe, dont il constitua la totalité du répertoire musical entre le XIIe et le XVIIe siècle. Comme la religion orthodoxe, le chant znamenny est d’origine byzantine, et suit le principe de l’Octoechos, cycle de huit semaines liturgiques, à chacune desquelles correspond une cellule mélodique propre. Au cours des siècles, les mélodies du znamenny subirent dans une certaine mesure l’influence des chants populaires russes. Les premiers manuscrits apparaissent au XIIe siècle. On distingue déjà à cette époque le chant znamenny usuel et le chant dit « kondakarny », réservé aux occasions solennelles, et vraisemblablement plus développé ; il disparaît au cours du XIVe siècle. L’esprit du chant znamenny correspond au XVIe siècle lorsque apparaissent le « demestvennoïé pénié » (chant domestique) et le « poutiévoïé pénié » (chant conduit), formes ornées du znamenny, exécutées par des chantres spécialisés. Vers la fin du siècle, la notation se fait plus précise grâce à l’utilisation des « kinovarnyé pomiéty » (signes écarlates), indiquant la hauteur exacte du son. Cette invention, qui constitue une sorte d’intermédiaire entre l’écriture neumatique et la tablature, est due au chantre Ivan Chaïdour. Un apport considérable au développement du znamenny est dû à Féodor Krestianin, auteur de stichères d’une ample invention mélodique. Toujours chanté a cappella (l’Église orthodoxe interdit l’usage des instruments), le chant znamenny est resté monodique jusqu’au XVIe siècle. À partir de la fin du siècle apparaît le chant à plusieurs voix (« mnogoglassié »), contenant parfois des mouvements parallèles de voix et des dissonances étonnantes. Au XVIIe siècle, qui marque les débuts de l’apport occidental, on voit apparaître les premières compositions paraliturgiques. C’est aussi l’époque où se développe une forme locale du znamenny, le chant de Kiev, qui prend de plus en plus d’importance en raison de son adaptation à des harmonisations à quatre voix. Les XVIIIe et le XIXe siècles voient disparaître des paroisses les traditions au-

thentiques du znamenny. Au cours du XIXe siècle, le travail entrepris par Alexis Lvov, une réalisation complète du cycle de l’Octoechos pour quatre voix homophones, dénatura considérablement les downloadModeText.vue.download 1084 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 1078 mélodies originales, les contraignant à l’harmonie tonale. Toutefois, le chant znamenny s’est conservé dans les monastères, ce qui permit sa réapparition à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, grâce aux efforts de Smolensky et surtout de Kastalsky. Une nouvelle harmonisation fut élaborée, modelée sur les principes de la polyphonie populaire russe. Toutefois, de nos jours, ce sont les harmonisations de Lvov qui restent en usage aux offices. ZUKERMAN (Pinchas), violoniste, altiste et chef d’orchestre israélien (Tel-Aviv 1948). Issu d’une famille juive polonaise décimée pendant la guerre, il étudie au Conservatoire d’Israël. Il est l’élève en violon d’Ilona Feher puis, en 1961, il rencontre Isaac Stern et Pablo Casals qui orientent sa formation. En 1962, il est à la Juilliard School où Ivan Galamian, le disciple de Lucien Capet, fait fructifier ses dons. En 1967, il est lauréat du Prix Leventritt, et, en 1969, il remplace Arthur Grumiaux à Munich. Il passe avec une rare aisance du violon à l’alto, et triomphe dans Harold en Italie de Berlioz. En 1970, il s’associe en un célèbre trio avec Daniel Barenboïm et Jacqueline Du Pré. Ses autres partenaires seront Isaac Stern et Itzhak Perlman. À partir de 1971, il mène aussi une carrière de chef d’orchestre. Mais en 1987 il délaisse cette activité et, depuis 1990, il donne un nouvel élan à sa carrière discographique, enregistrant notamment les oeuvres de Bartók et d’Elgar. ZUMSTEEG (Johann Rudolf), compositeur et chef d’orchestre allemand (Sachsenflur, près de Mergentheim, 1760 - Stuttgart 1802). Il étudia à la Karlsschule de Stuttgart, et s’y lia d’amitié avec Friedrich Schiller (il composa plusieurs chants, parus ano-

nymement en 1782, pour sa pièce Die Räuber). Entré en 1781 comme violoncelliste dans l’orchestre de la cour du Wurtemberg, il devint maître de chapelle en 1793. On lui doit quelques cantates spirituelles, des opéras et singspiels, de la musique instrumentale et des musiques de scène (en particulier pour Hamlet et Macbeth de Shakespeare), mais il acquit surtout la célébrité comme compositeur de ballades. Ces dernières, sur des textes de Goethe (Colma, 1793) et de Bürger (Lenore, 1798) notamment, exercèrent en leur temps une grande influence. ZURNA. Hautbois populaire en Turquie, en Iraq et dans certains pays limitrophes. Ce nom est synonyme de mizmar. ZWEERS (Bernard), compositeur néerlandais (Amsterdam 1854 - id. 1924). Il fit ses études au conservatoire d’Amsterdam et, plus tard, à Leipzig avec Jadassohn. De retour en Hollande (1895), il devint professeur au conservatoire d’Amsterdam. Son oeuvre participe d’un dessein de plus en plus précis d’acquérir un accent national, et le choix des thèmes qu’il met en musique est significatif à cet égard (Ons Hollandsch ou sa 3e Symphonie sous-titrée « À ma patrie »). Il marque, à ce titre, les débuts de la renaissance dans la musique hollandaise. En dehors de ses trois symphonies, on lui doit beaucoup d’oeuvres vocales (Kroningscantate, St. Nicolasfest, Psaume 104, Aan de Schoonheid, des choeurs et des mélodies). ZYLIS-GARA (Teresa), soprano polonaise (Vilnius 1935). Au Conservatoire de Ðód’z, elle est l’élève d’Olga Ogina. En 1954, elle remporte le premier prix du Concours de Varsovie, qui lui vaut plusieurs engagements en Pologne. En 1956, elle débute dans Madame Butterfly à l’Opéra de Cracovie, et émigre en Allemagne en 1960, après avoir remporté le Concours de Munich. De 1961 à 1965, elle chante dans les théâtres allemands et autrichiens, et débute en 1965 dans le Chevalier à la rose aux côtés de Montserrat Caballé. De 1968 à 1983, elle est invitée au Metropolitan de New York et au Liceo de Barcelone. Elle possède un

répertoire très étendu, avec une prédilection pour Mozart et Puccini. Elle aborde progressivement Wagner et, en 1987, chante Jenufa de Janáček. Elle est très attachée au domaine du lied, donnant en récital des mélodies de Chopin et de Dvořák. downloadModeText.vue.download 1085 sur 1085

DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE Achevé d’imprimer sur les presses de LTV LA TIPOGRAFICA VARESE Società per Azioni Italie Dépôt légal : septembre 2001 N° de projet : 10087053-4-OSB80°

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