Dossier pédagogique – Constellations

January 9, 2018 | Author: Anonymous | Category: Arts et Lettres, Spectacle vivant, Théâtre
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Le 30 septembre 2013 DOSSIER PEDAGOGIQUE

Philippe Cuomo Professeur missionné par la Délégation Académique aux Arts et à la Culture

La Comédie de Béthune C.D.N. Nord – Pas-de-Calais Dossier pédagogique – Constellations

Constellations / Nick Payne – Arnaud Anckaert (Théâtre du Prisme / http://www.theatreduprisme.com/index.html) Arnaud Anckaert se présente sur le site de la compagnie : http://www.theatreduprisme.com/arnaud.html © La Voix du Nord

Dans ce texte Arnaud Anckaert évoque son parcours depuis le lycée, en passant par le théâtre du mouvement en Belgique et la découverte des écoles russes. Son travail s’est intéressé au rapport entre les différentes disciplines artistiques avec notamment la danse (Ma/Ma) et le cirque (Appris par corps). Depuis quelques temps, il se recentre autour d’un travail de grande précision en ce qui concerne la direction d’acteurs. Un corps, un texte, un espace, tels sont ses axes de réflexion. Il s’attache à faire découvrir des textes anglais inédits en France. C’est le cas de Constellations. AVANT LA REPRESENTATION

I/ La pièce et son auteur 1. Nick Payne : un jeune auteur anglais

Photographe : David Levene ©the Guardian

Site en anglais pour découvrir quelques éléments biographiques : http ://en.wikipedia.org/wiki/Nick_Payne 2

Extrait du dossier dramaturgique du spectacle Né en 1984, Nick Payne a suivi des études de dramaturgie à l’Université de York puis à la Central School of Speech and Drama avant de suivre le programme des jeunes auteurs au théâtre du Royal Court à Londres. Il remporte en 2009 le Prix George Devine consacré aux premières œuvres pour la pièce If There Is I Havent’ Found It Yet, créée au Bush Theatre dans une mise en scène de Josie Rourke. Nick Payne fait ensuite ses premiers pas au Royal Court en 2010 avec la comédie Wanderlust. En 2011, la compagnie Paines Plough lui passe commande de la pièce One Day When We Were Young, créée à Londres avant de tourner en région. En janvier 2012, Constellations est créée au Royal Court dans une mise en scène de Michael Longhurst avec Rafe Spall et Sally Hawkins. En novembre 2012, elle est couronnée meilleure pièce de l’année par le London Evening Standard. Le spectacle, encensé par la critique, est repris pendant plusieurs mois dans le West End. La pièce a été créée à New York et sera prochainement créée en Allemagne, au Danemark et en Australie. Une adaptation au cinéma a par ailleurs été proposée au dramaturge, mais ce dernier a finalement décliné le projet. Le Donmar Warehouse et le Royal Court viennent par ailleurs de commander chacun à Nick Payne une nouvelle pièce. Il est actuellement en train d’écrire, à la demande du Manhattan Theatre Club (New York) et de la Fondation Alfred P. Sloan, une pièce sur le physicien et mathématicien Paul Dirac, prix Nobel de physique en 1933. 2. La pièce La fable Roland est apiculteur. Marianne est spécialiste de physique quantique. Ils se rencontrent lors d’un barbecue, s’aiment, se quittent, se retrouvent, se marient, à moins que cela ne se passe pas tout à fait ainsi. Marianne est atteinte d’un cancer. Elle lutte contre la maladie ou se laisse mourir. Autant de choix, autant de possibilités qui sont suggérés par l’écriture singulière de Nick Payne. © DR Interview des comédiens anglais présentant la pièce (V.O.) http://www.telegraph.co.uk/culture/theatre/theatrereviews/9027655/Constellations-at-the-Royal-Court-review.html Création de la pièce en janvier 2012 (the Royal Court) : Mise en scène: Michael Longhurst Distribution: Sally Hawkins (Marianne), Rafe Spall
 (Roland) 3

Activités : 1. Quelles sont vos attentes quant à l’écriture de cette pièce ? Comment peut-on, selon vous, suggérer plusieurs possibilités, plusieurs choix, plusieurs vies ? 2. Analyse de cette première mise en scène : d’après les images cidessous, que pouvez-vous dire de la relation entre les personnages, des éléments de costume ou de scénographie ?

© DR pour les deux photos

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3. Préalable : la physique quantique et la théorie des cordes La physique quantique s’oppose à la physique newtonienne. La première s’intéresse à l’infiniment petit et la seconde au monde macroscopique. Les physiciens ont montré que les règles n’étaient pas les mêmes dans les deux cas. La physique traditionnelle s’appuie sur un déterminisme, c’est-à-dire sur ce qui est prévisible. La physique quantique, quant à elle, s’appuie sur la notion de probabilité. Les particules de l’infiniment petit sont souvent imprévisibles, non seulement en raison du vide qui les entoure mais également parce qu’elles ne sont pas solides et se comportent comme les ondes. De ce fait, les particules sont difficilement localisables et plusieurs « réalités » sont possibles. La théorie des cordes s’attache à relier ces physiques différentes. Avec la physique quantique nous entrons dans le monde de l’imprévisible, des réalités virtuelles, dans un espace-temps qui nous dépasse. Activités possibles pour faire percevoir cette dimension présente dans l’écriture : 1. Mettre en relation ces quelques lignes explicatives ci-dessus et l’extrait du texte1 qui évoque le travail de Marianne. Qu’en concluezvous sur la relation entre les personnages ?

Marianne. La mécanique quantique s’intéresse au domaine quantique. Atomes, molécules. Roland. D’accord. Marianne. À l’échelle nucléaire et atomique, la gravitation est à peu près négligeable. Mais en termes de Relativité Générale, elle est vitale. Roland. OK. Marianne. Donc tu as ces deux théories qui sont diamétralement opposées. La relativité concerne le soleil, la lune, les étoiles alors que la mécanique quantique s’occupe des molécules, des quarks, des atomes – ce genre de chose. Nous avons de fait posé la même question deux fois et abouti à deux réponses complètement différentes. Roland. C’est très sexy soit dit en passant. Marianne. Tout ça pour dire que – Roland. J’ai passé un moment absolument incroyable ce soir et j’aimerais beaucoup passer la nuit ici. Marianne. Mais – Marianne. Avec toi. J’aimerais beaucoup passer la nuit – 1

Le texte est traduit par Séverine Magois pour ce projet de création. 5

Marianne. Mais maintenant nous avons la Théorie des Cordes. Ou, pour être un peu plus précise, nous avons des tas de théories des cordes différentes – Roland. Si tu préfères que je ne reste pas, tu n’as qu’à le dire. Marianne. Et le plus excitant dans la Théorie des Cordes, c’est qu’elle pourrait bien réconcilier la Relativité et – Roland. Tu n’as répondu à aucune de mes questions. (Marianne embrasse Roland.) Marianne. Une conséquence indirecte de chacune, je dis bien chacune, de ces théories – découverte presque entièrement par hasard – c’est que nous pourrions faire partie d’un Multivers. (Roland embrasse Marianne.) Marianne. Malgré tous nos efforts, il y a certaines observations microscopiques qu’il est tout simplement impossible de prévoir dans l’absolu. Maintenant, une façon d’expliquer ça serait éventuellement d’en conclure que, à tout moment donné, plusieurs issues peuvent co-exister simultanément. Roland. C’est en train de sincèrement m’exciter, tu t’en rends compte ? Marianne. Dans le Multivers Quantique, tout choix, toute décision que tu as pu prendre ou ne jamais prendre existe dans un ensemble inimaginablement vaste d’univers parallèles. (…)

2. Comment le début du texte (les quatre premiers « univers 2 ») illustre-t-il cette théorie ? Marianne. Tu sais pourquoi il est impossible de lécher la pointe de ses coudes ? Elles détiennent le secret de l’immortalité, donc, si on pouvait les lécher, on risquerait de vivre éternellement. Mais si tout le monde le faisait, si tout le monde pouvait en effet lécher la pointe de ses coudes, alors ce serait le chaos. Parce qu’on ne peut tout simplement pas continuer à vivre, vivre et vivre encore. Roland. Je. Je suis engagé dans une relation. Donc. Ouais. Marianne. Tu sais pourquoi il est impossible de lécher la pointe de ses coudes ? Elles détiennent le secret de l’immortalité, donc, si on pouvait les lécher, on risquerait de vivre éternellement. Mais si tout le monde le faisait, si tout le monde pouvait en effet lécher la pointe de ses coudes, alors ce serait le chaos. Parce qu’on ne peut tout simplement pas continuer à vivre, vivre et vivre encore. Note de l’auteur : Un changement de style – de Normal à Gras, par exemple – indique un changement d’univers. 2

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Roland. Je. Je sors tout juste d’une relation vraiment sérieuse. Donc. Ouais. Marianne. Je faisais simplement la conversation.
 Roland. Sûr.
 Marianne. J’essayais simplement d’entamer une conversation. Roland. Non, sûr. Mais. Quand même. Marianne. Tu sais pourquoi il est impossible de lécher la pointe de ses coudes ? Elles détiennent le secret de l’immortalité, donc, si on pouvait les lécher, on risquerait de vivre éternellement. Mais si tout le monde le faisait, si tout le monde pouvait en effet lécher la pointe de ses coudes, alors ce serait le chaos. Parce qu’on ne peut tout simplement pas continuer à vivre, vivre et vivre encore. Roland.
 Ah, d’accord.
 Marianne.
 Essaie.
 Roland.
 Quoi ?
 Marianne.
 Tes coudes, essaie de les lécher. Roland.
 Non, ça ira. (Marianne tente de se lécher les coudes, démontrant combien c’est difficile.) Marianne. Moi c’est Marianne. Roland. Roland.
 Marianne. Dieu merci, il n’a pas plu. Roland. Ouais. Marianne. Rien de pire qu’un barbecue sous la pluie. Viande molle.
 Roland. Ouais.
 Marianne. Saucisses molles. Tu veux un verre ?
 Roland. Non, ça ira. En fait ma femme vient d’aller me chercher une bière. Marianne. Essaie. Roland. Quoi ?
 Marianne. Tes coudes, essaie de les lécher. 7

(Marianne tente de se lécher les coudes, démontrant combien c’est difficile. Roland, tout d’abord hésitant, tente lui aussi de se lécher les coudes.) Roland. Je vois ce que tu veux dire. Moi c’est Roland. Marianne. Marianne. Roland. Dommage qu’il pleuve. Marianne. Rien de pire qu’un barbecue sous la pluie. Roland. Donc tu es, tu es une amie de Jane ou – Marianne. Non, Jane, ouais. On était à la fac ensemble. Roland. D’accord. Marianne. Et toi ? Roland. Ma femme travaillait avec Jane. 4. Une écriture et une construction singulières Le principe de la physique quantique se perçoit donc dans l’écriture même et dans la construction du texte. Le texte se présente en un seul bloc : aucune scène, aucun tableau. Cependant, l’auteur marque, par l’alternance de la typographie, les différents univers. Chaque univers correspond à une réalité. L’(les) univers qui suit(vent) instaure(nt) une répétition par variations légères. Ce sont ces variations qui viennent mettre en doute la perception et la véracité des événements. Activités pour percevoir ces univers : 1. Lire à 4 ou à plusieurs voix une série de 2 ou plusieurs univers pour les distinguer clairement. 2. Réfléchir à une proposition théâtrale qui souligne les passages entre les univers (utilisation de la lumière, du son, de la scénographie etc.). Chaque univers doit avoir une « ambiance » différente. 3. Travail sur les transitions : proposez une lecture ou une interprétation de plusieurs univers en utilisant le noir pour les transitions. Inspirez-vous de l’esthétique de Joël Pommerat. Cherchez des extraits de mises en scène de ce metteur en scène si vous ne le connaissez pas. On peut distinguer la construction générale suivante3 :

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Extrait du dossier dramaturgique 8

Activités : 1. Quels thèmes présents dans la pièce se dégagent de ce schéma ? 2. Que pensez-vous de l’ordre des passages sur la maladie ? 3. Comment interprétez-vous « l’écho des retrouvailles » ? APRES LA REPRESENTATION

II/ Pour aller plus loin : Quelques éléments sur le théâtre anglais contemporain 1. Un théâtre de la violence Depuis les années quatre-vingts, le théâtre anglais est résolument politique et engagé. N’oublions pas que cela correspond aux années Thatcher. C’est un théâtre que l’on peut qualifier de néo-brechtien en ce sens où il n’utilise souvent ni la psychologie, ni la chronologie. Ce sont des états successifs qui apparaissent sous nos yeux et la plupart du temps avec une extrême violence. C’est un théâtre de la parole, du texte qui explore toutes les formes d’écriture possibles. Les années quatre-vingt dix ont connu une radicalisation de cette violence avec le théâtre In-Yer-Face qui a été défini par Aleks Sierz dans un ouvrage célèbre. In-Yer-Face! Aleks Sierz traduit de l’anglais par Nicolas Boileau et Delphine Lemonnier-Texier 2011 Presses universitaires de Rennes - www.pur-editions.fr Le théâtre britannique des années 1990 est celui d’une avant-garde constituée de jeunes auteurs, dont les pièces provocantes ont pris de court à la fois les critiques et les spectateurs, avec leur cocktail grisant de sexe, de violence et de poésie de rue. Si aujourd’hui ces auteurs, au premier rang desquels figurent Sarah Kane, Mark Ravenhill et Anthony Neilson, font partie du canon du théâtre britannique contemporain, leur essor dans les années 1990 a suscité la controverse et a fait scandale. In-Yer-Face Theatre, dont la première édition au Royaume-Uni date de 2001, a été le premier ouvrage consacré à ce formidable phénomène de création et d’innovation théâtrale foisonnante et polémique. L’ouvrage montre que des pièces telles que Trainspotting, Blasted et Shopping and Fucking sont bien davantage que des œuvres relevant d’une volonté de choquer ; envisagées dans une perspective d’ensemble, elles constituent une critique incisive de la vie moderne, centrée sur les phénomènes de violence, la mise en question du masculin, le mythe du post-féminisme et la futilité de la société de consommation. Traduit par Nicolas Boileau (université d’Aix-Marseille) et Delphine LemonnierTexier (université de Rennes 2), cet ouvrage incontournable sur les auteurs du théâtre britannique contemporain est désormais disponible en français. Il contient non seulement le témoignage d’un spectateur de la première heure de ces pièces qui sont devenues des classiques modernes, mais également des entretiens détaillés avec les auteurs, dont la liste comprend Sarah Kane (Blasted), Patrick Marber (Closer), Patrick McDonagh (The Beauty Queene of Leenane), Mark Ravenhill (Shopping and Fucking), Anthony Neilson (Penetrator) et Philip Ridley (The Pitchfork Disney). Quatrième de couverture de l’ouvrage In-Yer-Face (http://www.pureditions.fr/detail.php?idOuv=2708)

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2. Une « ancêtre » – Sarah Kane DR © Sarah Kane naît en 1971 dans un milieu bourgeois (son père est journaliste). Elle fait des études d’art dramatique. D’une famille chrétienne, elle est devenue athée à l’âge de 18 ans. Auteure, actrice et metteur en scène, elle crée le scandale en janvier 1995 avec sa première pièce Blasted (Anéantis). La critique rejette sa pièce mais reconnaîtra plus tard une œuvre immense et cohérente. Elle meurt en 1999 (suicide par pendaison), après avoir écrit 5 pièces et réalisé un court métrage. Son œuvre et sa vie sont caractérisées par une fulgurance si bien qu’Edward Bond la compare à Rimbaud. Blasted est sa première pièce écrite en 1995, à l’âge de 24 ans. Elle met sur le théâtre une violence extrême. La pièce met en parallèle le chaos de la guerre et celui du couple. Les mots sont insuffisants pour dire la violence. Elle doit être montrée dans sa vérité. La pièce est créée au Royal Court Theatre de Londres, là où sera créée Constellations. Dans l’œuvre se Sarah Kane, la violence infligée au corps laissera la place à une dialectique entre le physique et l’esprit, la douleur morale s’affirmant. De même, la notion de personnage est remise en question de façon radicale dans les deux dernières œuvres (Crave et 4.48 psycho). Sa dernière pièce est envisagée comme un ultime message à caractère autobiographique. C’est une sorte d’abstraction extrême avec une disparition totale et un mélange des voix et des différents discours. Activité : Que retrouve-t-on de ce théâtre de la violence, de cette recherche dans l’écriture et de la notion de personnage dans la pièce de Nick Payne ? Photographie: Graeme Robertson©

3. Résonances possibles avec d’autres textes anglais : un exemple, Martin Crimp – Atteintes à sa vie Ce texte de Martin Crimp a été écrit en 1997. L’auteur s’est distingué dans les années quatre-vingt dix, toujours au Royal Court Theatre de Londres. Le « personnage » de la pièce est Annie ou Anne, on ne sait pas trop. Elle a des vies à la fois complémentaires et contradictoires. On ne sait si elle est mariée, si elle a des enfants. Est-elle infanticide, terroriste, fasciste ? Victime ou bourreau ? Elle concentre en elle et autour d’elle toute la difficulté d’être liée à une époque. Martin Crimp recherche une écriture qui souligne cette idée. Voici le début de la pièce :

ATTEINTES A SA VIE MARTIN CRIMP TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR CHRISTOPHE PELLET AVEC LA COLLABORATION DE MICHELLE PELLET EDITIONS DE L’ARCHE – AOUT 2009 PIECE POUR UNE TROUPE D'ACTEURS DONT LA COMPOSITION DEVRAIT REFLETER LA COMPOSITION DU MONDE, AU-DELA DU THEATRE. 11

CHAQUE

SCENARIO - LE DIALOGUE - SE DEROULE DANS UN UNIVERS BIEN DISTINCT - UN DECOR QUI FASSE AU MIEUX RESSORTIR SON IRONIE. UN TIRET (-) EN DEBUT DE REPLIQUE INDIQUE UN CHANGEMENT D'INTERLOCUTEUR. S'IL N'Y A PAS DE TIRET APRES UNE PAUSE, C'EST TOUJOURS LE MEME PERSONNAGE QUI PARLE. UNE BARRE (/) ANNONCE UN CHEVAUCHEMENT DANS LE DIALOGUE.

LA PIECE ATTEMPTS ON HER LIFE A ETE CREEE AU ROYAL COURT THEATRE (LONDRES) LE 7 MARS 1997. PERSONNE N'EN AURA VECU LES PERIPETIES, MAIS TOUT LE MONDE EN AURA CAPTE L'IMAGE. JEAN BAUDRILLARD, LA TRANSPARENCE DU MAL, PARIS, GALILEE, 1990. 17 SCENARIOS POUR LE THEATRE 1. TOUS LES MESSAGES SONT EFFACES 2. TRAGEDIE DE L'AMOUR ET DE L'IDEOLOGIE 3. FOI EN NOUS-MEMES 4. LA LOCATAIRE 5. LA CAMERA VOUS AIME 6. MAMAN ET PAPA 7. LA NOUVELLE ANNY 8. PHYSIQUE DES PARTICULES 9. LA MENACE DU TERRORISME INTERNATIONALTM 4 10. PLUTOT DROLE 11. SANS TITRE (100 MOTS) 12. ÉTRANGE ! 13. COMMUNICATION AVEC LES EXTRATERRESTRES 14. LA FILLE D'A COTE 15. LA DECLARATION 16. PORNO 17. PRECONGELE

1. Tous les messages sont effacés bip - Anne, (pause) C'est moi. (pause) J'appelle de Vienne, (pause) Non, pardon, j'appelle de... Prague. (pause) C'est ça, Prague. (pause) Je suis à peu près sûr que c'est Prague. Bon, écoute... (soupir) Anne... (soupir) Je veux te demander pardon. (soupir) Je sais, je t'ai fait du mal, ma chérie, ma douce, et... (soupir) Ah. Écoute. Écoute Anne, on m'appelle sur l'autre ligne. Je dois absolument absolument - excuse-moi - je dois absolument absolument prendre cet appel. Je te rappelle. Lundi 8 h 53

Bip - Anne. Salut. Écoute. Je n'ai qu'une minute. Tu es là ? Non ? Bon. Voilà. À propos de notre conversation. Tu te souviens ? Eh bien : et si, et si..., que dirais-tu si... disons, disons, disons seulement... si les arbres avaient des noms ? D'accord ? C'est ça - les arbres. Tu penses - je sais - tu penses que je suis fou. Mais admettons un instant, tu veux bien, que les arbres ont des noms. Voilà, et si, et si, et si... c 'était son arbre. Tu vois ce que je veux dire ? Anne ? Et soudainement on réalise que cet arbre est le sien. Merde. Pardon. Écoute, il faut que j'embarque maintenant. Mais pense à ça. Les arbres ont des noms. Et l'un d'eux est le sien. Il faut que je me sauve. Lundi 9 h 35

4 TM : Abréviation de « Trademark » qui correspond en français à « Marque déposée ». Étant donné qu'en français aucune abréviation

usuelle n'existe, nous avons préféré conserver le sigle original. (N.D.E.)

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bip - (en langue tchèque, par ex.) Vous savez qui c'est. Vous laissez l'engin dans une petite camionnette derrière le bâtiment. Barry vous remettra la camionnette. Barry vous contactera pour vous donner plus d'instructions. Lundi 11 h 51 bip - ... Oh. Allô ? C'est Maman... Lundi 13 h 05 bip - ... Anne ? Allô ? C'est encore Maman. (pause) On a reçu ta carte. (pause) Ça a l'air très bien. (pause) La photo aussi. C'est bien toi dessus ? (pause) Contente que tu te fasses des amis et que tout aille bien. (pause) Le problème, Anne, c'est que je ne peux pas t'envoyer d'argent. J'ai parlé à ton père, et il dit non, non, rien à faire. (pause) Voix d'un homme en arrière-plan : « Pas un centime de plus. Que ce soit bien clair ». Elle lui répond : « Je lui dis, je lui dis ». Puis à nouveau au téléphone : Anne, ma chérie, je suis vraiment désolée, mais on ne peut plus. Voix de l'homme à nouveau : « Si tu ne lui dis pas, je vais lui dire deux mots moi. » Écoute, ma chérie, il faut que je te quitte maintenant. Ton Papa t'embrasse. D'accord? Dieu te bénisse. Lundi 13 h 06 bip - Allô : Sally de chez Cooper. Juste pour vous dire que le véhicule est prêt, vous pouvez venir le prendre au magasin. Merci. Lundi 13 h 32 bip - Nous savons où tu habites, sale petite pute. T'es morte, ou c'est tout comme. Ces choses que tu as faites putain. Nous n'oublions pas. (pause) Tu vas souhaiter ne jamais être née. Lundi 14 h 20 bip - Anne ? Tu es là ? Décroche, Annie. (pause) Bon... Il est dix heures et quart ici, au Minnesota, et on appelle juste pour dire que nos pensées et nos prières vont vers toi, Annie. Et nous t'aimons très fort. Lundi 16 h 13 bip - Anne ? Génial. C'est émouvant. C'est actuel. C'est angoissant. C'est drôle. C'est sexy. C'est profondément sérieux. C'est divertissant. C'est lumineux. C'est énigmatique. C'est sombre. Voyonsnous. Appelle-moi. Lundi 22 h 21 bip - Anne. Bonsoir. Laisse-moi te dire ce que je vais te faire. D'abord tu vas me sucer la queue. Puis je vais t'enculer. Avec une bouteille cassée. Et ce n'est qu'un début. Petite connasse. Lundi 22 h 30 bip - Anne ? Décroche. (pause) Je sais que tu es là. (pause) Inutile de te cacher, Anne. Te cacher de quoi ? (pause) Du monde ? Te cacher du monde, Anne ? Allez. Sois une grande fille. Une grande fille, Anne, et décroche. (pause)

Alors c'est quoi ? Un appel au secours ? Ne me dis pas que c'est un appel au secours. Je suis censé en faire quoi moi de ton appel au secours ? Hein ? (pause) Et si tu étais allongée là, Anne, déjà morte ? Hein ? C'est cela le scénario que je suis censé imaginer ? Un cadavre en train de pourrir près du répondeur ? (léger rire. Pause) Quoi, les larves de mouches qui écoutent tes messages ? Ou bien ton immeuble détruit. Ou bien ta ville détruite. Les aéroports et les magasins de chaussures. Les théâtres et les cafés branchés avec leur éclairage halogène surgis dans les entrepôts désaffectés près des canaux désaffectés. Hein ? (léger rire) Alors seules les larves d'insectes sont en train d'écouter tes messages. En train de m'écouter, Anne, pendant qu'elles creusent des galeries dans tes restes. (pause) Je deviens morbide, Anne. Je pense que tu devrais décrocher et me faire sourire, me faire sourire comme autrefois, Anne. Je sais que tu es là. Je sais que tu es là, Anne. Et je sais que si je suis patient, tu me répondras. (pause) Tu me répondras, n'est-ce pas, Anne. Mardi 12 h 19 C'était votre dernier message. Pour sauvegarder tous les messages, appuyer sur « un ». (pause) Tous les messages sont effacés.

Activité : Comparez les écritures de Martin Crimp et de Nick Payne. Que pouvezvous en conclure ?

III/ Pour aller plus loin : Exercer sa créativité 1. La mise en scène d’Arnaud Anckaert Activité : après avoir vu Constellations, rendez-compte du spectacle en évoquant tous les éléments de la représentation qui soulignent cette écriture et cette construction si singulières. 2. Votre proposition Activité : Proposez une scénographie à partir de votre connaissance de la fable complète et du recensement des lieux du dossier dramaturgique ci-dessous. La pièce se déroule autour dans le grand Londres. Marianne travaille à la Sussex University à côté de Brighton, Roland à Tower Hamlet. Une partie de la pièce se déroule dans l’appartement de Marianne où Roland vient ensuite s’installer : le premier rendez-vous (Chez elle), le début de leur histoire (Elle fait quoi dans la vie ?), la rupture, l’annonce de la maladie (La biopsie). Les autres lieux de la pièce peuvent être qualifiés d’espaces de transitions : en marge du barbecue où ils se rencontrent ; à l’entrée d’un cours de danse ; sur le seuil du bureau de Marianne ; dans une chambre d’hôtel avant le départ pour l’euthanasie.

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IV/ Pour aller plus loin : résonances culturelles 1. Des « pionniers » en Europe : Michel Vinaver en France et Thomas Bernhardt en Autriche. Ce spectacle est aussi l’occasion de faire découvrir des écritures contemporaines fondamentales. Michel Vinaver : Dire et écrire le réel « En entrant par l’infiniment petit (la réplique, la phrase saisie au vol), plaisir de construire un ensemble, une totalité, un monde. » 5 (JeanPierre Ryngaert).

Pour Michel Vinaver, dans l’écriture théâtrale, ce sont d’autres qui parlent. L’auteur, c’est la parole des autres. Il n’y a pas de tissu narratif d’où l’abandon de la forme romanesque. Mais cette parole est indissociable de l’acte d’écrire : « (…) l’instrument que je possède, c’est l’écriture ». « Mon écriture ressortit au domaine de l’assemblage, du collage, du montage, du tissage »6. Il entend proposer une écriture du quotidien dont les maîtres mots seraient : abrupt, abstrait, accès, agression, attente, banalité, clémence, comique, connaissance, connection (sic), construction, contemporain, contingence, densité, distance, écoute, ennui, entrelacs, évidence, frottement, hiérarchie 7. Ses pièces ne sont que tressage et entrecroisement du dialogue. La parole devient ambiguë et souligne l’explosion du réel qui est remis en question. Conseils de lecture : L’émission de télévision ou Portrait d’une femme. Thomas Bernhardt : mettre au jour l’inconscient Thomas Bernhardt présente une écriture de la répétition qui se déploie comme l’expression d’une obsession, comme la mise au jour d’un inconscient tourmenté. L’écriture devient une véritable spirale. On remarque une continuité entre son œuvre romanesque et son œuvre théâtrale par la répétition certes mais aussi par la présence de la voix et le monologue qui ne comprend aucune ponctuation. C’est un théâtre « écrit en “lignes inégales” comme des vers qui seraient nés au point de fission de la prose. » 8 Thomas Bernhard lui-même pensait avoir inventé une nouvelle écriture, une écriture chaotique capable de mimer et de représenter le chaos qu’il donne à voir dans son œuvre. Son écriture est caractérisée par une simplicité et une raréfaction du vocabulaire. Les scansions du texte ne sont pas liées au sens mais plutôt au rythme, à la musicalité ; en ce sens, on peut parler de théâtre poétique. Conseils de lecture : Le Président ou Minetti 2. Résonance philosophique 1. La mort 2. Liberté, libre arbitre Ce texte peut être l’occasion de réfléchir à des notions philosophiques. La mort, en cela qu’elle est un fait spécifiquement humain, pose le problème du sens de

Michel Vinaver, Théâtre Aujourd’hui n°8, p. 8. Ecrits sur le Théâtre 1, p. 124. 7 Ecrits sur le Théâtre 1, p. 126. 8 Jean-Yves Lartichaux : « La vérité est une débâcle », L’Envers du miroir / Cahier n°1, Paris, Arcane 17, 1987, p. 57 5 6

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la vie. L’autre notion important est celle de la liberté. Peut-on faire ce que l’on veut ? Notre volonté est-elle libre ou nos choix sont-ils dictés ? 3. Résonance musicale 1. Bach et la fugue 2. Philip Glass et la musique répétitive On pense évidemment à Bach qui utilise le contrepoint comme marque de fabrique. Plus récemment, Philip Glass marque également la musique contemporaine dans le champ de la musique répétitive. On peut faire découvrir ce très grand compositeur notamment grâce aux films Koyaanisqatsi (1982) Powaqqatsi (1988) et Naqoyqatsi en (2002) qui associent musique et défilé d’images. Ces films militants dénoncent l’industrialisation et les dérives de la vie moderne. http://www.youtube.com/watch?v=LFBijDU8PpE (extrait de Koyaanisqatsi) http://www.koyaanisqatsi.org (site officiel des trois films) 4. Résonance cinématographique Choix de films sur la relation amoureuse et/ou la maladie : 1. 5x2 de François Ozon 2. Comme une étoile dans la nuit de René Féret 3. La Guerre est déclarée de Valérie Donzelli 4. L’écume des jours de Michel Gondry d’après le roman de Boris Vian 5. Amour de Mickaël Hanneke 6. Se souvenir des belles choses, de Zabou Breitman Ces quelques films peuvent être rapprochés du texte de Nick Payne.

Le film d’Ozon montre les différents états de la relation amoureuse en la présentant en 5 étapes et à l’envers depuis la rupture jusqu’à la rencontre. On pense évidemment à la construction du texte Constellations et une comparaison est alors possible.

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Le film de René Féret est extrêmement émouvant. L’action se resserre autour d’un couple qui démarre dans la vie jusqu’au moment où l’homme apprend qu’il n’en a plus que pour un an à vivre. Le film décrit cet accompagnement vers la mort et la fin est bouleversante lorsque l’héroïne adresse une lettre posthume à celui qu’elle aime. Un véritable chant d’amour et un espoir incroyable traversent ce film magnifique.

Le film autobiographique de Valérie Donzelli est un peu différent car un couple doit faire face à la maladie d’un enfant mais cette guerre face à l’adversité est un modèle du genre. L’issue sera heureuse car l’enfant sera guérie.

Inutile de présenter l’œuvre de Boris Vian ; le film de Michel Gondry reprend la métaphorisation de la maladie.

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Dans Amour, un vieil homme accompagne sa femme vers la mort à la suite d’un AVC. Bouleversant pour l’interprétation des deux comédiens Emmanuelle Riva et Jean-Louis Trintignant. Mickaël Hanneke décrypte les différents moments de ce passage douloureux par touches successives avec une incroyable lucidité.

Zabou a, elle aussi, exploré dans ce film ce qu’est une fin de vie.

Une analyse des affiches ou des bandes annonces de ces films peut être proposée. 5. Résonance BD 1. Berceuses assassines Il s’agit d’un triptyque en bande dessinée. Chaque volume correspond à un point de vue différent. Ce polar noir –très noir- présente trois destins, trois personnages qui portent leur regard subjectif sur un événement. L’ensemble déploie une réalité nouvelle qui remet en question notre perception.

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http://www.planetebd.com/bd/dargaud/berceuse-assassine/la-memoire-dedillon/422.html (présentation du troisième volet). Ce travail sur le point de vue, à partir de ces bandes dessinées peut être en lien avec des exercices de réécriture (plus traditionnels) sur le changement de point de vue. Pour aller plus loin, on peut également penser à la trilogie de films réalisée par Lucas Belvaux : 1. Un couple épatant 2. Cavale 3. Après la vie C’est le même principe, les points de vue et les histoires se croisent pour révéler des réalités parallèles et différentes qui coexistent.

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