le Cid». - L`Infini Théâtre

January 9, 2018 | Author: Anonymous | Category: Arts et Lettres, Spectacle vivant, Théâtre
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Quelques Traversées du « Cid »

Pierre Corneille, repères biographiques (1606-1684) Aîné des six enfants d’une famille aisée de magistrats rouennais, Pierre Corneille entame en 1628 une carrière d’avocat. En 1629, un chagrin amoureux le conduit à écrire ses premiers vers, puis sa première comédie, Mélite. Avec les pièces qui suivront : Clitandre, La Veuve, La Galerie du Palais, La Suivante, La Place Royale, Médée et L’Illusion comique, apparaît un nouveau style de théâtre où les sentiments tragiques sont mis en scène pour la première fois dans un univers plausible, celui de la société contemporaine. En 1641, il épouse Marie Lampérière dont il aura 6 enfants. Corneille, auteur officiel nommé par Richelieu, rompt avec ce statut de poète du régime et avec la politique contestée du Cardinal pour écrire des pièces exaltant la haute noblesse (Le Cid, oeuvre aujourd’hui universellement connue), rappelant que les hommes politiques ne sont pas audessus des lois (Horace), ou montrant un monarque cherchant à reprendre le pouvoir autrement que par des représailles (Cinna). En 1647 il est élu à l’Académie Française au fauteuil 14 qu’occupera son frère et complice Thomas après sa mort. De 1643 à 1651, après la mort de Richelieu, et durant la période de la Fronde, la crise d’identité que traverse la France se retrouve dans l’oeuvre de Corneille : il règle ses comptes avec Richelieu dans La Mort de Pompée, donne une tragédie de la guerre civile avec Rodogune et développe le thème du roi caché dans Héraclius, Don Sanche et Andromède, s’interrogeant sur la nature même du roi, subordonné aux vicissitudes de l’Histoire, en lui faisant ainsi gagner en humanité. À partir de 1650, ses pièces connaissent un succès moindre, et il cesse d’écrire pendant plusieurs années après l’échec de Pertharite. L’étoile montante du théâtre français est alors Jean Racine dont les intrigues misent plus sur le sentiment et apparaissent moins héroïques et plus humaines. Le vieux poète ne se résigne pas et renoue avec la scène avec la tragédie Oedipe. Corneille continue à innover en matière de théâtre jusqu’à la fin de sa vie, en montant ce qu’il appelle une « pièce à machines », c’est-à-dire privilégiant la mise en scène et les « effets spéciaux » (La Toison d’or), et en s’essayant au théâtre musical (Agésilas, Psyché). Il aborde aussi le thème du renoncement, à travers l’incompatibilité de la charge royale avec le droit au bonheur (Sertorius, Suréna). La comparaison avec Racine avait tourné à son désavantage lorsque les deux auteurs avaient produit, presque simultanément, sur le même sujet, Bérénice (Racine) et Tite et Bérénice (Corneille). Corneille meurt à Paris le 1er octobre 1684.

La légende de l’El Cid Le « Cid » est inspiré de la vie de Rodrigo Diaz de Vivar (1043-1099), surnommé El Cid Campeador ou El Cid, héros de l’Espagne médiévale. En effet, il fut un chevalier mercenaire chrétien, un bandit de grand chemin, héros de la Reconquista1 espagnole en 1094 pour avoir repris aux Maures le royaume de Valence (et marquant ainsi le début d’une reconquête de l’Espagne). Rodrigo Díaz de Vivar se met d'abord au service du roi Sanche II de Castille (règne : 1065-1072), puis de son frère et ennemi Alphonse VI (règne : 1072 – 1109), qui le charge de recouvrer pour lui les parias (le tribut) dues par le roi maure de Séville, Abbad III. En récompense, il lui donne en mariage sa nièce, Jimena Díaz (Chimène), fille du comte d'Oviedo. Pour avoir enfreint la paix du roi, en l'accusant plus ou moins directement d'avoir participé à l'assassinat de son propre frère, il est exilé en 1081, et parcourt l'Est de la péninsule, offrant ses services aux princes, tant chrétiens que musulmans. De cette époque date son surnom El Cid (donné par les Maures), provenant de l'arabe, et signifie seigneur. Son autre surnom, Campeador (le Champion) - issu du latin campidoctor : instructeur ; « maître d'armes » - lui est donné dès 1066 après sa victoire en combat singulier contre Jimeno Garcés, lieutenant du roi de Navarre Sanche IV, réputé invincible.

Le Cid espagnol Guillen de Castro (1569-1631) fut le premier à adapter pour le théâtre la vie de Rodrigue et Chimène dans l’une de ses pièces appelée « Les Enfances du Cid » (Las Mocedades del Cid), publiée en 1618. Selon la tradition espagnole la pièce se joue en trois journées. Remarque : la troisième journée se déroule un an après le début de l’action. Par rapport à Corneille, ce dernier s’est fort inspiré de la pièce espagnole certes mais audelà de l’imitation, il s’est surtout livré à un travail : de simplification (nombre important de péripéties supprimées) ; de condensation (l’action en concentré, va plus à l’essentiel : ici l’amour des deux jeunes amants est annoncé dès le début alors que tenu secret dans la version espagnole) ; d’intériorisation (le combat psychologique), et d’invention (Don Sanche, a développé des personnages secondaires). Il en a donc fait une œuvre originale.

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La Reconquista (718 – 1492) correspond à la reconquête des royaumes musulmans de la péninsule Ibérique par les souverains chrétiens.

Corneille : le contexte historique Jusqu’en en 1637, Corneille est surtout connu pour avoir écrit des comédies : Mélite (1630) ; La Veuve (1631) ; La Galerie du Palais (1632) ; La Suivante (1633), La Place Royale (1634) ; L’Illusion comique (1635-36). Il a réussi à réinventer la comédie, s’éloignant de la farce médiévale pour en créer un genre nouveau, plus raffiné, plus subtil. Ses comédies ont des décors à la mode, des lieux contemporains. Elles décrivent la découverte et la complexité des jeux l’amour entre des jeunes gens, mais aussi les heurts avec les parents (plus préoccupé par les jeux d’argent), ou les obstacles liés à la présence des rivaux. Il a tâté un peu à la tragédie : Médée (1635). Mais le genre à la mode, désormais, est la tragi-comédie. Entre 1635 et 1636, 15 nouvelles tragi-comédies sont ont été jouées et écrites par des auteurs connus : Scudéry, Rotrou, d’Alibray. Le Cid est créé au début du mois de janvier 1937. Corneille a alors 31 ans. La pièce est un chef-d’œuvre et est un succès immense et immédiat. Il obtient la reconnaissance sociale et officielle : le 27 janvier 1637, Corneille est anobli par le roi Louis XIII. Comment expliquer ce succès ? Corneille répond admirablement bien à toutes les exigences que comporte le genre de la tragi-comédie : caractérisé par une action complexe, volontiers spectaculaire, elle campe traditionnellement une histoire d’amour traversée par des obstacles qui disparaissent heureusement à la fin2. C’est la meilleure réussite de la tragi-comédie.

La « querelle » du Cid La querelle éclate en mars 1637 et officiellement se termine en décembre de la même année. Vu le succès du Cid, Corneille demande une meilleure rétribution financière au directeur de la troupe qui jouait Le Cid. Ce dernier refuse. Pour se « venger », Corneille décide de faire publier son œuvre, ainsi la troupe du théâtre du Marais perdait l’exclusivité, n’importe qui pouvait maintenant jouer la pièce. A cette même époque, Corneille écrivait un long poème (Excuse à Ariste) où il vantait son talent. Pour rabaisser son orgueil, Mairet publie un texte dans lequel il accuse Corneille d’avoir plagié Guillen de Castro. Scudéry publie ses Observations sur Le Cid : il démontre, en s’appuyant sur Aristote, que la pièce « vaut rien du tout ». L’Académie Française (créée trois plus tôt) intervient. Elle procède alors à un examen détaillé de la pièce et publie le 20 décembre 1637 la conclusion : elle reconnait l’originalité de Corneille (et donc son non-plagiat) mais soutient que les règles des trois unités ainsi que la vraisemblance et les bienséances n’ont pas été respectés. L’Académie

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COUPRIE Alain. Le Cid, Pierre Corneille. Paris, Hatier : 2005. (Profil, n°133)

française considère en définitive que Corneille doit autant son succès à son talent qu’au hasard. Corneille ne répond rien. Le débat est clos.

Un cid légendaire "Je suis né deux fois, la première le 4 décembre 1922, la seconde en juillet 1951, en Avignon, où j'ai eu grâce à Jean Vilar la révélation du vrai théâtre..." Gérard Philippe Création le 19 juillet 1949 : Cour d'Honneur du Palais des Papes (Avignon) A CHANGER Mise en scène Costumes Lumières Direction musicale Interprétation (1951)

Jean Vilar Léon Gischia Pierre Saveron Maurice Jarre

Réalisation des costumes

Henri Lebrun, Alyette Samazeuilh

Régie générale

Valentine Schlegel, Pierre Lautrec

Jean Vilar (Le Roi) Gérard Philippe (Don Rodrigue) Françoise Spira (Chimène) Pierre Asso (Don Diègue) Jean Leuvrais (Don Gomès) Jeanne Moreau (l'infante de Castille) Jean Negroni (Don Sanche) Jean-Paul Moulinot (Don Alonse) Charles Denner (Don Arias) Monique Chaumette (Léonor) Lucienne Le Marchand (Elvire) André Schlesser (le page de l'infante)

Extrait audio (Gérard Philippe): http://www.youtube.com/watch?gl=BE&v=2aJd-e5hWUU « La star de cinéma Gérard Philipe participe cette année doublement (aux côtés de Jeanne Moreau) au Festival d'art dramatique d'Avignon (15-25 juillet), dans deux pièces qui jouent dans la Cour d'honneur du Palais des Papes : Le Prince de Hombourg de Heinrich von Kleist et Le Cid de Corneille. La première représentation de cette deuxième œuvre a eu lieu ce soir devant un parterre noir de monde. L'acteur, qui s'est démis le genou lors de la dernière répétition, a triomphé malgré sa capacité de déplacement réduite. Pour Jean Vilar, fondateur il y a quatre ans de l'événement avignonnais (sous le nom initial de "Semaine d'art"), qui lui donnait la réplique dans le rôle du roi, son interprétation était tellement impressionnante que "personne n’osera plus monter Le

Cid avant trente ans".»3

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http://www.live2times.com/1951-gerard-philipe-joue-le-cid-a-avignon-e--11001/#5WOFCT1SWC4hyDRf.99

L'ombre de Gérard Philipe plane encore sur Avignon AVIGNON / PUBLIÉ LE SAMEDI 24 JUILLET 2010 À 11H13 Le 25 novembre 1959, Gérard Philippe, alors en pleine gloire et à l'apogée de sa popularité, est emporté par un cancer du foie foudroyant à l'âge de 37 ans. A Avignon comme partout en France, on pleure la disparition de la star. Peut-être plus qu'ailleurs Rares sont ceux qui connaissent l'histoire du Festival d'Avignon aussi bien qu'elle. Auprès de son mari, Paul Puaux, compagnon d'aventure de Jean Vilar et son successeur à la tête du TNP (Théâtre national populaire), Melly Puaux a participé, dès 1966, à "cette formidable aventure humaine" du festival, comme elle dit, où elle a occupé, jusqu'en 1979, la fonction de secrétaire. Avant de fonder, la même année, la Maison Jean-Vilar à Avignon. Certes, elle n'a pas assisté aux premières heures du festival, dont "la création, dit-elle, relève du miracle, un peu comme la naissance du Christ dans la crèche: sans moyens, mais avec un enthousiasme à nul autre pareil". Elle n'a pas, non plus, connu personnellement Gérard Philipe, emporté par un cancer du foie foudroyant, à l'âge de 37ans, en 1959. Mais les innombrables heures qu'elles a passées à ratisser les archives pour monter quantité d'expositions, font d'elle la mémoire vivante du festival. "Gérard Philipe ? Jean Vilar lui avait déjà demandé d'intégrer le TNP dès 1949, mais il avait décliné la proposition, trop absorbé qu'il était par ses tournages de films, raconte-t-elle. Et puis, en 1950-51, alors que Vilar jouait dans Henri IV de Pirandello, au théâtre de l'Atelier, à Paris, il s'est finalement décidé à aller à sa rencontre, dans les loges, pour lui demander d'en faire partie. Vilar lui a fait lire Le Prince de Hombourg qui, à l'époque, n'avait jamais été joué en France, et Le Cid. Et il a accepté, tout en sachant que Vilar n'avait aucun moyen de le payer. Qu'importe, pour lui, l'essentiel était de toucher un nouveau public et de participer à l'aventure. Dès lors, il jouera à Avignon tous les ans, ou presque. C'était quelqu'un de très accessible, comme tous les artistes de l'époque, d'ailleurs. Il aimait participer aux rencontres avec le public dans le verger Urbain V avec Paul Puaux, pour parler du métier, au côté de Georges Wilson, qui nous a quittés." En tant que responsable des archives, Melly Puaux a aussi mis la main sur le costume sans manche (!) du Cid, joué en 1949 par Jean-Pierre Jorris, et repris, deux ans plus tard, par Gérard Philipe. "Les deux comédiens n'avaient pas la même morphologie: les manches du premier costume avaient été enlevées pour être ensuite cousues sur le deuxième!", sourit-elle. Les anecdotes s'enchaînent. "En 1951, le plateau du Palais des Papes n'était pas aussi sécurisé qu'aujourd'hui. Lors de la générale (la dernière répétition, ndlr) du Cid, Gérard Philipe, qui jouait Don Rodrigue, porté par l'enthousiasme de la bataille contre les Maures, est tombé de scène, se faisant particulièrement mal à la hanche. Ce qui a obligé Jean Vilar, pour la première, à modifier la mise en scène à la dernière minute. C'est finalement assis sur le trône du roi que Gérard Philipe va raconter la bataille, tandis que Jean Vilar, dans le rôle du roi, se placera carrément dans le public." L'année d'après, pour Lorenzaccio, Jean Vilar va même confier, pour des raisons de santé, "la fin de la régie" à Gérard Philipe. "La fin de la mise en scène, si vous préférez. Mais ce dernier terme était trop pompeux pour Vilar: il préférait employer 'régie'. Un régisseur, disait-il, fait valoir la terre de ses maîtres. Mon maître, c'est l'auteur et je suis là son serviteur." Des anecdotes, Melly Puaux pourrait en raconter pendant des heures entières. Peut-être en aura-t-elle l'occasion, tout prochainement ? Retirée aujourd'hui à

Paris d'où elle est originaire, elle confie son intention de descendre quelques jours à Avignon, pour ce festival. "Pour profiter des trois derniers jours."

Un cid (classico-) classique « J’ai essayé de mettre Dieu en scène » Francis HUSTER Mise en scène : Francis HUSTER Décors : Pierre-Yves LEPRINCE Costumes : Dominique BORG Lumières : Geneviève SOUBIROU Acteurs : Don Rodrigue : Francis HUSTER Chimène : Jany GATALDY Don Gormas : Jean-PIERRE BERNARD Don Diègue : Jean MARAIS L’Infante : Martine CHEVALLIER Le Roi Don Fernand : Jean-Louis BARRAULT Don Sanche : Jacques SPIESER Elvire : Martine PASCALE Léonor : Monique MÉLINARD Version : Tragi-comédie (version 1636) Date : 1985 Lieu : Le théâtre du Rond-Point

Le décor : un décor unique. Quatre portes et un trône, un décor d’une excessive sobriété. Un grand air, de l’horizon à perte de vue, le ciel bleu des plages.

Les costumes : accrochent l’œil, saugrenus et laids // bien avec l’esprit de la représentation, volontairement –perversement- caricaturale. AUTRE CRITIQUE : sublimes, de vraies images de contes de fées, robes de noces ou robes d’enlèvements, armures d’or et linges de sang. Les lumières : sont celles des aurores, des midis et des couchants. Elles prennent les corps et les visages de biais « On ne doit voir ni un décor, ni des costumes, ni des lumières, on doit voir le Cid. » Francis HUSTER « ‘’Le Cid’’ c’est la jungle. Ce n’est pas une pièce, c’est un poème. Corneille écrivait de la main gauche. Il faut l’aborder par le biais de la jeunesse et de la maladresse. » Francis HUSTER « Le meilleur est dans le baroquisme, une manière d’aborde ‘’Le Cid’’ comme si c’était une comédie shakespearienne. D’où je ne sais quoi de désinvolte, de blagueur, comme une distance poétique, une liberté à laquelle on sera sensible. »4 Chimène est exécrable dans la colère et touchante dans l’amour. Romantique et fragile. Sur les nerfs. Déchirée et blessée. Tremblante comme la feuille. / Sommet de poésie, de passion, un buisson ardent, ‘’un diamant noir en fusion’’. « Le vrai combat est entre Chimène et Chimène. » Francis HUSTER Francis Huster ira même jusqu’à affubler Chimène de l’armure de son père quand elle vient demander justice au roi. Rodrigue est convaincant, très intériorisé d’une mélancolie maitrisée, qui lutte contre l’inévitable, il s’arrache à des ténèbres, mais en même temps il reste d’une enfance désarmante. « ‘’Le Cid’’, c’est notre ‘’Roméo et Juliette’’ Rodrigue n’a rien d’un héros. Il doute. C’est un assassin comme Hamlet et Dom Juan qui ne mérite pas d’être absout. (…) il a la tête pure, mais les mains sales. » Francis HUSTER C’est avec les silhouettes que joue Francis Huster, il leur donne de la liberté. L’infante a un costume bizarre (mais splendide). Elle joue de la façon la plus intelligente, la plus sensible … dans son rôle on trouve des variations sur l’amour fou et impossible. Elle est la plus convaincante. Un traitement particulier de la part de Francis HUSTER. L’infante est un personnage que Corneille lui-même avoue être « hors d’œuvre », « rapportée ». Ici, Francis Huster en fait une sorte de phare central de la tragédie. « L’infante devient un ostensoir, une sorte d’icône d’or et de pierres précieuses, qui éblouit l’action »5 De plus, pour parfaire la beauté de la chose, des accès de démence de l’infante (invention d’Huster) sont annoncés par un envoutant « chant des sphères » du

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MARCABRU Pierre. 1985. « Les Feux du Baroque ». Le figaro, 29 novembre. COURNOT Michel. 1985. « Une bourrasque d’air frais ». Le Monde, 30 novembre.

compositeur Dominique Probst. Elle ajoute son cri, un cri d’amour fou. Martine Chevallier en fait un chant de mort. Elvire est en permanence unie à Chimène dans une grande affection, « comme si Elvire avait toujours été là pour calmer la soif de désastre et alors ce couple Chimène-Elvire, qui est en vérité l’axe de feu de la pièce, est d’un inaltérable éclat »6. Dans cette version-ci, Corneille nous apparait au début, nous disant quelques mots d’avertissement : PROLOGUE PIERRE CORNEILLE s’avance et s’adresse au public. Ce portrait vivant que je vous offre représente un héros assez reconnaissable aux lauriers dont il est couvert. Sa vie a été une suite continuelle de victoires ; son corps, porté dans son armée, a gagné des batailles après sa mort ; et son nom, au bout de six cent ans, vient encore de triompher en France. Il y a trouvé une réception trop favorable pour se repentir d’être sorti de son pays, et d’avoir appris à parler une autre langue que la sienne. Je me résous, puisque vous le voulez, à me laisser condamner par votre illustre Académie ; si elle ne touche qu’à moitié du Cid, l’autre me demeurera toute entière. Mais je vous supplie de considérer qu’elle procède contre moi avec tant de violence, et qu’elle emploie une autorité si souveraine pour me fermer la bouche, que ceux qui sauront son procédé auront sujet d’estimer que je ne serais point coupable si l’on m’avait permis de me montrer innocent … J’ai fait Le Cid pour me divertir, et pour le divertissement des honnêtes gens, qui se plaisaient à la comédie. J’ai remporté le témoignage de l’excellence de ma pièce par le grand nombre de ses représentations, par la foule extraordinaire des personnes qui y sont venues, et par les acclamations générales qu’on lui a faites. Toute la faveur que peut espérer le sentiment de l’Académie est d’aller aussi loin ; je ne crains pas qu’il me surpasse… Le Cid sera toujours beau, et gardera sa réputation d’être la plus belle pièce qui ait paru sur le théâtre, jusques à ce qu’il en vienne une autre qui ne lasse point les spectateurs à la trentième foie… Et pour finir : Qu’on parle mal ou bien du fameux Cardinal, Ma prose ni mes vers n’en diront jamais rien : Il m’a fait trop de bien pour en dire du mal, Il m’a fait trop de mal pour en dire du bien. Sire, ainsi je serais le plus ingrat de tous les hommes si je n’étais toute ma vie, très véritablement Sire, votre très humble, très obéissant et très fidèle serviteur et sujet. Corneille 6

COURNOT Michel. 1985. « Une bourrasque d’air frais ». Le Monde, 30 novembre.

Un cid improvisé Titre : Le Cid Improvisé De Philippe Cohen, d’après Pierre Corneille Interprétation : Philippe Cohen Lieu : Théâtre Les Ateliers (Suisse) Date : 1987-1988

Le spectacle : Un soir à Séville, j’ai joué ‘’Le Cid’’ dans une mise en scène signée par moi, où je m’étais attribué tous les rôles et notamment celui de Rodrigue… Corneille était présent dans la salle, ou plutôt dans les gradins, car la représentation avait lieu en plein air, sur les lieux mêmes où le texte situe la tragi-comédie, aux abords d’un château, en Espagne. Aujourd’hui, le spectacle que je présente a considérablement évolué : rapport à mes relations avec Corneille depuis ce soir de première… En un mot, je me détache de plus en plus de l’auteur et je m’attache de plus en plus au spectateur. D’ailleurs, je me suis autorisé à changer le titre : la pièce s’appelle maintenant ‘’Le Cid Improvisé’’.

Un cid fondant « Mais d’un corps de glace inutile ornement (…). » Don Diègue Titre : « Un cid » Mise en scène : Emilie Valentin Acteurs-manipulateurs : Emilie Valantin, Jean Sclavis, Jacques Bourdat, Isabelle Rouabah, Jean-Pierre Skalka. Musiciens : Christian Chiron, Yannick Herpin Lieu : Avignon, Maison des Côtes du Rhône Date : 1996 Durée : 1h (lié à la technique) Pour le 50ème festival d’Avignon (1ère fois que quelqu’un ose faire revivre « Le Cid » à Avignon après l’interprétation de Gérard Philippe). Les acteurs sont ici des marionnettes de glaces articulées et juchées sur des cubes de bois (des praticables noirs). Elles sont formées de 4 ou 5 litres d’eau moulés à l’horizontale et maintenus au congélateur pour obtenir des poupées de 60 cm et d’environ 5 kg.

On dirait du cristal. L’air chaud givre d’un coup les corps translucides. La glace crisse et se met à luire. Les gouttes perlent doucement sur le front de Don Diègue. Goutte à goutte, les marionnettes s’allègent, s’érodent, fondent en larmes. « Pleurez mes yeux et fondez-vous en eau. » Chimène

Fantômes fragiles d’un passé glorieux, pouvant se briser d’un coup sec ou se tasser lentement : merveilleux symboles de la vanité humaine qui ne laisse derrière elle que quelques gouttes d’eau, vite évaporées. Plus la glace fond, plus l’attention s’avive. Les musiciens (deux joueurs de clarinette) et les manipulateurs sont en costumes noirs d’époque et en gants de caoutchouc. À l’abri, derrière leurs marionnettes, les manipulateurs assument l’excès des sentiments, la pamoison et le panache, ils se lâchent de toute leur âme. On retrouve alors l’esprit d’enfance, de naïveté, de cœur tendre et robuste. Il y a un retour au premier degré, le spectacle a quelque chose d’enfantin. Don Gormas est précipité du haut d’une tour et se fracasse au sol en mille morceaux. La question de l’éphémère au théâtre : bel hommage au théâtre ? Actrices d’un soir, les figurines meurent avec leur personnage … « C’est un pastiche : dans un pastiche, il faut de la sincérité, de l’amour et beaucoup d’art. »7 « C’est

7 8

la

création

sous

contrainte

FERNEY Frédéric. 1996. « Un Cid » d’après Corneille, Fondant. Le Figaro, 28 juillet. JURGENSON Caroline. 1996. « Emilie Valantin gèle « le Cid » ». Le Figaro, 24 juillet.

totale !

»8

Un cid décapé « Une mystérieuse jeunesse qui nous bouleverse. »9 « Bref, c’est plus qu’une réussite, c’est un miracle de théâtre. »10

Titre : « Le Cid » Mise en scène de : Declan Donnellan Acteurs : Don Rodrigue : William NADYLAN Chimène : Sarah KARBASNIKOFF Don Gomès/Gormas : Philippe BLANCHER Don Diègue : Michel BAUMANN L’Infante : Sandrine ATTARD Le Roi Don Fernand: Patrick RAMEAU/George BIGOT Le Prince : Benjamin DUPÉ Don Sanche : Yanneck ROUSSELET Elvire : Joséphine DERENNE Léonor : Odile COINTEPAS Lieu : Avignon (1er X qu’on refait Le Cid -en chair et en os- après Gérard Philippe dans la cour d’honneur) Année : 1998 Durée : Moins de 2h

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R.T.B.F., Musique 3, « Billet », Le Cid (Marie-Eve Stévenne), mercredi 27 octobre 1999 à 8h30. R.T.B.F., Bruxelles-Capitale, »Billet », Le Cid (Hugues Dayez), mercredi 27 octobre 1999 à 7h30.

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Rodrigue : Il a la peau bronzé d’un métis. L’image d’un Rodrigue a la peau noire, modifie la résonnance de cette guerre contre les Maures. De plus, il n’a rien du guerrier bravache et creux. Droit, oui, mais pas aveugle. Une fragilité étonnante se dégage. « Ce Rodrigue-là est encore un enfant, fier de recevoir des mains de son père l’épée qui fera de lui un homme, avant de mesurer que ce geste entachera à jamais son bonheur »11. Un être humain bouleversant. Fébrile, fragile, angoissé, dégouté par la mort qu’il est obligé de semer autour de lui. Un héros frémissant doté de conscience et d’humour et pour qui la gloire d’avoir accompli son devoir s’accompagne de la honte d’avoir tué. Chimène : Jeune comédienne. Energique. Etourdissante. Forte. Douce blondeur, elle offre au regard une cambrure pour danser, mais sous sa robe de soie il y a l’armure de Jeanne d’Arc. Cette Chimène là se ment à elle-même, coincée par le devoir et la fierté castillane. Elle se transforme en furie après la mort de son père. Capricieuse, allumeuse, insupportable chipie, elle épuise tout son entourage en provoquant son propre malheur. Explosive, passionaria en nuisette se jouant fougueusement du dilemme entre cœur et raison. Comédiens : Dynamique extraordinaire des déplacements des comédiens, presque orchestrés comme un ballet. Les combats sont chorégraphiés comme une corrida stylisée. « Chaque personnage, défini et joué avec finesse, éclabousse les planches avec le même bonheur (…) »12 L’espace est investi par tous les personnages qui se croisent avec la sensualité de danseurs de paso doble. Jeu de passe-passe. Décor : Aucun, seulement trois chaises. Le sol est recouvert de planches de bois. Lumières : un éclairage qui habille l’espace. Précis et discret. Costumes : les comédiens ont l’uniforme de l’armée espagnole (le milieu des « hommes d’honneurs », les comédiennes sont en robes courtes. Le metteur en scène situe l’intrigue dans notre époque. « Le metteur en scène irlandais Declan Donnellan a transgressé les traditions théâtrales pour notre plaisir, pour le plaisir de spectateurs, qui au soir de la première, étaient en majorité des jeunes en plein accord avec le spectacle. »13 « Totalement décomplexé face à cet imposant chef-d’œuvre, Donnellan le dépoussière avec une intelligence qui force l’admiration. Il ose se rappeler qu’à l’époque de sa création, en 1637, Le Cid était défini comme une tragi-comédie, et que dans l’histoire d’amour cornélienne, of course, entre Rodrigue qui a tué le père de Chimène, et Chimène, qui ne peut lui pardonner ce crime, se glissent souvent des répliques spirituelles et drôles. »14 Texte : Le metteur en scène n’a pas changé une virgule. Il écoute le texte, retrouve le rythme soutenu du vers et dégage les enjeux.

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CREUZ Sophie. 1999. « Qu’il est joli l’assassin de papa ! ». L’Echo, 28 octobre. BURY Marie-Anne. 1999. « Il sentait bon le sable chaud ». Le Matin, 29 octobre. 13 R.T.B.F., Musique 3, « Billet », Le Cid (Marie-Eve Stévenne), mercredi 27 octobre 1999 à 8h30. 14 R.T.B.F., Bruxelles-Capitale, »Billet », Le Cid (Hugues Dayez), mercredi 27 octobre 1999 à 7h30. 12

Article (Libération, Culture. Le 14 juillet 1998): Festival d'Avignon. Le Britannique Donnellan tire la pièce de Corneille vers la comédie. On badine bien avec «le Cid». Le Cid, de Pierre Corneille, mise en scène de Declan Donnellan. Théâtre municipal d'Avignon. Tous les soirs à 21 h 30 jusqu'au 22 juillet. Relâche le 14 et le 19. Par DREYFUS ALAIN

«Grenade et l'Aragon tremblent quand ce fer brille.» Rodrigue aussi: en allant provoquer le père de Chimène, qui avait eu le mauvais goût, comme chacun sait, de manquer de respect à son don Diègue de père, le sémillant jeune homme est visiblement mort de trouille. Pour incarner le Cid, le metteur en scène irlando-britannique Declan Donnellan a choisi la grâce plutôt que la force: il est vraiment joli, l'assassin de papa, sous les traits de l'acteur noir William Nadylam, dont on pourra jusqu'à plus soif admirer la musculature sans défaut. Pièce fondatrice. Le bras de Declan Donnellan (que la planète admire: depuis dix ans, sa troupe Cheek by Jowl enchaîne avec des classiques, du Shakespeare surtout, les tournées à travers le monde) n'a pas tremblé pour s'attaquer à la pièce fondatrice du mythe d'Avignon, avec, en 1951, le tandem Jean Vilar-Gérard Philipe. D'abord parce qu'il s'est avancé en terrain connu pour avoir monté le Cid il y a douze ans en Angleterre et en anglais. Il fut d'ailleurs le premier à présenter outre-Manche des oeuvres de Corneille et Shakespeare). Ensuite, parce que, sans botter en touche, il ne joue pas sur le même terrain. Pas de cour d'honneur la direction du festival la lui avait proposée , mais la proximité d'un théâtre à l'italienne. Pas de débauche de décor, mais la chaleur d'un plancher de bois serti de murs de caillebotis. Pas de monstre sacré, mais une troupe apte à restituer la pièce dans toute sa fraîcheur en tirant ouvertement la tragi-comédie vers son deuxième terme. Comment faire entendre des tirades tellement connues qu'elles tiennent de la rengaine? En les traitant comme telles. Lorsque don Diègue (Michel Bauman, parfaite figure du père sévère) entame l'inévitable «O rage, ô désespoir», c'est accompagné à la guitare flamenco, tandis que le reste des acteurs fredonne à l'arrière-plan. Les conflits entre amour et honneur? Pas de quoi en faire un drame. Chimène, déchirée dans un terrible dilemme, venger son père en sacrifiant son amour? Et puis quoi encore" Il faut voir Sarah Karbasnikoff allongée presque nue lancer à sa servante «c'est peu dire d'aimer, Elvire je l'adoooore!» dans un feulement orgastique et joyeux pour comprendre que les épreuves qu'elle va faire subir (et Dieu sait si elle y va) à son soupirant tiennent plus du marivaudage que de l'affaire d'Etat. Donnellan prend d'ailleurs soin de se placer, dans le dépliant qui accompagne le spectacle, sous l'aile du Henri IV de Shakespeare: «Qu'est-ce que l'honneur? Un mot. Qu'y a-t-il dans ce mot honneur, qu'est-ce que cet honneur? Du vent. Quel magnifique bilan! Et qui en bénéficie? Celui qui est mort mercredi.» Impression de liberté. Il y a une méthode Donnellan, apparemment simple. Mettre en avant les acteurs. Il faut beaucoup d'intelligence et sans doute une main de fer (dans un gant de velours, paraît-il) pour donner l'impression qu'évolue en liberté alors que tous les mouvements sont réglés au cordeau une distribution pas toujours parfaite mais manifestement toute au bonheur de jouer. Même si Michel Bauman et Joséphine Derenne (hilarante Elvire) marchent avec des béquilles suite à un accident lors de répétitions. Si Chimène en fait parfois un peu trop, le choix de William Nadylam apparaît en tout cas le bon. Ce doux jeune homme, qui apporte humour et distance à un personnage qui en est ordinairement plutôt dénué, incarne un Rodrigue atypique et réjouissant.

Declan Donnellan fait preuve d'un grand savoir-faire. Il sait aussi très bien ce qui plaît et ce qui ne plaît pas, et prend soin de ne prendre personne à rebrousse-poil. Il en résulte un spectacle léger, agréable, où le Britannique donne, mais c'est sans doute une illusion, le sentiment de vaincre sans péril. (à Avignon) Rectificatif. Dans l'article paru hier sur le Cid monté par Declan Donnellan, il était indiqué que ce dernier a été le premier à présenter en Angleterre des pièces de Corneille et de Shakespeare (!). En fait, il aurait fallu lire Corneille et Racine"

 VIDEO (reportage) : http://www.ina.fr/art-et-culture/arts-duspectacle/video/CAB98029051/le-cid-avignon.fr.html

Un cid acide Titre : « Cid » Texte : Adaptation de Sabine Durand d'après «Le Cid » de Pierre Corneille Mise en scène : Sabine Durand Acteurs : Don Rodrigue : Nicolas LUCON Chimène : Nathalie MELLINGER L’Infante : Photios KOURGIAS Le Roi Don Fernand: Jean DEBEFVE Lumière : Virginie STRUB Costumes : Claire FARAH et Virginie HONORE Durée : 1h50

Texte : Il ne reste plus que quatre personnages. Le spectacle se concentre sur l’essentiel dans les dilemmes qu’il soulève. Même avec les coupes drastiques dans le texte, il garde une cohérence. L’ironie ici est partout. Proche de la parodie. La tragi-comédie devient une farce tragique. La pièce vacille entre pathos grandiloquent et burlesque. Décor : un plateau tout en longueur, très nu, sous une lumière égale et de plain-pied avec le public. Epuré.

Cid L’œuvre de Pierre Corneille a vu son titre amputé et son texte aussi. Sabine Durand l’a adapté pour quatre personnages seulement, avec pour résultat d’aller à l’essentiel (et de condenser le spectacle en 1h50). Sa mise en scène insuffle aussi, de temps en temps, un vent de fraîcheur et de jeunesse sur le texte poussiéreux qui n’a pas pris une ride en force et en puissance de sentiments. Le dilemme de Chimène et de Rodrigue reste total. Entre amour et devoir, que choisir? Laisser parler son cœur ou sa raison ? Telle est la question… et la substance même de toute la pièce. Rien de trop, rien de trop peu donc dans le dosage et la présentation choisie par Sabine Durand. L’originalité réside dans un traitement par instant parodique ou théâtralisé à outrance Rodrigue (Nicolas Luçon) et Chimène (Nathalie Mellinger) sont tout à la fois les amants impossibles et leurs irascibles pères, à grand renfort d’une moustache dessinée au crayon. Ils jouent l’amour et l’honneur avec tant de raideur grandiloquente qu’on s’en amuse

(légèrement). La palme du rire revient au roi Ferdinand (Jean Debefve) et l’Infante (Photios Kourgias, un homme). Tout à fait décalés, ils accumulent pitreries et déchaînent les rires. Le Cid de Corneille se trouve ainsi traité et malmené (sans impertinence) sur deux niveaux. Surprenant, amusant par instants, il se décline également dans une pure et classique tragédie. Entre farce et drame, on hésite souvent. Sans s’en plaindre vraiment, ce condensé nous permet de mieux percevoir la subtile puissance du drame cornélien. Le petit côté humour permet aux plus jeunes d’approcher l’œuvre plus aisément que dans sa globalité souvent considérée par eux comme rébarbative. Un travail intéressant, qu’on ressentira comme un peu inabouti ou frustrant. La beauté du texte, en alexandrins, est intacte, mais la saveur des rires est trop brève pour compenser l’inconfort d’une scénographie mal adaptée à la Balsamine. Présenté tout en longueur, le spectacle ne réussit à satisfaire que les spectateurs assis au milieu du gradin (sans dossier), ceux qui se retrouvent aux extrémités perdent une partie du texte qui s’envole vers les cintres, enfouis dans les bruits (pourtant discrets de toux ou de pas des comédiens). Il serait injuste pourtant de ne pas applaudir la fougue et le talent dramatique de Nathalie Mellinger confondante de chagrin et de douleur. La comédienne semble d’ailleurs une habituée des œuvres décalées, elle nous avait régalé également de sa prestation dans La tempête. Jean Debefve est plus que séduisant dans son rôle de roi retors et épuisé. Courbé par le poids du pouvoir, il tente encore de manipuler les uns et les autres. Son Infante de fille, jouée par Photios Kourgias devient un personnage tout à fait décalé, par instants même loufoque qui navigue entre son amour impossible, sa simplicité d’esprit et ses espoirs déçus. Nicolas Luçon sert un Rodrigue dépassé par les évènements, contraint de tuer le père de sa fiancée, de devenir le bras victorieux de la cité, repoussé par sa Chimène, il est désemparé, étourdi par l’avalanche d’évènements qui lui tombent sur la tête. Il insuffle ainsi à son personnage un air de gamin désemparé pas déplaisant du tout. Cid est une approche ludique à conseiller pour faire découvrir un classique aux élèves du secondaire, mais c’est aussi l’occasion de percevoir autrement un texte tragique qui peut porter aux rires et à l’amusement selon la manière dont il est brillamment joué par ses quatre comédiens sans jamais pourtant y changer la moindre virgule. Muriel HUBLET

UNE VERSION QU'ON NE HAIT POINT Un quatuor d'acteurs rejoue une partition nouvelle d’El Cid, d'après la tragédie de Pierre Corneille : "Le Cid". Actuel et interpellant. Créée en mars, reprise en novembre 2006, l’adaptation et la mise en scène de Sabine Durand est fidèle au texte de Corneille tout en s'autorisant des coupures significatives, de larges libertés dans sa représentation, et en n'escamotant pas les outrances. La distribution reprend les comédiens de la création sauf Nicolas Luçon, qui assume le rôle titre. Quatre acteurs pour incarner une dizaine de personnages. Sauf les "permanents" : l'Infante de Castille/Photios Kourgias, rendue asexuée et dont les sentiments ambigus apparaissent d'autant mieux, le Roi Don Fernand/Jean Debefve, dépouillé de sa superbe, tout proche de la sénilité. Au couple Rodrigue/Nicolas Luçon-Chimène/Nathalie Mellinger de se démultiplier pour incarner également les autres personnages, dont leurs pères ! Dépoussiéré et désenflé… Option audacieuse, doigté subtil de la metteur en scène, prouesse toute en finesse des comédiens… Le plus étonnant c'est que, sans cesse sur le fil, l'ensemble devient, au pied de la lettre, une farce tragique. Avec un dépouillement à l'excès en termes de décor et accessoires : un tabouret et un vieux canapé, les épées, des costumes intemporels, un plateau de plain-pied avec les spectateurs… Ce sont les pulsions ordinaires qui affleurent sous les "tirades" connues. Non plus la grandeur d'âme des nobles héros magnifiés mais la jalousie, l'envie, l'orgueil, l'ambition, la déraison, la barbarie, la passion, le caprice, l'égocentrisme…les petits sentiments inavouables et les calculs mesquins mis à nu. Les affronts, causes de tous maux, redeviennent ce qu'ils sont ridiculement : affaires de vanités. Soulagée des oripeaux de la Tradition, l'histoire n'est plus celle de mythes héroïques.. Elle est ramenée à des conflits entre humains. Chimène et Rodrigue sont deux adolescents prêts à tous les excès de leur âge, touchants dans leur vulnérabilité et leurs contradictions. On sourit aussi, non pas du fait d'une drôlerie gratuite plaquée sur ce grand monument, mais parce que tant d'immaturité est désarmante. Le fameux récit par Rodrigue en guerrier vainqueur, de "la troupe qui s'avance avec une mâle assurance" prend une autre dimension. La répétition "des champs de carnage où triomphe la mort" par l'Infante, répétition dont elle se délecte, ramène le récit au compte-rendu d'une horrible boucherie. Si l'on ne se refuse pas de belles envolées, des pleurs et des supplications, c'est pour qu'aussitôt après, on en voie la parodie… Du travail de navigation périlleuse pour lequel Sabine Durand a pu compter sur d'excellents comédiens rompus à l'exercice de la corde raide. Peut-on qualifier d'"iconoclaste" la démarche de la jeune metteur en scène ? Celle-ci détruit-elle l"œuvre de Corneille ? Il nous a semblé tout le contraire : respect des vers, respect de l'histoire, respect de l'esprit de l'œuvre (qui fit scandale par sa nouveauté mais à une bien lointaine époque !). A Bruxelles, et dans toutes les langues, nous avons connu bien d'autres audaces et décoiffages de perruques ! Et puis, tronquer le titre et avoir soin d'indiquer :"d'après Pierre Corneille", n'est-ce pas là démarche honnête ? Ce "Cid" dans son approche ascétique aurait pu rebuter, au contraire, il (re)trouve là toute sa passion.

Suzane VANINA (Bruxelles)

Un cid (post)moderne « L’amour n’est qu’un plaisir, l’honneur est un devoir » Don Diègue Titre : « Pleurez mes yeux, pleurez » (puisé dans l’opéra de Massenet) Adaptation : Philippe SIREUIL Mise en scène : Philippe SIREUIL Acteurs : Don Rodrigue : Yoann BLANC Chimène : Edwige BAILY Gormas, Le Maure : Patrick DONNAY Diègue : Jean-Pierre BAUDSON Camille (l’infante) : Marie LECOMTE Le Roi : Anne SYLVAIN Sanche, Le conseiller : Michel JUROWICZ Cornélie : Janine GODINAS Scénographie : Philippe SIREUIL (assisté de Vincent LEMAIRE) Eclairages : Philippe SIREUIL Costumes : Catherine SOMERS Vidéo : Benoit GILLET Lieu : Théâtre National, Bruxelles Année : 2010 Durée : 4h avec entracte

Texte : Ajouts et surpressions. Philippe Sireuil a mélangé aux alexandrins de Corneille, ses vers et la prose de Jean-Marie Piemme (la tirade du Maure). Adaptation aussi déroutante que respectueuse. Mais l’histoire est là, inchangée, la trame est identique. Par contre, il n’y pas de happy-end. « Sireuil a laissé à Corneille tout son pouvoir versificateur et la fougue du dilemme amour-honneur. Mais il a su lui redonner l’intérêt lié à notre temps, avec une interrogation finale, dans la tirade du Maure écrite par Jean-Marie Piemme : les bombes dans les métros, et dans le sein des femmes, ce terrorisme bien d’aujourd’hui, ne serait-

il pas la réponse au glaive des catholiques, le continuum d’une histoire que nous feignons d’oublier ? »15 Scénographie : Le sol est recouvert de bois clair, simple et nu. Usage de la vidéo : un énorme écran montre des images de corrida, films, visages aux larmes de sang, décors de palais, … . Ces images servent tantôt de décor tantôt de liens. Moderne, aussi dans les costumes. Rodrigue : Poignant. Sanglant, il est poussé à raconter ses exploits courbé vers un micro, peu glorieux. Il n’a plus rien d’héroïque. Il n’est qu’un homme témoignant de ce qui s’est passé comme un combattant interviewé pour un documentaire télé.

L’humour surgit sans cesse. Le Roi : est devenu une Reine, aux allures de la reine d’Angleterre et de Margaret Thatcher. Mais reste l’incarnation du juste et de la force d’un royaume conquérant. Autre invention : Nouveau personnage, celui de Cornélie, voix de l’auteur (et des deux suivantes) et est aussi le regard sur ce monde.

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LEMAIRE Julie. « Lumière sur le Cid ». 10 janvier 2010. www.ruedutheatre.eu

Et quelques produits dérivés … Un film Le Cid (1961), film américain d'Anthony Mann avec Charlton Heston et Sophia Loren. Un film d’animation La Légende du Cid (El Cid) (2003), film d'animation espagnol de José Pozo. Un opéra Le Cid (1885), opéra français de Jules Massenet Une pièce de théâtre et de danse Le Cid flamenco (1998), de Thomas le Douarec VIDEO http://www.youtube.com/watch?v=FkM5Q8IAMtA

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