Le modèle allemand

January 8, 2018 | Author: Anonymous | Category: Entreprise, Sciences économiques, Macroéconomie
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Pesante Allemagne LE MONDE | 08.11.2013 à 11h22 | Par Martin Wolf (Editorialiste économique au "Financial Times") Fin octobre, les critiques formulées par le Trésor américain à l'égard des énormes excédents commerciaux de l'Allemagne ont suscité l'indignation de Berlin. On doit pourtant savoir gré au Trésor américain de formuler ce que les partenaires de l'Allemagne n'osent exprimer : «

L'Allemagne a enregistré un important excédent de ses comptes courants tout au long de la crise financière de la zone euro. » Cela a « entravé le rééquilibrage » d'autres pays de la zone et entraîné une «tendance déflationniste touchant aussi bien la zone euro que l'économie mondiale».

Le Monde.fr a le plaisir de vous offrir la lecture de cet article habituellement réservé aux abonnés du Monde.fr. Profitez de tous les articles réservés du Monde.fr en vous abonnant à partir de 1€ / mois | Découvrez l'édition abonnés Le Fonds monétaire international (FMI) a fait part des mêmes inquiétudes. Le ministre allemand des finances a rétorqué que l'excédent des comptes courants de son pays « n'était

aucunement un motif d'inquiétude ni pour l'Allemagne, ni pour la zone euro, ni pour l'économie mondiale ».

Cette réaction était aussi prévisible qu'elle est erronée. L'excédent allemand, dont le FMI estime qu'il atteindra 215 milliards de dollars cette année (soit 159 milliards d'euros, presque autant que celui de la Chine), pose en réalité un gros problème, en premier lieu pour l'avenir de la zone euro. Les excédents à l'exportation ne traduisent pas seulement une meilleure compétitivité, mais aussi un excédent de production par rapport aux dépenses. Les pays excédentaires importent la demande qu'ils ne génèrent pas chez eux. Lorsque la demande mondiale est forte, cela n'est pas un problème à condition que l'argent emprunté par les pays déficitaires soit investi dans des activités permettant à terme de rembourser les dettes qu'ils contractent. VERS LA DÉFLATION Hélas, cela n'arrive pas souvent, en partie parce que l'afflux d'importations à bas coût pousse les pays déficitaires à investir dans des activités non échangeables, qui ne contribuent pas au remboursement des dettes. Mais, dans les conditions actuelles, avec des taux d'intérêt officiels à court terme proches de zéro et une demande mondiale chroniquement déficiente, l'importation de la demande par un pays excédentaire équivaut à une politique protectionniste : elle exacerbe la faiblesse économique mondiale.

Il n'est donc pas surprenant de constater qu'au deuxième trimestre de 2013 le produit intérieur brut (PIB) de la zone euro était de 3,1 % inférieur à son niveau maximale d'avant la crise. Hautement solvable, la principale économie de la zone sape la demande au lieu de la favoriser. Il n'est pas étonnant non plus que la zone euro s'oriente vers la déflation : le dernier chiffre de l'inflation sous-jacente en glissement annuel était de 0,8 %. Du fait de l'extrême faiblesse de la demande, la zone euro risque d'être entraînée dans un piège déflationniste à la japonaise et de ne pouvoir mener à bien les nécessaires rééquilibrages de compétitivité en son sein. Les pays frappés par la crise se voient contraints d'accepter une pure et simple déflation. Ce qui entraîne inévitablement un niveau très élevé de chômage, et augmente la valeur réelle de leur dette. PERTES CUMULÉES DE PRODUCTION Il était fatal que les politiques suivies par la zone euro sous l'égide de l'Allemagne aient un tel résultat, vu l'impact destructeur d'une austérité budgétaire généralisée. Dans un texte rendu public le 21 octobre, Jan In't Veld, économiste à la Commission européenne, estime que la politique de resserrement budgétaire a entraîné, entre 2011 et 2013, des pertes cumulées de production équivalant à 18% du PIB annuel en Grèce, 9,7% en Espagne, 9,1% en France, 8,4% en Irlande et 8,1% en Allemagne. Alors que les pays vulnérables réduisent leurs déficits extérieurs et que le principal pays créancier, l'Allemagne, reste en excédent, la zone euro génère de forts excédents extérieurs : selon le FMI, le basculement du déficit vers l'excédent entre 2008 et 2015 équivaudra à 3,3 % du PIB de la zone. C'est là une politique protectionniste à l'égard du monde entier. Il sera pourtant impossible à la zone euro de fonder sa croissance sur les exportations : sa taille est trop importante pour y parvenir. Elle doit aussi réaliser son rééquilibrage interne. MYTHES Jusqu'à présent, selon les Perspectives économiques mondiales d'octobre du FMI, ce sont les suppressions massives d'emplois qui ont amélioré la compétitivité, et l'effondrement de la demande intérieure qui a réduit les déficits extérieurs dans les pays frappés par la crise. Les « succès » en matière d'ajustement sont la contrepartie des crises économiques et de la flambée du chômage. Même dans ces conditions, le FMI n'entrevoit aucune réduction significative des positions débitrices nettes. Tout cela est pourtant considéré comme acceptable, souhaitable et même moral – en d'autres termes, comme une réussite. Pourquoi ? Parce que l'on croit à certains mythes : la crise aurait été déclenchée par les errements budgétaires plutôt que par les flux irresponsables de crédits transfrontaliers ; la politique budgétaire ne jouerait aucun rôle dans la régulation de la demande ; les achats par la Banque centrale européenne d'obligations publiques constitueraient un pas vers l'hyperinflation ; et enfin, c'est la

compétitivité qui déterminerait les excédents extérieurs, et non le rapport entre l'offre et une demande insuffisante. Ces mythes ne sont pas inoffensifs – ni pour la zone euro ni pour le monde. Ils risquent de piéger les plus faibles des pays membres dans des dépressions permanentes ou de déboucher à terme sur le catastrophique éclatement de l'union monétaire elle-même. Dans un cas comme dans l'autre, le projet européen en arriverait à symboliser non la prospérité, mais la pauvreté. Ce qui serait tragique (chronique publiée en partenariat exclusif avec le "Financial Times". Traduit de l'anglais par Gilles Berton).

Le modèle allemand n'est pas exportable LE MONDE | 09.05.2013 à 19h21 • Mis à jour le 10.05.2013 à 15h59 | Par Martin Wolf (Editorialiste économique au "Financial Times") L'Allemagne est en train de remodeler l'économie européenne à son image. Elle se sert de sa position de principale économie et de pays créditeur dominant pour transformer les membres de la zone euro en petites répliques d'elle-même – et la zone euro dans son ensemble en une grosse réplique. Cette stratégie est vouée à l'échec. Le consensus à Berlin s'établit autour de politiques orientées vers la stabilité : la politique monétaire doit viser à la stabilité des prix à moyen terme ; la politique budgétaire doit tendre vers un budget équilibré et une dette publique faible. Pour que cette approche fonctionne, l'Allemagne opère des rééquilibrages de sa balance extérieure, afin de stabiliser l'économie : une augmentation de l'excédent quand la demande intérieure est faible, et vice versa. L'économie allemande pourrait sembler trop importante pour être fondée sur un mécanisme caractéristique des petites économies ouvertes. Elle y parvient pourtant grâce à sa formidable production manufacturière orientée à l'export et à sa capacité à contenir les salaires réels. Pour que cette approche de la stabilisation fonctionne correctement, une grande économie orientée à l'export doit aussi pouvoir compter sur des marchés extérieurs dynamiques. Les bulles financières des années 2000 ont contribué à les générer. De 2000 à 2007, la balance des comptes courants de l'Allemagne est passée d'un déficit de 1,7% du produit intérieur brut (PIB) à un excédent de 7,5%. Dans le même temps, des déficits compensatoires apparaissaient ici et là dans la zone euro. En 2007, le déficit des comptes courants atteignait 15% du PIB en Grèce, 10% au Portugal et en Espagne, et 5% en Irlande. LE MANTRA DE LA STABILITÉ Les contreparties en termes de demande intérieure des énormes déficits extérieurs enregistrés par ces pays étaient constituées essentiellement des dépenses privées

alimentées par le crédit. Puis survint la crise financière mondiale. Les apports de capitaux se tarirent et la dépense privée s'effondra, générant d'énormes déficits budgétaires. Emergea alors, notamment à Berlin, un consensus fondé sur l'idée erronée qu'il s'agissait d'une crise budgétaire. Or c'était prendre les symptômes pour les causes, sauf dans le cas de la Grèce. Cependant, étant pratiquement privés d'accès aux marchés obligataires, les pays frappés par la crise durent, malgré leurs sévères récessions, procéder à un resserrement budgétaire. Et pour resserrer ils ont resserré. Entre 2009 et 2012, selon le Fonds monétaire international, le déficit budgétaire structurel a connu une variation équivalente à 15,4% du PIB potentiel en Grèce, 5,1% au Portugal, 4,4% en Irlande, 3,8% en Espagne et 2,8% en Italie. Cette combinaison de crises financières et de resserrement budgétaire entraîna de forts ralentissements : entre le premier trimestre de 2008 et le quatrième trimestre de 2012, le PIB a diminué de 8,2% au Portugal, 8,1% en Italie, 6,5% en Espagne et 6,2% en Irlande. Triste bilan. Malheureusement, les pays les mieux portants de la zone euro se rallièrent au mantra de la stabilité. Ils resserrèrent à leur tour leurs positions budgétaires. Le FMI prévoit que le déficit budgétaire cycliquement ajusté de la zone euro diminuera, entre 2009 et 2013, de 3,2 % du PIB potentiel pour se stabiliser à 1,1 % seulement du PIB. La Banque centrale européenne continue de son côté à ne quasiment pas se préoccuper de relancer la demande. Sans surprise, l'économie de la zone euro reste stagnante. UN RISQUE DE STAGNATION PROLONGÉE Dans le même temps, l'inflation des prix à la consommation s'établit au-dessous de l'objectif de 2% fixé par la BCE. Un gros choc négatif risque de transformer une inflation faible en déflation. Cela aggraverait la pression sur les pays en crise. Même si l'on évite la déflation, l'espoir de voir ces pays se sortir de leurs difficultés grâce à la demande au sein de la zone euro et au rééquilibrage interne relève du pur fantasme dans le contexte actuel. Reste l'ajustement externe. Selon le FMI, la France sera le seul grand Etat membre de la zone euro à enregistrer un déficit des comptes courants cette année. Le Fonds prévoit que, en 2018, tous les Etats membres actuels sauf la Finlande seront des exportateurs nets de capitaux. La zone euro en tant que telle devrait enregistrer un excédent des comptes courants de 2,5% du PIB. Faire dépendre un tel équilibrage de la demande extérieure est ce que l'on attendrait d'une zone euro à l'allemande. Si l'on veut comprendre jusqu'où va cette folie, il faut se pencher sur le travail effectué par la Commission européenne sur les déséquilibres macroéconomiques. Ses critères sont révélateurs. Ainsi, elle considère un déficit des comptes courants de 4% du PIB comme un signe de déséquilibre. Pourtant, en ce qui concerne les excédents, le critère est fixé à 6%. Est-ce par pur hasard que ce chiffre se trouve être celui enregistré par l'Allemagne ? Les implications de cette tentative de contraindre la zone euro à emprunter la voie de l'ajustement prise par l'Allemagne dans les années 2000 sont profondes. Pour la zone euro, cela rend hautement probable une stagnation prolongée, en particulier dans les pays frappés par la crise. Par ailleurs, si cette politique commence à fonctionner, il est probable que l'euro renchérira, augmentant ainsi les risques de déflation. Enfin, et ce n'est pas la

moindre conséquence, le passage de la zone euro vers l'excédent constituera un choc contradictoire pour l'économie mondiale. Qui sera à la fois disposé et capable de le compenser ?

(Traduit de l'anglais par Gilles Berton) Martin Wolf (Editorialiste économique au "Financial Times")

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