Les écritures figuratives amérindiennes

January 9, 2018 | Author: Anonymous | Category: Histoire, Histoire globale, Aztec
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Les écritures figuratives amérindiennes* Bernard POTTIER Les Amériques forment un immense ensemble que les archéologues ont été amenés à étudier selon une certaine continuité, en particulier lorsqu’il s’agit de l’architecture. Du nord du Mexique au sud du Pérou, les pyramides et les palais, les stèles et les figurations de divinités et de seigneurs ont ce qu’on peut appeler "un air de famille". Même si certaines décorations géométriques que l’on trouve sur des céramiques en Amérique du Nord peuvent être interprétées en liaison avec des phénomènes de la nature (spécialement le thème de l’eau, par exemple), rien ne peut être présenté comme amorçant un système d’écriture. C’est en Mésoamérique que se situent les développements les plus remarquables mais on doit également faire mention de l’Aire andine.

L’Aire andine

On se doit de mentionner les célèbres géoglyphes de Nazca (au sud du Pérou), dont les tracés s’étendent sur plusieurs centaines de mètres, grâce à des sillons creusés à la surface de la terre. Ils figurent des animaux (singe, araignée, oiseau) ou des motifs géométriques, seulement identifiables par survol aérien. Leur caractère religieux ou astronomique reste invérifiable et les hypothèses les plus fantaisistes ont été formulées à leur égard. Venons-en à d’autres manifestations graphiques plus traditionnelles en retenant, de la chronologie archéologique, les périodes et les sites susceptibles d’intéresser la perspective de la communication visuelle, qui est la nôtre.

Par ordre d’ancienneté ce sont donc : - Chavín (-1200, -400) - Paracas (-1100, -200)

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Comme dans de nombreux lieux dans le monde, on y trouve des pétroglyphes en abondance mais ils ne présentent pas d’originalité particulière. On y voit les habituelles représentations géométriques, humaines, solaires et autres.

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- Nazca (200, 600) - Mochica (200, 700) - Tiahuanaco (500, 1000) - Chimú (700, 1470) - Inca (1200, 1533) Le sens des migrations du nord vers le sud (et parfois du sud vers le nord) est assuré pour le continent américain et à plusieurs reprises des archéologues voient dans les sculptures andines des réminiscences des Olmèques qui vivaient au Mexique déjà vers –1300 avant J.C. Passons à la vraie question qui se pose au sujet de l’aire andine. Comment se peut-il que les empires qui se sont succédés, qui ont construit autant de monuments, de Chavín à Tiahuanaco, et qui ont abouti à l’empire Inca découvert par les Espagnols, comment se peut-il qu’ils n’aient pas développé une écriture ? Les quipus, bien connus, sont des instruments de comptabilité économique et démographique, formés d’un ensemble de cordelettes de différentes couleurs raccordées à une corde-mère et fonctionnant sur une base mnémotechnique. Malgré des tentatives récentes, on ne peut prouver qu’ils aient transmis de véritables messages linguistiques. Les "signes-haricots", dits pallares, ont également été évoqués : ils se trouvent sur des céramiques mochica et sur des tissus de Paracas, mais les hypothèses émises à leur égard sont loin d’être concluantes. Par contre on ne peut rester indifférent devant l’exploitation de supports de forme rectangulaire que l’on découvre en abondance sur les tissus de Paracas ou sur les vases en bois ou en céramique de forme singulière dits keros.

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Le fait que les momies étaient enveloppées dans de grands linceuls, parfois longs de 20 mètres, a entraîné la naissance d’une riche ornementation de réseaux de formes quadrangulaires aux couleurs variées. Une chercheuse péruvienne, Victoria de la Jara, en a fait un inventaire, et a tenté de les classer : elle a émis une hypothèse sur leur valeur logographique en liaison avec la langue quechua (titres et qualités, hiérarchies religieuses).

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Sans aller jusque là, et étant donné qu’il ne s’agit pas de motifs répétés à l’identique et qu’ils sont quelques centaines, on peut leur accorder un éventuel statut de motifs figuratifs, se référant à des symboles culturels, des noms de clans, de lieux, de propriétaires d’objets, etc., ce qui fait penser aux armoiries d’autres civilisations. Soit un fragment de tissu de l’empire Inca où l’on voit des motifs non disposés symétriquement, et dont certains se répètent (Fig.1) Ces ornementations se retrouvent sur les tuniques appelées unku et sur les tocapu qui ornent leur taille.

A l’époque coloniale, on assiste à une démotivation de ces figurations, qui se réduisent à quelques signes simples, et finissent par envahir tout le vêtement, comme on peut le voir d’après les exemples tirés de la Nueva Corónica y Buen Gobierno de Felipe Guaman Poma de Ayala, texte du début du XVII e siècle. Ce qui est frappant, c’est que ces motifs carrés décorent également les vases (les keros, sus-mentionnés) et accompagnent souvent des scènes de type historique ou religieux. Le caractère esthétique de ces œuvres ne doit pas cacher leur probable valeur symbolique, un peu comme les blasons des familles ou des villes sont à lire avec leur code propre.

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(Fig. 1) Tissu de l’empire Inca. (doak.org "Dumbarton Oaks, Wash".

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Les tissus péruviens, qui sont attestés sur plusieurs siècles, sont probablement à interpréter dans cette optique. Mais on ne parlera ici que de figurations, de motifs figuratifs, réservant le terme d’écriture pour la Mésoamérique.

La Mésoamérique Au milieu du foisonnement des cultures mésoaméricaines étudiées par les archéologues depuis les Olmèques jusqu’à l’arrivée des Espagnols en 1521, on peut retenir, en se limitant aux civilisations qui ont développé les représentations figuratives les plus élaborées, les groupes suivants : - les Olmèques (de - 1300 à + 300) de 1300 avant J.C. à 300 après J.C ; - les Zapotèques (de - 500 à +800) de 500 avant J.C. à 800 après J.C ; - les Mayas (du I V e av.JC au X VII e ; classique : 300 à 900) ; - les Toltèques (IX e-XII e), et qui ont alors influencé les Mayas, d’où les MayaToltèques à Chichén-Itzá ; - les Mixtèques (900-1300) ; - les Aztèques (XIII e-1521 et époque coloniale). Les trois groupes linguistiques principaux, qui représentent actuellement plusieurs millions de locuteurs, sont la famille maya, la famille uto-aztèque et l’otomangue (incluant le zapotèque et le mixtèque) (Fig. 2).

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Les Olmèques sont le plus ancien peuple du Mexique dont la culture a laissé de nombreux témoignages dans les domaines de l’architecture, des sculptures

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(Fig. 2) Les groupes linguistiques principaux . (louisg.levillage.org).

monumentales, de l’astronomie ou du jeu de balle. On voit déjà apparaître des figures divines et humaines ornées de motifs dont certains préfigurent des glyphes. Comme dans toute histoire des civilisations, il existe des documents dont l’authenticité est discutée. Ainsi en va-t-il de la Stèle de La Mojarra (datée de +156), découverte près de Veracruz en 1986, et qui possède une série de glyphes que les spécialistes attribuent soit aux descendants des Olmèques, soit au groupe Mixe-Zoque. Les Zapotèques ont laissé des témoignages dans la vallée d’Oaxaca : inscriptions sur des monuments de pierre et peintures sur les parois de tombeaux. Ils possédaient un calendrier séculier de 18 lunes de 20 jours et un autre rituel de 260 jours. En dehors des signes de jours, on relève des glyphes de toponymes et des listes généalogiques. La plus ancienne inscription date de –700/ –500 avant J.C. Le célèbre site de Monte Albán renferme de nombreuses représentations humaines, dont les fameux Danzantes, en fait des captifs immolés. Il ne s’agit plus d’ébauches graphiques lorsque l’on aborde les deux grands domaines que constituent les Mayas d’une part, et l’ensemble Mixtèque-Aztèque d’autre part. Avant l’arrivée des Espagnols, les Mixtèques occupaient la vallée de Oaxaca et ils prirent le pouvoir sur les Zapotèques voisins. Ils ont laissé des sculptures, des peintures murales, des céramiques et des codex dont il sera question plus loin.

Les Aztèques Les Aztèques sont les derniers venus dans le Mexique central, mais depuis plusieurs siècles ils étaient installés plus au nord. Ce n’est qu’en 1325 qu’ils établirent leur capitale à Tenochtitlán-México. Christian Duverger fait remonter la “nahuatlité”, sorte de substrat de la Mésoamérique, beaucoup plus loin dans le passé.

En ce qui concerne les Codex, il est légitime d’étudier conjointement les productions mixtèques et aztèques qui possèdent les mêmes grandes caractéristiques, au point que parfois l’attribution d’un manuscrit à l’un ou l’autre des groupes est indécise, comme c’est le cas pour le groupe dit Borgia. Seule une dizaine de textes sont préhispaniques, et quelques centaines datent de l’époque coloniale. Parmi ces derniers, plusieurs ont été rédigés par des scribes indigènes qui reflètent la tradition, même si des annotations, précieuses pour leur compréhension, apparaissent en espagnol ou dans les langues otomi ou nahuatl,

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On rappellera ici le célèbre Calendrier aztèque , bloc de basalte de 25 tonnes, de 3,60 cm de diamètre, qui date de 1479 et présente les symboles des 20 jours (1er cercle interne), des quatre points cardinaux, de divinités de la nature, d’attributs solaires, etc…(Fig. 3).

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(Fig. 3) Le célèbre calendrier aztèque.(Museo Nacional de Antropología, México).

selon les cas.

Pour la clarté de la présentation, on peut citer trois séries de Codex. I

Le groupe MIXTÈQUE proprement dit, dont les sujets traités sont à dominance historique et généalogique Le Codex BECKER (Vienne) dont une partie est du XI e siècle Le Codex COLOMBINO (Mexico) du XII e siècle Le Codex VINDOBONENSIS (Vienne)

puis

Le Codex NUTTALL (Londres)

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Le Codex SELDEN (Oxford)

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Le Codex EGERTON 2895 (qui comporte des gloses mixtèques) (Londres) La (Fig.4) montre le Codex Nuttall, colonial, dont on voit la richesse des personnages affublés de nombreux attributs. II

Le second groupe, dit BORGIA, est constitué de codex rédigés dans des régions où se côtoyaient Mixtèques, Toltèques, Chichimèques et Aztèques parmi lesquels nous citerons, comme documents préhispaniques : Le Codex BORGIA, proprement dit, (fin du XV e) (Vatican)

(Fig. 4) Le Codex Nuttall. (Akademische Druck-u. Verlagsanstalt, Graz, Autriche).

Le Codex LAUD (Oxford) Le Codex FEJÉRVÁRY-MEYER (Liverpool) puis

Le Codex VATICANUS B (Vatican) Le Codex COSPI (Bologne), etc.

dont les sujets sont surtout religieux, divinatoires, calendaires. III

Le groupe AZTÈQUE enfin qui traite de mythes, d’histoire, d’économie, de vie administrative et qui comprend en particulier : Le Codex VATICANUS A (Vatican) Le Codex BORBONICUS (Paris) Le Codex MAGLIABECCHIANO (Florence), c.1553 Le Codex TUDELA (Madrid) Le Codex VERGARA (Paris)

La MATRÍCULA de TRIBUTOS (Mexico) (impôts des provinces et des villes), et des dizaines d’autres des XVI e et XVII e siècles, précieux pour les commentaires qu’ils renferment. Choisissons une même thématique, la suite des jours du 8e au 11e, à travers les Codex Borbonicus et de Tudela.

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Le Codex MENDOZA (Oxford)

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(Fig. 5) Le Codex Borbonicus. (Akademische Druck-u. Verlagsanstalt, Graz, Autriche).

Sur le Codex Borbonicus (Fig. 5) on lit : octavo dia

noveno dia

decimo dia

undecimo dia

lagartixa (lézard)

culebra (serpent)

muerte (la mort)

venado (cerf)

muertes miquiztli

venados matzatl

Sur le codex Tudela : lagartos acuetzpalin

culebras cohuatl

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Si l’on parcourt d’autres codex, on constate la permanence des traits essentiels et la spécificité de chacun d’eux à l’intérieur d’un modèle prototypique.

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Tous ces Codex ont en commun de transmettre des informations à travers des personnages porteurs d’attributs symboliques -(que l’on pense à l’iconographie chrétienne)- et de glyphes iconiques pouvant souvent être lus dans des langues différentes, le mixtèque et le nahuatl (langue des Aztèques) en particulier. Les personnages, divins ou humains, sont représentés en entier ou en partie. Cette technique de la métagraphie est bien connue dans d’autres systèmes d’écriture, et cela s’applique également aux animaux. Le jaguar (ocelotl) peut être représenté par l’animal en entier, par sa tête ou seulement par trois taches le caractérisant.

Pour Joaquín Galarza, les figures de personnages doivent être analysées dans tous leurs éléments composants, en liaison avec la langue nahuatl. On relève des glyphes relatifs à des éléments de la nature (lac, montagne, animaux), à des édifices, à des éléments de comptes (mesure, tributs de toute nature) et surtout de nombreux anthroponymes et toponymes. La langue nahuatl utilise abondamment le procédé de la composition, comme dans ces noms de volcans bien connus : Popoca – tepetl Iztac – cihuatl

: la montagne fumante : la femme blanche (enneigée)

ou ce nom de site : Xochicalco :

xochi fleur cal - maison : -co LOCATIF "le lieu de la maison aux fleurs"

À partir des glyphes associés aux lexèmes suivants du nahuatl : coa serpent

tlan

dent

tepe montagne

apan

bassin d’eau

tecpa couteau de silex

cal

maison

on obtient par exemple (Fig. 6) : Tecpatepec

( trois couteaux de silex au sommet de la montagne )

Coatepec

la montagne aux serpents

Coaapan

(un serpent émergeant de l’eau)

Coacalco

le lieu de la maison aux serpents

Coatlan

avec ici le glyphe de la dent tlan, qui sert de syllabogramme locatif (procédé des rébus)

Il existe également des liens qui notent des parcours entre les constituants de l’ensemble iconographique : ce sont des lignes, des pointillés, des traces de pas, des couleurs, etc. C’est donc l’ensemble "figures + glyphe + liens" qui constitue chaque unité significative que nous proposons d’appeler iconogramme. Parmi les caractéristiques que l’on retrouve dans ces systèmes d’écriture, notons :

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Naturellement, ce qui a été motivé par la composition peut se démotiver progressivement, ce qui est le cas pour les Mexicains ignorant le nahuatl.

des polygraphies l’élément "jade", chalchihuitl, peut se présenter sous plusieurs formes.

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(Fig. 6) Glyphes toponymiques. (Ifrance.com/nahuatl).

des polyphonies un élément peut être lu différemment selon son contexte : atl "eau" sera lu -hua ou i des transferts de catégories un logogramme peut servir de marque grammaticale en raison de son affinité phonique avec cette marque : pantli "bannière" vaut pour -pan, suffixe locatif tlantli "dent" vaut pour -tlan, suffixe locatif, (vu ci-avant) des déterminatifs phonétiques indiquent une orientation de la prononciation : chilli "piment" représenté seul se lit chil, mais accompagné d’une “marmite” comitl retenu pour phonétiser la syllabe /co/, l’ensemble se lit alors cococ “piquant”, ou encore une figure de petit animal quadrupède, accompagnée de cette même marmite valant pour /co/, oriente le lecteur vers la belette qui se dit cozan. Tous ces exemples nahuatl sont tirés des nombreuses études publiées par Marc Thouvenot. Signalons enfin qu’à l’époque coloniale se sont développées des bandes dessinées illustrant des prières et catéchismes en otomi ou en nahuatl, avec légende en espagnol. L’iconographie est européenne mais on y retrouve des figures aztèques. On les appellent "Codex Testerianos", du nom d’un ancien chambellan de François Ier, Testera, de Bayonne. Ce sont dans les deux cas des mnémotextes.

Les Mayas Les scientifiques sont d’accord pour voir dans l’écriture glyphique maya un système complet d’expression.

On trouve, par exemple, des pendants d’oreilles, au Belice au début de l’ère chrétienne ou des peintures murales à Bartolo (Guatemala) découvertes en 2001 (datées de –300 à +100) qui montrent une continuité culturelle en Mésoamérique. Il faut bien voir que la recherche est constamment tributaire de nouvelles découvertes. Pour la première fois, une crypte avec sarcophage a été trouvée à Palenque (Chiapas) en 1952 et les peintures murales de Bonampak n’ont été dégagées qu’en 1946 et on sait qu’elles offrent un magnifique témoignage de la vie des Mayas au VIIIe siècle. Les textes mayas s’étalent du IVe siècle av.JC jusqu’au XVIIe si l’on admet le caractère récent du Codex de Madrid.

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Bien avant la période classique, qui va de 300 à 900, des glyphes plus ou moins formés sont attestés, depuis les Olmèques déjà cités.

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La plupart des 10.000 attestations d’écriture relèvent de la période classique, c’est-à- dire entre 300 et 900, sur la céramique et sur les monuments en pierre (stèles et linteaux), et en outre sur les trois Codex conservés, sur des peintures murales, des coquilles d’animaux, des os, de la jadéite, de l’obsidienne, etc… D’une façon générale, les inscriptions sont de nature historique sur les monuments, de caractère religieux et prophétiques dans les Codex, et elles se réfèrent au propriétaire de l’objet, avec parfois des commentaires, lorsqu’il s’agit de céramique. De nombreux Codex ont été détruits au moment de la Conquête espagnole, mais trois ont survécu (le codex dit "Grolier" pose un problème d’authenticité) : Le Codex DRESDENSIS, du XIVe siècle, contenant almanachs et prophéties, 78 pages pliées sur une longueur de 3 m.56. Se reporter à un extrait ainsi commenté par Michael Coe (Fig. 7) : À gauche : "total des jours dans le cycle de Vénus" À droite, dans le grand carré : "l’étoile du matin sous l’aspect d’un homme brandissant une double lance"

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Le Codex PERESIANUS (Paris), renfermant des prédictions, 22 pages.

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(Fig. 7) Le codex Dresdensis. (Akademische Druck-u. Verlagsanstalt, Graz, Autriche).

Le Codex TRO-CORTESIANUS (Madrid), 112 pages, probablement yucatec, de contenu religieux et divinatoire, et vraisemblablement d’époque coloniale. On pense que ces textes ne pouvaient être lus que par une élite de scribes et de prêtres, et cette lecture devait présenter un caractère fortement aléatoire. Il existe une trentaine de dialectes mayas, mais deux branches semblent les plus utilisées : le chol (actuellement le chorti), et le yucatec (parfois le chontal et le tzeltal). Ceci est important pour les lectures, car on est confronté à des variantes lexicales ou phonétiques, et aussi syntaxiques. Les glyphes mayas sont d’une grande régularité formelle et ils s’inscrivent dans un rectangle. Il faut également les lire par 2 horizontalement, puis de haut en bas (sauf pour les textes courts comme ceux des vases). Le nombre de signes constituant les glyphes différents est de l’ordre d’un millier, mais à mesure que l’on découvre de nouveaux sites, il augmente sensiblement. Reportons-nous aux quatre reproductions du haut de la (Fig. 8). De gauche à droite : le ciel chan, avec en-dessous un déterminant phonétique /na/ qui reprend la dernière consonne du logogramme le roi ou seigneur ahau, (glyphe à grand polymorphisme) une maison, semblable au glyphe aztèque ou au hiéroglyphe égyptien le glyphe-emblème de la cité de Palenque. Regardons d’autres glyphes-emblèmes (suite de la Fig. 8). On remarque que les parties gauche et supérieure de chaque glyphe sont identiques. À gauche, c’est le glyphe k’uhul

qui signifie "divin","sacré"

et au-dessus, c’est une variante du glyphe du "seigneur", ahau, sous une forme très différente de celle vue auparavant.

Cette documentation est tirée principalement de l’Introduction to Maya Hieroglyphs, publiée par l’Association des Mayistes Européens, réunis au British Museum de Londres en 2002, et qui m’a aimablement été signalée par JeanMichel Hoppan. Les premiers chercheurs ont donné crédit à ce qu’on appelait “l’alphabet” que l’évêque du Yucatán, Diego de Landa, avait relevé vers 1566. On s’est aperçu qu’il s’agissait de réponses à des questions posées en espagnol, donnant des approximations et parfois de bonnes transcriptions syllabiques (mais, naturellement pas "alphabétiques"). Par contre, les noms des jours et des mois étaient beaucoup mieux transcrits.

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Cet ensemble fonctionne comme déterminant sémantique des emblèmes des villes.

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(Fig. 8) Glyphes simples et glyphes emblèmes. WAYEB (H.J. Kettunen, Ch.G.B. Helmke, Introduction to Maya Hieroglyphs, (London, 2002), 105.

Des chercheurs ont voulu voir dans cette écriture des procédés uniquement logographiques (1 signe = 1 mot de la langue), alors que d’autres se sont orientés vers une recherche de syllabismes. On en est arrivé à un compromis qui rejoint les principes de systèmes d’autres écritures développées, telle l’écriture égyptienne hiéroglyphique qui présente les mêmes grandes catégories de signes. Donnons-en quelques exemples. Les logogrammes sont des glyphes qui représentent des mots mayas. En sont des exemples de nature pictographique (Fig. 9) : balam "jaguar" sous une des formes réduites par métagraphie, déjà présentée plus haut kay

"poisson", également reconnaissable

Par ailleurs, voici deux exemples de nature idéographique : tzutz "finir", "compléter" k’am "prendre" De même, les nombres sont de nature idéographique : 13 (3+5+5) dans un système vigésimal abondamment étudié depuis longtemps. On remarquera la souplesse des solutions graphiques (suite de la Fig. 9). La montagne, witz (représentation dite "céphalomorphe") peut être graphiée avec un déterminant phonétique qui appuie la prononciation : wi-witz ou bien être signifiée au moyen des seuls syllabogrammes : wi + tz(i) étant entendu qu’on ne tient pas compte de la voyelle du second élément. Des déterminants phonétiques, à des fins de précision, reprennent la consonne finale du logogramme : /ni/ représentant "une queue de mammifère" se trouve combiné avec

-

lak-k’in

"soleil" "ouest"

/na/ sous une de ses variantes, est combiné avec : xaman "nord" yatan

"compagne"

On observe en maya, comme dans toutes les langues, des phénomènes de polyvalence.

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k’in

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(Fig. 9) Des glyphes pictographique s et idéographiques. WAYEB (H.J. Kettunen, Ch.G.B. Helmke, Maya Hieroglyphs, (London, 2002), 105.

Introduction to

Bernard POTTIER (Fig. 10) La polyvalence. WAYEB (H.J. Kettunen, Ch.G.B. Helmke, 2002), 105.

Introduction to Maya Hieroglyphs, (London,

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La polyvalence (Fig. 10) : La syllabe /ma/, sous quatre formes Le chiffre 8, waxak, avec sa variante en forme de tête Le titre de "seigneur" ajau, aux multiples apparences, avec la possibilité d’un ajout de syllabogramme wa L’homophonie, montre trois mots de graphie et de sens différents prononcés identiquement : chan L’homographie peut être illustrée par le glyphe qui se réalise soit comme ix

"femme"

soit comme na

(syllabogramme)

La polysémie est le cas de yax, qui peut signifier "bleu-vert" ou "premier". La polyphonie est le cas des réalisations dialectales distinctes d’un même glyphe. On doit insister sur un dernier point concernant le maya. Les études actuelles développent la grammaire de la phrase et on est impressionné par la prise en compte des traits caractéristiques du maya, comme les deux séries de pronoms (ergatif et absolutif) ou les diathèses active, passive, antipassive et médiopassive. Chaque année, des progrès significatifs sont faits dans ce domaine grâce à une forte collaboration internationale. *** Si l’on fait à présent le bilan, on peut distinguer pour le continent américain quatre intentions d’informer, en laissant donc de côté les réalisations purement décoratives. Les pétroglyphes, grandement disséminés sur le continent, et qui présentent les mêmes caractéristiques que dans le reste du monde.

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Les motifs figuratifs andins rectangulaires, au nombre de quelques centaines, liés aux tissus, à la céramique, aux vases en bois, connotant probablement des clans, des régions, des titres.

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Une écriture figurative chez les Mixtèques et les Aztèques, composée de personnages, de glyphes et de liens, le tout formant des unités de communication ou iconogrammes. Certaines représentations sont assez générales pour être lues dans des langues différentes. D’autres sont des transcriptions du nahuatl à l’aide de logogrammes, de syllabogrammes et de déterminants surtout phonétiques. Une écriture glyphique, celle des Mayas (sur pierre, sur céramique, sur papier d’écorce) dont les premières tentatives remontent aux Olmèques, et qui possède tous les attributs du logosyllabisme et de la détermination phonétique et sémantique déjà attestée dans d’autres civilisations, comme celle de l’ancienne Egypte. Mais l’état du déchiffrement est encore modeste, malgré les dizaines de

chercheurs qui se consacrent à cette tâche tant en Amérique qu’en Europe. Là aussi, on peut parler d’iconogramme, ou tableau dans lequel se combinent des personnages ornés de leurs attributs, et des séries de glyphes commentant la scène. On ne peut que rappeler des parallélismes frappants, en particulier entre la civilisation égyptienne et le monde maya, à plusieurs siècles de distance, et sans influences raisonnablement envisageables : des pyramides (dont certaines avec tombeaux), de grandes stèles, des glyphes participant à une écriture logosyllabique. Terminons par la reproduction d’un état restauré du Temple des Peintures, salle1, de Bonampak (Chiapas, Mexique), datant de la fin du VIII e siècle, représentant des actes rituels commentés par une frise glyphique (Fig.11).

(Fig. 11) Salle 1 de Bonampak, Temple des Peintures. "rosw-hulman.edu (Florida State Museum, Gaiesville)".

* Je tiens à remercier vivement mes collègues Marc Thouvenot et Jean Michel Hoppan (CNRS, équipe CELIA) pour leur aide précieuse concernant les domaines aztèque et maya respectivement.

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Les entreprises humaines se situent toujours entre la spécificité et l’universalité.

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