Les racines judaïques de l`antisémitisme

February 17, 2018 | Author: Anonymous | Category: Arts et Lettres, Sciences des religions, Judaism
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ANDRÉ GAILLARD

LES RACINES JUDAÏQUES DE L’ANTISÉMITISME

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Je tiens ici à rendre un hommage particulier aux auteurs juifs qui ont pressenti que la cause permanente de ce que l'on nomme depuis longtemps la "question juive" se trouvait à l'intérieur même de leur propre culture.

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SOMMAIRE AVERTISSEMENT…………………………………………………………………………………………

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PRÉFACE…………………………………………………………………………………………………...

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PROPOS PRÉLIMINAIRES

La race, les races et la pensée raciale… ou Qu’est-ce qu’une "race" ?…………… 12 . la race : une notion de différence irréversible ; la race : substratum de tout racisme . races "naturelles" et races "culturelles" ; races très différenciées et races peu différenciées . la race : une donnée empirique, relative et évolutive . la race : une donnée incontournable mais qui n’est pas anodine Le racisme ……………………………………………………………………………….. 18 . ses différentes formes (naturelle, culturelle, réactionnelle) et leur devenir . les victimes du racisme et les deux formes de violences L’identité juive ……………………………………………….………………………… 23 . les deux dimensions de l’homme juif : une dimension religieuse, accessoire et facultative ; une dimension raciale, nécessaire (sauf exception) et suffisante . les Juifs : un peuple-race ; le judaïsme : une culture à composante raciale Antijudaïsme et Antisémitisme…………………………………………………………….…….. 27 Les différents antisémitismes : réactionnels et idéologiques, latents et caractérisés….. 29 et leurs deux sortes de causes : une cause structurelle, des causes conjoncturelles…… 30 1ère Partie LES FONDEMENTS BIBLIQUES DE LA PENSÉE RACIALE ET DU RACISME CULTUREL LA DIVISION DE L’HUMANITÉ EN JUIFS ET NON-JUIFS ET L’INVENTION DE LA RACE JUIVE CHAPITRE I – LES ORIGINES BIBLIQUES DE LA PENSÉE RACIALE ET DU RACISME 32 CULTUREL ………………………………………………………………………………………………..

Le mythe de la Création des hommes et les prémisses de la pensée raciale Le mythe de l'Alliance et de l’Élection divines La loi rabbinique de transmission héréditaire de la judéité Les textes sacrés explicitant l’altérité/inégalité radicale Juifs/non-Juifs Les mystiques bibliques du pur et de l’impur, de la race et du sang ; l’impureté de nature des Gentils et les premières lois de pureté raciale La mystique de la violence inhérente au judaïsme En résumé - La division de l’humanité en Juifs et non-Juifs ; l’essentialisation de l’homme juif et l’invention de la race juive. 50 L’hygiène raciale, l’eugénisme et le surhomme juif L’anthropologie raciale dans le monde scientifique L’anthropologie raciale dans le monde des lettres l’altérité Juifs/non-Juifs la conscience de race dans la judaïcité les mystiques conjointes de la race et du sang, du pur et de l’impur la prohibition des mariages mixtes l’essentialisation-racialisation de l’homme juif En résumé - La composante raciale de la judéité : élément essentiel de l’identité juive et substratum des racismes juif et antijuif

CHAPITRE II – LA RACIALISATION DES JUIFS DANS LE MONDE JUIF CONTEMPORAIN..

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2ème Partie LES ANTISÉMITISMES ET LEUR CAUSE COMMUNE STRUCTURELLEMENT LIÉE AU JUDAÏSME : LA COMPOSANTE RACIALE DE L’IDENTITÉ JUIVE INTRODUCTION

à cette seconde partie…………………………………………………..

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73 Les défenseurs des Juifs persécutés, témoins par excellence et de l’identité raciale des Juifs que la culture judaïque a instituée et répand autour d’elle et de la banalité du phénomène antisémite : . Abbé Grégoire, E. Zola, A. Leroy-Beaulieu, J. Jaurès, R. Rolland, P. Claudel, A. Gide, C. Péguy, G. Bernanos … . Jacques Maritain . Jean-Paul Sartre

CHAPITRE III – LES ANTISÉMITISMES LATENTS……………………………………………….

CHAPITRE IV – LES ANTISÉMITISMES CARACTÉRISÉS DE DIVERSES SOCIÉTÉS………

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L’antisémitisme réactionnel : . de la société perse d’avant l’ère chrétienne . de la société gréco-romaine antique . des sociétés musulmanes depuis le milieu du XXe siècle L’antisémitisme idéologique et réactionnel : . de la société chrétienne espagnole des XVe/XVIe siècles . du monde national-socialiste CHAPITRE V – L’ANTISÉMITISME DANS LE MONDE JUIF ………………………………….

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Le racisme envers sa propre personne : "la haine de soi juive" L’antisémitisme chez les Juifs : une donnée spécifique Conclusion : Les Juifs victimes premières du judaïsme-culture, victimes secondes des hommes 3ème Partie LES INSTITUTIONS RACISANTES SPÉCIFIQUES DU JUDAÏSME : FACTEURS MAJEURS D’ANTISÉMITISME RÉACTIONNEL INTRODUCTION

à cette troisième partie……………………………………………….

CHAPITRE VI – LE GHETTO CULTUREL VOLONTAIRE INHÉRENT À LA SOCIÉTÉ JUIVE

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Le fondement du ghetto : la Séparation-ségrégation institutionnelle Juifs/non-Juifs La ghettoïsation dans le milieu scolaire Les violences d’ordre psychologique de la société ghettoïsée La domination par le langage La ghettoïsation spontanée : facteur structurel d’antisémitisme réactionnel CHAPITRE VII – L’APARTHEID INSTITUTIONNEL EN ISRAËL ET LES TERRITOIRES COLONISÉS …………………………………………………………………………………………… 126

Introduction Israël : un État structurellement ségrégationniste et violent L’arsenal juridique au service de la colonisation Les violences d’ordre sémantique, une machine à exclure toute culture arabe : . l’hébraïsation de la terre de Palestine . les métaphores zoomorphiques : témoins privilégiés du racisme . le langage au service de la colonisation

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. les violences verbales de l’internationale sioniste Israël : une société à majorité raciste La dramatique situation morale des non-Juifs israéliens ; le verrou sur la démocratie Le rôle du monde chrétien dans le développement de l’idéologie sioniste Le sionisme : idéologie maligne ; l’apartheid : facteur conjoncturel principal de l’antisémitisme réactionnel moderne 4ème Partie JUDAÏSME… ANTISÉMITISMES : UN DESTIN COMMUN CHAPITRE VIII – LA QUESTION JUIVE ET L’ANTI-ANTISÉMITISME …………………… La question juive au début du XXe siècle

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La question juive aujourd’hui La "lutte contre l’antisémitisme" et son inexorable échec Judaïsme et antisémitismes : un destin commun EN GUISE DE RÉSUMÉ, DE COMPLÉMENT ET DE CONCLUSION :

courtes séquences…

BIBLIOGRAPHIE…………………………………………………………………………

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Avertissement Dans cet essai, des Juifs, non pas en tant que personnes déterminées mais comme représentants de la culture juive, vont être mis en cause. Toute critique d’un système idéologique repose, certes, sur des idées, mais aussi sur des faits impliquant des personnes. C’est la loi du genre, difficile et délicate par nature. Elle l’est d’autant plus ici que nous savons à quelles violences ont pu conduire dans le passé les accusations portées à l’encontre des Juifs lorsque se déchaînaient propagande et persécutions. Mais, à l’heure actuelle, face au repli marqué d’une partie notable du monde juif sur lui même en un communautarisme exacerbé qui l’empêche d’analyser sereinement ses difficultés passées et présentes, il apparaît que le danger potentiel est considérablement moindre que celui qu’encourage l’absence de critique. Une autre difficulté, elle aussi inhérente au contexte moderne, est relative à l’information. Si le christianisme notamment donne lieu de nos jours à de multiples critiques, voire à de véritables pamphlets, sans que les chrétiens s’en offusquent vraiment et vouent les auteurs à la vindicte, on constate que nombre de représentants du judaïsme mettent volontiers en œuvre des tactiques d'intimidation à l’égard des opposants, qu’ils soient Juifs ou non-Juifs. Il s’ensuit que mes propos, soulignés par des gardiens vigilants, me feront peut-être accuser d'antijudaïsme, voire de racisme antijuif1, au prétexte que je dénonce des éléments propres au judaïsme… Face à ces contempteurs volontiers adeptes de quelque théorie du soupçon, deux questions se posent : Le judaïsme serait-il la seule entreprise humaine à ne pas véhiculer de tels éléments ? Les Juifs seraient-ils incapables de percevoir que la Bible et le Talmud, à l’instar de l’Évangile et du Coran transportent, sous le sceau du sacré qui entrave la raison, des données potentiellement pernicieuses ? C’est dire que je récuse à l’avance toute déformation de mes propos résultant d’une lecture partielle ou partisane : si cette étude représente un sévère réquisitoire, est-il utile de préciser que celui-ci s'applique exclusivement aux éléments pervers de la culture judaïque2 et non à des hommes dont le rôle d'acteurs est intimement conjugué ici à celui de victimes !

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1. Ces accusations d'antijudaïsme et d'antisémitisme lancées à tout va par des officines ne reculant devant aucun moyen ne sont pas sans rappeler l"'anti-philosophie" (ce courant du XVIIIe siècle dressé contre les Lumières, où s'illustrèrent particulièrement les Jésuites pour calomnier grossièrement des philosophes libres ne respectant pas les règles établies par l'Église) ou bien 1"'anti-communisme", idéologie d'intouchabilité développée, à l'époque précédant l'extinction du communisme soviétique, par les cadres du mouvement allergiques à toute critique. 2 . Si le judaïsme porte des tares natives spécifiques comme celles que nous allons expliciter, personne n’est plus convaincu que l’auteur de ses lignes que la pensée occidentale ne serait pas ce qu’elle est sans l’apport éminent du monde juif. Faut-il rappeler notamment son apport dans le domaine des sciences puisque nombre de lauréats juifs du Prix Nobel, même s’ils furent largement tributaires des cultures de voisinage, ont bénéficié pour une part notable d’une tradition d’étude et de débat particulièrement active ?

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PRÉFACE L’antisémitisme ! Alors que ce sujet suscite chaque année depuis la fin du XIXe siècle, et particulièrement depuis le nazisme, une multitude d’ouvrages, d’études et d’articles, peut-on encore, par quelque analyse théorique nouvelle, avoir l’espoir de comprendre ce phénomène, source de multiples conflits à la fois endémiques et paroxystiques ? À cette question la réponse reste toujours positive. Il apparaît en effet clairement, à l’examen de la littérature, que cette hostilité envers les Juifs en tant que peuple en "chair et en os", « hostilité que rien n'apaise, qui existe depuis qu'existent des Juifs, qui sévit chez tous les peuples en contact avec les Juifs »3, cet « antisémitisme éternel »4, suivant une pensée largement répandue dans la littérature juive orthodoxe, reste toujours, aux yeux de multiples auteurs, largement mystérieux dans son déterminisme intime. Des persécutions d’Assuérus et d’Aman rapportées dans le Livre d’Esther à ses multiples manifestations en ce XXIe siècle, en passant notamment par les persécutions des Romains, des chrétiens et des musulmans, les pogroms de Russie et de Pologne et le génocide nazi, quel est donc ce phénomène ? À côté de ses causes essentiellement conjoncturelles décrites par les historiens et les sociologues, n’y a-t-il pas une métaphysique5, un code ADN, un fond commun aux formes diverses de ce racisme spécifique ? N’y a-t-il pas en somme des racines judaïques aux antisémitismes ? Face à cette situation exceptionnelle il est clair tout d’abord que la compréhension du phénomène antisémite aux conditions de survenue si différentes et sur lequel les documents sont particulièrement abondants et de sources multiples, ne saurait résulter d’études purement historiques. Les travaux considérables consacrés au génocide juif ne semblent guère avoir entraîné eux-mêmes de progrès notable. C’est que, comme l’écrit avec justesse l’historien Maurice Goguel : « L’histoire a pour seule fonction de constater les faits et de chercher à découvrir les liaisons qu’il y a entre eux. Elle n’a pas compétence pour en donner une explication dernière »6. Il convient de constater par ailleurs, à propos de la question juive qui a fait couler tant d’encre, que le plus grand nombre des auteurs depuis la fin du XIXe siècle se répartissent schématiquement en deux groupes distincts, les uns dirigeant leur discours sur les faits et gestes jugés fautifs des non-Juifs, les autres sur ceux des Juifs. Il en résulte que les ouvrages publiés constituent souvent des compilations de données et d’arguments historiques, religieux, sociaux, économiques… qui déçoivent volontiers les lecteurs les plus intéressés. Certes, les travaux des historiens, destinés à établir un inventaire aussi exhaustif que possible des actes antisémites et à les restituer dans leur complexité, sont absolument nécessaires ; certes, les théories des divers philosophes et sociologues cherchant à réunir sous une même rubrique des faits disparates quant à leur cause, telle celle, particulièrement répandue, du bouc émissaire dans les périodes de crise7, apportent un éclairage non négligeable, mais les conclusions de ces auteurs, quelle que soit leur pertinence, sont manifestement insuffisantes. En ne s’appliquant qu’à des configurations contingentes de l’antisémitisme, fonction des temps, des lieux et des hommes (tels le contentieux religieux judaïsme/christianisme, l’existence de 3

. Edmond Fleg, dans son ouvrage Pourquoi je suis juif. . expression de Hannah Arendt dans Ecrits juifs, p. 26. Notons que cette hostilité immémoriale envers les Juifs a bien entendu été exploitée par les nazis pour justifier les persécutions qu’ils allaient entreprendre. 5 . Métaphysique est le nom donné à l’œuvre d’Aristote faisant suite à la physique. Par extension, c’est la connaissance des causes, divines, premières ou finales constituant l’essence des phénomènes (Encyclopédie Wikipedia). 6 . Jésus, Paris 1950, p. 147. 7 . Cette idée, selon laquelle "un groupe qui souffre éprouve le besoin d’imputer son mal à quelqu’un", fut particulièrement développée ou reprise par plusieurs auteurs tels que Durkheim, Freud, Braudel, Sartre, Girard, Chevalier (ce dernier dans sa thèse : Le Juif comme bouc émissaire). 4

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l’État juif de Palestine, la peur des Juifs, la jalousie…), elles ne permettent pas d’appréhender la racine profonde de ce phénomène pour le rendre intelligible. Remarquons aussi que les historiens de l’antisémitisme, Juifs pour la plupart, ne sont pas entièrement libres comme l’a bien vu Poliakov dans son Histoire de l’antisémitisme. Après avoir passé une partie notable de sa vie à l’étude du sujet il peut écrire : « Le code de déontologie que l'historien est tenu d'observer en s'obligeant à affecter une relation neutre et équitable envers toutes les parties concernées ne peut rien changer au fait qu'il est dans ce domaine juge et partie. En continuant sur cette voie, on ne peut pas ne pas se demander si les Juifs et leur nature n'ont pas quelque peu contribué au développement d'un climat antisémite et à quelques-unes de ses manifestations. À partir de là, il n'est pas exclu que l'historien se métamorphose en accusateur ou, au moins, en critique de son peuple ». Et il poursuit par ailleurs que : « Dénoncer les antisémites, est une attitude non scientifique »8. Il est manifeste qu’ici « les arbres ont caché la forêt »... Or, dans une telle entreprise il convient avant tout d’apporter une réponse à la grande question qui vaille : Quelle est la composante identitaire commune que le judaïsme-culture9 imprime aux Juifs et les différencient fondamentalement des non-Juifs ? Et, dans la circonstance, une seule attitude semble valable : comme les historiens l’ont fait tout naturellement à l’époque moderne pour le communisme et le nazisme sans s’indigner des erreurs ou des fautes morales des individus10, il s’agit d’analyser ce qui, dans la culture juive, constitue des éléments structurels potentiellement pervers et de rechercher l’origine, le cheminement et l’association des idées qui conduisent des hommes, beaucoup d’hommes de toutes les époques et de toutes les cultures, à être hostiles à l’ensemble des Juifs. Par delà les responsabilités individuelles qu’il convient donc résolument d’écarter, nous verrons ainsi que la clef du phénomène aux multiples facettes qu’est l’antisémitisme ne peut se situer que dans une vision métahistorique indépendante du temps et de l’espace et que cette clef, comme l’ont évoqué divers auteurs, est représentée par la structure même de l’identité juive forgée par le judaïsme pour les siens et transmise aux non-Juifs. Parmi les nombreux auteurs juifs convaincus que « l’antisémitisme est aussi ancien que le judaïsme »11 et que le malheur juif devait être imputé d’abord au système de pensée dont ils sont tributaires, c’est sans doute Bernard Lazare12 qui, à la fin du XIXe siècle, « se voulant révolutionnaire au sein de son propre peuple »13, a fait les premiers pas dans cette direction. Aux banales questions qu’il se pose : « Quelles vertus ou quels vices valurent au Juif cette universelle inimitié ?» , « Pourquoi fût-il tour à tour, et également, maltraité et haï par les Alexandrins et par les Romains, par les Persans et par les Arabes, par les Turcs et par les nations chrétiennes …, il apporte en effet la réponse suivante : « L'attachement d'Israël à sa loi fut une des causes premières de sa réprobation […] Si cette hostilité, cette répugnance 8

. Histoire de l’antisémitisme, préface au tome II, L’Âge de la science, Paris, Le Seuil 1991. . Remarquons que plusieurs sens peuvent bien entendu être attribués au mot judaïsme. Ici, en fonction du contexte, il peut désigner schématiquement le système de pensée, la culture, les autorités et institutions juives, les traditions et pratiques spécifiques… mais non des personnes. 10 . L’opinion de l’historien allemand Reinhart Koselleck à propos de l’anéantissement des Juifs européens et des Roms par les nazis (opinion rapportée par M. Olender, dans son ouvrage Race sans histoire, (p. 277 et 279) me semble tout à fait juste. Il écrit : « le jugement moral a beau être juste et nécessaire, il est impuissant : il ne contribue pas à la connaissance du passé mais conduit à une situation aporétique ». 11 . Théodore Reinach dans la Grande Encyclopédie. 12 . L’antisémitisme, son histoire et ses causes, p. 11. Remarquons que dès la première moitié du XIXe siècle des intellectuels juifs allemands dans le sillage des Lumières juives (la Haskala) préoccupés de l’hostilité rencontrée dans tant de pays par les Juifs travaillèrent pour une réforme des croyances, du culte, du mode de vie, de la structure sociale, de l'éducation et de la culture juives… mais leur perspective qui était de fonder une nouvelle identité juive n’avait guère donné de résultat : l’antisémitisme était toujours là. 13 . Expression de Ron H. Feldman, introduction à Ecrits juifs, p. 75. 9

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même, ne s’étaient exercées vis-à-vis des Juifs qu’en un temps et en un pays, il serait facile de démêler les causes restreintes de ces colères ; mais cette race a été, au contraire, en butte à la haine de tous les peuples au milieu desquels elle s’est établie. Il faut donc, puisque les ennemis des Juifs appartenaient aux races les plus diverses, qu’ils vivaient dans des contrées fort éloignées les unes des autres, qu’ils étaient régis par des lois différentes, gouvernés par des principes opposés, qu’ils n’avaient ni les mêmes mœurs, ni les mêmes coutumes, qu’ils étaient animés d’esprits dissemblables ne leur permettant pas de juger également de toutes choses, il faut donc que les causes de l’antisémitisme aient toujours résidé en Israël même et non chez ceux qui le combattirent ». Pour Maxime Rodinson prolongeant, dans son ouvrage Peuple juif ou problème juif, la réflexion de Bernard Lazare, c’est à « une culture néfaste, perverse » 14 que revient la responsabilité première dans le sort réservé aux Juifs. D’autres auteurs, tel E. M. Smalwood15, mettent avant tout en cause « l’exclusivisme des Juifs qui les a rendus impopulaires ». Pour l’historien de l’Antiquité Marcel Simon étudiant les réactions des milieux hellénistiques et romains face aux Juifs, « les facteurs dont naît l’antisémitisme et qui sont aussi vieux que le judaïsme lui-même tiennent à l’auto-ségrégation qui lui est inhérente et qui est la condition même de sa survie »16. Néanmoins ces discours sur la cause invariante des antisémitismes, en mettant en cause tantôt la Loi en tant que fondement de la culture juive, tantôt la responsabilité des Juifs en tant que personnes, restent encore très ambivalents… En définitive, c’est Avraham B. Yehoshua qui, dans son Essai de définition et d’explication structurelle de l’antisémitisme a franchi récemment le pas le plus notable en mettant précisément en cause l’identité juive. S’étant fixé « pour but de dégager le soubassement profond de l'antisémitisme en identifiant un critère non pas substantif, mais structurel », il écrit : « Si j'essayais d'exprimer le plus simplement possible mon raisonnement, voilà ce que je dirais : le fait que les Juifs possèdent un système identitaire virtuel confère à leur identité un caractère souple et fluide, incertain et insaisissable, qui met en branle, pour le meilleur et pour le pire, un mécanisme parallèle chez le Gentil »17. Certes l’auteur, en considérant que l’identité juive n’est que virtuelle et indéterminée, se trompe – cette identité loin d’être ambiguë est particulièrement concrète et différenciée pour qui jette un regard libre sur la culture judaïque – mais la direction initiale qu’il a empruntée n’en est pas moins parfaitement juste : « se pencher sur l’élément distinctif qui différencie les Juifs des autres nations » et « aller aux racines de l’identité juive »18. Quelle est donc précisément cette identité forgée par la culture juive depuis deux mille ans et porteuse d’un singulier potentiel de racisme antijuif ? Ici, comme souvent dans un phénomène réputé longtemps mystérieux, il n’y a pas à élaborer des choses complexes mais à reconnaître des choses simples, simples dans le sens où, banales et communes, elles sont objet de l’accoutumance des individus et, de ce fait, négligées pendant longtemps. De même que la racialisation d’un groupe humain – que cette racialisation soit inspirée par la nature ou par la culture – constitue la base de tout phénomène raciste, nous verrons que c’est la pensée raciale inhérente au judaïsme qui, en structurant 14

. Jean Daniel, La prison juive, p. 90. . Cité par Guillaume Erner, Expliquer l’antisémitisme, p. 29. 16 . Verus Israël. Etude sur les relations entre chrétiens et juifs dans l’Empire romain (135-425), p. 493. 17 . Israël, un examen moral, p. 48 et 29. 18 . Ibid., p. 37. Dans cette recherche sur les antisémitismes, indépendamment des auteurs isolés tels que ceux cités ici, signalons qu’un nombre notable d’organismes internationaux, européens, nationaux se sont consacrés à cette même tâche depuis le nazisme. Mais ils n’ont guère dépassé, semble-t-il, la conception juive traditionnelle selon laquelle la haine des Juifs est enracinée chez les goyim. Jusqu’ici leur recherche est restée manifestement stérile. 15

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l’identité juive et en la différenciant de façon exceptionnelle est au fondement du phénomène si particulier que représente l’antisémitisme. Car cette conception raciale de la judéité19 avec le culte de l’altérité qui l’accompagne obligatoirement, ne concerne pas seulement les Juifs. En se répandant obligatoirement hors de la sphère du judaïsme, elle va aussi influencer les non-Juifs et jouer un rôle primordial dans les rapports de ceux-ci avec les Juifs. Juifs et nonJuifs vont être ainsi soumis à un piège permanent, inédit et spécifique, les conditionnant, à être, à leur manière propre, tantôt racisés tantôt racisants, tantôt agressés tantôt agressants, tantôt dominés tantôt dominants et voués par là-même à un monologue réciproque, gage d’un conflit qui ne peut se résoudre. Car, contrairement à une opinion répandue mais gravement amputée d’une partie de la réalité, l’antisémitisme, pour être un problème d’importance, ne résume pas le phénomène de l’interaction pathologique entre le peuple juif et les autres. Il a son corollaire et ne saurait être étudié isolément. Comprendre ce phénomène intemporel qu’est l’antisémitisme20, cette « hostilité envers les personnes de race juive » suivant la définition donnée à la fois pas les Juifs et les non-Juifs il y a plus d’un siècle, c’est en définitive reconnaître, d’une part que le problème juif n’est pas fondamentalement un problème d’ordre religieux comme l’ont déjà fait remarquer divers auteurs21 au siècle dernier mais qu’il est essentiellement d’ordre racial, d’autre part que les réponses aux interrogations formulées précédemment résident bien dans une donnée même du judaïsme-culture.

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. La judéité se définit comme l’identité juive, c’est-à-dire la manière dont les Juifs vivent leur appartenance à la communauté juive. Quant à la judaïcité elle va se définir comme l’ensemble des Juifs, la population ou la communauté juive, l’entité juive. 20 . À noter que « comprendre », c’est toujours « essayer de comprendre »… S’il est relativement facile, comme veut en témoigner cet essai, de comprendre pourquoi le racisme est perpétuellement présent dans la sphère du judaïsme, il faut bien voir par contre que les manifestations extrêmes d’antisémitisme générées par le nazisme, dans leur horreur inédite, sont largement incompréhensibles. 21 . Citons notamment : André Gide, Georges Bernanos, Charles Péguy, Jacques Maritain, Jean-Paul Sartre…

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Il n’y a pas de racisme sans race, d’antisémitisme sans race juive… Mais qu’est-ce qu’une race ?

PROPOS PRÉLIMINAIRES

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LA RACE, LES RACES ET LA PENSÉE RACIALE OU QU’EST-CE QU’UNE RACE ? Remarquons tout d’abord que le terme de race emprunté au latin ratio est apparu au XVe siècle. Il désigne alors une famille, une souche, une lignée, une espèce... On trouve donc ce mot race dans la littérature écrite depuis cette période, mais aussi dans les traductions et les travaux divers relatifs au Moyen-Âge et à l’Antiquité grecque, romaine et juive. Le Dictionnaire français-latin de Robert Estienne (1539) fournit comme équivalent domus, familia, genus, sanguis. La première édition du Dictionnaire de l'Académie française en 1694 le définit ainsi : 1- Lignée, lignage, extraction, tous ceux qui viennent d'une même famille (Ex. : il est d'une race illustre, ancienne ; il est d'une race de gens de bien ; il est de la race royale ; les trois races des Rois de France ; c'est un homme qu'on soupçonne d'être de race juive) ; 2- On dit par injure et par mépris race maudite ; méchante race ; les usuriers sont une race maudite ; 3- Race se dit aussi des animaux domestiques, comme chiens, chevaux, bêtes á cornes : ce chien, ce cheval est de bonne race. Quant au Littré, en 1866, il évoque notamment la race germanique, la race caucasienne, la race juive… Si on reprend le dictionnaire de l’Académie quelques siècles plus tard, par exemple dans sa huitième édition de 1932-1935, la définition qui s’est affinée est celle-ci : Se dit d'un groupe d'individus qui se distinguent d'autres groupes par un ensemble de caractères biologiques et psychologiques dont on attribue la constance non pas à l'action du milieu, mais à l’hérédité (Ex. : la race caucasienne ; la race mongole ; la race juive ; une race pure ; une race métissée). On voit d’emblée que le concept de race, qu’il convient impérativement d’explorer au mieux puisqu’il est à la base de cette réalité concrète qu’est le racisme avec son potentiel pervers, transporte une notion essentielle : la perception d’une différence entre les groupes d’hommes. Cette différence qui les sépare est schématiquement de deux ordres : . soit d’ordre naturel lorsqu’elle relève de la filiation, . soit d’ordre culturel lorsqu’elle est le fruit d’un certain processus de différenciation d’ordre comportemental. Les races dans ce qu’elles comportent de "naturel" Dans son sens traditionnel et élémentaire, que l’on peut dire encore somatique ou biologique22, le concept de race s’applique à un ensemble d’individus présentant en commun un élément physique concernant l’aspect extérieur du corps : couleur de la peau, forme du crâne et du visage, taille, système pileux… On parle de race blanche, de race noire, de race jaune… À cet élément qui permet d’emblée de distinguer ces groupes – comme l’écrit Voltaire en 1756 dans son Essai sur les mœurs : « Il n'est permis qu'à un aveugle de douter que les Blancs, les Nègres, les Albinos, les Hottentots, les Lapons, les Chinois, soient des races entièrement différentes » – vient automatiquement s’associer dans l’esprit des humains depuis leur sortie de l’animalité, l’élément héréditaire, c’est-à-dire une référence à des

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. Le terme de biologie a été créé en 1802 par Lamarck.

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ancêtres communs où vont entrer les notions de naissance, d’engendrement, de reproduction, de sang, de lignée ou, à l’époque moderne, d’hérédité ou de patrimoine génétique23. Les races dans ce qu’elles comportent de "culturel" Ces races, que l’on a pu aussi qualifier d’artificielles, de métaphysiques, de mentales24…, sont le fruit d’un processus idéologique et volontariste de différenciation de la part d’un groupe, processus qui vient s’ajouter à l’assise biologique. À propos des Juifs à qui est appliquée avant tout cette expression, Bernanos25 parlait d’ « espèce sociale », Jacques Maritain26 de « race éthico-historique » au sens où le mot "race" évoque particulièrement les structures mentales et morales du groupe en question. Toujours inspiré et orienté par les mythes et imaginaires ancestraux, ce processus de création-élaboration porte essentiellement sur le comportement régissant les groupes humains et électivement sur celui qui touche au plus intime : les relations sexuelles. C’est ainsi que l’interdit de ces relations intercommunautaires va désigner, au plus fruste des hommes, l’existence d’une catégorie d’hommes différente, différente de la sienne, d’une race au sens à la fois le plus simple et le plus achevé du terme. Remarquons ici que, s’il convient de faire cette distinction entre les deux types de races dans une perspective d’analyse et de compréhension du problème étudié, il est évident qu’il n’existe chez les humains, où nature et culture sont indissociables, que des races mixtes. Notons aussi que le terme de race est parfois appliqué à une catégorie de personnes qui ont simplement en commun des traits relatifs à la nationalité, à l’âge, à la classe sociale, à la religion, à l’histoire, à la langue, à la profession, aux traditions, à l’intérêt… hors de tout contexte biologique ou culturel. C’est ainsi, par exemple, que l’on a pu parler de la race française ou germanique, de la race des jeunes ou des vieux, de la race des patrons, de la race des surdoués, de la race des voleurs, de la race des usuriers, voire de la race chrétienne, latine ou islamique… en considérant que toutes les personnes de chacune de ces catégories possédaient – comme lors d’un processus héréditaire – quelque caractère commun facilement repérable et reconnaissable. On voit d’emblée que le terme de race – est ici employé au sens figuré et qu’il en est de même du terme racisme s’il est employé pour qualifier une hostilité quelconque à l’égard des groupes désignés. La race dans son sens propre : une donnée empirique, relative et évolutive Donnée capitale : le concept de race qui n’est qu’une donnée empirique et ne désigne pas une entité immuable ne peut pas être défini de façon précise. D’une part il est relatif : il y a des degrés dans les différences d’ordre naturel ou culturel ; d’autre part il est évolutif comme l’ont été au cours de l’histoire nombre de concepts tels, par exemple, ceux de "peuple", de "nation", de "pays"… Aux extrêmes, il y a en effet des races qui restent pratiquement stables car elles élèvent autour d’elles des obstacles infranchissables au métissage sous forme d’interdits communautaires (on parle de "races très différenciées"), et puis des races qui, au 23

. Le terme hérédité n’est apparu en effet qu’au début du XIXe siècle tandis que l’adjective héréditaire l’avait précédé de quelque deux siècles. Quant au terme de génétique il fut créé en 1846. 24 . C’était l’opinion tout à fait pertinente de Hitler à propos des Juifs : « Nous parlons de race juive par commodité de langage, car il n’y a pas à proprement parler, du point de vue de la génétique, de race juive […] La race juive est avant tout une race mentale » (citation rapportée par P.-A. Taguieff, La Force du préjugé, p. 168). On peut noter dès maintenant que la race aryenne, fruit de la création volontariste des biologistes allemands du XIXe siècle, dont se réclamait Hitler, représentait essentiellement une race culturelle. La race juive, quant à elle, tient largement, et de la race naturelle fondée sur la stricte hérédité et de la race culturelle. 25 . Essais et écrits de combat II, Gallimard, p. 221. 26 . « Les Juifs sont une race au sens où le mot “race” se caractérise avant tout par une communauté de structures mentales et morales, d’expérience ancestrale, de souvenirs et de désirs, où la charge héréditaire, la qualité du sang, le type somatique jouent un rôle plus ou moins important ». (L’Impossible antisémitisme, p. 72).

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contraire, sont tout à fait accessibles aux étrangers en pratiquant l’accouplement intercommunautaire et qui, avec le temps, s’évanouissent progressivement dans les esprits (on parle alors de "races peu différenciées"). À propos des premières qui n’évoluent pas et dont la règle d’or est : « Ne pas s’assimiler, ne pas assimiler », on peut dire qu’elles vont être particulièrement conditionnées au racisme en même temps que cible de racisme. D’elles, Bernanos écrivait en 1942 « ce qui leur importe est de se garder intactes, incorruptibles, et le sentiment qui les exalte ne peut être que celui d’une supériorité absolue, d’une sorte d’élection mystique, indiscutable, incontrôlable, puisqu’elle leur a été conférée par le sang ; cette supériorité est celle du sang »27. On peut ajouter que cette forme particulièrement différenciée de race, loin de se donner comme mission essentielle d’apporter "quelque chose" à des individus comme le font nombre de communautés notamment religieuses, n’a que celle de persévérer dans l’être : se garder pure, engendrer le maximum d’enfants, vouer un culte à la mémoire du groupe, enseigner et faire respecter ses propres lois, promouvoir la solidarité entre ses membres, car elle est à elle-même sa propre fin. Par delà les divers éléments accessoires rentrant dans la notion de race, on peut dire en définitive que cette notion s’applique à une entité collective dont l’homogénéité repose : . soit sur des caractères biologiques liés à l’ascendance (plus précisément le sang reçu) ; . soit sur des données culturelles à savoir : d’une part, le sentiment d’une origine, d’une histoire et d’une destinée communes entraînant généralement une solidarité particulière, d’autre part, l’endogamie ; . soit à la fois sur des caractères biologiques et sur des données culturelles. Au nom de la société blanche il y aura la race des Blancs et celle des non-Blancs ; au nom des lois du nazisme, la race des Aryens et celle des non-Aryens ; au nom des lois du judaïsme, la race des Juifs et celle des non-Juifs. La race : un concept et un mot incontournables mais non anodins À noter que depuis le nazisme ce mot de race a tendance à être moins utilisé voire à être banni dans certains secteurs de l’opinion. Il s’agit là d’une réaction qui, tout en reposant sur la volonté a priori sympathique de prévenir les manifestations racistes, n’en est pas moins une attitude irréaliste absolument dérisoire relevant de la pensée magique. Qui peut croire que la suppression du mot puisse réduire le phénomène en question ? Si le racisme repose toujours sur une notion de race, s’il n’y a pas de racisme sans race selon un aphorisme digne de Monsieur de La Palice, s’il n’y a pas de racisme anti-Noirs sans race noire, d’antisémitisme sans race juive, il est non moins clair, en effet, qu’espérer la disparition du phénomène regrettable qu’est le racisme, en bannissant de la parole ou de l’écrit le terme de race, en faisant comme si les races n’existaient pas, relève d’une grande naïveté ou d’une utopie caractérisée. Comme s’il était abusif de parler d’alcool parce qu’il y de l’alcoolisme, de tabac parce qu’il y a du tabagisme, de nationalité parce qu’il y a du nationalisme, de virus parce qu’il y a des maladies… ! Plutôt que d’occulter les races, il sera toujours préférable de regarder cette réalité humaine en face – « réalité difficile à définir mais impossible à nier ; non un fait de la science, mais un fait de la vie »28 – réalité incontournable à laquelle les hommes sont confrontés chaque jour. Dans son rapport de 1951, intitulé Le racisme devant la science, l’UNESCO a tenu à préciser à ce sujet que « les anthropologues sont tous d’accord pour considérer que la notion de race permet de classer les différents groupes humains dans un cadre zoologique propre à faciliter l’étude des phénomènes d’évolution ». Quant à l’historien des sciences André Pichot il peut écrire que : « Nier l’existence des races 27 28

. Essais et écrits de combat II, Gallimard, p. 221. . Abel Bonnard dans Berlin, Hitler et moi – Inédits politiques, p. 111 et 121.

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ou remplacer le terme de race pas un synonyme en espérant un quelconque résultat en matière de racisme relève de la niaiserie ou de la mauvaise foi »29. Voisin de ce terme de race est en effet souvent utilisé maintenant celui d’ethnie (du grec ethnos) pour désigner aussi « un groupe humain dont les membres possèdent également un héritage biologique et culturel commun ». Dans le langage courant on peut noter qu’il y a souvent unicité de sens entre les deux termes. Ainsi en est-il notamment pour le Comité des Nations Unies sur l’Élimination de la Discrimination Raciale qui utilise les expressions groupe racial ou groupe ethnique de manière interchangeable. Ailleurs, ils sont rapprochés ou intimement liés : origines ethno-raciales. En fait ce mot d’ethnie, mobilisé particulièrement en guise de succédané de la race, de compromis entre la race et le peuple par divers historiens depuis le nazisme car apparaissant plus respectable que celui de race30, ne saurait remplacer ce dernier mot qui reste pourvu d’une valeur essentielle puisqu’à la base même de la pensée raciale, du racisme en général et de l’antisémitisme en particulier. Si on veut être fidèle à une donnée historique, on peut même ajouter que les deux mots sont en opposition sur un point important. L’ethnos grec, dont est issue l’ethnie, est une communauté ouverte sur l’extérieur et largement accueillante à l’exogamie. La race au contraire, dans sa forme culturelle la plus différenciée où l’endogamie est institutionnelle, est fermée. Centrée sur elle-même, elle est à elle-même son origine et sa fin. Si la notion de race, substratum de la pensée raciale et du racisme, est incontournable il faut bien considérer en même temps qu’elle n’est pas anodine : racialisant une population, elle peut être assimilée à un virus polluant l’esprit des humains à la manière d’un virus informatique pour le cerveau des ordinateurs. Hérité de la nature et transmis par la vie en société (ne suffit-il pas de sortir dans la rue pour être contaminé par la vue de quelque "différence"?) ou porté par quelque idéologie d’ordre religieux, philosophique ou politique, ce virus dont sont porteurs tous les individus sans exception est responsable sur le terrain de deux scénarios. Tantôt il reste latent : il y a des porteurs sains ; tantôt il est actif : il y a des porteurs malades et éminemment contagieux. Et cet élément est potentiellement mortifère. Remarquons qu’au cours des XIXe et XXe siècles divers biologistes européens, tel que Le Bon avec ses études sur « le volume du cerveau et ses relations avec l’intelligence », ont eu comme perspective de diviser l’humanité en groupes homogènes et de donner au terme de race une assise scientifique. De leurs conclusions qui établissaient une hiérarchie entre les races avec des races héréditairement supérieures destinées à dominer les races inférieures, à les commander, voire à les éliminer pour le bien général de l’humanité, conclusions qui furent admises et acceptées par nombre d’intellectuels, il résultait notamment que les croisements entre races devaient être combattus et que les inégalités naturelles héréditaires justifiaient des inégalités de droit. Après les conséquences désastreuses que ces données ont eues au XXe siècle on a considéré généralement ensuite que les différences entre les individus n’étaient que les variations multiples d’une même appartenance, les diversités d’une même espèce, l’Homo Sapiens. En fait, l’humanité ne serait point homogène ! Aujourd’hui un scientifique peut en effet écrire : « la paléogénétique qui depuis quelque dix ans clarifie à grande vitesse l’histoire de l’humanité est en train de faire voler en éclats cette conception d’une humanité unique :

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. La société pure – De Darwin à Hitler, p. 13. . Tel Alfred Naquet dans Antisémitisme et histoire. Il parle de ses « origines ethniques » mais admet néanmoins « qu’il y a la classe riche et la classe prolétarienne de la race juive » ! Quant à Schlomo Sand il considère que « de très nombreux auteurs se sont servis et se servent encore de ce concept avec une excessive facilité, et souvent avec une irréversibilité intellectuelle surprenante » (Comment le peuple juif fut inventé, p. 46).

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l’espèce humaine s’est en effet séparée il y a 75 000 ans en différents groupes qui ont chacun connu des variations génétiques d’où dépendent nos capacités intellectuelles »31. Disons que la notion de race telle qu’il convient de l’entendre n’avait nul besoin de cet apport scientifique pour assurer sa légitimité et nous faire comprendre la nécessité de l’expliciter au mieux puisqu’elle représente le substratum de l’antisémitisme mais il est clair que l’apport en question appelle une nouvelle réflexion et vigilance pour prévenir les dérives du passé. De la naissance de la pensée raciale dans l’histoire Alors que le mot race a été créé au XVe siècle et que ceux d’antisémitisme, de racial, de raciste et de racisme ne l’ont été que dans la seconde moitié du XIXe siècle ou au tout début du XXe, on constate que ces différents mots sont très largement utilisés par les traducteurs, les historiens et les écrivains dans leurs travaux écrits relatifs à l’histoire depuis l’Antiquité gréco-romaine. N’est-ce pas là a priori un anachronisme philologique ? Contrairement à l’opinion de quelques ethnologues32 selon lesquels « le préjugé racial est vieux d’à peine trois siècles » la pratique habituelle de tous ces auteurs est bien légitime car la réalité exprimée par le concept de race dans son sens élémentaire est bien perçue par les populations les plus frustes depuis des temps immémoriaux avec la barrière de l’endogamie. « Les préjugés raciaux sont aussi anciens que l’histoire connue » écrit le paléontologue américain Stephen Gould, « la haine raciale est ancrée dans la nature humaine » écrit de son côté l’historien Joel Kovel. Comme l’écrit aussi Christian Delacampagne33 : « Bien que le mot de "race" n’ait pas d’équivalent exact en grec, toutes les conditions étaient réunies, dans la pensée du IVe siècle avant notre ère, pour qu’apparaisse la notion correspondante ». C’est ainsi que divers historiens situent précisément dans la période hellénistique34 et en Égypte l’apparition des premières manifestations racistes en paroles ou en actes envers les Juifs, c’est-à-dire du processus antisémite. C’est à cette époque en effet que remontent, de façon qui n’est plus guère discutée, « les premiers écrits attribuant aux Juifs des défauts enracinés dans leur nature », défauts d’ordre physique ou psychique où l’accusation envers les Juifs est d’essence typiquement raciste suivant le vocabulaire moderne. En résumé, quelques données essentielles doivent être présentes à l’esprit à propos de race : 1° La notion de race qui tire son sens du racisme n’est pas d’ordre scientifique mais essentiellement d’ordre empirique. Avant d’être le fruit de quelque raisonnement conscient et de s’exprimer verbalement, elle est la résultante d’une expérience élémentaire, expérience de tout individu en présence d’une différence d’ordre physique ou comportemental entre son groupe et les autres, les races humaines ne se distinguant pas seulement par leurs caractères physiques comme les races animales, mais par leurs pratiques culturelles. Pour chaque individu en somme, qu’il ait le mot à sa disposition ou en soit dépourvu comme cela fut le cas avant le XVe siècle, il y a bien de façon permanente sa propre race et celle de l’autre, distincte et plus ou moins différente. Et, entre elles, des barrières plus ou moins contraignantes ; 2° La race est une donnée relative : il n’y a que des mélanges raciaux, des catégories raciales plus ou moins différentes ; 31

. Articles "La paléogénétique révèle une humanité éclatée" et "Allons-nous devenir débiles" de Laurent Alexandre. Cahier du Monde N° 21043 du 15/09/2012 et N° 21157 du 26/01/2013. Cf aussi : L’humanité au pluriel de Bertrand Jordan. 32 . tel Michel Leiris dans Race et civilisation, p. 15 et 75. 33 . L’Invention du racisme, p. 281. 34 . Période de quelque deux siècles que l’on situe entre la mort d’Alexandre le Grand (-326) et la conquête romaine (-143).

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3° La notion de race est une donnée évolutive. Avec les progrès de la mondialisation qui banalisent le métissage des formes et des couleurs il y a des races qui s’estompent, voire disparaissent, dans l’esprit des hommes : le racisme qui les oppose suit la même évolution. Pour celles où prédominent les données d’ordre culturel ou religieux le problème est différent : l’évolution du racisme est évidemment fonction de la prégnance de ces données ; 4° Les catégories raciales les plus différenciées, et générant de ce fait le plus de racisme, sont celles qui associent transmission héréditaire de l’identité et endogamie institutionnelle. Dans l’espace européen, comme nous le verrons plus avant, ce sont celles des Juifs et des Tsiganes. Ces considérations permettent de dire aussi : • que des individus absolument semblables par leur aspect physique, par leur profession, par leur culture littéraire et scientifique… peuvent se voir – et donc être vus – d’une catégorie raciale différente avec comme conséquence potentielle : le phénomène qualifié de racisme ; • que l’interdit communautaire des unions mixtes, qui désigne au plus simple des hommes des individus d’un groupe différent du sien, d’une race au sens propre du terme, constitue le signe par excellence d’une catégorie raciale d’ordre culturel au maximum de la différenciation. Cette population va, à la fois, être particulièrement conditionnée au racisme et victime de racisme ; • que récuser ou invalider le mot race, comme le font divers auteurs depuis la fin du XIXe siècle35, soit qu’ils donnent au mot "race" un contenu d’ordre strictement biologique comme dans le monde animal, soit qu’ils pensent que la non-emploi du mot "race" suffirait pour abolir le phénomène raciste, est une attitude relevant non seulement d’une grande naïveté mais d’un idéalisme utopique potentiellement grave pas inconscience : la race est en effet un facteur central de compréhension du phénomène raciste entourant quelques sociétés humaines particulièrement différenciées ; • que le regard des individus, fondamental en la matière, est toujours double : on peut « voir (ou savoir) son groupe différent des autres » et « être vu par les autres comme étant d’un groupe différent » ; • que « vieille comme le monde » est la question raciale ! Race, racisme… : des mots récents pour un phénomène de tous les temps.

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. Parmi eux citons un savant philologue Louis Hervet (1849-1925) au moment de l’affaire Dreyfus.

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LE RACISME : ses différentes formes et ses victimes On peut dire tout d’abord que le racisme représente une certaine idéologie suivant laquelle les différences entre les races justifient une forme plus ou moins active de distinction, de séparation et de hiérarchisation. Les sentiments, opinions, croyances, préjugés, théories qu’engendre ce système de pensée sont bien entendu variables à l’infini et il en est de même des pratiques, des attitudes, des représentations et des comportements qui en découlent. Il convient de considérer par ailleurs, d’une part que c’est l’inspiration qui fait le racisme, d’autre part que le racisme met en jeu deux sortes de personnages : des racisants potentiellement racistes et des racisés, les premiers nourrissant une hostilité systématique à l’égard des seconds non pas pour ce qu’ils pensent, mais pour ce qu’ils sont de par leur naissance ou leur habitus en société et qui les fait membres d’une communauté considérée comme radicalement différente, inférieure et éventuellement néfaste. À la base de toute attitude d’ordre racial, il y a un personnage-cible : l’autre, l’hétérogène, l’étranger. Comme l’écrit pertinemment Hannah Arendt36 « avant de penser "racisme" il convient de penser "race"». Tout racisme, tout "fait de race", commence, en effet, par la désignation de l’étrangèreté vue comme une donnée absolue, stable, immuable, irréversible. D’où les conduites permanentes de mise à part et d’exclusion radicale par lesquelles il va se manifester sous quelque forme de violence. Ainsi peut-on dire ave Pierre-André Taguieff37 que « le racisme consiste à interpréter la distinction entre Nous et Eux, ou entre Nous et les Autres, comme une distinction entre deux espèces humaines, la première espèce – celle de l’énonciateur de la distinction – étant jugée plus humaine que la seconde, voire la seule véritablement humaine des deux ». De cette situation naissent généralement des solidarités intra ou intercommunautaires qui vont, dans certaines circonstances, s’exercer à l’encontre des membres d’une autre communauté humaine en se jouant des frontières diverses : il y aura de façon banale des solidarités et des alliances agressives, oppressives voire criminelles, génératrices de conflits sans cesse renouvelés. Les manifestations du racisme sont donc multiformes mais l’une d’entre elles est néanmoins emblématique, voire spécifique de cette idéologie comme le montre l’histoire : l’absence de croisements entre les groupes, fruit du conditionnement des individus et de quelque interdit communautaire. LES DIFFÉRENTES FORMES DE RACISME

On peut considérer qu’il existe en pratique trois formes de racisme : naturel, culturel et réactionnel. 1 - Le racisme « naturel » ou « instinctuel » ou « immanent » Penser le mot race à partir de la différence héréditaire apparaissant d’emblée à la simple vue entre les hommes est, avons nous vu à la suite de Voltaire, la chose la plus banale du monde. C'est dire que la présence de cette notion dans l’esprit conscient ou inconscient des hommes a largement précédé l'invention du mot et qu’elle est au fondement du racisme naturel partagé par les différentes communautés humaines. Dans le cadre d'un instinct primordial d'autoconservation, il est logique en effet de penser, à la suite de divers biologistes et généticiens, que la préférence communautaire, ou l’ethnocentrisme, « ce point de vue suivant lequel le groupe auquel on appartient est le centre du monde et l'étalon auquel on se réfère pour juger les autres »38, puisse être rattaché à la nature. Car sa base – dans notre cerveau reptilien – est manifestement génétique. Lévi-Strauss 36

. « Penser la race avant le racisme » est le titre du chapitre II de son ouvrage L’impérialisme. . Le racisme, p. 62. 38 . Définition de W. Sumner rapportée dans l’ouvrage précédent de Taguieff, p. 13. 37

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a, lui aussi, montré que cet égocentrisme appliqué à la race, ce raciocentrisme, était une caractéristique universelle des sociétés humaines dont les membres possèdent un penchant plus ou moins prononcé à s’agréger à quelque groupe, à y puiser leur identité et, parallèlement, à exclure les autres. Comme le constate aussi avec justesse Albert Memmi39, « il y a en nous un terrain préparé pour recevoir et faire germer les semences du racisme pour peu que nous n’y prenions garde ». La banalité du phénomène, « son omniprésence dans l’histoire » semble bien confirmer ce point de vue selon lequel il s’agit d’une disposition (ou d’une tare) originelle des hommes, ces animaux sociaux qui, au sein de leur groupe, de leur clan, de leur tribu, de leur "communion"40, ont tendance spontanée à développer quelque mépris à l’égard des autres communautés, mépris qui dans les cas extrêmes peut être qualifié de xénophobie. La généralisation abusive : tous les Anglais sont…; tous les Arabes sont…, donnée immédiate toujours présente dans la moindre forme de racisme, n’est-elle pas particulièrement banale ? Certes, ainsi que l’écrit Delacampagne41, « une réaction subjective et momentanée n’est ni toujours évitable ni automatiquement dangereuse » mais il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une tentation permanente pour tout individu, tentation à laquelle il succombe souvent et d’abord par paresse de langage42. Primo Levi, de son côté, vient appuyer la banalité, voire la naturalité, du phénomène : « Beaucoup d’entre nous, écrit-il, individus ou peuples, sont à la merci de cette idée, consciente ou inconsciente, que "l’étranger, c’est l’ennemi". Le plus souvent, cette conviction sommeille dans les esprits comme une infection latente […] Mais lorsque le dogme informulé est promu au rang de prémisse majeure d’un syllogisme, alors, au bout de la chaîne logique, il y a le Lager »43. Certes, il n’y a pas toujours de Lager mais à coup sûr l’émergence d’une forme de racisme. 2 - Le racisme « culturel » (ou « idéologique ») et la naissance de la pensée raciale Les données précédentes d’ordre héréditaire, comme ce qui sommeille en chaque individu, ne sauraient suffire pour expliquer les sentiments et les manifestations xénophobes et racistes observées dans l’histoire. Le conditionnement des hommes est aussi de l’ordre de l’acquis : l'homme n'est pas seulement un être de nature avec des comportements génétiquement déterminés, instinctifs, mais aussi un être de culture. Il va théoriser tel sujet et, comme toujours, peuvent en résulter des réalités très contrastées : le meilleur et le pire. La civilisation, la philosophie, les idéologies diverses, les religions44 vont venir modifier et faire évoluer profondément les dispositions naturelles des hommes... En fonction des valeurs qu’elles véhiculent, valeurs dont les principales ont été jusqu’ici la Vérité, la Race, l’Élection divine, le Paradis… elles vont ainsi, tantôt contribuer par l’éducation à orienter les sentiments altruistes des individus, tantôt au contraire elles vont renforcer le racisme naturel, les races 39

. Le racisme, p. 32. . Expression de l’écrivain et médiologue Régis Debray dans son ouvrage Les communions humaines – Pour en finir avec "la religion", Fayard, 2005. 41 . L’invention du racisme, p. 28. 42 . S’il n’y a pas de racisme sans race, si la race dans le monde des hommes conduit facilement au racisme, le phénomène n’est tout de même pas automatique. Commentant la pensée de Moïse Hess pour qui « la question raciale vieille comme le monde est bien plus profonde que les questions de nationalités et de liberté qui agitent aujourd'hui le monde » (citation rapportée par Schlomo Sand dans Comment le peuple juif fut inventé, p. 116), Isaiah Berlin, peut écrire non sans raison : « Être une race n’est pas désirer la domination raciale [….] Chaque race a reçu des dons différents et incommensurables et tous ces dons réunis peuvent contribuer à l'enrichissement de l'humanité » (Trois essais sur la condition juive, p. 120). 43 . Si c’est un homme, Paris, Livre de poche, 2000, p. 7. 44 . (« le religieux est à la fois ce qui permet aux hommes de vivre, d’aimer, de se donner et ce qui les pousse à haïr, à tuer et à prendre » constate Régis Debray dans un commentaire de son ouvrage Le Feu sacré, fonctions du religieux. (Figaro Magazine du 12/04/2003). 40

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étant vues alors comme foncièrement inégales. Parfois même, lorsque la différence est érigée en absolu, peut naître dans une entité close un sentiment d’incomparabilité et d’incommensurabilité. C’est avec la naissance de la pensée raciale que l’on va véritablement parler de racisme culturel en se basant non pas sur des faits et des gestes dont les motivations peuvent être discutables mais sur les textes d’ordre religieux ou philosophique qui nous sont parvenus. Car, seuls des textes peuvent vraiment permettre de distinguer le racisme culturel du racisme naturel, de situer éventuellement sa naissance dans le temps et de suivre son évolution à travers les siècles. Face à cette forme culturelle du racisme, une question essentielle est en effet posée : Quels sont les éléments qui, en s’associant, contribuent à édifier une pensée raciale potentiellement capable de générer des comportements racistes et permettent de considérer que tel groupe, telle communauté, tel régime a développé un racisme culturel ? À cette question, et en suivant l’avis de divers auteurs, on peut répondre que ces critères sont représentés par l’existence de règles, théories, commandements, lois, règlements… pérennisés dans des textes promouvant, au sein d’un groupe, un système de séparation radicale basé principalement sur le rapport supérieur/inférieur ou/et sur celui du pur/impur. La loi interdisant l’accouplement avec des personnes d’un autre groupe est ici particulièrement emblématique. Il faut ajouter qu’à ces dispositions sont toujours associées, d’une part de contraintes traduisant l’existence d’une frontière matérielle ou morale élevée à l’encontre des personnes racisées, telles que l’exclusion de certains emplois, charges et lieux de résidence, d’autre part des sanctions pour les membres contrevenants de la communauté. Car ici toute fusion est corruption, le non-mélange du sang qui assure la pureté biologique est en même temps le critère de la pureté idéologique religieuse ou philosophique. Comme l’écrit P.A. Taguieff45 : « La phobie du mixte ou de l’hybride porte principalement sur la descendance : ce qui est rejeté, c’est une descendance métissée perçue comme interruption de la continuité de la lignée, perte de ressemblance, dissolution de la continuité transgénérationnelle ». 3 - Le racisme "réactionnel" à une agression racisante : le contre-racisme Racisme naturel, racisme culturel... certes, mais il convient de distinguer aussi le racisme réactionnel d'une population racisée par un groupe racisant, attitude qui relève de la loi du talion. C’est dire d’une part que se produit généralement un phénomène d’agression en cercle vicieux, d'autre part, que l'expression de ce contreracisme est bien entendu différente selon que la population agressée (ou qui se considère comme telle) est porteuse ou non d'une culture elle-même racisante. Racisme naturel, racisme culturel : un avenir différent… Si racisme naturel et racisme culturel peuvent mettre en jeu volonté de puissance et de domination, leur devenir et leur gravité ne sont cependant pas semblables. Avec le temps, il apparaît nettement que la première forme n’a pas la gravité de la seconde dans laquelle une pensée raciale structurée est inscrite dans des traditions ancestrales, mieux encore dans des textes vus comme sacrés ayant à la fois la prétention d’exprimer une vérité et l’intention d’établir des règles s’imposant à tous les membres d’une communauté. Le racisme naturel peut certes entraîner de sauvages et durables conflits mais un espoir de tolérance voire de réconciliation entre les antagonistes est toujours permis avec les progrès de la civilisation, de la démocratie et de l’humanisation qui réduit la composante instinctuelle… Dans l’autre cas, l’évolution d’un conflit ne peut qu’être tout autre. En effet, si le processus de mondialisation, particulièrement patent par son accélération depuis quelque deux siècles, entraîne une réduction assez rapide des barrières d’ordre physique directement liées à l’hérédité, il n’en est 45

. Op. cit., p. 68.

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pas de même bien entendu des barrières culturelles, et plus particulièrement de celles qui sont sous-tendues par des données religieuses et comportant une endogamie institutionnelle. Comme l’écrit Françoise Héritier : « Contrairement à ce qu'on pourrait croire, la mondialisation actuelle, dans l'orbite du capitalisme, ne s'est pas accompagnée corrélativement d'une parfaite extension au monde entier du champ de la collectivité des humains. Elle s'est accompagnée au contraire d'une reviviscence de l'idée du pluralisme et du relativisme moral et culturel, d'un renouveau des particularismes, lesquels visent, retrouvant l'idéologie du sang et du sperme, porteurs de toutes les différences y compris religieuses, à établir des barrières insurmontables et des hiérarchies entre les catégories d'humains »46. LES VICTIMES SPÉCIFIQUES DU RACISME

Il convient de considérer que les victimes d’une agression d’ordre raciste appartiennent à une catégorie très précise. Les personnes méprisées ou agressées de par la simple fonction contingente qu’elles exercent : politique, religieuse, enseignante, dirigeante… ou bien en raison de leur adhésion à un système de pensée d’ordre religieux ou philosophique, ne sauraient être considérées comme des victimes de racisme. Caricaturer un homme politique ou un patron, un magistrat ou un professeur, un chrétien ou un musulman, un curé ou un imam, Jésus-Christ ou Mahomet, peut être vu comme un acte impertinent ou irrespectueux, voire un sacrilège, mais ne saurait être qualifié d’acte raciste. Il est clair qu’il n’en est pas automatiquement de même si la personne visée est un Noir (dans le monde des Blancs) ou un Blanc (dans le monde des Noirs), un Juif ou un Arabe. C’est là, et seulement là où il y a une catégorie d’ordre racial, qu’il peut y avoir racisme au sens propre... Comme l’écrit Laurent Joffrin « attaquer une religion (sous-entendu l’islam) n'est pas attaquer une race (sousentendu les Juifs). Réprouver l'intégrisme musulman et dénoncer le pouvoir supposé des Juifs ce n'est pas la même chose. On est anti-intégriste dans le premier cas, raciste dans le second »47. LES VIOLENCES DANS LE PROCESSUS RACISTE : LES SOCIÉTÉS ET LES SOLIDARITÉS AGRESSIVES

Se situant au niveau des sentiments, des attitudes, des comportements, des actes ou des conceptions philosophiques (telle, notamment, l’attribution aux membres d’un groupe des qualités spécifiques ou des défauts enracinés), les expressions du racisme sont variables à l'infini mais toutes s’expriment par une forme de violence, surtout lorsqu’elles émanent de groupes structurés les rendant solidaires dans l’action. Remarquons que la notion de solidarité comporte a priori une polarité positive. Elle est généralement vue comme une variante de la fraternité manifestée par les membres d'une communauté venant au secours de ceux qui, au sein de cette même communauté ou d'une autre jugée digne d'intérêt, souffrent d'une manière ou d'une autre. Cependant cette vue est terriblement partielle : la solidarité peut être aussi un piège et comporter le pire. S'il est humain et... normal de préférer a priori sa famille à celle des autres, de préférer ses compatriotes, les membres de son groupe de pensée, à ceux qui ne rentrent pas dans ces catégories, il faut bien voir que ce raisonnement peut souvent s'avérer contestable et répréhensible le comportement de solidarité mis en œuvre. Chaque individu, parce qu’il est un animal social, peut être confronté à ce type de situation où, avec les moyens dont il dispose, de façon active ou passive, de concert avec les membres de son groupe, il agresse plus ou moins gravement les membres d’une communauté autre que la sienne. Et si cette solidarité agressive et exclusive peut être un phénomène non exceptionnel de la vie en société, elle devient particulièrement banale, soit dans certaines circonstances extrêmes où les individus luttent pour la vie : grandes catastrophes naturelles, privation des biens 46 47

. Dans l’ouvrage De la violence II, p. 332. . à propos de l'affaire Siné dans Libération du 25 juillet 2008.

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fondamentaux…, soit dans les sociétés où l'obéissance au groupe est sacralisée par quelque donnée d’ordre religieux, politique ou racial. Remarquons aussi que c'est aux violences d'ordre physique, celles du bras armé, que l'on pense généralement tant elles sont spectaculaires et présentes dans le quotidien des hommes. Visant les corps et les biens, elles donnent lieu à des récits relativement objectifs rapportant des destructions, des brutalités, des agressions, des expulsions, des assassinats, des tueries, des guerres, des génocides. Mais ces violences d’ordre physique ne sont pas seules en cause. Dans la jungle des hommes, il en est d'autres : violences d’ordre moral ou psychologique tels que mensonges, calomnies, caricatures, injures, métaphores zoologiques (les rats…), collusions secrètes, complicités et intrigues diverses au préjudice des opposants. Avant les gestes primitifs ou élémentaires que sont le coup de poing ou le fusil, associés à ces gestes ou pratiqués isolément, inventés parfois par tel individu dans l'intimité de sa personne ou plus souvent par des individus solidaires dans l'action par suite d’une appartenance commune (politique, religieuse, raciale ou autre) sont en effet les actes verbaux mettant en jeu diverses ressources de l’esprit : la rhétorique, l’imagination, l’habileté, l’ingéniosité, la ruse, l’ambiguïté, l’obstination, l’imposture, l’art du mensonge… Souvent plus efficaces que les premières quant au but poursuivi, ces ressources, extrêmement variables suivant les groupes, vont assurer la domination des plus forts dans diverses sphères de l’activité humaine et présider notamment à des conquêtes sociales, politiques, voire territoriales. Remarquons aussi que de telles violences, surtout si elles émanent d’une collectivité ou d’un État, sont parfois si subtiles et discrètes qu’elles passent inaperçues du plus grand nombre, l’idéal des commanditaires étant, à l’extrême, de tuer ou de faire tuer subrepticement sans laisser de traces. Toutes les violences de cet ordre, exercées électivement à l’encontre de populations démunies par des groupes riches, instruits et sachant communiquer, vont généralement de pair avec des faits de ségrégation, de discrimination, de séparation, d'infériorisation, d'exclusion, d'oppression, d’expulsion, de domination.

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L’IDENTITÉ JUIVE, LES JUIFS : UN PEUPLE-RACE, LE JUDAÏSME : UNE RELIGION RACIALE48 Qualificatif a priori discutable que celui de peuple-race appliqué à la communauté des Juifs ! Même si de multiples auteurs ont décrit un type juif49, n’est-il pas évident que les populations juives sont hétérogènes quant à leur aspect extérieur et leurs origines et notamment que les Juifs d’Europe ne sont pas des Sémites50 ? N’y a-t-il pas eu dans le judaïsme ancien une soif de convertir et, au cours des temps, de multiples mélanges dans les divers pays de dispersion ? Pourtant, que ce soit dans les textes fondamentaux du judaïsme, dans de multiples ouvrages d’auteurs juifs et non-juifs ou dans les dictionnaires, l’expression de « race juive » est utilisée de façon courante. Et puis cette catégorie d’hommes n’a-t-elle pas été visée et maltraitée électivement par les nazis se réclamant de la race aryenne édifiée au XIXe siècle en regard et en antagoniste de la race juive ? Et n’est-ce pas elle encore qui, comme en témoignent les médias, est toujours ici ou là la cible du phénomène raciste nommé antisémitisme ? Sur quels éléments objectifs reposent donc cette considération et cette pratique omniprésentes ? Il ne fait aucun doute tout d’abord, à l’appui du concept de race, qu’il y a une continuité spirituelle depuis plus de deux millénaires entre les Hébreux de l’Antiquité et les Juifs de la Modernité par l’intermédiaire des textes sacrés, des croyances, des rites et des traditions. Ce lien permet à l’évidence d’appliquer à l’ensemble des Juifs le terme de race au sens spirituel ou culturel. Mais il y a manifestement beaucoup plus… D’une part, il est évident que nombre de Juifs ont toujours eu l’intime conviction qu’ils étaient les descendants génétiques du peuple hébreu et plus précisément de la race d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, comme en témoignent à la fois le culte ancestral des généalogies51 et les travaux actuels d’ordre scientifique sur l’existence du « gène juif »52 et comme le veulent aussi le christianisme et l’islam. D’autre part, fait sans doute unique dans 48

. Le philosophe Emmanuel Kant, pour bien marquer la différence radicale entre le judaïsme et les autres religions monothéistes qui, elles, sont trans-raciales et ouvertes à tous, utilisait (dans son ouvrage La Religion dans les limites de la simple raison) l’expression équivalente de religion ethnique. Pour sa part, Theodor Herzl, qui fustigeait le caractère religieux des Juifs, parlait de nation ethnique. Quant à l’expression de peuple-race, elle apparaît particulièrement courante chez les auteurs juifs à partir du milieu du XIXe siècle jusqu’au milieu du XXe, parallèlement aux travaux sur la biologie des races comme le montre l’historien Schlomo Sand dans son ouvrage Comment fut inventé le peuple juif. 49 . Ce type juif représente tantôt une donnée morphologique commune, témoin des mariages endogamiques des populations juives ne se mélangeant pas aux autres, tantôt un habitus commun résultant des conditions spécifiques dans lesquelles ont vécu et vivent encore beaucoup de Juifs. 50 . Dans les ouvrages retraçant la vie des communautés juives de Pologne avant la seconde guerre mondiale, il n’était pas exceptionnel, dit un auteur, de rencontrer des Juifs blonds avec des yeux bleus. 51 . Exemple caractéristique de ce culte : les multiples généalogies présentes notamment dans les Livres des chroniques de la Bible juive ou bien celles, concernant Jésus, rapportées dans les évangiles des Juifs Luc et Mathieu. La première, celle de Luc (3 : 23), remonte le temps : « Jésus fils de Joseph, fils d’Heli, fils de Matthat…. fils de Seth, fils d’Adam, fils de Dieu » soit quelque 80 générations entre Jésus et Dieu ; la seconde, celle de Mathieu (1 : 1), descend le temps à partir d’Abraham : « Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob, Jacob engendra Juda.… Mattat engendra Jacob, Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie de laquelle naquit Jésus », soit quelque 40 générations entre Abraham et Jésus. 52 . On peut noter par exemple que « depuis les années 1970, en Israël, une succession de recherches "scientifiques" s’efforce de démontrer, par tous les moyens, la proximité génétique des Juifs du monde entier » et que « la "recherche sur les origines de populations" représente désormais un champ légitimé et populaire de la biologie moléculaire, dans une quête effrénée de l’unicité d’origine du "peuple élu" ». (Schlomo Sand à propos de son ouvrage cité précédemment, Le Monde diplomatique, août 2008).

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l’histoire religieuse, l’élément identitaire que le judaïsme assigne aux Juifs et qu’il renvoie aux non-Juifs, chrétiens en particulier tributaires de la Bible juive, repose bien depuis toujours sur une notion de race avec ses deux composantes, biologique et culturelle, ici intimement conjuguées. Du fait de cette association inédite nous dirons même, en rejoignant d’éminents auteurs juifs, que la race juive est la race par excellence. Quel est l’élément commun à l’ensemble des Juifs permettant de parler de race juive ? Constatons tout d’abord que cette communauté ne fournit guère que des réponses inconsistantes à cette interrogation fondamentale. Alors qu’« il n'est pas de collectivité aussi préoccupée de définir et de clarifier son identité que le peuple juif comme le montrent le nombre impressionnant de symposiums à travers le monde consacrés, explicitement ou implicitement, à l'identité juive, écrit Avraham B. Yehoshua, n'est-il pas quelque peu dérisoire que ce peuple qui a plus de trois mille ans d'âge se pose encore la question de son identité d'une manière aussi frénétique et obsessionnelle, et n'arrive pas à assouvir sa quête !»53 En effet, du Juif pieux qui rend à chaque instant de sa vie un culte à Yahvé jusqu’à l’athée qui pense que ce dieu est un personnage littéraire, de l’érudit qui ne cesse de scruter les livres saints à celui qui ignore tout du judaïsme, du Juif qui revendique sa judéité et en est fier à celui qui la refuse, l’a en aversion ou l’ignore, il y a en effet mille et une manières pour les Juifs de décliner leur rapport au judaïsme et de se voir Juifs. Pour Freud il s’agit d’un « principe mystérieux inaccessible à toute analyse et ne devant être découvert que par la recherche scientifique », pour l’historien Jacob Talmon c’est « la chose qui file entre les doigts et disparaît comme un mirage54 », pour Yehoshua, l’identité juive, pourtant si importante dans le processus antisémite, n’est que « virtuelle », « incertaine », « insaisissable »…! C’est dire notamment que la judéité (ou la judaïté) ne se définit pas par une croyance religieuse, ne se définit pas non plus par un système de pensée, par une tradition, par une morale, par une manière d’être, par une vision du monde, par une pratique rituelle, par une nationalité, par un territoire, par une patrie, par une langue, par un idéal, par une catégorie sociale, par une origine, par un destin, par une histoire marquante (tel le génocide nazi pour les générations actuelles55), par un état d’esprit telles la conscience d’être en danger, la solidarité dans le malheur, la responsabilité envers les membres de son groupe, les sentiments que l’on inspire ou que l’on suscite… ! En effet, toutes ces thèses ne s’appliquent qu’à des configurations contingentes de la judéité. S’il est difficile voire impossible à l’ensemble des Juifs d’exprimer le principe qui réunit Askhénases et Séfarades, occidentaux, orientaux et africains, riches et pauvres, orthodoxes et libéraux, croyants et athées c’est en fait dans la logique des choses. De même que l’œil ne voit pas sa propre conjonctive, peut s’appliquer ici la célèbre formule de Wittgenstein56 suivant laquelle « les aspects des choses qui sont les plus importants sont souvent cachés en raison de leur simplicité et de leur familiarité». De toute façon, ce qui compte avant tout dans cette étude concernant les antisémitismes ce n’est pas la judéité telle que les Juifs la voient, mais celle que perçoivent les non-Juifs les plus divers et qui les conditionne dans leurs sentiments et leur comportement à l’égard des Juifs. Ainsi que nous l’expliciterons plus avant, à partir des textes bibliques et talmudiques fondateurs du judaïsme et de nombre d’auteurs juifs de l’époque contemporaine, on est amené 53

. Israël, un examen moral, p. 14. . Ibid., p. 16. 55 . Au XIXe siècle ce furent principalement l’affaire Dreyfus et les pogromes de Russie, antérieurement l’Inquisition avec Torquemada… 56 . De la certitude, Gallimard, coll. Idées, 1976. 54

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à considérer que l’élément spécifique, qui permet à la fois à tous les Juifs de se voir Juifs et d’être identifiés comme Juifs par les non-Juifs, est la distinction-séparation radicale qu’apporte l’identité juive fondée sur le mythe spécifique de l’Élection divine : « Tu nous as choisi pour être singulier, différent et radicalement séparé de tous les autres peuples » ! Depuis plus de deux mille ans en effet, tous les Juifs du monde sont tributaires, consciemment ou non, d’une histoire marquée du fil rouge d’une Élection primordiale et sacrée. Et cette différence, à la base de l’identité juive, n’est pas d’ordre philosophique ou religieux mais d’ordre purement racial. On pourra même remarquer lors de notre cheminement que le terme de race appliqué au peuple juif, est pris à la fois dans sa composante naturelle (la race : catégorie liée à l’engendrement) et dans sa composante culturelle (la race : catégorie idéologique, spirituelle, mentale, métaphysique…). Nous verrons en fait que c’est dans l’expression peuple-race appliquée aux Juifs que le terme de race, bien loin de relever du classique mais élémentaire critère de peau, revêt sans doute son sens le plus fort, en même temps que le plus contraignant. C’est en effet le témoin d’un processus exceptionnel de différenciation culturelle. Comme a pu l’écrire fort justement un des théoriciens juifs, Isaac Kadmi-Cohen (1892-1944), dans son essai Nomades. Essai sur l’âme juive, la race juive – en transportant les notions de pureté, de différence pour une judéité indélébile – est l’entité raciale « par excellence ». Il reprenait en fait ce qu’avait dit précédemment un autre Juif éminent, Disraeli, pour qui la race juive était « la quintessence de la race57». Marcel Proust, quant à lui, parlait de « l’admirable puissance de la race juive »58. Les deux dimensions théoriques, religieuse et raciale, du judaïsme-culture ou qu’estce qu’un Juif ? En reconnaissant tout d’abord que les Juifs ne sont pas toujours des croyants comme le sont les adeptes des religions ordinaires, mais des appartenants par le sang et l’endogamie à un peuple particulier, on résume assez bien la situation générale de la judaïcité en constatant, avec Yerushalmi, que « l’ancienne définition religieuse du juif, devenue manifestement anachronique, céda progressivement le pas à une définition raciale »59. Javier Teixidor, par exemple, a bien vu la différence fondamentale entre un chrétien et un Juif. « Etre chrétien, écrit-il, c'est affirmer que la voie du salut est celle qui mène de l'Incarnation du Christ à son second avènement glorieux ; être juif, c'est assurer la perpétuité du peuple juif ; on pense à la "judéité", le privilège personnel, inhérent à une sorte de prédestination raciale dont faisait état Hannah Arendt »60. Le grand rabbin René-Emmanuel Sirat confirme en effet que le Juif est bien défini par l'appartenance héréditaire : « la connaissance et la pratique de la religion pour les enfants nés de mère juive ne s'imposent pas pour qu'ils soient reconnus comme juifs » 61. Accessoire depuis longtemps pour la qualification des Juifs, la dimension religieuse (c’està-dire la croyance relative aux deux grands sujets spécifiques : la divinité et l’immortalité) a en effet laissé place à l’athéisme devenu très largement majoritaire. On peut noter que cette régression du religieux s’est particulièrement affirmée, d’abord avec Baruch Spinoza au XVIIe siècle, avec les Lumières (la Haskala) au XVIIIe siècle, puis à partir de la seconde

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. Citation rapportée par I. Berlin dans Trois essais sur la condition juive, p. 55. Si, comme nous l'expliciterons plus avant, les expressions employées par les auteurs juifs d'« entité raciale par excellence » et de « quintessence de la race » sont bien adéquates pour désigner leur communauté, nous emploierons ici l'expression scientifique moderne de race différenciée. 58 . Dans Le Côté Guermantès (Pléiade, II p.190). 59 . L’antisémitisme racial est-il apparu au XXe siècle ? De la limpieza de sangre espagnole au nazisme : continuité et rupture, Esprit N° 190, p. 25. 60 . Le judéo-christianisme, p. 246. 61 . dans son ouvrage La tendresse de Dieu (donnée rapportée par Alfred Grosser, Les fruits de leur arbre, p. 30).

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moitié du XIXe siècle jusqu’à nos jours, à la fois dans le monde scientifique et dans le monde des lettres juifs. Cette dimension religieuse traditionnelle étant inutile pour être Juif c’est dire que la dimension raciale qui, comme la précédente, fait partie intégrante du judaïsme depuis ses origines (donnée que nous expliciterons plus avant), représente le dénominateur commun à toutes les identités juives, le facteur suffisant pour être Juif, bref, l’élément commun à tous les Juifs. C’est dire en définitive qu’à la question "Qu’est-ce qu’un Juif ?", la réponse générale62, en retenant le caractère suffisant, est celle-ci : "un héritier de sang juif". La querelle de la race juive chez les auteurs juifs. Même si la thèse selon laquelle les Juifs forment bien une catégorie raciale est toujours restée largement majoritaire, notamment chez les Juifs religieux et les sionistes en référence à de multiples écrits, il y a toujours eu quelque dispute à ce sujet entre divers sociologues et anthropologues juifs. « La question de savoir si les Juifs constituent une race en soi est si passionnante, écrit par exemple le médecin allemand Félix Theilhaber en 1911, que les chercheurs n'ont de cesse de s'y intéresser ». C’est ainsi que quelques auteurs depuis le nazisme, soit en rejetant toute pertinence au concept de race, soit en mettant en avant l'hétérogénéité physique des populations juives, soit, pour les plus lucides d’entre eux, en prenant conscience que le racisme en général et l’antisémitisme en particulier sont toujours dirigés contre une communauté vue comme une catégorie raciale, évitent délibérément le mot de race et le fustigent même comme représentant une « donnée mythique » ou « des scories d'un autre âge ». En vérité, ces auteurs méconnaissent la portée de ce concept de race exprimant essentiellement une différence entre deux catégories humaines comme nous l’avons vu précédemment. Notons que Max Weber, quant à lui, (dans son ouvrage Le judaïsme antique) utilisait pour désigner le groupe des Juifs le terme de caste [mot qui provient du portugais casta (pur, non mélangé) et qui se rapproche du français chaste]. Certes, la "caste" et la "race" juive comportent bien des données communes d’importance : l’identité par le sang reçu à la naissance, l’endogamie et l’impureté des hors-communauté, mais elles se différencient aussi par une donnée non moins importante : dans le système religieux hindou la caste fait partie intégrante d’une structure hiérarchisée (dite "des castes") alors que dans le judaïsme la race est autonome, phénomène d’autant plus marqué que la race en question est particulièrement différenciée. En résumé, la querelle d’ordre sémantique autour de cette question est absolument vaine : avec la communauté des Juifs nous avons affaire à une catégorie raciale caractérisée avec laquelle le processus raciste est toujours en puissance ou en marche. Si l’on constate de plus que la notion de race qui lui est appliquée est largement consacrée par le temps et par l’usage dans le monde juif et hors de lui, qu’elle est hautement revendiquée par des Juifs religieux ou non religieux dans de nombreux écrits, qu’elle s’est imposée comme allant de soi à maints auteurs et traducteurs modernes y compris depuis le nazisme, qu’elle est incluse dans le terme d’antisémitisme utilisé fréquemment par les historiens pour des données remontant à l’antiquité, il apparaît que l’expression et le concept de peuple-race sont non seulement justifiés mais également incontournables. Quant au mot juif, parce que racialement connoté, il va représenter (pour répondre positivement à une question du philosophe Alain Badiou63) un signifiant exceptionnel. On peut y voir en effet un équivalent sémantique de l’étoile jaune ! 62

. Nous verrons que les exceptions à cette règle, les convertis au judaïsme, viennent confirmer, voire exalter la règle : les enfants de ces convertis auront du sang juif. 63 . Pour Alain Badiou, il s’agit en effet « de savoir si le mot "juif" constitue, oui ou non, un signifiant exceptionnel dans le champ général de la discussion intellectuelle » (Circonstances, 3, Portées du mot « juif ». 4ème de couverture).

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ANTIJUDAÏSME ET ANTISÉMITISME « ANTI-JUDAÏSME »

Le mot est utilisé ici uniquement pour désigner une opposition aux données du judaïsmereligion avec ses éléments de doctrine ou de morale. Cette opposition est exercée soit par les adeptes d’une autre religion se voyant porteuse de la seule Vérité, soit simplement par des auteurs critiquant, au nom de la raison ou en vertu de leur propre expérience, certaines dispositions de la culture juive. Pour ces derniers, le judaïsme est vu simplement comme une entreprise humaine avec ses lumières et ses ombres, ses valeurs humanistes et antihumanistes, une entreprise évolutive et non comme une entreprise divine, parfaite et immuable par définition. Il y a donc plusieurs anti-judaïsmes. Seront particulièrement distingués par la suite les antijudaïsmes confessionnels : païen, chrétien et arabo-musulman, puis l’anti-judaïsme laïque ou universaliste dont Karl Marx, qui a éprouvé une « répugnance absolue pour la religion israélite qui s’accommode si bien d’un régime économique et social inhumain qu’elle paraît en être le credo spirituel »64, est bien entendu un des représentants les plus éminents. Notons aussi, à la suite de nombre d’historiens, que l’anti-judaïsme qui porte essentiellement sur un système de pensée religieuse a très souvent évolué vers le racisme antijuif qui, lui, vise directement des personnes. La cause de cette particularité est simple à comprendre : alors que l’opposition envers le christianisme, l’islam, le bouddhisme... a pu entraîner certes des conflits sanglants mais non d’ordre raciste – christianisme, islam, bouddhisme... ne sont que des systèmes religieux ; chrétiens, musulmans, bouddhistes… ne sont que des croyants – il n’en est pas de même avec le judaïsme dont la rencontre, que ce soit par la connaissance de sa doctrine, de ses textes fondamentaux ou de ses représentants, fait considérer les Juifs éventuellement comme les fidèles d’une communauté religieuse mais toujours comme les membres d’une communauté d’ordre racial65, substratum incontournable de tout racisme. « ANTISÉMITISME »

Historique du mot et définition C’est sensiblement au milieu du XIXe siècle que fut créé ce mot à partir du qualificatif sémitique lequel, appliqué initialement à un ensemble de langues comprenant notamment l’hébreu et l’arabe, évolua par la suite pour devenir un concept d’anthropologie. Il semble que ce soit Christian Lassen qui l’a utilisé pour la première fois en 1847. Selon cet universitaire allemand d’origine norvégienne, les peuples indogermaniques (qualificatif également nouveau) sont les plus doués et les plus productifs, tandis que les peuples sémitiques sont égoïstes, avides et improductifs. Nombre d’intellectuels européens : allemands (principalement juifs familiers de la race juive), anglais, français (notamment Ernest Renan avec ses recherches personnelles en philologie sémitique et son ouvrage Le judaïsme comme race et comme religion), considérèrent de même qu’il y avait dans la sphère occidentale deux grandes races humaines : les Aryens et les Sémites. Sous le terme d’Aryens sont désignés principalement les peuples germaniques et scandinaves, descendants de populations dites indo-européennes et appartenant à la race aryenne ; sous le terme de Sémites sont désignés un ensemble de peuples issus d'un même groupe racial (en principe les descendants de Sem, fils aîné de Noé dans le récit biblique), les principaux d’entre eux étant les Hébreux et les Arabes.

64 65

. Donnée rapportée par Maximilien Rubel, dans son livre Karl Marx, essai de biographie intellectuelle. . D’où la majuscule (et non une minuscule) qui s’impose au mot Juif lorsqu’il désigne une personne.

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Ces données, fort discutables mais admises par tous, vont s’avérer d’une particulière importance : désormais les termes Aryens et Sémites vont faire référence exclusive à l’origine raciale des populations désignées, tandis que le terme sémites est appliqué essentiellement aux Juifs, les Arabes n’étant vus à ce moment là en Europe que comme des étrangers lointains, de rôle et d’influence négligeables. C’est semble-t-il en 1860 que le mot antisémite est utilisé pour la première fois. L’intellectuel juif allemand Moritz Steinschneider (1816-1907), une des importantes figures du mouvement tardif des Lumières juives, parle de Préjugés antisémites (en allemand : antisemitische Vorurteile) pour qualifier les idées, alors courantes en Europe, selon lesquelles la race sémite représentée par les Juifs, serait inférieure à la race aryenne. Quant au terme antisémitisme (Antisemitismus), c’est le journaliste allemand Wilhelm Marr (1819-1904) qui l’invente aux alentours de 1870 à l'occasion de la fondation de sa Ligue antisémite (Antisemitenliga) et de l’édition de son journal Les Cahiers antisémites (Antisemitische Hefte). Très rapidement il est repris par une publication juive allemande, l’Allgemeine Zeitung des Judenthums, pour caractériser les activités antijuives de Marr66 lequel, dans son ouvrage La victoire du judaïsme sur le germanisme paru quelque temps auparavant, considère que les Juifs, qui ne se mélangent pas aux autres, sont porteurs, de par leur naissance, de critères proprement raciaux conditionnant leur rôle néfaste dans la société, notamment dans les domaines économique et social, critères les rendant inassimilables. Les termes antisémite et antisémitisme, promus à la fois par des Juifs et par des non-Juifs, font l’unanimité : ils sont rapidement adoptés par tous, hommes politiques, auteurs, journalistes, historiens… et la race juive est une expression courante. En 1882, tandis que se créent en Allemagne et en Autriche divers partis s’affichant antisémites, le premier congrès antijuif international réunit à Dresde 3.000 délégués venus d’Allemagne, d’Autriche-Hongrie et de Russie. Quelques années plus tard la Ligue pan-germanique se créée et adopte elle aussi une pensée foncièrement hostile aux Juifs. La France n’est pas en reste : le mot antisémite apparaît dans le Journal des Goncourt en 1890, le mot antisémitisme dans Le lys rouge d’Anatole France en 1896 et, en 1898, la Chambre des députés comporte un groupe de 22 députés antisémites avec Drumont à sa tête, tandis que la vieille ligue antisémite s’intitule bientôt le Grand Occident de France (par opposition au Grand Orient de France considéré alors comme le fief des Juifs et des Francs-maçons). L’antisémitisme : une hostilité d’ordre racial Des données historiques précédentes il s’ensuit que la définition-princeps de l’antisémitisme, suscitée à la fois par ses promoteurs juifs et non-juifs hostiles ou favorables aux Juifs, est celle-ci : « l’hostilité (ou la haine) systématique envers les Juifs en tant que représentants d’une communauté d’ordre racial ». Pour les auteurs de divers dictionnaires modernes (tel par exemple le dictionnaire Petit Robert) ayant à leur disposition le terme de racisme créé au début du XXe siècle, la définition de l’antisémitisme devient ainsi : « le racisme dirigé contre les Juifs ». On voit d’emblée que l’antisémitisme n’est pas une opposition à un système de pensée religieuse auquel on peut s’opposer dans le cadre de controverses, controverses théologiques notamment comme les chrétiens ont pu en mener67. Il ne s’agit pas non plus d’une xénophobie dont les soubassements sont divers ou d’une critique d’un système de pensée au nom de la raison. Il s’agit d’une haine envers des personnes en chair et en os, vues comme les membres d’une lignée et porteuses de caractères spécifiques. 66

. Rapporté par l’historien Gérald Messadié, Histoire Générale de l’antisémitisme, p. 14. À ce propos, Marcel Simon précise que : « la démarche par laquelle l'Église réfute le système théologique de la synagogue est de même nature, et tout aussi légitime aux yeux de l'historien le plus soucieux d'impartialité, que celle qui amène les différentes confessions chrétiennes à se poser en s'opposant » (Verus Israël, p. 493). 67

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"Antisémitisme" : un mot incontournable mais source notable d’ambiguïté On peut remarquer que le terme, devenu irrécusable du fait de l’ancienneté de son usage, est souvent utilisé de façon non conforme à son sens originel, y compris parfois par des historiens reconnus pour qui toute forme d’hostilité à l’égard des Juifs ou du judaïsme-culture est une forme d’antisémitisme… C’est là une erreur qui relève d’une méconnaissance de ce que représente le judaïsme68 qui n’est pas une religion ordinaire avec son système doctrinal mais une religion intimement liée à un peuple-race déterminé par l’hérédité de ses membres et la pratique de l’endogamie. Mais c’est aussi une source de malentendus regrettables entre les auteurs de travaux sur le sujet qui ont à intégrer dans leur discours l’hostilité d’ordre religieux (l’antijudaïsme) et sa banale évolution vers le racisme antijuif. À noter que le terme voisin de judéophobie a été introduit dans le vocabulaire par Maxime Rodinson et qu’il a été repris depuis par quelques auteurs dans la double intention de désigner la haine des Juifs en tant qu’individus dotés d’une essence particulière et de gommer la connotation raciale du terme antisémitisme. Mais ces auteurs ont manifestement négligé deux données capitales : d’une part le fait que c’est le système du penser judaïque, où le Juif est rivé dans son identité pour sa vie entière, qui a inventé et promu l’essentialisation de l’homme juif (donnée que l’on va toujours retrouver à la base du phénomène antisémite), d’autre part l’importance de distinguer l’antijudaïsme (hostilité à base religieuse) de l’antisémitisme (hostilité à base raciale). Si le passage de l’un à l’autre est particulièrement fréquent comme nous l’avons déjà noté, il est évident en particulier que l’hostilité envers les Juifs peut être d’ordre purement racial comme ce fut le cas dans le nazisme et comme on le constate maintenant dans le monde chrétien qui, à l’exception de sa frange traditionaliste, a abandonné toute hostilité d’ordre doctrinal envers les Juifs (c’est-à-dire tout antijudaïsme). Les antisémitismes Certains auteurs, constatant que l’antisémitisme est multiforme parlent fort justement des antisémitismes plutôt que de l’antisémitisme. Ainsi, suivant les périodes de l’histoire sont décrits particulièrement l’antisémitisme des Romains à partir de leur arrivée en Palestine, celui des chrétiens presque continu depuis les premiers temps du christianisme, celui des athées à partir du XVIIIe siècle, celui de divers auteurs européens des XIXe-XXe siècles, celui des musulmans d’aujourd’hui, voire celui de certains Juifs. Suivant la raison initiale de l’hostilité envers les Juifs sont décrits aussi l’antisémitisme religieux, économique, social, culturel… Dans notre perspective, qui est avant tout de comprendre le phénomène-antisémitisme, il convient plutôt de distinguer : 1°- des antisémitismes réactionnels qui relèvent de la loi banalement humaine du talion face à ce qui est vu comme une agression de la part des Juifs ; 2°- des antisémitismes idéologiques émanant soit d’une société culturellement racisante, l’exemple-type étant celui du nazisme, soit d’une société devenue racisante au contact de la société raciale juive, l’exemple-type étant la chrétienté espagnole des XVe/XVIe siècle et en fonction de leur prégnance : 1°- des antisémitismes latents se situant dans le domaine de la pensée et des sentiments ; 2°- des antisémitismes caractérisés lorsqu’il y a passage à des actes de violence physique ou morale. Remarquons ici que d’assez nombreux auteurs parlent d’antisémitisme racial. Cette expression peut avoir le mérite d’affirmer fermement que c’est bien le peuple juif qui, dans sa 68

. Remarquons que plusieurs sens peuvent être attribués au mot judaïsme. En fonction du contexte, il peut désigner schématiquement soit le système de pensée, soit les autorités et institutions juives, soit les traditions et pratiques spécifiques, soit parfois l’ensemble des Juifs.

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spécificité raciale, est la cible de l’hostilité exprimée mais elle est manifestement pléonastique. Les causes des antisémitismes Ces causes sont de deux sortes : • la composante raciale de la judéité. Intimement liée au judaïsme-culture, conditionnant les non-Juifs à voir les Juifs comme une catégorie d’ordre racial et transformant toute hostilité envers des Juifs en une forme de racisme, elle représente la cause structurelle du processus antisémite • les accusations, fondées ou non, des non-Juifs envers les Juifs vus dans leur ensemble lignager69. Analysées et décrites par les historiens, variables à l’infini parce que fonction des hommes, des temps et des lieux, elles sont les causes conjoncturelles du phénomène. Ajoutons, d’une part que l’une et l’autre sorte de causes sont nécessaires pour qu’il y ait antisémitisme, d’autre part que leur association apporte la réponse à la grande interrogation qui se pose : Comment l’antisémitisme est-il inséparable du judaïsme ? ou en d’autres termes : Pourquoi l’antisémitisme accompagne-t-il en permanence le peuple juif ? C’est ce que nous allons développer dans le texte qui suit.

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. C’est le propre du racisme : l’hostilité se rapporte à tous les individus issus d’une souche commune, y compris aux enfants dans les cas extrêmes.

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Ière Partie LES FONDEMENTS BIBLIQUES DE LA PENSÉE RACIALE ET DU RACISME CULTUREL LA DIVISION DE L’HUMANITÉ EN JUIFS ET NON-JUIFS ET L’INVENTION DE LA RACE JUIVE

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CHAPITRE I – LES ORIGINES BIBLIQUES DE LA PENSÉE RACIALE ET DU RACISME CULTUREL LA DIVISION DE L’HUMANITÉ EN JUIFS ET NON-JUIFS

À l’origine de la pensée raciale, que nous allons découvrir au sein du judaïsme antique où, comme l’écrit le philosophe Michel Onfray70, « la Torah invente l’inégalité ethnique, ontologique et métaphysique des races », divers éléments sont intimement associés. Fondement de la division de l’humanité en deux catégories, les Juifs et les non-Juifs, ce sont : • les mythes hébreux fondateurs : la Création des hommes, l’Alliance et l’Élection divines ; • la loi rabbinique de transmission héréditaire de l’identité juive ; • les textes sacrés consacrant la division de l’humanité. Témoins d’une pensée raciale déjà caractérisée et inspirant les premières lois écrites de pureté raciale, sont également révélées par les textes : • une mystique du pur/impur, • une mystique de la violence. LE MYTHE DE LA CRÉATION DES HOMMES 71 ET LES PRÉMISSES DE LA PENSÉE RACIALE

C’est dans le double récit de la Création rapporté dans le livre de la Genèse que l’on peut logiquement situer l’origine de la pensée suivant laquelle les Juifs forment une catégorie humaine radicalement différente de celle des non-Juifs. Dans la première description (Gen., 1, 26-27) il est dit que l’homme a été créé en tant qu’espèce (hommes et femmes), exactement comme les animaux (mâles et femelles) et par le même moyen : la parole divine efficace en ellemême ; dans la seconde description au contraire (Gen., 2, 7) la création n’est pas celle de l’espèce humaine (mâle et femelle) mais d’un homme particulier, Adam. Elle est effectuée non par la parole divine comme précédemment mais par le modelage de la glaise et surtout par l’action du souffle divin (c’est-à-dire par insufflation d’une âme). De ces récits mythiques concernant l’événement primordial, trois interprétations principales ont été émises au cours des siècles. Dans la première interprétation qui est la plus ancienne rapportée par le Talmud de Babylone et qui est toujours en vigueur au sein du judaïsme religieux contemporain, on considère qu’il y a eu, à propos des hommes, deux créations distinctes et successives : dans un premier temps Dieu crée les animaux et les hommes ordinaires (les non-Juifs), dans un second temps il crée Adam, le père des Juifs à qui, dans un geste particulier de suprême distinction, il donne une âme. La catégorie des Juifs, la plus tardivement créée et la plus parfaite, est la race élue de Dieu. Selon une tradition rabbinique, il y aurait eu en effet neuf cent soixante quatorze générations, comme autant d'essais faits par Dieu, entre la création des hommes ordinaires et celle des Juifs. Dans le Talmud, écrit vers le IIIe siècle, il est dit ainsi : « Vous êtes nommés adam mais les nations du monde ne sont pas nommées "adam" […] Vous avez droit au nom d'hommes mais non les idolâtres […] Vous les Israélites, on vous appelle des hommes, alors que les nations du monde ne méritent pas le nom d’hommes mais seulement d’animaux ». Dans le Zohar, un des principaux ouvrages de la Kabbale juive datant du XIIIe siècle, on lit de même : « "Les individus vivants" désignent les enfants d'Israël qui constituent l'individualité vivante, sainte et suprême […] C'est vous qui êtes appelés "hommes" et non les autres peuples, serviteurs des étoiles et des constellations ». Un texte récent de la revue de la Jeunesse loubavitch de France reprend cette même conception : « Si Dieu a créé l’univers entier selon la division fondamentale des quatre règnes, minéral, végétal, animal et humain, il 70

. Traité d’athéologie, p. 199. . Les citations de cette partie proviennent pour la plupart de l’ouvrage de l’historien André Pichot, Aux origines des théories raciales. De la Bible à Darwin. 71

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est écrit qu’il existe en réalité un cinquième genre : Am IsrAël, le peuple juif. Et l’écart qui le sépare du quatrième genre – l’ensemble de l’espèce "parlante" humaine – n’est pas moindre que l’écart entre l’humain et l’animal »72. Selon cette interprétation que l’on a qualifiée de préadamique, qui n’est présente qu’au sein du judaïsme et qui va avoir une longue carrière – « au XIXe siècle, l'origine préadamiste du polygénisme était tout à fait connue » écrit André Pichot – deux humanités, d’aspect similaire mais d’essence et de valeur différentes, sont ainsi en présence. La seconde interprétation est essentiellement celle du christianisme. Pour lui, après avoir rejeté formellement la conception précédente selon laquelle les non-Juifs n’ont constitué de la part du Créateur qu’une ébauche humaine, Adam est vraiment le père de tous les hommes : tous ont été créés simultanément à l’image de Dieu et possèdent une âme. On remarquera néanmoins que le christianisme adoptera intégralement le dogme de l’Élection divine du peuple juif destiné à engendrer le Messie. Il ajoutera seulement que ce Messie et Sauveur des hommes est Jésus de Nazareth. Quant à la troisième interprétation que l’on a pu, à l’époque moderne, qualifier de soft par rapport à la première et qui, comme elle, ne se voit qu’au sein du judaïsme, elle apporte une nuance par rapport aux deux autres : tous les hommes ont bien été créés simultanément par Dieu et possèdent une âme – les deux récits de la Bible sont généralement considérés aujourd’hui par les exégètes comme provenant de deux sources distinctes du même événement73 – mais les Juifs ont néanmoins une âme particulière car ils sont appelés à former le Peuple élu destiné à être séparé des autres. Au XVIe siècle, Rabbi Yéhudah-Lajb ben Betsalel (1520-1609), dit le Maharal de Prague, théorisa ainsi la spécificité des Juifs d’où découle leur distinction radicale d’avec les non-Juifs : « Le fait que les Juifs soient imprégnés de l'Esprit de Dieu et d'un grand sens prophétique, plus que les autres nations qui ne possèdent pas l'Esprit, est comparable au fait que la race humaine possède une intelligence supérieure à celle de toute autre créature qui n'est pas douée d'intelligence, grâce à une prédisposition qui lui est inhérente. Si l'on prétend que la nation a reçu ces divines qualités de la Prophétie et de l'Esprit divin, hors de toutes prédispositions particulières, alors il est aussi possible que l'animal puisse recevoir une intelligence humaine sans prédisposition particulière. Mais ceci est évidemment impossible. De la même manière, il est impossible qu'Israël ait acquis ces choses sans quelques caractéristiques spirituelles particulières »74. À l’époque contemporaine le rabbin Léon Askénazi (1922-1996), par exemple, adopte une pensée très voisine. Pour lui, deux éléments essentiels sont à retenir du texte biblique concernant la Création : d’une part les goyim sont bien des hommes contrairement à ce qu’enseignent les milieux piétistes juifs toujours adeptes de l’interprétation hard du mythe, d’autre part les nations du monde, qui ne sont pas nommées adam, n’ont pas reçu le souffle divin. Une distinction fondamentale et immuable s’impose entre les Juifs, le peuple élu, et les autres. Notons ici que cette origine adamique de l’humanité fut violemment contestée dès le XVIIIe siècle par nombre d’esprits éclairés pour qui cette origine ne se situait pas en Palestine. En résumé, si les interprétations du mythe biblique de la Création sont diverses au sein du judaïsme puisqu’elles vont « de la prétention anodine voulant que seuls ceux qui étudient la Torah sont des hommes à l'assimilation des rapports sexuels avec un non-Juif à un crime de

72

. Citation rapportée par J. Macé-Scaron dans La tentation communautaire, Plon 2001, p. 51. . Leçons sur la Torah, Albin Michel 2007, p. 256-257. 74 . A. Pichot, Op. cit, p. 56. 73

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bestialité »75, il reste que la différenciation entre Israël et le reste du monde, dans le sens d’une supériorité du premier, est partout clairement affirmée et vue comme irréductible. Il convient aussi de remarquer que ce mythe biblique de la Création – soit dans sa forme dure selon laquelle la création conjointe des non-Juifs et des animaux a précédé celle des Juifs, soit dans sa forme douce selon laquelle les Juifs, seuls descendants d’Adam, reçoivent une âme particulière – est au fondement même de la dimension biologique de l’identité juive ou, en d’autres termes de sa dimension raciale. L’historien A. Pichot a bien vu l’élément crucial en cause : « L’élection divine n'est pas seulement spirituelle, écrit-il, ce n'est pas seulement une question d'âme, elle est biologiquement marquée dans le corps »76. LE MYTHE BIBLIQUE DE L’ALLIANCE ET DE L’ÉLECTION DIVINES

Selon le récit biblique les Hébreux et leur dieu, Yahvé, ont établi, voici quelque trois mille ans, un contrat selon lequel les Hébreux, moyennant obéissance à ce dieu, constituent son peuple privilégié, le Peuple choisi parmi tous les autres et reçoivent en héritage, en propriété exclusive et perpétuelle, une terre particulière, la Terre promise. « J’ai octroyé à ta race ce territoire – du torrent d’Égypte jusqu’au grand fleuve d’Euphrate » (Genèse XV, 18). « Désormais, si vous êtes dociles à ma voix, si vous gardez mon alliance, vous serez mon trésor entre tous les peuples ! Car toute la terre est à moi, mais vous, vous serez une dynastie de pontifes et une nation sainte » (Exode, 19, 5-6). « Race d'Israël, le serviteur de Yahvé, Enfants de Jacob, ses élus! » (1 Chroniques, 16, 13). Intimement associé au mythe de la Création et confortant la séparation radicale des Juifs et des non-Juifs, tel se présente le pacte mythique de l’Alliance (le berith) entre Dieu et le peuple juif. Toute la tradition juive va être particulièrement marquée par cette donnée biblique majeure suivant laquelle Dieu après avoir doté ce peuple, Israël, d’un esprit particulier voire d’une nature spécifique, s’est tourné vers lui pour instaurer un ordre social conforme à ses lois et offrir ainsi un modèle à toute l’humanité. De multiples textes de la Bible, de la Mischna, du Talmud vont développer le thème du Peuple élu tandis que rabbins et docteurs de la Loi, à travers les siècles et jusqu’à nos jours dans les diverses nations, vont travailler de toutes leurs forces pour faire des Juifs une communauté radicalement distincte et séparée des autres. « Dogme capital : les habitants du monde sont répartis entre Israël et les autres nations prises en bloc. Israël est le peuple élu »77. Remarquons que l’Élection sacrée d’une communauté a son corollaire : l’Altérité/supériorité et son accompagnement obligé : l’Exclusion, elle-même sacrée, des autres communautés. Il y a les Juifs et les Autres, une nation sainte à côté de celle des impies, une race supérieure à celle des autres. Quant à la Terre promise elle deviendra naturellement la Terre éternelle, la Terre acquise, donnée essentielle de l’idéologie sioniste. Notons aussi que ces mythes de la Création, de l’Élection et de l’Alliance entre un dieu et un peuple sont passés intégralement dans la doctrine du christianisme. « Le salut vient des Juifs » proclame l’Évangile de saint Jean (Jn 4, 22) tandis que Mgr J. M. Lustiger78 peut écrire logiquement : « Deux catégories d’hommes divisent l’histoire : celle qui participe de l’élection, Israël, et celle qui n’y a pas droit […] Les juifs ne sont ce qu’ils sont que dans la mesure où ils sont d’abord les témoins de l’Élection ». Georges Bernanos, en fidèle interprète du dogme chrétien, écrit de même à propos des Juifs : « leur religion est basée sur un privilège racial, concédé par Dieu à la race, à la chair et au sang juifs »79. Quant à Charles 75

. Ibid., p. 57. . Ibid., p. 54. 77 . Le Talmud du rabbin Cohen, Éditions Payot, 1986, p. 104. 78 . La Promesse, p. 16 et 162. 79 . Lettre du 10 juin 1944. Combat pour la liberté, Plon 1971, p. 546. 76

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Péguy, face à cette faveur inouïe accordée à la seule lignée des Juifs, il interroge Dieu en ces termes : « Que vous ont-ils fait, mon Dieu, ces gens-là, pour être honorés de cet honneur, favorisés, fortunés, bénis, graciés de cette grâce »80. Si l’Élection a été vue par le monde juif depuis deux millénaires comme un honneur et un privilège divins absolument gratuits conférant un statut d’exception au peuple juif, certains auteurs modernes, en témoins inconscients de l’exceptionnelle paranoïa véhiculée par le judaïsme, ont ajouté le fait que l’Élection comportait aussi une responsabilité : celle d’apporter rien de moins que la Justice et la Paix sur la terre en vertu d’une mission messianique : la Rédemption de l’humanité (suivant un commentaire traditionnel du Livre d’Isaïe). « C’est pour l’humanité que le judaïsme est venu » écrit Emmanuel Levinas 81; « Le juif est au monde pour accomplir une mission qu’il n’a pas choisie et à laquelle tout se subordonne, et non pour pourvoir à son propre "épanouissement" » écrit de son côté Gilles Bernheim82. Bien des idéologies, idéologies laïques et révolutionnaires comme le communisme, ou religieuses telles que le christianisme et l’islam, se sont donné aussi la mission de promouvoir pour tous les hommes quelque paradis terrestre ou céleste. Pourtant la différence est fondamentale entre elles et le judaïsme. Dans ces systèmes de pensée, tous les hommes – il leur suffit de le vouloir – sont appelés à apporter leur concours à l’entreprise de salut universel ; pour le judaïsme, seul le peuple juif, qui se voit en peuple-messie, a cette vocation éminente entre toutes. À propos du mythe hébreu de l’Alliance, il n’est pas inintéressant d'évoquer ici les travaux récents d’Israël Finkelstein et de Neil Asher Silberman sur la Bible dévoilée83. Suivant ces chercheurs, la religion juive a été (re)constituée par divers personnages (Esdras, Néhémie…) au retour de l'exil babylonien, sur la base d’une idéologie antérieure. Il n'y a donc eu ni d'Abraham, ni de Moïse, ni de conquête de la terre promise. Pour ces chercheurs juifs le monothéisme a une origine perse ou hittite tandis que N. Kramer84 montre, par ailleurs, qu'une large partie du matériel biblique est d'origine sumérienne ou akkadienne et plus globalement babylonienne (avec particulièrement le code d'Hammurabi). Si on mesure notamment les incalculables conséquences que la croyance au mythe de l’Alliance divine ont entraînées dans l'histoire, notamment depuis un siècle avec l’occupationcolonisation-annexion de la Palestine par le mouvement sioniste et si, par ailleurs, on suit l'hypothèse très vraisemblable de divers historiens contemporains selon lesquels les Juifs du Maghreb seraient des Berbères judaïsés à l'époque romaine, tandis que les musulmans de la Palestine arabe seraient des Juifs convertis à l'islam dans les premiers temps de la conquête, comment ne pas évoquer les abysses où peuvent conduire les mythes qui structurent les trois religions monothéistes ? Comme nous le verrons, en adoptant et en répandant dans le monde entier ces mythes hérités du judaïsme, le christianisme aura une responsabilité particulièrement notable, notamment dans les événements les plus dramatiques du XXe siècle. En résumé : il semble bien que ce soit dans ces tout premiers textes de la Bible, contestant l’unité du genre humain en prônant l’existence de deux espèces d’hommes, que réside véritablement l’invention de la pensée raciale telle que nous l’entendons à l’époque moderne, pensée qui est à la base même du phénomène nommé racisme.

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. Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc, Œuvres poétiques complètes, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1994, p. 48. 81 . Difficile liberté, Albin Michel, Le livre de poche, p. 247. 82 . Réponses juives aux défis d’aujourd’hui, p. 144. 83 . La Bible dévoilée, Les nouvelles révélations de l'archéologie, Bayard, 2002. 84 . Dans L'histoire commence à Sumer.

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À propos de ces mythes inauguraux fondateurs du judaïsme où s’invente la pensée raciale, rappelons tout d’abord, et pour aller à l'essentiel, qu’un mythe en général, dans son acception moderne qui marque une rupture avec l’histoire, est un récit légendaire, fabuleux, merveilleux, fantastique, né de l’imagination des hommes, mais qui est néanmoins porteur de sens pour les communautés humaines qui l’ont adopté. Ainsi que l’écrit Paul Valéry85 : « Il n’est de discours si obscur, de racontar si bizarre, de propos si incohérent à quoi nous ne puissions donner un sens ». En effet, le récit mythique qui exprime et enseigne des règles de vie, des interdits, des sentiments peut représenter pour ses adeptes le fondement d'une idéologie, d’une existence, d'un comportement, d'une conception du monde, d’une aide à vivre. D'une certaine philosophie en somme. Beaucoup de peuples auront ainsi, pour le meilleur et pour le pire, leurs mythes sacrés fondateurs. Remarquons aussi que les mythes, indépendamment de leur « efficacité idéologique considérable »86, sont soumis avec le temps à une évolution singulière. Au premier stade, les événements qu’ils comportent sont vus par les populations comme des événements "vrais". C’est la phase théologique où leur prégnance est maxima. Puis, à un second stade, atteint après un certain nombre de millénaires, ils rentrent dans la phase mythologique proprement dite : c’est la phase que l’on peut qualifier de culturelle où leur influence globale se réduit tout en gardant, très longtemps encore, leur capacité d’inspiration et de conditionnement. Malgré l'émergence dans les esprits de leur caractère légendaire, les mythes continuent à imprégner durablement la civilisation qui les porte, à meubler son imaginaire collectif et à mobiliser des énergies considérables : « Ce n’est pas parce que Dieu est mort, qu’est morte la théologie instinctive et inconsciente qui nous pousse à placer au départ de toute histoire une origine, puis un processus… » écrit Régis Debray87. Comment ne pas faire référence ici aux Pères fondateurs du sionisme (en tant qu’idéologie ou mouvement politique) et aux sionistes d’aujourd’hui, athées dans leur grande majorité, qui ont exploité et exploitent chaque jour en Palestine depuis un siècle cette Alliance avec un dieu qui n’existe pas pour eux ! Comme l’écrit pertinemment Cioran : « Lors même qu’il s’éloigne de la religion, l’homme y demeure assujetti ; s’épuisant à forger des simulacres de dieux, il les adopte ensuite fiévreusement : son besoin de fiction, de mythologie, triomphe de l’évidence et du ridicule »88. Si les mythes grecs (Prométhée, Œdipe, Antigone, Narcisse, Orphée, Sisyphe...) ont, depuis déjà un certain nombre de siècles, perdu leurs croyants et accédé au domaine de l’art en inspirant désormais écrivains, poètes et artistes en Occident latin, les mythes bibliques quant à eux sont sans doute encore assez éloignés de leur stade terminal. Les dieux de l’Olympe « reposent dans leur linceul de pourpre »89 mais celui de la Bible, Yahvé, est toujours vivant et opérationnel même pour ceux qui le nient. Dans l’esprit d’une multitude de Juifs et de chrétiens tributaires de leur culture ancestrale, diverses données ne sont-elles pas encore des valeurs sacrées : « les Juifs forment la Race élue de Dieu », « la Palestine est la Terre d’Israël »? LA TRANSMISSION HÉRÉDITAIRE DE LA JUDÉITÉ

"Est juif celui qui a du sang juif" Alors que les adeptes de la plupart des religions n'ont que le lien d'une croyance métaphysique commune et que ce caractère d'adepte est accessible à tous, la judéité quant à elle, radicalement différente, relève essentiellement d’un principe biologique. La naissance est

85

. Petite lettre sur les mythes, Variétés II, 1930. . Expression de Georges Dumézil rapportée par M. Olender, Op. cit. p. 150. 87 . Le pouvoir intellectuel en France, Ramsay, 1979. 88 . Mahomet ou le fanatisme, Le temps singulier, 1979, p. 9. 89 . Renan dans La prière sur l’Acropole. 86

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le vrai critère d'appartenance, le Juif se définit par ses ancêtres : est juif celui qui a du sang juif. Pendant la période biblique la judéité se transmettait par le père mais, depuis la loi rabbinique, établie après la destruction du Temple par les Romains à l’aube de l’ère moderne, la judéité se transmet avant tout par le sang maternel selon la formule : Est juif celui qui a une mère juive. Au Ve siècle de notre ère, alors que les légions romaines violèrent les femmes juives d'Afrique du nord, la Halakha confirma que les enfants nés de ces unions étaient bien juifs. Il faut remarquer néanmoins, d’une part que la judéité dans le judaïsme traditionnel se transmet systématiquement par le sang paternel lorsque celui-ci est un Cohen, un Lévy ou un Israël, d’autre part qu’elle se transmet à la fois par le père et la mère dans le judaïsme réformé moderne. Pour toute une tradition, la judéité est indélébile. « On est juif pour la vie ou on ne l’est pas » : même en cas de conversion à une autre religion le sujet conserve son identité juive. Comme l’écrit un auteur, « être juif c’est être engagé dans la vie en tant que juif sans jamais pouvoir y renoncer. La contrainte du Sinaï signifie que la fuite est impossible »90. Ceci n’empêche pas, bien entendu, certains Juifs de penser différemment et, en s’appuyant éventuellement sur des textes particuliers, de considérer que la judéité peut se perdre par la volonté ou bien qu’il y a des Juifs de sang pur et des Juifs de qualité inférieure, des demi-Juifs et des quart-de-Juifs. Donnée en définitive essentielle : indépendamment de toute connaissance ou pratique du judaïsme de la part d’une personne, la qualité de juif lui est assurée par le sang, cet élément premier qui fait la race. Remarquons aussi que la loi juive prévoit des apports étrangers par conversion. Il est évident que le judaïsme s’est formé, tout au moins à certaines périodes, par ce processus91 comme s’est produit le phénomène inverse de conversion des Juifs au christianisme et à l’islam. On peut considérer toutefois que le judaïsme rabbinique non seulement ne fait guère de prosélytisme mais qu’il pratique généralement une dissuasion maximale près de tout candidat éventuel à la conversion92. Traduisant une négation de cette donnée essentielle du judaïsme qu’est l’Élection divine, combattu vigoureusement par la plupart des autorités religieuses, le prosélytisme juif est ainsi resté marginal même s’il y a toujours eu des mélanges de sang. C’est dire que l’option de conversion existe mais que les conditions exigées concrètement par les rabbins sont telles – notamment celle de pratiquer les 613 commandements de la Torah – que, sauf exception, un goy (terme appliqué initialement aux chrétiens, puis à tous les étrangers et qui est synonyme aussi de gentil) ne devient pas juif, conformément à la thèse largement majoritaire selon laquelle « la volonté ne saurait suffire pour faire partie du peuple choisi par Dieu ». « On connaît, écrit Martine Leibovici93, la célèbre phrase de Rabbi Helbo de la fin du IIIe siècle, phrase présente à quatre reprises dans 90

. Elie Botbol, Quel avenir pour le judaïsme, p. 57. . Dans la Guerre des Juifs, Josèphe peut écrire : « Ayant amené à leur culte un grand nombre d’Hellénes, ils en firent une partie de leur communauté » (rapporté par E. Renan dans Judaïsme et Christianisme, p. 110). Par la suite, la conversion la plus notable est sans doute celle des Khazars établis entre la mer Noire et la mer Caspienne au VIIIe siècle. 92 . A. Chouraqui dans Mon testament (p. 7) précise même que : « Pour le juif de l’exil, tout prosélytisme était à la fois impossible, interdit et lourdement sanctionné».Pour Théo Klein (Le Guetteur, p. 168) : « Les rabbins soumettent la conversion à de telles exigences rituelles et les candidats à des tracas tellement suspicieux que la conversion cesse d’être une adhésion pour devenir une soumission ». À propos de ce prosélytisme juif qui a été actif à certaines périodes et qui ne repose nullement comme dans le christianisme et l’islam sur l’apport aux "sauvages", aux "ignorants" , aux "retardataires"… des biens supérieurs que sont la Vérité et surtout le bonheur paradisiaque post-mortem, on peut ajouter que le moteur de ce prosélytisme est moins l’intérêt des goyim que l’intérêt supérieur du groupe juif à savoir son renforcement au milieu des autres. Pour le monde juif quasi unanime la vie se termine en effet dans le shéol, où tous les individus, justes et criminels, rois et esclaves, pieux et impies se retrouvent pour y demeurer dans le silence et redevenir poussière. 93 . Simone Weil, la mal née in La Haine de soi, Éditions Complexe 2000, p. 298. 91

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le Talmud de Babylone : « les prosélytes sont aussi pénibles pour Israël que la lèpre pour l’épiderme ». Celle de Rabbi Hama, un autre maître de la même époque, n’est pas moins expressive : « Le Saint, béni soit-il, ne fait reposer sa Présence que sur les familles d’Israël dont la généalogie est sans tache ». De toute façon, après les exceptionnelles conversions légitimées par les rabbins, le droit du sang, le jus sanguinis en vigueur, s’applique automatiquement pour les descendants du converti : celui-ci, par son sang, transmet la judéité. Le judaïsme comporte en effet une dimension qui lui est presque spécifique dans la sphère occidentale : la dimension généalogique avec son double contenu d’irréversibilité et de contrainte morale94. C’est ainsi que nombre d’auteurs juifs, pour bien marquer ces données originales, insistent particulièrement sur la dimension biologique ou raciale du judaïsme, dimension d’où il s’ensuit que les notions de sang et de pureté de lignage ont, pour les Juifs, une tout autre portée que pour les non-Juifs. Certes, ces derniers sont toujours plus ou moins amenés par l’environnement familial à être chrétiens, socialistes ou fascistes… mais ils ne sont pas nés chrétiens, demi-chrétiens ou quart-de-chrétiens, socialistes ou fascistes, bien nés ou mal nés. Non tributaires du sang reçu à la naissance, ils gardent la liberté fondamentale de ne pas se voir et de ne pas être vus comme les héritiers obligatoires d’une culture ancestrale. Cette liberté ne saurait appartenir aux hommes nés Juifs95, otages du lien intime entre leur identité et leur hérédité : elle ne peut être pour eux que le fruit d’une conquête personnelle et d’une rupture laborieuse. La circoncision : signe d’appartenance au peuple élu de Dieu et marque d’identité Il convient d'ajouter que le marquage par le sang, institué par la loi de transmission héréditaire de la qualité de juif, se trouve complété chez l’enfant mâle (ou le prosélyte adulte qui se convertit) par un marquage spécifique dans la chair : la circoncision. Dans le judaïsme, cette pratique revêt en effet une signification précise : c’est le signe de l’Alliance éternelle conclue entre Yahvé, le dieu de la mythologie hébraïque, et Abraham. « Mon alliance sera marquée dans votre chair, comme une alliance perpétuelle. L'incirconcis, le mâle dont on n'aura pas coupé la chair du prépuce, cette vie-là sera retranchée de sa parenté : il a violé mon alliance » (Genèse 17, 13-14). D'un côté, il y aura le peuple élu de Dieu et, de l’autre, la masse des individus exclus de la promesse. On peut remarquer que ce marquage dans la chair, en s’éloignant de sa référence purement religieuse, est même devenu avec le temps un acte affirmant à lui seul et de façon irrévocable l’identité juive. C’est une marque qualifiante de la judéité : sur un enfant mort avant l’ablation du prépuce le préposé à l’opération, le mohel, effectue son travail. De même, les convertis au judaïsme ne sont qualifiés de Juifs qu’après cette entaille irréversible. Conditionnant le sujet tous les jours de sa vie à se voir d’une catégorie autre que celle des non-Juifs et, en cas d’indocilité, à se savoir menacé par les siens « d’être rejeté parmi la

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. Seule la communauté tsigane peut, de ce point de vue, lui être comparée : représentant également une catégorie raciale minoritaire elle sera "naturellement" victime de racisme. Par ailleurs, il est évident que le problème du racisme est fort différent dans les deux populations : les Tsiganes, du fait de leur type de nomadisme, n’ont qu’une modeste culture contrairement aux Juifs dont le nomadisme s’accompagne d’une intégration culturelle poussée dans tous les pays où ils vivent. 95 . Dans l’islam la transmission de la religion par le père constitue aussi une contrainte archaïque mais l’inspiration et la signification de cette pratique sont fondamentalement différentes de celles du judaïsme. Les notions de sang, de lignée, de race, si importantes dans le judaïsme, sont chez lui quasi-inexistantes : l’islam, comme le christianisme, est accessible à tous les hommes : toute théorie raciale comme toute idéologie raciste lui est fort étrangère.

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"canaille"96 », cette mutilation du sexe irréversible, contrevenant au respect de l’intégrité physique dû à tout individu97 et à sa liberté, sera pour certains Juifs une pénible sujétion. LES TEXTES SACRÉS EXPLICITANT LA DIVISION DE L’HUMANITÉ ET LA PENSÉE RACIALE

Alors que bien des écrits du judaïsme appellent à respecter l'étranger98, alors que le monothéisme intransigeant a pu contribuer à promouvoir l’égalité entre les hommes, à réduire la barbarie antique et à susciter la générosité qui a pu guider les chrétiens et les pionniers du socialisme99, on peut dire que ces données sont largement occultées par l’histoire et la littérature juives au profit de celles exaltant le judéocentrisme suivant lesquelles le non-Juif est toujours le gentil, le goy, le quelconque, le commun, l’autre par nature. Entre ces deux sortes de textes contradictoires les plateaux de la balance ne sont manifestement pas au même niveau... Découlant directement des mythes fondateurs instituant une différence d’essence entre Juifs et non-Juifs, bien des écrits émanant du judaïsme vont venir en effet conforter la donnée suivant laquelle le peuple juif est fondamentalement différent des autres, donnée que nous avons vue à la base de tout racisme. Citons quelques-uns de ces textes dont le caractère sacré masque l’archaïsme mais qui sont toujours source d’inspiration à l’époque moderne en dehors même des cercles religieux : « Race d'Israël, son serviteur, Enfants de Jacob, ses élus ! » (Chroniques 16, 13). « C’est un souvenir pour les enfants d’Israël, afin qu’aucun étranger à la race d’Aaron ne s’approche pour offrir du parfum devant l’Éternel » (Nombres 16, 40). « Toi, Éternel, Tu les garderas, Tu les préserveras de cette race à jamais » (Ps 12, 8). Ainsi parle le Seigneur Dieu : « Aucun étranger, incirconcis de cœur et incirconcis de chair, n'entrera dans mon sanctuaire, aucun étranger qui demeure au milieu des fils d'Israël » (Ez. 44, 9). Le Deutéronome précise de son côté le sort qu'il convient de réserver aux idolâtres : « Si ton frère, fils de ta mère, ou ton fils ou ta fille ou la femme que tu serres contre ton cœur, ou ton prochain qui est comme toi-même, vient en cachette te faire cette proposition : "Allons servir d'autres dieux" – ces dieux que ni toi ni ton père vous ne connaissez, parmi les dieux des peuples proches ou lointains qui vous entourent d'un bout à l'autre du pays – tu n'accepteras pas, tu ne l'écouteras pas, tu ne t'attendriras pas sur lui, tu n'auras pas pitié, tu ne le défendras pas ; au contraire, tu dois absolument le tuer. Ta main sera la première pour le mettre à mort, et la main de tout le peuple suivra ; tu le lapideras, et il mourra pour avoir cherché à t'entraîner loin du Seigneur ton Dieu » (Deut. 13, 7-11). Dans tous les écrits fondamentaux du judaïsme, notamment dans le Talmud, le peuple juif est toujours vu en effet comme un peuple différent des autres sinon supérieur : N'est-il pas écrit dans la Torah : « qu'Israël vivra en solitaire et ne se confondra pas avec les nations » ? (Nombres 23, 9)

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. Rey-Flaud, Et Moïse créa les Juifs, p. 253. . Remarquons ici que le tribunal de grande instance de Cologne, dans son jugement du 26 juin 2012, a jugé que la circoncision d’un enfant pour un motif religieux était une mutilation passible d’une condamnation. 98 . « N'humilie pas l'étranger, ni l'opprimé, car vous avez été étrangers en Égypte ! N'humilie jamais la veuve ni l'orphelin » (Exode 22:20) ; « Tu aimeras l'étranger qui s'installe chez toi comme toi-même » (Lévitique 19, 1718 et 34) ; « Vous et l’étranger serez égaux devant l’Éternel. Même loi et même droit existeront pour vous et pour l’étranger parmi vous » (Nombres 15, 15-16). 99 . Si on peut légitimement attribuer au monothéisme des vertus (Emmanuel Levinas parle, lui, d’une nette supériorité), il ne faut pas méconnaître qu’il fut aussi, contrairement au polythéisme, source d’intolérance et de violence (cf. Jean Soler dans La violence monothéiste ou J. P. Castel dans Le déni de la violence monothéiste). Par ailleurs, sur le plan Vérité, on ne saurait comparer le monothéisme et le polythéisme. Appartenant l’un et l’autre au domaine de la mythologie leurs données ne sont pas accessibles à la raison mais à la foi. 97

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N'est-il pas dit que le Juif religieux doit, chaque matin, bénir Dieu de l'avoir créé Juif et non autre ? N'est-il pas écrit, dans la Halakha, qu'un Juif peut transgresser le Shabbat pour sauver la vie d'un autre Juif, mais non de celle d'un non-Juif ? N'est-il pas prescrit au Juif pratiquant de prononcer chaque matin les paroles de la prière du Shaharit : « Béni soit l'Éternel qui ne m'a pas fait goy… »? Le grand mystique juif Moshe Luzzatto (1706-1746) intégrera parfaitement ces données : « Dans le monde à venir, affirme-t-il sans ambages, aucune nation n'a de place à l'exception d'Israël ». N'est-il pas dit d'ailleurs dans le Lévitique que : « le plus saint des peuples, est celui d'Israël » ? À ces propos, Schattner100 rapporte une donnée tout à fait caractéristique d'une certaine évolution de l'éthique juive. Alors que dans une version ancienne de la Mishna il est dit : « Qui a détruit une vie a détruit tout un monde et qui a sauvé une vie a sauvé tout un monde », les versions imprimées ultérieurement sont devenues : « Qui a détruit une vie au sein d'Israël a détruit tout un monde et qui a sauvé une vie en Israël a sauvé tout un monde.» Dans le Talmud (Sefer Midrash) on peut lire aussi : « Dieu créa les akums [les non-Juifs] sous forme d'hommes en l'honneur des Juifs. Les akums n'ont été créés que pour servir les Juifs jour et nuit sans qu'ils puissent quitter leur service. Il ne conviendrait pas à un Juif d'être servi par un animal, mais bien par un animal à figure humaine […] Il faut s'appliquer à attiser les querelles des akums quand le feu commence à brûler ; car quand les chiens s'entre-déchirent, ils laissent les agneaux en repos ». Comme le suggèrent tous ces textes, si le judaïsme a généré une pensée d’ordre racial inédite dans les autres communautés, c’est pour avoir théorisé de façon particulière, l’étranger. Désigné à la fois par la doctrine, les rites et les textes, il est celui qui n’est pas élu de Dieu, qui est soit un ennemi, soit un opposant, soit celui que l’on tolère par condescendance, voire celui que l’on reçoit par intérêt, bonté ou générosité (comme en témoignent divers textes cités précédemment ou bien l’histoire de Ruth la Moabite101), mais celui qui est fondamentalement autre de par son ascendance charnelle. Il peut être aussi celui qui, par son caractère impur, est susceptible de menacer l’équilibre, l’intégrité et l’harmonie du Juif. Les deux éléments de base que nous trouvons ici sont toujours les mêmes : les mythes fondateurs et la loi fondant la judéité, éléments qui se sont associés et confortés mutuellement au cours des temps pour une situation particulièrement contraignante car fondée sur des textes sacrés restés en vigueur jusqu’à nos jours102. Le christianisme et l’islam ont commis nombre de crimes inexpiables au nom de leur Vérité, néanmoins, les dites traditions religieuses n’ont jamais perdu de vue très longtemps que les populations étrangères qu’elles méprisaient ou oppressaient étaient faites de gens destinés avant tout, quels qu’ils soient, à être convertis (par la persuasion ou la force) et à devenir des frères. Pour le christianisme, un musulman est toujours un chrétien potentiel et réciproquement. Pour le judaïsme au contraire (sauf exception) l’étranger reste l’étranger en vertu du mythe de l’Alliance et du droit du sang qui fondent à tout jamais deux catégories d’individus, les Juifs et les Autres. Régis Debray103 remarque d’ailleurs fort pertinemment que si le Décalogue dit : « Tu ne tueras pas », il proclame aussi qu’ « autrui n’est point les autres. Interdit est l’homicide, non la guerre. Caïn est coupable de meurtre, il a tué son frère, mais Josué est un héros, il a exterminé les Cananéens par milliers. Tu ne tueras point (un 100

. Le maillon faible, Interrogations sur l'alliance entre nationalisme et religion en Israël, Esprit-mai 1998, p. 92. 101 . Laquelle, en donnant un enfant au vieux Booz, va s’inscrire dans la généalogie des ascendants du roi David. 102 . Certes, nous disent les ethnologues, toutes les sociétés anciennes ont conditionné leurs enfants à se méfier des étrangers, des autres, des inconnus, des non-consanguins, mais ce qui fait la spécificité de la culture juive c’est d’avoir cultivé et exalté cette donnée jusqu’à nos jours avec une application sans faille. 103 . Le feu sacré, p. 200.

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coreligionnaire) mais tu tueras outre-mont, derrière la dune (les faux frères idolâtres, les apostats, et, bien sûr, les Philistins) ». Si le Lévitique et le prophétisme juif donnent parfois au mot prochain le sens de l’autre au sens plein, si divers penseurs juifs modernes, tels Rosenzweig et Lévinas104 ont pu soutenir que l’accueil de l’étranger fait partie intégrante de la foi juive, il reste que pour l’essentiel de la tradition, notamment pour le pouvoir rabbinique, le prochain n’est que l’enfant du peuple juif et le non-Juif une menace perpétuelle. Il est patent que le judaïsme rabbinique qui est né il y a quelque deux mille ans parallèlement au christianisme et qui s’est depuis sans cesse renforcé, « judaïsme raciste selon tous les conseils d’Esdras et de Néhémie105 » comme l’estime Ilan Halevi, a joué comme un élément de civilisation régressif en confortant les mythes fondateurs par des dispositions spécifiques. Quels que soient les contextes sociaux s’appliquent en effet avec lui des interdits qui signent l’autrisme106, la race et le racisme et qui annihilent d’emblée, aux yeux des hommes libres, ce que certains textes pouvaient suggérer de généreux, de progressiste, d’universaliste. On peut noter en effet que la notion d’humanité universelle n’est pas née avec le Dieu d’Israël mais avec le Dieu chrétien, notamment avec le Juif Paul, lequel par sa double culture judaïque et gréco-romaine (et plus précisément stoïcienne), aura cette formule : « Désormais il n'y a plus ni Grecs ni Juifs, ni circoncis ni incirconcis, ni Barbares ni Scythes, ni esclaves ni hommes libres »107. LES MYSTIQUES BIBLIQUES DU PUR ET DE L’IMPUR, DE LA RACE ET DU SANG

L’impureté de nature des gentils et les premières lois de pureté raciale Si les catégories du pur et de l'impur sont présentes dans nombre de systèmes religieux, comme l’écrit Roger Caillois108, elles revêtent néanmoins dans la Bible et les divers écrits sacrés du judaïsme un statut tout à fait exceptionnel. Pour les Juifs fidèles elles représentent rien de moins qu’une contrainte continue, voire une véritable obsession dans un idéal constamment réaffirmé de distinction, de séparation et de préservation : « Soyez saints pour moi, car je suis saint, moi l’Éternel, et je vous ai séparés d’avec les autres peuples pour que vous soyez avec moi » (Lévitique 17, 14). La cacherout va constituer un des principaux fondements de la Loi, de la pensée et de la culture juives. Sont concernés en premier lieu les mystères de la vie. Pour les Hébreux comme pour les peuples anciens, bien des réalités dont ils sont les témoins : la maladie, la mort, la reproduction… échappent à leur entendement. Dans une conception fondamentalement religieuse du monde, tous ces éléments mystérieux sont vus comme une manifestation de la divinité. Une distinction nette est établie entre le monde du divin et celui de l’humain, entre le sacré et le profane, d’où les multiples tabous entourant la mort, l’exercice de la sexualité et notamment l’accouchement où une femme est en contact avec le sang. Dans cette circonstance, la femme doit alors se purifier pendant quarante jours afin de redevenir apte à 104

. On peut remarquer que Levinas (dans son ouvrage Difficile liberté) et Rosenzweig ont eu quelque propension à mettre cet universalisme au crédit exclusif du judaïsme en négligeant le fait que leur pensée est largement tributaire de l’universalisme chrétien et de celui des philosophes du XVIIIe (ces derniers étant eux-mêmes héritiers de divers penseurs grecs et romains). 105 . Question juive, p. 68. 106 . Mot que l’on a défini comme "le sentiment de méfiance, voire d’hostilité envers l’Autre, l’étranger". 107 . (I Cor. 12, 13). Ainsi que l’écrit Julia Kristeva (citée par J. Ricot dans son Étude sur l‘humain et l’inhumain, p. 48) : « L’Église paulinienne hérite du cosmopolitisme propre à l’hellénisme tardif qui offrait déjà des conditions matérielles et juridiques plus propices qu’auparavant aux étrangers et à leurs croyances. Paul s’appuie sur cette disposition pour rompre avec le nationalisme des communautés juives ». C’est ainsi que le christianisme, en héritier du paganisme gréco-romain, récusera formellement toute appartenance raciale qui sépare les hommes. Et puis le XVIIIe siècle, avec les Lumières et la Révolution française, proposera au monde le concept idéal de l’unité du genre humain. 108 . L’homme et le sacré, p. 43.

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prendre part au culte divin. Après un rapport sexuel, une purification est également exigée de l'homme et de la femme. À partir de cette donnée biblique suivant laquelle la vie est sacrée et le sang siège de la vie, le judaïsme va forger et enrichir ses propres données mythiques : le sang devient tantôt le symbole de la pureté, de l’intégrité et de la sainteté quand il est à l’intérieur du vivant, tantôt au contraire le symbole de l’impureté et de l’abomination lorsqu’il provient d’une plaie ou des voies naturelles de l’homme et de la femme. D’ailleurs, à l’extérieur, il se durcit, se coagule, se recouvre d’un croûte noire. « Sang de l’homme assassiné qui "crie" vengeance depuis la terre […] Sang de la femme non fécondée qui, dissocié de l’œuvre de vie, la quitte au moment de ses règles et la met en état d’impureté rituelle. Sang de l’animal abattu absolument interdit à la consommation »109. Tout sang qui s’évacue devient un sang souillé, impur, salissant celui qui le touche. Toujours associée au système du licite et de l’illicite, de l’autorisé et de l’interdit, cette distinction récurrente de la Torah revêt de multiples formes et s’applique dans de multiples domaines : le corps de l’homme et celui de la femme, les animaux, les plantes, les aliments, les vêtements, les objets, les métiers, les lieux, l’air, les odeurs, la terre, les hommes…Tous les aspects de la vie font ainsi l’objet d’une codification par le droit rabbinique : mariages et naissances, circoncisions et enterrements, divorces et héritages, jeûnes et fêtes, prêts et remboursements, salaires et indemnités, propriété des esclaves et modes de fermage des terres. L’alimentation est particulièrement concernée. Dès la Genèse, les premières lois alimentaires sont formulées de façon précise par Dieu lui-même : « Et Dieu dit : Voici que je vous donne toute herbe portant de la semence et qui est à la surface de toute la terre, et tout arbre ayant en lui du fruit d’arbre et portant de la semence ; ce sera votre nourriture » (Genèse 1, 29). Quant aux animaux destinés à être consommés après avoir été offerts en sacrifice pour s’attirer les bénédictions de Yahvé, il convient de distinguer aussi ceux qui sont purs et dignes d’être offerts, de ceux qui ne le sont pas. Voici les signes de différenciation : « Vous mangerez de tout animal qui a la corne fendue, le pied fourchu et qui rumine ». Il sera tué de façon rituelle (casher) et vidé de son sang, ce principe vital frappé d’un interdit parce que réservé à Dieu. « Mais vous ne mangerez pas de ceux qui seulement ruminent, ou qui ont seulement la corne fendue. Vous les regarderez comme impurs ». Impurs aussi sont les poissons sans écailles et sans nageoires. (Lévitique 11, 3-4). Un verset biblique résume bien la raison d'être des lois alimentaires : « C'est moi, Iahvé, votre Élohim, qui vous ai séparés des peuples, et ainsi vous séparerez la bête pure de l'impure » (Lévitique 20, 24-25). Il y a correspondance entre le peuple élu et la nourriture pure. Particulièrement concernée aussi la terre d’Israël. C’est une terre pure, une terre sacrée car elle est la terre que Yahvé a donnée au peuple qu’il a choisi, séparé du vulgaire et exhaussé. Et dans l’armée de l’Israël moderne on parlera même de la « pureté des armes juives » ! Réciproquement la terre des étrangers est considérée comme impure : on ne peut y adorer Yahvé. Quant aux relations sexuelles d’un Juif avec un étranger impur par nature, elles sont bien entendu particulièrement visées par cette mystique. Pour la Torah elles constituent une souillure particulièrement grave et conduisent dans le gehinnom (l’enfer). Il y a cependant une différence entre la relation d’une femme avec un goy et celle d’un homme avec une goya (non-juive). Pour la femme juive souillée par le non-Juif, c’est une faute impardonnable. La Halakha (la loi religieuse) désigne cette relation comme un lien de prostitution et, pendant plusieurs siècles, la femme coupable d’infidélité raciale était lapidée par le peuple ou bannie comme lépreuse. Pour l’homme juif souillé, c’est une faute grave voire un acte contre-

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. Le Juif et l’Autre, p. 80.

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nature110, mais le repentir est néanmoins possible au prix d’humiliations publiques, de mortification sexuelle, de bannissement plus ou moins long. Car ici, avant tout, ce qui est sacré doit rester avec le sacré, le profane avec le profane. Si l’un et l’autre se mêlent il y a impureté, état qui appelle le plus vite possible la levée de la souillure. D’où les multiples rites de purification par l’eau et les pratiques de ségrégation présents dans le judaïsme, telle l’interdiction faite aux Juifs de partager la table des Gentils – on ne boit pas de vin servi par un Non-Juif, on ne mange pas la nourriture de l’impur pour ne pas devenir impur – toutes pratiques faisant partie des 613 commandements de la Torah. « Plus on reste entre soi, mieux on aura satisfait au leitmotiv du Lévitique qui est de conjurer en toutes choses l’abomination des abominations : le mélange. » Est sacrilège celui qui viole un interdit et particulièrement le plus grave de tous, la règle d'endogamie. « Ce viol, nous dit Roger Caillois111, ne représente pas seulement "une infraction à l'organisation sur laquelle repose la vie en commun" c'est en même temps l'équivalent exact, sur le plan mystique, de l'homosexualité ». Une des missions essentielles de la race élue de Dieu n’est-elle pas en effet de ne pas se mêler à la race des Gentils impurs par nature ? Et le judaïsme talmudiste apporte même cette précision : si un Juif reste toujours juif même en devenant athée, agnostique ou converti à une autre religion112, de même un Gentil reste un Gentil même s’il se convertit au judaïsme. Certes, distinct du goy par la conversion, le guer (suivant l’appellation qu’on lui donne) devient un fils spirituel d’Abraham et accède au salut par la foi mais, par le sang, il reste biologiquement un Gentil destiné à être neutralisé dans le groupe. Tributaire lui aussi de cette tradition où la judéité est indélébile, Jean-Claude Milner, après avoir constaté qu’il y avait trois catégories de Juifs : les Juifs d’affirmation, les Juifs d’interrogation, les Juifs de négation, peut ainsi écrire, à propos de ces derniers considérés comme des « compagnons de route des persécuteurs113 » : « même pour eux, le nom demeure » car, « rien, ni Dieu ni maître, ne peut faire que ce nom […] ne soit le même nom que celui que se donnent les Juifs d’affirmation »114. C’est dire aussi, d’une part que la conversion au christianisme ou à une autre religion est généralement vue comme une trahison du peuple juif, voire depuis le nazisme « une continuation de l’Holocauste par d’autres moyen » pour le rabbin Joël Berger, porte-parole de la Conférence des rabbins allemands115, d’autre part qu’il y a une multitude de Juifs malgré eux, affiliés d’autorité au critère de race et des Juifs qui, ignorant leur ascendance, sont des Juifs inconnus. Éviter le mélange du sang des Juifs et de celui des non-Juifs, cette grande prescription du judaïsme repose sur de nombreux textes de la Torah. « Tu ne t’allieras pas par mariage avec eux (les Cananéens) ; tu ne donneras pas tes filles à leurs fils et tu ne prendras pas leurs filles pour tes fils » ordonne le Deutéronome (7, 3-4). Dans l'Exode (34, 16) Moïse reçoit un ordre de Dieu pour que son peuple n'épouse pas les filles des étrangers tandis qu’Esdras et Néhémie 110

. Dans son ouvrage The Tempter of Eve datant de 1902, l’auteur Charles Carroll considère, quant à lui, que le mariage consanguin et l’inceste, qui préservent la pureté raciale des Juifs, sont préférables au métissage avec des non-Juifs (rapporté par A. Pichot, Op. cit. p. 89). 111 . L'homme et le sacré, p. 106. 112 . L’écrivaine Nathalie Rheims, par exemple, peut écrire ainsi : « je suis juive de père et mère, et catholique de confession » (La Vie, N° 3296 du 30 octobre 2008, p. 41), d’autres se considèrent bouddhistes par la croyance et Juifs par le sang. 113 . Le Juif de savoir, Grasset 2006. 114 . Les penchants criminels de l’Europe démocratique, p. 108. 115 . Quant à la conversion de Aaron Lustiger elle n'est rien d’autre, pour Israël Lau, grand rabbin d'Israël, qu' « une trahison de son peuple et de sa religion tandis que celui qui est devenu Mgr Jean-Marie Lustiger est vu comme « le représentant de l'extermination spirituelle qui conduit, comme l'extermination physique, à la solution finale de la question juive » (citations rapportées par Alfred Grosser, Les fruits de leur arbre, p. 29.

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de retour de l’exil babylonien pleurent amèrement parce que « la race sainte s'est mêlée avec les peuples des pays voisins » (Esd. 9, 2) et ordonnent d’autorité à : « tous ceux qui avaient pris des femmes étrangères, de les renvoyer ainsi que leurs enfants » (Esd. 10, 44). Car la pureté du sang, c’est à la fois la non-souillure des hommes et la sauvegarde des frontières matérielles et spirituelles de la communauté116. Le Livre de Josué (23, 13), quant à lui, donne cette recommandation : « Si vous vous alliez par mariage avec eux, s’ils pénètrent chez vous, sachez-le bien : Yahvé, votre Dieu, ne continuera pas à déposséder ces nations devant vous. Elles deviendront pour vous un filet et un piège, un fouet sur vos flancs et des aiguilles dans vos yeux, jusqu’à ce que vous disparaissiez de dessus cette terre que vous a donnée Yahvé, votre Dieu ». Après les auteurs de la Bible, les rabbins, porteurs fidèles de « l'obsession "raciale" de Néhémie117 », vont encore accentuer cette poursuite de l’incessante unicité du peuple juif. « C'est en toute lucidité, écrit Kadmi-Cohen118, que les docteurs, après avoir gravement délibéré, décidèrent d'augmenter le nombre des prescriptions, de les aggraver, de les rendre aussi strictes que possible […] Ils sentaient que leur ensemble, rigoureusement observé par la crainte du châtiment céleste, servirait aux juifs épars et dispersés dans le monde entier de ciment d'union, qu'il leur donnerait une cohésion unique et bâtirait entre eux et le reste du monde un mur infranchissable ». Même les lois juives relatives à l’esclavage des non-Juifs dans le monde juif vont tenir compte de cette obsession de l’impureté essentielle des étrangers. Dans son ouvrage de 1867 intitulé L’Esclavage selon la Bible et le Talmud, ouvrage qui est la principale référence en la matière, Zadoc Kahn (1839-1905), qui sera grand rabbin de France, fait état que la loi à appliquer par les maîtres vis-à-vis des esclaves implique de les circoncire et de les convertir. Malgré les grands risques qu’ils prenaient pour leur sécurité et leurs réticences à faire de ces hommes des Juifs, il s’agissait en priorité pour les maîtres d’éviter toute souillure avec quelque non-Juif. Il écrit ainsi : « Si le Talmud exige que les esclaves professent, du moins en partie, le judaïsme, c'est qu'il s'agit pour lui de sauvegarder par là de nombreux intérêts. À une époque où les lois de pureté lévitique étaient strictement observées, il était important d'éviter tout contact qui pût amener une souillure. En outre, le vin touché par un esclave non circoncis, de même que par un idolâtre, ne pouvait plus servir à l'Israélite »119. L’angoisse des origines impures et des filiations incertaines, l’obsession de préserver l’homogénéité génétique du peuple choisi par Dieu, la phobie de la pollution résultant du mélange entre Juifs et non-Juifs imprègneront toujours profondément le judaïsme où le sang, notion inconnue dans les autres traditions religieuses, est porteur de la filiation et de l’identité. Les notions de race juste ou pure, de race incirconcise ou impure, découlant de l’Élection et promues par les multiples commentateurs au cours des siècles, contribueront ainsi grandement à faire des Juifs un peuple à part, différent, séparé, saint, « le trésor bien-aimé de Dieu », une exception originelle porteuse des coutumes de pureté dictées par Dieu lui-même. Prémisses de l’hygiène raciale qui, va s’épanouir au XIXe siècle chez les eugénistes juifs avant d’être reprise par les eugénistes aryens et plus tard par les nazis, ces concepts bibliques obsédants du pur et de l’impur, du licite et de l’illicite, concepts vus parfois dans une perspective de sainteté mais destinés avant tout à maintenir le peuple juif dans sa singularité – 116

. À propos de cet épisode biblique, Heinrich Graetz (1817-1891) dans son Histoire des Juifs a pu écrire non sans pertinence « Ce fut un instant grave et décisif pour l’avenir de la nation ». Épisode capital en effet que celui-là pour le judaïsme : comme nous le verrons longuement ce rejet des unions mixtes, qui vient conforter la séparation radicale Juifs/non-Juifs instituée dès les origines pour que soit respecté l’ordre divin, est le témoin par excellence d’une catégorie raciale particulièrement différenciée et du racisme qui va en découler. 117 . Ilan Halevi, Question juive, p. 67. 118 . dans Nomades. Essai sur l’âme juive, p. 145. 119 . Citation rapportée dans Aux origines des théories raciales. De la Bible à Darwin, p. 105-109.

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à la fois en dissuadant les Juifs de le quitter et en empêchant toute intrusion extérieure – n’ont absolument pas d’équivalent dans les autres sociétés. Certes, les catégories du pur et de l’impur sont bien présentes dans certaines sociétés primitives mais, fait singulier, elles structurent ici, depuis plus de deux millénaires, une exceptionnelle culture écrite où les mythes fondateurs, qui sont toujours opérationnels même chez les athées, ne peuvent que subsister longtemps encore. D’autre part on peut ajouter, fait également singulier, que ces données qui contribuent si puissamment à forger l’identité raciale spécifique des Juifs, conditionnent à la fois la survie du peuple juif et du judaïsme. LA MYSTIQUE DE LA VIOLENCE INHÉRENTE AU JUDAÏSME

Témoin de la pensée raciale promue par le judaïsme, le thème de la violence envers les non-Juifs est particulièrement présent dans les livres de la Bible : fait notable, seuls le Livre de Ruth et le Cantique des Cantiques ne parlent pas de la guerre tandis que les rares préceptes de générosité sont noyés parmi des commandements d’une cruauté et d’une injustice caractérisées. Les textes, où s’invente le concept de guerre sainte comme le remarque Michel Onfray120 et qui vont servir de justification à cette violence sous les ordres de Yahvé, le Dieu juif des armées, sont en effet multiples. Citons en quelques uns : « Lorsque le Seigneur ton Dieu t'aura fait entrer dans le pays et qu'il aura chassé devant toi les nations nombreuses, tu les voueras totalement à l'interdit (Deut. 7, 1-2) « et tu les supprimeras » (Deut. 7, 24). « Qu'Israël se réjouisse en son Créateur, que les enfants de Zion se réjouissent en leur Roi [...] Qu'ils chantent pour la joie sur leurs couchettes ! Que les louanges élevées vers Dieu ne quittent pas leurs gorges et que les sabres à deux pointes ne quittent pas leurs mains, afin de faire descendre la vengeance dévastatrice sur les nations et le châtiment sur les peuples » (Ps 149). « Sache aujourd'hui que l'Éternel, ton Dieu, marchera lui-même devant toi comme un feu dévorant, c'est lui qui détruira tes ennemis, qui les humiliera devant toi ; tu les chasseras, tu les feras périr promptement, comme l'Éternel te l'a dit » (Deut. 9, 3). Le peuple hébreu adresse ainsi ses supplications à son dieu Yahvé : « Dieu ! si tu voulais massacrer l'infidèle ! Hommes sanguinaires, éloignez-vous de moi... Seigneur, comment ne pas haïr ceux qui te combattent ? Je les hais d'une haine parfaite, ils sont devenus mes propres ennemis » (Ps 139, 19-22). « Par ta fidélité tu extermineras mes ennemis et tu feras périr tous mes adversaires, car je suis ton serviteur » (Ps 143, 12). « Quand le tabernacle partira, les Lévites le démonteront, quand le tabernacle campera, les Lévites le dresseront ; et l’étranger qui en approchera sera puni de mort » (Nombres 1, 51). Yahvé qui, selon Régis Debray121, « passerait aujourd’hui en correctionnelle pour incitation à la haine raciale et apologie de crimes de guerre », n’est pas tendre pour les opposants à son peuple : « Je vais punir Amalec de ce qu'il a fait à Israël en s'opposant à lui quand il remontait d'Égypte. Va maintenant, tu battras Amalec et vous vouerez à l'anathème tout ce qui est à lui : tu n'auras pas pitié de lui et tu mettras à mort hommes et femmes, enfançons et nourrissons, bœufs et moutons, chameaux et ânes » (Samuel 15, 2-3). N'est-il pas prévu dans le psaume 137 de « broyer sur le roc les bébés de Babylone » ? 120

. Op. cit., p. 214. . Dans son ouvrage Un candide en Terre sainte, p. 26. Quant à Michel Onfray (Op. cit. p. 216) il peut écrire à ce même propos : « Depuis deux mille cinq cents ans, aucun responsable issu du peuple élu n'a décidé que ces pages relèvent de la fable, de balivernes et de fictions préhistoriques dangereuses au plus haut point, car criminelles. Bien au contraire. Il existe sur la totalité de la planète un nombre considérable de gens qui vivent, pensent, agissent, conçoivent le monde à partir de ces textes qui invitent à la boucherie généralisée sans jamais avoir été interdits de publication pour appel au meurtre, racisme et autres invitations aux voies de fait ». 121

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Remarquons qu’Amalec (avec les Amalécites) est vu dans le judaïsme comme l’archétype de l’ennemi des Juifs. Ce qualificatif fut appliqué au cours des temps aux Romains, aux Arméniens, aux chrétiens et de nos jours aux Arabes. Et, chacun le sait : Amalec doit être exterminé. Cette notion de guerre sainte inventée par la Torah au nom de Yahvé le Dieu des armées d’Israël aura une longue descendance. Ce sera la guerre juste ou la juste condamnation prônées par saint Augustin dès le second siècle et le djihad par Mahomet quelques siècles plus tard. Pour les réformés d’Amérique ce sera, y compris dans la guerre, le "In God we trust"122; en Allemagne, directement repris du texte biblique,123 ce sera le "Gott mit uns "; en Israël, les soldats orneront leurs armes de l’Étoile de David et, sur le champ de bataille, se conforteront avec des textes bibliques. Car la bonne cause rend bonne la violence ! Quant à la loi du Talion proprement dite, elle est ainsi formulée dans l'Ancien Testament : « Si malheur arrive, tu paieras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, meurtrissure pour meurtrissure » (Exode, 21, 23-25). « Si un homme provoque une infirmité chez un compatriote, on lui fera ce qu’il a fait : fracture pour fracture, œil pour œil, dent pour dent ; on provoquera chez lui la même infirmité qu’il a provoquée chez l’autre » (Lévitique, 24, 17-20). « Ton œil sera sans pitié : vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied » (Deutéronome 19, 21). La conquête du pays de Canaan par Josué prescrit par la Torah est un épisode servant particulièrement de référence. Dans cette conquête de la Terre promise, l’ordre de Yahvé, le dieu des combattants, dont la puissance et la justice s’exercent exclusivement à l’égard du peuple hébreu, est impératif : « Vous chasserez devant vous tous les habitants du pays car c'est à vous que je le donne à titre de possession... Si vous ne dépossédez pas à votre profit tous les habitants, ceux que vous aurez épargnés seront comme des épines dans vos yeux et vous harcèleront sur le territoire que vous occuperez ». Le texte rapportant l’événement représente, semble-t-il, la première relation de l’extermination systématique de toute une population. « Quand il entendit le son de ma trompe, le peuple poussa un cri de guerre formidable et le rempart s’écroula sur lui-même. Aussitôt le peuple monta dans la ville et ils s’en emparèrent. Ils appliquèrent l’anathème à tout ce qui se trouvait dans la ville, hommes et femmes, jeunes et vieux, jusqu’aux bœufs, aux brebis et aux ânes, les passant au fil de l’épée » (Jos. 7, 21). « Ne laissez en vie rien de ce qui respire. Détruisez-les jusqu’au dernier… comme le Seigneur votre Dieu vous l’a ordonné… » (Deut. 2, 16). Pour les commentateurs ayant cherché à expliquer cet ordre de destruction totale des peuples voisins donné par le Dieu de la Torah et qui sert toujours de référence en Palestine, la raison en serait, nous dit Abraham B. Yehoshua, « la volonté d'évincer toute possibilité de

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La guerre d’Irak fut menée par Bush, président des États-Unis, comme une lutte entre le Bien et le Mal, une "croisade". Le général William G. Boykin, sous-secrétaire adjoint à la défense pour le renseignement aux ÉtatsUnis, chrétien évangéliste, pouvait proclamer : « Nous, l’armée de Dieu, dans la maison de Dieu, dans le royaume de Dieu, avons été élevés pour une telle mission » ; et, à propos de la guerre en Somalie contre les chefs de guerre musulmans, « je savais que mon Dieu était plus grand que le leur, je savais que mon Dieu est un vrai dieu et le leur une idole » (Los Angeles Times, 16 octobre 2003). Comme l’explique naïvement un caporal américain : « Nous devons tuer les méchants » ! (Cité dans GI’s in Iraq are asking : Why are we here ?, International Herald Tribune, Paris, 12 août 2004). 123 « Dieu marche avec nous » (Deut. XX, 4) dans le combat contre les Égyptiens voués à l’extermination.

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relation naturelle avec la Terre d'Israël qui n'aurait pas reçu la médiation divine et spirituelle »124. La célébration de la violence : la grande fête liturgique de Pourim Chaque année, depuis plus de deux millénaires, cette fête particulièrement joyeuse du calendrier juif vient entretenir et exalter une tradition de vengeance et de revanche. L’histoire, rapportée dans le Livre d’Esther, est celle d’un groupe de Juifs réussissant non seulement à déjouer une tentative d’extermination mais à se venger sur des Gentils « n’opposant pourtant aucune résistance ». Le récit se situe sous le règne de l’Empereur perse Assuérus qui vient d’épouser une très belle juive (Esther) et d’en faire une nouvelle reine après répudiation de la précédente. Haman, le premier ministre d’Assuérus, complote afin d’obtenir du roi qu’il massacre tous les Juifs mais il ne sait pas qu’Esther est juive. Celle-ci, en compagnie de son cousin Mardochée et au péril de sa vie, avertit Assuérus du complot anti-Juifs ourdi par Haman et réussit à sauver son peuple. Haman et son fils sont pendus aux potences qu’ils avaient fait ériger initialement à l’intention de Mardochée tandis que ce dernier prend la place de Haman comme premier ministre. Le décret d’élimination des Juifs ne pouvant être invalidé, Mardochée édicte un nouveau décret permettant aux Juifs de s’armer et de tuer leurs ennemis ce dont ils s’acquittent avec joie et ardeur. « Dans toutes les provinces du roi Assuérus ils se rassemblèrent afin de frapper ceux qui avaient comploté leur perte… Ils se débarrassèrent de leurs ennemis en égorgeant soixante-quinze mille de leurs adversaires. Le quatorzième jour ils se reposèrent et de ce jour ils firent un jour de festins et de liesse […] Personne ne leur résista car la peur des Juifs pesait sur toutes les populations » (Esther 9, 5 et 16). La fête de Pourim, nous dit Elliott Horowitz125, fut souvent l’occasion de flambées de violence de la part des Juifs quand ils n’étaient pas minoritaires dans leur pays de résidence, tandis qu’allait s’élaborer avec le temps une véritable mystique de la vengeance et un culte de la force en référence à divers textes bibliques et annonçant d’emblée quelque combat sans merci contre ceux ne faisant pas partie du peuple juif. Car Yahvé (Esra-El : "que notre Dieu soit fort") est le protecteur de son peuple. Un psaume le proclame : « Aucun ennemi ne saura le circonvenir ni aucun malfaiteur l’humilier. J’écraserai devant lui ses agresseurs et, ceux qui les haïssent, je les abattrai. Ma fidélité et ma bonté seront avec lui et, par mon nom, grandira sa domination sur la mer et son empire sur les fleuves »126. Le messianisme biblique et la violence D’après la Bible la paix universelle marquera la fin des temps mais elle sera précédée d’un temps obligé de bouleversements de toutes sortes et de violences meurtrières. « Les auteurs regroupés dans le livre d’Isaïe, écrit Jean Soler127, justifient généralement ces tueries, soit par la nécessité pour Iahvé de châtier son peuple infidèle (punition collective pour la faute de quelques-uns), soit par le besoin d’exterminer les ennemis de son peuple, soit par les deux : Iahvé utilise les goyim pour punir les Israélites et ensuite il châtie les goyim pour avoir versé le sang de son peuple ». « Après l'anéantissement des ennemis, les Juifs récupéreront un immense butin et tous les peuples, devenus leurs vassaux, leur verseront un tribut : 124

. Pour une normalité juive, p. 63. À noter que cet épisode de la Bible, comme nombre de faits rapportés dans la Bible, n’est peut-être qu’un mythe mais il reste que ce mythe est toujours pourvu d’une exceptionnelle capacité d’inspiration et d’action pour les Juifs d’aujourd’hui et notamment pour les sionistes dans leur guerre de colonisation et de conquête en Palestine. 125 . Dans Reckless Rites : Purim and the Legacy of Jewish Violence (Des rites imprudents : Pourim et l'héritage de la violence juive) ; éléments rapportés par Ruth Meisels, rédactrice de Haaretz. 126 . Ps. 89, 23-26. 127 . dans La violence monothéiste, p. 274, 276 et 278.

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"Les richesses de toutes les nations alentour seront rassemblées : or, argent, vêtements en très grande quantité. Et il adviendra que tous les survivants de toutes les nations qui auront marché contre Jérusalem monteront année après année se prosterner devant le roi Iahvé des armées et célébrer la fête des Cabanes" » (Livre de Zacharie 14, 3-16). « Cette unification de l'humanité par la violence autour d'Israël et de son dieu est préfigurée dans le livre de Joël écrit avant la fin de l'Empire perse, dans lequel Israël occupait une place subalterne et même insignifiante. L'intervention du dieu des Juifs dans l'histoire de l'humanité doit s'accompagner d’importants bouleversements cosmiques : "Je produirai des signes dans le ciel et sur la terre, sang, feu, colonnes de fumée. Le soleil se changera en ténèbres, la lune en sang, avant la venue du jour de Iahvé, grand et terrible [...]. Oui, en ces jours-là, quand je rétablirai Juda et Jérusalem, je rassemblerai toutes les nations et les ferai descendre dans la vallée de Josaphat" » (Livre de Joël 3, 3-4 et 4, 1-2). « Et les armées de Gog (personnage symbolique représentant les ennemis d’Israël) s'entre-tueront : "Je le châtierai par la peste et le sang, je ferai tomber la pluie torrentielle, des grêlons, du feu, du soufre sur lui, sur ses troupes et sur les peuples nombreux qui sont avec lui. Je manifesterai ma grandeur et ma sainteté, je me ferai connaître aux yeux des nations nombreuses, et ils sauront que je suis Iahvé" » Livre d’Ézéchiel 38, 19-24). La violence est en effet très banale dans les nombreux livres l’Ancien Testament. Parmi ces livres, c’est celui d’Esther qui, pour Luther, apparaît « le plus assoiffé de sang, et donc, le plus "anti-chrétien" ». La mystique de violence à travers les siècles Consacrée par une liturgie à la fois ancestrale et fervente cette mystique va être sans cesse reprise et renouvelée non seulement par les instances religieuses mais par nombre de commentateurs des textes bibliques. Parmi eux citons par exemple le philosophe et théologien juif Maïmonide au XIIe siècle qui a publié un catalogue qui fait autorité concernant les 613 commandements constituant la loi orale. Retenant le commandement négatif n° 49 : « Ne laisser survivre aucun Cananéen » il renvoie au Deutéronome et explique, en référence au commandement n° 187, que les tuer constitue, par contre, un commandement positif ». En précisant que ce commandement est valable pour tous les temps, il fait ce commentaire : « Le fait de passer par le fil de l'épée les sept peuples est un devoir qui nous incombe ; il s'agit même d'une guerre obligatoire »128. Cette mystique qui a fait s’éloigner du judaïsme nombre de Juifs129 au cours des temps, apparaît spécifique de la culture juive. Aucune autre tradition religieuse ne semble avoir inventé et développé une telle éthique qui va, à la fois, assurer la cohésion exceptionnelle du groupe, s’adapter sans cesse au temps et au contexte environnemental tout en marquant profondément de son empreinte, dans beaucoup de domaines et sous diverses formes, le vaste monde chrétien occidental depuis deux mille ans. À propos de cette violence inhérente à la culture juive, Hannah Arendt130 a pu écrire : « Lorsqu’on découvrit la tradition juive d’hostilité souvent violente à l’égard des chrétiens et des non-Juifs, le public juif en général fut non seulement indigné, mais sincèrement étonné car ses porte-parole s’étaient persuadés et avaient persuadé les Juifs que, s’ils étaient ainsi séparés des autres nations, la faute en revenait aux non-Juifs, à leur hostilité et à leur obscurantisme ». 128

. Maïmonide, Le livre des commandements. Cité par Jean Soler, Op. cit., p. 272. . Telle Simone Weil qui écrit : « Si les Hébreux de la bonne époque ressuscitaient parmi nous, leur première idée serait de tous nous massacrer y compris les enfants dans leurs berceaux, et de raser nos villes, pour crimes d’idolâtrie » (Sylvie Courtine-Denamy Simone Weil, p. 250). 130 . Sur l’antisémitisme, p. 13. 129

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En résumé En instaurant un ensemble de lois et de rites exclusivistes, les rédacteurs de la Bible se sont appliqués à décrire une altérité structurelle irréductible entre deux univers : les Juifs pourvus d’une essence particulière et les non-Juifs. Il y a Nous et Eux, expression qui deviendra volontiers Nous ou Eux131 ! Cette conception suivant laquelle tout ce qui est essentiel se partage en couples polarisés – entre le Bien et le Mal il n’y a rien – où le pôle positif s’oppose radicalement au pôle négatif, est typiquement biblique et fondamentalement étrangère au monde grec. Notons qu’elle sera adoptée par tous les totalitarismes et notamment par le nazisme pour qui il y aura les Aryens et les non-Aryens et, d’une manière générale, par tous les antisémites. Sont ainsi formulées dans le judaïsme les notions fortement subjectives de race juste et pure, de race incirconcise et impure tandis qu’est rapporté un code juridique tout entier inspiré par la volonté de distinguer et de séparer le peuple hébreu des populations environnantes et d’en faire par auto-ségrégation un peuple qui, en opposition à celui des nonJuifs racialement autre, se veut pur et à lui-même sa propre finalité. En effet, aucun système de pensée autre que le judaïsme n’aura privilégié le groupe au détriment de l’individu132 et généré une catégorie aussi différenciée culturellement et biologiquement133 que celle des Juifs. Dans maintes communautés étudiées par les ethnologues, il existe aussi un orgueil de groupe portant ces sociétés à se croire supérieures ou privilégiées par rapport aux autres. Néanmoins, elles ne sauraient être comparées à la société hébraïque que l’on peut considérer comme la première société culturellement racisante de l’histoire du monde occidental. Portée par l’exceptionnel monument scripturaire qu’est la Bible, basée sur la filiation généalogique (donnée qui, à elle seule, détermine l’identité de chaque Juif pour la vie entière et près de laquelle toutes les autres sont accessoires et contingentes), fondée en droit sur une législation écrite prônant l’endogamie et punissant les contrevenants dans une mystique de pureté, cette société a véritablement inauguré, au seuil du premier millénaire, la pensée raciale d’ordre culturel avec ses trois mystiques : l’altérité/supériorité, la pureté et la violence dont l’association constitue le fondement commun de toutes les doctrines qualifiées aujourd’hui de racistes.

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. Lors de l’affaire Dreyfus, un album du dessinateur Jean-Louis Forain aura pour titre « Nous, vous, eux ». . En témoin fidèle de ce système, Ben Gourion, lors des persécutions nazies de 1938, aura sa phrase célèbre : « Si je savais qu'il était possible de sauver tous les enfants d'Allemagne en les installant en Angleterre, ou juste la moitié en les installant en Eretz-Israël, je choisirais cette deuxième solution ». 133 . L’historien des sciences A. Pichot peut écrire à ce propos : « Je ne crois pas qu'un seul groupe humain ait autant cherché à se caractériser biologiquement sur le mode galtonien que le peuple juif. À ma connaissance, même sous le nazisme, personne n'a entrepris, à un niveau comparable, de telles études, statistiques ou autres, sur les particularités anthropologiques, médicales, démographiques, etc., des Aryens ou des peuples supposés tels. Il aurait été intéressant de faire un parallèle entre les unes et les autres, mais apparemment la spécificité et la supériorité aryennes ont surtout été des affirmations incantatoires et n'ont pas donné lieu à des études comparables à celles qui ont été faites pour (et par) les juifs entre 1885 et 1930 » (Aux origines des théories raciales. De la Bible à Darwin, p. 432). 132

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CHAPITRE II – LA RACIALISATION DES JUIFS DANS LE MONDE JUIF CONTEMPORAIN134 Parallèlement aux travaux de Lamarck dans sa Philosophie zoologique, puis plus tard avec ceux de Darwin dans son Origine des espèces, c’est avec le XIXe siècle que le monde juif : biologistes, intellectuels, religieux… devait, en constante référence aux textes bibliques et talmudiques, traduire biologiquement la notion de peuple élu à la base même du judaïsme et fonder une raciologie juive innovante et autonome. Tandis que se constituait postérieurement, en face d’elle et en opposition à elle, la raciologie aryenne à partir des années 1880, elle devait connaître en effet un développement singulier pendant de très nombreuses années. Au milieu du XXe siècle, l’avènement du nazisme et le génocide allaient donner un coup d’arrêt brutal à la raciologie en général et à la raciologie juive en particulier, mais après une éclipse de quelques dizaines d’années, cette dernière est maintenant l’objet d’un exceptionnel renouveau, notamment dans les milieux juifs des États-Unis et d’Israël. Seront examinés successivement : • l’hygiène raciale, l’eugénisme et le surhomme dans le monde juif, • la génétique des Juifs dans le monde scientifique juif, • l’anthropologie raciale juive dans le monde des lettres. 1 - L’HYGIÈNE RACIALE, L’EUGÉNISME ET LE SURHOMME DANS LE MONDE JUIF

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Le Britannique Francis Galton (1822-1911), fondateur dans les années 1870 de cette science alors nouvelle appelée eugénisme (science de la bonne race ou de la bonne naissance), s’interroge ainsi : « Notre devoir n’est-il pas de faire tous les efforts raisonnables pour hâter l’évolution, et la rendre moins pénible qu’elle ne le serait, livrée à ses propres forces ? » Car, ajoute-t-il, à propos des races primitives ou dépourvues des caractéristiques constitutives de la civilisation : « Éduquez-les, civilisez-les, je n’imagine pas qu’on parvienne à modifier une race ». Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’eugénisme se propose ainsi d’améliorer la société, soit en entravant la multiplication des individus inaptes (c’est l’eugénisme négatif), soit en sélectionnant les individus les plus aptes dans la perspective de leur reproduction (c’est l’eugénisme positif). Un grand nombre de biologistes-eugénistes, en majorité juifs, trouvèrent que c'était une idée noble de vouloir améliorer ainsi l'humanité. Se référant aux principes bibliques et talmudiques en vigueur depuis quelque deux millénaires, deux personnalités éminentes du judaïsme disciples de Galton, Lucien Wolf (1857-1930) et Joseph Jacobs (1854-1916), sont considérées, dès 1880, comme les créateurs de l’hygiène raciale juive et les maîtres d’œuvre des études s’y rapportant. Ainsi que nous allons le voir, les nombreux textes élaborés alors sont particulièrement démonstratifs de la continuité de la pensée juive initiée par les mythes bibliques et véhiculant en premier lieu le commandement suprême du judaïsme : la Distinction-Séparation radicale des Juifs et des non-Juifs interdisant tout mélange de sang.

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. C’est-à-dire, en suivant les historiens français, depuis le début du XIXe siècle. . Diverses citations et données de ce paragraphe sont extraites, d’une part de l’ouvrage d’André Pichot, Aux origines des théories raciales. De la Bible à Darwin au chapitre 21 : L’hygiène raciale et le surhomme, d’autre part de celui de l’historien israélien Shlomo Sand, Comment le peuple juif fut inventé. Avec A. Pichot, premier historien à avoir étudié le phénomène de la racialisation des Juifs à l’époque contemporaine en référence aux données de la Bible, remarquons « aussi "politiquement incorrect" que ce soit de le dire, que l'hygiène raciale a bien été inventée, sous la forme spécifique d'une hygiène raciale juive, au début des années 1880, par des eugénistes juifs disciples de Galton ». Quant à l’expression « hygiène raciale » elle n’a, semble-t-il, été utilisée qu’en 1895 par Alfred Ploetz qui « n’a guère inventé que le mot […] l’invention proprement dite s’étant faite antérieurement dans l’entourage de Galton » (p. 450). 135

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C’est dans son article "What is Judaism ? A Question of To-Day" de 1884 que le premier des auteurs donne, dans la limite des connaissances biologiques de l’époque en matière d’hérédité, une parfaite définition de l’hygiène raciale appliquée aux Juifs. Il écrit ainsi : « Dans le judaïsme la religion et la race sont des termes presque interchangeables. L'observance rigide pendant de longs siècles d'un légalisme "particulier" par un peuple particulièrement exclusif a nécessairement conduit à ce que ce peuple devienne la manifestation de ses lois [...] Le phénomène le plus frappant dans la vie juive est la survivance de la race. Il n'y a rien de plus remarquable dans toute l'histoire de l'humanité [...] Cette permanence de la race n'a rien d'un caprice de la nature ; elle est exclusivement à attribuer à la discipline d'un système artificiel par lequel sa vie a été réglée. Dans le processus graduel de formation d'un peuple, il doit advenir une période où il se distingue par un haut degré de force et de vigueur. Une telle période est observable dans l'histoire de toutes les grandes nations, mais dans tous les cas, à l'exception des juifs, on la laissa s'éclipser. L'optimisme fortement marqué du judaïsme, la haute intelligence du peuple, et particulièrement le contraste par rapport aux enseignements et aux habitudes des autres races, conduisirent sans aucun doute les Hébreux à apprécier leur supériorité plus hautement que tout autre peuple […] Sur la base de leur exclusivisme fut construit un code parfait de lois, pourvoyant à la progression naturelle des capacités physiques de la race, et donnant à chaque précepte de leur civilisation supérieure une forme concrète qui devait avoir été calculée pour maintenir leur prééminence [...] Il est bien connu que les juifs sont une race réellement supérieure, physiquement, mentalement et moralement, aux peuples parmi lesquels ils vivent. Les faits soutenant cette conception ont été fréquemment notés […] La supériorité morale a aussi été maintes fois illustrée par l'examen des statistiques criminelles et des naissances illégitimes […] Je crois que l'importance de la supériorité des juifs consiste précisément dans le fait qu'elle constitue presque un degré dans l'évolution »136. Outre le séparatisme radical fondé sur les éléments fondateurs de la Création et de l’Alliance, nombre de préceptes bibliques et talmudiques conçus par Moïse et les rabbins, notamment les lois régissant les relations conjugales, la sexualité, la pureté, l’alimentation…, sont ainsi interprétés par Wolf comme des prescriptions eugéniques ayant fait accéder la race juive – « en assurant la reproduction d’Israélites forts et sains » – à un degré supérieur de l’évolution humaine. Quant à Joseph Jacobs dans ses articles de 1885 et 1886, après avoir défini les caractères raciaux juifs d’après une méthode anthropométrique mise au point par Galton, il étudie particulièrement la proportion de grands hommes juifs recensés notamment dans les dictionnaires, les annuaires et les livres d'histoire au cours du XIXe siècle par comparaison avec celle des non-Juifs. De ses travaux, il conclut lui aussi à la nette supériorité des premiers dans le domaine intellectuel et indique qu’elle serait plus grande encore si les Juifs de Pologne et de Russie persécutés dans leur pays pouvaient exprimer tous leurs talents. La raison invoquée pour cette supériorité, et plus précisément pour ce génie héréditaire, est la même que chez Wolf : les prescriptions de la Bible et du Talmud relatives à l’alimentation, à l’hygiène et au mariage à l’intérieur de la communauté. Il y ajoute, idée originale, le rôle favorable des persécutions antisémites qui ont poussé les Juifs les plus faibles à quitter le judaïsme. « Dans le cas des Juifs, écrit-il, la persécution, quand elle n'a pas été trop dure, a probablement aidé à faire ressortir leurs meilleures potentialités : pour une race hautement spirituelle la persécution, quand il y a un espoir d'en triompher, est une incitation à l’action […] La raison juive n'a jamais été entravée, et finalement les membres les plus faibles de chaque génération ont été éliminés par la persécution qui les tentait ou les forçait à embrasser le christianisme, et ainsi les juifs contemporains sont les survivants d'un long 136

. Aux origines des théories raciales. De la Bible à Darwin, p. 358-360.

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processus de sélection non naturelle qui les a apparemment excellemment adaptés à 1a lutte pour l'existence intellectuelle ». Dans son texte The Racial Characteristics of Modern Jews, Jacobs s’applique particulièrement à démontrer la pureté de la lignée des Juifs. En réponse à Ernest Renan qui, dans son texte Le Judaïsme comme race et comme religion137, évoquait le métissage de la race israélite, il apporte deux arguments. Il parle tout d’abord d’une dominance du caractère juif sur le caractère non-juif ce qui permet à la progéniture issue des mariages mixtes de ne pas avoir à subir la néfaste infusion de sang aryen. « En examinant quelques cas de mariages mixtes, écrit-il, j’ai été frappé par l’uniformité avec laquelle les enfants ressemblent au côté juif ». Comme Wolf, il considère d’ailleurs que la plupart des mariages mixtes sont stériles ou produisent une descendance sans vitalité destinée à s’éteindre spontanément, ce qui contribue au maintien de la pureté du sang juif à travers les âges. Par ailleurs, étudiant les données anthropologiques et reconnaissant le type juif sur des bas-reliefs assyriens et sur des sculptures antiques, il affirme « la persistance du type juif depuis les dernières 2600 années ». De ses travaux, et après avoir reçu l’approbation des grands rabbins Adler et Reichler, Jacobs concluait : « Je suis enclin à soutenir la vieille croyance en une pureté substantielle de la race juive, et à considérer que la grande majorité des juifs contemporains sont les descendants en ligne directe de la diaspora de l'Empire romain ». Quant au célèbre biologiste britannique Redcliffe Nathan Salaman (1874-1955), ses travaux, relatés dans son article Heredity of the Jews publié en 1911 pour le premier numéro de la revue pionnière Journal of Genetics, consistèrent principalement à appliquer les lois de Mendel à l’hérédité des Juifs. Après avoir étudié un certain nombre d’enfants issus de mariages entre Juifs et non-Juifs et avoir comparé par ailleurs Séfarades et Ashkénases en ce qui concerne leur pureté raciale (il voit les premiers comme des métissés d’Arabes ou d’Espagnols, les seconds comme des Juifs de pure race et d’intelligence supérieure), il conclut en définitive que la race juive n’est pas une race pure mais qu’elle forme néanmoins une entité biologique compacte. Salaman, qui fut un sioniste militant et un membre éminent de l’Université hébraïque de Jérusalem, cessa de publier ses idées sur la race juive pendant la période nazie, mais les reprit après la guerre et les conserva jusqu’à sa mort en 1955. Aux États-Unis, deux auteurs juifs américains se sont fait particulièrement remarquer par leurs travaux en la matière. Ce sont, d’une part le médecin-anthropologue Maurice Fishberg (1872-1934), d’autre part le rabbin américain Max Reichler (1885-1957), celui-ci en tant qu’observateur attentif du mouvement eugéniste mené par les biologistes juifs européens. Maurice Fishberg s’est attaché, en suivant largement les thèses de Wolf et de Jacobs, à souligner la valeur eugénique des préceptes religieux juifs issus de la Bible et du Talmud. Rappelant toutes les lois et les pratiques du judaïsme, relatives notamment au mariage endogamique et à l’alimentation casher, il écrit dans son texte de 1917 sur Eugenics in Jewish Life : « Je ne connais pas de groupe social ou religieux qui ait encouragé et pratiqué l'eugénisme positif avec une intensité comparable à ce qu'ont fait les juifs dans le Ghetto. La plupart des enseignements rabbiniques fourmillent de propositions d'eugénisme positif, et l'on est tenté de dire que les rabbins ont anticipé Galton de seize siècles »138. À l’influence favorable des préceptes du judaïsme sur la qualité des Juifs, il ajoute aussi la thèse déjà formulée antérieurement concernant la lutte pour la vie. Celle-ci, en mobilisant beaucoup d’énergie chez les Juifs, a entraîné une véritable sélection éminemment positive par élimination des plus faibles. C’est cette conjonction d’éléments qui explique leur rôle éminent dans la société. « Il est bien connu, écrit-il, que la proportion de personnes d'aptitudes remar137

. Chapitre de son ouvrage Judaïsme et Christianisme. Remarquons que pour Ernest Renan, qui était très proche du milieu scientifique positiviste, notamment par son ami Berthelot, une "vraie" race ne pouvait être que pure et exclusivement d’ordre physique. 138 . A. Pichot, Op. cit., p. 383.

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quables, d'individus qui se sont distingués dans toutes les entreprises humaines, est plus grande parmi les juifs que parmi les peuples d'une autre foi, au milieu desquels ils vivent […] Il suffit seulement de considérer le nombre énorme de financiers, marchands, médecins, industriels, juristes, musiciens, artistes, journalistes, scientifiques, etc. d'origine juive en Europe et en Amérique, et de garder à l'esprit que les enfants d'Israël constituent seulement une petite fraction de 1 % de la population blanche mondiale, pour être convaincu que le nombre de personnes talentueuses, aptes et couronnées par le succès, dépasse parmi eux ce qu'on aurait pu attendre s'ils n'avaient pas excellé en ces directions ». Reichler, dans un texte de 1916 intitulé Jewish eugenics, insiste lui aussi sur l’influence favorable des préceptes bibliques et talmudiques. Il écrit : « Les rabbins s'efforcèrent par des lois et des préceptes directs, aussi bien que par des avis et admonestations indirects, de préserver et d'améliorer les saines qualités innées de la race juive [...] Leur idéal était une race saine de corps et d'esprit, pure et sans tache, exempte de tout mélange avec un protoplasme humain inférieur »139. Et il poursuit par cette citation de Kellicott : « Les familles dans lesquelles de bonnes et nobles qualités de corps et d’esprit sont devenues héréditaires, forment une aristocratie naturelle ; et si de telles familles enregistrent fièrement leur pedigree, se marient entre elles et sont dotées d'une fécondité éminente, elles peuvent assurer position et succès à la majorité de leurs descendants dans tout avenir politique. Elles peuvent devenir les gardiens et les curateurs d'un sain héritage inné qui, incorruptible et sans tache, peut être préservé dans sa pureté et sa vigueur, quelle que soit la période d'ignorance et de décadence réservée à la nation dans son ensemble. Négliger de transmettre non ternies les qualités germinales sans prix que possèdent de telles familles, devrait être considéré comme la trahison d'un devoir sacré ». Si, pour ces auteurs, les lois et les pratiques du judaïsme jouent un rôle particulièrement notable sur les qualités éminentes de la race juive et notamment sur la supériorité de l’intelligence, d’autres théoriciens juifs ont, quant à eux, particulièrement insisté sur la qualité du patrimoine héréditaire des Juifs à travers les millénaires en comparaison de celui des nonJuifs. Ce sont notamment deux auteurs allemands : Elias Auerbach et Arkadius Elkind. Pour le premier : « Les différences de destinées et de milieux ont été impuissantes à effacer le type commun, indestructible ; et c'est précisément sur l'exemple des Juifs qu'on se rend le mieux compte à quel point l'influence de l'hérédité dépasse celle de l'adaptation dans les destinées d'une race140 ». Quant au second, il peut écrire : « Partout et toujours nous voyons l'allotype du juif se détacher de l'ensemble du reste de la population, ce qui est une preuve incontestable de la stabilité et de l’originalité du type anthropologique des Juifs. Personne ne met plus en doute aujourd'hui l'exactitude de ce fait »141. Et le mouvement eugéniste juif allait se développer de façon remarquable avec, fait inconnu dans les autres communautés, races ou religions, la création de sociétés savantes telle la Society for Jewish Statistics fondée à Londres en 1904, de revues et journaux comme le Zeitschrift für Demographie und Statistik der Juden créé en 1905 par le sociologue juif Arthur Ruppin, de structures comme le Bureau für Statistik der Juden créé en 1902 par Alfred Nossig, toutes initiatives vouées spécifiquement à l’étude des populations juives par des auteurs juifs. De multiples publications vont ainsi voir le jour. En 1910, le médecin anthropologue autrichien Ignaz Zollschan publie son ouvrage sur Les fondements théoriques de la question raciale juive. Il refuse de partager l'humanité en races supérieures et races inférieures mais fonde lui aussi la judéité sur des critères strictement biologiques. Sioniste convaincu, revendiquant de concert avec Vladimir Jabotinski la Palestine pour « une nation 139

. Op. cit., p. 381. . Citation rapportée par A. Pichot, Op. cit., p. 385. 141 . Ibid, p. 385. 140

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juive identifiée à la race et au sang », son étude parvenait à la conclusion que « sans le sionisme », la question juive se trouverait confrontée à une alternative inévitable : « la dissolution de la race ou la dégénérescence physique »142 car « la spécificité du peuple se trouve dans celle de la race ». Quant au médecin et idéologue sioniste Max Nordau dans son célèbre discours lors du deuxième congrès sioniste en 1901 il parla pour la première fois du Judaïsme perdu de la musculature (Muskuljudentum) et exprimait la particulière importance pour les Juifs d’être un « peuple-race fort ». « Dans aucune race ni aucun peuple, écrit-il, la gymnastique ne remplit de rôle éducatif aussi important qu'elle doit le faire parmi nous, les Juifs. Elle doit nous redresser tant sur le plan corporel que mental »143. Avant lui, en 1882, Heinrich Graetz avait écrit un retentissant mémoire « La nouvelle jeunesse de la race juive » qu’il s’agissait d’inventer et de promouvoir. « Il existe, écrit-il des peuples mortels qui ont disparu de l'histoire et d'autres qui sont immortels […] La race juive, elle, a réussi à perdurer et à survivre, et elle est sur le point de ranimer le feu de sa jeunesse biblique miraculeuse […]. Sa "résurrection" après l'exil à Babylone et le retour à Sion est le signe qu'elle possède en elle le potentiel latent d'une nouvelle renaissance. L'existence de la race juive était exceptionnelle dès le début, et par conséquent son histoire est également miraculeuse. C'est en fait un « peuple-messie » qui, le jour venu, sauvera l'humanité tout entière »144. En 1929, Isaac Kadmi-Cohen, dans son ouvrage Nomades. Essai sur l’âme juive, fonde quant à lui la qualité de la race juive à la fois sur le sang et le nomadisme. « Que le nomadisme soit, par lui seul, conservateur de la race, de la pureté ethnique, cela se conçoit. Qui dit errance d'un groupe humain dit également isolement de ce groupe, et malgré ses déplacements, à raison même de ses déplacements, la tribu demeure identique à elle-même […] Aussi le sang qui coule dans ses veines a-t-il conservé sa pureté première et la succession des siècles ne fera que renforcer la valeur de la race : c'est, en définitive, la prédominance du jus sanguinis (droit du sang) sur le jus soli (droit du sol). De ce phénomène, les Sémites, et particulièrement les juifs, ont offert, offrent encore une preuve historique et naturelle. Nulle part le respect du sang n'a été prescrit avec une intransigeance aussi farouche […] L'histoire de ce peuple, telle qu'elle est consignée dans la Bible, insiste à chaque instant sur la défense de s'allier avec des étrangers [...] C'est donc bien dans cet amour exclusif, dans cette jalousie, pourrait-on dire, de la race qu'est concentré le sens profond du Sémitisme, et qu'apparaît son caractère idéal »145. Pour cet auteur : « Ce culte de l’homme, en passant par celui des ancêtres, mène à celui de la tribu, puis de la race […] De là sont nées la Stabilité et la Solidarité juives, qui ne sont au fond que la même chose »146. Par ailleurs, l’auteur revient longuement sur les prescriptions bibliques et talmudiques du pur et de l’impur destinées à éviter « toute invasion du dehors » et, parallèlement, sur l’anathème et l’exclusion radicale (le herem) qu’il convient d’appliquer à ceux qui, à l’instar de Spinoza, se permettent de les enfreindre. Pour lui, les Juifs constituent non pas seulement une race parmi les autres mais la Race qui est le Tout, voire qui est Dieu. « Le peuple hébreu est en deçà et au-delà de la vie ; pour lui la mort n'existe pas, le présent non plus. Entre le passé et le futur, il n'y a pas de cloison étanche imperméable, et les futurs juifs, à naître dans l’avenir, ne feront pas autre chose en mourant que de rejoindre leur peuple. Les juifs ne sont pas une partie d'un vaste Tout qu'ils réintègrent en mourant, mais ils sont un Tout à eux seuls, défiant l'Espace, défiant le Temps, défiant la Vie, défiant la Mort. Dieu peut-il être en dehors de ce Tout ? S’il existe, nécessairement il se confond avec ce Tout »147. 142

. Edouard Conte, La quête de la race, p. 202. . Extrait de son ouvrage, Le judaïsme des muscles, rapporté par Schlomo Sand dans Comment le peuple juif fut inventé, p. 358. 144 . Ibid., p. 118. 145 . Citation rapportée par A. Pichot, Op. cit., p. 417. 146 . Ibid, p. 418. 147 . Ibid, p. 420. 143

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Victime du choc entre sa race et la race aryenne Kadmi-Cohen devait mourir à Auschwitz en 1944. Quant à Arthur Ruppin, alors qu’il travaille comme démographe en 1930 à l'Agence juive en Palestine et que s’étend rapidement l’influence du mouvement nazi, il publie la première édition de son ouvrage la Sociologie des Juifs dont les deux premiers chapitres portent respectivement les titres La composition raciale des Juifs sur la terre d'Israël et Histoire de la race des Juifs hors de la terre d'Israël. En novembre 1933, quelque dix mois après l’arrivée d’Hitler au pouvoir, il se rendit même à Iéna pour rencontrer Hans Günther, théoricien de la race aryenne, qui se montra très amical et fut d’accord avec lui « sur le fait que les Juifs n’étaient pas inférieurs mais différents »148. Par ailleurs, dans son ouvrage Les Juifs dans le monde moderne et plus précisément dans le chapitre intitulé Amélioration physique de la race, il reprend toutes les prescriptions eugénistes et hygiénistes de la Bible et du Talmud et s'interroge lui aussi sur les « effets des mariages mixtes sur la race juive ». Il conclut, en le regrettant, que « l'infiltration de sang non juif doit à la longue modifier les qualités propres de la race ». Tous ces hygiénistes juifs, depuis les années 1880 jusqu’à l’avènement du nazisme, ne sont manifestement pas les inventeurs de la racialisation des Juifs. Ils seraient d’ailleurs gravement outragés d’une telle imputation car ils se veulent de fidèles interprètes d’une doctrine et de pratiques bimillénaires. Par delà leurs thèses pseudo-scientifiques sur la race, tous voient, en effet, les principes hygiéniques et eugéniques de la Bible et du Talmud comme les éléments ayant conservé l’entité raciale juive dans sa pureté et sa supériorité originelles, voire lui ayant apporté, comme le dit Wolf, une « surhumanité biologique ». Au début des années 1930, avec la montée du nazisme et l’exaltation de la race aryenne vue électivement en opposition à la race juive, quelques biologistes juifs commencèrent à s’inquiéter des conséquences sur leur communauté de l’exaltation de leur propre race. Ils réduisirent alors leur engagement dans le mouvement eugéniste. Néanmoins, les milieux sionistes, qui avaient une conception de la race très voisine de celle des nazis – pour Kurt Blumenfeld, chef des sionistes allemands, il existait « une communauté d'idées entre le nationalisme sioniste et le nationalisme nazi » – prolongèrent l’action des théoriciens précédents. C’est dans ce contexte que les dirigeants sionistes, tout préoccupés de faire émigrer les Juifs vers la Palestine, entreprirent, dès l'avènement du régime hitlérien, de négocier avec ses dirigeants. Dans un mémorandum adressé au parti nazi le 21 juin 1933 par la Fédération sioniste d'Allemagne, quelques mois après l'accession de Hitler au pouvoir, mémorandum que rapporte Lucy Dawidowicz dans son ouvrage A Holocaust reader (p.155), il est dit en effet ceci : « Dans la fondation du nouvel État juif qui a proclamé le principe de la race, nous souhaitons adapter notre communauté à ces nouvelles structure [...] notre reconnaissance de la nationalité juive nous permet d'établir des relations claires et sincères avec le peuple allemand et ses réalités nationales et raciales. Précisément, parce que nous ne voulons pas sous-estimer ces principes fondamentaux, parce que, nous aussi, nous sommes contre les mariages mixtes et pour le maintien de la pureté du groupe juif [...] Les Juifs conscients de leur identité, au nom desquels nous parlons, peuvent trouver place dans la structure de l'État allemand, car ils sont libérés du ressentiment que les Juifs assimilés doivent éprouver ; nous croyons en la possibilité de relations loyales entre les Juifs conscients de leur communauté et l'État allemand ». Les auteurs du mémorandum ajoutaient : « au cas où les Allemands accepteraient cette coopération, les sionistes s'efforceraient de détourner les Juifs de l'étranger, du boycott anti-allemand ». Au congrès de Nuremberg de septembre 1933 Rosenberg, un des principaux théoriciens nazis, précisait la position du parti à propos des Juifs : « nous reconnaissons que la race juive a ses lois propres et nous souhaitons que, dans le domaine qui lui est dévolu, elle développe 148

. Comment le peuple juif fut inventé, p. 367.

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une culture correspondant à son âme raciale ; nous nous élevons contre la thèse du métissage entre des races disparates. Les lois naturelles telles qu’elles se manifestent dans la vie des plantes et des animaux, se vérifient dans l’espèce humaine : le mélange des races n’enfante pas une nation mais un chaos ethnique ». Reinhardt Heydrich, chef des Services de Sécurité S.S., écrit lui-même en 1935 dans Das Schwarze Korps, l’organe officiel de la S.S. : « Nous devons séparer les Juifs en deux catégories : les sionistes et les partisans de l'assimilation. Les sionistes professent une conception strictement raciale, et, par l'émigration en Palestine, ils aident à bâtir leur propre État juif... nos bons vœux et notre bonne volonté officielle sont avec eux ». « Il y avait un intérêt commun inhabituel, une ironie de l'Histoire, écrit Arnon Goldfinger dans Die Zeit. Les nazis voulaient que les juifs partent et les sionistes voulaient les attirer en Palestine. L'événement fut même immortalisé de façon originale : une médaille fut éditée et distribuée à Berlin et dans d'autres villes allemandes. Avec d'un côté une croix gammée et de l'autre une étoile de David »149. Confirmant cette collusion assez étroite qui devait durer un certain temps entre sionistes et nazis, Y. Leibowitz nous apprend de son côté que l'organisation sioniste des Juifs allemands qui éditait un journal, la Jüdische Rundschau, eut une existence légale jusqu'en 1938 et que le Lehi, l’organisation juive extrémiste dirigée notamment par Abraham Stern et Yitzhak Shamir, avait offert ses services à l’Allemagne nazie150. Theodor Herzl avait d’ailleurs prévu ce phénomène de collusion. Dans son Journal intime il écrit : « Les antisémites deviendront nos amis les plus loyaux ». 2 - L’ANTHROPOLOGIE RACIALE JUIVE DANS LE MONDE SCIENTIFIQUE JUIF

Avec le conflit de 1939-45, le mouvement eugénique juif étudiant et exaltant la race juive devait subir un arrêt total mais, compte tenu de ses références à des éléments immuables du judaïsme, il était logique qu’il y revienne très rapidement par la suite. Ainsi que le constate en effet A. Pichot : « toutes les idées caractérisant cette hygiène raciale juive ont en effet perduré ». Dès 1947 et la création de l’État juif de Palestine il est décidé (ce qui sera légitimé secondairement par la loi) que les Juifs ne pourront pas épouser de non-Juifs tandis que dans les années 1950, particulièrement après la découverte par Watson et Crick de la structure de l’ADN support du patrimoine génétique, les premiers travaux concernant la génétique des populations juives sont publiés dans les revues scientifiques. Ils sont d’abord le fait de chercheurs assez isolés, obsédés par le maintien d’une entité juive supérieure et particulièrement préoccupés par le retour des mariages mixtes, mais ils vont rapidement se multiplier pour devenir de plus en plus importants avec les années 1970. « La biologie va être mobilisée par le sionisme pour renforcer le concept de l’ « antique nation juive »151 écrit Shlomo Sand. Ces travaux vont même exploser à partir des années 1980 grâce à un financement généreux de la part des communautés juives. D’où une énorme bibliographie. « Il faut savoir, écrit encore Sand, que la théorie juive du sang ne fut pas l'apanage des quelques cercles d'élite isolés cités ici […] on retrouve son empreinte dans presque toutes les publications ainsi que dans les discours prononcés lors de ses congrès et conférences »152. Par ailleurs, alors qu’il est devenu plus difficile d’utiliser les mots de race et de sang depuis le conflit mondial, un nouveau domaine plus respectable par son appellation mais 149

. Le Monde du 23/06/2012. À noter que l’accord de transfert conclu en 1933 entre l’Agence juive et le IIIe Reich fut approuvé par mouvement sioniste : il permettait aux Juifs d’émigrer en Palestine et d’y transférer leurs avoirs à condition que ces fonds soient exclusivement consacrés à l’achat de produits allemands (Ecrits juifs, p. 184). 150 . Israël et judaïsme, p. 156. 151 . Comment le peuple juif fut inventé. 152 . Ibid., p. 368.

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participant des mêmes préoccupations traditionnelles de pureté raciale, se fait jour : la « recherche sur la génétique des populations juives » ou, plus trivialement, la « recherche du gène juif ». Portée par l’idée ancestrale d’un peuple-race juif, une nouvelle discipline scientifique vient de naître : la Génétique des Juifs dont l’influence va, malgré quelques oppositions des milieux laïques, se révéler considérable dans la société juive, parallèlement à son extension dans les équipes universitaires menant leurs recherches sur l’ADN juif. « Vers la fin du XXe siècle, écrit Shlomo Sand, l'Israélien moyen savait qu'il appartenait à un groupe génétique unifié dont l'origine ancienne était, plus ou moins, homogène »153. Témoin de la conception raciale exceptionnelle des Juifs, un échantillon de ces travaux considérables d’ordre scientifique est indiqué ci-dessous154, avec leur intitulé et leur auteur principal : • La Génétique des Juifs de Arthur Mourant et d’une équipe de chercheurs publiée en 1978 aux prestigieuses éditions d’Oxford. • Un nouveau regard sur la génétique des Juifs de Bat-Sheva Bonné-Tamir, professeur à l'école de médecine de l'université de Tel-Aviv en 1980. L’auteur y exalte particulièrement le renouveau de la recherche sur les gènes juifs. • Affinity of Several Jewish Communities de U. Ritte et ses six collaborateurs publié en 1993. • Y Chromosomes of Jewish Priest de K. Shorecki, et de sept collaborateurs en 1997 dans la prestigieuse revue britannique Nature. • Le Sionisme et la Biologie des Juifs de Raphal Falk en 1998. • From Lineage to Sexual Mores : Examining "Jewish Eugenics" de Naom J. Zohar en 1998. • Distinctive Genetic Signatures in the Libyan Jews de N. A. Rosenberg et ses neuf collaborateurs en 2001. • Founding Mothers of Jewish communities de M. Thomas et ses treize collaborateurs en 2002. • Alcohol Dependence Symptoms and Alcohol Dehydrogenase 2 Polymorphism: Israeli Ashkenazis, Sephardics, and Recent Russian Immigrants de D. Hasin et ses six collaborateurs, étude portant sur les gènes protégeant les Juifs de l’alcoolisme. • Multiple Origins of Ashkenazi Levites: Y Chromosone Evidence for both Near Eastern and European Ancestries, de D. M. Behar et ses onze collaborateurs en 2003. • Anglo-Jewish Scientists and the Science of Race de Todd M. Endelman, en 2004. • Reconstruction of Patrilineages and Matrilineages of Samaritans and Others Israeli Populations From Y-Chromosomes and Mitochondrial DNA Sequence Variation de P. Shen et ses dix collaborateurs en 2004. • Natural History of Ashkenazi Intelligence de G. Cochran et ses collaborateurs en 2006, étude portant sur les gènes donnant aux Ashkénases une intelligence supérieure. • Abraham’s Children : Race, Identity and the DNA of the Chosen People de John Entine, New-York, Grand Central Publishing en 2007. Sur son site Internet155 spécialement consacré aux "gènes juifs", Yaakov Kleiman rapporte « qu’une étude récente et approfondie de génétique, et des séquences de l'ADN, a montré que les différentes populations juives de la Diaspora avaient conservé leur patrimoine génétique propre, malgré l'exil. Malgré la dissémination aux quatre coins du monde et malgré plus de 1000 ans d'exil, les juifs ont un patrimoine génétique commun. Ces recherches confirment d'une part un ancêtre commun, et d'autre part une origine géographique commune. Les juifs 153

. Ibid., p. 381. . Aux origines des théories raciales. De la Bible à Darwin, pp. 378, 379 et 380. 155 ( http://www.aish.com/societywork/sciencenature/Jewish_Genes.asp ) 154

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de différentes communautés orientales telles que celles d'Iran, d'Irak, du Kurdistan et du Yemen ainsi que de nombreux juifs européens ont un profil génétique très similaire ». Par ailleurs, il est fait état sur ce même site d’une communication à l'Académie des Sciences aux USA par M.F. Hammer en date du 9 mai 2000 selon laquelle : « En dépit de leur long exil dans de nombreux pays, les communautés juives sont très proches au point de vue génétique. Les résultats de ces travaux posent l'hypothèse d'un gène paternel unique pour les différentes communautés d’Europe, d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient et suggèrent la possibilité que les communautés juives descendent d'une ancienne population du MoyenOrient. Ces travaux ont aussi montré, vu la pérennité du profil génétique, que de nombreuses communautés sont restées isolées et qu'il n'y a pas eu de mélange avec le patrimoine génétique des non-juifs ». A. Pichot remarque que l’eugénisme de source biblique et talmudique est également présent dans les milieux de la sociobiologie des États-Unis. Avec de nombreuses références postérieures à la seconde guerre mondiale et en reprenant largement les thèses des théoriciens de la race juive dans sa dimension génétique, Kevin MacDonald écrit par exemple en 1994 : A People that Shall Dwell Alone: Judaism as Evolutionnary Strategy. Comme l’indique le titre de l’ouvrage il est question de la stratégie évolutive devant assurer la promotion à la fois biologique et sociale du peuple juif. En conclusion de ces données consacrées au monde scientifique juif dans sa perspective de la promotion de sa propre entité raciale, on peut ajouter, d’une part que ce sont les théoriciens juifs du surhomme juif qui précédèrent, voire inspirèrent, ceux de l’aryanisme dans la fabrication du surhomme aryen, d’autre part que, dans la concurrence acharnée que mena chacun de ces groupes pour affirmer sa supériorité, l’eugénisme intellectuel aryen ne fut en définitive qu’un pâle reflet de l’eugénisme juif qui, quant à lui, était porté par une culture bimillénaire. On constate en effet que les principaux théoriciens de l’aryanisme, Chamberlain, Vacher de Lapouge, Rosenberg… ne furent guère que des idéologues maniant plus les affirmations péremptoires concernant la spécificité et la supériorité aryennes que les arguments scientifiques. Pour l’historien, il est patent qu’ : « il n'a rien existé de semblable aux études sur les Juifs et il est peu probable qu’il y en ait d’autres par la suite […] Si l'on disposait pour les Aryens de travaux comparables à ceux qui traitent de la spécificité biomédicale des juifs, ou de leur pureté et supériorité raciales, les textes afférents auraient depuis longtemps été commentés et recommentés dans tous les sens, et plus personne ne parlerait de Marr ou de Ploetz »156. Puisque toute catégorie raciale, avons-nous dit, se caractérise plus encore par le comportement que par le physique, par la culture que par la biologie, ces énormes travaux émanant principalement de biologistes juifs n’ont certes qu’un intérêt fort modeste du point de vue scientifique, mais ils reflètent bien la pensée raciale intimement liée au judaïsme, le racisme qui ne peut pas ne pas en résulter et la prégnance exceptionnelle de la race juive, première race de l’histoire occidentale et sans doute mondiale où l’association de la biologie et de la culture atteint un tel niveau. 3 – L’ANTHROPOLOGIE RACIALE JUIVE DANS LE MONDE DES LETTRES JUIF

Si le monde scientifique juif est profondément imprégné de la pensée raciale inhérente au judaïsme à plus forte raison en est-il du monde des lettres. Par son ampleur, son développement et sa continuité, il s’agit là d’un phénomène vraisemblablement unique dans l’histoire universelle. À partir de divers ouvrages émanant d’auteurs juifs, seront examinées successivement : 156

. Op. cit. de A. Pichot, pp. 436-437.

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• l’altérité Juifs/non-Juifs, • la conscience de race dans la judaïcité, • les mystiques conjointes de la race et du sang, du pur et de l’impur, • la phobie des mariages mixtes, • l’essentialisation-racialisation de l’homme-juif et son expression privilégiée : le Juif. L’altérité Juifs/non-Juifs, "être autre" (que le non-Juif) : un impératif absolu Face aux Blancs il y a des Noirs, des Jaunes, des Métis…, face aux Français il y a des Allemands, des Britanniques, des Espagnols…, face aux chrétiens il y a des Juifs, des musulmans, des bouddhistes…, face aux Aryens nazis il y avait des Juifs, des Tsiganes, des Métis… mais, pour la culture juive, l’humanité est constituée essentiellement de deux catégories d’hommes et de deux seules, les Juifs et les non-Juifs. Dans cette vision dualiste du monde des hommes, ceux qui ne sont pas Juifs sont des non-Juifs, non pas dans un apartheid localisé à l’échelle de certains pays (où subsistent encore des non-Blancs), mais dans un apartheid universel qui se joue des frontières terrestres. Pourvus d’une identité en négatif, comme privés de quelque chose, incomplets, lacunaires, tels sont ces a-Juifs conditionnés à se voir et à se désigner eux-mêmes comme non-Juifs face aux Juifs. Dans ce système-de-penséequi-oppose, voire qui hiérarchise, système où la propre valeur de l’un est fondée sur la nonvaleur de l’autre, il s’établit ainsi d’emblée, entre Juifs et non-Juifs, entre race et contrerace157, une étrangèreté, un écart, une distance, une différence, une hétérogénéité, une dichotomie qui ont quelque chose de spécifique : la radicalité. Entre deux groupes de pensée ou entre deux personnes, il y a bien altérité, mais ces deux groupes ne se définissent pas l’un par rapport à l’autre : chaque groupe se voit reconnaître autonome et libre. Un dialogue peut s’engager comme il s’engage entre un Blanc et un Noir. L’altérité véhiculée par le manichéisme judaïque est d’une autre nature : déniant quelque chose dans l’autre, excluant d’emblée tout mélange de sang entre les deux communautés, cette donnée essentielle qui désigne une catégorie raciale très différenciée culturellement ne peut pas ne pas constituer une faille singulière entre les deux groupes. Conditionnant les deux parties, et d’abord bien entendu la partie juive, à une démarche radicale de distinction et d’opposition, elle exclut tout dialogue véritable comme c’est le cas aussi entre un Blanc et un Non-Blanc. Le judaïsme qui, au nom de ses mythes fondateurs de la Création, de l’Alliance et de l’Élection, établit des obstacles spirituels et matériels entre les Juifs et les non-Juifs, représente par excellence l’idéologie des limites, des frontières et des murailles. Jan Assmann parle quant à lui d’ « un mur d’airain entre le peuple juif et les cultures environnantes158 ». Conception dualiste, inédite et éminemment perverse que cette humanité scindée en deux entités opposées : il y a, au nom de la Loi juive, ceux qui sont dedans et ceux qui sont dehors, ceux qui en sont et ceux qui n’en sont pas. Il y a les frères et les non-frères ! À propos du regard réciproque que se portent notamment les Juifs et les non-Juifs, Claude Liauzu a écrit : « L’autre, le sauvage, le barbare, l'étranger, l'oriental, le juif... est si intimement lié à notre histoire que l'Occident s'est défini par rapport à lui, par opposition á son origine, à sa "race", à sa religion, à ses mœurs …»159 . Si son assertion est parfaitement juste en ce qui concerne les quatre premiers personnages, l’historien se trompe gravement pour le Juif : le judaïsme a fait des siens une catégorie d’ordre racial et a défini le Juif par opposition au gentil bien avant que ce dernier ne soit amené, par la force des choses, à se définir par opposition au Juif. La vocation permanente assignée aux Juifs par le judaïsme 157

. Le groupe faisant fonction de contre-race est bien entendu déterminé par le groupe porteur de l’idée de race. Ici, ce sont les non-Juifs, dans le nazisme et sa race aryenne ce furent principalement les Juifs, dans les régimes d’apartheid des États-Unis et d’Afrique du Sud, ce furent les Noirs ou certains immigrants. C’est dire qu’il y a, généralement sinon toujours, racialisation des protagonistes. 158 . Dans son ouvrage La Mémoire culturelle. 159 . Race et Civilisation, 4ème de couverture.

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n’est-elle pas depuis les origines « d’être vis-à-vis du monde les éternels gardiens d’un idéal qui leur ordonne de se tenir étrangers et à distance de la sphère des États-nations »160 ? Et comme le montre l’histoire, de la période biblique à la période contemporaine, il est clair qu’aucun autre peuple n’a eu le souci d’être "étranger de l’intérieur" dans toutes les nations et de cultiver, tributaire qu’il est de ses textes fondateurs, une différence irréversible entre lui et les autres, différence qui, avons-nous vu, désigne une race au sens le plus évolué du terme. Il résulte de ces données que les non-Juifs, tous concernés par la culture juive, sont engagés à se considérer comme appartenant à une catégorie d’hommes différente voire antagoniste de celle des Juifs parce que située obligatoirement en regard d’elle et par référence à elle. Issue du judaïsme, entretenue avec un soin jaloux dans la judaïcité, consacrée par le temps, cette conception manichéenne représente un élément essentiel accompagnant la notion de race juive, notion basée, non pas sur quelque différence de couleur de peau, non pas sur une différence dans l’ordre de la pensée, mais sur une altérité irréductible d’ordre héréditaire et culturel. La conscience de race dans la judaïcité « Vingt siècles de souffrance avaient modelé mon caractère, écrit Alain Finkielkraut161, j’étais l’un de ces lieux de ce monde où s’exprimait l’âme juive. Jamais il ne me serait venu à l’idée d’employer le terme exécré de "race" et pourtant, imprégné de la sensibilité de mon peuple, pur instant d’un processus, maillon dans la chaîne ininterrompue des existences, je faisais implicitement allégeance au déterminisme de la pensée raciale ». Hannah Arendt elle-même, tout en étant issue d’une famille parfaitement insérée, cultivée et non pratiquante, faisait la distinction entre son groupe : les Allemands et son peuple : les Juifs. Elle, l’éminente universitaire allemande, peut écrire : « Je ne crois pas m’être jamais considérée comme allemande, au sens d’appartenance à un peuple et non d’appartenance à un État162 ». À l’instar de l’historien juif allemand Isak Markus Jost, sans doute Hannah Arendt aurait-elle pu distinguer ses frères de sang et les frères de son pays. Car, pour un individu tributaire de la culture juive, il va de soi que la judéité est tout autre que la francité, l’islamité ou la négritude : en rejetant toute symbiose avec l’extérieur elle est exclusive. Ainsi que l’écrit dans La question juive le philosophe Bruno Bauer : « l’essence bornée qui fait de lui un Juif l’emporte forcément sur l’essence humaine qui devrait, comme homme, le rattacher aux autres hommes ; et elle l’isole de ce qui n’est pas Juif ». Cette essence spécifique attribuée aux Juifs par ces auteurs, ce « déterminisme de la pensée raciale » dont parle Finkielkraut ou, en d’autres termes, cet inconscient de race présent chez tant d’écrivains d’hier ou d’aujourd’hui163 représente manifestement une donnée-clé de l’histoire juive et donc de l’histoire occidentale. Basée sur une Écriture sacrée de statut divin avec ses deux éléments conjoints d’Alliance/ Élection et de filiation sanguine, consacrée par une législation établie plusieurs siècles avant notre ère, reprise constamment jusqu’à nos jours dans la littérature et les traditions, l’altérité/supériorité structurelle inamovible, au fondement même de la capacité à exister pour le peuple juif, institue à l’évidence l’entité juive comme une catégorie d’ordre racial particulièrement différenciée. On peut même constater que la dimension proprement généalogique est non seulement revendiquée par de nombreux auteurs 160

. Citation de George Steiner rapportée par Avraham B. Yehoshua, Israël un examen moral, p. 41. . Le Juif imaginaire, p. 48. 162 . La Tradition cachée, Bourgeois, 1987, p. 232. 163 . Citons par exemple celui de Bernard-Henri Lévy : « Bouffer du curé, du rabbin, de l'imam - jamais du "Juif" ou de l'"Arabe". Etre solidaire, bien entendu, de caricaturistes qui se moquent du fanatisme et le dénoncent mais s'interdire, fût-ce au prétexte de la satire, la moindre complaisance avec les âmes glauques qui tripatouillent dans les histoires de sang, d'ADN, de génie des peuples, de race. C'est une ligne de démarcation ». (Le Monde du 21/07/08). En assimilant le groupe des Juifs et celui des Arabes, on voit aussi que cet auteur juif a, lui aussi, un inconscient de race caractérisé à propos des siens. 161

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juifs mais qu’elle est même considérée comme essentielle : « C’est l’hérédité qui définit l’appartenance au peuple juif »164 écrit le Grand rabbin Sirat. De multiples auteurs vont ainsi revenir sur cette donnée fondamentale du judaïsme. Jean-Christophe Attias165, après avoir constaté que nombre de Juifs « n'observent plus le shabat, s'habillent comme tout le monde, ne mangent pas d’une manière différente », que « les traits discriminants dont l'histoire les avait affublés sont en train de disparaître », que « dans les textes juifs du XIXe siècle les Juifs eux-mêmes se disent appartenir à la race juive », conclut lui aussi qu’« il ne reste plus que la "race" comme élément distinctif entre un Juif et un non-Juif ». Car, poursuit-il : « Le Juif n'est pas uniquement le dépositaire du message hébraïque originel, il est aussi, par le sang, par la généalogie, descendant d'Abraham ». Michel Wieviorka166, de son côté, précise que « la façon même dont les Juifs conçoivent le plus souvent la judéité (par la mère) est d’ordre biologique ». Shmuel Trigano s’exprime pareillement : « L’identité juive – outre la référence à l’Alliance – se définit très fortement en fonction du principe généalogique. »167 Pour Moïse Hess (1812-1875), « les juifs ne sont pas un groupe religieux, mais une nation à part, une race particulière, et le juif moderne qui le nie n'est pas seulement un apostat, un renégat de sa religion, mais aussi un traître à son peuple, à sa tribu et à sa race »168. Brandeis ancien juge à la Cour Suprême des États-Unis et l’un des chefs sionistes de ce pays dans les années 1920 peut lui même écrire : « Prétendre, comme le font nombre d’Israélites, que les Juifs sont les adeptes d’une religion et non les éléments d’une race est une erreur historique et ethnologique »169. En effet, comme nous l’avons explicité précédemment, on n’est pas juif par la géographie, par la croyance ou par le fait de se reconnaître partie prenante d’une histoire, d’une tradition, d’une certaine culture, comme on peut être chrétien ou musulman. On est Juif lorsqu’on vient au monde de parents juifs ou, dans le langage moderne, par l’hérédité, la génétique, le sang. La naissance, les origines sont le grand repère identitaire de l’homme juif : on est « Juif de race » comme l’écrit J.C. Milner170. Même Lévi-Strauss qui « ne s’est jamais senti juif, est évidemment juif, dit-il, puisque ses parents étaient juifs »171. La formule courante : « On ne devient pas juif, on naît juif, on meurt juif et on transmet la judéité naturellement » résume bien la situation spécifique faite aux Juifs par la culture judaïque. D’où il résulte – témoin des caractéristiques biologiques qui font le Juif – que le terme de coreligionnaires n’est pratiquement jamais utilisé dans le monde juif moderne. Divers auteurs parlent de congénères, d’autres, tel le poète Ernst Moritz Arndt de frères de race 172, d’autres encore, tel Stefan Zweig de frères de sang 173. On peut noter ici que cette exceptionnelle conscience de race représente à la fois le ciment des communautés juives et la pesanteur inhérente à la condition de Juif. 164

. La Tendresse de Dieu, Nil 1996, p. 128-129. . Les Juifs ont-ils un avenir ?, p. 11, 64 et 77. 166 . L’espace du racisme, p. 230. M. Wievorka remarque lui aussi que la judéité est d’ordre « biologique ». Et il ajoute en guise de commentaire que ce fait représente un « problème immense » ! Problème immense en vérité puisque à la base même de la pensée raciale inhérente au judaïsme et du double racisme qui en résulte… 167 . Un exil sans retour ? Lettre à un Juif égaré, p. 232. 168 . Citation rapportée par Berlin Isaïah dans Trois essais sur la condition juive, p, 120. 169 . Citation rapportée par P. Prévost dans son ouvrage La France et l’origine de la tragédie palestinienne, p. 93. 170 . Dans son ouvrage, Les penchants criminels de l’Europe démocratique, p. 68, il écrit à propos des immigrés maghrébins arrivant massivement en France dans les années 1960 : « Leur affection pour ceux qui allaient vers eux, les conduisait bien souvent à ne pas pouvoir croire que certains de ces Français généreux fussent Juifs, je veux dire : Juifs de race ». 171 . Citation rapportée par Jean Daniel, Nouvel Observateur N° 2349, p. 13. 172 . Donnée rapportée par Lionel Richard dans Nazisme et barbarie, p. 19. 173 . Donnée rapportée par Jean-Jacques Lafaye, Stefan Zweig, p. 61. 165

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Ciment des communautés juives ! Alors que les chrétiens (ou les musulmans) de différentes communautés s’entretuent sans état d’âme, elle permet au monde juif d’admettre en son sein les opinions les plus extrêmes et les haines les plus aiguës. C’est cet élément qui, en définitive, va apporter cohésion au groupe des Juifs, constituer un signe de ralliement des individus en même temps qu’un engagement à la solidarité d’autant plus important pour eux qu’interviennent l’hostilité des non-Juifs à leur endroit et leur propre mépris à l'endroit des non-Juifs. Le commandement « tu ne tueras pas » un frère de race ne sera transgressé que par un Juif devenu fou ou dans quelques rares épisodes tel celui rapporté par Flavius Josèphe concernant le siège de Jérusalem par les Romains en 70 où les Zélotes juifs massacrèrent les Juifs de Jérusalem. En sachant aussi selon la doctrine juive que « chaque Juif est tenu pour responsable de toute injustice arrivée à un autre Juif174 », que « seule, la vie des Juifs, n’a pas de prix » et en accordant crédit à la thèse de divers auteurs, ethnologues notamment, suivant laquelle la solidarité se voit bien plus dans les communautés où existent des liens de sang que dans les communautés nationales, culturelles, religieuses ou politiques, il est manifeste que le monde juif transporte un sens de la race particulièrement développé avec ses conséquences potentielles extrêmes. Pesanteur de la condition de Juif ! Une contrainte culturelle permanente aussi impitoyable que largement inconsciente n’est pas la moindre conséquence de la situation spécifiquement juive dans laquelle tout Juif est jeté à sa naissance et de la séparation radicale que le judaïsme a établie entre les siens et le reste de l’humanité. Les mystiques conjointes de la race et du sang, du pur et de l’impur Dans la tradition judaïque le sang n’est pas une banale métaphore, comme il peut l’être dans la plupart des autres contextes. Tout autre que le sang chrétien ou musulman, français ou allemand, est en effet le sang juif. Composante essentielle de la notion de race dans sa signification biologique, il est intimement lié à l’être-juif. « Je suis né pour vivre dans un pays éclatant et lumineux, dans la clarté du ciel bleu, écrit Léon Blum dans une lettre de jeunesse. Cela me prouve à moi-même combien s’est conservé purement mon sang sémite. Vénérez-moi en pensant que dans mes veines il court sans mélange et que je suis le descendant sans macule d’un race impolluée »175. À la veille de la prise de pouvoir par les nazis, la religieuse Edith Stein176 (1891-1942), convertie au catholicisme, n’hésitait pas « à parler d'une expiation qui devait venir de la race juive parce qu'elle avait rejeté le Christ, leur Messie ». Et avant de mourir à Auschwitz, elle pouvait dire encore au Père Hirschmann177 : « Vous ne savez pas ce que cela signifie pour moi d'être fille du peuple élu, d'appartenir au Christ non seulement par l'esprit mais aussi par le sang ». Raïssa Maritain, se faisant injurier dans Je suis partout parce qu’elle était juive, peut aussi écrire « il m’est impossible d’admettre l’insulte qui s’adresse à mon sang ! Cela est intolérable. De quelque race que l’on soit l’injure faite au sang est faite à Dieu lui-même l’auteur de la vie »178. À leur exemple, bien des Juifs convertis au christianisme se verront, se diront et seront vus Juifs de race (ou Juifs de sang) et chrétiens de croyance. Simone Weil, quant à elle, sera souvent considérée comme la juive chrétienne. Pour Martin Buber (1878-1965), l’éminent philosophe juif allemand qui après avoir émigré en Palestine en 1938 occupa la chaire d’anthropologie et de sociologie à l’Université hébraïque de Jérusalem, « Le sang est une force qui constitue nos racines et nous vivifie ; les couches les plus profondes de notre être sont déterminées par lui, notre pensée, notre volonté 174

. La Haine se soi, sous la dir. de Benbassa et Attias, p. 33. . Citation rapportée par Alfred Fabre-Luce dans son ouvrage Pour en finir avec l’antisémitisme, p. 10. 176 . Le philosophe et la Croix. Edith Stein, Hilda Gref, éd du Cerf 1955, p. 117. 177 . Citation rapportée par Sylvie Courtine-Denamy dans Le souci du monde, p. 239. 178 . Dans une lettre à des amis (Cahiers Jacques Maritain N° 7-8). Raïssa Maritain, née juive, s’était convertie au catholicisme en 1906 en même temps que son mari le philosophe Jacques Maritain épousé en 1904. 175

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lui doivent leur plus intime coloration »179. Dans le court chapitre (8 pages) d’où est extraite cette citation, on peut d’ailleurs remarquer que le sang revient 14 fois dans des expressions telles que « la confluence du sang », « la communauté de sang », « la patrie du sang », « le sang, le plus profond et le plus puissant substrat de l’âme », « le sang, force créative de notre vie », « le sang, quelque chose qui ne nous quitte à aucune heure de notre vie », « ceux de son sang »… Et dans son ouvrage Trois discours sur le judaïsme, il écrit encore : « C'est le sang que le Juif ressent comme son héritage millénaire et qui le rend immortel. Cette connaissance du fait que le sang produit la force nutritive de chaque individu est essentielle. Que les lois les plus profondes de notre existence sont déterminées par le sang, que notre pensée intérieure et notre volonté sont modelées par lui... Si quelqu'un est amené à choisir entre les influences de l'environnement et la substance et la source de vigueur du sang, il se décidera pour le sang s'il veut être un juif authentique ». Les expressions extrêmement fréquentes dans la littérature de race juive, de peuple juif, de sang juif traduisent l’importance exceptionnelle de cette hérédité de sang. Dans sa Lettre sur l’Autonomie Vladimir Jabotinsky (1880-1940), savant lettré ayant traduit en hébreu nombre de classiques de la littérature mondiale et principal théoricien de la conquête sioniste de la Palestine, aborde lui aussi ce sujet : « Il est impossible à un homme de s’assimiler à un peuple dont le sang est différent du sien. Pour être assimilé il faudrait qu’il change son corps et devienne autre par son sang. Il ne peut pas y avoir d’assimilation. Nous n’autoriserons pas de choses du genre des mariages mixtes parce que la préservation de notre intégrité nationale est impossible autrement que par le maintien de la pureté de la race et pour ce faire nous aurons ce territoire dont notre peuple constituera la population racialement pure180. » « Il est clair, écrit-il par ailleurs, que ce n’est pas dans l’éducation de l’homme qu’il faut chercher l’origine du sentiment national, mais dans quelque chose qui le précède. Dans quoi ? J’ai longuement médité cette question, et y ai répondu : dans le sang » […] Il est physiquement impossible qu'un Juif, né de plusieurs générations de parents de sang juif pur de tout mélange, s'adapte à l'état d'esprit d'un Allemand ou d'un Français, tout comme il est impossible pour un Nègre de cesser d'être nègre »181. Parlant du peuple juif Franz Rosenzweig (1886-1926) écrit dans L’étoile de la rédemption : « Béni soit celui qui a planté de la vie éternelle au milieu de nous […] Il n'existe qu'une seule communauté qui connaisse une telle continuité de la vie éternelle, allant du grand-père au petit-fils, une seule qui ne puisse exprimer le "Nous» de son unité sans entendre simultanément dans son cœur le "sommes éternels" qui est son complément. Il faut qu'il s'agisse d'une communauté de sang, car seul le sang donne à l'espérance en l'avenir une garantie dans le présent [...] Parmi les peuples de la terre, le peuple juif est le peuple unique [...] Nous seuls, nous avons fait confiance au sang »182. Quant à Freud (1856-1939), il considère la judéité – le fait de se sentir juif tout en étant incroyant – comme une valeur éternelle, transmise « par les nerfs et le sang183 ». Pour lui aussi la race juive n’est point une vaine expression : à l’idée d’une correspondante selon laquelle le Messie sera issu d’un couple mixte, outré il répond : « J’avoue que je n’ai pas

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. Judaïsme, p. 12. Dans sa période nazie, Heidegger dira lui aussi que « pour tout peuple, le premier garant de son authenticité et de sa grandeur est dans son sang et sa croissance corporelle » (Citation rapportée dans Heidegger, L’introduction du nazisme dans la philosophie, de Emmanuel Faye, Albin Michel 2005). 180 . Citation rapportée dans L’Histoire cachée du sionisme, p. 38. 181 . Citation rapportée par Shlomo Sand, Op. cit., p. 361. 182 . Citation rapportée par Javier Teixidor, Le judéo-christianisme, p. 234. 183 . Henri Rey-Flaud, Et Moïse créa les Juifs… Le testament de Freud, Aubier 2006.

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trouvé du tout sympathique votre fantasme […] Dieu doit le faire naître de la meilleure race juive »184. « Être haï, personnellement, pour une race, est un destin que mon sang juif m'a appris à supporter avec le sourire depuis des années », écrit Stefan Zweig185 dans une lettre à Romain Rolland dans les années 1910. Le romancier André Schwarz-Bart, lui, s’interroge : « Si Dieu est en petits morceaux, qu’est-ce que ça peut bien signifier d’être juif ? Quelle est donc la place du sang juif dans l’univers ? »186 tandis que le philosophe Hermann Cohen (1842-1918) peut écrire : « Nous autres juifs, nous devons reconnaître que l'instinct racial n'est en aucune façon une simple barbarie, mais une aspiration naturelle et légitime du point de vue national »187 ? Comment ne pas conclure alors avec Theodor Lessing que, dans le monde juif, « nul n’a jamais pu se libérer de la contrainte de son sang » et que « nul impératif catégorique n’a jamais pu couvrir la voix du sang »188. Face à ces professions de foi exaltant la tribu, sacralisant l’ego, la race et le sang juifs, vouant à l’ostracisme les mariages mixtes, prônant la primauté et la pureté du sang dans la crainte de quelque altération, face à une telle approche émanant de personnalités éminentes travaillant de toute leur âme à faire reconnaître le peuple juif comme une « communauté de sang189 », comment mieux traduire la dimension raciale du judaïsme et le racisme auquel est exposé électivement le monde juif depuis toujours ? Comment « ne pas souligner l’étroite relation entre ces théories et les idéologies racistes modernes »190 ? Comment ne pas éprouver aussi quelque vertige ou ressentir quelque froid dans le dos après le traitement que les Juifs ont subi en Allemagne au nom du racisme nazi parfaitement exprimé dans cette phrase, étrangement semblable aux précédentes, de Hitler dans Mein Kampf : « Le mélange des sangs et l’abaissement du niveau des races qui en est la conséquence inéluctable sont les seules causes de la mort des civilisations anciennes. Les hommes ne meurent pas parce qu’ils perdent la guerre, mais parce qu’ils perdent cette force de résistance qui ne s’y maintient que dans le sang pur. Tous ceux qui, en ce monde, ne sont pas de bonne race, ne sont que rebut. » Car, « ce qui fait la race, écrit-il encore, ce n’est pas la langue, c’est le sang ». Alors que la politique raciale des nazis dirigée avant tout contre les Juifs se mettait progressivement en place dès le début de 1933, le président des anciens combattants juifs d'Allemagne ne songeait encore nullement à contester sa différence raciale. Dans le Schild du 12 avril 1934 il déclarait : « La solution du problème juif est possible à l'intérieur de notre patrie à condition que la discrimination raciale ne soit pas une diffamation raciale qui nous parait inacceptable et injuste en regard de notre passé »191. La phobie des mariages mixtes Conformément aux nombreux textes de la Torah fustigeant le mélange du sang juif et du sang des non-Juifs – Garde-toi de t’allier avec l’habitant de ce pays ordonne Yahveh avant 184

. Citation rapportée par Georges Zimra, Freud, les Juifs, les Allemands, p. 130. . Citation apportée par Jean-Jacques Lafaye, Stefan Zweig, p. 22. 186 . Dans Le Dernier des Justes. 187 . Citation rapportée dans Le mythe aryen de Léon Poliakov, p. 340. 188 . La Haine de soi, p. 72. 189 . Expression banale chez divers auteurs juifs, notamment chez Buber (Blutsgemeinschaft). 190 . Propos de Hannah Arendt concernant Disraeli qui écrivait à la fin du XIXe siècle que « "les vicissitudes de l’histoire trouvent leur principale solution dans la race qui est un tout" ; que la race est "la clé de l’histoire" sans considération de langue et de religion, car "seul, le sang, fait une race" ; qu’il n’y a qu’une seule aristocratie, l’"aristocratie de la nature", à savoir "une race pure et parfaitement organisée" » (Sur l’antisémitisme, p. 164). 191 . Citation rapportée Rita Thalmann - "20 janvier 1942, le protocole de Wannsee : de l’antisémitisme à la solution finale" in 10 leçons sur la nazisme, p. 212, Éditions complexe. 185

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l’entrée en Canaan – la pureté ethnique est un souci constant dans de nombreuses couches des populations juives. Car, écrit Esther Benbassa : « l’exogamie est apostasie, adultère et prostitution. Dissolution de soi dans l’autre »192. Vue comme une alliance contre-nature c’est le péché irrémissible contre la donnée fondatrice du judaïsme : la Distinction/Séparation d’avec les goyim. Tout à sa préoccupation de préserver ou de reconstituer son groupe à partir des éléments restés purs, Joseph Sitruk, grand rabbin de France proclame de son côté en 1993 : « Je voudrais que les jeunes gens juifs n'épousent jamais que des jeunes filles juives ». Impératif absolu pour les Juifs fidèles à la loi du judaïsme, c’est aussi bien entendu un souci majeur chez les responsables des écoles juives193. La hantise de la mixité, de l’hybridation et du métissage qui empêchent la transmission des caractères biologiques de la race, la peur de la dégénérescence avec les représentations toujours sous-jacentes de souillure ou de contamination, font manifestement partie intégrante de la culture judaïque. Même les dirigeants laïques de l’État d’Israël ont toujours tremblé devant le spectre des digressions généalogiques. Face à la corruption et à l’altération du lignage que sont les mariages mixtes entre Juifs et non-Juifs, Shmuel Trigano traduit fort bien l’anxiété du monde juif dans son ensemble. « La question la plus inquiétante, écrit-il, est de savoir si nous n’allons pas assister à la constitution de statuts inégaux dans la "citoyenneté" juive. Il va y avoir des Juifs ethniques, non halakhiques, que l’on ne pourra pas épouser et qui pourront plus facilement se marier à des non-Juifs qu’à des Juifs […] Certaines catégories de Juifs n’auront pas les mêmes droits que nous. Ceux-ci seront inférieurs parce que ces gens n’auront pas la même pureté de lignage ou un statut reconnu […] Sommes-nous prêts à voir se constituer des castes dans ce qu’il est convenu d’appeler le "peuple juif" »194. .En définitive, on peut dire que cette mystique de la pureté avec les interdits du métissage et du partage des repas, représente un des critères majeurs qui permet, quels que soient les temps et les lieux, de dire race et racisme. Comme l’écrit pertinemment Pierre-André Taguieff : « La phobie du mélange des "races", des lignées ou des "couches", la mixophobie, est au cœur du racisme »195. Toutes les lois racistes de l’histoire auront en effet ce point commun : l’interdiction des relations sexuelles inter-raciales. Certes, depuis l’Antiquité, les Juifs n’ont pas été les seuls à croire que les mélanges de populations de races différentes affaiblissaient les peuples mais il reste que, parmi toutes les religions et tous les systèmes de pensée, seul le judaïsme a fait de cette donnée un impératif absolu pour ses adeptes, impératif qui est en même temps la condition même de sa survie. L’essentialisation-racialistion de l’homme-juif et son expression verbale privilégiée : le Juif Avec les données bibliques fondatrices du judaïsme et du droit rabbinique, nous avons déjà rencontré ou perçu dans les textes ce concept d’essence juive suivant lequel les Juifs, de par leur nature, possèdent un destin intemporel et une identité immuable. Remarquons ici que ce concept s’exprime électivement par l’expression le Juif dont la capacité signifiante est tout autre que celle des expressions symétriques que sont a priori le Français, le chrétien ou le musulman. Car, comme le remarque fort pertinemment Sigmund Freud, « il y a dans l'"êtrejuif" quelque chose qui fait question ». Si cette expression désigne parfois tel individu dans sa singularité, elle s’applique le plus souvent au Juif de partout et de nulle part, au Juif éternel, à tous les Juifs et à tout Juif. C’est ainsi que l’on constate, non seulement que le concept en question est consubstantiel au judaïsme (et, de ce fait, d’une extrême banalité chez les auteurs 192

. Le Juif et l’Autre, p. 92. . Le Monde de l’Éducation, janvier 2008. 194 . Un exil sans retour, p. 246. 195 . Le racisme, p. 23. 193

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juifs, religieux ou athées et chez les non-juifs qu’ils soient philosémites196 ou neutres), mais qu’il est aussi consubstantiel à l’antisémitisme : on le retrouve plus ou moins explicitement dans nombre d’écrits grecs et romains hostiles aux Juifs et dans tous les pamphlets anti-Juifs, notamment en Allemagne et en France, depuis plusieurs siècles197. Citons donc ici quelques personnalités éminentes du monde juif contemporain et auteurs de textes particulièrement significatifs de ce phénomène exceptionnel, sinon unique, qu’est l’essentialisation-racialisation de l’homme juif dans la culture judaïque avec le narcissisme assez impressionnant qui l’accompagne : • Moïse Hess : « La race juive est une race pure qui a reproduit l'ensemble de ses caractères, malgré les diverses influences climatiques. Le type juif est resté le même à travers les siècle ». Et l’auteur, considéré par ses biographes comme doué d’une intelligence exceptionnelle, de poursuivre : « Il ne sert à rien aux Juifs et aux Juives de renier leur origine en se faisant baptiser et en se mêlant à la masse des peuples indogermaniques et mongols. Les caractères juifs sont indélébiles »198. • Martin Buber : « Israël est le seul peuple à avoir connu un Dieu qui se soit choisi un peuple d'hommes, afin qu'il prépare le monde créé à être pour lui un royaume, en y réalisant la justice » C’est aussi le seul peuple qui « accepta de se charger de la vérité qui est destinée à être réalisée par toute l’humanité, par toute la race humaine. C’est cela l’esprit d’Israël »199. • André Amar : « Le peuple juif n’est pas un peuple quelconque parmi les autres, il est une catégorie ontologique. Cela signifie qu’il est à soi seul un mode d’être irréductible à toute autre entité, politique, nationale, sociale, ou culturelle. L’homme juif touche à l’universel humain, non point par similitude, mais par sa spécificité même »200. • Benny Lévy : « Dans l’être juif se décide une forme de l’humain, essentiellement distincte de l’humain du monde présent sans origine» Et aux Juifs tentés de s’éloigner du judaïsme il lance ce défi : « Vous aurez beau devenir sociologue, révolutionnaire, Juif réformé, vous ne changerez rien à ce fait foncier, fondamental, initialement et destinalement : vous êtes nés du début jusqu’à la fin […] les jeux sont faits, les Juifs sont faits. Un Juif est fait – comme un rat – quand il essaye de fuir – sa condition juive »201. • Gilles Zenou : « Le juif sait qu’il est une figure irréductible de l’altérité et que son refus d’être "normal" constitue sa spécificité » ; « ce qui le constitue comme juif c’est son irréductible altérité »202. • André Neher : « L’homme juif n’est pas un homme tout simplement (…) quelque chose complique la simplicité de sa condition humaine » ; 196

. J.P. Sartre, par exemple, l’utilise près de 200 fois dans son essai de 185 pages Réflexions sur la question juive. 197 . On aura ainsi de multiples expressions telles que : « le Juif ennemi du genre humain », « le Juif homme d’argent », « le Juif bourreau du Christ », « le Juif homme de pouvoir », « le Juif comploteur », « le Juif dominateur », « le Juif apatride », « le Juif révolutionnaire »… 198 . Citation extraite de Rome et Jérusalem et rapportée par Shlomo Sand dans Comment fut inventé le peuple juif, p. 116. 199 . Judaïsme, p. 150 et 158. 200 . Citation rapportée par Maxime Rodinson, Information juive (Paris), N° 251, mai 1975, p. 1-2. 201 . Être juif, p. 39 et 34. 202 . Regards sur la condition juive, p. 291 et 397.

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« Le Juif est le "passeur"... C’est sur la barque de chaque Juif répétant le geste d’Abraham que les hommes passent à l’autre rive de l’humanité » ; « Cet homme qui accepte d’être l’homme particulier, l’homme "autre", l’homme "pas comme les autres", c’est Israël, dont Dieu a besoin pour d’autres tâches que celles de l’humanité anonyme » ; Le Juif : « Quelque chose d'autre qu'un homme au sens terrestre, technique, banal du terme » ; c’est « le sourcier de la Lumière perdue » ; « Le Juif est l’homme qui n’est pas né le jour de sa naissance. Il n’est pas né non plus comme le musulman, il y a 1 355 ans, ou, comme le chrétien, il y a 1 989 ans. L’homme juif est né avec Adam, le premier homme en lequel était déposé le germe du Juif, conjointement avec l’humanité tout entière »203. • Maurice Blanchot : « On est juif avant de l’être, et en même temps cette antériorité qui précède l’être ne l’enracine pas dans une nature mais dans une altérité déjà constituée »204. • Michel Sibony parlant des Juifs : « leur transmission les précède, les dépasse, ils courent après, elle leur échappe, puis elle court après eux »205. • Jacob Talmon : « une enveloppe légère de conscience de soi sépare le Juif du reste du monde »206. • André Chouraqui : « Dès mon plus jeune âge, lorsque mes yeux commencèrent à s’ouvrir sur le monde, je voyais bien que nous étions d’ailleurs […] Être juif, géographiquement et chronologiquement, c’était être d’ailleurs »207. • Elie Wiesel : « Il y a un État (Israël) différent de tous les autres. Il est juif, et pour cela il est plus humain que n’importe quel autre »208. • Emmanuel Levinas : « Dieu n'a pas créé sans s'occuper du sens de la création. L'être a un sens. Le sens de l'être, le sens de la création, c'est la réalisation de la Torah209 ». Et le philosophe de constater par ailleurs que « le recours de l’antisémitisme hitlérien au mythe racial a rappelé au Juif l’irrémissibilité de son être »210. Freud, lui aussi, est venu conforter cette essentialisation de l’homme juif émanant du judaïsme. Se demandant, dans la préface écrite pour la traduction en hébreu de son ouvrage Totem et Tabou, ce qu’il restait de juif en lui il répond : « Beaucoup de choses et probablement l'essence même ». Il écrit par ailleurs : « Selon de bonnes informations, [les juifs] se conduisaient déjà comme aujourd'hui à l'époque hellénistique ; le juif était donc déjà achevé en ce temps-là »211. Dès le XVIIe siècle Spinoza212 après s’être dit scandalisé devant l’attitude des chrétiens donnant, eux aussi, foi au Peuple élu, avait écrit à l’adresse des Juifs ses semblables : « La 203

. L’identité juive, p. 8, 21, 23, 31, 95, 37. . Citation rapportée par Gilles Zenou dans Regards sur la condition juive, p. 256. 205 . Daniel Sibony, L’énigme antisémite, p. 23. 206 . Citation rapportée par Avraham B. Yehoshua, Israël, un examen moral, p. 16. 207 . Mon testament. Le feu de l’Alliance, p. 16. On peut remarquer qu’ « être d’ailleurs » est une expression très banale chez les auteurs juifs. 208 . Citation rapportée par Rony Braumann dans la post-face de L’Industrie de l’holocauste de Finkelstein. 209 . Quatre lectures talmudiques, Minuit 1968 p. 90. 210 . Être juif, Cahiers d’études lévinassiennes, N° 1, p. 103. 211 . Citation rapportée par Guillaume Erner, Expliquer l’antisémitisme, p. 65. 212 . Citation rapportée par Léon Poliakov. 204

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joie qu’on éprouve à se croire supérieur, si elle n’est pas tout enfantine, ne peut naître que de l’envie et du mauvais cœur ». D’ailleurs, à la question qu’on lui posait : « qu’est-ce qui reste de juif lorsqu’on ne croit ni à l’Élection, ni à l’Alliance, ni à Dieu », sa réponse était : « Rien ». Depuis lors, plusieurs auteurs juifs particulièrement courageux sont revenus sur cette donnée essentielle dont le monde juif est particulièrement tributaire. Ainsi Maxime Rodinson213 qui constate que : « Les périodiques et les livres juifs sont encombrés d’une floraison de proclamations délirantes de supériorité. On n’a que l’embarras du choix pour en donner des exemples ». La philosophe Hannah Arendt214 a bien saisi, elle aussi, le fait que le judaïsme, auquel elle reste malgré tout attachée, amène les Juifs à se « comporter d'une manière ou d'une autre comme s'ils étaient "élus", à « se considérer par nature comme meilleurs ou plus intelligents ou plus rebelles, voire comme le sel de la terre ». Et, particulièrement lucide et courageuse, elle ajoute même que « cette opinion n’est qu’une variante de la superstition raciale ». Cette exaltation de l’homme juif, de l’âme juive, de l’essence juive, de la substance juive, du peuple juif 215… pour un destin unique, exaltation inspirée à des auteurs juifs contemporains par le judaïsme, cette inébranlable conviction pour nombre d’entre eux de faire partie, en référence à des textes sacrés, d’une humanité « différente et plus humaine que l’autre », cette désignation de son propre groupe comme ayant pour destin, seul et à lui seul, d’apporter la Justice sur la terre, cet impératif « Sois Juif ! » adressé à celui qui doute, cette affectation narcissique qui s’enorgueillit « de penser et de sentir juif » avec, parallèlement, l’incapacité foncière de toute remise en cause de l’héritage idéologique, cette conscience d’une innocence totale216 jointe à la culpabilisation des opposants et au mépris des goyim (ce quelconque dont parlent quelques auteurs), cette hébraïsation de tous les secteurs de l’activité humaine où les Juifs sont présents, cette célébration d’un groupe humain par ses propres membres comme s’ils n’étaient pas eux aussi le fruit d’une hybridation culturelle, cette criminalisation de toute critique du judaïsme et du sionisme, cette absolutisation de ses propres valeurs… ce phénomène a quelque chose d’absolument unique. Témoin par excellence d’une culture racisante caractérisée, la dichotomie juif/goy ne semble vraiment trouver que de pâles équivalents historiques avec les dichotomies blanc/noir217 et aryen/juif qui furent respectivement celle de divers auteurs européens de la fin du XIXe siècle/début du XXe et celle des nazis. Pour des malheurs sans cesse renouvelés, terrible conditionnement que celui-là ! Seuls des esprits particulièrement libres parmi les hommes nés juifs, et à qui on a inculqué qu’ils étaient irréductiblement juifs, tenteront de s’en arracher avec des succès divers. L’un d’entre eux, revisitant son passé, peut écrire : « Je voulais découvrir à la face du monde une foule de trésors (juifs) méconnus : le même orgueil, qui m’y a poussé, m’y a fait rapidement renoncer. Depuis, je souris avec amertume quand je vois, de temps en temps, quelqu’un s’agiter pour célébrer une philosophie juive qui serait ignorée, injustement traitée ; quelle est cette 213

. Peuple juif ou problème juif, p. 280. . Ecrits juifs, p 301. 215 . Bien d’autres expressions banales dans la littérature pourraient être notées telles : l’esprit juif, le cœur juif, le destin juif, la mission juive, la nature juive, la morale juive, l’art juif, l’écriture juive, l’éthique juive, la musique juive, voire le génocide juif… 216 . Dans un article paru en novembre 2001, le Judaïsme sans mea culpa, Barbara Spinelli écrit : « S’il y a quelque chose dont on ressent l’absence, dans le judaïsme, c’est justement ceci : un mea culpa, envers les populations et les individus qui ont dû payer le prix du sang et de l’exil pour permettre à Israël d’exister » (citation rapportée par A. Finkielkraut dans Au nom de l’Autre, p. 24). 217 . Le Roman du spahi en est un exemple. Pour Pierre Loti son auteur, les Noirs, la race par excellence, se distinguent certes par une peau noire, mais aussi par un sang noir, une chair noire, une âme noire, un cœur noir, une sueur noire, une musique noire, une manière noire de se comporter…! (expressions rapportés par Tzvetan Todorov, Nous et les autres, p. 424). 214

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philosophie ? Et surtout, qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Comment formuler cette morale ? Et surtout, comment la distinguer aujourd’hui du christianisme et de l’humanisme laïque, qui imprègnent toute notre vie quotidienne, toutes nos démarches intellectuelles ? »218 Même si certains prophètes ont pu enseigner que Yahvé n'était pas seulement le dieu de la tribu des Hébreux mais celui de tous les hommes de la terre – ce qui pouvait suggérer leur égalité foncière et représenter une avancée vers l'humanité universelle – on peut dire que le judaïsme considère avant tout et depuis toujours qu’il y a deux catégories distinctes d’hommes : les Juifs et les non-Juifs. Et si l'histoire montre que l’option universaliste a toujours quelque peu subsisté au sein de la tradition judaïque à côté de l’option communautariste, on peut dire cependant qu’elle n’a été notable qu’à la suite des Lumières du XVIIIe siècle et plus particulièrement à fin du XIXe siècle et au début du XXe avec le développement des thèses socialistes et communistes, largement tributaires elles-mêmes des cultures chrétienne et gréco-latine… Encore peut-on remarquer que cette option universaliste fut essentiellement le fait de Juifs européens très éloignés pour la plupart de la culture juive traditionnelle et notamment de la religion juive, de Juifs largement déjudaïsés n’ayant souvent de juif que cet adjectif arbitraire imposé de l’intérieur du groupe et souvent honni d’euxmêmes. Avec cette distinction entre Juifs et non-Juifs établie sur un critère qui s'est voulu précis, le judaïsme établit en fait, avec l’appui inconscient des chrétiens qui ont hérité de ses mythes fondamentaux, une opposition foncière entre les deux catégories. Même entre personnes d’un même milieu social, professionnel ou culturel où la moindre inimitié est inexistante et la moindre mésentente exclue, subsiste d’emblée une frontière imposée par la loi raciale communautaire et qui exclut d’emblée le rapprochement des sexes. Subjective certes mais profondément culturelle et autrement plus contraignante qu’une frontière naturelle, elle voue le non-Juif à être définitivement l’Autre pour le Juif, le Juif à être l’Autre du non-Juif, tandis que l’un et l’autre sont conditionnés à être tantôt acteurs et tantôt victimes de racisme. Comme l’écrivent pertinemment E. Benbassa et J.C. Attias219 « Le judaïsme s’est dans une certaine mesure défini comme une "contre-religion", il se construit et se pense face à un ennemi extérieur ». Remarquons ici que les expressions du racisme des deux sociétés antagonistes seront différentes en fonction de leur situation minoritaire ou majoritaire, de faiblesse ou de force. Comme le montre l’histoire, la société la plus faible sera volontiers marginalisée, diabolisée et persécutée. En résumé En présence de ces données on peut affirmer, sans crainte de se tromper, qu’aucun groupe humain ne s’est différencié à la fois biologiquement et culturellement comme l’a fait le peuple juif. Il faut ajouter que le phénomène d’essentialisation-racialisation de l’homme juif, phénomène magistralement explicité dans la littérature juive contemporaine comme nous venons de le voir et qui permet à lui seul de dire racisme comme toute conception attribuant aux Juifs des défauts liés à leur nature, ne saurait aller sans succès spectaculaires mais non sans drames achevés. Le paradis et l’enfer... Car ce phénomène spécifique du judaïsme, où les deux humanités juive et non-juive sont, non pas seulement incitées, mais obligatoirement amenées à se voir foncièrement différentes, est le fondement d’une altérité gravement pathogène. Si un Juif conscient de son ascendance juive se sent juif, rien ne peut faire que les non-Juifs, philosémites, antisémites ou neutres n’incluent dans leur esprit, consciemment ou non, en pensant le mot juif, quelque idée de race, réalité incontournable à la base du racisme. Ludwig Börne, Juif allemand converti au christianisme en 1818, fit un jour cette 218 219

. Albert Memmi, La libération du Juif, p. 180. . Le Juif et l’Autre, p. 86.

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remarque particulièrement éclairante : « Les uns me reprochent encore d’être juif, les autres me le pardonnent, les troisièmes m’en savent gré, mais tous y pensent »220. D’ordre racial, et non d’ordre philosophique ou religieux, cette altérité, particulièrement prégnante car relevant plus encore de la culture que de la nature, est au fondement même de la particularité et de l’autonomie juives. Excluant tout dialogue authentique qui seul apporte la paix et la justice entre les hommes, comment pourrait-elle ne pas être à la source d’un racisme réciproque. C’est dire que la vision de cette longue période de quelque deux mille ans qui court depuis l’Antiquité ne doit plus être celle d’une agression à sens unique : non-Juifs contre Juifs mais celle d’un choc en boucle de deux groupes antagonistes. Il s’agit en somme d’un racisme en miroir : racisme des Juifs à l’égard des non-Juifs, racisme des non-Juifs à l’égard des Juifs (antisémitisme) deux racismes d’expression généralement différente mais intimement liés par le même penser racial judaïque avec ses mystiques conjuguées d’altérité, de pureté, de violence. Les pages qui suivent seront consacrées essentiellement aux différentes formes d’antisémitisme avec comme perspective de mettre en évidence, non pas leurs multiples éléments étiologiques contingents – c’est l’œuvre des historiens – mais leur cause invariante largement méconnue dans ses conséquences : la composante raciale de la judéité qui, seule et elle seule, permet de qualifier d’antisémites les manifestations d’hostilité envers les Juifs et de comprendre la pérennité du phénomène.

220

. Citation rapportée par Henri Arvon, Les Juifs et l’idéologie, p. 106.

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2ème Partie LES ANTISÉMITISMES ET LEUR CAUSE COMMUNE INHÉRENTE AU JUDAÏSME : LA COMPOSANTE RACIALE DE L’IDENTITÉ JUIVE

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INTRODUCTION À CETTE SECONDE PARTIE

Comme nous l’avons déjà évoqué toutes les formes d’antisémitisme peuvent être vues comme relevant de deux sortes de causes : • une cause commune structurellement liée au judaïsme : la composante raciale de l’identité juive qui informe les individus et les conditionne dans leurs jugements et attitudes à l’égard des Juifs, • des causes conjoncturelles, fonction des hommes, des temps et des lieux et, par définition, toujours nouvelles. C’est dire qu’il convient certes, de ne pas négliger les travaux des historiens et des analystes rapportant les causes conjoncturelles du phénomène antisémite mais, parallèlement, de comprendre que l’altérité Juifs/non-Juifs qui ressort de l’anthropologie inhérente à la culture juive possède, seule et à elle seule, cette capacité de transformer toute hostilité banale à l’égard d’un Juif ou de quelques Juifs en une hostilité envers toute la communauté lignagère des Juifs. Pour les non-Juifs en effet, rencontrer le judaïsme, soit par leur héritage biblique s’ils sont chrétiens ou musulmans, soit par leur expérience concrète des communautés juives, soit par l’information et l’étude, c’est être amené quasi automatiquement à voir les Juifs, non pas comme les adeptes d’un mode de pensée autre que le sien ou des personnes d’un aspect corporel différent comme on en rencontre chaque jour dans la vie en société, mais comme faisant obligatoirement partie d’une catégorie d’hommes radicalement distincte de la leur dans sa forme la plus achevée et la plus séparante : celle qui, au nom de l’Institution judaïque, fonde la commune identité juive sur le sang reçu à la naissance et le mariage endogame. De même que le Juif voit l’autre dans le Goy, le non-Juif est amené, consciemment ou inconsciemment, à voir l’autre dans le Juif, à penser race en présence d’un Juif et à adopter automatiquement la pensée exclusiviste et manichéenne du judaïsme, bref à avoir des Juifs une perception racisante tandis que de leur côté les Juifs, vecteurs involontaires de cet élément pervers du judaïsme et vulnérables lorsqu’ils sont minoritaires, vont être les otages et les victimes premières de leur propre culture. Ainsi que nous allons le découvrir dans les pages suivantes, en rapportant diverses formes emblématiques d’antisémitisme latent et caractérisé, les deux sortes de causes du phénomène sont, bien entendu, intimement conjuguées dans les faits, mais nous mettrons ici particulièrement en exergue la donnée jusqu’ici largement méconnue221 : l’omniprésence de la racialisation des Juifs dans l’esprit des non-Juifs, ce facteur qui est, à la fois, intimement lié au judaïsme et à la base de tout antisémitisme.

221

. On peut noter que quelques auteurs juifs ont quelque peu approché le phénomène en question. « N’était-il pas naturel ou juste, écrivent Benbassa et Attias, que le judaïsme devint lui-même à terme la victime d’un exclusivisme qu’il avait promu ? Comme si, par l’effet de quelque étrange malédiction ou pour sanction de ses trop nombreux péchés, Israël était pour ainsi dire condamné à produire les armes perverses dont ses persécuteurs useraient contre lui. Comme si l’ennemi était là déjà, à l’intérieur » (Le Juif et l’Autre, p. 44 et 113). Hannah Arendt, elle aussi, s'en prit à la prétention affichée du peuple juif à vouloir "être Autre" car elle y voyait (non sans raison) la cause de tous ses maux (Écrits juifs, note p. 301). Quant à Mgr Lustiger il a pu écrire lui-même : « La persécution des élus de Dieu n’est pas un crime semblable à tous les crimes que sont capables de commettre les hommes : il s’agit de crimes directement liés à l’Élection, et, donc, à la condition juive ». (Le mystère d’Israël, Nouvel Observateur N° 1984 - extrait de La Promesse, Éditions Parole et Silence, 2002).

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CHAPITRE III – LES ANTISÉMITISMES LATENTS L’antisémitisme latent, antisémitisme que l’on a pu qualifier aussi de mineur, de doux, de subtil, de larvé, d’inconscient, d’informel, d’instinctif, d’infraracisme antijuif…, se traduit volontiers par un malaise que l’écrivain juif Robert Misrahi a décrit ainsi : « Et d’abord ces silences. Je prononce le mot "Juif" dans un cercle d’amis, ou dans une assemblée quelconque, cercle de travail, groupe d'étudiants, gens rassemblés, interlocuteurs. Je vois, à l'instant même, se cristalliser un malaise. Il est tissé dans le silence, il est le refus de l'antisémitisme, certes, mais il n'est pas la continuation spontanée du moment précédent. Le mot a tout changé et d'abord dans les regards ou la couleur de la peau : très imperceptiblement, quelques vaisseaux sanguins sont plus roses sur les visages qui m'écoutent. Mais rien n'a été dit, rien ne sera dit. Mes interlocuteurs me savent juif, ils me sont liés par telles ou telles formes de relations positives, aucun d'entre eux n'est un ennemi. Et pourtant, le malaise est là, présent, latent, implicite. Je n'aurais pas dû rompre cette belle harmonie, je n'aurais pas dû parler des juifs : c'est gênant de créer de la gêne »222. L’auteur fait une parfaite description de la gêne qu’il a ressentie personnellement dans les réunions qu’il évoque mais il méconnaît à l’évidence un aspect fondamental de la situation en cause, totalement indépendante du temps et de l’espace. Ici, c’est chacune des parties juive et non-juive, même si elles ont de profondes ressemblances d’ordre naturel et culturel, qui perçoit dans l’Autre un différend indélébile, quelque part une altérité radicale ne pouvant guère générer – à moins que l’humour ne s’en mêle – que des rapprochements superficiels et jamais parfaitement sereins. N’est-il pas banal en effet de constater que les distances entre deux personnes de couleur différente sont souvent infiniment moins grandes que celles qui existent entre un Juif et un non-Juif, séparés par une barrière invisible d’ordre culturel : l’interdit communautaire du rapprochement des sexes, ce témoin par excellence d’une étrangèreté radicale ? Il est clair que Robert Misrashi n’a pas perçu le fait que cette altérité relevait exclusivement du judaïsme avec sa conception dualiste de l’humanité : avant de se savoir regardé comme Juif n’a-t-il pas lui-même pensé spontanément que ceux qu’il avait en face de lui n’étaient pas des semblables mais des gens différents, des non-Juifs ? Sans doute n’a-t-il pas perçu non plus le discours intérieur embarrassé de chacun de ces non-Juifs impliqué malgré lui dans la situation qui est sienne : « Puisque tu ne veux pas et ne peux pas partager mon repas, ni accepter que ton fils épouse ma fille et que mon sang se mêle au tien, puisque tu me considères comme un étranger et d’une catégorie d’hommes fondamentalement autre que la tienne, comment veux-tu ne pas être étranger aussi pour moi ? » À l’équivalence, centrale dans le judaïsme entre goy et étranger répond naturellement l’équivalence entre juif et étranger, à l’altérité première du non-Juif pour le Juif répond celle, réactionnelle, du Juif pour le non-Juif. Pour juger du processus de contamination des non-Juifs par cet élément de la culture juive, le mieux est sans doute de considérer avec attention, non pas l’attitude du commun des mortels plus ou moins indifférents au sort particulier des Juifs mais celle des individus d’exception qui, avec courage et abnégation, se sont voulus les défenseurs des Juifs persécutés. Ce sont par excellence les témoins à la fois de l’identité raciale des Juifs que le judaïsme a instituée et infuse autour de lui et de la banalité du phénomène antisémite.223

222

. Un Juif laïque en France, p. 99-100. . À moins d’admettre avec Jabotinsky que « l’antisémitisme est une perversion de la nature humaine (des goyim) (Citation de Alain Frachon, Le Monde, 25 mai 2012, p.17) ou bien avec Daniel Goldhagen que 223

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Dans la période contemporaine, parmi les écrivains qui, à un moment donné de leur vie, se sont illustrés en France dans cette défense, on peut citer particulièrement l’Abbé Grégoire, Emile Zola, Anatole Leroy-Beaulieu, Jean Jaurès, Romain Rolland, Paul Claudel, André Gide, Charles Péguy, Jacques Maritain, Georges Bernanos, Jean-Paul Sartre… Dans un premier temps nous citerons simplement quelques courts textes de plusieurs d’entre eux, dans un second temps nous verrons plus longuement ceux, particulièrement représentatifs, des deux philosophes éminents que sont le chrétien Jacques Maritain avant le cataclysme nazi et l’athée, Jean-Paul Sartre, dans les années qui ont suivi. Comme nous allons le découvrir, d’une part la pensée de tous ces hommes à l’égard des Juifs est toujours tributaire de la pensée raciale attachée à judaïcité – tous pourraient souscrire à cette phrase du commun des goyim : « ils ne sont pas comme tout le monde » – d’autre part cette pensée va en conduire certains à dépasser clairement les limites de l’antisémitisme inconscient… . Abbé Grégoire (1750-1831) Dans son ouvrage Essai sur la régénération physique, morale et politique des juifs – titre qui suggère d’emblée quelque malheureuse dégénérescence – il dresse un catalogue des tares biologiques des Juifs : un « visage blafard », un « nez crochu », un « menton proéminent », des « muscles constricteurs de la bouche fortement prononcés »… . Émile Zola (1840-1902) Racontant dans son roman L'argent comment un banquier chrétien s'est trouvé ruiné par un financier juif il écrit : « Il y avait là, en un groupe tumultueux, toute une juiverie malpropre, de grasses faces luisantes, des profils desséchés d'oiseaux voraces, une extraordinaire réunion de nez typiques »224. La métaphore culturelle est claire : le Juif est indissociable de ses caractères physiques héréditaires conditionnant eux-mêmes une avidité pour l’argent. . Anatole Leroy-Beaulieu (1842-1912) « Il y a, chez nombre d’entre eux (les Juifs) une sorte d’abâtardissement et de dégénérescence de la race » et « à la dégénérescence physique correspond, trop souvent, la dégradation morale »225. . Jean-Jaurès (1859-1914) « Nous savons bien que la race juive, concentrée, passionnée, subtile, toujours dévorée par une sorte de fièvre du gain quand ce n'est pas par la fièvre du prophétisme, manie avec une particulière habileté le mécanisme capitaliste, mécanisme de rapine, de mensonge, de corruption et d'extorsion » 226. . Romain Rolland (1866-1944) En réponse à une lettre de Léon Mayer et André-Cohen Solal, particulièrement émus en tant que Juifs par l’explosion d’antisémitisme ayant suivi une pièce de Bernstein, il écrit : « L’antisémitisme actuel n’est pas, comme vous le pensez, l’explosion des instincts brutaux d’un peuple et de sauvagerie cachée. C’est un mouvement fatal, et, pour une part légitime, que provoque – que provoquera peu à peu dans toute l’Europe – le danger que les juifs font courir à nos races d’Occident »227.

« l’antisémitisme exterminateur est inscrit dans les gènes des Allemands » (propos rapportés par Ulrich Wickert dans Comment peut-on être allemand, p. 209). Des avis qui, bien entendu, sont dépourvus de sens. 224 . Argent, Gallimard, Folio, p. 56. 225 . Citation rapportée par Enzo Traverso, Op. cit., p. 132. 226 . dans son discours au Tivoli en 1898. 227 . dans son Journal inédit 1911 (citation rapportée par Chantal Meyer-Plantureux dans Les enfants de Shylock , Images du juif au théâtre de 1880 à nos jours).

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. André Gide (1869-1951) « Elle (la question juive) subsiste toujours, aussi grave, aussi urgente et si tous les Juifs de la terre, par un subit effet du Saint-Esprit et soudain touchés par la Grâce, se convertissaient d'un seul coup, ils n'en resteraient pas moins juifs pour cela. La question n'est pas confessionnelle, mais raciale. Il n'y a rien à faire à cela »228. . Charles Péguy (1873-1914) Il parle, quant à lui, de « l’inquiétude incurable, antique, éternelle accompagnant la race juive» : « être ailleurs, le grand vice de cette race, la grande vertu secrète, la grande vocation d’Israël »229. . Georges Bernanos (1888-1948) Après avoir parlé des Juifs dans La Grande Peur des bien-pensants comme de « ces bonshommes étranges qui parlent avec leurs mains comme des singes » et qui « traînent nonchalamment sur les colonnes de chiffres et les cotes un regard de biche en amour », propos évoquant à l’évidence un racisme caractérisé, Bernanos va se défendre ainsi : « Il y a une question juive. Ce n’est pas moi qui le dis, les faits le prouvent. Qu’après deux millénaires le sentiment raciste et nationaliste juif soit si évident pour tout le monde que personne n’ait paru trouver extraordinaire qu’en 1918 les alliés victorieux aient songé à leur restituer une patrie, cela ne démontre-t-il pas que la prise de Jérusalem par Titus n’a pas résolu le problème ? Ceux qui parlent ainsi se font traiter d’antisémites. Ce mot me fait de plus en plus horreur, Hitler l’a déshonoré à jamais. Tous les mots, d’ailleurs, qui commencent par "anti" sont malfaisants et stupides ». Et plus loin : « Je ne suis pas antisémite - ce qui d’ailleurs ne signifie rien, car les Arabes aussi sont des sémites. Je ne suis nullement antijuif (…) Je ne suis pas antijuif mais je rougirais d’écrire, contre ma pensée, qu’il n’y a pas de problème juif, ou que le problème juif n’est qu’un problème religieux. Il y a une race juive »230. Mais, examinons plus longuement la position des deux philosophes si différents l’un de l’autre : Jacques le et Jean-Paul Sartre. • Jacques Maritain (1882-1973) Ce philosophe, devenu à la fois un cardinal de l’Église romaine pour son rôle intellectuel au service de la foi chrétienne et un défenseur résolu des Juifs par différents écrits231, offre un exemple particulièrement intéressant. Le texte qui suit est en effet emblématique du monde chrétien en général qui, depuis deux mille ans, est porté à la fois à reconnaître l’apport majeur du judaïsme au christianisme, à développer un anti-judaïsme doctrinal par le dogme spécifique de la Rédemption au nom duquel l’Église a mis directement en cause pendant longtemps le peuple juif dans la mort de Jésus, enfin à pratiquer la charité envers tous les hommes tout en nourrissant, de par sa connaissance positive du judaïsme, une pensée raciale à l’égard Juifs : « c’est, l’Écriture, écrit-il, qui nous parle de race élue et nous oblige à voir dans la question juive une question raciale transcendante »232. « La question juive, précise-t-il, qui n’est pas une simple question confessionnelle, présente deux aspects : un aspect politique et social, et un aspect spirituel ou théologique ».

228

. dans l’article Les Juifs, Céline et Maritain, Nouvelle Revue française 1er avril 1938 N° 295. . Dans Notre jeunesse en 1910. 230 . Encore la question juive dans Le Chemin de la Croix-des-Âmes, pp 421-424. 231 . Citons L’Impossible antisémitisme de 1937, Les Juifs parmi les nations de 1938, La persécution raciste en France de 1942. 232 . Dans une lettre-réponse à André Gide à propos de son article Les Juifs, Céline et Maritain (Nouvelle Revue française, N°295, 1er avril 1938 ; L’Impossible antisémitisme p.166). Rappelons que la race juive est pour Maritain une race moins biologique qu’éthico-historique. 229

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« Au premier point de vue, la dispersion de la nation juive parmi les peuples chrétiens pose un problème particulièrement délicat. Sans doute bien des Juifs, ils l'ont montré au prix de leur sang pendant la guerre, sont vraiment assimilés à la patrie de leur choix ; la masse du peuple juif reste néanmoins séparée, réservée, en vertu même de ce décret providentiel qui fait de lui, tout le long de l'histoire, le témoin du Golgotha. Dans la mesure où il en est ainsi, on doit attendre des Juifs tout autre chose qu'un attachement réel au bien commun de la civilisation occidentale et chrétienne. Il faut ajouter qu'un Peuple essentiellement messianique comme le peuple juif, dès l'instant qu'il refuse le vrai Messie jouera fatalement dans le monde un rôle de subversion, je ne dis pas en raison d'un plan préconçu, je dis en raison d'une nécessité métaphysique qui fait de l'Espérance messianique et de la Justice absolue, lorsqu'elles descendent du plan surnaturel dans le plan naturel et qu'elles sont appliquées à faux, le plus actif ferment de révolution […] Je n’insiste pas sur le rôle énorme joué par les financiers juifs et par les sionistes dans l’évolution politique du monde pendant la guerre et dans l’élaboration de ce que l’on appelle la paix. De là, la nécessité évidente d'une lutte de salut public contre les sociétés secrètes judéo-maçonniques et contre la finance cosmopolite, de là même la nécessité d'un certain nombre de mesures générales de préservation. Les mesures dont je parle sont, par nature, des mesures d'autorité gouvernementale et si, de fait, pour les obtenir, il est nécessaire de recourir à l'opinion publique, nous avons le devoir, nous autres écrivains catholiques, d'éclairer celleci et de lui apprendre à raisonner de ces choses sans haine, en gardant la discipline intellectuelle qui convient […] J'arrive maintenant au second aspect de la question juive, à l'aspect spirituel ou théologique, qui concerne la vocation du peuple juif, et que je me permets de souligner, parce qu'il est trop oublié. Si antisémite qu'il puisse être à d'autres points de vue, un écrivain catholique, cela me paraît évident, doit à sa foi de se garder de toute haine et de tout mépris à l'égard de la race juive et de la religion d'Israël considérées en elles-mêmes. […] Si dégénérés que soient les Juifs charnels, la race des prophètes, de la Vierge et des apôtres, la race de Jésus est le tronc sur lequel nous sommes entés […] Plus la question juive devient politiquement aiguë, plus il est nécessaire que la manière dont nous traitons de cette question soit proportionnée au drame divin qu'elle évoque ; il est incompréhensible que des écrivains catholiques parlent sur le même ton que Voltaire de la race juive, de l'Ancien Testament, d'Abraham et de Moïse […] C'est ainsi que l'Église, pressée par sa charité, et malgré cette sorte d'horreur sacrée qu'elle garde pour la perfidie de la Synagogue, et qui l'empêche de plier les genoux lorsqu'elle prie pour les Juifs le Vendredi saint, c'est ainsi que l'Église continue et répète parmi nous la grande clameur : "Pater, dimitte illis" de Jésus crucifié »233. Indépendamment de ses banales critiques concernant des groupes de Juifs pratiquant des solidarités jugées agressives (groupes financiers dans la circonstance), indépendamment de son opposition doctrinale au judaïsme relevant de la simple divergence d’opinion religieuse, il est manifeste que Maritain, a été non seulement affecté comme tout le monde par le "virus" de la race porté par l’Institution juive mais qu’il a franchi un certain pas vers le racisme antijuif. Ceci ne l’empêchera pas, presque seul parmi les philosophes et avec une vigueur exceptionnelle, de s’élever avec force dès 1937 contre la persécution des Juifs allemands et plus tard contre celle des Juifs européens. Pour lui, l'assimilation des Juifs « solution d'entretien, bonne et souhaitable dans la mesure où elle est possible », comporte, tout comme le sionisme dont la volonté explicite est de faire des Juifs « un peuple comme un autre », le risque de l'installation. « Fût-ce par les plus vils instruments leur Dieu les frappe alors. Jamais juifs n'avaient été plus assimilés que les juifs allemands ; d'autant plus 233

. À propos de la question juive, La Vie spirituelle, II, n°4, juillet 1921.

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attachés à la culture allemande qu'elle était en partie leur œuvre ; germanisés jusqu'aux moelles, ce qui ne les rendait ni plus discrets ni plus humbles ; et non seulement assimilés, mais installés, mais voulant plaire, mais bien réconciliés avec le prince de ce monde »234. Il reste que ce philosophe catholique, et à ce titre profondément tributaire des mythes judéo-chrétiens, aura, dès 1938, approché d’assez près la cause structurelle des antisémitismes. Par delà les multiples facteurs contingents décrits par les historiens et que luimême détaille, il peut écrire : « les "racines profondes" de l’antisémitisme résident dans la vocation même d’Israël : les Juifs seront toujours surnaturellement étrangers au monde ». N’est-ce pas une excellente traduction de cette altérité Juifs/non-Juifs consubstantielle au judaïsme dont nous parlons ici et qui constitue la base même de l’"éternel" antisémitisme ? • Jean-Paul Sartre (1905-1980) C’est avec une immense générosité et une notable ardeur que J.P. Sartre s’est lancé dans la défense des Juifs, non seulement à diverses reprises sur le terrain mais particulièrement avec son ouvrage Réflexions sur la question juive. Si le philosophe athée, à l’instar du philosophe chrétien Maritain, a bien saisi l’existence d’un « problème racial juif »235– l’expression « race juive » revient à chaque instant dans son texte – les carences, les défauts d’interprétation, les maladresses dont il fait preuve sont le témoin exemplaire à la fois du caractère pathogène de la racialisation des Juifs inhérente au judaïsme et de sa méconnaissance du processus antisémite. Les quelques paragraphes qui suivent sont particulièrement caractéristiques à cet égard : « Je ne nierai pas qu’il y ait une race juive »236 Ce « Je ne nierai pas » de Sartre n’est-il pas la marque d’une juste mais éphémère intuition : il y a bien une dimension biologique dans l’identité des Juifs à la base de leur malheur ? Tout à la fois Sartre semble regretter et avouer l’existence d’une race juive et expliciter dans son texte l’incontournable conception raciale des Juifs dont, lui aussi, est spontanément tributaire : « Quand je vivais à Berlin, dans les commencements du régime nazi, écrit-il, j’avais deux amis français dont l’un était juif et l’autre non. Le Juif présentait un type "sémite" accentué ; il avait un nez courbe, les oreilles décollées, les lèvres épaisses… » ; « Si le Juif a décidé que sa race n'existe point, c'est à lui d'en faire la preuve […] Mais il ne peut pas choisir de ne pas être Juif » ; « Si le Juif est fasciné par les chrétiens, ce n'est pas pour leurs vertus, qu'il prise peu, c'est parce qu'ils représentent l'anonymat, l'humanité sans race » ; « Par caractères ethniques nous entendons ici les données biologiques héréditaires que nous avons acceptées comme incontestables ; ce sont certaines conformations physiques héritées qu’on rencontre plus fréquemment chez les Juifs que chez les non-Juifs » ; Et à propos de l’antisémitisme de certains Juifs, il écrit : « Il faut voir dans l’antisémitisme du Juif un effort pour se désolidariser des défauts qu’on reconnaît à sa "race" en s’en faisant le témoin objectif et le juge »237. « Le Juif est un homme que les autres hommes tiennent pour Juif : voilà la vérité simple dont il faut partir écrit-il […] c’est l’antisémite qui fait le Juif » ; « on a contraint les Juifs de se penser Juifs », « ce qui fait le Juif, c’est sa situation concrète » ; « c’est l’idée que l’on se fait du Juif qui semble déterminer l’Histoire, non la "donnée historique" qui fait naître

234

. Texte rapporté par P. Vidal-Naquet dans Sartre et les Juifs, p. 45. . Réflexions sur la question juive, p. 163. 236 . Ibid., p. 73. 237 . Ibid., pp. 73, 74, 108, 109, 123, 129. 235

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l’idée238». Ailleurs, il écrit aussi : « Le Juif a pour obligation de se choisir lui-même à partir de la situation qui lui est faite »239. Certes, comme tout individu conscient, le Juif subit le regard de l’Autre – de l’antisémite dans la circonstance – mais il est clair que le Juif est d’abord le fruit du judaïsme, de la Torah et de la Loi, seul système de pensée qui ait fondé, par ses mythes, deux humanités irréductibles et qui s’est constitué en civilisation particulière. Le Juif « qui reste audehors »240 et qui a reçu en dépôt « l’orgueil de la différence »241, se voit d’abord différent du non-Juif avant que celui-ci, à son contact et involontairement, le perçoive différent. Avant de devenir le Juif du non-Juif et la cible de l’antisémite, le Juif est d’abord la représentation du Juif conscient de sa judéité, de sa différence indélébile, de son altérité qui n’est pas de l’ordre de la pensée mais d’ordre racial. Contrairement à Sartre pour qui le Juif n’existe pas en tant que Juif, l’appartenance juive du Juif ne naît nullement en premier lieu du regard d’autrui sur lui, mais de son regard sur lui-même auquel il a été généralement amené dès le jeune âge par son environnement culturel. Se penser, se voir et se savoir Juif, n’est-il pas d’abord une prescription essentielle du judaïsme avant d’être une contrainte venue de l’extérieur ? Avant d’être remarqué comme différent, n’a-t-il pas été marqué d’un sceau qui s’est voulu ineffaçable : le non-mélange avec l’Autre, le non-Juif impur ? De cette méconnaissance de la responsabilité du judaïsme dans le problème racial juif découlent bien entendu nombre des autres erreurs de Sartre. Relevons quelques unes d’entre elles à partir des éléments de son texte : « On peut déceler chez le démocrate le plus libéral une nuance d’antisémitisme »242 Le philosophe fait une observation parfaitement juste – tous les démocrates nourrissent bien quelque antisémitisme latent, larvé, inconscient – mais ce qu’il ne perçoit pas, c’est que ces démocrates, dans leur perspective humaniste, saisissent, consciemment ou non, d’une part qu’il y a, entre les deux pôles du monde que sont les Juifs et les non-Juifs, une dichotomie inacceptable parce que basée sur la filiation sanguine et la prohibition institutionnelle de l’exogamie, d’autre part que cette séparation provient exclusivement de la culture juive. Face à cette donnée regrettable, ce sera toujours pour eux un honneur que de la récuser au plus profond d’eux-mêmes et de dénoncer en même temps, dans l’Institution juive, la loi du groupe génératrice d’un particularisme spécifique qui n’est pas de l’ordre de la pensée philosophique ou religieuse et dont le destin inexorable est de conditionner au racisme les deux populations en présence. « On ne comprend rien à l'antisémitisme, écrit-il par ailleurs, si l'on ne se rappelle que le Juif, objet de tant d'exécration, est parfaitement innocent, je dirai même inoffensif »243. S’il est bien juste que l’individu juif dans sa singularité est en général physiquement inoffensif comme tout individu appartenant à un groupe humain qui se veut civilisé, Sartre a manifestement méconnu le fait que le judaïsme a développé dans ses textes sacrés une mystique singulière de violence de groupe. Et n’a-t-il pas inventé précisément le concept de guerre sainte244 que l’islam adoptera et cultivera plus tard ? Comme nous le verrons plus avant, cette violence s’est exprimée de façon variable en fonction de l’environnement : violence essentiellement d’ordre moral et psychologique dans les situations minoritaires, 238

. Ibid., pp. 83-84, 175, 18. . Qu’est-ce que la littérature, Gallimard, 1948, coll. "Idées", p. 98. 240 . Theodor Lessing, La haine de soi, le refus d’être juif, p. 44. 241 . Expression d’Alain Finkielkraut dans son ouvrage Le Juif imaginaire, p. 120. 242 . Réflexions sur la question juive. p. 68 243 . Ibid., pp. 140, 54. 244 . Parmi les textes sacrés des trois religions monothéistes seul l’Évangile aura été exempt de cette mystique : le Dieu qui l’inspire n’est manifestement pas le Dieu jaloux de la Bible hébraïque (Yahvé) ou du Coran (Allah) mais le Dieu-Père. (cf. Le déni de la violence monothéiste de J. P. Castel). 239

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violence de tous ordres et d’un haut niveau dans les situations majoritaires, telle celle de l’État juif de Palestine. « Sa vie (celle du Juif) n'est qu'une longue fuite devant les autres et devant lui-même. On lui a aliéné jusqu'à son propre corps, on a coupé en deux sa vie affective, on l'a réduit à poursuivre, dans un monde qui le rejette, le rêve impossible d'une fraternité universelle. A qui la faute ? Ce sont nos yeux qui lui renvoient l'image inacceptable qu'il veut se dissimuler. Ce sont nos paroles et nos gestes – toutes nos paroles et tous nos gestes, notre antisémitisme, mais tout aussi bien notre libéralisme condescendant – qui l'ont empoisonné jusqu'aux moelles »245. Certes, il y a toujours des non-Juifs impliqués et responsables dans le malheur des Juifs, mais il faut bien considérer qu’il n’y a pas d’antisémitisme où les non-Juifs n’aient pas été contaminés peu ou prou par la donnée d’ordre racial portée par l’identité juive. « Pour l'antisémite, ce qui fait le Juif, c'est la présence en lui de la "juiverie", principe juif analogue au phlogistique ou à la vertu dormitive de l'opium » […] Ce principe on s'en doute est magique : pour une part, c'est une essence, une forme substantielle et le Juif quoi qu'il fasse ne peut la modifier, pas plus que le feu ne peut s'empêcher de brûler »246. Sartre, avec son « principe qui fait le Juif », tout à la fois adopte inconsciemment les mots et la pensée directrice du parfait antisémite (l’expression le Juif au sens générique revient près de 200 fois dans son essai de 185 pages) et se fait le fidèle rapporteur de la tare native du judaïsme : l’essentialisation de l’homme juif. C’est dire qu’il se fait littéralement piéger par ses contradictions en fonction même de sa bonne volonté. Le contre-feu que Sartre, par sa sympathie à l’égard des Juifs, a voulu établir avec ses Réflexions sur la question juive, a assurément apporté quelque réconfort à nombre d’entre eux au lendemain du judéocide hitlérien247. Il n’a sans doute pas été totalement inutile pour faire réfléchir les Français et notamment les chrétiens de cette époque sur l’influence néfaste de la culture chrétienne en la matière, mais il a aussi contribué à obscurcir près des générations suivantes le regrettable phénomène de société qu’il voulait résoudre ou réduire. Après avoir un instant saisi la dramatique portée de l’altérité Juifs/non-Juifs véhiculée depuis toujours par le judaïsme, en écrivant « il faudrait décrire cette humanité scindée en deux »248, Sartre oublie immédiatement cet élément majeur. Indépendamment des multiples et virulentes critiques suscitées dans les milieux juifs249, on peut dire que son ouvrage témoigne avant tout d’une méconnaissance du judaïsme : d’une part le Juif n’est point une création de l’antisémite, d’autre part la cause invariante des antisémitismes – contrairement aux causes conjoncturelles – n’est pas plus à rechercher dans les faits et gestes des persécuteurs que dans ceux des persécutés mais bien dans la culture juive qui a contaminé Juifs et non-Juifs avec la composante raciale de la judaïté. En résumé, si on rapproche la vision que ces philosémites ont des Juifs de celle des antisémites, s’il est bien difficile de ne pas trouver chez eux des traces de racisme antijuif plus ou moins notable, il paraît évident que les uns et les autres voient les Juifs, non pas comme

245

. Ibid., p. 164. . Ibid., pp 46-47. 247 . Claude Lanzmann affirmait qu’il avait marché autrement après avoir lu les Réflexions ; Pierre Vidal-Naquet quant à lui s’était senti vengé (Sartre et les Juifs, p. 51). 248 . Réflexions sur la question juive, p. 162. 249 . Susan Rubin Suleiman, par exemple, « relisant "Les Réflexions sur la question juive" après beaucoup d’années s’est sentie de plus en plus indignée et offensée » (citation rapportée par Pierre Vidal-Naquet dans Sartre et les Juifs, p. 51). 246

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des croyants ou des adeptes d’un système de pensée mais à travers quelque donnée de race250. Force est de constater que cette représentation – une lignée, une généalogie, une communauté de sang centrée et fermée sur elle-même par la naissance et l’endogamie – est entièrement dépendante de la culture juive. On peut même ajouter que cette vision avec son pouvoir contaminant est imposée d’autorité aux non-Juifs, qu’ils soient judéophiles251, judéophobes ou indifférents…! Nourrissant un sentiment d’étrangèreté et une conception biologisante des Juifs, ayant à leur égard un conscient ou un subconscient d’ordre racial, les non-Juifs pourraient-ils être libres de penser et d’agir de façon habituelle comme si le Juif qu’ils ont en face d’eux n’était pas juif, de ne pas être en somme des antisémites en puissance ? C’est là le problème spécifique du judaïsme, inventant dans la Torah la pensée raciale et distinguant deux mondes irréductibles dans un apartheid à l’échelle de la terre. Au contact de la société juive culturellement conditionnée au racisme, la société voisine qui est vue et qui se voit comme antagoniste ne peut pas ne pas participer de cette même orientation. Et lorsque l’altérité relève d’une idéologie structurée et non plus de la nature, il ne saurait y avoir le dialogue véritable qui seul permet la résolution des conflits sans cesse renaissants. Cet antisémitisme latent, potentiel ou larvé des défenseurs des Juifs, qui témoigne à lui seul de l’extrême banalité (pour ne pas dire de l’universalité) de sa présence chez les non-Juifs tous plus ou moins tributaires de la pensée raciale inhérente au judaïsme et qui se traduit de bien des manières plus ou moins conscientes252, ne saurait rester à ce stade dans nombre de cas. Que vienne s’ajouter dans l’esprit des non-Juifs quelque grief, motivé ou non, envers des Juifs – grief qui se décline sous la forme d’une de ces multiples causes contingentes décrites par les historiens (celle relevant par exemple de la conjoncture économique sur lesquelles l’historien Fernand Braudel253 insiste particulièrement) – un racisme caractérisé en actes va automatiquement se développer à l’encontre des Juifs. L’histoire de plusieurs sociétés est particulièrement révélatrice à cet égard, c’est ce que nous allons voir dans le chapitre suivant.

250

. Certes, on pourrait remarquer que d’ardents philosémites de la période nazie (tels François Mauriac, Paul Claudel, le Père jésuite Bonsirven, le Père Merklen, rédacteur en chef du journal La Croix…) n’utilisent guère le terme de "race" à propos des Juifs mais que tous sans exception voient "les Juifs" comme les représentants d’une catégorie d’hommes différente de la leur, ce qui bien entendu est un équivalent. 251 . Certains auteurs juifs, tel Robert Misrahi (dans on ouvrage Un Juif laïque en France, p. 102 et suivantes), ont en effet bien perçu que les philosémites étaient aussi suspects d’antisémitisme, sinon plus que les antisémites caractérisés. 252 . Cas typiques de ce phénomène d’antisémitisme latent : celui du Premier ministre français Raymond Barre qui, sollicité ex abrupto de commenter un attentat devant une synagogue, avait distingué parmi les victimes « des Juifs qui allaient au culte » et des « Français innocents » ou bien celui de l’épiscopat français ne réagissant pas au premier statut des Juifs du 3 octobre 1940 et ne protestant que très discrètement lors du second, promulgué le 2 juin 1941. 253 . Dans son ouvrage La Méditerranée et plus particulièrement dans la partie intitulée « Une civilisation contre toutes les autres : le destin des juifs ».

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CHAPITRE IV – LES ANTISÉMITISMES EN ACTES, CARACTÉRISÉS OU EXPLICITES DE DIVERSES SOCIÉTÉS Deux formes d’antisémitisme caractérisé, éventuellement associées, peuvent être décrites : d’une part, une forme purement réactionnelle, d’autre part une forme idéologique. L’antisémitisme réactionnel Face au comportement d’un Juif ou d’un groupe de Juifs jugé, à tort ou à raison, agressif par les non-Juifs, l’idée omniprésente chez tous les individus de la racialisation des Juifs a, comme nous l’avons vu, le pouvoir spécifique de transformer une hostilité banale en un antisémitisme manifeste. C’est l’antisémitisme réactionnel. Visant en bloc une communauté d’ordre racial, tel est en effet le propre du processus raciste, processus éminemment regrettable mais banalement humain. Cette forme d’antisémitisme constitue en somme un contre-racisme de réplique. Plusieurs sociétés que l’histoire a particulièrement retenues, et sur lesquelles nous allons revenir, ont développé à l’égard des Juifs cette forme d’antisémitisme. Ce sont : • la société perse avant l’ère chrétienne, • les sociétés grecque et romaine de l’Antiquité, • les sociétés arabo-musulmanes. L’antisémitisme idéologique Face à la société juive et à ses lois de pureté raciale émanant de la Bible, deux sociétés occidentales ont développé leur propre idéologie raciste avec leur traduction habituelle : le rôle primordial de l’héritage sanguin et la prohibition des unions mixtes. Ce sont : • la société chrétienne espagnole des XVe/XVIe siècles avec ses "Statuts de pureté du sang" (estatutos de limpieza de sangre) ; • la société germanique des XIXe-XXe siècles, d’abord avec le mythe aryen et son surhomme fabriqué en regard et en opposition au surhomme juif, puis avec ses "Lois pour la protection du sang et de l’honneur allemands".

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L'ANTISÉMITISME RÉACTIONNEL CHEZ LES PERSES AVANT L'ÈRE CHRÉTIENNE

Un texte du Livre d'Esther (3, 8-10) rapporte un épisode qui n'a pas été absolument confirmé par les historiens mais, en tant qu'écrit juif destiné à des Juifs et relu chaque année à la synagogue en donnant lieu à une cérémonie particulière, il est particulièrement significatif. Ce texte daté du IIIe siècle av. J.-C. est celui-ci : « Alors Aman déclara au roi Xerxès : "Il y a un peuple éparpillé et divisé au milieu des populations dans toutes les provinces de votre royaume. Leurs lois diffèrent de celles de tout peuple : quant aux lois du roi ils ne les observent pas ; il n'est pas opportun que le roi les ménage. Si cela plaît au roi, qu'on ordonne par écrit de les faire périr. Je pèserai dix mille talents d'argent ; je les remettrai aux intendants, ils les verseront au trésor royal !" Alors le roi enleva de sa main son anneau; il le remit à Aman, fils d'Ammedatha, l 'Aguaguite, ennemi des Juifs ». Ainsi que nous le voyons, les principes qui régissent la haine des Juifs sont exposés clairement : ce groupe particulier observe ses propres lois et non celles du royaume. Cette différence fondamentale et irréductible que perçoivent les Perses au contact des Juifs témoigne à l'évidence et d’une catégorie d'ordre racial antagoniste et d’un racisme réactionnel caractérisé devant conduire, dans la circonstance, à rien de moins qu'à l'élimination des Juifs. L’ANTISÉMITISME RÉACTIONNEL DU MONDE ANTIQUE GRÉCO-ROMAIN

Avant d’examiner les rapports particuliers que les Grecs et les Romains entretiennent avec les Juifs, il n’est pas sans intérêt de voir la manière dont ils se comportent avec les étrangers en général. Les Grecs, qui sont en Palestine et en Égypte depuis la conquête d’Alexandre au IVe siècle av. J.-C., considèrent qu’il y a des Grecs et des non-Grecs, des Civilisés et des Barbares mais on peut remarquer tout d’abord que cette distinction n’est généralement pas fondée sur une donnée d’ordre naturel : les premiers sont des Civilisés parce qu’ils ont la chance de vivre dans la Cité sous un régime démocratique et peuvent devenir des hommes achevés, les autres sont des Barbares parce qu’ils ne parlent pas le grec, ont une langue incompréhensible et vivent sous un régime de servitude. Ce sont les coutumes particulières adaptées à telle ou telle région, notamment au climat, qui déterminent la division de l’espèce humaine en peuples différents et non quelque donnée d’ordre racial, telle que la couleur de la peau ou l’origine familiale. Par ailleurs, aucun interdit ne fait obstacle aux mariages avec des étrangers. Certes, certains de ces peuples sont regardés avec condescendance ou notable mépris, voire comme appartenant à une race proche de l’animalité – il y a des degrés dans la barbarie –, certes le jugement de Platon qualifiant « les Athéniens de Grecs authentiques, sans alliage de sang barbare » peut évoquer quelque mystique de pureté, mais « il reste, écrit Jacqueline de Romilly254, que le plus souvent les Grecs n'ont vu là, en fin de compte, qu'une opposition de cultures ». Pour les Grecs, les étrangers, les Barbares sont volontiers source de curiosité et occasion de satisfaire leur soif de connaissance. Ils adoptent même assez souvent leurs mœurs et leurs dieux. D’après le philosophe Jacques Ricot255, ce sont les sophistes de l'Antiquité grecque qui ont ébranlé le préjugé ancestral selon lequel l'être du Barbare et celui du Civilisé étaient déterminés par la nature. L’un d’entre eux, Antiphon, peut écrire : « Par nature, nous sommes tous et en tout de naissance identique [...] Aucun de nous n'a été distingué à l'origine comme Barbare ou comme Grec : tous, nous respirons l'air par la bouche et par les narines ». Pour Isocrate (434-338 avant J.C.) : « on appelle Grecs, plutôt ceux qui participent á notre éducation que ceux qui ont la même origine que nous ; on est Hellènes non par la naissance 254 255

. La Grèce antique contre la violence, de Fallois 2000, p. 9. . Étude sur l’humain et l’inhumain, p. 50.

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mais par la culture ». « Ainsi le terrain est-il ensemencé, poursuit J. Ricot, pour que germe avec les stoïciens l'idée d'une unité du genre humain […] et que la cosmopolis, c'est-à-dire la société universelle du genre humain, se substitue au cadre devenu exigu de la polis (la cité) ». C'est dans ce contexte que résonne la célèbre formule de Ménandre, formule d’humanité universelle traduite par Térence : « Je suis homme et rien de ce qui est humain ne m'est étranger », ou encore celle de Sénèque : « Ma patrie, c'est le monde ». La différence entre Grecs et Barbares, entre maîtres et esclaves s’évanouit : tous les hommes sont appelés à la vertu, tous représentent une parcelle du divin. Quant aux Noirs employés comme domestiques c’est-à-dire comme esclaves dans les cités grecques, « si un jugement péjoratif est porté sur eux, il semble raisonnable de penser que c’est leur statut social, non la couleur de leur peau, qui est en cause » écrit Delacampagne256. Et à l’appui de ses propos l’auteur signale257 le célèbre texte de la Métaphysique d’Aristote considéré comme l’un des premiers grands textes antiracistes où le philosophe établit magistralement que la différence entre Blancs et Noirs ne constitue pas une différence spécifique à l’intérieur de l’humanité. Des procédures existent qui permettent de passer en effet de l’une à l’autre condition. Certains philosophes grecs rangés dans la catégorie des cyniques revendiqueront même « l’égalité entre les hommes sans distinction ni de race, ni de sexe, ni de statut social ». Ce n’est guère en effet qu’avec le judaïsme et le christianisme que le Noir sera ostracisé. Descendant de Cham, fils de Noé selon la Bible, il est porteur d’une malédiction éternelle, d’autant plus que la couleur noire de la peau symbolise les ténèbres et le mal. En somme, on peut considérer tout d’abord que l’altérité par nature des populations étrangères par rapport aux citoyens, premier critère établissant vraiment le racisme culturel, n’existe guère chez les Grecs. Deux autres données sont également capitales de ce point de vue : d’une part l’ethnos grec est largement ouvert aux étrangers, d’autre part les esclaves affranchis peuvent atteindre le stade supérieur de métèques avant de se fondre en quelques générations dans le reste de la population. Leur situation, pour inférieure qu’elle soit, n’est pas irréversible, une porte de sortie existe toujours. Pour les Romains, il en est sensiblement de même. Les citoyens qui proclament leur attachement à la République puis à l’Empereur, les esclaves, les nationaux des territoires conquis, forment des catégories fort diverses de par leur habitus mais, là encore, aucune étude ne permet de conclure que l’aspect extérieur des individus, la couleur de la peau notamment, engendre quelque différenciation ou discrimination radicale et inamovible. Les hiérarchies entre les hommes sont appréciées essentiellement en termes de croyances, de traditions, mais non en termes de races. À Rome les esclaves affranchis deviennent même d’emblée des citoyens à part entière, tandis que dès le Ve siècle av. J.-C. la Lex Canuleia autorise les mariages entre patriciens et plébéiens. Aucune théorie racisante n’est vraiment élaborée pour justifier la division de l’humanité en divers groupes. Autre critère d’importance : les unions inter-raciales, notamment avec les Noirs, sont fort répandues sans que cette coutume suscite de réprobation. Rapports particuliers des Grecs et des Romains avec les Juifs Donnée capitale : alors qu’on est Grec par la culture on est Hébreu par le sang et la différence avec l’étranger, culturelle chez les Grecs, est ontologique chez les Hébreux. Comment imaginer contraste plus saisissant : alors que « les choses sont harmonisées par l’accord des contraires » (selon Héraclite) et que l’altérité Grecs/non-Grecs est relative et réversible, l’altérité Juifs/non-Juifs, fondée sur des textes sacrés, est radicale et irréversible.

256 257

. L’invention du racisme, p. 197. . Ibid., p. 313.

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Et cet intérêt pour les étrangers va conduire véritablement les Grecs à inventer l’histoire : près de trois cents historiens vont retracer non seulement l’histoire de la Grèce mais celle de tous les peuples du monde connu, y compris celle de leurs ennemis historiques comme les Perses qu’ils décrivent avec beaucoup de respect. Et ils vont admirer les Égyptiens258. Possédant le seul et vrai Dieu, détenteur d’une vérité unique qu’ils conservent jalousement pour eux en ne faisant guère de prosélytisme, les Hébreux, au contraire, non seulement se désintéressent des étrangers mais les méprisent souverainement voire leur vouent une haine inextinguible comme c’est le cas notamment envers les Égyptiens. Par ailleurs, si quelques appréciations favorables aux Juifs peuvent être relevées chez les intellectuels grecs – Théophraste les considère comme un « peuple de philosophes », tel autre a des paroles élogieuses à propos de leur dieu, tel autre encore estime particulièrement certains sages juifs – on peut remarquer néanmoins que sont formulés avant tout des griefs à leur égard. Ces reproches concernent tout d’abord la divinité. Certes, les philosophes ne croient guère à l’existence des divinités populaires de l’Olympe mais ils s’indignent avec force de la volonté des Juifs d’imposer à toutes les nations leur dieu particulier, unique, suprême et éternel en prétendant de plus que Moïse a inspiré les plus grands d’entre eux, Platon, Aristote…, à la source de la sagesse hellénique. Pourquoi les Juifs rejettent-ils avec mépris les dieux de la cité, renversent-ils autels et statues alors qu’ils refusent aux autres l’accès de leurs propres sanctuaires ? Mais ce qui prime avant tout pour les Grecs ce sont les lois des Juifs qui les différencient des autres hommes et qui les maintiennent toujours à l’écart. Vivant entre eux, asociaux, xénophobes, ils refusent de manger avec les autres, de prendre part à leurs jeux et à leurs exercices, de servir sous leurs étendards. Et pourquoi cette pratique barbare de la circoncision ? Enfin, donnée jugée particulièrement offensante et méprisante, ils refusent de se marier avec des non-Juifs. Hécatée d'Abdère attribue à Moïse l'invention d'un « mode de vie contraire à l'humanité et à l'hospitalité ». Pour Posidonios, dans le siècle précédent l’ère chrétienne, le peuple juif est « le seul qui refuse d'avoir des rapports avec les autres peuples et les traite tous comme des ennemis ». Quant au philosophe Philostrate, qui écrit vers l’an 250, il résume assez bien les griefs qui leur sont faits par ses compatriotes. Après avoir constaté que « ce peuple s’est depuis longtemps insurgé contre l’humanité en général » il considère que les Juifs sont « des hommes qui ont imaginé une vie insociable, qui ne partagent avec leurs semblables ni la table, ni les libations, ni les prières, ni les sacrifices, qui sont plus éloignés d’eux que la Bactriane ou que l’Inde plus reculée encore »259. Quant aux Romains, qui arrivent en Palestine en 63 av. J.-C., ils vont être relativement bienveillants à l’égard des Juifs pendant un certain temps. D’une part ils se souviennent d’avoir reçu d’eux une aide précieuse lors de la conquête d’Alexandrie, d’autre part ils ont un paganisme très tolérant à l’égard des autres religions. Le reproche d’athéisme que les païens vont faire aux Juifs ne sera guère utilisé que pour conforter leur opposition à ces derniers se montrant réfractaires à partager leur vie. Ainsi, dans la première période de coexistence, les Romains assurent aux Juifs le libre exercice de leur culte – le judaïsme est religio licita – et leur accordent même des privilèges très particuliers voire exceptionnels, notamment l’exemption du culte de l’Empereur et un adoucissement du service militaire. Mais, quelques années seulement après la conquête de Pompée, un antagonisme sérieux devait apparaître à l’occasion de l’abolition du Sanhédrin. Car désormais c’est Rome qui entend gouverner seul et être le maître absolu dans ses provinces. Par l’intermédiaire d’un proconsul résidant à Damas et d’un gouverneur local chargés de résoudre les problèmes quotidiens se posant au 258 259

. cf Le déni de la violence monothéiste de J. P. Castel. . Ibid., p. 176. Les Grecs qualifiaient les Juifs de mixoxènes (qui haïssent les étrangers).

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pays devenu la province romaine de Judée, il s’agit avant tout que l’impôt soit payé et les lois romaines respectées. C’est à ce sujet que les oppositions vont particulièrement se manifester et croître sans cesse en intensité. Par ailleurs, en Égypte et plus particulièrement à Alexandrie qu’ils occupent depuis l’an 30 av. J.-C., les Romains, qui se veulent des arbitres au sein des populations conquises, assistent à des conflits permanents entre les Juifs représentant 40 % de la population et les autochtones hellénisés. Exaspérés de la permanence des conflits, les Romains en viennent à accuser les Juifs d’être anti-patriotes, d’être déloyaux envers l’Empereur, de ne pas vivre comme tout le monde et, plus particulièrement, de refuser les mariages avec les autres. Tandis que sont édictés des ordres impériaux réprimant la propagande juive, toutes ces critiques vont être développées par les lettrés, Cicéron, Horace, Juvénal, Suétone, Tacite… très attachés aux traditions de Rome. Ainsi se dessine une opposition caractérisée entre les valeurs de l’hellénisme et celles du judaïsme. Cicéron se félicite que le Sénat ait prohibé l’exportation de l’or que les Juifs ont l’habitude d’envoyer tous les ans au temple de Jérusalem pour subvenir aux besoins du culte : « Résister à une superstition bizarre c’est de la part de Flaccus, écrit-il, une marque d’énergie ; rejeter dans l’intérêt de la République cette multitude de Juifs si souvent turbulents dans nos assemblées, c’est la marque d’une singulière force d’âme »260. Les Juifs sont accusés par Juvénal « d’être élevés dans le mépris des lois romaines, de n’observer que la loi judaïque, de n’exister que pour causer des maux aux autres peuples »261. Sénèque les traite de race criminelle. Pour Tacite, c’est l’agressivité des Juifs envers les autres communautés qu’il convient de dénoncer particulièrement : « Ils ont entre eux, écrit-il, un attachement obstiné et une commisération active qui contrastent avec la haine implacable qu’ils portent au reste des hommes. Jamais ils ne mangent, jamais ils ne couchent avec des étrangers, et cette race, quoique très portée à la débauche, s’abstient de tout commerce avec les femmes étrangères »262. Et bientôt critiques, médisances et éventuellement calomnies, favorisées par le mystère qui entoure le culte des Juifs et leur mode de vie à l’écart des autres, vont être relayées avec une nouvelle vigueur par les auteurs chrétiens à l’égard de ces misanthropes insociables qui se veulent foncièrement autres. De cet antagonisme vont résulter des crises violentes. Elles n’ont pas comporté les mauvais traitements que les siècles suivants devaient connaître mais elles furent néanmoins meurtrières à certaines périodes. Sous l’empereur Tibère, c’est l’expulsion des Juifs de la ville de Rome et, en 38 de notre ère, on assiste sous Caligula, qui nourrit une véritable haine des Juifs du fait de leur comportement asocial, à un véritable pogrom avec pillages des synagogues et massacres de familles entières. Après la défaite militaire et la destruction du Temple en 70, les Juifs vont progressivement et de plein gré, et non par la force pour l’historien Shlomo Sand263, quitter la Palestine pour rejoindre les communautés déjà présentes dans les pays voisins. En résumé Le monde gréco-romain, avec ses hommes politiques et ses intellectuels particulièrement sensibles au comportement des Juifs dans les domaines essentiels de la vie en société, a manifestement exercé à leur encontre des violences d’ordre raciste au sens moderne du terme. Cependant, contrairement au monde juif, il est manifeste qu’il n’a pas créé de concepts, formulé de théories, élaboré de règles, établi de lois fondant le statut de l’Étranger radical, de l’Autre structurel, statut témoignant à lui seul d’une société culturellement racisante avec la division irréductible de l’humanité en groupes. Certes, dans l’Athènes du IIIe siècle, la cité 260

. Textes d’auteurs grecs et romains relatifs au judaïsme p. 238. . Ibid, p. 293. 262 . Ibid, p. 307. 263 . Op. cit., p. 183 et 187. 261

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pouvait développer aussi un orgueil de race (selon l’expression de l’anthropologue Robert Lowie) – les citoyens ne pouvaient épouser que des citoyennes dans une endogamie patrilinéaire – mais cette pratique ne reposait sur aucune donnée écrite. Face au comportement jugé agressif des Juifs refusant de partager la table, de se marier avec les non-Juifs, de participer à la vie de la Cité et se voulant d’une catégorie fondamentalement différente, on peut considérer que l’antisémitisme des Grecs et des Romains, qui est apparu sensiblement au début du IIIe siècle avant notre ère, ne fut guère d’ordre idéologique mais essentiellement d’ordre réactionnel. L’ANTISÉMITISME RÉACTIONNEL DES SOCIÉTÉS ARABO-MUSULMANES

L’anti-judaïsme traditionnel arabo-musulman Si l’islam a des points communs d’ordre doctrinal avec le judaïsme dont il a hérité : d’abord la donnée essentielle de la conception de Dieu avec un strict monothéisme, ensuite un certain nombre de dispositions importantes telles que l’absence de hiérarchie sacerdotale ou certaines pratiques rituelles concernant l’alimentation, le jeûne, la circoncision…, il reste que l’antagonisme entre les deux religions s’est révélé très tôt lorsque les Juifs de Médine, la ville initiale du Prophète, refusèrent d’embrasser l’islam. Très rapidement la rupture fut consommée entre elles : La Mecque remplaçant désormais Jérusalem l’hostilité des musulmans devait se manifester au grand jour, d’autant plus que les Juifs étaient largement minoritaires. Le Coran est explicite : « Nous les avons maudits et nous avons endurci leur cœur. Ils altèrent le sens des paroles révélées ; ils oublient une partie de ce qui leur a été rappelé. Tu ne cesseras pas de découvrir leur trahison – sauf chez un petit nombre d’entre eux » (sourate V, 13). Même si une sourate engage à « oublier les fautes des Juifs et à pardonner » les multiples textes, affirmant la supériorité absolue de l’islam sur les autres religions et appelant au jihad contre les infidèles, visent d’abord les Juifs vus comme « usurpateurs et falsificateurs des Écritures » : « Combattez ceux qui ne croient pas en Dieu ; ceux qui ne considèrent pas illicite ce que Allah et son prophète ont déclaré illicite ; ceux qui, parmi les gens du Livre ne pratiquent pas la vraie Religion. Combattez-les jusqu'à ce qu'ils paient directement le tribut (la jizya) après s’être humiliés » (IX, 29). « Combattez-les jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de luttes doctrinales et qu'il n'y ait pas d'autre religion que celle d’Allah. S'ils cessent, Allah le verra » (VIII, 39). « Vous formez la meilleure communauté suscitée parmi les hommes ; vous ordonnez ce qui est convenable, vous interdisez ce qui est blâmable » (III, 110). Dans les régions où l’islam est parvenu à étendre sa domination, accompagnant les dispositions d’esprit favorisées par de nombreux versets du Coran, brimades et humiliations, ont été particulièrement notables à l’égard des Juifs : discriminations concernant le vêtement et les maisons, interdictions d’occuper des postes de pouvoir, d’exercer sa religion en public ou de construire des synagogues, de posséder des armes et de monter à cheval, d’épouser une musulmane (un musulman peut néanmoins s’unir à une juive), obligation de se déchausser au passage devant un mosquée, impossibilité de témoigner contre un musulman… Parfois les Juifs sont considérés comme des "impurs" auxquels sont interdits les mosquées, les bains publics, certaines rues des villes. En outre les conversions forcées, les réductions en esclavage, voire les persécutions de communautés juives obligeant les Juifs à s’exiler ont pu également se voir à certaines périodes. Ce fut notamment le cas au XIIe-XIIIe siècle sous la dynastie des Almohades qui passèrent par les armes tous ceux qui refusèrent de faire allégeance à Allah. À l’époque moderne Albert Memmi264 rapporte un massacre à Casablanca 264

. Juifs et Arabes, Gallimard, coll. "Idées", p. 62.

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en 1907, un autre à Fez en 1912, un autre à Constantine en 1936 qui fit 24 morts et des dizaines de blessés, un autre à Tripoli en 1945. Néanmoins, malgré leur situation d’infidèles, les Juifs comme les chrétiens restent en principe des dhimmis (protégés) des autorités musulmanes. On peut remarquer par ailleurs que les dispositions contraignantes dont nous avons parlé n’ont guère été appliquées dans certains pays et que bien des Juifs, notamment dans l’Espagne des Xe et XIe siècles – on a même pu parler alors d’un "âge d’or" – purent occuper des postes élevés dans l’administration musulmane. D’autres, chassés de ce pays au XVe siècle par les rois catholiques ou bien au XVIIe siècle lors des violents pogroms d’Europe centrale, ont souvent trouvé refuge dans les pays musulmans où ils bénéficiaient de libertés, notamment celle du culte, qu’ils ne connaissaient pas par ailleurs. D’ailleurs le Coran reconnaît la qualité de "peuple élu" aux descendants de Moïse, aussi appelés "fils de Dieu". C’est ainsi que le différend théologique entre les deux communautés ne prit jamais l’ampleur de celui opposant depuis toujours les chrétiens aux Juifs accusés de déicides. À ces données tantôt favorables tantôt défavorables aux Juifs, il faut en ajouter une autre assez particulière : le fait que l’islam qui se veut le vrai destinataire du message biblique, message écrit depuis le début des temps par Dieu mais révélé et dicté directement à Mahomet, n’a jamais reconnu sa dette envers ceux qui l’ont précédé. Et cette dette est importante en vérité puisque le contenu de bien des sourates du Coran et nombre d’histoires et de légendes sont largement reprises de la Bible et du Talmud. La vindicte envers le judaïsme qui a précédé l’islam, la malédiction d’Allah envers les Juifs qui ont mérité sa colère jusqu’à la fin des temps, le refus de reconnaître un quelconque héritage juif vont constituer, en définitive, pour le monde musulman un terrible handicap. Quoi de plus stérilisant en effet que d’avoir à maudire ce dont on est redevable, avec le funeste engrenage qui s’ensuit ! Il reste en définitive que Juifs et musulmans ont vécu ensemble sur les mêmes terres dans une relative tolérance pendant quelque mille quatre cents ans et que les violences furent essentiellement d’ordre religieux et non d’ordre raciste. La race arabe est si intimement liée à l’islam – les deux mots sont souvent associés comme nous le faisons ici – qu’elle ne transporte guère qu’une notion atténuée de race compte tenu par ailleurs que l’islam est ouvert à tous les hommes. C’est au XIXe siècle, avec les travaux sur les races et leur hiérarchisation, la colonisation par les Européens de nombreux pays musulmans265 et le démantèlement de l’Empire ottoman à la suite de la guerre de 1914-1918, que va vraiment apparaître le racisme arabo-musulman réactionnel. De l’anti-judaïsme traditionnel au racisme anti-Juifs caractérisé La colonisation sioniste de la Palestine à partir du XXe siècle et surtout la création de l’État juif, avec ses violences de tous ordres et ses humiliations extrêmes266 dans une guerre continue avec ses divers paroxysmes (paroxysmes de 1947-1948, de 1956, de 1967, de 1973, de 1982, de 2006, de 2008-2009), vont faire basculer l’antijudaïsme traditionnel vers un racisme réactionnel caractérisé à l’égard des Juifs, Les inscriptions « Mort aux Juifs » fleurissent lors de l'Intifada 2000. Le slogan « One Jew, one bullet » retentit à la conférence de Durban en 2001, tandis que les sourates sacrées du Coran, hostiles aux infidèles et longtemps mises sous le boisseau, sont réactivées dans nombre de mosquées. Le célèbre faux fabriqué en France contre les Juifs au début du XXe siècle par un russe émigré, Les Protocoles des Sages de Sion, est réédité dans de nombreux pays ; les thèses niant le judéocide par les 265

. Le décret Crémieux de 1870 peut être vu comme inaugurant cette nouvelle période : les Juifs considérés jusqu’alors comme des indigènes deviennent français, les Arabes, non ! 266 . Car, comme l’écrit fort justement Jean Daniel, « l’humiliation est l’un des pires maux de l’humanité. Plus que les oppressions, les occupations et les aliénations, c’est elle qui blesse le plus profondément l’âme d’un individu ou d’une collectivité. C’est elle qui est à l’origine des révoltes contrôlées mais aussi des révolutions fanatiques » (Nouvel Observateur 1-7 avril 2010).

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nazis, développées en Europe il y a quelques années, sont reprises par des intellectuels arabes ; des injures caractérisées sont adressées aux Juifs dans leur ensemble, des caricatures tournent en dérision le massacre des Juifs européens par les nazis… Fait notable, l’antisémitisme arabo-musulman, face à l’État juif honni au plus haut point, n’est pas seulement le fait des politiques, des religieux et des intellectuels produisant une vaste littérature antisémite et de nombreux films, mais celui de l’ensemble du corps social à un degré progressivement croissant. Le qualificatif de juif est même étendu aux autres populations collaboratrices de cet État. « Beaucoup d’Irakiens se défient tellement des Américains, écrit Thomas Friedman267, qu’ils leur ont trouvé un surnom : les "Juifs" ; le grand ennemi de l’Islam s’appelle désormais JIA pour Jews, Israël and America ». D’ailleurs « New York n’est-elle pas à la fois la première ville juive et déjà la deuxième ville israélienne du monde ? » La spirale infernale est d’autant plus inexorable que le terrorisme arabe ou musulman, répond à la fois à la haine marquée que nourrissent les Juifs extrémistes envers tous les musulmans268, aux multiples actions criminelles de l’État juif et, précédemment, à celles des organisations juives de l’Irgoun, du Lehi, du groupe Stern ou du Palmach, toutes résolues avec des stratégies diverses, à chasser l’"occupant" palestinien. On peut dire que ce terrorisme arabe est avant tout le fruit du désespoir et de la faiblesse de ses auteurs en face d’une agression-répression scientifiquement organisée avec la complicité et la puissante aide de nombreux pays occidentaux269. Particulièrement grave aussi le fait qu’une partie notable du monde islamique (le Dar el Islam, soit environ 1 milliard de personnes depuis le Maroc à l’Ouest jusqu’à l’Indonésie à l’Est) qui, pendant longtemps vivait sa foi sans se référer ni au judaïsme ni au christianisme, est puissamment entravé dans son développement économique, social et humain par nombre d’éléments inhérents à sa religion. La conjonction du politique et du religieux, la prééminence de la communauté sur l’individu, le statut souvent inférieur de la femme, la difficulté voire l’impossibilité pour certaines communautés musulmanes d’interpréter les textes du Coran dictés par Allah lui-même270, le poids de l’hérédité dans la religion, l’absence d’autorité supérieure susceptible de favoriser une évolution doctrinale, le profond antagonisme entre les communautés sunnite et chiite, la mystique de la violence développée dans le Coran… constituent à l’évidence des handicaps considérables avec comme conséquences la crispation identitaire et le fondamentalisme attaché à la lecture littérale des textes sacrés. Sur fond de racialisation des Juifs inspirant aussi nombre de caricatures et de métaphores bestialisantes (le Juif-araignée, rat, vampire, assis sur le monde…) ayant une connotation spécifiquement raciste, et à partir de la réactivation de son anti-judaïsme doctrinal, le monde musulman a manifestement basculé, et pour une durée qui ne peut être que longue, vers le racisme antijuif. On peut même remarquer que ce racisme représente maintenant une composante majeure de l’islamisme dans sa conception moderne de courant religieux extrémiste et obscurantiste avec son développement fulgurant.

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. International Herald Tribune, 25 octobre 2004. . Cette haine concerne en effet « tous ceux qui se réclament de l’islam dans toutes ses variantes : Jordaniens, Pakistanais, Egyptiens, Maghrébins, Iraniens, etc. » (Elisabeth Roudinesco, Retour sur la question juive, p. 10). 269 . Notamment dans le domaine nucléaire et jusqu’à nos jours avec la fourniture récente, par l’Allemagne, d’un sixième sous-marin porteur d’ogives de type "Dolphin"), donnée ayant inspiré un long poème à Günther Grass (Le Monde du 10 avril 2012). 270 . Selon la tradition sunnite toutefois « le texte est divin mais son interprétation est l’œuvre des hommes : il convient de le soumettre à l’itjihad, l’effort de réflexion individuelle », mais il reste en pratique que le champ d’interprétation possible de certains textes est pratiquement inexistant. 268

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En résumé L’antisémitisme que nourrit le monde arabo-musulman depuis le milieu du XXe siècle est manifestement un des plus étendus que l’histoire ait connus. Néanmoins, il faut bien voir que ce racisme est, comme celui des Grecs et des Romains, essentiellement d’ordre réactionnel. En effet, même les pays musulmans du Moyen-Orient les plus directement confrontés au monde juif n'ont pas établi de pratiques ou institué de lois raciales à l'encontre des Juifs comme ont pu le faire les chrétiens et les nazis avec l’interdiction des mariages mixtes271. Que ce soit dans le passé avec des moments alternés de paix et de conflit ou dans le présent alors que les Juifs représentent pour eux une force omnipotente et hostile depuis l’avènement du sionisme, on peut dire que les sociétés musulmanes n’ont guère développé de racisme idéologique et que leur antisémitisme, bien que parfois extrême, relève essentiellement de la loi ancestrale du Talion, loi de vengeance et de riposte pour les griefs qu’elles nourrissent envers les Juifs et leurs alliés en raison du conflit palestinien.

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. Remarquons, fait capital, que contrairement au judaïsme, il n'y a ni notion de sang, ni notion de race transmettant par voie masculine ou féminine l’identité même de la personne. L’islam n’a jamais fait de différence entre les races comme en témoigne son prosélytisme constant près des infidèles. De ce fait, il est resté indemne de racisme premier. Comme le rapporte Hesna Cailliau « les Arabes n’hésitèrent pas, dès la première expansion, à mêler leur sang aux nouveaux convertis, créant ainsi une culture arabo-berbère au Maghreb, arabo-égyptienne dans la vallée du Nil, arabo-iranienne dans l’ancien Empire sassanide. Ce processus d’acculturation et de métissage s’est poursuivi jusqu’à nos jours » (L’esprit des religions, p. 231).

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L’ANTISÉMITISME IDÉOLOGIQUE ET RÉACTIONNEL DE LA SOCIÉTÉ CHRÉTIENNE ESPAGNOLE DES XVe/XVIe SIÈCLES

Comme chacun sait, malgré les liens religieux étroits existant entre judaïsme et christianisme, l’opposition doctrinale entre les deux systèmes de pensée est foncièrement irréductible. Le christianisme a repris intégralement les mythes fondateurs du judaïsme (la Création par Yahvé le dieu juif, le Paradis terrestre, le Péché originel, la Terre promise, le Peuple élu, le Messianisme272), mais il se veut en même temps, par ses mythes spécifiques (la Trinité, l’Incarnation, la Rédemption sacrificielle, la Résurrection…), le continuateur et l’achèvement du judaïsme. Si, comme le montre l’histoire, l’antagonisme religieux est parfois à lui seul la source de graves conflits, il faut noter qu’ici s’ajoute une donnée majeure incontournable attachée au judaïsme : la composante raciale de la judéité avec son pouvoir d’engendrer, selon une logique implacable, une hostilité d’ordre raciste. Dans un banal réflexe mimé-tique, les chrétiens vont renvoyer la balle à l’adversaire et reprendre notamment à son encontre le statut biblique du pur et de l’impur. Face à l’impureté des chrétiens pour les Juifs émerge maintenant dans les esprits une contre-idée folle : l’impureté des Juifs pour les chrétiens… Car tel est le monde des hommes où une catégorie raciale particulièrement différenciée comme celle des Juifs engendre presque automatiquement une contre-race, une agression une contre-agression, une société racisante une autre société racisante. Après une phase de quelque deux siècles où l’opposition des chrétiens et des Juifs fut purement religieuse et pacifique, l’agressivité prosélyte des premiers en position dominante allait monter gravement en puissance : l’opposition purement doctrinale devait, non seulement se structurer régulièrement au cours des siècles sous l’influence des théologiens chrétiens mais s’associer à un racisme anti-Juifs caractérisé explosant dans l’Espagne du XVe siècle. DE L’ANTIJUDAÏSME À L’ANTISÉMITISME : "LES STATUTS DE PURETÉ DU SANG"

C’est dès le début du IVe siècle que le concile d’Elvira (300-306) institue les premières mesures discriminatoires de type raciste envers les Juifs. En réplique à la loi rabbinique il interdit aux chrétiens, clercs et fidèles, sous peine d’être exclus de la communion, de manger avec des Juifs (canon 50) et, sous peine d’une excommunication de 5 ans, de se marier avec eux (Canon 16). Par ailleurs, interdiction est faite aux Juifs d’avoir des épouses chrétiennes ou d’acquérir des esclaves chrétiens. Quant aux enfants nés de ces unions ils doivent être baptisés. Tour à tour, manifestations d’une certaine tolérance ou contraintes aggravées vont se succéder. Alors que plusieurs rois d’Espagne et de France, Sisebut, Chilpéric, Dagobert ordonnent, sur le conseil de certains évêques et hommes sages, que tous les Juifs refusant la régénération du baptême sacré soient expulsés hors des territoires du royaume, ailleurs certains évêques, tels Grégoire le Grand et Isidore de Séville, refusent qu’appel soit fait au bras séculier. Pour ces derniers, seules la persuasion et la discussion autour de l’Ancien Testament sont dignes de la doctrine chrétienne. Plusieurs siècles plus tard, Saint Bernard exprime lui aussi une tolérance très relative. S’adressant en 1146 au clergé et au peuple de Rhénanie il déclare : « Vous ne devez ni persécuter, ni mettre à mort les Juifs… Ils sont des monuments vivants qui nous rendent pour ainsi dire présente la passion du Sauveur. C’est pour cette raison que nous les voyons répandus dans tous les pays du monde, car la punition du crime qu’ils ont commis est une preuve irrécusable de la rédemption du genre humain ». Pendant un certain temps les choses ne devaient pas beaucoup évoluer. C’est la première croisade et l’appel aux armes lancé contre les musulmans par le pape Urbain II lors du 272

. Notons toutefois que pour le Juif le messie apportant la Rédemption est toujours attendu, pour le chrétien cette rédemption a déjà eu lieu avec Jésus-Christ.

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Concile de Clermont qui déclenchent en 1096 les persécutions contre les Juifs européens. Des hommes armés échappant à tout contrôle massacrent les Juifs à Worms, Cologne, Trèves, Ratisbonne mais aussi à Prague, à Metz, à Rouen. Car pour ces tout nouveaux croisés, les Juifs sont, non seulement des infidèles comme les Sarrasins, mais ils ont commis le crime suprême, celui d’avoir tué Jésus le Sauveur. Au XIIIe siècle, saint Thomas lui-même dans sa Summa theologica, n’appelle guère qu’à quelque modération : « Suivant le droit, il est licite, écrit-il, de tenir les Juifs, à cause de leurs crimes, en servitude perpétuelle et, pour les princes, de regarder les biens des Juifs comme appartenant à l’État mais il convient de faire preuve d’une certaine modération et ne pas les priver des choses nécessaires à la vie ». En 1215 le pape au 4e concile de Latran met en œuvre des mesures discriminatoires caractérisées envers les Juifs : ils doivent porter des vêtements spécifiques tandis que certaines charges leur sont interdites. La persécution va faire beaucoup de victimes : les Juifs sont expulsés d’Angleterre, de France, d’Italie, plus tard d’Ukraine et de bien d’autres régions chrétiennes. Parallèlement à l’expansion du christianisme et à la prise de conscience progressive de la résistance des Juifs à la conversion, les diatribes et l’animosité antijuives des chrétiens s’aggravent sans cesse. Ce refus de plus en plus avéré, incompréhensible et insupportable au regard du temps écoulé, cette obstination des Juifs à persévérer dans l’erreur malgré l’apport de la théologie chrétienne et le zèle des pasteurs, cette incapacité à adopter la vraie religion, ne peuvent être que le reflet d’une tare héréditaire, d’un vice majeur de la nature, le fruit d’un châtiment divin consécutif à l’acte déicide de l’an 33. D’ailleurs, ces « docteurs de l’incrédule » ne portent-ils pas une odeur spécifique (foetor judaïcus)273 et une face distinctive comportant notamment un nez crochu274 ? Et puis, en condamnant Jésus à mort, les Juifs n’ont-ils pas pris la responsabilité de voir son sang « retomber sur eux et sur leurs enfants » ? Le défaut de leur nature s’avérant irréductible, le temps de la patience, de la persuasion et de la conversion est désormais terminé. À la fin du XIVe siècle-début du XVe commencent alors la grande intolérance et les persécutions envers les Juifs d’Espagne. En 1391, une vague de pogroms a lieu dans les royaumes de Castille et d’Aragon tandis qu’une législation contraignante se met progressivement en place. En 1412, le statut de Valladolid mis au point par saint Vincent Ferrier interdit aux Juifs « de vendre ou d’offrir des produits alimentaires aux chrétiens, de faire labourer par ceux-ci leurs champs, de faire précéder leurs noms du titre de Don, de changer de domicile, de couper leurs cheveux et de raser leur barbe ». Et c’est au milieu du XVe siècle qu’est promulgué à Tolède le premier Statut de pureté du sang (estatuto de limpieza de sangre) qui, suivant la démarche de ses auteurs, va se servir du judaïsme lui-même et copier sa loi du sang pour punir collectivement les Juifs. Le sang pur des chrétiens va désormais s’opposer au sang impur des Juifs. Plus tard les nazis, en suivant ce même réflexe commun aux hominidés, renverront eux aussi les armes à l’adversaire : ils retourneront contre les Juifs la même loi juive. Dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933, le législateur écrit dans le préambule des lois de Nuremberg en préparation : « Le modèle qui s’est tenu devant mes yeux tout au long de la rédaction de ces décrets est celui des lois d'Esdras et de Néhémie, les premières lois jamais édictées pour la protection de la pureté raciale »275. Désormais, c’est le sang qui va être le plus sûr garant de ce qui est bon et de ce qui est mauvais en matière religieuse. L’impureté des Juifs risque de contaminer les chrétiens et de 273

. Témoin d’une pensée raciale caractérisée, dictée par quelque grief envers des Juifs, il s’agit là d’une calomnie païenne remontant à l’Antiquité. 274 . C’est à partir du XIII° siècle écrit Robert I. Moore (dans La persécution p. 55) qu’apparaissent des dessins concernant le physique des Juifs. Ce type d’expression traduit évidemment une hostilité d’ordre spécifiquement raciste. 275 . Ilan Halevi dans Question juive, p. 43.

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mettre en péril leurs femmes, leurs enfants, leurs biens, leur salut. L'exclusion, l'expulsion, voire le massacre, apparaissent comme des actes d’intérêt public. Il y a le bon sang chrétien et le mauvais sang juif : pureté de la foi et pureté du sang vont de pair. La pureté de la race étant maintenant élevée aussi au rang d’un idéal chrétien, les interdits relatifs au métissage vont créer un système de séparation inamovible tandis que les Juifs sont de plus en plus l’objet de contraintes. Ayant à choisir entre la conversion au christianisme et la comparution devant le tribunal de l’Inquisition, tribunal installé en 1478 pour veiller au respect de l’orthodoxie chrétienne et punir toute forme d’hérésie, une forte proportion de Juifs se convertit alors276. Mais ces nouveaux chrétiens (appelés ainsi non pas tant pour s’être convertis à la foi du Christ que parce qu’ils sont les descendants de Juifs), ces conversos, souvent désignés par le terme péjoratif de marranes, même profondément sincères, vont souvent rester des suspects capables de salir les chrétiens. À la mixophobie juive répond la mixophobie chrétienne. Dans son Histoire générale d'Espagne (1587), Louis Turquet de Mayerne, relatant la conversion d’une partie des Juifs après l'édit de 1492, écrit : «Dont advint un autre inconvénient, c'est qu'avec le temps les nobles familles s'allians par mariages avec ceste race se sont entièrement contaminées, et polluées de sang, et de créance » 277. Le fait d’avoir du sang juif va ainsi constituer pendant longtemps une défectuosité héréditaire dans la société espagnole tandis qu’à l’hostilité religieuse s’associe la haine d’ordre racial. Dès lors, toute personne soupçonnée de judaïser en secret est aussitôt dénoncée au tribunal. D’assez nombreux conversos n’ont à subir de la part des juges que des peines mineures telles que vexations et brimades mais d’autres, aussi nombreux, finissent leur vie sur le bûcher de l’Inquisition. Néanmoins, comme le montre l’expérience du terrain, cela ne suffit pas à extirper le mal : il faut en finir avec les Juifs indésirables et les expulser. Le 31 mars 1492, sous l’influence du Grand inquisiteur, Thomas de Torquemada, l’Édit d’expulsion de Grenade est promulgué par les Rois Catholiques Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille. Rejetant le statut de hors-laloi avec tout ce qu’implique un tel statut, plus de cent cinquante mille Juifs séfarades trouvent alors refuge en Europe, en Afrique du Nord et dans l’Empire ottoman (à Constantinople et Salonique notamment) ; ils y sont rejoints quelques années plus tard (en 1497) par les Juifs chassés du Portugal par le roi Manuel Ier. Au début, ces lois et pratiques de profonde hostilité antijuive n’allèrent pas sans quelque franche opposition dans l’Église. Le roi Jean II de Castille, les papes Nicolas V et Paul III, ainsi que nombre de représentants du clergé et de la classe politique, protestent énergiquement au nom de la doctrine chrétienne selon laquelle non est distinctio Judaei et Graeci mais, progressivement, cette opposition s’estompe. Malgré la poursuite de la controverse aux siècles suivants au nom des principes évangéliques, les progrès du estatuto de limpieza de sangre sont malgré tout notables. Le sang, et non la croyance toujours incertaine, reste le critère décisif. Après les Rois, ce sont les gouvernements locaux d’Espagne et les Institutions et Ordres religieux qui adoptent à leur tour des statuts de pureté raciale. En 1486, c’est l’Ordre de saint Jérôme, en 1488 les collèges de San Bartolomé (Salamanque) et de Santa Cruz (Valladolid), en 1519 celui de San Ildefonso, en 1496 le monastère dominicain d'Avila ; à partir de 1531 les autres établissements dominicains, en 1525 ceux des franciscains, en 1515 et 1530 les chapitres des cathédrale de Séville et de Cordoue. En 1547, l’archevêque de Tolède élargit leur application à tous les corps ecclésiastiques relevant de sa juridiction. L’Inquisition s’aligne au milieu du XVIe siècle tandis que les jésuites attendent 1593. 276

. « Entre 1391 et 1492 tout porte à croire que cinquante pour cent au moins se convertirent au christianisme » (Y. H. Yerushalmi, Sefardica, p. 264). 277 . Citation rapportée par Claude Liauzu, Race et Civilisation, p. 207.

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Quant aux papes Alexandre VI, Clément VII et Paul IV ils ratifient respectivement les statuts en 1495, 1525 et 1555. Suivant ces statuts, toute personne désirant un poste rémunéré en Espagne doit désormais démontrer, au terme d’une enquête généalogique, qu’elle n’a aucun Juif dans sa famille depuis au moins quatre générations. Des certificats de pureté raciale sont ainsi demandés pour admettre les novices dans les ordres religieux, pour rejoindre les rangs des missionnaires, pour être admis à l’Académie militaire, pour rentrer à l’Université, voire pour devenir simple conquistador dans les Amériques. De multiples problèmes sont bien entendu posés par les Statuts. La conversion peut-elle totalement pallier le défaut de la nature pour l’admission au sein de l’Église ? La pureté de la foi ne va-t-elle pas de pair avec la pureté du sang ?… À l’instar de la grande interrogation juive : « La conversion au judaïsme suffit-elle pour faire partie du Peuple élu ? », la grande question du christianisme devient celle-ci : « Le baptême chrétien peut-il vraiment supprimer les tares naturelles du peuple déicide ? » Tour à tour, en fonction des mentalités, des contextes et des interprétations de l’Évangile, une réponse favorable ou non est donnée par les instances religieuses chrétiennes. Tandis que les nouveaux chrétiens conservent une marque sociale infamante – parfois euxmêmes considéreront qu’être de sang juif est un malheur et une tare – la pureté du sang et de la lignée reprise de la société juive devient, pour la société chrétienne ibérique portée depuis de nombreux siècles à être particulièrement unie, une véritable obsession nationale. « Pouco sangue Judeo he bastante a destruyr o mundo » (« un peu de sang juif suffit à détruire le monde ») s’écrie le portugais Vicente da Costa Mattos. La dimension biologique est encore plus évidente chez Fray Francisco de Torrejoncillo. Dans sa Centinela contra judios (Sentinelle contre les Juifs) il propose en 1673 de caractériser ainsi le Juif : « Pour enseigner la haine des Chrétiens, du Christ et de sa Loi divine, il n'est pas nécessaire d'avoir un père et une mère juifs. Un seul suffit. Si le père n'est pas juif, il suffit que la mère le soit. Et celle-ci n'a pas besoin de l'être entièrement, l'être à demi suffit ; bien plus, un quart suffit, ou même un huitième. Notre Sainte Inquisition a découvert des gens qui, séparés de leurs ancêtres juifs par vingt et une générations, continuaient de judaïser ». Et il poursuit : « Dans les palais, les nourrices choisies pour allaiter les fils de rois et de princes doivent être de vieilles chrétiennes [cristianas viejas], car il n'est pas convenable qu'ils sucent un vil lait juif. Venant de personnes infectées [personas infectas], ce lait ne peut qu'engendrer des inclinations perverses ». Fray Prudencio de Sandoval, dans sa biographie de l'empereur Charles Quint, revient lui aussi sur cette malédiction que les Juifs ont attirée sur eux lors du drame du Calvaire, malédiction qui estompe le grand précepte de la charité chrétienne envers tous les hommes : « Je ne critique pas la compassion chrétienne qui embrasse tous les hommes, car alors je commettrais un péché mortel ; je sais qu'Unique est le Seigneur de tous et qu’il n'y a pas de distinction entre le juif et le gentil... Cependant, qui peut nier que chez les descendants des Juifs persiste et se perpétue le mauvais penchant de leur ancienne ingratitude et de leur aveuglement? »278 La phobie de la pollution raciale par le sang infecté (sangre infecta) sera si prégnante en Espagne que l’obligation légale de prouver la non-contamination juive de son ascendance ne prendra guère fin qu’en 1865 sous le règne de Joseph Bonaparte, soit trois siècles et demi après l’expulsion des Juifs, et que la société espagnole allait être profondément et durablement marquée par cette expérience. Ainsi que l’écrit Yerushalmi279, « la limpieza, allait exercer une profonde influence sur l’histoire et la civilisation espagnoles et portugaises, 278

. Les trois citations successives d’auteurs espagnols sont rapportées par Yosef Hayim Yerushalmi dans Esprit mars-avril 1993. 279 . Ibid., p. 19.

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modeler certains aspects de la littérature et colorer ce sens de l’"honneur" si particulier à la péninsule ibérique ». En fait, par l’intermédiaire des Ordres de chevalerie et des diverses congrégations religieuses, ce sont toutes les nations chrétiennes européennes, notamment française, allemande et britannique, qui, à leur tour, vont être affectées durablement par cette notion de race et ajouter, à leur traditionnel anti-judaïsme doctrinal, un racisme anti-Juifs caractérisé. En France, Joachim du Bellay conseille vivement au roi de conserver la pureté de son aristocratie : « Et ne permettra point que d'un sang moins hardy Le sang plus généreux devienne abastardy… »280 Cette obsession du sang pur n’atteindra jamais en France et en Grande Bretagne le niveau de l’Espagne, mais ces pays vont néanmoins procéder à des expulsions massives. Après l’expulsion en 1394 ordonnée par Charles VI et le Parlement de Paris, expulsion complétant elle-même celles de 1182 par Philippe Auguste et de 1306 par Philippe le Bel, il n’y a pratiquement plus de Juifs en France. Ils n’y reviendront guère qu’à la fin du XVIIe siècle, lors de la conquête de l’Alsace et de Metz par Louis XIV. Après avoir considéré les chrétiens comme des intouchables, les Juifs deviennent désormais les intouchables des chrétiens dont l’innocence ne peut qu’être souillée par un contact impur. Si on excepte le temps de son fondateur, Ignace de Loyola, qui ne tint pas compte du tabou de la limpieza, la Compagnie de Jésus est à cet égard particulièrement éloquente. Les Juifs convertis étant toujours quelque peu des impurs, des maculados dont le sang porte une tache (macula), il ne convient pas qu’ils puissent accéder aux charges et honneurs publics des chrétiens, et notamment à la prêtrise. Trois dates principales vont jalonner l’histoire de la Compagnie à ce sujet : en 1593, la Convention de l’Ordre, au lendemain de la mort d’Ignace de Loyola, n'admet en son sein « aucun chrétien d'ascendance juive » ; en 1608, un décret stipule que les novices doivent faire la preuve qu'ils n'ont pas de sang juif depuis cinq générations ; en 1923 enfin, un amendement au décret précédent précise qu’il suffit que les novices n’aient pas de sang juif depuis quatre générations. C’est ainsi que le R.P. Koch, dans l'ouvrage Jesuiten-Lexikon, peut écrire avec satisfaction en 1934 (un an après le triomphe du parti nazi en Allemagne) : « De tous les ordres, c'est la Compagnie de Jésus qui, par sa règle, est le mieux protégée contre toute influence juive »281. Les Statuts de pureté du sang devaient rester en vigueur plusieurs siècles : en Espagne jusqu’en 1860 ; au Portugal jusqu’en 1873. Notons que les musulmans (les Maures) furent aussi visés par l’arrêt d’expulsion des rois d’Espagne mais les vexations et rétorsions qu’ils subirent ne sauraient être comparées à celles qui furent appliquées aux Juifs. Alors que les chrétiens, comme tous les non-Juifs, sont séparés des Juifs par la barrière infranchissable de l’élément racial qu’impose le judaïsme, chrétiens et musulmans ne sont séparés que par une donnée, prégnante certes mais néanmoins relative, celle d’une croyance. Du Dieu le veut des croisés massacrant les musulmans de Jérusalem, au Allah est le plus grand des conquérants arabes à l’assaut de l’Europe, il s’agit toujours de guerres d’ordre religieux et non de combats d’ordre racial. En résumé S’il est avéré que les chrétiens espagnols, à partir de leur opposition purement doctrinale au judaïsme, ont développé avec une particulière ampleur une forme caractérisée d’antisémitisme idéologique – « une masse considérable de documents fournie par la péninsule ibérique apportent un éclairage lumineux sur l’antisémitisme racial » écrit Yosef 280 281

. Citation rapportée par Claude Liauzu, Race et Civilisation, p. 207. . Données rapportées par Hannah Arendt, Sur l’antisémitisme, p. 224.

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Yerushalmi282 – il est non moins patent qu’il n’ont pas eu à inventer la composante raciale de la judéité, cet élément étiologique présent dans le judaïsme et sur lequel ils se sont appuyés pour persécuter les Juifs. C’est dire par ailleurs que ce racisme antijuif caractérisé qui a concerné une partie notable de la société chrétienne européenne est particulièrement emblématique de la fragilité des hommes face au problème incontournable des races. Alors que le christianisme est ouvert à tous les hommes, et que sa doctrine est fondamentalement étrangère aux notions de race et de sang avec notamment la proclamation universaliste de saint Paul rapportée précédemment, les chrétiens se sont servis, à l’encontre des Juifs, des lois bibliques de pureté du sang établies par Esdras et Néhémie pour verser dans un antisémitisme majeur. Et le processus idéologique, associant doctrine traditionnelle du christianisme selon laquelle les Juifs furent responsables de la mort du Christ et l’altérité Juifs/non-Juifs inhérente au judaïsme, devait bien entendu persister à conditionner le vaste monde chrétien, y compris sa partie la plus instruite283 et jouer un rôle notable dans le génocide juif du XXe siècle284.

282

. Yosef Yerushalmi, Sefardica, p. 263. . Parmi les multiples auteurs chrétiens particulièrement emblématiques du processus antisémite citons aussi l’écrivain Léon Bloy dans son ouvrage Le mendiant ingrat. À une jeune Scandinave catholique désirant se marier avec Juif converti au catholicisme, il écrit : « Je ne vous félicite pas de votre choix... Dès l'origine, la race juive a été séparée des autres races humaines, si profondément séparée et mise en réserve pour les desseins ultérieurs que le mélange avec les Juifs a toujours été regardé, chez tous les peuples, comme une sorte de sacrilège. Si vous désirez devenir la femme d'un Juif, même converti, vous vous exposez à quelque malédiction effrayante ». 284 . Yosef Yerushalmi, dans les Archives des Sciences sociales des Religions, oct-déc. 2000, rapporte que Cecil Roth et Benzion Netanyahu, avaient adopté le point de vue selon lequel les Statuts auraient constitué « les prémisses des Lois de Nuremberg ». En fait, il n’est pas sûr que les nazis, comme les autres Européens des XIXe et XXe siècles, Français notamment, connaissaient vraiment les "estatutos de limpieza de sangre". Ce que l’on peut affirmer par contre c’est qu’ils étaient tous – comme le furent précédemment les Espagnols – tributaires de la donnée inhérente au judaïsme qui ajoute à tout grief envers les Juifs son caractère racial. 283

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L’ANTISÉMITISME IDÉOLOGIQUE ET RÉACTIONNEL DU MONDE NATIONAL-SOCIALISTE

Si les manifestations de l’antisémitisme nazi sont inédites par leur forme et leur ampleur, on peut noter par contre que l’idéologie qui leur est sous-jacente, idéologie qui se développe exclusivement dans une société européenne, est la résultante non pas de quelque innovation, invention ou rupture par rapport au passé comme ont pu le penser quelques auteurs285, mais de plusieurs filiations actives. Ce sont notamment : • la filiation juive qui transmet les notions de racialisation des Juifs et d’étrangèreté Juifs/non-Juifs à la base de tout antisémitisme (filiation sur laquelle nous ne reviendrons pas ici), • la filiation chrétienne, protestante et catholique, • la filiation intellectuelle qui depuis les Lumières du XVIIIe siècle, et avec les biologistes, écrivains et philosophes européens du XIXe, véhicule non seulement la notion de hiérarchie entre les races mais la notion de race aryenne qui, comme nous l’avons vu longuement avec l’historien A. Pichot286, s’est édifiée en regard de l’importante anthropologie raciale juive développée en Allemagne à partir du milieu du XIXe siècle. Les Juifs en Allemagne avant le nazisme et la tradition antisémite Jusqu’à l’avènement du nazisme, on peut dire tout d’abord que le sort des Juifs (qui sont en Allemagne depuis les premiers siècles de l’ère chrétienne) semble avoir été nettement meilleur que celui de leurs congénères des autres pays de l'Europe. L’Allemagne n’a pas connu de pogroms comme la Russie, d’affaire Dreyfus comme la France. Certes, les Juifs sont vus comme des étrangers : la plupart se marient au sein de leur groupe, vivent en étroite communauté et les Lumières depuis le XVIIIe siècle sont particulièrement sévères avec le judaïsme qui élève des barrières au rapprochement des hommes. Leur statut reste assez souvent discriminatoire mais, d’une part les rigueurs de ce statut vont s’atténuer avec le temps dans certaines régions, d’autre part le pouvoir impérial, en plaidant volontiers leur cause auprès des évêques et des princes qui manifestent de l’hostilité à leur égard, leur est plutôt favorable. Après avoir été chassés d’une principauté ou d'une ville, ils trouvent généralement refuge dans un État voisin à la faveur de la division politique du pays. C’est ainsi que, bannis massivement de Vienne en 1670, ils iront par exemple s’établir dans la principauté de Brandebourg et qu’ils ne seront jamais expulsés totalement d'Allemagne comme l’ont été les Juifs en France, en Angleterre, en Espagne et dans bien d’autres pays d’Europe. Du fait de cette situation exceptionnelle, la communauté juive d'Allemagne pourra ainsi malgré les ligues, groupes et mouvements antisémites, non seulement se développer sans discontinuité pendant des siècles, intégrer nombre de Juifs fuyant les pogroms, notamment ceux de Russie et de Pologne à la fin du XIXe siècle, nouer des liens très étroits avec les milieux non-juifs – une très forte proportion de Juifs d’origine européenne portent des noms allemands – mais participer grandement à la vie du pays en contribuant dans nombre de domaines à son rayonnement intellectuel et à sa puissance industrielle et commerciale. En 1914, plusieurs associations de Juifs allemands appellent leurs membres « au-delà de ce qu’impose le simple devoir de patriote »287, à consacrer toutes leurs forces au service de l’Allemagne. Plusieurs Juifs, ayant acquis fortune dans le commerce, deviennent les conseillers financiers de certains princes. Après avoir été l’un des organisateurs de l’économie de guerre allemande, Walter Rathenau, un grand industriel juif, devient l’un des artisans du 285

. Tel Élie Botbol écrivant qu’avec Hitler la judéité est vue pour la première fois dans l’histoire comme un caractère racial. (Quel avenir pour le judaïsme, p. 65). L’auteur méconnaît manifestement la composante raciale de l’identité juive. 286 . Dans son ouvrage "Aux origines des théories raciales. De la Bible à Darwin". 287 . Sur 100 000 Juifs mobilisés on compta en effet 12 000 morts.

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relèvement de l’Allemagne comme ministre des Affaires étrangères de la République de Weimar. Malgré l’attachement de nombre de Juifs à la patrie allemande, persiste néanmoins dans la population une puissante tradition antisémite288. À propos de cette tradition, particulièrement active depuis le XIXe siècle avec l’avènement dans les esprits de la race aryenne et la montée du nationalisme, Lionel Richard289 peut en effet écrire : « l’antisémitisme qui imprègne le tissu social de l’Allemagne impériale a été incorporé par tous les partis représentés au Parlement à l’exception du parti social démocrate » et que « de nombreuses associations, aussi bien étudiantes que professionnelles, sportives ou politiques, ont inscrit dans leurs statuts un paragraphe interdisant aux Juifs la possibilité d'en être membres ». LA FILIATION CHRÉTIENNE DE L’ANTISÉMITISME IDÉOLOGIQUE NAZI

Dans son hostilité caractérisée envers les Juifs, on peut dire que Luther a suivi l’exemple des catholiques des siècles précédents. Certes, dans un premier temps, espérant les attirer vers le christianisme, il se montre très bienveillant à leur égard, relance l’étude de l’Ancien Testament et réprouve fermement les persécutions de l’Église catholique qui ne font que repousser les Juifs dans leur communauté. Mais dès qu’il se rend compte que les Juifs sont tout à fait rebelles à la conversion et rejettent l’enseignement de la religion réformée, il leur déclare lui aussi une guerre sans merci. En 1543, quelques années avant sa mort il publie un pamphlet, Les Juifs et leurs mensonges, dans lequel il exprime sa haine des Juifs et fustige leur « race maudite ». Comme le remarque fort justement Franklin Sherman, éditeur de l'édition américaine de l’ouvrage, les écrits de Luther contre les Juifs ne sont pas « simplement un ensemble de jugements théologiques sérieux, pondérés et posés : ils sont pleins de rage et de haine contre "un groupe humain identifiable" ». En effet, comme tous les non-Juifs au contact du judaïsme, Luther considère que les Juifs ne sont pas seulement les adeptes d’une doctrine religieuse opposée à celle du christianisme mais les membres d’une catégorie qui, de par leur naissance et leur comportement, se veulent radicalement différents des non-Juifs, une catégorie d’ordre racial au sens moderne du terme. Luther injurie, apostrophe les Juifs avec une grande violence et accumule envers eux nombre de griefs, notamment celui de vanter leur race comme si il y avait entre les hommes « une différence en ce qui concerne la naissance, la chair ou le sang ». Il répète même les calomnies traditionnelles du Moyen Âge : le meurtre rituel290, l’empoisonnement des puits, la sorcellerie, la profanation de l’hostie… Les Juifs méritent une punition sévère : que leurs maisons et leurs synagogues soient brûlées, leur Talmud et leur livres de prière confisqués. Et si cela ne suffit pas, qu’ils soient expulsés comme ils l’ont été par les rois d’Espagne et éventuellement exterminés291. Tout imprégnés de nationalisme et présentant le peuple allemand comme un peuple supérieur, les écrits tardifs de Luther vont avoir une influence considérable sur la postérité allemande, d’abord dans l’invention au XIXe siècle de la race aryenne en race antagoniste de celle des Juifs puis, ensuite, dans l’idéologie nazie. Hitler ne retiendra nullement l’antijudaïsme doctrinal de Luther mais intégrera par contre deux éléments fondamentaux de 288

. Comme en témoigne notamment l’assassinat de Walter Rathenau en 1922 par un pré-nazi. . dans Nazisme et barbarie, p. 30 et 29. Notons que l’attachement et la fidélité de nombre de Juifs à l’Allemagne, qui rendaient absolument inconcevable toute persécution à leur égard et à plus raison un génocide, constituèrent véritablement un piège diabolique. Et puis ces nazis n’avaient-ils pas reçu le baptême chrétien et suivi à l’école, comme tous les enfants allemands et autrichiens, des leçons d’instruction religieuse protestante ou catholique ? 290 . Fait singulier, un historien juif contemporain, Ariel Toaff, italien et fils d’un ancien Grand-rabbin de Rome, a relancé récemment la polémique dans un ouvrage Pâques de sang où il laisse entendre que de petits groupes de Juifs se seraient livrés entre le XIIe et le XVe siècle en Italie du Nord à des meurtres rituels. En Europe on a estimé que quelque 150 procès au cours du haut Moyen-Âge se sont fondés sur une accusation de meurtre d’enfants ! ( Robert I. Moore, dans La persécution, p. 46). 291 . Lucie Kaennel : Luther était-il antisémite ?, Genève, Labor et Fides, 1997. 289

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sa pensée éminemment générateurs de racisme par leur conjugaison : d’une part, les ordres de la création (la famille, le peuple, la nation, la race…), d’autre part, l’Allemagne comme nouveau peuple élu. Le philosophe allemand Karl Jaspers pourra écrire, non sans raison mais sans s’apercevoir toutefois que la racialisation des Juifs a été héritée du judaïsme par Luther : « Vous avez déjà là l'ensemble du programme nazi »292. En cette fin de XIXe siècle, une autre donnée, qui n’est pas sans importance par les réactions qui s’ensuivent, est l’anti-catholicisme de Juifs de grande notoriété. Paul Colonge293 signale que certains d’entre eux n’hésitent pas, notamment en Allemagne au sein du Kulturkampf prussien, à attaquer violemment le contenu de la foi catholique en ne voyant qu’idolâtrie et superstition dans les miracles et les pèlerinages. Une violente campagne catholique antijuive en résulte. Certains croyants s’en désolidarisent, en soulignant l’incompatibilité entre la haine des Juifs et l’esprit de charité évangélique, mais des pétitions sont lancées à travers toute l’Allemagne pour réclamer la limitation de l’immigration juive car « les caractéristiques raciales juives » menacent le bien-être, la culture et la religion du peuple allemand. Des tracts circulent en masse dans plusieurs régions, 250 000 signatures sont ainsi remises au chancelier Bismarck294 mais ce dernier, comme l’Empereur, « désapprouve totalement la lutte contre les juifs, qu’elle se développe sur une base confessionnelle ou surtout sur la base raciale ». Cela ne l’empêche cependant pas « d’être d’avis de neutraliser les juifs par croisement. Car, dit-il cela ne saurait pas marcher autrement ». Et, après avoir cité l’exemple de quelques familles de la noblesse allemande mêlées de sang juif, Bismarck constate, non sans quelque humour vulgaire, que « cela ne donne pas toujours une mauvaise race » surtout « quand on unit un étalon de bon élevage allemand à une pouliche juive »295. LA FILIATION INTELLECTUELLE DE L’ANTISÉMITISME IDÉOLOGIQUE NAZI

La raciologie générale et l’inégalité des races dans l’Europe du XIXe siècle Dans sa lettre aux instituteurs de France en 1882, quelque cent ans après la promulgation de la Déclaration française des droits de l'homme et du citoyen, Jules Ferry écrit : « Les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. Je répète qu'il y a pour elles un droit parce qu’il y a un devoir de civiliser les races inférieures ». C'est aussi l’avis de Renan : « La conquête d'un pays de race inférieure par une race supérieure qui s'y établit pour le gouverner n'a rien de choquant [...] Autant les conquêtes entre races doivent être blâmées, autant la régénération des races inférieures ou abâtardies par les races supérieures est dans l'ordre providentiel de l'humanité. » En effet, écrit-il encore : « La nature a fait une race d'ouvriers, c'est la race chinoise, d'une dextérité de main merveilleuse sans presque aucun sentiment d’honneur […] ; une race de travailleurs de la terre, c’est le nègre […] ; une race de maîtres et de soldats, c’est la race européenne »296. En Grande Bretagne, Rudyard Kipling écrit son poème Le fardeau de l’homme blanc selon lequel il est de la responsabilité de cet homme d’apporter les bienfaits de la civilisation à ceux qui en sont dépourvus et de prendre en charge, au besoin par la force militaire, « les peuples nouvellement conquis et réfractaires, mi-diables, mi-enfants ». En Allemagne, c’est Ernst Haeckel (1834-1919), savant biologiste et philosophe qui, en 1868, à peine neuf ans après L’Origine des espèces, va à la fois populariser la théorie de l’évolution dans son Histoire de la création et établir une hiérarchie des races que nombre d’auteurs vont retenir. En bas de l’échelle il y a les Noirs relativement proches des singes, en 292

. Cité par Franklin Sherman dans Foi transformée : les rencontres avec les Juifs et le judaïsme, édité par John C. Merkle, Collegeville, Minnesota, Liturgical Press, 2003, 63-64. 293 . L’antisémitisme sous Bismarck in De l’antijudaïsme antique à l’antisémitisme moderne, p. 162. 294 . Ibid., p. 170. 295 . Ibid., p. 157 (propos de Bismark dans une conversation avec Moritz Busch, journaliste à son service). 296 . Œuvres complètes I, p. 390.

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haut les Indo-Germains, c’est-à-dire les Allemands, les Anglo-saxons et les Scandinaves, dont l’avancement, dans le domaine de l’industrie et des arts, témoigne de la forme humaine la plus évoluée. On peut remarquer ici que cette conception de l’inégalité des races, soutenue ainsi au XIXe siècle par des Européens de culture chrétienne ou non et qui va largement justifier l’entreprise coloniale, était animée d’un tout autre esprit que celui qui inspirait les nazis à l’égard des hommes inférieurs, même si les exactions commises à cette occasion furent parfois notables. Tous auraient vraisemblablement souscrit à ce qu’écrit Ernest Renan à ce propos : « Certes, nous repoussons comme une erreur de fait fondamentale l'égalité des individus humains et l'égalité des races : les parties élevées de l'humanité doivent dominer les parties basses […] Mais les nations européennes telles que les a faites l'histoire sont les pairs d'un grand sénat où chaque membre est inviolable […] La société humaine est un édifice á plusieurs étages où doit régner la douceur, la bonté (l'homme y est tenu même envers les animaux) »297. En opposition à la race juive et au surhomme juif l’invention de la race aryenne et du surhomme aryen. Comme nous l’avons noté précédemment avec l’historien André Pichot298, l’anthropologie raciale aryenne s’est développée dans la seconde partie du XIXe siècle en regard de l’anthropologie raciale juive qui s’est constituée plus précocement. Un texte de Disraeli écrit en 1852 traduit très bien cette dernière : « La race juive relie les populations modernes avec les premiers âges du monde […] Les Juifs sont la preuve vivante la plus frappante de la fausseté de cette pernicieuse doctrine des temps modernes, l'égalité naturelle des hommes, un principe qui, s'il était possible de le réaliser, détériorerait les grandes races, et détruirait tous les génies du monde. [...] La tendance innée de la race juive, qui est justement fière de son sang, est opposée à la doctrine de l'égalité des hommes »299. L’historien résume cette anthropologie juive de la manière suivante : « Les textes de Wolf, Jacobs, Reichler, Fishberg, etc., sont parfaitement clairs : la race juive est le produit des prescriptions hygiéniques et eugéniques de la Bible et du Talmud, et c'est de l'observance de ces prescriptions qu'elle tient sa pureté et sa supériorité (et même, pour Wolf, sa surhumanité dans l'évolution biologique) »300. Croyant eux aussi à l’inégalité des races et à l’influence profondément délétère des unions mixtes sur la pureté d’une race, les auteurs non-Juifs, écrivains et biologistes, vont ainsi, à la fois s’inspirer largement du discours juif sur les Juifs et édifier leur modèle en totale opposition-rivalité. La race aryenne, construction largement artificielle et vue comme regroupant les peuples germaniques et scandinaves en tant que descendants de populations dites indo-européennes, devient maintenant la race par excellence, la race majeure, face à l’anti-race juive. Dans son discours d'ouverture au Collège de France en 1862 Ernest Renan, par exemple, est tout à fait explicite : « Maîtresse de la planète » la race aryenne le deviendra « grâce à la recherche réfléchie, indépendante, sévère, courageuse, philosophique en un mot de la vérité, qui semble avoir été le partage de cette race ». À la raison et à la science des Aryens, s’oppose « l'épouvantable simplicité de l'esprit sémitique, rétrécissant le cerveau humain, le fermant à toute idée délicate »301. Gobineau (1816-1882), lui, se fait particulièrement nostalgique d’une pureté originelle et contempteur du métissage dans lequel il voit lui aussi dégénérescence, mésalliance et, en fin 297

. Œuvres complètes I, p. 455. . Dans ses ouvrages : « Aux origines des théories raciales. De la Bible à Darwin » et « La société pure – De Darwin à Hitler ». 299 . Aux origines des théories raciales. De la Bible à Darwin », p. 395. 300 . La société pure – De Darwin à Hitler, p. 400. 301 . Œuvres complètes II, p.333. 298

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de compte, chute des civilisations. Dans son Essai sur l’inégalité des races humaines (1853) il écrit : « Point de civilisation véritable chez les nations européennes quand les rameaux aryens n’y ont pas dominé ». Bien d’autres auteurs vont relayer les précédents dans ce discours sur les races opposant électivement l’Aryen et le Sémite. En Grande-Bretagne, Houston S. Chamberlain (1855-1927), fasciné par l’Allemagne dont il prend la nationalité avant de devenir le gendre de Richard Wagner, exalte lui aussi franchement la race aryenne et le sang germanique avant qu’ils ne soient souillés par les Juifs, potentiellement coupables du crime de « lèse-sang ». « Se délivrer du joug sémitique », « cultiver une discipline de la race », débarrasser le christianisme de « ses oripeaux étrangers pour créer une religion adaptée à l’essence de notre type germanique », telles sont les orientations et pratiques qui doivent contribuer au rétablissement de la pureté originelle et à l’avènement d’une « race noble ». Pour lui, comme pour les auteurs précédents, il paraît évident que « les Aryens surpassent tous les hommes corporellement et psychiquement et qu’en bonne justice ils sont les maîtres du monde »302. Et, en témoin du processus volontariste de différenciation qui, à lui seul, peut fonder un groupe d’ordre racial, il écrit dans son ouvrage, Fondements du XIXe siècle, paru en 1899 : « Même s’il était prouvé qu’il n’y eut jamais de race aryenne dans le passé, nous voulons qu’il y en ait une dans l’avenir ». En France, Édouard Drumont (1844-1917) ne cesse d’opposer lui aussi Sémites et Aryens. Au début de La France juive, il écrit : « Demandons à un examen attentif et sérieux les traits essentiels qui différencient le Juif des autres hommes et commençons notre travail par la comparaison ethnographique, physiologique et psychologique du Sémite et de l’Aryen, ces deux personnifications de races distinctes irrémédiablement hostiles l’une à l’autre, dont l’antagonisme a rempli le monde dans le passé et le troublera encore davantage dans l’avenir »303. Pour Vacher de Lapouge (1854-1936) également, qui publie en 1889 L’Aryen, son rôle social, seule la race blanche, aryenne, dolichocéphale, est vraiment porteuse de grandeur et créatrice de culture. Il lui oppose la race brachycéphale et médiocre, dont les Juifs représentent la pire espèce. Et pour lui aussi le métissage, qu’il constate particulièrement au Brésil où les races sont nombreuses, conduit à la dégénérescence. Les mesures de ségrégation qu’il réclame alors sont très semblables à ce qu’allaient être en 1935 les lois de Nuremberg. Dès le milieu du XIXe siècle l’orientaliste Paul de Lagarde, dans un ouvrage de 1874, accuse les Juifs « d’avoir perverti l’âme de la Nation et de donner à l’Allemagne un esprit mercantile ». Le fédéraliste Konstantin Frantz, à la même époque, leur reproche « de demeurer étrangers à l’âme du peuple au milieu duquel ils vivent tout en prenant la tête des pays qui les accueillent ». Theodor Fritsch publie son Catéchisme antisémite où il défend « la vision raciale de la question juive ». L’historien de renom Heinrich von Treitschke, quant à lui, dénonce « l’ampleur de l’invasion par les Juifs et exige leur assimilation ou leur émigration »304, car germanité et judéité lui semblent absolument inconciliables. Pour lui, conformément au judaïsme, les Juifs restent juifs même si leur langue et leur culture sont entièrement allemandes. De par leur nature, ils sont dangereux pour la race germanique dotée jusqu’ici de qualités (bravoure, loyauté, beauté…) inhérentes à la Germanie des origines. Hiérarchie des races, pureté raciale, phobie du métissage, tels sont les thèmes revenant sans cesse dans le discours de ces théoriciens. Après la dichotomie Juifs/non-Juifs inhérente au judaïsme, il y a maintenant, dans un même schéma manichéen, la dichotomie Aryens/nonAryens. Néanmoins, contrairement à la non-judéité qui est simple (les goyim ne forment en 302

. Citation rapportés par A. Pichot, Aux origines des théories raciales, p. 468. . La France juive, essai d’histoire contemporaine, C. Marpion et E. Flammarion, Paris, 1885, t. I, p.3. 304 . Les diverses citations de ce paragraphe émanent de l’ouvrage : « De l’antijudaïsme antique à l’antisémitisme contemporain », p. 154. 303

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effet pour le monde juif qu’une masse de personnes indifférenciées), il y a plusieurs niveaux à la non-aryanité. En ordre croissant de gravité carentielle on trouve ainsi les Slaves, les Noirs, les Tsiganes, les Juifs. Ces derniers représentant les archétypes de cette non-aryanité, la séparation radicale qui va prévaloir dans les esprits va être tout naturellement celle des Aryens et des Juifs. Dans son grand discours idéologique et programmatique du 13 août 1920 à Munich intitulé : « Pourquoi sommes-nous antisémites », Hitler va reprendre longuement ce thème de la convergence-rivalité des deux catégories. Et ce sera quinze ans plus tard les lois de Nuremberg « pour la protection du sang et de l’honneur allemand » qui comporteront, comme toutes les lois raciales, l’interdiction des mariages mixtes, voire celle des relations sexuelles entre Juifs et Aryens, et qui ne seront que le prélude aux persécutions, cruautés et crimes terrifiants que l’on sait. Fait particulièrement notable, les notions de Peuple élu, de Messie, de Salut, de pureté du sang issues du judaïsme seront elles-mêmes reprises et appliquées aux Germano-aryens. « Il ne peut pas y avoir deux peuples élus », dit-il encore à son interlocuteur. « Nous sommes le peuple de Dieu. Ces quelques mots décident de tout »305. Il promet la Rédemption du peuple allemand, un nouveau règne (Reich) et la délivrance du Mal représenté par le Juif en tant qu’incarnation de Satan306 sur terre. Et lors du baptême des enfants de S.S., qui se faisait au nom de la mission divine confiée au peuple allemand élu de Dieu et à son représentant dans la personne du Führer, l’officiant lisait le texte suivant : « Nous croyons au Dieu de l'univers. Nous croyons en la mission de notre sang qui jaillit éternellement jeune de la terre allemande. Nous croyons au peuple porteur de la race et au Führer que Dieu nous a envoyé »307. Jusqu’à ces derniers moments dans son bunker de Berlin, Hitler reviendra sur la rivalité entre les Aryens et les Juifs : « Ne vous êtes-vous pas aperçu que le juif est en toutes choses le contraire de l’Allemand et qu’il lui est cependant apparenté au point qu’on pourrait les prendre pour deux frères »308 dit-il à Hermann Rauschning. L’héritage philosophique allemand La pensée de divers philosophes va largement influencer l’idéologie hitlérienne. Eugen Dühring (1833-1921 publie en 1880 Judenfrage als Racen, Sitten und Kulturfrage (La question juive : une question de race, de mœurs et de culture. Pour lui, les Juifs, assimilés à des bactéries, contaminent le peuple au milieu duquel ils vivent. C’est avant tout le pouvoir des Juifs que dénonce Fichte : « Au sein de tous les pays d’Europe s’étend un État puissant animé de sentiments hostiles, qui est continuellement en guerre avec tous les autres et qui, dans certaines circonstances, opprime terriblement les citoyens ; je veux parler des Juifs […] Si cet État est à ce point redoutable, c’est parce qu’il est fondé sur la haine du genre humain »309. 305

. Ibid., p. 269. . Jean dans son Evangile (8, 42-44) fait dire en effet au Christ s'adressant aux Juifs : « Si Dieu était votre père, vous m'aimeriez... Vous avez, vous, le diable pour père et ce sont les convoitises de votre père que vous voulez accomplir. Celui-là était homicide dès le commencement... » L'expression « synagogue de Satan » qui a souvent été utilisée à propos des Juifs est tirée d'Apocalypse 2,9 du même apôtre. 307 . Rapporté par René Major dans Au commencement, la vie la mort. p. 151. 308 . Hermann Rauschning, "Hitler m’a dit", Hachette, p. 265. Le poète Heinrich Heine (1797-1856), quant à lui, avait imaginé dans une vision qui se voulait prophétique une Jérusalem nouvelle sur les bords du Rhin issue de l’union des Allemands et des Juifs ! 309 . Citation rapportée par Gilles Zenou dans Regards sur la condition juive, p. 82. À noter que l’expression : « Les Juifs : ennemis du genre humain » que nombre d’auteurs depuis l’Antiquité ont utilisée (à la suite de Tacite écrivant au livre V de ses Histoires que les Juifs sont l’ « odium generis humani ») , traduit généralement dans leur esprit le comportement des Juifs dicté par le judaïsme à l’égard des populations de voisinage : « ne pas assimiler, ne pas s’assimiler », comportement jugé au mieux comme signe d’indifférence et de dédain, au pire comme signe de mépris et d’hostilité. 306

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Pour Hegel aussi, le peuple juif, se définit avant tout par la haine des autres et par l’oppression qu’il exerce sur eux : « Lorsqu’il fut accordé à ses descendants (ceux d’Abraham) de réduire l’écart entre leur être réel et leur être idéal, ils régnèrent sans ménagement, exerçant la tyrannie la plus révoltante »310. La notion de « peuple élu » appliquée aux Juifs sera particulièrement visée et critiquée par Nietzsche dans plusieurs de ses ouvrages311. Marx, quant à lui, dénonce le pouvoir économique des Juifs : « L’argent est le dieu jaloux d’Israël devant qui nul autre dieu ne doit subsister », mais il dénonce plus particulièrement encore le fait que le judaïsme constitue un « élément antisocial » par les différences qu’il établit entre les Juifs et les autres. Il en conclura que « dans sa dernière signification, l'émancipation juive consiste à émanciper l'humanité du judaïsme ». À la même époque Bruno Bauer, dans un article intitulé comme l’ouvrage de Marx, La question juive, écrit sensiblement la même chose : « L'émancipation des juifs n'est possible que lorsqu'ils seront émancipés non pas comme juifs, c'est-à-dire comme des êtres qui doivent toujours rester étrangers aux chrétiens, mais lorsqu'ils deviendront des hommes qui ne seront plus séparés de leurs semblables par une barrière considérée à tort comme essentielle »312. À ces griefs assez semblables en fait à ceux des Grecs et des Romains de jadis et pouvant se résumer en cette barrière irréductible établie par le judaïsme entre Juifs et non-Juifs, Hitler dans Mein Kampf va ajouter et faire siens, non pas les griefs d’ordre religieux – c’est un domaine qui ne le concerne guère – mais tous les autres qui ont été formulés précédemment contre les Juifs s’inspirant d’ailleurs largement de Luther. Et puis, pour avoir vécu personnellement divers événements du siècle en cours, il ajoutera avec une insistance particulière plusieurs reproches caractérisés : les responsabilités de la juiverie internationale et des Juifs allemands dans la défaite de l’Allemagne lors de la guerre 1914-1918, le fait que le Congrès juif américain a déclaré une guerre financière à l’Allemagne dès son arrivée au pouvoir en 1933, enfin le rôle primordial des Juifs dans la révolution bolchevique de 1917 avec les massacres perpétrés313. De tout cela, et de sa vision selon laquelle la race juive représente l’anti-race aryenne, il tirera la conclusion « qu’il fallait, à titre de représailles et de prévention, les exterminer »314. La rivalité de deux races et le choc de deux cultures Pour la première fois dans l’histoire, se trouvent face à face deux idéologies structurées ayant généré chacune une catégorie raciale particulièrement différenciée culturellement dont les membres sont réunis non seulement par des liens du sang réels ou symboliques, mais par des lois écrites, lois de la Bible pour la première, lois de Nuremberg pour la seconde, interdisant toute union interraciale. D’un côté un peuple-race choisi par Dieu sur le mont Sinaï 310

. Ibid, p. 87. . Ce qui n’empêche pas Nietzsche de penser que « les juifs constituent la race la plus forte, la plus résistante et la plus pure qui existe actuellement en Europe » et d’appeler de ses vœux leur assimilation pour qu’ils contribuent à « la production d’une race européenne mêlée et aussi forte que possible » (citations rapportées par Y. Yovel, Les juifs selon Hegel et Nietzsche, pp. 279 et 231). 312 . rapporté par Arvon Henri dans Les Juifs et l’idéologie, p. 91. 313 . Avec la révolution russe de 1917, l’influence des Juifs fut mise particulièrement en cause dans la plupart des pays européens. En Angleterre, l’historienne Nesta Webster parle de « conspiration juive », le Times de Londres de « péril juif », Winston Churchill voit dans l’élément juif « la force qui se cache derrière chacun des mouvements subversifs du XIXe siècle », en Italie, en France, en Allemagne… les milieux chrétiens et leur presse dénoncent avec force la présence juive derrière le judéo-bolchevisme. (Enzo Traverso, La violence nazie, p. 113). 314 . La directive, diffusée parmi les soldats de la Wehrmacht à Minsk le 19 octobre 1941 pendant l'avancée allemande en Union soviétique, et martelée pendant toute la guerre dans les pays occupés pour appeler les volontaires au combat, appelait à une lutte sans merci au nom de la sauvegarde de la culture européenne : « En tant que porteurs du bolchevisme et guides spirituels (geistigen Führer) de l'idée communiste, les juifs sont notre ennemi mortel. Il faut les anéantir. (Sie sind zu vernichten) » (citation rapportée par Enzo Traverso, La violence nazie, p. 114). 311

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pour un destin qui se veut sans égal, de l’autre un peuple-race dont la prétention est celle de se substituer au premier et de dominer le monde. Pour un choc inévitable, voire un combat sans merci… Car les races différenciées par la culture, bien plus encore que les races qui le sont par la nature, sont impitoyables car elles se veulent supérieures. « Il y a un droit international mais il n’y aura jamais un droit interracial » écrit excellemment Bernanos. Les nations peuvent fusionner mais les races ne le peuvent pas car « tout ce qui ne leur ressemble pas est une menace à leur intégrité, à leur pureté. C'est dans cet esprit que les Juifs ne se contentaient pas de vaincre les non-Juifs, ils exterminaient les vaincus »315. « C'est pour la même raison que la nouvelle race élue, la race allemande, extermine les Juifs, ou les fait exterminer par les nations réduites au rôle de servantes et appelées ainsi à collaborer à la préservation du sang sacré, du sang des maîtres »316. Et ce sera à la fois une amputation massive de la race juive et l’extinction totale de la race aryenne. Car, comme l’écrit encore Bernanos en 1938 avec les mêmes mots qu’Hitler, « il n'y a pas de place dans le monde pour deux peuples élus »317. Plusieurs auteurs de la fin du XIXe siècle avaient bien vu le rôle majeur et potentiellement dramatique que joue l’instinct de la différence d’ordre racial quand il est exacerbé au sein d’un groupe : « la haine intime et inexpiable » engendre généralement « un programme impitoyable d’anéantissement » envers le groupe antagoniste le plus faible. Ernest Renan, dans une lettre à M. Strauss en 1871 écrit ainsi : « La division trop accusée de l'humanité en races, outre qu'elle repose sur une erreur scientifique, très peu de pays possédant une race vraiment pure, ne peut mener qu'à des guerres d'extermination »318. Quant à James Darmesteter, professeur au collège de France entre 1885 et 1894, il écrit de même à propos des groupes raciaux très différenciés : « La guerre est entre eux inévitable et éternelle, si la cause est toujours présente et plonge de tout leur passé dans tout leur avenir. Ce sont alors deux organismes, deux instincts, deux âmes inconciliables qui sont aux prises : ce ne sont plus deux hommes, mais deux vertébrés d'ordre différent. L'extermination rapide ou lente peut seule mettre un terme à la lutte »319. Nietzsche, lui aussi, a bien compris le problème en question : « La nation dit :" Soyons nobles" ! », « La race dit : "Soyons durs !" »320.

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. Bernanos fait évidemment référence ici aux massacres systématiques et sans prisonniers perpétrés par Josué dans les villes cananéennes. 316 . Essais et écrits de combat II – Gallimard 1995, Le Chemin de la Croix-des-Âmes, p. 221. Où l’on voit que Bernanos, malgré qu’il constate fort pertinemment qu’au nom de la "race" les Juifs ont tué des non-Juifs et les non-Juifs ont tué des Juifs de façon massive, ne semble pas avoir pris conscience de l’extrême capacité polluante de la notion de « race élue », cette notion inventée par le judaïsme pour les siens, relayée largement par le christianisme et réappropriée par les Germano-aryens. On peut ajouter que cette méconnaissance concerne en fait tous les théologiens chrétiens et que, seuls, quelques penseurs juifs non religieux comme Hannah Arendt et quelques philosophes ont pris la mesure de la malignité de la notion en cause. 317 . Les Grands Cimetières sous la lune, p. 568. 318 . rapporté par Maurice Olender dans son ouvrage Race sans histoire, p. 35. 319 . Ibid, p. 35. 320 . Rapporté par G. Bernanos, Essais et écrits de combat II, Le Chemin de la Croix-des-Âmes p. 225.

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CHAPITRE V – L’ANTISÉMITISME DANS LE MONDE JUIF LA HAINE DE SOI : UNE FORME D’ANTISÉMITISME PAR DÉTESTATION DE SA PROPRE IDENTITÉ

Dans un ouvrage paru en 1930 Der jüdische Selbsthass ("La Haine de soi juive"), alors qu’en Allemagne les Juifs étaient particulièrement anxieux devant la progression des thèses national-socialistes, c’est Theodor Lessing qui forgea ce concept qui allait avoir un long avenir. Dans ce qui représente une autocritique, il explique ainsi que nombre de Juifs modernes qui, comme lui et beaucoup d’autres en Allemagne et en Autriche à cette époque, se sont éloignés du judaïsme et cherchent à s’assimiler dans leur société d’accueil, se sentent volontiers coupables à deux titres différents. Coupables d’une part pour avoir trahi le judaïsme et leurs ancêtres juifs, coupables d’autre part pour ne pas avoir effacé leur « être juif » aux yeux des non-Juifs. Lessing prétend qu’ « il n’existe pas un seul homme de sang juif où l’on ne décèlerait pas au moins les débuts d’une haine juive de soi »321. Pour nombre d’auteurs succédant à Lessing, c’est en effet « un trait de caractère typiquement juif ». Disons que la "haine de soi"– forme du malaise ou du mal-être juif – revient à la fois à se sentir lié au judaïsme alors qu’on n’aime guère son contenu religieux ou ses traditions et à détester ce que l’on retrouve de juif en soi… Dès 1903, Otto Weininger avait assez bien décrit ce phénomène dans son ouvrage Sexe et Caractère : « Quiconque déteste le caractère juif le déteste tout d'abord en lui-même. Le fait de le pourchasser chez d'autres n'est que la tentative de rejeter ce qui est juif ; il s'efforce de s'en séparer en le localisant entièrement chez autrui. La haine est un phénomène de projection tout comme l'amour. L'homme ne déteste que ce par quoi il se sent rappelé désagréablement à lui-même »322. L’écriture va être bien entendu un moyen privilégié pour exprimer non seulement cette détestation du Juif en soi mais à l’égard d’autres Juifs. Citant Theodor Herzl et Max Nordau, qui furent à leur époque assez représentatifs de cette orientation, Jacques Le Rider peut ainsi écrire : « On trouve chez eux des passages accusateurs de tous les vices du juif contemporain qui sont terribles et qui débouchent sur l'idée que le sionisme sera la thérapie, la guérison de toute cette pathologie culturelle à la fois séculaire et contemporaine »323. Rencontrant une vive opposition à son projet d’État juif de la part de l'élite juive des villes européennes et des banques à son projet d’État juif, Theodor Herzl, par exemple, n'hésite pas à mobiliser contre les Juifs la langue du parfait antisémite. « Le Youpin (Mauschel) est antisioniste. Nous le connaissons depuis longtemps et rien que de le regarder, sans l'approcher, et encore moins, le ciel nous pardonne, le toucher suffirait à nous rendre malade [...] Mais, au fait, qui est le Youpin ? Un individu, mes chers amis, un personnage qui surgit régulièrement, le redoutable compagnon du Juif, dont il est si inséparable qu'on les a toujours pris l'un pour l'autre [...] Le Youpin est une défiguration hideuse de la nature humaine, quelque chose d'inqualifiable, de bas et de répugnant [...] Le Youpin est la malédiction des Juifs. De nos jours, il ne suffit plus de s'éloigner de la religion pour se débarrasser du Youpin. C'est la race qui est en question » 324. Myriam Aissimov325, à propos de la romancière éminente que fut Irène Némirovsky, peut de même écrire : « Décrivant l'ascension sociale des Juifs, elle fait siens toutes sortes de préjugés antisémites, et leur attribue les stéréotypes préjudiciables de l'époque. Sous sa plume surgissent des portraits de Juifs, dépeints dans les termes les plus cruels et péjoratifs, 321

. La haine de soi, le refus d’être juif, p. 41. . Citation rapportée par Henri Arvon dans Les Juifs et l’idéologie, p. 108-109. 323 . dans son article Décomposition de la "haine de soi juive", Revue Penser/Rêver, printemps 2005, p. 73. 324 . rapporté par E. Roudinesco, Op. cit., p. 105. 325 . dans la préface qu’elle écrit pour l’ouvrage d’Irène Némirovsky, Suite française , page 14. 322

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qu'elle contemple avec une sorte d'horreur fascinée, bien qu'elle reconnaisse partager avec eux une communauté de destin. Ce en quoi les tragiques événements lui donneront raison. Quelle relation de haine à soi-même découvre-t-on sous sa plume ! Dans un balancement vertigineux, elle adopte d'abord l'idée selon laquelle les Juifs appartiendraient à la « race juive» de valeur inférieure, dont les signes distinctifs seraient aisément reconnaissables, bien qu'il soit impossible de parler de races humaines dans le sens où l'on employait le mot dans les années trente, et où il serait généralisé dans l'Allemagne nazie. Voici, dans son œuvre, quelques traits spécifiques prêtés aux Juifs, quelques choix lexicaux utilisés pour les caractériser, en faire un groupe d'individus possédant en commun des caractéristiques : cheveux crépus, nez courbé, main molle, doigts et ongles crochus, teint bistre, jaune ou olivâtre, yeux rapprochés noirs et huileux, corps chétif, bouclettes épaisses et noires, joues livides, dents irrégulières, narines mobiles, à quoi il faut ajouter l'âpreté au gain, la pugnacité, l'hystérie, l'habileté atavique de « vendre et acheter de la camelote, trafiquer des devises faire le commis voyageur, le courtier en fausses dentelles ou en munitions de contrebande... » Et Irène Némirovski d’ajouter : « C'est cela les miens ; c'est cela ma famille»326. Ce syndrome mental caractérisé va comporter des manifestations variables à l’infini quant à leur forme et leur gravité. Pour certains c’est le changement de patronyme, pour d’autres c’est la conversion au christianisme, pour d’autres encore, c’est l’adhésion à une idéologie de rencontre avec des conséquences parfois dramatiques. De nombreux Juifs adhèrent ainsi en 1917 au bolchevisme puis au communisme ; après 1918, Arthur Trebitsch se fait le champion du nationalisme allemand et en vient à considérer que les Germains forment une race de seigneurs par opposition à la race des Juifs ; Maurice Sachs, après avoir épousé et renié successivement diverses causes dont le catholicisme, adhère au nazisme et rejoint les rangs de la Gestapo en 1940. Pour tels autres encore, c’est la désorientation majeure, la recherche de quelque refuge, la désespérance, voire le suicide. Paul Rée, ami de Nietzche, se jette du haut d’un glacier en 1901, Otto Weininger, l’année même de la parution de son ouvrage, se tire une balle dans la tête. L’adhésion de certains Juifs à l’hyper-orthodoxie judaïque ou au sionisme militant a pu constituer aussi, semble-t-il, une réponse à quelque syndrome de la haine de soi. L’auto-dévalorisation-accusation représente certes un phénomène humain universel. Quel est l’individu du commun des mortels qui, dans sa singularité, ne connaît en effet au cours de sa vie ce type d’expérience d’une durée variable plus ou moins pénible pour lui ? De multiples personnes, en tant qu’appartenant à des catégories de populations malheureuses, défavorisées, maltraitées… n’ont-elles pas souffert également de cette épreuve mentale qui peut, comme chacun sait, conduire à la désespérance, voire à l’auto-destruction ? Les multiples agressions subies par les Juifs pendant tant des siècles et dans tant de pays représentent bien entendu un élément étiologique de ce syndrome mais il est clair qu’il ne s’agit là que d’un facteur accessoire à côté de l’identité que le judaïsme impose aux siens, cette identité irréversible relevant de la simple transmission sanguine que nous avons largement explicitée précédemment. Parmi les nombreux hommes de lettres ayant traduit leur souffrance d’être Juifs de par leur naissance, citons par exemple Heinrich Heine (1797-1856). À propos de l’achèvement d’un nouvel hôpital dans sa ville de Hambourg il écrit ainsi ce poème327 : « Un hôpital pour des juifs malades et nécessiteux, Pour ces pauvres mortels trois fois malheureux, Affligés de trois grands maux : 326 327

. Ibid. p. 14. . rapporté par Yosef Yerushalmi dans Le Moïse de Freud, p. 77.

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La pauvreté, la maladie et le judaïsme Des trois, le dernier est le plus terrible, Ce mal de famille millénaire, Le fléau ramené de la vallée du Nil, La croyance malsaine de l'ancienne Egypte Mal incurable et profond! Rien n'y peut, Ni douche ni bain de vapeur, Ni appareils de chirurgie, ni tous les médicaments Que cet hôpital offre à ses hôtes souffrants. Le temps, dieu éternel, extirpera-t-il un jour Ce secret qui se transmet du père À l’enfant ? Le petit-fils pourra-t-il une fois Guérir, être raisonnable et heureux ? Je l’ignore… » L’ANTISÉMITISME CHEZ LES JUIFS

Un phénomène d’accusation visant les Juifs faisant preuve de quelque dissidence à l’égard de la culture juive a toujours existé dans la judaïcité. Quand la transgression est le fait d'un groupe, c'est même tout ce groupe qu'il faut mettre à mort selon la Bible, surtout s’il y a introduction de pratiques provenant des goyim. C’est la scène biblique du Veau d’or : l’élimination par la violence non seulement des individus coupables mais aussi des innocents. « Tu ôteras le mal du milieu de toi » (Deutéronome 13, 6). De même qu’il existe un herem extérieur visant les non-Juifs habitant la terre promise, il y a en effet un anathème concernant les Juifs non conformes de l’intérieur. « Si tu entends dire que dans l'une des villes que Yahvé, ton dieu, te donne pour y habiter, des hommes, des fils de rien issus de ton sein, égarent les habitants de leur ville en disant : "Allons servir d'autres dieux! ", des dieux que vous n'avez pas connus, tu consulteras, tu enquêteras, tu questionneras avec soin, et si c'est vrai, s'il est bien établi qu'une telle abomination a été commise en ton sein, alors tu devras passer au fil de l'épée les habitants de cette ville, tu la voueras à l'anathème, elle et tout ce qu'elle contient : même son bétail, tu le passeras au fil de l'épée. Toutes ses dépouilles, tu les rassembleras au milieu de sa place et tu brûleras par le feu la ville avec toutes ses dépouilles, le tout pour Yahvé, ton dieu ; elle sera une ruine pour toujours, elle ne sera jamais rebâtie » (Deut. 13, 13-17). Notons que cet antisémitisme des Juifs s’est particulièrement développé avec la création de l’État d’Israël et les moyens modernes de communication. Les expressions-accusations lancées à des Juifs souvent courageux : "Juifs antisémites", "Juifs dissidents", "Juifs honteux", "Juifs coupables", "Juifs de négation", "Juifs pornographiques", "Juifs perdus", "Juifs traîtres", "Juifs renégats"… résument assez bien la charge pesant sur les victimes et les violences auxquelles elles donnent lieu. Ainsi qu'en témoigne l'histoire quotidienne, nombre de Juifs328 réprouvent, détestent ou haïssent foncièrement nombre de personnes de leur race s’opposant à l’entreprise sioniste. Traitée de « sale Juive » et accusée d’ « incitation à la haine raciale », Michèle Manceaux329 ne nous dit-elle pas que « les menaces téléphoniques, les injures par courrier ne proviennent pas d’antisémites venimeux mais d’excellents Juifs qui

328

. Citons notamment l’article de S. Plaut La Pathologie de l’antisémitisme dans lequel l’auteur dénonce « une épidémie qui se répand comme la peste » chez les Juifs d’Europe, des États-Unis, d’Israël (http://lessakele.overblog.fr/article-la-pathologie-de-l-antisemitisme-juif-s-plaut-45183081.html ) 329 . Histoire d’un adjectif, p. 18.

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se désignent comme tels » ? Et l’on sait qu’il peut s’agir d’une haine à mort : c’est Yigal le Juif qui tue Rabin le Juif. Parmi les nombreux Juifs qualifiés par leurs congénères ou se qualifiant eux-mêmes d’antisémites330, c’est peut être Simone Weil qui a le mieux perçu le caractère pathogène et malsain de l’identité raciale que le judaïsme impose d’autorité aux Juifs dès la naissance. Gustave Thibon, dans la préface qu’il a écrite pour l’ouvrage de la philosophe La pesanteur et la grâce, rapporte que Simone Weil évoquait comme une évidence les « racines juives de l’antisémitisme » : « Combien de fois m’en a-t-elle parlé ! » écrit-il. Il précise même qu’ « elle aimait à répéter qu’Hitler chassait sur le même terrain que les Juifs ». Désignée comme juive par le gouvernement de Vichy qui, dès octobre 1940, publie un Statut des Juifs et établit une législation raciale sur le modèle des nazis, Simone Weil est exclue de l’enseignement public. Élevée dans un milieu complètement assimilé, totalement étrangère au monde juif – elle n’apprit qu’en classe de première qu’il existait des Juifs et des Gentils – sa profession de foi à l’adresse des autorités ne laissait place à aucune ambiguïté, tant sur ce qu’elle était que sur ce qu’elle voulait être : une personne libre et non la simple héritière de quelque sang. Quand elle se dit « antisémite »331 il paraît évident que ce mot n’a pas pour elle son sens le plus habituel d’hostilité envers des personnes, les Juifs. C’est contre les éléments pervers du système de pensée judaïque, qui fait de la race juive une « idole » et du peuple élu « une idolâtrie sociale, la pire idolâtrie »332, qu’elle se révolte de tout son être, système qui catégorise et identifie une personne sur sa généalogie et non sur ce qu’elle est. Et il est probable que ce même état d’esprit se retrouve chez nombre de Juifs qui quittent le judaïsme. Dans cette acception très particulière du mot, acception qui n’a guère été retenue par les auteurs, il est probable également que, à l’exemple de Jacques Maritain dont j’ai rapporté précédemment les propos suivant lesquels « être antisémite se justifiait à certains points de vue », ou bien de Georges Bernanos pour qui « l’antisémitisme, dégagé des hyperboles ridicules, apparaîtra ce qu'il est réellement : non pas une vue de l'esprit, mais une grande pensée politique »333, nombre de chrétiens, voire de non-chrétiens, aient utilisé ce mot dans la même acception que Simone Weil : une critique sévère d’un mode de pensée conditionnant fortement les hommes au racisme et non une hostilité quelconque envers des personnes.

330

. Alain Finkielkraut dans son ouvrage Le Juif imaginaire (p. 82) considère que les Juifs assimilés, notamment en Allemagne et en France, se précipitèrent dans l’antisémitisme. Pour Robert Misrahi dans La condition réflexive de l’homme juif (p. 73-78) le juif antisémite qui a "la haine de soi" est porteur d’une double honte celle "qu’éprouve un homme d’être juif d’abord, d’être antisémite ensuite" ! 331 . S. Pétrement, La Vie de Simone Weil, t. II, p. 291. 332 . Dans sa Lettre à un religieux, Gallimard, 1951, p. 15. 333 . La grande peur des biens-pensants, p. 133.

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CONCLUSION DES ANTISÉMITISMES :

les Juifs victimes premières de la culture juive,

victimes secondes des hommes334. Si le christianisme et l’islam par exemple ont développé, chacun à l’encontre de l’autre, des violences notables, voire des actes de guerres caractérisés lors des Croisades ou de l’avancée de l’islam en Occident, ces antagonismes pour cruels qu’ils furent n’étaient pas des guerres de races mais des guerres de religions typiques, des combats de la Vérité contre l’Erreur. Car les chrétiens et les musulmans ne sont que des croyants... Lorsqu’un mode de pensée différencie les hommes à partir de données à la fois d’ordre biologique et sacré, la problématique est toute différente. Prônant, dans la hantise du mélange, le culte de la séparation, de la différence et de l’altérité, le judaïsme constitue manifestement, dans la sphère occidentale et peut-être dans le monde, l’exemple quasiment unique d’une culture à composante raciale au maximum de la différenciation. C’est dire que le phénomène raciste en résultant ne peut pas ne pas revêtir une prégnance exceptionnelle. Il n’est pas seulement « aussi ancien » que le judaïsme comme le constatent divers auteurs335 : par sa cause invariante il lui est consubstantiel. Puisque les non-Juifs de tant de sociétés (païenne, chrétienne, musulmane, laïque, libérale…) et si tant de Juifs, comme nous l’avons vu au chapitre précédent, partagent la conviction que le groupe des Juifs représente avant tout une lignée d’ordre généalogique, ou en d’autres termes que la judéité comporte en premier lieu une composante raciale, comment ne pas voir en définitive que ni les uns ni les autres n’ont inventé cette donnée qui les conditionne au racisme et qu’ils sont d’abord des héritiers du judaïsme ? À propos du rôle majeur de cet élément essentiel dans les antisémitismes, on peut aussi remarquer que l’antijudaïsme chrétien (c’est-à-dire l’opposition purement doctrinale qui, en conduisant banalement à l’antisémitisme, a été responsable de tant d’exactions et de crimes pendant près deux millénaires) a régressé de façon spectaculaire depuis le cataclysme nazi dans les grandes religions chrétiennes (catholicisme romain, églises de la Réforme et orthodoxie) où les sujets doctrinaux, marginalisés dans les esprits, ne sont plus guère abordés. On peut même ajouter que l’opposition religieuse au judaïsme, qui s’est réfugiée de façon quasi exclusive dans les minorités traditionalistes et intégristes – l’heure présente est plutôt à l’œcuménisme et à la tolérance – semble désormais tout à fait insignifiante et que l’hostilité des chrétiens et des Occidentaux en général envers les Juifs est essentiellement d’ordre racial à l’époque moderne, représentant en somme de l’antisémitisme presque pur. Quant à l’antijudaïsme dans l’islam qui était resté d’un niveau fort réduit jusqu’au milieu du XXe siècle – l’islam n’est guère porté à la spéculation et au discours proprement théologiques – il s’est largement réactivé à l’occasion des conflits pérennes du Moyen-Orient qui continuent à humilier de façon continue et au plus profond le monde musulman. Et cet antijudaïsme engendre à son tour un antisémitisme réactionnel caractérisé qui ne saurait s’éteindre à vue humaine.

334

. Si la culture juive ne contaminait pas Juifs et non-Juifs par son virus de la race il n’y aurait pas de racisme juif et antijuif, mais cette donnée ne doit évidemment pas faire méconnaître ou minimiser la cause seconde de tout acte antisémite : la responsabilité des hommes. 335 . tel par exemple Th. Reinach, dans l’article Juif de la Grande Encyclopédie ou bien le Dr Weizmann, premier président d’Israël, qui écrit « Nous emportons l’antisémitisme dans nos besaces partout où nous allons » (citation rapportée par Albert Memmi dans La libération du Juif, p. 232).

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3ème Partie LES INSTITUTIONS RACISANTES SPÉCIFIQUES DU JUDAÏSME : FACTEURS MAJEURS D’ANTISÉMITISME RÉACTIONNEL

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« On ne peut pas faire l’économie d’une réflexion sur le racisme dans la pensée et la tradition juive »336 Henri Korn INTRODUCTION à cette troisième partie Comme nous l’avons explicité précédemment, toute racialisation d’une population, comme celle que le judaïsme entraîne pour ses membres, engendre automatiquement deux sociétés antagonistes tandis que, dans un processus en cercle vicieux, le racisme appelle le contreracisme. C’est dire que parler de l’antisémitisme sans évoquer le racisme dans le monde juif relève d’une méconnaissance caractérisée chez nombre d’auteurs. Ainsi que l’écrit Maxime Rodinson « supposer que les Juifs puissent être inaccessibles aux tendances qu’on s’accorde aujourd’hui à condamner sous le mot de "racisme", c’est leur accorder une supériorité essentielle, donc encore une vision de type raciste »337. Ce ne sont guère en effet que les exactions perpétrées depuis quelque 60 ans par l’État d’Israël qui ont permis à certains d’entre eux, particulièrement libres, de parler du racisme chez les Juifs, voire de poursuivre une démarche critique en mettant directement en cause le type d’identité que le judaïsme confère aux siens. Il est patent que la plus grande partie du monde juif, encore largement tributaire de ses mythes religieux fondateurs, est restée aveugle sur ce racisme et que le monde non-juif quant à lui, notamment le monde chrétien, se souvenant sans doute de ses responsabilités passées et bridé par la peur d’être accusé d’antisémitisme, est resté étrangement muet338. Le chapitre qui va suivre sera donc consacré aux structures racisantes du judaïsme. Non pas pour relativiser la gravité du racisme anti-Juifs, non pas pour juger des personnes et établir des responsabilités dans quelque optique comparative suivant la pratique habituelle des défenseurs ou des contempteurs des Juifs, mais pour mettre en évidence les éléments pathogènes spécifiques du judaïsme-culture qui, en enfermant ses membres dans une essence de Juifs, les conditionnent, plus que les adeptes de tout autre système de pensée philosophique ou religieuse, au racisme envers les non-Juifs et les exposent parallèlement au racisme de ces derniers. À cette méconnaissance des auteurs quant au rôle néfaste de certaines données du judaïsme, deux raisons apparaissent primordiales. La première tient en ce que le discours ambiant, en rapportant principalement les souffrances des Juifs, donne à penser que le racisme n’existe pas chez eux. En effet, à la thèse perverse d’une culpabilité habituelle des Juifs dans les malheurs des sociétés occidentales a souvent succédé celle, non moins perverse, de leur innocence totale. S’il est logique que l’histoire contemporaine soit profondément marquée par le génocide des Juifs européens par les nazis, génocide inédit à bien des titres, il reste que nombre d’auteurs se sont laissé subjuguer par le discours dominant, dans lequel la mémoire récente prévaut volontiers sur l’histoire et la recherche. Comme si le racisme n’épargnait dans le monde que la seule société juive et que l’histoire se résumait à Auschwitz. La seconde raison permettant d’expliquer la méconnaissance du phénomène réside dans le fait que les auteurs des multiples travaux consacrés au racisme en général ne retiennent souvent comme critères du processus que les manifestations violentes et spectaculaires d’ordre physique, les coups, les assassinats, les affrontements…, en négligeant les multiples 336

. Histoire d’un adjectif, p. 199. . Peuple juif ou problème juif, p. 281. 338 . Signalons ici que, dans la Presse catholique, seul "Témoignage chrétien" approuva sans réserve la condamnation par les Nations Unies en 1975 du sionisme « comme une forme de racisme et de discrimination raciale » et dénonça cette idéologie « comme un nationalisme chauvin, belliqueux et méprisant pour l’étranger » (donnée rapportée par l’historien D. Pelletier et le sociologue J. L Schlegel dans La Gauche du Christ, p. 566). 337

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violences d’un autre ordre, violences psychologiques, juridiques, morales, diplomatiques, économiques, verbales… , violences silencieuses, discrètes, voire subreptices et occultes mais qui n’en sont pas moins des violences non seulement effectives mais généralement bien plus efficaces que les premières quant au but poursuivi. Or, si le judaïsme sioniste dans l’État d’Israël, avec sa ségrégation institutionnelle et son entreprise coloniale d’un type inédit et sophistiqué, a généré depuis le milieu du XXe siècle une explosion de violences de tous ordres rapportées quotidiennement par les observateurs libres, on peut considérer que le racisme des Juifs – en exceptant toutefois le massacre des Cananéens par Josué, le massacre des Perses rapporté dans le Livre d’Esther (9, 5 et 16) et celui des chrétiens à Mamilla au VIIe siècle339 – n’a guère comporté pendant les dix-huit siècles précédents que des violences autres que physiques, les populations juives étant partout en position de faiblesse. Les deux institutions racisantes spécifiques du judaïsme L’altérité structurelle établie entre les Juifs et les non-Juifs à la base même du judaïsme va entraîner un certain nombre de situations propres à la judaïcité. En fonction de l’environnement humain des communautés juives, cette mystique de Séparation va générer en effet deux types d’institutions à la fois consubstantielles au judaïsme et absolument vitales pour lui. Ce sont : • d’une part le Ghetto culturel. D’une manière générale, le ghetto juif est dicté par la situation minoritaire des Juifs dans leur environnement humain. Il se présente sous deux formes. Dans sa forme territoriale, spontanée ou imposée, il est contingent ; dans sa forme culturelle par contre, forme qui seule nous intéresse ici, il est permanent. • d’autre part l’Apartheid juif israélien. C’est l’Institution fondamentale de l’État d’Israël créé par l’ONU en 1947 en Palestine où, pour la première fois dans l’histoire, des Juifs, ayant acquis un pouvoir politique par la force du Livre et de l’Épée, du Verbe et des Armes, sont en situation de dominance absolue. D’ordre à la fois territorial et culturel, elle réalise une sorte de réplique inverse du ghetto. L’expression racisante des deux institutions est fort différente. Subtile, discrète et maniant habilement les violences d’ordre psychologique est celle des ghettos juifs existant à travers le monde. Spectaculaire, multiforme et utilisant toutes les formes de violence est celle de l’Apartheid israélien.

339

. Les chrétiens furent les grandes victimes de la conquête de la Palestine par les Perses dont les Juifs étaient des alliés de circonstance. À propos du principal combat, près de Mamilla en 614, Maxime Rodinson (dans son ouvrage Mahomet, p. 52 et s.) précise que les généraux juifs de cette armée participèrent activement avec les Perses au massacre de toute la population chrétienne, massacre « qui fit une impression d’horreur sur les contemporains ». Sur ce même épisode, l’archéologue israélien Romy Reich écrit de son côté que la rumeur de l’époque fait état de plusieurs dizaines de milliers de morts parmi les prisonniers chrétiens.

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CHAPITRE VI – LE GHETTO CULTUREL VOLONTAIRE INHÉRENT À LA SOCIÉTÉ JUIVE LE FONDEMENT DU GHETTO : LA SÉPARATION/SÉGRÉGATION JUIFS/NON-JUIFS

Comme chacun sait, le terme de ghetto dans son sens initial s’applique essentiellement à un lieu, généralement à un quartier d’une ville, où résident essentiellement des Juifs. Avec la différenciation entre Juifs et chrétiens amorcée dès le premier siècle de l’ère chrétienne puis rapidement progressive, ce phénomène de société fut d’abord le résultat d’un libre choix. Comme l’écrit Paul Colange340, « originellement ce sont les Juifs eux-mêmes qui se sont regroupés dans le même quartier d'une ville pour des raisons culturelles et pour se protéger, notamment à l'époque des Croisades ». Mais le ghetto ce fut aussi bien entendu pour eux, jugés souvent indésirables, la résultante de contraintes imposées par la majorité chrétienne. Le premier ghetto que rapporte l’histoire est ainsi celui de Venise où furent regroupés à la fin du XVe siècle à l’écart de la ville (dans une fonderie, geto en italien), les nombreux Juifs expulsés d’Espagne par les rois catholiques. En 1555 le pape, par sa bulle Cum nimis absurdum, préconise cette institution dans un souci de préservation des sociétés chrétiennes et, par la suite, ce même phénomène autoritaire imposé aux Juifs devait se poursuivre longtemps dans divers pays, pays européens notamment. C’est dire que cette dernière représentation du ghetto où des populations en situation de faiblesse numérique, méprisées et volontiers traitées en parias sont contraintes de se regrouper en un lieu est fort partielle en ce qui concerne les populations juives. D’une part, le ghetto juif, conformément à la tradition, est spontané, volontaire et permanent quel que soit l’environnement, d’autre part, il est essentiellement d’ordre culturel et accessoirement territorial. Car, comme nous l’avons déjà explicité précédemment, s’ajoute ici une exceptionnelle et impérative propension du groupe à être séparé des autres de par sa Loi fondamentale, à vivre par lui-même et pour lui-même, à marquer son territoire matériel ou spirituel et à parfaire son auto-ségrégation dans un huis clos aussi hermétique que possible aux non-Juifs : « Partout où les autorités ne l’enfermaient pas dans les murs des ghettos, écrit Max Nordau, il (le Juif) s’en créait un lui-même […] c’était le domicile sûr qui avait pour lui la signification spirituelle et morale d’une patrie »341. Le sociologue Max Weber (1864-1920) a bien vu cette donnée spécifique au judaïsme : il qualifie le peuple juif de « "peuple-hôte" vivant dans un environnement étranger dont il est séparé rituellement, formellement ou effectivement » et évoque « son ghetto volontaire qui a précédé de loin la réclusion qui lui a été imposée »342. Comme l’écrit Albert Memmi, « Être juif, c’est être séparé des autres »343. C’est dire que le ghetto juif avant d’être une prison subie est d’abord un bastion édifié volontairement et permettant, avec un mode de vie solidaire et démocratique aussi parfait que possible entre Juifs, à la fois de se protéger du monde extérieur, de se ressourcer dans la tranquillité, de préparer les actions à entreprendre au bénéfice du groupe et d’en sortir pour s’adonner à une activité indispensable à la survie et conquérir le maximum de pouvoirs dans le monde des goyim. Le ghetto culturel juif de l’époque moderne représente ainsi un vaste réseau d’organisations communautaires concernant la plupart des activités humaines : organisations culturelles, philanthropiques, professionnelles, commerciales, cultuelles, financières, sportives… créées par des Juifs au service exclusif des Juifs. En témoin d’une 340

. De l’antijudaïsme antique à l’antisémitisme contemporain, p. 148. . Citation au Premier Congrès sioniste du 29 août 1897 rapportée par Sylvie Courtine-Denamy, Le souci du monde, p. 52. 342 . Sociologie des religions p. 482-484. 343 . Portrait d’un Juif, p. 62. 341

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solidarité exceptionnelle, solidarité comme seuls peuvent en engendrer liens du sang et mystique religieuse, ce phénomène de solidarité lignagère, cette autonomie de la culture et de la vie juives, semblent bien être sans rival à travers le monde344. Notons que la ghettoïsation spontanée n’est pas un phénomène stable pour les individus : il se modifie sans cesse ou s’interrompt dans des circonstances diverses. Ce peut être, cas particulièrement fréquent, une expérience de nomadisme avec reconstitution en un autre lieu d’un nouveau ghetto apparaissant plus favorable, une implosion sous l’effet de rivalités internes entre Juifs, une dispersion par quelque force extérieure dominante puisque tous les lieux secrets ou/et inaccessibles à l’autre population ont comme destin commun d’exciter la curiosité, la suspicion, voire le viol. Parfois, fait assez banal en Europe avec le mouvement juif des Lumières (la Haskalah) au cours du XIXe siècle et au début du XXe, le ghetto se fissure, le mur entre la communauté juive et le reste du monde s’effrite, les échanges culturels s’accroissent entre les deux parties pour aboutir à l’assimilation complète d’un certain nombre de Juifs dans la population non-juive. C’est ainsi que nombre d’intellectuels Juifs, surtout allemands, s’ouvrirent alors à l’universalisme, soit en se convertissant au catholicisme ou au protestantisme, soit en étant largement présents dans les mouvements socialistes et communistes. En définitive, c’est le mouvement sioniste, au début du XXe siècle, qui allait interrompre brutalement cette évolution avec une nouvelle entreprise de ghettoïsation à la fois spirituelle et territoriale. Et ce fut, non plus à l’échelle traditionnelle du quartier d’une ville mais de toute une région, l’institution de l’État juif, ce véritable pays des barrières345 en même temps que « le plus grand exil intérieur de la judéité »346. Fonction du contexte et notamment de l’hostilité rencontrée, phases de re-judaïsation et de dé-judaïsation, de ghettoïsation et d’assimilation, d’assimilation et de dissimilation (suivant le mot de Franz Rosenzweig), phases d’espoir et de malaise, vont ainsi se succéder sans cesse dans une insatisfaction constante, voire un fiasco renouvelé. Car, comme le constate Shmuel Trigano : « il n’y a de salut ni à l’intérieur, ni à l’extérieur de ce pauvre domaine. À l’intérieur c’est la décrépitude et la moisissure, comme partout où ne pénètre ni l’air ni le soleil ; à l’extérieur la menace ne varie pas d’un degré et peut à tout moment faire écrouler les vieilles pierres de cette forteresse illusoire »347. Depuis le milieu du XXe siècle, et plus précisément depuis le drame du nazisme et la création de l’État juif, cette période de quelque soixante ans se caractérise principalement par une phase très active de ghettoïsation, de communautarisme avec un retour marqué de la religiosité comme le montrent les divers pays où vivent des Juifs : « Je rencontre, écrit Esther Benbassa348, de plus en plus de Juifs qui me semblent vivre dans une sorte d'aquarium. Ils écoutent les radios juives, ils lisent la presse juive, ils vivent avec des Juifs, ils vont voir des films juifs. L'auto-enfermement de certains orthodoxes, on le comprend. Le mode de vie, les 344

. Ce qui n’empêche pas bien entendu, dans certaines circonstances, que le lien du sang soit minimisé face à des liens et intérêts jugés supérieurs pour le groupe. Il est clair, par exemple, que Juifs français et allemands ont défendu en 1914-1918 leur propre État national – ils « priaient avec leurs frères de sang mais allaient combattre avec les frères de leur pays » écrit Shlomo Sand (Op. cit. p. 103) – et que ces mêmes Juifs de l’Europe de l’Ouest n’ont guère manifesté de solidarité particulière à l’égard des Juifs de l’Europe de l’Est (les Ostjuden) ou des "Orientaux". 345 . « Une barrière de protection sur la frontière, une barrière autour de nos colonies pour assurer leur sécurité, une autre pour boucler les localités palestiniennes, une autre sur le Jourdain : ce pays n’est plus que barrières emprisonnant deux peuples terrorisés » (Avraham Burg, ancien président de la Knesset, Le Monde du 18/08/2005). Quant à la Ville sainte « elle se découvre à un regard froid comme une foire industrielle de la clôture. Le visiteur y trouvera ce qui se fait de mieux en fait de palissade, muret, fossé, herse, porte métallique, vitre blindée, cage, tranchée, barrière, chicanes de ciment, casemate, portique (avec ou sans dispositifs électroniques, type senseur, caméra, micro, au choix » (Régis Debray, Un candide en Terre sainte, p. 399). 346 . Shmuel Trigano, La Nouvelle question juive, Gallimard 1979, p. 120. 347 . Ibid, p. 116. 348 . Les Juifs ont-ils un avenir ?, p. 222.

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règles diététiques imposent une certaine mise à distance. Là n'est pas le plus inquiétant, ni le plus étonnant. Je parle des autres ». Un médecin d’une cité française explique de même que « de la crèche jusqu’à la maison de retraite, du matin au soir, un Juif peut désormais vivre pratiquement en circuit fermé »349. Quant à Albert Memmi il écrit : « Le Juif qui s’accepte au milieu des autres (des non-Juifs), adopte toujours plus ou moins une psychologie d’assiégé ; avec cette attention toujours en éveil, cette rumination constante, cette armure intérieure et cette riposte toujours prête […] il tend à reconstruire un petit univers complet, mental et matériel, à l’intérieur de l’univers des autres. Il reçoit des journaux juifs de toutes les judaïcités, se constitue une bibliothèque essentiellement juive, accroche aux murs des œuvres juives, ne fréquente pratiquement que des Juifs, introduit des mots d’hébreu dans sa conversation, se laisse souvent pousser la barbe, garde la kippa sur la tête, décide en bref de vivre dorénavant une vie exclusivement juive »350. Nicolas Weil, lui, parle de la « rue juive » comme d’« une sorte de nébuleuse religieuse, proche de la droite israélienne (sympathisants du Likoud France), formée d'habitués des magasins et des restaurants cashers, d'auditeurs de Radio J, de lecteurs de nouveaux journaux populaires, comme l'hebdomadaire Actu J, de pratiquants de kravmaga, l'art martial de l'armée israélienne »351. Quant à Jean Daniel il évoque « toutes les manifestations communautaires des Juifs regroupés en tribus » dans lesquelles « il a peine à ne pas déceler des aspects communautaristes qui l’agressent »352. D’une manière générale on peut dire qu’un Juif conscient du statut particulier que lui imprime sa naissance est en deçà d’une frontière qu’il n’est jamais facile de franchir. Même s'il récuse la foi et la culture juives, le Juif ordinaire n’en est pas moins marqué profondément dans son esprit comme dans sa chair et engagé à vivre en marge de la société non-juive. Quant aux Haredim, ces Juifs hyperorthodoxes qui foncent à travers la foule des goyim sans jamais en toucher, en effleurer, voire en regarder un de peur de se souiller et de violer une des 613 mitzvot, il est clair pour eux que les non-Juifs, conformément à toute une tradition du judaïsme, sont d’une autre nature qu’eux, à moins qu’ils ne soient que des non-êtres. « Toute judaïcité, même opulente, même riche et sûre d’elle-même est la conscience d’un ghetto » écrit Albert Memmi353. Seuls les sujets maniant humour et grande indépendance d'esprit sont vraiment capables de dominer cette conception raciale qui leur a été inculquée dès la prime jeunesse et que l’on continue d’autorité à leur imposer, parfois contre leur volonté expresse. Bien des individus, telle la philosophe Simone Weil (1909-1943) qui, en esprit libre, « refusait l’hérédité de race »354 et de ce point de vue « ne voulait rien avoir de commun avec eux (les Juifs) »355, se révolteront sous cette chape de plomb qui leur est insupportable : « être catégorisée sur une donnée raciale, le sang hérité, et non sur ses libres choix ». Disposition impérieuse mais aussi hautement contaminante pour les esprits : comme tant d’hommes et de femmes ayant récusé formellement le judaïsme de leurs ancêtres, n’est-elle pas encore de nos jours considérée comme juive par tous ses biographes tel M.-M. Davy qui considère que « le caractère de Simone Weil est essentiellement juif » et que « les caractères d’une race se reconnaissent en elle »356. On connaît pourtant sa pensée et de son action : « J’ignore, écritelle en 1940 dans une profession de foi à l’adresse du gouvernement de Vichy qui l’excluait de l’enseignement public, la définition du mot juif ; ce point n’a jamais été au programme de 349

. Le Monde du 15/04/2004. . La libération du Juif, p. 111. 351 . Propos de J. Macé-Scaron dans La tentation communautaire, p. 73. 352 . La prison juive, p. 47. 353 . La libération du Juif, p.111. 354 . Gilles Zenou, Regards sur la condition juive, p. 163. 355 . Sylvie Courtine-Denamy, Trois femmes dans de sombres temps, p. 57. 356 . Simone Weil, p. 26. 350

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mes études… Ce mot désigne-t-il une religion ? Je ne suis jamais entrée dans une synagogue et n’ai jamais vu une cérémonie religieuse juive… La tradition chrétienne, française, hellénique est la mienne ; la tradition hébraïque m’est étrangère. Ce mot désigne-t-il une race ? Je n’ai alors aucune raison de supposer que j’ai un lien quelconque avec le peuple qui habitait la Palestine il y a deux mille ans »357. Rejetant à la fois l’assimilation des Juifs parmi les non-Juifs, assimilation qui est vue comme un déshonneur, une trahison, voire comme une forme d’antisémitisme358 et l’assimilation des non-Juifs dans les communautés de Juifs au nom de l’Alliance et de la Loi lévitique de pureté du sang, le judaïsme-culture conditionne manifestement les siens, à aller de ghetto en ghetto. Et dans le discours banal qu’il inspire : « ne pas trahir sa race », « être les membres d’une race particulière n’ayant rien de commun avec les autres habitants du pays »359, « se voir étrangers parmi les non-Juifs et voir ceux-ci comme des étrangers », comme dans les interrogations récurrentes qu’il comporte : « Comment suis-je juif ? », « Qui est juif ou qui ne l’est pas ? », « Est-il juif ou non ? »360, « Combien sommes-nous de Juifs », « Quelle est la proportion des différentes catégories de Juifs ? », on voit que ces contraintes d’ordre culturel sont spécifiques du judaïsme et, plus précisément de sa mystique de Séparation, d’Apartheid entre Juifs et non-Juifs où le Sang est la valeur suprême. En fin de compte peut-on être surpris du malaise permanent, de l’inquiétude, de l’effroi des responsables communautaires face aux mariages mixtes, du profond désarroi361, voire de l’angoisse existentielle des Juifs antisionistes face à l’existence même de l’État juif avec ses exactions caractérisées362 et son environnement unanimement hostile ? Jean Daniel363 quant à lui ne parle-t-il pas du « destin carcéral » des Juifs ? Cependant, à côté de ses pesanteurs extrêmes où le rejet de l’exogamie faisant des Juifs un corps étranger dans toute société n’est pas la moindre, le phénomène du ghetto ne va pas sans permettre à nombre d’entre eux, s’investissant avec ardeur et détermination dans de multiples domaines, d’atteindre des niveaux d’excellence. Le monde non-juif alentour en sera assez souvent bénéficiaire mais parallèlement il en sera aussi victime car s’y élaborent volontiers d’habiles violences qui relèvent à la fois de la mystique ancestrale, de la solidarité exceptionnelle d’ordre racial des communautés juives et d’un souci de protection qui ne s’apaise au mieux que par la domination364. Ici, la réflexion prévaut sur la force physique, la matière grise sur le muscle, la parole sur le coup de poing. Bernanos a bien vu les caractéristiques de ce racisme spécifique chez les Juifs lorsqu’il le qualifie de religieux, d’intellectuel, de subtil.365 357

. S. Pétrement, La vie de Simone Weil, t. II, p. 289. . Alain Finkielkraut peut écrire dans Le Juif imaginaire : « Aujourd’hui […] les Juifs, dans leur majorité, abandonnent la stratégie de l’effacement, car elle leur paraît à la fois illusoire et condamnable : ils réprouvent l’assimilation et savent discerner en elle, sous son aspect secourable et ses allures de dame patronnesse, le visage moderne de l’antisémitisme » (p. 76) ; « l’assimilation fut cet engrenage fatal qui les précipita dans l’antisémitisme » (p. 82) ; « tout cet antisémitisme juif pour rien : pour le génocide » (p. 86). 359 . Citation de Max Nordau au 1er Congrès sioniste mondial de 1897 rapportée par Sylvie Courtine-Denamy, Le souci du monde, p. 52. 360 . Dès le XVIIIe siècle le philosophe allemand Jean-Gottlieb von Herder (1744-1803) pouvait écrire : « Viendra un jour où il sera barbare de se demander qui est juif et qui ne l’est pas ». Remarquons que ce type de question, se pose quotidiennement dans l’État d’Israël (le problème a été illustré particulièrement sur les ondes à l’occasion du transport et de l’accueil des Falashas d’Éthiopie en 1991). 361 . désarroi qu’exprime par exemple M.A. Matard-Bonucci dans l’ouvrage collectif ANTISÉmythes, p. 29. 362 . tel Albert Memmi qui écrit : « Je me dis quelquefois avec rage que cet entêtement obsessionnel de rêveurs éveillés (les promoteurs du sionisme) aura fait d’eux des malfaiteurs de notre histoire. Comme s’ils avaient le besoin morbide de prolonger le malheur » (La libération du Juif, p. 253). 363 . La prison juive, p. 11. 364 . Situation qui inspira en 1967 à Charles de Gaulle son fameux raccourci : « le peuple juif : peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur ». 365 . dans Le Chemin de la Croix-des-Âmes, Gallimard, p. 421. 358

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À propos des Juifs ayant, dans les États démocratiques modernes, intégré la culture des Gentils, Edgar Morin remarque que : « la rencontre, la double ouverture entre juif et gentil, la double conscience qui permet le regard critique ou sceptique sur ce monde occidental dont on fait partie sans en faire vraiment partie […] s’est avérée historiquement féconde »366. Il invente et applique à ces Juifs le qualificatif de "judéo-gentils et constate par ailleurs que « Le double Je conduit souvent au double jeu, et le double jeu à un double Je ». Mais, une question d’importance se pose : comment cette double allégeance, cette double appartenance et ce « double jeu », pourraient-il ne pas comporter quelques conséquences infiniment regrettables ? La ghettoïsation du milieu scolaire est particulièrement remarquable Le domaine scolaire est bien entendu particulièrement concerné. En 2000, le Fonds social juif unifié (FSJU) comptait en France 250 établissements scolaires (jardins d’enfants, écoles primaires, collèges, lycées, un IUT)367. Ces établissements pour enfants et jeunes gens où l’enseignement repose sur les quatre piliers que sont : « apprendre à être juif, connaître l’hébreu, aimer Israël, s’ouvrir à la vie sociale », réalisent en effet un pôle communautaire inédit. Indépendamment du motif de sécurité qui, dans certains quartiers de grandes villes, guide parfois le choix des parents, les effectifs de ces établissements sont soumis à une exceptionnelle croissance (63 % entre 1990 et 2005) : en 2001, ils regroupaient plus de 25 000 élèves, en 2002, 26 % des enfants et adolescents juifs étaient scolarisés dans une école juive et en 2007368, l’école juive comptait 30 000 élèves soit environ 29 % des élèves juifs de France. Par ailleurs, 50% des établissements étaient rattachés à l’orthodoxie. À noter que 85 % de ces établissements, étant sous contrat d’association avec l’État, reçoivent théoriquement des enfants non-Juifs, mais en fait, au mépris de l'esprit de la loi, ils n'en admettent qu'une proportion infinitésimale après les avoir triés sur le volet. En effet, « presque partout les secrétariats réclament pour l’inscription des élèves la ketouba, c’est-àdire le document certifiant le mariage religieux des parents prouvant leur confession comme celle de leurs enfants ». À l’institut Andre-et-Rina Neher qui forme des professeurs d’établissements juifs, cette entorse à la loi se justifie de la manière suivante par un responsable : « Ça ne rime à rien d’accueillir des élèves athées ou catholiques pour leur imposer les commandements de la Torah. C’est aussi un moyen de prévenir chez nos enfants les mariages mixtes… Pour le judaïsme c’est une question de survie ». Face à ces pratiques illégales le manque de courage des responsables politiques est assez habituel. Au ministère, un inspecteur général sous couvert d'anonymat explique ainsi que : « L’éducation nationale montre de fortes réticences à se pencher sur les écoles juives : c'est politiquement délicat. Le recrutement de leurs élèves sur critères religieux représente une discrimination interdite par le contrat d’association, un sacré marqueur de communautarisme, mais qui voudrait lever un lièvre pareil ? » Dans le même rapport certaines remarques sont particulièrement significatives de l’esprit régnant dans ces établissements : « Quand on demande aux élèves de dessiner leur drapeau, dit par exemple une directrice parisienne, ils gribouillent spontanément le drapeau israélien ». Conditionnés dès la petite enfance à être Juifs par les rituels multiples du judaïsme (circoncision, Bar ou Bat Mitsvah, confirmation, mariage…) et à vivre en exil et sur la défensive dans le pays de leur naissance où tout ce qui n’est pas juif est dangereux et impur, 366

. Le Monde moderne et la question juive, Seuil 2006, p. 187. À noter qu’avec cette expression de judéo-gentil Edgar Morin eut à supporter les foudres de sa communauté : il fut poursuivi devant les tribunaux pour ses critiques d’Israël et condamné, avant d’être relaxé par la Cour de Cassation. 367 . Élie Maréchal, Le Figaro du 18/11/2000. 368 . Le Monde de l’Éducation, janvier 2008.

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tiraillés par leur double appartenance, française et juive ou bien française et israélienne369, marqués dans leur chair si ce sont des garçons, portés à rêver d’un ailleurs, ces enfants ghettoïsés mentalement et préparés malgré tout à dominer, ne sont-ils pas d’abord les victimes du judaïsme avant d’être éventuellement celles des goyim ? LES VIOLENCES D’ORDRE PSYCHOLOGIQUE DE LA SOCIÉTÉ JUIVE GHETTOÏSÉE

Les difficultés d’appréhender ce type de violences silencieuses S’il est relativement facile aux historiens de rapporter avec quelque objectivité des violences d’ordre physique, violences d’emblée évidentes, bien localisées dans le temps et l’espace et condamnables d’emblée par la morale commune, il est évident qu’il n’en est pas de même pour les autres violences qui, elles, relèvent de la Parole, des motivations de leurs acteurs avec leurs ressources intellectuelles et morales variées et qui, de plus, sont multiformes. Par ailleurs, ces dernières violences se déterminent et se mettent souvent en œuvre dans la discrétion, voire dans le secret qu’observent des unités fermées sur ellesmêmes, inaccessibles aux non-initiés, dont le judaïsme avec son communautarisme particulièrement développé offre un exemple caractéristique. D’où les méprises, les soupçons, les erreurs d’appréciation… À ces difficultés il faut encore ajouter le fait que ces violences, en s’exerçant comme ici de façon permanente, entraînent une lassitude des observateurs face à la tâche qui est la leur : tâche de tous les jours, à reprendre sans cesse, jamais achevée. Le phénomène est particulièrement patent à propos de l’interminable conflit palestinien où les observateurs se succèdent de génération en génération tandis que s’éloigne la connaissance des sources de ce conflit, connaissance pourtant indispensable à sa compréhension. C’est donc toujours une entreprise difficile, aléatoire et parfois impossible que de juger de façon parfaitement juste et équitable des violences de cet ordre exercées sur une population. Tantôt ces violences sont surestimées en donnant lieu à des calomnies370, tantôt elles sont sous-estimées, voire totalement méconnues du grand nombre. Un exemple particulièrement caractéristique de cette difficulté est l’existence, dans tous les pays où les Juifs sont présents, de leur représentation, supérieure à celle que voudrait leur nombre, dans les professions élevées de l’échelle sociale. Tantôt cette sur-représentation est jugée comme le fruit d’une solidarité oppressive : c’est peut-être oublier le fait que, plus que la culture chrétienne ou musulmane, la culture judaïque porte les Juifs à étudier et donc à dominer logiquement dans les domaines concernés ; tantôt cette sur-représentation des Juifs n’est pas rapportée à sa cause : l’entente occulte, spontanée ou concertée de certains d’entre eux au nom de la solidarité intra ou inter-communautaire, entente pouvant réaliser une violence caractérisée. C’est dire que les Juifs ont été tout au long de l’histoire en matière de violences autres que physiques, à la fois les victimes de calomnies et de fantasmes et les auteurs, parfois en toute bonne conscience, de violences morales graves à l’encontre des non-Juifs. Les deux phénomènes existent, il convient de ne méconnaître ni l’un ni l’autre. Ni le premier phénomène, comme si les hommes que l’on sait pourtant vulnérables aux idéologies de rencontre n’étaient pas portés naturellement à être racistes, ni le second phénomène, comme si les jugements critiques portés sur les Juifs ou sur le judaïsme tout au long des siècles par nombre de personnalités éminentes : philosophes, historiens, théologiens des diverses 369

. Comme on le sait, tout Juif, quelle que soit sa nationalité, peut être Israélien s’il le désire. . Remarquons que la Franc-maçonnerie, à propos des soupçons qu’elle suscite parfois, a quelque analogie avec le judaïsme. Toutefois, différence notable : ses cercles spécifiques, tout au moins dans certaines obédiences, cultivent certes la discrétion mais non le secret, ne sont qu’entrouverts mais non fermés au commun des mortels contrairement au judaïsme qui engendre une société close. Et son idéal de tolérance et de fraternité, « l’étranger est mon frère », se veut dépassement, loin de la dichotomie de l’humanité propre au judaïsme. 370

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confessions chrétiennes, penseurs des temps modernes Juifs et non-Juifs, n’étaient que grossières affabulations. Les calomnies furent nombreuses mais nombreuses aussi les accusations dont le fondement pouvait être juste même si leur forme peut apparaître aujourd’hui parfois discutable. On sait que le vocabulaire employé est très tributaire du temps et que l’inflation des termes propre à une époque peut faire que des accusations non dépourvues de fondement soient considérées à tort comme fausses, suspectes ou insignifiantes. Solidarité et violences d’ordre psychologique Remarquons que dans les États de droit, et plus encore dans les sociétés intellectuellement avancées et minoritaires, ce sont évidemment les violences autres que physiques qui vont être d’emblée privilégiées par les communautés principalement désireuses, dans leur volonté de puissance, de promouvoir leur influence dans quelque domaine de la vie en société. Dans le judaïsme – comme dans toute tradition religieuse sûre d’elle-même – le facteur de rassemblement et de solidarité est d’abord représenté par les mythes fondateurs spécifiques, mais à ces données vient s’ajouter ici un élément d’une particulière prégnance et qui porte particulièrement au communautarisme et à l’exaltation du peuple en tant qu’entité unique : l’élément racial. De multiples domaines sont évidemment concernés par ces violences destinées, comme les violences physiques mais par d’autres moyens, à inférioriser, voire à détruire un adversaire. Fruit de la rhétorique et de la dialectique à la recherche du « Verbe qui subjugue ou qui "tue" », du projet à élaborer, de l’intrigue à nouer ou du scénario à mettre en œuvre, ces violences vont s’exercer notamment dans les secteurs de l’information et de la propagande avec la diffusion de fausses nouvelles, de la politique et de la diplomatie avec des alliances de circonstance et l’utilisation de sophismes, de la finance et du commerce avec des ententes condamnables, de l’espionnage (cette « institution centrale » d’Israël comme disait Yeshayahou Leibowitz), de la corruption, de la guerre… etc. Voyons donc, à partir de données rapportées par les historiens, quelques exemples illustrant ce type de violences par solidarités communautaires suscitées par le judaïsme chez certains des siens et accompagnées parfois d’un racisme anti-Juifs de riposte. Nous verrons aussi, plus avant, celles qui sont relatives à la colonisation-accaparement de la Palestine dans le cadre du sionisme. Redisons qu’il ne s’agit pas ici de juger et à plus forte raison de condamner des personnes, mais d’expliquer le rôle de la culture juive dont elles sont tributaires, culture qui les informe et les conduit à des comportements répréhensibles suivant la morale commune. Le premier exemple retenu se situe au moment de la guerre de 1870 entre la France et l’Allemagne. Pour soutenir leur effort de guerre respectif, les deux gouvernements font alors des emprunts auprès des banques. Fait particulier, l’emprunt de guerre français a un succès considérable auprès des banquiers allemands, Juifs pour la plupart371, tandis que l’emprunt de la Confédération d’Allemagne du Nord est boudé par la Bourse de Berlin, également aux mains des Juifs372. Cet épisode, témoin de « la redoutable puissance financière » des Juifs dont parle quelques années plus tard Theodor Herzl373, vit des Juifs agir contre les intérêts manifestes de leur pays et donna assurément du grain à moudre aux penseurs antisémites allemands de la fin du XIXe siècle. Le second exemple de violences se situe à l’occasion de la guerre de 1914-1918 371

. Selon l’historien Gérald Messadié, dans Histoire Générale de l’antisémitisme, p. 353 : « En 1807 les juifs possédaient 30 des 52 banques de Berlin et en 1862, 550 des 662 banques de Prusse ». 372 . L’antisémitisme à l’époque bismarckienne et l’attitude des catholiques allemands in De l’antijudaïsme antique à l’antisémitisme contemporain, pp. 166 et 177. 373 . L’État juif in Sionismes. Textes fondamentaux, p. 51.

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Ces violences, qui ont quelque analogie avec celles rapportées lors de la guerre de 1870, sont dirigées contre les intérêts de l’Allemagne par des Juifs allemands ou d’origine allemande. En 1916, l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie sont sur le point de gagner la guerre tant leurs forces sont supérieures à celles de la France dont le territoire est largement envahi et à celles de la Grande Bretagne particulièrement affectée par le blocus entraîné par les sous-marins allemands. La situation financière des deux pays est catastrophique, leurs réserves monétaires ne sont plus que de quelques semaines et la situation militaire apparaît très défavorable. À tout moment le front peut être rompu en faveur de l’Allemagne, d’autant plus que celle-ci est libérée sur le front de l’Est. La Russie, où débute la révolution bolchevique, s’est effondrée militairement. À ce moment là, l’Allemagne propose à la Grande Bretagne une paix négociée. Les dirigeants de celle-ci hésitent sur la réponse à donner : « les uns comme Lloyd George sont partisans d’emprunter largement pour continuer la guerre, les autres, comme Sir Edward Grey, veulent qu’on profite des propositions de paix que le Président des États-Unis ne manquera pas de lancer après les élections de novembre 1916 pour arriver à une paix de compromis, seule façon, à leur avis, de sauver la Livre et d’échapper aux conditions humiliantes que le pays, arrivé au bord de la faillite, serait peut-être obligé d’accepter par la suite. En novembre 1916, les partis sont tranchés : ce sont les jusqu’au-boutistes qui l’emportent »374. C’est alors que les Juifs sionistes américains, britanniques, voire allemands, dont nombre avaient pourtant trouvé asile en Allemagne en 1905 après avoir été victimes de persécutions en Russie, usèrent de toute leur influence près du cabinet de guerre britannique. « Vous pouvez encore gagner la guerre si les États-Unis deviennent votre allié. Si vous nous promettez la Palestine après la victoire sur l’Allemagne, l’Autriche et la Turquie, nous vous garantissons de les faire entrer dans la guerre à vos côtés »375. Tel fut le marché proposé à la Grande Bretagne en octobre 1916. Il faut noter par ailleurs que les masses juives américaines, notamment les banquiers dont un grand nombre, tel Kuhn Loeb, étaient d’origine allemande, avaient pris initialement le parti de l’Allemagne, persuadées qu’elles étaient de la victoire de celle-ci devenue en quelques dizaines d’années, notamment par son industrie, une des plus grandes puissances du monde. De plus, les Juifs américains, comme les Juifs allemands, contrôlaient une partie notable de la Presse et des moyens de communication de leur pays. « Dès le début de la guerre, écrit l’historien P. Prévost376, les Alliés se sont souciés bien entendu d’emprunter aux grandes banques américaines, en partie juives. La mission qui fut envoyée aux États-Unis dans ce but, était composée du côté français d’Octave Homberg et d’Émile Mallet, Régent de la banque de France. Très habilement les Anglais désignèrent Sir Edward Holden, président d’une banque privée, et Lord Reading, né Rufus Daniel Isaacs. Mais cela ne suffit pas pour amadouer les banquiers israélites. Les alliés eurent beaucoup de mal à placer leurs emprunts ». Le puissant soutien financier apporté à l’Allemagne depuis le début de la guerre était d’autant plus notable que, parallèlement, les banquiers en question refusaient de financer la Grande Bretagne et la France en tant qu’alliés de la Russie tsariste qui persécutait les Juifs. La Grande Bretagne avec Llyod George, son Premier ministre, décide de refuser les propositions de paix de l’Allemagne et de continuer la guerre en lançant de nouveaux emprunts. C’est dans cette perspective que Lord Balfour ministre des Affaires étrangères, à la 374

. Philippe Prévost, La France et l’origine de la tragédie palestinienne. p. 102. C’est de cet ouvrage que sont tirées la plupart des données sur ce sujet. 375 . Benjamin H. Freedman, The Hidden Tyranny. 376 . Op. cit., 101.

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recherche d’un financement, se rend au printemps 1917 aux États-Unis. Il y fait d’emblée l’expérience de la toute puissance des Juifs et spécialement des Sionistes, particulièrement présents dans l’entourage du président Wilson. L’ambassadeur anglais Spring-Rice, trop lié aux républicains, doit d’ailleurs être remplacé par Lord Reading, de religion juive et sioniste convaincu. Et les États-Unis entrent en guerre le 6 avril 1917. « Il faut remarquer, précise l’historien, que l’entrée en guerre des États-Unis suivit de peu l’abolition de la monarchie en Russie le 16 mars. Cette coïncidence n’était pas due au hasard. Hostiles jusqu’alors à toute alliance avec les pays de l’Entente et profondément germanophiles, les masses juives américaines et leurs dirigeants leur devinrent soudain favorables. De ce point de vue, le changement d’attitude de la banque Khun Loeb et Cie parle mieux que de longs discours »377. Et, avec l’aide de la puissance industrielle et militaire des États-Unis, la Grande Bretagne, la France et leurs alliés remportèrent la victoire finale tandis que l’Allemagne, l’AutricheHongrie et la Turquie étaient vaincues et qu’elles devaient subir, par la suite, la loi de vainqueurs particulièrement exigeants. En définitive, c’est à la conférence de la paix, en 1919, à laquelle étaient présents 117 Juifs dont Benjamin H. Freedman (Juif converti au christianisme, témoin direct de l’action du mouvement sioniste près du président Wilson) que la déclaration Balfour est produite devant l’ensemble des nations présentes et notamment devant les Allemands qui réalisent pour la première fois la machination dont ils ont été victimes et à laquelle, non sans quelque raison, ils attribuent leur défaite. Ils parleront de nouveau de la trahison des Juifs allemands, ce qui ne sera pas sans influencer Hitler et les siens lesquels, en négligeant le patriotisme du grand nombre, leur appliqueront systématiquement le concept d’ « ennemis de l’intérieur » qu’avait formulé quelque temps auparavant le philosophe Heidegger378. Par ailleurs, avec les promesses inconsidérées de la Grande Bretagne par l’intermédiaire de Lord Balfour, de donner à la fois aux Juifs sionistes un « foyer national » et aux Arabes « l’indépendance en Palestine »379, le conflit du Moyen-Orient allait s’aggraver inexorablement avec les années. La Palestine passe alors sous domination de la Grande Bretagne en vertu du Mandat de la Société des Nations. Une nouvelle période s’ouvre : aux violences morales vont venir s’ajouter, de la part des colons et des Britanniques, des violences physiques caractérisées. Le troisième exemple de violences morales retenu se situe en avril 1947 La Palestine est alors administrée par la Grande Bretagne. À cette date s’y déroulent les travaux des membres d’une Commission d'enquête internationale (l’UNSCOP) créée par l’ONU à la recherche d’une solution pour la Palestine que les Juifs sionistes ont entrepris (depuis quelque cinquante ans) de conquérir et où se déroulent quotidiennement des heurts sanglants avec les habitants se voyant refoulés progressivement et dépouillés de leurs terres. 377

. Op. cit., p. 103. . « L’ennemi est celui qui fait planer une menace essentielle contre l’existence du peuple et de ses membres. L’ennemi n’est pas nécessairement l’ennemi de l’extérieur, et l’ennemi extérieur n’est pas nécessairement le plus dangereux. Il peut même sembler qu’il n’y ait pas d’ennemi du tout. L’exigence radicale est alors de trouver l’ennemi, de le mettre en lumière… » (L’essence de la vérité, éd. Klostermann, p. 90-91). Quant à Staline il déclare en 1952 que « tout juif est un ennemi potentiel à la solde des États-Unis ». 379 . Alors que le judaïsme français officiel est alors violemment opposé au sionisme (et qu’il devait le rester jusqu’après la guerre de 1940-1945), on peut noter que les chefs de l'Organisation sioniste internationale arrivant à Paris peu après l’armistice de novembre 1918, pour la Conférence de la Paix débutant le 29 février 1919, furent reçus par la Ligue locale des Amis du Sionisme. L’Organisation sioniste dirigée par Nahum Sokolow installa ses bureaux et fonda immédiatement une revue, La Palestine nouvelle, qui, du 15 décembre 1918 au 15 août 1919, fut l'organe officiel à Paris de l'Organisation sioniste au cours des débats de la Conférence de la Paix. (André Spire, Souvenirs à bâtons rompus, Albin Michel 1962, propos rapportés par P. Prévost). 378

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Cet exemple concerne l'affaire de l'Exodus, du nom d’un vieux bateau affrété par une armée clandestine juive, la Haganah. La perspective de cette organisation est de contraindre les Britanniques à admettre en Palestine les 4 500 Juifs passagers de ce bateau, toutes personnes déplacées d’Europe centrale ou rescapées des camps nazis. Les Britanniques, qui ont payé depuis quelques années un lourd tribut aux actions terroristes sionistes, notamment dans les rangs de leur armée et ont pris la juste mesure des organisations criminelles en cause, s’opposent au débarquement des passagers et les transfèrent à bord de bateaux britanniques qui, après une escale en France, les conduisent en définitive à Hambourg, alors sous l’autorité britannique d’occupation de l’Allemagne. C’est alors, pendant ces semaines émaillées de péripéties diverses, que l'Agence juive et les multiples réseaux sionistes lancent à travers toute l'Europe, l’Amérique du Nord et de l’Amérique du Sud, par la Presse et la radio, une propagande anti-britannique à la fois d’une ampleur jusque là inédite et d’une violence extrême. Cette propagande à base d’informations relatives notamment au comportement brutal des Britanniques à l’égard des passagers, informations que l'on sait aujourd'hui en grande partie mensongères, est destinée à s’attirer la sympathie de l’opinion internationale dans une perspective unique : la conquête programmée de la Palestine sur laquelle ils ont jeté leur dévolu. À propos de l'exploitation de l’Exodus par l'intelligentsia juive, exploitation qui a représenté un entraînement efficace pour la propagande internationale qui devait présider bientôt à la création de l’État d’Israël, Christopher Sykes a pu écrire : « Exodus 1947 fut parmi les plus importants succès du sionisme avant la naissance de l'État d'Israël. Il devint le sujet d'une saga, avec un livre et un film, ayant autant de ressemblance avec les événements en cours que l'Iliade d'Homère avec le siège de Troie »380. Un dernier exemple des violences d’ordre psychologique nous est fourni par la création à l’arraché de l’État d’Israël Décidée par l’ONU en novembre 1947, elle fut le résultat, de la part des organisations juives acquises à la cause sioniste, de forces verbales considérables et de multiples manœuvres diplomatiques aussi habiles que contraires à la morale commune. Les éléments historiques désormais bien connus ne seront pas repris ici381. Disons néanmoins que cette forfaiture légale, où une population est dépossédée de sa terre au profit d’une autre, a été la résultante, de la part des organisations sionistes, de violences d’ordre moral et psychologique inédites et caractérisées. Citons notamment : • les pressions exercées par les unités sionistes sur les gouvernements non acquis à leur cause ; • les menaces de boycott envers certains pays s’ils ne votaient pas en faveur d’un État juif ; • la corruption de certains représentants de ces nations ; • l’utilisation de personnalités chrétiennes éminentes mais inconscientes de la dangerosité de la cause sioniste à laquelle ils apportent leur caution382 ; • le mensonge répandu dans toute l’opinion internationale avec le slogan : "la Palestine : une terre sans peuple pour un peuple sans terre"383 ; 380

. Propos rapportés dans Le péché originel d’Israël, p. 33. . La littérature sur ce sujet est évidemment considérable. On peut en trouver un résumé ainsi qu’une bibliographie dans mon ouvrage Le sionisme en Palestine/Israël, fruit amer du judaïsme, Éd. Bénévent 2004. 382 . Le cardinal Spelmann de New-York fut une de celles-là. Sur la suggestion de sionistes américains il parcourut l’Amérique du Sud pour convaincre les dirigeants des différents pays catholiques de voter en faveur de la création d’un État juif en Palestine. Par la suite, devant les exactions répétées d’Israël, il devait regretter amèrement sa démarche. 383 . Philippe Prévost (Op. cit. p. 213) écrit à ce sujet : « Parmi tous les Arabes, les Palestiniens, grâce aux nombreux écoles et collèges fondés par les religieux et par les religieuses français, étaient avec les Libanais « les plus évolués de l'Empire ottoman. Artisans et commerçants dans les villes - Jérusalem, Jaffa, Ramlé, Haïfa, Gaza, Nazareth, Naplouse - ils avaient même créé de petites industries : huileries, savonneries, verreries. La 381

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• l’exploitation de la mise en valeur de la terre de Palestine par les colons juifs comme argument en faveur d’un État juif ; • l’utilisation du génocide juif pour promouvoir ce même État ; • l’exploitation de la culpabilité des Occidentaux dans l’extermination des Juifs ; • le mépris souverain pour les populations non-juives… LA DOMINATION PAR LE LANGAGE

L’esprit de domination peut se traduire de mille manières et utiliser bien des armes. Parmi celles-ci il en est une particulièrement subtile : l’arme sémantique. Deux mots : "Shoah" et "Holocauste", sont particulièrement caractéristiques à cet égard. La "Shoah" et "l’Holocauste" ou le "génocide des Juifs d’Europe " Selon la définition des dictionnaires, le génocide est l’extermination systématiquement organisée de communautés civiles choisies selon les critères de nationalité, de race, de religion ou d'idéologie.384 Le XXe siècle en a fourni un certain nombre d’exemples qui sont généralement rapportés dans la littérature journalistique de la manière suivante qui ne manque pas d’être instructive. Sont ainsi énumérés successivement : • le massacre des Arméniens (environ un million et demi) par les Turcs en 1915-1916 ; • l’anéantissement de la population de Nankin par les occupants japonais en 1937-1938 ; • la "Shoah" ou "l’Holocauste" concernant les Juifs européens (quelque cinq à six millions) victimes des nazis en 1941-1945 ; • le massacre de plusieurs millions d’Indiens musulmans et hindous au moment de la sécession de l’Inde en 1947-1948 ; • le massacre de la population cambodgienne par les Khmers rouges en 1975-1978 ; On rapporte aussi les massacres à caractère génocidaire tels que : • l’extermination par la famine d’environ dix millions de paysans ukrainiens par le régime soviétique en 1932-1933 ; • le massacre de quelque vingt millions de Chinois lors de la révolution culturelle des années 60 ; • l’élimination au Goulag des opposants au régime communiste d’URSS de 1917 à 1989 (« entre douze et peut-être vingt millions »385) ; • les massacres plus récents du Rwanda, de Bosnie, du Darfour ; ……….. Comme on le remarque d'emblée, les tueries massives d’hommes sont qualifiées généralement de "massacres", d’"exterminations", de "destructions", de "génocides", mots courants auxquels est ajouté quelque qualificatif qui, en précisant le lieu, la date, le contexte… donc les limites des actes perpétrés, en réduit plus ou moins la portée. Avec le temps, ils sont inexorablement voués à s’estomper dans la mémoire collective tandis que le génocide des Juifs, en se voyant attribuer deux noms, noms tout à la fois spécifiques, dotés d'une majuscule et dépourvus de tout élément complémentaire, reçoit un éclairage inédit pour un avenir qui se veut unique. "Shoah" Désigner l'extermination par les nazis d’une fraction notable de la communauté juive d'Europe par le terme de "shoah", terme qui en hébreux signifie catastrophe, relève a priori paysannerie était relativement florissante le long de la côte méditerranéenne, dans la plaine d'Esdraelon et dans la vallée du Jourdain, pauvre en Judée ; elle cultivait les orangers, extrêmement denses autour de Gaza, les oliviers, les figuiers, la vigne, le blé ». En 1914, la Palestine était donc à l'orée du décollage économique ». 384 . Dans sa convention de 1948, l’ONU, quant à elle, définit le génocide comme « la destruction, en tout ou en partie, d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». 385 . Anne Applebaum, Goulag, une histoire, Grasset, 2005.

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d'une initiative tout à fait respectable pour perpétuer la mémoire d'un génocide particulier à plus d'un titre dans la longue chronique des inhumanités du monde. Cependant, un phénomène particulier allait se manifester à la suite de cette initiative. Par sa création exceptionnelle en tant que mot emblématique, par sa promotion non moins exceptionnelle assurée par les multiples communautés juives dispersées à travers le monde, la "Shoah" dotée d’une majuscule allait en quelques années, avec le support des journaux et des moyens audiovisuels modernes,386 devenir non seulement un élément linguistique universellement connu mais désigner dans l'esprit d'un grand nombre d'individus, non pas un génocide parmi d'autres ou un génocide-type mais, comme l'ont voulu ses promoteurs, le génocide princeps, l'Unique, l'Indépassable, l'Absolu, celui qui éclipse ou écrase à jamais tous les autres. Et le phénomène s'est poursuivi et amplifié. Avec le temps, à une utilisation qui pouvait être légitime a succédé une exploitation par les plus hautes instances du judaïsme pour qui il ne s'agit plus seulement de conserver pieusement une mémoire mais de retirer le maximum de dividendes, notamment pour l'entreprise sioniste israélienne. Ainsi sont nées, de la part d’« un leadership aussi furieux qu'ignare » (selon l'expression de Raul Hilberg, auteur de ce qu’il nomme avec une sobre précision La destruction des Juifs d'Europe), cette Shoah-business des Américains servant « à tous les usages possibles, politiques ou commerciaux »387, cette Shoah-religion au service d’un colonialisme expulseur et d’un apartheid caractérisé, cette instrumentalisation de la Shoah stigmatisée depuis quelques années par quelques auteurs juifs particulièrement lucides et courageux388. Shmuel Trigano389 précise même qu’ « il existe une sphère institutionnelle de la Shoah » faite « d’institutions, chaires universitaires, musées, revues, fonds de recherche, etc » et que « les entreprises qui se consacrent à sa commémoration bénéficient de moyens très importants ». Et ce même auteur de s’interroger : « Les Juifs ne trouveraient-ils aujourd’hui d’énergie que pour la sacralisation de leur souffrance victimaire, dont ils semblent ne pas pouvoir (ni vouloir) sortir puisqu’ils la tabouisent dans l’éternité ? » S’il convient de ne pas oublier ce que fut la catastrophe ainsi désignée, paroxysme de siècles de persécutions, il reste, selon les mots de Esther Benbassa390, que « l’unicité mise en avant aujourd’hui, l’idée que le génocide juif serait, devrait être absolument unique, ne revêt aucun sens ». "Holocauste" Les dictionnaires nous disent qu'un holocauste est, au sens propre, un sacrifice religieux où la victime est offerte à Dieu par quelque sacrificateur et détruite ensuite par le feu. Au sens figuré, on a pu désigner par ce terme une destruction massive d'hommes. Churchill a parlé de l'"holocauste arménien" par les Turcs en 1915 ; un auteur de science-fiction a entrevu et décrit un "holocauste nucléaire"... Dans le discours courant émanant du monde juif, le génocide des Juifs européens est donc vu, non pas comme un "holocauste" ou l'"holocauste des Juifs européens", mais comme l'"Holocauste". Il ne fait pas de doute tout d'abord que les promoteurs de ce terme ont voulu dépasser le sens figuré et réinvestir le sens propre. Alors qu'il n'y a eu ni volonté de se sacrifier de la part des Juifs, ni volonté d'offrir un sacrifice à Dieu de la part des nazis, il est manifeste que le mot se propose de réintroduire une notion religieuse et plus précisément sacrificielle, d'attribuer 386

. D’abord le film de Claude Lanzmann « Shoah » en 1985. . Batya Gour, Dans la tourmente, Nouvel Observateur, N° 1986 du 28/11/02. 388 . Citons notamment Esther Benbassa dans son article de Libération du 11/09/00 : La Shoah comme religion ; Edgar Morin, Nair Sami et Danièle Sallenave dans leur article de Le Monde Horizons Débats du 4 juin 2002 : Israël-Palestine : le cancer. 389 . Un exil sans retour, p. 305. 390 Les Juifs ont-ils un avenir, p. 99. 387

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aux victimes un destin spécifiquement divin, de sacraliser un fait historique en lui donnant une dimension trans-historique, de l’élever en somme au rang de « phénomène métaphysique »391 dans lequel les Juifs sont des victimes transcendantales. Le judéocide perpétré par les nazis n'a-t-il pas été vu par certains Juifs comme une révélation à l'envers (selon l'expression d'Ernst Nolte), voire comme une religion par Y. Leibowitz ? D’ailleurs, pour Gilad Atzman392, cette religion holocaustique n’a-t-elle pas ses prêtres (Simon Wiesenthal, Elie Weisel, Deborah Lipstadt...), ses prophètes (Shimon Peres, Benjamin Nethanyahu et ceux qui mettent en garde contre le judéocide iranien…), ses commandements et ses dogmes ("plus jamais ça" ; "les six millions"…) ? N’a-t-elle pas non plus ses rituels (journées commémoratives, pèlerinages à Auschwitz....), ses autels et ses temples (Yad Vashem, Musée de l’Holocauste et, même depuis peu, l’Onu !), voire ses "antéchrists" (les Négationnistes) ? Mais il y a plus que cette présentation de l'histoire : l’"Holocauste" (comme le mot précédent de "Shoah") veut désigner, s’approprier à tout jamais une singularité absolue et faire du martyre juif le paradigme de la souffrance humaine. Utilisé pour la première fois sans aucun complément, devenu porteur d’une majuscule alors qu’il ne comportait jusqu’ici qu’une minuscule, introduit subrepticement dans certains dictionnaires bien que non adopté par les historiens, devenu le titre d’un film américain de grande diffusion, "Holocauste" se propose, non seulement de rajouter quelque chose au génocide en question, mais de monopoliser à jamais l'Horreur subie par les Juifs en éclipsant toutes les horreurs du passé subies par les autres (notamment l'extermination des Tziganes ou la Traite des Noirs), voire en éclipsant par avance toutes les horreurs du futur. Comment être surpris que L'Industrie planétaire de l'Holocauste, avec son réseau économique massif et ses infrastructures financières aux ramifications mondiales vienne, sous la plume de Finkelstein, stigmatiser – notamment aux États-Unis et en France – un lobby activiste ? Et comment les exactions de ce lobby pourraient-elles ne pas engendrer une hostilité envers les Juifs ? L’éditorialiste de Jewish Chronicle de juillet 2000 a pu écrire à ce sujet : « L'industrie de l'Holocauste est la grande pourvoyeuse de l'antisémitisme, par l'extorsion féroce qu'elle mène et par sa manière de falsifier l'Histoire ». Rapprochons de ces considérations la célébration des "Justes parmi les nations", instituée en Israël en 1953 et reprise depuis lors en Europe. Initiative a priori fort louable et intention généreuse que cet honneur rendu à des personnes ayant risqué leur vie pour en soustraire des Juifs aux griffes nazies ! Pourtant, attribuer aux seuls protecteurs des Juifs le mot "Justes" dans une expression issue de la Bible a encore quelque chose de regrettable car cette expression, avec sa charge religieuse et sacrée, ne peut être que sans rivale et sans équivalence. Tout qualificatif susceptible d’être attribué aux multiples personnes ayant risqué volontairement leur vie pour protéger des opposants et résistants au nazisme n’en saurait être qu’un pâle reflet. Notons que les conséquences néfastes dans les esprits des termes utilisés n’ont pas échappé à plusieurs auteurs juifs. Henri Meschonnic393 écrit : Pour en finir avec le mot "Shoah", Jacques Sebag 394 écrit de son côté : Pour en finir avec le mot "Holocauste". En résumé Si pendant les deux millénaires précédant la création de l’État d’Israël les Juifs ont souffert gravement et à de multiples reprises de la part des non-Juifs et notamment des chrétiens, sans 391

. Expression de Maxime Rodinson dans Peuple juif ou problème juif, p. 7. . Dans son article : De la Reine Esther à l’Aipac. 393 . Le Monde du 21 février 2005. 394 . Le Monde du 27 janvier 2005. 392

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parler bien entendu des nazis, avec les massacres, les expulsions, les conversions forcées, souffrances sans commune mesure avec celles dont ils ont pu être responsables, s’il est souvent difficile, au cours de cette longue période, de déterminer la source des violences dans le cercle vicieux qui, en la matière, s’établit généralement entre les protagonistes, il reste que le judaïsme-culture – en fournissant aux Juifs et aux non-Juifs un terrible ingrédient : la vision d’une altérité radicale d’ordre racial qui sous-tend le ghetto volontaire du monde juif – est directement responsable chez les siens d’un racisme s’exprimant le plus souvent par des violences autres que d’ordre physique et banalement responsable d’antisémitisme réactionnel.

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CHAPITRE VII – L’APARTHEID INSTITUTIONNEL SIONISTE EN ISRAËL ET DANS LES TERRITOIRES COLONISÉS Si le terme apartheid (terme afrikaner signifiant séparation) a été créé pour désigner le régime qui a sévi en Afrique du Sud entre 1948 et 1991, il est clair qu’il peut s’appliquer à d’autres régimes, particulièrement à celui qu’ont connu les États du Sud des États-Unis de 1907 à 1969 et à celui institué en Palestine en 1948 par l’État sioniste395, ce dernier comportant quant à lui, non plus la Séparation entre Blancs et Noirs mais la Séparation entre Juifs et non-Juifs. Reposant sur une donnée raciale et réalisant toujours une atteinte caractérisée à la dignité des personnes avec les contraintes et les violences qui l’accompagnent obligatoirement, ce régime a été reconnu par le droit pénal international comme un crime contre l’humanité. Pour la "Convention sur l'Élimination et la Répression du crime d'Apartheid", il se définit précisément comme « une politique et un système de ségrégation et de discrimination raciale » ayant pour but ou conséquence « d'établir et de maintenir la domination d'un groupe d'êtres humains sur un autre et de l’opprimer »396. ISRAËL : UN ÉTAT STRUCTURELLEMENT SÉGRÉGATIONNISTE ET VIOLENT

L’époque moderne, avec l’État juif de Palestine, nous apporte des données particulièrement caractéristiques et concrètes sur les violences de tous ordres de type raciste suscitées par les éléments pernicieux du judaïsme passés dans l’idéologie sioniste. De multiples expressions conjuguant la métaphore du « métal dur » témoignent avec éloquence de cette violence propre à la société ségrégationniste d’Israël : Rabin, Premier ministre, lance en 1975 la politique de « la main de fer » (Hayad Barzel), Raphaël Eitan, son successeur comme chef des armées, impose le « bras d’airain » (Zrdaa Barzel), l’opération de purge des camps de Sabra et Chatila est appelée le « cerveau d’acier » (Moah Barzel). C’est le « poing de fer » (Egrouf Barzel) que Rabin utilise de nouveau comme base de sa politique de répression et de représailles collectives face au soulèvement palestinien de 1987-1988 en Cisjordanie et à Gaza. L’opération de décembre 2008-janvier 2009 dénommée « plomb durci », menée par terre, par air et par mer fait quelque 1 400 de morts et une dizaine de milliers de blessés dans la prison à ciel ouvert qu’est la bande de Gaza. Dès 1923, l’homme éminent que fut Jabotinsky, fondateur du sionisme révisionniste, utilisait déjà cette même métaphore dans son ouvrage The Iron Wall (Le Mur d’acier) et décrivait l’esprit du processus de conquête qu’il convenait de mettre en œuvre pour la pleine possession de la Palestine : « Nous ne pouvons offrir aucune compensation contre la Palestine, ni aux Palestiniens, ni aux Arabes. Par conséquent un accord volontaire est inconcevable. Toute colonisation, même la plus réduite, doit se poursuivre au mépris de la volonté de la population indigène. Et donc, elle ne peut se poursuivre et se développer qu’à l’abri du bouclier de la force, ce qui veut dire un mur d’acier que la population locale ne pourra jamais briser. Telle est notre politique arabe. La formuler de toute autre façon serait de l’hypocrisie »397. On sait que ce programme fut suivi à la lettre et que les sionistes n’ont pas hésité notamment à inventer et à recourir au

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. Même pour Henry Siegman, ancien directeur du Congrès juif mondial, « Israël pratique une forme d’apartheid, ou de racisme, qui n’est pas très différente de celle qu’a connue l’Afrique du Sud. Israël » (Nouvel Observateur 14-20 janvier 2010). 396 . Karine Mac Allister, Applicabilité du crime d’Apartheid à Israël, The Interational Solidarity Movement, 13/09/2008. Pour l’ONU dans sa Convention du 3 novembre 1973 le "crime d’apartheid" désigne les actes commis en vue « d’instituer ou d’entretenir la domination d’un groupe racial d’êtres humains sur n’importe quel autre groupe racial d’êtres humains et d’opprimer systématiquement celui-ci ». 397 . Citation rapportée par Ralph Schoenman, L’Histoire cachée du sionisme, Ed. Selio 1988, p. 35.

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terrorisme dans leur « lutte de libération » de la Palestine398. Car le « Tu ne tueras pas » ne s’applique pas dans la circonstance. Comme l’écrit le philosophe Michel Onfray399, « le décalogue vaut comme une invite locale, sectaire et communautaire. Sous-entendu : " toi, juif, tu ne tueras pas de juifs". Le commandement joue un rôle architectonique pour que vive et survive la communauté. En revanche, tuer les autres, les non-juifs, les goyim – le mot signale deux mondes irréductibles – le forfait n’est pas vraiment tuer, du moins ça ne relève pas des dix commandements ». De nombreux rabbins, tel Yisrael Hess, aumônier du campus de l’Université de Bar-Ilan dans un article Le commandement de Génocide dans la Torah du Journal des étudiants, confirment bien que le fait de tuer un non-Juif ne transgresse pas le « Tu ne tueras point » biblique. Car, ici, la guerre n’est pas seulement justifiée mais sacralisée par la culture. Elle est sainte. C’est « le phénomène religieux par excellence », écrit le pasteur et philosophe Olivier Abel. On s’y prépare par le jeûne, la prière, la continence et les rites répétés de purification (Nb, 31, 19). Yahvé Sabaoth, le Dieu des armées d’Israël, est un guerrier (Ex. 15, 23) : « il bénit la guerre et ceux qui la font ; il sanctifie le combat, le mène, le conduit en inspirant son peuple ; il justifie les crimes, les meurtres, les assassinats, légitime la destruction des innocents […] Aux ennemis il promet la destruction totale, la guerre sainte selon l'expression terrifiante et hypermoderne du livre de Josué »400. « Dieu est avec nous » proclame le Deutéronome (20, 4) dans les combats sanglants contre les ennemis. Et en temps de guerre « il n’y a pas de civils innocents chez l’adversaire »401. Yahvé, le Dieu jaloux de la Bible, cruel pour les peuples autres que celui qu’il s’est choisi, est en effet tout autre que le Dieu-Père décrit dans l’Évangile. Dans la qualification de toutes les violences et indépendamment de leur niveau d’intensité, il convient par ailleurs de tenir compte de la vision que les agresseurs ont des agressés, c’està-dire de la prime raison qui sous-tend l’action violente et qui conditionne grandement l’avenir, c’est-à-dire notamment la réconciliation éventuelle ou la non-réconciliation des antagonistes. Or la vision dictée par le sionisme est celle-ci : la Terre de Palestine appartient aux Juifs, et à eux seuls, en tant que constituants de l’entité juive et en vertu du mythe ancestral de l’Élection, mythe que « tous les écoliers israéliens, à partir de la Bible étudié comme un manuel d’histoire, intègrent comme une vérité historique »402. C’est dire que si les Palestiniens étaient chrétiens, bouddhistes, athées ou autres, la vision des Juifs sionistes à leur égard ne serait pas différente : tous auraient à souffrir et à expier de ne pas être nés Juifs comme d’autres ont eu à souffrir et à expier de n’être pas Aryens. Car, ainsi que l’écrit Bernanos, « les races n'ont pas de cœur, Elles se vantent d'être pures et, en effet, elles ne sauraient faillir, puisqu'elles sont à elles-mêmes leur propre fin »403. Si l’« État juif avec canons, drapeaux et médailles », que Stefan Zweig404 voyait en rêve avant de se suicider, est un concentré de haine raciale et de violence, si, comme l’écrit Y. Leibovitz405 « la violence est l’essence de l’État d’Israël », ce que confirmeront nombre de Juifs courageux, ce phénomène est dans la logique des choses : seule, parmi toutes les grandes traditions spirituelles, la religion judaïque a inventé et promu deux races humaines 398

. Remarquons, par exemple, que trois Premiers Ministres d’Israël furent des responsables au plus haut niveau de ce terrorisme : Menahem Begin en tant que commandant de l'Irgoun, Itzhak Shamir, en tant que chef des opérations du groupe Stem, Itzahk Rabin en tant qu’officier de la Haganah. 399 . Traité d’athéologie, p. 198. 400 . Ibid., p. 216. 401 . Pour le conseil rabbinique Yesha lors de l’invasion du Liban en juillet 2006, « tous les débats issus de la moralité chrétienne affaiblissent l’esprit de l’armée et de la nation et entraînent un coût en sang de nos soldats et de nos civils ». 402 . information rapportée par Shlomo Sand, Le Point du 06/09/2012. 403 . Le Chemin de la Croix-des-Âmes, p. 224. 404 . Lettre à Martin Buber rapportée par Sylvie Courtine-Denamy dans Le souci du monde, p 127. 405 . La mauvaise conscience d’Israël, p. 119.

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fondamentalement étrangères l’une à l’autre et deux seules : les Élus et les Autres, les Hébreux et le reste du monde, les Juifs et les non-Juifs. Nous n’avons pas à revenir ici sur l’ensemble des violences de l’apartheid israélien depuis sa création, que ces violences soient d’ordre physique avec les guerres et les crimes de guerre, les spoliations, les expulsions406, l’épuration raciale, la torture407, les enlèvements, les meurtres d’État délibérés, les assassinats clandestins et ciblés, les emprisonnements préventifs, les contraintes humiliantes408, les punitions collectives… ou bien quelles soient d’ordre moral ou psychologique tels le mensonge sur l’histoire409, l’information falsifiée, l’espionnage savant, la corruption des Palestiniens pauvres ou peu instruits. Ne parlons pas non plus des violences de la colonisation ayant précédé la création de l’État d’Israël… Toutes ces violences, exercées généralement avec l’aval des rabbins, sont décrites dans de multiples études, articles, revues, ouvrages qu’il est facile de consulter… Nous examinerons seulement ici des violences d’ordre purement juridique et sémantique. L’ARSENAL JURIDIQUE AU SERVICE DE LA SÉGRÉGATION ET DE LA COLONISATION

Si les Nations Unies, malgré leurs multiples résolutions, se sont abstenues depuis 1948 par une faiblesse insigne d’appliquer la moindre sanction pratique envers cet État qu’elles ont créé d’autorité, elles ont néanmoins dénoncé à de nombreuses reprises les lois porteuses de discriminations raciales caractérisées et générant deux entités distinctes de citoyens : les Juifs, citoyens à part entière, les non-Juifs, citoyens de seconde zone au statut subalterne. Parmi la quarantaine de lois ségrégationnistes ayant été recensées, lois qui concernent les terres, la planification, la citoyenneté, les budgets, le statut économique et social, l’éducation, l’identité, citons notamment : • la loi du Retour de 1950 qui accorde systématiquement aux Juifs du monde entier la citoyenneté israélienne alors que les réfugiés arabes n'ont pas le droit de revenir en Israël sur leurs propres terres410 ; • les lois qui interdisent la participation aux élections de tout parti arabe n'ayant pas reconnu le caractère juif de l'État ; • la loi interdisant les mariages entre Juifs et non-Juifs ; • la loi suivant laquelle les citoyens arabes d'Israël ayant épousé des non-israéliens se voient refuser la réunification familiale ; 406

. Expulsion ou ce qui en tient lieu : l’interdiction de retourner chez eux après un séjour à l’étranger. Selon le quotidien israélien Haaretz, il suffit qu’un Palestinien de Gaza ou de Cisjordanie quitte quelques années son domicile pour qu’Israël lui retire définitivement son "droit de séjour" ! Entre 1967 et 1994, 100.000 résidents de Gaza et 140.000 résidents de Cisjordanie, ayant quitté le territoire ont eu l’interdiction de revenir, beaucoup d’entre eux étaient des étudiants ou de jeunes professionnels travaillant à l’étranger pour soutenir leur famille. 407 . À propos de la torture pratiquée en Israël, Georges Steiner parle « de sauvagerie et de corruption car n'oublions pas, poursuit-il, que chaque fois qu'un juif humilie, torture ou expulse de son foyer un autre être humain, il accorde à Hitler une victoire posthume » (De la Bible à Kafka, p. 33). 408 . Cécile Winter peut écrire : « Le camp de détention d’Offer n’est pas un camp d’extermination, mais il ressemble beaucoup aux camps de concentration allemands des années trente, avec ses barbelés, ses miradors, ses masses de détenus apeurés, dénués de droits et parqués dans des conditions véritablement inhumaines » (Circonstances, 3 Portées du mot "juif", p. 118). 409 . Plusieurs nouveaux historiens ont en effet démontré, par exemple, que la version israélienne selon laquelle les Palestiniens se sont enfuis en 1948 à l’appel de leurs dirigeants était dépourvue de fondement et qu’il s’est agit généralement d’expulsions selon un plan largement préparé à l’avance. Ainsi, « Des hommes libres, les Arabes, partirent en exil comme de misérables réfugiés, les Juifs s’emparèrent des maisons des exilés pour commencer leur nouvelle vie d’hommes libres » (Tom Ségev, Le septième million, p. 218). 410 . Dès la fin de la guerre en 1948 une instruction lapidaire de l’état-major israélien, à propos des réfugiés massés au-delà de la ligne de cessez-le-feu, est celle-ci : « Tirez sur les infiltrés », le terme d’ « infiltré » étant appliqué à tout Palestinien tentant, fût-ce pacifiquement, de rentrer chez lui. (Ilan Halevi, Question juive, p. 278).

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• les lois d'urgence qui permettent la confiscation de terres appartenant aux Arabes ; • les lois qui interdisent aux Arabes d'acheter des terres à des Juifs ; • la loi selon laquelle les propriétés d'État ne peuvent être cédées qu’à des colons411 ; • la loi sur l'éducation qui fixe parmi ses objectifs la promotion de l'idéologie sioniste ; • la loi qui interdit aux non-Juifs d'habiter certaines villes ou d’occuper certains emplois ; • la loi qui permet aux seuls Juifs de garder leur ancienne citoyenneté après être devenus citoyens israéliens. --------------À ces lois viennent s’ajouter de multiples interdictions ou dispositions prises par les autorités à l’encontre des non-Juifs. Tout un dispositif juridique sophistiqué, bien décrit notamment dans les rapports d'Amnesty International, est ainsi utilisé depuis 1948 au service des expulsions, des expropriations de terres, des destructions, par le feu ou les bulldozers, de centaines et de centaines de maisons palestiniennes, de l'arrachement de milliers et de milliers d’oliviers, de l'accaparement systématique de l'eau au bénéfice des seuls Juifs, de la destruction des archives et des cadastres. La Palestine des Arabes, rongée colline après colline, mètre carré après mètre carré, se rétrécit ainsi chaque jour du fait d’une colonisation d’une ingéniosité inédite412 et repoussant toujours plus loin la frontière. Au début du XXIe siècle 3.400.000 Palestiniens avaient été privés de leur terre413. Edward W. Saïd (professeur de littérature à l'Université de Columbia aux États-Unis), à l'occasion d'un voyage en Cisjordanie, pouvait écrire : « Presque toutes les voies et tous les petits villages où nous sommes passés ont été le théâtre d'une tragédie quotidienne : terre confisquée, champs saccagés, arbres et plantes déracinés, moissons arrachées, maisons détruites, exactions contre lesquelles les propriétaires sont totalement impuissants ». « Dans aucun autre pays du monde les juristes et les religieux n’auront apporté leur concours à une entreprise d’une telle perversité » écrit de son côté Eli Lobel 414 : « quand le paysan arabe croyait avoir paré à une attaque tendant à l’arracher à sa terre, il était frappé par une nouvelle loi exhumée de l’arsenal juridique ou spécialement créée à cet effet. Et quand cela était nécessaire, la force suppléait ou remplaçait la loi ». Parfaitement adapté au but poursuivi, réfléchi, précis, implacable, méthodique, perfectionné chaque jour depuis plus de soixante ans par les juristes israéliens pour disloquer la société des Palestiniens, effacer leur mémoire et les réduire à l'impuissance, cet arsenal juridique, fruit d’un racisme institutionnel caractérisé, constitue sans doute un summum des actions perverses suscitées par le sionisme. Notons que le zèle de ces gens de Loi qui approuvent et justifient sans cesse une conception politique et discriminatoire du droit et qui, dans l’ombre, apportent un concours sophistiqué à l’entreprise sioniste a troublé bien des observateurs415. À propos de cette entreprise inédite sur le plan des principes et des méthodes, « acculée à une politique d’agressions préventives à l’extérieur et de lois discriminatoires à l’intérieur, tout en développant une mentalité raciste et chauvine »416 et contrainte, de par sa 411

. Les terres d'État sont placées dans la catégorie terre nationale. Cela signifie juive et non israélienne. Aujourd'hui, environ 93 % de la terre qu'on appelle l'État d'Israël est administrée par le Fonds national juif et réservée à des Juifs. 412 . Comme le remarque Michel Warschawski, « les 3,5 millions d’Arabes vivant en Cisjordanie et à Gaza sont considérés par Israël comme des "présents-absents". Ils ne comptent pas : ce sont les trous du fromage qui communiquent entre eux par des ponts et des tunnels tandis que la même méthode est utilisée pour faire communiquer les colonies israéliennes ». Deux entités sans communication entre elles sont ainsi séparées sur le même territoire faute, pour l’instant, d’une élimination incomplète des Palestiniens. 413 . Donnée rapportée par Edgar Morin, Le monde moderne et la question juive, p. 156. 414 . Préface à l’ouvrage Les Arabes en Israël de Sabri Geries, p. 13-14. 415 . À ce propos on ne peut pas ne pas évoquer les juristes allemands, parfois de grande qualité tel le catholique Carl Schmitt, qui apportèrent leur concours à l’entreprise nazie. Mais ce concours ne fut néanmoins qu’un pâle reflet de celui apporté à l’entreprise sioniste par les juristes juifs. 416 . Maxime Rodinson, Préface à La conception matérialiste de la question juive de A. Léon, p. XLII.

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logique interne, à aller toujours plus loin dans la neutralisation, l’humiliation, l’exclusion et l’asservissement de l’autre, Edmond Amran El Maleh, écrivain juif marocain, a pu écrire : « Il est étonnant que personne n'ait osé entreprendre, au-delà des critiques du régime israélien, une analyse philosophique des bases racistes du sionisme. Raciste parce que prônant la patrie par le sang, l'exclusion des non-juifs et, dans la foulée, l'expansionnisme territorial, la terreur et la violation des lois internationales ». À diverses reprises Hannah Arendt abordera elle aussi ce sujet législatif. Dans son ouvrage sur le procès Eichmann elle fait en effet un étroit parallèle entre les lois de Nuremberg et celles de l’État juif et y revient dans une lettre adressée à son mari417. Relatant un dîner avec Golda Meir, ministre israélienne des Affaires étrangères, elle écrit : « Nous nous sommes disputées jusqu’à une heure du matin […] Avant tout sur la question de la Constitution, des mariages mixtes ou plus exactement de ces lois de Nuremberg qui existent actuellement et qui sont en partie vraiment monstrueuses ». Face à la législation ségrégationniste mise en place dans l’État d’Israël, Haïm Cohen, ancien juge à la Cour Suprême, évoque lui aussi sans hésitation les lois nazies : « L'amère ironie du sort, écrit-il, a voulu que les mêmes thèses biologiques et racistes propagées par les nazis et qui ont inspiré les infamantes lois de Nuremberg, servent de base à la définition de la judaïcité au sein de l'État d'Israël »418. Toutes ces données expliquent fort bien qu'en Israël, État colonialiste qui s’est donné comme but ultime et inédit de remplacer tous les non-Juifs par des Juifs et qui, depuis ses origines, foule aux pieds le droit international, si les non-Juifs sont susceptibles d'avoir des droits en tant qu'individus isolés, ils ne sauraient en avoir comme membres d'une communauté. Cette communauté est d’ailleurs toujours ignorée par les livres d'histoire à l'usage des enfants israéliens. Le Livre du Jubilé, publié en 1998 pour commémorer l’anniversaire de la création de l’État d’Israël et destiné à toutes les écoles du pays, en est un témoin exemplaire : entre l’antiquité biblique et la colonisation sioniste, l’histoire, notamment celle de l’islam et du peuple palestinien, est entièrement occultée419. Seul compte en effet le passé juif, car les non-Juifs ne seront jamais que des guérim résidant en terre d'Israël, étrangers que l'on tolère dans la condescendance, à moins qu’on les considère comme des indésirables ou des ennemis potentiels destinés à être expulsés hors de Palestine. LES VIOLENCES D’ORDRE SÉMANTIQUE : UNE ENTREPRISE SOPHISTIQUÉE DESTINÉE À SUBJUGUER420

"C’est le Verbe qui mène le monde"... pour le meilleur et pour le pire. Si le barbare a pu être vu comme celui qui substitue la violence au langage, le langage peut aussi constituer une violence caractérisée et les mots devenir des armes redoutables de domination. Du fait de leur héritage culturel et religieux les portant à l’étude du Livre et, partant, à celle des livres421 les Juifs sionistes jouissent d’une franche supériorité sur l’ensemble de leurs adversaires et partenaires : la supériorité du Mot, une arme qui, à l’ère de la mondialisation de 417

. Lettre rapportée par Alain Gresh dans Israël, Palestine, p. 67. . Fundamental Laws of the State of Israël, Joseph Badi, New-York 1960, p. 15. 419 . D. Vidal et J. Algazy, Le péché originel d’Israël, p. 7 ; Raz-Krakotzkin Amnon, Exil et souveraineté, p. 90. 420 . Signalons ici l’ouvrage sioniste The Israel Project’s 2009 GLOBAL LANGUAGE DICTIONARY destiné à rester secret mais qui est tombé néanmoins dans l’espace du Web et qui, en 116 pages, élabore 25 règles pour une communication efficace avec, d’une part les mots qu’il convient d’utiliser et ceux qui doivent être bannis, d’autre part les arguments à développer suivant les circonstances et les interlocuteurs. À noter que l’ouvrage, véritable chef-d’œuvre d’hypocrisie, s’adresse particulièrement aux Américains des États-Unis qui, de par leur culture chrétienne, sont à la fois les plus grands soutiens de l’idéologie sioniste et parmi les moins aptes à résister à l’entreprise en question de domination et de subversion par le langage. 421 . Charles Péguy, en visant avant tout la parole de Dieu, disait à ce propos « le juif est un homme qui lit depuis toujours, le protestant est un homme qui lit depuis Calvin, le catholique est un homme qui lit depuis Ferry » (Œuvres en prose complètes, tome 3, op. cit., p. 1297). 418

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l’information, surpasse à l’évidence tous les moyens militaires422. Dans l’histoire de l’humanité, c'est une entreprise inédite que cette perversion du discours médiatique par la dialectique savante et les mots-pièges générés par l'idéologie sioniste dans la guerre de conquête entreprise depuis plus d’un siècle. Particulièrement exploités par les Sionistes au service de leur entreprise d’élimination palestinienne, citons particulièrement : • l’hébraïsation de la terre de Palestine • l’expression verbale du mépris • le langage au service de la colonisation • les violences verbales de l’internationale sioniste a) L’hébraïsation de la terre de Palestine De retour d’un voyage en Israël et Palestine en mars 2002, témoin, avec plusieurs de ses collègues du Parlement international des écrivains, d’une colonisation à la fois inédite et spectaculaire, Christian Salmon423 peut écrire : « Ici on défait les lieux. Forêts, Collines, Routes. La main de l'homme se retourne contre le paysage. Elle arrache, pille, déracine ; elle déplace, dépeuple […] Il ne s'agit pas ici d'habiter, mais de déloger. De détruire. C'est la première guerre menée avec des bulldozers. Un effort de dé-territorialisation sans précédent dans l'Histoire. C'est une guerre totale, dans le sens où elle n'est pas faite seulement aux populations civiles, mais au territoire lui-même. C'est une guerre agoraphobique. Qui ne vise pas au partage, mais à la dissolution du territoire ». La prise de possession de la terre par les colonisateurs est ici en effet d’un genre nouveau. Entreprise spécifique, encore inconnue de l’histoire, il s’agit de purifier cette terre de toute présence non-juive. La désappellation de tous les lieux et l’attribution de nouveaux mots pour leur conférer une nouvelle existence en occultant la longue période d’"Exil" font partie de la stratégie mise en œuvre. Attias et Benbassa424 signalent ainsi que dans « une région du désert du Néguev dénuée de toute tradition historique, on a donné entre 1949 et 1950 des noms hébraïques à quelque 533 lieux et sites géographiques » et « qu'on a aussi traduit de l'arabe les noms de structures topographiques, de plantes, d'animaux, en un mot de tout ce qui était intimement lié à la terre et au paysage […] Comme si la conquête physique ne pouvait pas suffire. Le nom transforme le lieu en texte ». Car il s'agit de désarabiser la terre, toute la terre, et de l’hébraïser. Cette hébraïsation, poursuivent les mêmes auteurs425, qui assure la déterritorialisation et la prise de possession de la terre par le primat de la langue et du mot, est en même temps un rachat, une rédemption. Le général Moshe Dayan426, devant les étudiants de l’institut israélien de Technologie, en rappelant ses souvenirs du début de la conquête, apporte lui aussi son éloquent témoignage : « Nous sommes arrivés dans un pays peuplé d’Arabes et avions à construire un État hébreu, juif. À la place des villages arabes, nous avons établi des villages juifs […] Nahahal a remplacé Mahahul, Gevat a remplacé Jobta, Sarid a pris la place de Hamifas et Kafr Yehoushu’a celle de Tel Shamam. Il n'y a pas une seule implantation de colons qui n'ait été faite sur les lieux d'un ex-village arabe ». Ici, il ne s’agit pas seulement, à l’instar de quelque terreur totalitaire, de détruire des formes extérieures et des monuments historiques mais d’effacer plus avant, « avec méthode et persévérance », en usant de nouveaux mots, toute trace de ce qui existait précédemment. Dans cette perspective, les expositions, les sites archéologiques, les musées du patrimoine vont jouer un rôle majeur dans le modelage des esprits. En aucun autre pays n’existe autant de musées par rapport au nombre d’habitants. La population palestinienne honnie n’y est pas 422

. « Car le mot, c'est le Verbe, et le Verbe, c'est Dieu » disait Victor Hugo ! . Le monde diplomatique, mai 2002. 424 . Israël imaginaire, p. 234. 425 . Ibid., p. 233. 426 . Haaretz du 4 avril 1969, rapporté par Ralph Schoenman, p. 57. 423

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représentée de façon négative suivant la méthode généralement suivie par les groupes dominants n’ayant pas l’intelligence de pousser plus loin leur réflexion et leur calcul, elle est rendue invisible. À cette destruction systématique des preuves matérielles de la culture spécifique d'un peuple de façon à ce qu'aucune trace n’en subsiste, destruction menée par les Sionistes en Palestine avec une détermination et une efficacité qui semblent inégalées dans l'histoire, plusieurs auteurs ont appliqué les termes de « génocide culturel », de « génocide moral », de « mémoricide », de « sociocide »… b) L’expression verbale du mépris : témoin privilégié du racisme Boris Cyrulnik427 a parfaitement décrit le phénomène suivant lequel le mépris se trouve toujours associé au processus raciste qui permet d’agresser une population, de la réduire en servitude, voire de la supprimer : « Le processus qui permet d’exterminer un peuple sans éprouver de sentiment de crime, écrit-il, est toujours le même. En voici la recette : d’abord il faut le désocialiser afin de le rendre vulnérable… Puis il convient de parler de ce groupe humain en employant des métaphores animales : "des rats qui polluent notre société", des "vipères qui mordent le sein qui les a nourries"… Quand on arrive enfin à la démarche administrative… il devient possible de mettre à mort ce peuple sans éprouver de culpabilité car ce n’est tout de même pas un crime que d’éliminer des rats ». Pierre-André Taguieff428 constate de même que les métaphores « bestialisantes » : « vermine », « rats », « virus », « bacilles », « coucous », « ténias » sont largement utilisées dans la littérature judéophobe. Dès le XIXe siècle, la métaphore de la « bactérie » est d’ailleurs inventée par le philosophe allemand Dühring pour qualifier le Juif. Et, on sait que cette figure sera largement reprise par les nazis, notamment par Himmler, pour qui les Juifs devront être éliminés à tout prix dans la peur de voir la société allemande profondément infectée. « Nous ne voulons pas, dans le processus d’élimination d’un bacille, être contaminés, tomber malades et mourir ». Mais, en Palestine/Israël, non pour un génocide mais néanmoins pour un ethnocide caractérisé429, les Palestiniens ne sont-ils pas aussi animalisés sous la forme de « cafards » (pour Eitan, ex-chef d'état-major israélien), de « bêtes féroces » (pour Menahem Beghin, ex-Premier ministre), de « serpents » (pour le grand rabbin Yossef, responsable du parti religieux Shass), de « crocodiles » (pour Ehoud Barak, exPremier ministre), de « vers de terre » (pour Yehiel Hazan430, député du Likoud) ? D’ailleurs, pour le chercheur Benny Morris parlant des Palestiniens : « Il faut les enfermer dans quelque chose comme une cage […] Il y a là-bas une bête sauvage à enfermer d’une manière ou d’une autre »431. À propos du racisme inhérent au sionisme, Hannah Arendt pouvait écrire dès le mois de mai 1948 : « Le sentiment traditionnel du sionisme est que tous les non-juifs sont antisémites... L’hostilité générale des non-juifs est considérée par les sionistes comme un fait 427

. Les Anges exterminateurs, Nouvel 0bservateur, 13/01/2005. . Op. cit., p. 15. 429 . Ce mot créé au milieu du XXe siècle, à partir du grec ethnos (« peuple », « nation »…) s’applique non pas à la destruction des corps (c’est le génocide) mais à celle de la civilisation d’un groupe ethnique par un autre groupe plus puissant (Dictionnaire Petit Robert) : le groupe dominateur impose au groupe dominé son propre modèle de civilisation qu’il considère comme supérieur. En pratique générale, c’est l’assimilation forcée (en Europe, on a parlé par exemple des turcophones « bulgarisés »). En fait, la définition du dictionnaire ne convient nullement à l’État sioniste dont l’ethnocide est inédit. Ici, le peuple dominé n’est pas apte, au nom de la donnée raciale, à accéder au niveau du groupe dominateur. Il s’agit de le contraindre à abandonner son territoire ancestral et, éventuellement, de le « transférer » d’autorité dans un autre pays. 430 . Lors de la séance de la Knesset, 13 décembre 2004. Face à tous ces propos d’hommes politiques israéliens il est facile d’imaginer les réactions des communautés juives si un responsable politique des 190 pays membres de l’ONU en avait tenu de semblables sur les Juifs ! 431 . citations rapportées par Shlomo Sand dans Les mots et la terre. Les intellectuels en Israël, p. 153. 428

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inaltérable et éternel de l’histoire juive... Cette attitude est pur racisme chauvin ; il est évident que cette division entre les juifs et tous les autres peuples – tenus pour ennemis – ne diffère pas des autres théories de la race des seigneurs »432. Jules Isaac, dans Genèse de l’antisémitisme a popularisé, au sujet de l’hostilité chrétienne envers les Juifs, une expression accusatrice : « l’enseignement du mépris ». On voit que cette dialectique, largement reprise depuis lors et si symptomatique de la haine raciale perpétuellement résurgente chez les hommes, est utilisée par les descendants directs de ceux qui en furent les singulières victimes. Constatons en définitive que l’État d’Israël où s’entend à l’envi un discours ethnocidaire caractérisé et au sujet duquel le philosophe juif, Ernst Ludwig Pinner, peut écrire « Aujourd’hui on exalte la race et on s’en sert comme d’une bannière au nom de laquelle tout se justifie »433, n’est pas, comme le sont les États démocratiques, une construction au service des habitants qui y vivent dans leur diversité culturelle ou raciale. Il est cet État où « les libertés publiques, les moyens de les mettre en œuvre et les droits de l’homme les plus fondamentaux sont déniés par la loi à ceux qui ne répondent pas à certains critères raciaux et religieux »434. Dérogation fondamentale au principe de toute démocratie : en appartenant exclusivement aux Juifs du monde entier, Juifs d’Israël et d’ailleurs, il s’est voulu une raciocratie435. c) Le langage au service de la colonisation Ainsi que nous l’avons vu l'idéologie sioniste ne s’est pas donné pour objectif de coloniser un territoire comme ont pu le faire les Européens au XIXe siècle, mais de le récupérer en vertu du don divin fait à leurs ancêtres et d’en repousser les habitants non-Juifs vus comme des habitants illégitimes. En Palestine/Terre promise, les Juifs sionistes prennent possession d'un héritage qui était tombé, il y a bientôt deux mille ans, entre des mains étrangères. C’est ainsi qu’il n’y a pas en Palestine historique : • de territoires occupés mais des « territoires » en voie de rédemption436 ; • une Cisjordanie colonisée mais une « Judée-Samarie » en voie de libération ; • de territoires palestiniens mais des « territoires où résident des Arabes ». Le terme de Palestine est banni de façon absolue par les Sionistes qui ne peuvent imaginer une entité indépendante de ce nom. Il n’y a pas non plus pour eux : • d'expulsion, de nettoyage racial ou de déportation mais de « transfert » ; • de torture, mais de « pressions physiques » ; • de liquidation physique, mais d’« opération ponctuelle visant à déjouer un attentat » ; d’« autodéfense active » ou de « neutralisation » ; • d'assassinat politique ou de meurtre extrajudiciaire, mais d’« élimination ciblée » ; • d’irruption dans un pays étranger comme le Liban, c’est-à-dire de pénétration par la force des armes et de destructions massives, mais d’« incursion » qui se veut momentanée ; 432

. Article Sauver la patrie juive dans la revue Commentaire p. 401. . Citation rapportée par Klaus J. Hermann dans son article Perspectives historiques sur le sionisme et l’antisémitisme, in Sionisme et Racisme p. 252. 434 . Ralph Schoenman dans L'Histoire cachée du sionisme. 435 . Shlomo Sand dans Comment le peuple juif fut inventé, en parlant de la "race juive" et du "sang juif" promus notamment par les rabbins et les sionistes, utilise le terme équivalent mais plus passable d’ethnocratie. 436 . Un argument juridique est volontiers mis en avant par les Sionistes pour justifier l’expression de « territoires » et récuser celle de « territoires occupés ». Sont dits « territoires occupés » des territoires où existait précédemment un État indépendant. Or, la Palestine n’était qu’un territoire «administré » par la Grande Bretagne ! 433

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• de Résistance des Arabes mais de « terrorisme » ; • de colonies, mais d’« implantations » et d’« installations ». De plus, pour mieux inciter les Juifs à s’en voir les nouveaux et légitimes propriétaires, ces « installations » sont établies en « zones résidentielles ». Dans la même perspective idéologique divers mots et expressions possèdent une interprétation spécifique. Parmi elles citons : « Jérusalem », « guerre », « tuer », « offres généreuses », « mesures de sécurité », « mesures économiques ». « Jérusalem » Cette capitale réunifiée et éternelle dont l’État d’Israël s’est doté au mépris de l’ONU ne désigne pas, comme il le laisse croire, la ville que son armée a occupée en 1967 mais une métropole quelque quatorze fois plus vaste, sa superficie étant passée de 73 à plus de 1 000 kilomètres carrés par l'accaparement progressif des terres des Palestiniens. « guerre » Ce terme ne désigne pas les opérations militaires de l'armée israélienne mais les hostilités déclenchées et planifiées par les Palestiniens sous un prétexte fallacieux. Les interventions de l'armée israélienne à l'aide de l'artillerie, des chars, des hélicoptères et des missiles ne sont, par principe, que de nature défensive. D’ailleurs, le terme de Tsahal ne signifie-t-il pas « armée de défense »? Revêtue d’une majuscule, personnalisée, dotée pour les Juifs d’une connotation affectueuse, Tsahal devient ainsi une armée singulière, sympathique et qui n’est comparable à aucune autre. Nombre de journalistes occidentaux vont ainsi, plus ou moins inconsciemment, contribuer, eux aussi, à la faire connaître comme telle, alors qu’elle est considérée, par quelques refuzniks courageux, comme « très lâche », compte tenu de l’extrême disparité des forces en présence et des opérations criminelles engagées. « tuer » Les Israéliens qui agissent avec « retenue » peuvent être tués, mais ils ne tuent pas. Tout au plus font-ils quelques « dégâts collatéraux » dont il suffit de s’excuser. Il n’y a que les Palestiniens qui tuent. De plus, en matière d'information, certaines règles doivent être appliquées lorsqu’il y a des morts : • quand un Juif meurt dans un affrontement, il convient de détailler sa biographie : âge, nom et prénom, profession, situation familiale, pays d’origine s’il s’agit d’un émigré, croyance s’il est pratiquant... ; d’inclure des photographies suggestives prises sur le lieu du drame avec le corps, le sang... et, si la victime est un enfant, de parler de son école, de ses parents, de ses amis, d’obtenir des témoignages... • quand des Palestiniens (ou des Arabes israéliens) sont tués, il s’agit d'éviter toute personnification pour qu’ils restent sans nom ni visage (ce ne sont pas tout à fait des individus qui meurent mais des éléments palestiniens (les nazis, quant à eux, parlaient de stücke à propos des déportés). D’autre part, est utilisé prioritairement le terme abattus, terme appliqué généralement à quelque bête menaçante. Exemple : « Au cours d’affrontements, un soldat israélien a été tué, trois Palestiniens ont été abattus ». • quand un colon armé est tué, c’est un civil qui est tué ; les Palestiniens tués ne sont pas des civils mais des anonymes. « offres généreuses » faites aux Palestiniens. Pour juger de cette expression, il faut se rappeler ici les données suivantes : • le Plan de partage de 1947 a octroyé aux Palestiniens 47 % de la Palestine historique (alors que les Arabes étaient au nombre de 1 315 000 et les Juifs au nombre de 668 000) ; • les Accords d’Oslo de 1993 (signés par l’"Autorité palestinienne") prévoyaient un État arabe représentant 22 % de la Palestine historique ;

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• l’« offre généreuse » faite en 1999 (par le Premier ministre israélien Barak), proposait un État arabe représentant 80 % des 22 % prévus à Oslo (soit 17 % de la Palestine historique) ; • le « plan de paix » fait en 2000 (par le Premier ministre israélien Sharon) proposait 42 % des 80 % des 22 % prévus à Oslo (soit 7,5 % de la Palestine historique). « mesures de sécurité et mesures économiques » Ces deux expressions couvrent l’ensemble des initiatives du gouvernement israélien : élimination des opposants, bouclages, sanctions collectives, bombardements de quartiers résidentiels, couvre-feux, confiscation des terres, dynamitage des maisons, destructions des arbres et des récoltes, interruption de l’approvisionnement en eau... etc. Dans les médias tributaires de l’idéologie sioniste il y a aussi des mots et des expressions qui s’appliquent exclusivement à l’une ou à l’autre des parties en présence : • s’appliquent aux Palestiniens les mots : "terrorisme", " terroriste", "agresseur", "meurtre", "escalade", "attaque", "attaque à la bombe", "provocation"…. • s’appliquent aux Juifs israéliens les mots :"civils", "victimes"," assassinés", "agressés", "assiégés", "état de légitime défense"… Signalons enfin les slogans-pièges d’aujourd’hui, « Israël : État juif et démocratique », « Israël : la seule démocratie du Moyen-Orient », qui subjuguent nombre de dirigeants des nations. Manier le Verbe, pour les militants de l’idéologie sioniste et pour les réseaux qui lui sont acquis à travers le monde, ce n'est pas seulement, comme nous venons le voir jouer astucieusement avec des mots-masques pour camoufler des exactions, subjuguer les politiques par la corruption et par une habile dialectique, élever la manipulation des concepts et la désinformation au niveau d’un art, exploiter des mythes religieux pour légitimer la domination absolue sur un territoire, pratiquer l’utilitarisme jusqu’à l’indécence (notamment à propos du génocide nazi) ou exploiter la Justice pour justifier une cause injuste… C'est aussi, face aux opposants Juifs et non-Juifs utiliser l'intimidation et les menaces, face aux populations opprimées user de ruse et de corruption, face à l'opinion publique manier le mensonge et le déni. Le langage mystifiant du sionisme n’a pas son équivalent historique : seule une forme très élémentaire – sous forme de quelques mots ou expressions communs à tous – a pu être suscitée et mise en œuvre par les totalitarismes du XXe siècle437. Le résultat de cette dialectique est spectaculaire : n’a-t-elle pas réussi dans le monde occidental et musulman, à faire croire possible et à faire espérer au plus grand nombre l’avènement d’un État palestinien libre, indépendant, souverain à côté d’un État juif ? Devant cette vague déferlante particulièrement violente et subtile, qui submerge tout le discours sur le conflit israélo-palestinien depuis tant d’années, Maxime Rodinson parle, quant à lui, de « l’exaspération d’un homme catalogué comme juif de par son ascendance (et qui ne songe nullement à le nier) devant cette vague de terrorisme qui charrie les sophismes, les paralogismes, les mensonges les plus évidents en quantité démesurée, qui veut imposer à tous une image idéale et intouchable du Juif en soi avec des excès de narcissisme ethnocentrique dont on a du mal à trouver des exemples plus forcés, qui débouche sur l’apologie des pratiques les plus condamnables. Cette vague étalée sur des millions de colonnes et de pages imprimées, qui répand sans arrêt des visions fausses des événements et des structures du passé et du présent, persuadant des millions d’ignorants ou d’incompétents. Cet effort quotidien – non seulement par les textes écrits, mais par les menaces, les manœuvres souterraines et autres – pour contraindre Juifs (y compris ceux qui le sont surtout au sens 437

. Citons dans le nazisme : « traitement spécial » pour « exécution à la mitrailleuse », « solution finale » pour « extermination par le gaz » ; dans le communisme : « camps de rééducation » pour « camps de concentration ».

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hitlérien du mot) et non-Juifs à adopter, à soutenir cette idéologie, à s’enthousiasmer pour elle. Cette double inconscience ainsi répandue et imposée chez des milliers d’intellectuels et autres, des plus exigeants sur d’autres plans et qui pardonnent ou masquent chez des Juifs tant d’attitudes, de comportements violemment condamnés chez les autres »438. d) Les violences verbales de l’internationale sioniste À partir du postulat traditionnel dans le sionisme selon lequel les Juifs n’ont qu’une patrie, la Palestine, bien des maladresses, des fautes, des erreurs, des propos agressifs à l’encontre de leur pays de résidence ou des non-Juifs vont être exercées très naturellement, par les Juifs tributaires de l’idéologie sioniste. Citons quelques exemples de paroles et de comportements : • les propos de Marek Halter439 attribuant la création de l'État d'Israël au combat des Juifs contre les Britanniques et comparant Ben Gourion (ex-terroriste devenu Premier ministre) à Gandhi en tant que décolonisateur : « Israël, comme tous les pays en lutte pour leur indépendance, ne doit sa création qu'au combat et à la mobilisation de sa propre population contre le pouvoir colonial. Une lutte souvent violente et dont la victoire a sonné le glas de l'Empire britannique. La lecture de la correspondance entre Ben Gourion et Gandhi, accomplissant tous deux en même temps ce difficile travail de décolonisation, éclaire définitivement cet enjeu politique ». • les propos de Jean Kahn, président du Consistoire central israélite, lors de l'Intifada d'octobre 2000 : « Cela fait deux mille ans que les juifs sont des boucs émissaires. Il faut dire la vérité et ne pas oublier qu'Arafat, en fermant les écoles, est le responsable de la mort des enfants ». • les propos de Roger Cukiermann, président du CRIF, confiés au quotidien Ha’aretz (du 26 septembre 2001) : « Lorsque Sharon est venu en France je lui ai dit qu’il devait absolument mettre en place un ministère de la propagande comme Goebbels ». • les propos de Jacques Kupfer, président du Likoud France et, secondairement, du Likoud mondial : « Les droits d'Israël sont écrits dans la Bible et non dans les déclarations de l'ONU […] Les Palestiniens sont des hordes de barbares et des squatters arabes en Eretz Israël […] Peut-être faut-il se rendre à la seule évidence : on ne peut plus vivre avec eux si tant est qu’ils aient le droit de vivre. Leur transfert apparaît comme la seule solution praticable capable de nous apporter la sécurité et plus tard la paix. L’histoire offre toujours les opportunités pour réaliser les rêves d’une nation. Encore faut-il savoir les saisir et ne pas rater les occasions comme nous l’avons fait en 1948 ou en 1967 »440. Quant aux propos traduisant une double allégeance, propos dénoncés notamment par Alfred Fabre-Luce dans les années 1970 et plus récemment par Michèle Manceaux441, ils sont banals :

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. Op. cit., p. 292. . Le judaïsme raconté à mes filleuls. 440 . Citations rapportées dans Le Monde du 27/9/1996, dans Le Monde diplomatique de décembre 2002 et par Danielle Sallenave dans dieu.com, Gallimard 2004, p. 92. Notons que le « transfert » (c’est-à-dire la déportation) a toujours été vu par les sionistes, y compris par les travaillistes, comme « un programme logique et juste, moral et humain ». 441 . Fabre-Luce, dans Pour en finir avec l’antisémitisme, s’interroge : « Sont-ils encore citoyens ceux qui paient un impôt à un État étranger ? ». Quant à Michèle Manceaux, elle se plait à rappeler et à affirmer haut et fort contrairement aux sionistes que : « Le pays d’un Français juif, ce n’est pas Israël, c’est la France » (Histoire d’un adjectif et Le Figaro du 19/02/03). 439

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• les paroles du grand rabbin de France Joseph Sitruc adressées au Premier ministre israélien Itzhac Shamir : « Chaque juif en France est un représentant d'Israël. Soyez assuré que chaque juif de France est un défenseur de ce que vous défendez »442; • l’appel de ce même grand rabbin au boycott d’élections françaises le jour de Pessah443; • l’exhortation du responsable du CRIF, faite aux « Juifs de France » de « s'identifier » aux Juifs israéliens lors de la seconde Intifada ; • la désignation « notre ambassadeur », pour parler de l’ambassadeur israélien en France ; • l’appellation « les Français » pour parler des non-Juifs ; • l’évolution banale de certains suivant laquelle « on se définit d’abord comme Français juif, puis successivement comme Juif français, comme Juif de France, enfin comme Juif en France »444 ; • les propos de jeunes Juifs français faisant leur service militaire en Israël : « Ici, on a vraiment le sentiment d’appartenir à une nation »445 ; • les déclarations de Juifs français en arrivant en Israël dans le cadre de l’alyah : « enfin nous arrivons dans notre patrie » ; • le "Cher Ariel " de Théo Klein446, dans sa lettre ouverte au général Sharon où un criminel de guerre devient, par la loi de la judéité, un frère de race affectionné et, par la magie de mots très raisonnables, un personnage respectable ayant seulement besoin de quelques conseils de circonstance. D’ailleurs, Théo Klein ne dit-il pas que, si l’occasion lui était donnée de rencontrer le général, il l’apostropherait ainsi : « Arik, ne raisonne pas comme un goy » 447 ? Signalons aussi : • le fait que nombre d’intellectuels juifs modernes piégés par l’idéologie sioniste se font les champions inconditionnels du nationalisme israélien et donc les complices de ses exactions, alors que nombre de leurs prédécesseurs d’avant 1945, à l’exemple de Marc Bloch, étaient de grands patriotes ; • l’existence d’organisations juives d’extrême droite d’idéologie raciste448 et, sur Internet, une multitude de sites résolument racistes prônant la pureté du groupe juif, la guerre contre les Palestiniens auxquels sont attribués des qualificatifs abjects, sites où s’expriment parallèlement la haine des Juifs non-inconditionnels d’Israël et des non-Juifs, en même temps que celle de la France et de ses dirigeants. À propos des terribles dérives directement inspirées par cette idéologie prégnante qu’est le sionisme remarquons que, si les conquêtes par les armes ont pu imposer tout au long de l’histoire une deuxième patrie à nombre d’hommes, la contrainte morale faite aux Juifs d’adhérer à une patrie juive, contrainte imposée de l’intérieur même de leur communauté spirituelle, est autrement plus grave et profonde que la contrainte précédente. Inédite, elle 442

. Le Monde, 12 juillet 1990. . Actualité juive, N° 356 du 28 octobre 1993. 444 . Alfred Grosser, Ouest France du 03/03/2005. 445 . Tsahal, la foi au bout du fusil. Le Figaro du 27/04/98. 446 . Lettre ouverte à Ariel Sharon, Le Monde du 16/02/2005. 447 . Journal de l’été 2002, Études, déc. 2002. Où l’on mesure, par cette phrase d’un personnage estimé du judaïsme, homme libéral et pondéré parmi les siens, le mépris envers les non-Juifs véhiculé par le judaïsme dans l’inconscient sociologique de ses membres ! 448 . Parmi ces organisations présentes dans nombre de pays dont la France citons la Ligue de défense juive (LDJ) (milice armée clandestine liée au mouvement Kach interdit en Israël qui sévit particulièrement en France et dans divers pays européens ) et le Betar particulièrement actif. Fondé par Jabotinsky avec l’aide des fascistes italiens, l’hymne du Betar que rapporte Dominique Vidal (Le mal-être juif, p. 13), commence par ces mots : Betar, De la fosse, pourriture et poussière, Naîtra une race, Par le sang et la sueur, Fière, généreuse, dure… 443

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s’accompagne obligatoirement de la révolte du petit nombre et de la soumission du grand nombre et, dans les deux cas, d’un malaise qui ne peut s’effacer. Et ce malaise ou ce malêtre449, avant d’amener certains Juifs à collaborer avec l’entreprise sioniste, fait manifestement de nombre de Juifs les victimes premières du judaïsme sioniste. Sacralisées par les textes bibliques, justifiées par la quasi-totalité des rabbins, menées depuis les premières vagues de colons avec un esprit de système inégalé dans l’obsession perpétuelle de se débarrasser des Arabes, toutes ces violences dénoncées depuis 1948 à de multiples reprises par les organismes internationaux de défense des droits de l’homme ont une perspective très précise : neutraliser la population autochtone et subjuguer les nations pour les mettre devant une situation passant pour irréversible. ISRAËL : UNE SOCIÉTÉ A MAJORITÉ RACISTE

Selon un sondage450 concernant l’interdiction des mariages mixtes en Israël, critère essentiel qui permet d’attribuer le qualificatif de raciste à une doctrine, une organisation ou une société véhiculant parallèlement quelque mystique de pureté du sang, 62 % des interrogés s’opposent à ces mariages. Comme il est logique, plus les personnes se disent religieuses, plus elles s’opposent à ces unions : cette opposition est de 35 % chez les laïcs, de 68 % chez les traditionalistes, de 95 % chez les religieux. Par référence à de nombreux textes de la Bible (notamment au Deutéronome 7:3, au livre d’Esdras 9:2,12 ; 10:44 et au livre de Néhémie 13:25), la religion est effectivement le principal support de la mixophobie. Rappelons qu’en Israël, ce sont les autorités rabbiniques qui ont le monopole de statuer sur les mariages et les divorces juifs, l’héritage et l’identité juridique. Pour être reconnu comme Juif il faut aussi être circoncis par un rabbin (ce qui donne accès aux divers droits de citoyen, allocations familiales par exemple). Les mariages mixtes représentant « la pire catastrophe pour le judaïsme » sont réprouvés depuis toujours par les dirigeants sionistes, tremblant devant le spectre de l’assimilation. Comme le disait Golda Meir Premier Ministre d’Israël, « épouser un non-Juif, n’est-ce pas rejoindre les six millions de Juifs exterminés » ? Ces mariages qui se veulent contre-nature sont interdits de fait en Israël depuis 1947 par la loi sur la juridiction des tribunaux rabbiniques. Quant aux musulmans et chrétiens qui vivaient en Palestine avant la création de l’État d’Israël en 1947, ils sont considérés par l’article 3 de la Loi sur la nationalité de 1952 comme « n’ayant jamais eu de nationalité ». Pour acquérir la citoyenneté israélienne, ils doivent prouver qu’ils vivaient en Palestine avant la création de l’État d’Israël, ce qui est fort difficile compte tenu des vastes destructions systématiques opérées par l’armée et les milices sionistes. Il ne leur reste plus alors que la voie de la naturalisation qui exige une excellente connaissance de la langue hébraïque et qui reste à la libre appréciation du ministre de l’Intérieur. De toutes façons, n’étant pas Juifs, ils ne seront jamais que des Israéliens de seconde zone, apatrides dans le pays de leurs ancêtres. Les partis politiques nationalistes et racistes Ce sont principalement le Shass, le Moledet, le Hérout, le Tekouma, le Mafdal, Israel Beitenou… Qualifiés de transféristes, ils comportent tous l'expulsion de tous les non-Juifs de la Palestine historique pour « achever la guerre de 1948 ». À côté de ces partis politiques, divers mouvements ont également pour but la mainmise juive sur toute la Palestine. Ils sont représentés particulièrement par le Manigout Yéhoudit au sein du Likoud, le mouvement Kach qui, bien qu’interdit en 1994, n’en poursuit pas moins son activité au grand jour et le Goush Emounim (le Bloc de la foi) dont le programme est 449 450

. Signalons que Dominique Vidal a consacré un ouvrage Le mal-être juif à ce sujet précis. . rapporté en 2003 par La Voix de la communauté juive de France.

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d’implanter des colonies, non plus des colonies stratégiques pour tenir le pays mais des colonies de peuplement, pour que la Palestine tout entière redevienne le terre des Juifs. Pour la plupart de ces partis ou mouvements ultra-orthodoxes et ultra-nationalistes dominés généralement par des rabbins, l’obtention, au besoin par la guerre, de tous les territoires occupés est un impératif religieux et sacré dans la perspective du Grand Israël dépourvu de non-Juifs. Dans un discours conforme « au commandement péremptoire et cruel ordonnant au peuple juif d’éliminer tous les autres habitants de la terre d’Israël »451, comme l’écrit Avraham B. Yehoshua, ils visent explicitement l'expulsion de tous les Arabes de la Palestine pour que la Terre sainte soit débarrassée de toute « souillure étrangère ». On peut ajouter que, parmi eux, certains groupes organisés en milices, puissamment armés et fanatiques, ne se laissent arrêter, ni par les risques d'affrontements avec les Arabes qu'ils se plaisent à agresser, ni par la loi (la loi humaine est sans valeur à leurs yeux par rapport à la loi divine qui exige la possession par les Juifs de toute la Palestine), ni par les décisions éventuelles du gouvernement israélien. Responsables de bien des exactions, leurs membres bénéficient toujours d'une grande indulgence de la part des tribunaux. Leur immunité est pratiquement de règle. Le racisme sioniste concerne en fait toutes les classes de la société israélienne La rue juive israélienne est particulièrement révélatrice du racisme ambiant. Dans son livre À tombeau ouvert 452, Michel Warschawski, évoquant les affiches et les autocollants posés sur les voitures et les murs de Jérusalem, en permet une appréciation assez fidèle. Parmi les multiples slogans qu’il rapporte citons par exemple ceux-ci : « Transfert = Paix + Sécurité » ; « Expulser l’ennemi arabe » ; « Vaincre les Arabes - Casser les Arabes » ; « Pas d’Arabes, pas d’attentats » ; « C’est eux ou nous – Transfert » ; « Mort aux Arabes »; « Shoah pour les Arabes »… D’ailleurs, selon un sondage Gallup de la fin 2008, 44% des Juifs israéliens sont pour l’expulsion massive des Palestiniens hors de la Palestine. Si « la société israélienne est actuellement l’une des plus racistes du monde occidental » selon Schlomo Sand453, certaines couches sont particulièrement marquées. Outre celle des rabbins dont nous avons déjà parlé, outre celle des responsables de l’éducation particulièrement soucieux de maintenir la séparation entre les enfants Juifs et non-Juifs, citons aussi la toute puissante police qui considère depuis toujours les villes et les villages arabes d’Israël comme un cinquième front destinés à rester sous haute surveillance et être réprimé à la moindre exaction. Lors des pogroms de Nazareth, de Tel-Aviv, de Jaffa... perpétrés lors de l’Intifada 2000 sur des Arabes par des nervis Juifs, le chroniqueur juridique israélien Moshé Hanegbi pouvait déclarer « que ces pogroms ont renforcé le sentiment que la police est une police raciste engagée seulement dans la défense des Juifs : elle n’a tiré pour tuer que sur les émeutiers arabes ». L’institution spécifiquement israélienne d’une corporation colonisatrice, le Kibboutz, qui fut regardée initialement comme un modèle de socialisme, est également fort révélatrice. Établie le plus souvent sur des terres anciennement palestiniennes, elle n’a jamais admis de non-Juifs, même avant d’avoir été dominée il y a plusieurs dizaines d’années par l’élément religieux. Israel Shahak considère même que « le kibboutz est l’organisation israélienne qui pratique le plus haut degré d'exclusion raciste »454. Le domaine de l'instruction est bien entendu particulièrement impliqué en Israël par la politique de ségrégation : en dehors de quelques exceptions il n’y a pas d’écoles où des enfants juifs étudient avec des enfants palestiniens. On peut ajouter que l'enseignement 451

. Pour une normalité juive, p. 62. . p. 38. 453 . L’Express du 22/01/2013. L’historien est interrogé par Catherine Gouëset. 454 . Citation rapportée par Ralph Schoenman, dans L’Histoire cachée du sionisme. 452

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traditionnel joue auprès des enfants juifs un rôle décisif quant à leur vision des non-Juifs, individus volontiers identifiés aux Philistins de la Torah dont l’élimination fait partie du plan divin. Moshe Zimmermann, chef du département d'études germaniques à l'Université hébraïque de Jérusalem, évoque quant à lui le « judéo-nazisme populaire » sévissant parmi les Juifs d'Israël et de certains pays anglo-saxons : « Il y a un secteur entier de la population juive que je définis, sans hésitation, comme une copie des nazis allemands. Regardez les enfants des colons juifs d'Hébron, ils ressemblent exactement à la jeunesse hitlérienne. Depuis leur enfance, on les imprègne de l'idée que tout Arabe est mauvais, et que tous les non-Juifs sont contre nous. On en fait des paranoïaques : ils se considèrent comme une race supérieure, exactement comme les jeunesses hitlériennes ». Les intellectuels israéliens sont également largement concernés. Un auteur juif israélien peut ainsi écrire à leur propos : « Les institutions académiques israéliennes sont toutes impliquées dans la politique raciste et colonialiste de leur État, dans la mesure où elles fournissent le soutien pratique et idéologique indispensable à la poursuite de l’occupation. C’est ainsi par exemple qu’elles offrent des services de conseil à l’establishment militaire et sécuritaire et financent la recherche utilisée pour justifier le nettoyage ethnique, les meurtres extra-judiciaires, la ségrégation raciale et les expropriations. Il n’y a pas un corps universitaire israélien qui ait protesté publiquement contre les enseignants-chercheurs israéliens qui produisent des travaux racistes sous prétexte de couvrir les cursus des étudiant ». Les Organisations israéliennes pour les droits de l'homme, elles-mêmes, n'ont pas échappé à ce pouvoir de corruption qui infiltre profondément la société sioniste : la plupart d’entre elles restent indifférentes face aux lois édictées par l’État qui fondent un apartheid institutionnel, impitoyable et humiliant. Certes, dans leurs colonies d’Afrique, d’Asie, du Pacifique, d’Amérique du Sud, les Européens dans leur ensemble, Français, Britanniques, Néerlandais, Espagnols, Allemands… ont manifestement affirmé eux-aussi leur supériorité et attribué un statut infiniment inférieur aux populations colonisées. Néanmoins, si une certaine composante raciste peut leur être attribuée, la comparaison avec l’État juif de Palestine ne saurait être juste. En vertu de la mission civilisatrice qu’ils s’étaient souvent donnée, ils ont été amenés à accepter nombre d’accommodements en faveur des indigènes qui avaient adopté leur culture et plus particulièrement la religion chrétienne. C’est ainsi que la barrière de la race fut souvent franchie et les mariages entre colons et indigènes relativement banalisés, critère qui reste le plus adéquat pour distinguer un régime résolument raciste d’un régime dont les membres, tout en nourrissant quelque sentiment de supériorité à potentialité racisante, ne voient pas cette différence comme irréductible. Le mélange des populations fut même souvent approuvé voire largement célébré au nom de l’universalisme laïque ou chrétien. Ce fut notamment les cas dans les États non ségrégationnistes du Nord des ÉtatsUnis, au Brésil et dans les colonies des Européens. Dans ces territoires, la discrimination ne fut jamais inscrite dans un texte législatif. Seuls trois pays formulèrent des interdits concernant les mariages mixtes et instituèrent une ségrégation officielle : les États du Sud des États-Unis pour les Noirs soumis depuis la fin du XIXe siècle aux lois Jim Crow, l’Afrique du Sud pour les Noirs et les Métis sous le régime de l’Apartheid, enfin l’Allemagne nazie pour les deux catégories raciales européennes particulièrement différenciées culturellement : les Juifs et les Tsiganes. Après qu’aient été abattus le régime nazi en 1945, le régime ségrégationniste des États-Unis à la fin des années 1960 et l’Apartheid en Afrique du Sud en 1991, c’est dire qu’il n’y a plus aujourd’hui qu’Israël, État juif pour les Juifs, où la ségrégation, conformément au judaïsme le plus traditionnel, est inscrite dans les lois.

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Sionisme et nazisme : de quelques convergences Par delà leurs différences notons que ces deux idéologies s’expriment par un certain nombre de données communes particulièrement caractéristiques du racisme dont elles sont porteuses. Parmi elles citons notamment : • les lois raciales prohibant l’exogamie, • l’obsession de la pureté généalogique (certificats de judéité d’un côté, d’aryanité de l’autre nécessaires dans la vie courante), • le lien intime entre l’identité et le culte des origines, • les travaux d’ordre scientifique et bibliographiques effectués depuis le XIXe siècle sur la génétique des populations, • les travaux archéologiques destinés à justifier la politique de récupération et d’expansion territoriale (le Grand Israël d’un côté, la Grande Allemagne de l’autre), • la mystique du Sang et du Sol (Blut und Boden)455, • l’attribution de la qualité de peuple élu pour un destin sans égal. …… Face à ces convergences, divers auteurs ont suggéré depuis quelques dizaines d’années qu’il pouvait s’agir d’un racisme de contamination de la société sioniste, soit par la pensée des doctrinaires européens du XIXe siècle, soit plutôt par celle des nazis, pensée qui aurait agi à la fois comme repoussoir et comme modèle… Si cette hypothèse de contamination n’est pas a priori illogique et ne saurait être totalement exclue, il ne saurait s’agir de toutes façons que d’une sur-contamination. D’une part, toutes les lois raciales ont pour l’essentiel un contenu commun, d’autre part le racisme institutionnel du judaïsme avec ses trois valeurs fondamentales : la séparation radicale de l’humanité entre Juifs et non-Juifs, la transmission héréditaire de la judéité et la loi du non-métissage dans une mystique de non-souillure a, sur toutes les autres sociétés racisantes, une large antériorité. C’est dire aussi que cette hypothèse concernant le monde sioniste relève avant tout chez ses auteurs d’une méconnaissance de la pensée raciale portée par le judaïsme depuis ses origines laquelle, comme nous l’avons vu précédemment avec l’historien André Pichot, a fortement influencé la société germanique du XIXe siècle et contribué, en regard de la race juive, à l’invention de la race aryenne. . LA DRAMATIQUE SITUATION MORALE DES PALESTINIENS EN ISRAËL

(Nous ne parlerons pas ici des Palestiniens résidant dans les territoires colonisés de Cisjordanie et de Gaza soumis au processus particulièrement cruel et inédit dont nous avons rapidement parlé) Les Arabes d’Israël – environ 1 350 000 – sont pour la plupart les descendants des quelque 160 000 Palestiniens qui n’avaient pas fuit à l’étranger lors des combats de 1947-1948 avec les armées sionistes ou qui avaient échappé à l’expulsion programmée. Ils représentent actuellement environ 20 % de la population totale d’Israël et 10 % de son électorat. 90% d’entre eux vivent principalement dans le Nord du pays ; les autres, c’est-à-dire les 10 % restant sont les Bédouins qui vivent au Sud dans le désert du Néguev. La grande majorité d’entre eux, environ 82 %, est musulmane, le reste étant constitué de chrétiens, environ 9 %, et de Druzes environ 9 % également (à noter que ces derniers ne se reconnaissant volontiers ni comme Palestiniens, ni même comme Arabes). 455

. « La poutre maîtresse du national-socialisme est la communauté du Volk (peuple) enracinée dans son sol et unie par les chaînes du même sang » proclame Hitler dans un de ses discours de janvier 1937. Walther Darré (qui devait être ministre de l’Agriculture de Hitler) avait publié en 1930 un ouvrage La Race, nouvelle noblesse du sang et du sol. Heidegger lui-même utilise "le sang et la terre" dans son discours lors de sa prise de fonction à l’Université de Fribourg en avril 1933.

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Si initialement ces Arabes étaient dans l’ensemble peu instruits il reste qu’ils ont toujours gardé vivante la mémoire de ce qu’ils considèrent à juste titre comme la Naqba (la catastrophe) et cultivé la nostalgie des temps qui avaient précédé cet événement dramatique : la spoliation de leur territoire ancestral par décision de l’ONU de novembre 1947, suivie de la guerre perdue par les armées arabes inorganisées venues à leur secours. En théorie, d’après les principes fondamentaux de la constitution israélienne, les non-Juifs israéliens ont les mêmes droits que les Juifs. En fait, par les multiples lois et décrets venus modifier cette constitution, on peut dire que la ségrégation est institutionnelle : deux sociétés coexistent, clairement séparées et foncièrement inégales, la société juive et la société nonjuive. Non seulement les populations vivent de manière géographiquement séparée dans des univers parallèles où les chemins de traverse sont rares (la plupart des populations arabes vivent dans des communautés rurales racialement homogènes ou dans les quartiers arabes des grandes villes juives comme Haïfa, Tel Aviv ou Acre), non seulement elles sont éduquées dans des systèmes d’éducation séparés (les Arabes disposent d’un secteur éducatif en langue arabe séparé de ceux en langue hébraïque et ce n’est qu’à l’université que Juifs et Arabes se côtoient), mais dans le système diabolique en vigueur en Israël, s’il y a bien une seule citoyenneté israélienne, il n’y a pas de nationalité israélienne mais seulement des nationalités : juive, arabe et druze, ce qui va permettre, sous une apparence légale, les discriminations en faveur de la catégorie dominante. Le judaïsme transportant de par ses mythes fondateurs des éléments idéologiques fondant une altérité radicale entre Juifs et non-Juifs, il est facile de comprendre qu’un État qui s’inspire de ces principes n’est pas seulement incité, mais contraint, ne serait-ce que pour survivre politiquement, à être raciste au sens propre du terme en engageant une action continue et oppressive à l’encontre de la population non-juive. Car un État représente essentiellement une structure institutionnelle qui établit des lois, qui élabore des règles, qui suscite des pratiques conformes à son idéologie et réprime les autres dans une perspective primordiale qui est celle de se maintenir. C’est dire que les lois et décrets d’un État spécifiquement juif ne peuvent pas ne pas être discriminatoires. Certes, les Arabes israéliens, en résidant dans un État moderne de type occidental, ont certains avantages et certains droits qu’ils n’auraient pas dans nombre de pays arabes tous entravés dans leur développement par les pesanteurs de la religion : le droit de vote, la liberté de penser, l’environnement éducatif, l’accès à une nourriture suffisante et à des soins médicaux de bonne qualité…, mais il clair que parallèlement il mènent en permanence depuis plus de soixante ans une vie faite d’humiliations extrêmes : • humiliation d’être des étrangers et des apatrides dans le pays de leurs pères456 (voire dans leur pays natal pour les plus âgés d’entre eux), • de voir disparaître toute trace de leur passé avec la destruction d’une multitude de villages, de cimetières, de monuments et l’hébraïsation de tous les noms de lieux, • d’être soumis à une politique impitoyable de confiscation progressive de la terre dont ils ne possèdent plus aujourd’hui que moins de 3% alors qu’ils représentent 20 % de la population, • humiliation d’avoir, pour les plus conscients et les plus libres d’entre eux, la mauvaise conscience de travailler d’une manière ou d’une autre pour les Juifs israéliens, • d’avoir à préférer la vie chez l’ennemi de leur peuple plutôt que celle qu’ils pourraient avoir dans les pays amis arabo-musulmans et d’être piégés moralement, tiraillés qu’ils sont entre le confort et l’honneur, entre la collaboration et la résistance,

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. Comme l’écrit l’un deux, Taher Najif, auteur d’une pièce de théâtre : « je ne suis pas né en Israël, c’est Israël qui est né chez moi ».

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• de voir que certains de leurs frères ayant peu de conscience politique apportent leurs voix, lors des élections israéliennes, à des partis juifs dont le programme comporte leur "transfert" non seulement hors des territoires qu’Israël s’est octroyé, mais hors de la Palestine historique, • humiliation d’être surveillés étroitement dans leurs actions et leurs orientations politiques avec la peur de l’expulsion, • d’être dans l’incapacité de faire des projets d’avenir, voire d’écrire leur propre histoire, • de constater leur impuissance absolue face une police et une armée omniprésentes qui n’hésitent pas à les réprimer en cas de simples manifestations pacifiques457 et oppriment en permanence leurs frères palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, les premiers soumis à une colonisation-annexion inexorable, les seconds à un terrible blocus, • humiliation d’être méprisés par nombre de Juifs qui les voient comme des suspects voire comme une menace stratégique, • de savoir que parmi eux comme dans toutes les situations de servitude, à côté des opposants et des résistants, il y a des arrivistes, des collaborateurs et des délateurs qui profitent de la situation par lâcheté ou intérêt personnel, • de constater que les nations, directement responsables de la situation inhumaine qui est leur faite, n’affichent qu’indifférence à leur égard comme à celui de leurs frères, colonisés de Palestine ou réfugiés dans les pays voisins458, • humiliation de n’avoir, avec l’État d’Israël, État juif pour les Juifs du monde entier, aucun espoir de vivre dans un "État démocratique pour tous ses citoyens" mais seulement dans un État d’apartheid, • de vivre perpétuellement sous une chape de plomb psychologique : un étouffoir/éteignoir sophistiqué auquel ils ne peuvent échapper qu’en émigrant, capacité qui ne peut appartenir à l’évidence qu’à une infime minorité, •••••• Le verrou sur la démocratie Indépendamment des manœuvres diverses des communautés sionistes du monde qui, en subjuguant les délégués des nations, ont permis le vote de novembre 1947 créant l'État d'Israël, revenons un instant sur le geste de l'ONU. Comme on le sait, les délégués ont eu l'intention de créer deux États. Munis d'une carte, d'une feuille blanche et d'un crayon, ignorant tout, pour la plupart d'entre eux, du judaïsme, de la Palestine et de ses habitants, largement inconscients de la portée de leur décision, ils envisagèrent ainsi, par un semblant d'équité entre les deux principales parties en présence, deux États d’ordre racial : un État « arabe » et un État « juif ». Avec le qualificatif "arabe" attribué à un certain territoire, ils prenaient certes un risque compte tenu de la diversité des communautés présentes en Palestine et du caractère pesant de l'islam sur la politique des États où il prédominait, mais la composante raciale étant ici de peu d’importance, toute perspective de démocratie, principe-guide de l'Organisation des Nations Unies, n’était pas absolument et définitivement abandonnée pour ce nouvel État. Avec le qualificatif de "juif", par contre, ils ont méconnu une donnée essentielle : l’importance majeure 457

. comme ce fut le cas lors de l’intifada d’octobre 2000. . À la décharge très partielle des dirigeants politiques, des observateurs, des journalistes… on peut dire que la plupart d’entre eux sont banalement victimes du syndrome d’accoutumance. Ils sont "habitués" ! Il s’agit là d’un phénomène qui est fait de lassitude et d’indifférence, et en définitive d’aveuglement et de passivité complète guettant les témoins de faits répétitifs pendant une longue période. Face au drame palestinien le phénomène est particulièrement patent. Le perpétuel renouvellement depuis plus de 60 ans de faits insupportables pour des gens "normaux", ici les exactions colonisatrices d’Israël, fait, d’une part que ces exactions sont banalisées, d’autre part que l’idéologie sioniste qui leur est sous-jacente, et dont la connaissance permet seule de comprendre le drame chronique en question, passe volontiers inaperçue. Comme si on dissertait d’Auschwitz en occultant le nazisme, du goulag en ignorant le communisme. 458

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au sein du judaïsme de la donnée raciale. Et, ils ont créé ainsi d'autorité un État inédit, le premier État à dominante juive des temps historiques. Or, si les individus ont toujours quelques difficultés à s’abstraire de la notion de race à laquelle ils sont confrontés de par la simple vie en société et à se garder de sentiments ou d’actes à connotation raciste, il faut bien voir qu’un État, en tant que structure dirigeante intégrant dans ses fondements la donnée raciale inhérente au judaïsme et dotée par essence d’une prégnance tout à fait exceptionnelle, ne peut pas ne pas être ségrégationniste et raciste puisque c’est la condition même de sa survie. L’État d’Israël, après avoir obtenu de haute main indépendance et souveraineté de la part des nations largement inconscientes du processus qu'elles déclenchaient, pouvait-il avoir d'autre vocation naturelle que celle de néantiser, d’une manière ou d’une autre, les populations non-juives ? Dans cette perspective négationniste « on trafiquera les données statistiques, écrit Ilan Halevi, on falsifiera l'histoire et l'archéologie, on inventera le vide là où il y avait le plein, le désert là où les cultures prospéraient, le nomadisme à la place de l'enracinement. Il n'est pas jusqu'à l'argument contemporain de "l'unité arabe" qui n'ait été mobilisé pour nier l'évidence arabe de la Palestine »459. Quant à Golda Meir, alors Premier ministre d'Israël, elle déclarait en août 1973 à propos de la guerre de 1947-1948 : « Tout ne s'est pas déroulé comme s'il y avait eu en Palestine un peuple palestinien qui se considérait comme tel, et que nous aurions chassé pour prendre sa place. Les Palestiniens n'existaient pas ! » Précédemment, à Albert Einstein qui s’inquiétait de ce que deviendrait les Palestiniens si la Palestine devenait juive, Chaïm Weizmann répondait : « Ils comptent si peu » ! Et après qu’ils aient été chassés en 1948, Moshe Sharett, ministre des Affaires étrangères israélien, déclarait froidement : « Les réfugiés trouveront leur place dans la diaspora grâce à la sélection naturelle, certains resteront, d'autres pas (...) La majorité deviendra un rebut du genre humain et se fondra dans les couches les plus pauvres du monde arabe »460. Mais le résultat de la faute insigne de l'ONU ce n'est pas seulement le désastre du présent (si l'on veut bien étendre le présent à tout ce qui se passe en continu depuis plus de soixante ans en Palestine), c’est aussi le fait d’avoir donné son aval à une entreprise qui, fondée sur le droit du sang et la domination qui se veut définitive des Juifs sionistes sur la population nonjuive, ne pouvait pas ne pas mettre un verrou sur la démocratie. N’est-il pas dit, dans la Loi fondamentale, qu’il ne saurait y avoir d’éligibles – et donc d’élus – ne reconnaissant pas le caractère juif de l’État d’Israël ? À l’époque moderne, constatons qu’il n’y a plus guère, en effet, que l’État sioniste de par le monde qui soit institutionnellement raciste. Cet État dont le principe même apparaît de plus en plus anachronique ne peut que vivre un certain temps avec la complicité des nations qui, malgré ses exactions, lui accordent une totale immunité de fait, attitude d’autant plus paradoxale qu’Israël doit son existence à ce même droit international. On peut ajouter que cet État ne peut pas se transformer par lui-même. Disparition sous l’effet de forces extérieures dominantes dans un conflit potentiellement planétaire, disparition sous l’effet de rivalités ou de contradictions internes analogues à celles qui ont fait éclater l’URSS… semblent bien être les deux scénarios d’avenir les plus probables. Le premier, hélas, bien plus probable que le second461. C’est dire que la seule issue pacifique du conflit palestinien ne saurait être que la création d’une Palestine soustraite à toute donnée confessionnelle, nationaliste ou raciale, c’est-à-dire ni islamique, ni arabe, ni juive, mais laïque et démocratique. Remarquons à ce propos qu’un 459

. Question juive La tribu, la loi, l’espace, p. 208. . Citation rapportée par Philippe Prévost dans La France et l’origine de la tragédie palestinienne, p. 247. 461 . Signalons qu’un auteur, en maniant optimisme et utopie, a pu évoquer ce dernier scénario. Il imagine d’abord une guerre civile impitoyable entre les Juifs religieux et les Juifs non-religieux, puis une association des Arabes israéliens et des Juifs antisionistes arrachant de haute lutte le remplacement de l’État juif par un État démocratique et laïque. 460

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État n’est ni une société, ni une nation, ni un groupe humain, ni un territoire mais simplement une structure de direction relevant de la contingence. Espérer le démantèlement de l'État d'Israël, « État ethnique et théocratique fondé sur le droit du sang »462 et l’avènement d’un État de ses citoyens n'est en effet qu’une espérance de transformation démocratique. Le sionisme avec son apartheid n’est point une simple dérive extrémiste du judaïsme comme ont pu l’écrire certains auteurs. Il n’est pas non plus tout le judaïsme comme le clament tant de Juifs antisionistes ou comme le veulent les Juifs sionistes pour qui les deux concepts sont équivalents, mais il fait partie intégrante de cette culture. D’une part, il est soutenu à l’époque moderne par la grande majorité des Juifs de par le monde et notamment par la très grande majorité des religieux (les minoritaires hyperorthodoxes étant au contraire formellement opposés au principe même d’un État juif en vertu de leur conception de la vocation du judaïsme), d’autre part il a été amené, contrairement à la perspective de ses initiateurs laïques mais de par sa logique interne, à édifier son projet politique et géographique en Palestine en référence, non exclusive mais principale, à un national-judaïsme qui ne peut pas ne pas transporter dans les esprits une forme de racisme. Son épanouissement à l’époque moderne dans l’État d’Israël est tout à fait conforme à la culture de séparation que représente fondamentalement le judaïsme. Il n’a rien inventé quant à ses principes d’action. Si l’État d’Israël, né et se perpétuant par le fer et le sang463, est illégitime au nom de la morale élémentaire, son qualificatif de juif, qualificatif qu’il s’est donné et que l’ONU a entériné en 1947 ne saurait être contesté. Ajoutons néanmoins, par delà les malheurs immenses des populations juives et non-juives de la Palestine historique depuis plus d’un demi-siècle, par delà les malheurs destinés à se renouveler perpétuellement, l’idéologie sioniste aura démontré et révélé deux choses capitales pour comprendre nombre de chapitres de l’histoire occidentale : d’une part la composante raciale et donc le potentiel raciste du judaïsme qui, avant l’émergence du sionisme, passait inaperçu du très grand nombre464, d’autre part le processus réactionnel en découlant inévitablement de la part des populations non-juives. À l’époque moderne, ainsi que nous l’avons vu, c’est le monde musulman qui, pourtant dépourvu de par sa culture universaliste de sentiments racistes à l’égard des Juifs et n’ayant considéré pendant longtemps que la dimension religieuse du judaïsme, a été incité, au contact d’une société culturellement ségrégationniste, à des mesures de plus de plus violentes et à développer, à l’instar du monde chrétien dans le passé, un contre-racisme caractérisé envers les Juifs. LE RÔLE MAJEUR DU MONDE CHRÉTIEN DANS L’AVÈNEMENT ET LE DÉVELOPPEMENT DE L’IDÉOLOGIE SIONISTE

Tributaires des mythes du Peuple élu et de la Terre promise qui font partie intégrante de leur doctrine, les chrétiens ne sont pas libres face à l’idéologie sioniste. Le croyant et poète Paul Claudel pour qui « il était évident que le retour d’Israël sur sa terre relevait d’une intervention divine » et qui, dans quelque délire mystique, voyait Jérusalem « devenir le siège de toutes les grandes institutions mondiales chargées d’assurer le triomphe du bien, du droit, de la justice, au service de l’humanité tout entière »465, ne revendiquait il pas pour les Juifs l’ensemble de la Palestine historique ? Le philosophe chrétien Jacques Maritain, dont nous 462

. Daniel Bensaïd, Les inquisiteurs, Le Monde du 27/01/2006. . Expression de Charles Enderlin dans son ouvrage La naissance d’Israël : la guerre de douze ans. L’auteur précise qu’il était apparu très vite à la communauté juive de Palestine, et à tous ceux venus la rejoindre que les bombes et les armes étaient les seuls moyens pour faire triompher les théories de Theodor Herzl, « On n'offre pas d'État à un peuple sur un plateau d'argent », avait dit Chaïm Weizmann. 464 . Si parler du racisme chez les Juifs n’est pas exceptionnel de la part des auteurs, il reste que dans notre bibliographie, nous n’en avons retrouvé que deux, l’un Juif (Henri Korn), l’autre non-Juif (Georges Bernanos), ayant parlé du racisme spécifiquement lié au judaïsme. 465 . André Chouraqui, Le Destin d’Israël, p. 228. 463

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avons parlé précédemment, était dans les mêmes dispositions d’esprit : « Par un étrange paradoxe, écrit-il, nous voyons aujourd'hui contesté aux Israéliens, par les États qui sont leurs voisins, le seul territoire auquel, à considérer le spectacle entier de l'histoire humaine, il soit absolument, divinement certain qu'un peuple ait incontestablement droit : car le peuple d'Israël est l'unique peuple au monde auquel une terre, la Terre de Canaan, a été donnée par le vrai Dieu, le Dieu unique et transcendant, créateur de l’univers et du genre humain. Et ce que Dieu a donné une fois est donné pour toujours»466. Pratiquement seul parmi les écrivains chrétiens, Louis Massignon tenta de s’opposer d’abord au projet sioniste puis ensuite à la création de l’État juif. Il reste que le comble de l’erreur appartient manifestement au Vatican par sa reconnaissance de l’État d’Israël. Après avoir été l’objet pendant plusieurs dizaines d’années de multiples pressions (notamment de celle systématique des grands rabbins près du pape lors de ses voyages à l’étranger ou près des hauts représentants du catholicisme), ayant constamment à répondre aux accusations portées sur Pie XII à propos du génocide des Juifs, de guerre lasse il céda, dans la personne de Jean-Paul II le 30 décembre 1993, par un Accord fondamental évoquant « la nature unique de la relation entre l’Église catholique et le peuple juif ». Le Saint-Siège reconnut ainsi l’État d’Israël. Certes, l’État d’Israël existe. C’est une donnée historique qui ne saurait être niée. Mais dans la circonstance le geste du pape vaut véritablement une légitimation de l’entreprise colonisatrice de l’État juif, geste bien plus grave encore que la passivité hautement coupable des pays "ordinaires" ayant depuis 1948 des ambassades dans le pays. Aux yeux du monde le pape, dont la fonction de chef d’État est souvent ignorée, ne représente-t-il pas essentiellement une autorité morale ? On constate de plus que nombre de chrétiens de notre époque, particulièrement aux ÉtatsUnis, se font toujours largement complices des crimes de l’État juif et notamment de celui que représente la colonisation continue et planifiée. Plus néfaste encore que le rôle des catholiques est celui des chrétiens évangéliques compte tenu de leur nombre (environ 30 millions) et de la puissance financière qu’ils représentent. Sans se rendre compte des railleries qu’ils suscitent et de l’exploitation dont ils sont l’objet de la part du monde juif israélien, ils ne cessent en effet dans leur naïveté de multiplier les gages d’un pro-judaïsme, voire d’un pro-sionisme inconditionnel. Pour Aaron, de l'Ambassade chrétienne internationale de Jérusalem (ICEJ), « l'appui sans faille du Congrès américain à Israël exprime les convictions des millions d'électeurs anonymes, membres d'églises évangéliques, qui voient dans l'État juif le levier de l'humanité ». Fondée en 1980, représentée dans plus de 120 pays dont la France, cette ambassade, qui est le centre nerveux à l'échelle mondiale du mouvement de soutien absolu à Israël, rappelle en toutes circonstances aux chrétiens « le devoir de soutenir la nation juive, les Juifs où qu'ils soient et Israël compte tenu de toutes les promesses merveilleuses de Dieu à leur égard ». Les lobbies chrétiens sionistes, qui se considèrent comme le deuxième peuple élu, semblent absolument incontournables dans le paysage politique du Sud des États-Unis, en particulier en Floride, Alabama, Mississippi, Arkansas... Les chrétiens en question, qui sont cinq fois plus nombreux que les Juifs des États-Unis, trouvent dans chaque candidat démocrate ou républicain une oreille attentive à leurs paroles sur la fin des temps. Relayé par de nombreuses télévisions et radios et une quantité de publications sur l'ensemble du territoire américain, leur discours, qui ignore totalement les Palestiniens, est simple : « Qui s'oppose à Israël s'oppose à Dieu » ; « le retour des Juifs en Palestine et leur conversion coïncidera avec le retour du Christ sur terre et l’établissement définitif du Royaume de Dieu ».

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. Dans le post-scriptum à son ouvrage Le mystère d’Israël en 1964.

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LE SIONISME : IDÉOLOGIE MALIGNE ; L’APARTHEID SIONISTE : FACTEUR CONJONCTUREL MAJEUR DE L’ANTISÉMITISME RÉACTIONNEL MODERNE

Bâti sur le particularisme racial et religieux du judaïsme et sur la dépossession d’un peuple faible vu comme un corps étranger à éliminer, l’État sioniste où, pour la première fois depuis quelque quinze siècles le pouvoir est juif 468, ne peut subsister que dans un « état permanent de guerre ». À son propos Derrida469 a parlé de violence originaire. Avec ses lois ségrégationnistes, il constitue en effet un laboratoire expérimental absolument unique et irremplaçable sur le racisme spécifiquement lié à la culture judaïque avec sa mystique de violence470. C’est dire que cette structure étatique dépendant étroitement de valeurs issues du judaïsme ne saurait être autre qu’hypernationaliste, militariste et ségrégationniste. Pour elle, comme pour le judaïsme dont elle émane, c’est en effet une question de vie ou de mort. On peut ajouter que les violences suscitées par l’idéologie sioniste sont organisées en Palestine avec un génie inédit, dans la perspective à la fois de casser la société antagoniste des non-Juifs et d’anesthésier les dirigeants des nations qui seraient tentés de s’opposer à une œuvre banalement criminelle. Le succès de la tactique est incontestable : il est manifeste que ces dirigeants, intimidés par le chantage à l’antisémitisme, ignorant largement les données historiques relatives à la création de l’État juif, négligeant depuis le début les exactions criminelles à l’encontre de la population non-juive de Palestine et la multitude des réfugiés croupissant dans des camps de fortune avec interdiction de revenir chez eux, oubliant les affronts multiples faits aux Nations Unies et à ses principes établis en 1945, n’ont pas encore pris la juste mesure de la malignité foncière de l’idéologie sioniste471. Les plus hardis d’entre eux ne se contentent-ils pas de quelques critiques envers les dirigeants de l’État d’Israël au lieu d’émettre un rejet sans appel de l’idéologie qui les conduit ? Et, devant le spectacle d’un pays sur-armé qui, depuis sa création en 1947, fait quotidiennement l’objet d’une information journalistique et qui brime impunément une population sans défense dans un combat où l’inégalité les forces en présence n’a jamais été aussi manifeste, comment ne pas évoquer la démission, l’inertie mentale et le manque de courage des dirigeants occidentaux des années trente face aux manifestations progressivement criminelles de l’idéologie nazie472 ? Et la plupart des penseurs et écrivains n’adoptent-ils pas la même attitude d’indifférence473 ? 467

. "idéologie maligne" : idéologie pernicieuse devant conduire logiquement à quelque catastrophe d’envergure comme une "tumeur maligne" conduit spontanément à la mort. 468 . Maxime Rodinson rapporte qu’un petit et éphémère État juif a existé en Arabie du Sud au VIe siècle. 469 . Expression rapportée par Henri Rey-Flaud, Et Moïse créa les Juifs, p. 307. 470 . Cf. l’ouvrage de J. P. Castel Le déni de la violence monothéiste. 471 . Régis Debray (dans son ouvrage À un ami israélien, p. 103) en s’adressant à Elie Barnavi (ancien ambassadeur en France) peut écrire : « Quant à "l'Europe", ombre molle, insignifiance redoublée d'obligeance, elle est digne du mépris rigolard que vos dirigeants lui portent. Ce fuyant ectoplasme exhorte les Palestiniens à célébrer des élections, en juge le déroulement impeccable mais refuse d'en reconnaître le résultat : il vous déplaît. Elle fait ensuite d'Israël un "partenaire privilégié", directement associé à ses travaux et décisions, puis plonge la tête dans le sable. » 472 . Par référence aux quelques années qu’avait duré alors la passivité des dirigeants occidentaux, un auteur a parlé ici, non sans raison, de « la plus longue lâcheté ». On peut ajouter que cet état d’esprit n’a épargné aucun de ces grands dirigeants à l’exception du Général de Gaulle dénonçant notamment : l’expansionnisme de l’État d’Israël (« un État [...] résolu à s'agrandir »), son militarisme (« un État guerrier »), son agressivité (« Israël, ayant attaqué »), sa tactique dilatoire consistant à utiliser un « prétexte » pour lancer ses attaques, son verbe « qualifiant de terrorisme la résistance arabe ». Seul aussi à dénoncer « le sort scandaleux des réfugiés arabes », et à montrer le caractère fondamental d'un retrait des territoires « pris par la force » (« à moins que les Nations Unies ne déchirent elles-mêmes leur propre charte »). 473 . Parmi les exceptions citons José Saramago (dans Le Cahier, p. 172) : « Israël a fait siennes les terribles paroles de Jéhovah dans le Deutéronome: "À moi la vengeance et la rétribution." Israël veut que nous nous sentions coupables, nous tous, directement ou indirectement, des horreurs de l'Holocauste, Israël veut que nous renoncions à notre plus élémentaire jugement critique et que nous nous transformions en

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Quant aux dirigeants de certains pays musulmans eux-mêmes, ne sont-ils pas encore aveugles sur le caractère obligatoirement mortifère de tout compromis, de toute concession, de toute collaboration avec une idéologie qui menace la paix du monde ? En définitive, on peut dire : • que l’idéologie sioniste, qui s’est manifestée par la violence dès avant la création de l’Etat d’Israël en engageant ses militants à tuer des innocents474 et qui sous-tend cet État, est bâtie exclusivement sur des valeurs inhérentes au judaïsme comme en témoignent notamment la quasi-totalité des rabbins, en savants et fidèles interprètes de la Loi. D’ores et déjà, elle constitue la plus longue idéologie maligne de l’histoire, les fascismes ayant sévi généralement une à deux décennies, le communisme occidental sept décennies ; • que l’État d’Israël, cet État des généraux et des rabbins qui, depuis sa création, bafoue impunément les Nations Unies475, se veut au-dessus des lois communes et considère la Palestine comme son bien propre « en vertu d’un droit naturel et historique » comme le proclame cyniquement le texte de la Déclaration d’indépendance476, correspond à l’Étatvoyou défini dans les dictionnaires : « un État qui ne respecte pas les règles du droit international et fait peser une menace sur la sécurité collective »477 ; • que l’État juif, contrairement à nombre d’États nés comme lui dans un processus de violence anti-démocratique, est dans l’incapacité absolue d’acquérir la légitimité qui lui manque depuis sa naissance. En effet, l’idéologie qui le porte, idéologie la plus structurée que l’histoire ait connue, lui interdit l’exercice de la démocratie à l’égard de non-Juifs. Si tous les États accordent ce bien à leurs citoyens juifs (à l’exception de certains États musulmans), la réciproque ne saurait exister. Ici, seule une démocratie entre Juifs est concevable. Créé comme un État spécifiquement juif par les Nations Unies, cet État qui se veut juif, qui est dirigé exclusivement par des Juifs, qui est soutenu par une très large majorité des Juifs de toutes catégories à travers le monde478 et qui peut se revendiquer légitimement juif est véritablement condamné par nature à appliquer une politique ségrégationniste violente. Car, seule cette politique raciste lui assure existence et survie en tant que nation, comme l’altérité un docile écho de sa volonté; Israël veut que nous reconnaissions de jure ce qui pour eux est déjà un exercice de facto : l'impunité absolue. Du point de vue des juifs, Israël ne pourra jamais être soumis à jugement, puisqu'il a été torturé, gazé et brûlé à Auschwitz. Je me demande si ces juifs qui sont morts dans les camps de concentration nazis, ceux-là qui ont été trucidés dans les pogroms, ceux-là qui ont pourri dans les ghettos, je me demande si cette immense foule de malheureux n'aurait pas eu honte des actes infâmes que leurs descendants commettent depuis ». 474 . Pendant la période du mandat britannique sur la Palestine de 1920 à 1948, nombre d’Anglais et d’Arabes furent en effet tués au nom de cette idéologie naissante. Peut-on citer notamment, menés par le groupe clandestin Stern, l’assassinat de Lord Moyne représentant de la Grande Bretagne au Caire en 1944, la destruction par explosif de l’hôtel King David, quartier général de l’armée britannique, qui fit 100 morts en 1946, le massacre des habitants de Deir Yassin en avril 1948 qui fit 240 morts. Le diplomate suédois Folke Bernadotte, médiateur des Nations Unies entre les Arabes et les Juifs, fut également abattu par l’organisation juive du Lehi peu après la proclamation de l’État d’Israël. Comme on a pu le dire pour le communisme et le nazisme, tuer des innocents est un signe qui témoigne à lui seul de la malignité de l’idéologie inspiratrice, aussi sûrement que tel signe clinique assure le diagnostic d’une maladie mortelle. 475 . Comme le précise Oren Medicks (dans Israël, le sionisme et l’antisémitisme): « Aucun autre état ne serait sorti indemne de plus de 180 infractions des résolutions de l’ONU, résolutions exécutoires du Conseil de Sécurité incluses. 476 . S’il existe un lien religieux historique entre le judaïsme et la Judée cela ne justifie en rien l’accaparement de ce pays par les Juifs. Avant eux il y a eu les Philistins et après eux les chrétiens et les Ottomans musulmans. 477 . Définition du dictionnaire Petit Robert. 478 . Indépendamment de l’immigration massive de Juifs, premier objectif des associations juives, des capitaux considérables émanant des Juifs de tous les pays occidentaux et d’abord des États-Unis, convergent depuis la fin du XIXe siècle vers la Palestine par l’intermédiaire de multiples associations. Un journalise constate ainsi qu’ « il n’y a pas une rue, un parc ou un bâtiment qui n’ait sa plaque de remerciements avec les noms des généreux donataires » (Michel Bôle-Richard, Le Monde du 17 décembre 2008).

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institutionnelle Juifs/non-Juifs et l’identité d’ordre racial des Juifs assurent celles de la judaïcité et du judaïsme ; • que seule une intervention internationale déterminée, vigoureuse, apportant une réelle démocratie et bien plus complexe encore que celle mise en œuvre pour le nazisme où il suffisait d’accumuler des armes, est capable de mettre fin au drame du sionisme ?479 • que le sionisme constitue à l’époque moderne le facteur conjoncturel principal des antisémitismes.

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. Elie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France, (dans sa réponse à Régis Debray : À un ami israélien, p. 151) a été enfin amené, comme certains autres israéliens, à penser qu’une intervention extérieure était nécessaire pour la survie d’Israël. Mais, en sioniste convaincu, il ne voit, hélas, que celle des États-Unis laquelle est sans doute capable de sauver une structure étatique devenue folle, mais sûrement pas de sauver des hommes (tous les hommes résidant aujourd’hui en Palestine historique avec les expulsés de 1948 et leurs descendants) victimes d’une idéologie perverse.

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4ème Partie JUDAÏSME… ANTISÉMITISMES : UN DESTIN COMMUN

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CHAPITRE VIII – LA QUESTION JUIVE ET L’ANTI-ANTISÉMITISME LA QUESTION JUIVE EN FRANCE AU DÉBUT DU XXe SIÈCLE

Avant l’avènement du régime hitlérien, de nombreux Juifs européens sont relativement heureux et sereins dans leurs pays respectifs, notamment en France où ils arrivent nombreux persuadés d’être dans un pays où les droits de l’homme seront toujours respectés. « La Seine est leur Jourdain, Paris leur Jérusalem ». Certes, ils se savent sans doute honnis de certains milieux mais ils se savent aussi estimés par d’autres. À cette époque, dans une proportion fort importante, ils se sentent chez eux et à l’abri de tout danger. « D’une manière générale dans les milieux bourgeois, écrit un auteur, on est d'avis que l'isolement des Juifs et l'antisémitisme sont en train de s'évanouir et que la question juive va se régler d'elle-même en silence »480. Un grand nombre de ces Juifs se sont éloignés de la religion – certains se sont convertis au christianisme d’autres, nombreux, ont adhéré au parti communiste – tandis que la règle de transmission de la judéité par l’hérédité est largement transgressée comme en témoignent les nombreux mariages mixtes. Ces hommes se disent Français avant d'être Juifs : leur patrie est celle qui les a vus naître, grandir, accomplir leur service militaire, exercer leur profession, faire la guerre avec ferveur patriotique comme soldats ou officiers. La culture, l'histoire de ces pays est leur culture et leur histoire. Appliqués à être des contemporains irréprochables, ce sont des Français juifs comme il y a des Français catholiques, protestants, ou agnostiques. En exceptant l'agriculture481, il y a des Juifs – ils se nomment et on les nomme plutôt israélites482 – dans toutes les professions, y compris dans l'armée. « Sois un Juif au-dedans et un homme au-dehors est alors le credo de toutes les communautés juives de l'Europe libérale, leur credo et leur principale règle de vie : Dieu est ton affaire, une affaire privée, une affaire de famille ; dans l'intimité, tu peux prier comme tu l'entends, revêtir les phylactères et parler à l'Éternel en langue hébraïque... Mais au-dehors, dans la cité, il faut que tu sois comme les autres, français en France, allemand en Allemagne, prêt à défendre ta patrie contre tout agresseur, heureux de mourir en première ligne, républicain fervent si tu vis en régime parlementaire, fidèle sujet au cas où tu serais né dans une monarchie »483. Tout en considérant qu’« un Juif français, incorporé à notre peuple depuis plusieurs générations, restera sans doute raciste puisque toute sa tradition morale ou religieuse est fondée sur le racisme » Georges Bernanos484 peut lui-même écrire que « ce racisme s'est humanisé peu à peu, le Juif français est devenu un Français juif ; ses vertus héréditaires, comme les nôtres, sont désormais au service de la nation ». Quant à l’historien Marc Bloch, torturé et fusillé par la Gestapo en 1944 pour faits de Résistance, il pouvait crier son amour de la France et écrire : « La France, dont certains conspirent à m'expulser aujourd'hui et peutêtre (qui sait ?) y réussiront, demeurera, quoi qu'il arrive, la patrie dont je ne saurais déraciner mon cœur. J'y suis né, j'ai bu aux sources de sa culture, j'ai fait mien son passé, je

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. Jean-Jacques Lafaye, Stefan Zweig p. 55. . Donnée valable pour les pays de l’Europe de l’Ouest. 482 . Comme nous l’avons vu, ce terme israélites voulait avoir une connotation essentiellement confessionnelle comme celui de catholiques ou de musulmans. Gommant l’élément racial que porte le mot juif il était théoriquement préférable à ce dernier sur le plan de la prévention du racisme anti-Juifs. En fait, comme nous l’avons vu, la religion juive n’a jamais été, et ne peut pas être, disjointe de sa dimension raciale et dans l’esprit des Juifs et dans celui des non-Juifs. Ce qui explique que depuis le XIXe siècle, en fonction des époques, les deux termes d’israélite et de juif furent à la fois vivement préconisés par les uns et rejetés avec force par les autres. Aujourd’hui les Juifs, les jeunes surtout, rejettent avec mépris le terme d’israélites signifiant pour eux des tentatives d’assimilation dans les Nations. 483 . Alain Finkielkraut, Le Juif imaginaire, p. 75. 484 . Encore la question juive, in Le Chemin de la Croix-des-Âmes, p. 423. 481

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ne respire bien que sous son ciel, et je me suis efforcé à mon tour de la défendre de mon mieux »485. Mais il est clair que la note d’optimisme contenue dans certains de ces témoignages allait de pair avec une méconnaissance caractérisée du potentiel contaminateur que représente, et pour l’esprit des Juifs et pour celui des non-Juifs, le phénomène de racialisation généré par l’Institution juive et ses mythes fondateurs… Après le génocide nazi, explosion extrême du racisme anti-Juifs, et tandis que se déroule sous nos yeux depuis le milieu du XXe siècle l’ethnocide palestinien, manifestation extrême du racisme opposé, la cause structurelle des antisémitismes est toujours là, méconnue, sous-jacente aux événements perpétuellement nouveaux. LA QUESTION JUIVE AUJOURD’HUI ET SON FACTEUR CONJONCTUREL PRINCIPAL : L’ÉTAT SIONISTE

Comme en témoignent de nombreuses données statistiques, il est patent que les difficultés de la condition juive se sont notablement aggravées avec la création de l’État juif et que ce super-ghetto à l’échelle d’une région est devenu une source permanente et inédite d’inquiétude, voire de déchirements, pour tous les Juifs du monde, qu’ils soient des apôtres ou des contempteurs du sionisme. Car aucun d’entre eux ne peut rester indifférent. Cette chape qui pèse sur eux, c’est d’abord le drame inédit des deux patries dont l’une est moralement imposée. En effet, pour les Juifs sionistes qui mettent le concept de race juive au-dessus de 486 tout, « un Juif n’est allemand ou français que fortuitement ; il est Juif avant tout » . D’ailleurs, dans la pensée de nombre d’entre eux vivant en Israël/Palestine, comme ce fut le cas notamment de Ben Gourion, le qualificatif le plus approprié à appliquer aux Juifs refusant d’aller y vivre n’est-il pas celui de déserteurs ? Et la double allégeance de nombre de Juifs restés dans leurs divers pays d’origine n’est tolérable à la rigueur que si elle privilégie systématiquement Israël de façon active487. Quant aux Juifs assimilés il n’est pires ennemis qu’eux : ce sont des renégats. C’est ainsi que, conditionnés en même temps que culpabilisés par les mots de diaspora488 et de alyah489 que le sionisme leur met incessamment devant les yeux, harcelés voire sommés par les émissaires sionistes d’aller vivre en Israël490 ou de lui fournir, à titre de compensation, une aide toujours renouvelée dans un quelconque domaine à titre d’impôt491, tiraillés perpétuellement entre la solidarité de race envers les Juifs israéliens 485

. Dans L’étrange défaite, p. 32. . Citation de Sylvain Lévy rapportée par P. Prévost, La France et l’origine de la tragédie palestinienne. p. 93. 487 . Ce qui a suggéré en 2009 au CRIF de travailler à faire valider une double identité politique pour les Juifs de France afin qu’ils puissent, en toute liberté, promouvoir en priorité les intérêts d’Israël, éventuellement au détriment de ceux de la France. C’est dans cet état d’esprit que de jeunes Juifs français choisissaient de faire leur service militaire obligatoire à la faveur d’une convention datant du 30 juin 1959 ou que d’autres continuent, aujourd’hui encore, à servir volontairement pendant un certain temps dans l’armée d’Israël. 488 . Initialement, le terme de diaspora a signifié la dispersion des juifs à la suite de leurs révoltes réprimées par les Romains. Le terme s’applique donc normalement à cet exil précis des Juifs et, par extension, à l’exil massif d’autres populations que ce soit à l’occasion de guerres ou de conditions économiques particulièrement défavorables. On parle de diaspora irlandaise, chinoise, italienne… etc. Mais pour les sionistes, comme pour tous les Juifs religieux ou restant tributaires du mythe ancestral, la diaspora s’applique à tous les Juifs du monde qui, hors de leur vraie patrie, la Palestine, ne peuvent qu’être en exil. 489 . Précisons que l’alyah ne signifie pas seulement la montée mais le retour dans la Terre promise justifiant l’appartenance et la possession éternelles. 490 . En 2004, il y a avait en France une centaine d’agents recruteurs émissaires d’Israël avec la mission de convaincre les Juifs français de faire leur alyah : « Partez de la France dès maintenant : elle n’est plus un endroit sûr pour les Juifs. Venez dans votre vraie patrie, Israël ». 491 . La collecte annuelle, à laquelle participe une fraction notable des Juifs, est vue par les sionistes comme un simple impôt de solidarité entre membres d’une même famille. En 1979, Guy de Rothschild président du Fonds social unifié, coprésident de l’Appel unifié juif de France, président de la Commission économique et sociale internationale Israël-Diaspora précisait à ce sujet que 60 à 70 % de l’importante somme recueillie en France 486

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et leur conscience morale, volontiers désorientés dans leur jugement, portés à faire de la surenchère ou à commettre maladresses et provocations à l’égard des non-Juifs, poussés à agir contre les intérêts matériels ou moraux de leur pays de résidence, incités à la déloyauté, nombre de Juifs, de France et d’ailleurs, vont être profondément affectés. Car, si avoir une patrie de naissance et en acquérir volontairement une seconde n’entraîne de drame intérieur pour la plupart des individus qu’en cas de grave conflit entre les nations en question, le problème est ici tout différent : cette acquisition a été imposée de l’intérieur même du judaïsme par la force d’une idéologie dont la malignité, apparue initialement à la majorité du monde juif s’est, depuis, largement estompée dans les esprits. Et le malaise est toujours là omniprésent. Avraham Burg qui, après avoir été président du Parlement israélien et de l’Agence juive, a quitté Israël pour la France, peut écrire que « la nation israélienne n’est plus aujourd’hui qu’un amas informe de corruption, d’oppression et d’injustice ». Il résume, quant à lui, le sionisme dans les propos suivants : « un État chauvin et cruel où sévit la discrimination, un État où les nantis sont à l’étranger et où les pauvres déambulent dans les rues, un État où le pouvoir est corrompu et la politique corruptrice ; un État de pauvres et de généraux, un État de spoliateurs et de colons492 ». Et dans un autre texte il formule le pronostic suivant : « une structure construite sur l’insensibilité à l’Homme s’effondrera d’elle-même, inévitablement. Prenez bien note de cet instant : la superstructure du sionisme s’effondre déjà […] Seuls les fous continuent à danser en haut de l’immeuble alors que les piliers s’effondrent ». « Avoir défini l’État d’Israël comme un État juif sera la clef de sa perte. Un État juif c’est de la dynamite ». « Le sionisme est à bout de souffle, écrit de son côté Shmuel Trigano, mais personne n’ose (se) l’avouer493 ». Nombre de Juifs à travers le monde vont ainsi douter de la pérennité de l’Etat d’Israël. Quant au philosophe Alain Badiou494 face à « la politique de conquête, de liquidation physique des Palestiniens, de massacre de lycéens arabes, de maisons dynamitées, de tortures, que mène l’État d’Israël », il redoute que « le nom des Juifs soit mis en péril » par cet État « antisémite ». Remarquons aussi que l’idéologie sioniste fut envisagée, avant la création de l’État d’Israël, par nombre de Juifs agnostiques ou athées éloignés de leurs traditions religieuses, comme un espoir de libération à la fois des ennemis de l’extérieur et des multiples tutelles et contraintes du judaïsme. Faire du peuple juif « un peuple comme les autres » ou « un peuple normal parmi les autres », était leur désir sincère. Et aujourd’hui certains Juifs israéliens, peu instruits de leur tradition ou passant outre, ont toujours cette perspective de faire de l’État d’Israël « un État parmi les autres ». Mais il s’agit là d’un rêve insensé495 : le premier commandement du judaïsme, que les rabbins et les multiples auteurs juifs religieux ou athées ont conjugué sous toutes les formes depuis toujours en référence aux textes allait à Israël qui en avait la libre disposition, y compris pour acheter des armes (alors que la France avait mis l’embargo sur le matériel militaire) et que le reste allait à la communauté juive de France (Alfred Fabre-Luce, Pour en finir avec l’antisémitisme, p. 129 et 131). Cette aide considérable n’empêche pas les Juifs israéliens de fustiger les donateurs qui tentent par ce moyen d’apaiser leur conscience, tout en n’allant pas en Israël. 492 . La révolution sioniste est morte, Le Monde du 11/09/03. 493 . La nouvelle question juive, Gallimard 1979, p. 29. 494 . Circonstances, 3 Portées du mot « juif », p. 25-27. Si le nom juif est effectivement souillé par les exactions de l’État juif que l’histoire enregistre chaque jour depuis plus d’un demi-siècle, avec les répercutions inéluctables et incalculables sur les personnes porteuses de ce même qualificatif, il faut bien voir cependant que cette pollution, pour profonde qu’elle soit, n’est que conjoncturelle et donc secondaire par rapport à celle dont est responsable la culture juive traditionnelle donnant au nom juif, depuis longtemps, une connotation essentiellement raciale. 495 . Ce rêve insensé fut même celui de Ben Gourion déclarant qu’ « Israël serait un pays normal le jour où il aurait ses prostituées, ses gangsters, sa police, ses prisons ».

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fondamentaux du judaïsme, ne veut-il pas au contraire que ce peuple et cet État ne soient pas comme les autres de par l’identité même que les Juifs reçoivent à la naissance496 et qui leur impose pour survivre de refuser des droits à ceux qui ne sont pas Juifs et de bafouer en même temps une justice élémentaire?497 Leur déconvenue dans un État largement théocratique rendant d’emblée impossible la démocratie, leur désorientation, leur angoisse dans un pays parsemé de barrières et de murailles de toutes sortes, leur sentiment de vulnérabilité, voire de peur face au judéocide annoncé par tant d’auteurs juifs498 et aux armes de destruction massive, ne peuvent pas ne pas être à la mesure du dramatique aveuglement affectant une partie notable du monde juif. Car l’Élection à une différence radicale vaudra toujours conditionnement voire condamnation à cette même différence. Et en ce début du XXIe siècle, ne constate-t-on pas qu’un antisémitisme plus ou moins caractérisé se manifeste de façon croissante dans divers pays d’Europe et d’Amérique voire dans des pays qui précédemment ne connaissaient pas ce type d’hostilité, tandis qu’une une immense clameur de haine antijuive est hurlée dans presque tout l’Orient musulman ? Ainsi que l’écrit Maxime Rodinson : « La situation actuelle des Juifs, apparemment triomphants en Israël, apparemment á l'apogée de leur prestige dans le monde capitaliste est plus tragique sous cette gloire qu'elle ne l'a souvent été sous l'humiliation. Le sionisme a réalisé son objectif principal, la création d'un État juif en Palestine […] cela n'a nullement résolu le problème juif et l'a même incomparablement aggravé. Comme l'avaient annoncé bien des Juifs et des non-Juifs, non seulement des révolutionnaires et des marxistes, mais tout aussi bien des libéraux bourgeois, cela a en tout premier lieu créé un problème inextricable […] L'enchaînement des protestations et des réactions que celles-ci entraînaient a déjà causé plusieurs guerres, d'innombrables petites opérations militaires, émeutes, bagarres, attentats individuels et collectifs. Il est aisément prévisible que ce processus va continuer et que nous devons nous attendre en Palestine á une ou plusieurs tragédies de première grandeur »499. À coté de cette menace extérieure destinée à planer en permanence sur Israël remarquons que plusieurs auteurs mettent aussi en avant un risque non moindre, celui d’une implosion de l’État juif. Leur jugement est basé, d’une part sur des données historiques concernant les pesanteurs internes inhérentes à la société juive de toujours, d’autre part sur des données statistiques. Celles-ci montrent en effet que la population juive orthodoxe, compte tenu de son rythme de croissance démographique et de ses puissants mouvements antisionistes appelant au démantèlement de l’État d’Israël (tels Toldot Aharon et Naturei Karta), pourrait atteindre le tiers de la population israélienne dans quelques décennies. 496

. Gershom Scholem, écrit à ce sujet :« Je rejette cette proposition stupide selon laquelle les Juifs devraient devenir un "peuple comme les autres". Si cela devait arriver, ce serait la fin du peuple juif. Je partage l'opinion traditionnelle selon laquelle, quand bien même nous voudrions devenir un peuple comme les autres, nous n'v réussirions pas. Et si nous y parvenions, ç'en serait fini de nous » (citation rapportée par E. Roudinesco, Op. cit., p. 208). Sholem exprime bien le fait que les Juifs représentent un groupe particulièrement différencié et que cette différenciation est effectivement nécessaire à la survie du judaïsme mais, mais il ne voit manifestement pas qu’il s’agit là du témoin par excellence d’une "race" au sens le plus évolué et le plus contraignant du terme. 497 . Jacques Maritain semble avoir bien saisi ce côté absolument tragique du destin des Juifs lorsqu’il écrit : « Les Juifs qui deviennent comme les autres deviennent pires que les autres » (Le Mystère d’Israël, p. 53). 498 . Telle Hannah Arendt. À propos de la Palestine où elle n’a nullement l’intention d’aller, elle écrit « je suis totalement convaincue que ça tournera mal là-bas » (lettre à K. Jaspers du 30 juin 1947 dans Correspondance 1926-1963, p. 147. La Palestine qui, à la suite du génocide nazi, fut considérée comme une région-refuge par nombre de Juifs, n’est-elle pas désormais la seule région du monde où les Juifs sont en permanence menacés de mort et dont une proportion, notable semble-t-il, est en quête d’un passeport pour l’Amérique ou l’Europe ? Comme l’écrit Alain Finkielkraut (dans Le Juif imaginaire, p. 157) à propos des Sionistes, « Imperturbables, ils présentent encore Israël comme une solution, alors qu’il s’agit du lieu central où l’existence juive continue à faire problème ». 499 . Dans sa préface à La conception matérialiste de la question juive de Léon Abraham, p. XLII.

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Et cette nouvelle chape psychologique, qui s’est abattue sur eux avec la création d’un État d’Israël où ils sont entourés d’ennemis et voués à une guerre continuelle, préventive ou défensive, ne cesse de s’alourdir, d’une part par la progression de l’élément religieux facteur essentiel du communautarisme et du racisme500, d’autre part par la prise de conscience que la guerre en question n’est pas un conflit ordinaire destiné à se terminer par quelque compromis comme le pensent encore, ou font semblant de le penser, les dirigeants de nombreux pays. Car la finalité de ce type de guerre n’est rien d’autre que l’élimination, d’une manière ou d’une autre, de la partie la plus faible. Avec les actions de conquête menées depuis un siècle au nom de l’idéologie sioniste selon laquelle la terre de Palestine appartient aux Juifs et à eux seuls, comment ne pas évoquer ici les projets israéliens de déportation massive des non-Juifs hors de la Palestine historique et la préparation des politiques et des militaires à manier préventivement les armes apocalyptiques. Incompatible avec la paix, comment le sionisme pourrait-il s’achever autrement que dans un désastre inédit ? Israël, État anachronique que les Nations-Unies ont créé en accordant la souveraineté à une catégorie raciale caractérisée, État qui a interrompu quelque trois millénaires de cohabitation pacifique voire de féconde symbiose des Juifs et des Arabes, État dont les dirigeants, tous descendants de persécutés et d’humiliés se font persécuteurs et humiliateurs, État ségrégationniste par nature qui ne peut être ni l’ « État de ses citoyens » comme l’est un État démocratique, ni un « État comme les autres » mais l’ « État des Juifs » sous peine de suicide, n’est-il pas en même temps l’État le plus militarisé501 et le plus menaçant du monde502? Et, dans cette dernière perspective, comment ne pas comparer l’État juif-sioniste d’aujourd’hui à l’État germano-nazi d’hier portés qu’ils sont l’un et l’autre par une idée folle, celle d’un peuple élu pour un destin unique, et possédant l’un et l’autre les deux forces suprêmes qui font la puissance de tout groupe humain : la force de la culture et la force des armes ? LA "LUTTE CONTRE L’ANTISÉMITISME" ET SON INEXORABLE ÉCHEC

Parmi les multiples organismes chargés de cette action citons particulièrement : • la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA), • L’Alliance israélite universelle (AJU), • l’American jewish committee (AJC), • le Centre international de recherche sur l’antisémitisme (CIRA) de Jérusalem, • le Centre d’étude sur l’antisémitisme et le racisme (CEAR) de Tel Aviv, • le Centre européen de recherches et d’action sur le racisme et l’antisémitisme (CERA), • l’Institut européen d’études contemporaines de l’antisémitisme (EISCA), • le Centre européen juif d’information (CEJI) de Bruxelles, • le Centre de recherche sur l’antisémitisme (CRA) de Berlin, • le Comité interministériel de lutte contre le racisme et l’antisémitisme en France. --------500

. Notamment par la progression extraordinaire du nombre des ultra-orthodoxes en Israël. « La raison en est simple : en moyenne, une femme Haredi a 7,6 enfants ce qui est grosso modo le triple du taux de natalité de la population juive israélienne » (John Mearsheimer professeur de science politique à l'Université de Chicago). 501 . Selon plusieurs sources journalistiques Israël, que l’Occident aide directement ou indirectement depuis quelque soixante ans dans le domaine militaire, serait la seconde ou la troisième puissance nucléaire du monde, la première ou la seconde en matière de drones et de robots tueurs. Martin van Creveld, ancien professeur à l’université hébraïque de Jérusalem, historien militaire et spécialiste des guerres du futur n’hésite pas à déclarer : « Nos forces armées sont aux deuxième ou troisième rang mondial. Nous avons la capacité de détruire le Monde. Et je peux vous assurer que cela arrivera ». 502 . d’après 59 % des Européens dans le sondage de la Commission européenne, en novembre 2003. On peut ajouter ici que toute proposition pour régler pacifiquement le conflit sionismo-palestinien est utopie (Y compris celle d’une confédération de deux États reformulée récemment par Michel Onfray (Confidences d’un "antisémite", Le Point du 28 juin 2012).

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Par ailleurs de multiples groupes et associations ont mis également la lutte contre l’antisémitisme dans leur programme d’action. Pour la France ce sont notamment : • le Service de protection de la communauté juive (SPCI) cogéré par le "Fonds social juif unifié" (FSJU), • le Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNV-CA), • le Conseil représentatif des Institutions juives de France (CRIF), • le Consistoire central et le Consistoire de Paris, • l’Observatoire du monde juif, • le Bureau de vigilance du Conseil des communautés juives de Seine-Saint-Denis. L’État d’Israël, quant à lui, a institué une Journée nationale de lutte contre l’antisémitisme en janvier 2004 ; d’autre part, il collecte et exploite les multiples faits classés comme antisémites par les sionistes des différents pays où vivent des Juifs Ajoutons que sont également consacrés à cette action étendue et multiforme une floraison de sites Web, d’ouvrages, de revues, d’articles journalistiques, de plaquettes à l’usage du public (où sont indiquées les munitions à utiliser dans le combat en question), ainsi que nombre d’émissions de télévision et de radio, de congrès et de colloques, de cours scolaires et universitaires. Les actions préconisées et leur inspiration Ces organismes se sont donnés un triple rôle : analyser le phénomène devenu mondial de l’antisémitisme, enregistrer avec assiduité toutes ses manifestations, enfin générer de nouvelles stratégies pour le contrer et le surmonter. Certaines résolutions du XXIVe congrès sioniste mondial (Jérusalem 17-21 juin 2002) sont, à ce propos, tout à fait représentatives des actions et de l’esprit qui animent ces organismes. Extraites du chapitre intitulé Lutte contre l'antisionisme, l'antisémitisme et le racisme, ces résolutions sont les suivantes : 1°... mettre en place des groupes d'experts qui travailleront avec les faiseurs d'opinion, les médias (presse, radio et télévision) et les intellectuels pour combattre les fléaux de l'antisémitisme et de l'anti-sionisme qui se propagent actuellement dans certains de ces milieux ; 2°... créer dans tous les pays où ce sera nécessaire, des groupes de réflexion qui travailleront avec des législateurs pour faire adopter une législation qui mettra hors-la-loi l'antisémitisme, l'anti-sionisme et le déni de l'Holocauste ; 3°... former des groupes de juristes qui enregistreront et engageront des procès contre les hommes politiques, les médias, ou toute autre organisation qui prône la haine antisémite et antisioniste ; 4°... créer, avec l'Union mondiale des étudiants juifs et les autres organisations sionistes d'étudiants, un organisme de surveillance des activités antisémites et antisionistes sur les campus, qui dénoncera les propagateurs de haine ; 5°... former des groupes d'éducateurs qui entreprendront une lecture très approfondie de tous les manuels scolaires, dictionnaires et encyclopédies, pour les expurger de tout contenu antisémite, antisioniste et de déni de l'Holocauste ; 6°… recruter dans le monde entier des personnalités morales et éthiques, dans les gouvernements et parlements, chargées de mettre en garde les gouvernements qui n'ont pas combattu assez fermement l'antisémitisme et l'anti-sionisme dans leur pays. En France, d’autres mesures visant particulièrement les milieux scolaires et universitaires et devant être placées sous la responsabilité du ministre de l'Éducation nationale ont été également proposées503 : 503

. Robert Misrahi, Un Juif laïque en France, p. 127-128.

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1°... définir un véritable délit juridique de haine raciale et d'antisémitisme. Une loi existe déjà mais il y aurait lieu d'en étendre explicitement et fermement le champ d'application aux établissements scolaires et aux universités, 2°... prévoir des sanctions lourdes, telles des amendes applicables aux parents des coupables. Prévoir des mesures de réparation verbales et pratiques, décidables en justice, 3°... donner aux chefs d'établissement la possibilité de déplacer les agresseurs et non les victimes : interdire, en somme, la double exclusion d'une victime de l'antisémitisme. Ne pas privilégier le destin scolaire de l'agresseur sur la sécurité et la sérénité de la victime. Le délinquant antisémite devra assumer la responsabilité de ses actes, 4°… imposer aux chefs d'établissements, au Rectorat ou à l'Académie, à l'occasion de chaque agression antisémite, de faire une intervention publique et solennelle condamnant l'agression, donnant les raisons morales et "citoyenne" de cette condamnation et qui serait suivie d'un appel à l'amitié et au respect réciproque, 5°… souhaiter que les responsables religieux, musulmans et chrétiens condamnent régulièrement et explicitement l'antisémitisme, et cela dans des sermons officiels, dans les mosquées et dans les églises, 6°… demander systématiquement, après chaque agression, l'intervention publique de la LICRA, du MRAP et de la Ligue des droits de l'homme, 7°… souhaiter que le ministère, après chaque agression, se pourvoie partie civile et ne tolère désormais aucune exception, 8°… souhaiter la création, sous le parrainage de l'Éducation nationale, d'un Comité de défense judéo-arabe qui se donnerait pour double tâche la résistance à l'antisémitisme et le développement d'une amitié française judéo-arabe. Une stratégie erronée et un piège sémantique En voyant la pensée sous-jacente aux actions préconisées par les organismes en question, voire en remarquant la simple dénomination de certains d’entre eux, il est patent que ces organismes ignorent totalement la cause invariante du phénomène antisémite et qu’ils s’attaquent exclusivement aux griefs que nourrissent les non-Juifs à l’égard des Juifs, alors que ces griefs, par nature toujours nouveaux et variables à l’infini, rendent l’action entreprise perpétuellement obsolète. Mais il y a manifestement un degré de plus dans l’erreur… Comme il est logique, le mot : antisémitisme revient bien entendu sans cesse dans la parole ou l’écrit de ces organismes or, qui n’a vu que ce mot, inventé spécialement pour qualifier le racisme envers les Juifs et transportant dans tous les esprits la notion d‘une catégorie d’hommes différente de toutes les autres, promeut par un effet-boomerang inexorable, bien plus que le mot banal de racisme, le phénomène de différenciation-racialisation des Juifs à la base même du processus antisémite. Qui n’a vu que ce sacré mot504 devenu incontournable a quelque chose de proprement diabolique ? Et les expressions : « lutte contre le racisme et l’antisémitisme », « actes racistes et antisémites », expressions promues par les organismes de lutte contre l’antisémitisme dans une perspective réaffirmée de distinction, de distanciation et de séparation, et fidèlement reprises dans les médias, sont venues encore aggraver le phénomène de différenciation des deux parties de l’humanité initié et porté par le judaïsme. Manifeste erreur de stratégie que celle-là : promouvoir un mot racialisant toujours plus les Juifs sans s’apercevoir que le phénomène représente la cause structurelle des antisémitismes. Ne peut-on pas évoquer ici l’Ouroboros, ce serpent qui se mord l’appendice caudal, symbolisant une action favorisant le fléau qu’elle veut combattre ? Parmi les nombreux Juifs auteurs de travaux sur l’antisémitisme, exceptionnels en effet sont ceux qui, à l’exemple de Klaus J. Hermann ont compris ce problème : « On n’avait pas besoin, écrit-il, pour persécuter les Juifs de la trouvaille de termes comme l’antisémitisme. Le 504

. Expression de Jean Daniel dans le Nouvel Observateur, N° 2282 du 31 juillet 2008.

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vrai sens de ce mot absurde réside dans sa connotation raciste. Jusqu’à l’invention de ce mot l’opposition aux Juifs était, à tout prendre, concomitante à leur appartenance religieuse ; ils faisaient partie d’une minorité confessionnelle […] Tout ceci se trouva aisément transformé avec la définition de leur appartenance raciale à laquelle se sont consacrés les simples adeptes comme les rabbins »505. Certes, la formation au XIXe siècle de ce mot antisémitisme a été tout à fait arbitraire – appliqué d’abord à des langues, le caractère sémitique le fut ensuite à des races – mais, contrairement à ce qu’écrit Hermann, non seulement il n’est pas absurde mais il est parfaitement adéquat puisque il désigne l’hostilité envers une catégorie d’hommes séparée des autres par un système de pensée raciale caractérisé. Cet échec de la communauté juive, championne du Verbe mais condamnée à promouvoir un mot, qu’elle a créé dans la méconnaissance de son potentiel pervers, a quelque chose d’absolument pathétique : ce potentiel est directement proportionnel à l’énergie investie. Et l’on sait combien l’investissement, tant humain que financier, est considérable depuis le milieu du XXe siècle dans tous les pays occidentaux et plus particulièrement européens ! Esther Benbassa ne parle-t-elle pas à ce sujet de « la fureur de la lutte contre l’antisémitisme506» ? Avoir l’intention de couper des herbes folles, tout en semant à profusion les graines de ces mêmes herbes, peut-il être autre chose qu’un geste inconsidéré dans sa motivation, fâcheux dans ses résultats et ne pouvant au mieux, avec des menaces intimidantes envers les individus, que neutraliser momentanément les critiques avant de les exacerber ? Relativement bien localisé au monde occidental avant la seconde guerre mondiale, l’antisémitisme y a non seulement progressé dans ses formes latentes ou objectives selon de multiples rapports dignes de foi, mais il s’est étendu au monde arabe voire au monde musulman avec la création de l’État juif. Il a même gagné, semble-t-il, des pays (Japon, Chine, Inde…) qui jusque là en étaient pratiquement indemnes. À propos de l’action entreprise contre le racisme en général, remarquons qu’il n’y a pas de mot spécifique pour désigner les autres formes de racisme (racisme anti-Noirs, anti-Indiens anti-Arabes..), ni d’action particulière pour réduire chacun d’entre eux mais une simple lutte contre le racisme. Et comme le temps le montre, ces racismes ont régressé souvent de façon notable pour ne pas dire spectaculaire. Cela ne saurait être le cas avec l’antisémitisme. Par ailleurs, penser avec certains auteurs du XIXe siècle que la marche du progrès doit conduire à la disparition de ce phénomène507, penser avec J.P. Sartre508 que « la révolution socialiste est nécessaire et suffisante pour supprimer l’antisémitisme » ou que la destruction du capitalisme résoudra la question juive, penser qu’il convient « d’inventer une réponse juridique ou d’adapter les mesures éducatives à chaque pays » selon les organismes de lutte contre l’antisémitisme, espérer que le génocide nazi puisse servir de leçon pour l’avenir509, relève de la même méconnaissance du type d’identité que le judaïsme a forgé pour les siens et renvoie partout autour de lui. Car rien ne peut faire que les non-Juifs n’incluent dans leur esprit, en pensant le mot "juif", quelque idée de race que nous savons à la base du racisme : au subconscient racialiste des Juifs répond banalement celui des non-Juifs… Marcel Proust, dont l’ascendance juive se réveille à l’occasion de l’affaire Dreyfus, explique ainsi avec son personnage Swann que le clivage entre dreyfusards et antidreyfusards se fait sur le critère des origines : « Tous ces gens-là sont d’une autre race, on n’a pas impunément mille ans de 505

. Perspectives historiques sur le sionisme et l’antisémitisme, in Sionisme et Racisme, Sycomore, 1976, p. 257. . Dans le Nouvel Observateur du 22 avril 2004. 507 . tel Bernard Lazare écrivant : « L’antisémitisme périra surtout parce qu’il est une des manifestations persistantes et dernières du vieil esprit de réaction et d’étroit conservatisme qui essaie vainement d’arrêter l’évolution révolutionnaire » (L’Antisémitisme, son histoire et ses causes, Crès 1934, t. II, page 286). 508 . Op. cit., p. 182. 509 . Même Claude Lévi-Strauss ose avouer, écrit Jean Daniel, « la désarmante candeur qui lui avait inspiré de telles prévisions » (La prison juive, p. 73). 506

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féodalité dans le sang »510. À la même époque, Maurice Barrès écrit de son côté : « Que Dreyfus soit capable de trahir, je le conclus de sa race »511. Alors que face au chrétien, au musulman, au bouddhiste…, les individus voient le croyant, l’adepte d’une doctrine, le pratiquant de certains rites, face à un Juif ils sont conditionnés depuis toujours512 à voir celuiqui-n’est-pas-et-ne-veut-pas-être-comme-eux, celui dont ils sont séparés radicalement par le sang et les interdits communautaires dans les deux domaines les plus intimes de l’homme : la convivialité et la sexualité, le partage des repas et le mélange des sexes. Car penser racisme, c’est d’abord penser race ! Et si la théorie des races supérieures et des races inférieures, chère à certains doctrinaires du XIXe et du XXe siècle n’a plus guère d’adeptes il existe, portée par la culture judaïque depuis plus de deux millénaires, exclusivement par elle et pour des malheurs potentiellement insignes, une "race" au sens le plus achevé du terme. L’inexorable échec On peut considérer que l’anti-antisémitisme en répandant des concepts et des mots conditionnant Juifs et non-Juifs à se voir comme des groupes d’essence différente conformément à une donnée à la fois essentielle et vitale pour le judaïsme, est frappée, non pas du sceau de la simple inefficacité, mais de celui de la négativité en fonction même de l’application avec laquelle elle est menée. On peut même ajouter que, de toutes les communautés racisées, la communauté des Juifs est la seule qui ne saurait bénéficier d’une action de prévention près des populations racisantes. Car il n’y a pas de manifestations d’antisémitisme, aussi monstrueuses soient-elles, où la racialisation des Juifs inhérente au judaïsme n’ait pas influencé peu ou prou l’esprit des individus513. Si, comme nous l’avons vu, cette altérité radicale est omniprésente dans l’esprit des éminents défenseurs des Juifs et engendre au mieux un antisémitisme latent, comment pourrait-elle ne pas l’être dans le commun des mortels ? Il y a donc théoriquement deux conditions nécessaires à l’extinction de la mécanique antisémite mais ce sont deux utopies caractérisées : • un judaïsme transmettant aux Juifs une identité qui ne soit pas d’ordre racial, • des non-Juifs pensant et agissant comme si les Juifs n’étaient pas juifs.

510

. dans Le côté de Guermontès, Robert Laffont, coll. Bouquins 1987, p. 469. À propos de l’expression « origines juives », si banale dans l’écrit comme dans l’oral, on peut noter qu’elle s’applique ici à l’hérédité génétique des Juifs, à la filiation sanguine, et non à l’hérédité culturelle (l’influence) comme il est de règle dans les autres traditions religieuses ou philosophiques. Cette quête des origines chez les Juifs n’a pas d’égale historiquement. Celle qui a été en vigueur chez les nazis, et que l’historien Marc Bloch qualifiait pourtant d’ « obsession embryogénique », n’en fut qu’un dérisoire reflet. 511 . dans Scènes et doctrines du nationalisme. 512 . Comme en témoignent notamment les auteurs grecs et romains. 513 . Vladimir Jankélévitch, dans son ouvrage L’Imprescriptible (Seuil 1986, p. 25), a écrit : « L'extermination des Juifs est le produit de la méchanceté pure et de la méchanceté ontologique, de la méchanceté la plus diabolique et la plus gratuite que l'histoire ait connue. Ce crime n'est pas motivé, même par des motifs "crapuleux". Ce crime contre nature, ce crime immotivé, ce crime exorbitant est donc à la lettre un crime "méta-physique" et les criminels ne sont pas de simples fanatiques, ni seulement d'abominables dogmatiques : ce sont, au sens propre du mot, des "monstres" ». Ces propos qui se sont voulus définitifs ne le sont pas encore tout à fait. Une donnée d’importance a manqué à l’auteur : même ce racisme véritablement monstrueux des nazis à l’égard des Juifs relève pour une part de la dimension raciale que le judaïsme imprime à la judaïcité et qui singularise tout rapport entre Juifs et non-Juifs.

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En résumé JUDAÏSME... ANTISÉMITISMES : UN DESTIN COMMUN

• Si « le peuple juif n’a jamais cessé d’être socialement et historiquement malade » comme l’écrit Albert Memmi514, • « si les Juifs sont otages du lien intime existant entre leur identité de juifs et le judaïsme » comme l’écrit Élie Botbol515, • si la condition de Juif est « pesante », ou « impossible », ou « insoluble », ou « névrotisante », ou « humiliante », ou « obsédante »… , si être juif est une « tare héréditaire », une « infirmité de naissance », un « souci majeur », un « fardeau », une « malédiction », un « malheur », une « pathologie culturelle », une « souffrance », un « déshonneur », un « boulet », une « tumeur qui étouffe » voire une « honte »516 comme l’écrivent d’autres auteurs juifs, • si les Juifs « en ont assez de cette histoire, assez de cet insoluble intrinsèque » comme l’écrit encore un autre517, • si le judaïsme en racialisant les Juifs et les enfermant dans une essence juive ne cesse de générer des antisémites en leur fournissant le facteur invariant de leur hostilité, • si l’enquête généalogique peut être suffisante pour établir l’identité d’un Juif, • si tous les éminents et courageux défenseurs des Juifs cités dans ce texte se sont vus d’une catégorie d’hommes différente de celle des Juifs et accusés d’antisémitisme latent ou caractérisé, • si les Juifs sont conditionnés, par les lois du groupe, à ne jamais voir dans les non-Juifs des semblables authentiques mais des étrangers antisémites en puissance, en se vouant ainsi à l’encerclement dans un monde menaçant518, • s’ils sont fascinés tout à la fois par l’exil et le retour et si la Terre promise est toujours un leurre, • s’ils sont invités à voir dans un mariage avec un habitant non-juif du pays où ils vivent un « crime de lèse-sang » ou une trahison d’ordre sacré, • s’ils sont incités à considérer dans l’abandon du judaïsme un « renoncement à soimême » ou bien une « extermination spirituelle conduisant, comme l’extermination physique, à la solution finale de la question juive »519, • si des frontières invisibles existent toujours entre les non-Juifs et les Juifs et font de ces derniers (malgré une assimilation avancée parmi les goyim), un corps quelque peu différent et séparé dans toute société, • Si, pour le Juif rivé à sa filiation et à qui on a inculqué « l’irrésiliabilité de son être juif »520, il est plus difficile de se libérer de la judéité que pour le non-Juif de se libérer de n’importe quel autre système de pensée religieux ou philosophique,

514

. La libération du Juif, p. 187. . Quel avenir pour le judaïsme, p. 68. 516 . Hannah Arendt pense elle-même : « qu’on ne peut pas échapper à la "honte" d’être juif que "par l’engagement politique et la lutte pour l’honneur du peuple tout entier"» (Sylvie Courtine-Denamy, Trois femmes dans de sombres temps, p. 234). 517 . Daniel Sibony, L’énigme antisémite, p. 44. 518 . Hostilité que traduit notamment ce chant ancestral et solennel de la Pâque juive : « À chaque génération le goy est prêt à nous détruire » et qui, aux yeux des sionistes, justifie leur conquête continue de la Palestine. Pour Esther Benbassa, « l’hostilité des autres, réelle ou imaginaire » serait même « le principal ciment de l’identité des Juifs » (Les Juifs ont-ils un avenir, p. 248). 519 . Comme l’exprime, après bien d’autres auteurs, le grand rabbin d’Israël, Israël Lau, (Alfred Grosser, Les fruits de leur arbre, p. 29). 520 . Benny Lévy, Être juif, Étude lévinassienne, p. 38. 515

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• si le mot juif, que des écrivains juifs du XIXe siècle voulaient voir rayer du dictionnaire, est pollué par sa connotation raciale, • si le vaste monde catholique romain, devenu plus tolérant parallèlement à l’affadissement de sa doctrine et repentant face à ses responsabilités dans le génocide nazi, a abandonné toute opposition envers le judaïsme-religion mais engendre toujours du racisme antijuif, • si le judaïsme sioniste a aggravé le mal juif alors qu’il s’était donné comme tâche essentielle d’y remédier dès son premier congrès de 1897, • si l’identité pathogène que le judaïsme imprime aux Juifs est la cause la plus fréquente du syndrome de haine de soi si banal dans le monde juif, • si cette même identité, qui représente la pierre angulaire de tout antisémitisme, conditionne en même temps la survie des Juifs en tant que Juifs et celle d’Israël en tant qu’État, • si… comment ne pas voir que la culture juive – par l’altérité Juifs/non-Juifs qu’elle institue – est génératrice de malheurs caractérisés… et comment ne pas voir aussi que la seule stratégie de libération qui vaille est de promouvoir une prise de conscience de cette tare qui lui est inhérente ?

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EN GUISE DE RÉSUMÉ, DE COMPLÉMENT ET DE CONCLUSION COURTES SÉQUENCES EN VRAC

Comprendre l’antisémitisme, ce phénomène multiforme de racisme anti-Juifs qui accompagne le judaïsme depuis ses origines521, qui est permanent au sein d’un monde en perpétuel changement, qui se voit même là où il n’y a pas de Juifs, ce n’est pas justifier, accuser ou s’indigner face aux manifestations qu’il comporte... Ce n’est pas non plus consentir, se résigner ou pardonner… Dans la perspective de comprendre un phénomène historique pérenne, c’est rechercher l’origine, le cheminement et l’association des idées qui guident des hommes dans leurs sentiments ou leurs actions à l’encontre des Juifs, c’est appréhender, par delà les multiples facteurs accidentels et contingents décrits par les historiens et les chroniqueurs, le facteur étiologique commun à toutes les formes du phénomène, en jetant – condition nécessaire à toute démarche qui se veut aussi rigoureuse que possible – un voile sur les responsabilités individuelles. ----------------------Comprendre l’idéologie antisémite, c’est reconnaître qu’il y a depuis toujours un problème juif (ou un problème du judaïsme), problème qui n’est qu’accessoirement religieux et dont les principales données de base sont les suivantes : • le judaïsme n’est pas une religion ordinaire comme le sont le christianisme, l’islam, le bouddhisme... Contrairement à ces dernières, il comporte théoriquement deux dimensions intimement conjuguées : une dimension religieuse (liée à la croyance traditionnelle au monothéisme) ou plus précisément culturelle et une dimension raciale relative à une lignée d’hommes déterminée par le sang reçu à la naissance522 et se perpétuant par endogamie. Fait unique en Occident et quasiment unique dans le monde, le judaïsme est une religion ou mieux une culture à composante raciale. • le Juif traditionnel est à la fois un adepte et un appartenant. L’hostilité qu’il suscite peut comporter elle aussi ces deux mêmes dimensions : d’ordre religieux elle est qualifiée généralement et logiquement d’antijudaïsme, d’ordre racial elle est qualifiée d’antisémitisme ou de racisme anti-Juifs. Or, comme le montre l’histoire, l’antijudaïsme des païens, des chrétiens puis des musulmans, voire des libéraux non-croyants… conduit presque "naturellement" à un antisémitisme latent ou caractérisé. C’est dire l’extrême importance de bien distinguer antijudaïsme et antisémitisme avant de voir les rapports qu’ils nourrissent entre eux. À noter ici que les dimensions religieuse et raciale ont vu leur rôle respectif et leur prégnance évoluer de façon singulière au cours des âges. En ce qui concerne la dimension religieuse, soumise depuis longtemps à un « processus de dégénérescence »523, on peut dire schématiquement qu’elle a laissé place à l’athéisme devenu très largement majoritaire. Cependant, si elle est aujourd’hui relativement marginale par le nombre d’individus concernés, si par ailleurs elle est accessoire, voire inutile pour qualifier la judéité des personnes (en exceptant à peine les rares convertis au judaïsme puisqu’ils vont transmettre du sang juif à leurs descendants), il faut bien voir qu’elle conforte puissamment, par les mythes fondateurs toujours actifs dans les esprits, la dimension raciale de la judéité. En témoigne électivement l’idéologie sioniste qui, inventée par des athées avec pourtant la ferme intention 521

. C’est le psalmiste qui déjà pouvait écrire : « Tu nous livres comme des troupeaux dont on se nourrit, tu nous éparpilles parmi les nations, tu vends ton peuple à vil prix, tu fais de nous un objet d’opprobre et de moquerie pour nos voisins… Pour toi nous subissons chaque jour la mort » (Ps, 44, 10). 522 . Un professeur d’université israélien confirmait encore récemment, dans une tribune publiée par le journal Haaretz, « que le sang jouait un rôle bien plus grand que la culture dans la construction de l’identité du Juif » (information rapportée par Shlomo Sand, Le Point du 06/09/2012). 523 . Yechayahou Leibovitz, La mauvaise conscience d’Israël, p. 19.

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« de maintenir les rabbins dans leurs temples », s’est inspirée en définitive de valeurs issues intégralement du judaïsme et a engendré un État largement théocratique intimement lié à la synagogue524. Quant à la dimension raciale qui suffit pour être juif, elle représente l’élément identitaire commun à tous les Juifs les réunissant par delà les divergences les plus extrêmes dans l’ordre de la pensée philosophique, politique ou religieuse. C’est dire que l’identité de juif peut ne comporter qu’une dimension raciale en l’absence de toute dimension religieuse et croyante et, réciproquement que l’antisémitisme peut ne pas être associé à un antijudaïsme, comme ce fut généralement le cas dans le nazisme et comme on le constate maintenant dans le catholicisme qui, à l’exception de sa petite minorité fondamentaliste dissidente, a abandonné toute opposition doctrinale envers le judaïsme. C’est dire en même temps que l’idée antisémite n’est pas contemporaine du mot qui, comme nous l’avons vu, n’a été créé qu’au XIXe siècle, mais qu’elle accompagne la judaïcité depuis plus de deux mille ans525. ----------------------Face aux antisémitismes, et particulièrement à leur manifestation extrême représentée par le génocide nazi, • les historiens se sont attachés à établir les faits et gestes des antisémites ; • les philosophes et les psychanalystes se sont appliqués à analyser leur pensée (souvent aussi celle des Juifs526), à fouiller leur psychologie et à décrire les haines anti-juives perpétuellement résurgentes ; • divers auteurs, dans le sillage de Hannah Arendt, ont expliqué que sommeillait en chaque individu un tortionnaire latent ; • certains théologiens juifs, quant à eux, se sont plu à montrer la responsabilité des Juifs ayant abandonné en masse le pacte conclu par leurs ancêtres avec Dieu ; • d’autres, évoquant la notion de hester panim selon laquelle Dieu se serait voilé la face et aurait été absent d’Auschwitz, se sont évertués à désigner la responsabilité, non plus des Juifs, mais de leur divinité… Il n’y a pas lieu d’être surpris que ce gigantesque travail d’investigation et d’analyse n’ait pas permis d’élucider le phénomène antisémite : tous les éléments incriminés relèvent de données contingentes ou mythologiques. Néanmoins, ce travail n’aura pas été vain car il aura permis de rechercher et enfin de définir le vice structurel inhérent à l’identité juive avec lequel il y a, non pas un conflit banal destiné à se résoudre un jour ou l’autre par le dialogue et le compromis, mais un conflit d’ordre racial et donc pérenne, conflit visant des êtres humains en tant que membres d’une lignée. ----------------------Multiples et variées sont les catégories de personnes ayant, à propos des Juifs et à l’instar des antisémites, un conscient ou un inconscient racialement connoté… Parmi elles citons : 524

. À noter que ce phénomène apparemment paradoxal suivant lequel le religieux qui régresse globalement dans les esprits influe toujours notablement sur le politique s’observe aussi ailleurs comme si les hommes d’aujourd’hui, victimes plus que leurs ancêtres du tourbillon de la vie en société, voulaient se raccrocher à quelque chose de stable. En France cette démarche fut particulièrement illustrée par Charles Maurras qui n’était nullement croyant mais s’alliait néanmoins à l’Église romaine comme rempart à la démocratie qu’il récusait. Et puis, il y a le regain moderne du fondamentaliste religieux, juif, chrétien et musulman. 525 . Comme nous l’avons déjà noté, divers historiens situent précisément dans la période hellénistique (entre la mort d’Alexandre le Grand (-326) et la conquête romaine (-143) et en Égypte l’apparition des premières manifestations racistes c’est-à-dire du phénomène antisémite. C’est à cette époque en effet que remontent, de façon qui n’est plus guère discutée, « les premiers écrits attribuant aux Juifs des défauts enracinés dans leur nature ». 526 . tel Rudolph Loewenstein dans son ouvrage Psychanalyse de l’antisémitisme ou Annah Arendt dans son ouvrage Sur l'antisémitisme.

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• les biographes, historiens et écrivains qui se livrent à de patientes enquêtes généalogiques sur la judéité potentielle des personnages historiques qu’ils étudient527, ou qui considèrent que les Juifs convertis au christianisme528, ayant rejeté formellement le judaïsme ou totalement étrangers au monde juif, sont toujours Juifs ou d’ascendance juive, • les nombreux Juifs convertis au christianisme qui se veulent toujours Juifs parce que nés Juifs529. • les candidats à l’émigration en Israël et à la nationalité juive qui fouillent l’hérédité de leurs ascendants à la recherche de quelque sang juif pour établir leur dossier530, • les scientifiques juifs d’Israël et des États-Unis qui travaillent à démontrer la proximité génétique des Juifs du monde entier et recherchent quelque gène "juif", • les orphelins de naissance qui, découvrant un jour par surprise qu’ils ont du "sang juif", revendiquent leur judéité, • les personnes qui ne se sentent nullement juives parce que ignorant tout du judaïsme, mais qui se considèrent néanmoins comme juives parce que leurs parents étaient Juifs531, • les rabbins, les sionistes et les éminents intellectuels juifs qui parlent banalement du « sang juif » ou qui professent qu’il y a une essence juive, • les Juifs agressés qui se considèrent d’emblée comme des victimes d’une acte raciste, les observateurs532, les journalistes et les ligues de défense telle la LICRA qui les voient comme tels, • les très nombreux Juifs qui sont soucieux de la pureté de leur lignage et vouent un culte à leur généalogie en vertu de l’identité sous laquelle ils se voient, • les inquisiteurs qui traquaient jadis la judéité des marranes et les nazis qui traquaient celle de leurs suspects, • les personnes qui ont pu parler de leurs regrets de ne pas être juives533, • les penseurs juifs du XIXe siècle et de la première moitié du XXe, penseurs allemands notamment qui, bien que victimes d’antisémitisme, n’ont jamais rejeté la dialectique de race en vigueur dans leur pays, • les associations antiracistes qui ont assigné Google devant la justice pour s’être autorisé à désigner comme "juifs" certaines personnalités de la politique, des médias ou des affaires, • les éminents défenseurs des Juifs cités dans ce texte qui parlent tous de race juive … Que tant de personnes différentes juives et non-juives aient une conception typiquement raciale de l’identité juive conformément au judaïsme le plus traditionnel, où le sang hérité suffit pour faire un Juif, est une donnée qui ne saurait tromper quant à sa signification et sa 527

. On a recherché cette judéité pour une foule de personnages. Citons notamment Montaigne, Cervantès, Thérèse d’Avila… 528 . tels Edmund Husserl, Heinrich Heine, Adolf Reinach, Max Scheler, Edith Stein, Raïssa Maritain, Fritz Haber, Gustav Mahler, Felix Mendelssohn, Ludwig Wittgenstein… 529 . tel J. M. Lustiger, archevêque de Pari, écrivant peu de temps avant sa mort : « Je suis né juif parce que mes parents et tous mes ancêtres étaient juifs. Devenu chrétien par la foi et le baptême, je suis demeuré juif comme le demeuraient les apôtres ». Pour la plupart des convertis en effet, conformément à la tradition judaïque la plus établie, « être Juif n’est pas une affaire de religion et de croyance mais de sang ». 530 . Le nazisme, quant à lui, avait ses "certificats de descendance". 531 . tel Claude Lévi-Strauss que nous avons cité précédemment ou bien Ferdinand Lassalle écrivant : « Je hais les Juifs et je hais les journalistes. Malheureusement, je suis l’un et l’autre » (cité par E. Roudinesco, Op. cit., p. 44). 532 . tel Meïr Weintrater, directeur de la revue L'Arche, le mensuel du judaïsme français, qui en 2005 « estimait que la proportion d'actes racistes frappant les seuls juifs a varié suivant les années selon une proportion allant de 65 % à 80 % du total » (donnée rapportée par Daniel Dreyfus dans son ouvrage L’antisémitisme à gauche, p. 262). 533 . tel Charlie Chaplin qui, après que des journalistes aient suggéré qu’il était Juif, répondait en mars 1940 : « Je ne suis pas juif. Je n'ai pas une goutte de sang juif. Je n'ai jamais protesté lorsqu'on disait que j'étais juif car j'aurais été fier de l'être » (Christian Delage, Antisémythes, Nouveau Monde Éditions, p. 247).

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portée. Allant de pair avec le dogme de la Séparation/Altérité radicale Juifs/non-Juifs au fondement même du penser et du culte judaïques, cette séparation met en évidence rien de moins que la cause commune de toutes les formes de racisme juif et antijuif et le drame des hommes conditionnés à voir les autres comme fondamentalement différents et potentiellement hostiles. Pour qui possède cette donnée : l’antisémitisme "éternel" n’est plus une énigme… ----------------------Comprendre le phénomène antisémite c’est aussi comprendre – contrairement à l’opinion qui prévaut encore dans les médias selon laquelle les rapports antagonistes entre Juifs et nonJuifs sont à sens unique – qu’il y a, dans un processus en cercle vicieux, une interaction pathologique dont la cause structurelle ne se trouve ni dans la personne des Juifs (selon l’accusation classique des chrétiens reprise par les nazis534 et plus généralement par les antisémites), ni dans celle des non-Juifs (comme le veulent certains historiens de l’antisémitisme) mais dans la culture judaïque et plus précisément dans la racialisation des Juifs par l’Institution juive. Comprendre le phénomène en question c’est comprendre en particulier : • qu’une race autre que la sienne représente, pour tout individu, une catégorie de personnes qui présente une certaine différence, soit d’ordre naturel, soit d’ordre culturel, soit d’ordre mixte, différence qui établit des barrières et constitue le substratum du racisme ; • que les barrières les plus contraignantes et les plus génératrices de racisme sont d’ordre culturel. Elles sont représentées avant tout par l’identité irréversible des individus fondée sur le sang reçu et par l’endogamie institutionnelle assurant la pérennité de la lignée535 ; • que la distinction-séparation-différence radicale entre le collectif judaïque et le reste des hommes, entre les Juifs et les non-Juifs, les élus et les autres, les purs et les impurs, matrice d’une altérité et d’un exclusivisme irréductibles, représente rien de moins que le virus mental du racisme ; • que le racisme lié au judaïsme est double : racisme des Juifs à l’égard des non-Juifs, racisme des non-Juifs à l’égard des Juifs. Penser l’un sans penser l’autre est une amputation de la réalité ; • que l’entité juive, bien qu’ouverte théoriquement à toutes les races "naturelles", constitue la race la plus différenciée culturellement que l’histoire ait connue et, partant, que les racismes qu’elle suscite sont d’une prégnance inégalée. ----------------------Il n’y a pas de question chrétienne ou musulmane, fasciste ou communiste, il n’y a pas non plus, au sens propre, de racisme anti-chrétiens, anti-musulmans, anti-fascistes ou anticommunistes. Mais il y a une question juive et un racisme anti-Juifs...! Le christianisme et l’islam, le fascisme et le communisme ne sont que des systèmes de pensée ; les chrétiens et les musulmans, les fascistes et les communistes ne sont que des adeptes. Dans le judaïsme, le système de pensée n’est que contingent, c’est la donnée d’ordre racial qui est l’unique élément fédérateur des individus. La question juive peut être vue comme découlant tout entière de cette donnée culturelle qui fonde une forme extrême d’hétérogénéité-altérité Juifs/non-Juifs engendrant inexorablement du racisme. ----------------------Tous les historiens de l’antisémitisme ont bien rapporté que le fait pour les Juifs de se marier entre eux était un motif constant d’hostilité à leur égard, ce grief était déjà celui des Grecs et des Romains, voire plus précocement celui des Perses. Exceptionnels pourtant sont ceux qui ont amorcé une réflexion à ce sujet et compris la portée majeure de la prohibition 534

. Pour Hitler en particulier le virus à combattre et à éliminer était représenté par les Juifs eux-mêmes en tant que personnes. 535 . Proust parlait de La fatalité de la race juive (dans Sodome Gomorrhe, Pléiade, II, p. 615).

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institutionnelle de l’exogamie dans l’antisémitisme536, prohibition qui témoigne toujours d’une catégorie raciale caractérisée et qui constitue la donnée centrale de toutes les lois raciales promulguées au cours de l’histoire contre les Juifs, les non-Juifs ou les Noirs : • lois bibliques du judaïsme, premières lois écrites de ce type qui nous sont connues ; • lois de la limpieza de sangre du christianisme espagnol et portugais au XVe siècle qui ont influencé longtemps nombre de pays d’Europe, ainsi que de grands ordres religieux ; • lois du Sud des États-Unis de 1907 à 1969 ; • lois d’Afrique du Sud de 1926 à 1985 ; • lois du nazisme de 1933 à 1945 ; • lois de l’État juif de Palestine depuis 1948.537 Toutes ces lois sont le signe pathognomonique à la fois du caractère racial d’un groupe très différencié et le marqueur d’un racisme caractérisé.538 ----------------------Bien que, sous ses formes multiples, l’antisémitisme accompagne le monde juif depuis toujours, l’antisémitisme nazi revêt une importance particulière pour la compréhension du phénomène. Non pas parce que ses manifestations sont extrêmes, non pas parce qu’elles sont inédites, mais parce que, en l’absence de tout antagonisme d’ordre religieux, elles relèvent d’un racisme à l’état pur où, comme dans le judaïsme, le Juif se voit marqué dès sa naissance et pour la vie. C’est ainsi que les enfants seront éliminés à l’instar des adultes. ----------------------Il est des mots permettant de rencontrer l’abjection absolue. Parmi eux, lus sur un mur par un enfant juif de 10 ans : « Mort aux Juifs Mort aux Juifs Sales Juifs Sales Juifs ! » Et Albert Cohen, commentant son expérience d’enfant, de poursuivre : « Ainsi disait la bonne inscription devant laquelle je savais ma vie perdue [...] Le sale juif avait mal, le sale juif avait la bouche entrouverte de malheur [...] C'était une douleur de sale Juif et même de youpin ou de youtre [...] Antisémites, âmes tendres, je cherche l'amour du prochain, dites, sauriez-vous où est l'amour du prochain ? »539. Mais, par-delà l’irresponsabilité, l’imbécillité ou la perversité qui ont pu guider l’auteur des mots en question, comment ne pas voir que l’enfant juif, avant d’être un rejeté et un persécuté, a été un séparé par un système idéologique inexorable ! 536

. Parmi ces auteurs juifs particulièrement lucides évoquons Karl Kraus (1874-1936) et Isaak Marcus Jost. (1793-1860). Constatant dès la fin du XIXe siècle que « l'assimilation psychologique et sociale pratiquée pourtant avec beaucoup d'ardeur par une partie des juifs n’est pas suffisante pour arrêter l’antisémitisme s’il n’y a pas mélange physiologique de sang », Kraus va promouvoir les mariages mixtes et s’opposer de toutes ses forces au sionisme naissant de Herzl qui s’oppose à l’assimilation complète des Juifs, seule solution pour que s’évanouisse l’antisémitisme. (Karl Kraus ou l’identité juive déchirée, pp. 105 et 109 et Sionisme et antisémitisme : le piège des mots, de J. Le Rider). Quant à Jost il écrit : « Un État ne peut reconnaître la légitimité des juifs aussi longtemps qu'ils ne se marieront pas aux habitants de ce pays. L'État n'existe que par la vertu de son peuple, et celui ci doit constituer une unité. Pourquoi devrait-il soutenir un groupe qui a pour principe fondamental le fait que lui seul détient 1a vérité, et qu'il doit donc éviter toute intégration avec les habitants du pays ? » 537 . Comme nous l’avons déjà remarqué, c’est dès 1947 que fut décidé que les Juifs ne pourraient pas épouser de non-Juifs et qu’il n’y aurait donc pas de mariage civil en Israël. En 1953, cette promesse politique fut légitimée par la loi concernant les tribunaux rabbiniques stipulant que le régime matrimonial des Juifs en Israël relevait exclusivement de la loi biblique. Dans la circonstance, les Juifs les plus opposés entre eux sur le plan de la pensée et des sentiments, socialistes athées d’un côté et rabbins fanatiques de l’autre, se sont unis pour prohiber les mariages mixtes, prohibition qui est nécessaire à la survie même du judaïsme et de la judaïcité. L’État juif, en véritable laboratoire expérimental du racisme potentiel contenu dans le judaïsme, confirme que l’élément unificateur et fédérateur des Juifs est bien l’élément racial. 538 . Les historiens ont bien entendu comparé ces lois entre elles et recherché l’influence contaminante qu’elles ont pu avoir sur celles qui leur furent postérieures. Il est manifeste notamment que les lois bibliques ont directement influencé depuis deux mille ans les chrétiens de toutes catégories et parmi eux les nazis. 539 . Ô vous frères humains, Gallimard, 1972, coll."Folio", pp. 172-175.

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----------------------Si l’altérité/opposition Juifs/non-Juifs n’a pas d’équivalent historique par sa longévité (« la plus longue haine »540 : plus de deux millénaires) et si personne n’ose émettre l’hypothèse qu’elle peut s’évanouir un jour, c’est qu’elle est irréductible. Ne relevant pas d’un différend philosophique ou religieux, ni d’une rivalité d’ordre économique ou politique – il n’y a pas d’exemple où ces types de conflit ne se relativisent avec le temps et disparaissent – cette opposition est typiquement d’ordre racial. Car la race dans une forme très différenciée est cette réalité incontournable, et la seule, qui donne à toute opposition son caractère pérenne et irrémédiable. Initiée par les mythes bibliques de la Création et de l’Élection récusant l’unité du genre humain et instituant deux espèces d’hommes, les Juifs et les non-Juifs, consacrée par la filiation et l’interdit de l’exogamie, reprise par une immense littérature à la fois sacrée et profane, il s’agit là d’une donnée absolument capitale dans l’histoire de l’humanité : la première formulation écrite des principes théoriques de ce qu’on nomme aujourd’hui le racisme ou, en d’autres termes, la naissance de la pensée raciale structurée. ----------------------Dans le monde occidental, seuls deux système de pensée, le judaïsme et l’aryanogermanisme, ont inventé, façonné et exalté leur propre catégorie raciale : la race juive pour le premier, la race aryenne pour l’autre, conditionnant leurs membres à un racisme spécifique. Le premier, structuré sur des mythes d’ordre religieux où, phénomène unique dans l’histoire, les notions de race et de religion sont intimement conjuguées et portées par un monument exceptionnel d’écriture, ne peut pas ne pas défier les siècles, le second, d’ordre profane, qui n’a donné lieu qu’à un dérisoire investissement intellectuel, ne pouvait être qu’éphémère. ----------------------Peuple-race, les Juifs, pour subsister en tant que Juifs, peuvent se couper comme nous l’avons vu, de toutes les dimensions que l’on peut attribuer au judaïsme (notamment de la traditionnelle dimension religieuse) à l’exception d’une seule : la dimension raciale. Socle unique, dénominateur commun de tous les Juifs, c’est de cette donnée – transmission sanguine d’une identité irréversible et endogamie – qui constitue en même temps le soubassement de toutes les formes de racismes juif et antijuif. ----------------------Si les racismes ont des éléments essentiels en commun, il est évident aussi que chacun d’eux présente en même temps quelque spécificité, relative notamment à la populationvictime. Dans cette perspective, on peut dire que l’antisémitisme se distingue particulièrement de tous les autres à la fois par son support et son devenir : Son support ? Dans le racisme anti-Noirs par exemple – racisme où le groupe racisé est traditionnellement non racisant – la notion de race est présente chez l’acteur mais non chez le groupe-victime541. Dans le racisme anti-Juifs au contraire, c’est le groupe-victime lui-même qui, de par sa tradition culturelle, est le vecteur de cette notion contaminante et potentiellement capable de transformer un opposant de circonstance en un raciste déterminé. Son devenir ? Le caractère racial des Noirs étant d’ordre naturel, le racisme envers eux est automatiquement destiné à se réduire avec le temps, parallèlement au progrès de 540

. Selon le titre même de l’ouvrage de Robert Wistrich, The Longest Hatred. . Alors que l’on constate généralement que là où il y a race il y a contre-race, racisme et contre-racisme, on peut considérer que la race noire, par exemple, ne s’est pas établie, tout au moins pendant longtemps, comme opposée racialement à la race blanche et n’a donc pas développé de racisme à l’égard de ses persécuteurs blancs. Les institutions récentes du CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires) et du CRAB (Conseil Représentatif des Associations Blanches), à l’exemple du CRIF (pour les Juifs), peuvent être vues par contre comme des initiatives tout à fait régressives. 541

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l’humanisation et au phénomène de mondialisation. Fondamentalement lié au judaïsmeculture le racisme envers les Juifs ne saurait avoir cette évolution favorable. ----------------------En considérant les démocrates comme de « piètres défenseurs »542 des Juifs, Jean-Paul Sartre n’a manifestement pas vu l’ensemble du problème qui se pose. Défendre les Juifs quand ils sont victimes reste pour les démocrates un impératif absolu quelles que soient les circonstances, mais parallèlement ils ne peuvent pas occulter le fait que la loi princeps du judaïsme, qui sépare radicalement les humains en deux groupes sur un critère qui n’est pas de l’ordre de la pensée, est une donnée foncièrement perverse. Rejetée d’emblée il y a deux mille ans par le christianisme naissant543 et plus tard par le marxisme, elle constitue rien de moins que la première loi typiquement raciste de l’histoire connue. ----------------------La société allemande des années 1920 et 1930 marquée par le nazisme et l’entité juive depuis le milieu du XXe siècle marquée par le sionisme ont, au regard de l'histoire, quelques ressemblances remarquables : celle de privilégier l’étude et les sciences diverses, de comporter des élites particulièrement nombreuses, d’apporter à leurs membres d’intenses et exceptionnelles satisfactions de réussite et de se montrer sous des aspects flatteurs544... Mais en même temps, témoignant de la propension des hommes à inventer des idéologies plus ou moins perverses, chacune de ces entités de culture occidentale, à partir de son imaginaire, a secrété et cultivé une idéologie spécifique, le nazisme pour la première, le sionisme pour la seconde, idéologies si prégnantes qu’elles ont piégé, non seulement des hommes ordinaires mais un grand nombre de savants, philosophes, écrivains, moralistes, religieux, artistes… Deux sociétés profondément racisantes en ont résulté. La société nazie a été responsable, au nom du mythe aryen et de son surhomme, d'un génocide sans précédent par sa forme et son ampleur, la société sioniste, au nom de son homme nouveau succédant lui-même au surhomme juif du XIXe siècle, est responsable, au nom des mythes du judaïsme, d'un ethnocide également sans précédent par sa sophistication, sa durée, sa capacité à subjuguer les dirigeants des nations545 et à faire des Palestiniens, les « victimes de victimes »546. Comme l’ont pensé divers auteurs547, seule l’association d’une idéologie d’ordre racial et d’une culture éminente est capable, en conditionnant progressivement nombre d’individus normaux, de générer ce type extrême d’entreprises avec ses succès spectaculaires et ses drames achevés. ----------------------Si la société sioniste permet des comparaisons avec la société nazie elle le permet aussi avec la société modelée par l’autre grande idéologie maligne du XXe siècle : le communisme. 542

. dans Réflexions sur la question juive, p. 65. . notamment par la voix de saint Paul qui consacre la rupture définitive du christianisme avec le judaïsme. Plus tard, Spinoza notamment reprendra en homme libre cette même critique de la Loi juive ce qui lui vaudra d’être exclu de la communauté des Juifs. 544 . Combien de Français ont été subjugués en 1940 par l’aspect de l’armée allemande et combien de touristes le sont aussi aujourd’hui face aux réalisations israéliennes ! 545 . Portée par un Verbe, une dialectique et un cynisme remarquables (« peu importe ce que disent les Gentils, l'important c'est ce que font les Juifs » suivant la phrase de Ben Gourion inculquée dès l’école à tous les enfants), maniant avec dextérité les trois armes absolues que sont la Bible, la Bombe et la Shoah, bénéficiant des connivences, des ignorances et des manques de courage des politiques occidentaux, très lointaine par la géographie et par la culture du monde extrême-oriental, n’ayant contre elle qu’un monde islamique marqué par l’impuissance et qu’une faible minorité de Juifs, l’idéologie sioniste bénéficie pour sa survivance et son développement de conditions particulièrement exceptionnelles. 546 . expression de Edward Saïd remarquant, après nombre d’auteurs, que ce sont les enfants et les petits-enfants des persécutés du nazisme qui, à leur tour, sont devenus des persécuteurs au nom d’une nouvelle idéologie (E. Roudinesco, Retour sur la question juive, p. 314). 547 . Notamment, ceux que nous avons cités précédemment : Ernest Renan, James Darmesteter, Friedrich Nietzsche, Ernst Ludwig Pinner (ce dernier s’exprimant précisément à propos d’Israël). 543

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Sionisme et communisme sont en effet nés l’un et l’autre d’une idée généreuse et louable a priori : d’un côté, celle de donner aux Juifs persécutés depuis toujours un territoire où ils seraient protégés, de l’autre, celle de supprimer l’exploitation des hommes par d’autres hommes. Mais les promoteurs de ces idéologies méconnaissaient des données qui ne pardonnent pas. Dans le sionisme : le potentiel raciste du judaïsme qui a divisé le monde en Juifs et en non-Juifs et est passé intégralement dans le sionisme, dans le communisme l’utopie de l’égalité des hommes. ----------------------Depuis un siècle le judaïsme, avec sa doctrine de Distinction-Séparation essentiellement d’ordre racial, aura : • précipité en masse les Juifs, d’abord dans l’internationalisme avec le mouvement bolchevique548, ensuite dans l’hypernationalisme sioniste, seul nationalisme avec celui du nazisme à être racial par nature et incompatible avec la paix. Certains Juifs seront même passés de l’une à l’autre de ces idéologies extrêmes ; • proposé ou imposé à tous les Juifs du monde, avec la création de l’État juif, une double loyauté549, source chez les uns d’un malaise permanent550 voire d’une culpabilité diffuse551, chez les autres d’actes réprouvés par la morale commune552, chez d’autres encore d’un fol et provocateur orgueil553 ; • désorienté nombre d’entre eux… Peut-on citer Theodor Herzl qui, pour mettre fin au problème juif, a conçu successivement le projet, à la fois naïf et fantastique, de demander aux Juifs de se convertir massivement au christianisme554, celui d’employer la force brutale en provoquant en duel les détracteurs des Juifs555, celui de remplacer pacifiquement le peuple palestinien en le privant de sa terre ancestrale, voire en pensant « que les Arabes se réjouiraient de voir revenir leurs frères juifs en leur terre et que le son des trompettes, plutôt que celui des canons, les accompagnerait »556. Dans un autre registre non moins significatif d’un malaise aigu, peut-on citer aussi René Schwob converti au christianisme et associant, à propos de sa condition native, la haine et l’amour : « Je n’aime pas les Juifs. Mais comment se fait-il que, lorsqu’un antisémite les attaque, neuf fois sur dix je les défende ? Je ne les aime pas. Et pourtant, comme ils disent, je 548

. Citons particulièrement Trotsky, Zinoviev, Kamenev, Sverdlov, Radek, Martov… tous ayant puissamment contribué au triomphe de la Révolution d'Octobre en rapprochant l’espérance communiste d’un monde de félicité et le messianisme juif. Certains furent même des tchekistes et des épurateurs. 549 . Lors de la guerre de 1967, par exemple, les officiels israéliens et le mouvement sioniste ont demandé aux Juifs de France de s'opposer de toutes leurs forces à la politique du gouvernement français. 550 . tel chez George Steiner, écrivain juif et antisioniste résolu, qui écrit : « En Israël il faut être un camp armé, armé jusqu’aux dents. Il faut avoir des gens en prison dans des circonstances souvent terribles. Ça me semble un prix, que moi, je ne peux pas payer » (Barbarie de l’ignorance, p. 28). 551 . Alain Finkielkraut dans Le Juif imaginaire, p. 159. 552 . tel celui d’aller se joindre aux militaires israéliens pour nettoyer le terrain des Arabes ainsi qu’en témoignent divers témoignages. Pour les nazis il s’agissait aussi de nettoyer. En avril 1943, dans un discours à Kharkov, Himmler proclame : « L'antisémitisme [...] c'est comme l'épouillement. Se débarrasser des poux, ce n'est pas une question de philosophie, c'est une affaire de propreté » (S. Friedländer, L’Antisémitisme nazi, p. 201). 553 . comme en témoigne par exemple cet article : http://www.upjf.org/detail.do?noArticle=16403&noCat=145&id_key=145&critere=boycott&rub=7 554 . Cette conversion devait concerner notamment les deux cents grandes familles juives de Vienne et se faire « à l’Église St Étienne en processions solennelles sous le bourdonnement des cloches, en plein jour, le dimanche à midi. Non plus honteusement, comme l'avaient fait jusqu'à présent des individus isolés mais avec des attitudes fières ». (A. Boyer, Theodor Herzl, Albin Michel). Avant Herzl, la proposition de se faire baptiser, faite aux Juifs berlinois par David Friedländer (1750-1834), un des Anciens du Consistoire israélite, avait obtenu un franc succès : un dixième d’entre eux y souscrivirent. 555 . « Une bonne demi-douzaine de duels, écrivait-il, élèveront considérablement la position sociale des Juifs » (citation rapportée Jean-Jacques Lafaye dans son ouvrage Stefan Zweig, p. 24. 556 . André Chouraqui, Mon testament Le feu de l’Alliance, p. 139.

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suis Juif cent pour cent ». Car, ajoute-t-il : « C’est l’amour des êtres humains, en dehors de toute considération de classe, de caste et de race, qui me rendit peu à peu odieuse la race qui avait failli me dévorer »557. En outre, le judaïsme, parce qu’il met les siens dès la naissance dans une situation particulièrement contraignante et lourde à porter – "être Juif par son sang et pour la vie" – n’est-il pas le seul système de pensée conduisant nombre d’entre eux, en victimes prioritaires de la haine de soi, à être des antisémites résolus558 ou à s’autodétruire ? ----------------------Traiter de l’antisémitisme sans parler de l’exceptionnelle mystique de la violence portée par les textes sacrés du judaïsme et qui, depuis les tueries perpétrées par Josué, a inspiré les massacres de Mamilla, de la Naqba, de Gaza et d’ailleurs ainsi que le terrorisme d’État multiforme et inédit pratiqué par l’État d’Israël depuis des dizaines d’années, peut être tout à fait légitime de la part des historiens, des chroniqueurs et des orateurs mais il reste que cela relève non moins souvent de la méconnaissance de données historiques incontestées ou d’une attitude de peur face à une potentielle accusation d’antisémitisme. ----------------------Attribuer aux Juifs des qualités et des privilèges spécifiques liés à la naissance comme l’enseignent les textes fondamentaux du judaïsme répercutés par de multiples auteurs ou attribuer aux Juifs des défauts spécifiques liés à leur nature comme le font les antisémites depuis plus de deux mille ans, est le témoin par excellence d’une pensée typiquement d’essence raciste. Judaïsme et antisémitisme ont en commun cet élément fondamentalement vicieux. ----------------------Il était relativement facile dans les années 1920/1930 de percevoir la nocivité de l’idéologie nazie : beaucoup d’Allemands en ont été conscients même si seul un petit nombre d’entre eux est passé à l’opposition, tant le risque pour leur liberté et leur vie était considérable. Il est plus difficile de reconnaître que le judaïsme porte lui aussi des éléments pervers et plus précisément un potentiel raciste caractérisé. Cette méconnaissance relève de causes diverses… Citons-en quelques unes : • le fait que le judaïsme est encore vu souvent comme un système religieux de par les éléments mythiques ancestraux qu’il comporte. Contrairement à ce qui se passe avec une pensée d’ordre politique ou philosophique vis-à-vis de laquelle le principe de la critique, tout au moins dans les sociétés démocratiques, est admis par tous, les non-croyants ont tendance à garder le silence face à des données doctrinales qui ne sont pas discutables et dont la critique peut être interprétée par les croyants comme une manifestation de mépris à leur égard. C’est ainsi que le silence va souvent être de mise entre gens "bien élevés" (on ne va pas se disputer pour çà !) ; • le vaste monde chrétien n’est pas libre vis-à-vis du judaïsme car sa doctrine en a intégré les éléments essentiels et ne peut se penser sans eux : ses mythes fondateurs sont les mêmes ; ses héros, Jésus, Marie, Joseph, les apôtres sont de vrais Juifs ; sa Terre sainte est commune ; sa liturgie puise largement dans la Bible hébraïque qui est devenue son livre dont il a même fait un best-seller… Le christianisme se voulant un judaïsme achevé, critiquer celui-ci serait pour les chrétiens saper toutes les bases de leur propre religion ; • les persécutions dont les Juifs ont été victimes tout au long de l’histoire, notamment au XXe siècle, ont éclipsé logiquement dans les esprits les violences du monde juif ayant précédé celles de la conquête sioniste de la Palestine ; 557

. dans Être chrétien in Les Juifs, p. 317. . Otto Weininger aurait même constaté que « les antisémites les plus virulents se trouvent parmi les Juifs » (citation rapportée par Léon Poliakov, Le mythe aryen, p. 432).

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• le judaïsme, enfin, ne saurait être récusé en bloc. Comme les autres systèmes religieux, notamment monothéistes, il transporte à la fois le meilleur et le pire559. Prendre conscience de ses éléments pervers et les rejeter, fonder ses valeurs positives non plus sur des données mythiques ancestrales mais sur des données de raison et d’éthique, tel apparaît l’objectif à suivre, l’immense défi lancé à tous, Juifs et non-Juifs. ----------------------Face à l’interaction pathologique Juifs/non-Juifs, et plus précisément face aux antisémitismes que nous voyons dépendre pour leur part invariante de l’identité spécifique des Juifs, une question essentielle se pose : les institutions juives sont-elles capables de modifier cette empreinte identitaire, comme l’institution chrétienne a su changer certains de ses textes fondamentaux ayant généré les crimes de l’Inquisition, des Croisades, des guerres de religion, du racisme antijuif ? Force est de constater que la réponse à cette question ne peut être que négative pour deux raisons essentielles. D’une part aucune autorité juive n’est susceptible d’effacer voire de modifier les textes sacrés du judaïsme, d’autre part les éléments identitaires à la base de la condition souvent tragique des Juifs sont d’une nature et d’une valeur tout à fait singulières : ils assurent à la fois l’existence des Juifs en tant que Juifs, celle du judaïsme en tant que système de pensée560 et celle d’Israël en tant qu’État juif561. ----------------------Lorsque (dans quelques millénaires sans doute !) le Dieu de la Bible aura rejoint définitivement les Dieux de l’Olympe, lorsque les mythes hébreux auront subi leur métamorphose et accédé au domaine de l’art, lorsque la Bible aura rejoint l’Iliade, l’Odyssée, la Bhagavad-Gītā et autres grands textes mythiques de l’humanité, lorsqu’il n’y aura plus de Juifs et de non-Juifs, les penseurs d’alors ne manqueront pas de faire le bilan de l’apport du judaïsme à la civilisation comme les penseurs d’aujourd’hui l’ont fait, et continuent à le faire, pour le défunt paganisme gréco-romain. Comme toujours il y aura les lumières et les ombres... Parmi les premières on reconnaîtra sans nul doute la promotion de l’étude, du Verbe et de l’esprit critique, cet impératif catégorique562. Ces valeurs que le judaïsme aura cultivées plus que la plupart des autres traditions religieuses ou philosophiques constitueront son legs éminemment positif à la civilisation occidentale563. Parmi les ombres on retiendra 559

. Le meilleur… : Que seraient les arts sans les religions ? Le pire… : « à ceux qui déplorent le reflux des religions, il faut redire combien, sous leurs formes traditionnelles au moins, elles continuent encore aujourd’hui d’être à l’origine de la quasi-totalité des guerres et des conflits qui ensanglantent la planète » (Luc Ferry dans Qu’est-ce qu’une vie réussie ?) ; « Le religieux est à la fois ce qui permet aux hommes de vivre, d’aimer et se donner et ce qui les pousse à haïr, à tuer et à prendre » écrit de son côté Régis Debray. 560 . Remarquons que Avraham B.Yehoshua, pour qui le phénomène antisémite résulte essentiellement du caractère virtuel de l’identité des Juifs, s’est posé une question semblable : « Peut-on réparer cette structure spécifique de l'identité juive afin de la rendre plus claire, d'une part, et de réduire, d'autre part, sa dimension virtuelle ? » car ajoute-t-il « si nous parvenons à une compréhension de cet ordre de deux choses l'une : ou bien nous en sortirons affaiblis si l'on tire la conclusion qu'il y va de la structure profonde de notre identité et qu'il n'y a rien à faire. Ou bien nous en conclurons qu'il y a des choses que nous pouvons et que nous devons changer » (Israël, un examen moral, p. 53 et 29). Mais, l’auteur n’a pas vu qu’il n’y aurait pas d’antisémitisme, mais une banale hostilité d’ordre religieux ou philosophique destinée à s’évanouir avec le temps, si l’élément identitaire commun des Juifs n’était pas d’ordre racial. 561 . Malgré les multiples et pertinentes critiques émanant de nombre d’intellectuels juifs concernant l’État d’Israël avec ses deux catégories de citoyens, il est clair que ces intellectuels n’ont pas encore réalisé que cette donnée – la Séparation Juifs/non-Juifs – est inhérente au judaïsme-culture avant de l’être à l’État d’Israël. 562 . « Prends-toi un maître et acquiers un camarade d’étude » écrit un sage de la Michna, recommandation très voisine de celle de Socrate dans le Phédon pour qui « le dialogue avec un bon maître permet au commun des mortels d’"accoucher" de la vérité qui est en lui ». 563 . L’autre valeur positive qu’en Occident on attribue souvent au judaïsme est le commandement : « Tu ne tueras pas ». Mais l’histoire et nombre de textes émanant d’auteurs juifs d’hier et d’aujourd’hui, notamment de rabbins, semblent montrer que ce commandement fut essentiellement destiné aux Hébreux vis-à-vis des

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l’invention de la pensée raciale et une conception manichéenne du genre humain, dans laquelle il y a les Juifs et les Autres. Structurée dans des mythes religieux destinés à être encore très longtemps opérationnels, véhiculée par une entreprise exceptionnelle d’écriture et de mémoire, reprise par le christianisme qui a fait siens les mythes du judaïsme, cette pensée raciale aura été le facteur étiologique d’un double racisme. ----------------------Au cours de l’histoire occidentale, quatre catégories d’hommes se sont vu attribuer, au nom d’un élément d’ordre racial, une identité négative : les non-Blancs par la société blanche, les non-Aryens par la société aryenne, les non-Juifs (les goyim) par la société juive, les nonTsiganes (les gadjé) par la société gitane. Suivant une logique élémentaire dans le monde des hommes, des malheurs insignes en ont toujours résulté pour la société la plus faible. ----------------------Pourquoi la catégorie des Juifs engendre-t-elle du racisme bien plus que la plupart des autres catégories raciales et un racisme résistant ? À ce phénomène deux raisons essentielles peuvent être évoquées : 1° Depuis plus de deux mille ans, tous les individus non-Juifs savent qu’« ils ne peuvent pas se marier avec un Juif », or nous avons vu que cet interdit institutionnel de l’exogamie désigne, plus efficacement qu’une différence de couleur de peau, une race « autre que la sienne » ; 2° Le ghetto culturel inhérent au monde juif, en tant qu’espace inaccessible aux non-Juifs, suscite volontiers la méfiance comme tout ce qui peut apparaître comme clandestin ou caché.564 ----------------------Dans le monde occidental toutes les hostilités d’ordre racial régressent de façon notable à l’exception d’une seule : l’antisémitisme. Ce phénomène a, lui aussi, une logique implacable. La plupart des racismes sont basés sur la notion de race au sens élémentaire du terme : quelque différence évidente de couleur de peau ou de forme corporelle. Sans base scripturaire et culturelle, ce sont des racismes primaires et, avec la mondialisation et le métissage des populations, l’altérité se relativise et s’estompe souvent dans les esprits. Il ne peut pas en être de même avec les Juifs dont la culture établit l’étrangèreté entre deux populations (juive/nonjuive) sans doute la plus radicale et la plus prégnante de l’histoire. Dans un texte sur Moïse Jean-Jacques Rousseau565 a bien décrit le problème en cause : « Pour empêcher que son peuple ne se fondît parmi les peuples étrangers, il lui donna des mœurs et des usages inalliables avec ceux des autres nations : il le surchargea de rites, de cérémonies particulières ; il le gêna de mille façons pour le tenir sans cesse en haleine et le rendre toujours étranger parmi les autres hommes ; et tous les liens de fraternité qu'il mit entre les membres de sa république étaient autant de barrières qui le tenaient séparé de ses voisins et l'empêchaient de se mêler avec eux ». ----------------------------------L’auto-perception des Juifs et la perception des Juifs par les non-Juifs ont quelque chose en commun : celle d’un groupe qui se veut différent et séparé de tous les autres566. Fondée sur des données bibliques attribuant aux Juifs des qualités liées à la naissance, consacrée par les

Hébreux. En tout cas, après avoir été pensé aussi par quelques philosophes grecs, c’est avec le christianisme qu’il aura acquis véritablement sa valeur universelle. 564 . Constatant que « les Juifs dans une nation de gentils sont toujours assis près de la porte » Georges Steiner y voit aussi une raison de méfiance. Langage et silence, p. 171. 565 . dans son livre Considérations sur le gouvernement de la Pologne au chapitre sur L’esprit des anciennes institutions. 566 . Comme l’écrit Abraham B. Yehoshua : « Il n'y a rien qui offense plus le Juif que de lui dire que le peuple juif est semblable aux autres » (Pour une normalité juive, p. 56).

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données institutionnelles que sont d’abord la transmission de la judéité par le sang567, puis l’endogamie et la circoncision, l’altérité Juifs/non-Juifs est à la fois le support du racisme antijuif et la condition même de la survie du judaïsme. ----------------------Si les Juifs, de par leur identité fondée essentiellement sur la composante raciale, sont conditionnés, plus que les adeptes des autres systèmes religieux, au racisme envers les nonJuifs, il est évident néanmoins que bien des hommes nés Juifs ne sont pas racistes (notamment ceux qui, récusant la loi du sang et le mariage endogame, font fi des interdits du judaïsme et dont la sanction est la perte de la judéité pour leur descendance). Par contre, un État spécifiquement juif comme Israël, créé tel par les Nations Unies et qui se veut toujours juif, lui, ne peut pas ne pas l’être sous peine de dis-paraître de la scène internationale. Sa survie tient en effet à une condition nécessaire : être ni un État démocratique, ni l’État de ses citoyens, mais l’État des Juifs. C’est dire en même temps que cet État, tributaire de l’idéologie exclusiviste du judaïsme, n’est pas seulement enclin, mais condamné par nature, à la violence préventive ou défensive et dans une incapacité absolue à faire la paix. Comment ne pas voir dans cette simple constatation un signe pathognomonique de la malignité de l’idéologie conduisant cet État ! ----------------------L’"âge d’or" des Juifs dans la société espagnole du XVe siècle a été suivi d’une expulsion généralisée et à l’apparente grande symbiose judéo-allemande du XIXe siècle et du début du XXe a succédé une extermination non moins massive. Selon toute vraisemblance l’aventure sioniste se terminera aussi par quelque catastrophe inédite568… Au départ de ces drames passés et futurs potentiels : issu du judaïsme, un virus mental pathogène générant racisme juif et antijuif ! ----------------------De l’antisémitisme latent des non-Juifs à l’antisémitisme en acte exterminateur des nazis, en passant par l’antisémitisme violemment verbal de Céline569, l’antisémitisme peut se décliner de mille et une manières. Si la composante raciale de l’identité juive représente l’élément étiologique commun de tous les antisémitismes ce sont les circonstances toujours singulières qui font, comme dans toute maladie infectieuse, la multiplicité des réponses. ----------------------Si la haine religieuse, par le fanatisme qu’elle comporte, peut entraîner des guerres à la fois cruelles et prolongées, les guerres de religion sont fondamentalement différentes des guerres raciales lesquelles demandent la présence d’un élément spécifique de différenciation, élément que le judaïsme, seul parmi les systèmes de pensée à base religieuse, porte avec lui et cultive électivement depuis ses origines. C’est la doctrine religieuse, doctrine chrétienne en 567

. Notons que cette disposition du jus sanguinis dans le judaïsme, qui n’est pas une simple convention administrative et contingente comme elle peut l’être pour déterminer la nationalité dans divers pays, revêt ici un caractère spécifique. Se voulant indélébile, intimement lié à une mystique du pur et de l’impur, ce caractère, ne manquera pas dans l’avenir, lorsque le "religieux" aura davantage perdu de sa prégnance, d’être considéré comme attentatoire à la personne. 568 . Pour Michel Tubiana, président du Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme, et Souhair Belhassen, présidente de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, c’est à rien de moins qu’à « l’abîme » que mène l’entreprise sioniste avec la complicité de l’Union européenne (Le Monde du 4 août 2012). 569 . Il peut écrire dans Bagatelles pour un massacre (Denoël 1937, p. 72-73) : « C'est contre le racisme juif que je me révolte, que je suis méchant, que je me brouille, çà jusqu'au tréfonds de mon benouze [...] La race élue dans nos régions n'a pas encore fait procéder aux exécutions massives, seulement à quelques petits meurtres sporadiques. Mais cela ne saurait tarder. En attendant le grand spectacle, on travaille doucement la bête... ou bien par saccades, par sautes, selon paniques bien préparées... Un jour on le serre au garrot, le lendemain on lui larde les jointures, il faut que l'animal s'affole, s'épuise et cafouille dans l'arène... dégueule, crache peu à peu tout son sang... dans la sciure et dans la Bourse... Les Juifs se pourlèchent, se régalent. Quand l'animal sera sur les genoux alors viendra la mise à mort, et sans résistance possible ».

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particulier, qui mène à l’antijudaïsme mais c’est la doctrine du judaïsme qui mène au racisme réciproque des Juifs et des non-Juifs. D’une part, antijudaïsme et antisémitisme sont deux phénomènes qui se sont souvent succédés et associés au cours des temps mais néanmoins fondamentalement distincts. D’autre part, si l’antijudaïsme fut un élément étiologique important de l’antisémitisme du début de l’époque médiévale jusqu’au milieu du XXe siècle, il faut admettre qu’il est toujours associé à quelque pensée d’ordre "racial" tant l’étrangèreté des Juifs pour les non-Juifs, corollaire de l’étrangèreté des non-Juifs pour les Juifs, est fondée sur les inexorables barrières judaïques du sang et de l’endogamie. Cette donnée suivant laquelle rencontrer le judaïsme c’est rencontrer éventuellement une religion mais toujours une pensée raciale a manifestement été négligée par la plupart des auteurs. À notre connaissance, seule parmi les auteurs juifs, la philosophe Hannah Arendt est parvenue à accéder à cette donnée capitale en matière d’antisémitisme. Lors de la séance du Juingjüdische Gruppe du 13 mai 1942, après « s’en est pris à la prétention du peuple juif à se vouloir le « sel de la terre », à son « aversion secrète contre la normalité » au « privilège d’être-autre » dans lesquels elle voyait la cause de tous ses maux, de son acosmisme, elle n’hésite pas à considérer cette opinion « comme une variante de la superstition raciale »570. ----------------------Comme l’ont pressenti, évoqué, suspecté, ou pensé à un moment de leur vie les divers auteurs juifs éminents dont nous avons parlé (notamment Moïse Hess, Bernard Lazare, Gershom Scholem, Léon Poliakov…), c’est bien dans le judaïsme qu’il faut chercher la cause structurelle de ce phénomène intemporel qu’est l’antisémitisme. Avec les plus hardis d’entre eux (Avraham B.Yehoshua, Elie Botbol571…) on peut même dire que cette cause réside dans l’identité que le judaïsme a inventée pour les siens. Mais il convient néanmoins de prolonger la réflexion de ces auteurs, quelque peu entravés dans leur démarche parce que juges et parties, en constatant que cette identité est d’ordre spécifiquement racial. Portée par la Bible vue comme ultima ratio, consacrée par les deux données communes à toutes les doctrines raciales que sont la transmission héréditaire de l’identité et la pratique de l’endogamie, perçue comme telle par les non-Juifs, il faut bien voir qu’elle est génératrice d’un de ces conflits qui ne s’éteignent qu’avec la disparition du système de pensée dont ils émanent et que l’antisémitisme est un de ceux-là ! ----------------------Sartre a écrit à l’adresse des non-Juifs : « L’antisémitisme n’est pas un problème juif : c’est notre problème ». Non ! Dépendant pour une part et quelle que soit sa forme d’une donnée immuable du judaïsme transportée par les Juifs indépendamment de leur volonté – l’altérité Juifs/non-Juifs – l’antisémitisme regarde tous les héritiers directs ou indirects du judaïsme. Et, contrairement à une opinion encore courante572, le phénomène pour être singulier n’en est pas moins parfaitement rationnel et compréhensible pour qui porte un regard libre sur la culture issue du judaïsme. Il n’y a point de « mystère d’Israël » ! ----------------------À moins que ce soit une simple marque de solidarité envers des hommes persécutés (à la manière de John F. Kennedy proclamant à Berlin-Ouest le 26 juin 1963 : « Ich bin ein Berliner), combien faut-il qu’elle soit prégnante cette mystique de sang et de race dans le judaïsme pour que tant et tant d’individus nés de quelque parent juif se considèrent toujours comme Juifs malgré leur conversion au christianisme, leur ignorance, leur éloignement, leur rejet ou leur détestation du judaïsme ! Esprit libre et courageux, Simone Weil (1909-1943) que nous avons citée ici ne serait-elle pas l’exceptionnelle intellectuelle ayant récusé

570

. Ecrits juifs (texte et notes), p. 301. . Botbol écrit que « la Shoah doit ramener les Juifs à reconsidérer leur identité » (Op. cit., p. 65). 572 . Un récent ouvrage de D. Sibony est toujours intitulé : L’énigme antisémite, Seuil 2004. 571

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formellement une judéité basée essentiellement sur l’héritage du sang et dénoncé cet élément fondamentalement pervers du judaïsme ? ----------------------Stefan Zweig a parfaitement compris que l’antisémitisme « ce n’est pas dénoncer une religion mais un être soi-disant différent et inférieur » et que dans l’antisémitisme, « ce n’est pas la croyance des Juifs qui est perçue comme un danger mais leur sang ».573 Comment cet écrivain n’a-t-il pas vu, dans son extrême finesse psychologique, que ces notions perverses de différence et de sang font partie intégrante du judaïsme-culture avant de contaminer successivement les Juifs et les non-Juifs ? ----------------------Si les Juifs dérogeaient à la Loi judaïque de l’endogamie en se mariant avec des non-Juifs, il n’y aurait bientôt plus ni Juifs ni antisémitisme, si l’État juif devenait l’État de tous ses citoyens et non plus l’État des Juifs il disparaîtrait lui aussi de la surface de la terre… Comment mieux mesurer le rôle spécifique de la composante raciale de la judéité génératrice à la fois de vie et de mort ? ----------------------La notion de race en tant que substratum du racisme étant évolutive dans les esprits, et variable le racisme qui en découle sur le terrain, une question banale peut se poser. Après le drame sans précédent provoqué par le nazisme au XXe siècle où en est, en ce début de XXIe siècle, le racisme inhérent aux six principales catégories d’ordre racial : aryenne, slave, noire, arabe, tsigane et juive côtoyant, en Europe, la catégorie blanche dominante. La réponse à cette question est sensiblement celle-ci : • la race aryenne, définie très artificiellement en Allemagne au XIXe siècle en regard et en opposition radicale à la race juive, s’est totalement évanouie avec le nazisme, • la race slave et le racisme dont elle fut victime se sont largement effacés, • la race noire, qui n’est séparée des autres que par une donnée d’ordre naturel, est certes encore l’objet d’un certain racisme de la part des Blancs, mais ce phénomène régresse, parallèlement au processus de mondialisation qui banalise la différence et va de pair avec la mixité, • la catégorie raciale arabe étant intimement associée à la religion universaliste qu’est l’islam, l’hostilité dont elle peut être victime est essentiellement d’ordre religieux. Quant au racisme qu’elle développe (principalement envers les Juifs sionistes vus comme des agresseurs) il est d’ordre purement réactionnel et nullement idéologique, • la race tsigane est toujours l’objet d’un racisme notable. Néanmoins, le phénomène (dont les manifestations sur le terrain ne sont guère qu’à sens unique du fait de l’extrême faiblesse de la communauté dans l’environnement européen574) est en principe réversible avec le temps car la donnée raciale repose essentiellement sur une tradition manifestement retardataire, le nomadisme "du désert", et non sur les éléments culturels contraignants que sont les écrits sacrés ancestraux, • la race juive, quant à elle, s’accompagne toujours d’un haut niveau de racisme. Reposant sur une Écriture sacrée, le phénomène raciste est fondamentalement lié au judaïsme-culture et en partage le destin. ----------------------L’identité spécifique d’ordre racial que le judaïsme imprime aux Juifs avec l’altérité radicale en résultant, élément causal commun à toutes les formes de racisme liées au judaïsme, n’est ni modifiable, ni remédiable par les Institutions juives… Néanmoins, chaque Juif dans sa singularité est capable – moyennant quelque courage et en retenant 573

. Stefan Zweig, Jean-Jacques Lafaye, p. 57. . À signaler toutefois la création, en 2012, dans le sud de la Hongrie, d’une milice armée clandestine sur le modèle de celles du monde juif et destinée à contrer les mouvements racistes d’extrême droite. 574

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du judaïsme la valeur éminente qu’il a cultivée électivement : la prééminence de l’étude et du débat – de se libérer par lui-même de sa judéité et de déracialiser sa descendance575 comme ont su le faire tant d’hommes nés Juifs, d’hier et d’aujourd’hui. C’est dire qu’un grand défi est lancé à chaque Juif mais aussi à chaque non-Juif : prendre conscience du caractère pathogène de la tare native du judaïsme dont il est tributaire et contribuer à son évanescence. Et tandis que les deux grandes idéologies malignes du siècle en cours, le sionisme engendré par le judaïsme et l’islamisme puissamment exacerbé par le sionisme, s’affrontent dans un combat sans merci, être conscient que le temps presse.

575

. Le critère objectif de cette déracialisation est bien entendu le non-respect de l’interdit de l’exogamie. C’est seulement avec le mélange des sexes que l’on peut réellement parler pour les Juifs d’assimilation dans le monde non-juif (et non plus seulement de pénétration, d’insertion ou d’intégration) et que s’évanouit, tout au moins avec le temps, la "valeur" perverse du sang véhiculée par le judaïsme.

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