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March 14, 2018 | Author: Anonymous | Category: Science, Médecine, Psychiatrie
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o n i t e s r a b v OObserv ation.. Deux cas d’hallucinose alcoolique Adela Farcas*

Cette entité clinique a été décrite pour la première fois par Wernicke. On la retrouve actuellement dans la catégorie F10.52 (291.3) du CIM-10 et DSM-IV, c’est-à-dire "Trouble psychotique induit par l’alcool, avec hallucinations, avec début pendant l’intoxication ou pendant le sevrage". Il s’agit d’une complication psychiatrique aiguë de l’alcoolisme chronique, relativement rare. Le tableau clinique comporte l’apparition brutale des hallucinations acoustico-verbales avec automatisme mental, sans désorientation temporo-spatiale, ni altération de la conscience, pendant l’intoxication ou le sevrage d’alcool, dans un contexte d’alcoolisme chronique.

APRÈS UN SEVRAGE BRUTAL Premier patient

Âgé de 43 ans, il a été hospitalisé dans le service, suite à un passage à l’acte auto-agressif, automutilation dans un contexte de sevrage brutal d’alcool et syndrome hallucinatoire. Quelques semaines avant son hospitalisation, comme il a une promesse d’emploi, le patient, qui s’alcoolisait d’une manière quasi continue, décide de lui-même d’arrêter brutalement l’alcool. Il commence à présenter à domicile des signes de sevrage à type de nausées, vomissements, troubles du sommeil. Deux jours plus tard, c’est l’éclosion brutale d’un syndrome hallucinatoire avec automatisme mental, voix hostiles, menaçantes, commentaires des actes, et remarques péjoratives sur des particularités de son corps, thèmes mystiques et de jalousie. L’expérience hallucinatoire s’impose comme une vérité, elle est vécue avec angoisse. L’automutilation survient en réponse au contenu hallucinatoire, sans symptomatologie thymique associée. Hospitalisé en urgence, le patient ne présente pas de confusion, ni de syndrome dissociatif. L’imagerie cérébrale est normale, le bilan hépatique montre une augmentation des gamma GT, sans cytolyse. Dans son anamnèse, on retrouve : une situation d’immigration, un divorce, la précarité socio-professionnelle, des antécédents de petite délinquance, un alcoolisme chronique depuis l’adolescence, sur un mode dipsomaniaque, une absence d’antécédents familiaux d’alcoolisme ou de troubles psychiatriques. À l’âge de 29 ans, il a déjà fait un premier épisode d’hallucinose alcoolique entraînant un passage à l’acte auto-agressif, d’où une hospitalisation et un suivi pendant quelques semaines, avec une évolution favorable et un intervalle libre pendant 14 ans. Pour cet épisode, le patient sera hospitalisé * Psychiatre, praticien hospitalier, hôpital intercommunal de Villeneuve-Saint-George, 40, allée de la Source, 94190 Villeneuve-Saint-Georges.

durant quelques jours, puis suivi en ambulatoire. Le traitement est celui du sevrage d’alcool (hydratation, vitamines B1, B6, PP, benzodiazépines) auquel on a associé des antipsychotiques de deuxième génération à posologie moyenne/faible. Résultat : atténuation nette des hallucinations en quelques jours avec disparition complète en 4 à 6 semaines ; persistance d’une certaine anxiété vis-à-vis d’une éventuelle rechute hallucinatoire, sensible à la psycho-éducation. L’information médicale sur le caractère pathologique de ses troubles aura un effet rassurant (“alors, tout ça se passe dans ma tête… ils ne vont plus m’avoir…” dit-il, en parlant de ses voix). D’ailleurs, le patient va reprendre de lui-même le traitement lors d’une petite rechute survenue dans les mêmes conditions au cours de l’année de son suivi ambulatoire. Avec pour résultat, la disparition, en quelques jours, des hallucinations, sans passage à l’acte, ni, cette fois, conviction délirante, car il en avait intégré le caractère pathologique. Le suivi ambulatoire pendant 1 an a montré une disparition complète des hallucinations lors des périodes de sevrage total, avec une tendance à la récidive variable après des épisodes d’alcoolisation massive et de sevrage.

Deuxième patient

Il est âgé de 23 ans au moment de son hospitalisation dans le service pour des troubles du comportement à type d’hétéro- et d’auto-agressivité, survenus après une période d’alcoolisation massive quasi continue et un sevrage brutal. Il a des hallucinations auditives, entend des voix hostiles, persécutives, des menaces de mort. L’adhésion y est totale, l’angoisse intense. Le patient tente d’échapper à ses persécuteurs imaginaires par divers moyens. Dans ce contexte, apparaissent les troubles du comportement (violation d’une propriété privée, incendie, scarifications) qui nécessitent l’intervention de la police et, finalement, son hospitalisation.

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Dans son anamnèse : célibataire, situation socio-profesionnelle précaire, isolement, émigration, passé de délinquance, consommation occasionnelle de cannabis et d’alcools forts à partir de l’âge de 13 ans. Son alcoolisme est chronique depuis 10 ans. Il a des antécédents familiaux d’alcoolisme (les 2 parents), mais pas psychiatriques. Il y a 1 an, il a été hospitalisé pendant quelques jours, dans un contexte similaire de tableau hallucinatoire (hallucinations auditives) survenu lors d’un sevrage brutal d’alcool. L’épisode s’est résolu en quelques jours. Les hallucinations ont complètement disparu pendant 1 an, sans traitement ni suivi. Il poursuit sa consommation d’alcool qui va s’aggraver quelques semaines avant l’hospitalisation actuelle. Cette fois, il est hospitalisé pendant 6 semaines. Le traitement comporte celui du sevrage alcoolique, associé aux antipsychotiques de deuxième génération à doses moyennes. Résultat : absence de trouble thymique, syndrome dissociatif ou confusionnel. Son bilan hépatique est perturbé, avec cytolyse hépatique, stéatose, mais l’imagerie cérébrale est normale. Les hallucinations disparaissent en quelques jours, mais la conviction délirante va persister quelques semaines, d’autant plus que leur contenu faisait écho à une histoire réelle de son passé. L’angoisse va diminuer au fur et à mesure qu’il commence à comprendre le caractère pathologique de ses perceptions (“en fait ce sont mes souvenirs que l’alcool fait resurgir” résume-t-il). L’importance du sevrage d’alcool est évoquée. Le patient sera adressé pour le suivi ambulatoire à son équipe.

DISCUSSION Dans la littérature, les publications portent sur un petit nombre de cas. Une étude évoque 3  % des alcooliques qui développent un trouble psychotique lié à l’alcool. Les hommes seraient plus touchés que les femmes.

Le terrain

C’est celui d’un alcoolisme primaire, à début précoce, avec une consommation importante (éventuellement associée à d’autres produits), entraînant des difficultés de vie.

La physiopathologie

Elle n’est pas claire. Plusieurs facteurs ont été évoqués : le rôle toxique direct de l’alcool, la suppression brutale du toxique, le système dopaminergique, un déséquilibre entre les aminoacides neurotransmetteurs excitateurs et inhibiteurs (systèmes glutamates/GABA), une hypofrontalité et une hypofonction thalamique, le rôle de la carence nutritionnelle, (notamment déficit en vitamine B1 thiamine), la décompen-

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o n i t e s r a b OObsevrv ation.. sation métabolique sur un terrain affaibli, la stéatose hépatique avec des troubles enzymatique, l’absence de support psychosocial. L’hallucinose alcoolique se distingue : – du delirium tremens par l’absence de syndrome confusionnel, d’hallucinations visuelles ; – de la schizophrénie paranoïde : malgré une symptomatologie schizophrénique-like (hallucinations auditives à thématique persécutive, hostile, automatisme mental, délire de référence, angoisse), elle se distingue d’un trouble psychotique primaire par la présence d’une histoire d’alcoolisme chronique et une absence d’antécédents de psychose schizophrénique. Son contexte d’apparition : intoxication ou, dans les 24 à 48 heures de sevrage brutal, absence de syndrome dissociatif et disparition des symptômes psychotiques (délire, hallucinations) en dehors des périodes d’alcoolisation ; – d’un trouble psychotique induit par une autre substance, éliminé par l’anamnèse et les dosages… L’évolution est généralement favorable. Les hallucinations disparaissent en quelques jours ou quelques semaines, avec le risque de récidive en cas d’absence de sevrage ou de rechute alcoolique. Certaines études montrent une évolution vers la chronicité dans 10 à 20 % des cas d’hallucinose alcoolique. Les traitements proposés comportent, outre le traitement du sevrage, des neuroleptiques, ou des anticonvulsivants (Depakine®) ou la glycine. En effet, certaines études ont mis en évidence dans l’hallucinose

alcoolique des niveaux bas d’un aminoacide neurotransmetteur inhibiteur, la glycine. L’effet positif de son administration serait, chez ces patients, en lien avec un déséquilibre entre les neurotransmetteurs inhibiteurs et excitateurs. Nous retrouvons dans les cas rapportés quelques aspects communs : histoire d’alcoolisme chronique (plus de 10 ans), à début précoce, manque de soutien psychosocial, début brutal du syndrome hallucinatoire après 2 jours de sevrage brutal. Le contenu hallucinatoire rappelle des éléments de leur histoire. L’angoisse est massive et entraîne des troubles du comportement graves, notamment autoagressifs. Il n’y avait pas d’élément thymique, ni d’idées suicidaires préalables. La réponse au sevrage, au traitement antipsychotique à posologie moyenne-faible et la tolérance au traitement sont bonnes. Même si, lors de l’épisode aigu, ces phénomènes hallucinatoires s’imposent comme une vérité, au décours de l’évolution, les patients ont tendance à les mettre à distance, à les considérer comme pathologiques, à tenter de les maîtriser. Et on constate une tendance à la récidive avec la poursuite de la consommation d’alcool.

Penser à ce diagnostic devant...

– Un épisode hallucinatoire (hallucination auditives) chez un patient alcoolique chronique, en absence de syndrome confusionnel ou dissociatif. – Un changement de comportement, ou un passage à l’acte auto- ou hétéro-agressif chez un patient alcoolique chronique, en période de sevrage brutal.

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Laurence Cohen, sénatrice CRC (Communiste républicain et citoyen) du Val-de-Marne, a réuni les professionnels de santé*, avec lesquels elle travaille depuis plusieurs mois, dont Didier Touzeau, notre rédacteur en chef, pour susciter un engagement collectif en faveur d’une autre politique des addictions que la prohibition et la répression. La charte, rédigée collectivement et rendue publique le lundi 12 juillet dernier, s’appuie sur l’échec de la stratégie de “guerre à la drogue” et de la législation de 1970 pour promouvoir une autre politique. Elle est soutenue par de nombreux professionnels, personnalités, associations et organisations, dont la Fédération addiction et la Société d’addictologie francophone dont le Courrier des Addictions est l’expression. Ses signataires souhaitent que l’accent soit mis avant tout sur la prévention des addictions et la réduction des risques, mais aussi sur la réduction de l’offre et un meilleur accès aux soins. Elle réclame une dépénalisation des usages, sans toutefois supprimer l’interdit sur les drogues. Elle demande donc que soit soumis au débat, notamment la création de salles de consommation, l’introduction de programmes d’échanges de seringues dans les prisons, la dépénalisation du cannabis. Elle en appelle aux élus, à la population, aux professionnels pour dépasser les peurs et les préjugés qui entravent

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– Hospitalisation en urgence et surveillance étroite les premiers jours, pour éviter le risque de passage à l’acte. – Traitement spécifique de sevrage associé à des faibles doses d’antipsychotiques de deuxième génération. – L’alliance thérapeutique, la psychoéducation et l’information du patient montrent leur importance et leur efficacité sur l’angoisse et l’adhésion au délire, car il y a absence de syndrome dissociatif ou de troubles cognitifs. – Idéalement : conseiller le sevrage total et définitif de l’alcool afin de limiter le risque de rechute et de passage à l’acte. – Une prise en charge en alcoologie peut être indiquée pour maintenir le sevrage. v

Références bibliographiques

1. Soyka M. Psychopathological characteristics in al-

cohol hallucinosis and paranoid schizophrenia.Acta Psychiatr Scand 1990;81(3):255-9. 2. Soyka M. Alcoholic-induced hallucinosis. Clinical aspects, pathophysiology and therapy. Nervenarzt. 1996;67(11):891-5. 3. Soyka M. Thalamic hypofunction in alcohol hallucinosis. Psychiatry Res 2005;139(3):259-62. 4. Aliyev NA, Aliyev ZN. Application of glycine in acute alcohol hallucinosis. Hum Psychopharmacol 2005;20(8):591-4. 5. Soyka M. Neuroleptic treatment of alcohol hallucinosis: case series. Pharmacopsychiatry 2007;40(6):291-2. 6. Aliyev ZN. Valproate treatment of acute alcohol hallucinosis. Alcohol Alcohol 2008;43(4):456-9. Epub 2008 May 21. 7. Alcohol-related psychosis – Michael F Larson, psychiatrist, Harvard Medical School, eMedecine Psychiatry , july 2010

toute politique de santé publique en la matière. Elle est une première étape vers l’organisation d’états généraux. Laurence Cohen, nommée à nouveau rapporteure sur les crédits de la MILDT, souhaite organiser une audition des co-auteurs de cette charte devant la commission des affaires sociales dès l’automne, et espère avoir une réponse du Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, à qui elle a demandé un rendez-vous. Le but est à court terme d’organiser des états généraux. Vous pouvez signer la charte sur le site “pouruneautrepolitiquedesaddictions.fr”. * Jean-Michel Costes, Anne Coppel, Pierre Chappard, Alain Morel, MarieChristine Charansonnet, Didier Touzeau, Marc Valleur, Jean-Pierre Couteron…

Appel à signer la charte “Pour une autre politique des addictions”

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Conduite à tenir

Danièle Jourdain-Menninger nommée à la tête de la Mission anti-drogue

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Danièle Jourdain-Menninger, 60 ans, inspectrice générale des affaires sociales, a été nommée présidente de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt). Elle remplace le magistrat Étienne Apaire. Énarque et spécialiste de santé publique, elle a travaillé dans les cabinets de plusieurs ministres socialistes. Conseillère municipale PS de Granville (Manche), elle a été candidate aux législatives en 2002 et 2007 dans la circonscription de GranvilleCoutances.

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