Psicoanálisis - Historia Psicoanalisis

January 8, 2018 | Author: Anonymous | Category: Science, Médecine, Psychiatrie
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Asociación Europea de Historia del Psicoanálisis La Asociación Europea de Historia del Psicoanálisis (AEHP) Actividades 2012.

www.historia-psicoanalisis.es Conferencia de la Dra. Katryn Driffield. Los trastornos de conducta alimentaria un nuevo flagelo para la salud y un nuevo desafío para el psicoanálisis.

Les troubles des conduites alimentaires une lecture historique et une mise en perspective thérapeutique Katryn Driffield Introduction Je remercie Roberto Goldstein de m’avoir confié la tâche de retracer avec vous l’histoire des tentatives de théorisation des troubles alimentaires aujourd’hui réunis de manière, d’ailleurs, discutable sous le sigle TCA. Pourquoi s’y intéresser spécifiquement? Dans le travail clinique, nous observons une amplification des troubles du comportement en général et des troubles des conduites alimentaires en particulier : aussi 4% (taux en augmentation constante) des adolescentes et jeunes adultes entre 12 et 20 ans sont touchés par les problématiques anorexiques, chiffres qui correspondent également au spectre boulimique avec des phénomènes plus récents comme le « binge eating » ou les syndromes de boulimie nocturne. L’obésité avérée chez l’adulte suit le même mouvement ascendant : de 8,2 % en 1997 à 11,3 % en 2003 puis 14,5% en 2009 (dont 1,1% d’obésité massive), et quels que soient l’âge et le sexe. La prévalence du surpoids est légèrement plus 1

importante chez l’homme (11,4%) que chez la femme (11,3%). Toutefois, on note une prévalence de l’obésité sévère et massive supérieure chez la femme (2,3%) que chez l’homme (1 ,6%). Ces troubles prennent, comme le voyez, une dimension de plus en plus importante, inquiétante au regard de l’absence d’idées suffisamment claires quant à leur compréhension et traitement. D’où le succès des classifications type DSM 5 qui donne écho à des observations de phénomènes sans apporter d’avantage d’idées explicatives et ne permettant en toute logique que des réponses comportementales dans le registre du traitement (TCC, régimes…). Cette tendance à l’uniformisation des traitements proposés aboutit à des injonctions aussi paradoxales qu’inefficaces. P. ex. l’incitation à manger 5 fruits et légumes engendre un processus encore plus pernicieux la restriction cognitive qui enkyste les troubles et conduit dès lors le patient dans l’impasse des régimes et son yoyo pondéral bien connu. Cette très grande pauvreté théorique, en nette opposition avec la complexité du problème, n’est pas étrangère à un mouvement plus général de la société qui nous inonde de messages dans un registre de nonpenser. C’est précisément le contraire que je vous propose ce soir. Membres d’une société d’histoire de la psychanalyse, je vais donc essayer de tracer les idées forces concernant les troubles alimentaires dans une perspective historique.

Rappel historique des conceptions pathogéniques des troubles des conduites alimentaires. I-

Anorexie

L’étude des troubles des conduites alimentaires a commencé dès le 16ème siècle avec l’observation et description de l’anorexie par Simone Porta O Portio et a continué jusqu’au 19ème siècle. Ainsi ont émergé les notions successives de ‘Maladie nerveuse avec dégoût des aliments’ de Nadaud (1789), d’‘Anorexia Nervosa’ de Gull (1868) ; d’‘Inanition hystérique’ de Lasègue (1873), d’‘Anorexie mentale’ et ‘Sitiophobie’ de Huchard (1883); d’‘Anorexia cerebralis’ de Soltman (1894), « d’’Anorexie cachectique » de Régis (1895), de la « Parthéno-anorexie » de Babinski (1895). Progressivement, les cliniciens Charcot (1885), Déjerine (1885), Freud (1893) ou Janet (1908) essaient de comprendre le fonctionnement mental à l’intérieur de leur cadre nosographique respectif. L’anorexie est tantôt rapprochée de l’hystérie (Charcot et Freud), tantôt de la névropathie (Janet), ou encore de la mélancolie (Glee, 1907), quand elle n’est pas appréhendée comme une entité clinique à part « L’anorexie mentale » (Déjerine). Au XXè siècle les progrès de la médecine et des observations psychologiques ouvrent des nouvelles pistes. Ainsi, la notion de Soltmann, l’Anorexia cerebralis, postulant une atteinte neurologique a été suivie par les hypothèses de 2

déficiences endocriniennes de Simmonds dès 1914 jusqu’aux travaux plus récents de Lhermitte et de d’Ajuriaguerra qui approfondissent l’idée d’une pathologie à base endocrinienne. Côté théorisation psychologique les idées de Déjerine, Freud ou Janet ont trouvé une suite dans les travaux de Hesnard (1939), Fenichel (1941) de Eissler (1943), de Lorand (1943). Courchet dès 1947 prend une position résolument psychanalytique quant à la vision étiopathogénique et au traitement de l’anorexie. Cependant les échecs thérapeutiques de ces deux tendances, organiques et psychologiques, avec les débuts de l’isolement thérapeutique et des appoints médicamenteux sédatifs initiés par Charcot en 1885, ont rendu nécessaires des tentatives de synthèse. D’où, les approches psychosomatiques où la maladie affecterait en même temps le psychisme et le corps, comme en témoignent les travaux de Delay en 1949, de Laplane et Laplane, de Heuyer et Lebovici tous en 1951. De ce tracé historique se dégagent cinq lignes de force : 1. L’anorexie mentale est classée parmi les affections psychiatriques, identifiée soit comme une entité nosographique distincte, soit comme symptôme particulier d’une pathologie : l’hystérie, la phobie ou la mélancolie. 2. L’anorexie est considérée comme une maladie neurologique cérébrale. 3. Elle est appréhendée comme une affection endocrinologique. 4. Elle est considérée comme une affection psychosomatique, faisant la synthèse des hypothèses et options précédentes. 5. Le problème de l’anorexie commence à donner lieu à des tentatives de théorisation autour de la notion du fonctionnement mental. Les préoccupations nosographiques laissent la place à la compréhension des mécanismes psychiques agissant au sein des états anorectique et/ou des comportements alimentaires.

A ce point il nous paraît important de mentionner les travaux de Freud malgré un aspect très partiel d’envisager les troubles alimentaires, dans la mesure où il considérait l’anorexie comme symptôme hystérique, vision que l’on retrouve périodiquement jusqu’aux travaux récentes dont celle de Valabrega en1967. Dès 1905, Freud a lié l’hystérie à l’anorexie, comme conséquence de la névrose infantile. Il étudie la sexualisation des conduites alimentaires par fixation à l’érotisme oral établissant une relation entre la sensibilité érogène bucco labiale, les troubles de la succion qui en dépendent et le refoulement de l’appétit. Il décrit le dégoût alimentaire en tant que force destinée à faire obstacle aux pulsions sexuelles. K. Abraham approfondit les idées du maître et à partir de la description du stade oral cannibalique, propose que l’activité sexuelle est fusionnée avec l’ingestion alimentaire et sa part fantasmatique ; toutes les deux ont le même but à savoir l’incorporation de l’objet. Son développement de la notion de maîtrise anale 3

ajoute un éclairage supplémentaire à la compréhension du comportement anorexique. En 1913 il remarque qu’ « un refus de nourriture n’est pas forcément une répression du besoin de manger mais qu’un aliment spécifique peut-être rejeté obstinément parce que ce n’est pas celui qui est désiré ». Mélanie Klein en 1934 ouvre une perspective nouvelle par le rôle majeur qu’elle attribue aux fantasmes archaïques, particulièrement présents dans la clinique des troubles alimentaires. Pour elle : « …l’angoisse paranoïde pousse le sujet malgré la violence de ses attaques sadiques –orales à se méfier profondément des objets au moment même où il les incorpore… ». De manière concomitante, des auteurs étudient l’anorexie comme un aspect d’une perturbation de la relation d’objet avec fixation orale (Eissler, 1943), alors que de son côté, Lebovici (1948) met en évidence le rôle de la mère dans le développement de cette pathologie. L’ouverture vers l’archaïque permet –soulignons-le au passage- d’envisager ldes mouvements transférentielles au-delà du strict cadre de la névrose de transfert, tel qu’il fut décrit par Freud. Dans l’effort particulier fait depuis par les psychanalystes pour décrire des particularités du transfert et contre-transfert dans les dits T.C.A., Jean et Evelyne Kestemberg (1972) les premiers avec force, ont écrit : « L’ambivalence orale agit également dans la cure au niveau du transfert et du contre-transfert. En effet, ces malades évitent aussi bien un transfert négatif qu’un transfert positif. Elles nient la maladie et tentent d’induire le thérapeute à la nier également, à se laisser manipuler vers une attitude de meilleure mère gratifiante, qu’elles ne supportent d’ailleurs pas et transforment en provocation à la sévérité répressive. Les problèmes de l’ambivalence orale recoupe alors, à ce niveau, les conflits caractéristiques de l’analité ». H. Bruch, dans une tentative de synthèse originale, fait de l’anorexie une entité nosologique spécifique apparentée à la schizophrénie, soulignant le recours à des mécanismes de défense tels le clivage, ou encore une perturbation gravissime de l’image du corps. Bruch décrit en effet une triade des symptômes de l’anorexie nerveuse sous la forme suivante : - trouble de l’image du corps - trouble de la perception intéroceptive - trouble de la puissance Ce qui nous paraît particulièrement intéressant est que cette tentative de synthèse amène dès lors les psychanalystes ou auteurs issus de la pensée psychanalytique (M. Selvini) à sortir l’anorexie mentale du cadre des névroses ; la qualifiant de psychose mono-symptomatique (Selvini) ou de psychose froide (Kestemberg), s’appuyant sur certaines de ces caractéristiques, à savoir : - le type de mécanisme de défense (clivage), - les perturbations graves de l’image du corps à la limite de la croyance délirante 4

le type de relation transférentielle : de l’idéalisation au transfert manipulatoire, sous forme négative des mouvements de contre-transfert violents ou répressifs. Pour autant que ces derniers auteurs aient ouvert une voie fort intéressante, il semble difficile, à la lumière de la clinique actuelle, de les suivre totalement dans leurs conclusions nosographiques. Des avancées théoriques plus récentes permettent une autre lecture de l’anorexie. Citons ainsi Racamier sur les degrés du déni (1992), Bayle () quant à la notion de clivage fonctionnel ou encore Guillemin () sur ‘le complice du déni, qui ont permis de libérer le mécanisme du clivage d’une association quasi automatique avec le registre de la psychose, constat valable pour ce qui est de l’anorexie. -

II-

Boulimie et Obésité

Les plus anciennes références anglaises relatives à la boulimie sont issues du « Physical Dictionary » de Blankaart (1708) et du « Dictionnaire Médical » de Quincy (1726) qui tous deux évoquent, pour définir la boulimie, un appétit excessif, voire extraordinaire dans un rapport alors vu comme un désordre purement gastrique. Le terme « boulimie » est à nouveau rediscuté en 1743, dans le « Dictionnaire Médical » de James qui établit une première description très détaillée des symptômes et propose des diagnostics différentiels, des hypothèses étiologiques ainsi que des principes thérapeutiques. Il en emprunte l’étiologie au médecin grec Galien qui décrivait « une grande faim caractérisée par des prises d’aliments à intervalles très courts », qu’il rapporte lui aussi à une pathologie digestive. James ajoute cependant que la vraie boulimie, dite « boulimus », s’accompagne d’une intense préoccupation de nourriture. En 1807, le « Dictionnaire d’Edinburgh » définit la boulimie comme une affection chronique caractérisée par des évanouissements et/ou des vomissements consécutives à l’absorption d’une énorme quantité d’aliments. Le « New Dictionary of Medical Science » donne déjà la définition de « faim de bœuf » au terme « boulimie », soulignant un appétit féroce qui se voit tantôt dans l’hystérie, ou en cours de grossesse… Plus aucune recherche sur la boulimie n’apparait ensuite dans la littérature psychiatrique anglo-saxonne entre 1844 et 1944, alors que l’Europe continentale semble prendre le relais. On trouve ainsi une nouvelle description de la boulimie par P.F Blachez, en 1869, qui précise que la faim persiste même après des repas qui distendent l’estomac, au point que l’alimentation ne peut se poursuivre. L’auteur compare les boulimiques à des « reptiles gorgés d’un énorme repas gobé entier ». Il décrit aussi l’état de torpeur suivant l’accès boulimique et précise que la nourriture s’impose alors comme une préoccupation primaire et obsessionnelle. Faisant de la boulimie un symptôme particulier, il s’est aussi attaché à montrer l’existence d’une cause fonctionnelle, à savoir selon lui une 5

forme gastrique de désordre nerveux. A cette époque la plupart des travaux continuent de lier boulimie et anorexie mentale, en terme de « faux appétit exigeants », plus qu’ils ne s’intéressent à son rapport à l’obésité. Insistant sur le caractère névrotique du symptôme, baptisé « hyperorexia » par l’allemand D. Soltmann (1894) en tant que syndrome atteignant « des jeunes femmes hystériques, chlorotiques et surexcitées ». En France, Pierre Janet (1903) effectue de plus amples recherches sur le caractère névrotique du « syndrome boulimique ». Il traite de la boulimie au regard de l’anorexie et établit des observations cliniques importantes sur le rapport entre troubles alimentaires, éprouvés corporels et sentiments dépressifs, d’incomplétude et de faiblesse. Il établira en outre, dès 1908, un lien entre le phénomène de restriction alimentaire et celui de la crise boulimique aussitôt suivie de remord. Le célèbre psychiatre phénoménologue L. Biswanger rapportera en 1944 une description saisissante du ressenti d’une patiente, laquelle écrit-il « veut s’engourdir avec la nourriture pour se laisser couler dans le vide et l’irresponsabilité ». Rapprochant les troubles des conduites alimentaires à d’autres formes d’addiction, -ce que nombre d’auteurs font au jour d’hui -, il décrit « la discontinuité du sentiment d’être », et la tentative d’y répondre par la quête répétitive d’une satisfaction toujours très provisoire. L’obésité, quant à elle, existe depuis les temps les plus reculés de notre histoire. En effet ses descriptions et ses conséquences ont été décrites dès l’Antiquité puis ont fait l’objet de monographies aux 16 ème et 17ème siècles, en particulier sous l’angle de la monstruosité. Au 18ème siècle, des travaux médicaux plus avancés succèdent concernant les aspects étiologiques, descriptifs et thérapeutiques. Plus récemment diverses études ont pris en compte le caractère protéiforme de la maladie, en tant que trouble des conduites alimentaires dans une dimension psychogène. Les premières descriptions cliniques précises du corps obèse remontent aux premiers dessins de Dürer qui, dans son Traité des proportions (1525), s’interroge sur les justes mesures du corps au regard de l’anatomie d’un corps svelte versus obèse. Les premières dissections anatomiques d’un obèse qui sont rapportées tour à tour par Bonetus, en 1679, par Haller, en 1757 et Moregagni, en 1761. La première étude monographique complète suite à une dissection post mortem de douze cas est établie par Wadd, en 1829, révélant « la découverte de grandes accumulations de graisse », et décrivant pour la première fois les symptômes des patients obèses –en l’occurrence les troubles cardiaques et la mort subite- qu’il associe à l’observation anatomique et clinique ; préfigurant déjà ce que nous nommons aujourd’hui « l’obésité morbide ». Au demeurant, l’obésité n’a pas toujours été considérée comme un fléau. Au Moyen Age, elle est plutôt le témoignage d’un désir d’abondance. L’obésité apparaissait alors comme un signe de vitalité, de prospérité et là où, jusqu’au 19ème siècle, la maigreur apparaît comme le reflet de la pauvreté et de 6

la maladie. Cette connotation positive de l’obésité sera plus tard mise à mal pour laisser place à une tonalité plus péjorative. En effet, les descriptions du personnage Shakespearien de Falstaff et de ses acolytes font état de personnages gloutons, ivrognes, bouffons, vantards, méchants, violents, débauchés, lubriques, brutaux, et de santé fragile. Mais que nous dit plus spécifiquement la psychanalyse sur la boulimie et l’obésité ? Les principales avancées de Freud et de ses contemporains C’est avec Freud, jamais spécifiquement mais au décours de divers écrits, qu’émergent de nouveaux indices concernant la boulimie et une conception éventuellement pathologique de l’obésité. Dès 1895, il cite les « accès de fringales » souvent accompagnés de vertiges, parmi les symptômes de la névrose d’angoisse. En 1897, deux lettres à W. Fliess, positionnent la boulimie comme compulsion substitutive d’une pulsion sexuelle réprimée, comme substitution à une « addiction originaire ». Rattachant la névrose d’angoisse au cadre plus élargi des névroses actuelles, Freud évoque les pathologies où l’appareil psychique semble asservi à l’aspect quantitatif de l’excitation, incapable, en raison de carences plus ou moins profondes, d’y faire face autrement que sur un mode comportemental ou somatique. En 1925, toutefois il qualifie la boulimie de défense hystérique, et parle du vomissement comme d’une défense hystérique contre l’alimentation, puis revient plus directement sur le sujet de ‘l’intensification de l’appétit’. En 1926 il suggère qu’une compulsion à manger est motivée par l’angoisse d’inanition là où l’inappétence, d’une manière, traduirait un retrait de la libido. Freud évoque la fonction anesthésiante de l’acte de boire, son rôle protecteur, telle qu’on la retrouve parfois évoquée par les personnes obèses dans la clinique d’au jour d’hui. K. Abraham parle de « convoitise orale accrue » et range la boulimie parmi les « perversions orales de caractère impulsif ». Il souligne l’aspect compulsionnel de cette pathologie : « Le comportement de tels patients, avides de nourriture et tourmentés s’ils ne sont pas satisfaits, rappelle de façon surprenante celui des morphinomanes et de certains buveurs »1. Il établit en outre des liens, repérables dans la clinique actuelle, entre la boulimie et d’autres agirs impulsifs comme la kleptomanie, l’agressivité mal contrôlée, les conduites addictives, suicidaires… lesquels sont issus des mêmes sources pulsionnelles. Fenichel, parle dès 1945 de la boulimie comme d’« une toxicomanie sans drogue ». Mélanie Klein, Winnicott et bien d’autres auteurs, 1

Abraham, K., (1924), Débuts et développement de l’amour objectal, in : Le développement de la libido...

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se sont aussi intéressés à cette pathologie sous l’angle de la problématique orale au sens précis, approches sur lesquelles nous reviendrons. Le premier rapprochement significatif entre obésité et boulimie s’est opéré dans les années 60 avec Stunkard qui le premier propose une classification de l’obésité en fonction du type de comportement alimentaire des sujets. Il décrit 3 sous-groupes dont l’un fait appel au caractère orgiaque de l’alimentation et e un autre par la répétition des accès boulimiques. E. et M. Kris a démontré les liens entre obésité et boulimie le rôle pathogène de mères à tendances obsessionnelles pour l’avenir de la santé mentale de leurs enfants. Le lien entre l’hyperphagie et l’obésité s’affine dans les années 70, où Kornhaber évoque ainsi le « stuffing syndrome », syndrome de bourrage (ou de gavage) que l’on trouve chez des personnes obèses déprimées, seules ou stressées. H. Bruch, dès 1973, attire l’attention sur ceux qu’elle nomme les « thin-fat people » (des « minces-gras »), d’anciens obèses qui ont repris un poids normal à force de privation et de régimes mais chez qui l’image du corps reste irrémédiablement attachée à celle d’avant. En France, les travaux de Bernard Brusset (1977) font de la boulimie, un « syndrome de remplissement addictif », une entité clinique, Philippe Jeammet (1989) établissent les troubles des conduites alimentaires en tant qu’ayant « un pouvoir organisateur ». Une première synthèse La mise en perspective historique des conceptions pathogéniques des Troubles alimentaires permet la synthèse suivante. Le paradigme de l’anorexie a conduit à une théorisation autour des mécanismes de défenses (clivage, déni) et une pathologie de l’image du corps qui a poussé les auteurs à une position nosographique écartant la névrose hystérique et introduisant une parenté entre l’Anorexie est la psychose. L’étude paradigmatique de la boulimie, avec ses conduites impulsives a introduit une parenté nosographique avec les addictions. L’étude de l’obésité appréhendée comme le résultat d’une conduite boulimique ou hyperphagique, mènent vers des conclusions autour de l’alexithymie voire la dépression. Quoique importants tous ces travaux laissent le champ encore très libre à une exploration spécifique de ces pathologies alimentaires.

Un autre regard sur ces pathologies orales A partir de la perspective historique que nous venons de retracer, cinq points nous a paru devoir se dégager pour proposer une autre lecture, désormais associée à la clinique des troubles alimentaires : - une origine archaïque du trouble (incorporation forcée) - un fantasme Ics sans représentation 8

- des mécanismes de défense prévalents (déni, clivage) - une intensité pulsionnelle non contenue (débordement pulsionnel) - un type particulier de transfert. Ces cinq points et notre clinique ont donné forme à une notion opérante spécifique permettant de mieux saisir la clinique de troubles alimentaires dans leur spécificité. L’origine archaïque pour nous est une incorporation originaire forcée, que nous définissons comme « gavage psychique ». Le gavage psychique correspond à une modalité particulière de la relation mère/enfant dans leur relation de nourrissage, laquelle donne lieu à la mise en place d’un fantasme inconscient organisateur (Spitz) celui précisément du gavage psychique. Ce concept novateur permet de mieux saisir les effets de conduites dans la clinique du transfert. Il permet enfin de nous approcher le plus près possible de la nature du fantasme Ics dans l’espoir de lui donner une représentation. Bien énoncé dans les interventions de l’analyste cette notion peut produire un effet de levier dans la cure. Nous vous proposons de démontrer l’utilité du concept avec l’exemple clinique de Roselyne. Roselyne : l’histoire d’un poids mort La rencontre préliminaire C’était assurément le dernier jeudi de mars. Une patiente haute en couleurs, que je ne connaissais pas encore franchit lourdement le seuil de mon cabinet, ses cannes customisées en rose fluo précédant chacun de ses pas. Un sourire accroché aux lèvres, Roselyne déroule le récit de sa vie jusqu’à sa soixantaine : son travail difficile d’éducatrice spécialisée, quelques ennuis de santé dus à l’arthrose, son veuvage depuis une dizaine d’années, sa fille avec laquelle elle entretient de bonnes relations…tout cela ponctué du yoyo des régimes qui, ditelle, lui ont déjà fait perdre au moins dix fois son poids ! Sa détresse, non dite mais palpable, me semble cependant portée par la vie, curieuse impression que la mienne à l’issue de cette première rencontre… Roselyne, à la fois imposante, digne, d’une certaine façon jolie femme, m’évoque La Castafiore ou encore une princesse russe née pour une vie d’élégance et de légèreté ; mais sa vie n’a rien eu d’un conte de fée : Sa grandmère s’est suicidée alors qu’elle était bébé, après avoir elle-même porté un père alcoolique et une mère impotente. Je demeurai ce jour là dans un silence respectueux de sa détresse dont elle me retrace en quelques phrases les grandes lignes : - « Jeune, j’étais mince, pas une enfant obèse ; ça a commencé à l’adolescence jusqu’à ce que j’atteigne 200 kg il y a 5 ans (…). Je suis tombée dans l’à-quoi-bon depuis toute petite ; je ne suis jamais sûre qu’on m’aime. J’ai un poids qui m’entraîne vers la mort (…). Ma mère, elle savait tout faire ; elle avait des qualités…ce n’était pas une femme très gaie quand même. Cette douleur que je traîne, c’est celle de ma mère (…). Ce n’est pas normal que j’aie de la chance. Quand on me regarde, je 9

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pense ‘imagine toi que tu portes ton double sur le dos’. Je me sens coupée en deux…ou double. Je porte sur moi le poids de quelqu’un de mort »… Je lui propose alors sur vous ou en vous ? Interpellée elle répond rapidement « en moi » tout en posant sur moi un regard interrogatif anxieux. Saisissant l’importance du mouvement d’acceptation de mon intervention par Roselyne, ébauche d’une relation la sortant de son récit purement factuel, j’ai repris les éléments qu’elle m’avait énoncés les mettant en forme et en disant que cela me faisait penser à un gavage psychique. J’insistai en effet sur la constitution tardive de son obésité que j’ai lié aux effets après coup de sa relation à une mère psychiquement absente mais vécu comme en corps étranger en elle auquel elle semble tenir comme à sa peau, rendant par là compte de son impossibilité de perdre un poids, celui d’une morte en elle. Roselyne, émue, cette fois me dit « C’est tout à fait ça ». Je suis venue dans le besoin de parler de moi ; d’entendre de quelqu’un d’autre ce que j’entends de moi (…).

A l’issue de cette rencontre inaugurale, Roselyne du haut de ses 66 ans dira qu’il n’est pas trop tard selon elle pour se libérer de ce poids là et se dit prête à s’engager dans un travail analytique. Ces échanges appellent quelques commentaires. Roselyne met en évidence toute la problématique des patients dans les troubles alimentaires avec une apparition d’une obésité tardive après des conduites hyperphagiques. Son récit, assez factuel au demeurant, est ponctué par la juxtaposition d’éléments contradictoires mais qui ne sont pas dialectisés. La phrase clef du récit est celle qui souligne le fait qu’elle soit coupée en deux, signe de son incapacité malgré son intelligence de se comprendre à défaut d’être écouté dans sa douleur, de ce poids mort en elle. Ce poids mort en elle a pris forme dans l’excès pondéral d’une manière caricaturale, elle pesait plus que le double d’une personne ordinaire. Ma première intervention visait l’intériorisation (en elle) de ce poids qu’elle portait à l’extérieur d’elle-même. Ce lien, somme toute banal, l’a amené vers la possibilité de réfléchir sur l’aspect factuel du poids et de le «psychiser », lui donnant une histoire et l’ouvrant vers une « histoire à écrire à deux». La deuxième intervention a donné forme au fantasme inconscient du « poids mort » en elle. Ce fantasme désormais partagé ouvrait la possibilité d’un espoir d’une appropriation par la patiente du travail psychique dans le transfert qui pourrait modifier le seul recours au comportement hyperphagique en autre chose. Histoire de l’obésité de Roselyne dans la trame de sa vie L’engagement dans un travail analytique en face à face deux fois par semaine a donné les éléments que je vais résumer. La constitution pondérale de Roselyne semble étroitement liée avec le déroulement d’une vie fluctuante en évènements et lui échappant en tous points. 10

Evoquant son poids actuel, elle mentionne sa capacité à maigrir sans trop de problème dès lors qu’elle le décide et qu’elle a déjà largement perdu l’intégralité de ses kilos, pour mieux les reprendre ensuite. Elle se souvient avoir été un bébé de poids classique et une petite fille plutôt mince jusqu’à l’adolescence où la tendance s’est alors inversée malgré un probable épisode anorexique vers l’âge de 15 ans. Roselyne évoque d’emblée un poids qui l’entraîne vers la mort aussi inexorablement que l’a-quoi-bon dans lequel elle avait dit être tombée lors de notre rencontre inaugurale. Elle lie aussitôt cette évocation à celle de ses parents : une mère qui a porté tout le monde dans sa vie, sa propre mère à elle impotente qui s’est suicidée par noyade quand Roselyne était tout bébé, un père original et séducteur qui a causé le suicide de sa femme, puis un premier mari alcoolique, portant le même nom de famille que son épouse et enfin le père de Roselyne, alcoolique également. Et de ponctuer : « Cette douleur que je traîne, c’est celle de ma mère…et ce n’est pas normal que j’aie de la chance quand même » comme pour dire la fidélité mortifère à laquelle elle est liée depuis toujours, à laquelle elle n’a jamais pu échapper malgré ses bravades : « j’ai osé dire à ma mère que je ferais mieux qu’elle, raconte Roselyne, et je n’ai pas fait mieux, mais le pouvais-je ? ». Elle évoquera d’ailleurs son propre mariage, avec un homme également alcoolique et qui l’a beaucoup trompée ‘comme son grand-père… La mort rôde largement dans l’histoire familiale qui a vu encore le décès d’un demi-frère juste avant la naissance de Roselyne, la sienne étant évoquée comme un accident aux yeux de sa mère (alors âgée de 43 ans) et un cauchemar pour sa demi-sœur qui ne voulait pas d’une nouvelle sœur mais qui pourtant s’occupera d’elle les quatre premières années de sa vie, la mère étant régulièrement alitée. S’agissant des éléments justifiant de la constitution de son obésité Roselyne évoque un appel de vide qui la conduit à se remplir et précise qu’elle se sent paradoxalement envahie par quelque chose qu’elle n’identifie pas. A son insu elle amorce pourtant un début d’explication, mentionnant aussitôt un rêve où son ami actuel se trouve au volant d’un camion alors qu’elle ressent le sentiment d’être envahie d’un sentiment de colère et de tristesse, sentant que son ami lui échappait. Et Roselyne de conclure : « Même exister, cela s’apprend, reprenant alors à son compte la phrase d’un enfant qu’elle reporte à son propre corps : ‘peut-être que le ventre de ma mère c’est un cimetière’ ». Ce ventre-cimetière qu’elle fait sien également lui apporte un sentiment de sécurité face à un sentiment d’urgence et elle évoque aussitôt sa peur de disparaître si ce n’est de mourir. Je note mentalement ‘le même ventre pour deux’. Puis Roselyne se compare à la petite chèvre de Monsieur Seguin, fable qui fait écho au caractère vain de la quête de liberté quand celle-ci n’est pas été accompagnée comme un idéal d’expression mais pointée d’emblée comme un danger. De fait la vie de Roselyne ressemble à un champ de bataille entre la vie et la mort et si elle fait quelque chose, c’est aussi pour ne pas mourir. « C’est comme si il avait fallu 11

que j’incarne quelqu’un d’autre’, dit-elle, j’ai peu de souvenirs d’enfance, c’est comme si j’effaçais les traces…pourtant je suis devenue adulte très jeune ». Le résumé de ces échanges met en évidence sa difficulté de les métaboliser en souvenirs. Roselyne « remplie du vide de sa mère » gardait les traces de la première relation mais avait les pires difficultés de retrouver des souvenirs. Le poids du champ de bataille entre la vie et la mort laissait peu de place à une nourriture psychique. Toute la place était occupée par le poids mort, de la mort en elle. Ce n’est que très progressivement qu’elle acceptait de prendre en elle mes interventions, inscrivant une histoire partagée et perdant en même temps du poids. Discussion sur le concept de gavage psychique et sa portée heuristique Cette étude amène à envisager dans quelle mesure nous pouvons considérer une certaine forme d’obésité massive comme le symptôme spécifique d’un gavage psychique. Notre travail amène à considérer l’obésité massive à la fois comme une pathologie des carences et des excès : carences dans l’apport qualitatif des soins maternels, dans le rapport au père en ce qu’il incarne un manque évident de tiercéité, en matière de défaillance dans la construction du Moi et excès du côté des excitations à la fois internes et externes non psychisées, qui ont débordé le sujet dès l’origine, le privant peu ou prou des capacités d’élaboration nécessaires au dépassement du traumatisme. Ce processus traumatique entrave lourdement chez l’enfant la possibilité de développement de défenses psychiques appropriées ; sujet qui dès lors n’a pas les moyens de se protéger efficacement et se trouve alors débordé ; et ce, non tant en raison de la gravité même du trauma que par l’impossibilité du sujet à pouvoir le contenir et l’élaborer. Roselyne insiste sur la sensation qu’ils ont d’être ‘possédés de l’intérieur’ avec le sentiment d’être contraints à manger mais comme au profit de quelqu’un d’autre, qui demeure un objet absent non identifié. En conséquence, le sujet, même devenu adulte, reste comme conduit à devoir se remplir pour remplir l’objet maternel et le maintenir en vie, condition sine qua non de sa propre survie, dans un processus resté totalement inconscient pour le sujet. « L’objet dévorant », selon l’expression de Fédida (1978) contenu dans le corps du sujet qui ne peut se figurer l’absence, ici absence de vide, devient en quelque sorte à son tour ‘dévoreur malgré lui’. L’objet dont il s’agit et auquel le patient reste comme englué n’est pas tant un objet perdu qu’un objet qui n’a jamais été véritablement trouvé, laissant ainsi émerger l’imago de mère gaveuse et gavante. La spécificité de la formation fantasmatique inconsciente de gavage psychique responsable, à distance, de la surcharge pondérale du patient, de part le vécu d’une relation d’intrusion orale, réside dans l’idée que du côté de la mère il s’agit « d’avoir pour soi » quand ce qui se joue du côté de l’enfant (et se perpétue en lui une fois adulte) est « d’être pour l’autre ». On retrouve, dans ce processus de gavage, l’idée d’incestualisation de Racamier (1995), c'est-à-dire au sens où il y a transmission forcée de l’ordre d’un « engraissement forcé » 12

(pendant de son concept d’engrènement) au sein d’un incestuel qui se caractérise dans les agirs par emprise de la mère auxquels l’enfant puis l’adulte ne peuvent échapper. Dans le gavage psychique, l’enfant et sa mère sont en quelque sorte leur propre nourriture l’un pour l’autre, mais c’est d’abord la violence inconsciente de la mère qui est imposé au patient qui reste maintenu dans un registre passif. Les conséquences, multiples, sont le plus souvent à référer aux nombreux désordres que nous avons décrits et qui relèvent, le plus souvent, de processus limites, point que nous pouvons discuter. Le concept de gavage psychique dont nous avons tenté de démontrer la pertinence au regard ici de la problématique de l’obésité massive ouvre sur quelques réflexions et des questions que nous souhaitons soulever et discuter ici. Je peux ici rendre compte d’un autre constat, celui d’une proximité de cette obésité de gavage psychique avec une certaine forme d’expression de la boulimie lorsque celle-ci semble se situer davantage du côté de la lutte contre la prise de poids que comme contre-point de l’anorexie. Conclusion Après une première partie historique nous sommes revenues à la clinique pour essayer de montrer qu’une nouvelle perspective thérapeutique était en face d’un manque théorique capable de rendre compte de la spécificité des troubles alimentaires. La création de notions spécifiques pour rendre compte du fonctionnement psychique dans les troubles alimentaires met ici en évidence une organisation fantasmatique distincte et par conséquent des champs d’intervention possibles. Le cas de Roselyne, choisi parmi plusieurs suivis, montre l’intérêt évident de la prise de conscience des processus au sein desquels le sujet disparaît au profit d’un corps qui en présentifie un sens caché ; enjeu même du travail thérapeutique. Meri de votre attention

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