Théâtre Denise

January 10, 2018 | Author: Anonymous | Category: Arts et Lettres, Spectacle vivant, Théâtre
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Description

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Théâtre Denise-Pelletier DIR ECT ION AR T IST IQU E C LAU D E PO IS S AN T

17 Les C a h iers / Numéro 97

Cahier d’automne L’ É C O L I È R E D E TO K YO LE TIMIDE À LA COUR ABÎMÉS LE TERRIER 19 8 4 A n n e . . . la M A I S O N A U X P I G N O N S V E R T S

© Jean-François Brière

MOT DE CL AUDE POISSANT Ce cahier, comme l’automne et les semaines qui y logent, a des couleurs qu’on remarque, des humeurs changeantes. Il est habité de tous ces engagements, avec nousmême et son voisin, qu’exigent la rentrée des classes, le retour au travail, l’arrivée du frisson, les aspirations si nouvelles, les aboutissements concluants et les rêves projetés sur la ligne d’horizon. Au gré des six spectacles qui s’emmêlent dans ses feuilles (ici électroniques) le Cahier d’automne invite, comme la saison des poètes, des sujets qui déchirent, et en contrepoint des écritures allègres. Au cœur de ces lignes, des thèmes s’imposent et resurgissent : le conditionnement et la peur (1984), la peur de l’autre aussi, les voyages qui la créent (L’Écolière de Tokyo), la rencontre de l’autre et le vertige amoureux (Le Timide à la cour), cette mélancolie qui pousse jusqu’à l’isolement (Abîmés), la famille traditionnelle, l’épreuve de l’absence (Le Terrier), la famille reconstruite, l’enfance retrouvée (Anne... la maison aux pignons verts). Ce cahier, conçu par l’auteure et comédienne Emmanuelle Jimenez, cible, au-delà des thèmes des œuvres à l’affiche dans les deux salles du TDP, la force des écritures dramatiques. Pour la rédaction du Cahier, de nombreux auteurs de théâtre jouent ici avec rhétorique et justesse, à l’interviewer, au journaliste, à l’historien, au dialoguiste...Ainsi, Alexis Martin nous dissèque en abécédaire le monde intemporel du roman 1984, et son auteur George Orwell est présenté sous l’œil de la jeune auteure et comédienne Joëlle Bond. Antoine Laprise active tous les cookies de son cerveau et nous présente ce Japon qu’il aime autant que le nomade Jean-Philippe Lehoux. Marie-Claude Verdier creuse le symbole de l’enfant mort en littérature (comme dans l’œuvre de Lindsay-Abaire, Le Terrier) et Fanny Britt écrit une lettre à la mère éplorée.

Marie-Hélène Larose-Truchon retourne dans le temps et invente une rencontre avec Anne Shirley, la rouquine battante de la maison aux pignons verts de Lucy Maud Montgomery. Pour approcher Beckett, Marcel Pomerlo se faufile, intimiste, dans l’univers de la compagnie Joe Jack et John et nous livre ses entretiens avec la metteure en scène Catherine Bourgeois et cette comédienne qui vit avec le syndrome de Williams, Gabrielle Marion-Rivard. Gilbert Turp et Sylvie Girard plongent dans le Siècle d’or espagnol pour mettre en lumière cette période de moins en moins présentée sur nos scènes. Et parce que les femmes ont une parole dans ce XVIIe siècle de Tirso de Molina, Marie-Ève Milot et Marie-Claude Saint-Laurent se font épistolaires. Nous vous présentons, brièvement, les six jeunes metteurs en scène qui sont à la barre de cet automne au TDP et Frédéric Bélanger (eh oui) en devient le doyen. Aussi, à sa demande, j’ai remis les clés du théâtre à Patrice Charbonneau-Brunelle pour qu’il dessine la saison au gré de ses pérégrinations et de ses envies. Puis vous lirez, je l’espère, cet extrait de Rien à cacher / No way to feel safe, une expérience dramatique et visuelle, une réflexion troublante sur la vie privée à l’heure des réseaux, dont vous pourrez voir la représentation publique, quelque part en nos murs, par un soir de novembre, à cour ou à jardin, portée par le vent d’automne. Bonne lecture, et surtout bonne saison, merci d’en être la raison. Claude Poissant, directeur artistique

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TABLE DES MATIÈRES MOT D’EMMANUELLE JIMENEZ

4 Un automne jeune 6 Une année de création en dessins 7

Coordonnatrice invitée du Cahier d’automne 2016

L’Écolière de Tokyo

8 Solidarités improbables

9 Du Japon (hors des sentiers battus) 13

S’occuper d’un tel cahier, c’est faire des rencontres fabuleuses et découvrir des univers qui semblent, a priori, à des années-lumière les uns des autres. C’est plonger dans une saison théâtrale comme tomber dans un buffet all you can eat où il y en a pour tous les goûts. Une saison qui me propulse dans le voyage par la simple sonorité des titres de ses différents, très différents spectacles : L’Écolière de Tokyo, Le Timide à la cour, Abîmés, Le Terrier, 1984 et Anne... la maison aux pignons verts. Délicieux vertige… Je salue la rigueur et l’audace de Claude et Jean-Simon : ils osent inviter leur public à un banquet qui réussit l’exploit d’être tout à la fois ludique, costaud et exigeant. Merci de l’invitation, me voilà riche et nourrie. Que vive le théâtre.

Le Timide à la cour

16 Le théâtre espagnol du Siècle d’or 18 Tirso de Molina 21 Écho de 1972 23 Lettre ouverte 25

Abîmés

© Andréanne Gauthier

14 Le Siècle d’or espagnol

26 Beckett 27 Des pas dans la nuit 29 Parler avec Gabrielle 33

Le Terrier

34 Lorsque les étoiles s’éteignent 37 Becca 38 Le deuil 40

1984

41 De Eric Blair à George Orwell 42 Abécédaire 45 Big Brother vous regarde… 46 Rien à cacher/No way to feel safe : extrait 49

Anne... la maison aux pignons verts

50 Entrevue avec Anne Shirley 52 Lire Anne... la maison aux pignons verts 54 Akage no An, ou Anne au Japon Le Théâtre Denise-Pelletier (TDP) tient à remercier

ISSN 2369-5374 / BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DU CANADA INC Théâtre Denise-Pelletier 4353, rue Sainte-Catherine Est, Montréal (Québec) H1V 1Y2 Administration : 514 253-9095 Billetterie : 514 253-8974 denise-pelletier.qc.ca Les Cahiers du Théâtre Denise-Pelletier sont publiés sous la direction de Julie Houle, avec le soutien d’Anaïs Bonotaux-Bouchard. La rédaction de ce Cahier est coordonnée par Emmanuelle Jimenez. Nous remercions les équipes de production, auteurs et metteurs en scène qui ont facilité la réalisation de ce numéro des Cahiers. Partenaire de de saison Partenaire saison

Partenaire média

Emmanuelle Jimenez Emmanuelle Jimenez a suivi une formation en interprétation au Conservatoire d’art dramatique de Montréal. Tout en continuant d’exercer le métier de comédienne, elle se consacre essentiellement à l’écriture dramatique. Plusieurs de ses textes ont été montés : Oui, madame la ministre ! (Productions À Tour de Rôle), Du vent entre les dents (Théâtre d’Aujourd’hui), Un gorille à Broadway (Productions À Tour de Rôle) et Rêvez, montagnes ! (Nouveau Théâtre Expérimental). Elle a co-écrit Le Dénominateur commun avec François Archambault, spectacle produit par le Théâtre Debout présenté à La Licorne. Sa dernière pièce, Centre d’achats, a été présentée au Festival du Jamais Lu 2016.

Le Théâtre Denise-Pelletier est membre des Théâtres associés inc. (TAI) et de l’Association des diffuseurs spécialisés en théâtre (ADST).

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VOX -POP

© Jasmin Robitaille

Un automne jeune

Alexandre Fecteau, metteur en scène de Le Timide à la cour

par Emmanuelle Jimenez

Quel sens donnez-vous à votre participation au monde en tant que jeunes artistes dans le contexte de cette rencontre à venir avec le public du Théâtre Denise-Pelletier ?

© Marc Dussault

L’automne se passera chez nous sous le signe d’une certaine jeunesse grâce à celle des six metteur(e)s en scène qui en signent les spectacles. Ils et elles ont bien voulu se prêter au jeu de tenter une réponse à ma question à 1000$ : Charles Dauphinais, metteur en scène de L’Écolière de Tokyo Un spectacle de théâtre, c’est une étoffe tressée de liens humains. Les premiers mots mêmes, écrits sur la première page, sont un espoir de mains tendues, de yeux brillants, de cœurs qui sautent. Cet ultime lien avec le public est l’aboutissement d’un long complot de questions, de curiosités, de désirs, de rapprochements, de découvertes. Au beau milieu de notre grouillante cour montréalaise, notre tentative de pénétrer un si vaste Japon est une mission que nous espérons porteuse de liens entre nos différentes cultures.

En tant que jeune moins jeune que les vrais jeunes, mais plus jeune que les anciens jeunes, j’ai peut-être le souvenir plus récent de ce que j’ai apprécié qu’on me dise, qu’on me montre. De ce qui au contraire m’a été nuisible, toxique, et de ce que j’aurais eu besoin de voir, d’entendre. Alors je crée, en me disant qu’en s’adressant à des pensées qui se forment encore, on a la responsabilité de ne pas contribuer à les précipiter dans la fermeture qui ferait en sorte qu’ils ne seront plus jeunes d’esprit. (Mais comment ? Ça, c’est autre chose !)

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Edith Patenaude, metteure en scène de 1984

Catherine Bourgeois, metteure en scène de Abîmés, Quatre courtes pièces de Samuel Beckett

© PhilippeBergeron

Frédéric Bélanger, metteur en scène de Anne... la maison aux pignons verts J’avais 12 ans lorsque j’ai assisté à ma toute première pièce de théâtre. C’était entre ces murs. Aujourd’hui, je travaille sans relâche à initier, à sensibiliser et à démocratiser l’art théâtral auprès des jeunes. Je veux leur raconter une histoire, les faire rêver, les ébranler, les impressionner, les renverser, les révolter et les transformer. Le théâtre est un levier d’ouverture sur le monde. Il a fait de moi l’être que je suis et il façonne encore l’être que je deviens. Il me donne la possibilité de faire la différence, d’être cet initiateur d’inspiration qui peut peut-être changer une vie.

© Maxime Cormier

© Julie Perreault

J’ai voté pour la première fois à 25 ans. La même année où j’ai fait ma première mise en scène avec Joe Jack et John. J’avais l’impression qu’en pratiquant mon devoir de citoyenne, je prendrais parole, que je donnerais mon opinion et que je serais entendue. Mais exercer mon droit de vote m’a énormément déçue. Je me suis alors dit que ce n’était pas suffisant, que je devais prendre parole autrement : en faisant du théâtre, en créant des œuvres qui remettent en question les valeurs établies, en proposant des pistes de réflexion et des prise de paroles autres. Chaque œuvre est donc une occasion de renouveler ma participation au monde, puis de rencontrer des artistes et un public afin de construire un dialogue, tant esthétique qu’humain.

© Marianne Noël-Allen

Je considère comme une responsabilité de participer à donner envie de choisir la liberté de pensée plutôt que le divertissement - qui signifie littéralement le déplacement du regard vers ce qui n’est pas important. En ce sens, je dois nommer mon âge comme n’étant pas essentiel dans l’équation de ma participation au monde. Il n’est qu’un chiffre auquel on peut accorder une valeur, alors que celle qui m’apparaît réelle se trouve plutôt dans la volonté constamment renouvelée de voir grandir chez soi et les autres la lucidité, la curiosité et la sensibilité.

Jean-Simon Traversy, metteur en scène de Le Terrier La Salle Fred-Barry, c’est le premier cube noir de Montréal. Un lieu de tous les possibles où, je crois, les histoires se doivent d’être racontées autrement. Mon dada, c’est l’acteur. Je veux donc continuer, ici, d’examiner sa nature, d’insister sur son caractère. Et c’est ce droit à l’essai qui m’enflamme chez Fred-Barry.

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Une année de crEation en dessins Le Timide à la cour

Le Timide à la cour

Les démarches de création, par essence éphémères et faites de hasard, de rencontres et de désir, sont trop rarement documentées. Patrice Charbonneau-Brunelle, scénographe (entre autres pour 1984) et artiste visuel, comédien à l’occasion, dessinera la saison 2016-2017 du Théâtre Denise-Pelletier. Ce portrait d’une saison, fait d’instants capturés en répétition, est en quelque sorte le regard d’un artiste sur le travail d’autres artistes. En tenant le rôle de témoin, je désire en laisser une trace concrète en dessinant ce que je vois, j’entends et j’imagine, dit Patrice… Avec la propension à la bi-dimensionnalité et à l’instantanéité de nos outils de communication, rien d’étonnant à ce qu’un peu partout, des groupes comme Urban Sketchers fassent leur apparition. Dessiner nous permet de redéfinir notre perception du monde. C’est une exploration de soi-même à travers notre rapport au temps et à l’espace.

L’Écolière de Tokyo

Vous pourrez suivre l’évolution du projet Une année de création en dessins de Patrice sur notre site internet. Le Timide à la cour

L’Écolière de Tokyo

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S alle F red - B arry / 6 au 2 4 septembre 2 0 1 6

L’ÉCOLIÈRE DE TOKYO TEXTE – JEAN-PHILIPPE LEHOUX MISE EN SCÈNE – C HARLES DAUPHINAIS AV E C D A N I E L G A D O U A S , M I C H E L O L I V I E R G I R A R D , MIRO LACASSE ET JEAN-PHILIPPE PERRAS P RO D U C T I O N T H É ÂT R E S A N S D O M I C I L E F I X E

en savoir

Sam est un jeune éduqué, financé par ses parents et perpétuellement en voyage. Grâce à l’application Le japonais pour les voyageurs libres et heureux, Sam voit sa visite au Japon structurée par ces leçons successives. Dans un resto miteux de Tokyo, il rencontre un autre Québécois, Claude, sexagénaire et analphabète, arrivé au Japon avec un seul objectif, s’y faire seppuku. L’Écolière de Tokyo, en dépeignant le sentiment d’exil, ce «lost in translation» qui nous assaille quand on voyage en solitaire, invente une rencontre improbable entre deux visions du monde qui ont pour vocabulaire commun la fuite, l’errance, la liberté. L’Écolière de Tokyo a remporté le Prix Gratien-Gélinas en 2013.

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SOLIDARITÉS IMPROBABLES

L’exercice de coucher des mots sur le papier en observant les gens d’ailleurs et en voyant l’effet que cela avait sur ma jeune personne a forgé qui je suis. Rien ne vaut à mon avis un contact soudain et étourdissant avec des étrangers pour sentir le pouls et le poids du monde. Et mes personnages ressentent inévitablement les effets de mes exils volontaires. Ils sont parfois à l’image de mes vingt ans – libres et téméraires – parfois à l’image des gens croisés au détour d’un hasard. J’aime les voir déracinés, troublés par leur propre solitude, plongés dans une mélancolie que leur vie sédentaire leur avait cachée, car j’ai l’intuition que de les pousser ainsi dans leurs derniers retranchements permet de révéler ce qu’ils sont en réalité. Ne réfléchit-on pas davantage à nos origines quand on se sent loin d’elles ?

par Jean-Philippe Lehoux

Le voyage fait résolument partie de mon ADN d’auteur. Mes premiers écrits adolescents étaient tous des carnets de voyage naïfs, mais encore précieux à mes yeux.

La force de personnages-voyageurs réside aussi dans le fait que leur rapport à autrui est énigmatique : on ne sait jamais d’avance s’il sera violent, bienveillant ou ridicule. Devant l’inconnu, ils sont des bombes à retardement. Imaginons un instant qu’il y a un élastique entre les êtres humains, de surcroît entre des personnages fictifs. Paradoxalement, plus la distance entre eux est grande, plus la tension grandit aussi, peut-être parce que le

Parce que le voyage est l’un des thèmes de prédilection de Jean-Philippe, je souhaitais en savoir plus sur la manière dont le voyage et le fait de se retrouver en dehors de chez soi sont des moteurs de transformation pour ses personnages. - E. Jimenez

© Jean-Philippe Lehoux

P our q uoi ?

potentiel tragique de leur duel à venir demeure entier. Je me plais donc à cultiver cette distance en faisant se croiser au bout du monde des étrangers qui ne se toucheront pas immédiatement (dans tous les sens du terme). Ils s’observent, se mentent, se trompent, s’apprivoisent... Tout reste possible ! Ainsi peuvent naître des conflits imprévisibles, mais surtout des solidarités improbables, comme celle qui voit le jour entre Claude et Sam dans L’Écolière de Tokyo. J’y vois là une sorte de consentement social inattendu basé sur la différence, comme s’ils se disaient : « oui, sans attaches intimes, génétiques, nationalistes ou religieuses, on peut bâtir une relation humaine porteuse de sens ». Ce sens s’étiolera souvent au bout de quelques heures ou quelques jours, mais il n’en demeure pas moins important. Car malgré le nombre effarant de gens croisés chaque jour dans le métro ou dans la rue, il est rare que de telles solidarités éphémères jaillissent ici. C’est encore pour moi un mystère, mais on dirait bien qu’il faut se parer d’un esprit de dépaysement pour se transformer radicalement au contact des inconnus. Et j’aime imaginer qu’en plaçant mes personnages dans cette posture décalée, ils seront à même de faire rêver les spectateurs aux richesses de l’altérité… et à celles du voyage.

JEAN-PHILIPPE LEHOUX est l’auteur de la pièce L’Écolière de Tokyo qui a remporté le Prix Gratien-Gélinas en 2013. En plus d’être auteur, il est comédien, improvisateur et rédacteur. Il n’y a qu’à voir les titres de ses pièces pour savoir qu’on a affaire à un passionné de voyages : Comment je suis devenue touriste, Napoléon voyage, Normal (du nom de la ville-destination non-touristique choisie par le public), Irène sur Mars… Présenté à l’été 2016 à Carleton-sur-mer, ce spectacle sera à l’affiche du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui en mars prochain. Et en 2017, il sera de la distribution de Caligula au TNM. L’ÉCOLIÈRE DE TOKYO 8

HORS DES SENTIERS BATTUS

DU JAPON par Antoine Laprise

Faire bref sur le Japon, pourtant reconnu pour ses poèmes de 17 syllabes ? Difficile ! Au rythme des portillons du métro de Tôkyô, qui laissent passer deux personnes à la seconde, j’aimerais vous balancer une pâte d’information aussi compacte que du miso que vous pourriez ensuite diluer pour en faire un délicieux bouillon. 1 Généralités 一般的な prononcer Ippantekina « L’archipel des séismes », avec ses 127 millions d’âmes et ses 27 000 kilomètres de côtes escarpées, sa végétation subtropicale murmurante, est peuplé de kamis (divinités) et de yokaïs (démons) qu’on croise parfois dans les sentiers de pèlerinage millénaires ou au coin d’une rue, par une nuit chaude du mois d’août, devant une machine distributrice à jus pour étancher la soif. Au contact du Japon, on (re)devient vite animiste... Qu’est-ce qui distingue le Japon, outre son sens du raffinement ? L’isolation volontaire du reste du monde qu’il s’est imposée pendant la période d’Edo (16411853) ? Sa société de castes ? La menace de cataclysmes

1 Voir les sublimes Notes de ma cabane de moine de Kamo No Chomei, texte de l’an 1212. 2 Titre d’un récent ouvrage de Pierre-François Souyri. (Voir bibliographie).

naturels1 ? Qu’il ait toujours su être « moderne sans être occidental2 »? Que 90% de la population se considère dans la classe moyenne ? Qu’il n’ait jamais été envahi ou occupé avant 1945 ? Qu’en 25 ans (1945-1970), il soit passé des ruines de la défaite à la deuxième économie mondiale ? Son secret ? Je dirais, la solidarité et une « politique du mieux3 ». Enfin, tout ça, le vivre ensemble, les trains à l’heure, la propreté, préservent aussi les apparences : repli identitaire, corruption, dureté des systèmes judiciaires et scolaires, sexisme, violence conjugale... j’en passe. On commence par quoi ?

3 « Or, le plus souvent, les Japonais omettent de parler de pratiques et choses vitales pour eux (le respect des anciens, la ponctualité, le travail d’équipe, la conscience professionnelle, le sens de l’honneur et du devoir, le civisme, le service, la politesse, la confiance, l’inventivité, les commerces ouverts sans relâche, la sécurité...). Ils l’oublient parce qu’ils estiment tout bonnement que cela est tellement basique, relève tellement du minimum pour vivre en collectivité, qu’il en va forcément de même dans tout pays civilisé. » Karyn Poupée, Les Japonais, p. 126.

P our q uoi ?

Parce qu’en plus d’être l’homme des grands projets abordés avec une simplicité et une inventivité magnifiques, Antoine Laprise est aussi un passionné du Japon. Après avoir vu son spectacle sur ce musicien japonais dont le nom déjà, à lui seul, nous plonge dans l’étrangeté, OtomonogatariL’éveil d’une oreille, nous nous sommes dits que nous le voulions pour guide. Quand est-ce qu’on part ? - E. Jimenez

L’ÉCOLIÈRE DE TOKYO 9

2 Littérature 文学 prononcer Bungaku Par treize siècles de littérature ! De Bashô à Sôseki en passant par Le Dit du Genji ou Saikaku, comment s’y retrouver ? J’évoquerai le plus méconnu des grands romanciers japonais du XXe siècle : Ishikawa Jun. Foisonnant jusqu’au délire, formellement audacieux, il était admiré par d’autres grands écrivains : Dazaï Osamu, Abe Kôbô ou Ôe Kenzaburô. À lire Ishikawa, on soupçonne l’influence qu’il a pu avoir sur le jeune Murakami Haruki4 de La Course au mouton sauvage. Je vous recommande Fugen ! et Le Faucon. 3 Cinéma シネマ prononcer Shinema Sensibilité, esthétique, scénarisation et surtout jeu incomparable des acteurs issus de siècles de tradition théâtrale : le cinéma japonais a été abondamment copié par les cinéastes occidentaux5. Une filmographie décente comporterait au moins une cinquantaine de films « essentiels » et il faut bien garder en tête que c’est l’œuvre intégrale des cinéastes cités ici qui mérite d’être vue. Mizoguchi Kenji : Vie de Oharu (voir aussi les sensibles et déchirants Amants crucifiés) ; Ozu Yasujiro : Voyage à Tôkyô ; Kurosawa Akira : Ikiru ; Imamura Shôhei (mon favori) : La Femme insecte, un très grand film pour le sujet et la mise en scène.

4 Je n’ai rien contre Murakami Haruki, qui est probablement l’écrivain contemporain le plus populaire du monde. J’en ai contre les libraires qui en tapissent leurs tablettes si bien qu’il ne reste plus de place pour le reste de la littérature japonaise. Essayez Murakami Ryû ou Nakagami Kenji, pour voir. Mais s’ils ne sont pas en rayons, comment les découvrir ? Les libraires indépendants sont plus enclins à faire de la place aux trésors de la littérature nippone. 5 Sergio Leone, George Lucas, Francis Ford Coppola, Martin Scorsese et Quentin Tarantino, pour ne nommer que ceux-là. 6 Traduction de Hadashi no Gen (1973-1985) de Nakazawa Keiji, 10 volumes aux éditions Vertige Graphic, 2003-2011.

4 Nourriture 食品 prononcer Shokuhin

6 Musique 音楽 prononcer Ongaku

Le grand concours des meilleurs ramen bat déjà son plein à Montréal depuis quelques années, à vous de partir à l’aventure. Essayez les okonomiyakis (qu’on bricole soimême sur la plaque chauffante). En ce qui me concerne, je mangerais des bento tous les jours jusqu’à la fin de ma vie. Et des sashimis fumés à la paille ! Les Japonais sont de gros buveurs de bière, mais si vous prenez goût à leur saké, un monde s’ouvrira à vous...

Les Japonais sont de grands chanteurs à doublure romantique. Karaoké ça vient d’où vous pensez ? Quelques voix inoubliables de la musique populaire : Hibari Misora, Sakamoto Kyû, Murata Hideo et, plus près de nous, la suave Kaji Meiko.

5 Arts graphiques グラフィックアート prononcer Gurafikku Si une œuvre picturale devait être vue et méditée longuement, ce sont les sublimes Cent vues d’Edo de Hiroshige. Ces estampes colorées aux compositions époustouflantes ont déjà, en quelque sorte, sauvé le Monde par leur beauté.

Pour une expérience sonore hors du commun, mon groupe préféré : les indescriptibles et bruyants Boredoms ! Je parie que vous n’aurez jamais rien entendu d’aussi ravageur ! Mais si un album devait résumer le Japon moderne, je choisirais Ground Zero Plays Standards (1997).

Pour ce qui est du manga, je vous conseille le bouleversant Gen d’Hiroshima6 , dessiné par un survivant de la bombe atomique ou les incursions déroutantes d’Okazaki Kyôko dans la psyché des adolescentes. L’ÉCOLIÈRE DE TOKYO 10

7 Lexique 語彙 prononcer Goi Je vous laisse avec un petit lexique de mots-concepts. Allez voir ce qu’ils signifient, vous apprendrez plein de choses sur le Japon : Atomu, Asimo, bakufu, bentô, bunraku, butô, Ère Meiji, Fujisan, furoshiki, hikikomori, ikebana, kami, kombini, Minamata, Mingei, miso, mono no aware, Nikkatsu, okonomiyaki, otaku, pachinko, sakoku, shintô, shôchû, ukiyo-zôshi, yokaï, zaibatsu... 8 Petite bibliographie 小さな書誌 prononcer Chisana shoshi Abe, Kôbô, L’Homme-boîte, Stock, Paris, 2001.

Osamu, Dazaï, Cent vues du mont Fuji, Picquier, Arles, 2003. Panorama-cinéma, L’humanisme d’après-guerre japonais, Longueuil, 2011. Poupée, Karyn, Les Japonais, Paris, Tallandier, 2012. Shikibu, Murasaki, Le Dit du Genji, Verdier, Lagrasse, 2011. Souyri, Pierre-François, Moderne sans être occidental, Gallimard, Paris, 2016. Natsume, Sôseki, Botchan, Le Serpent à plumes, Paris,

Cope, Julian, Japrocksampler, Le Mot et le reste, Paris, 2012.

Tanizaki, Junichiro, Éloge de l’ombre, Verdier, Lagrasse, 2011.

Gravereaux, Jacques, Le Japon au XXe siècle, Seuil, Paris, 1993.

Tschudin, Jean-Jacques et Struve, Daniel, La Littérature japonaise, PUF, Paris, 2016.

Hara, Tamiki, Hiroshima, Fleurs d’été, Actes Sud, Arles, 2007. Hida, Shuntaro, Récits des jours d’Hiroshima, Quintette, Paris, 2001. Ihara, Saikaku, L’Homme qui ne vécut que pour aimer, Picquier, Arles, 2009. Ishikawa, Jun, Le Faucon, Picquier, Arles, 2005. Ishikawa, Jun, Fugen !, Les Belles Lettres, Paris, 2010. Kamo No Chomei, Notes de ma cabane de moine, Le Bruit du temps, Paris, 2010. Kié, Laure, Le grand livre de la cuisine japonaise, Mango/ Fleurus, Paris, 2015.

Comédien, auteur, metteur en scène et réalisateur, Antoine Laprise est diplômé du Conservatoire d’art dramatique de Québec (1990). Il fonde en 1995 le Théâtre du Sous-marin jaune, animé par le désormais célèbre Loup bleu (Candide, La Bible, Le Discours de la méthode, Les Essais d’après Montaigne, Kanata, Guerre et paix). Il participe à la Course Destination Monde (1996-97) et réalise des documentaires (Le Dernier mot sur le critique Robert Lévesque et La Bête volumineuse sur le musicien Fred Fortin). Il se consacre principalement à la mise en scène (Le Mahabharata, La Nature même du continent, La Bonne âme du Setchouan, Les Cercueils de Zinc, Pedro Paramo, Double suicide à Amijima, Dans le petit manoir, Le Voyage d’hiver du chanteur Keith Kouna). Après une résidence du Conseil des arts du Québec à Tokyo, il vient de créer son premier spectacle solo : Otomonogatari-L’éveil d’une oreille.

Nakazawa, Keiji, Gen d’Hiroshima (10 vol.), Vertige Graphic, Paris, 2007-2011. Ôe, Kenzaburô, Dites-nous comment survivre à notre folie, Gallimard, Paris, 1982. Okazaki, Kyôko, Pink, Sakka/Casterman, Bruxelles, 2007. Okazaki, Kyôko, Tôkyô Girls Bravo (2 vol.), Sakka/Casterman, Bruxelles, 2008. L’ÉCOLIÈRE DE TOKYO 11

POUR LES GOURMANDS Des nouveautés

Dans la catégorie « Fascination exercée par le Japon sur les Occidentaux »

Les Délices de Tokyo, de Durian Sukegawa, roman paru chez Albin Michel en 2016 et qui a inspiré le film de Naomi Kawase sélectionné au Festival de Cannes.

Le Dernier Samouraï, film datant de 2003 et mettant en vedette Tom Cruise. Comme son titre l’indique, ce film se passe à l’époque où il y avait encore des samouraïs et s’inspire librement de la rébellion de Satsuma en 1877. Au cours de ces événements, un officier français démissionne de l’armée par fidélité envers le dernier shogun.

Pour ceux et celles qui voudraient tenter d’apprendre le japonais, il y a bien sûr le guide Assimil : Le japonais sans peine… Sans peine, sans peine, c’est à voir, mais, pour vous mettre en appétit, voici une leçon fictive de japonais concoctée par les artisans du spectacle L’Écolière de Tokyo : écouter

Tokyo Vice, roman de Jake Edelstein paru en 2016 aux Éditions Marchialy. Edelstein est le seul étranger à avoir réussi à se faire engager par la rédaction d’un grand journal japonais, le Yomiuri Shinbun. Ce roman deviendra une télésérie mettant en vedette Daniel Radcliffe alias Harry Potter…

Lost in translation, également sorti en 2003, est un film de Sofia Coppola. Avec Bill Murray et Scarlett Johansson, il met en scène la rencontre d’un homme et d’une femme dans un hôtel de Tokyo. Plongés dans une culture qui leur est complètement étrangère, ces deux personnages vont développer une relation particulière…

Shogun, roman de James Clavell paru en 1975. Il raconte comment, contre toute attente, un marin anglais devient samouraï au XVIIe siècle. En 1980, ce roman est lui aussi devenu une télésérie mettant en vedette Richard Chamberlain.

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salle de n ise - P elletier 2 8 septembre au 2 2 octobre 2 0 1 6

LE TIMIDE A LA COUR TEXTE – TIRSO DE MOLINA MISE EN SCÈNE – ALEXANDRE FECTEAU AV E C S O P H I E C A D I E U X , K I M D E S PAT I S , S É B A S T I E N D O D G E , M AT H I E U G O S S E L I N , RENAUD LACELLE-BOURDON, ROGER LA RUE, A N N E - M A R I E L E VA S S E U R , L I S E M A R T I N , É R I C PA U L H U S E T S I M O N R O U S S E A U C O P R O D U C T I O N du T H É Â T R E D E N I S E - P E L L E T I E R E T D U T H É ÂT R E D E L A BA N Q U E T T E A R R I È R E

© Catherine Lepage

Quitter son monde pour connaître ailleurs une vie meilleure, voilà ce à quoi aspire le berger Mireno. Il abandonne ses montagnes pour aller vers la ville, accompagné de son ami Tarso. Mais lors du périple, un certain Lorenzo, poursuivi par la milice pour une affaire de fraude, croise Mireno et lui prend ses habits de berger en échange des siens. Très vite, le naïf Mireno est appréhendé et emmené au palais du Duc pour y être jugé.

en savoir

Là, il rencontre les deux filles du Duc, la rêveuse Séraphina et sa sœur cadette, la déterminée Magdalena, dont il tombe amoureux. Mais le paysan Mireno est plus timide que fraudeur. Comment alors déclarer ses sentiments et conquérir Magdalena ?

Écrite en 1611, cinq ans après le Don Quichotte de Cervantes, Le Timide à la cour est une des œuvres importantes du Siècle d’or espagnol. Cette comédie d’intrigue étonne par sa vivacité d’esprit, ses retournements imprévus, mais aussi parce que ses personnages féminins sont faits de chair, d’audace et d’impétuosité. De Molina, créateur du personnage de Don Juan, questionne le pouvoir et oppose les valeurs d’âme aux conflits qui règnent entre la cour, la noblesse et le peuple.

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Le Siècle d’or espagnol par Sylvie Girard

Le nom de cette époque de l’histoire espagnole fait rêver : Eldorado, trésors, or... Des richesses ! De l’éclat ! Oui, ce fut bel et bien une époque riche et brillante, éclairée des feux de plusieurs artistes dont les oeuvres influenceront d’autres siècles et d’autres lieux. Nommée ainsi au XVIIIe siècle, elle se situe entre la Renaissance et l’époque baroque et constitue, en effet, un âge d’or de la culture espagnole. Ce siècle d’or, c’est la concrétisation de l’Espagne moderne dont la construction débute à la fin du XVe siècle. Sous le règne des Rois Catholiques, Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon, la presque totalité des royaumes de la péninsule ibérique sont unifiés pour former l’Espagne telle qu’on la connaît aujourd’hui. 1492, c’est l’année emblématique durant laquelle plusieurs événements déterminants se produisirent, à commencer par la prise de Grenade des mains du dernier roi musulman. Par la suite, Juifs et Musulmans furent expulsés du territoire, faisant de l’Espagne une nation entièrement - et uniquement - catholique, sous l’égide de la terrible Inquisition.

Oeuvre réaliste de Velázquez : vieille femme faisant frire des oeufs

Avec la parution cette même année de la première grammaire de la langue castillane, écrite par Nebrija, cette langue se cristallise et son usage se répand pour devenir la langue dominante du royaume.

Le dernier événement capital de cette année est la « découverte » de l’Amérique par Christophe Colomb, commanditée par Isabelle de Castille, et qui fut le début d’une entreprise de conquête sans égale. Les rois espagnols s’enrichirent de l’or des Aztèques et des Incas, fondu pour leur plus grande gloire. Au XVIe siècle, Charles 1er d’Espagne, aussi connu sous le nom de Charles Quint (1500-1558), de la lignée des Habsbourgs, règne sur un empire sur lequel, disaiton, « le soleil ne se couche jamais ». En effet, ce roi hérita de son père, Philippe 1er, des Flandres, de l’Autriche, du Saint Empire germanique, et de par sa mère, Jeanne la

P our q uoi ?

Parce que Tirso de Molina est un auteur emblématique du Siècle d’or espagnol, on voulait en savoir plus sur ce qui en a fait un siècle si particulier. Et parce que Sylvie a un amour contagieux pour la culture hispanique et parce que je l’écouterais parler espagnol pendant des jours sans me lasser… - E. Jimenez

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folle, d’une partie de l’Italie, du trône d’Espagne et des Amériques nouvellement conquises. C’est dans ce contexte que l’art et l’âme espagnols s’épanouirent. Sous le règne de Philippe II (1527-1598), l’architecture s’affirme, avec la construction du palais de l’Escorial. Fait de lignes droites, de perspectives larges, ce château engloutit à lui seul une grande partie de l’or des Amériques. La peinture prend un essor fabuleux, avec des peintres tels que le Greco, Zurbarán, Murillo et surtout Velázquez, le portraitiste royal, auteur du tableau Las Meninas1. Le réalisme caractérise leurs portraits, non seulement ceux des rois et des saints, mais également du petit peuple qu’ils représentent dans des scènes pittoresques. C’est également à l’Espagne du Siècle d’or que l’on doit l’invention du roman moderne. D’abord avec le roman picaresque, de style satirique et critique qui met en relief l’hypocrisie et les inégalités de la société de l’époque et dont le Lazarillo de Tormes2 (1554) est le meilleur exemple. Pas de héros mythique, mais plutôt un mendiant qui, pour se trouver une place enviable dans la société, n’a pas de scrupules pour arriver à ses fins. Puis naquit, sous la plume de Cervantes, le fabuleux Don Quijote de la Mancha3, publié en deux tomes (1605 et 1615) et qui eut une influence déterminante sur la littérature espagnole et européenne. On retrouve là encore un anti-héros, issu de la vieille noblesse décadente, un hidalgo pauvre et fou en quête d’aventures illusoires. Finalement, on considère le théâtre comme étant la création artistique la plus « espagnole » de cette époque. En effet, tant sur scène que dans la salle se côtoient grande noblesse et gens du commun. Car le théâtre, autant religieux que profane, est non seulement un texte, mais surtout un lieu, un moment, une performance, dont l’importance revêt un caractère social.

1 Las Meninas

Une peinture de Murillo : Garçons mangeant raisin melon

Ce fabuleux Siècle d’or prend fin au XVIIe siècle, avec la lignée des rois autrichiens, les Habsbourgs. Si l’héritage de Charles Quint permit à l’Espagne de régner sur une immense portion du monde connu des Européens, il fallut tout l’or des Amériques pour conserver cet empire contre la France, l’Angleterre, l’Italie, les Flandres... Nul investissement dans l’industrie et le commerce, beaucoup dans la guerre. Le peuple, donc, resta pauvre et le devint même encore plus. Mais il était désormais bel et bien espagnol, de corps et d’âme et dans toute son expression artistique. 2 Page couverture Lazarillo de Tormes

3 Page couverture Don Quijote de la Mancha

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Le théâtre espagnol E du XVI siècle par Sylvie Girard

Comme dans tous les pays européens, on assiste au XVIe siècle à une transformation du lieu de la représentation. Alors qu’auparavant les représentations se tenaient à la foire, au parvis de l’église ou sur une roulotte ambulante, on en vient à « enfermer » progressivement la scène pour la retenir dans un lieu que l’on appellera « théâtre ». En Espagne, ce lieu se nomme le « corral », soit la cour, le « patio » existant au centre des bâtiments d’un pâté de maisons. Bien sûr, cette disposition permet de s’assurer d’un public captif et de retenir la recette de la représentation. Le « corral » se divise en plusieurs parties : la riche noblesse loue les fenêtres ou les balcons des bâtiments sur les côtés de la cour (les « aposentos ») : ils peuvent voir, ne sont pas vus. À une extrémité se trouve la scène, sans rideau, sans décors. Pas de toile de fond avec un paysage en perspective à l’italienne. Tout est dans le jeu des acteurs, dans le texte. Devant la scène, des bancs pour le commun des mortels (artisans, petits commerçants). Derrière ces bancs, un espace libre où les moins nantis et les soldats bruyants, les « mosqueteros », assistent

Corral de Las Comedias (« azulejo » ou céramique typique de l’Espagne à l’entrée du corral de Almagro)

debout à la représentation. Face à la scène, tout au fond, la « cazuela », le lieu réservé aux femmes. Pas de toit, mais une immense toile pour protéger du soleil. Et s’il pleut, on annule la représentation. Le thème de chaque pièce est rassembleur et puise son inspiration dans les récits traditionnels des diverses régions de l’Espagne. L’amour, la justice et l’honneur (celui du peuple entre autres) sont au centre de l’intrigue et l’action est pleine de rebondissements.

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Saviez-vous que... Le Théâtre Denise-Pelletier était à l’origine le théâtre Granada. Celui-ci fut construit en 1929 dans le style des cinémas de l’époque, les « atmospheric theaters », style où l’on décorait les cinémas selon un thème bien précis. Le Granada se voulait la reproduction d’une cour intérieure espagnole. Il fut décoré par Emmanuel Briffa à qui on doit plusieurs décors de cinéma de Montréal dont le Corona, le Palace, l’Empress, le Rialto, le Belmont et le Rivoli… Le Théâtre Denise-Pelletier est donc la niche parfaite pour accueillir une pièce nous venant du Siècle d’or espagnol…

Les représentations commencent vers 15h (après la sieste !) et durent 2 heures et demie. C’est Lope de Vega qui « fossilisera » la structure de la représentation et la forme du texte, appelé « comedia » dans son essai La nouvelle façon d’écrire des pièces (en espagnol Arte nuevo de hacer comedias). Trois actes, nommés « jornadas » (l’équivalent d’une journée) sont entrecoupés par des entremets théâtraux : de courtes pièces comiques, de la danse, de la musique ou des chansons. La pièce est écrite en vers, des octosyllabes - le vers espagnol par excellence depuis l’ère médiévale - et restera à l’affiche en moyenne huit jours ! C’est que le public espagnol est friand de ces représentations, parfois houleuses, où l’action ne se déroule pas que sur scène. Il n’y a pas d’unité de lieu, ni de temps, ni de genre : 20 ans peuvent séparer l’action des « jornadas » et se

dérouler dans différents lieux. La pièce nous fait ainsi voyager, un peu à la façon des romans de cape et d’épée. Le tragique se mêle au comique par le biais des situations et des personnages à la psychologie bien tracée : le bouffon (« el gracioso ») et le gentilhomme au coeur pur, amoureux, épris de justice ; la jeune dame vertueuse, mais en danger, ainsi que son bourreau. Les auteurs de cette époque (Lope de Vega, Tirso de Molina, CalderÓn de la Barca et bien d’autres encore) furent prolifiques : Lope de Vega aurait écrit en tout 2400 pièces ! Des « comedias », des oeuvres pour la cour et des pièces religieuses, également très populaires, appelées « autos sacramentales ». Mais seulement 500 nous sont parvenues, les manquantes probablement victimes de leur succès éphémère et des publications aléatoires. Bien que négligé pendant le XVIIIe siècle jusqu’à l’époque romantique, ce théâtre eut une influence capitale sur la littérature espagnole, en particulier pour les auteurs de la « génération du ‘98 » de la fin du XIXe siècle. Encore aujourd’hui, cette littérature résonne dans les « corrales » toujours existants, comme celui d’Almagro.

© Frédéric Saia

Lope de Vega (1562-1636), considéré comme étant le père du théâtre espagnol, aurait dit, alors qu’on lui reprochait de vouloir trop plaire au peuple : « puisque c’est le peuple qui paie, il est juste de lui parler dans sa langue et selon ses goûts. » Les thèmes sont donc ancrés dans la réalité sociale de l’époque.

SYLVIE GIRARD enseigne la langue espagnole et la culture hispanique depuis 17 ans. C’est lors d’un voyage en Espagne, à l’âge de 15 ans, qu’elle a découvert cette culture fascinante. Après avoir vu la cathédrale de la ville de Tolède, puis une synagogue et enfin une ancienne mosquée, elle a eu envie d’en savoir plus, de comprendre cette culture aux multiples visages, aux multiples paysages, aux multiples histoires qui se déploient sur tant de territoires. Puis à l’Université de Montréal, au département d’études hispaniques, elle a découvert le continent américain, ses civilisations précolombiennes et sa littérature d’une intelligence fabuleuse. Elle n’en démord pas depuis…

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D E L’A C T I O N , D E L’A C T I O N , E T E N C O R E D E L’A C T I O N

TIRSO DE MOLINA par Gilbert Turp

Tirso de Molina est au début de sa vingtaine quand il écrit Le Timide à la cour, sa première pièce. Né à Madrid sous le nom de Gabriel Téllez, il signe l’œuvre du nom de plume qu’il vient de s’inventer. S’il commence à écrire ainsi sous pseudonyme, c’est peut-être parce qu’il est en train de se faire moine et que le théâtre est un art profane qui est facilement suspect aux yeux des religieux. L’Inquisition n’a pas tellement le sens de l’humour et pourrait ne pas apprécier celui de ses pièces. Pourtant, la vie d’homme de couvent de Tirso de Molina reflète sa vie d’homme de théâtre lorsqu’il publie à 53 ans son recueil de théologie intitulé Instruire plaisamment. Instruire plaisamment, c’est exactement ce que son théâtre fait. Esprit subtil et mordant dont l’œil critique et le sens moral s’expriment avec humour, Tirso de Molina a écrit plus de 400 comédies d’intrigue dont 55 nous sont parvenues, authentifiées de sa main. Devant une telle abondance, on ne s’étonne pas que cet auteur ait une écriture emportée. Il donne l’impression d’écrire avec une hâte fébrile, d’un seul jet ou presque, la plume courant de réplique en réplique. Pourtant son écriture est très

concise et claire, elle va droit au but et ses dialogues ont une vivacité qui indique bien que c’est l’action qui guide les personnages. Ceux-ci n’épiloguent pas longtemps sur leurs états d’âme. Ils ne réfléchissent pas longtemps non plus avant de poser des gestes, quitte à regretter ceux-ci après coup. Tout, sur scène, est action et engrenage d’action.

Ses scènes, souvent courtes et ramassées, s’enchaînent dans des séries de séquences dont le rythme s’accélère jusqu’à devenir haletant. C’est de son sens de l’action que Tirso de Molina tire toute sa force dramatique. Même si sa touche est légère et rapide et que ses pièces nous font sourire par leurs rebondissements et la vivacité de leurs dialogues, un fond de drame se fait toujours entendre. Ce n’est pas seulement Tirso de Molina qui est pressé d’écrire, ce sont aussi ses personnages qui sont pressés de vivre. Ils n’ont pas le temps de faire de longs discours, de se justifier ou de tenir des banalités. Mus par leur rêve ou leur passion,

Tirso de Molina

P our q uoi ?

Parce qu’à la première lecture, la vivacité du rythme de cette pièce m’a complètement happée. Ces procédés théâtraux me sont apparus comme très modernes. Je voulais lire Gilbert au sujet de l’écriture de Tirso de Molina, Gilbert qui a fait de la transmission des connaissances un art… - E. Jimenez

LE TIMIDE À LA COUR 18

ils n’hésitent pas à plonger au cœur de la tourmente. Comme le montre bien la pièce, la timidité n’est pas de mise dans un tel monde.

Hésiter, c’est perdre sa chance et risquer que l’occasion ne se représente plus jamais. Il faut dire qu’alors, la vie pouvait être courte et dangereuse. Un fil vous séparait de la mort ou de la disgrâce. Si tant de personnages de Tirso de Molina recourent aux déguisements (comme lui-même eut recourt au pseudonyme), ce n’est pas seulement pour donner un caractère festif et joyeux à son théâtre, mais pour nous rappeler la précarité des conditions de vie de son temps. Ses personnages ne cachent pas leur véritable identité pour rien, ils évoluent dans une Espagne où il peut être risqué de s’avancer à visage découvert. Le code de l’honneur du Siècle d’or reposait sur le maintien à tout prix des apparences. Les puissants se devaient de présenter en public une façade honorable, quelque soit leurs crimes. Les vérités déshonorantes devaient à tout prix rester enfouies. Tout un pan de l’art théâtral de Tirso de Molina tient à ce jeu de façades, de vérités dérobées

et de déguisements avec, en prime, un plaisir scénique garanti. Et à la fin, quand les façades s’écroulent et que les masques tombent, chacun doit faire face aux conséquences de ses propres actions. S’il a souvent du succès et l’estime du public, Tirso de Molina perdra toutefois la faveur de certaines autorités. On lui reprochera son obsession baroque pour le thème de la brièveté de notre passage sur terre et des devoirs que nous avons vis-à-vis nous-mêmes de faire quelque chose de valable de notre vie. Sur le plan formel, on lui reprochera son mélange – baroque aussi - de tragique et de comique, de cru et de raffiné, de profane et de sacré ; on se scandalisera de son sens éthique fondé sur l’observation psychologique plutôt que sur les dogmes d’un code moral très strict. En 1625, on condamnera la hardiesse de ses œuvres au tribunal civil de la Réformation, qui veille aux bonnes mœurs. Il réagira amèrement à cette condamnation, mais persistera à produire pendant encore une douzaine d’années jusqu’à ce que le Conseil de Castille le condamne au silence et lui interdise d’écrire du théâtre sous prétexte qu’il corrompt la jeunesse.

Sa lutte bien réelle avec les autorités répond tout à fait aux luttes qu’il prête à ses personnages. Elle est chez lui une quête de liberté d’expression. La notion de quête est, avec l’honneur, un thème dominant du Siècle d’or. Quête de sens, de territoire, de richesse, de plaisir, de vérité absolue et divine, ou taboue et cachée, et enfin quête amoureuse deviennent souvent des conquêtes dans le monde cruel qu’il décrit. La conquête de Dieu des grands mystiques comme Sainte Thérèse d’Avila et Saint Jean de la Croix et la conquête de l’Amérique du sud donneront lieu à des boucheries sans nom.

L’Abuseur de Séville

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Quant à la conquête des femmes, Tirso de Molina invente des séducteurs et autres personnages immoraux en lutte avec l’autorité ou en quête d’absolu dans le mal sinon dans le bien, y compris des personnages féminins aux vertus et principes fluctuants. On dit que son œuvre s’inspirait des nombreuses confessions de jeunes femmes révoltées par leur sort qu’il recevait de par sa fonction sacerdotale. Toutefois, sur le thème de la conquête, Tirso de Molina créera plus de vingt ans après Le Timide à la cour, un véritable mythe avec le personnage de Don Juan dans sa pièce L’Abuseur de Séville. Don Juan, dont Molière reprendra l’action presque point par point dans sa propre pièce en raffinant le personnage, ainsi que Mozart, Byron et bien d’autres par la suite, est chez Molina plutôt rude, voire brutal. Il n’a rien de séduisant et la façon dont il saccage sans état d’âme l’honneur des femmes qu’il conquiert pour leur dérober leur « trésor » peut certainement faire écho à la décimation des peuples de l’Amérique et au vol de leur or par les conquistadors. C’est ainsi que le propre des grands dramaturges est de permettre toutes sortes de liens culturels, existentiels, psychologiques, sociaux et politiques entre leur œuvre et notre monde.

Gilbert Turp est comédien et écrivain. Il enseigne également la dramaturgie et l’Histoire du théâtre au Conservatoire d’art dramatique de Montréal. À titre d’écrivain, il a créé 8 pièces à la scène et en a adaptées ou traduites de l’anglais et de l’allemand une dizaines d’autres, notamment des pièces de Bertolt Brecht. Ses publications comptent aussi un essai, La culture en soi (Leméac 2006), une pièce, Pur chaos du désir (Dramaturges Éditeurs 2010) ainsi que les romans Ne t’arrête pas (Leméac 2010) et La Caverne, (Québec-Amérique 2016). Il est membre de la rédaction de la revue JEU et il s’intéresse également à la médiation culturelle par divers moyens au fil du temps, dont le théâtre d’intervention, la performance en art relationnel et les résidences d’écrivain (librairie Port de tête, 2014 ; et Grande Bibliothèque et Archives nationales du Québec 2015-2016). L’Abuseur de Séville

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Écho de 1972 par Emmanuelle Jimenez

Le Timide à la cour a été monté au Théâtre Denise-Pelletier, à l’époque où il portait le nom de Nouvelle Compagnie théâtrale. C’était en 1972, la mise en scène avait été confiée à Jacques Létourneau. Extrait de Les Cahiers de la Nouvelle Compagnie théâtrale, Janvier 1972, numéro 3, par Gilles Marsolais : Le Timide contient tout le rebondissement habituel de la comédie classique, avec en plus la vigueur et la sensualité de l’esprit espagnol. C’est une oeuvre extrêmement pittoresque, fantasque, débridée et délicate à la fois. Tirso l’a écrite à 26 ans et elle porte, de façon évidente, la marque de la jeunesse et du génie. Elle est également une excellente illustration du style espagnol du Siècle d’or, encore plus émancipé, plus farfelu que celui des élisabéthains, avec pourtant les mêmes principes de base. C’est donc sans réserve que j’attribue la cote A (indispensable !) au Timide au palais. Alors que la Banquette arrière célèbre son quinzième anniversaire, nous trouvions intéressant de vous présenter ce petit mot de Gilles Marsolais à la suite du texte de Gilbert Turp. Tous deux ont enseigné aux membres de la troupe de la Banquette arrière pendant leurs études au Conservatoire d’art dramatique de Montréal.

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LONGUE VIE !

© Marie-Claude Hamel

Le Théâtre Denise-Pelletier tient à souligner un double anniversaire : le 40e de la revue JEU et le 15e du Théâtre de la Banquette arrière.

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Lettre ouverte de Marie-Eve Milot et Marie-Claude St-Laurent

Aux femmes audacieuses, drôles, sensibles et complexes que je suis surprise d’avoir découvertes. À Jeanne, Madeleine et Séraphine…

Aux femmes de ce début de 17e siècle dont les voix nous parviennent encore à l’aube de ce 21e siècle.

Savez-vous ce qu’on dit de vous dans cette cour ? Quels sont les mots qui vous dépeignent ? Savez-vous que pour 4 « belle », 9 « beauté » et 8 « jolie », il n’y a aucune « intelligente » ou « forte » ou « courageuse » pour vous décrire ? Et que le terme « folle » est largement utilisé tant par les autres que par vous-mêmes pour vous qualifier ? « Est-elle devenue folle ? », « Que dit cette folle ? Veux-tu que je t’étrangle ? », « Et moi je vous dis que je vous tuerai vous et votre « mari » ! » Madeleine, toi qui es tiraillée entre ce que l’on attend de toi et ce que tu veux vraiment, j’aimerais te rassurer : tu n’es pas « folle ». Ne laisse pas ces phrases assassines, martelées par ton propre père, te rentrer dans la tête. Même si l’on vous présente, ta sœur et toi, comme étant les FILLES DE, tu n’es pas sa propriété.

P our q uoi ?

À la première lecture du Timide à la cour, la force relative des personnages féminins m’a frappée. J’ai tout de suite pensé à ces deux Marie qui, lors d’une résidence au CEAD, m’avaient exposé leur réflexion sur les genres, s’appuyant sur une analyse féministe de la dramaturgie. Let’s go, girls! - E. Jimenez

Quand tu rencontres Mireno, tu admires son courage, mais toi aussi tu es courageuse ! Tu le fais sortir de prison pour l’aimer même si ton honneur est en jeu et que tout le contexte familial, social et politique te dicte le contraire. Sache que personne ne devrait être « promise à », ou craindre d’avouer un amour réciproque sous peine de représailles. Tu luttes contre les stéréotypes de genre qui veulent qu’un homme courtise et qu’une femme soit courtisée.

Et ce, bien malgré toi. En mettant en scène ta déclaration sous forme de rêve éveillé, prétextant que ton prétendant est trop timide, tu lui avoues quand même ton amour dans cette chambre, et sur cette scène… en 1611 ! Encore aujourd’hui, la pression est forte autour de comment une femme doit être et agir. C’est pour toutes ces raisons qu’il est si bon de t’entendre affirmer tes désirs à la fin. « Infâme ! », crie ton père. Cette violence n’est que le reflet de sa grande résistance au changement. Madeleine, qu’on se souvienne de toi ainsi : « Au lieu de fuir le danger, je suis allée le chercher, je me suis précipitée à sa rencontre… » Tu prends des risques, même si tu as peur. Et c’est ce qui est le plus beau, le plus inspirant et le plus honorable chez toi. Séraphine, toi qui t’affirmes jusque dans tes ambiguïtés. Toi, l’audacieuse. Tu t’exposes fièrement dans un costume noir de cavalier. Mais tu n’en restes pas là. Tu investis des territoires qui ne te sont pas réservés. Pour mieux transgresser ta réalité, tu utilises le théâtre. Le bouleversement créé par ton interprétation de La Portugaise cruelle révèle l’ampleur et la portée de tout ce qui n’est pas montré sur scène. Pour faire exister l’interdit, tu oses, tu vas même jusqu’à embrasser une femme sans te justifier. Tu agis, tu provoques, tu joues. Te voir dans l’action et la réflexion m’apaise. Tu me libères de l’image figée de tous ces personnages féminins qui subissent, condamnés à observer et à attendre.

LE TIMIDE À LA COUR 23

Toi, la fougueuse. Oui, tu n’es pas « d’un caractère très accommodant » pour ton père, mais tu le revendiques. Tu penses, tu piques, tu réponds. Tu es prête à crier s’il le faut. Ton indignation dérange, mais l’estime que tu te portes encore plus. Parce que tu t’accordes une valeur propre, on te traite de narcissique et on cherche à te punir. Tu t’aimes et c’est subversif. Parce que tu défends l’idée que l’amour ne devrait pas te retenir sous « le joug d’un maître tyrannique », on t’étiquette « farouche, égoïste, impitoyable ». Parce que tu dis non, on te piège, on te fait la leçon. Tu n’es pas cruelle. J’en ai assez de cette idée persistante qu’il est inconcevable pour des hommes d’accepter le refus. Tu as le droit de dire NON. Sans te justifier. Et d’être entendue. Madeleine et Séraphine, votre engagement fait naître une lueur d’espoir d’affranchissement. « Maintenant, ce ne sont plus les pères qui choisissent !… », déclarera le Duc. Cependant, cet éclat n’aveugle pas ma conscience. Restons vigilantes. Toutes ne connaîtront malheureusement pas un dénouement si joyeux. Et si on me donnait un rôle ? Et si j’avais droit à des répliques ? Je m’appelle Léonella. Je suis la soeur violée. L’oubliée. Celle qu’on mariera à son agresseur. Je suis l’événement déclencheur. Le prétexte d’une comédie. J’ai 405 ans. Je suis une survivante. « Vous y croyez, vous, à ces histoires de femmes violées ? » Pourquoi j’ai l’impression que cette question pourrait en être une, aujourd’hui ? Est-ce que c’est normal que je ne trouve drôle ni le début, ni la fin de cette comédie ? Est-ce qu’on banalise davantage la violence faite aux femmes quand elle est justifiée par les mœurs d’une autre époque ? Comment présenter une pièce à caractère misogyne ? Me répondrez-vous ? Je serai dans la salle, curieuse et bienveillante.

L e T hé â tre de l ’ A f f amée - M andat

(Note : le féminin est ici employé pour nourrir le texte.)

POUR LES GOURMANDS

La Femme et son expérience dans la sphère privée, sociale, politique et artistique ; La Femme et son histoire plurielle, traversée par les féminismes ; La Femme et son théâtre, dans l’urgence qu’a l’Affamée de trouver ses vivres. Les Affamées croient qu’il faut s’investir à (re)créer et à faire (re)vivre une culture des femmes. Elles voient la scène comme un lieu fertile à la création de personnages complexes et intéressants, féminins, masculins ou qui s’identifient autrement, qui interrogent leur contemporanéité. Dans une langue québécoise actuelle et radicale, elles cherchent à transcender le quotidien afin de se réfléchir et de nous réfléchir collectivement. C’est par une analyse féministe des sujets et du processus créateur qu’elles affirment leur engagement. Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent, codirectrices artistiques

Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent sont diplômées de l’École de théâtre du Cégep de Saint-Hyacinthe en 2005. Dès leur première rencontre, elles savent qu’elles uniront leurs voies/voix. Écrivant à quatre mains, leur première création voit le jour, Walk-in ou se marcher dedans, à la salle Intime du Prospero en 2009. En 2011, elles deviennent officiellement des Affamées. En 2012, elles présentent leur deuxième création, Cour à Scrap - Portrait d’une famille reconstituée. En collaboration avec Marie-Claude Garneau, elles développent une conférence-performance, Femmes, théâtre et société : Investir le politique pour une transmission féministe, qui est présentée, entre autres, dans le cadre du 35e anniversaire de l’Institut Simone de Beauvoir. Chienne(s), leur prochaine création, a fait l’objet d’une mise en lecture au festival Dramaturgies en dialogue en 2016.

Les Aventures du Capitaine Alatriste est une série de romans de l’auteur espagnol Arturo Pérez-Reverte. Ce sont des romans d’aventure qui dressent un portrait de la vie en Espagne au XVIIe siècle. Cette série compte au moins sept romans dont le premier a été publié en 1996. Le nom du personnage est un clin d’œil au Chevalier à la Triste Figure, surnom du personnage de Don Quichotte de la Mancha. En 2006, le Capitaine Alatriste a fait l’objet d’un film avec Viggo Mortensen dans le rôle du capitaine et est aussi devenu une télésérie, El Capitàn, en 2014.

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en savoir S alle F red - B arry / 4 au 2 2 octobre 2 0 1 6

ABÎMÉS quatre courtes pièces de S A M U E L B eckett TEXTES - SAMUEL BECKETT MISE EN SCÈNE - C ATHERINE BOURGEOIS AV E C M A R C B É L A N D , G U I L L E R M I N A K E R W I N , G A B R I E L L E M A R I O N - R I VA R D E T M I C H A E L N I M B L E Y P R O D U C T I O N J O E J A C K E T J O HN

L’avant-gardiste Samuel Beckett, prix Nobel de littérature, a su créer des univers formels inédits, entre chorégraphies et installations, des « taches sur le silence », en écrivant de nombreuses courtes pièces qu’il nommait dramaticules. Les quatre pièces que Catherine Bourgeois présente, Quoi où, Souffle, Impromptu d’Ohio et Pas, puisent dans un théâtre absurde, avec des personnages sans réel caractère, qui s’isolent, se dédoublent, s’enferment et réapparaissent.

© Frédérique Ménard Aubin

Travaillant avec des distributions de tout horizon, dont des acteurs vivant avec une déficience intellectuelle, Joe Jack et John propose des personnages spectres et désinvestis qui, couplés à la charge dramatique que portent les corps handicapés en scène, promettent de donner une résonnance nouvelle aux mots de Beckett. Catherine Bourgeois lit et dirige ses œuvres scéniques en laissant une grande place à la création de l’imprévisible. Du souffle décalé des acteurs et de cette façon de déjouer les codes du théâtre naît une chose rare, entre beauté, douleur et candeur. Abîmés est la première incursion de la compagnie dans une œuvre de répertoire.

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BECKETT par Emmanuelle Jimenez

Samuel Beckett a écrit des romans et de la poésie mais il est surtout connu pour ses pièces de théâtre dont deux sont devenues absolument mythiques : En Attendant Godot (1948) et Oh les beaux jours (1963). À mesure que le temps passe, son écriture devient de plus en plus laconique. Sèche et précise, diront certains. Ses courtes pièces, dont la plupart ont été écrites vers la fin de son parcours, témoignent de cette évolution. Souffle, selon les indications de son auteur, doit durer en tout vingtquatre secondes et ne contient aucun mot, simplement des bruits de souffle, de respiration et un vagissement.... Beckett est une voix unique dans la dramaturgie contemporaine. Pour moi, il est le maître incontesté et impitoyable de l’expression de ce qu’est la condition humaine. Vous êtes sur terre, c’est sans remède !, dira le personnage de Hamm dans sa pièce Fin de partie… Est-ce à dire que Beckett était pessimiste par rapport à la condition humaine ? Du moins, Beckett semble penser que le fait d’être né marque le début de tous les problèmes… Mais nous devons vivre notre vie. À la fin de son roman L’Innommable, il écrit : […] il faut continuer, je ne peux pas continuer, je vais continuer.

© John Minihan

Mais comprenons-nous bien Beckett ? Cet homme qui jugeait qu’avoir reçu le Prix Nobel de littérature en 1969 était une catastrophe… Son ami Emil Cioran écrira d’ailleurs à ce moment : Samuel Beckett. Prix Nobel. Quelle humiliation pour un homme si orgueilleux ! La tristesse d’être compris ! Quoi qu’il en soit, je vais continuer de fréquenter Beckett. Samuel Beckett, Paris, 1985

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E N T R E T I E N AV E C C AT H E R I N E B O U R G E O I S

DES PAS DANS LA NUIT par Marcel Pomerlo

Nous nous sommes rencontrés un jour de pluie, Catherine Bourgeois et moi. Un jour gris de juin où, longs manteaux et parapluies étaient de mise. Tout pour plaire à Beckett, cet Irlandais solitaire, écrivant en français, qui a révolutionné l’écriture dramatique du XXe siècle. Le ciel peut bien gronder. © Frédérique Ménard-Aubin

Catherine Bourgeois, metteure en scène et scénographe formée à Londres a cofondé sa compagnie de création Joe Jack et John il y a treize ans. Catherine est fascinée par la non-conformité, au théâtre comme dans la vie, et elle tente de faire surgir le sens à partir de l’imparfait, de l’accident, de l’étrangeté. Son travail, très rigoureux sur le plan formel, ne tente pas de corriger « ce qui ne va pas » dans la singularité sociale d’un être, il tente de mettre en scène son identité propre et en illumine la pleine humanité, le brut plutôt que le beau. P our q uoi ?

Abîmés est le spectacle qu’elle prépare depuis plusieurs mois autour de quatre courtes pièces de Samuel Beckett : Quoi où, Pas, Souffle et Impromptu d’Ohio. Comme à son habitude, elle a réuni des « acteurs vivant avec un handicap et des acteurs vivant sans handicap ». Le vocable handicap ici, ne désigne pas nécessairement une malformation physique ou une anomalie génétique, mais bien une différence, une particularité du langage ou de la motricité. Une étrangeté, justement.

Marcel Pomerlo s’intéresse aux démarches atypiques qui éclairent le réel d’une lumière autre, particulière. Je savais qu’il serait sensible à la démarche unique de Catherine Bourgeois. Elle est d’ailleurs l’une des seules au Québec à la poursuivre au sein de la compagnie qu’elle a fondée : Joe Jack et John. Nous avons assisté ensemble à une étape de travail à la Maison de la culture du Plateau Mont-Royal. Nous avons été frappés par ce que les corps atypiques, traversés par les mots de Beckett, disent, révèlent de notre humanité. À la fin du laboratoire, après avoir été chavirés, Marcel et moi, par ce que nous venions de voir, nos regards se disaient : eh oui, le temps passe et nous allons un jour être morts. Et par-dessus la gravité, un sourire. C’est l’effet Beckett… Vive la condition humaine. - E. Jimenez

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Quelque chose qui ne correspond pas à la norme. On pourrait plus simplement dire que la metteure en scène travaille avec des « acteurs atypiques ». L’artiste absolu n’est-il pas celui qui se distingue, dont le regard original sur le monde nous porte ailleurs, nous fait voir les choses autrement et nous force à regarder les êtres avec plus de bienveillance, de lucidité ? J’ai toujours eu la sensation qu’il y avait en moi un être assassiné. Assassiné avant ma naissance. Il me fallait retrouver cet être assassiné. Tenter de lui redonner vie. - Samuel  Beckett Je demande alors à Catherine pourquoi, pour ce premier spectacle fait à partir d’une oeuvre du répertoire, avoir choisi Beckett, le maître fou de la précision, celui dont les textes semblent taillés au scalpel et dont le choix de chaque mot faisait l’objet d’une longue réflexion et de nombreux tourments. Elle réplique que c’est la grande question de l’absurdité de la naissance qui l’a menée vers cet auteur, cet état des choses qui est porté naturellement par chacun de nous et encore plus par les êtres dits différents. Nos limitations, confrontées à l’écriture très structurée, très parfaitement rigide et implacable de Beckett, puis le décalage des corps, des voix, des rythmes, voilà ce qu’elle veut travailler. Un inconfort. Un regard posé sur l’imperfection des hommes. « À quoi sert la perfection ? À quoi sert un humain ? Qu’est-ce qu’un humain? » Catherine pose ces questions à Beckett, lui qui ne croyait pas en Dieu. Elle ajoute : « J’aimerais faire en sorte que les quatre acteurs se rejoignent, chacun dans leur façon propre de dire et de jouer ces textes qualifiés d’injouables.

J’aimerais que la sensibilité et la couleur personnelle de chacun enrichissent le groupe tout entier. C’est comme si dans Abîmés, les cinq derniers humains (quatre corps et une voix) se retrouvaient face à la mort, toujours présente chez Beckett. La mort, comme l’absence de Dieu, comme l’aliénation, la solitude, la disparition des êtres, des choses. Comme si nous étions en présence de ceux qui sont arrivés au bout de la route, au bout de la terre, au bout de ce monde qui finira bientôt. Je veux interroger avec eux et avec le public l’être et le paraître. Les corps fracturés et la beauté parfaite et lisse. L’âme et l’intégrité.

pourtant que leur présence vibrante nous parle autant sinon plus que leurs mots. Alors c’est quoi la présence sur scène ? » Catherine : « La capacité d’être là, totalement. De ne rien faire d’autre. De s’abandonner. »

J’ai aussi une volonté de remettre en question la notion d’acteur. Qu’est-ce qu’un bon acteur, son rôle dans le monde et son rôle sur scène ? Il me semble que ses courtes pièces dites absurdes (qualificatif que refusait Beckett) ne le sont pas tant que ça. Dès qu’on leur donne un sens, elles résonnent très fortement tout à coup. En tous cas pour nous, pour chacun de nous qui sommes submergés par les textes de Beckett, ce qui peut paraître totalement abstrait au départ devient vite chargé de sens. Je demande donc à chacun des acteurs d’habiter avec son corps et sa voix la parole de Beckett. De laisser les mots faire leur chemin en chacun d’eux. C’est à partir de là que s’établira le dialogue avec le public, car il sentira que les mots sont investis par la sensibilité et l’intelligence des interprètes qui vivent là, devant eux. Chacun se fera ainsi son histoire intérieure ou regardera Abîmés comme un tableau vivant. »

J’ajoute : « Sur scène, dans ce temps de représentation, tout peut arriver. Il n’y a pas de deuxième prise. Il faut y aller. Plonger en étant fort et vulnérable à la fois. Totalement ouvert au monde, à l’espace et à soi. »

Je dis: « Comme un enfant qui joue dans son carré de sable et pour qui, rien d’autre n’existe ? » Elle dit: « Oui, la présence pure, le niveau zéro du jeu c’est ce que je recherche. Et aussi c’est je crois, la volonté de se laisser porter par l’inconnu qui nous habite, même après des heures de travail. »

Catherine conclut : « Oui, et c’est un grand défi pour tous les acteurs… vivant avec un handicap ou non. » Pour moins souffrir il avait misé sur l’étrangeté. - Samuel Beckett / Impromptu d’Ohio

Le temps passe. C’est tout. Comprenne qui pourra. J’éteins. - Samuel Beckett / Quoi où Je lui demande : « Et la présence ? Si Beckett parle beaucoup du silence, du vide, de l’absence, si des êtres parlent, parlent, parlent pour ne pas mourir et semblent délirer avant de mourir, si, avant qu’il ne soit trop tard, ils nomment tout ce qu’ils ont vu, traversé, vécu, il faut

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E N T R E T I E N AV E C GA B R I E L L E M A R I O N - R I VA R D

PARLER AVEC GABRIELLE par Marcel Pomerlo

Gabrielle vit avec le syndrome de Williams. Je l’attends dans une minuscule pièce aux murs blancs. Elle entre. Jeune femme de 27 ans, énergique, enthousiaste, rieuse, intense et brillante. Très lumineuse. Elle s’apprête tout comme son camarade Michael Nimbley des Muses, à endosser les paroles sombres et énigmatiques de Beckett. Le travail est amorcé. Elle est ravie. Questions et réponses surgissent entrecoupées de petits silences et de grands éclats de rires.

Marcel Abîmés ça parle de quoi, selon toi? Gabrielle De l’inquiétude, de l’aveu (avouer quelque chose). Le pourquoi, le secret, le mystérieux, l’étrange. Le très étrange. C’est un univers… bizarre. Dans Pas, je suis la fille inquiète. Celle à qui il est arrivé quelque chose. Quelque chose de grave. Un secret bien gardé. C’est la fatalité. Je suis May la fille qui marche. La fille… qui fuit. Elle attend de sortir de son secret, sortir du mauvais souvenir. May est un zombi. C’est un peu comme un animal… qui va sortir ses griffes! Dans Quoi où ?, le gars veut une réponse. Tout de suite. Dans Impromptu d’Ohio, c’est la frustration. Toutes ces pièces sont comme… le calme avant la tempête. C’est atroce.

© Frédérique Ménard-Aubin

Un autre jour de pluie. Nous nous rencontrons Gabrielle Marion-Rivard et moi aux MUSES : Centre des arts de la scène pour des artistes vivant avec un handicap.

Marcel C’est difficile ? C’est un défi ? Gabrielle Le gros défi… c’est de donner du sens au délire de l’auteur de Pas. C’est la marche (presque psychédélique) du questionnement. Cette fille se sent mal. Elle est ABÎMÉS 29

angoissée. Elle marche, elle marche, elle marche, elle est enfermée dans sa tête, elle est fâchée à cause de « l’événement ». Elle porte comme… une déchirure au coeur. Elle a un coeur déchiré, brisé en deux. Le lien avec sa mère est déchiré. La voix de sa mère est étrange, sombre, folle. Chaque pièce d’Abîmés porte une déchirure, vit une rupture… c’est… inconcret. Tous les personnages portent une grosse bombe explosive. Marcel À l’instar du titre du spectacle, qu’est-ce qui nous abîme dans la vie ? Gabrielle Je dirais… l’inquiétude. Le négatif, l’impatience. La guerre, la pauvreté, les conflits de famille. La dureté… oui, la dureté du monde… Mais jouer, c’est entrer dans un autre univers, entrer dans un autre monde… Jouer au théâtre c’est une très belle expérience dans ma vie.

Sans jamais échanger un mot ils devinrent comme un seul. - Samuel Beckett / Impromptu d’Ohio

© Frédérique Ménard-Aubin

MARCEL POMERLO est comédien, metteur en scène et auteur. Il est cofondateur et membre permanent de la compagnie Momentum. Il a mis en scène deux solos très remarqués et dont il est l’auteur : L’Inoublié et Gaëtan (textes publiés aux Éditions du Lilas et chez Dramaturges Éditeurs). Lors des dernières saisons, on l’a vu entre autres dans Un animal (mort) (Centre du Théâtre d’Aujourd’hui), La beauté du monde (Aux Écuries), Le souffleur de verre (Espace Libre) et Les hivers de grâce de H.D. Thoreau (Usine C.). Il joue également à la télévision et au cinéma. ABÎMÉS 30

P our q uoi ?

Parce que l’occasion était trop belle, nous avons invité Edon Descollines, comédien vivant avec un handicap, à dessiner sa vision du labo de création de Abîmés, présenté en mai 2016. Edon a d’ailleurs joué dans la dernière production de Joe Jack et John, je ne veux pas marcher seul, présentée au Théâtre Aux Écuries, à l’automne 2015

© Edon Descollines

© Edon Descollines

- E. Jimenez

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© Gilbert Duclos

POUR LES GOURMANDS

Beckett on film, c’est le projet fou d’adapter pour le cinéma les dix-neuf pièces de Beckett. Chaque pièce a été transformée en film par un réalisateur différent parmi lesquels on compte Atom Egoyan et David Mamet. Dotée de distributions prestigieuses dans lesquelles on retrouve entre autres Julianne Moore, Alan Rickman et Harold Pinter, cet ambitieux projet a été présenté au Toronto International Film Festival en 2000 et est disponible en DVD.

Gabrielle est un film réalisé en 2013 par Louise Archambault, et met en vedette la comédienne Gabrielle Marion-Rivard qui joue dans le spectacle Abîmés.

Dans Dave veut jouer Richard III, Dave Richer, comédien vivant avec un handicap, a joué le rôle de Richard III dans une mise en scène de Jean-Pierre Ronfard au Nouveau Théâtre Expérimental au cours de la saison 2001-2002. On le retrouve ci-dessus sur scène en compagnie de Daniel Brière et Salomé Corbo.

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en savoir

S alle F red - B arry / 1 e r A U 1 9 N O V E M B R E 2 0 1 6

LE TERRIER T E X T E - DAV I D L I N D S AY - A B A I R E TRADUCTION - YVES MORIN M I S E E N S C È N E - J E A N - S I M O N T R AV E R S Y Avec S A N D R I N E B I S S O N , F R É D É R I C B L A N C H E T T E , R O S E - A N N E D É R Y, P I E R R E T T E R O B I TA I L L E ET ANDRÉ-LUC TESSIER P RO D U C T I O N TA B L E AU N O I R

Howie et Becca tentent, tant bien que mal, de se remettre du deuil de leur fils unique, Danny, tué alors qu’il n’avait que 4 ans. Tandis que Becca est résolue à effacer les souvenirs liés à son fils en envisageant la vente de la maison, Howie, de son côté, tente par ses activités de cacher tous symptômes de dépression. Pour aller de l’avant dans l’acceptation du deuil, Becca est obsédée par le désir de rencontrer Jason, le jeune homme qui a accidentellement happé son enfant. Cette pièce aux personnages chargés de leur impuissance explore ici les passages secrets du deuil, de la fissure irréparable jusqu’à l’espoir de reconstruire. David Lindsay-Abaire remporte le Pulitzer en 2007 avec Rabbit Hole, titre d’origine de la pièce Le Terrier. © Catherine Lepage

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Lorsque les étoiles s’éteignent par Marie-Claude Verdier

Voyez-vous, nos enfants nous sont bien nécessaires, Seigneur ; quand on a vu dans sa vie, un matin, Au milieu des ennuis, des peines, des misères, Et de l’ombre que fait sur nous notre destin, Apparaître un enfant, tête chère et sacrée, Petit être joyeux, Si beau, qu’on a cru voir s’ouvrir à son entrée Une porte des cieux ; Quand on a vu, seize ans, de cet autre soi-même Croître la grâce aimable et la douce raison, Lorsqu’on a reconnu que cet enfant qu’on aime Fait le jour dans notre âme et dans notre maison, Que c’est la seule joie ici-bas qui persiste De tout ce qu’on rêva, Considérez que c’est une chose bien triste De le voir qui s’en va ! Extrait, Les Contemplations de Victor Hugo

Becca et Howie, le couple au cœur de la pièce Le Terrier de l’Australien David Lindsay-Abaire, apprivoisent le deuil de leur fils de quatre ans, mort frappé par une voiture devant leur maison. Ils sont tiraillés : Becca veut oublier tandis qu’Howie souhaite se souvenir du garçon. L’épreuve est ultime pour les parents, car elle remet en question leur identité fondamentale : sans enfant, qui sont-ils ? Il n’existe même pas de mot pour qualifier les parents qui ont perdu leurs enfants. Les orphelins et les veufs sont dans l’ordre des choses, mais cette condition semble si horrible et si intolérable que les mots atteignent leur limite. Le motif de la mort d’un enfant apparaît à plusieurs reprises dans les œuvres théâtrales occidentales, que ce soit dans la Grèce antique, dans l’Empire romain, ou chez les Scandinaves du début du XXe siècle, mais sa signification se transforme d’une époque à l’autre. Cette tragédie dans la vie des personnages permet à l’auteur d’explorer la relation qu’ont ses contemporains au temps et surtout, à l’espoir. À travers le décès de l’enfant, se donne à lire la relation qu’entretient une société à sa régénération possible et à ses perspectives d’avenir.

Dans les pièces de théâtre écrites avant le XIXe siècle, l’enfant meurt habituellement pour mettre fin à une lignée et enlever toute possibilité de représailles. Shakespeare pousse Richard III à assassiner les fils de son frère Clarence pour atteindre la couronne et chez Euripide, on tue Astyanax parce qu’il est le fils d’Hector et que les Athéniens craignent sa vengeance. Dans les tragédies, les parents sacrifient leurs enfants à des dieux qui exigent le sang des innocents pour accomplir leurs volontés, comme Agamemnon doit le faire pour sa fille Iphigénie afin que les vents changent et que

P our q uoi ?

Parce que Marie-Claude, en plus d’être une auteure dramatique de talent, est quelqu’un qui connaît bien le répertoire international. Et on avait envie de voir comment la mort de l’enfant avait pu inspirer des œuvres dramatiques à travers le temps. - E. Jimenez

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les bateaux puissent partir pour la guerre de Troie. L’ordre du monde exige ces morts et leur offre un sens. Au XIXe siècle, un changement de perception s’opère : l’enfant n’est plus tué par une main violente, il est frappé par le tragique du quotidien. On évacue la grandeur du tragique et des dynasties pour se concentrer sur le quotidien des familles ordinaires. Le fils de la famille meurt noyé, la fille est emportée par la maladie. Sa mort n’a alors plus de sens : elle échappe à la volonté des humains. La famille est happée par le choc de la disparition brutale de l’enfant qui remet toute leur existence en question et pose la fatale question : « Pourquoi ? » Celui qui a posé cette terrible question avec le plus d’acuité, de dignité et d’humilité est le poète Victor Hugo suite à la noyade de sa fille Léopoldine. Véritable traversée du deuil, Les Contemplations montrent le chemin ardu que le poète emprunte pour témoigner de sa souffrance, de ses doutes envers les desseins de Dieu mais aussi afin de se remémorer les moments heureux passés avec sa fille.

Les souvenirs sont la seule trace de l’enfant disparu et ils hantent la scène. Dans La Cerisaie d’Anton Tchékov, la grande Lioubov Andrevna vit endeuillée dans un monde qui s’éteint lentement : la mort du petit Grisha annonce le déclin de son domaine. Lioubov se reproche sa conduite frivole qui aurait mené au décès de Grisha. Elle n’est pas la seule, la culpabilité est une composante majeure dans les drames où les parents endeuillés tentent de trouver une réponse à l’impossible

et finissent souvent par s’accuser de négligence. Plus près de nous, la mort de l’enfant résonne dans deux œuvres contemporaines. Pascal Brullemans dans ses pièces Beauté, chaleur et mort et Vipérine, explore le drame de la mort d’une enfant due à la maladie dans une famille. L’œuvre présente sans détour, mais avec humour et tendresse, les difficultés du deuil au quotidien et ses impacts douloureux dans la reconstruction de l’unité familiale. On a ici droit à une parole rafraîchissante, celle de la sœur de la défunte, déterminée à vivre malgré le deuil. Dans Nom de domaine, Olivier Choinière nous montre, quant à lui, une famille qui nie la mort, et donc le deuil, de la cadette d’une famille. Le père, la mère et le frère se retrouvent devant leurs écrans d’ordinateur à se réinventer une famille en jouant à un jeu vidéo en ligne où ils intervertissent leurs identités familiales en empruntant les rôles des personnages typés de l’histoire d’Aurore l’enfant martyre. Ce jeu de dédoublement et de faux-semblants nous présente la complexité du deuil et nous ramène à la culpabilité des survivants. Tous se blâment pour la mort accidentelle de la fillette, ou pour l’avoir souhaitée, ce qui équivaut dans leur système de valeurs à avoir provoqué le destin.

Après avoir complété des études en Critique et dramaturgie à l’UQAM, Marie-Claude Verdier a obtenu une maîtrise sur la dramaturgie des musées de l’Université de Glasgow en Écosse. Sa première pièce, Je n’y suis plus, a été présentée en 2013 au Centre national des Arts d’Ottawa dans le cadre des Zones Théâtrales, et a ouvert la saison 2014-2015 à la Salle Fred-Barry du TDP. Elle a également travaillé au Centre des auteurs dramatiques à titre de conseillère à la mise en valeur du répertoire. Elle développe des projets pour la télévision tout en poursuivant son écriture pour le théâtre. Héritage, Edvard Munch, 1897-1899

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SUGGESTIONS DE PIÈCES SUR

LE DEUIL DE L’ENFANT par Marie-Claude Verdier Les Troyennes, Euripide

Intérieur, Maurice Maeterlinck

Après la prise de Troie, les vainqueurs se partagent les captives. Néoptolème reçoit Andromaque et son fils Astyanax. Mais les Grecs réclament la mort du fils d’Hector, le dernier de sa lignée. Il doit mourir pour satisfaire leur vengeance. Malgré les supplications d’Andromaque, son fils sera précipité du haut des murs de la ville.

Dans cette oeuvre symboliste, le vieillard et l’étranger observent une famille à travers les fenêtres de la maison. Le père, la mère, les deux filles et l’enfant mènent une existence paisible. Mais le vieillard et l’étranger sont porteurs d’une lourde nouvelle : ils vont annoncer la mort de l’une des filles, retrouvée noyée dans le fleuve.

Les Troyennes, Sénèque

Riders to the Sea, J.M. Synge

La guerre de Troie est terminée et les Troyennes, vaincues, viennent apprendre le sort que le destin leur réserve : Astyanax, le fils d’Hector et d’Andromaque, le dernier de sa dynastie, doit mourir.

En Irlande sur l’île d’Inishmaan, Maurya a perdu son mari et ses cinq fils, tous emportés par la mer. Ses filles ont reçu le message d’un prêtre leur disant qu’on a retrouvé un cadavre sur la plage, celui de leur frère cadet Bartley. Celui-ci se préparait à prendre la mer pour aller vendre un cheval sur la côte du Connemara et il refusa d’écouter les supplications de sa mère qui voulait l’empêcher de partir, prévoyant le pire. À la fin du jour, la mer aura pris tous les fils de Maurya qui aperçoit leurs fantômes sur la côte.

Petit Eyolf, Henrik Ibsen Le père du petit Eyolf décide d’abandonner son travail d’écriture d’un traité philosophique pour se consacrer au bonheur de son fils. Mais c’est trop tard : le garçon, laissé sans surveillance par sa mère, a suivi la femme aux rats et est mort.

Brand, Henrik Ibsen Au XIXe siècle, Brand, prédicateur religieux radical, oblige sa femme à demeurer chez eux, malgré les avis du médecin qui leur conseille de partir dans un climat plus clément pour la santé de leur fils. Sa femme obéit à Brand qui lui dit obéir à Dieu, et l’enfant meurt. La folie religieuse pousse au sacrifice d’un innocent.

Vêtir ceux qui sont nus, Pirandello Après une tentative de suicide ratée, Ersilia Drei sort de l’hôpital et est recueillie par le romancier Nota. Elle a été renvoyée de son emploi après la mort accidentelle de l’enfant du couple dont elle avait la garde et elle a confié son histoire à une journaliste, ce qui l’a rendue célèbre. Mais ses mensonges la rattrapent et les personnages viennent contester sa version des faits. Qui a raison ? Que s’est-il passé dans la villa Grotti ?

Buried Child, Sam Shepard Dans les années 70, en Illinois, Vince débarque avec sa copine Shelly chez ses grand-parents. Il est surpris d’y retrouver son père Tilden, et déboussolé de constater que personne ne le reconnaît. Tilden a visiblement des problèmes mentaux et il révèle un secret de famille à Shelly : il aurait eu une liaison incestueuse avec sa mère et son père Dodge aurait enterré l’enfant dans leur jardin. Dans cette atmosphère lugubre et étouffante, qui croire ?

Mère Courage et ses enfants, Bertolt Brecht Pendant la guerre de Trente Ans, la cantinière Anna Fierling, dite Mère Courage, suit les armées pour faire du commerce, accompagnée de ses deux fils et de sa fille muette. C’est une redoutable femme d’affaires, prête à tout sacrifier pour faire de l’argent : l’absurdité de la guerre viendra la frapper de plein fouet.

À toi, pour toujours, ta Marie-Lou, Michel Tremblay Carmen, devenue chanteuse western, vient voir sa soeur Manon qui est obsédée par la mort tragique de leurs parents et de leur jeune frère dans un accident survenu une décennie plus tôt. Entre le passé et le présent, les deux soeurs règlent leurs comptes et comparent leurs souvenirs d’une enfance cauchemardesque.

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Becca, par Fanny Britt Tu es toutes les mères. Celle du courage et celle de l’effondrement. Celle qui espère le plus clair et celle qui sait le plus sombre. Celle dans la brousse épaisse, touffue jusqu’à l’étouffement, du renoncement et de la douleur. Celle qui remet jour après jour son cœur tout en haut du mât de l’existence, à vif, écorché, gorgé de sang et de doutes, et qui reçoit toutes les ondées, tous les vents, toutes les tempêtes. Et qui se replie, le soir venu, se recroqueville en elle pour pleurer les désirs inassouvis, les souhaits déçus et les lentes tragédies du quotidien. Et qui le lendemain, pas du tout guérie, à peine pansée, grimpe tout en haut, encore, et raccroche son cœur, et recommence. Ce n’est pas un cœur sans peur, pas un cœur de super-héroïne, de magicienne, de fée. C’est un cœur troué et malmené, nourri d’amour et de frayeur, de ceux qui ont vu neiger et pleuvoir et pleurer et qui n’ont pas cessé d’en souffrir. Certaines choses ne prennent jamais la sourde forme de l’habitude, même

quand elles en sont. Tu es toutes les mères qui ont perdu, toutes les mères qui ont donné, toutes les mères qui ont brisé. Tu t’es levée un matin avec des tâches bien définies, parfois baignées d’amour, parfois criantes d’insignifiance, mais la vie prenait des contours clairs : tu avais un enfant, le tien, il fallait le nourrir, l’embrasser, le vêtir, l’aider, l’étreindre. Mon dieu, l’étreindre, cette petite chose chaude et suante par les jours d’été, collante de popsicles et de larmes, l’étreindre jusqu’à te fondre dans lui, jusqu’à en colmater toutes les brèches. Tu t’es levée un matin avec des tâches bien définies que tu adorais et qui t’agaçaient sans doute parfois, et le lendemain ces tâches avaient disparu. Il n’en restait plus une seule, pas de bisous, pas de compote de pommes, pas de souliers de course. Toute chose vivante avait été aspirée dans le feuillage épais de la mort, ses yeux comme ses rires, ses ongles sales comme ses odeurs de pêche, toute chose vivante t’avait été dérobée en quelques secondes, et le

choc a été si grand que tu n’en as qu’un vague souvenir. Du choc, pas de ton enfant. Ça non. L’enfant est plus vif que jamais en toi, c’est lui qui te pointe les branches à tasser, une ici, une là, puis une liane à attraper, dans la forêt, infinie et labyrinthique, de ton deuil. Tu es toutes les mères. Et tu avances.

P our q uoi ?

Parce que j’ai lu cette pièce en sanglotant, parce que j’ai du mal à même simplement écrire les mots « deuil d’enfant », j’ai demandé à Fanny d’écrire une lettre à Becca, la mère dans Le Terrier. - E. Jimenez

FANNY BRITT est écrivaine, auteure dramatique et traductrice. Elle compte une douzaine de pièces à son actif, dont Bienveillance, lauréate du Prix du Gouverneur Général du Canada en 2013. Ses pièces ont été montées sur de nombreuses scènes au Québec, aux États-Unis et en Europe. Elle œuvre aussi en littérature, à titre d’auteure et de traductrice. Son roman graphique Jane, le renard et moi (avec l’illustratrice Isabelle Arsenault), publié en 2012, a remporté plusieurs prix à travers le monde et a été traduit dans une dizaine de langues. On lui doit également des essais littéraires (dont Les tranchées : maternité ambigüité et féminisme, en fragments, en 2013). À l’automne 2015, elle publiait un premier roman, Les maisons, aux éditions Cheval d’août.

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LE DEUIL par Emmanuelle Jimenez

Des groupes de soutien comme celui que fréquente Howie dans Le Terrier existent au Québec et accompagnent des parents dans cette souffrance littéralement sans nom qui est celle de perdre un enfant. Sans nom parce qu’il n’existe pas de mot dans la langue française : ni veufs, ni orphelins, on les désigne comme parents endeuillés… Et sans nom parce que c’est probablement la pire épreuve à traverser. Perdre un enfant n’est pas dans l’ordre naturel des choses. Et avec sa mort s’envolent tous les rêves d’avenir qu’on avait pour lui et pour nous avec lui. Nous ne le verrons pas à son bal de graduation, nous ne le verrons pas adulte ou devenir lui-même parent… La mort fait partie de la vie mais dans notre société où la productivité est une valeur suprême, la période de deuil, que ce soit d’un enfant, d’un frère, d’une soeur, d’un parent, doit être officiellement la plus courte possible. Et résonnent ces mots aux oreilles des endeuillé(e)s : la vie continue, retourne travailler, ça va te changer les idées, get over it !. On a développé des critères de performance dans le deuil. Chaque deuil est pourtant unique et chaque deuil prend le temps qu’il prend. Mais selon ces critères, nous devrions tous vivre nos deuils comme Joanie Rochette qui, tout de suite après le décès de sa mère, est retournée sur la glace défendre son titre de patineuse artistique aux Jeux Olympiques. La société a décidé que c’était admirable. C’est admirable, mais c’est en même temps, à tout le moins, troublant. Dans Le Terrier, le personnage de la mère, Becca, amorce sa remontée à partir du moment où elle rencontre le

jeune qui est responsable de l’accident. Rencontrer ce jeune homme est un élément-clé dans le récit qu’elle se fait à elle-même de la mort de son fils. Tant qu’on est dans la recherche de réponses à des questions sur l’histoire de la mort de l’être qu’on aimait, on n’est pas dans le deuil, on est en quelque sorte pris à un niveau cérébral. Alors que le deuil, lui, se passe dans le cœur. Combien de gens endeuillés disent avoir eu hâte de pleurer ? Et Becca pleure enfin. Le deuil n’est pas une maladie, il ne s’agit donc pas d’essayer d’en guérir. C’est un état qui nous habite. Il vaut mieux se faire l’ami de son propre deuil et se rappeler que l’émotion qui nous submerge de manière parfois inattendue est là tout simplement parce qu’on aimait la personne qui n’est plus là. C’est de l’amour. C’est beau. C’est de l’eau. Tout simplement.

Ce texte est le fruit d’entretiens avec Sylvie Williams, de la Maison Monbourquette, et Josée Masson, de l’organisme Deuil-Jeunesse. Maison Monbourquette (514) 523-3596 ou 1-888LEDEUIL maisonmonbourquette.com Deuil Jeunesse 1-855-889-3666 LE TERRIER 38

POUR LES GOURMANDS Présentée à La Licorne en janvier 2016, la pièce Les événements, de David Greig, met en scène la rencontre d’une survivante d’une tuerie de masse et de l’auteur du massacre.

Excusez-moi, je suis en deuil !, de Jean Monbourquette et Isabelle Aspremont, Novalis (2011) Vivre le deuil au jour le jour, de Christophe Fauré, Éditeur J’ai Lu (2000) Mort, mais pas dans mon cœur, de Josée Masson, aux Éditions Logiques (2010)

© Suzane O’Neill

Le film Rabbit Hole ou Trou noir sous son titre québécois est l’adaptation cinématographique de la pièce de David Lindsay-Abaire. Réalisé par John Cameron Mitchell en 2010, il met en vedette Nicole Kidman, Aaron Eckhart et Dianne Wiest.

Emmanuel Schwartz et Johanna Nutter

LE TERRIER 39

S alle D e n ise - P elletier 9 n ovembre au 7 décembre 2 0 1 6

1984 TEXTE - GEORGE ORWELL M I S E E N S C È N E - E D I T H PAT E N AU D E Avec V É R O N I Q U E C Ô T É , J E A N - M I C H E L D É R Y, MAXIM GAUDETTE, ÉLIOT LAPRISE, JUSTIN LARAMÉE, ALEXIS MARTIN, CLAUDIANE RUELLAND E T R É J E A N VA L L É E C O P RO D U C T I O N D U T H É ÂT R E D E N I S E - P E L L E T I E R E T D U T H É ÂT R E D U T R I D E N T

VOIR LA BANDE-ANNONCE

en savoir

© Stéphane Bourgeois

Dans un régime dirigé par Big Brother, Winston Smith est chargé de réécrire l’Histoire dans le cadre de son travail au ministère de la Vérité. Il demeure à chaque instant susceptible d’être traqué par la Police de la Pensée. Malgré cela, il tente de comprendre la motivation de la dictature totalitaire mise en place. Il commence à écrire un journal afin de laisser une trace de la vérité. Amoureux de Julia, il rêve comme elle d’un soulèvement. Tous deux croient fermement à cette Fraternité de résistants que dirige clandestinement le charismatique O’Brien. O’Brien est-il le seul espoir pour que Winston échappe aux châtiments, prix à payer pour ses crimes envers le Parti ? 40

De Eric Blair à George Orwell George Orwell

par Joëlle Bond

Né Eric Blair le 25 juin 1903 en Inde, à Motihari, sous le régime colonial britannique, George Orwell s’inspirera de ses expériences personnelles pour produire une oeuvre engagée contre l’impérialisme et le totalitarisme. Il sera chroniqueur, critique littéraire, journaliste et auteur, prenant position pour une forme de socialisme assez personnelle, qui poussera certains à le qualifier « d’anarchiste conservateur ». De sa production fort variée émergent deux oeuvres phares, toutes deux à saveur politique : La Ferme des Animaux (1945) et 1984 (1949). C’est pour ce roman qu’il invente le concept de Big Brother, une autorité suprême qui surveille constamment la population tout en réduisant ses libertés au minimum. Depuis, le terme est passé dans le langage courant pour désigner métaphoriquement toute forme de surveillance par l’autorité au pouvoir. Le contexte de répression dépeint dans 1984 est fortement inspiré du stalinisme et du nazisme tels que vécus à l’époque d’Orwell qui, par son histoire, cherche à éveiller la conscience de la gauche britannique dont il faisait partie et qu’il soupçonnait de sympathiser avec les vues de Staline.

L’intrigue présente une Londres en ruines, qui n’est pas sans rappeler celle dans laquelle Orwell évoluait après la Deuxième Guerre mondiale, complètement détruite par une guerre nucléaire entre l’Est et l’Ouest qui aurait eu lieu dans les années 1950. Orwell présente un univers sombre où la liberté d’expression n’existe pratiquement plus et où le gouvernement tente d’asservir la population par le concept de doublepensée, principe selon lequel chacun est contraint d’accepter simultanément deux points de vue complètement opposés sans les remettre en question. Il s’agit, en somme, de la mort de l’esprit critique. Un monde triste que tente de documenter Winston Smith, un employé du Ministère de la Vérité qui a la tâche de remanier les archives historiques pour les faire correspondre aux versions officielles de l’histoire proposées par le Parti. Le roman, figure emblématique du roman d’anticipation qui fait office de référence aux côtés du roman Le Meilleur des mondes, d’Aldous Huxley, est devenu un incontournable pour qui s’intéresse à la dystopie et à la science-fiction.

P our q uoi ?

Joëlle a écrit ces textes pour le programme du spectacle au Théâtre du Trident avec lequel le Théâtre Denise-Pelletier est en coproduction. Je tenais à ce que ces textes fort bien documentés arrivent jusqu’à nous. - E. Jimenez

Comédienne et auteure dramatique, Joëlle Bond a présenté son premier texte dans le cadre des Chantiers du Carrefour international de théâtre 2009, Charme. Cette traversée sans prétention de l’héritage féminin construit depuis les années 1940 lui vaut la Bourse Première Œuvre de Première Ovation. Elle poursuit également un travail d’écriture de chanson comme dans le spectacle La fête sauvage de Véronique Côté, présenté au Théâtre de Quat’sous en décembre 2015 et en tournée dans les Maisons de la culture de Montréal au printemps 2017. Le texte est publié chez Atelier10. Joëlle œuvre aussi à titre de traductrice, surtout dans les domaines de la comédie musicale et du théâtre. On lui doit les versions françaises de Sweeney Todd, Les quatre filles du Docteur March, Peter Pan et Grace.

1984 41

Abécédaire par Alexis Martin

Amour

Doublepensée

Goldstein

L’amour au sens érotique n’existe plus, sinon dans la partie prolétarienne de Londres. Les membres du Parti, eux, s’unissent essentiellement… pour faire des enfants.

Dire délibérément des mensonges tout en y croyant sincèrement, oublier tout fait qui peut être un inconvénient ; nier la réalité objective tout en tenant compte de cette réalité… le principal, c’est que le Parti a toujours raison.

Goldstein, c’est l’ennemi absolu ; le déviant, celui qui refuse par égoïsme et cécité sociale le pari de Big Brother. C’est l’homme ancré dans les peurs anciennes et qui refuse de s’effacer en faveur du bien commun et de la cohésion du groupe.

Big Brother, c’est le leader incontesté et incontestable de l’Océania. Il n’est pas contestable puisqu’il est l’émanation même des désirs les plus profonds du peuple. Il n’est pas sans faire penser à Staline, le dictateur de l’URSS qui a dominé l’histoire de son pays de 1929 à 1953.

Censure C’est l’hygiène de la pensée ; il faut libérer les esprits des informations inutiles ou qui peuvent le détourner des objectifs du Parti. La censure veille à désencombrer les archives et les cerveaux.

Éducation L’éducation a pour but unique de former des citoyens exemplaires et des membres du Parti éclairés… dans les visées du Parti.

© Stéphane Bourgeois

Big Brother

Faits Les faits, c’est ce qui permet de faire la différence entre le vrai et le faux. L’argument factuel est indépassable dans un monde où la rationalité s’appuie sur une démarche scientifique. Mais le problème reste : quels faits sont retenus, lesquels écartés ? Comment conclure qu’une proposition est vraie sans savoir si les faits qui permettent ce jugement sont disponibles dans leur entièreté ?

P our q uoi ?

Pour cet abécédaire, nous avons demandé à Alexis Martin, comédien du spectacle 1984, de plonger dans un tourbillon de mots émanant de l’univers complexe de cette œuvre. Il est le détenteur d’un cerveau et d’une sensibilité exceptionnels. Sa fréquentation de la philosophie fait de lui un collaborateur hors-pair. - E. Jimenez

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Haine

Individu

C’est une émotion nécessaire pour contrer la séduction de Goldstein et de ses partisans. Une forme d’hygiène sociale, hygiène régulière et commandée qui permet au groupe de resserrer les liens et d’éprouver une plus grande solidarité.

L’individu, c’est une fiction, une fiction mortifère. Pour Le Parti il n’y a pas d’individus libres ; seulement des membres d’un corps qui les dépasse et les englobe totalement.

Julia

Mariage

C’est l’amoureuse qui échappe à toute prudence, poussée par une force érotique qui déjoue toujours les pronostics.

L’objectif du Parti est de permettre aux citoyens de former des couples, de former des liens ; mais l’acte sexuel doit être vidé de tout érotisme ; le seul but du mariage est la procréation ; tout mariage doit être approuvé et sanctionné par le Parti.

K est le nom d’un personnage de Kafka

Novlangue

Joseph K., lui aussi, comme Winston, est aux prises avec un monde absurde où la vérité semble échapper aux critères de validité habituels.

Le but de la novlangue est de réduire au maximum l’éventail des concepts possibles dans l’expression de la pensée humaine. Éventuellement, avancent ses experts, les crimes de la pensée seront impossibles puisqu’il n’y aura pas de mots pour les traduire ou même les imaginer… Réduire, comprimer, abolir ce qui n’est pas essentiel et strictement utile : inutile de faire des périphrases pour désigner un individu dangereux pour l’ordre et le Parti. Winston n’est pas un agitateur, ou un objecteur de conscience, un révolutionnaire, ou un sceptique ; il est nonbon, tout simplement.

Liberté La liberté c’est aussi une forme d’esclavage. C’est un abîme. Rien de plus difficile que d’être libre. C’est L’argument immémorial de toutes les dictatures. Mais c’est aussi une façon de noyer le poisson : vous êtes libre, de quoi vous plaignez-vous ? Mais l’êtes-vous vraiment ? Comment mesure-t-on la liberté réelle ?

© Stéphane Bourgeois

O’Brien C’est un haut cadre du Parti, un apparatchik ; c’est lui qui va embobiner Winston dans une aventure trompeuse.

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Parti

Travail

Y et Z

C’est la seule entité politique légitime. Ne pas en être, c’est être suspect.

Le travail de Winston est particulier : détruire journellement dans les archives d’Océania ce qui semble contredire la réalité que le Parti avalise ce jour-là ; on appelle ça du révisionnisme historique.

Y et Z ont été éliminées de la Novlangue : ces lettres ne servent plus à rien. Elles sont des non-lettres. À quoi bon même en discuter ?

Question Dans la chambre 101, Winston sera habilité à poser toutes les questions qu’il souhaite. Mais les réponses ne seront pas celles qu’il attend.

Réalité La réalité n’existe que dans le crâne des gens ; elle n’est pas un fait objectif pour le Parti ; en fait, la réalité est une vue de l’esprit. Une construction mentale et culturelle… celle du Parti.

Utopie Une utopie est une construction imaginaire d’une société qui serait idéale ; dans le cas de 1984, il s’agit bien plutôt d’une dystopie dans l’esprit de son auteur : c’està-dire une société régie par une idéologie néfaste.

Vérité La vérité est celle qui émane du Parti. Toute autre possibilité n’existe pas.

Le prix de la lucidité, c’est la soumission. Et la soumission exigée est celle de l’individu complet, jusqu’au moindre recoin de sa conscience.

© Stéphane Bourgeois

Soumission Winston Smith C’est le héros du roman 1984. Ou encore ; la victime ? Ou plutôt notre miroir ? Sommes-nous, comme Winston, ceux qui ont abdiqué ?

X : le signe du rejet C’est cette croix à l’encre que l’on trace sur les figures passées qu’on désire oublier. C’est ainsi qu’on élimine les visages des photographies, qu’on raye de l’existence historique des pans entiers de mémoire collective, de façon à reformater le passé.

ALEXIS MARTIN incarne le personnage d’O’Brien dans 1984. Il est comédien, mais aussi metteur en scène, auteur et scénariste. Il co-dirige le Nouveau Théâtre Expérimental depuis 1999. Il fait également partie du paysage télévisuel québécois en multipliant les rôles notamment dans Toute la vérité, Apparences, Les beaux malaises, Les Parent et Apparences. Il compte de nombreuses collaborations avec Louis Bélanger notamment dans sa nouvelle série : Séquelles et dans ses films Route 132 et tout récemment Les mauvaises herbes.

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Big Brother vous regarde… par Joëlle Bond

En juin 2013, Edward Snowden, ancien agent de la CIA et consultant de la NSA (National Security Agency) aux ÉtatsUnis, rend publiques, par le biais de différents médias dont le journal The Guardian, des informations ultrasecrètes sur les programmes de surveillance de masse opérés par les autorités britanniques et américaines. Le grand public apprend alors que les services secrets ont mis sur pied divers programmes de surveillance leur permettant d’avoir accès à leurs courriels, appels téléphoniques et à une quantité impressionnante d’informations privées obtenues par le biais de portes cachées dans les logiciels de Google, Apple, Facebook... et bien d’autres. Accusé de trahison, d’espionnage et de vol de biens gouvernementaux par les États-Unis, il se réfugiera à Hong Kong avant de s’exiler de façon plus permanente en Russie. Néanmoins, ses révélations,

comprenant plus de 1,7 million de documents, permettent d’ouvrir le débat mondial sur la question de la vie privée à l’ère du numérique. On voit d’ailleurs, depuis quelques années, l’émergence de polices d’assurance qui proposent de protéger votre identité en ligne. Mais pourquoi la protéger, justement, cette identité virtuelle ? Après tout, on ne donne que des informations de base quand on achète sur un site transactionnel, on révèle un peu plus par courriel, peut-être, mais qu’est-ce qui peut bien nous arriver ? C’est justement le problème : de se révéler sur la toile sans jamais savoir qui se trouve de l’autre côté. Qui a accès à nos informations personnelles et, surtout, comment sont-elles utilisées ? Mais qu’en est-il de la surveillance dans la vie réelle ? Récemment, certaines grandes chaînes de magasins ont décidé de faire appel à la technologie, question de freiner l’ascension

du commerce en ligne et de profiter de ces avancées numériques qui leur faisaient jusqu’alors perdre des parts de marché. En effet, le signal wi-fi émis par le téléphone intelligent que chacun garde au fond de sa poche permet maintenant de savoir combien de gens entrent dans un magasin, mais aussi, par exemple, combien de temps une personne s’attarde devant un étalage de produits de beauté ou d’articles de cuisine. Des informations qui serviront à offrir des rabais sur mesure selon le type de clientèle ou de changer la disposition des rayons d’un magasin selon l’achalandage. Ces expériences ont suscité des critiques véhémentes de la part des consommateurs sur les réseaux sociaux, auxquels les représentants des grandes chaînes répondent unilatéralement que ce n’est rien que les commerçants en ligne ne font pas depuis des années. 1984 45

EXTRAIT

Rien à cacher / No way to feel safe

P our q uoi ?

Parce que j’ai eu un immense coup de cœur en assistant à la présentation de leur projet Rien à cacher/No way to feel safe au Festival du Jamais Lu 2016 (www.jamaislu.com) - E. Jimenez

de Patrice Charbonneau-Brunelle, Marilou Craft, Dominique Leclerc et François-Édouard Bernier

Pa t r ic e

Patr ic e

Anne -Soph ie

Je suis à la fête d’un ami qui vient d’avoir 30 ans. Quand le party est ben pogné, on a l’idée vraiment originale de prendre une photo de groupe pis de tous la poster en même temps. Malade ! Mais, y a une fille qui est pas down parce qu’a veut pas se ramasser sur Facebook. On essaie de la convaincre, elle buck. Je lui demande de se tasser pour faire la photo sans elle, ça fait un petit frette. On finit pas ne pas prendre la photo. Plus tard, elle vient me jaser ça, elle me dit:

J’me présente.

T’as raison. Techniquement, au Canada, le gouvernement est pas supposé lire nos courriels, visiter notre Facebook, ou fouiller dans notre Dropbox… c’est vrai. Pour ça, il a besoin d’un mandat : il doit passer par un processus juridique... Par contre, il est tout à fait libre de ramasser nos métadonnées.

An n e-Sop hie Est-ce que t’as déjà entendu parler de reconnaissance faciale ? Patr ic e Tsé, y a des soirs où t’es content d’apprendre des affaires...

Pa trice C’est quoi ça ?

An n e-Sop hie

Anne -Soph ie

Des agences de renseignements ?

Les métadonnées, c’est des données sur des données.

A n n e -So p h i e

Patr ic e

(Elle voit qu’il ne sait pas de quoi elle parle.)

Moi, c’est Anne-Sophie. Je voulais pas te rusher… J’étudie les médias socio-numériques à la maîtrise, ça fait que oui, j’ai tendance à faire attention à ce que je mets sur les médias sociaux...

Pis y a des soirs que ça te tente moyen...

Anne -Soph ie

An n e-Sop hie

C’est des données récoltées à partir de notre activité sur le web. Les métadonnées, ça permet d’identifier un ordinateur Un fureteur, Une adresse IP, D’autres pages Web, Pis l’ensemble de l’environnement qui entoure la donnée.

Edward Snowden ? Patr ic e Ah oui, je l’ai vu à John Oliver, mais je pige pas la parano, on n’est pas aux États…

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Pa t r ic e Si le gouvernement peut pas lire mon courriel, qu’est-ce que ça lui donne ? A n n e -So p h i e Ben, il peut savoir quelle recherche j’ai fait Do min iq u e Quel site web j’ai consulté A n n e -So p h i e Combien de fois je le consulte Do min iq u e Les sites que je visite le plus souvent A n n e -So p h i e

Sn ow den

Dominiqu e

J’ai essayé de prévenir les Canadiens des périls de la loi « anti-terreur »…

(lisant dans le livre 1984) « Naturellement, il n’y avait pas moyen de savoir si, à un moment donné, on était surveillé. Combien de fois, et suivant quel plan, la Police de la Pensée se branchait-elle sur une ligne individuelle quelconque, personne ne pouvait le savoir. On pouvait même imaginer qu’elle surveillait tout le monde, constamment. Mais de toute façon, elle pouvait mettre une prise sur votre ligne chaque fois qu’elle le désirait. »

La position géographique de mon ordinateur. Même chose avec les téléphones : il a pas le contenu Mais il a la durée de l’appel Le destinataire La position de son GPS à lui Combien de fois on s’est appelés… Pis tout ça, c’est pas considéré comme faisant partie de la vie privée, selon la loi actuelle.

(Tous regardent Snowden, bouche bée.)

Pa t r ic e

La conversation avec Anne-Sophie de l’autre soir a curieusement pas vraiment laissé de trace dans mon esprit. Je me souviens surtout de la quantité de vin qu’on a bue Et de la photo que j’ai pas prise. Mais l’air du temps me rattrape. Je commence à travailler sur la scénographie de l’adaptation de 1984 de George Orwell. En lisant le texte, tout ce qu’Anne-Sophie m’a raconté me revient d’un coup : c’est comme si elle m’avait décrit le livre 67 ans plus tard. Dans mes recherches y a une image qui me frappe.

Donc, on n’intercepte pas des données personnelles de façon illégale. A n n e -So p h i e C’est ça que Harper disait pour expliquer qu’il respectait la loi. Mais c’est tout ce qu’il y a autour qui est collecté. En 2015, les Conservateurs ont proposé la loi C-51 : la loi anti-terreur. (On retrouve le personnage d’Edward Snowden.)

D om in ique Je sais, Edward, j’ai partagé ton article, mais j’ai eu aucune réaction… (Un temps.) Patr ic e

Snowde n 1984 est un livre important, c’est vrai, mais il ne devrait pas nous aveugler par les limites de l’imagination de l’auteur. Le temps nous a montré que le monde est plus imprévisible et plus dangereux que ça.

Patrice Charbonneau-Brunelle est scénographe. Il signe d’ailleurs la scénographie du spectacle 1984. Dominique Leclerc est comédienne comme François-Édouard Bernier. Marilou Craft est dramaturge.

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POUR LES GOURMANDS

Réalisé par Terry Gilliam en 1985, ce film est en quelque sorte un rejeton ou une libre adaptation de 1984. En effet, il met en scène le personnage de Sam Lowry, un fonctionnaire qui se révolte peu à peu contre un système bureaucratique totalitaire.

Dans cette suite de la trilogie Millénium, le personnage de Lisbeth Salander plonge au cœur des secrets de la NSA, agence de surveillance du gouvernement américain. Écrit par David Lagercrantz, ce livre est paru en 2015 chez Actes sud.

À surveiller, la sortie du film Snowden d’Oliver Stone, à l’automne 2016.

Réalisé en 1984 par Michael Radford, ce film met en vedette John Hurt et Richard Burton dans les rôles respectifs de Winston Smith et d’O’Brien. Ils y livrent tous deux une interprétation bouleversante. J’ai vu ce film quand j’avais treize ans. Mon frère trippait sur le groupe Eurythmics qui a composé une partie de la bandesonore, alors il nous avait emmenés voir ça avec nos parents. L’atmosphère pesante du film m’avait vraiment atteinte. En sortant du cinéma, j’ai eu très, très envie de vivre et de parler.

1984 (For the love of Big Brother), album de Eurythmics. écouter

L’orangeraie 1984 48

S alle F red - B arry / 6 au 2 1 décembre 2 0 1 6

Anne... la MAISON AUX PIGNONS VERTS TEXTE - LUCY MAUD MONTGOMERY ADAPTATION ET MISE EN SCÈNE FRÉDÉRIC BÉLANGER Avec S H A U N A B O N A D U C E , M A X I M E D E S J A R D I N S , PA M É L A D U M O N T, K AT R I N E D U H A I M E ET STEVE GAGNON P R O D U C T I O N A D V I E NN E Q U E P O U R R A

en savoir

Matthew et sa sœur Marilla adoptent un enfant pour les aider aux travaux de la ferme. Or, au lieu du garçon attendu, une surprise les attend à la gare : une fille. Leur affection pour Anne la rouquine est telle qu’ils décident de la garder avec eux. Une fois installée aux pignons verts, Anne se fait des amis, mais aussi quelques ennemis, dont Gilbert, avec qui elle développe une féroce compétition à l’école. Et même après qu’il l’ait sauvée, lorsque la barque des Barry a pris l’eau, Anne, qui ne craint pas les opinions, refuse l’amitié du jeune homme. La flamboyance de la jeune orpheline change les perceptions et jette une lumière sur la peur de l’inconnu et du jugement. Ode poétique à la tolérance, Anne est une célébration de la jeunesse, une rêverie sur l’urgence de toujours réenchanter le monde malgré les épreuves.

© Catherine Lepage

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Entrevue fictive avec un personnage fictif par Marie-Hélène Larose-Truchon

P our q uoi ?

Parce que Marie-Hélène Larose-Truchon écrit magnifiquement pour le jeune public, mais surtout parce qu’elle est une fan finie de Lucy Maud Montgomery. - E. Jimenez

Que ce soit pour combattre le sexisme, pour améliorer le traitement des femmes dans le système judiciaire ou faire valoir leurs droits fondamentaux à travers le monde, le féminisme redevient un sujet de plus en plus discuté dans les médias. On remarque aussi que les modèles du mouvement sont en mouvance. Beyoncé elle-même s’affiche comme féministe tout en portant talons aiguilles, tenues osées et en se déhanchant sur des chorégraphies plutôt sexy... Ce qui ne manque pas d’alimenter les débats entre les militantes ! Alors voilà peut-être un aspect particulier du féminisme de notre époque, soit la grande pluralité de ses expressions. Immanquablement, cela mène à une diversité d’opinions au niveau de la définition même du mot féminisme. Ne nous surprenons pas qu’Anne Shirley n’échappe pas à ce phénomène. Elle a marqué plusieurs générations de lectrices et lecteurs, et aujourd’hui, nombreux sont les articles de journaux, les blogs et les thèses universitaires qui font d’elle une icône féministe. À en croire cette affirmation, on pourrait donc dire qu’en plus de faire partie d’une comédie musicale inscrite dans les record Guinness, d’être incluse dans le cursus scolaire japonais, d’être traduite en plus de trente langues, de faire se déplacer chaque année des dizaines de milliers de touristes à l’Île-du-Prince-Édouard, le personnage d’Anne Shirley porte désormais la cause féministe... Mais à quoi tient cette affirmation? Pour élucider la question, je vous propose donc une entrevue fictive avec un personnage fictif : nulle autre qu’Anne Shirley !

M.H.L.T. Bonjour Mademoiselle Shirley. Puis-je vous appeler par votre prénom ? Anne Shirley Oui, mais n’oubliez pas que je m’appelle Anne avec un « e » ! Cela fait beaucoup plus distingué ! M.H.L.T. Et pourquoi pensez-vous que votre personnage d’Anne avec un « e » soit tant aimé depuis plus d’un siècle ? Dites-moi, qu’avez-vous de si particulier ? A.S. Je parle sans arrêt, j’ai une imagination débordante et je m’exprime avec beaucoup de fantaisie. Tout cela a parfois Anne... la MAISON AUX PIGNONS VERTS 50

tendance à agacer, mais le plus souvent à faire rire ! Que ce soit la beauté de la nature ou celle de ma meilleure amie Diana, j’exprime tout avec intensité. Je crois que cela apporte un regard rafraîchissant sur l’existence ! Mais j’ai plusieurs défauts : je suis orgueilleuse, et j’ai tendance à m’enflammer ! Alors puisque je dis tout ce que je pense, cela me met toujours dans de beaux draps. Mais on pourrait dire que cela fait aussi partie de mon charme ! Et à mon époque, il est très rare qu’une héroïne de roman s’exprime avec autant de liberté. M.H.L.T. Cela vous fait-il penser que l’auteure du roman était féministe ? A.S. Lucy Maud Montgomery est née en 1874 dans le petit village de Cavendish. Le Canada de l’époque avait des valeurs sociales et religieuses qui obligeaient la femme à demeurer confinée à la maison. Au fédéral, le droit de vote des femmes est apparu en 1918, et en 1922 à l’Île-du-Prince-Édouard. Mais sachez ceci : au Québec,

les femmes ont pu voter seulement à partir de 1940. Cela ne fait donc pas cent ans qu’elles votent dans votre province ! Vu ce contexte, mon auteure a probablement préféré afficher ses opinions par l’entremise de ses personnages. Lucy Maud Montgomery me dépeint comme une fille ambitieuse, qui croit à ses capacités intellectuelles : observez la ferveur avec laquelle je désire être l’égale des garçon dans la salle de classe ! J’obtiens même une bourse pour étudier à l’université. Au moment de l’écriture du roman, c’est une exception ! Pensez aux parents de mon amie Diana, qui refusent qu’elle poursuive des études collégiales parce qu’ils considèrent que c’est une perte de temps… De plus, j’ose même critiquer la religion en affirmant que les femmes devraient avoir le droit de prêcher à l’église ! Même en 2016, cette opinion demeure révolutionnaire ! De vos jours, il y a de plus en plus de femmes pasteurs dans certaines communautés protestantes mais elles restent marginales. Quant au Vatican et à la religion catholique, ils excluent toujours les femmes de la prêtrise. En 1905, Lucy Maud Montgomery a beaucoup de

culot de mettre ces paroles dans la bouche d’une petite orpheline. M.H.L.T. Avant de se quitter, je voudrais vous demander si vous connaissez le test de Bechtel ? A.S. Je dois admettre que je ne sors pas beaucoup depuis un siècle... M.H.L.T. C’est un test ludique qui démontre par l’absurde la prédominance des hommes dans les œuvres fictionnelles. Le test est simple : l’histoire doit comprendre au moins deux personnages féminins identifiables (avec un nom). Ces personnages doivent parler l’un avec l’autre. Et finalement, cette conversation ne doit pas avoir pour sujet les hommes. Mais en admettant que le scénario d’un film réussisse le test, l’oeuvre en question ne sera pas nécessairement féministe. Croyez-vous que le roman Anne...la maison aux pignons verts passe le test Bechtel ? A.S. Je n’ai pas l’habitude de me taire, mais cette fois-ci je voudrais laisser les lecteurs et spectateurs faire euxmêmes le test avant de me prononcer sur le sujet. M.H.L.T. Merci, Anne avec un « e », pour cette charmante entrevue. A.S. Au plaisir de vous croiser au détour d’une page...

Anne... la MAISON AUX PIGNONS VERTS 51

Lire Anne... La maison aux pignons verts par Marie-Hélène Larose-Truchon

Quand j’ai lu pour la première fois le roman Anne... la maison aux pignons verts, les robes aux manches bouffantes et les maisons victoriennes ont beaucoup alimenté mes rêveries. Mais surtout, c’est le personnage d’Anne Shirley qui s’est logé à jamais dans mon imaginaire. Bien qu’elle se plaignait sans cesse de ses cheveux trop roux et de son corps maigrichon, elle ne s’empêchait jamais d’agir avec beaucoup de confiance en elle. Anne Shirley avait un caractère particulier : frondeuse, romantique, dotée d’un imaginaire débordant, elle se permettait des élans poétiques qui la différenciaient des autres héroïnes. Certains ont qualifié Anne… la maison aux pignons verts de roman d’apprentissage. Il est vrai que comme dans Les aventures de Tom Sawyer de Mark Twain, on y suit l’évolution de l’héroïne de son enfance jusqu’à son adolescence, les chapitres avançant au rythme de péripéties qui servent toutes à la maturation du personnage. Lucy Maud Montgomery

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Je découvris le roman vers les onze ou douze ans, au même âge qu’avait l’héroïne. Dans les années qui suivirent, je lus et relus tous les huit romans de la série Anne. Je les louais à la bibliothèque, les partageais avec mes amis, j’écoutais et ré-écoutais la série télévisée... Même en voyage familial vers les Îles-de-la-Madeleine, je rendis obligatoire l’arrêt à l’Île-du-Prince-Édouard, pour une visite de la maison ayant inspiré les romans. J’étais une vraie admiratrice de Lucy Maud Montgomery et je crois que c’est grâce à elle que je devins définitivement accro aux plaisirs de la lecture. Un peu plus vieille, je choisis au hasard un autre de ses romans, Émilie de La Nouvelle Lune. Cette héroïne, plus ténébreuse et mélancolique que la lumineuse Anne, était elle aussi habitée par un très grand désir d’écriture. Voilà donc une autre particularité des romans de Lucy Maud Montgomery : plusieurs d’entre eux mettent en scène de jeunes femmes écrivains, ce qui était peu commun au début du XXe siècle canadien, et qui offre encore aujourd’hui un modèle original pour les lecteurs. Lucy Maud Montgomery a écrit la première version de Anne of Green Gables en 1905. Elle a fait plusieurs tentatives pour le publier mais son manuscrit a été refusé à chaque fois. Suite à ces refus répétitifs, elle aurait rangé son roman dans une vieille boîte à chapeau, et ce n’est

qu’en 1908 qu’elle le ressortit pour une ultime tentative de publication. Le roman sera finalement édité cette année-là. Le succès fut immédiat ! Elle-même ayant été élevée par ses grands-parents et s’étant mariée tardivement - pour l’époque – Montgomery vivait dans des conditions semblables à celles des orphelines Anne ou Emilie. On pourrait donc croire que ses romans s’inspirent un peu de sa vie. L’éducation stricte qu’elle aurait reçue, ainsi que les heures solitaires auprès de ses grands-parents auraient obligé l’auteure à développer son imaginaire. L’ennui pourrait-il être un embrayeur à esprit créatif ?

Si tant de cœurs ont été charmés par les périples de la vie d’Anne Shirley, c’est peut-être à cause de sa sincérité, la verve fougueuse avec laquelle elle exprime les joies toutes simples de l’existence.

Un an après sa sortie de l’École nationale de théâtre du Canada en écriture dramatique, Marie-Hélène Larose-Truchon gagne le concours Le théâtre jeune public et la relève grâce à sa pièce Reviens ! et reçoit une mention spéciale au prix Gratien-Gélinas 2013 pour son texte Minuit. En 2015, elle reçoit une deuxième mention spéciale dans le cadre du même concours pour sa pièce Un oiseau m’attend. Ces deux pièces ont été mises en lecture dans le cadre du festival Dramaturgies en Dialogue du CEAD lors des éditions de 2014 et 2015. Elle enseigne l’écriture dramatique à l’École nationale de théâtre du Canada et travaille à divers projets d’écriture pour le vieux et le jeune public.

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Akage no An, ou Anne au Japon par Emmanuelle Jimenez C’est sous ce titre que l’œuvre de Lucy Maud Montgomery a été traduite au Japon en 1952, ce qui signifie Anne aux cheveux roux. Après la Deuxième Guerre mondiale, Hiroshima et Nagasaki, le Japon ne compte plus ses enfants orphelins. C’est sûrement l’une des raisons pour lesquelles Anne Shirley se taille une place particulière dans le cœur des Japonais. Depuis, elle fait l’objet d’un véritable engouement au Japon. On lui consacre des livres à propos de la couture, des potspourris, des herbes ou à propos de la vie campagnarde. Il y a même eu un parc d’attractions thématique en son honneur dans la ville d’Hokkaïdo. Cet engouement n’est sûrement pas étranger au fait que des milliers de touristes japonais visitent l’Île-du-Prince-Édouard chaque année.

ANNE... LA MAISON AUX PIGNONS VERTS 54

POUR LES GOURMANDS

Le personnage de Maria dans La Mélodie du bonheur est interprété par la rousse Julie Andrews

L es h éro ï n es rebelles rousses

Au Moyen-Âge, naître femme aux cheveux roux pouvait vous associer à la sorcellerie et vous mener sur le bûcher. Je crois que les rousses peuvent dormir tranquilles en 2016 mais il semble que la rousseur soit restée le signe d’un caractère distinct, différent, à part. Plusieurs héroïnes rebelles arborent d’ailleurs une tignasse d’un roux flamboyant. Alors revoyez-les avec délice alors qu’elles ébranlent l’ordre établi :

Fifi Brindacier est rousse. Ce personnage tiré d’une série de romans écrits à partir de 1945 est une petite fille marginale d’environ neuf ans qui figure dans une télésérie qui a marqué beaucoup de gens nés avant 1980… Elle vit avec un singe et un cheval et se couche aussi tard qu’elle le désire. Son père, un ancien pirate, est un capitaine de bateaux sillonnant les mers du monde… Il paraît que le personnage de Lisbeth Salander de la série de romans Millenium, est inspiré de Fifi Brindacier…

Merida, dans le film Rebelle (2012), est une princesse de Disney aux cheveux roux, bouclés et très touffus qui refuse d’être une princesse aux bonnes manières et qui, surtout, refuse de se marier.

Annie, dans le film musical de John Huston du même nom produit en 1982, est une orpheline définitivement rousse qui se fait une place de choix dans le cœur d’un milliardaire au départ froid et insensible.

Et si vous voulez tout savoir sur les roux, le magazine Urbania leur a consacré un numéro complet : le numéro 37 du printemps 2013. ANNE... LA MAISON AUX PIGNONS VERTS 55

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L ’ équipe du t h éâtre D e n ise - P elletier

C O N S E I L D ’A D M I N I S T R AT I O N

Directeur artistique Claude Poissant Directeur général Rémi Brousseau Adjointe à la direction générale Nathalie Godbout Directeur de production Réjean Paquin Responsable des infrastructures et directeur technique Guy Caron Directrice des communications Julie Houle Adjointe aux communications Anaïs Bonotaux-Bouchard Attachée de presse (Salle Denise-Pelletier) Isabelle Bleau Relations de presse (Salle Fred-Barry) RuGicomm Conseiller au directeur artistique Jean-Simon Traversy Responsable des services scolaires Claudia Dupont Adjointe aux services scolaires Stéphanie Delaunay Gérant Marc-André Perrone Préposées au guichet Geneviève Bédard Jacynthe Legault Chef machiniste Pierre Léveillé Chef éclairagiste Michel Chartrand Chef sonorisateur Claude Cyr Chef habilleuse Louise Desfossés Chef cintrier Pierre Lachapelle Coordonnateur technique (Salle Fred-Barry) Ghislain Dufour Techniciens Xavier Berthiaume Maïté Bonotaux-Bouchard Raphaël Bussières Anthony Cantara Frédéricke Chartrand Patrice D’Aragon

Président

Laurent Duceppe Mathieu Dumont Martin Dussault Michel Dussault Sébastien Fillion Alexandre Gohier Robin Kittel-Ouimet Marjorie Lefebvre Ève Léveillé Louis Léveillé Jonathan Pape Serge Pelletier Carlos Diogo Pinto Luc Racine Martha Rodriguez Michel Terrien Responsable de l’entretien Patrice Jolin Préposé à l’entretien Éric Belleau Accueil Geneviève Bédard Ghislain Blouin Virginie Brosseau-Jamieson Alexandre Cannesan Émilie Carrier-Boileau Benjamin Charrette Cynthia Galarneau Shannie Godin Lyne Labrie Jacynthe Legault Collette Lemay Annie-Claude Letarte Marcie Michaud-Gagnon Étienne Raymond Bénévoles Lucette Bernèche Gratia Dumas Aline Gauthier Andrée Hassel Carmen Lebrun Janine Limoges Nicole Poulin

Monsieur Pierre-Yves Desbiens * CPA, CA, CF, MBA Vice-président Finance et administration Institut NEOMED Vice-présidente Madame Nathalie Barthe * Vice-présidente UX/Design produit Logient Secrétaire Benoit Lestage, LLB, D. Fisc. Directeur principal Service de fiscalité internationale Mazars Administrateurs Sylvain Boucher Associé, services de certification Ernst & Young s.r.l. / S.E.N.C.R.L. Luc Bourgeois Comédien Rémi Brousseau * Directeur général Théâtre Denise-Pelletier Jean Leclerc Comédien et metteur en scène Claude Poissant * Directeur artistique Théâtre Denise-Pelletier Président honoraire Gilles Pelletier

* Membres du comité exécutif

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