Cette fin, c`est de « transformer ce monde » écrit Hegel. Lorsque l

January 8, 2018 | Author: Anonymous | Category: Arts et Lettres, Philosophie
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Pigeard de Gurbert 1 Colles Première Supérieure Gay-Lussac Cours commun / Oral 2012-2013

LA MATIERE 1) Sartre, L’être et le néant, IV partie : le visqueux 2) Aristote : matière et forme Commençons par analyser la cause matérielle. Elle répond à la question : en quoi la chose est-elle faite ? Par exemple, cette statue est d’airain, ce lit est en bois (Phys., 190a). Pour faire comprendre ce qu’il entend par «matière», Aristote recourt systématiquement à des exemples empruntés à l’art. Outre la statuaire, il sollicite divers domaines de la fabrication humaine : la coupe d’argent, le gouvernail en bois, la maison en briques (194ab). Et les exemples qui semblent relever de la nature — la semence de la plante (190b), les os, les nerfs et la chair de l’animal (Méta., 1035a) — ne sont compréhensibles qu’au regard de ces exemples artificialistes. La supériorité numérique de ce type d’exemples indique que la cause matérielle ressortit originairement à la sphère de l’agir humain. La matière est conçue, dans son essence, comme matériau. Elle désigne ce sur quoi un pouvoir-faire a prise, ce qui se prête à la transformation sous l’effet d’un agent. Au livre de la Métaphysique, Aristote définit précisément la matière comme ce qui a la puissance d’être telle chose déterminée, et établit de fait un parallèle entre l’art et la nature : «tous les êtres qui sont engendrés, soit par la nature, soit par l’art, ont une matière, car chacun d’eux est capable à la fois d’être et de ne pas être (to dunaton einai kai mê einai), et cette possibilité, c’est la matière qui est en lui» (1032a). Ce parallélisme cache en vérité le primat du pouvoir-faire humain sur la puissance naturelle. La notion de puissance naturelle de la matière dérive de la puissance artificielle des matériaux, qui n’a ellemême de sens qu’en référence à la puissance d’un agent humain. Cette définition de la matière par la puissance d’être ou de ne pas être se trouve aussi dans De la génération et de la corruption : «au sens de cause matérielle, la cause des êtres générables est ce qui peut à la fois être et ne pas être (to dunaton einai kai mê einai, 335a)». Cette puissance d’être et de ne pas être constitue «la marque essentiel du générable et du corruptible, car tantôt il est, et tantôt il n’est pas. Il en résulte nécessairement qu’il y a génération et corruption pour ce qui peut à la fois être et ne pas être. Et c’est pourquoi, au sens de cause matérielle, telle est la cause des choses générables» (335b). L’être de la matière consiste tout entier dans sa puissance d’être. La matière se définit par ce que l’on peut en faire : du bois on peut faire un lit, du marbre une statue.

Pigeard de Gurbert 2 Colles La matière est le fonds dunamique de la chose : non pas son être mais sa puissance d’être. Elle est l’hésitation devenue propriété ontologique. Les changements se font entre contraires, et la matière est la puissance d’être ces contraires. «Chez tous les êtres, en effet, qui sont dits pouvoir, le même être est puissance des contraires» (Méta., 1051a). La matière est ce réceptacle dunamique des contraires : «nécessairement, donc, la matière qui change doit être en puissance les deux contraires à la fois. Et puisque l’Etre a un double sens, tout changement s’effectue de l’Etre en puissance à l’Etre en acte, par exemple du blanc en puissance au blanc en acte. De même encore pour l’accroissement et le décroissement. Par conséquent, on peut dire, non seulement que tout ce qui devient procède par accident du Non-Etre, mais aussi bien que tout procède de l’Etre, à la condition de l’entendre de l’Etre en puissance et non de l’Etre en acte» (1069b). C’est bien la notion d’être en puissance qui permet de biaiser avec l’ultimatum parménidien. Plus précisément, la matière se définit par sa puissance de pâtir : «le gras, par exemple, est combustible, et le malléable-de-telle-façon, compressible» (1046a). Si la forme pure est impassible, la forme engagée dans la matière est passible (De gén., 324b) : «en effet, il est de la nature de la matière de pâtir et d’être mue, tandis que mouvoir et agir est le fait d’une autre puissance. Cela est évident, tant pour les choses qui procèdent de l’art que pour celles qui procèdent de la nature» (335b). La puissance passive inhérente à la matière est conçue d’après le schème productif de la fabrication humaine : tel bloc de marbre a la puissance de recevoir telle forme sous l’action du sculpteur. La cause matérielle représente la chose à l’état de pure puissance. A ce titre, la matière est la condition nécessaire mais non suffisante des choses en tant que déterminées. «Il n’est pas suffisant, en effet, écrit Aristote dans les Parties des animaux, de dire de quoi tout cela est fait [...] ; si nous avions en effet à parler d’un lit ou d’un objet de ce genre, nous chercherions à déterminer sa forme plutôt que sa matière, airain ou bois [...] Car un lit, c’est telle chose dans telle matière, telle chose caractérisée de telle façon. Il faut donc parler de sa configuration. C’est-à-dire ce qu’est sa forme» (640b). L’analyse de la cause matérielle appelle donc celle de la cause formelle, qui la prolonge et la complète. «J’appelle matière, écrit Aristote au livre de la Métaphysique, ce qui, n’étant pas un être déterminé en acte, est, en puissance seulement, un être déterminé» (1042a). Si la matière loge du côté de la puissance, la forme, elle, est acte. Aristote le dit dans le De Anima : «la matière est puissance, la forme entéléchie» (412a). De même, on peut lire dans la Métaphysique qu’il y a «deux sens de l’Etre, l’Etre qui est en entéléchie et l’Etre qui est en tant que matière» (1077a). La cause formelle répond à la question : à quoi la chose ressemble-t-elle ? Comme la détermination constitue le critère ontologique des choses, la cause formelle, en informant la matière, répond à la question : qu’est-ce que c’est ? Si la matière constitue le fond d’indétermination des choses, la forme est dépositaire du «ce que c’est» de la chose : un lit, un gouvernail, une statue d’Hermès. Matière et

Pigeard de Gurbert 3 Colles forme sont des concepts importés du domaine du faire humain. C’est d’abord pour l’artiste ou l’artisan que ces concepts se distinguent et prennent sens. L’architecte dispose de matériaux qu’il assemble pour former une maison. La simple observation de la nature ne nous dit rien de tel. Regarder la nature, c’est d’abord étudier les productions humaines. La distinction de la matière et de la forme qui provient des produits humains est ensuite naturalisée. C’est bien dans cet ordre qu’Aristote présente les choses : «De même, en effet, qu’on appelle art dans les choses ce qu’elles ont de conforme à l’art et de technique, de même on appelle nature ce qu’elles ont de conforme à la nature et de naturel» (Phys., 193ab). Chaque chose est un composé de matière et de forme : «par matière, j’entends par exemple l’airain, par forme, la configuration qu’elle revêt, et par le composé des deux, la statue, le tout concret» (Méta., 1029a). Et la forme n’est pas séparable de la matière, si ce n’est dans l’abstrait (193b). Il y a une primauté ontologique de la forme sur la matière dans la mesure où, pour Aristote, être, c’est être déterminé : «la forme est antérieure à la matière, et [...] elle a plus de réalité qu’elle» (Méta., 1029a). Il dit encore dans les Parties des animaux, que «la nature formelle a plus d’importance que la nature matérielle» (640b). Cette hiérarchie ontologique se décide selon la distinction puissance-acte à laquelle correspond la distinction matière-forme : «chaque chose est dite être ce qu’elle est plutôt quand elle est en acte que quand elle est en puissance (Phys., 193b)». La forme confère à la chose sa différence spécifique, c’est-à-dire sa pleine réalité. Elle assigne à la multiplicité des choses un statut ontologique que Parménide lui refusait. Pour Aristote, l’être parménidien a la même indétermination que la matière. Partant, il représente non pas l’être au sens plein, mais le plus bas degré sur l’échelle des êtres, l’être qui n’est qu’en puissance. C’est un véritable renversement de l’ontologie parménidienne : l’être en son fait impotent fait ici figure de simple puissance d’être à laquelle il manque la détermination par la forme, c’est-à-dire l’actualisation des déterminations enveloppées dans l’être. L’être du Poème est un être avorté, quelque chose d’inachevé. Son fait impotent prend le sens de pure puissance. L’introduction de la cause formelle comme principe de détermination sert à définir négativement le fait d’être comme in-déterminé. L’être vrai est désormais le «ceci» (Méta., 1028a), c’est-à-dire l’être qui a actualisé telle puissance particulière qu’il portait en lui. L’être ne connaît que deux modes : l’être en puissance et l’être en acte. Encore faut-il préciser que le passage à l’acte de telle puissance déterminée n’épuise pas la puissance propre de la matière. Sous l’actualisation de telle forme, la puissance d’être autre de la matière perdure. Il y a ainsi un fonds de possibles qui ne laisse pas de travailler la chose par-delà telle ou telle actualisation. En effet, «tout ce qui est possible peut ne pas s’actualiser. Donc, ce qui a puissance d’être peut aussi bien être et ne pas être. La même chose est donc puissance et d’être et de n’être pas» (Méta., 1050b). Ce fonds dunamique de la matière garantit la vie même de choses, leur être-en-mouvement. Si l’actualisation d’une forme déterminée épuisait la puissance de la matière, la nature se figerait bientôt.

Pigeard de Gurbert 4 Colles 3) Epicure, Lucrèce : les atomes 3) Hegel, Introduction à l’esthétique, chap 2 :

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Quelle est donc cette fin que visent l’art et la technique et qui constitue l’essence même du concept de culture ? Cette fin, c’est de « transformer ce monde » écrit Hegel. Lorsque l’artisan transforme un arbre en planches, tout comme lorsque l’artiste transforme un bloc de marbre en statue, ils font l’un et l’autre d’une chose naturelle une création de l’esprit humain. Il n’y a donc pas lieu d’opposer produit technique et œuvre d’art. Tout au plus peut-on les distinguer par les moyens respectifs qui sont les leurs. L’art et la technique sont des activités par lesquelles l’homme transforme les choses naturelles en objets culturels à travers lesquels, comme dit Hegel, « il retrouve comme un reflet de lui-même » (chap. 2). L’homme transforme ainsi la matière selon les idées qu’il a dans l’esprit. La culture est en ce sens une matérialisation de l’esprit qui est en même temps une spiritualisation de la matière. En effet, l’homme s’approprie la matière en lui inoculant la forme de son esprit. A la différence de la matière brute, une œuvre d’art comme un objet technique ne pas donnés mais produits. L’esprit imprime à la matière « son cachet personnel » comme le dit encore Hegel.

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Les pierres sobrement taillées de l’abbaye du Thoronet reflètent le dépouillement religieux des moines cisterciens. L’ordre cistercien consiste dans la communauté de ses moines qui n’ont plus d’existence individuelle et qui ne sont que les humbles membres du groupe qui s’entraident, qui se fondent en elle à titre de simples membres [l’existence ; le sujet ; la société]. L’esprit religieux réside dans « cette union intime dont l’étroit ajustement des pierres sur la muraille de l’abbatiale montre l’image symbolique », comme l’indique Duby dans Saint Bernard, l’art cistercien (chap. 2). Au cours du XIe siècle les bâtisseurs remplacent les charpentes en bois des Eglises par des ouvrages de pierre. Comme l’explique encore Duby, « symboliquement, l’emploi d’un seul matériau concourait mieux à figurer un attribut majeur des deux corps dont l’abbatiale entendait représenter l’image, le corps de Dieu, un dans le triple, le corps de l’Eglise, qui réunit entre eux sans laisser subsister d’interstice tous les fidèles du Christ » (chap. 1). De plus la voûte en pierre fonctionne dès lors comme caisse de résonnance qui fond « les voix individuelles dans l’unité du choral » (même référence). Enfin, les lignes courbes de la voûte, « ces cercles ou ces portions de cercles parlaient de l’intemporel, de l’éternité » (même référence), la forme et le mouvement circulaires représentant l’infini, le parfait et l’éternel. L’art et la technique dépassent chacun à leur façon l’opposition « ossifiée » entre « la matière et l’esprit », selon l’expression de Hegel dans La différence entre les systèmes philosophiques de Fichte et de Schelling (p. 105-110), et les saisissent dans leur unité concrète et vivante. C’est à ce titre qu’ils relèvent tous deux de la « philosophie de l’esprit » 4) La matière inerte et le vivant

La différence entre le vivant et l’inanimé semble aller de soi. Les êtres vivants paraissent irréductibles à la matière inerte. Mais parce que nous imaginons la réalité extérieure à partir de ce que nous éprouvons en nous, nous sommes spontanément portés à attribuer aux êtres vivants qui nous entourent une qualité que nous appelons la « vie », sans pouvoir toutefois définir ce mot. Comme le remarquait John Locke, philosophe mais aussi

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médecin, dans Un Essai sur l’entendement humain (livre III, chap. x, § 22), « une idée claire, distincte et établie n’accompagne pas toujours l’utilisation d’un mot aussi connu que celui de vie ». 5) Cependant ce fait du vivant que nous constatons n’a, comme tout fait, que

l’évidence de ce qui s’éprouve. Or l’expérience d’un fait ne constitue pas la connaissance de ce fait. Penser le vivant, et non pas seulement l’observer, c’est revenir de l’émerveillement des effets à la connaissance des causes [théorie et expérience]. Avant de prêter on ne sait quelle qualité métaphysique aux corps vivants, assurons-nous qu’ils ne peuvent pas être connus au même titre que n’importe quel phénomène physique. La matière et le mouvement, qui se prêtent à une connaissance rationnelle, ne suffisent-ils pas à expliquer le vivant ? La respiration, la digestion, la locomotion peuvent-elles être expliquées par la matière (les os, les veines, les organes) et le mouvement ? Les effets que nous constatons et que nous imputons immédiatement à la « vie » ne sont-ils pas réductibles à un simple mécanisme physique ? C’est le souci de ne pas peupler l’univers matériel de qualités surnaturelles qui conduit Descartes à prendre au sérieux ce problème et à chercher à concevoir le vivant « comme un technicien examinerait une machine », comme le dit Uexküll (Mondes animaux et monde humain, chap. 1). Le vivant n’est pas autre chose qu’un assemblage de causes physiques. Le vivant ne requiert pas une métaphysique mais simplement une mécanique. Le vivant s’explique alors en termes de mouvement, de force et de rouage. Dans les Principes de la philosophie (IVème partie, article 203), Descartes écrit en ce sens : « Je ne reconnais aucune différence entre les machines que font les artisans et les divers corps que la nature seule compose […] car, par exemple, lorsqu’une montre marque les heures par les moyens des roues dont elle est faite, cela ne lui est pas moins naturel qu’il est à un arbre de produire ses fruits. » Et dans la Lettre au Marquis de Newcastle du 23 Novembre 1646, Descartes renforce l’identification de la machine du vivant au mécanisme de l’horlogerie en soutenant que « lorsque les hirondelles viennent au printemps, elles agissent en cela comme des horloges. »

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