« Il était une fois un vieux couple heureux »

March 3, 2018 | Author: Anonymous | Category: Arts et Lettres, Écriture, Grammaire
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REPUBLIQUE ALGERIENNE DEMOCRATIQUE ET POPULAIRE MINISTERE DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE ECOLE DOCTORALE ALGERO-FRANÇAISE POLE EST ANTENNE DE M’SILA Université Mohammed BOUDIAF - M’sila – Faculté des lettres et des sciences sociales DEPARTEMENT DE FRANÇAIS

Vers une typologie des collocations : l’exemple de

« Il était une fois un vieux couple heureux » de Mohammed Khaïr-Eddine Mémoire présenté en vue de l’obtention du diplôme de magistère Option : sciences du langage Réalisé par : Mlle Sabira DERADRA Sous la direction de : Dr Bachir BENSALAH Maître de conférences à l’Université de Biskra Membres du jury : Dr Samir ADBDELHAMID,

M. C. à l’Université de Batna

Président

Dr Bachir BENSALAH,

M. C. à l’Université de Biskra

Rapporteur

Dr C. FEMMAM,

M. C. à l’Université de Biskra

Examinatrice

Dr Salah KHANNOUR,

M. C. à l’Université de Ouargla

Examinateur

Année universitaire 2008/2009

DEDICACES Je dédie ce modeste travail qui représente le fruit de mon labeur à : 

mes parents à qui je dois tout : ma mère Hassina BONMENDJEL et mon père Allaoua qui n’ont pas cessé de m’encourager et de prier pour moi ;



mes sœurs et frères qui n’ont jamais manqué de me procurer de l’ambiance et de veiller à mon bien être ;



mes amis et camarades pour leur soutien amical et leurs conseils ;



tous les membres de la famille GHARBI ;

à chacune de ces personnes dont la présence a rendu possible l’achèvement de ce travail, un grand « je t’aime ». D. Sabira

REMERCIEMENTS Je tiens à exprimer mes sincères remerciements à toutes les personnes qui ont contribué de près ou de loin à la réalisation de ce mémoire, notamment :  mon encadreur Mr Bachir Bensalah qui, malgré la distance qui me sépare de lui, était tout le temps disponible pour répondre à mes attentes et m’aider ;  mon ex-enseignante et ex-encadreur aussi, Mlle Malika BOUSSAHEL qui n’a jamais hésité de me contacter pour me remettre tout document lui paraissant indispensable à mon travail, et aussi pour m’avoir soutenue, conseillée et guidée tout au long de ce parcours ;  Mr Mahyeddine BOUSSOUFA, mon ex-professeur aussi pour son soutien moral et ses conseils et son aide qui m’est toujours précieuse ;  à Mr Benâda, un des responsables de la bibliothèque de l’université de Sétif, qui s’est toujours donné de la peine pour mettre à ma disposition des ouvrages d’extrême utilité. Il ne s’est pas empêché une fois de contacter toutes les autres universités et même les fournisseurs pour me procurer ce dont j’avais besoin ;  à tous le personnel enseignant et administrateur ailleurs comme ici à M’sila, très spécialement Mr Djamel MEDJNEH, d’avoir constamment fait de son mieux pour nous mettre, moi et mes autres collègues magistérants, à l’aise, nous aider et nous conseiller. À toutes ces personnes, j’exprime ma plus vive gratitude. Je témoigne aussi ma reconnaissance à l’égard la famille GHARBI qui m’a accueillie tout au long de mes années d’étude et a su m’entourer de toute la chaleur nécessaire. À chacun de ses membres un grand merci. Qu’il me soit également permis de remercier très vivement Monsieur le Président et Messieurs les membres du jury pour avoir aimablement accepté de juger et évaluer ce modeste travail.

TABLE DES MATIERES INTRODUCTION GENERALE ...…………………………………………..9 PREMIERE PARTIE : Méthodologie et concepts liés au phénomène collocatif………………………………………………………………………..11 CHAPITRE I : Délimitation et choix du corpus, et démarche, méthodes et classement des collocations………………………………………………… .….12 I. 1- Délimitation et choix du corpus……………………………….……………12 I. 2- Démarche, méthodes et classement des collocations…………….………….14 I. 2. 1- Catégories des collocations………………..……………………………...14 I. 2. 1. 1- Les noms composés……………………..……………………….14 I. 2. 1. 2- Les collocations verbales……………………..…………………..15 I. 2. 1. 2. 1- Les verbes usuels……………………….…………….…..16 I. 2. 1. 2. 2- Les verbes composés…………………..…………………16 I. 2. 1. 2. 3- Les verbes supports…………………………………..…..16 I. 2. 1. 3- Les collocations adjectivales………………..…………………….17 I. 2. 1. 4- Les collocations adverbiales……………….……………………..18 I. 2. 1. 5- Les collocations prépositives et conjonctives…………………….20 I. 2. 2- Typologies des collocations….….………………………………………..21 I. 2. 3- Difficultés rencontrées.……………………….………………………….27 I. 2. 4- Plan de travail…….……………………….……………………………...28 CHAPITRE II : Définitions de la collocation et quelques concepts liés au sujet 31 II. 1- Définitions de la collocation………………………….…………………....31 II. 2- La notion de figement………………….………………………………….34 II. 2. 1- Un foisonnement terminologique…………….……………………36 II. 2. 2- Caractéristiques générales, critères et degré de figement…………....40 II. 2. 2. 1- Figement et composition……………..……………..……...40 II. 2. 2. 2- Critères du figement……………………………………….43 II. 2. 2. 2. 1- Opacité sémantique………………...……….……...43 II. 2. 2. 2. 2- Blocage des propriétés transformationnelles……......44

II. 2. 2. 2. 3- Non-actualisation des éléments…………….………44 II. 2. 2. 2. 4- Portée de figement……………………….………...45 II. 2. 2. 2. 5- Blocage des paradigmes synonymiques…..……....…46 II. 2. 2. 2. 6- Non-insertion…………………..…………...……...46 II. 2. 2. 3- Le degré de figement ……..………………………………..47 II. 3- La notion de locution………………………….……………..…….……....48 II. 4- La terminologie adoptée……….…………………………………..…….....50 DEUXIEME PARTIE : Interprétation et analyse..…………………………52 CHAPITRE I : Les noms composés…………………………………………...53 I. 1- Les paramètres du figement………………………………………………..55 I. 2- La structure interne des noms composés…………………………………...55 I. 3- Typologie des noms composés…………………………………………......58 I. 4- Analyse…………………………………………………………………......59 I. 4. 1- Les composés N + Adjectif……………………………………........59 I. 4. 2- Les composés N de N………………………………...........................63 I. 4. 3- Autres composés………………………………………………........67 CHAPITRE II : Les collocations verbales……………………………………..71 II. 1- Paramètres du figement…………………………………………………...71 II. 1. 1- Les compléments ne forment pas de classes……………………....71 II. 1. 1. 1- La notion de classe d’objets……………………………….71 II. 1. 1. 2- Analyse…………………………………………………....73 II. 1. 2- Les compléments ne sont pas actualisés……………………….......79 II. 1. 2. 1- Les collocations à article zéro……………………………..81 II. 1. 2. 2- Les collocations à article défini…………………………....85 II. 1. 2. 3- Les collocations à article indéfini……………….............…..91 II. 1. 2. 4- Les collocations à article partitif……………………..…….93 II. 1. 2. 5- Les collocations à adjectif possessif…………………...…...95 II. 1. 2. 6- Les collocations à adjectif numéral cardinal……………......96 II. 1. 3- Blocage des transformations……………………………….…........99

II. 1. 3. 1- Le passif……………………………………………....…...99 II. 1. 3. 2- L’extraction………………………………….………..…..101 II. 1. 3. 3- Le détachement…………………………………………..103 II. 1. 3. 4- La pronominalisation………………………….…….........104 II. 1. 3. 5- La relativation………………………………………….....105 II. 1. 3. 6- L’interrogation……………………………………………107 II. 1. 3. 7- Tableau récapitulatif…………………………………........108 II. 1. 4- Opacité ou transparence sémantique……………………………...109 CHAPITRE III : Les collocations adjectivales et adverbiales………………....112 III. 1- Les collocations adjectivales……………………………….........................112 III. 1. 1- Typologie des adjectivaux………………………………….…….112 III. 1. 1. 1- Adjectifs construits sur une préposition…………….……112 III. 1. 1. 1. 1- Préposition « à »……………………………..…..112 III. 1. 1. 1. 2- Préposition « de »…………………………….......112 III. 1. 1. 1. 3- Préposition « en »………………………................112 III. 1. 1. 2- Adjectifs construits sur un adjectif…………….…………113 III. 1. 1. 3- Adjectifs construits sur un nom…………………….…....113 III 1. 1. 4- Adjectifs construits sur un participe……………................113 III. 1. 2- Analyse syntaxique interne……………………….……………...113 III. 1. 3- Adjectifs composés variables…………………….………………113 III. 1. 4- Adjectifs composés figés……………………………………........116 III. 2- Les collocations adverbiales………………………………………….......118 III. 2. 1- Les séquences à structure SP………………………………..…....118 III. 2. 1. 1- Les séquences à deux emplois………………….…….......118 III. 2. 1. 2- Les séquences à un seul emploi…………………………..124 III. 2. 1. 2. 1- Les adverbes construits sur la préposition « à ».......124 III. 2. 1. 2. 2- Les adverbes construits sur la préposition « de »… 26 III. 2. 1. 2. 3- Les adverbes construits sur la préposition « par »...128

III. 2. 1. 2. 4- Les adverbes construits sur la préposition « en »…128 III. 2. 1. 2. 5- Les adverbes construits sur la préposition « sur » ..129 III. 2. 2- Autres composés……………………………………….…....…...129 CHAPITRE IV : Les collocations prépositives et conjonctives…………….…133 IV. 1- Blocage des paradigmes synonymiques………………………………..…135 IV. 1. 1- La préposition et le substantif………………………….………...135 IV. 1. 2- Les déterminants…………………………………………….…..137 IV. 1. 2. 1- Détermination cataphorique………………………….….137 IV. 1. 2. 2- Détermination anaphorique………………………….…..138 IV. 1. 3- Pronominalisation du modifieur………………………………....138 IV. 1. 3. 1- Démonstratif………………………………………….....139 IV. 1. 3. 2- Adjectif……………………………………………….....139 IV. 2- Aspects du figement dans les locutions prépositives et conjonctives….…142 IV. 3- Analyse des connecteurs comme prédicats……………………………....143 IV. 4- Opacité ou transparence sémantique du substantif……………………....144 CONCLUSION GENERALE ...……………………………………………145 BIBLIOGRAPHIE…………………………………………………………...150 GLOSSAIRE………………………………………………………………….153 INDEX………………………………………………………………………..156

INTRODUCTION GENERALE Il est arrivé – et il arrive – à tout sujet parlant de ne pas saisir le sens de telle ou telle construction ou de telle ou telle combinaison lexicale, faute, peut-être, d’apparition d’un ensemble d’éléments en même temps. Autrement dit, ce sont probablement ces associations lexicales de mots simples et fréquents qui donnent naissance à des unités à sens assez souvent flou. Et d’après Agnès Tutin (2004), c’est leur récurrence dans les textes qui leur procure le statut de collocation. Ces dernières qui ne sauraient se suffire à elles-mêmes souffrent d’incomplétude statutaire, c’est-à-dire que dans le dictionnaire, les collocations sont plutôt prises pour des expressions familières ou pour des formes figées. Dans les textes, au contraire, plusieurs variations peuvent être observées sur elles, à savoir des variations morphologiques, lexicales…, et en conséquence il devient difficile pour n’importe quel sujet de prédire leur sens qui n’est pas toujours « compositionnel en synchronie », écrit Tutin (2005), et reste dans la plupart des cas vague. Bien qu’elles soient parfois transparentes, leur usage reste également difficile à prédire. Donc, « ni complètement figées, ni complètement libres », précise Tutin (2005) tant sur le plan syntaxique que sur le plan sémantique, les collocations ont posé et continuent toujours de poser un sérieux problème. Vu qu’elles constituent, d’après Elisabeth Calaque (2006) en quelque sorte la « trame du fond du lexique mental », un sujet doit disposer d’un large répertoire de collocations pour pouvoir s’exprimer correctement et sans efforts. Une description rigoureuse de l’ensemble des collocations apparaît comme une nécessité, car il s’agit ici d’un phénomène omniprésent qui est et devient de plus en plus souvent source de nombreuses défaillances au niveau de la compréhension, de l’apprentissage et de la maîtrise d’une langue donnée. Pour ces raisons ― auxquelles s’ajoutent d’autres d’intérêt moindre pour la présente recherche ― nous essaierons, dans le cadre de notre étude, de comprendre comment les collocations ont été construites et par conséquent d’esquisser à la fin une typologie des collocations que nous avons entre les mains, surtout que ces

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unités fonctionnelles sont considérées comme un des principes organisateurs du fonctionnement de la langue française. Et avant même de tenter de trouver une ou des réponses à notre problématique et d’arriver à l’objectif que nous nous sommes fixé, prenons d’abord un peu de recul quant à l’étiologie de notre question principale, c’est-à-dire aux vraies causes qui ont suscité en nous l’envie de la réalisation de ce travail qui, nous l’espérons, sera en mesure de répondre aux attentes et aux questionnements de tout locuteur francophone ayant vraiment envie de bien maîtriser l’usage des collocations. Pour appuyer nos propos, prenons à titre d’illustration l’exemple de la collocation « brouillard à couper au couteau », relevée dans l’article d’Agnès Tutin et Francis Grossmann (2002). Aucun sujet non natif ne peut prédire le sens de cette expression qui veut tout simplement dire, d’après Le Petit Larousse (2005, p. 304), très épais. La question qui se pose est pourquoi ? Qu’est ce qui fait défaut ? Est ce l’association particulière du nom brouillard et de l’expression à couper au couteau ? Est ce par rapport à sa structure syntaxique ? Ou encore dû à son mécanisme sémantique ? Faut-il aussi faire appel au contexte pour arriver au sens donné par le dictionnaire et qui nous est opaque ? Pour atteindre notre but, nous nous servirons d’un corpus qui sera, d’une part, relevé dans l’œuvre Il était une fois un vieux couple heureux de Mohammed KhaïrEddine, et sélectionné selon un ensemble de critères que nous citerons dans les prochains paragraphes ; et d’autre part, étudié et interprété en synchronie en fonction des valeurs que peut prendre chaque collocation sans pour autant négliger les facteurs diachroniques. Quant à la description et l’analyse de chacune, elles seront faites à l’aide des méthodes dites syntaxique et sémantique.

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PREMIERE PARTIE : Méthodologies et concepts liés au phénomène collocatif

CHAPITRE I : Délimitation et choix du corpus, et démarche, méthodes et classement des collocations I. 1- Délimitation et choix du corpus Mohammed Khaïr-Eddine, poète et romancier marocain, est né en 1941 à Tafraout, dans le Sud marocain où il a vécu jusqu’en 1966. En cette même année, il a mis le cap vers la France où il est resté 16 ans en tout. Il retourne au Maroc en 1979, après avoir appris la gravité de sa maladie ; il a quitté sa terre natale une nouvelle fois en 1989 pour y revenir définitivement en 1993. Il est mort suite à un cancer un certain samedi 18 novembre 1995 à Rabat. A Tafraout, Mohammed Khaïr-Eddine a passé son enfance. Après, il s’est rendu à Casablanca pour poursuivre ses études secondaires qu’il a abandonnées après le séisme d’Agadir en 1961. Il a travaillé un temps dans la fonction publique et ce n’est qu’en France qu’il s’est consacré à l’écriture, il fut comme rongé par son démon, et c’est en amant impitoyable qu’il servit la langue française. Dans un premier temps, Mohammed Khaïr-Eddine publiait ses écrits dans des revues telles que La Vigie marocaine, dans laquelle il a fait apparaître ses premiers poèmes avant de collaborer dans les années 60 à la revue Souffles. En 1967, il publia son premier roman Agadir aux éditions du Seuil, suivaient chez le même éditeur Corps négatif et Histoire d’un bon Dieu (1968), Soleil arachnide (1969), Moi l’Aigre (1970), Le Déterreur (1973), Ce Maroc ! (1975) et Une odeur de mantèque (1976). « Pas un de ces livres qui ne soit un séisme, une coulée de lave charriant les imprécations d’un poète qui savait qu’il ne se réconcilierait jamais avec lui-même. », note Pierre Drachline (1995). Il se fait ensuite rare, et ce n’est qu’après un bon moment qu’il réapparaît et publie Une vie, un rêve, un peuple toujours errants (Seuil, 1978), Résurrection des fleurs sauvages (1981), Légende et vie d’Agoun’chich (Seuil, 1984) et son dernier recueil de poèmes Mémorial (le Cherche-midi, 1992). En 1999, Arcantères a publié Les Cerbères et Points son dernier roman Il était une fois un vieux couple heureux en 2004. A la différence de ses premières œuvres qui ont été quasiment réfléchies, sa dernière, à savoir Il était une fois un vieux couple heureux lui a été surtout inspirée. C’est

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dans un état proche de l’inconscience que ce roman a vu le jour. Afin d’échapper à la douleur qui torturait son corps, tourmentait son âme, troublait une fois et tranquillisait une autre fois son esprit, Mohammed Khaïr-Eddine a essayé d’imaginer un personnage de légende qu’il aurait aimé être. Son rêve devient enfin réalité, et c’est dans son imaginaire qu’il a conçu d’abord ce livre et qu’il l’a vécu intensément. Au fur et à mesure qu’il délirait, Mohammed Khaïr-Eddine sentait que son livre était là, il vivait chacune de ses scènes dans ses moindres détails, il touchait tout ce qu’il pouvait décrire. En un seul mois et grâce à l’aide permanente du bon Dieu qui venait constamment à son secours, cet auteur, étant même à l’agonie a pu, en dépit des douleurs atroces qui déchiraient son corps, mener à terme son texte. Convaincu d’avoir bénéficié de l’aide transcendante de Dieu, Mohammed KhaïrEddine qualifie son œuvre de « petit chef-d’œuvre […] magnifique », écrit Annie Devergnas (2002). Il était une fois un vieux couple heureux de Mohammed Khaïr-Eddine est un récit qui lui a été inspiré par l’Eternel, il représente en quelque sorte le fruit d’un don particulier et d’un certain souffle divin. S’ajoute à cet éclair de génie, la disposition naturelle de cet auteur, d’une richesse de vocabulaire inouïe, jamais, pourtant, disait Pierre Drachline (1995), « il ne parut vraiment satisfait de ses écrits ». Il désirait, disait-il « trouver une phrase qui résume tout » Tout, c’est-à-dire « la beauté qu’il chantait, la révolte qui l’habitait, et l’insoumission dont il rêvait de vêtir ses frères en désespoir. » En tout, nous avons pu recenser dans ce récit 140 collocations différentes qui nous serviront d’échantillon à étudier afin de répondre à notre problématique qui consiste en l’esquisse d’une typologie. Sur ces 140 collocations, certaines faisant l’objet d’une grande ressemblance, ne seront pas toutes prises en considération, d’autres ont bénéficié seulement d’interprétations relatives au contexte, vu que leur statut dans les dictionnaires est loin d’être clair. Nous estimons que le nombre de collocations étudiées et analysées, à savoir 94, est assez représentatif pour nous fournir une configuration plus ou

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moins fidèle de ce qu’est le phénomène collocatif dans l’œuvre de Mohammed Khaïr-Eddine. I. 2- Démarche, méthodes et classement des collocations I. 2. 1- Catégories des collocations Nous procédons à la répartition des collocations en catégories après avoir séparé, à l’intérieure de chaque expression, la base de son collocatif, et c’est en fonction de la base que s’effectuera cette classification et sera baptisée chacune des suites. Il est clair que chaque catégorie correspondra à une base. I. 2. 1. 1- Les noms composés Les noms composés représentent la catégorie la plus courante dans la langue française et la plus étudiée par les linguistes. Sa dénomination le prouve. En effet, elle est le seul type des séquences figées à bénéficier d’un nom spécifique tandis que les autres types de séquences sont depuis la nuit des temps regroupés sous le terme générique de " locution ", une dénomination qui continue d’être source d’ennui pour les linguistes. Sur le plan syntaxique, tous les noms agissent de la même façon. La différence réside plutôt dans leur structure interne. Les noms simples sont des mots à un seul élément ayant un sens commun, connu de tout le monde. Les noms composés sont, en revanche, l’agencement de deux ou plusieurs éléments fonctionnant en un seul bloc comme une unité indépendante des emplois autonomes que peut avoir chaque élément en dehors de cette composition. Sur le plan sémantique, les éléments constitutifs perdent leur sens d’origine au profit d’un sens unique au groupe nominal composé. Bouc est un nom simple renvoyant au mâle de la chèvre. Dans la suite bouc émissaire, il perd son sens littéral et forme avec émissaire, qui désigne une personne chargée d’une mission, une nouvelle unité dont la signification est nouvelle et n’est pas dérivable du sens des deux mots formants. Bouc émissaire réfère à une personne rendue responsable de toutes les fautes.

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Pour nous limiter à ce type de groupes nominaux dits collocationnels et exclure les ordinaires, tel que bouc émissaire désignant un bouc que les Juifs chassaient dans le désert après l’avoir chargé des iniquités d’Israël, nous prenons en considération le critère qui veut que tous les éléments doivent agir ensemble comme un groupe compact référant à un objet ou à une idée préconstruite qui fait partie du stock lexical du locuteur et qui ne peut pas être créé. Gaston Gross (1996, p. 34) ajoute à ce critère sémantique, un autre tributaire de la syntaxe et qui veut qu’ « il n’y [ait] pas de manipulations syntaxiques entre les différents éléments d’un nom composé. » I. 2. 1. 2- Les collocations verbales Les collocations dites verbales diffèrent des suites verbales ordinaires. Pour les discriminer, il faut se référer au contexte ainsi qu’aux différents sens que prend habituellement tel ou tel verbe, car un même verbe peut rester ordinaire, comme il peut devenir composé ou servir de verbe support. Les collocations tournant autour d’un même verbe diffèrent et changent de statut en fonction des multiples usages que nous faisons de ce même verbe, c’est pourquoi avant de préciser qu’est-ce qu’une collocation verbale, nous allons d’abord revenir sur la notion du verbe ainsi que sur ses différents types énumérés dans les livres de grammaire. Le verbe est défini par Le petit Grevisse (2005, p. 136) comme « un mot qui exprime, soit l’action faite ou subie par le sujet, soit l’existence ou l’état du sujet, soit l’union de l’attribut au sujet. » Loin de la typologie habituelle, établie quasiment par tous les livres de grammaire et qui veut que les verbes se répartissent entre verbes copules, verbes transitifs et intransitifs, verbes pronominaux, verbes impersonnels, Maurice Gross (cf. MarieVéronique Leroi, 2004, p. 25), en se fondant sur les différentes natures sémantiques de la fonction verbale, forge une tripartition des verbes. Il s’agit des trois types dont nous avons parlé dans le premier paragraphe.

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I. 2. 1. 2. 1- Les verbes usuels Se rangent sous ce type les verbes classiques qui sont dotés d’un emploi libre. Ils opèrent une certaine sélection restreinte sur l’ensemble des mots qui les suivent ou qui les précédent. Ceci veut dire que tel ou tel verbe ne se combine qu’avec tel sujet et tel complément. Manger, à titre d’exemple, suppose que son sujet soit un être humain et son complément un nom appartenant à la classe sémantique de la nourriture. I. 2. 1. 2. 2- Les verbes composés Ce type regroupe les verbes qui apparaissent dans des suites figées et qui ont un sens opaque. Ces verbes dits composés prennent pour substituts des verbes ordinaires. Casser le sucre sur le dos de quelqu’un peut être remplacé par le verbe dénigrer. I. 2. 1. 2. 3- Les verbes supports Ce sont des verbes ordinaires servant de supports à des prédicats nominaux. Ils conservent leur sens propre et apportent à un substantif prédicatif les informations de temps, de personne, de nombre et des informations aspectuelles relatives à l’action envisagée dans son développement, c’est-à-dire dans la durée et dans les parties de la durée où elle se déroule. Tout comme le type précédent, ce dernier peut aussi être paraphrasé par un verbe simple sémantiquement équivalent. Les verbes prendre, faire…sont dans la plupart des expressions des verbes supports : faire un voyage → voyager. Ces trois types de verbes ont un point commun qui consiste en leur actualisation. Ils sont actualisés de par leur conjugaison et font hériter de l’actualisation à toute suite, ce qui rend difficile la distinction des différents verbes. Ceci est la raison pour laquelle Hervé Curat (cf. M-V. Leroi, 2004, p. 27) ne prend en considération que deux types : celui des ordinaires et celui des composés qui incluent aussi bien les verbes figés que les verbes supports.

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La locution verbale prend dans Le petit Grevisse (2005, p. 136) la définition suivante : « une réunion de mots qui exprime une idée unique et joue le rôle d’un verbe. » Pour G. Gross (1996, p. 70), une locution verbale doit différer d’une suite verbale libre (verbe + complément), elle doit être contrainte par des domaines d’arguments différents et n’a pas toutes les transformations potentielles. Ces deux propriétés étaient déjà données par Gross pour distinguer les séquences libres des figées, mais dans sa description des locutions verbales, il est possible de trouver plus de précisions dans la mesure où les mêmes transformations s’appliquent différemment aux locutions verbales, certaines tolèrent plusieurs manipulations et d’autres n’en tolèrent aucune. La locution avoir besoin tolère dans l’exemple ci-dessous plusieurs transformations : Paul à un grand besoin de repos Le grand besoin de repos que Paul a Le besoin de repos que Paul a Le besoin de repos de Paul Son besoin de repos. Avoir froid, à titre d’exemple, n’a pas toutes les manipulations : Luc a froid *Luc a un froid de canard *Le froid que Luc a. La détermination est ici contrainte. I. 2. 1. 3- Les collocations adjectivales Pour ce qui est de cette catégorie, Gross préfère parler d’adjectif prédicatif. Cette dénomination a plus d’avantages dans la mesure où elle englobe tous les adjectifs, à savoir les simples et les composés, appelés aussi adjectivaux. Elle nous permet de rendre compte, à la fois, des relations que peut traduire un adjectif et des différents fonctionnements sémantiques, syntaxiques et linguistiques que les éléments constitutifs des collocations adjectivales peuvent entretenir entre eux.

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En nous référant au livre de grammaire Le petit Grevisse (2005, p. 88), nous adoptons pour définition de " adjectif " « mot que l’on joint au nom pour le qualifier ou le déterminer. » Pour l’adjectif composé ce même ouvrage nous propose à la même page la définition suivante : « réunion de mots équivalant à un adjectif. » Pour compléter ces deux définitions, nous rajoutons pour critère la nominalisation par le pronom invariable " le ". Ce dernier nous permettra de les différencier des prépositionnelles. Pour illustrer ce point, reprenons l’exemple donné par Leroi (cf. M-V. Leroi, 2004, pp. 23-24) : Ce travail est à faire. Le groupe de mots à faire est une suite adjectivale, car elle peut être pronominalisée par le pronom " le ". Au premier abord, ce groupe semble prépositionnel dans la mesure où la tendance générale parlerait plutôt d’un syntagme prépositionnel. Mais il est en réalité adjectival : Ce travail est à faire et le sera encore demain. Dans cette construction, le sens est compositionnel ; il est possible de prédire le sens de la suite à partir des éléments lexicaux qui la constituent. Dans une séquence comme au parfum, le sens est vague faute de compositionnalité. En effet, rien ne permet de prédire que cette suite veut dire être au courant. Il s’agit donc là d’un adjectif composé figé. I. 2. 1. 4- Les collocations adverbiales Classiquement, l’adverbe est défini, d’après M. Arrivé, F. Gadet, M. Galmiche (2005, p. 45), par trois caractéristiques : il est invariable, dépendant et intransitif. Ces trois critères qui sont censés définir l’adjectif aussi ne sont pas suffisants, car d’une part, ils ne permettent pas de rendre compte de tous les adverbes ; de tout, par exemple, qui connaît une variation de genre (il est tout petit, ils sont tout petits, elle est toute petite, elles sont toutes petites) ; d’adverbes comme bien et arrière qui peuvent servir dans des gens bien et la route arrière de qualificatifs pour les noms gens et route. D’autre part, ces trois critères font de cette catégorie, d’après Moignet, cité par Salah Mejri (1997, p. 42) « un vrai fourre-tout », car

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à côté d’adverbes authentiques, vocables de caractère prédicatif et d’incidence du deuxième degré, comme directement, vite, souvent, on y met de véritables substantifs, comme hier, demain, des pronoms, comme ici, là, des particules non prédicatives qui ne sont que morphèmes, comme très, si, ne, pas, etc., on y met aussi des mots comme oui et voici qui ne correspondent pas à la définition formulée distinguant les adverbes des autres unités lexicales. Aujourd’hui, l’adverbe est défini par Le petit Grevisse (2005, p. 212) comme « un mot invariable que l’on joint à un verbe, à un adjectif ou à un autre adverbe, pour en modifier le sens. » Un peu plus loin, il donne à la locution adverbiale la définition suivante : « une réunion de mots équivalant à un adverbe. » Appelée aussi adverbe composé, Jean Dubois (1994, p. 20) la renvoie à « des suites figées de mots qui équivalent pour le sens et la fonction dans la phrase à des adverbes. » Pour les simples comme pour les composés, Gross conteste le fait que l’adverbe soit considéré, dans n’importe quelle phrase, comme un élément facultatif ; pour lui, il est plutôt nécessaire, car c’est un prédicatif qui, à son effacement, modifie le message. Pour illustrer ses propos, il donne l’exemple suivant : Paul a répondu courageusement. Dans cette phrase, on rapporte, comme le dit Gross, d’une part le fait que Paul a répondu, de l’autre on affirme le courage qu’il a manifesté dans sa réponse. En supprimant l’adverbe, c’est tout le groupe qui est affecté, le sens change et on est en présence d’une autre assertion qui est Paul a répondu et qui peut livrer un autre message. Les suites adverbiales figées peuvent connaître les restrictions communes aux expressions figées : les éléments ne sont pas librement substituables et sont sémantiquement opaques. C’est le cas dans les exemples suivants : Marcher à reculons Boire à tire-larigot

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D’entrée de jeu, il nous a prévenus. Résulte de la substitution des deux éléments constitutifs entrée et jeu par les mots synonymes accès et activité une nouvelle expression ; d’accès d’activité qui s’avère incorrecte et a un sens incompréhensible. La substitution synonymique est dans ce cas impossible, par contre la commutation est toujours possible, on peut remplacer d’entrée de jeu par d’abord. I. 2. 1. 5- Les collocations prépositives et conjonctives Les prépositions et les conjonctions sont, comme les noms, les adjectifs et les adverbes, des parties du discours invariables. Une locution prépositive est, selon Le petit Grevisse (2005, p. 224), « une réunion de mots équivalant à une préposition. » La locution conjonctive est définie de la même façon, sauf qu’elle doit équivaloir à une conjonction. Comme « leur fonctionnement est parallèle », note Gross (1996, p. 124), nous traitons sous ce titre les deux catégories ensemble, celle des prépositives et celle des conjonctives à la fois. Les prépositions introduisent des compléments d’un verbe transitif indirect (complément d’objet indirect) ou d’un verbe à deux compléments (complément d’objet second). Les conjonctions introduisent des propositions complétives. Pour les prépositions comme pour les conjonctions, on distingue deux types : a. des prépositions et conjonctions dites simples, indicateurs d’arguments et parfois supports d’informations pour les conjonctions ; b. des prépositions et conjonctions prédicatives ayant un emploi prédicatif ou le statut de prédicat. Ces deux emplois sont assez souvent remplis en même temps. Ceci veut dire que la préposition ainsi que la conjonction peuvent être à la fois prédicats et indicateurs d’arguments. Dans la phrase Le dictionnaire est sur la table, la préposition locative sur introduit deux arguments, à savoir le sujet dictionnaire et le complément table. La sélection

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d’argument appartient à la préposition, le verbe être ici ne fait qu’actualiser le prédicat prépositionnel sur. Donc le schéma d’arguments se dessine comme suit : Sur (dictionnaire, table). Dans l’exemple Il est venu pour nous embêter, la préposition pour à valeur prédicative introduit un complément circonstanciel. Tout comme la préposition pour, la conjonction pour que remplit elle aussi une fonction prédicative. Dans Je sais que tu es venu, la conjonction que est introducteur d’arguments, il s’agit des propositions complétives. I. 2. 2- Typologies des collocations Plusieurs tentatives de caractérisation des collocations ont vu le jour. Dans son article « La description des collocations et leur traitement dans les dictionnaires », Marleen Laurens (1999) cite des typologies de collocations tributaires de la syntaxe. Elle signale d’abord la distinction employée par le Dictionnaire d’apprentissage du français des affaires (Binon-Verlinde-Van Dyck et al, à paraître), entre les collocations classifiantes et les collocations qualifiantes. Les collocations classifiantes sont d’un nombre limité et appartiennent à un champ sémantique particulier et n'admettent pas d'intensificateur : *un salaire très unique, *un chômage très structurel. Ceci n’est pas le cas des qualifiantes qui acceptent un intensificateur : un salaire très bas, un client très fidèle. Viennent ensuite, toujours dans le même article, Zöfgen, Heid et Descamps qui, de leur part, ont tenté d'établir une classification qu’ils ont plus précisément basée sur la structure morphosyntaxique des collocations. Ainsi, ils distinguent les classes suivantes : Nom + verbe : interpréter un film, crever l’écran Nom + adjectif : le cinéma muet, un film captivant Nom + nom (éventuellement nom + préposition + nom) : un plateau de cinéma, un film à trucage Verbe + adverbe : travailler dur

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Adjectif + adverbe : gravement malade, grièvement blessé. En troisième lieu, c’est le BBI Combinatory Dictionary of English, qui répartit les collocations en deux classes : la classe des collocations grammaticales et celle des lexicales. Une collocation n’est dite grammaticale que lorsqu’elle est composée d’un mot dominant (nom, verbe, adjectif) suivi d’une préposition ou d’une structure grammaticale telle qu’une subordonnée ou un infinitif. En revanche, les collocations lexicales ne contiennent généralement pas de prépositions, d’infinitifs ou de subordonnées. Cette même typologie est adoptée par M. Benson. Cité par Lucie Langlois (1996), dans sa thèse Bitexte, bi-concordance et collocation, ce dernier se fixe quasiment les mêmes critères, selon lesquels la collocation grammaticale doit être constituée d’un mot dominant suivi d’une unité subordonnée (souvent une préposition ou une structure grammaticale, comme un infinitif ou une proposition). Pour lui, les collocations grammaticales se présentent habituellement sous les formes (NomC = nom commun et AdjQ = adjectif qualificatif) : Formes des collocations grammaticales Exemples Verb + Prép

s’abstenir de

NomC + Prép

sentiment envers

AdjQ + Prép

absent de

Toujours selon ce linguiste, la collocation lexicale, contrairement à la grammaticale, est généralement formée de deux composantes lexicales d'importance plus ou moins égale. Les collocations lexicales sont d’ordinaire formées de noms (NomC), d'adjectifs (AdjQ), de verbes (Verb) et d'adverbes (Adv). En voici, sous forme de tableau, les exemples utilisés par Benson pour éclairer davantage ses propos : Formes des collocations lexicales Exemples NomC + Verb

l’orage éclate

AdjQ + NomC

un célibataire endurci

Verb + NomC

interjeter appel

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Ces trois premières typologies se basent sur des critères distinctifs purement syntaxiques ; la première, citée par Laurens, se résume à une seule transformation consistant en l’acceptabilité ou non d’intensificateurs ; la seconde qui est celui de Zöfgen, Heid et Descamps ainsi que la troisième, établie par le BBI et adoptée par Benson, consistent en la répartition des collocations en classes selon des structures bien déterminées. La seconde exclut de son champ d’étude la catégorie des locutions prépositives et conjonctives ainsi que des suites composées complexes telles que des esprits d’un autre âge, un moins que rien ; la troisième, tout comme les deux premières, ne prend pas en considération le sens qui est, dans certains cas, vague et inconnu du locuteur. La deuxième typologie citée dans la thèse de Langlois appartient à D. J. Allerton qui préfère utiliser le terme de cooccurrences au lieu de collocations et les classe par niveau de restrictions : syntaxiques, sémantiques et locutionnelles. Il limite le premier type à des combinaisons dépendant de la syntaxe. Le deuxième type comprend des combinaisons dont l’acceptabilité est régie au niveau de la sémantique, puisque, selon lui, les traits sémantiques d’un élément sont en conflit avec ceux d’un autre. S’ajoutent aux deux premiers types les locutionnelles qui sont arbitraires et imposées par la langue. Ces dernières lui ont été inspirées par les « locutions toutes faites » de F. de Saussure ; il cite, à titre d’exemple, l’expression comment vas-tu ? Il inclut dans cette classe des combinaisons semblables à celles citées précédemment par Benson du type Verb + Prép (to rely on), NomC + Prép (faith in), Verb + NomC (to do, to give). Pour cette dernière combinaison, il précise qu’il s’agit beaucoup plus des verbes très fréquents qui ne prennent sens que lorsqu’ils sont combinés avec un substantif, et des verbes qui, lorsqu’ils sont associés à un nom, peuvent être remplacés par la forme verbale du nom en question, exemple : donner l’autorisation → autoriser. La typologie esquissée par Allerton nous laisse un peu perplexes, dans la mesure où il est difficile de maintenir loin les uns des autres les trois types. Une

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suite dite locutionnelle telle que donner l’autorisation peut tolérer une multitude de modifications syntaxiques et sémantiques. Sur le plan syntaxique, donner l’autorisation est une suite verbale et obéit par exemple à la passivation : l’autorisation a été donnée. Sur le plan sémantique, elle a un sens compositionnel, elle est donc transparente et forme avec les compléments accord, agrément, aveu, permission, consentement, en position de COD une classe d’objets. D’autre part, syntaxe et sémantique vont de pair. Leur séparation a pour conséquence la confusion des différents emplois que peut prendre telle ou telle suite. Pour une suite comme peur bleue, il ne suffit pas de donner une définition sémantique à la suite ; il importe aussi de savoir que peur bleue est figée sur le plan syntaxique et ne tolère pas les modifications suivantes : *la peur est bleue, *une peur très bleue. Sinclair (in Langlois, 1996), pour sa part, met en lumière une autre classification des collocations : upward (élevées) et downward (basses) collocations. Ces deux types se définissent en fonction de la fréquence des composants de la collocation. Pour Sinclair, la relation collocationnelle entre ces deux composants change en fonction du mot à l’étude. Si l’élément " A " auquel on s’intéresse est plus fréquent que le " B " et qu’il est fortement associé à lui, on parle alors de downward collocation, car le " B " est moins fréquent que le mot à l’étude. Si ce dernier est moins fréquent, cette combinaison est du type upward puisque le composant " B " est plus fréquent que le " A ". Pour illustration, il donne l’exemple de la collocation anglaise to give an audience (pour donner une assistance), et suppose que les mots to give et audience reviennent 500 fois et 30 fois respectivement dans le corpus. Si le lexicographe s’intéresse au verbe to give et trouve que ce mot est fortement associé à audience, cette combinaison sera une downward collocation puisque le mot audience est moins fréquent que le mot à l’étude, soit to give. En revanche, si le lexicographe s’était intéressé au mot audience plutôt qu’à to give, la collocation aurait été du type upward, puisque le verbe to give est plus fréquent que le substantif audience.

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La typologie de Sinclair se base sur le critère de récurrence auquel échappe la synonymie et par conséquent les variantes expressives. Le compte ici n’est pas toujours bon dans la mesure où la synonymie s’avère défectueuse, comme il est difficile de rendre compte des combinaisons qui se composent de plus de deux éléments : tirer le diable par la queue, avoir mille tours dans son sac. Les critères syntaxiques et sémantiques, selon lesquels les typologies citées cidessus sont conçues, ne sont pas suffisants et ne retiendraient en conséquence qu’une partie des faits, dans la mesure où le phénomène collocatif dépend essentiellement de celui du figement. Donc, en l’absence d’autres manipulations relevant également du domaine de la syntaxe et d’autres critères mettant en jeu le sémantisme de la phrase collocationnelle, il est impossible de rendre compte de façon fructueuse du degré de figement tributaire par-dessus tout des deux domaines syntaxique et sémantique qui restent indissociables. A. Cowie, cité toujours par Langlois, propose la typologie open collocation et

restricted collocation, ce qui donne respectivement en français des collocations ouvertes et des collocations restreintes. Les premières sont des suites tellement générales que, sur le plan sémantique, elles peuvent se combiner de façon quasiillimitée. Le deuxième type renvoie à des combinaisons de mots dans lesquelles le sens du premier élément " A " limite les possibilités de combinaison pour l’élément " B ". Ces mêmes éléments prennent, chez A. Tutin et F. Grossmann (2002) les noms de lexie (base L) pour le premier élément et constituant (collocatif C) pour le second. Après avoir adopté l’association de ces deux éléments comme la définition la plus adéquate à la collocation, Tutin et Grossmann nous présentent trois cas de figure tributaires de la sémantique et aussi de l’idiosyncrasie∗ et de l’idiomaticité du collocatif : Une collocation est dite opaque lorsque le sens du collocatif en cooccurrence avec la base dont le sens est décodable change sous l’effet de cette association et Défini, par le dictionnaire électronique Microsoft Encarta (2007) comme un « ensemble des particularismes (de quelqu'un ou de quelque chose) qui conduisent à un comportement propre (soutenu). » ∗

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acquiert par conséquent un autre sens qui lui est étranger. Pour illustrer, ils donnent l’exemple de peur bleue. Et puisque la collocation vacille entre libre et figée, Tutin et Grossmann estiment que ce type se rapproche beaucoup de celui des expressions figées et diffèrent selon que le sens de la base reste interprétable. Lorsque le sens du collocatif est facilement compréhensible et la collocation est, dans sa totalité, quand même prédictible, elle est alors dite transparente. Faim de loup fait partie de ce type, le collocatif de loup a un sens proche de celui de loup affamé ; une expression très commune dans laquelle l’apparition du mot loup est très fréquente. Les collocations régulières se rapprochent beaucoup des combinaisons libres. Ce sont des associations de mots ou de suites de mots dans lesquelles le sens du tout est généralement déductible et semble prédictible, bien que les règles d’associations soient parfois complexes à élaborer. Nez aquilin (de l’aigle) en fait partie. Répondent aussi aux critères, ayant pour but la distinction des collocations ouvertes des restreintes, fixés par Cowie quelques suites libres. Donc la confusion ici est inéluctable, surtout que la syntaxe est mise à l’écart. Chez Tutin, et Grossmann (2003, p. 8), la mise à l’écart de la syntaxe dans leur travail se justifie, d’une part, par la variabilité extrême des propriétés syntaxiques des collocations, d’autre part, par l’indépendance du figement syntaxique du sémantique. Avec les deux exemples peur bleue et steak bleu, ces deux linguistes cherchent à démontrer que certaines collocations présentent un figement syntaxique important (une peur bleue, *la peur est bleue, *une peur très bleue) contrairement à d’autres (un steak bleu, le steak est bleu, un steak très bleu) sans que le degré de figement sémantique y soit corrélé de façon évidente. Ils rajoutent que les propriétés syntaxiques à elles seules ne semblent pas permettre de circonscrire aussi nettement les 3 types d’association que les propriétés sémantiques.

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Comme cette dernière typologie semble a priori pertinente et donne l’impression de correspondre parfaitement à l’étude que nous allons mener, nous allons l’adopter, l’appliquer à l’ensemble de nos collocations et vérifier au fur et à mesure si elle rend compte aussi bien du phénomène collocatif que du figement. La syntaxe, quant à elle, sera au rendez-vous autant que notre étude ne le nécessite. I. 2. 3- Difficultés rencontrées Avant d’annoncer le plan de travail que nous allons suivre, nous tenons à énumérer les quelques difficultés auxquelles nous avons été confrontée.  Le peu d’ouvrages consacrés aux collocations abordent l’étude formelle du phénomène collocatif, et se contentent d’une description lexicographique des relations contrôlées par un ensemble représentatif de mots et expressions.  Les recherches et travaux actuels tendent à automatiser le plus possible le traitement des collocations sans se donner la peine de décrire rigoureusement ces unités. Une telle négligence a rendu leur tâche difficile surtout que la question n’est pas mûrement réfléchie. Les quelques dictionnaires issus de ces recherches favorisent la détection de ces unités par rapport à une étude rendant compte des véritables contraintes caractérisant ce phénomène qui mérite d’être étudié en tant que tel. Ces dictionnaires restent toutefois inaccessibles.  Pénurie des ouvrages linguistiques traitant de manière approfondie le phénomène du figement.  Rareté des études portant sur Mohammed Khaïr-Eddine ainsi que sur ses écrits.  Défaillance et défectuosité de certaines sources Internet porteuses de virus, ce qui a entraîné la perte de plusieurs fichiers intéressants qui auraient pu nous aider davantage dans notre recherche.

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I. 2. 4- Plan de travail Avant de procéder à l’analyse de notre corpus, nous avons tenté, dans un premier temps, d’introduire et de justifier le choix du sujet en question tout en soulevant, d’une part, les quelques problèmes pouvant heurter n’importe quel sujet parlant en matière de collocations ; et tout en rappelant, d’autre part, des points faisant encore défaut en ce qui concerne le même domaine et qui seront clarifiés au fur et à mesure. Ensuite, nous avons, et ceci dans le cadre du premier chapitre de la première partie, tâché de délimiter et de nous exprimer sur le choix de l’œuvre dans laquelle nous avons relevé un certain nombre de collocations. Tout au long de ce même chapitre, nous avons procédé à la description du corpus qui est organisé à l’aide de méthodes s’inscrivant dans les deux domaines syntaxique et sémantique. Ces dernières nous ont permis de désigner deux types de classification. Le premier consiste à classer les différentes collocations en cinq catégories, ceci nous facilitera la tâche que nous avons à accomplir tout au long de la deuxième partie ; elles nous éviteront toute redondance et toute reprise d’un point pouvant avoir déjà été traité. Nous tenons à signaler qu’au sein de chaque catégorie, nous allons recourir encore une fois à des méthodes relevant principalement du domaine de la syntaxe afin de mener à bien notre travail. Le deuxième type de classification se résume, pour sa part, à un ensemble de typologies déjà esquissées que nous tenterons d’appliquer à notre corpus et de les écarter successivement en cas d’invalidité au profit bien entendu d’une typologie dessinant encore mieux les contours des collocations. Dans le cas inverse, c’est-àdire si l’une des typologies déjà citées s’avère adéquate et répond aussi bien à notre problématique qu’à nos questions secondaires, elle sera adoptée et mise davantage en lumière. Dans cette première partie toujours, nous comptons revenir – au chapitre II – de manière plus approfondie sur le sujet lui-même. Autrement dit, nous allons essayer de distinguer les collocations des autres notions voisines qui leur sont

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proches, tout en nous basant bien évidemment sur un certain nombre de définitions claires. Puis, c’est la notion de figement qui prendra la part du lion, nous procéderons dans ce qui suivra à la description de ce phénomène ainsi qu’à la détermination et l’explication des critères qui seront choisis et appliqués différemment à chacune des catégories établies au préalable. Nous réexaminerons une nouvelle fois la notion de locution qui a fait couler beaucoup d’encre, surtout qu’elle vacille entre collocation et figement. Nous terminerons cette première partie par une terminologie à adopter vu que les collocations et même le figement sont décrits de mille et une façons différentes, et aussi dans le but d’éviter préalablement d’éventuelles confusions. Les deux autres phases, à savoir l’interprétation et l’analyse feront l’objet de la deuxième partie tout au long de laquelle nous mettrons en exergue la typologie esquissée par Tutin et Grossmann. Les différents chapitres constituant cette seconde partie regrouperont chacun des collocations relevant toutes de la même catégorie. A l’intérieur de chaque chapitre, ces expressions, définies par Tutin (2005) comme « préfabriquées à mi-chemin entre locutions et combinaisons libres », seront d’abord réparties en classes, puis, soumises à une série de tests syntaxiques et sémantiques. Ces paramètres rendant compte du figement seront appliqués différemment aux différentes classes ébauchées au sein de chaque catégorie. Les noms composés seront compris dans le premier chapitre de la deuxième partie et seront répartis en six classes sélectionnées dans la typologie établie par Michel Mathieu-Colas comprenant 700 classes parmi lesquelles Gross n’en retient que 17. Les autres composés ne répondant pas à cette typologie seront traités à part et appelés les composés complexes. S’ajoutent aux paramètres du figement, dans le deuxième chapitre ―de cette même partie― tout au long duquel les collocations verbales seront interprétées et analysées, la notion de classe d’objets qui sera éclaircie davantage dans les premières

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pages de ce chapitre. Cette notion permettra la mise en valeur du premier critère du figement, à savoir « Les compléments ne forment pas de classes ». Avant d’être soumises au deuxième paramètre, les collocations verbales seront rassemblées sous des groupes comportant chacun les collocations ayant la même détermination. Ces six groupes déjà mis au point seront maintenus pour le reste de l’analyse qui se fera en fonction d’autres paramètres. Nous ferons aussi appel au procédé de décomposition pour raffiner davantage notre analyse. Nous tenons également à faire remarquer que certaines collocations verbales seront exclues de notre champ d’étude pour des raisons que nous citerons. Dans le troisième chapitre, nous distinguons les adjectifs composés variables des figés, ainsi que les séquences adverbiales à deux emplois de celles ayant un seul. Nous parlerons aussi des séquences adverbiales composés. Le quatrième chapitre comprendra les locutions prépositives et conjonctives. Ces dernières seront traitées ensemble, car elles fonctionnent de la même façon. Nous mettrons en lumière, au sein de ce dernier chapitre, la structure de ces suites ainsi que leur sens. Tout au long de ce travail, nous serons emmenée à faire un va-et-vient continuel sur les collocations, car, d’une part, certaines suites peuvent changer de statut, c’est-à-dire de catégorie, d’autre part, l’opacité ou la transparence du sens sont dépendantes non seulement du sens premier de la collocation, mais aussi des changements qui peuvent s’opérer en lui après avoir subi les manipulations mises en jeu. A chaque fois qu’un tel cas de figure se présente à nous, nous ferons ces allées et venues. A la suite des étapes citées précédemment, ce travail sera terminé par une conclusion dans laquelle nous reviendrons sur les deux phénomènes collocatif et du figement afin de vérifier les hypothèses déjà émises et répondre à notre problématique consistant en l’esquisse d’une typologie.

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CHAPITRE II : Définitions de la collocation et concepts liés au phénomène collocatif II. 1- Définitions de la collocation Le lexique, tel qu’il a été envisagé par les linguistes, ne se limite pas à un ensemble de mots simples, mais il englobe aussi les cooccurrences et les collocations qui tiennent une place importante dans la maîtrise d’une langue. Ce phénomène collocatif omniprésent à « caractère néologique » (cf. Patrick Charaudeau et Dominique Maingueneau, 2002, p. 262) devient en quelque sorte « l’Arlésienne de la linguistique », comme le dit E. Calaque (2006), c’est pourquoi une étude approfondie d’un nombre représentatif de collocations nous paraît essentielle, afin de décrire et d’expliquer comment sont construites et fonctionnent ces dernières, et de permettre par conséquent à n’importe quel sujet francophone de saisir et de maîtriser ce phénomène difficilement saisissable. Il s’agit de lui faire connaître le contexte dans lequel s’emploie telle ou telle collocation et les fonctions pragmatiques qu’elle remplit. Avant de procéder à une quelconque analyse, nous avons jugé utile de mettre en lumière le concept de " collocation " ainsi que d’autres liés à ce phénomène. Pour commencer, nous allons d’abord nous référer à des dictionnaires de linguistique, à savoir Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage et Dictionnaire de la linguistique, appartenant respectivement à Jean Dubois (1994, p. 91) et Georges Mounin (2004, p. 71). Pour le premier, la collocation se définit comme « l’association habituelle d’un morphème lexical avec d’autres au sein de l’énoncé, abstraction faite des relations grammaticales existant entre ces morphèmes. » Pour le deuxième, ce même terme dénote « l’association habituelle d’une unité lexicale avec d’autres unités. […]. Il est utilisé pour définir une procédure de découverte – au moins partielle – de la signification. » Les deux linguistes accordent de l’importance aux relations unissant ces unités lexicales. Pour J. Dubois, ces relations sont d’une nature grammaticales, pour G. Mounin elles sont plutôt sémantiques.

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Dans le même but qui est la délimitation du champ des collocations, certains auteurs tel que F.J. Hausmann, cité par Patrick Charaudeau et Dominique Maingueneau (2002, p. 143), les définit par opposition aux syntagmes figés comme « des associations syntagmatiques non-lexicalisées » Cité dans ce même dictionnaire, M. A. K. Halliday (2002, p. 143), revient sur la notion de fréquence et écrit que le mot collocation doit être « réservé à la coexistence consécutive et fréquente, dans de nombreux discours, de plusieurs unités. » La cooccurrence, d’après ce même dictionnaire et à la même page, correspond à la « coexistence dans un même contexte de plusieurs mots distincts. » Dans son article « Approche syntagmatique du lexique : collocations et image de l’organisation lexicale », Calaque (2006) rejoint Halliday en ce qui concerne le critère de récurrence et précise que la fréquence des collocations dans un texte est supérieure à celle du hasard, comme elle estime que les collocations sont devenues un phénomène directement observable. Poursuivons toujours dans le même but qui est la mise à nu de ce qu’est le phénomène collocatif. Tutin et Grossmann (2002) donnent aux collocations une définition toute autre, basée sur un ensemble de critères. En s’appuyant sur des paramètres rendant compte du degré de figement, ils mettent au jour, dans leur article « Collocations régulières et irrégulières : esquisse de typologie du phénomène collocatif », cinq critères déjà cités par Mel’čuk et Hausmann et parmi lesquels ils n’en gardent que trois : caractère binaire, dissymétrie et sélection lexicale. Pour ce qui est des deux autres critères qui n’ont pas été pris, à savoir la transparence et l’arbitraire ou la non-prédictibilité, ils sont jugés superflus dans la mesure où ils ne nous permettent pas de caractériser toute la classe et de dégager un prototype rendant compte de toutes les collocations. A partir des trois propriétés citées précédemment, Tutin et Grossmann (2002) reformulent la définition donnée aux collocations par Mel’čuk. Ainsi, une collocation est

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l’association d’une lexie L et d’un constituant C entretenant une relation syntaxique telle que :  C (le collocatif) est sélectionné en production pour exprimer un sens donné en cooccurrence avec L (la base)  Le sens de L est habituel. Avant de passer à la notion de " figement " qui fera à elle seule un titre à part, nous préférons d’abord revenir sur les trois critères dont nous nous sommes servi pour recenser notre corpus et dont nous nous servirons encore pour l’analyser. Pour premier critère, nous avons cité la binarité qui veut que deux éléments ou deux constituants sont amalgamés. Dans les exemples fort comme un turc et un bruit à crever les tympans, il y a association des mots fort et bruit avec les syntagmes comme un turc et à crever les tympans. Dans ce sens aussi, on peut avoir affaire à des collocations construites chacune sur deux autres collocations, c’est-à-dire que le produit final est le résultat d’une opération de fusion qui n’est pas toujours réussie. Essuyer un échec cuisant est le résultat de la fusion de essuyer un échec et échec cuisant. La fusion de prendre peur et peur bleue ne peut donner *prendre une peur bleue. Le deuxième critère sur lequel nous allons nous focaliser est celui de la dissymétrie. Mel’čuk et Hausmann, cités par Tutin et Grossmann (2002), considèrent que le rapport existant entre la base qui conserve son sens fréquent et le collocatif qui en dépend est nettement " dissymétrique ", c’est-à-dire que l’aspect harmonieux dont bénéficie la collocation dans sa totalité résulte de l’agencement de deux partenaires ayant un statut inégal ; le premier qui est la base est autonome et conserve son sens habituel au moment où le deuxième est le collocatif et reste dépendant, inhérent et relatif au sens du premier partenaire. Donc, tout au long de notre étude, nous allons essayer à chaque fois de les dissocier, de distinguer à l’intérieur de chaque collocation la base de son collocatif.

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Dans la suite peur bleue ; la base peur conserve son sens habituel qui est sentiment de forte inquiétude, de crainte en présence ou à la pensée d’un danger, d’une menace ; bleue, quant à lui, perd le sens de couleur et acquiert un autre qui est très vive. Pour ce qui est de notre troisième critère, il s’agit de la notion de cooccurrence restreinte (sélection lexicale). Mel’čuk et Hausmann, cités constamment par Tutin et Grossmann, s’intéressent au phénomène collocatif dans le cadre de la production et de l’encodage. Autrement dit, lorsqu’un locuteur produit une collocation, le choix du collocatif n’est pas arbitraire et n’est pas libre non plus, il se fait plutôt en fonction de la base, car le sens de cette dernière restreint et limite celui du collocatif. Pour lexicaliser le sens d’intense en cooccurrence avec peur, le locuteur choisira l’adjectif bleue. La cooccurrence n’est pas libre, mais restreinte. Le choix du collocatif se restreint et se précise davantage suivant les contextes et suivant ce que le locuteur veut exprimer. La dernière définition formulée est celle que nous avons adoptée afin de mener à bien notre analyse et sur le plan syntaxique et sur le plan sémantique. Il nous semble qu’elle est la plus adéquate aux collocations ; elle nous permet de rendre compte de toutes les collocations sans avoir à exclure une quelconque suite étant en réalité une collocation et sans courir le risque de nous passer d’une telle richesse. Nous considérons que ces trois critères brièvement présentés remplissent à la fois des conditions nécessaires aussi bien que suffisantes pour cerner le phénomène collocatif. II. 2- La notion de figement Après avoir été longtemps ignoré par les linguistes, le figement connaît aujourd’hui un regain d’intérêt et prend sa place dans un grand nombre d’études récentes. Cette importance accordée à ce phénomène longtemps marginalisé est due, d’une part, à son omniprésence dans nos paroles. Sechehaye et Bally, disciples de Saussure, cités par Mejri (1999) confirment ce dernier point et formulent leur

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idée ainsi « notre parole est en bonne partie faite de redites, de membres de phrases, de phrases entières qui se déclenchent mécaniquement dans certaines circonstances et dont nous ne retenons que l’intention générale. » D’autre part et d’après Mejri dans le même article, le figement s’est révélé être « une caractéristique inhérente aux langues naturelles. » Puisque le figement concerne le lexique et en grande partie les expressions, l’expression figée, d’après le Dictionnaire Hachette (2004, p. 613), se définit comme une suite « dont les termes, originellement distincts, forment, restant indissociables, une unité sémantique complexe. » Ces différents passages soulignent l’existence du phénomène et supposent que celui-ci est hors norme et irrégulier. Comme il fait partie de la langue, Alain Rey et Sophie Chantreau précisent, dans la préface de leur Dictionnaire d’expressions et locutions, qu’ « un lexique ne se définit pas seulement par des éléments minimaux, ni par des mots, simples et complexes, mais aussi par des suites de mots convenues, fixées dont le sens n’est guère prévisible. » De ce « fait systémique » – comme l’appelle Mejri (1999) – impliquant toutes les dimensions du système de la langue dépend notre phénomène collocatif, c’est pourquoi nous avons jugé utile de revenir sur cette notion pour bien l’éclaircir vu que nombreuses sont les définitions qui ont été formulées pour décrire ce phénomène. Chez Dubois (1994, p. 202), le figement apparaît comme un processus qui se caractérise par la perte du sens propre des éléments qui apparaissent ensemble dans un groupe de mots ayant lui-même un sens indépendant de celui de ses composants. Mounin (2004, p. 139), quant à lui, parle d’un figement qualifié de sémantique dans la mesure où c’est l’élément qui apparaît fréquemment dans des syntagmes différents en maintenant la même signification qui a un sens figé. Donc le figement – pour Dubois comme pour Mounin – concerne chacun des éléments constituant un groupe de mots ou une expression mais pas l’expression telle quelle dans sa totalité.

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Par rapport au défigement∗, le figement peut se définir par le fait d’ôter aux composants d’une expression leur liberté, c’est-à-dire qu’ils sont contraints ou ont tendance à apparaître ensemble afin de donner naissance à telle ou telle locution. Pour étayer nos propos, prenons Gross (1996, p. 9) qui considère le figement comme un des phénomènes linguistiques les plus importants, car, d’après lui, « Il permet de rendre compte à la fois de phénomènes de nature diverse mais qui ne sont pas indépendants les uns des autres. » Pour cette raison et d’autres, le figement devient un « lieu privilégié pour étudier la mémoire des collectivités », note Mejri (1999), et prend aujourd’hui, selon ce linguiste, place parmi les procédés et les processus à l’œuvre dans le renouvellement du lexique : il touche non seulement à tout le spectre catégoriel mais il a l’exclusivité de la formation des outils syntaxiques (déterminants complexes, locutions prépositionnelles et conjonctives). Pour étudier cette notion, Gross (1996, p. 13) se penche sur des propriétés tendant à caractériser ce phénomène. Ce sont ces critères, qu’il s’est fixés, que nous avons appliqués aux différentes locutions classées par catégories. Pour bien mener notre étude, nous sélectionnerons, au chapitre II, parmi ces critères ceux qui se rapportent au phénomène collocatif et qui rendent compte de la sémantique aussi bien que de la syntaxe, car « une description qui ne serait que syntaxique ou sémantique ne retiendrait qu’une partie des faits », fait remarquer Gross (1996, p. 13). II. 2. 1- Un foisonnement terminologique Dans cette section, nous allons nous intéresser aux différents termes proposés par les grands auteurs classiques pour décrire le figement. Ferdinand de Saussure, le père de la linguistique, met le phénomène en question en relation avec sa dichotomie langue / parole : il attribue à la parole la liberté des combinaisons à produire, et à la langue le caractère de figement selon que les « Opération inverse, consiste à rendre leur liberté combinatoire et leur valeur sémantique propre aux composants d’une expression figée. » Patrick Charaudeau et Dominique Maingueneau (2002, p. 262). ∗

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expressions appartenant à la langue ne sont pas à modifier, elles sont à reprendre telles qu’elles sont, " toutes faites ". Cette qualification laisse transparaître le caractère immuable de ce type d’expressions. Emile Benveniste, cité par Leroi (2004, p. 13) propose, pour la description de ce même phénomène, trois types de formes complexes dans ses deux ouvrages Problèmes de linguistique générale et Formes nouvelles de la composition nominale :  " composés " est le premier terme proposé et désigne des « Unités à deux termes identifiables par le locuteur ». Pour illustrer, Benveniste donne l’exemple de portefeuille ;  " conglomérats " renvoie à des « Unités nouvelles formées de syntagmes complexes comportant plus de deux éléments » : va-nu-pieds, meurt-de-faim ;  le dernier est " synapsie " et prend la définition suivante : « Groupe entier de lexèmes, reliés par divers procédés, et formant une désignation constante et spécifique ». Le terme de " synapsie " a été proposé pour désigner un groupe de mots présentant un caractère figé. Selon sa définition, une " synapsie " représente donc une unité de signification composée de plusieurs morphèmes lexicaux. Gross juge cette définition habituelle et précise qu’elle convient aussi au mot composé. Benveniste utilise ce terme pour mettre en évidence le fait qu’il s’agit d’un modèle de construction différent de celui de la composition classique. La " synapsie " est par conséquent différente du mot composé et du mot dérivé comme le montrent les exemples ci-dessous : Synapsie : machine à coudre Mot composé : timbre-poste Mot dérivé : ferblanterie. André Martinet (cf. Marie-Véronique Leroi, 2004, p. 14), dans son article « Syntagme et synthème », introduit le terme de " synthème ". Pour déterminer son

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sens, Martinet se place du point de vue syntaxique et précise que l’appellation " synthèmes " désigne les unités linguistiques dont le comportement syntaxique est strictement identique à celui des monèmes avec lesquels ils commutent, mais qui peuvent être conçus comme formés d’éléments sémantiquement identifiables. " Synthèmes " renvoie donc à des séquences de mots ayant le même fonctionnement qu’une unité syntaxique ainsi qu’aux mots dérivés. S’ajoutent à ces trois linguistes d’autres auteurs concevant eux aussi le figement différemment. Ils ont recouru à des termes particuliers révélant chacun une conception nouvelle du figement. Charles Bally (cf. Marie-Véronique Leroi, 2004, pp. 12-13), dans son Traité de Stylistique, consacre tout un chapitre aux locutions phraséologiques, parmi lesquelles il distingue les " séries " des " unités " phraséologiques. Pour Leroi, « Les séries phraséologiques sont des locutions où la cohésion des termes est relative. » C. Bally les définit comme suit : Les éléments du groupe conservent leur autonomie, tout en laissant voir une affinité évidente qui les rapproche, de sorte que l’ensemble présente des contours arrêtés et donne l’impression du ‘‘déjà vu’’. Faire tout son possible veut dire faire ce qu’on peut. Cette expression est familière, récurrente et son sens global est fonction de celui des éléments qui la constituent. Les unités phraséologiques désignent pour Leroi « des locutions où la cohésion des termes est absolue. » Une unité phraséologique est définie de la manière suivante par C. Bally : Une unité phraséologique représente un groupe de mots où les mots qui composent le groupe perdent toute signification et l’ensemble seul en a une. […] Cette signification doit être nouvelle et non équivalente à la somme des significations des éléments.

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Remuer ciel et terre signifie mettre tout en œuvre pour réussir et arriver à ses fins. Le sens que prend cette expression est nouveau et ne peut se déduire du sens de ses éléments constitutifs. Il est clair que l’intuition représente un critère de distinction des locutions phraséologiques chez Bally. Henri Frei (cf. Marie-Véronique Leroi, 2004, p. 13), dans la Grammaire des Fautes, parle quant à lui de brachysémie (ou figement). Ce terme est synonyme de brièveté sémantique : Le mécanisme de la brachysémie ou brièveté sémantique est le figement d’un syntagme, c’est-à-dire d’un agencement de deux ou plusieurs signes, en un signe simple. La brachysémie, brièveté sémantique se distingue de la brachylogie, brièveté formelle. Bernard Pottier (cf. Marie-Véronique Leroi, 2004, p. 14), dans ses ouvrages Linguistique Générale, et Introduction à l’étude des Structures grammaticales fondamentales (1962), utilise le terme de " lexie " pour désigner les unités lexicales. Il distingue trois types de lexies : - la lexie simple est une unité lexicale mémorisée comme cheval ; - la lexie composée est un ensemble comprenant plusieurs mots intégrés comme cheval-vapeur et brise-glace, la graphie et plus précisément le trait d’union permet de reconnaître une lexie composée ; - la lexie complexe désigne « une séquence en voie de lexicalisation à des degrés divers. » La lexie complexe est une séquence qui peut être figée ou non. Le critère de séparabilité permet de les reconnaître : en effet, il sera question d’une lexie complexe si les éléments du groupe ne sont pas séparables ; et à l’inverse il s’agira d’un syntagme si les éléments du groupe sont séparables. Cheval marin est une lexie complexe dont les éléments ne sont pas séparables. L’ensemble renvoie à un seul objet qui est l’hippocampe, un animal marin. Dans toutes ses définitions, B. Pottier ne précise pas s’il est question de figement syntaxique seulement ou sémantique aussi lorsqu’il s’agit de lexie.

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Maurice Gross (1985), dans son article « Sur les déterminants dans les expressions figées », parle de " phrases figées ". La phrase constitue, dans ses travaux, qui s’inscrivent dans la théorie du lexique-grammaire, l’unité sémantique de base. Leroi pense qu’ « Il n’est donc jamais question de " locution " pour désigner les séquences figées tout comme il n’est jamais question de " syntagme " pour se référer aux séquences libres. » Contrairement à ces auteurs qui se sont fait de leurs différentes conceptions de figement des spécialités, Gross (1996, p. 9) voit que le terme approprié est celui de " figement ", sans pour autant se référer à l’adjectif " figé " et l’associer à d’autres mots. Il estime aussi que cette profusion terminologique nous fait perdre de vue le fonctionnement réel des éléments linguistiques, c’est pourquoi il juge utile de mettre au point des paramètres d’analyse aidant à montrer les interrelations. Pour ce faire, ce linguiste expose, dans son ouvrage Les expressions figées en français ; noms composés et autres locutions, l’un des plus solides sur la question de figement, deux principes ayant de l’importance dans la reconnaissance des expressions figées. Il s’agit de la liberté combinatoire (fonctionnement syntaxique d’une suite qui peut être libre ou contrainte) et l’opacité sémantique (la signification de la suite qui est ou non le produit de celle des éléments constitutifs). II. 2. 2- Caractéristiques générales et critères du figement II. 2. 2. 1- Figement et composition Comme il s’agit d’un phénomène qui touche avant tout le lexique, revenir au passage sur certaines notions ayant trait au figement nous semble indispensable, dans la mesure où nous aurons peut-être, dans le but d’affiner notre analyse, à les comparer aux collocations. Gross (1996, p. 6) étaye sa description du figement en apportant à chacune des notions dont nous avons parlé plus haut une définition. Pour lui, un groupe ou un syntagme est dit libre s’il correspond à une « séquence générée par les règles combinatoires mettant en jeu à la fois des propriétés syntaxiques et sémantiques. »

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Cette première définition nous est utile dans la mesure où elle nous permet d’écarter les suites libres de notre corpus. Des groupes libres aux groupes plus ou moins composés et figés ; figement et composition, deux notions qui ont toujours eu tendance à se confondre, elles se définissent constamment l’une par rapport à l’autre, c’est pourquoi, nous allons dans un premier temps tenter de définir les liens existant entre ces deux concepts puis de découvrir les caractéristiques générales des expressions figées. Autrefois, on appelait composés les termes dont les éléments sont graphiquement soudés (ex. : portefeuille) ou reliés par un trait d’union (ex. : chou-fleur). Aujourd’hui, on passe du stade purement morphologique à un stade plus large. Certains linguistes comme Dubois (1994, p. 106) ont élargi le terme de composition à « toute suite de morphèmes plus ou moins figés correspondant à une suite significative dans la langue courante ou les langues techniques. » Gross (1996, p. 6) entend par idiotisme « une séquence que l’on ne peut pas traduire terme à terme. » Cette deuxième définition nous permet de distinguer les collocations des expressions idiomatiques. Ce ne sont pas toutes les collocations qui sont intraduisibles. Un mot racine ou simple désigne, d’après Leroi (2004, p. 15), « toute unité qui n’est susceptible d’aucune décomposition. » Tous les autres mots sortant de cette définition sont des construits, parmi lesquels nous trouvons les mots dérivés et les mots composés. Ces derniers ont tendance à se confondre, le mot malheureux par exemple est classé tantôt comme composé tantôt comme dérivé. Les dérivés sont, selon Gross (1996, p. 7), des mots « formés à l’aide d’un affixe : préfixe ou suffixe. » Ils sont plus nombreux en français que les composés, exemples malheureux, refaire. Dubois (1994, p. 136) définit la dérivation comme un processus consistant en « l’agglutination d’éléments lexicaux, dont un au moins n’est pas susceptible d’emploi indépendant, en une forme unique. » Tout comme la dérivation, la composition est aussi un processus de formation d’unités lexicales à des contours assez souvent flous.

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Employé toujours de façon ambiguë, Dubois (1994, p. 105) appelle mot composé tout « mot contenant deux, ou plus de deux, morphèmes lexicaux et correspondant à une unité significative : chou-fleur, malheureux, pomme de terre sont des mots composés. » Contrairement aux éléments qui composent un mot dérivé, les éléments entrant dans la composition d’un mot composé sont susceptibles d’emploi autonome dans la langue. En français, on peut avoir affaire à plusieurs catégories de mots composés :  une proposition (des on-dit, un sauve-qui-peut) ;  un verbe suivi d’un verbe avec ou sans conjonction (laissez-passer, va-et-vient)  Un verbe suivi d’un nom complément avec ou sans préposition (coupe-circuit, meurt-de-faim) ;  une préposition ou un adverbe suivi de nom (arrière-pensée, sans-cœur) ;  un adjectif suivi d’un adjectif (clair-obscur, sourd-muet) ;  un nom suivi ou précédé d’un adjectif épithète ou d’un nom apposé, sans préposition et avec trait d’union (rouge-gorge, pur-sang) ;  un nom suivi d’un complément de nom à valeur déterminative ou circonstancielle, avec ou sans préposition, avec ou sans trait d’union (timbreposte, dessous-de-table, pomme de terre, homme d’affaires). A propos de cette dernière catégorie, nom composé désigne chez Gross (1996, p. 7) « toute à la fois, parmi les groupes nominaux qui ne sont pas libres, ceux dont le sens global peut être déduit de celui des éléments composants (moulin à huile) et ceux où ce n’est pas le cas (moulin à paroles). » Se rangent également sous cette dénomination de composés les mots polylexicaux ou complexes, ils correspondent à « toute unité (ou catégorie grammaticale ou partie de discours) composée de deux ou plusieurs mots simples ou mots dérivés préexistants. » (Gross, 1996, p. 7). Ces mots peuvent être soudés et donc ne pas comporter de séparateur. Leroi (2004, p. 16) attribue à ce dernier concept la définition suivante : « une suite est dite " polylexicale " quand elle est composée de plusieurs éléments lexicaux qui ne

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jouent pas de rôle extérieur à la séquence. » Autrement dit, les éléments lexicaux contribuent uniquement à la constitution de la suite. La composition, avec toutes ses formes, constitue un des principaux moyens de formation des nouveaux mots. Donc, elle contribue à l’enrichissement du lexique français. Il devient évident de dire que toute suite composée n’est pas forcément ou nécessairement figée. II. 2. 2. 2- Critères du figement Les critères de figement établis par Gross aident à distinguer les séquences libres des séquences figées ; parmi ces paramètres, nous avons sélectionné ceux qui démarquent les collocations de toutes les autres notions voisines et qui couvrent en même temps les différents types de collocations envisagées pour l’étude. II. 2. 2. 2. 1- Opacité sémantique Cette première propriété du figement nous permet de rendre compte du degré de la transparence de la collocation, car cette dernière peut avoir un sens transparent (qui peut être déductible à partir du sens des éléments constitutifs), partiellement transparente (déductible à partir de quelques éléments seulement), ou opaque (sens impossible à déduire ; il n’est donc ni compositionnel, ni prédictible à partir toujours du sens des éléments constitutifs). Une suite est dite opaque quand elle a un sens non compositionnel et à l’inverse elle est dite transparente quand le sens est compositionnel. La suite les carottes sont cuites a deux lectures possibles, la première veut dire que les légumes en question sont prêts à être mangés et est transparente. Le sens qu’elle prend est compositionnel, c’est le produit de celui des éléments composants. La deuxième lecture est opaque et signifie que la situation est désespérée. Ce dernier sens ne peut être déduit à partir des éléments constituant cette suite. Clé anglaise ne renvoie pas à une clé que l’on a fabriquée en Angleterre, mais à une clé d’un type particulier. Cette suite est partiellement transparente, car le substantif

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clé conserve son sens ordinaire et son collocatif anglaise prend un autre sens complètement différent. II. 2. 2. 2. 2- Blocage des propriétés transformationnelles « L’opacité sémantique et les restrictions syntaxiques vont de pair. » (Gross, 1996, p. 12). Autrement dit, les propriétés transformationnelles qui peuvent s’opérer sur une séquence nous informent sur sa signification. Plus la séquence accepte de propriétés et plus elle est claire, moins elle en accepte et plus elle demeure opaque et incompréhensible. Contrairement à une séquence figée, une séquence libre tolère en général un grand nombre de modifications ou changements de structure. Ceci n’est pas le cas des collocations qui, à première vue, peuvent apparaître incompréhensibles, mais avec les quelques transformations syntaxiques que nous opérons sur ces combinaisons le sens s’éclaircira et nous les comprendrons. Une séquence figée n’en tolère bien évidemment aucune. Parmi ces transformations courantes, citons : la passivation, la pronominalisation, le détachement, l’extraction et la relativation. Prenons à titre d’exemple la séquence Luc a pris la tangente. Aucun des éléments constituant cette phrase ne permet de prédire son sens qui est se tirer d’affaire habilement. Passivation : *La tangente a été prise par Luc Interrogation : *Qu’a pris Luc ? Pronominalisation : *Luc l’a prise Extraction : *C’est la tangente que Luc a prise Relativation : *La tangente que Luc a prise Faute de propriétés transformationnelles, cette suite demeure opaque. Elle n’accepte aucune des modifications opérées sur elle. II. 2. 2. 2. 3- Non-actualisation des éléments Ce critère, d’après Gross (1996, p. 13), favorise le principe de composition qui veut qu’ « aucun des éléments constitutifs ne puisse être actualisé » et autorise l’inscription d’un prédicat dans son contexte. L’actualisation des éléments est permise dans les

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séquences libres mais non dans les séquences figées. Pour qu’on puisse parler d’actualisation, il faut que nous sachions à partir de quel moment tel ou tel élément est à l’œuvre. L’expression prendre une veste peut avoir deux sens différents. Quand le sens que prend, par exemple, la suite Paul a pris une veste est compositionnel, le déterminant une remet en œuvre et permet l’actualisation de l’élément veste. Ainsi, on peut dire Paul a pris (une, sa, ta, cette) veste. Quand cette expression prend le sens d’être battu aux élections, le substantif veste ne peut être actualisé. Il ne réfère à aucun vêtement, ce qui met en évidence la contrainte sur le déterminant. Gross (1996, p. 81) signale que « le choix du déterminant ne dépend pas seulement de la classe sémantique du substantif mais aussi de la nature du verbe support. » La séquence faire une sottise illustre bien ce qui vient d’être avancé. Avec le verbe faire, le déterminant « une » peut être remplacé par « des », « quelques ». Si on utilise à la place de faire le verbe multiplier, seule la forme cet enfant multiplie les sottises est possible. Ce verbe ne donne pas lieu à des formes telles que cet enfant multiplie (*une, *la, *cette, *ces) sottise (s). Cette propriété du figement prolongeant les deux précédentes concerne en premier lieu les suites verbales dans la mesure où sont nombreuses les expressions dont le verbe est suivi d’un mot indéfini qu’on peut définir et actualiser de par la conjugaison du verbe. II. 2. 2. 2. 4- Portée du figement Les collocations sont des unités lexicales préconstruites, elles ne sont ni complètement libres, ni complètement figées, c’est pourquoi il parait évident d’adopter ce critère, car il nous permet de savoir sur quel élément porte le figement, est-ce sur le verbe ? Est-ce sur le déterminant, ou encore sur l’adjectif ou l’adverbe ? Dans une phrase telle que vous lui avez tiré les vers du nez, seuls les pronoms vous et lui sont libres et peuvent faire l’objet de substitution, on peut ainsi dire il a tiré les

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vers du nez à son frère sur sa vie privée. Ce qui est figé dans cet exemple c’est la suite tirer les vers du nez. Il convient donc de maintenir cette propriété afin d’aboutir à une description linguistique fine au niveau des catégories. II. 2. 2. 2. 5- Blocage des paradigmes synonymiques Dans des suites telles que les collocations, le recours à la synonymie parait essentiel, car elle permet elle aussi de rendre compte du degré de figement. Il est clair qu’il s’agit de substituer à un terme un autre de la même classe d’objets et vérifier s’il y a possibilité ou impossibilité de commutation. Nous signalons que classes d’objets est un concept qui a été forgé par G. Gross et sera défini et mis en lumière au IV chapitre. Casser sa pipe ne donne pas lieu à des variations comme *casser sa bouffarde ou *briser sa pipe. II. 2. 2. 2. 6- Non-insertion Dans les suites libres, il y a toujours possibilité d’insérer de nouveaux éléments dans les différents groupes constitutifs. Donc il s’agit, sous ce titre, de voir jusqu’à quel point on peut insérer des éléments nouveaux quelle que soit leur nature dans les suites constituant notre corpus. Ce critère diffère d’une catégorie à une autre ; dans des suites nominales comme cordon bleu et col-vert, aucune insertion entre le nom et l’adjectif n’est permise : *un cordon particulièrement bleu, *un col très vert. Une suite verbale telle que tourner de l’œil accepte quelques insertions et refuse d’autres ; on peut ainsi dire il tourne vraiment de l’œil, mais pas *il tourne de l’œil gauche. Les autres critères dont nous nous sommes passée ne répondent pas à nos objectifs ; la polylexicalité, à titre d’exemple, ne peut être prise pour un critère, car les collocations sont par définition des cooccurrences lexicales formées de deux ou plusieurs éléments linguistiques. Pour ce qui est du dernier critère cité par Gross (1996, p. 22), à savoir « Les locutions sont-elles réductibles à des catégories ? », il y répond par lui-même. Les locutions ne sont pas des catégories primaires, elles sont

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« des unités intermédiaires entre les catégories simples dont elles ont les fonctions syntaxiques et les syntagmes dont elles ont perdu l’actualisation. » (Gross, 1996, p. 23). Ces critères de figement s’appliqueront différemment aux différentes catégories, c’est-à-dire que les critères qui seront appliqués aux noms composés ne sont pas forcément ceux qui seront appliqués, par exemple, aux collocations verbales. Ceci diffère suivant la structure interne de chaque catégorie toujours dans le but de mesurer le degré de figement relatif à chacune des collocations. II. 2. 3- Le degré de figement L’ensemble des critères énumérés plus haut nous permettra de situer chacune des collocations sur l’échelle de figement qui va des séquences libres à des combinaisons qui sont entièrement contraintes ou figées, et par conséquent de mesurer, avec chaque paramètre appliqué différemment à chacune des catégories, leur degré de figement. Par exemple, le critère de la non-actualisation s’applique encore mieux aux noms composés qu’aux collocations verbales. Les noms composés qui peuvent être actualisés sont rares : Réussir le (*un, *son, *un double, *ce) tour de force Le (un beau, son, ce, quelque) travail de sape ; alors que les collocations verbales susceptibles d’être actualisées sont nombreuses : Faire son chemin, faire du chemin Tirer le profit politique de la manifestation, tirer un profit de tout, tirer un grand profit de tout. Cette même notion du degré de figement est traitée par Mejri (1997, p. 36) qui remarque que le figement s’inscrit dans un continuum : en effet, le « passage des S.L (Séquences libres) s’opère d’une manière graduelle et imperceptible aux S.F (Séquences figées). » De toutes les catégories, les collocations verbales que nous verrons plus loin illustrent bien cette notion de degré de figement.

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II. 3- La notion de locution La notion de " locution " a fait couler beaucoup d’encre. Depuis la nuit des temps, les opinions divergent et les linguistes s’opposent encore sur ce concept ; chacun le conçoit comme bon lui semble. Etymologiquement, le mot " locution " est apparu au XIVe siècle, il vient du latin : locutio, dérivé de loqui qui veut dire " parler " (cf. Jean Mathieu Rosay, 1989, p. 303). Ce même mot signifie, d’après Leroi (2004, p. 28) une certaine « manière de dire ». La tradition grammaticale attribue l’appellation de " locution " à des séquences inférieures au niveau de la phrase. Robert Martin, cité lui aussi par Leroi (2004, p. 28), adopte ce même point de vue qui consiste en l’infériorité de la " locution " par rapport à la " phrase figée " et précise, pour sa part, que la " locution " est aussi supérieure au mot. Autrement dit, elle se situe au-delà du mot et en-deçà de la phrase figée. S’ajoute à ce critère d’infériorité l’aspect de " figé " qui se précise davantage. Toujours d’après la tradition, les " locutions " étaient synonymes de " syntagmes figés " qu’on opposait constamment aux " syntagmes libres ". Le caractère de noncompositionnalité du sens dans ces locutions a longtemps été l’un des principaux critères qui permettrait d’identifier une séquence figée. Thun en 1978 (M-V. Leroi 2004, p. 28) dit en effet que la " locution " « est l’aboutissement, dans une synchronie donnée, d’un processus de figement, de pétrification, de fossilisation ». A ce moment là, les collocations étaient exclues du champ des locutions, car elles respectent la compositionnalité du sens et ne font que contraindre la liberté de cooccurrence. Aujourd’hui, la " locution " est loin d’être définie comme sémantiquement opaque. Dubois parle de " locution " tout court et de " locution " toute faite. Locution renvoie, pour lui (1994, p. 289), à « un groupe de mots (nominal, verbal, adverbial) dont la syntaxe particulière donne à ces groupes le caractère d’expression figée et qui correspondent à des mots uniques. » Il exclut les groupes de mots adjectivaux. Pour locution verbale ou comme il l’appelle verbe composé, il donne les exemples de faire grâce qui correspond à gracier et de mettre le feu qui équivaut à allumer.

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En vain (locution adverbiale) correspond à vainement. Mise en jeu (locution nominale ou nom composé) correspond à risquer. Loin d’exclure une quelconque suite, David Gaatone, cité par Leroi (2004, p. 28) rejoint Dubois et confirme son point de vue qui veut que la " locution " corresponde à un mot seul. Il dit que « si elle se présente quantitativement comme une séquence de mots, la locution apparaît intuitivement comme l’équivalent d’un mot unique. » Cité lui aussi par Leroi (2004, p. 28), Hervé Curat ajoute à ce sujet que cette intuition d’équivalence entre une locution et un élément simple aurait pour origine « la cohésion particulièrement forte entre les mots composants de la locution », cohésion que l’on ne trouve pas dans un syntagme ordinaire. Donc, entre autrefois et aujourd’hui, la " locution " change de statut et devient sémantiquement transparente après avoir été opaque. " Locution " toute faite exprime, d’après Dubois (1994, p. 289), « un comportement culturel lui aussi figé : ainsi l’expression Comment allez-vous ? (Comment vas-tu ?) est une locution toute faite utilisée pour faire commencer un échange verbal dans certaines situations. » Locution ici devient synonyme de " expression idiomatique " qui désigne, pour Dubois (1994, p. 239), une forme grammaticale dont le sens ne peut être déduit de sa structure en morphèmes et qui n’entre pas dans la constitution d’une forme plus large : Comment vas-tu ? How do you do ? sont des expressions idiomatiques. A la différence de la " locution " et de l’" expression figée " qui ont une syntaxe particulière et n’obéissent pas forcément aux règles grammaticales, l’expression idiomatique, quant à elle, est en elle-même une forme grammaticale et donc tributaire de la syntaxe. Dans les définitions de " locution " qui vont suivre, nous allons voir que les linguistes d’aujourd’hui prennent de plus en plus conscience de la syntaxe.

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Mounin (2004, p. 206) renvoie le concept de " locution " à un groupe de mots constituant soit un signifié unique (chanter pouilles), soit une structure syntaxique isolable (locution correcte, vicieuse, archaïque, etc.). Sorte de syntagme figé : Au fur et à mesure – Mettre la charrue avant les bœufs. Le Dictionnaire Hachette (2004, p. 942) lui attribue deux définitions ; dans la première, " locution " correspond à une « Expression, forme de langage particulière ou fixée par la tradition. » ; dans la deuxième, elle consiste en la présence d’un « groupe de mots formant une unité quant au sens ou à la fonction grammaticale. » Il est clair que la notion de " locution " est difficile à définir avec précision. De par les définitions formulées autrefois, la notion de " locution " coïncide avec celle des collocations qui sont opaques, voire figées principalement sur le plan sémantique ; de par les conceptions actuelles, " locution " se dit des collocations qui ont un sens compositionnel, voire transparent et pouvant équivaloir à un mot unique. Vu que les éléments qui apparaissent dans une locution donnée peuvent apparaître dans d’autres contextes et avoir un emploi libre, certains auteurs recourent au terme " locution " pour désigner des groupes de mots présentant une très forte cohésion et dont les éléments constituants sont indissociables. II. 4- La terminologie adoptée Comme nous venons de le voir tout au long de cette partie, nous sommes en présence d’une profusion terminologique qui risque de nous faire perdre de vue notre objectif. C’est pourquoi, parmi ces termes qui sont employés pour décrire le figement et le phénomène collocatif et qui soulignent des points de vue théoriques différents, nous allons en choisir les plus pertinents pour notre sujet. Dans notre mémoire, une collocations sera désignée par plusieurs termes ; certains sont courants : association, combinaison, construction, ensemble, unité et suite. Dans leur sens le plus simple, ces termes désignent un tout organisé et cohérent. Suite, associée à l’adjectif " figé ", peut renvoyer à une expression figée.

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D’autres termes pouvant être utilisés comme substituts au mot collocation ont fait naître beaucoup de querelles terminologiques conséquences, d’après Gross (1996, p. 70) d’analyses superficielles. La " locution " est un terme qui aura l’occasion de figurer constamment dans notre mémoire, dans la mesure où on se contente de ce qui a pu être dit par Gross (1996) dans le glossaire du livre déjà cité : une locution est un syntagme (nominal, verbal, adjectival, adverbial) dont les éléments composants ne sont pas actualisés individuellement et qui forme un concept autonome, que le sens global soit figé ou non. Quant à ce même mot, Leroi (2004, p. 37) ajoute qu’il « présente l’avantage (ou l’inconvénient selon les points de vue) de ne pas donner d’indication sur le degré de figement de la séquence qu’il représente et est donc générique. » Il faut quand même signaler que " locution " n’équivaut pas à la construction nominale que nous appellerons " noms composés " et non locution nominale. Les collocations peuvent être aussi des séquences dans la mesure où elles désignent, d’après Dubois (1994, p. 429), des suites « d’éléments ordonnés conventionnellement sur l’axe syntagmatique. », c’est-à-dire qu’une collocation se présente bel et bien comme une séquence figée mais elle représente le degré le plus faible de figement (son sens est dérivable du sens des mots isolés qui la composent et restreint les propriétés transformationnelles). " Séquence ", employée également par Mejri (cf. MarieVéronique Leroi, 2004, p. 37) présente, d’après ce même linguiste, l’avantage d’être un terme " neutre ". " Mot " et " terme " sont synonymes et nous les utiliserons dans leur sens le plus général qui veut qu’ils représentent tous deux, d’après Le Petit Larousse (2005, p. 708), un « Elément de la langue…susceptible d’une transcription graphique comprise entre deux blancs. »

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DEUXIEME PARTIE : Interprétation et analyse des collocations

CHAPITRE I : Les noms composés La composition permet de faire apparaître dans une unité lexicale des relations sémantico-syntaxiques pouvant être également entretenues dans le cadre d’autres unités lexicales dites ordinaires. Les mots contenus plus particulièrement dans le premier type d’unités dites composées sont aptes à s’employer librement dans d’autres énoncés et forment, selon G. Gross (1996, p. 26), avec de nouveaux éléments lexicaux « une nouvelle unité dont la signification est autonome », ce qui fait qu’il n’est pas toujours facile de décider si un enchaînement de mots constitue un nom composé ou relève d’une combinaison libre. Pour séparer les noms composés des noms simples, nous examinons d’abord leur morphologie. Le trait d’union est considéré comme la caractéristique la plus marquante de composition, mais il représente un critère suffisant et non nécessaire. Sa fonction n’est confirmée d’après M. Arrivé, F. Gadet et M. Galmiche (2005, p. 128) que par son emploi dans la construction de composés provisoires tel Le Monsieur-qui-a-faitla-dernière-guerre. Dans d’autres emplois, des variations peuvent s’observer dans la mesure où la même unité lexicale peut comprendre dans certains dictionnaires un trait d’union, et dans d’autres elle ne le comporte pas (lieudit, lieu-dit, lieu dit). Les mots reliés par un trait d’union sont faciles à distinguer des groupes nominaux ordinaires, ce sont beaucoup plus les unités dont les constituants bénéficient, d’après Mejri (1997, p. 132), d’autonomie orthographique qui posent problème dans la délimitation des frontières des deux types. Nous jugeons donc ce critère graphique défaillant. Pour arriver à notre but qui est la délimitation du champ des noms composés, et pour pouvoir les distinguer des groupes nominaux habituels, nous mettrons en jeu une série de tests syntaxiques et sémantiques. Du point de vue syntaxique, les noms composés et les noms simples remplissent dans la phrase la même fonction, mais n’ont pas le même fonctionnement, c’est-à-dire que tous les deux sont l’unité de base du syntagme

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nominal et présentent d’après M. Arrivé, F. Gadet et M. Galmiche (2005, p. 404) « la seule partie du discours qui a le pouvoir de désigner les entités sur lesquelles peuvent porter les prédications. » Les groupes nominaux " ordinaires " sont libres et se prêtent à toutes les manipulations syntaxiques, tandis que les groupes nominaux " composés ", qui agencent deux ou plusieurs éléments, sont contraints et fonctionnent comme un tout. A. Darmesteter, cité par Gross (1996, p. 26), définit le mot composé comme « une phrase en réduction. » Pour illustrer ce point, il donne l’exemple chaise longue qui provient, d’après lui, de la phrase cette chaise est longue. Le nom composé chaise longue est considéré comme dérivé de la phrase cette chaise est longue, tous les deux ont un sens transparent qui peut se comprendre à partir des éléments composants qui gardent leur sens littéral et désignent, dans les deux suites, le même objet. Cependant, un mot composé ayant un sens opaque comme accent grave, ne peut se dériver de la suite cet accent est grave, car le nom composé accent grave désigne une variété d’accent, un type particulier, par opposition à accent aigu, accent circonflexe, alors que la phrase cet accent est grave ne renvoie pas à ce trait syntaxique particulier. Grave, dans accent grave, ne qualifie pas le substantif accent, il constitue avec lui une séquence nouvelle, un nom composé dont le sens global est autonome et indépendant de celui des éléments constitutifs. Gross (1996, p. 33) confirme alors qu’ « un nom composé ne peut pas être une phrase en réduction […], puisqu’une phrase est toujours une assertion tandis qu’un substantif est une dénomination. » et rajoute que ce qui a été dit à propos de chaise longue ne s’applique qu’à des cas où le sens des mots formants n’est pas opaque. Du point de vue sémantique, le nom composé, comme le note Gross (1996, p. 25), « évoque dans l’esprit non les images distinctes répondant à chacun des mots composants mais une image unique », ses éléments constitutifs perdent parfois leur sens d’origine à la faveur d’un sens unique et conforme à toute l’expression. Cette image unique est, selon Gross, « préconstruite et fait partie de son stock lexical au même titre que les noms simples. »

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I. 1- Les paramètres du figement Pour qu’un nom composé soit qualifié de figé, il faut, d’après Gross (1996, pp. 32-33) que : - les transformations syntaxiques qui se résument à la détermination de ses éléments constitutifs soient bloquées, c’est-à-dire qu’aucun des mots composants ne puisse être actualisé de façon autonome. Pour fait divers, l’actualisation porte sur l’ensemble du groupe, on peut ainsi dire Ceci est un fait divers. Comme pour grave, l’adjectif divers ne détermine pas le mot fait et ne reçoit pas à lui seul d’actualisation : *un fait tout à fait divers - il ne soit pas le siège d’une prédication. Ceci parait évident du moment qu’aucun élément composant ne puisse être actualisé. La suite nominale un fait évident est une prédication, par contre fait divers ne l’est pas, ce qui explique pourquoi on n’a pas *nous avons constaté un fait qui est divers. Gross (1996, p. 35) fait remarquer que les noms composés mettant en jeu deux substantifs – le second substantif a l’article zéro – sont les plus affectés par le figement et qu’ils sont caractérisés par l’absence de détermination libre pour chacun de leurs éléments constitutifs. I. 2- La structure interne des noms composés Nonobstant le problème de délimitation que pose le phénomène de composition, Gross (1996, p. 34) a réussi à mettre toute la lumière sur un ensemble de structures s’appliquant à tous les noms composés. En somme, il en compte deux et opère à l’intérieur de la deuxième structure une autre distinction tenant compte du fait de renfermer ou non pour un groupe contraint un substantif-tête : Les structures Atypique (déviante) Les noms composés atypiques n’ont pas de substantif-tête actualisé par une détermination (adjectif, complément de nom, relative).

Canonique (standard)

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Les composés canoniques comprennent un substantif-tête accompagné de déterminants ou de modifieurs (adjectif, complément de nom).

Ils ont une structure interne déviante qui n’obéit à aucun modèle.

Ils ont une structure de surface régulière qui ressemble à celle des composés construits sans figement. Ils peuvent être libres ou contraints.

Darmesteter les appelle les composés par ellipse : cure-oreille, bateau-feu

Darmesteter les appelle les composés juxtaposés : aide soignante

Leur sens peut être opaque ou quasi transparent.

Leur sens peut être également opaque ou compositionnel.

Présence de trait d’union.

Endocentrique Le substantiftête

Exocentrique

Dans les composés endocentriques, le substantif-tête est perçu comme le pivot de la suite : Panier à pain (panier à provisions) Peut être employé seul après effacement de la détermination ou de la spécification : Donne-moi (le panier à pain, le panier) Un panier à pain est un panier

Les composés exocentriques n’ont pas de substantif-tête: Panier percé (dépensier) Ne peut s’employer seul, de façon autonome : Luc est un (panier percé, *panier) *Un panier percé est un panier

Les autres éléments

Constituent pour le substantiftête la détermination ou une spécification quelconque.

Constituent avec le substantif un tout inanalysable.

Syntaxe

Les endocentriques ne sont pas complètement figés, ils partagent avec les groupes nominaux ordinaires certaines propriétés : - Une structure canonique - Présence de substantif-tête

Les exocentriques sont figés du point de vue syntaxique, ils ne diffèrent des mots simples que par leur polylexicalité et les marques morpholoqiques spécifiques aux composés.

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Mais

Sémantique

Sauf que

Contrairement aux libres, les éléments composants des endocentriques n’ont pas de détermination autonome, ils sont à actualisation contrainte ; Porte de garage (type particulier de porte) *une porte verte de garage. De fortes restrictions syntaxiques peuvent s’observer aussi (relation de partie à tout) *Cette porte d’un garage *Cette porte de notre garage

Leur détermination porte sur toute la suite : (une, la, cette, notre, quelque) porte de garage

Leur sens peut être opaque, figé comme il peut être transparent ou compositionnel.

Ils sont figés, leur sens est préconstruit et ne peut se deviner à partir des mots composants.

Gross (1996, p. 34) pense que le mot composé est mal défini par Darmesteter, car les groupes nominaux aberrants ou les composés par ellipse peuvent avoir un sens compositionnel, alors que la composition met souvent l’accent sur l’opacité sémantique. La compositionnalité du sens est probablement due à leur structure déviante qui, peut-être, les caractérise fortement et leur évite toute confusion avec les groupes nominaux libres. Mejri (1997, p. 133), quant à lui, juge ce premier classement purement syntaxique, il ne dépend que de la présence ou de l’absence d’ellipse. Le second est relatif aux composés juxtaposés et repose surtout sur « la soudure plus ou moins intime d’éléments réunis sans ellipse, simplement mis les uns à côté des autres d’après les règles ordinaires de la syntaxe. », il tient donc compte du rapport établi entre les constituants et les réalités dénommées. Le trait d’union représente pour Gross une des propriétés des noms composés atypiques, pour Mejri (1997, p. 133), c’est plutôt une caractéristique non pertinente. Il cite, parmi les canoniques la séquence trompe-la-mort.

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Nous tenons également à éclaircir la notion de modèle, Mejri (1997, p. 133) entend par modèle « une structure qui donne naissance à un paradigme : NN : un café-filtre, un roman-fleuve, un bateau-mouche, etc. » I. 3- Typologie des noms composés Une typologie des noms composés a été établie par Michel Mathieu-Colas, elle comprend 700 classes parmi lesquelles Gross n’en retient que 17, considérées par lui comme élémentaires. Sur ces 17, il en a sélectionné 3 : celle des composés de types N + Adjectif, de type N de N, et celle des complexes. Les deux premières ont fait l’objet d’une analyse détaillée, parce qu’elles représentent une source d’ennui pour les linguistes, elles se confondent constamment, de par leur structure interne, avec les syntagmes libres. La dernière, quant à elle, témoigne de la complexité du phénomène de composition et des types morphologiques. En ce qui concerne les autres structures, Mejri (1997, p. 148) voit qu’elles « forment des suites dont la configuration n’est pas celle d’un nom ordinaire. » Les suites nominales figurant dans notre corpus appartiennent aux classes suivantes : Composés

Composés sur

Composés Composés

sur un

adjectifs

nom +

verbe compte-gouttes va-et-vient

nom + nom nom + de +

Autres composés

nom

adjectif laissé-pour-compte

Composés

terre battue

bouc émissaire

tête brûlée

tour de force coup d’œil Veau d’or la nuit des temps chef-d’œuvre travail de sape

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moins que rien

I. 4- Analyse I. 4. 1- Les composés N + Adjectif Pour étudier ce type de composés à structure canonique et mettre en évidence des strates de figement, Gross (1996, p. 50) se fixe un certain nombre de critères tenant beaucoup plus compte de l’adjectif épithète placé à droite du substantif. a. La prédicativité : *cette terre est battue *cette tête est brûlée. Les adjectifs battue et brûlée ne peuvent pas être actualisés, et par conséquent, ne sont pas le résultat d’une prédication. Ils ne permettent pas une véritable assertion et ne renvoient pas à des qualités que nous pouvons attribuer aux substantifs terre et tête. Associés à terre et tête, ils constituent des unités soudées désignant respectivement une terre foulée, durcie par une pression répétée, et un risque-tout. La prédication n’est donc pas possible pour les adjectifs employés métaphoriquement. b. La nominalisation : Elle va de pair avec la prédication, c’est le test qui fait le plus défaut dans la mesure où il existe des adjectifs qui ne peuvent pas être nominalisés comme battue : *brûlure de la tête. c. L’adjonction d’un adverbe : *terre très battue *tête très brûlée. d. La coordination d’un adjectif : L’ajout d’un autre adjectif n’est pas toléré, car la relation entre le nom et l’adjectif est restreinte : *terre cuite et battue *tête baissée et brûlée.

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e. Le procédé d’effacement ; la règle d’identité : *elle avait un grand four en terre *les Français mirent au pas les bandits coriaces et les têtes *cette terre battue est une terre *cette tête brûlée est une tête. Le premier procédé porte sur le second formant dont la présence est nécessaire à la formation de cette séquence figée, quant au deuxième test, il met d’après Gross, cité par Mejri (1997, p. 149), « en évidence la possibilité d’effacement d’un adjectif. » Ces deux manipulations sont jugées nécessaires pour montrer aussi qu’on parle non de qualités particulières propres à tête et à terre, mais d’une variété de sols et d’une personne qui prend des risques de manière inconsidérée. f. La variation en nombre : Elle représente elle aussi un autre procédé de figement : *des terres battues des têtes brûlées. Ce test peut faire à lui seul l’objet d’une étude détaillée, car pour les composés figés comme pour les composés sans figement, qui se mettent très généralement au singulier et au pluriel, pose un problème. Eaux usées est un groupe nominal ordinaire et pourtant il ne peut se permettre un singulier, tête brûlée est figé et peut se mettre au pluriel. Gross (1996, p. 52) affirme qu’une fois qu’une séquence composée sert à désigner un concept, elle est automatiquement dépourvue de toute actualisation et de toute prédicativité internes. g. L’adjectif est-il typologisant ? Dans terre battue, tête brûlée, les adjectifs battue et brûlée sont entièrement figés. Ils ne peuvent désigner après les substantifs terre et tête une spécification. Terre est pauvre en phraséologie. On ne lui trouve dans le dictionnaire de Rey et Chantreau (2007, p. 751) que les emplois suivants : Terre jaune (anus), uniquement dans le cadre de la sodomie

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Terre cuite (argile travaillée à la main et durcie au four, utilisée pour fabriquer des poteries) La terre ferme (le continent) Terre noire (sol limoneux très fertile de couleur noire, que l'on trouve notamment en Russie et en Ukraine). Dans d’autres suites, l’adjectif épithète se place avant le substantif, leur nombre est réduit par rapport à ceux dont l’adjectif est placé après, nous citons : Forte tête (esprit fort, raisonneur) Les chères têtes blondes (ironiquement jeunes enfants) Petite tête, appellation familière légèrement péjorative, son contenu initial (qui n’a rien dans la tête) ou (qui a la tête trop petite), connotant l’inintelligence n’est plus très net. L’adjectif battue, on lui trouve : Yeux battus (yeux entourés de cernes bleuâtres) Sentiers battus (façons de penser ou de faire stéréotypées) Chien battu (personne particulièrement pitoyable). Les adjectifs jaune, cuite, ferme et noire n’ont rien d’un adjectif simple, ils ne fonctionnent pas comme lui et ne désignent pas après terre une spécification ou une caractéristique notable de cet objet. La relation qu’établissent ces adjectifs avec le mot terre n’est pas claire, ils forment avec lui des unités amalgamées dont le sens est opaque, c’est pourquoi ils ne peuvent être opposés les uns aux autres de telle façon à établir une typologie rendant compte, à chaque fois, de l’identification de l’élément décrit et donnant l’impression qu’il s’agit de noms composés appartenant tous à la même famille. Par comparaison aux adjectifs grave, aigu et circonflexe qui désignent dans les suites accent grave, accent aigu et accent circonflexe, à chaque fois, un type particulier d’accent, les adjectifs jaune, cuite, ferme et noire qui viennent s’ajouter au mot terre ne renvoient pas dans les suites terre jaune, terre cuite, la terre ferme et terre noire à une variété de terres, ils prennent un sens qui leur est étranger et qui a été limité par

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celui de la base terre, qui elle-même n’est pas prise dans son sens littéral, mais dans son sens figuré. Pour le substantif tête, A. Rey et S. Chantreau (2007, p. 752) affirment que « tête + adjectif forme des expressions figées dont le sens n’est toujours pas prévisible. » Tête baissée (sans ménagement, en matière de reproche) Tête chaude est synonyme de tête brûlée Tête froide (calme attribué à la raison). Tête, en se joignant à fêlée, entre dans le cadre d’une construction verbale : Avoir la tête fêlée (être un peu fou), littéralement (avoir le crâne blessé). Ce qui a été dit à propos des séquences dans lesquelles figure le mot terre est valable aussi pour les suites dans lesquelles le mot tête fait son apparition. Tête chaude, à titre d’exemple, ne peut pas être opposée à tête froide et former, avec cette séquence, un paradigme de types de " tête ", tête froide désigne une qualité alors que tête chaude renvoie à une personne, il ne s’agit donc pas, dans les deux cas, d’une tête à laquelle on peut attribuer les qualités de chaude ou de froide : *une tête qui est chaude, *une tête qui est froide. Récapitulons, parmi les suites qui viennent d’être analysées, certaines, notamment terre battue et tête brûlée auraient pu être classées dans le type des collocations opaques, mais ceci n’est pas le cas, car le sens que prennent les bases terre et tête n’est pas habituel, elles prennent un sens figuré. En revanche, la combinaison petite tête peut faite partie des collocations transparentes ou régulières selon que le sens de son collocatif petite soit facilement compréhensible ou imprédictible.

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I. 4. 2- Les composés N de N Comme il y a toujours ce risque de confondre les séquences de type N de N avec les séquences libres, Gross, pour délimiter l’étendue des deux types, propose une hiérarchie de propriétés communes à tous les groupes nominaux libres du même type : - chacun des substantifs est actualisé à l’aide de déterminants ou autoactualisés s’il s’agit de noms propres ; - chacun des substantifs peut faire l’objet de certaines manipulations syntaxiques comme la pronominalisation, la substitution, l’insertion, la coordination, l’effacement. Nous récapitulons les transformations subies par ces suites nominales dans le tableau ci-dessous :

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Nom composé Pronominali sation de N1 Le tour de force (ce qui exige *réussir le tour de la force ; exercice difficile de force et celui à réussir, qui exige beaucoup de résistance de celui qui s’y essaie ; résultat inespéré qui tient de la performance) Jeter un coup d’œil (regard *jeter un coup furtif, rapide) d’œil et celui de main Ils vendraient tous pour de l’argent. C’est le culte du Veau d’or ! (avoir le culte de l’argent ; faire la cour aux puissances d’argent) Son histoire remontait à la nuit des temps (période très reculée, dont on ne sait rien ; le passé le plus ancien)

Détermination Insertion Actualisation de d’un adjectif toute la suite *réussir le tour le (*un, *son, *un double de force double, *ce) tour de force

*réussir le tour de *réussir le tour résistance *ce tour de force est un *réussit la rotation de force tour

*jeter un coup dur d’œil

*jeter un coup de main *jeter un heurt de d’œil

un (le, son, *un dur, ce) coup d’œil

Substitution de N2 et de N1

*c’est le culte du Veau d’or et de celui d’argent

*c’est le culte du le (un, *ce, *son, *un Veau grand d’or grand) Veau d’or

*c’est le culte du Veau d’argent *c’est le culte de la vache d’or

*son histoire remontait à la nuit des temps et à celle des périodes

*son histoire remontait à la nuit blanche des temps

*son histoire remontait à la nuit des périodes *son histoire remontait à l’obscurité des temps

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la (*une, *une blanche, *cette, *sa) nuit des temps

Effacement et règle d’identité

*le Vieux descendit dans le jardin, histoire de jeter un coup *ce coup d’œil est un coup *c’est le culte du Veau *ce Veau d’or est un veau

*son histoire remontait à la nuit *cette nuit des temps est une nuit

Travail de sape (entreprise sournoise de déstabilisation et de destruction)

*ils continuent leur travail de sape et celui de déstabilisation

*ils continuent le (un beau, son, ce, leur travail quelque) travail de incessant de sape sape

*ils continuent leur travail de trachée *ils continuaient leur boulot de sape

La copie de l’élève était un chef-d’œuvre. En arts - création artistique majeure et reconnue un chef-d'œuvre du cinéma - réussite artistique la plus importante ou reconnue comme telle (d'un artiste) cette statue est son chef-d'œuvre - modèle de perfection ton gâteau est un chefd'œuvre! - ouvrage que doit réaliser un compagnon pour devenir maître de sa corporation le chef-d'œuvre d'un marbrier

*le chef-d’œuvre de la calligraphie et celui de la musique

*le chef magnifique d’œuvre de la calligraphie

*la copie de l’élève était un *la copie de l’élève était un chef-création chef (commutation *ce chef-d’œuvre est un chef impossible) *la copie de l’élève était un patron-d’œuvre

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un (le, son, ce, un merveilleux) chefd’œuvre

- les spéculateurs continuaient leur travail - ce travail de sape est un travail

Ces suites sont partiellement figées : - la pronominalisation est quasiment bloquée, ceci est du à la nature sémantique du groupe N2 qui ne détermine pas ; - la substitution n’est pas tolérée non plus ; le second formant le N2 est fortement contraint. Force, temps, sape et or ne peuvent pas faire l’objet de substitution, alors que œil et œuvre, contrairement aux autres, peuvent être remplacés par d’autres mots, mais ceci n’est pas sans conséquence, dans la mesure où le sens de ces deux suites coup d’œil, chef-d’œuvre sera affecté (nous reviendrons sur ce point par la suite). En revanche, tout comme les autres substantifs, œil et œuvre ne peuvent recevoir toutes les déterminations. L’insertion n’est pas acceptée non plus : - partant du principe qui veut que le substantif-tête peut être employé seul après effacement de la spécification, nous constatons que tous les noms composés n’ont pas de substantif-tête à l’exception de travail de sape dont travail est le pivot de la relation avec le reste de la séquence et dont la détermination n’est pas complètement contrainte, elle porte ici sur toute la suite. Ceci est aussi, en quelque sorte, le cas de tour de force qui ne peut qu’être déterminé de façon particulière il espère renouveler le tour de force accompli l’an passé. Les autres suites construites, même dans leur totalité ne font l’objet d’aucune détermination. - sur le plan sémantique, les noms composés ont tous un sens figé, mais le degré de figement diffère d’une séquence à une autre. Veau d’or, la nuit des temps et chef-d’œuvre ont un sens complètement opaque qui ne peut, en aucun cas, être le produit du sens des mots composants, elles sont donc des collocations dites opaques ; par contre, en ce qui concerne tour de force, coup d’œil et travail de sape, leur sens parait plus ou moins prédictible. Dans ces suites le sens d’un formant est limité par celui d’un autre. Dans tour de force et coup d’oeil, c’est le sens du second formant (le collocatif) qui limite celui du premier (la base). L’idée de force persiste et veut que la chose soit obtenue après

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avoir fourni de gros efforts ; œil garde son sens et renvoie au fait de regarder, par contre tour et coup perdent leur sens et en reçoivent un autre ; le premier désigne un exercice et le deuxième qualifie le regard de furtif. Bien que les rôles de la base et du collocatif soient inversés, les collocations coup d’œil et tour de force peuvent toujours appartenir à la classe des transparentes. Du point de vue de la substitution, œil peut être remplacé par main et par pied dans la mesure où ils appartiennent tous au même champ lexical, coup de main, coup de pied sont des expressions qui font leur apparition dans le dictionnaire. Le choix du collocatif est ici la fonction du verbe support et non pas de la base coup, ce qui explique le fait qu’on n’a pas : *jeter un coup de main, *jeter un coup de pied ou aussi *donner un coup d’œil. Il est clair que le sens que prennent les collocatifs tour et coup, en cooccurrence avec de force et d’œil, est différent de ceux qu’ils peuvent prendre en dehors de ces deux associations. Tous les deux participent à la constitution d’un sens unique, adéquat à la collocation. Pour travail de sape, la base travail, à laquelle vient s’ajouter le terme sape, conserve son sens premier, alors que sape, qui désigne une tranchée creusée sous un mur, un ouvrage, etc., pour le renverser, perd son sens littéral et prend à l’intérieur de cette combinaison le sens de saboter un travail ; un travail de sape est donc un travail illégal qui repose sur la spéculation. La collocation telle quelle peut être mise avec les opaques. I. 4. 3- Autres composés En cooccurrence avec le terme compte, nous avons deux suites, à savoir comptegouttes et laissées pour compte. Du point de vue sémantique, compte-gouttes a deux sens, le premier renvoie à un instrument qui permet de compter les gouttes d’un liquide pour un dosage précis : un flacon avec compte-gouttes incorporé, le second correspond à une réaction qui se fait d’une manière parcimonieuse, lente et progressive : ils distribuaient l’aumône au compte-gouttes. Du point de vue syntaxique, dans un flacon avec compte-gouttes incorporé, le composé compte-gouttes prend, dans sa totalité, les déterminations : un flacon avec (un, le, un-modif, ces, beaucoup de) compte-gouttes. Pris indépendamment l’un de l’autre, les

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éléments constitutifs compte et gouttes ne peuvent être actualisés de façon autonome, on ne peut ainsi dire *un compte parfait des gouttes. Avec son second emploi, la détermination de ce composé est complètement bloquée. Laissées pour compte est une locution d’origine verbale, elle a été substantivée et lexicalisée pour servir de nom composé qui prend aujourd’hui le sens de déshéritées. D’après A. Rey et S. Chantreau (2007, p. 463), laisser pour compte, la locution verbale, a été attestée au début du XXe siècle, c’est une « métaphore de langage commercial, où une marchandise laissée pour compte est refusée par l’acheteur qui la laisse au vendeur, à charge pour lui de la comptabiliser. » Les formants laissées et compte sont caractérisés par l’absence de détermination libre, par contre, le composé complexe qu’ils composent peut prendre les déterminants : provoquer l’ire de (un, une, des, ces, beaucoup de) laissé (s, e, es) pour compte, alors qu’il ne tolère pas les transformations : - l’effacement : *provoquer l’ire des laissés - la règle d’identité : *ce laissé pour compte est un laissé comme il ne fait l’objet d’aucune substitution et ne commute avec aucune autre locution. Bouc (le mâle de la chèvre), et émissaire (soit une personne chargée d’une mission soit un canal) sont les éléments d’un nom composé de type N de N dont le sens est opaque, figé. Tous deux entrent dans la formation d’une nouvelle unité et prennent part dans la constitution de son sens global qui est indépendant de celui des deux formants. Bouc émissaire fonctionne en bloc et désigne une personne sur laquelle on fait retomber toutes les responsabilités, tous les torts. A. Rey et S. Chantreau (2007, p. 92) précisent qu’il s’agit ici d’une allusion biblique : le jour de l’expiation, le prêtre chargeait symboliquement un bouc des péchés d’Israël, avant de le chasser dans le désert. Le latin disait coper emissarius ; la traduction française date du XVIIe s. et est employée métaphoriquement par Saint-Simon.

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Sur le plan syntaxique, cette suite nominale ne jouit pas d’un grand degré de liberté, elle peut être actualisée : (un, le, les, des, beaucoup de) bouc (s) émissaire (s), mais elle ne répond pas aux manipulations : - l’effacement : *le bouc, c’était un juif - la règle d’identité : *ce bouc émissaire est un bouc. Moins que rien est, selon A. Rey et S. Chantreau (2007, p. 522), une locution adverbiale qui a été substantivée, elle désigne aujourd’hui une personne peu estimable, paresseuse et incapable et souvent sans ressources. Sur le plan syntaxique, ce composé complexe ne répond qu’au critère d’actualisation, il prend les déterminants : pourquoi m’exhiber comme (un, une, des, les, beaucoup de) moins que rien. Tout comme les autres composés, cette suite est caractérisée par l’absence de détermination libre pour chacun de ses mots formants. Va et vient sont des formes que prennent respectivement les verbes aller et venir. En cooccurrence l’un avec l’autre, ils ont changé de statut, ils ne fonctionnent plus comme des verbes et deviennent, par conséquent, des éléments simples, contraints qui entrent dans la formation d’une nouvelle unité et contribuent à la constitution de son sens premier. Le composé va-et-vient a un sens transparent, compositionnel qui peut se comprendre à partir de celui des deux composants. Il réfère au fait d’aller et revenir et peut commuter avec allées et venues. Sur le plan syntaxique, va-et-vient a les déterminants : il y a eu un va-et-vient il y a eu beaucoup de va-et-vient le va-et-vient d'un métronome les va-et-vient d'un car de la gare à l'aéroport des va-et-vient continuels mais il ne tolère pas les modifications : - l’effacement : *il y eut un va - la règle d’identité : *ce va-et-vient est un va.

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Les suites nominales que nous venons d’analyser se disposent, du point de vue syntaxique, sur une échelle de figement selon qu’elles répondent ou non à tous les critères que nous nous sommes fixés. Sur le plan sémantique, la collocation comptegouttes est à mettre avec les transparentes quand son collocatif gouttes prend un sens compositionnel, ou avec les opaques une fois que ce dernier a un sens imprédictible ; laissées pour compte et bouc émissaire ont un sens opaque. A l’intérieur de chacune des deux collocations, ni les bases laissées et bouc ni les collocatifs comptes et émissaire ne prennent leur sens premier, tous acquièrent un autre sens qui leur est complètement étranger, et par conséquent elles ne peuvent figurer dans aucun des types des collocations élaborés par Tutin et Grossmann ; moins que rien remplit toutes les conditions pour figurer parmi les collocations régulières, alors que va-etvient peut figurer plutôt parmi les transparentes. Cette analyse nous révèle que ces collocations sont, par conséquent, toutes des composés exocentriques (entièrement figés, n’ont pas de substantif-tête et les compléments en de N2 n’ont aucune fonction ni de détermination ni de spécification), à l’exception de travail de sape qui est le seul cas endocentrique.

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CHAPITRE II : Les collocations verbales II. 1- Paramètres du figement II. 1. 1- Les compléments ne forment pas de classes Ce paramètre se traduit par l’absence de paradigme, c’est-à-dire l’impossibilité de substituer à un complément suivant le verbe un autre ayant le même sens ou un sens contraire. II. 1. 1. 1- La notion de classe d’objets La description des arguments des verbes diffère d’un prédicat à un autre ; les arguments d’un verbe ordinaire doivent être décrits en termes de classes. Empruntée à l’informatique par Gross, la classe d’objets « est définie par les relations syntaxiques qu’elle entretient avec une ou plusieurs classes de verbes appelés opérateurs appropriés. » Pour illustrer cette définition, Denis Le Pesant, dans son article « Les compléments nominaux du verbe lire une illustration de la notion de " classe d’objets " », donne l’exemple suivant : La classe d’objets qui comprend des noms désignant des supports de l’écriture : ardoise, carnet, journal, missel, panonceau est définie par le fait d’être sélectionnée d’une part en position de N1 (groupe nominal complément d’objet) par le verbe lire appelé opérateur approprié : Je lis une ardoise Je lis un carnet Je lis un journal Je lis un missel Je lis un panonceau d’autre part en position de N2 (complément circonstanciel de lieu) par les opérateur approprié lire dans, lire sur : Je lis une phrase (sur/dans) une ardoise Je lis un poème (sur/dans) un carnet Je lis un article (sur/dans) un journal Je lis une prière (sur/dans) un missel

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Je lis une adresse (sur/dans) un panonceau. La classe d’objets doit être représentée par un nom ou une liste de noms dressée comme l’a été celle de l’exemple ci-dessus. Cette même classe d’objets peut être sélectionnée toujours en position de N1 par toute une classe d’opérateurs appropriés, exemple : déchiffrer, décrypter, relire. D’autres prédicats ayant un large spectre d’arguments peuvent être décrits avec précision à l’aide des traits syntaxiques (humain, animal, végétal, concret, locatif, temps, abstrait). Gross cite, à titre d’exemple, le verbe rire qui peut avoir comme sujet n’importe quel humain et le verbe peser n’importe quel concret. Il existe des prédicats pour lesquels l’indication du trait syntaxique est insuffisante, il faut donc préciser à l’intérieur du trait indiqué les différentes classes d’objets. Pour illustrer ce troisième cas de figure, Gross donne l’exemple du verbe prendre qui a comme compléments des substantifs concrets. Ce trait syntaxique ne permet pas de bien décrire l’ensemble des arguments de ce verbe, c’est pourquoi il faut spécifier à l’intérieur du trait " concret " les classes suivantes : aliments, boissons, médicaments, moyens de transport. Les verbes faisant partie des locutions dites verbales ont, en position d’arguments, non pas des classes d’objets mais des éléments isolés qui n’admettent aucun paradigme. Par opposition à ces locutions, d’autres manifestent un début de paradigme qui dépasse le stade de mots pour aboutir à celui de phrases. Perdre la boule a le même sens que perdre la boussole. Toutes les deux veulent dire être troublé, affolé, bien que les mots boule et boussole ne soient pas synonymes. La synonymie ici ne concerne pas les mots mais elle est observée entre phrases. Gross précise qu’il y a quatre situations où un début de paradigme peut être observé et qu’elles sont à mentionner : - l’élément bloqué peut être en position d’objet direct sans complément second : prendre la tangente ; - le premier complément est bloqué tandis que le deuxième est libre : tirer sa révérence à Nhum (nom humain) ;

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- le premier complément est libre le second figé : mettre Nhum au pas ; - les deux compléments sont figés : séparer le bon grain de l’ivraie. II. 1. 1. 2- Analyse Avant de procéder à l’analyse de notre corpus, nous tenons à signaler que les collocations comprises dans cette sous-partie vont être regroupées selon qu’elles comprennent un ou plusieurs compléments libres ou figés. Autrement dit, nous allons nous référer aux quatre situations signalées par Gross. Concernant ce premier paramètre, à savoir les compléments ne formant pas de classes, nous allons au fur et à mesure vérifier si les mots synonymes peuvent se substituer les uns aux autres au sein d’un contexte bien déterminé et former des classes d’objets. Les compléments grain (veiller au), yeux (sauter aux), vinaigre (tourner au), rond (tourner en), vie (perdre la), doigts (se mordre les), faim (crever de), assaut (prendre d’), coup d’œil (jeter un), gros paquet (toucher un), volet (trier sur le ), chemin (rebrousser), mort certaine (fuir une ), bout (en savoir un…sur), pieds (ne pas remettre les), embarras du choix (avoir l’), cure (avoir…de) ne peuvent être remplacés par des synonymes. La synonymie n’est pas tolérée car elle déforme, à chaque fois, le sens premier de chacune des collocations citées. Veiller au grain veut dire être sur ses gardes. Si on met céréale à la place de grain, ceci donnera *veiller à la céréale. Cette seconde combinaison a un sens complètement différent du sens originel de la collocation en question. Le sens que prend l’expression *veiller à la céréale est compositionnel et n’a aucun rapport avec celui de la collocation originelle veiller au grain qui n’est pas dérivable du sens des mots isolés qui la composent. Le complément grain est donc un élément isolé qui n’est susceptible d’aucune substitution. Le substitut ou le nouveau collocatif céréale ne peut être sélectionné en production pour exprimer le sens d’être prudent en cooccurrence avec la base veiller. Donc, la construction *veiller à la céréale n’a aucune chance d’être reproduite spontanément. Ceci est valable aussi pour le reste des collocations si on substitue aux compléments :

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yeux dans (sauter aux yeux qui veut dire c’est évident) le complément nez vinaigre (tourner au vinaigre : prendre une fâcheuse tournure) → citron rond (tourner en rond : en revenir toujours au point de départ) → cercle vie (perdre la vie : mourir) → existence doigts (se mordre les doigts : se repentir) → orteils faim (crever de faim : mourir) → creux assaut (prendre d’assaut : s’emparer par la force de) → attaque coup d’œil (jeter un coup d’œil : jeter un regard rapide) → heurt gros paquet (toucher un gros paquet : avoir une grande somme d’argent) → colis volet (trier sur le volet : choisir avec soin) → persienne chemin (rebrousser chemin : reprendre sa route en sens inverse) → piste mort certaine (fuir une mort certaine : fuir un danger et l’éviter) → décès bout (en savoir un bout sur : savoir beaucoup de choses sur) → limite pieds (ne pas remettre les pieds : ne pas y aller) → mains embarras du choix (avoir l’embarras du choix : avoir un excès de possibilités qui entraîne une difficulté de décision) → difficulté cure (n’en avoir cure : ne pas s’en soucier) → soin. Pour ce qui est de cette dernière expression, A. Rey et S. Chantreau (2007, p. 253)

notent, dans leur Dictionnaire des expressions et locutions, que la locution avoir cure de « s’employait aussi positivement en ancien et moyen français, où de nombreuses locutions verbales avec cure sont attestées (faire, mettre [sa] cure, prendre cure, en cure). » Aujourd’hui la locution la plus attestée est n’avoir cure de qui veut dire ne pas se préoccuper de quelque chose. Ce sens est préconstruit et n’a aucun rapport avec le synonyme de cure soin. La synonymie est défectueuse et par conséquent l’axe paradigmatique n’est plus fonctionnel quant à cette collocation. Cette première série comprend des collocations à un seul complément en position de complément d’objet sans complément second, elles appartiennent toutes à la première situation et leurs compléments perdent leur sens individuel à la

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faveur d’un sens unique propre à toute la collocation telle qu’elle fonctionne dans sa totalité. D’autres exemples de collocations construits autour des différents emplois de certains verbes vont nous permettre d’élucider davantage la notion de classe d’objets. Mettre est une base verbale qui fait autorité, elle construit avec les constituants pas en position de complément d’objet, garde et cause en position de complément groupe prépositionnel les collocations mettre au pas, mettre en garde et mettre en cause. Si on substitue respectivement à ces trois collocatifs les mots enjambée, défense et motif, les locutions premières dont il s’agissait perdent leur sens propre, et elles ne commutent pas avec les nouvelles combinaisons *mettre à l’enjambée, *mettre en défense et *mettre en motif. La synonymie, comme on peut le constater, n’est tolérée ni entre mots ni entre phrases, car bien qu’elles comprennent des compléments qui remplissent la même fonction, les collocations mettre en garde et mettre en cause ne sont pas synonymes et ne manifestent aucun début de paradigme. Les collocatifs pas, garde et cause, bien qu’ils soient tous sélectionnés par le verbe mettre, ne peuvent appartenir à la même classe d’objets, car le sens que prend chacun de ces mots en cooccurrence avec la base verbale mettre diffère de celui qu’il prend en dehors de cette association. Quant à la question d’appartenance, mettre au pas et mettre en garde relèvent de la troisième situation, leur premier complément est libre et les seconds figés. Mettre Nhum au pas (forcer à obéir, à céder) Mettre Nhum en garde (avertir) Au premier complément on peut substituer n’importe quel sujet humain et donc il y a une possibilité de commutation. Ceci est valable aussi pour mettre en cause qui, d’après A. Rey et S. Chantreau (2007, p. 136),

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s’opposait à l’origine à mettre hors de cause ; de nos jours l’expression est utilisée en parlant des choses, et mettre quelqu’un en cause est plutôt compris comme « mettre sa probité, sa valeur en question, en doute » que comme « considérer qu’il est concerné dans une affaire ». Ceci ne s’applique pas parfaitement aux collocations qui sont construites autour du verbe tirer. Dans tirer Nhum d’affaire, le complément affaire est figé, tandis que le complément Nhum qui peut se joindre à cette expression est libre et commute avec n’importe quel humain. Tirer d’affaire a un début de paradigme et a comme synonyme l’expression tirer d’embarras. Toutes deux veulent dire tirer d’une situation embarrassante et fonctionnent quasiment de la même façon. Tirer Nhum d’affaire Tirer Nhum d’embarras Le deuxième complément qui se joint au verbe tirer est profit. Ce complément est figé et n’accepte pas de synonymes. *Tirer avantage *Tirer bénéfice Cette même expression, dans sa totalité, a un début de paradigme. Elle a le même sens que tirer un profit, tirer un avantage et tirer un bénéfice. Dans tirer les ficelles, l’élément bloqué ficelles est en position de complément d’objet sans complément second. Il n’accepte pas de substituts tels que cordes. *Tirer les cordes est correct des points de vue grammatical et sémantique, mais son sens qui est compositionnel n’est pas compatible avec celui de tirer les ficelles qui est préconstruit et dénote le fait de faire agir les autres sans être vu. Il existe une expression construite elle aussi autour du verbe tirer et a pour complément le mot ficelle, mais elle ne commute pas avec la locution tirer les ficelles. Il s’agit de tirer sur la ficelle qui veut dire exagérer. Contrairement aux locutions précédentes qui font partie de la première situation, tirer le diable par la queue fait partie de la quatrième situation, elle comprend

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deux compléments figés et ne tolère pas de synonymes. Elle prend le sens d’avoir des difficultés d’argent et ne commute dans sa totalité avec aucune autre locution. Les compléments qui ont suivi le verbe tirer ne peuvent pas être pris dans leur sens littéral, ils prennent un sens figuré limité par celui de la base, c’est pourquoi il est difficile de parler de classes d’objets en matière de collocations. Avec le verbe faire, trois collocations font leur apparition dans notre corpus : faire de la taule, faire tourner la baraque et faire le vide dans son esprit. On peut substituer au terme taule dans la première expression le mot prison, ce qui donnera faire de la prison. Comme il est plus courant que le mot taule, prison vient éclaircir davantage le sens de la locution en question et le rend comme s’il était compositionnel et est le produit des éléments composants. Faire tourner la baraque veut dire trouver les moyens de subvenir au besoin de sa famille. Si on met maison à la place de baraque, la suite perd son sens propre. Cette collocation appartient à la première situation, elle comprend un seul complément et est figé. Bien qu’elle appartienne à la quatrième situation, c’est-à-dire qu’elle comprend deux compléments figés vide et esprit, la collocation faire le vide dans son esprit manifeste un début de paradigme et commute avec l’expression faire le vide autour de soi. Toutes deux ont le sens d’éloigner de soi tout souci et se procurer de la paix. M. Laurens (1999) dit que « c’est lorsqu’on veut marquer les frontières qu’il se présente des difficultés. » Comme on peut le constater, la collocation ne se traduit pas littéralement, c’est-à-dire mot à mot, elle doit être prise dans sa totalité, car tous ses éléments fonctionnent ensemble en un seul bloc. Deux collocations font l’objet d’une grande ressemblance, à croire qu’elles sont presque synonymes et peuvent commuter l’une avec l’autre, il s’agit de se fondre dans la nature et se fondre dans la foule. Toutes deux comprennent un seul complément figé. Celui de la première ne tolère aucun synonyme surtout que le sens que prend le mot nature est large et rend difficile le choix d’un terme équivalent et adéquat.

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Celui de la deuxième foule est limité du point de vue sémantique et on peut lui substituer le mot masse. Se fondre dans la foule est synonyme de se fondre dans la masse et a donc un début de paradigme. Ces deux expressions prennent le sens de disparaître, et le lieu de disparition est déterminé, c’est-à-dire que la personne est mêlée à la foule ou à la masse et qu’on ne la voit pas. Ce sens s’avère compositionnel et dérivable du sens des éléments constituants ces deux suites. Se fondre dans la nature a le même sens que les deux locutions précédentes, sauf qu’avec le complément nature le lieu de la disparition n’est pas défini, selon A. Rey et S. Chantreau (2007, p. 542), nature est ici « un milieu spatial neutre et mal connu. » Le sens de disparaître que prend cette collocation est préconstruit et n’est pas le résultat du sens de ses éléments constitutifs. Autour du verbe prendre, on se retrouve avec quatre collocations. Prendre un coup veut dire être très affecté par quelque chose, prendre du galon a le sens de passer à un grade supérieur, en prendre ombrage signifie s’en offenser. Ces trois collocations appartiennent à la première situation et comportent chacune un seul complément figé. Si on met respectivement à la place des compléments coup, galon et ombrage les mots choc, ruban et feuillage, on obtiendra : *prendre un choc *prendre un ruban *en prendre feuillage ces trois expressions ont un sens différent de celui des collocations premières. Contrairement à ces trois collocations, prendre le frais a un début de paradigme et est synonyme de prendre l’air. Certaines collocations comprennent des pronoms possessifs. On en a sélectionné quatre. Dans ces collocations chair ne peut conserver à la suite laisser sa peau son sens propre qui est mourir ; creux ne peut également avoir le même effet que faim dans manger à sa faim qui renvoie à une personne aisée ; durée n’est nullement convenable à l’expression prendre son temps qui veut dire user de tout son temps, cette

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même collocation peut prendre le sens de gaspiller inutilement son temps, en partie à ne rien faire, ce sens est négatif par rapport au premier ; ailes n’accepte pas pour substitut élytres, car il déforme le sens de la collocation voler de ses propres ailes qui signifie agir seul, sans l’aide d’autrui ; être indépendant. Laisser sa peau, manger à sa faim, prendre son temps et voler de ses propres ailes sont des locutions à un seul complément figé. Comme on vient de le voir, elles n’acceptent pas de synonymes et ne sont susceptibles d’aucun paradigme. Toutes les collocations verbales se ressemblent dans la mesure où le choix du collocatif n’est pas arbitraire et son sens est limité par celui de la base, donc le sens que prend le collocatif peut être son sens propre comme il peut prendre un autre qui lui est complètement étranger, c’est pourquoi il est difficile d’évoquer la notion de classe d’objets en matière de collocations. A signaler que la base conserve d’habitude son sens premier. Quant à la différence, elle réside dans le fait que, même appartenant à la même situation, les collocations fonctionnent différemment, certaines ont un début de paradigme et peuvent se substituer les unes aux autres et d’autres ne sont susceptibles d’aucun paradigme. II. 1. 2- Les compléments ne sont pas actualisés L’actualisation se résume d’une part à la conjugaison des verbes, ce qui est valable pour toutes les collocations de cette catégorie dite des verbes et des collocations verbales. D’autre part, elle dépend d’un certain degré de liberté ou de figement relatif à la détermination. Nous verrons plus loin jusqu’à quel point le substantif prédicatif ou l’argument admettent différents déterminants tout en conservant le sens premier de chacune des collocations. Donc, pour ne pas nous passer du degré de figement tributaire de la détermination, nous allons effectuer un classement de l’ensemble des collocations consistant à établir des sous-groupes comportant chacun des collocations ayant la même détermination, ainsi nous distinguons six classes : - Les collocations à article zéro - Les collocations à article défini

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- Les collocations à article indéfini - Les collocations à article partitif - Les collocations à adjectif possessif - Les collocations à adjectif numéral cardinal Et pour ne pas nous perdre au sein des multiples sens que peut revêtir la même collocation, nous nous limitons à l’établissement de comparaison entre le sens que prend la collocation après avoir subi certaines modifications et son sens propre. Avant de faire subir aux collocations des différentes classes certaines manipulations, nous signalons que le nombre des collocations, qui seront mises à l’étude tout au long de cette partie, sera réduit. Dans un premier temps, nous avons passé en revue quasiment toutes les collocations comprises dans notre corpus. Cette tâche nous a permis de bien préciser si les compléments forment ou pas des classes d’objets. Pour atteindre ce but, il fallait examiner les collocations sous deux angles ; en premier lieu, nous nous sommes proposé de voir si tous les mots synonymes ou antonymes forment des classes d’objets. Dans un second lieu, nous avons vérifié si telle ou telle classe peut être ou non sélectionnée par une autre classe de verbes opérateurs. Dans ce qui va suivre, certaines collocations comme veiller au grain, tourner au vinaigre, sauter aux yeux ne seront pas toutes prises en considération, car elles sont, d’une part, construites du point de vue syntaxique sur le même modèle, d’autre part, il se trouve qu’elles ont le même fonctionnement ; elles ne se prêtent à aucune transformation et leur sens premier est préconstruit et est, dans la plupart des cas, figé.

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II. 1. 2. 1- Les collocations à article zéro N’avoir cure de dans " Leurs criailleries exaspéraient certains fumeurs qui les vouaient à tous les diables, mais ces effrontés n’en avaient cure. " Larousse (cf. Dictionnaire le Petit Larousse, grand format, 2005, p. 321) définit cure comme le « traitement par un procédé, un médicament » et donne l’exemple de cure d’amaigrissement. Ce collocatif forme avec le verbe faire, mettre et prendre les locutions faire cure, mettre sa cure et prendre cure. Selon A. Rey et S. Chantreau (2007, p. 253), ces collocations ne sont pas attestées aujourd’hui. N’avoir cure de (ne pas s’en soucier) est le seul emploi vivant du mot cure au sens général de souci. En se fiant à ce seul et unique usage, le substantif prédicatif cure ne prend pas les déterminants : - L’article défini « la » : *…, mais ces effrontés n’en avaient la cure - L’article défini « la-modif » : *…, mais ces effrontés n’en avaient la cure thermale - Le déterminant « une » : *…, mais ces effrontés n’en avaient une cure - Le déterminant « une-modif » : *…, mais ces effrontés n’en avaient une cure psychanalytique - L’article partitif « de » : *…, mais ces effrontés n’en avaient de la cure - Un article intensif : *…, mais ces effrontés n’en avaient pas beaucoup de cures - Un possessif : *…, mais ces effrontés n’en avaient leur cure - Un démonstratif : *…, mais ces effrontés n’en avaient cette cure. Dans faire une cure de (cf. Dictionnaire le Petit Larousse, grand format, 2005, p. 321), cure prend l’article indéfini « une » et acquiert un nouveau sens qui n’est pas directement prédictible à partir du sens des parties. Faire une cure de veut dire user et consommer beaucoup de. En prendre ombrage dans " Le vieux couple assistait aux changements rapides sans en prendre ombrage " Ombrage, dans ses différents emplois en cooccurrence avec n’importe quelle base verbale, n’admet pas de déterminants :

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- L’article défini « le » : *Il assistait aux changements rapides sans en prendre l’ombrage - L’article défini « le-modif » : *Il assistait aux changements rapides sans en prendre l’ombrage frais - Le déterminant « un » : *Il assistait aux changements rapides sans en prendre un ombrage - Le déterminant « un-modif » : *Il assistait aux changements rapides sans en prendre un ombrage des critiques - L’article partitif « de » : *Il assistait aux changements rapides sans en prendre de l’ombrage - Un article intensif : *Il assistait aux changements rapides sans en prendre trop d’ombrage - Un possessif : *Il assistait aux changements rapides sans en prendre son ombrage - Un démonstratif : *Il assistait aux changements rapides sans en prendre cet ombrage. Les locutions construites autour de ce collocatif comporte soit un COI soit un GP. Ombrage, en cooccurrence avec les verbes transitifs porter et faire, fait toujours appel à un COI : porter, faire ombrage à qqun veut dire l’indisposer, lui causer l’inquiétude d’être éclipsé. Prendre ombrage de qqch, ombrage ici est suivi d’un GP. Ceci est le cas de notre exemple " Le vieux couple assistait aux changements rapides sans en prendre ombrage. ", sauf qu’ici le GP (des changements rapides) est remplacé par en. Tirer profit dans " Ces démons d’Européens savent tirer profit de tout. " Tirer profit de tout telle qu’elle apparaît dans le Dictionnaire des synonymes et nuances (2006, p. 924) a un sens péjoratif : manger à tous les râteliers, jouer sur tous les tableaux. Tirer profit de fait son apparition dans quasiment tous les dictionnaires et est suivie du GP (de qqch). Elle prend le sens de s’en servir à son avantage, quasi synonyme d’après le Dictionnaire des expressions et locutions (2007, p. 670) de mettre à profit et de faire son profit de. En cooccurrence avec le verbe faire, le collocatif profit

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prend l’adjectif possessif « son », voire l’article partitif « de ». Faire du profit signifie être d’un usage économique ; rendre beaucoup de service par rapport à son prix. Elle a été attestée d’après A. Rey et S. Chantreau (2007, p. 670) en 1690. Avec le verbe tirer, la collocation tirer profit a les déterminants : - L’article défini « le-modif » : Ils savent tirer le profit politique de la manifestation - Le déterminant « un » : Ils savent tirer un profit de tout - Le déterminant « un-modif » : Ils savent tirer un grand profit de tout - Un article intensif : Ils savent tirer beaucoup de profits de tout - Un possessif : Ils savent tirer leur profit de tout mais ne prend pas : - L’article défini « le » : *Ils savent tirer le profit de tout - L’article partitif « de » : *Ils savent tirer du profit de tout - Un démonstratif : *Ils savent tirer ce profit de tout. Tirer profit apparaît comme ayant un sens transparent. Chacun des deux éléments garde son sens individuel, et l’addition des deux sens équivaut au sens que prend la suite dans sa totalité. Rebrousser chemin dans " Le pauvre type a donc rebroussé chemin. " a un sens préconstruit qui remonte d’après le A. Rey et S. Cahntreau (2007, p. 160) au XVIe siècle. Elle veut dire faire demi-tour. L’absence d’article dans cette collocation fait d’elle une forme stable, figée n’admettant aucun des déterminants suivants : - L’article défini « le » : *Le pauvre type a donc rebroussé le chemin - L’article défini « le-modif » : *Le pauvre type a donc rebroussé le chemin déjà pris - Le déterminant « un » : *Le pauvre type a donc rebroussé un chemin - Le déterminant « un-modif » : *Le pauvre type a donc rebroussé un chemin mal entretenu - L’article partitif « de » : *Le pauvre type a donc rebroussé du chemin - Un article intensif : *Le pauvre type a donc rebroussé beaucoup de chemins 83

- Un possessif : *Le pauvre type a donc rebroussé son chemin - Un démonstratif : *Le pauvre type a donc rebroussé ce chemin. En cooccurrence avec d’autres bases verbales, chemin prend différents déterminants et différents sens aussi. Le tableau récapitulatif qui va suivre présente les différents emplois que prend le substantif collocatif chemin ainsi que les déterminants qu’il a et les différentes interprétations sémantiques compositionnelles ou préconstruites auxquelles il contribue en s’associant à d’autres éléments : Locution

Déterminant

suivre le droit chemin

l’article défini « lemodif »

faire son chemin

l’adjectif possessif « son »

montrer le chemin

/

//

aller son chemin

faire du chemin

Sens compositionnel /

/

l’article partitif parcourir un long « du » trajet l’article défini « le » montrer la voie

Sens préconstruit se conduire conformément aux principes moraux de son époque réussir dans la vie poursuivre ses entreprises régulièrement sans se laisser distraire progresser donner l’exemple

Suer sang et eau dans " Il faut qu’il sue sang et eau pour s’y adapter. " a un sens préconstruit et facile à prédire à partir du sens des parties. Faire de grands efforts, se donner beaucoup de peine est le sens que prend aussi la locution suer sang et larmes attestée dans le dernier quart du XVe s. Associés l’un à l’autre, sang et eau n’ont pas d’autres emplois ; par contre, pris séparément tous deux apparaissent dans beaucoup d’autres locutions. L’absence de déterminants fait également défaut ici dans la mesure où elle fait de cette phrase une forme figée ne prenant aucun déterminant : - L’article défini « le, la » : *Il faut qu’il sue le sang et l’eau pour s’y adapter - L’article défini « le, la-modif » : *Il faut qu’il sue le pur sang et l’eau douce pour s’y adapter

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- Le déterminant « un, une » : *Il faut qu’il sue un sang et une eau pour s’y adapter - Le déterminant « un, une-modif » : *Il faut qu’il sue un sang rouge et une eau précieuse pour s’y adapter - L’article partitif « de » : *Il faut qu’il sue du sang et de l’eau pour s’y adapter - Un article intensif : *Il faut qu’il sue beaucoup de sang et tant d’eau pour s’y adapter - Un possessif : *Il faut qu’il sue son sang et son eau pour s’y adapter - Un démonstratif : *Il faut qu’il sue ce sang et cette eau pour s’y adapter. Prendre d’assaut dans " La désertification prend d’assaut les sols autrefois fertiles." veut dire s’emparer par la force de. Le substantif assaut a une détermination figée : La désertification prend (*l’, *l’-violent, *un, *un-violent, *beaucoup d, *son, *cet) assaut les sols autrefois fertiles et il ne prend que l’article zéro dans faire assaut (lutter à qui fera mieux dans un domaine donné, ou à qui aura le plus d’une qualité). Cette expression suppose un complément sans déterminant et un sujet pluriel : Faire assaut de gueule Faire assaut de générosité Faire assaut d’intelligence. II. 1. 2. 2- Les collocations à article défini Tirer les ficelles est, d’après A. Rey et S. Chantreau (2007, p. 363), synonyme de tenir la ficelle qui a l’article défini « la ». Toutes les deux veulent dire faire agir les autres ; être l’inspirateur caché d’une personne, d’une activité. Ce sens parait comme dérivable du sens des éléments constitutifs, l’expression telle quelle nous fait penser aux marionnettes que l’on fait agir sans que l’on soit vu. Tirer les ficelles n’a pas les déterminants (*la, *la-du métier, *une, *une-fine, *ses, *ces), mais elle prend l’article défini « les » dans les riches tiraient les grosses ficelles (les procédés grossiers très visibles) ou les ficelles du métier (procédés cachés).

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En cooccurrence avec la base verbale faire, le substantif ficelle a l’article zéro dans faire ficelle (faire vite, se hâter) et l’article partitif « de » dans faire de la ficelle à qqun (le tromper). Faire tourner la baraque dans " Heureusement que j’ai cette échoppe à Mazagan, elle me rapporte de quoi faire tourner la baraque. ".Baraque est un substantif qui apparaît assez souvent avec le verbe casser et assez rarement avec sauter. En coexistence avec casser, il a le déterminant « la » ; casser la baraque prend le sens de remporter un succès triomphale. Casser la baraque à qqn a un sens contraire et plus perceptible que celui de la première, elle veut dire l’empêcher de réussir, lui faire rater ses effets. Baraque, dans l’œuvre de Khaïr-Eddine, fait son apparition avec la base faire tourner pour donner faire tourner la baraque qui signifie avoir les moyens de subvenir aux besoins de sa famille. Cette collocation prend : - L’article défini « la-modif » : Cette échoppe me rapporte de quoi faire tourner la baraque qu’on habite - Le déterminant « une » : Cette échoppe me rapporte de quoi faire tourner une baraque - Un article intensif : Cette échoppe me rapporte de quoi faire tourner beaucoup de baraques - Un possessif : Cette échoppe me rapporte de quoi faire tourner ma baraque - Un démonstratif : Cette échoppe me rapporte de quoi faire tourner cette baraque et ne prend pas : - Le déterminant « une-modif » : *Cette échoppe me rapporte de quoi faire tourner une baraque d’enfer - L’article partitif « de » : *Cette échoppe me rapporte de quoi faire tourner de la baraque. Remettre les pieds dans " …, le vieux Bouchaib était bien sur au courant de ce qui se passait dans les villes, mais il n’y remettait pas les pieds pour tout l’or du monde " veut dire revenir, le complément pieds ne tolère aucun des déterminants :

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Remettre (*le, *un, *du, *ses, ces*) pied(s). Il est évident que si pieds ne tolère pas l’article défini « le », il ne tolérera pas l’article « le-modif ». Ceci est valable aussi pour « un » et « un-modif ». Nous récapitulons, dans le tableau ci-après, les locutions dans lesquelles pieds est en cooccurrence avec d’autres bases verbales, le sens ainsi que les déterminants qu’il prend : Locution lâcher pied avoir le pied à l’étrier (mettre à qqn le pied à l’étrier) avoir le pied marin s’en aller, (sortir, partir) les pieds devant (en avant) avoir un pied dans la tombe (la fosse) faire du pied à qqn

Déterminant l’article zéro l’article défini « le » au singulier l’article défini « le-modif » l’article défini « le » au pluriel l’article indéfini « un »

Sens cesser de résister, céder être dans une position pour réussir être à l’aise sur un bateau être mort

l’article partitif « du »

aller de son pied

l’adjectif possessif « son »

le frôler avec le pied, par une approche érotique discrète faire des avances discrètes à qqn marcher

être près de la mort

Se mordre les doigts dans " Beaucoup s’en sont mordu les doigts. " En relation de coexistence avec d’autres bases verbales, le substantif doigt(s) prend le déterminant « le » dans se mettre le doigt dans l’œil (se tromper grossièrement), l’article partitif « de » dans montrer du doigt (désigner par un geste, un doigt), et l’adjectif possessif « son » dans avoir du bout de son doigt (savoir parfaitement). Du point de vue sémantique, ces trois locutions ne sont pas opaques, elles sont plutôt prédictibles. Ceci est le cas aussi de se mordre les doigts (se repentir amèrement). Du point de vue de son actualisation, le mot doigts est actualisé uniquement par le verbe pronominal se mordre, il ne peut être actualisé par aucun des déterminants : Beaucoup s’en sont mordu (*le, *les-de la main, *un, *de petits, *leurs, *ce(s)) doigt(s).

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Se fondre dans la foule et se fondre dans la nature sont quasi synonymes. Les deux substantifs foule et nature ont la même détermination : Se fondre dans (*la seconde, *une, *une grande, *de la, *beaucoup de, *sa, *cette) foule(s)/nature(s). Contrairement au mot foule, le mot nature apparaît dans beaucoup d’autres locutions, il est soit défini, comme dans payer son tribut à la nature (mourir), soit sans article, comme dans payer en nature (avec des objets réels, sans intermédiaire monétaire). Par rapport aux collocations à un seul complément, les collocations à deux compléments posent problème, car les deux substantifs prédicatifs fonctionnent ensemble et il est difficile de les contraindre et actualiser en même temps. Tirer le diable par la queue veut dire avoir de la peine à trouver de quoi vivre ; vivre avec des ressources insuffisantes. Avec ce premier sens, cette collocation ne prend aucun des déterminants : - L’article défini « le, la-modif » : *Il tire le diable vert par la longue queue - Le déterminant « un, une » : *Il tire un diable par une queue - Le déterminant « un, une-modif » : *Il tire un petit diable par la belle queue - L’article partitif « de » : *Il tire du diable par de la queue - Un article intensif : *Il tire beaucoup de diables par beaucoup de queues - Un possessif : *Il tire son diable par sa queue - Un démonstratif : *Il tire ce diable par cette queue. Tirer le diable par la queue peut correspondre aussi à attirer le diable maladroitement, en s’y prenant à l’envers. Dans d’autres cas de figure l’article défini « le » se joint à la préposition « à » pour donner naissance à l’article contracté « au », pour pouvoir remplacer « le » par d’autres déterminants, nous ferons appel à la décomposition – procédé permettant d’isoler l’article défini de la préposition « à ». Donc, pour séparer les phrases dont les manipulations sont tolérées de celles dont les manipulations ne sont plus tolérées, nous décomposons en plusieurs éléments les collocations comprenant un article contracté.

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Dans " Bouchaib, qui était un Anflouss, veillait au grain, rien ne pouvait tromper sa perspicacité. ", la collocation veiller au grain prend le sens d’être prudent. Avant de soumettre cette expression aux différents tests, nous la décomposons d’abord en " veiller " + " à " + " le " + " grain ". - L’article défini « le » : *Il veillait à le grain, rien ne pouvait tromper sa perspicacité - L’article défini « le-modif » : *Il veillait à le grain de son voisin - Le déterminant « un » : *Il veillait à un grain - Le déterminant « un-modif » : *Il veillait à un bon grain - L’article partitif « de » : *Il veillait à du grain - Un article intensif : *Il veillait à beaucoup de grains - Un possessif : *Il veillait à son grain - Un démonstratif : *Il veillait à ce grain. L’argument grain est actualisé par le verbe veiller. La décomposition de la collocation en question en quatre éléments au lieu de trois a permis de montrer que le substantif grain ne prend aucun autre déterminant. Par contre sur le plan sémantique, elle procure à cette même collocation un sens compositionnel qui est surveiller le grain. Le verbe veiller fonctionne, assez souvent, avec la préposition « à » et prend le sens de prendre soin de ou s’occuper de quelque chose. Pour illustration, prenons l’exemple veiller à l’approvisionnement qui veut dire prendre soin de l’approvisionnement et s’en occuper. Le substantif prédicatif grain accepte en cooccurrence avec le verbe avoir les deux déterminants « un » et « du », avec le verbe mettre l’adjectif possessif « son » et avec séparer l’article défini « le-modif ». Les différents emplois que prend le substantif grain ainsi que les différents déterminants qu’il a et les multiples sens qu’acquièrent ces collocations, nous les résumons dans la grille ci-dessous :

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Locution avoir un grain avoir du grain à moudre mettre son grain de sel séparer le bon grain de l’ivraie

Déterminant l’article indéfini « un » l’article partitif « du »

Sens être un peu fou avoir un sujet intéressant à débattre, des éléments qui donnent à penser l’adjectif possessif « son » s’immiscer mal à propos dans une conversation, une affaire l’article défini « le-modif » séparer les bons des méchants, le bien du mal

Le sens de toutes ces locutions peut se deviner, il est à un certain degré transparent en réception. Mettre qqun au pas ou mettre au pas qqun dans " Les Français qui mirent au pas les bandits coriaces. " prend le sens de forcer à obéir, à céder. Décomposée en " mettre " + " à " + " le " + " pas ", la suite mettre au pas n’admet pas de déterminants : - L’article défini « le-modif » : *Les Français qui mirent à le faux pas les bandits coriaces - Le déterminant « un » : *Les Français qui mirent à un pas les bandits coriaces - Le déterminant « un-modif » : *Les Français qui mirent à un pas pressé les bandits coriaces - L’article partitif « de » : *Les Français qui mirent à du pas les bandits coriaces - Un article intensif : *Les Français qui mirent à beaucoup de pas les bandits coriaces - Un possessif : *Les Français qui mirent à leur pas les bandits coriaces - Un démonstratif : *Les Français qui mirent à ce pas les bandits coriaces. En coexistence avec passer, pas a comme déterminants l’article défini « le » et l’article indéfini « le-modif ». Passer le pas et passer le mauvais pas correspondent à franchir une situation périlleuse. Mettre qqun en garde est synonyme de être, se tenir en garde ; être, se tenir sur ses gardes. Elle veut dire être vigilant ; veiller à ne pas se laisser surprendre ; se prémunir contre. Garde n’a aucun des déterminants suivants :

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- L’article défini « la » : *Bouchaïb avait donc mille raisons de mettre en la garde son épouse contre les camelots et leur engeance - L’article défini « la-modif » : *Bouchaïb avait donc mille raisons de mettre en la bonne garde son épouse contre les camelots et leur engeance - Le déterminant « une » : *Bouchaïb avait donc mille raisons de mettre en une garde son épouse contre les camelots et leur engeance - Le déterminant « une-modif » : *Bouchaïb avait donc mille raisons de mettre en une des meilleures gardes son épouse contre les camelots et leur engeance - L’article partitif « de » : *Bouchaïb avait donc mille raisons de mettre en de la garde son épouse contre les camelots et leur engeance - Un article intensif : *Bouchaïb avait donc mille raisons de mettre en beaucoup de gardes son épouse contre les camelots et leur engeance - Un possessif : *Bouchaïb avait donc mille raisons de mettre en sa garde son épouse contre les camelots et leur engeance - Un démonstratif : *Bouchaïb avait donc mille raisons de mettre en cette garde son épouse contre les camelots et leur engeance. Par contre, en cooccurrence avec d’autres bases verbales, garde prend : Locution baisser sa garde

Déterminant l’adjectif possessif « sa »

Sens renoncer à se défendre, céder

monter la garde

l’article défini « la »

surveiller

II. 1. 2. 3- Les collocations à article indéfini Fuir une mort certaine dans "Ils étaient alors pris en charge, soignés, bien nourris et ils pouvaient échapper au sort tragique qui décimait les gens des noualas et autres hameaux qu’on finissait par déserter pour fuir une mort certaine." est synonyme de fuir un danger qui veut dire chercher à éviter qqn ou qqch de menaçant, de désagréable. Mort comme danger est actualisé par le verbe fuir, mais du point de vue de sa détermination, danger est plus susceptible d’être actualisé, il prend des déterminants que mort ne prend pas étant associé au verbe fuir :

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Fuir (un réel, le, *du, beaucoup de, *son, *ce) danger (s) Fuir (*la, *une, *beaucoup de, *sa, *cette) mort (s) certaine (s). Mort, en se combinant avec fuir, ne prend aucune autre détermination, par contre, avec d’autres bases verbales, il a : - L’article défini « le », précédé de la préposition « à » : être à l’article de la mort (sur le point de mourir) - Un possessif : mourir de sa belle mort (de mort naturelle) - Un adjectif cardinal : souffrir mille morts (endurer des souffrances intenses) En savoir un bout est une variante expressive de en connaître un bout qui signifie savoir beaucoup de choses. Le substantif bout a une détermination figée : En savoir (*le, *le bon, *un petit, *du, *beaucoup de, *son, *ce) bout. En se joignant à d’autres verbes, bout prend différents déterminants : - L’article zéro : faire bout de table (être le dernier invité) - L’article défini « le-modif » : discuter le bout de gras (converser des choses et d’autres) ; tenir le bon bout (être sur le point de réussir) - Le déterminant « le » au pluriel : mettre les bouts (s’en aller) - Un possessif : avoir son bout de bois (être ivre). La collocation toucher un gros paquet coïncide avec l’expression toucher le paquet et correspond à toucher une grosse somme d’argent. Le substantif paquet a une détermination plus ou moins libre, il a les articles « un » et « un-modif », sans pour autant parler de : Ce vieux filou a touché (le, le gros, son) paquet. « Un », « le » et « son » sont les déterminants que prend généralement le collocatif paquet, en voici quelques séquences : Avoir le paquet de qqch (avoir la charge désagréable de) Avoir son paquet (être ivre) Lâcher le paquet à qqn et vider le (son) paquet (lui dire ou dire tout ce qu’on a sur le cœur) Mettre le paquet (risquer une grosse somme pour gagner) Recevoir son paquet (se faire dire ses vérités)

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Prendre un coup veut dire subir ou ressentir péniblement qqch. Dans " Personne ne voulait entretenir les bêtes d’abattage. Le cheptel en avait pris un coup sérieux quand advint la fête des moutons, l’Aid Al Kabir. " Le substantif coup a ici l’article indéfini « un-modif », il peut prendre aussi un article intensif : … Le cheptel en avait pris beaucoup de coups sérieux, une suite qui a peu de chance d’apparaître ou d’être produite spontanément. Avec d’autres bases verbales, il a les déterminants : - L’article zéro : porter coup (faire impression ; avoir d’importantes conséquences), faire coup double (réussir dans deux domaines ; obtenir deux résultats par la même action) - L’article défini « le » : marquer le coup (souligner l’importance d’une chose par une manifestation ou manifester que l’on a été touché, atteint par qqch), monter le coup (préparer une affaire) - Un possessif : manquer son coup (échouer ; ne pas atteindre l’objectif qu’on se proposait). II. 1. 2. 4- Les collocations à article partitif Faire de la taule dans " D’aucuns murmuraient qu’il avait été en prison dans le Nord : « Il a fait de la taule… » " coïncide avec faire de la prison. La détermination ici est contrainte, taule ne prend pas les formes il a fait (*la, * la plus jolie, *cette) et prend (une, une belle, beaucoup de, sa) taule. Les formes qui ne sont pas précédées d’un astérisque ne seraient correctes que dans la mesure où faire prend le sens de construire. Prendre du galon dans " Bouchaib, qui aurait pu prendre du galon dans l’armée comme tant d’autres, préféra la vie simple aux risques et aux honneurs. " veut dire obtenir de l’avancement, avoir une promotion, elle prend aussi le sens de monter en grade. C’est le sens qu’a également la suite gagner ses galons dans laquelle le substantif galon à pour déterminant l’adjectif possessif « ses ». Prendre du galon ne tolère pas dans sa composition les déterminants : Bouchaib aurait pu prendre (*le, *le plus joli, *un, *un beau, *beaucoup de, *son, *ce) galon.

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Toutes ces transformations lui confèrent un sens complètement différent de son sens préconstruit, prendre un galon, par exemple, peut signifier se l’acheter. Trouver beaucoup d’esprit à qqn dans " Cette histoire fit rire le vieux couple, qui trouvait finalement beaucoup d’esprit à ces jeunots nés ici mais changés par la ville. " ne témoigne pas d’un esprit particulier ou d’une valeur méliorative ou péjorative. Selon le contexte dans lequel elle apparaît, elle prend le sens d’avoir de l’audace et le sens de l’humour. Cette collocation peut prendre d’autres déterminations : Trouver (*l, *l-malin, *un, un (l’)-de chapelle, *leur, *ces) esprit à qqn. Trouver de l’esprit de chapelle à qqn veut dire lui trouver une mentalité collective propre à lui et à son groupe restreint. Esprit entre dans la composition d’innombrables expressions et prend différentes déterminations : Locution avoir l’esprit aux talons ouvrir l’esprit

Déterminant l’article défini « le » //

avoir de l’esprit comme quatre, l’article partitif « de » comme un démon // faire de l’esprit rendre ses esprits

l’adjectif possessif « ses »

les beaux esprits se rencontrent l’article défini « le » au pluriel

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Sens être sot ou inattentif au point de commettre des prévues rendre capable de mieux comprendre, de sentir qqch être très intelligent manifester son aptitude à être spirituel se remettre d’une vive émotion, d’une surprise esprit ici signifie, d’après A. Rey et S. Chantreau (2007, p.332) « personne, par métonymie. cette phrase proverbiale se dit volontiers quand deux personnes expriment la même chose, la même idée, ou font la même chose. »

II. 1. 2. 5- Les collocations à adjectif possessif Laisser sa peau dans " Tu aurais pu y laisser ta peau. " veut dire y laisser sa vie ; mourir. Le substantif peau en coprésence avec laisser ne prend pas tous les déterminants : Tu aurais pu y laisser (*la, la-de fesses, *une, *une-de vache, *de la, *tant de, *ta-de vache, cette-de vache) peau. → Laisser la peau de fesse à qqch (se crever, se trouer, se fatiguer énormément) Peau figure dans de nombreuses expressions et a : - L’article défini « la » : avoir la peau de quelqu’un (le vaincre, le battre) - L’adjectif possessif « sa » : → être bien ou mal dans sa peau (supporter sa situation, sa personnalité) → risquer sa peau (sa vie) → tenir à sa peau (à sa vie). Bouffer son fond de commerce dans " N’entends-tu pas dire souvent : « Untel a bouffé son fond de commerce » " indique une personne qui a liquidé tout son argent en alcool et en putes. Le mot fond ne prend que les déterminants : - L’article défini « le » : Untel a bouffé le fond de commerce - L’article indéfini « un-modif » : Untel a bouffé un fond de commerce qui n’est pas à lui - Un article intensif : Untel a bouffé beaucoup de fonds de commerce - Un démonstratif : Untel a bouffé ce fond de commerce qui ne lui appartenait pas En cooccurrence avec d’autres bases verbales, le substantif prédicatif fond a : - L’article zéro : faire fond sur (mettre sa confiance dans) - L’article défini « le » : toucher le fond (être dans la pire situation, au plus bas) - L’article indéfini « un-modif » : avoir un bon fond (avoir une personnalité morale, une bonté et une honnêteté foncière) - L’adjectif possessif « ses » : user ses fonds de culotte sur les bancs de l’école (être à l’école).

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Prendre son temps dans " Il prenait son temps, mais il ignorait qu’il était stérile." signifie que cette personne n’était pas pressée, elle agissait sans hâte. Cette même expression prend aussi une valeur péjorative (gaspiller son temps inutilement, en partie à ne rien faire). En coexistence avec prendre, temps a les déterminants : - L’article défini « le-modif » : Il prenait le temps nécessaire pour faire qqch - Le déterminant « un-modif » : Il prenait un temps précieux à qqn - Un article intensif : Il prenait beaucoup de temps à faire qqch et ne prend pas : - L’article défini « le » : *Il prenait le temps - Le déterminant « un » : *Il prenait un temps - L’article partitif « de » : *Il prenait du temps - Un démonstratif : *Il prenait ce temps. En s’unissant à d’autres verbes, temps a aussi l’article défini « le » dans trouver le temps long (s’ennuyer) et l’article indéfini « un » dans n’avoir qu’un temps (être provisoire ; ne pas durer). II. 1. 2. 6- Les collocations à adjectif numéral cardinal Avoir mille tours dans son sac dans " Le sort implacable qui a mille tours dans son sac s’en mêle. " coïncide avec la locution avoir plus d’un tour dans son sac qui correspond à être rusé, habile. Vu que le sujet de notre exemple est abstrait, avoir mille tour dans son sac prend le sens de changer sans crier gare le cours des événements ; tour ici conserve son sens littéral, par contre sac acquiert un sens figuré. A. Rey et S. Chantreau (2007, p. 764) précisent que sac « symbolise ici les ressources dans lesquelles on puise pour faire face, l’inventivité qui permet de parer à toute éventualité. » Dans cette combinaison, mille a une détermination quasi figée, il ne prend pas : - L’article défini « le » : *Le sort implacable qui a le tour dans son sac s’en mêle - L’article défini « le-modif » : *Le sort implacable qui a le tour d’un verre dans son sac s’en mêle - Le déterminant « un » : *Le sort implacable qui a un tour dans son sac s’en mêle

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- Le déterminant « un-modif » : *Le sort implacable qui a un tour de roue dans son sac s’en mêle - L’article partitif « de » : *Le sort implacable qui a du tour dans son sac s’en mêle - Un démonstratif : *Le sort implacable qui a ces tours dans son sac s’en mêle - Un possessif : *Le sort implacable qui a ses tours dans son sac s’en mêle mais il a : - Un article intensif : Le sort implacable qui a beaucoup de tours dans son sac s’en mêle En cooccurrence avec d’autres bases verbales, mille prend : - L’article zéro dans le donner en mille (mettre quelqu'un au défi de deviner) - L’article défini « le » dans mettre dans le mille (atteindre avec précision l’objectif fixé ; tomber juste). Sur le plan syntaxique, en plus d’une certaine liberté relative à l’actualisation des suites verbales de par la conjugaison des verbes qu’elles comprennent, ces dernières peuvent également être actualisées de par leur détermination. La distribution des différents déterminants diffère d’une collocation à une autre, voire d’une classe à une autre, selon non seulement la classe sémantique du substantif mais aussi selon la nature du verbe support. L’absence ainsi que l’impossibilité de détermination ont fait des collocations à article zéro des séquences quasi figées. Viennent ensuite les collocations à adjectif numéral et celles comprenant un adjectif possessif. L’adjectif numéral mille dans la suite avoir mille tours dans son sac ne commute avec aucun autre adjectif de même type. L’adjectif possessif, quant à lui, dispose de plus de liberté dans la mesure où il peut être remplacé par d’autres adjectifs de même nature à la seule condition de s’accorder avec le sujet choisi. Les collocations comportant, dans leur composition, soit un article défini, soit un article indéfini s’avèrent comme étant les moins figées, et par conséquent les plus libres. Elles se prêtent à plusieurs manipulations. Leur détermination n’est donc contrainte que dans une certaine mesure. Qu’elle soit possible ou pas, la

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détermination ne témoigne pas uniquement d’un certain degré de figement syntaxique, mais elle a également un certain effet sur les deux plans lexical et sémantique. Toute collocation dispose au préalable d’un sens premier qui peut être préconstruit et difficile à prédire (veiller au grain), transparent, c’est-à-dire compositionnel et prédictible à partir du sens des éléments constitutifs (tirer profit, prendre l’air), ou quelque peu opaque mais perceptible en réception (tourner en rond, perdre la vie). L’actualisation du substantif prédicatif de par un ensemble de déterminants révèle que les multiples et diverses lectures que peut avoir telle ou telle collocation dépendent de l’usage que l’on fait de cette dernière et des modifications à apporter. Prendre du galon, à titre d’illustration, a un sens préconstruit, opaque qui est avoir une promotion, mais elle peut se lire de façon compositionnelle (s’acheter du galon). Avec cette dernière lecture, cette même suite prend le déterminant « un-modif » ; prendre un joli galon veut dire s’acheter un beau ruban. Dans ce dernier cas, on apporte, sur le plan sémantique, plus de précision à la phrase. D’autres collocations peuvent s’interpréter, selon le contexte, de différentes façons, d’un côté, elles ont une valeur méliorative, de l’autre une péjorative. Ceci est le cas de l’exemple prendre son temps. En matière de lexique, la question est aussi d’importance. La synonymie est florissante ; elle ne nuit pas à l’interprétation des différentes suites et donne naissance à des variantes expressives, on trouve dans ce sens : faire le vide dans son esprit/faire le vide autour de soi se fondre dans la foule/se fondre dans la masse/se fondre dans la nature avoir plus d’un tour dans son sac/avoir mille tours dans son sac en connaître un bout/en savoir un bout fuir un danger/fuir une mort certaine D’autres cas de figure font l’objet d’un changement de catégorie. A force d’apparaître avec les verbes laisser et travailler, les locutions prépositive en plan et

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adverbiale d’arrache-pied ont fini par adopter un autre emploi dit verbal et s’intégrer dans la catégorie des collocations verbales. En dépit du sens que prend la collocation, les éléments constitutifs contribuent de prés ou de loin à la constitution d’un sens unique à toute la suite. Ils peuvent perdre leur sens littéral et prendre un autre qui leur est préconisé par la base, ou participer avec leur sens le plus général à la construction de ce sens global. II. 1. 3- Blocage des transformations Distinguer les locutions des constructions verbales ordinaires est difficile, car elles se ressemblent toutes et ont une structure interne standard, c’est pourquoi effectuer une analyse permettant de mettre en lumière cette distinction, de par le degré de figement, paraît essentiel. Plus la locution est figée et moins elle a de propriétés transformationnelles. Nous envisageons les transformations suivantes : le passif, l’extraction, le détachement, la pronominalisation, la relativation et l’interrogation. Il faut signaler que les collocations que nous examinons seront réécrites de façon à pouvoir préciser si la phrase prend ou pas ces différentes formes. II. 1. 3. 1- Le passif On note – entre les verbes transitifs exprimant un poids, une mesure ou un prix et les expressions figées – un point commun. Ils n’ont pas de passif, c’est pourquoi, la passivation à elle seule ne représente pas une propriété suffisante. Son absence, d’après Gross (1996, p. 84), « ne détermine pas nécessairement une structure figée », et sa présence donne la possibilité de voir jusqu’à quel point la collocation est libre ou figée. Donc, elle permet quand même d’avoir une certaine idée sur le degré de figement.

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La collocation

Sa classe

Ces effrontés n’avaient cure des fumeurs

Il a fait de la taule Bouchaib aurait pris du galon Le vieux couple, qui trouvait finalement beaucoup d’esprit à ces jeunots Tu aurais pu y laisser ta peau Untel a bouffé son fond de commerce Il prenait son temps

à article défini

*Les ficelles étaient tirées par les riches / *Les pieds n’y étaient pas remis par Bouchaïb pour tout l’or du monde *Les doigts de beaucoup avaient été mordus par beaucoup *Le diable est tiré par la queue / /

à article indéfini

Il tire le diable par la queue Bouchaib, qui était un Anflouss, veillait au grain Les Français mirent au pas les bandits coriaces On fuit une mort certaine Bouchaib en savait un bout sur les mécanismes sismologiques Le cheptel en avait pris un coup sérieux Ce vieux filou a touché un gros paquet

*Cure des fumeurs n’était pas eue par ces effrontés *Ombrage n’était pas pris par le vieux couple *Profit est tiré de tout par ces démons d’Européens *Chemin a été rebroussé par le pauvre type *Sang et eau sont sués par le villageois pour s’y adapter / /

à article partitif

Le villageois sue sang et eau pour s’y adapter Bouchaïb avait mis en garde son épouse contre les camelots et leur engeance La désertification prend d’assaut les sols Les riches tiraient les ficelles Bouchaïb fait tourner la baraque Bouchaïb n’y remettait pas les pieds pour tout l’or du monde Beaucoup s’en sont mordu les doigts

à adjectif possessif

Ces démons d’Européens tirent profit de tout Le pauvre type a donc rebroussé chemin

à article zéro

Le vieux couple ne prenait pas ombrage

Sa transformation

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*Une mort certaine est fuie *Un bout sur les mécanismes sismologiques en était su par Bouchaïb *Un coup sérieux en avait été pris par le cheptel *Un gros paquet a été touché par ce vieux filou / / Beaucoup d’esprit était trouvé par le vieux couple à ces jeunots *Ta peau aurait pu y être laissée par toi *Son fond de commerce a été bouffé par Untel *Son temps était pris par lui

à adjectif numéral

Le sort implacable qui a mille tours dans son sac s’en mêle

*Mille tours dans son sac est eu par le sort implacable qui s’en mêle

II. 1. 3. 2- L’extraction L’extraction est définie par Gross (1996, p. 85) comme « un changement de structure qui s’applique à un argument (sujet ou objet) quand il s’agit, dans un paradigme donné, d’opposer deux éléments. » Pour illustrer cette notion, il donne l’exemple de : C’est l’élève qui a sifflé et non le surveillant (élève et surveillant appartiennent à la même classe d’objets). Telle qu’elle est définie ci-dessus, l’extraction a l’air de s’appliquer uniquement aux syntagmes ordinaires. Avec les collocations, elle s’emploie de la façon suivante : Il a pris la mouche veut dire se fâcher brusquement pour un sujet peu important. Après extraction, elle donne *c’est la mouche qu’il a prise (emploi incorrect). Bien qu’il y ait, d’après Gross (1996, p. 85), a priori une contradiction entre l’extraction et les locutions verbales qui ne forment pas de classes d’objets, il est toujours indispensable de vérifier pour confirmer cette hypothèse. Dans le cheptel avait pris un coup sérieux, l’extraction donne c’est un coup sérieux que le cheptel avait pris. Le sens que prend d’habitude cette expression est subir un mauvais traitement et avoir d’importantes conséquences. Ce sens n’est pas altéré par ce procédé et pourtant c’est une locution verbale dont le substantif ne forme pas de classe. Donc, il est toujours utile d’appliquer ce critère aux collocations pour mesurer leur degré de figement.

101

La collocation

Sa classe

Ces effrontés n’avaient cure des fumeurs

Ce vieux filou a touché un gros paquet Il a fait de la taule Bouchaib aurait pris du galon Le vieux couple, qui trouvait finalement beaucoup d’esprit à ces jeunots Tu aurais pu y laisser ta peau Untel a bouffé son fond de commerce Il prenait son temps

à article défini à article indéfini

Il tire le diable par la queue Bouchaib, qui était un Anflouss, veillait au grain Les Français mirent au pas les bandits coriaces On fuit une mort certaine Bouchaib en savait un bout sur les mécanismes sismologiques Le cheptel en avait pris un coup sérieux

à article partitif

Le villageois sue sang et eau pour s’y adapter Bouchaïb avait mis en garde son épouse contre les camelots et leur engeance La désertification prend d’assaut les sols Les riches tiraient les ficelles Bouchaïb fait tourner la baraque Bouchaïb n’y remettait pas les pieds pour tout l’or du monde Beaucoup s’en sont mordu les doigts

à adjectif possessif

Ces démons d’Européens tirent profit de tout Le pauvre type a donc rebroussé chemin

à article zéro

Le vieux couple ne prenait pas ombrage

102

Sa transformation *C’est cure que ces effrontés n’avaient pas des fumeurs *C’est ombrage que le vieux couple ne prenait pas *C’est profit que ces démons d’Européens tirent de tout *C’est chemin que le pauvre type a donc rebroussé *Ce sont sang et eau que le villageois sue pour s’y adapter *C’est en garde que Bouchaïb avait mis son épouse contre les camelots et leur engeance *C’est d’assaut que la désertification prend les sols *Ce sont les ficelles que les riches tiraient *C’est la baraque que Bouchaïb fait tourner *Ce sont les pieds que Bouchaïb n’y remettait pas pour tout l’or du monde *Ce sont les doigts que beaucoup s’en sont mordus *C’est le diable qu’il tire par la queue *C’est au grain que, Bouchaib, qui était un Anflouss veillait *C’est au pas que les Français mirent les bandits coriaces C’est une mort certaine qu’on fuit *C’est un bout sur les mécanismes sismologiques que Bouchaib en savait C’est un coup sérieux que le cheptel en avait pris C’est un gros paquet que ce vieux filou a touché *C’est de la taule qu’il a fait *C’est du galon que Bouchaib aurait pris *C’est beaucoup d’esprit que le vieux couple trouvait finalement à ces jeunots C’est ta peau que tu aurais pu y laisser C’est son fond de commerce qu’Untel a bouffé *C’est son temps qu’il prenait

à adjectif numéral

Le sort implacable qui a mille tours dans son sac s’en mêle

*Ce sont mille tours que le sort implacable a dans son sac

II. 1. 3. 3- Le détachement Le détachement est une transformation qui permet de mettre l’accent sur un élément de la suite. Dans la plupart des cas, ce « type particulier de mise en évidence qui est assez proche de la focalisation », comme le définit Gross (1996, p. 85), ne fonctionne que si le nom est précédé d’un article défini. Avec un article indéfini, le détachement ne fait ses preuves que dans la mesure où il y a reprise par le pronom . Sa transformation *Cure des fumeurs, ces effrontés n’en avaient pas *Ombrage, le vieux couple ne le prenait pas

à article zéro

Ces effrontés n’avaient cure des fumeurs Le vieux couple ne prenait pas ombrage Ces démons d’Européens tirent profit de tout Le pauvre type a donc rebroussé chemin Le villageois sue sang et eau pour s’y adapter Bouchaïb avait mis en garde son épouse contre les camelots et leur engeance La désertification prend d’assaut les sols Les riches tiraient les ficelles Bouchaïb fait tourner la baraque Bouchaïb n’y remettait pas les pieds pour tout l’or du monde Beaucoup s’en sont mordu les doigts Il tire le diable par la queue Bouchaib, qui était un Anflouss, veillait au grain Les Français mirent au pas les bandits coriaces

Sa classe

*Profit, ces démons d’Européens savent le tirer de tout *Chemin, le pauvre type l’a rebroussé *Sang et eau, le villageois les sue pour s’y adapter En garde, Bouchaïb avait mis son épouse contre les camelots et leur engeance *D’assaut, la désertification prend les sols

à article défini

La collocation

103

*Les ficelles, les riches les tiraient *La baraque, Bouchaïb la fait tourner *Les pieds, Bouchaïb ne les y remettait pas pour tout l’or du monde *Les doigts, beaucoup se les sont mordus *Le diable, il le tire par la queue *Au grain, Bouchaib, qui était un Anflouss veillait *Au pas, les Français mirent les bandits coriaces

Le sort implacable qui a mille tours dans son sac s’en mêle

à article indéfini à article partitif à adjectif à adjectif numéral possessif

On fuit une mort certaine Bouchaib en savait un bout sur les mécanismes sismologiques Le cheptel en avait pris un coup sérieux Ce vieux filou a touché un gros paquet Il a fait de la taule Bouchaib aurait pris du galon Le vieux couple, qui trouvait finalement beaucoup d’esprit à ces jeunots Tu aurais pu y laisser ta peau Untel a bouffé son fond de commerce Il prenait son temps

*Une mort certaine, on la fuit *Un bout sur les mécanismes sismologiques, Bouchaib le savait Un coup sérieux, le cheptel l’avait pris *Un gros paquet, ce vieux filou l’a touché De la taule, il en a fait *Du galon, Bouchaib en aurait pris *Beaucoup d’esprit, le vieux couple en trouvait à ces jeunots *Ta peau, tu l’aurais laissée Son fond de commerce, Untel l’a bouffé *Son temps, il le prenait *Mille tours dans son sac, le sort implacable les a

II. 1. 3. 4- La pronominalisation La pronominalisation est un procédé assez proche aussi de l’anaphore. Il consiste d’après J. Dubois (1994, p. 383) en le remplacement d’ « un syntagme nominal par un pronom. » La collocation

Sa classe

Ces démons d’Européens tirent profit de tout Le pauvre type a donc rebroussé chemin Le villageois sue sang et eau pour s’y adapter Bouchaïb avait mis en garde son épouse contre les camelots et leur engeance La désertification prend d’assaut les sols

à article zéro

Ces effrontés n’avaient cure des fumeurs Le vieux couple ne prenait pas ombrage

Sa transformation *Ces effrontés n’en avaient pas (cure) *Le vieux couple n’en prenait pas (ombrage) *Ces démons d’Européens le tirent (profit de tout) *Le pauvre type l’a donc rebroussé (chemin) *Le villageois les sue pour s’y adapter (sang et eau) *Bouchaïb en avait mis son épouse contre les camelots et leur engeance (garde) *La désertification en prend les sols (d’assaut)

104

Le sort implacable qui a mille tours dans son sac s’en mêle

à article défini à article indéfini à article partitif

Il a fait de la taule Bouchaib aurait pris du galon Le vieux couple, qui trouvait finalement beaucoup d’esprit à ces jeunots Tu aurais pu y laisser ta peau Untel a bouffé son fond de commerce Il prenait son temps

à adjectif possessif

Ce vieux filou a touché un gros paquet

à adjectif numéral

Les riches tiraient les ficelles Bouchaïb fait tourner la baraque Bouchaïb n’y remettait pas les pieds pour tout l’or du monde Beaucoup s’en sont mordu les doigts Il tire le diable par la queue Bouchaib, qui était un Anflouss, veillait au grain Les Français mirent au pas les bandits coriaces On fuit une mort certaine Bouchaib en savait un bout sur les mécanismes sismologiques Le cheptel en avait pris un coup sérieux

*Les riches les tiraient (les ficelles) Bouchaïb la fait tourner (la baraque) *Bouchaïb ne les remettait pas pour tout l’or du monde (les pieds) *Beaucoup se les sont mordus (les doigts) *Il le tire par la queue (le diable) *Bouchaib, qui était un Anflouss, y veillait (grain) *Les Français y mirent les bandits coriaces (pas) *On la fuit (une mort certaine) *Bouchaib le savait (un bout sur les mécanismes sismologiques) *Le cheptel en avait pris un (un coup sérieux) *Ce vieux filou l’a touché (un gros paquet) Il en a fait (de la taule) *Bouchaib en aurait pris (du galon) *Le vieux couple en trouvait à ces jeunots (beaucoup d’esprit) *Tu l’aurais laissée (ta peau) Untel l’a bouffé (son fond de commerce) *Il le prenait (son temps) *Le sort implacable en a (mille tours dans son sac)

II. 1. 3. 5- La relativation D’après Dubois (1994, p. 409), la relativation est « la transformation d’une relative par une transformation qui enchâsse une phrase (phrase constituante) dans le syntagme nominal d’une autre phrase (phrase matrice) au moyen d’un relatif. » Gross (1996, p. 86) estime que cette transformation est « utile pour faire la distinction entre les constructions à verbe support et les locutions verbales. »

105

à article zéro à article défini à article indéfini à article partitif

Ces effrontés n’avaient cure des fumeurs Le vieux couple ne prenait pas ombrage Ces démons d’Européens tirent profit de tout Le pauvre type a donc rebroussé chemin Le villageois sue sang et eau pour s’y adapter Bouchaïb avait mis en garde son épouse contre les camelots et leur engeance La désertification prend d’assaut les sols Les riches tiraient les ficelles Bouchaïb fait tourner la baraque Bouchaïb n’y remettait pas les pieds pour tout l’or du monde Beaucoup s’en sont mordu les doigts Il tire le diable par la queue Bouchaib, qui était un Anflouss, veillait au grain Les Français mirent au pas les bandits coriaces On fuit une mort certaine Bouchaib en savait un bout sur les mécanismes sismologiques Le cheptel en avait pris un coup sérieux Ce vieux filou a touché un gros paquet Il a fait de la taule Bouchaib aurait pris du galon Le vieux couple, qui trouvait finalement beaucoup d’esprit à ces jeunots Tu aurais pu y laisser ta peau Untel a bouffé son fond de commerce Il prenait son temps

Sa classe

à adjectif possessif

La collocation

106

Sa transformation *Cure que ces effrontés n’avaient des fumeurs *Ombrage que le vieux couple ne prenait pas *Profit de tout que ces démons d’Européens tirent *Chemin que le pauvre type a donc rebroussé *Sang et eau que le villageois sue pour s’y adapter *Garde en laquelle Bouchaïb avait mis son épouse contre les camelots et leur engeance *Assaut duquel la désertification prend les sols *Les ficelles que les riches tiraient La baraque que Bouchaïb fait tourner *Les pieds que Bouchaïb n’y remettait pas pour tout l’or du monde *Les doigts que Beaucoup s’en sont mordus *Le diable qu’il tire par la queue *Le grain auquel Bouchaib, qui était un Anflouss veillait *Le pas auquel les Français mirent les bandits coriaces *Une mort certaine qu’on fuit *Le bout que Bouchaib en savait sur les mécanismes sismologiques Un coup sérieux que le cheptel avait pris Un gros paquet que ce vieux filou a touché *De la taule qu’il a fait *Du galon que Bouchaib aurait pris *Beaucoup d’esprit que le vieux couple trouvait à ces jeunots *Ta peau que tu aurais pu y laisser *Son fond de commerce qu’Untel a bouffé *Son temps qu’il prenait

à adjectif numéral

Le sort implacable qui a mille tours dans son sac s’en mêle

*Mille tours dans son sac que le sort implacable a

II. 1. 3. 6- L’interrogation L’interrogation diffère en fonction de l’élément qui sera visé. Cette dernière transformation ne s’applique généralement pas aux collocations verbales.

à article zéro

Bouchaib, qui était un Anflouss, veillait au grain Les Français mirent au pas les bandits coriaces On fuit une mort certaine Bouchaib en savait un bout sur les mécanismes sismologiques Le cheptel en avait pris un coup sérieux Ce vieux filou a touché un gros paquet

Sa transformation → *Q’avaient ces effrontés ? → *Que prenait le vieux couple ? → *Que tirent ces démons d’Européens de tout ? → *Qu’a rebroussé le pauvre type ? → *Que sue le villageois pour s’y adapter ? → *En quoi Bouchaïb l’avait-elle mise ?

à article défini

Ces effrontés n’avaient cure des fumeurs Le vieux couple ne prenait pas ombrage Ces démons d’Européens tirent profit de tout Le pauvre type a donc rebroussé chemin Le villageois sue sang et eau pour s’y adapter Bouchaïb avait mis en garde son épouse contre les camelots et leur engeance La désertification prend d’assaut les sols Les riches tiraient les ficelles Bouchaïb fait tourner la baraque Bouchaïb n’y remettait pas les pieds pour tout l’or du monde Beaucoup s’en sont mordu les doigts Il tire le diable par la queue

Sa classe

→ *De quoi la désertification prend-elle les sols ? → *Que tiraient les riches ? → *Que fait tourner Bouchaïb ? → *Que Bouchaïb ne remettait pas pour tout l’or du monde ? → *Que beaucoup s’en sont mordus ? → *Que tire-t-il ? → *Par quoi tire-t-il le diable ? → A quoi veillait Bouchaïb ?

à article indéfini

La collocation

107

→ A quoi mirent-ils les bandits coriaces ? → Que fuit-on ? → *Qu’en savait Bouchaï sur les mécanismes sismologiques ? → *Qu’en avait pris le cheptel ? → *Qu’a-t-il touché ?

Le sort implacable qui a mille tours dans son sac s’en mêle

à article partitif à adjectif à adjectif numéral possessif

Il a fait de la taule Bouchaib aurait pris du galon Le vieux couple, qui trouvait finalement beaucoup d’esprit à ces jeunots Tu aurais laissé ta peau Untel a bouffé son fond de commerce Il prenait son temps

→ *Qu’a-t-il fait ? → *Q’aurait-il pris ? → Que trouvait finalement le vieux couple à ces jeunots ? → *Qu’aurait-tu pu y laisser ? → Qu’Untel a-t-il bouffé ? → *Que prenait-il ? → *Dans quoi le sort implacable a-t-il mille tours ?

II. 1. 3. 7- Tableau récapitulatif Le tableau qui va suivre contiendra les différentes collocations ainsi que les tests syntaxiques auxquelles elles ont été soumises. Devant la transformation tolérée, nous mettons un + (plus), et devant la transformation à laquel ne répond pas la collocation, il y aura un – (moins). Collocation Ces effrontés n’avaient cure des fumeurs Le vieux couple ne prenait pas ombrage Ces démons d’Européens tirent profit de tout Le pauvre type a donc rebroussé chemin Le villageois sue sang et eau pour s’y adapter Bouchaïb avait mis en garde son épouse contre les camelots et leur engeance La désertification prend d’assaut les sols Les riches tiraient les ficelles Bouchaïb fait tourner la baraque

Passif Extrac Détac tion heme nt

Prono minali sation

Relati vation

Interr ogatio n





























































/



+







/











– /

– –

– –

– +

– +

– –

108

Bouchaïb n’y remettait pas les pieds pour tout l’or du monde Beaucoup s’en sont mordu les doigts Il tire le diable par la queue Bouchaib, qui était un Anflouss, veillait au grain Les Français mirent au pas les bandits coriaces On fuit une mort certaine Bouchaib en savait un bout sur les mécanismes sismologiques Le cheptel en avait pris un coup sérieux Ce vieux filou a touché un gros paquet Il a fait de la taule Bouchaïb aurait pris du galon Le vieux couple, qui trouvait finalement beaucoup d’esprit à ces jeunots Tu aurais pu y laisser ta peau Untel a bouffé son fond de commerce Il prenait son temps Le sort implacable qui a mille tours dans son sac s’en mêle













– – /

– – –

– – –

– – –

– – –

– – +

/









+

– –

+ –

– –

– –

– –

+ –



+

+



+





+





+

+

/ / +

– – –

+ – –

+ – –

– – –

– – +

– – – –

+ + – –

– + – –

– + – –

– – – –

– + – –

Ce qui est commun à toutes ces propriétés transformationnelles, c’est qu’elles dépendent toutes de la nature du déterminant qui précède le substantif. Qu’il soit défini ou indéfini, il y a toujours cette possibilité de transformer la phrase, s’il est par contre absent ou ne prend en charge qu’une partie de la chose ou possessif renvoyant à un sujet bien déterminé, les différentes transformations sont contraintes et altèrent par conséquent le sens. II. 1. 4- Opacité ou transparence sémantique Tutin, Grossmann et Gross ont fait appel à ce paramètre, qu’ils conçoivent différemment, pour répondre à des objectifs distincts. Pour les deux premiers, opacité et transparence sont tributaires du sens et servent de critères de classification, ils permettent de séparer les suites collocationnelles opaques des

109

transparentes ; alors que chez Gross, ces deux notions sont dépendantes aussi des transformations syntaxiques pouvant être tolérées par les collocations, et toutes deux sont considérées comme un des paramètres nécessaires à l’évaluation, avec précision, du degré de figement. Cette mise en rapport des deux domaines syntaxique et sémantique nous a permis de mesurer le degré de figement des collocations et de constater que les verbales, plus particulièrement, se situent sur une échelle de figement allant des collocations complètement opaques aux combinaisons tout à fait transparentes. L’opacité ou la transparence d’une suite collocationnelle dépendent de la liberté fonctionnelle dont elle dispose. Elle est jugée incompréhensible et opaque lorsque le nombre des transformations qu’elle a subies est réduit et son sens n’équivaut pas à l’addition de celui de ses mots formants ; et elle n’est considérée comme transparente que lorsqu’elle répond à un nombre considérable de propriétés transformationnelles. Les collocations à article zéro ainsi que celles comprenant un adjectif numéral sont les plus figées ; elles ne forment pas de classes d’objets et ne tolèrent pas un grand nombre de modifications, sans oublier la substitution qui est contrainte et ne donne naissance à aucun paradigme. Les collocations à article indéfini s’avèrent les plus transparentes, elles ne forment pas non plus de classes d’objets, mais elles se prêtent à beaucoup de manipulations ; sur le plan lexical, la synonymie n’est pas défectueuse et par conséquent l’axe paradigmatique est fonctionnel. Sur le plan syntaxique, elles réagissent de façon positive quant aux différentes transformations. En revanche, la mise en exergue de la typologie établie par Tutin et Grossmann a donné le jour aux résultats rassemblés dans le tableau ci-dessous.

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Collocation opaque

Collocation transparente Collocation régulière

ƒ veiller au grain

ƒ tirer profit

ƒ toucher un gros paquet

ƒ sauter aux yeux

ƒ faire de la taule

ƒ se mordre les doigts

ƒ trier sur le volet

ƒ perdre la vie

ƒ ne pas remettre les pieds

ƒ en savoir un bout sur

ƒ prendre d’assaut

ƒ prendre un coup

ƒ avoir l’embarras du

ƒ tourner en rond

ƒ prendre le frais

ƒ tourner au vinaigre

ƒ fuir une mort certaine

ƒ n’avoir cure de

ƒ crever de faim

ƒ faire le vide dans son

ƒ prendre du galon

ƒ jeter un coup d’oeil

ƒ laisser sa peau

ƒ prendre son temps

ƒ faire tourner la baraque

ƒ voler de ses propres ailes

ƒ manger à sa faim

ƒ se fondre dans la foule

choix

esprit

ƒ prendre ombrage

ƒ se fondre dans la nature

ƒ tirer d’affaire

ƒ suer sang et eau

ƒ tirer les ficelles

ƒ trouver beaucoup d’esprit à

ƒ tirer le diable par la

ƒ bouffer son fond de

queue

commerce

ƒ avoir mille tours dans

ƒ mettre en garde

son sac ƒ mettre en cause

ƒ rebrousser chemin

ƒ mettre au pas

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CHAPITRE III : Les collocations adjectivales et adverbiales III. 1- Les collocations adjectivales Mejri (1997, p. 402) pense que la classe des adjectifs composés traduit cette tendance qui consiste à « consacrer les combinaisons assurant une meilleure expression en rendant compte d’un aspect de la réalité que les autres unités simples ou courantes ne traduisent pas de façon adéquate. », c’est pourquoi faire une description morphologique et sémantique des adjectivaux parait nécessaire pour préciser les points qui les rattachent aux autres types de séquences et ceux qui les en distinguent. Pour ce faire, Gross nous propose de commencer par dresser une liste des différents types d’adjectivaux. III. 1. 1- Typologie des adjectivaux La typologie des adjectifs composés établie comprend, selon Gross (1996, p. 93), près de 250 moules de formation d’adjectivaux, dont « la complexité structurelle est beaucoup plus grande que ne le laissent entendre les grammaires. » Dans ce qui va suivre, nous nous contentons de citer uniquement les types auxquels appartiennent les collocations adjectivales que nous examinerons. III. 1. 1. 1- Adjectifs construits sur une préposition III. 1. 1. 1. 1- Préposition « à » à flot à l’abri aux abois à tout-va à tout faire III. 1. 1. 1. 2- Préposition « de » de tout poil d’esprit III. 1. 1. 1. 3- Préposition « en » en crue

112

III. 1. 1. 2- Adjectifs construits sur un adjectif plein à craquer III. 1. 1. 3- Adjectifs construits sur un nom monnaie courante III. 1. 1. 4- Adjectifs construits sur un participe armé jusqu’aux dents III. 1. 2- Analyse syntaxique interne Tout au long de cette analyse, nous allons faire appel à tous les éléments pouvant entourer tel ou tel adjectif composé, il s’agit bien évidemment de verbes supports, de variantes ou de combinaisons supports. Nous envisageons pour les adjectivaux de type N est à N les transformations suivantes (VW désigne un verbe et son complément) : N est à N

N a Dét N

Il y a Dét N dans N *le dollar a un *il y a un flot flot dans le dollar

le dollar est à flot (à flot : sorti des difficultés) le colonialiste était *il avait des aux abois abois (aux abois : dans une situation morale ou matérielle désespérée) il était à l’abri il a un abri (à l’abri : dans un lieu protégé)

NV à N le dollar coule à flot

NVW au passif *le dollar est coulé à flot

*il y a des abois après lui

*il entend des abois

il est aboyé par qqn

il y a un abri pour lui

il se met à l’abri

il est abrité du vent

III. 1. 3- Adjectifs composés variables Les collocations être à flot, être aux abois et être à l’abri ont toutes pour verbe support être. Ce dernier ne permet pas aux substantifs flot, abois et abri de prendre d’autres déterminants : *être à un flot *être au flot *être à un abri 113

*être à un aboi *être à l’aboi mais il permet, par contre, à d’autres locutions de prendre des formes passives : il est abrité du vent il est armé jusqu’aux dents. Avec la variante il y a, d’autres modifications peuvent être observées, à savoir la prise de nouveaux déterminants et prépositions : il y a un bon abri pour lui. De la paraphrase syntaxique par le verbe avoir qui n’est tolérée que par l’expression être à l’abri : il a un abri *le dollar a un flot *il avait des abois à la paraphrase sémantique où il y a une possibilité de commutation quant au verbe être qui peut être remplacé par : être à flot → couler à flot être à l’abri → se mettre à l’abri. Ce qui se confirme ici, c’est qu’entre les différentes formes prises par une suite et sa forme originale, « il n’y a pas d’équivalence totale dans l’interprétation », note Gross (1996, p. 99). Les deux collocations adjectivales à flot et aux abois sont, selon la typologie esquissée par Tutin et Grossmann, opaques ; le collocatif flot perd son sens littéral et acquiert un autre qui s’avère vague, quant à abois, il n’existe que dans cette association et a un sens ambigu. La suite à l’abri est transparente, abri est un collocatif à un sens littéral et facilement compréhensible. D’esprit dans " un homme d’esprit " ne renvoie pas à un esprit particulier, il prend tout simplement le sens de manifester de la repartie. Un sens qui n’est pas à cent pour cent transparent, mais il est, quand même, déductible. La suite adjectivale d’esprit est donc à classer avec les collocations régulières.

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La locution adjectivale d’esprit peut être remplacée par l’adjectif simple spirituel, sauf que là, le nom-base esprit, comme le précise Mejri (1997, p. 406), « perd tout ce que lui conférait son statut de nom », c’est-à-dire sa détermination, sa fonction surtout qu’il est le seul, d’après M. Arrivé, F. Gadet et M. Galmiche (2005, p. 404), à « pouvoir désigner les entités sur lesquelles peuvent porter les prédications », et aussi son sens dans la mesure où il ne devient qu’un simple élément participant par son contenu sémantique, en cooccurrence avec d’autres mots, à la construction d’un sens adéquat à la nouvelle unité à composer. Ceci, comme le note Mejri (1997, p. 406) avec l’exemple de président → présidentielle demeure impossible dans le SP, où le nom président conserve sa configuration nominale puisqu’il renvoie à un référent précis (d’où le déterminant), et peut varier en genre et en nombre, etc. ; ce que l’adjectif est incapable de traduire dans cette construction : du président la voiture

de la présidente

mais la voiture présidentielle.

des présidents Ceci peut concerner esprit dans la mesure où ce mot prend le sens d’être immatériel, revenant, fantôme, qui est supposé se manifester sur terre : château hanté par les esprits. Une fois esprit désigne la partie incorporelle de l’être humain, par opposition au corps, à la matière, il a une valeur plurielle et n’a pas à varier en genre et en nombre, c’est le cas de Bouchaïb trouvait beaucoup d’esprit à ces jeunots, esprit ne prend pas un (s). Ce qui vient d’être dit à propos du nom esprit s’applique parfaitement aux autres mots qui, lorsqu’ils changent de statut, leurs propriétés syntaxiques et sémantiques se réduisent. Pour illustration, prenons la suite à tout-va qui sera analysée dans les prochains paragraphes.

115

III. 1. 4- Adjectifs composés figés Les autres adjectivaux ont un point commun qui veut qu’ils soient tous figés syntaxiquement, mais sur le plan sémantique, ils peuvent être répartis en deux groupes, le premier comporte ceux ayant un sens compositionnel, facilement compréhensible et sont par conséquent appelés transparents, et le second ceux ayant un sens figé et sont, dans ce cas, opaques. - A tout faire, adjectif construit lui aussi sur la préposition « à », il fait partie du premier groupe et désigne dans la phrase c’est leur homme à tout faire une personne qui est employée à n’importe quelle besogne. - En crue est construit sur la préposition « en ». Il appartient également au premier groupe et prend dans la suite braver le torrent en crue le sens d’affronter le torrent au moment où le niveau du cours d’eau s’est élevé. - Plein à craquer est construit, quant à lui, sur un adjectif. Dans la phrase les prisons sont pleines à craquer renvoie à des prisons trop remplies. Les suites correspondant au deuxième groupe sont : - A tout va, adjectif construit également sur la préposition « à », il a dans la suite semer à tout va en parlant des parents qui n’ont aucun pouvoir sur leur progéniture le sens de faire les choses n’importe comment. Cet adjectif peut prendre le sens de inconsidéré ou abusif comme dans la phrase protester contre l’emploi d’engrais chimique à tout va. Cette suite, bien qu’elle ait une structure syntaxique complexe, son sens est déductible et peut se comprendre à partir du sens des mots formants. Dans cette locution, va est une des formes que prend le verbe aller qui veut dire se mouvoir d’un lieu vers un autre. Ici, va a changé de statut, il ne fonctionne plus comme un verbe et n’a pas les propriétés d’un verbe conjugué. C’est plutôt un élément simple qui entre dans la formation d’une nouvelle unité et contribue à la constitution de son sens global. Va et tout sont aussi les éléments d’une autre locution nominale : un va-tout. Jouer son va-tout veut dire tout risquer. D’après A. Rey et S. Chantreau (2007, p. 782),

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cette locution « vient des jeux de cartes et signifie d’abord « tout miser en une seule fois ». La métaphore s’apparente à celle de jouer, risquer le tout pour le tout, jouer sa dernière carte. » - L’adjectif composé sur la préposition « de », de tout poil veut dire de toutes sortes, de tous les genres. Fuir de tout poil signifie fuir de toute espèce. Le substantif poil construit avec la même préposition une autre locution adjectivale, il a dans de bon (mauvais) poil (d’excellente ou de méchante humeur) le déterminant « un-modif ». Exemples : lui, au moins, est toujours de bon poil elle est de mauvais poil ce matin. Avec la préposition « à », il donne aussi naissance à d’autres locutions de même nature : à poil veut dire dans un état de nudité complète mettez-vous à poil, les petits gars ! au poil : parfait dans son genre une actrice vraiment au poil. Tous les adjectifs contenant le mot poil ont un sens figé qui ne peut se déduire à partir des autres éléments qui les composent, et encore moins du sens que peut prendre le mot poil lui-même. Donc, toutes les collocations sont jugées opaques. - Monnaie courante est construit sur un nom, il a lui aussi un sens complètement opaque, rien dans la phrase les exécutions sommaires étaient monnaie courante ne permet de prédire le sens du mot monnaie, on ne peut pas pour autant savoir que l’adjectif dans sa totalité signifie chose habituelle, très banal ; pratique courante. La collocation est à classer, dans ce cas, avec les opaques. - Le sens d’armé jusqu’aux dents n’est pas entièrement opaque et il n’est pas non plus compositionnel à cent pour cent, il peut être déduit en partie à partir des éléments constitutifs, sinon l’autre moitié du sens peut être devinée à partir du contexte dans lequel apparaît cette collocation, elle est alors considérée comme étant régulière.

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En guise de conclusion, nous préférons mettre en lumière les autres points distinguant les adjectifs composés des simples ; et sur lesquels sont revenus M. Arrivé, F. Gadet et M. Galmiche (2005, p. 34). Les adjectifs sont aptes à marquer le degré de la qualité signifiée : un livre très intéressant, tandis que cette possibilité est interdite aux adjectivaux : *il est très à l’abri. Les adjectifs simples fonctionnent comme un attribut : ce livre parait intéressant, ceci n’est pas le cas des composés qui ne le peuvent généralement pas : le pape, chef spirituel des catholiques ne donne pas *le pape est spirituel. III. 2- Les collocations adverbiales Les adverbes constituent de loin la partie du discours la plus hétérogène, c’est

pourquoi il est difficile de la cerner et de mettre au point un ensemble de critères rendant compte de tous les emplois des adverbes qu’ils soient simples ou composés. Dans notre étude, nous nous limitons plus particulièrement à la description des suites à structure SP. Leur nombre est assez représentatif pour nous fournir une image réelle de cette catégorie disparate. D’autre part, ce type de suites renferment des locutions ayant, en plus de leur emploi adverbial, un emploi adjectival. Ces séquences à double fonction nous permettront également de mettre au jour des points communs ainsi que des points divergents marquant les frontières des adverbes et les distinguant des autres parties du discours. III. 2. 1- Les séquences à structure SP III. 2. 1. 1- Les séquences à deux emplois Nous en comptons cinq, nous les présentons dans le tableau ci-après : Locution à flot à l’affût à l’heure à pic à tout-va

Emploi adverbial mettre un voilier à flot les gendarmes embusqués se tiennent à l’affût il s’est dépêché pour arriver à l’heure tomber à pic pour le dessert déréguler à tout-va

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Emploi adjectival il peut se réjouir, il est à flot un détective à l’affût le professeur est pile à l’heure la paroi est à pic protester contre l’emploi d’engrais à tout-va

Que la fonction qu’ils remplissent soit adverbiale ou adjectivale, ces adverbes composés se ressemblent de par leur structure syntaxique, et diffèrent, à première vue, du point de vue sémantique. Dans le but d’expliquer à quoi est dû ce transfert catégoriel, nous allons dans un premier temps mettre l’accent sur le mot en cooccurrence avec la préposition « à ». Sur le plan sémantique, nous verrons si ce mot gardera son sens individuel ou le perdra à la faveur d’un sens unique pour toute la suite. Sur le plan syntaxique, nous ferons une liste des différentes places qu’il peut occuper au sein des phrases dans lesquelles apparaîtra l’adverbe en question. En coexistence avec la préposition « à », le terme flot, dans ses deux emplois, garde son sens littéral qui, dans le domaine de la marine, désigne quelque chose de flottant sur l’eau, comme dans mettre un voilier à flot avec un emploi adverbial, ou dans il a une collection de deux cents bateaux à terre et de quarante bateaux à flot avec un emploi adjectival ; d’autre part, ce même terme peut recevoir un autre sens, dans remettre un pays à flot, c’est un adverbe qui signifie remettre en bon état de fonctionnement, dans il peut se réjouir, il est à flot, c’est un adjectif et renvoie à une personne qui est sortie des difficultés. Affût : endroit où l'on se cache pour surprendre le gibier, une proie

Emploi adverbial les gendarmes embusqués se tiennent à l’affût (en poste d’observation)

Emploi adjectival des chasseurs à l’affût (qui attendent et guettent attentivement)

En s’ajoutant à « à », affût peut se mettre directement après le sujet, comme il peut prendre place juste après le verbe. Dans ces deux emplois, il adopte un sens qui n’est pas tout à fait nouveau et renvoie, en partie, à son sens propre. Le sens global de la suite reste prédictible et peut se deviner à partir du sens propre du substantif affût. Heure : Emploi adverbial période de temps correspondant il s’est dépêché pour arriver à à soixante minutes l’heure (d’une façon ponctuelle)

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Emploi adjectival le professeur est pile à l’heure (exact dans ses horaires ou au rendez-vous, ponctuel)

Tout comme affût, heure renvoie toujours à cette notion du temps, quant au sens exprimé par l’adverbe, dans sa totalité, il est toujours aussi prédictible. Du point de vue de son emplacement, il jouit d’une certaine liberté dans la mesure où il peut se mettre devant un nom, un adjectif ou un verbe. Pic : éminence montagneuse en forme de pointe

Emploi adverbial la paroi tombe à pic (d’une façon escarpée) tomber à pic pour le dessert (au moment approprié)

Emploi adjectival la paroi est à pic (qui est en pente raide, escarpée)

A pic est souvent précédé d’un verbe. Dans ces deux premiers emplois, pic garde en quelque sorte son sens propre, il a toujours une relation avec quelque chose en forme de pointe. Dans tomber à pic pour le dessert, pic acquiert un sens qui n’a aucun rapport avec celui qu’il prend habituellement. Il est donc opaque. Tout-va : tout : suivi d'un article, sert de déterminant complémentaire et signifie : entier ou dans son intégralité va : forme conjuguée du verbe aller

Emploi adverbial déréguler à tout-va (sans restriction ou sans discernement)

Emploi adjectival protester contre l’emploi d’engrais à tout-va (inconsidéré ou abusif)

Vu qu’elle prend plusieurs places, à tout-va est considérée comme étant libre. Du point de vue sémantique, son sens n’est pas entièrement opaque, il est en quelque sorte compositionnel et peut être prédit à partir des éléments constituant la phrase dans laquelle peut apparaître cette suite. Nous constatons que le premier critère qui se résume au contenu sémantique véhiculé par la séquence adverbiale ne représente pas à lui seul un élément d’explication suffisant, c’est pourquoi, pour élucider davantage ce phénomène catégoriel, nous allons, dans ce qui suit, procéder à la vérification de l’hypothèse émise par Mejri (1997, p. 424). Cette dernière repose, d’un côté, sur la prolongation du premier critère de façon à voir comment le contenu sémantique peut changer de configuration selon qu’il détermine un nom, ou sert de complément à un verbe ou

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un adjectif ; de l’autre, sur la nature du support. Configuration interne et nature du support seraient donc, selon Mejri, les deux éléments explicatifs du phénomène. Pour illustrer cette hypothèse, Mejri a choisi un adjectif pour préciser davantage comment le transfert catégoriel fait partie de la structure même de certains adjectifs : Le péril rouge Dites, maman, c’est un rouge, cet instituteur ? Voilà ce que c’est de voter rouge Dans le premier exemple, il s’agit d’un adjectif qui fournit une caractérisation durable du substantif auquel il s’ajoute. Dans le second, le nom rouge renvoie à une entité bien délimitée. Dans le troisième, l’adjectif est employé comme adverbe, il a le sens de révolutionnaire et communiste. Mejri conclut en affirmant que « si le nom tire son autonomie essentiellement de son pouvoir référentiel, l’adjectif et l’adverbe se définissent aussi par rapport aux éléments qu’ils complètent. » L’adverbe à l’heure fait aussi preuve de polyvalence. Dans les exemples cidessous : Il s’est dépêché pour arriver à l’heure Etre payé à l’heure Mets ton réveil à l’heure la liberté dont jouit l’adverbe est contrainte surtout sur le plan sémantique, le mot heure porte toujours en lui cette notion du temps qui se trouve limitée, dans chaque exemple, par le sens des éléments qui l’entourent. Dans la première phrase, l’adverbe à l’heure détermine un verbe et prend le sens de de façon ponctuelle. Ce même verbe peut être sujet de la phrase une arrivée à l’heure. Dans la deuxième, il détermine un participe passé employé comme adjectif et renvoie aux soixante minutes ; et dans la troisième, c’est d’un nom qu’il s’agit et l’adverbe ici sert de complément au verbe mettre.

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Ce qui vient d’être dit pour l’adjectif rouge et l’adverbe à l’heure est valable aussi pour certains noms tel que cul-de-sac qui peut servir d’adjectif et même d’adverbe en se joignant à la préposition « en » : Exemple le chemin ne va pas plus loin, c’est un culde-sac des questions cul-de-sac qui ne menaient qu’à un mur infranchissable une vallée qui s’achève en cul-de-sac

Emploi nominal adjectival adverbial

Sens rue ou voie sans issue ; impasse questions qui n’ont pas de réponses sans issue

Dans ce sens nous faisons appel à Sechehaye (cf. Mejri, 1997, p. 425) qui traduit l’hypothèse avancée par Mejri de la façon suivante : Ce que nous appelons nos classes de mots : substantif, verbe, adjectif, etc., ne sont pas autre chose que l’expression grammaticale de certaines catégories imaginatives de toute pensée concrétisée en une sorte de spectacle. L’institution grammaticale dans sa syntagmatique peut se ramener en bonne partie, peut-être même totalement, à la distinction des classes de mots et à la connaissance de leurs propriétés respectives. Une autre piste de réflexion se présentant à nous consiste en l’attraction que connaissent le verbe et la séquence adverbiale. Le verbe, à sa sélection, oriente la locution vers tel ou tel usage et par conséquent vers tel ou tel sens. Les collocations adverbiales se répartissent ici sur une échelle de contraintes qui va de l’acceptation de plusieurs verbes supports et la variété d’emplois à la tolérance d’un seul verbe et l’orientation vers une seule utilisation : - La séquence à flot, en cooccurrence avec le verbe être est adjectivale, par contre avec le verbe couler, elle est adverbiale. L’orientation sémantique est contrainte elle aussi. Mejri (1997, p. 429) note que « plus le domaine est spécifique, plus le rapport verbe/locution est contraint. » Lorsque le contexte dans lequel apparaît la suite à flot relève du domaine de la marine, cette dernière prend un sens clair, référant au verbe flotter duquel découle le mot flot, alors qu’en dehors de ce domaine, la suite acquiert un autre sens qui s’avère, dans la plupart des cas, vague, ambigu.

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- Les verbes tomber et couler orientent la suite à pic vers un emploi adverbial, sauf qu’avec le premier, l’adverbe prend le sens de au bon moment, et avec le second celui de sombrer et échouer brusquement. Le verbe être fait de cette même suite un adjectif. D’après A. Rey et S. Chantreau (2007, p. 614) : La loc. à pic est aujourd’hui isolée, mais la phraséologie ancienne atteste il en est pic « la chose est accomplie », et tout de pic « d’un seul coup » (1842) où apparaît la valeur temporelle. - A l’affût fait assez souvent son apparition avec le verbe être. Ce dernier le conduit vers un usage adverbial. Sinon, pour son emploi adjectival, la suite à l’affût se place directement après le nom et lui sert d’adjectif épithète : un détective à l’affût. Pour ce qui est de son orientation sémantique, à l’affût est orienté, dans tous les cas, vers le même sens qui tient de son sens littéral. La collocation être à l’affût peut commuter avec faire le guet ou encore être aux aguets. Ce dernier mot, aguets est, selon ce que précisent A. Rey et S. Chantreau (2007, p. 10), un dérivé (déverbal) de agaiter, ancienne forme de guetter, n’est plus vivant que dans la locution adverbiale et adjective, lexicalisée, aux aguets, qui s’emploie dans le domaine concret ou abstrait (« très attentif ; qui épie, observe » A partir de ce caractère de polyvalence dont jouit cette catégorie, nous pouvons dire que l’adverbe ne recouvre pas une forme, mais un fonctionnement. Bien qu’il ait une structure syntaxique figée, ses apports en matière d’emploi et de sens sont multiples et variés. Locution adverbiale et verbe ne se combinent pas de façon aléatoire ou hasardeuse. Leur apparition ensemble s’explique par la spécificité du domaine auquel s’insère la collocation construite. Le domaine limite donc le sens des deux éléments en traduisant, selon Mejri (1997, p. 428), « un espace sémantique où verbe et locution connaissent une certaine attraction, faisant que l’un s’emploie avec l’autre. » L’attraction est donc mutuelle, et n’est pas fonction d’un seul élément de la collocation.

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III. 2. 1. 2- Les séquences à un seul emploi Elles sont nombreuses et sont construites sur différentes prépositions : III. 2. 1. 2. 1- Les adverbes construits sur la préposition « à » - " Il n’y avait pas de garde forestier à cent lieues à la ronde. ", cette phrase comprend deux adverbes, le premier est à cent lieues et veut dire très éloigné, il exprime également la distance entre deux endroits, et métaphoriquement, l’éloignement, la distraction de quelqu’un par rapport aux autres ; le second est à la ronde. Il détermine le premier et, au sens initial, signifie aux alentours, dans l’espace qui entoure un lieu, dans toutes les directions. L’adverbe à cent lieues figure assez souvent avec le verbe être, quant à l’adjectif numéral cent, on peut lui substituer le chiffre mille. " Il était évidemment à mille lieues de cette famille qui lui tombait sur les épaules " est l’exemple relevé par A. Rey et S. Chantreau (2007, p. 477) dans le roman Au Bonheur des Dames de E. Zola. A la ronde est toujours précédé par un GP qui exprime la distance : c’est le seul commerçant à dix kilomètres à la ronde. - A plein nez dans " Ces parvenus sentaient encore l’indigence à plein nez " veut dire très fort. Il s’utilise presque tout le temps avec le verbe sentir. A. Rey et S. Chantreau (2007, p. 545) précisent qu’on exploite l’image d’une odeur assez forte pour « remplir » le nez. En emploi métaphorique, sentir à plein nez signifie « être identifié à coup sûr comme, rappeler immanquablement quelque chose », et sert à qualifier une origine commune ou une analogie entre deux choses, de manière le plus souvent péjorative. Le terme nez peut s’intégrer dans plusieurs types de locutions :

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Locution adverbiale - nez à nez (très près et face à face) nous nous sommes trouvés nez à nez - le nez en l'air . sans regarder devant soi marcher le nez en l'air . en manifestant une oisiveté évidente il est là, le nez en l'air, alors que tout le monde travaille - à plein nez (très fort, au point de heurter l'odorat) ça sent le parfum à plein nez - comme le nez au milieu de la figure (d'une façon très manifeste) il ment et ça se voit comme le nez au milieu de la figure

Locution prépositionnelle

- au nez et à la barbe de (ouvertement mais sans se faire remarquer de quelqu'un) il est entré au nez et à la barbe du gardien - au nez de (en plein devant quelqu'un) on lui ferme la porte au nez

- " Distribuer l’aumône à tout bout de champ et à n’importe qui. " Rien dans cette phrase ne permet de deviner le sens de la suite à tout bout de champ qui signifie à chaque instant, en recommençant sans cesse. Pour plus de netteté, A. Rey et S. Chantreau (2007, p. 100) reviennent sur l’aspect diachronique de cette suite en disant qu’elle est ancienne sous diverses variantes : à chascun bout de champ (XIVe s.), à tous bouts de champ (XVIe s., Du Fail), à chaque bout de champ (1611). La métaphore va du spatial au temporel, qu’il s’agisse des terres cultivées et de leurs limites ou du terrain réservé aux tournois et aux combats (champ clos, champ de bataille). Champ forme, en cooccurrence avec d’autres mots, une autre locution adverbiale : couper à travers champs (sans emprunter les chemins tracés). - " Voir des fortunes filer comme ça, à vau-l’eau, dans un bled presque nécessiteux. ", à vau-l’eau prend ici le sens de en périclitant. Cette suite a été, selon ce qui a été mentionné dans le dictionnaire d’A. Rey et S. Chantreau (2007, p. 782), attestée au milieu du XVIe s., elle avait un sens concret (suivre le fil de l’eau), et prenait également la forme à val (ou à vau) de qui signifiait en descendant le long, en suivant la pente de, on disait ainsi à vau le vent, à vau le pays. À la fin du XVIe s., cette locution, tout en

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gardant son sens primitif, prend des valeurs plus abstraites. On trouve ainsi à val de route (en déroute, en déconfiture) et être à vau-l’eau (mal fonctionner), en parlant d’une entreprise. Cet adverbe composé a un large spectre d’emploi et s’utilise avec plusieurs verbes : son projet s'en va à vau-l'eau (en périclitant) les morceaux de bois flottent à vau-l'eau (en suivant le courant de l'eau). Contrairement au sens que prend le premier exemple, celui du dernier est prédictible. Collaborent à la constitution de son sens le mot eau et le verbe flotter. Le mot vau, quant à lui, n’a plus le sens qu’il avait auparavant que dans cette association pour contribuer à sa composition. III. 2. 1. 2. 2- Les adverbes construits sur la préposition « de » - Le mot temps fait partie des mots les plus riches en matière de phraséologie, il entre dans la constitution de plusieurs locutions, à savoir adverbiales, adjectivales, conjonctives, prépositives, interjectives, nominales et verbales. Dans " Ils se rendaient même au souk de temps en temps. " et " De temps en temps, il couchait un vers ou deux sur la page blanche. ", de temps en temps signifie parfois ; épisodiquement. Il jouit d’une grande mobilité, il peut prendre place au début comme à la fin de la phrase. En se joignant à d’autres éléments de la langue, temps donne naissance à une multitude de locutions :

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Locutions adverbiales à temps perdu (pendant les moments de loisir) travailler à temps perdu à de nouveaux aménagements dans sa maison avec son temps (en suivant le mode de vie de son époque) vivre avec son temps ces derniers temps (durant la période antérieure la plus récente) on ne vous a pas beaucoup vu ici ces derniers temps dans les temps (dans le délai imparti) finir dans les temps

en même temps

a. simultanément ils sont arrivés en même temps au rendez-vous b. de manière parallèle ou semblable la propriété du mot "hôte" de pouvoir désigner en même temps le convive et celui qui l'invite

Locutions adjectivales à temps (pour une durée limitée d'avance) les criminels autrefois condamnés aux travaux forcés à temps ou à perpétuité de tous les temps (constaté depuis toujours jusqu'à présent ou jusqu'alors) le meilleur score de tous les temps de son temps (marqué par son époque et le mode de vie qui la caractérise) être de son temps sans pour autant céder au snobisme

Locutions prépositives

le temps de

a. juste le moment nécessaire

Locutions conjonctives

en même temps que

a. au même moment ou au pour (faire quelque chose) même instant que le temps de servir un ils ne prennent pas client et je suis à vous leurs vacances en même temps que b. pendant la durée de (une nous action ou un événement) b. au même titre que (ainsi louer une maison de que) campagne juste le temps des grandes la géographie a pour vacances objet le milieu physique en même du temps de [à l'époque temps que sa mise en valeur par désormais révolue de (quelqu'un, l'homme une période de la vie de quelqu'un c. au fur et à mesure que ou quelque chose)] faire, par la du temps des Romains progressivité, que le niveau de l'impôt augmente en même temps que celui des revenus

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-

" Transformer de fond en comble le paysage. " veut dire transformer complètement. Le

sens parait littéral, compositionnel et peut se comprendre à partir du sens des deux substantifs fond et comble qui signifient respectivement bas et sommet (du bas jusqu’au sommet). A. Rey et S. Chantreau (2007, p. 377) signalent l’existence des variantes de fond jusques au comble et de fond en cyme qui ne sont pas en usage depuis le XVIe s. - " Travailler d’arrache-pied. " L’adverbe composé compris dans cette collocation, à savoir d’arrache-pied prend le sens de fournir un effort intense. A. Rey et S. Chantreau (2007, p. 616) croient que l’image est « celle de l’arrachement (du pied) au sol, à la terre. » III. 2. 1. 2. 3- Les adverbes construits sur la préposition « par » - " Par les temps qui courent, il faut avoir chez soi un poste de radio. " A. Rey et S. Chantreau (2007, p. 749) attribuent à l’adverbe par les temps qui courent le sens de en ce moment, à l’heure actuelle. Il a été attesté en 1793. Ces deux linguistes précisent que courir, dans cette combinaison, a le sens de suivre son cours (en parlant du temps, des événements). En diachronie, ils rajoutent que le mot temps s’employait au singulier, on disait au XVe s. au temps qui court (1426), et au XVIIe s. au joli temps qui court (1612). Aujourd’hui, elle s’utilise beaucoup plus au pluriel comme dans l’exemple ci-dessus. - Dans la phrase " Il y avait parmi eux quelques bandits qui ne l’étaient devenus que par la force des choses. ", la séquence adverbiale par la force des choses signifie d’une manière inéluctable. - " Le Vieux travaillait par à-coups, laborieusement. " Par à-coups veut dire travailler de manière très irrégulière. En cooccurrence avec la préposition « par », la suite adverbiale à-coups change de sens, elle perd son sens littéral (brusquement ; soudainement) à la faveur d’un sens unique pour la collocation. L’expression telle quelle peut s’adjoindre à d’autres verbes : progresser par à-coups. III. 2. 1. 2. 4- Les adverbes construits sur la préposition « en » - Dans " On décida en haut lieu de ne pas procéder au sacrifice rituel. ", l’adverbe en haut lieu qualifie des personnages influents, des gens d’autorité, de prestige. A. Rey et S. Chantreau (2007, p. 476) donnent plus de précision quant aux deux mots formant cet adverbe. Le substantif lieu est attesté au XIVe et XVIe siècles, au XVIIe s., on

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disait en bon lieu. En ce qui concerne l’adjectif haut, il renvoie à une certaine notion d’élévation exprimant l’importance accordée à un champ d’activité (les hautes sphères) ou à des personnages importants (personnages haut placés). - " Ils souffraient donc en silence. " En silence veut dire sans parler ni faire de bruit volontaire ; sans se révolter, sans réclamer. - " Mais nous nous modernisons en catimini, dit-il. ", l’adverbe composé en catimini signifie discrètement, en cachette. A. Rey et S. Chantreau (2007, p. 135) remontent dans le temps et soulignent que l’expression, dans sa totalité, a vu le jour au XIIIe s. et qu’elle existait aussi sous la forme a catimini. Pour ce qui est du substantif catimini, il a été emprunté, d’après ces deux linguistes, au grec katamênia (les menstrues). III. 2. 1. 2. 5- Les adverbes construits sur la préposition « sur » - Le sens que prend l’adverbe sur le tas dans " Ils apprenaient alors le métier sur le tas et finissaient souvent par ouvrir un magasin d’alimentation. " est opaque et ne peut se déduire à partir des éléments qui le composent. Il veut dire par la pratique, et prend depuis le XIXe s. le sens de sur un lieu de travail comme dans une grève sur le tas. Ce dernier sens provient d’une expression de maçonnerie. A. Rey et S. Chantreau (2007, p. 746) précisent que le substantif tas renvoyait à l’endroit où sont taillées les pierres à bâtir, puis où les murs sont construits (sur le tas = à pied d’œuvre). Aujourd’hui et plus particulièrement en argot, tas désigne notamment le lieu de travail de la prostitution (mettre une fille sur le tas « lui faire faire du racolage » ; faire le tas « racoler »). III. 2. 2- Autres composés - Bel et bien avait au XVe et XVIe siècles d’autres variantes telles bien et bel, bel et gent, bel et bon et bel ou laid. Dans " Certains d’entre eux s’y trouvaient bel et bien. ", la locution adverbiale bel et bien prend le sens de véritablement, sans aucun doute ; parfaitement. -

Tôt et tard sont deux mots contraires, et à l’intérieur de cette association, ils

perdent leur sens littéral à la faveur d’un sens unique pour toute l’expression tôt ou tard qui, dans la phrase " …car même un grand a tôt ou tard besoin d’un plus petit que soi ",

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prend le sens de à un moment futur ou à un autre, inéluctablement. Tôt ou tard a été, d’après, A. Rey et S. Chantreau (2007, p. 762), attesté au milieu du XVe s. -

Tout comme l’expression précédente, tant bien que mal est aussi la

combinaison de deux mots antonymes. Dans la phrase " Mais il s’en tire tant bien que mal. ", elle prend le sens de péniblement, avec difficulté et s’utilise, comme dans l’exemple, assez souvent avec le verbe s’en tirer. - " Sinon il serait allé tout droit au bureau du caïd. " Tout associé au mot droit donne naissance à une locution adverbiale qui prend le sens de en ne tournant ni d’un côté ni de l’autre ; directement. - Dans " Il avoua tout de go que cela rapporterait de l’argent. ", tout de go signifie d’emblée, directement, sans détour. La forme que prend cette suite actuellement est apparue, selon A. Rey et S. Chantreau (2007, p. 409), au milieu du XVIIe s., elle correspond à une altération de la locution initiale tout de gob, gob étant le déverbal de gober. Avaler tout de gob signifiait au XVIe s. « avaler d’un trait, d’un seul coup ». Go, gob étant sortis de l’usage, tout de go est, en français moderne, une unité lexicale. - Pas le moins du monde s’emploie presque toujours avec l’adverbe pas, elle sert de réponse à des phrases comme " J’espère que ma présence ne te dérange pas." et veut dire nullement, en aucune façon. - Pour tout l’or du monde, locution attestée au XIIIe s., précédée d’une négation comme dans " Il n’y remettrait pas les pieds pour tout l’or du monde ", prend le sens de à aucun prix, jamais. A. Rey et S. Chantreau (2007, p. 567) trouvent dans l’ancien et le moyen français les variantes expressives pour tout l’or d’Arabie, d’Avallon, de Pavie, de Paris. Ces villes sont renommées pour leur richesse. L’adverbe composé pour tout l’or du monde a fait l’objet d’une étude rendant compte de son développement. Christine Durieux (cf. Composition syntaxique et figement lexical, 2006, p. 128), dans son article " Le figement lexical : une figure qui vaut de l’or ", suppose que cette suite pourrait se développer de la manière suivante : même si l’on me donnait tout l’or du monde, [je n’accepterai pas cette situation]. Cette locution

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pourrait donner lieu à la paraphrase suivante : [je n’accepterai cette situation] à aucun prix, autrement dit [je n’accepterai] jamais [cette situation]. La co-occurrence de tout [l’or] du monde confère une valeur extrême, même absolue, à l’expression, ce qui justifie d’inclure dans la paraphrase des mots à valeur aussi absolue : aucun, jamais. A la différence des noms composés et des collocations verbales qui ont respectivement pour base un nom et un verbe participant, de par leur charge sémantique, à la constitution d’un sens unique pour toute la collocation, les suites adverbiales construites sur des prépositions sont dépourvues de cette caractéristique. A flot, à l’affût, à l’heure, à pic, à tout-va, à cent lieues, à la ronde, à plein nez, à tout bout de champ, à vau-l’eau, de temps en temps, de fond en comble, d’arrache-pied, par les temps qui courent, par la force des choses, par à-coups, en haut lieu, en silence, en catimini, sur le tas sont toutes des collocations dont la base (la préposition) assure une fonction syntaxique et participe, en cooccurrence avec le collocatif (le substantif), à la prise en charge de leur sémantisme. Ces suites s’étalent sur une échelle de figement qui va des locutions les plus transparentes, comme à l’heure, de temps en temps, en silence, à des combinaisons tout à fait opaques, comme à cent lieues, à la ronde, à plein nez, à tout bout de champ, à vau-l’eau, par à-coups, en catimini, sur le tas. L’opacité de ces cinq premières suites ainsi que de la séquence sur le tas est due à la noncompositionnalité du sens ; de la suite par à-coups à la complexité de sa composition ; elle est le résultat de l’addition de la suite adverbiale à-coups qui, à son tour, a un sens vague et la préposition « par ». La collocation adverbiale en catimini est opaque et ceci est du à la non appartenance du substantif catimini à la langue française. Les autres collocations, à savoir à tout-va, de fond en comble, d’arrache-pied, par les temps qui courent, par la force des choses, en haut lieu dont le sens équivaut à la somme des significations des éléments constitutifs, sont, selon la typologie établie par Tutin et Grossmann, à classer parmi les collocations régulières. Certaines de ces collocations ainsi que la collocation à plein nez participent à la constitution de leur sens tant les

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éléments constitutifs que le verbe support : sentir à plein nez, transformer de fond en comble, travailler d’arrache-pied, décider en haut lieu. La polyvalence de certaines collocations adverbiales, surtout en matière de sens pose problème quant à leur classification, tantôt elles figurent parmi les transparentes et tantôt elles sont régulières ou opaques. La suite à flot, qu’elle soit orientée vers un emploi adverbial ou adjectival, est inclassable. Lorsque le sens qu’elle prend relève du domaine de la marine et réfère au verbe flotter duquel découle le mot flot, elle est claire et peut se classer avec les collocations transparentes, mais quand le sens qu’elle peut acquérir sort de ce domaine, comme dans il est à flot qui veut dire il est sorti des difficultés, elle est alors vague et se classe, dans ce cas, avec les collocations opaques. En cooccurrence avec les verbes couler et tomber, à pic peut figurer parmi les collocations opaques, alors qu’à l’intérieur de la phrase la paroi est à pic (qui est en pente raide, escarpée), la suite prend un sens compréhensible et elle est alors dite transparente. Les combinaisons, rassemblées sous le titre « Autres composés », se répartissent en deux classes ; la première est celle comprenant les collocations qui se composent d’éléments susceptibles de perdre leur sens premier à la faveur d’un sens unique pour toute la suite et sont, par conséquent, jugées opaques : bel et bien, tôt et tard, tant bien que mal, tout de go ; la seconde contient les collocations qui, malgré la complexité de leur syntaxe, restent compréhensibles et leur sens déductible : tout droit, pas le moins du monde, pour tout l’or du monde.

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CHAPITRE IV : Les collocations prépositives et conjonctives La plupart des grammaires définissent les prépositions et les conjonctions comme mots invariables servant de simples outils de relation, de liens et de pivots entre deux éléments. Dans cette perspective, les grammaires, selon M. Arrivé, F. Gadet et M. Galmiche (2005, p. 557), « se sont attachées à identifier les classes de mots pouvant être réunies par les prépositions et analyser le contenu sémantique des relations ainsi établies. » Les conjonctions, comme elles ont été divisées en conjonctions de coordination et de subordination, on s’est préoccupé de distinguer les deux types en opposant leurs deux fonctionnements par un certain nombre de critères qui ont échoué à différencier totalement les deux sortes de conjonctions. La commutation, en tant que critère de distinction, a été jugée trop vague sur le plan sémantique. La conjonction de coordination « et », à titre d’exemple, peut commuter avec les adverbes « puis », « après », alors qu’une conjonction de subordination ne le peut pas. Cette dernière, à son tour, joue devant la proposition qu’elle introduit le même rôle qu’une préposition devant un groupe nominal (avant que nous n’arrivions/avant notre arrivée), tandis qu’il ne se produit rien de tel par les conjonction de coordination. Les études portant sur les locutions conjonctives ne considèrent pas la locution dans sa totalité, l’accent est mis uniquement sur le substantif compris dans ces constructions. L’angle sous lequel ces études sont envisagées est, selon Gross (1996, p. 127), « réductrice et ne rend pas compte du comportement réel des locutions », c’est-àdire des prépositions et conjonctions composées, car elles « occult[ent] un fonctionnement linguistique très complexe. » Rappelons, cependant, que Gross (1996, p. 123) attribue à ces mots – présentés généralement comme n’ayant pas, à proprement parler de fonction – deux fonctions : la première est celle d’indicateurs arguments ; la deuxième est celle de prédicat.

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Nous examinerons, dans l’étude du figement à laquelle nous allons procéder, les deux catégories en parallèle en fonction bien évidemment des deux emplois qu’elles remplissent. Du point de vue de leur structure, pour les prépositions, comme pour les conjonctions, on est en présence d’une structure polylexicale qui n’est pas figée et qui donne lieu à des paradigmes. Autrement dit, les propriétés transformationnelles ne sont pas complètement bloquées et le sens n’est pas totalement opaque. Cette structure est constituée d’un substantif, considéré comme le pivot de la locution, d’une préposition et de la détermination du substantif qui comprend un prédéterminant et un modifieur. Ses quatre éléments constitutifs commutent, dans certains cas de figure, avec d’autres éléments. Ainsi, on substituera à la préposition « à » les prépositions « avec » et « dans » ; à chacun des substantifs correspondra un mot synonyme et à l’article « le » précédant ces substantifs d’autres déterminants cataphoriques, voire anaphoriques. La cataphore comprend, d’après Gross (1996, p. 129) « des moyens linguistiques qui réfèrent à des éléments à venir. » L’anaphore, selon Dubois (1994, p. 36), renvoie à « un processus syntaxique consistant à reprendre par un segment, un pronom en particulier, un autre segment du discours. » Pour expliquer ces deux notions, Gross (1996, p. 129) recourt aux deux exemples Redonne-moi le livre et Donne-moi le livre qui est sur la table. Dans le premier exemple, le substantif livre est identifié par la situation que crée le préfixe « re » référant à un événement qui s’est produit une première fois, l’article « le » est dit ici anaphorique car il réfère à un objet déjà identifié par le contexte ; dans le deuxième, l’article « le » ne renvoie pas à ce qui précède mais annonce la relative qui est sur la table et constitue avec elle un emploi cataphorique. Dans les locutions prépositives et conjonctives, le prédéterminant peut être les articles le, un ou zéro (noté E). On obtient donc pour déterminants cataphoriques lemodif, un-modif et E-modif.

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Comme la subordonnée est connue de l’interlocuteur, on réfèrera à elle par des déterminants anaphoriques ; démonstratifs et adjectifs. Les transformations dont nous venons de parler seront mises au jour sous le premier intitulé qui se rapporte au premier paramètre de figement « Blocage des paradigmes synonymiques » ; celles qui sont relatives aux prépositions et substantifs seront résumées dans un tableau ; celles se rattachant à la détermination du substantif seront traitées à part. Le deuxième paramètre consistera en le rassemblement d’autres aspects du figement, nous parlerons plus exactement de la possibilité ou l’impossibilité d’actualiser les éléments constitutifs des suites prépositives et conjonctives. Le troisième mettra en évidence la deuxième fonction attribuée à ces deux types de locutions. Le quatrième est opacité ou transparence du substantif. On verra jusqu’à quel point les locutions prépositives et conjonctives sont transparentes ou opaques. IV. 1- Blocage des paradigmes synonymiques IV. 1. 1- La préposition et le substantif La préposition à/avec à l’heure de/*avec l’heure de à l’affût de/*avec l’affût de à l’assaut de /*avec l’assaut de à/dans à l’heure de/*dans l’heure de à l’affût de/*dans l’affût de à l’assaut de/*dans l’assaut de

Le substantif à l’heure de/à l’instant où à l’affût de/*au guet de à l’assaut de/*à la conquête de à défaut de/*à manque de

Dans les locutions que nous venons de voir, la préposition « à » ne fait pas l’objet d’un choix, par contre dans d’autres cas comme à l’aide de/avec l’aide de, elle forme un paradigme. Les substantifs, quant à eux, constituent des paradigmes et déterminent les changements possibles de la préposition et de la détermination :

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On a pu substituer au mot heure, un autre mot instant, mais ceci n’est pas sans conséquences dans la mesure où à l’instant où ne se termine pas par de et n’appartient par conséquent pas à la même catégorie. A l’heure de est une locution prépositive et prend le sens de à une époque où règne ou a lieu (quelque chose), alors que à l’instant où est conjonctive et veut dire au moment même où. Le substantif affût ne prend pas de synonymes. A l’affût de veut dire dans l'attente exclusive (de quelque chose ou de quelqu'un). Dans sa totalité, elle peut commuter avec dans l'attente de qui est une locution prépositive elle aussi. Le mot assaut veut dire conquête. A la conquête de est une expression courante et interprète parfaitement le sens de à l’assaut de, mais elle ne peut pas être son synonyme, car elle n’est pas considérée comme une locution prépositive. Telle qu’elle fonctionne en bloc, à l’assaut de ne commute avec aucune autre locution. En ne tenant compte que de la synonymie, nous pouvons mettre à la place de défaut le mot manque : à la manque est une suite prépositive. A. Rey et S. Chantreau (2007, p. 504) lui attribue le sens de raté, mauvais, médiocre. Ils rajoutent qu’elle peut s’expliquer, soit à partir des emplois adjectivaux anciens de manque (du latin mancus « défectueux »)

ou du substantif homonyme. La première attestation, isolée

(Bretagne), date de 1791 (bras à la manque « bras infirme »), mais c’est surtout au XIXe s., dans des emplois argotiques, qu’on la trouve. Elle exprime soit l’idée de défectuosité, d’insuffisance, soit la mauvaise qualité, la médiocrité. Aujourd’hui, elle s’emploie surtout en parlant de personnes qui ne sont pas à la hauteur de leur fonction (artiste à la manque) ou des objets qui s’écartent d’un modèle idéal. A la manque peut être synonyme de à défaut de et de manque de (faute de) qui ne comporte pas de préposition et pourtant elle peut commuter aussi avec à défaut de.

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IV. 1. 2- Les déterminants Bien que la détermination du substantif soit de nature discontinue (le-modif), il est impossible d’étudier séparément les deux éléments de cet ensemble. IV. 1. 2. 1- Détermination cataphorique Le-modif Les poules aiment vadrouiller dehors, à l’heure du chacal L’armée part à l’assaut d’un fort …aux heures où le carnivore est à l’affût des poules E-modif On fabrique des histoires à défaut de détenir la stricte vérité. Gross (1996, p. 130) appelle ces modifieurs modifieurs complétifs (Mc). A ces derniers peuvent s’ajouter d’autres modifieurs de type adjectival (Ma). Dans l’ensemble, on est face à deux niveaux de modifieurs : Luc est parti pour la raison qu’il était malade Luc est parti pour la raison évidente qu’il était malade. En appliquant ceci aux expressions citées ci-dessus, nous obtenons : E-modif/le-Mc à défaut de/au défaut de (au est la contraction de « à le »). D’après A. Rey et S. Chantreau (2007, p. 261), à défaut de a remplacé au défaut de. Les deux sont attestées et veulent dire dans le cas d’un manque de. Le-Mc/le-Ma-Mc à défaut de/*au défaut moindre Le-Mc/ce-Mc à défaut de/*à ce défaut de Le-Mc/un-Ma-Mc à défaut de/*à un défaut moindre de. A l’exception de à défaut de qui se prête à une seule manipulation, les autres suites, dans le contexte de nos exemples, ne sont susceptibles d’aucune modification :

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à l’affût de/*au profond affût de/*à cet affût de/*à un profond affût de à l’heure de/*à la première heure de/*à cette heure de/*à une telle heure de à l’assaut de/*au grand assaut de/*à cet assaut de/*à un grand assaut de. Dans d’autres contextes, ces locutions tolèrent quelques manipulations : Le-Mc/un-Ma-Mc L’entreprise est partie à un nouvel assaut du marché des téléphones mobiles La soirée est terminée à une heure avancée (très tard) → emploi adverbial Le-Ma-Mc Tu es enfin prête, à la bonne heure ! (voilà qui est parfait) → emploi interjectif Demain, nous partons à la première heure (très tôt le matin) → emploi adverbial IV. 1. 2. 2- Détermination anaphorique On fait habituellement appel à un déterminant anaphorique lorsque la circonstance (la subordonnée) est connue de l’interlocuteur. Dans ce type de transformation, tous les pronoms qui seront utilisés renverront bien évidemment à un fait antérieur considéré comme connu. IV. 1. 3- Pronominalisation du modifieur Tous les modifieurs complétifs qui apparaissent dans les locutions à l’heure de, à l’affût de, à l’assaut de ne font pas l’objet d’une pronominalisation avec les pronoms ce que, cela et ça, là : Ce que *à l’heure de ce que *à l’affût de ce que *à l’assaut de ce que

Cela et ça *à l’heure de (cela + ça) *à l’affût de (cela + ça) *à l’assaut de (cela + ça)

Là *à l’heure de là *à l’affût de là *à l’assaut de là

à l’exception de à défaut de et de à l’affût de où le modifieur peut s’effacer : à défaut (E + détenir la stricte vérité), on fabrique des histoires à défaut (E + de pouvoir lire), je me promènerai les poules aiment vadrouiller dehors, et toujours aux heures où le carnivore est à l’affût. Pour à l’affût de, le modifieur ne s’efface que dans la situation ci-dessus, car on ne peut dire : à l’affût (de + les poules), le carnivore est.

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IV. 1. 3. 1- Démonstratif Pour ce qui est de ce procédé, il s’agit de substituer au déterminant cataphorique le-Mc le pronom démonstratif « ce » qui joue le rôle de substitut et permet la reprise : Les poules aiment vadrouiller dehors à l’heure du chacal → à cette heure, les poules aiment vadrouiller dehors L’armée est partie à l’assaut d’un fort → *à cet assaut, l’armée est partie …aux heures où le carnivore est à l’affût des poules → *à cet affût, le carnivore est On fabrique des histoires à défaut de détenir la stricte vérité → *à ce défaut, on fabrique des histoires. Contrairement aux cataphoriques qui ne renvoient qu’à des phrases, les anaphoriques peuvent référer à des phrases aussi, ainsi qu’à un contexte ou à toute une situation extralinguistique. M. Arrivé, F. Gadet. M. Galmiche (2005, p. 63) donne l’exemple : nous avions perdu notre chat, nous avons longtemps cherché avant de le trouver, l’aventure s’est bien terminée. Ils précisent que c’est le syntagme l’aventure qui reprend l’ensemble de la phrase antérieure grâce à un processus de condensation. IV. 1. 3. 2- Adjectif En plus du fait qu’ils renvoient eux aussi à un événement antérieur connu, les adjectifs rendent l’interprétation plus générique. Les poules aiment vadrouiller dehors à l’heure du chacal → *à une telle heure, les poules aiment vadrouiller dehors L’armée est partie à l’assaut d’un fort → *à un tel assaut, l’armée est partie …aux heures où le carnivore est à l’affût des poules → *à un tel affût, le carnivore est On fabrique des histoires à défaut de détenir la stricte vérité → *à un tel défaut, on fabrique des histoires Nous pouvons aussi tenter d’autres adjectifs spécifiques pour voir si la référence à un événement connu peut toujours se faire :

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Les poules aiment vadrouiller dehors à l’heure du chacal → à l’heure que je viens de préciser, les poules aiment vadrouiller dehors L’armée est partie à l’assaut d’un fort → *à l’assaut ci-dessus, l’armée est partie …aux heures où le carnivore est à l’affût des poules → *à l’affût que je viens de dire, le carnivore est On fabrique des histoires à défaut de détenir la stricte vérité → *au défaut que vous connaissez, on fabrique des histoires. A l’heure de est la seule suite à se prêter à des manipulations relatives à la détermination anaphorique. Dans la plupart des cas, le blocage de la détermination anaphorique est du, selon Gross (1996, p. 140), au figement de la détermination cataphorique E-Modif. Dans d’autres cas, il est beaucoup plus lié au figement et non seulement à l’article zéro, car, même dans des locutions comportant un article défini, le blocage peut être observé : Nous ne viendrons pas au cas où i pleuvait → Nous ne reviendrons pas, *à ce cas Au cas où je serais absent, veuillez mettre le courrier chez la concierge → *à ce cas, veuillez mettre le courrier chez la concierge Je vous laisse mon numéro de téléphone, au cas où vous auriez besoin de me contacter → Je vous laisse mon numéro de téléphone *à ce cas. Au fur∗ et à mesure est prépositive ou conjonctive selon qu’elle prend à la fin une préposition au fur et à mesure de ou une conjonction au fur et à mesure que. En tant que locution prépositive, au fur et à mesure de est figée, elle n’est susceptible d’aucune modification, ne se prête à aucun paradigme, la détermination de ses deux substantifs est contrainte et son sens non compositionnel. Qu’elle soit prépositive ou conjonctive, au fur et à mesure peut être réduite respectivement à à la mesure de ∗

« n. m. Ce mot est issu de l’ancienne forme de fuer (XIIe s.) provenant elle-même du latin forum « marché, place publique », ce mot latin ayant parallèlement donné le doublet for*. Fur, qui avait au XVIe s. le sens de « prix, valeur » (d’une marchandise), a disparu en emploi libre et ne subsiste que dans la locution au fur et à mesure. On ne trouvait en moyen français a (au) fuer de … « en proportion », a nul fuer « à aucun prix », au fuer que … « à proportion » ; ces expressions n’ont pas résisté au vieillissement du mot au sens propre de « prix ». » (A. Rey et S. Chantreau, 2007, p. 395).

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(d’une valeur ou de proportions en harmonie avec un autre élément) ou à la mesure que (durant le même temps que). M. Piot, citée par Mejri (1997, p. 192), pense que ces formes réduites « ne sont pas le fruit d’une évolution historique et que les pertes d’éléments sont corrélées à des contraintes syntaxiques. » Mejri (1997, p. 204), quant à lui, croit que cette tendance à la réduction est due, d’une part, à la lourdeur de la locution prépositive ; d’autre part, à « l’expression d’une réaction contre l’emploi de plus en plus fréquent des locutions prépositives, une fréquence qui s’explique toujours par la recherche d’expressivité », une fréquence qui se justifie aussi par le fait d’éprouver, selon Jaeggi, cité par Mejri (1997, p. 204), le besoin d’exprimer un rapport abstrait d’une façon concrète – concret dans le sens d’expressif, imagé, précis, complet, et pour ainsi dire tangible. La forme réduite à la mesure que répond quasiment à toutes les transformations ; elle se prête à des paradigmes synonymiques ; la préposition « à » peut être remplacée par « dans » et donner dans la mesure de ; d’autre part, sa détermination n’est pas totalement bloquée, elle a les déterminants cataphoriques : E-modif/le-Mc à mesure de/à la mesure de, comme dans elle a enfin trouve un adversaire à sa mesure Le-Mc/un-Ma-Mc à la mesure de/dans une certaine mesure comme dans une bibliothèque accessible dans une certaine mesure au grand public (où « à » peut commuter avec « dans ») mais ne prend pas : Le-Mc/le-Ma-Mc à la mesure de/*à la bonne mesure de (*elle a enfin trouve un adversaire à sa bonne mesure) Le-Mc/ce-Mc à la mesure de/*à cette mesure de. L’anaphore, quant à elle, n’est tolérée que dans une certaine mesure, à la mesure de ne fait pas l’objet d’une pronominalisation avec les différents pronoms : *à la mesure de 141

ce que, *à la mesure de cela, *à la mesure de là ; par contre elle peut prendre, en plus du déterminant démonstratif « cette », des adjectifs de types différents : nous avons mal réagi à cette mesure à une telle mesure, nous avons mal réagi à la mesure que vous connaissez, nous avons mal réagi. IV. 2- Aspects du figement dans les locutions prépositives et conjonctives Parmi les caractéristiques du figement la non-actualisation des éléments constitutifs d’une suite. Dans les locutions prépositives et conjonctives : Le substantif prédicatif n’est actualisé que lorsqu’il prend sa place dans une phrase. Pour éclaircir ce point, Gross (1996, p. 138) recourt à l’exemple : Il nous a téléphoné dans le but de nous assurer Il nous a téléphoné ; il avait le but de nous assurer. Dans la deuxième phrase, le prédicat but a comme sujet le pronom il et est conjugué à l’aide du verbe support avoir ; dans la première, but hérite de l’actualisation du verbe téléphoner. Dans les phrases " Les poules aiment vadrouiller dehors à l’heure du chacal ", " L’armée est partie à l’assaut d’un fort ", " Le carnivore est à l’affût des poules ", " On fabrique des histoires à défaut de détenir la stricte vérité ", " Une autre femme faisait des gâteaux dont elle remplissait des plats de céramique qui étaient emportés chez les homes au fur et à mesure, les substantifs heure, assaut, affût, défaut, fur et mesure héritent respectivement de l’actualisation des verbes aimer, partir, être, fabriquer, faire et emporter. La préposition, quant à elle, bien qu’elle constitue dans certains cas des paradigmes, n’est en aucun cas actualisée. Dans les phrases : Il s’est adressé à nous avec la volonté de nous convaincre Il s’est adressé à nous ; il avait la volonté de nous convaincre la préposition avec est considérée comme une variante non actualisée du verbe support avoir. En plus de cela, Gross (1996, p. 139) a pu remarquer que le figement affecte même la relation existant entre cette préposition locative et le substantif abstrait qui

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la suit. Cette remarque peut être généralisée à toutes les prépositions locatives qui précèdent des substantifs abstraits, car c’est une relation figée qui ne saurait se justifier. La détermination est très variée pour un grand nombre de locutions, mais dans celles à article zéro, on observe un certain degré de figement résidant en partie dans l’absence d’actualisation : à défaut de : (au défaut de, *à ce défaut de, *à un défaut de) au fur et à mesure de : (*au fur et à la mesure, *à ce fur et à cette mesure, *à un fur et à une mesure). Par contre sa forme réduite à la mesure que peut être actualisée, comme nous l’avons vu plus haut. IV. 3- Analyse des connecteurs comme prédicats Pour mettre en évidence cette deuxième fonction, Gross (1996, p. 136) donne l’exemple avec le désir de obtenu, comme le dit Mejri (1997, p. 195), à partir de phrases nucléaires ayant subi plusieurs transformations. Transformations qui sont, comme le fait remarquer Maurice Gross (1988) dans son article « Les limites de la phrase figée », « bien connues par ailleurs dans la grammaire : nominalisation par verbe support, équivalence entre verbes supports et certaines prépositions. » Dans : Luc a pris la parole pour convaincre Luc a pris la parole avec le désir de convaincre la préposition pour, même considérée comme un prédicat au même titre que désir, ne peut faire l’objet d’une prédication autonome (*Luc pour convaincre), ce qui est valable pour avec le désir de (Luc a le désir de convaincre). En mettant à part cette différence, les prédicats pour et désir ont les mêmes arguments : désir (hum ; phrase) pour (hum ; phrase) et assurent une connexion de nature prédicative entre la principale et la subordonnée.

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IV. 4- Opacité ou transparence sémantique du substantif Dans les locutions que nous avons analysées tout au long de ce chapitre, certains substantifs tels que heure, assaut, défaut sont sémantiquement transparents, ils ont été pris dans leur sens littéral et construisent par conséquent avec la préposition « à » des collocations transparentes, alors que d’autres tels que affût, fur sont d’un sens figé et participent à la construction des collocations dites opaques ; ils perdent leur sens premier et en acquièrent un autre limité par celui de la base. Le sens que prend mesure en cooccurrence avec fur est opaque, par contre, dans les suites à la mesure de, à la mesure que, à mesure de, dans une certaine mesure représentant une forme réduite de la suite au fur et à mesure, il garde son sens premier. Mesure est donc un collocatif participant, avec d’autres éléments, à la construction de ces collocations que nous classons avec les transparentes.

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CONCLUSION GENERALE Nous avons vu au travers de cette étude que les théories conçues pour décrire et les termes utilisés pour désigner les collocations ainsi que le figement étaient nombreux, divergents et qu’ils ont évolué au cours du temps tout en révélant chacun un nouvel aspect des phénomènes prodiges. La diversité des points de vue a fortement contribué à l’enrichissement ainsi qu’à une meilleure description des deux phénomènes omniprésents dans nos paroles et considérés, le premier comme l’un des principes organisateurs du fonctionnement de la langue, et le second comme propre aux langues naturelles. Pour ne pas nous perdre au sein de ce foisonnement terminologique, nous avons tenu, avant d’adopter une terminologie, d’éclaircir les deux notions et de les distinguer des autres notions qui leur sont proches. Collocations et figement sont deux domaines indissociables, et ne peuvent être étudiés l’un sans l’autre, c’est pourquoi, tout au long de ce travail, nous avons tenté de décrire, dans le cadre des différentes parties du discours, un nombre représentatif des collocations, et en nous penchant sur des propriétés transformationnelles relevant des domaines de la syntaxe et de la sémantique, nous avons pu rendre compte de leur degré de figement. L’analyse que nous avons faite des 94 collocations nous a permis de répondre, d’une part, aux différentes hypothèses préalablement émises et qui s’interrogent sur le type des rapports que peuvent avoir l’association particulière des composants d’une suite, sa structure syntaxique et son mécanisme sémantique avec l’imprédictibilité du sens des suites collocationnelles, d’autre part, de trouver une réponse à notre question principale consistant en l’esquisse d’une typologie se basant sur le degré de figement des points de vue syntaxique et sémantique et rendant compte de toutes les collocations. Pour apporter une réponse à chacune des questions posées, nous avons mis en valeur, voire en contact les deux domaines syntaxique et sémantique tout en soumettant d’abord les collocations aux tests envisagés et en faisant, par la suite,

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appel à la sémantique pour comparer leur sens premier aux différents sens qu’elles peuvent prendre après avoir été soumises à diverses transformations. En troisième lieu, nous les avons classées selon la typologie fondée par Tutin et Grossmann. Association particulière d’éléments, structure syntaxique et mécanisme sémantique s’avèrent a priori quasi autonomes, mais l’analyse que nous avons pu mener nous a révélé que ces trois points sont fortement dépendants l’un de l’autre et préjugent de l’acceptabilité des transformations et de la prédictibilité ou non du sens de la collocation. L’analyse des différentes catégories, quant à elle, a mis au jour des paradoxes qui ont remis en question la typologie esquissée par Tutin et Grossmann qui constituait notre point de départ. Avec les noms composés qui représentaient notre première catégorie, nous avons pu constater que la compositionnalité, et par conséquent la transparence du sens n’est pas tributaire de la complexité ou la régularité de la syntaxe. Des suites comme moins que rien, esprit d’un autre âge sont d’une structure syntaxique complexe, mais d’un sens clair, facilement compréhensible, alors qu’une suite, syntaxiquement régulière telle tête brûlée (Nom + Adj.), a un sens opaque et difficile à déduire à partir du sens de ses éléments constitutifs. Jusque là, syntaxe et sémantique s’avèrent indépendantes et le sens n’est pas fonction de la syntaxe, ce qui favorise a priori la correspondance de la typologie de Tutin et Grossmann aux suites dites collocationnelles. En revanche, avec les paradoxes relevés au fur et à masure que nous analysions, cette typologie est à réexaminer. Pour arriver au sens, la syntaxe nous a servi de point de départ, elle nous a permis de mettre au point, à l’intérieur de chacune des catégories, une typologie comptant six classes. Dans le cadre de la première, troisième et quatrième catégories, nous avons pu comparer, grâce à la syntaxe, les différents emplois et sens des séquences ayant la même structure syntaxique, et à l’intérieur de la deuxième catégorie, des suites ayant la même détermination.

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Les différentes manipulations syntaxiques, quant à elles, témoignent d’une grande importance, dans la mesure où nous avons pu relever entre les suites nominales ayant la même structure des différences rendant compte du degré de figement. Les suites terre battue et tête brûlée ne peuvent pas être prises sur un pied d’égalité et classées toutes deux parmi les opaques, alors que la première est moins figée et plus libre que la deuxième, car, du point de vue sémantique, les deux noms composés sont d’un sens qui n’est guère prévisible et sont donc tous deux figés, mais du point de vue syntaxique, terre battue n’accepte pas une variation en nombre (des terres battues) , alors que tête brûlée en accepte (des têtes brûlées). Nous constatons donc que la première suite est plus figée que la seconde et qu’elles n’ont pas, par conséquent, le même degré de figement sur le plan syntaxique. Les suites ayant une structure syntaxique régulière sont supposées se prêter à un grand nombre de manipulations syntaxiques, contrairement à celles dont la structure est complexe. Or, tel n’est pas le cas ; tête brûlée (Nom + Adj.) ne tolère que la manipulation dont on a parlé plus haut, à savoir la variation en nombre (du point de vue grammaticale, la suite est correcte, mais la manipulation est refusée à cause du sens premier de la suite qui s’altère à l’application de ce procédé), tandis qu’une suite telle que travail de sape obéit à deux manipulations, à savoir le procédé d’effacement et la règle d’identité. L’acceptabilité est ici régie sur le plan sémantique, car le composant travail garde son sens premier, alors que, les autres composés tels que la nuit des temps, ne tolère aucune des deux transformations citées, car la base nominale nuit perd son sens littéral. Le blocage des propriétés transformationnelles est dû, dans certains cas, à l’emploi métaphorique de certains composants. Ce qui est commun à toutes les catégories, c’est l’existence de certaines collocations bénéficiant de plusieurs lectures, ce qui les rend inclassables. Des suites, comme compte-gouttes, se mordre les doigts, ne pas remettre les pieds, prendre du galon, à flot, etc. ont deux lectures possibles, la première est compositionnelle et les collocations sont par conséquent transparentes, la seconde est préconstruite et impossible à

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déduire à partir du sens des éléments constitutifs et fait de ces collocations des séquences opaques. Devant cette multiplicité de lecture, la classification de telle ou telle collocation doit-elle passer par le contexte ? Les collocations verbales échappent elles aussi à la typologie de Tutin et Grossmann. Les critères utilisés pour rendre compte du degré de figement dépendent de la syntaxe ainsi que de la sémantique. Selon le premier critère, les collocations se répartissent en quatre situations selon que les compléments qui suivent la base verbale soient bloqués (n’admettent pas de synonymes) ou libres (tolèrent plusieurs synonymes). Dans certains cas de figure, la synonymie vient éclaircir davantage le sens, comme dans : faire de la taule/faire de la prison prendre le frais/prendre l’air. Le deuxième rendant compte de la détermination des arguments, et le troisième faisant appel à des manipulations syntaxiques révèlent que certaines collocations opaques, selon la typologie de Tutin et Grossmann, se prêtent à plusieurs manipulations syntaxiques telles que bouffer son fond de commerce, faire tourner la baraque. Pour juger de l’acceptabilité des différentes manipulations syntaxiques, nous avons été emmenée à faire appel à la syntaxe quand il s’agit d’un procédé sémantique : tirer profit n’accepte pas pour synonymes les suites tirer avantage, tirer bénéfice, faute de déterminants, alors que tirer un avantage, tirer un bénéfice sont ses synonymes – et à la sémantique lorsqu’il s’agit d’un procédé syntaxique : plusieurs transformations ont été jugées invalides, car elles déforment le sens premier de la collocation en question : ils savent tirer profit de tout. D’autres collocations échappent même à la définition que nous avons adoptée, dans la mesure où leur base n’a pas un sens habituel, alors que le collocatif garde son sens d’origine telle se fondre dans la foule. Les collocations prépositives et conjonctives font défaut également quant à la typologie fondée par Tutin et Grossmann. Les suites réduites sont, dans certains

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cas, plus transparentes que la suite originale. A mesure que, à mesure de, dans une certaine mesure ont un sens compréhensible, alors que celui de la suite originale au fur et à mesure est opaque. La conclusion qui s’impose donc à l’issue de ce travail veut que ce type de démarche ne puisse se passer d’un va-et-vient continuel entre les deux domaines syntaxique et sémantique, qui, à leur association sont, certes, difficilement saisissables, mais cela donne naissance à une arme à double tranchant quant à l’analyse et l’esquisse d’une typologie des suites dépendant du figement. Si les travaux et les recherches menés actuellement tendent à mesurer de la façon la plus fructueuse le degré de figement, la séparation de syntaxe et sémantique ne doit pas être envisageable, car elles sont intrinsèquement liées et servent, l’une à l’autre de critère d’élimination ou d’acceptabilité quant à la transformation à examiner. Nous envisageons de poursuivre nos recherches dans le même domaine tout en essayant d’examiner des suites qui sont mal définies et ne bénéficient pas de statut dans les différents dictionnaires telles que le monde court à sa perte, de la dernière pluie, des esprits d’un autre âge, du monde et de l’enfer. Nous tenterons également d’apporter des réponses à d’autres interrogations relatives à leur forme imprévisible (l’irrégularité de leur syntaxe) et à leur interprétation qui n’est guère prévisible ou parfois n’est déductible que dans une certaine mesure.

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GLOSSAIRE Actualisation Actualiser un signe, c’est convertir un concept en une représentation particulière de sujets parlants, l’inscrire dans le temps et l’espace, le déterminer. Les affixes flexionnels de personne, temps, nombre, genre…les déterminants du nom (définis, démonstratifs…) sont les marqueurs privilégiés de l’actualisation. Anaphore En grammaire, l’anaphore est un processus syntaxique consistant à reprendre par un segment, un pronom en particulier, un autre segment du discours, un syntagme nominal antérieur, par exemple. Ainsi, il y a anaphore par en dans la phrase : Des vacances, j’en ai vraiment besoin. Il y a anaphore par tous dans Femmes, enfants, vieillards, tous étaient venus. Le segment représenté est dit antécédent. Argument Emprunté à la logique, ce terme désigne une entité à laquelle s’applique une fonction et pour laquelle elle possède une valeur. On posera ainsi dans une classification des verbes (prédicats) que Jean marche est un verbe à un argument, Jean mange une pomme est un verbe à deux arguments, Jean donne une pomme à André est un verbe à trois arguments, et que il pleut est un verbe qui a sa fonction en lui-même. Cataphore On la rencontre toutefois fréquemment à l’oral dans les procédures de détachements (Paul, je l’ai vu hier), de dislocation (C’est Paul que j’ai vu hier), la cataphore se trouve plutôt dans les phrases à détachement (Ils sont fous ces Romains), et les phrases pseudo-clivées (Celui que j’ai vu, c’est Paul). Catégorie On appelle ainsi les différents types de mots. Les catégories lexicales (ou primaires) sont celles qui ont une définition dans le dictionnaire (le nom, le verbe, l’adjectif et l’adverbe) ; les catégories grammaticales (ou secondaires) permettent de faire des phrases à partir de ces catégories primaires. Ce sont les prépositions, les déterminants, les temps, le genre et le nombre. Cette division ne recouvre pas

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l’autre classification des mots en parties du discours. Cette dernière comprend neuf classes : les noms, les pronoms, les verbes, les adjectifs, les déterminants, les adverbes, les prépositions, les conjonctions et les interjections. Compositionnalité (compositionnel) Une suite est dite compositionnelle si le sens de cette dernière est déductible à partir de celui des éléments composants reliés par une relation syntaxique spécifique. Contraintes (restrictions) Ce sont l’ensemble des limitations (nécessités ou interdits) portant, en un point de chaîne parlée, sur les occurrences des unités qui précèdent ou suivent. Cooccurrence Relation de coexistence ou de présence d’une ou de plusieurs unités (ou catégories d’unités) avec une unité donnée à l’intérieur d’un énoncé. Ainsi, dans Paul a cassé un verre, on dira, selon les points de vue adoptés dans la description, que Paul est en relation de cooccurrence avec a cassé, avec un verre ou avec a cassé un verre : ce sont ses éléments cooccurrents (ou tout simplement ses cooccurrents). Entité Est synonyme d’item et unité. On appelle item tout élément d’un ensemble (grammatical, lexical, etc.), considéré en tant que terme particulier : on dira que les noms père, frère, sœur, table, chaise sont chacun des items lexicaux ayant des propriétés sémantiques particulières et que présent, passé sont des items grammaticaux. On appelle unité linguistique un élément discret identifié à un certain niveau ou rang. Ainsi, les phonèmes sont des unités linguistiques (au rang phonématique), les morphèmes (au rang morphématique). Chaque unité linguistique est définie par les rapports qu’elle entretient avec les autres unités linguistiques dans un système donné ; elle est donc définie par sa place ou sa position dans ce système. Restriction de sélection Limitation pesant sur la combinatoire de termes à l’intérieur de la phrase. Par exemple ? le piano étouffait enfreint la restriction selon laquelle le verbe étouffer ne peut

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avoir comme sujet qu’un nom ayant le trait [animé]. On peut exposer les restrictions de sélection en termes syntaxiques ou sémantiques. Modifieur On appelle modifieur un élément de la détermination du nom (adjectif, complément du nom, proposition relative) qui participe avec un prédéterminant (articles le, un, zéro ; possessifs ou démonstratifs) à déterminer un substantif dans le cadre d’un groupe nominal libre : Donne-moi le livre qui est sur cette table ; Tu as

un rhume carabiné ; Je garderai les enfants d’André. Phraséologie Se définit non par l’écart qu’elle représente par rapport à la langue, mais par le caractère stabilisé de la combinaison qu’elle constitue. Discipline linguistique ayant pour objet les lexies complexes qui sont constituées de plusieurs mots graphiques et qui se comportent comme des lexies simples, qui sont traditionnellement appelées mots composés, locutions verbales, locutions adjectivales,…ou encore idiotisme. Pivot Pièce maîtresse (en fonction de laquelle s'organise tout un ensemble). Polylexicalité (polylexical) Une suite est dite poylexicale quand elle est composée de plusieurs éléments lexicaux qui ne jouent pas de rôle extérieur à la séquence. Prédicat Est un opérateur mis en relation avec divers arguments. Ainsi la proposition Paul donne le journal à Sophie aurait une représentation logique du genre : donner (Paul, le journal, Sophie), où le verbe est une constante prédicative, et les arguments des constantes individuelles.

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INDEX Collocation

Page du roman

Bouchaib, qui était un Anflouss, veillait au grain, rien ne pouvait tromper sa perspicacité.

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D’aucuns murmuraient qu’il avait été en prison dans le Nord : « Il a fait de la taule… ». Des questions cul-de-sac qui ne menaient qu’à un mur infranchissable. Ils apprenaient alors le métier sur le tas et finissaient souvent par ouvrir un magasin d’alimentation. Certains commerçants nationalistes qui aidaient financièrement la résistance étaient connus des services secrets mais on ne pouvait pas les arrêter car ils s’étaient fondus dans la nature. Certains d’entre eux s’y trouvaient bel et bien mais nul n’osait les dénoncer,... Pendant les fêtes, elle faisait elle-même le pain communautaire car elle avait dans la cour de sa maison un grand four en terre battue qu’elle utilisait à merveille. Il aurait fallu le concours d’experts pour les traduire en clair, ce qui n’intéressait personne vu l’insignifiance historique de ces lieux reculés où l’on avait coutume de se réfugier pour fuir les envahisseurs de tout poil qui s’emparaient surtout des plaines côtières et des ports. Que ne dit-on ! on fabrique des histoires à défaut de détenir la stricte vérité, rétorqua la vieille. Leurs criailleries exaspéraient certains fumeurs qui les vouaient à tous les diables, mais ces effrontés n’en avaient cure. Tu aurais pu y laisser ta peau.

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Son interprétatio n dans notre travail 73, 89, 100, 102, 103, 104, 106, 107 77, 93

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Ils étaient alors pris en charge, soignés, bien nourris et ils pouvaient échapper au sort tragique qui décimait les gens des noualas et autres hameaux qu’on finissait par déserter pour fuir une mort 156

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certaine.

La France était sous la botte nazie. On ouvrit des chantiers, le dollar coula à flot. Les exécutions sommaires étaient monnaie courante. Les prisons étaient pleines à craquer de résistants. Ils se rendaient même au souk de temps en temps, mais ils savaient se fondre dans la foule et disparaître au bon moment. Il avait réussi le tour de force de se faire délivrer par le capitaine… Le colonialiste était aux abois mais il ne l’admettait pas encore. Bouchaib, qui aurait pu prendre du galon dans l’armée comme tant d’autres, préféra la vie simple aux risques et aux honneurs. Le sort implacable qui a mille tours dans son sac s’en mêle. Moi, je trouvais toujours le moyen de voler quelque chose, n’importe quoi pour ne pas crever de faim. Et cette discorde profitait surtout aux plus riches, à ceux qui tiraient les ficelles. Le bouc émissaire, c’était le juif. On y braconnait même, car il n’existait dans le pays aucune surveillance et il n’y avait pas de garde forestier à cent lieux à la ronde. Il y avait parmi eux quelques bandits qui ne l’étaient devenus que par la force des choses. Ils allaient piller d’autres villages et ils rentraient armés jusqu’aux dents en conduisant des bêtes de somme surchargés de butin. Ce désordre cessa avec l’arrivée des français, qui mirent au pas les bandits coriaces et les têtes brûlés. Heureusement que j’ai cette échoppe à Mazagan, elle me porte de quoi faire tourner la baraque. Par les temps qui courent, il faut avoir chez soi un poste de radio. C’est que ces idiots aiment vadrouiller dehors, et toujours aux heures où le carnivore est à l’affût, au crépuscule de préférence et tôt le matin, quand il ne 157

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fait ni jour ni nuit. À l’heure du chacal, quoi. Le vieux couple assista sans tristesse à ces événements insidieux qui allaient transformer de fond en comble le paysage. Non, je ne vois pas. Je suis mieux ainsi. Pourquoi m’exhiber comme un moins que rien. Bouchaib avait donc mille raisons de mettre en garde son épouse contre les camelots et leur engeance. L’argent, encore l’argent ! Ils vendraient tout pour de l’argent. C’est le culte du Veau d’or ! comme les choses vont vite ! Le monde court à sa perte. Le vieux couple assistait aux changements rapides sans en prendre ombrage.

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N’entends-tu pas dire souvent : « Untel a bouffé son fond de commerce » ?

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Cette histoire fit rire le vieux couple, qui trouvait finalement de l’esprit à ces jeunots nés ici mais changés par la ville. Ils mettaient en cause les autorités laxistes et les parents qui profitaient de cette aubaine sans poser la moindre question. En fait, tout le monde pensait la même chose, sauf le vieux Bouchaib, qui en savait un bout sur les mécanismes sismologiques. …de leur fortune si rapidement acquise et qui distribuaient l’aumône au compte-gouttes… Ces parvenus sentaient encore l’indigence à plein nez,... Ainsi justifiaient-ils leur refus catégorique de distribuer l’aumône à tout bout de champ et à n’importe qui. …, le vieux Bouchaib était bien sur au courant de ce qui se passait dans les villes, mais il n’y remettait pas les pieds pour tout l’or du monde. Après des années d’usine, ils avaient réussi à voler de leurs propres ailes. Nous avons mieux vécu que ces parents qui ont semé à tout-va sans savoir où cela pourrait les mener. Beaucoup s’en sont mordu les doigts.

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107) Beaucoup d’imprudents avaient perdu la vie de cette manière. Certains d’avoir bravé le torrent en crue. De temps en temps, il couchait un vers ou deux sur la plage blanche. Ces démons d’Européens savent tirer profit de

tout.

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Le Vieux travaillait par à-coups, laborieusement. Hé ! Ça saute aux yeux ! Tout le monde plaint les filles pauvres. Elles ne se marient plus. Personne ne veut d’elles. Elles finiront vieilles filles. Le pauvre type a donc rebroussé chemin sans que sa plainte fût enregistrée.

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Il s’allongea et ferma les yeux en tachant de faire le vide dans son esprit. …, le Vieux descendit dans le jardin, histoire de respirer un peu d’air rais et de jeter un coup d’œil sur l’ensemble. La maison de son hôte ressemblait à, un petit château médiéval à pic sur une éminence rocheuse. Son histoire remontait à la nuit des temps. On n’avait pas encore servi le thé…Il y a eut un vaet-vient. …des plats de céramique qui étaient emportés chez les hommes au fur et à mesure. Ça fait tout de même mal au cœur de voir des fortune filer comme ça, à vau-l’eau, dans un bled presque nécessiteux… Si ça tourne au vinaigre, eh bien, tant pis, on ira tenter l’aventure ailleurs.

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Le Vieux sut aussi que Haj Lahcène avait tiré l’ancien forgeron d’affaire.

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Ce que je sais, moi, c’est qu’il tire le diable par la

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Tu vas écrire…, dit-elle. J’espère que ma présence ne te dérange pas. Pas le moins du monde, répliqua le Vieux

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queue.

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…un beau terrain au demeurant…et le péquenot, le 111 raté comme ils disent, sera obligé de quémander un réduit pour être à l’abri. …, un peuple affolé, qui tourne en rond sans 117 savoir ni où il est ni où il va. 119 L’automobile aussi quand elle ne sert pas à provoquer l’ire des laissées-pour-compte. Il travailla d’arrache-pied pendant quelque semaine, ... La copie de l’élève était un chef-d’œuvre. Il avoua tout de go que cela rapporterait de l’argent. …vu que la majorité de ceux qui auraient accès à sa poésie étaient des analphabètes et que seule une élite triée sur le volet pouvait le lire dans le texte. Mais nous nous modernisons en catimini, dit-il. Les vallées s’assèchent, les cailloux apparaissent sous l’effet du vent, la désertification prend d’assaut les sols autrefois fertiles. Il répare des télés, des radios sans avoir jamais appris le métier, mais il s’en tire tant bien que mal. Il a maintenant trois gosses qui ne mangent pas à leur faim et ne portent rien sur le dos.

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…, le Vieux, qui écrivait, entendit une rumeur 133 lointaine suivie d’un énorme vacarme, comme celui d’une armée qui part à l’assaut d’un fort qu’elle n’a de cesse d’enlever malgré le courage de ses défenseurs... C’est leur homme à tout faire et le guide de chasse, 134 car il est expert en la matière. Certainement ! Ce vieux filou a du toucher quelque 135 chose, un gros paquet, sinon il serait allé tout droit au bureau du caïd ou chez les gendarmes.

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116 (73, 92, 100, 102, 104, 105, 106, 107), 129 73

Leur dépouille ne tentait même pas le charognard, qui, gavé, n’avait que l’embarras du choix.

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Personne ne voulait plus entretenir des bêtes d’abattage. Le cheptel en avait pris un coup sérieux quand advint la fête des moutons, l’Aïd Al Kabir. On décida en haut lieu de ne pas procéder au sacrifice rituel, ce qui arrangea du monde, mais les

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plus dogmatiques suivirent à la lettre les préceptes religieux et sacrifièrent leur mouton en cachette et en pleine nuit. Comme le prix des denrées de première nécessité n’avait cessé d’augmenter, une sourde agitation se remarquait dans les bidonvilles et les quartiers populaires, ce qui n’empêcha pas les spéculateurs de continuer leur travail de sape. La gêne était pourtant partout présente. On savait que telle ou telle famille avait besoin d’aide, mais, comme elle ne réclamait rien, on lui donnait rien. Ils souffraient donc en silence. Il m’apporter toujours des cahiers, des crayons de couleur et des biscuits quand il revenait au village, où il passait quelques mois pour voir s’il pouvait engrosser son épouse. Il prenait son temps, mais il ignorait qu’il était stérile. Il est mort dans le savoir, un soir à Safi, devant sa boutique où il prenait le frais après avoir dîné et fait se prière. Pour le villageois, il n’y a pas d’avenir en ville. Il faut qu’il sue sang et eau pour s’y adapter.

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