Numéro 1 : Février/Mars 2006

January 8, 2018 | Author: Anonymous | Category: Arts et Lettres, Spectacle vivant, Théâtre
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Numéro 1 : Février/Mars 2006 The Critic as Artist Avis critique par D.G. & E.V. Salomé, d’Oscar Wilde, au théâtre de Nesle, 8 rue de Nesle, Paris, du 31 janvier au 1er Avril 2006 Par la Compagnie Théâtre du Voir – Mise en scène : Christine Farenc – Assistante à la mise en scène : Isabelle Quirin – Production : Xavier Rémi www.theatreduvoir.com Il est assez rare de voir la Salomé d’Oscar Wilde sur une scène parisienne pour se réjouir de l’initiative de Christine Farenc qui, avec la Compagnie Théâtre du Voir, a monté la pièce dans une toute petite salle du quartier latin. Cave étroite et voûtée, avec une alcôve éclairée en fond de scène, ce lieu clos aurait pu exploiter poétiquement sa particularité, en écho à la thématique de la pièce. Tel n’a pas été le cas. Le rideau de scène en plastique transparent évoque davantage une cabine de douche qu’une salle de théâtre, mais qu’importe : on fait avec ce que l’on peut, et il aura son utilité au moment de la décollation du prophète Iokanaan quand il sera éclaboussé de son sang. Peut-être est-il également censé séparer le public de la monstrueuse scène du crime, le protéger de manière tout aussi symbolique que concrète des rouges retombées du meurtre qui vient de se commettre sous ses yeux. Derrière ce rideau, des pièces de viande sèchent sur un fil d’acier, glissant de temps à autre à travers la scène grâce à un mécanisme actionné par deux personnages en costume de boucher. Les décors sont réduits à presque rien, les costumes semblent tout droit sortis d’une fête gothique, sauf celui de Salomé qui évoque la tenue d’un petit chaperon rouge qui aurait oublié sa galette et son petit pot de beurre. Mais la jeune troupe est sympathique, pleine d’enthousiasme, et non dépourvue d’un certain humour qui tire le drame décadent de Wilde jusqu’aux limites de la comédie bourgeoise.

Christine Farenc a une vision toute personnelle de l’œuvre – et après tout, n’est-ce pas là la mission du metteur en scène ? – qu’elle expose dans une lettre d’intention retranscrite dans le programme. Hérodias y est présentée comme « la femme tranchante qui a appris le pouvoir et qui est passée maître dans l’art du sexe politique ». Son Hérodias (Lucile Komités) reste plantée sur la scène comme un rocher monolithique. Elle parvient presque sans bouger à transmettre la force de la femme qui domine son époux Hérode de toute son impressionnante stature. Hérode, au contraire, nous dit Christine Farenc est « le lâche, le pleutre, le régressif ». Renaud Garnier campe avec brio un tyran velléitaire et faible, emporté par le tourbillon de sa peur et de sa folie. Avec son habit noir à fraise, il est le reflet inversé d’un Hamlet qui aurait pris le visage assassin de son oncle Claudius. À la fois terrifiant et pitoyable, il est un homme rongé de doutes et d’incestueuse concupiscence, un homme qui vacille au bord de l’irréparable. L’irréparable, c’est sa séduisante belle-fille qui le pousse à le commettre « la petite princesse, trop gâtée par papa, ingrate à l’envie, succédané des aînées du roi Lear, et prête au meurtre pour obtenir ce qu’elle veut ». Car Christine Farenc fait de Salomé une sorte d’enfant gâtée, à la fois enfantine et capricieuse, qui s’entête à demander la mort de Iokanaan en tapant du pied comme elle exigerait une nouvelle robe de bal, avec une cruauté innocente et perverse qui n’est pas sans rappeler celle de la jeune infante d’Espagne dans le conte de Wilde, L’anniversaire de l’infante. Kelly Rivière fait de son mieux pour nous offrir ce double visage, alternant des attitudes obscènes et de brefs retours à l’enfance, comme lors de cette curieuse danse des sept voiles où elle se transforme en ballerine mécanique de boite à musique, tandis que la Cour entière s’écroule derrière elle à intervalles réguliers (« la danse des sept chutes » nous expliquera Christine Farenc, lors de la rencontre que la troupe nous a aimablement ménagée après le spectacle). On pense ici à Olympia, l’automate de Spalanzani dans Les Contes d’Hoffmann, sans bien saisir le sens de cette danse de poupée, ni celle des chutes répétées d’une Cour de comédie en perpétuel déséquilibre. Christine Farenc a-t-elle voulu suggérer l’effondrement prévisible d’une tyrannie dévorée par le vice et le crime, et la faillibilité d’un amour mécanique ? Se pourrait-il que la naissance du Christianisme (car c’est bien de cela qu’il s’agit) ait été déclenchée par l’exécution naïve d’une danse de marionnette totalement ratée ? L’originalité audacieuse d’une telle conception mériterait d’être défendue si on ne la soupçonnait d’être, tout simplement, vide de sens. Tout ceci se déroule sous le regard de la Lune, omniprésente dans la pièce de Wilde comme un symbole de froideur, de beauté, de chasteté, alors qu’elle se trouve ici littéralement incarnée, matérialisée en

femme hystérique « soumise encore et toujours au cycle de ses muqueuses, en dépit des progrès de la chimie hormonale et des tampons périodiques ». Peut-être est-ce là la trouvaille la plus dérangeante de la pièce, celle qui la fait basculer vers le grotesque. Parce que, nous dira Christine Farenc, il y a toujours dans Shakespeare, un clown, un bouffon qui traverse le drame le plus sombre. Et que la pièce de Wilde n’est pas si loin de l’esprit de Shakespeare. Sans doute. On craint bien cependant que ni Shakespeare, ni Wilde ne reconnaissent leur griffe dans la Lune jouée par Sandra Nobilé. Le bouffon Shakespearien est un personnage construit, qui possède autant, sinon plus de raison que les autres. Son discours cohérent et savamment structuré nous incite à la réflexion. Il n’est pas composé de sons primitifs et de cris inarticulés comme celui de la Lune de Christine Farenc. Ce spectacle cruellement dépourvu de moyens n’est cependant pas sans intérêt. Riche d’un peu plus d’argent et d’imagination poétique, il aurait pu réussir son coup. On ne peut donc que déplorer ce parti pris de dérision qui pousse le texte vers un registre qui n’est pas le sien et le prive d’une part de l’esthétisme vénéneux, de la poésie noire qui nous le rendent si cher. Et la passion nécrophile de Salomé, cette obsession violente qui tue Iokanaan et la détruit, semble s’éteindre, défigurée, sous un rire incongru d’enfant qui n’a pas compris. D.G / E.V. Avec : Kelly Rivière : Salomé – Renaud Garnier : Hérode – Lucile Komitès : Hérodias – Jean Dumazer : Iokanaan – Danilo Sekic : le jeune syrien – Arnaud Métayer : le page d’Hérodias – Sandra Nobilé : la lune – Adrien Lalique : premier boucher – Jérôme Veyhl : second boucher.

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