Population et individu

January 8, 2018 | Author: Anonymous | Category: Mathématiques, Statistiques et probabilités
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Populations et individus De la difficulté du dialogue entre les disciplines Claudine Schwartz

L’analyse des jeux de hasard a permis de dégager la notion de probabilité pour des résultats d’expériences reproductibles (roulettes, dés en sont les représentants emblématiques). La théorie des probabilités est aussi source de modèles féconds dans des situations concernant non plus une même expérience qu’on reproduit, mais des mesures prises sur des individus différents d’une même population. On cherche alors à analyser et expliquer les variations de certains pourcentages, à faire des prévisions : c’est à ce niveau que la théorie des probabilités offre des modèles efficaces. Nous allons nous intéresser à ces situations. Que signifie « dans une certaine population, à une époque donnée, la probabilité d’être immunisé contre une maladie M est p » ? La probabilité p ci-dessus serait-elle un caractère propre à chaque individu, partagé à l’identique par tous : on aurait une probabilité p d’être immunisé comme on a tous 10 doigts ? Quand on parle de probabilités, on cherche mentalement à se ramener à une situation aléatoire et on dira alors que si on tire au hasard un individu dans la population de référence, la probabilité qu’il soit immunisé (nous noterons IM) est p. Cet individu tiré au sort est un être aussi abstrait que le point matériel des physiciens, le triangle quelconque des mathématiciens, la ménagère de 50 ans du marketing, le consommateur des économistes. C’est quelqu’un qu’on arriverait à isoler en n’ayant strictement aucune information sur lui. Pour réaliser cette performance, il faudrait numéroter les individus et choisir un numéro au hasard avec un simulateur. Car il n’y a ici bien sûr pas identité devant l’immunisation et le dire reviendrait de fait à considérer les individus comme indiscernables (telles des boules dans des urnes), sauf en ce qui concerne leur immunisation. Une probabilité est un macro-paramètre disent les physiciens, un paramètre macrosocial disent les économistes. Parler de la « probabilité d’être immunisé est p » est ainsi trompeur si on n’a pas réfléchi au sens que cela a : cette probabilité reste un paramètre de population et ne permet pas de retourner à l’individu. Dans notre exemple d’immunisation, qu’en est-il de Thomas par exemple ? On a des informations sur lui : supposons connaître son âge exact et quelques antécédents médicaux. Sous réserve d’avoir un modèle et des données qui permettent ce calcul, la probabilité qu’il soit immunisé sera celle de tous ceux qui partagent les mêmes caractéristiques que lui (même âge, mêmes antécédents). On peut enrichir l’information, le modèle sera plus précis : la probabilité traduit l’information dont on dispose au niveau d’une population ou d’un sous-groupe, et non plus la fréquence limite d’une expérience infiniment reproductible et qui ne concernerait que Thomas. Dans le cas de ce dernier, de nouvelles informations peuvent changer la probabilité qu’il soit immunisé et si on disposait de « toute » l’information, c'est-à-dire si on savait s’il est ou non immunisé, cette probabilité deviendrait alors égale à 0 ou à 1.

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Certains auteurs (par exemple Jules Gavarret1) ont défini la probabilité p qu’un malade soumis à une médication meure comme étant égale à la moyenne arithmétique des probabilités pi propres de chaque individu. La probabilité est ainsi pour lui une « chance moyenne ». Cette formulation a l’avantage de faire sentir que la probabilité n’est pas une constante de chaque individu et de plus la même pour tous. Mais quand il n’y a pas d’expériences reproductibles à l’identique pour le même individu cette vision « microscopique » (individuelle) est gratuite au sen où elle n’entre pas en ligne de compte dans la construction des modèles qu’on va utiliser. La nécessité de passer avant toute chose par l’individu pour moyenner ensuite sur toute une population est aussi culturelle. En Occident la notion d’individu est présente et fondatrice, on a beaucoup du mal à penser en termes de population (échelle macroscopique) sans revenir à tout moment à l’individu (échelle microscopique). Le rôle de la traduction en termes probabilistes de l’information, c'est-à-dire ici la fonction d’un modèle probabiliste notamment en économie et dans les sciences sociales est clairement formulée par E. Malinvaud2 : Le modèle aléatoire est censé représenter le processus générateur des grandeurs étudiées. Ce point de vue s’impose quand les unités statistiques ne proviennent d’aucun tirage aléatoire, par exemple quand elles consistent en une même collectivité observée pendant des années successives. Il s’impose aussi généralement dans l’analyse des résultats obtenus au cours d’enquêtes par sondage aléatoire ; car l’économètre ne cherche pas alors à obtenir des évaluations sur la population sondée, mais plutôt à dégager les caractéristiques de lois valables plus généralement ; il désire porter des jugements de probabilité, non sur la valeur de telle ou telle grandeur dans la population observée, mais sur les caractéristiques permanentes des lois étudiées. »

Dans l’enseignement secondaire, les professeurs de mathématiques travaillent surtout avec des expériences répétables, les physiciens beaucoup avec du macroscopique, pour un nombre d’unités statistiques si grand que les fluctuations deviennent inobservables. Les professeurs de SES utilisent les probabilités pour traduire l’information dont ils disposent et parler de lois macro-sociales, les professeurs de SVT utilisent tous les aspects décrits. On pourrait dire que les uns sont « fréquentistes », les autres « bayésiens » ou « subjectivistes », c’est une vieille histoire… Mais on comprend que le dialogue soit difficile, que l’interdisciplinarité peine à se développer, même sur un sujet aussi intrinsèquement interdisciplinaire que la statistique.

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Principes généraux de statistique médicale, http://www.math.unicaen.fr/irem/spip.php?article117 2 in Méthodes statistiques de l'économétrie, chap. 2 Modèles économiques et induction statistique

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