Ubu Roi - biblio

January 10, 2018 | Author: Anonymous | Category: Arts et Lettres, Spectacle vivant, Théâtre
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Ubu Roi ou les Polonais

Alfred Jarry Livret pédagogique correspondant au livre élève n° 45 établi par Bertrand Louët, certifié de Lettres modernes, et Patrick Quérillacq, certifié de Lettres modernes, agrégé d’Arts plastiques

Sommaire – 2

SOMMAIRE A V A N T - P RO P O S ............................................................................................ 3 T A B L E D E S CO RP U S ........................................................................................ 4 R É P O N S E S A U X Q U E S TI O N S ................................................................................ 5 Bilan de première lecture (p. 120) ..................................................................................................................................................................5 Scène 7 de l’acte I (pp. 23 à 25).......................................................................................................................................................................5 ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 26-27).................................................................................................................................5 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 28 à 26)..................................................................................................................6 Scène 7 de l’acte III (pp. 60 à 62)...................................................................................................................................................................10 ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 63-64)...............................................................................................................................10 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 65 à 74)................................................................................................................11 Extrait des scènes 1 et 2 de l’acte V (p. 100, l. 180, à p. 102, l. 216) ...........................................................................................................14 ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 104-105)...........................................................................................................................14 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 106 à 115)............................................................................................................16

C O M P L ÉM EN T S A U X B I B L I O G RA P H I E

L E C TU RE S D ’ I M A G E S

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CO M P L É M EN TA I R E ......................................................................

Tous droits de traduction, de représentation et d’adaptation réservés pour tous pays. © Hachette Livre, 2007. 43, quai de Grenelle, 75905 Paris Cedex 15. www.hachette-education.com

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AVANT-PROPOS Les programmes de français au lycée sont ambitieux. Pour les mettre en œuvre, il est demandé à la fois de conduire des lectures qui éclairent les différents objets d’étude au programme et, par ces lectures, de préparer les élèves aux techniques de l’épreuve écrite (lecture efficace d’un corpus de textes, analyse d’une ou deux questions préliminaires, techniques du commentaire, de la dissertation, de l’argumentation contextualisée, de l’imitation…). Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs. Ubu Roi d’Alfred Jarry permettra d’étudier le genre théâtral, le rôle du langage au théâtre, l’apparition du théâtre moderne, le théâtre politique et sa parodie. Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nouvelle collection d’œuvres classiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois : – motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation du texte, moderne et aérée, qui facilite la lecture de l’œuvre grâce à des notes claires et quelques repères fondamentaux ; – vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer les élèves aux travaux d’écriture. Cette double perspective a présidé aux choix suivants : • Le texte de l’œuvre est annoté très précisément, en bas de page, afin d’en favoriser la pleine compréhension. • Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendre la lecture attrayante et enrichissante, la plupart des reproductions pouvant donner lieu à une exploitation en classe, notamment au travers des lectures d’images proposées dans les questionnaires des corpus. • En fin d’ouvrage, le « dossier Bibliolycée » propose des études synthétiques et des tableaux qui donnent à l’élève les repères indispensables : biographie de l’auteur, contexte historique, liens de l’œuvre avec son époque, genres et registres du texte… • Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné à faciliter l’analyse de l’œuvre intégrale en classe. Présenté sur des pages de couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du texte (sur fond blanc), il comprend : – Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classe après un parcours cursif de l’œuvre. Il se compose de questions courtes qui permettent de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sens général de l’œuvre. – Des questionnaires raisonnés en accompagnement des extraits les plus représentatifs de l’œuvre : l’élève est invité à observer et à analyser le passage. On pourra procéder en classe à une correction du questionnaire ou interroger les élèves pour construire avec eux l’analyse du texte. – Des corpus de textes (accompagnés le plus souvent d’un document iconographique) pour éclairer chacun des extraits ayant fait l’objet d’un questionnaire ; ces corpus sont suivis d’un questionnaire d’analyse des textes (et éventuellement de lecture d’image) et de travaux d’écriture pouvant constituer un entraînement à l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe de Première, sur le « descriptif des lectures et activités » à titre de groupement de textes en rapport avec un objet d’étude ou de documents complémentaires. Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera, pour vous et vos élèves, un outil de travail efficace, favorisant le plaisir de la lecture et la réflexion.

Table des corpus – 4

TABLE DES CORPUS Corpus Caractères et mauvais caractère (p. 28)

Pouvoir et politique au théâtre : de la satire à la critique (p. 65)

Le langage, matériau de l’écrivain (p. 106)

Composition du corpus Texte A : Scène 7 de l’acte I d’Ubu Roi d’Alfred Jarry (pp. 23-25). Texte B : Scène 1 de l’acte I du Malade imaginaire de Molière (pp. 29-30). Texte C : Extrait des Âmes mortes de Nicolas Gogol (pp. 30-32). Texte D : Extrait des Fleurs bleues de Raymond Queneau (pp. 32-34). Document : Michel Simon dans Boudu sauvé des eaux de Jean Renoir (pp. 34-35). Texte A : Scène 7 de l’acte III d’Ubu Roi d’Alfred Jarry (pp. 60-62). Texte B : Extrait de la scène 2 de l’acte III de Ruy Blas de Victor Hugo (pp. 65-67). Texte C : Extrait de la scène 13 de l’acte I du Candidat de Gustave Flaubert (pp. 67-69). Texte D : Extrait de la scène III du cinquième tableau des Mains sales de Jean-Paul Sartre (pp. 69-71). Document : « Dernier Conseil des ex-ministres » par Honoré Daumier (p. 72). Texte A : Extrait des scènes 1 et 2 de l’acte V d’Ubu Roi d’Alfred Jarry (p. 100, l. 180, à p. 102, l. 216). Texte B : Extrait du chapitre XXIII de Gargantua de François Rabelais (pp. 106-108). Texte C : Extrait de la scène 5 de l’acte III de Victor ou les Enfants au pouvoir de Roger Vitrac (pp. 108-110). Texte D : Extrait de la scène 11 de La Cantatrice chauve d’Eugène Ionesco (pp. 110-112). Document : L’Œil cacodylate de Francis Picabia (pp. 112-113).

Objet(s) d’étude et niveau

Compléments aux travaux d’écriture destinés aux séries technologiques

Le théâtre : texte et représentation (Première) Le théâtre : tragédie et comédie (Seconde)

Question préliminaire Comment s’exprime le « mauvais caractère » des différents personnages ?

Le théâtre : tragédie et comédie (Seconde)

Question préliminaire Qu’y a-t-il de commun aux quatre textes ?

Commentaire Vous étudierez la polyphonie du texte et la manière dont nous est présenté Argan.

Commentaire Vous étudierez le style de la tirade et ses liens avec le contexte d’écriture.

Le théâtre : tragédie et comédie (Seconde)

Question préliminaire En quoi les quatre textes explorent-ils l’absurde du langage ? Commentaire Vous montrerez comment, en détournant une situation de vaudeville, la scène aboutit à une revendication poétique de l’amour.

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RÉPONSES AUX QUESTIONS B i l a n

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La Mère Ubu, par volonté de s’enrichir, incite le Père Ubu à détrôner Venceslas, à la scène 1 de l’acte I. v Le capitaine Bordure est allié avec Ubu qui obtient son soutien en échange de la promesse de le faire duc de Lithuanie (I, 4). Ubu ne tenant pas sa promesse, Bordure l’abandonne et fait alliance avec le Tsar pour rétablir Bougrelas, fils du roi Venceslas (III, 6). w Ce sont les trois fils du roi Venceslas de Pologne. Deux d’entre eux meurent à la scène 3 de l’acte II, massacrés par Ubu et ses partisans. Seul Bougrelas survit et s’enfuit. x Bougrelas et la reine Rosemonde survivent et s’enfuient (II, 4), mais Rosemonde meurt à la scène suivante. y La gidouille et la chandelle verte sont les emblèmes du Père Ubu, auxquels on peut ajouter « merdre » qui est en quelque sorte sa devise. U Le Père Ubu organise une fête au cours de laquelle il distribue de l’or (contre son gré) au peuple (II, 7) puis, à l’acte III, il massacre les nobles et lève des impôts absurdes. V Le règne d’Ubu apparaît comme une ère de brutalité, de violence et de malhonnêteté. La scène 4 de l’acte III, au cours de laquelle il dépouille injustement une famille de pauvres paysans, est caractéristique de cela. Ubu apparaît rapidement comme une caricature de roi tyrannique. W C’est une « Ombre », un spectre qui est l’âme de ses ancêtres, qui incite Bougrelas à venger son père, à la scène 5 de l’acte II. Cette intervention de fantôme est bien sûr une allusion parodique à Shakespeare. X Les palotins sont les partisans du Père Ubu. Ils sont représentés dans la pièce par Pile, Cotice et Giron. at Elle le trahit immédiatement et tente de s’approprier le trésor des rois de Pologne (IV, 1). ak À la fin de l’acte IV (sc. 5 et 6), Père Ubu fuit en Lithuanie. La Mère Ubu le rejoint dans sa caverne, puis ils prennent la fuite et se réfugient sur un navire, en direction de la France ou de la Germanie (V, 4). al Un ours les attaque (IV, 6), puis Bougrelas et ses soldats (V, 2). À leurs côtés se trouvent Pile et Cotice (Giron est mort) qui les suivront sur le bateau. am La pièce se termine par la formule « S’il n’y avait pas de Pologne, il n’y aurait pas de Polonais ! » à la fois parodique et d’une signification équivoque. La formule est en effet une tautologie et un mélange d’éloge et de raillerie contre les Polonais. On peut dire que la pièce ne se termine pas ; la fin reste en suspens, elle flotte, comme le bateau sur la Baltique, et cette fin ajoute à la dimension insolite de la pièce et au malaise des spectateurs. u

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◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 26-27) Une scène de conspiration u Le Père Ubu est le conspirateur en chef. C’est à son bénéfice que se fera le coup d’État. Il dirige les débats. Son complice, le capitaine Bordure, tient le rôle du militaire qui, quoique traître à son roi, est brave et courageux. Ses propositions s’opposent à celles d’Ubu. Les soldats sont là pour souligner leur opposition de style. Enfin, la Mère Ubu, qui est – ne l’oublions pas – l’instigatrice du coup d’État, joue le rôle étonnant de prêtre à la fin de la scène (on peut y voir un fond d’anticléricalisme chez Jarry).

Réponses aux questions – 6

Le personnage le plus important est celui qui prend le plus de place, aussi bien physiquement qu’en parole : le Père Ubu. C’est pour son profit surtout que se fait cette réunion ; c’est lui qui parle le plus, lui qui parle en premier, lui qui distribue la parole. v

Un affreux personnage Si l’on suit la chronologie du passage choisi, Ubu se montre d’abord égocentrique (moi d’abord, moi surtout) ; selon l’assistance, il est un sagouin : son plan, à l’inverse de celui de Bordure, n’est ni noble ni vaillant, il est donc ignoble et lâche ; c’est d’ailleurs ce que confirment les épithètes employées par sa femme, « vilain » s’opposant à « noble » et « lâche » à « vaillant » ; elle ajoute à cela la ladrerie d’Ubu, autrement dit son avarice. x La Mère Ubu est l’instigatrice et l’inspiratrice de la conspiration (cf. la scène 1 de l’acte I) ; c’est elle qui a convaincu son époux d’en vouloir davantage. En cela, elle le devance. Elle est à l’image d’Ubu : physiquement d’abord, moralement ensuite, aimant le pouvoir et surtout les finances. Dans la scène, son mari est le futur roi et elle la prêtresse : ils représentent parodiquement les deux têtes (religieuse et royale) d’un pouvoir à la sauce médiévale. Ses répliques enfin ponctuent, comme ailleurs dans la pièce, le discours d’Ubu. w

Un personnage construit en opposition L’opposition entre les deux personnages est évidente et soulignée par les remarques de l’assistance, qui qualifie Ubu de « sagouin », puis de « vilain », de « lâche » et de « ladre », et Bordure de « noble » et « vaillant ». Les termes ici s’opposent directement – opposition qui permet à Jarry de souligner le caractère d’Ubu et de camper son personnage. U Elles sont une sorte de chœur qui dit les louanges de l’un et hue l’autre. Elles rythment la scène et soulignent les caractères. La réplique où la Mère Ubu honnit son mari a la même fonction. y

Un personnage haut en couleur Il est le personnage qui parle le plus. Il distribue la parole. Il menace l’assistance de sa poche. Il donne à la Mère Ubu son rôle de prêtresse et valide le plan finalement adopté. Il est le grand ordonnateur. Et c’est lui qui deviendra roi. W Ubu est un personnage grossier qui pratique une langue pittoresque. Son vocabulaire est à la fois constitué de néologismes (« merdre ») et de mots familiers (fourrer), imagés (brouter), et recherchés ou archaïques (pourfendre, s’escrimer vaillamment). Il y a aussi quelque chose d’enfantin dans la manière qu’il a de dire ce qu’il fait et d’énoncer naïvement ce qui se passera. De même, dans l’expression de sa couardise, il se montre infantile. V

◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 28 à 26) Examen des textes et de l’image u Le texte est ponctué de répétitions qui sont à l’image du ressassement de cet homme qui fait ses comptes et marmonne à part soi ses commentaires, récitant la litanie des médicaments et des sous que cela lui coûte. Par ailleurs, à la fin de la scène, la répétition du « drelin drelin », lui-même redondant avec le bruit de la clochette, insiste sur le caractère mais aussi l’isolement de cet homme. v Le fait qu’il soit seul dans sa chambre, le fait qu’il marmonne seul dans son coin, le fait qu’il appelle et qu’on ne réponde pas, le fait qu’il se plaigne... w Le personnage de Pliouchkine est pathétique en ce qu’il est prisonnier de son caractère. Il est hors de la vie, isolé, rendu incapable par son vice de relations humaines ordinaires. Son comportement est en permanence celui d’un être à l’affût, méfiant et soupçonneux. Hors de la vie aussi car ce qu’il thésaurise perd toute fonction, hormis celle d’appartenir. Le papier ne sert plus à écrire que lorsqu’il est vraiment impossible de faire autrement. Les choses appartenant à Pliouchkine sont immobilisées,

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pétrifiées hors de toute évolution. Un tel vice ne va bien sûr pas sans ridicule et par là même sans comique, surtout pour celui qui peut rester extérieur et n’en pas subir les conséquences. Ce n’est pas le cas de la pauvre Mavra, mais c’est le cas du lecteur, bien sûr, et de Tchitchikov, qui n’est que de passage et peut rester un simple observateur. x Le dernier paragraphe de l’extrait a une portée morale. Il forme une sorte de parenthèse dans laquelle Gogol s’écarte du récit à proprement parler pour y juger son personnage et, sans le justifier, l’expliquer. Le récit nous proposait un personnage d’un bloc, un caractère ; le dernier paragraphe inscrit ce caractère dans une vie, une évolution, un âge. Le personnage alors a une histoire : il n’est plus simplement un caractère donné une fois pour toutes, de toute éternité, mais un état psychologique, résultat d’un processus. Il n’en est que plus humain et, de ce fait, plus effrayant. y La brutalité du duc d’Auge s’exprime lorsqu’il s’énerve face aux huées et à force de recevoir toutes sortes de projectiles : c’est alors une violence militaire justifiée (il met en fuite la foule avec son braquemart). Sa brutalité apparaît également dans sa manière de faire croire à un passant que c’est lui et non son cheval qui a parlé. Dans tous les cas, c’est sa brutalité qui pose son autorité. U Raymond Queneau et Alfred Jarry partagent la même admiration pour François Rabelais, son œuvre à travers lui, et cela se ressent dans les personnages du duc d’Auge et du Père Ubu. On trouve chez eux le même goût du vocabulaire et de l’orthographe archaïques, du néologisme, de la grossièreté, de la scatologie, de l’exagération et de la démesure. En revanche, le caractère du Duc n’est pas celui d’Ubu : l’un affronte sans trembler une foule qui lui est hostile, tandis que l’autre est un pleutre. V Le comique de Raymond Queneau est un comique rabelaisien. Il se base d’abord sur le langage : goût des archaïsmes, des injures, du vocabulaire grossier, des énumérations... Il réside aussi dans les situations : opposition de la foule et du Duc, jet d’immondices, cheval parlant... Dans Le Malade imaginaire, la dégaine du personnage, son ressassement, les répétitions, l’abus du vocabulaire médical, l’énumération de médicaments et de sommes d’argent, la manie de compter sont comiques. Le point commun entre les deux textes est les deux caractères proposés qui, par leur solitude et leur manie de monologuer, offrent leurs ridicules au rire du spectateur ou du lecteur. W On notera d’abord la dégaine de Boudu : sa chevelure et sa barbe en bataille, son regard coquin, mi-grivois mi-aviné, de qui n’est pas dupe et profite de la situation en connaissance de cause. Expression et geste de la main sont à la fois insolents et insoucieux des convenances, libres.

Travaux d’écriture Question préliminaire Les textes du corpus sont deux extraits de théâtre, deux extraits de romans et une photographie extraite d’un film. Les quatre textes et le document mettent chacun en avant un « caractère », au sens théâtral du terme, c’est-à-dire un « type », un personnage limité à une seule dimension qui peut aller jusqu’à la caricature. Plusieurs procédés communs apparaissent pour mettre en avant ce caractère : – L’exagération propre à la caricature : Ubu présente une lâcheté et une bassesse exagérées, Argan une obsession pour les médicaments et l’argent sans limite, Pliouchkine une avarice extrême ; le duc d’Auge est une caricature de noble méprisant le peuple et Boudu, échevelé et menaçant, campe bien le caractère d’un clochard, sorte de Diogène inquiétant. – La parole et le langage employés : au théâtre comme dans les romans, les caractères ne sont pas décrits mais s’expriment dans un langage typé qui permet de les reconnaître. Le langage d’Ubu est marqué par la grossièreté et l’absurde, celui d’Argan et de Pliouchkine par la colère et la mauvaise humeur : ils morigènent constamment leur entourage ; quant à celui du duc D’auge, il reprend des graphies et des sons évoquant le Moyen Âge et il est habité par une certaine brutalité, celle du soldat aristocrate à qui rien ne devrait résister… – Les situations : les quatre personnages littéraires sont présentés dans une scène dans laquelle ils s’opposent, voire se disputent violemment avec leur entourage ou un autre personnage. Par contraste, ils apparaissent ainsi plus typés et différenciés.

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Commentaire Introduction Cet extrait est le long monologue d’exposition du Malade imaginaire. C’est un texte surprenant par sa durée (un tel monologue est rare dans une comédie) et par sa polyphonie : Argan, bien que seul, mime le dialogue, avec lui-même, avec son pharmacien et avec son médecin. C’est la première scène de la pièce de Molière et elle permet de découvrir, à travers ses paroles, le caractère du personnage, qui apparaît comme un demi-fou isolé et caractériel. On étudiera la polyphonie du texte, puis l’apparition progressive du caractère d’Argan. 1. La polyphonie A. Les paroles mêlées Argan, la médecine (à travers la lecture des factures et les formules poétiques employées), le pharmacien, le médecin (« suivant l’ordonnance de Monsieur Purgon »). B. Du monologue au dialogue • Argan se parle d’abord à lui-même, relisant la facture et faisant les comptes (« Trois et deux font cinq »). • Puis il émet des jugements (« ce qui me plaît, de Monsieur Fleurant […] »). • Enfin, devant l’importance des sommes, il apostrophe son pharmacien absent (mouvement visible à travers l’apparition des pronoms « vous » de 2e personne). • Cette progression débouche sur la solitude réelle du personnage, qui appelle pour trouver un véritable interlocuteur et parle à sa servante absente : « Chienne ! coquine ! » C. Énonciation et double énonciation Tout ce monologue s’adresse aux spectateurs et pas seulement aux interlocuteurs absents d’Argan : il montre le caractère d’Argan. 2. Un « mauvais » caractère A. L’abondance de médicaments et de médications rend explicite le titre de la pièce Argan se complaît dans cette pharmacopée, il se délecte de tous ces noms qui sonnent bien mais qui sont malaisés à comprendre. Molière n’invente rien, tous les termes sont authentiques. Argan est fasciné par ces compositions et ce vocabulaire qu’il reprend à son compte en lisant la facture. Il compte les médecines et se trouve malade d’en avoir moins pris ce mois-ci que le précédent. Il a une vision magique et ridicule de la médecine. Il en est passionné et devient clairement la dupe de ses médecins et pharmaciens auxquels il laisse tout son argent. B. Argan présente aussi les caractéristiques classiques du vieillard de comédie de Molière • Obsédé : par sa propre santé et la médecine. • Égoïste et avare : il rogne chaque chapitre de la facture. • Coléreux (bilieux) : il s’énerve à la fin de la scène. • Seul : son entourage l’évite. Conclusion Un portrait très théâtral qui permet, par le jeu des voix, d’illustrer et de présenter avec humour le « mauvais » caractère d’Argan.

Dissertation Analyse du sujet La notion de « caractère » renvoie ici à sa définition théâtrale : par exemple, au sens de la commedia dell’arte, un caractère est un personnage typé, à une seule dimension (l’avare, l’ambitieux, l’amoureux…), sans finesse psychologique et généralement comique. Le sujet demande de s’interroger sur le caractère indispensable de personnages types dans une œuvre littéraire. On pourra discuter cette question en faisant raisonner la notion de « caractère » avec celle de « personnage ». On pourra ainsi opposer, par exemple, le Père Ubu, qui est un caractère, à Argan, qui, par ses contradictions et ses hésitations, est presque un personnage.

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Introduction Se demander si le caractère est indispensable dans l’œuvre littéraire impose de s’interroger sur les différentes fonctions du caractère, avant de le comparer avec le personnage. On commencera par explorer ces deux notions, en s’appuyant sur les textes du corpus, puis on montrera que le caractère appartient surtout à la comédie, tandis que le personnage apparaît avec le roman. Le caractère relève en fait de la satire et de l’œuvre moraliste, tandis que le personnage relève de l’œuvre réaliste. 1. Fonction du caractère dans l’œuvre A. Le caractère a une fonction satirique et comique On fait rire des travers de l’avare, du tyran déformé. Ces personnages à une seule dimension permettent aussi des jeux à l’infini que la commedia dell’arte avait bien compris, en faisant toujours intervenir les valets par deux (le rusé, l’idiot) et en associant vieillards grincheux et jeunes amants pleurnichards. Mais le caractère a aussi une fonction critique. B. Le caractère a aussi une fonction critique dans la littérature moraliste • Le caractère permet de montrer les travers des mœurs, à la manière d’un La Bruyère ou, plus près de nous, de l’écrivain Benoît Duteurtre (La Rebelle, Gallimard, 2004) qui nous décrit des personnages typiques de notre époque : le coquet, le précieux, le courtisan, la journaliste, le patron humaniste… dont on révèle les ridicules et les limites. • Un caractère est un rôle qui n’a qu’une dimension. Il en va ainsi d’Ubu, qui se caractérise par sa grossièreté, sa lâcheté, sa veulerie et sa cruauté. Il est une sorte de résumé caricatural de l’idée de tyran, mais n’a aucune épaisseur psychologique. On pourrait le comparer aisément à l’avare de Molière, aux valets de comédie. De même, le personnage de Queneau, le duc d’Auge, dans Les Fleurs bleues se résume à une fonction : « un noble seigneur ». Ses propos caricaturaux (« Nous avons vu les travaux de Notre-Dame, admiré la Sainte Chapelle, ce joyau de l’art gothique, rendu hommage comme il faut à notre saint roi ») montrent qu’il accomplit une sorte de programme lié à son caractère. • Le caractère n’est pas loin de la caricature, il a une fonction démonstrative et argumentative forte. Il n’en va pas de même du personnage. 2. Caractère et personnage A. Les limites du « caractère » Le duc d’Auge, dès qu’il échappe à sa dimension de caractère pour devenir un personnage et vivre sa vie, est conspué par la foule. Queneau, en se jouant de ce caractère qu’il fait déborder de son cadre, montre les limites de la notion de caractère. B. Le personnage, lui, échappe au programme préétabli et dispose d’une psychologie complexe • Le personnage a des doutes, évolue et peut se changer. S’il est valet, il est aussi un homme, comme le Figaro de Beaumarchais, par exemple. • Certains caractères, comme Argan ou Alceste, le misanthrope de Molière, peuvent, dans une certaine mesure, être apparentés à des personnages : ils échappent un peu à leur dimension (l’hypocondriaque, l’atrabilaire), pour devenir celui qui souffre de sa solitude et de son isolement. Conclusion Le caractère est indispensable au discours satirique et moraliste car il permet la caricature et une représentation schématique percutante. En revanche, il ne permet pas la création d’un personnage réaliste, comme c’est le cas dans le roman.

Écriture d’invention Le sujet proposé demande de faire dialoguer deux caractères opposés : un avare et un clochard désintéressé ! Il s’agira pour les élèves de rendre visible cette opposition dans le cadre de la situation particulière d’énonciation que constitue un dialogue. Ils s’attacheront à lister les caractéristiques des deux caractères de manière à pouvoir les faire apparaître dans le dialogue. On pourra utilement préparer ce travail en comparant avec des personnages comme l’avare ou l’Argan du Malade imaginaire de Molière.

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◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 63-64) Une scène de Conseil u La scène 7 est l’avant-dernière scène de l’acte III. Elle est centrale dans la pièce. C’est le moment où, devenu roi, Ubu risque de ne plus l’être. On le voit passer de la gestion du royaume et de ses finances (gestion bien particulière, il est vrai) à une situation de crise avec la lecture de la lettre de Bordure lui apprenant que le Czar va envahir la Pologne. v On peut rapprocher cette scène des scènes où l’on voit Ubu traiter de la question de l’impôt, et plus particulièrement celle où les nobles passent les uns après les autres à la trappe. La gestion du royaume selon Ubu est une gestion purement financière, centrée sur l’enrichissement personnel du monarque. On peut rapprocher la seconde partie de la scène de toutes les scènes qui font évoluer l’action de la pièce et la situation du couple Ubu, à commencer par la scène de conspiration où Bordure et Ubu élaborent un plan d’action pour renverser Venceslas. Dans les deux cas, ce qui va se produire est annoncé. w Sont présents le Père et la Mère Ubu ainsi que les conseillers des Phynances. Un messager intervient par ailleurs à un moment donné pour apporter une lettre de Bordure. On remarquera la distribution de la parole : Ubu parle, sa femme ponctue son discours d’expressions et de remarques, les conseillers ne disent presque rien. Ceci étant, leur présence montre bien que le pouvoir selon Ubu a pour unique but d’accaparer les phynances du royaume. Le messager est à peine entré qu’il est chassé. Sa lettre fait un effet considérable, qui montre la couardise du Père Ubu, l’exaltation des conseillers et l’importance de la Mère Ubu dans les décisions qui se prennent. x Le drame, défini par Hugo, « fond sous un même souffle le grotesque et le sublime, le terrible et le bouffon, la tragédie et la comédie ». Tous ces ingrédients sont ici présents, mais le grotesque et le bouffon étouffent et décrédibilisent toute émergence du sublime, du terrible et de la tragédie – et ce malgré la situation (un Conseil), l’état de faillite du pays et le rebondissement (annonce de l’invasion). Situation et distribution (un couple royal et des conseillers) pourraient sans peine être celles d’un drame historique, mais Ubu veille. Une parodie de théâtre politique L’ordre du jour est en deux parties. D’abord la question financière, qui sera effectivement abordée et dont on sait l’importance pour Ubu ; ensuite, une étrange annonce : « un petit système que j’ai imaginé pour faire venir le beau temps et conjurer la pluie ». Ce système restera dans la scène et dans la pièce une pure annonce, le Conseil étant interrompu par l’annonce de l’invasion de la Pologne. Ce qui est frappant, c’est l’opposition entre le caractère poétique de cette annonce (poésie cependant vite annihilée par la remarque de la Mère Ubu sur la sottise de son mari) et le caractère terre à terre de l’autre partie annoncée, à savoir le recouvrement de l’impôt. On peut aussi voir dans ce « petit système » d’Ubu autre chose qu’une note poétique : une raillerie d’un pouvoir de droit divin capable de commander aux éléments. U Une scène de Conseil est censée être solennelle, chose impossible avec Ubu, qui est même incapable d’introduire un semblant de solennité. Le vocabulaire ubique, émaillé de grossièretés, est inconciliable avec toute respectabilité et toute dignité : « merdre », « sabre à phynances », « cornegidouille »... sans compter les menaces qu’il profère (décollation et torsion des jambes) ou l’expression de sa peur au moment où il devrait être le plus ferme et le plus exemplaire. V La Mère Ubu partage ses interventions entre l’insulte, le commentaire sur les nouvelles réformes, la lecture de la lettre de Bordure et le conseil au roi sur la guerre. Ubu, de son côté, n’est occupé que de lui-même, sauf lorsque la situation lui semble perdue et qu’il appelle niaisement sa femme « mon amour ». À aucun moment le ton, les manières et les propos du couple n’ont la solennité, la superbe et le sérieux concerné qu’on attendrait d’un couple royal. y

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L’entrée du messager excède Ubu et la lettre lui fait l’effet d’une bombe, mettant en évidence sa lâcheté. De ce fait, toute la fin de la scène n’est plus qu’un déploiement des défauts de caractère du Père Ubu : lâcheté, mais aussi avarice. Le Conseil, du coup, perd tout ce qu’il pouvait encore avoir de respectabilité, même parodique, dans son déroulement pour entrer dans un considérable désordre. W

Un pouvoir forcément dérisoire Ubu se félicite des effets de son gouvernement, à savoir les maisons brûlées et les gens « pliant sous le poids de nos phynances ». Ce qui rend la chose particulièrement absurde, c’est de voir un souverain se réjouir de l’état de délabrement de son pays et de ses sujets. La jouissance égoïste d’Ubu est au prix de la destruction du royaume qui l’enrichit. at Ubu exprime sa peur par nombre d’exclamations et d’interjections. Il exprime d’ailleurs sa peur en disant : « j’ai peur ! ». Il devient dans ces cas-là absurdement infantile et superstitieux, comme il le sera à plusieurs autres moments de danger réel ou supposé dans la pièce. ak Ubu finit par céder et accepte la guerre (il n’a guère le choix, la Pologne étant envahie), à condition toutefois que la guerre soit gratuite. Ubu est ici encore incapable de mener une politique, ne parvenant pas à détacher les événements de sa personne et se projeter hors de ses désirs les plus immédiats. En cela, il est le contraire d’un homme d’État : il reste toujours collé à ses appétits. X

◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 65 à 74) Examen des textes et de l’image u Le monologue de Ruy Blas est sans contexte un texte polémique. Son ton est dur et direct. Il dénonce les agissements des personnages de la pièce mais aussi les excès de la société contemporaine de l’auteur. v Le « Bon appétit, messieurs ! » qui ouvre la scène a un sens ironique. Ceux qui profitent de la faiblesse du roi pour dépouiller le royaume sont tels des pique-assiettes ou bien des charognards, que Ruy Blas surprend à table, se goinfrant. L’expression est dure pour ceux à qui elle s’adresse et les ravale au rang de parasites sans grandeur, sans honneur et sans respect. Quant au « ministres intègres, conseillers vertueux », sa portée évidemment ironique va dans le même sens. w Le texte de Sartre contient sans conteste une dimension tragique en ce que deux options de la politique s’affrontent, qui ne tolèrent aucun compromis et entre lesquelles on ne peut choisir. La conscience aiguë que les personnages ont de cette opposition leur donne une dimension tragique. De même, la posture de Ruy Blas, confronté à l’ignominie, seul contre tous mais refusant de se taire, est une posture tragique. x Ubu Roi est une farce, où le bouffon et le grotesque emportent avec eux les situations les plus dramatiques. Ruy Blas est un drame romantique qui situe son action dans un contexte historique précis, permettant une critique féroce de la vie politique contemporaine. Le Candidat est une comédie bourgeoise satirique, qui critique les mœurs politiques de son temps et s’en moque. Les Mains sales, enfin, est un drame représentatif du théâtre engagé, qui s’interroge sur la possibilité d’une action politique conforme à un idéal. y Hugo (on peut imaginer que Sartre ne l’a pas appelé ainsi pour rien) représente l’idéal politique, la vision d’une société future, l’utopie. Hoederer, en revanche, est un homme du présent, qui ne conçoit la politique qu’aujourd’hui, les mains dans le cambouis des problèmes contemporains. Ce sont deux pratiques politiques opposées, qui n’ont pas d’intersection, quand bien même elles militent pour un même parti. U Ce débat est de moins en moins d’actualité, les grands idéaux politiques ayant sombré dans leur confrontation à la réalité. La politique aujourd’hui, loin de chercher à imaginer une société parfaite pour les hommes à venir, tend à gérer le quotidien et préfère la réforme à la révolution. V L’action politique du Père Ubu est une action politique de l’enrichissement personnel et des appétits les plus bas. Elle est à dix mille lieues d’un quelconque idéal et appauvrit irrémédiablement le

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royaume ainsi dépouillé. Dans un autre esprit mais également férocement critique, la pièce de Flaubert nous propose une vision très noire de la politique. Ici encore, pas d’idéal, pas de souci du bien public, uniquement le souci de se bien placer, du pouvoir ou de la vengeance personnelle. Ce qui gouverne l’action politique, c’est encore une fois l’intérêt personnel et la vanité des hommes. Hugo, quant à lui, dénonce la façon dont les ministres s’enrichissent sans se soucier une seconde du royaume qu’ils doivent pourtant gouverner. Encore une fois, l’intérêt personnel prime sur une vision politique qui ne s’exprime même pas. En opposition, le personnage de Ruy Blas montre dans sa dénonciation même une conception plus haute de la politique, sans compromis, inspirée par l’idée du bien public. Jean-Paul Sartre, enfin, construit son texte sur la confrontation entre deux conceptions opposées de la politique : celle qui consiste à travailler concrètement au présent, pour les hommes, en se salissant les mains, et celle qui consiste à imaginer abstraitement une société future pour un peuple à venir. W Les ministres s’enfuient dans le plus grand désordre. Pourtant, la République n’offre pas une image très effrayante. En cela, ils sont semblables au Père Ubu, dont la couardise s’exprime explicitement et de façon désordonnée. On le voit ainsi à maintes reprises trembler, non pas tant pour un danger présent que pour un danger annoncé : ainsi, à la scène 7 de l’acte I, lorsqu’il pense aux souliers ferrés de Venceslas, il voudrait bien déserter la conspiration qui se prépare ; à la scène 7 de l’acte III, la lettre qui apporte la nouvelle de l’imminence de l’arrivée du Czar donne lieu à une scène de panique qui ne le cède en rien à celle des ministres de Louis-Philippe. X Le personnage qui entre, c’est la République. Le dessin de Daumier paraît deux semaines après la révolution de 1848 qui vit la naissance de la IIe République. Daumier nous montre clairement le peu de courage des ministres. De cet affolement on peut conclure que les ministres ne sont pas des hommes de conviction (ils ne défendent pas une idée), mais des hommes de postes. La politique ainsi perçue est une politique de notables, qui n’a rien à faire des idéaux. Travaux d’écriture Question préliminaire Les quatre textes donnent une représentation de ce qu’on appelle « les décideurs » ou « les hommes politiques ». La politique est donc représentée dans les quatre cas, et aussi dans le dessin de Daumier, à travers la confrontation de « grands hommes ». Deux textes (Hugo et Jarry) et le document montrent un « Conseil » des ministres, c’est-à-dire la réunion pour discuter des affaires en cours du gouvernement ; les deux autres textes (Flaubert et Sartre) montrent des hommes politiques à l’œuvre : chez Flaubert, il s’agit d’un député en campagne ; chez Sartre, d’un dirigeant en train de passer des alliances. La plupart des textes et le document dénoncent la malhonnêteté et l’hypocrisie des hommes politiques, terrifiés à l’idée que leurs tripotages puissent apparaître au grand jour. Cela est particulièrement manifeste dans le texte de Victor Hugo et la lithographie de Daumier qui montrent tous deux des ministres obligés de se taire ou carrément en fuite devant une figure populaire (Ruy Blas, la figure allégorique qui ouvre la porte). S’agissant des textes de théâtre, le spectateur est donc mis en position de découvrir et d’assister à des réunions qui devraient normalement se tenir à huis clos. Ainsi il peut connaître le vrai visage des hommes politiques qui apparaissent soit d’une très grande médiocrité (comme chez Flaubert), soit incertains et pleins de doutes (comme chez Sartre), soit vraiment malhonnêtes et dangereux (comme chez Jarry, Hugo et Daumier). L’image de la politique donnée par ces textes est donc très négative et polémique. Commentaire Introduction L’extrait donné ici de Ruy Blas est une longue tirade polémique de Ruy Blas, valet déguisé en noble, qui surprend les ministres du roi, réunis en Conseil, en train de se partager les dépouilles de l’Espagne. Ils profitent pour cela de l’affaiblissement du roi et de son absence. La tirade dénonce les ministres et tente de les rappeler à leur devoir. Mais, à travers l’Espagne, Hugo vise Louis-Philippe, roi des Français en 1838, et, d’une manière plus générale, les gouvernements qui préfèrent l’intérêt particulier

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à l’intérêt général. Nous allons d’abord analyser la diatribe contre les mauvais ministres puis la manière dont le texte évoque la situation française. 1. Une diatribe A. Un vocabulaire qui rabaisse les ministres • Ambiguïté de « Bon appétit, messieurs ». • Ironie avec l’expression « conseillers vertueux ». • Emploi du mot « serviteurs » puis « fossoyeurs ». B. La mise en place d’une situation qui aggrave les malversations • L’Espagne fait l’objet d’une longue énumération dont le registre est épique. • Les ministres pensent aux « plaisirs, aux filles de joie », ils ne sont pas à la hauteur de la gravité de la situation. • Parole finale : « j’ai honte pour vous »… 2. Une évocation de la situation française A. Tous les personnages de la situation politique sont présents Les « ministres intègres », « L’Espagne agonisante » (le pays), le « roi » qui n’est « plus qu’un fantôme », « L’État indigent » et « le peuple misérable » : tout concourt à rappeler la situation de la France, celle qui sera décrite plus tard par Victor Hugo dans ses discours sur la misère. B. Comme souvent chez Hugo, seul le peuple est vertueux Il paie l’impôt, tandis que les grands le dépensent en festins car le roi est impuissant à tenir sa Cour : cela ressemble aux reproches adressés à Louis-Philippe, incapable de tenir la bourgeoisie d’affaires qui l’a porté au pouvoir et qui affamait le pays. Conclusion Un texte qui met en scène une situation espagnole mais qui se superpose à la situation française : le procédé n’est pas nouveau et il est même fréquent chez les romantiques (Musset, Hugo dans Hernani), car il permet d’enrichir le propos et d’échapper à la censure.

Dissertation Introduction La question qui nous est posée porte sur les rapports possibles entre le théâtre et la politique et sur la possibilité pour l’art théâtral de représenter les débats politiques. Et, dans ce cas, lesquels ? Pour répondre à cette question, nous nous interrogerons d’abord sur sa capacité à représenter, à montrer une vie politique que l’on ne voit pas par ailleurs, la coulisse, le vrai visage (ou supposé tel) de la politique, comme c’est le cas dans les extraits du corpus. Nous nous demanderons ensuite si cette vision de la politique n’est pas caricaturale et si le théâtre peut ou non représenter les idées en jeu dans le débat politique d’un moment. Enfin, nous montrerons que, si l’art dramatique peut prendre parti ou jouer un rôle dans le débat public, c’est par lui-même et pas forcément par le truchement de la politique. 1. Le théâtre, scène de la politique Comme on le voit dans les différents extraits du corpus, le théâtre permet de montrer la politique, de la « mettre en scène ». A. Des personnages historiques Le théâtre met en scène des personnages politiques, les donne à voir là où on ne peut les voir (un Conseil des ministres, leur intimité). Mais il s’agit plus de la représentation de situations politiques que de l’actualité ou du débat politique proprement dit, comme dans le théâtre historique. B. Le théâtre historique Le théâtre aborde souvent la politique par le biais de l’histoire et de personnages historiques dont on raconte les actions (Richard III de Shakespeare, Cromwell de Hugo). Ces personnages invitent à réfléchir et à s’interroger sur notre questionnement politique.

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C. La politique de son époque Certaines pièces mettent en scène la politique immédiate, comme Le Candidat de Flaubert ou Les Mains sales de Sartre. Ces deux pièces ne présentent cependant pas des personnages ayant existé, mais sont des fictions qui invitent à s’interroger sur les idées politiques de leur époque. Le théâtre met en scène et représente des idées politiques, un débat. 2. Le théâtre, scène des idées et du débat politique A. Les Mains sales La pièce de Sartre peut se lire comme une réflexion sur le rôle du Parti communiste après la Seconde Guerre mondiale, les deux personnages, Hugo et Hoederer, représentant le parti et les intellectuels. B. Le Tartuffe Molière, avec une pièce comme Le Tartuffe, pose la question de l’influence de la religion sur la vie quotidienne. Cette question est au cœur du débat politique sous Louis XIV, au moment où plusieurs groupes religieux s’affrontent à la Cour. C. Le théâtre grec joue ce rôle La tragédie antique, comme Antigone ou Œdipe roi, met en scène les grands problèmes qui traversent la société. Mêmes enjeux chez Corneille qui montre les relations complexes entre le héros et le roi (Le Cid), l’opposition entre son devoir politique, l’honneur, l’intérêt collectif et l’amour, son intérêt individuel. Au total, le théâtre représente des idées actuelles mais qui dépassent le débat politique immédiat. 3. Le théâtre, lieu de réflexion sur la politique A. Ruy Blas Cette pièce a une signification politique mais qui dépasse la critique du régime de Louis-Philippe : question de la vertu du peuple, de la morale en général. Au théâtre, la question politique devient universelle. B. Ubu Roi Jarry ne représente pas le débat politique (entre monarchistes, bonapartistes, anarchistes, nationalistes et socialistes, en pleine IIIe république), mais plutôt le refus de considérer la politique comme un domaine sérieux et en rapport avec la vérité. Au total, le théâtre échappe à la représentation du débat politique. Conclusion Si le théâtre peut représenter le débat politique, il va le faire à un autre niveau : en montrant des situations, des moments historiques et en incarnant des idées qui, finalement, échapperont au simple débat politique, pour ouvrir un débat plus général sur l’homme et sa morale. Écriture d’invention Le sujet propose d’explorer le thème de la morale en politique, à travers une situation d’énonciation précise, celle d’un dialogue entre un roi et un serviteur ; s’ajoute à cette situation le fait que le roi a entendu ce qu’il ne devait pas entendre. On invitera les élèves à réfléchir sur des notions telles que le sens du service de l’État, le cynisme, la quête du pouvoir et de l’intérêt personnel, de manière à ce qu’elles puissent être développées dans ce dialogue. On les incitera à ne pas se limiter à des effusions (le roi félicite Ruy Blas…) mais à construire une analyse de la situation surprise par le roi.

E x t r a i t d e s s c è n e s 1 e t 2 d e l ’ a c t e ( p . 1 0 0 , l . 1 8 0 , à p . 1 0 2 , l . 2 1 6 )

V

◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 104-105) Une violence décrédibilisée La Mère Ubu est punie par le Père Ubu pour avoir détourné de l’argent et avoir maltraité le cheval à phynances. On se souviendra que c’est elle qui, à l’acte I, a poussé son mari à se lancer dans la u

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conspiration qui fera d’Ubu le roi de Pologne. Le fait que ce dernier transforme en tortures inquisitoriales la punition de la Mère Ubu correspond bien au caractère sadique et infantile du personnage. Quant à l’arrivée de Bougrelas, c’est le retour de bâton. Bougrelas est le fils du roi dont Ubu s’est débarrassé pour prendre sa place. À la scène 7 de l’acte I, Ubu ne disait-il pas à Bordure : « je te recommande spécialement le jeune Bougrelas », présenté d’emblée comme la plus grande menace pour Ubu ? À la scène 5 de l’acte II, l’Ombre des ancêtres charge Bougrelas de venger la dynastie : « Que cette épée que je te donne n’ait de repos que quand elle aura frappé de mort l’usurpateur. » v Pour ce qui concerne les tortures, le Père Ubu n’a de cesse d’en promettre à tout un chacun, un peu comme la Reine de Cœur veut couper la tête de tout le monde dans Alice au pays des merveilles. On peut penser plus concrètement à la scène 2 de l’acte III, qui débute par : « Apportez la caisse à Nobles et le crochet à Nobles et le couteau à Nobles et le bouquin à Nobles ! ensuite, faites avancer les Nobles. » Ici encore, le motif est financier : il s’agit de s’enrichir – et l’enrichissement est accompagné de supplices à faire subir. Ubu est ainsi, sur un mode infantile, dans la pulsion sans frein. Pour ce qui est de la bataille qui suit immédiatement, elle trouve un écho dans les autres batailles du texte : le coup d’État et la poursuite des membres de la famille royale à l’acte II, la révolte des paysans à la scène 4 de l’acte III, la guerre contre le Czar à l’acte IV. En somme, ces batailles figurent l’accession au pouvoir, la contestation du pouvoir mal acquis et la perte de ce pouvoir : grandeur et décadence du pantin. w La fin de l’acte I présente très peu de didascalies, alors même que le Père Ubu est censé faire une grande quantité de gestes précisément définis. Cela tient au fait qu’Ubu énonce ce qu’il fait au fur et à mesure qu’il le fait. Les didascalies ne sont donc plus nécessaires. Celle qui ouvre le monologue (« il l’empoigne et la jette à genoux ») est une vraie didascalie qui déclenche la scène et dicte à l’acteur ce qu’il doit faire ; en revanche, celle qui conclut le monologue d’Ubu (« il la déchire ») ne renseigne guère l’acteur sur ce qu’il est censé faire, même si elle parle à l’imagination du lecteur. La didascalie suivante (« Grand bruit à l’entrée de la caverne ») sert de transition entre les deux scènes : elle interrompt Ubu et amorce le pugilat qui va suivre. Dans la scène 2, les personnages n’énoncent pas leurs gestes dans leur discours, beaucoup plus brefs et agités. Les didascalies complètent donc utilement les dialogues. Les trois gérondifs (« le frappant », « ripostant » et « le battant aussi ») ont cette fonction pour chacun des personnages individuellement. Les didascalies qui suivent nous renseignent collectivement sur les mouvements des groupes : attaque, défense, entrée ou sortie. Elles ont pour double fonction d’indiquer aux acteurs et au metteur en scène ce qu’il s’agit de faire, et au lecteur ce qui se passe et qu’il ne voit pas : indication scénique et substitut du récit. x La longue tirade du Père Ubu comprend 3 phrases : une longue énumération de gestes, encadrée par deux questions. La première question ouvre la réplique par une opposition : « as-tu fini » / « je commence ». La dernière question conclut la tirade et la scène. Au milieu, la longue phrase énumérative énonce les gestes d’Ubu, dans une sorte de discours performatif où « dire c’est faire », où l’énonciation permet de ne pas avoir à faire précisément les gestes que l’on énonce. y Le Père Ubu s’attaque à des parties symboliquement fortes du corps. Il y a une géographie précise du corps selon Ubu qui parcourt toute la pièce et qui touche : – la tête dans son entier et dans ses différentes parties (le siège de la pensée, la cervelle, les organes sensoriels – « oneilles » et nez –, les cheveux) ; – les organes d’excrétion (la vessie et le postérieur, pipi et caca) ; – la moelle épinière. On notera que les tortures d’Ubu créent des chemins fantaisistes (extraction de la cervelle par les talons) et des organes inédits (vessie natatoire). Il y a une sorte de jubilation infantile chez Jarry à laisser ainsi son personnage jouer sadiquement et régressivement du corps humain. Cette anatomie imaginaire correspond symboliquement aux questions qui parcourent toute la pièce : instincts dominant l’intellect, pulsions prenant le pas sur l’intelligence, tête soumise au corps dans ce qu’il a de plus corporel. La victoire d’Ubu, c’est la victoire du ventre. U L’extrait proposé à l’étude pour la scène 1 présentait deux personnages et un monologue ; un personnage immobile qui subit sans presque rien dire et un personnage actif mais qui ne se déplace pas, et très organisé, dans son discours comme sans doute dans ses gestes. La scène 2 est à l’inverse de

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cela : des personnages nombreux, d’autres arrivant en cours de scène, un pugilat, des mouvements désordonnés, etc. Les dialogues suivent le même mouvement : des répliques courtes faites de phrases courtes. Exclamations, interjections, injures en chapelets, verbes impératifs... Une réinvention de la langue Jarry use de néologismes (« calard »), de termes enfantins (« oneilles »), de suffixes inattendus (« Polognard »), d’orthographes inhabituelles et irrégulières (« phynances », mais parfois « finances »). Il joue sur les mots (« moelle épinière » / « épines du caractère ») et sur les sons (série rimée des insultes). W Le Père Ubu est appelé M. Ubu par sa femme qui ainsi se soumet et le flatte. Par ailleurs, le couple Ubu est condensé en « les Ubs » par Jarry, qui se donne la liberté de jouer du nom qu’il a inventé. Ainsi, par goût de la rime, Ubu se transforme en Ubé (notre grand financier). C’est pour une raison similaire que le nom Ubu était né (« Hourrah, cornes-au-cul, vive le Père Ubu » – plutôt que le Père Hébert). La plus étonnante des utilisations du nom est celle où le Père Ubu élargit son patronyme aux palotins : « Voilà les Pères Ubus », dit-il. C’est là un usage particulièrement élastique du nom Ubu, qui englobe alors ses alliés comme une partie ou une extraction de lui-même. X Notons d’abord qu’Ubu, comme le capitaine Haddock, est un grand insulteur. À la scène 1, il traite sa femme de charogne et d’andouille, cette dernière insulte, avec sa dimension sexuelle et scatologique, étant l’une de ses préférées. Dans la scène 2, c’est Bougrelas qui commence. Les insultes s’égrènent alors en chapelet, ne rimant que sur la fin de la liste, à partir de « sacripant ». Les insultes de Bougrelas, à ce moment-là, désignent pour certaines le comportement ou le caractère d’Ubu. L’injure « musulman » accompagne « mécréant » comme si nous étions au temps des Croisades. La série d’Ubu est, elle, entièrement rimée et construite sur le suffixe péjoratif -ard. On voit d’ailleurs comment la rime l’emporte finalement sur le sens de l’insulte. Idem pour la réplique de la Mère Ubu, construite sur la terminaison -on et se concluant sur le très peu insultant « polochon ». On trouve, en vrac, des injures concernant l’origine, le caractère, les défauts, les croyances, le niveau social ou le comportement. On notera l’absence d’insultes sexuelles et, plus étonnant encore de la part de Jarry et d’Ubu, d’insultes scatologiques. V

◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 106 à 115) Examen des textes et de l’image u La scène de torture d’Ubu Roi semble la plus complexe, même si les gestes énoncés par Ubu, du fait de leur incongruité physique, laissent au metteur en scène place à toute son inventivité. De même, le pugilat à la suite doit-il être difficile à orchestrer du fait du désordre qui l’accompagne et du grand nombre de personnages. À l’inverse, il n’y a guère d’action dans les deux autres pièces. La Cantatrice chauve est une pièce qui s’intéresse au langage davantage qu’aux mouvements : une fois définis le ton et une série de gestes minimale, il ne doit plus guère y avoir de difficulté. Pour ce qui concerne Victor, l’action est repoussée dans les coulisses et elle n’est pas donnée à voir. Les personnages, sur le reste de la scène, sont statiques. v Les dialogues sont au centre du passage. Le récit précise la situation initiale et les conséquences de ce qui s’est dit jusqu’au dénouement. Les dialogues aiguillonnent les personnages : c’est par eux qu’intervient le problème (refus et insultes). Les actions narrées ne viennent qu’après, en réponse à ce qui s’est dit. w Dans les trois pièces, les insultes sont en chapelet ; elles sont un moment de jeu avec les sonorités et les mots (goût des néologismes et des mots rares), elles portent la jubilation de l’auteur et provoquent le rire du lecteur ou du spectateur. Chez Jarry, le principe qui les réunissait était le jeu sur la rime, qui faisait au bout d’un moment perdre de vue le sens. Chez Rabelais, rien de tel. Les insultes sont toutes adressées et désignent des travers bien identifiés : travers sociaux, défauts physiques, comportements déviants... Chez Ionesco enfin, il n’est pas toujours évident de faire la différence entre les jurons et les injures ; ceci dit, la réplique qui commence par « Cactus » est certainement une bordée d’injures adressées à l’un des personnages. Ici, ce n’est bien évidemment pas le sens qui prime, mais le ton, et ce qui unit les insultes est à chercher dans l’allitération.

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La violence est repoussée hors de la scène, dans les coulisses. On en a connaissance par les bruits, les éclats de voix, les cris et les gémissements qui parviennent jusqu’à la salle (pour le lecteur, par les didascalies). La violence est aussi symbolique, dans l’opposition entre ce que l’on entend et ce que l’on voit : sur scène, suite à la prise de laudanum, nous voyons un couple couché et apaisé, pour lequel les cris de l’enfant n’existent pas. Le sujet abordé par le père est à mille lieues de là, exprimé dans un langage poético-absurde et fleuri. La situation pour celui qui assiste au spectacle de l’extérieur (de la salle) doit être extrêmement pénible et mettre mal à l’aise. y La drogue calme Charles, l’adoucit, y compris dans sa façon de s’exprimer, et l’autorise à parler à sa femme de sa maîtresse. Elle lui permet d’ignorer les cris qui lui parviennent et de gommer les coups qu’il vient de donner et la journée pénible qu’il vient de vivre (révolte de son fils le jour de son anniversaire). Son langage par ailleurs se fait, au choix, absurde ou poétique, ou poétique parce que absurde, en tout cas tissé de métaphores et d’images pour certaines indéchiffrables. La lumière, en s’éteignant puis en se rallumant très lentement, marque pour l’œil du spectateur cette entrée dans une sorte de monde cotonneux du rêve où seuls parviennent certains bruits. U D’abord, ces mots étranges désignent tous une femme : la maîtresse de Charles, Thérèse (qui est un personnage de la pièce). La première série, faite de noms communs précédés d’articles indéfinis, propose une description de Thérèse, tandis que la seconde série, où les termes sont précédés d’adjectifs possessifs, est davantage une suite de termes affectueux. Ces mots sont tous des néologismes. Si certains sont proprement des mots-valises (« vinoseille »), on peut identifier dans nombre d’entre eux des mots (notamment animaliers : « grivette », « vachinose », « gruesaille »), ou des suffixes familiers (-ette, -on, -aille). La liberté avec laquelle Vitrac a forgé ces mots permet au lecteur ou à l’auditeur d’être à son tour libre d’y projeter le sens de son choix. Par ailleurs, il n’est pas à exclure une intention moqueuse face au ridicule du vocabulaire amoureux. V Le principe qui régit la scène 11 de La Cantatrice chauve est uniforme : l’auteur dynamite le langage en le vidant de son sens. Il garde une structure grammaticale, mais le lexique est ici bouleversé, comme dans la pièce de Tardieu au titre révélateur : Un mot pour un autre. Par ailleurs, hormis la didascalie centrale, qui fonctionne comme une charnière, l’action n’évolue pas et le discours est illisible. D’ailleurs les personnages ne sont pas dans ce que l’on pourrait appeler une conversation intelligible. Si bien que, comme dans un rouleau de papier peint, on pourrait tailler à peu près n’importe où avant et après la didascalie sans changer fondamentalement l’idée que l’on peut se faire de ce passage de la pièce. W Les premières répliques après la didascalie, qui sont encore des phrases construites et que l’on pourrait trouver avant la didascalie, sont certainement glaciales. En revanche, avec les répétitions de termes (termes dans lesquels on trouve systématiquement le mot « caca », autrement dit « merde »), le ton monte et explose un peu plus loin avec la série d’injures (« Cactus »...), pour laquelle on notera l’apparition du point d’exclamation, que Ionesco n’utilise guère par la suite et presque pas auparavant. X Le passage s’opère grâce à la longue didascalie qui précise le changement de ton et la progression dans ce qui va suivre. Par ailleurs, ce qui clôt la première partie est l’exclamation, scandaleuse semblet-il, où l’on pourrait deviner un quelconque slogan de manifestation politique : « À bas le cirage ! » Par ailleurs, l’aspect des répliques change du tout au tout dans la seconde partie. Les phrases se font nominales, agressives par les répétitions nombreuses de termes, jouant davantage sur les sonorités. at L’Œil cacodylate est à la fois un tableau et un poème. C’est un tableau parce qu’il est fait avec des techniques picturales (peinture à l’huile et collage) sur un support de peintre (une toile). Ensuite parce que Picabia est un peintre, qu’il a signé son tableau en bas à gauche et en plus gros et plus net que les autres, et que la toile se trouve accrochée dans un musée d’Art moderne, où les gens vont la regarder comme les autres tableaux qui l’entourent. Enfin – et c’est le plus important –, parce que finalement nous avons affaire à une image produite, où l’écriture fonctionne comme un signe graphique recouvrant la toile plastiquement. Il est à noter qu’au cours du XXe siècle nombre de peintres travailleront sur la question de l’écrit dessiné (notamment le peintre américain Cy Twombly et le Suisse Benjamin Vautier, dit Ben). L’Œil cacodylate est aussi un poème, puisque ceux qui l’ont signé ne se sont pas contentés de le signer mais ont écrit chacun une petite phrase ; mises ainsi ensemble, au hasard ou à peu près, ces phrases fonctionnent selon le principe surréaliste du cadavre exquis ; côte à côte elles produisent du son et un sens poétique inattendu. x

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Travaux d’écriture Question préliminaire La place du corps dans les trois extraits proposés est très diverse. Dans Ubu Roi, le corps de la Mère Ubu est perforé, ouvert, vidé, mutilé... mais il s’agit d’un corps imaginaire, décrédibilisé, un corps reconstitué, plus un corps de pantin qu’un corps d’humain, et la souffrance de la Mère Ubu n’est de ce fait pas une souffrance dans laquelle le spectateur peut se projeter. Les corps du couple Ubu, mais surtout celui du Père Ubu, sont des corps imposants, qui prennent toute la place, et auxquels les personnages font sans cesse référence. Le Père Ubu, ainsi, ne cesse de parler des fonctions organiques, depuis le « Merdre » qui ouvre la pièce jusqu’au riche vocabulaire ubique désignant le ventre et les nombreux éléments scatologiques qui émaillent la pièce. Cette omniprésence, cette exhibition de ce que normalement on cache du corps sont à l’image des tendances régressives du personnage et de son abjection morale. Dans Victor, en revanche, le corps est un corps caché, soit qu’il souffre hors de la scène (l’enfant que l’on vient de battre), soit qu’il est dans le lit, en quelque sorte annulé par la drogue. Ce que l’on perçoit du corps ici est mis à distance : les cris de l’enfant, qui sont la marque de son corps souffrant, sont produits puis ignorés par les adultes mais pénibles au spectateur ; le corps érotique n’existe que par ce qu’en dit Charles, mis à distance par les mots et un langage imagé. Dans La Cantatrice chauve, enfin, le corps est le corps bourgeois, celui qui ne fait pas question et dont il n’est jamais question, jusqu’à ce que dans l’échauffement de la dispute apparaissent des « caca » en série, qui ne sont finalement pas si loin des « merdre » du Père Ubu.

Commentaire Introduction Cette scène est située à la toute fin de la pièce qui représente la soirée d’anniversaire de Victor. Après le dîner d’anniversaire dans la salle à manger (acte I) puis un passage au salon (acte II), les invités sont partis. Les parents de Victor sont maintenant seuls dans leur chambre, lieu intime pour les secrets et les aveux. La pièce va lentement vers son dénouement tragique où l’érotisme et la mort vont se mêler. Ici, en un long monologue, Charles avoue à Émilie qu’il en aime une autre. Mais cette « confession » qui commence dans le plus pur style du mélo ou du vaudeville tourne progressivement en déclaration d’amour et en revendication de la liberté en amour contre la bienséance bourgeoise. Nous montrerons comment, par la subversion d’une situation de vaudeville, la scène aboutit à une revendication poétique de l’amour. 1. La subversion d’une situation de vaudeville A. Une scène aux apparences classiques On pourrait être dans la scène classique du couple bourgeois qui se couche et que l’enfant malade dérange. Cette irruption, qui pourrait être comique, tourne en scène sadique avec les propos sur la fessée et les gémissements de l’enfant pendant toute la scène. B. Le dialogue : situation de vaudeville mais inversée • Le mari avoue, revendique et s’étend sur son amour. • La femme, au lieu de se plaindre, en redemande et admire (« encore »). C. Subversion des valeurs bourgeoises, en particulier de la religion • Emploi du terme « confession », comparaison de la femme trompée avec une sainte (« tu es une sainte femme, Émilie »). • La chambre bourgeoise devient le lieu d’une révélation poétique de l’amour, de la sensualité. On sort du vaudeville pour entrer dans le manifeste de l’amour surréaliste. 2. Une revendication poétique A. L’aveu se transforme en manifeste • Formules d’insistances : « aucune drogue, aucune puissance au monde ne pourrait m’empêcher de te dire ». • Termes élogieux : « elle est si belle ». • Hyperboles : « Thérèse, c’est une vache, mais une vache comme il n’y a pas de fleurs ».

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B. La description réaliste est envahie par des images incohérentes « Un pied comme cinq feuilles de fraisier », « ses yeux riaient sous son aisselle » évoquent de manière poétique et implicite, mais très perceptible, l’acte sexuel (« escalader le lit », « entre ses cuisses »). C. Le bouquet final montre que l’amour, la sexualité sont tels qu’il faut inventer un langage pour le dire • Les mots s’inventent en mélangeant les appellations amoureuses classiques (« ma poulette » devient « une grivette » et « un poularic »…). • Les termes insultants se renversent en compliments : « c’est une vache, mais une vache comme il n’y a pas de fleurs ». Conclusion La scène apparaît d’abord comme une scène de vaudeville classique : les époux, au soir dans leur chambre, se font des confidences. Par le langage et le renversement de la situation, cette scène est détournée en un manifeste surréaliste et poétique qui défait la bienséance bourgeoise au profit d’un éloge poétique et mystérieux de l’amour, de la sensualité et de la liberté.

Dissertation Introduction La formule « Le théâtre est une langue mise en corps » attire notre attention sur l’importance du jeu et de la mise en scène dans le théâtre, trop souvent oubliée au profit de l’étude du seul texte. Elle peut s’entendre de différentes manières : – tout d’abord, elle indique que le théâtre est un art d’expression corporelle où le jeu et les gestes des acteurs expriment tout autant, voire plus que la langue. On peut comparer cet art à la danse, par exemple ; – ensuite, elle indique que le texte théâtral est un texte littéraire écrit pour être joué et qui, par conséquent, ne prend vie que lorsqu’il est incarné par des acteurs et mis en scène. Cependant, la formule paraît réductrice : en effet, le théâtre, contrairement à la danse, repose sur un texte et aussi sur une mise en scène, un décor, des objets. Nous montrerons donc que, si le jeu corporel est important au théâtre, celui-ci ne s’y limite pas. 1. Le théâtre : un langage du corps A. Un langage à leur image Ubu doit être lourd et pataud pour incarner sa grossièreté, par opposition à Charles, personnage de Victor, qui doit être plus aérien pour incarner la rêverie poétique de l’amour. Leur langage correspond à leur image. B. Les mouvements sur scène traduisent eux aussi les sentiments • Inquiétude, étonnement, peur correspondent à des gestes, des postures, des mimiques : le duo amoureux au lit chez Vitrac, par exemple, ou l’évocation de l’acte sexuel par Charles. • Mais ces représentations schématiques ne suffisent pas : il y a aussi la scène, qui dépasse le corps. 2. Le théâtre : un langage de représentation A. Importance du choix des lieux Le lieu, chez Ionesco et Vitrac, symbolise la petite-bourgeoisie dont on fait la satire. Il y a cheminée, piano, meubles confortables, tous les attributs d’une réussite sociale affichée mais dont on montre le caractère étriqué et convenu. Les objets parlent en quelque sorte, comme si l’on jouait une tragédie dans un décor de vaudeville. B. Variété ou unité des lieux expriment différentes choses • L’espace, par sa variété ou son unité, exprime d’abord le genre : variété des lieux dans la comédie, unité dans la tragédie, que les auteurs utilisent à volonté. Ainsi Vitrac, comme Jarry, construit-il un drame tragique dans un décor bourgeois. • Jarry s’emploie, par ailleurs, à démonter les genres en mélangeant à l’infini les lieux et surtout par l’illusion théâtrale : il n’y a plus de lieux mais des mots, des didascalies, qui annoncent les lieux ; on passe du palais à l’esplanade, au pont d’un bateau, par la simple magie du langage, simplement parce qu’on le dit. Le langage fait la scène.

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3. Le théâtre : un langage qui représente A. Au théâtre, le langage conduit à des gestes On connaît la réplique du théâtre classique « Mais le voici qui arrive », qui annonce l’arrivée d’un personnage et dans laquelle le mouvement est suscité, provoqué par la parole. B. Un langage pour lui-même • La langue de Vitrac, à la fin de la scène, vaut par elle-même, comme le vocabulaire d’Ubu ou encore les expressions des personnages de Ionesco. Tout se passe comme si le corps était mis en langue, à l’inverse de la formule proposée. • Au théâtre, le langage n’est jamais très loin et le texte peut valoir aussi par lui-même. Conclusion Si le théâtre est une langue mise en corps, comme la danse, l’inverse est aussi vrai et le théâtre reste l’association d’une langue, de corps et d’une mise en scène. Écriture d’invention Il s’agit de critiquer, du point de vue d’un critique, les textes donnés en extraits. On incitera les élèves à chercher leurs arguments dans les exigences classiques du théâtre. Ils pourront ainsi reprocher à ces extraits de ne pas respecter la bienséance, la vraisemblance, le réalisme théâtral, la séparation des genres… On leur rappellera les dominantes du registre polémique : attaques personnelles, moqueries, apostrophes et exclamations, critiques violentes pouvant aller jusqu’à l’injure. La situation d’énonciation est celle d’un article ; on les invitera, par exemple, à prendre à témoin les lecteurs.

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COMPLÉMENTS A U X

L E C T U R E S

D

’IMAGES

◆ Alfred Jarry (p. 4) La photographie Cette photo comporte une légende manuscrite : « Arrivée au phalanstère du jeune Ancien (Alfred Jarry, dit Ubu) ». Le phalanstère est une communauté utopique créée par le socialiste utopique Charles Fourier. L’image montre bien le caractère insolite de Jarry, par sa mise et par l’utilisation d’une bicyclette, moyen de transport alors peu répandu. Travaux proposés – Le vélo est-il fréquent dans l’imagerie des écrivains ? Que peut-il symboliser ici, à cette époque ? – Commentez la légende manuscrite suivante : « Arrivée au phalanstère du jeune Ancien (Alfred Jarry, dit Ubu) ». Qu’est-ce qu’un « phalanstère » ?

◆ Affiche d’Ubu Roi en 1896 (pp. 5 et 25) L’œuvre Comme on le voit, l’affiche est composée à la manière d’une enluminure du Moyen Âge : chaque élément représente un des aspects de la pièce et l’image comporte du texte. L’allure ridicule d’Ubu (visage informe, chapeau pointu, gros ventre rond), le sac d’argent qu’il tient, la torche pour mettre le feu à la maison ont quelque chose de provocant. Ubu est une présence inquiétante, énorme, qui fait tomber le feu sur le palais royal malgré les prières de Venceslas et Rosemonde. Dans le coin supérieur gauche, on peut lire la liste des personnages. Dans une autre version de cette affiche, le « voiturin à phynances » a été ajouté. Ici, l’enluminure rencontre la bande dessinée ; le coin supérieur droit comporte une bulle. Travaux proposés – Analysez la caractère iconoclaste de cette affiche en la comparant à d’autres affiches contemporaines. – Cette affiche est-elle un résumé ou un symbole de la pièce ?

◆ Dessins d’Alfred Jarry (pp. 8 et 9) Les œuvres Cette illustration et la suivante sont, comme l’affiche, de Jarry lui-même. On notera l’apparition de la « gidouille » sur le ventre du personnage, l’un des emblèmes d’Ubu. Le point commun entre tous ces portraits réside dans leur force caricaturale : Jarry ne crée pas un personnage, une personne, mais un caractère, un type grotesque et inquiétant. Travaux proposés – Comparez les deux images. Quelles indications donnent-elles sur le caractère du Père Ubu ? – Comment pourrait-on représenter la Mère Ubu ? Proposez une description précise d’un tel dessin.

◆ Mise en scène de Norma Bracho (p. 12) Le metteur en scène Norma Bracho est une marionnettiste vénézuélienne qui a monté, en Amérique latine (Venezuela, Mexique) et, depuis 1995, en France, avec la Compagnie des Têtes de bois, de nombreux spectacles, aussi bien pour adultes (Lorca, Jarry...) que pour enfants. Le spectacle Dans sa version d’Ubu Roi, présentée en 1995 au théâtre du Tambour royal à Paris, tous les personnages étaient des marionnettes, mais le couple Ubu était, lui, représenté alternativement et parfois conjointement par des marionnettes et par des acteurs. Cette double existence créait des

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tensions dramatiques et comiques orchestrées selon les situations (rapports de domination, manipulation, hésitations, lâcheté, action...). La photographie La photo représente le Père Ubu et sa femme se promenant bourgeoisement dans la ville. Les acteurs proposent une vision des personnages qui met en avant leur force de dérision par le costume, l’embonpoint et l’expression satisfaite d’une jovialité un peu vide de fin de banquet. Ce sont là des personnages satisfaits de leur sort et d’eux-mêmes. Travail proposé – Le couple Ubu, notamment le Père Ubu, ne porte aucun des attributs dont il est habituellement affublé. Montrez de quelle manière les comédiens parviennent malgré tout à donner corps aux personnages et à mettre en évidence leur caractère.

◆ Mise en scène de Jean Vilar (pp. 39 et 160) Les comédiens Rosy Varte est née le 22 novembre 1928 à Istanbul, en Turquie. Cette actrice française d’origine arménienne est surtout célèbre pour ses rôles comiques. On la retrouve aux côtés de Jacques Brel dans Mon Oncle Benjamin d’Édouard Molinaro (1969), dans Le Viager de Pierre Tchernia (1972), et elle interprète le rôle de Marie Dorval dans le film éponyme de son mari Pierre Badel (1973). De 1984 à 1992, chaque dimanche à la télévision, elle interprète Maguy, dont chaque épisode (plus de 300 au total) connaît un succès retentissant. Charles Lavialle est né à Nantes en 1894. Acteur de théâtre, de cinéma et de télévision, on le retrouve dans des œuvres aussi célèbres que la série télévisée Les Cinq Dernières Minutes (1958-1964), Les Yeux sans visage de Georges Franju (1960) ou Les Tontons flingueurs de Georges Lautner (1963). Il est décédé en 1965. Né en 1921, Georges Wilson est à la fois un comédien, un metteur en scène, un scénariste et un réalisateur. En 1945, il suit les cours de Pierre Renoir à l’école de la rue Blanche. Puis il entre à la Compagnie Grenier-Hussenot. En 1952, Jean Vilar le recrute pour jouer au Théâtre national populaire (TNP) et au Festival d’Avignon. Parallèlement, il débute une carrière au cinéma (Le Rouge et le Noir, en 1954, et La Jument verte, en 1959, de Claude Autant-Lara), carrière qu’il partagera entre la France et l’Italie. Avec plus de 50 films à son actif, Georges Wilson aura soin de faire en sorte qu’aucun ne se ressemble et de jouer autant des rôles comiques que des rôles dramatiques. Dès 1957, il enseigne à l’école de théâtre de Charles Dullin. En 1963, il succède à Jean Vilar à la tête du TNP. Il y met en scène de nombreuses pièces classiques mais aussi des pièces modernes (En attendant Godot de Samuel Beckett, Huis clos de Jean-Paul Sartre) et un opéra (Falstaff). Il est aussi à l’origine de la construction de la petite salle Gémier du palais de Chaillot. Il quitte ses fonctions en 1972. Il se lance ensuite dans l’écriture et réalise, en 1988, La Vouivre. Le metteur en scène Jean Vilar est né à Sète en 1912. Acteur, metteur en scène, directeur de théâtre, il est surtout connu pour avoir créé le Festival d’Avignon et dirigé le Théâtre national populaire (TNP). Sa première apparition sur scène date de 1935, simple figurant dans Le Faiseur de Balzac au théâtre de l’Atelier. Après avoir rejoint le théâtre ambulant La Roulotte, il fonde sa propre compagnie (Compagnie des Sept) en 1943. La reconnaissance vient avec la création au théâtre du VieuxColombier, en 1945, de Meurtre dans la cathédrale de T. S. Eliot. Puis « la Semaine d’art dramatique en Avignon » qu’il organise du 4 au 10 septembre 1947 dans la Cour d’honneur du palais des Papes annonce la naissance du Festival d’Avignon, dont il restera le directeur jusqu’à sa mort en mai 1971. Nommé à la direction du TNP en 1951 (jusqu’en 1963), il se donne pour mission de rendre le théâtre accessible au plus grand nombre, notamment en baissant le prix des places. Sa proposition, à la fin des années 1970, d’accorder 1 % du budget de l’État à la culture est restée célèbre. La photographie Les costumes évoquent la commedia dell’arte. Ubu ressemble à une sorte de moine défroqué, le Roi a l’air naïf et idiot, tandis que la Mère Ubu a l’air d’une cabaretière.

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Travaux proposés – À quelle scène rattacheriez-vous chacune de ces deux images ? Justifiez votre réponse par une analyse précise des éléments présentés. – Comparez cette mise en scène avec celle de Bernard Sobel (p. 48). Selon vous, peut-on dire qu’on va d’une mise en scène réaliste vers une mise en scène symbolique ?

◆ Mise en scène de Bernard Sobel (p. 48) Le comédien Denis Lavant est né le 17 juin 1961 à Neuilly-sur-Seine. Acteur hors norme, formé au Conservatoire, il débute sa carrière au théâtre et à la télévision. Au cinéma, dans les années 1984-1986, il devient le comédien emblématique de l’œuvre du cinéaste français Léos Carax, dans une trilogie filmographique (Boy Meets Girl, 1984 ; Mauvais Sang, 1986 ; Les Amants du Pont-Neuf, 1991) au cours de laquelle il révèle, dans la peau d’Alex, toute l’amplitude de son talent. Le metteur en scène Né en 1936, à Paris, Bernard Sobel suit des études d’allemand puis part pour Berlin où il découvre le Berliner Ensemble et se forme à la mise en scène auprès de Bertolt Brecht. À son retour en France, il assiste Jean Vilar dans sa mise en scène d’Arturo Ui de Brecht (1960). En 1963, il s’installe à Gennevilliers où, soutenu par la municipalité, il fonde l’Ensemble théâtral de Gennevilliers qui, en 1982, devient un Centre dramatique national. Bernard Sobel et le collectif de travail qu’il a constitué ont voulu, s’inspirant du Berliner Ensemble et des théories brechtiennes (en 1968, la troupe joue L’Exception et la Règle dans les usines occupées), y construire une « machine à faire voir et faire entendre », un théâtre malléable. On leur doit près de 50 spectacles, dans des répertoires variés (les élisabéthains étant son répertoire préféré), dont une trentaine de créations. Pascal Rambert lui a succédé en janvier 2007. Bernard Sobel, parfois sous son véritable nom Bernard Rothstein, est à la fois un acteur (Jeanne la Pucelle – Les batailles, 1994), un scénariste (Jeppe des collines, 1973 ; Mourir pour Copernic, 1975), un réalisateur de télévision (de nombreux documentaires, des dramatiques, tels que Le Candidat de Flaubert, et des opéras, comme Peer Gynt mis en scène par Patrice Chéreau ou Faust mis en scène par Klaus-Michael Grüber) et un metteur en scène. Dans le cadre du théâtre musical à Avignon, il a monté Mario et le Magicien d’après Thomas Mann (musique de Jean-Bernard Dartigolles), Va-et-Vient et Pas moi de Samuel Beckett (musique de Heinz Holliger). On lui doit aussi la mise en scène, au Châtelet, en 1993, des Excursions de M. Broucek de L. Janacek et, à l’Opéra du Rhin, en 1994, L’Affaire Makropoulos du même auteur. Enfin, en sa qualité de germaniste, il a aussi participé à des traductions, notamment la version française de Hitler : un film d’Allemagne de Hans-Jürgen Syberberg. La photographie Le disposition scénique – une main géante d’où tout provient et où tout retourne – est une métaphore du désordre social dont Ubu – un enfant qui casse tous ses jouets – est, selon le metteur en scène, une image. Travaux proposés – Expliquez ce que représente la main géante. – En quoi cette mise en scène diffère-t-elle de l’autre mise en scène présentée dans l’ouvrage ?

◆ Affiche du général Boulanger (p. 103) L’œuvre L’affiche du général Boulanger, que certains ont, à l’image de Mère Ubu, tenté de pousser à faire un coup d’État (mais qui s’est refusé à tout acte illégal), est curieuse car elle évoque et dénonce, comme Ubu, toutes les malversations qui accompagnent souvent la tyrannie et les régimes sans droits, tout en employant un vocabulaire polémique et anti-parlementaire. Il s’agit là d’un discours populiste et démagogique qui est surtout caractéristique des régimes dictatoriaux. Travail proposé – Analysez la typographie. Que met-elle en valeur ?

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◆ Programme du Théâtre-Libre (p. 126) L’œuvre Le programme du Théâtre-Libre est une allégorie : le voyou qui poignarde un Pierrot peut être interprété comme le théâtre naturaliste mettant fin à la commedia dell’arte. Travail proposé – En quoi cette affiche peut-elle être considérée comme programmatique ?

◆ Dégradation du capitaine Dreyfus (p. 133) L’œuvre Cette illustration célèbre fit la une du Petit Journal le 13 janvier 1895. On y voit un garde républicain briser sur son genou l’épée du capitaine Dreyfus, après lui avoir arraché tous ses insignes militaires, dans la cour de l’École militaire à Paris. Cette cérémonie rituelle illustrait la décision de justice prise à l’encontre du capitaine Dreyfus. Travaux proposés – Comment est composée cette illustration ? – Montrez que, par le réalisme et l’apparente neutralité, ce dessin imite la photographie et assure la même fonction : être une image « objective » de la réalité.

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BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE ◆ Sur Alfred Jarry – Noël Arnaud, Alfred Jarry, d’« Ubu Roi » au « Docteur Faustroll », coll. « Les Vies perpendiculaires », La Table ronde, 1974. – Patrick Besnier, Alfred Jarry, Fayard, 2005. – Henri Bordillon (sous la direction de), Alfred Jarry : communications, Belfond, 1985.

◆ Sur Ubu Roi – Richard Demarcy, « Ubu déchaîné », in L’Avant-Scène Théâtre, n° 1027, 1998. – Jérôme Ruillier, Ubu, Bilboquet, 2004. – Christine Van Schoonbeek, Les Portraits d’Ubu, Séguier, 1997.

◆ Sur l’œuvre de Jarry – Henri Béhar, Jarry : le monstre et la marionnette, coll. « Thèmes et Textes », Larousse, 1973. – Henri Béhar, La Dramaturgie d’Alfred Jarry, coll. « Littérature de notre siècle », Honoré Champion, 2003. – Michel Arrivé, Les Langages de Jarry : essai de sémiotique littéraire, Klincksieck, 1972. – Michel Arrivé, Lire Jarry, coll. « Dialectiques », éd. Complexe, Bruxelles, 1976 (diffusion PUF).

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